REVUE
HISTORIQUE
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REVUE
HISTORIQUE
Fondée bn 1876 par GABRIEL MONOD
directeurs :
Charles BÉMONT et Christian PFISTER.
Ne quid falsi audeat, ne guid veri non audeat historia.
CicéRoH, de Orat., II, 15.
QUARANTE-CINQUIÈME ANNÉE.
TOME CBNT TRENTE- SIXIEME
Janvier- Avril 1921.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALGAN
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
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LES
« PROPHÈTES •• DU LANGUEDOC
EN 1701 ET 1702
LE PRÉDICANT-PROPHÈTE JEAN ASTRUC, DIT MANDAGOUT
Deux articles de la Revue historique consacrés par M. F.
Puaux aux Origines, causes et conséquences de la guerre des
Camisards^, et la publication, par M. Puaux également, des
Mémoires du chef camisard Jean Cavalier ont ramené l'atten-
tion sur la fameuse révolte cévenole. Il y aurait lieu sans doute
de discuter certaines affirmations de M. Puaux et d'examiner
dans le détail la valeur documentaire des Mémoires de Cava-
lier (contrairement au traducteur, et avec le protestant Antoine
Court, nous les jugeons « très infidèles »). Les pages qui suivent
tendent seulement à établir un fait considérable, qui ne ressort
ni de l'exposé publié dans la Revue histoyHque, ni surtout du
récit de Cavalier, à savoir les liens qui unissent l'insurrection
méridionale avec une crise religieuse morbide peut-être unique
dans l'histoire. Les caractères propres du soulèvement, son
audace, ses excès, son irrésistible violence ne peuvent être
compris ni sainement jugés que si on le rattache étroitement
à la fièvre religieuse du « prophétisme », comme disaient les
protestants, ou, comme disaient les cathoHques, du « fanatisme »,
fièvre qui depuis 1700 a sévi si étrangement dans le Bas- Lan-
guedoc et les Cévennes.
Les historiens anciens des Camisards, à commencer par les
cathoHques : le curé Louvreleuil (1704), le juge La Baume, Brueys
(1709), font unanimement sortir la révolte de 1702 de l'exalta-
tion maladive de 1701 -. Les autorités du Languedoc ont été si
1. T. CXXIX, p. 1 et 209.
2. Louvreleuil, le Fanatisme renouvelé, vol. I, 1704 (nous citons l'édition
Rev. Histor. CXXXVI. 1" fasc. 1
X CB. BOST.
convaincties de cette dépendance qu'elles ont réprimé avec une
impitoyable promptitude les manifestations tardives. du prophé-
tisme, au cours du xviii'' siècle. Du côté protestant, le Théâtre
sacré des Céve^mes, publié à Londres en 1707, proclame l'union
intime des cliefs camisards et des inspirés. Antoine Court,
ordonnant en 1760 ses notes et ses souvenirs dans son Histoire
des troubles des Cécennes, n'a pas manqué non plus de relier
la prise d'armes à des manifestations insolites de la piété hugue-
note et le pasteur de Nîmes Samuel Vincent, rééditant en 1819
l'ouvrage de Court, a montré qu'il avait su le lire, en insistant
dans une préface sur l'état « d'ignorance et de fanatisme » où
la persécution avait réduit les protestants qui se soulevèrent'.
Cependant, ces affirmations semblent être demeurées sans
écho. Michelet, sans doute, a insisté sur le caractère inouï que
l'exaltation religieuse avait imprimé à cette terrible guerre. Mais
M. RébeUiau, dans son chapitre, à certains égards si neuf, con-
sacré aux embarras protestants de Louis XIV {Hist. de France
de Lavisse, t. VIII, i, p. 381), ne parle même pas du prophé-
tisme, et aujourd'hui M. Puaux recommande, sans une restric-
tion, des Mémoires de Cavalier où l'ancien chef, lui-même ins-
piré et prédicateur, se donne uniquement pour un soldat et ne
fait pas même mention des faits quotidiens de possession reli-
gieuse dont il avait été le témoin-.
A quoi tient que la crise religieuse du « fanatisme » soit
ainsi oubliée? A cette^ seule raison, croyons-nous, que la docu-
mentation des anciens historiens est trop réduite. Louvreleud,
La Baume et Brueys, avec tous les catholiques de leur temps,
d'Avignon, 1868) ; La Baume, Relation historique de la révolte des fanatiques
(manuscrit du temps, publié à Nîmes, 1874); Brueys, Histoire du fanatisme,
t. I, 1709 (nous citons une édition d'Utrecht, 1727).
1. Nous citons A. Court dans cette édition de 1819. On sait que le Théâtre
sacré, publié à Londres en 1707, est un recueil de témoignages qui doivent
attester la réalité et la valeur religieuse du mouvement « prophétique » en
face des incrédules, et particulièrement des pasteurs de Londres, ennemis des
inspirés. Le livre a été réédité en 1847 sous le titre : les Prophètes protes-
tants..., par le pasteur A. Bost, qui a modifié l'ordre des témoignages et ajouté
au texte quelques notes. Les idées très particulières de A. Bost, qu'il exprime
dans une préface, ont fait dire que son édition « n'était pas exacte ». Une
minutieuse collation nous a prouvé au contraire que l'édition est très honnê-
tement faite. Le texte original est entièrement reproduit. Quelques modifica-
tions verbales (très rares) ne valent seulement pas d'être signalées.
2. M. Puaux n'a malheureusement pas fourni de ces Mémoires le texte le
plus ancien, qui est représenté par un manuscrit de La Haye, lequel mentionne
au moins une fois les prophètes.
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. ■ 3
affirment que le « fanatisme » est l'œuvre de simulateurs, sus-
cités en France par des étrangers qui ont voulu soulever le
midi protestant contre le roi. Mais ils ont été si étonnés de ce
qu'ils ont vu ou appris qu'ils sont demeurés très sobres dans
leurs récits, et leur modération même trahit leur embarras.
Quant au protestant Court, il se tient. également sur la réserve.
Il ne pouvait dire du bien des inspirés, car de])uis 1715 son
activité missionnaire en France a consisté à les forcer au silence.
Il n'ose pas non plus les condamner résolument, car son enfance
s'est écoulée au milieu d'eux et il a eu de la vénération pour
leur piété. Il a interrogé des témoins sûrs, mais ceux-ci, parlant
en des temps et en des lieux où le fanatisme était devenu sus-
pect, ont tu souvent ce qu'ils en auraient pu dire. Il nous reste
le Théâtre sacré des Cévennes. Mais le petit volume, quia pro-
fondément remué Michelet, apparaît sans doute aux lecteurs
d'aujourd'hui comme un amas de bizarreries où il est difficile de
porter la critique. L'ouvrage avait été accueilli par les pasteurs
de Londres avec une véritable répulsion et c'est assurément
pour ne pas évoquer son souvenir que Cavalier, dans la recen-
sion anglaise de ses Mémoires, a usé d'une si belle pudeur à
l'égard du prophétisme. Ce recueil d' « expériences religieuses »
extraordinaires choque nos historiens contemporains autant que
les pasteurs d'autrefois. Comme d'ailleurs il contient peu de
dates et émane d'exaltés dont la sincérité peut être douteuse,
on ne veut plus faire fond sur lui.
Le seul écrivain qui, depuis 1760, ait apporté quelques préci-
sions sur le mouvement prophétique est M . Roschacli . Dans le qua-
torzième volume de la nouvelle édition de Y Histoire de Lan-
guedoc (Toulouse, 1876) il a publié des lettres de Broglie et de
Bâville au ministre de la Guerre qui jettent un peu de lumière
supplémentaire sur ces temps troublés. Mais il ne paraît pas,
comme on le verra, que le commandant militaire ni l'intendant
du Languedoc aient voulu donner à la cour une image exacte
des agitations religieuses de leur province. Ils avaient intérêt à
couvrir des manifestations trop étranges. Leur correspondance
officielle n'ajoute donc pas beaucoup aux auteurs que nous avons
cités. Cependant, eUe confirme leurs dires, et M. Roschach y a
trouvé de quoi s'en tenir formellement à l'opinion des anciens
historiens. Il a écrit (t. XIV, p. 734) : « La grande insurrec-
tion des Cévennes s'est annoncée de loin comme une explosion
inévitable par suite de l'exaspération du pays. »
4 • CH. BOST.
Des documents nouveaux nous permettent de reprendre à
notre tour cette assertion et de l'établir de façon indiscutable.
Mais nous la préciserons. Nous montrerons comment 1' « exas-
pératio^i du pays » s'est manifestée en une contagion religieuse
frénétique. Il ne nous suffira pas de montrer, comme M. Puaux,
que la révolte n'est pas sortie du meurtre de l'abbé du Chayla,
et de dire qu'elle fut causée par la répression brutale qui sui-
vit cet attentat. Ce serait encore faire dater l'agitation des
Cévennes de la mort de l'archiprêtre. Nous dirons en quel état
d'esprit se trouvaient les attroupés qui ont forcé le logis de
l'atbé, et l'on verra comment il est impossible de séparer le
drame du Pont-de-Montvert d'un certain nombre d'événements
qui l'ont immédiatement précédé. Avant que du Chayla tombât
sous les coups des compagnons de Séguier le prophète, la colère
des inspirés avait déclaré que les temps de la résistance pacifique
étaient clos. Dans la province martyrisée les fanatiques n'étaient
plus maîtres ni de leurs esprits ni de leurs corps.
Cette esquisse aura tout au moins le mérite de la nouveauté.
En 1887, un écrivain catholique déclarait, pour blâmer la révolte
cévenole, que « jamais les protestants du midi n'avaient été
laissés aussi tranquilles qu'en 1702 ». Le pasteur qui répondit
vertement à « cette phrase incroyable » ne trouva cependant à
lui opposer que quelques faits assez maigres, qu'il avait copiés
dans Antoine Court'. On se convaincra par notre récit que
jamais la justice de Bâville ne sévit de façon aussi rigoureuse
contre les nouveaux convertis que pendant les mois qui ont
précédé la grande insurrection . Mais on verra aussi comment le
prophétisme, exaspéré dès le début par la persécution, se porta
aussitôt à des actes de violence qui devaient aboutir au soulè-
vement sanguinaire.
Ces éléments essentiels de notre travail nous ont été fournis
par des pièces judiciaires de l'intendance du Languedoc (Archives
de l'Hérault à Montpellier). Nous avons pu étayer ces documents
par des notes prises aux archives du présidial de Nîmes et
aussi par quelques relations des papiers Court (Bibl. publique
de Genève. Copies à la Bibl. du protestantisme français à Paris),
relations que Court a déjà mises en œuvre, mais avec trop de
timidité. Le cadre de notre exposé nous sera fourni par la des-
1. M. Talion, Fragment de la guerre des Camisards. Privas, 1887, p. xiij;
Ch. Dardier, la Révolte des Camisards justifiée. Genève, 1889, p. 27.
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702, 5
tinée d'un prédicant prophète cévenol, Astruc-Mandagout,
qui mourut au début même des troubles camisards. Ni Brueys
(t. I, p. 354), ni Court (t. I, p. 83), qui se borne à lui emprunter
une ligne, laquelle contient une erreur, ne fournissent de
détails sur lui. Louvreleuil a ignoré son nom véritable. Son dos-
sier judiciaire se réduit actuellement à un dernier interrogatoire
et à une sentence de mort, que complètent heureusement
quelques autres procès criminels. Le peu que nous possédons
offre cependant un intérêt considérable, car à l'occasion de ce
prophète se pose le problème de la préméditation de la
révolte.
Le « prophétisme ».
Pendant longtemps il n y eut point d' « inspirés » en Bas-
Languedoc et dans les Cévennes. De 1685 à 1700, dans ces
régions, seuls des « prédicants », désireux de ressembler en
toutes choses aux pasteurs disparus, ont entretenu une piété
dont les manifestations sont restées conformes à la tradition
protestante française des xvi® et xvii® siècles. Le « prophé-
tisme » au contraire, qui avait agité d'abord la vallée inférieure
de la Drôme en 1688, puis les montagnes du Vivarais en 1689,
présentait des traits absolument insolites ' sur lesquels il importe
d'insister, avant d'entrer dans la suite historique des faits.
Les « prophètes » des deux sexes, souvent des enfants, tom-
baient d'abord dans un assoupissement plus ou moins convulsif,
à la suite duquel ils faisaient entendre des exliortations ou incons-
cientes, ou à demi conscientes. Toute question de moralité ou
de piété mise à part, ils étaient des malades nerveux chez qui,
dirait un praticien d'aujourd'hui, un état de sommeil cataleptique
était suivi d'un état de somnambulisme, ou de veille somnambu-
lique. Leurs discours, — dont ils perdaient souvent la mémoire à
leur réveil, — n'étaient pas une allocution suivie, mais une suite
de paroles bibliques ou d'appels à la repentance et à la conver-
sion, quelquefois des cris indéfiniment répétés, quelquefois des
exclamations de douleur ou de ravissement. Ils avaient des
hallucinations. Souvent l'idée qui s'imposait à eux prenait la
forme d'une prédiction assurée.
1. C'est dans la région de la Drôme, en 1688, que les enfants inspirés ont
été, pour la première fois, appelés par les protestants « les petits prophètes »,
« ies prophètes dormants ».
CH. BOST.
Le caractère contagieux de ce mal sacré le rendait plus sur-
prenant encore. Il se communiquait parfois avec une prompti-
tude incroyable. Mis en présence d'un inspiré, des protestants
fervents, des indifférents, des catholiques « tombaient » immé-
diatement comme lui. Des prophétesses embrassaient les fenunes
qui les entouraient, en leur disant : « Tu seras de nos sœurs »,
et quelques heures, quelques jours plus tard, celles qui avaient
été désignées ainsi recevaient « le don » à leur tour. Certains
prophètes, totalement transformés par cette crise physique
et morale à la fois, devenaient des prédicateurs, c'est-à-dire
qu'en dehors de leurs accès ils se sentaient capables de pronon-
cer de longues exhortations devant une foule. Mais l'étrangeté
de leurs inspirations passait dans leurs discours. C'est à peine
si l'on peut dire qu'ils les énonçaient consciemment, tant leur
exaltation les mettait hors d'eux-mêmes. Leur passion, conta-
gieuse comme leurs accès, subjuguait leur auditoire au point
que les cris et les sanglots couvraient leur voix.
Nous n'étudions pas ici une question de psychologie patholo-,
gique. Quelques exemples par conséquent suffiront pour mon-
trer que les inspirés ne possédaient plus le plein contrôle de
leurs paroles quand leur bouche s'ouvrait. Les témoins oculaires
rapportent toujours les mêmes traits.
On nous dit de la prophétesse Marie, qui paraît à Vais en
Vivarais l'année 1700 : « Avant de commencer son discours elle
se serait laissée aller sur le dossier de sa chaise, où s'étant repo-
sée quelque temps, sanglotant et soupirant comme si elle avait
quelque accident', et dans une espèce d'assoupissement, elle
prit tout à coup la parole avec chaleur, cita un passage de
l'Ecriture et suivit tant bien que mal jusqu'à la fin de son dis-
cours »^. -
Voici maintenant la description de deux crises violentes d'ins-
pirés, dictée par un juge à son greffier dans le^inoment même
qu'il ks avait sous les yeux.
Le vicaire de Montagnac (Hérault) a fait arrêter dans ce lieu
Denis Doustin, qui vient de Villemagne (aujourd'hui Villeveyrac,
entre Montagnac et Montpellier). Doustin a vingt-huit ans, et
travaille la terre. Il est catholique d'origine, et cependant il
a reçu le don (il dit : le souffle) à Villemagne, où un inspiré,
1. En patois languedocien, le mot signifie encore : des convulsions.
2. Extrait d'une information judiciaire (Archives de l'Ardèche; Bulletin de
la Société d'tiistoire du protestantisme français, t. XXXVl, p. 609).
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 7
Gouze, valet du sieur Amat, prophétisait. Le baillif de Montagnac
interroge Doustin dans sa prison (27 mat- 1702) ^ :
S'il a assisté aux assemblées [pieuses] de Gouze, à Villemagne?
Répond qu'un jour, passant devant la maison d'Amat à une
heure de l'après-midi, il entendit du bruit. Entrant dans la maison
avec d'autres, il trouva ledit Gouze. Gouze fut alors arrêté et con-'
duit dans les prisons de Villemagne. Le soir, Doustin ayant été
commandé pour le garder pendant la nuit [sans doute Doustin,
catholique, était soldat de bourgeoisie], Doustin aurait eu un souffle,
et sur le matin le nommé Fabié, qui était [aussi] de garde, dit à
Doustin qu'il avait prêché pendant la nuit, de quoi pourtant Dous-
tin ne s'était point reconnu.
Le baillif écrit ensuite :
Incontinent après avoir fait lad. réponse, le répondant [Doustin]
aurait eu un grand tremblement de toutes les parties de son corps,
tenant la tète baissée, marmottant entre ses dents : éé, oui, oui,
fîlii, filio, meo, ce qu'il aurait répété par plusieurs fois, comme
s'il était dans des convulsions. Et aurait continué ce tremblement,
disant : miséricorde ! grâce! Seigneur! battant des bras en répé-
tant les mêmes mots. Un quart d'heure après aurions demandé au
répondant d'où procédait son accident? Il nous aurait répondu qu'il
avait reçu le souffle et qu'il ne se sentait aucun mal. — Si ce souffle
lui vient souvent? — Oui, principalement quand il songe à Dieu...
Il a ce souffle depuis la nuit qu'il gardait ledit Gouze. — S'il a la
croyance de la religion cath. A. et R? — Il ne croit qu'en Dieu.
Peu de jours après (i^"" juin), le même baillif interroge dans
la même prison de Montagnac le jeune Simon Durand (dix-
huit ans), qui vient d'être arrêté comme ayant pareillement le
souf/fe.
Depuis un mois environ, il a vu un éclair devant ses yeux, il a
reçu le souffle en labourant la terre. Il ne sait qui le lui a donné, il
croit que c'est Dieu. Depuis ce temps, le souffle lui est venu deux
ou trois fois le jour, à la réserve de quatre jours d'intervalle qu'il
ne l'eut point. Il l'a eu aujourd'hui à huit heures du matin. —
Qu'est-ce qu'il dit alors?— Il ne s'en souvient plus quand le souffle
1. Information faite à Montagnac (Archives de l'Hérault, C 183). Toutes les
références qui suivent, relatives à des cartons, C 180-C 186, proviennent du
même fonds. Ce sont des dossiers transmis à Bàviile par ses subdéiégués.
CH.\BOST.
l'a quitté. Quand il a le souffle, il voit des éclairs devant ses yeux.
Il est de la religion p. réformée où il est né, et il veut y mourir.
Après cet interrogatoire, le baillif sort de la salle. Mais il
rentre aussitôt, pour avoir entendu crier le prisonnier. Il le
trouve alors couché par terre, le visage vers le ciel, les yeux
troublés, battant des mains continuellement et criant : « Cou-
rage, mes frères, je vous le dis, c'est le temps de la persécution !
Tenez ferme, et que l'appréhension de la perte de vos biens ne
vous ébranle point! La manne tombera sur nous, je vous le dis,
mes frères! On croit que je suis possédé du démon et que j'ai le
diable au corps? Non ! non ! (battant continuellement des mains).
Vous le trouverez écrit dans le Nouveau Testament : il faut
quitter vos biens. » Le baillif à ce moment l'interrompt :
« Écrit? Dans quel chapitre? » — « Dans le chapitre..., dans le
chapitre..., je ne le sais point! » Et le jeune homme continue
de parler un quart d'heure dans la même agitation. Après quoi,
il se remet. Mais il déclare ne plus se souvenir de ce qu'il a
pu dire.
Citons maintenant quelques lignes qui nous montreront un
« prédicateur » prophète au milieu de ses auditeurs. Il s'agit de
Jacques Claude (vingt-cinq ans) de La Bâtie de Crussol (Aisdèche).
Il a convoqué une assemblée près des Ollières (Ardèche) pour
montrer « une femme qui pleure du sang », ce miracle étant,
d'après lui, un signe divin qui doit obliger tout le pays à pleu-
rer ses péchés et à renoncer à la messe (14-15 septembre 1701 ) *.
Le colonel de milice rapporte ce qu'il a vu, à une portée de pis-
tolet des protestants : « Le prédicant prêchait avec tant... d'em-
portement que ses auditeurs étaient si attentifs ^t si touchés de
ce qu'ils entendaient que les uns hurlaient, les autres pleuraient,
les autres gémissaient, ce qui faisait parmi eux une espèce de
sabbat, ne s'entendant point les uns les autres, à la réserve du
prédicant, dont la voix très forte et très pénétrante retentissait
tout le long du ruisseau. Mais il y avait si peu de suite et de
règle dans son discours que le déposant ne put jamais y rien
comprendre, si ce n'est qu'il était dans une passion et un mou-
vement extraordinaires. » Au moment de son arrestation, le
1. Arch. de l'Hérault, C 181 (dossier de l'assemblée de Pranles). C'est l'as-
semblée du Creux de Veye dont parle Court, t. I, p. 8. La femme, Marie la
Boiteuse, enfant trouvé, avait quelquefois des vomissements de sang, comme
le constata l'ofTicier qui la mena prisonnière à Montpellier.
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 9
prédicant, qui fut pris « la bouche encore ouverte »/« avait un
doigt d'écume à la bouche de chaque côté, avec la voix si
enrouée qu'il ne pouvait presque plus parler ». Un autre témoin,
qui a abordé l'assemblée par le côté le plus éloigné du prédi-
cant, nous parle « de cris, de gémissements, de frappements de
mains, de la répétition de Ah! mes frères, Ah! mes frères »,
qui l'ont empêché de rien comprendre à ce que disait Claude.
Les mots lui manquent pour décrire le spectacle : « Hurlements,
espèce de sabbat, assemblée de gens qui semblaient avoir perdu
l'esprit. »
Les derniers successeurs des prophètes, que le pasteur John
Wesley verra en Angleterre, se seront apaisés, mais ils pré-
senteront les mêmes caractères que les premiers : « Le dimanche
28 février [1739] », écrit Wesley dans son journal', « j'allai au
logis de l'une de ces personnes communément appelées pro-
phètes français... C'était une femme de vingt-quatre ou vingt-
cinq ans. Elle nous demanda le but de notre visite. Je répondis :
« Nous sonmaes venus pour éprouver les esprits et pour savoir
s'ils sont de Dieu^. » Bientôt, elle se renversa sur sa chaise et
parut éprouver une forte constriction de la poitrine, accompa-
gnée de profonds soupirs. Sa tête, ses mains et alternativement
toutes les parties de son corps étaient secouées de mouvements
convulsifs. Cet état dura environ dix minutes, puis elle com-
mença à parler d'une voix claire et forte, mais en phrases sou-
vent hachées par les soupirs et les contorsions de son corps...
Elle parla comme au nom de Dieu et en termes bibliques. »
« Deux ou trois de notre compagnie », ajoute Wesley, « furent
vivement afiecl^îs et crurent qu'elle parlait par l'esprit de Dieu.
Quant à moi, la chose ne me parut pas claire du tout. Ces mou-
vements peuvent être hystériques ou artificiels et, pour ce qui
est des paroles prononcées, toute personne d'inteUigence
moyenne et connaissant les Écritures pourrait les dire. »
Les protestants persécutés n'avaient pas la sagesse de Wes-
ley. Dès l'apparition des premiers inspirés, le peuple (et avec
lui Jurieu) avait vu en eux des êtres d'élite, auxquels Dieu don-
nait un pouvoir miraculeux d'exhortation oi^ de divination. Le
caractère morbide des prophètes, qui les apparente (par-dessus
1. Stamlard Edition, t. Il, p. 136 (traduit par M. Lelièvre).
2. Citation du Nouveau Testament (I. Ép. de Jean, IV, 1).
10 eu. BOST.
* les grands réformateurs) avec les anabaptistes de Munster en
Westplialie (1525)', aurait dû d'emblée les chasser des cadres
rigides et rationnels du calvinisme méridional. Mais leur étran-
geté fit leur puissance. Bien des protestants saluèrent en eux
des envoyés de la grâce céleste se penchant sur leur misère. Ils
furent d'autant plus vénérables que leurs crises n'étaient pas
volontaires et qu'ils apparaissaient par conséquent comme pas-
sifs sous l'esprit qui les maîtrisait. Leur langage et leur per-
sonne furent revêtus d'un caractère sacré. On se mettait à
genoux pendant l'agitation qui précédait leurs discours et l'on
recevait leur parole comme un oracle. S'il arrivait que Suracti-
vité religieuse suscitât autour d'eux des prédicants à la vieille
mode, qui n'avaient pas le « don » et qui parlaient comme
l'avaient fait leurs prédécesseurs de 1685 à 1700, ces hommes,
moins exaltés, se plaçaient d'eux-mêmes au second plan et se
subordonnaient aux prophètes. Ces derniers seuls étaient tenus
pour les vrais organes de l'esprit.
Extrêmement vivace et contagieux d'abord, en Dauphiné et
dans le Vivarais, le mouvement avait perdu, dès 1689, sa puis-
sance communicative. Ce furent seulement des inspirés isolés
que Claude Brousson, en 1697, admira pieusement dans ces
quartiers, où il alla les observer 2. Ils se conservèrent en Viva-
rais pendant les années 1699 et 1700, sans que leurs crises y
produisissent aucune agitation sérieuse. Mais il était réservé à
ces dernières braises d'un feu. mystérieux de rallumer dans les
Cévennes et le Bas-Languedoc un incendie dont l'ampleur devait
dépasser toute imagination.
Nous n'avons pas à insister ici sur l'état auquel les nouveaux
convertis de la montagne et de la plaine étaient réduits par la
politique religieuse de Bâville, soutenue par les évêques de
Nîmes, d"Uzès, d'Alais et de Mende. M. Puaux a ajouté
quelques pièces au dossier que nous avons constitué par nos
deux volumes consacrés aux Prédicants protestants'^. On sait
que l'intendant n'a pas voulu tenir compte de la vague modéra-
tion commandée par la Déclaration royale de décembre 1698 et
qu'il a exercé sur les opiniâtres une dure contrainte, assimilée
par lui-même aux procédés de l'Inquisition. On sait aussi que,
1. La Baume (p. 10) a très justeiVienl rapproché les deux mouvements.
2. Voir Ch. Bost, Icx Prédicants protestants..., t. Il, p. 178.
3. Voir, en particulier, t. II, p. 277, 297 et suiv.
I,ES « PROPHÈTES » DD LANGDEOOC EW 1701 ET 1702. 11
par une suprême maladresse, il a combiné de telle sorte les
mesures prises, que le clergé catholique est devenu officielle-
ment, dans la région, maître de la situation matérielle des
récalcitrants'. Les prêtres, et avec eux les régents d'é^îole (sou-
vent ecclésiastiques), distributeurs de pénalités ou d'amendes,
voient s'accumuler contre eux de terribles haines. La foi hugue-
note, privée du culte public par l'exil ou la mort des derniers
prédicaiits, s'est concentrée au foyer domestique, où les enfants
sont nourris dans l'horreur de l'Église romaine. Dans ce pays
exaspéré, le prophétisme se déchaînera en une épidémie dont
l'histoire religieuse offre peu d'exemples. Elle atteindra surtout,
comme il est naturel, les jeunes gens et les jeunes filles, la
génération née depuis 1685, ou qui, trop jeune à cette date, n'a
pu recevoir l'éducation religieuse des pasteurs réguliers. Ce
sont là des esprits qui ont grandi dans la fournaise de la persé-
cution et qui ne trouvent pas dans leurs souvenirs le solide
appui d'une instruction raisonnée, qui aurait pu leur permettre
de soutenir le choc-.
Nos documents sont assez abondants pour nous permettre de
suivre maintenant dans son développement géographique cette
fièvre rehgieuse, qui venue du Vivarais s'étendra sur les dio-
cèses d'Uzès, d'Alais et de Nîmes, de Mende et de Montpellier.
Le prophétisme autour d'Uzès.
Pendant. les mois de juillet et d'août 1700, aux environs de
Vais, dans le Bas-Vivarais, se tiennent des assemblées reli-
gieuses auxquelles prennent part des prophètes, entre autres le
prédicant Marc (de Vallon) et les prédicantes Catin et Marie^.
De Vais, les prophètes vont vers le sud (assemblée à Salavas,
31 octobre'»). Mais il s'agit toujours de manifestations peu
graves, et Bàville, s'il ne les laisse pas impunies, n'y voit sans
, doute que les derniers remous d'une tempête qu'il croit apaisée.
L'événement le détrompe. Au sud de la rivière d'Ardèche,
dans la paroisse de La Bastide-de Virac, des cultes secrets sont
1. Qh. Bosl, <es l'rc-dicants prolestants..., t. Il, p. 275 (lire : éteinte); t. II,
p. 298.
2. Ibid., t. Il, p. 305.
3. Information judiciaire à Vais el à Villeneuve-de-lkTg » (Bhlletin cité,
t. XXXVI, p. 600).
i. HuUclui..., I. XXXVI, p. (J(}5.
12 CH. BOST.
dénoncés, qui éveillent la méfiance de l'intendant. Nous n'avons
pas les dossiers judiciaires qui les concernent, mais on peut
supposer qu'ils sont convoqués par le prédicant prophète
Daniel Raoulx ou Raoux, qui est de Vagnas (près de La Bas-
tide). Sans doute, il inaugure chez lui, au moment où l'esprit
l'a saisi, une activité qui va en quelques mois bouleverser le
diocèse d'Uzès. Brusquement, en efiet, le mal s'étend : « Dans
le commencement de 1701..., la maladie devint si contagieuse
qu'à son introduction des communautés entières en étaient
infectées^. »
Bâville juge les circonstances assez sérieuses pour demander
au roi le moyen de hâter les châtiments. Il faut éviter les dis-
cussions et les lenteurs de la justice ordinaire. Un conflit de
juridiction lui permet d'obtenir de la cour d'abord la suppres-
sion du droit d'appel pour ces premiers accusés de 1701^ puis
(chose plus importante) le dessaisissement du tribunal ordinaire
en ce qui concerne le jugement à prononcer. Le 25 mai, un
arrêt du Conseil décide que le procès des accusés de La Bas-
tide sera instruit par les juges de Nîmes, de qui ils ne dépendent
pas naturellement, et qu'ils seront jugés en dernier ressort
par l'intendant-. Le 15 juin suivant, un nouvel arrêt du
Conseil mentionne la nouveauté des délits poursuivis. Il ne
s'agit plus simplement de religionnaires rebelles aux lois, mais
de « gens qui afiéctent de paraître fanatiques dans le des-
sein de troubler le repos public ». Une juridiction double-
ment exceptionnelle leur sera désormais appliquée dans tout
le Languedoc. Non seulement Bâville les jugera, et en der-
nier ressort, mais c'est Bâville qui informera contre eux, de
façon plus expéditive que les tribunaux réguliers 3. Ceux que
1. Relation écrite à Uzès (Bulletin cité, t. LVIII, p. 433).
2. L'arrêt du Conseil du 25 mai, sur parchemin, se trouve C 160. « Le roi
ayant été informé qu'il s'est tenu quelques assemblées illicites dans la paroisse
de La Bastide de Virac, au pays de Vivarais, et qu'il s'est formé un conflit de
juridiction entre les juges royaux d'Uzès et de Villeneuve-de-Berg pour en
connaître, ce qui retarde l'instruction du procès des coupables... S. M...
ordonne que le procès sera fait aux coupables par... le présidial de Nîmes en
premier ressort et jugé en dernier ressort par le s'' de Basville..., intendant...
Donné à Versailles, le 25 mai 1701. »
3. L'arrêt du Conseil du 15 juin, sur parchemin, se trouve C 160 et en
imprimé C 180. « Le roi ayant été informé que depuis quelque temps il s'est
trouvé dans le diocèse d'Uzès et lieux voisins des gens qui ailectent de paraître
fanatiques dans le dessein de troubler le repos public..., S. M.... ordonne que,
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 13
les nouveaux convertis appellent des inspirés ou des prophètes
sont désormais officiellement des « fanatiques », comme l'a
déclaré (ou va le déclarer) ex professa la Faculté de Montpel-
lier, et Bâville sera armé contre eux des mêmes foudres qu'il a
maniées de 1685 à 1698 contre les irréductibles.
Les fanatiques ont montré, aussitôt parus dans le diocèse
d'Uzès, une exaltation stupéfiante, et ils se révèlent parfois
comme des caractères singulièrement violents. « Il n'est point
de folies et d'extravagances » qu'on ne leur voie commettre ^
Les excès ont commencé avant même que Bâville ait eu en
main le premier de ces arrêts.
Le 2 juin, à Valérargues (près Lussan, au nord d'Uzès), le
curé de Lussan s'approche innocemment de Jacques Bouton, fils
d'un notaire, qui jusque-là « lui a toujours paru être de ses
amis ». Mais Bouton, sous son aUure cahne, est hors de lui. Le
prêtre, stupéfait, s'entend traiter « d'idolâtre, de séducteur,
d'ange de Satan et de faux prophète ». Un instant après, Bou-
ton tombe à terre et « fanatise, sous la figure et les postures
d'un obsédé, vomissant contre l'Église et l'Etat les abominations
les plus exécrables ». Deux prêtres et un juge veulent aussitôt
le traîner aux prisons d'Uzès. Mais « tout le village, atteint du
même mal », s'amasse, libère l'inspiré. « Puis la foule, armée de
haches et de marteaux, se rue dans l'église de Valérargues, la
saccage entièrement et abîme ensuite la maison du prieur du
lieu 2. »
A la même date, un certain David Arnaud, de Gros (près
Saint-Hippolyte, dans les Basses-Gévennes), arrêté comme fana-
tique aussitôt après une « assemblée » religieuse du 29 mai,
à Avéjan (au nord de Lussan), et qui a d'abord caché son nom
véritable, est reconnu comme l'assassin d'une femme de Gros,
qu'il a tuée le 22 juin de l'année précédente^.
Enfin, entre le 7 et le 12 août, une assemblée conVoquée non
loin d'Uzès, près de 1' « arche » de Baron, par Daniel Raoux
par le s' de Basville..., il sera informé contre eux pour leur (Hre fait le pro-
cès en dernier ressort. » Bâville fit afficher cet arrêt le 27 juin.
^ 1. Nous citons ici une phrase du manuscrit GailTe, dont nous parlerons plus
loin.
2. Bulletin cité, t. LVIII, p. 438; Hist. de Languedoc, f. XIV, 1537.
3. D'après le jugement du 3 août, résumé dans des notes de F. Teissier
prises aux archives de la Cour d'appel de Nîmes (Bibl. du prot. français,
manuscrit 423).
14 CB. BOST.
lui-même et son suivant Jean Flotier (d'Arpaillargues, près
Uzès), est découverte parla garnison bourgeoise cantonnée au
château de.Foncouverte. Le détachement, qui a arrêté une
femme, -est attaqué à coups de pierre, près de Foissac, par qua-
rante personnes des deux sexes ; un coup de feu est même tiré
sur les miliciens. Le sergent ordonne en réponse une décharge
générale. Six des mutins sont blessés , dont Flotier , qm
s'échappe ' .
La justice a sévi immédiatement. Le 11 juin, le présidial de
Nîmes, siégeant à Uzès, a condamné, pour le sacrilège de Valé-
rargues, Jacques Bouton à la roue, Jacques Olympe, hôte de Valé-
rargues, à la potence et Jérôme Serres à six ans de galères 2. Le
3 août, à Uzès encore, Bâville, qui maintenant juge lui-même
les fanatiques, envoie David Arnaud à la potence (il fut pendu
le 4), et, le 4 août, pour une assemblée de fanatiques tenue à
Lussan, il condamne aux galères perpétuelles David Dumas, de
Valérargues. Revenu à Uzès après l'afiaire de Foissac, l'inten-
dant y juge l'un des fanatiques blessés, Nègre (de Coulorgues),
qu'il fait pendre le 16 août, auprès avoir envoyé aux galères,
pour le même attentat, Denis Pasquier (de Coulorgues) et
Lagarde (de Baron) 3. Nous ne savons comment il termina les
autres procédures engagées contre divers inspirés d'Uzès, de
Coulorgues ou de Brignon. Les dossiers que nous avons encore
nous représentent tout le quartier, après le passage de Daniel
Raoux, soulevé par une inspiration inconnue et, comme le dit
une relation, « les habitants s'embrassant les uns' les autres,
tant dans les rues que dans leurs maisons, en sanglotant et
soupirant conome des personnes accablées de déplaisir ; d'autres
qui, feignant d'être essoufflés et agités, disant quelques paroles
entre les dents, se. vantaient de parler au nom et par la force
1. Hist. de Languedoc, t. XIV, 1540; papiers Court, n° 11, fol. 413; n" 17 H,
fol. 307.
2. Bulletin cité, t. LVIII, p. 440, et notes F. Teissier (Bibl. du prot. fran-
çais, manuscrit 423).
3. Pour le jugement d'Arnaud, notes F. Teissier. Le jugement de Dumas est
aux Arch. de l'Hérault, C 192. Les jugements de Nègre, Pasquier et Lagarde
ne sont connus que par les papiers Court [loc. cit.). La Baume (p. 35) parle
d'un Jaussaud, brûlé vif par jugement du 21 juillet pour réparation du sacri-
lège de Valérargues. Il ne peut s'agir que d'un jugement par contumace, rendu
à la suite d'un jugement du 20 juin (notes Teissier), ordonnant de faire le pro-
cès à, trois défaillants, dont Jaussaud.
LES « PROPHÈTES » DD LANODEDOC EN 1701 ET 1702. 15
du Saint-Esprit; d'autres frappant leur poitrine, se glorifiant
d'être... envoyés du ciel pour prêcher la pénitence »^
C'est à ce moment que nous allons trouver, pour la première
fois, une indication qui nous amènera au prophète Astruc.
Les arrestations qui se multipliaient autour d'Uzès poussèrent
Raoux à s'éloigner de la ville et à gagner, par Vézenobres, au
nord-ouest, les environs d'Alais.
Le 16 août, à huit heures du matin, à Saint-Etienne-de-
Colm, dans la maison de Barthélémy Sautel, une vingtaine de
protestants étaient assemblés. La nièce du prieur, passant
devant les fenêtres, distingue la voix de plusieurs prophètes en
transe. Deux jeunes filles et un garçon crient : « Mes frères!
convertissez-vous! faites pénitence! Nous voyons les cieux
ouverts! Nous voyons les anges! C'est à présent qu'il faut
prendre le chemin de la véritable religion et quitter la méchante ! »
Elle entend « des soupirs et des sanglots, comme si la respira-
tion leur manquait, pendant lequel temps on cessait de parler ».
La femme, prudente, n'a garde d'entrer, mais elle dit, en haus-
sant la voix : « Quelqu'un a envie, ici, d'avoir les fers aux
pieds! » La fille de Sautel se penche à la fenêtre et répond :
« Vous êtes un diable d'enfer et vous le payerez ! »
Un autre témoin est entré dans la maison. Dès qu'il a paru
dans la chambre, un jeune homme et sa sœur, « en se donnant
des contorsions et en faisant des postures et des grimaces extra-
vagantes », l'ont conjuré de se convertir. Le ipaître du logis,
Sautel, s'est joint à eux et l'a prié de se mettre à genoux :
« Demandez pardon à ces enfants, que vous faites pâtir! », et
un étranger, qui est là présent, lui explique en effet : « Qu'il
fait pâtir ces enfants parce qu il pe?^mure (sic) », c'est-à-dire,
sans doute, qu'il demeure incrédule. Une troisième personne
déclare avoir vu la jeune Gabrielle Sautel, en pleine crise,
« étendue sur son lit, qui disait en français' : Mes sœurs, repen-
tez-vous, affectant une voix plaintive comme quand un pigeon
roucoule ».
Une heure plus tard, la chambre se vide, mais la scène se
poursuit dans la rue, où une jeune fanatique continue ses cris de
« repentez-vous », en se donnant des mouvements extraordi-
1. Manuscrit GaiHc, enlièrement confirmé par les dossiers des Arch. de
l'Hérault, C 180.
2. Et non en patois, son langage habituel.
16 CH. BOST.
naires et eu tremblant de tout son corps. Quatre femmes font de
même. •
Puis les quelques personnes qui sont réunies quittent le lieu.
On se transporte près de la rivière de Droude, sur la paroisse de
Montignargues, et l'inconnu, debout, commence une exhorta-
tion. Mais le culte est troublé. Le prieur Vispron, informé par
sa nièce, a donné avis du désordre au viguier de Vézenobres,
qui est à une demi-lieue. Les soldats de bourgeoisie paraissent.
L'assemblée se disperse. Un soldat tire son pistolet sur des
femmes qui fuient. La nièce du prieur se saisit d'un protestant,
qu'elle lâche quand il la menace de la tuer d'un coup de pierre. Le
prédicant étranger s'échappe. Il eût été de bonne prise, car le
mot « vous permurez », prononcé par lui dans la maison, le fait
reconnaître à Uzès pour Raoux lui-même : « C'est son terme
quand on lui résiste dans ses fonctions de fanatisme * . »
Au nombre des personnes qui sont entrées chez Sautel la
nuit du 15 au 16, et qui y étaient encore le matin, l'information
nomme « Pierre Mandagout, maçon, et sa fille ». Il y a lieu de
croire que ce Mandagout, maçon, habitant les environs immé-
diats de Vézenobres, ou Vézenobres même, a quelque rapport
avec notre prophète Astruc.
Jean Astruc, âgé de quarante-sept ou quarante-huit ans en
septembre 1702, était né, au dire de Louvreleuil (t. I, p. 55),
à Alais et de parents réformés. Il est toujours appelé « Manda-
gout » par ceux qui l'ont entendu prêcher. Lui-même se donne
comme maçon. Il déclare, à son procès, qu'il est d' Alais, mais
son jugement laisse en blanc le nom du lieu d'où il est origi-
naire, ce qui prouve que ses juges doutaient de son affirmation,
et un habitant de Saint-Hippolyte-du-Fort le dit « de Véze-
nobres », à ce qu'il semble d'après le témoignage des soldats qui
le menaient au supplice. Où peut donc supposer qu' Astruc,
maçon, a séjourné à Vézenobres ou aux environs, que c'est
pendant ce séjour qu'il a reçu (ou peut-être pris lui-même)
le Surnom de Mandagout, et que c'est à la suite du passage de
Raoux dans le quartier qu'il est devenu prophète. Il faut ajou-
ter qu'après avoir reçu « le don », il a aussitôt quitté le lieu de
sa résidence, car il se qualifie de « fugitif », c'est-à-dire qu'il
n'a plus de domicile fixe. Entraîné par sa vocation, il devient
1. Informations des 25 août et 19 septembre, C 180. Il y eut une dizaine
d'arrestations.
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 17
un de ceux qui propagent « le souffle ». Disons ici qu'il ne savait
pas signer son nom.
Raoux passa de Vézenobres dans les montagnes qui dominent
le village de Bagard, entre Alais et Anduze, en une région où
la prophétesse Marie (que nous avons vue à Vais) et une autre
fille du Vivarais venaient de semer le mal sacrée Le 24 août,
il était au hameau de Blatiès, au-dessus de Bagard. « Une grande
fille du Vivarais, bien faite, d'environ vingt ou vingt-cinq ans,
et le nommé Flotier prêchèrent, le prophète Daniel [Raoux]
étant occupé à empêcher que ceux qui prophétisaient [dans l'as-
semblée] ne criassent et que cela n'empêchât d'entendre la pré-
dication. L'assemblée était de 6 à 700 personnes, et un grand
nombre criaient et prophétisaient... Comme il y avait quelques
filles qui portaient des fontanges, les prophétesses leur crièrent
d'ôter ces banes (cornes) du diable-. »
Raoux descendit alors à Anduze et fut pris à Tornac, sur le
grand chemin, le 27 ou le 28 août, grâce à un espion de Bâville,
en même temps que Jean Flotier et Bonaventure Rey (d'Arpail-
largues) et aussi Pierre Bourély de Blatiès. Bâville était alors à
Carcassonne, retenu par la session annuelle des Etats du Lan-
guedoc. Il renvoya les prisonniers au présidial de Nîmes, qui,
le 9 septembre, condamna Raoux à la roue et Flotier à la
potence, tous deux après qu'ils auraient subi la question ordi-
naire et extraordinaire. Le jugement porte en marge : « A été
arrêté par délibération que ledit Daniel Raoux sera préalable-
ment étranglé, » Rey alla aux galères, et Bourély fut seulement
enrôlé de force. Raoux et Flotier, que Bâville poursuivait pour
le sacrilège de Valérargues, semblent avoir été acquittés de ce
chef. Ils ne furent condamnés que pour la part qu'ils avaient
prise à l'enlèvement de la prisonnière de Foissac et pour leur
« fanatisme », et le jugement rendu dut paraître trop modéré à
l'intendant^.
Raoux pouvait disparaître, il laissait derrière lui, non plus
seulement à Uzès, mais dans les Cévennes, d'innombrables
1. Assemblées à Saint-Sébastien, près d'Anduze, 14-15 août (dossier des
assemblées de Mialet et d'Anduze, C 180).
2. Même dossier, d'après la déposition d'une femme de quarante ans, « pro-
phétesse, grâce à Dieu, et qui s'en estime bien heureuse ».
3. Notes F. Teissier. Nous n'indiquons pas les autres références, à part Court
(Troubles..., t. 1, p. 18), qui dit par erreur que Raoux fut rompu vif.
Rev. Hisïor. CXXXVI. 1" FASC. 2
18 CH. BOST.
.4
disciples. Le 22 septembre, Bâ ville, avisé du pullulement des
prophètes, datait de Garcassonne une ordonnance signifiant
que les femmes ou filles saisies dans les assemblées de fana-
tiques seraient punies avec la même rigueur que les hommes,
et que les parents dont les enfants seraient trouvés fanatiques
seraient eux-mêmes chargés d'amendes ou poursuivis comme
rebelles et perturbateurs du repos public. Des ordres rigoureux
furent donnés aux soldats de milice et aux rares détachements
de troupes régulières dont pouvait disposer Broglie. Désormais,
les patrouilles lancées contre les assemblées firent usage de leurs
fusils. Mais les inspirés et leurs admirateurs se défendirent, et
la lutte ouverte commença.
Vers le 17 septembre, au pont de La Bastide, aux portes de
Nîmes, vingt-quatre soldats de la ville, après une décharge qui
blessa de deux balles le nommé Gaussen, maçon, se saisirent de
lui, d'un autre homme et de dix-sept femmes ou fiUes^ A la même
époque (19 septembre), dans les Basses-Cévennes, au mas de
la Roussarié (entre Lasalle et Saint-Jean-du-Gard), les soldats
du fort de Saint-Hippolyte attaquent une assemblée de 300 per-
sonnes et font quarante prisonniers. Dans le nombre étaient
plusieurs blessés, et ils avaient tué « le prédicant », qui était un
enfant de quatorze à quinze ans, de Lasalle, nommé Bourras-.
Le 2 octobre, à la fontaine de Drus, près Tornac, quinze soldats
de bourgeoisie d'Anduze, ayant investi une autre assemblée, font
feu sur les assistants. « Les prédicants », dit l'enquête, « furent
aussitôt enlevés par des hommes [de leurs amis] qui, en se reti-
rant, criaient : Tue! Tue! et tiraient quelques coups de fusil. »
Un des protestants fut pris ayant en main une épée nue.
D'autres, sans armes, firent pleuvoir des pierres sur la troupe^.
Le 16 octobre, à Colombeirol (Saint-Théodorit, au sud de Lédi-
gnan), une assemblée, réunie dans un champ depuis minuit,
est assaillie, à quatre heures du soir, par un détachement. Les
soldats, d'après l'information, « tirèrent sur les gens, criant :
Tue! Tue! ». Le prédicant fut blessé par un lieutenant, mais,
malgré les traces de sang qu'il laissait dans sa fuite, il échappa.
1. Hist. de Languedoc, t. XIV, 1551; notes F. Teissier (Bâville, de Garcas-
sonne, ordonne, le 22 septembre, de faire le procès aux prisonniers).
2. Hist. de Languedoc, t. XIV, 1551; papiers Court, n* 17 B, fol. 221, et
manuscrit de Saint-Jean-du-Gard, communiqué par le pasteur G. Cadix.
3. Arch. de l'Hérault, C 180.
LES « PROPHÈTES » DD LANGDEDOC EN 1701 ET 1702. 19
« Il avait été vu un pistolet à la main, comme les deux hommes
qui étaient à côté de lui*. » Le 22, dans le même quartier, en
poussant vers l'est, une autre assemblée est découverte au mas
de Videbouteille, près Sauve. Les soldats encore font feu sur
les attroupés. Une sentinelle qui s'enfuit à cheval riposte de
deux coups de pistolet^.
On juge de l'efiervescence où ces événements pouvaient
mettre la région. Quand Bâville revint des Etats de Carcassonne
(clôturés le 24 octobre), il trouva les prisons du Bas-Languedoc
pleines de plus de 400 fanatiques arrêtés de toutes parts et un
grand nombre d'instructions criminelles déjà commencées, l'une
même concernant le Vivarais, où le fanatisme avait été si vio-
lent en 1689. Sans perdre un instant, il se remit à la besogne
judiciaire, dont il avait fait frustrer le présidial de Nîmes, écri-
vant à Fléchier en cette occasion la phrase amère : « Je ne
ferai aucune grâce aux prédicants : triste et ennuyeux emploi
quand on l'a fait dix-sept ans^. » Du 4 au 23 novembre, en rai-
son d'assemblées tenues en Vivarais, dans les Basses-Cévennes
ou le Bas-Languedoc, il prononça cinq condamnations à la
potence, quatorze aux galères et trois (contre des femmes) à la
fustigation publique. Nous ne disons rien des prisonniers con-
servés dans leurs geôles, ni des amendes imposées aux commu-
nautés coupables 4.
1. Arch. de l'Hérault, C 181 et 183.
2. Ibid., G 180.
3. Lettre du 4 novembre 1701 {Bulletin cité, t. XV, p. 137).
4. Le 4 novembre (pour l'assemblée tenue aux OUières, en Vivarais). Pendus :
Jacques Gode [Claude], le prédicant fanatique, Jacques Plantier, René Faillot,
David Marlier père. Aux galères : Pierre, Jean et Jacques Marlier fils, Charles
Aurenche, Noël Peyre et la femme Marie la Boiteuse, qui passait pour pleurer
le sang. Au fouet et à la fleur de lis : Isabeau la Daufinenque (Dauphinoise),
fanatique.
14 novembre (assemblées de Mialet, près Anduze, 25-31 août). Cinq ans de
galères à Denis Durand. Au fouet : Louise Durand et Jeanne Laporte.
14 novembre (assemblée de Tornac, 2 octobre). Pendu : Jean Puech. Aux
galères : Thomas Martin, Etienne Euzière, André Barbusse, Jacques Borgne.
14 novembre (assemblée de Sauve, 22 octobre). Galères : Antoine Rol-
land).
19 novembre (assemblées d'Uchaud, près Nîmes). Cinq ans de galères et le
fouet à Jean Rouergas.
19 novembre (assemblée de Saint-Théodorit, 14 octobre). Galères : Élie
Cabanis. Le 23 novembre (pour la même assemblée, Jean Lauze, le prédicant).
Tous ces jugements sont en original aux Arch. de l'Hérault, C 192.
20 CH. BOST.
Le prophétisme dans les Cêvennes.
La répression brutale ne pouvait qu'exciter les convulsions
du fanatisme. Nous venons de le montrer, à la fin d'octobre
1701, ayant atteint, au sud, les environs de Nîmes, à l'ouest le
quartier de Saint-Hippolyte-du-Fort, au nord-est et au nord les
hauteurs qui dominent Lasalle, Saint- Jean-du-Gard et Mialet.
Les informations judiciaires permettent de suivre la contagion
dans sa marche presque régulière. Nous la trouverons bientôt
dans les plaines méridionales. Pour le moment, regardons aux
Gévennes. La fièvre dont les environs d'Andu^e et d'Alais ont
été le foyer gagne vers l'ouest et le nord, saisissant ici ou là
des personnalités qui joueront quelques mois plus tard un rôle
décisif.
Déjà les assemblées de Saint-Sébastien et de Blatiès (17 août)
nous montrent, accompagnant Raoux, « le fils de Jean Laporte,
du mas Soubeyran », c'est-à-dire le futur camisard Rolland ou
l'un de ses frères ^ En octobre, Abraham Mazel, de Fauguières
(Saint-Jean-du-Gard), « reçoit ses premières grâces » près de
Toyras^. Plus haut, Moissac, le Pompidou, sont bouleversés
(octobre-novembre) par les agitations d'Etienne Goût, dit La
Coite ou La Couette, du Pompidou, qui se saisit un jour du curé
Bugarel, de Fraissinet-de-Fourques, le mène sur les ruines du
temple de Bassurels et le fait mettre à genoux, pendant que
quelques inspirés « fanatisent » autour de lui, priant Dieu évi-
demment pour sa conversion 3. Plus au nord encore, Barre-des-
Cévennes, la montagne du Bougés et le versant sud du mont
Lozère sont contaminés dès novembre. Pierre Séguier (ou
Séquier), qui est de Magestavols, près Barre, sera, au début de
janvier 1702, « le moteur de tout le désordre » de ces quar-
tiers^. Salomon Couderc, drapier, autre inspiré, sortira de VieL
jouvès ( Saint- André-de-Lancize, sur le Bougés^).
1. Arch. de l'Hérault, C. 180. Interrogatoire de Jeanne Laporte, veuve
Barafort (5 septembre 1701).
2. Théâtre sacré..., p. 25 (éd. Bost, p. 145). Corriger Queiras en Toyras,
comme y oblige le nom du hameau de Corbès, qui suit.
3. Mémoire de Meynadier contre l'abbé du Chayla (Arch. de l'Hérault,
C 183).
4. Lettre de Bâville à Meynadier (de Barre), du 17 janvier (Arch. de l'Hé-
rault, C 183, dossier Meynadier).
5. La France protestante de Bordier, t. IV, p. 761, donne à tort Salomon
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 21
Les Basses-Cévennes offrirent bientôt l'aspect d'un pays hors
. de sens. Un manuscrit ayant fait partie de la collection Gaiffe,
et dont l'auteur était un habitant d'Alais, nous présente de cette
région une image qui, si étrange qu'elle puisse paraître, con-
corde absolument avec celle que laissent les pièces judiciaires
du temps 1. « Au commencement de 1702, le nombre de ces
furieux et de ces prophètes devint si grand, et singulièrement
dans les Cévennes, et il y parut avec tant de hardiesse et de
liberté qu'il ne fut aucun endroit où ces malheureux ne fissent
publiquement leur exercice. On les vit dans les villes d'Alais,
d'Anduze, de Sauve et autres, les bras en l'air, en tournant les
yeux et les lèvres, hurler et crier par les rues de faire pénitence,
qu'on était à la fin du monde et à la dernière heure. » Les envi-
rons d'Alais (Cassagnoles, 15 janvier 1702), de Saint-Hippolyte
(Colognac, mars), de Ganges (Roquedur, fin février ; Soubeyras,
fin janvier; le Marcou, 15 mars), de Valleraugue (assemblée de
Rocalte, 3 mars), du Vigan (Aulas, février) connaissent ces
prophètes, qui sanglotent et tremblent, appellent au jeûne et à
la repentance, présentent des fleurs d'amandier en disant :
« Voici la fleur du grain de miséricorde que Dieu m'a donné et
illuminé, m'ayant donné... le pouvoir de faire toutes choses de
sa part », affirment que Dieu, tel jour, « leur a donné son
esprit, qui est entré en leur cœur comme une chandelle (?) »,
déclarent « qu'ils ont le don de prophétiser et de faire des
miracles », et parfois interpellent les prêtres dans la rue en les
adjurant de revenir à la vraie religion. Les prisons sont
pleines, les amendes pleuvent, mais les soldats sont rares dans
la province et, quand ils marchent, ils se heurtent parfois à une
rude résistance. La nuit du dimanche 19 au lundi 20 juin, un
lieutenant de bourgeoisie de Ribaute (près d'Alais) surprend des
protestants réunis dans une bergerie qui lui appartient. Les huit
soldats du détachement tirent dans la porte, qui n'est fermée
que par une claie. Mais les protestants se défendent plus d'une
heure « à coups de pierres, de bâtons et de hallebardes ». Ils
tentent enfin une sortie et laissent neuf hommes et sept femmes
comme originaire de Mazelrosade (Saint-Germain). C'est Jacques Couderc, dit
Lafleur, qui était de Mazelrosade, et nous ne sommes pas du tout assuré que
les deux inspirés fussent frères, ni même parents.
1. Le manuscrit Gaiffe a été copié par M. N. Weiss, et nous avons en main
une copie de M. Fonbrune-Berbinau, prise sur la copie Weiss.
22 CH. BOST.
aux mains des miliciens ^ Quelques nouvelles condamnations de
l'intendant répondirent à des manifestations qui, évidemment,
le déconcertaient, mais contre lesquelles la rigueur seule lui
paraissait efficace 2.
A côté de ce large courant de fanatisme qui, conome nous
venons de le dire, unit Anduze aux Hautes-Cévennes par Saint-
Jean-du-Gard et le Pompidou, on en peut noter un autre.
Celui-ci réunira encore Alais au Bougés et à la Lozère, mais le
long des deux routes royales tracées par Bâville, qui montent,
d'une part vers Saint-Germain-de-Calberte par Branoux, de
l'autre vers le Pont-de-Montvert parle château de Portes. Nous
sommes ici dans la région des Gévennes qui était alors consi-
dérée comme la moins accessible.
Au début de décembre 1701, l'inspirée Françoise Brès, dite
Bichon (vingt-cinq ans), qui a vécu aux environs d' Alais depuis
sept ou huit ans comme servante et qui est remontée vers les
montagnes de sa naissance^, « prophétise », sur le Bougés,
au-dessus de Saint-Maurice-de-Ventalon. Quinze jours plus
tard, elle est redescendue dans un quartier qui n'a pas encore
été touché par la contagion. Quelques assemblées lui suffisent
pour mettre en ébullition les alentours du Collet de Dèze. Mais
les Gévennes protestantes qui dépendaient du diocèse de Mende
étaient bien surveillées, et par un homme qui ne plaignait pas sa
peine quand il fallait sévir contre de mauvais catholiques. L'abbé
du Chavla, ecclésiastiquement, était, dans la région, « inspec-
teur des missions ». Administrativement, Bâville avait fait de
lui un « inspecteur des chemins des Gévennes ». Dans la réa-
lité, il inspectait toutes les démarches des nouveaux convertis,
accomplissant (sans mandat régulier à ce qu'il semble) des opé-
t. Tout ce qui précède résume des procédures des Arch. de l'Hérault,
C 182 et C 184.
2. Le 6 mars, la femme Massacan est condamnée au fouet et au bannisse-
ment (assemblée de Soubeiras, C 182).
Le 3 avril, Simon Cazalet (assemblée de Ganges) et Jean Galary (assemblée
d'Aulas) sont condamnés aux galères (C 192).
Le 3 avril également (assemblée de Ribaute), Jean Bonnet est condamné à
la potence, Pierre Loubié et André Barrefort sont envoyés aux galères (C 192).
Le 6 mars, Bâville avait condamné à être pendu en Vivarais après avoir eu
le poing coupé, le prédicant fanatique Claude Maire, dit Caucadon, qui avait
été arrêté en Vivarais et qui avait tué un des hommes qui l'avaient voulu sai-
sir (C 192).
3. Elle était de Champ-Long-de-Lozère, au nord du Pont-de-Montvert.
LES « PROPHÈTES » DU LINGCEDOC EPf 1701 ET 1702. 23
rations de police ou de justice qui faisaient de lui une manière
de subdélégué de l'intendant'. L'abbé, qui résidait d'ordinaire à
Saint-Germain-de-Calberte, intervenait partout. Accompagné de
quatre soldats, il est venu à Bassurels après l'affaire du curé
Bugarel et a imposé, de sa propre autorité, 60 écus d'amende
aux coupables. Persuadé que le prédicant Jean Roman (sorti du
royaume depuis la fin de 1699) est toujours dans le pays à la tête
d'une troupe de « fugitifs », il ne verbalise au Pompidou que
dans une maison fortifiée. C'est là qu'il fouette jusqu'au sang et à
plusieurs reprises un jeune inspiré, qu'il prend pour un simula-
teur^. L'abbé du Ghayla encore agira contre Françoise Brès.
Il est averti par le prieur de Saint-Andéol-de-Clerguemort des
manœuvres de la prophétesse, qui, dans les paroisses de Saint-
Andéol, Saint-Frézal et Saint-Privat, « dénonce, par l'Esprit »,
ceux de ses auditeurs qui ont « avalé douze ou quinze fois le
nouveau basilic, voulant dire la sainte hostie ». Françoise
Brès fut arrêtée le 16 décembre au Gros (Saint-Andéol) avec
quelques femmes et un jeune homme, Jean Deleuze (vingt ans),
qui faisait la quête dans les assemblées qu'elle convoquait. Le
19 janvier 1702, à Montpellier, Bâville condamnait l'inspirée à
la potence, Deleuze aux galères et Catherine Martin de Penens
(Saint-Frézal) à être fustigée au pied de la potence de Françoise
Brès. Le jugement fut exécuté au Pont-de-Montvert le 24 jan-
vier^.
Une relation recueillie par A. Court rapporte un bruit qui
courut les Cévennes. « Lorsque l'abbé voulut faire dresser la
potence où elle devait être pendue, [Françoise Brès] déclara
elle-même à la justice qu'elle savait qu'on la ferait pendre à tel
endroit, qu'elle nomma. L'abbé, plein de furie et de mépris pour
ceux qui se disaient inspirés, alla chercher [ailleurs], vers les
terres du Camp-Long (qui sont hors du village, vers la montagne
du Bougés) et vers celles qui sont à l'avenue du chemin de
Finiels. Mais, ne trouvant aucune place à son gré, il résolut de
la faire exécuter là où elle avait dit, ce qui étonna le peuple^. »
1. Voir Bulletin cité, t. LVIl, p. 208.
2. Mémoire de Meynadier, Arch. de l'Hérault, C 183 (le fait est antérieur au
16 novembre).
3. Arch. de l'Hérault, C 181 (dossier) ; C 192 (jugement).
4. Papiers Court, n* 30. Notes de Jacques Morin, dit Saltet, qui commentent,
en les corrigeant, quelques pages de Louvreleuil. Le jeune Morin, qui avait dû
quitter les Cévennes, en 1741, pour avoir blessé le curé de Molezon [près
24 CH. BOST.
La part qui revint, dans cette exécution, à l'abbé du Chayla
nous est attestée encore par un récit dont nous avons une double
forme. Le Cévenol Jean Rampon (qui était du Pont-de-Mont-
vert même) rapporte que la prophétesse, sur la place du Pont-de-
Montvert, « annonça que celui qui l'exposait à ce supplice y
viendrait finir sa vie dans vingt-quatre jours », « ce qui fut
vingt-quatre semaines », explique Rampon, « et la chose arriva
à point nommé* ». Cavalier écrit, dans la première recension de
ses Mémoires, que la jeune inspirée (il ne sait pas 'son nom)
aurait dit au prêtre : « Compte que d'aujourd'hui en un an et
six jours tu mourras dans la même place où tu me fais mou-
rir-. » Que l'on s'arrête à un chiffre ou à l'autre, la prédiction
n'est pas plus exacte. Rampon, qui participa au meurtre de
l'archiprêtre, aurait pu observer que celui-ci mourut six mois
jour pour jour après Françoise Brès (24 janvier-24 juillet). En
essayant de corriger un mot que l'événement n'a pas entière-
ment réalisé, il nous en garantit l'authenticité. Il nous fournit
à la fois une preuve de l'autorité que le peuple protestant atta-
chait alors aux discours des inspirés et de la colère qui montait
dans les Cévennes contre le plus actif de leurs persécuteurs.
Un peu au sud de la région où avait prêché Françoise Brès,
le fanatisme allait trouver un terrain d'élection. L'auteur du
manuscrit Gaiffe attache une importance unique aux assemblées
qui se sont tenues là. Il veut que la révolte camisarde y ait été
concertée. Il se trompe assurément, mais il faut reconnaître que
des paroles, grosses de conséquences, y ont été prononcées ou
colportées, et il est possible que ce soit en efïet dans ce quartier
nouveau que l'agitation morbide des illuminés se soit délibéré-
ment orientée vers la violence.
L'écrivain anonyme, qui est, avons-nous dit, d'Alais, expose
que le fanatisme, après s'être manifesté dans des individus iso-
lés ou dans de petits groupements, a fini par s'affirmer dans des
assemblées considérables, qui ont débuté aux environs de la
viUe.
Barre], écrit ses notes en 1742. Il avait parcouru les Cévennes (où il était né)
aux côtés du pasteur Jean Combes, son aîné et de beaucoup. Les notes de
Morin, comme celles de Combes, sont des souvenirs qu'ils ont recueillis dans
leurs courses.
1. Papiers Court, n" 17 K, fol. 75 (relation de Jean Rampon). Jean Rampon
est contemporain de ces événements. Voir plus loin.
2, Éd. Puaux, p. 10, note.
LES « PllOPHÈTES » DO LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 25
Entre le Gardon d'Alais à l'est et le Galeizon à l'ouest, domi-
nant au nord le village de Branoux'et le Collet de Dèze, à l'ouest
Saint-Martin de Boubaux et à l'est la vallée où est aujourd'hui
bâtie la Grand'Combe, s'élève une crête inégale, qui atteint sou-
vent 700 mètres, et le long de laquelle serpente la route d'Alais
à Saint-Germain. Notre auteur nous y transporte. « Ils choi-
sirent », dit-il, « les montagnes de Roffières et de la Melouze,
à deux lieues au-dessus d'Alais, comme celles de la contrée où
ils pouvaient être avec plus de sûreté par rapport à leurs éléva-
tions [extases] et à leurs figures... Tout ce pays, qui est celui de
la province le plus rude, le plus âpre et par conséquent le plus
propre pour les favoriser, s'y rendait de toutes parts {sic), de
quoi le s"" Bertrand de La Bruguière, mon ami particulier, juge
de Mgr le prince de Gonti dans sa comté d'Alais et sabdélégué
de M. de Bâville, en fit en divers temps diverses procédures,
comme il m'a fait voir, et m'a instruit d'ailleurs de vive voix. »
Avant d'en venir à l'assemblée de Roffières, où nous retrou-
verons Astruc Mandagout, transcrivons encore quelques témoi-
gnages qui nous apprendront la puissance de l'épidémie fana-
tique dans ce canton. De la fin de janvier 1702 à la fin d'avril,
les assemblées où l'on « tombe » et où l'on « prophétise » ne
cessent pas à Saint-Privat-de-Vallongue, où est passée Fran-
çoise Brès'. La nuit du 25 au 26 mars, le curé de Saint-Michel
de Dèze en découvre une dans sa paroisse. Le lendemain matin,
une autre s'est formée, et dix des assistants sont conduits à
Alais-. Le 21 avril, on informe contre un praticien de Blan-
naves, dont les deux servantes, catholiques d'origine, sont
devenues prophétesses à son exemple. On le soupçonne d'avoir
donné à ces filles des « bruvages », entendez des philtres
magiques, et l'une d'elles ne comprend rien à son cas : « Après
avoir dîné à la maison, elle alla garder ses brebis aux champs,
un tremblement la prise et elle a prêché. » Depuis, « elle a
demandé pardon à Dieu autant de fois qu'elle avait reçu des
hosties », et elle a jeté ses chapelets au feu 3. Le Théâtre sacré
des Cévennes rapporte un fait analogue qui s'est passé à la
1. Arch. de l'Hérault, C 183. Information à Saint-Privat, le 24 avril.
2. Ibid., C 183. Information à Saint-Michel, 1" avril 1702.
3. Ibid., C 183. Information à Alais. Le prieur de Mialct, après avoir vu les
premiers prophètes de sa paroisse (août 1701), était convaincu qu'on avait
donné à ces enfants « quelque poudre d'enchantement » (assemblée de Mialet,
C 180).
26 CH. BOST.
même époque à Saint- Paul-la-Coste^ Le Cévenol Halmède
(Aumède) alla consulter son curé touchant son fils de douze à
treize ans, « qui recevait des inspirations » (on se souvient
qu'aux termes d'une ordonnance de Bâville le père était respon-
sable du fanatisme du fils). Le prêtre fut d'avis d'abord de faire
jeûner l'enfant, puis de lui donner de bons coups de bâton, fina-
lement de lui appliquer secrètement de la peau de serpent sur la
tête. Comme le père, ayant usé vainement des deux premiers
remèdes, se disposait à essayer le dernier, son fils le reprit
« d'une façon si terrible » que, peu de jours après, Halmède
« reçut lui-même les dons de révélation et de prédication 2 ».
Notons enfin un dernier trait. Dans cette région de Branoux,
les prophètes ou leurs auditeurs se sont, depuis quelques mois,
emportés à un acte sacrilège. Un « ancien catholique » ayant
tué d'un coup de fusil, devant l'égUse de la Melouze, un « gros
chien de parc » appartenant à un nouveau converti, le lende-
main l""" novembre 1701, jour de la Toussaint, on a trouvé le
corps du chien « étendu et attaché sur les bras de la croix du
cimetière de la paroisse ». Huit jours plus tard, l'abbé du
Chayla, sur une plainte du prieur Audiffred, a fait procéder
(inutilement d'ailleurs) à une information, et il a dû se borner
à une cérémonie publique d'expiation 3.
Telle était la situation aux environs de Branoux quand se
tinrent les assemblées que mentionne notre auteur d'Alais. Les
procédures qui nous restent sont incomplètes. Elles suffisent à
confirmer pleinement ses dires^. Les tout premiers jours de mai,
un culte public est célébré à Prades (paroisse de Laval, près la
Grand'Combe). Laurence Laval, une fanatique de Blannaves
(près Branoux), y prêche, avec deux autres filles. Puis, la nuit
du 6 au 7, les protestants du quartier se transportent « sur le
penchant de la montagne de Roffières, au-dessus du hameau de
La Favède » ^ Nous ne savons rien de cette réunion. Mais la nuit
1. Déposition d'Abraham Mazel, insérée dans celle d'Élie Marion, p. 88 (éd.
Bost, p. 80).
2. Aumède, devenu camisard, sortit de France, en 1705, avec Élie Marion et
Abraham Mazel.
3. Manuscrit Gaiffe, et Mingaud, Troubles des Cévennes (Le Vigan, 1889),
p. 14, qui s'accordent sur la date. Louvreleuil, p. 26, renvoie le fait au prin-
temps de 1702.
4. Arch. de l'Hérault, 0 182 (assemblées de Roffières, dossier mai-juillet 1702.
Autre dossier de septembre, relatif à Etienne Soleyret).
5. Roffières est un hameau de la commune des Salles-du-Gardon, qui
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 27
suivante, du dimanche 7 au lundi 8 mai, une autre est convo-
quée à la même place, autrement importante, et sur laquelle
nous sommes renseignés.
Le culte dura la nuit entière, présidé successivement par de
nombreux prophètes-prédicateurs. Les uns étaient du quartier
même, tels Laurence Laval, qu'on entend à nouveau, ou
encore Abraham Pouget, de RofRères (quarante- sept à qua-
rante-huit ans), Rozier, de La Favède, ou Louis Brès père
(soixante ans), ancien chantre de l'église protestante de Bra-
noux. Mais avec eux on nomme « Mandagout, qui aurait prê-
ché avant Brès », et nous ne savons si les phrases qui nous
sont rapportées doivent être attribuées à l'un ou à l'autre. Les
termes de l'exliortation attirent l'attention des juges. Ils sont
neufs, en effet. Ce n'est plus seulement l'Eglise catholique qui
est mise en cause, mais le roi. La venue de Mandagout (qui des-
cend, comme on le verra, du Pont-de-Montvert) et celle d'autres
prophètes fugitifs (que nous nommons plus loin) marque dans la
région un nouveau degré d'exaltation. « Le roi veut nous faire
renoncer à la parole de Dieu et nous faire renoncer à la grâce
de l'Eternel », ont dit les prédicateurs, « mais il est incapable
de rien faire contre la parole de notre Éternel! N'allez à la
messe que pour la forme, le temps est venu où nous n'irons
plus! Le roi défend de manger de la viande les vendredis et
samedis et le carême! Il en faut manger, l'Éternel le commande.
Ayons bon courage, l'Éternel nous a donné la victoire! » On
remarquera que ceci est déjà du vocabulaire camisard.
Lvassemblée se retire avant l'aube, les assistants se groupant
par hameaux, afin de rentrer chez eux en masses plus impo-
santes. Ils savent ce qu'ils font. Il s'est trouvé en effet dans la
foule deux espions (à ce qu'il semble deux soldats de bourgeoi-
sie) qui, à la clarté de la lune, ont pu reconnaître quelques-uns
des assistants, et qui, avec huit autres catholiques, ont « occupé
en deux pelotons les deux points de retraite de l'assemblée ».
L'allure décidée des auditeurs .qui repartent a ôté cependant
aux malintentionnés l'envie de les attaquer. Mais, deux heures
plus tard, les deux hommes arrêtent chez lui un fermier et
domine le hameau et le château de La Favède. C'est du château de La Favède
qu'était originaire la famille de Benjamin du Plan, ouvrier actif dans les pre-
miers synodes t du désert », et que son attachement aux prophètes rendit plus
tard suspect à Court et aux pasteurs du Languedoc. Mais du Plan ne connut
des prophètes qu'en 1710.
28 CH. BOST.
sa jeune parente. La fille pousse des cris; les catholiques, qui
sont armés, lâchent chacun un coup de fusil de peur que les
voisins n'accourent. Personne ne se montre, et les captifs sont
conduits à Alais. Le lendemain, des patrouilles vont fouiller les
hameaux de la montagne et arrêtent quatorze personnes.
L'information, dirigée par le juge d' Alais, La Bruguière,
commença le 19 mai. Elle se poursuivait encore un mois plus
tard, quand dans le même canton des Cévennes une autre
affaire éclata.
Le dimanche 11 juin, le capitaine de bourgeoisie Coste,
ancien officier de carrière, qui était en garnison dans le châ-
teau de Portes (en face de Roffières et de Branoux, sur l'autre
rive du Gardon), partit à l'entrée de la nuit pour surprendre une
assemblée qui lui était signalée sur le terroir de Peyremale.
Entre le lieu de Mercoire et la métairie de l'Issartol, vers Char-
reneuve, il entend une voix d'homme qui retentit au fond du
vallon . La dernière réunion de Roffières a paru si séditieuse que
les soldats, maintenant, ne gardent plus de mesures. L'officier
écrit lui-même qu'il a divisé sa troupe en deux parties, mettant
l'assemblée au milieu. Une lampe brille parmi les 250 auditeurs
amassés, éclairant un homme habillé de blanc, plus élevé que
les autres. Coste « ordonne de tirer sur l'assemblée », qui se dis-
perse en tumulte, lâchant, en se retirant, quatre ou cinq coups
de feu. Les soldats avaient réussi à tuer le prédicant, Jean
Mathieu, dit Claudine, de Genolhac. On le retrouva vêtu d'une
veste et d'une culotte de toile, à quatre pas d'une pierre qui lui
avait servi de tribune, une partie du corps dans l'eau du ruis-
seau. A côté de lui, un Nouveau Testament, un psautier et un
pistolet ' . '
Les soldats firent vingt prisonniers, la plupart blessés par
leur décharge. Ils ramenèrent au château de Portes ceux qu'ils
purent. Une femme et un homme furent laissés à Mercoire, « ne
pouvant marcher du fait de leurs blessures ou des coups reçus » ;
une autre femme, « blessée d'u^ coup de feu à la tête, ne pou-
vant marcher », fut confiée à son frère, et le juge Rozier, d'Uzès
l. Arch. de l'Hérault, C 182 (assemblée de Peyremale. Il n'y a que le procès-
verbal dressé par le capitaine)'. Broglie et Bâville écrivirent en cour pour
signaler l'aflaire. Tous deux prétendent (on les a peut-être volontairement
trompés) que les protestants ont tiré les premiers (Hist. de Languedoc, t. XIV,
1560).
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 29
(le lieu de l'assemblée était sur le diocèse d'Uzès), vint, le
16 juin, commencer à Peyremale une information que noUs
n'avons plus'.
Le jugement de Mandagout mentianne des dépositions faites
à cette occasion, précisément le 16 juin, par Pierre Pradel et
Antoine Légal, dont nous ignorons le lieu d'origine. Comme le
jugement ne s'appuie que sur ces deux dépositions perdues, en
plus de l'information du 19 mai que nous possédons, nous
sommes fondés à croire que c'est de Pradel et de Légal que pro-
viennent toutes les accusations nouvelles dont se corsa le dos-
sier de l'inspiré. Nous ne savons si les deux témoins affir-
mèrent que Mandagout s'était trouvé dans l'assemblée surprise
à Peyremale (Bâville l'en accuse) ou si plutôt ils parlèrent du
prophète comme ayant séjourné récemment dans le quartier. Ils
rapportèrent un récit de Mandagout relatif à ces voyages. Au
Pont-de-Montvert, les protestants l'avaient pris d'abord pour un
espion. « Il a eu si peur qu'il a faUu lui 'donner de l'eau-de-vie
pour le remettre », et il a dû ensuite prêcher pour montrer sa
bonne foi. Mandagout porte des armes, et il en use. Pradel (qui
sans doute a voulu l'arrêter) dit que l'inspiré « lui a tiré ur coup
de pistolet et l'a ensuite blessé d'un coup de pierre ». Enfin, il
aurait tenu un propos d'une extrême gravité. Il a dit qu'au pre-
mier jour il y aurait deux cents personnes rassemblées, qui
abattraient les églises et tueraient tous les catholiques. Nous
ne connaissons la phrase que parce que Bâville reproche à Man-
dagout de l'avoir prononcée. Comme l'interrogatoire est d'une
époque (13 septembre) où déjà les premières fureurs camisardes
se sont déchaînées, on pensera peut-être que Bâville a ici trans-
formé en accusation un simple soupçon né dans son esprit;
mais il faut noter que la question qui suit : « S'il ne s'est asso-
cié avec Brès [père] pour prêcher alternativement », nous
ramène aux assemblées de Roffières (ou de Peyrenîale) et que,
par conséquent,, l'intendant paraît avoir posé à Mandagout des
questions qui sortent des dossiers qu'il a sous les yeux. Il nous
semble donc très probable que la phrase séditieuse — et cette
fois réellement prophétique — de l'inspiré a été prononcée par
lui à la fin de mai ou au début de juin, sans qu'elle puisse être
1. Une pièce isolée, Arch. de l'Hérault, C 186, nous a conservé le nom des
prisonniers, ces détails et la date.
30 CH. BOST.
tenue d'ailleurs pour autre chose qu'une exclamation de fureur
sacrée*.
Trois mois plus tard, l'interrogatoire d'un Cévenol apprenait
qu'aux assemblées de Roffières on avait vu Gédéon Laporte
(quarante-cinq ans, le futur chef camisard), de Branoux.
Laporte était un ancien soldat, qui avait été également forgeron
dans un martinet et marchand de fer ; il était maintenant mar-
chand de porcs 2. Laporte, qui deviendra un « prédicant », ne
prêche sans doute pas encore. Du moins on ne l'a pas entendu
avec Brès et Mandagout. Mais un autre prophète a paru avec
eux, « Salamon ». Nous songeons naturellement à Salomon
Couderc, du Bougés, qui serait descendu avec Mandagout de la
haute montagne. Mais comme la même pièce parle plus loin de
« Salamon, prédicant de Saint- Jean », on voit que Salomon
Couderc a été ici confondu avec Abraham Mazel, et ceci prou-
verait que les deux inspirés, dès le mois de mai 1702, agissaient
ensemble dans les Cévennes avec Mandagout 3.
Mandagout, qu'il ait assisté ou non à l'assemblée de Peyre-
male, avait quitté les Cévennes au moment des informations
du juge Rozier. Nous allons le retrouver dans la plaine de
Nîmes.
Le prophétisme dans « le pays bas ».
La région méridionale du Bas -Languedoc, celle que les
Cévenols appellent « le pays bas », était alors presque aussi
agitée que les environs d'Alais.
Le 5 novembre 1701, Bâville avait interrogé un jeune Rouer-
gas (seize ans), d'Uchaud, qui, après avoir rencontré un inspiré
dans sa crise, était à son tour tombé brusquement saisi d'un grand
tremblement au moment où il récitait le Notre Père. Fléchier
avait été curieux d'examiner ce prophète qui, « lorsque le
Saint-Esprit entrait en lui, sentait quelque chose dans l'estomac
comme un caillou ». L'intendant « l'expédia vite » en le con-
1. Pour ce qui précède : interrogatoire de Mandagout, 13 septembre 1702
(Arch. de l'Hérault, C 183); jugement de Mandagout, C 192.
2. Sur Laporte, voir Louvreleuil, t. I, p. 41, que La Baume (t. I, p. 26) se
borne à copier. Laporte est qualifié marchand de pourceaux dans le procès qui
fut fait à sa mémoire (Arch. de l'Hérault, C 182).
3. Interrogatoire de Soleyret, de Branoux, 2 septembre 1702 (Arch. de
l'Hérault, C 182).
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EPf 1701 ET 1702. 31
damnant à cinq ans de galères i. A la même époque, à Gènérac,
un tailleur suspect de fanatisme, que le vicaire du lieu interroge,
lui raconte les miracles dont on colporte le récit dans Nîmes.
« Des enfants de naissance (venant de naître) ont parlé. Même
un enfant, du temps qu'il recevait le baptême, a dit : « Prêtre,
« ne me baptise point, je suis déjà baptisé-. » Dès le mois de
mars 1702, le mal a été porté jusqu'aux environs de Béziers, à
Villemagne (Villeveyrac), où Bàville fait pendre le prophète
Gouze et fustiger une inspirée. Un mois plus tard, nous avons
vu, dans la même région, Montagnac contamiçé par Doustin, à
qui Gouze a communiqué « le souffle^ ».
Dès le printemps également, le fanatisme s'est répandu dans
toute la plaine qui va de Nîmes au Rhône et à la mer. Le
8 mars, un inspiré déjà connu dans le quartier, Boudon, origi-
naire de Bernis, « tombe » et prêche dans une maison de Beau-
voisin, en même temps qu'une prophétesse, Isabeau Romajon,
dite Vernelouze (vingt ans), qui est du village d'Uchaud. Le
curé pénètre dans le logis. Boudon lui échappe, mais il fait sai-
sir la fille et trois hommes. Le lendemain, sur l'ordre du baron
de Saint-Cosme, ancien membre du consistoire de Nîmes, qui
commande maintenant les milices de la plaine, les quatre pri-
sonniers partent pour le château de Sommières. Près d'Aigues-
Vives, sous le village de Mus, dans un chemin bas bordé d'oli-
viers, seize hommes sortent de dessous les arbres, armés de
bâtons, de pistolets, l'un même d'un fusil, entourent les soldats,
leur crient qu'ils sont des infâmes, qu'ils veulent aller contre la
loi des saints prophètes, les menacent de les tuer tous. Ils
clament « qu'ils sont tous des jeunes gens, mais qu'ils n'ont
qu'une vie à perdre pour Dieu ». Les soldats réussissent à se
retirer avec les trois hommes qu'ils conduisent. Mais Verne-
louze, qui avait été mise sur un âne, est entourée par les libé-
rateurs, qui coupent les cordes qui la lient et l'emmènent vers
1. C 181, dossier Rouergas. Voir Bulletin cité, t. XV, p. 136.
2. C 182, dossier des assemblées de Beauvoisin, mars 1702.
3. Une note des papiers Court, n° 17 B, fol. 433, dit : « Le mercredi 5 avril
1702, on pendit à Villemagne le nommé Gouze, de Pignan [près Montpellier],
pour cause de religion. Le même jour, pour le même objet, on donna le fouet
à une fille du lieu. » Nous avons vu plus haut Gouze nommé dans le procès
fait à Montagnac au prophète Doustin. Doustin et son hôte David Combes, de
Montagnac, furent condamnés aui galères au début de juillet (Arch. de l'Hé-
rault, C 183. Le jugement manque).
32 CH. BOST.
La Vaunage. La prophétesse, avec le chef de la troupe, Dour-
nin Bombonnoux, de Bernis, ira continuer ses prédications vers
Uzès^
Il reste cependant des prophètes à Beauvoisin. L'après-midi
du dimanche 12 mars se tient une assemblée de 3 à 400 per-
sonnes à l'entrée du bois de Beauvoisin, à urie demi-lieue de
Franquevaux. Le curé, informé, fait arrêter deux prisonniers
à leur retour, et Saint- Cosrae envoie dix femmes aux prisons
d'Aigues-Mortes^. L'opinion catholique s'affole; elle parle d'une
« bande de meurtriers » qui parcourt le pays. Le dimanche
25 mars, jour de l'Annonciation, les catholiques de Saint-GLUes,
en sortant des vêpres et après la procession, apprennent que les
protestants célèbrent un culte vers l'église de la Madeleine. Ils
s'arment de toutes parts et courent de tous côtés au lieu indiqué.
Les protestants s'épouvantent et s'enfuient. A la métairie du
Trondet, beaucoup d'entre eux arrivent en pleurant, y cher-
chant un refuge. Parmi eux on voit « Samuelet, de Générac,
qui porte la Bible > et qui passe pour le chef de « la bande ».
On dit qu'un homme a été tué, un autre blessé 3.
Le 7 avril, on arrêta près d'Uzès Bombonnaux et Vernelouze.
BâviUe condamna Bombonnaux, le 20, à être pendu, après
avoir subi la question sur le lieu où il avait enlevé la pro-
phétesse aux soldats, et le jugement fut exécuté le 22. Verne-
louze, que l'abbé de Nogaret fit relâcher sur la promesse qu'elle
vivrait désormais en catholique, retomba aussitôt « dans ses
accès de fanatisme ». Elle fut arrêtée à nouveau, et le 4 mai
Bâville la condamnait au fouet et au bannissement^.
Les mouvements de Beauvoisin et de Saint-Gilles aboutirent,
dans la plaine, à une fusillade pareille à ceUe de Peyremale dans
les Gévennes.
Le lundi 17 mai au soir, un lieutenant de la compagnie bour-
geoise de GuiUeminet, qui était casernée au château de Vau-
vert, est informé d'une assemblée convoquée pour la nuit au ter-
roir de Gombemigeyre, limitrophe des terres de Franquevaux.
1. Arch. de l'Hérault, C 182 (dossier des assemblées de Beauvoisin); C 183
(dossier Vernelouze-Bombonnoux).
2. Ibid., C 182 (assemblée de Beauvoisin).
3. Ibid., C 183 (assemblée de Saint-Gilles. Information faite à Saint-Gilles).
Samuelet, « jeune meunier », devint camisard. Il passa pour avoir tué le
capitaine Poul au combat du Val-de-Bane, dans la plaine de Nîmes (12 jan-
vier 1703). Voir France protestante de Bordier, t. III, p. 857.
4. Ibid., G 183 (dossier Bombonnoux- Vernelouze).
LES « PROPHÈTES » DD LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 33
Avec une vingtaine de soldats, il marche- vers les protestants,
qu'il découvre réunis au nombre de 400 personnes. « Il fait
tirer dessus aussitôt », en tue deux, en blesse quelques autres
et, soit sur le lieu, soit dans les métairies voisines, fait plus de
quatre-vingts prisonniers. Bâville se les fit amener à Montpel-
lier et, le 1^'" juin, en condamna treize aux galères*. Quatre
femmes furent condamnées au fouet. Le prédicateur de l'assem-
blée, qu'on' nommait Antoine, ou Benoni, avait pu s'échapper.
Mais on avait saisi un autre prophète, qui se donna d'abord
pour un Jean Laurier, de Vallon en Vivarais, ancien tailleur de
pierre. Bàville le condamna à subir la question, pour être
ensuite pendu à Vauvert. Il fut exécuté le 3 juin, déclarant au
pied de la potence qu'il se nommait Marc Laurier, ce qui nous
le donne à reconnaître (avec d'autres sources qui le nomment le
Petit Marc) pour le prédicant Marc, qui avait paru à Vais en
Vivarais en octobre 1700. Le juge Loys rendit compte à Bâville
de l'exécution : « Il a dit qu'il était justifié et qu'il voyait les
cieux ouverts. Il a souffert la question sans faire la moindre
plainte et sans rien avouer^. »
Le baron de Saint-Cosme eut ici son rôle, non dans la décou-
verte de l'assemblée, mais dans les poursuites judiciaires
qu'elle provoqua. Ce fut lui qui requit le subdélégué de Saint-
Gilles de se transporter dans la campagne pour y verbaliser
contre des protestants qui auraient enterré le corps des deux
morts restés sur le terrain ^ Il forma ensuite un détachement de
douze soldats qui allèrent désarmer tous les nouveaux convertis
depuis Saint-GiUes jusqu'à Aimargues. La mesure provoqua un
vif mécontentement dans des quartiers où les habitants vivaient
en partie de la chasse sur les marais de Vauvert^.
1. Claude Vaupilière, Roustan Glaize, Jacques Brun, Jean Maubernard,
David Rey, Jacques Teissier, François Tribes, Pierre Foussati, Pierre Charde-
non aux galères perpétuelles; François (ou Pierre) Roques, Pierre Farinièrc,
David Roubaud, Jacques Gouirand aux galères pour cinq ans (tous étaient de
Vauvert ou de Beauvoisin). Jugement, C 192.
2. C 183 (assemblée de Combernigeyre). Il semble que trois filles seulement
aient été publiquement fustigées. On avait pri^ dans l'assemblée la prophétesse
Catin Barde, vingt et un ans, originaire dé Beauchastel [Ardèche], qui déjà
avait été emprisonnée à Nîmes et que levèque avait fait libérer (serait-ce la
prophétesse Catin, que nous avons vue également à Vais en 1700?). Le juge-
ment ne parle pas d'elle.
3. C 186. Pièce isolée.
4. Bulletin cité, t. LX, p. 124.
Rev. Histor. CXXXVI. 1" FASC. 3
34 CB. BOST.
Ces quelques détails relatifs aux inspirés du « pays bas »
nous apprennent que le prophète Maiidagout, en descendant
des Cévennes, se retrouva dans le milieu qui lui était familier.
Des rapports d'espions, qui semblent d'ailleurs par instants
concerner quelque autre inspiré, nous le montrent « faisant les
vers à soie » dans une métairie du terroir de Beaucaire, c'est-à-
dire s'y étant « loué », comme le faisaient les montagnards,
pour la cueillette de la feuille de mûrier. La dernière assemblée
de Roffières ayant eu lieu le 8 mai, il semble que Mandagout
serait arrivé dans la plaine à une date bien tardive pour pouvoir
s'employer de la sorte et, si le détail était exact, il en faudrait
conclure que le prophète, sûrement, n'a pas su se trouver dans
l'assemblée surprise de Peyremale (11 juin).
Avant de « se fixer à faire les vers à soie », Mandagout aurait
fréquenté à Beaucaire, chez le sieur de Valotte-Gibertain, gentil-
homme converti des environs de Saint-Germain-de-Calberte, qui
avait quitté les Cévennes pour venir s'enfermer près de l'ermitage
de Saint-Sixte, à un quart de lieue de la viUe. Ce gentilliomme
énigmatique, que les Camisards tuèrent plus tard, quand il vou-
lut, sans escorte, leur porter des propositions de paix, est soup-
çonné d'avoir reçu en même temps que Mandagout d'autres
fanatiques. Le sieur de la Valotte a convenu avec Mandagout qu'il
le prendra avec lui prochainement, dans un voyage qu'il doit
faire aux bains de Balaruc (près Cette).
Ce dernier trait a été répété dans Beaucaire par une femme
que Mandagout « mène après lui, qu'il dit être son épouse et
qui n'est rien moins que cela ». Au début de juillet, à ce qu'il
semble, Mandagout est avec cette femme à Nîmes. Il manque y
être arrêté. Il sort alors de la ville, déclarant à la femme qu'il
va à la foire de Beaucaire (elle se tenait du 22 au 28 juillet)
« et que, s'il est pris, elle ne doit plus compter sur lui ».
Mandagout avait prévu son sort. C'est à Beaucaire et au
début de la foire qu'il tomba entre les mains du comte de Roche-
fort-Brancas. Le 27 juillet, ce dernier, qui avait déjà annoncé
à Bâville la prise du prophète, fournissait à l'intendant les ren-
seignements que nous venons de rapporter i. Nous avons dit
qu'ils ne sont peut-être pas très exacts.
1. Arch. de l'Hérault, C182. La lettre a été publiée dans Bulletin cité,
t. LXIII, p. 113. Aucun autre document n'accompagne plus la lettre. Sur le
sieur de Valotte, voir Louvreleuil, t. I, p. 54 ; t. III, p. 22, 23.
LES « PROPHÈTES » DU LANGDEDOC EN 1701 ET 1702. 35
Pour ce qui est de la femme dont on nous parle, il faut recon-
naître que plus d'un prophète — surtout dans les débuts du
fanatisme — fut assez peu scrupuleux sur le chapitre des
mœurs. L'ancien fanatique Alexandre Astier, pris en Vivarais
en 1689, convenait plus tard, alors qu'il était guéri depuis
longtemps, que « les inspirations portaient au mal plutôt qu'au
bien et surtout à inspirer de l'inclination pour le sexe^ », et
nous savons d'étranges histoires en effet sur ses confrères viva-
rois de 1689, qu'un coreligionnaire accuse d'avoir « paillarde à
la vue de leurs assemblées''^. » D'autre part, les catholiques du
temps et les historiens qui sont l'écho de leur opinion (Louvre-
leuil, Brueys) ont vu quelquefois le mal où il n'était pas. Ils
veulent que Françoise Brès ait été attirée dans la paroisse de
Saint-Frézal par la présence « d'un jeune homme qu'elle aimait »
et qui fut condamné le même jour qu'elle. Rien dans les infor-
mations n'indique qu'il y eût un commerce scandaleux entre
l'inspirée et Jean Deleuze qui .la suivait en effet et quêtait dans
ses assemblées. Le prophète Raoux était venu "du Vivarais avec
la prophétesse Marie, qui avait « le don » aussi puissamment
que lui. Leurs mœurs n'ont pas été soupçonnées. Il ne faut pas
oublier enfin que, pour plus d'un inspiré, la réception de
r « esprit » marque le début d'une vie religiei^e nouvelle dont
on ne doit méconnaître ni la dignité ni l'austérité. Jean Cava-
lier, de Sauve, cousin du fameux chef, raconte dans le Théâtre
sacré comment il a été terrassé, en entendant un prophète,
comme « par des coups de marteau qui frappaient fortement sa
poitrine ». Il ajoute que lorsque ses agitations convulsives ont
ensuite cessé, il a gardé intérieurement une émotion et une
ardeur inexprimables. « J'étais alors », dit-il, « tout occupé du
sentiment que j'eus de mes péchés. Les fautes de libertinage,
auxquelles j'étais le plus sujet, me parurent des crimes
énormes et me mirent dans un état que je ne saurais ici
décrire 3. »
Il est donc impossible de porter un jugement d'ensemble sur
1. Arnaud, Bist. des protestants du Vivarais, t. II, p. 16.
2. Lettre écrite, en Vivarais, à Claude Brousson, qui la lut sans aucune
sympathie (Ch. Bost, les Prëdicants protestants, t. II, p. 182, 518). Voir aussi
Fléchier, Récit fidèle de ce qui s'est passé dans les assemblées des fanatiques
du Vivarais (composé, comme on peut s'en rendre compte, au moyen de
pièces judiciaires).
3. Théâtre sacré, p. 43 (éd. Bost, p. 91).
36 CH. BOST. — LES « PROPHETES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702.
les mœurs des inspirés. Il est même difficile de se faire une opi-
nion nette surlesfaits individuels. Précisément en 1702/ et aux
environs de Nîmes, nous trouvons un cas analogue à celui de
Mandagout et sur lequel, malgré les apparences, il est malaisé
de décider. La prophétesse Vernelouze, avons-nous dit, fut
reprise en même temps que Bombonnoux. Ils étaient dans le
même lit et en chemise. Vernelouze se contente de dire à ce
propos : « Qu'ils avaient chacun leur linceul (drap) », et un
habitant d'Uzès, qui les a logés quatorze jours sous son tfàt, ne
s'étonne pas autrement de leur façon d'agir : « Ils couchaient
ensemble, ayant dit qu'ils étaient cousins germains. » Nous rap-
pellerons que les mariages entre cousins germains n'étaient
alors autorisés qu'avec une dispense du roi. et que, d'autre
part, les auberges, et aussi les famiUes paysannes, offraient
quelquefois aux voyageurs une hospitalité dont nous avons
peine aujourd'hui à concevoir la naïveté'. Après quoi l'on pen-
sera ce que l'on pourra de Vernelouze et aussi de Mandagout.
Ch. BosT.
(Sera continué.)
1. Voir Bulletin cité, t. XL, p. 644, l'aventure qu'eut, en 1720, dans une
auberge, le pasteur Cabrit (c'était en Allemagne) et, dans les Mémoires d'Ant.
Court (éd. Hugues, p. 116), voir comment Court raconte simplement que les
soldats l'ont surpris dans une petite maison des environs de Nîmes, couché
dans un même lit avec son hôte et la femme de celui-ci.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
LA BATAILLE DE NAJERA
(3 AVRIL 1367)
LE COMMUNIQUÉ DU PRINCE NOIR
Lorsque rhéritier de Jean le Bon, de régent, devint roi en 1364,
la revanche contre l'Anglais n'était possible qu'à la condition de
refaire moralement et matériellement la France, épuisée par des
défaites successives, bouleversée par des crises intérieures. Charles V
s'imposa cette tâche, qu'il sut d'ailleurs mener à bien. Car c'était
un esprit réfléchi, équilibré, mesuré autant que patient, qui, comme
l'écrit Christine de Pisan, savait « qu'en hastiveté ne gist pas la
bonne ordonnance ». Aussi échelonna-t-il ses efforts avec ce mer-
veilleux sens de l'à-propos qui est comme le rythme de tout son
règne.
A son avènement, la France était secouée par les intrigues de
Charles le Mauvais, roi de Navacre, désolée par les ravages des
Grandes Compagnies. A dire vrai, les deux questions étaient soli-
daires. Car le Navarrais n'était fort et redoutable que parce qu'il
avait des routiers à son service. La bataille de Cocherel, gagnée par
Du GuescHn et ses Bretons sur le captai Jean de Grailly, la veille du
sacre du roi à Reims, marque non seulement la déroute militaire
des bandes anglo-navarraises, mais la ruine des prétentions navar-
rajses. A Cocherel, en effet, le 16 mai 1364, « se jouait une très
grosse partie, dont le règne de Charles Vêtait l'enjeu. Il suffit d'une
poignée d'iiommes pour affermir le trône du roi, et ce premier sou-
rire de la fortune fut le gage des succès éclatants qui procurèrent la
revanche du traité de Bréligny » '. L'importance de cette victoire n'a
pas échappé aux contemporains eux-mêmes qui, trop souvent,
entrevoient mal la portée des événements. Christine de Pisan ne s'y
est pas trompée. Cocherel coïncide avec le couronnement et le sacre
1. Delacbenal, Histoire de Charles V, t. III, {>• 63.
38 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
du roi. A dater de ce jour, les gros nuages qui voilaient le ciel de la
France se sont dissipés et les rayons du soleil ont commencé à
poindre. « Fortune au double visage », dit-elle, « volt à France
commencier a demoustrer et faire luire le ray du soleil de sa riant et
belle face, lequel par long temps avoit été en ce reaume couvert de
très nubileuses et infortunées nues. »
La victoire remportée par Du Guesclin délivra, en effet, la France
d'une crise dynastique et le successeur de Jean le Bon d'un préten-
dant dangereux, allié de d'Angleterre. Plus encore que l'arbitrage
pontifical et que les sollicitations pressantes et réitérées d'Urbain V,
elle obligea le Navarrais à signer la paix; malgré ses équivoques,
malgré le caractère précaire de certaines clauses qui ne furent
jamais pleinement ni franchement exécutées, le traité était bien une
renonciation. i
Opportuniste en politique, Charles V avait su régler à son heure
la question navarraise. Dans les instructions détaillées qui furent
données au duc d'Anjou, chargé de présenter au pape Urbain V des
explications autant que des justifications, il y a un article, qui
montre bien la mentalité royale, cette méthode consciente et inflexible,
si remarquable chez ce souverain : « Que veu tout ce que le Roy a
fait, nulz ne puet dire qu'il se soit trop hastez, mais pourroit l'en
dire que, se il eust plus attendu, que il eust trop demouré et eust
peu le roy de Navarre faire une si grande plaie ou royaume que elle
eust trop cousté à remettre à point ^ » ^
Mais si Charles le Mauvais était cette fois politiquement éliminé,
la question des Compagnies restait entière. Elles semaient le trouble
partout et désolaient le pays. Il%liait à tout prix s'en débarrasser
pour rétablir le calme, l'ordre et la sécurité dans la France conva-
lescente. A ce mal il s'agissait de trouver le remède. Charles V, et
ce fut son mérite, le chercha et le trouva. La cure fut des plus heu-
reuses. Le vainqueur de Cocherel avait été malencontreusement fait
prisonnier à Auray, le 29 septembre 1364, lors de la dernière grande
bataille de la guerre de succession de Bretagne. Le roi contribua à
payer son énorme rançon et lui confia le commandement de l'expé-
dition de Castille. Entraîner les Grandes Compagnies en Espagne,
à la suite du plus grand capitaine de l'époque, officiellement pour
combattre les Maures de Grenade, en fait pour soutenir Henri de
Traslamara contre Pierre le Cruel, allié et ami de l'Angleterre,
c'était non seulement une solution des plus élégantes, mais encore
1. Arch. nat., J 255, n' 138.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 39
une habile manœuvre politique, un coup de maître. L'expédition de
Castille fut un fait capital et décisif.
Les conséquences de cette intervention française furent double-
ment heureuses. Tandis que la France, loin de s'affaiblir, se déga-
geait en enrôlant les routiers sous la bannière de Du Guesclin, elle
obligeait l'Angleterre à intervenir; elle attirait le roi d'Angleterre
et son fils, le Prince Noir, dans les aventures espagnoles en déviant
le meilleur des forces anglaises au delà des Pyrénées. Quelle que fût
l'issue de la guerre d'Espagne, que les Compagnies fussent déci-
mées ou victorieuses, la France n'avait rien à perdre, mais tout à
gagner. Les conseillers du roi voyaient sans déplaisir s'engouffrer
dans les sierras, voisines de l'Èbre, au delà des ports de Roncevaux,
dans ce pays de l'épopée dont Roland n'était pas revenu, ces bandes
de pillards et de bandits qui constituaient un fléau permanent. Pour
le commun peuple, le départ des routiers était une délivrance. Le
roi avait vu plus loin : pour faire échec aux Grandes Compagnies, '
commandées par Du Guesclin, il fallait que l'Angleterre mît sur pied
des armées opérant très loin de leurs bases, par suite qu'elle dégar-
nît les territoires continentaux qu'elle occupait. Pour un prince qui
préparait dans l'ombre une rentrée savante, à l'heure qu'il avait
choisie, l'expédition de Castille avait une importance capitale. La
guerre était portée hors de France et ce n'était point là un maigre
résultat dans un royaume où il voulait ramener le calme indispen-
sable, en attendJnt l'heure de la glorieuse revanche.
L'histoire de l'intervention française en Castille a été faite récem-
ment, et de magistrale façon, par le dernier historien de Charles V,
M. Roland Delachenal, qui lui a consacré quatre remarquables cha-
pitres'. Son exposé lumineux, écrit dans une langue aussi nerveuse
que colorée, projette un jour nouveau sur des faits restés jusqu'à
lui très confus. L'un des épisodes les plus fameux est la bataille de
Najera (3 avril 1367), la plus grande bataille du siècle, dit un chro-
niqueur anglais, gagnée par le prince dç Galles et où Du Guesclin
fut fait prisonnier^. C'est à propos de cette bataille que je pubhe un
document qui a échappé jusqu'ici aux recherches.
1. R. Delachenal, Histoire de Charles V, t. III : 136i-1368 (Paris, Picard,
1916), p. 239 à 493. Les chapitres de l'ouvrage qui se rapportent à notre sujet
sont les suivants : chap. viii. La crise des Compagnies. Du Guesclin et la
Croisade contre les Maures. — Chap. ix. L'expédition de Castille : le renver-
sement de don Pèdre. — Chap. x. Le prince de Galles. La bataille de Najera.
— Chap. XI. La revanche de don Henri. Le drame de Montiel.
2. Chronicon Henrici KnigTiton vel Cnitt/ion, monachi Leyceslrcmis (édi-
tion Lumby, Rolls Séries, p. 122) : « Istud erat maximum^bellum quod|in die-
bus nostris actum est. »
40 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
La bataille de Najera a été, à notre époque, étudiée à des points
de vue différents. Les biographes d'Arnoul d'Audrehem*, maréchal
de France, et de Jean de Gand, duc de Lancastre^, ont été amenés
à raconter cette bataille, parce qu'ils retraçaient la vie de grands per-
sonnages qui y avaient pris part. D'autres, se plaçant au point de
vue militaire, préoccupés de dégager des campagnes du xiv^ siècle
les principes de l'art de la guerre^ et les enseignements de la tac-
tique'', en ont décrit les péripéties pour prouver qu'elle marquait le
triomphe des arôhers anglais sur la cavalerie légère espagnole, les
célèbres Ginetes de l'Andalousie. D'autres, enfin, restant sur le ter-
rain de l'histoire générale, historiens français, historiens anglais^,
historiens espagnols", en ont, chacun de leur côté, montré l'impor-
tance politique en ce qui touche à la France, à l'Angleterre et à la
Oastille.
La bataille où l'infanterie anglaise s'est mesurée, le 3 avril 1367,
avec la cavalerie espagnole que soutenaient les compagnies placées
sous les ordres de Du Guesclin, s'est livrée aux environs de la petite
ville de Najera, arrosée par le Najerillà, affluent de di-oite de l'Èbre.
Par suite d'une erreur, qui longtemps a prévalu^, elle s'est appelée
bataille de Navarette. On a, en effet, identifié et confondu deux loca-
lités séparées l'une de l'autre par une distance de seize kilomètres;
or, c'est à Najera que s'est faite précisément la concentration des
deux armées^. L'armée du prince de Galles, partie de Sauveterre, se
1. Emile Molinier, Études .mr la vie d'Arnoul d'Audrehem, maréchal de
France (mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, 2" série. Antiquités de la France, t. VI (1883), p. 177).
2. Sydney Armitage-Smith, John of Gaunt, King of Castile and Léon, duke
of Aquitaine and Lancaster, earl of Derby, Lincoln and Leicester, seneschal
of England (1904), p. 33-35, avec une carte de la marche du Prince Noir et
de la raiarche de don Henri.
3. Kohler, Die Entwickelung des Kriegswesens und der Kriegsfilhrung in
der Ritterzeit von Mitte des XIII Jahrhxmderts bis zu den Hussiten Knegen,
t. II, p. 500-517.
4. Charles Oman, A history of the art of War : the middle âges from the
fourth to the fourteenth century, 1898, p. 636-648, avec deux cartes, une de
la région, l'autre plan de la bataille.
5. Tout, The History of England from the accession of Henry III to the
death of Edward III (1216-1377), dans The Political History of England,
t. III (1905), p. 405.
6. Juan Catalina-Garcia, Castilla y Léon durante los reinados de Pedro 1°,
Enrique II, Juan y Enrique III, 1893, p. 378-394.
7. Oman, The art of War, p. 642, l'appelle encore Battle of Navarette.
8. Les Grandes Chroniques de France, selon que elles sont conservées en
l'église de Saint-Denis en France, édition Paulin Paris, 1838, t. VI, p. 246,
n. 1 : M Cette bataille a pris encore le nom tantôt de Nadera ou Najera et tan-
tôt de Navarette. Ce dernier a prévalu. » — Chronique latine de Guillaume
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 41
porta de Logrono et de Navarrete ^ à la rencontre de l'armée franco-
castillane qui, rassemblée tout d'abord à Santo Domingo de la Cal-
zada^, sur la route de Pampelune à Burgos, avait franchi le rio
Najerilla, à Najera, pour s'établir sur la rive droite de ce fleuve.
C'est pour cela que la rencontre s'est produite tout près de Najera,
et c'est précisément la raison pour laquelle les documents et chro-
niques contemporains la désignent sous le nom de bataille de Nasers,
Nazers, Nadres', Nazres et Nazares. Nazares est le mot dont se sert
Du Guesclin lui-même, prisonnier à Bordeaux du prince Noir,
lorsque Charles V, voulant lui montrer « sa grâce et amour par
vray effet », répond pour lui d'une somme de 30,000 doubles'*.
Tous les historiens sont d'accord pour placer le lieu de la ren-
contre aux environs de Najera, à l'est de cette petite ville que baigne
le rio Najerilla, c'est-à-dire sur la rive droite de ce fleuve. Le chro-
niqueur castillan Ayala, témoin de tout premier ordre, puisqu'il
assista à la bataille, dit que don Henri de Trastamara avkit établi
son camp entre Najera et la Najerilla, afin de laisser cet obstacle
naturel entre son armée et les troupes anglaises qui devaient arriver
par la route de Logroûo et de Navarette, en direction de Burgos^.
La tête de pont de Najera était une position stratégique excellente,
un soHde point d'appui pour qui voulait couvrir Burgos, de même
que tenir le pont de Logrono sur l'Èbre était pour les Anglais une
nécessité impérieuse. L'Èbre servait de frontière entre la Navarre et
la Castille*', et l'occupation du pont « du Groing « permettait une
de Nangis, de 1113 à 1300., avec les conlimiations de cette chronique, de
1300 à 1368, édition Géraud, Société de ruistoire de France (1843), t. II,
p. 372, n. 1 : « 11 s'agit de la bataille de Najara ou Navarette. »
1. Province et district judiciaire de Logrono, à onze kilomètres de Logrono.
2. Province de Logrono. C'est la localité que les Grandes Chroniques
de France appellent Saint-Domingue [Chronique des règnes de Jean H et de
Charles V. édition Delachenal, Soc. Hist. de France, t. Il (1916), p. 30).
3. Clironique de Bertrand Du Guesclin par €uvelier, édition Charrière,
V. 2075 :
« Comment ;\ N.idres fu pris ellorcccment
Et menez ;\ Bordeaux ou il fu longuement.»
4. Lettre de Du Guesclin (Arch. nat., J 381), du 17 décembre 1367, publiée
par Charrière, Curelier, Piàcvs juslif. n" XIV, t. II, p. 402 : « Comme noble
prince Edouard, ainsné (ilz du roy d'Angleterre, prince d'Aquitaine et de Galles,
auquel nous sommes prisonnier de la bataille qui nagaire fu devant Nazares
ou royaume de Castelle et encores nous délient en ses prisons. »
5. Cronicas de los reyes de CastUla don Pedro, etc., p. 449 : « É puso su
real aquende la villa (Najara), en tal guisa que el rio Najarilla eslaba entre su
Real é el camino por do el rey don Pedro é el Principe avian de venir à pasar
à Rioja, é tomar su camino para Burgos. »
6. Froissart, édition Luce, t. VII, p. 28 : « S'en vinrent passer la rivière
42 MÉLiNGES ET DOCUMENTS.
retraite par les chemins et défilés difficiles de la Navarre. L'impor-
tance de ces défilés n'avait pas échappé à un capitaine avisé comme
l'était Arnoul d'Audrehem, maréchal de France, qui avait, en com-
pagnie de Du Guesclin, amené les renforts français et les Grandes
Compagnies au secours de don Henri. Il avait conseillé à don Henri
de les occuper solidement. « Se vous volés croire mon conseil » —
c'est Froissart qui lui prête ces paroles' — « vous les desconfiriés
tous (les Anglais) sans ja cop férir ; car, se vous faisiés tant seule-
ment garder les destrois et les passages, par quoi pourveances ne leur
puissent venir, vous les affameriés et desconfiriés par ce point, et
retourroient en leur pays sans arroy et sans ordenance, et lors les
ariés vous a vostre volenté. »
Mais don Henri, courageux certes, mais impulsif, et entêté,
négligea d'écouter la voix du bon sens, pas plus qu'il ne céda aux
objurgations pressantes de ceux qui lui déconseillèrent d'abandonner
la bonne position qu'il tenait à Najera pour porter son camp sur la
rive droite du rio Najerilla. Il était en effet fort imprudent de se
mettre à dos une rivière large de plus de cent mètres et que des
crues soudaines pouvaient grossir, à une époque surtout où un corps
de pontonniers exercés ne suivait pas les armées en campagne. Don
Henri, voulant à tout prix se mesurer avec l'ennemi en rase cam-
pagne, préféra se démunir des avantages que lui offrait la configura-
tion du terrain. Le geste était crâne, digne d'un féodal aventureux,
fréquentant les tournois et les champs clos, mais la suite prouva
qu'il avait agi en mauvais tacticien 2.
« Il s'entêta dans son idée et un faux point d'honneur lui inspira
une bien fâcheuse détermination. Abandonnant la rive gauche du
Najerilla, il prit position sur la rive opposée, à l'extrémité de la
huerta, de Najera, à l'entrée de la courte plaine, par où devaient
arriver don Pedre et ses aUiés^ » Est-ce bien là que don Henri
avait décidé de prendre position? Il y a tout lieu de supposer qu'il
fut devancé par les événements, par la marche rapide du Prince
Noir, qui avait levé son camp de Navarette. Le chroniqueur Ayala
(l'Èbre) qui départ Navare et Castille au pont dou Groing. » Ckronographia
Rerjum Franconim, t. II, p. 328; Chronique normande du XIV siècle,
p. 183.
1. Édit. Luce, t. VII, p. 26.
2. Ayala, p. 453-454 : « E desto peso â muchos de los que con él estaban,
ca tenian priineto su real à mayor ventaja que despues le asentaron; pero el
roy don Enrique era orne de muy grand corazon, é de muy grand esfuerzo, é
dixo que en todas guisas queria poner la batalla en plaza llana, sin aventaja
alguna. »
3. Delachenal, op. cil., p. 400.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 43
nous dit, en effet, que don Henri avait choisi tout d'abord comme
emplacement de combat un grand terrain avoisinant Navarette',
barrant ainsi la route de Pampelune à Burgos. Mais il n'eut sans
doute pas le temps de réaliser son plan, qui consistait à se porter
en avant au nord-est de Najera, jusqu'aux abords de Navarette.
Oar il dut être averti par ses patrouilleurs que l'armée anglaise
s'était mise en marche le 3 avril au matin. Par suite, le terrain
primitivement choisi pour une rencontre dut être abandonné.
L'armée castillane s'arrêta devant le rio Yalde, affluent de droite
du Najerilla, qui, après avoir arrosé les petites localités de Manjarres
et d'Aleson et avant de se jeter dans le Najerilla, en aval de Najera,
passe à quelques kilomètres de Najera et coupe la route allant de
cette ville à Navarette. Mais elle dut opérer un mouvement de con-
version. Oar l'armée anglaise — c'est Froissart qui nous l'apprend^
— avait dessiné un mouvement enveloppant et déboucha dans la
plaine de Najera par le sud-est, déjouant ainsi les calculs de don
Henri qui l'attendait au nord-est sur la route de Navarette. Nous
croyons pouvoir établir que la bataille a eu heu au sud-est de
Najera, près de Bezarès^. Cette petite localité est située à huit kilo-
mètres à vol d'oiseau de Najera et à onze de Navarette, au pied de
la sierra de Cameros et à l'extrémité de la plaine qui s'étend entre le
rio Najerilla et le rio Yalde * . Si l'on examine une carte de la province
de Logrono^, on s'aperçoit que cette plaine cesse à partir de Bezarès
pour faire place à des ondulations de plus en plus importantes à
mesure que l'on s'avance vers l'est et vers le sud. Le terrain où les
1. Ayala, p. 453 : « É ovo su acuerdo de pasar el rio, é poner la batalla en
una grand pUâza que es conlra Navarrete, por dô los otros venian, é fizolo
asi. 1
2. Froissart, t. VII, p. 282, ms. d'Amiens : « Si vous di qu'il ne prissent
mies adonc le plus droit chemin pour venir sus le roy Henry, mes chevau-
chierent a le droite main en tournant une grande montagne et le passèrent et
puis descendirent en ung val. Ja estoil grans jours et solaus levés moult biaux
et moult clers. »
3. Diccionario geogrnfico postal de Espana (Madrid, 1880) : « Villa con
ayuntamiento, Juzgado Najera, Provincia Logroiïo. » Au recensement de 1876,
cette localité n'avait que 132 habitants.
4. Gran Diccionario geografico estadistico e hislorico de Espana. Barce-
lone, 1889.
5. Notamment la carte au 1/200,000% publiée en 1868 par d. Francisco
Coello. Outre la carte du 1/200,000' de rÊtat-major espagnol, on peut consulter
l'Atlas d'Espagne de D. Tomds Lôpez, notamment la carte' intitulée : Castila
la Viejà, parlidos de Santo Domingo de la Calzada y de Logrono correspon-
denties à la prov. de Burgos, 1787, 1/280,000°. Sur la carte de France dressée
au dépôt des fortifications (feuille XIII, 1/500,000*), la localité de Bezarès est
appelée Pezarès.
44 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
forces anglaises et castillanes se sont heurtées est compris dans ce
triangle isocèle, dont la ville de Najera est le sommet, dont les rios
Najerilla et Yalde sont les côtés. Bezarès est sur la base. Comme
l'écrit le dernier historien qui a visité le champ de bataille, ce terrain
est plat et découvert, ainsi qu'il convenait pour une rencontre en
champ clos, mais le sol se relève rapidement, et de tous les côtés des
montagnes Umitent l'horizon; au sud et à l'ouest, les hautes sierras,
séparant l'un de l'autre les bassins de l'Èbre et du Douro et dont
quelques cimes montent à plus de deux mille mètres ; au nord et à
lest, les dernières ramifications des Pyrénées, couvrant la Navarre
méridionale; à l'ouest, dans la direction de Najera, les coHines ron-
gées par les eaux, de forme et de coloration si originales, au pied
desquelles s'allonge la petite ville, blottie entre la rivière et les
falaises à pic, qui, aux rayons du soleil, s'embrasent comme les
rochers rouges de l'Esterel * . '
Si je crois pouvoir affirmer que la bataille de Najera devrait, à
dire vrai, s'appeler bataille de Bezarès, c'est que deux chroniques
anglaises sont seules à fournir un détail très précis qui, jusqu'ici,
n'a pas attiré l'attention et qu'aucun historien n'a songé à utiliser.
Le chroniqueur John de Reading, moine à Westminster, qui a cori-
tinué l'œuvre de maître Adam de Murimuth de 1346 à 1367 et qui,
comme son prédécesseur, a composé d'après des sources et des rela-
tions officielles 2, raconte que don Henri rencontra l'armée anglaise
dans la plaine de Priazers, « in campo Priazers, super ripam
Nazers^ ». La même mention, plus explicite encore, se retrouve
dans la plus ancienne chronique en prose de moyen anglais que
nous possédions actuellement, The Brut or the Chronicles of
England^ : « L'an de nostre seigneur MCCCLXVII et du roi
1. Delachenal, op. cit., p. 402.
2. Cette chronique vient d'être récemment mise au jour et éditée, en 1914,
par M. James Tait, d'après un ms. du Brilish Muséum (Cotton, Cleopatra A,
XVI).
3. Chronica Johannis de Reading et anonymi Cantuariensis, édition Tait,
p. 182 : « Oui [principi] dominas Henricus inlrusor in campo Priazers super
ripam Nazers, cura gente ac equis impenetrabiliter armatis..., superbus et
audax, quasi de Victoria securus, contra consilium in armis ac rébus bellicis
instructorum occurrit pompose. » M. Tait lit dans le manuscrit Priazers ou
Prazers.
4. Friedrich Brie, Geschichte uvd Quellen der mittelenglischen Prosnchro-
nik the Brute of England oder The Ch)-onicles of England (Marburg, 1905).
Le « Brut » original est une compilation en dialecte anglo-normand tirée de
Wace et de Gaimar, qui s'arrête à la conquête normande, entre 106G et 1100.
Des auteurs anonymes l'ont successivement continuée en français jusqu'à 1333,
peut-être même jusqu'à la mort d'Edouard III, et ce n'est qu'à la lin du
xiV siècle, vers 1380, que l'ouvrage entier fut traduit en anglais.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 45
Edouard XLII, le troisième jour d'avril, il y eut une forte et grande
bataille dans une large pleine qui entoure Pryazers, tout près de
l'eau de Najera^ » Les renseignements donnés par la chronique en
moyen anglais sont bien plus précis que ceux du chroniqueur de
Westminster. Le dernier éditeur de la chronique de Brut estime que
l'auteur anonyme de la première continuation, qui s'étend de 1333
à 1377 ^ a utiUsé comme source principale, jusqu'à 1367, la chro-
nique du moine de Westminster, John de Reading. Cette assertion
n'est pas exacte. Il faut plutôt dire que Reading, qui écrivait en
latin, et son contemporain, qui écrivait en anglais, ont tous deux
tiré parti d'une source commune que nous n'avons plus. J'incli-
nerais volontiers à penser qu'il s'agit en l'espèce de la chronique de
William of Packinglon, malheureusement aujourd'hui perdue. Pac-
kington était un clerc qui accompagna le Prince Noir et qui faisait
partie de son conseil. A ce titre, il a dû disposer de relations offi-
cielles. Mais ce n'est là qu'une supposition. Ce qui est sûr, c'est que
deux chroniques anglaises connues ont eu une source commune,
dont la documentation était excellente puisqu'elles sont les seules à
situer d'une façon exacte le lieu de la rencontre entre le prince de
Galles et don Henri, à huit kilomètres au sud-est de Najera. La
bataille s'est livrée dans la plaine de « Pryazers » , que nobs pouvons
identifier avec la localité actuelle de Bezarès.
C'est à Bezarès, en effet, que finit la plaine de Najera, cette
« vega » propice à une rencontre en terrain plat. Là commencent
ces vallonnements qui permettent à une troupe aguerrie de se
défiler. L'armée anglaise, qui savait manœuvrer, profita de ces
accidents de terrain, si bien qu'elle resta longtemps inaperçue.
Archers anglais et frondeurs catalans se trouvèrent soudain nez à
nez. Froissart nous raconte, en effet, que, en descendant une petite
montagne, les Anglais aperçurent les troupes castillanes et qu'ils
commencèrent à se mettre en bataille, au pied de ce monticule, et
à « se traire en leurs batailles sus les camps ^ ». Il est probable que
1. The Brut or the Chronicles of England, édition Brie, Early English Texl
Society, original séries 136 (1908), part II, p. 320 : « Of the bataill of Spayne
bituene Prins Edward Hcrry the Bastard of Spayne. In the yer of our Lord
a M CGC LXVII & of Kyng Edward .XLII, the thrid day of aprill, her was strong
bataill & a grêle, in a large feld ydept Pryazers, fast by the water of Nazers
in Spayne. »
2. Et que M. Brie publie d'après un ms. de Cambridge (Corpus Christi Col-
lège, n° 174).
■ 3. Froissart, t. VII, p. 34 : « Et bien savoient li signeur ens es deux hos,
par le raport de leurs coureurs, que il se dévoient trouver. Si chevaucierent
ensi et cheminèrent tout le pas, li un contre l'autre... Et puierent li dis
princes et ses gens une petite montagne, et au descendre il perchurent tout cle-
46 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
l'armée anglaise déboucha sur le rio Yalde, à hauteur de Bezarès,
et c'est là qu'elle rencontra l'armée espagnole. Averti par ses
patrouilles que le Prince Noir avait opéré une marche sur son flanc
gauche, don Henri, qui attendait l'ennemi du côté d'Alesson, là où
le rio Yalde coupe la route de Pampelune à Burgos, remonta le rio
Yalde qui coule dans la direction sud-est-nord-ouest. Le Prince
Noir le manœuvra; il l'obligea à changer son dispositif de combat et
à accepter le sien. A coup sûr, il eût été plus sage que don Henri
attendît ses ennemis derrière le rio Najerilla, sur les falaises à pic
qui le dominent.
« Che samedi au matin », nous conte Proissart, « entre Nazres
et Navaret, fu la bataille grande, felenesce et horrible et moult y eut
de gens mis en grant meschief... on vei l'aiguë au quai desous
Nazres, rouge dou sanch des hommes et des chevaux qui là furent
mors et occis^. « A le lire, on croirait que le vieux chroniqueur a
assisté à la bataille, qu'il a entendu les trompettes crier « à l'arme »
ou les « araines » sonner le réveil et qu'il a encore devant les yeux
le spectacle grandiose de ces douze cents bannières qui flottaient au
vent et des armures qui i'eluisaient au soleil 3. Malheureusement, le
récit de Froissart, si vivant et si alerte, n'est pas celui d'un témoin
oculaire. Il rapporte ce qu'il a entendu dire « si com je l'oy depuis
recordet chiaus qui y furent ». Peu s'en est fallu d'ailleurs qu'il
prît part à l'action. Au début de l'année 1367, au moment où le
prince de Galles préparait son expédition, Froissart était à Bor-
deaux. Il suivit jusqu'à Dax le Prince Noir, qui jugea opportun de
le renvoyer en Angleterre auprès de sa mère, la reine Philippa, pour
des raisons que nous ne connaissons pas^ Ce voyage intempestif le
priva d'assister à cette rencontre, qui passa à l'époque comme un
très grand fait d'armes, une « apertise ». Plus tard, lorsqu'il écrivit
ses mémoires, Froissart interrogea les survivants de cette bataille
rement leurs ennemis qui venoient le chemin droitement vers yaus. Quant il
eurent tout avalé cette ditte montagne, il se traisent en leurs batailles sus les
camps, et se tinrent tout quoi. »
1. Froissart, t. VII, p. 38.
2. /dem, p. 46.
3. Idem, p. 34 : « Quant li solaus fu levés, c'estoit grant biautés de veoir
ces banieres venteler et ces armeures resplendir contre le soleil. » Idem,
p. 35 : « Si estoit ce grans solas a veoir et considérer les banieres, les pennons
et le noble armoierie qui là estoit. »
4. c Et avoie intention d'aller au voyage d'Espaigne avoec le prince de Galles
et les seigneurs qui au voyage furent; mais quant nous fusmes en la cité de
Dai, le prince me renvoya arrière en Angleterre devers madame sa mère ».
Idem, t. VU, p. iv.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 47
sanglante et, pour mieux se documenter, puisa ses sources dans les
auteurs, ses devanciers. Ainsi fut-il amené, et le plagiat était admis
à son époque, à mettre dans une prose excellente, qui fait encore
aujourd'hui nos délices, de mauvais vers, fruit des élucubrations
d'un rimailleur sans prétentions littéraires, monotones et ennuyeux
à coup sûr, mais, en dépit de leur remplissage, plus près de la vérité
historique.
Froissart s'est en effet largement inspiré d'une chronique riméetl,
« la Vie et les hauts faits d'armes du Prince Noir », poème historique
que le héraut d'armes de Jean Chandos, qui était Anglais, composa
vers 1385 et écrivit en français du Hainaut, c'est-à-dire en wallon 2.
A Najera, Jean Chandos, connétable d'Aquitaine, servait dans « la
bataille » du duc de Lancastre, frère du Prince Noir, qui se trouvait,
par suite du dispositif adopté, à l'avant-garde. Le héraut qui l'ac-
compagnait prit part à ces corps à corps furieux, où l'on se battit à
la lance, à l'épée, à la hache, à la dague, au couteau ^ Lorsqu'il
entreprit plus tard d'écrire ses souvenirs, il avait encore la vision
sinistre du champ de bataille, du nuage de poussière qui s'éleva de
la mêlée furieuse, de la pluie de flèches qui tombait sur les premiers
rangs ; il croyait entendre le cliquetis des lances entrechoquées et les
clameurs des combattants, « Guyenne S' Georges ou Castille San-
tiago ». Ce témoin oculaire, d'ailleurs plus rimeur que poète, est
sans doute esclave de ses rimes. Mais, en dépit des redites, des mots
inutiles, des chevilles, ses deux mille vers octôsyllabiques \ relatant
l'expédition du prince de Galles en Espagne, gardent encore la saveur
des vieilles rapsodies'*.
1. C'est l'opinion de Kervyn de Leltenhove (édition de Froissart), de Luce
dans son édition de Froissart, t. VII, p. iv, note, et celle également de Dela-
chenal, op. cit., p. 401, n. 4.
2. Romania, 1913, p. 125, compte-rendu de la nouvelle édition par Paul
Meyer.
3. Chronique des quatre premiers Valois (1327-1393), édition feuce, p. 179 :
« Car quant les Francoiz, Normans et Bretons ourent combatu des glaives, ilz
se combatirent des hasches. Qui la cheist, nient fust du relever. » Froissart,
t. VII, p. 285 : « Geste bataille fu durement aspre et fellenesse et bien comba-
tue de lances acérées, des haces, de dagbes, d'espées et de couliaux. >
4. Le vers octosyllabique était très en vogue dans les chroniques rimées au
temps de Philippe VI de Valois et de Jean le Bon. Delisle, Fragments d'un
poème historique du XIV' siècle {Bibliothèque de l'École des chartes, t. LX,
1899, p. 611-616).
5. La chroni<iue riraée du héraut de Jean Chandos a été publiée pour la pre-
mière fois par H. 0. Coxe pour le Roxburghe Club, en 1842 : The Black
Prince, an hislorical poem written in French, wiih a translation. Elle a été
réimprimée en 1883 par Francisque Michel : The life et feats of arvis of
Edward the Black Prince by Chandos herald, a metrical chronicle with an
48 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
C'est aussi un rapsode que Cuvelier, ce pauvre trouvère dont
nous parle Philippe de Mézières dans le Songe du vieil pèle-
rin, et qui. pour gagner sans doute sa vie, eut le courage de consa-
crer à la vie de Bertrand Du Guesclin un long poème de vingt-trois
mille vers dodécasyllabes, dont près de huit cents à la bataille de
Najera'. Ses laisses monorimes, très archaïques pour l'époque où
il composait, ont la prolixité d'un perpétuel refrain, la monotonie
d'une litanie si interminable que les auditeurs de la fm du xiv^ siècle
en ont eux-mêmes demandé un abrégé. Bien que l'auteur affirme
tenir ses renseignements des compagnons de Du Gue.sclin, il y a tel-
' lement d'erreurs chronologiques que la critique moderne est impuis-
sante à exhumer la vérité de cet extraordinaire roman d'aventures,
médiocre au point de vue poétique, plus médiocre encore au point
de vue historique. Pour ceux qui cherchent l'histoire vraie, ce sont
des travaux d'imagination qu'il faut délibérément laisser de côté —
Rabelais dira qu'ils sont baveux comme un pot à moutarde — ainsi
que le conseillait déjà à ses lecteurs le chroniqueur Jean le Bel dans
sa préface qui est une profession de foi : « Qui veut lire et ouir la
vraye histoire... si lise ce petit livre que j'ay commencé à faire et
laisse ung grant livre rimé que j'ay veu et leu, lequel aucun con-
trouveur a mis en rime par grandes faintes et bourdes controuvées,
duquel le commencement est tout faulx et plain de menchongnes...
Et de la en avant peut avoir assez de substance de vérité et assez de
bourdes, et si y a grant plenté de parolles controuvées et de redictes
pour embelir la rime, et grand foison de si grands proesses racon-
tées sur aucuns chevaliers et aucunes personnes qu'elles debveroient
sembler mal créables et ainsy comme impossibles. Par quoy telle
hystoire ainsi rymée par telz controuveurs pourroit sembler mal
plaisant et mal aggreable a gens de raison et d'entendement 2. »
Si le héraut Ohandos et Cuvelier ont été dominés par le souci de
la rime, le poète officiel du Prince Noir, qui a écrit en latin sur la
guerre de Najera ou plutôt sur la victoire de la guerre d'Espagne
remportée par trois confrères (le Prince Noir, le duc de Lancastre et
Pierre le Cruel) contre trois bâtards (don Henri, don Tello, don
english translation and notes. En 1910, Mildred Pope et EleanorLodge en ont
donné une édition définitive (Oxford Clarendon Press) : Life of the Black
Prince, by the Herald of Sir John Chandos, ediled from the manusa'ipt in
Worcester Collège, with linguislic and historical notes.
1. Chronique de Bertrand Du Guesclin par Cuvelier, trouvère du xiv siècle
(édition Cliarrière). Documents inédits (1839), 2 vol. La bataille de Najera
occupe les vers 11415 à 12192.
2. Chronique de Jean le Bel (édition Viard et Déprez), Soc. Hist. de
France, 1904, t. I, p. 1.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 49
Sanche) , a été asservi par la versification ^ . Chandos narrait ses souve-
nirs, comme un trouvère, dans une langue simple, naïve, mais claire.
Le panégyriste en titre de la cour du prince de Galles enveloppe ses
sources dans un style affecté et ampoulé, riche en jeux de mots 2,
plein d'allusions obscures et d'allégories parfois inintelligibles. Il vise
à l'effet, à l'élégance des mots, si bien que les renseignements précis
sont noyés dans le fatras des assonances et que la vérité disparaît
dans la fiction. C'est une œuvre médiocre, qui n'offre à l'historien
qu'une valeur très mince, mais qui a été très goûtée au moyen âge,
si appréciée qu'on la donnait comme modèle dans les écoles ou les
universités aux étudiants qui apprenaient à forger les distiques. Pour
nous, elle n'a qu'un intérêt historiographique. L'éditeur de ce poème^
l'attribue à un moine de Revesby dans le Lincolnshire, Walter de
Peterborough. Je veux bien, jusqu'à preuve du contraire, accepter
cette identification, au lieu de l'appeler W. Burgeys''. Le nom a
d'ailleurs peu d'importance. Ce que l'on n'a pas dit et ce qui vaut la
peine d'être signalé, c'est que ce moine semble avoir été sinon atta-
ché à la personne du Prince Noir, du moins avoir célébré, en latin,
les hauts faits d'armes du Prince que d'autres rimaient en français.
Dans la préface de son poème qu'il dédie à Jean de Marton, tréso-
rier de Jean de Gand, duc de Lancastre, il a bien soin d'indiquer
qu'il a jadis écrit pour le Prince Noir un poème sur la bataille de
Poitiers, poème dont il nous donne le titre « Theotocon », c'est-à-
dire le fils de Dieu. La victoire de Najera, sans avoir l'importance
de celle de Poitiers, attestait encore onze ans après 1356 la valeur
du Prince, commandant en chef, et la supériorité de l'armée anglaise
au point de vue de l'armement, de la valeur militaire et de l'unité
de commandement. Ce nouveau et brillant fait d'armes était une
1. « Incipit Victoria belli in Hispania. Explicit bellum Nasorense gestum, et
sic digestuin anno Domini M° CCC° LXVr, habens versus quingentos sexaginta,
per W. Burgensem. »
2. Ainsi la ville de Logrono, en français Le Groin, devient sous sa plume
« portum verrinum i, le port du « verrat ».
3. Thomas Wright, Political poems and songis relating to English History
composcd during the period froin tke accession of Edward III to that of
Ricard III, t. I, p. 95-122; publié sous le titre : Prince Edwards expédition
inlo Spain and the battle of Najara. Ce poème était déjà connu du temps de
Fabricius, t. IV, p. 566-567.
4. Dans le ms. de la BodJeienne à Oxford (Digby, n" 16G, fol. 97), le poème
est signé W. Burgensem. Thomas Wright, d'après une mention de la chronique
de Peterborough (British Muséum, Colton, Claudius A, 5), dit que W. Burgen-
sis et Wallerus de Burgo sont un seul et môme personnage. Je n'ai pu vérifier
cette assertion.
Rev. Histor. CXXXVI. 1" FASc. 4
50 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
aubaine poétique pour un moine qui passait ses nuits à se nourrir
d'Ovide pour la gloire et Ihonneur de l'Église*.
La chronique, en espagnol, d'Ayala est une source de premier
ordre^. Don Pedro Lopez de Ayala, après avoir été un partisan de
Pierre le Cruel, embrassa la cause de don' Henri de Trastamara.
Devenu chancelier de Castille de 1398 à 1407, il occupa les loisirs
que lui laissaient ses fonctions à écrire l'histoire des rois de Castille
et des événements auxquels il avait été mèlé^. Comme Froissart, il
écrivait après les événements ; aussi sa véracité et sa bonne foi ont-
elles été mises en doute''. Mais il avait l'avantage d'avoir été la plu-
part du temps un témoin oculaire, et, en ce qui concerne la bataille
de Najera, il est bien naturel qu'il nous en ait fait un récit circons-
tancié, plein de charme et de vie. On aime à conter les batailles aux-
quelles on a pris part, non pas seulement en témoin, mais en acteur,
et Ayala s'y est étendu d'autant plus volontiers qu'à Najera il por-
tait la bannière des chevaliers de l'Écharpe^, troupe d'élite recrutée
parmi les « ricos hombres » de Castille, qu'il eut la chance de sor-
tir indemne de la mêlée meurtrière, mais connut, comme Du Gues-
cHn, la mésaventure d'une captivité.
A côté des sources narratives : chroniques, anglaises et françaises,
chroniques rimées, poèmes, il y a une source diplomatique dont je
n'ai pas besoin de souligner l'importance et que j'ai eu la bonne for-
tune de trouver à Londres, au Public Record Office^. C'est un
document émané du Prince Noir, où le vainqueur de Najera fait lui-
1. ' « Principe pro nostro scripsi quondam Theotecon
In Pictavensi marte, poeta suus.
Ad decus ecclesiœ super Ovidium vigilavi
Jam duce pro nostro proque salute sua. »
2. Cronicas de los reyes de Castilla don Pedro, don Enriqne II, don
Juan I, don Enrique III, por D. Pedro Lopez de Ayala, chanciller mayor
de Castilla, con las enmiendas del Secretario Geronimo Zurita, y las correc-
ciones y notas anadUlas, por don Eugenio de Llaguno Amirola, t. I. Madrid
(1779). Réimprimé dans la Biblioteca de Autores Espanoles desde la forma-
don del lenguaje hasta nuestros dias, t. LXXVI, p. 393-629 (Madrid, Rivade-
neyra, 1875).
3. Schirrraacher, Geschichte von Spanien, 1890 (dans Geschichte der Euro-
pàischen Staaten] ; Fueter, Ayala und die Chronik Peters des Grausaynen
(Mittheilungen des Instituts fUr ôsterreichische Geschichtsforschungen,
t. XXVI, 1905).
4. Don Rafaël de Floranes, Vida literaria del canciller mayor de Castilla
d. Pedro Lopez de Ayala (CoUecciôn de documentes inédites para la historia
de Espafia, 1851-1852, t. XIX et XX).
5. « El pendén de la erden de la Banda. »
6. Ancient Correspondance, vol. XLII, n° 33. Minute sur papier.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 51
même le récit de la bataille. Il a la saveur d'une lettre familière et
l'éloquente simplicité d'un communiqué.
Le lundi 5 avril 1367, deux jours après la bataille, alors qu'il
chevauchait vers Burgos à la tète de son armée victorieuse, avant de
faire halte à BrivescaS comme nous le disent Froissart^ et le héraut
Chandos^, le prince de Galles adressa à la princesse, qui se trouvait
sans doute à Bordeaux, la missive suivante :
Très cher et très entier coer, bien ame compaigne. Nous vous saluoms
de tut nostrecoer desiraunt etc. Très chère compaigne, quant as noveles
voilliez savoir qe auxint avint le secounde jour d'aprill esteioms logiez
sur les chaumps près de Naverres et illoesques avoms novelles qe le
Bastard de Spaigne ove tut son host estoit logie a dieux lieux de nous
sur la ryvere de Nazare et lendemayn, c'est assavoir bien matyn, nous
nous deslogeames pur aler dever luy et y envoisames nos scoverours
devant pur savoir Testât du dit Bastard, les queux nous reporterount
qil avoit pris sa place et armes ses batailles en un bel lieu pur nous
attendre, et tantost nous nous mesmes en ordinaunce de luy combatre
esteiantz tant par la volunte et grâce de Dieux qe le dit Bastard et touz
les sens furent desconfitz. Regraciez soit nostre seignur; et en furent
mortz en tut cynk ou sys mille des combataunz et y furent tut pleyn
des prisoners des queux nous ne savoms mye les nouns a présent, mes
entre aultres estoient pris Done Senche frère de dit Bastard, le counte
de Domee, monseignur Bertram Claykyn, le marchai d'Oudenham,
monseignur Johan Romery, monseignur Johan de Neville, le con[te]
Craundoun, le Beek de Villains, S[imon] Charilhel, le mestre Seynt
Jame, le mestre Saint Johan et plusours chastelains que nous ne
savoms nomer jesqes a dieux mille prisoners des [gens] d'estat; et le
Bastard mesmes nous ne savoms quant a présent sil estoit pris mort
ou fuy. Et après le dit journe nous nous logeamez a soir en logges
de dit Bastard et en ses tentes mesmes ou nous esteioms mieulz esez
qe nous ne fuissoms de qatre jours ou cynk devan[i], et y demorasmes
lendemayn tut le jour et, le lundy, cest assavoir le jour de la fesaunce
de cestes, nous nous deslogeamez et prismes n[ostre] chemyn avaunt
dever Burges et ensy avaunt en bon complisement de nostre dit viage,
ove l'aide de Dieu; et voilliez savoir, très cher compaigne, qe nous,
nostre frère de Lancastre et touz les gens d'estat de nostre host sount
1. A quarante-sept kilomètres nord-est de Burgos.
2. Froissaj-t, édition Luce, t. VII, p. 51 : « Et le lundi après boire, il (le
Prince Noir) se deslogea et toutes ses gens, et s'en vinrent ce Jour logier a
Barbesque. Si y furent jusques au merkedi que il s'en vinrent tout devant
Burghes ».
3. Life of the Black Prince, v. 3596 : \
« Et li très noble Prince de pris
S'en vint à Benesques logier. »
52 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
en bon poynt, dieu mercy, fors seulement monseignur Johan Ferrers,
qi moult ad combatu. Par quel, très cher compaigne, etc.
La lettre du Prince Noir a été connue en Angleterre. Des copies
ont dû être affichées à la porte des églises, comme des communiqués' .
Le moine anonyme qui a' composé la chronique de Cantorbéry (1346-
1367) et qui écrivit en 1367, alors que le Prince et don Pedro
étaient encore à Burgos, s'est servi de ce document officiel^. Au lieu
de l'insérer in extenso dans sa Chronique, comme l'auraient fait
Adam de Murimuth, le chanoine de Saint-Paul de Londres ou
Robert d'Avebury, garde des archives archiépiscopales de Cantor-
béry, il l'a analysé et l'on reconnaît dans la traduction latine les
termes et les phrases mêmes de l'original français^. La confrontation
des deux textes ne laisse aucun doute : même chiffre de morts,
même chiffre de prisonniers ^
Le message du Prince Noir débute par un salut très affectueux
qu'on serait tenté, au premier abord, de considérer comme de pure
convention, conforme à la stricte étiquette d'un formulaire de chan-
cellerie^. Mais cette affection semble toute naturelle quand on songe
que le Prince Noir, en épousant la comtesse Jeanne de Kent, sa cou-
sine, veuve en premières noces du comte Thomas Holland, avait fait
1. La lettre du Prince Noir a été adressée sans doute à plusieurs destina-
taires, au roi, au chancelier. Pour chaque destinataire, on changeait l'adresse
et le salut. Nous avons conservé la minute de l'exemplaire adressé à la prin-
cesse.
2. Chronica Johannis de Reading et anonymi Cantuariensis (13i6-1367),
edited witli introduction and notes, by James Tait (Manchester, University
Press, 1914), p. 224 : « Et post haec princeps ipse cum rege Ispanie iter silum
arripuit versus Burges, ubi ad invicem nunc morantur. »
3. « Ex parte dicti principis exploratoribus et insidiatoribus belli praemis-
sis, secundo die aprilis eidem principi juxta Nâverete in Ispania, ubi tentoria
sua fixerat, venerunt nova quod idem Bastardus cum exercitu suo fere per duo
miliaria a dicto principe super ripam de Nazare, directis belli sui aciebus, pla-
ceara ceperant ad pugnandum ibidem, dictum principem expectando et in
crastino ipse movebat se cum armata potentia ad debellandum Bastardum
eundem. »
4. « Nomina dominorum et comitum captivorum in bello de Nasers in Ispa-
nia : et alii ad suramam m' m' et amplius bonarum gentium. » — « Mortui in
bello de Nasers : et alii usque ad numerum quinque m' vel vi millium bonarum
gentium armalarum », Idem, p. 226.
5. Dans la chancellerie anglaise du xiv siècle, la formule usitée par le roi
dans les lettres à la reine est « très doux cœur » et au protocole final < douz
cuer. Dieu soit gardein de vous ». Voir, à cet égard, la lettre missive que
Edouard 111 adressait de Grand-Champ, près de Vannes, le 25 novembre 1342,
à la reine Philippa pour lui annoncer la mort de Robert d'Artois et que j'ai
publiée dans la Revue historique, t. XCIV (1907), p. 65.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 53
un mariage d'amour, mariage que son père Edouard III avait,
paraît-il, désapprouvé, et qui avait déplu aux barons ' , car c'était une
femme « soubtille et pleine d'aguet^ ». Le Prince Noir, fier de sa
victoire, envoie à son épouse, sans doute inquiète, la bonne nou-
velle. A défaut de Froissart, d'Ayala, de la chronique rimée du
héraut Chandos, cette seule lettre, qui est un communiqué de vic-
toire, nous permettrait de situer la bataille et de saisir les conditions
dans lesquelles elle s'est livrée.
Le 2 avril, l'armée anglaise était campée près de Navarette au
repos sous les oliviers. Le Prince apprit que l'armée ennemie com-
mandée par don Henri de Trastamara — désigné communément
sous le nom de bâtard d'Espagne — et concentrée à deux lieues
au sud-ouest, avait dressé ses tentes au milieu des bruyères devant
Najera^. Le samedi 3 avril, veille du dimanche de la Passion, qui
était pour les Anglais la fête de saint Richard, évêque de Chiches-
ter^ avant l'aube, le prince leva le camp après avoir envoyé au
préalable une patrouille pour prendre contact avec l'ennemi et con-
naître son dispositif de combat. Les éclaireurs rendirent compte que
don Henri avait pris position sur un beau terrain, qu'il avait armé
ses batailles, c'est-à-dire placé ses unités, et qu'il attendait la ren-
contre. C'est alors que le Prince fît prendre à l'armée anglaise sa
formation de combat, après quoi l'on en vint aux mains.
Le Prince, dans sa hâte d'annoncer la victoire, a négligé de don-
ner de plus amples détails sur les péripéties dune lutte acharnée qui
dura Jusqu'au soir. Il s'est borné à enregistrer les résultats essen-
tiels; cinq à six mille morts et deux mille prisonniers. D'ailleurs,
à l'heure où il écrit, les prisonniers n'avaient pas encore été dénom-
brés, car il y en avait « tout plein », et l'identification n'était pas
rapide. Après un coup de filet tel que celui de Najera où, pour nous
servir de l'expression du chroniqueur des quatre premiers Valois^,
1. Jeanne de Kent était fille d'Edmond de Woodstock, comte de Kent, fils
d'Edouard I". Le mariage fut célébré à Windsor, le 10 octobre 1361, après que
le pape eut accordé la dispense (Rymer, t. III, p. 626). Le Prince Noir avait en
outre été le parrain des deux fils de la comtesse. L'archevêque de Cantorbéry
déclara bénir l'union contre sa conscience, parce que contraint {Chronicon
anonymi Cantuariensis, édition Tait, p. 213).
2. Chronique des quatre premiers Valois, édition Luce (Soc. Hist. de
France), p. 124.
3. Froissart, t. VII, p. 31 et 279 : « Cil coureur ... veirent l'ost entièrement
des Espagnolz qui estoient logiet ens es bruieres devant Nazres. »
4. Chronicon anomjmi Cantuariensis (édition Tait), p. 224. Mort en 12^3,
Richard avait été canonisé le 3 avril 1262.
5. Chronique des quatre premiers Valois (1327-1393), édition Luce (Soc,
Hist. de France), p. 180.
54 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
les Franco-Bretons, luttant en désespérés, avaient été « avironnéz de
toutes parts comme les oiseaulx entre les raseurs* », la cohue est
parquée avant de subir l'interrogatoire de rigueur. Deux jours après
la bataille, et il n'y a là rien de surprenant, les listes définitives
n'avaient pas été établies. Elles le furent plus tard, avec une origine
officielle ou demi -officielle^, telles qu'on les trouve dans le moine
anonyme de Cantorbéry^, dans John de Reading\ dans Ayala^ ou
dans la chronique que le neveu du cardinal Gilles Albojnoz, ancien
professeur de droit canonique à l'Université de Bologne, a inscrite
en tête d'un exemplaire du Décret de Gratien que ses élèves lui
avaient offert à son départ de Bologne*.
Au lendemain de la bataille, le Prince Noir, ne pouvant adresser
à Londres la liste complète des prisonniers « des queux nous ne
savons mye les nouns » , s'était contenté de dresser l'état des person-
nages de marque qui avaient été capturés. « Mes entre aultres estoient
pris don Sanche, frère de don Henri^, le comte de Denia^, Du Gues-
clin, le maréchal d'Audrehem, Jean Romery ', Jean de Neuville'", Le
Bègue de Villaines'* et les maîtres des ordres militaires. »
Il est regrettable que le Prince Noir n'ait pas soufflé mot des pertes
anglaises qui furent certainement plus sérieuses que celles dont parle
Froissart'^ dans sa première rédaction et qu'il rectifia dans sa
1. C'est ce que dit également la Chronique normande du XIV' siècle, édition
Emile et Auguste Molinier (Soc. Hist. de France), p. 184 : « La furent Fran-
çois enclos de toutes parts. Car moult estoit petite quantité au regard du grant
est que le prince avoit. »
2. Comme le fait justement observer M. Tait, dans son édition de Reading,
p. 371.
3. Édition Tait, p. 225-227.
4. Idetn, p. 183-184.
5. Ayala, op. cit., p. 456-457.
6. Cette chronique a été éditée, d'après un ms. des archives du chapitre de
Tolède, par Moisant : le Prince Noir en Aquitaine, appendice III, p. 276. Fer-
dinand Alvarez d'Albornoz, doyen de l'église de Valladolid, puis archevêque de
Séville, nous a laissé une liste des prisonniers espagnols.
7. Don Sanche, comte d'Albuquerque. Cf. Chandos, édition Michel, p. 365.
8. Don Alfonso, comte de Dénia, marquis de Villena, cousin germain du roi
d'Aragon. Cf. Chatidos, édition Michel, p. 365; édition de Lodge, p. 247.
9. C'est sans doute Le Remerik donné comme prisonnier par le chroniqueur
John de Reading et que M. Tait {op. cit., p. 184) identifie avec Juan Ramirez
de Arellano, cité par Ayala. /
10. Il était le neveu du maréchal d'Audrehem. Cf. Molinier, op. cit.
11. Pierre de Villaines, dit Le Bègue de Villaines, sénéchal de Carcassonne de
1360 à 1362, prit part, «n 1362, à la guerre de Normandie. Cf. Chandos, édi-
tion Michel, p. 365.
12. Édition Luce, t. VII, p. 48. D'après Froissart, les Anglais 'perdirent quatre
chevaliers, dont deux gascons, un anglais et un allemand, vingt archers et
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 55
seconde'. Il annonce seulement l'accident survenu à un vaillant
guerrier^ John Ferrers, qui fut mortellement blessé en poursuivant
les fuyards et qui ne survécut pas à ses blessures^.
Le soir de la bataille de Najera, l'armée anglaise vint occuper le
camp ennemi. Le Prince Noir s'installa dans la tente même de don
Henri et il avoue s'y être trouvé mieux à Taise que quatre ou cinq
jours auparavant, du côté de Logroiio et de Navarette^ Il est pro-
bable que l'armée espagnole laissa des victuailles que les archers
anglais apprécièrent, car les approvisionnements commençaient à
manquer et le pain coûtait très cher-^. Le dimanche 4 avril, jour de
Pâques, l'armée anglaise goûta un repos bien gagnée et le lundi 5
elle se mit en marche en direction de Burgos, l'ancienne capitale de
la vieille Castille, où l'on sacrait les rois.
Deux jours après la bataille, on était encore sans nouvelles de don
Henri. Nul ne pouvait dire s'il était mort, s'il avait été fait prison-
nier, s'il avait fui''. Don Pèdre était très inquiet. Déjà, en pleine
mêlée, on l'avait vu, rouge de colère, chercher dans les rangs ce
frère adultérin que son père, Alphonse XI, avait eu de dona Leo-
quarante soldats. La Chronique du monastère de Meaux (de Melsa), Rolls
Séries III, p. 159, dit que les Anglais ne perdirent que trois hommes.
1. Froissart, t. VII, p. 289 : « Car si grosse bataille que ceste fu ne puet
raie estre outrée a si petis frès qu'il n'en y ait mors otant bien de chiaui qui
le place obtiennent, que des descomfts, quoyque li victore leur demeure. »
2. Édition Moranvillé (Soc. Hist. de France), 1893, t. II, p. 329.
3. « Validus bellator », Reading, p. 183; Froissart, t. VII, p. 48 et 289, « ungs
bons chevaliers qui s'appelloit li sires de Ferrieres »; Ghandos, édition Lodge,
V. 3420 :
1 Auxi de la part des Englois
Morut uns chevaliers par fetz
Ce fut li seignours de Ferrieres. »
4. Froissart, t. VII, p. 48 : « Li princes et ses gens se avalèrent ens es logeis
le dit roy Henry et des Espagnolz. Si s'espardirent par ordenance tout partout
et se logierent bien et aisieinent, car li dit logeis estoient grant et estendut
et moult i trouvèrent de bonnes pourveances, dont il avoient eu grant souf-
freté. ... Si se tinrent là ce samedi, dou soir, tout aise. Bien trouvèrent de
quoi, vins et viandes, bien et plentiveusement et s'i rafreschirent. »
5. Froissart, t. VII, p. 27 : « Et sachiés que li princes de Galles et leurs
gens estoient en grand defaute de vivres et de pourveances pour yaus et pour
leurs chevaus', car il logoient en moult mauvais pays et magre... Si vendoit
on en l'ost dou prince un pain un llorin, encores tout ewireus qui avoir le
povoit. » Idem, p. 28 : « Mes trop avoient grand déliante de vivres. » Idem,
p. 32 : « Si se tinrent li Espagnol ce soir tout aise, et bien avoient de quoi, de
tous vivres très largement ; et li Englès en avoient très grant defaute. »
6. Froissart, t. VII, p. 51 : « Ce dimence, tout le jour, se tint li princes
ens es logeis que il avoit trouvés et conquis et le lundi apriès boire, il se des-
loga. » Idem, p. 48 : u Et le dimence, tout le jour, qui fu li Paske florie. »
7. Le 15 avril, don Pèdre écrivait de Burgos au conseil et aux alcaldes de
56 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
nora de Guzmân, cet aîné de dix bâtards, « ce fils de putain ^ » qui
lui disputait le trône de Castille^, Mais il n'avait pu le reconnaître,
sans doute parce que don Henri de Trastamara^ avait eu la précau-
tion de dissimuler son « pennon » et qu'il était monté, peut-être,
sur cette mule « fort et rade, à l'usage dou pays », dont nous parle
Froissart*. Le soir du combat, il le cherchait encore parmi les
morts, explorant le terrain à la lueur des torches et des cierges,
relevant les visières des heaumes pour reconnaître ce frère maudit.
Quatre chevaliers et quatre hérauts d'armes qui avaient été chargés
de cette sinistre besogne ne furent pas plus heureux. Don Henri
n'était ni parmi les morts ni parmi les prisonniers. Craignant en
effet la vengeance de don Pèdre, qui aurait été implacable s'il était
tombé vivant entre ses mains ^, il avait fui à toute bride vers l' Ara-
gon, par la route de Soria, lorsque la débandade de ses troupes ne
lui laissait plus aucun espoir^. La fuite de don Henri ne réglait pas
la question de Castille. Le Prince, bien qu'il ne l'eût Jamais vu,
savait que don Henri était tenace, quoique vaincu, incapable de
,découragement, quoique détrôné. « Eh bien », demandait-il à ceux
qui avaient relevé les morts, « le bâtard est-il mort ou pris? » Et
comme la réponse était négative. « Alors », reprit-il, « tout esta
refaire'^ ».
La défaite de don Henri de Trastamara et des troupes franco-cas-
tillanes conscicra la renommée du Prince Noir qui, trois fois en trente
ans, à Crécy, à Poitiers, à Najera, avait mené les troupes anglaises
Marcie qu'il ne savait pas si son traître de frère était pris ou mort, « i el
traidor no sabemos si es preso o muerto ». Cette lettre, par laquelle don
Pèdre annonce sa victoire, mais qui ne renferme aucun détail précis, a été
publiée par Cascales : Diseur sos histôricos de la mui noble i mui leal ciudad
di Murcia, 1621, fol. 117 r°.
1. Froissa7-t, t. VII, p. 42 : « La estoit li rois dan Piètres, moult escaufés
et qui durement désiroit a trouver et a encontrer son frère le bastart Henri
et disoit : ou est cilz filz de putain qui s'appelle rois de Castille? »
2. Alphonse XI était mort le 27 mars 1350. De sa femme légitime, doîïa
Maria, infante de Portugal, il avait eu don Pèdre. Mérimée, Histoire de don
Pèdre, p. 39-40.
3. Rodrigo II Alvarez de Asturias, seigneur de Noreiïa et de Trastamara,
avait adopté don Henri et fait de lui son héritier. De là le surnom de Henri
de Trastamara.
4. Froissart, t. VII, p. 33.
5. Idem, t. VII, p. 289 : « Car bien savoit, s'il estoit pris, qu'il seroit mors
sans merchy et sans remède, ne li rois dans Pierres, ses frères, n'aroit nulle
pitié de lui. »
6. Un chroniqueur dit qu'il fut blessé à la hanche par une flèche. Historia
Anglicana, édition Riley, t. I, p. 303.
7. Ayala, Adiciones, p. 578.
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 57
à la victoire et prouvé sa supériorité incontestable'. Les Anglais,
tout naturellement, les Allemands, les Flamands, les Wallons
disaient bien haut qu'il était taillé pour gouverner le monde. Frois-
sart s'est fait l'écho du prestige qui auréolait le nom du grand
triomphateur. « Si en fu li dis princes renommés et honnourés de
bonne chevalerie et de haute emprise, en tous les lieus et marces
où on en ooit parler, et par especial en l'empire d'Alemagne et ou
royaume d'Engleterre. Et disoient li Alemant, li Thiois, li Flamant
et li Englès, que li princes de Galles estoit la fleur de toute la che-
valerie dou monde, et que uns telz princes estoit dignes et tailliés de
gouverner tout le monde, quant par sa proèce il avoit eu trois si
hautes journées et si notables : la première à Creci en Ponlieu, la
seconde, dix ans apriès, à Poitiers; et la tierce, ossi dix ans apriès,
en Espagne, devant la cité de Nazres^. » Crécy, Poitiers, Najera
étaient en effet trois mémorables journées. On comprend que les
bourgeois de la cité de Londres aient pavoisé en signe de liesse
lorsque leur parvint l'annonce de la dernière victoire ^ gagnée non
par le nombre, mais par la force''.
La bataille de Najera était une victoire anglaise et une défaite
espagnole. Ce n'était pas une défaite française. Les Espagnols
avaient lâché pied. Les Français avaient tenu. Le vieux maréchal
Arnould d'Audrehem connaissait pour l'avoir éprouvée la résistance
de ses adversaires et il avait prévenu don Henri. « Ce sont droites
gens d'armes et lis trouverez durs, sages et bien combatans, ne ja
pour morir, plain piet ne fuiront^. » Les contingents français, mal-
gré la force de leurs bras et le rempart de leurs poitrines ^ furent
écrasés parce qu'ils se trouvèrent seuls et qu'un tir précis et dru des
archers', un tir de flanc, faucha leurs rangs serrés. C'est ce qu'é-
crit d'une façon lumineuse le chroniqueur des quatre premiers
1. Froissart, t. VII, p. 11 : Il avait « le grasce, l'eur et le fortune d'armes
plus que nulz princes aujourd'ui. »
2. Idem, t. VII, p. 53.
3. 7de?rt, t. VII, p. 53 : « Si en fisent en le cité de Londres, en Engleterrc,
11 bourgeois de la ditte ville le solennité toute sus, pour ^D victore et le
triumphe, ensi que anciennement on faisoit pour les rois qui avoient obtenu
place et desconfis leurs ennemis. »
4. Reading, p. 223 : « Princeps advertens quod non in multitudine exercitus,
sed in Dei fortitudine Victoria belli consistit. »
5. Froissart, t. VII, p. 26.
6. Idem, p. 284 : « Et puis boutoient par forche de bras et de poitrinnes, et
se tenoient si serré qu'il ne pooient entrer li uns en l'autre. »
7. Froissart, t. VII, p. 287 : « Ossi il avoient archer granl fuisson qui
traioient si ouniement et si espcssement que nulx ne s'osoit mettre ne bouter
en leur trait, se il ne voloit estre mors davantaige. »
58 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Valois* : « Mais trop greva les diz Françiz une bataille d'archiers
d'Angleterre, bien trois mille et plus, qui traioient de travers leur
bataille sur eulx tant asprement que a pou qu'ilz ne veoient goûte.
Claykin comme preux fu desconfiz par la defaulte des Espaingnolz
qui s'enfuirent. Maiz ce n'estoit pas partie égal. » En vain, DuGues-
clin, sentant les Espagnols fléchir, cria-t-il « que nul pour paour ne
vousist fuir » , en vain exhorta-t-il les caballeros à descendre de leurs
coursiers richement carapaçonnés pour combattre à pied^ au lieu de
caracoler comme dans un tournoi. Dans cette armée disparate,
l'unité de commandement n'existait pas et on ne l'écouta pas, pas
plus qu'on ne^'avait écouté lorsqu'il avait, paraît-il, déconseillé, en
chef prudent, d'engager le combat'. Froissart a bien montré que,
si les Espagnols avaient fait, comme les Franco-Bretons, leur devoir,
les Anglo-Gascons n'auraient pas si facilement triomphé"*.
Dans cette rencontre où venaient de s'affirmer une fois de plus,
du côté anglais, l'unité de commandement et la supériorité de l'ar-
mement, les meilleurs chefs français étaient prisonniers; le maré-
chal d'Audrehem, ce vieux guerrier sexagénaire^, fidèle et intègre,
noble de race et de cœur, qui, comme l'écrit Charles V lui-même,
avait accompli de nobles actions qui lui assuraient la gloire et les
louanges de la postérité et s'était exposé plus d'une fois à la mort
pour le bien de l'État ^ et surtout Du Guesclin, le fameux Ber-
trand', dont le prénom est déjà inscrit en grande capitale dans un
manuscrit du xiv^ siècle^, figure sympathique et séduisante, cet
ennemi de tout repos qui préférait la guerre à la paix® et personni-
fiait la France armée. La captivité de Du Guesclin et d'Audrehem
était une perte pour la France et l'importance n'en a pas échappé à
1. Édition Luce (Soc. Hist. de France), p. 180.
2. Chronique normande du XIV' siècle, p. 183.
3. Ypodigma Neustriœ, p. 312 : « Clykin, more ducis providi, bellum differre
gestiens. »
4. Froissart, t. VII, p. 40 : « Et sachiés de vérité que, se li Espagnol en
euissenl ossi bien fait leur devoir que cil fisent, li Englès e li Gascon euissent
eu plus a souffrir que il n'eurent. »
5. Ayala, t. I, p. 459 : « E era en edad de sesanta afinos o mas. »
6. Lettre de Charles V, du 9 février 1370 (Arch. nat., J 475, n° 70), publiée
par Molinier, op. cit., p. 335 : « Qui famosus existit et génère et animo nobi-
lis, quem non semel sed pluries propriura corpus mortis periculo certum est
honorifice submisisse pro statu prospero reipublice regni nostri. »
7. « Insignis et belliger » {Ypodigma Neustrix, Rolls Séries, p. 312).
8. British Muséum, ras. Arundel 28 : c'est le ras. original de la Chronique
dite de Jean de Venette, dont je publierai prochainement une nouvelle édition.
9. Historia anglicana, t. I, p. 303 : « Bertrandus semper quietis impatiens,
bellum diligens plus quam pacem. »
LA BATAILLE DE NAJERA (3 AVRIL 1367). 59
l'auleur anglais anonyme d'un poème latin sur la bataille de Najera,
qui fut très goûté à l'époque ' :
Francia fraudatur, quoniam Claykin superatur.
Carcere servatur, cui Doudinham sociatur.
Mais l'Angleterre avait usé au delà des Pyrénées le meilleur de
ses forces^ et elle allait être incapable pour un temps de fournir un
grand effort. Charles V avait vu juste en faisant dévier les forces
anglaises en Castille. Aussi, la France reconnaissante unit-elle dans
une même pensée et presque dans un même culte le sage roi qui
... Par son sens et sa prudance
Vint au dessus par grant vaillance
De toutes ses adversitez.
et son connétable,
Son bon connestable Clasquin
Qui pour lui ot maint grant hustin.
Par une pieuse attention, ils reposaient presque côte à côte dans
une chapelle de Saint-Denis, dernière demeure des rois, sépulture
des héros, et leur collaboration avait été sur terre si intime qu'elle
se prolongeait au paradis, à la droite du Tout-Puissant :
A la destre du roy celestre
Puissent il en paradis estre.
Car nous trestous, au mien cuidier,
En sommes tenus de prier^.
Eugène Déprez.
1. P.olitical Poems and Songs, édition Wright, t. I, p. 95 : « On Prince
Edtvards expédition into Spain. » John de Reading en a inséré une vingtaine
de vers dans sa chronique (édition Tait, p. 184-185).
2. Knighton, t. il, p. 122 : « Periit populus anglicanus in Hispania de (luxu
ventris et aliis infirinitatibus quod vix quintus homo rediit in Angliam. » —
Chronicles of the reigns of Edward I and Edward II : gesia Edwardi tertii,
édition Stubbs, p. 150 : « In isto itinere multi nobiles mortui sunt de Anglicis
in Hispania non gladio, scd fluxu ventris. »
3. Bibl. nat., 46Hb. fol. 131 v : « Ce sont les croniques des Kois de France
qui devisent quant ducs et quant roys il a eu en France et combien ils
régnèrent et comment la ville de Paris fut fondée et par quelle raison elle est
appelée Paris. »
60 MELANGES ET DOCUMENTS.
LES
SOURCES DE VOLTAIRE ET LA CHRONIQUE MOLDAVE
POUR LE RÉCIT DE LA CAPTURE DE CHARLES XII A BENDER
Voltaire a raconté le siège extraordinaire soutenu par Charles XII
à Varnitza, aux environs de Bender, avec une telle netteté dans
l'exposition et tant de mouvement dans le style que son récit est
devenu classique^ L'aventure de ce roi « moitié héros, moitié fou »,
se défendant avec une poignée d'hommes contre une armée de Turcs
et de Tartares, semble détachée d'un roman d'aventures, et l'on
pourrait craindre que l'auteur dramatique chez Voltaire ne l'aît
emporté sur l'historien, si l'authencité des événements n'était point
garantie par plusieurs témoignages concordants.
Voltaire lui-même a signalé un des témoins qui l'ont renseigné :
« Cette Histoire (l'ouvrage sur Charles XII) fut principalement
composée en Angleterre, à la campagne, avec M. de Fabrice..., qui
avait résidé sept ans auprès de Charles XII, après la Journée de
Pultava^. »
Friedrich-Ernst baron von Fabrice avait été chargé par le due
Christian- Auguste de Holstein de se rendre auprès du roi de Suède.
Il entretint, durant sa mission, avec le duc de Holstein et le baron
de Gœrtz, conseiller intime et maréchal de cour au service du duc,
une correspondance nourrie pour les tenir au courant des événe-
ments.
Mais, tandis que VHistoire de Charles XII, à laquelle Voltaire
travaillait depuis 1727, fut publiée dès 17313, les lettres de Fabrice,
écrites en langue française, ne parurent qu'en 1760, à Hambourg*.
Elles sont précédées de cet avant-propos : « Il y a longtemps que
M. de Voltaire souhaite que l'on rende publiques les lettres de
M. de Fabrice; il se peut que c'est dans l'intention de nous donner
une nouvelle édition, amplement augmentée et corrigée, de son His-
1. Voltaire, Histoire de Charles XII, livre VI, éd. Garnier, t. XVI des
Œuvres complètes.
2. Voltaire, Commentaire historique, ibid.
3. Histoire de Charles XII, par M. de V**. Basle, Christophe Revis, 1731.
4. Anecdotes du séjour du roi de Suède à Bender ou lettres de M. le baron
de Fabrice pour servir d'éclaircissement à V « Histoire de Charles XII ».
Hambourg, 1760.
LES SOURCES DE VOLTAIRE ET LA CBRONIQDE MOLDAVE. 61
toire de Charries XII; quoi qu'il en soit, nous sommes charmés
d'avoir trouvé l'occasion de remplir ses désirs. Il nous reste à dire
que toutes ces lettres sont authentiques et que les originaux, écrits
en chiffres, se trouvent en grande partie dans les archives du duc
de H*** (Holstein). » La lettre 47% écrite de Bender, le 31 jan-
vier 1713, et la 48% écrite de la même ville, le 15 février 1713,
c'est-à-dire trois jours après la capture du roi, renferment des
détails pittoresques que Voltaire n'a pas jugé bon d'utiliser : l'amé-
nagement à Varnitza, les sonneries de trompettes lors de la pre-
mière attaque, la mise à mort secrète d'une trentaine de janis-
saires mutins, le défilé comique des Tartares après le pillage du
camp.
Fabrice a pu interroger les acteurs du drame, et notamment le
roi, aussitôt après l'échauffourée : « El insensiblement », écrit-il, « la
conversation tomba sur l'action même, dont il me fit avec beaucoup
de vivacité un assez long détail, où il omit seulement, par modes-
tie, les circonstances qui le regardaient personnellement. » Il a
même assisté de loin à la mêlée : « J'étois resté pendant l'action
avec M. Jeffreys ' à la porte de derrière de sa maison, qui donnoit
sur le camp du Roi, et nous étions informés de moment à autre de
ce qui se passoit par quelques émissaires que nous avions entre
les Turcs et les Tartares, mais surtout par un nommé M. de La
Motraye que j'avois amené de Constanlinople avec moi et qui, voya-
geur et curieux d'événements, s'étoit mis à cheval, déguisé en Tar-
tare, pour voir cette action, et venoil de temps en temps nous en
rendre compte 2. » Cet Aubry de La Motraye ^ était un protestant fran-
çais qui avait entrepris de longs voyages, dont il a donné une volu-
mineuse relation, imprimée à La Haye en 1727% Il raconte en
détail les événements de Varnitza, dans le chapitre iv de son tome II,
et renvoie à la planche VI où il a dressé soigneusement, mais sans
échelle, le plan du camp de Charles XII, en désignant par des
chiffres les tentes et les principaux emplacements, pour permettre
de suivre le déroulement de l'action'. En appendice, il donne la
lettre de Fabrice du 15 février.
t. Jeffreys, ministre anglais auprès du roi.
2. Lettre 48*
3. Haag, France prolestante, t. VI.
4. Voyages du sieur A. de La Motraye en Europe, Asie et Afrique. La
Haye, 1727.
5. En haut de la planche, dans un cartouche, se trouve cette inscription
bilingue : « Warnitza, whcre H. S. M. fought against the Turks and was taken
Prisonner the 1" of February 1713, où S. M. S. se battit contre les Turcs, le
1" février de 1713. »
62 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Voltaire, lorsqu'il composa, en Angleterre, son Histoire de
Charles XII^ avait certainement le livre de La Motraye dans les
mains. La plupart des souscripteurs à cette publication sont anglais,
et dans la liste qui en est fournie on relève le nom de Fred.-Ern.
Fabrice, chambellan, avec qui Voltaire, d'après sa propre affirma-
tion, se trouvait à la campagne.
Voltaire cite, à plusieurs reprises, le nom de Fabrice dans le
corps de son ouvrage, mais il a supprimé le nom de La Motraye à
partir de l'édition de 1748, parce que ce dernier avait publié des cri-
tiques malveillantes \ et d'ailleurs insignifiantes, auxquelles Voltaire
avait immédiatement répondu de sa meilleure plume.
Un chapelain du roi de Suède, Nordberg, publia postérieurement
une grosse et indigeste compilation 2. Il n'apportait rien de nouveau
dans son récit de la capture du roi : « M. Nordberg, qui n'était pas
présent à cet événement », écrit Voltaire dans une note de l'édition
de 1748, « n'a fait que suivre ici dans son Histoire celle de M. de
Voltaire, mais il l'a tronquée, il en a supprimé les circonstances
intéressantes... »
Voltaire se jugeait, sans doute, complètement renseigné, puisque
dans les questions posées à plusieurs correspondants, qu'il a réunies
avec les réponses^ pour servir de preuves à son Histoire, il ne se
préoccupe pas des événements de Bender.
La Motraye et Fabrice sont des témoins précieux; mais leur
témoignage, comme ils ont assisté aux événements en se rensei-
gnant mutuellement, doit être confronté.
Or, un chroniqueur moldave, Axinte (ou Acsintius), secrétaire
du prince Racovitsa, puis du prince Nicolas Mavrocordato, succes-
seur de Cantémir, a rédigé en fonctionnaire fidèle une chronique de
la cour de Jassy, de 1711 à 1715, dans laquelle il a laissé une rela-
tion des événements de Bender que Voltaire n'a pas connue*.
1. Remarques historiques et critiques sur l'histoire de Charles, roi de
Suède, par M. de Voltaire. Londres et Paris, 1732.
2. Nordberg, Histoire de Charles XII, trad. franc, par Warmholz, 1741.
3. Bibl. nat., fonds français, ras. n° 9722.
4. Kogalniceano, dans la préface de ses Fragments tirés des Chroniques
moldaves et valaques (Jassy, 1845), signale que des Chroniques roumaines
furent traduites en grec moderne par le grand sludjar Alexandre Amiras, par
ordre du prince Grégoire Ghica, en 1730. La traduction fut portée à Paris par
M. de Peyssonel; mais Voltaire, lorsqu'il cite les sources où il a puisé, n'en
fait pas mention. D'aiUeurs cette chronique d'Amiras, dont une version ita-
lienne a été publiée par N. lorga dans Studii si documente eu privire la Ma-
ria Romînilor, t. IX, est très sommaire pour le récit des événements de Var-
nitza.
LES SOURCES DE VOLTAIRE ET LA CHRONIQDE MOLDAVE. 63
Récit de la défense du roi de Suède Charles XII à Bender, i7i3'.
« Les Turcs et les Tartares cernèrent la résidence du roi de Suède,
puis ils écrivirent à ConstBiptinople. D'après eux, le roi se refusait à
écouter les ordres et mème-fdans l'intention de combattre, avait entre-
pris des travaux de défense : autour de sa maison, il avait fait dis-
poser des tonneaux et des vases remplis de terre pour fournir un abri
de tir à ses gens.
En attendant la réponse du gouvernement impérial, le khan des
Tartares, le pacha et l'aga envoyèrent dire au roi de ne pas faire
d'opposition à l'ordre de l'Empereur et de sortir pour être transféré
ailleurs. Le roi répondit qu'il avait, désormais, mauvaise opinion du
khan et du pacha qui ne lui épargnaient aucune vexation, au point
d'empêcher ses gens d'aller puiser de l'eau; aussi était-il décidé à ne
point se livrer entre leurs mains, mais plutôt à périr sur place.
Autour du roi se trouvaient Joseph Potocki, voïvode de Kiew, le
prince Wisznowski, Tarlo et Crispin. Lorsqu'ils se rendirent compte
que le roi s'était engagé dans une affaire dangereuse, ils quittèrent la
résidence et se rendirent auprès du khan et du pacha qui les logèrent
dans la ville, en dehors de la forteresse de Bender. Ils y demeurèrent
quelques jours, puis une nuit, ayant pris une décision dont les motifs
m'échappent, ils s'enfuirent et se rendirent à nouveau auprès du roi.
Le 30 janvier (vieux style), l'aga lousouf, chef des Cafedjis, apporta
l'ordre impérial : le roi devait être saisi et transporté à Salonique, et,
en cas de résistance de sa part, on devait lui déclarer la guerre et
s'emparer de lui, mort ou vif.
Le pacha envoya, de nouveau, au roi l'aga des cérémonies, et le
khan, de son côté, un certain Sefer Schahu Mirzea, pour l'avertir
que l'ordre impérial était arrivé et qu'il devait suivre les instructions
de l'Empereur. Mais Charles répondit encore qu'il périrait plutôt que
de sortir.
Alors le pacha ordonna de rassembler les chefs des janissaires, les
janissaires et toute l'armée. Il fit descendre de l'ancienne forteresse
les canons et les fit braquer sur la maison du roi. Le lendemain,
samedi, le khan Devlet se mit à la tête de ses Tartares. Il portait à
sa ceinture un carquois, le pacha avait des pistolets dans les arçons,
et tous les cavaliers qui se trouvaient à Bender les suivaient.
Ils commencèrent à faire tirer les canons sur la maison où se trou-
vaient, autour du roi, environ 700 personnes; puis le pacha ordonna
aux janissaires de faire feu contre lès Suédois et de donner l'assaut.
Ils répondirent qu'ils ne combattraient pas contre des hommes qui
1. Anthologie de la littérature roumaine par N. Jorga et Septime Gorceix
(Delagrave, 1920).
64 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
n'avaient pas l'intention de les attaquer. Ils commencèrent à crier :
« Allah! Allah! w^et ils s'en retournèrent dans la citadelle pour rega-
gner leurs quartiers. Le khan, avec les Tartares, demeura à côté du
pacha, entouré des gens de sa suite et d'un petit nombre de cavaliers^
tous plein de fureur; puis il s'en retourng, aussi dans la citadelle. La
défection des janissaires s'explique, soit par la compassion qu'ils res-
sentaient naturellement pour le roi dont ils recevaient souvent des
pourboires, soit par une habile manœuvre du roi auprès de leurs
chefs qu'il aurait gagnés par des présents.
Le lendemain, l" février (vieux style), dès le matin, le pacha fit
venir, à nouveau, les chefs des janissaires, tous les vieillards de ce
corps et l'aga lui-même. Il déploya et fit lire l'ordre impérial de façon
à ce que tous l'entendissent. A leur tour, les janissaires répondirent
que si, le samedi, ils n'avaient pas combattu le roi, la faute en incom-
bait aux recrues qui n'avaient pas voulu dégainer. Ils demandèrent,
en outre, à être envoyés auprès du roi pour lui parler et le décider à
sortir de son camp. Ils le prendraient alors, disaient-ils, sous leur
protection, en lui donnant par écrit l'assurance qu'il ne souffrirait
aucun mal et le conduiraient ainsi où l'ordonnait la lettre de l'Empe-
reur. Le pacha ayant accepté cette proposition, les chefs des janis-
saires et les commandants de compagnie parlementèrent avec le roi,
à qui ils promirent de le prendre sous leur protection. Le roi leur
répondit qu'il n'avait pas confiance en eux et qu'il ne sortirait à aucun
prix.
Après cette réponse, les janissaires prirent, à nouveau, leurs dis-
positions de combat, en laissant de côté les canons qu'ils avaient
amenés au début. Ils en portèrent d'autres plus lourds et, armés de
bombes, ils marchèrent contre le roi. Charles XII avait rangé ses
Suédois dans un ordre de bataille soigneusement déterminé. Il avait
toujours conservé l'espoir que les janissaires n'entreprendraient rien
contre lui, parce qu'il les avait comblés de cadeaux; néanmoins, il
avait pris ses précautions.
Donc les janissaires, s'étant réunis à la même place, lancèrent des
bombes et déchargèrent plusieurs fois leurs canons. Les projectiles
n'atteignaient pas la maison du roi, mais passaient au-dessus du toit,
soit que les janissaires ne voulussent pas le tuer, soit qu'ils n'eussent
pas de bons artilleurs ^ Ensuite, ils donnèrent l'assaut et pénétrèrent
par une fenêtre dans la maison. Ils commencèrent à piller et à chasser
1. Voltaire écrit : « Le canon tirait contre la maison; mais, les pierres étant
fort molles, il ne faisait que des trous et ne renver.sait rien. » La Motraye
fournit les deux explications : « Cependant les boulets de canon ne faisoient
pas sur la maison du Roi l'effet qu'on espéroit, parce qu'ils étoient mal tirés,
et parce que les pierres dont elle étoit' faite étant trop molles, ils n'y faisoient
que des trous de la grandeur du boulet ; car je n'en ai pas compté vingt dans
les murs qui restèrent debout après qu'elle eut été brûlée, quoi qu'il y en ait
eu plus de deux cents de tirés. »
LES SOURCES DE VOLTAIRE ET LA CHRONIQUE MOLDAVE. 65
les Suédois par groupes de deux ou de trois. Le roi se trouvait dans
une chambre intérieure avec ses meilleurs soldats; il combattait et se
défendait à merveille, si bien que personne n'osait l'approcher. Les
Turcs, voyant qu'ils ne pouvaient s'emparer de lui dans la chambre,
y mirent le feu. Mais les Suédois, qui se trouvaient à l'intérieur, se
hâtaient de l'éteindre. Le jeu se prolongea quelques heures, jusqu'à
ce que les janissaires eussent observé l'endroit par lequel les Suédois
sortaient sur le toit pour éteindre le feu. Alors, chaque fois qu'un Sué-
dois apparut pour essayer d'éteindre le feu, ils tirèrent sur lui avec
leurs fusils ; aussi les Suédois durent-ils renoncer à sortir : le toit fut
incendié et la maison commença à brûler.
Le roi s'entêta à demeurer sur place. Ses généraux durent le pousser
dehors en criant : « Pourquoi rester, voulez-vous brûler dans la
chambre? » Ils sortirent tous en armes. L'échauffourée continua
dehors et le roi fut blessé légèrement à une main. Les Turcs, voyant
qu'il se défendait, se rassemblèrent en groupe et l'auraient tué sur
place, si un général n'avait crié que c'était le roi. Les janissaires,
alors, s'élancèrent, et, ayant cerné le roi, ils l'entraînèrent avec eux.
Ses vêtements étaient tachés de sang et un Turc l'avait égratigné
près du nez avec sa lance. C'était l'heure où les muezzins crient dans
les mosquées.
Le roi, conduit par les janissaires devant le pacha, lui dit en riant :
« Voici comment vous m'avez arrangé. » Il fut envoyé dans i^ie
chambre du palais du pacha et donna un pourboire à chacun des
janissaires qui l'avaient amené.
Après la capture du roi, les Turcs pillèrent la résidence. Ils y trou-
vèrent beaucoup d'objets de valeur : des harnais dignes de l'Empe-
reur, de l'argenterie' et d'autres richesses; mais bientôt le feu les
empêcha de s'approcher de la maison. Alors, on posa des sentinelles
autour du bâtiment incendié pour que personne ne s'en approchât.
Quant aux Suédois, à leurs femmes et à leurs enfants, ils furent
faits prisonniers. Il n'y eut que dix tués et quelques blessés. Les Tar-
tares prirent tout ce qui leur tombait sous la main. Les janissaires se
partagèrent les Suédois et les séparèrent de leurs familles. Ils con-
duisirent, suivant leur coutume, les prisonniers dans des basses fosses,
si bien qu'après quelques instants cette cour de Suède, célèbre par sa
bravoure, avait disparu de la surface de la terre. »
Le chroniqueur moldave raconte ainsi le drame, vu du côté turc.
Son exposé, dégagé de ces menus détails où se sont empêtrés La
Motraye et Fabrice, est digne, à tous les points de vue, de confirmer
la narration vive et brillante de Voltaire.
Septime Gorceix.
Rev. IIistor. CXXXVI. 1" f.\sc.
BULLETIN HISTORIQUE
HISTOIRE ECCLESIASTIQUE DU MOYEN AGE.
Depuis le cinquième volume, les Quellen und Forschungen
ZUT lateinischen Philologie des Mittelalters, fondées par feu
Ludwig Traube, continuent de paraître sous la direction de M. Paul
Lehmann'. Celui-ci a fait précéder le premier fascicule du tome V
d'une étude courte, mais riche dïdées, sur l'origine du mot moyen
âge (il l'a trouvé employé pour la première fois sous la plume de
l'évèque d'Aleria Jean André à propos de Nicolas de Cues et de sa
connaissance des historié medie tempestELtis) , ainsi que d'un
résumé historique des progrès de la philologie médiévale (il y fait la
part du Hon à la science allemande).
Le livre de M. Whitham^ appartient à cette chronique au moins
par ses derniers chapitres; il conduit l'histoire de l'Église ancienne
jusqu'en plein moyen âge, jusqu'à Photius. Il est écrit du point de
vue de l'anglicanisme High Church; l'auteur, en terminant, reven-
dique pour son Église, « qui tient la foi catholique, qui en appelle,
sur les points controversés, au jugement de l'ancienne Église encore
indivise et qui prétend posséder dans ses ministres une succession
valide », le privilège de devenir la médiatrice possible entre l'Orient
et l'Occident. D'ailleurs, sur tous les points qu'agite la polémique
interconfessionnelle, les conclusions en sont conciliantes et le ton
des plus mesurés. Très clair, l'ouvrage est bien adapté à sa destina-
tion de livre d'enseignement. Quelques chicanes : p. 301, le pape,
au vi^ siècle, était métropolitain, non pas seulement des sept évê-
chéssuburbicaires, mais de toute TltaUe centrale et méridionale.
P. 339, M. Whitham a l'air de dire que la donation de Constantin
a la même origine que les Fausses Décrétales. P. 342, la théorie de
la translation de l'Empire des Grecs aux Francs est bien postérieure
à Charlemagne.
1. Paul Lehmann, Vom Mitlelalter und von der lateinischen Philologie des
Mitlelalters. Munich, Beck, 1914, in-8% 25 p. (Quellen und Forschungen zur
lateinischen Philologie des Mitlelalters, t. V, fasc. 1).
2. Rev. A. R. Whitham, The history of the Christian Church to the sépa-
ration of East and West. Londres, Rivîngtons, 1920, in-12, xii-354 p.
HISTOIRE ECCLÉSUSTIQDE DD MOYEN AGE. 67
Saint Augustin est placé comme à la rencontre de deux mondes,
et si l'on veut voir à quel point il appartient déjà au moyen âge, il
suffit de rechercher, avec M. Gerosa * , quels ont été ses sentiments
vis-à-vis de l'Empire. Ce ne sont pas ceux d'un patriote romain.
Il ne l'admire qu'à moitié. Il reconnaît qu'il a été voulu par la Pro-
vidence; mais il y voit la récompense toute terrestre de vertus tout
humaines; il blâme l'appétit de domination de ceux qui l'ont créé,
et il ne donne pas l'impression de considérer l'histoire romaine
comme son histoire. La vieillesse et la décadence de l'Empire, qu'il
reconnaît, ne lui inspire aucun regret explicite. Elle est comme un
cas particulier de la vieillesse et de la décadence du monde, de ce
monde dont la fin est souhaitable pour le chrétien. S'agit-il de la
prise de Rome par Alaric, il compatit aux souffrances des particu-
liers, bien plus qu'il ne s'afflige de l'humiliation de l'Empire. Il
prêche la résignation plus que la résistance; il fait des vœux pour
le salut individuel et éternel des Romains, non pour le salut de
l'État. Il développe l'idée que le christianisme est favorable au bien
pubHc; mais il identifie ce bien avec le règne de la vertu, non avec
le maintien de certaines formes politiques. Il justifie la guerre contre
les barbares, et donc en un sens la défense de l'Empire, mais dans
l'intérêt des églises à protéger et dans l'intérêt spirituel des barbares
eux-mêmes, qu'il faut préserver du mal qu'ils commettent. Il est
beaucoup trop détaché du monde et citoyen de .la seule cité de Dieu
pour qu'on puisse parler de son patriotisme. — M. Gerosa aurait
pu éclairer sa thèse, développée avec beaucoup de science et de
pénétration, par un rapprochement instructif. Rien ne fait mieux
comprendre, par le contraste, le sentiment vrai d'Augustin, que
lattitude toute différente d'un Prudence, aussi ardent que les païens
Rutilius ou Claudien à célébrer la mission providentielle et civili-
satrice de Rome et très enclin à identifier les destinées du christia-
nisme avec celles de l'Empire converti et régénéré.
Les origines de la vie monastique ont été étudiées par M. Mac-
KEAN- dans un livre sur le monachisme chrétien en Egypte, bon
résumé, sinon très neuf, écrit avec sympathie et mesure. L'auteur
est assez sceptique sur les origines indiennes ou en général non
chrétiennes du monachisme; les ressemblances entre ascètes de reli-
gions différentes ne sont pour lui que d'inévitables rencontres. Par
1. Pietro Gerosa, SanC Agostino e la decadenzn deW Impero Romano.
Turin, Libreria éditrice internazionale, 191G, in-S", 140 p.
'2. W. H. Mackean, Chrialian Monuslicism in Egypt to thc close of the
foHith cenlury. Londres, Society for promoting Clirisliau Knowledge, 1920,
in-12, IGO ]).; prix : 8 sh.
68 BULLETIN HISTORIQUE.
contre, il insiste sur l'explication que Ton peut tirer des conditions
morales et géographiques propres à l'Egypte. Il traite assez longue-
ment, d'après Cassien, du monachisme cénobitique non pakhomien.
Un chapitre final suit sommairement la diffusion en Orient et en
Occident des institutions monastiques.
Elles devaient se développer en Occident sous une forme bien
' différente du type égyptien et oriental; et le livre de dom Butler^
est comme une contre-partie de celui de M. Mackean. Bien qu'il
touche à peu près à toutes les questions qui se posent à propos de
ce que l'on appelle — d'une expression dont il montre l'impropriété
juridique — l'ordre bénédictin, on n'y cherchera pas une histoire,
abrégée sans doute, mais suivie et complète, ni un manuel analogue
à celui que le P. Holzapfel a donné pour l'ordre franciscain. L'au-
teur s'est proposé de dégager, dans un exposé systématique, la phi-
losophie, la théorie, de la vie et de la règle bénédictines; et de
rechercher dans quelle mesure elles peuvent être adaptées aux con-
ditions présentes de l'Église et de la société. Il détermine d'abord
aussi exactement que possible en quoi a consisté l'originalité de
saint Benoît, quel esprit distingue sa règle des autres, comment
elle a compris et dosé l'obéissance, l'ascétisme, le travail, la vie con-
templative. Il y voit une réaction voulue contre les méthodes de
vie et les types d'organisation apportés d'Orient en Occident, très
en vogue au temps de saint Benoît, et qu'il rejeta délibérément
après en avoir essayé. Saint Benoît avait mené la vie érémitique, et
il légiféra exclusivement pour le fortissimum genus des céno-
bites. Saint Benoît avait rivalisé d'austérité avec les moines d'Orient ;
il déclara vouloir proportionner sa règle à la moyenne et aux
« commençants ». Saint Benoît avait fondé à Subiaco une espèce
de congrégation : douze monastères distincts relevant de lui-même.
La règle définitive, rédigée au Mont-Cassin, est fondée sur le prin-
cipe de l'autonomie de chaque monastère. Principe dans lequel
dom Butler voit une caractéristique essentielle du monachisme
bénédictin, ainsi que dans les deux principes apparentés : vœu de
stabilité, par lequel le moine fait profession, non seulement de fidé-
lité à la vie monastique, mais de persévérance dans une maison
déterminée; conception du rôle de l'abbé, élu à vie et investi d'une
autorité absolue, tempérée seulement par le rappel constant de sa
responsabilité. Il va de soi que pour saint Benoît comme plus tard
pour saint François, et presque aussi vite, la force des choses
1. Right Rev. Cuthbert Butler, Bénédictine Monachistn, studies in Béné-
dictine life and rule. Londres, Longmans, Green et C'*, 1919, in-8°, viii-387 p.;
prix : 18 sh.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DD MOYEN AGE. 69
entraîna bien des déviations de l'idée primitive. Que devenait le
voeu de stabilité quand les Bénédictins s'adonnaient à l'œuvre des
missions ou recrutaient l'épiscopat? Sans renier les gloires de son
ordre, ni méconnaître la légitimité d'un certain « développement »,
au sens deNewman, dom Butler n'en préconise pas moins le retour,
dans la mesure du possible, à la tradition primitive. Tandis que,
invoquant le pouvoir discrétionnaire de l'abbé et la nécessité de
l'adaptation aux mœurs de chaque époque, il prend très aisément
son parti, soit de la substitution du travail intellectuel au travail
manuel, soit de l'adoucissement des austérités physiques, il n'hésite
pas à faire sienne l'idée du cardinal Gasquet, que Cluny était une
altération du type bénédictin ; il s'élève contre la thèse (de la con-
grégation de Beuron) que le système de la Car ta caritatis cister-
cienne est le plus conforme aux intérêts de l'Eglise, et il montre
une respectueuse mais défiante réserve à l'égard des tentatives qui
se sont fait jour depuis Léon XIII pour unifier ou au moins fédé-
rer les Bénédictins. Nous sortirions de l'objet de cette chronique en
suivant l'auteur sur ce terrain. Mais «ous conclurons que son
livre, qui par certains côtés est une œuvre d'édification, par d'autres
un panégyrique, un témoignage ému des sentiments d'un moine
envers l'ordre dont il est fier, est en même temps une utile contri-
bution à l'histoire, en ce qu il permet de mieux pénétrer l'esprit qui
a inspiré la grande institution bénédictine'.
M. Spearing^, mort glorieusement dans les rangs de l'armée
anglaise, le 11 septembre 1916, laissait en grande partie achevée
une étude sur l'histoire des patrimoines de l'Eglise romaine, que
des mains pieuses ont mise au point et publiée après sa mort. On
remarquera et on regrettera que l'auteur, qui connaît bien la litté-
rature italienne et surtout allemande de son sujet, ignore les livres
français. A propos du colonat, il ne cite pas le mémoire de Fustel
de Coulanges ; ce qui est plus fort, puisqu'il s'agit de son sujet
même, il ne connaît ni la thèse de Paul Fabre^, ni son mémoire
sur les Colons de l'Église romaine au VP siècle*. Il en résulte
que son travail n'est pas toujours aussi neuf qu'il le croit; de
1. Il est un aspect du sujet que dom Butler a à peine effleuré, au moins
pour le moyen âge : les rapports de l'ordre avec le Saint-Siège. L'institution
de l'exemption aurait mérité plus de détails. Il n'est pas exact, au moins au
début, que les Cisterciens l'aient recherchée systématiquement. — On aurait
aussi aimé voir traiter l'institution, si singulière pour nous, des oblals.
2. Edward S|)earing, The patrimony of tlie Roman Church in the lime of
Gregonj the Grcat. Cambridge, University Press, 1918, in-12, xx-147 p.
3. De patrimoniis Romanae Ecclesiae usqne ad aelalem Carolinorum, 1892.
4. Revue d'histoire et littérature religieuses, t. I (1896), p. 74.
70 BULLETIN HISTORIQUE.
même, la connaissance de ses devanciers lui aurait épargné quelques
menues erreurs'. Son livre, auquel il ne faut pas oublier qu'il n'a
pas pu mettre lui-même la dernière main, n'en reste pas moins une
œuvre utile et solide, reposant sur un dépouillement consciencieux
du registre de saint Grégoire le Grand.
Le nouveau volume que le P. Peitz^, connu par ses beaux tra-
vaux sur le registre de Grégoire VII, consacre au registre de saint
Grégoire le Grand, ou plutôt à ceux des papes jusqu'au xiii* siècle,
appartient à la catégorie des recherches étonnamment minutieuses
qui ne peuvent s'analyser ni se discuter dans les limites d'un
compte-rendu. Nous devons nous borner à le signaler à l'attention
et à en indiquer brièvement les conclusions. En ce qui concerne le
registre de Grégoire le Grand, il tend à renverser les thèses d'Ewald,
qui ont servi de base à l'édition des Monumenta Germanisie.
Les trois grandes collections que distinguait Ewald sont : la pre-
mière, une copie intégrale du registre original; la seconde, identique
au recueil mentionné dans la correspondance de saint Boniface, un
extrait des décrétâtes contenues dans deux indictions du registre,
augmenté de diverses pièces copiées sur les originaux; la troisième,
un formulaire de la chancellerie de Grégoire le Grand. — En ce
qui concerne les registres pontificaux en général, le P. Peitz com-
bat l'idée qu'il aurait existé des registres contenant à la fois les
pièces reçues et les pièces expédiées. Les compilateurs des collec-
tions canoniques n'ont connu les pièces reçues par le Saint-Siège
que par les originaux conservés aux archives. La chancellerie apos-
tohque enregistrait d'après les minutes, et seulement les lettres
d'intérêt politique ou Juridique durable, à l'exclusion de la corres-
pondance administrative courante. La disposition des registres,
dérivée de la chancellerie impériale, a peu varié jusqu'à Inno-
cent III. Le P. Peitz maintient, contre Caspar, sa thèse que sous
Grégoire VII l'enregistrement était dirigé par le cardinal bibliothé-
caire en personne et interrompu en son absence, d'où les grosses
lacunes que présente le registre.
1. Ainsi, p. 72, il ne nous paraît pas avoir compris en quoi consistait l'in-
justice commise à l'égard des colons, que Grégoire redresse : ce n'est pas qu'on
ne leur pay<àt pas le blé au juste prix, c'est qu'on ne leur en achetât pas la
quantité convenue. — P. 9, il risque de donner une idée fausse de la compo-
sition des patrimoines en parlant du fort de Gallipoli; castrum, à cette époque,
n'a pas ce sens.
2. Wilhelm Peitz, S. J., Das Regisler Gregors I. Beiirage zur Kenntniss
des pàpstlichen Kanzlei- und Regislerwesens bis auf Gregor VII. Fribourg-
en-Brisgau, Herder, 1917, in-8% xvi-222 p., 3 pi. (Ergànzungshefte zu den
SUmmen der Zeit, 2° Reihe, fasc. 2).
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQnE DO MOTEN AGE. 71
Nous craignons que la plupart des lecteurs, sur le titre du livre
de M. MoRESco', n'en devinent guère le contenu. On désigne sous
le nom de patrimoines de l'Église romaine ou de saint Pierre, au
pluriel, les biens-fonds que, dès la fin de l'Empire romain et durant
le haut moyen âge, le Saint-Siège possédait en grand nombre en
Italie, dans les îles, en Illyrie; et sous le nom de Patrimoine de
saint Pierre ou Patrimoine tout court, parfois l'Etat pontifical, plus
souvent celle de ses provinces qui se trouvait en Toscane, au nord
du Tibre. Mais je ne crois pas que personne ait appelé ainsi, avant
M. Moresco, l'ensemble des ressources financières de la papauté,
dîmes, annates et taxes de chancellerie comprises. M. Moresco a
entrepris de faire des divers revenus pontificaux une étude autant
juridique qu'historique, s'appHquant à les classer d'après leur
nature, à les distinguer en revenus d'ordre spirituel et d'ordre tem-
porel, en impôts ou en taxes, en impôts ordinaires, extraordinaires,
spéciaux. Mais, pour les bien classer, il faudrait d'abord les décrire
exactement, et c'est ce qu'il ne fait pas toujours. Une première
partie traite des institutions financières temporelles. L'auteur y
réunit les revenus domaniaux et les revenus d'ordre public. Sans
doute le moyen âge n'a pas distingué aussi bien que nous les notions
de propriété et de souveraineté. Est-ce une raison pour les con-
fondre à ce point? Si M. Moresco ne s'est pas aperçu de cet incon-
vénient, c'est qu'il a à peu près arrêté son exposé précisément au
moment où la souveraineté politique du Saint-Siège s'étend, s'af-
fermit, s'organise, où les revenus d'ordre public tiennent une plus
grande place dans les finances pontificales. Mais il aurait dû être
averti par la seule étude de la table des cens de Cencius, où ne
figurent pas, où n'ont pas été inscrits après coup, sauf de rares et
explicables anomalies, les revenus qui n'ont pas un caractère doma-
nial. Cela montre que la Chambre apostolique à la fin du xii« et
au xrii'' siècle savait parfaitement distinguer entre ces revenus et
les revenus d'ordre public. — Vient ensuite la seconde partie, les
ressources d'ordre spirituel et d'abord les impôts ordinaires, c'est-
à-dire — d'après M. Moresco — en premier lieu les cens payés par
les églises et monastères. Sont-ce bien là des impôts et pourquoi
les ranger dans les revenus spirituels? Alors que M. Fabre a
démontré que ces cens étaient primitivement, sont restés longtemps
et ont toujours jusqu'à un certain point passé pour être récognitifs
de la propriété du Saint-Siège. Sans doute, c'est à raison du pres-
1. Mattia Moresco, Il patnmonio di S. Pietro, studio storico-giuridico sulle
istiluzioni finanziarie délia Santa Sede. Turin, Bocca, 1916, ia-8% xvi-364 p.;
prix : 12 fr.
72 BDLLETIJN HISTORIQUE.
tige religieux de la papauté, et parce que l'on comptait que ce pou-
voir spirituel pourrait assurer la perpétuité des monastères, que les
fondateurs les lui donnaient. Mais le lien juridique entre les monas-
tères donnés à saint Pierre et le Saint-Siège nen était pas moins
un rapport de propriété. Sans doute, un régime de propriété où le
nu-propriétaire et l'usufruitier sont deux personnes morales immor-
telles et incapables d'aliéner est un régime -très particulier, mais
c'est la propriété "tout de même. M. Moresco veut qu'il ne s'agisse
que de la protection apostolique. S'il ne déclarait pas se séparer de
lui et ne le citait pas quelquefois, ce serait à se demander s'il a lu
les analyses et les distinctions si lumineuses de Paul Fabre, et l'im-
mense enquête qu'il critique assez superficiellement sur quelques
points adroitement choisis, au lieu de l'envisager dans son ensemble
pour accepter l'impression irrésistible qui s'en dégagea II ne nous
paraît pas qu'il en ait en quoi que ce soit ébranlé les conclusions.
Ici encore, il suffît de lire Cencius pour s'en convaincre; et de
même pour constater qu'aux yeux des hommes du moyen âge les
cens que payaient nombre de seigneuries ou de royaumes offerts à
l'Apôtre n'étaient pas juridiquement différents des cens des monas-
tères. Comment est-il possible de réduire à un simple rapport de
protecteur à protégé les relations établies entre le Saint-Siège et des
souverains comme les rois de Sicile ou d'Angleterre? J'avoue ne
pas le comprendre 2. — Obligé de me borner, je laisserai de côté ce
que M. Moresco dit des décimes, pour en venir aux communs ser-
vices et*aux annales. Il veut que ce soient des « impôts spéciaux »
et non des taxes. Soit; les définitions de mots sont libres, mais à la
condition de ne pas justifier celle-ci par la raison suivante : « Ces
prestations sont destinées à la satisfaction des besoins généraux et
indivisibles de toute la communauté religieuse,... et à leur paie-
ment obligatoire ne correspond pas la contre-prestation d'un service
qui soit d'une utilité spéciale pour le contribuable. » La première
moitié de la phrase est vraie pour les annates, fausse pour les com-
muns services, dont la moitié était partagée entre les cardinaux;
1. Outre Fabre, Étude sur le Liber censuum de l'Église romaine, cf. G. Schrei-
ber, Kurie und Klosler im XII Jahrhundert (1910).
2. M. Moresco fait (p. 231) un bien singulier contresens sur un passage de
l'acte par lequel Robert Guiscard promettait un cens à Nicolas II, pour toute
la terre qu'il détenait, ad conp-mationem traditionis. « Quelle est, dit-il, la
tradition qu'invoque Robert"? Elle n'existe pas et ne pourrait être justifiée
d'aucune manière. » Il paraît croire qu'il s'agit" d'une tradition historique.
Mais tradilio signifie ici la donation et la remise de sa terre faite par Robert
au Saint-Siège. Loin d'impliquer, le mot exclut plutôt qu'il s'agisse d'une
espèce de restitution fictive.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DD MOYEN AGE. 73
la deuxième partie n'est pas toujours vraie pour les annales et elle
est fausse pour les communs services; les annates, souvent, et les
services, toujours, étaient perçus à l'occasion de la collation d'un
bénéfice par le pape; ils avaient le caractère d'une espèce de casuel,
d'indemnité pour la peine prise (témoin la règle de partager le com-
mun service, non entre tous les cai'dinaux, mais enti-e tous ceux
qui avaient assisté au consistoire où le bénéfice avait été donné, tel
'un jeton de présence). En somme, M. Moresco s'est donné beaucoup
de peine pour faire entrer les institutions du moyen âge dans le
cadre des conceptions juridiques modernes, tâche peut-être impos-
sible, en tout cas assez mal exécutée. Il a négligé de faire ressortir
ce fait capital, qui a pesé lourdement sur l'histoire de l'Église, que
le Saint-Siège a essayé, mais n'a jamais réussi, devant les résis-
tances des églises locales et des gouvernements, à établir un sys-
tèmes d'impôts proprement dits. Même les décimes, qui sont ce qui
y ressemblait le plus, ont toujours été levés d'une façon inégale,
exceptionnelle, au moins en théorie, et irrégulière. Comme d'autre
part les besoins d'argent du Saint-Siège étaient immenses et gran-
dissaient toujours, il a dû développer hors de toute mesure ce qu'on
peut appeler son casuel. Or, le casuel est un genre de ressources
qui a bien des inconvénients. La perception en est irritante, et,
s'agissant d'une autorité spirituelle, prend facilement des apparences
simoniaques. Des apparences seulement : il n'y a pas plus simonie
à percevoir de l'argent à l'occasion de la nomination à un évèché,
qu'une Université, par exemple, ne vend ses grades parce qu'elle
encaisse des droits d'examen et de diplôme. Mais ce qui n'était pas
simoniaque de soi pouvait devenir occasion de simonie. Puis la
tentation était grande, pour faire jouer les annales et les services,
de multiplier les réserves. La centralisation réclamait beaucoup
d'argent et fournissait les moyens de s'en procurer. On tournait
dans un déplorable cercle vicieux.
La thèse de M. Le Bras', sur l'immunité réelle dont bénéficiait
le clergé en matière d'impôts, témoigne, entre autres mérites, d'un
grand sens historique et d'une connaissance approfondie et peu fré-
quente à ce degré de la littérature canonique. Nous ne trouverions
à y regretter qu'une condensation un peu excessive qui la rend —
quelquefois — un peu dure à suivre et nous prive de bien des
détails pittoresqu(!S que l'auteur, évidem-ment, connaît très bien. Par
1. Gabriel Le Bras, l'Immunité réelle; étude sur la formation de la théorie
canonique de la participation de l'Église aux chai-ges de l'État et sur son
application dans la monarchie française au XIII' siècle, thèse pour le doc-
torat en droit. Rennes, 1920, in-8°, 154 p.
74 BULLETIN HISTORIQUE.
ailleurs, elle abonde en vues et en renseignements intéressants.
D'abord sur les origines du privilège fiscal, né au iV siècle, par les
lois impériales, regardé par les Pères comme une faveur, non
comme un droit imprescriptible de l'Église; considéré d'ailleurs par
eux avec une certaine indifférence; disparu avec l'empire d'Occi-
dent; rétabli par les diplômes des rois francs, mais sous une forme
un peu nouvelle (l'immunité tend à se confondre avec la garantie
du patrimoine) ; médiocrement respecté d'ailleurs et subordonné à
l'observation des devoirs féodaux. Puis la législation, canonique
vient donner un nouveau fondement au privilège. Elle se constitue
en grande partie contre un pouvoir nouveau, dont les luttes contre
l'Eglise sont incessantes, celui des communes. Ce sont elles que
visent d'abord les deux textes fondamentaux : le canon iVon minus
(c. 4, X, III, 49) et le canon Adversus (c. 7, X, m, 49) des troi-
sième et quatrième conciles de Latran, que M. Le Bras analyse et
interprète avec beaucoup d'exactitude et de précision; ils sont
expressément étendus à tous les princes par la bulle Clericis lai-
cus, maintenue, quant au fond, par Clément V. L& chapitre m
étudie les théories des décrétistes et des décrétalistes et en montre
le caractère : respect pour les lois humaines et le Code, essai « de
concilier le droit romain et les réalités féodales », idée que l'Eglise
n'est jamais tenue qu'en vertu d'un contrat; d'oîi obligation de sup-
porter les charges féodales et, parmi les impôts, de payer les ordi-
naires, regardés comme le salaire de la protection du prince et
comme une espèce d'assurance. Le chapitre iv recherche dans quelle
mesure le patrimoine ecclésiastique a contribué en fait aux charges
de la monarchie française. Il décrit les origines de cette institution
des décimes, forme sous laquelle « jusqu'à la fin de l'ancien régime
le clergé fournira à l'Etat des subsides ». La querelle entre Philippe
le Bel et Boniface VIII n'a été qu'un épisode, plus dramatique
qu'important dans ses conséquences juridiques. Après comme
avant, c'est par l'entremise de la papauté que l'Eghse est taxée au
profit du roi. Le principe invoqué, c'est la réserve que contenaient
toutes les affirmations de l'immunité ecclésiastique : l'exception faite
pourlecasdenécessitéetmoyennantleconsentementdupape. « Le roi
a tenté sans succès de régulariser les levées, en instituant des impôts ;
le pape a réussi dans la même entreprise » ; de défenseur du patri-
moine ecclésiastique, il en est devenu le dispensateur suprême.
« Lorsque son administration a été parfaitement organisée, elle a
fonctionné au profit de la fiscalité royale. » C'est au pape que le
clergé en a voulu, beaucoup plus qu'au roi^
1. M. Le Bras n'exagère-t-il pas un peu en écrivant (p. 129) que « le clergé
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DD MOYEN AGE. 75
On peut être surpris qu'un personnage de l'envergure de Gré-
goire VII ait attendu si longtemps pour trouver un historien
dans la collection les Saints. Il n'y a rien à regretter d'ailleurs, car
• il ne pouvait échoir à des mains plus compétentes que celles de
M. Fliche*, dont les travaux antérieurs suffisent à prouver sur
quelles recherches personnelles et pénétrantes, en dépit de l'absence
de tout appareil d'érudition, est fondé le présent livre. Son Gré-
goire VII, comme le demande la nature de la collection dont il fait
partie, donne une très grande place à l'étude du caractère et de la
personnalité du grand pape, mieux connu, grâce à ses lettres si
vivantes, que la plupart des papes du moyen âge. Il nous apporte
en quelque sorte une explication de l'œuvre par l'homme. Le por-
trait qu'il trace de Grégoire est vivant et ressemblant, avec sa foi
profonde, sa confiance absolue dans sa mission, sa très haute idée
de sa dignité tempérée par l'humilité personnelle, son inflexibilité
devant le danger, sa générosité chrétienne et aussi son manque de
pénétration psychologique; dans l'affaire de Canossa, aux éloges que
mérite sa magnanimité dans le pardon, il faut ajouter l'aveu qu'il a
été Joué par Henri IV; s'il avait démêlé les intentions du roi, son
devoir eût-il donc été de l'absoudre? Ce sont des pages excellentes
que celles où M. Fliche analyse les décrets réformateurs de Gré-
goire (avec les étapes et les ménagements par lesquels il procède),
sa politique vis-à-vis de Henri IV (beaucoup plus patiente qu'on ne
le croit souvent, plus désireuse d'éviter la rupture), le développe-
ment de la centralisation ecclésiastique, d'abord moyen de la réforme,
mais qui tend à devenir une fin, et qui aboutit à faire de cette réforme,
non pas un retour au passé, mais une espèce de révolution au profit
de l'autorité du pape. Le chapitre sur le gouvernement théocra-
tique montre fort bien en quoi a consisté cette « théocratie » de Gré-
goire VII. Elle se borne, en somme, à revendiquer pour le pouvoir
spirituel comme tel la supériorité de but .et de dignité, et le droit
d'admonester et de punir le pouvoir temporel ratione peccati. Il
est un point toutefois sur lequel M. Fliche — sous réserve des expli-
cations et démonstrations qu'il ne manquera pas d'apporter dans la
suite de ses études — ne nous a pas pleinement convaincu. Il s'agit des
tentatives de Grégoire VII pour établir le domaine éminent du Saint-
Siège sur le temporel. M. Fliche les nie. Sans doute, nous le recon-
naissons volontiers, il y a une large part de vérité dans sa thèse, en
n'a aucun rôle dans l'établissement des décimes jusqu'en 1294 »? C'est quelque
chose que d'être obligé, en fait, de le réunir et de le coQSulter, même si on
passe outre à ses protestations.
1. Augustin Fliche, Saint Grérjoire VIL Paris, Victor Lecoffre-Gabalda,
1920, in-12, x-192 p.; i)rix : 3 fr. 50 (collection les Sainls).
76 BCLLETIN HISTORIQUE.
ce sens qu'il a parfaitement raison d'opposer Grégoire VII à Inno-
cent III (et plus encore à Innocent IV et à' ses successeurs). A par-
tir du xiii" siècle, les papes et leurs partisans ont considéré la suze-
raineté universelle sur le temporel comme un droit inhérent à leur
qualité de successeurs de Pierre, vicaire du Christ, lequel était
monarque au temporel comme au spirituel; en sorte qu'aucun pou-
voir n'était légitime en dehors de leur délégation. Pour Grégoire VII,
le pape, au contraire, tenait ses droits d'actes individuels de libéra-
lité et de déférence de la part des princes et des seigneurs. Seule-
ment, il cherchait à provoquer ces actes et les supposait facilement.
D'autre part, la distance est grande entre les formules, très vagues
encore, par lesquelles Grégoire VII exprime la suzeraineté plus ou
moins bien, définie dont il croit jouir et les engagements minutieux
et précis comme ceux que renferme, par exemple, l'acte d'investi-
ture de la Sicile à Charles d'Anjou ou de l'Aragon à Philippe le
Hardi. L'institution s'est donc développée, et doublement. Maisles
premiers germes en existaient dès le xi* siècle. C'est autre chose
qu'un droit de direction morale que Grégoire VII cherchait à se
faire reconnaître. Ce droit, il n'aurait pas eu besoin qu'on le lui
reconnût; il croyait bien le posséder de par sa charge. M. Fliche
lui-même rapproche les Etats censiers des abbayes censières; or
celles-ci entrent bien dans le domaine éminent du Saint-Siège. Bien
des pays entrent en ligne de compte en dehors de ceux que men-
tionne M. Fliche, et ce sont ceux parfois sur lesquels la prétention
à la suzeraineté féodale se m^inifeste avec le plus de netteté, ainsi la
Russie, ainsi la Croatie \ Si l'on songe que le mot miles a très
souvent le sens de vassal dans les documents allemands ou italiens,
que peut bien signifier l'expression : miles heati Pétri, dans la
formule de serment demandé à Hermann de Luxembourg, sinon ce
qu'elle sigpifie dans la lettre d'Urbain II relative au comté de Subs-
tantion (Jafîé, n° 5375), c'est-à-dire, à coup sûr, vassal de saint
Pierre? Hermann devra promettre de devenir miles sancti Pétri,
per msinus mea.s (ces mots ne font-îls pas songer à la cérémonie
de l'hommage?), à sa première entrevue avec le pape, alors qu'il
aura déjà juré de lui obéir en tout ce qu'il lui prescrirait per ve?'am
obedientiam. De même le serment de fidélité demandé par Gré-
1. Par contre, nous nous demandons si M. Fliche a raison d'affirmer que
saint Etienne de Hongrie s'était formellement reconnu vassal du pape. La bulle
de Silvestre II (qui d'ailleurs est au moins suspecte d'tHre interpolée) ne le dit
pas nettement. Les lois de saint Etienne, ses Monita à son fils, n'y font aucune
allusion. Grégoire VII est le premier à l'affirmer; mais la question est juste-
ment de savoir s'il ne suppose pas, pour le passé, des rapports qui lui semblent
tout naturels et qu'il travaille à établir partout.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 77
goire VII à Guillaume le Conquérant n'a certainement pas été con-
sidéré par celui-ci comme un simple engagement « à se conformer
dans son gouvernement aux principes généraux posés » parle pape.
Il ne l'aurait pas repoussé avec cette vigueur; une phrase vague lui
aurait peu coûté. Il y a vu autre chose ou l'amorce d'autre chose.
M. Fliche nous paraît trop affaiblir le sens^du mot fidélité. Il le
réduit en une vague promesse d'ordre moral. Il nous semble que
Paul Fabre avait raison d'admettre que la cour de Rome, dans tous
ces documents, confondait fidélité et hommage. Il y aurait lieu aussi
de rechercher avec soin la signification exacte que le Saint-Siège atta-
chait au mot servitiuin, à la remise ou à l'envoi du gonfanon (envoyé
à Henri III avant son expédition de Hongrie, à Guillaume le Con-
quérant partant pour l'Angleterre, à Roger de Sicile après sa vic-
toire de Cerami, demandé à Grégoire VII par Michel de Serbie,
traditionnellement employé pour l'investiture des princes normands
de ritahe du Sud). Naturellement, dans toute cette étude, il importe
de distinguer avec grand soin ce que Grégoire VU a cherché à insi-
nuer, ce qu'il a formellemeraent réclamé, et ce qu'il a obtenu.
En abordant l'étude des doctrines et de l'organisation de la secte
cathare, M. Broeckx' ne pouvait prétendre à renouveler de fond en
comble un sujet souvent traité ; il a donné des travaux antérieurs —
en les suivant parfois de très près, notamment celui de M. Guiraud
— une bonne mise au point et un résumé très commode, et si dans
ce compte-rendu nous présentons surtout des objections ou signa-
lons des lacunes, ce n'est pas le moins du monde dans la pensée de
contester la sérieuse valeur de son livre. Une singularité, c'est que
l'étude des sources est renvoyée au chapitre v, vers le commence-
ment du dernier tiers de l'ouvrage. Cela vient de ce que M. Broeckx
les envisage surtout en tant que spécimens et témoignages de la
polémique entre hérétiques et catholiques. Soit; mais un inconvé-
nient de ce parti est qu'il a pu contribuer à cacher à M. Broeckx
une des difficultés de son sujet, tel qu'il l'avait délimité. Il veut
traiter du catharisme avant la croisade. Or, la plus grande partie de
nos sources est postérieure : tous les documents inquisitoriaux,
bien entendu, et la plupart des écrits de controverse. Peut-on faire
état, pour le catharisme du xii'' siècle, de textes du xiii" ou même du
XIV* siècle? Le catharisme n'a-t-il pas évolué? Il semble bien que
M. Broeckx a commis un anachronisme à propos de l'endura. Ce
1. Edmond Broeckx, le Catharisme ; élude sur les doctrines, la vie religieuse
et morale, l'activité lilléraire et les vicissitudes de la secte cathare avant la
croisade. Uoogslraten, Haseldonckx, 1916, in-8% xxiv-308 p. (thèse de doctorat
de la Faculté de théologie catholique de Louvain, série II, t. VIII).
78 BULLETIN HISTORIQUE.
suicide religieux plus ou moins volontaire a été en grand usage en
Languedoc au début du xiv* siècle, mais là seulement. M. Broeckx
ne se demande pas si certaines contradictions dans ce que l'on nous
dit des croyances ou des pratiques des cathares ne s'expliquent pas
par la différence des temps autant que par celle des sectes. Il admet
que les sources catholiques, à peu près les seules que nous possé-
dions, hous renseignent avec une certitude suffisante. En gros, oui ;
mais sous quelques réserves'. Leur accord est une preuve de leur
véracité et de leur exactitude, à condition qu'elles ne dépendent pas
les unes des autres. Ainsi Bernard Gui, dont la Practica n'est en
de nombreux passages qu'un démarquage des travaux antérieurs,
n'a guère une autorité distincte de celle de ses garants. Si dans ses
grandes lignes le catharisme nous est connu, il reste et il restera tou-
jours bien des points obscurs ; et du point de vue historique, c'est
une bien grande perte que celle de toute la littérature de la secte ^.
Quelle en était la valeur, il est naturellement impossible de le dire.
Les défauts que M. Broeckx croit y découvrir ou y deviner, d'après
les témoignages des adversaires, ne sont-ils pas aussi ceux des écri-
vains catholiques du moyen âge : discuter à coup « d'autorités » , de
passages détachés de leur contexte et par là même exposés à être
mal compris, auxquels on donne un sens littéral et absolu quand
ils sont favorables, et qu'on interprète dans un sens allégorique ou
spirituel quand ils sont gênants. Au fond, les méthodes ne diffé-
raient pas beaucoup. M. Broeckx reconnaît franchement une cause
de faiblesse des écrivains catholiques^. Ils se sont attardés dans la
réfutation successive de chaque erreur en particulier, et se sont
montrés incapables de concentrer leurs attaques sur le point essen-
tiel et central de la doctrine, c'est-à-dire sur le dualisme. Un autre
point me parait mériter d'être relevé. Les historiens modernes cons-
tatent avec raison le caractère antisocial de l'hérésie cathare, qui
niait le droit de vindicte publique, interdisait la guerre même juste
et défensive, rejetait le serment, alors que toutes les relations entre
les hommes étaient fondées sur le serment, et condamnait le
mariage. Quelques-uns en ont conclu que c'est à cause de ces ten-
dances antisociales que l'on poursuivait l'hérésie. L'examen des
traités contre les cathares n'est pas favorable à cette opinion. A peu
1. Il va de soi qu'il ne faut pas croire aveuglément leurs injures. M. Broeckx
y serait peut-être trop enclin (cf. p. 171).
2. Sur la richesse de cette littérature, M. Broeckx n'utilise pas l'anecdote
curieuse d'Élienne de Bourbon touchant Robert de Montferrand et la collection
considérable d'ouvrages hérétiques réunie par lui.
3. M. Broeckx, pour le dire en passant, a placé trop tôt l'entrée de Monéta
dans l'ordre des Prêcheurs.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 79
près jamais ils n'invoquent les arguments que le gros bon sens ou le
sens moral suggère d'emblée. S'agit-il par exemple du mariage, ils
ne feront presque jamais remarquer que le triomphe du catharisme
serait la fin du monde; que d'ailleurs « qui veut faire l'ange fait la
bête », et qu'en refusant aux sens toute satisfaction permise on
expose à en rechercher d'illégitimes. Ils reprochent aux cathares de
mal interpréter les textes. Si le catharisme était anarchique, ce sont
les modernes qui s'en sont avisés ^ A propos de l'admaiistration du
consolamentuin , on aurait aimé que M. Broeckx examinât la
théorie curieuse de M. Guiraud, qui voit dans le rituel cathare
comme un témoin de celui de la priinitive Eglise^. Dans quelle
mesure, d'autre part, est-il légitime de compléter ce rituel, tel que
nous l'avons, par le passage de Pierre de Vaux-Cernay, qui men-
tionne le renoncement formel, explicite, détaillé à toutes les bénédic-
tions et onctions du baptême? Il est fâcheux que Pierre de Vaux-
Cernay soit un médiocre garant. Car il serait intéressant de pouvoir
constater que la liturgie cathare considérait comme le cas normal que
le futur consolé fût un ancien baptisé. L'hérésie se serait toujours
recrutée par conversion, non par naissance, malgré sa longue durée
et la tolérance de fait dont elle avait longtemps joui. Cela confirme-
rait une remarque que l'on peut faire dans les documents inquisito-
riaux. Je n'ai pas souvenir d'y avoir trouvé un seul exemple d'un
accusé qui se serait défendu en alléguant qu'il n'était point baptisé^.
Le cas aurait été embarrassant pour l'inquisiteur, qui, strictement,
n'aurait pu que se déclarer incompétent, tout au plus condamner
l'accusé comme fauteur, mais non comme hérétique, le non-baptisé
ne pouvant, pas plus que le juif ou le païen, être contraint de prati-
quer une religion qu'il n'a jamais embrassée*. Il faut en 'conclure
peut-être que les deux religions n'étaient pas aussi nettement dis-
tinctes que pouri'aient le faire croire les diatribes que leurs clergés
lançaient l'un contre l'autre et les colloques publics où leurs repré-
sentants discutaient. Une grande partie des « croyants » n'avait
pas complètement' rompu avec le catholicisme, continuait à le pra-
tiquer à moitié, assistait aux cérémonies, acceptant les rites essen-
tiels, par hésitation, politique, routine ou prudence et aussi par
incapacité à bien comprendre la différence des deux religions. Ce que
1. L'argument d'anarchisme a éfé invoqué au contraire contre Wycliffe et Hus.
2. Est-ce que vraiment, comme il est dit p. 193, le consolamenium était
censé conférer l'impeccabilité?
3. Le cas, au contraire, se présente devant l'Inquisition espagnole pour les
Juifs accusés de rechute.
4. L'obligation de tenir les promesses faites au baptême, tel est le fondement
de la contrainte, qui n'avait pas précisément pour objet la conversion.
80 BULLETIN HISTORIQUE.
Ton trouve très souvent dans les interrogatoires de l'Inquisition,
c'est le prévenu qui s'excuse en .disant : « Je suis un simple, un
illettré; oui, j'ai écouté des Parfaits, j'en ai pensé du bien; mais je
ne les croyais pas hérétiques * ; je ne me suis aperçu qu'ils l'étaient
qu'en voyant l'Inquisition les poursuivre, et alors je les ai lâchés
aussitôt. » Et les inquisiteurs admettent jusqu'à un certain point
cette excuse. Une extrême ignorance religieuse, combinée avec la
prudence des Parfaits, surtout après la croisade, et avec leur soin de
réserver leurs doctrines les plus caractéristiques pour un enseigne-
ment ésotérique, voilà, nous semble-t-il, pour la propagation de
l'hérésie, des causes plus importantes encore que celles qu'indique
M. Broeckx. Avec la tolérance très large accordée par les Parfaits
aux croyants, soit pour la morale (mariage, serment, etc.), soit pour
la participation aux rites catholiques^, leur genre de vie pouvait ne
pas différer beaucoup de celui de leurs voisins orthodoxes. Sur
l'origine du catharisme, M. Broeckx semble admettre l'opinion que
le manichéisme aurait obscurément persisté en Occident depuis la
chute de l'Empire romain et que le réveil en fut déterminé au
XI* siècle « par un léger contact avec les Pauliniens et les Bogomiles
de Bulgarie ». Cela nous paraît trop peu dire. Les indices d'une
très forte influence orientale aux origines du catharisme sont très
nombreux^.
La thèse de M, Kohler^, plus exacte que neuve, mais toujours
utile à rappeler aux historiens qui essaient de rejeter sur le pouvoir
civil la responsabilité et l'initiative des procès d'hérésie, est que les
Hohenstaufen, pas plus qiîe leur adversaire, Otton IV, n'ont eu à
proprement parler de politique en cette matière. S'ils ont promulgué
des mesures répressives, c'est pour obéir au pape, ou pour se le con-
ciher, ou pour se laver du reproche d'hérésie et d'impiété. La thèse,
encore une fois, est vraie dans l'ensemble; bien que dans le détail
M. Kôhler soit peut-être trop affirmatif , trop porté à abuser de l'ar-
1. Même les attaques des Parfaits contre le clergé catholique ne les faisaient
pas nécessairement reconnaître comme hérétiques. Les prédicateurs les plus
orthodoxes s'en permettaient. Quant à la différence radicale entre catholiques
et hérétiques, les premiers admettant, ce que rejetaient les seconds,' que l'in-
dignité du ministre ne compromet pas la validité de ses actes; elle pouvait
très bien échapper à des idiotx.
2. M. Broeckx nous paraît (p. 118-120) la réduire un peu trop.
3. M. Broeckx est, en général, bien au courant de la littérature du sujet.
Cependant, il ne paraît connaître ni la réédition de \ Histoire générale de Lan-
guedoc, ni l'édition de Guillaume de Puylaurens par M. Beyssier.
4. Hermann Kôhler, Die Ketzerpolilik der deutschen Kaiser und Kônige
in den Jahren Î152-125i. Bonn, Marcus und Weber, 1913, in-8% xvi-74 p.
{lenaer hislorische Arbeiten, fasc. 6); prix : I m. 80.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 81
gument du silence et à croire qu'il n'y a rien eu quand les docu-
ments font défaut. S'il est peu probable qu'il ait été promulgué des
constitutions impériales qui ne nous soient au moins signalées par
des mentions, nous ne pouvons nous flatter de connaître toutes les
mesures d'exécution. M. Kuhler aurait pu fortifier sa démonstra-
tion si, ne se bornant pas à enregistrer les actes impériaux et les
circonstances qui les ont provoqués, il en avait analysé davantage le
contenu juridique. Il serait possible, croyons-nous, de montrer que
les doctrines sur lesquelles ils reposent sont venues en grande partie
du droit romain, mais par l'intermédiaire de l'Eglise. Cela est évi-
dent, notamment pour la théorie, si grosse de conséquences, de l'hé-
résie lèse-majesté divine. Je crains que M. Kohler n'ait mal inter-
prété Tédit impérial de 1184, en disant qu'il ordonnait la punition
des hérétiques par l'Etat même sans avertissement par l'Église. Ce
qui me paraît avoir été établi en 1184, c'est précisément une espèce
de division du travail. L'Église recherche, juge, condamne l'héré-
tique ; l'autorité civile inflige la peine. C'est à ce moment qu'a été
nettement élaborée et précisée la doctrine de la remise au bras sécu-
lier ; doctrine très importante, puisqu'elle a permis à l'Église, jus-
qu'alors hésitante, de réclamer, indirectement d'abord, puis ouver-
tement, la peine de mort. M. Kohler ne nous paraît pas avoir
suffisamment mis en lumière les variations et les contrastes de la
politique de Frédéric II, selon les temps et les lieux. Il n'insiste pas
assez sur la curieuse tentative de l'empereur pour conclure avec
Grégoire IX un véritable marché : les deux pouvoirs combattant de
concert les rebelles à l'Empire et à TÉglisc. Il ne parle même pas de
la remarquable lettre impériale du 3 décembre 1232; il date mal (de
1232) celle du 15 juin 1233, qui en est à certains égards la suite. Et
j'avoue ne pas comprendre le raisonnement par lequel il prétend
justifier Frédéric II du reproche d'avoir utilisé l'accusation d'héré-
sie contre ses adversaires politiques siciliens. De même qu'il n'étu-
die pas les thèses juridiques qui sont à la base des poursuites, de
même il n'est pas assez attentif à la question d'organisation et de
procédure. Autre chose était de réprimer l'hérésie, autre chose de
donner libre cours à l'institution que le pape créait en ce moment,
c'est-à-dire à l'Inquisition. Il n'a donc pas assez marqué ce con-
traste : Frédéric toujours prêt, en Sicile, à poursuivre les héré-
tiques, mais par ses fonctionnaires collaborant avec les évêques, et
écartant les moines mendiants; sanctionnant au contraire l'Inquisi-
tion dominicaine pour l'Allemagne (quitte à ne pas insister devant
l'opposition soulevée), et, dans l'Italie impériale, évitant le plus pos-
sible de s'engager dans la persécution violente, surtout quand les
Rev. Histor. CXXXVI. 1" fasc. 6
82 BULLETIN HISTORIQUE.
événements de l'année 1233 lui eurent montré comment la répres-
sion de l'hérésie s'accordait fort bien avec une agitation, dangereuse
pour ses intérêts, poursuivie sous prétexte de paix. Le nom de Jean
de Vicence n'est même pas mentionné par M. Kohler. On est sur-
pris qu'il n'ait pas aperçu l'importance, pour la politique de Frédé-
ric II, de l'année de V Alléluia, avec ses enseignements.
Dans la brochure qu'il a consacrée aux théories pohtiques d'In-
nocent III, M. Meyer' s'est appuyé à peu près exclusivement sur
les écrits de ce pape lui-même, d'ailleurs très soigneusement dépouil-
lés. Il s'est exposé ainsi à ne pas bien le situer dans l'évolution des
idées. D'une part, il exagère son originalité et la nouveauté de ses
vues. Il a l'air de croire qu'Innocent III est le premier pape qui se
soit comme identifié avec saint Pierre. Mais la formule qu'il
allègue : sub beati Pétri et nostra protectione, est bien plus
ancienne qu'Innocent III. D'autre part, il ne marque pas assez
qu'Innocent III est resté fort en deçà des prétentions et des thèses
de certains de ses successeurs. Il manque de précision juridique et
théologique^. Son premier chapitre, abstraction faite d'une courte
introduction, assez inutile, sur la vie d'Innocent III avant son pon-
tificat, réunit un assez grand nombre de textes qui affirment la pie-
nitudo potestatis du pape, mais en termes trop généraux et trop
vagues pour qu'on puisse êtt-e sûr qu'il s'agit d'autre chose que de
son autorité spirituelle. Il montre sans peine qu'Innocent III est
convaincu de la supériorité de la puissance spirituelle sur la tempo-
relle. Il ne s'ensuit pas qu'il ait perdu de vue leur distinction et
réclamé l'une et l'autre. Il a cherché, en profitant habilement des
circonstances, à établir sa suzeraineté temporelle dans le plus grand
nombre possible de cas particuliers. Il ne l'a pas revendiquée par-
tout comme un droit. C'est ce que M. Meyer ne fait pas ressortir,
bien qu'il cite quelques-uns des textes qui le prouvent. Par exemple
la lettre où Innocent déclare que l'Église n'est nulle part plus pros-
1. Erich W. Meyer, Staatstheorien Papst Innocenz III. Bonn, Marcus et
Weber, 1920, in-8°, xii-50 p. [Tenaer kistorische Arbeilen, fasc. 9).
2. Cette imprécision est parfois bien tendancieuse. P. 9, jamais Innocent III
n'a dit qu'il était Dieu, mais vicaire de Dieu. — P. 46, ce que M. Meyer
appelle « la théorie de la valeur obligatoire du serment politique » se ramène
à ces deux principes : un serment dont l'objet est illicite ne doit pas être tenu,
ce que tout moraliste concédera, et il appartient au pape de juger de la licéité
de l'objet; affirmation qui n'était pas nouvelle, et personnelle à Innocent III,
et qui n'implique pas le moins du monde, comme l'insinue M. Meyer, que le
pape revendique un pouvoir discrétionnaire d'annulation des serments. Cer-
tains papes, cela est incontestable, ont abusé de la théorie. Ce n'est pas une
raison pour l'exposer de façon inexacte.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DD HOTEN AGE. 83
père que là où les deux pouvoirs sont réunis dans une même main,
comme dans le Patrimoine ; elle implique qu'ils ne sont pas néces-
sairement réunis partout. Ou encore la décrétale Per venerabilem
(c. 13, X, IV, 17), que M. Meyer nous parait interpréter à faux; il
en résulte précisément qu'Innocent III ne considère pas que le roi
de France lui soit soumis au temporel; et s'il exerce ca.sua.lUer la
juridiction dans son royaume, c'est à titre d'arbitre, en quelque
sorte, et à la demande du roi lui-même. Ou encore la décrétale
Novit (c. 13, X, II, 1), où le pape distingue si clairement entre la
question de fief, qui n'est pas de sa compétence, et la question de
péché, dont il est juge. Distinction théoriquement capitale et que
M. Meyer traite avec beaucoup trop de dédain en disant que tout
peut être déclaré péché et par conséquent soumis à la compétence du
Saint-Siège. Il est naturel que les historiens allemands s'attachent
particulièrement aux rapports entre le Saint-Siège et l'Empire.
Peut-être cèdent-ils parfois — et le présent livre entre autres — à
la tendance à confondre l'Empire avec le pouvoir civil en soi. Même
vis-à-vis de l'Empire Innocent III dépasse moins ses prédécesseurs
que ne le donne à entendre M. Meyer et il reste relativement
modéré si l'on songe à ce qui devait suivre. Ses efforts pour se faire
reconnaître comme arbitre par les électeurs allemands prouvent qu'il
ne se considérait pas comme étant de droit le juge de l'élection. De
même il déclare ne pas avoir qualité pour créer lui-même un
empereur. On est encore loin des thèses d'Innocent IV et de
Jean XXII.
M. Frenken* s'est occupé des Exempla de Jacques de Vitry,
Déjà Crâne avait publié les e.vemp /a tirés des Sermones vulgares
de Jacques. M. Frenken publie ceux des Sermones communes du
même auteur. Ni dans un cas ni dans l'autre, il ne s'agit donc d'une
collection d'exemples formée par Jacques lui-même, mais d'extraits
faits par des éditeurs modernes. Cela est un inconvénient; isolés du
contexte et de ce qu'ils prétendent prouver, les exempla perdent de
leur intérêt pour l'histoire des mœurs religieuses; ils ne sont plus
étudiés que du point de vue de leur diffusion, de leurs sources, de
leur généalogie ; on ne peut s'empêcher de se demander quelquefois
si l'effort n'est pas supérieur à l'importance du résultat. L'introduc-
tion résume la biographie de Jacques de Vitry et contient une étude
d'ensemble sur le genre des exempla (est-il bien nécessaire, pour
en expUquer l'emploi si naturel , de remonter à la rhétorique
1. Frenken, Die Exempla des Jajiob von Vitry. Munich, Beck, 1914, in-8%
vi-154 p. (Quellen und Forschungen zur lateinischen Philologie des Mitlel-
alters, t. V, fa se. 1).
84 BULLETIN HISTORIQUE.
antique?), ainsi que sur les sources de Jacques de Vitry et l'influence
exercée par lui (M. Frenken n'a pu connaître l'ouvrage de M. Wel-
ter, le Spéculum laicorum^, imprimé en même temps que le
sien; il y aurait trouvé des variantes intéressantes de quelques-uns
de ses contes). L'édition est soignée, déparée cependant par bien des
coquilles d'imprimerie.
M. Carrière 2 a donné une bonne édition du cartulaire des Tem-
pliers de Provins, conservé aux Archives nationales, et qui com-
prend cent vingt-huit pièces, en très grande majorité du xiii* siècle.
Il l'a augmenté de trente-cinq chartes, empruntées à divers dépôts
d'archives, et l'a fait précéder d'une introduction intéressante qui
comprend deux parties : d'une part une étude extrêmement précise
sur les débuts de l'ordre en France, d'autre part une histoire de la
commanderie de Provins, de la formation et de l'administration de
son temporel, qui est une contribution importante à l'histoire éco-
nomique. »
On a tant écrit sur saint François, depuis une cinquantaine d'an-
nées surtout, qu'un livre d'orientation dans toute celte littérature ne
peut qu'être le bienvenu. C'est cette espèce de guide qu'a donné le
P. VAN DEN Borne ^. Résumant dans l'ordre chronologique les
diverses publications, il les a analysées avec compétence, avec
mesure, avec un grand souci de rendre justice aux travaux les plus
opposés et de montrer ce qu'ont apporté d'utile même des idées
contestables ou périmées. Il a bien retracé l'évolution des contro-
verses et marqué la position actuelle des problèmes.
M. BiERBAUM'', dans un livre qui fait bien augurer de la nouvelle
collection : Franziskanlsche Studien, a édité et commenté plu-
sieurs écrits du xiii* siècle relatifs aux polémiques entre les maîtres
de l'Université de Paris et les ordres mendiants. Ce. sont : 1° quelques
parties du Tractatus brevis de periculis 7iovissimorum tempo-
rum de Guillaume de Saint- Amour (les éditions de cet ouvrage sont
assez rares pour qu'il puisse pratiquement être regardé comme iné-
1. Paris, Picard, 1914.
2. Victor Carrière, Histoire et cartulaire des Templiers de Provins, avec
une introduction sur les débuts du Temple en France. Paris, Champion, 1919,
in-8% Lxxxviii-231 p.; prix : 10 fr.
3. P. Fidentius van den Borne, Die Franziskus-Forschung in ihrer Ent-
wicklung dargestellt. Munich, Lentner, 1917, Jn-8°, xii-106 p. {Verôffentli-
chungen ans dem Kirchenhistorischen Seminar Munchen, IV, 6).
4. Max Bierbaum, Bettelorden und Weltgeistlichkeit an der Universitât
Paris. Texte und Untersvchtingen zum literorischen Armuts-und Exemtion-
streit des XIII Jahrhunderts (1255-1272). Miinster, Aschendorff, 1920, in-8»,
xvi-406 p. [Franziskanische Studien, fasc. 2); prix : 22 m.
BISTOIRE ECCLÉSIASTIQDE DU MOYEN AGE. 85
dit); 2° le traité Manitô, que contra Omnipotentem tenditur
(inédit), composé par un franciscain, très probablement Frère Ber-
trand de Bayonne, vers 1256-1257, en réponse à Guillaume de
Saint- Amour; 3" les ex Exceptiones de maître Gérard d'Abbeville
contre le traité précédent (inédit, vers 1270); 4° un sermon (inédit,
vers 1270) du même Gérard d'Abbeville en faveur delà légitimité de
la propriété ecclésiastique; 5° un traité de maître Nicolas de Lisieux
(vers 1270, inédit) sur le rapport entre les préceptes et les conseils.
L'édition parait faite avec soin; les études critiques qui l'accom-
pagnent apportent des résultats intéressants (M. Bierbaum a notam-
ment découvert en quelque sorte le personnage de Bertrand de
Bayonne, un notable défenseur de son ordre, par la plume et aussi
par la parole, à. la dispute d'Anagni en 1256), mais restent parfois
un peu à la surface des choses et ne sont pas exemptes de diffusion.
En somme, l'ouvrage est une utile contribution à l'une des plus
retentissantes querelles religieuses et littéraires du moyen âge. Mais
une contribution seulement; l'histoire de la querelle est encore à
écrire. Parmi les nombreux ouvrages qui s'y rapportent et dont
M. Bierbaum a donné la liste, il n'a publié qu'une partie, sans que
l'on voie bien la raison de son choix; et ceux qu'il a pris ne suffisent
pas à donner une idée complète de tous les aspects du conflit. C'est
ainsi qu'on n'y trouve rien sur la question des chaires universitaires,
qui avait été le point de départ de toute l'affaire. Elle avait déjà été
réglée, par voie d'autorité, à la date des écrits examinés par M. Bier-
baum. Le débat reste universitaire, en ce sens que ce sont, des
maîtres de l'Université qui le mènent du côté des ennemis des
Frères, mais il dépasse de beaucoup le domaine scolaire. Sous cette
réserve donc que nous n'avons encore qu'une partie des documents,
il est intéressant de voir quels sont les arguments qui sont employés
et ceux qui sont laissés de C(jté. On pouvait attaquer la possibilité
même et la réalité de cette pauvreté commune absolue dont se van-
taient les Frères et qui constituait pour eux autant une prérogative
âprement revendiquée qu'une vertu de leur ordre. Gérard d'Abbeville,
dans un traité non publié par M. Bierbaum, et contre lequel saint
Bonaventure a écrit son apologie, avait malignement demandé à qui
donc appartenait tout ce que les Fraaciscains recevaient en aumônes,
critiqué la distinction qu'on prétendait établir entre la propriété et
l'usage, et montré qu'il est des biens pour lesquels les deux droits
sont inséparables. Mais, dans cette phase de la querelle, on n'a pas
encore insisté beaucoup sur cet argument, qui tiendra une grande
place dans les polémiques de la fin du xiii" et du xiv" siècle. C'est plus
tard aussi que deviendra brûlante la question de Vususpaiiper, qui
86 BOLLETIN HISTORIQUE.
a été surtout agitée, au sein de l'ordre lui-même, entre la commu-
nauté et les Spirituels. Sauf sur un point : la substitution delà men-
dicité au travail manuel, où ils pouvaient prétendre que les vues de
saint François avaient été faussées au sein de son ordre, on ne voit
guère les polémistes du parti universitaire soulever la grosse ques-
tion, tant agitée par les modernes, de savoir dans quelle mesure
l'ordre franciscain était resté fidèle à la pensée de son fondateur ;
soit qu'ils aient hésité à mêler aux polémiques le nom unanimement
vénéré de saint François \ soit qu'ils ne se soient réellement pas
rendu compte de l'évolution que l'ordre avait accomplie. Ils ne
paraissent pas se douter qu'il était déjà profondément troublé par
les protestations du parti qui commençait à s'appeler les Spirituels.
Cependant, les Spirituels auraient pu être pour eux d'involontaires
alliés. En ce qui concerne la pauvreté, partis des deux points oppo-
sés, ils se seraient du moins rencontrés pour constater les interpré-
tations et les fictions légales par lesquelles on le tournait', quitte à
les dénoncer, les uns comme un abandon de leur idéal, les autres
comme une preuve que cet idéal était chimérique. Sur deux ques-
tions, très importantes en elles-mêmes et aux yeux des universi-
taires, le vrai saint François et les Spirituels condamnaient la com-
munauté. Saint François avait défendu de rechercher les privilèges
apostoliques, et il était à coup sûr peu favorable aux études. Les
publicistes de l'Université ne semblent pas s'être avisés de ces argu-
ments ad hominem. Ils ne s'en servent pas contre Bertrand de
Bayonne, qui (comme saint Bonaventure) justifiait la mendicité par
la nécessité de réserver aux Frères tout leur temps pour une étude
assidue, incompatible avec le travail manuel; étant donné surtout
que leur prédication et leur enseignement s'adressaient à tout le
monde, au clergé et au peuple, et non pas seulement à leurs propres
Frères. Comme si saint François n'avait pas voulu que ses fils
fussent pauvres d'esprit autant que de biens et avait jamais rêvé un
ordre savant et enseignant (l'argument de Bertrand de Bayonne,
d'ailleurs, était dangereux pour lui; il justifierait l'acceptation de la
propriété beaucoup mieux encore que la mendicité. Car l'étude sup-
pose, non seulement le temps, mais la stabililé, la sécurité du len-
demain, les ressources matérielles ; elle n'était pas plus facile à con-
cilier avec la vie errante et mendiante au jour le jour des premiers
Franciscains qu'avec le travail manuel; les nécessités de la prédica-
tion et de l'enseignement ont été précisément l'une des raisons qui
ont justifié la fondation de couvents importants et fixes, pour les-
1. Cf. (p. 366) la manière dont Nicolas de Lisieux cherche à couvrir « ces
glorieux saints, Dominique et François b, tout en critiquant leurs ordres.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DO MOTEN AGE. 87
quels la dislinction entre la jouissance et la propriété ne pouvait
être qu'une pure fiction). On ne trouve rien, chez Bertrand de
Bayonne, de l'enthousiasme mystique pour la pauvreté qui avait
animé saint François, rien non plus de l'idée développée par des
modernes, admirateurs enthousiastes du franciscanisme, du rôle
« social » de la pauvreté volontaire. La pauvreté est pour lui une
thèse théologique, soutenue (comme les autres la combattent) par
des arguments tout scolastiques. Bien qu'il ne se fasse pas fauté, à
l'occasion, de dauber sur l'insuffisance du clergé séculier, Bertrand
est évidemment gêné par l'argument de ses contradicteurs : « Vous
insultez l'Église établie et possédante, la papauté en tête, en posant
des principes qui tendent, en dernière analyse, à ébranler la légiti-
mité de la propriété ecclésiastique. » Et Gérard d'Abbeville d'affir-
mer que les prélats de l'Église sont en soi dans un état de perfection
plus excellent que les religieux, et d'exalter la papauté, à laquelle
Dieu a confié le double empire, terrestre aussi bien que céleste; la
papauté, que « la prudence et la circonspection de Silvestre » ont
enrichie. La donation de Constantin, tant maudite au moyen âge
par les Arnaldistes, les Vaudois, plus tard les Spirituels et Frati-
celles, et peu sympathique même à beaucoup d'excellents catho-
liques, est louée ici avec une vigueur qui ferait croire que, par delà
ses adversaires, les Franciscains de la communauté, Gérard visait
des adversaires de l'Église elle-même, avec lesquels il n'aurait pas
été fâché d'insinuer que les siens avaient quelque ressemblance.
Mais par un renversement complet, dans le domaine spirituel, à pro-
pos des privilèges, et notamment du principal, celui de « l'office de
l'universelle prédication », c'est le tour de Bertrand de Bayonne de
tout accorder à l'autorité du pape, maîtresse et créatrice du droit,
decretorum imperatrix et conditrix. M. Bierbaum a raison de
remarquer que, par son insistance sur ce point, l'écrit de Frère Ber-
trand se distingue tout à fait de ceux de saint Thomas et de saint
Bonaventure en faveur des Mendiants. Gérard d'Abbeville, par
contre, est amené à paraître limiter l'autorité du Saint-Siège par les
droits des églises particulières et insiste sur l'origine divine des pou-
voirs des évêques. Non sans faire des aveux qui renversent toutes
ses réserves : il reconnaît que le pape peut visiter et prêcher partout,
par qui et quand il le veut, et que son épiscopat est universel. Au fond,
comme l'a bien vu M. Bierbaum, universitaires et Mendiants, mal-
gré leurs querelles, se ressemblaient en ceci que leur situation pri-
vilégiée, aux uns et aux autres, reposait sur l'autorité du Saint-
Siège, que leur intérêt était donc de défendre; et c'est bien ce qui
paralysait les universitaires.
88 BDLLETIN HISTORIQUE.
De ces querelles l'écho ne s'entend guère dans les Leçons d'his-
toire franciscaine publiées par P. Ubald d'Alençon^ Il écarte,
comme une espèce d'énormité, la remarqlie de ses confrères de
YArchivum Franciscanum qu'il peut y avoir une distinction à
faire entre l'esprit d'un ordre et l'esprit personnel de son fonda-
teur; il ne se pose donc même pas la question de savoir si l'ordre
franciscain n'a pas dévié très vite de la pensée de saint François ; il
passe par-dessus tous les problèmes délicats qui se posent à ce
sujet; il ne veut pas douter un instant que saint François ne fût
favorable à l'étude^*; il fait à peine une allusion aux deux contro-
verses, théologique et pratique, de la pauvreté, qui ont divisé l'ordre
contre lui-même et l'ont dressé, en grande partie, contre le Saint-
Siège^, si bien qu'il a été parfois autant un embarras qu'une gloire
pour l'Église; il ne dit pas un mot de la rivalité de l'ordre et du
clergé séculier pour l'enseignen^ent, la prédication, les confessions,
les sépultures. Il ne traite pas non plus de l'organisation de l'ordre
et presque pas des fréquentes réformes partielles ^ On serait donc
déçu si l'on cherchait dans son livre un manuel de l'histoire de
1. p. Ubald d'Alençon, Leçons d'histoire franciscaine. Paris, librairie Saint-
François, 1918, in-12, vi-396 p.
2. Il se fonde surtout sur deux arguments : la lettre à saint Antoine de
Padoue — mais le texte en est douteux et l'authenticité même en a été dis-
cutée — et le récit de saint Bonaventure sur le couvent où l'on n'avait qu'un
seul exemplaire du Nouveau Testament; saint François le déchire et en par-
tage les feuillets aux Frères pour que tous puissent étudier en même temps.
C'est presque se moquer que de parler d'étude et dé science à propos d'un fait
qui prouve simplement ce que jamais personne n'a contesté : saint François
trouvait bon que ses Frères excitassent leur piété par la méditation de l'Evan-
gile. Il ne s'agit pas d'autre chose, et l'anecdote donnerait plutôt lieu de penser
que saint François ne se doutait pas de ce qu'est l'élude. Le jour où on le
montfera préoccupé de constituer dans ses couvents des bibliothèques, nous
reconnaîtrons qu'il tenait à promouvoir les études. D'ici là, nous croyons qu'il
faut tout de même marquer la différence entre lui et saint Dominique, par
exemple.
3. On ne conteste plus guère que dans la physionomie de saint François
f un esprit de paix et de concorde » et « une soumission profonde à l'Église »
ne soient des traits essentiels. Mais franchement peut-on en dire autant des
Spirituels, d'un Jacopone de Todi, d'un Ubertino de Casale ou d'un Ange de
Clareno? Cependant le P. Ubald (p. 41) semble bien placer Ubertino de
Casale dans la très correcte lignée des Franciscains, avec saint Bonaventure.
— P. 43, est-il bien vrai que le joachimisme de Jean de Parme soit superficiel?
4. On est un peu surpris de lire, p. 18, cette espèce de contradiction :
« Jamais il n'y a eu abandon de l'idéal franciscain... Comment expliquerez-
vous autrement ces réformes répétées au sein de l'ordre, le ramenant toujours
à la pureté de son origine? » Les réformes ont été nécessaires, parce que l'idéal
a été momentanément oublié.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 89
l'ordre comme celui du P. Holzapfel. Ce qu'on y trouve, ce sont
des renseignements (abondants surtout pour l'époque moderne) sur
les services que l'ordre a rendus à l'Eglise^ dans la prédication, dans
les missions contre le protestantisme et le jansénisme. L'actualité
voulait un chapitre sur les Franciscains aux armées. Comme aumô-
niers, très bien; comme prédicateurs de croisade contre les Turcs,
passe encore; mais qu'aurait pensé saint François devoir faire un
titre d'honneur à un de ses fils d'avoir été ingénieur militaire? Le
dernier chapitre, sur l'art franciscain, contient, à côté de bien des
formules contestables^, l'aveu très franc que saint François se défiait
de l'art, incompatible avec la pauvreté, et que l'ordre franciscain a
été plutôt inspirateur que créateur d'œuvres artistiques. Alors
pourquoi écrire, p. 373, que « saint François a libéré l'art et créé
l'art franciscain »? L'impression laisse beaucoup à désirer; bien des
noms propres sont estropiés, et l'on a, p. 274, la surprise de voir le
héros albanais du xv* siècle devenir le P. Skanderberg^.
Le P. Pelster'' s'est attaqué à la chronologie de la vie et des
écrits d'Albert le Grand. Nous résumons les résultats de ses
reclierches érudites, solidement établis pour autant que le permet
la nature très médiocre des sources dont on dispose. Albert est né
vers 1193, non pas seulement vers 1206 ou 1207, comme on l'a
cru souvent. Il est entré dans l'ordre dominicain à Cologne ou à
Padoue — cela est incertain — et dans la troisième décade du
XIII* siècle, sans que l'on puisse préciser davantage. A propos des
relations d'Albert avec son illustre disciple saint Thomas, le
P. Pelster essaie, sans parvenir à des conclusions bien fermes, de
débrouiller l'histoire très incertaine des débuts de saint Thomas dans
l'ordre, de sa capture et de sa détention par les siens et de ses pre-
mières études. L'histoire des écrits d'Albert s'établit comme suit :
avant 1245, le De laudihus heatae Virginis et le Tractatus de
1. Le P. Ubald a d'ailleurs une tendance à annexer au franciscanisme tout
ce qui lui paraît louable. Il m'est impossible de voir en quoi la congrégation
de la Propagande est d'inspiration particulièrement franciscaine.
2. P. 372 : « L'Italie méridionale possédait des églises normandes à voûtes
ogivales dès le xr siècle! » « Subiaco... présente... une église supérieure avec
ogives de 10G6. »
3. La raison donnée, p. 15, de la répugnance des membres du tiers ordre à
prêter serment — les serments entraînaient souvent à la guerre — ne me paraît
pas la bonne : les serments servaient tout aussi bien à cimenter la paix. 11 y
avait plutôt là un vieux scrui)ule religieux, toujours renaissant au moyen âge,
en présence des textes évangéliques qui, pris à la lettre, interdisent de jurer.
4. Franz Pelster, S. J., Kritische Studieii zum Leben itnd zu den Schriften
Albcrls des Grossen. Pribourg-en-Brisgau, Herder, 11)20, in-S", xvi-179 p.
(Erganzungskefte zu den Siimmen der Zeit, II, 4).
90 BOLLETIN HISTORIQUE.
i
nature boni; au temps de son séjour à Paris, depuis 1245, la
Summa de creaturis et les traités qui s'y rattachent; peu après,
les commentaires sur les sentences et sur saint Denys l'Aréopagite ;
de 1260 à 1270 environ, le commentaire sur Aristote; à la fin de la
vie d'Albert se placent la Somme théologique et les deux écrits sur
l'Eucharistie.
M. Emerton^ donne du Defensor Pacis de Marsile de Padoue^
une analyse critique écrite avec un enthousiasme qui l'empêche de
s'apercevoir, d'abord que les théories politiques de son héros, con-
trairement à son assertion, sont souvent obscures et incohérentes;
ensuite que, si on les poussait tant soit peu, elles entraîneraient des
inconvénients et des dangers qui ne le céderaient en rien à ceux de
la théorie pontificale contre laquelle Marsile polémique. Notamment
l'intolérance religieuse en sortirait tout droit. Car Marsile ne sup-
prime pas l'autorité en matière ,rehgieuse ; il la change de mains.
Mais ce n'est pas le lieu de discuter la valeur des théories marsi-
liennes ; il s'agit de se demander si elles sont bien analysées et repla-
cées dans leur milieu ; et tel est le cas, sous quelques réserves. A
propos de la rapide ^comparaison qu'il fait en commençant des idées
de saint Thomas et de celles de Marsile, M. Emerton nous paraît avoir
expliqué à tort l'absence, dans saint Thomas, de toute discussion sur
le pouvoir impérial par les circonstances du moment, par la lutte du
sacerdoce et de l'Empire et la défaite, décisive en apparence, de
l'Empire. La vraie explication nous paraît être plutôt dans le carac-
tère, abstrait et théorique des spéculations politiques de saint Tho-
1. Ephraim Emerton, The Defensor Pacis of Marsiglio of Padua. Cam-
bridge, Harvard University Press, 1920, in-8°, 11-8I p. {Harvard theological
studies, VIII); prix : 1 doll. 25.
2. Notons qu'il dénie à peu près la collaboration de Jean de Jandun, que
M. Valois avait tenue pour certaine. En quoi il nous paraît faire trop bon
marché du témoignage de François de Venise et des bulles de Jean XXII qui
font allusion à un ouvrage composé en commun par Jean de Jandun et Mar-
sile, lequel ne peut guère être autre que le Defensor. D'ailleurs, la mesure
exacte de cette collaboration est Impossible à déterminer. Et le Defensor àonne
bien l'impression d'une profonde unité d'esprit. 11 y a là un petit problème
littéraire insoluble. — M. Emerton se trompe (cf. la notice de Valois) quand il
dit que Marsile était encore un jeune homme lorsqu'il quitta Padoue pour
Paris; de même quand il parle d'un séjour à Orléans. — Le soin dans le détail
des faits n'est pas son fort, et il paraît avoir lu bien distraitement l'excellente
étude de M. Valois. Le fait que Marsile réconcilié avec Jean XXII aurait été
nommé par lui archevêque de Milan est absurde; mais il est bien attesté qu'il
le fut jiar l'antipape Nicolas V ou par Louis de Bavière. — Occam n'est pas
précisément devenu général de l'ordre franciscain; cette expression pourrait
induire en erreur. Il s'est, après la mort de Michel de Césène, comporté
comme teL
OTSTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 91
mas ; elles ne sont d'aucun pays et d'aucune date et ne reflètent guère
l'état politique de son temps. Se douterait-on, par exemple, qu'il écrit
en plein régime féodal ? Parlant de la curieuse théorie de Marsil^ :
un clergé devant vivre dans un état de pauvreté théorique, entretenu
par des biens dont la propriété reposerait sur le « législateur
suprême » ou sur des représentants désignés par les donateurs,
M. Emerton n'insiste pas assez sur ce que, dans son principe et dans
ses détails, elle ne fait qu'appliquer au clergé tout entier la fiction
légale imaginée par le Saint-Siège pour les Franciscains : le Saint-
Siège propriétaire, des syndici pour administrer, à moins que les
donateurs ne se fussent réservé la propriété et n'eussent concédé aux
Frères qu'un simple droit d'usage. Le législateur suprême a seule-
ment remplacé le pape. M. Emerton a raison de dire que Marsile se
rencontre ici avec une partie des Franciscains; mais ce n'est pas
avec les Spirituels; ce sont, au contraire, les chefs de la commu-
nauté qui avaient toujours profité avec empressement des biais,
analogues à celui que propose Marsile, pour tourner la loi de pau-
vreté absolue'. Il est souvent question dans Marsile de la valentior
pars. M. -Emerton traduit par majorité. N'est-ce pas un peu pres-
ser le sens? L'expression n'est-elle pas plutôt le pendant de celle de
major et sanior pars, bien connue des canonistes, par laquelle on
affirmait discrètement que la majorité, d'une part, la moralité et les
lumières, de l'autre, devaient être d'accord, en évitant de se deman-
der nettement ce qu'on ferait si elles ne l'étaient pas. M. Emerton
n'a pas recherché ce qu'il faut entendre au juste parle fidelis legis-
lator humanus nullo siiperiore carejis, chargé de convoquer le
concile général; et, si c'est l'empereur, comme il semble probable,
comment cette idée se concilie avec le peu de sympathie de Marsile
pour la doctrine de la monarchie universelle. Sur la donation de
Constantin, Marsile est un peu hésitant et contradictoire. Mais il
faudrait faire remarquer l'origlnalilc de sa position : se servir du
célèbre apocryphe pour prouver la subordination du Saint-Siège à
l'Empire, source de son autorité. S'il est très vrai que les événe-
ments dont Rom# fut le théâtre en 1328 sont jusqu'à un certain
point une application des idées de Marsile, ils s'inspirent aussi d'une
1. M. Emerton s'était de même trompé en ayant l'air Je croire (p. 15) que
les Franciscains, adversaires de Jean XXII et partisans do Louis de Bavière,
étaient tous du parti des Spirituels. Les chefs de la communauté, aprt-s avoir
écrasé les Spirituels, de concert avec Jean XXII, se révoltèrent contre celui-ci
quand le débat, changeant d'objet, en vint à porter sur la pauvreté théorique,
à laquelle ils tenaient d'autant plus qu'ils faisaient bon marché de la pauvreté
pratique.
92 BULLETIN HISTORIQUE.
autre théorie, différente, celle de Dante (et de bien d'autres avant et
après lui) : l'Empire propriété inaliénable et inamissible du peuple
romain. Peut-on dire que la Bulle d'or ait été la déclaration la plus
positive du droit des électeurs allemands de créer le roi des
Romains? L'originalité de cet acte n'est-elle pas justement dans
l'adresse avec laquelle il évite de parler du pape et l'écarté par pré-
tention? Il nous semble impossible d'expliquer les idées de Marsile
sans rappeler qu'il est né citoyen d'une ville lombarde et que c'est
souvent le droit public des villes italiennes dont il a dégagé et géné-
ralisé les principes. Ainsi, notamment, sa conception d'un gouverne-
ment purement laïque ; nulle part ailleurs qu'en Italie on ne l'eût
imaginée à cette date, parce que partout ailleurs le personnel politique
était encore en grande partie d'Eglise.
La biographie de sainte Catherine de Sienne par M. Pierre Gau-
THiEz^ écrite ^ sans prétentions scientifiques ni critiqués », ne
pourra guère servir à ceux qui voudraient se renseigner sur l'acti-
vité extérieure de la sainte; celle-ci est exposée d'une manière trop
vague et avec un trop grand dédain de ces précisions chronologiques
et autres sans lesquelles il n'est pas d'histoire 2. L'auteur nous parait
avoir exagéré la part de sainte Catherine au retour d'Avignon. Il était
décidé et préparé eh dehors d'elle ; son rôle n'a pu consister qu'à
surmonter peut-être, au dernier moment, quelques hésitations,
quelques accès de faiblesse du pape ou quelques instances de son
entourage. La-compétence nous manque pour apprécier dans quelle
mesure la doctrine mystique de sainte Catherine est bien caractéri-
sée. Même comme livre d'édification, l'ouvrage nous paraît superfi-
ciel, trop long et trop court à la fois; si l'on y trouve des pages
brillantes sur le milieu italien et spécialement siennois, il n'est pas
exempt de déclamation, notamment dans le dernier chapitre.
L'Institut historique prussien de Rome avait publié, en 1897, le
premier volume du Repertorium Germanicum, collection qui
devait contenir l'analyse, par ordre chronologique, de tous les docu-
ments de la fin du moyen âge conservés aux archives du Vatican
et concernant l'Allemagne. Ce premier volume n'embrassait que la
première année du pontificat d'Eugène IV (1431-1432). On s'aper-
1. Pierre Gauthiez, Sainte Catherine de Sienne, TSil-1380. Paris, Bloud et
Gay, 1916, iu-12, 256 p.
2. Les discussions sur la date de l'admission de sainte Catherine parmi les
tertiaires ne sont pas «extrêmement indifiérentes » (p. 51). L'opinion qu'on
se fera de la véracité ou au moins de l'information de Raymond de Capoue
(principale source pour la biographie de la sainte) peut dépendre de la date
adoptée. Personnellement, nous ne voyons pas de raison décisive pour rejeter
son témoignage. Mais il y a des difficultés qui méritent d'être examinées.
\
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DD MOYEN AGE. 93
çoit tout de suite que l'entreprise, continuée sur ce plan, réclamerait
un nombre de volumes et exigerait une dépense de temps et d'argent
disproportionnée avec le résultat scientifique. Après des hésitations,
on a décidé d'adopter un nouveau programme : dresser, au lieu de
régestes, deux simples tables des noms (allemands) de personnes,
puis de lieux, mentionnés dans les documents des archives Vati-
canes, avec une brève indication de l'objet de la mention. C'est le
tome I de ce nouveau Repertorium Germanicum, comprenant
tout le règne de Clément VII (1378-1394), qui a paru, en 1916, par
les soins de M. Goller*, bien connu par ses nombreux et remar-
quables travaux sur l'administration pontificale à la fin du moyen
âge. Son nom suffit à gaiantir le soin avec lequel ont été dressées
les deux tables (celle des noms de personnes a même été établie en
double, une fois par noms de baptême, une autre fois par surnoms).
L'importance en sera grande assurément, surtout pour l'histoire
locale allemande. Ce qui peut dès maintenant intéresser tout le
monde, c'est l'introduction, qui comprend trois parties : !<» une des-
cription des registres utilisés; 2° une étude sur la théorie juridique
et surtout sur le mécanisme des provisions apostoliques sous Clé-
ment VII ; la place en tête du volume en est justifiée par le fait que
ce sont les registres de provisions et les registres de suppliques qui
ont fourni de beaucoup le plus grand nombre des mentions rele-
vées. M. GôUer, résumant les travaux antérieurs et y ajoutant bien
des remarques personnelles, donne les plus intéressants renseigne-
ments d'ordre juridique, diplomatique et administratif, sur la
rédaction et la remise des suppliques isolées ou réunies en rôles,
sur les fonctions des référendaires et du daiafor (on trouve dès
Clément VII un fonctionnaire de ce nom, le futur dataire), sur l'en-
registrement et l'expédition des bulles par la chancellerie (avec inter-
vention, dans certains cas, de la chambre) ; 3° une étude sur Clé-
ment VII et le Grand Schisme en Allemagne (au lieu de vues
d'ensemble, on peut regretter que M. Goller se soit borné à rédiger
une série de notices sur les personnages, du plus grand au plus
modeste, mentionnés dans les textes, et sur leurs relations avec Clé-
ment VII, faisant ainsi un peu double emploi avec le corps même
du livre).
Le cardinal Nicolas de Cues est à> coup sûr un des personnages
les plus intéressants de la période de transition entre le moyen âge
et la Renaissance. Un des premiers humanistes allemands, en rela-
1. Emil GiillPT, Repcrlorium Germanicum, herausgegeben vom K. Preus-
sischen Hislorischen Institut in Rom. Berlin, Weidmann, 1916, gr. in-8% xvi-
t82*-250 p.; prix : 25 m. 20.
94 BULLETIN HISTORIQUE.
tions avec tout l'humanisme italien, heureux dénicheur de manus-
crits (sa découverte de Plante fut un des événements littéraires du
temps), capable d'une critique historique pénétrante et ferme (le pre-
mier il a, non pas soupçonné, non pas affirmé par boutade et un peu
au hasard, mais scientifiquement démontré la fausseté de la dona-
tion de Constantin), publiciste, philosophe, théologien, mathémati-
cien, il a en même temps mené la vie la plus active et la plus mêlée
à la politique; partisan du concile de Bàle, puis d'Eugène IV, légat
en Allemagne, évêque de Brixen et engagé comme tel dans un reten-
tissant conflit avec le duc d'Autriche, enfin vicaire du pape à Rome.
Une étude d'ensemble sur lui manquait en France ; même les tra-
vaux allemands de Diix et de Scharpff ont bien vieilH. M. l'abbé
Vansteenberghe ^ a donc comblé une véritable lacune. Son livre
intéresse plus encore peut-être l'histoire de la philosophie et des
sciences que l'histoire politique et religieuse. Il relève cependant de
cette chronique par la biographie détaillée dont l'auteur a fait précé-
der son exposé des doctrines du Cusan. Pour commencer par les
quelques légères réserves que le livre appelle, on souhaiterait par-
fois un peu plus de rehef et d'accent ; plus de soin à dégager l'essen-
tiel des détails accessoires; un plan un peu plus souple (dans la
tâche délicate qui s'impose à tout biographe de combiner l'ordre
chronologique avec l'ordre logique, M. Vansteenberghe a parfois
pris des partis discutables, comme par exemple quand il réunit en
un même chapitre des négociations avec les hussites dont les unes
se placent au temps du concile de Bâle et les autres à l'extrême fin
de la vie de Nicolas de Cues). Mais ce sont des vétilles au regard de
l'impression dominante qui se dégage de cet ouvrage considéra,ble :
comme information, conscience, exactitude, précision, il ne laisse à
peu près rien à désirer. De vastes recherches dans les bibliothèques
d'Allemagne, d'Italie et d'Angleterre ont peVmis à M. Vansteen-
berghe de faire d'heureuses trouvailles et d'utiliser bien des docu-
ments inédits: notamment (à la bibliothèque Vaticane) un recueil de
sermons, riche en indications chronologiques, qui lui a permis
d'écrire sur Nicolas de Cues prédicateur un chapitre très nouveau-,
et à Innsbriick et à Cues des recueils de pièces relatives à l'affaire
de Brixen*. Le tout est mis en œuvre avec un sens psychologique
1. Edmond Vansteenberghe, le Cardinal Nicolas de Cues (liOl Îi66); l'ac-
tion, la pensée. Lille, Lefebvre-Ducrocq, 1920, in-8°, xx-506 p.
2. On ne connaissait jusqu'ici les sermons que par l'édition bâloise des
œuvres du Cusan (1565), qui est incomplète, et les donne dans le plus grand
désordre.
3. M. Vansteenberghe annonce la publication prochaine de plus de 150 lettres
inédites de Nicolas de Cues.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU MOYEN AGE. 95
très sûr. Certains actes mémorables de Nicolas de Cues ont été fort
discutés, de son temps et même depuis; ainsi et avant tout son pas-
sage du parti conciliaire au parti pontifical. M. Vansteenberghe, qui
aborde ce point délicat avec franchise et mesure, conclut, avec rai-
son, nous semble-t-il, qu'au fond Nicolas de Cues a moins changé
qu'on n'a changé autour de lui. La politique outrancière dans laquelle
le concile se laissa entraîner n'avait jamais été désirée ni prévue par
lui. Entré au service d'Eugène IV, il s'employa à le faire reconnaître,
mais en même temps avec assez d'indépendance et de modération pour
être, à Rome, jugé trop enclin aux concessions. On lui a reproché
d'avoir évolué par ambition. Il faut avouer qu'il aurait été mal récom-
pensé, car on lui fit attendre une douzaine d'années le chapeau et l'évê-
ché de Brixen. Au reste, son désintéressement n'est guère douteux.
S'il n'est pas tout à fait indemne du vice, alors si répandu, du cumul
des bénéfices, ses torts sur ce point se réduisent à peu de chose. La
querelle avec Sigismond d'Autriche est un épisode assez déconcer-
tant dans la vie d'un prélat qui, par ailleurs, a toujours montré le
caractère et tenu la conduite d'un conciliateur» ; une des trouvailles
les plus intéressantes de M. Vansteenberghe est la lettre, citée p. 199,
où le cardinal exprime un certain regret de son intransigeance en
cette occasion et de son attachement excessif aux intérêts matériels
de son église.
La description de la vie religieuse de l'Allemagne à la fin du
moyen âge, d'après les sources augsbourgeoises, par M. Schairer^,
intéressante, bien documentée, impartiale et mesurée de ton, diver-
tit parfois par l'étonnement un peu naïf que témoigne l'auteur en
constatant qu'il pouvait y avoir avant Luther une religiosité inté-
rieure et vraie.
Ce sont des institutions caractéristiques que les églises nationales
qui existaient à Rome, au centre de la catholicité, et qui notamment
s'y sont fondées ou rétablies en grand nombre avec la réinstallation
de la papauté à Rome au lendemain du Grand Schisme. Aussi
faut-il savoir gré à M. Pocquet du Haut-Jussé' de la très solide,
consciencieuse et minutieuse étude qu'il a consacrée à la Compagnie
de Saint-Yves-des-Bretons, d'après ses archives conservées aujour-
1. Voir notamment, dans le domaine des «royances religieuses, le très curieux
traité De pace fidci, projet de paix religieuse perpétuelle analysé p. 400-408.
2. Dr. Phil. Schairer, Dos religiosc Vulksleben am Ausgang des Mittelaltcrs
nach Augsbimjer Quelle». Leipzig, Teubner, 1914, in-8% viii-136 p. {Beilrage
zur KuUurgeschichle des MiUelallers und der Renaissance herausgegeben
von Walter Goetz, fasc. 1.3).
3. Pocquel du Haut-Jussé, la Compagnie de Saint-Yves-des-Bretons à
Rome. Rome, typ. Cuggiani, 1919, in-B", 85 p.
96 BULLETIN HISTORIQUE.
d'hui au palais des établissements français à Rome. Depuis la
seconde moitié du xiv^ siècle au moins, il existait à Rome une
société des Bretons, mais une bulle de Martin V, de 1428, atteste la
décadence où elle était tombée. Une bulle de Oalixte III, en 1455, lui
donna un hôpital et une église, Saint-André, devenue Saint- Yves,
à charge d'y assurer le service paroissial. L'histoire de la Compa-
gnie au xv^ siècle n'est connue que par les pierres tombales qui jon-
chaient le sol de l'église, aujourd'hui démolie, les archives ne remon-
tant qu'à 1508 et n'étant vraiment riches que depuis 1547; mais, de
cette date jusqu'à la réunion de Saint- Yves à Saint-Louis-des-
Français, en 1582, elles ont permis à M. Pocquet de tracer un
curieux tableau de la vie de la colonie bretonne et des ressources,
des dépenses, des fêtes, de l'activité de la Compagnie.
E. Jordan.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
J. Beloch. Der rômische Kalender von 218 bis 168. (Extrait de
Klio, t. XV, 1918, p. 382 et suiv.)
M. Beloch reprend dans cet article un sujet que j'avais traité peu
auparavant dans le même périodique (Klio, t. XIV, p. 37 et suiv.). Je
ne puis donc me dispenser de m'expliquer sur les divergences de vues
qui me séparent de l'éminent historien.
M. Beloch a fait l'histoire de l'année 190 en éliminant complète-
ment les deux renseignements de Tite-Live relatifs, l'un à l'éclipsé du
14 mars 190 (XXXVII, 4), l'autre à la date de la bataille de Myonnèse
(XL, 52). La façon dont il explique ces deux « erreurs » qui le gênent
a déjà quelque chose de terriblement forcé. Mais il y a un fait bien
plus grave et décisif à mon sens, c'est la concordance des deux ren-
seignements. De la mention de l'éclipsé, empruntée aux annales pon-
tificales, il résulte qu'en 190, quinctilis (juillet) flavien =z notre mars.
De la dédicace où était commémorée la victoire de Myonnèse (août),
dédicace qui n'était certes pas mentionnée dans les annales, mais que
chacun sans doute pouvait lire encore au temps de Tite-Live, il
résulte qu'en 190, décembre flavien = notre août. L'une et l'autre
donnée concordent. Or, que nous ayons, pour une même année, deux
dates précises du calendrier romain, que ces deux renseignements
soient hétérogènes au point qu'aucune collusion ne puisse être sup-
posée entre eux, et que ces deux renseignements concordent rigoureu-
sement, c'est là un fait qui serait simplement miraculeux si les deux
dates n'étaient l'une et l'autre exactes. Il ne faut donc pas douter que
l'entrée en charge de Scipiop l'Asiatique (15 mars flavien) n'ait eu lieu
vers le 19 novembre 191.
Pour ce qui est de la période suivante, je laisse le lecteur juge de
la désinvolture avec laquelle M. Beloch se débarrasse de l'âquation : 22
juin 168 = 4 septembre -flavien. Les témoignages qui rattachent la
bataille de Pydna à l'éclipsé du 22 juin, comme ceux qui la placent
en septembre flavien, me paraissent, quant à moi, impossibles à
écarter.
Je ne vois donc aucun motif de retirer ce que j'ai dit pour la
période 191-167 et celle qui suit.
Il en est autrement de la période qui précède 191.
Il m'était déjà venu à l'esprit, en écrivant mon premier article, qu'il
semblait bien résulter du récit de Polybe (XVIII, 42) comme de celui
Rev. Histor. CXXXVI. l" FASC. 7
98 COMPTES-RENDUS CRITIQDES.
de Tite-Live (XXXIII, 24) une certaine coïncidence entre l'arrivée des
députés de Philippe à Rome, l'entrée en charge des consuls de 197-
196, et la paix. Mais il m'avait semblé que Polybe avait bien pu, pour
des faits dont il ne parlait que d'après des témoignages écrits, prendre
un consul désigné pour un consul, et que Tite-Live semblait placer
formellement les négociations avant l'entrée en charge. Ma certitude
concernant l'entrée en charge des consuls de 191-90, jointe à l'interpré-
tation ordinaire du témoignage relatif à Acilius Glabion, m'empêchait
de placer l'entrée en charge de Marcellus plus tôt que la fin de l'an
197. J'avoue que, sur ce point, d'une parties arguments de M. Beloch
relatifs aux faits de 197 m'ont paru convaincants, cependant que son
hypothèse heureuse sur la réforme de Glabrion, qui aurait eu lieu
durant la préture de celui-ci (197-6), rend la conciliation pos-
sible. On peut supposer que l'entrée en charge des consuls de 197-6
a eu lieu en septembre ou octobre 197 (car il n'y a tout de même
aucune raison de serrer les événements au point où le fait M. Beloch).
En supposant, d'autre part, que les intercalations ont été rétablies en
197-6 et se sont précipitées dans les années suivantes, on explique la
date du 49 novembre 191.
Je donnerais donc volontiers raison à M. Beloch, dans l'ensemble,
pour la période voisine de 197.
Reste à voir ce qui résulte de cette concession pour la période pré-
cédant 197.
Je sacrifierais difficilement le renseignement de Tite-Live sur le
décret de Fabius relatif aux kalendes de juin 215. Et ce, pour la rai-
son que j'ai dite dans l'article précité : je ne vois pas quand uQ anna-
liste romain (vivant entre 168 et 46) aurait été amené à supposer un
retard du calendrier romain. On peut toutefois, en supposant la mois-
son un peu précoce en 215, avancer l'entrée en charge des consuls
(15 mars flavien) du 21 mai au 21 avril, qui me paraît être le terme
extrême. Ce serait même plus en harmonie avec ce que nous savons
pour 218-6 (ici, je me contente de renvoyer à l'article de M. Beloch).
Ceci dit, en partant du 21 avril 215 (au lieu du 21 mai), et en sup-
primant les deux intercalations que j'avais admises encore après 215,
on tombe en 197 sur la date du 21 septembre, qui tient compte des
justes observations de M. Beloch. — Il ne subsiste qu'une difficulté,
relative au « cas » de 210, mais elle n'est pas insurmontable.
Je résume les résultats de la transaction intervenue :
Je maintiens pour le début de la guerre d'Hannibal un léger retard
du calendrier romain (cinq semaines au moins en 215) ; — je suis d'ac-
cord avec M. Beloch sur la suppression des intercalations de 215 à
197 et sur l'entrée en charge des consuls de 197-6 entre la bataille de
Cynoscéphales et l'automne (septembre ou octobre) ; — je me rallie à la
thèse de la réforme de Glabrion accomplie pendant la préture (197-6)
et à ce qui en résulte pour les années suivantes; — je maintiens abso-
lument la date de l'entrée en charge de Scipion l'Asiatique (vers le
SERRANO : LA LIOA DE LEPANTO ENTRE ESPANA, VENECIA T LA SANTA SEDE. 99
19 novembre 191) et la marche du calendrier romain jusqu'en 168
(entrée en charge de P. Emile vers le i" janvier 168); — tout en
admettant naturellement la possibilité d'intercalations irrégulières (il
y en a eu en tous cas aux environs de 168), j'exclus toujours l'hypo-
thèse de bonds énormes du calendrier romain jusqu'à l'époque de
Sylla.
Eug. Cavaignac.
R. P. D. LuciANO Serrano. La liga de Lepanto entre Espana,
Venecia y la Santa Sede (1570-1573). Madrid (Escuela espa-
nôla en Roma), 1918. T. I. In-8°, viii-356 pages. Index.
M. Serrano nous donne une bonne bibliographie critique de la sainte
Ligue contre les Turcs. Il a complété cette bibliographie par des
recherches aux Archives vaticanes et à Simancas.
Il arrive ainsi à nous présenter de l'histoire de la Ligue une version
véridique, assez différente de la légende. Au début, il montre la dan-
gereuse situation de Venise, dont les possessions levantines, et spé-
cialement Chypre, sont menacées d'être la proie des Turcs. Pie V
profite de la circonstance pour essayer de grouper contre Suleyman les
deux grandes puissances chrétiennes de la Méditerranée, la Sérénis-
sime et le Roi Catholique. Nous connaissons trop, par une expérience
récente, les défauts des coalitions pour nous étonner que l'œuvre
imaginée par le pape ait été difficile à réaliser V Sous le général pon-
tifical Marc-Antonio Colonna et l'amiral génois Doria, la première
expédition ne réussit pas même à secourir Chypre.
En 1571, grâce à « l'unité de commandement » réalisée sous don
Juan, ce fut Lépante. Victoire retentissante, célébrée en prose et en
vers. M. Serrano la célèbre à son tour et, après avoir vanté l'habileté
des chefs de l'armada chrétienne, il ajoute ces réflexions, qu'on s'éton-
nerait de trouver sous la plume d'un historien qui ne serait pas espa-
gnol : « En avançant cette affirmation l'on ne prétend pas nier, tant
s'en faut, la spéciale intervention divine en faveur des chrétiens que
les contemporains crurent voir dans cette victoire, ni méconnaître
l'effet miraculeux des prières du saint pape Pie V, auxquelles Phi-
lippe II et d'autres personnages politiques de cette époque attribuèrent
l'heureuse issue de la journée. »
Après ce salut aux formules pieuses, l'esprit critique reprend ses
droits et note que la Providence a bien incomplètement fait les choses :
« La flotte victorieuse n'avait conquis aucune position stratégique, ni
territoire, ni bases navales en Albanie, en Moïée, à Négrepont ou dans
les îles de l'Archipel, ni causé à l'ennemi aucun préjudice dans ses
1. « L'effet des ligues », écrit de Gênes le nonce, « est d'ordinaire que cha-
cun des aUiés voudrait accomplir les entreprises qui sont utiles pour lui. »
100 COMPTES-BENDCS CRITIQUES.
arsenaux ou dans sa marine marchande ; même, en dépit de sa défaite,
le Turc ne perdait pas, mais fortifiait son hégémonie navale dans la
Méditerranée levantine, grâce à l'occupation définitive de Chypre par
les armes musulmanes, Chypre dont la possession avait été la cause
de la rupture avec Venise ». Plus loin la victoire de Lépante est trai-
tée de « brillant fait d'armes, mais sans les conséquences importantes, ni
pour les vainqueurs ni pour les vaincus, que la généralité des histo-
riens a voulu y voir ». En vérité les prières de saint Pie V n'ont qu'à
demi été exaucées.
Elles ne réussirent pas à maintenir l'union entre les vainqueurs.
Venise se sentait jouée. Elle se demandait si elle ne ferait pas
sagement de s'entendre avec le Turc, et elle était inclinée en ce sens
par les conseils que lui prodiguait, à son passage, l'ambassadeur du
roi Très Chrétien auprès du sultan Sélim, l'évêque de Dax. M. Luciano
Serrano va un peu vite en besogne en disant que François de Noailles
faisait « profession ouverte de calvinisme », en l'appelant « l'évêque
calviniste ». Disons simplement que ce grand seigneur humaniste
n'était pas d'humeur à sacrifier la tradition et les intérêts français à
la politique espagnole.
Celle-ci, d'ailleurs, n'était rien moins que désintéressée. Philippe II
immobilisait don Juan à Messine et, avec cette admirable dissimula-
tion qui caractérise sa nature, il traînait en longueur l'expédition du
Levant, utile à Venise, pour employer la flotte chrétienne à la con-
quête d'Alger ou, tout au moins, à un coup sur Bizerte, entreprises
directement utiles à l'Espagne. Cette manœuvre avait commencé à se
dessiner dès avant la mort de Pie V ; elle s'accuse sous le pontificat
de Grégoire XIII.
M. Serrano, qui voudrait vanter la politique espagnole, se demande
si, en cette circonstance, on peut trouver à Philippe II des excuses.
La seconde moitié de "son livre est consacrée à la discussion de cette
question, angoissante pour une conscience comme la sienne. La
réponse est que Philippe II n'est guère défendable, n Conduite peu
franche, dit-il, farsa diplomàtica ».
Son excuse, c'est qu'il craint la France et aussi l'Angleterre et les
protestants allemands. C'est par là que le livre de M. Serrano devient
intéressant pour l'histoire de France. Lorsque Pompeo de la Cruz, en
février 1572, écrivait d'Allemagne à Milan : « D'une personne de foi
et d'importance on tient que le Turc a envoyé dire à l'amiral de France
de s'entendre avec son roi et d'aller avec les plus grandes forces pos-
sibles attaquer les États de Flandre, en sorte que le roi d'Espagne
soit forcé de les secourir, et que par ce moyen le Turc puisse harce-
ler la sainte Ligue ; que l'amiral devrait faire ce mouvement au nom
de son roi, et que le Turc le fournirait d'argent », Pompeo ne faisait
que recueillir un bruit, mais ce bruit devait inquiéter les Espagnols,
surtout quand il coïncidait avec les tentatives françaises sur Valen-
ciennes et Mons.
C. G. BOTHA : THE FRENCH REFCGEES AT THE CAPE. 101
II y avait aussi la flotte mystérieuse que Strozzi formait à Bordeaux.
Pour le Portugal, les Açores, le Nouveau Monde, peut-être pour la
Méditerranée. L'une des raisons qui pouvaient justifier une expédition
espagnole sur Alger, c'est que le prix dont le Turc paierait une inter-
vention française à Venise pourrait bien être l'établissement du pro-
tectorat français en Algérie. Nous savons, par nos sources françaises,
que ce projet n'était pas absolument chimérique ^
Cependant, devant les protestations et les menaces du pape, Phi-
lippe II, revenant sur son ordre du 17 mai, autorisait par lettre du
4 juillet don Juan à partir enfin pour le Levant^. Et cependant... le roi
disait à son frère : « Que la majeure partie de cette flotte et de ces gens
et votre propre personne passent en Levant pour l'accomplissement
de la Ligue, tout en veillant à ce que la nécessité de par deçà et le
danger que pourrait faire courir à mes royaumes et Etats l'éloigne-
ment de mes forces soient corrigés par quelque partie des gens et
galères que vous avez rassemblés. » Pour Philippe II, donner et rete-
nir vaut. En fait, par ses tergiversations, il avait empêché d'aboutir
la campagne de 1572 et manqué à ses engagements envers la Ligue.
Ceci à la veille de la Saint-Barthélémy, qui allait le libérer du péril
flamand et du péril algérien.
M. Serrano, qui publie en appendice une partie de ses pièces, pour-
suivra son étude, la plus complète qui existe sur le sujet. Elle fait
honneur à l'École espagnole de Rome.
Henri Hauser.
Colin Graham Botha. The French Refugees at the Cape. Cape
Town, Cape Times, 1919. viii-171 p., 2 cartes et 1 fac-similé.
On a beaucoup parlé des huguenots réfugiés au cap de Bonne-
Espérance, mais sans avoir de précisions sur eux. Le livre de M. C. G.
Botha est donc bien venu parce qu'il en fournit de décisives et que
vraisemblablement il épuise le sujet. Botha avait d'ailleurs eu un pré-
curseur dans le capitaine W. H. Hinde qui, en 1895, avait publié dans
le recueil de la Huguenot Society de Londres un travail intitulé : The
Huguenot Settlement at the Cape.
La colonie du Cap avait été fondée pour fournir de grains, de viande
et de légumes les navires qui y relâchaient. Elle constituait pour la
Compagnie néerlandaise des Indes orientales une lourde charge qu'on
ne pouvait atténuer qu'en augmentant le nombre des colons. Le 3 oc-
tobre 1685, le Conseil des Dix-Sept en prit la résolution et décida que
l'on comprendrait parmi ces colons des réfugiés français. On désirait
particulièrement ceux qui sauraient faire du vinaigre et distiller de
1. Voy. Ch. de La Roncière, Marine française, l. IV, p. 132 et suiv.
2. P. 298, I. 21, lire : « no desanlmar los Venecianos »,
102 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
l'eau-de-vie. Mais seulement deux ou trois réfugiés se montrèrent
disposés à aller au Cap. Le l^^ octobre 1687, les directeurs de la Com-
pagnie nommèrent un comité pour examiner si l'on n'enverrait pas des
Vaudois piémontais. Le comité approuva et décida que ceux qui vou-
draient aller au sud de l'Afrique devraient se présenter aux Chambres
d'Amsterdam et de Zélande pour être examinés. On leur promettait un
ministre français et le serment d'allégeance fut traduit en français pour
leur usage. On devait leur donner, en toute propriété, autant de terres
qu'ils pourraient en cultiver et leur vendre à crédit l'outillage et le
bétail nécessaire. Les réfugiés vinrent successivement dans sept navires
dont le premier mit à la voile le 31 décembre 1687. La durée de la tra-
versée pour ces vaisseaux fut de deux mois et dix jours à six mois. Plu-
sieurs perdirent du monde avant d'arriver au Cap. Les six premiers
emmenèrent en tout soixante-sept hommes, trente-trois femmes et cin-
quante et un enfants ; le septième, quarante réfugiés des deux sexes.
Après ce gros de l'émigration, une trentaine de réfugiés vinrent encore
sur six navires de 1688 à 1700. Le 12 juin 1690, le gouverneur Van
der Stel estimait à environ 150 le nombre des huguenots vivant au
Cap. Presque tous étaient Français. 2 ou 300 Vaudois de Nuremberg
qui avaient d'abord sollicité d'aller au Cap s'étaient finalement ravi-
sés, parce qu'ils « n'aimaient pas la mer et les longs voyages ». Presque
tous les huguenots furent étabhs à environ soixante-dix kilomètres
du Cap, dans la superbe vallée du Drakenstein, le long de la rivière
Berg, « où les beaux arbres croissent en quantité ». C'était alors la
frontière de la colonie. Soixante-cinq fermes leur furent concédées.
Quelques autres furent établis dans le district de Stellenbosch (à qua-
rante kilomètres du Cap). Tous étaient fort pauvres. Le gouverneur
ayant représenté leur misère à la Compagnie, celle-ci envoya 6,000 rix-
doUars (1,250 livres), provenant du fonds des pauvres de l'ancienne
colonie de Formose.
Dès le 8 novembre 1688, sur la demande des réfugiés, un maître
d'école fut nommé pour enseigner à leurs enfants. A sa mort, en 1723,
il n'y avait plus que vingt-trois réfugiés, ne comprenant pas le hollan-
dais. Son successeur parlait les deux langues. Le Drakenstein eut
d'abord le même ministre que Stellenbosch, mais en novembre 1689
ses colons pétitionnèrent pour former une congrégation séparée, la
promesse leur ayant été faite avant leur départ de Hollande qu'ils
auraient leur propre ministre. Rejetée avec indignation par le gou-
verneur, cette demande fut accordée par le Directoire. Le nouveau
consistoire de Drakenstein fut établi le 30 décembre 1691.
Les fermes concédées aux réfugiés étaient disséminées parmi des
fermes hollandaises, « pour qu'ils pussent apprendre la langue et les
coutumes des Hollandais » et se fondre avec eux. Les réfugiés consi-
dérèrent ce mélange comme une vexation et s'efforcèrent de vivre à
part des Hollandais. Beaucoup de ces derniers cessèrent d'avoir des
rapports avec les Français et plusieurs dirent qu'ils donneraient plu-
HADSER : TRAVAILLEURS ET MARCHANDS DANS l'aNCIENNE FRANCE. 103
tôt du pain à un Hottentot et à un chien qu'à un Français. Mais la
fusion des deux races s'opéra néanmoins peu à peu, les réfugiés
n'ayant jamais constitué plus d'un huitième de la population euro-
péenne. Les directeurs en profitèrent en 1701 pour interdire de prê-
cher en français à Drakenstein, u afin que cette langue puisse y tom-
ber en désuétude ». Les réfugiés protestèrent et l'ordre semble avoir
été d'autant moins observé qu'en 1703 les deux tiers de la congréga-
tion de Drakenstein ne pouvaient encore suivre un sermon en hollan-
dais. Mais, en 1723, il n'y avait plus que vingt-six personnes, toutes
âgées, ne comprenant pas le hollandais. En 1726, le sacristain Jéré-
mias Roux filt informé par le Consistoire de Drakenstein qu'il ne
devrait plus célébrer les offices en français. Quand l'abbé La Caille
vint au Cap err 1752, beaucoup de descendants de réfugiés parlaient
encore le français, mais aucun d'eux n'avait moins de quarante ans.
Matériellement, les réfugiés avaient vite prospéré et John Oving-
ton, qui les vit en 1693, dit « qu'ils reconnaissaient leur bonheur d'avoir
été transportés ». Le gouverneur paraissait moins enchanté : il écri-
vait en 1691 de ne pas lui envoyer de Français de qualité, mais seu-
lement des fermiers et des artisans industrieux, parmi lesquels les
Hollandais et les Allemands surpassaient tous les autres. En 1699, il
se plaignait que nombre de réfugiés, ignorant l'agriculture et travail-
lant peu, fussent une charge pour la Compagnie et le fonds des
pauvres. Dans les instructions qu'il laissa pour son fils la même
année, il disait que les colons français sont ceux auxquels il faut le
moins se fier. Cette méfiance était partagée par le landdrost de Stel-
lenbosch, qui disait en 1705 aux colons de Drakenstein qu'il était sur
que, si les Français attaquaient la colonie, ils se joindraient à eux.
Mais, dès l'année suivante. Hollandais, Afrikanders et réfugiés s'étant
associés pour protester contre la tyrannie de Van der Stel, on voit
l'antipathie contre les réfugiés disparaître. Ils ne paraissent pas avoir
introduit de noms français dans la langue afrikander (ceux qu'elle
contient viennent du hollandais) ; seuls, quelques noms de famille et
de lieu dont la prononciation a été déformée rappellent aujourd'hui
la venue des huguenots.
Le livre de M. Botha se termine par des listes de réfugiés, de bap-
têmes, de concessions de fermes, et par la copie des documents prin-
cipaux.
Emile Laloy.
Henri Hauser. Travailleurs et marchands dans Tancienne
France. Paris, Félix Alcan, 1920. 1 vol. in-8% viii-231 pages.
(Bibl. générale des sciences sociales.) Prix : 10 fr.
Sous ce titre, M. Hauser a réuni six études qui avaient paru dans
diverses revues de 1905 à 1912; il les reproduit sans aucune modi-
104 COMPTES-BENDDS CRITIQUES.
fication. Elles sont toutes, d'ailleurs, à des titres divers, fort intéres-
santes et instructives.
La première, qu'on peut considérer comme l'introduction de tout le
recueil, nous donne un aperçu de l'histoire économique en France.
L'auteur montre que cette histoire date, en réalité, de la seconde
moitié du xix^ siècle, bien que Montesquieu et surtout Voltaire aient
indiqué la voie à suivre, et que la Révolution française et la révolu-
tion industrielle qui a suivi commencent à donner aux historiens le
sens des questions économiques ; Guizot et surtout Augustin Thierry
se rendent compte de leur importance; Michelet, plus encore, par
l'effet d'une géniale intuition. Mais, de véritables spécialistes de
l'histoire économique, il n'y en a pas avant la publication de l'His-
toire des classes ouvrières, de Levasseur (en 1859). C'est à partir de
1875 surtout que cette section nouvelle de la science historique fait
de grands progrès en France, en grande partie sous l'influence
d'écoles étrangères : de l'école allemande, qui s'est formée dans des
Universités supérieurement organisées; de l'école anglaise, suscitée
par le développement industriel de l'Angleterre; de l'école russe, qui
se préoccupait surtout de la question agraire, si importante dans un
pays exclusivement agricole. — M. Hauser décrit ensuite les résultats
essentiels obtenus jusqu'à présent par l'histoire de l'agriculture, de
l'industrie, du commerce, cette dernière beaucoup moins avancée.
Enfin, il indique avec une grande netteté les principaux problèmes
que doit résoudre l'histoire économique et montre les principales
sources où elle peut puiser.
Dans une seconde étude, assez courte, l'auteur veut nous donner
une idée du parti que l'histoire économique et sociale peut tirer de la
géographie humaine, de l'action et de la réaction que le sol et l'homme
peuvent avoir l'un sur l'autre. Il prend quelques exemples intéres-
sants : les cultures, les routes, les industries, les établissements
humains. Il montre que, « si les causes géographiques sont relative-
ment permanentes, leur action sur l'homme est prodigieusement
variable ».
Une famine il y a kOO ans : c'est l'histoire, retracée d'après les
archives communales, d'une famine qui a désolé la ville de Dijon pen-
dant plus d'un an, en 1529-1530; l'énumération de toutes les mesures
que la municipalité a prises pour y parer : achat de blés, organisation
d'un grenier d'abondance, vente du blé aux habitants et aux boulan-
gers; réglementation imposée aux meuniers et aux boulangers, qui
doivent se conformer aux procédés de fabrication et à la taxation
édictés par le corps de ville; enfin, précautions prises contre les spé-
culateurs, dont il est d'ailleurs malaisé de déjouer les ruses.
Spéculations et spéculateurs au XV I^ siècle : c'est la description
— pour laquelle on a utilisé les travaux d'Ehrenberg sur les Fugger, de
Vigne et de Bonzon sur la banque lyonnaise — des spéculations aux^
quelles donnèrent lieu le commerce de l'argent et le crédit au xvi^ siècle.
HAUSER : TRAYAILLEOaS ET MARCHANDS DANS l'aNCIENNE FRANCE. 105
M. Hauser montre l'importance de la place d'Anvers, où fut instituée
la première grande bourse du marché financier ; il nous donne une
idée des grandes opérations accomplies par les spéculateurs de génie
que furent les Fugger, les Hœchstetter, les Grimaldi. On voit appa-
raître au xvi» siècle les origines du grand capitalisme, tel que nous le
connaissons.
Mais voici les deux études les plus importantes du volume. La, con-
troverse sur les monnaies est relative à l'une des questions les plus
intéressantes de l'histoire économique : le renchérissement de la
seconde moitié du XVP siècle. Le prodigieux accroissement du prix de
la vie, qui a troublé profondément la vie économique et sociale de cette
époque, a pour cause essentielle l'afflux énorme de l'argent du nou-
veau monde, à partir de 1545. Mais la plupart des contemporains ne
s'en rendaient pas compte. Ainsi les Remontrances et paradoxes du
seigneur de Malestroit (1565), qu'analyse M. Hauser, affirment que,
depuis 300 ans, il n'y a pas eu renchérissement de la vie, que
toute la perturbation procède de l'abaissement de la valeur de la mon-
naie de compte (la livre) par rapport à l'écu; telle est, déclare Males-
troit, la cause de la ruine des rentiers, seigneurs et officiers, dont les
revenus sont fixés en livres et non en écus. Jean Bodin, au contraire,
dans son Discours sur le rehaussement et diminution des mon-
noyes tant d'or que d'argent, de 1568, a compris admirablement
toutes les données du problème ; il a affirmé que la hausse des prix
avait pour cause principale l'afflux du numéraire, pour causes
secondaires l'exportation et le gaspillage, non moins que le « mono-
pole » des artisans et des marchands. Quant au Discours [ano-
nyme] sur l'extrême cherté (1574), il reproduit assez servilement,
sans toujours bien les comprendre, les arguments de Bodin. Ce qui
montre combien ce dernier était en avance sur son temps, c'est l'or-
donnance royale de 1577, qui, pour combattre la hausse de la livre, fixe
l'écu à trois livres, ce qui ne devait avoir aucun efïet bienfaisant, car
le renchérissement provenait de causes économiques profondes que le
pouvoir royal était incapable d'entraver.
Sous le titre Pouvoirs publics, M. Hauser étudie l'action des
diverses autorités sur l'organisation du travail. Dans les villes de
commune, c'est la municipalité qui exerce cette action. Elle a un pou-
voir de juridiction et un pouvoir réglementaire, sur les métiers libres.
Lorsqu'un métier est organisé en jurande, que l'initiative vienne des
maîtres ou de la ville, ce sont les magistrats municipaux qui doivent
ratifier les statuts. Même sur les métiers jurés, ils exercent leur sur-
veillance, ont voix au chapitre pour le recrutement du personnel; ils
agissent sur la réglementation industrielle au nom de l'hygiène (par
exemple, en ce qui concerne les boucheries), de la santé publique
(boulangers), sur le taux des salaires, sur les conditions du travail.
Souvent aussi, la commune a ses manufactures municipales. Ainsi,
« le droit de la commune, en matière d'organisation du travail, est
106 COMPTES-RENDOS CRITIQUES.
illimité ». Dans les villes seigneuriales, qui ne possèdent pas d'orga-
nisation communale, le seigneur et ses agents exercent exactement la
même autorité. Mais communes et seigneurs subissent de plus en plus
la concurrence du pouvoir royal, qui, surtout à partir de la fin du
xvie siècle, prétend s'ingérer dans tout ce qui regarde le travail indus-
triel. Au xvii« siècle se fixe définitivement « la théorie royale et mer-
cantilistede l'économie nationale ». Colbert a beaucoup contribué à la
faire triompher, car il considère que l'Etat doit prendre en main les
intérêts économiques de la nation. Les agents royaux se montrent de
plus en plus envahissants : lieutenants de police, parlements, inten-
dants, inspecteurs des manufactures, tous contribuent à cette main-
mise de l'État sur le travail, et un nouvel organe, le Conseil, puis
Bureau du commerce, centralise maintenant, résume en soi toute
cette action du pouvoir royal. Il y a là un travail d'unification, qui a
été favorisé par tout le développement de la civilisation française, et
auquel les intéressés- eux-mêmes se sont soumis volontiers, parce
qu'il était favorable à leur prospérité. Les agents de l'autorité royale
eux-mêmes, dans la seconde moitié du xviii<> siècle, ont préparé la
suppression des maîtrises et jurandes, qui ne devait être difinitive-
ment accomplie que par la Révolution.
Henri Sée.
Paul Arbelet. La jeunesse de Stendhal. Tome I : Grenoble,
1783-1799. Paris, Edouard Champion, 1919. 1 vol. in-8°, xviii-
403 pages. (Bibliothèque stendhalienne.) Prix : 15 fr.
Stendhal est à la mode : après une période incertaine où les calom-
nies de Sainte-Beuve et la déviation du goût l'avaient à peu près
classé parmi les écrivains ennuyeux, c'a été, presque sans transition,
après les louanges vengeresses de Taine, l'admiration hyperbolique.
Aujourd'hui, c'est la gloire. Sans doute, Stendhal garde-t-il quelques
adversaires armés; mais sans doute n'oseraient-ils plus le qualifier
d'illisible, de fastidieux et d'inintelligent. La formule retentissante
de M. André Suarès, suivant laquelle dix livres seulement par siècle
méritent l'immortalité, et que, pour le sien, deux au moins sur dix ont
été de Stendhal, traduira bien plus vraisemblablement l'engouement
passionné et la vogue presque officielle dont le « niais » de Faguet
est mieux que réhabilité.
A cette réparation solennelle, la grande édition des Œuvres com-
plètes, entreprise par M. Edouard Champion, aura largement con-
tribué. C'est comme un Appendice aux œuvres complètes que se
présente modestement le livre de M. Paul Arbelet. Excessive modes-
tie : il s'agit d'un effort considérable et heureux. Déjà familiarisé avec
la vie et la pensée d'Henri Beyle jusqu'à l'extrême intimité par la
publication du Journal d'Italie, par les Soirées du Stendhal-Club
PAUL ARBELET : LA JEUNESSE DE STENDHAL. 107
et plusieurs autres essais très démonstratifs, M. Paul Arbelet élève
ici à son écrivain d'élection le monument d'une piété aussi éclairée
que fervente. Après ce premier tome, consacré aux seize premières
années (1783-1799) à Grenoble, et un deuxième aux trois suivantes
(1799-1802) à Paris et à Milan, ne nous annonce-t-il pas une Vie
amoureuse et philosophique d'Henri Beyle (1802-1806), que, espé-
rons-le, d'autres tranches de biographie prolongeront, jusqu'à restituer
un jour le miroir complet d'une éblouissante destinée.
Tout un Uvre, se demande pourtant en attendant M. Arbelet, était-il
bien nécessaire pour raconter les premières années de Stendhal? La
réponse est que la formation d'une âme aussi complexe, aussi mêlée
et subtilement contradictoire, lui a semblé le plus intéressant des pro-
blèmes moraux ; mais un problème que quelques tableaux en raccourci
ne suffisaient pas à résoudre, et pour lequel il fallait la plus patiente
analyse des atavismes, du tempérament et des influences. De là, un
livre d'histoire, d'histoire psychologique et nuancée, également distant
d'un enthousiaste égarement et d'une défiante antipathie, et, pour
prendre son propre mot, un « roman vrai ».
De l'historien, M. Arbelet a toutes les primordiales qualités : une
patience d'investigation vraiment bénédictme, une prudence remar-
quable dans l'appréciation, un soin permanent de la vérification
poussé jusqu'à la minutie. Il ne se laisse pas aller non plus, comme
c'est si souvent le cas des biographes, à l'inconsciente apologie ; bien
qu'il aime son Stendhal, il ne se laisse pas fasciner par lui ; il garde
intacts sa faculté d'observation et son sens critique. Il reconnaît que
Beyle n'eut ni beaucoup d'idées ni beaucoup de curiosité (p. m). On
répondra que Beyle l'avait confessé lui-même; mais il ajoute que de
ces idées il ne faut s'exagérer ni l'originalité ni la profondeur. L'écri-
vain a composé « hâtivement » (p. iv), entassé pêle-mêle. L'homme n'a
pas été toujours exempt de cynisme (p. 75) ; par contre, il fut à tout
âge la dupe de ses chimères et le jouet de son cœur (p. 159), précur-
seur du réalisme qui ne voyait rien de la réalité.
On lira avec un plaisir extrême, même après tant d'autres essais,
d'ailleurs sporadiques, de beylistes, la patiente enquête sur les ori-
gines de Stendhal (livre I, p. 5 à 64), origines et influences pater-
nelles contre lesquelles la vie de l'enfant fut une perpétuelle réac-
tion, origines et influences maternelles infiniment plus décisives, car
il fut, de cœur et d'esprit, beaucoup moins Beyle que Gagnon. Sur
cette mère, qui lui laissa un héritage très varié de vertus aimables
et aussi d^assion concentrée, il y a des pages pénétrantes, comme
aussi sur les années heureuses de la première enfance (livre II, p. 65
à 82), dans une vieille maison maussade et laide du vieux Grenoble,
faite pour abriter de petites vies monotones et étriquées, celles des
Beyle; années qu'embellit pourtant la grâce lumineuse d'Henriette
Gagnon, cette mère tôt disparue; — et sur les années amères
(livre III, p. 83 à 144), après la mort de celle-ci, qui fut vraiment l'évé-
108 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
nement capital de sa vie, et qui, en inclinant sa destinée des sinécures
provinciales vers les voyages mélancoliques et du confort vers l'aven-
ture, lui permit de donner, dans une « vie incohérente d'artiste et
de soldat », la mesure de son génie. C'est enfin la conquête de la
liberté (livre IV, p. 145 à 197), au sortir de la tyrannie de l'abbé Rail-
lane, l'accès aux livres, une « furie de lecture », la découverte de Jean-
Jacques Rousseau. Ainsi, à quinze ans, est-il déjà, quand il rêve
la vie, à peu près le même que lorsque plus tard il la vivra, avec son
développement « excessif et presque monstrueux » de l'imagination
romanesque, avec son goût de la négation religieuse, avec son enthou-
siasme passionné pour la Révolution enfin, qu'il aima d'ailleurs, moins
pour ses principes que pour ses spectacles, et dont il railla non pas
les idées abstraites, mais l'héroïsme et le panache (p. 199 à 236). C'est
pour avoir vu passer devant la maison de son grand-père, du balcon
de la place Grenette, la Révolution dauphinoise, « avec ses fêtes, ses
ivresses et ses morts », que cet adolescent enfiévré et brûlant devint
révolutionnaire. Un jacobin de salon d'ailleurs, qui n'aimait que de
loin la foule « vulgaire » et « sale » et qui, comme tant d'autres depuis,
fut démagogue sous des lambris.
Ajoutons encore deux excellents chapitres, l'un sur Beyle à l'École
centrale de Grenoble, ses professeurs, leurs enseignements et ses
camarades (p. 235 à 326); l'autre, en conclusion, sur son départ du
Dauphiné et sa découverte de la vie, à une époque où la capitale pro-
vinciale semble avoir offert bien des possibilités de plaisir à un jeune
homme ardent et raffiné comme lui.
La minutie de cette biographie n'apparaîtra pas comme inutile.
Stendhal, homme de peu d'idées, ne fit, tout le long de sa vie, que
développer celles qu'il a entrevues dans sa jeunesse et auxquelles, à
quinze ans, il s'est définitivement fixé. Stendhal, homme de sensibi-
lité hyperesthésiée, a appris tôt à sentir, et jamais peut-être ne sentit
si fort qu'avant la maturité. Ni son esprit ni son cœur n'ont changé
après la vingtième année. Son portrait de jeunesse est donc un por-
trait véritable.
Comme M. André Beaunier pour son Joubert, comme Albert Cas-
sagne pour son Chateaubriand, M. Paul Arbelet n'a pas isolé Beyle de
son cadre. Les hommes et les choses de son temps animent ce livre
attachant que tous les stendhaliens aimeront.
Roger LÉVY-GUENOT.
Henri Prentout. Histoire d'Angleterre depuis les origines jus-
qu'en 1919. Paris, Hachette, 1920. In-16, xii-1 188 pages. Prix :
25 francs.
Les historiens et le grand public accueilleront avec une égale sym-
pathie ce livre clair et substantiel, plein de choses et facile à consul-
H. PRENTODT : HISTOIRE d'aNGLETERRE JDSQU'eN 1919. 109
ter, précieux instrument de travail enrichi de la substance des plus
récents travaux, remarquable synthèse qui pour longtemps sera défi-
nitive. Peut-être se portera-t-on d'abord, avec une légitime curiosité,
vers les derniers chapitres, où M. Prentout étudie ces deux faits essen-
tiels qui n'ont pas achevé de développer sous nos yeux toutes leurs
conséquences : l'avènement de la démocratie anglaise, la formation
de l'Empire britannique. Qu'il s'agisse de l'évolution économique et
sociale, du mouvement religieux, artistique ou littéraire, de la crise
des Lords ou des affaires étrangères, il y a dans ce manuel tout un
ensemble de notions précises et sûres qui aideront à mieux con-
naître un peuple dont il est plus que jamais indispensable d'étudier
le caractère et l'histoire. Quelles sont les grandes crises de l'histoire
irlandaise jusqu'en 1918? Où en est le mouvement ouvrier et socia-
liste depuis 1895 et quelle a été, depuis 1900, l'attitude du Labour
party? Quel rôle ont joué dans l'Europe contemporaine des hommes
tels que Canning et Palmerston, Gladstone et Chamberlain, Asquith
et Lloyd George? Toutes ces questions que l'actualité nous impose se
trouvent ici posées, discutées, élucidées. Puis, avec un guide aussi
averti et de si agréable compagnie, le lecteur remontera plus aisé-
ment dans le passé et il comprendra mieux l'intérêt des époques plus
lointaines, dont la connaissance a été renouvelée par une foule de tra-
vaux d'érudition ou par quelques grandes œuvres historiques : la
Révolution parlementaire du xviii* siècle, le xvF siècle', le moyen
âge. Il suffit de parcourir la bibliographie placée par M. Prentout à la
fin de son volume pour voir quelle large part les savants français ont
•eue dans ce travail. D'autre part, un réveil historique incontestable
s'est manifesté en Angleterre et il est curieux de constater comment
l'école historique anglaise s'est progressivement émancipée des
influences germaniques. Kemble, Freeman, Stubbs, prenant leurs
modèles et puisant leur inspiration chez les historiens d'Allemagne,
avaient été portés « à ne voir dans le peuple anglais que l'élément
anglo-saxon, à faire dériver toutes ses institutions politiques et
sociales des institutions des peuplades primitives germaniques ». Puis
une réaction contre le germanisme s'est fait jour : on a rendu sa place
dans la formation du peuple anglais à l'élément celte, on a dégagé
l'importance de l'élément romain et Scandinave, on étudie la valeur
1. M. Prentout, rencontrant sur son cheiuin Philippe II, le grand adversaire
d'Elisabeth, l'eiécute en une formule fort jolie, mais sans doute injuste : ce
prince, dit-il (p. 345), était « toujours en retard d'une idée, d'une année, d'une
armée et d'une flotte ». Sans doute, M. Prentout n'avait pas à nous faire le
portrait de Philippe II, mais il m'inquiète de trouver en sa bibliographie une
référence au seul ouvrage de Forneron, qui n'a guère mis en œuvre que les
documents hostiles à Philippe II et qui accepte notamment, avec une incroyable
légèreté, les anecdotes et les fables répandues par Guillaume d'Orange. Il serait
déplorable que l'on continuât à regarder cet ouvrage comme la Judicieuse syn-
thèse de tout ce qui a été écrit sur le monarque espagnol.
110 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
de l'apport normand dans les institutions et dans la civilisation. Ces
précisions à venir, nul n'est plus qualifié que M. Prentout pour nous
les apporter. N'a-t-il pas consacré ,de pénétrantes analyses' à l'his-
toire de la Normandie, « trait d'union entre la France et l'Angle-
terre^ »? Car l'histoire de la Normandie s'est un jour confondue avec
celle de l'Angleterre : le duché a marqué profondément de son
empreinte, de son sceau, le royaume que conquirent ses enfants, et
c'est vraiment en 1066, suivant la remarque déjà faite par Boutmy,
que se dessine et s'accuse « la pente sur laquelle s'est déroulée toute
l'histoire des institutions politiques anglaises ». Au surplus, il y a
toujours eu entre la France et l'Angleterre un échange perpétuel
d'idées, de connaissances, d'impressions artistiques et littéraires. De
là, dans l'histoire des deux pays, un remarquable parallélisme que
M. Prentout s'est efforcé de mettre en lumière. Comparer le mouve-
ment lollard du xiv« au xv^ siècle à notre Réforme du xvi« siècle et
le schisme anglican de 1530 au gallicanisme de 1688, rapprocher les
deux Révolutions de 1640-1648 et 1789-1793, évoquer Bonaparte à
propos de Cromwell, c'est ajouter un intérêt plus puissant à l'étude des
choses anglaises, c'est contribuer à les rendre plus vivantes et plus
accessibles au public français.
Louis ViLLAT.
Ch. RiST. Les finances de guerre de TAlIemagne. Paris, Payot,
1921. In-8°, xiv-294 pages. Index. Prix : 15 fr.
Ceci est, dans toute la force du terme, un ouvrage capital. Sans
doute la Revue historique n'a pas à se prononcer sur la partie doc-
trinale du livre. Mais, avant tout, ce livre est un livre d'histoire,
le livre d'un historien qui sait rassembler les faits et les textes et qui
sait lire, même quand les textes essaient de taire ou de travestir la
vérité. Que, deux ans seulement après la paix, puisse paraître cette
histoire financière de la guerre chez l'un des principaux belligérants,
et que cette histoire soit à ce point solide, qu'elle sente si peu l'im-
provisation, voilà qui fait le plus grand honneur au labeur, à la lar-
geur d'intelligence, à la force de pénétration de l'auteur. De nombreux
ouvrages économiques sur la guerre, publiés en diverses langues,
furent des plaidoyers. Celui-ci, encore une fois, est une histoire, écrite
sans aucun parti pris de dénigrement ou d'aveugle admiration.
Une histoire d'abord de la préparation financière de là guerre par
l'Allemagne. Par une patiente et soigneuse analyse des bilans des
banques, par une étude attentive de la politique de la Reichsbank
1. La Civilisation /ranpawe, juillet-août, septembre-octobre 1919, mars 1920.
2. L'expressiott a été employée par M. P. Yvon dans une récente thèse de doc-
torat d'Université : Traits d'union normands avec V Angleterre avant, pendant
et après la Révolution (Caen, 1919, 374 pages).
CE. RIST : LES FINANCES DE GOERRE DE l'aLLEMAGNE. 111
et des mouvements du marché monétaire allemand, M. Rist établit que
ces préparatifs financiers, mentionnés dans les fameux rapports secrets
du 19 mars 1913, « commencent au lendemain d'Agadir >>. Les trente-cinq
pages, d'une admirable texture, que M. Rist consacre à ces préparatifs,
sont, dans leur sérénité même, l'une des plus fortes preuves que nous
ayons de la préméditation allemande. « Ainsi l'Allemagne, conclut-il,
entrait dans la guerre après une longue préparation financière, son
plan achevé, ses précautions prises... Et, tout de suite, l'énergie avec
laquelle intervint la Reichsbank montra qu'elle n'était pas prise au
dépourvu ».
La politique financière qui a permis à l'Allemagne de vivre cinq ans
est surtout l'œuvre d'un homme, non pas de Helfïerich, mais de
Havenstein. Au premier remonte la responsabilité de la politique bud-
gétaire, qui « porte la marque de la légèreté et de l'insincérité ». Au
second revient le mérite de la politique monétaire et de celle des
emprunts.
M. Rist est loin d'admirer sans réserve cette politique. Il montre
combien elle était compliquée et souvent menteuse. La création, à
côté de la monnaie métallique et des billets de banque, « d'une troi-
sième monnaie », les Reichskassenscheine ; l'assimilation de ces bons
impériaux au métal pour constituer l'encaisse liquide de la banque
d'Empire; enfin l'apparition, à côté des billets et des bons, d'une « troi-
sième catégorie de monnaie de papier », les Darlehenskassenscheine^
c'est ce que M. Rist n'hésite pas à nommer des « trucs » trop ingénieux,
destinés à tourner la fameuse règle du tiers « en ayant l'air de la
maintenir ». Il y avait là un édifice singulièrement fragile, qui ne se
pouvait consolider que par la victoire. Si la victoire était venue, avec
les conséquences économiques que les Allemands les plus modérés
affichaient l'intention d'en tirer, nul doute que l'œuvre de Haven-
stein apparaîtrait aujourd'hui comme le chef-d'œuvre de l'habileté
financière.
Telle quelle, elle a permis de mobiliser au service de la guerre
allemande la richesse allemande. Il est tout à fait injuste de parler,
comme on l'a souvent fait chez nous, de « superposition extravagante
d'emprunts sur des avances et d'avances sur des emprunts ». En
autorisant les souscriptions sur avances, le gouvernement allemand
n'a rien fait qui ne se soit fait (et qui ne se fasse encore) ailleurs. « C'est
une des nombreuses méthodes de création monétaire que tous les belli-
gérants se sont vus forcés d'adopter. » L'hypocrisie est ailleurs. Elle
est où nous venons de le dire, dans la création d'une encaisse-papier
mensongèrement confondue avec une encaisse métallique. Hypocrisie
dont le public était complice. « Pas plus pour sa dette à l'égard de la
banque que pour son papier-monnaie, l'Allemagne n'a désiré la clarté. »
A cette ignorance volontaire, M. Rist oppose la sincérité des bilans de
la Banque de France.
Il montre également que, si l'Allemagne, en appatence, a su éviter
112 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
le moràtorium, ce n'est pas qu'elle ait témoigné d'une élasticité éco-
nomique comparable à celle de l'Angleterre, c'est que, par une autre
série d'artifices, elle a « substitué le moràtorium individuel au morà-
torium général ».
Un autre mensonge financier allemand, c'est celui qui consiste à
dire que le blocus renforçait la situation de l'Allemagne, en suppri-
mant l'importation et les dettes extérieures.
Il est exagéré, à mon sens, d'écrire avec M. Rist (p. 72) que « leurs
dettes étrangères, dont ils n'ont même plus à payer les intérêts (?), ne
pèsent pas très lourd .sur les épaules des Alliés, malgré leurs chiffres
nominaux que la baisse de change ne cesse de grossir ». Toujours est-il
que l'Allemagne s'est trouvée aux prises avec un problème singuliè-
rement plus délicat ; « Se contenter de sa seule épargne. » Le fait indé-
niable, c'est qu'elle l'a résolu. M. Rist, trop bon historien pour se lais-
ser décevoir par les théories, ne dit pas : « Cela ne se pouvait. » Il dit :
« Cela se fit. » L'histoii^e des emprunts allemands est la partie essen-
tielle de sa démonstration.
Dans son histoire des impôts, il établit que le contribuable allemand
était au début du siècle un des moins imposés parmi les habitants des
grands États. La charge du contribuable prussien était de 42 marks 50
par an (taxes communales, régionales et nationales), celle du Français
de 79 m. 57, celle de l'Anglais de 101 m. 44. La marge imposable
était donc plus grande en Allemagne qu'ailleurs. Si pourtant l'Empire
n'a pas demandé tout d'abord à ses sujets un effort fiscal comparable
à l'admirable effort anglais ni même au médiocre effort français ', c'est
toujours pour la même raison : la guerre devait être brève, et l'in-
demnité devait faciliter la liquidation de l'opération. C'est seulement
quand les difficultés commencèrent qu'il fallut demander à l'impôt
des ressources pour l'Empire. Ces difficultés même, et la multipli-
cation indéfinie du papier-monnaie, révélèrent des phénomènes qu'il
fallut bien voir, auxquels Helfferich essaya de trouver des explications
rassurantes, mais qui n'en étaient pas moins des causes de ruine,
comme l'effondrement du mark. Se consoler de cet effondrement en
prophétisant le « détrônement de l'or », voilà qui faisait honneur à la
capacité allemande de créer des systèmes, mais ce n'est pas avec de la
métaphysique que l'on redresse une situation économique.
La victoire et l'indemnité ^ ayant manqué, la politique de Haven-
stein a échoué, et l'Allemagne s'est trouvée, encore plus que les autres
belligérants, devant cette « plaie sans cesse ouverte et qui infeste l'orga-
t. Je ne parle que de l'eflfort demandé au contribuable français dans les pre-
mières années de la guerre.
2. La Revue historique n'est pas le lieu où pourrait s'exposer et se discuter
la très intéressante critique que fait M. Rist de la théorie (il dit même du para-
doxe) de l'indemnité. Il y a certainement, dans ces pages, bien des choses qui
auraient pu servir à ceux qui, en fin de compte, se sont trouvés les vain-
queurs — pages dont certaines avaient paru, dans les revues, à l'heure utile.
p. -G. LA CHESNAIS : LES PEDPLES DE LA TRANSCAUCASIE. 113
nisme entier, le déficit budgétaire ». M. Rist montre que le grand mérite
d'Erzberger fut d'essayer de fermer cette plaie. Dans un appendice sur
« la situation financière de l'Allemagne en juillet 1920 », il démonte
pièce à pièce le budget allemand, et il n'a pas de peine à prouver que
les comparaisons établies entre les charges effectives de l'Allemagne
et celles de la France et de l'Angleterre « ne donnent pas de l'effort alle-
mand l'impression favorable que la presse et le gouvernement du Reich
en voudraient suggérer ». La formidable campagne inaugurée par le
livre de J.-M. Keynes, et contre laquelle n'ont réagi qu'avec mollesse
certains économistes des pays alliés, cette campagne ne saurait pré-
valoir contre ces faits : « La charge par tête... est en Allemagne
moindre qu'en France... Ce peuple de soixante millions d'hommes
est moins obéré que le nôtre. » Voilà, n'est-il pas vrai? qui éclaire la
question des réparations.
Mais nous ne nous aventurerons pas davantage sur ce terrain, qui
confine à la politique actuelle. Nous avons dit que nous ne jugerions
le livre de M. Rist que comme un livre d'histoire. Nous tenons à
répéter qu'il est peu de contributions aussi solides à l'histoire de la
grande guerre. Comme la politique financière de l'Allemagne a res-
semblé à celle des autres Etats, comme elle leur a parfois servi de
modèle, comme cette politique n'a été, en somme, qu'un cas particu-
lier — un cas extrême — de la politique financière des belligérants,
on voit quelle est la portée générale de cet excellent ouvrage. Il honore
la science française.
Henri Hauser.
P. -G. La Chesnais. Les peuples de la Transcaucasie pendant
la guerre et devabt la paix. Paris, édilions Bossard, 1921.
1 vol. in-16, 218 pages, avec 3 cartes. Prix : 9 fr.
C'est une étude très utile et fort intéressante, que recommandent une
documentation très sure et une information très étendue, et qui nous
fournit une foule de renseignements sur des faits peu connus dans
l'Europe occidentale. L'elîondrement du tsarisme a posé la question
particulièrement difficile de la Transcaucasie, où se trouvent aux
prises diverses nationalités, qui peuvent d'autant plus difiicilement
s'accorder qu'on y rencontre un grand nombre de races, difîérentes par
les mœurs et les religions, et qui nulle part ne forment un groupe
compact. A l'ouest sont les Géorgiens, au sud les Arméniens, à l'est
les Tartares; mais presque partout ces populations s'entremêlent, et
c'est ainsi qu'à Tiflis les Géorgiens ne forment qu'un cinquième de la
population. Puis, dans tout le pays, un assez grand nombre de
Russes, fonctionnaires et colons. La politique extérieure, qui a
imposé à ces diverses populations des orientations différentes, a eu
Rev. Histor. CXXXVI. 1" fasc. 8
114 COMPTES-RENDDS CRITIQDES.
pour effet de les séparer encore plus profondément les unes des
autres.
L'auteur étudie successivement l'influence exercée par la guerre et
la révolution bolcheviste sur la Géorgie, l'Arménie, les Tartares. La
Géorgie, qui vit dans l'orbite de l'Empire russe depuis la fin du
xviiF siècle et le commencement du xix«, se montrait en somme
satisfaite de cette domination qui la protégeait contre les Turcs.
Lorsque la guerre éclata, ce fut un comité peu nombreux de Géor-
giens qui traita avec la Turquie, en octobre 1914, pour faire recon-
naître l'indépendance de la Géorgie. Rien d'étonnant qu'à la suite de
la révolution russe Noë Jordania, chef du parti social-démocrate,
se soit prononcé contre l'indépendance, pour le rattachement à la Rus-
sie. Mais la révolution bolcheviste changea totalement l'attitude des
Géorgiens, qui décidèrent la création d'un Parlement transcaucasien
indépendant. Puis, l'armée russe s'étant débandée, il fallut entamer
des pourparlers avec la Turquie, renoncer à l'union avec la Russie.
En mai 1918, les Géorgiens proclamèrent leur indépendance, ce qui
eut pour conséquence la création de la république tartare de l'Azer-
beidjan, puis la proclamation d'indépendance de l'Arménie. Les Turcs
ayant envahi la Transcaucasie, les Géorgiens durent demander la pro-
tection des Allemands. A l'armistice, les Allemands quittèrent le pays
et furent remplacés par les Anglais.
M. La Chesnais consacre un chapitre très nourri à Bakou, la ville
du pétrole, dont l'importance économique s'est accrue d'une façon pro-
digieuse depuis 1870 ; c'est un centre industriel isolé au milieu d'un pays
agricole, comprenant 100,000 Russes, 60,000 Arméniens et une popu-
lation tartare, élément tout à fait inférieur. Il n'est pas étonnant que^
dès mars 1918, Bakou se soit proclamé république indépendante. Un
soviet fut créé sous la présidence de l'Arménien bolcheviste Chaou-
mian, mais dans lequel^les tendances non bolchevistes étaient repré-
sentées. Bakou s'opposa énergiquement aux Turcs et, si la ville suc-
comba après quatre mois de siège, si sa prise entraîna le massacre de
20,000 Arméniens, sa résistance constitua cependant un échec grave
pour la politique allemande et turque.
La république d'Azerbeidjan fut une création tout artificielle (le nom
a été emprunté à la province persane voisine). Cette république fut
établie par l'aristocratie des propriétaires tartares, qui ne forment que
3 °/o.de la population; c'est un pays fertile, grâce aux travaux d'irri-
gation créés par les Européens, et qui par conséquent aurait tout
avantage à être protégé par la Russie, car les Turcs sont incapables
de toute organisation technique. Dans l'idée d'Enver Pacha, l'Azer-
beidjan devait s'étendre sur 140,000 kilomètres carrés, englober
Batoum sur la mer Noire et comprendre une population de trois mil-
lions d'habitants ; ce serait une province turque dont l'Arméùie ne for-
merait qu'une enclave. M. La Chesnais montre que les Anglais
commirent la faute de soutenir contre les Russes la république
JULIEN BONNECASE : LA NOTION DE DROIT EN FRANCE AU XIX^ SIECLE. 115
d'Azerbeidjan et de faire ainsi le jeu des Turcs et du gouvernement
bolchevik.
L'Arménie a été particulièrement victime de la politique générale
pendant la guerre et depuis la paix. La question arménienne est très
malaisée à résoudre et d'autant plus que, politiquement, l'Arménie
comprenait deux parties : une Arménie russe, persécutée par le tsa-
risme, mais relativement tranquille, et une Arménie turque, où des
massacres étaient continuels. Les Arméniens russes, souvent très assi-
milés à la civilisation russe, se seraient volontiers rattachés à une
Russie démocratique, mais ils ne forment, avec les Arméniens turcs,
qu'une seule nationalité, et le grand parti arménien, le dachnaktzou-
sioun, est essentiellement un parti national. Au congrès d'octobre
1917, les Arméniens russes décident de se rattacher à la république
fédérative de Transcaucasie. Mais, à la suite de la révolution bolche-
viste et du traité de la Géorgie avec les Turcs, l'Arménie se proclame
indépendante. La situation si diflBcile de l'Arménie ne fut guère amé-
liorée par l'armistice; elle eut à soutenir la guerre contre la Géorgie
et était sans cesse menacée par les Turcs. M. La Chesnais montre avec
une grande netteté la faute que commit l'Angleterre en ne soutenant
qu'insuffisamment les Arméniens, contrairement à son véritable inté-
rêt, comme le déclarait Lord Bryce : l'Arménie est le passage natu-
rel entre l'Anatolie et la Caspienne; soutenir les Arméniens, c'est lut-
ter de la façon la plus efficace contre la Turquie. Les Anglais déci-
dèrent de se retirer du pays, et, en fait, ils abandonnèrent l'Arménie
(en août-septembre 1919), même lorsque les États-Unis eurent refusé
le mandat arménien. Aujourd'hui, la petite république d'Erivan est
menacée de toutes parts, exepté au nord. Les Alliés ne la protègent
réellement pas; Lloyd George a déclaré cavaUèrement, dans un dis-
cours récent, que c'était aux Arméniens à se défendre eux-mêmes et
qu'on ne leur accorderait qu'un secours purement moral. Cependant,
c'est grâce à l'Arménie que la Géorgie a pu conserver son indépendance
et que la Transcaucasie n'est pas tombée sous la domination turque.
M. La Chesnais conclut que la situation de l'Arménie et même celle
de la Géorgie restent précaires, parce qu'elles n'ont pas de protection
efficace : elles sont isolées au milieu du monde turc et elles ne pour-
raient être assurées de l'avenir qu'à la condition d'avoir l'appui d'une
Russie démocratique.
Henri Sée.
Julien BoNNECASE, professeur à la Faculté de droit de Bordeaux.
La notion de droit en France au XIX« siècle. (Contribulion
à l'élude de la philosophie du droit contemporaine). Paris, F. de
Boccard, 1919. (Bibliothèque de l'histoire du droit et des institu-
tions, t. XVin.) Prix : 12 fr. 50.
Ce livre rentre pleinement dans le cadre des préoccupations des lec-
116 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
teurs de cette revue : c'est en effet l'histoire des doctrines françaises
sur le fondement même de toute pensée juridique, la notion de droit.
Composé pendant la guerre et fruit des réflexions qu'elle suggéra,
cet ouvrage a pour tendance générale d'élever la notion du droit à
la hauteur d'un principe éternel, intangible, immuable, disons tout,
« immanent ». L'auteur veut nous montrer les doctrines juridiques de la
France au xix^ siècle se rattachant, de plus ou moins loin, à cette
idée supérieure; la pensée française faisant bloc dans une croyance,
généralement admise, en un idéal juridique, s'opposant à la concep-
tion allemande réaliste et étatiste du droit'. »>
La croyance à un principe supérieur du droit a, en efïet, dominé en
France au xix« siècle nos luttes politiques, religieuses ou sociales.
Chaque parti l'admet en s'en réclamant, chaque opinion l'avoue du
fait même qu'elle l'invoque. Législateurs, commentateurs, jurispru-
dence attestent en toute occasion la notion de droit. L'Alsace-Lor-
raine séparée de la France s'en réclamera passionnément, appuyée par
toute l'opinion française. Y a-t-il pourtant dans ces allusions inces-
santes à la notion de droit un élément caractéristique de la France du
xix^ siècle? N'est-ce pas plutôt la protestation éternelle et nécessaire
de tout être lésé et sans recours meilleur?
Il faut bien conclure de l'exposé si clair et si documenté de M. Bon-
necase que, si l'opinion juridique française s'étend assez volontiers à
reconnaître la notion de droit, elle borne en général son accord à cette
seule expression. Dès que se pose la question de la nature de la notion
de droit, les avis divergent. La notion de droit est pour les uns un
pur fait du domaine des constatations : le fait de la solidarité pour
M. Duguit, ou encore le fait de l'interdépendance sociale. Pour d'autres,
elle apparaît comme un principe supérieur dont chaque doctrine, à sa
manière, s'efforce de dégager la base. — La doctrine psychologique veut
voir dans le droit tantôt un produit des consciences individuelles se
formant sous l'empire des opinions et des besoins du moment, tantôt
la résultante d'une conscience sociale collective (M. Tanon), tantôt
enfin une donnée immédiate de la conscience, identique chez tous les
hommes, dans tous les temps, parce qu'inhérente à la nature humaine
(Aucoc, M. Pillet). — La doctrine métaphysique prolonge dans le
domaine de l'inconnaissable les conclusions les plus avancées des doc-
trines psychologiques. Pour Delvincourt, Demante, Demolombe, le droit
est une idée supérieure d'origine divine, éternelle et immuable, cons-
ciente pour tout homme. D'autres prétendent que l'idée de droit ne peut
être perçue qu'au moyen de la raison et par une pénible élaboration ;
ils entendent réserver aux plus sagaces le monopole d'en dégager les
1. M. Bonnecase repousse comme contraire à nos traditions juridiques fran-
çaises certain mouvement doctrinal fort renseigné sur le droit allemand d'avant
guerre. C'est ainsi qu'il est d'une sévérité peut-être excessive pour l'œuvre de
R. Saleilles, qui eut au moins le rare mérite de charmer une génération si elle
ne parvint pas toujours à la convaincre.
JOLIEN BONNECASE : LA NOTION DE DROIT EN FRANCE AD XIX* SIECLE. 117
contours (Duranton). L'œuvre magistrale de M. Gény se rattache à la
conception métaphysique du droit. — Enfin, les doctrines religieuses
apparaissent nécessairement une fois qu'on est lancé sur la pente de
la métaphysique. Tout esprit rattaché à une religion précise trans-
forme inévitablement une vague conception métapliysique du juste en
un acte de foi religieuse. Marcadé, Vareilles-Sommiere, Coquille,
Lucien Brun l'ont fait pour la doctrine catholique, et leur œuvre est
le point extrême de cette gradation où nous venons de voir chaque
philosophe du droit apporter selon ses préférences une dose toujours
croissante d'idéal.
Le contenu de la notion de droit est tout aussi discuté que sa nature.
Certains la conçoivent comme une forme vide, susceptible d^ ren-
fermer un contenu variable selon les lieux et les temps (Saleilles,
Labbé). D'autres précisent tout au moins dans leurs termes la subs-
tance du droit : ce serait l'utilité générale, le bien commun, la soUda-
rité en un mot (M. Tanon). — La doctrine métaphysique d'un droit
naturel universel et immuable voulait jadis trouver dans le for inté-
rieur d'un chacun le code modèle avec les rubriques : propriété, pres-
cription, contrat, testament, succession ab-intestat; elle se borne
maintenant à affirmer l'existence d'un principe supérieur de respect
de la personnalité humaine. A cette école individualiste et libérale se
rattachent avec certaines nuances le philosophe Caro, MM. Beudant et
Michoud.
Sur la fonction de l'idée de droit, l'entente entre théoriciens n'est
point meilleure. La notion de droit semblait à Oudot un idéal plus
ou moins réalisable ; elle présente un caractère impératif aux yeux de
M. Planiol. Son action s'étend même au domaine judiciaire; mais
M. Gény fait acte de prudence en ne permettant au juge et à l'inter-
prète de ne l'invoquer que sur la base et par le moyen du droit posi-
tif. Dans le domaine législatif, tantôt le droit naturel est vanté
comme un code de préceptes supérieurs aux lois positives (Bélime);
tantôt comme une simple directive guidant le législateur, chargé de
réglementer les rapports sociaux (M. Gény). Pour certains (M. Duguit),
le droit social aux mains d'un état tout-puissant donne comme but à
chaque disposition législative le renforcement de la solidarité et le
développement du bien commun. (Le qualificatif des lois sociales
appliqué de nos jours à des mesures de pur droit privé procède de
cette conception.) Les doctrines métaphysiques, au contraire, mainte-
nant leur point de vue individualiste, opposent aux fantaisies du légis-
lateur la barrière des droits individuels. Elles ne tracent pas de ligne
de conduite, leur action est purement négative.
La protection des libertés de l'individu ou des groupes, assurée par
cette doctrine métaphysique de la notion de droit, semble pour l'au-
teur présenter les meilleures garanties non seulement d'équilibre
interne des divers éléments d'une même nation, mais aussi d'équi-
libre international. Il ferait volontiers de cette théorie la conception
118 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
traditionnelle du droit en France % et son exposé historique n'a peut-
être pas d'autre but que de dégager par la réfutation de tous sys-
tèmes contraires la doctrine à laquelle il donne ses préférences. Il ne
saurait lui en être fait grief; les événements des dernières années
devaient fatalement conduire à son apogée l'idéalisme juridique,
auquel tendait indiscutablement depuis 1870 le plus fort courant
d'opinion en France. Il est intéressant que les conceptions métaphy-
siques de la notion de droit aient été ainsi savamment synthétisées et
affirmées avec autorité par l'un des meilleurs esprits de la philoso-
phie française contemporaine du droit. Que l'auteur nous permette
seulement certaines réserves sur ces prévisions d'avenir. Écrirait-il
aujourd'hui, d'ailleurs sans réserves, certaines lignes sur l'idéalisme
juridique de toutes les nations alliées et sur le « réalisme » de nos
seuls adversaires?
F. JOÛON DES LON&RAIS.
1. La conception traditionnelle de la France, celle du moins qui peut invoquer
le plus long passé, n'est-ce pas plutôt l'idée du droit coutumier fondé sur une
longue expérience des faits et sur une tradition toujours respectable? La cou-
tume, produit réellement autochtone, œuvre de notre race, ne se trouvait pas
à la merci des fantaisies d'un législateur. On se posait moins la question de
l'existence d'un droit naturel dans notre ancienne France, parce que le fonde-
ment du droit positif était mieux établi et moins discuté. Ne ressort-il pas des
divergences précédemment exposées sur la notion de droit une crainte perma-
nente de notre France du xix° siècle vis-à-vis de l'œuvre possible de son légis-
lateur. D'aucuns veulent étendre son action sociale à l'extrême, tandis que
d'autres s'essaient à lui imposer le frein quelque peu théorique des droits indi-
viduels. La genèse coutumière du droit ne donnait-elle pas plus de garanties,
tout en sauvegardant également la marche incessante du droit?
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire générale. — Mario Casotti. Saggio di una. concezione
idealistica délia storia (Firenze, Vallecchi editore [1920], in-8°, 446 p.;
prix : 12 1.). — Id. Introduzione alla pedagogia (Ibid., in-S», 105 p.;
prix : 3 1. 50). — Cet essai sur une conception idéaliste de l'histoire n'est
guère de la compétence de la Revue historique; c'est un livre de pW-
losophie, de métaphysique. L'auteur combat la conception réaliste et
empirique. Les sciences de la nature, déclare-t-il, peuvent se contenter
du pur empirisme, car elles n'étudient pas les forces spirituelles. Mais
l'histoire se trouve en présence de faits qui concernent la mentalité
humaine, le vouloir humain. Il ne suffit pas de les décrire tels qu'ils
se sont passés dans l'espace et dans le temps. On est amené à dépas-
ser cette conception purement empirique, car on entre dans le domaine
des concepts de l'esprit. L'histoire consiste précisément à maintenir
« actuelle dans l'esprit » toute la réalité fugitive des faits. Voilà donc
un acte de conscience qui échappe au monde des simples phénomènes.
La conception idéaliste de l'histoire a pour effet d'identifier l'histoire
et la philosophie, de dépasser l'étude subjective et particulière des faits
pour arriver à concevoir la réalité dans sa vérité objective et univer-
selle. La philosophie de l'histoire nous donne donc une vue plus pro-
fonde des choses que l'historiographie, qui ne se propose que la con-
naissance des faits. Grâce à cette philosophie idéaliste, les histoires
particuUères (des sciences, des arts, de la philosophie, etc.) prennent
contact les unes avec les autres et nous permettent de saisir des véri-
tés d'un caractère général. Sans, doute, la conception idéaliste que
préconise M. Casotti peut ne pas être inutile même aux historio-
graphes, car elle contribue à leur faire comprendre les limites de leur
science. Ce qui est vrai, c'est que l'histoire n'est pas un ordre de con-
naissances qu'on puisse assimiler aux sciences de la nature, puisque
les événements historiques traduisent des faits de conscience, révèlent
des démarches de la mentalité humaine. L'histoire ne se prête pas non
plus, comme les sciences de la nature, à la méthode purement expé-
rimentale; les matériaux dont elle dispose sont d'un tout autre
caractère.
L'Introduction à la pédagogie, du môme auteur, est animée de la
même conception idéaliste. La pédagogie ne peut, comme les autres
arts pratiques, s'appuyer principalement sur l'expérience, car ce n'est
pas sur une science de la nature qu'elle se fonde; elle a afla,ire à l'es-
prit humain, à l'âme humaine. Aussi les données, qui peuvent être
120 NOTES BIBIIOGBAPHIQUES.
fournies par la psychologie, par l'éthique, par la sociologie, ne sont-
elles pas suffisantes pour indiquer les règles que la pédagogie devra
suivre. La pédagogie est donc non une science empirique, mais une
science philosophique. Les données fournies par l'expérience ne
peuvent avoir une application pratique que si elles ont une véritable
valeur éducative ; il faut les confronter toujours avec la conception
idéaliste qu'on s'est formée de l'éducation. La nature particulière de
l'âme humaine distingue forcément les procédés dont use l'éducation
de ceux qui sont pratiqués dans l'élevage ; et il faut toujours tenir
compte de l'action qu'exerce l'âme de l'éducateur sur l'âme de celui
qui est soumis à sa direction. Cette influence, rien ne peut la rem-
placer; et c'est ainsi que l'école de la vie ne doit pas être considérée
comme vraiment éducative, car souvent elle peut avoir une action
dissolvante sur des âmes qui ne sont pas encore formées. H. S.
. — George O'Brien. An Essay on mediaeval économie teaching
(Londres, Longmans, 1920, in-8°, viii-242 p. Index). — Dans un esprit
de vive sympathie pour les doctrines sociales du catholicisme, M. G.
O'Brien a repris un sujet bien souvent traité. Son exposé est complet,
clair et bien ordonné. Il est poussé jusque vers la fin du xv« siècle.
S'inspirant surtout de saint Thomas, l'auteur analyse la notion du jus-
tum pretium et montre comment l'interdiction canonique de l'usure
arrivait à se concilier, en pratique, avec des formes assez complexes de
l'activité économique. Un historien sera tenté de faire à ce livre le
même reproche qu'à tout ouvrage qui n'étudie que les doctrines, celui
d'être trop loin des réalités. Il est intéressant d'essayer d'établir que
la doctrine médiévale était favorable à la fois à l'extension de la pro-
duction, à la régularisation de la consommation, à la justice dans la
distribution, mais il serait utile de rechercher dans quelle mesure ces
trois postulats (et particulièrement le premier) se sont réalisés dans
les faits. Après avoir lu le livre de M. O'Brien, on ne comprend pas
comment, dans l'ordre de la production, une Renaissance a été néces-
saire. M. O'Brien indique discrètement que les circonstances actuelles
donnent à la doctrine catholique (en laissant de côté son contenu reli-
gieux) un regain d'actualité. C'est dire que les doctrines économiques
sont vraies non en soi, mais par rapport aux temps où elles se mani-
festent, vraies pour une époque, fausses pour une autre. C'est une
idée dont commencent à se pénétrer même quelques économistes.
H. Hr.
— D"" W. P. C. Knuttel. Catalogus van de Pamfietten-Verza-
meling... Negende Deel. Alfabetisch Register... Ik86-1195 (La Haye,
Algemeene Landsdrukkerij, 1920, in-8°, 148 p.). — Quiconque a
manié le catalogue de la précieuse collection de pamphlets conservée
à la Bibliothèque royale de La Haye sera heureux de pouvoir consul-
ter cette table alphabétique. J'ai à peine besoin de souligner l'impor-
tance qu'elle présente pour l'histoire de France, liée si étroitement,
HISTOIRE DE LA GUERRE. 121
aux xvF et xvif siècles, à celle des Provinces-Unies. Il suffit, pour
s'en rendre compte, de parcourir les rubriques Anjou, Calvin, l'énorme
rubrique Franhrijk (8 colonnes), Geertruidenberg, Guise, Nimègue,
Saint-Denis (bataille de), Utrecht, etc. H. Hr.
— F. J. C. Hearnshaw. Macmillan's historical atlas of modem
-Europe (Londres, Macmillan, in-4°, 30 p. et 12 cartes en couleur;
prix : 6 sh.). — Cet atlas s'adresse aux écoliers, mais beaucoup de
grandes personnes, même fort instruites, pourront le parcourir avec
fruit. Il contient les cartes suivantes : l'Europe de 1815 à 1914; la
frontière orientale de la France de 1598 à 1871 ; la Pologne de 1772 à
1914; la Prusse de 1415 à 1914; l'Allemagne, l'empire d'Autriche, l'Ita-
lie, la péninsule des Balkans et l'Afrique de 1815 à 1914; une carte
ethnographique de l'Europe centrale; enfin, une carte « provisoire »
de l'Europe d'après les traités de paix signés en 1919 et en 1920.
Chaque carte est d'ailleurs accompagnée d'un texte explicatif où se
trouvent résumés dans leurs grandes lignes les changements survenus
dans la géographie politique des états européens depuis la fin du
moyen âge. Un index des noms marqués sur ces cartes termine le
volume. ^^- B-
— La librairie « La Renaissance du livre » (78, boulevard Saint-
Michel, à Paris) annonce une « Bibliothèque de synthèse historique »
qui paraîtra sous la direction de M. Henri Berr avec le titre général :
l'Évolution de l'humanité. Elle ne comprendra pas moins de cent
volumes au prix de 15 francs pour les premiers souscripteurs. Une
première section comprendra vingt-six volumes, dont la rédaction a
été confiée à des érudits particulièrement qualifiés. Notons seule-
ment : la Terre avant l'histoire, par M. Edmond Perrier (volume
qui vient de paraître); l'Humanité préhistorique, par M. Jacques
DE Morgan (avec 1,200 figures dans le texte); le Langage,
par M. J. Vendryès; le Nil et la civilisation égyptienne, par
M. A. MORET; la Méditerranée et la civilisation égéenne, par
M. G. Glotz; l'ImpériaHsme macédonien et V hellénisation de
l'Orient, par M. P. Jouguet; Rome et la Grèce, par M. Albert Gre-
nier; les Celtes, par M. Henri Hubert; la Perse, par M. Clément
HuARD, etc.
Histoire de la Guerre. — La librairie Charles-Lavauzelle publie
une Histoire de la guerre par M. Lucien Cornet, sénateur. Quatre
volumes ont déjà paru : le tome I contient la crise diplomatique et la
déclaration de guerre, la mobilisation, la campagne en Belgique et en
France jusqu'à la fin de la bataille des Flandres, la première invasion
de la Prusse par les armées russes (386 p.; prix : 7 fr. 50); le tome II
contient la campagne d'hiver 1914-1915 entre France et Russie, l'entrée
en scène de la Turquie, les opérations navales jusqu'à la bataille de
Falkland (350 p.; prix : 7 fr. .50); le tome III, l'entrée de l'Italie dans la
guerre, les opérations maritimes aux Dardanelles, la guerre sous-
122 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
marine jusqu'au torpillage du Lusitania, (344 p.; prix : 9 fr.); le
tome IV, les opérations militaires en France en 1915 (386 p.; prix :
10 fr.).
— André Schmitz. Sous la rafale (Paris et Barcelone, Bloud et Gay,
1918, in-8°, 288 p.). — Un officier de liaison nous donne quelques
notes sur les premières années de la guerre. Son récit est anecdotique
et il l'est exclusivement, l'auteur se refusant à formuler une critique
ou même une opinion sur les opérations auxquelles il a assisté. Ce
livre ne peut donc nous intéresser que comme un document sur l'état
d'esprit des combattants. R. D.
— Albert Droulers. Sous le poing de fer. Quatre ans dans un
faubourg de Lille (Paris, Barcelone, Bloud et Gay, 1918, in-8o,
246 p.). — C'est un récit des années d'occupation, un récit après tant
d'autres, dont il diffère peu; c'est toujours la même succession de
brutalités, de pillages, l'histoire des déportations de civils. Il faut
savoir gré à l'auteur de l'avoir présenté sous une forme pittoresque et
dramatique. R. D.
— René Henning. Les déportations de civils belges en Alle-
magne et dans le nord de la France (Bruxelles, Paris, Vrouart,
1919, in-8°, 216 p.; prix : 3 fr. 75). — Cette étude porte sur les règle-
ments qui ont dirigé les déportations et sur la condition des déportés. A
la suite, nous trouvons de nombreux récits de déportés, très brefs pour
la plupart et plus souvent encore d'unq extrême monotonie; il faut
réagir pour s'imaginer ce que représente de crimes et de souSrances
cette sèche énumération de faits simplement présentés. R. D. i
— Henriette Célarié. Quand « Ils » étaient à Saint-Quentin
(Paris, Bloud et Gay, 1918, in-8°, 238 p.). — Encore un récit des
mois d'occupation allemande, ni plus ni moins intéressant que beau-
coup d'autres, qui se laisse lire grâce au ton volontiers plaisant que
l'auteur donne à ses anecdotes et qui fait grandement honneur au
caractère des populations envahies. R. D.
' — E. Vandervelde. Dans la mêlée (Nancy, Paris, Strasbourg,
Berger-Levrault, 1919, in-8o, 188 p.; prix : 3 fr. 50). — On a jugé bon
de réunir en volume les articles publiés dans les journaux par M. Van-
dervelde pendant les années de guerre. Presque tous sont courts et
insignifiants. Ce n'est donc pas à de tels documents que s'attardera
l'historien, ni même le public lettré, pour s'éclairer sur l'histoire de
la guerre. Les seuls articles auxquels, avec beaucoup de bonne
volonté, on peut trouver un certain intérêt, sont ceux où l'auteur s'ef-
force de démontrer que la révolution russe devait fortifier la pause de
l'Entente. Démonstration paradoxale, qui nous fait douter de la clair-
voyance de celui qui nous la présente. R. D.
— Paul Crokaert. L'immortelle mêlée. Essai sur l'épopée
militaire belge. 191k (Paris, Perrin, 1919, in-8°, 328 p.; prix :
4 fr. 50). — Ce nouveau récit de la campagne de Belgique en 1914,
HISTOIRE DE LA GUERRE. 123
après tant d'autres ouvrages du même genre, présente un intérêt réel
parce qu'il est accompagné d'une documentation solide. L'auteur ne
laisse aucun point dans l'ombre et, à défaut d'études techniques, nous
avons là un des meilleurs récits qui aient été faits des débuts de la
guerre. R- D.
— Sergent Pierre. Un parc à prisonniers : Haus-Spital, près
Munster, en Westphalie, illustrations-par A. Potage (Lille, Camille
Robbe, O. Marquant, successeur, 1920, in-8» oblong, 160 p., 119 des-
sins; prix : 15 fr.). — Les prisonniers français ont été surtout maltrai-
tés par les Allemands au début de la guerre, quand la conviction de
l'impunité déchaîna toute la férocité des officiers prussiens. M. Pierre,
professeur agrégé d'histoire au lycée de Lille, en apporte ici un témoi-
gnage incontestable en décrivant simplement ce que fut l'existence
des prisonniers de Maubeuge dans le « parc » de Haus-Spital, à quatre
kilomètres de Munster. 1-5,000 soldats ou sous-officiers, presque tous
français, furent entassés dans un carré de 500 mètres de côté. Ils y
restèrent soumis aux pires privations, exposés au froid et à la pluie
(puisqu'ils étaient abrités sous des auvents et non sous des tentes fer-
mées), très mal nourris, n'ayant ni eau à boire, ni eau pour se laver.
Ce régime barbare dura un mois, du 14 septembre au 17 octobre 1914.
L'intérêt du livre provient non seulement du texte précis et sobre de
l'auteur, mais du grand nombre des croquis, qui furent pris alors par
l'artiste roubaisien A. Potage et soustraits ensuite à toutes les per-
quisitions allemandes. L'imprimeur lillois C. Marquant était au
nombre de ces malheureux. Il y a lieu de signaler quelques détails
sur le siège de Maubeuge (p. 97) et l'attitude miséricordieuse de cer-
tains soldats westphaliens (p. 151). P. Thomas.
— De la collection des « Villes meurtries de Belgique et de France »,
publiée par la maison G. van Œst (Paris et Bruxelles, chaque volume
comprenant 64 pages et des planches hors texte; prix : 2 fr. 50), nous
avons reçu : Villes de l'Est, par Georges Grappe, et Villes de Picar-
die, par Henri Malo. Dans la première plaquette, il est question de
Verdun, dont on nous raconte l'histoire et dont on nous décrit les
ruines, Saint-Mihiel et son Saint-Sépulcre, Bar-le-Duc, Lunéville,
Nancy, Saint-Dié, Pont-à-Mousson et Nomeny ; puis en Alsace Thann.
Dans la seconde, M. Malo a raconté et dépeint avant et pendant la
guerre Amiens, Saint-Quentin, Péronne, Ham, Montdidier, Albert,
Abbeville, Boulogne-sur-Mer et Calais. La destruction méthodique de
Saint-Quentin donne le frisson. •
— Dans la collection « La France dévastée » (Paris, Félix Alcan;
chaque volume : 4 fr.) ont paru deux nouveaux volumes : Arras et
l'Artois dévastés, par André-M. de Poncheville, et l'Oise dévastée,
par le baron A. de Maricourt. Ce dernier ouvrage commence par
une géographie historique du département'de l'Oise, où l'on apprécie
l'érudition d'un ancien chartiste. Dans les chapitres sur Senlis, « le
Louvain français », ce sont des souvenirs personnels, déjà connus
124 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
d'ailleurs, sur l'invasion allemande de 1914. Les souffrances et les'
ruines subies par Chantilly et Compiègne, d'un côté du front, Lassi-
gny et Noyon, de l'autre côté, ont été exposées en un résumé qui
ne contient rien de bien nouveau, mais qui doit graver dans la
mémoire des Français d'ineffaçables souvenirs. — Dans le livre
de M. de Poncheville, l'histoire de l'Artois et notamment d'Arras,
ville depuis longtemps paisible et jouissant dans le calme de son
antique gloire, occupe la plus grande place; les trois derniers cha-
pitres seulement (x-xiii) sont consacrés aux batailles autour d'Arras,
de Béthune, de Lens. On sait que de Lens il ne reste plus qu'un mon-
ceau de décombres et que les Allemands en ont systématiquement
détruit les mines. En quoi ont-ils jusqu'ici contribué à restaurer les
ruines qu'ils ont accumulées sans nécessité militaire? Ch. B.
— Colonel F. Feyler. La campagne de Macédoine, 1916-1911. Illus-
tré de photographies par Frédéric Boissonnas (éditions d'art Boissonnas.
Genève, 1920, in-4°, 115 p., 24 grandes reproductions photographiques
et 3 cartes). — Pour préparer le récit de cette campagne, l'éminent
correspondant militaire du Journal de Genève a commencé par visi-
ter le pays. Sur les opérations militaires, il s'est renseigné auprès du
commandant Stoyanovitch, de l'état-major de l'armée serbe (ch. m :
le front de Macédoine et les armées en présence), du général Sarrail
(ch. IV : la sortie du camp retranché), de M. Protonotarios, directeur
du Bureau de la presse à Salonique (même chapitre : les Bulgares au
fort Ruppel), de M. Marcq, lieutenant du haut commissaire à Cons-
tantinople (ch. viii : à la fin de l'offensive alliée). — Pour la partie
diplomatique, ce sont les documents insérés au Livre blanc hellé-
nique et ceux qu'a publiés M. Maccas qui lui ont fourni la base de son
exposé. Cette riche documentation a été utilisée avec la précision, la
clairvoyance, l'impartialité qui ont inspiré à l'auteur tant d'articles
intéressants sur la Grande Guerre. Dans le présent volume, M. Feyler
s'arrête après l'abdication forcée et nécessaire du roi Constantin, dont
les intrigues et la mauvaise foi eussent mérité un plus prompt châti-
ment. On ne saurait passer sous silence les belles vues photogra-
phiques prises dans ce tragique pays de Macédoine, victime de tant
de dévastations depuis les plus anciens temps de l'histoire. — Ch. B.
— D'' Johannès Lepsius. Rapport secret sur les massacres d'Ar-
ménie (Paris, Payot, 1919, in-8°, xx-332 p.; prix : 5 fr.) — Le docteur
Lepsius, président de la Deutsche Orient-Mission, s'était rendu à
Constantinople en 1915 pour y faire une enquête sur les déportations
et les massacres dont avaient été victimes les populations arméniennes.
Son rapport qui, en Allemagne, était resté secret à cause des accusa-
tions qu'il contenait contre le gouvernement allié de la Turquie, est
révélé au public français par M. René Pinon.
Nous y trouvons des détails précis et, en même temps, les moins sus-
pects de partialité sur les événements de 1915 : les déportations ont
HISTOIRE DE LA GDEBRE. 125
atteint tous les vilayets de l'Anatolie de l'Est et de l'Ouest, la Cilicie
et la Mésopotamie; 1,200,000 habitants environ en ont été chassés,
dont plus de 300,000 ont été massacrés et les autres établis en Méso-
potamie sous prétexte de coloniser le pays, mais destinés en réalité à
y périr de misère. L'auteur établit que la responsabilité de ces faits
retombe sur le gouvernement turc et sur le parti jeune-turc, qui a
faussement imputé aux Arméniens des tentatives de rébellion, mais
qui ne cherchait en réalité qu'à exterminer un peuple infidèle. — R. D.
— Capitaine Jules-Jeanbernat-Barthélemy de Ferrari -Doria.
Lettres de guerre, Î9îii-Î918 (Paris, Plon-Nourrit, 1920, in-8°,
11-417 p., avec portrait en héliogravure; prix : 12 fr.). — Ces extraits,
qui vont du 3 août 1914 (Le Fuy) au 5 septembre 1918 (l'auteur tomba
deux jours après en conduisant son bataillon à l'attaque) sont évidem-
ment très intéressants pour la famille et les amis du capitaine de Fer-
rari-Doria. Il y raconte sa vie avec simplicité et bonhomie. Mais l'his-
torien et même le psychologue n'y trouveront guère à glaner. Tout y
est connu, correct, convenu; rien n'y sort de l'ordinaire; pas de pen-
sée profonde, neuve au moins dans son expression, pas de jugement
qui frappe et retienne l'attention et provoque la réflexion. Cela soit dit
sans intention blessante, car l'auteur semble avoir été un excellent
officier, consciencieux et brave. Un frère, caporal-secrétaire d'état-
major, fut tué quinze jours avant lui. Th. SCH.
— Albert Henry. L'œuvre du Comité national de secours et
d'alimentation pendant la guerre. Avec une préface de S. É. le car-
dinal Mercier, archevêque de Malines (Bruxelles, Lebègue, 1920,
xii-377 p. et six portraits hors texte). — L'auteur, qui a publié un
livre d'Études sur l'occupation allemande en Belgique, est le
secrétaire général de ce Comité, dont il nous décrit ici dans tout le
détail l'œuvre magnifique accomplie pendant la guerre. On se fera
une idée de la richesse et de la variété des renseignements que
renferme ce beau volume, en songeant qu'à elle seule la table des
matières couvre quatorze pages. Des quatre parties qui en groupent
le contenu, la première donne, en onze chapitres, un aperçu historique
de toute la vie du Comité; la deuxième traite, en neuf chapitres, l'im-
portante question de l'alimentation; la troisième décrit les modes
variés du secours que le Comité porta aux nécessiteux en général, aux
chômeurs, aux invalides de guerre et aux familles des mobiUsés, aux
orphelins, aux évacués, les secours médicaux, etc.; enfin, la quatrième
expose, encore en neuf chapitres, la politique du Comité à l'égard de
la main-d'œuvre belge, des déportations, de la presse censurée, de
l'activisme flamingant (deux chapitres sont consacrés à cet activisme
et en révèlent notamment les tendances hollandaises). Il serait très
intéressant de glaner dans cette mine; mais il faut l'explorer en
entier; tout y est disposé pour la plus grande facilité des visiteurs,
que nous lui souhaitons très nombreux. Th. Sch,
126 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
— L'histoire'^du rôle des Américains pendant la Grande Guerre a
été écrite par M. Shipley Thomas {The history of the A. E. F. New-
York, George H. Doran C°, 1920, in-S», 540 p.)- — M. Thomas, qui a
pris part à la campagne comme capitaine du 26^ d'infanterie, participa
aux opérations de Sommerville, Cantigny, Montdidier, Saint-Mihiel
et à l'offensive de l'Argonne ; il n'a été démobilisé qu'au mois d'avril
1919. Il a été autorisé par le secrétaire de la guerre, M. Barker, à
consulter les archives de 1' « Army War Collège » et à utiliser les tra-
vaux des officiers de la division historique de l'État-major. Il a pu
ainsi compiler un ouvrage qui fournit les faits essentiels et les expli-
cations indispensables. On y trouve le détail des mouvements accom-
plis en France par les divisions américaines ; un bref historique est
présenté pour chacun. Des diagrammes et des photogravures l'il-
lustrent ingénieusement. G. Bn.
Antiquité. — P. Cloché. Le Conseil athénien des Cinq-Cents et
la peine de mort (extrait de la Revue des Études grecques, 1920, p. 1
et suiv.). — M. Cloché examine l'évolution des'pouvoirs judiciaires du
Conseil des Cinq-Cents. Au temps de Démosthènes et d'Aristote, le
Conseil ne pouvait plus prononcer de peines capitales. Il avait exercé
ce droit, un moment, après 405, par suite de l'état de choses révolu-
tionnaire créé par les Trente. Il ne l'avait jamais exercé antérieure-
ment, en ayant été explicitement privé dès le temps de Clisthène.
Il me paraît difficile de faire remonter l'original du décret IG, I, 57,
jusqu'en 502-1 ; on pense plutôt à l'époque d'Ephialtès. En tous cas,
je ne puis concevoir le serment institué en 502-1 comme une mesure
restrictive. — La date fixée pour l'incident de Lysimachos me paraît
solidement démontrée. Eumélidès est peut-être le père de l'enfant qui
apparaît, Dém. XLIX, 11 (en 362). E. C.
— P. Cloché. La Grèce et VÉgypte de 405-4 à 342-i av. J.-C.
(extrait de la Revue égyptologique, 1919). — Dans ce premier article
sur le sujet, l'auteur reprend les questions relatives à la chronologie
des dernières dynasties pharaoniques. Il place le début d'Amyrtée en
405, celui de Néphéritès en 399 (rejetant le témoignage qui ferait
intervenir Hakoris [?] dès 396) ; il place Hakoris en 393-380, réduit au
mininum la durée des règnes éphémères de Psammuthis, etc., fait
finir Nectanébo I^en 361, Tachos en 359 (je persiste à penser qu'Agé-
silas n'a pu mourir après 360; cf. Plut., Agés., 40); enfin, il adopte
pour les guerres d'Okhos contre Nectanébo II les dates de 351 et 342.
Sauf erreur, l'auteur ne s'est servi nulle part du Livre des rois
d'Egypte, de M. Gauthier, dont le tome IV, relatif à cette période,
est de 1915; il eût été bon de citer au moins cette importante publi-
cation. ■ ' E. C.
Allemagne. — Bruno Krusch. Die Hannovrische Kloster-
kammer inihrergeschichtlichenEnt'wickelung, ihre Zweche und
Ziele, und ihre Leistungen fiXY das Wohl der Provinz (Hanovre,
HISTOIRE DE BELGIQUE. 127
Schulze, 1919, in-8°, 114 p.). — Une curieuse survivance et trans-
formation des institutions monastiques est la Klosterkammer hano-
vrienne, dont M. Krusch a étudié l'origine et l'histoire. Après avoir
montré que, dès avant la Réforme, la protection — et la tutelle — de
l'administration territoriale remplaçait pour les monastères la protec-
tion royale ou pontificale, M. Krusch étudie les conséquences de la
Réforme, lentes à se manifester; longtemps après que la duchesse
ÉHsabeth se fut déclarée luthérienne, bien des monastères persistaient
à vivre en catholiques. Il n'y eut guère de violences, ni confiscations,
ni sécularisation, mais protestantisation progressive et mise en tutelle
de plus en plus étroite, aboutissant peu à peu. à la création d'une admi-
nistration spéciale chargée de gérer les biens monastiques et d'em-
ployer les excédents de revenus à des œuvres pies et d'utilité publique,
et notamment d'enseignement; les Universités de Helmstedt, puis de
Gœttingue, furent dotées en partie sur ces ressources. Les couvents
eux-mêmes, de même ceux de femmes, durent encore sous forme de
chapitres de chanoinesses protestantes vouées à des œuvres de bien-
faisance. E. J.
— Charles Andler. Le socialisme impérialiste dans l'A llemagne
contemporaine. Dossier d'une polémique avec Jean Jaurès, 1912-
1913 (Paris, Bossard, in-16, 262 p.; prix : 4 fr. 50). — A la fin de 1912,
un an après l'atîaire d'Agadir, au moment où les esprits clairvoyants
apercevaient les tendances de la politique allemande, M. Andler écri-
vait dans l'Action nationale des articles où il examinait la con-
duite du parti socialiste allemand. Il laissait entrevoir l'impuissance
de celui-ci dans sa résistance à la politique du gouvernement et une
sorte de consentement tacite au développement de l'impérialisme
germanique. Il démontrait qu'il s'était constitué à la droite de ce
parti un groupe nettement impérialiste, qui semblait appelé à un
grand avenir. Cette tendance du parti socialiste apparaissait claire-
ment dans l'affaire Hildebrand : ce théoricien de la politique coloniale
et belliqueuse avait été exclu du parti, mais tous ses amis y étaient
restés. Aussi devait-on logiquement conclure de ces faits que le parti
socialiste français se laissait égarer lorsqu'il voulait régler sa politique
sur un accord international avec le socialisme allemand et lorsqu'il
comptait sur cet accord pour sauvegarder la paix européenne. On con-
çoit que les chefs du parti socialiste français aient mal pris cette
leçon, même venant d'un homme aussi parfaitement au courant
des choses d'Allemagne. Ils traitèrent M. Andler sans ménagements,
comme le prouvent les articles reproduits dans la seconde partie de
cet ouvrage. Les événements ont justifié depuis lors le point de vue
de M. Andler. Mais cette publication n'en était pas moins intéressante,
parce qu'elle fixe l'attitude du parti socialiste à un moment particuliè-
rement critique de notre histoire. R. D.
Belgique. — A l'ouverture solennelle des cours de l'Université de
128 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Liège, le recteur, M. Eugène Hubert, a lu un mémoire sur les Gouver-
neurs généraux et ministres plénipotentiaires aux Pays-Bas pen-
dant les dernières années du régime autrichien; il y utilise un grand
nombre de documents inédits provenant des Archives impériales de
Vienne. Il publie en appendice des « Notes présentées à Vienne, au
commencement^ de l'année 1786, sur les changements à introduire dans
la direction des affaires aux Pays-Bas, avec la réponse; notes présen-
tées au prince Kaunitz et à Sa Majesté, 20 janvier 1786 », et plusieurs
lettres sur le même sujet (Liège, impr. liégeoise, 1920, in-8°, 180 p.).
— Les Archives de l'État en Belgique pendant la guerre, 191k-
1918 (1 vol. in-8o, vii-452 p.). — Rapport consciencieux et précis de
l'archiviste général du royaume de Belgique (M. Joseph Cuvelier) et
des archivistes d'État sur leur activité pendant la guerre. Alors que
dans tous les services administratifs les Allemands avaient opéré la
dissociation des Wallons et des Flamands, dans les Archives —
était-ce un oubli? — ils maintinrent l'unité de direction, et les archi-
vistes travaillèrent, classèrent, publièrent, même pendant la guerre;
ce n'est que pour des raisons budgétaires que les impressions durent
être interrompues en 1917. L'occupation se fit sentir plus particuliè-
rement lourde à Liège, à Namur, à Arlon; dans ces trois dépôts, les
soldats pillèrent les bureaux et détruisirent les documents; à Arlon,
le gouverneur civil installa son chauffeur dans les dépôts ; à Namui*,
l'incendie du 25 août 1914 détruisit quantité de registres paroissiaux.
G. S.
Danemark. — La seconde partie, tome I,-des Annales danici
medii sévi, publiées par Ellen Joergensen, contient les annales du
monastère d'Essenbœk, dans le district d'Aarhus [Annales Essenbe-
censes), qui vont de l'incarnation à 1323; celles de Ribe (Annales
Ripenses), qui commencent à Rollon et s'arrêtent en 1324, mais ne
sont guère originales avant 1289; la chronique du Jutland {Continua-
tio compendii Saxonis, sive Chronica Jutensis)., originale de 1227
environ à 1340; une chronique de Seeland {Ex chronica Danorum
ecclesiastica et precipue Sialandie) de 1028 à 1363, de plus en plus
détaillée à partir de 1308; de brèves annales de Scanie {Annales
Scanici), 1316-1389; une série de neuf courtes annales du xf au
xiv« siècle; enfin, les Collectanea du moine franciscain Pierre Olsen,
qui vont de 1104 à 1511. Le volume se termine par deux tables des
noms de personnes et de lieux (Copenhague, Gad, 1920, in-4°, en tout
228 p.; prix : 10 kr.).
France. — D"" G.-J. Witkoswski. Comment moururent les rois
de France, nouvelle édition augmentée et illustrée (Paris, Biblio-
thèque des curieux, 4, rue de Furstenberg, 1920, in-8o, 246 p.; prix :
10 fr.). — Geci est à peine de l'histoire, bien qu'il y soit question de
la mort de nos rois de France, de quelques reines et même de
quelques autres membres des familles régnantes depuis Charlemagne
HISTOIRE DE FRANCE. 129
jusqu'au Prince impérial. L'auteur de ce volume a surtout voulu se
divertir aux dépens de ceux de ses confrères (les D"-* Blanchet, Caba-
nes, etc.) qui ont porté des diagnostics rétrospectifs et souvent fan-
taisistes sur les maladies mortelles de tous nos souverains. Non licet
inter vos tantas componere lites! Tout de même, M. Witkosw*ki
fait un peu trop d'esprit — et pas toujours du meilleur — et la gail-
lardise de ses propos passe parfois les bornes. L. H.
— Jacques Soyer. Les actes des souverains antérieurs au
XI V^ siècle conservés dans les archives départementales du Loi-
ret... I ; Prieuré de Saint-Samson d'Orléans (Besançon, impr.
Jacques et Demontrond, 1919, in-8°, 59 p.; extrait du Bibliographe
moderne, 1918-1919). — M. Soyer a conçu l'utile projet de publier
in-extenso tous les actes des souverains antérieurs au xiv^ siècle con-
servés en original ou en copie dans les archives confiées à ses soins.
Le premier fascicule est réservé aux actes royaux et aux lettres pon-
tificales du fonds de Saint-Samson d'Orléans, soit un ensemble de dix-
neuf pièces émanant des rois de France Philippe !«••, Louis VI,
Louis VII, Louis IX et des papes Adrien IV, Alexandre III, Ur-
bain IV, Clément IV, Grégoire X et Innocent V. Toutes ces pièces,
sur lesquelles quatorze étaient inédites jusqu'alors, concernent soit le
prieuré de Saint-Samson lui-même, soit l'abbaye de Notre-Dame du
Mont-Sion, à Jérusalem, dont le couvent Orléanais fut une dépendance
à partir de 1152. Elles sont publiées avec soin, précédées de bonnes
analyses et suivies d'une table des noms propres où l'on trouvera
l'identification des noms de lieu. L. H.
— Positions des thèses soutenues par les élèves [de l'Ecole
des chartes] de la promotion de 1921 pour obtenir le diplôme
d'archiviste paléographe (Paris, Alph. Picard, 1921, in-8°, 116 p.).
— L'abondance des thèses présentées cette année témoigne d'une
reprise d'activité intellectuelle dont il faut se réjouir, après les
cruelles pertes que la guerre a fait subir à l'École ; et la qualité n'est
nullement inférieure à la quantité. En voici l'énumération : Pros-
per Alquier : Les châteaux des vicomtes de Béziers, Albi et Carcas-
sonne pendant la croisade albigeoise, 21 juillet 1209-juin 1211; —
Marie-Louise Arrivot : Dix-sept églises de l'île de la cité de Paris :
essai historique et archéologique ; — - Maurice Béguin : L'abbaye cis-
tercienne de La Noë et l'organisation de son domaine entre Evreux et
Couches, 11G6-1250; — Fernand Benoît : La Provence sous Raimond-
Bérenger V; étude sur le gouvernement du comte, suivie d'un recueil
de ses actes, 1209-1245; — Raymond Daucet : Étude historique sur
le chapitre de Saint-Honoré de Paris; — Renée Flachaire de Rous-
TAN : Étude sur la vie de saint Honorât de Raimon Féraut; — Frédé-
ric JoûON DES LonCtRais : La dévolution possessoire dans la coutume
de Bretagne; acquisition de la possession par les successeurs du
défunt dans la coutume de Bretagne ; — Jean de La Monneraye : Le
Rev. IIistor. CXXXVI. l-"- fasc. 9
130 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
régime seigneurial dans le Maine au xviii« siècle ; — Paul Le sourd :
Le comte de Poitiers, roman d'aventure publié d'après le manuscrit
unique de l'Arsenal; — Pierre Lévy : Histoire du collège de la
Marche et de Winville en l'Université de Paris; — Jean Marchand :
Les brisures des armes de France; — Louis Martin : L'affaire des
évêques simoniaques bretons et l'érection de Dol en métropole, 848-
850 ; étude d'un fragment de la chronique de Dol par Baudry de Bour-
gueil et de ses sources narratives ; — Jean Porcher : Le « De disci-
plina scholarium », traité du xiii« siècle faussement attribué à Boëce;
— René Prigent : Le formulaire de TrégUier, publié avec une intro-
duction et des notes ; — Colette Renié : Etude sur le suffixe acus
dans la formation des noms de lieu français ; — Suzanne Solente :
Introduction historique à l'édition du « Livre des faits et bonnes meurs
du sage roy Charles V », de Christine de Pisan; — Henri Vendel :
Étude sur l'abbaye d'Aliiienêches, de sa fondation à l'an 1599.
— On connaît le diamant « le Sancy » que le roi d'Angleterre
Jacques I^"" acheta 60,000 francs; on connaît aussi l'œuvre d'Agrippa
d'Aubigné : « La confession catholique du sieur de Sancy. » Dans une
charmante brochure intitulée Quelques notes sur la confession
catholique du sieur de Sancy (Genève, édition « Sanos », 1920,
in-8°, 12 p.), M. Francis de Crue raconte la vie de ce personnage, qui,
né catholique, se convertit au protestantisme, puis abjure après la
Saint-Barthélémy, redevient ensuite protestant quand le Béarnais est
candidat au trône de France et change à nouveau en 1597, pensant
complaire à Henri IV converti; mais le roi, gêné par ces palinodies, se
borne à dire : « Il ne lui reste qu'à prendre le turban. » M. de Crue
explique fort bien quelques passages jusqu'ici mal interprétés du
célèbre pamphlet. C. Pf.
— Archives historiques du Poitou, t. XLIII (Poitiers, impr.
Nicolas, Renault et C''=, 1920, in-8°, 214 p.). — Ce volume est occupé
en entier par des Notes et documents sur les artistes en Poitou
jusqu'au X7X« siècle, publiés par Pierre Rambaud. On y trouvera
donc la liste alphabétique, avec indications biographiques, des maîtres
en l'art de peinture, des peintres verriers et céramistes, des gra-
veurs, brodeurs, imagiers et sculpteurs, des architectes et ingénieurs
du roi, enfin des musiciens, compositeurs et professeurs de musique,
maîtres de psallette et fabricants d'instruments de musique. Beaucoup
de ces documents sont tirés de pièces d'archives.
— Charles Porée. Études historiques sur le Gévaudan (Paris,
Picard, 1919, in-8°, 531 ^p.; prix : 12 fr.). — M. Ch. Porée a réuni
sous le titre d'Études historiques sur le Gévaudan un certain
nombre d'articles parus dans le Moyen âge, en 1901, sur les Anciennes
mesures de grain du Gévaudan; dans le Bulletin archéologique
du Comité des travaux historiques, en 1903, sur la Construction
de la cathédrale de Mende, en 1904, sur Une église romane du
HISTOIRE DE FRANCE. 131
XI V^ siècle en Gévaudan (l'église de Ribennes, aujourd'hui détruite)
et le Marché de construction du Pont-Neuf, près Mende (l(i21);
enfin en 1907, les Statuts de la communauté des seigneurs
pariers de la Garde-Guérin (1238-1313), dans la Bibliothèque de
l'École des chartes. L'intérêt de ces mémoires a été apprécié
dès leur apparition, et il est inutile d'y revenir, si ce n'est pour
annoncer leur réédition. Mais l'auteur y a joint des travaux inédits qui
occupent plus de la moitié du volume (p. 195 à 510) et constituent une
contribution des plus importantes à l'histoire médiévale du Gévaudan.
La première de ces nouvelles études est intitulée : la Domination
aragonaise en Gévaudan (1172-1258). A l'aide des enqjj.êtes qu'il
publie, M. Porée essaie de démêler les événements enchevêtrés au
cours desquels la vicomte de Gévaudan passa par héritage dans la mai-
son de Barcelone (1112), puis fut engagée au comte de Toulouse (1204)
et finalement, après diverses péripéties, dues à la croisade contre les
Albigeois, réunie à la couronne par le traité de Corbeil (1258).
La seconde étude porte sur Une pseudo-conspiration contre
Odilon de Mercœur (1268). Il s'agit d'un complot contre l'évêque de
Mende, suscité par ses propres agents pour se rendre compte des véri-
tables sentiments du pays. Curieux exemple d'expérience politique au
moyen âge.
La troisième roule sur le Procès du paréage de 1307 et le fonds
de ce procès aux archives de la Lozère. Ce paréage, conclu entre
Philippe le Bel et Guillaume Durand le Jeune, est la véritable charte
constitutive de l'administration du Gévaudan au moyen âge. M. Porée
analyse et rapproche les nombreuses pièces du procès aujourd'hui dis-
persées dans les archives de la Lozère.
La quatrième étude consiste dans la publication, avec commentaire,
du texte de l'A /franchissement des habitants de la terre de Peire
(1261).
Enfin, la cinquième, de beaucoup la plus considérable par son éten-
due et par son sujet, est consacrée aux Évêques-comtes de Gévau-
dan, étude sur le pouvoir temporel des évêques de Mende aux
X//« et XIII^ siècles. L'auteur montre comment les origines des droits
régaliens des évêques de Mende remontent au milieu du xii" siècle
environ, époque à laquelle ils commencent à s'affranchir de la suze-
raineté des vicomtes, qui, moins d'un siècle après, se trouvent avoir
passé sous la leur. Le fameux Aldebert III, l'auteur des Miracles de
saint Privât, obtint, en effet, une charte du roi Louis VII lui recon-
naissant la jouissance définitive de ces droits. Un peu plus tard, le
désaccord surgit entre les agents royaux, successeurs des vicomtes, et
les évêques. D'où le long procès au Parlement de Paris, dont la con-
clusion fut le « paréage » de 1307, qui détermina les pouvoirs respec-
tifs du roi et de l'évêque et créa la « terre commune », ou juridiction
indivise sur ce qui ne relevait ni de l'un ni de l'autre.
Il n'y a pas lieu d'insister davantage, pour faire comprendre toute la
132 NOTES BIBLIOGRAPHIQDES.
portée de cette analyse très fouillée et faite avec sagacité et finesse,
d'une des plus curieuses pages de l'histoire de la constitution du tem-
porel d'un évêché qui fut célèbre au moyen âge. C'est un excellent
modèle du genre, qui mériterait d'être imité pour d'autres sièges épis-
copaux de l'ancienne France. Ph. L.
— Justin. Monsieur Lebureau et Monsieur Leparlement (Paris,
Bossard, 1919, in-16, 92 p.; prix : 1 fr. 80). — Nous trouvons là
quelques observations sur l'administration française que l'auteur s'ef-
force de justifier en montrant que ses défauts sont, pour la plupart,
imputables à l'intervention parlementaire. Rien dans tout cela qui soit
nouveau et^V^ui nous change des critiques que nous présente la presse
quotidienne. ~ - R. D.
Grande-Bretagne. — J. T. Fowler. Adamnani Vita sancti
Columbae, edited from D»" Reeves's text. A new édition, revised
(Oxford, at the Clarendon Press, 1920, in-8°, 280 p.; prix : 10 sh. 6 d.).
— Cette nouvelle édition ne diffère de la première qu'en des points de
détail. La bibliographie a été mise au courant; je n'y vois pas figurer
l'édition de la vie de Columba par Manus O'Donnell (1552), publiée à
Chicago par A. O'Kelleher et G. Schœpferle (1918). Dans l'introduc-
tion, plusieurs passages ont été remaniés ou ajoutés, sans que le fond
ait été sensiblement modifié ; on y relit avec profit les chapitres con-
sacrés à saint Patrick, au monachisme irlandais, à la vie de saint
Columba". La modification la plus considérable consiste en ceci que
les notes placées dans la première édition au bas des pages, juste
au-dessous des passages commentés, sont maintenant renvoyées à la
fin du volume, à l'exception des variantes fournies, qui conservent
'leur place nécessaire. Ce changement est-il bien heureux? Signalons
enfin cinq pages d'Addenda, ajoutées entre le glossaire et l'index. ,
Ch. B.
— The Assemby books of Southampton, edited, with introduc-
tion, notes and index, by J. W. Horrocks. Vol. II, 1609-1610 (Sou-
thampton, Cox et Sharland, 1920, in-8°, XLiii-119.; prix : 28 sh.). —
Nous avons déjà mentionné (t. CXXXV, p. 74) le tome I de cette
publication; dans l'introduction au tome II, M. Horrocks étudie les
rapports de l'Assemblée communale avec les tribunaux locaux : la
cour des « pieds poudreux », qui siégeait au besoin tous les jours;
celle des « gênerai sessions », autrement dite « Quarter », réunie deux
ou trois fois par an pour vider les prisons après enquête sur les cri-
minels détenus; la « Court leet », tribunal de simple police réuni une
fois l'an. Il parle ensuite des mesures prises à l'égard des pauvres et
des étrangers, parmi lesquels se rencontraient, comme on sait, des
Français réfugiés pour cause de religion ; des règlements concernant
l'apprentissage, le commerce et les prix, les différends avec les com-
pagnies de commerce étrangères, comme la « Dutch Company », ou
faisant le commerce avec l'étranger, comme la « Levant Company »
HISTOIRE DE GRANDE-BRETAGNE. 133
de Londres, la « Spanish » et la « French Company ». A noter ici
quelques menus détails sur le « May Flower » et les rapports de
Southampton avec le Nouveau Monde. Le texte des procès-verbaux
de l'Assemblée pour les deux années 1609 et 1610 a été reproduit avec
une exactitude minutieuse et complété par d'abondantes^ notes. Enfin
deux tables, l'une pour les noms propres, l'autre pour' les noms de
choses. Ch. B.
— Society for promoting Christian knowledge. Dans la série des
« Texts for students » ont paru des extraits relatifs aux sports et
amusements au moyen âge, par E. L. Guilford {Select extracts
illustrating sports and pastimes in the middle âges, 64 p.; prix :
1 sh. 9 d.). On ne reprochera pas à l'auteur d'avoir emprunté quelques
passages à des auteurs du xvi« et du xvif siècle, car les jeux popu-
laires du moyen âge se sont assurément continués dans les temps
modernes.
— The catholic directory 1921 (Londres, Burns Oates et Wash-
bourne, in-S", xxiv-784 p.; prix : 3 sh. 6 d.). — Cet annuaire du clergé
catholique romain dans les Iles britanniques apprendra beaucoup de
choses auT- Français, même catholiques. La plupart ne soupçonnept
pas sans doute que la hiérarchie de l'Église romaine a été entièrement
reconstituée en Angleterre et en Galles depuis 1850, puis en Ecosse
depuis 1878; c'est-à-dire qu'à côté de l'église établie {Church of
England) il existe en Angleterre quatre archevêchés ou provinces
ecclésiastiques : Westminster, avec cinq suffragants; Birmingham,
avec trois suffragants : Cardiff , avec un suffragant, et Liverpool, avec
quatre suffragants; en Ecosse, deux provinces ecclésiastiques : S*- An-
drews et Edimbourg, avec quatre suffragants, et Glasgow, que dirige
un « administrateur apostolique ». Quant à l'Irlande, elle a naturelle-
ment conservé son organisation séculaire avec ses quatre archevêchés
et ses vingt-trois évêchés traditionnels. Cette hiérarchie enfin a
débordé hors des Iles britanniques, puisqu'il y a des évoques catho-
liques en Europe (Malte-Gozzo et Gfbraltar), sans compter ceux dont
le réseau couvre l'Asie, l'Afrique, l'Amérique et l'Australie. Comme
l'Église anglicane a, elle aussi, ses évêchés répandus dans tout l'im-
mense empire colonial, on peut mesurer l'ampleur de la propagande
parallèle et plus ou moins hostile patiemment entretenue par les deux
confessions rivales. Pour les diocèses de la Grande-Bretagne, le
Directory donne une foule de détails sur le personnel laïque et
ecclésiastique, les institutions et fondations religieuses, le clergé
régulier, dont les maisons sont distribuées par comtés. Si l'on veut,
par exemple, savoir la composition actuelle des ordres religieux
chassés de France qui ont trouvé asile de l'autre côté du détroit, il
faut se reporter au comté où ces ordres sont allés se reconstituer;
ainsi l'on retrouvera les Bénédictins de Solesmes dans Ilamsphire
(diocèse de Portsmouth) à Farnborough (p. 320), etc. Ch. B.
134 NOTES BIBLIOGRAPHIÇDES.
Pays-Bas. — Dans l'assemblée générale de la Société d'histoire
(Historisch Genootschap), qui s'est tenue à Utrecht le 25 mai 1920,
M. le professeur Blok a prononcé un discours sur l'histoire de cette
Société, qui existe depuis soixante-quinze ans, et M. le professeur
COLENBRANDER a exposé les relations de la science historique et la
littérature, en prenant pour point de départ un texte du vicomte
Haldane dans son Before the War (London, 1920). Ces deux discours
ont été publiés ensuite séparément. N. J.
— Signalons une revue nouvelle : Tijdschrift voor Geschiedenis,
qui paraît chez Noordhofî, à Groningue, sous la direction de MM. de
BOER, BOLKESTEIN, VaN DiLLEN, EuUO VAN GELDER, SeVERYN et
Tenhaeff. Elle fait suite au Tijdschrift voor Geschiedenis, land-en
Volkenkunde, dont trente-neuf tomes ont paru, et qui s'adressait plu-
tôt au grand public. Trois livraisons ont déjà été distribuées. Au lieu
de tracer le programme du nouveau recueil, M. Van Gelder a
donné un aperçu du développement qu'ont pris les sciences histo-
riques ; il montre ainsi le besoin où l'on était en Hollande de posséder
une revue où toutes ces sciences seraient représentées. Nous y signale-
rons les articles suivants : M. Japikse a exposé la politique étrangère de
Bismarck après 1871, à l'aide de documents que M. Pribram a récem-
ment publiés d'après les archives autrichiennes ; M. Van Dillen a parlé
de Lénine et du bolchévisme ; M. Tenhaeff, de la puissance impériale
au moyen âge; M. Bolkestein, de la reUgion et de l'art. Chaque
livraison contient des comptes-rendus de publications historiques.
' N. J.
Europe orientale. — M. Martna. UEsthonie, les Esthoniens et
la question esthonienne (Paris, Armand Colin, s. d.). — D"" Jean
LoRis-MÉLicoF. La Révolution russe et les nouvelles républiques
transcaucasiennes (Paris, FéhxAlcan, 1920; prix: 7 fr.,plus 40%). —
Ces deux livres rendront, l'un et l'autre, à peu près les mêmes services.
On s'attachera plus aux faits qu'ils racontent qu'aux solutions, toutes
provisoires et qui prêtent à discussion, qu'ils proposent. M. Martna,
membre de la délégation esthonienne, décrit le pays et ses habitants,
expose le développement historique du peuple esthonien, les conditions
actuelles de la propriété foncière, et fait ressortir les conséquences
déplorables de l'influence prépondérante qu'exerçait la haute noblesse
balte avant la guerre de 1914. L'exposé est nourri de faits et on le
consultera avec profit. La partie la plus vivante de l'ouvrage est con-
sacrée à la description de l'Esthonie pendant l'occupation allemande
et à la lutte qu'elle soutint contre les bolcheviks ; l'auteur conduit son
récit jusqu'à l'élection de l'Assemblée constituante esthonienne
(5-7 avril 1919). Un dernier chapitre traite de « l'indépendance » de
l'Esthonie. L'auteur semble oublier que la Russie, une fois débarras-
sée du régime bolchevik, ne pourra se résigner à se voir barrer le
chemin qui mène à la Baltique, et qu'il faudra s'entendre avec elle
HISTOIRE DE TCHÉCO-SLOVAQDIE. 135
d'une façon ou d'une autre. D'autre part, l'Esthonie, isolée en fait par
une langue peu connue et peu pratiquée, n'a-t-elle pas intérêt à gar-
der des liens avec la Russie? L'avenir décidera.
On ne s'arrêtera dans le livre du D"" Loris- Mélicof qu'aux parties
vraiment neuves. Le chapitre vi expose les répercussions de la révolu-
tion russe en Transcaucasie : rempli de faits, il échappe, par sa nature
même, à l'analyse. Les historiens ne pourront se dispenser de le con-
sulter. Dans les chapitres vu et viii, on voit aux prises les nouvelles
républiques de Transcaucasie et le triple conflit qui dresse contre les
Russes les Géorgiens, les Arméniens contre les Géorgiens, les Armé-
niens contre les Tatars. L'auteur souhaite dans ses « conclusions »
(p. 180) que les républiques de la Transcaucasie s'unissent pour former
une confédération approximativement analogue à la Confédération
suisse. Il a écarté par avance (p. 133) la possibilité de tous liens poli-
tiques avec la Russie future. Comment celle-ci accueillerait-elle cette
solution? Personne ne le sait. L'ouvrage est terminé par sept appen-
dices, dont les plus intéressants sont deux rapports adressés au
directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères;
de ces rapports, le premier seul porte une date précise, celle du 2 no-
vembre 1919. E. D.
— Marc Slonim. Le bolchévisme vu par un Russe (Paris, édi-
tions Bossard, 1921 ; prix : 7 fr. 50). — Ce petit volume de 205 pages
est le meilleur réquisitoire qu'on ait écrit jusqu'ici contre le bolché-
visme. Il est divisé en deux parties. La première, consacrée aux ori-
gines, s'arrête à la paix de Brest-Litowsk. La seconde partie étudie
successivement l'organisation du pouvoir, la politique intérieure du
bolchévisme , la Terreur, la constitution de l'armée rouge. Qu'il
s'agisse de la vie que l'on mène en Russie bolchéviste ou du bilan
économique du bolchévisme, l'auteur laisse parler les faits et les
chiffres. Les écoles, la science et les arts dépérissent. Le bolché-
visme a contre lui tous les partis du socialisme russe. Si parfois le
bolchévisme a semblé faire quelques concessions, il n'a pas renoncé
à « son esprit sectaire et despotique ».
Les épreuves ont été soigneusement revues; nous relevons seule-
ment (p. 65) « l'arbitre illimité », lire « l'arbitraire ». Il faut lire
(p. 205) ôrjiioî et non SéfAoç. E. D.
Tchéco-Slovaquie. — Vilém Mathesius. English literature
and the Czeko-Slovaks (published by the Czech Society of Great
Britain, in-8°, 15 p.). — Deux auteurs anglais ont exercé sur les Bohé-
miens la plus profonde et durable influence : Wycliffe et Shakespeare.
Celle de Wycliffe est connue de tous; au sujet de Shakespeare, la
brochure que nous annonçons contient des faits significatifs. Le jubilé
du grand dramaturge, eu 1864, a été célébré à Prague avec un grand
enthousiasme; celui de 1916 fêté avec un éclat qui, peut-être, n'a pas
été égalé dans le reste de l'Europe; malgré les angoisses de l'heure
1 36 NOTES BIBLIOGRAl'HIQDES.
présente, Shakespeare a été le grand initiateur du théâtre et du drame
tchèques.
Turquie. — G. E. Hubbard. The Day of the crescent : glimpses
of old Turkey (Cambridge, University Press, 1920, in-8°, x-242 p.,
16 pi.). — Le hasard de quelques recherches à la bibliothèque du
Foreign Office a fait tomber M. Hubbard sur un lot de livres du XVF
et du xvii« siècle relatifs à la Turquie. Peu familier sans doute avec
ce genre de littérature, il a considéré comme des nouveautés bien des
choses qui sont presque banales. C'est ainsi qu'il consacre trois cha-
pitres à un sujet aussi connu que l'ambassade de Busbecq et un cha-
pitre à l'expédition de La Feuillade à Candie. Tout cela sans aucune
bibliographie. Les diverses relations utilisées par l'auteur n'ajoutent
rien à notre connaissance des mœurs turques, d'ailleurs décrites avec
agrément. Les planches sont prises surtout à Nicolay. — P. 4, le
« grand Soudan de Babylone » doit être non le shah, mais le souverain
de l'Egypte. — P. 12, le mot de « capitulations » n'est pas du tout,
en l'espèce, un « terme arrogant ». Il vient de capitula. — H. Hr.
Histoire de la musique. — Paul RouGNON. La musique et son
histoire (Paris, Garnier frères, s. d. [1920], in-8°, 297 p.). — Livre élé-
mentaire, qui est plutôt l'œuvre d'un musicien que d'un historien,
mais d'un musicien que préoccupe l'histoire de son art et qui s'ap-
plique en conscience à en résumer les principales étapes. Au lieu de
retracer l'évolution de la musique dans son ensemble, M. Rougnon —
et c'est une des originalités, d'ailleurs contestable, de son livre — a pra-
tiqué dans l'énorme matière qui faisait l'objet de son exposé des divi-
sions logiques : il étudie successivement l'histoire de la mélodie, puis
celle des « sciences harmoniques », celle de la notation musicale, des
instruments de musique, de l'instrumentation et de l'orchestration, du
drame lyrique et de l'opéra, de l'opéra-comique et de l'opérette, de la
« musique de concerts », de la musique religieuse, de la musique de
danse et des ballets, enfin de l'enseignement musical. M. Rougnon
fait preuve d'un bout à l'autre de son ouvrage d'un aimable et admira-
tif éclectisme. Malheureusement, les vues générales sont rares et
sujettes à caution; le style est parfois plus enthousiaste que sûr;
M. Rougnon n'est pas toujours un guide aussi bien informé qu'on le
souhaiterait; et nous craignons, en outre, que les bibliographies peu
méthodiques et bien incomplètes qui terminent chaque chapitre ne
puissent être d'un grand secours. L. H.
— Ch. Van den Borren. Orlayide de Lassus (Paris, Félix Alcan,
1920, in-16, 254 p., de la collection « Les maîtres de l,a musique »;
prix : 4 fr. 90). — La célébrité de Roland de Lassus (1530 ou 1532
f 1594) — auquel M. Van den Borren tient à conserver le nom d' « Or-
lande », calqué mal à propos sur la forme italienne « Orlando » — est
loin d'égaler celle de son contemporain et émule Palestrina; mais
l'ampleur de son œuvre est telle et il est si malaisé de s'orienter dans
OUVRAGES REÇUS PAR LA « REVUE HISTORIQUE ». 137
Je dédale de ses motets, de ses messes, de ses magnificats, comme
aussi de ses madrigaux, de ses chansons ou de ses lieder (pourquoi
M. Van den Borren dit- il lieds au pluriel?), qu'on saura le plus
grand gré à, l'auteur de ce volume d'y avoir consacré une étude ana-
lytique claire, sobre et d'un très juste sentiment artistique. M. Van
den Borren a fait précéder cette étude d'un chapitre très soigné sur la
vie du grand musicien belge, son compatriote, dont la carrière, fort
curieuse, s'est déroulée successivement à Mons, en Italie, mais sur-
tout en Bavière, à la cour des ducs, où il passa presque toute sa vie
d'artiste. Comme tous ceux de l'excellente collection à laquelle il
appartient, le livre de M. Van den Borreh se termine par une biblio-
graphie sommaire, mais fort bien dressée (p. 245-252), de l'œuvre du
musicien et des travaux dont il a été l'objet. L. H.
Ouvrages reçus par la « Revue historique ».
D"- V. Bagiel. La Pologne et les Polonais. Paris, édit. Bossard, 1921.
In-8°, 390 p. et une carte. Prix : 9 fr. — Charles J. Billson. Mediœ-
val Leicester. Leicester, Edw. Backus, 1920. In-8°, 232 p. Prix : 21 sh.
— James C. BonbriGht. Railroad capitalization ; a sturty of the prin-
ciples of régulation of railroad securities. New-York, Columbia Uni-
versity. Londres, King et fils, 1920. In-8°, 206 p. Prix : 2 dol. —
Cecily Booth. Cosimo 1, duke of Florence. Cambridge, ad the Univ.
Press, 1921. In-8°, xv-325 p., illustr. Prix : 25 sh. — Henriette Céla-
RIÉ. Le martyre de Lille. Paris, Blond et Gay, 1920. In-16, 257 p.
Prix : 6 fr. — Prince Sixte de Bourbon. L'offre de paix séparée de
l'Autriche, 5 décembre 1916-12 octobre 1917. Paris, Plon-Nourrit,
1920. In-8°, 434 p. Prix : 9 fr. — Richard de Boysson. L'invasion
calviniste en Bas-Limousin, Périgord et Haut-Quercy. Paris, A. Picard,
1920. In-8°, xii-458 p. Prix : 20 fr. — Sir Geofîrey Butler. Studiesin
statecraft; being chapters biographical and bibliographical, mainly on
the sixteenth century. Cambridge, Univ. Press. In-8°, vr-138 p. Prix :
10 sh. — Edmond Cazal. Sainte Thérèse. Paris, OUendortî, 1921.
In78°, 313 p. Prix : 7 fr. —Augustin Cochin. Les Sociétés de pensée
et la démocratie; études d'histoire révolutionnaire. Paris, Plon-Nour-
rit, 1921. In-8'', 300 p. Prix : 7 fr. 50. — Id. et Charles Ch-vrpentier.
Les actes du gouvernement révolutionnaire, 23 août 1793-27 juillet
1794. Paris, A. Picard i Société d'histoire contemporaine), tome I, 1920.
In-S», LXXiv-586 p. — Abbé J. Dedieu. Le rôle politique des protes-
tants français, 1685-1715. Paris, Bloud et Gay, 1921. In-8°, xii-362 p.
— Jane Dieulafoy. Isabelle la Grande, reine de Castille, 1451-1504.
Paris, Hachette, 1920. In-8'>, ix-486 p. et 38 pi. hors texte. — Edouard
Dhiault. La grande idée. La renaissance de l'hellénisme. Paris, Félix
Alcan, 1921. In-12, vi-242p. Prix : 6 fr., plus major. 40 "/o (Bibliothèque
d'histoire contemporaine). — Abel Ducornez. Les derniers jours de
Long\v7. Paris, Bloud et Gay, 1920. Jn-lO, 320 p. Prix : 5 fr. —
138 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Roger DE FÉLiCE. Le meuble français sous Louis XVI et sous l'Em-
pire. Paris, Hachette. Ia-16 illustré, H3 p. Prix : 15 fr. — James
Fitzmaurice-Kelly. Fray Luis de Léon. Oxford, University Press,
1921. In-8°, xiv-259 p. Prix : 7 sh. (Hispanic notes and monographs).
— John Stephen Flynn. The influence of puritanism on the political
and religions thought of the English. Londres, Murray, 1920. In-8°,
xii-257 p. Prix : 15 sh. — Abbé M. Giraud. Essai sur l'histoire reli-
gieuse de la Sarthe de 1789 à l'an IV. Paris, Jouve, 1920. In-8o, 691 p.
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Sarthe en 1793. Le Mans, A. de Saint-Denis, 1920. In-8°, 159 p. —
C. S. S. HiGHAM. The development of the Leeward islands under the
Restoration, 1660-1688. Cambridge, Univ. Press. In-8°, xiv-266 p.
Prix : 20 sh. — James Hocan. Ireland in the european System. Vol. I,
1500-1557. Londres, Longmans, 1920. In-8°, xxx-237 p. Prix : 15 sh.
6 d. — Otto Karmin. Sir Francis d'Ivernois, 1757-1842; sa vie, son
œuvre et son temps. Genève, Bader et Mongenet, 1920. In-8*», xiii-730 p.
Prix : 15 fr. — Julius Klein. The mesta; a study in spanish écono-
mie history, 1273-1836. Cambridge, Mass. Harvard University Press,
1920. In-8°, xviii-444 p. Prix : 4 dol. (Harvard économie studies). —
L.-H. Labande. Avignon au xv« siècle; légation de Charles de Bour-
bon et du cardinal Julien de La Rovère. Paris, A. Picard, 1920. In-8o,
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des échanges internationaux. Paris, Félix Alcan, 1920. In-8*, 324 p.
Prix : 7 fr. 50 — Id. Le nouveau contrat social, ou l'organisation de
la démocratie individualiste. Ibid. In-8"', 351 p. Prix : 7 fr. 50. —
Stanislas Lami. Dictionnaire des sculpteurs de l'école française au
xixe siècle. Paris, Champion. Tome III, 1919, gr. in-8°, 495 p.; tome IV,
1921, 378 p. Prix : 30 fr, — Georges Lardé. Le tribunal du clerc dans
l'Empire romain et la Gaule franque. Moulins, impr. régionale, 1920.
In-.8°, 230 p. — Id. Une enquête sur le vingtième au temps de Necker;
histoire des remontrances du Parlement de Paris, 1777-1778. Paris,
Letouzey et Ané, 1920. In-8°, 136 p. — Robert de La Sizeranne. Béa-
trice d'Esté et sa cour. Paris, Hachette, 1920. In-8o, is-212 p. et 7 pi.
Prix : 12 fr. 50. — Ernest La visse. Histoire de France contemporaine,
tome III : le Consulat et l'Empire, par G. Pariset. Paris, Hachette,
1921, 444 p. — G. Lenôtre. Le roi Louis XVII et l'énigme du Temple.
Paris, Perrin, 1921. In-8°, 451 p. et 8 gravures. Prix : 12 fr. —
E. Lenient. La faute capitale du haut commandement. Paris, éditions
de l'armée nouvelle, 1920. In-8°, viii-207 p. Prix : 5 fr. — Comte
Louis de Lichtervelde. La monarchie en Belgique sous Léopold I»""
et Léopold II. Bruxelles, G. van Œst, 1921. In-8», viii-117 p. — J. de
LouTER. Le droit international public positif. Tome I. Londres, Hum-
phrey Milford, 1920. In-8°, xi-576 p. Prix : 22 sh. (Dotation Carne-
gie pour la paix internationale). — Paul Masson. Marseille depuis
1789; études historiques. Tome I, 1789-1814. Paris, Hachette, 1921.
In-S", 563 p. — Albert Mathiez. Un procès de corruption sous la Ter-
OUVRAGES REÇUS PAR LA « REVUE BISTORIQUE ». 139
reur ; l'affaire de la Compagnie des Indes. Paris, Félix Alcan. Gr. in-8°,
399 p. Prix : 12 fr. — Johannes Mattern. The employment of the
plébiscite in the détermination of sovereignty. Baltimore, Johns Hop-
kins Press, 1920. In-8°, ix-214 p. Prix ; 1 dol. 50 c. (Johns Hopkins
University studies inhistorical and political science). — Henry MoREL-
JOURNEL. La politique de Bonaparte en pays occupé, d'après des docu-
ments recueillis à Vicence sur l'occupation française de 1797. Paris,
Berger-Levrault, 1921. In-16, vii-66 p. Prix : 6 fr. — Georges Motte.
Les vingt raille de Radinghem. Paris, Bloud et Gay, 1920. In-16,
322 p. — Maurice Pernot. L'épreuve de la Pologne. Paris, Plon-Nour-
rit, 1921. In-16, 311 p. Prix : 7 fr. 50. — Louis Schaudel. Les comtes
de Salm et l'abbaye de Senones aux xii* et xiii° siècles. Paris, Ber-
ger-Levrault, 1920. In-8o, xxin-211 p. Prix : 12 fr. — James Brown
Scott. The déclaration of London, february 26, 1909. New-York,
Oxford University Press, 1919. In-S", xiii-268 p. (Carnegie endow-
ment for international peace). — Id. L'institut de droit international.
Tableau général des travaux, 1853-1913. Ibid.,1920. XLix-366p. — Id.
The proceedings of the Hague peace conférence. The conférence of
1899. Ibid., 1920. xxii-883 p. — Id. The conférence of 1907. Vol. I.
Ibid., 1920. In-4», xxv-703 p. — Id. The project of a permanent court
of international justice, and Resolutions of the advisory Committee of
jurists. Ibid., 4920. In-8°, 235 p. — Id. The project relative to a court of
arbitral justice, 1907. Ibid., 1920. 106 p. — Id. Treaties for the advan-
cement of peace between United States and other Powers, negociated
by the hon. William J. Bryan, secretary of State of the United States.
Ibid., 1920. LXix-152 p. — F. M. Stenton. Documents illustrative of
the social and économie history of the Danelaw, from various collée-^
lions. Londres, Humphrey Milford, 1920. In-8°, CLXiv-554 p. Prix :''
31 sh. 6d. (tome V des « Records of the social and économie history of
England and Wales », publ. par la British Academy). — Paul Thu-
reau-Dangin. Pages religieuses. Paris, Bloud et Gay, 1920. In-16,
268 p. Prix : 6 fr. — Ludwig Traube. Vorlesungen and Abhandlun-
gen. Tome III : Kleine Schriften, publ. par Samuel Brandt. Munich,
Beck, 1920. In-8», xvi-344 p. Prix : 35 m. — Sir Adolphus W. Ward.
Collected papers. Vol. I et II : Historical. Cambridge, University
Press, 1921. In-8°, xi-407 et 397 p. — Lilian Winstanley. Ham-
let and the scottish succession ; being an examination of the relations
of the play of Hamlet to the succession and the Essex conspiracy.
Ibid., 1921. In-8°, 188 p. Prix : 10 sh.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
France.
1. — Annales révolutionnaires. 1920, Novembre-décembre. —
Maurice Dommanget. Les pratiques cultuelles, les miracles et le fana-
tisme révolutionnaires. — Albert Mathiez. Un complice de La
Fayette, Frédéric Dietrich; suite et fin (« Dietrich fut surtout un
ambitieux qui subordonna ses convictions aux intérêts du moment...
Il crut que La Fayette triompherait et il se lia à son char...; s'il avait
réussi, c'était la guerre civile »). — Id. Une amie de Chabot, la com-
tesse de Linières. — Id. Charlotte Robespierre et le Neuf Thermidor
(ajoute une mention d'elle en date du 13 thermidor; la sœur de
Robespierre, qui avait rompu avec lui, avait trouvé asile chez des
amis). — Antoine Richard. La carte de pain à Pau en l'an IL —
M. Dommanget. La Société populaire de Gerberoy (localité qui comp-
tait alors 120 habitants. Cette Société fut fondée pour « épurer les
citoyens », bannir « les traîtres et les fédéralistes »). = C. -rendu :
Albert Mathiez. Danton et la paix (compte-rendu du livre par l'au-
teur lui-même. Il prend acte de ce fait que, depuis la publication de
son ouvrage, aucun des nombreux défenseurs de Danton n'a réfuté
ses conclusion^; il les résume donc en les accentuant). = 1921, jan-
vier-février. Albert Mathiez. Recherches sur la famille et la vie pri-
vée du conventionnel Basire. — G. BréGail. Chantreau, journaliste
et professeur sous le Directoire (professeur d'histoire près de l'Ecole
centrale du département du Gers ; discrédité malgré son talent profes-
sionnel, il fut, en 1803, chargé de la chaire d'histoire à l'École mili-
taire de Fontainebleau). — H. Harmand. PouUain-Grandprey et ses
correspondants; lettres inédites. I (1772-an II). — Gabriel Vauthier.
La succession de Chamfort (arrêté le 4 septembre 1793, Chamfort veut
se tuer pour éviter d'être mis en prison. Il se blesse seulement, mais
meurt le 13 avril 1794 des suites de sa blessure. On publie l'inventaire
de ses biens après décès; ils furent estimés à 795 1. 15 s.). — René
Farge. Documents sur Lazowski (Polonais qui commanda sous la
Révolution la compagnie des canonniers du faubourg Saint-Marcel ;
publie son acte de mariage, 5 août 1792, le programme de la cérémo-
nie funèbre et l'invitation pour assister à ses funérailles, 24 avril 1793).
— Ant. Richard. Un projet de canal du sud-ouest en 1793. = C. -ren-
dus : Lieutenant-colonel Tournies. La garde nationale dans le dépar-
tement de la Meurthe pendant la Révolution, 1789-1802 (excellent). —
RECDEILS PÉRIODIQUES. 141
Abbé M. Giraud. Essai sur l'histoire religieuse de la Sarthe de 1789
à l'an IV (essai fort remarquable par la documentation abondante et
précise, et parla mise en œuvre, qui est irréprochable). —A. Trévis.
Livre de comptes de l'abbé Glaize, curé constitutionnel de Glux (très
intéressant). — G. Lenôtre. Le roi Louis XVII et l'énigme du Temple
(amusant, mais fait sans critique).
2. — Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme
français. 1920, octobre-décembre. — A. Leroux. L'église réformée
de Bordeaux de 1660 à 1670 (d'après le cinquième registre de cette
église; pasteurs; composition du consistoire; services religieux; les
fidèles; actes de violence contre les protestants). — E. Le Parquier.
Les sources de 1' « Histoire du parlement de Normandie » de Floquet
de 1560 à 1562 (n'a pas vu tous les registres du parlement et n'a pas
bien consulté ceux qu'il a vus; redresse les erreurs pour 1560; à
suivre). — Ch. Pradel. Testament du pasteur Antoine de Fanjeaux
(f 16 décembre 1607; le testament est daté du 11 février 1596). —
N. Weiss. Olivier Cromwell (est-il vrai que Cromwell a créé la ques-
tion de rUlster? Réponse à un article de journal). p= G. -rendus :
A. Leroux. Les religionnaires de Bordeaux de 1685 à 1802 (remar-
quable). — Raoul Allier. Anthologie protestante française, xviii« et
xixe siècles (intérêt du recueil. On û'y trouve pas le nom de Vinet).
= Lettre de M. Jacques Pannier à propos de l'Astrée de Ronsard
(c'est Françoise d'Estrée, mère de Gabrielle; or, la famille d'Estrée
adhéra à la Réforme jusqu'en 1572, et il est possible que la belle
Gabrielle, née en 1570, ait été baptisée).
3. — Le Moyen âge. 2» série, t. XXI, septembre-décembre 1919.
— A. Fliche. Hildebrand; fin (la fortune d'Hildebrand ne date que
de l'élection d'Anselme de Lucques comme pape, sous le nom
d'Alexandre II, en 1061 ; ce n'est même alors qu'un modéré comme
saint Pierre Damien, et non pas un intransigeant comme le cardinal
Humbert; seule, « l'implacable logique des événements » l'orientera
peu à peu, après son propre avènement au pontificat, vers les doctrines
radicales professées par ce dernier dès le temps d'Etienne IX). —
Valls-Taberner. Un diplôme de Charles le Chauve pour Suniaire,
comte d'Ampurias-Roussillon (acte inédit de l'année 862, d'après une
copie du XVIII* siècle conservée à 1' « Institut d'Estudis catalans »). —
Paul Deschamps. La sculpture romane en Lombardie d'après l'ou-
vrage récent de M. A. Kingsley-Porter, Lombard architecture (une
grande école de sculpture exista en Lombardie durant la première
moitié du xii» siècle, sans contact avec l'école de sculpture de l'Ile-de-
France). = T. XXII, janvier-avril 1920. Armoriai de France composé
à la fin du xiii^ siècle ou au commencement du xiv«, publié par Max
Prinet (avec une copieuse annotation). — Ch. Samaran. Un diplo-
mate français du xv« siècle : Jean de Bilhères-Lagraulas, cardinal de
Saint-Denis (né vers 1430, au manoir de Lagraulas en Fezensac,
142 RECUEILS PÉRIODIQOES.
évêque de Lombez en 1473, est nommé la même année administrateur
de l'abbaye de Saint-Denis par Louis XI, en récompense de ses ser-
vices; élu abbé en 1474, est chargé par le roi de France de plusieurs
missions diplomatiques en Espagne. Suite au fasc. de mai-aoùt : Après
la mort de Louis XI, il préside les États-Généraux de Tours, en 1483;
est nommé président de l'Échiquier de Normandie en 1484; négocie le
traité signé à Francfort entre Charles VIII et Maximilien; envoyé en
ambassade à Rome, est fait cardinal en 1493, meurt à Rome en 1499).
— PiÉTRESSON DE Saint-Aubin. Document inédit relatif aux Juifs
de Troyes (acte de PhiHppe le Bel, 1294, faisant allusion à la persécu-
tion de 1288). =: Mai-aoùt. A. Dieudonné. Les poids du moyen âge
et la numismatique, d'après une étude publiée en 1906 (celle de Guil-
hiermoz, Note sur les poids du moyen âge. En appendice, huit
tableaux des principaux poids du moyen âge). — G. Enlart. L'archi-
tecture lombarde d'après M. Kingsley-Porter (le livre de l'archéologue
américain nous apporte une « histoire très complète et souvent très
nouvelle de l'architecture lombarde » avec des théories générales sou-
vent très contestables).
4. — Polybiblion. 1920, novembre-décembre. — André Pératé.
Beaux-arts (compte-rendu de cinquante ouvrages, parmi lesquels ceux
de Robert André-Michel, Enlart, Henri Focillon, Louis Hour-
ticq, Jacques-Emile Blanche, etc.). — Publications relatives à la
guerre européenne; parmi elles : Lucien Cornet. 1914-1915, t. III
(exposé documentaire des faits et des textes) ; Albert Bonnard.
Pages d'histoire contemporaine, 1895-1916 (a bien servi en Suisse la
cause française) ; Maurice Sarraut et J. Revol. Un épisode du drame
serbe (récit de quinze jours passés à l'armée serbe, du 7 au 20 octobre
1915); Henry-Amour de Villeborine. La retraite du Vardar (livre
de douleur et d'honneur) ; Paul Gentizon. L'Allemagne en république
(à Munich et Weimar en 1920 ; témoignage d'observation directe). —
Gustave Glotz. Le travail dans la Grèce ancienne (serré de texte,
nourri de faits). — B. Kirsch et H. -S. Roman. Les ordres frères
(dominicains et franciscains; les auteurs suivent les traces des deux
fondateurs). — Henri Malo. Dunkerque (dans le passé et dans la der-
nière guerre). — Visenot. Dernières publications illustrées.
5. — La Révolution française. 1920, octobre-décembre. —
A. AuLARD. Sieyès et Talleyrand, d'après Benjamin Constant et Bar-
ras (pubhe une copie, prise sur les papiers de Barras par M. Doney,
de deux portraits de Sieyès et de Talleyrand. M. Doney affirme que ces
portraits sont dus à une collaboration de Barras et Benjamin Cons-
tant; M. Aulard cite à ce propos d'autres pages de B. Constant sur
Sieyès et Talleyrand. La question des papiers de Barras, dont la Revue
historique s'est occupée jadis, t. CXXVIII, p. 67, mériterait d'être
tirée au clair). — P. Robiquet. La disgrâce de Fouché, en septembre
1815 (publie le texte du rapport de Fouché « sur la situation de la
RECUEILS PERIODÎQDES.
143
France et sur les relations avec les armées étrangères », qui, avec
l'élection de la chambre introuvable, amena la chute de l'ancien
régicide). — F. Braesch. Un livre de M. d'Estrée sur Hébert (paru en
1908; livre intéressant, vivant, plein de faits, appuyé sur une enquête
documentaire un peu hâtive, mais étendue et intelligente). = C. -ren-
dus : Marcel Marion. Histoire financière de la France depuis 1715;
t. II, 1789-1792 (très important, mais on reproche à l'auteur une com-
plaisance trop visible à dénoncer les fautes de la Révolution). —
Hubert et Georges Bourgin. L'industrie sidérurgique en France au
début de la Révolution (enquête poussée à fond). — H. Hauser. Tra-
vailleurs et marchands dans l'ancienne France (excellent). — Saint-
Marly. Histoire populaire du Quercy, des origines à 1800 (beaucoup
de travail ; les références manquent). — Raoul Busquet. Histoire des
institutions de la Provence de 1482 à 1790 (bon). — Jean de Pierre-
feu. G. Q. G. (livre à lire et à relire).
6. — Revue de l'histoire des religions. 1920, mai-juin. —
Ch. Clermont-Ganneau. La lampe et l'olivier dans le Coran (.l'ori-
gine des lampes dont on se sert dans le culte musulman doit être
cherchée dans l'art religieux byzantin ; il est souvent question dans le
Coran de l'olivier qui fournissait à l'homme l'éclairage). — Ch. Picard.
L'ancien droit criminel hellénique et la vendetta albanaise (très
curieux détails sur la situation actuelle de l'Albanie, sur les clans
qui y sont encore soumis à la « loi du sang » et rapprochement
avec les temps primitifs de l'Hellade). — A. CauSSE. Le jardin d'Élo-
him et la source de vie (évolution dans la littérature biblique du
mythe du jardin paradisiaque). — G. Contenau. De la valeur du
nom chez les Babyloniens et de quelques-unes de ses conséquences
(chez les Babyloniens, une chose n'existe que si elle a un nom). —
A. Cabaton. La divine comédie et l'Islam (expose la thèse de
M, Miguel Asin Palacios sur les emprunts faits par Dante à la littéra-
ture arabe). = C.-rendus : Si- Gsell. Histoire ancienne de l'Afrique
du Nord, t. IV. La civilisation carthaginoise (excellent, d'une ampleur
remarquable). — F. Macler. Le texte arménien de l'Évangile
d'après Mathieu et Marc (travail énorme, conduit avec une admi-
rable patience). — J. Laurent. L'Arménie entre Byzance et l'Islam
depuis la conquête arabe jusqu'en 886 (excellent tableau d'ensemble).
— Id. Byzance et les Turcs seldjoucides en Asie occidentale jusqu'en
1081 (bon). — H. Massé. Essai sur le poète Saadi (bonne étude sur ce
poète paysan du xii" siècle). = Juillet-octobre. M. Goguel. Le texte
et les éditions du Nouveau Testament grec à propos d'un article récent
(celui de M. M. Wilmotte dans le Correspondant; indique les édi-
tions du Nouveau Testament, depuis la première, de 1514, parue au
t. V de la Bible polyglotte du cardinal-archevêque de Tolède, Fran-
cisco Ximenès de Cisneros, jusqu'aux éditions modernes de Bernhard
Weiss, von Soden, Baljon, etc.; examine jusqu'à quel point il est per-
mis d'utiliser, dans une édition de ce texte, la méthode conjectu-
144 « -* RECUEILS pe'riodiques.
raie). — L. Massignon, La légende « de tribus impostoribus » et ses
origines islamiques (la phrase attribuée à Frédéric II par le pape Gré-
goire IX se trouve en réalité, dès l'an 909, dans un texte initiatique
dû à la secte musulmane des Qarmates). — W. Déonna. Questions
d'archéologie religieuse et symbolique. XVI. Le drapeau de la
« Régence du Carnaro » (ce drapeau vermeil, arboré par d'Annunzio
le 12 septembre 1920, a pour emblème un serpent qui se mord la
queue, les sept étoiles de la grande Ourse et la devise : « Quis con-
tra nos? » Il faut en chercher l'origine dans l'astrologie et l'astrono-
mie antiques). — Fr. Cumont. La célébration du « Natalis invicti » en
Orient (d'après un traité syriaque de Thomas d'Edesse, qui vécut au
VF siècle). = C. -rendus : Alfred Loisy. Essai sur le sacrifice (remar-
quable). — Sir James George Frazer. Les origines magiques de la
royauté (œuvre d'un grand collectionneur de faits qui sait formuler
des observations générales). — S. Langdon. Le poème sumérien du
Paradis, du Déluge et de la Chute de l'homme (traduction française
de la traduction anglaise, qui a été mise au point). — G. Autran.
Phéniciens (thèse bien contestable). — Alfred Loisy. Les mystères
païens et le mystère chrétien (mise au point très précise du problème).''
— HsLsleagh Rashdall. The idea of atonement in Christian theology
(huit lectures sur l'expiation faites à Oxford en 1915; l'auteur est très
attaché à la doctrine traditionnelle).
7. — Revue d'histoire de l'Église de France. 1920, avril-juin.
— Emile Lesne. Les ordonnances monastiques de Louis le Pieux et
la « Notitia de servitio monasteriorum » ; 1. 1 (commente les passages
de la vie de saint Benoît d'Aniane par Ardon, où sont énumérées
les mesures ordonnées par l'empereur pour la réforme des monas-
tères sous l'influence du saint). = C. -rendus : Abbé Welter. Le
« Spéculum laicorum » ; édition d'une collection d' « Exempla » com-
posée en Angleterre à la fin du xiiP siècle (ce « Spéculum » est
l'œuvre d'un franciscain anglais qui écrivait entre 1279 et 1282). —
L. Guiraud. La Réforme à Montpellier, t. VI et VII (importante con-
tribution à l'histoire du protestantisme et au mouvement de la contre-
' réforme). — L. Delavaud. Quelques collaborateurs de Richelieu
(important). — Aug. Gazier. Bossuet et Louis XIV, 1662-1704
(prouve que Bossuet ne fut pas un prélat de cour, une âme adula-
trice ; tout au plus peut-on lui reprocher d'avoir fait auprès du roi des
démarches tendant à faire nommer son neveu évêque de Meaux). —
H. Pocquet du Haut-Jussé. La vie temporelle des communautés de
femmes à Rennes aux xvii« et xviii« siècles (bon). — A. Lombard.
L'abbé Du Bos, un initiateur de la pensée moderne, 1670-1742 (bon).
— P. de La Gorce. Histoire religieuse de k Révolution française,
t. III (très suggestif). — A. Rebillon. La situation économique du
clergé à la veille de la Révolution dans les districts de Rennes,
de Fougères et de Vitré (bon). — Mgr A. Baudrillart. Vie de
Mgr d'Hulst, t. II (excellent chapitre d'une histoire complète de la
RECDEILS PÉRIODIQUES. 145
pensée et de l'action en France pendant la seconde moitié du xix« s.).
— P. Viard. Histoire de la dîme ecclésiastique en France au
xvp siècle (étude très consciencieuse). — Etienne Giran. Sébastien
Castellion et la Réforme calviniste (bon). — Audard, Foulon et Le
Rohellec. Actt'5 des martyrs et des confesseurs de la foi pendant la
Révolution. T. I : Jean Rétrif, Jean-Jacques d'Advisard, dom Henri
de Noyelle; les prêtres exilés dans les États pontificaux (excellent). =
Juillet-septembre. — Emile Lesne. Les ordonnances monastiques de
Louis le Pieux et la « Notifia de servitio monasteriorum » ; II. = C. -ren-
dus : abbé Ch. Gxiéry. Histoire de l'abbaye de Lyre (consciencieux, mais
confus et fait sans méthode). — A. Fliche. Études sur la polémique
religieuse à l'époque de Grégoire VIL Les Prégrégoriens (remar-
quable; mais l'auteur a donné une place excessive à l'influence exer-
cée par Pierre Damien sur la formation des idées de Hildebrand). —
Noël Valois. Vassy; N. Weiss. La vérité sur le massacre de Vassy
(dissertation critique sur un texte mal connu, mais qui est de pre-
mière importance pour l'histoire de ce célèbre épisode : la lettre latine
adressée par le luthérien Jean Brentz à Jérôme Baumgartner vers la^
fin d'avril 1562, moins de deux mois après l'événement. Les doutes
soulevés par N. Weiss sur la réalité de certains faits relatés par ce
témoin ne tiennent pas devant les observations de N. Valois). — Aug,
Léman. Urbain VIII et la rivalité de la France et de la maison d'Au-
triche de 1631 à 1635. — Id. Recueil des instructions générales aux
nonces ordinaires de France de 1624 à 1634 (important compte-rendu
par G. Fagniez). = Chronique d'histoire régionale. = Notes biblio-
graphiques : L'art et les saints (parle de saint Nicolas, par Aug. Mar-
guillier; de sainte Catherine, par H. Brémond; de sainte Geneviève,
par A.-D. Serlillanges; de saint Martin, par H. Martin). — Eug.
Roupain. Carnet de Jeanne d'Arc, 1412-1431; notes à l'usage des con-
férenciers (contient beaucoup de faits utiles). — Marquis de Roux.
Pascal en Poitou et les Poitevins dans les Provinciales (intéressant).
— H. Lechevallier. La propriété foncière du clergé et la vente des
biens ecclésiastiques dans le district de Saint-Lô (thèse remarquable).
— Abbé Pfévost. Répertoire biographique du clergé du diocèse de
Troyes à l'époque de la Révolution (bon). — Jean Guiraud. Clergé
et congrégations au service de la France (pendant la dernière guerre).
— Abbé A. Duplaix. Table alphabétique de l'Histoire du Berry de
Thaumas de La Thaumassière, avec références aux deux éditions. —
Paul Richard. Lyon sacré; histoire hagiographique de l'ancien dio-
cèse de Lyon au point de vue chronologique (utile). =: Octobre-
décembre. Emile Lesne. Les ordonnances monastiques de Louis le
Pieux et la « Notifia de servitio monasteriorum » ; III (étude critique
sur les sources de cette « Notitia », qui nous conserve un fragment
d'une « schedula » promulguée par Louis le Pieux au plaid de 819; en
appendice, réédition du texte de la « Notitia » énumérant les monas-
tères qui, dans l'empire, « dona et militiam facere possunt, quae scia
Rev. Histor. CXXXVI. l" fasc. 10
146 RECOEILS PÉRIODIQOES.
dona sine militia, quae vero nec dona nec militiam, sed solas oratio-
nes pro salute imperatoris vel filiorum ejus et stabilitate imperii »). =
C. -rendus : H. Lévy-Bruhl. Les élections abbatiales en France;
époque franque (excellent). — Dom Germain Morin. Anecdota
Maredsolana. 2« série : Études, textes, découvertes, coiltributions à la
littérature et à l'histoire des douze premiers siècles (recueil fort ins-
tructif). — P. Bouvier. Etude sur l'Hôtel-Dieu d'Orléans au moyen
âge et au xvf siècle (excellent). — L. Hogu. Jean de L'Espine, mora-
liste et théologien, 1505-1597; sa vie, son œuvre, ses idées (très
bonne étude sur un personnage insignifiant). — Commandeur de
Broqua. Claude Bernard, dit le Pauvre Prêtre, 1588-1641 (bon ouvrage
d'édification). — Vicomte Maurice de Lestrange. La question reli-
gieuse en France pendant la guerre de 1914-1918. Documents (ces
documents se composent surtout de découpures de journaux). —
P. Mello7i. L'Académie de Sedan, centre d'influence française. A
propos d'un manuscrit du xviF siècle (histoire, composée en latin,
datée de 1613 et 1620, de cette Académie fondée par les La Marck en
1576 et supprimée par Louis XïV à cause de son caractère protes-
tant et bien qu'on y enseignât à peu près toutes les matières utiles au
métier militaire).
8. — Le Correspondant. 1920, 25 décembre. — Mgr Pierre
Batiffol. La conversion d'un évêque : Frederick Kinsman (évêque
de l'Église épiscopalienne d'Amérique; après avoir considéré que
l'épiscopat sur le modèle de l'Église anglicane était le plus conforme
à l'enseignement des Pères, il se convertit au catholicisme romain en
1919. Il avait découvert, chemin faisant, « la morale de nos moralistes
et de nos sociologues, que l'anglicanisme nous fait aujourd'hui l'hon-
neur de nous envier »). — Pierre de Là Gorce. A travers la Révolu-
tion. Après le 9 thermidor. La Vendée et la première loi d'émancipa-
tion religieuse (expose en détail les négociations qui ont abouti à la
« Pacification de La Jaunaie », 29 pluviôse an III ou 17 février 1795, que
suivit bientôt le décret sur la police des cultes du 3 ventôse ou 21 fé-
vrier). — F. Baldensperger. Les scrupules d'un Américain attardé.
L'éducation de Henry Adams (d'après son autobiographie). — A. Ha-
LOT. Les leçons de l'histoire. Le traité de 1839 et la Belgique. — Jean
Des Cognets. Un document inédit sur La Mennais (publie, d'après les
mémoires de J.-M. Dargaud, une lettre qu'écrivit à celui-ci La Men-
nais, le 2 juillet 1833, et quelques souvenirs puisés à la même source).
= 1921, 10 janvier. ***. Le Japon et l'avenir de l'Extrême-Orient. —
L. de Lanzac de Laborie. Les vingt premiers siècles de notre his-
toire (annonce le tome II de VHistoire de la nation française, qui
est consacré à l'histoire politique, des origines à 1515, et qui a pour
auteur P. Imbart de La Tour). = 25 janvier. Nelly Melin. La réforme
de l'éducation anglaise (intéressant et bien informé ; le rôle personnel
du ministre, M. Fisher, aurait dû être marqué plus fortement, car il
paraît avoir été décisif)'. — Joseph Hun Y. L'Église anglicane et le
RECUEILS PÉRIODIQDES. 147
ministère des femmes (commente le rapport sur la conférence de
Lambeth du 5 juillet au 7 août 1920, véritable concile œcuménique
des évéques anglicans. Cette conférence admit en principe que les
femmes pouvaient être admises à recevoir les ordres mineurs comme
diaconesses ; elle ne paraît pas s'opposer à leur admission même aux
ordres majeurs). — Claude Saint-André. Louis XV et les colonies
(Louis XV a toujours porté un vif intérêt à la géographie, à la marine,
aux colonies; après le traité de 1763, il approuva toutes les mesures
prises par Choiseul pour en réparer les funestes conséquences). =
10 février. Emile Dermenghem. Le centenaire de Joseph de Maistre
(ampleur de ses idées politiques et religieuses). — ***. Sinn Fein;
essai de psychologie politique. — Maurice Brillant. Pierre Biardeau
et la statuaire angevine en terre cuite au xvii» siècle. — Henry
Lemonnier. a propos du centenaire de l'École des chartes, 1821-1921
(avec quelques souvenirs personnels de 1862-1865).
9. — Mercure de France. 1920, l^"" janvier. — Maurice Des
Ombiaux. Le gouvernement du Havre et sa politique en Belgique
occupée (véhémente apologie de cette pohtique). — Jean Maxe. La
propagande bolchevique mondiale (à lire et à méditer, car Zinoviev et
Lénine disent crûment les choses). = 15 janvier. Georges Batault.
Le problème juif. La renaissance de l'antisémitisme, ses causes
actuelles et sa signification (l'antisémitisme actuel est une réaction
contre le bolchevisme russe que conduisent des Israélites; d'une façon
plus générale encore et plus mystérieuse, il s'oppose aux deux inter-
nationales, celle de l'Or et celle du Sang, qui ont également à leur
tête une élite de Juifs. Ce sont encore les Juifs qui ont dicté les con-
ditions de la paix et qui ont inventé la nébuleuse Société des nations;
leur instrument fut le puritanisme. Si différente que soit leur nature,
Wilson et L. George ont ce point commun d'être des Puritains utili-
taires ; or, « tous les éléments de la mentalité puritaine qui sont en
relation avec les progrès de l'esprit capitaliste procèdent directement
du judaïsme ». Israël a fait alliance avec les Puritains du Nouveau
Monde ; « cette vue de l'affinité qu'ont l'un pour l'autre le Juif et le
Puritain est une des plus profondes et des plus fécondes de la philo-
sophie de l'histoire moderne »). — Gabriel Brunet. Le jeune Taine
(d'après sa correspondance). — Georges Matisse. Les rapports entre
les sciences de l'humanité et les sciences de la nature. := le"" février.
Pai^ Rival. Un acteur tragique : Gabriele d'Annunzio. — B. Niki-
TiNE. Quelques observations sur les Kurdes. =: 15 février. Georges
Batault. Le problème juif; l'exclusivisme juif (à travers l'histoire).
10. — Revue de Paris. 1921, l»"" janvier. — Lieutenant-colonel
Jean Fabrv. La France de 1921 et la « Nation armée ». — Arthur
Raffalovitch. La conférence (inancière internationale de Bruxelles.
— Piferre de Nolhac. Souvenirs de la biblidthèque Vaticane (1882-
1885). — Marie-Louise Pailleron. L'autobiographie de Mrs Asquith
148 RECUEILS PÉRIODIQUES.
(intéressant et peu banal). — D. Pasquet. La découverte de l'Angle-
terre par les Français au xyiiP siècle ; suite et fin (la vie de société et
la vie intellectuelle à Londres et ce qu'en pensent les Français ; quel
contraste avec la gaieté de Paris! Mais aussi comnien les Anglais
apprécient leur « précieuse liberté » ! Vers la fin du siècle cependant,
l'engouement pour l'Angleterre s'atténue pour faire place à l'esprit
critique). = 15 janvier. ***. France et Angleterre (explique les causes
du dissentiment entre les deux pays et montre qu'il est à la fois néces-
saire et facile de le faire disparaître). — Général Buat. Une crise de
commandement dans l'armée allemande en 1914-1916 : Hindenburg
etLudendorff contre Falkenhayn (d'après leurs mémoires). — Edmond
Perrin. L'enseignement secondaire en Alsace et en Lorraine (l'auteur,
nommé en janvier 1919 dans un lycée de Strasl)ourg, montre par quels
tâtonnements on a réussi à organiser l'enseignement français sans
violenter les sentiments et les habitudes d'esprit contractés sous le
régime allemand). — Jacques de Clausonne. La crise économique.
— Nicolas DE Berg-Poqgentpotl. Lettre au directeur de la Revue
de Paris (pour réfuter les erreurs commises par l'auteur anonyme de
l'article sur le gouvernement de Koltchalk en Sibérie, paru dans la
Revue du 15 novembre 1920). = l^»" février. Frédéric Masson. Marie-
Louise et ses carnets de voyage. I (introduction où sont contées l'en-
fance de la future impératrice, son aversion à l'égard de Napoléon
jusqu'en 1810, les négociations et les cérémonies du mariage). — Élie
Halévy. Les origines de la discorde anglo-allemande (d'après les
mémoires du baron d'Eckardstein publiés à Leipzig en 1919; montre
ce qu'ils nous apprennent de nouveau sur les intrigues et négociations
de 1901-1902 et comment enfin les tentatives d'une alliance anglo-
allemande, dont l'Allemagne avait pris l'initiative, aboutirent à l'ac-
cord anglo-français de 1904). — Marie-Louise Pailleron. M. Wells
chez les Bolcheviks (d'après le récit d'un séjour de Wells à Moscou;
amusant, s'il est permis de le dire, et instructif). — Général Buat. Une
crise de commandement dans l'armée allemande en 1914-1916; suite :
Campagne d'été contre la Russie, mai-octobre 1915; défensive sur le
front russe, fin 1915-aoùt 1916 (hostilité de Hindenburg et de Luden-
dorfï contre Falkenhayn, qui est amené à donner sa démission le
29 août 1916). — Charles Loiseau. La politique sociale et la papauté.
11. — Revue des Deux Mondes. 1921, l^"" janvier. — ***. L'ar-
mée qu'il nous faut. — Maurice Barrés. Le génie du Rhin. II : La
vie légendaire du Rhin (le folklore du Rhin attira d'abord l'attention
des administrateurs français de la Rhénanie pendant la Révolution et
l'Empire; les Allemands en continuèrent l'étude, mais en la dénatu-
rant par des préoccupations très personnelles. Il faudra désormais,
après avoir renvoyé dans leur pays les divinités du Walhalla, encou-
rager les dévouements locaux à la légende et à l'histoire, faire revivre
les « figures indigènes que la fantaisie rhénane avait fait sortir de sa
vie, de son rêve, de ses aspirations les plus sûres »). — Henry Bor-
RECDEILS PÉRIODIQUES. 149
•
BEAUX. Les amants d'Annecy. Anne d'Esté et Jacques de Savoie. II
(Mme (Je La Fayette n'a pas composé un roman historique ; aux person-
nages du xvi« siècle, dont elle empruntait les noms, elle a enlevé leur
caractère violent et magnifique pour en faire des contemporains de
Racine). — Ernest Daudet. Quelques scènes du drame hellénique,
juin-décembre 1916. III : Autour des journées de décembre (drama-
tique récit qui fait retomber sur le roi Constantin toute la responsa-
bilité du massacre des Français : 53 tués, dont 6 officiers, 138 blessés,
10 disparus, voilà le bilan de ce que le roi osait hier encore appeler
une « querelle de famille »). —Louis Gillet. Les souvenirs de Mar-
got Asquith (d'après son autobiographie, récemment parue à Londres,
avec une dédicace à son mari, l'ancien premier ministre). = 15 jan-
vier. Maurice Paléologue. La Russie des tsars pendant la Grande
Guerre (l'ancien ambassadeur de France à Pétersbourg publie les
notes où il a marqué les étapes de la crise des douze jours : visite du
président de la République à l'empereur Nicolas, 20-23 juillet 1914;
vers la guerre, 24 juillet-2 août. Document historique de grande
importance et très émouvant). — Maurice Barrés. Le génie du Rhin.
III : L'histoire du cœur charitable rhénan (fondations charitables de
Lezay-Marnesia ; la pensée des philanthropes français survit à la chute
du premier Empire ; les rapports sympathiques entre la France et la
Rhénanie sur le terrain de la religion se détendent à partir de 1871;
mais les Rhénans souffrent de la rigidité prussienne en toute matière
spirituelle. « Le cœur rhénan soufîre de la même manière que l'ima-
gination rhénane. Ici encore, la Prusse donne l'assaut. Comme elle
a dénaturé et étouffé les imaginations du Rhin, elle dessèche les aspi-
rations charitables, les meilleures richesses bienfaisantes de la foi »).
— Brieux. Emile Augier, chevalier de la Bourgeoisie. II. — ***.
Fiume, l'Adriatique et les rapports franco-italiens ; I : Avant l'arrivée de
G. d'Annunzio (convention de Londres, pacte de Corfou et de Rome;
l'occupation interalliée de Fiume et l'installation de la base française;
la question de l'Adriatique devant les Alliés et le message Wilson; le
projet Tardieu et la chute du cabinet Orlando). = 1" février. Marie-
Louise Pailleron. François Buloz et ses amis au temps du second
Empire. I (il y est surtout question de George Sand). — Maurice
Paléologue. La Russie des tsars pendant la Grande Guerre. II
(notes du 5 au 20 août 1914; enthousiasme qui règne à la cour et
même dans le peuple pour la guerre contre le germanisme; l'empe-
reur à Moscou le 18 août; sa « résignation mystique »). — Maurice
Barrés. Le génie du Rhin. IV : Les directions françaises dans la vie
sociale du Rhin (ce sont les administrateurs français qui, à l'aube du
XL\e siècle, ont les premiers compris les qualités laborieuses du
peuple rhénan et qui ont su leur donner une valeur utile et humaine.
A partir de 1850, la bureaucratie prussienne refusa son concours aux
industriels rhénans qui continuaient l'œuvre d'équilibre et d'harmonie
sociales, qui est leur honneur). — René Pinon. L'avenir de l'entente
150 RECUEILS PE'RIODIQDES.
franco-britannique. I : La politique des ports. — Charles Nord-
MANN. Impressions de Roumanie.
12. — Annales du Midi. 1920, juillet-octobre. — P. Genevray.
Ouvriers allemands et concurrence allemande dans les Pyrénées arié-
geoises il y a cent ans. — Ch. Samaran. A propos de Bernard de
Panassac (quelques identifications de noms de lieu). = C. -rendus :
C. Jullian. Histoire de la Gaule, t. V et VI (ouvrage capital « qu'il
ne faut pas admirer seulement comme une magnifique œuvre d'art,
mais comme le guide et le manuel de tous ceux qui s'intéressent à
nôtre histoire nationale »). — G. Melchior. Les établissements des
Espagnols dans les Pyrénées méditerranéennes aux viii^ et ix^ siècles
(intéressante thèse de doctorat). — Abbé Jean Contrasty. Histoire de
Sainte-Foy de Peyrolières (important).
13. — Revue historique de Bordeaux. 1920, juillet-septembre.
— J.-A. Brutails. La chapelle de la Trinité à Saint-Émilion (pro-
teste contre l'abus des restaurations archéologiques). — Abbé A. Gail-
lard. Le prieuré de Barp ; suite (chap. iv : dom Jean de La Barrière
et les Feuillants. La Barrière devint en 1573 abbé de Feuillant,
monastère placé sous le vocable de Notre-Dame, aujourd'hui dans la
commune de La Bastide-des-Feuillants. Il mourut à Rome en odeur de
sainteté le 25 avril 1600 ; chap. v : l'union du prieuré de Barp au monas-
tère des Feuillants en 1589; chap. vi : administration du prieuré). —
Marguerite Castel. La formation topographique du quartier de Saint-
Seurin; suite. — R. Brouillard. Nouvelles recherches sur les Giron-
dins proscrits, 1793-1794. 2« partie : séjour à Saint-Émilion; suite
(chez M™«.Bouquey). — Alfred Leroux. Bordeaux capitale de Guyenne-
et-Gascogne (Bordeaux fit une première fois partie de la Gascogne
politique en 567, puis définitivement en 817; elle rentra politiquement
en 1036, tout au moins en 1052, dans la Guyenne; à partir de 1152,
elle étendit la juridiction de ses ducs sur les deux territoires de Gas-
cogne et de Guyenne aux dépens de Poitiers).
États-Unis.
14. — The American historical Revie-w. 1921, janvier. —
Edward Channing. Il y a trois cents ans (lecture faite à l'American
historical Association sur le troisième centenaire du Mayflower). —
M. ROSTOVTSEV. La Russie méridionale à l'époque préhistorique et
classique (important article avec une copieuse bibliographie). — Sid-
ney B. Fay. Lumières nouvelles sur les origines de la guerre. Ifl : La
Russie et les autres puissances (peut-on admettre la thèse allemande
que la mobilisation partielle ou générale des armées russes a précédé et
justifié la résolution prise par Guillaume II de mobiliser à son tour
et d'appuyer de toute sa force l'ultimatum autrichien avec toutes ses
conséquences? L'examen critique de tous les documents jusqu'ici con-
RECUEILS Pe'rIODIQOES. 151
nus ne le permet pas). — L. M. Sears. Un diplomate confédéré à la
cour de Napoléon III (ce diplomate est John Slidell, qui fut envoyé à
Paris en 1861 par les États du Sud, tandis que James Mason, séna-
teur de Virginie, était envoyé à Londres ; analyse les lettres écrites à
cette occasion par Slidell à Mason. Intéressant). — Th. C. Pease. Des
précautions à prendre avec les documents militaires. = Documents :
Le général Meig et la conduite de la guerre civile (ce général fut
quartier-maître général à l'armée en 1861 et occupa cette fonction
jusqu'à sa retraite en 1882. En 1887 et 1888, à la demande de la direc-
tion du journal le « Century », il rédigea un rapport sur les relations
qu'avaient eues Lincoln et Seward avec les chefs de l'armée. Ce rapport
ne fut pas inséré; on le publie maintenant, avec des extraits du jour-
nal tenu par Meig du 29 mars au 8 avril 1861). = C, -rendus : S. C.
Vestal. The maintenance of peace (étudie la « balance du pouvoir » et
des ententes internationales dans l'histoire; mais ses raisonnements
sont trop simplistes et encombrés de détails superflus). — Fr. M.
Fling. The writing of history; an introduction to historical method
(bon guide à l'usage des étudiants). — Edwin C. Eckel. Coal, iron
and war; a study in industrialism past and future (instructif). —
T. Franck. An économie history of Rome to the end of the Republic
(excellent). — C. Henry Smith. The Mennonites (bon résumé de
l'histoire de cette secte en Europe et en Amérique). — Turberville.
Mediiïval heresy and the Inquisition (utile résumé). — N. Curnock.
The journal of the Rev. John Wesley, sometime fellow of Lincoln
Collège, Oxford, vol. VII et VIII (très important recueil de docu-
ments). — J. F. Scheltema. The Lebanon in turmoil, Syria and the
Powers in 1860; book of the marvels of the time concerning the
massacres in the arab country, by Iskander Ibn Yaqub Abkarius,
translated and annotated (il résulte des corrections apportées par le
traducteur aux souvenirs d'Abkarius, en son temps vice-consul des
États-Unis à Beyrout, que la responsabilité des massacres de 1860
retombe en partie sur les Maronites eux-mêmes). — Sarah Wam-
baugh. Amonograph on plébiscites, with a collection of oflicial docu-
ments (brève étude sur les plébiscites qui ont amené des changements
de souveraineté, de 1791 à 1905 : réunion d'Avignon et du Comtat-
Venaissin à la France en 1791 ; séparation de la Suède et de la Nor-
vège en 1905, etc. ; suit une masse de documents qui remplissent un
millier de pages). — W. S. Sims et B. J. Hendrick. The victory at
sea (excellent, surtout en ce qui concerne la guerre sous-marine). —
Hasktiis et Lord. Sorae problems of the Peace Conférence (donne une
très bonne id^ip du travail accompli par la Conférence de la paix pour
la reconstitution territoriale de l'Europe). — Cari Becker. The Uni-
ted States; an experiment in democracy (intéressant). — W. //. Bur-
gess. The pastor of the Pilgriras; a biography of John Robinson
(beaucoup de lumière nouvelle sur la biographie de ce personnage). —
C/i. Burrage. An answer to John Robinson of Leyden by a puritan
152 RECUEILS PÉRIODIQUES.
friend, now first published from a ms. of 1609 (ce document, qui reste
anonyme, montre les difficultés que rencontra Robinson quand il se
sépara de l'Église établie). — H. E. Bolton. Kino's historical memojr
of Pimerîa Alta ; a contemporary account of the beginnings of Califor-
nia, Sonora and Arizona, 1683-1711 (le frère Eusebio Kino est un mis-
sionnaire qui, de 1687 à 1711, fit plus de cinquante voyages dans ces
pays californiens ; sa relation, publiée au xviiP siècle sous le titre
Favores celestiales, était tombée dans un injuste oubli. La présente
édition, avec une traduction anglaise, lui restitue son légitime inté-
rêt). — Clarence W. Alvord. The Illinois country, 1673-1818 (bon).
— A. C. Mac Laughlin. Steps in the development of american
democracy (brillante exposition). — J. Brown Scott. Justicial settle-
ment of controversies between States of American union ; an analy-
sis of cases decided in the suprême court of the United States (impor-
tant; la thèse de l'auteur sur le rôle que doit jouer la Cour suprême
des États-Unis est très exagérée). — V. F. O'Daniel. The right rev.
Edward Dominik Fenwick, 0. P., founder of the Dominicans in the
United States, pioneer missionary in Kentucky, apostle of Ohio, first
bishof of Cincinnati (recherches très étendues ; l'ouvrage a été entre-
pris à l'occasion du centenaire de la fondation du diocèse catholique
romain de Cincinnati). — Paul L. Haworth. The United States in
our own times, 1865-1920 (bon, malgré un abus de références peu
utiles). — 0. D. Skelton. The Canadian dominion; a chronicle of our
Northern neighbor (excellent). — J. H. Latané. The United States
and latin America (nouvelle édition d'un ouvrage publié déjà il y a
vingt ans, continué jusqu'à nos jours, mais demeuré incomplet). —
— H. Bayley. Archaic England (compilation de haute fantaisie). —
J. E. Elias. Het voorspel van den eersten Engelschen oorlog (étude
ioH bien documentée sur les préliminaires de la première guerre entre
la Hollande et l'Angleterre; pas de documents nouveaux). — G. E.
Cory. The rise of South Africa, to 1857 (se rapporte à la période
1834-1840 et notamment à la guerre contre les Cafres en 1835). —
M. G. Hindus. The russian peasant and the Révolution (l'auteur,
bien renseigné, traite du paysan russe avec sympathie ; mais il a le
tort de ne pas distinguer les différentes parties de la Russie où la vie
économique du paysan n'est pas du tout la même, de ne rien dire sur
ses habitudes religieuses et morales, enfin d'idéahser son caractère.
Ces remarques sont de M. Rostovsev).
Grande-Bretagne.
15. — The English historical Revie^v. 1921, janvier. — R.-L.
PooLE. Les débuts de l'English historical Review. — Miss Alice M.
ASHLEY. Les « alimenta » de Nerva et de ses successeurs (énumère et
analyse les textes du i^'' et du ii« siècle qui se rapportent à l'assistance
des enfants pauvres en Italie). — F. M. PowiCKE. Maurice de Rie-
BECCEILS PÉRIODIQUES. 153
vaulx (ce Maurice, élu abbé de Rievaulx en 1145, puis de Fountains en
1147, préféra rester simple moine. Un chroniqueur contemporain
l'appelle « un second Bède ». On peut en effet lui attribuer trois
ouvrages : un volume de sermons, un autre de lettres, un troisième
qui contient entre autres un poème latin sur la translation du corps
de saint Cuthbert. Publie une lettre de lui à Th. Becket). — Godfrey
Davies. La bataille d'Edgehill. — W. A. Morris. Une mention
d'écuage en 1100. — J. H. Round. Le service féodal ou « sergente-
rie » de bouteiller (notes sur un certain Guillaume de Quevilly, qui
avait en fief de sergenterie la charge de bouteiller du roi au temps de
Henri II). — James Tait. Les deux plus anciennes chartes de Coven-
try (Ranulf III de Blonville, comte de Chester de 1181 à 1232, a con-
cédé à la ville de Coventry, dont il était seigneur pour une moitié,
deux chartes municipales, dont une a été confirmée par Henri II
vers la fin de son règne. Celle-ci fut donnée sans doute quand le
comte, encore mineur, était sous la garde du roi. L'autre fut concé-
dée environ vingt-cinq ans plus tard). — Miss Ililda Johnstone. Le
parlement de Lincoln en 1316 (discussion sur la date où le parle-
ment accorda au roi un subside pour la guerre d'Ecosse : « die Mar-
tis proxima ante carniprivium ». Faul-il faire commencer le carême
depuis le dimanche avant ou après le mercredi des cendres et placer
cette date au 17 février ou bien au 24? L'ordre des faits tels qu'ils sont
notés dans le rôle du parlement prouve qu'il faut admettre la date du
17). — G. Johnson. Négociations pour la rançon de David Bruce en
1349 (publie un document en français découvert dans les liasses de la
chancellerie). — R. L. Poole, Ch. H. Haskins et Mrs Erich George.
Un poème en vers latins sur l'Echiquier (son organisation; vénalité
de ses agents. Le poème doit avoir été rédigé entre 1398 et 1410). —
Miss Cora L. Scofield. Cinq contrats passés entre le roi Edouard IV
et le Faiseur de rois (concernant les capitaineries de Calais, de Guines
et de Hammes). — Miss Irène Wright. Histoire de la Jamaïque en
1511-1536 (publie vingt documents en espagnol provenant des registres
des ordres royaux à la Contratacion de Séville). — J. E. Neale. L'au-
teur des « Hislorical collections » de Townshend (Townshend est
mort en 1623; ses « Historical collections » ont été publiées en 1680;
il n'est manifestement pas l'auteur de cet ouvrage, qui, d'ailleurs, est
une compilation sans valeur originale : des dix-huit journaux du par-
lement qui y sont publiés, six ne sont que l'abrégé de ceux que
rédigea d'Ewes en 1629-1630; les deux autres sont empruntés à
Robert Bowyer). =C. -rendus : A. E. Cowley. The Hittites (M. Cow-
ley discute l'opinion du savant autrichien Ilrozny, qui voit dans les
Hittites un peuple indo-européen parlant une langue très voisine du
latin; il prétend prouver que ce peuple n'est pas arien. Pour être
négatives, ses conclusions n'en sont pas moins intéressantes; mais
l'Autrichien a-t-il tort?). — F. Oswald et T. Davies Pryce. An intro-
duction to the study of terra sigillata (important surtout pour les pote-
154 RECDEILS PERIODIQUES. ^
ries dites samiennes qui ont été découvertes en Grande-Bretagne). —
B. Krusch et W. Levison. Passiones Vitaeque sanctorum aevi mero-
vingici (belle édition; la partie chronologique est remarquable, mal-
gré des erreurs de détail). — Chr. Zervos. Un philosophe néoplatoni-
cien du XP siècle : Michel Psellos (bon). — Tout. Chapters in the
administrative history of England, vol. I et II (très remarquable). —
Chartularium Studii Bononiensis, vol. II-IV (ces volumes contiennent
des masses de documents, dont un petit nombre seulement inté-
ressent l'Université de Bologne; en outre, ils étaient déjà connus pour
la plupart). — Jules Viard. Les journaux du Trésor de Charles IV
(important; ces journaux permettent de faire d'instructives comparai-
sons entre les méthodes financières suivies dans le même temps en
France et en Angleterre). — Harry W. Gidden. The sign manuals
and letters patent of Southampton. — Margaret Deanesley. The Loi-
lard Bible and other biblical versions (remarquable ; assez longue liste
de corrections faites par A. G. Little). — R. H. Murray. Erasmus
and Luther; their attitude to toleration (intéressant, mais diffus). —
Rose Graham. The chantry certificates and the Edwardian invento-
ries of church goods (textes instructifs très bien publiés). — G. C.
Williainson. George, third earl of Cumberland (bonne biographie
d'un contemporain et émule de Drake). — W. H. Burgess. John
Robinson, pastor of the Pilgrim fathers (bon). — Alfred Martineau.
Dupleix et l'Inde française, 1722-1741 (excellent). — Gooch. Germany
and the French révolution (ouvrage solide et instructif, mais mal com-
posé). — Elise Koppel, Aage Friiscoin et P. Munch. Andréas Fre-
derik Kriegers Dagboger, 1848-1880, t. I (important, surtout pour
l'histoire des duchés de l'Elbe de 1848 à 1858). — S. Hellmann. Das
Mittelalter bis zum Ausgange der Kreuzzùge (bon manuel, écrit à un
point de vue très allemand ; la biographie ne contient guère que des
ouvrages allemands; pourquoi?). — A. J. Toynbee. The place of
mediseval and modem Greece in history (intéressante leçon d'ouver-
ture). — A. S. Turberville. Mediœval heresy and the Inquisition
(bon). — J. F. Rees. Social and industrial history of England, 1815-
1918 (très bon exposé). ^
16. — History. 1921, janvier. — Commandant Weil. Guizot et
l'entente cordiale (publie une lettre de Guizot au comte de Flahaut,
ambassadeur à Vienne, 16 mars 1644, et deux de Flahaut à Guizot,
2 et 18 avril 1844). — C. M. Cox et C. H. Greene. L'enseignement de
l'histoire dans les écoles. = C. -rendus : H. G. Wells. An outline
of history (ouvrage remarquable dans les parties où l'imagination
peut se jouer sans contrôle, ainsi dans la préhistoire; pour l'épOque
moderne, il dicte des sentences plutôt qu'il n'expose des faits). —
A. Cewley. Jewish documents of the time of Esra, translated from
the aramaic (important). — W. E. Œsterley. The sayings of the
jewish fathers, translated from the hebrew {utile traduction du
« Pirke Aboth », un des traités dont est formée la mishnah). — A. S.
RECDETLS PERIODIQDES. 155
Turberville. Mediscval heresy and the Inquisition (travail de bonne
vulgarisation). — Jan Ruinen. De oudste handelsbetrekkingen von
HoUand en Zeeland met Engeland tôt in het laaste kwartaal der
xivrfc eeuw (très bonne thèse). — D. B. Morris. The Stirling mer-
chant gild and life of John Cowane (bon). — W. S. Harmer. Ciren-
cester weavers Company; a review of its records (important; 1580-
1796). _ G. E. Hubbard. The day of the Crescent; gUmpses of old
Turkey (recueil d'anecdotes empruntées à des voyageurs au xvi^ et au
xvii« siècle). — W. F. Reddaway. Introduction to the study of rus-
sian history (insuffisant). —A. Weiner. Select passages illustrating
commercial and diplomatie relations between England and Russia
(incomplet). — Janet P. Trevelyan. A short history of the italian
people (excellent résumé). —A. Kalshoven. De diplomatieke verhou-
ding tusschen Engeland en de Republick der Vereednigde Nederlan-
den, 1747-1756 (très bonne thèse). — H. W. Household. Our guar-
dian fleets in 1805 (malheureuse tentative- pour initier les enfants des
écoles à la stratégie navale qui aboutit à Trafalgar. La question de
Nelson a été trop agitée dans ces derniers temps, et les spécialistes
sont encore trop loin d'être d'accord). — William Page. Commerce
and industry, 1815-1914 (travail solide avec d'instructives statistiques).
— C. S. Terry. Zeebrugge and Ostend dispatches (recueil de précieux
documents sur l'action de la flotte anglaise devant Ostende et le port
de Bruges pendant la Grande Guerre).
17. — The Quarterly Review. 1921, janvier. — Sir Ernest
Satow. La réorganisation de l'Europe. — Deux hommes d'Etat de
Dominions : 1" Sir Wilfrid Laurier, par Edward Powitt; 2° le géné-
ral Louis Botha, par Sir Lionel Philipps. — Théodore von Sos-
NOSKY. Les derniers des Habsbourg : l'empereur François-Joseph,
l'archiduc François-Ferdinand et Charles I" (d'après les ouvrages de
Friedjung, d'Aurel C. Popovici et du comte Czernin). — Le mouve-
ment agraire au Canada (au xx^ siècle). — J. W. Gordon. La nou-
velle constitution allemande. — Sir William Ashley. Bolchevisme
et démocratie. — Sir R. Henry Rew. Le problème des salaires dans
l'agriculture. — Laurence Binyon. Traditions anglaises en art (d'après
les t. I-VII des publications de la Walpole Society, qui font connaître
toute une série d'artistes antérieurs à Ilogarth).
18. — The Scottish historical Review. 1921, janvier. — James
WiLSON. Les passages de saint Malachie à travers l'Ecosse (saint
Malachie d'Armagh traversa deux fois l'Ecosse en allant à Rome et
au retour en 1140; une troisième fois eu 1148, dans un voyage qui se
termina par sa mort à Clairvaux, le 2 novembre. Commente le récit
que nous a laissé saint Bernard sur la vie et les miracles du saint
irlandais et s'eflorce d'en déterminer les indications géographiques).
— J. Duncan Mackie. Les joyaux de la reine Marie Stuart (montre
ce qu'ils sont devenus; Moray paraît avoir vendu les perles que Marie
156 RECOEILS PÉRIODIQUES.
avait confiées à sa garde. Elisabeth en acheta, sans que l'on puisse
dire exactement lesquelles, en dépit des inventaires qu'on en possède).
— J. Storer Clouston. Fermages écossais d'autrefois dans les
Orcades comptés en livres sterling, non en monnaie écossaise (il
s'agit des « rentals » du comté d'Orkney, acquis par Lord Sinclair,
pour l'année 1502-1503. On avait admis jusqu'ici que les sommes por-
tées sur ce compte étaient en monnaie d'Ecosse). — J. T. Brown.
James Boswell considéré comme « Essayist ». = C. -rendus : H. M.
Machay. Old Dornoch, its traditions and legends (bonne mon(^raphie
d'une ville qui fut le siège d'un évêché fondé par saint Gilbert). —
Th. C. Wade. The sovereignty of the British seas, written in the
year 1633 by Sir John Borroughs, keeper of the records in the Tower
of London (bonne édition d'un texte important pour l'histoire du
droit international. Ce mémoire de Borroughs, terminé en 1633, fut
connu de Selden, qui l'utilisa dans son Mare clausum avant qu'il eût
été publié, 1651). — G. C. Williamson. George, third earl of Cum-
berland, 1558-1605 (bonne biographie). — John Warrach. Doraestic
life in Scotland, 1488-1688 (beaucoup de renseignements curieux sur
l'ameublement et les usages domestiques). — D. P. Heatley. Diplo-
macy and the study of international relations (instructif). — W. H.
Scofield. Mythical bards and the life of William Wallace (Henry
l'Aveugle, auteur du poème sur Wallace, est un personnage légen-
daire; l'auteur, anonyme, n'a jamais été aveugle, ni un ménestrel
errant ; c'était sans doute un héraut qui fit une propagande sans scru-
pule en faveur de son pays et qui n'a pas hésité à déformer l'histoire
pour la faire servir aux intérêts de la noblesse écossaise). — HeW/
Scott. Fasti ecclesiae Scoticanae (nouvelle édition revue et continuée
jusqu'à nos jours d'un tableau montrant l'œuvre accomplie par les
ministres dans l'église d'Ecosse depuis la Réforme).
CHRONIQUE.
France. — Le comte Robert de Lasteyrie du Saillant est mort
le 29 janvier 1921, âgé de soixante-onze ans ; fils du comte Ferdinand de
Lasteyrie, l'auteur d'une Histoire de la peinture sur verre qui lui
avait ouvert les portes de l'Institut (1860), il naquit à Paris le 15 no-
vembre 1849. Élève à l'École des chartes, il venait d'y terminer sa
seconde année quand éclata la guerre avec la Prusse. Lasteyrie se
battit bravement à l'armée de la Loire et y fut blessé. Il revint ensuite
à l'École d'où il sortit en 1873 avec une thèse sur l'Origine des
vicomtes de Limoges, qui lui valut plus tard, en outre, le titre d'élève
diplômé à l'École pratique des Hautes-Études. Mais, c'est vers l'ar-
chéologie plutôt que vers l'étude des institutions qu'il se sentait
entraîné par l'exemple paternel et par son goût personnel. Il fut
d'abord comme une sorte de répétiteur du cours que J. Quicherat
professait alors avec tant d'autorité à l'École; il fut ensuite chargé
(1878) de suppléer son ancien maître et enfin il lui succéda (1880);
sans faire oublier celui qui a véritablement créé l'enseignement de
l'archéologie médiévale en France, il s'en montra le très digne suc-
cesseur par ses vastes connaissances, l'originalité de ses vues, son
talent de professeur. Malheureusement, la politique vint pendant
plusieurs années le disputer à l'érudition; puis une insidieuse mala-
die mina peu après ses forces et l'obligea d'abord à prendre un sup-
pléant, puis à quitter cette chaire à laquelle il était profondément
attaché. D'autres fonctions venaient en même temps disperser son
activité : il fut en effet membre de la Commission de surveillance
de la bibliothèque et des collections de la ville de Paris, du Comité
des inscriptions parisiennes, du Comité des travaux historiques, du
Comité du Congrès pour la protection des monuments, etc. Aussi
a-t-il relativement peu publié; mais le peu qu'il a donné est de pre-
mier choix. Il commença cette Bibliographie des Sociétés savantes
qui, avec la collaboration d'abord de M. Lefèvre-Pontalis, ensuite et
surtout de M. A. Vidier, est devenue uh admirable instrument de tra-
vail. Aux Inscriptions de la France du V^ au XVI 11^ siècle, par
F. de Guilhermy, il ajouta le tome V, consacré à l'ancien diocèse de
Paris (1883); puis il donna le Cartulaire général de Paris, tome I,
528-1180 (1887); l'Album archéologique des musées de province
(1890). Élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
(1890), il ne tarda pas à être chargé pa^ elle de diriger pour la période
médiévale le grand recueil des Monuments Piot, et il y fit insérer
plusieurs mémoires rédigés par lui. Son ouvrage capital, où il put
déployer à son aise toutes les richesses de son érudition : l'Archi-
tecture religieuse en France à l'époque romane (1912), faisait
158 RECUEILS PÉRIODIQOES.
espérer une suite pour l'époque gothique. Ce 'couronnement d'une
vie de labeur lui a été refusé : la guerre est survenue, qui l'éprouva
cruellement; un de ses fils mourut le 9 janvier 1915, à l'anniversaire
du jour où il avait été blessé lui-même en 1870. Depuis lors, son état
maladif n'a fait qu'empirer. A peine pouvait-il quitter son château
limousin pour venir présider le Conseil de perfectionnement de
l'École des chartes ou pour apporter sa voix à un ami candidat à
l'Académie ; la dernière fois qu'il y parut, en novembre dernier, son
extrême maigreur et sa respiration difficile laissèrent à ses confrères
et amis la plus pénible impression. Il partit en effet pour ne plus
revenir. Ch. B.
— Le centenaire de l'Ecole nationale des chartes a été célébré le
22 février 1921 avec un grand éclat. M. le Président de la République
a bien voulu présider la séance solennelle de l'après-midi. MM. Gus-
tave Servois (ancien directeur général des Archives, promotion de
1854), le comte Durrieu, président de la Société des anciens élèves
de l'École, Maurice Prou, directeur de l'École, Henri Pirenne, rec-
teur de l'Université de Gand, le ministre de l'Instruction publique sont
venus dire, avec toute l'autorité qui s'attache à leur nom et à leurs
fonctions, la place que l'École des chartes a occupée dans le travail
scientifique en France et hors de France depuis la Restauration jusqu'à
nos jours. Les noms de Guérard, de Jules Quicherat, de Paul Meyer,
tous trois anciens directeurs de l'École, de Léopold Delisle, qui pré-
sida pendant tant d'années le Conseil de perfectionnement, suffiraient,
s'il en était besoin, pour en caractériser la multiple et féconde activité.
Un ancien élève, officier, décoré pour sa belle conduite sur les champs
de bataille, est venu lire les noms de ses camarades qui ont donné
leur vie (ils furent cinquante et un) pour le salut de la France. Le
secrétaire de la Société des anciens élèves a lu la longue liste des
adresses envoyées à l'École par les universités et établissements
scientifiques étrangers. Le soir, un banquet de 240 couverts, présidé
par le ministre de l'Instruction publique, M. Léon Bérard, a renoué
la longue chaîne des générations qui se sont succédé durant un demi-
siècle à l'École ; on remarquait dans l'assistance les jeunes filles
élèves de l'École appartenant aux récentes promotions; des érudits
étrangers : belges, suisses, anglais et américains, ont dit en termes
chaleureux ce qu'ils devaient à l'enseignement de l'École. Ces témoi-
gnages, si précieux à recueillir, ont été au cœur des Français,
anciens et jeunes, qui, sans doute, ont été fiers des éloges décernés à
leur établissement, mais qui voudront continuer de les mériter en
restant fidèles à son esprit de travail persévérant et méthodique mis
au service de la science et de la patrie.
— Une Société d'histoire du droit a été fondée en novembre 1913.
Son premier président fut M. Jobbé-Duval, professeur à la Faculté de
droit de l'Université. Dès sa fondation, elle marqua ses intentions par
la nomination de quatre commissions. La première doit' s'occuper des
CHHONIQOE. 159
études de droit ancien, oriental, grec et romain; la seconde a pour
mission de préparer la rédaction de tables destinées à signaler les
passages des auteurs et des documents qui intéressent l'histoire du
droit; la troisième et la quatrième sont respectivement chargées de
préparer des éditions de textes juridiques et de recueillir les chartes
de franchises, afin d'en former ultérieurement un Corpus. La guerre
avait arrêté les travaux et suspendu les séances de la Société. En
novembre 1920, elle a décidé de reprendre son œuvre. Désormais, elle
tiendra le deuxième jeudi de chaque mois, à il heures, à la Faculté
de droit (rue Saint-Jacques), une réunion dans laquelle elle recevra les
communications d'ordre scientifique et autres que ses membres sont
invités à lui adresser. Ces communications doivent être envoyées soit
au président, M. Paul Fournier, 71, avenue de Breteuil (XV«), soit au
secrétaire, M. Ernest Champeaux, professeur à la Faculté de droit de
l'Université de Strasbourg, 6, rue Lenôtre, à Strasbourg. La cotisation
annuelle est de 10 francs.
Belgique. — La Société d'art et d'histoire de Liège a célébré solen-
nellement, le 12 novembre 1920, le millénaire d'Etienne, évèque de
Liège, mort le 19 mai 920. Les discours prononcés à cette occasion
ont été publiés dans Leodium (livraison de novembre-décembre 1920).
Ce sont ceux de M. Jules Closon, professeur à l'Université, sur
l'œuvre politique d'Etienne; du chanoine G. Simenon sur son œuvre
littéraire et liturgique; d'Ant. Auda, maître de chapelle à l'établis-
sement des Salésiens, sur son œuvre musicale. Dans ce dernier écrit,
on fait ressortir l'importance de Metz qui, au x" siècle, fut « le centre
par excellence du mouvement liturgico-musical, comme Aix en était
le foyer littéraire le plus brillant ».
Russie. — D'après une nouvelle communiquée à l'Académie des
inscriptions (séance du 11 février 1921), le professeur Fedor Ivanovitch
OuSPENSKY a été « assassiné par les bolchevistes ». Cet odieux atten-
tat ajoute une nouvelle victime à la liste déjà si longue des savants
que la guerre n'a pas épargnés. Professeur à l'Université d'Odessa,
puis plus récemment à celle de Kiev, membre de l'Académie des
sciences de Petrograd, directeur de 1895 à 1914 de l'Institut archéolo-
gique de Russie à Constantinople, Théodore Ouspensky avait consa-
cré toute son activité à l'étude de l'histoire et de l'archéologie byzan-
tines. Les lecteurs de la Revue historique connaissent quelques-uns
de ses nombreux travaux qui ont été signalés au fur et à mesure de
leur apparition dans nos bulletins d'histoire byzantine'. Œuvres
d'un historien, en même temps archéologue, ils mettaient en lumière
tous les aspects de la civilisation byzantine et quelques-uns ont fait
époque, comme la publication du magnifique manuscrit de l'Octa-
teuque du Sérail (Bulletin de l'Institut archéologique russe de Cons-
tantinople, XII, 1907) qui révéla des tendances peu connues jusque-là
1. Voyez notamment Rev. histor., t. CV, 1910, p. 125; C.WII, 1914, p. 69;
CXXVIII, 1918, p. 328, 333.
160 CHRONIQUE.
de l'art byzantin et apporta une contribution tout à fait nouvelle à
l'histoire intellectuelle de Byzance sous les Comnènes.
On peut en dire autant de son étude sur les Nouvelles découvertes
de mosaïques dans l'église Saint-Démétrius de Salonique (Bulle-
tin de l'Institut archéologique russe, 1909) qui donna pour la première
fois une reproduction de ces chefs-d'œuvre de l'art byzantin.
Mais la grande œuvre scientifique d'Ouspensky fut l'organisation
de l'Institut archéologique de Russie à Constantinople, dont il fut le
directeur depuis sa fondation en 1895 jusqu'aux événements de 1914.
Entouré de collaborateurs éminents qui sont aujourd'hui des maîtres
de la science byzantine, Ouspensky avait installé dans un hôtel de la
Grand'Rue de Péra une bibliothèque qui devint bientôt considérable,
ainsi qu'un cabinet des médailles et un musée, alimentés par les nom-
breuses fouilles et explorations des membres de l'Institut. Ceux d'entre
nous qui ont eu l'occasion d'aller à Constantinople ne se souviendront
pas sans émotion de la bonne grâce souriante avec laquelle ils étaient
accueillis dans cette maison et de l'hospitalité affectueuse qu'ils y
recevaient.
Ouspensky avait fait de son Institut une maison de travail vraiment
fécond. Dès 1896, il commençait la publication d'un bulletin (Izvestia)
dans lequel ont paru des travaux de premier ordre, comme ceux de
Th. Schmitt sur Kahriè-Djami et de Pantchenko sur les lois agraires.
En même temps des voyages d'exploration étaient entrepris à Trébi-
zonde, au mont Athos et surtout en Bulgarie où des fouilles mirent à
jour les ruines curieuses de la première capitale des khans bulgares,
Aboba-Pliska. Dans le dixième volume du bulletin (1905), Ouspensky
et ses deux collaborateurs, Skorpil et Pantchenko, présentèrent eux-
mêmes la découverte qu'ils venaient de faire d'une ville bulgare du
ixe siècle.
La dernière œuvre importante d'Ouspensky avait été la publication
du premier volume d'une Histoire de l'empire byzantin (1913) qu'il
laisse inachevée. Obligé de quitter Constantinople en 1914, Ouspensky
mit à profit l'occupation de Trébizonde par les armées russes en 1916
pour diriger dans les vieilles églises byzantines et dans les monastères
de cette ville une exploration des plus fructueuses (voy. Revue his-
torique, t. CXXVIII, 1918, p. 333). A partir de ce moment on perd ses
traces et l'on ignore le détail de la sanglante tragédie dont il périt
victime. Il a eu la douleur, avant sa mort, d'apprendre que les trésors
qu'il avait réunis dans son Institut avaient été indignement saccagés.
Ainsi il a su qu'était anéantie l'œuvre à laquelle il avait consacré toute
son existence; du moins sa mémoire restera chère à tous ceux qui
ont eu l'honneur de le connaître et les travaux importants qu'il laisse
après lui continueront de faire autorité dans la science historique.
Louis Bréhier.
Le gérant : R. Lisbonne.
fJOGKNT-LE-ROTROL', IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVKRNEUR.
NAPOLÉON m ET LA PAIX
Comment la lutte séculaire entre la France et l'Allemagne,
endormie depuis plus de cinquante années, s'est-elle ranimée en
1870 pour changer la face de l'Europe et amener ensuite, par
une autre guerre, quelques-uns des plus extraordinaires boule-
versements de l'histoire et des révolutions presque géologiques?
Il a été pendant longtemps difficile d'établir les faits; aujour-
d'hui que tous les documents importants sont sortis des archives
et que les grands témoins ont parlé, il est devenu possible d'abor-
der le problème des responsabilités, à condition toutefois de le
circonscrire.
I.
Le problème serait, en effet, insoluble si, au lieu de le limiter
aux origines politiques et diplomatiques du conflit, on retendait
aux origines historiques, comme font les Allemands, et, notam-
ment, un de leurs plus grands historiens, SybeP. A remonter
non seulement aux guerres de la Révolution et de l'Empire,
qui sont l'avant-dernière bataille, mais, par delà encore, de
siècle en siècle, aux entreprises de Frédéric II, à celles de la mai-
son de Bourbon contre la maison de Habsbourg, au grand des-
sein du cardinal de Richelieu, à la rivalité de François P"" et
de Charles-Quint, au mariage de Bourgogne et finalement, mais
logiquement, à la succession de Charlemagne et aux invasions
barbares, sans doute on ne quitte pas le sujet ; mais conunent se
pourrait-on flatter de dresser, pour un tel nombre d'années, un
compte de doit et avoir? Les hommes, les peuples, les idées, les
pays ne sont plus les mêmes. C'est proprement le péché scien-
tifique allemand, celui que raille Henri Heine quand il avertit
les Français que ses compatriotes ne leur ont point encore par-
donné la mort de Conradin.
1. Die Begrilndung des deutsclien Reichs, chap. i.
— Rev. Histor. CXXXVI. 2" fasc. 11
162 JOSEPH REINACH.
On resterait sur un terrain plus solide si, comme l'a fait
Renan ^ on s'appliquait à mettre en regard les aspirations d'une
démocratie d'essence pacifique, comme sont toutes les démo-
craties, peu propre aux grandes entreprises du dehors et tour-
née vers les œuvres intérieures, telle la France depuis 1815, et
les ambitions d'une monarchie militaire et encore féodale, qui
ne peut indéfiAiment ajourner la liberté que par ce surcroît
de prestige et de force qu'elle attend de guerres heureuses,
telle la Prusse des Hohenzollern.
La preuve a été amplement faite pour notre démocratie du
xix^ siècle, « coulant à pleins bords » déjà sous la Restaura-
tion, débordant après la révolution de Février, et, républicaine
ou césarienne, résolue à ne pas rentrer dans le lit où auraient
voulu la ramener les anciennes classes privilégiées et la haute
bourgeoisie, qui avaient gardé le souci des choses militaires et
le goût de la « grande » politique extérieure ; elle se prononça
constamment pour le maintien de la paix. Sans doute, les bona-
partistes et les libéraux firent un crime aux Bourbons des trai-
tés de 1815, qui n'étaient pas leur œuvre, et les partis avancés
un grief à Louis-Philippe de la prudence et de la sagesse qui
lui valurent de Victor Hugo le titre un peu gros de « Napoléon
de la paix »; mais les tumultes belliqueux de 1830 et de 1840
s'éteignirent d'eux-mêmes; les assemblées de 1848 et de 1849
n'eurent pas d'autre politique extérieure que le manifeste de
Lamartine; enfin, ce pays de tant de révolutions et d'épopées
n'accepta Napoléon III que dans l'espoir de réaliser, par lui,
l'ordre, même au prix de la liberté, et la paix plus profitable
que la gloire.
Par malheur, cette démocratie avait renoncé, à peine fut-
elle maîtresse de la souvei-aineté, à se gouverner elle-même;
une fois encore eUe s'était confiée à un homme et, si elle fut
trompée par lui, elle n'en porte pas moins la responsabilité de
s'être donnée à lui.
C'est dans ce sens que Renan, après avoir fortement opposé
l'esprit de la démocratie à celui d'une aristocratie féodale, a pu
dire avec raison que l'une des principales causes de la guerre de
1870a été « la faiblesse de nos institutions constitutionnelles- ».
1. Réforme intellectxielle et morale, p. 24 et suiv.
2. Lettre à Strauss.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 163
Il faut donc en revenir aux origines politiques et diploma-
tiques; mais, ici, une autre constatation s'impose et domine le
procès. La diplomatie du second Empire a été beaucoup plus
attentive, beaucoup plus avisée et beaucopp plus clairvoyante
qu'on ne le suppose à l'ordinaire. Elle s'informait avec soin,
observait avec intelligence les hommes et les choses. Plus
d'une fois, elle a su pénétrer à temps les desseins, surprendre
les arrière-pensées des hommes d'État étrangers. Elle ne se
satisfaisait point de suivre dans leurs évolutions les chancelle-
ries et les cours; les mouvements profonds des peuples, et par-
ticulièrement de la nation allemande, ne lui échappèrent pas;
elle y vit l'obscur prologue du grand drame. Elle a fait souvent
entendre des avertissements. Elle avait la tradition et le sens de
la France. Seulement, elle fut étrangère, ou à peu près, à la
politique extérieure du second Empire. Cette politique a été
l'œuvre personnelle de l'empereur Napoléon III, tout comme la
politique de la Prusse, dans les années qui ont précédé la guerre,
a été l'œuvre personnelle de Bismarck.
Ce sont ces deux hommes qui sont les grands acteurs du
drame; les autres, Rouher, 011ivier,,Gramont, tout comme le roi
Guillaume P'', Moltke et Roon, sont des deuxièmes rôles.
II.
Le caractère de Napoléon III est un des plus complexes qui
soient. D'une part, sa sensibilité, que la reine Victoria quahfîait
assez singulièrement d' « allemande ' », le rendait impropre au
métier miUtaire ; au premier champ de bataille, il fut pris d'hor-
reur. C'est un Allemand, le plus « bismarckien » des historiens
allemands, qui a dit de lui : « D'après les dispositions de sa nature,
c'était un homme de paix, non de guerre... Il n'avait aucun
esprit militaire; il ne poursuivait pas comme son puissant oncle
la conquête du monde'. » D'autre part, les desseins qu'il s'était
proposés ne pouvaient s'exécuter que par la guerre et, si pétri d'il-
lusions qu'il fût, il n'eut à aucun moment celle qu'il effacerait les
traités de 1815 dans des congrès. Ses propositions de congrès
1. « La reine Victoria lui trouvait l'esprit plus allemand que français »
(OUivier, VEmpirc libéral, t. III, p. 98).
2. Sybel, l. I, p. 71; t. III, p. 231.
y
164 JOSEPH REINACH.
et ses discours sur « le désarmement et la fédération européenne »
sont d'ailleurs tous postérieurs à la guerre d'Italie *. Mais il
s'était si bien rendu compte du caractère pacifique de la démo-
cratie qu'il s'appliqua avec toutes seg forces de dissimulation,
qui étaient grandes, à ne rien laisser soupçonner de ses projets
pendant tout le temps qu'il lui fallut pour s'emparer du pou-
voir absolu, et il ne les découvrit que peu à peu, avec d'infinies
précautions, après qu'il fut devenu le maître.
Plus embarrassé que fier des inquiétudes glorieuses que pro-
voquait son nom, il s'efforça de les dissiper en identifiant avec
la paix le régime nouveau ; la paix au prix de la liberté ne parut
point avoir été achetée trop cher.
La façon même dont Napoléon III s'y prit pour sortir du pacte :
« L'Empire, c'est la paix, » qu'il avait passé avec sept millions
d'électeurs, suffirait à prouver combien le pays était délibéré-
ment hostile aux entreprises guerrières.
La diplomatie officielle fut jusqu'à la dernière heure opposée
à la guerre de Crimée, provoquée pour une querelle de moines '
dont Walewski disait publiquement : « Le jeu n'en vaut pas la
chandelle » ; une petite portion des catholiques fut seule à sou-
haiter la guerre comme une croisade contre les orthodoxes où
s'affirmerait « la vocation de la France ^ ». L'Empereur ne par-
vint à rendre le conflit inévitable que par un jeu savant de con-
cessions apparentes, qui provoquèrent de brusques exigences de
la Russie. Même après la victoire, quelques-uns des meilleurs
serviteurs de l'Empire (notamment le meilleur, Duruy) portèrent
un jugement sévère sur la guerre de Crimée. Pour Napoléon III,
il s'y était décidé surtout parce qu'il avait reconnu dans la rup-
ture de la Sainte- Alliance le moyen le plus sûr d'ouvrir les voies
à l'intervention en Italie, impossible tant que le faisceau des
trois puissances du I^ord n'aurait pas été brisé, l'Autriche iso-
lée, l'Angleterre amenée à une neutralité bienveillante 3. Il ira
en Lombardie par la Crimée.
A l'apothéose du Congrès de Paris, après les angoisses de la
1. 1863, 1865, 1870.
2. Lacordaire.
3. C'est ce qu'Emile Ollivier, favorable d'ailleurs à la guerre de Crimée, a
très bien montré dans les deux chapitres : « Seul moyen d'allranchir l'Ita-
lie » et « Pour rompre la Sainte-Alliance « (t. III, chap. vu et viii). « La misé-
rable querelle des lieux saints vint le servir fort à propos; il en profita pour
brouiller les anciens alliés. » --
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 165
guerre de Crimée, la joie fut générale et il sembla que ce fut la
paix perpétuelle.
III.
L'Empereur eut si bien le sentiment de cet état des esprits
qu'il eut recours, pour préparer la guerre d'Italie, à ses vieilles
habitudes de conspirateur, Cavour sut se taire, sauf avec des
confidents intimes, de la promesse de Napoléon III que la paix
ne durerait pas longtemps ^ .
Napoléon III aurait découvert son projet qu'il eût soulevé de
toutes parts de vives oppositions, non seulement dans le parti
catholique, à cause de Rome, mais parmi toute cette bourgeoisie
laborieuse et réfléchie qui eût redouté de voir la guerre générale
sortir de l'aventure. L'Impératrice, dont le catholicisme était
d'Espagne, et la plupart des ministres se seraient prononcés
contre l'entreprise italienne; de même la grande majorité du
Corps législatif, qui n'aUait voter qu'avec une extrême répu-
gnance, malgré que les troupes eussent déjà passé la frontière,
les crédits de guerre 2.
Le reste de l'Europe n'aurait pas été moins hostile. Au pre-
mier soupçon qu'elle aura du dessein de Napoléon III, l'Angle-
terre l'avertira qu'il va au-devant d'une nouvelle coalition.
Lui-même il dira, après coup, au Corps législatif : « Pour ser-
vir l'indépendance italienne, j'ai fait la guerre contre le gré de
l'Europe ; dès que les destinées de mon pays ont pu être en péril,
j'ai fait la paix 3. » '
Il machina donc la convention de Plombières avec Cavour
dans le plus profond secret, comme un mauvais coup, et, la chose
faite, ne s'en ouvrit qu'au prince Jérôme-Napoléon, aussi ita-
lien que lui : « Garde le secret pour tout le monde ; l'Impératrice
ne se doute de rien ; pas davantage Walewski (le ministre des
Afiaires étrangères) et moins encore Fould (le ministre des
Finances) 4. >
1. Lettre à Gastelli d'avril 1856.
2. « La majorité marqua son mécontentement en accueillant par un silence
glacial les passages belliqueux du discours impérial... » (Ollivier, t. X, p. 94).
Plichon, futur ministre de l'Empire libéral, dit à la tribune que, si le drapeau
n'avait pas été engagé, il aurait voté non.
3. Discours au Corps législatif (juillet 1859).
4. Récit du prince Napoléon à Emile Ollivier.
166 JOSEPH REINACe.
Sans doute la guerre, une fois déclarée, fut populaire dans la
démocratie des villes ; il y avait tant d'années que toute cette
France généreuse s'était émue des pitiés d'Italie ! Comment n'eût-
elle pas tressailli à la pensée d'ajouter une pierre de plus au monu-
ment qu avait célébré Michelet : « Si l'on voulait entasser ce
que chaque nation a dépensé de sang et d'or et d'efforts de toutes
sortes pour les choses désintéressées qui ne devaient profiter
qu'au monde, la pyramide de la France irait montant jusqu'au
ciel »? Pourtant cet enthousiasme ne fut pas seulement guer-
rier ; républicains et libéraux attendaient de la guerre contre le
despotisme autrichien des contre-coups dans la politique inté-
rieure ; la liberté restaurée chez une nation amie hâterait « la
restauration de la liberté française » ^ .
Quand l'Empereur, après Solferino, tourna court devant la
menace de l'Allemagne en armes, il fut approuvé, sauf par
l'opposition u-réconciliable, qui blâmait tout indistinctement,
mais qui le mit aussitôt en demeure d'abdiquer sa dictature, La
France avait droit au moins « à la liberté comme en Autriche "2. »
La guerre du Mexique, impopulaire du premier jour, fut éga-
lement engagée car surprise.
IV.
Mais où la volonté pacifique de la France se rencontra avec^
la politique personnelle de Napoléon III, ce fut à l'endroit de la
Prusse et de l' Allemagne. La politique allemande de l'Empe-
reur a été tout le temps néfaste ; elle fut obstinément pacifique
jusqu'à l'heure d'aberration où il tomba au piège de Bismarck.
Des fanfaronnades de journalistes ont donné à croire que le Rhin
fut une pensée secrète de Napoléon III et que la France, sous
son règne, recommença à convoiter les pays de la rive gauche.
Il n'en fut rien.
On a pu se demander si la guerre n'eût pas été légitime ou,
pour le moins, politique, avant qu'eussent poussé les grandes
ailes de l'aigle noir. De fait, on laissa passer le moment, d'ail-
leurs assez difficile à fixer, où la guerre préventive eût été pos-
sible.
1. Discours de Jules Favre au Corps législatif.
2. Selon le mot d'Eugène Pelletan.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 167
Il y eut trois époques dans l'histoire des rapports entre la
France et l'Allemagne sous le second Empire.
La pensée du Rhin fut parfaitement absente de la première
(1852-1866) ; les regrets du Rhin s'en étaient allés avec les géné-
rations révolutionnaires et militaires qui l'avaient conquis et qui
avaient à peu près disparu ' ; on ne citerait pas un mot de Napo-
léon III donnant à croire qu'il en eût même l'arrière-pensée ;
Moruy, l'ayant un jour incité à reprendre la rive gauche, il lui
dit qu'elle serait « sa Vénétie », à moins que les Allemands ne
le jetassent dans le fleuve-. Plus encore : l'Empereur, pendant
ces quatorze années, continua à rechercher l'alliance de la
Prusse, gardienne du Rhin pour l'Europe depuis le traité de
Vienne, et à lui souhaiter, sinon à lui offrir, des agrandissements
afin de l'avoir mieux dans le jeu de ses desseins italiens. Les
preuves en abondent dans la correspondance diplomatique et
*dans tout ce qui a été publié des actives correspondances
secrètes.
Si l'alliance prussienne ne fut pas conclue, ce fut parce que
le roi Guillaume s'y refusa constamment par piété envers le
souvenir de la reine Louise, et avec sa morgue de Hohenzol-
lern pour qui les Bonaparte n'étaient que des parvenus^; roi
de droit divin, aristocrate et féodal, il avait la haine et la crainte
de la France révolutionnaire. A Ferrières, en septembre 1870,
Bismarck dira crûment à Jules Favre que le roi souhaitait la
restauration du comte de Chambord.
Le deuxième acte fut très court ; l'Empereur, pendant quelques
journées de juillet 1866, au lendemain de Sadowa, céda beau-
coup moins à une tentation personnelle qu'à la pression de ses
ministres affolés, quand il demanda à Bismarck, maiè sans insis-
ter, l'octroi gracieux de territoires bavarois et hessois sur le Rhin.
Enfin, de 1866 à 1870, il vit, dans des intervalles de lucidité,
venir la guerre, mais sans s'y préparer efficacement et toujours
avec l'espérance, qui était pour l'immense majorité de la nation
unQ certitude, de l'éviter. Même, en 1867, il revint à son pro-
jet de l'alliance prussienne'^.
1. Renan, Réforme intellectuelle et morale, p. 22.
2. OlUvier, t. III, p. 101 : t II ne pensa jamais au Rhin. »
3. C'est ce que dit expressément Filon, Souvenirs sur l'impératrice Eugé-
nie, p. 208.
4. Voir plus loin, j). 184.
168 JOSEPH REINACH.
En résumé, il ne voulut la guerre ni pour le Rhin, ni contre
l'unité allemande; bien plus, il favorisa constamment les des-
seins de la Prusse en Allemagne et lui oârit, sans se lasser, son
alliance.
Ses sympathies persistantes pour l'AUemagne et pour les
Allemands, toujours les bienvenus aux Tuileries, s'expliquent
par des souvenirs de jeunesse et par certains traits de son
caractère ; son désir de l'alliance prussienne est déjà dans son
premier manifeste, ces Idées napoléoniennes qui furent comme
son bréviaire politique. Il y regrettait, en propres termes, que
Napoléon eût été « obligé de dompter la Prusse », alors qu'il
avait pensé d'abord à <t l'étendre, la fortifier et l'agrandir pour
assurer, par son concours, l'immobilité de l'Angleterre et de
l'Autriche* ». Par conséquent, au lieu de s'inquiéter qu'elle fût
devenue la Macédoine et le Piémont de l'Allemagne et qu'elle
se fût donné, sur le tard, une mission allemande, il lui en fai-
sait honneur et s'en félicitait. Son père, le roi Louis, avait dit '
« La Prusse est l'alliée et l'amie indispensable de la France^. »
Il va répéter avec Victor Hugo que l'Autriche représente le
passé, la Prusse l'avenir, et il va confier à Cavour que la
Prusse ne peut se contenter d'un rôle secondaire : « Appelée
à une plus haute fortune, eUe doit accomplir en Allemagne les
grandes destinées qui l'attendent et qu'on attend d'elle 3. »
On ne peut accuser que d'un manque de clairvoyance Louis XIV
installant le premier la Prusse suf" le Rhin et Louis XV l'aidant à
s'emparer de la Silésie, l'un et l'autre parce qu'ils continuaient
à voir l'ennemi principal à Vienne, où le Habsbourg n'était plus
que l'ombre du Saint-Empire, alors qu'à Berlin le Hohenzollern
grandissait, dru et fort.
On s'étonne que la République et Napoléon aient cherché,
malgré l'expérience de la guerre de Sept ans et du partage de
la Pologne, à s'appuyer sur Berlin, où les ambitions avaient
grandi avec les conquêtes, contre Vienne, où l'Angleterre
maintenait avec peine sa succursale continentale.
Mais qu'après 1813, 1814 et 1815, il se soit trouvé un gou-
vernement français, surtout sous un neveu de l'Empereur, pour
favoriser les desseins de la Prusse et l'appuyer contre l'Au-
t. Page 133, avec une citation des Mémoires de Bignon.
2. Réponse à Sir Walter Scott sur son « Histoire de Napoléon », p. 90.
3. Cavour à Viliamarina, 7 décembre 1858.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 169
triche, c'est ce qui déconcerterait le bon sens si la cause pro-
fonde de la faute n'était pas le prétendu principe qui fut l'idée
fixe de Napoléon III. L'ambition de réformer le monde par la
conquête, qui avait été celle de Napoléon P% coûta à la France
les frontières de la République ; l'ambition de réformer le monde
par la politique des nationalités va coûter à la France, pendant
près d'un demi-siècle, les limites de la monarchie.
Si aveugle qu'ait été la politique prussienne de Napoléon III,
elle avait pourtant, ou plus exactement, elle aurait dû compor-
ter un avantage au regard non seulement de l'AUemagne, mais
encore de l'Angleterre et de la Russie ; elle impliquait la renon-
ciation aux conquêtes rhénanes. Si Napoléon III avait voulu
reprendre la marche classique vers le fleuve, il eût fait choix de
l'alliance autrichienne. La violente hostilité de Napoléon III
contre l'Autriche aurait dû suffire à rassurer l'Allemagne sur le
Rhin.
Or, l'Allemagne ne se rassura point, incapable d'admettre
s( A le désintéressement territorial de la France, soit la sincé-
rité de Napoléon III; — l'Empereur certainement « voulait
quelque chose d'énorme, alors que, pour rien au monde, les
Allemands ne voudraient voir un lambeau de leur pays aller à la
France^ »; — ou elle feignit de rester inquiète afin de justifier
ses propres desseins sur l'Alsace. A chaque génération qui avait
appris à lire dans la chanson d'Arndt : « Aussi loin que reten-
tit la langue allemande... », le caractère ethnique des revendi-
cations s'était précisé. Les Universités, qui se targuaient d'être
les succursales des casernes, fabriquaient avec la même pâte
un droit germanique antérieur et supérieur à tous les autres,
la religion des temps primitifs et un patriotisme méthodique-
ment étendu de la nation à la race. L'idée de l'unité évoquait la
reprise de l'Alsace et de la Lorraine, en même temps que celle
des duchés de l'Elbe et de tous les anciens pays teutoniques.
L'évolution de l'Allemagne et celle de la France se dévelop-
pèrent ainsi en sens contraire ; longtemps rebelle, sauf dans le
domaine de l'art, aux influences étrangères, le génie français
1. Dépêche de Méroux de Valois, agent à Kiel, du 26 mars 1866, à Drouyn
de Lhuys {07-igines diplomatiques de la gueire de 1870, t. VIII, p. 75).
170 JOSEPH REINACH.
tendait alors à une sorte de cosmopolitisme et subissait surtout
l'influence de l'Allemagne. Il n'y avait rien eu de plus beau pour
Hugo que le moyen âge allemand ; pour le vieux Michelet et
pour le jeune Renan, rien n'était plus noble que la Réforme
de Luther et V Impératif àe Kant; ils appelaient, et presque
tous les savants avec eux, l'Allemagne leur maîtresse. Au con-
traire, le génie allemand se concentrait sur lui-même et se dur-
cissait. Bismarck n'eut plus qu'à paraître sur la grande scène
que la philosophie et la science, Hegel et Niebuhr, lui avaient
préparée.
Napoléon III eut si peu le sentiment de ce qu'était devenue
l'Allemagne de sa jeunesse qu'il se flatta de son concours, pour
le moins moral, dans sa campagne d'Italie. Il fut stupéfait
quand, du premier jour de sa croisade, l'Allemagne se souleva
et réclama une levée en masse pour partir en guerre au secours
de r Autriche. Il avait accueilli avec un sourire l'Angleterre
l'avertissant que l'Autriche vaincue aurait droit aux secours de
la Confédération germanique et qu'ainsi son entreprise italienne
risquait de conduire à une crise européenne, « où la France,
comme en 1814 et en 1815, aurait contre eUe toutes les puis-
sances » ' .
L'eflervescence allemande en 1859 dépassa d'autant l'excita-
tion française de 1840 qu'une tempête en haute mer un orage
d'été. Toutes les haines cuites et recuites des hobereaux, des
militaires, des universitaires, éclatèrent. Un bon observateur
anglais écrivit : « Les événements ont réveillé l'esprit de 1813
et de 1815 ~. » Le duc de Saxe-Cobourg « brûlait du désir » de
courir à la frontière-^; Moltke déclarait que l'heure était venue
d'écraser la ÎFrance ; le prince régent, le futur roi et empereur
Guillaume, négociait à Vienne le paiement du concoure prussien
et mobilisait, pour commencer, six corps d'armées et toute la
cavalerie^; Schleinitz, son ministre des Affaires étrangères,
annonçait à ses agents l'imminence d'une guerre avec la
France^; des centaines de brochures et d'articles, « élucubra-
1. Lettres du prince Albert (9 décembre 1858), de la reine Victoria (4 fé-
vrier 1859).
2. Rapport du consul général d'Angleterre à Leipzig, 3 mars 1859, dans
Matter, Bismarck et son temps, t. I, p. 463.
3. Malmesbury, Mémoires d'un ancien ministre, p. 287.
4. Kluppfel, Geschichte der deutschen Einheitsbesirebungen, t. I, p. 199.
5. Circulaire du 25 juin 1859.
NAPOLBON III ET LA PAIX. 171
tion en prose et en vers » — ainsi les qualifiait Bismarck^ — -
réclamèrent le retour de l'Alsace et de la Lorraine à la patrie
allemande ; la guerre « inévitable » serait « une guerre à mort »
jusqu'à la libération des vieilles terres impériales'^.
La poussée vers le Rhin ne fut pas moins violente dans les
Etats du sud ; en Saxe, une seule chose embarrassait le ministre
Dalwigk : à qui donnerait-on l'Alsace-^?
L"Empereur se trouva ainsi dans la nécessité ou « d'accepter
la lutte sur le Rhin comme sur l'Adige^ », ou de traiter tout de
suite sur le Mincio, n'exigeant de l'Autriche que la Lombardie
et lui laissant la Vénétie. Il décida de céder, et juste à temps,
alors, dira plus tard Bismarck, « qu'il ne s'en fallait que de
l'épaisseur d'un cheveu que la Prusse fut entraînée dans une
grande guerre de coalition européenne »''. Le traité de Villa-
frauca fut un acte de bon sens, mais qui fut suivi presque aussi-
tôt par les pires fautes.
Les révolutions de Toscane et deNaples, bien qu'elles n'eussent
été rendues possibles que par les victoires françaises, laissèrent
l'Italie libre de se constituer à sa guise, dans un royaume uni et
non pas sous la forme fédérale que Napoléon III, s'il était aUé
jusqu'au bout de sa promesse, aurait peut-être pu imposer. Sur-
tout, la question italienne demeurait ouverte, puisque Venise
restait aux Autrichiens et Rome au pape sous la protection des
troupes françaises.
L'Empereur avait rendu un service assez signalé à l'Italie,
comme aucune nation n'en avait reçu d'aucune nation, et il
avait rencontré déjà assez d'ingratitude pour être en droit de, se
désintéresser de la Vénétie.
L'intervention de l'Allemagne, et surtout de la Prusse, en
faveur de l'Autriche, l'obligation de s'arrêter devant elle en pleine
victoire, eussent pu lui laisser quelque dépit, en tout cas l'éclai-
rer. Il eut, semble-t-il, pendant une heure, le sentiment qu'il
n'avait pas des devoirs seulement envers l'Italie. Puis il redevint
prisonnier de sa mission, de sa vanité d'auteur : signer l'Italie,
Napoleo fecit, et, plus que jamais, il crut à la Prusse.
1. Correspondance diplomatique, t. II, p. 427.
2. Grenzboten, de mai 1859.
3. Beust, Mémoires, t. I, p. 174.
4. Discours de l'Empereur aux grands corps d'État.
5. Discours au Reichstag, du 6 lévrier 1888.
172 JOSEPH REINACH.
A la veille de la guerre de Crimée, il avait dit au Corps légis-
latif : « J'ai à me féliciter de mes relations avec la Prusse qui
n'ont cessé d'être animées d'une bienveillance naturelle ^ » Au
lendemain de la guerre d'Italie, après la victorieuse explosion
prusso-allemande, il insista : « Le roi de Prusse, en venant en
France, a pu juger par lui-même de notre désir de nous unir
davantage à un gouvernement et à un peuple qui marchent d'un
pas calme et sûr dans la voie du progrès 2. »
Incorrigible, il ne voyait que ce qu'il souhaitait voir.
VI.
Il n'y avait eu en Allemagne que deux hommes pour se tenir
à l'écart du mouvement contre la France et pour conseiller l'un
au peuple, l'autre au roi de Prusse, de prendre parti contre
l'Autriche. C'était, par fidélité à l'esprit de la révolution de 48,
le socialiste LassaUe, et, parce qu'il savait voir plus loin que le
soir de la journée, l'ancien ministre de la Prusse auprès de la
diète, Bismarck.
Lassalle avait écrit ^ : « Si nous avions pour roi un autre
Frédéric, il attaquerait l'Autriche à l'instant et ferait l'unité de
l'Allemagne », en même temps que par son entente avec la
France il l'aiderait à achever l'unité de l'Italie. Sur l'injonc-
tion de Karl Marx, Lassalle désavoua son idée; Bismarck la
recueillit. Il n'avait pas cessé, de son poste d'observation de
Pétersbourg, de dénoncer les « folies » du gouvernement prus-
sien et des patriotes allemands pendant la guerre d'Italie. Il
était resté le grand voyant du Rapport magnifique. Il avait
écrit à son frère : « Si nous aidons l'Autriche à la victoire, nous
lui assurerons une situation comme elle n'en a jamais eu en
Italie et en Allemagne depuis l'édit de restitution, et il faudra
un Gustave-Adolphe ou un Frédéric II pour nous émanciper à
nouveau^. »
Dès lors, quatre années durant (1862-1866), Bismarck fut
quelque chose comme le second Cavour de Napoléon III. Aussi
1. 7 février 1854.
2. 29 janvier 1862.
3. Dans sa brochure, la Guerre d'Italie et le devoir de la Prusse.
4. Bismarcks' Briefe, p. 256 (du 8 mai 1859).
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 173
bien, à l'en croire, les deux contemporains qu'il admirait le plus
c'étaient l'Empereur et Cavour^
Bismarck a-t-il, dès 1862, dit à Disraeli, selon le récit fait par
l'homme d'Etat anglais à un diplomate russe ^, que son dessein,
s'il prenait le pouvoir, était d'attaquer le Danemark pour s'em-
parer du Slesvig et du Holstein, de chasser ensuite l'Autriche de
la Confédération germanique et, alors, de faire la guerre à la
France? L'anecdote n'a rien d'invraisemblable : Bismarck a
fort bien pu se donner la joie orgueilleuse d'annoncer son for-
midable dessein à l'interlocuteur d'un jour, d'aiUeurs avec la
pensée méphistophélique qu'on le prendrait pour un fou. Il avait
préconisé dans son célèbre rapport de 1856 la guerre « néces-
saire » contre l'Autriche, « savant édifice bureaucratique cen-
tralisé, qui s'écroulera comme un château de cartes », afin de
liquider le système dualiste au profit de la Prusse. Cette guerre,
il la préparera sur l'Elbe ; il cimentera sur la Seine l'unité alle-
mande. S'il se dit que Disraeli le prendrait pour un rêveur sans
conséquence, il se trompa; romancier et horhme d'État, poli-
tique d'autant plus avisé qu'il connaissait mieux le cœur
humain, l'Anglais prévint le Saxon Vitzthum : « Prenez garde
à cet homme; il projette ce qu'il dit. » Mais le récit serait-il
controuvé que la longue association de Napoléon III et de Bis-
marck n'en serait pas moins un des plus étonnants paradoxes
de l'histoire.
VIL
A la regarder du côté français, c'est une suite ininterrompue
de fautes.
Avec l'ère bismarckienne, où la Prusse, sous le continuateur
du grand Frédéric, va monter au plus haut sommet de son his-
toire, le second Empire va recommencer les irréparables dupe-
ries et les tardifs repentirs de la monarchie de Louis XV. Les
similitudes ne sont pas seulement apparentes; l'analogie est pro-
fonde. Mêmes causes et mêmes effets, plus graves encore.
1. Haussonville, la France et la Prusse devant l'Europe, p. 40.
2. Pierre Sabouroff, ambassadeur de Russie à Constantinople. R<'cit repro-
duit par Vitzlhum, Saint-Pétersbourg und London, l. H, p. 158; voir Lacour-
Gayet (Bismarck, p. 112). Bismarck, à l'époque ambassadeur à Paris, (Hait
venu à Londres, où il s'était rencontré chez le baron Brunnuvv, ambassadeur
de Russie, avec Gladstone et Disrat^li.
174 TOSEPH REINACe.
Napoléon III, dès 1857, deux ans avant la guerre d'Italie,
avait livré ses pensées de derrière la tête à Bismarck, « la plus
forte cervelle politique de l'Allemagne », lui avait dit Stépha-
nie de Bade, un jour que le Prussien était de passage à Paris, et
il avait parlé à cet inconnu formidable comme s'il se fut épanché
devant un confident de théâtre, devant Persigny ou Fleury. Il
souhaitait avant tout, lui dit-il, « une solide entente avec la
Prusse » pour ses projets italiens, contre l'Autriche et contre
l'Angleterre éventuellement, « si elle s'opposait à son dessein
de faire de la Méditerranée un lac un peu plus français ». Peut-
être réclamera-t-il « une petite rectification des frontières »,
mais rien que pour la satisfaction de l'orgueil national, car il
n'a aucune vue sur le Rhin, et il paiera volontiers l'aUiance
prussienne par le Hanovre et les duchés de l'Elbe ^ ainsi qu'il
en a déjà donné l'assurance au prince Antoine de Hohenzoilern,
le père des princes Charles et Léopold'^.
« La politique étrangère », disait Thiers^, « c'est cette vfeiUe
prudence des États vigilants qui ont l'œil sans cesse ouvert sur
ce qui les entoure pour empêcher les petits de devenir grands,
les grands de devenir plus grands ». Exactement, il en prit le
contre-pied.*
Mêmes offres, plus pressantes encore, en 1862, quand Bis-
marck, à la veille de prendre le pouvoir, vint comme ambas-
sadeur à Paris, tant l'Empereur s'obstinait à « trouver à la France
et à la Prusse de conformités d'intérêts^ » et à rechercher cette
alliance qui, sans jamais se refuser, se dérobait toujours. Cepen-
dant, l'Empereur ne voyait pas ou ne voulait pas voir le jeu de
Bismarck, cachant la répugnance du HohenzoUern à se faire
l'allié public du Bonaparte. L'année d'après, l'ambassadeur
Goltz, rendant compte à Bismarck de l'intimité croissante, écri-
. vit : « Je suis avec César de cœur et d'âme ^. » « Plaire » à cet
homme et l'amuser, c'était sa consigne.
1. Bismarck, Gedanken und Erinnerungen, t. I, p. 251 ; conversation avec
Keudell dans Bismarck et sa famille, p. 50.
2. Geiicken, Geschichte des orientalischen Krieges; Rothan, la Prusse et son
roi pendant la guerre de Crimée, p. 273.
3. Discours du 15 avril 1865.
4. Bismarck, loc. cit., t. I, p. 324; rapport du ministre des Aflaires étran-
gères et lettre à BernstorflF, dans Horts Kohi, Bismarck Jahrbuch, t. VI, p. 150
et suiv.
5. 31 août 1863 (Matter, t. II, p. 176).
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 175
Quand s'ouvrit la succession des duchés de l'Elbe, au point
précis où la politique française pouvait choisir librement et
d'une manière décisive entre deux voies opposées, alors que
Roon, le ministre de la Guerre, déclarait « qu'on ne pouvait
prendre aucune décision sans l'homme des Tuileries », et que
l'homme dont on retrouvera le nom au bas de la dépêche d'Ems,
Abeken, écrivait : « Que fera Napoléon? c'est la question qui
domine toutes les autres »^ l'Empereur n'eut pas de scrupules
à sacrifier le Danemark qui, depuis des siècles, avait été obsti-
nément fidèle à la France. S'il en eut quelque honte, il eut vite
fait de rassurer sa conscience, puisque l'entreprise se couvrait,
comme il le dira par la suite, de la politique des nationalités 2.
Il fit savoir à Berlin, par Fleury, qu'il était d'accord « sur les
projets prussiens d'agrandissement et de prépondérance au
détriment de l'Autriche 3 » et, par Drouyn de Lhuys, que, si les
populations y consentaient, il n'avait aucune objection à leur
entrée dans la Prusse^.
L'Autriche s'étant laissé péniblement entraîner dans la guerre
des duchés et l'Angleterre ayant proposé à l'Empereur d'accor-
der au Danemark « un appui au besoin matériel », il répondit
qu'une guerre entre l'Allemagne et la France serait la plus impie
et la plus risquée-' « et qu'il n'y fallait pas songer ».
Quand éclatèrent ensuite entre Berlin et Vienne le conflit
pour le partage du butin danois et, bientôt, la querelle, autre-
ment menaçante, pour la domination en Allemagne, car la ques-
tion de la réforme fédérale proposée par Bismarck se posait
bien ainsi : « Le territoire germanique est désormais trop étroit
pour contenir un empereur d'Autriche et un roi de Prusse »•"%
Napoléon III fut encore avec la Prusse'.
Il eût pu, comme il en fut pressé, exiger un morceau de pays
rhénan pour prix d'une neutralité qui laisserait à la Prusse le
1. Lettre à Bernhardi du 23 novembre 1863, et Abeken, Ein schlichtes Leben,
p. 391.
2. Lettre à Droujn de Lhuys du 11 juin 1867.
3. Fleury à Napoléon III, 24 décembre 1864, dans les Souvenirs de Fleury,
t. II, p. 283.
4. Conversation de Drouyn de Lhuys avec Goltz (dépCche de Drouyn au
ministre de France à Dresde, du 4 avril 1864).
'5. Drouyn de Lhuys au prince de La Tour d'Auvergne, ambassadeur à Londres,
28 janvier 1864.
6. Cintrai, ministre à Hambourg, à Drouyn de Lhuys, 5 avril 1866.
7. « Visiblement », dit OUivier, t. VIII, p. 185.
176 JOSEPH REINACH.
libre usage de toutes ses forces contre l'Autriche. Il se refusa à
faire plier son principe devant l'avantage d'une conquête. Sur
la plage de Biarritz, près des « châteaux en Espagne », ce fut
Bismarck, quand il eut plaidé sa cause — « la mission piémon-
taise de la Prusse », comme il affectait de dire, sachant bien la
puissance des mots, de la Prusse qui avait une configuration
impossible, malheureuse, « l'épaule démise du côté du Hanovre »,
« manquant de ventre du côté de Cassel », mais dès qu'elle
aurait ses membres au complet « elle aurait la liberté de ses
alliances » — ce fut Bismarck qui parla de compensations, et,
nécessairement, aux dépens d'autrui. Il répéta une fois de plus
que le principe des nationalités ne s'opposerait pas à l'extension
éventuelle de la France partout où l'on parle français dans le
monde , c'est-à-dire au Luxembourg et en Belgique*.
Si l'Empereur retint la suggestion empoisonnée, ce ne fut pas
l'argument qui le décida pour la Prusse; mais, conséquent
avec lui-même, avec les missions de Persigny et de Fleury, il
donnait raison à la Prusse de vouloir se condenser et s'agran-
dir-. De plus, c'était maintenant la Prusse qui, après l'avoir
arrêtée en 1859 au seuil de la Vénétie, la lui promettait pour
l'Italie. Une si belle occasion de satisfaire à la fois ses sympa-
thies allemandes et ses sympathies italiennes, comment la lais-
ser échapper?
La Prusse ayant posé comme condition que l'Italie entrerait
à ses côtés dans la guerre contre l'Autriche, ce fut l'Empereur
lui-même qui négocia leur alliance « offensive et défensive »^.
L'Italie hésitait; il la prit par la main, la conduisit (à la lettre)
à Berlin avec l'injonction de pousser hardiment la Prusse à la
guerre et de se mettre elle-même en état de la faire ^. Le mot
de Bismarck à Nigra : « Si l'Italie n'existait pas, il faudrait
l'inventer »^, est au lendemain de Biarritz.
L'intérêt français était sacrifié, mais la politique personnelle
1. C'est ce qu'il avait dit à Lefèvre de Béhaine à la veille du voyage de
Biarritz (Lefèvre de Béhaine à Drouyn de Lhuys, 25 septembre 1865).
2. Lettre du 11 juin 1866 à Drouyn de Lhuys.
3. Traité d'avril 1866.
4. Dépêches de Nigra relatant les propos de l'Empereur (28 février 1866).
Pareillement, dans les mêmes termes, dépêche d'Arése sur d'autres entretiens
(30 mars 1866) et de Govone : « M. Benedetti pousse à la guerre et nous
pousse à la conclusion du traité » (28 mars 1866). La Marmora, Un peti plus
de lumière, p. 121, 122, 139.
5. Nigra à La Marmora (3 novembre 1865).
NAPOLÉON III ET LA PAIX.. 177
de Napoléon III, sa grande idée italienne, allait triompher. Le
traité dûment signé, l'Empereur se préoccupa encore de procu-
rer à l'Italie une contre-assurance, qui constituait aussi un
avantage de plus pour la Prusse. Se tournant vers Vienne, il
mit pour condition à sa neutralité que l'Autriche, victorieuse ou
vaincue, lui remettrait la Vénétie^
Comme l'Autriche y consentit, on se défend difficilement de
croire que l'Empereur, avec un peu d'insistance, aurait obtenu
de la cour de Vienne l'abandon immédiat de la Vénétie à l'Ita-
lie. L'Autriche aurait disposé alors de toutes ses forces contre
la Prusse et, avec ce tiers de l'armée que la diversion italienne
retint sur l'Adige, elle aurait gagné sans doute la bataille de
Bohême. On sait assez qu'elle ne la perdit, même réduite en
nombre, que par l'arrivée, à la dernière heure, du prince royal
de Prusse. Déjà Bismarck s'apprêtait à se faire tuer, en char-
geant avec le dernier escadron des cuirassiers, « plutôt que
d'être assommé à coups de balai par les vieilles femmes
de Berlin ».
En acceptant à la fois la lutte pour le point d'honneur en
Italie et la lutte pour la vie en Bohême, l'Autriche exagérait
son imprévoyance. Napoléon III souhaitait la victoire de la
Prusse^; très consciemment, en obligeant l'Autriche à vaincre
en Vénétie, il la fit battre en Bohême.
Aussi bien suffirait-il de lire, si sa politique secrète nous
était encore inconnue, ses deux manifestations publiques de la
veille de Sadowa. Dans le discours d'Auxerre^, il annonça, avec
une satisfaction extrême, la destruction imminente des traités
de 1815, que la défaite de la Prusse aurait consolidés en Alle-
magne par le maintien de la Constitution fédérale; dans la
lettre à Drouyn de Lhuys'*, il se prononça contre l'Autriche sur
les trois causes du conflit : la situation géographique de la Prusse
mal délimitée ; les vœux de l'Allemagne demandant une recons-
titution politique plus conforme à ses besoins généraux; la
nécessité pour l'Italie d'assurer son indépendance nationale.
1. Traité du 12 juin 1866.
2. « Il est à ma connaissance personnelle qu'un mois à peu près avant le com-
mencement des hostilités de 1866, l'empereur Napoléon III croyait au succès
de la Prusse, et même qu'il le désirait. » (Renan, lettre à Strauss.) L'infor-
mateur de Renan, c'est le prince Napoléon.
3. 8 mai 1866.
4. 11 juin.
Rev. Histor. CXXXVI. 2» fasc. 12
178 JOSEPH REINACH.
Si un congrès s'était réuni; il eût, « en ce qui le concernait,
désiré pour la Prusse plus d'homogénéité et de force dans le
monde de l'Allemagne ».
De l'aveu même de Bismarck, il eût suffi d'une simple démons-
tration française sur le Rhin pour que la Prusse fût obligée de
diviser ses forces. L'Autriche ayant toutes les siennes en Bohême,
c'eût été pour la Prusse la défaite certaine.
VIII.
Napoléon III a donc suivi, jusqu'en 1866, non seulement une
politique résolument pacifique à l'égard de l'Allemagne, maiis
encore une politique résolument favorable à la Prusse. Dans
les années suivantes, les dernières du règne, ni l'Empereur ni
l'immense majorité de la nation ne voulurent davantage la
guerre, mais sans que la politique devînt moins incohérente et
plus clairvoyante. ^
Les contemporains furent très peu instruits des négociations
de Napoléon III avec la Prusse. Cependant, il en avait assez
transpiré et, après Sadowa, les faits parlèrent assez haut pour
inquiéter quiconque ne se payait pas de formules.
La politique de croisade avait eu son heure de popularité,
surtout dans les milieux démocratiques. Les afiaires d'Italie
avaient" fort contribué à en montrer les inconvénients. Un
peuple qui s'attribue la mission d'affranchir tous les peuples,
opprimés ne risque pas seulement la guerre avec tous les gou-
vernements oppresseurs, il s'expose à voir se retourner contre
lui la liberté qu'il a apportée.
Ainsi l'Italie nous savait moins de gré de lui avoir conquis la
Lombardie, de l'avoir encouragée à révolutionner la Toscane et
les deux Siciles et de lui avoir donné la Vénétie, qu'elle ne nous
eu voulait de l'empêcher d'aller à Rome, où nous montions tou-
jours la garde autour du pouvoir temporel. Bien plus, ayant
échoué à conquérir la Vénétie de vive force, battue sur terre à
Custozza.et sur mer à Lissa, elle nous en voulait encore de lui
en avoir fait le don, qu'elle qualifiait d'« humiliant » et, comme
on disait alors, d' « avoir eu à notre doigt, avant de le passer
au sien, l'anneau de saint Marc »^. La presse créa de toutes
1 . Marc Dufraisse, Histoire du droit de paix et de guerre, p. 464.
NAI'OLÉON III ET LA PAIX. 179
pièces la légende qu'au moment où Napoléon III proposa, ou
imposa, l'armistice après Sadowa, l'armée, tout à coup relevée
de ses défaites, s'apprêtait à passer les Alpes et à opérer sa
jonction avec les Prussiens devant les murs de Vienne. Alors ce
n'eût pas été seulement Venise qui tut redevenue italienne, mais
toute la montagne de Trente, l'Istrie avec Triteste, la Dalmatien
Il flottait néanmoins autour de notre politique italienne
cçmme une poésie qui faisait totalement défaut à la politique
allemande. La politique du sentiment est périlleuse; eUe a sa
logique. Dans la guerre des Duchés, le sentiment s'était pro-^
nonce pour le petit et héroïque Danemark. Dans la guerre de
1866, beaucoup de sympathies étaient allées àl' Autriche, dépouil-
lée parla Prusse des territoires qu'elles avaient conquis ensemble.
Comme Bismarck était resté étroitement cuirassé dans sa diplo-
matie réaliste, il ne parlait pas aux imaginations. Il ne libérait
pas, il prenait.
L'opinion avait commencé de bonne heure à voir clair. Alors
que Napoléon III emmêlait encore sa mission italienne, qu'il
proclamait, et sa mission allemande, qu'il se gardait d'avouer, les
faits se dégageaient des illusions; ils apparaissaient comme
menaçants pour la sûreté du pays. Si les traités de 1815 avaient
méconnu les droits des peuples, au moins avaient-ils été dres-
sés contre l'ambition des conquérants. Ils étaient détruits, mais
au profit de conquérants italiens et allemands.
Si l'on regardait à la carte, on y voyait que la France avait
tout juste retrouvé sa frontière des Alpes, pendant que le Pié-
mont s'était étendu sur. toute la Péninsule et que la défaite de
l'Autriche avait livré l'Mlemagne à la Prusse. Sans doute, la
France pouvait se satisfaire de la place qu'elle occupait alors
et qui est exactement celle qu'elle a retrouvée aujourd'hui ; mais
à la condition, toutefois, de ne pas se sentir menacée; or, com-
ment des inquiétudes ne lui seraient-elles pas venues de deux
grands Etats substitués sur ses flancs à des poussières d'États?
Ainsi rEm})ereur n'avait abaissé le Habsbourg que pour élever
le Hohenzollern. Il n'avait supprimé le moindre danger que pour
lui substituer un plus grand péril! Thiers avait eu raison - :
Napoléon III « s'était prêté à réédifier l'ancien empire germa-
1. Dépêche de Malaret du li juillet 1866; Harcourt, les Quatre mitiistères
de Drouyn de Lhuys, \>. 263.
2. Discours du 3 mai 186G.
/
180 JOSEPH REINACH.
nique que la France avait peu à peu démoli pendant deux siècles
de batailles, depuis Marignan jusqu'à Almanza » ; le Monstre
« qui résidait autrefois à Vienne résiderait à Berlin, plus près
de la frontière » , la pressant et la serrant et, « pour com-
pléter l'analogie, au lieu de s'appuyer, comme dans les xv® et
XVI® siècles, sur l'Espagne, s'appuyant sur l'Italie ».
IX.
Au lendemain de l'éclair qui laissa entrevoir un peu d'avenir,
ce que l'opinion comprit surtout, ce fut que l'Empereur n'avait
pas fait une politique française. Il avait fait d'abord de la poli-
tique italienne, et ensuite avait travaillé pour le roi de Prusse.
L'un de ses meilleurs ambassadeurs, du haut poste d'observation
qu'est le Vatican, aUait l'écrire durement : « Ce que je reproche à
ce qui se fait, c'est de n'être pas français. Faites de la politique
française. L'Empereur n'a pas charge de peuples; il a charge
du peuple français^. » Mérimée, observateur exact, compara
l'inquiétude qui se manifestait de toutes parts à l'angoisse
étrange qui saisit le spectateur du Don Juan de Mozart,
lorsqu'il entend les mesures qui préludent à l'entrée du comman-
deur. Sauf quelques journaux de la presse démocratique, achar-
nés contre l'Autriche, toute la presse donna de la voix. La média-
tion de Napoléon III, bruyamment annoncée — ^ il avait fait
pavoiser Paris comme « pour une grande victoire- » — ne fit
illusion à personne. Il fut sommé, ou peu s'en fallut, par le monde
de la cour et par ses vieux partisans de donner satisfaction
à l'opinion. Déjà ébranlé par le Mexique, l'Empire l'était bien
davantage en Bohême. Randon, ministre de la Guerre, fut le pre-
mier à appeler Sadowa « une défaite française ».
Napoléon III, qui avait été à la fois complice et dupe, ne vou-
lut ni reconnaître qu'il avait été complice ni convenir qu'il avait
été dupe.
Bien qu'il fût l'homme du monde qui eût lu le plus avant dans
l'Empereur, Bismarck lui avait prêté des arrière-pensées réa-
listes : « Napoléon III, » avait-il dit au général Govone, « désire
une grande guerre allemande, parce qu'à la tête d'une armée
.1. Lettre (particulière) de Sartiges, du 17 septembre 1866.
2. Dariiûon, le Tiers Parti, p. 401.
NAPOLEON III ET LA PAIX. 181
comme l'armée française, on peut toujours trouver sa part du
profit. » Le pouvait-on encore?
L'Empereur, s'il ne se fût engagé ni à Berlin ni à Florence,
et même s'il avait eu l'audace de se dégager, aurait paru cer-
tainement sur le Rhin avec de très grandes chances avant la
bataille. Maintenant, après Sadowa, tout l'échiquier était boule-
versé. Ce n'est pas à dire que le coup de l'intervention militaire
n'aurait pu être tenté. Il faut convenir pourtant que l'Empereur,
après avoir poussé à la guerre la Prusse et l'Italie — et il y en
avait des preuves écrites' — se fût exposé à de terribles
répliques ; que Bismarck, à dévoiler les conversations de Bene-
detti et les négociations avec Govone, aurait eu beau jeu contre
lui, et qué^ l'intervention militaire de la France eût fort bien pu
réunir contre elle tous les Allemands, Prussiens, Autrichiens,
gens du Sud et gens du Nord.
C'est ce qu'écrivaient les agents attentifs : La Rochefoucauld,
d'Astorg : « A la veiUe de Sadowa, une puissance qui aurait
prêté aux Etats (de la Confédération) son assistance matérielle
contre la Prusse aurait trouvé 300,000 hommes au plus bas
mot pour lui servir d'avant-garde. Aujourd'hui, l' Allemagne tout
entière se soulèverait en armes contre la puissance étrangère
qui paraîtrait sur le Rhin 2... » Dalwigk, premier ministre du
Hesse-Darmstadt, le dit brutalement, non sans regret : « La
France a perdu sa force en Allemagne. En juin, nous aurions
été avec vous, si vous nous aviez secourus. Nous désirions fran-
chement votre secours. Maintenant, l'Allemagne est conquise;
elle est une vis-à-vis de vous. Nous sommes enrégimentés. Le
jour où vous ferez un pas, nous aimerons encore mieux tirer
sur vous que de périr chez nous par les soins de la Prusse'^ »
Bismarck, d'autre part, est convenu que l'intervention, même
en juillet, l'eût mis dans une situation très difficile ; « elle aurait
obligé l'armée prussienne à couvrir Berlin et à abandonner ses
succès en Autriche^ ».
Quoi qu'il en soit, l'Empereur n'eut pas plus tôt décidé de mobi-
liser, à la demande pressante de quelques-uns de ses ministres,
qu'il donna contre-ordre le soir même (5 juillet), tant il répugnait
1. Voir plus haut, p. 175.
2. La Rochefoucauld à Drouyn de Lhuys, de Darmstadt, 12 août 1866.
3. D'Astorg à La Valette, de Darmstadt, 25 seplemhre 1866.
4. Discours du 16 janvier 1874.
182 JOSEPB REINACH.
toujours à l'idée « impie » d'une guerre contre l'Allemagne,
escomptait encore l'alliance prussienne, subissait les influences
italiennes, nécessairement hostiles à toute démonstration fran-
çaise'. Aussi bien la non-intervention était-elle une politique
qui se pouvait défendre, comme l'intervention eût été une poli-
tique qui se serait justifiée; le défi au bon sens, ce fut le troi-
sième parti auquel s'arrêta l'Empereur.
Il n'y a pas, dans toute la diplomatie impériale, de plus déso-
lant chapitre que celui des demandes de compensation de 1866.
Tout ce que les avocats de Napoléon III ont pu dire ici à sa
décharge, c'est que, malade, irrité — tel « un homme qui n'a
pas sa bonne conscience ^ » — il ne fit que céder aux objurga-
tions de l'entourage et qu'accepter de ses conseillers intimes
l'idée, absurde entre toutes, que la Prusse victorieuse, devenant
la tête et la maîtresse de l'Allemagne, consentirait à céder béné-
volement un arpent de terre allemande à seule fin de donner
satisfaction à l'amour-propre des Français et de remettre en selle
leur chef désarçonné, et l'idée détestable de s'emparer de la Bel-
gique avec le concours de Bismarck et de ses armées.
X.
Aux termes d'une dépêche de Drouyn de Lhuys à Benedetti,
dont communication fut faite à Bismarck vingt jours après
Sadowa, « l'équité et la convenance » voulaient que « l'Empire
français reçût des compensations propres à accroître dans une
certaine mesure sa force défensive »^. A Nikolsbourg, Benedetti,
par ordre, était resté dans le vague ; à Berlin, en août, il réclama
la rive gauche du Rhin jusque et y compris Mayence. « Idée
personnelle de Drouyn de Lhuys », selon l'Empereur^. Pourtant
Napoléon III ne dit point que, si malade qu'il ait été au moment
où s'ouvrit la négociation, il n'en ait pas été instruit. Drouyn de
Lhuys précise que les instructions de Benedetti furent «revues,
corrigées et agréées par Sa Majesté''. »
Le refus de Bismarck fut immédiat et catégorique*^. Au dire
1. Harcourt, loc. cit., p. 261.
2. Récit du prince de Reuss sur sa conversation du 6 juillet avec Nkpoléon.
3. 23 juillet 1866.
4. Lettre du 12 août 1866 à La Valette (voir plus loin, p. 191).
5. Lettre de Drouyn de Lhuys à l'Empereur, du 12 octobre 1867.
6. 5 et 7 août 1866.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 183
de Benedetti, « la conversation ne cessa pas un seul instant
d'être convenable et courtoise »^ Bismarck, selon son récit,
mais il a toujours eu le goût de dramatiser, aurait répondu à
l'ultimatum : « C'est bien, nous aurons la guerre », puis il aurait
menacé de s'entendre avec l'Autriche : « Nous vous prendrons
l'Alsace^... »
Dès qu'il eut la communication de Benedetti, Bismarck envoya
le général de Manteuffel à Pétersbourg. Le tzar s'inquiétait de
voir déposer si lestement des dynasties (Hanovre, Hesse, Nas-
sau) « qui régnaient aussi bien que celle de la Prusse par la
grâce de Dieu » . Le roi de Prusse avait beau se réclamer contre
ces princes du dieu allemand : « D'après les décrets de la Provi-
dence, le sort a décidé contre eux »3; le procédé sentait la révo-
lution. Mais le tzar n'eut pas plutôt connaissance des projets
français qu'il retrouva le calme de sa conscience. Il avait songé
à proposer un congrès; il n'en prononça plus le mot.
Benedetti étant retourné à Paris avec le refus de Bismarck,
l'Empereur déclara à Goltz que toute l'aJGFaire était un malen-
tendu et que Drouyn de Llmys avait abusé de son état de mala-
die pour l'y engager. Il restait l'ami de la Prusse et reconnaissant
d'avance les annexions. Goltz télégraphia à Berlin que tout dan-
ger de guerre était écarté^. Drouyn de Lhuys se rabattit alors sur
l'idée, que l'Empereur approuva, de constituer la rive gauche du
Rhin en un Etat indépendant et neutre, « un établissement ana-
logue à celui de la Suisse moderne ou de la Belgique », d'ailleurs
sous un prince de la famille de Hohenzollern^. Cela rendrait à
la Prusse le sacrifice moins pénible. On peut supposer que Napo-
léon avait pensé à l'un de ces HohenzoUern-Sigmaringen, alliés
des Bonaparte, qu'il affectionnait beaucoup, Charles, qu'il allait
prochainement faire prince de Roumanie, ou Léopold, le^ futur
candidat au trône d'Espagne. Comme pour ajouter à l'incohé-
rence de ces temps désemparés, Drouyn de Lhuys ne chargea
pas de la négociation l'ambassadeur, mais un écrivain danois''
que Bismarck ne voulut même pas recevoir, n'ayant pas de pou-
voirs réguliers.
1. Benedetti, Ma mission en Prusse, p. 181; dépêches des 6 el 8 août 1866.
2. Discours au Reichstag, du 16 janvier 1874.
3. Exposé des motifs des projets de loi sur l'annexion à la Prusse.
4. Sybel, lot: cit., l. V, p. 283.
5. Mémorandum.
6. Hansen.
184 JOSEPH BEINACH.
Ce fut le dernier acte de ce ministre d'ancien régime, hon-
nête, instruit, élégant, qui fut constamment victime de la diplo-
matie secrète de l'Empereur. Il n'attendit pas que sa démission
lui fût demandée ; il la donna, au surlendemain de sa combinaison
rhénane, à la grande joie des partisans de l'entente prussienne^ ;
l'intérim des Affaires étrangères fut donné au ministre de l'Inté-
rieur, La VaUette, et Rouher, le vice-empereur, prit en mains
les négociations avec la Prusse pour une autre compensation
que la rive gauche, et, cette fois, en plein accord avec l'Em-
pereur.
Voici maintenant la grande tache : Napoléon III offre à Bis-
marck son alliance défensive et offensive ; il reconnaîtra toutes
les annexions de la Prusse; celle-ci, en retour, cédera la fron-
tière de la Sarre, consentira à la réunion de Landau et du Luxem-
bourg à la France et accordera son concours militaire pour la
conquête éventuelle de la Belgique.
La France avait signé au traité qui garantissait l'indépen-
dance et la neutralité de la Belgique; récemment, les ministres
anglais, d'autant plus respectueux de la parole britannique qu'ils
restaient plus iSdèles à une tradition remontant pour le moins à
la guerre de Cent ans, avaient répété à nos ambassadeurs à
Londres : « Si vous attachez du prix au maintien de la paix,
prenez vos compensations, faites ce que vous voudrez du côté
de l'Allemagne, mais ne touchez pas à la Belgique^. » Mais l'en-
tourage ne cessait de répéter, et Benedetti était allé jusqu'à dire
candidement à Bismarck^, que « la dynastie serait en danger si
l'opinion publique n'était pas apaisée par des concessions terri-
toriales » . Le tentateur prussien avait tant de fois montré la Bel-
gique que l'Empereur se laissa glisser au piège.
Récemment encore, Bismarck a repris son vieux jeu de
diable ironique. A Nikolsbourg, il dit à Benedetti que l'Empe-
reur « devait chercher un équivalent en Belgique et s'offrait de
s'entendre là-dessus avec lui »^; à Berlin, après avoir refusé la
rive gauche, il s'offrit à prendre avec l'Empereur « d'autres
engagements qui seraient de nature à satisfaire les intérêts res-
1. Rothan, la Politique française en 1866, p. 364.
2. OUivier, t. VIII, p., 566.
3. Commentaires sur les papiers de Cerçay, dans le Reichsanzeiger du
21 octobre 1871.
4. Benedetti à Drouyn de Lhuys, 26 juillet 1866.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 185
pectifs des deux pays »' ; il expliqua, une autre fois, à Lefèvre
de Béhaine que, «tout en respectant l'autonomie delà Belgique »,
la France pouvait l'unir à elle par des liens si étroits « qu'elle
deviendrait au nord son véritable boulevard ». Ainsi excellait-il
à entretenir ces illusions qui, dira-t-il le jour où il révélera
l'aflaire belge, sont « propres aux hommes d'Etat français' ».
C'était aussi le refrain de Goltz, plus écouté que jamais, empressé
auprès de l'Impératrice, avec qui l'Empereur s'épanchait plus
volontiers qu'avec ses ministres « orléanistes », comme s'il avait
été un agent italien. Goltz répétait à qui voulait l'entendre que
la réunion de la Belgique à la France, même par la conquête,
serait « légitime en principe » ; l'opinion ainsi satisfaite, il n'y
aurait plus d'obstacle à « l'alliance nécessaire et féconde entre
la Prusse et la France »'^.
Napoléon III n'eut aucune suspicion du côté prussien : Bis-
marck, comme naguère Cavour, ne pouvait jouer que franc jeu
avec qui lui avait rendu tant de services. Il paraît bien que,
du côté de sa conscience, il éprouva quelques diâîcultés. Il par-
vint à se rassurer. Est-ce que l'Empereur, à Sainte-Hélène, n'avait
pas annoncé qu'il n'y aurait en Europe « d'équilibre possible
que par les agglomérations »? Agglomérations italiennes, alle-
mandes, franco-belges, c'était bien la vision du grand homme,
n y a bien aussi le droit des peuples de se donner une patrie ;
mais les peuples sont une chose, les « nationalités » en sont une
autre. Lui, l'homme delà politique des nationalités, ne se démen-
tira pas, mais il interprète. On a trouvé dans les papiers des
Tuileries cette note dictée à son secrétaire Conti : « Si la France
se place hardiment sur le terrain des nationalités, il importe
d'établir qu'il n'existe pas une nationalité belge et de fixer ce
point essentiel avec la Prusse. » Pour détruire à Berlin « la con-
viction que nous n'avons pas renoncé à revendiquer la rive
gauche », — il l'avait laissé revendiquer la veille — « il faut
un acte, et celui qui consisterait à régler le sort ultérieur de la
Belgique de concert avec la Prusse, en lui prouvant que l'End-
pereur cherche décidément ailleurs que sur le Rhin l'extension
nécessaire à la France, nous vaudra du moins une certitude
1. Benedetti, loc. cit.
2. Circulaire de juillet 1870.
3. Rolhan, loc. cit., p. 379.
186 JOSEPH REINACU.
relative que le gouvernement prussien ne mettra pas d'obstacle
à notre agrandissement dans le Nord^ »
Ces sophismes ayant paru bons à Rouher, l'empereur, à l'insu
de Drouyn de Lhuys qui continuait à expédier les afïaires, lui
confia la détestable négociation. Le vice-empereur eut vite fait
de se mettre d'accord avec Benedetti, à l'ordinaire plus clair-
voyant, mais qui, pendant quelques heures, va se voir passer
grand homme. Ils signeront leurs dépêches secrètes de noms
convenus : « Jacques » et « Mariette ». Benedetti va rentrer à
Berlin où un courrier spécial lui portera les instructions de
l'Empereur.
Gomme Rouher, entre autres papiers d'Etat, avait gardé dans
son château de Cerçay les principales pièces de l'affaire belge,
tous ces papiers tombèrent en 1870 aux mains de soldats meck-
lembourgeois. Bismarck les fit venir à Versailles. L'année
d'après, il publia dans le Moniteur de l'Empire allemand des
fragments importants de la correspondance échangée, en- août
1866, entre Rouher et Benedetti. Le traité de V^sailles a fait
revenir à Paris les papiers de Cerçay (s'il y manque certaines
pièces, c'est une autre question). On y a trouvé le dossier,
manifestement au complet, de la négociation de 1866. Il n'ap-
porte rien d'essentiel à ce que l'on savait déjà par Bismarck,
mais il ne laisse plus de place à la contestation.
Les instructions pour Benedetti sont datées du 16 août :
« J'ai eu », écrit Rouher, « une longue conférence avec l'Empe-
reur et cet entretien a eu pour résultat de confirmer sur tous les
points nos appréciations communes. » La négociation doit avoir
« un caractère exclusivement amical » ; « elle doit être essen-
tiellement confidentielle » ; « suivant les chances de succès, les
demandes doivent parcourir trois phases successives » : Bene-
detti commencera par réclamer la frontière de la Sarre, Landau,
Luxembourg et, « par un traité d'aUiance, offensive et défen-
sive, qui serait secret, la faculté d'annexer ultérieurement la
Belgique » ; l'Empereur renoncerait, s'il le fallait, à Sarrebruck,
à Sarrelouis et « à cette vieille bicoque de Landau »; enfin,
k pour apaiser les résistances de l'Angleterre, on pourrait cons-
tituer Anvers à l'état de viUe libre ». Si Bismarck demande
« quels avantages lui offre un pareil traité », la réponse sera
simple : « Il assure à la Prusse une alliance puissante; il con-
1. Papiers des Tuileries, t. I, p. 16-17.
NAPOLÉON 111 ET LA l'AIX. 187
sacre toutes ses acquisitions; Bismarck ne consent à laisser
prendre que ce qui ne lui appartient pas. »
Benedetti, tout de suite, « s'en tint au Luxembourg et à la
Belgique (23 août) ». Bismarck, sans difficulté, accepta, mais
fit ajouter, ce qui fut admis par Benedetti, que l'Empereur don-
nait d'avance son assentiment <:< à l'union fédérale de la Confé-
dération du Nord avec les États du midi de l'Allemagne ». Il
va s'employer, écrit Benedetti, à décider le roi, « souverain
défiant et irrésolu ». Il est convenu que l'Empereur et le roi,
Bismarck, Rouher et Benedetti resteront seuls dans le secret.
Comme Benedetti a reçu de Rouher, non un projet de traité en
forme, mais seulement « le résumé succinct et précis des ins-
tructions de Sa Majesté », il lui envoie, « à l'état d'ébauche »,
Bismarck en ayant conservé une copie, la rédaction qu'ils ont
élaborée. « Ils remanieront, s'il le faut, ce premier projet,
quand il aura passé sous les yeux de l'Empereur. »
Ce sont les cinq articles tels que Bismarck les a publiés en
1870, moins quelques lignes explicatives qui furent supprimées
ensuite à la demande de l'Empereur.
Ainsi tombe, devant un texte signé de lui-même, l'équivoque
puérile de Benedetti ^ — quand éclata le douloureux scandale —
que c'était le ministre prussien qui avait « formulé » le projet
d'alliance, et que c'était lui, ambassadeur de l'Empereur des
Français, qui avait « consenti », dans un de leurs entretiens,
« à transcrire ces combinaisons en quelque sorte sous sa dictée ».
Dans une autre lettre'-', sur des objections faites par Rouher
au sujet des compensations qui seraient offertes à la Hollande
pour le Luxembourg, Benedetti écrit : « Je dois vous avouer
que la rédaction (de l'article 2) est mon œuvre. »
« L'Empereur », répondit Rouher, « attendait avec une cer-
taine impatience vos communications. Aussi, une heure après
que j'en ai été en possession, j'ai communiqué à Sa Majesté le
projet de traité que vous avez préparé et vos deux lettres -^ La
première impression a été très favorable et pleine de reconnais-
1. Ma missio7i en Prusse, p. 182 et suiv.
2. 30 août.
3. Benedetti, le 23 août, avait adressé deux lettres à Rouher : la première
sur son entretien avec Bismarck, le projet do traité en annexe; la seconde
pour confiriiier son relus de la succession de Drouyn de Lhuys. (Les papiers
de Cerçay ont été insérés dans le lome XII, sous presse, des Origines diplo-
matiques de la guerre.)
188 JOSEPH REINACe.
sance pour l'habile direction que vous avez su donner à cette
délicate affaire... Il est bien évident que l'extension delà supré-
matie de la Prusse au delà du Mein » — c'est l'addition de
Bismarck au projet de l'Empereur — « nous sera une occasion
toute naturelle, presque obligatoire, pour nous emparer de la
Belgique, mais d'autres occasions peuvent se présenter; nous
devons en être les juges exclusifs » (23 août) .
Le triomphe, qui devenait insolent, fut court.
Entre temps, Bismarck a informé le roi. Benedetti rap-
porte à Rouher ce que le ministre lui a dit de leur entretien
(29 août). Le roi ne s'est pas montré défavorable, préoccupé seu-
lement — ce qui donne bien le caractère de la négociation —
« d'obtenir un gage de notre fidélité et de notre discrétion ».
« Ainsi, avec sa défiance instinctive, il est prêt à s'imaginer que
nous pourrions, si notre intérêt ou les circonstances avaient
à nous le conseiller, donner connaissance à l'Angleterre ou
à d'autres puissances de la clause relative à la Belgique. »
Exactement ce que fera Bismarck en 1870. « La garantie »,
aurait répondu le ministre, « est dans la compromission que la
France partage avec la Prusse en signant le traité. » Au surplus,
aurait encore dit Bismarck au roi, quelle alliance serait préfé-
rable à « celle de la France, qui n'aurait plus rien à convoiter
sur le Rhin après l'acquisition de la Belgique »? Toutefois, pour
s'éclairer davantage « sur les véritables dispositions de l'Empe-
reur », le roi a mandé Goltz à Berlin.
Les premiers doutes viennent alors à Benedetti : « Je ne suis
que le rapporteur de ce que M. de Bismarck a bien voulu m'ap-
prendre de ses conférences avec le roi. A-t-il été exact? Je ne
puis le garantir; il n'est pas moins prussien que son souverain
et vous remarquerez que le roi nous croirait aisément capables
de lui tendre un piège. Quel degré de confiance pouvons-nous,
de notre côté, accorder à des interlocuteurs accessibles à de
pareils calculs? » Ainsi se méfiaient-ils les uns des autres.
Bismarck et Benedetti revirent, une dernière fois, la rédaction
du projet, « avec les observations dont elle avait été l'objet à
Paris ». La conversation, encore cordiale, porta sur des ques-
tions de détail. Mais le roi n'avait pas encore vu Goltz. Rien
n'était fait. D'autre part, une nouvelle idée était venue à l'Em-
pereur : « Au lieu de livrer, pour entrée de jeu, Mayence à la
Prusse, ne vaudrait-il pas mieux que la Prusse s'annexât la
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 189
Saxe, pays protestant, et placer le roi de Saxe sur la rive
gauche du Rhin, pays catholique ^ ? » C'était le vieux projet
d'Alexandre à Vienne que l'Angleterre et l'Autriche, avec Tal-
leyrand, avaient repoussé. « Je tenterai, avec une extrême pru-
dence », répondit Benedetti, « une suggestion au sujet de la
Saxe. On regrette ici, plus vivement que je ne pourrais le dire,
d'avoir renoncé à l'annexer'-^. » Il s'inquiétait aussi de la mis-
sion du général de Manteuffel eu Russie : « La Prusse a besoin
d'une grande alliance; si eUe décline celle de la France, c'est
qu'elle s'est pourvue ailleurs. »
Il semble bien que Benedetti eut à ce moment le sentiment
que l'affaire était manquée et qu'il n'échangerait plus désormais
avec Bismarck que d'inutiles paroles. En efiet, Bismarck avait,
depuis deux semaines, mis les fers au feu. Les chambres prus-
siennes avaient voté les projets d'annexion, les préliminaires
de Nikolsbourg étaient devenus le traité de Prague, les traités
de paix et les conventions militaires secrètes avaient été conclus
avec les Etats du Sud que Bismarck avait informés des projets
français. Ainsi était-il nanti et n'avait-il plus besoin de l'Em-
pereur.
Il n'y a pas d'exemple d'une plus extraordinaire négociation
qui ait plus singulièrement fini. De fait, elle ne fut qu'interrom-
pue d'un commun accord, mais pour ne plus recommencer, bien
que, selon Bismarck, Benedetti soit revenu en 1867, après
l'écliec de la tentative sur le Luxembourg, au projet « iavori »
de l'Empereur'^ et qu'au dire du prince Napoléon^, ce lut Bis-
marck qui, en 1869, se déclara de nouveau disposé à traiter de
la Belgique. Au mois de septembre 1866, Benedetti, après son
dernier entretien avec Bismarck, eut de Rouher l'autorisation
d'aUer se soigner pendant quinze jours à Carlsbad, où il atten-
drait la dépêche le convoquant à Berlin pour l'entretien défi-
nitif. La dépêche ne vint pas. Bismarck, fatigué, malade, aUa
de son côté prendre du repos pour ne rentrer de Varzin qu'en
décembre.
D'une part, le roi de Prusse, qui avait répugné à l'alliance
avec l'Empereur avant ses grandes victoires, la repoussait d'au-
1. Lettre du 2G août à Rouher.
2. 30 août.
3. Reic/isanzeiger du 21 octobre 18G7, in fine.
4. Voir plus loin, p. 205.
190 JOSEPH REINACB.
tant plus qu'il avait remporté de plus éclatants triomphes; la
seule demande d'une compensation française sur le Rhin lui
avait paru, « comme à toute l'Allemagne, une mortelle offense ' » ;
et Bismarck, qui savait son Europe et jusqu'où il était possible
de la défier, n'aurait consenti à aucun moment à faire signer par
le roi le traité belge. Napoléon III, de son côté, pendant le temps
qu'il avait demandé pour réfléchir au traité, en avait découvert
l'odieux et la sottise. « Sa première impression avait été favo-
rable ^ » et il avait fait féliciter Benedetti parRouher ; la seconde
fut moins bonne. Si l'idée de mettre la main sur la Belgique lui
avait été suggérée par Bismarck, l'initiative de la négociation
venait de lui; dès lors, la responsabilité lui en incomberait le
jour qu'il passerait des paroles aux actes, quand l'extension de
la Prusse au delà du Mein, d'avance acceptée par Im,, serait,
comme avait écrit Rouher, l'occasion « naturelle et presque
obligatoire » de l'entrée simultanée en Belgique de soldats fran-
çais et d'Allemands.
On pourrait presque à coup sûr fixer la date où il vit la chose
dans toute sa laideur et recula devant eUe. Si discrète, en effet,
que la négociation eût été tenue, ainsi que l'Empereur et Bis-
marck n'avaient pas cessé de l'exiger l'un de l'autre, le bruit
en avait couru à Bruxelles et à Londres. Sur quoi l'Empereur,
aussitôt informé, démentit aussitôt, imputant le projet à Bis-
marck tout comme Bismarck l'en devait accuser. De Londres, le
5 septembre, Bernstorff, qui n'est instruit de rien, écrit qu'il a
été « vivement » interpellé par Clarendon sur la rumeur répan-
due que Bismarck aurait offert la Belgique à Napoléon III qui
aurait refusé avec indignation ; de Bruxelles, le 16, le ministre
russe écrit à Gortschakoff : « La Belgique s'inquiète, l'empe-
reur Napoléon III a donné les assurances les plus formelles,
mais qui le croit encore 3? »
Ainsi s'évanouit le projet belge. Bismarck s'était servi de la
Belgique avant Sadowa dans la seule pensée de gagner davan-
tage l'Empereur à ses desseins sur l'Allemagne et, après, pour
prendre le temps nécessaire à la conclusion des traités qui con-
sacraient sa victoire. Mais cette savante perfidie avait été de
luxe et il aurait pu s'en dispenser. L'apport de la Belgique ne
1. Lefèvre de Béhaigne à Drouyn de Lhuys, du 13 août 1866.
2. Voir plus haut, p. 186.
3. Sybel, loc. cit., t. Y, p. 311.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 191
fut dans la politique personnelle de l'Empereur qu'une considé-
ration accessoire. Bismarck ne lui aurait point parlé de la Bel-
gique à Biarritz qu'il ne l'en aurait pas moins appuyé contre
l'Autriche et dans l'intérêt de l'Italie, et Goltz ne lui en aurait
point parlé après Sadowa qu'il n'en aurait pas moins accueilli,
avec satisfaction, les annexions prussiennes. Dans ses combi-
naisons de métaphysique mondiale, cet homme, qui était bien
intentionné et chevaleresque, alternait entre la méconnaissance
de l'honneur français et celle de l'intérêt français.
XI.
Si l'opinion ne s'était pas démontée au lendemain de Sadowa
et si le monde de l'Empire n'avait pas imposé la politique des
compensations, faut-il croire que Napoléon III se fût satisfait
d'avoir puissamment aidé à l'unité allemande comme à l'unité
italienne et de jouer pendant une heure le rôle de médiateur?
Après le refus de Bismarck sur Mayence et l'échec du projet belge,
l'acceptation du fait accompli, dans la circulaire du 16 septembre
signée du ministre intérimaire (La Valette), parut le plaidoyer
d'un vaincu qui ne veut pas l'avoir été et qui oppose bon visage
à mauvaise fortune. Affranchi de l'entourage et maître de l'opi-
nion. Napoléon III l'aurait-il dictée deux mois plus tôt? On peut
le croire, si l'on rapproche de la circulaire du 16 septembre la
lettre que, dès le 12 août, Drouyn de Lhuys étant encore nomi-
nalement ministre des Affah*es étrangères, il avait écrite au
ministre de l'Intérieur. L'Empereur rejetait sur Drouyn de Lhuys
la responsabilité de la demande sur Mayence : « Les journaux vont
jusqu'à dire que les provinces du Rhin nous ont été refusées. Il
résulte de ma conversation avec Be^iedetti que nous aurions
toute l'Allemagne contre nous pour un très petit bénéfice^ \...
Faites contredire très énergiquement ces rumeurs dans les
journaux. » Ce fut désormais le mot d'ordre. « Le véritable
intérêt de la France n'est pas d'obtenir un agrandissement de
territoire indifférent, mais d'aider l'Allemagne à se constituer
de la manière la plus favorable à nos intérêts et à celui de
l'Europe. »
Quoiqu'il en soit, ([u'il ait applaudi tout de suite, dans son for
1. Souligné dans le texte.
192 JOSEPH REINACe.
intérieur, à la victoire de la Prusse et à l'unité de l'Allemagne,
ou que, repoussé avec perte, il se soit seulement incliné devant
l'inévitable, la circulaire de septembre a bien été écrite de son
style très personnel, dans une révolte de ses chimères contre la
réalité.
Il y répondait à l'opinion « émue », il en convenait, des con-
séquences de Sadowa, « incertaine », disait-il, « entre la joie de
voir les traités de 1815 détruits » — où cette joie s'était-elle
manifestée? — « et la crainte que la Prusse ne prît des propor-
tions excessives. » Or, il suffisait « pour dissiper les incertitudes »
d' « envisager dans leur ensemble le passé tel qu'il était, l'ave-
nir tel qu'il se présentait. » Le passé, c'était « la sécurité pré-
caire » des traités de Vienne avec « l'Allemagne autrichienne,
inexpugnable sur l'Adige », et « l'Allemagne prussienne dont
l'avant-garde sur le Rhin était composée de ces États secondaires
sans cesse agités par des désirs de transformation politique et
disposés à considérer la France comme l'ennemie de leur existence
et de leurs transformations » . Combien l'avenir s'annonçait meil-
leur ! L'Empereur ne se félicitait pas seulement de l'unité, enfin
réalisée, de l'Italie, « mise en possession de tous ses éléments
de grandeur nationale », « rapprochée par ses idées, ses prin-
cipes, ses mœurs, de la nation qui avait versé son sang pour
l'aider à conquérir son indépendance », il ne se réjouissait
pas moins « des garanties que l'unité allemande allait présen-i
ter à la France et à la paix du monde ». « La Prusse agrandie,
libre désormais de toute solidarité, assure l'indépendance en Alle-
magne. La France n'en doit prendre aucun ombrage. Le senti-
ment national de l'Allemagne satisfait, ses inquiétudes se dis-
sipent, ses inimitiés s'éteignent. En imitant la France, elle fait
un pas qui la rapproche et non qui l'éloigné de la France. »
L'Empereur y insistait. FaUait-il « regretter qu'une puissance
irrésistible poussât les peuples à se réunir en grandes agglomé-
rations, en faisant disparaître les Etats secondaires »? Ce n'était
pas le sentiment du neveu de Napoléon P% qui, lui-même, avait
déposé « les germes des nationalités nouvelles » en Italie et en
Allemagne; « la politique doit s'élever au-dessus des préjugés
étroits et mesquins d'un autre âge », c'est-à-dire le système de
l'équilibre, la tradition capétienne, l'un et l'autre recueillis par
la Convention ; « l'Empereur ne croit pas que la grandeur d'un
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 193
pays dépende de l'affaiblissement des peuples qui l'entourent
et il ne voit de véritable équilibre que dans les vœux satisfaits
des nations de l'Europe. » Il n'a, lui, éprouvé aucun déboire.
Ainsi, d'un aveu retentissant. Napoléon III avait bien eu le des-
sein de tout ce que Bismarck avait fait. Sa déclaration n'était
pas seulement empreinte du désir de la paix ; on y eût cherché
en vain une arrière-pensée de guerre ; toujours « il croyait ce
qu'il disait ».
Nécessairement, la circulaire La Valette enchanta le roi de
Prusse. « Il y retrouvait », fit-il dire par son ambassadeur ' , « cette
sagesse et ces sentiments bienveillants pour la Prusse qu'il avait
appris de longue date à apprécier chez l'Empereur. » L'officieuse
Gazette de Voss écrivit après avoir marqué l'isolement de
la France : « Les idées personnelles de l'Empereur sont plus
saines que ceUes de l'orléanisme, auxquelles Drouyn de Lhuys
avait fini par se convertir. La nation française nous est hostile
et nous devons constamment nous tenir sur nos gardes. L'Em-
pereur est peut-être le seul Français qui apprécie à leur juste
valeur les avantages d'une entente avec la Prusse. Qu'advien-
dra-t-il quand il quittera la scène? » Benedetti, sachant qu'il
faisait sa cour, transmit aussitôt l'article^.
XL
, Si prodigieuse d'imprévoyance que paraisse aujourd'hui la cir-
culaire du 16 septembre, où il n'était question qu'incidemment
de « la nécessité, pour la défense de notre te/ritoirre, de per-
fectionner sans délai notre organisation militaire », et si éton-
nante la théorie, que le vice-empereur Rouher porta ensuite
devant le Corps législatif, de l'Allemagne désormais divisée en
trois tronçons (Confédération du Nord, Etat du Sud, Autriche),
cette satisfaction du gouvernement, réelle ou feinte, corresi)on-
dit bientôt à une résignation à peu près générale de l'opinion.
« La France avait fait l'unité de l'Italie, la Prusse faisait
celle de l'Allemagne. Nous avions fait école. Qu'avions-nous à
dire-'? »
L'horizon de la France de 1866 était assez borné. Laborieuse
1. Dépèche à Goltz, 28 septembre 1866.
2. Dépèche du 29 septembre 1866.
3. Haussonville, loc. cit., p. 50.
llEV. HiSTOR. CXXXVL 2" FASC. 13
194 JOSEPH REINACH. ^
et économe, elle n'avait pas encore joui d'une prospérité aussi
étendue. Le paysan, qui vendait bien son blé et qui aimait Napo-
léon III, Y Empereur rural, et l'ouvrier, dont les salaires
n'avaient pas encore été aussi élevés et qui tenait de l'Empereur
le droit de grève, étaient parfaitement étrangers à ce souci des
questions de prestige qui est le propre des oligarchies et des
aristocraties. La bourgeoisie, avec un peu plus de liberté, dont
le besoin lui était revenu, se fût déclarée satisfaite. « La France
ne voulait plus de conquêtes ^ »
Dans ces conditions, l'irritation du lendemain de Sadowa passa
vite. Après tout, il était juste que Venise redevînt italienne ; hors
le parti catholique, on n'aurait trouvé aucun scandale au mot de
Victor-Emmanuel s'il avait été connu : « Maintenant que nous
avons Venise, Rome est l'affaire d'un coup de pied-. » On ne
s'apitoya pas longtemps sur le vieux roi aveugle du Hanovre,
chassé de son royaume par les Prussiens, ni sur le bourgmestre
de Francfort qui s'était suicidé plutôt que de survivre aux liber-
tés de la vieille cité des diètes, faiseuse d'empereurs. Il parut
assez indiâérent que les Hessois et les Hanovriens fussent gou-
vernés par des dynasties locales ou par la famille de HohenzoUern.
Pour toutes sortes d'absurdes raisons, la Prusse continuait à
avoir la réputation d'un Etat démocratique.
A la réflexion, on accepta donc, sans trop de peine, l'avène-
ment d'une Prusse agrandie, devenue d'un seul tenant et prési-
dant à une confédération des États du Nord. Le matérialisme
politique était, par ses qualités, comme par ses défauts, délibé-
rément hostile à toute idée de guerre contre l'Allemagne.
Dans le calcul des responsabilités que nous cherchons à éta-
blir, cette persistance des dispositions pacifiques, c'est le fait
qui, du côté français, domine tous les autres. Le public avait à
peu près ignoré l'affaire des demandes de compensation, d'ailleurs
fort impudemment démenties. L'affaire du Luxembourg, l'année
d'après, passionna très peu. La vieille forteresse de Vauban
fût redevenue française, à la suite du marché passé avec le roi
de Hollande, que l'Empereur n'en aurait point tiré grand profit
dans l'opinion. L'opposition de Bismarck irrita surtout pour la
possibilité d'une guerre dans l'année de la grande foire de l'Ex-
position.
1. Fustel de Coulanges, Questions contemporaines, p. 56.
2. Sartiges à Drouyn de Lhuys, de Rome, 7 août 1866.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 195
La France ne devait pas tarder à subir les dures conséquences
de sa confiance dans la paix entre 1866 et 1870. Alors que Bis-
marck était déjà résolu à une troisième guerre pour assurer et,
au besoin, étendre les résultats des deux premières, il eût mieux
valu que la France fût moins dominée par la vue superficielle
des intérêts immédiats et qu'elle se fût habituée à la pensée delà
bataille prochaine. L'événement ne l'aurait pas surprise et, on
peut le croire, n'aurait pas tourné à la catastrophe. La preuve
de ses intentions pacifiques, qui dispenserait de toutes les autres,
ce fut son étonnement en juillet 1870 devant le guet-apens et
son impréparation à la guerre.
Dans les quatre dernières années de l'Empire, il se trouva assu-
rément des hommes, en assez grand nombre, qui tenaient la guerre
avec la Prusse, non pas seulement pour inévitable, mais pour
nécessaire. C'étaient des officiers à qui pesait la paix aux lents
avancements; fiers d'avoir triomphé des Russes et des Autri-
chiens, ils brûlaient d'en découdre avec les Prussiens; ils s'aga-
çaient de Sadowa; leurs victoires de Lombardie, qui auraient
tourné aisément à la défaite, leur faisaient illusion sur un instru-
ment militaire, à beaucoup d'égards archaïque. — C'était, autour
de l'Impératrice, presque tout le monde delà cour, et au dehors,
surtout dans la presse, les « purs » bonapartistes, hier encore
« ambassadeurs des nationalités auprès de l'Empereur' », non
moins favorables à l'agrandissement territorial de la France qu'à
celui de l'Italie, mais à qui n'échappait point maintenant que le
régime était sur son déclin, et qui eussent voulu le fortifier par
une guerre victorieuse. — C'étaient aussi des patriotes, bien ins-
truits des choses du dehors, qui connaissaient la Prusse et l'Alle-
magne\ Ils avaient en vain annoncé que l'unité germanique était
en formation depuis trente-cinq ans; ils annonçaient maintenant
que r Allemagne, « une fois déchaînée, ne s'arrêterait pas »,
« qu'elle aspirerait à remplacer la France au premier rang des
nations^ », et ils se refusaient à accepter que « la France per-
mît cela^ » ; mais il ne fallait entrer qu'après une sérieuse pré-
paration militaire et diplomatique, avec une armée au moins
égale en nombre à l'armée ennemie et avec des alliances, dans
1. Marc Dufraisse, loc. cit., p. 396.
2. Quinnt, lettre du 21 juillet I8G6.
3. Lamartine (voir Ollivier, t. VIII, p. 522).
196 JOSEPH REINACH.
cette lutte qui déciderait pour un siècle de la prépondérance entre
l'Allemagne et la France 1.
Il n'est pas vrai de dire qu'il y eut désormais en France « un
parti de la guerre » ; il ne serait pas moins contraire à la vérité
de dire qu'on ne parlait pas beaucoup trop de la guerre à la cour,
dans les mess d'officiers et dans les bureaux des journaux. Un
éloquent royaliste a écrit durement : « Le régime avait contri-
bué à développer chez certaines classes de la société les côtés
tapageurs et vaniteux du vieux caractère gaulois. La parole était
aux bateleurs; ils étaient les favoris du règne^. » L'opinion se
répandit au dehors que « la France guettait une revanche de
Sadowa ». De fait, en dehors de ces minorités, les inquiétudes
qu'on avait eues en 1866 et qui, l'année d'après, se renouve-
lèrent, affermirent, loin d'ébranler, la volonté générale pour la
paix. Malgré les abus de la candidature officielle, le Corps légis-
latif, élu en 1863, représentait assez exactement le pays. S'il
écoutait sans déplaisir les critiques de l'opposition contre la poli-
tique impériale dans les affaires allemandes, il était, à l'exception
« des effrontés-^. » de l'extrême droite, résolument hostile à toute
tentative de réparer les fautes commises. L'Empereur, au con-
traire de la cour et des bonapartistes professionnels, ne l'était
pas moins et le prouva par ses actes.
S'il avait cherché la guerre, l'affaire du Luxembourg lui en
aurait fourni l'occasion. Ni l'Angleterre ni l'Autriche n'eussent
vu d'inconvénient à la cession du Luxembourg et, bien plus,
avaient offert leur concours diplomatique ^ ; le duché n'était point
« un territoire allemand », bien que Bismarck, dès juillet 1866,
en eût réclamé l'entrée dans la nouvelle Confédération du Nord;
ce dédommagement était bien dû à la France pour tout le con-
cours que Napoléon III, depuis tant d'années, avait prêté à la
Prusse. Bismarck, d'un ferme propos, poursuivit l'échec de la
tractation entre Paris et La Haye, l'humiliation de l'ETmpereur.
Bien Allemand pour ces longues rancunes, il ne pardonnait pas
« la pacification entreprise par Napoléon III aussitôt la bataille
de Sadowa ». Ce sont ses expressions textuelles. « Il est pos-
1. Gambetta, discours du 15 juillet 1870.
2. Haussonville, loc. cit., p. 56.
3. Ibid.
4. Dépêche du marquis de Moustier, du 28 mars 1867, à Benedetti sur les
démarches et communications de Lord Cowley et de Beust.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 197
sible, » avait-il dit encore, « que le bâton fasse son effet pour l'ins-
tant ; mais le cocher de la voiture se souvient ensuite de celui
qui a mis le bâton en travers »^.
Non seulenient l'Empereur se résigna une fois de plus, renonça
au pourboire du Luxembourg devant l'insolente menace alle-
mande, feignit d'accepter « chaleureusement » la neutralité
du duché, mais encore, tant il était exeftipt de haine et de res-
sentiment, il ne fut pas plus tôt sorti de l'incident qu'il poursui-
vit à nouveau l'idée de renouer avec la Prusse et de reprendre
d'anciennes combinaisons avec les vainqueurs de Sadowa^.
Sa santé, depuis longtemps perdue, et « sa vitalité chance-
lante » ne suffisent pas à expliquer une pareille défaillance.
C'était « la politique des nationalités » qui le reprenait. Comme
le prince Napoléon, comme Emile Ollivier et bien d'autres, comme
Miciielet lui-même, il gardait ses sympathies pour l'Allemagne,
« cette grande sœur de la France »^. Vraiment, il eut toujours,
dans un coin de son cœur, des Vergiss mein nicht d'Are-
nenberg.
XII.
Bien qu'il eût aimé « ignorer les choses graves », que lui man-
daient alors ses agents en Allemagne ^ et qu'il appartînt à cette
sorte de rêveurs et de théoriciens qui, démentis par la réalité,
disent tranquillement : « Tant pis pour la réalité », tout de même
il avait senti le froid du glaive. Il aurait beau vouloir gar-
der la paix avec l'Allemagne, la guerre pourrait venir le cher-
clier. Il convenait quelquefois que « des points noirs étaient
venus assombrir son horizon »^. Il était, par conséquent, indis-
pensable de remettre un peu d'ordre dans les institutions mili-
taires et de renforcer l'armée. Alors que l'armée prussienne était
plus que jamais demeurée fidèle au grand précepte de Frédéric
1. Discours du 5 décoinbre 1877 fil du 10 février 1878.
2. FioUian, Affaire du Lu.remhnurg, p. 416.
3. La France devnnt l'Europe, p. 14 : « Pour nous aulres Parisiens, nous
n'en gardâmes pas moins nos s) inpalhies pour l'Allemagne. Les miennes n'ont
jamais varié. Celle année même, en 186G, en terminant ma grande Histoire de
France, j'énumérai avec plaisir les inlUiences diversesque l'Allemagne eut sur
moi à mes difléreuts âges, les passions littéraires, vraiment fortes, que m'ins-
pira celte grande sœur de la l'^ance... », elc.
4. Rothan, loc. cit., p. 417.
5. Discours de Napoléon III à Lille, 27 août 1867.
198 JOSEPH REINACH.
d' « être toujours prête », la France était, exactement, ouverte.
Ducrot, en ayril 1867, a dit à un diplomate : « J'en suis réduit
à fermer les portes de la citadelle de Strasbourg, sous prétexte
de réparations aux ponts-levis; mais, en réalité, pour me mettre
à l'abri d'un coup de main ^ ? »
Ici encore, l'illusion pacifique empêcha l'effort nécessaire.
Quand le roi de Prusse et Bismarck voulurent avoir l'armée de
leur politique, ils n'étaient pas entrés dans la lutte « avec leur
âme molle et des paroles mortes- », mais ils avaient passé outre
aux résistances des députés prussiens et, malgré eux, forgé
l'instrument. Au contraire, Napoléon III et le maréchal Nie)
s'arrêtèrent devant les premiers obstacles. Leur projet, qui était
excellent, échoua devant la Commission, « composée en majorité
de candidats officiels »-K L'Empereur pensa d'abord à relever le
défi comme avait fait le roi Guillaume; Rouher s'y opposa, Niel
fléchit et Napoléon céda, commençant la défaite^ (juin 1867).
Niel ne risqua même pas d'affronter le Corps législatif; il tran-
sigea devant la Commission, qui ne comprenait pas un seul
membre de gauche, et dénatura, déforma complètement le
projet.
La volonté , l'illusion pacifique de la France d'alors appa-
raissent ici tout entières. La funeste propagande contre la loi a été
engagée par des royalistes, militaires et civils, et par un prince du
sang. « Malheur à la France », s'écrie Changarnier, « si, bri-
sant la chaîne de ses glorieuses traditions, elle se lasse d'avoir
une armée plus puissante par l'organisation que par le nombre !
N'essayons pas d'égaler le chiffre de nos soldats à celui de nos
adversaires possibles. Même en nous épuisant, nous ne serions
pas sûrs d'y parvenir. Mais ne nous inquiétons pas. S'il est très
difficile à 3,000 hommes d'en combattre avec succès 5,000, il
l'est infiniment moins à 60,000 hommes d'en défaire 100,000.
Plus les proportions s'élèvent, moins l'infériorité est fâcheuse. »
De même Trochu : « On commettrait une faute en exagérant les
effectifs, en se laissant trop dominer par les préoccupations de
quantités. » Le prince de Joinville insiste : « Exiger davantage
1. Rothan, p. 276.
2. Lamy, Études sur le second Empire, p. 168.
3. Ollivier, t. X, p. 346.
4. « C'est avec des ressources tout à fait insuffisantes que l'Empire engagea
la lutte » (Bernhardi, Notre avenir, p. 118).
NAPOLÉON in ET LA PAIX. 199
(que la loi de 1832), écraser outre mesure notre race, qui donne
déjà, hélas ! quelques symptômes d'épuisement, c'est donner rai-
son à la triste théorie qui veut que les peuples, au lieu de tirer
de leur sein des armées pour leur défense, ne sont que des
machines destinées à fabriquer des milliers de soldats avec les-
quels on joue comme avec des pions sur le vaste échiquier de
la folie humaine. » Et Falloux : « Je suis l'adversaire de la nou-
velle loi militaire dont l'application prolongée, désolant nos
familles, dépeuplerait nos campagnes. » Les républicains se divi-
sèrent : dans la presse, NefFtzer, Havin se prononcèrent pour
la loi miUtaire ; au Corps législatif, les députés divaguèrent : « Si
vous voulez que l'Europe soit apaisée, repoussez le projet de loi.
L'idée d'une armée nombreuse pendant la paix nous répugne >?
(Favre). « Je ne vois pas que la Prusse ait intérêt à faire la guerre
à la France. Inutile pour la justice, le soldat n'est même pas
nécessaire à'ia frontière. Un pays qui a des citoyens est invin-
cible » (Jules Simon). « Pas d'armée prétorienne! » (PeUetan).
« Le militarisme est la plaie de l'époque » (Garnier Pages). —
Encore ces sottises ont-elles une apparence vaguement humani-
taire. Les députés officiels se sont décidés, surtout, pour de basses
raisons électorales. Le thème en a été fourni par les familiers du
prince Napoléon : Emile de Girardin, Emilie Ollivier, Maurice
Richard. « Il ne se trouvera pas de majorité législative qui
immole à un péril imaginaire la liberté de six millions de Français
de vingt à trente-neuf ans. Toucher à la loi française pour la
prussifier, ce serait ameuter contre la loi nouvelle 600,000 fa-
milles, 4,200,000 personnes. La France n'a qu'un seul parti à
prendre : c'est de renoncer systématiquement à la guerre et de
devenir exclusivement la grande nation de la paix » (Girardin).
« Le principe de la loi est celui-ci : les armées de France, que
j'ai toujours, pour mon compte, trouvées trop nombreuses, sont
insuffisantes. Mais pourquoi donc? Qui nous inquiète? Personne.
C'est en armant, c'est en nous montrant par là belliqueux, que
nous marchons infailliblement vers la guerre » (Ollivier). « On
vient proposer d'augmenter les charges militaires et d'enlever
encore des bras à l'agriculture. Non, il n'est pas possible d'ac-
cepter » (Maurice Richard'). La loi, si énervée qu'elle eût été
1. Un mot sur le projet d'organisation militaire, par le général Changat-
nier; l'Armée française de 1867, par le général Trochu ; ]^:iude sur Sadotva,
par le prince de Joinvillc; article d'Emile de Girardin dans la Liberté, en
200 JOSEPH REINACH.
par la Commission, fut péniblement votée. C'est du texte de la
Commission que Jules Favre dit qu'il allait faire de la France,
au lieu d'un atelier « une caserne ». On inventa beaucoup
plus tard la réplique prophétique de Niel : « Prenez garde
d'en faire un cimetière ^ ! »
De Zurich, bon poste d'observation sur l'Allemagne, un pros-
crit de décembre s'indigna : « Quoi ! la France étale aux yeux
des étrangers , qui nous observent , sa répugnance pour la
guerre, son amour de la paix, l'envie grande de refuser au gou-
vernement de l'Empereur l'argent et le sang nécessaires... On
marchande les moyens d'assurer la paix en préparant la guerre. . .
J'ai le cruel pressentiment que ce pays, s'il s'endort dans
l'ignorance de ces dangers, se trouvera un jour, avant de
Vavoh^ même soupçonné, d^ns la situation où le premier Empire
fut impuissant à défendre la France qu'il avait faite si grande,
si forte, si une de l'Océan à la Méditerranée, des Alpes au Rhin,
du Rhin aux Pjrrénées, et qu'il allait laisser vaincue, envahie,
humiliée et amoindrie-. »
La vérité, c'est qu'il n'y a peut-être pas une autre époque où
l'esprit militaire de la nation ait été aussi affaibli qu'au lende-
main de Sadowa. Dans beaucoup de campagnes, le souci légi-
time de garder la paix avait maintenant tourné au pacifisme-^.
Depuis la guerre de Crimée, « les députés, à chaque renouvelle-
ment de la Chamljre, ne se faisaient élire qu'en promettant le
maintien de la paix et la réduction de l'armée »^. Le rappor-
teur de la nouvelle loi (Gressier), bien qu'il eût été de ceux qui
avaient contribué le plus à l'édulcorer, ne fut pas réélu au con-
seil général : « Vous avez fait mon fils soldat », lui dit un de
ses vieux fermiers -^ « Dans l'énorme enchérissement de la
réponse au Siècle. Corps législatif, séances des 19 mars, 21 juin, 16 dé-
cembre 1867, etc.. Voir capitaine de Tarlé, Journal des sciences militaires,
avril 1913.
1. La réplique ne figure pas au Moniteur officiel; Ollivier, présent à là
séance, écrit qu'il n'a pas entendu le propos et qu'aucun de ceux qui l'ont
cité n'a pu indiquer où il l'avait pris (t. X, p. 381).
2. Marc Dufraise, loc. cit., p. 472.
3. « Je fis la campagne électorale de mai 1869 dans une circonscription
toute rurale de Seine-et-Marne; je puis assurer que je ne trouvai pas sur mon
chemin un seul élément de l'ancienne vie militaire du pays » (Renan, loc. cit.,
p. 23).
4. Fustel de Coulangcs, p. 56.
5. Ollivier, t. X, p. 381.
WAPOLÉON III ET LA PAIX. 201
main-d'œuvre, le paj^san ne pouvait se passer de son aide natu-
rel pour louer un ouvrier; il voulait garder son fils. Le gou-
vernement, ayant décrété la garde mobile, n'osa l'effectuer'. »
Les doctrines de l'Internationale pénétraient de toutes parts le
monde ouvrier. Aux élections de 1869, sur 960 candidats 938
réclamèrent la diminution des contingents. Le roman poi)ulaire,
national, dans le plein sens étj^mologique du mot, c'est celui
qu'écrivent deux Alsaciens, Erckmann et Chatrian, qui ont
entrepris de l'aire détester la guerre du premier Empire et toutes
les guerres.
Si Napoléon III n'avait pas le sens de l'histoire de France, il
connaissait bien le paj^s. Dans cette année même 1867, il recon-
nut très exactement que la France ne voulait pas la guerre
contre l'Allemagne. Cela le fortifia dans ses dispositions person-
nelles. Il laissa ^er les choses. On a mené grand bruit au sujet
des conversations qu'il engagea un peu plus tard avec l'Autriche
et avec l'Italie en vue d'une alliance, d'aiUeurs en dehors de ses
ministres et de ses ambassadeurs; elles ne furent, suivant le
mot de l'archiduc Albert, que des « débats académiques »2.
Pareillement d'autres entretiens, non moins secrets, avec des
ministres des Etats du Sud, qui s'accommodaient mal de l'hégé-
monie prussienne. En efi'et, de temps à autre, il s'alarmait sur
des avis plus pressants de Benedetti, ou de l'attaché militaire
Stoflel, ou de Ducrot, ou sur quelque nouveau progrès de la
Prusse vers l'unité allemande. Puis la fatigue phj'sique l'empor-
tait sur les clairvoyances intermittentes d'un cerveau usé, il
revenait à la poUtique de l'effacement satisfait ••, celle de la cir-
culaire La Valette, sa circulaire, et, de nouveau, il savait gré
à ceux de ses familiers qui arrêtaient les informations inquié-
tantes'*. Comme pendant ses éternelles « patiences » aux longues
soirées des Tuileries ou de Saint-Cloud, il se trichait lui-même ^
« Je n'ai pas osé montrer votre lettre à l'Empereur de peur
de l'affliger », écrivit un jour le général Fleury au général
Ducrot. Le soir de Sedan, Napoléon III dira à Ducrot : « Vos
pressentmients sur les intentions de la Prusse, ce que vous
1. Michelet, loc. cit., p. 23.
2. Rapport du général Lebrun, 30 mai 1870.
3. P. de La Gorce, Histoire du second Empire, t. VI, n. 125.
4. Correspondance du {jénéral Ducrot, t. Il, p. 122.
5. M En faisant et en défaisant » ses patiences, « il se trichait lui-niénio »
(A. Filon, l Impératrice Eugénie, p. 77).
202 JOSEPH REINACD.
m'aviez dit de ses forces militaires et du peu de moyens que
nous aurions à leur opposer, tout cela n'était que trop vrai;
j'aurais dû tenir plus de compte de vos avertissements et de vos
conseils ^ »
XIII.
La guerre entre la France et l'Allemagne était-elle inévi-
table?
Parce que la guerre a eu lieu, la fameuse métaphore « des
deux convois de chemin de fer qui, partant de points opposés et
éloignés, seraient placés sur la même voie par une erreur
funeste'^ », a été célébrée comme une vision d'une lucidité pro-
digieuse. Qu'on regarde aux faits et il apparaît que la guerre
aurait pu et dû être évitée en 1870. Goethe a dit que « tout ce
qui arrive arrive nécessairement » ; si on interprète ce mot dans
l'esprit du fatalisme oriental, il n'y a plus de science politique;
la vertu du droit s'effondre, il n'y a .plus de « bien » ni de
« mal ».
Du côté allemand, la préméditation est hors de doute, avouée
par Bismarck, glorifiée par ses historiens. Après Sadowa, Bis-
marck a dû s'arrêter devant la ligne du Mein ; il n'a réuni à la
Prusse que les États de l'Allemagne du Nord, les uns qu'il a
simplement annexés, les autres qu'il a fait entrer de gré ou de
force dans la vassalité. Mais pas un instant il n'a considéré la
ligne du Mein comme une frontière; pour tous les patriotes,
« eUe ne doit être rien d'autre qu'une station où charger de l'eau
et du charbon, prendre souffle et continuer-^ » ; les traités de paix
qu'il a accordés, en 1866, aux États du Sud ont été tous pour-
vus de clauses secrètes qui obligent les princes vaincus à une
alliance défensive et offensive avec le vainqueur et mettent leurs
troupes, en cas de guerre, sous le commandement du roi de
Prusse ; dès le 12 août 1866, un diplomate (La Rochefoucauld)
a écrit : « Les petits États ont le senthnent que leur existence
politique a cessé de fait. » Bismarck a publié les conventions
militaires, comme il s'en était réservé le droit, à son heure, en
réponse au discours de Kouher sur les trois tronçons de l'AUe-
mague. Nul avertissement plus clair.
1. Journée de Sedan, par Ducrot, p. 43.
2. Prévost-Paradol, la France nouvelle, p. 388.
3. Discours de Miquel au Reichstag, mars 1867.
NAPOLÉON m ET LA l'AIX. 203
La Prusse, en 1866, avait passé de dix-neuf à trente et un
millions d'habitants; les dix millions d'Allemands du Sud, aux
termes de la paix de Prague, devaient constituer une confédé-
ration indépendante; cette confédération n'aura vécu que sur le
papier : voici, tout de suite, les uns à titre de sujets, les autres à
titre d'auxiliaires, quarante millions d'Allemands à la disposi-
tion de la Prusse. La France a laissé faire ; souffrira-t-elle que
la Prusse aille plus loin, qu'elle franchisse4#Mein?
Rouher, comme Tliiers, dans les grands débats de mars 1867
au Corps législatif, avait paraphrasé le roi Canut. Le tzar
lui-même, tout Allemand de cœur qu'il était, s'inquiétait des
« appétits » du roi de Prusse et de Bismarck : « Mon oncle
ferait bien de digérer ce qu'il a absorbé avant de se faire de nou-
veau conquérant sur terre et sur mer'. » Toutefois, Bismarck
lui promettait déjà l'abrogation des dispositions du traité de
Paris sur la mer Noire; dès août 1866, Manteuffel était allé en
donner l'assurance à Pétersbourg, où il fut l'hôte du tzar'^.
Comme, d'une part, l'esprit particulariste, bien que fort atté-
nué, survivait dans les États du Sud, et que, d'autre part, les
socialistes allemands protestaient contre les auteurs de la Confé-
dération du Nord qui n'avaient « travaillé qu'à satisfaire l'am-
bition de la maison de Hohenzollern », et « à créer une grande
Prusse servie par des princes vassaux, réduits au rôle de
préfets »'\ Bismarck ne se cacha plus de son dessein, celui
qu'il avait annoncé à Disraeli : « J'ai toujours considéré »,
a-t-il écrit dans ses Mémoires, « que l'abîme creusé au cours
de l'histoire entre le sud et le nord de la patrie ne pouvait pas
être pks heureusement comblé que par une guerre nationale
contre le peuple voisin , notre agresseur séculaire. » Car n'était-ce
pas la guerre de l'indépendance, de 1813 à 1815, qui, une pre-
mière fois, « parla lutte livrée en commun et avec succès contre
la France, avait fait disparaître l'antithèse et pétri une première
conscience nationale »'^?Tout de suite, ses intimes, Schleinitz,
Bernhardi, Blumenthal, Moltke, annoncèrent la guerre pro-
chaine''. Ostensiblement, la Prusse la prépara**.
1. Dépêche (le Fleury au prince de La Tour d'Auvergne, minislre des Affaires
étrang»>res, du 13 novembre 1869.
2. Talleyrand à Drouyn de Lhuys, 1-i août 18G6.
3. Discours de Bebel (mars 1867).
4. Pensées et souvenirs, t. II, p. 106.
5. Bernhardi, Ans mcinem Leben, l. Vlll, p. 419, 427, etc..
G. StoHel, Rapports militaires, p. 289 et suiv.
204 JOSEPH REINACH.
Cependant, Bismarck lui-même ne pouvait pas faire la guerre
pour son véritable motif, si fort qu'il fût ; il lui faudra un pré-
texte, sinon honorable et honnête, du moins plausible, et, de pré-
férence, un incident où les torts seraient, du moins^en apparence,
à l'Empire. Il n'y avait donc pour l'Empire qu'une seule poli-
tique à suivre exactement, puisqu'il voulait la paix, après qu'il
eut fait lui-même la grandeur de la Prusse et lui avait livré l'Al-
lemagne, c'était TO ne pas lui fournir le prétexte attendu, de
déjouer son jeu, tout en se tenant prêt aux pires surprises. L'im-
pardonnable faute du second Empire, ce fut de continuer à négli-
ger les préparations nécessaires, du moins à ne point les pous-
ser comme il eût fallu; il s'est efforcé, par contre, jusqu'à la
dernière heure, où il tomba au panneau le plus grossier, à garder
jalousement la paix.
Cette politique des dernières années de Napoléon III est mêlée
d'éléments troubles : beaucoup de lassitude des choses du dehors,
une indulgence persistante pour cette entreprise de l'unité
allemande, qui se couvrait toujours à ses yeux de sa propre
théorie des nationalités et des agglomérations. Il n'en reste
pas moins que, pendant un peu plus de trois années, il
repoussa pour lui la responsabilité que Bismarck, de l'autre
côté, du Rhin, avait prise d'avance. Il'avait vu les épouvantes
des champs de bataille et il souhaitait de ne pas les revoir. Il se
heurta à d'autant plus de difficultés que, descendu par sa propre
faute du prestige où il était parvenu, son entourage le tentait
d'un appât d'une victoire qui l'y ferait remonter ; la coterie de
la guerre, recrutée surtout parmi ses amis les plus bruyants,
sinon les meilleurs, et s'appuyant de l'Impératrice, faisait,,irrup-
tion à tout moment dans son cabinet. Il dut subir aussi l'assaut
de ceux des partisans du régime qui ne contestaient pas à
l'Allemagne du Nord le droit de s'étendre sur celle du Sud, mais
qui ne renonçaient pas à se faire payer d'un pourboire leur con-
sentement à l'œuvre de Bismarck.
. L'expérience de 1866 et celle de 1867 n'avaient servi de rien
à cette fraction de la démocratie bonapartiste qui continuait à
s'attarder, comme avait fait la jeune noblesse sous Louis XV',
dans la haine de l'Autriche et qui n'admirait pas moins Bismarck
que Belle-Isle et ses amis n'avaient célébré Frédéric. Bismarck,
qui ne joua jamais sur un seul tableau, montrait toujours du
doigt la Belgique dans l'espoir de pousser l'Angleterre contre la
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 205
France. Il reprit (14 mars 1869) la scène de Mèphistophélès, mais,
cette fois, avec un docteur Faust plus averti : « Qu'est-ce que
l'Angleterre? » .dit-il au prince Napoléon, venu en touriste à
Berlin. « Si j'étais la Turquie ou l'Egypte, ou quelque rajah.
des Indes, je m'en préoccuperais. » Il offrit de se rendre à Biar-
ritz pour chercher avec l'Empereur le prétexte d'une intervention
française, appuyée par la Prusse, en Belgique^
Mais l'Empereur, aussi dégoûté des vains marchandages que
répugnant à la bataille, ne voulut rien entendre. Entre les deux
grandes voies qui s'ouvraient devant lui, la guerre et la liberté,
il choisit la liberté, qui impliquait la paix, et recommença à sa
manière l'acte additionnel. Habitué qu'il était aux marches
obliques, s'il n'alla pas droit à Emile 011ivier,Ll se rapprochait
de lui, et d'autant plus volontiers que le séduisant orateur avait
opposé à la fois aux bonapartistes d'extrême droite, qui pariaient
du Rhin, et à Tliièrs, qui prétendait arrêter Bismarck devant le
Mein, la politique des idées napoléoniennes. Cette même poli-
tique, qui avait naguère conduit à la guerre, ramenait à présent
à la paix par de singuliers détours. Ollivier se l'appropria, non
point par courtisanerie, mais parce qu'il était resté, tout grand
lecteur de Machiavel qu'il fût, un romantique. Ainsi, il avait tour
à tour dénié toute valeur à la politique de l'équilibre, applaudi à
la destruction des traités de 1815, répudié « la revendication de
prétendues frontières naturelles », annoncé que l'Allemagne du
Nord et l'Allemagne du Sud, qui se cherchaient encore, ne tarde-
raient pas à se trouver, et conclu que « la seule conduite sage,
habile, digne, c'était d'accepter sans pusillanimité et sans inquié-
tude une œuvre (l'unité allemande) qui n'était pas dirigée contre
la France », et qu'il valait mieux aider, afin d'avoir « le bénéfice
de l'assistance », que simplement « laisser faire '^ ». Ce discours
retentissant d'OUivier lui avait valu les railleries de Thiers, les
invectives de Cassagnac et les félicitations du prince Napoléon,
alors d'accord avec son cousin sur toutes les choses du dehors,
sauf sur la question romaine. Si Napoléon avait eu des inquié-
tudes, peut-être des remords sur sa politique de 1866, la parole
d'OUivier les dissipait. Appeler au gouvernement l'auteur de ce
discours, au mois de janvier 1870, c'était exactement déclarer la
paix à l'Allemagne.
1. Récit (lu prince Napoléon (Ollivier, t. X, p. 448).
2. Discours du 15 mars 1867.
206 JOSEPH REINACH.
XIV.
Le premier ministre resta fidèle aux idées de l'orateur. Ses
adversaires, les vieux bonapartistes, eurent beau jeu de dire
qu'il bêlait à la paix. Bismarck, au traité de Prague i, s'était
engagé à consulter les habitants du Slesvig septentrional,
incontestablement danois ; les gouvernements précédents avaient
insisté pour l'application de l'article ; le ministère du 2 janvier
décide de « rester en dehors de cette question »2. La nomination
du général Fleury comme ambassadeur en Russie avait éveillé
les soupçons de Bismarck ; Fleury reçoit l'ordre de déclarer au
chancelier russe que le gouvernement de l'Empereur ne demande
que « le statu quo et le respect des traités » ; « il accepte
l'état de l'Europe tel qu'il est »^. Sur quoi Gortschakoff, non
sans ironie, fait savoir « qu'il admire beaucoup la grandeur
d'âme en même temps que la haute perspicacité de l'Empereur,
qui a su se mettre à la tête d'une révolution pacifique dont le
premier, résultat sera un gage pour le maintien de la paix en
même temps qu'une assurance pour l'avenir de la dynastie ».
La Prusse s'arrêtera-t-eUe au Mein ? La France l'y arrêtera-t-elle?
Daru (ministre des Afiaires étrangères) ayant simplement écrit
à Benedetti que « son ambition se réduisait à ne pas laisser
modifier au détriment de l'Empereur et de la France la situa-
tion générale qu'il trouvait établie en Allemagne »^, Ollivier
jugea que c'était aller trop loin et que « Napoléon P"" n'eût
point parlé autrement »^. En conséquence, selon son propre
récit, il fit venir un journaliste prussien et lui dicta une conver-
sation où il affirmait « ses sympathies pour l'Allemagne » et se
déclarait prêt à trouver bon que les Etats du Sud accédassent
à la Confédération, si telle était la volonté des populations"^.
Enfin, la grande pensée du ministère, approuvée par l'Empereur,
1. Article 5.
2. Dépêche de Daru, du 31 janvier 1870; dépêche du 6 janvier au général
Fleury, qui avait demandé l'appui de la Russie, aussitôt accordé : « Ne pas
insister davantage sur la question du Slesvig. » La femme du tzarévitch, le
futur Alexandre III, était une princesse danoise.
3. Dépêches des 6 et 12 janvier.
4. Lettre confidentielle du 17 janvier.
5. Ollivier, t. XIII, p. 64.
6. Ibid., p. 80 et suiv.
•NAPOLÉON III ET LA PAIX. 207
ce fut de faire conseiller par l'Angleterre au roi de Prusse « l'ini-
tiative d'un désarmement général »^.
L'Empire libéral, à la suite du plébiscite qui approuvait la
nouvelle constitution , se crut à ce point fortifié , assuré de
longs lendemains pacifiques, qu'il diminua les crédits militaires,
déjà trop maigres. Aussi bien n'avait-il obtenu le vote qu'en
jurant que le plébiscite devait assurer la paix. Le projet de loi
réduisant le contingent de 100 à 90,000 hommes fut déposé à
la veille du plébiscite (21 mars 1870). On répandit par millions
« des gravures où l'on voyait, sur deux colonnes, le Non, et,
dessous, les pillages des rouges du parti de la guerre, qui
brûle chaumières et moissons ; sous le Oui, l'aimable image de
la Paix que l'Empereur promettait, moissons, vendanges, les
greniers pleins, les caves pleines »-.
La réduction du contingent fut votée le 1"'' juin; le 30, Olli-
vier dit au Corps législatif : « A aucune époque le maintien
de la paix en Europe n'a paru assuré. » Il le croyait comme il
le disait.
Dans l'autre plateau de la balance, que pèsent les déclama-
tions belliqueuses de quelques milliers d'officiers et d'écrivains?
Que pèse même le propos de l'Impératrice à Prévost-ParadoP,
la veille de son départ pour sa légation de Washington, sur la
guerre nécessaire à la consolidation de l'Empire?
XV.
Tout à coup éclate la candidature du prince Léopold de Hohen-
zollern au trône d'Espagne.
L'intrigue a été préparée de longue date par Bismarck. Au
premier bruit qui en a couru, en 1869, le gouvernement de l'Em-
pereur a fait savoir à Berlin que « le pays ne supporterait pas
l'avènement d'un prince prussien à Madrid'' ». Avant même que
l'Empereur soit intervenu, le père du prince a écrit à son autre
1. Janvier-février 1870.
2. Michelel, loc. cit, p. 25 : < J'ai sous les yeux les gravures... »
3. Le propos fut relaté aussitôt jiar Prévost-Paradol à Ludovic Halévy, son
frère consanguin, qui l'avait, ce jour-là, accompagné à Saint-Cloud. Filon dit
seulement que Paradol, « en sortani au bout d'un quart d'heure » du cabinet
de rimpératfice, ne jugea pas à propos de lui communiquer aucune impres-
sion » (p. 90).
4. Avril-mai 18G9.
208 JOSEPH REINACH.
fils, Charles, celui que Napoléon III a poussé au trône de Rou-
manie : « La France, à cause de nos liens avec la Prusse, ne
permettra jamais que les Hohenzollern s'établissent au delà des
Pyrénées'. » D'autant plus, Bismarck a pressé son complot à
Berlin et à Sigmaringen comme à Madrid, où il a envoyé le
meilleur de ses agents secrets, son famulus Lothar Buscher; il
a lié partie avec Prim, avec des députés espagnols; non sans
peine, il a arraché le consentement du roi, du prince Antoine,
du prince Léopold. On connaît par lui-même tout le détail de
l'insolente embuscade.
La France, ici, est manifestement dans son droit, dans la tra-
dition la plus exacte de la politique d'équilibre. La moitié de
l'Europe s'est battue pendant plus d'un siècle contre l'autre moi-
tié pour que des Habsbourg ne régnent pas' à Vienne et à Madrid.
Ce n'a pas été pour que l'Espagne devienne au xix® siècle un
apanage de la Prusse. Bismarck a donc mal choisi son bran-
don. Le style « héroïque » du duc de Gramont déplaît à Méri-
mée; si vivement que la France proteste, elle aura, contre la
manœuvre allemande, l'opinion à peu près unanime des autres
pays.
Le roi de Prusse s'était laissé convaincre par Bismarck; il
avait autorisé le prince Léopold à accepter les offres d'Espagne ;
pourtant, il ne voulait pas la guerre. D'Ems, où il faisait une
cure, il conseilla, comme chef de famiUe, ce qui équivalait à
prescrire, le retrait de la candidature. Bismarck ayant cru
habUe de se retirer à sa campagne de Varzin pendant qu'écla-
terait « la bombe », l'ambassadeur de France s'était adressé
directement au roi de Prusse, qui ne l'avait pas renvoyé à son
ministre des Affaires étrangères comme celui-ci l'avait engagé
par dépêche à faire. Cela ajoutait à la victoire diplomatique que
la France remportait (12 juillet). Le soir même, Bismarck, en
art*ivant à Berlin, apprit la renonciation des HohenzoUern.
C'était l'effondrement de toute la machination savante d'où il
attendait la guerre. En quittant Varzin, il avait décidé de se
rendre à Ems « pour demander au roi la convocation du Reichstag
en vue de la mobilisation »2. Aussitôt, il renonça à son voyage
et « sa première pensée fut sa démission ».
1. Lettre du 9 décembre 1868.
2. Pensées et souvenirs, t. II, p. 101.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 209
j
XVI.
Si nous n'avions de Bismarck lui-même le récit des journées
du 12 et du 13 juillet, il y aurait encore un problème des res-
ponsabilités de la guerre. C'est lui-même qui l'a résolu, ou bien
il faut invoquer le vieil adage du droit romain que « mil ne doit
être écouté, alléguant sa propre turpitude ».
On ne révisera pas le jugement qui a été porté sur l'empereur
Napoléon III et sur ses ministres pour les fautes qu'ils ajou-
tèrent pendant ces deux funestes journées à toutes ceUes qui
avaient été commises auparavant : la politique des nationalités
devenue la politique des races, l'abandon du Danemark, la dupe-
rie de Biarritz, l'aide donnée à la Prusse, les demandes de com-
pensation et, après tant d'avertissements, l'impréparation des
armées. Mais, d'autant plus, on doit préciser et exactement
qualifier les fautes suprêmes, comme on fait pour les délits et
les crimes devant les tribunaux, et ne pas imputer aux uns,
ainsi qu'on l'a fait trop longtemps, les actes et les intentions des
autres. Il faut donc dire que Napoléon III laissa échapper la paix
et que Bismarck voulut la guerre.
Il n'est pas contestable que la candidature du prince de Hohen-
zollern, où tous les torts étaient du côté de ses instigateurs,
donna, du premier jour, un surcroît d'audace et de force à la
coterie qui voulait la guerre contre la Prusse et qui en atten-
dait, avec des conquêtes rhénanes, la consolidation de la dynas-
tie et le retour au régime autoritaire. Ces échauJBfés étaient
notoirement hostiles à l'expérience de l'Empire libéral. La res-
ponsabilité de ce « parti parlementaire de la guerre » dans les
malheurs publics est d'autant plus considérable que les fautes
dU' gouvernement impérial, en juillet 1870, ont été surtout, com-
mises pour échapper aux accusations de faiblesse qui grondaient
contre lui au Corps législatif et dans la presse, parmi les ennemis
du ministère, au lieu qu'il eût fallu aUer bravement au-devant
d'elles avec la conscience des devoirs heureusement accomplis
et la satisfaction de la victoire diplomatique, où Bismarck crou-
lait.
C'est ce dont est convenu Emile Ollivier, car, dans cette his-
toire qui restera toujours d'une lecture tragique, c'est Ollivier
et Bismarck qui ont apporté devant la barre les preuves déci-
IlEv. HisTOit. (JXXXVI. 2" FASc. 14
210 JOSEPH REINACH.
srves, contre eux-mêmes. Ayant raconté le désistement du prince
de HohenzoUern : « Si donc », a écrit Ollivier, « aucun incident
nouveau ne surgissait, voici comment les choses se seraient
passées. Le roi de Prusse, dans la journée du 13, aurait com-
muniqué à Benedetti la renonciation qu'il attendait. Il eût ajouté
qu'il l'approuvait et autorisé notre ambassadeur à transmettre
cette double assurance à notre gouvernement. Ainsi eussent été
obtenues les deux conditions posées par Gramont : l'abandon de
la candidature et la participation saisissable du roi à cet abandon.
Notre victoire du 12 au soir eût été complétée le 13 et Bismarck
eût été définitivement vaincu. Il se serait retiré au moins
quelque temps des affaires et le nuage gros de calamités que ce
barbare de génie promenait sur l'Europe disparaissait de l'hori-
zon européen. Notre ministère, après avoir assuré au pays la
liberté, lui eût assuré le prestige d'une paix glorieuse ^ » Or,
les incidents surgirent par le fait même des vainqueurs.
Quand Emile OUivier, le 15 juillet, vers deux heures, apprend
la renonciation du prince Léopold, il court d'abord « donner la
bonne nouvelle à sa femme » ; puis U se rend au Corps législa-
tif, où « l'éclair de joie qui illumine son visage » suffit à faire
connaître que la guerre est évitée. Mais, déjà, la politique inté-
rieure, ambitions, jalousies, rancunes de partis, envahit les cou-
loirs. C'est un mauvais brouillard qui empoisonne l'atmosphère.
Beaucoup de députés s'agitent, les uns qui trouvent la satisfac-
tion incomplète et poursuivent la chute du ministère, les autres
qui n'ont pas le facile courage de tenir tête à cette sorte de
gens qui monopolisent le patriotisme pour le mieux exploi-
ter à leur profit. Cependant, Thiers a dit à OUivier : « Main-
tenant il faut vous tenir tranquille », et OUivier lui répond :
« Soyez rassuré, nous tenons la paix, nous ne la laisserons pas
échapper. » Il se rend alors chez l'Empereur qui, lui aussi, comme
Thiers, est très satisfait, s'en va répétant à ses officiers : « Je
suis bien heureux que tout se termine ainsi; une guerre est
toujours une grosse aventure... » Tout à l'heure, il va recevoir
les félicitations de l'ambassadeur d'Italie. « C'est une grande
victoire morale pour la France », dit Nigra, « et j'espère que
l'Empereur s'en contente et qu'il m'a fait appeler pour m'a nnon-
cer la paix. » « Oui, c'est la paix », répond l'Empereur, « et je
1. T. XIV, p. 225 et suiv.
NAPOLÉON m ET LA PAIX. 211
VOUS ai fait venir pour que vous le télégraphiiez à votre gouver-
nement. » Il ne fit aucune allusion à des garanties à demander
au roi de Prusse. A la réception du télégramme de Nigra racon
tant la conversation, Victor-Emmanuel qui, l'avant-veille, était
revenu précipitamment de la chasse à Turin, remonta à la mon-
tagne. Puis l'Empereur, avant de rentrer à Saint-Cloud, dit à
l'aide de camp de service, Bourbaki, qu'il n'y avait plus lieu
de faire seller les chevaux de guerre : « Supposez qu'une île
surgisse tout à coup entre la France et l'Espagne ; toutes deux
se la disputent; eUe disparaît; sur quoi continuerait-on à se
quereller? »
Alors les fautes. Ollivier, après son entretien avec l'Empe-
reur, s'en va chez le ministre des Aâaires étrangères qu'il trouve
en conversation avec l'ambassadeur de Prusse. Gramont, de
lui-même, ou sur le conseQ de quelque sous-ordre, a commis une
première faute : il a demandé à Werther de suggérer au roi de
Prusse de s'associer à la renonciation du prince « dans une lettre
amicale à l'Empereur ». Même il en a préparé le texte : « En
autorisant le prince Léopold à accepter la couronne d'Espagne,
le roi ne croyait pas porter atteinte aux intérêts ni à la dignité
delà nation française. Sa Majesté s'associe à la renonciation du
prince et exprime le désir que toute cause de mésintelligence
disparaisse désormais entre son gouvernement et celui de l'Em-
pereur. » Ollivier, sans plus de réflexion, appuie le duc de Gra-
mont, qui est un diplomate de profession, un grand seigneur et
qui, évidemment, « n'avait pas entendu commettre la grossièreté
de réclamer une lettre d'excuses ».
Il avait été convenu entre l'Empereur et Ollivier que toute
décision serait ajournée jusqu'au conseil du lendemain matin.
Ollivier ne songea pas à en faire la remarque à Gramont. Deux
heures plus tard, Napoléon III, à Saint-Cloud, y recevant Gra-
mont, ne songea pas davantage à lui faire part de cet engage-
ment. Comme il avait été mal accueilli par l'Impératrice et par
le monde de la cour, qui n'était guère moins excité que la droite'
du Corps législatif, il s'était laissé troubler par ce bruit. Un
autre, moins malade, moins affaibli d'esprit et de corps, eût
imposé silence à ces agités. Cependant, il désapprouva la pro-
position qui avait été faite par Gramont à Werther d'une lettre
personnelle du roi de Prusse, mais pour lui substituer une autre
procédure qui n'était pas meilleure. Après une délibération où
212 JOSEPH EEmACH.
l'Impératrice assista, mais où ne fut appelé ni Ollivier ni aucun
autre ministre, Gramont télégraphia à Benedetti de demander
directement au roi de Prusse « qu'il s'associât à la renonciation
du prince de Hohenzollern et donnât l'assurance qu'il n'autori-
serait pas de nouvelle candidature ».
Si Gramont, ce jour-là, s'est incliné devant des propos belli-
queux de l'Impératrice, comme il l'a dit pour sa défense et comme
il est permis de l'en croire, il s'accuse lui-même de courtisane-
rie. L'Impératrice n'avait aucun rôle constitutionnel; depuis le
2 janvier, sur la demande formelle d'OUivier, elle n'assitait plus
au conseil des ministres ; si vivement qu'elle ait pu l'exprimer,
son opinion ne devait pas plus compter pour Gramont que celle de
Marie- Antoinette pour Vergen nés*. L'Empereur, selon le récit
que je tiens de Benedetti, considérait la demande de garanties
comme un recul sur la suggestion d'une lettre personnelle du
roi de Prusse. Ollivier ne connut la « demande de garanties »
que dans la soirée, où il se rendit par hasard chez Gramont.
Ayant approuvé la demande faite à Werther, il n'était en droit
de se plaindre que du procédé. Il a raconté que l'idée lui vint de
donner sa démission ; il ne la donna pas.
Ainsi, la plus belle victoire diplomatique (au dire de Thiers
et de Guizot, qui n'étaient point des juges prévenus) avait été
à peine remportée que ceux qui allaient en recueillir l'honneur
et le profit la gâchaient.
Ils ne cherchaient pas la guerre et, dans leur for intérieur, se
persuadaient même qu'ils continueraient à l'éviter, malgré leurs
nouvelles exigences. Deux ministres déclarèrent à Thiers « qu'ils
donneraient leur démission plutôt que de prendre la responsa-
bilité de la guerre »'^. Le lendemain, au conseil, on décida de
ne pas convoquer les réserves. Entre les feux croisés de la
cour et de l'opposition de droite, les ministres paraissaient sur-
tout anxieux d'élargir leur succès du dehors afin d'en accabler
plus sûrement les adversaires de l'intérieur ^ ; ils mettront au
1. Pour le propos tant de fois répété : « C'est ma guerre », que l'Impéra-
trice aurait tenu le 23 juillet à Lesourd, premier secrétaire de l'ambassade de
France à Berlin, celui-ci a toujours affirmé sur l'honneur qu'il ne lui avait pas
élé tenu. L'Impératrice rn'a dit et redit qu^ le propos était faux, qu'elle avait
pu dire de la guerre du Mexique que « c'était sa guerre », qu'elle ne l'avait
jamais dit de la guerre de 1870. Je l'ai toujours trouvée très véridique.
2. Lettre de Thiers, du 17 juillet, à Duvergier de Hauranne.
3. Voir les invectives d'OUivier contre les meneurs de la droite, Clément
NAPOLÉON m ET LA PAIX. 213
défi les faiseurs de surenchères d'avoir obtenu plus qu'eux-
mêmes.
La demande de garanties était proprement absurde. Quand la
candidature du prince Léopold avait été retirée sous le cri du
monde et sous la pression de ses instigateurs espagnols, il n'y
avait pas une chance sur cent mille qu'elle pût être reprise.
Dès que l'ambassadeur d'Angleterre, Lord Lyons, fut informé
par Gramont de la demande de garanties, il lui manifesta sa sur-
prise : « Si la guerre survenait maintenant, toute l'Europe dirait
que c'est le fait de la France, qu'elle s'est jetée dans une querelle
sans cause sérieuse, par orgueil et par ressentiment. » Allant
droit au défaut de la cuirasse, à la misérable fissure par où le
sang de la France allait couler à flots : « Le ministère est dans
une meilleure situation s'il se contente de son triomphe diplo-
matique que s'il plonge le pays dans une guerre pour laquelle
n'existe aucun motif avouable'. » Langage de la raison même,
dira Ollivier, mais trop tard'.
XVIL
■ C'était le jour même où ces sottises et ces fautes se com-
mettaient à Saint-Qoud et à Paris que Bismarck, à Berlin, avait
décidé de donner sa démission. « Après toutes les provocations
offensantes qui s'étaient déjà produites » — la déclaration de Gra-
mont sur la candidature, la négociation directe à Ems avec le roi
— « je voyais dans ce recul auquel on nous forçait une humiliation
pour l'Allemagne ; je ne voulais pas en garder la responsabilité
officielle. L'impression de l'honneur national blessé par cette
retraite imposée me diminuait tellement que j'étais résolu à
envoyer ma démission à Ems. Je considérais cette humiliation
devant la France et ses manifestations fanfaronnes comme pires
que celle d'Olmùtz »'. Et encore : « Le mal envahissant qu'une
politique timide me faisait redouter pour notre position natio-
nale, je ne voyais pas le moyen de le guérir sans nous engager
Duvernois et Jérôme David, qui avaient déposé une interpellation sur les
garanties nécessaires. Il les traite de < malfaiteurs > et de « scélérats » après
leur avoir cédé.
1. Lyons à Granville, 12 juillet.
2. T. XIV, p. 264 : « C'était le langage môme de la raison et de l'amitié. »
3. Souvenirs et pensées, t. II, p. 101.
214 JOSEPH REINACH.
maladroitement dans la première querelle venue ou sans en
provoquer artificiellement. Je regardais, en effet, la guerre
comme une nécessité à laquelle nous ne pouvions pas nous déro-
ber honorablement... Je ne voulais pas assumer la responsabilité
de défendre V attitude par laquelle on aurait acheté la paix...
Nous avions reçu un soufflet de la France .et, en cédant, nous
nous étions mis dans la situation d'avoir l'air de chercheurs de
noises lorsque nous en viendrions à la guerre, qui, seule, pou-
vait laver la tache. Ma situation était intenable. »
VoUà pour la journée du 12 juillet. Voici maintenant celle du
13, où la demande des garanties va donner à Bismarck sa
revanche. Il s'était, au cours de la matinée et de l'après-midi,
entretenu avec le prince royal et l'ambassadeur d'Angleterre et
avait exhalé ses plaintes sur « la trop grande condescendance du
roi^ » et les conséquences d'une teUe faiblesse. Dès qu'U eut le
rapport de Werther sur sa conversation avec Gramont et OUi-
vier et leur suggestion d'une lettre du roi à Napoléon III, un
peu d'espoir de remonter sa machine de guerre lui revint. Il
télégraphia aussitôt à Werther de prendre congé et d'informer
Gramont, avant son départ, que le chancelier ne pouvait sou-
mettre au roi la demande française. Entre temps, à Ems, Bene-
detti, abordant le roi à la promenade, lui demandait, en confor-
mité des ordres reçus, la permission « d'annoncer en son nom
à Gramont que, si le prince de Hohenzollern revenait à son pro-
jet. Sa Majesté interposerait son autorité et y mettrait obstacle »2.
Le roi, qui jugeait l'hypothèse invraisemblable, la prétention
inadmissible, et peu convenable l'interpellation dans un lieu
public, refusa, mais sans éclat d'aucune sorte, simplement et
poliment, plus ennuj^é qu'irrité. Puis, un peu plus tard, il
envoya son aide de camp Radziwill à Benedetti, avec la com-
munication dont l'ambassadeur rendit compte en ces termes :
« Le Roi a reçu la réponse du prince de Hohenzollern, elle est
du prince Antoine, et elle annonce à Sa Majesté que le prince
Léopold, son fils, s'est désisté de sa candidature à la couronne
d'Espagne. Le roi m'autorise à faire savoir au gouverne-
ment de V Empereur quil approuve cette résolution^. »
Ainsi le roi, à la réflexion, accordait la première partie de la
demande de garanties qui était de « s'associer à la renonciation
1. Diplomatie réminiscences, 13 juillet 1870, Lôftus à Granville.
2. Benedetti à Gramont, 13 juillet, 10 heures 30 minutes du matin.
3. Du même au même, 3 heures 45 du soir.
NAPOLÉON III ET LA PAIX. 215
du prince », puisqu'il informait le gouvernement de l'Empereur
qu'il « l'approuvait ». Mais Benedetti, qui avait reçu de Gra-
mont une nouvelle dépêche pressante S crut devoir insister sur
la seconde partie, celle qui était parfaitement déraisonnable et
pouvait passer pour offensante (la promesse formelle d'interdire
à l'avenir toute candidature du prince), et cela malgré qu'il eût
télégraphié : « J'ai de fortes raisons de supposer que je n'ob-
tiendrai aucune concession à cet égard. » Il demanda donc au
roi une nouvelle audience, et, comme il s'y attendait, se heurta
à un refus que lui transmit le prince Radziwill : « Le Roi a con-
senti, m'a dit son envoyé au nom de Sa Majesté, à donner son
approbation entière et sans réserve aii désistement du prince
de Hohenzollem; il ne peut faire davantage-. »
Et, vraiment, l'afïaire se réglait encore pour le mieux et,
malgré son imprudence, son inexcusable complaisance aux exi-
gences de l'Impératrice et de la droite extrême, le gouvernement
français obtenait une nouvelle satisfaction. « L'approbation
entière et sans réserve » du roi était d'autant plus appréciable
qu'il avait reçu dans l'intervalle le rapport de Werther sur sa
conférence de la veille avec Ollivier et Gramont et « qu'il en
avait été impressionné de la façon la plus déplorable^. » Telle
était la légèreté de Gramont qu'il n'avait même pas avisé Bene-
detti de la demande qu'il avait faite, dans son cabinet, à Wer-
ther^. L'ambassadeurla connut seulement plus tard. Il revit, d'ail-
leurs, le roi le lendemain, avant son départ pour Berlin, à la gare.
Le roi « se borna à lui dire qu'il n'avait plus rien à lui communi-
quer »\ mais, toujours, avec beaucoup de courtoisie.
Tout naturellement, le roi avait fait informer Bismarck de ses
entretiens du 13 avec Benedetti. La dépêche fut rédigée par le
conseiller Abeken. Expédiée d'Ems avant quatre heures *"', elle fut
remise vers cinq heures à Bismarck qui la fit aussitôt déchiffrer. Il
était, à ce moment, à table avec Roon et Moltke, les ayant invi-
tés pour « leur communiquer ses idées et ses intentions". » Il
persistait « à se retirer », malgré tout ce que Roon lui avait
1. Du 13 juillet, 1 heure 45 du matin? Voir Benedetti, Ma mission en
Prusse, ji. 373.
2. Benedetti à Gramont, 13 juillet, 7 heures du soir.
3. Benedetti, Ma mission en Prusse, p. 383.
4. Ibid.
5. Benedetti à Gramont, 14 juillet, 3 heures 45 minutes du soir.
6. 3 heures 50.
7. Souvenirs et pensées, t. II, p. 103 et suiv.
216 JOSEPH REINACH.
déjà objecté. « Tous deux étaient fort abattus et ils me firent
indirectement des reproches parce que, pouvant me retirer plus
facilement qu'eux, j'avais l'égoïsme d'en profiter. Je défen-
dis mon opinion. Je ne pouvais sacrifier mon point d'honneur à
la politique. » Les trois hommes continuaient à discuter quand
on apporta à Bismarck la traduction de la dépêche du roi : « Je
la lus à mes hôtes qui furent si atterrés qu'ils en oublièrent le boire
et le manger. » Cependant la dépêche ne relatait pas que le roi
eût fait dire à Benedetti qu'il approuvait le désistement.
Alors l'infernal coup de génie. Comme Moltke atteste que
l'armée est prête à la guerre et qu'il a confiance dans la victoire,
Bismarck reprend la dépêche, que le roi l'a autorisé à garder
pour lui ou bien à communiquer aux ambassadeurs et aux jour-
naux allemands, et quelques coups de son grand crayon bleu
vont suffire à la transformer. Il lit aux deux généraux « la
rédaction qui condensait la dépêche »^. Aussitôt leurs visages
s'éclairent. « Voilà », dit Moltke, « qui sonne autrement main-
tenant. Auparavant, on eût cru entendre battre la chamade; à
présent, c'est comme une fanfare en réponse à une provocation. »
Et Roon, selon son propre récit 2 : « Le dieu des anciens jours vit
encore, et il ne nous laissera pas succomber honteusement. » ^
Voici les deux textes, la dépêche d'Abeken, la « condensation »
de Bismarck, vulgo, la « fausse dépêche d'Ems » :
Ems, 13 juillet 1870,
3 h. 50 m. après midi.
S. M. le roi m'écrit :
« Le comte Benedetti vint La nouvelle du renonce-
me trouver aujourd'hui sur ment du prince héritier de
la promenside ; il me deman- Hohenzollern a été officielle-
da d'une façon fort pressante ment communiquée au gou-
que je m'engage pour l'ave- vernement impérial français
1. Ibid., p. 108. — On a contesté la véracité du récit de Bismarck dans ses
Souvenirs, mais sans apporter de preuves. La version des Souvenirs ne fait
que confirmer, avec plus de détails, les récits antérieurs de Bismarck et de ses
gens (Moritz Busch, Unser Reichskanzler, Leipzig, 1884, t. II, p. 66; ffani-
burcjer Nachrichten; Nouvelle Presse libre de Vienne des 12 et 20 no-
vembre 1892). Admettons que Bismarck ait magnifié les choses dans ses Sou-
venirs, le fait de la « condensation )> subsiste et l'intention n'en est pas
douteuse.
2. Deutsche Revue de mai 1891.
«APOLEON III ET L4 PAIX.
217
par le gouvernemeyit royal
espagnol. Depuis, Vambassa.-
deur français a encore adres-
sé i à Ems, à Sa Majesté le
roi, la demande de l'autoriser
à télégraphier à Paris que Sa
Majesté le roi, à tout jamais,
s'engageait à ne plus donner
son consentement si les Ho-
henzollern devaient revenir
à leur candidature. Sa Ma-
jesté le roi, là-dessus., a refu-
sé de recevoir encore l'am-
bassadeur français et lui a
fait dire par l'aide de camp
de service que Sa Majesté
n'avait plus rien à commu-
niquer à l'ambassadeur.
nir à ne jamais autoriser une
nouvelle candidature des Ho
henzollern. Je lui prouvai
de la façon la plus péremp-
toire qu'on ne peut prendre
ainsi des engagements à tout
jamais. Naturellement j'a-
joutai que je n'avais encore
rien reçu et que, puisqu'il
était averti plus tôt par Paris
et par Madrid, c'était bien la
preuve que mon gouverne-
ment était ho7^ de question. »
Sa Majesté a depuis reçu
une lettre du prince. Comme
Sa Majesté avait dit au comte
Benedetti quelle attendait
des nouvelles du prince, Elle
a résolu, sur la proposition
du comte Derlenbourg et la
mienne, de ne plus recevoir
le comte Benedetti à cause de
sa prétention et de lui faire
dire simplement par un aide
de camp que Sa Majesté avait
reçu du prince confirmation
de la nouvelle déjà mandée
de Paris et qu'Elle n'avait
plus rien à dire à l'ambassa-
deur. Sa Majesté laisse à
Votre Excellence le soin de
décider si une nouvelle exi-
gence de Benedetti et le refus
qui lui a été opposé ne doi-
vent pas être comynuniqués
aussitôt tant à nos ambassa-
deurs qu'à nos journaux.
Voici maintenant, selon Bismarck, le commentaire de son
texte « condensé », qu'il développa tout de suite devant Moltke
et Roon. « Ce texte », dit-il, « n'apporte aucunes modifications ni
aucunes additions à la dépèche. Si, exécutant le mandat de Sa
Majesté, je le communique aussitôt aux journaux et si, en outre,
je le télégraj)liie à toutes nos ambassades, il sera connu à Paris
218 JOSEPH REL\ACH.
avant minuit. Non seulement par ce qu'il dit, mais aussi par
la façon dont il aura été répandu, il produira là-has sur le
taureau gaulois l'effet du drapeau rouge. Il faut nous battre,
si nous ne voulons pas avoir l'air d'être battus sans qu'il y ait
eu seulement de combat. Le succès dépend cependant avant tout
des impressions que l'origine de la guerre provoquera chez nous
et chez les autres. » Depuis longtemps, il a résolu ce qu'un
autre Allemand* appelle « la question de Pilate en politique :
qu'est-ce qu'une guerre offensive »? Mais il n'est pas de ces
théoriciens du droit ou de la force qui ne se soucient pas de la
galerie et il explique : « Il est essentiel que nous soyons les
attaqués ; la présomption et la susceptibilité gauloises nous donne-
ront ce rôle, si nous annonçons publiquement à l'Europe, autant
que possible sans l'intermédiaire du Reichstag, que nous accep-
tons sans crainte les menaces publiques de la France. »
Bismarck connaissait la France, surtout son personnel gou-
vernemental. Point par point, ses prévisions s'accomplirent.
On chercherait en vain à disculper Gramont, Ollivier, le maré-
chal Le Bœuf, l'Impératrice, l'Empereur d'être tombés au piège.
Les ministres ne doutaient pas de la prompte victoire ; l'Empe-
reur, « plus entraîné qu'entraîneur »2, était beaucoup moins
confiant. Le lourd discours de Napoléon III aux grands corps
d'Etat, avant son départ pour Metz, annoncera une guerre
longue et difficile. La plus grande faute, selon Napoléon : faire
ce que souhaite l'ennemi ; la faute moralement la plus inexcu-
sable, selon le poète Romain : voir le mieux et suivre le pire.
Quand le duc de Gramont se dit « souffleté ^ » par la note
allemande, comment Ollivier aurait-il objecté à ca gentilhomme
qu'il ne se sentait pas, lui aussi, souffleté? Et, pareillement,
tous les autres : ceux qui, avec l'Empereur, redoutaient la guerre ;
ceux qui, avec l'Impératrice, l'appelaient. « De bons citoyens
auraient atténué la chose, eu recours à l'Angleterre pour l'ar-
ranger, et auraient ainsi sauvé la paix >>^.
Dans la déclaration écrite qu'Ollivier porta au Corps législa-
tif^ il motiva ainsi la raison déterminante de la guerre : « Notre
1. Reventlow, Deulschland's auswartige Politik.
2. Lettre de Thiers à Duvergier de Hauranne.
3. A peine la porte franchie, Gramont s'écrie : « Mon cher, vous voyez un
homme qui vient de recevoir une gilïle » (Ollivier, t. XIV, p. 355).
4. Thiers à Duvergier de Hauranne.
5. 15 juillet 1870.
NAPOLÉON m ET LA PAIX. 219
surprise a été profonde lorsque, hier, nous avons appris que le
roi de Prusse avait notifié par un aide de camp à notre ambas-
sadeur qu'il ne le recevrait plus et que, pour donnera ce refus
un caractère non équivoque, son gouvernement l'avait commu-
niqué aux cabinets de l'Europe. » C'était la version mensongère
de Bismarck; ce n'était pas celle d'Abeken et, moins encore,
celle de Benedetti, dont on avait les dépêches, qui n'avait jamais
soupçonné qu'il eût été insulté, qui arrivait à Paris prêt à en
témoigner, qui n'eut pas le courage de crier la vérité coûte que
coûte. Comme cela avait paru tout de même un peu faible, Olli-
vier ajouta que « le baron de Werther avait reçu l'ordre de
prendre un congé », ce qui était exact, et ce qui, de son propre
aveu, ne l'était pas, « que des armements s'opéraient en Prusse » ' .
On sait comment un vent de folie passa sur la majorité du Corps
législatif; comment Thiers, Jules Favre, Gambetta luttèrent en
vain pour enrayer la catastrophe ; comment la France parut avoir
cherché la guerre. Jamais assemblée, jamais paj s ne furent plus
complètement abusés. Il n'y avait eu à Ems ni insulteur ni insulté ;
il ne fut cependant pas permis de mettre en doute que l'ambassa-
deur de France eût été outragé par le roi de Prusse. Comme le
gouvernement n'avait voulu communiquer les pièces du dossier
diplomatique qu'à une commission de onze membres, on se
persuada qu'il y avait quelque part une dépêche violemment inju-
rieuse de Bismarck, alors que « la guerre n'était engagée, » selon
Ollivier lui-même, « que sur la publication de la Gazette de
l'Allemagne du Nord et sur les dépêches venues de Berlin, de
Berne et de Munich »^, où nos agents la commentaient. L'opi-
nion de l'Europe fut hostile ; l'Autriche et l'Italie restèrent
neutres; toute l'Allemagne du Sud marcha avec la Prusse. Bis-
marck eut sa guerre, et telle qu'il avait voulu l'avoir.
« Ce droit », avait dit Hegel — celui de commettre des actes
violents injustes et perfides — « c'est le droit des héros à fonder
des Etats'^ » Mais la conscience humaine n'est pas hégélienne.
Joseph Reinach.
1. En note : « Cette assertion n'était pas exacte. Le Bœuf avait été mal ren-
seigné; les armements n'ont commencé que le 16. »
2. Ollivier, t. XI V, p. 472.
3. Philosophie de^echts, p. 350.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
SERF DE LA GLÈBE
HISTOIRE D'UNE EXPRESSION TOUTE FAITE
L
Dans un passage célèbre des Coutumes de Bea.uv8Lisis, Beau-
manoir a dépeint la société laïque, telle qu'elle s'offrait à ses yeux,
dans un ordre hiérarchique : « L'en doit savoir que .m. estât sont
entre les gens du siècle. Li uns des estas si est de gentillece. Li
secons si est de ceus qui sont franc naturelment... et li tiers estas si
est des sers'. » Cette description vaut pour la France du xiii^ siècle.
Elle ne saurait s'appliquer sans retouches à la société féodale dans
l'ensemble de son évolution historique. Les premiers temps de la féo-
dalité n'ont point connu de « gentillece », c'est-à-dire de noblesse,
au sens où Beaumanoir prend ce mot, qui désigne pour lui une caste
héréditaire, pourvue de privilèges juridiques précis. Le groupe
noble ne s'est dégagé que peu à peu de la masse des hommes libres.
Mais un trait du tableau qu'on vient de lire conserve une portée
générale. En France, ou mieux dans l'Europe occidentale, pendant
une longue période .qui s'étend depuis la dissolution de l'Empire
carolingien jusqu'à des dates variables selon les régions, mais sou-
vent fort proches de l'époque moderne, il a existé au-dessous des
hommes hbres une catégorie spéciale composée de personnes que les
coutumes et les lois considéraient comme privées de la pleine liberté.
Ces « non-libres» (pour emprunter à la langue des juristes allemands
une expression commode) se distinguaient des hommes « naturelle-
ment francs » en deux manières : d'une part, ils formaient une classe
que le droit et l'opinion s'accordaient à juger inférieure, et, de l'autre,
ils étaient attachés à leurs seigneurs particuliers par des liens d'une
1. Ed. Salinon {Collection de lexles pour servir à l'étude et à l'enseignement
de l'histoire), t. II, ch. xlv, c. 1451 et 1452, p. 233-234.
SERF DE LA GLEBE. 221
force extrême, si solides que seule pouvait les rompre une opéra-
tion juridique bien déterminée : l'affranchissement. Selon les
moments, tantôt l'un, tantôt l'autre de ces deux caractères a pu
paraître dominer; ils ont toujours été tous les deux présents. Beau-
manoir appelait les membres de cette classe : les serfs; c'est le nom
qu'aujourd'hui encore leur donnent communément les historiens
français'.
Or, à ce mot de serf on joint parfois un complément. On dit :
serf de la glèbe. Cette expression, il est vrai, semble un peu pas-
sée de mode. Du moins, les médiévistes avertis l'évitent, sans d'ail-
leurs expliquer pourquoi. Mais elle a joui d'une grande fortune. Pus-
tel de Coulanges, ce maître incontesté de la sémantique historique,
l'a employée plusieurs fois. A l'antiquité, l'esclavage; au moyen âge,
le servage de la glèbe : cette antithèse a nourri bien des dissertations.
Elle fournit, jadis, le sujet d'un concours académique, dont Miche-
let fut juge^. Elle n'est pas tout à fait tombée en désuétude.
Quand a-t-on eu l'idée d'unir au mot serf le mot glèbe? Pour-
quoi a-t-on eu cette idée? Qu'entendait-on à l'origine par cette asso-
ciation verbale? Quelles en furent les vicissitudes? Voilà ce que je
me propose de rechercher ici. Éclairer l'histoire des mots, c'est
jeter une plus vive lumière sur les choses qu'ils désignent, ou qu'ils
cachent.
Ai-je besoin de l'ajouter? Je ne prétends nullement donner les
résultats auxquels j'ai abouti comme définitifs. Je sais mieux que
personne tout ce qu'ils ont d'incomplet et, par là même, de conjec-
tural. Le vocabulaire de l'ancien droit français est singulièrement
difficile à étudier. Il faut travailler à tâtons. Les documents diploma-
tiques sont dispersés à l'extrême; beaucoup ont été publiés, mais
toujours sans glossaires. Il en va de même pour les sources narra-
tives. L'immense littérature du droit savant (romanistes, canonistes,
1. Les historiens allemands disent d'ordinaire « Leibeigene », les Anglais
« villain ». Malgré des diflërences notables, qui sont allées s'accentuant, la
ressemblance fondamentale des Leibeirjcnen, viilaim et serfs est évidente.
1. En 1837. Voici le texte des deux questions mises au concours : « 1° Par
quelles causes l'esclavage ancien a-t-il été aboli? 2° A quelle époque, cet escla-
vage ayant entièrement cessé dans l'Europe occidentale, n'est-il resté que la
servitude de la glèbe? » Le prix fut décerné à un mémoire composé en colla-
boration par n. Wallon et J. Yanoski; les deux auteurs en tirèrent par la
suite le premier son Ilixloire de l'esclavage dans lanliqtiilé, le second un
ouvrage beaucoup moins connu (et qui ne mérite guère de l'être), intitulé : De
l'abolUinn de l'esclavage en Occident, in-8°, Paris, 1842. On trouvera le rap-
port de Michelct sur ce concours au I. III (1842) des Mémoires de l'Académie
des sciences morales.
222 MELANGES ET DOCUMENTS.
plus tard feudistes) forme un fourré touffu où les guides font défaut.
Nous n'avons pas de lexique des institutions françaises ; c'est une
grave lacune dont la linguistique et l'histoire souffrent pareillement.
Il faudra bien qu'on la comble un jour. Je souhaite que ce jour-là
la courte étude qu'on va lire soit rangée parmi celles qui auront
servi à dégrossir les matériaux. A cela se borne toute mon ambi-
tion.
IL
Comment appelait-on, au temps du servage, ceux qu'aujourd'hui
nous nommons serfs et parfois serfs de la glèbe? Il ne faut pas
poser cette question sous une forme trop générale. La langue juri-
dique du moyen âge n'était pas fixée par un code ; elle manquait
d'unité. Variable selon les régions et les moments, elle variait aussi
selon les milieux qiii la parlaient. Notaires, jurisconsultes, jongleurs
ne désignaient pas toujours les mêmes choses par les mêmes mots.
Il convient de les interroger à tour de rôle.
Feuilletons d'abord les textes littéraires français ; ce sont, parmi
les documents, les plus proches de l'usage courant.
Ici, point de doute. Le terme employé est celui-là même que nous
avons rencontré chez Beaumanoir, et qui, à juste titre, est demeuré
dans le vocabulaire historique courant : sers, cas régime serf*. Il
est extrêmement fréquent. Si aristocratique que soit l'inspiration
des chansons de geste ou des romans courtois, on y voit par moments
s'agiter dans le lointain la « servaille ». D'ailleurs, le mépris même
où l'on tenait les hommes des basses classes a fait que leur nom
honni parait dans les vers épiques; car les héros avaient volontiers
le verbe injurieux, et serf était, entre gens bien nés, une insulte
cruelle 2.
1. Le féminin est tantôt ancele, tantôt — plus souvent semble-t-il — serve.
Ancele (de ancilla) paraît s'être plutôt spécialisé dans le sens de servante. Cf.
ei-dessous, p. 233, n. 4.
2. Serf était d'ailleurs une insulte, si je puis dire, légalement reconnue; cer-
taines coutumes punissaient d'une amende celui qui appelait ainsi un homme
libre : Coutumes de Cluny (1161-1172), dans Bernard et Bruel, Recueil des
Charles de l'abbaye de Clumj {Documents inédits), t. V, if 4205, c. vu; —
Charte d'Amiens (1185), dans Beauvillé, Recueil de documents inédits con-
cernant la Picardie, t. IV, in-8°, 1882, p. 19, c. 42. Dans la langue littéraire, on
emploie peut-être plus souvent encore (outre vilain, qui veut dire paysan, sans
signification juridique précise) cuvcrt, cuivert, culvert. Les cuverts — latin
colliberti — formaient une classe d'hommes dont la condition se rapprochait
beaucoup du servage ; les historiens du droit les appellent d'ordinaire colliberts ;
mais ce mot (inventé par les modernes) n'est qu'un calque maladroit du latin,
SERF DE LA GLÈBE. 223
L'étymologie du mot est claire : le sers, c'était le servus latin que,
pour éviter toute confusion, nous appelons aujourd'hui esclave. Non
que le servage médiéval ait été simplement une épreuve atténuée et
comme émoussée de l'esclavage romain, dans une société nouvelle
survivance des Ages passés. La formule de Fuslel de Coulanges* :
« Le servage... n'a rien de commun avec la féodalité et lui est anté-
rieur » , ne saurait être acceptée sans réserves. Un même esprit anima
toutes les institutions nées dans l'écroulement de l'Etat antique : le
servage fut proche parent de la vassalité. Pourtant, comme les ins-
titutions humaines ne se créent pas de rien, le serf, si profondément
différent de l'esclave, n'était après tout qu'un esclave lentement
transformé. Psv une transition insensible, le mot « servus, » devenu
« sers », en arriva à désigner une réalité juridique bien éloignée de
son contenu primitif. Les hommes de l'ancienne France qui pro-
nonçaient ce nom familier ne s'apercevaient pas que sa signification
se modifiait peu à peu, pas plus qu'ils ne sentaient sur leurs lèvres
le latin se changer en français.
Cependant, un jour vint oîi des esprits réfléchis mesurèrent le
chemin parcouru et furent choqués de constater que le même terme
s'appliquait à deux choses dissemblables. Le langage populaire,
médiocrement accessible aux considérations étymologiques de cette
sorte, n'en fut point troublé; le mot serf continua d'y être en hon-
neur. Mais les notaires, gens savants, crurent bon de réformer leur
vocabulaire. Voici comment.
Parcourons les documents diplomatiques, très nombreux, où les
serfs apparaissent. Pendant longtemps, dans ces textes alors rédigés
en latin, le serf fut appelé, comme il était naturel, servus, la serve
ancilla ou, beaucoup plus rarement (car les clercs se piquaient de
classicisme), serva. Vers le début du xiii* siècle, ces mots tombèrent
hors d'usage ; ils ne disparurent pas complètement, mais ils devinrent
rares; et cela, semble-t-il, d'un mouvement uniforme dans les
chartes de la France presque tout entière-. Non que la classe ser-
el, à vrai dire, un pur barbarisme; il faut employer le vieux terme français.
J'espère revenir un jour sur l'histoire des cuvcrts.
1. L'alleu et le domaine rural, p. 463. Cf. les Transfoiinalions de la royauté
pendant l'époque carolingienne, \>. 587, n. 1.
2. Cf. G. Jeanton, le Servage en Bourgogne (thèse de droil, Paris), in-S",
Paris, 1906, p. 80; L. Verriest, le Servage dans le comté de Uainaut (Acad.
royale de Belgique. Classe des lettres. Mém., 2' série, l VI, fasc. 3, 1900,
p. 57). J'ai constatt^ moi-même le fait pour l'Ile-de-France (y compris le pays
cbartrain et l'Orléanais); il ajuiarait dans celte réj^ion avec une extrême net-
teté. Il me semble, d'ailleurs, très général. Mais, probablement, il y a eu des
variations locales. J'ai peu étudié la langue des notaires vers la lin du moyen
224 MÉLAMGES ET DOCUMENTS.
vile se soit à ce moment brusquement évanouie. On la verra, dans
certaines régions, durer pendant des siècles encore. Mais, désormais,
les notaires cherchent pour désigner ses membres des expressions
nouvelles. Une grande incertitude règne d'ailleurs sur ce vocabulaire
presque improvisé. Parfois on veut rappeler certaines redevances
spécifiques; on dit homo (ou femina) de manumortua, de foris-
maritagio et de manumortua. Ou bien on emploie des formules
où se traduit la force du lien qui attache le « non-libre » à son sei-
gneur : homo ligius, homo de corpore; dans les actes en langue
française, nombreux depuis le milieu du xiii* siècle : hom.me
lige, hom.me de corps.
Ce dernier terme surtout fit fortune. Il rendait avec une sorte de
brutalité le caractère personnel et presque physique de l'emprise
seigneuriale. Il n'était sans doute pas de facture savante; on doit
voir en lui une trouvaille populaire : « les serfs et serves que chez
nous on 'appelle hommes de corps », disait en 1180 un diplôme du
roi Louis VII'. Mais les notaires l'adoptèrent et le répandirent lar-
gement. Homme lige leur plaisait moins. Cette expression, d'éty-
mologie assez mystérieuse-, était à double sens : en même temps
qu'aux serfs, on l'apphquait aux vassaux, ou plus exactement à
ceux des vassaux qui avaient prêté l'hommage le plus rigoureux,
l'hommage sans réserves; ainsi le langage, interprète de la cons-
cience collective, rapprochait deux formes de la dépendance que le
droit théorique, élaboré aux derniers temps de la féodahté par des
techniciens, nous a habitués à considérer comme radicalement dis-
tinctes. Des juristes n'auraient pas inventé cette amphibologie, née
certainement dans l'usage vulgaire; ils ne lui firent pas bon accueil.
Presque partout, dans la langue des chartes, homme lige fut accepté
seulement pour désigner le vassal. Dans le sens de « non-libre » , il
ne se maintint guère qu'à titre d'idiotisme local, propre à certaines
régions (Bugey, Bordelais^). Homme de corps resta maître du ter-
âge. Peut-être, dans les actes écrits en français, serf est-il alors revenu à la
mode, au moins sous la forme « de serve condicion ».
1. c Omnes servos et ancillas quos homines de corpore appellamus. » Affran-
chissement des serfs habitant Orléans et les villages voisins. Ordonnances, t. XI,
p. 214 (Luchaire, Louis VII, n° 774, et A. Cartellieri, Philipp II August, 1. 1,
Beilagen, n° 75). Cf. la confirmation dans les Actes de Philippe- Auguste, publ.
par H. -F. Delaborde, t. I, a° 3. Remarquer le parallélisme d'homme de corps
et de Leibeigene (en latin proprius de corpore).
2. Voir, en dernier lieu, une note de J. Briich, Zeitsch. fur roman. Philo-
logie, t. XXXVIIl (1917), p. 701 (dont les conclusions me paraissent d'ailleurs
contestables).
3. J'ai donné une courte bibliographie de l'emploi A'homme lige au sens de
SERF DE LA GLEBE. 225
rain. Les littérateurs, même dans les livres de droit, continuèrent
à employer serf' ; les notaires le bannirent : si bien que le peuple,
habitué à la langue des tabellions, en arriva parfois à oublier le sens
juridique de ce mot pour ne plus retenir que son acceptation inju-
rieuse; sous Charles VI, des hommes du Vermandois se plaignaient
comme d'un outrage d'avoir été traités de serfs 2.
D'où vient cet ostracisme frappant un mot? A n'en pas douter,
de l'influence exercée par le droit romain. Le moment même où l'on
vit servus et serf disparaître des chartes fut celui où les formules
empruntées au Coiyus juris pénétraient en foule dans l'usage
diplomatique : le début du xiii* siècle. Cette sorte de renaissance
fut surtout l'œuvre des officialités, chargées en ce temps de rédiger
la plupart des actes authentiques. Pierre de Blois ne confondait-il
pas dans le même anathème la loi de Justinien et les officiaux^?
Or, les documents émanés des officialités furent précisément les pre-
miers à rejeter servus; les autres chancelleries ne firent que suivre
le mouvement, parfois avec retarda Le serf médiéval ressemblait
serf dans une note de mon ouvrage intitulé : Rois et serfs, p. 23, n. 2, et
Additions et rectifications (où une faute s'est glissée : joindre les deux ali-
néas en un seul).
1. Par exemple Beauraanoir. Mais Beaumanoir connaît aussi serf dans le
sens latin d'esclave. Quand il parle de ces « sers » qui « sont si sougiet a leur
seigneur que leur sires puet prendre quanqu'il ont et a mort et a vie... »,
l 1452, cf. l 1457, — espèce humaine qu'il na jamais vue en Beauvaisis — il
adapte tout simplement ce qu'il avait lu dans le droit romain sur les servi.
D'ailleurs, serf a très longtemps traduit servus; le mot esclave a mis long-
temps à paraître et plus encore à se faire accepter de tous. En 1694, le Dic-
tionnaire de l'Académie, qui connaissait fort bien les hommes de mainmoi-te
(voir l'article Glèbe), écrivait encore, à l'article Serf, cette phrase étonnante :
« Il n'y a point de serfs en France. » C'est que l'usage académique voyait
encore, derrière serf, servus.
2. Mandement de Charles VI au bailli de Vermandois, Paris, 22 septembre
1404, cité et partiellement publié par A. -A. Monteil, Histoire des Français des
divers étais, 4« éd., t. I, in-12, Paris, 1853, notes, p. 81, d'après l'original, en
sa possession.
3. Paul Fournier, les Officialités au moyen âge, p. 8 et 9.
4. Dans l'Ile-de-France, les actes d'affranchissement passés sous le sceau de
communautés ecclésiastiques ou de seigneurs laïques conservent encore les
mots servus et ancilla, alors que les actes passés sous le sceau de l'officia-
lité et rédigés par elle les avaient rigoureusement bannis. Exemples : les allr.
de Rosny-sous-Bois (août 1246) et de Nanterre (mars 1248) par les chanoines
de Sainte-Geneviève de Paris : Arch. nat., S 1574, n° 1, et 1567, n° 1 (où les
mots servi et homines de corpore alternent comme deux synonymes); — laflr.
de trente-six personnes de condition servile par le chevalier Simon de Corbeil
(l"-27 mars 1255) : Arch. nat., JJ 26, fol. 369 v°, et Bibl. nat., ms. lat. 9778,
fol. 255 v (on y trouve l'expression curieuse, où se marque nettement l'incer-
Rev. Histob. CXXXVI. 2" fasc. 15
226 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
bien peu au serons romain. Des hommes nourris de la législation
antique ne pouvaient manquer de s'en apercevoir; l'étude d'une
belle langue technique leur avait donné le goût de l'exactitude; il
leur parut insupportable de continuer à employer un terme impropre.
En le remplaçant par des expressions nouvelles, ils obéirent à un
scrupule de purisme juridique.
Ce scrupule trouva d'ailleurs son expression très nette dans cer-
tains textes, non pas, il est vrai (du moins à ma connaissance),
dans les actes des officiaux, mais dans certains documents étabUs
également par des juristes instruits : les notaires de la cour ponti-
ficale.
Les églises françaises possédaient des serfs en grand nombre;
c'est pourquoi les papes, mêlés à tant d'affaires, eurent souvent l'oc-
casion d'intervenir dans les questions serviles. Dans beaucoup de
bulles, les non-hbres apparaissent. Sous quel nom? C'est ce qu'il
est curieux d'observer.
Visiblement, le servage français embarrassait beaucoup les sty-
listes de la chancellerie apostolique. Ils travaillaient presque tou-
jotirs sur des requêtes ou des projets présentés par les églises inté-
ressées ; mais ils en modifiaient la rédaction ; ce sont certainement
leurs propres incertitudes dont leur vocabulaire flottant a conservé
la trace. Tantôt on les voit emprunter au latin classique des mots
qu'ils détournent de leur sens exact : originarii*, famuli^; tantôt
ils disent simplement : homines, homines vestrP, termes vagues
qui, au moyen âge, servaient à indiquer les liens de dépendance,
quelle que fût leur nature. Quand il s'agissait de serfs, on préci-
sait, nous le savons, par la formule : homines de corpore. Mais
cette expression technique, étrangère aux bons auteurs, déplut long-
temps aux clercs romains; quand ils se décidaient à l'employer, ils
prenaient soin d'observer que c'était un gallicisme. « Originarii eccle-
siarum quos homines de corpore patria censuit nuncupandos » est-il
écrit dans un privilège accordé par Grégoire IX à Saint-Maur-des-
titude de la terminologie : homines meos et ancillas de corpore). Pour mettre
en lumière la disparition de servus et la vogue nouvelle d'Aomo de corpore,
il serait intéressant de réunir quelques renseignements statistiques; mais cela
est impossible; presque tous les cartulaires ou recueils de chartes qui ont été
publiés sont incomplets à partir du xiii' siècle; ils ne donnent, le plus sou-
vent, les pièces les plus récentes qu'en analyse.
, 1. Texte cité ci-dessous, p. 234, n. 3.
2. Texte cité ci-dessous, p. 227, n. 3.
3. Exemples : bulles d'Innocent IV pour Notre-Dame de Paris (B. Guérard,
Carlul. de Noire-Dame de Paris, t. II, p. 393, n° XIII) et pour Saint-Denis
(Doublet, Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en Fi-ance, in-4°, Paris, 1625,
p. 579).
SERF DE LA GLEBE. 227
Fossés' ; ils ne lui reconnurent droit de cité que peu à peu el tar-
divement. Restait servus, parfaitement cicéronien, eL, à ce titre,
souvent accepté. Mais là, si les amateurs de beau langage pouvaient
se déclarer satisfaits, les juristes ne l'étaient pas, pour les raisons que
nous connaissons déjà. Une bulle de Pascal II s'explique sur ce
point avec clarté. Les chanoines de Paris avaient quelque temps
auparavant obtenu de Louis VI un diplôme autorisant leurs serfs à
témoigner en justice^; ils demandèrent au pape de leur confirmer
cette faveur; leur requête fut accueillie. L'acte royal parlait simple-
ment des serfs, servi. Rédigée par des notaires plus savants, la
bulle dit : « les famuli de votre église, que chez vous le vulgaire
appelle improprement des serfs ^ ».
Aussi bien ce sont deux documents pontificaux dont la comparai-
son, mieux que tout autre exemple, nous fera comprendre le change-
ment qui s'accompht au xiii* siècle dans la terminologie du servage.
En 1245, Innocent IV légifère pour les serfs de Saint-Germain-des-
Prés; le notaire qui rédige sa bulle n'aime pas les expressions nou-
velles; il écrit : « Vous avez des serfs que, vulgairement, on appelle
hommes-de corps^. » En 1289, les clercs de Nicolas IV expédient deux
bulles en faveur du chapitre de Chartres ; le pape revendique pour ses
« chers fils » les chanoines toute juridiction temporelle « sur leurs
hommes de corps que, vulgairement, on appelle serfs ^ ». Entre les
deux actes, la contradiction est frappante. Elle traduit, un peu bizar-
1. 29 mai 1239 (4 kal. juin, an 13 du pontificat), Latran : Livre Noir de Saint-
Maur-des-Fossés, Arch. nat., LL46, fol. 5 v.
2. R. de Lasteyrie, Cartulaire général de Paj-is, n" 150 (Luchaire, Louis VI,
n' 63) : 1108, an 1" du règne.
3. « Ipsius ecclesie famuli qui apud vos servi vulgo improprie nuncupantur. »
24 janv. 1113. B. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. I, p. 223,
n' VIII; cf. Lasteyrie, Cartnlaire général de Paris, n° 162 (où la date se
trouve rectifiée). Le mot servus est rejeté comme impropre à désigner les non-
libres anglais de son temps par un coutumier anglais du xiir siècle, le Mirror
of justices, éd. Whittaker [Selden Society), in-4°, Londres, 1895, p, 79.
4. « Cum habeatis plures servos qui homines de corpore vulgariter nuncu-
pantur. » 3 février 1245 (3 nones fevr., an 2 du pontificat), Lyon : Arch. nat.,
L 244, n° 6; copie, sans indication de lieu, dans le Livre des Privilèges, Arch.
nat, LL 1027, fol. 16.
5. «In homines ipsorum de corpore qui servi vulgariter appellantur. »
19 mars 1289 : bulle adressée à l'archçvêque de Sens et à l'évêque d'Auxerre,
dans E. Langlois, Registres de Nicolas IV, t. I, n" 736, p. 163 ; bulle adressée
au roi de France, analysée Ibid., n" 738, p. 167, texte complet dans le Livre
Rouge du chapitre de Chartres, bibl. de la ville de Chartres, ms. 1162, fol. 34,
et le cartulaire du même chapitre conservé à la bibl. de la ville de Toulouse,
ms. 590, fol. 18. Ces bulles ont été rédigées par un notaire particulièrement
puriste; cf. Langlois, p. 164, « ah omni consuctudine, vel costuma, ut utamur
vocabulo regionis »; — p. 165, < aliqua placita, ut patrie verbis utamur ».
228 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
rement, l'évolution du langage. Au cours du xiii^ siècle, les notaires
français, que suit lentement la chancellerie apostolique, ont rem-
placé le mot serf (ou servus), qui choquait leur érudition, par un
nom emprunté au parler populaire, homme de corps; serf, autre-
fois commun au langage savant et au langage familier, n'est plus
retenu que par ce dernier ; le terme vulgaire est devenu juridique ; le
terme juridique est devenu vulgaire.
Homme de corps, homme lige, homme de mainmorte, que
sais-je encore ' ? La terminologie du serf dans la langue diploma-
tique du XIII* siècle, en France, est singulièrement variée. Pourtant
une expression manque à cette richesse : c'est celle même que nous
cherchons, c'est serf de la glèbe. Elle ne semble pas avoir jamais
été signalée dans les chartes du moyen âge français^. Faut-il affir-
mer que, nulle part, en aucun temps, dans aucun acte authentique
elle ne s'est glissée? Ce serait imprudent. Nous verrons tout à
l'heure que les romanistes et les canonistes ne l'ont pas ignorée; il
se peut qu'une fois, par hasard, un clerc, nourri de leurs œuvres,
ait, en rédigeant quelque contrat, utilisé ses souvenirs littéraires.
Aucun cas de cette sorte n'a encore été découvert ; on en découvrira
peut-être un jour. On aura alors exhumé une exception curieuse, et
ce sera tout. Serf de la, glèbe n'appartient pas, en France, au voca-
bulaire courant des notaires médiévaux. C'est un fait qu'on ne sau-
rait mettre en doute. Ces deux mots joints ne se rencontrent pas
davantage chez les juristes qui écrivirent en langue vulgaire les
grands coutumiers français. Pas plus que les officiaux ou les fonc-
tionnaires de la chancellerie royale, Beaumanoir, ni Pierre dé Fon-
taines, ni les auteurs du Livre de jostice et de plet ou des Eta-
1. On trouve, dès le xiii" siècle, homme de condition. Il est curieux que ce
terme, quj devait, aux xvii" et xviii" siècles, servir de synonyme à gentil-
homme, ait, au moyen âge, désigné surtout les hommes de « serve condition ».
2. Je connais un exemple de servus glèbe en Italie, dans une enquête de 1258
sur les droits de l'évêque de Trente, Archiv fur œsterreischische Geschichte,
94 (1907), p. 403, n. 1 (cf. Gotting. Gelehrie Anzeigen, 1909, II, p. 699). Est-il
isolé? Je suis trop ignorant de l'histoire juridique italienne pour oser rien
affirmer. Comme on le verra tout à l'heure, cette association de mots eut pour
créateurs les professeurs bolonais ; peut-être les notaires italiens la leur ont-ils
quelquefois empruntée. Pour l'Allemagne, la 4" édition des Rechtsaltertumer
de Grimm, I, Leipzig, 1899, p. 454, donne (sans date) un exemple, avec renvoi
à Heider, Grûndliche Ausfuhrung der Reichsstadt Lindau, in-fol., Nuremberg,
1643, p. 293; mais, à la page indiquée, je n'ai rien trouvé de pareil, et je n'ai
pu, dans le corps du volume, mettre la main sur l'acte cité. En tout cas, l'ex-
pression serait tout à fait anormale. Les historiens allemands du xix" siècle
emploient quelquefois « an der Scholle gebunden » : simple imitation, semble-
t-il, du français « attaché à la glèbe » (ou du latin : glebis inkaerere).
SEKF DE LA GLEBE. 229
blissements de saint Louis n'appelaient ainsi les non-libres de
leur temps. Les historiens du xix^ siècle qui ont disserté sur le ser-
vage de la glèbe au moyen âge se servaient donc d'un terme que ne
connaissaient pas ou que rejetaient les praticiens de l'époque même
qu'ils étudiaient.
Ils ne l'inventaient pas cependant. De quelle tradition l'avaient^jls
reçu? Pour l'apprendre, il va nous falloir quitter la pratique pour
le droit savant et la France pour l'Italie.
III.
Vers la fm du xi* siècle, à Bologne, commença l'enseignement
d'Irnerius, le flambeau du droit, « lucerna juris ». Il expliquait à ses
auditeurs les compilations de Justinien. L'école qu'il fonda rayonna
sur l'Europe occidentale tout entière : école d'annotateurs, de « glos-
sateurs » (ce nom leur est resté) qui suivaient pas à pas les textes
romains pour en éclairer les obscurités, enrichissant de gloses les
interlignes ou les marges de leurs manuscrits.
Or, Irnerius, commentant le Digeste, rencontra le titre V du livre
premier : De statu hominum. Leg jurisconsultes dont les extraits
sont rassemblés dans ce titre divisaient les hommes en deux catégo-
ries : les libres et les esclaves [servi). Cette classification devait
paraître incomplète à un exégète qui connaissait à fond le Code Jus-
tinien ; car dans ce code, témoin d'un état du droit postérieur à la doc-
trine des « prudents «, telle qu'elle se trouve résumée dans le Digeste,
apparaît un groupe social dont le statut juridique forme en quelque
façon un intermédiaire entre la liberté et l*esclavage : les coloni ou
ascriptitii (ces deux termes, souvent employés l'un pour l'autre
dans l'usage ancien, paraissent avoir été acceptés parles glossateurs
comme exactement synonymes). Irnerius, pour l'instruction de ses
élèves, chercha à combler la lacune qu'offrait à ses yeux le texte
antique; il s'y employa dans des gloses, qui furent recueillies. Voici
l'une d'elles. Je traduis servus par serf, comme eût fait un écrivain
du moyen âge.
« La condition de l'ascriptice n'est pas telle que par elle on soit
soumis au dominium d'autrui. Par ascriptice, on doit entendre
essentiellement, non pas le serf d'une personne, mais le serf d'une
glehe [glèbe servus)*. V
1. « Ascripticia enim condicio non est ea qua quis alieno subicilur dominio,
sed glèbe servus inlelligitur, non principaliter persone b (E. Besta, l'Opéra
d'Irnerio, II, in-8°, Turin, 1896, p. 9). Mon attention a été attirée sur cette
glose par une note de R. "W. et A. J. Carlyle, A hislory of mediaeval political
230 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
Telle est, à ma connaissance, le plus ancien exemple de cette
expression vouée à un si grand avenir. D'Irnerius, elle passa à ses
successeurs. Placentin, le premier des grands glossateurs qui aient
enseigné en France, l'emploie à deux reprises dans sa Somme des
Institutes, comme Irnerius, à titre de synonyme ou mieux de para-
phrase du latin, « ascriptitius ^ ».
Puis elle se répandit chez les canonistes, disciples eux aussi, sur
bien des points, des professeurs de droit romain. Vers le milieu du
xii^ siècle, le moine Gratien avait composé un recueil de droit canon,
le Décret, qui prit bientôt une valeur quasi officielle. Ouvrons cette
illustre compilation, et cherchons-y la Distinctio LIV; toute la
première partie en est consacrée à l'antique règle ecclésiastique, qui
interdisait de conférer les ordres sacrés à des non-libres. En parti-
culier, Gratien y reproduisait une lettre d'un pape du v^ siècle,
Gélase P% annulant l'ordination au diaconat de deux originariP.
Ce mot désignait, semble-t-il, des colons fixés depuis leur naissance
sur le même domaine. Il pouvait paraître obscur aux lecteurs. Il
exigeait une glose. Un des commentateurs les plus anciens du Décret,
Paucapalea, imagina de l'expliquer par ascriptitius. Par là, il fut
amené à donner de ce dernier terme une définition empruntée vrai-
semblablement à la Uttérature romaniste; serf de la glèbe y trouva
sa place ^. Sa glose fut acceptée par l'École; maître Rufm la copia"*;
Etienne de Tournai — un Français qui mourut en 1203 — s'en ins-
pira : « Les ascriptices » , écrit-il dans sa Somme du Décret, « sont
ceux qui s'inscrivent comme attachés à un fonds de terre, selon des
conditions déterminées; on les appelle serfs de la glèbe^. »
Ainsi, pour tous ces juristes, le serf de la glèbe, c'est un ascrip-
tice, ou, comme disent plus volontiers les historiens d'aujourd'hui,
un colon, au sens où la législation du Bas-Empire prenait ce terme.
theory in the West, II, in-S", Londres, 1909, p. 39, n. 3. Servus glèbe (dans
le sens d'ascriptitius) se rencontre également au titre V, c. 7 des Quesiiones
de juris subtilitatibus qui sont peut-être d'Irnerius, éd. H. Fitting, in-4*, Ber-
lin, 1894, p. 60.
1. Placenlini jxirisconsuUi vetustissimi, in Summam Instihitionum...,
libri III, in-fol., Mayence, 1535, p. 4 et 6.
2. Cf. Jaff'é'Wattenbach, Regesta pontificum romanorum, I, n° 658.
3. Die Summa des Paucapalea iiber das Decretum Gratiani, éd. J. F. v.
Schulte, in-8% Giessen, 1890, p. 36, c. 11.
4. Éd. J. F. V. Schulte, in-8°, Giessen, 1892, p. 122, c. 11; éd. H, Singer,
in-8% Paderborn, 1902, p. 141, c. 11.
5. Die Summa des Stephanus Tomacensis iiber das Decretum Gratiani,
éd. J. F. V. Schulte, in-8°, Giessen, 1891, p. 81, c. 20. « Adscriplicios , qui se
ascripserunl certa condilione fundo, hique servi glèbe dicuntur. »
SERF DE LA GLEBE. 231
D'où leur est venue, ou mieux d'où est venue au premier d'entre
eux, Irnerius, cette alliance de mots?
Si l'on en croyait le Dictionnaire de l'Académie, la réponse à celte
question ne souffrirait pas de difficultés. Prenons, en effet, dans
cette vénérable publication, l'article glèbe. On y lit ceci (depuis
1762) : « Les esclaves attachés à un domaine, à une métairie, chez
les Romains s'appelaient esclaves de la glèbe. » Les glossateurs
n'auraient donc fait que puiser dans la tradition classique. Malheu-
reusement, il semble bien que l'Académie se trompe. Je ne connais pas
chez les auteurs anciens de texte où se rencontre serviis glebae.
On ne peut guère douter, jusqu'à nouvel ordre, qu'Irnerius n'ait
créé l'expression ^ Mais il la créa sous l'influence de certains pas-
sages du Code et du Digeste. Cherchons à retrouver ses sources.
Vers la fln de l'Empire romain, les hommes politiques et les
juristes firent le rêve d'une société où chacun devait être, par des
liens héréditaires et indissolubles, attaché à sa- fonction : le décurion
à sa dignité municipale, le soldat à l'armée, l'artisan à son collège,
le cultivateur (qu'il fût de naissance libre ou de naissance servile) à
son champ^. Ce cultivateur, ainsi fixé au sol, ce fut le colon. L'es-
clave des temps antiques avait eu pour maître un homme; le colon
eut pour maître une chose, le domaine. Une loi de Théodose, recueil-
lie au livre XI du Code Juslinien, s'exphque là-dessus fort claire-
ment. Je traduis toujours servus par serf : « Ils [les colons de la
Thrace] sont serfs de la terre sur laquelle ils sontnés^. » Servi ter-
1. Irnerius n'a pas trouvé l'expression servus glèbe dans le texte du Corpus
Juris, tel que nous le connaissons aujourd'hui. On pourrait, il est vrai, sup-
poser qu'il eut entre les mains un texte dillërent, où, par exemple, dans le
Code Juslinien, XI, 52, 1, on aurait lu servi glebae au lieu de sei'vi terrae.
Mais cette hypothèse serait en contradiction avec ce que l'on croit savoir,
aujourd'hui, sur l'histoire des manuscrits de la compilation justinienne. Reste
une dernière conjecture : Irnerius aurait rencontré servus glèbe dans la litté-
rature juridique des premiers siècles du moyen âge. On ne saurait l'écarter
absolument; car nous ne possédons certainement pas dans son entier la pro-
duction antérieure à Irnerius; ce que nous avons conservé est en partie resté
manuscrit, et enfin je n'ai pas la prétention d'avoir lu tout ce qui est imprimé;
je signalerai cependant que je n'ai pas trouvé servus glèbe dans les Excep-
liones Pétri. Pour être tout à fait exact, il ne faut donc considérer Irnerius
comme créateur de cette expression que sous réserves de découvertes futures.
2. Cf. 0. Seeck, Geschichte des Untergangs^ der antiken Well, II, in-8',
Berlin, 1901, livre III, ch. vu : Die E-rblichkeit der SlOnde.
3. « ... licet condicione videantur ingenui, servi tamen terrae ipsius cui nati
sunt aestimentur. » Code Justinien, XI, 52, 1. M. A. Piganiol, l'Impôt décapi-
tation sous le Bas-Empire romain, Chambéry, 1910 (thèse de Paris), p. 67,
propose de corriger nati en dali; mais ce qui nous intéresse ici, c'est le texte
232 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
rae : en écrivant servus glèbe, Irnerius ne fera que substituer au
mot terre le mot glèbe.
Pourquoi cette substitution? Elle était en un sens parfaitement
légitime. Dans la langue bizarre et emphatique des derniers juristes
romains, glèbe (terme poétique) était exactement synonyme de terre;
au point que, dans un même texte reproduit à la fois par le Code
Justinien et par le Code Théodosien, là où le premier donne :
terra, on lit dans le second : gieba '. Le Code Justinien n'a pas dit
servus glebae, mais il eût pu le dire. Continuons à feuilleter le
livre XI ; dans une loi d'Arcadius et de Théodose II, nous trouvons,
à propos des colons, cette phrase : « Ils adhèrent à la glèbe si forte-
ment qu'ils ne peuvent en être arrachés même pour un instant 2. »
Cette loi, la loi de Théodose, peut-être d'autres lambeaux encore du
Corpus Juris où figurait le mot glèbe ^ flottaient dans la mémoire
d'Irnerius quand il rédigea sa glose sur le Digestum Vêtus. De ces
réminiscences mêlées — beaucoup plutôt, semble-t-il, que d'un effort
de style conscient et réfléchi — naquit servus glèbe*.
Paraphrase d'un terme romain, ascriptitius, l'expression serf
de la glèbe n'avait pas été créée par Irnerius pour s'appliquer aux
réalités de son temps. C'était le colon antique, non le serf médiéval
qu'il prétendait désigner ainsi. Ses imitateurs ne s'y trompèrent pas.
Considérons, par exemple, Etienne de Tournai, que je citais tout à
l'heure. Ce commentateur de Gratien ne fut pas un pur théoricien.
tel qu'Irnerius l'avait entre les mains. Cf. Code Justinien, XI, 53, 1, « Inser-
viant terris ».
1. Loi de Valentinien et Valens du 31 juillet 365 : Code Tiiéodosien , XI, 1,
12; Code Justinien, XI, 48, 3.
2. « ... quos ita glebis inhaerere praecipimus, ut ne puncto quidem temporis
debeant amoveri » (Code Justinien, XI, 48, 15).
3. Faut-il y comprendre le texte de Javolenus Dig., VIII, 3, 13, 1, « omnes
glebae serviant », où glebae est le sujet de la phrase et où il s'agit d'ailleurs
de servitude prédiale (et non personnelle), mais qui, lu un peu vite et surtout
dans une mémoire un peu brouillée, a pu contribuer à suggérer l'association
verbale servi et glebae ?
4. Je suppose dans tout ce qui vient d'être dit qu'Irnerius connaissait les
titres 48 et 52 du livre XI du Code Justinien. Je n'ignore pas que cela pour-
rait être contesté. On considère en général que les premiers glossateurs n'ont
pas fait usage des trois derniers livres du Code. Il convient toutefois de remar-
quer : 1" que précisément le titre 48 n'a jamais cessé d'être en honneur dans
la littérature juridique (Max Conrat, Geschichte der Quellen und Literatur des
Rômischen Redits ini friiheren MiUelalter, I, in-8% Leipzig, 1889, p. 55,
n. 3) ; 2° que ces trois livres tout entiers étaient laissés de côté plutôt qu'ils
n'étaient précisément ignorés {Ibid., p. 355). En résumé, Irnerius a certaine-
ment pu lire le titre 48; il a vraisemblablejnent pu lire le titre 52. Et je ne
vois pas où il aurait pris ailleurs l'idée de servus glèbe.
SERF DE LA GLEBE. 233
Abbé de Saint-Euverte d'Orléans, puis de Sainte-Geneviève de
Paris, évêque de Tournai, il connut de près le servage français.
Outre ses œuvres juridiques, nous avons conservé de lui une abon-
dante correspondance^ ; les archives de Sainte-Geneviève renferment
des actes nombreux passés sous son abbatiat^. Lettres et chartes
parlent souvent de serfs ou d'hommes de corps : de serfs de la glèbe
jamais. Canoniste, Etienne parlait la langue de Térudit ; adminis-
trateur, celle de l'homme d'affaires; il ne les embrouillait pas entre
elles.
D'autres, il est vrai, eurent l'esprit moins net. Les clercs du
moyen âge se piquaient d'érudition; obligés d'employer constam-
ment une langue morte — le latin — habitués par là même à tra-
vestir tant bien que mal sous une forme antique les choses du pré-
sent, ils cherchaient souvent moins le terme exact que le terme
élégant ou rare; pour tout dire, ils étaient volontiers pédants. Trou-
vant chez de bons auteurs une belle alliance de mots, comment
n'eussent-ils pas été tentés de s'en emparer, sans trop regarder au
sens, pour en orner leur style?
Rendons toutefois justice aux notaires français. Comme nous
l'avons vu, ils laissèrent dormir dans les manuels de droit romain
ou de droit canon l'expression inventée par Irnerius. Ainsi, firent
également les auteurs de coutumiers. En revanche, je connais dans
la littérature latine du xiii'' siècle deux exemples du terme qui nous
occupe et je ne doute pas qu'en cherchant bien on n'arrive à en
découvrir d'autres. Mes deux auteurs sont, l'un un sermdnnaire,
Jacques de Vitry, l'autre; un historien, Guillaume le Breton.
On possède de Jacques de Vitry une série de sermons qui s'adressent
respectivement aux différentes classes de la société; parmi eux, deux
ad servos et ancillas. Ceux-ci ne sont pas, comme on pourrait le
croire, destinés aux serfs et serves, mais bien aux serviteurs et ser-
vantes^. Les anciens Romains ne demandaient guère les services
domestiques qu'à leurs esclaves ; c'est pourquoi la langue n'avait pas
de terme usuel pour désigner le serviteur libre. Il ne pouvait en
être de même en plein moyen âge, puisque dans presque toute l'Eu-
rope occidentale l'esclavage était alors inconnu; on avait des servi-
teurs ; en français on les appelait d'ordinaire serjants* ; mais les lit-
1. É^. Desilve. Valenciennes et Paris,. 1893.
2. Archives dn grande partie inédites; j'ai eu l'occasion de les dépouiller.
3. Comme l'a bien vu k. Lecoy de la Marche, la Chaire française au moyen
âge, in-S", Paris, 1886, p. 57 et 421.
4. Quel<|ue(ois aussi semhle-t-il, mais plus rarement, garsonx. Pour les ser-
vantes, la terminologie paraît assez peu lixe; on trouve ancelc (cf. ci-dessus.
234 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
lérateurs qui écrivaient en latin, désireux avant tout de ne pas
s'écarter des formes classiques, employaient souvent en ce sens le
mot servus^ dépouillé, pour les besoins de la cause, de tout contenu
juridique précis'. Ainsi faisait Jacques de Vitry^. Mais, soit afin
de prévenir toute équivoque, soit plus simplement dans le dessein
d'étaler son érudition, il crut bon de placer en tête de son second
sermon un développement sur les différentes significations du mot
dont il usait. Il distingue quatre catégories de seî^vi : ceux qui n'ont
pas même la disposition de leur propre corps (les esclaves du droit
antique), les ascripticii, les qriginarii « nés des ascriptices », les
conducticii farauli, c'est-à-dire les serviteurs. De la deuxième, il
donne la définition devenue classique dans l'École : « Ascriptices,
ou serfs de la glèbe attachés au soP ». Cet exposé, tiré peut-être de
p. 222, n. 1), chamberiere, meschine. Voir les textes — d'ailleurs insuffisants
— rassemblés par H. Doercks, Haus und Hof in den Epen des Crestien von
Troies, Greifswald, 1885, p. 42, et Fritz Meyer, Die Stdnde, ihr Leben und
Treiben dm^gestelU nach den altfr. Artus- und Abenleuerromanen [Ausg.
u. Abh. aus dem Gebiete der romanischen Philologie, 89), Marbourg, 1892,
p. 98 et 104.
1. Exemples : chez des moralistes, Thomas de Cantimpré, Bonum univer-
sale de apibus, II, i, c. 10 et c. 23; XXVIII, c. 11 (éd. de Douai, in-8°, 1627);
chez des lexicographes, Jean de Garlande, éd. Scheler, Jahrb. fiir rotnanische
und englische Litleratur, VI (1865), p. 149, c. 31, et 150, c. 33; dans des livres
de comptes. Livre de raison de Saint-Martin de Pontoise, éd. J. Depoin
(publ. Soc. histor. Pontoise), in-8'', Pontoise, 1900, p. 198, et arch. du dépar-
tement deSeine-et-Oise, série H, ms. non coté, fol. 13 (où sei-vi de cellario tra-
duit le français les vendeurs dudit cellier). Brunetto Latino, pour qui le fran-
çais est une langue apprise, traite serf comme synonyme de serjant : Livres
dou Trésor, éd. Chabaille (Doc. inéd.), II, 2, c. xcix, p. 442 et suiv. Cet emploi
de servus dans le sens de serviteur survivra dans la langue juridique, si bien
qu'au xvi° siècle Hippolyte Bonacossa pourra commencer un traité De servis
et famulis par cette définition étonnante : « Et servus (de quo noster sit sermo)
est homo liber... quern oportet alii famulari », Tractatus illustrium juriscon-
sultorum, V, 1, in-fol., Venise, 1584, fol. 121 v. Le latin médiéval est un jar-
gon parfois singulier!
2. Voir ses Exempta, éd. Crâne {Folk Lore Society), in-8% Londres, 1890,
n" XLII, LXXXII (p. 37), CXX et CXCV; éd. Frenken {Quellen und Unters.
zur lateinischen Philologie des Miltelalters, V, h. 1), in-8°, Munich, 1914,
n°" XXIII, XXV (p. 112) et LIV. On a beaucoup écrit sur Jacques de Vitry; il
suffira de renvoyei* (comme au dernier travail paru) à l'introduction de l'édition
Frenken.
3. Les sermons ad servos et ancillas sont encore inédits, Ils ne figurent pas
parmi les extraits des Sermones vulgares qu'a donnés dora Pitra dans ses
Analecta Novissima, II, in-4°, Tivoli, 1888, p. 344 et suiv. Je cite, d'après le
ms. lat. 17509 de la Bibliothèque natit)nale, fol. 133 : « Homo servus dicitur
qui servilis est conditionis; nec habet potestatem sui corporis Servi
etiam hominis sunt qui vocantur ascripticii, seu servi glèbe qui astricli solo.
SERF DE LA GLÈBE. 235
quelque livre de droit que je n'ai pu retrouver, était dépourvu de
tout lien avec la réalité présente; Jacques de Vitry ne pensait pas
aux serfs de son temps.
Tel n'est point tout à fait le cas de Guillaume le Breton. Nous
devons à ce chanoine — instruit et soucieux de le paraître — deux
ouvrages historiques écrits en latin et consacrés tous deux au règne
de Philippe- Auguste : une chronique en prose et une sorte d'épopée
en vers, la Philippide. En un passage de la chronique, on voit un
noble homme du diocèse de Saint-Pol-de-Léon apparaître après sa
mort à l'un de ses paysans ; Guillaume le Breton écrit : à un de ses
esclaves, je veux dire à un esclave de sa glèbe, « cuidam mancipio suo,
scilicet sue glèbe ^ » Ce n'est pas tout à fait l'expression que nous
cherchons, mais peu s'en faut. La Philippide, au contraire, nous
la présente sous sa forme traditionnelle. Le 3 juillet 1194, à la-sur-
prise de Fréteval, Philippe-Auguste perdit ses archives. C'est pour
notre historien une occasion de nous les dépeindre. Elles conte-
naient, si nous l'en croyons, entre autres documents précieux, « des
écrits par où l'on pouvait connaître... qui était serf de la glèbe et
qui serf de condition ^ ». Quelle différence Guillaume faisait-il entre
ces deux aspects de servage? On ne sait. Je serais tenté, pour ma part,
de ne pas prendre trop au sérieux ce qui n'était peut-être que redon-
dance de style. En tout cas voilà, à ma connaissance, le plus ancien
texte où l'on rencontre des serfs français appelés serfs de la glèbe.
Guillaume le Breton eut-il des imitateurs en son temps? Je n'ose-
rais dire non. Mais certainement son exemple fut extrêmement peu
suivi. Donner au servage médiéval le nom de servitude de la glèbe,
inventé pour le colonat romain, le xiii^ siècle ne pouvait guère tom-
ber dans une pareille erreur. Elle ne se produisit que plus tard. Com-
ment? C'est ce qui nous reste à raconter.
IV.
Le servage ne resta pas toujours pareil à lui-même. Vers la fin
du moyen âge il subit des modifications profondes. Il en fut de
même, semble-t-il, pour toutes les institutions qui composaient
le régime dit « féodal ». Malheureusement, nous connaissons très
Servi vcro originarii dicunlur qui nati sunt ex ascripticiis in ipso solo. Sunt
insuper servi qui dicuntur conducticii fainuli, sciJicel (|uos ad Icnipus condu-
cimus, et post leruiinum possunl recedere liberi. » Cf. ms. lat. 3284, fol. 174 v°.
1. Éd. H. -F. Delahorde {Société de l histoire de France), I, c. 97, p. 204.
2. Éd. H. -F. Delaborde, II, ch. iv, v. 561 et 566 : « Sed sc.ri|)la quibus pre-
iiosse dabalur qui sint vel glebo servi vcl condilioiiis. »
236 MÉLANGES ET DOCUMBWTS.
mal cette décadence de la féodalité; l'histoire n'en a jamais été
écrite. Voici, pour le servage, sans tenir compte des nuances locales,
ce que l'on peut conjecturer.
Le serf des temps anciens était, au sens plein du mot, un homme
de corps. Quoi qu'il fît, où qu'il allât, quelle que fût la terre qu'il
cultivât, il restait attaché à son seigneur par un lien indissoluble (à
moins d'affranchissement), héréditaire, presque corporel, un lien,
comme dira Guy Coquille, adhérant « à la chair et aux os' ». Il
demeurait toujours, pour certains délits, justiciable de son sei-
gneur ; il demeurait toujours soumis envers lui aux charges de son
état. En revanche, l'homme libre qui acquérait un champ des mains
d'un serf ne cessait pas pour cela d'être libre. Il y avait des per-
sonnes, ou mieux des familles serviles; il n'y avait pas de tenures
serviles.
Le servage, ainsi compris, n'apparaissait pas alors comme une
anomalie ; la -vie sociale presque tout entière était fondée sur des con-
ceptions analogues ; rien ne semblait aussi fort que les liens d'homme
à homme. Mais ce système de relations personnelles s'effrita très
vite; les idées collectives qui" le soutenaient s'effacèrent. On hésite
en pareille matière à donnner des dates; on peut dire néanmoins
que, dès le début du xiii* siècle, dans la France du Nord, la société
avait commencé à changer de face. Or, le servage ne disparut pas
avec l'ensemble des coutumes et des notions juridiques parmi les-
quelles il était né. Il survécut dans beaucoup de provinces françaises
jusqu'au xvi* siècle; dans quelques-unes jusqu'en 1789. Mais il se
transforma, peu à peu, très profondément. Désormais, la « macule »
servile s'attacha moins à l'homme qu'à la terre. Qui habitait cette
terre contaminée devenait serf; qui l'abandonnait devenait libre. Au
servage « de corps » succéda lentement le servage réel.
Le serf dont la condition avait pris cette forme nouvelle restait
bien différent du colon romain; il n'était pas, à proprement parler,
fixé au sol. En droit rien ne l'empêchait, s'il le désirait, de quitter
sa tenure. En fait, pourtant, cette liberté de mouvement avait
quelque chose de fictif : il pouvait s'en aller, mais à condition de
laisser au seigneur tous ses biens. Le départ, c'était pour lui la pau-
vreté; la redoutant, il se trouvait par une nécessité économique lié
à ses champs héréditaires aussi fortement, ou peu s'en faut, que
s'il y avait été maintenu par la plus implacable loi. Comment ne pas
songer à le comparer au colon du Bas-Empire? Tentation d'autant
plus naturelle que les juristes, nourris dans le culte de la législation
1. Les Coristinnes du pays et comté de Niveniois, ch. vui, art. VI (Œuvres,
éd. de Bordeaux, in-fol. 1703, II, p. 130).
SERF DE LA GLEBE. 237
afltique, ne demandaient qu'à y trouver des précédents à tout ce
qu'ils voyaient autour d'eux.
En Languedoc, dès le xiii^ siècle, la situation juridique des serfs
ressemblait par certains côtés à ce qu'elle devait être plus tard dans
le Nord; il y avait des tenures serviles, qu'on appelait les terres de
casalage^. Aussi fut-ce dans une ordonnance de Philippe le Bel
pour le Toulousain, rédigée certainement par des fonctionnaires ver-
sés dans le droit méridional, que l'on vit, pour la première fois, le
servage rapproché de 1' « ascriptitiat^ ».
L'exemple fut contagieux. Sous Philippe le Bel encore, en 1303,
les notaires de la chancellerie royale, appelés à rédiger une ordon-
nance applicable à tout le royaume, employèrent ascriptitiixs comme
synonyme de serf 3. Cette association verbale se répandit dans la lit-
térature juridique. Au xv* siècle. Gui Pape l'adoptait résolument''.
Elle devint un heu commun.
Consultons Guy Coquille. Ce grand juriste était Nivernais. Il
appartenait à un pays où le servage personnel, au moins dans quelques-
uns de ses traits, se maintint jusqu'aux temps modernes. Autour de
lui vivaient des serfs « de corps » et « de poursuite ». Dans sa
belle langue, savoureuse et drue, il l'a dépeinte plus d'une fois lui-
même, cette servitude « attachée aux os » « qui ne peut tomber
pour secouer 5 ». Pourtant, soumis aux théories de l'École, voici ce
1. Le servage méridional n'a guère été étudié. J'ai cherché à donner quelques
indications, forcément très vagues, dans Rois et serfs, p. 100. Dés le début du
XIII' siècle, dans le Languedoc, le serf, s'il abandonnait à son seigneur tous .ses
biens, cessait d'être serf. C'est ce que l'on appellera, mais plus tard, dans le
Nord, lorsque cette régie juridique y apparaîtra, le désaveu : voir les cou-
tumes i)romu!guées par Simon de Montfort à Pamiers le 1"' décembre 1212,
Histoire de Languedoc, nouv. éd., t. VIIF, col. 631, art. XXVH.
2. Ordonnance abolissant (ou prétendant abolir) la servitude dans la séné-
chaussée de Toulouse et Albi, avril 1290, n. st. Histoire de Languedoc, t. X,
Preuves, col. 348 : « Nos... omnes universitates et singulas personas... in qui-
bus aliquod jus habemus vel habere seu pretendere possumus ralione vel occa-
sione servitulis, que de corpore tantum vel de casalagio lantum dicitur, aut
etiam de utroque, vel rerum casalagii conjunclim vel separatim, aut adscrip-
ticiatus vel (|uasi, seu libertinitatis^-vel cujuslibet alterius genoris servitutis,
preraissorum natalibus et plene liberlati ac ingenuitati restituimus... » On
remarquera l'eflort pour assimiler le servage aux deux conditions qui, dans le
droit romain, pouvaient passer pour intermédiaires entre l'esclavage et la
pleine liberté : le colonat et le statut des affranchis.
3. Voir ci-dessous, p. 239, n. 1.
4. Voir ci-dessous, p. 239, n. 4. * *
5. Institution au droit des Fran{ois {Œuvres, éd. de Bordeaux, II) au g
intitulé : Des servitudes personnelles et des mainmortes, p. 40. Cf. ci-des-
sus, p. 236.
238 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
qu'il écrivait dans son Institution au droit des François ; « Les
servitudes qui sont en France ne sont pas semblables à celles qui
étoient en usage auprès des anciens Romains, qui faisoient trafic des
personnes serves comme d'animaux brutes;... mais bien sont sem-
blables aux servitudes ascriptices et colonaires, qui rendoient les
personnes attachées et liées aux domaines des champs pour les faire
valoir... L'origine des serfs, que nous avons en quelques provinces
de France, procède de cette usance ancienne des Romains, au temps
qu'ils seigneurioient les Gaules*. »
Le servage né du colonat et presque pareil à lui, cette doctrine
devait faire fortune dans la littérature historique. Si tant d'érudits
se sont refusés à reconnaître aux institutions serviles quoi que ce
soit de « commun avec la féodalité » , ne serait-ce pas tout d'abord
parce que l'on enseigna longtemps, comme deux axiomes, l'origine
romaine des serfs, l'origine germanique des vassaux?
Le serf paraissait semblable, ou peu s'en fallait, au colon romain,
parce que, comme lui, il paraissait attaché au sol. Or, le Code ne
disait-il pas du colon qu'il « adhérait à la glèbe » ? Belle expression.
Pourquoi les juristes, traitant du servage, eussent-ils renoncé à en
orner leur (^iscours? Ils s'en emparèrent de très bonne heure.
Au parlement de la Pentecôte 1287, Philippe le Bel, donnant satis-
faction aux plaintes des barons, avait réglé « la manière de faire et
tenir » les bourgeoisies royales. Lorsque, en 1303, il promulgua la
grande et vaine ordonnance sur la réformation du royaume, il lui
adjoignit, comme une sorte d'appendice, une réédition de ce règle-
ment. En 1287, la cour du roi avait légiféré en français. Le solen-
nel établissement de 1303 fut, au contraire, rédigé en latin. Pour
maintenir l'unité de style, il fallut donc traduire dans cette langue
savante les dix articles sur les bourgeoisies écrits jadis en langue
vulgaire. Le notaire à qui l'on confia cet exercice de thème se per-
mit une liberté. A l'article 9, il lisait cette phrase : « Ne n'est aussi
sa ententions que si sobgiet ne puissent poursuire a retraire de
bourgeoisie leur hommes de cors ou d'autre condition. » Il la ren-
dit comme il suit : « Nec est intentionis nostre quin subjecti nostri
possint requirere, aut de prefatis burgesiis extrahere homines suos
de corpore, ascripticios, seu glèbe af/îxos, aut alterius servilis
conditionis. » En français, la chancellerie royale avait parlé le lan-
1. Au § cité à la note précédente, p. 45 du t. II de l'éd. de 1703. h' Institu-
tion a paru pour la première fois en IBOf; Guy Coquille était mort en 1603.
Parmi les auteurs postérieurs, où l'assimilation se rencontre, on peut citer
Desiderius Heraldus, De rerum judicatorum auctoritate, 1. IF, ch. xvii, g X,
dans le Thesmtrus d'Otto, t. II, col. 1247.
SERF DE LA GLEBE. 239
gage des praticiens. Dans le latin au contraire, l'imitation du droit
romain se glissait. Ainsi apparurent, pour la première fois, semble-
t-il, dans un document officiel, les serfs « attachés à la glèbe ^ ».
Peu à peu cette expression entra en usage ^. Au début du
XV'' siècle, Jean Jager, avocat du roi à Château-Thierry, écrivait :
« Les serfs en Champaigne sunt servy conditionati et quodam
modo astricti glebe^. » Vers la fin du même siècle. Gui Pape,
jurisconsulte dauphinois, employait des termes analogues''. Du latin,
cette habitude de langage finit par passer en français. Le Diction-
naire de l'Académie, en 1694, la consacra. « Les hommes de main-
morte, y lit-on, sont attachez à là glèbe. » On s'accoutumait à asso-
cier dans le discours ces deux mots : serf et glèbe.
Mais ce n'était pas encore « serf de la glèbe ». L'alliance verbale,
jadis inventée par Irnerius, pénétra-t-elle en français avant le milieu
du XVIII* siècle? Je ne sais; mais en tout cas elle ne conquit
pas l'usage courant; ni les juristes comme Guy Coquille^, ni les
1. On trouvera les deux textes, français et latin, de l'article 9 de l'ordon-
nance sur les bourgeoisies dans César Chabrun, les Bourgeois du roi (thèse
droit de Paris), 1908, p. 142. Les deux rédactions de cette ordonnance (celle
de 1287 et celle de 1303) ont d'ailleurs été publiées maintes fois, notamment
dans le Recueil des Ordonnances, t. I, p. 314 et 367. La rédaction latine a été
promulguée à nouveau en 1351 (cf. Chabrun, toc. cit., p. 73), ce qui a pu con-
tribuer à populariser l'expression « glèbe affixos, ».
2. On peut noter qu'en-Angleterre Bracton, qui composa, entre 1250 et 1258,
uu coutumier célèbre, emploie déjà glebae ascripticii : Bracton, De legibus et
consuetudinibus Angliae, 1. I, c. xi, g 1, éd. Twiss (Rolls Séries), t. I, p. 52;
éd. F. W. Maitland, Select passages from the works of Bracton and Azo
{Selden Society), in-4°, Londres, 1895, p. 81 et 83.
3. Olivier Martin, Textes inédits de droit champenois (extrait des Travaux
juridiques et économiques de la Faculté de droit de l'Université de Rennes,
1913), in-8% Rennes, 1914, p. 35.
4. Decisiones Gratianopolilnnae, Qu. ccciiij, éd. de Lyon, in-8°, 1550,
fol. 183 : « Et taies homines talliabiles possunt aequiparari hominibus adscrip-
tis glebae seu oneri talliarum solvendarum sicut ascriptitii se adstringunt. »
Et plus haut on trouve cité le titre du Gode Justinien relatif aux colons. Il est
vrai que Gui Pape parle des laillables; mais ce mot semble bien, pour lui,
synonyme de serf. M. Esrnein a cité ce passage des Decisiones dans son Cours
élémentaire d'histoire du droit français, 11° éd., p. 272, n. 4. — Au moment
de corriger les épreuves, je relève encore l'expression astriclos glèbe dans une
plaidoirie du 14 juin 1434 publiée par A. Thomas, le Comté de la Marche et
le Parlement de Poitiers [Bibl. École Hautes-Études, fasc. 174), p. 237,
n* CCLXXIX, c. 3; cf. Ibid., la réplique du même avocat, p. 239, c. 15.
5. Voir, dans les Œuvres, éd. de Bordeaux, les Coustumes du pays et comté
de Nivernois, ch. viii (p. 127) et ix (p. 142); V Instilulion au droit des Fran-
çois, p. 45 et suiv.; les Questions, réponses et méditations sur les articles
des coustumes, p. 310 et suiv.
240 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
érudits comme Etienne Pasquier\ ni les feudistes comme Brussel,
ou comme ce Dunod qui écrivit en 1733, « froidement et indiffé-
remment^ », un Traité de la mainmorte justement célèbre, ni
Ragueau ou Laurière dans leurs Glossaires du droit français^, ni le
Dictionnaire de l'Académie ou celui de Furetière ne paraissent la
connaître'*. Il semble bien qu'elle ait végété obscurément dans les
vieux livres des glossateurs ou des canonistes, jusqu'au jour où,
par on ne sait quel hasard, un écrivain de génie, qui avait beau-
coup pratiqué cette littérature, l'en tira et fit sa fortune. Ce fut
Montesquieu.
On rencontre dans VEsprit des lois, paru en 1748, deux fois
servitude de la glèbe ^, une fois esclavage de la glèbe ^ ; les trois fois
il s'agit du colonat plutôt que du servage. Mais, placée dans un
ouvrage si souvent lu, commenté, discuté, l'expression était, si je
puis dire, lancée. Faisant image, propre en même temps, par l'em-
ploi de ce mot glèbe, un peu rare et pompeux, à flatter le goût clas-
sique, elle ne pouvait manquer de plaire. Très vite des écrivains
moins exacts que Montesquieu l'appliquèrent aux conditions juri-
diques de l'heure présente. Dès 1762, le Dictionnaire de l'Académie,
refondant complètement l'article Glèbe des anciennes éditions,
découvre « en quelques provinces du royaume » des « serfs de la
glèbe '^ ». Sans doute, les techniciens n'aiment guère ce terme nou-
veau, plus poétique que juste; les jurisconsultes Claude Serres^,
Fréminville^, Pothier^', l'ignorent ou veulent l'ignorer. Mais les phi-
1. Les Recherches de la France, 1. IV, ch. v, où il est longuement question
des serfs fonciers et ascriptices (p. 437 de l'éd. de 1617, Paris, 111-4").
2. Voltaire, Coutume de Franche-Comté : sur' l'esclavage imposé à des
citoyens par une vieille coutume, éd. Garnier, t. XXVIH, p. 373.
3. François Ragueau, Indice des droicts roiaux et seigneuriaux ; la pre-
mière édition est de 1583; je n'ai pu voir que la troisième (in-4°, Paris; 1609).
En 1704, E. de Laurière donna, sous le titre de Glossaire du droit français,
une réédition du vieil ouvrage de Ragueau; le Glossaire de Laurière a été
-réimprimé en 1882 par L. Favre, in-4°, Niort.
4. En revanche, l'oratorien Jérôme Vignier, qui avait lu les canonistes, la
connaissait bien et crut faire merveille en introduisant dans le faux testament
de l'évêque saint Perpétue une servitus glebatica qui, de là, a passé dans Du
Cange. Cf. Julien Havet, les Découvertes de Jérôme Vignier {Œuvres, I), p. 31.
5. XXX, 5 et 10.
6. XIII, 3.
7. 4° édition, de 1762.
8. Les Institutions du droit fra7içois suivant l'ordre de celles de Justinien,
in-4°, Paris, 1753, p. 12 (sur le servage).
9. Les Vrais principes des fiefs, t. Il, in-4% Paris, 1769, p. 20 (au mot
Mainmorte).
10. Voir son Traité des personnes et des choses, t. I, i, sect. IV, où l'omis-
SERF DE LA GLEBE. 241
losophes l'accueillent volontiers ; il parle à l'esprit; il semble qu'en le
prononçant on voit le paysan esclave du sol ; il porte en lui je ne sais
quelle force d'indignation. Voltaire' et V Encyclopédie^ en font
usage. En 1789, plusieurs cahiers réclament, comme dit le Tiers à Bel-
fort, « que la servitude de la glèbe... soit abolie dans tout le
royaume^ ». La Révolution donna satisfaction à ce vœu. La servi-
tude de la glèbe ne survécut plus que dans le langage des histo-
riens, où elle s'ancra solidement.
V.
Résumons rapidement les résultats de notre recherche.
Vers la fin du xi* siècle, à Bologne, un professeur de droit, Irne-
rius, mêlant dans sa tête divers passages du Code Justinien, écrit
dans une glose glèbe serons; il désigne ainsi le colon, Vascriptice
des textes romains. Son autorité est grande; après lui romanistes et
canonistes recueillent l'expression qu'il avait créée; ils l'emploient
dans le même sens qup lui. A l'exception d'un littérateur sans pré-
tentions juridiques, personne au moyen âge, semble-t-il, presque
personne en tout cas ne songe à l'appliquer aux conditions sociales
du présent.
Mais, peu à peu, dès le xiv* siècle, le servage change de caractère.
On aime à le rapprocher du colonat romain; et, désormais, il se
prête à ce rapprochement. Or, le Codé Ju^inien appelle le colon :
« esclave (ou « serf ») de la terre ». Va-t-on nommer ainsi le serf
français? Non; car le mot terre est commun; il ne frappe pas
l'imagination. Nul ne pense à exhumer des vieux textes cette asso-
ciation verbale sans éclat. Mais, s'emparant d'un autre passage du
Code, on dit volontiers, pendant les derniers siècles du moyen âge
et plus tard encore, que le serf est « attaché à la glèbe » ; car glèbe
est un beau mot qui appartient au style noble et flatte les délicats.
sion de Fexpression serf de la glèbe est d'autant i)ius frappante que Polhier
disserte des « serfs d'héritage ».
1. Dictionnaire philosophique, au mot Esclaves, éd. Garnier, t. XVIII,
p. 603, 604; Commentaire sur l'Esprit des lois, t. XXX, p. 445; Au Roi en
son Conseil pour les sujets du roi qui réclament la liberté en France,
t. XXVIII, p. 354, n. 1.
2. Article Serf (au t. XV, paru en 1765).
3. Archives parlementaires, t. II, p. 316, art. 29; cf. Ibid., t. III, p. 540,
art. 16; p. 543, art. 17; p. 662, ch. i, art. 7; t. V, p. 357, Sec. Section, art. 18;
et le Cahier du Tiers de Paris hors les murs, dans Ch.-L. Chassin, les Élec-
tions et les cahiers de Paris en 1789 [Collection de doc. relatifs à l'histoire
de Paris pendant la Révolution française), t. IV, section II, art. XV, p. 434.
Rev. Histor. CXXXVL 2" fasc. 16
242 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
En 1748, probablement sans y faire beaucoup attention, au hasard
d'un souvenir de lecture, Montesquieu écrit : « Servitude de la
glèbe. » On le lit. La vieille alliance de mots, inventée jadis par
Irnerius, conquiert les esprits. Elle a quelque chose à la fois de con-
cret et de rare, de pittoresque et de distingué. Elle émeut; les enne-
mis du servage l'adoptent. Elle prend vite droit de cité. Serf de la
glèbe devient dans l'usage courant — et sans que l'on distingue
les époques — le synonyme éloquent de ce mot trop court : serf.
Ainsi les historiens du xix" siècle ont désigné souvent les serfs
médiévaux par un terme qui, au moyen âge, dans ce sens, était
inconnu. Inofîensive négligence, dira-t-on peut-être. Que non pas!
Les mots ont une force singulière. Chacun d'eux traîne après soi un
cortège d'idées ou d'images qu'il impose à l'esprit. Appliquer au ser-
vage une expression forgée pour le colonat, c'était se condamner à
l'erreur. Colonat et servage — j'entends le servage pendant l'époque
classique de la féodalité — on imaginerait difficilement deux insti-
tutions plus profondément différentes : l'une créée par un empire
absolu, afin de satisfaire la plus impitoyable Qscahté, et morte avec
l'Etat qui s'était cru assez fort pour fixer l'homme au sol; l'autre,
née dans la dissolution même de tout Etat, au sein d'une société oii
presque plus rien ne comptait que les liens de dépendance les plus
strictement personnels. N'appelons pas serfs de la glèbe ceux que
le peuplé, au moyen âge, avait admirablement nommés hommes
de corps. •
Marc Bloch.
BULLETIN HISTORIQUE
HISTOIRE DE FRANCE
DE 1800 A NOS JOURS
ET QUESTIONS GENERALES CONTEMPORAINES.
I. 1800-1848. — Il y a beaucoup de choses dans l'intéressant
volume de M. Frédéric Masson sur Madame Bonaparte^. D'abord
la collection, jusqu'ici dispersée en divers recueils, et demeurée très
incomplète malgré ses recherches, des lettres* de Bonaparte à José-
phine pendant la campagne d'Italie. Puis des chapitres anecdotiques
écrits surtout d'après des mémorialistes, que M. Masson cite par-
fois, même longuement, sans toujours donner leurs noms, et à la
suite desquels, trop souvent, il procède par simples allusions à des
faits, supposés connus, de la biographie de Joséphine ou de Bona-
parte. Des chapitres descriptifs aussi, souvent curieux, rédigés sur
des documents de justice ou de comptabilité .(il y a même l'inven-
taire complet des bijoux, dentelles, étoffes précieuses, etc., contenus
dans les armoires de l'Impératrice au début de l'Empire). Des récits
de la vie à la Malmaison (sans doute faut-il lire à Malmaison,
comme M. Masson, qui fait même ce nom mascuHn), et à Saint-
Cloud, et aux Tuileries. Ce sont les chapitres les plus complets, les
plus neufs, ceux qui se suivent, se tiennent le mieux. Ils sont
agréables à lire, ils seront utiles. Enfin, on trouve dispersés un peu
par tout le livre, pour lier les documents très divers dont il est fait,
et remplir parfois les vides, des développements plus généraux, tou-
chant à l'ensemble de l'histoire du Consulat ou de la Révolution,
non' sans allusions précises, directes, au temps présent. On rencontre
là, parfois, des affirmations tranchantes qui arrêtent l'esprit,
inquiètent un peu sur la méthode, sur le soin pris dans le reste du
livre de vérifier les témoignages. Peut-on dire vraiment (p. 285) :
« Pendant la Révolution la femme n'avait eu que le droit de mourir,
et c'était le seul qu'on lui reconnût », ajouter même que « la Révo-
lution a été faite par des hommes au profit des hommes et contre les
1. Frédéric Masson, Madame Bonaparte (llBG-lHO'i). Paris, Ollendorfl, 1920,
in-8% 399 p.; prix : 9 fr.
244 BULLETIN HISTORIQUE.
femmes »? Si Ton pense, non à telle ou telle anecdote, mais aux
lois, aux institutions et aux mœurs qui s'ensuivirent ; si l'on com-
pare, d'après les études de Douarche ou de M. Sagnac, par exemple,
la condition faite aux femmes, dans la vie de tous les jours, par les
lois de la Constituante ou de la Convention et par celles de l'Ancien
régime ou même du Code civil, l'affirmation si générale de M. Mas-
son reste-t-elle vraie? Quand on le voit ailleurs, pour illustrer le
caractère (selon lui) populaire et national de la Constitution de
l'an VIII, affirmer vigoureusement que depuis 1789 aucune autre,
sauf celle de 1793, ne fut soumise à la ratification des citoyens, ni
celle de 1791, ni celle de l'an III (p. 205), n'a-t-on pas le droit
d'être en défiance contre d'autres affirmations aussi nettes, mais
moins vérifiables? Car enfin les résumés des procès- verbaux des
assemblées primaires de l'an III et le rapport d'ensemble à la Con-
vention sur l'acceptation de la Constitution sont tout entiers dans le
Moniteur. M. Masson a toujours affecté de mépriser la règle de
donner ses preuves. Elle a du bon cependant : si elle met parfois des
lisières à l'auteur, elle l'empêche aussi de s'égarer.
On sait depuis longtemps, d'après Louis de Loraénie et Mérimée,
que le témoignage de Charles Nodier ne vaut pas grand'chose pour
l'historien. Sainte-Beuve a écrit qu'il avait « le don de l'inexacti-
tude ».- M. Léonce Pingaud', qui connaît à merveille le pays' et le
milieu comtois où Nodier passa toute sa jeunesse, a éclairci, par un
ouvrage agréable à lire et solidement documenté, ce qui restait
d'obscur dans la biographie du personnage. Nodier n'en sort pas
glorifié : nous le voyons, jacobin et clubiste en 1793, prononcer des
discours révolutionnaires à l'âge où d'autres jouent aux billes, puis
élève de l'École centrale du Doubs et se découvrant une vocation
d'entomologiste, ensuite bibliothécaire (assez négligent), versifica-
teur, romancier, journaliste officieux à Besançon sous le Consulat,
emprisonné un moment pour son poème la. Napoléone, et libéré sur
le vu d'une palinodie écrite aussitôt sans scrupule. Il devient alors
secrétaire d'un baronnet anglais, rédacteur d'un journal français à
Laybach en Illyrie sous la direction de Fouché, puis collaborateur
au Journal de VEmpire, où il reste après 1814 quand la feuille a
repris son nom de Journal des Débats. Il mériterait une bonne
place au Dictionnaire des Girouettes. On admettrait à la rigueur
que, rallié à la Restauration, il eût, comme tant d'autres, coloré son
passé et transformé des imprudences ou des fantaisies de jeune
1. Léonce Pingaud, la Jeunesse de Charles Nodier. Les Philadelphes. Paris,
Champion, 1919, in-8», 280 p.; prix : 8 fr. 25.
eiSTOIBE DE FRANCE. 245
homme en témoignages de fidélité persistante aux Bourbons. Mais
il invente vraiment à l'excès, et il sollicite outre mesure. M. Pin-
gaud publie de lui des lettres pour demander des décorations, un
titre nobiliaire ou même de l'argent, qui ne font pas plaisir à lire.
Et, naturellement, ce royalisme fervent n'a pas résisté à la Révolu-
tion de 1830. M. Pingaud, qui est fort indulgent, nous fait voir que
Nodier n'a jamais eu la notion de l'exactitude historique, qu'il a
même déclaré parfois : « la vérRé est inutile » ; soit, mais il savait
aussi que la contre-vérité est profitable. La plus curieuse, histori-
quement parlant, des inventions de Nodier est celle des Phila-
delphes, cette société secrète militaire qui aurait, sous lEmpire,
pénétré toute l'armée franraise et préparé la chute de Napoléon.
M. Pingaud la ramène à ses vraies proportions : Nodier, jeune
homme, s'est amusé au jeu romantique des conspirations ; sa Phi-
ladelphie de l'an VI ne fut qu'une société de bons vivants qui
aimaient le vin et les filles. Plus tard, il a voulu se servir pour son
avancement du groupement qu'il avait fondé : en l'an VIII, il veut
pousser les Philadelphes au bonapartisme; après 1815, il fera d'eux,
en paroles, comme une société d'émigrés à l'intérieur. M. Pingaud,
qu'il faut remercier de nous avoir donné cet excellent travail,
applique à Nodier le mot de Fisher sur l'historien Fronde : consti-
tutionally inacuri-ate, mais il traduit « impressionniste de nais-
sance » ; c'est peut-être bénin à l'excès.
Les Aventures de guerre civile de M. l'abbé^ Le Falher^
forment le second tome d'une série de « monographies chouannes »
entreprise en 1911. Elles n'intéressent que l'histoire locale, et même
la chronique anecdotique le plus souvent. L'auteur sait découvrir
les documents et les utiliser; ses commentaires ne manquent ni de
sens, ni de verve, mais on y voudrait plus de correction grammati-
cale parfois, de simplicité souvent, de brièveté toujours. La meil-
leure étude est intitulée : le Clergé vannetais sous l'Empire.
M. Le Falher pourrait sans doute nous donner un ouvrage utile sur
l'histoire religieuse du Morbihan de 1802 à 1815 et même au delà.
Il semble qualifié pour l'écrire.
On sait avec quel empressement, après la paix d'Amiens, les tou-
ristes anglais reprirent le chemin de la France et de l'Italie. L'un
deux, le comte Mount-Cassel, pair d'Irlande, avait amené avec sa
famille une jeune fille, Catherine Wilmot, qui écrivit de nombreuses
lettres pendant le voyage, poussé jusqu'à Naplcs et Vienne, avec
l. J. Le Falher, Monographies chouannes, 2° série. — Areiitnres de guerre
civile. Paris, Champion, 1919, in-12, 205 p.; prix : 4 fr. 95.
246 BULLETIN HISTORIQUE.
retour par Berlin. M. Sadleir a publié avec beaucoup de soin cette
correspondance, d'un intérêt limité en elle-même, mais assez carac-
téristique de l'ignorance à peu près complète où la société anglaise,
même instruite, se trouvait à cette époque des hommes et des choses
du continent^.
Les études d'histoire économique prennent, à la lumière des évé-
nements actuels, un intérêt tout particulier. Un historien américain,
M. Fr. Edg. Melvin^, avait commencé avant 1914 un travail sur
le régime des licences et la contrebande au temps du système conti-
nental. Il a été conduit par le développement de ses recherches, mais
aussi par le spectacle du présent, à rechercher quelle était la valeur
d'un pareil système comme instrument de guerre, et aussi quelle
influence le système pouvait avoir eu sur la chute du premier
Empire. Son enquête a été poursuivie à Londres, à Paris et à
Washington avec beaucoup d'activité, de soin et de méthode, et on
peut considérer sa thèse sur le Système de navigation de Napo-
léon comme l'ouvrage le plus complet et le mieux documenté que
nous possédions actuellement sur ce sujet. Ce n'est peut-être pas,
autant que M. Melvin l'imagine, une révélation pour le lecteur fran-
çais d'apprendre que le système de navigation de Napoléon était, hon
seulement une arme de guerre, mais « un programme vraiment
intégral pour la reconstruction économique de la France et du con-
tinent ». Mais on n'avait pas encore eu sous les yeux l'évolution
complète du système ; on n'avait pas connu surtout avec précision
les pourparlers engagés avec l'Amérique, même (en 1810) avec l'An-
gleterre, pour un modus vivendi commercial. L'auteur estime
n'avoir pas les moyens de conclure avec netteté sur les possibilités
stratégiques d'un blocus continental, ni sur le rôle du blocus dans
la chute de Napoléon (il ne croit pas ce rôle primordial) ; il pense,
sans l'affirmer pleinement, que si le système a finalement échoué
ce n'est pas par la faute de son principe même, ni des dérogations
qu'il subit (l'emploi des licences fut un essai prémédité, non un
expédient de circonstance), mais plutôt parce que Napoléon n'a pas
su — ou pas pu — attendre davantage, au moment où il semblait
le plus près de réussir. Sur ce dernier point, M. Melvin est d'accord
avec M. J. H. Rose; on ne sait (et le lecteur français le regrette) s'il
»
1. An Irish peer on the Continent (1801-1803)... as related by Catherine
Wilmot, edited by Thomas V. Sadleir. London, Williams et Norgate, 1920,
in-8°, 227 p. (portraits) ; prix : 10 sh. 6 d.
2. Frank Edgar Melvin, Napoleon's Navigation System; a study of trade
control during the continental blockade. University of Pennsylvania, 1919,
in-8», 449 p.
HISTOIRE DE FBANCE. 247
partage aussi son opinion sur la mauvaise foi dont Napoléon aurait
fait preuve, dans le préambule du décret de Milan, à l'égard des
ordres en conseil britannique de 1807 et de la politique navale de
l'Angleterre envers les neutres.
Les publications sur l'histoire militaire du début du xix^ siècle se
font plus rares. Nous n'avons à signaler cette fois qu'une étude
minutieuse, agréablement écrite, un peu disproportionnée avec l'im-
portance du sujet, de M. Hennet de Goutel sur le Général Cas-
san et la défense de Pampelune en 1813^. Nous avons reçu éga-
lement le tirage à part d'un intéressant article de M. A. Despréaux
sur le siège de Constantine en 18372.
L'attention semble se porter davantage sur l'histoire de l'opinion
et sur les questions sociales. M. P. Viard, continuant ses études
sur l'esprit public dans le département de la Côte-d'Or, a publié
sur la première Restauration dans ce département un agréable
article dont il nous a adressé te tirage à part^. M. Cuvillier-* a
consacré un petit volume, soigneusement étudié et solidement cons-
truit, au journal l'Atelier, publié de 1840 à 1850 par des ouvriers
de Paris, adeptes des doctrines de Bûchez, c'est-à-dire à la fois
saint-simoniens, démocrates, catholiques et patriotes. Malgré son
faible tirage (1,500 exemplaires au maximum), l'^fe^ier paraît avoir
eu une influence très sensible sur les ouvriers, notamment les typo-
graphes, et il est permis de penser que les effets de sa propagande
se font peut-être encore sentir, notamment dans les groupements
coopératifs et parmi les démocrates catholiques français et belges.
M. Alexandre Zévaès, après avoir joué un rôle au Parlement et
au Palais comme « militant » du socialisme, semble vouloir consa-
crer son activité, qui est grande, à des travaux historiques. Il a
dirigé la publication d'une Histoire des partis socialistes en
France, et il vient de faire paraître un volume sut Auguste Blan-
qui, patriote et socialiste français^. C'est un ouvrage assez
hâtivement composé, semble-t-il, à la fois biographie de « l'En-
1. Baron Hennel de Goutel, le Général Cnssanct la défense de Pampelune
('35 juin-31 octobre IHto). Paris, Perrin, 1920, in-16, 300 p.; prix : 5 fr. Cf.
Revue historique, l. CXXXV, p. 301.
2. k. Despréaux, Siège de Constantine et mort du colonel Combe. Paris,
Pion, li)20, in-8°, 23 p.
3. Paul Viard, la Côte-d'Or pendant la Restauration. II : l'Esprit public
pendant la première Restauration. Dijon, irnpr. Darantière, 1919, in-S", 20 p.
4. A. Cuvillier, Un journal d'ouvriers, u l'Atelier» (l8'iO-lS50). Paris, Félix
Alcan, 1914, [paru en 1919,] in-16, 302 p.; prix : 3 fr. 50 (plus majoration).
5. Alexandre Zévaès, Auguste B la nqui, patriote et socialiste français. PSiTis,
Marcel Rivière, 1920, in-ie, 252 p.; prix : 5 fr.
248 BULLETIN HISTORIQUE.
fermé », exposé de ses doctrines et histoire de son parti, où l'auteur
fait preuve, à l'occasion, de qualités critiques (au sujet notamment
du document Taschereau et de la polémique Blanqui-Barbès) , mais
qui n'est pas exempt d'une certaine tendance à l'apologie. On y trou-
vera beaucoup de textes utiles, encadrés dans un récit vivant et qui
se lit sans peine.
M, Ernest Seillière, continuant la série de ses études sur le
rousseauisme et ses conséquences, étudie dans un nouvel ouvrage
les Origines romanesques de la, morale et de la politique
romantiques*. Tenant pour démontrée, par ses précédentes
études, l'influence prépondérante de Rousseau sur cette morale et
cette politique, il cherche à qui Rousseau lui-même a pris son mys-
ticisme démocratique. Par une suite d'analyses et de rapprochements
très frappants et toujours pleins d'intérêt, sinon d'une rigueur
démonstrative que ce genre d'études ne peut guère atteindre, il
retrouve une filiation spirituelle directe entre la conception platoni-
cienne de l'amour et l'érotisme romanesque de VAstrée, par l'inter-
médiaire des romans courtois comme Lancelot et Jehan de Sain-
tré. Dans la pastorale, forme « démocratisée » du romanesque
platonicien, Rousseau, grand Hseur de romans, aurait puisé, notam-
ment la doctrine de la bonté naturelle : s'il a légiféré en morale et
en politique, c'est pour une société non pas réelle, mais « roma-
nesque d'origine et mystique de constitution ». Sans être toujours,
avouons-le, pleinement convaincu par les raisonnements de l'auteur,
on ne peut que ifendre un hommage mérité à son érudition très
étendue et à l'ingéniosité de sa dialectique.
MM. A. Mathiez et Léon Cahen^ ont fait paraître une seconde
édition de leur excellent petit recueil des Lois françaises de 1815
à nos jours. Revue, corrigée et mise au point, elle sera fort utile
et très bien accueillie.
On relira avec intérêt, sous la forme commode où elle a été réim-
primée, l'intéressante et précise introduction que M. J. A. R!* Mar-
riott^ a écrite pour son édition, déjà signalée à cette place, de l'Or-
1. Ernest Seillière, les Origines romanesques de la morale et de la poli-
tique romantiques. Paris, la « Renaissance du livre », [1920,] in-16, 176 p.;
prix : 3 fr. 75.
2. A. Malhiez et L. Cahen, les Lois françaises de 1815 à nos jours. Recueil
de documents avec notices explicatives. Paris, Félix Alcan, 1919, in-16, 375 p.;
prix : 6 fr.
3. J. A. R. Marriott, The Right to Work, an essay introductory to the Eco-
nomic history of the french Révolution of 18i8. Oxford, Clarendon Press,
1919, in-16, xcvn p.; prix : 1 ^. 6 d.
HISTOIRE DE FRANCE. 249 '
ganisation du travail de Louis Blanc et de l'Histoire des
ateliers nationaux d'Emile Thomas.
La Correspondance de Thiers, conservée à la Bibliothèque natio-
nale, et depuis quelque temps accessible au public, comprend vingt-
quatre volumes in-folio. Ceux qui les ont feuilletés savent que lout^
y est intéressant et que beaucoup de pièces sont capitales pour l'his-
toire. Ce recueil doit être publié : il le sera sans doute, dès que l'édi-
tion des ouvrages sérieux redeviendra possible à des prix non pro-
hibitifs. M. Daniel Halévy^ en a extrait ce qui lui a paru curieux
ou piquant, mais il a mêlé cela avec un commentaire continu qui
ressemble à une biographie et avec d'autres textes, de Thiers ou de
différents auteurs, même non inédits, imprimés dans le même carac-
tère. Le tout, intitulé le Courrier de M. Thiers, fait un ouvrage
hybride, naturellement intéressant, à cause des pièces reproduites
et aussi des recherches de l'auteur, qui sont étendues et sérieuses,
mais infiniment moins utile et moins commode qu'une édition des
lettres. D'autant que le principe du choix et des coupures reste
inconnu, que nombre de pièces ne sont pas datées (il y a du reste
des erreurs de classement dans les volumes de la Bibliothèque natio-
nale), et que la table alphabétique, indispensable dans un recueil
semblable, manque. L'auteur semble avoir aperçu qu'il s'était
trompé. Et il a fait, comme au théâtre, une « annonce » en tête du
volume. Souhaitons qu'il nous donne bientôt une vraie édition des
lettres de Thiers. C'est une œuvre longue et modeste, mais durable.
M. Pierre Quentin-Bauchart, tué glorieusement à la bataille de
la Somme, avait préludé, par la publication de deux volumes sur
Lamartine, homme politique, à la série de travaux qu'il comptait
donner sur la seconde République française. Il a laissé, complètement
achevé, un livre sur la Crise sociale de iS'iS'^, qui étudie les ori-
gines de la Révolution et son histoire jusqu'à la Journée du 16 avril,
et que sa famille a eu grande raison de publier. La documentation en
est étendue et solide, et l'esprit remarquablement objectif. On notera
spécialement, à ce point de vue, le chapitre m (réaction contre les
excès du régime individualiste) et le chapitre xi (la commission du
Luxembourg), où la personne et l'œuvre de Louis Blanc sont pré-
sentées et appréciées dans des termes auxquels il parait difficile à
tout esprit impartial de ne pas souscrire. Rien ne saurait, autant
1. Daniel Halévy, le Courrier de M. Thiers, d'après les documents conser-
vés au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Paris,
Payot, 1921, in-8°, 512 p.; prix : 20 fr.
2. Pierre Quentin-Bauchart, la Crise sociale de ISkS. Les orif)ines et la
révolution de février. Paris, Hachette, s. d., [1!)20,J in-8% xiii-327 p.
250 BDLLETIN HISÏOBIQDE.
que cette œuvre interrompue, faire regretter la fin prématurée de
l'auteur à qui elle est due^
II. 1848-1914. — On lira avec un vif intérêt le récit des années
de jeunesse d'Emile OlHvier, écrit par sa fille d'après son journal
et sa correspondance 2. II met parfaitement en lumière cette nature
essentiellement romantique, cette âme sentimentale et religieuse,
portée à l'exaltation et au découragement et usant sa force contre
elle-même. Peu d'épreuves ont été épargnées à Emile Ollivier dans
ses jeunes années. Il a connu la pauvreté, la maladie, de cruels
drames de famille et une peine d'amour inguérissable, et ^'en a été
ni révolté, ni aigri. Il n'y a peut-être là qu'une explication partielle,
sinon une justification, des erreurs du politique. On y trouve, à
coup sûr, des motifs d'estime pour le caractère de l'homme, jugé
parfois avec quelque excès de sévérité.
La biographie de Gambetta, par M. Paul Deschanel^, fait
moins de place à l'étude psychologique. C'est surtout le patriote et
le fondateur de la République que l'ancien Président a voulu nous
présenter, sans négliger toutefois les détails personnels propres à
expliquer la formation et l'évolution de son esprit. L'étude est faite
avec beaucoup de clairvoyance et de justesse, parfois avec une légère
tendance au plaidoyer, fort explicable du reste de la part de l'auteur.
Gambetta n'est pas exempt de contradictions : on l'a parfois soup-
çonné de calcul politique ou de versatilité; est-ce toujours tout à fait
à tort? Chez un homme de cette origine et de ce tempérament —
sans rien dire du milieu — il y a, patriotisme à part, bien des degrés
entre la sincérité rigoureuse et le machiavélisme conscient... Mais
M. Degchanel a eu raison de défendre l'œuvre de Gambetta au gou-
vernement de la Défense nationale et les mérites de son esprit de
concihation, de combinazione, comme il dit fort bien, dans des
circonstances comme la discussion de la constitution de 1875 ou le
vote de l'amnistie. Il marque aussi, mais avec bien de la discrétion,
l'insuffisance de son programme social, et ses illusions singulières
sur la possibilité d'apprivoiser, de séduire peut-être le « monstre de
Varzin ». Mais quoi? Gambetta est mort à quarante-trois ans, et
quel est, dans les pays parlementaires, depuis la disparition des
1. Signalons également un tirage à part de la Révolution de 18i8 contenant
des extraits, publiés par M. Gossey, des Souvenirs d'un médecin-major, le
D' Ladoire, sur Saintes en 1848 et sur les guerres du second Empire.
2. Marie-Thérèse Ollivier, Emile Ollivier, sa jeunesse, d'après son journal
et sa correspondance. Paris, Garnier, 1919, in-16, 311 p.
3. Paul Deschanel, Gambetta. Paris, Hachette, 1919, in-8% 302 p. (illustré.
Collection des Figures du passé).
niSTOIEE DE FRANCE.
251
bourgs pourris, l'homme d'État qui n'a plus rien à apprendre à
cet âge?
Continuant la série de ses études sur la France et l'Allemagne
après le Congrès de Berlin, M. Ernest Daudet^ consacre à l'am-
bassade du baron de Courcel, successeur au Pariser Platz du comte
de Saint- Vallier, un nouveau volume, composé suivant la même
méthode, sans aucune indication de sources ni critique des témoi-
gnages, et qui appelle, par conséquent, les mêmes réserves.
M. Bertrand Bareilles^ publie d'après l'original, qu'un « simple
hasard », dit-il, lui a permis de transcrire, un rapport secret adressé
en 1879 à la Sublime-Porte par Carathéodory Pacha, premier plé-
nipotentiaire ottoman au Congrès de Berlin. Ce document ne con-
tient pas de révélations sur un sujet déjà connu dans son ensemble,
mais il a l'avantage de nous renseigner sur l'état d'esprit du gouver-
nement turc et aussi sur celui — sensiblement différent — des
diplomates qui le représentaient au Congrès. M. Bareilles accom-
pagne cette publication d'une copieuse introduction sur la diplomatie
turco-phanariote et sur le Congrès lui-même, où il y a beaucoup de
détails et d'aperçus intéressants et des traces d'une connaissance
personnelle et directe de la Turquie. L'intérêt actuel de ce travail
résulte de ce que, comme le dit l'auteur, « c'est à Berlin qu'a été
forgé le premier anneau de la chaîne des ambitions germaniques
qui, de proche en proche, allait enserrer [sic) l'Orienta la fortune
de l'Allemagne ». Le défaut de prévoyance et de perspicacité des
diplomates de l'Europe occidentale, français et anglais, spécialement
dans l'affaire de Bosnie-Herzégovine, parait évident aujourd'hui. A
vrai dire, l'Angleterre, depuis 1840, na longtemps eu en Turquie
qu'une politique négative, et quant à la France, après 1870, on est
tenté de se demander si elle en a jamais eu une à proprement parler.
C'est un peu la question que pose, sous une forme plus générale,
M. Christan Schefer', en nous donnant, sur l'histoire extérieure
de la troisième République, un résumé des faits connus, complété
par des hypothèses prudentes sur les points où des lacunes existent
dans notre information (il ne parait pas avoir connu en temps utile
1. Ernest Daudet, la Mission du baron de Courcel. Paris, Pion, s. d., [1919,]
in-16, 285 p.; i>rix : 5 Ir.
2. Bertrand Bareilles, le Rapport secret sur le Congrès de Berlin adressé à
la Sublime- Porte par Carathéodory Pacha. Paris, Bossard, 1019, in-16, 196 p.;
prix : 3 fr. 90.
3. Christian Schet'er, D'une rjuerre à l'autre; essai sur la politique exté-
rieure de la troisième République (lSll-1'JW. Paris, Félix Alcan, 1920,
in-8», xi-361 p.; prix : 12 fr.
252 BULLETIN HISTOaiQDE.
les publications entreprises depuis la guerre en Russie, en Autriche
et en Allemagne). Sort exposé, attentif, méthodique, suffisamment
complet, rendra service aux étudiants ; on le souhaiterait par
moments plus vivant, et les figures des principaux acteurs de notre
politique (M. Delcassé par exemple) gagneraient à être placées dans
une plus vive lumière. Mais la conclusion, favorable en somme à la
politique suivie par les gouvernements républicains, est bien pré-
sentée et paraîtra juste aux lecteurs dépourvus de préjugés de doc-
trine ou de parti.
Il y a plus d'animation et moins de sérénité dans Tétude sur les
événements diplomatiques de 1912-1914 écrite par M. Jacques Bar-
doux sous le titre : la Marche à la guerre^. L'auteur avait, dès
longtemps, insisté sur le danger d'une grande conflagration où l'im-
périalisme économique et politique de l'Allemagne conduisait sûre-
ment le monde. Il avait reproché, assez vivement, aux radicaux
anglais et aux socialistes français leur aveuglement et leurs impru-
dences. Dénoncé pour cela comme alarmiste et beUiciste, il dénonce
à son tour, après l'événement, ceux qui ne l'ont pas vu venir, et son
récit, bien qu'écrit en grande partie avant les hostilités, est tout
pénétré de polémique, au sens propre du mot. On y trouve souvent
le ton, la disposition, les titres et sous-titres, le langage de l'article
de journal « sensationnel ». L'émotion de la lutte s'y ajoute : l'ou-
vrage est dédié par l'auteur à la mémoire de ses parents, amis et
camarades tués en combattant. Il se termine par une péroraison
touchante (malgré une pointe de rhétorique) oii M. Bardoux remer-
cie l'Allemagne impérialiste de lui avoir fait connaître l'Epopée.
Bien qu'on retrouve ici la même information étendue et précise, la
même pénétration, le même talent d'exposition que dans les précé-
dents volumes, on est tenté de les préférer au dernier venu, qui, à
vouloir être plus oratoire, paraît quelquefois moins persuasif.
M. Gérard 2 fut ambassadeur de France au Japon de 1907 à fin
1913. Il expose dans un copieux volume, non seulement l'historique
de sa mission, mais l'évolution de la politique japonaise et les
alliances conclues par l'empire du Soleil levant pendant cette
période, ainsi que les principaux événements provoqués en Extrême-
Orient par la guerre de 1914-1918. L'intérêt de cet ouvrage est peut-
être moins dans le détail des faits diplomatiques, qui pourraient
1. Jacques Bardoux, la Marche à la guerre. Deux devoirs, deux tranchées.
Paris, Félix Alcan, 1920, in-8% 347 p.; prix : 15 fr.
2. A. Gérard, Ma mission au Japon (1907-191i). Paris, Pion, 1919, in-8%
412 p.; prix : 12 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 253
parfois êlre abrégés, que dans les indications fournies par l'auteur,
témoin exceptionnel sur l'histoire politique intérieure du Japon, sur
la personne et le caractère de ses hommes d'Etat, sur l'esprit public
dans le pays, et enfin sur le sens général de la politique Japonaise
envers l'Europe. A la suite de Lefcadio Hearn et de Kakuzo Oka-
kura, M. Gérard croit possible (et souhaite presque) une fusion
entre l'éthique morale et sociale de l'Orient japonais et celle de l'Eu-
rope occidentale. Il n'est peut-être pas sans intérêt de noter qu'une
indication analogue se trouve au début du livre de M. Seilhère dont
nous avons parlé plus haut. Ceux quej^réoccupe le déclin visible de
l'idéalisme dans les démocraties européennes se rencontrent ainsi,
pour y chercher remède, sur les chemins qui mènent en Orient ou
en Amérique.
Philibert Lombard de Buffîères, comte de Rambuteau, petit-fils
par sa mère du célèbre préfet de la Seine, n'a guère de titres à une
mention dans l'histoire, même anecdotique. On ne le connaîtra guère
que pour avoir publié les Mémoires de son grand-père et rassemblé
une belle collection de reliures anciennes, dont il a fait don au
musée des Arts décoratifs. C'est en souvenir d'amitié que M. G. Le-
QuiN* lui a consacré une copieuse et luxueuse biographie. On y trou-
vera de nombreux extraits des écrits de toute sorte laissés par le
comte. Ils n'ont pas de valeur originale le plus souvent, mais leur
style fait regretter que cet homme d'esprit, qui ne manquait pas de
cœur, soit demeuré à peu près inutile et sûrement malheureux, sans
doute pour avoir eu de trop bonne heure à sa disposition tous les
agréments de la vie, sans la peine de les conquérir.
A l'occasion de la consécration récente de la basilique du Sacré-
Cœur, M. François Veuillot^ a réimprimé la plus grande partie
d'un volume pubhé en 1890 par le R. P. Jonquet sur Mon<ma?'fre
autrefois et aujourd'hui, en y ajoutant une seconde partie qui
conduit le lecteur jusqu'en 1919. Cet ouvrage d'édification n'a aucun
caractère critique, mais il' contient des renseignements utiles pour
l'histoire des croyances et de la propagande catholiques avant et
pendant la guerre de 1914.
M. Farault a pubhé une étude détaillée, d'intérêt exclusivement
local, sur le Conseil des prud'hommes de Niort^.
1. G. Lequin, Philibert Lombard de Buffières, comte de Rambuteau (1838-
1912). Lyon, I^ardancbet, 1919, in-4°, 298 p. (illustré); prix : 10 fr.
2. R. P. Jonquct et François Veuiliol, Montmartre attire fois et aujourd'hui.
Paris, Blond, 1920, 340 p.
3. Alph. Faraull, le Conseil des prud'hommes de Niort. Niort, 1920, in-8°,
172 p.
254 BDLLETIN HISTORIQrE.
M. Philippe Bunau-Varilla < avait déjà raconté en 1913 l'his-
toire du canal de Panama et son rôle personnel dans la révolution
de Colombie de 1903, qui prépara l'achèvement du canal par les
États-Unis. Il reprend aujourd'hui ce récit en y faisant intervenir
l'Allemagne, dont la conduite dans cette affaire ne lui était pas appa-
rue avant les hostilités. Selon lui, le succès de l'entreprise de Panama,
combattu par l'Allemagne (qui ruina la compagnie française en 1892
et, en 1903, voulait le canal pour elle-même) , a conservé à la France
les sympathies américaines et rendu possible ainsi l'intei^vention des
États-Unis en 1917. D'autre part, sans le canal de Panama, nous
n'aurions pu disposer des nitrates chiliens pour la fabrication de nos
poudres de guerre dès 1914. En sorte que M. Philippe Bunau-
Varilla a préparé, moralement et matériellement, la bataille de la
Marne et la victoire de 1918. Son intervention a même un « rôle
essentiel dans la défaite de l'Allemagne ». Rien de moins. Le plus
singulier est peut-être que l'auteur semble persuadé d'avoir donné
la preuve de ses affirmations et emporté la conviction du lecteur.
III. La guerre et la paix. — Les publications sur l'histoire
militaire de la dernière guerre se multiplient. Comme il est naturel
fet d'usage après toutes les^randes crises analogues, on assiste prin-
cipalement à des polémiques, et nous entendons successivement des
réquisitoires et des plaidoiries, les uns et les autres prématurés,
puisque tous les témoins importants n'ont pas encore déposé. Parmi
ceux-ci, un des premiers entendus aura été M. le maréchal French^,
dont le livre, écrit sans doute assez vite, est surtout un récit d'opé-
rations spécialement développé pour la bataille d' Ypres. On y trou-
vera peu de considérations stratégiques, mais un certain nombre de
faits intéressants, en particulier sur les rapports du commandant. en
chef britannique de 1914 avec le G. Q. G. français et avec le gou-
vernement de son propre pays au moment de la bataille de la
Marne, et plus tard lorsque fut discuté le plan d'opérations pour
1915. L'ouvrage de M. Engerand sur CharleroP , qui a eu beau-
coup de retentissement, a passé aussi pour contenir l'expression des
vues personnelles d'un des principaux chefs militaires du début de
1. Ph. Bunau-Varilla, la Grande aventure de Panama. Son rôle essentiel
dam la défaite de l'Allemagne. Paris, Pion, s. d., [1920,] m-l6, 272 p.;
prix : 6 fr.
2. Maréchal Lord French, i9i4, traduction de Robert Burnand. Paris, Ber-
ger-Levrault, s. d., [1919,] in-8% 330 p. (cartes); prix : 12 fr.
3. Fernand Engerand, le Secret de la frontière (1815-187Î-19U), Charleroi.
Paris, Bossard, 1918 (paru en 1919), in-8°, 600 p. (portr. et cartes) ; prix : 15 fr.
Cf. Revue historique, t. CXXXI, p. 334.
HISTOIRE DE FRANCE. 255
la guerre, M. le général Lanrezac. Dans un second ouvrage, qui
complète et rectifie le premier, bien qu'il se rapporte à fîneyS
c'est-à-dire à un sujet différent, M. Engerand sest expliqué sur ce
point d'une manière qui ne laisse rien a désirer. Au reste, le géné-
ral Lanrezac a fait connaître lui-même, sous sa signature, ce qu'il
a vu et ce qu'il pense. L'intérêt du livre de M. Engerand sur Char-
leroi a été de mettre en évidence, dès avant la fin des opérations, ce
qu'on a appelé la « surprise stratégique » de 1914 et les conséquences
du système d'offensive à outrance adopté en 1913 par le haut com-
mandement français. Aux indications déjà fournies sur ce point par
M. Hanotaux, l'auteur a joint les résultats d'une étude attentive et
passionnée — au bon sens du mot — de toute notre histoire récente
concernant la défense des frontières. La thèse (dont un résumé, for-
cément très court, ne peut donner qu'une faible idée) est que l'adop-
tion du programme offensif procède d'une erreur capitale sur les
ressources et les intentions éventuelles de l'ennemi. L'Etat-major
français croyait l'Allemagne résolue à n'employer contre nous que
l'armée de première ligne et à combattre seulement sur la frontière
franco-allemande. Il ne croyait pas à une attaque par la Belgique,
qui, pensait-il, exigerait trop de temps, trop d'effectifs et entraîne-
rait fatalement l'intervention anglaise. Imbu de ces préjugés et de la
doctrine du « bourrage » exprimée par le règlement de 1913, il ne
cessa, du 14 au 24 août, de lancer sur les différentes parties du front
des attaques violentes, parfois sans objectifs précis, presque toujours
sans lien, et qui auraient abouti à Charleroi à une véritable catas-
trophe sans la clairvoyance et le courage du chef de la 'V" armée.
Dès la période de concentration, et plus encore une fois connu le
mouvement débordant de l'ennemi, le général Lanrezac sut résister
aux ordres d'offensive quand même et amorcer à temps le mouve-
ment de retraite qui devait conduire à la Marne.
Ces affirmations, forcément un peu hypothétiques, M. Engerand
a été conduit à les modifier en partie — mais en partie seulement —
dans son second ouvrage, plus directement documenté. Devenu, en
tant que député, rapporteur d'une commission d'enquête sur les
motifs de l'abandon du bassin minier de Briey par nos troupes en
1914, il a reçu les dépositions du général Joffre et de ses subordon-
nés et obtenu communication d'une partie importante des dossiers
du G. Q. G., ainsi que des documents du plan XYU qui subsistent
(la majorité fut détruite le 1" septembre 1914 par ordre du général
1. Le mt^me, la Bataille de la frontière (août 19 tU), Briey . Paris, Bossard,
1920, in-8% xxiv-243 p. (cartes); prix : 7 fr. 50. Sur l'ouvrage du même, le
Fer sur la frontière, cf. Revue historique, l. CXXXII, p. 2G9.
256 BULLETIN HISTORIQUE.
en chef). Il publie les pièces principales. Sa conclusion porte sur
deux points : 1° le plan d'opérations et la surprise stratégique : il
est acquis que le commandement français avait admis l'hypothèse
d'une attaque par la Belgique, non seulement à l'est, mais même à
l'ouest de la Meuse. Seulement, il n'avait pas cru devoir, pour ce
motif, transformer tout le plan d'opérations et passer du programme
offensif au programme défensif ; 2° la question de Briey : il est
prouvé que dans le plan XVII cette région était laissée sans couver-
ture, uniquement parce qu'elle était sous le canon de Metz, Ce n'est
donc pas la décision fameuse du recul de dix kilomètres qui l'a
découverte. Elle n'est pas non plus restée, après le 15 août, en dehors
des projets offensifs du commandement. Lorsque, par suite de la
manœuvre allemande en Belgique, la IV^et la V armée appuyèrent
vers le nord-ouest, une armée spéciale de Lorraine, confiée au géné-
ral Maunoury, fut organisée entre la IIP et la IP, en face de Briey
et de la Woevre. Longtemps inactive, à cause d'une liaison de com-
mandement mal élabhe, elle remporta le 25 août, à Etain, un bril-
lant succès, dont l'exploitation pouvait ouvrir de belles perspectives.
Mais à ce moment même elle dut être disloquée. L'échec de Char-
leroi découvrait Paris ; il fallut trouver des troupes pour la défense
du camp retranché ; on les prit à l'armée de Lorraine. « Briey était
la rançon de Paris. » M. Engerand estime, avec le général Rufîey,
que, si l'offensive d'Étain avait été engagée plus tôt, elle pouvait
changer les destinées du bassin de Briey et peut-être toute la suite
de la guerre.
Il est curieux que cette question soit complètement négligée dans un
livre anonyme, dont l'auteur paraît avoir eu des rapports assez directs
avec le 3« bureau du G. Q. G. et prend, avec une certaine adresse,
la défense des inspirateurs et du plan XVII ^ . Ce petit volume évite,
probablement avec intention, de citer les textes et d'entrer dans le
détail. On le lira avec intérêt, moins comme plaidoyer — d'ailleurs
très modéré et d'un aspect habilement impartial — que comme
témoignage d'un état d'esprit. Selon lui, si le commandement a
ignoré le mouvement allemand par la Belgique, c'est qu'on l'a mal
renseigné, et par on il faut entendre les éléments inférieurs et sur-
tout les ageilts diplomatiques. Au reste, l'auteur pense, comme le
rédacteur (demeuré inconnu, parait-il) du fameux règlement du
28 octobre 1913 sur la conduite des grandes unités, que les déci-
sions offensives doivent être exécutées, « même si les données recueil-
lies jusque-là sur les forces et les dispositions de l'ennemi sont
1. ***, le Plan XVII, étude stratégique. Paris, Payol, 1920, in-12, 197 p.
(carte) ; prix : G fr.
fllSTOIllE DE FRANCE. 257
obscures et incomplètes ». Il insiste en effet sur l'incertitude oîi le
G. Q. G. s'est trouvé jusqu'au 23 août, et pourtant il fait grief aux
exécutants, spécialement au général Lanrezac, d'avoir manqué de
volonté offensive. Si la V* armée avait attaqué à fond à Oharleroi,
voire plus tôt, son succès aurait arrêté la marche allemande en Bel-
gique et « galvanisé » l'armée belge. Même arrêtée, elle aurait limité
l'invasion, usé l'armée ennemie, etc. Sans mettre en cause la
valeur des hypothèses rétrospectives en général, on peut juger que
c'est aller un peu loin dans la fidélité aux principes de l'École. Les
apôtres du plan XVII citaient volontiers Napoléon. Mais n'a-t-il pas
dit lui-même : « J'avais envie d'écrire, mais ensuite, des généraux
sont battus en disant qu'ils ont suivi les principes qu'on leur a
inculqués. Il y a tant d'éléments divers à la guerre! »
Les historiens de la guerre ne devront pas négliger les documents
de première main réunis sur l'occupation allemande et mis en œuvre
par M"^ Saint-René Taillandier, M"'= Chaptal et M. Maurice
Barrés dans trois excellents petits volumes de la collection la
France dévastée^ publiés sous le patronage du Touring-Club de
France et du Comité France- Amérique.
MM. Marins et Ary Leblond^, chargés par le général Galliéni
d'écrire « l'histoire de son ministère », ont eu avec lui de fréquents
entretiens à mesure des événements. Ils les ont notés et les repro-
duisent : « Notre effort », disent-ils, « n'a été que de mémoire, pas-
sionnément fidèle; — de choix : il était indispensable de laisser
tomber les répétitions...; — et de composition : quelquefois, pour
éviter la monotonie, nous avons fondu en une conversation deux ou
trois phrases dites à divers moments sur le même thème... » On
trouvera donc bien des éléments utiles à l'histoire du gouvernement
pendant la guerre dans ces deux volumes intitulés : Galliéni
parle... C'est sans doute la faute des circonstances si, par moments,
on trouve que cet homme d'action, ce « réalisateur » parle en effet
beaucoup. Peut-être, à vrai dire, n'a-t-il pas eu la latitude ni la
santé nécessaires pour agir. Aurait-il réalisé tous les espoirs que
beaucoup mettaient en lui f* On ne peut faire là-dessus que des hypo-
thèses.
1. M"" Saint-René Taillandier, En France et Belgique envahies; les soirées
de la C. n. B., 175 p., 7 pi. — M"' Chaptal, Rapatriés, Î915-1918, 128 p., 7 pi.
— Maurice Barrés, la Lorraine dévastée, 177 p., 8 pi., 1 carie. Paris, Félix
Alcan, 1919, 3 vol. in-lG; prix : 2 fr. 75 chaque vol.
2. Galliéni parle, entrelien.s du « Sauveur de Paris », ministre de la Guerre,
avec ses .secrétaires, Marius-Ary Leblond. Paris, Albin Michel, 1920, 2 vol.
in-lG, 31G et 286 p.; prix : 12 fr.
Rev. HisTon. CXXXVI. ^^ fasc. 17
258 BULLETIN HISTORIQUE.
C'est une impression analogue qu'on éprouve en lisant le compte-
rendu du Pi^ocès de V assassin de Jaurès, publié par le Journal
l'Humanité*. Les débats ont porté principalement sur le rôle que
la victime aurait joué pendant la guerre si elle n'eût succombé. Et
il semble que les jurés se soient posé la même question pour y
répondre selon leur opinion personnelle. Le compte-rendu est
abrégé, par suppression, dit la préface, du fatras seulement. Il est
piquant de voir que ce critérium n'a laissé entière qu'une seule des
quatre plaidoiries (celle de M'' Paul-Boncour, l'un des avocats de la
famille Jaurès). Oe qui, dans ce volume, a le plus d'intérêt pour
l'historien, ce sont les dépositions et discussions sur la question
d'Alsace-Lorraine.
Le livre du capitaine Seignobosc, Turcs et Turquie^, ressemble
à un recueil d'articles, souvent intéressants, mais dont l'auteur n'a
pas assez d'expérience du métier d'écrire. Il n'a pas nettement défini
son sujet et nous donne à la fois ses souvenirs sur une mission en
Turquie (qui, d'après certains passages, semble avoir été de courte
durée) et un ess^i historique sur les événements de la guerre en
Orient. Son témoignage est, du reste, à retenir, sur le premier point
tout au moins.
Recueil d'articles aussi l'Allemagne vaincue, de M. Ernest
Lémonon^, mais d'articles mensuels, et d'ailleurs remaniés pour
former un récit assez suivi. L'auteur est rompu au travail historique
proprement dit, en sorte que son livre ne servira pas seulement
comme témoignage de l'opinion d'un moment, mais sera utile pour
montrer, comme il dit lui-même, l'enchaînement des faits. Recueil
d'articles encore (du moins en grande partie), le volume du comte
DE FELS^ Au seuil de la paix, où l'on trouvera, formulées dès
1918, des vues qui ne manquaient ni de hardiesse ni de clairvoyance
sur le vague et les dangers de tel des principes wilsoniens ou d'une
certaine conception de la ligue des nations, qui est justement celle
du Covenant. M. Léon Bourgeois^ a fait réimprimer en volume
son rapport au Sénat sur le traité de Versailles, critique parfois
1. Le Procès de l'assassin de Jaurès (2i-29 mars 1919). Paris, éditions de
Vmctnanité, 1920, in-16, 450 p. (illustré) ; prix : 12 fr.
2. Capitaine H. Seignobosc, Turcs et Turquie. Paris, Payot, 1920, in-16,
247 p. (4 cartes); prix : 7 fr. 50.
3. E. Lémonon, l'Allemagne vaincue. Paris, Bossard, 1920, in-8°, 227 p.;
prix : 7 fr. 50.
4. Comte de Fels, Au seuil de la paix. Paris, Pion, 1916, in-16, 300 p.
5. Léon Bourgeois, le Trailé de paix de Versailles. Paris, Félix Alcan, 1919,
in-16, 328 p.; prix : 5 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 259
très vive et pénétrée d'inquiétude d'un texte dont l'auteur demande
néanmoins la ratification par un vote unanime. M. Hanotaux', de
son côté, rapproche dans un recueil sur le Traité de Versailles
plusieurs articles de revue et différents mémoires remis par lui,
avant l'armistice, au commandant en chef et au ministre des Affaires
étrangères. Les mémoires surtout seront lus avec un très vif inté-
rêt. Il y a là des exemples, frappants entre tous, de ce que la con-
naissance de l'histoire peut, à certaines heures, fournir de précieux
enseignements. Mais c'est un fait que ceux qui ont négocié la paix
ne savaient guère l'histoire, et que certains d'entre eux la mépri-
saient même. Sur cette façon, vraiment stupéfiante parfois, dont la
conférence a travaillé, on trouvera des précisions, d'autant plus frap-
pantes que le ton est plus discret et plus modéré, dans le livre de
deux des « experts » américains, MM. Ch. H. Haskins et R. H,
Lord ^ ; ce beau volume, bien ordonné et muni de cartes, réunit une
série de conférences faites à l'Institut Lowell, de l'Université Har-
vard, sur les règlements territoriaux du traité du 28 juin. C'est une
analyse des problèmes de la paix et des solutions adoptées, remar-
quablement claire et commode. Certains jugements paraîtront peut-
être aujourd'hui trop indulgents pour l'œuvre de la conférence, mais
la position personnelle des auteurs suffit à expliquer cet optimisme.
On sait qu'un autre expert, anglais celui-là, M. John Maynard
Keynes, a cessé ses fonctions au cours de la négociation, parce qu'il
trouvait trop rigoureuses les conditions économiques imposées à
l'Allemagne. Il a publié à ce sujet un livre dont le retentissement a
été immense, grâce à une propagande savante et au talent incontes-
table de l'auteur. M. Paul Franck en donne une très bonne traduc-
tion française'. Sans discuter ici des raisonnements qui ont déjà été
réfutés, et où le sophisme n'est pas rare, non plus que les inexacti-
tudes ni les violences, signalons aux historiens le chapitre m oîi il
est fait de la Conférence et de ses membres une peinture assurément
tendancieuse, mais pleine de vie et d'intérêt.
C'est, au contraire, la plus parfaite objectivité qui caractérise le
volume d'un professeur d'histoire de l'Université de Chicago,
1. G. Hanotaux, le Traité de Versailles du 28 juin 1919. Paris, Pion, 1919,
in-8% 366 p.; prix : 12 fr.
2. Charles Homer Haskins et Robert Howard Lord, Sortie problems of the
Pcace Conférence. Cambridge (Mass.), Harvard University press, 1920, in-8°,
307 p.; prix : 3 dollars.
3. John Maynard Keynes, les Conséquences économiques de la paix, traduit
(le l'anglais par Paul Franck. Paris, Nouvelle Revue française, 1920, in-16,
237 p.; prix : 7 fr. 50. Une réfutation de la thèse présentée par M. Keynes a
• lé entreprise par M. Raphaël-Georges Lévy {Rev. histor., t. CXXXV, q^ 140).
260 BULLETIN HISTORIQUE.
M. A. P. Scott'. Causes de la guerre, buts des belligérants, ten-
tatives de pacification, traité de paix sont analysés et expliqués dans
le meilleur esprit scientifique. C'était une entreprise difficile; elle est
réussie, et il n'est que juste d'en savoir gré à l'auteur.
Les partisans déclarés de l'œuvre de la Conférence trouveront des
arguments dans les Réflexions d'un diplomate optimiste, en
deux volumes, de M. Jean Francoeur^. C'est un recueil de lettres,
dont quelques-unes fort longues (pendant la guerre, les diplomates
avaient du temps de reste) . Il y en a certaines — par exemple sur la
poursuite judiciaire des chefs allemands ou sur la Société des
Nations — que l'auteur pourrait relire à présent avec un peu d'iro-
nie, si l'ironie et l'optimisme allaient ensemble. Ce sont, au con-
traire, des critiques du traité qu'on trouvera le plus souvent dans
le volume de M. René Moulin ^, réunion de ces articles de la Revue
hebdomadaire où il reprochait à la Conférence son obstination à
« vivre en concubinage avec l'erreur ». Le ton est parfois très vif,
mais l'auteur revendique le dr^fit de parler sans détour et de ne pas
faire faire « l'école buissonnière à la vérité ». Prétention justifiée :
dans l'opinion comme au pouvoir, il faut avoir une politique; le
■wait and see nous a coûté assez cher pour qu'on en finisse avec
lui. M. Paul Louise dans son étude sur le Bouleversem,ent mon-
dial, est encore moins tendre pour l'œuvre de la Conférence. Selon
lui, la guerre de 1914 est le produit fatal du régime capitaliste et la
paix de 1919 est « un mensonge ». Elle n'a fait qu'ajouter au chaos
et multiplier les possibilités de collisions sanglantes. L'effet principal
de la grande crise aura été de précipiter, dans tous les pays, le mou-
vement de concentration capitahste décrit par Marx et Engels dès
1848, de rendre la lutte de classes plus aiguë et par suite la révolu-
tion sociale plus prochaine et plus nécessaire. Cet exposé, habile-
ment et rapidement conduit, peut faire impression, mais comme
toutes les œuvres de ce genre il repose souvent sur des généralisa-
tions très hasardeuses ; pour démontrer, par exemple, que dans tous
les pays la propriété foncière s'est concentrée pendant et depuis la
1. Arthur Pearson Scott, An introduction ta the peace treatics. Chicago,
University press, 1920, in-8", 292 p.; prix : 2 dollars.
2. Jean Francœur, Réflexions d'un diplomate optimiste. T. l : Je fais la
guerre. T. II : la Paix sera une créatioii continue. Paris, Bossard, 1920,
2 vol. in-16, 374 et 283 p.; prix : 4 fr. 50 et 3 fr.
3. René Moulin, l'Année des diplomates, 1919. Paris, Félix Alcan, 1920,
in-16, 243 p.; prix : 5 fr.
4. Paul Louis, le Bouleversement mondial. Paris, Félix Alcan, 1920, in-16,
204 p.; prix : 4 fr. 90.
HISTOIRE DE FRANCE. 261
guerre, il faudrait une enquête étendue et attentive, qui n'est pas
môme commencée.
S'il arrivait qu'après avoir fermé ce livre d'un écrivain socialiste,
on ouvrit celui où M. Raymond Poincaré' a réuni ses chroniques
de quinzaine de la Revue des Deux Mondes, on serait, par l'effet
du contraste, tenié de penser que la crise sociale de l'heure présente
tient assez peu de place dans les préoccupations de l'ancien Président
de la République. Comme cela est tout à fait invraisemblable de
la part d'un homme d'État dont l'intelligence embrasse avec une
facilité et une rapidité exceptionnelles les problèmes les plus divers,
on en vient à se demander si une longue pratique de la vie parle-
mentaire n'entraîne pas, chez ceux-là mêmes qui sont le plus capables
de s'élever au-dessus d'elle, une certaine difficulté à admettre que le
redoutable procès des riches et des pauvres échappe en tout pays à
la compétence des assemblées politiques et ne se résout pas par des
comptes de suffrages et des ordres du jour « impliquant la confiance »
et « repoussant toute addition » . Mais il y a plutôt lieu de supposer
que M. Poincaré, tout spécialement expert à mesurer ce que peut
entendre — aux deux sens du mot — l'auditoire qui l'écoute, n'a
jamais oublié pour quels lecteurs, français et étrangers, sont écrites
ses chroniques. Consacrées surtout aux questions extérieures, elles
doivent à la science de l'auteur, à l'expérience qu'il a acquise dans
ses hautes fonctions, à son talent d'écrivain, à sa clairvoyance de
patriote, une valeur historique qui n'a pas besoin d'être soulignée.
IV. Questions générales contemporaines. — En écrivant son
gros volume sur l'Afïnque à travers les âges, M. Alfred Moulin -
a voulu, dit-il, faire œuvre de compilation et de coordination. C'est
une compilation en effet, mais assez hâtive et sans critique suffi-
sante. Pour ce qui est de l'ordre, il n'y en a guère : le plan est à la
fois géographique et historique, l'importance des développements
n'y est pas proportionnée à celle des événements racontés, la biblio-
graphie est désordonnée et sans critique, l'index absent. Quant aux
idées générales, elles sont parfois surprenantes. Dès la première
page, l'auteur, ayant constaté que l'Afrique offre de nombreux con-
trastes, que « les forêts inextricables y coudoient (sic) les déserts
sablonneux » et que « la gazelle craintive y sert d'appât au lion
cruel », cherche l'explication et la trouve; c'est que « l'Afriq-ue est
1. Raymond Poinraré, nistoire politit/ue, chroniques de quinzaine. T. I:
1') tnars-1" septembre 1920. Paris, Pion, 1920, in-lG, 291 p.; prix : 7 fr. 50.
2. Alfred Moulin, l'Afrique à trarers les âges. Paris, Ollendorff, 1920, in-8°,
529 |).; prix : 10 fr.
262 BULLETIN HISTORIQUE.
la contrée la plus équatoriâle du monde » ! Un bon manuel
d'histoire d'Afrique reste à écrire.
« Le.socialisme est-il un système d'idées vigoureusement liées les
unes aux autres, système partout et toujours identique à lui-même. . .
ou bien représente-t-il un ensemble assez mal délimité de tendances. . .
variables essentiellement selon les temps, selon les milieux sociaux
et avant tout selon le caractère des peuples? » Tel est le problème
qu'examine M. Edmond Laskine^ en faisant porter son étude sur
la France, la Belgique, l'Irlande et les peuples anglo-saxons, un
second volume devant être consacré au socialisme allemand et à ses
applications en Russie, Hongrie, Italie et Espagne. La conclusion
est que le socialisme revêt, suivant les pays, les formes les plus con-
traires, « selon le déterminisme des milieux, des races et des tradi-
tions nationales »•■ L'identité des formules employées masque la
diversité des idées. L'internationalisme est « une maladie du lan-
gage » et la cité socialiste universelle une Babel démesurée. L'auteur
en arrive là par une analyser historique et descriptive rapide, mais
brillante, et fondée sur une connaissance des textes et des doctrines
qui parait sérieuse. Les deux chapitres sur le socialisme en Angle-
terre sont, à cet égard, particulièrement réussis. Il semble toutefois
que M. Laskine se laisse entraîner un peu loin par la thèse qu'il sou-
tient, quand il admet que les nations « s'individualisent de plus en
plus » et par suite que les transformations sociales ne pourront
jamais être réussies que par les « individualités nationales ». Les
nationalistes les plus intransigeants ne demandent-ils pas qu'une
entente internationale précède les principales réformes concernant,
par exemple, le travail industriel ou la propriété rurale?
On sera peut-être surpris de trouver, dans les anciens articles que
M. Georges Sorel^ a réimprimés sur le titre de Matériaux d'une
théorie du prolétariat, certains passages (p. 211-12, par exemple)
où sont exprimées des idées analogues à celles de M. Laskine. Mais
l'auteur nous avertit lui-même qu'il a souvent énoncé, dans un
délai assez court, « des opinions peu concihables ». Il lui faut savoir
gré de cette franchise qui va jusqu'à l'aveu de s'être formé sur
l'avènement prochain du sociahsme « des idées chimériques ». La
principale étude concerne l'avenir socialiste des syndicats. Elle sera
surtout utile comme critique et complément des doctrines de Marx
et d'Engels, M. Sorel, comme on sait, se défend d'être un « militant »
1. Edm. Laskine, le Socialisme stiivant les peuples. Paris, E. Flammarion,
1920, in-16, 264 p.; prix : 6 fr. 75.
2. Georges Sorel, Matériaux' d'ime théorie du prolétariat. Paris, Marcel
Rivière, 1919, in-16, 413 p.; prix : 7 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 263
et son livre s'adresse à ceux qui s'intéressent « aux efforts de la
pensée spéculative « plutôt qu'aux historiens en général.
Les Feijiiiers généraux du rail de M. Edgar MilHaud* sont
une critique très serrée, bourrée de faits et de chiffres, de la gestion
des chemins de fer français par les compagnies concessionnaires.
L'auteur, partisan de Texploitation par l'Etat, met en comparaison
les deux régimes aux points de vue des développements des réseaux,
de l'organisation matérielle, des tarifs, de la condition du personnel,
etc. C'est un vrai réquisitoire contre le système actuel. Quant à celui
proposé par le gouvernement et récemment adopté par le Parlement,
c'est « la course à l'abîme, effroyablefdans la nuit ». Ce volume,
qui ne manque ni d'information, ni d'habileté d'exposition, est à
verser au dossier de la question du régime des chemins de fer, où la
discussion, comme le constatait jadis Emile Levasseur, repose sou-
vent sur des coefficients mal établis et non comparables entre eux.
A en juger par les publications nouvelles et par la fondation de
certains groupes d'études et de propagande, un assez bon nombre de
théoriciens français de la réformation sociale — sinon de socialistes
proprement dits — paraissent s'éloigner ou se détacher du marxisme
pour aller — ou revenir — au fouriérisme et plus encore au saint-
simonisme. Il faut signaler notamment l'apparition d'une revue
nouvelle, appelée le Producteur^ comme l'ancien journal d'En-
fantin et de ses adeptes. Elle paraît compter parmi ses inspirateurs
et ses amis un certain nombre de chefs d'industrie soucieux de
revendiquer leur droit au titre de « producteur » et leur place dans
les organes du gouvernement économique futur. Ce mouvement
mérite d'être suivi, bien qu'il ait encore, semble-t-il, une action
assez limitée. On peut rattacher aussi à la tradition de Saint-Simon,
en mênje temps que de Robert Owen, le plan de République coo-
pérative tracé par M. Ernest Poisson^, secrétaire général de la
fédération des coopératives de consommation. C'est un exposé sys-
tématique, très bien ordonné et très clair, de la doctrine coopérative.
L'auteur s'est attaché à définir le système coopératif, qu'il considère
comme une hypothèse scientifique pouvant fournir au problème
social une solution positive, progressive et non révolutionnaire. Il
marque avec netteté ce qui rapproche la coopération du socialisme
1. Eklgar Milhaud, les Fermiers généraux du rail. Paris, B. Grasset, 1920,
in-16, 381 p.; prix : 10 fr.
'2. (i Le Producteur », revue (mensuelle) de culture générale appliquée.
Paris, 16, rue Geotlroy-Marie; 5 fr. le n°.
3. Ernest Poisson, la Hépublûjue coopérative. Paris, B. Grasset, 1920, in-16,
256 p.; prix : 6 fr. 75.
264 BULLETIN HISTORIQUE.
et ce qui l'en sépare et signale sans réticence en quoi la forme coo-
pérative de la société, qui se suffît à elle-même, ne suffit pas à tout
(notamment elle ne supprime pas le salariat, tout en recherchant de
nouvelles formes de rémunération du travail). Livre bien fait, ins-
tructif, qui rendra service.
L'ouvrage de M. Perron, juge à Besançon, sur la Séparation
nécessaire* est une brochure de polémique adressée aux catho-
liques, et où l'auteur, après avoir décrit et déploré longuement la
pohtique anticléricale et les'progrès de l'irréligion, préconise comme
remède une épuration de la communauté catholique, et notamment
le rétablissement de l'excommunication. Quelques passages semblent
indiquer que cette proposition a paru excessive, même à certaines
personnes revêtues dans l'Église catholique d'une autorité qui n'ap-
partient pas à un simple fidèle, fût-il magistrat. M. de Lamarzelle 2,
constatant, avec M. Lavisse, que la guerre a trouvé le monde dans
un état anarchique, et admettant, d'après Auguste Comte, que cette
anarchie existe depuis la fin du moyen âge, a entrepris d'étudier
comment elle s'est introduite et quels sont ses effets. Il incrimine la
Réforme et la Renaissance, signale tout ce qui lui paraît marquer
la résurrection progressive du paganisme et conclut que cette évolu-
tion conduisait à la résurrection de l'esclavage (prolétariat) et à l'as-
servissement des peuples (conquête pangermaniste) . La victoire des
Alliés a écarté le second danger, non le premier. Dans un autre
volume, M. deLamarzelle démontrera que la restauration de l'ordre
(à tous les points de vue) ne peut se faire qu'en restaurant l'idéal
chrétien du moyen âge. Il s'agit, on le voit, d'un ouvrage d'apolo-
gétique indirecte, fondé du reste sur des considérations historiques
très générales et non sur l'étude des faits et des textes.
L'auteur qui signe Celtis^ est aussi préoccupé, avec raison, de
la Reconstruction morale, suprême nécessité de l'après-
guerre. Mais il estime qu'on peut y arriver par une sorte de dres-
sage de la conscience individuelle, par un développement pragma-
tique de la « contrainte spontanée » acceptée par chacuH et par la
pratique, en toutes choses, de Yefficiency américaine. Cet exposé
est généreux et parfois éloquent. On aimerait à le voir mis, comme
disait Jaurès, « en projets de loi » ou en programmes d'enseigne-
ment. Celtis décrit bien un des « centres de rayonnement moral »
1. Ch. Perron, Aux catholiques! La séparation nécessaire. Paris, Téqui,
1920, in-16, 165 p.; prix : 2 fr. 60.
2. G. de Lamarzelle, l'Anarchie dans le monde moderne. Paris, Beau-
chesne, 1919, in-8% 470 p.; prix : 8 fr. 30.
3. Celtis, la Keconstruction morale, suprême nécessité de l'après- guerre.
Paris, Félix Alcan, 1919, in-8% 371 p.; prix : 10 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 265
dont il préconise la fondation et qui ressemblent à ce qu'auraient
voulu être les universités populaires d'il y a vingt ans, mais les
moyens pratiques de recommencer cette tentative rie sont indiqués
nulle part. L'auteur manquerait-il, lui-même, d'efficiencij?
M. Francesco Cosentini', professeur de philosophie du droite
l'Université de Turin, a examiné les précédents historiques, les con-
ditions juridiques et les possibilités pratiques d'une Société des
Nations. Esprit réaliste, il juge nécessaire de commencer par un
groupement franco-italien, qui s'étendrait aux autres puissances
latines, puis aux peuples anglo-saxons. Sa conclusion est optimiste :
« L'analyse des grands conflits humains nous a porté à constater
que chacun d'eux aboutit à une formule juridique qui, par une syn-
thèse harmonisatrice, rétablit l'équilibre entre les forces opposées :
ce qui peut faire espérer cette cohésion d'un ordre plus élevé : la
Société des Nations. » Espérer est le mot juste. M. Harold J. Laski^
examine, d'un point de vue à la fois historique et juridique, la notion
de souveraineté et les bases de l'autorité publique dans l'État
moderne. « Un Etat », dit-il, « n'est pas, après tout, une entité
mystérieuse. C'est seulement une société territoriale dans laquelle,
pour des raisons historiques variées, une distinction a été introduite
entre gouvernants et gouvernés. Rien ne justifie les prétentions du
gouvernement à être obéi, sinon la preuve évidente qu'il satisfait
aux besoins matériels et moraux des gouvernés. » Ces formules ne
sont pas nouvelles. L'originalité du travail de M. Laski est qu'il s'en
sert d'abord pour une critique attentive et ingénieuse des doctrines
d'autorité (Bonald, Brunetière, M. Paul Bourget) et de liberté poli-
tique (Lamennais, Royer-Collard), ensuite pour élucider le problème
du syndicalisme des fonctionnaires, tel qu'il se pose en France.
L'auteur connaît bien notre histoire récente et le fonctionnement de
nos institutions politiques, quoiqu'il s'exagère un peu la puissance
de l'administration, et notamment des préfets. Son étude sur ce sujet
délicat sera donc lue avec intérêt, encore qu'elle paraisse un peu
traînante parfois. La conclusion est nettement favorable à une
« démocratisation » de l'Etat dans le domaine économique et admi-
nistratif. Le tome III du cours de M. *Zeballos^, professeur à
l'Université de Buenos-Aires, sur la Nationalité se rapporte à la
1. Francesco Cosentini, Préliminaires de la Société des Nations. Paris,
Félix Alcan, 1919, in-16, 236 p.; prix : 3 fr. 50 (plus majorations).
2. Harold J. Laski, Authority in llie modem State. New Haven (Conn.),
Yale Universily press, 1920, in-8% 398 p.; prix : 3 dollars.
3. E. S. Zeballos, lu Nationalité aii point de vue de la législation compa-
rée et du'droil privé humain (trad. par A. Bosq). T. III : Dénationalisation
(l" partie). Paris, librairie du Sirey, 1919, in-8% 866 p.; prix : 25 fr.
266 BULLETIN HISTORIQUE.
question de la dénationalisation. C'est un ouvrage purement juri-
dique, mais qui pourra fournir aux historiens des précisions fort
utiles, les phénomènes d'émigration étant influencés directement par
les lois sur l'acquisition et la perte de la nationalité. On ne peut que
louer l'érudition incroyablement étendue de l'auteur et la clarté toute
latine de son exposé. Et si, sur le vu du titre, on ouvre avec curio-
sité et intérêt le livre de M. Joseph-Barthélémy ^ sur le Vote des
femmes, on ne sera pas déçu. C'est un cours professé à l'École des
hautes études sociales et qui a gardé la vivacité et l'accent de la
parole. Il comprend une étude théorique du droit des femmes au
suffrage, une histoire du mouvement sufîragiste, une analyse de la
législation dans les divers pays et un examen critique des résultats.
Le tout animé par une conviction, non dissimulée, que seul le « suf-
fragisme intégral » est équitable, qu'il est sans danger sérieux et
sera profitable sans doute. La conclusion est optimiste et modérée :
« Rayez d'abord tous les noirs pronostics des adversaires du suffrage
des femmes. Prenez ensuite les prophéties optimistes de ses parti-
sans; opérez une réduction de 95 %, et vous serez tout proche delà
vérité. Voilà le résultat de cette longue enquête. » Il semble bien
que les expériences les plus récentes, anglaise et allemande, con-
firment ce jugement.
Raymond Guyot.
1. Joseph-Barthélémy, le Vote des femmes. Paris, Félix Alcan, 1920, in-8°,
619 p.; prix : 10 fr.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
E. EsPÉRANDiEU. Recueil général des bas-reliefs, statues et
bustes de la Gaule romaine. Tome VII : Gaule germanique.
I. Germanie supérieure. Paris, Impr. nationale, et E. Leroux,
éditeur, 1918. In-4°, 397 pages, fig. 5270-5890. (Collection de
documents inédits sur l'Histoire de France ^)
« Le présent volume était entièrement en pages dès les premiers
mois de 1916. La rareté du papier et d'autres causes en ont retardé
l'impression pendant trois ans. Par suite de la guerre, je me suis
trouvé dans l'impossibilité de tirer parti de toutes mes notes et de
suivre l'ordre logique des cités rhénanes. Il m'eût fallu, pour l'illus-
tration des notices, des photographies ou d'autres images qui m'ont man-
qué. Ainsi, indépendamment des sculptures des Némètes et des Van-
gions réservées pour le tome VIII, quelques pierres des musées de
Strasbourg et de Mayence sont omises. Je m'efforcerai de les publier
dans un supplément général dont le texte est déjà presque entière-
ment composé. )>
Ces lignes, extraites de l'introduction, sont datées du l»"" octobre
1918. Le volume porte le millésime de 1918; c'est dire dans quelles
circonstances il a été tiré. Tandis que les troupes françaises achevaient
de s'ouvrir le chemin des pays rhénans et atteignaient le fleuve, le
commandant Espérandieu, de son côté, publiait les monuments gallo-
romains des cités rhénanes. Empressons-nous d'ajouter que, sauf les
quelques omissions signalées par l'auteur, rien, ni dans l'exécution
matérielle du volume, ni dans la rédaction, ne trahit les derniers mois
de guerre. M. Espérandieu rend hommage aux savants allemands qui
l'ont aidé dans la préparation de son travail aussi bien qu'aux savants
français ou suisses. « On comprendra », ajoute-t-il simplement, « que
ma gratitude ne soit pas sans amertume à la pensée de ce qu'ont osé
contre mon pays les dirigeants et les armées de leur nation. »
Il n'y a plus, à propos du septième volume, à faire l'éloge de l'admi-
rable Recueil du commandant Espérandieu, ni même à signaler tous
les services qu'il rend déjà. Que l'on parcoure n'importe quel volume
traitant d'un point quelconque de nos antiquités nationales, on y trou-
vera le Recueil cité et utilisé presque à chaque page. Par exemple, le
chapitre du dernier volume de M. Toutain traitant des cultes indi-
gènes de la Gaule romaine lui doit la meilleure partie de sa documen-
l. Pour le l* VI, et. Rev. histor., t. CXXV, p. 14'J.
268 COMPTES-RENDDS CRITIQDES.
tation archéologique. Quel que soit le sujet que l'on se propose d'étu-
dier, il faut commencer, désormais, pSÈi dépouiller Espérandieu.
Quel beau voyage archéologique nous fait faire ce tome VII, de
Besançon, avec sa Porte-Noire aux reliefs malheureusement si muti-
lés, à Mandeure, à Luxeuil et, de là, chez les Helvètes à Martigny,
Nyon, Avenches et Windisch! Nous passons ensuite en Alsace, avec
de longues stations à Strasbourg, Brumath, la région de Niederbronn
et Saverne, pour aboutir enfin à Mayence. Cent soixante-cinq numé-
ros sont consacrés aux monuments lapidaires du musée de cette ville.
Du premier coup d'oeil, à parcourir simplement le Recueil^ on est
frappé de la différence entre la civilisation spécifiquement civile et
indigène de l'Alsace et la civilisation militaire et bien plus exclusive-
ment romaine de la cité du Limes. Ici, des stèles de militaires et des
dieux presque tous romains; là, surtout des civils, sauf à Strasbourg
où apparaissent quelques tombes de soldats, et des divinités en majeure
partie indigènes, à condition, bien entendu, de compter Mercure
parmi elles. Chez les Helvètes se rencontrent, semble-t-il, plus d'in-
fluences du bel art gréco-romain du !«■■ siècle que partout ailleurs.
Chaque cité conserve d'ailleurs, pour la forme de ses stèles et ses
représentations funéraires, ses types préférés.
Ce précieux Recueil, aux figures si soignées, aux descriptions si
sobres et si précises, constitue, pour ainsi dire, l'illustration anticipée
de toutes les études à venir sur la civilisation et l'art gallo-romains.
A. Grenier.
Jean Brunhes, professeur au Collège de France. Géographie
humaine de la France. (T. I de V Histoire de la Nation fran-
çaise, sous la direction de Gabriel Hanotaux, de l'Académie
française.) Société de l'Histoire nationale. Librairie Plon-Nourrit.
In-4^ s. d. [1920], 486 pages, 186 cartes etfig., 12 pi. hors texte
en couleurs. Illustrations d'Auguste Lepère.
Le monument que M. Gabriel Hanotaux édifie à la « Nation fran-
çaise » reposera sur un support géographique digne de l'ampleur de
la construction*. En annonçant les deux tomes de la Géographie
humaine, M. Hanotaux écrit : « Voici donc, pour l'histoire d'une
nation, un chapitre nouveau et fortement original (p. \\) ». M. Jean
Brunhes récuse ce brevet de novateur; il sait que Michelet s'est
hasardé dans un essai dont il ne faut retenir que l'inspiration : « L'his-
toire est d'abord toute géographie; » et il se défend de rivaUser avec
1. Cette Histoire de la nation française comprendra 15 vol. in-4°. En une
introduction de 80 p., M. G. Hanotaux en présente les collaborateurs, le dispo-
sitif et les conceptions directrices; ouverture singulièrement riche en thèmes
originaux et qui méritera un examen particulier.
JEAN BBDNUES : GEOGRAPHIE HUMAINE DE LA FRANCE. 269
Vidal de La Blache, en s'afïranchissaat davantage de la description
régionale. M. Brunhes embrasse le cadre dans son ensemble; mais
il en discerne et eji décrit les provinces naturelles sou& d'autres
rubriques et en des linéaments plus flous : le bassin d'Aquitaine; du
Massif central au Massif armoricain ; au cœur du bassin parisien ; le sil-
lon rhodanien et le bassin de la Saône. Les cours d'eau lui servent
d'axes ; et cette méthode offre quelque inconvénient; elle fait un sort ou
l'honneur d'une mention à des rivières sans importance : les « gouttes,
mouilles et serves » de la Loire (p. 184), les affluents de la Seine (p. 2H),
etc. Cela sent un peu trop le manuel ou le précis scolaire; et, pour en
finir avec cette menue chicane, à quoi bon la classification géologique
des terrains (p. 38) ou la répartition des surfaces « très imperméables, à
peu près imperméables, médiocrement perméables », etc., dans l'aire de
la Garonne (p. 153), ou encore, pour définir les « types de temps », l'ana-
lyse de la tempête du 7 janvier 1917 et de la situation atmosphérique
des deux premiers mois de ladite année (p. 78)? Ces détails dévient
l'attention des aperçus si topiques où se déploie l'esprit de finesse des
auteurs <; nous disons des auteurs, car M. Brunhes a eu la bonne for-
tune d'une collaboration aussi érudite qu'élégante, celle de sou ancien
collègue de l'Université de Fribourg, M. Paul Girardin.
La vraie didactique, dans un ouvrage de cette portée, est celle des
idées qui se dégagent d'une enquête si volumineuse et si variée.
La France est une personne, a dit Michelet; personne qui se
dédouble ici en « France-terre et en France-hommes », vocables un
peu bizarres (p. 18). France-terre se laisserait caractériser ainsi : c'est
un « bocage », un « pays de petits versants », dont une esquisse d'Au-
guste Lepère a essayé une synthèse coloriée. Et voilà ce qui donne un
air de famille à ce « tout » 2. Mais ce « tout » est l'œuvre moins de la
nature que des hommes, à mesure qu'ils se sont constitués en nation
1. C'est ainsi qu'ils réhabilitent le Massif central, discrédité par Élie de Beau-
luont comme « centre de répulsion ». Ce n'est plus un parent pauvre et déshé-
rité dans la famille française; ses charbonnages, ses terroirs à froment où le
seigle a été supplanté ont attiré le peuplement (p. 69). Il y aurait lieu d'ajou-
ter que bien des régions fertiles du bassin parisien, « centre d'atfraction », sont
aujourd'hui désertées.
(P. 63.) La France est riche en côtes articulées ou « utiles ». La valeur des
côtes ne se mesure plus à leur articulation seulement. Peut-être eût-il fallu
mettre le lecteur en garde contre une idée encore trop répandue.
(P. 244.) Le Rhin éloigne-t-il les établissements humains uniquement en raison
de l'instabilité de son courant? Et ne faut-il pas attribuer aussi la désertion de
ses rives à la bande d'alluvions infertiles et ingrates qui les borde'!*
(P. 247.) Lire Binge;-Loch et non Bingen-Loch.
2. Outre cette caractéristique du paysage français, on en découvre d'autres;
par exemple la vallée delà Gartempe est un « pays français par excellence », c'est
celui de Descaries, né à la Haye-Descartes, et de Richelieu; les Plessis
« étaient originaires » d'Angles-sur-Anglin (p. 197). Voilà de la géographie « à
la manière de » Michelet.
270 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
et ont consommé leur unité. Communion lente et dont M. Brunhes attri-
bue le mérite « à l'histoire » (p. 17). Mais l'histoire n'est pas un bloc;
et peut-être serait-il équitable que l'on distinguât le rôle de la monar-
chie, assembleuse de terres, et de la Révolution, organisatrice de la vie
nationale.
Pour être une, la France n'est pas uniforme, et les diversités sub-
sistent, dont M. Brunhes célèbre comme symboles « les pâtés d'Amiens,
rillettes de Tours, foies gras de Toulouse ou de Strasbourg, pru-
neaux d'Agen, pâtes de fruits de Clermont, nougats de Montélimar,
pain d'épices de Dijon » (p. 20). La géographie culinaire apparaît
comme une des disciplines de la géographie humaine.
En abordant, après la description du « cadre permanent », le facteur
humain, M. Brunhes fait justice d'une notion fausse, mais qui a pré-
valu pour les fins de la haute et plus souvent de la basse politique,
celle de la race. « La race n'existe pas » déclare-t-il (p. 105). Il ne
veut voir en France-hommes que la nation dont il recherche jus-
qu'aux plus obscurs et lointains éléments dans les dolichocéphales de
l'ère néolithique, initiateurs de l'art, et les brachycéphales, inven-
teurs de la science (c'est M. Brunhes qui souligne p. 115); il s'atten-
drit à saluer ces ancêtres. De ceux-là, nous pouvons être fiers plus
que de la filiation Hgure dont les. indices seraient plus matériels et
moins nobles : « la chevelure noire ou la voix criarde de certains méri-
dionaux... traits moraux comme l'entêtement des Bretons », ou cer-
taines survivances chez les carriers du Limousin et les bûcherons du Mor-
van (p. 22). Quant aux Germains, M. Brunhes ne veut pas que le groupe
dont est issu l'Allemand ait fourni à la France du matériel humain;
le germanisme qui s'est infiltré en Gaule provient de la race nordique,
Scandinave et batave, dont les représentants furent les Wisigoths, les
Normands, les Francs, les Saxons, qui essaimèrent de l'Escaut à l'es-
tuaire de la Loire. Les Burgondes, eux, « ont été à l'origine des
Slaves » (p. 143). Voilà de quoi rasséréner nos Bourguignons.
Les colonisations ont laissé des vestiges dans la toponymie, sur
quoi M.' Brunhes a écrit un de ses plus instructifs et amusants cha-
pitres. Les noms de lieux sont des créations du peuple, dit-il avec
raison; les déformations dont notre carte d'état-major porte trop
d'échantillons sont le fait des savants : M. Brunhes n'en a pas épuisé
la liste. Est-il exact que la génération des noms de saints — on compte
4,450 localités sous ces vocables — soit contemporaine de la diffusion
du christianisme (p. 297), et ces baptêmes ne sont-ils pas souvent pos-
térieurs, puisqu'on peut dater la naissance de maintes agglomérations?
Autre doute à propos des suffixes en heim et weiler (p. 301). M. Brunhes
adopte avec une confiance flatteuse pour M. Tourneur -Aumont,
« l'homme qui est aujourd'hui le plus compétent sur les problèmes
alémaniques », une théorie que cet auteur a simplement reproduite
d'après des faiseurs d'hypothèses allemands, mais dont il signale la
fragilité [Études de cartographie, p. 101).
JEAN BRDNHES : GÉOGRAPHIE HUMAINE DE LA FRANCE. 271
Traitant des divisions territoriales, M. Brunhes se félicite que les
pays, ces favoris des géographes, aient été en quelque sorte authen-
tiqués par les communiqués du G. Q. G. (p. 338); mais il s'attache de
préférence aux « ensembles principaux », dont il propose un groupe-
ment en*« familles géographiques » (p. 344). Nous n'examinerons pas
dans le détail ce dispositif; remarquons seulement, par exemple, que
l'Alsace figure parmi les « noyaux attractifs » et non parmi les pro-
vinces frontières où sont inscrits Barrois, Trois-Evêchés et Lorraine;
que la Provence, avec Aix, Marseille, avec le Comtat-Venaissin et le
comté de Nice, est désignée comme province frontière de nom, alors
que le commentaire en montre la puissance attractive (p. 363) ; dans
ce classement assez arbitraire et subtil, l'histoire et la géographie ne
s'ajustent pas. On ne leur en fera pas grief. Mais il ne semble pas que
M. Brunhes ait dressé les châssis des « régions » vers lesquelles
s'oriente la géographie politique savante et officielle. Il salue « l'heu-
reuse propagande régibnaliste » ; il ne s'y rallie pas explicitement.
Sans doute, ce problème est réservé pour le second volume. M. Brunhes
ne saurait se dérober.
Les derniers chapitres sont consacrés à ce que les Allemands ont
appelé, comme s'ils l'avaient inventé, la siedelungskunde. M. Brunhes
a puisé dans les substantielles études de ses devanciers ^. Son apport
plus personnel se manifeste dans « la géographie des toits » (p. 438),
et il renverse un dogme, que le type du toit soit en relation avec la
distribution des pluies.
Nord et Midi contrastent par ce motif d'architecture; mais, consta-
tation curieuse révélée par la carte, une île de toits méridionaux,
aigus, à tuiles courbes ou romaines, s'étend entre Marne et Moselle.
Quelle est la raison de cette anomalie? Les maisons, « serais fonda-
mental » — l'expression étonne de prime abord — du peuplement,
sont passées en revue et décrites à travers la France. Ce que le lec-
teur souhaiterait, c'est un signalement caractéristique de ce qui, dans la
structure, l'aménagement, le style, procède des conceptions proprement
françaises, nationales ou régionales. La littérature du sujet est assez
copieuse déjà pour permettre des comparaisons qui fassent droit aux
originalités locales.
La conclusion, ou, selon un terme plus relevé, « l'épilogue », con-
firme des arguments aujourd'hui classiques auxquels M. Brunhes
ajoute l'autorité de son nom. « 11 nous semble qu'au-dessus de la mul-
titude des faits secondaires se détachent deux types de régions...
régions géographiques et régions historiques, ces dernières « sou-
bassement logique des groupes ou sous-groupes politiques ». Mais
joici la profession de foi : « De la géographie naturelle et mécanique
sort une géographie humaine de plus en plus compliquée et métho-
1 . Il n'a pu faire état de l'article de Demangeon, VHabilalion ntrale en France,
qui a paru dans les Annales de géographie (15 septembre 1920).
272 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
dique et, si l'on peut dire ainsi, de plus en plus volontaire... La géo-
graphie physique est partout suivie et enveloppée, dominée et même
contredite par la géographie humaine. »
« Dominée et contredite ». Retenons cette revendication (Je l'émi-
nente dignité de la science dont M. Brunhes est un des maîtres; il
place, s'il est permis de dire, le spirituel au-dessus du temporel; et
cette doctrine doit inspirer l'enseignement pour produire toute sa vertu
éducative dans l'école et dans la cité.
On éprouve quelque peine à juger l'illustration, parce qu'elle est
l'œuvre d'un artiste prématurément disparu, Auguste Lepère, dont
M. Ilanotaux a dit la scrupuleuse et enthousiaste randonnée à travers
le pays de France pour en traduire les aspects. A feuilleter ces images,
on se demandera toujours si Auguste Lepère a exprimé tout ce que
son œil' a saisi, tout ce que son cœur a senti. C'est à une géographie
qu'il a collaboré. De parti pris, le procédé photographique a été pros-
crit (p. 9). Certes, la photographie, encore qu'elle ait son esthétique,
peut pécher par sécheresse, par impersonnalité; elle ne rend pas « un
état d'âme » ; mais elle est plus documentaire que le croquis ou le
tableau. Ayons le courage d'avouer que dans ce volume les dessins ou
compositions dont nous n'avons pas à apprécier la technique ne con-
tentent pas toujours et, par endroits, étonnent notre vision ; nous cher-
chons ici des démonstrations plutôt que des sensations même styli-
sées.
B. AUERBACH.
A. F. Whyte. The practice of diplomacy, being an English
rendering of François de Callières « De la manière de négo-
cier avec les souverains », presented with an introduction.
Londres, Constable et G'^ 1919. In-8°, xxiv-146 pages.
François de Caillières (et non Callières) est aujourd'hui bien oublié.
Cependant ce petit noble de Thorigny a été chargé de nombreuses
missions en Pologne (1670, 1674, 1682), en Hollande, en Savoie, en
Bavière. Dès 1694, il a préparé les négociations de paix, et il a été l'un
des trois plénipotentiaires français à Ryswick. M. Delavaud, dans un
excellent article de la Grande Encyclopédie*, signalait que ses lettres
à la marquise d'Huxelles sur ces négociations sont à la Bibliothèque
nationale, et que des parties de sa correspondance diplomatique se
trouvent aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale, aux
Archives des Affaires étrangères.
Membre de TAcadénxie française dès 1689, son principal ouvrage est
De la manière de négocier avec les souverains, de Vutilité des
1. Voy. aussi E. de Barthélémy, la Marquise d'Huxelles et ses amis, les notes
de Boislisle au t. III de Saint-Simon (p. 253-301) et l'article d'Oursel dans
Nouvelle JJibliothèque normande.
N. lOHGA : HISTOIRE DES ROUMAINS ET DE LEOR CIVILISATION. 273
négociations, du choix des ambassadeurs et des envoyez, et des
qualitez nécessaires pour réussir dans ces employs..., qui parut
à Paris, chez Brunet, en 1716, en un in-12 de viii-400 pages. On en
connaît des rééditions à Amsterdam et à Bruxelles dès 1716, puis des
éditions amplifiées en deux volumes (le second n'est pas de Caillières)
à Londres et à Ryswick en 1750. Dès lors, on n'en entend plus parler,
quoique l'ouvrage ait été traduit en anglais, en allemand, en italien,
au dire des bibliographes.
M. Whyte a pensé que, par ce temps de « crise » de la diplomatie,
une traduction anglaise de ce vieil ouvrage français serait la bienvenue.
Donnera-t-elle à un éditeur français l'idée de rééditer le texte de
1716, dont M. Whyte s'est servi?
Sa préface, qui n'est pas dépourvue d'humour, insiste sur un sujet
très actuel, la différence entre la « diplomatie secrète » et le « secret
de la diplomatie ». C'est un point sur lequel je me suis expliqué ail-
leurs^. Les expériences que nous avons faites récemment de la diplo-
matie à ciel ouvert ne sont pas pour nous faire changer d'avis, ni
M. Whyte ni moi. Ni la paix du monde ni les bons rapports entre les
peuples n'ont rien à gagner à cette façon naïve et brutale de mener les
négociations. Le monde sera peut-être heureux quand les philosophes
seront rois, mais il ne l'est pas quand ils sont diplomates. Et, ce qui
est assez déconcertant, la soi-disant diplomatie ouverte, si elle tire les
négociations du secret des bureaux et des cabinets, s'accommode fort
bien de l'hypersecret d'un salon où siègent, sans contrôle, trois ou
quatre dictateurs du monde.
Il y aura donc encore à faire pour les diplomates professionnels, et
ils feront bien de relire Caillières. De le relire en l'adaptant aux néces-
sités de la vie moderne. C'est un fait qu'en tout pays, en Angleterre
comîhe en France, et jusqu'en Suisse, on. se plaint à l'heure actuelle
de l'infériorité du personnel diplomatique. « Les ambassades britan-
niques sont toujour^les citadelles de la tradition. » La cause profonde
de ce mal, c'est que l'opinion publique n'est pas instruite des questions
de politique étrangère et y demeure indifférente. Nous ne pouvons
entrer ici dans le détail des réformes que M. Whyte préconise, notam-
ment pour établir un lien entre le « Foreign Office » et le « Diploma-
tie Service ».
Henri Hauser.
N. lORGA. Histoire des Roumains et de leur civilisation. Paris,
Henry Paulin, 1920. In-8% 289 et xviii pages. Prix : 12 fr.
L'auteur, qui a rendu de grands services à la cause française et dont
l'œuvre historique est déjà considérable, mérite quelques notes bio-
1. A propos de Démocratie et politique étrangère de M. Joseph-Barlhéleray
(dans le Parlement et l'opinion, mai 1919).
Rrv. Histor. (^XXXVL 2" fasc. 18
274 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
graphiques dans cette Revue où, depuis longtemps, il apporte sa colla-
boration.
Nicolas lorga (Jorga est une forme employée fautivement en France,
mais jamais en Roumanie) est né en 1871 à Botosani (Moldavie).
Après avoir pris sa licence es lettres à l'Université de lassy, en
décembre 1889, il professa quelque temps au lycée de Ploïesti. Il
obtint alors une bourse du ministère de l'Instruction publique pour
suivre les cours de la Sorbonne et de l'École des Hautes-Études ; il con-
quit le titre d'élève diplômé de cette École par une thèse remarquée
sur Philippe de Mézières (13^1-lk06)^. Comme les étudiants bour-
siers devaient en outre s'initier aux méthodes allemandes, il suivit
ensuite les cours des Universités de Berlin et de Leipzig, où il pré-
senta, en français, une thèse de doctorat intitulée Thomas III, mar-
quis de Saluées.
Lorsque M. lorga fut nommé professeur à l'Université de Bucarest,
il avait pu glaner, dans les principales bibliothèques d'Europe, des
documents qui intéressaient l'histoire de son pays et aussi celle des
croisades postérieures au xiii* siècle 2; la publication critique de ces
documents occupe plusieurs volumes 3. En même temps, il publiait de
nombreux et importants ouvrages d'histoire, des impressions de
voyage, des traductions, des poésies; il faisait même jouer au théâtre
un drame en vers roumains. Il collaborait assidûment au Bulletin
historique de l'Académie roumaine et au Bulletin de l'Institut
pour l'étude de l'Europe sud orientale. Il dirigeait, en outre, un
journal quotidien, le Neamul Româ7iesc, où il assume, régulière-
ment, la charge de l'article de fond*.
M. lorga qui, dès ses débuts, avait montré un alerte esprit de com-
bativité dans des articles de critique^ donnés, en langue française, à
un journal quotidien de Bucarest, était préparé à la carrière politique
où il joue un rôle éminent comme député de lassy. Durant la guerre
mondiale, il soutint la cause de l'Entente avec une "conviction ardente et
persuasive; plus tard, alors que les armées allemandes poursuivaient
les troupes roumaines en retraite, M. lorga, notamment le 27 décembre
1. Phillippe de Mézières (1327-1W6) et la croisade au XIV' siècle. Fasci-
cule 110 de la Bibliothèque de l'École, 1896. .
2. Notes et extraits pour servir à l'histoire des Croisades au XV° siècle;
cf. Rev. histor., t. CXX,VII1, p. 304.
3. Studii si documente eu privire la Istoria Romînilor (33 vol.). — Acte
si fragmente eu privire la Istoria Romînilor. — Acte din secolul al XVJl^a.
— Extrade din corespondenla ambasadorilor Prusieni. — Acte relative la
razboaele si cuceririle lui Mihai Voda Viteazul. — Docximenté privitoare la
familia Cantacuzino. — Documente privitoare la familia Callimachi. —
Documente rominesti din archivele Bistritei, etc.
4. Quelques-uns de ces articles ont été traduits en français : Payes roumaines
(Paris 1918).
5. Réunis en un volume : Opinions sincères. La vie intellectuelle des Rou-
mains en 1899 (Bucarest).
N. lORGA : OISTOIRE DES ROUMAINS ET DE LEUR CIVILISATION. 275
1916, dans un mémorable discours tout drapé de souvenirs glorieux et
frissonnant d'idéal, fut l'éloquent interprète delà patrie blessée. Après
notre victoire, il fut élu président de la Chambre des députés du pre-
mier parlement de la grande Roumanie et le gouvernement de la
République française a reconnu les éminents services qu'il avait ren-
dus à notre cause en l'élevant au grade de commandeur de la Légion
d'honneiir.
En publiarit une Histoire des Roumains et de leur civilisatioriy
M. N. lorga a voulu mettre à la portée du public français un ouvrage
de vulgarisation. Nous avions déjà, en langue française, deux ouvrages
sur l'histoire de la Roumanie : VHistoire des Roumains de la Dacie
Trajane*, où feu Xénopôl a condensé la substance des six volumes de
son Istoria Romînilor.^ malheureusement sans utiliser suffisamment
les riches archives de son pays, et un ouvrage honorable et superfi-
ciel de F. Damé : Histoire de la Roumanie contemporaine^.
M. lorga était préparé à renouveler les ouvrages antérieurs, non seu-
lement par une longue pratique des documents originaux, mais encore
par les nombreuses publications où il avait traité l'histoire de l'Orient^,
de la Roumanie^, des Roumains en dehors du royaume^, des rapports
de la Roumanie avec les autres pays s.
Dans VHistoire des Roumains et de leur civilisation, l'auteur
brosse à larges traits un tableau des pays qui ont servi de base terri-
toriale à la nation roumaine. Entre des régions aussi variées que la
Transylvanie, la Valachie, la Moldavie, la Bessarabie, les deux prin-
cipes d'unité sont, d'une part, la montagne qui a abrité les meilleurs
éléments de la nationalité roumaine et, d'autre part, le fleuve qui,
réunissant toutes les eaux descendues des Alpes transylvaines, pro-
tège et féconde le pays.
La romanisation des Daces, pasteurs et guerriers, avait toujours été
présentée comme une conséquence de la conquête de la Dacie par
Trajan, au ii« siècle de notre ère. Cette explication était appuyée sur
un texte d'Eutrope : « Ex toto orbe romano infinitas copias hominum
eo transtulerat ad agros et urbes colendos ». Mais, d'après M. lorga,
1. Histoire des Roumains de lu Dacie Trajane depuis les origines jus-
qu'àVunion des principautés en 1859, par A.-D. Xénopol (2 vol., 1896).
2. Histoire de la Roumanie contemporaine, 1822-1900, par F. Damé
(1900).
3. Geschichte des Osmanichen Reiches (5 vol. in-8', Gotha, 1909-1913). —
Histoire des États balcaniques à l'époque moderne (Bucarest, 1914).
4. Geschichte des Rumûnischen Volkes (2 vol. in-8°, Gotha, 1905).
5. Histoire des Roumains de Transylvanie et de Hongrie (2 vol., 1917). —
Histoire des Rou7nains de Bucovine, 1775-191i (1917).'
6. Histoire des relations entre la France et les Roiimains (Paris, 1918). —
Histoire des relations anglo-roumaines (lassy, 1917). — Histoire des relations
russo-roumaines (lassy, 1917). Cf. Rev. histor., t. CXXIV, p. 115; t. CXXVl,
p. 166; t. CXXVII, p. 159 ; t. CXXX, p. 365, 366; t. GXXXI, p. 372; t. CXXXIII,
p. 305; t. CXXXIV, p. 15G.
276 COMPTES-RENDOS CBITIQDES.
ce n'est qu'un texte « de rhéteur et de maître d'école, complètement
étranger aux raisons politiques et au sens de la réalité ». L'existence
d'une ville romaine, Drubetis, antérieure à la conquête officielle, le
passage de marchands latins, témoigné par la découverte de monnaies,
et, surtout, la comparaison avec les phénomènes de dénationalisation
dans tous les temps et dans tous les pays, l'amènent à conclure que
la romanisation de la Dacie se rattache au grand mouvement d'émi-
gration rurale qui se produisit en Italie vers les derniers temps de la
République. Les légionnaires qui furent établis, plus tard, dans les
camps du Danube et des Carpathes ne firent que renforcer cette colo-
nisation première. Cette dualité d'origine a laissé des traces dans le
langage : « Il y eut, en effet, un caractère militaire, de même qu'un
caractère rural dans le latin vulgaire qui devint, après nombre de
mélanges ultérieurs, la langue roumaine. »
En l'an 270 , « après de longs combats malheureux contre les
Goths », un décret d'Aurélien ordonna l'abandon des régions coloni-
sées de la rive gauche du Danube. La thèse, exposée en 1871 par
Rœsler dans ses Romanische Studien et reprise par l'historien hon-
grois de Bertha, présente cet abandon comme une émigration totale
des colons romains ou romanisès; aussi leur retour au moyen âge
devient-il une véritable énigme historique; mais cette énigme est fac-
tice. Sans doute, « sans la protection des soldats les villes furent
abandonnées » et « avec l'administration disparut tout ce qui servait
à l'exploitation économique du territoire et qui en formait le décor » ;
mais la population rurale, habituée au voisinage des Barbares, jie sui-
vit pas les légions dans leur déplacement vers le territoire de la rive
droite du Danube « qui, pour sauver les apparences, devint une nou-
velle Dacie ».
Pendant la domination des peuples de la steppe jusqu'à la fonda-
tion des principautés, on pourrait supposer que l'influence slave devient
prépondérante, mais elle est médiocre en réalité, comme on peut le
constater « par l'examen des sources historiques ou bien par l'étude
des mœurs et de la langue ».
Malgré les vicissitudes, l'idée d'empire persiste; aussi des États
paysans avec un domn (dominus) réussissent-ils à se constituer. En
1330, Bessarab est vraiment suzerain de la principauté de Valachie
après la défaite de Charles-Robert, roi de Hongrie, à Posada, au nord
de Câmpulung; dans une miniature contemporaine de la Chronique
officielle, « on voit la brillante chevalerie du roi défilant hâtivement
au-dessous des pics que garnissent des paysans roumains; ceux-ci
portent de longues jaquettes de peau, de longs manteaux de laine, des
braies étroites, collant sur le pied; ils ont de hauts bonnets pointus
de fourrure par-dessus les lohgues boucles de leur chevelure ; les uns
travaillent à jeter l'effroi au milieu des ennemis, qui seront écrasés
bientôt par le poids des pierres détachées du rocher protecteur ou tués
en détail à coups de massue ».
N. lORGA : HISTOIRE DES ROCMAINS ET DE LEUR CIVILISATION. 277
Vers le milieu du xiv" siècle, une seconde principauté roumaine
est fondée en Moldavie ; elle ne demeure pas confinée dans les val-
lées des Carpathes, mais s'étend vers le Dniester : la Bessarabie, ainsi
appelée parce qu'elle avait appartenu à la dynastie de Bessarab,
devient une terre moldave.
L'Empire turc est le nouvel ennemi qui menace les Roumains. La
lutte contre lui est vaillamment conduite par des princes énergiques :
au xv^ siècle, par Etienne le Grand, prince de Moldavie; à la fin du
XVJB, par Michel le Brave, prince de Valachie, qui soumet également
à son pouvoir la Moldavie et la Transylvanie, roumaine de race et de
religion, réalisant ainsi, pendant un temps, le rêve d'unité de toute la
nation roumaine.
Au XV* et au xvi« siècle, l'art roumain se développe dans les édi-
fices religieux : « C'est l'église byzantine que l'on trouve en pays
orthodoxe, mais les architectes moldaves ont apporté des modifica-
tions pour l'adapter à un climat de neiges hivernales... Au milieu,
comme une fleur qui s'élève entre les feuilles qui la protègent, la tour
repose sur un double appui de polygones inscrits l'un dans l'autre, qui
est une invention technique ». C'est à cette époque aussi que la litté-
rature, qui sera représentée au siècle suivant par des chroniqueurs,
débute par des publications d'ouvrages religieux en langue roumaine.
Au xviiF siècle, les princes indigènes sont remplacés par des princes
grecs, les Phanariotes (du Phanar de Constantinople), fonctionnaires
du sultan ; mais, malgré cette complète décadence politique, le carac-
tère national se maintient dans les chroniques et la langue d'église.
En même temps, la culture française trouve des adeptes fervents dans
la classe des boïars.
Les principautés danubiennes, au xix^ siècle, échappent au joug du
sultan et à la menace moscovite. Les étapes de l'émancipation sont
marquées par la tentative de Tudor Vladimiresco en 1821, le mouve-
ment révolutionnaire de 1848, la concession de l'indépendance au
Congrès de Paris, enfin par l'union des principautés : « En janvier
1862, il n'y avait plus qu'une seule Roumanie. » Le prince de Rouma-
nie, Charles de Sigmaringen, allié à la famille Napoléon comme des-
cendant à la fois des Beauharnais et des Murât, prend le titre de roi
en 1881.
Cette évolution politique favorise le renouveau' national des lettres
roumaines. Dès le premier tiers du xix^ siècle, Jean Héliade en Vala-
chie, Georges Asaki en Moldavie attirent l'attention sur la création
d'une littérature nationale. A cet appel répondent des prosateurs
comme Constantin Negruzzi, Jean Ghica, Nicolas Balcesco, Alexandre
Odobesco, Mihaïl Kogalniceano; des poètes comme Alexandresco,
Bolintineano et surtout Basile Alexandri qui interprète avec un talent
enchanteur et facile les côtés aimables de la civilisation roumaine.
Après eux vient une nouvelle génération d'écrivains : les poètes
comme Eminesco, qui peut prendre rang parmi les grands lyriques
278 COMl'TES-fiENDUS CRITIQUES.
européens, Cosbuc, losif, Cerna; les historiens et les critiques comme
Xenopol, Maïoresco ' ; les hommes de théâtre et les conteurs comme
Caragiale, Creanga, Delavrancea, etc. Les arts sont principalement ,
représentés par un peintre éminent, Grigoresco, et par un grand musi-
cien Georges Enesco.
Au dernier chapitre, écrit avant la fin des hostilités, l'historien con-
clut « qu'il y a dans cet Orient carpatho-danuhien un peuple de qua-
torze millions d'âmes, d'une ancienne civilisation originale, qui ne
demande, en échange de ses souffrances millénaires, dont la civiUsa-
tion du monde chrétien a profité, que le respect dû à ses droits incon-
testables ». »
Dans son ensemble, l'ouvrage montre bien l'évolution de la
nation roumaine; mais l'auteur, pressé par le temps, à côté d'in-
téressants aperçus, trop souvent a juxtaposé les faits historiques
comme dans un précis ; aussi — et c'est là une critique sérieuse à
l'égard d'un ouvrage de vulgarisation — faut-il être déjà un peu fami-
liarisé avec l'histoire du pays pour comprendre la valeur de cette éru-
dition abondante et ramassée. Maintenant que la grande Roumanie
n'est plus un rêve millénaire, mais une vivante réalité, il serait à sou-
haiter que son historien national voulût, dans une nouvelle édition
refondue de son ouvrage, lui élever le monument dont elle est digne
et dont il est capable d'être l'architecte.
Septime Gorceix.
D"" Wlad. W. Kaplun-Kogan. Die judischen Wanderbewegun-
gen in der neuesten Zeit (1880-1914). Bonn, A. Marcus et
E. Weber, 1919. 1 vol. in-8°, 80 pages. Prix : 4 m. 80.
C'est une importante contribution à l'histoire de la question juive.
L'auteur a étudié avec grand soin les statistiques, qui lui ont permis
de dresser de nombreux tableaux très instructifs. Il a tiré bon parti
aussi des ouvrages qui touchent à son sujet, et dont il nous donne
une utile bibliographie.
L'émigration des Juifs de Roumanie, de Galicie et de Russie est un
phénomène tout récent, qui ne remonte qu'à une trentaine d'années.
M. Kaplun-Kogan en étudie les causes ; ce n'est pas leurs croyances
religieuses qui incitent les Juifs à quitter le pays qu'ils habitent, mais
des raisons, soit juridiques, soit économiques. — En Roumanie, les
Juifs (environ 300,000) ne sont pas trop nombreux et ils pourraient
trouver aisément un emploi à leur activité économique, si des lois et
des mesures d'exception de tout genre ne leur rendaient la vie très dif-
ficile, pour ne pas dire, en bien des cas, impossible. Aussi, en qua-
1. Voir l'Anthologie de la littérature roumaine, des origines au XX" siècle,
par N. Jorga et Septime Gorceix (Paris, Delagrave, 1920).
KAPLDN-KOGAN : DIE JCDISCITEIV WANDERBEWEGDKGEN 1880-1914. 279
torze ans, 120,000 Juifs ont-ils émigré, environ un tiers de l'effectif.
En Galicie, le régime juridique est satisfaisant, mais les Juifs, qui,
au nombre de 871,000, constituent le dixième de la population totale,
et qui sont concentrés presque uniquement dans les villes, ont bien
de la peine à vivre : presque tous sont artisans ou petits commer-
çants, et ils sont beaucoup trop nombreux pour les métiers qu'ils
exercent. — En Russie, les Juifs sont victimes de mauvaises condi-
tions, d'ordre tout à la fois juridique et économique. Ils sont soumis
à tout un ensemble de mesures vexatoires ; on les a concentrés dans
les provinces de l'ouest (principalement en Pologne); ils sont tenus
d'habiter les villes; leurs biens et leurs vies ont été, à tout instant,
menacés par des pogroms. En Russie, comme en Galicie, les Juifs
sont presque uniquement artisans et petits marchands, et ils se font
une concurrence désastreuse, pouvant d'autant plus difficilement vivre
que les progrès de la grande industrie ruinent beaucoup de petites
exploitations. D'autre part, les Juifs répugnent au métier d'ouvriers
de fabriques; ils sont très peu nombreux dans les usines : 47,000 pour
une population totale de six millions d'âmes. Même dans les fabriques
qui appartiennent à des Juifs (et il y en a 1,200 sur un total de 4,200),
le nombre des ouvriers de cette même religion est en nombre infime.
Voilà les raisons qui expliquent l'intensité de l'émigration juive.
De 1880 à 1914, les émigrants juifs comptent pour plus de trois mil-
lions, dont près de deux millions de Russes (voy. le tableau général de
l'émigration, p. 19), et leur nombre s'est accru d'année en année ; 81 %
sont partis aux États-Unis, et la moitié de ces derniers s'est établie à
New-York. Le plus grand nombre d'entre eux sont venus avec femme
et enfants; c'est dire qu'ils se sont expatriés sans esprit de retour.
Leurs ressources personnelles étaient faibles, puisque, parmi les émi-
grants, 4 à 7 % seulement possédaient cinquante dollars et au-dessus,
25 à 30 o/o étaient dénués de tout argent. Par contre, le nombre des
illettrés (28 %) est moins considérable chez les Juifs que dans les
autres catégories d'émigrants. Parmi les Juifs qui se sont réfugiés aux
Etats-Unis, les artisans et les petits marchands sont les plus nom-
breux (35 et 38 o/o), car ce sont eux qui avaient le plus de peine à
vivre dans leur pays d'origine; les commerçants aisés, les banquiers,
les commis n'émigrent, au contraire, qu'en petit nombre; quant aux
personnes appartenant aux professions libérales, elles ne représentent
même pas 1 °/o du total des émigrants. — Dans les autres pays, l'émi-
gration juive est bien moins importante ; au Canada, 48,000; dans la
République argentine, 30,000; en Angleterre, 240,000; en Allemagne,
50,000; en France, 00,000; dans l'Afrique australe, 25,000; en Egypte,
22,000; en Palestine et en Asie Mineure, 70,000. Et encore, parmi les
Juifs qui ont émigré en Angleterre, beaucoup se proposaient de repar-
tir pour les États-Unis.
Dans un dernier chapitre, M. Kaplun-Kogan examine les consé-
quences de l'émigration. Il ne semble pas qu'elle ait modiflé sensible-
280 COMPTES-BENDOS CRITIQUES.
ment la condition des Juifs qui sont restés en Galicie et en Russie,
et que la vie leur soit devenue plus facile. Mais les émigrants, au
contraire, ont pu souvent se féliciter d'avoir changé de patrie. Sans
doute, beaucoup d'entre eux continuent à végéter dans les petits
métiers, notamment dans les diverses industries du vêtement où fleu-
rit le sweating -System; mais il en est aussi qui se sont élevés à une
condition supérieure, qui sont devenus patrons, surtout dans la « con-
fection », presque tout entière aux mains des Juifs à New- York. A
mesure qu'ils s'américanisent, les Juifs se trouvent de plus en plus en
état de participer, d'une façon brillante, à la vie économique de leur
patrie d'adoption. — Tandis qu'en Amérique les émigrants vivent
groupés, dans l'Europe occidentale ils ont tendance à se disperser,
car ils sont trop peu nombreux pour former des centres compacts.
L'auteur remarque que l'émigration peut d'ailleurs indirectement agir
d'une façon heureuse sur la condition de ceux qui n'ont pas quitté
l'Europe orientale. En efîet, en Angleterre, et surtout aux États-Unis,
les Juifs sont assez nombreux et influents pour agir sur l'opinion
publique; c'est ainsi que nulle part les protestations contre les
pogroms n'ont été aussi vigoureuses qu'en Amérique. Quant à l'érpi-
gration en Palestine, qui se rattache au mouvement sioniste, et sur
laquelle l'auteur ne donne que peu de détails, elle peut faire miroiter
aux yeux des Juifs une espérance salutaire.
Henri SÉE.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
France.
1. — Annales révolutionnaires. 1921, mars-avril. — Albert
Mathiez. L'intri^me de La Fayette et des généraux au début de la
guerre de 1792 (au lieu de s'entendre pour une offensive rapide qui eût
été sans doute victorieuse, ces généraux s'attardèrent à des intrigues
qui, pendant deux mois, permirent à l'ennemi de terminer ses prépa-
ratifs. Ainsi fut perdue l'avance qu'avait au début l'armée française).
— M. DoMMANGET. Santerre dans l'Oise. — R. Harmand. PouUain-
Grandprey et ses correspondants; lettres inédites; suite. — Albert
Mathiez. Un mémoire inédit de Real pour sa défense (écrit en pri-
son en l'an II ; important pour l'histoire de la Commune de Paris). —
M. DOMMANGET. La Société populaire de Coutances et le problème de
l'éducation (d'après le registre de ses publications). = C. -rendus :
G. Dodu. Trois mois à Paris sous la Terreur : pluviôse, ventôse, ger-
minal an II (compilation hâtive « où rien n'est approfondi, contrôlé,
expliqué »). — P. Renouvin. L'assemblée des notables de 1787
(publie un procès-verbal très complet, très précis, de la grande confé-
rence qui eut lieu le 2 mars sous la présidence du comte de Provence).
— H. Sée. Les idées politiques en France au xyiii^ siècle (instructif,
mais pas tout à fait au courant). — G. Lacour-Gayet. Napoléon; son
œuvre, sa vie et son temps (remarquable synthèse). — Comte Boulay
de la Meurthe. Histoire de la négociation du Concordat (ouvrage très
érudit; mais le Concordat n'a-t-il pas été la grande erreur de Napo-
léon?).
2. -— Bibliothèque de l'École des chartes. T. LXXXI, année
4920. — Paul Fourni ER. L'œuvre canonique de Réginon de Prùm
(1° étude sur les « libri de synodalibus causis- » ; M. Fournier prouve
que Réginon n'a pas hésité à insérer dans cette compilation des
canons apocryphes ou même composés par lui; 2° étude sur les canons
du concile de Tribu» en 895; au lieu de reproduire le texte même
de ces canons, Réginon en a donné des recensions abrégées, avec les-
quelles il a d'ailleurs pris de grandes libertés, faute d'esprit critique
très fréquemment commise au moyen âge). — A. Dieudonné. Les
conditions du denier parisis et du denier tournois sous les premiers
Capétiens. — Ch. Samaran. La « fausse Jeanne d'Arc » du musée de
Versailles (ce musée possède un tableau du xv siècle représentant la
Vierge entourée de deux personnages, où l'on a voulu voir saint
282 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Michel et Jeanne d'Arc. Une inscription peinte au bas contenait,
dit-on, le nom de Jeanne. En réalité, cette inscription, rédigée en
langue provençale, s'adresse à la Vierge, mère d'humilit'é et de misé-
ricorde. C'est donc un petit tableau de piété exécuté en l'honneur de
la Vierge, de saint Michel et de saint Georges et placé dans un sanc-
tuaire dédié à Notre-Dame d'Humilité. Le nom de Jeanne ne s'y
trouve pas). — Ch. Mortet. Le cours de bibliographie et le service
des bibliothèques de l'École des chartes, 1847-1920. — L. Auvray. La
collection Baluze à la Bibliothèque nationale (histoire de cette belle
collection et des inventaires qui en ont été publiés). — Ph. Lauer.
Diplôme inédit de Charles le Simple en faveur de l'abbaye de San-
Juan de las abadesas, Catalogne, 4 juin 899 (avec un fac-similé par-
tiel et réduit). — Léon Mirot. Paiements et quittances de travaux
exécutés sous le règne de Charles VI, 1380-1422 (analyse de 860 pièces
tirées des manuscrits de la Bibliothèque nationale). — G. Huet. Les
rédactions de la « Scala celi » (la « Scala celi » est un recueil
d' « Exempla » composé par le dominicain Jean Gobi entre 1322 et
1330, imprimé pour la première fois en 1476. Il est représenté à la
Bi-bliothèque nationale par le ms. lat. 3506. La comparaison des deux
textes montre que celui de l'incunable est bien l'œuvre de Jean Gobi,
qui était un méridional, et qui insère volontiers des mots et des phrases
en langue de son pays; c'en est la rédaction finale, tandis que le
ms. 3506 n'en est qu'une première rédaction). = C. ^rendus : Br.
Krusch. Der Umsturz der kritischen Grundlagen der Lex Salica;
Id. Der neu entdeckte Urtext der Lex Salica (deux articles ayant
pour objet de renverser les arguments présentés par M. Krammer
pour justifier un nouveau classement des manuscrits de la loi salique
et de défendre les positions occupées par Pardessus et par Waitz. Il
faut donc s'en tenir à l'opinion de ces grands érudits : la rédaction de
soixante-cinq titres est la première en date ; elle doit être attribuée au
règne de Clovis, après la conquête de la Neustrie et avant le baptême
de Clovis). — Analecta franciscana, t. VI. — Emile Magne. Le
grand Condé et le duc d'Enghien. Lettres inédites à Marie-Louise de
Gonzague, reine de Pologne, sur la cour de Louis XIV, 1660-1667
(précieux pour l'histoire des mœurs). — A. de Curzon. L'enseigne-
ment du droit français dans les universités de France aux xvii'^ et
xviii« siècles (depuis l'édit de 1679, qui institua une chaire royale de
droit français). — - É. Houvet. Cathédrale de Chartres. Portail nord
(excellente étude iconographique). — Eugène Jarry. Notes et docu-
ments sur la maladrerie d'Orléans (bon). — Vicomte du Moley. Ori-
gines de la Normandie et du duché d'Alençon (premier tome d'une
histoire des comtes d'Alençon ; il y est surtout question des sires de
Talvas et de Bellême). — Abbé J. Roux. La basilique de Saint-Front
de Périgueux; ses origines et son histoire jusqu'en 1583 (ouvrage cons-
ciencieux, mais dont les conclusions sont inadmissibles, parce que la
méthode suivie par l'auteur est vicieuse. Très bon exemple de la
EECUEILS PÉRIODIQUES. 283
manière dont on ne doit pas mener une étude archéologique. Long
examen critique par A. Brutails). — M. Boudet. Collection inédite de
chartes de franchises de Basse-Auvergne, xiii^-xv* siècles (recueil très
utile, mais tléparé par de nombreuses erreurs de détail). — Mortier. Fla-
vigny, l'abbaye et la ville, 720-1 9?0 (agréable). — A. Sorbeth'. La « noti-
tia status Hetruriae » e il tempo dalla sua composizione (bonne édition
d'un document écrit en 1400). — H. Hauvette. lo dico seguitando
(par ces trois mots s'ouvre le chantVIII de l'Enfer de Dante; l'auteur
veut prouver que Dante a commencé son poème dès 1300-1301, avant
l'exil, et qu'il le reprit quelques années plus tard dans un état d'esprit
très différent. L'opinion consacrée était au contraire que le poème
avait été écrit tout d'une traite entre 1311 et 1321). — R. Livi. Guido
da Bagnolo, medico del re di Cipro (beaucoup de documents nouveaux
sur ce médecin, mort en 1370). — A. Valente. Margherita di Durazzo,
vicaria di Carlo III e tutrice di re Ladislab (intéressant). — Ghisej^pe
La Mantia. L'archivio délia segretaria dei vicere de Sicilia e le
« istruzioni » date dal re Filippo III nel 1642. —F. Valls-Taberner.
Figures de l'epoca coTntal catalana; Id. La data de l'acte de consa-
gracio de la catedral d'Urgell, 839, i els diplômes de Lluis el Piadôs;
Id. Els origens dels comtats de Pallars i Ribagorça (trois brochures
importantes pour l'histoire de la Catalogne et des fonctionnaires
royaux pendant les temps carolingiens). — G. Millet. Recherches
sur l'iconographie de l'Évangile aux xiv^, xv^ et xvi« siècles, d'après
les monuments de Mistra, de la Macédoine et du mont Athos (impor-
tant).
3. — Pro Alesia (Revue gallo-romaine), nouvelle série, t. I (1914-
1915). — J. TouTAiN. Où en est l'œuvre entreprise par la Société des
sciences de Semur sur le mont Aussois? — Id. Une réplique du
Satyre au repos trouvée à Alesia. — Id. Étude sur le rôle des Ger-
mains dans la campagne de César contre Vercingétorix. — Id. J. Dé-
chelette, un ami d'Alesia. — C. Jullian. La Gaule et le passé natio-
nal de la France. — J. Toutain. Héros et bandit : Vercingétorix et
Arminius. — Chronique des fouilles. — Variétés. — Bibliographie. =:
T. II (1915-1916). F. CuMONT. La romanisation de la Belgique dans
l'antiquité. — V. Pernet. Les richesses archéologiques du mont
Aussois. — J. Toutain. Les origines de l'œuvre d'Alesia et la Société
des sciences de Semur. — Id. Tête de panthère en bronze trouvée à
Alesia. — V. Pernet. La fontaine Sainte-Reine d'Alesia. — J. Tou-
tain. Deux nouvelles sculptures gallo-romaines d'Alesia. — Id. Une
nouvelle théorie sur l'emplacement du combat de cavalerie qui précéda
le siège d'Alesia. — L'archéologie gallo-romaine en 1915. — Alesia,
tragédie. — Variétés. — Bibliographie. = T. III (1916-1917). Maurice
Vernes. Pourquoi chercher en Allemagne l'origine des institutions
françaises? — Camille Jullian. Notre Alsace. — Id. L'éternelle his-
toire. — II. de Gérin-Ricard. Étude sur le rôle des ossements de
cheval dans les rites funéraires. — J. Toutain. Les clefs votives dans
284 RECUEILS PÉRIODIQUES.
le culte païen et le rituel chrétien du pays des Éduens. — V. Pernet
et J. TOUTAIN. Les aqueducs antiques découverts en 1898-1899 à l'ex-
trémité orientale du mont Aussois. — J. Toutain. Figurines en terre
cuite découvertes à Alesia. — G Chenet. A propos de la panthère d'Ale-
sia. — J. Toutain. Notes d'épigraphie et d'archéologie religieuse gallo-
romaine. — Id. Notre belle France. — L'archéologie gallo-romaine en
1916. — Variétés. — Bibhographie. = T. IV (1918). J. Toutain.
Notes d'épigraphie et d'archéologie religieuse gallo-romaine (suite) :
L'autel de Mavilly (Côte-d'Or); Le caractère sacré des mégalithes
dans la Gaule romaine et le sanctuaire dolménique d'Alesia. — Le
caractère sacré de certains dépôts d'objets préhistoriques. — Le carac-
tère sacré de certains trésors de monnaies celtiques et de monnaies
romaines. — W. Deonna. L'autel de Mavilly. — L'archéologie gallo-
romaine en 1917. — Variétés. — Bibliographie. = T. V (1919).
J. Poisson. Un dieu de l'unité italo-celtique. — J. Toutain. Notes
d'épigraphie et d'archéologie religieuse gallo-romaine : La cueillette
du gui chez les Gaulois et les Gallo-Romains. — Le sanctuaire et le
culte d'Ucuetis et Bergusia à Alesia. — Id. A. Héron de Villefosse. —
G. Chenet. Gobelets ovoïdes moulés d'Autry-Lavoye (Meuse). —
H. DE Gerin-Ricard. Premier congrès de la Société Rhodania. —
L'archéologie gallo-romaine en 1918. — L'Alsace gauloise et gallo-
romaine. — Variétés. — Bibliographie.
4. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1921, l*"" jan-
vier. — E. Ludendorff. Urkunden der obersten Heeresleitung ùber
ihre Taetigkeit 1916-1918 (très important pour l'histoire de la guerre
et même de l'avant-guerre. Le général fait retomber sur les socialistes
toute la responsabilité de la défaite). — J. Lorédan. Lille et l'inva-
sion allemande, 1914-1918. Abandon, martyre et délivrance (témoi-
gnage précieux, mais unilatéral et qu'il conviendrait de confronter
d'avec d'autres, allemands surtout). — P. de Labriolle. Histoire de la
littérature latine chrétienne (excellent). — Pierre Batiffol. Études de
liturgie et d'archéologie chrétienne (remarquable). — Albert Lavi-
gnac et Lionel de La Laurencie. Encyclopédie de la musique (t. IV
d'une publication très incomplète, mais qui est tout de même une
mine de renseignements précieux). — Adrien Legros. M^^e d'Épinay,
valenciennoise (intéressante plaquette). =: 15 janvier. C. H. Lockitt.
The relations of french and english society, 1763-1793 (thèse insuffi-
sante et qui n'est pas au point). — Livres sur la guerre : J. Reinach.
L'année de la paix; É. Lémonon. L'Allemagne vaincue; René Mou-
lin. L'année des diplomates, 1919; F. Jean-Desthieux. La leçon dé
Pyrrhus ou la paix n'est pas faite ; J. Francœur. Réflexions d'un
diplomate , optimiste, 1915-1919, et La paix sera une « création conti-
nue »; Paul Louis. Le bouleversement mondial; G. Davan-Guffy.
La République d'Irlande et la presse française. = l^"" février. Régi-
nald Kann. Le protectorat marocain (très instructif). — -S. -G. Zer-
vos. Rhodes, capitale du Dodécauèse (bon ouvrage de propagande,
RECUEILS PÉRIODIQUES. 285
bien illustré). — J. Carcopino. La loi de Hiéron et les Romains
(remarquable; il y aurait des précisions plus grandes à donner sur la
procédure en ce qui concerne Verres). — Ad. Crémieux. Marseille et
la royauté pendant la minorité de Louis XIV (important). — P. Sa-
gnac. La Révolution, 1789-1792 (beau et bon volume). — G. Pariset.
La Révolution, 1792-1799 (remarquable). — Fr. Vial. La doctrine
d'éducation de J.-J. Rousseau (bon exposé critique). =: 15 février.
Marcellin Boule. Les hommes fossiles; éléments de paléontologie
humaine (très remarquable comme méthode et comme résultats). —
F. Lachèvre. Le libertinage au xvTi« siècle; mélanges (fort intéres-
sant recueil de quinze morceaux, inédits pour la plupart). — Wood-
row Wilson. Histoire du peuple américain, trad. par D. Roustan;
t. I (histoire comprise surtout au point de vue politique par un juriste
qui professe une vive admiration pour le peuple américain et son
développement ininterrompu vers des formes toujours plus parfaites.
L'auteur attribue ces progrès en très grande partie à l'action person-
nelle des grands hommes d'État américains). — H. et G. Bourgin.
L'industrie sidérurgique en France au début de la Révolution (réper-
toire considérable, dressé département par département, de cette
industrie, avec de bonnes cartes régionales et un précieux lexique des
termes techniques). — A. Hdutin. Le P. Hyacinthe dans l'Église
romaine (sorte d'autobiographie où figure un dossier de lettres impor-
tantes. M. Loyson, qui avait communiqué ces lettres à l'auteur, a pu,
avant sa mort, en 1912, lire la première rédaction du manuscrit. Très
intéressant pour tout ce qui est de la vie spirituelle et intellectuelle de
l'ex-carme : il n'avait rien qui pût faire de lui un réformateur de
l'Église. Pour sa rupture avec Rome, il a subi des influences émanant
de schismatiques, de M. de Pressensé, de M^ Emilie Meriman). —
C.-G. Picavet. Une démocratie historique : la Suisse (utile, surtout
pour l'histoire des variations de la politique fédérale pendant la
guerre). — R. Poincaré. Histoire politique; chroniques de quinzaine,
mars-septembre 1920 (fort intéressant, surtout en ce qui touche nos
rapports avec l'Allemagne, qui cherche à se soustraire aux conditions
du traité signé par elle). — G. Goyau. Sainte Jeanne d'Arc (intéres-
sant). — Élie Poirée. Sainte Cécile (excellent). = l^-- mars. Ch. W.
David. Robert Curthose, duke of Normandy (bon). — L. Mirot.
L'hôtel et les collections du connétable de Montmorency (plein d'éru-
dition). -;- M""' Saint-René Taillandier. Madame de Maintenon (étude
judicieuse et délicate). — A. Pougin. Une cantatrice amie de Napo-
léon : Giuseppina Grassini (excellent). — • Général Sarrail. Mon com-
mandement en Orient (fort instructif). — Paul Bléry. En mission en
Roumanie (amusant récit des missions dont cet aviateur fut chargé
auprès de nos alliés roumains). — C.-G. Picavet. Une démocratie
historique : la Suisse (bon résumé). — E. Gossart. Emile Banning et
Léopold H, 1881-1892 (instructive plaquette où sont utilisées des notes
laissées par Banning lui-même). = 15 mars. Tacite. Histoires; édit.
286 RECUEILS pe'riodiqces-
Gœlzer (remarquable). — R. Delachenal. Les Grandes Chroniques de
France; t. III et IV (important). — Alf. Rufer. Vier Bûndnerische
Schulrepubliken aus der zWeiten Haeifte des 18 Jahrhunderts (bonne
étude sur les réformes pédagogiques proposées en Suisse au xviii« s.).
— J. Estienne. Lettres de la municipalité de Mayence aux commis-
,saires du gouvernement dans les nouveaux départements de la rive
gauche du Rhin; germinal an Vl-thermidor an VIII (très instructif,
même pour le moment présent). — Louis Schneider. Un précurseur
de la musique italienne aux xvi^ et xvii« siècles : Claudio Monteverdi
(excellent et neuf). =r !«•■ avril. R. H. Charles. The Révélation of
saint John (bonne édition critique avec traduction anglaise et com-
mentaire de l'Apocalypse. Remarquable; important compte-rendu
d'A. Loisy). — H. Brémond. Histoire littéraire du sentiment reli-
gieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu'à nos
jours; t. I-V (« incomparable monument de science et de psychologie
religieuses », dit A. Loisy). — L. Wolf. The forged protocols of the
learned Elders of Zion (bonne histoire d'un des faux les plus célèbres
de l'histoire, où l'on prétend nous révéler comment les Juifs ont cons-
piré pour détruire les Etats chrétiens et leur substituer un Empire
juif universel. Les prétendus mémoires des « savants anciens de
Sion » ne sont qu'un roman composé en 1868 par un Prussien, Her-
mahn Gœdsche, espion policier qui avait été chassé de la police en
1849 pour avoir commis des faux maladroits). — E. Lenient. La faute
capitale du haut commandement (critique justifiée par endroits, mais
partiale, violente, injurieuse même et qui met le lecteur en défiance).
5. — Revue d'histoire de l'Église de France. 1921, janvier-
mars. — P. PiSANi. La négociation du Concordat de 1801 (d'après
l'ouvrage du comte Boulay de la Meurthe, « œuvre synthétique de la
plus haute valeur historique »). — Charles Du Bus. L'avenir des
Sociétés savantes; I (parle des nombreuses sociétés de ce genre qui
ont été créées en France depuis le xviiF siècle jusqu'en 1880, où fut
fondé le Comité chargé de rédiger la bibliographie à laquelle Robert
de Lasteyrie a attaché son nom). = C. -rendus : L. Duchesne. Fastes
épiscopaux de l'ancienne Gaule; t. III (remarquable; mais pourquoi
l'auteur ne donne-t-il pas les raisons qui ont décidé ses choix?). —
Touzery. Histoire de saint Martial, apôtre d'Aquitaine, fondateur de
l'église de Rodez, et histoire de saint Amans, premier évêque de
Rodez (sans valeur critique). — Cardinal Perraud. Mes relations per-
sonnelles avec les deux derniers papes, Pie IX et Léon XIII. Souve-
nirs et lettres, 1856-1903, publiés par Mgr Gauthey (intéressant). —
Alfred Vanderpol. La doctrine scolastiqùe du droit de guerre
(remarquable). — Dom Cabrol et Dom Leclercq. Dictionnaire d'ar-
chéologie chrétienne et de liturgie, fasc. 35-37 (contient les lettres
de D à Dimanche). — Albert Houtin. Les séances des députés du
clergé aux États généraux de 1789. Journaux du curé Thibault et du
chanoine Coster (très utile publication).
RECUEILS PÉBIODIQDES. 287
6. — Le Correspondant. 1921, 25 février. — Henri JOLY. Les
syndicats féminins. I. — Georges Lechartier. Société des Nations bu
Association des Nations ? Les États-Unis participeront-ils aux affaires
d'Europe? (peut-être, si l'Europe veut accepter les conditions nou-
velles posées par l'Amérique). — Christian Maréchal. Auguste
Comte, Andrieux, La Mennais et l'École polytechnique (analyse une
brochure écrite par La Mennais en 1816 sur les conseils de l'abbé
Teysseyre, répétiteur adjoint à l'École et désireux de combattre l'in-
crédulité qui y était alors de mode; brochure qui était restée inconnue
jusqu'ici. La Mennais y malmène fortement Andrieux, membre de
l'Académie française et professeur de belles-lettres à l'École, parce
qu'il était « philosophe » et adversaire du clergé ; il y fait appel à la
force pour contraindre les élèves à rentrer dans le devoir. Andrieux y
répondit, non sans esprit, dans sa « Parabole du Samaritain », en
opposant au fougueux pamphlétaire une profession publique de tolé-
rance. Andrieux fut d'ailleurs destitué). — Henry Bordeaux. Le
maréchal Fayolle dans la bataille de France. = 10 mars. Stary. La
Pologne et la Lithuanie. Wilna ou Vilnius? Souvenirs et recherches
(Wilna est un nom polonais; Vilnius un mot lithuanien. Les Lithua-
niens ont besoin d'une capitale; ils prétendent l'établir dans Wilna,
qui n'est pas lithuanien, qui est, dès l'origine, une ville « slave et
chrétienne, d'abord blanc-ruthène et plutôt orthodoxe, très vite et
complètement polonaise et catholique ». Le gouvernement de Kowno
n'a sur cette ville et son territoire « aucun droit ethnographique dans
le présent, historique dans le passé, qui mérite d'être pris en considé-
ration »). — Henri Joly. Les syndicats féminins. H. Conclusions. —
LiRER. Lord Robert Cecil. — L. de Lanzac de Lahorie. Une nou-
velle histoire de la Révolution (les trois volumes de Sagnac et de
Pariset dans l'histoire de France contemporaine). — Pierre de Qui-
rielle. Une figure alsacienne : le docteur Bûcher. — ***. L'(itat d'es-
prit et la situation en Italie (« la vieille Italie est une nation jeune;
elle fait des enfants et elle croit; elle a foi en Dieu, elle croit en elle-
même; deux gages d'avenir »). = 25 mars. René Pinon. L'Europe
nouvelle et le catholicisme (les peuples catholiques, anciens et nou-
veaux, sont devenus plus que jamais les porte-flambeaux de l'huma-
nité). — Liher. Hommes du jour : M. Hughes (le nouveau secrétaire
d'État aux États-Unis). — Ernest Daudet. Souvenirs de mon temps;
suite : les dernières années de l'Empire (beaucoup d'anecdotes, notam-
ment sur Emile Ollivier; extraits de la correspondance échangée
entre Ollivier et Daudet de 1864 à 1866). — Pierre de La Gorce. Les
derniers jours de Pie VL — ***. L'Irlande et l'Angleterre ; calcul de
probabilités. = 10 avril. Pierre de Nolhac. Ronsard humaniste. I.
— Général Maitrot. Les Mannesmann au Maroc (article très instruc-
tif; il faut bien se garder de laisser les Allemands reprendre au
Maroc la situation formidable qu'ils s'y étaient faite avant la guerre).
— Paul Renaudin. Le poverello de Port-Royal (Jean Hamon, qui
288 RECDEILS PÉRIODIQUES.
entra au Désert en 1650 et y mourut après une vie de travail, de dures
épreuves et de charité). — Georges Goyau. La belle vie de sainte
Colette de Corbie. = 25 avril? L. de Lanzac de Laborie. Le cente-
naire de Napoléon. — Piefre de Nolhac. Ronsard humaniste. IL —
Ernest Daudet. Souvenirs de mon temps. IL Les dernières années
de l'Empire (parle de Khalil Bey«t de son beau-père, Ispiaïl Pacha,
du prince Orloff, de Lucien Biart et de la comtesse de Loynes, de
Walewski et d'Emile Ollivier, etc.). — Pierre de Quirielle. Edouard
Aynard à la Chambre, de 1893 à 1913. — René AiCtRain. Une histoire
de la littérature latine chrétienne (celle de Pierre de Labriolle).
7. — Études. Revue fondée par des Pères de la Compagnie de
Jésus. 1921, 5 janvier. — Joseph Boubée. Les Juifs en Hongrie. Bêla
Kun ou Jean Hunyade; fin (souhaite en Hongrie la conversion des
Israélites et le développement des œuvres catholiques et aussi l'établis-
sement de relations intellectuelles entre la Hongrie et la France). —
Yves DE LÀ Brière. Chronique du mouvement religieux (la discus-
sion à la Chambre des députés sur la reprise des relations diploma-
tiques avec le Vatican). = C. -rendus : Les Jésuites morts pour la
France, 1914-1919 (des noms, des dates, des faits). — Paul Nourris-
soti. Histoire de la liberté d'association en France depuis 1789
(ouvrage de grande envergure). — A. Lahure. Notre-Dame de la
Val-Roy, abbaye royale de Cisterciens au diocèse de Reims (bon).
8. — La Grande Revue. 1920, décembre. — André Pierre. Le
troisième anniversaire de la paix de Brest-Litovsk, décembre 1917.
Récit d'un témoin (ce témoin est le socialiste Mstislavski, membre de
la délégation russe chargée de négocier la paix). = 1921, janvier. EUe
Faure. Napoléon; suite en février, mars et avril. — Jacques Vaunois.
Les discours et messages de Gabriel d'Annunzio. — Ernest Tisse-
rand. Les mauvais génies de la France : Gabriel-Lucien Ouvrard,
1770-1846 (simple esquisse). — J. Simon-Terquem. La France est-elle
morte en Orient? = Février. Paul Appell. L'esprit scientifique et
l'enseignement. — Henri Mugel. Si l'on veut avoir raison du bolche-
visme (il faut, en France, constituer un parti paysan qui, d'ailleurs,
ne s'opposerait nécessairement à aucun autre, si ce n'est au bplche-
visme). — Marie Hollebecque. La peinture hindoue. — S. de Cal-
lias et J.-Ch. de Valville. Un Allemand qui justifie le traité de
Versailles (WiUi Dûnnwald, journaliste, qui, en 1919, écrivit à une
Française des lettres où il exprimait son dégoût de la politique alle-
mande pendant la guerre et depuis l'armistice). — Léon Abensour.
Faut-il reviser le traité de Sèvres? =: Mars. James G. Frazer.
Ernest Renan et la méthode de l'histoire des religions (remarquable
conférence faite à la Société Ernest Renan le 11 décembre 1920). —
Claude Berton. Le président Harding, l'Europe et le Pacifique. --
René Gillouin. Le mysticisme social : Fourier et Proudhon. := Avril.
P.-L. Puech. Les Saint-Simoniens précurseurs de la Société des
nations.
RECUEILS PÉRIODIQUES. 289
9. — Mercure de France. 1921, l«''mars. — Georges de Pourta-
LÈs. 'Éthique et esthétique de Senancour. — Raymond de Rigné.
Souvenirs sur Massenet.' — Léon Laffitte. Une définition du pro-
grès. =: 15 mars. Georges Batault. Le problème juif: le judaïsme
et l'esprit de révolte (toute l'histoire juive, tous les prophètes montrent
l'étroite parenté qui unit le judaïsme et l'esprit de révolte. « Sous des
formules diverses, c'est toujours le vieux rêve messianique des pro-
phètes et des psalmistes qui hante les cerveaux »). — D"" G. Conte-
NAU. L'avenir archéologique de la Syrie. r= l»"" avril. AmbroiseGOT.
La révolution allemande et la paix (la révolution allemande est un
trompe-l'œil ; les Allemands méritent les sévérités de la paix qu'on
leur a infligée par leur mauvaise foi; « la politique de sïireté que
nous maudissons est une conséquence naturelle de notre méfiance »).
— David Berman. La question juive (réponse aux articles de M. G.
Batault, qui représente les Juifs comme des agents de dénationalisa-
tion, comme les représentants du capitalisme internationaliste). =
15 avril. Georges Batault. Les solutions du problème juif; nationa-
lisme ou assimilation. — Louis Reynaud. Les débuts du germanisme
en France (au XYiii* siècle).
10. — La Revue de France. T. I, n° 1, 15 mars 1921. — R. Re-
COULY. Foch explique la défaite allemande. — J. BÉDIER. L'esprit de
nos plus anciens romans de chevalerie (montre comment ces romans,
après avoir été la pure expression de la féodalité chrétienne et de la
croisade, ont fini par devenir une poésie de cour soutenue par de riches
patrons et enfin une entreprise commerciale exploitée des « impres-
sarii »). — Paul Olivier. La canonisation de don Juan (d'après les
dossiers pour la canonisation de Miguel Mafiara Vicentelo de Leca,
chevalier profès de l'ordre de Calatrava, Sévillan originaire de Corse,
qui mourut en odeur de sainteté le 9 mai 1679). := 1<"' avril. Philippe
Crozier. L'Autriche et l'avant-guerre (l'auteur, ambassadeur de
France à Copenhague, puis à Vienne, a suivi de près les intrigues de
l'Allemagne dans l'affaire marocaine, puis les manœuvres du baron
(r7F]renthal pour relever le prestige de l'Autriche-Hongrie et dévelop-
per son activité économique dans les Ball^ans. Témoignage instructif
et que retiendra l'histoire). — Gabriel Faure. Sainte-Beuve en Italie
(publie, avec commentaire, quelques notes de Sainte-Beuve sur
Naples, en mai 1839). — Memor. La clef du drame russe; lettres de
la tsarine au tsar, 1914-1916 (publie ces lettres qui, saisies par les
agents de Lénine, furent vendues à un journaliste américain et
l)ubliées dans le Globe des États-Unis; elles montrent l'influence
dominatrice exercée par la femme sur le mari et l'influence néfaste
exercée par Raspoutine sur la tsarine. C'est elle notamment qui
décida le tsar à relever de son (Commandement le grand-duc Nicolas.
D'autre part, il est faux que la tsarine ait trahi, au profit de l'Alle-
magne, les intérêts de la Russie; elle était devenue foncièrement
russe). — Raymond Recoulv. La conférence de Londres (vue de
. Rev. Histor. CXXXVL 20 fasc. 19
290 RECDEILS TEEIODIQUES.
dehors par un journaliste curieux et informé de première main). =
15 avril. Général Buat. Les erreurs de la stratégie allemande en
1918. _ Paul Crozier. L'Autriche et l'avant-guerre. II (annexion de
la Bosnie et de l'Herzégovine, mécontentement de la Russie. Affaire
des déserteurs de Casablanca, où l'Autriche ne soutient pas l'Alle-
magne, son aUiée. iErenthal voulait, en effet, sans renoncer à la Tri-
plice, recouvrer son indépendance d'action et ne plus être considéré
seulement comme le « brillant second »).
11. — La Revue de Paris. 1921, 15 février. — Frédéric Masson.
Marie- Louise et ses carnets die voyage. II (voyage à Saint-Quentin,
Valenciennes, Bruxelles, Malines, Anvers, « qui sera dans un an une
des plus fortes places de l'Europe », l'île de Walcheren; avril-juin
1810; la fête donnée parle prince de Schwarzenberg et l'incendie qui
la termina si lugubrement. Fêtes à Rambouillet, à Trianon, Fontai-
nebleau, en octobre et novembre ; baptême du second fils d'Hortense
et des vingt-six autres enfants que l'empereur a promis de nommer
pour la circonstance, le 4 novembre, et déclaration de la grossesse de
l'impératrice; fêtes pour les relevailles de Marie-Louise en 1811 ; « vie
étrange et de mouvement perpétuel où Napoléon, maître de l'heure,
n'admet point qu'il en soit l'esclave »). — Maurice Muret. Guil-
laume II dans le rôle d'Hamlet (d'après le livre d'un chauvinisme tout
prussien, de Karl Rosner : « der Kœnig » ; pour ce confident et admi-
rateur du dernier roi de Prusse, Guillaume II fut, comme Hamlet, un
caractère faible, timoré, indécis. « La puissance de l'empire allemand a
donné le change sur l'impuissance de l'empereur ». Rosner retrace
quelques journées de la vie de celui-ci pendant le fatidique mois de juil-
let 1918). — M. Baumont. L'Église évangélique et l'Allemagne républi-
caine (l'ÉgUse évangélique reste depuis la révolution de 1918 fidèle à
son passé monarchiste; la nouvelle Allemagne commence à lui tour-
ner le dos; au profit de qui?). — Gonzague Truc. Madame de Main-
tenon (étude écrite avant l'apparition du livre de M°>« Saint-René
Taillandier, mais qui aboutit souvent aux mêmes conclusions). —
L. Hersch. La situation sociale et l'état stationnaire de la popula-
tion française d'après les statistiques de la ville de Paris. = l^"" mars.
Frédéric MasSON. Marie-Louise et ses carnets de voyage. III (voyago
à Dresde et à Prague, où l'impératrice des Français retrouve sa
famille, très hostile à la France). — Pierre Conard. Hindenburg
d'après lui-même. — Louis-F. Aubert. Genève et Washington (objec-
tions soulevées par les États-Unis contre la décision prise de placer
à Genève le siège de la Société des Nations). — - Jean Bonnerot. Les
routes de France. = 15 mars. Ernest Renan. Lettres d'Italie. I
(lettres écrites par Renan à sa mère, à sa sœur Henriette, à son frère
Alain, pendant le voyage qu'il fit en 1849-1850 dans le midi de la
France et en Italie, chargé d'une mission par l'Institut de France). —
Pierre Conard. Hindenburg d'après lui-même ; suite et fin. — Mont-
chrestien. Le mouvement syndicaliste (en 1920). — J. R. Idées d'hier
RECUEILS PÉRIODIQDES. 291
et d'aujourd'hui sur les lois militaires (article à méditer, œuvre d'un
otficier supérieur à qui l'on doit déjà une remarquable étude sur le
maréchal Foch). — Henri Mylès. La fin de Stamboul (transformation
de la ville depuis la révolution jeune-turque de 1908). — Comte de
Fels. Essai de politique expérimentale; l'école dirigeante française
(surtout depuis 1914). =r l*"" avril. Ernest Renan. Lettres d'Italie. II
(fort intéressantes lettres envoyées du Mont-Cassin et d'Assise). —
Frédéric Masson. Marie-Louise et ses carnets de voyage; IV (voyages
sur le Rhin, à Cherbourg. L'impératrice aima sans doute Napoléon
d'un amour d'ailleurs tout physique ; mais l'amour n'a pas développé
son intelligence, ni même sa sensibilité maternelle). — Félicien Chal*
LAYE. Les nouveaux riches au Japon. — Auguste Dupouy. Les vicis-
situdes du port de Lorient. — Emile Haumant. Ernest Denis et son
œuvre slave. — Comte de Fels. L'histoire des négociations avec
l'Autriche en 1917 (bref résumé du livre récemment publié par le
prince Sixte de Bourbon). =: 15 avril. ***. Au 3« bureau du 3« G. Q. G.,
1917-1918 (beaucoup de faits d'un caractère technique exposés avec
une grande précision). — Un Aveyronnais. L'occupation des ports
de la Ruhr (mars et avril 1921). — Georges Hardy. L'éducation fran-
çaise du Maroc. — J. -Emile Ch.antriot. Les Allemands en Lorraine,
2 mars 1871-16 septembre 1873 (montre les procédés employés alors
par le vainqueur pour administrer la portion de territoire détenue
provisoirement par lui comme gage d'une indemnité de guerre). —
Altiar. Notes sur l'Amérique en guerre (du 21 mars au l^"" juin 1918;
suit les fluctuations de l'opinion publique à Philadelphie dans les
milieux très francophiles que troublaient profondément les mauvaises
nouvelles du front français).
12. — Revue des Deux Mondes. 1921, 15 février. — Lyautey.
Lettres de Grèce et d'Italie, 1893. I. — Maurice PaléOLOGUe. La
Russie des tsars. III (pendant la marche des Allemands sur Paris; la
bataille de Soldau ; notes sur le caractère du tsar, fartaliste, persuadé
qu'il a toujours le sort contre lui et qu'il est voué aux catastrophes ;
« les lignes de sa main sont terrifiantes » ; histoire de Raspoutine,
« charlatan et vaurien de la pire espèce », que les souverains défendent
contre toutes les accusations : « les saints sont toujours calomniés » ;
notes sur la grande-duchesse Elisabeth Féodorowna, sœur de l'impé-
ratrice et veuve du grand-duc Serge, ultra-réactionnaire farouche qui
avait été victime d'un attentat en 1905; les deux sœurs étaient en
désaccord au sujet de Raspoutine). — Maurice Barrés. Le génie du
Rhin. V (la tâche qui s'impose maintenant à la France est de ramener
les Rhénans à l'union française, ce qui est possible si l'on sait leur
donner des guides éclairés et bienveillants). — Gabriel Hanotaux. Le
centenaire de l'Ecole des chartes (intéressants souvenirs personnels
sur J. Quichorat, Léon Gautier et An. de Montaiglon). — Testis.
L'œuvre de la France en Syrie. I : Le général Gouraud pacificateur.
— Guglielmo Ferrero. La ruine de la civilisation antique. IV : Cons-
292 HECOEILS PÉRIODIQUES.
tantin et le triomphe du christianisme. — Louis Gillet. Le dernier
roman de M. Wells : « The outline of history. » = l^r mars. Lyautey.
Lettres de Grèce et d'Italie, 1893. II (intéressant). — Marie-Louise
Pailleron. François Buloz et ses amis au temps du second Empire.
11 : George Sand, de 1859 à 1863. — Testis. L'œuvre de la France
en Syrie. II : Le général Gouraud organisateur (avec une carte). —
Georges Goyau. La pensée religieuse de Joseph de Maistre, d'après
des documents inédits. I : 1774-1792 (très intéressante étude sur
Maistre franc-maçon). — ***. Fiume, l'Adriatique et les rapports
franco-italiens. II : Depuis l'arrivée de G. d'Annunzio. = 15 mars.
Maurice Paléologue. La Russie des tsars pendant la Grande Guerre.
JV (suite des souvenirs de l'ex-ambassadeur, du 29 octobre 191-4 au
12 janvier 1915. La Russie décidée à faire payer cher à la Turquie ses
attaques contre les villes russes du littoral de la mer Noire sans
déclaration de guerre : « Il nous faudra prendre sur le Bosphore de
solides garanties », dit Sazonov le 2 novembre; mais d'autre part il
est décidé à ne pas retirer un homme du front allemand : « avant tout,
il nous faut vaincre l'Allemagne «. Le tsar dit à son tour le 21 no-
vembre : « Les Turcs doivent être expulsés d'Europe ; Constantinople
doit être une ville neutre avec un régime international. » Quant à l'Al-
lemagne, il faut lui reprendre tous les pays non allemands qu'elle
s'était annexés, afin « d'assurer pour un très long temps la paix du
monde ». En ce qui concerne Guillaume II, le tsar déclare : « pas un
instant il n'a été sincère », et il explique le télégramme que l'empereur
lui envoya, « six heures après m'avoir fait remettre sa déclaration de
guerre », le 2 août, une heure et demie du matin. Comparaison entre
le soldat russe, très brave sans avoir le tempérament belliqueux, mais
avec le coeur très charitable, et le soldat allemand, qui est tout autre.
Notes sur le caractère du peuple russe « si enclin à se laisser abattre,
à changer de désirs, à se dégoûter de ses rêves ». Quant à l'impéra-
trice, M. Paléologue affirme qu'on la calomnia en la traitant d'Alle-
mande ; elle était plutôt Anglaise d'allure et de maintien ; mais « le
fond de sa nature était devenu entièrement russe » ; elle a pris en
aversion l'empereur allemand sur qui elle fit peser toute la responsa-
bilité de la guerre ; cette naturalisation morale explique l'influence
prise sur elle par Raspoutine. Détails sur l'Okrana et en général sur
le département de la police au ministère de l'Intérieur. Du sentiment
religieux chez les Russes). — Lyautey. Lettres de Grèce et d'Italie,
1893; suite : Rome et Florence. — Princesse Bibesco. Une fille de
Napoléon : Emilie de Pellapra, comtesse de Brigode, princesse de
Chimay. — André Hallays. Pierre Bûcher; notes et souvenirs (très
intéressante peinture du patriote alsacien qui a tant fait pour mainte-
nir, exalter le sentiment français en Alsace). — André Beaunier.
Madame de La Fayette et ses bons amis les savants (Ménage, Huetet
Segrais). — Léon Grégoire. Les mémoires d'un nonce : le cardinal
Ferrata (qui mourut secrétaire d'État du pape Benoît XV; ses
RECUEILS PÉRIODIQUES. 293
mémoires, qui se rapportent aux années 1847-1890, viennent de
paraître à Rome; ses nonciatures en France de 1879 à 1883 et de 1891
à 1895. Influence exercée par l'attitude conciliante cïe Léon XIII à
l'égard de la République française sur l'éclosion de l'alliance franco-
russe). — René Pinon. L'avenir de l'entente franco-britannique. II : Le
système continental. =: 1«'" avril. Duc de La Force. Le grand Conti
(il s'agit de François-Louis de Bourbon, neveu du grand Condé. Son
('•ducation toute janséniste; Fleury son précepteur. La vie du prince
i'i ses dépenses à La Roche-sur-Yon, 1680-1684). — Maurice Faléo-
LOGUE. La Russie des tsars pendant la Grande Guerre. V (l'antago-
nisme entre le pouvoir impérial, le gouvernement et l'esprit public;
les sectes religieuses en Russie, janvier-mars 1915). — Georges
GOYAU. La pensée religieuse de Joseph de Maistre. II : 1792-1821. —
***. Fiume, l'Adriatique et les rapports franco-italiens. III (épilogue
de la dictature d'Annunzio). := 15 avril. Jérôme et Jean Thapaud.
Bolchevistes de Hongrie. II : Michel Karolyi et Bêla Kun. — René
Bazin. Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara
(Foucauld, ancien lieutenant de hussards, donne sa démission pour
aller étudier les Arabes chez eux. Son exploration du Maroc com-
mença en 1883. Amusante histoire du juif Mardochée qui devait lui
servir de guide). — Marie-Louise Pailleron. François Buloz et ses
amis au temps du second Empire. III : Les opinions du fondateur de
la Revue (Buloz était libre penseur et démocrate). — L. Batiffol. Les
faux mémoires du cardinal de Richelieu (personne n'a entendu parler
des Mémoires de Richelieu avant Foncemagne, qui avait cru les trou-
ver en 1764 dans les archives du ministère des Affaires étrangères;
or, ces prétendus mémoires sont en réalité l'œuvre d'Achille de Har-
lay de Sancy, évèque de Saint-Malo. M. de Saint-Malo, qui n'a
jamais été le secrétaire du cardinal, écrivit des mémoires après la
mort de Richelieu à l'aide de documents déjà réunis par deux anciens
secrétaires : Charpentier et Cherré). — ***. La Pologne sauvée et tou-
jours menacée.
Grande-Bretagne.
13. — The english historical Revievsr. 1921, avril. — G. H.
Wheeler. La chronologie des plus anciens rois de Wessex (parmi
les sources de la chronique anglo-saxonne, l'auteur distingue des
fragments généalogiques pour les années 648-728, qui sont contem-
porains des événements f'en les étudiant de près, il dresse un tableau
des rois de Wessex où beaucoup de noms et de dates sont corrigés).
— Richard A. Nevvhall. Les finances de guerre de Henri V et le duc
de Bedford (étudie en particuher les impôts levés en Normandie). —
Hosea Ballou Morse. Le subrécargue dans le commerce avec la
Chine vers l'an 1700 (intéressant pour l'histoire du commerce avec
l'Extrême-Orient). — J. H. Round. « Maison du comté » et château
(e-vemples de châteaux féodaux soustraits à la juridiction municipale de
294 HECCEILS PÉBIODIQOES.
certains bourgs et où se réunissait, dans une « maison » également
exempte de cette juridiction, la cour du comté). — J. A. Twemlow.
L'étymologie de « Bay sait » (c'est la baie de Bourgneuf, Loire-Infé-
rieure ; mentions fréquentes de cette localité dans les rôles des
xiiie-xv« siècles). — S. T. Gibson. L'office d'échoiteur de 1317 à
1341 (il y avait depuis le milieu du xiv« siècle des ai^ents chargés de
lever les « échoites », les uns au delà de la Trent, les autres en deçà;
remaniés en 1323, rétablis en 1327, ces deux offices furent réunis à
celui du shérifï en 1341. Liste des « échoiteurs » qui furent nommés
dans cet intervalle). — Miss Winifred Jay. La Chambre des Com-
munes et la chapelle de saint Etienne (d'un acte du 22 juillet 1550, il
ressort que le roi donna la maison et l'emplacement du collège ou
hbre chapelle de saint Etienne, qui venaient d'être sécularisés, à Sir
Ralph Fane, en se réservant la partie supérieure de la chapelle « pro
domo parliamenti et pro parliamerttis nostris ibidem tenendis »). —
Goddard H. Orpen. Une lettre inédite de Charles I" au marquis
d'Ormonde (cette lettre fut écrite dans les derniers jours de juillet
1646, avant la paix qui fut signée à DubUn le 30. C'est une transcrip-
tion, faite sans doute par un secrétaire d'Ormonde, de l'original expé-
dié en chifïres). — J. Holland Rose. Rapport de Lord Elgin sur les
afîaires du Levant et de Malte, en date du 28 février 1803. = C-ren-
dus : Sir Paul Vinogradoff. Outlines of historical jurisprudence.
T. I (importante étude historique et juridique sur la famille et la pro-
priété, la tribu et le clan). — H. R. Hall. The ancient history of the
Near East (4^ édit. d'un livre plein de faits). — Th. O. Wedel. The
médise val attitude towards astrology, particularly in England (bon).
— C. Cipolla et Giulio Buzzi. Codice diplomatico del mouastero di
San Columbano di Bobbio fino ail' anno 1208 (recueil d'un intérêt
surtout local). — L. Wahrmurid. Die « ars notariae » des Rainerius
Perusinus (importante compilation ; maître Renier de Pérouse, « pre-
clarus et famosus doctor atque judex », vécut environ de 1185 à 1245).
— A. F. Pollard. The évolution of Parhament (très important;. mais
la lumière n'est pas faite d'une façon définitive sur les points essen-
tiels). — John R. Elder. Spanish influences in scottish history (beau-
coup de faits sur les rapports de l'Espagne avec l'Ecosse de 1488 à
1603; mais beaucoup d'incertitude dans les grandes lignes). —
W. Smith. The history of the Post office in the British North Ame-
riba, 1639-1870 (savant livre,, un peu dur à lire). — Journal of the
Commissioners for trade and plantations from april 1704 to february
1708-1709 (important pour l'histoire des colonies anglaises en Amé-
rique). — W. Michael. Englische Geschichte im achtzehnten Jahr-
hundert. II : Das Zeitalter Walpole's ; l"" partie (cette partie ne traite
encore que de trois années : 1717-1720. Travail considérable et de
grande importance). — H. Fisher. Studies in history and politics
(intéressant recueil d'articles dont plusieurs sur l'époque napoléo-
nîenne). — H. W. Temperley. A history of the peace conférence of
BECOEILS PÉRIODIQUES. 295
Paris (utile et par endroits très remarquable). — A. Mawer. The
place-names of Northumberlaud and Durham (œuvre de solide érudi-
tion ; nombreuses observations de détail par Henry Bradley). —
E. Michael. Geschichte des deutschen Volkes vom dreizehnten Jahr-
hundert bis zum Ausgaog des Mittelalters. Bd. VI (le savant jésuite
est un guide très bien informé à travers les broussailles de l'histoire
politique de l'Allemagne depuis la mort de Henri VI jusqu'à celle
d'Honorius III). — H. Kretschmayr. Geschichte von Venedig. T. II
(de la 4e croisade à 4516; important).
14. — History. 1921, avril. — Arthur Gray. Les débuts des col-
lèges (il s'agit de ceux de Cambridge). — G. P. GoocH. L'Europe
avant la guerre (d'après les publications de documents entreprises
dans les divers pays d'Europe sur les origines de la Grande Guerre).
— A. F. PoLLARD. Un e:;sai de méthode historique : les journaux de
Barbellion (on a récemment publié sous le nom de W. N. P. Barbel-
lion un « Journal of a disappointed man » et « A last diary » ; ces
ouvrages sont en grande partie une mystification littéraire, oeuvre de
deux ou trois mains différentes. Les invraisemblances et les erreurs
de fait sont si nombreuses qu'on ne saurait leur accorder aucune
créance. Wells, l'éminent romancier, y aurait-il mis la main?). —
R. W. Seton-Watson. La Serbie et le mouvement yougoslave (avec
une abondante bibliographie). = C. -rendus : VV. M. Flinders Pétrie.
Some sources of human history (beaucoup d'intéressantes observa-
tions). — W. C. Abbott. The expansion of Europe, 1415-1789 (com-
pilation à l'usage des étudiants pressés d'entasser dans leur mémoire
beaucoup de faits sans critique). — H. E. Bolton et T. M. Marshall.
The colonization ofNorth America, 1492-1783 (excellent). ~ R. Cohen..
Kuights of Malta, 1523-1798 (très bref résumé). — W. E. D. Allen.
The Turks in Europe (bon résumé). — J. L. Morison. British supre-
macy and Canadian self-government, 1839-1854 (très instructif).
15. — The Quarterly Review. 1921, avril. — Contre-amiral
Ronald A. Hopwood. La foi qui sauve (à l'occasion des deux ouvrages
de C. Taylor : « The life of admirai Mahan », et du contre-amiral
W. S. Sims : « The victory at Sea » montre que, si les Allemands
ont déployé toute l'industrie dont ils sont capables pour mettre en
pratique 1^ idées de Mahan sur la maîtrise de la mer, ils n'ont pas
su s'inspirer de l'esprit du vrai marin qui donne la victoire). — W. R.
Inge, doyen de Saint-Paul. L'homme blanc et ses rivaux (ceux de la
race jaune). — Lord Ernle. L'Angleterre et les ouvriers agricoles (à
propos de trois ouvrages : llasbach : « A history of tlie euglish agri-
cultural labourers », trad. par Ruth Kenyon; Hammond : « The vil-
lage labourer, 1760-1832 », et F. E. Green : « A history of the english
agricultural labourer, 1870-1920 »). — Geoffrey L. Bickersteth.
Benedetto Croce considéré comme critique littéraire. — F. W. Eg-
GLESTUN. L'unité impériale et le traité de paix (l'indépendance des
296 BECCEILS PÉRIODIQUES.
Dominions n'a aucunement ébranlé l'unité de l'Empire britannique,
fondé sur le principe de la liberté). — A. D. C Russell. Le chemin
de fer de Bagdad (comment il a été construit; avec une carte). —
G. P. GooCH. Une nouvelle biographie de Gœthe (celle de feu P. Hume
Brown, complétée par Lord Haldane). — Mary Maxwell Moffat.
Eleonora Fonseca et la révolution napolitaine de 1799. — G. W. Em-
MET. Le livre de l'Apocalypse (à propos de l'ouvrage de R. H. Charles :
« A critical and exegetical commentary on the Révélation of St. John » ;
important ouvrage, dont une des conclusions est qu'il est impossible
d'attribuer à la même personne le 4^ évangile, les trois épîtres johan-
niques et l'Apocalypse. Ce dernier ouvrage a été composé par un Jean
inconnu, un prophète qui a émigré sur le tard de la Galilée, où naquit
l'Apocalypse, à Éphèse. L'auteur s'est en outre efforcé de montrer la
puissance dramatique et l'unité de l'Apocalypse). — Charles Woods.
La vérité sur les Balkans (d'après les traités de Saint-Germain, de
Trianon, de Neuilly et de Sèvres; avec une carte). — W. H. MORE-
LAND. La science de l'administration publique.
16. — The Scottish historical Review. 1921 , avril. — R. K. Han--
NAY. Le Parlement et le Conseil général (étude sur le sens des mots
« parliamentum » et « générale consihum » en Ecosse, du xiv« au
xvp siècle. Le Parlement et le Conseil général sont deux institutions
distinctes ; au xvp siècle, le terme Conseil général est d'ordinaire
remplacé par celui de Convention). — Walter Seton. Les papiers
des Stuarts au château de Windsor (publie un catalogue sommaire
des papiers qui furent acquis en 1810 par l'intermédiaire de l'abbé
Waters, procureur général des Bénédictins anglais à Rome. Ce cata-
logue est une note autographe de Sir William Hamilton, le mari de
Lady Hamilton, qui fut la maîtresse de Nelson). — W. A. Craigie.
Inscriptions bibliques en écossais trouvées en France. — D. Murray.
Ninian Campbell de Kilmacolm, professeur d'éloquence à Saumur,
ministre à Kilmacolm et à Rosneath (biographie de ce ministre, qui
mourut à Rosneath le 11 mars 1657, âgé de cinquante-huit ans). —
S. N. Miller. Poterie samienne et chronologie de l'occupation
romaine (montre comment on peut marquer l'extension de la domina-
tion romaine en Ecosse en étudiant les poteries dites « samiennes »
ou en « terra sigillata » trouvées dans le sol et récemment étudiées en
Allemagne par Knorr, en Angleterre par F. Oswald et T. D. Pryce). =
C.-rendus : Extracts from Newcastle-upon-Tyne Council minute-
book, 1639-1656. — Marjorie et Quennell. A history of everyday
things in England, 1066-1799 (extraits joliment illustrés). — Th. May
et L. E. Hope. Catalogue of the roman pottery in the Muséum, Tul-
lie House, Carlisle. — A. Mawer. The place-names of Northumber-
land and Durham (remarquable. Les conclusions de l'auteur sont
que, dans les comtés du nord-est, l'élément celtique n'est pas plus
considérable que dans ceux du reste de l'Angleterre; la plupart des
noms de lieu sont d'origine anglaise; l'élément Scandinave est très
RECUEILS pe'riodiques. 297
faible et l'élément français presque nul). — //. G. Rawlinson. British
beginnings in Western India, 1579-1657 (bonne histoire de la factore-
rie anglaise de Surat). — The city of Glasgow; itsorigin, growth and
development (bon recueil d'articles rédigés par des érudits locaux).
17. — Transactions of the royal historical Society. 4" série,
t. 111, 1920. — Sir C. W. Oman. Allocution présidentielle (sorte de
résumé de la question d'Orient depuis les croisades). — Les archives
de la Grande-Bretagne et les Puissances alliées pendant la guerre.
2<-" série (France, Belgique, Canada, Australie, Union du Sud-
Afrique). — G. Edmundson. Le voyage de Pedro Teixeira sur l'Ama-
zone, de Para à Quito et retour, 1637-1639 (utilise des documents iné-
dits). — Miss Mildred Wretts- Smith. Les Anglais en Russie
pendant la seconde moitié du xvi" siècle (signale de nouveaux fonds
d'archives qui permettent de compléter l'histoire de la Compagnie
anglaise de commerce avec la Russie au temps d'Elisabeth et d'Ivan
le Terrible). — Miss H. Dormer Harris. Documents inédits sur la
vie municipale à Coventry (d'après deux volumes de correspondances
du xvp siècle et le journal de Robert Beake, maire de Coventry en
1655). — W. Rees. La peste noire en Galles (et son influence sur
l'économie agricole). — J. E. Neale. Les journaux de la Chambre
des Communes au temps des Tudors (importante étude critique. Au
début, c'est-à-dire vers le milieu du xvi« siècle, les Communes
paraissent ne s'être pas préoccupées de tenir un procès-verbal de
leurs délibérations; en 1571, on commence par admettre que le « clerk »
de la Chambre est tenu de le rédiger; en 1604, la Chambre considère
qu'elle doit en prendre le plus grand soin).
Italie.
18. — Archivio storico italiano. 1920, anno LXXVIII, vol. I,
fasc. 2. — Luigi Chiappelli. Maîtres et écoles à Pistoia jusqu'à la fin
du xiye siècle (publie en appendice huit documents du xii» siècle à 132G).
— Romolo QuAZZA. La lutte diplomatique entre Gênes et l'Espagne
après qu'Albéroni eut quitté la Ligurie en fugitif, 1720-1722. — Amy
A. Bernardv. La mission de Benjamin Franklin à Paris, d'après les
dépêches des ambassadeurs vénitiens en France, 1776-1786 (publie en
appendice trois de ces dépêches, plus un projet de traité d'amitié et de
commerce entre les États-Unis et la République de Venise en
décembre 1784). = C. -rendus : Vincenzo Epifanio. L'idea italiana e
i re d'Italia nei secoli (bon écrit de propagande nationaliste). —
P. Torelli. Studi e ricerche di diplomatica comunale (bon instrument
de travail). — N. Zucchelli et Eug. Lazzareschi. S. Calerina da
Siena e i Pisani (mettent en bonne lumière l'œuvre politique et reli-
gieuse de la sainte; son séjour à Pise a marqué le début de la mission
qu'elle s'était dunuée et qui avait pour objet de ramener le pape à
Rome). — - Fernanda Surbelli-Bonfà. Camilla Gonzaga Faà (bonne
298 RECOEILS rÉRIOJDIQCES.
étude sur le mariage fictif du duc Ferdinand de Gonzague avec
Camille Faà, qui finit par entrer au couvent le 22 mai 1622). —
A. Dallolio. La difesa di Venezia nel 1848 (d'après la correspondance
de Carlo Berti-Pichat et d'Auguste Aglebert). = Article nécrologique
sur Pietro Vigo (historien livournais mort le 4 octobre 1918).
19. — Archivio storico lombardo. Anno XLVII, fasc. 1-2
(30 juin 1920). — Ugo Monneret de Villard. Le « Memoratorium
de mercedibus Commacinorum » (essaie de déterminer le caractère de
ce document, fort important pour la technique et l'organisation de
l'industrie du bâtiment dans l'Italie lombarde ; explication des termes
de métier; réédition du texte). — Carlo M. Rota. Pays du Milanais
disparus ou détruits; suite. — Carminé di Pierro. Un poème latin
de l'humaniste Jean de Crémone à l'honneur de Carmagnola (texte de
ce poème qui a pour titre : « Victoria domini ducis Mediolani in domi-
num Pandulphum de Malatestis, per magistrum Johannem de Cre-
mona gramatica? doctorem »). — Leopoldo PaGani. L'ambassade de
Francesco Sforza au pape Nicolas V pour traiter de la paix avec
Venise, 1453-1454. — G. Agnelli et A. Mazzi. Notes de topographie
historique. — Rinaldo Baretta. Vente par les seigneurs de Mandello
à Napoleone délia Torre de leurs droits sur la seigneurie de Grantola
Valtravaglia, 1263 (texte de ce document en latin, très long et très
minutieux). — Pio Pecchiai. Questions de préséance au xyiii^ siècle.
— Alessandro Giulini. Le collège impérial des chanoinesses de saint
Charles à Crémone (fin xviii« siècle). = C. -rendus :, Elia Lattes.
L'enigma etrusco (deux brochures où l'auteur, tout en s'eSorçant
de prouver la parenté de l'étrusque avec les dialectes italiques,
reconnaît que l'énigme reste sans solution). — Ugo Monneret
de Villard. La moneta in Italia durante l'alto medio evo; fasc. 1
(important). — Giovanni Antona Traversi. Per le nozze Ponzani-
Antona Traversi (on fait ici l'histoire de l'abbaye de dames bénédic-
tines de Saint- Victor, près de Meda, dans la Brianza occidentale;
les terres de cette abbaye ont été achetées en 1836 avec les archives,
encore aujourd'hui considérables; on publie quatorze des plus anciens
documents, du x* au xii« siècle). — Pietro Torelli. L'archivio Gon-
zaga di Mantova; t. I : Monumenta (inventaire complet de ces belles .
archives, avec une très abondante bibliographie). z= Fasc. 3 (15 no-
vembre 1920). Arrigo Solmi. Le texte des « Honorantie civitatis
Papie » (d'après un manuscrit du xv^ siècle non utilisé par les précé-
dents éditeurs. Le texte comprend deux parties : d'abord un docu-
ment de 1024 intitulé « Instituta regalia et ministeria camere regum
Longobardorum », puis un tableau, tracé au xiv« siècle, des gloires
de Pavie. Nouvelle édition des « Instituta »). — Giannina Biscaro.
Rapports des Visconti de Milan avec l'Eglise (au temps de Benoît XII,
1335-1342; en appendice, une note sur la conspiration de Francescolo
Pusterla). — Alessandro Visconti. La politique ecclésiastique du gou-
vernement autrichien en Lombardie pendant la seconde moitié du
RECUEILS PÉRIODIQUES. 299
xviiP siècle. — Piero Parodi. Nicodemo Tranchedini de Pontre-
moli, généalogiste des Sforza. — Pio Pecchiai. Les deux tombeaux
des Biraghi à l'Ospedale maggiore de Milan (Bernardo Biraghi, moine
à l'hôpital du Brolo et recteur de cet hôpital, mort en 1491; Daniele
Biraghi, sénateur du duché de Milan au temps de Galéas Marie
Sforza, mort en 1495). — C. -rendus : Cesare Manaresi. Gli atti del
comune di Milano fino ail' anno 1216 (bonne édition critique). —
G. Gallavresi et V. SalUer de La Tour de Cordon. Le maréchal
Sallier de La Tour. Mémoires et lettres (ces documents intéressent
l'histoire des guerres contre Napoléon I^"" dans l'Italie méridionale et
en Espagne). — Raffaello Barbiera. Voci e Volti del passato 1800-
1900 (d'après les archives d'État de Milan). = Notices historiques :
A. GiULiNi. Documents nouveaux concernant Maria Marina d'Esté
Colonna (publie une lettre du 20 septembre 1758). — G. Gallavresi.
Quelques lettres de Tommaso Grossi à Mgr Tosi, 1827-1830. —
Notice nécrologique et bibliographique sur Giacinto Romano.
20. — Archivio storico perle provincie Napoletane. T. XXXIX,
fasc. 2, 1914, avril-juin. — F. Torraca. Jean Boccace à Naples, 1326-
1339; suite. — F. Forcelliki. Étranges aventures d'un bâtard de la
maison d'Aragon ; suite (Alphonse d'Aragon ; son rôle Sans la guerre
avec Venise, 1482-1489). — A. Simioni. Le complot jacobin à Naples
en 1794, d'après des documents nouveaux; suite. — G. Caso. Lachar-
bonnerie dans la Capitanate, 1816-1820, et l'histoire du « Risorgi-
mento italiano » ; suite (chap. m : les « ventes » des « Carbonari » en
1820 à Foggia, Cerignola, Lucera, Manfredonia, Mautesantangelo). =
C. -rendu : E. Jamison. The norman administration of Apulia and
Capua, more especially under Roger II and William II (analyse
détaillée de cette remarquable étude, avec l'indication d'un certain
nombre de corrections). = Juillet-septembre. F. Torraca. Jean Boc-
cace à Naples, 1326-1339; suite. — F. Forcellini. Étranges aventures
d'un bâtard de la maison d'Aragon; suite (1489-1497). — A. Simioni.
Le complot jacobin à Naples en 1794; suite. — G. Caso. La charbon-
nerie dans la Capitanate, 1816-1820; suite (les « ventes » de S. Barto-
lomeo in Galdo, Vieste, Volturara, Sansevero, S. Giovanni Rotondo,
Rodi, S. Marco in Lamis). — G. d'Addosio. Documents inédits con-
cernant des artistes napolitains du xvi» et du XYii* siècle, d'après les
polices de la banque des Banchi; suite et à suivre dans toutes les
livraisons de 1915 à 1919. = C. -rendus : R.-T. Gûnther. Pausilippon
(décrit tous les monuments antiques de la région du Pausilippe; mais
l'auteur, géologue distingué, aurait bien fait de s'assurer la collabora-
tion d'un archéologue). — R. Cessi. Un vescovo Pugliese del sec. vi
(étude sur une des vies de S. Sabino de Canosa). — Karl Ilarstedtet
Frilz Kern. Zum Kampf um Sizilien, 1256-1258 (deux documents
sur la candidature d'Edmond d'Angleterre au trône de Sicile). —
Fr. Nitti. Le pergamene di Barletta; archivio capitolare, 897-1285
(334 documents bien publiés). — V. Roppo. Le fonti del diritto di
300 RECOEILS PÉRIODIQOES.
Terra di Bari (étude d'un caractère surtout bibliographique et d'un
mince intérêt). — F. Sa.vini. BuUarium capituli Aprutani saec.xiii et
XIV (bonne édition de textes dont l'intérêt est surtout local). — L. Vol-
picella et E. Lazzareschi. La signoria di Lucca aile nozze di Ferdi-
nando I di Napoli con Giovanna d'Aragona (1476 ; joli « per le nozze »).
— G. Paladino. La fine del conte di Policastro, secondo nuovi docu-
menti (nie, sur la foi de documents nouveaux, qu'au moment de mou-
rir sur l'échafaud le comte ait imploré la grâce du roi, 13 novembre
1486). — A. Bianconi. L'opéra délie compagnie del « Divino amore »
nella Riforma cattolica (instructif). — C. Contessa. I regni di Napoli
e di Sicilia nelle aspirazioni italiane di Vittorio Amedeo II di Savoia,
1700-1713 (bon). — R. Baldi. La contrarivoluzione Cavese del 1799 e
il capitano Don Vincenzo Baldi (brochure de vingt et une pages). —
B. Zumbini. Gladstone nelle sue relazioni con l'Italia (bon). = Oc-
tobre-décembre. F. TORRACA. Jean Boccace à Naples, 1326-1339; suite
et fin (c'est pendant son séjour de quatorze années à Naples que
s'acheva la formation intellectuelle du Florentin Boccace. Appendice
de trente-deux documents d'un caractère commercial et financier). —
P. Egidi. La colonie sarrasine de Lucera et sa dispersion ; suite et fin.
= Nouvelle série, t. I, 1915, fasc. 1-2. Bibliographie des œuvres de
Giuseppe De Blasiis (De Blasiis, qui est mort le 29 avril 1914, âgé de
quatre-vingt-deux ans, avait inauguré en 1861 le cours d'histoire
nationale à l'Université de Naples et fut, pendant une quarantaine
d'années, directeur de l'Archivio, première série. Suivent le texte de
trois discours prononcés devant son cercueil le 30 avril 1914 et toute
une série d'articles sur la vie, les œuvres, l'enseignement du défunt).
— G. De Blasiis. Leçon d'ouverture du cours d'histoire nationale,
1861. — Id. Un château souabe et angevin à Naples (c'est le château
du Belvédère ou de Monteleone, qui s'élevait près de Pouzzoles ; cons-
truit par Frédéric II au milieu d'une forêt ou « gualdo », vers 1227,
comme lieu de repos et centre de chasse, il fut occupée ensuite par
Charles l'^"' d'Anjou et, depuis, on peut suivre son histoire jusqu'au
xvi^ siècle, où il n'était plus qu'une ruine. Nombreux documents en
appendice). — Giuseppe Paladino. Nouveaux détails sur Fabrizio
Marramaldo (fameux condottiere napolitain mort en 1542. D'après des
notes et des documents réunis par G. De Blasiis). =: Fasc. 3. Angela
Valente. Marguerite de Durazzo, lieutenant de Charles III et tutrice
du roi Ladislas. Introduction (publie le texte des sentences d'excom-
munication lancées par l'antipape Clément VII contre Charles de
Durazzo et ses pjirtisans le 25 décembre anno 4° et contre sa femme,
Marguerite, le 11 juillet de la même année). — Enrico Perito. La
guerre d'Otrante et les cédules de la trésorerie aragonaise de cette,
époque (analyse de documents pour les années 1480 et 1481). —
M. Martini. L'acqua Tufania à Naples et les démêlés du cardinal
Francesco Pignatelli (il s'agit d'affaires de poison qui atteignirent un
haut degré de gravité au milieu du xviF siècle et dans les premières
RECUEILS PÉBIODIQDES. 301
années du xviif. Publie la confession d'une empoisonneuse, Gaterina
de Martino, en 1707). — B. C. Une ambassade du roi de Castille à
Tamerlan et son passage sur les côtes du royaume de Naples, juin et
juillet 1-403 (publie la relation, en langue vulgaire, de ce voyage par
un des ambassadeurs, Ruy Gonzalez de Clavijo; elle a déjà été éditée
à Séville en 1582. Elle est brève et d'un intérêt restreint). — Giuseppe
Salvioli. L'œuvre de Biagio da Morcone (c'était un juriste qui, en
1335, composa un traité « De différentes inter ius Longobardorum et
lus Romanorum »). — Francesco Cerone. Gorrespondance des Rois
Catholiques avec le Grand Capitaine pendant la campagne d'Italie
(analyse cette correspondance publiée dans la « Revista de archivos,
bibliotecas y museos » en 1912 et 1913). — Giuseppe Ceci et Attilio
SiMiONi. Bibliographie de l'histoire méridionale, 1910-1914. = Fasc. 4.
Angela Valente. Marguerite de Durazzo, lieutenant de Charles III
et tutrice du roi Ladislas; suite (lutte contre Urbain VI, 1384-1385).
— Giovanni Pansa. Le rite judaïque de la profanation de l'hostie et
le cycle de la Passion dans les Abruzzes (dans ce cycle figure saint
Longin, nom de chose devenu nom de personne. Ce nom a en outre
contribué à l'altération du nom de lieu Anxanum devenu Lanciano).
— Luigi Genuardi. La « lex et consuetudo Romanorum » dans le
principat Ipmbard de Salerne. — Alfonso Gallo. Aversa et la
« charta » pendant la période normande (étude diplomatique sur la
rédaction des actes appelés « chartae », xi^ et xii^ siècles). — Martino
Martini. L'acqua Tufania à Naples et les démêlés du cardinal Fran-
cesco Pignatelli; suite (1703-1713).— Mario Vinciguerra. La régence
bourbonienne pendant la minorité de Ferdinand IV (Tanucci après
1759; légende de sa dictature). — B. C. Une poésie espagnole à la
louange de Lucrezia d'Alagna, femme d'Alfonse, roi d'Aragon (par
Pierre Torroella). — G. Ceci et A. Simioni. Bulletin bibliographique
sur l'histoire méridionale, 1910-1914. = Nouvelle série, anno II,
fasc. 1 (30 mai 1916). F. Cerone. La souveraineté napolitaine sur la
Morée et sur les îles voisines. — M. Schipa. Le soulèvement de
Masaniello, d'après des mémoires contemporains inédits (1" le héros
populaire du 7 au 16 juillet 1647; 2° les deux premières journées
d'émeute contre la gabelle, 7 et 8 juillet). — Mario Vinciguerra. La
régence bourbonienne pendant la minorité de Ferdinand IV; suite
(situation écpnomique du pays napolitain en 1760-1761). — Albina
Palanza. Un comte normand d'Avellino (Goffredo, comte de Catan-
zaro, qui, en 11/14, prit le titre de a comes Catacensis Abellini »). —
B. C. Un pot-pourri inédit du xv» siècle (publie un « gliommero » ou
« frottola », sorte de pot-pourri en dialecte napolitain). = Fasc. 2-3
(25 octobre 1916). F. Cerone. La souveraineté napolitaine sur la Morée
et sur les îles voisines; suite (1270-1278). — Angela Valente. Mar-
guerite de Durazzo, lieutenant de Charles III et tutrice du roi Ladis-
las; chap. II (continuation de la lutte entre Charles III et Urbain VI;
seconde lieutenance de Marguerite, de septembre 1385 à mars 1387).
302 RECDEILS PÉRIODIQUES.
— M. SCHIPA. Le soulèvement de Masaniello; suite (négociations avec
l'autorité royale, 8-10 juillet). — Mario Vinciguerra. La régence
bourbonienne pendant la minorité de Ferdinand IV (les partis clérical
et anticlérical en 1762). — A. Gallo. Aversa et la « charta » pendant
la période normande; fin. — Martino . Martini. L'acqua Tufania à
Naples et les démêlés du cardinal Francesco Pignatelli (fin de l'affaire
des poisons vers 1730; des traces qu'elle a laissées dans la littérature).
= Fasc. 4 (30 mars 1917). M. Schipa. Le soulèvement de Masaniello;
suite (Masaniello, capitaine général du peuple, 10-12 juillet 1648). —
Mario Vinciguerra. La régence bourbonienne pendant la minorité de
Ferdinand IV; suite (la marquise Tanucci; Wlnckelmann à Naples;
état où se trouvaient en 1763 les fouilles de Pompéi et d'Herculanum ;
la question des grains en 1764). — Albina Palanza. Un comte nor-
mand d'Avellino; suite. — B. C. Lettres et documents tirés des papiers
de Giuseppe Poerio (1799-1818 ; quelques lettres de la comtesse d'Albany
en 1814-1819). = C. -rendus : Ed. Sthamer. Die Reste des Archivs
Karls I von Sizilien im Staatsarchiv zu Neapel (beaucoup de docu-
ments pour l'histoire et l'administration des châteaux possédés par
les Hohenstaufen dans l'Italie méridionale). — R. Davidsohn. Bei-
traege zur Geschichte Manfreds (trois courts articles où sont signalés
quelques documents inédits sur Manfred et sa famille). — A. Bel-
lucci. Memorie storiche ed artistiche del tesoro nella cattedrale dal
secolo XVII al xviii (beaucoup d'utiles documents). =: Anno III,
fasc. 1-2 (20 septembre 1917). Francesco Cerone. La souveraineté
napoUtaine sur la Morée et les îles voisines; suite (publie beaucoup de
documents se rapportant au règne de Charles I^' d'Anjou, 1278). —
Albina Palanza. Un comte normand d'Avellino; suite et fin (dis-
tingue deux seigneurs appelés Richard d'Aquila qui vivaient dans le
même temps. L'un d'eux, qui fut seigneur de Riardo, eut pour suc-
cesseur, en 1167, son fils Roger II). — M. Schipa. Le soulèvement de
Masaniello; 2« partie (suites du mouvement après la mort de Masa-
niello, 17 juillet-6 août 1647). — B. C. Lettres et documents tirés des
papiers de Giuseppe Poerio; suite (1820). = Fasc. 3-4 (20 mai 1918).
Mario Schipa. Le soulèvement de Masaniello; suite et fin (août-
décembre 1647). — M. Vinciguerra. La régence des Bourbons pendant
la minorité de Ferdinand II ; suite et fin (la dictature de Tanucci fut
en somme bienfaisante autant qu'opportune). — B. C. Lettres et docu-
ments tirés des papiers de Giuseppe Poerio; suite et fin (1820-1848).
=: Anno IV, 1918, fasc. 1-2. A. Valente. Marguerite de Durazzo,
lieutenant de Charles III et tutrice du roi Ladislas; suite (1387-1390).
— G. Paladino. Un épisode de la conspiration des barons. Le traité
de Miglionico, 1485. — F. Torraca. Boffile de Juge (ajoute peu à
l'ouvrage de Pasquier). — G. Bresciano et M. Fa va. La librairie et
la papeterie à Naples au temps de la Renaissance, l''^ partie : le com-
merce des livres. — F. Nicolini. L'enfance et l'adolescence de l'abbé
Galiani, 1735-1745; notes, lettres, vers et documents. = Fasc. 3-4.
RECUEILS PÉRIODIQUES. 303
Angela Valente. Marguerite de Durazzo, lieutenant de Charles III et
tutrice du roi Ladislas ; suite et fin (minorité de Ladislas après qu'il
eut été reconnu par le pape, mai 1390-juillet i393. Quatorze docu-
ments inédits en appendice). — Giuseppe Paladino. Un épisode de la
conspiration des barons. La paix de Miglionico, 1485; suite et fin. —
M. Fava et F. Bresciano. La librairie et la papeterie à Naples au
xv« siècle; suite (biographie des libraires). — Michelangelo Schipa.
La conspiration du piince de Montesarchio en 1648. — Nicola Fero-
RELLi. Les patriotes de l'Italie méridionale réfugiés en Lombardie de
1796 à 1806 (le journaliste Giuseppe Abamonti). — Leone Mattei-
Cerasoli. De quelques évêques peu connus (xii« et xiiF siècles). =
Anno V, 1919, fasc. 1-4 (31 mai 1920). A. Gallo. Les notaires napo-
litains pendant le moyen âge (organisation de cette corporation depuis
le vi« jusqu'au xiv" siècle). — C Rivera. Pour servir à l'his-
toire des Borrelli, comtes de Sangro (x-xii« siècles; avec uli tableau
généalogique). — A. Mancarella. Florence, l'Église et l'avènement
de Ladislas de Durazzo au trône de Naples; l*'' article. — R. Pes-
CIONE. ^e métier de la soie à Naples et le privilège de juridiction,
d'après des documents inédits. — M. Schipa. La conspiration du
prince de Montesarchio, 1648. 2'= partie : les conspirateurs (le prince
de Montesarchio et le duc de Guise). — N. Cortese. Les « Enseigne-
ments » de Francesco d'Andréa à ses neveux (publie le texte des
« Avvertimenti ai suoi nepoti », qui est une véritable autobiographie
du personnage. Dans l'introduction, l'auteur étudie la renaissance de
la philosophie à Naples au xvii^ siècle). — G. Ceci. Les mémoires du
général Vincenzo Pignatelli di Strongoli (extraits relatifs aux années
1831-1837). — Leone Mattei-Cerasoli. De quelques évêques napoli-
tains peu connus; suite et fin (xi-xiv^ siècles). — G. Paladino. Pour
servir à l'histoire de la conspiration des barons; documents inédits
tirés des archives d'Esté, 1485-1487. — B. C. L'Académie des
« Sereni » (publie l'acte de fondation de cette Académie, 14 mars
1546).
21. — Rivista storica italiana. Anno XXXVII, 4^ série, t. XII,
fasc. 1, janvier-mars 1920. — J: Strzygowski. Die Baukunst der
Armenier und Europa (montre l'influence exercée par l'Arménie sur
l'architecture européenne. L'art roman devrait être appelé plutôt l'art
oriental de l'Occident). — P. Baldi. La questione dei luoghi santi in
générale. La custodia francescana di Terra Santa (deux brochures de
propagande pour venir au secours des missionnaires italiens). —
L. Fausti. Le pergamene dell' archivio del duomo di Spalato (inven-
taire de ces chartes, au nombre de 938). — (/. Sironi. La stirpe e la
nazionalità nel Tirolo. La Rezia (sérieuse tentative pour débrouiller un
problème ethnique très compliqué). — E. Ciaceri. Processi politici e
relazioni internazionali (recueil de mémoires sur les deux derniers
siècles de la République et le premier siècle de l'Empire). — Amedeo
Crivellucci. Landolfi Sagacis Historia romana (très bonne édition
304 RECUEILS pe'biodiques.
d'une chronique écrite sans doute à Bénévent au xi« siècle, avant la
mort de Basile II en 1023). — V. Facchinetti. Siate amici. Siate
apostoli (deux intéressantes études sur la vie et l'œuvre de saint Fran-
çois d'Assise). — L. Frati. Chartularium studii Bononiensis; t. IV
(documents tirés d'archives notariales de 1319 à 1370). — Alessandro
Gherardi. La storia d'Italia di Francesco Guicciardini (très belle édi-
tion). — Inès d'Onofrio. Il carteggio intimo di Margherita d'Austria,
duchessa di Parma e Piacenza (étude critique sur les papiers des Far-
nèse). — N. Giudici. I dispacci di Germania dell' amhasciatore veneto
Daniele Dolfm (ces dépêches vont de février 1703 à juillet 1708). —
P. Molmenti. Carteggi Casanoviani; lettere di Giac. Casanova e di
altri a lui (belle édition des lettres écrites par Casanova au comte de
Collalto et à l'abbé Délia Lena, 1771-1792). — Eug. Lazzareschi. Un
amhasciatore Lucchese a Vienna : G.-B. Domenico Sardini, 1751-
1759. — Publications relatives à la Révolution française et au Risor-
gimento italiano. = Fasc. 2, avril-juin 1920. A. Solmi. Storia del
diritto italiano (seconde édition d'un ouvrage désormais classique). —
R. di Tucci. Manuale di storia délia Sardegna (bon). — E. Calle-
gari. Alessandro Severo e gli « Acta martyrum » (montre qu'Alexandre
Sévère n'a pas été le féroce persécuteur des chrétiens que nous
montrent les Actes des martyrs). — F. Lanzoni. La prima introdu-
zione del Cristianesimo e dell' episcopato nella Sabina e nel Piceno
(bon). — A. Gaudenzi. Il costituto di Costantino (excellente étude sur
la donation de Constantin et sur l'emploi qui en fut fait par la papauté
à partir de Léon IX). — Roberto Cessi. Regnum ed Imperium in Ita-
lia (bonne étude sur l'organisation politique de l'Italie au v« siècle). —
Natalie Schoepp. Papst Hadrian V, Kardinal Ottobuono Fieschi (très
consciencieuse biographie). — Angela Valente. Margherita di Durazzo,
vicaria di Carlo III e tutrice di re Ladislao (bon). — G. B. Picotti. La
neutralità Bolognese nella discesadi Carlo VIII (important). — Livres
sur la Révolution française et le Risorgimento. = Fasc. 3. Vittorio
Adami. I confiai d'Italia nelle concezioni storiche, letterarie et scien-
tifiche (sans valeur). — P. Molmenti. Curiosità di storia veneziana
(intéressant recueil d'articles, dont quelques-uns inédits). — E. Bruzzi.
L'arte délia lana in Prato (bon pour l'époque moderne). — Francesco
Tarducci. I Pelasgi secondo gli studî di un autore dimenticato (bril-
lante conférence sur don Giuliano Berti, mort depuis longtemps, qui
publia en 1877 un ouvrage sur Ravenne pendant les trois premiers
siècles de sa fondation). — Gerda Bseseler. Die Kaiserkronungen in
Rom und die Roemer 800-1220 (bon). — R. Filangieri di Candida.
La « charta » Amalfitana (bonne étude diplomatique sur les chartes
provenant des monastères di S. Maria di Fontanella et de S. Lorenzo
del piano). — E. Vacas Galindo, 0. P. San Raimund de Peîïafort,
fundador de la orden de la Merced (très bonne dissertation). — Guido
Zaccagnini. I banchieri Pistoiesi a Bologna a altrove nel secolo xiii
(important pour l'histoire générale du commerce). — Id. Giovanni di
RECUEILS PÉRIODIQUES. 305
Bonandrea, dettatore e rimatore, e altri grammatici e dottori in arti
dello studio Bolognese (publie plusieurs documents importants). —
Giovanni Drei. Intorno al pontificato di Pio IV ed al concilio di
Trento. La corrispondenza dal card. Ercole Gonzaga, présidente del
segretario Camillo Olivo (très utiles brochures sur le concile de
Trente). — Fr. Novati, Em. Greppi et Al. Giulini. Carteggio di
Pietro e di Alessandro Verri, 1756-1797 (important). — Livres sur la
Révolution française et sur le Risorgimento.
Suisse.
22. — Bibliothèque universelle et Revue suisse. 1920, dé-
cembre. — Virgile RosSEL. De la paix de Versailles à la paix (à pro-
pos des ouvrages de G. Hanotaux, de Raphël-Georges Lévy et de
Ch. Benoist). — André Langie. Les origines de la noblesse russe
(noblesse militaire et noblesse de fonctionnaires, qui s'est recrutée
surtout parmi les étrangers ; il en est de même pour la noblesse intel-
lectuelle. En somme, peu d'individualités marquantes sont nées du vrai
peuple russe; ceci explique qu'après avoir subi le joug des Scandi-
naves, des Mongols, des Polonais et des Allemands, ce peuple en soit
arrivé à, supporter avec une si incroyable résignation la tyrannie
actuelle des Sémites bolchevistes). — Julien Gruaz. Les Helvètes et
la question gallo-romaine; fin. =: 1921, janvier. Jean Hurny. La
nationalisation chez les anciens Romains (l'intervention de plus en
plus étendue et variée de l'État romain, d'abord sous la République,
puis et surtout sous l'Empire, dans la vie sociale, économique et
administrative, explique la décadence du iv« siècle et le succès des
invasions barbares). — Joseph Piller. La souveraineté cantonale; fin
en février. — A. Guilland. Alfred Escher (biographie d'un éminent
politique suisse qui est mort en 1882 à l'âge de soixante-trois ans). =r
Février. Filippo Carli. L'état présent du socialisme italien. — Vir-
gile RosSEL. Un patricien libéral : Charles- Victor de Bonstetten
(1775-1832, d'après un ouvrage très intéressant que vient de lui consa-
crer M"« Marie-L. Herking). zz Mars. Filippo Carli. L'évolution des
révolutions. — Hector Nicole. La vie en Russie. L'école et l'enfant
dans la Russie des Soviets. — Maurice Bonnard. Centenaire d'une
controverse. Le doyen Curtat et le réveil religieux vaudois (expose le
mouvement religieux que suscita la brochure publiée en 1821 par le
pasteur Curtat ; « De l'établissement des conventicules dans le canton
de Vaud »). — Jacqueline de La Harpe. Saint Benoît, Subiaco et le
Mont-Cassln (simples impressions de voyage).
Rev. Histor. CXXXVL 2» fasc. 20
CHRONIQUE.
France. — Joseph Reinach, journaliste, diplomate, homme d'État
d'une haute culture, moraliste et philanthrope, qui a beaucoup lu,
beaucoup voyagé, non par plaisir, mais par le désir passionné de
s'instruire, qui a traversé les mondes les plus divers, qui a sollicité et
souvent reçu les confidences des plus notables personnages de l'his-
toire contemporaine depuis Thiers jusqu'à l'impératrice Eugénie, qui
a été le collaborateur» le confident, l'exécuteur littéraire de Gambetta,
qui, dans l'affaire Dreyfus, a joué le rôle retentissant que l'on sait et
qui s'est fait l'historiographe, le Polybe, de la G-rande Guerre, fut aussi
un historien de grand mérite, et c'est ce titre surtout que nous devons
rappeler ici. A la mémoire de Gambetta qui lui était particulièrement
chère et qu'il défendait avec une inlassable ardeur, il consacra toute
une série d'ouvrages, parmi lesquels nous mentionnerons Le minis-
tère Gambetta, histoire et doctrine (1882), et La vie politique de
Léon Gambetta (1918); il a réuni et publié les Discours et plai-
doyers de l'éminentiiomme d'État (H vol., 1881-1885). C'est lui aussi
qui fut chargé d'éditer les Œuvres oratoires de Challemel-Lacour
(1897). Dans ce même ordre d'idées et de publications, rappelons qu'il
a pris soin lui-même de réunir tout ce qu'il avait dit et écrit comme
député pendant ses deux législatures (1889-1897) : Mes comptes-ren-
dus, discours, propositions et rapports (4 vol., 1914-1918). Son
Histoire de l'affaire Dreyfus, qui ne comprend pas moins de six
forts volumes (1901-1908), plus un index général (1911), est un tableau
très varié, très fouillé, vivant et émouvant d'un des épisodes les plus
tragiques de l'histoire intérieure de la France entre les scandales du
Panama et la Grande Guerre. Quand celle-ci eut éclaté, il s'imposa la
tâche périlleuse d'en noter dans le Figaro les tragiques péripéties, et
le recueil de ces articles, qui ne remplit pas moins de dix-neuf volumes
[les Commentaires d^ Polybe, 1915-1919; un tome XX, comprenant
une table générale, est à la veille d'être imprimé), est une mine féconde
de renseignements et d'enseignempnts. En même temps, il travaillait
à fixer le souvenir des événements qui ont précédé immédiatement ce
monstrueux conflit dans son Histoire de douze jours, 23 juillet-
3 août 191k (1917), où l'un des premiers il montra, d'après les docu-
ments diplomatiques alors publiés, l'enchaînement chronologique des
faits et prouva, aussi solidement qu'il était alors possible de le faire,
la préméditation de l'Allemagne et la lourde part de responsabilité qui
lui incombe. Il aimait à pénétrer dans les arcanes de la diplomatie;
CDRONIQUE. 307
le jeu des intrigues internationales le captivait; aussi a-t-il beaucoup
travaillé aux archives de notre ministère des Affaires étrangères. En
1892, il donnait pour le recueil des Instmctions aux ambassadeurs un
volume sur Naples et Parme, dont l'introduction, reprise et dévelop-
pée, parut ensuite sous le titre : la France et l'Italie devayil l'Iiis-
toire (1893). Quand le gouvernement français eut décidé de publier les
documents relatifs aux origines de la guerre de 1870-1871, il fut un de
ceux qui dirigèrent le travail, et, lui-même, il y mit la main. C'est du
tome XII de cette publication qu'il tira les éléments de son étude sur
Napoléon III et la paix qu'il désirait vivement voir paraître dans la
Revue historique et qui a peut-être été le dernier de ses écrits. Il en
avait relu les premiers placards quand il fut arrêté par la maladie;
l'article n'a donc pu recevoir ses corrections suprêmes. Il est mort le
18 avril 1921, à l'âge de soixante-cinq ans. Ch. B.
— A l'occasion du centenaire de l'Ecole des chartes, une promotion
extraordinaire dans l'ordre de la Légion d'honneur a conféré le grade
de commandeur à M. Gustave Servois, ancien directeur général des
Archives nationales; celui d'ofïicier à MM. le comte Durrieu, prési-
dent de la Société des anciens élèves pour l'année 1920-1921, Maurice
Prou, directeur actuel de l'École, Alfred Morel-Fatio et Ch. Bémont,
anciens secrétaires, le comte H.-Fr. Delaborde, professeur, Babe-
LON et Brutails, membres de l'Institut, etc. ; le grade de chevalier à
MM. Poupardin, secrétaire de l'École, Dupont -Ferrier, profes-
seur, Léon Mirot, secrétaire depuis bien des années de la Société des
anciens élèves, sans compter un choix de bibliothécaires, d'archi-
vistes aux Archives nationales et d'archivistes départementaux qui a
été fort bien accueilli dans le monde des érudits.
— Nous lisons dans la Bibliographie de la France du '15 avril
1921 cet avis important : « Par suite d'un accord intervenu avec la
Bibliothèque nationale, les fiches qui nous sont fournies par le
ministère de l'Intérieur, conformément aux dispositions du décret du
14 octobre 1811, comporteront, à partir de ce jour, une addition four-
nie par l'Administration de la Bibliothèque nationale, celle de la cote
donnée par elle à chaque volume au fur et à mesure des entrées. »
Autriche. — L'administration des Archives de l'État à Vienne a
projeté d'éditer sous le titre Historische Blxtter une revue générale
d'histoire où une attention particulière sera donnée aux publica-
tions relatives à tous les États de l'ancienne monarchie austro-hon-
groise. La direction de ce recueil a été confiée au D"^ Otto H. Sto-
VVASSER, et il paraîtra dès le milieu de la présente année à la librairie
Rikola (1, Minoriten-platz).
Belgique. — La Belgique a perdu il y a (|uelques mois l'un des
représentants les plus distingués de la science et en même temps de
l'histoire du droit international. Ernest Nvs est mort à Bruxelles le
4 septembre 1920, en pleine activité, au moment où il s'occupait de la
308 CHRONIQUE.
publication d'études composées au cours de la guerre et relatives aux
problèmes suscités par l'occupation. Modeste autant que laborieux, il
fut, dans toute la force du terme, le fils de ses œuvres, et la réputa-
tion qu'il acquit comme juriste et comme historien il ne la doit qu'à
la haute valeur de ses travaux. L'orientation nettement réaliste de son
esprit lui fit scruter les fondements historiques du droit des gens
et dégager les divers facteurs qui ont contribué à son évolution.
La plupart de ses publications intéressent autant l'historien que le
juriste.
Né à Courtcai le 27 mars 1851, il fit ses études à l'Université de
Gand, où il fut l'un des élèves favoris de Laurent. Il visita ensuite
les Universités de Heidelberg, Leipzig et Berlin, mais la fréquentation
de celles-ci ne semble guère avoir influé sur la direction de sa pensée.
C'est l'Angleterre, bien plus que l'Allemagne, qui fixa sa destinée
scientifique. Un séjour qu'il fit à Oxford et à Londres en 1877 lui
apprit, en même temps que certains aspects du monde britannique,
les énormes ressources que les bibliothèques anglaises, telles que la
Bodléienne et la bibliothèque du British Muséum, offrent aux travail-
leurs. Il revint souvent à cette dernière; il y passa la plupart des
vacances que lui laissèrent ses fonctions de magistrat et de professeur.
Il entra dans la magistrature, en 1882, comme juge au tribunal de
première instance à Anvers, puis passa en la même qualité à Bruxelles,
où il devint successivement vice-président au tribunal de première
instance, puis conseiller et président à la Cour d'appel. Dès 1885, il
fut chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université de Bruxelles
et, en 1898, il y succéda à Rivier à la chaire de droit des gens.
' Sur l'évolution du droit des gens, il écrivit une série de monographies
publiées d'abord à part, puis groupées pour la plupart dans le volume
intitulé : les Origines du droit international (1894). Signalons notam-
ment les études consacrées à Honoré Bonet, l'auteur de V Arbre des
batailles, et au rôle de la papauté (une des plus pénétrantes, qui a
pour objet de déterminer la valeur et la portée de la bulle de démar-
cation du pape Alexandre VI). Ses Études de droit international et
de droit politique (2 vol., 1896-1901) et son grand ouvrage de syn-
thèse, te Droit international. Les principes, les théories, les faits
(3 vol., 1904-1906), contiennent également une grande quantité de cha-
pitres concernant des problèmes historiques et dénotant une vaste
érudition et un sens critique très aiguisé. C'est avec une prédilection
particulière que Nys s'attachait à découvrir les origines les plus loin-
taines du droit international et à dégager les principes essentiels qui
ont présidé à son élaboration au cours du moyen âge. L'une de ses
dernières études" parues avant la guerre (dans les Bulletins de l'Aca-
démie de Belgique, 1914) expose l'influence exercée par Christine de
Pisan sur le mouvement intellectuel du xiv« siècle.
Il ne nous appartient pas d'apprécier le rôle de Nys comme juriste
et comme membre de la cour permanente de La Haye; on sait que ce
CHBONIQCE. 309
rôle fut considérable, particulièrement dans l'attitude prise par la Bel-
gique dans la question de la neutralité permanente et dans celle du
régime de l'Escaut. Nous nous sommes borné à souligner l'importance
de son œuvre au point de vue de la science historique. Il a servi
celle-ci avec une probité et une ardeur égales à son amour de la jus-
tice et de l'humanité. H. V. L.
États-Unis. — La « Columbia University Press d de New-York
prépare une édition complète des œuvres de Milton, projetée déjà en
1910 à l'occasion du troisième centenaire de la naissance du grand
poète, mais interrompue par les événements. L'idée a été reprise et
sera exécutée sous la direction des membres composant le Départe-
ment de littérature anglaise et comparée à l'Université. L'édition com-
prendra huit volumes.
Grande-Bretagne. — Le 25 février 1921 a été inauguré à Londres
l'Institut français du Royaume-Uni. Fondé par l'Université de
Lille en 1913 et réorganisé une fois la paix rétablie, cet Institut a pour
but la difîusion de la langue et de la culture françaises en Angleterre;
elle se manifeste par la création de lycées ouverts aux enfants des
Français résidant à Londres, par l'enseignement d'une Faculté des
lettres, par des conférences portant sur l'histoire, la httérature, l'art,
la musique, les sciences, les coutumes de la France, etc.
Roumanie. — Notre ancien collaborateur et fidèle ami M. Alexandre
D. Xénopol est mort au mois de mars 1920. Il était né à lassy le
23 mars 1847. Il fit ses premières études au lycée de cette ville. Une
société littéraire : la « Junimea » (la Jeunesse), lui donna une bourse
qui lui permit d'aller achever ses études à l'étranger : il alla prendre
le grade de docteur eu philosophie à Berlin. Revenu dans son pays
en 1871, il entra d'abord dans la magistrature, fut ensuite avocat
(1878), enfin fut, en 1883, nommé professeur d'histoire roumaine à
l'Université de lassy et, par son enseignement, par ses travaux, s'ac-
quit une notoriété qui 'dépassa rapidement les frontières de son pays.
Grand ami de la France, il donnait une part de son affection à la
Revue historique et à ses directeurs successifs. C'est grâce à lui et à
ceux de ses élèves qu'il désigna lui-même pour continuer son œuvre
que nous avons pu tenir nos lecteurs au courant des progrès accom-
plis par la Roumanie dans le domaine des études historiques. Quand
eut éclaté la Grande Guerre, il ne cessa d'insister dans la presse sur
l'obligation morale qui s'imposait à son pays d'entrer dans la lutte à
côté des Alliés. La maladie seule put interrompre cette campagne.
Paralysé, il peut néanmoins continuel;^ de mettre au point une nouvelle
édition de son Histoire des Roumaiiis; la guerre en arrêta la publi-
cation au tome V. Son bagage historique est considérable : Une
énigme historique : les Roumains au moyen âge (Paris, 1885); son
Histoire des Roumains de la Dacie trajane, parue d'abord en rou-
main (en 6 vol., 1888-1893, puis en 12 vol., 1896), traduite ensuite en
Rev. IliSTOR. CXXXVI. 2e FASC. 20*
310 CHEONIQDE.
français (2 vol., Paris, 1896), est le plus connu de ses ouvrages; œuvre
un peu prématurée et que l'abondance des documents publiés depuis
un quart de siècle a déjà fait Vieillir. Quant aux origines historiques
du peuple roumain, il a défendu avec ardeur, mais avec des arguments
parfois insuffisants ou incomplets, la thèse de la continuité romaine
soit contre l'Allemand Rœsler, soit contre le Hongrois Bertha. Dans
les dernières années, il inclinait plutôt vers l'étude de la méthode his-
torique : les Principes fondaynentaux de Vhistoire (Paris, 1899;
réédité en roumain, 1900); la Notion de valeur en histoire (Revue
de synthèse historique, 1906; article qui a paru aussi en allemand,
1906, et eu russe, 1912); la Théorie de Vhistoire, cours professé à la
Sorbonne en 1907-1908 (Paris, 1908) ; De la méthode dans les sciences
et dans Vhistoire (Revue internationale de l'enseignement, 1910);
VHistoire et la géologie (dans la revue roumaine Viata romànesca,
n° 9). Nous omettons un grand nombre d'articles d'un caractère plu-
tôt politique et économique, de récits de voyage, etc. L'autorité scien-
tifique que Xénopol s'était ainsi acquise l'avait désigné aux suffrages
de l'Académie des sciences morales et politiques qui l'élut correspon-
dant en 1900, puis associé étranger.
Erratum.
Tome CXXXV, p. 248. Le titre de l'article de M. Ledeuil d'Ënquin 'Captivité
en France de Georges d'Autriche, grand-oncle de Charles-Quint, doit être
rectifié; puisque Georges d'Autriche était un fils naturel de l'empereur Maxi-
milien, il fut non pas le grand-oncle, mais l'oncle de Charles-Quint.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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Pages
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Mandagout; P" article . , 1
Reinach (Joseph). Napoléon III et la paix 161
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Bloch (Marc). Serf de la glèbe. Histoire d'une expression
toute faite 220
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« communiqué » du Prince Noir 37 .
GORCEix (Septime). Les sources de Voltaire et la Chronique
moldave pour le récit de la capture de Charles XII
à Bender. 60
BULLETIN HISTORIQUE.
Histoire ecclésiastique du moyen âge, par E. JORDAN. 66
Histoire de France : De 1800 à nos jours et questions
générales contemporaines, par Raymond Guyot. 243
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Arrelet (Paul). La jeunesse de Stendhal; t. I (R. Lévy-
Guenot) .106
Beloch (J.). Der romische Kalender von 218 bis 168
(E. Gavaignac) 97
BONNECASE (Julien). La notion de droit en France au
xix« siècle (Fr. Joûon des Longrais) . . . . 115
BOTHA (Colin Graham). The french refugees at the Cape
(Emile Laloy) 101
Brunhes (Jean). Géographie humaine de la France
(B. Auerbach) 268
Espérandieu (E.). Recueil général des bas-reliefs, statues
et bustes de la Gaule romaine; t. VII, 1 (A. Gre-
nier) 267
[Supplément ao numéro de mars-avril 1921.]
TABLE DES UATIBRES- 315
Pages
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France (Henri Sée) 103
lORGA (Nicolas). Histoire des Roumains et de leur civilisa-
tion (S. Gorceix) 273
Kaplun-Kogan (Wlad.). Die jùdischen Wanderbewegun-
gen in der neuesten Zeit, 1880-1914 (Henri Sée) . 278
La Chesnais (P. -G.). Les peuples de la Transcaucasie pen-
dant la guerre et devant la paix (Id.) 113
Prentout (Henri). Histoire d'Angleterre depuis les ori-
gines jusqu'en 1919 (Louis Villat) 108
RiST (Ch.). Les finances de guerre de l'Allemagne (Henri
Hauser) 110
Serrano (Luciano). La liga de Lepanto entre Espaiïa,
Venecia y la Santa Sede, 1570-1573 (Id.). ... 99
■Whyte (A. F.). The practice of the diplomacy, being an
English rendering of François de Callières, « De
la manière de négocier avec les souverains » . . 272
NOTE-s bibliographiques : Allemagne (p. 126), Antiquité
(p. 126), Belgique (p. 127), Danemark (p. 128),
Europe orientale (p. 134), France (p. 128), Grande-
Bretagne (p. 132), Pays-Bas (p. 134), Tchéco-Slo-
vaquie (p. 135), Turquie (p. 136). Histoire de la
guerre (p. 121), de la musique (p. 136). Histoire
générale (p. 119).
Ouvrages reçus par la Revue historique 137
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
ÉTATS-UNIS.
1. American historical review (the) 150
FRANCE.
1. Annales du Midi. 150
2. Annales révolutionnaires 140,281
3. Bibliothèiiue de l'École des chartes 281
4. Bulletin de la Soc. de l'hist. du protestantisme français. 141
5. Correspondant (le) 146,287
6. Études. Revue fondée par des PP. de la C'« de Jésus . 288
7. Grande Revue (la) . 288
8. Mercure de France 147,289
9. Moyen âge (le) 141
10. Polybiblion . . . .^ 142
11. Pro Alesia 283
12. Révolution française (la) 142
316 TABLE DES MATIÈRES.
Pages
13. Revue critique d'histoire et de littérature 284
14. Revue de France 289
15. Revue de l'histoire des religions 143
16. Revue de Paris (la) 147,290
17. Revue des Deux Mpndes 148, 291
18. Revue d'histoire de l'Église de France 144, 286
19. Revue historique de Bordeaux 150
GRANDE-BRETAGNE .
1. Enghsh (the) historical Review 152,293
2. Hist^ry 154,295
3. Quarterly (the) Review 155,295
4. Scottish (the) historical Review 155,296
5. Transactions of the royal historical society .... 297
ITALIE.
1. Archivio storico italiano 297
2. Archivio storico lorabardo ^98
3. Archivio storico per le provincie napoletane .... 299
4. Rivista storica italiana 303
SUISSE.
1. Bibliothèque universelle et Revue suisse 305
Chronique : Autriche (p. 307), Belgique (p. 159, 307),
États-Unis (p. 309), France (p. 156, 306), Grande-
Bretagne (p. 309), Roumanie (p. 309), Russie
(p. 159).
Erratum 310
Index bibliographique 311
Le gérant : R. Lisbonne.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupbley-Gouvbrneur.
REVUE
HISTORIQUE
REVUE
HISTORIQUE
Fondée en 1876 par GABRIEL MONOD
directeurs :
Charles BÉMONT et Christian PFISTER.
Ne quid fahi audeat, ne quid veri non audeat historia.
CicÉRON, de Orat., II, 15.
QUARANTE-SIXIÈME ANNÉE.
TOME CENT TRENTE- SEPTIEME
Mai- Août 1921.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
108, BOULEVARD S A I N T- GERMA IN
1921
LES
« PROPHÈTES » DU LANGUEDOC
EN 1701 ET 1702
LE PRÉDICANT-PROPHÈTE JEAN ASTRUC, DIT MANDAGOUT
(Suite et fin ' j
L'affaire du Ponl-de-Montvert.
Mandagout, arrêté à Beaucaire vers le 24 juillet 1702, fut con-
duit à Montpellier. Sa prise donna occasion aux juges d'achever
la procédure relative aux assemblées de Roffières et de Pejre-
male. Le 28 juillet, en raison des assemblées de Roffières, le pro-
cureur du roi demandait, dans ses conclusions, la peine des
galères pour Jacques Mouton, du Rouveret, et celle du fouet et
du bannissement pour Suzanne Fabrègues, arrêtée avec lui.
Quant à l'assemblée de Peyremale, qui avait été délibérément
attaquée, ceux qui y avaient assisté furent tenus (sans doute
à cause des propos de Mandagout qu'avait révélés l'enquête et
où il parlait de massacres de prêtres et d'incendies d'églises)
'pour particulièrement coupables, si bien que le procureur con-
clut à la pendaison de huit d'entre eux, dont deux femmes^.
Nous ignorons d'ailleurs ce qu'il advint de tous ces prévenus.
Mandagout était mentionné dans les dossiers des assemblées de
Roffières , comme dans celui de l'assemblée de Peyremale ;
P>àville ordonna, le 30, que le procès M fût fait, et le prophète
subit le l'^'" août un interrogatoire que nous n'avons plus.
Mais ce procès allait traîner en longueur. Des événements
en eâet venaient d'éclater dans les Hautes-Cévennes, qui obli-
gèrent l'intendant à considérer d'un (Jt>il plus attentif toutes les
agitations qui les avaient précédés.
t. Voir nev. hislor., t. CXXXVI, p. 1-3G.
2. C 182.
Rev. Histor. CXXXVII. \"- FASC. 1
2 CH. BOST.
La haute montagne cévenole, de l'Aigoual à la Lozère, était
maintenant possédée de la même frénésie que nous avons cons-
tatée à Uzès, autour d'Alais ou dans le bas pays. Dès la fin de
février 1702, André Castanet^ de Massevaque (Fraissinet-de-
Fourques, au nord de l'Aigoual), le futm:- chef camisard (vingt-
sept ans), réunit des assemblées où « des enfants prêchent ».
Il mène avec lui deux compagnons, dont l'un, Roqueblave dit
Pradet, dénonce l'Église catholique comme le temple des idoles,
sa doctrine comme celle du diable et l'hostie qui s'y donne
comme un morceau du Basilic. Les soldats de bourgeoisie
guettent les trois prédicateurs. Le 20 mai, à la foire de Cabril-
lac (au nord de l'Aigoual), ils les surprennent. Castanet se
défend d'un coup de pistolet chargé de chevrotines. Un soldat
répond par un coup de fusil. Castanet se perd dans le bois,
mais on se saisit de Roqueblave. Trois nouveaux convertis (dont
les s"'' de La Roque et Pagézy),.de Saint-André, veulent arracher
''aux soldats leur prisonnier, et ils provoquent un tumulte sur le
champ de foire. Les soldats cependant conservent le dessus. Le
20 juin, Roqueblave était à Montpellier, où le procureur du roi
requérait qu'il fût pendu, après avoir eu la langue percée d'un
fer chaud. Nous ne savons quel fut son sort 2.
Le 15 mars, au hameau de Ventajols ( Saint- Julien-d'Arpaon),
près Florac, les soldats de bourgeoisie de M. de Mirai tirent sur.
une assemblée et font cinq prisonniers, dont le prédicant Pierre
Chantagrel, qui passe pour accomplir des miracles par la puissance
du Saint-Esprit, « maniant des charbons ardents et mettant son
pied nu dans le feu sans se brûler ». Le l'^^avril, à Montpellier,
des conclusions tendent à l'envoyer pour trois ans aux galères.
Mais Chantagrel a promis de vivre en catholique, et l'intendant,
à ce qu'il semble, le garde en prison, sans jugements
Le 10 mai, à Majestavols, près Barre, le maire de Barre,
Meynadier, qui n'aime pas l'abbé du Chayla et qui lui reproche
1. Castanet était signalé comme étant revenu depuis peu de Genève. Peut-
être faut-il rapprocher ce fait du retour de Cavalier, qui lui aussi, vers la
même époque, rentra de Genève dans son village des environs d'Alais.
2. Arch. de l'Hérault, C 183. L'information relative à l'aifaire de Cabrillac eut
lieu à Fraissinet-de-Fourques dans la maison du curé du lieu, Bugarel. Casta-
net garda contre les catholiques de Fraissinet un ressentiment violent, qui
aboutit, comme on sait, à un massacre quand la révolte fut déchaînée (février
1703).
3. Assemblée de Ventajols, C 183.
LES « PROPUÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 3
d'être trop doux pour les prophètes qui pullulent, surprend une
assemblée réunie en plein jour dans une chambre obscure autour
d'un fanatique de vingt-deux ans, Huguet, qui prêche « dans
un lit suspendu à plus de quatre pieds de terre, ressemblant à
une bierre (un cercueil) ». Meynadier disperse à coups 4e
bâton les assistants, puis tout d'un coup il s'arrête à la pensée
du danger qu'il court au milieu d'eux, et le soir, en efiet, en
repassant dans le lieu, il apprend que « l'assemblée se repent de
ne pas l'avoir assommé ^ ». Majestavols est le lieu d'origine de
Pierre Séguier, qui maintenant, sous le nom à' Esprit, parcourt
la région, fanatisant, dit Louvreleuil, en même temps qu'une
inspirée, Catherine Doux, dont nous n'avons nulle part retrouvé
le nom. Séguier avoua plus tard que « l'esprit, s'étant commu-
niqué à lui en travaillant de son métier [de cardeur?], lui avait
ordonné d'aller dans le désert, et qu'en lui obéissant, s'étant
rendu, dans les bois appelés d'Altefage [sur le Bougés] et du
Fau-des-Armes [sur la Lozère], il y trouva deux révélés comme
lui et d'autres qui ne l'étaient pas encore, et s'appelaient entre
eux : frères'^ ».
Ce dernier témoignage est précieux, car il nous montre les
prophètes ayant constitué dans les Hautes-Cévénnes une troupe
itinérante, dans laquelle ils se sont adjoint des amis qui n'ont
pas « le don », et que des raisons diverses obligent à vivre en
« fugitifs ». Un jeune Cévenol du Pont-de-Montvert, Jean Ram-
pon, qui écrivit plus tard un précieux mémoire pour Court,
nous apprend que Séguier l'avait pour «. associé », c'est-à-dire
pour guide ou pour « accompagnateur». Jean Rampon ne fana-
tisait pas. Mais son frère Antoine (dix-neuf ans en 1701) avait
été arrêté , en novembre 1701 , comme inspiré. Conduit en
diverses prisons, puis enrôlé de force, Antoine Rampon avait
déserté des casernes de Montpellier et, en mai 1702, il avait
rejoint, sur la Lozère, son frère Jean et le proi)hète Esprit^.
De mai à juillet, nous perdons absolument de vue les pro-
phètes des Hautes-Cévennes. Souvenons-nous seulement que
1. C 183 (dossier Meynadier).
2. Manuscrit Gaifl'e. Louvreleuil (t. I, p. 28) dit que Séguier, âgé de cin-
quante ans alors, avait été condamné dans sa jeunesse à être pendu pour viol
et, plus tard, aux galères pour vol. On se demande alors comment il aurait
pu demeurer encore ù Majestavols, d'où il est jtarti comme inspiré en 1702.
3. Lettre de Jean Rampon accompagnant son Mémoire (papiers Court,
n» 17, K).
CH. BOST,
c'est l'époque où Mandagout, descendu du Pont-de-Montvert,
prêche à Roffières avec Salomon Couderc et Abraham Mazel et
est accusé de semer des propos graves sur les bandes qui, un jour,
disaient-ils, abattront les églises et tueront les catholiques. C'est
l'époque où l'écho amplifié de la fusillade de Pe^Temale se
répand {jusqu'à ITzès) et excite naturellement de nouvelles colères
contre les persécuteurs'. Notons enfin qu'à cette date, au dire
d'Abraham Mazel lui-même, qui confirme ce que nous savons
des propos de Mandagout, certains prophètes commencent à
prêcher la révolte armée.
Voici, en efiet, ce qu'on lit dans le Théâtre sacré^. C'est
Abraham Mazel qui parle. Sa déposition a été sans doute rédi-
gée par Elle Marion, le « secrétaire » des Camisards, et d'ail-
leurs retouchée par une main plus experte. Mazel va raconter
la mort de l'abbé du Chayla, et il déclare sans ambages com-
ment les résolutions les plus violentes se sont imposées lentement
« par révélation », à lui-même et à d'autres inspirés.
« Quelque temps », dit-il, « avant que j'eusse reçu par l'Es-
prit l'ordre positif et redoublé de prendre les armes [c'est-à-dire
avant le 23 juillet 1702], je songeai que je voyais dans un jar-
din de grands bœufs noirs fort gras qui broutaient les plantes
du jardin. Une personne me dit de chasser ces bœufs, mais je
refusai de le faire. Cependant, la mêm% personne ayant fait ins-
tance, je les chassai. Fort peu de temps après, je reçus une
inspiration, dans laquelle il me fut dit que ce jardin était l'Eglise,
que les gros bœufs noirs étaient les prêtres qui la dévoraient, et
que je serais appelé à mettre en fuite ces sortes d'hommes.
« A quelques jours de là, l'Esprit m'avertit de me préparer à
prendre les armes pour la cause de Dieu. Cet avertissement
fut suivi de quelques autres pareils, et comme je parlais assez
haut dans l'extase, les uns qui voyaient ma faiblesse, ou pour
mieux dire mon néant, étaient comme scandalisés de cet ordre
1. C'est à cet événement .seulement que peut se rapporter l'indiration don-
née par le baron d'Aygalliers, d'Uzés (Mémoires, publiés par Frosterus. Lau-
sanne, 1866, p. 18), et reproduite par Court (t. I, p. 9), de protestants surpris,
en 1701 ou 1702, par des soldats de bourgeoisie du mandement de Russon,
diocèse d'Uzés. Il y aurait eu dix-huit personnes tuées [le texte dit : trou-
vées^, dont trois femmes enceintes, qui auraient été éventrées. PejTemale est
du diocèse d'Uzès et, par rapport à TJzès, Russon (près d'Alais) est à peu près
dans le même quartier que Peyremale.
2. Théâtre sacré, p. 85 (éd. Bost, p. 77). C'est nous qui soulignons quelques
mots.
LES M PROPHÈTES « DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 5
inconcevable, et les autres, plus humbles, se contentaient de
lever les yeux au ciel. Dans ces réitérations, il n'y avait
jusque-là qp! une déclaration générale. Pierre Esprit [Séguier]
et Salomon Couderc, deux de nos principaux inspirés, eurent
des avertissements conformes aux miens, et quelques autres
en eurent aussi. »
Rien ne s'oppose à ce que nous placions Mandagout parmi
ces « quelques autres », et les paroles qui lui ont été reprochées
ne nous étonnent plus, si Mazel, Séguier et Couderc en ont
tenu d'analogues dans leurs « extases ». Mandagout, mainte-
nant, est emprisonné; mais ses amis agissent toujours. Nous
allons voir comment la « déclaration générale » de l'Esprit va
devenir particuhère. Constatons seulement que nous avons tou-
jours affaire à des prophètes, et que les sanglants incidents qui
vont suivre s'insèrent dans une chaîne ininterrompue d' «. ins-
pirations » qui remonte jusqu'au sacrilège de Valérargues.
Après tant d'autres, nous raconterons la mort de l'abbé du
Chayla. Mais ce sera pour insister (ce qu'on n'a pas toujours
fait avant nous) sur le rôle qu'y a joué le « fanatisme », qui
poussait en avant la troupe des émeutiers.
Le lieutenant de bourgeoisie du Pont-de-Montvert, Escalier,
arrête (vers le 20 juillet 1702) un guide qui conduit à Genève
trois filles travesties et deux hommes. Les prisonniers sont
enfermés dans la maison où loge Tabbé quand il vient dans le
bourg, la maison d'André. Un pont, au nord, passant sur le
Tarn, rattache la maison à la place publique; un autre pont, au
sud, franchissant le Rioumal, la joint au chemin qui descend du
Bougés. L'abbé est justement dans le lieu, où depuis le l^"" juil-
let il dirige une mission de prédicateurs. Il fait mettre aux ceps
les prisonniers, ou tout au moins le guide, Massip, et ordonne
une information qui s'achèvera, selon toute probabilité, par la
pendaison de celui-ci ou sa condamnation aux galères.
Depuis de longs mois déjà, les nouveaux convertis des Hautes-
Cévennes sont excédés par la sévérité ou la rapacité de l'ar-
chiprétre. Les prophètes, tout particulièrement, lui reprochent
la cruauté dont il a fait preuve à l'égard déjeunes inspirés qu'il
a fustigés ou maltraités, et aussi les condamnations à l'amende,
à l'enrôlement forcé, à la })rison, aux galères, ou à la mort (Fran-
çoise Brès), qui ont terminé des enquêtes qu'il a menées contre
eux.
6 eu. BOST.
Une assemblée religieuse a été convoquée pour la nuit du
samedi 22 au dimanche 23 juillet sur la montagne du Bougés,
dans une bergerie au-dessus de Rabiès'. Une foire s'est tenue à
Barre le 22, qui a couvert les chemins de paysans, et a rendu
moins suspect et moins dangereux le rassemblement des nou-
veaux convertis. Séguier et ses associés ont pu circuler plus
librement pour annoncer le culte. Dans l'assistance se trouvent
Séguier, les deux Rampon, Isaac Soulages (de Cassagnas),
David Mazauric, Salomon Couderc le prophète, qui est de Viel-
jouvès (tout près de Rabiès), et aussi Abraham Mazel.
Ce dernier, avons-nous dit, a fourni un récit des événements.
Nous avons transcrit le début de sa déposition, qui est pour nous
d'une très grande valeur, car Mazel ne songe nullement à se
disculper d'actes dont il attribue l'exécution à des injonctions
de l'Esprit, et il nous transporte dans une atmosphère • où les
mots de responsabilité ou de préméditation n'ont qu'un sens fort
atténué. Les diverses phases de l'expédition vont être ratta-
chées par Mazel à des « ordres » que l'Esprit a dictés aux pro-
phètes. N'oublions pas que ces ordres sont exprimés par l'ins-
piré après une crise de convulsions, qui peut d'ailleurs être très
courte. Il ne parle, en tous cas, que lorsque l'Esprit « le
saisit ».
Mazel, après avoir donc parlé d'une déclaration « générale » de
prendre les armes, à lui imposée par une révélation, en vient à
dire comment l'ordre s'est précisé et à quelle date. Nous sommes
dans l'assemblée de Rabiès ^ :
Enfin, le dimanche 21 juillet [lire : dimanche matin 23], comme
nous étions dans une assemblée proche la montagne de Lozère...,
l'Esprit me saisit, et m'ordonna, en m'agitant beaucoup, de
pi^endre les armes sans aucun retardement et d'aller délivrer ceux
de nos frères que les persécuteurs détenaient prisonniers au Pont-
de-Montvert... Aussitôt que l^rdre d'obéir promptement m'eut été
tJonné, je ne balançai plus à me mettre en devoir de l'exécuter.
Ceux qui avaient reçu le même avertissement que moi mirent
ensemble la main à l'œuvre. Esprit, Saloinon, Soulages, Mazauric
et quelques autres s'en allèrent en grande hâte, l'un ici, l'autre là,
chercher des ouvriers. [Nous reviendrons sur ce point important.]
1. Mémoire de Combes, papiers Court, n" 17, B, fol. 261.
2. Théâtre sacré, p. 85 (éd. Bost, p. 77).
LES « PROPHÈTES » DU LANGOEDOC EN 1701 ET 1702. 7
Nous nous donnâmes rendez-vous pour le lendemain au soir
[lundi 24] et nous nous rcnconlrâmes, avec nos enrôlés, au nombre
d'environ quarante, dans le lieu marqué. Nous n'avions que
quelques épées, des faux, de vieilles hallebardes et peut-être vingt
fusils ou pistolets. Mais le Dieu des armées était notre force. Nous
nous mimes tous en prière, et plusieurs reçurent commELnde'
ment de VEsprll d'entrer dans le bourg à nuit close, en chantant
des psaumes, et d'aller droit au château [la maison d'André] pour
délivrer nos frères...
Je laisse diverses circonstances... pour dire que, malgré les
injures et la résistance de l'abbé du Cliayla..., nous enlevâmes les
prisonniers et entre autres le frère Massip [le guide]. On l'avait res-
serré dans une posture si gênée, les jambes passées entre deux
poutres, qu'il ne pouvait ni se coucher ni se lever.
Le récit de Mazel est confirmé par un autre témoin oculaire,
Jean Rampon, 1' « associé » de Séguier qui a dressé un mémoire
des faits pour Antoine Court, qu'une lettre complète'. Les pages
de Rampon, plus naïves que celles de IMazel, parce qu'elles
n'ont pas été corrigées par une main étrangère, ne font aucune
allusion aux « inspirations » qui auraient commandé l'entre-
prise. Elles ont été, en effet, écrites en 1732, en un temps et
en un lieu où les prophètes étaient suspects, et aussi pour un
homme qui ne les aimait pas. Rampon, du moins, nous a gardé
un tableau expressif de l'entrée de la troupe au Pont-de-lMont-
vert et il nous dira l'esprit qui animait les justiciers. Il parle de
l'assemblée pieuse du 22, fort nombreuse, convoquée, à la faveur
de la foire de Barre, par lui-même et par Séguier :
Ledit jour, l'abbé, qui venait de Barre, coucha [en retournant au
Pont-de-Montvert] à la cure de Saint-Julien [d'Arpaon], moitié
chemin de sa retraite, et, étant à table à s'entretenir sur notre
compte [sur le compte des protestants], il déclara hautement le des-
sein qu'il avait projeté, qui était, dès (|u'il serait arrivé au Pont-de-
Montvert, de faire partir l'ordre au bourreau de Mende pour faire
exécuter le nommé Massip^... Et le 23 au matin, lorsqu'on eut
1. Papiers Court, n» 17, K, fol. 75.
2. 11 est didicile de ramener ceci à l'exacte vérité. L'abbé du Chayla n'avait
pas le i)Ouvoir, naturellement, de faire exécuter un homme sans jugement, ni
même de le juj^er. Mais il semble qu'il usait quelt|uefois de menaces pareilles
à celles qu'aurait pu lancer Bâvillc. Le guide Massip prétend que l'abbé lui
aurait dit, dans la maison d'André, « qu'il ne tenait que de lui de le faire pendre
8 CH. BOST.
donné la bénédiction à l'assemblée et les ordres pour leur
retraite [le retour des assistants] dont il n'y eut pas de pris pour
cette fois, puis [sic] nous vint à la pensée de faire arrêter [de rete-
nir un instant] un ou deux de chaque quartier dudit pays. Et ayant
consulté l'entreprise, nous dîmes à chacun [de ceux-là] s'il n'y avait
pas moyen d'avoir quelques armes d'une ou d'autre part. Ils nous
dirent qu'oui ; lors nous leur dîmes que nous étions contents de leur
bon zèle.
On voit que, d'après Rarapon, l'inspiration de prendre les
armes serait venue à IMazel non pendant l'assemblée, mais une
fois l'assemblée congédiée, dans un cercle restreint d'amis qui
demeurent réunis. Il semble que cette version soit plus près de
la vérité. Rampon continue :
Il en vint quarante-huit, et nous deux [Séguier et Rampon] fai-
saient cinquante. On se rassembla le soir à l'aile [l'extrémité] du
bois, au sommet le plus haut de la montagne du Bouges [les Trois-
Hêtres], tellement que le compte fut accompli environ les cinq heures
et demie du soir. Et après s'être bien unis et promis chacun de ne
pas se quitter et fait la prière tous ensemble, nous fîmes notre
marche vers ledit lieu à deux de rang. Et lors que nous fûmes à la
vue dudit lieu, sur les neuf heures du soir, il fut ordonné qu'il fal-
lait avertir par le chant de ses [sic] louanges. Sur quoi on chanta la
première pause [partie] du psaume 51 , qui finit à l'entrée dudit lieu,
et la chose alla très bien^ Puis on nomma huit hommes pour
l'avant-garde, fusil en joue, criant : « Que personne ne sorte sous
au Pont (de Montvert), sans autre autorité que la sienne propre » (papiers
Court, n" 17, K, fol. 67).
1. D'ans une lettre qu'il adresse à Court (de Berne, 2 septembre 1732) et qui
est écrite après son Mémoire, Rampon déclare que Cavalier, malgré son dire
{Méin. de. Cavalier, éd. Puaux, p. 41-45), n'a pas été témoin de l'aftaire.
« Quand Cavalier parle du chant des Psaumes, [disant qu'on aurait chanté le
psaume 68], preuve que cela n'est pas : puisque moi-même je choisis celui-là
[le psaume 51], que chacun savait par cœur, comme étant déjà nuit et que
moi-même, qui le commandais [l'entonnais] n'aurais pas su la pause du 68 par
cœur. El lorsqu'il dit avoir été de l'assemblée lorsque le complot se fit, je ne
sais qui l'aurait porté là -haut, sur cette montagne, car quand il parle de
parents dans ce quartier du pays je n'ai jamais su qu'il en eût un. » Cavalier
(p. 43) prétend s'être trouvé dans l'assemblée du 22-23, mais avoir été exclu de
l'expédition. « Mes amis ne me le permirent pas, disant qu'en cas de malheur
j'étais trop jeune, et de plus étranger au pays. » Ces deux raisons sont contre-
dites par les faits. Cavalier avait près de vingt et un ans, mais Salomon Cou-
derc avait à peu près cet âge et fut de l'afl'aire. De plus, on verra plus loin que
parmi les attroupés se trouvaient des personnes t étrangères au pays ».
LES « l'IlOPHÈlES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 9
peine de mort! » — Et ainsi on avanra le chemin. El comme ledit
abbé ou ses gens eurent entendu le bruit, et même qu'on avait
lâché un coup de fusil à la porte du s^ Dubos [chez la femme d'un
lieutenant de bourgeoisie], oîi il y avait deux capucins logés, il
envoya son secondaire [vicaire] pour voir ce que c'était, croyant que
c'étaient des prisonniers qu'on menait, de nos gens. On lui répon-
dit que oui. Si pourtant, lors qu'il voulut tourner la face, disant
qu'il allait avertir ledit abbé pour faire ouvrir les prisons, il eut le
sort de recevoir un coup de hallebarde qui le perça jour a jour aux
reins, et resta là.
Rampon commet une confusion de personnes. Ce n'est pas
un prêtre que les attroupés ont d'emblée frappé mortellement de
trois coups de hallebarde aux reins, mais le régent ecclésias-
tique du lieu, nonmié Roux' :
Puis on avança sans bruit dix ou douze pas, et voilà l'homme de
chambre [le valet] dudit abbé qui vint pour voir, et eut le môme
sort. Mais encore celui-là entra, tout blessé à moi t qu'il était, dans
le logis du s'' Guin, qui [et il] y mourut bientôt après.
Ici encore Rampon confond les personnes. Un valet de
l'abbé, nommé IMichel, fut en effet blessé à mort, mais ce fut
plus tard, après l'évasion de l'abbé. Il s'agit ici sans doute du
paysan qui était « rentier » (locataire) de la maison d'André,
qui la gardait en l'absence de Tarchiprétre, et qui fut également
tué-. N'oublions pas qu'il fait nuit. Les erreurs de Rampon
s'expliquent sans effort.
Rampon dit ensuite comment les attroupés arrivent devant la
maison de rarchi})rêtre. Ils n'y trouvent qu'une sentinelle, un
soldat de bourgeoisie, à qui ils commandent « de mettre les
armes bas et de remettre les prisonniers ». IVIais la porte reste
close et l'abbé refuse de l'ouvrir. Joanny^, de Genolhac, parti-
culièrement vigoureux, l'enfonce au moyen d'une hache, qu'on
est allé chercher chez un voisin à qui on la rendra soigneuse-
ment. Les gens de l'abbé cependant se défendent : « A la faveur
1. Louvrelcuil, t. I, p. 27, et déposilion de Gardés sur la mort de l'abbé,
C 183 (Gardés était le greffier du commissaire Le Blanc, venu de Florac au
Pont-de-Montvert pour instruire le i>rocès du guide Massip).
2. Brueys, t. I, p. 298, et déposition de Gardés.
3. Ou Jouanin. Ceci d'après Rampon et une note de Court insérée dans le
Mémoire de celui-ci.
10 CH. BOST.
des coups de fusil [c'est-à-dire : malgré les coups de fusil] qu'on
tirait par les fenêtres », dit Rampon, « nous forçâmes la porte
pour entrer dedans malgré leur feu, et nous délivrâmes nos pri-
sonniers du cep. » Un second soldat de bourgeoisie, pris der-
rière la porte enfoncée, est épargné sur la demande des cap-
tifs, qu'il a humainement traités. L'abbé et ses deux valets se
sont réfugiés dans l'étage supérieur de la maison.
L'afiaire, brusquement, va devenir plus grave. Abraham
Mazel nous apprend que ce fut à la suite d'une nouvelle « ins-
piration ».
« Après cette expédition », dit-il [c'est-à-dire une fois les
prisonniers libérés], « nous demandâmes, par ordre, de parler
à l'abbé. » Par ordre, cela signifie évidemment pour lui : par un
ordre de l'Esprit. Le curé de Barre-des-Gévennes, en relatant
l'événement sur son registre curial^ confirme le récit de Mazel.
« Les fanatiques demandèrent les prisonniers, à quoi M. l'abbé
répondit qu'on les fît rendre [ceci est faux] ; mais, n'étant pas
contents de cela, ils environnèrent la maison et demandèrent
à lui parler. »
Qu'est-ce donc que les inspirés, Sur l'ordre de l'Esprit, avaient
l'intention de dire à l'archiprêtre?
Antoine Court, qui a eu l'occasion de correspondre et de
causer avec quelques-uns des témoins du drame et, comme il
dit (t. I, p. 42), de « démêler leurs idées », écrit avec beaucoup de
sagesse : « Il serait difficile de savoir au juste si les attroupés
se seraient contentés de la liberté des prisonniers au cas où
l'abbé la leur aurait accordée », et il ajoute « qu'il y en avait
parmi eux qui avaient reçu de sa part de fort mauvais traite-
ments». Pour s'en tenir à des faits qui paraissent indiscutables,
disons que plusieurs des conjurés avaient tout au moins souffert
dans la personne de leurs parents. Salomon Couderc avait à cette
heure un frère, David, ancien prédicant, enfermé à Aigues-
Mortes dans la tour de Constance et amputé d'un bras, que l'abbé
en personne, à la tête d'un détachement, avait arrêté en 1692 ^
Sa sœur Françoise, emprisonnée au Pompidou en 1701 comme
fanatique, y avait entendu les cris des jeunes inspirés fustigés
par l'archiprêtre-^. Un autre Couderc, de Mazelrosade (près de
1. Mairie de Barre-des-Cévennes (Lozère).
2. Bost, Prédicants protestants, t. II, p. 11.
3. Papiers Court, n° 30. Notes de Morin-Saltet, qui dit tenir le fait de
Françoise Couderc elle-même.
LES « PROPHÈTES » DD LANGOEDOC EN 1701 ET 1702. H
Saint-Germain), avait été enfermé, en juin 1702, au Pont-de-
Montvert dans les mêmes ceps qu'on venait d'ouvrir et lui-
même (ou son frère) était parmi les Cévenols ameutés'. Enfin,
il V avait là également un certain Larguier de l'Hermet (Saint-
Julien-d'Arpaon). Or, un enfant de sept ans, d'une veuve Lar-
guier, de l'Hermet, avait été si odieusement tiraillé par l'abbé,
qui voulait l'obliger à accuser sa mère, qu'il en était mort 2.
Si violents que fussent ces griefs — ou tant d'autres — il
ne paraît pas cependant que les inspirés et leurs compagnons
soient venus au Pont-de-Montvert avec, l'intention formelle de
tuer le prêtre. Les prophètes qui conduisaient la troupe ne se
déci<laient que par « inspiration », et Mazel n'avait reçu
d'abord que l'inspiration délibérer des irères captifs. Maisl' « ins-
piration », qui n'était ici que le déchaînement d'une passion irrai-
sonnée, subissait la pression des événements. La résistance
armée de l'archiprêtre, la vue des ceps de Massip firent oublier
le premier dessein de l'entreprise, conçu déjà d'une manière
assez violente, puisque, selon Rampon, on avait déjà blessé
mortellement deux hommes avant même d'être arrivé au logis
d'André. Les prisonniers, main tenant, s'effaçaient derrière le per-
sécuteur, et Mazel « reçut l'ordre » de parler à l'abbé. Il semble
vraisemblable qu'en le réclamant, ou en lui faisant demander,
comme le dit Rampon, « de se rendre à vie-^ », le prophète vou-
lait simplement que les « enfants de Dieu » s'affrontassent à lui,
sans se représenter encore clairement ce qu'il adviendrait de la
rencontre.
Sommé de se remettre aux mains des attroui)és, l'archiprêtre
— comme il était trop naturel — refusa. Un des Cévenols, ayant
tenté de monter l'escalier qui menait à lui, fut blessé à la joue
d'un coup de feu'^. C'est alors, raconte Louvreleuil (t. I, p. 26),
t. Louvreleuil, t. I, p. tiO. Le décret de Hà ville, du 29 août (voir plus loin),
nomme parmi les allroupcs Couderc, de Masaraissast {.sic, erreur très probable
pour Mazelrosade).
2. Le Mémoire de Uampon donne les détails relatifs à l'enfant. La lettre de
Rampon nomme à la fois la veuve de Larguier et le Larguier des attroupés.
Le décret du 29 août nomme un Larrié [= Larguier] a de Saint-André-dc-
Lancize » (peut-être y a-l-il une erreur dans le nom du lieu).
3. Rami»on écrit : « L'abbé, avec les soldats qui étaient avec lui..., mon-
tèrent au deuxième étage et, de là, faisaient toujours feu sans vouloir se rendre
à vie. »
i. Rampon nomme le blessé Chaplal, de Recoules (Fraissinet-de-Lozérc). Au
malin, les illroupés l'emmenèrent vers Frutgères, arrêtant sur la roule un che-
12 ce. BOST.
que « le chef des bandits s'écria tout à coup : Enfants de Dieu !
mettez vos armes bas. Ceci nous arrêterait trop. Il faut brûler
cette maison et tous ceux qui y sont ». Pour l'homme qui la
lançait, cette injonction était encore évidemment l'effet d'un
« ordre » divin, auquel ses compagnons obéirent avec empres-
sement. Dans la salle basse qui servait de chapelle, on fit un
monceau de meubles et de bancs ; on y. jeta les paillasses des
soldats et l'on alla se fournir de bois dans une maison qui était
proche. Mazel ne dit pas expressément que l'incendie fut allumé
par « inspiration ». Mais un trait de son récit nous montre les
prophètes épiant partout les manifestations de la volonté de
Dieu. « L'abbé, dit-il [à qui nous avions demandé de parler], « fit
feu sur nous... », mais il ne trouva pas son compte dans la résis-
tance. Le château fut réduit en cendres, et même d'une
manière miraculeuse. » Le miracle d'alors, Mazel déclare ail-
leurs' l'avoir d'autres fois observé en d'autres occasions « et
particulièrement quand on criait : A sac! A sac! contre les
temples de Babylone [les églises catholiques] ». C'est « que le
feu prit au bois en un instant, au premier attouchement ».
Forcé dans son refuge par la flamme et la fumée, l'abbé reçut
la confession des deux valets qui étaient avec lui^ et tenta une
évasion désespérée. Par une corde faite de rideaux et de draps
de lit, il voiûut descendre dans un jardin situé au nord, dont la
pente aboutissait à la rivière. Une sentinelle postée sur le pont
du Tarn l'aperçut, et lui tira un coup de feu. L'aljbé tomba.
Blessé à la cuisse parle coup ou par la chute, il fut conduit par
son cuisinier, Michel, qui l'avait suivi, sous la haie qui séparait le
jardin du Tarn. Le domestique, abandonnant alors son maître, fut
aperçu par les sentinelles et reçut une blessure dont il mourut
dix jours plus tard 3. L'autre valet, nommé La Violette, « ramas-
sant des habits et des bardes », s'était jeté à travers les flammes.
Il tomba enfre les mains des attroupés, qui le menèrent, dit Lou-
vreleuil, « devant le coiimiandant ». Louvreleuil, qui nous a
rapporté ces détails d'après la déposition du valet, que nous
n'avons plus (t. I, p. 28, 29), nomme ce commandant : Laporte,
val pour le hisser dessus (déposition du s' de Lascombes, 21 août 1702,
C 183).
1. Théâtre sacré, p. 53 (cd. A. Bost, p. 101).
2. Peut-être y avait-il avec lui et les valets quelques soldats de bourgeoisie
qui pureut fuir par les fenêtres.
3. Louvreleuil, t. I, p. 29; Mingaud, p. 11.
LES « PROPHÈTES » OU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 13
et il semble avéré, en effet, que Gédéon Laporte, l'ancien sol-
dat de Branoux, fut l'organisateur militaire de l'expédition.
Rampon nous parle si naturellement de sentinelles postées, de
consignes données, que nous sommes tenus de nous représenter
l'action comme soumise à une manière de discipline. Laporte,
cependant, ne décida pas du sort du prisonnier : les prophètes
étaient les vrais maîtres de la troupe. Il remit La Violette à
Séguier, pendant que ses hommes, le fusil en joue, attendaient
que la sentence fût prononcée. Séguier « fit divers gestes de ses
doigts et divers regards vers le ciel en silence », attendant inté-
rieurement sans doute « un ordre ». Un des soldats de bour-
geoisie, qui avaient été épargné déjà, prit ce moment pour
parler de la douceur dont le valet avait fait preuve à l'égard des
prisonniers de l'abbé. Les prisonniers libérés insistèrent, et
Séguier, « mettant alors les mains sur la tête du patient », pro-
nonça devant l'assemblée : « Grâce pour La Violette ! L'Eternel
veut qu'il vive, pourvu qu'il renonce au papisme! »
A ce moment, le toit de la maison d'André s'effondra dans le
feu, la clarté plus vive de l'incendie éclaira le jardin et le pont
du Tarn. L'abbé, qui s'était blotti sous un lierre touffu, et qu'on
cherchait vainement depuis sa chute, fut enfin aperçu par un des
émeutiers, qui poussa un cri de triomphe : « Je le^ vois, ce per-
sécuteur des enfants de Dieu! » La Violette, abandonné, s'alla
au plus vite réfugier dans un grenier à foin'. L'abbé fut traîné
sur le pont. Peu d'instants après, son corps gisait à terre, percé
de cinquante-deux coups d'arme à feu ou de bayonnette.
Il est difficile de raconter la scène même du meurtre. Mazel
n'eu parle pas. Rampon n'y assistait pas, parce que, dit-il, « il
courait d'un poste à l'autre ». Il prétend (à tort semble-t-il) que
l'abbé, ayant réussi par ses propres forces à passer du jardin sur
le pont, y fut arrêté par une sentinelle, et il se borne à rappor-
ter un dialogue tirés court : « Lui, persistant à dire de le laisser
passer et qu'il ne ferait plus de mal à nos gens, on lui répondit
que non, (ju'il n'en ferait plus et qu'il n'en avait que trop fait. >
On le tua, (Ut un Cévenol, « après lui avoir reproché les cruau-
tés et les barbaries qu'il avait exercées^ », et liampon explique
1. Nous connaissons le nom de, La Violelto par Rrueys (t. I, p. 293), qui fait
(le lui un soldat de bourgeoisie. Le nom parail dans la lettre de Rampon à
Court.
2. Mémoire de Combes, papiers Court, n" 17, B.
14 CB. BOST,
qu'on s'acharna sur lui « crainte qu'il ne fût [pas] mort, parce
qu'il avait renom de magicien, ce qui ne le mit pas à couvert ».
La première déposition qui fut recueillie au Pont-de-Mont-
vert, le 27 juillet, lors des enquêtes judiciaires, et qui émane du
greffier Gardés, logé dans le bourg la nuit du meurtre, rapporte
que « les attroupés offrirent quartier à l'abbé, pourvu qu'il vou-
lût renoncer à la religion catholique et que, leur ayant dit qu'il
aimait mieux mourir, ils le tuèrent^ ». Louvreleuil a connu ce
témoignage, mais il a pu le compléter sur place et il nous
montre un prophète intervenant encore aux derniers moments
du prêtre. Les Cévenols, amassés autour de lui, lui crient : « Tu
expieras toutes les violences que tu as faites à nos parents et à
nos amis. » Mais Séguier les interrompt : « Dieu ne veut pas la
mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive!
Accordons-lui la vie s'il veut... faire parmi nous les fonctions
de ministre de l'Éternel! » Et comme l'abbé refuse violemment,
l'inspiré le condamne en prononçant le mot biblique : « Ton
péché est contre toi ! » Bien que Court ait suspecté la véracité
de ce témoignage, la scène nous paraît trop bien s'accorder avec
tout ce qui a précédé pour que nous ne la tenions pas, dans son
fond; pour exacte-. Les prophètes ont conduit toute l'entreprise,
depuis l'assemblée du Bougés jusqu'à la mort du persécuteur, et
rien n'a été accompli que conformément aux « révélations »
successives qu'Us ont reçues.
« Les vainqueurs au nom du Seigneur », dit Mazel, « pas-
sèrent le reste de la nuit à chanter, ses louanges et à lui rendre
des actions de grâces pour le succès qu'il avait donné à la pre-
mière entreprise de ses serviteurs. » Les prophètes, et Salomon
Couderc entre autres, prêchèrent et fanatisèrent sur la place où
avait été pendue Françoise Brès.
« Au point du jour », continue Mazel, « nous nous retirâmes,
en chantant toujours, entre les mêmes montagnes d'où nous
étions partis le jour précédent. » Un certain nombre des qua-
rante attroupés, en effet, remontent à l'aube vers le Bougés.
Mais les autres vont prendre une route différente. Rampon ne
fait pas mystère de leurs desseins.
1. Arch. de l'Hérault, C 183 (reproduit dans Hisl. du Languedoc, t. XIV,
p. 1571).
2. Nous avons dit que déjà plusieurs inspirés des Basses-Cévennes ont con-
juré en plein jour des prêtres de se repentir et de se convertir. Un insi)iré de
Grizac (près du Pont-de-Montvert), pris d'une crise en janvier 1702, en pré-
sence du prieur, a fait de même (C 183. Assemblées de Grizac).
LES « PROPHÈTES » DO LiNGDEDOC EN 1701 ET 1702. 15
« Après que le coup fut fait, nous nous ramassâmes sur la
place... Nous nous fîmes apportera manger et à boire sur la
rue, crainte de surprise. Pour moi, je fus à ma maison pour la
dernière fois cette nuit-là [il était du bourg même, où vivait sa
mère] et, après, je rejoignis mes gens et les fis ramasser, voyant
qu'il était déjà jour, et que nous voulions avoir le curé de
Frutgères le matin. »
Un nouveau projet de représailles, en effet, a été concerté
entre ceux des attroupés qui sont originaires du Pont-de-Mont-
vert ou des environs immédiats. L'abbé du Chayla a persécuté
toute la région, mais ils ont, eux, une rancune spéciale contre
le prêtre de la paroisse. Le 25 juillet, aux premières heures du
matin, l'église de Frutgères (dont dépend ecclésiastiquement 1%
Pont-de-Montvert) est saccagée. La maison où loge le prieur
Reversât est incendiée; le prieur lui-même, contraint pour
échapper aux flammes de se lancer à travers les protestants,
est tué d'un coup de feu.
La troupe pousse alors à Saint -Maurice- de -Ventalou. Le
prêtre du Heu s'est enfui. On dîne chez lui, on lui prend deux
fusils, et l'on va se reposer dans les bois de la Lozère, où l'on
demeure immobile toute la journée *.
A l'aube du 26, les révoltés, qui, sans doute, sont mainte-
nant tous réunis, quittent la Lozère, passent le Bougés et
paraissent sur la commune de Saint-André-de-Lancize (d'où est
originaire Salomon Couderc). Il y a là, dit Rarapon, « deux
mauvais curés (le curé et le régent ecclésiastique des écoles) ».
Mais tous deux sont absents, car ils assistent, à une lieue de
là, aux funérailles solennelles de l'abbé du Chayla, dans l'église
de Saint-Gerrhain-de-Calberte. L'approche des attroupés y va
semer la panique parmi les prêtres assemblés. Cependant, la
fausse nouvelle qu'il y a à Saint-Gennain un fort contingent
de soldats émeut les attroupés à leur tour. Ils retardent leur
avance et demeurent vers le Bougés. Mais le 27 au matin, faisant
irruption à Saint-André, ils pillent la maison du curé Boisson-
nade, saccagent l'église, découvrent le prêtre dans le clociier,
l'en précipitent et frappent son corps de coups de fusil et de
dague. Le régent ecclésiastique, Jean-François Parent, est par
eux non seulement frappé, mais affreusement mutilé. Rampon,
t. La chronologie des faits, telle (luc nous la donnons, a été soigneusement
vérifiée.
16 ce. BOST.
qui ne rapi^orte pas ce dernier fait, écrit une phrase qui nous
en donne la raison : « On ne trouva pas leur concubine, qu'on
eût aussi tuée ^ . »
Enfin, le 28, au point du jour encore, la troupe, conduite, à
ce qu'il semble, par Séguier,- qui cette fois vient sur son terroir
d'origine, arrive devant le château de La Devèze, sur la Cam
de Barre, qui est habité par une famille d'anciens catholiques.
Les prophètes ont-ils pensé qu'ils pourraient là recueillir des
armes? Ou ont-ils cru plutôt que des prêtres s'étaient réfugiés
dans la maison? Leur résolution, en tout cas, est implacable.
Rampon dit, avec une effroyable simplicité : « Devant que d'al-
ler à La Devèze, on savait qu'on n'en pouvait pas épargner, tant
•^u'on en trouverait dans la maison. » Il ne fallait pas qu'il res-
tât un témoin capable de nommer l'un des attroupés, dont plu-
sieurs étaient du quartier même. Au moment de pénétrer dans
le chârteau, les assaillants reçurent un coup de feu, qui tua, dit
Rampon, « David (?) Couderc, de la Roche (près de Vieljouvès),
frère (?) de Salomon ». Les protestants répondirent par un mas-
sacre. Un fils du fermier, les deux gentilshommes (MM. de La
Devèze et de Nougueyrol), leur sœur Marthe (vingt-cinq ans),
leur mère (M"° de la Cam, soixante-dix ans) tombent sous leurs
coups. Ils mettent le feu au logis; et un oncle âgé, et faible
d'esprit, M. de Grézel, qui sonne la cloche d'alarme, meurt
aussi dans les flammes.
La troupe se retire dans la direction du nord, enterre le corps
de Couderc et va se restaurer au Plan-de-Font-Morte avec les
provisions prises dans la maison. C'est là que, peu d'heures
après, le capitaine Poul, avec dix-huit soldats, surprit les meur-
triers endormis, qui n'avaient pas posé de sentinelles, les pour-
suivit sur la pente qui descend au nord vers le Crémadet, en tua
deux, en prit trois (dont Séguier) et dispersa les autres.
Les trois prisonniers furent conduits à Barre et interrogés le
jour même (28 juillet) par le subdélégué Campredon, qui les
expédia aussitôt à Bâville avec le capitaine qui les avait arrê-
tés. Mais l'intendant arrêta Poul dans sa marche, à Saint-Hip-
polyte (!"■ août), et lui commanda de reconduire ses prisonniers
1. Le fait de la mutilation du régent, mentionné par Louvreleuil, t. I, p. 34
((pii était de Saint-Germain), est confirmé par les notes du curé Mingaud, de
Saint-Étienne-Valfrancesque. Mingaud vit le corps du curé et du régent et
confia le moribond à un chirurgien de Saint-Germain (Mingaud, Troubles des
Cévennes, p. 10).
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET l7U2. 17
dans la montagne jusqu'à Florac, en même temps qu'il donnait
ordre à une comihission du présidial de Nîmes, qui allait siéger
àiMarv-èjols, de demeurer elle-même à Florac pour instruire et
juger l'affaire. Les interrogatoires de Florac commencèrent le
5 août. Le 10 (sans doute), le jugement fut rendu et, conformé-
ment aux sentences, Séguier eut le poing coupé et fut brûlé vif
au Pont-de-Montvert le 11 août, Moïse Bonnet de Peyremale
fut rompu vif et brûlé à Saint-André-de-Lancize le 12 et, le 12
également, Pierre Nouvel de Vialas (qui avait été blessé à
Font-Morte de deux coups de sabre) fut pendu, puis brûlé
devant le château de la Devèze. Rampon dit que Séguier tra-
versa tout le lieu, « sa main pendante et saignante, ce qui fit
qu'il était presque mort quand il fut au feu. Mais toujours avec
un grand zèle, il parla jusqu'à la fin ». Le Manuscrit Gai^fe,
dont l'auteur semble avoir parcouru la procédure faite, fournit
quelques détails de plus, qu'il est bon de connaître pour revoir
dans leur pleine réalité ces premiers ouvriers de la grande insur-
rection : « Le prophète Séguier répondit dans tous ses interro-
gats qu'il n'avait fait et dit que ce que l'Esprit lui avait sug-
géré... Etant présenté au banc de gène, il réitéra tout ce qu'il
avait dit dans ses interrogatoires, et y étant, après, étendu, il y
fanatisa dans toutes les formes et se laissa ensuite couper le
poing avec une intrépidité sans égale; lequel, tenant encore de
la peau, il acheva lui-même de le couper avec les dents et le jeta
dans son bûcher, où, y étant finalement attaché avec deux
chaînes de fer,, il s'y donna deux si grandes secousses qu'il se
tua avant qu'on y eût mis le feu. »
A sa dernière heure, Séguier formula une prédiction, comme
l'avait fait Françoise Brès, s'il faut en croire un Cévenol'.
« Avant d'être mené au supplice, il protesta... qu'un déborde-
ment d'eaux ravagerait et ruinerait la place où on le ferait mou-
rir, sans que jamais elle pût être réparée. Ce qui arriva »,
ajouta notre témoin, « dans la même année ou au commencement
de celle d'après, car la rivière de Tarn..., dont le bord battait la
muraille de la place du Marché au milieu de laquelle Esprit
Séguier fut brûlé, s# déborda avec une telle fureur qu'il emporta
la place jusqu'aux rochers mêmes qui soutenaient les fonde-
ments de la muraille, de manière qu'elle est irréparable. Cette
1. Noies de Morin, dit Saltet (papiers Court, n" 30).
Rev. Histor. CXXXVII. 1" fasc. 2
18 ce. BOST.
prédiction, méprisée des papistes et même des protestants, dont
la plus grande partie méprisait les inspirations (qu'on appelait
fanatisme), fut un sujet d'étonnement à tout le peuple... J'ai
vu moi-même le précipice qui est au milieu de la place. » Ces
lignes furent écrites en 1742. La légende de Séguier persistait
encore vivante au Pont-de-Montvert cent ans plus tard. C'est
là que Napoléon Peyrat recueillit une tradition, suivant laquelle
le prophète, adjuré de^ « se repentir de ses crimes », aurait
répondu : « Mon âme est un jardin plein d'ombrages et de fon-
taines^. »
L'assemblée de Ghampmqurel.
Le comte de PejTe, un des lieutenants généraux du Langue-
doc, personnage considérable 2, qui habitait son château de la
Baume en Gévaudan, avait cru pouvoir intervenir au Pont-de-
Montvert, dès qu'il avait appris le meurtre de l'abbé, de sa
propre autorité, avec des milices bourgeoises hâtivement assem-
blées. L'approche de ces troupes très catholiques (30 juillet)
épouvanta si fort la région que le comte de Broglie, lieutenant
général également, mais investi (au moins dans le quartier)
d'une autorité supérieure, et qui arriva au Pont-de-Montvert le
même jour, lui donna l'ordre de se retirer. Broglie se chargeait
de rétablir Tordre, à lui seul, avec moins de frais. ILne voulait
pas « ébranler toutes les milices bourgeoises et faire des mou-
vements qui eussent été d'une suite fâcheuse et exciter de
grands désordres, par la frayeur où chacun était, et dont les
malintentionnés auraient pu profiter ^ ».
Très mortifié de son aventure, le comte de Peyre écrivit en
cour à la fois- pour se justifier de son initiative et pour se
plaindre de toute l'achiiinistration religieuse de Bâville, dont
Broglie, comme on sait, était le beau-frère. « On persiste à
dire », lit-on dans sa lettre du 19 août, « que, si le commande-
ment des Cévennes pouvait changer, tout y serait tranquille et
en repos, la dureté avec laquelle on les a gouvernés ayant tout
1. Nap. Peyral, Hist. des pastetirs du désert, 1842, t. I, p. 305.
2. 11 avait présidé les États du Languedoc à Carcassonne en 1701.
3. Broglie au ministre de la Guerre, 3 août 1702 (Hist. du Languedoc,
t. XIV, p. 1578).
LES « PROPHÈTES » DU LANGDEDOC EN 1701 Eï 1702. 19
gâté^ » Ainsi le comte de Peyre, que Broglie redoute de voir
mettre les Hautes-Cévennes en révolution par sa violence, se
fait ici le dénonciateur d'une politique de brutalité k laquelle il'
ne voudrait pas s'associer. Rien ne montre mieux le désarroi
des autorités diverses du Languedoc en face de ce mouvement
énigmatique du prophétisme, que l'on ne savait guérir, et dont
on redoutait obscurément les conséquences.
Le bref rapport que le comte de Peyre envoya en cour, en
même temps que sa lettre, relativement aux trois condamna-
tions prononcées à Florac et aux résultats de la procédure, est
clairement défavorable à l'abbé dii Ghayla^. Il y est parlé de
l'archiprêtre sans un mot de sympathie, et on y lit tous les
griefs que nourrissaient contre lui les prisonniers qu'il avait
détenus et les hommes qui venaient de l'exécuter. Après le pro-
cès, les juges réunis à Florac ne furent pas plus sympathiques à
la mémoire de l'abbé que ne l'était le comte de Peyre, et Bàville
n'en fut point content.
Le même rapport du comte de Peyre nous montre, en effet,
l'intendant en conflit avec les juges dès leur sentence rendue.
« M. de Bàville a écrit à MM. du présidial de lui envoyer toutes
leurs procédures, qu'il voulait connaître de la suite de cette
affaire, et voudrait bien qu'on n'en eût [qu'ils n'en eussent] pas
tant connu. » Le sens de cette phrase est clair. Bàville tient
essentiellement à rester le maître des procédures dirigées dans
sa province contre les religionnaires. Elles sont, pour lui, avant
tout des affaires de pohce. Il n'entend pas que des subtilités
juridiques ou des considérations d'humanité y apportent la
moindre douceur ou le moindre retardement. Dépossédé en
1698, à l'occasion de la déclaration royale de décembre, des
pouvoirs judiciaires exceptionnels que le roi lui avait accordés
en 1685^, il s'était fait rendre, nous l'avons dit, ses anciennes
prérogatives dès qu'avaient paru dans le Bas-Languedoc les
premiers inspirés. S'il avait fait agir à Florac le présidial de
Nîmes sans y siéger lui-même, c'était parce qu'une circons-
tance favorable transportait les juges dans la montagne et per-
1. Hisl. générale de Languedoc, l. XIV, p. 1583. Reproduit dans Bulletin
cité, t. LVIII, p. 248.
2. Jbid.
3. th. Bosl, les Prédicants..., l. I, p. 92; t. II, p. 293.
20 CH. BOST.
mettait de frapper immédiatement des meurtriers et des sacri-
lèges, et sur les lieux mêmes de leurs attentats. Les premiers
jugements prononcés, l'intendant se hâtait de réclamer ses
droits pour achever le procès selon ses méthodes personnelles.
Mais, en outre, Bâville — la chose est évidente — trouvait
que trop de témoins avaient été entendus et avec trop de com-
plaisance. « On avait trop connu de l'affaire » : l'abbé du
Chayla sortait fort maltraité de la procédure engagée contre ses
assassins. Or, avec l'abbé, l'intendant aussi était touché.
Depuis 1698, Bàville affirmait que la politique des sévérités
outrées était la seule qui fût efficace dans le Languedoc. Il
ajoutait qu'aucun mouvement séditieux n'était à redouter dans
le pays. Il lui était dur d'avouer qu'il s'était trompé, que sa
méthode — et ceUe de ses agents les plus zélés — loin de
pacifier le pays, avait en quelques jours provoqué le meurtre de
trois prêtres, de deux régents ecclésiastiques, de sept anciens,
catholiques, le sac de deux églises et l'incendie ou la ruine de
trois maisons curiales.
L'intendant jugea bon, par conséquent, et dès l'abord, de pré-
senter ces graves événements sous leur jour le moins défavo-
rable. La première dépêche de Broglie à la cour, expédiée de
Montpellier, le 28 juiUet, alors qu'il ne connaît encore que la
mort de l'abbé et celle du curé de Frutgères, débute ainsi : « Il
vient d'arriver une désagréable aventure à l'abbé du Chayla'. »
Quelques heures plus tard, Bàville envoie au ministre la dépo-
sition de Gardés, qu'il vient de recevoir des Gévennes. Il ne
manque pas d'y ajouter que les attroupés, à ce qu'il croit, ont
seulement voulu libérer des prisonniers, « et comme ces prison-
niers étaient dans la même maison que cet abbé, après les avoir
délivrés, ils se sont portés, par un mouvement de fureur, à le
tuer 2 ». Le 31 juiUet, du Pont-de-Montvert (où Bàville ne se
trouve pas), Broglie, moins diplomate et même maladroit, dans
un langage de rodomont qui touche au comique, affirme que sa
présence a rassuré un pays épouvanté, et il montre les insur-
gés tuant l'abbé de propos bien délibéré, après avoir cependant
obtenu de lui les prisonniers qu'ils ont réclamés-^. Bàville, lui,
1. De Montpellier, 28 juillet 1702. Ilist. de Langurdoc, t. XIV, p. 1564.
2. De Montpellier, 28 juillet (après le départ de Broglie pour les Gévennes).
Ifist. de Languedoc, t. XIV, p. 15G8.
3. Ilist. de Languedoc, t. XIV, p. 1572.
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EiN 1701 El 1702. 21
garde sa i)rudence, et avant même que le procès fait à
Séguier, Nouvel et Bonnet soit achevé, il écrit, le 4 août, ces
lignes innocentes : « Il est certain que leur dessein n'était pas
d'abord de faire les meurtres et incendies qu'ils ont commis. Ils
voulaient sauver l'un d'eux qui était malheureusement pri-
sonnier dans la même maison où était Vabbé du Chayla.
Un de ses valets tira un coup de fusil et en tua un. Cela les
irrita et, étant entrés en fureur, ils tuèrent l'abbé du Chayla^. »
La phrase est plus lénitive encore que celle du 28 juillet.
Bâville prétend-il donc expliquer aussi par un malheureux
hasard les meurtres et incendies qui ont suivi, à Frutgères, puis
à Saint-André-de-Lancize, puià à La Devèze? M. Frank Puaux
dit : « Pour que l'intendant ait pu affirmer que les Cévenols
n'avaient d'abord aucun dessein de meurtre et d'incendie, il a
fallu qu'il en possédât la i)reuve décisive-. » Il paraît étrange,
en effet, que Bâville ait jamais pu chercher à diminuer la cul-
pabilité de nouveaux convertis armés, meurtriers et incen-
diaires. Mais les mots du comte de Peyre nous apprennent
quelles étaient alors les préoccupations du « roi du Languedoc ».
Son avis est que le présidial a « trop connu de l'affaire ». Il
ne veut pas que la cour reçoive indirectement, et en dehors de
lui, des avis sur des événements qui l'ont surpris plus qu'il ne
dit et dont il appréhende les suites. Il ne veut pas Surtout qu'on
parle des colères que l'abbéMu Chayla ou les autres prêtres ont
amassées contre eux depuis si longtemps, car tout ce qu'ils ont
fait dans la province, Bâville l'a permis ou commandé.
Les juges de Florac ne cédèrent pas de bon gré aux ordres de
l'intendant. « MM. du présidial », écrit le comte de Peyre, « ont.
fait quelque difficulté, disant qu'ayant pris connaissance de
cette affaire, qui de droit leur appartenait, M. de Bâville ne
l)Ouvait connaître des suites à leur préjudice^, et néanmoins ils
lui ont envoyé extrait de toutes leurs procédures^. Bâville
1. Cité i>ar F. Puanx, Hcv. hislor., novembre-décembre 1918, p. 211. Aucun
des allrou|iés ne fut tué dans lallaire. Un seul, Jean Chaptal, de Recoules, fut
blessé légèrement à la joue d'un coup de feu tiré dans l'escalier de la maison.
2. Ibid.
3. L'alVaire ne leur appartenait pas de droit, puisque des « fanatiques » y
étaient impli(|ués. Par là, elle appartenait à Bâville, qui les a délégués eu son
lieu, comme cela lui était permis.
4. La procédure elle-même est donc restée dans les archives du présidial.
Nous n'avons pas retrouvé l'extrait communiqué à Bâville.
22 CH. BOST.
réclama de plus dix-neuf prisonniers qui restaient à Florac
« dans des prisons trop peu sûres » et Poul les amena jusqu'à
Saint-Hippolyte^ Broglie écrivait le 15 août : « On ne perdra
pas un moment à les juger. » L'intendant en fit interroger par-
ticulièrement cinq et en retint trois, auxquels" il ordonna de
faire le procès. De leurs interrogatoires, ou" de l'extrait qui lui
avait été communiqué des interrogatoires antérieurs, il tira le
nom de vingt-cinq personnes qu'il décréta de prise de corps le
29 août. Dans le nombre figurent « Abraham [Mazel] de Saint-
Jean, de Gardonnenque, âgé de vingt-huit ans environ »,
« Salomon Couderc, de Vieljouvé », et « Laporte, prédicant^ ».
Le 28 juillet, Bâville avait écrit au ministre de la Guerre,
après lui avoir parlé des événements des Cévennes : « Je veil-
lerai à empêcher que le désordre ne commence pas ailleurs. »
Il veilla mal, ou du moins put se convaincre que sa vigilance
était mise en défaut, car le désordre commença aussi dans la
plaine.
Le dimanche 13 août, le baron de Saint-Cosme, qui passait
pour l'instigateur et l'exécuteur de toutes les mesures violentes
prises dans le bas pays contre les fanatiques, fut assassiné en
plein jour au moyen de l'un de ses pistolets, puis achevé à
coups de pierres et de bâtons, entre Vestric et le château de
Boissières, sur un chemin public ^ Parmi les meurtriers s'étaient
trouvés le fanatique Boudon, de Bernis, dont nous avons déjà
transcrit le nom, et Gatinat, du Cailar (Abdias Maurel), le futur
caraisard, qui aurait été le chef de l'entreprise^. Comme le baron
était parti le matin de Marsillargues et était passé par Vauvert,
de nombreuses arrestations eurent lieu à Vauvert et au Cailar.
Le seul des prisonniers qui ait été retenu fut un inspiré du Cai-
lar, nommé Paul Bousanquet. Toutes les pièces du procès (qui
fut instruit à Nîmes) nous manquent. Brueys seul nous a rap-
porté un détail que nous croyons exact, car il s'accorde avec le
récit que Mazel nous a laissé de la mort de l'abbé du Chayla.
1. Ils y étaient le dimanche 13 août.
2. Décret contre les préi'enus des crimes commis dans les Cévennes. De
Montpellier, Arch. de l'Hérault, C 192. Publié i)ar l'abbé Rouquette {l'Abbé du
Chayla..., p. 109), mais avec des erreurs de lecture.
3. Hist. de Languedoc, t. XIV, p. 1581. Voir Bulletin cité, t. LX, p. 128.
4. Témoignage du camisard Béchard, d'Aubais (papiers Court, n" 17, K,
fol. 105). Avec Boudon et Catinat, il nomme « les deux David du Cailar, Ban-
cillon de Vauvert et Bénézet de Vauvert ».
LES « PROPHÈTES » DU LANGDEDOC E^ 1701 ET 1702. 23
Bousanquet, ayant vu passer Saint-Cosme sous ses fenêtres,
aurait dit à des coreligionnaires réunis chez lui (c'était un
dimanche) : « Mes frères, voilà notre ennemi qui passe, deman-
dons à Dieu si c'est sa volonté qu'il soit tué par- nous. » « Le
prophète trembla, tomba par terre, demeura assoupi quelques
moments, puis, s'étant relevé, il leur dit que l'Esprit venait de
lui déclarer qu'il fallait tuer M. de Saint-Cosme^. » Il semble
avéré que Bousanquet n'était pas du nombre des meurtriers,
bien que le cocher du baron ait prétendu le reconnaître ^ Mais
là encore les prophètes* et leurs compagnons ont « obéi aux
ordres de l'Esprit ». Un jugement du 7 septembre rendu par le
présidial de Nîmes condamna Bousanquet à être rompu vif, et
le corps fut exposé sur le lieu du meurtre.
Les préoccupations que les événements du Pont-de-Montvert
ou de Vestric imposèrent à Bâville, un voyage aussi qu'il fit
jusqu'à Alais^ retardèrent, on le conçoit, le procès de Manda-
sout. Mais une autre circonstance accrut encore la lenteur de
l'instruction. L'intendant reçut des Cévennes d'autres dossiers
qui semblaient aggraver la culpabilité du prophète, en ratta-
chant son activité de mai et de juin aux récents attentats.
Bâville eut avis, en effet, que le 23 juillet, « veille du jour
qu'on fit mourir l'abbé du Chayla », le capitaine de bourgeoisie
de Sainte-Gécile-d'Andorge, averti par le curé de Blannaves,
avait dissipé à cinq heures du soir une assem])lée de 600 per-
sonnes, réunie depuis dix heures du matin dans le vallon de
Champmaurel, Ihnitant Blannaves et le Collet de Dèze. Les sol-
dats n'avaient pu appréhender que trois personnes, dans une
petite maison, le Pradau, refuge ordinaire des prédicants'^. Or,
cette nouvelle assemblée parut au juge d'Alais, le s"" de La
Fabrègue, avoir été d'une extrême importance, en raison de sa
date et du lieu où elle avait été tenue. C'était, avons-nous dit, la
veille du meurtre de l'archiprêtre, et dans le quartier même où
Mandagout, un mois auparavant, avait parlé de troupes qui
1. Brueys, t. I, p. 343, 344.
2. Paitieis Court, n° 35 (journal écrit à Calvissoii).
3. Bâville sortait alors de maladie. Peut-(}tre est-ce la raison i)Our laquelle
il ne s'était pas transporté lui-même jusqu'à Florac (Brueys, t. I, p. 312).
4. Henri Gleize père (soixante ans) et Henri Gleize fils (vingt-cinq ans), de
Blannaves, et Pierre Donnadieu. Ce dernier venait de sortir du fort de Saint-
Hippolyte après trois mois de détention. Le lendemain, on arrêta deux
femmes, dont la fille de Gleize père (Arch. de l'Hérault, C 182).
24 CH. BOST.
s'assembleraient « pour abattre les églises et tuer tous les catho-
liques ». On ne douta pas autour d'Alais que la réunion de
Cliampmaurel n'eût jiréparé les meurtres et les ,incendies qui
l'avaient immédiatement suivie et qu'elle n'eût précisé, par
conséquent, le jour où devait éclater une conjuration générale
des nouveaux convertis, ou tout au moins des fanatiques.
Les questions posées le 4 août aux trois hommes arrêtés au
Pradau sont l'écho des bruits qui coururent alors dans le pays •
« S'il ne fut dit dans l'assemblée qu'il ne fallait pas retourner à
la messe, prendre les armes, égorger les prêtres, brûler les
églises et tuer tous les vieux catholiques? S'il n'y avait pas
dans l'assemblée des gens du pays étranger qui promirent du
secours, de l'argent, des armes pour les soulever, disant que le
roi ne saurait parer le coup e't leur religion florirait? S'il n'y fut
résolu d'assassiner le lendemain l'abbé du Chayla, le curé de
Frutgères, le curé de Saint-André -de-Lancize et d'autres, de
brûler les églises et de faire un soulèvement général? »
Ces faits, que les accusés nièrent résolument, ne se trouvent
pas, dans la procédure, rapportés par des témoins assignés. Ce
sont, très probablement, des suppositions du magistrat enquê-
teur ou de son entourage. Le juge d'Alais s'est sans doute rap-
pelé les propos tenus par Mandagout à RofRères et à Peyre-
male, et les a précisés d'après ses propres conjectures, en se
fournissant de la sorte une explication de l'émeute sanglante du
Pont-de-Montvert.
Bâville, lui aussi, et depuis 1689, ne voyait dans tous les pré-
dicants de la province que des « émissaires de l'étranger ». Il
tenait les nouveaux convertis pour un peuple « résolu de se
remettre dans ses droits lorsqu'il en trouverait l'occasion » et
« qui ne renfermait son ressentiment que par faiblesse ^ ». Quand
il reçut les procédures de l'assemblée de Champmaurel, il fit à
nouveau interroger Mandagout (9 août)^ et demanda à Alais une
information supplémentaire, qui eut lieu le 21 août et ne
donna rien.
Quelques jours plus tard, une nouvelle arrestation sembla
devoir apporter des précisions utiles. Les soldats qui surveil-
laient toujours la montagne de RofRères mirent la main, le
matin du dimanche "27 août, sur un passementier de Branoux,
1. Ch. Bost, les Prédicanls..., l. II, p. 279, 280; p. 278, 281.
2. Interrogatoire mentionné dans le jugement. Il manque au dossier.'
LES « PKOPIIÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 25
Etienne Soleyret (quarante-huit ans), porteur d'un pistolet. Il
se rendait sans doute à une assemblée, qu'on sut ensuite s'être
réunie en effet le même jour à La Melouze. Soleyret avait assisté
aux assemblées de Roffières en mai, et ce fut lui qui révéla qu'il
y avait vu Laporte et qu'il y avait entendu « Salamon », deux des
lionmies que Bâville savait depuis peu avoir été parmi les attrou-
pés du Pont-de-Montvert. Mais Soleyret déclara aussi qu'il avait
vu à Branoux, le 25 août, ce même Gédéon Laporte. Deux prédi-
cants étaient alors avec lui, « dont l'un de Saint-Jean-du-Gard,
que les enfants nommaient Salamon de Saint-Jean » (nous
avons déjà relevé cette confusion entre Salomon, du Bougés et
Abraham, de Saint- Jean). Cette déposition était d'autant plus
précieuse que depuis l'exploit de Poul à Font-Morte, c'est-à-dire
depuis un mois, les restes dispersés de la troupe de Séguier
n'avaient plus donné signe de vie. On demanda naturellement à
Soleyret si, dans l'assemblée de Champmaurel, « on n'avait pas
résolu de prendre les armes partout » , et il fut expédié à Bâville ^ .
Ce fut })rècisément vers la date où Soleyret signalait la pré-
sence récente de Laporte, d'Abraham et de Salomon à Branoux
que se ralluma dans les Cévennes, et encore autour de Roffières,
le feu que Bâville avait cru un instant éteint. Laporte, au dire de
Rampon, et Cavaher confirme le fait dans ses Mémoires, « avait
rallié la troupe après Esprit. » Il reprit, par les niêmes procédés, la
chasse « aux gros bœufs noirs qui dévoraient l'Eglise ». La nuit
du 7 au 8 septembre, l'église de Saint-Paul-la-Cosfe est pillée et
saccagée. Le curé Descamps, qui a entendu les émeutiers sor-
tant du bois de Mallebouisse, a pu fuir. Le 8, à dix heures du
soir, Laporte entre au Collet de Dèze, vidé de sa garnison par un
billet supposé; il prêche dans le temple qui est resté debout,
abîme quelques maisons (dont le logis du curé) et quitte le bourg
dans la nuit^. Le 11, Poul, que Broghe a lancé de Saint-Ger-
main sur les insurgés, les atteint à Champdoraergue, au-dessus
du Collet, et les disperse, mais après avoir senti cette fois la
vigueur de leur résistance. Désormais, les incendies d'églises et
les meurtres de catholiques se poursuivront presque journelle-
ment dans les Cévennes.
1. \rch. de ruéraull, C 18Î. Interrogatoire isolé de Soleyret, du 2 septembre.
C'est « le second ». Le premier inan(|ue.
1. Il n'incendia pas l'église catboli(iue parce que le temple du lieu [qui sub-
siste encore] avait été laissé debout. La marquise de Portes voulait le trans-
former en un hôpital.
26 CH. BOST.
L'obstination huguenote qui se manifestait depuis quatre
mois dans le quartier de Roffières et les excès derniers de
Laporte réclamaient de Bâville un exemple. Il termina le procès
de trois des accusés de -Branoux. Nous ne savons ce qu'il advint
de Soleyret (recolé le 12 dans ses interrogatoires). Le 13, l'in-
tendant soumit au « dernier interrogatoire » Mandagout et
Abraham Pouget^. Pouget était accusé d'avoir prêché à Rof-
fières le 7 mai. Bâville voulut qu'il se fût trouvé à l'assassinat
de l'abbé du Ghayla, ce qui nous apprend qu'il était arrêté
depuis peu de jours. Au surplus, il nia tout, sauf qu'il connais-
sait Laporte « pour être de son lieu » et se déclara « catholique
apostolique romain ». Astruc Mandagout n'eut pas sur la sellette
une attitude plus héroïque. Il se donna également pour « catho-
lique romain » et opposa des dénégations formelles à toutes les
questions de l'intendant concernant son activité religieuse ou
ses propos violents-.
Notons que Bâville, dans cet interrogatoire, qui décidait du
sort de l'accusé, ne le questionna que sur les paroles qu'il avait
prononcées ou sur le rôle qu'il avait joué à Roffières et à Pe}Te-
male. Cette observation a sa valeur, car Louvreleuil (t. I, p. 55)
prétend que le prédicant fut condamné « pour avoir acheté à la
foire de Beaucaire six charges de fusils et pour les avoir distri-
buées en divers lieux suspects de fanatisme » .
L'erreur de Louvreleuil ou de ses informateurs s'explique
facilement. L'opinion catholique, quand se déchaîna la révolte
camisarde, fut convaincue que le mouvement avait été fomenté
par des étrangers et formeUeraent prémédité. Quand il lui fallut
trouver des preuves de la préméditation, elle s'attacha aux
moindres indices. La Baume, conseiller au présidial de Nîmes,
dont le travail historique est fondé sur des pièces judiciaires,
nous fournit des exemples typiques de ces jugements hâtifs. Il
parle disertement de la venue en France d'émissaires étran-
gers^; mais il se contente à cet égard de développer simplement
l'accusation gratuite que le s"" de La Fabrègue a formulée à
l'occasion de l'assemblée de Champmaurel. Plus loin, il dépeint
l'enrôlement clandestin de tous les nouveaux convertis en état
de porteries armes, accompli par des prédicants itinérants. Sa
1. Brès père, le chantre prédicateur, s'était évadé des prisons d'Âlais avant
le 18 juillet.
2. Arch. de l'Hérault, C 183.
3. La Baume, p. 30, 31.
LES « PROPUÈTES » DO LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 27
phrase, ici, sans doute s'appuie sur un aveu judiciaire formel, mais
qui nous transporte à la date du 9 octobre, c'est-à-dire à une
époque où les agitations, d'abord isolées, se coordonnent • . Enfin,
La Bamne ajoute : « Ils firent plusieurs quêtes qui leur rappor-
tèrent beaucoup d'argent, dont ils achetèrent des armes et des
munitions à la foire de Beaucaire de 1702. Tous les fusils qu'on
y avait apportés pour vendre furent enlevés dans deux heures
de temps. » Plus loin, il parle de la poudre achetée dans les
mêmes circonstances-. On peut affirmer que ces indications,
connue celles de Louvreleuil, ont leur origine dans le simple
fait que Mandagout a été arrêté à Beaucaire, et au début de la
foire •^.
Malgré la précision apparente de Louvreleuil, il n'y a donc
pas lieu de s'arrêter à son allégation. Si l'accusation a été for-
mulée, elle s'est montrée insoutenable. Elle ne figure pas dans
le jugement du prophète qui fut rendu le 13 septembre. Deux
sentences de ce jour envoyèrent Pouget aux galères et Jean
Astruc Mandagout à la potence, ce dernier « pour assemblées
illicites, phanatisme et port d'armes ». Mandagout devait subir
la question 4.
L'arrêt relatif à Mandagout allait être exécuté à Alais, Un
catholique de Saint-Hippolyte note que ce « Mandagout, maçon
de Vézenobres, fanatique », est passé dans le lieu, le 14, accom-
pagné de la justice et du bourreau •'^.
Louvreleuil (t. I, p. 55) dit s'être trouvé à Alais quand le
1. Infonnalion dirigée contre J.-J. Sollier, peigneurde laine (vingt-trois ans),
de Saint-Hilaire-de-Brethmas, près Alais (C 182). Sollier dépose que, le 9 oc-
tobre, au bois des Plans, |>rés de Rrouzet, « Laporte le Chàtreur » (le neveu
de Gédéon Laporte, le futur Rolland), « en pn^chant, leur dit que, lors que le
roi voulait du inonde, Ij en trouvait autant (|u'il voulait pour faire la guerre
et que, s'agissanl de l'intérêt de leur religion, personne ne voulait se soulever,
et les exhorta à le suivre ».
2. La Baume, p. 31, 157.
3. L'auteur anonyme du Fragment sur la guerre des Camisards, publié par
M. Talion, dit (|t. .16) que « la résolution des N. Convertis [en 1702] était de
faire un coup d'Etat à la foire [à la date de la foirej de Beaucaire ». Comme
cet auteur habitait Alais ou les environs, il nous confirme dans l'opinion que
ce bruit a été provoqué par l'arrestation de Mandagout.
4. Les deux jugements sont aux Arch. de l'Hérault, C 192. Les quelques pages
du registre d'écrou des rhiourmes de .Marseille retrouvées à Toulon par l'amiral
Baudin, en 1846, jiortent le nom d'Abraham Pouget (Bulletin cité, t. 1, p. 54).
Amené aux galères, le 28 septembre, il mourut à l'hôpital le 7 ou le 8 décembre
suivant.
5. Papiers Court, n" 17, B, fol. 225,
28 ce. BOST.
prophète fut exécuté. Mais il résulte de l'ensemble de son
récit qu'il n'est venu séjourner dans la ville qu'en octobre. Ce
qu'il rapporte de la fin du condamné lui aurait donc été raconté
un peu plus tard. « Les remontrances 'du R. P. Milhet, supé-
rieur des Jésuites », écrit-il, « animées d'une grâce efficace de
Dieu, le firent rentrer dans le sein de l'Eglise avant que de mou-
rir. » Mandagout, on s'en souvient, s'était déjà déclaré catho-
lique dans son dernier interrogatoire.
Un autre témoignage, qui ne contredit pas le précédent, nous
prouve du moins que Jean Astruc, à certains égards, fut ressaisi
par la vigueur dont il avait fait preii\;^e quelques mois aupara-
vant. Il émane d'un anonyme (sans doute un officier) qui habi-
tait alors Alaise
« Le 15 septembre 1702, Mandagout, maçon, fut pris à Beau-
caire et mis aux prisons de Montpellier pour longtemps, d'où il
fut conduit à Alais pour être pendu pour avoir convoqué des
assemblées, excité des émotions, etc. Jamais on n'a vu un
homme aller au supplice ^vec plus d'ardeur et d'efîronterie,
tournant les jeux de côté et d'autre, sans doute dans l'espérance
qu'il avait que ses gens viendraient le tirer du danger. Se voyant
trompé, il appela le Père Malet [sic), jésuite, qu'il avait [qui
l'avait?] déjà abandonné, et fit abjuration de sa religion et se
disposa à mourir en bon catholique. Les protestants osèrent nier
le fait et accuser le Père de fausseté. »
Louvreleuil parle de Mandagout comme d'un « fameux pré-
dicant ». L'épithète est de trop. Mandagout n'avait tenu qu'une
place de second rang parmi les prophètes de 1702, et son sou-
venir fut entièrement effacé par les prédicateurs qui se levèrent
après lui. Mais son nom avait été lié aux assemblées de Rof-
flères et, comme on prétendit à Alais que toute la révolution
camisarde en était sortie, Mandagout porta quelque temps le
poids de cette infamie pour les uns, de cette gloire pour les
autres.
Au moment o\i mourait Mandagout, les autorités du Langue-
doc pouvaient constater que le mouvement « fanatique » qui
ébranlait la province depuis deux ans n'était pas seulement une
' bizarrerie mentale. Les excès isolés que nous avons notés tout au
1. Fragment sur les Camisards..., publié par M. Talion, p. 16.
LES « PROPHÈTES » DO LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 29
long de notre récit vont devenir plus fréquents et plus sangui-
naires. Des troupes diverses d'insurgés vont se former, incen-
diant les églises, massacrant les prêtres ou les catholiques,
assaillant les patrouilles de soldats pour se procurer des armes,
des munitions, des équipements. La guerre des Gamisards com-
mence. Partout nous verrons agir des hommes qui nous sont
connus déjà comme des « inspirés ». D'Alais à Florac, ce seront
Laporte, Abraham Mazel, Salomon Gouderc, La Couette; vers
l'Aigoual, Gastanet; dans la plaine, Gatinat, Boudon, Sarauelet.
Dans les Basses-Gévennes, autour d'Anduze, ce seront le neveu
de Laporte (Rolland) et Gavalier, qui prétend dans ses Mé-
moires s'être trouvé dans les Hautes-Gévennes à la mort de
l'abbé du Ghayla et que nous croyons au contraire ne s'être
enrôlé dans la révolte qu'à la fin de septembre, lors des pre-
miers appels de Rolland. Il faudra quelques semaines encore
pour que certaines de ces bandes consentent à s'associer, pour
qu'elles s'organisent, nous dirons même pour qu'elles prennent
nettement conscience du but qu'elles poursuivent. Loin d'avoir
été savamment concerté, soit par des protestants de France, soit
par des étrangers, le mouvement camisard à été la réaction
spontanée d'un peuple dont la souffrance était intolérable.
Si à cet égard nous donnons raison aux conclusions de
M. Puaux, nous sommes cependant amenés à juger un peu
autrement qu'il ne le fait le problème de la « préméditation »
dans le drame du Pont-de-Montvert. Il s'en tient nettement aux
paroles que Bàville écrit à son ministre et croit à un meurtre
commis dans un mouvement de fureur par des hommes que
l'abbé a accueillis à coups de fusil. Il semble donc se représenter
les attroupés qui descendent du Bougés pour délivrer les prison-
niers de l'archiprêtre, conune un amas de paysans rudes, excités
par la colère ou la jpassion de la justice, mais de sens rassis.
L'intendant du Languedoc, lui aussi, les voyait de la sorte. Il
n'a jamais su vraùnent ce qu'étaient les prophètes; il les a tenus
pour de vulgaires simulateurs qui cachaient sous des contor-
sions étudiées des desseins séditieux très précis. Yillars, cepen-
dant, y verra plus clair dès son arrivée dans la province, il
ne parlera à la cour que des « fous » qu'il rencontre. Il com-
prendra qu'il a affaire à des gens qui ne sont plus dans leur état
normal. Tout notre exposé nous oblige à parler comme lui. Les
prophètes se disent, menés par l'esprit ; ils n'agissent que par
inspirations successives, c'est-à-dire sans raisonner. Leurs
30 CH. BOST.
compagnons obéissent aveuglément à des ordres qu'ils croient
venir d'en haut. Personne donc dans la troupe n'est plus maître
ni de sa réflexion, ni de ses actes. Le mot de « préméditation »,
quand il s'agit d'une expédition ordonnée par des prophètes en
transe et guidée par eux, n'a proprement pas de sens. On ne
peut parler que d'une spontanéité constante dans la passion des
inspirés.
N'y aurait-il pas lieu, cependant, de se demander si, comme le
voulait le juge d'Alais, l'assemblée de Champmaurel du 23 juil-
let ne se rattacherait pas par quelque lien avec la mort de
l'abbé, le 24 au soir? Mazel et Rampon s'accordent pour nous
dire qu'après la résolution prise au matin du 23 juillet sur le
Bougés, la journée du 23, la nuit du 23 au 24 et la journée du
24 furent employées à chercher des hommes et des armes pour
l'expédition. Le soir du 24, au rendez-vous marqué, s'as-
semblent des compagnons, dont quelques-uns viennent d'assez
loin. Parmi ceux qui nous sont nommés dans les récits divers,
qui ont été condamnés à Florac, ou que Bâville, sur le vu des
enquêtes de Florac, a décrétés de prise de -corps le 29 août,
figurent non seulement des Cévenols du Bougés ou de la Lozère
qui ont assouvi des rancunes personnelles contre l'abbé du Chayla,
le curé de Frutgères ou celui de Saint-André-de-Lancize, mais
nous voyons là Joanny de Genolliac (le futur chef camisard);
« un neveu de Bonnet, du Malhiguier, près de Genolhac » ; Pierre
Nouvel, de Vialas ; Moïse Bonnet et son fils aîné, de Peyremale,
et Louis Bounel, aussi de Pe3Temale. Ces protestants ne sont mon-
tés de Vialas, de Genolliac ou de PejTemale que sur un appel. Il
est vrai que Vialas et Peyremale sont assez éloignés du vallon de
Champmaurel. Mais le décret de Bàville porte encore les noms
de Laporte, qui est de Branoux, et de Jacques Thérond, de
Prades (Saint-Martin-de-Boubaux). Ces deux derniers, par
exemple, se sont-ils trouvés à l'assemblée de Champmaurel? Y
ont-ils été rejoints par un émissaire envoyé du Bougés en vue
de l'entreprise concertée*? Le bruit, dès lors, a-t-il couru dans
le quartier qu'on se proposait de forcer la maison de l'abbé du
Chayla? Ce bruit est-il venu jusqu'au juge d'Alais, qui n'au-
t. On remarquera que ni Mazel ni Rampon ne parlent de Laporte comme
s'étant trouvé à l'assemblée de Rabiès du 22-23 juillet. S'il a commandé l'en-
treprise du Pont-de-Montvert, n'est-on pas allé le chercher s()écialement à
Branoux?
LES « PROPHÈTES » DU LANGUEDOC EN 1701 ET 1702. 31
rait fait que le préciser dans les interrogatoires auxquels il sou-
met les prisonniers du Pradau? La réponse à ces questions reste
incertaine.
On peut seulement affirmer qu'au moment où se tenait l'as-
semblée considérée (à tort, certainement) par le s'' de La Fa-
brègue pour le signal d'une conjuration générale, des hommes
venus du Bougés cherchaient, vers Branoux, des affidés en
armes. Il s'agissait de tenter une entreprise violente contre le
logis du grand persécuteur des Cévennes. « Le coup », comme
dit Rampon, devait être tenté sous la conduite de prophètes
à qui Dieu avait ordonné plus d'une fois déjà de prendre les
armes pour délivrer son Église. Étant donnés les actes de vio-
lence auxquels, depuis plusieurs mois, s'étaient laissés aller
les inspirés ou leurs auditeurs, ce& diverses circonstances ne
pouvaient que provoquer une suprême explosion. Le meurtre de
l'abbé devait entraîner ensuite les prophètes à de nouvelles exé-
cutions. Un mois et demi plus tard, Laporte inaugurait une autre
série de représailles, à laquelle s'associèrent, en d'autres quar-
tiers, d'autres prophètes chefs de bandes. Le « fanatisme » allait
donnera la guerre des Camisards ses conducteurs, ses meilleurs
soldats et son « inspiration », à la fois maladive et héroïque,
tour à tour sublime d'audace et répugnante de brutalité venge-
resse ^ .
Ch. BoST.
1. On notera que, si les pièces du temps mettent à la charge des Camisards
des actes de vraie sauvagerie, on ne leur a jamais reproché un seul attentat
aux mœurs. La chose vaut la peine d'être relevée, étant donné ce que nous
avons noté plus haut du dérèglement moral de certains prophètes (p. 35, 36).
Comme complément à notre exposé, relativement à cette question des mœurs,
M. le professeur Eug. Choisy, de l'Université de Genève, nous signale le cas du
prophète J.-J. Donadille, des Hautes-Cévennes, passé en Suisse en 1706, qui
fut condamné à Genève, en 1731, à la prison perpétuelle. Donadille était un
mystique érotomane. Il assurait « qu'il était permis aux prophètes et aux ins-
pirés tels que lui d'approcher de la femme d'autrui lorsque l'esprit le lui com-
mandait » (D' Ch. Ladame, Un prophète cévenol à Genève..., dans \ei Archive.i
d'anthropologie criminelle..., publiées sous la direction de A. Lacassagne. Lyon,
année 1911, p. 837, 902).
MELANGES ET DOCUMENTS
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS
DOCUMENTS liNÉDITS DE 1445
Comme les livres, les pièces d'archives ont leur destin. C'est à
Dijon, dans les archives de la Côte-d'Or, que nous avons trouvé des
documents nouveaux sur les corsaires dieppois à la fin de la guerre
de Cent ans et sur un de leurs plus fameux capitaines.
La figure de Charles Desmarets' appartenait autant à la légende
qu'à l'histoire. Nous n'en savions guère que le peu qu'en rapportent
les chroniqueurs Thomas Basin^ et Monstrelet^.
D'origine cauchoise, ouvrier terrassier, vassal du sieur de Ram-
bures, Charles Desmarets se distingua de bonne heure dans la lutte
contre les Anglais. Dès sa jeunesse, témoin impuissant des infor-
tunes de son seigneur — fait prisonnier en 1429 — il n'eut qu'un
souci : reprendre à l'ennemi le château de Rambures. En 1432, à la
tête d'une poignée d'hommes résolus, il y réussit. Tel fut son coup
d'essai. Devenu capitaine de Rambures, il s'empare, dès les premiers
jours de janvier 1433, de Saint- Valei^-sur-Somme. En mai 1435,
il passe la Somme au gué de Blanquetaque. Nous le retrouvons avec
300 partisans du roi, « droites gens d'armes et vaillans gens d'élite »,
à la prise de Rue"*. La même année, dans la nuit du 16 au 17 no-
vembre, il répond à l'appel des Dieppois, décidés à secouer le joug
anglais. Il pénètre par surprise dans le port, et, secondé par le maré-
chal de Rieux, chasse l'ennemi de Dieppe. .
1. Voir les Cronicques de Normendie (édition llellot). Notes sur Ch. Des-
marets. Le nom de Desmarets ne se rencontre pas une seule fois dans \' His-
toire de. Charles Vil, ])ar G. Du Fresne de Beaucourt; cf. Charles de La Ron-
cière, Histoire de la marine française, t. H, p. 2G2.
2. Thomas Basin, Histoire de Charles VII et de Louis XI, t. I, p. 111 (édi-
tion de la Société de l'histoire de France).
3. Monstrelet, t. IV, p. 433 (même Société).
4. Ibid., t. V, p. 117.
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 33
D'après Monstrelet, Charles Desmarets, « du consentement de
tous les aultres et pour le roy de France », devint capitaine de la
ville conquise.
Les Anglais regrettèrent vivement leur perte « et non point sans
cause » , dit notre chroniqueur, « car ycelle ville de Dieppe estoit
merveilleusement forte et bien gamye sur ung des bons pays de
Normandie^ ».
Les vainqueurs s'y installèrent en nombre. Ils s'y fortifièrent.
Charles Desmarets arma les nombrei^x navires laissés dans le port
par les Anglais. Il répara les murs de la ville et, sur la falaise de
l'ouest, hâta la construction d' « ung beau ch'asteau et fort^ ». Mais
la défensive pesait à son caractère aventureux. Plus de 4,000 pay-
sans armés et plus de 3,000 chevaux sont rassemblés dans la place.
Charles Desmarets et « plusieurs nobles et chiefs de guerre » réso-
lurent de « guerroyer hardiment les Anglais^ ». Le 24 décembre,
ils surprirent Fécamp. Dès le lendemain, ils assaillaient Harfleur.
D'abord repoussés, ils purent traiter avec les ennemis qui abandon-
nèrent le port normand. Puis presque toutes les places fortes de la
région se rendirent : Tancarville, Les Loges, Valmont, Graville,
Montivilliers, Longueville.
Nos campagnes cauchoises, soulevées, virent partout s'enfuir
l'Anglais. Mais comment se ravitailler dans un pays sans cesSe
ravagé? Aussi fallut- il licencier les troupes, et Charles Desmarets,
qui avait pris une part active à ces conquêtes, regagna Dieppe.
Les ennemis réagirent.
En 1436, pendant que Charles VII se portait sur Paris, ils
purent reconquérir une bonne partie des ^3laces fortes normandes.
Bientôt Harfleur capitule. Rouen est assiégé et, en novembre 1442,
Talbot bloque le port de Dieppe.
Les assaillants ne pouvaient songer à aborder la ville par le sud,
car Charles Desmarets avait fait consolider les fortifications ; ils ne
pouvaient attaquer à l'ouest, car, sur la falaise, le château construit
par les soins du capitaine dressait fièrement ses tours menaçantes.
Ils attaquèrent à l'est. De la Tour-aux-Crabes, les canonniers diep-
pois ripostèrent énergiquement aux coups des Anglais retranchés
dans leur bastille.
Pendant de longs mois, la faible garnison amenée par Dunois
seconda leurs efforts. Mais le roi tardait à envoyer des secours.
Enfin, de Poitiers, Charles VII fit partir 100 lances commandées
1. Monstrelet, l. VI, p. 201.
2. Les Cronicques de Normendie (édition Hellol), p. 90.
3. Monstrelet, Ibid.
Rev. Histor. CXXXVII. l" fasc. 3
34 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
par Tudoal le Bourgeois et Guillaume de Ricarville^ Renfort insuf-
fisant mais qui ranima pour quelque temps l'ardeur des assiégés.
Amiens, de son aôté, contribua de ses deniers au « secours et avitail-
lement de la ville^ ». Puis, grâce à la vigilance des marins de Cliarles
Desmarets, entrèrent dans le port des navires bretons et rochelais con-
duits par Guillaume de Goëtivy, frère de l'amiral, et « chargez de bled,
vin, chair salée et quantités de traits, de poudre et autres provisions
qui soulagèrent les bourgeois et la garnison^ ». L'amiral anglais Tré-
goran, en observation dans la Manche, ne put intercepter ce convoi.
Enfin, le dauphin Louis arrive à Dieppe, le il août 1443, avec
3,000 hommes environ. Le 14 août, les retranchements anglais
étaient enlevés. La bastille tombée entre nos mains, la ville était
délivrée''.
On sait que le futur roi, renouvelant à Dieppe le fait d'armes
qu'il avait accompli un an avant sous les murs de Dax, donna
l'exemple du plus ferme courage et brava les plus grands dangers.
On sait moins quelle aide intelligente, en cette circonstance, il reçut
du capitaine de Dieppe. Les constructeurs les plus réputés de la
ville amenèrent sous la bastille les engins les plus perfectionnés :
machines, grues, ponts de bois. Les paysans travaillèrent avec achar-
nement à combler de fascines les fossés. Pendant l'assaut, les arba-
létriers dieppois secondèrent activement les troupes royales. Les
habitants, hommes et femmes, distribuèrent eau et vin aux combat-
tants. Après la victoire, ils soignèrent les blessés.
Tant de dévouement ne resta pas sans récompense. Pendant son
séjour dans la ville, le dauphin combla de faveurs les Dieppois. S'il
affranchit de plusieurs droits la cité, l'autorisant à lever des aides ^, il
n'oublia pas le vaillant défenseur de Dieppe. Le capitaine Charles
1. Asseline, Antiquilez et clu-oniques de la ville de Dieppe, t. I, p. 160.
2. Archives municipales d'Amiens, CC 31, fol. 15.
' 3. Guibert, Mémoires chronologiques poxir servir à l'histoire de la ville de
Dieppe, t. I, p. 33.
4. Pour plus de détails sur la délivrance de Dieppe, cf. Asseline et Guibert,
Ibid.; Croisé, manuscrit à la bibl. de Dieppe; Vitet, Histoire de Dieppe; Le
Corbeiller, Notes dieppoises; Vasselin, Récits dieppois ^t normands.
5. A diverses reprises, et notamment le 17 octobre 1450 (lettre patente déli-
vrée à Montbazon) et le 5 mars 1454 (lettre patente donnée à Mehun-sur-
Yèvre), la ville de Dieppe reçut confirmation de ces droits. D'autres lettres
patentes, le 18 juin 1457 et le 1" avril 1459, lui permirent de réparer les for-
tifications et les jetées. Le dauphin, devenu roi, renouvela tous ces droits par
lettres du 26 septembre 1463. Le 24 octobre 1466, il accordait aux Dieppois le
franc-saler du poisson. Enfin, il les exemptait de l'imposition foraine par
lettres patentes du 12 avril 1467 (Archives municipales de Dieppe. Privilèges
de la ville).
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 35
Desmarets, qui, depuis un an, était « escuier d'escurie du roy »,
devint le « maistre d'oslel » de Théritier royal. Fonction très
enviée à l'époque et gage de l'estime princière.
En quittant le théâtre de ses exploits, c'est à Charles Desmarets
que le dauphin confia le commandement de la garnison. Sous l'im-
pulsion d'un tel capitaine, la ville prospéra. Dieppe abrita les marins
les plus audacieux dont les vaisseaux coururent hardiment l'aven-
ture. Ces croisières inquiétèrent fort les Anglais. Au cours d'une
incursion dans l'estuaire de la Seine, les marins de Charles Desma-
rets surprirent les ennemis à Caudebec et à Montivilliers et enle-
vèrent le lieutenant général du bailli de Caux. Bientôt, remontant
la mer du Nord, ils rançonnèrent le commerce anglais. C'était de
bonne guerre. Ce qui l'était moins, c'était de s'en prendre aux
marins de Flandres, Hollande et Zélande, qui se plaignirent à diverses
reprises à Charles VII. Mais, contre ces marins, les Dieppois
n'avaient-ils pas de nombreux griefs, dont le principal était que ces
sujets du duc de Bourgogne continuaient, en dépit du traité d'Ar-
ras, à entretenir des relations avec nos ennemis d'outre-mer?
En leur nom et pour obtenir lui-même des réparations, Charles
Desmarets intervint auprès du dauphin. Les doléances réciproques
des Flamands et des Dieppois donnèrent lieu à de nombreuses négo-
ciations sur lesquelles nos documents apportent un peu plus de
clarté.
Voici, en premier lieu, une lettre inédite du dauphin. Le futur roi
prend énergiquement la défense de ses « gens ». Ses plaintes, accom-
pagnées de menaces non équivoques, obligent les Flamands à
répondre. Dans les « Advertissemens » qui suivent, « ceulx de
Bruges^ » fournissent longuement des explications.
Mais pouvaient-elles satisfaire nos Dieppois qui, défendant loya-
lement la cause royale, désirent surtout obtenir gain de cause?
En ces temps troublés, ne l'oublions paS; la guerre de course
remplace la guerre d'escadre; la faiblesse de Charles VII rend nos
marins aussi exigeants qu'indisciplinés; chez eux, l'insubordination
n'a d'égale que la hardiesse.
Aussi, lintervention du dauphin ayant été sans résultat, leurs
revendications, par l'intermédiaire du capitaine de la ville, se font
pressantes et hautaines.
La lettre de Charles Desmarets, qu£ renferment nos documents,
1. A cette époque, Bruges était la ville la plus importante des Pays-Bas et
du nord de l'Europe. Par le port de L'Écluse, alors Uorissant, s'y accumulaient
les productions de l'univers. Plus tard, Anvers détrônera Bruges.
36 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
souligne singulièrement cet état d'esprit. Elle met bien en lumière
ces deux traits du caractère de nos corsaires : intrépidité, qui rap-
pelle celle des Normands du x^ siècle, et âpreté au gain, qu'on
retrouve parfois encore chez certains de nos paysans.
Cy sensuit la copie de certaines lettres closes envoyées de par le
daulphin de Viennois à la loy de la ville de Bruges et receues
par la dicte loy le premier jour de may l'an XLV*.
De par le daulphin de Viennois. Chiers et bien amez; nous avons
esté et sommes informez que deux [ans] a ouenviron^ ung petit bale-
nier, nommé Eveillé qui dort, appartenant à Perrot Feré^, nostre
huissier d'armes, se partit de devant Dieppe pour aler à ses aventures
sur la mer, en entencion de rencontrer les Englois, et tant singla sur
mer qu'il arriva au port de Lescluse en Flandres pour soy refreschier
et recueillir vitailles, où ilz furent receuz à seurté; auquel lieu de
Lescluse vint à la cognissance des compaignons qui lors estoient
dedens le dit balenier que y avoit plusieurs navieres d'Angleterre et
en prindrent l'un qu'ilz amenoient au dit lieu de Dieppe, lesquelz en
eulx en venant furent poursuis par les Flamens qui leur rescouvrent
leur prinse, et en ont emmené les aucuns prisonniers à Bruges où ilz
les ont fait mourir. Et pour ce que le cas est advenu en ce Royaume
et commis par les subgés de Monseigneur et en son obéissance, et que
1. 1445.
2. En 1443.
3. Perrot Féré commandait les barges dieppoises sous les ordres du capitaine
de la ville, Charles Desmarets. En 1440, Dieppe étant menacé par les Anglais,
il jefusa d'accéder à la demande du duc de Bourgogne et d'escorter au Crotoy
une armée de secours. Une flotte anglaise, avec le duc de Sommerset, n'était-
elle pas annoncée? Féré, avec Charles Desmarets, préparait la défense de
Dieppe. Il arma de nombreux navires pour la course. Les archives de la ville
(1'° cl., layette 1, 4° liasse, n° 7) mentionnent ses exploits. Notre capitaine,
désirant obtenir une remise de droits, rappelle, dans sa demande, qu' « il a
tenu sur la mer grant compaignie de gens à ses dépens ppur grever et repeller
les Englois... et faire choses au bien de la dicte ville et autres lieux ». Ses
marins « ont gaigné pluiseurs navires, marchandises et autres choses estans
dedens, ceulx sur nos dicts ennemiz et derreniérement une barque... ».
Le dauphin, qui affectionnait les « petites gens », encouragea les efforts du
capitaine dieppois dont les navires assuraient si bien la police des mers. Il en
fit son huissier d'armes en attendant de lui faire obtenir une charte d'anoblis-
sement. Enfin, il intervint pour lui auprès de Charles VII, et, le 10 octobre
1443, des lettres patentes permirent à Féré de jouir de l'exemption de o tous
droits d'ayde appartenans au Roy et à la ville ». Cette faveur entraînera des
démêlés entre les receveurs de la vicomte et notre capitaine. Mais de nouvelles
lettres patentes, le 19 mars 1444, confirmeront, selon leur « forme et teneur »,
les précédentes lettres.
CHARLES DESHÂRETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 37
onques nulz de Dieppe n'ont fait guerre à ceulx de Flandres, combien
que chacun jour ilz leur pevent porter grant dommaiges, nous vous
prions, requérons et néantmoins mandons sur tant que désirez éviter
le dommage dud. lieu de Bruges et de tout le pais de Flandres, que
faciez restituer le dit Perroit Feré du dommage qu'il a eu et peu avoir
tant des mors que autrement à l'occasion des choses dessus dictes ; en
nous certiffiant de vostre voulenté sur ce par nostre serviteur porteur
de ces présentes, affin que au surplus y soit donnée provision tele
qu'il appartiendra de raison.
Chiers et bien amez, nostre seigneur soit garde de vous.
Escript à Nancey, le xxix» jour de mars.
LOYS. SiBLON.
A nos chiers et bien amez le Bourgmaistres et eschevins de la ville
de Bruges ^.
II.
Advertissemens touchans les lettres closes que Monseigneur le
daulphin de Viennois a nagaires envoyées à ceulx de Bruges...
(1445.)
Et affin que nostre très redoubté seigneur et prince puist estre
infourmé sur la vérité de la matière contenue es dictes lectres et
aussi à la manière tenue par ceulx de Diepe à la journée de Saint-
Omer, entre le cappitaine- et les autres députez de Diepe d'une part,
et les députez des villes de Bruges et de Lescluses d'autre, pour trou-
ver traittié des prinses et dommaiges dont les d, de Diepe se douloient
de ceulx de Flandres, et aussi de plusieurs prinses ejt^ dommaiges dont
ceulx de Flandres se douloient de ceulx de Diepe; les d. de Bruges
remonstrent les advertissemens qui s'ensuivent :
Et premiers que il est vray que ou mois de juillet, l'an mil
CCCG XLIII, se mist sus en tout Bouloigne sur la mer une petite
neif appelée « scafîe », estouffée et garnye de xviii compaignons ou
environ qui estoient allyez et assemblez de diverses nacions, assavoir
aucuns de Flandres, aucuns de Zellande, autres d'Allemagne, autres
de Bouloigne sur mer et illec environ et autres de Diepe et d'illec
environ, en entencion de avecques la dicte scaffe comme ilz disoient
de faire guerre et prinses sur les Anglois, lesquelz compaignons,
venant environ Dunkerke en Flandres, fisrent leur capitaine ung
nommé Jehan Teghelare, natif de Neufport en Flandres; et la dicte
scafîe ainsi venant en mer prinst son chemin vers le port de Les-
cluse, pour illec espier les marchans y entrant et yssant; et ou che-
min, assavoir devant Ostende, à quatre lieues du dit lieu de Neufport
encontrèrent deux neifs de pescheurs de Flandres desquels ilz prinsrent
et robèrent assavoir de chacune ung tonnel de cervoyse, contre le gré
1. Archives départementales de la Côte-d'Or, série B, liasse 11927.
38 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
et volenté des diz pescheurs et par forche. En après vint la dicte scaffe
au dit port de Lescluse, qui est ung lieu de seurté et où les neifs de
tous Royaulmes et nations viennent et reposent pour la bonne seurté
que y est et ouquel, combien que plusieurs fois y arrivent neifz de
nations ennemyes l'une à l'autre, toutesfois elles y demeurent en
bonne seurté sans faire guerre ou prinses l'une sur l'autre; et passa
parmi le dit port et en ycelluy, dedens la baillie et eschevinage de la
mer, prinst et roba par forche hors d'une neif de la Goude' en Hollande
qui y gisoit robes, pourpoins et autres vestures qui y estoient, appar-
tenant aus d. de la Goude. Et en après, assavoir le xxviii« jour de
juillet ou dit an XLIII, ou matin, prinsrent et robèrent par forche,
hors deux ploytes gisant illec à leur ancre paisiblement attendant la
marée pour sangler vers Zellande, certain grant quantité de subs-
tances d'espèces safïran, chaudron, payelles, mercherie et aultres
biens, desquelz ilz chargièrent et emplirent leur dicte scafïe et s'en
alèrent avec les d. prinses. Et quant les choses dessus dictes vindrent
à la cognissance des bailli et officiers de la mer, ilz fisrent diligence
de prendre les d. robeurs, et ainsi ilz furent prins dedens le dit port,
ensemble les biens par eulx pilliez et robez. Et après que les d.
robeurs fusrent ainsi prins et détenuz et par justice examinez, ils con-
fessèrent les cas dessus d. par eulx perpétrez et aucuns d'eux confes-
sèrent plusieurs autres roberies par eulx en temps passé fais et per-
pétrez, par quoy ilz furent tous par la loy de la ville condempnez à la
mort et justiciez.
Item, que ou mois de février derrain passé, à la requeste des bailli,
bourgois et conseilliers de Diepe fu prinse et accordée certaine journée
estre tenue le premier jour de mars derrain passé en la ville de Saint-
Omer par le sceu et consentement de nostre très redoublé seigneur et
prince Monseigneur le duc de Bourgoigne, etc., entre les cappitaine,
bourgois, manans et habitans de Diepe, d'une part, et ceulx des villes
de Bruges et de Lescluse, d'autre, pour traittier et appointer d'aucuns
cas d'estrousses et autres manières de prinses faictes et advenues sur
la mer depuis le temps que la guerre avoit eu cours, auquel jour et
lieu ceulx de Bruges et de Lescluse envoyèrent leurs députez à ce
souffisamment fondez par procurations, et pareillement comparurent
au d. lieu députez ou nom du cappitaine et des bourgois de Diepe,
aussi souffisamment fondez.
Item, que les députez d'un costé et d'autre eurent communication
et parolles ensemble, tant sur les demandes que faisoient aucuns ou
nom et comme procureur du capitaine de Diepe, et sur les demandes
que faisoient aucuns députez de la dicte ville de Diepe ou nom d'au-
cuns bourgois particuliers de Diepe, d'une part, comme aussi sur
aucunes demandes que faisoient yceulx de Bruges et de Lescluses ou
nom d'aucuns bourgdis et habitans des d. villes de Bruges et Lécluse
1. Gouda ou Ter-Gouw, ville de la province de 3ud-HoIlande (Pays-Bas).
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 39
et autres villes et plaches du pays de Flandres, d'autre; et baillèrent
les dictes parties leurs demandes l'une à l'autre par escript.
Item, par dessus ce, dirent ceulx de Diepe de bouche que dçux ans
a ou environ une neif appartenant à ceulx de Diepe fut prinst par
ceulx de Flandres et les gens estans en icelle exécutez à mort*,
laquelle chose ilz dirent estre irréparable ; à quoy les députez de
Bruges et Lescluse respondirent pareillement de bouche que la dicte
exécution a esté faicte par loy et justice, pour les excès et déUs des
dictes personnes exécutées par loy et justice.
Item, et pour ce que les demandes que faisoient les dictes parties
l'une à l'autre n'estoient pas toutes recogneues et vériffiées, et aussi
que les d. députez de Bruges et de Lescluses n'avoient pas entière-
ment toutes les plaintes des adommagiez du pays de Flandres pour
parvenir à bon appointement et trouver moyen de paix, et avanchier
et entretenir le cours des marchandises entre icelles parties, fu lors la
dicte journée proroguée, différée et continuée en Testât qu'elle estoit
jusques au dimence après Quasimodo prochain ensuivant. Et pro-
mirent les diz députez d'ung côté et d'autre souffisamment fondez
pour en la matière encommenchiée procéder en oultre comme il
appartiendroit de raison, moyennant que, ce temps pendant, les d.
parties ne useroient ni devroient user de voye de fait ou d'arrest, ne
attempteroient en quelque manière l'une contre l'autre.
Item, et pendant la dicte continuation ceulx de Bruges et de Les-
cluses pour aucuns affaires et nécessitez à eulx survenans escriprent
à ceulx de Diepe en requerrant la dicte journée estre encore prolon-
guée et continuée; sur quoy ceulx de Diepe rescriprent et consentirent
par leurs lettres que la continuation se fesit encore jusques au premier
jour de may ensuivant; toutes choses, ce temps pendant, demourans
en mesme état qu'elles estoient pour lors.
Item, ce non obstant, ung baleinier dont estoit maistre ung nommé
Robin Barbey, bourgois et habitant de la ville de Diepe, cacha^, le
xxviiie jour d'avril derrainement passé, une escute^ chargiée decher-
voises appartenant à Girard Gardin, Niclais, P. Diérix et Michiel-P.
Diérix, bourgois de Dunkerke en Flandres, tellement que par forche
de cache la dicte escute fery à terre au devant de Zoudcoute, à une
lieue prez de Dunkerke, où elle rompy et la plus grande partie des
chervoises fu perdue, et sont les d. bourgois de Dunkerke, à cause de
la dicte neif des chervoises et autres biens et apparaulx estans en
icelle, adommagiés bien de CXLii nobles et demi d'or.
Item, encores le xxix« jour il'avril, le dit Robin Berbey prist et ren-
contra une neif dont estoit maistre ung nommé Jehan Vander Most,
1. II s'agit du baleinier Y Éveillé qui dort, appartenant au capitaine diep-
pois Peirot Féré, dont il est fait mention dans la lettre du dauphin (docu-
ment I).
2. Chassa.
3. II faut voir dans ce mol la francisation du hollandais schuit, bateau.
40 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
bourgois de Malines, laquelle neif le dit Robin amena au devant du
port de Dunkerke et la renchonna le dit Jehan Vander Most à iiii'^x et
III nobles d'Angleterre, et par dessus la dicte renchon ont ceulx de
Diepe prins beaucop de biens hors la dicte neif de Malines.
Item, et au mesme jour et heure, prindrent ceulx de Diepe une neif
de Brabant dont estoit maistr© Leurens Pierneif, lequel ilz renchon-
nèrent à xliii nobles d'or, et par dessus ce ostèrent plusieurs biens
hors la dicte neif.
Item, ceulx de Bruges et de Lescluses ont envoyé leurs députez ,en
la ville de Saint-Omer, au premier jour de may derrain passé, et aussi
comparurent députez de par le capitaine et ceulx de Diepe, et a esté
entretenue et continuée la journée et traittiée paravant encommen-
chée; et a esté illec remonstré par les députez de Bruges et de Les-
cluse à ceulx de Diepe comment ceulx de Diepe et mesmement le dit
Robin Berbey a enfraint le traittié. Testât et abstinence pourpalée et
conclue entre les dictes parties dont dessus est faicte mension par
espécial en la prinse des dictes neifs de Flandres; de quoy iceulx de
Diepe se sont excusez, disans qu'ilz n'en savoient riens ; mais, s'il étoit
ainsi, il leur déplaisoit et ilz en feroient faire bonne et loyale resti-
tution.
Item, au regard de la matière principale, assavoir des demandes
faictes par les dictes parties l'une à l'autre, fu dit à la dicte journée
par ceulx de Diepe que, premiers et devant toute euvre, il convendroit
que leur capitaine fust contenté et appaisié.^et, ou cas que le pays de
Flandres voulsist païer au dit capitaine de Diepe pour ses demandes
;iiM saluz', ilz le contenteroient de leurs propres deniers du surplus
pour l'affection et le grand désir qu'ilz avoient d'avoir paix et union
avecques le pays de Flandres pour fréquenter le dit pays en fait de
marchandise, si comme ilz disoient. Et, au regard des demandes par-
ticulières faictes d'un costé et d'autre, ilz feroient tant de leur costé
que tout ce que seroit trouvé véritablement estre osté et prins à ceulx
de Flandres par ceulx de Diepe leur seroit rendu par tele manière
qu'ilz en devroient estre cohtens, moyennant que pareillement ceulx
de Diepe adommagiez fussent aussi récompensez de leurs dommaiges.
Item, sur ce fu respondu par les députez de Bruges et de Lescluse
que, pour appaisier la rigeur encommenchiée entre les dictes parties
et pour le bien et avanchement de la marchandise, jà soit ce que ceulx
de Diepe et mesmement le capitaine de Diepe n'avoit nulle cause de
demander à ceulx de Flandres aucune restitution à cause d'une sienne
barge arrestée au port de Dunkerke, veu et considéré qu'elle n'avoit
point esté prinse de force, mais arrestée par loy et justice par le Lieu-
tenant de l'Amiral de Flandres à la requeste de partie, et qu'il eust
peu poursuir la délivrance de sa barge par voye de droyt s'il luy eust
pieu, veu que il n'estoit point ennemy de mon très redoubté &*igneur
1. Le salut d'or tirait son nom de la salutation angélique que représentait
une des faces de la pièce. Il valait 25 sous (25 francs de notre monnaie).
CHARLES DESMAREÏS, COUSAIBE DIEPPOIS. 41
ne de son pays de Flandres; et pour ce, se aucun dommaige luy en
estoit advenu, il en estoit en coulpe. Et pareillement ou regart des
autres biens que le capitaine de Diepe et aultres se dieni avoir en
temps passé derrement conquesté sur les Anglois leurs ennemis,
lesquelz biens leur dient estre ostez de force par ceulx de Flandres, il
leur fu respondu que les biens dessus d. n'appartenoient pas aux
Anglois, mais à aucuns marchans de Hollande et Zellande, comme il
apparu loyaument qui, pour lors, n'estoient pas leurs ennemis; et
pour ce furent par justice constrains de leur restituer les d. biens.
Toutes lesquelles choses considérées et par aultres plusieurs raisons
à ce faisans alléguées, il apparoît que à mauvaise cause ilz deman-
doient les dictes sommes de deniers au pays de Flandres et que,
d'autre costé, les subgets et habitans du pays de Flandres estoient à
tors et sans cause grandement adommagiez par ceulx de Diepe,
comme il apparoît par les plaintes de ceulx de Flandres bailliez par
escript; toutesfois, ceulx de Flandres, pour le bien de paix et affin que
marchandise peust avoir cours paisiblement par mer et par terre, leur
offrirent et leur accordèrent de compenser les pertes et dommaiges
d'un costé et d'aultre, dont ceux de Diepe n'en voulloient pas estre
contens, mais se partirent tantost et incontinent par manière de cor-
rous et mautalent.
Item, après ce, les d. députez de Bruges et de Lescluse leur requer-
roient de faire encores ung estât et abstinence de voye de fait entre
les dictes parties, de trois ou quatre mois ou sans terme au desdit de
ung mois ou deux pour, ce temps pendant, labourer à trouver manière
de bon appointement, ou aussi que, ce temps pendant, les querelles d'un
costé et d'autre fussent mises en justice; mais ceulx de Diepe n'ont à
riens voulu entendre fors que de recevoir iii" salus pour leur capitaine,
comme dit est, et ainsi sont partis de Saint-Omer et est le traittié du
tout rompu et falli.
Item, est à noter que ceulx de Diepe ont obtenu abolicion générale
du Roy de tout ce qu'ilz ont meffait sur les Flamens et tous autres,
et que ce non obstant ilz requirent avoir restitution de ce qu'ilz dient
que les Flamens ont fait sur eulx^.
m.
Lettre de Charles Desmarets, capitaine de Dieppe, « à honnorables
et sages bourgmaistres , eschevins et conseil des villes de
Bruges et Lescluses, en Flandres ».
Honnorables et sagez.
Il est vray que puis naguerez pour et affin d'avoir repparation de
certains grans tors et griefz qui faiz me ont esté en vostre pais de
1. Archives départementales de la Côte-d'Or, série B, liasse 11927. Original
papier.
42 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Flandres, tant sur la mer de certaines marchandises gaengnées par
aucuns de mes vaisseaulx sur les Anglois, anciens ennemis et adver-
saires du Roy nostre souverain seigneur, comme laynez et autres
bonnes et richez marchandises montans à haulte somme qui leur ont
esté ostez par forche; et aussi m'avez ostez et détenu une mienne
barge en la ville de Dunkerke avec plusieurs biens et prisonniers
anglois estans dedens montant à certaine aultre haulte somme; je
avoie fait naguèrez mettre en arrest une escute chargiée de heerens
caques, et sur ce que je voulloie pour icelle recompensation avoir pro-
cédé par voie de fait tant sur icellui arrest comme sur autrez de vostre
d. païs. Ce venu à la congnoissance des bailli et bourgois gouver-
neurs de ceste d. ville, journèrent devers moy, disant que ilz me
requéroient que de ce ne voulusse soufîrir, attendant qu'ilz vous
eussent escript pour sur icellui arrest et aultres arretz que l'on disoit
voulloir faire en vostre d. païs sur les marchans de par de çà, à cause
d'aucunes prinses ou aultrez choses advenus durant le temps de la
guère et en paravant des présentes trêvez trouver moïen de commu-
niquer et assembler ensembles en certain lieu pour ce faire traittié et
bon acord, quelle chose ilz eussent fait; et par le moïen des lettres de
chacun de vous assemblé en la ville de Saint-Omer, au vii« jour de
mars derrain passé, auquel jour je feis estre certaines personnes pour
moy soutïïsamment fondés par lesquelz je feiz remonstrer aux commis
et depputez de vous les tors et griefz qui me ont esté faiz, la valleur
d'iceulx bailliez par déclaration, et aussi y ont comparu par la d. ville
le bailli et deux des gouverneurs d'icelle et en leur compaignie deux
des aultres bourgois pour sur le d. traittié pacifier et trouver bonne
union ; auquel jour par vos d. depputez feust requis icelle journée
estre prolongnée jusques au premier jour de ce présent mois de may
et de l'advis de vos d. depputez et de ceulx de par de çà fu par entre
eulx faitte certaine escripture signée de chacune des parties ; auquel
premier jour de may derrain passé vos d. depputez et les nostres
ont comparu et convenu ensemble et par iceulx voz depputez a
esté dit et desclairé que vostre intencion n'est point que je soie
aucunement récompensé de mes dictes pertez autrement ne en plus
avant que de ce que j'ay fait arrester par deçà en disant que plus
auroit mis plus auroit perdu; quelle chose je n'ay pas intencion de
faire, car tout ce qui est arresté ne souffiroit pas aux despens que j'ay
faiz en pour sauf mon bon droit. Et sachez certainement que, en brief,
je ne seray récompensé et piéçà le fusse, se ne feissent les dessus d.
de ceste d. ville qui, à leur prière et requeste, me ont en ce fait diffé-
rer; combien que je soye desplaisant que par voie de fait y conviengne
procéder meus, puisque par amours ne peult estre, je convient que par
forche soit; et vous souviengne de mes gens lesquelz avez prins et fait
mourir pour avoir prins les ennemis du Roy nostre d. seigneur; aussi
il avoit esté acordé par entre nous toute voie de fait estre cessée durant
le temps de la d. convencion, laquelle failly dès lundi six heures après
disner que les d. bailli et bourgeois partèrent du d. lieu de Saint-
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 43
Orner, ausquelz iceulx voz depputez distrent que pendant icelle con-
vencion et la d. assuranche aucuns de par deçà avoient fait des prinses
sur aucuns du pais de Flandre pour ce que par nos d. depputez leur
fu accordé icelles prinses leur estre renduez si aucunes y en avoit; je
rescrips devers vous affîn que incontinent ces lettres veues vous
envoiez par deçà aseurément ceulx à qui vous dittez les d. prinses
avoir esté optez, se ainsi est qu'ilz soient de vostre d. païsde Flandre,
pour leur en faire restitution ; aussi aucuns de vous gens partans de
Nyeport durant le temps de la d. convencion ont osté et resceus par
voie de fait à puissance d'armée à aucuns gens de guerre de par de çà
certaines prinses par eulx faittes sur les Hollandois ou Zellandois,
lesquelles prinses faittez, qu'ilz soient restituez car vous y estez tenus
par la d. convencion ; par vous ont esté faiz pluiseurs grans tors et
griefz à ceulx de ceste d. ville, de quoy, pour le présent, je me déporte
de le vous desclaré, mais j'ay bonne volenté en temps et lieu de une
fois et de brief le vous faire savoir; et se vous avez failly à vostre
intreprinse ne vous en vueillez courroucher, mais se je fail à la
mienne, le me vueillez pardonner. Notre Seigneur vous ait en sa
garde.
Escript à Dieppe, le vif jour de may.
Charles Desmares, escuier d'escurie du Roy, nostre sei-
gneur, maistre d'ostel de Monseigneur le Daulphin, cap-
pitaine de Dieppe et de Gam[ache] en Vimeu*.
Le ton autoritaire de la lettre de Charles Desmarets pouvait faire
craindre aux Flamands de sérieuses représailles, car le capitaine
dieppois était, avant tout, homme d'action. Encouragé par le dau-
phin qui se plaisait à multiplier les conflits entre le duc de Bour-
gogne et Charles VII, il mit ses menaces à exécution. Bientôt les
vaisseaux de Dieppe sillonnent la mer du Nord et nos corsaires,
déçus dans leurs espérances et conscients de l'importance des inté-
rêts en jeu, renouvellent leurs exploits.
En vain, leurs .adversaires s'abstiennent de tout acte d'hostilité,
eux « continuent journellement à faire tout dommaige qu'ilz
pevent, au grand préjudice et retardement du bien et cours de
la marchandise^ ». Des plaintes véhémentes sont alors adressées
par les communautés maritimes intéressées au sénéchal de Bou-
logne, Villiers de l'Isle. Charles VII lui-même, prévenu, reçoit
les doléances du Conseil du duc de Bourgogne. Les Flamands
1. Archives départeinenlalcs de la Côte-d'Or, série B, liasse 11927. Original
papier.
2. Remonxtianccs foictes par les gens du Conseil de Monseigneur de
Bourgoigne iouchnnt le fait de Dieppe... Collection de Bourgogne, vol. XCIX,
p. 460; cité par le marquis de Beaucourt (CAro«»<7wcA' de Mathieu d'Escouchy,
t. m, pièces justificatives).
44 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
supplient le roi d'intervenir auprès du capitaine Desmarets et
d' « ordonner une surséance de guerre jusques au terme de deux
ans ou autre terme qu'il lui plaira^ ». Ils promettent de « ne porter
aucun dommaige » aux Dieppois, mais demandent instamment qu'ils
cessent toute prise. Leur désir est de régler définitivement tous les
différends. Après avoir entendu les explications de Charles Desma-
rets, le roi décida que la « matière de Dieppe » serait au nombre des
questions soumises à la conférence de Châlons, conférence instituée
pour régler les nombreuses affaires pendantes entre la France et la
Bourgogne^. Au cours de cette conférence, le 16 juin 1445, un accord
sérieux fut conclu entre les notables de Dieppe, dont Charles Des-
marets, et les gens du Conseil de la maisori de Bourgogne. De part
et d'autre, on signa une trêve jusqu'au 1" octobre, en attendant que
fût réglée définitivement la question délicate des indemnités.
C'est cet accord que reproduit le document inédit suivant :
IV.
Copie du seur estât apoincté et accordé entre les pays de Flandres,
Hollande, Zellande et Frise, d'une part, ef. les capitaine, bour-
geois, manans et habitans de la ville de Dieppe, d'autre part.
Sur la question et différent estant entre les conté et pays de Flandres,
Hollande, Zellande et Frise, d'une part, et les capitaine, bourgeois,
manans et habitans de la ville de Dieppe, d'autre part, à cause de cer-
taines prises, destrousses, omicides et autres entrefaictes que les d.
parties dient et maintiennent avoir esté faictes tant par mer comme
par terre l'une sur l'autre; par madame la duchesse de Bourgoingne
et les gens du Conseil de monseigneur le duc de Bourgoingne estant
avec elle, c'est assavoir Révérend Père en Dieu monseigneur l'évesque
de Verdun, maistre Jehan, seigneur de Créqui, messire Eùene, sei-
gneur de [Hum... (?)]3, messire Guillaume le Joint, seigneur de Con-
tay, maistre d'ostel de ma dicte dame, maistre Estienne Arménie,
président des parlements de Bourgoingne et autres , d'une part ;
Charles Des Marez, capitaine, Pierre Galopin, bailU, et Jehan Blanc-
baston, l'un des gouverneurs du d. lieu de Dieppe, fondés de povoir,
et eulx faisans fors pour le corps et communauté de la d. ville de
Dieppe, assemblez en la ville de Chaalon, d'aultre part; a esté apoinc-
tié et accordé que, de ce jourd'uy jusques au premier ijour d'octobre
prochainement venant incluz, bon et sceur estât sera, et cessera toute
voye de fait d'un costé et d'autre ; et pourront tous les habitans des d.
pays et autres pays subjets de mon dit seigneur de Bourgoingne aler
et converser paisiblement, marchandamment et autrement, ainsi qu'il
1. Remonstrances, citées plus haut.
2. Cf. G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. IV, p. 131.
3. Sans doute André, seigneur d'Humières. Ibid., p. 130.
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 45
leur plaira, en la d. ville de Dieppe et par tout ailleurs par mer et par
terre. Et pareillement les diz capitaine, bailli, bourgeois, manans et
habitans du d. Dieppe pourront aler et converser paisiblement, mar-
chandemment et autrement, ainsi qu'il leur plaira, par mer et par
terre par tous les d. pays de Flandres, Hollande, Zellande et Frize et
autres quelconques pays du mon d. seigneur de Bourgoingne, sans ce
que, soubz umbre ne à l'occasion de quelconques choses faictes et
advenuues par ci-devant par mer ou par terre, l'en peust user de
quelque voye de fait ne de prison ne autre quelconque empeschement
à requeste de quelque prisonnier ne pour quelconque cause que ce
soit. Et en oultre est accordé et appoinctée que, le premier jour de sep-
tembre prouchain venant, une journée amiable sera tenue en la ville de
Thérouane, à laquelle mon d. seigneur de Bourgoingne fera que ceulx
des d. pays de Flandres, Hollande, Zellande et Frize envoleront leurs
gens ou députez garniz de povoir seufisant; et pareillement les d.
capitaine, bourgois et habitans de Dieppe y envoleront leurs gens ou
députez semblablement garniz et fondez de povoir souffisant, pour
des d. question et différens, plus appoincter, accorder et conclure. Et
pour [garantie (?)] entretement et sceurté des choses dessus dictes est
appoincté par ma dicte dame et gens du Conseil que de ce présent
appoinctement seront faictes lettres soubz le seel de mon d. seigneur
le duc et envolées au d. lieu de Dieppe tantost que ma dicte dame
sera retournée devers mon dit seigneur; et néantmoins ce d. jourduy,
sans attendre les dictes lettres, le d. sceur estât et cessation de voye
de fait sera entretenu et continué jusques aud. premier jour d'octobre.
En tesmoing desquelles choses a esté fait et escript cest appoinctement
double et signé, par l'ordonnance de ma dicte dame, par maistre Loys
Dommessons, secrétaire de mon dit seigneur, et pour la part des d.
de Dieppe par les d. capitaine, bailli et gouverneur, le xvi" jour de
juing, l'an mil quatre cent quarante cinq^
La question flamande résolue — au mieux des intérêts dieppois,
comme il est à présumer — Charles Desmarets, en bon corsaire,
porte tous ses coups contre l'ennemi d'outre-Manche.
En dépit d'une trêve signée en 1444 pour deux ans et prolongée
d'année en année, les inimitiés entre Anglais et Français persis-
taient, toujours vives, surtout en Normandie.
Personnellement, le capitaine dieppois intervint auprès du roi de
France pour se plaindre que, sur la mer, « avoient de nouvel esté
grant prins quantité de navires garnis de vivres et marchandises
appartenans à plusieurs gens de la ville de Dieppe^ ».
C'est qu'aux portes de la cité normande veillaient, toujours mena-
1. Archives municipales de Dijon, fonds Baudot, n" 39, fol. 347.
2. Lettre de Henri VI à Charles VII (Chroniques de Mathieu d'Escouchy,
pièces justificatives, t. III, p. 218-220).
46 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
çants, les partisans du roi d'Angleterre Henri VI. Jean de Pevvrel,
sire d'Otfranville, oubliant l'accueil cordial que son père, d'origine
anglaise, avait reçu en France, armait de nombreux vaisseaux pour
le compte de nos ennemis. C'était pour les marins dieppois un adver-
saire redoutable.
A Arques, le lieutenant Jehan Peinchon, également au service
des Anglais, laissait ses hommes d'armes harceler les partisans de
Charles VIL
Charles Desmarets, dont l'énergie eut alors vraiment à se dépen-
ser, se plaint au roi qu'ils « ont couru en plusieurs lieux obéissance
à environ la dicte ville de Dieppe, y ont prins plusieurs gens de
divers estats, tant des diz lieux que d'icelle ville, et commis plusieurs
autres excez etdelitz' ». Or, Charles VII venait d'apprendre la prise
de Beuvroy et de Mortain. Il se montra fort indigné de ces « graves
attemptaz faiz et commis par les Anglais à rencontre de la trêve ^ ».
De Montils-lès-Tours, le 17 mars 1447, puis le 23, il écrivit à
Henri VI, demandant pour lui et pour Charles Desmarets des expli-'
cations et des réparations. Le 3 mai suivant, le roi d'Angleterre
répond. Les réclamations de Charles Desmarets sont de sa part
l'objet dune réglementation toute spéciale. C'est que le capitaine de
Dieppe est un puissant ennemi. Henri VI le craint; il le ménage.
« En toute diligence » , il fait rechercher une nef capturée par les
Anglais; il lui en fait restitution et lui fait remettre les marchan-
dises confisquées'. On ne pouvait être plus conciliant.
Mais bientôt, après la prise de Fougères, la trêve est rompue ; la
guerre recommence. A l'appel du roi et au lendemain d'une attaque
fructueuse contre les Bresmois, les marins de Charles Desmarets,
infatigables, arment à nouveau.
Sans doute le capitaine de Dieppe avait obtenu des Anglais de
larges compensations; mais il ne pouvait' refuser son concours au
roi de France qui ne l'avait jamais oublié dans ses libéralités.
Charles Desmarets ne venait-il pas encore de recevoir, le 26 mai
1447, un don de 6U0 livres tournois que le trésorier et receveur des
finances royales, Estienne Petit, avait versé dans la caisse du rece-
veur de la vicomte de la ville, Jehan Blancbaston, pour « estre con-
vertie et employée es reparacions de la ville de Dieppe"* »?
Tout dévoué à la cause française, le capitaine dieppois arme donc
contre les Anglais. A la hâte, dès 1448, il forme cinq compagnies.
1. Lettre de Henri VI à Châties Vil {Chronique de Mathieu d'Escouchij,
pièces justificatives, t. IH, p. 218-220).
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Chronique de Mathieu d'Escouchy. Rôle des dépenses du 26 mai 1447, lac. cit.
CHARLES DESMARETS, CORSAIRE DIEPPOIS. 47
II réussit à entretenir des intelligences avec les moines de Fécamp,
pénètre dans la ville par l'abbaye et s'en empare presque sans coup
férir. Un navire anglais, chargé de quatre-vingt-sept hommes, est
pris au moment où il entre dans le port. Nos Dieppois font prison-
niers les renforts anglais, débarquant fort mal à propos* .
Le 19 septembre 1449, le château d'Arqués tombe entre les mains
de Charles Desmarets, après deux jours de siège.
La fortune des armes favorise Charles VIL Le 10 novembre,
Rouen lui ouvre ses portes, Harfleur capitule le 25 décembre. Ron-
fleur le 18 février 1450.
Les baleiniers dieppois prirent une pdrt active au blocus de ces
villes.
Un dernier port normand, Cherbourg, appartenait aux Anglais.
En août 1450, cette place se rend et nos marins contribuèrent
encore à ce succès. Les chroniqueurs nous apprennent que Charles
Desmarets équipa à ses frais un navire qui, unissant ses efforts
à ceux de la flotte, isola la villa et rendit efficace le tir de l'artillerie
française postée sur la grève.
Chassés de Normandie, les Anglais ne s'en éloignèrent pas sans
idée de retour. En attendant des jours meilleurs, ils accrurent con-
sidérablement leurs forces navales. Le 11 août 1454, une escadre
anglaise parut en rade de Dieppe. Cette menace provoqua un vif
émoi et Charles Desmarets fît pousser activement les préparatifs de
défense. De son côté, Charles VII, pour prévenir une attaque enne-
mie, arma une flotte imposante. Le 25 août 1457, plus de 4,000 Fran-
çais, embarqués sur au moins soixante bâtiments, quittèrent le mouil-
lage de la Fosse-de-l'Eure. Le dimanche 28, vers six heures du
matin, seize à dix-huit cents hommes débarquèrent à deux lieues de
Sandwich, dans le comté de Kent, pour cerner la ville, tandis que
la flotte bloquait entièrement le port. Le grand sénéchal de Norman-
die, Pierre de Brezé, dirigeait les opérations. Les principales villes nor-
mandes avaient répondu à son appel ; le port de Dieppe avait fourni
les meilleures nefs. Au nombre des chefs, et non le moins intré-
pide, se remarquait Charles Desmarets.
L'assaut fut rude. Les Anglais perdirent 500 hommes. La flotte
française, entrant dans le port, dut lutter contre quatre navires de
guerre; mais les marins ennemis abandonnèrent vite leur bord. Le
jeudi 1" septembre nos troupes, craignant une surprise, se reti-
rèrent; elles emmenaient avec elles trois grandes nefs anglaises,
vingt et un petits navires, un certain nombre de prisonniers et deux
1. Asseline, Antupiitez et chroniques de la ville de Dieppe, l. I, p. 196.
48 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
à trois cent mille livres de butin. En route, il fallut entrer en lutte
avec une flotte portugaise. Nouvelle victoire pour nos marins. La
rentrée à Dieppe fut un véritable triomphe pour le capitaine de la
ville'.
La guerre contre les Anglais continuant, Charles Desmarets, en
qualité d' « escuier d'escurie et de conseiller de Charles VII »,
dut accompagner les troupes royales. Plus tard, la défense de Per-
pignan lui est confiée. De 1464 à 1475, il occupe la charge de capi-
taine du château, qu'il put conserver au roi de France^.
Notre capitaine cumule les fonctions. Dans la lettre qu'il adresse
aux Flamands, ne s'attribue-t-il pas aussi le titre de capitaine de
Gamaches en Vimeu? En outre, vers la fin de sa vie, revenu en
Normandie, il s'intitule seigneur de Boissi-le-Châstel (en Brie), de
la Cour-le-Comte et de Saint- Aubin-le-Cauf (près Dieppe).
Se retira-t-il à Bures où, d'après M. de Grattier^, « il occupa sa
vieillesse à construire et à embellir un charmant manoir »? A-t-il
été inhumé à Dieppe, dans l'ancienne église Saint-Remi, au pied
de ce château qu'il construisit sur la falaise? Ou bien repose-t-il
dans l'église d'Arqués, oii l'on remarque de curieuses verrières
peintes aux armes de sa famille ?
Autant de conjectures que ni les archives ni les chroniqueurs de
Dieppe ne viennent confirmer. Le fait est que, dès 1485, l'amiral
de Graville succède à Charles Desmarets comme « cappitaine de la
ville et du chastel de Dieppe* ».
Veuf de Marie des Essars, Charles Desmarets laissait cinq
enfants légitimes : une fille et quatre garçons. L'aîné continua les
traditions de son père et arma de nombreux navires ; deux autres
se firent religieux et le dernier se conduisit vaillamment avec
Charles VIII en Italie où il fut armé chevalier.
André Boudier..
1. Cf. Ch. de La Roncière, Histoire de la marine française, t. II, p. 290-293.
2. Les Cronicques de Normendie, édition Hellot, notes.
3. Ad. de Grattief, Notice sur Charles Desmarets, 1857.
4. Archives municipales de Dieppe (privilèges de la ville), 1" cl., layette 11,
8' liasse, n" 5.
UN PRÉCÉDENT DE l'aFFAIRE MORTARA. 49
UN PRÉCÉDENT DE L'AFFAIRE MORTARA*
Le 26 juin 1840, RaynevaP, notre chargé d'affaires à Rome, adres-
sait à M. Tliiers, président du Conseil, la dépèche suivante^ :
Monsieur le Ministre,
Une affaire fort grave et dont il y a, je crois, peu d'exemples, a
1. Pour l'aflaire Mortara, qui, vieille aujourd'hui de plus de soixante ans,
est peut-être oubliée, nous emprunterons le récit qu'en a donné YAmiuaire des
Deux Mondes de 1858-1859, p. 268-270 : « L'événement de l'histoire religieuse
qui a le plus occupé l'attention publique, c'est l'aflaire de l'Israélite Mortara,
dont il convient de parler ici avec quelque détail.
« Dans les premiers jours de juillet 1858, un commis de la police pontificale
se présenta, accompagné de deux gendarmes, chez M. Ramolo Mortara, Israé-
lite qui habite Bologne, et lui enjoignait de lui livrer son fils Edgard, âgé de
sept à huit ans, que réclamait le Saint-Office. Le père dut céder à la force,
sans même avoir obtenu des explications suffisantes, te cardinal-légat lui-
même ne put rien lui apprendre, parce qu'il ne savait rien, les ordres étant
venus directement de Rome. M. Mortara se dirigea donc en toute hâte vers la
capitale où, d'ailleurs, le jeune Edgard venait d'être conduit afin d'être élevé
chrétiennement dans l'établissement de la Madona dei Monti, consacré à
l'éducation des jeunes Israélites néophytes.
« A Rome, M. Mortara apprit enfin qu'une fille Morisi, qu'il avait eue jadis à
son service, venait de déclarer formellement au Saint-Office que deux ans
auparavant, durant une maladie grave qu'avait faite le petit Mortara, elle lui
avait secrètement administré le baptême. Dès lors, ajoutait-on, les lois de
l'Église ne permettaient plus de laisser l'enfant entre les mains de son père, à
moins que celui-ci ne s'engageât à l'élever dans la religion chrétienne. »
« Nous n'avons pas à suivre plus loin cette curieuse atl'aire; il sufllrade dire
que tous les efforts de la famille Mortara pour rentrer en possession de l'en-
fant, l'intervention diplomatique des gouvernements français, anglais, prus-
sien, italien, se heurtèrent à une tin de non-recevoir obstinée de la part de la
Cour pontificale. L'enfant ayant été baptisé, c'eût été, aux yeux du Saint-Siège,
une « cruauté horrible » de le rendre « aux ténèbres de sa première religion «.
2. Rayneval (Alphonse, comte de) (1813-1858). Attaché, très jeune, à Madrid,
où son père était ambassadeur, il devint, en 1836, chef de cabinet du comte
Mole. Premier secrétaire à Rome (1839), lorsque son chef cessa d'être ministre,
il passa, en 1844, en qualité de chargé d'affaires à Saint-Pétersbourg, ministre
plénipotentiaire à Naples en juin 1849, ambassadeur à Rome en 1851, il rédi-
gea, en 1856, un mémoire qui fit grand bruit et dans lequel il se prononçait
nettement en faveur du maintien de l'occupation française et plaidait chaude-
ment la cause du pouvoir temporel. Nommé, en août 1857, ambassadeur à
Saint-Pétersbourg, il mourut presque subitement à Paris, en février 1858,
avant d'avoir pu se rendre à son poste.
3. Archives du ministère des Affaires étrangères, Rome, volume 982. Direc-
tion politique, n° 3, fol. 90-97.
Rev. Histor. CXXXVII. 1" fasc. 4
50 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
motivé d'activés démarches de ma part auprès du gouvernement pon-
tifical. — Un Israélite français, le sieur Daniel Moutel, de Nîmes,
débarque à Fiumicino dans les premiers jours de ce mois avec sa
femme, fort avancée dans sa grossesse, et qui ne se trouve plus en
état de supporter la mer. A peine a-t-elle touché terre qu'elle met au
monde une fille. Le curé se présenta pour la baptiser et, sur l'opposi-
tion du père, cet ecclésiastique s'éloigna en protestant de son respect
pour toutes les croyances. Quelques jours après, la famille entière se
transporta à Rome et, le 17 au soir, un individu, accompagné de plu-
sieurs carabiniers et d'une nourrice, se présenta au domicile du sieur
Montel, lui enjoignant de lui livrer son enfant sous prétexte qu'il avait
été baptisé et qu'en conséquence il ne pouvait rester entre les mains
de personnes étrangères à la religion catholique. Le père protesta, et,
sur les assurances tout à fait sérieuses de sa part que le baptême
n'avait pas été administré, on consentit à lui laisser son enfant; mais
deux gendarmes sont placés dans la maison pour veiller à ce qu'il ne
soit pas soustrait à l'action qu'on ne renonçait pas à exercer sur lui, si
les assertions du père se trouvaient n'être pas fondées.
Dès que je fus instruit de ces faits, j'en portai plainte verbalement
à Mgr Capaccini^. Il m'apprit que l'enfant avait été baptisé à Vinsu
de ses parents par une femme de Fiumicino qui avait assisté aux
couches de M™* Montel et que, si le sacrement avait été administré
dans les règles, il serait impossible, suivant les lois canoniques, de
laisser un enfant chrétien à ses parents juifs.
Après ces explications, j'écrivis officiellement au cardinal ^ et ne tar-
1. Capaccini (François, Mgr) (1784-1845), ordonné prêtre en 1807, se fit
remarquer par de beaux travaux de physique et d'astronomie et fut pour cette
raison appelé à prendre, en 1811, la direction de l'Observatoire de Naples, qu'il
conserva jusqu'en 1815. Nommé, en 1824, par Léon XII, adjoint au secrétaire
des Brefs, il fut envoyé, en 1826, en Hollande pour y seconder le cardinal
Capellani, chargé de négocier un concordat avec ce royaume. Nonce à La Haye
en 1828, il fut choisi en 1831 par Grégoire XVI pour remplir les fonctions de
sous-secrétaire à la secrétairerie d'État. En septembre 1837, le pape lui confie
une mission secrète à Vienne et à Berlin pour régler, d'une part, la question
de l'évacuation des Légations par les troupes autrichiennes, de l'autre, le diÔ'é-
rend avec l'archevêque de Cologne. Secrétaire de l'Académie théologique de
Rome en 1838, il est de nouveau envoyé en mission en Hollande en 1841, puis,
en 1842, à Lisbonne en qualité d'internonce et de légat apostolique, et enfin
créé cardinal le 22 juillet 1844. Mais sa nomination ne lut publiée que le
24 août 1845, peu de temps seulement avant sa mort (cf. dans Gualtiero, Gli
Ultimi Rivolgimenti iialiani, t. I, p. 152, un très remarquable portrait de
Mgr Capaccini).
2. Lambruschini (Louis, cardinal) (1776-1854), d'abord Barnabite, puis évèque
de Sabine avant de devenir archevêque de Gênes. Nonce à Paris sous le règne
de Charles X, cardinal (septembre 1831), il fut appelé par Grégoire XVI à rem-
placer le cardinal Bernelti à la secrétairerie d'État. Adversaire déclaré des
idées de progrès, il fut l'âme des persécutions politiques et des procès reli-
gieux qui ont marqué le pontilîcat de Grégoire XVI. Détesté par les popula-
tions des États romains, il n'en réunit pas moins le plus grand nombre de suf-
TIN PRÉCÉDENT DE l'aFFAIRE MORTARA. 51
dai pas à avoir avec lui à ce sujet un entretien approfondi. Je fis valoir
toutes les raisons possibles en faveur de M. Montel et présentai l'af-
faire sous toutes ses faces. Mon principal argument était que mon
gouvernement ne pouvant admettre dans la protection qu'il doit aux
Français aucune distinction de croyance, je ne pouvais voir dans
M. Montel qu'un citoyen français blessé dans ses droits les plus sacrés.
Le cardinal m'exprima tout son regret de ce rwi'une pareille affaire
se fût élevée. II me dit qu' « il comprenait mes réclamations; qu'il les
avait déjà soumises au Saint-Père; que toutes les garanties possibles
seraient données; qu'une enquête allait être ordonnée; que la femme
qui avait administré le baptême serait arrêtée, jugée, punie, à moins
qu'elle n'alléguât en faveur de sa conduite les raisons les plus satis-
faisantes; que, s'il devenait évident qu'elle eût baptisé l'enfant, elle
serait immédiatement interrogée sur la manière dont elle avait admi-
nistré ce sacrement; que le résultat de cet interrogatoire serait sou-
mis au tribunal du Saint-Ofltice, lequel déciderait si le baptême était
valide ou non ; que, s'il était déclaré non valide, l'enfant serait libre,
mais que, s'il avait été régulièrement administré, l'enfant serait élevé,
jusqu'à l'âge de raison, loin de ses parents à Rome, avec tous les
soins désirables et sous la surveillance spéciale du Saint-Siège ».
Je cherchai par tous les moyens à persuader Son Eminence de céder
sur ce dernier point ; mais je vis facilement que tous mes efîorts
étaient inutiles ; qu'il s'agissait pour le chef de la religion catholique
d'un cas de conscience, d'un cas prévu par les lois canoniques et dont
il y a quelques exemples. La question posée sur ce terrain était pour
moi hors d'atteinte. J'obtins du moins que tous les égards possibles
seraient gardés vis-à-vis de la malheureuse famille, victime de cette
excessive rigueur de conscience, et qu'aucune mesure qui la menaçât
ne serait prise sans que j'en fusse prévenu et sans qu'elle eût été
préalablement consentie par moi. Le cardinal m'a assuré qu' « à cet
égard nous nous donnerions la main ».
Le père de l'enfant a consulté le principal rabbin de la colonie juive
qui réside à Rome et en a reçu la réponse la moins rassurante. Je l'ai
trouvé moins ému que je ne m'y attendais. Les soins de tout genre,
que je lui ai promis de donner et que je donnerai effectivement aux
moindres détails de cette affaire, ont paru le tranquilliser.
Depuis mon entretien avec le cardinal-secrétaire d'État, j'ai reçu de
lui la réponse, fort vague, comme de coutume, dont j'ai l'honneur
d'adresser ci-joint à Votre Excellence la traduction. J'ai annoncé a
Son Eminence que j'en porterai le contenu à la connaissance de mon
gouvernement qui jugerait jusqu'à quel point les motifs allégués par
le gouvernement pontifical pourront satisfaire au devoir de protection
qui nous était imposé à l'égard de nos nationaux.
frages lors du premier vote émis par le Sacré Collège, peu après l'ouverture
du conclave qui s'assembla à la mort de Grégoire XVI, mais il ne put obtenir
ensuite la majorité nécessaire pour être élu. Membre de la Consulta d'£tat en
1847, il accompagna Pie IX à Gaëte en 1849.
52 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Jusqu'à nouvel ordre, je me bornerai à surveiller l'exacte exécution
, de ce gui m'a été promis et je tiendrai Votre Excellence au courant
des divers incidents qui pourront survenir dans la suite de cette mal-
heureuse affaire. Elle peut compter que je ne négligerai aucun moyen
de la faire tourner à bien, mais j'en conserve peu l'espoir. Je ferai du
moins en sorte d'adoucir, autant qu'il me sera possible dans la forme,
ce qu'elle a de blessant et de cruel dans le fond.
Veuillez agréer, etc., etc.
Traduction de l'office adressé par le cardinal-secrétaire d'État
de Sa Sainteté au chargé d'affaii-es de France. (Annexé à la
dépêche n° 3.)
Monsieur le Comte,
Aussitôt après avoir reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'adresser le 19 de ce mois, je me suis empressé d'en porter le con-
tenu à la connaissance du Saint-Père et de prendre ses ordres relati-
vement à la réponse qu'il m'appartient de vous faire.
Sa Sainteté, qui avait déjà reçu une relation fidèle de l'événement
en question, s'est aperçue facilement que les faits ne vous avaient. pas
été exactement rapportés et qu'on avait cherché à surprendre votre
religion en exagérant notablement certaines circonstances.
Toutefois, voulant procéder avec justice et avec toute la maturité
possible dans une affaire de cette nature, affaire véritablement grave,
et en considération de l'intérêt que vous y prenez. Sa Sainteté n'a pas
hésité à ordonner que le tribunal compétent en fût immédiatement
saisi.
Vous pouvez être assuré qu'aussitôt que l'examen légal de l'affaire
sera terminé, et il le sera sans retard, conformément aux ordres déjà
donnés, le Saint-Père s'empressera de prendre la décision qm lui sera
suggérée par le sentiment de ses devoirs sacrés.
Ce sera à moi à vous informer, et je le ferai dès que j'en aurai été
informé moi-même.
Agréez, etc..
Rome, 26 juin 1840.
Signé : cardinal Lambruschini.
Rome, 7 juillet 1840'.
... Le tribunal du Saint-Office est saisi du procès relatif au baptême
administré à Fiumicino à l'enfant de M. Montel et par suite duquel le
gouvernement pontifical prétend élever cet enfant dans la religion
1. Rayneval à Thiers, Rome, 7 juillet 1840. Rome, volume 982. Direction
politique, n° 6, fol. 107.
UN PRÉCÉDENT DE LAFFAIRE MORTARA. 53
catholique, loin' de ses parents. La sentence doit être rendue d'un
moment à l'autre et le Saint-Père ne tardera pas à prononcer.
J'ai tojit lieu de craindre que Sa Sainteté, par conviction person-
nelle, ne regarde comme un devoir de conscience de rendre une déci-
sion défavorable. Mais il ne sera pris aucune mesure sans le concours
de l'ambassade du Roi; j'en ai sollicité et, reçu de nouvelles assurances.
M. Montel est parti pour Malte. Sa femme est restée seule ici avec
l'enfant, dont j'ai eu soin de faire constater la naissance sur les
registres de l'état civil.
Veuillez agréer, etc..
Pendant que Rayneval faisait ces démarches à Rome et tenait
M. Thiers au courant des péripéties de cette affaire qui, transpor-
tée sur le terrain purement canonique et déférée au tribunal du
Saint-Offîce, devait fatalement se terminer par une sentence con-
cluant à la validité du baptême et à l'approbation des mesures pro-
posées par le gouvernement pontifical, le Département avait prêté
à cette affaire toute l'attention qui lui était due et faisait tenir le
8 juillet, à Rayneval, des instructions nettes et précises par lesquelles
il approuvait, du reste sans la moindre réserve, la conduite tenue par
notre chargé d'affaires depuis le moment où il avait reçu la première
communication du Saint-Siège.
N» 33, fol. 108.
Paris, 8 juillet 1840.
Département au comte de Rayneval,
L'office, dont vous m'entretenez dans votre dépêche n° 3, est très
grave et la conduite tenue par le Saint-Siège envers le sieur Montel
ne blesse pas moins les principes du droit international que ceux de
la liberté de conscience. En efîet, parce qu'une femme de Fiumicino
a baptisé, dit-on, à l'insu du sieur Montel et de sa femme, l'enfant
dont celle-ci venait d'accoucher, le gouvernement pontifical fait enle-
ver de force cet enfant à ses parents pour ne pas laisser une fille chré-
tienne au sein d'une famille juive. On saisit de cette afïaire le tribunal
du Saint-Olïice et le sort en est subordonné à la décision qu'il rendra,
c'est-à-dire que l'enfant, qu'on arrache ainsi à la tendresse de ses
parents, ne leur sera pas rendu s'il est reconnu que le baptême a été
régulièrement administré. Et lorsque vous réclamez contre cet acte
darbitraire et d'intolérance, on allègue des lois canoniques; on vous
répond qu'il y a là pour le pape un cas de conscience. Que tel soit
effectivement aux yeux du Saint-Siège le côté dogmatique et théolo-
gique de la question, c'est ce dont je n'ai pas à m'occuper. Je ne veux
même pas en appeler aux lois inviolables de la nature et de l'équité,
aux droits sacrés d'homme et de père si cruellement méconnus envers
54 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
le sieur Montel. Je me borne à envisager la question sous le point de
vue du droit des gens et de la nationalité. Car c'est là la principale,
pour ne pas dire l'unique à mes yeux. Sous ce rapport, le sieur Mon-
tel n'est pas, à proprement parler, un Juif pour nous, mais un citoyen
français qui doit être traité dans les États romains à l'égal de tous ses
compatriotes et au préjudice duquel nous ne saurions admettre d'ex-
ception basée sur une difïérence de culte. J'ajoute que, dans les rela-
tions ordinaires de droit international, le chef spirituel de l'Eglise
disparaît devant le souverain temporel et que prétendre apprécier en
casuiste des questions qui appartiennent uniquement à la sphère pra-
tique de ces rapports, ce serait risquer d'y apporter la confusion et de
les compliquer d'une manière très grave.
Dès lors, nous ne pouvons point accepter comme bonnes et valables
les explications qui vous ont été données par le cardinal-secrétaire
d'État. Au surplus, voici la marche que vous devrez suivre :
Vous devez faire venir le sieur Montel à l'ambassade. Dites-lui que
la meilleure manière de lui faire rendre son enfant est d'obtenir que
celui-ci soit envoyé en France. Entendez-vous avec lui sur ce point.
Le sieur Montel n'aura sans doute pas de peine à trouver les moyens
de faire arriver sûrement sa fille à Nîmes. Puis, après vous être mis
d'accord avec lui , adressez-vous au gouvernement pontifical pour
demander péremptoirement que l'enfant soit envoyé en France et
insistez pour que l'ordre en soit donné sans délai.
La prudence fait évidemment au Saint-Siège une loi de terminer au
plus vite cette affaire, car il ne saurait gagner à ce que la publicité
s'en emparât. Dans ce dernier cas, on voudrait peut-être attribuer sa
conduite à un esprit peu généreux de réaction contre les Juifs, au
moment où le déplorable événement de Damas' les met, pour ainsi
dire, au ban de la chrétienté.
Enfin, le gouvernement du roi verrait avec d'autant plus de peine
la cour de Rome persister à ne pas accueillir ses réclamations qu'il
lui serait impossible de les abandonner et qu'il a sincèrement à cœur,
vous le savez, d'éviter tout ce qui pourrait créer des difficultés et sou-
lever des orages entre les deux gouvernements.
Post-scriptum. — Je reviens sur l'affaire qui concerne le sieur
Montel, afin de bien vous faire comprendre le point de vue sous lequel
nous l'envisageons. Je conçois jusqu'à un certain point et, sans vou-
loir affaiblir le principe qui est énoncé dans la présente dépêche, je
conçois que le Saint-Siège se croie autorisé par la loi canonique à
refuser de rendre l'enfant du sieur Montel à son père, tant que l'un et
l'autre se trouvent sur le territoire pontifical; mais ce que je ne sau-
1. Il s'agit là d'une affaire qui, comme le montrent les emprunts aux dépêches
du comte de Sambuy, ministre de Sardaigne à Vienne, que l'on trouvera plus
loin à l'appendice, fit grand bruit dans le monde, d'un prétçndu crime rituel
commis par les Juifs accusés d'avoir assassiné à Damas un missionnaire capu-
cin, le Père Thomas.
UN PRÉCÉDENT DE l'AFFAIRE MORTARA. 55
rais admettre, c'est qu'on voulût retenir cet enfant lorsque nous
demandons qu'il soit, à titre de Français, envoyé en France. Tel est
le terrain sur lequel vous devez placer la question et la soutenir vis-
à-vis du gouvernement romain.
Pendant que le Département expédiait ses instructions à Rayneval,
le gouvernement pontifical avait eu le temps d'examiner la question
sous toutes ses faces. Cédant aux sages conseils de Mgr Capac-
cini, le cardinal Lambruschini avait reconnu la. nécessité de
faire droit aux réclamations du gouvernement français et proposé à
notre chargé d'affaires une solution qui lui donnait satisfaction,
tout en ménageant jusqu'à un certain point le prestige du Saint-
Siège, soucieux avant tout de ne pas créer de précédent qu'on pût,
plus tard, invoquer contre lui.
Rome, 17 juillet 1840<.
Monsieur le Ministre,
Le tribunal du Saint-Office a déclaré valide le baptême administré
à l'enfant du sieur Montel, et je désespérais d'amener le gouvernement
pontifical à abandonner l'idée d'enlever cet enfant à ses parents et de
l'élever loin d'eux quand, redoublant d'efforts et puissamment secondé
par Mgr Capaccini, qui s'était laissé depuis longtemps convaincre des
conséquences funestes, non seulement au point de vue politique, mais
aussi au point de vue religieux, que ne pouvait manquer d'entraîner
une pareille mesure, nous sommes parvenus aujourd'hui seulement à
terminer, non sans peine, cette fâcheuse affaire, et voici comment :
Le cardinal-secrétaire d'État, en me donnant les détails de la pro-
cédure suivie devant le Saint-Office et m'annonçant la décision par lui
rendue, m'informera que le Saint-Père, ne pouvant en conscience •
restituer à ses parents infidèles un enfant devenu chrétien, mais d'un
autre côté, comprenant toute la valeur des réclamations dont j'étais
l'organe et voulant donner au gouvernement du Roi une preuve de sa
confiance, mettra cet enfant à ma disposition en émettant le vœu qu'il
soit élevé dans la religion catholique, déchargeant ainsi sa conscience
sur la mienne et celle de mon gouvernement. A cela je répondrai que
mon gouvernement prendra sans doute soin qu'il en soit ainsi et je
serai libre d'envoyer la mère et l'enfant où bon me semblera.
On sait ici parfaitement, et j'ai eu plus d'une fois occasion de le répé-
ter à propos de cette même affaire, que le gouvernement du Roi n'a
nullement le pouvoir d'engager un Français, encore moins de le forcer,
à élever son enfant dans une croyance difîérente de la sienne. L'assu-
rance qui m'était demandée était donc purement de forme et il était
évident que le Saint-Siège cherchait à mettre sa conscience à l'abri
1. Hayneval à Thiers, Rome, 17 juillet 1840. Rome, volume 982. Direction
politique, n" 8, fol. 113.
56 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
derrière des mots. J'ai donc consenti à répondre comme on me le
demandait. On aurait voulu que je prisse à cet égard les ordres de
Votre Excellence. Dans ce cas, l'assurance demandée, quelque vague
qu'elle soit, aurait été refusée ou aurait pris une valeur qu'elle ne
pouvait avoir, venant de moi. Dans la première hypothèse, j'ai pu
m'apercevoir qu'on aurait poussé la résistance très loin ; dans l'autre,
fort improbable, la responsabilité du gouvernement du Roi aurait été
positivement engagée. J'ai cru de mon devoir, pour éviter l'un et l'autre
inconvénient, de faire en sorte que ma réponse suffît. Je crois que
cette solution, vu les idées qu'on s'était fait ici d'une obligation abso-
lue pour le Saint-Siège d'assurer à l'enfant une éducation catholique,
est la plus favorable qu'on pût raisonnablement espérer, et je désire
ardemment qu'elle obtienne l'approbation de Votre Excellence.
Veuillez agréer, etc..
Dix jours plus tard, grâce à l'habileté, mais surtout au tact de
M. Rayneval, Tincident était clos, sans bruit, et à l'entière satisfac-
tion des deux gouvernements.
Rome, 27 juillet 1840*.
Monsieur le Ministre,
A la suite d'un échange de lettres conçues dans le sens que j'ai indi-
qué dans ma dépêche n" 8, le gouvernement pontifical a mis à ma dis-
position l'enfant du sieur Montel que j'ai immédiatement rendu à sa
mère. Il est bien entendu qu'il n'y avait point eu séparation et que
tout cela n'a été que de forme. Ils s'embarqueront le 24 pour Malte.
Je joins ici copie des pièces relatives à cette restitution.
Le cardinal Lambruschini, comme de raison, est allé plus loin dans
ses écritures que dans ses paroles, et ce n'est pas sans de grandes dis-
putes de mots, de part et d'autre, que la rédaction définitive de ces
pièces a été arrêtée. On me demandait beaucoup plus que je ne pou-
vais donner; mais j'ai eu soin que l'assurance réclamée de moi ne fût
exprimée que dans la forme d'opinion personnelle. Comme il ne s'agis-
sait que de mots, ainsi que je l'ai déjà dit, et qu'on ne pouvait rai-
sonnablement espérer rien obtenir de mieux, on s'est contenté de mes
paroles, et elles ont suffi à la conscience du Saint-Père pour se décla-
rer complètement tranquillisé.
Tout était donc terminé quand m'est parvenue la dépêche que Votre
Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser à ce sujet. Il n'était plus
temps de me conformer à ses instructions, et d'ailleurs le départ de
M. Montel pour Malte, dès le 23 juin, avant même que j'eusse reçu
aucune réponse du gouvernement pontifical, et dans le moment le plus
critique pour sa femme et son enfant, en avait rendu depuis longtemps
la stricte exécution impossible. Je suis convaincu d'ailleurs que nous
1. Rayneval à Thiers, Rome, 27 juillet 1840. Rome, volume 982. Direction
politique, u" 10, fol. 127-129.
UN PBÉCÉDEIVT DE l'aFFAIRE MORTARA. 57
n'aurions jamais obtenu la remise directe de l'enfant à ses parents',
et, l'aurions-nous obtenue, ce n'eût été certainement qu'en froissant
de la manière la plus vive les convictions du Saint-Père et en laissant
chez lui un sentiment de dignité blessée qui eût entièrement modifié
sa manière de penser et d'agir à notre égard.
Je m'étais proposé, dans cette affaire, d'atteindre un double but : de
rendre l'enfant à ses parents et d'éviter que les rapports des deux gou-
vernements ne reçussent aucune altération sérieuse. Dès qu'il a été
démontré qu'on ne céderait pas sur la restitution directe, j'ai demandé
qu'on mît purement et simplement l'enfant à ma disposition en lais-
sant à mon gouvernement le soin de décider ce qu'il y aurait à faire.
Cette idée a d'abord été repoussée avec force : « Votre gouverne-
ment », me disait-on, « n'a aucun pouvoir pour conserver à cet enfant
le bénéfice du baptême. Il est soumis à l'empire de lois qui lui inter-
. disent absolument de se mêler en quoi que ce soit des croyances reli-
gieuses de ses sujets. Autant vaudrait le remettre à ses parents eux-
mêmes. »
Ce parti était cependant le meilleur. On y est revenu plus tard en
demandant, malgré ce qui avait été dit, l'assurance que cet enfant
serait élevé dans la religion catholique. « Comment demander à mon
gouvernement ce que vous-même savez qu'il ne pourra tenir, ni par
conséquent promettre », répondis-je?
On me disait à cela qu'un gouvernement avait beaucoup de moyens
d'influence et d'action, que l'argent, par exemple, était tout-puissant
auprès des Juifs et qu'on n'aurait plus tard qu'à en offrir à la famille
Montel pour qu'elle consentît à tout ce qu'on voudrait. On reconnut
cependant la force de mes raisonnements et ce fut alors qu'on me
demanda de prendre sur moi de prononcer quelques paroles dans le
sens que je viens d'indiquer.
Je résistai d'abord, mais il devint bientôt évident pour moi qu'on
n'irait pas plus loin et, pour éviter des complications fâcheuses, des
difficultés graves, conséquence certaine d'un refus de ma part, pour
éviter surtout un refroidissement inévitable entre les deux cours, si
cette affaire venait à être traitée directement de l'une à l'autre, sachant
inen que le gouvernement du Roi ne pourrait faire aucune concession
(lu genre de celle que le Saint-Siège regardait comme indispensable,
faisant d'ailleurs la part des scrupules religieux du Saint-Père (et un
passage de la dépêche de Votre Excellence m'y eût autorisé jusqu'à
un certain point), j'ai cédé. J'espère que Votre Excellence voudra bien
approuver les motifs qui m'ont fait agir de la sorte.
Les raisons de droit, les raisons de politique, que je faisais valoir
près du cardinal-secrétaire d'État et qui toutes étaient conformes à
celles que veut bien me donner Votre Excellence, étaient reconnues
1. En marge, la note au crayon du Département : « Ce n'est pas non plus ce
qu'on demandait, mais l'envoi de l'enfant en France. »
58 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
parfaitement justes, mais on n'admettait pas qu'elles pussent entrer
dans la balance.
« De la part de tout autre gouvernement », me disait-on, « un pareil
• enlèvement serait certainement l'abus le plus intolérable et ne saurait
être souffert; mais c'est du Père comrnun des fidèles dont il est ques-
tion ici. C'est sa conscience qui parle et il n'y a pas de force humaine
qui puisse le faire transiger avec elle. »
Quand je parlais de l'obligation où était le gouvernement d'obtenir
satisfaction d'un acte qu'il ne pouvait considérer que comme la viola-
tion la plus flagrante des droits les plus sacrés d'un citoyen français,
et quand j'indiquais dans un entretien tout confidentiel jusqu'où il
avait été forcé d'aller pour protéger des intérêts bien moindres, on me
répondait, poussant immédiatement les choses à l'extrême : « Vous
vous appuieriez de tout ce que vous avez de canons et vous enverriez
sur nos côtes toutes vos flottes que ce ne serait qu'une raison de plus
pour nous de nous montrer inébranlables. »
Traitant alors la question au point de vue religieux, je montrai
combien cette mesure, devenue politique, nuirait à la cause catho-
lique, combien de questions elle soulèverait, combien elle réveillerait
de haines, et j'indiquai que le Pape n'avait une si haute position dans
l'Eglise que pour être à même, dans certains cas, de sacrifier un inté-
rêt moindre à un intérêt majeur.
A cela, on m'a d'abord répondu qu'il n'y avait pas d'intérêt, quelque
majeur qu'il fût, qui pût autoriser de manquer à sa conscience et de
commettre le plus patit péché. A la fin, cependant, c'est de cet argu-
ment que j'ai retiré le plus de fruits.
Je dois dire ici que les personnes du pays et le connaissant bien, à
qui j'ai parlé de cette affaire, se sont montrées fort étonnées que le
Saint-Siège l'eût ainsi terminée, et il ne doit pas manquer de gens qui
l'en blâment.
Je crois que, dès le début, le cardinal Lambruschini s'était proposé
de la terminer tout différemment, et je ne serais pas surpris qu'il en
eût fait une affaire personnelle. Du moins a-t-il fallu pour le faire
changer d'avis que je fusse appuyé^de toute la persuasion, de toute
l'influence de Mgr Capaccini, et même n'est-ce qu'après huit à dix
entretiens des plus longs et des plus animés entre eux, sans compter
les miens, que le cardinal a commencé à fléchir. Il avait par-devers
lui un précédent dont il voulait, je suppose, renouveler l'exemple...
Etant archevêque de Gênes, il arriva qu'un enfant juif, de douze à
treize ans, fut envoyé par ses parents chez un marchand d'huile, qui,
lui ayant demandé s'il deviendrait volontiers chrétien et, sur sa réponse
affirmative, prit de l'eau et la lui versa sur la tète en prononçant les
paroles sacramentelles du baptême. L'autorité ecclésiastique, avertie,
fit enlever l'enfant de chez ses parents qui se plaignirent hautement.
Le roi, qui se trouvait à Gênes, réclama lui-même près du cardinal.
Celui-ci se montra inexorable. Seulement il y eut enquête et jugement
UN PRECEDENT DE L AFFAIRE MOHTARA. 59
du Saint-Office à Rome. Le baptême fut déclaré valable. On mit le
marchand au cachot, mais l'enfant ne fut pas rendu à sa famille et fut
élevé loin d'elle.
J'ai pu remarquer, à propos de cette alïaire, que la haine et le mépris
pour la race juive, même de la part des esprits les plus éclairés, exis-
taient encore ici dans toute leur force.
Je demande pardon à Votre Excellence de la longueur de cette
lettre; mais j'ai cru que les explications dans lesquelles je suis entré
ne seraient pas dénuées d'intérêt. J'avais d'ailleurs à montrer, pour,
expliquer le parti auquel je me suis arrêté, quels efïorts j'ai faits,
quels obstacles j'ai eu à vaincre et quel but je m'étais proposé.
Veuillez agréer. Monsieur le Ministre, l'hommage de ma très haute
considération.
Rayneval.
A cette dépêche étaient jointes trois annexes, deux notes du car-
dinal-secrétaire informant notre chargé d'affaires de la résolution à
laquelle le Saint-Père avait cru devoir s'arrêter et de la mesure
gracieuse que le pape soumettait à l'acceptation du gouvernement
français. J'aurais assurément pu me contenter de l'analyse si claire
et si précise qu'en fait M. de Rayneval ; mais l'affaire dont il s'agit
ici est si grave et surtout si délicate qu'il m'a semblé préférable de
reproduire ici ces trois pièces qui permettent de se rendre un
compte exact et de la procédure suivie à Rome et des scrupules qui
dictèrent au Souverain Pontife le (^^ terme moyen » qui, en donnant
satisfaction au cabinet des Tuileries*, permit au Saint-Siège de sau-
ver les apparences et de terminer à l'amiable une affaire qui, si elle
était venue à s'ébruiter, n'aurait pas manqué d'avoir pour lui des
conséquences désagréables qu'il avait intérêt à éviter.
Traduction.
Palais du Quirinal, 18 juillet 1840.
A Monsieur le chargé d'affaires de S. M. le roi des Français.
Le cardinal-secrétaire d'État s'est fait un devoir de vous informer
que, d'après les ordres de Sa Sainteté, la Suprême Inquisition exami-
nerait soigneusement l'affaire concernant le baptême administré par
Flavie Simouetti à une fille nouvellement née des époux juifs Daniel
Montel, natif de Nîmes, et Miette Crémieux, de nation française, pour
que l'an adoptât ensuite les mesures convenables.
Le Saint-Office, après avoir pris les renseignements nécessaires
pour bien connaître les circonstances du fait, a prononcé son juge-
ment que le baptême subsistait et était valide. Il ne sera pas hors
de propos que je vous fasse le récit de ce qui s'est passé pour votre
60 MÉLANGES ET DOCOMENTS.
information et pour que vous en fassiez l'usage que vous croirez le
plus convenable.
Le 17 du mois de juin dernier naquit à Fiumicino, dans l'hôtellerie
de Martignoni, une fille qui fut baptisée par Flavie Simonetti, femme
de chambre dans cette hôtellerie, dans la persuasion que l'enfant était
en danger de mort.
L'autorité ecclésiastique, informée de cette circonstance, observant
les prescriptions canoniques et l'usage suivi en pareil cas, ordonna
que l'enfant nouveau-né fût transporté à la maison pieuse des Caté-
chumènes. Les personnes envoyées pour cet objet à l'hôtellerie, sur la
route de Chiavari, où logeaient lesdits époux juifs, éprouvèrent de la
part de ceux-ci une opposition à la remise de l'enfant. Ils nièrent
constamment que leur fille eût été baptisée à Fiumicino. On jugea
prudent de s'abstenir de toute voie de fait jusqu'à ce que la chose eût
été éclaircie. On laissa toutefois deux carabiniers de planton, afin que
pendant l'examen l'enfant, objet de la contestation, ne fût pas enlevé.
L'examen ayant été terminé, on a dû reconnaître avec toute la cer-
titude la validité du baptême, tant pour le fait que pour la forme dont
il avait été administré. En effet, la jeune fille dont 'il s'agit est chré-
tienne catholique, et c'est à cause de cela que le Saint-Père ne peut
permettre que l'on confie son éducation à ses parents, puisqu'il se ren-
drait responsable devant Dieu de la perte de cette âme. D'un autre
côté, le Saint-Père est obligé de pourvoir par un plus sûr moyen à
l'éducation de cette jeune fille dans le sein de l'Église où il a plu à la
divine Providence de la placer. La maison pieuse des Catéchumènes
remplirait très bien cet objet; mais, comme il s'agit de sujets du roi
des Français, le Saint-Père désire employer les plus grands égards et
Sa Sainteté, voulant témoigner à Sa Majesté et au Ministère royal sa
pleine confiance dans la loyauté du gouvernement français. Elle est
disposée à faire remettre cette jeune fille, aujourd'hui baptisée, à Votre
Seigneurie, pourvu qu'au nom de votre gouvernement vous assuriez
au Saint-Siège que ledit gouvernement s'engage à la faire élever dans
la religion catholique.
L'afïaire est d'une si grande importance pour la conscience du Saint-
Père que, sans cette condition, il ne pourrait consentir à la remise de
cet enfant.
C'est pourquoi Sa Sainteté ne procédera à cet acte qu'en en rendant
responsable devant Dieu le gouvernement de Sa Majesté Très Chré-
tienne, dont la religion ne permet pas de douter qu'il répondra comme
on s'attend à cette nouvelle preuve de haute estime, de déférence et
de confiance que le Saint-Siège se plaît à lui donner.
Dans l'attente de votre agréable réponse, le soussigné a l'honneur
d'être, etc., etc.
Signé : le cardinal Lambruschini'.
1. Rome, volume 982. Traduction, fol. 118.
UN PRÉCÉDENT DE l'AFFAIRE MORTARA. 61
Vingt-quatre heures après la remise de cette note, Rayneval,
comme il l'exposait tout au long dans sa dépêche du 27 juillet, avait
pris sur lui de répondre au cardinal, sans en avoir naturellement
référé dans l'intervalle à son gouvernement.
Copie. Rome, 21 juillet 1840*.
Monsieur le Cardinal,
J'ai reçu hier l'office que Votre Éminence m'a fait l'honneur de
m'adresser pour m'informer que le tribunal du Saint-Office avait été-
saisi de la question de savoir si le baptême administré par une femme
de Fiumicino à l'enfant du sieur Montel était valide ou non ; que ce
tribunal s'était prononcé pour l'affirmative et qu'en conséquence la
conscience du Saint-Père ne lui permettait pas de rendre cet enfant à
ses parents, desquels on pouvait attendre qu'ils lui feraient perdre le
bénéfice du sacrement qu'il a reçu; mais que, considérant que cet
enfant était Français et voulant donner au gouvernement du Roi une
preuve de sa confiance, Sa Sainteté était prête à le mettre à ma dis-
position, pourvu que j'assurasse à Votre Éminence, au nom de mon
gouvernement, qu'il sera élevé dans la religion catholique.
• Je ne doute pas que le gouvernement du Roi ne prenne soin qu'il en
soit ainsi et je suis persuadé qu'il emploiera à cet effet tous les
moyens possibles. Je me rends avec plaisir au désir de Votre Émi-
nence en lui donnant cette assurance. J'ose espérer qu'en conséquence
Elle voudra bien donner cours aux intentions conciliantes qu'Elle m'a
manifestées et dans lesquelles le gouvernement du Roi ne saurait
manquer de trouver un nouveau témoignage des sentiments de Sa
Sainteté.
Agréez, etc., etc..
A. DE Rayneval.
La réponse de notre chargé d'affaires était aussi prudente qu'habile
et moins de quarante-huit heures plus tard il recevait du cardinal
l'office suivant qui terminait cette délicate affaire à son entière satis-
faction :
Palais du Quirinal, 23 juillet 18402,
A Monsieur le chargé d'affaires de Sa Majesté le roi des
Français.
D'après l'assurance que Votre Excellence m'a donnée dans sa note
d'aujourd'hui au sujet de l'éducation catholique à donner en France à
la jeune fille juive dûment baptisée à Fiumicino, je m'empresse de
vous prévenir que je transmets en même temps les instructions de
1. Rayneval au cardinal Lambruschini. Rome, volume 982, fol. 122.
2. Rome, volume 982, fol. 129.
62 MELANGES ET DOCUMENTS.
Sa Sainteté à M. le cardinal-vicaire pour que, par l'entremise de son
représentant, il s'entende avec vous pour la remise à votre respectable
personne de la jeune fille elle-même.
Le soussigné a l'honneur, etc., etc..
Signé : cardinal Lambruschini.
Le jeune chargé d'affaires de France s'était remarquablement tiré
d'une affaire délicate que la moindre maladresse menaçait d'aggra-
ver, d'une négociation peu aisée à conduire, mais dans laquelle, heu-
reusement pour lui, il avait été, comme il s'était plu à le recon-
naître, puissamment secondé par l'influence et l'esprit libéral, juste
et éclairé de Mgr Capaccini. Le Département lui rendit justice.
« J'ai appris », lit-on dans la dépêche en date de Paris, le 16 août
1840 ^ « avec d'autant plus de plaisir la manière dont s'est terminée
l'affaire relative à l'enfant du sieur Montel que le terme moyen qui a
été adopté est précisément celui que j'avais indiqué, comme vous l'au-
rez vu en recevant ma dépêche du 8 juillet. Le Saint-Siège a très
sagement apprécié les motifs qui devaient l'empêcher de prolonger un
démêlé portant sur un sujet d'une nature si grave et j'approuve plei-
nement la ligne de conduite que vous avez suivie dans une question
qu'il faut se féliciter pour le gouvernement pontifical que la presse ne
s'en soit pas emparée... »
APPENDICE.
Le Père Tommaso délia Sardegna (1777-1840). né à Calangiano
(province de Cagliari), après avoir terminé ses études de pharmacie
entra, à l'âge de dix-huit ans, dans l'ordre des Frères mineurs capu-
cins. Aussitôt après avoir été ordonné prêtre, il exprima le désir de
devenir missionnaire et fut désigné par la congrégation de la Pro-
pagande pour faire partie de la mission de Syrie avec le Père Fran-
çois de Ploaghe (auteur d'une biographie à laquelle le comte Degli
Alberti a emprunté ces quelques notes) et le Père Bonaventure de
Sassari. Parti de Livourne le 15 janvier 1807, il arriva à Damas le
14 avril suivant. Il y exerça avec autant de zèle que d'abnégation
son ministère et ne tarda pas à acquérir les sympathies des infidèles
et même des Juifs, auprès desquels il jouissait d'un prestige tout
particulier en raison des soins qu'il donnait aux malades. Ce fui
1. Département à Rayneval. Paris, 16 août 1840, fol. 140. Rome, volume 982,
n» 55.
UN PRÉCÉDENT DE l'aFFAIRE MORTARA. 63
ainsi que, dans la soirée du 5 février 1840, il fut appelé chez le juif
Daoud Arari, pour y vacciner, à ce qu'on assurait, un de ses enfants.
Mais alors fut accompli un horrible forfait auquel on s'empressa
d'ailleurs de donner les apparences d'un meurtre rituel : assailli à
l'improviste par plusieurs individus, le P. Tommaso fut réduit
à l'impuissance et égorgé; son sang fut recueilli, dit-on, pour ser-
vir aux fêtes de Pâques. Les circonstances mêmes de ce meurtre
ainsi que tous les détails, de l'instruction et du procès sont exposées
tout au long dans un curieux petit volume publié par un auteur ano-
nyme, compatriote du Père Thomas et religieux comme lui, sous
le titre de : Aceldama, ossia Processo célèbre istruito contro
gli ehrei cli Damasco nelV anno 18k0 in seguito al doppio
assassinio rituale da loro consumato nella persona del Padre
Tommaso délia Sardegna, m,issionario cappucino ed in quella
del suo garzoncello cristiano Ebrahim Amarah alV unico
scopo di avère il loro sangue, avec documents et appendice his-
torique (Cagliari et Sassari, G. Dessi, 1896). A ce pamphlet on peut
opposer le rapport, de tous points favorable aux Juifs, qui fut envoyé
par le' Père François de Sardaigne, capucin, missionnaire aposto-
lique à Damas, au préfet de la congrégation, en date du 5 mars 1840.
Ce rapport a été cité par M. Isambert à la séance de la Chambre des
députés du 4 juin 1840. Ajoutons quelques extraits de la correspon-
dance diplomatique du comte de Sambuy :
Je vous suis fort reconnaissant, écrivait-il de Vienne, le 28 avril, au
comte Solaro délia Margarita (dépêche n° 874), de ce que vous avez la
bonté de m'apprendre de certain sur la malheureuse catastrophe dont
le Père Thomas a été la victime à Damas, fait sur lequel régnaient
encore beaucoup de doutes...
Dans sa dépêche n° 899, 20 mai 1840, on lit :
Monseigneur le nonce apostolique paraît fort scandalisé de la pro-
tection ouverte que l'Autriche accorde aux Juifs de Damas, de la con-
duite des consuls autrichiens à cet égard et qu'on ait publié. leurs
dépêches...
Enfin le 4 juin, dans sa dépèche n° 908, il revient, cette fois en
détail, sur cette affaire :
J'en ai causé avec le prince de Metternich qui m'a dit à cet égard
que la seule chose à vérifier sur cela c'étaient les faits, savoir si véri-
tablement les Juifs qu'on en accusait étaient coupables du meurtre
du Père Thomas et qu'il fallait découvrir la vérité à ce sujet.
Qu'il est indubitable que le consul de France à Damas, Ratti Men-
64 MÉLANGES ET DOCUMENTS. ,
ton', est une espèce de fou, qui s'est déjà fait chasser de plusieurs
endroits, entre autres de Tiflis ; qu'il a commis un excès de pouvoir
en arrêtant un sujet autrichien; que sa correspondance avec le consul
de l'empereur est celle d'un "fou, pleine de déraison, d'insolence et
d'injures grossières.
Que, quoi qu'il en soit du fait, M. Laurin^ a bien fait d'adresser au
pacha d'Egypte les demandes qu'il lui a faites; qu'elles consistent à
le prier de faire cesser les tortures qui ne sont pas un bon moyen de
parvenir à la découverte de la vérité et qui ne servent à rien, et d'en-
voyer à Damas des hommes de loi pour instruire régulièrement le
procès.
Que le seul tort de M. Laurin a été de communiquer à Rothschild
à Paris la correspondance de ses subordonnés, ce qu'il n'aurait jamais
dû faire, et d'où est résulté l'inconvénient qu'on l'a publiée dans les
journaux, ce qui a produit plusieurs autres conséquences fâcheuses.
Là-dessus Son Altesse a eu la bonté de me traduire la dépêche alle-
mande qu'Elle a adressée le 21 mai à M. Laurin pour lui reprocher
cette faute, l'en blâmer sévèrement et lui ordonner de n'adresser doré-
navant ses rapports qu'à son seul gouvernement exclusivement.
Quoique le comte de Maltzahn^ nous ait dit- qu'il avait bien des
soupçons sur le compte du consul autrichien en Egypte, il ne me
paraît pas que le gouvernement impérial croie qu'il ait pu être cor-
rompu. Quant à M. MerlatO'*, sa partiaUté pour les Juifs est telle que,
d'après les articles de la Gazette d'Augsbourg, l'opinion publique le
croyait juif lui-même, et il a fallu une note de ce journal pour le tirer
d'erreur.
L'idée générale sur ce malheureux événement est que, parmi les
Juifs, il existe plusieurs sectes, une desquelles se rend en efîet cou-
pable des atrocités qu'on attribue à la nation entière. Ce qui est sûr,
c'est que le pacha de Damas a enfermé séparément trois rabbins avec
■Je Talmud, leur ordonnant d'en extraire et traduire les passages rela-
tifs à leur manière de traiter les chrétiens; que ces trois manières se
sont trouvées identiques et confirment pleinement l'opinion que l'on
avait que le Talmud recommande aux Juifs de maltraiter de toutes
manières les chrétiens dans leurs avoirs et dans leurs personnes.
Je trouve en outre dans l'Écho p^ançais du 2 courant, que V Uni-
vers a publié une longue lettre du 21 avril du supérieur des Lazaristes
1. Ratti-Menton (Benoît-Ulysse-Laurent-François de Paule, comte de), élève
vice-consul (1822), vice-consul à Arta (1831), à Tiflis (15 mai 1833), consul de
deuxième classe sur place (20 août 1833), à Gibraltar (1837), consul à Damas
(juillet' 1839), à Canton (1842), à Calcutta (1846), consul général, chargé d'af-
faires à Lima (1849), à Gênes (1853), à La Havane (1855), admis à la retraite
(1862).
2. Antoine Laurin, consul général d'Autriche à Alexandrie.
3. Maltzahn (Mortimer, comte de), ministre de Prusse à Vienne.
4. G. G. Merlato, vice-consul provisoire d'Autriche à Damas,
UN PRÉCÉDENT DE l'aFFÀIRE MORT ARA. 65
qui réfute le rapport de M. Merlato et un extrait d'une lettre d'Alexan-
drie qui est dans le même sens. Il me parait donc que la vérité ne
saurait tarder à se faire jour...
Il n'est plus question après cela de l'affaire (Je Damas dans le
Carteggio du comte de Sambuy, mais en revanche notre ambassa-
deur à Rome s'en était, lui aussi, occupé, et voici ce que, dès le
28 mai, Latour-Maubourg avait mandé à ce sujet à Thiers* :
... C'est maintenant seulement que l'on commence à s'occuper ici
de l'aiïaire des Juifs de Damas. La polémique, à laquelle se sont
livrés à ce sujet les journaux français, a excité l'attention et donné
lieu à l'opinion de se prononcer sur ce fait qui préoccupe si sérieuse-
ment l'Europe et l'Orient. Ainsi que Votre Excellence peut le penser,
cette opinion n'est pas favorable aux Juifs. La propagande a reçu de
nombreux rapports de ses divers agents dans l'Asie Mineure, lesquels
s'accordent tous à reconnaître les accusés comme coupables des faits
qui leur sont imputés, et le sentiment unanime en Asie Mineure est
qu'ils sont bien les assassins du Père Thomas.
Le rapport passionné du consul d'Autriche a mal servi la cause qu'il
a prétendu défendre, et l'impression produite par la publication de
cette pièce est loin d'avoir répondu à ce qu'en attendaient sans doute
ceux qui l'ont fait imprimer. Au total, le rôle qu'ont joué dans cette
affaire les agents des diverses puissances a été apprécié ici de manière
à ce que notre considération n'a pu que gagner près du Saint-Père et
de tout ce qui l'entojare, à cause de l'intérêt qu'a pris le consul de
France à la découverte de la vérité et de la partialité qu'ont manifestée
d'autres agents en faveur d'individus auxquels les unissent des rap-
ports de famille ou de patronage...
Quelque longue que soit déjà cette note, il m'a paru utile de la
compléter en rappelant ici ce qu'aux pages 458 et 459 du volume
de 1840 de VHistoire politique, Lesur dit de l'affaire de Damas :
On accusait les Israélites d'avoir donné la mort à un religieux, le
Père Thomas, dont, le sang aurait été versé pour s'en servir dans la
solennité de la pâque. Ainsi formulée, cette accusation se serait dif-
ficilement soutenue aux yeux d'hommes éclairés. Néanmoins, les auto-
rités de Damas y donnèrent suite et, pour arracher aux accusés l'aveu
de leur* prétendue culpabilité, leur infligèrent des tortures inouïes.
Les consuls des diverses puissances européennes émirent dans cette
affaire des opinions différentes. Les uns laissèrent faire ou encoura-
gèrent les autorités égyptiennes; mais le représentant de l'Autriche
protesta avec énergie contre les moyens violents employés pour la,
découverte de la vérité et réclama une instruction criminelh^ plus
1. Rome, volume 982. Direction politique, n° 78, fol. 84.
Rev. Histor. CXXXVII. 1" fasc. 5
66 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
conforme aux mœurs du xrx^ siècle. C'est ainsi, du reste, que parut
l'entendre M. Thiers, lorsqu'il annonça à la tribune, le 2 juin 1840,
que, par son ordre, un vice-consul allait se rendre en Orient pour
s'enquérir de l'état des choses à ce sujet.
Les Chambres anglaise et américaine ne s'émurent pas moins de
cet incident et, sans doute par l'influence morale de leur haute inter-
vention, jointe aux efforts des Israélites européens, déterminèrent
l'ordre donné par le pacha d'Egypte de suspendre une procédure qui
avait pu frapper comme coupables des hommes sans doute innocents.
Enfin, il n'est pas inutile de remarquer que, dans sa note du
18 septembre 1840, le Département avait mandé ce qui suit à Ray-
neval :
... L'affaire des Juifs de Damas est terminée par la mesure que
Méhémet-Ali a prise d'ordonner la mise en liberté des prisonniers.
Mais l'opinion de leur culpabilité n'en est pas moins générale en
Egypte ainsi qu'en Syrie, et les rapports que j'ai reçus de M. Des
Méloizes^ sont loin de tendre à infirmer cette opinion...
Je termine en faisant observer qu'il appert du rapport même du
Père François de Sardaigne, capucin, missionnaire apostolique à
Damas, au préfet de la congrégation, en date du 5 mars 1840, que
« quatre personnes ont péri à la suite des tortures et que les autres
sont dans un tel état de faiblesse qu'elles succomberont sous peu ».
Commandant Weil.
L'INSURRECTION POLONAISE DE 1863
ET L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE
L'insurrection polonaise de 1863, a, comme on sait, suscité les
plus chaudes sympathies dans l'opinion publique en France. Les
pétitions qui, dès le commencement de mars, arrivèrent au Sénat
parlaient, sans oser prononcer le mot de guerre, « d'aide, de protes-
tation, de défense du droit contre l'iniquité ». M. Pierre de La Gorce,
auquel j'emprunte cette citation, a très bien exposé dans le tome IV
1. Méloizes-Fresnoy (Maxime-Renaud d'Avesnes, vicomte des), né en 1812,
élève consul en Egypte (1838), consul à Beyrouth (1840), rédacteur à la Direc-
tion commerciale (1842), chef du cabinet (janvier 1851), consul générale Ams-
terdam (avril 1851), chef du cabinet (août 1852), ministre plénipotentiaire près
du duc de Saxe-Weimar et des duchés de Saxe (1855), à Carlsruhe (1862), à
Munich (1864), admis à la retraite (1867), trésorier-payeur général (1872).
l'insurrection polonaise i)e 1863. 67
de son Histoire du second Empire que les relations cordiales avec
la Russie commandaient au gouvernement impérial une très grande
réserve. Mais il a ajouté avec raison les considérations suivantes
[loc. cit., p. 441) : « Est-ce à dire pourtant qu'en ces conjectures
Napoléon n'ait pas entrevu, ébauché peut-être, le plan d'une con-
duite plus active? Mis en face de la question polonaise, le monarque
inclinait avant tout à provoquer du gouvernement russe, par une
action tout officieuse, tout amicale, un octroi souverain qui per-
mettrait de dire la Pologne à demi satisfaite et de déclarer l'inci-
dent clos. Donc, s'il était entraîné hors de cette voie, c'est à Vienne
qu'il importerait de lier partie, non à Londres, où l'on n'obtiendrait
que des articles de journaux ou des meetings. Tout en prêchant
très sincèrement la paix, l'Empereur paraît avoir cavessé une autre
politique, toute différente, qui, en cas d'échec de la première, s'y
substituerait, qui aurait en Autriche un principal point d'appui et
qui, grande par les risques, pourrait l'être également par les résul-
tats. Les informations que Napoléon recevait des bords du Danube
étaient plus propres à le tenir en éveil qu'à le décourager. « A l'ap-
pui de ces remarques, M. de La Gorce reproduit des extraits de
quelques rapports envoyés par le duc de Gramont, ambassadeur à
Vienne. On y pouvait voir, sans être taxé de légèreté, une pro-
vocation à une action commune. Avant même que la dernière
dépêche, dont M. de La Gorce rend compte, arrivât à Paris, le
prince de Metternich, ambassadeur d'Autriche, était parti pour
Vienne. « Etait-il », se demande M. de La Gorce, « chargé d'une
négociation précise? C'est ce qu'aucun document n'autorise à affir-
mer. Ce qui n'est guère douteux, c'est que le but principal de sou
voyage ait été de pénétrer les plus intimes pensées de sa cour et de
recueillir les instructions de son souverain en vue d'une demande
de coopération non seulement diplomatique, mais peut-être mili-
taire, qui, de Paris, pourrait être adressée à l'Autriche. »
Emile Ollivier, dans son ouvrage VEmpire libéral (t. VI, p. 183),
s'exprime d'une manière plus précise : « Napoléon III, en vertu de
la logique particulière de l'illusion, crut que, si on avait refusé à
l'Angleterre une petite action, on lui en accorderait à lui une grande.
Il pria l'ambassadeur autrichien Metternich de se rendre à Vienne;
il lui remit une lettre et un formulaire pour François-Joseph'. Il
proposait de constituer une Pologne indépendante accrue de la Gali-
cie, à la tète de laquelle on placerait un archiduc autrichien. De son
côté, l'Autriche consentirait à la cession de la Vénétie moyennant
une large compensation sur le hltoral adrialique ou sur le Danube.
1. Ces deux pièces manquent aux Archives d'État de Vienne.
68 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Toute divergence cessant ainsi entre les deux gouvernements, ils
noueraient une alliance intime et l'alliance franco-autrichienne suc-
céderait à l'alliance franco-russe. »
Je me réserve de traiter la question tout entière dans le tome IX
de mon Histoire de l'Europe de 1815 à 1871. Qu'il me soit per-
mis, en attendant, de communiquer ici quelques documents tirés
des archives d'État de Vienne. Grâce à l'administration libérale de
ces archives, j'y ai pu continuer mes recherches. La correspondance
du prince de Metternich avec son chef, le comte de Rechberg, con-
firme dans ses traits essentiels le récit d'Emile Ollivier. Peut-être la
partie la plus intéressante des dépêches du prince de Metternich est-
elle l'exposé du rôle actif que joua l'impératrice Eugénie pendant
ces négociations. Fille fidèle de l'Église catholique, l'impératrice
avait les sympathies les plus ferventes pour la cause polonaise;
elle la considérait à la fois comme pouvant devenir le point de départ
d'une alliance franco-autrichienne et d'un remaniement de la carte
de l'Europe. C'est ce qui résulte du rapport suivant envoyé par le
prince de Metternich :
Paris, 22 février 1863.
Monsieur le Comte,
J'ai eu hier une conversation de trois heures avec l'Impératrice au
sujet de la Pologne et je me félicite d'avoir eu cette occasion de devan-
cer en quelque sorte ce qui forme l'objet de votre télégramme de ce
matin.
L'Impératrice m'a annoncé que, vu la tournure que prenaient les
choses, l'Empereur n'était plus préoccupé que de l'entente entre l'Au-
triche, la France et l'Angleterre, entente qui peut amener la solution de
toutes les affaires, la consolidation de sa dynastie et le bonheur du
monde. Il se réserve, me dit-elle, de me parler franchement de tout
cela lorsque le moment serait venu. Elle voulait, disait-elle, jeter son
bonnet par-dessus les moulins et me dire tout ce qu'elle pensait. Je la
prendrais pour une folle si je voulais; mais, comme elle était sûre que
d'elle à moi cela ne porterait pas à conséquence, elle voulait devan-
cer l'Empereur et aller de suite beaucoup plus loin que lui.
Je lui dis que j'étais prêt à l'écouter, puisque je n'étais destiné qu'à
entendre des rêveries politiques sans conséquence, comme toutes les
pérégrinations auxquelles elle m'avait déjà fait assister.
L'Impératrice me répondit : « Je sais que votre Empereur vous écoute
et vous aime; faites-lui connaître le fond de notre sac. Il en fera ce
qu'il voudra; mais du moins il rendra justice à la franchise d'une femme
qui est naturellement plus fantasque que les hommes, mais qui a trop
à cœur l'intérêt de son pays adoptif, de son époux et de son fils pour
se risquer de mentir en parlant de l'avenir. »
Je me suis permis d'observer à Sa Majesté que je ne méritais pas les
assurances flatteuses qu'elle me donnait, mais que dans tous les cas
l'insorrectiqn poloihaise de 1863. 69
je croyais pouvoir répéter tout ce qu'elle me disait sans crainte de
mécontenter mou souverain maître. « Vous savez du reste, Madame »,
ajoutai-je, « que, si réellement vous trahissez tous vos secrets, c'est là
un fait d'une importance telle que vos plaips, fussent-ils le renverse-
ment du monde, leur révélation aura un prix inestimable pour ceux
auxquels vous voudrez bien les confier, car au moins serons-nous aver-
tis. »
L'Impératrice me dit en souriant : « Pour vous faire comprendre ce
que je voudrais, l'idéal de ma politique, il faut que nous prenions la
carte! »
J'avoue que ma curiosité fut piquée au plus haut degré de la per-
spective de voyager avec l'Impératrice à travers une carte bien souvent
parcourue par le couple impérial.
Sa Majesté prit l'atlas de Le Sage et m'expliqua pendant plus d'une
heure le plan utopique, mais très curieux, qui l'enthousiasme.
Je ne saurais suivre dans tous les détails la pérégrination à vol d'oi-
seau (quel vol et quel oiseau!) de l'Impératrice et j'en arrive de suite
à ce qui m'a paru être le but positif, l'arrangement décisif auquel on
s'arrêterait une fois lancé dans les remaniements. Je procède par la
désignation des puissances.
Russie. Refoulée en Orient et maigrement rétribuée de la perte de
la Pologne et des provinces qui en fesaient partie par une compensa-
tion dans la Turquie d'Asie.
Pologne. Reconstituée avec un archiduc comme roi, si nous voulons,
mais encore mieux avec le roi de Saxe, reprenant ses droits dynastiques
en compensation de la cession de son royaume à la Prusse.
Prusse. Céderait la Posnanie à la Pologne, la Silésie à l'Autriche
et la rive gauche du Rhin à la France, mais obtiendrait la Saxe, le
Hanovre et les duchés au nord du Mein.
Autriche. Céderait la Vénétie au Piémont, une partie de la Galli-
cie (Lemberg et Cracovie) à la Pologne; prendrait une longue ligne de
nouvelles frontières à travers la Servie le long de l'Adriatique, la
Silésie et tout ce qu'elle voudrait au sud du Mein.
France. Ne céderait rien! mais prendrait la rive gauche du Rhin,
respectant la Belgique à cause de l'Angleterre, à moins que cette puis-
sance ne lui laisse Bruxelles et Ostende, etc., etc., pour prendre Anvers.
Italie. Le Piémont aurait la Lombardie, là Vénétie, la Toscane,
Parme, Plaisance. Bologne et Ferrare, mais restituerait les deux
Siciles au roi de Naples qui arrondirait le Pape.
Turquie. Supprimée pour cause d'utilité publique et de moralité
chrétienne, se laisserait partager en cédant ses positions d'Asie à la
Russie, la ligne de l'Adriatique à l'Autriche, la Thessalie, l'Albanie et
Constantinople à la Grèce, les principautés comme une enclave indé-
pendante à un prince du pays.
Les rois et les princes dépossédés en Europe iraient civiliser et
monarchiser les belles républiques américaines, qui toutes suivraient
l'exemple du Mexique.
70 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Voilà le plan de l'Impératrice et je vous prie, Monsieur le Comte,
de vouloir bien ne pas le considérer comme une plaisanterie; je crois
l'Impératrice et même l'Empereur très convaincus de la possibilité et
de la nécessité de le réaliser une fois.
Mettons de côté ces phantasmagories napoléoniennes et permettez-
moi d'examiner sérieusement la situation au point de vue de nos inté-
rêts réels.
Mon instinct me dit qu'en usant de la sagesse et de l'habileté qui a
présidé depuis trois ans à notre politique, nous pourrions profiter de
nos avantages, ne fût-ce que pour amener l'Empereur à s'engager
envers nous dans la question d'Orient. Pour y arriver il n'y aurait, je
pense, qu'à laisser venir les événements et les avances que nous fera
l'Empereur; là où noiis pourrons faire cause commune nous pouvons
demander un engagement.
Je suis curieux de savoir si l'Angleterre entrera dans les idées de
l'empereur Napoléon?
Il est possible et désirable même que nous trouvions dans le cabi-
net de Londres un auxiliaire précieux pour modérer la marche des
manifestations diplomatiques à notre guise. Je suis charmé que nous
ne soyons pas en tête à tête pour le moment, et j'encourage de tous
mes efforts l'idée de l'entente à trois, parce que je prévois que la poli-
tique anglaise pourra nous être d'un grand secours.
Les dangers sont grands et les difficultés que nous aurons à sur-
monter sont immenses ; mais je ne sais ce qui me dit que nous réussi-
rons à mener au port notre barque, si tourmentée par les orages depuis
quelques années.
La personnalité qui dirige la politique française aujourd'hui me
paraît constituer une garantie réelle dans ces circonstances.
M. Drouyn de Lhuys est, en fait de principe, aussi correct que pos-
sible. — Son désir de s'allier avec nous ne date pas d'hier. — La copie
ci-jointe d'un rapport de M. Lightenvelt de l'année 1855, qui emprunte
aux circonstances présentes un caractère d'actualité remarquable, en
fait foi * .
Si nous voulons commencer à obtenir dès aujourd'hui quelque avan-
tage en Orient, il faudrait, je crois, tâcher dès à présent à demander
que l'influence française à Belgrade et à Bukareste se mette un peu
à notre service; il faudrait que M. Drouyn de Lhuys fasse com-
prendre aux princes Couze et Michel que nous sommes appelés à les
prendre en tutelle, comme étant le voisin le plus intéressé, et tâcher
d'éloigner les éléments révolutionnaires.
Agréez, Monsieur le Comte, l'hommage de mon respect.
Metternich.
1. Annexe : copie d'un rapport très secret de M. de Lighlenveld, ministre
des Pays-Bas, à M. van Hall, ministre des Affaires étrangères, en date de
Paris 4 juin 1855 (concernant des négociations pendant la guerre de Crimée et le
rôle de Drouyn de Lhuys).
^'insurrection polonaise de 1863. 71
Le comte de Rechberg engagea 'le prince de Metternich à ne pas
s'engager, sans cependant rompre le fil des négociations entamées
avec l'Empereur. Mais l'impatience de l'impératrice gênait beaucoup
l'ambassadeur de l'Autriche, qui se trouvait, dit-il, sur un sol vol-
canique (rapport « très secret » du 5 mars). C'est alors qu'il fit par-
venir au comte de Rechberg la copie d'une lettre très caractéristique
que l'impératrice lui avait adressée après une conversation relative
à la question de la Pologne et d'une alliance franco-autrichienne.
Copie d'une lettre de S. M. l'Impératrice Eugénie
au prince de Metternich.
Palais des Tuileries, 2 mars 1863.
Mon cher prince, notre conversation a été si décousue et si peu pré-
cise, qu'il m'en est resté à peine quelques phrases à répéter; une
autre fois nous commencerons, si vous le voulez bien, par les faits
divers, afin de conserver la mémoire toute fraîche pour les choses qui
peuvent avoir de l'importance.
En somme, je ne vois rien d'encourageant, et je crains bien que la
montagne n'accouche d'une souris morte et voilà tout.
Je conçois fort bien que vous trouviez la furia francese en dehors
de vos habitudes, qu'elle vous efîraie et même que vous aimiez mieux
l'abstention qu'une décision rapide. Mais plus j'y pense, plus je me
demande par quel bout on relèvera le fil si on le laisse choir. Si l'ordre
est rétabli en Pologne, si l'insurrection épuisée et abandonnée à ses
propres forces est comprimée, comment ferez-vous pour remettre la
question sur le tapis? On vous répondra avec raison : « Nous sommes
assez forts chez nous pour remettre l'ordre et assez maîtres pour ne
recevoir de conseils de personne. » Les circonstances ont sûrement
fait surgir cette question dans un moment où chacun avait besoin de
repos et on s'était tacitement promis d'écarter toute question propre à
susciter des embarras. Mais elle existe aujourd'hui. La renvoyer à
une autre époque n'est-ce pas courir le risque de perdre l'occasion;
enfin, si vous vous abstenez de toute action commune, où se trouvera
le point de contact qui doit cimenter notre union? — Voilà ce que je
me demande depuis votre départ et j'avoue qu'il m'est impossible de
me répondre. Voyages autour du monde, rêves et chimères, voilà
ce qu'il restera : un train de plaisir parti trop tôt et un autre parti
trop tard sans station intermédiaire et sans point de jonction. Et
pourtant quand on pense à tout ce qu'il y a de grand, de pratique
même, à ce rêve éveillé (jue nou^ avons fait ensemble, il me prend
envie de pleurer et de me casser la tête contre le mur. Etre incapable
de faire passer la conviction qu'on a, et qu'on s'explique si bien à soi-
même, dans la tête d'un autre, c'est bien triste; vous me répondez que
c'est une affaire de tempérament, mais comment y changer quelque
chose? — Si les événements pouvaient participer de uofre nature, je
serais bien tranquille, on aurait le temps de tout mener de front; mais.
72 MÉLANGES ET DOCOMENTS.
hélas! ils vont même plus vite que moi et c'est tout dire. Nous disions
l'autre jour que votre pays avait un bonheur à toute épreuve. Fautes
entassées sur fautes ont souvent et je dirai toujours été réparées par
une providence qui veille sur vous. Le bontieur vient en dormant,
dit le proverbe; mais un autre dit ; aide-toi et le ciel t'aidera. Quel
avenir de grandeur se présente à vos yeux, et dire que vous n'étendrez
pas la main pour la prendre, ou que vous le ferez trop tard... Pour
ceux qui rêvent comme moi une alliance sincère et durable avec
vous, où chacun mettra de sa part; une part dans les sacrifices comme
dans les avantages, j'avoue qu'il en coûte d'y renoncer. Une autre
chose ressort de ce que vous me dites : vous dites que, si on veut vous
séduire, il faut un appât plus puissant. D'abord n'en est-ce pas un
immense que d'être complètement identifié avec nous dans la question
allemande, sauf quelques détails dont nous voudrions au moins la dis-
cussion; et, si on vous demande des sacrifices, n'est-ce pas toujours
avec des compensations? Comme une maison de banque, vous pour-
rez faire votre livre en partie double des sorties et des rentrées. Vous
me dites trop impatiente et c'est vrai, mais c'est qu'une entente avec
vous a toujours été ce que j'ai le pias désiré. Le mariage d'inclina-
tion c'est uous; ne nous faites pas faire un mariage de raison. Mais
si vous me disiez de préciser, je ne saurais trop le dire; ce que j'ai peur
de perdre, c'est l'occasion. — Vous êtes plus près des événements
et vous pouvez même juger le développement qu'ils prendront. —
Mais surtout précisons, c'est ce qui est le plus pratique. Au fond, j'ai
relu ma lettre et je ne sais pas si elle a une raison d'être; je crois que
c'est par habitude que je reparle de l'affaire; mais surtout gardez-la
pour vous, je ne veux pas décidément faire partie d'un conte de fée
ou des mille et une nuits. — Nous avons de bonnes nouvelles du
Mexique; à cette heure ils doivent être devant Puebla. — Le chemin
de fer avance et avant la terrible époque pourra nous faire franchir
les terres chaudes. Je suis donc d'une humeur charmante. A ce soir.
Mes amitiés à la Princesse et surtout gardez ma lettre pour vous, j'ai
peur de vos principes; elle a un parfum révolutionnaire, qui me per-
drait aux yeux de Vienne, tandis que mon S"" Benito Espagnol me
donne une bien mauvaise note ici'. Je ne suis ni l'un ni l'autre. —
Mais si c'est un rêve, rêvons, il n'y a pas de mal.
Croyez à tous mes sentiments.
Eugénie.
Au cours de ces négociations avec l'Empereur et avec Drouyn de
Lhuys, le prince de Metternich élabora un « projet d'entente
secrète ». Il y était dit en termes généraux : « Les gouvernements
de la France comprennent aujourd'hui la nécessité d'entrer dans les
plus confiantes communications sur la combinaison de leurs efforts
dans le double but qu'elles se proposent, se réservant, s'il y a lieu;
1, Je ne suis pas capable d'éclaircir cette allusion.
l'insorrectio.n polonaise de 1863. 73
de donner à leur action commune la garantie d'une alliance offen-
sive, et défensive dont les stipulations seraient arrêtées d'un commun
accord. » L'impératrice, à laquelle il avait confié la papier, l'ap-
prouva, en changeant quelques mots (copie d'une lettre de Sa
Majesté l'impératrice Eugénie adressée au prince de Metternich,
8 mars 1863). Elle apprit avec beaucoup de plaisir que le prince de
Metternich était mandé de se rendre à Vienne; ses souhaits l'accom-
pagnaient pendant son voyage.
Le résultat de ce voyage fut, comme on sait, négatif. Ni l'empe-
reur François-Joseph, ni ses ministres n'étaient disposés à « se jeter
dans des entreprises oîi les risques étaient certains et les avantages
problématiques »'. L'Autriche s'associa en effet à la France et à
l'Angleterre dans la campagne diplomatique infructueuse en faveur
de la Pologne contre la Russie. Mais le projet d'une alliance franco-
autrichienne, fondée sur la cession de deux provinces d'Autriche
et sur la promesse de compensations incertaines, s'évanouit. On
resta fidèle à Vienne aux principes d'une politique conservatrice. En
tout cas, si l'insurrection polonaise devait faire naître des complica-
tions dans un avenir prochain, on voulait demander des garanties
pour la possession de la Gahcie^. L'impératrice Eugénie fut très
mécontente de la conduite de l'Autriche. Quand l'empereur Napo-
léon essaya de se tirer d'embarras en évoquant de nouveau une de
ses idées fixes, le Congrès, l'impératrice donna à entendre au prince
de Metternich que l'Autriche n'avait aucun droit de se sentir bles-
sée par cet appel à l'Europe. Elle reprocha au gouvernement de
l'empereur François-Joseph d'avoir laissé le gouvernement français
« pendant cinq mois » dans l'incertitude la plus profonde et d'avoir
refusé les propositions loyales de son époux ^. Cependant, elle ne
fit pas peser les suites de son mécontentement sur l'ambassadeur
autrichien. Au contraire, ses relations personnelles avec le prince
et la princesse de Metternich devinrent plus étroites d'année en
année.
Alfred Stern.
1. Lettre particulière de Rechberg à Drouyn de Lhuys, '21 mars 1863. Pièces
relatives au voyage du prince de Metternich à Vienne en mars 1863 {Archives
d'Étal de Vienne).
2. Sclililter : Die Frage der Wiederherslelhing Polens (Oestcrreichische
Rundschau, vol. LVIII, p. 63 et suiv., 1919). Kozniian : Das Jahr 1863. Polen
und die europilische Diplomatie. Vienne, 1896, p. 300 et suiv.
3. Copie d'une lettre de l'impératrice Eugénie au prince de Metternich. Com-
piègne, 13 novembre 1863. .\nnexe à la lettre particulière du prince de Metter-
nich au comte de Kechberg.
BULLETIN HISTORIQUE
LA LITTERATURE HISTORIQUE DES SYRIENS.
L'histoire est une des branches les plus importantes de la littéra-
ture syriaque. Les documents que cette littérature offre aux érudits
sont de deux sortes : des chroniques ou histoires générales, et une
longue série de biographies, de monographies, de documents hagio-
graphiques, qui constituent une mine abondante d'où l'on peut, avec
une sage critique, tirer des matériaux de valeur. Nous ne parlerons
ici que de l'histoire proprement dite.
Presque tous les manuscrits syriaques renfermant des ouvrages
historiques ont été publiés, les uns intégralement, les autres par
fractions, quelques-uns sans traduction et parfois sans tables. Ce
sera un des avantages du Corpus Scriiotorum Christianorum
Orientalium* de présenter, dans une série de volumes uniformes,
le texte intégral et la traduction latine^ de tous ces documents. Un
index général doit terminer la série et coordonner les éléments par-
fois disparates et présentés avec cette absence d'ordre et de méthode
qui caractérise les écrivains orientaux. En passant rapidement en
revue la Ijste des ouvrages historiques dans l'ordre même où ils
doivent être publiés par le Coyyus (Scriptores Syri, séries III),
nous indiquerons ce qui a déjà été réuni dans cette collection et dans
quels ouvrages on peut consulter les historiens qui n'y figurent pas
encore.
1. Chronique du pseudo-Denys de Tellmahré. — Ouvrage
anonyme qu'Assémani avait attribué à Denys de Tellmahré. Il est
conservé dans un ms. unique de la bibliothèque Vaticane. Il va des
origines du monde à l'an 775; il est divisé en quatre parties. La
première, qui s'arrête à Constantin, a pour source principale la
Clironique d'Eusèbe de Césarée; l'auteur y ajoute divers emprunts
faits à des écrits syriens d'un caractère légendaire. Cette partie a été
1. Corpus Scriptorum Christianorum Onentoitw w, edilum consilio Univer-
sitatis catholicse Araericanœ et Univ. cath. Lovaniensis, curantibus J.-B. Cha-
bot, H. Hyver'nat, I. Guidi, I Forget (Gabalda, éditeur; paraît depuis 1903).
2. La traduction de chaque ouvrage est imprimée à part pour l'usage dés
personnes qui n'ont pas besoin de consulter les textes originaux.
I
LA LITTERATURE HISTORIQUE DES SYRIENS. io
éditée sans traduction par Tullberg^ La seconde partie, compre-
nant la période ide Constantin à Théodore le Jeune, est presque
entièrement tirée de Socrate. Elle est inédite^. La troisième, qui
s'arrête à Justin II, reproduit presque entièrement la seconde sec-
tion, aujourd'hui perdue, de l'histoire de Jean d'Asie, complétée
par d'importants documents. Un de ceux-ci, publié à part sous le
titre de Chronique de Josué le Stylite^, est le récit le plus exact
et le plus développé qu'on ait sur les guerres d'Anastase I" et de
Cawad. La quatrième partie, éditée et traduite en français*, ren-
ferme de nombreuses données historiques, surtout pour l'époque de
la domination arabe. Je me suis procuré une photographie du ms.
en vue d'une édition complète dans le CoryvLS.
2. Histoire ecclésiastique de Jean d'Asie. — Jean, originaire
d'Amid, évèque monophysite d'Éphèse, mourut vers 588. Son
ouvrage fournit des renseignements précieux et inconnus par ail-
leurs sur les événements pohtiques et religieux survenus sous les
règnes de Justinien I" et de Justin II. Les deux premières parties
s'étendaient depuis Jules César jusqu'à l'an 572. Nous n'en possé-
dons plus que les longs extraits insérés dans la Chronique du
pseudo-Denys et les fragments recueillis par Land^ dans les mss.
du British Muséum. La troisième partie va de 572 à 585. Elle sub-
siste , avec quelques légères lacunes , dans un ms. du British
Muséum qui a été publié par CurEton^ et traduit par Payne-
Smith (Oxford, 1860) et par Schoenfelder (Munich, 1862).
3. Chronica Minolta. — Sous ce titre, le Corpus a réuni une
série de petites chroniques et de fragments en partie déjà édités et
traduits, mais dispersés dans diverses revues, ou bien en partie iné-
dits^. Ce sont :
a) Chronicon Edessenum, ainsi appelé du lieu où il fut rédigé
1. Diomjsii Telmahharensis Chronici liber primus (Upsal, 1851).
2. Cf. Nau, Analyse des parties inédiles de la chronique attribuée à Denys
de Tellmahré [Rev. de l'Orient cfirélien, 1897).
3. P. Martin, Chronique de Josué le Stylite (Leipzig, 1876); W. Wright,
Clirunicle of Jos/tua Ihe Stylite (Cambridge, 1882).
4. J.-B. Chabot, Chronique de Denys de Tellmahré, 4* partie (Paris,
18'.)5).
5. Anecdola syriaca, t. II (Leyde, 1868).
6. The third part of Ihe ecclesiastical history of John bisliop of Ephesus
(Oxford, 1853).
7. T. IV. Chronica Minora (fasc. I, edidit et intcrjir. I. Guidi; fa.sc. 2, edi-
dil E. W. Brooks, interpr. J.-B. Chabot; fasc. 3, ediderunt et interprétât! sunt
Brooks, Guidi, Chabot).
76 BULLETIN HISTOEIQUE.
dans la seconde moitié du vi^ siècle, sur des documents antérieurs,
avec une admirable précision.
b} Chronicon anonymum de ultimis regihus Persarum, qui
va de la mort d'Hormfzd IV (590) jusqu'à la fin du royaume des
Sassanides. Ecrit vers 680.
c) Chronicon Maroniticum, composé vers la fin du vii^ siècle
par un maronite ; les derniers fragments s'arrêtent à l'an 664.
d) Fragment relatif à la conquête de la Syrie par les Arabes, qui
fixe au 20 août 636 la célèbre bataille du Yarmouk.
e) Chronicon Miscellaneum (appelé par Land « Liber Chali-
pharum »), compilation faite sous le règne du calife Hischam (724-
743) à l'aide de quatre séries de documents qui vont, la première
jusqu'en 640, la seconde jusqu'en 570, la troisième jusqu'en 636,
la dernière jusqu'en 529.
f) Chronicon anonymum ad annum 8k6 pertinens, qui
parait reproduire et compléter une chronique antérieure s'arrêtant
à l'année 795.
g) Fragmenta chronici anonymi, qui vont de 754 à 813.
h) Chronicon Jacobi Edesseni.
i) Enfin, une série de six courtes notices, de médiocre intérêt,
intitulées : Narrationes varise (relatives au ix" siècle) ; Expositio
generationum, familiarum et annorum; Descriptio populd-
rum et plagarum; De familiis linguarum; Pseudo-Dioclis
fragmentum (du ix^ siècle) ; Documentum nestorianum (écrit
à tendances polémiques) .
4. Histoire ecclésiastique de Zacharie le Rhéteur. — La
compilation connue sous ce titre a été rédigée, à la fin du vi* siècle,
en partie avec des sources grecques (notamment avec les écrits de
Zacharie de Mytilène, d'oîi vient le nom qu'on lui a donné), en par-
tie avec des documents d'origine syriaque. Elle se rapporte aux
événements du v^ et du vi^ siècle qui concernent les églises mono-
physites de Syrie et d'Egypte, et elle sert de complément aux
ouvrages de Jean d'Asie. Le texte publié d'abord par Land ^ a été tra-
duit en anglais^, et partiellement en allemand^. M. Brooks en donne
dans le Corpus^ une nouvelle recension sensiblement améliorée.
1. Anecdota syriaca, t. III (Leyde, 1870).
2. Hamilton and Brooks, Tfie Syriac Chronicle known as ihat of Zachariah
of Mitylene (Londres, 1899).
3. Krûger und Ahrens, Die sogenannte Kirchengeschichte des Zacharias
Rhelor (Leipzig, 1899).
4. T. V et VI. Historia ecclesiastica Zachariae Rhetori vulgo adsa-ipta.
Texte seul publié. La traduction latine va être mise à l'impression:
LA LITTÉBATDRE HISTORIQUE DES SYRIENS. 77
5. Chronique de Jacques d'Édesse. — Jacques, évêque
d'Édesse, mort en 708, fut l'écrivain syrien le plus actif et le plus
érudit du vu*' siècle. Il s'était proposé, dans sa Chronique, de con-
tinuer celle d'Eusèbe de Césarée; son œuvre allait jusqu'à l'an 706.
Elle comprenait deux parties répondant aux deux, sections du Chro-
iiicon d'Eusèbe. Malheureusement, l'unique ms. (du x*" siècle) qui
l'a conservée nous est parvenu fort mutilé. Il s'arrête à l'an 631.
Tout ce qui reste de cette Chronique a été édité et traduit, en con-
servant fidèlement la disposition compliquée de l'original , par
M. Brooks dans les Chronica Minora.
6. Chronique anonyme de l'an 819. — Ce bref document,
découvert en 1911 dans le Tourabdin par le Rev. A. Barsaum
(maintenant évêque syrien de Damas), est une des sources de la
Chronique de l'an 846 publiée dans les Chronica Minolta. Le ms.
est du ix^ siècle. Nous avons probablement la rédaction autographe
de l'auteur. L'ouvrage est publié en tête du premier volume de la
Chronique de 1234 (ci-après, n° 10).
7. Chronique de Denys de Tellmahi^é. — Denys fut patriarche
jacobite d'Antioche de 818 à 845. Son ouvrage était divisé en deux
sections, comprenant chacune huit livres partagés en chapitres; il
s'étendait de l'avènement de Mauricius, empereur de Constantinople
(582), à la mort de Théophile (844). No'us savons cela par Michel le
Syrien. Du texte même de l'auteur, nous ne possédons plus qu'un
fragment égaré dans un ms. de la Vaticane* ; mais Michel y a fait
de très larges emprunts et paraît l'avoir résumé en entier. L'auteur
de la Chronique de l'an 1234 (ci-dessous, n" 10) l'a également utilisé.
Les derniers chapitres, transcrits à peu près intégralement par ces
écrivains, forment une intéressante autobiographie du patriarche.
8. Chronique d'Élie de Nisibe. — Cet ouvrage est le seul traité
développé d'histoire générale que nous aient laissé les écrivains
syriens appartenant à l'église nestorienne; ils ont, par contre, écrit
beaucoup plus de monographies et d'histoires particulières que les
Jacobites. La première partie de l'œuvre d'Élie est une véritable chro-
nique, ayant l'avantage d'indiquer toutes ses sources année par
année. La seconde partie est une sorte de « Doctrina temporum »
traitant des ères et des calendriers des différentes nations. Le texte
syriaque est accompagné d'une traduction arabe faite par l'auteur
lui-même. Le ms. unique de cet ouvrage est contemporain de sa
rédaction. 11 comporte malheureusement de grandes lacunes dans
1. Assémani, Bibliotheca orientalis, t. II, p. 72-77.
78 BDLLETIN HISTORIQUE.
la première section. Tout ce qui en subsiste, y compris la version
arabe de la première section, a été publié dans le Corpus avec tra-
duction'. Les nombreux tableaux chronologiques ont été reproduits
typographiquement en caractères syriaques avec une prodigieuse
habileté.
9. Chronique de Michel le Syrien. — Œuvre du patriarche
jacobite Michel (1166-1199), cette Chronique est la plus vaste com-
pilation historique que nous ont laissée les Syriens. Elle commence
è l'origine du monde et s'arrête à 1196. L'auteur y résume presque
toutes les chroniques dont nous venons de parler; il nous fait en
outre connaître un certain nombre d'ouvrages qui ne nous sont pas
parvenus. Il donne, comme nous l'avons dit, de longs extraits de
Denys de Tellmahré, et aussi d'autres chroniqueurs plus récents,
comme Ignace de Mélitène et Basile d'Edesse, qui ne sont pas men-
tionnés ailleurs^. Michel a pour nous l'avantage de citer ses
sources. Inspiré par les exemples d'Eusèbe et de Jacques d'Edesse,
il a essayé d'abord de disposer son texte par sections chronolo-
giques ; mais l'étendue des chapitres l'a contraint à y renoncer ; en
règle générale, chaque page est partagée en trois colonnes : celle du
milieu donne la succession des empires et l'histoire profane; la
colonne extérieure présente la succession des patriarches et l'histoire
ecclésiastique; la colonne intérieure narre certains événements par-
ticuliers (éclipses, tremblements de terre, etc.). Les canons chrono-
logiques, rédigés à l'instar de ceux d'Eusèbe, sont rejetés au bas des
pages. Cette disposition compliquée nuit parfois à l'enchaînement
logique des faits. Mais l'abondance des renseignements compense
largement les défauts de la méthode. Il n'est peut-être pas inutile
d'indiquer que l'ouvrage arménien publié sous le nom de Chro-
nique de Michel, traduit en français par V. Langlois^, en partie
reproduit dans les Historiens arméniens des Croisades (t. I),
n'est qu'une adaptation tendancieuse et fort abrégée dont on ne
peut plus faire usage sans se reporter au texte primitif.
10. Chronique anonyme de l'an i23k. — L'unique ms. qui
contient ce document a été découvert à Constantinople en 1899 par
1. T. VII et VIII. Elias Nisibénus, Opus vhronologicum, pars I, edidit et
inlerpr. E. W. Brooks; pars II, edidit et interpr. J.-B. Chabot.
2. Chronique de Michel le Stjrien, éditée pour la première fois et traduite
en français par J.-B. Chabot, 4 vol. in-4° (Paris, Leroux, 1899-1910). Un der-
nier fascicule, comprenant l'introduction et les tables, est sous presse.
3. Chronique de Michel le Grand (Paris, 1866). Le texte arménien a eu
deux éditions, d'après deux recensions un peu différentes (Jérusalem, 1869,
1870).
LA LITTÉRATURE HISTORIQUE DES SYRIENS. 79
le patriarche Rahmani, qui en a publié le début en 1904. L'auteur
écrivait en Syrie au commencement du xiii* siècle. Il termina son
travail en 1204; la suite fut ajoutée par lui-même. La Chronique
est partagée en deux sections : histoire profane et histoire ecclésias-
tique ; cette seconde section est fort mutilée ; elle apporte néanmoins
d'utiles compléments à la Chronique de Michel et permet de com-
bler quelques lacunes dans les derniers chapitres de celui-ci. Le
moine syrien qui rédigea cette compilation paraît avoir eu à sa
disposition les mêmes ouvrages que Michel, mais il semble biep les
avoir utilisés directement et non par l'intermédiaire de ce dernier.
Le texte intégral a été publié dans le Cotyus, qui ne tardera pas à
en donner la traduction ' .
It. Chronique de Barhébréus. — ■ C'est le plus connu des
ouvrages historiques composés par les Syriens, à cause des longs
emprunts que lui a faits Assémani dans sa Bibliotheca orienta-
lis, et parce qu'il a été des premiers publiés. L'auteur, métropoli-
tain des diocèses jacobites orientaux (Babylonie et Perse), est mort
en 1286. L'ouvrage est, comme le précédent, divisé en deux parties :
Chronicon syriacum, ou histoire profane^, et Chronicon eccle-
siasticum. Ce dernier est lui-même partagé en deux sections; la
première retrace l'histoire de l'Église syrienne occidentale et des
patriarches d'Antioche : elle a été continuée d'abord par son frère,
et ensuite par un auteur anonyme, jusqu'en 1495; la seconde sec-
tion, consacrée à l'Église syrienne orientale, renferme l'histoire des
patriarches nesto riens et des « maphriens » ou métropolitains jaco-
bites de Tagrit. Dans la Chronique profane et dans la première sec-
tion de la Chronique ecclésiastique, pour toute la période antérieure à
Michel le Syrien, Barhébréus n'a guère fait que résumer cet auteur,
en essayant de disposer les faits plus méthodiquement. Pour la der-
nière partie de son œuvre, il a puisé aux archives de son siège épis-
copal et utilisé le Livre de la Tour, ouvrage théologico-historique
écrit en arabe par Mari ibn Soleiman, auteur nestorien du xii* siècle.
La Chronique profane a eu deux éditions : la première laisse beau-
coup à désirer et la traduction est souvent fautive'; la seconde^ n'a
1. T. XIV-XV. Auctoris anonymi Chronicon ad annuyn Chrisli 123i perti-
nens, edidit J.-B. Chabot (Praemissuin est Chronicon ad ann. 819 perlinens,
cur. A. Barsaum).
2. Barhébréus a donné lui-même un abrégé en arabe de cette première par-
tie, qui a été édité et traduit par Pocock, ïlystorinm compendiosam dynas-
tiarum, authore Gregorio Abul-Pharagio (Oxford, 1663).
3. Bar Ilebraei Chronicon syriacum..., publié et traduit en latin par
P.-J. Bruns et G.-G. Kirsch (Leipzig, 1789).
4. Imprimée à Leipzig par les soins de P. Bedjan (1890). ,
80 BULLETIN HISTORIQUE.
pas de traduction, mais présente un texte plus correct. La Chro-
nique ecclésiastique a été copieusement annotée par ses éditeurs • .
Grâce aux nouvelles découvertes, et surtout à la Chronique de
Michel, le Corpus pourra donner de l'œuvre complète une édition
entièrement satisfaisante.
J.-B. Chabot,
membre de l'Institut.
HISTOIRE DE FRANCE
ÉPOQUE MODERNE JDSQU'eN 1660.
Généralités. — Quel ancien étudiant ne sait tout ce que l'his-
toire des institutions mérovingiennes doit aux formulaires? Sans
avoir la même importance pour l'histoire moderne, les formules de
lettres n'y sont pas à négUger. M. Eugène Griselle a donc bien
fait de nous donner, d'après trois manuscrits de la bibhothèque de
l'Institut, des formulaires relatifs en faible partie à François I" et
aux derniers Valois, davantage à Henri IV et surtout à Louis XIII,
quelque peu à la minorité de Louis XIV 2. On y trouvera des for-
mules de lettres de et à ces princes, mais aussi de et à d'importants
personnages. Quelquefois les lettres, en raison de l'intérêt qu'elles
éveillaient (par exemple les lettres des infidèles), ont été reproduites
presque en entier^. A ce précieux répertoire, M. GriseLle a joint un
Estât et gouvernement de la. France en 1642, où l'on trouvera,
en dehors de l'exposé classique des prérogatives de la couronne, une
liste des charges, sorte d'almanach royal, avec des détails sur leurs
titulaires ^
Dans VHistoire universelle du travail qu'il dirige, M. Georges
Renard, avec la collaboration de M. Weulersse, pubMe le volume
relatif aux temps modernes'*. Un seul tome pour la période immense
1. Gregorii Bar Hebraei Chronicon ecclesiasUcum...'f ediderunt J.-B. Abbe-
loos et Th. Lamy (Louvain, 1872).
2. Eugène Griselle, Formtilaire de lettres de François I" à Louis XIV et
état de la France dressé en 16iQ. Paris, Paul Catin, 1919, in-8% 266 p., tables.
3. Il faut lire, je crois, Mo«sulmans et non MoMsulmans. P. 54, pour Dijon,
supprimer la virgule entre vicomte et majeur.
4. Le dernier membre de phrase du premier paragraphe sur le grand Écuyer
(p. 234) semble avoir été ajouté après l'arrestation de Cinq-Mars.
5. G. Renard et G. Weulersse, le Travail dans l'Europe moderne. Paris,
Félix Alcan, 1920, in-8°, 524 p., 29 grav.
HISTOIRE DE FRANCE. 81
et variée qui s'étend « depuis la seconde moitié du xv® siècle jus-
qu'au dernier tiers du xviii* », on avouera que c'est peu et qu'il y a
peut-être, entre les diverses parties de la collection, un certain
manque d'équilibre. A vouloir trop condenser, les auteurs se sont
condamnés, malgré toute leur science spéciale, à ne faire qu'une
œuvre de vulgarisation. Ils sont amenés, malgré toutes les précau-
tions qu'ils prennent, à représenter l'histoire économique de plus de
quatre siècles comme une évolution continue ; ils ne peuvent tenir
compte des régressions, notamment de cette remarquable régression
qui, en France surtout, fait du milieu du xvii* siècle une époque à
maints égards moins avancée que le milieu du xvI^
Le défaut que nous signalons est en grande partie corrigé par la
largeur avec laquelle sont traitées l'introduction et la conclusion. Il
y a là d'excellents tableaux, solidement composés, brossés d'une
main vigoureuse, et l'on ne peut guère songer à y corriger que de
rares détails'.
MM. Renard et Weulersse ont découpé leur vaste matière en sec-
tions géographiques. Ils se sont ainsi interdit tout exposé synchro-
nique. Leurs monographies seront très utiles à consulter et se lisent
même avec agrément. Chacune d'elles se termine par une brève
bibliographie. Les hispanisants leur reprocheront sans doute de
n'avoir tenu compte, pour la péninsule ibérique, que des ouvrages
défavorables au gouvernement des rois catholiques; il fallait au
moins mentionner les récentes tentatives de réhabihlation^. Le cha-
pitre sur les Pays-Bas ne copimence réellement qu'avec la période
espagnole; rien sur la fin de la période flamande-bourguignonne, qui
fut si brillante et si originale. Le mouvement de la Bourse d'Anvers
1. P. 4, il est excessif de dire que les Communes n'ont plus aucun pouvoir
sous les Tudors et que les villes impériales allemandes « sont réduites à l'im-
puissance au début du xvi* siècle » ; c'est la belle époque d'Augsbourg et de
Nuremberg. Il est un peu simpliste de parler, à ces dates, de « la Confédéra-
tion suisse »; on dira plus exactement : « les cantons suisses et leurs confédé-
rés ». P. 12, il faut tenir compte de la production des mines d'Europe qui, jus-
qu'en 1545, balance la production américaine. On ne peut dire : « dans toute l'Eu-
rope occidentale les foires déclinent », au moment où fleurissent celles de Lyon
et de Francfort, sans parler de celles de Gènes et de Médina del Campo. P. 13-14,
il faudrait insister sur la différence non de degré, mais bien de nature, entre la
séparation médiévale des professions et la division du travail, telle qu'elle appa-
raît, par exemple, dans la draperie. Les mots : f Mais cela n'est point assez »,
ne donnent pas l'idée de cette opposition. P. 16, les premières gazettes ont été
des feuilles d'avis et non d'amwnces.
2. P. 48, éviter ces expressions, qui feront frémir tout géographe : « Vasco
de Garaa, ayant remonté la côte orientale de rAfrifjue... » Laissons aux jour-
nalistes de guerre le soin de « remonter la Meuse de Saint-Mihiel à Verdun »
ou l'Escaut de la Lys à la mer!
Rev. IIistor. CXXXVII. I"' fa.sc. G
82 BULLETIN HISTORIQUE.
aurait gagné à être rendu de manière plus vivante. Le chapitre sur
l'Angleterre serait excellent si, comme tout l'ouvrage, il était moins
rapide. On n'y a point le loisir d'admirer comme il conviendrait
l'œuvre immense de Burleigh, œuvre plus malaisée, plus cohérente
et aussi plus efficace que celle même de Colbert^
Une place importante est naturellement réservée à la France, et
c'est surtout ici que nous aurions à regretter l'excessive simplifica-
tion des aperçus et le mélange des dates ^. On passe en deux Hgnes
(p. 202) des négociants bordelais du xviii^ siècle à Claude de Seys-
sel. Les notions sur le rôle du crédit sont des plus vagues (p. 196).
Mais tout ce qui est relatif à la différenciation progressive des classes
sociales et aux progrès de la technique est d'une solide tenue.
Pour l'Italie, on ne tient pas assez compte, parmi les causes de la
déc^ence de Venise, des facteurs politico-militaires dont l'impor-
tance était tout dernièrement mise en lumière par M. Fueter. Le
rôle des foires de Gênes (p. 344), qui sont exclusivement des foires
de paiements, est trop sommairement analysé : Ehrenberg et Strie-
der auraient pu, ici, être utilisés avec plus de profit. Pour le Pié-
mont, il aurait été bon de rappeler que ce pays a vécu sous la domi-
nation française et de se reporter à M. Romier. Trop sommaire
aussi sur l'Allemagne, dont le rôle fut capital dans les dernières
années du xv" et les premières du xvi*" siècle, à la fois pour l'indus-
trie minière, la banque et le commerce d'outre-mer.
L'abondance même de nos critiques témoigne de l'intérêt que
nous avons pris à la lecture de ce volume et de la valeur que nous
lui attribuons.
Le P. Joseph Brucker nous donne un manuel historique de la
Compagnie de Jésus, dont l'érudit ne pourra désormais se passer^.
Sans diminuer en rien le mérite de l'ouvrage de Bœhmer, il faut
reconnaître que seul un jésuite pouvait nous offrir cet exposé, aussi
complet que possible, détaillé sans être encombré, de la vie de la
Compagnie depuis sa création jusqu'à sa dissolution, avec la suite
complète de ses généralats et de ses congrégations générales, avec sa
répartition géographique en « provinces ». On sait que les provinces
1. p. 83, peul-on traduire Steelyard et Stahlhof par « Marché aux fers »?
P. 101, il est tout à fait inexact que « nul ne proteste » contre l'immigration
des ouvriers huguenots, français ou llamands en Angleterre. C'est le contraire
qui est vrai.
2. Les foires de Lyon n'étaient pas des « expositions internationales » comme
il est dit p. 184. P. 204, aucune chronologie.
3. P. Joseph Brucker, la Compagnie He Jésus, esquisse de son Institut et
de son histoire [1521-1113). Paris, Gabriel Beauchesne, 1919, petit in-8%
vii-842 p., index.
niSTOlBE DE FRANCE. 83
de la Compagnie comprennent en dehors de l'Ei^rope des pays aussi
divers et aussi distants que le Japon et le Paraguay, Madagascar el
le Canada. On ne peut se donner le spectacle de celte activité débor-
dante — même si l'on fait la part des exagérations des missionnaires
et du mirage trompeur des statistiques de catéchumènes — sans
éprouver l'impression d'une véritable grandeur. Avant môme la
mort d'Ignace, la Compagnie est une puissance universelle ; au
moment où elle va être frappée par Clément XIV, elle est une des
grandes puissances du monde, travaillant non seulement à l'édifica-
tion des âmes, mais à l'instruction des esprits et même au progrès
des sciences positives.
Le P. Brucker donne de cette prodigieuse histoire un résumé
relativement objectif. Rien, chez lui, qui rappelle la naïveté critique
et les allures d'énergumène de tel historien d'une des provinces ou
d'un groupe de provinces de la Société. Le P. Brucker s'est donné
pour but d'être pris au sérieux même par les adversaires des Jésuites
ou les simples incroyants. Cependant, il était difficile à un jésuite
d'écrire autrement que dans le style des « lettres édifiantes », style
aussi agaçant, en son genre, que celui de Chanaan. Ce qui est plus
grave, c'est qu'en ce volume compact, les Jésuites ont toujours rai-
son ; les très rares fautes individuelles qu'on veut bien reconnaître
— et encore à titre d'hypothèse — n'engagent jamais la responsabi-
lité de l'Institut. Corps purement religieux, la Compagnie, à en
croire son historiographe, ne s'est jamais occupée des affaires du
siècle. Elle n'est en rien, ou à peine, mêlée aux troubles de la Ligue ;
elle se lave les mains du sang des victimes de la Saint-Barlhélemy ;
ni elle ni ses membres n'ont été compromis dans aucune tentative
de régicide. C'est à son corps défendant qu'elle a fourni aux rois et
aux grands des confesseurs, et ces confesseurs n'ont jamais cherché
à influer sur la politique. On nous concède, il est vrai, que « ces
confesseurs auraient manqué à leur propre devoir s'ils n'avaient pas
fait connaître à leur pénitent princier à quoi l'obligeait, pour la
répression de l'hérésie, son titre de fils de l'Eglise ». Mais l'on
ajoute : « ce n'était pas là matière politique... »'. Distinction
subtile, et qui permet toutes les interprétations, car la plupart des
« matières » politiques étaient et sont des « matières mixtes ».
Matières mixtes les terribles questions que le P. Caussin posait à la
conscience inquiète de Louis XIII : exil de la reine mère, surveil-
1. On goûtera, p. 568, cette délicieuse formule : « Non seulement ce dernier
(le Père de la Chaize), mais encore les autres eontesseurs jésuites ont au moins
autant contribué « adoucir qu'à exciter les rigueurs ollicielles contre les jan-
sénistes. »
84 BULLETIN HISTORIQUE.
lance exercée sur Anne d'Autriche, « alliances immorales avec les
protestants d'Allemagne, de Suède, de Hollande », et l'alliance plus
immorale encore avec les Turcs. Matière mixte aussi le projet de
renvoi du cardinal-ministre. Le P. de Rochemonteix ne nous a rien
laissé ignorer de cette activité du P. Oaussin, qui faillit changer le
cours de l'histoire de France et de l'Europe, activité qui, parait-il,
n'avait cependant rien de politique !
Les accusations lancées contre les Jésuites sont toujours des
« calomnies », qu'elles viennent des protestants ou des jansénistes,
— dont l'illustre porte-parole est représenté comme ayant menti
sciemment — des Parlements^ ou de l'Université. Les adversaires
des Jésuites sont indignes de toute considération. Le grand shogoun
Hidéyoshi, parce qu'il a mis un terme — et encore avec une certaine
mansuétude — à l'activité brouillonne des missionnaires, devient un
affreux tyran, aussi noir que Pombal en personne. Même les ordres
religieux qui se sont attaqués à l'impeccable Compagnie ne sont
guère ménagés. Elle est toujours restée pure, et dans l'affaire des
rites malabares, et dans celle des cérémonies chinoises.
Je laisse à penser comment sont traités les philosophes, Voltaire,
qui mena « contre ce qu'il appelait Vinfàme une guerre digne d'un
satan incarné », et « ses seconds à peine moins pervers que lui ». —
En vérité j'ai peut-être eu tort, tout à l'heure, de recomiaître au
P. Brucker le mérite d'une relative objectivité. Qui veut trop prou-
ver ne prouve rien.
xvi^ SIÈCLE. — M. DE Vries uous donuc sur Genève, pépinière
du calvinisme hollandais^, moins un livre qu'un recueil de docu-
ments accompagnés d'excursus critiques et historiques. Dans le
Livre du recteur, dans le Livre des habitants^, dans les Registres
de la Compagnie et dans ceux du Conseil, il a relevé soigneusement
les mentions relatives à des étudiants néerlandais. Tl y a même joint
— son objet étant de mesurer l'action exercée par la pensée de Cal-,
vin et de Bèze sur les Pays-Bas — les personnages d'autres natio-
1. Pas une allusion à La Cbalotais et à la campagne en faveur de l'éducation
nationale. Pas un mot sur le rôle des Jésuites dans les iutrigues ministérielles
sous Louis XV. <^
2. Herman de Vries, Genève, pépinière du calvinisme hollandais, t. I.
Fribourg (Suisse), Fragniére, in-8°, xv-329 p., index.
3. C'est par erreur (p. 40) que M. de Vries signale les années 1572-1574 et
1585-1587 du registre des habitants comme « les seules qui n'ont pas été brû-
lées lors de la Révolution ». Un premier registre, conservé également aux
Archives d'État, contient les années 1549-1560. M. de Vries ne cite pas le
Livre des bourgeois de Covelle.
HISTOIRE DE FRANCE. 85
nalités (des Français comme Lambert Daneau et du Jon^) dont la
carrière ullérieure devait se passer en Néer^ande. Les listes qu'il a
dressées et enricliies de notes biographiques sont d'un réel intérêt.
Il publie des lettres inédites de et à Théodore de Bèze. Il est regret-
table que les circonstances (c'est-à-dire la guerre) ne lui aient pas
permis de compléter les recherches qu'il avait faites à Genève par
d'autres recherches dans les archives belges et néerlandaises.
Tel quel, son ouvrage apporte une contribution de plus à cette
thèse, déjà exposée, après Michelet et Quinet, par M. Ch. Borgeaud :
c'est la pensée de Théodore de Bèze, dans son De jure magistra-
tuum, et celle de Ilotman, c'est le germe révolutionnaire inclus
dans le calvinisme à l'insu de Calvin qui a fermenté dans les Pays-
Bas et fait des Provinces-Unies une nation,
M. Mariéjol avait una première fois étudié Catherine de Médicis
dans VHistoire de France de Lavisse. Séduit par cette inquiétante
figure, il lui consacre tout un livre. Il a relu, ligne à li^ne, toute la
CorresiJondance ; il la éclairée, commentée, au moyen d'une docu-
mentation abondante. Il a suivi son hérome depuis son enfance (il
utilise le livre de Ptcumont) jusqu'à sa mort. Il a essayé de nous
donnei' un ouvrage qui ne fût « ni un plaidoyer, ni un réquisitoire...,
mais une histoire aussi objective que possible de la vie et du gou-
vernement de Catherine de Médicis^ ».
Y a-t-il complètement réussi? Il a bien montré que Catherine
n'était pas le monstre que tantôt les huguenots, tantôt les catho-
liques se sont plu à vouer à l'exécration des Français. Il a vu en
elle une femme, une assez faible femme, mise en face de responsa-
bilités tragiques, qui s'efforce de sauver ce qui peut être sauvé, de
louvoyer entre les obstacles. Il a rendu un juste hommage à son
application, à sa capacité de travail, à l'action très réelle qu'elle
exen-a sur la politique de la France. Sur ce point, sa documentation
aurait pu être plus complète encore : je pense, par exemple, à cette
correspondance de Charles de Danzay, notre ambassadeur au Dane-
mark et dans les pays baltiques, où toute lettre au roi se double
d'une lettre, souvent plus explicite, à Catherine. Même la régence
finie, il y eut bien un « gouvernement de Catherine de Médicis ».
Mais voilà, précisément, qui ne permet guère de diminuer sa part
de responsabilité dans les actes des derniers Valois.
M. Mariéjol veut nous faire accepter comme presque naturels les
t. Le Forestanus de la p. 44 (n* 15) ne serait-il pas un Forézien plutôt qu'un
originaire de Forest, près Bruxelles?
2. Jean-H. Mariéjol, Catherine de Médicis {1519-15S9). Paris, Hachette,
1920, in-8°, xi-431 p.
86 BOLIETIN HISTORIQUE.
« revirements » de Catherine, « si prompts qu'ils n'ont pas l'air
d'être forcés' » ; « l'aisance » avec laquelle elle prit « la direction du
parti catholique... », quand ce n'était pas celle du parti adverse 2. Il est
bien difficile (voir plus loin l'analyse du hvre de M. Victor Martin) de
ne pas trouver sa main dans la Saint-Barthélémy, même en laissant
de côté sa haine personnelle contre l'amiral. On a exagéré en faisant
d'elle un Prince en jupons. M. Mariéjol n'exagère-t-il point en la
peignant comme une opportuniste aux abois? Ajoutons qu'il a cher-
ché à dessiner, à côté du portrait de la reine, celui de la femme de la
Renaissance, de la protectrice des arts^. Ici,, il est pleinement vrai.
Depuis les grands gallicans de l'Ancien Régime, personne, même
parmi les historiens de la contre-Réforme, n'avait étudié pour lui-
même ce sujet : la réception en France du Concile de Trente.
M. Victor Martin, grâce à un très méiitoire dépouillement des
archives Vaticanes (spécialement de la Nunziatura di Francia),
comble cette lacune^. Favorable à l'œuvre du Concile, il s'efforce de
n'être pas injuste pour les parlementaires et aussi pour certains
ecclésiastiques français qui, en s'opposantà la publication, croyaient
vraiment défendre les lois fondamentales du royaume et l'indépen-
dance de la couronne. Il a raison de montrer que des intérêts très
temporels expliquent certaines attitudes des cours de justice et sur-
tout des chapitres. Il ne fait pas la part assez large aux traditions
nationales qui s'opposaient à tout empiétement de Rome sur les
« libertés » gallicanes; ces traditions sont une des parties les plus
résistantes de la trame de l'histoire de France.
La position de la royauté, prise entre l'obligation de respecter ces
1. P. 119.
2. Voir aussi la p. 121, très finement nuancée.
3. Menues critiques : P. 23, n. 4, sur l'interprétation de la Nuit de Michel-
Ange, pourquoi ne pas renvoyer simplement à la page fameuse de Michelet,
puisque l'on conclut comme lui? P. 181, une phrase bizarre, dans ce livre
généralement écrit avec soin : « La fille d'Henri VIII et d'Anne "Bolejn garda
en son pouvoir cette suppliante, qui descendait comme elle d'Henri VII Tudor
et que beaucoup de catholiques anglais, vu son hérésie et l'irrégularité de sa
naissance, considéraient comme la légitime héritière des Tudors. » M. Mariéjol
pourrait (p. 173, n. 4) affirmer avec plus de force que d'Andelot n'a pas été
blessé au combat des levées de Loire. La Noue, témoin et ami, l'eût dit, si
cela était. Or, il nous montre ensuite d'Andelot à Pamprou, à Montreuil-Bel-
lay, à Bassac, sans jamais faire la moindre allusion à cette blessure.
4. Victor Martin, le Gallicanisme et la Réforme catholique. Essai historique
sur l'introduction en France des décrets du Concile de Trente {1563-1615)-
Paris, Aug. Picard, 1919, in-8°, xxvii-415 p. La correction des épreuves a laissé
subsister de nombreuses fautes de grammaire. Le participe passé du verbe dis-
soudre est couramment imprimé dissout.
HISTOIRE DE FRANCE. 87
traditions et les nécessités de sa politique intérieure et extérieure,
n'était rien moins que facile. Ainsi s'explique cette extraordinaire
histoire de cinquante ans, promesses toujours renouvelées et tou-
jours éludées, aboutissant, en somme, à l'équivoque de 16l5 : « Les
adversaires du Concile de Trente persistèrent à le considérer comme
non publié, tandis que Rome, au contraire, le tenait pour reçu. Les
uns et les autres pensaient juste, du point de vue différent d'où ils
voyaient la chose. » Équivoque qui ressemble fort à un escamotage.
Cette affaire du Concile a tenu une telle place dans notre histoire,
la réception des décrets a si bien joué le rôle de monnaie d'échange
dans les marchandages entre la France et Rome que le livre de
M. Martin dépasse de beaucoup, en intérêt, le cadre restreint d'une
étude d'histoire ecclésiastique. C'est toute la politique des derniers
Valois qui est en jeu. Il est regrettable que M. Mariéjol n'ait pas eu
connaissance des pages que M. Martin consacre à Catherine; peut-
être eût-il jugé avec moins d'indulgence cette perpétuelle politique
de bascule. Sur la Saint-Barthélémy, grâce à une étude qui n'avait
pas encore été poussée aussi loin de la correspondance de Salviati^
M. V. Martin apporte de sérieux arguments à la thèse de la prémé-
ditation : « Avant l'attentat du 22 août », écrit-il, « un grand coup
avait été décidé, où de nombreuses victimes devaient périr. » Pré-
méditation à Paris, mais où il semble que la cour de Rome n'eut
pas de part directe. C'est à peu près la conclusion à laquelle arrivait,
dès 1913, M. Romier (d'après les archives Médicéennes) dans un
mémoire qu'il est étonnant que M. Martin n'ait pas connu 2.
Ce dernier établit que le projet d'assassinat du seul amiral remonte
au moins au 5 août, le projet du massacre général au moins au 21.
Très sévère pour Catherine et pour Henri III, M. Martin est très
indulgent pour Henri IV. Le charme personnel qui éihanait du
Béarnais, sa rondeur, ses perpétuelles protestations de bonne foi
impressionnent à distance même les historiens. Les documents ici
rassemblés me donnent plutôt l'impression d'un politique supérieu-
rement habile, qui leurre perpétuellement le Saint-Siège, promet
toujours sans tenir jamais, se sert de ses nouvelles promesses pour
mieux faire oublier qu'il n'a pas tenu les anciennes, joue de cette
1. Il ajoute des parties inédites aux textes publiés incomplètement par
Theiner. Je me permettrai de discuter certaines traductions. P. 105, n. 2 :
« Più tosto disperai di buon fine cbe altriinente », ne me paraît pas vouloir
dire (p. lOG) : « Mon impression fut qu'il n'en sortirait pas grand'chose de
bon », mais simplement ceci : l'entreprise que lui annoncent, dès le 21, le car-
dinal de Bourbon et de Montpensier est si « gagliarda » que le nonce redoute
un échec. Il y a là une nuance.
2. Revue du XVI' siècle, 1913, p. 529 et suiv.
88 BULLETIN HISTORIQUE.
affaire du Concile pour obtenir l'absolution pontificale, pour faire
avaler au Saint-Siège l'amère pilule de l'Édit de Nantes, pour négo-
cier le mariage tnédicéen, pour se faire accorder des décimes. Il table
à la fois sur les désirs de Rome et sur l'entêtement des parlemen-
taires et lègue finalement à son successeur' une situation si bien
embrouillée que la papauté devra se contenter de la solution bâtarde
de 1615.
Signalons aux historiens l'aimable livre de M. Chamard sur ^
Origines de la poésie française de la Renaissance^ Sans éta-
lage d'érudition, l'auteur rappelle au public cultivé que la Renais-
sance n'a pas marqué une rupture dans la tradition nationale, mais
qu'on y retrouve l'écho de notre moyen âge sous l'imitation de l'an-
tiquité et de l'Italie. C'est une mise au point du travail de recherches
dont Brunetière fut jadis l'un des plus ardents et des plus pénétrants
directeurs.
XVII* SIÈCLE. — Le tome IV de la nouvelle édition des Mémoires
de Richelieu est relatif à l'année 16242. ji g'ouvre (p. 1-22) par un
morceau qui ne figurait dans aucune des éditions antérieures, mais
qui a été découvert et publié par Ranke. Ce morceau, qui raconte
la chute des Brûlarts, semble avoir été écrit peu de temps après les
événements et présente des rapports étroits avec les pamphlets attri-
bués à Pancan. De même, le récit de la chute de La Vieuville semble
provenir d'un mémoire spécial. — Des appendices complètent et
éclairent le volume.
La grande presse a récemment découvert et bruyamment annoncé
au monde que les Mémoires de Richelieu... ne sont pas de Riche-
lieu. Grâce aux savants éditeurs de cette publication, nous le savions
depuis longtemps, mais là vérité qu'ils nous ont révélée comporte un
peu plus de nuances.
Autour de la plume du cardinal de Richelieu : qu'elle fût
maniée par lui-même ou par un des écrivains qui composaient son
cabinet, cette plume redoutable a écrit trop de pages éloquentes, elle
a trop violemment agi sur son temps pour qu'on s'étonne de voir
M. Maximin Deloche lui consacrer tout un livre, comme il en
1. Henri Chamard, les Origines de la poésie française de la Renaissance.
Paris, E. de Boccard, 1920, in-S", 307 p. Ce livre est la mise en œuvre d'un cours
public fait à la Sorbonne. Peut-être trouvera-t-on que M. Chamard a trop
sacrifié, dans l'imprimé, aux partis pris qui s'imposent en présence d'un
auditoire.
2. Mémoires du cardinal de Richelieu. T. IV, publié sous la direction de
M. de Courcel par Robert Lavollée. Paris, Société de l'histoire de France, 1920,
in-8», 302 p., index.
ilISTOIRE DE FRANCE. 89
avait consacré un à la maison du cardinal ' . Celui-ci est presque une
histoire de Richelieu, vue à travers les écrits dont il fut l'auteur ou
l'inspirateur. M. Deloche, qui discute avec un soin passionné les
questions d'attribution de ces écrits^, s'occupe aussi de ceux qui ont
été dirigés contre le cardinal et où s'est élaborée, du vivant morne
du héros, la sinistre légende de Yhomo ruber. A force de vouloir
protester contre cette légende et faire de Richelieu un homme au-des-
sus de l'humanité, lenteur en arrive parfois % être injuste contre
ceux qui ont eu le malheur de ne pas aimer le cardinal ou de n'être
pas aimés de lui^. Peut-être aussi qu'à force de vouloir faire revivre
son personnage, M. Deloche prête à l'exposé une allure quelque peu
romanesque^ et n'évite pas le reproche de subtilité^.
Signalons une intéressante floraison d'études sur l'histoire reli-
gieuse du XVII'' siècle, et spécialement sur le jansénisme.
Louvain, Paris : ce sont les deux capitales du jansénisme. El
voilà comment M. Albert de Meyer a eu l'idée de reprendre, dans
une collection lovaniste, l'histoire de Jansénius et de Saint- Cyran
et des premières luttes qui s'engagèrent en France autour de la
nouvelle doctrine^. Même après Sainte-Beuve et tant d'autres, son
1. Maximin Deloche, Autour de la plume du cardinal de Richelieu. Paris,
Lecène et Oudin, 1920, in-8% vi-520 p.
2. Particulièrement intéressant sur le rôle de Fancani M. Deloche, qui a
naturellement utilisé les travaux de M. Fagniez, ne cite pas la publication de
Wiens, cependant mentionnée par M. Fagniez. Je ne trouve rien sur la colla-
boration de Richelieu à la Gazette. Pour la rédaction des Mémoires, on nous
renvoie surtout, comme il est raisonnable, à l'édition en cours.
8. La légende n'a pour ainsi dire rien ajouté aux terribles pages (citées
p. 433) de Richelieu lui-même sur Fancan. Cette joie atroce à sacrifier un ins-
trument qui a cessé d'être utile et qui peut devenir gênant, c'est tout « l'homme
rouge ». Ne faisons pas de cette âpre figure une figurine. P. 405, colère un peu
puérile contre Victor Hugo. Colère aussi contre les États-Généraux de 1614,
dont l'opposition est surtout présentée comme un écho des rébellions hugue-
notes et dont le lamentable échec est célébré comme une victoire. Tous les
historiens ne seront pas de cet avis, ni très disposés à opposer à l'antagonisme
de la Noblesse et du Tiers « la sympathie secrète du menu peuple, traditiona-
liste par essence, pour le Clergé et la Noblesse authentique restée indépen-
dante ». Vraiment secrète, en efl'et, cette sympathie du peuple pour la noblesse
champêtre. M. de Vaissière lui-même n'irait |)as si loin.
4. Richelieu s'inspirant des farandoles qu'il a vues en Avignon, etc. Un .sujet
comme celui-ci prête facilement à la conjecture, mais n'en abusons pas.
5. De ce que tel pamphlet est signé à la fois Ferrier et du Ferrier, il est un
peu risqué d'en induire que Richelieu a délibérément voulu créer dans l'esprit
du lecteur une confusion entre le ministre converti Jérémie Ferrier et l'ancien
ambassadeur à Venise. — Une expression bizarre, p. 435 : « rayant en défé-
rence ». Ailleurs, je crois : « rayant en audace ». C'est un provincialisme peu
connu.
G. Albert de Meyer, le.^ Premières controverses jansénistes en France
90 BULLETIN HISTORIQUE.
livre se rangera en bonne place dans nos bibliothèques. D'abord
parce qu'il est fait avec le plus grand soin. L'auteur ne s'est pas
contenté de lire les traités que les deux partis se jetaient à la tête;
il a copieusement analysé, pour notre profit, les plus considérables
d'entre eux, VAugustinus, les Apologies d'Arnaud, les ripostes
du théologal Habert et du P. Etienne Deschamps, la Fréquente
communion et la Tradition de l'Église, le Petrus Aurelius et
les dissertations du P. Petau'. De fructueuses recherches ont été
faites à Rome.
A force de vouloir être complet et parcourir, par des avenues
divergentes, toutes les parties de son vaste domaine, M. de Meyer
n'est pas, il faut le reconnaître, sans déconcerter parfois son lecteur.
On a du mal à reconstituer la suite chronologique des faits, en rai-
son des répétitions fréquentes; à maintes reprises reviennent les
mêmes événements, considérés chaque fois comme les points de
départ d'une évolution différente : la mort de Richelieu, l'arrestation
de Saint-Oyran, la mort du fougueux apôtre; deux fois l'affaire des
PP. Knott et Floyd. Cela était peut-être inévitable.
M. de Meyer a fait un méritoire effort, et qui nous paraît cou-
ronné de succès, pour être impartial. Sans adopter le moins du
monde les principes du jansénisme, il y voit une floraison naturelle
de la contre-Réforme. Les luttes qu'il a provoquées sont « comme
la rançon de la fidélité de la France à l'orthodoxie ». Dans son étude
du jansénisme moral, il insiste sur l'élévation de cette conception,
« conception très aristocratique » d'ailleurs, très individualiste to'ut
au moins 2. Il permet de prévoir Pascal lorsqu'il nous montre Saint-
Cyran voulant « pour l'àmeun tête-à-tête avec Dieu, aussi continuel
et aussi intime que s'il n'y avait eu au monde que Dieu et cette
{16i0-16i5). Louvain (Université catholique. Dissertations doctorales...,
II* série, t. IX), Van Linthout, 1917, in-8", xxiii-574 p. Après l'incendie de
1914, M. de Meyer a trouvé asile dans la bibliothèque du collège des Jésuites.
1. L'information reste un peu unilatérale. Un simple coup d'oeil sur la
France protestante (t. III, p. 60-67) eût empêché M. de Meyer de croire
(p. 285) La Milletière « loyal et sincère ». Ce pasteur en travail de conversion,
excommunié par le synode de Charenton, le 25 janvier 1645, apparaît comme
un personnage assez méprisable, et probablement vénal.
2. Nous nous étonnons qu'après avoir relevé, entre autres, cette proposition
du P. Héreau : « Une jeune fille trompée par ruse ou par violence peut, pour
éviter le déshonneur, se débarrasser de son fruit avant qu'il ne soit animé »,
M. de Meyer puisse écrire, avec une certaine ironie : « Les requêtes adressées
au Parlement et les « avertissements » destinés au public dénonçaient ces pro-
positions avec des accents pathétiques qui nous font quelque peu sourire à
notre époque. » Ces propositions ont eu un regain de faveur dans les premiers
temps de l'invasion allemande. Elles n'ont rien quv appelle le sourire.
HISTOIRE DE FRANCE.
91
âme ». Nous croyons qu'il a vu très juste en disant que « cette
sévère doctrine, qui n'avait pas d'égard pour la nature, tomba en
France dans un terrain admirablement préparé. Le jansénisme y
était comme attendu ». De là son succès, succès facilité d'ailleurs
par « la supériorité intellectuelle des polémistes de Port-Royal, en
particulier d'Arnauld », et par les maladresses de ses adversaires.
Quant à savoir si c'est le jansénisme qui a, « sans le vouloir, tra-
vaillé à l'ébranlement de la foi et à l'émancipation des esprits, en les
détachant de l'autorité infaillible de l'Église enseignante », ou si
plutôt ce n'est pas la polémique elle-même qui fut une leçon de cri-
tique et d'indifférence, la question est délicate et reste ouverte. De
toutes façons, et quoique le jansénisme ait « exercé une influence
considérable sur la ferveur religieuse que manifestaient, au xvii'^ siècle,
de nombreuses âmes d'élite », les controverses étudiées par M. de
Meyer ont « déblayé le terrain pour les philosophies antireligieuses
du xviii* siècle^ ».
C'est encore du jansénisme qu'il est question dans le premier des
deux volumes que vient de publier M. Henri Brémond^. Deux
volumes sur la « conquête mystique » ! Cela serait à faire frémir si
l'on ne savait qu'on ne s'ennuie jamais dans la compagnie de M. Bré-
mond. Il rend vivant tout ce qu'il touche, même ce qu'il n'aime pas.
Fidèle à son point de départ, il veut démontrer que le jansénisme
est une doctrine de peu d'originalité. « Saint-Cyran n'est en somme
qu'un Bérulle malade et un peu brouillon », assez dépaysé dans une
histoire littéraire du sentiment religieux, car « il écrivait mal sans
le moindre effort ». La seule originalité que M. Brémond lui recon-
naisse, par une conjecture au moins hardie (p. 72), c'est qu'au fond de
son cœur il était, comme on disait alors, bien près de Charenton. En
somme, c'est l'évêque d'Ypres qui est le seul et vrai père du jansé-
nisme, encore que l'on puisse dire d'Arnauld : « Il a créé la secte
janséniste, mais sans le vouloir, sans même y songer. » Doctoral et
pédant, intellectuel pur, Arnauld, aux yeux de M. Brémond, appar-
tient à l'histoire de la controverse, mais non pas à celle du senti-
ment religieux, et, dans cette famille qu'il étudie après et souvent
1. Appendices sur Zamet el les accusateurs de Saint-Cyran en 1638, les
« petites écoles », les sources de la Théologie morale des Jésuites, le cardinal
de Lugo.
2. Henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France
depuis la fin des guêtres de religion jusqu'à nos jours. T. IV : la Conquête
mystique. ** L'ixole de Port-Royal, et l. V : la Conquête mystique.
*** L'École du p. Lallemanl et ta tradition mystique dans la Compagnie de
Jésus. Paris, IJloud et Gay, lOiO, 2 vol. in-8°, iii-595 p., 8 pi., et 411 p., 1 pL
Le tome I a été analysé dans la Revue de 1918, t. CXXVII, p. 309-311. Les
tomes II et III ne nous sont pas parvenus.
92 BULLETIN HISTORIQUE.
avec Sainte-Beuve, une seule figure lui parait sympathique, celle
de la mère Agnès.
A Pascal va toute son admirative affection. Son chapitre sur « la
prière de Pascal » est une chose profondément émouvante. Mais
quoi, ce génie vraiment mystique, ce cœur inondé d'amour et de
joie divine, on ne saurait l'enfermer dans les bornes d'une secte; il
s'en échappe à mesure qu'il avance; après avoir été le chevalier de
Port-Royal, il meurt à peine janséniste. « Et c'est ainsi que, dans
une âme vraiment vivante, la vie elle-même complète, corrige et
déborde les formules étroites sur lesquelles on avait cru la régler. »
Quant au bon Nicole, l'antimystique, c'est un « janséniste malgré
lui ».
Le volume suivant doit nous donner une autre démonstration
non seulement du peu de nouveauté, mais de l'inutihlé du jansé-
nisme, en nous montrant le travail religieux accomph sans lui, en
dehors de lui, avant lui. C'est un voyage de découverte. M. Bré-
mond nous révèle Técole du P. Lallemand, « plus une, plus origi-
nale, plus sublime vingt fois et vingt fois plus austère, plus dure
que Port- Royal ». Et comme son fondateur est mort « sans avoir
rien écrit », nous faisons connaissance avec « les disciples de ce
grand homme ». Parmi eux brille le P. Surin, « d'une telle gloire »
que nous sommes honteux de l'avoir jusqu'à ce jour ignorée. Que
de gloires, grand Dieu! nous en sommes tout éberlués : JuHen
Maunoir et Jean Rigoleuc, M™^ Hélyot et Jean Grasset, Louise du
Néant et François Guilloré. Gloires quelquefois un peu troubles,
car le P. Surin est mêlé d'assez fâcheuse façon à l'histoire des
diables de Loudun, que M. Brémond nous conte d'ailleurs avec un
grand effort critique, et sans cacher que la cellule du mystique est
en certains cas l'antichambre de la maison de fous.
Il n'importe. On suit toujours l'auteur avec intérêt, parce qu'il
est toujours savoureux. Les historiens goûteront surtout le chapitre
sur les missions bretonnes, sur la « réévangélisation de la Bretagne
au XVII* siècle ». Il y a là, sur l'état intellectuel et moral d'une pro-
vince au temps de Louis XIII, et aussi sur les procédés de pédago-
gie populaire employés pour éclairer ces pauvres cervelles, des docu-
ments de premier ordre.
On revient au jansénisme en relisant la lettre apologétique (du
20 novembre 1637) de Saint-Cyran à « Monsieur Vincent » dans la
nouvelle édition de la Correspondance du saint donnée par M. Pierre
Coste'. Cette édition, dont le premier volume va jusqu'en 1635,
1. Saiîit Vincent de Paul. Correspondance, entretiens, documents. I. Cor-
HISTOIRE DE FRANCE. 93
réalise un progrès sensible sur celles qui Font précédée. Elle a été
établie avec critique et c'est ainsi (p. 2) que le nouvel éditeur a
reproduit des passages « omis » par Abelly, omis parce qu'ils « lui
semblaient peu dignes du saint ». Grâce à ses recherches, M. Coste a
pu ajouter à l'édition de Pémartin (1880), qui contenait plus de
2,000 lettres, des centaines de lettres nouvelles et le résumé des
lettres dont nous connaissons le contenu sans en posséder le texte.
Elles sont publiées avec soin et correction \ et assez bien annotées.
Surtout le volume est enrichi des lettres adressées à Vincent par ses
correspondants, Louise de Marillëc surtout, la présidente Goussault,
sainte Chantai, Olier, etc. C'est par là surtout 'que cette édition pré-
sente un intérêt pour l'histoire sociale du xvii^ siècle^. Comme avec
M. Brémond, nous sommes ici dans la réalité concrète.
Le rôle de la Saintonge, de l'Aunis, de l'Angoumois, du Poitou
est essentiel dans l'histoire de la Fronde, à raison de la proximité
de Bordeaux. Déjà la Société des archives historiques de la Sain-
tonge et de l'Aunis nous avait donné sur ce sujet les lettres de
Samuel Robert. Elle y joint un paquet de 219 lettres, allant de 1645
à 1654, recueilhes à la Bibliothèque nationale et aux Affaires étran-
gères par M. Delavaud, publiées par M. Ch. Dangibeaud^. Elles
n'apportent rien de particulièrement nouveau. Cependant les lettres
de Montausier, en particulier, nous renseignent sur l'état d'esprit de
provinces où vivait le souvenir des troubles de 1644, causés par les
droits sur les vins, provinces qui semblaient mûres pour la rébellion.
Le succès du pétulant Marsillac devenait dès lors assez facile. A moins
que Montausier n'ait un peu exagéré le mal pour mieux faire valoir
respondance. T. I : 1607-1609, édition publiée et annotée par Pierre Coste.
Paris, J. Gabalda, 1920, in-8% xxxviii-624 p., un fac-similé, préface de
M. François Verdier. L'édition sera complétée par des entretiens et documents.
Le premier volume contient 416 lettres de et à Vincent. En dehors de trois
lettres de 1607-1610 (en particulier la célèbre lettre à M. de Cornet sur la cap-
tivité à Tunis), la correspondance commence en 1616 et ne devient régulière
qu'en 16'25. — Rappelons que Vincent signe uniformément Depaul. L'ortho-
graphe h.igiographique courante n'a aucune raison d'être.
1. P. 133, 1. 14 de la lettre 87, il faut lire « ains » et non « ainsi ».
2. Voir par exemple (p. 191, lettre 135) comment M"- Goussault raconte un
de ses voyages de converlisseuse ou comment Olier (j). 338, lettre 226) décrit
la fièvre religieuse qui saisit, lors d'une mission, la population des montagnes
d'Auvergne. Détails intéressants, çà et là, sur la situation réelle du protestan-
tisme sous Richelieu. P. 252 (le 25 juillet 1634), Vincent écrit ;\ propos des
Cévennes : « Il n'y a point de village où il n'y ait quelques catholiques parmi
les huguenots, excepté cinq ou six. »
3. Lettres relatives à In Fronde en Saintonrje (t. XLVI des Archives histo-
riques de la Saintonge et de l'Amm). Paris, Picard, et Saintes, G. Prévost,
1915, in-8°, LU-304 p., 4 pi., introduction de M. Dangibeaud et bibliographie.
94 BDLLETIN HISTORIQUE.
son dévouement et obtenir de Mazarin le remboursement de ses
frais. Ces lettres ajoutent également quelques traits au portrait de
l'énigmatique du Dognon^
Claude Cochin, l'un des travailleurs que la guerre nous a enle-
vés, avait préparé un supplément à là Correspondance de Retz^.
Les 169 lettres publiées sous son nom par M. Henry Cochin s'éche-
lonnent de 1643, mais surtout de 1650 à 1675. Elles se rapportent
particulièrement à la fuite du cardinal, à son long séjour en Italie et
à ses dernières années. Ces lettres permettent d'établir que, durant
les années 1657-1660, Retz n'a pas cessé, malgré ses voyages, de
rester en correspondance avec les chefs de l'Eglise. Les appendices
préparés par Cochin nous apportent des documents sur la profession
de M"" d'Epernon, sur le « chapeau » de Retz, sur les sentiments
de Louis XIV à l'égard de l'ancien rebelle, sur Retz et Port-Royal,
c'est-à-dire sur la façon peu élégante dont il abandonna Port-Royal
après l'avoir soutenu, sur le projet qu'il eut, retiré en pénitent à
Saint-Mihiel, de renoncer à la pourpre. Sur l'injonction du pape, il
se décida, nous rapporte M"** de Sévigné, à « user ses vieilles
calottes ».
Le toîne IV deVHistoire de la marine française de M. Ch. de
La Roncière avait pour sous-titre : En quête d'un empire colo-
nial. Richelieu. Le cinquième a aussi un double sous-titre : la
Guerre de Trente ans. Colbert'^. En fait, les cent premières .pages
du volume sont encore consacrées à Richelieu, au Richelieu en
guerre ouverte contre la maison d'Autriche à partir de 1635. Puis
vient l'histoire navale du ministère de Mazarin, moins vide qu'on
ne le répète d'ordinaire, avec les coups de main en Catalogne, les
tentatives contre les Deux-Siciles, et ce qu'on peut appeler la guerre
de la Fronde maritime. C'est seulement après avoir déploré l'effon-
drement de l'empire colonial de Richelieu et narré tout d'une haleine
la guerre de Candie que M. de La Roncière introduit Colbert.
^ 1. p. 24, n. 2, la question des villes impériales d'Alsace est mal comprise.
P. 41, 1. 3, au lieu de « vostre », lire « y estre ». Le n" XL n'est pas adressé
« au Parlement de Paris », mais probablement aux receveurs des traites du
Poitou. Les résumés ne sont pas toujours exacts. Par exemple, n" CXXXVIII,
c'est contre la nomination de de Launay que les Rochelois protestent, et non
contre le retard apporté à la démolition des tours.
2. Cardinal de Retz, Supplément à la Correspondance... Paris, Hachette
{les Grands Écrivains), 1920, in-8°, xii-328 p., deux fac-similés, préface de
M. Henry Cochin. Le manuscrit a été revisé par M. Léon Lecestre. Un index.
L'annotation est à la fois sobre et instructive.
3. Charles de La Roncière, Histoire de la marine française. T.\ : la Guerre
de TreîUe a7is. Colbert. Paris, Pion, 1920, in-8', 748 p., une trentaine de
fig. non numérotées. ^
HISTOIRE DE FRANCE. , 95
Il étudie le ministre, son œuvre administrative et législative, ses
efforts (le plus souvent impuissants) pour intéresser le maître aux
choses de la mer, les compagnies qu'il a créées. Puis il fait l'histoire
de la période même, les guerres de 1665 à 1668, l'essor de la Com-
pagnie des Indes, la guerre de Hollande et ses suites, la lutte contre
les Barbaresques. Le volume s'arrête en l'an 1683.
On y retrouvera les mêmes qualités que dans les précédents, la
même richesse de documentation, la même abondance de détails. II
est écrit, aussi, avec la même verve, qu'il s'agisse de nous conter
les aperlises des écumeurs de la Méditerranée, les aventures prodi-
gieuses des flibustiers ou les duels épiques d'Abraham du Quesne et
de Ruyter. On se plaît toujours à lire M. de La Roncière. On est
parfois un peu ébloui par les éclairs des bombardes et par le fracas
des abordages 1. On se demande aussi par instants comment il se
fait qu'en ces belles histoires les Français aient toujours raison et
leurs ennemis toujours tort 2. C'est peut-être une vue un peu simple.
Henri Hauser.
. 1. Comme dans les volumes antérieurs, que de curieux renseignements sur
des inventions techniques qui paraissent avoir été négligées! P. 385, p. 4 :
« torpilles et sous-marins ». Même page, dans le texte : « une machine capable
de faire marcher un vaisseau sans vent, sans avirons et sans voiles ».
2. On aimerait, par endroits, certaines discussions critiques. P. 598, un
document vénitien accuse Colbert d'avoir rêvé la conquête de Naples et de la
Sicile. Cela vaudrait la peine d'être examiné. — M. de La Roncière attribue
couramment à d'Elbée (et je crois bien qu'il a ses raisons) la Relation de ce qui
s'est passé dans les isles... par 1. C. S. D. V., de 1671, faussement attribuée
depuis Gomberville à Clodoré (voir Bourgeois et André, Sources, n° 570) et
que, dans un article d'ailleurs médiocre de la Revue des éludes historiques
(juillet-octobre 1920), M. Chassaigne revendique pour de La Barre. Nous sou-
haiterions que M. de La Roncière élucidât ce point.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
J. TOUTAIN. Les cultes païens dans l'Empire romain. 1''* partie :
les Provinces latines. T. III : les Cultes indigènes nationaux
et locaux, Afrique du Nord, Péninsule ibérique et Gaule.
Paris, Leroux, 1920. 1 vol., 470 pages. Prix : 40 francs.
Les deux volumes précédemment parus ont déjà permis d'apprécier
toute l'utilité du grand travail auquel M. Toutain a attaché son nom.
Après l'étude des Cultes officiels et des Cultes orientaux dans les
provinces latines du monde romain, voici celle des cultes indigènes
dans les trois principales d'entre elles.
Dans chacune d'elles, l'enquête est conduite suivant un plan iden-
tique. Après quelques considérations générales sur la province elle-
même et son histoire, M. Toutain commence par dénombrer les prin-
cipales divinités. Il en trouve un nombre considérable : une quarantaine
en Afrique; 130 environ en Espagne et plus de 180 dans la Gaule
romaine, sans compter les deux provinces de Germanie. Tout ce per-
sonnel divin est énuméré par ordre alphabétique. Autant que faire se
peut, la physionomie de chaque dieu, déesse ou génie, est déterminée.
Quiconque a eu à se débattre avec les innombrables appellations ou
épithètes ou avec les représentations figurées des mythologies provin-
ciales se rendra compte de l'immense service qu'est appelée à rendre
cette mise au point.
Vient ensuite l'étude détaillée des principaux sanctuaires connus,
puis des rites. M. Toutain se garde prudemment des considérations
théologiques. Il sait que les monuments épigraphiques ou archéolo-
giques, qui constituent à peu près sa seule source, ne permettent guère
de retrouver les imaginations religieuses du paganisme. Tout en s'en
tenant résolument aux faits, il n'en est pas moins amené, de temps
en temps, à risquer une théorie. Parmi celles-ci, nous signalerons
comme fort intéresssante la théorie de l'offrande-rachat, très ingé-
nieusement déduite du texte de César relatif aux sacrifices humains.
Les Gaulois croyaient que le seul moyen d'apaiser la divinité était de
lui offrir une vie d'homme pour une vie d'homme. Les offrandes :
figurines d'hommes ou d'animaux ou parties de ces figures étaient des
substituts représentant l'être ou la partie de l'être qu'il s'agissait de
racheter. Si juste que paraisse cette explication, nous hésiterons cepen-
pendant à l'appliquer à l'un des principaux monuments à propos des-
quels M. Toutain fut amené à la formuler : le cheval de bronze de
J. TOUTAIN : LES COLTES PAÏENS DANS l'eMPIRE ROMAIN. 97
Neuvy-ea-SuUias. On connaît cette belle statue demi-grandeur, con-
sacrée au dieu Rudiobus (Espérandieu, Recueil, n" 2978). Ce serait,
pense M. Toutain, un simple ex-voto et non pas, comme l'expliquait
M. S. Reinach, la statue de culte de Rudiobus lui-même, lequel aurait
donc été un dieu-cheval. Cependant, l'hypothèse de M. S. Reinach
s'attache, peut-on dire, assez solidement, à quatre anneaux fixés sur
le socle et destinés à recevoir des brancards permettant de porter la
statue dans des processions. Bien plus, l'inscription gravée sur le
socle convient mieux à une statue de culte qu'à un ex-voto : le dona-
teur précise qu'il a offert la statue de ses propres deniers, mention
évidemment superflue s'il s'agissait de l'exécution d'un vœu, en outre
deux personnages sont nommés pour avoir présidé à la confection de
l'œuvre d'art : voilà bien de l'importance attribuée à un simple ex-voto !
De tels éléments d'appréciation ne permettent guère, sans doute,
d'atteindre à la certitude. Nous n'avons insisté sur ces détails que
pour donner une idée des difficultés qu'a rencontrées, à chaque pas,
le travail de M. Toutain.
Après avoir étudié les dieux, leurs sanctuaires et leurs rites,
M. Toutain cherche à préciser la diffusion géographique et sociale des
cultes. Il procède par une suite savante de statistiques et de calculs
proportionnels. Si légitime que paraisse une telle méthode, ne peut-on
pas lui reprocher l'illusion d'une trop rigoureuse certitude? N'ou-
blions pas, en effet, que la distribution de nos documents repose, en
dernière analyse, sur le hasard des trouvailles. Aussi bien, M. Tou^
tain prend-il soin de corriger par des atténuations ce que ses conclu-
sions ont de trop absolu : « Ces inégalités dans la ditïusion des cultes
indigènes dans la Gaule romaine », déclare-t-il, « sont plus apparentes
que réelles... » (p. 425); ailleurs, à plusieurs reprises (p. 429, 430,
432, etc.), il reconnaît que les raisons précises de la diffusion de tel ou
tel culte échappent à toute explication. Ce ne sont donc que des solu-
tions provisoires. C'est ainsi qu'il faut les accepter et, en ce sens, on
ne peut que savoir gré à M. Toutain du soin apporté à établir le bilan
de nos connaissances actuelles.
En Afrique, en Espagne, aussi bien qu'en Gaule, la durée des cultes
indigènes semble s'être prolongée jusqu'à la fin de l'époque romaine
et même au delà. M. Toutain fait, dans cette partie, un usage heureux
des indications que fournissent les premiers auteurs chrétiens et le
folklore. C'est là une source qui n'a encore été qu'insuffisamment
exploitée. Des études comme l'article de feu Marcel Hébert sur les
Martyrs céplialoj)hores (Revue de l'Université de Bruxelles, jan-
vier 1914) montrent notamment tout le parti que l'on pourrait tirer
des légendes des saints pour la connaissance des cultes antiques.
A l'intérieur même de l'époque romaine, peut-être serait-il possible,
en précisant la date des monuments épigraphiques et archéologiques,
de retrouver, au moins approxiipativement, les vicissitudes de la riva-
lité pacifique entre cultes indigènes, officiels et orientaux. Le chapitre
Rev. Histor. CXXXVII. 1" fasc. 7
98 COMPTES-KENDUS CRITIQCES.
consacré par M. Jullian à la religion gallo-romaine dans le tome VI
de son Histoire de la Gaule apporte, à ce sujet, quelques précieuses
indications. Mais il est évidemment difficile d'atteindre, en pareille
matière, aux conclusions fermes que paraît affectionner M. Toutain.
Les spécialistes de l'histoire des religions n'apprécieront pas moins
ce livre que les historiens de l'antiquité. Les uns et les autres y trou-
veront, distribuée en bel ordre, une abondante moisson de faits. En
cette matière particulièrement confuse et compliquée des cultes indi-
gènes, l'auteur apporte une netteté éminemment didactique qui, peut-
être, paraîtra parfois un peu sèche, mais qui n'en a pas moins ses
avantages. Il a voulu avant tout faire un livre utile et il y a parfaite-
ment réussi.
A. Grenier.
The Mesta. A study of spanish économie history, 1273-1836, by
Julius Klein, Ph. D., assistant professer of latin american his-
tory and économies in Harvard Uhiversity. Cambridge, Harvard
University press, 1920. In-8°, xvi et 444 pages. (Harvard Eco-
nomie Studies published under the direction of the Department
of Economies, voL XXI.)
Ce n'est pas la première fois que nous entendons parler des études
de M. Julius Klein sur la fameuse Mesta : il avait déjà donné, au
Boletin de la R. Academia de la Historia de Madrid (16 février
1914), un article sur les « privilegios de la Mesta » de 1273 et 1276, et
un autre mémoire sur 1' « Alcalde Entregador de la Mesta » dans le
Bulletin hispanique d'avril-juin 1915. Mais ce n'étaient là que des
essais et l'ouvrage entier, qui a mérité d'être publié dans les Econo-
mie Studies de Harvard, offre une importance vraiment considérable.
Le livre, qui compte dix-sept chapitres et une conclusion, traite de
l'organisation du pouvoir judiciaire, des péages et du pâturage, du
nomadisme en Espagne. Il est pourvu de cinq illustrations : une
charte de Charles-Quint, de 1525, à I' « honrrado concejo de la Mesta
gênerai destos Reynos de Castilla et de Léon et de Granada », qui
contient le portrait de Charles-Quint et les armes de la Mesta : écar-
telé : au l»"" de Castille; au 2"-' de Léon; au 3" un bélier passant con-
tourné, la tête retournée ; au 4* un taureau : l'écu supporté par une
aigle; une carte montrant les routes, les points de péage et les pâtu-
rages de la Mesta; une urne, qui date du xvi" ou du xvii« siècle
(maintenant la propriété de l'Associàcion gênerai de Ganaderos), ser-
vant aux élections; un privilège de Ferdinand et Isabelle, de Sara-
gosse, 26 janvier 1488, fixant les péages sur les troupeaux; un pri-
vilège de Jean II de Castille, "du 10 mai 1443, confirmant un autre
privilège de 1441, en vertu duquel tous les bergers du royaume doivent
JULIUS KLEIN :' THE MESTi. A STUDT OF SPANISfl ECONOMIC HISTORï. 99
être membres de la Mesta et sujets à ses ordonnances. L'auteur de
ce privilège, dit M. Klein, doit être Alvaro de Luna, qui était alors
très occupé par des plans pour l'exploitation de l'industrie pastorale.
Au sujet du mot ■merino, M. Klein est d'avis qu'il faut le rattacher
à la tribu des Beni-Merines. « Il est certain que la race des mérinos
n'était pas connue en Espagne avant ce temps (la période des Almo-
had), car le fameux auteur classique mauresque sur la vie agraire
dans la péninsule, Abu Zacaria Ben Ahmed, dans son « Livre
d'agriculture », écrit peu de temps avant l'arrivée des Beni-Merines,
ne fait aucune mention de mouton ressemblant au merino. Le fait
que la plus grande partie des termes de la terminologie espagnole du
moyen âge est arabe est un argument de plus », et il cite : zagal,
rabadan, rafala, morrueco, ganado, cahana, et mechta; « qui est
probablement en rapport avec mesla ». Mais les mots ganado (ani-
mal domestique) et cahana (troupeau, bergerie, cabane du berger)
sont d'origine latine : ganado (en port, gado) vient du bas latin
ganatus et signifie « fortune, biens », « troupeaux », et cahana vient
du bas latin capanna (Fr. Dietz, Etymologisches Worterbuch der
romanischen Sprachen, Bonn, 1878, p. 453 et 485). Quant à mesta,
l'étymologie latine donnée par Covarruvias est la bonne (mixta) et
Fernando Cos-Gayon l'approuve : « sobre la etimologia de Mesta no
hay taies dudas. Las leyes y los escritores del Honrado Consejo 11a-
man constantemente hacer mesta à la mezcla y reunion, en periodos
determinados, de todos los ganaderos y de todos los ganados, à fin de
contar éstos, separar los de distintos duerios, conociendolos por las
seîiales hechas con hierros o de otros modos, y dejar â los pastores,
como propiedad suya, los que resultasen mostrencos » (La Mesta.
Revista de Espana, t. IX, p. 337). Rafala est traduit par M. Klein
une première fois (p. 4) : « a pen for strays », et une seconde fois :
« assemblée » (p. 12). Dozy ne conniaît que le second sens : « Comme
le verbe raphala signifie voyager, on peut fort bien avoir donné le
nom de rehâla à l'assemblage de cabanes que les bergers voyageurs
drossaient pour y passer la nuit » {Glossaire des mots espagnols
etc., 1869, p. 331).
Sur le sueldo de pipiones, dont M. Klein parle à la p. 172, je
remarquerai que le mot figure dans Berceo, dans le Libro de
Alexandre, et dans le Libro de amor de l'archiprêtre de Ilita, et
qu'il signifie une monnaie de peu de valeur; si l'origine de ce mot est
aragonaise, cela démontrerait que le Libro de Alexandre est bien de
cette région-là. Dans les extraits donnés des Ordonnances de la Mesta
de Grenade (p. 364 à 367), il faut garder sonsacar, « tirer » ; alcarias
est, en efïet, pour alquerias (les sulïixes ca et que se mettent l'un
pour l'autre); ribediegos est aussi à conserver, r se changeant volon-
tiers en d. Je crois que le mot dehesa (= defensa) aurait dû être mis
dans le glossaire des termes indiquant des taxes levées sur les mou-
tons; cf. Dietz, qui compare le vieux français defois.
100 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
M. Klein, dans la liste qu'il a fournie de ses sources, a donné une
description des archives de la Mesta. Ces archives, qui étaient dépo-
sées dans l'église de San Martin à Madrid, ont été récemment trans-
férées dans une maison au coin de la rue de las Huertas et de la rue
de Léon, « où elles sont restées sans emploi pendant près de deux
cents ans », dit l'auteur; elles appartiennent maintenant à l'Associa-
cion gênerai de Ganaderos del Reino. Il parle aussi des archives du
duc d'Osuna, qui est depuis peu entre les mains d'un comité de créan-
ciers, dont le président est le comte de Romanones; elles ont une
importance de premier ordre pour la Mesta, car les familles alliées à
la maison d'Osuna avaient leurs hiens sur les routes de la Mesta, les
Béjar, les Infantado, les Mendoza, les Santillana, etc.^. Il termine
par le British Muséum de Londres et les archives de Paris, notam-
ment la collection Tiran des Archivés nationales, et la bibliothèque
Sainte-Geneviève.
Ce livre de M. Julius Klein mérite les plus grands éloges, il est
digne de l'Université de Harvard et fait honneur au département des
sciences économiques qui l'a publié.
Alf. Morel-Fatio.
E. RoDOCANACHi. La Réforme en Italie. 1'* partie. Paris, Aug.
Picard, 1920. In-8°, 465 pages.
Beau sujet. Comment le mouvement intellectuel de la Renaissance
a donné en Italie aux spéculations religieuses un essor illimité; com-
ment, sur ce milieu, ont agi les influences du dehors, celles d'Alle-
magne, qui venaient par les passages orientaux des Alpes et par
Venise, celles de' France, qui s'infiltraient par la cour à demi fran-
çaise de Ferrare, par la Savoie et le Piémont, terres françaises de
1536 à 15592, peut-être même par la Florence des Médicis, et encore
par les hommes d'Église assez suspects que le Roi Très-Chrétien
employait comme ambassadeurs en Italie ou qui représentaient la
France dans les conclaves, un du Bellay, un Pellicier et leur suite ; sans
parler des influences suisses, de celle de Zwingli en particulier, dont
la pensée est si proche, par endroits, de celle des réformés italiens?
1. L'un des propriétaires d'une des plus importantes « cabanas » Ht don à
l'impératrice Joséphine d'un troupeau de mérinos : « El Conde de Campo de
Alange, cuya cabaiia, conocida con el nombre de Negrete, gozaba de gran noin-
bradia, deseoso de tener propicia â la Emperatriz Josephina, le regalô un
rebano escogido compuesto de 1000 ovejas y de los correspondientes carneros »
(Historia de Carlos IV, por D. A. Muriel, t. III, p. 67; Mémorial histôrico,
t. XXXI).
2. M. Rodocanachi ne le rappelle même pas et ne fait pas même allusion
aux Vaudois. Il est vrai qu'il annonce (sans doute pour le second volume, paru
trop tard pour être mentionné ici) un chapitre sur la Savoie.
E. BODOCANACEI : LA RÉFORME EN ITALIE. 101
Pourquoi l'Italie n'a-t-elle connu ni une Réforme révolutionnaire
comme celle de Luther et de Hutten, ni une Réforme militante* et souf-
frante, une « école de martyrs » comme la première Réforme française?
Pourquoi, sauf quelques exceptions éclatantes, les Italiens ont-ils pré-
féré la fuite au bûcher? Pourquoi y eut-il des réformateurs itahens,
non une réforme italienne? Voilà quelques-unes d^ questions que
doit se poser l'historien.
Pour y répondre, il se dira qu'il faut d'abord voir ce qu'était l'Ita-
lie du début du .wi^ siècle, avec ses principautés et républiques, et les
dominations étrangères qui s'y disputaient la prééminence : Français,
Espagnols. Il faut savoir ce qu'était au juste la papauté de ce temps-là,
au temporel et au spirituel; savoir que les Italiens, contemplant de
plus près et plus constamment qu'un Luther une Rome corrompue,
avaient peut-être davantage émoussé en eux la faculté de s'indigner.
Des langues irrévérencieuses disent aujourd'hui que Rome a deux
industries : les antiquités et le pape. Cela était plus vrai encore de la
Rome et de toute l'Italie du xvi« siècle, avec leurs églises et leurs cou-
vents innombrables. Ne serait-ce point l'une des raisons pour lesquelles
les Italiens savaient joindre à une très grande hardiesse de pensée
une prudence avisée dans la pratique de la vie? La papauté était pour
l'Italie du xvi« siècle une valeur économique de premier ordre. Ceux
qui en vivaient pouvaient difficilement l'oublier. — Penser comme le
petit nombre et parler comme le vulgaire, c'est le mot d'un réform,a-
teur transalpin.
On aurait aimé que M. Rodocanachi examinât ces problèmes. II
s'est contenté, après un exposé très général de ce qu'était l'état du
pays, de nous donnef quelques indications sur le mouvement des
idées, sur les études helléniques et les études juives, sur la situation
morale du clergé. Des fouilles heureuses dans les archives vaticanes,
aux Investigationes, lui ont fourni sur ce dernier et scabreux sujet
de savoureux détails. Mais ces choses comptaient en Italie moins qu'en
deçà des monts.
Il étudie ensuite les controverses religieuses, pamphlets hérétiques
et réfutations catholiques, puis la prédication. Procédant par la
méthode monographique, il consacre un chapitre à chacun des prin-
cipaux apôtres, l'Espagnol Valdès, Ochino, Vermigli, Vergerio, Car-
nesecchi, Caracciolo, Paleario, Curione, Vittoria Colonna, Olimpia
Morata, etc. Il y a de tout dans cette liste, des réformés, des libres
penseurs, de simples humanistes. A aucun moment on n'a le sen-
timent d'une évolution, d'un ensemble. C'est une suite de notices bio-
graphiques, ce n'est pas un tableau^. Est-ce la faute du sujet? Un
peu, mais il faudrait le dire et expliquer pourquoi.
1. M. Rébelliau a consacré à ce même ouvrage un article très étudié, plein
d'indications précieuses pour qui s'intéresse à la méthode de l'histoire religieuse
{Hevue internationale de l'Enseignement, janvier-février 1921). Sous la poli-
tesse académique des formules, on devine que M. Rébelliau souhaitait mieux.
102 COMPTES-RENDDS CHiTIQDES.
Eo somme, livre assez surperficiel, qui n'ajoutera grand'chose ni à
notre connaissance de l'Italie du xvf siècle, ni à notre conception de
la Réforme protestante. Dans les appendices, M. Rodocanachi adonné
la traduction de quelques dialogues d'Ochino et de quelques extraits
de Gontarini. avec des notes bibliographiques ^ sur quelques-uns de
ses personnages. Cela est bien. Mais pourquoi n'a-t-il pas fait corriger
ses épreuves? Pas une page où un nom, un titre — français, italien ou
allemand — ne soit estropié; par exemple, avec une insistance aga-
çante, celui de Reuchlin, qui devient Reuchelin. Les coquilles, les
fautes de grammaire même ne se comptent pas. Il serait cruel d'insis-
ter sur certaines citations allemandes ou même italiennes.
Henri Hauser.
Michel Lhéritier. Tourny (1695-1760). Paris, Félix Alcan, 1920.
2 vol. gr. in-8°, xvi-453 et 607 pages, 25 pi.*. Prix : 45 fr.
Id. Les débuts de la Révolution à Bordeaux, d''après les
Tablettes manuscrites de Pierre Bernadau. Thèse complé-
mentaire pour le doctorat es lettres présentée à la Faculté des
lettres de Paris. Paris, Félix Alcan, 1919. In-8°, xxxii-1 15 pages.
De toutes les monographies d'intendants de l'ancien régime que
l'on a jusqu'ici publiées, celle que M. Michel Lhéritier a consacrée à
Louis-Urbain' Aubert, marquis de Tourny, intendant de Limoges de
1730 à 1743, et de Guyenne de 1743 à 1757, est certainement la plus
copieuse. Le sujet était très ample; l'auteur a eu l'ambition d'en épui-
ser les sources. Les diverses séries des archives départementales de la
Gironde, en particulier le fonds de l'intendance, lui fournissaient déjà
une très riche moisson de documents. Il l'a complétée par des recherches
dans les archives communales de Bordeaux, d'Agen, de Périgueux et
des villes du Bordelais et de l'Agenais, dans les archives départemen-
tales du Lot-et-Garonne, de la Haute- Vienne, de la Charente, de la
Corrèze, de l'Eure, dans les archives communales de Limoges et de
Brive, dans les fonds manuscrits des bibliothèques et dépôts de Bor-
deaux et de Périgueux. Les Archives et la Bibliothèque nationales,
les archives de la Marine et des Affaires étrangères ont été aussi
Il laisse entendre que l'article de Long dans l'Encyclopédie Lichtenberger était
plus riche, en somme, que le livre de M. Rodocanachi. Il demande pourquoi
les Socin y sont omis.
1. Où l'on n'indique même pas les formats.
2. L'ouvrage, accru d'une bibliographie, réduit pour le livre I à une intro-
duction et allégé des chajiitres i, ii, xv et xvi du livre IV, a aussi paru sous
le titre : Tourny intendant de Bordeaux, thèse pour le doctorat es lettres
pré.sentée à la, Faculté des lettres de l'Université de Paris (Paris, Félix Alcan,
iy'20, 1 vol. in-8° de lxiv-813 p.). '
MICHEL LHÉRITIER : TOURNT (1695-1760). 103
mises à contribution. Les circonstances seules n'ont pas permis à
M. Lhéritier de pénétrer aux archives de la Guerre. Par contre, il a
eu communication d'actes notariés et de papiers de famille conservés
par M. le comte de Grancey, héritier de Tourny. L'enquête, on le voit,
a été très vaste; il y a lieu de louer l'ardeur et la conscience avec les-
quelles elle a été conduite. Cette documentation très abondante et très
variée a permis à M, Lhéritier de renouveler complètement un sujet qui
n'avait été, d'ailleurs, que très légèrement esquissé avant lui dans
quelques éloges académiques et dont, seul, M. Benzacar avait tracé les
grandes lignes dans son étude sur les Règles économiques de Vad-
minislration d'Aiibert de Tournij.
C'est une biographie complète de Tourny que M. Lhéritier a écrite.
Les origines et l'ascension sociale de la famille, petits gentilshommes
originaires du Berry ; les acquisitions territoriales, dues aux gains faits
comme traitant par le père de l'intendant, créature de Pontchartrain ;
la gestion de ce riche patrimoine; les rapports de Tourny avec sa
sœur, M""^ de Grancey; ses chagrins de famille; la biographie de ses
enfants; l'extinction de sa descendance; les héritiers actuels; l'icono-
graphie de Tourny, il a étudié tout cela par le menu, et tout cela est
neuf, ou à peu près', et intéressant.
La carrière administrative de Louis-Urbain fut celle de la plupart
des intendants de l'ancien régime. Conseiller au Châtelet à dix-neuf
ans, par dispense; membre du Grand Conseil et maître des requêtes
avant vingt-cinq ans, toujours avec dispense, Tourny fait dans ces
fonctions son apprentissage ; il s'initie aux. affaires dans les bureaux
et se crée des relations utiles, de puissantes amitiés. Celle de Philibert
Orry, nommé en 1730 contrôleur général, lui vaut d'être désigné pour
l'intendance de Limoges, puis pour celle de Guyenne. Son administra-
tion ne diffère guère de celle de ses collègues du temps de Louis XV.
Ce qui lui appartient en propre, c'est la façon dont il exerça sa fonc-
tion. Il apporta au service du roi un dévouement passionné, un désin-
téressement absolu, une activité admirable. Il voyait tout par lui-
même, entrait dans le plus minutieux détail de toutes les affaires,
dirigeait tout d'une main ferme et impérieuse. Peu aimé de ses admi-
nistrés, (|ui se contentent de l'admirer, il fit leur bonheur malgré eux.
Il eut à un degré éminent le sens de l'urbanisme et le goût de la bâtisse.
Il transforma plus ou moins les villes de ses deux généralités ; à l'in-
cohérence médiévale il substitua l'ordre et la symétrie; à Bordeaux,
il traça les grandes lignes de la ville moderne. Sa volonté vint à bout
de toutes les résistances; il ne parvint pourtant pas à les briser et, le
jour où l'appui du pouvoir central lui manqua, il tomba victime de
son humeur impétueuse et de sa politique trop absolue. Tourny per-
sonnifie, en quelque manière, ce régime du despotisme éclairé qui,
1. L'inconof^raphlc de Tourny a fait l'objet d'un excellent travail de
M. Meaudrc de La|iouyade, |)ublié dans la Reçue kistorùiue de Bordeaux, 1919,
|). 20Ô-220, et qu'a utilisé M. Lhéritier.
104 • COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
développant les principes posés par Colbert, donna à la France de
Louis XV le bienfait d'une administration provinciale à beaucoup
d'égards excellente, en stimulant la vie économique du pays, en trans-
formant sa figure par l'ouverture de routes et le réveil de la vie
urbaine, fondée, d'ai|leurs, sur l'omnipotence d'une bureaucratie très
intelligente et très active.
M. Lhéritier, conquis par la grandeur de ce qu'il appelle « un *essai
intéressant de régionalisme centralisé », a pour son héros une admi-
ration sans mélange.. Elle est justifiée, mais à la condition de ne pas
l'exagérer. Tourny fut un administrateur de premier ordre, mais on
est tenté parfois de le défendre contre son propre panégyriste. Ce n'est
pas diminuer ce grand réalisateur que de reconnaître qu'il eut peu
d'idées personnelles, qu'il eut surtout le mérite d'exécuter ce que-
d'autres avaient conçu. Par exemple, dans la question des embellis-
sements de Bordeaux — la seule partie de son œuvre qui lui ait survécu
— l'idée des « cours » substitués aux fossés n-'est qu'une imita-
tion de ce qui avait été fait à Paris, et les règles générales de l'amé-
nagement des villes, Tourny les trouva dans « son » Delamare. Les
allées de Tourny, que M, Lhéritier attribue à tort à d'Asfeld (t. IL
p. 220), qui y fit précisément opposition, la porte du Chapeau-Rouge,
la porte Dauphine, le déplacement de la porte de Tourny, l'élargisse-
ment de la rue Sainte-Catherine, l'ouverture de la rue Royale appar-
tiennent au grand architecte Jacques Gabriel, qui les proposa dès
1728 (les documents ont été publiés dans le t. XLVIII des Archives
historiques de la Gii^onde). L'idée de la « façade » sur la rivière
remonte au projet de l'architecte Michel Du Plessy, en 1680, repris en
1700 par le marquis de Durfort-Boissière, qui conçut le premier
le projet de la place Royale. Ce n'est pas non plus diminuer
beaucoup Tourny que d'avouer qu'il fut un courtisan habile à ména-
ger le pouvoir central : par exemple, dans son conflit avec l'Académie
de Bordeaux, lorsqu'il vit que la partie était perdue pour lui, à la suite
de l'intervention de Montesquieu, il sut se dégager et laissa les jurats
seuls en face de Trudaine'. La conclusion sur Tourny créateur du
plus grand Bordeaux (t. H, p. 311-312), juste en gros, est excessive en
ce qu'elle méconnaît le rôle de Dupré de Saint-Maur qui, en 1782,
verra plus loin et plus haut que son prédécesseur. Avec M. JuUian et
en dépit de M. Lhéritier (cf. t. II, p. 578), il est permis d'opposer à
l'intendant de Louis XV celui de Louis XVI, qui eut des vues plus
larges, plus pénétrantes et qui fut plus généreux, plus humain.
M. Lhéritier, un peu écrasé par la masse formidable de documents
qu'il a réunie, n'a donc pas pris le temps de regarder en dehors des
limites de son sujet. Sa préparation générale se trouve de ce fait par-
1. M. Lhéritier n'a pas suffisamment utilisé pour l'histoire de ce conflit les
registres des délibérations de l'Académie; conservés d'abord à la Bibliothèque
de la ville de Bordeaux, ils ont été récemment réintégrés aux archives de
l'Académie.
MICHEL LHÉRITIER : TODRNT (1695-1760). 105
fois insuffisante. Ce n'est pas dans l'estuaire du Peugue que tint, « aux
temps anciens », tout le port de Bordeaux (t. II, p. 219), c'est dans
celui de la Devèze ; r« estey » du Peugue fut le port, non de l'emporium
romain, mais de la ville médiévale. Les pouvoirs des jurats bordelais
ne s'étendirent jamais sur les « villes filleules » (t. I, p. 205). Bazas
n'était pas un évèché sutîragant de Bordeaux (t. I, p. 203). Aux dio-
cèses suffragants de Bordeaux, il eût fallu ajouter Angoulême, Saintes,
Poitiers, La Rochelle et Luçon (/bid.). Il y avait au parlement de Bor-
deaux deux chambres des enquêtes et non une; une chambre des
requêtes et non deux (t. I, p. 207). Libourne était dans l'élection de
Bordeaux, Sainte-Foy dans celle de Périgueux, Marmande dans celle
d'Agen. M. Lhérilier paraît placer ces trois villes dans l'élection de
Condom (t. I, p. 194). Issan n'était pas une paroisse, mais un chef-
lieu de juridiction (t. II, p. 157). Une simple consultation de VAlma-
nach de la province de Guienne de 1760 eût permis d'éviter ces
lapsus.
Le grand intérêt du travail de M. Lhéritier est dans l'étude minutieuse
qu'il a faite de l'œuvre de Tourny. Organisation des bureaux de l'in-
tendant, action de ses subdélégués, renforcement de ses pouvoirs judi-
ciaires par la multiplication des évocations, assiette et recouvrement
de l'impôt avec application de la taille tarifée, police des étrangers,
des mœurs, des jeux, des livres, des corps de métiers, tutelle des
communautés, surveillance des petites écoles, efforts — inutiles —
pour créer à Libourne un collège de Jésuites, police des protestants,
service de la milice, assistance publique, contrôle du travail, commerce
des grains et des vins, collaboration avec la Chambre de commerce de
Guyenne, mesures prises pour prévenir ou combattre les disettes, éta-
blissement d'une fabrique de tissus et d'une faïencerie à Limoges,
de fabriques de papier à Angoulême, de verreries à Libourne, à Bor-
deaux et à Bergerac, efforts — inutiles — pour restreindre les plan-
tations de vignes en Bordelais, création de pépinières, œuvre des
routes et œuvre des villes, on trouvera dans ces deux volumes une
masse de faits ignorés ou peu connus sur l'histoire administrative et
économique du Sud-Ouest au milieu du xyiii^ siècle. Je n'y ai pour-
tant rien rencontré sur la condition des populations rurales, déjà étu-
diée par M. Marion, ni sur la multiplication des foires et marchés, qui
est un fait caractéristique de cette époque. Il n'a pas été tiré suffisam-
ment parti des liasses 1653-1655 de la série C des archives de la
Gironde, signalées, d'ailleurs, dans les sources manuscrites.
M. Lhéritier a été parfois victime de la richesse même de sa docu-
mentation. Il semble qu'elle l'ait un peu grisé. Il fait honneur à
Tourny de toutes ses démarches, sans se demander toujours si elles ont
été suivies d'effet. Par exemple, à propos de la police des jeux à Agen
('.. I, p. 279), les délibérations des consuls, qu'il a pourtant vues,
prouvent qu'ils ne tinrent aucun compte des recommandations de
l'intendant et qu'on continua à jouer plus que jamais à Agen, parce
106 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
qu'on n'osa pas sévir contre les délinquants, jeunes gens de bonne
famille. Il eût fallu distinguer plus nettement des mesures qui abou-
tirent celles qui restèrent lettre morte. M. Lhéritier a été un peu
dupe de la paperasse bureaucratique. Les circulaires du service de
santé pendant la guerre ne sauraient donner une idée vraie de l'œuvre
des Croix-Rouges. Soû parti pris d'attribuer à Tourny tout ce qui s'est
fait de bien l'emporte aussi parfois un peu loin. Par exemple, à pro-
J)OS de l'école de dessin créée à Bordeaux par les jurats en 1744, il
écrit : « Aucun document émanant directement de Tourny ne permet
d'établir d'une façon précise la part qu'il prit dans l'établissement de
l'école en question. Tout porte à penser cependant que cette part fut
grande » (t. I, p. 318). Les mémoires du directeur Bazemont, qu'il
cite, ne permettent pas d'aller jusque-là : ils prouvent seulement que
'Tourny visita l'école et lui fit accorder des gratifications. L'initiative
appartient à Bazemont, la décision aux jurats qui l'avaient appelé à
Bordeaux dès 1742 '. Ces exagérations révèlent un manque de mesure
et de critique.
Dans le détail des faits, on relèverait aisément des omissions et des
inexactitudes. Les promenades du Château-Trompette, à Bordeaux,
lie commençaient pas « sur le quai à la porte du Chapeau-Rouge »
(t. II, p. 253); elles faisaient retour de cette porte jusqu'à l'entrée du
bastion de Navarre (voir la vue de Bazemont reproduite t. I, p. 251).
Il n'est rien dit de la grille qui prolongea la porte du Chapeau-Rouge
jusqu'au Château-Trompette : elle fut faite après 1750 (Tourny à d'Ar-
genson, 19 juin 1750, C 1226). Il est possible de préciser la date de la
construction de la nouvelle porte de Tourny (t. II, p. 255) : commen-
cée en 1747, elle fut achevée en janvier 1748 (procès-verbal de récep-
tion du 14 janvier 1748, C 1167). Quant à la décoration de cette porte,
elle ne « revint » pas à Francin ; elle tut l'œuvre d'un sculpteur peu
connu, nommé Bellet (C 1224). La porte n'avait pas « un fronton aux
armes du' roi ». La grille avait simplement deux L entrelacés; mais
les deux guichets portaient au dedans de la ville les armes de Bor-
deaux, au dehors celles de Tourny lui-même. La porte Dauphine (t. II,
p. 272), dont la démolition fut décidée par les jurats, en même temps
que celle de la porte Dijeaux, le 14 septembre 1746, fut rebâtie de
1748 à 1750. Le marché avec le serrurier Fuet pour la grille est du
30 avril 1749 et en donne la description (C 1157). Le fronton de la
porte Dijeaux (t. II, p. 273) est décoré de corselets et non de trophées.
A propos de l'ouverture du cours d'Aquitaine (t. II, p. 277), il n'est
pas dit clairement que Tourny, respectant sur ce point le préjugé
médiéval de la ville close, rebâtit, en l'avançant, le mur de ville sur
toute la façade du midi. Les « coûteuses réparations » faites à la porte
1. Cf. Marionneau, Anciens artistes aquitains et peintres officiels du vieux
Bordeaux {Réunions des Sociétés des beaux-arts des départements, 1886,
p. 224-232) ; Ch. Braquehaye, Les Peintres de l'hôtel de ville de Bordeaux,
Nicolas Le Roy de Bazemont (Ibid., 1900, p. 622-624).
MICHEL LHÉRITIER : lOBBIVÏ (1695-1760). 107
Saint-Julien en 1745 consistèrent à démolir la barbacane et s'élevèrent
à 4,988 livres (C 1169). Pour la porte d'Aquitaine, Portier fit trois pro-
jets et non deux, et c'est le troisième qui fut adopté. L'adjudication
des travaux eut lieu le 6 mars 1754. Commencés le 19 août, ils furent
achevés le 31 décembre 1756; la réception eut lieu le 12 novembre
1758. La dépense s'éleva, pour la maçonnerie, à 49,688 livres 12 sols,
qui furent payés à l'entrepreneur Chevay (C 1168). En ce qui concerne
la place Royale, la décoration de l'hôtel des Fermes n'est pas due à
Verberckt (t. II, p. 236), qui n'en eut que l'entreprise; elle fut exé-
cutée, sur les dessins de Gabriel, par Vandervoort (Arch. Iiist. de la.
Gironde, t. LU, p. 104-112). Il n'y a qu'une allusion vague (t. II,
p. 226) aux travaux du sculpteur, bordelais Pierre Vernet, exécutés en
1747. Le changement apporté par Toiirny aux plans primitifs de la
Bourse, dressés en 1739 par Jacques Gabriel — agrandissement de
l'édifice et création d'une façade sur le Château-Trompette — n'est pas
nettement indiqué. La date de l'achèvement de la Bourse (1755) n'est
pas donnée, non plus que le compte de la dépense (C 1191, 3246). « Les
documents, » lit-on t. II, p. 240, « manquent pour démontrer que
l'intendant ouvrit le fond de la place. » La phrase signifie sans
doute : pour démontrer qu'il en eut l'idée. En fait, le; prédécesseur
de Tourny, Boucher, s'en occupa dès 1738. Lé cahier des charges fut
établi par l'inventeur de l'idée, Jacques Gabriel, le 30 mars (C 1175). En
1743, Boucher démolit les échoppes adossées au mur de ville et fit
construire un mur provisionnel (C 1173), mais, aussitôt après, il met-
tait en vente les emplacements (C 1175). Les fontaines monumentales,
qui ne furent pas exécutées et dont il est fait honneur à Tourny (t. II,
p. 2451, avaient été prévues par Gabriel dès 1729 {.Arch. hist. de la.
(îironde, t. XLVIII, p. 317). Quant à l'idée du pavillon central, elle
fut conçue par le même Gabriel en 1731, et Tourny n'eut pas grand
mal à « entrevoir la vraie solution du problème ». M. Lhéritier ne dit
rien de la construction de ce pavillon, commencée en novembre 1740,
achevée au début de 1755 (C 1175 et supplément), ni du pavage de la
place, établi en 1754 (C 1174), ni de la grille entourant le piédestal de
la statue équestre de Louis XV, exécutée en 1751 par le serrurier Pru-
nier {Arch. hist. de la Gironde, t. XLVIII, p. 428-434). Quant aux
grilles fermant la place Royale (t. II, p. 245), le marché passé avec
le serrurier Fuet est du 30 avril 1749 (C 1173) et rien ne prouve que
(Je devis soit de Portier : le dessin conservé est de Fuet.
Ces sondages pratiqués dans trois chapitres sulïisent à prouver que
le travail de M. Lhéritier, si imposant et si méritoire qu'il soit, n'est
pas toujours complet ni exact. La faute en est sans doute à l'ampleur
du sujet trop hardiment embrassé. Il faut aussi, semble-t-il, l'attribuer
à une certaine hâte dans la mise en œuvre. On la constate jusque
dans le style, dont la rapidité n'est pas exempte de négligence. Tels
quels, ces diuix volumes très touffus donnent de la personne et de
l'œuvre de Tourny une idée juste en gros, mais pas assez nuancée et
108 COMPIES-RENDCS CRITIQDES.
systématiquement déformée par l'absence de perspective et par un ,
parti pris de louange excessive. Dans le détail, il conviendra de ne s'y
pas fier aveuglément '.
L'avocat bordelais Pierre Bernadau eut la fortune, ayant vécu
quatre-vingt-dix ans, de 1762 à 1852, d'être témoin de nombreux et de
grands événements. Ce fut un infatigable écrivassier. Ses livres —
Histoire de Bordeaux, Annales de Bordeaux, Viographe borde-
lais, pour ne citer que les plus connus — sont franchement médiocres,
« dénués souvent de sens critique et parfois d'honnêteté », a dit avec
beaucoup de modération M. Jullian. Ses papiers, acquis en 1860 par
la ville de Bordeaux et conservés dans sa bibliothèque municipale,
forment une collection de 107 volumes, dont la partie la plus utile
aujourd'hui est la série de 52 volumes appelée par l'auteur Spicilège
bordelais et consistant, à quelques exceptions près, en imprimés
— brochures, factums, arrêts, prospectus, feuilles volantes, frag-
ments de journaux, poésies, cartes, gravures, affiches — patiemment
recueillis au cours d'une existence presque séculaire.
Parmi les manuscrits de Bernadau qui composent les 55 autres
volumes, ses Tablettes sont le plus fameux. C'est une suite de notes
constituant un journal qui embrasse soixante-cinq années, de mars
1787 à décembre 1852. Ces notes, souvent utilisées parles chercheurs
locaux, n'ont jamais été publiées. M. Lhéritier a eu l'idée d'en don-
ner des extraits pour la période juin 1787-novembre 1789, qui corres-
■ pond aux débuts de la Révolution à. Bordeaux. Il les a fait précéder
d'une introduction où il résume, en la complétant par quelques ren-
vois aux documents de la série L des archives de la Gironde, la notice
consacrée à Bernadau par Aurélien Vivie. La question capitale est de
savoir comment ont été composées les Tablettes. On a dit que l'au-
teur en brûla l'original en 1793, au moment de son arrestation, et
qu'il reconstitua plus tard, au petit bonheur, tout son récit d'avant
cette date. M. Lhéritier ne le croit pas. Bien qu'il ne conclue pas net-
tement sur ce point essentiel, il incline à croire que nous possédons
l'original de la rédaction et que ces notes ont été écrites au jour le
jour.
Je n'en suis pas aussi convaincu que lui. Les Tablettes me paraissent
avoir été « fabriquées » après coup, à l'aide de notes contemporaines
des événements, mais aussi à l'aide de souvenirs souvent incertains,
1. T. I, p. 44, 1. 32, et p. 64, 1. 11, lire amé au lieu de ami; p. 54, 1. 28,
lire subdélégués au lieu de délégués; p. 99, n. 4, 1. 8, lire C. 37 au lieu de
L 37; p. 220, 1. 23, lire apurer au lieu de épurer. — T. II, p. 157, 1. 21, lire
Goulé au lieu de Goubé et Neyron au lieu de Neijran; p. 219, n. 3, lire Pier-
rugues au lieu de Pierrugui; de même, p. 269, n. 5, au lieu de Pierruqui et
corriger à la table; p. 243, 1. 23 et 25, p. 144, 1. 11, lire Monzoni au lieu de
Manzoni et corriger à la table; p. 281, 1. 10, et 282, n. A,lhe Montégiit&uheu
de Monlaigu et corriger à la table.
MICHEL LHÉRITIER : LES DÉBDTS DE LA RÉVOLUTION A BORDEAUX. 109
plus ou moins raffermis par les journaux du temps et par les innom-
brables opuscules qu'a colligés l'auteur. Les preuves de cette fabrica-
tion apparaissent dès qu'on confronte Bernadau avec les documents
d'archives. Non seulement sa chronologie « manque de précision »,
mais elle est presque toujours fallacieuse. L'auteur a cherché à en
imposer en donnant des dates ; elles sont le plus souvent inexactes et
son œuvre, à cet égard, est un monument de fausse précision. On
ne saurait en être surpris quand on connaît la valeur morale du
témoin. Bernadau est un vilain personnage. Ce n'est pas seulement
un atrabilaire et un grincheux ; c'est un pied plat, bouffi de vanité et
gangrené d'envie, menteur jusqu'à l'effronterie, ayant au cœur la
haine de toute supériorité, ramasseur de cancans et pornographe par
goût. Ses contemporains l'ont tenu en piètre estime, avec raison.
Sous la Révolution, il fut successivement de tous les partis ; il faillit
être victime de la Terreur, mais après avoir, par ses délations, envoyé
d'honnêtes gens à la guillotine. Son témoignage est donc infiniment
suspect. Quand on lui emprunte un renseignement, il faut souvent le
prendre avec des pincettes et il ne convient de l'accepter qu'après
l'avoir sévèrement contrôlé par les documents originaux.
C'est ce que ne semble pas avoir fait suffisamment son éditeur qui,
s'il n'a pas, j'espère, d'illusions sur la moralité de son auteur, paraît
en avoir sur sa véracité. Il l'a trop aisément admise. Il ne s'est même
pas posé la question des sources des Tablettes. L'annotation dont il
a accompagné le texte de ses extraits est un peu sommaire et trop
rapide. Par exemple, la manifestation des cocardes tricolores arborées
au spectacle par les patriotes ne se place pas, comme l'affirme Berna-
dau, le 18 juillet 1789. Ce jour-là, le parterre demanda simplement
que l'on jouât Guillaume Tell, de Lemierre, en l'honneur de la prise
de la Bastille, et Bernadau aurait pu aisément s'en souvenir, puisqu'il
nous a conservé le discours imprimé que Feuilherade, l'un des quatre-
vingt-dix électeurs, prononça, le 20, pour en dissuader les Bordelais.
La manifestation des cocardes, invraisemblable à la date du 18 juil-
let, n'eut lieu que le 4 août, où l'on joua — c'est le précieux calen-
drier manuscrit de Lecouvreur, ignoré de M. Lhéritier, qui nous l'ap-
prend — la Partie de chasse de Collé, pièce portée à tort par les
Tablettes au programme du 18 juillet. Bernadau a tout brouillé.
M. Lhéritier a annoncé son intention de publier intégralement, pour
la Société de l'histoire de la Révolution, la première partie des
Tablettes. L'entreprise en vaut-elle la peine? Il conviendra, en tout
cas, d'établir une édition véritablement critique, et tout porte à croire
que le prestige de Bernadau historien, qui a fait illusion à M. Lhéri-
tier comme à bien d'autres avant lui, s'écroulera au contact des
documents d'archives.
Si cette publication était faite, elle permettrait de combler des
lacunes que l'on remarque avec surprise dans les extraits qui nous
ont été donnés. Je n'y ai pas trouvé la mention, à la date (inexacte) du
110 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
23 septembre 1787, de la première représentatioa de la tragédie « répu-
blicaine » de Guillaume Tell (t. V, p. 83); la manifestation hostile,
d'après Bernadau, dont le duc de Duras aurait été l'objet, le 26 mars
1788, au théâtre des Variétés (p. 191) ; celles qui eurent lieu, le 27 juil-
let, au Grand-Théâtre et aux Variétés contre les jurats imposés (p. 269) ;
celles du 30 août et du 7 septembre, organisées par les patriotes à
l'occasion du rappel de Necker (p. 302, 309-310) ; celles du 20 octobre
(corr. ; 21), où l'on joua au Grand-Théâtre une pièce de circonstance,
Henri IV aux Champs-Elysées, et aux Variétés le Retour désiré,
en l'honneur de la rentrée du Parlement (p. 365-366, 397) ; la première
représentation à Bordeaux, le l»"" mars 1789 {coi^r. : le 3), du Mariage
de Figaro, interdit en 1785; l'analyse des Courtisans démasqués
(5 octobre 1789), à-propos qui mettait en scène la duchesse de Polignac
et le parti de la cour (p. 742-743).
Paul COURTEAULT.
Marcel Blanchard. Les routes des Alpes occidentales à l'époque
napoléonienne (1796-1815). Essai d'étude historique sur un
groupe de voies de communication. Grenoble, J. Allier, 1920.
In-S", xviii-415 pages.
Id. Bibliographie de rhistoire des routes des Alpes occidentales
sous l'État de Piémont-Savoie (XVII«-XVIIIe siècles) et à
l'époque napoléonienne (1796-1815). Grenoble, J. Allier, 1920.
In-8% 118 pages.
On peut — et l'on doit — adresser à M. Blanchard plus d'un reproche .
D'abord, il écrit d'un style lourd, abstrait, obscur, contourné, rocail-
leux ; tout le contraire du style simple, clair, précis qui convient à
l'histoire. Il n'a pas, dans sa façon de citer ou d'analyser les docu-
ments, ces habitudes de scrupuleuse exactitude qui, seules, donnent
au lecteur le sentiment de l'absolue sécurité. Il ne s'astreint pas à ces
méthodes rigoureuses que l'érudition moderne tient à bon droit pour
indispensables : donner des références soigneusement contrôlées,
copier fidèlement les titres des ouvrages, en indiquer le format et le
nombre de pages, surtout en des matières où ces précisions donnent
déjà un premier indice de l'importance du livre (par exemple les rap-
ports des préfets).
Tout cela, je le répète, il faut le reprocher à M. Blanchard. Et les
conditions — glorieuses et douloureuses, pénibles surtout — dans les-
quelles il a courageusement repris et parachevé un travail commencé
avant la guerre ne suffisent peut-être pas à l'innocenter. Mais tout
cela n'empêche pas son livre d'être neuf, utile, et d'apporter une con-
tribution importante à l'une des parties essentielles de l'histoire éco-
nomique, l'histoire des routes.
M. Blanchard avait d'abord rêvé de nous donner plus qu'il ne nous
M. BLANCHARD : LES ROUTES DES ALPES OCCIDENTALES. 111
offre. Persuadé, par l'exemple de Vidal de La Blache, que peu d'études
sont aussi fécondes que celle de l'évolution d'un système de voies de
communication, il aurait voulu retracer l'histoire de l'utilisation éco-
nomique des passages occidentaux des Alpes depuis la fin du xvi« siècle
(depuis 1559) jusqu'à l'ère des chemins de fer. Il nous apporte un frag-
ment de cette histoire relatif à une période capitale, parce que c'est
une époque de guerre, de crise, de transformation, période pendant
laquelle se prépare, s'élabore et s'applique le système continental.
Comme il l'a dit à plusieurs reprises, la guerre, en concentrant la cir-
culation sur un petit nombre de routes bien protégées, met en lumière
le rôle économique normal de ces voies. Il se fait ainsi une série d'ex-
périences dont il faut noter les résultaits.
Quelle est la genèse des voies napoléoniennes entre .France et
Italie?
Quand la politique française en Italie se cherche, il y a concurrence
entre les divers chemins des Alpes. L'État de Savoie-Piémont, menacé
en 1756 par le renversement des alliances d'être coincé entre la France
et le Milanais autrichien, a naturellement pris pour axe la voie savoi-
sienne par excellence, le Cenis, la route sur laquelle Montaigne, lugeur
inexpert, s'était fait ramasser par les marrons. Par l'établissement
en Lombardie d'un État protégé de la France, la politique révolution-
naire reprenait à son bénéfice exclusif l'œuvre de 1756, ce qui donnait
au Simplon, route de Milan, la première place dans les préoccupations
françaises. C'est l'occupation du Piémont, en faisant de Turin comme
de Chambéry une ville française, qui remet au premier plan le Cenis,
considéré désormais comme une route intérieurey un lien entre deux
parties de l'Empire.
Il y a concurrence d'ailleurs — dans cette partie des Alpes qui
sépare les départements anciens et nouveaux — entre deux passages
ou monts, le Cenis et le Genèvre, c'est-à-dire entre Grenoble et
Chambéry, toutes deux soucieuses de contrôler les relations franco-
italiennes. Mais les Dauphinois ne sont pas d'accord entre eux sur les
voies d'accès au Genèvre ; la bataille entre la route du Briançonnais
et celle de l'Oisans favorise les adversaires du Genèvre. D'autre part,
la route de la Maurienne avait cette supériorité d'être à elle-même sa
propre voie d'accès : par le Cenis, on traversait les Alpes en une seule
fois. Enfin, la route de Chambéry, c'était aussi la route de Lyon. Or,
la politique consulaire et impériale tend de plus en plus à favoriser la
grande ville, non seulement à lui fournir en abondance les cocons de
la Brianza, mais à en faire le vestibule de l'Italie, à la fois de l'Italie
annexée et du royaume.
C'est donc l'évolution des faits qui explique l'évolution de la poli-
tique napoléonienne. Les hommes, directeur des ponts, ingénieurs,
préfets — Crétet, Dausse, Deschamps, etc. — jouent un rôle secon-
daire. M. pianchard, qui a étudié à fond les dossiers administratifs,
s'est complu à cette lecture, et il en vient à grossir démesurément
112 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
les personnages et les incidents. Il intitule un de ses chapitres : le
Secret de Crétet. C'est un bien. gros mot. Je ne vois là nul « secret »,
sinon le désir de plaire au maître ou de ne pas le mécontenter ouver-
tement, et cette pratique constante des administrateurs de tous les
temps sous tous les régimes : laisser dormir le dossier de l'affaire qui
paraît la moins urgente; on ne rejette pas un projet, on l'ajourne. De
même, les préfets de l'Empire — les Fournier, les Menou, les Ladou-
cette — sont comme tous les préfets : ils trouvent que le meilleur
projet est celui qui sert le mieux les intérêts de leurs administrés. En
fait, c'est bien Crétet qui avait raison : la route du Cenis était la meil-
leure. Il fallait la faire vite, surtout depuis que, la maîtrise de la mer
ayant été définitivement saisie par l'Angleterre, il importait d'assurer
des relations régulières entre les deux versants des Alpes. Essayons,
par la pensée, de nous représenter un temps où, du Léman à la Médi-
terranée, aucune voie carossable ne franchissait le massif. Même les
ports de la rivière de Ponant n'étaient pas reliés entre eux. C'étaient
autant de petites marines encadrées parla montagne ligure. Le cabo-
tage n'étant plus sûr, il fallut les réunir par la route de la Corniche,
d'autant plus nécessaire que le Cenis, au moins jusqu'à son achève-
ment, restait impraticable l'hiver.
Mais le Simplon aura son heure. Lorsque la domination française
s'étendra sur l'IUyrie, la politique balkanique de Bonaparte réagira
sur sa politique alpestre. L'évolution de sa politique genevoise ^ et
surtout de sa politique valaisanne s'explique par la signification nou-
velle prise parle Simplon, route de Salonique^. Il s'agit d'atteindre
par terre — et autant que possible par des terres inféodées à l'Empire
— ces marchés du Levant dont la thalassocratie anglaise nous inter-
dit l'accès par mer. C'est peut-être sur ce rôle nouveau des routes des
Alpes que M. Blanchard a écrit ses pages les plus fortes, les plus
imprégnées du véritable esprit de l'histoire économique. Il a montré,
en traits saisissants et pittoresques, comment ces routes des Alpes
deviennent non plus seulement les routes de la soie, mais les routes
du coton, de la matière première par excellence dont l'Angleterre
voulait priver les usines impériales.
C'est avec un sens très profond de l'évolution économique des
routes que M. Blanchard écrit, en un raccourci puissant : « Les routes
des Alpes occidentales, de tout temps routes du sel, routes de la laine
aux temps lointains du moyen âge, quand les produits des Flandres
venaient se faire transformer à Florence en draperies de luxe, routes
de la soie depuis la fortune de la fabrique lyonnaise, allaient, pour un
temps et par une conséquence imprévue du blocus napoléonien, se
transformer en routes du coton. » Et si le style de l'auteur est souvent
1. Il aurait fallu citer W. Rappard, Révolution industrielle en Suisse,
p. 75.
2. M. Blanchard, très riche en détails sur la construction du Cenis, passe
plus vite sur le Simplon, très bien éludié par Fr. Barbey.
R. BLANCHARD : LES ROUTES DES ALPES OCCIDENTALES. 113
critiquable, il a parfois des formules heureuses, comme celle-ci : « Les
cotons ont véritablement réveillé le Simplon. »
Toute l'histoire de notre industrie pendant le blocus est en relation
avec l'histoire des routes, spécialement avec celle des routes alpestres.
La politique des routes est donc une pièce maîtresse du système
continental. Aussi l'ouvrage de M. Blanchard aidera-t-il à l'intelli-
gence de ce système, qui n'était pas seulement une organisation de
défense économique contre l'Angleterre, mais encore (p. 313) « une
tentative d'exploitation commerciale du continent par la France ».
M. Schmidt l'avait démontré pour certaines parties de la Confédéra-
tion du Rhin, M. Blanchard le confirme pour l'Italie. En premier lieu,
les intérêts de la partie annexée de l'Italie (et l'on sait que cette par-
tie ira s'accroissant constamment) sont sacrifiés à l'intérêt français.
S'il est exagéré de dire avec M. Blanchard que l'administration des
départements à l'est des Alpes avait quelque chose de « colonial », il
reste que ces nouveaux sujets de l'Empire étaient un peu traités
xomme des Français de deuxième zone, subordonnés à Lyon et aux
villes du Nord. Mais l'égoïsme impérial apparaît plus à plein dans le
traitement économique infligé au royaume d'Italie.
On a justement reproché à M. Blanchard (p. 312-313) d'avoir donné
une analyse inexacte, à force d'être rapide, du traité de commerce
franco-italien du 20 (et non 22) juin 1808. Il est certain que, dans sa
lettre, ce traité est un traité de réciprocité douanière et semble éta-
blir entre les deux contractants une complète égalité. Mais pour qui
est habitué à lire les textes de ce genre, pour qui sait ce qu'en peut
tirer dans la pratique une administration des douanes, tout s'éclaire
d^une autre lumière.
De même, l'auteur sera sans doute d'accord avec moi pour recon-
naître qu'il a exagéré en écrivant (p. 313) que le décret du 10 octobre
interdisait toute importation de manufactures étrangères dans le
royaume tandis que ce décret ne parle que des produits textiles; mais
c'est là un détail de peu d'importance puisqu'en fait le commerce
était surtout constitué par ces articles.
La douane impériale est d'accord avec le Conseil général du com-
merce, organe du protectionnisme industriel français, pour admettre ce
postulat que l'Italie (royaume) est un État purement agricole, fournis-
seur de matières premières, mais non de produits industriels. Peu
importe qu'en fait le Milanais ait déjà été atteint par la révolution
industrielle. Il lui est interdit de se transformer, il lui est ordonné de
se considérer comme un fournisseur de matières pour l'industrie
française, comme acheteur obligé de produits manufacturés français.
Pour l'empêcher de lutter contre les usines françaises, môme dans
les régions italiennes réunies à l'Empire, on applique aux matières
premières dont Milan pourrait se servir, par exemple aux laines roma-
gnoles, un système que nous appellerions aujourd'hui, en langage
fiscal, celui de la péréquation des prix de transport. Traditionnelle-
Rev. Histor. CXXXVII. 1" f.\sc. 8
114 COMPTES-RENDUS CBITIQDES.
ment, ces laines, transformées en draps en Lombardie, servaient à
vêtir les habitants des États de l'Église. Mais, dit Montalivet, « il
importe de ne pas en priver nos manufactures... Si l'on admet l'ex-
portation en Italie ^ il convient de la frapper [cette matière] d'un
droit équivalent aux frais de transport de la laine jusqu'aux
parties les plus septentri.07iales de l'Empire^ soit 24 francs le quin-
tal ». Les laines romagnoles^ iront donc à Elbeuf, à Saint-Quentin, à
Verviers, d'où elles retourneront, sous forme de draps, à Rome, à
Ancône, à Ravenne. Mais Milan ne les recevra pas.
Voilà dans quel esprit fut exécuté le traité. Aussi le Conseil géné-
ral du commerce pouvait-il dire : « La France a tout lieu d'être satis-
faite... L'Italie seule nous reste et remplace pour nous toutes les
branches d'exportation. Elle est notre unique ressource. »
M. Blanchard a supérieurement éclairci cette partie du problème.
Cela ne l'empêche pas d'admirer l'œuvre de Bonaparte constructeur de
routes. Bonaparte a trouvé les Alpes sans une seule route carrossable.
Il laisse un Cenis presque complètement équipé et qui, après avoir
repris en 1815 son rôle d'instrument aux mains du « portier des Alpes »,
deviendra la grande voie franco-italienne et l'une des grandes voies
internationales Nord-Méditerranée. Le Genèvre est à peu près achevé.
Le Simplon fut d'abord menacé de destruction par les Valaisans
eux mêmes; en tout temps, les peuples qui vivent de la route s'op-
posent aux perfectionnements techniques qui portent atteinte à'ieur
monopole. Mais Bonaparte ne s'était pas trompé en rêvant un grand
avenir pour cette route, l'une des voies de l'Europe occidentale vers
Trieste et les Balkans. Dans cinq cents ans, quand l'épopée napoléo-
nienne et le despotisme napoléonien seront oubliés, il restera de
Bonaparte le souvenir d'un ouvreur de routes, d'un Bahnbrecher,
d'un émule des Héraklès et des Alexandre.
M. Blanchard, qui a reçu l'éducation géographique, a su dégager
les éléments permanents qui gouvernent la circulation, en dépit de la
mobilité des apparences historiques. Comment les voies carrossables
préfigurent les voies ferrées, c'est ce que l'on aperçoit partout dans
son livre. La route du Cenis, route des cocons, conçue d'abord comme
éminemment lyonnaise, a étendu sa sphère d'action en repoussant
vers le Nord son point d'attache au grand tronc Manche-Méditerra-
née. Après avoir été le monopole d'une Compagnie de roulage stric-
tement lyonnaise, les Bonafous, la circulation s'y établit par la
variante du Bugey, qui raccourcit la distance Paris-Turin : première
ébauche de la voie ferrée Bourg- Ambérieu. Nous avons déjà vu com-
ment le Simplon napoléonien, fils lui-même de la politique de Choi-
seul à Versoix, menait à des conceptions ferroviaires très modernes^,
1. Lisez : de la Romagne, qui est France, vers le Royaume, qui est
Italie.
2. M. Blanchard écrit abusivement « romains ».
3. II est également curieux de constater que la rivalité Gap-Grenoble repa-
M. BLANCHARD : LA BOOTE DES ALPES OCCIDENTALES. 115
Les chemins de fer n'auraient pas eu, sous Louis-Philippe, le suc-
cès que l'on sait s'ils n'avaient pas trouvé un réseau de routes déjà
très complet et sur lequel les grandes entreprises de roulage étaient
parvenues à une régularité et à une rapidité remarquables dans le
transport des marchandises. On en est donc, dans les années qui
suivent l'Empire, à ce point précis où une nouvelle amélioration des
conditions de transport peut constituer un avantage économique con-
sidérable. Dans l'histoire des chemins de fer comme dans celle des
métiers mécaniques, c'est le besoin qui a créé l'organe. Et ce sont les
progrès antérieurs qui avaient fait naître les besoins nouveaux, à qui
ils donnaient une première satisfaction.
Sur ces grandes entreprises de transports — mères de nos Compa-
gnies de chemins de fer — on consultera avec fruit les documents
publiés par M. Blanchard dans sa bibliographie. Le rôle de certaines
villes commerçantes y apparaît avec une singulière netteté, non seu-
lement celui de Lyon, mais celui de Chalon, arrière-port de la Médi-
terranée, carrefour de la Bourgogne, de l'Alsace, de la Lorraine, du
Nord, de la région parisienne. Là encore, hier préfigure aujourd'hui
— et peut-être demain.
De patientes recherches aux archives de Turin, à nos Archives
nationales, aux archives de l'Ain, des Alpes-Maritimes, des Hautes-
Alpes, de l'Isère, de la Savoie ont permis à M. Blanchard de mettre au
jour un travail qui n'est pas sans défaut, mais qui enrichit grandement
notre connaissance de l'histoire économique. Il est écrit par un histo-
rien, c'est-à-dire par un homme qui ne sépare jamais l'histoire écono-
mique de l'histoire générale, par un homme dont l'horizon intellec-
tuel est étendu et qui ne perd jamais la notion de l'ensemble.
Aussi terminerons-nous par un souhait : que M. Blanchard pousse
son travail jusqu'aux jours où, dans les Alpes occidentales, la voie
ferrée viendra s'ajouter à la route carrossable. Les difiicultés de docu-
mentation qu'il prévoit pour cette partie du sujet ne sont pas, je crois,
insurmontables. Nul n'est plus qualifié que lui pour entreprendre cette
tâche'.
Henri Hauser.
rail aujourd'hui, à peu près identique, dans la question des délimitations régio-
nales. Gap tend à descendre vers le sud, à se rapprocher de Marseille.
1. Quelques expressions inexactes. P. 281 : le « trust » piémontais.
Ce n'est pas un trust, mais un cartel. Quelques conjectures risquées, par
exemple p. 105, à propos de la route de Versoix, menace à la fois pour les
intérêts grenoblois et pour les intérêts chambériens; mais il n'est pas démon-
tré que les deux villes ont conclu une entente. — Bibliographie, p. 108,
au lieu de « Bourg[?]-Saint-Maurice en Valais », je pense qu'il faut lire
« Bourg-Saint-Maurice en Tarentaise ».
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire générale. — Le 16^ fascicule du Dictionnaire apologé-
tique de la foi catholique (4« édit. refondue sous la direction
d'A. d'Alès; Paris, Beauchesne, 1920) contient plusieurs articles qui
constituent de véritables mémoires pourvus d'une abondante biblio-
graphie, par exemple sur les Mystères païens et saint Paul, par
E. Jaquet (l'apôtre a connu certaines doctrines des religions de mys-
tères ; mais sa théologie est fondée « si^r des conceptions absolument
étrangères aux conceptions païennes »); la Révocation de l'Edit de
Nantes, par Yves de La Brière (cet acte fut certainement l'expres-
sion ^e la volonté nationale, « ce qui, à nos yeux, ne suffit pas à le
légitimer et à le rendre digne d'éloges »); les Religions du nord de
l'Europe, par Henri Froidevaux; la Question des ordinations angli-
canes, par Sidney F. Smith; l'Origénisme, par A. d'Alès; Paix et
guerre, fondements du droit international chrétien et théorie catho-
lique du droit de guerre,' par Yves de La Brière.
— J. de Louter. Le droit international public positif (Oxford,
University Press, 1920, 2 vol. in-S*, xi-576 et 509 p.). — Étude cons-
ciencieuse des principes et des sources du droit international, exposé
critique de son histoire et de ses évolutions, examen et fixation des
théories et des instruments positifs qui commandent les relations des
peuples, telle nous apparaît l'œuvre du savant professeur de l'Univer-
sité d'Utrecht.
M. de Louter définit d'abord le droit irrternational et la science de
ce droit, en discute et précise les éléments. Il donne ensuite un aperçu
historique comprenant trois périodes : avant 1648, de 1648 à 1815, de
1815 à 1914. Après cette introduction particulièrement intéressante et
documentée, il entreprend le fond même du droit international public
actuel, qu'il considère tant au point de vue du droit matériel (sujets,
objets, traités) qu'au point de vue du droit formel (organes, conflits,
guerre, neutrali.té), sans oublier les dernières manifestations et les
instruments sortis des deux conférences de la Paix de 1899 et 1907 et
de la déclaration de Londres du 28 février 1909 (cour permanente d'ar-
bitrage, cour internationale des prises). Si la première de ces deux juri-
dictions a pu être organisée, l'établissement de la seconde a été arrêté
par la guerre de 1914. ï^a. réalisation de l'une, aussi bien que le seul
projet de création de l'autre, n'en constitue pas moins de nouvelles
et indéfectibles bases de la marche ascendante et continue du droit inter-
national public. Voilà justifié le titre doni\é à l'ouvrage. Parti du droit
HISTOIRE DE BELGIQUE. 117
naturel et des principes élémentaires de philosophie et de morale, le
droit international public aboutit à un droit réel et positif. Aux viola-
tions de ce droit positif et contractuel, quelles sont les sanctions? La
dernière guerre a bouleversé tout ce qui, sur ce sujet, avait été laborieuse-
ment instauré ou projeté. De nouveaux instruments diplomatiques et des
organes nouveaux de réalisation sont intervenus, dont nous attendons
légitimement les effets utiles. Mais c'est toujours au service des mêmes
principes du droit et de la justice entre les nations que sont appor-
tées les nouvelles forces. Bien que son livre ait paru pour la première
fois en 1910, l'édition en langue française que vient de nous en don-
ner M. de Louter conserve donc tout son intérêt. Elle sera lue et
appréciée comme le méritent la haute conscience et la valeur scienti-
fique de son auteur. L. Adam.
— L'Annuaire de la Fondation pour la paix internationale (Carne-
gie Endowment for International peace year book 1919, n° 8)
contient les divers rapports présentés par les commissaires de la
Fondation, dont la liste figure en tête de l'ouvrage. Les pages 105-135
contiennent des documents intéressants pour ceux qui s'occupent de
droit international. Dans une brochure annexée au volume figurent
les signatures, ratifications et adhésions aux conventions et aux décla-
rations de la première et de la seconde conférence de la paix de La
Haye.
— Sir Geoffrey Butler. Studies in statecraft (Cambridge, Uni-
versity Press, 1920, in-8°, vi-138 p.). — Notes sur : Rodriguez San-
chez de Arevalo, évêque de Calahorra, conseiller de Paul II, auquel
Sir Geofîrey Butler attribue un dialogue de la guerre et de la paix,
où l'interlocuteur de l'évêque est Platina; l'influence du droit romain
sur la conception française de la monarchie au xyi^ siècle; Guil-
laume Postel; le grand dessein; Crucé. L'auteur donne comme
neuves des choses fort connues, et il ne connaît pas très bien les
ouvrages français sur ces questions. Utiles bibliographies des ouvrages
de Sanchez et de Postel. H. Hauser.
— Ant. L. Valverde. Compendio de historia del commercio
(Madrid, V. Suarez, 1915, in-8°, 507 p.). — La guerre est cause que
nous n'avons pas signalé plus tôt ce manuel, destiné aux écoles de
commerce. L'auteur est professeur à la Havane. Ce résumé (qui va
des origines jusqu'en 1914) est clair et bien ordonné. En appendice,
tableaux du commerce de Cuba de 1903-1904 à 1912-1913. Une petite
bibliographie. — L'auteur annonce une histoire du commerce de Cuba
de 1452 à 1914. H. Hauser.
Belgique. — Charles De Wissher et François-L. Ganshof.
Le différend des Wielingen (Bruxelles, impr. Weissenbruch, 1920,
in-8o, 35 p. Extrait de la « Revue de droit international et de législa-
tion comparée », 1920, n<"* 3-4). — On sait qu'il existe un conflit entre
118 NOTÉS BIBLlOGRAPflIQDES. •
la Belgique et les Pays-Bas sur le point de savoir auquel de ces deux
états appartient la souveraineté de la passe des Wielingen qui, des
trois embouchures de l'Escaut dans la mer du Nord, est la plus
importante et la plus fréquentée; elle longe la côte de la Flandre
zélandaise. La conclusion de cette étude est que « ni au point de vue
historique [présenté par M. Ganshof], ni au point de vue juridique
[présenté par M. De Wissher], la thèse belge, fondée sur le droit
commun de la mer territoriale, n'a pu être ébranlée ».
— Léon VAN DER ESSEN. Les tribulations de l'Université de Lou-
vain pendant le dernier quart du XVI' siècle (Rome-Bruxelles-
Paris. Extrait de Rome et Belgique, 2« vol., 1921, in-8°, 26 p.). —
Nous devons à un heureux hasard la conservation du manuscrit
(registre de lettres expédiées par l'Université ou reçues par elle de
1583 à 1602) qui a servi à composer cette brochure : M. van der
Essen Tavait chez lui, en consultation, lors de la destruction de la
bibliothèque. L'auteur retrace la dramatique histoire de l'Université
et celle de la ville, successivement occupée, prise et reprise par les
troupes et les bandes espagnoles ou orangistes. C'est seulement en
1585 que finit cet « horrible cauchemar ». Il fallut longtemps encore
pour rendre à Louvain sa prospérité et à l'Université sa vie intellec-
tuelle. Tout au moins n'avaient-elles été victimes que des excès,
accompagnement inséparable de la guerre au XVP siècle, « d'une sol-
datesque sauvage et indisciplinée ». Rien de comparable à la destruc-
tion systématique, ordonnée, planmàssig, dont les ruines actuelles
de Louvain portent encore l'irrécusable témoignage. Dans ces mai-
sons et ces édifices nominativement désignés pour la destruction, soi-
gneusement rasés à côté d'autres non moins soigneusement épar-
gnés, il y a un spectacle que tout historien doit voir et noter avant
que les travaux de reconstruction en aient effacé les traits.
H. Hauser.
Danemark. — Knud Fabricius. Kongeloven, dens tilblivelse og
plads i samtidens natur-og arveretlige udvikling (Copenhague,
Hagerup, 1920, in-8°, xvi-407 p.). — M. Fabricius, dont on connaît les
beaux travaux sur le xvii^ siècle danois, vient d'étudier les origines
et la signification de la fameuse Lex regia (Kongelov) de Frédé-
ric IIL S'opposant vigoureusement aux historiens antérieurs, Frideri-
cia et Jôrgensen en particulier, le savant professeur de Copenhague
conteste — de façon sans doute trop absolue — que les doctrines de
Hobbes aient influencé le moins du monde P. Schumacher (Grififen-
^feld), principal auteur ou plutôt rédacteur de ce document capital.
Mais M. Fabricius montre bien que la Lex regia est sortie avant tout
de ce mouvement d'idées qui, au milieu du xvii° siècle, en Danemark
comme dans le reste de l'Europe, poussait presque tous les esprits à
faire l'apologie de la monarchie absolue; l'action personnelle de Fré-
déric III fut loin d'être prépondérante, même dans les mois décisifs
HISTOIRE DE FRANCE. 119
de l'automne 1660. Encore après l'acte essentiel du 10 janvier 1661, la
cour de Danemark se préoccupa bien plus du mariage des princesses
royales que de l'élaboration de la Lex regia. C'est seulement de 1665
à 1669 qu'utilisant le projet de Kornerup et Rasmus Vinding, Schu-
macher rédigera le texte fameux — monument presque aussi impor-
tant pour l'histoire de la langue que pour celle des institutions
danoises — qui, pendant près de deux siècles, devait demeurer la loi
fondamentale du royaume.
A ce volume plein de faits et d'idées, il nous faut bien pourtant
adresser un reproche. M, Fabricius consacre, à juste titre, deux cha-
pitres à l'examen des théories sur le pouvoir royal aux xvi« et
xvii« siècles; mais pourquoi donc a-t-il négligé à peu près toutes les
publications françaises se rapportant à ce sujet? Son ouvrage eût
gagné à ne pas ignorer des livres comme la thèse déjà ancienne de
M. G. Weill sur l'époque des guerres de religion, celle de M. Chau-
viré sur Bodin^ l'Éducation politique de Louis XIV de M. Lacour-
Gayet et aussi le dernier tome si remarquable de Paul Viollet.
A. Ganem.
France. — Frédéric Lachèvre. Le libertinsige au XV 11^ siècle.
Mélanges (Paris, H. Champion, 1920, in -8°, 316 p., index, 1 planche).
— M. Lachèvre poursuit ses intéressantes études sur le libertinage,
entendu aux lieux sens qu'avait le mot : libertinage des mœurs, liber-
tinage de la pensée. Le morceau principal de ces « mélanges « est
celui sur Geoffroy Vallée. Comme il a été brûlé en 1574, on ne peut
le faire figurer dans un volume sur le xvii« siècle qu'en lui donnant
ce titre : l'Ancêtre des libertins du XV 11^ siècle (le morceau a
d'ailleurs paru également à part, H. Champion, 1920, in-8°, 59 p.). M. La-
chèvre a particulièrement étudié la Béatitude des chrestiens ou le
Fléo (sic) de la Foy de 1573 ; il a publié toutes les pièces du procès qui
cpnduisit le malheureux Vallée au bûcher. Ce livre lui-même, qui est
un exposé du déisme, est^ici reproduit d'après un exemplaire peut-
être unique, provenant de La Monnoye. Vallée n'y apparaît nullement
comme un faible d'esprit, et il semble bien avoir été, dans une certaine
mesure, victime de parents intéressés à se débarrasser de lui. C'est
une figure très pure, qui s'oppose à celle de son petit-neveu des Bar-
reaux, M l'illustre débauché ». C'est à ce genre de « libertinage » que
se rapporte le sujet de la troisième étude, VEscole des filles de Mil-
lot et L'Ange, la seconde portant sur le Trésor inestimable de Jean
Fontanier, brûlé en 1621. Fontanier, qui était de Montpellier et
d'origine réformée, avait fréquenté à Venise et à Constantinople les
rabbins ; aux Pays-Bas il fit la connaissance du célèbre Daniel de Mou-
take et sa doctrine semble avoir été un judaïsme rénové. C'est par
suite de ses relations avec Louis de Montalte que l'on trouve dans son
procès quelques détails sur la vie de Léonora Galigaï, dont Isaac, fils
de Louis, était le médecin. — Pour le morceau sur M"* de La Haye
(Charlotte des Essarts) et son amant malheureux, Christophe de Beau-
120 NOTES BIBLIOGRAPflIQDES.
mont, on ne, voit pas très bien ce qu'il fait en ce volume. — On s'ex-
plique mieux la présence d'un article (non annoncé au sommaire) sur
la religion de Montchrétien : les arguments donnés par M. Lachèvre
pour prouver qu'il n'était pas huguenot ne me paraissent pas décisifs.
— M. Lachèvre attribue à Angot de L'Éperonnière les Exercices de
ce temps et à Claude Belurgey (n'est-ce pas Bélorgey ?) les Quatrains
du déiste. L'article sur Une première attaque inconnue de Claude
Garnier contre Théophile de Viau complète les belles études que
l'auteur a déjà consacrées au poète. Plus loin, des notes reviennent
encore sur Théophile et sur son procès, non plus sur le procès de 1625,
mais sur celui dont il fut l'occasion posthume devant la justice du
second Empire, en 1859. Dans un autre article, à propos de Cramail,
on voit passer la figure de Vanini, et dans le suivant celle de Cyrano.
Lignières, récemment célébré par M. Magne (voir infra), a aussi sa
place en cette galerie. H. Hauser.
— Magne (Emile). Un ami de Cyrano de Bergerac. Le chevalier
de Lignières., plaisante histoire d'un poète libertin... (Paris, E. San-
sot, Bibl. hist. des curiosités littéraires, s. d., in-S", 189 p.). — Sui-
vant sa méthode ordinaire, M. Magne prend la vie d'un poète — d'un
de ces poètes qui ont eu maille à partir avec Despréaux — et il donne
de cette vie un récit romanesque et truculent. Duels et ruelles, fer-
railleurs et précieuses, scènes de ripailles et scènes d'alcôves; le lec-
teur de ces sortes d'ouvrages doit se représenter le xvii« siècle nais-
sant comme une suite d'épisodes du Capitaine Fracasse. La vie était
alors, comme en tout temps, à la fois plus simple et plus complexe.
— Bibliographie des œuvres de Lignières et documents sur sa famille,
la famille Payot, sortie de la finance : Charles Payot, trésorier général
de la Maison du roi, et Isaac Payot, trésorier général à Soissons en
1603 ; en 1619, Isaac se fait adjuger la ferme générale des aides. Charles
de Trouillart, correcteur en la Chambre des comptes, épousa Marie
Payot, qui était pupille de Robert Miron, maître des conrptes, fils et
petit-fils des deux prévôts des marchands. Et voilà comme on fabriquait
un « chevalier », maître d'un castel! Isaac Payot a pour beau-père
Pierre de La Bruyère, « argentier » de la Maison du roi. D'après les
tables de Jal et de Servois, ce Pierre n'est pas un ancêtre de l'auteur
des Caractères., mais,, comme le conjecture M. Magne, il pourrait être
un parent. N'oublions pas que le farouche ennemi des traitants était
fils de financiers et que lui-même fut pourvu d'un office. — H. Hauser.
— Désiré Jouany, docteur en droit. La formation du département
du Morbihan (Vannes, Impr. ouvrière vannetaise, 1920, in-8°, 79 p.).
— L'auteur a choisi le Morbihan pour étudier de plus près la forma-
tion des cinq départements qu'a fournis l'ancienne province de Bre-
tagne, parce qu'il est seul limitrophe des quatre autres et qu'on peut
mieux y noter les facteurs déterminants des mutations plus ou moins
profondes que l'Assemblée nationale introduisit dans le pays, ainsi que
HISTOIRE DE FRANCE. 121
la coexistence momentanée des anciens et des nouveaux rouages
administratifs. M. Jouany a consulté pour son étude les Archives
nationales, les archives départementales du Morbihan, d'Ille-et-
Vilaine, les archives municipales de Vannes, etc. Après avoir som-
mairement décrit, dans un premier chapitre, l'ancienne Bretagne et
son état avant la Révolution, il consacre les chapitres suivants au
récit de la création et du baptême du département, de sa division en
districts et cantons, à l'élection des nouveaux corps administratifs
(mai i790), à leur activité pendant le second semestre de ladite année.
Son exposé s'arrête avant que la crise religieuse se fasse sentir dans
la région. C'est une monographie utile, comme on voudrait en possé-
der une pour chacun de nos départements. Reuss.
— Henri de Laguérenne. Une page d'histoire régionale. Pour-
quoi Montluçon n'est-il pas chef -lieu de département? (Moulins,
L. Grégoire, 1919, in-18, 109 p.). — L'auteur nous expose, d'après le
registre des' délibérations du Comité permanent de Montluçon et
d'après d'autres papiers inédits, pour quels motifs cette ville ne fut
pas désignée comme chef-lieu du département de l'Allier. Cas curieux
d'une de ces rivalités locales qui, lors de la nouvelle division en
départements par la Constituante, amenèrent la brouille entre rivales
qui se^disputaient l'honneur de posséder une administration centrale,
une administration de district, un tribunal, etc. Montluçon, la ville la
plus considérable du Bourbonnais, se croit, un moment, assurée de
l'emporter sur Moulins; mais, en janvier 1790, l'Assemblée nationale
inflige à ces espoirs « un échec définitif et irrévocable ». Les habitants
réclament alors au moins comme dédommagement un « district fort
étendu », une cour souveraine et un évêché. Ils n'obtinrent de tout
cela qu'un tribunal de première instance et furent « plongés ainsi »,
dit M. de Laguérenne, « dans une période d'obscur repos, » dont ils
n'ont commencé à sortir qu'au milieu du xix^ siècle. En 1900, Mont-
luçon comptait, en efïet, 31,000 habitants, Moulins 22,000 seulement;
mais il est peu probable qu'on dépossède cette dernière ville de son
préfet au profit de l'autre. Reuss.
— Comité départemental de Seine-et-Oise pour la recherche
de documents relatifs à la vie économique de la Révolution. Bul-
letin Âe 1914-1915-1916 (Versailles, impr. « la Gutenberg », 1917, gr.
in-8°, 94 p., photographies). — Ce fascicule comprend, outre les pro-
cès-verbaux des séances du Comité de juillet 1915 à mai 1918, des
notices plus ou moins détaillées sur quatre de ses membres décédés
durant cette période : M. le sénateur Ferdinand Dreyfus (par M. Lo-
rin); M. U. Quesvin, ancien professeur d'histoire au lycée Hoche, et
M. ICugène Grave, l'auteur de V Histoire de iV/a?i<es (par M. Defresne);
M. Maurice Tourneux, l'historien et le bibliographe bien connu (par
M. Evrard). Les mémoires spéciaux lus dans les séances du Comité,
au cours de ces années, paraîtront dans le prochain Bulletin. — Reuss.
122 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
— Maurice Dussarp. Roger Ducos et sa mission à Landrecies en
Van III, 1"^ germinal-10 fructidor (Largentière, impr. Mazel, s. d.,
m-8°, 238 p., portrait). — Tour à tour modéré, puis radical, Roger
Ducos, adversaire des Girondins à la Convention, président au Con-
seil des Anciens au 18 fructidor, se vit porté, par l'influence de Bar-
ras, au fauteuil directorial et prêta « le concours le plus actif « au
coup d'Etat du 18 Brumaire; il devint, le lendemain, consul provi-
soire, figura plus tard, comme comte de l'Empire et grand officier de
la Légion d'honneur, au Sénat, ce qui ne l'empêcha pas de voter la
déchéance de l'empereur. Expulsé de France comme régicide, il mou-
rut en Allemagne des suites d'un accident de voiture (1816). Ce per-
sonnage, peu sympathique au demeurant, était originaire de Dax, où
ses papiers se trouvaient naguère encore entassés à la mairie quand
ils furent « livrés au commerce » pour déblayer la maison commune.
Le registre de la correspondance de Roger Ducos pendant une mission
que la Convention lui donna à Landrecies (mars-septembre 1795) a
seul échappé à cette destruction par un heureux hasard, et M. Dussarp
s'en est servi (avec quelques autres pièces déjà publiées dans le grand
recueil de M. Aulard) pour nous raconter les faits et gestes du conven-
tionnel pendant cette mission, assez peu importante en somme (il
s'agissait surtout de la réparation des dommages de guerre dans cette
cité). Évidemment, il était tentant d'exposer en détail comment le
gouvernement républicain d'alors avait voulu réparer les ravages cau-
sés par une invasion allemande; mais, tout en constatant que le tra-
vail renferme une série de renseignements intéressants, on ne peut
s'empêcher de trouver que l'auteur aurait pu resserrer notablement
les limites de son étude. Reuss.
— E. DE Marcère. La Prusse et la rive gauche du Rhin. Le
traité de B aie, i794-i795, d'après des documents inédits (Paris, Félix
Alcan, 1918, in-18, 244 p.). — L'esquisse assez détaillée des tentatives
de paix qui, dès 1792, précédèrent les négociations de Bâle entre la
République française et le roi de Prusse semble avoir été écrite au
cours de la dernière année de la guerre récente, pour montrer « avec
quelle facilité la Prusse accepte l'établissement des Français sur la
rive gauche » du Rhin. L'auteur l'invite en conséquence à en agir de
même aujourd'hui. « Ce qu'elle fit à cette époque », écrit-il naïve-
ment, « presque sans se faire prier, en prenant même une sorte d'ini-
tiative, ne peut-elle donc le refaire pour assurer dans l'avenir la paix
du monde? Ip. 2). » L'auteur doit être revenu depuis de ses singulières
illusions sur les dispositions de l'Allemagne à « envisager sans appré-
hension la cession de la rive gauche du Rhin à la France » (p. 21). —
Pour ce qui est du récit lui-même, on ne voit pas que les recherches
de M. de Marcère aux archives du ministère des Affaires étrangères
aient fourni beaucoup de détails nouveaux; les éloges qu'il prodigue
à Barthélémy montrent, en tout cas, qu'il n'a pas lu ses Mémoires,
publiés il y a quelques années, et où Barthélémy s'est jugé (sans le
vouloir) plus sévèrement encore que ne le fit le Comité de Salut public.
HISTOIRE DE FRANCE. 123
Le récit de M. de Marcère est défiguré par de très nombreuses caco-
graphies quant aux noms de personnes et de lieux. Il faut lire, par
exemple, Dohm pour Doehn, Knesebeck pour Kneschbech, Ruchel
pour Rugel, Weisskirchen pour Wiesskirch, Hochheim pour
Hoclieirn, Eric pour Erie, landgraben pour landgrahen, Kœnigs-
berg pour Koenisberg , etc. Reuss.
— Henry Morel-Journal. La politique de Bonaparte en pays
occupé, d'après des documents recueillis à Vicence sur l'occu-
pation française en 1796, av'fec une lettre-préface du général Maistre
(Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1921, in-18, 66 p.). — Attaché à
l'état-major du corps d'armée envoyé en Italie après le désastre de
Caporetto, l'auteur a profité de quelques loisirs durant son séjour aux
portes de Vicence pour explorer les archives de cette ville. Il y a
recueilli plusieurs documents illustrant les procédés employés par le
Directoire et ses représentants militaires (parmi lesquels le général
Bonaparte fut le plus important, mais non le plus docile), au cours de
la campagne de 1797, pour amener les populations vénitiennes de la
terra firma à se « réunir » à la République cisalpine. En les utilisant
dans sa plaquette, il a bien ajouté quelques détails intéressants pour
rhistoire locale; mais, dans l'ensemble, on connaissait bien l'opposi-
tion d'une partie notable des populations, l'antipathie du clergé, les
soulèvements ruraux, etc.; depuis longtemps on connaissait aussi les
exactions commises par certains fonctionnaires civils et militaires,
et que « nous n'étions pas en Italie les apôtres tout à fait désintéres-
sés de la liberté n (p. 9l. Je note ce détail curieux que, si l'on recrutait
des bataillons italiens en Vénétie, c'était pour les employer au dehors
et « pour avoir des otages », au cas que les troupes françaises dussent
aller en Allemagne (p. 61). Reuss.
— Nous avons reçu de M. l'abbé F. Uzureau toute une nouvelle
série de brochures (tirages à part) relatives à l'histoire d'Angers ou de
l'Anjou : 1° La municipalité d'Angers oi 1790 (Angers, Grassin,
1919, in-8°, 46 p.); 2° Missions dans le diocèse d'Angers sous la
Restauration (Ibid., 1919, in-S», 27 p.); 3° L'hospice Saint-Charles
d'Angers, 171k-1920 (Ibid., 1920, in-8°, 25 p.); 4° M. l'abbé Dernier
t ses paroissiens de Saint-Laud (Ibid., 1920, in-8°, 26 p.). De ces
uatre études, extraites des Mémoires de la Société nationale
d'agriculture, sciences et arts d'Angers, la dernière est la plus
intéressante pour l'histoire générale, puisqu'elle nous donne du
fameux curé de Saint-Laud, du négociateur occulte du Concordat,
employé par Bonaparte après avoir été associé aux luttes vendéennes,
un portrait assez différent de celui qu'en retracent d'ordinaire les his-
toriens. Mgr Bernier devient, sous la plume de son dernier biographe,
un représentant correct et bénin de la hiérarchie ecclésiastique. On
peut se demander si c'est bien là sa véritable physionomie. — Reuss.
— Publiant un travail que M. Jean Martin, le regretté bibliothécaire-
archiviste de ïournus (cf. Rev. histor., novembre-décembre 1919,
124 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
t. CXXXII, p. 410), avait presque terminé, M. Jacques MeurGey nous
donne un Armoriai du pays de Tournus (Champion, 1920, in-S",
360 p.), précieux répertoire des familles nobles et bourgeoises dans
une région dont le cadre enferme essentiellement les trente et une
paroisses de l'ancien archiprêtré, les quarante-huit communes ou
communautés de la subdélégation. Chaque notice comprend, en prin-
cipe, trois paragraphes : description des armes, bref historique de la
famille, indication des fiefs et des alliances. En dehors de son intérêt
proprement héraldique et de la contribution qu'il fournit à l'histoire
locale (les châteaux de Brancion, d'Uxelles, de Senneceyi de Corma-
tin, de Ruffey, de Cruzille, de Lugny ont abrité les meilleures
familles féodales de Bourgogne), cet ouvrage intéresse l'histoire géné-
rale : on y saisira, par des exemples précis, comment la noblesse
française fut, au cours des âges, renouvelée par l'accession de nom-
breuses familles bourgeoises. Le volume se termine par un index des
fiefs et lieux dits avec le nom des familles qui y étaient possession-
nées et par une bibliographie. Page 10, 1. 23, lire « Mailot-Granges » ;
p. 64, 1. 4, lire « Arlay » ; p. 300, au mot Arinthod, placer Lons-le-
Saunier dans le Jura et non dans le Doubs. L. Villat. •
Autriche. — Pierre Hamp. La peine des hommes. Les chercheurs
d'or (Paris, 1920, éditions de la Nouvelle Revue française, 1 vol. in-16,
192 p.). — C'est, dans la série où le vigoureux et probe écrivain pro-
duisit déjà te Rail, Marée Fraîche, Vin de Champagne, le Travail
invincible, les Métiers blessés et la Victoire mécanicienne — tous
livres qui honorent notre temps et que récompensa récemment le
prix Lasserre — une nouvelle enquête, minutieuse et involontaire-
ment éloquente, sur l'afflux, dans Vienne meurtrie et déchue, de spé-
culateurs internationaux. Un roman? Non, une analyse objective, un
témoignage de géographie et d'histoire, un acte. Sur la République
d'Autriche au lendemain de la défaite, sur l'État hydrocéphale de six
milHons d'habitants, dont près de trois dans sa capitale ruinée, sur
l'écroulement à cinq centimes de la couronne, sur le déboisement du
Wiener-Wald, sur la famine d'un peuple coupable et pourtant
pitoyable, rien de plus fort ni de plus direct. — R. Lévy-Guenot.
Grande-Bretagne. — J. E. Lloyd. A brief bibliography oi
welsh history for the use of teachers (« The historical Association,
leaflet 49, mars 1921, in-S», 8 p.). — Rapide bibliographie où sont
mentionnés les plus importants des ouvrages antérieurs au milieu du
xix^ siècle, les quelques livres d'histoire écrits en gallois ; les princi-
paux manuels de l'histoire galloise en anglais ; les livres que l'on peut
consulter avec le plus de fruit pour l'histoire politique, militaire et
religieuse; enfin, les trois périodiques qui s'occupent de l'histoire, de
la langue et de la littérature de l'ancienne « Cambria ».
Inde. — E. B. Havell. The history of Aryan rule in India
from the earliest times to the death of Ahbar (Lonilon, G. Ilarrap,
HISTOIRE DE l'iNDE. 125
1918, in-S", xxxi-583 p., orné d'illustrations et de cartes; prix : 15 sh.
net). — Akshoy Kumar Mazumdar. The Hindu history B. C. 3000
to 1200 A. D. (Dacca (Bengal), Nagendra Kumar Roy, 1920, in-12,
2« édit., viii-871 p.; prix : pour l'Inde, 8 r.; pour l'étranger, 1 sh.). —
L'histoire de l'Inde, que rendent si difiBcile à fixer l'incertitude chro-
nologique et l'insuffisance de la documentation, toutes deux impu-
tables à l'indifférence des Hindous envers les faits positifs et concrets,
ne paraît avoir jamais sollicité autant d'esprits que depuis quelques
années. Cambridge et Oxford se sont piquées au jeu : dans la pre-
mière de ces Universités, Rapson a inauguré une vaste entreprise
(Cambridge Hislory of India; vol. I : Ancient India, 1914); dans
la seconde, Vincent A. Smith a composé successivement plusieurs
précis, et nous lui devons un manuel fort estimable {Oxford History
of India, 1919). Historien de l'art indien, E. B. Havell a donné
maintes preuves d'un enthousiasme fougueux pour l'originalité
indienne, en faveur de laquelle il a rompu des lances, notamment
contre Fergusson. Il apporte en son récent ouvrage — une histoire
poussée jusqu'au temps d'Akbar — la même ardeur passionnée qui
rend ses écrits très vivants, mais non moins intempérants que sug-
gestifs. Nous l'approuvons volontiers quand nous l'entendons affirmer
que le vieux fonds aryen imprima sa marque sur l'ensemble de l'évo-
lution indienne; mais nous refusons de tenir pour négligeables les
autres facteurs, et surtout de regarder comme conformes à cette ins-
piration aryenne les jougs mêmes que l'Inde a subis : ceux de l'Islam
et de l'Angleterre. Toute hypothèse est la bienvenue, pourvu qu'elle
se montre explicative : nous nous gardons de proscrire en principe
l'idée maîtresse de ce volume, selon laquelle une certaine doctrine
pohtique des Aryens — le communisme de village — constituerait la
clef des institutions sociales, même des croyances religieuses indiennes ;
mais nous dénoncerons l'esprit de système et surtout le ton dogma-
tique avec lequel s'exprime cette thèse. Elle ne se justifie que par
l'assignation au symbolisme d'un rôle considérable ; expédient témé-
raire, car toute vérification parait illusoire. Enfin, les transcriptions
de termes sanscrits témoignent, semble-t-il, non pas de simples négli-
gences, mais d'une complète impéritie philologique (l's et le ç non dis-
tingués; les longues et les brèves consignées de façon inexacte : par
exemple vinâya [57, 101, 165] pour vinaya; devata [27, 41] pour
devatà; Arjùna [40] pour Arjuna; Chanàkya [66] pour Cânakya, etc.).
Reconnaissons toutefois que, malgré ces imperfections, souvent même
à cause de son originalité quelque peu simpliste, le livre est suscep-
tible de répandre le goût des études indiennes.
L'ouvrage de M. Mazumdar a été conçu et exécuté à l'indienne, con-
formément à cette mentalité qui considère un sujet comme traité
quand divers jugements ont été compilés sur plusieurs aspects de ce
sujet. La seconde édition reproduit, dans l'ensemble, la première, qui
date df 1917; l'auteur n'a donc pu tirer parti de l'ouvrage, ci-dessus
126 HOTES BIBLIOGRAPHIQDES.
mentionné, de V. A. Smith. La critique est inexistante : on ne soup-
çonne aucune difficulté à admettre que la philosophie indienne ait agi
sur Pythagore; bien plus, on ne craint pas de clore en 2500 avant
notre ère l'âge védique et en 1200 av. J.-C. l'âge épique, comme si
quelque précision pouvait être fournie sur des époques proprement
préhistoriques et comme si les épopées pouvaient remonter à un
temps aussi reculé. Par contre, le récit se fait de plus en plus sec à
mesure qu'il atteint des époques plus accessibles à l'historien. Néan-
moins, il ne saurait nous être indifférent de prendre contact avec la
notion qu'un Hindou se fait du passé de sa race; à cet égard, un sem-
blable ouvrage est instructif à proportion même de son opposition aux
convictions de la critique européenne, auxquelles nous avons d'excel-
lentes raisons d'adhérer, mais qui ne sont pas, elles non plus,
exemptes de préjugés. P. Masson-Oursel.
— H. G. Rawlinson. British Beginnings in Western India,
1519-1657. An account of the early days of the British factory of
Surat (Oxford, Clarendon Press, 1920, in-8°, 158 p.; prix : 10 sh. 6
net). — N. L. Hallward. William Bolts, a Dutch adventurer
under John Company (Cambridge, University Press, 1920, in-B»,
viii-210 p.; prix : 15 sh. net). — L'auteur de la première de ces deux
monographies, consacrées à des épisodes de l'emprise anglaise sur
les « Indes orientales », a largement puisé dans la documentation que
conserve V India office et dont l'importance nous est attestée par les
publications de Sir George Birdwood, ainsi que de W. Foster et E. B.
Sainsbury. Surate, dont l'importance n'est plus qu'un souvenir, fut le
premier bastion de la Compagnie des Indes à une époque où tout l'in-
térêt d'un établissement sur la côte ouest consistait à fixer une étape
dans le transport des épices originaires des Moluques. Ce fut une
création de négociants puritains, aussi âpres au gain que farouches
croyants. — L'épisode qui fait l'objet du second livre embrasse la
seconde moitié du xviii* siècle. Fort pittoresque est la savante biogra-
phie de ce Hollandais anglicisé qui se livrait à mille intrigues, tout en
s'instituant le dénonciateur des abus de la Compagnie et le défenseur
tant des pouvoirs indigènes que des droits des sujets anglais. On
s'étonne de ne point trouver en ce livre une analyse, même sommaire,
de l'écrit principal de Doits, ses Considérations on Indian Affairs
(1772), qui fit assez de bruit pour mériter d'être traduit en français par
Demeunnier (1775) et réédité encore dans notre langue en 1838.
P. Masson-Oursel.
Japon. — Katsuro Hara. An Introduction to the History of
Japan (New- York, Putnam, 1920, in-S», xviii-411 p.; prix : 2dol. 50).
— « La plus grande malchance de notre pays, à l'heure actuelle, est
que son histoire n'a été que très rarement écrite par des historiens
européens ou américains de premier rang. » M. K. Hara n'a point tort
de s'exprimer ainsi (p. 19). Florenz n'aborde l'histoire japonaise que par
eiSTOIfiE DES PAYS SCANDINAVES. 127
un certain biais; et si un Chavannes, un Pelliot, un Péri ont, sur tel
ou tel point, apporté la précision qui ne s'obtient que d'une critique
avertie, aucun savant de leur trempe n'a maîtrisé l'ensemble de l'his-
toire japonaise. Katsuro Hara domine certes son sujet; il fait preuve
des qualités requises pour « introduire » le lecteur à cette histoire ; il ne
se borne pas à fixer leur place aux faits, mais situe les questions selon
leur importance relative et leur signification. C'est dire que l'ouvrage
nous présente une philosophie de l'histoire japonaise plutôt qu'une
histoire du Japon; comme il se conforme en cela au titre qu'il se
donne, nous ne pouvons que rendre hommage à l'entreprise, sans être
fondé à lui reprocher de ne point nous fournir ce que pourtant nous
désirerions le plus : un progrès dans l'analyse critique des faits. Le
livre oITre une documentation aussi restreinte que possible; il
dédaigne de mentionner les travaux, trop rares à son gré comme au
nôtre, qui ont affronté telle ou telle partie de la tâche. Espérons que
la société Yamato, sous les auspices de laquelle il a paru, suscitera
non pas simplement des œuvres d'excellente vulgarisation, mais des
études positives. P. Masson-Oursel.
Pays Scandinaves. — Norsk Historisk Videnskap i femti âr
1869-19Î9, utgitt av den norske historiske forening til deno femti-ârs-
dag 21 desember 1919 (Kristiania, Grœndahl et Sœn, 1920, in-8°,
iv-352 p.). — Pour célébrer le cinquantenaire de sa fondation, la Société
historique norvégienne vient de réunir en volume une série d'articles
sur le développement des sciences historiques en Norvège de 1869 à 1919.
A chaque branche d'étude — l'histoire proprement dite et ses sources,
l'archéologie, l'histoire de l'.art, le folklore, l'histoire littéraire, la
généalogie — est consacrée une monographie qui renseigne de façon
précise et critique sur les travaux parus au cours du demi-siècle envi-
sagé. Nous trouvons à la fois une bibliographie méthodique et une
sorte de résumé succinct des questions, à la façon des manuels de la
collection Ivan Mûller. Les deux premiers chapitres, qui, en une sorte
d'introduction, nous rappellent les tendances générales de l'école his-
torique norvégienne et de ses principaux représentants, Birkeband,
Sars, Y. Nielsen, auraient gagné sans doute à être fondus en un
exposé unique, évitant ainsi certaines répétitions.
Le lecteur français relèvera avec un intérêt particulier tout ce qui
nous est dit de l'influence que Guizot et Tocqueville, sans parler
d'A. Comte, exercèrent sur un homme comme Sars, l'historien natio-
nal de la Norvège. A. Ganem.
— Mary M. Williams. Social Sca.ndina.vla in the Vihing
Age (New-York, Macmillan Company, 1920, in-S", xii-451 p.).
— Dans ce volume, consacré à l'examen de la civilisation nordique à
l'époque des Vikings, Miss M. Williams n'a pas entendu faire œuvre
d'érudition ; elle a souhaité seulement mettre à la disposition des
étudiants et du public éclairé un ouvrage « lisible >•, résumant de
128 NOTES BIBLIOGEAPHIQCES.
façon claire les derniers travaux des historiens et des archéologues
Scandinaves. Ce souci de clarté est assurément fort louable. Nous
regretterons pourtant qu'il ait entraîné . Miss Williams à esquiver
l'étude des problèmes délicats, ces questions d'influence et d'évolution
qu'il est pourtant néanmoins impossible de ne pas aborder. Du début
du ix^ à la fin du XF siècle, la civilisation des différents pays du Nord
n'est certes point demeurée immuable. Cependant, le tableau qui nous
est ici présenté ne contient presque jamais de distinctions chronolo-
giques. Ceci dit, le livre de Miss Williams enferme un exposé
méthodique et commode des divers aspects — surtout matériels — de
la vie Scandinave primitive ; il est de lecture facile, agréable même, et
est, de plus, heureusement illustré. Il rendra donc des services, au
moins dans les pays de langue anglaise et de change élevé : quelle
bibliothèque française se risquerait à acheter aujourd'hui un volume de
vulgarisation dont le prix atteint six dollars? A. Ganem.
Suisse. — Alfred Rufer. Vier bûndnerische Schulrepubliken
aus der zweiten Haelfte des 18. Jahrhunderts (Bern, Wyss, 1921,
in-8°, 39 p.). — M. Alfred Rufer, qui vient d'être appelé à continuer
aux archives de Berne la grande collection des Actes de la Confédé-
ration helvétique commencée par feu Strickler, a raconté dans cette
intéressante étude l'histoire de quatre établissements scolaires créés
dans les Grisons au cours de la seconde moitié du xviiF siècle pour
réaliser les idées pédagogiques nouvelles mises en circulation surtout
par Basedow en Allemagne, et organisés en véritables républiques
scolaires. Il nous expose les principes d'après lesquels furent dirigés
le Séminaire de Haldenstein (1761-1772), le Philanthrope de Mar-
schlins (1772-1777), l'École nationale de Jenins (1786-1793) et le
Séminaire de Reichenau (1793-1789); il nous parle des personnages
qui en furent les créateurs ou les inspirateurs politiques; parmi ces
.derniers figurent deux hommes qui, dans des camps opposés, ont joué
un rôle important dans l'histoire des Ligues grisonnes : Ulysse de
Salis-Marschlins et Jean-Baptiste- de Tscharner. Aucune de ces ins-
titutions pseudo-romaines, nées dans le cadre alpestre, ne survécut à
la crise révolutionnaire; mais leur histoire méritait d'être racontée
comme un épisode curieux du mouvement des idées pédagogiques de
cette époque. - Reuss.
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André-Michel (Robert). Avignon. Les fresques du palais des
papes; le procès des Visconti. A. Colin, 1920. 210 p. Prix : 20 fr. —
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Edm. Bernard. 172 p. — Arthur (Sir George). Kitchener et la
guerre, 1914-1916. Payot. xix-319 p. Prix : 16 fr. — Aude (A. -F.).
1. Sauf indication contraire, tous les livres indiqués sont édités à Paris en
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ambassadeur de France, 1630-1693; et Généalogie de la famille de
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der ersten Bitte bei den deutschen Kônigen bis auf Karl IV. Stutt-
gart, Enke, 1919. xi-175 p. Prix : 18 m. — Bellessort (André).
Études et figures. Variétés littéraires. Bloud et Gay. 284 p. — Bener-
JEE (Gauranga Natt). Hellenism in ancient India. 2« édit. Londres et
Calcutta, Butterworth, 1920. v-344 p. — Berger (Élie). Les registres
d'Innocent IV; tome IV (Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes
et de Rome). E. de Boccard. In-4°. — Blume (Karl). Abbatia; ein
Beitrag zur Geschichte der kirchlichen Rechtsprache. Stuttgart, Enke,
1914. xiv-118 p. Prix : 5 m. 40. — Bordeaux (Henri). La bataille
devant Souville. « La Renaissance du livre ».In-18,24l p. Prix : 6 fr.
— BoÙARD (A. DE). Le régime politique et les institutions de Rome au
moyen âge, 1252-1347. E. de Boccard, 1920. xxx-362 p. — Brenot
(Alice). Recherches sur l'éphébie attique et en particulier sur la date
de l'institution. Champion, 1920 (Bibliothèque de l'École des hautes
études, n° 229). xxvii-52 p. Prix : 9 fr. 50. — Bryce (James). Modem
democracies. Londres, Macmillan. 2 vol., xxv-567 et x-757 p.
Prix : 50 sh. — BUAT (général). Hindenburg. Chapelot. — Calonne
(vicomte A. de). La vie agricole sous l'ancien régime dans le nord de
la France. A. Picard, 1920.,x-593 p. — Carnegie (Andrew). A manual
of the public benefactions of Andrew Carnegie. Washington, 1919.
321 p. — Bénard (Charles). Un été chez les Samoyèdes; juillet-
octobre 1914. Plon-Nourrit. In-16, 229 p. Gravures et cartes. Prix :
9 fr. — Charlétv (S.). Histoire de France contemporaine. La Res-
tauration. Hachette. In-4°, 397 p. Prix : 40 fr. — Chassaigne (Marc).
Le procès du chevalier de La Barre. Gabalda, 1920. xvi-272 p. Prix :
11 fr. — Chiappelli (Alberto). Storia e costumanze délie antiche
feste patronali di S. Jacopo in Pistoia. Pistoie, A. Paccinotti, 1920.
142 p. Prix : 5 1. — Choisy (Louis-Frédéric). Sainte-Beuve; l'homme
et le poète. Plon-Nourrit. In-16„ iv-298 p. Prix : 7 fr. 50. — Chu-
QUET (A.). Études d'histoire. 8« série. E. de Boccard. 337 p. Prix : 5 fr.
— Id. Quatre généraux de la Révolution : Hoche et Desaix, Kléber et
Marceau. Tome IV. Ibid., 1914-1920. 418 p. — îd. Inédits napoléo-
niens. II. Ibid., 1914-1920. 538 p. Prix : 20 fr. — Ciccotti (E.). Linea-
menti dell' evoluzione tributaria nel mondo antico. Rome, Società édi-
trice libraria. 210 p. — Clapham (J. IL). Economie development of
France and Germany, 1815-1914. Cambridge University Press, 1920.
xi-420 p. Prix : 18 sh. — Clark (Ruth). Anthony Hamilton ; his life,
his Works and his family. Londres, John Lane. xii-362 p. Prix : 21 sh.
— Cohen (Gustave). Mystères et moralités du ms. 617 de Chantilly.
Champion, 1920. In-4o, cxlix-134 p. — Id. Écrivains français en Hol-
lande dans la pretoièr^ moitié du xvii" siècle. Ibid. 756 p. — Corapte-
Rev. Histor. CXXXVII. 1" FASC. 9
130 LIVRES REÇUS PAR LA « REVDE HISTORIQUE ».
rendu des travaux de la Chambre de commerce de Lyon. Année 1919.
Lyon, impr. Rey. 1920, 623 p. — Cornet (Lucien). 1914-1915. His-
toire de la guerre, tomes I-IV. Charles- Lavauzelle. 380, 360, 344 et
386 p. Prix : 7 fr. 50, 9 et 10 fr. — Corti (E. C). Alexandervon Bat-
tenberg; sein Kampf mit den Zaren und Bismark. Vienne, Seidel,
1920. 351 p. Prix : 40 m. — Cours professé à la Faculté de droit de
Paris aux étudiants américains, mai-juin 1919. L G. May : Introduc-
tion à la science du droit. IL Ch. Lefebvre : La famille en France
dans le droit et dans les mœurs. III. Ch. Gide : De la transformation
ou de l'abolition du salariat. Giard et Brière. v-457 p. Prix : 25 fr. -—
Crowell (J. Franklin). Government war contracts. Oxford Univer-
sity Press, xiv-357 p. Prix : 1 dol. — Daumet (Georges). Benoît XII,
1334-1342. Lettres closes, patentes et curiales se rapportant à la
France. Introduction et index. E. de Boccard, 1920. In-4o. — De-
lattre (Floris). La pensée de J. H. Newman. Payot, 1920. 306 p.
Prix : 5 fr. — Deleheye (Hippolyte). Les passions des martyrs et les
genres littéraires. Bruxelles, Société des BoUandistes. viii-447 p. —
De Pachtère (F. -G.). La table hypothécaire de Veleia; étude sur la
propriété foncière dans l'Apennin de Plaisance. Champion, 1920 (Bibl.
de l'École des hautes études, n" 228). xix-117 p. — Drla,ult (Edouard).
La question d'Orient depuis ses origines jusqu'à la paix de Sèvres.
8" édit. FéUx Alcan. xv-479 p. Prix : 15 fr., plus major. 40 %. —
Dubois (général A.). Deux ans de commandement sur le front de
France, 1914-1916, tomes I et IL Charles-Lavauzelle, 280 et 292 p.,
cartes. — Duchesne (L.). Origines du culte chrétien. 5« édit. E. de
Boccard, 1920. viii-574 p. Prix : 15 fr. — Dunan (Marcel). L'Autriche.
F. Rieder. 124 p. Prix : 5 fr. — Enlart (Camille). Villes mortes du
moyen âge. E. de Boccard, 1920. 167 p. — Ferrar(W. J.). The proof
of the Gospel. Londres, Society for promoting Christian Knowledge,
1920. 2 vol. XL-271 et 237 p. Prix : 30 sh. — Frignet-Despréaux
(colonel). Le maréchal Mortier, duc de Trévise, tome III, 1804-1807.
Berger-Levrault, 1920. 433 p. et 2 cartes. Prix : 30 fr., plus major.
50 o^o. _ Fueter (Ed.). Weltgeschichte der letzten hundert Jahren,
1815-1920. Zurich, Schulthess. vii-674 p. Prix : 30 fr. — Gagneur
(capitaine Maurice). Napoléon, d'après le Mémorial de Sainte-Hélène.
Delagrave. In-18, vin-300 p. Prix : 7 fr. — Gauvain (A.). L'Europe
au jour le jour, tome IX. Bossard. x-519 p. Prix : 18 fr. — Génes-
TAL (R.). Le « Privilegium fori » en France, du décret de Gratien à
la fin du xiv siècle, tome I. E. Leroux. — Geoffroy de Grandmai-
SON. Un caractère de soldat : le capitaine Pierre de Saint-Jouan, 1888-
1915. Plon-Nourrit, 1920. In-16, xx-277 p. Prix : 7 fr. — Ginisty
(Paul) et Gagner (capitaine Maurice). Histoire de la guerre par les
combattants, tomes MIL Garnier, 1917-1920. 562-353 p. — Gold-
ziHER (L). Le dogme et la loi de l'Islam; trad. par Félix Arin.
Geuthner, 1920. viii-315 p. Prix : 25 fr. — GOT (Ambroise). L'affaire
Miss Cavell, d'après les documents inédits de la justice allemande.
Plon-Nourrit. In-16, vi-177 p. Prix : 5 fr. — Grabmann (Martin).
LIVRES REÇUS PAR LA « REVUE HISTORIQUE ». 131
Saint Thomas d'Aquin; trad. par E. Vansteenberghe. Bloud et Gay,
1920. viii-228 p. — GuiBAL-RoLAND. La vie polonaise. E. de Boccard,
1920. In-I8, x-304 p. Prix : 7 fr. 50. — Hardy (Georges). La mise en
valeur du Sénégal de 1817 à 1854. Larose. xxxiii-376 p. — Homo
(Léon). La Rome antique. Histoire-guide des monuments de Rome
depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'invasion des Barbares.
Hachette, viii-360 p. — Iwasaki (Uichi). The working of forces in Japa-
nese politics, 1867-1920. New-York, Columbia University. 141 p. —
Laurent (J.). L'Arménie en Byzance et l'Islam, depuis la conquête de
l'Islam jusqu'en 886. E. de Boccard, 1 919. xii-398 p. — Lavaquery (abbé
E.). Le cardinal de BoisgeHn, 1732-1804. Plon-Nourrit. 2 vol., 410 et
411 p. — Léger (Louis). Les anciennes civilisations slaves. Fayot.
232 p. Prix : 4 fr. — Legge (F.). Philosophumena. Londres, Society
for promoting Christian Knowledge, vi-180 et 189 p. Prix : 30 sh. —
Leslie (Shane). Henry Edward Manning, his life and labours. Londres,
Burns, Oates et Washbourne. xxiii-516 p. Prix : 25 sh. — Lloyd (John
William). Coopérative and other organized methods of marketing
California horticultural products. Urbana, Illinois. 142 p. Prix : 1 dol.
25 c. — LuKE (H. C). Cyprus under the Turks, 1571-1878. Oxford,
University Press. In-16, 281 p. Prix : 8 sh. 6 d. — Mackinnon
(James). The social and industrial history of Scotland. Londres, Long-
mans. viii-298 p. Prix : 16 sh. — Martin (Charles E.). The policy of
the United States as regards intervention. New- York, Columbia Uni-
versity Press. 172 p. Prix : 2 dol. — Masson (Frédéric). La vie et les
conspirations du général Malet, 1754-1812. Ollendorfî. In-12, 311 p.
Prix : 12 fr. — Mathiez (Albert). Robespierre terroriste. « La Renais-
sance du livre ». In-18, 190 p. Prix : 4 fr. 50. — Mêlas (Georges-M.).
L'ex-roi Constantin; souvenirs d'un ancien secrétaire. Payot. XV-
277 p. Prix : 15 fr. — Mermeix. Les négociations secrètes et les
quatre armistices. Ollendorfî. In-12, 355 p. Prix : 8 fr. — Miner (Cla-
rence E.). The ratiûcation of the fédéral constitution by the State of
New York. New-York, Columbia University. Prix : 1 dol. 50 c. —
Mollat (G.). Jean XXII, 1316-1334. Lettres communes. 18« fasc.
E. de Boccard, 1920. In-4°, 192 p. — Mousset (Albert). Documents
pour servir à l'histoire de la maison de Kergorlay.en Bretagne. Cham-
pion. Gr. in-4«, iv-539 p. — Nippold (Ottfried). Le chauvinisme alle-
mand. Payot. ix-651 p. Prix : 25 fr. — Palat (général). La Grande
Guerre sur le front occidental. Tome VI : la victoire de la Marne,
5-13septembre. 1920. 495etviip. Prix: 15 fr. —Park (Joseph H.). The
english reform bill of 1867. New- York, Columbia University, 1920.
285 p. Prix : 3 dol. — Poincaré (Raymond). Messages, discours, allo-
cutions, lettres et télégrammes, tome III. Bloud et Gay. 507 p. Prix :
10 fr. — Id. Les origines de la guerre. Plon-Nourrit. In-10. 282 p.
Prix : 10 fr. — Poupardin (René). Recueil des actes des rois de Pro-
vence, 855-928. Klincksieck. In-4°, lviii-155, p. Prix : 13 fr., plus
major. 75 %. — Quintavalle (Ferruccio). Cronistoria délia guerra
mondiale. I. Milan, Hœpli. In-16. xxxiv-800 p. Prix : 24 1. — Rad-
132 " LIVRES REÇUS PAR LA « REVUE HISTORIQUE ».
HAKMUND MOOKERIJ. Local government in ancient India. 2^ édit.
Oxford, Clarendon Press, 1920. xxv-338 p. — R. (J.). Foch; essai de
psychologie militaire. Payot. In-12, 211 p. Prix : 6 fr. — Réau (Louis).
L'art russe. Henri Laurens. xi-387 p. et 104 pi. — Récalde (L de).
Écrits des curés de Paris contre la politique et la morale des Jésuites,
1658 1659. « Éditions et librairie ». In-12, 403 p. Prix : 7 fr. — Renou-
viN (Pierre). Les assemblées provinciales de 1787. A. Picard et
Gabalda. xxx-405 p. — Revol (J.). L'effort militaire des Alliés sur le
front de France. Payot. In-12, 91 p. Prix : 5 fr. — Rivetta (Pietro
Silvio). Storia del Giappone secundo le fonti indigène. Rome, Auso-
nia, 1920. xvi-159 p. Prix : 10 1. — Rodocanachi (E.). La Réforme
en Italie, 2« partie. Aug. Picard. 608 p. — Ronarch (vice-amiral).
Souvenirs de la guerre 1914-1915. Payot. 336 p. Prix ; 16 fr. —
Russell (C. h. St. L.). The tradition of the roman empire; a sketch of
european history. Londres, Macmillan. viii-280 p. Prix : 6 sh. —
Saint-André (Claude). Louis XV. Émile-Paul. 271 p. Prix : 10 fr. —
Saint-Simon. Mémoires, t. XXXI. Hachette. 547 p. — Scheltema
(J. F.). The Lebanon in turmoil. Syria and the Powers in 1860. Yale
University Press, New Haven, 1920. 203 p. — Schelven (A. van).
Kerkeraads-Protocollen der nederduitsche Vluchstelingen kerk to
Londen, 1560-1563. Amsterdam, Millier, xix-555 p. — Simpson (Kem-
per). The capitalization of Goodwill. Baltimore, J. Hopkins Press.
105 p. — Smith (C. Henry). The Mennonites. Berne, Indiana, 1920.
340 p. Prix : 2 dol. 25 c. — Smith (Miss L. M.). The early history of
themon astery of Cluny. Oxford University Press, 1920. x-225 p. Prix :
16 sh. — Srbik (Heinrich, Ritter von). Wallenstein's Ende. Vienne,
Seidel. xvi-408 p. Prix : 60 m. — Stanton (Vincent Henry). The Gos-
pels as historical documents. III : the fourth Gospel. Cambridge Uni-
versity Press, x-293 p. Prix : 20 sh. — Stein (Arthur). Rœmische
Reichsbeamte der Provinz Thracia. Sarajevo, 1920. vi-137p. — Vat-
TEL (M. de). Le droit des gens; texte de 1758. Washington, Carnegie
Institute, 1916. 3 vol. in-4o, Lix-xxvi et 544, 375 etLix-398p. — Veith
(Georg). Der Feldzug von Dyrrhachium zwischen Caesar und Pompe-
jus. Vienne, Seidel, 1920. xix-267 p. et cartes. Prix : 80 m. — Ves-
NiTCH (Milenko R.). La Serbie à travers les âges. Bossard, xii-160 p.
Prix : 9 fr. — Villeneuve-Trans (R. de). A l'ambassade de Washing-
ton, octobre 1917 à avril 1919. Ibid. 286 p. Prix : 9 fr. — Watkins
(Gordon S.). Labor problems and labor administration in the United
States during the world war. Urbana, University of Illinois. 117 et
247 p. Prix : 1 dol. chaque vol. — Weil (commandant M.-H.). D'Ulm
à léna; correspondance inédite du chevalier de Gentz avec Francis
James Jackson, ministre de la Grande-Bretagne à Berlin. Payot.
336 p. Prix : 18 fr. — Wilson (Woodrow)' Histoire du peuple amé-
ricain; trad. par Désiré Roustan. Bossard. Tome I, 1918-1919. 644 p.
Prix : 20 fr.
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
France.
1. — Le Bibliogrraphe moderne. Janvier-juin 1920-1921, n"» H5-
117. — Paul Le Cacheux. Le. fonds de l'abbaye de Savignyet la mis-
sion de Natalis de Wailly à Mortain (en 1839, N. de Wailly fit trans-
porter aux Archives du royaume à Paris environ 1,700 documents sur
cette abbaye qui se trouvaient à la sous-préfecture et à l'hôtel de ville
de Mortain ; ceux qu'il dédaigna furent déposés en 1853 aux archives de
la Manche à Saint-Lô, si bien que le fonds est coupé en deux). — Mau-
rice RoussET. Supplément au catalogue des manuscrits de la biblio-
thèque de Lunéville (n° 197 à 210). — H. Stein. La succursale plan-
tinienne de Paris (rue Saint- Jacques, près des Mathurins; de 1567 à
1608; les gérants de cette succursale : la famille Gilles Beys). —
Chronique des archives. — Chronique des bibliothèques. = C. -ren-
dus : C. Couderc. Bibliographie historique du Rouergue; t. I : A-K
(excellent). — Jacques Soyer. Répertoire bibliographique sommaire
de l'histoire du département du Loiret, 1" fascicule. Généralités (heu-
reuse tentative). — R. J. Odavitch. Essai de bibliographie française
sur les Serbes, Croates et Slovènes depuis le commencement de la
guerre actuelle (essai intéressant auquel il faudra ajouter un supplé-
ment). — P. Masson. Eléments d'une bibliographie française sur la
Syrie (M. Masson, guide érudit, aurait dû donner son opinion sur la
valeur des ouvrages cités). — M. Nijhoff. L'art typographique dans
les Pays-Bas, 1500-1540, fasc. I à XXI (reproductions en fac-similés).
— Id. Nederlandsche Bibliographie von 1500 tôt 1540 (indispensable
accompagnement de l'album). — C P. Burger. De Incunabelen en
de Nederlandsche uitgaven tôt 1540 in de Bibliotheek der Universiteit
van Amsterdam (excellent ; classés d'après les pays d'origine). — Emm.
de Fiom et H. Pottmeyer. De Incunabelen of Wiegedrukken van de
Hoofdbibliotheek der Stad Antwerpen (dans l'ordre de classement du
catalogue).
2. — Bulletin de la Société de Thistoire du protestantisme
français. 1921, janvier-mars. — H. Pathy. La captivité de Bernard
Palissy pendant la première guerre de religion, 1562-1563 (d'après un
opusculo de lui récemment découvert par M. Edouard Rahir et deux
arrêts du parlement de Bordeaux). — E. Le Parquier. Les sources
de l'histoire du parlement de Normandie de Floquei de 1560 à 1562;
suitn (l'alTaire du guet du 22 novembre 1560, les troubles de décembre
134 RECUEILS PÉRIODIQUES.
1560, l'application de l'édit de Saint-Germain, 1561). — N. Weiss.
Les aventures de Guillaume Chenu de Chalezac, seigneur de Laujar-
dière, au pays des Cafres, 1686-1689 (publie la relation de ce gentil-
homme qui se trouve à la bibliothèque de Magdebourg). = C. -rendus :
M. Ver. La cantilène huguenote (important). — Etienne Giran.
Sébastien Castillon et la réforme calviniste, les deux réformes, avec
préface de F. Buisson (émouvant). — Camille Rabaud. Paul Rabaud,
apôtre du Désert (dans la collection : les Héros de la foi). — Colin
Graham Botha. The french refugees at the Cape (ne laisse rien à
désirer). — Boulay de la Meurthe. Histoire de la négociation du Con-
cordat de 1801 (bon).
3. — Bulletin hispanique. 1921, janvier-mars. — G. Cirot. Fernén
Gonzalez dans la chronique léonaise; suite au n° suivant (discute la
formation de la légende; à suivre). — A. Morel-Fatio. Catalogue des
manuscrits de sa bibliothèque (ces manuscrits ont été donnés à la
bibliothèque de Versailles; 93 numéros; à suivre). — J. Sarrailh.
Quelques sources du Câdiz de Galdôs (il a consulté surtout l'histoire
de Cadix de 1810 à 1812 par Adolfo de Castro, les souvenirs d'Alcalâ
Galiano et l'histoire du comte de Toreno). — G. Le Gentil. Le mou-
vement intellectuel en Portugal (histoire et travaux de 1' « Academia
das sciencias de Lisboa »). — G. Cirot. Cervantes et les frères Tha-
raud (une page de « Rabat ou les heures marocaines »). ^= C. -rendus :
César Moràn Bardôn. Investigaciones acerca de arqueologia y pre-
historia de la région salmantina (on signale les plus importantes de
ses découvertes). — D. Ricardo Vélàsquez Bosco. Médina Azzahra
y Almariya (résultats des fouilles opérées dans deux palais près de
Cordoue, le premier construit par l'émir Abd Er Rahmane, le second
par le ministre El Mansour). — Duque de Berwick y de Alba.
Contribuciôn al estudio de la persona del III duque de Alba (discours
de réception à l'Académie d'histoire; quelques traits nouveaux ajoutés
à l'histoire du fameux gouverneur des Flandres). = Avril-juin.
R. Costes. Pedro Maxia, chroniste de Charles-Quint; suite et fin
(divers appendices). — J.-J.-A. Bertrand. Paul-Ferdinand Buchholz
(l'auteur de la pseudo-biographie de Mariana). — A. Morel-Fatio.
D. Juan Antonio Llorente (documents inédits sur ce personnage qui,
réfugié en France, fit paraître chez Treuttel et Wiirtz, en 1817-1818,
l'Histoire de l'inquisition en Espagne). — M. Bataillon. Les sources
historiques de Zaragoza, dans les Episodios nacionales de Galdôs
(concordances avec les récits du comte de Toreno et d'Alcaide). —
A. M. -F. J. H. Wifïen (le traducteur anglais de Garcilaso, en 1823).
= C. -rendus : R. de Orueta. Berreguete y su obra (catalogue des
œuvres du sculpteur castillan du xvi« siècle). — Henry Thomas.
Spanish and Portuguese romances of chivalry (leçons faites à l'Univer-
sité de Cambridge). — Analecta Montserratensia; t. I et II (description
de soixante et onze manuscrits de cette célèbre bibliothèque; histoire
de l'imprimerie de Montserrat; catalogue des incunables et des impri-
més de 1518 à 1526).
RECDEILS PÉRIODIQUES. 135
4. — Journal des savants. i920, septembre-octobre. — A. Mer-
lin. La civilisation carthaginoise (d'après le t. IV de Stéphane Gsell;
l'apport des Phéniciens, des Libyens, des Grecs; rôle de Carthage
dans la civilisation générale). — G. Fagniez. La marine française au
xvii« siècle; II (d'après Ch. de La Roncière; l'œuvre de Colbert). —
Louis Léger. La vie académique des Yougo-Slaves (l'Académie sud-
slave d'Agram et l'Académie des sciences de Belgrade). = G. -rendus :
R. Forrer. Das romische Zabern (excellent). — L. Bréhier. L'art
chrétien. Son développement iconographique (bien renseigné et sait
dominer son sujet). — P. Batiffol. Études de liturgie et d'archéologie
chrétienne. — Id. Leçons sur la messe (on peut avoir confiance en un
tel guide). — Ch. Diehl. Histoire de l'empire byzantin (remarquable
tableau en raccourci). — W. Dlommaert. Les châtelains de Flandre
(conclusions nouvelles). — H. Waquet. Le bailliage de Vermandois
aux xiiie et xiye siècles (bon). — Ajuntament de Barcelona (renseigne
sur les publications de Barcelone). — J. -Roger Charbonel. La pen-
sée italienne au xvF siècle et le courant libertin (c'est un chantier de
construction ; l'édifice n'est pas fait). — William Henry Deale.
Spencer Fullerton Baird (1823-1876; l'un des fondateurs de la
Smithsonian Institution). = Novembre-décembre. P. Monceaux.
L'évolution intellectuelle de saint Augustin (d'après les thèses de
P. Alfaric; « travaux importants, copieux et solides qui, sur bien des
points, apportent du nouveau »). — G. Huart. Saadî, poète persan
(d'après le volume de Henri Massé; Saadi vécut fin xip-début du
xrii» siècle : « Son œuvre est un miracle et le miracle est la preuve
de la qualité du saint. ») — M. Besnier. Le commerce romain dans
la Méditerranée orientale (d'après la thèse de Jean Hatzfeld ; expan-
sion des trafiquants italiens; leur activité; leur rôle social et poli-
tique). = G. -rendus : C. JulUan. Histoire de la Gaule; t. V et VI
(tout à fait remarquable). — Carolus Clemen. Fontes religionis per-
sicae (recueil édité avec soin). — J. Carcopino. La loi de Hiéron et
les Romains (contribution de premier ordre à l'histoire du gouverne-
ment provincial de Rome). — L. Pastor. Die Stadt Rom zu Ende der
Renaissance (fait revivre la Rome de l'époque de Sixte-Quint). =
1921, janvier-février. H. Lemonnier. La création d'une ville seigneu-
riale : Chantilly, 1692-1740 (d'après le livre de G. Maçon; comparai-
son de Chantilly avec deux autres cités créées au xviP siècle : Riche-
lieu et Versailles). — Ed. CuQ. Les pierres de bornage babyloniennes
du British Muséum ; suite au numéro suivant (d'après le catalogue de
L. W. King; examine à ce propos la question de la propriété et ses
modes de transmission). — A. Rebelliau. Les nonces en France sous
Louis XIII (d'après le recueil d'Auguste Léman; ce que nous apprend
cette publication). — H. D. Les catalogues des collections de M. Pier-
pont Morgan. = C. -rendu : Paul Marty. L'émirat des Trarzas (situé
le long des côtes de l'Atlantique, au nord de Saint-Louis et du Séné-
gal; curieux). == Mars-avril. E. Barelon. Le voyage archéologique
des PP. Janssen et Savignac en Arabie (d'après les trois tomes où ils
136 RECUEILS PÉBIODIQDES. ^
ont raconté leur mission; moisson abondante de documents qu'ils ont
rapportée). — L. Mirot. La pénétration des étrangers en France; I
(d'après le livre de J. Mathorez; examine l'apport étranger jusqu'à la
fin du xve siècle). — M. Prou. Robert de Lasteyrie, article nécrolo-
gique. = C. -rendus : Cari Maria Kaufmann. Handbuch der alt-
christlichen Epigraphik (au courant, mais est-ce bien un manuel?).
— Homero Seris. La colecciôn cerventina de la Sociedad Hispanica
de America (modèle d'exactitude). — Ibn Muyassar. Annales d'Egypte
(sous la dynastie des Fatimides; édition par Henri Massé du texte
arabe d'après l'unique manuscrit de la Bibliotiièque nationale). —
Léo Verriest. Le régime seigneurial dans le comté de Hainaut, du
XF siècle à la Révolution (ouvrage un peu confus, mais de valeur).
5. — Nouvelle revue historique du droit français et étran-
ger. 1919, octobre-décembre. — C. Appleton. Contribution à l'his-
toire du prêt à intérêt à Rome. Le taux du « fenus unciarum » (ce
taux était de 12 «/o ; mais se payait-il par mois ou par an? L'auteur se
prononce pour la première solution, en faisant observer que le taux
de 12 % par mois pour des emprunts faits à court terme ne corres-
pond en aucune façon à un taux de 100 % par an). — Georges Bou-
LEN et Olivier Martin. « Des fiez à l'usage de France » (nouvelle édi-
tion d'un texte publié pour la première fois par G. Thaumas de la
Thaumassière, en 1679, d'après un manuscrit aujourd'hui perdu;
il s'agit d'une œuvre privée, rédigée entre 1340 et 1388 et qui
fournit d'importants renseignements sur le droit féodal. L'intro-
duction est continuée dans le numéro suivant ; classement des
manuscrits). — Théodore Reinach. Un code fiscal de l'Egypte
romaine : le gnomon de l'idiologue (document provenant d'un papy-
rus d'Egypte, dont le texte grec est reproduit par M. Reinach avec la
traduction française en regard; dans le numéro suivant, on donne
un commentaire détaillé des articles qu'il renferme. L'idiologue est le
fonctionnaire chargé de rechercher les biens qui doivent échoir au fisc
impérial; le gnomon est un règlement d'administration publique; le
gnomon dont on a ici un abrégé a été adressé par l'idiologue en exer-
cice à ses collaborateurs provinciaux ; le document se place entre les
années 150 et 161 ap. J.-C). — Paul Fournier. Notes complémen-
taires pour l'histoire des canonistes du xiv^ siècle (il ne faut pas dis-
tinguer deux Stephanus Provincialis ; il n'y en a eu qu'un, Etienne Bon-
nier ; Stephanus Tro. . . est Etienne Troche, dit Martinenches ; Petrus de
Stagno est Pierre d'Estaing, successivement évèque de Saint-Flour,
archevêque de Bourges, cardinal, mort en 1377). — H. Lévy-Brûhl.
Observations critiques sur deux chapitres des établissements de
saint Louis (livre I, ch. 59 et 143). — P. -F. Fournier. La première édi-
tion des notes de Cujas sur Ulpien (1554). =: 1920, janvier-juin. Aug.
Dumas. Encore la question : « Fidèles ou vassaux? »; I (la distinc-
tion entre la foi et l'hommage est étrangère aux premiers siècles de
la féodalité; elle ne devient nette qu'au xiii« siècle; l'hommage, c'est
RECOEILS PÉBIODIQDES. 137
alors la cérémonie qui précède l'investiture d'un fief et par laquelle le
vassal s'oblige à remplir les services du fief; la foi, c'est le lien, plus
ou moins vague, unissant le sujet au seigneur qui exerce la puissance
publique). — Paul Fournier. Notes sur quelques canonistes du
xiye siècle (Raymond de Salgues; sa biographie, ses œuvres). —
P. -F. Girard. Deux nouvelles lettres de Cujas (2 juin 1571 et 29 jan-
vier 1584). = G. -rendus : Charles Porée. Études historiques sur le
Gévaudan (série de mémoires archéologiques ou relatifs à l'histoire
des institutions). — H. Prentout. Étude critique sur Dudon.de Saint-
Quentin et son histoire des premiers ducs normands (remarquable).
— H. Carré. La noblesse de France et l'opinion publique au
XVIII* siècle (tableau intéressant et bien documenté). — H. Waquet.
Le bailliage de Vermandois aux xiip et xiv« siècles (beaucoup de
faits; n'en a pas montré l'ensemble). — Ed. Maugis. Histoire du
Parlement de Paris, t. II (des guerres dje religion à la mort de
Henri IV; ne traite que de l'histoire politique et ne veut connaître
que les registres du Parlement).
6. — Polybiblion. 1921, janvier. — Publications relatives à la
guerre européenne, parmi lesquelles : l'Angleterre au feu. Dépêches
de Sir Douglas Haig, décembre 1915-avril 1919, mises en français
par le commandant Gémeau (rapports détaillés du plus haut intérêt);
général Mangin. Gomment finit la guerre (en réalité une histoire de
toute la guerre). — Abbé A. Anthiaume. Évolution et enseignement
de la science nautique en France et principalement chez les Normands
(labeur considérable). — Tourneur-Aumont. Études de cartographie
historique sur l'Alémanie (étayé sur des bases solides). — Maurice
Brillant. Les mystères d'Eleusis (expose les résultats acquis). —
Giuseppe La Mantia. Godice diplomatie© dei re aragonesi di Sicilia,
1282-1355, t. I (publication importante). — Œuvres du cardinal de
Retz, supplément à la correspondance par Claude Cochin (170 lettres,
vingt appendices). — Emile Magne. Le grand Gondé et le duc d'En-
ghien. Lettres inédites à Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne,
sur la cour de Louis XIV, 1664-1667 (véritable chronique de la cour
du grand Roi). — P. Quentin- Bauchar t. La crise sociale de 1848.
Les origines de la révolution de Février (remarquable). — Ghanoine
Mangenot. Sion, son sanctuaire, son pèlerinage (excellent; il s'agit
de Sion-Vaudepnont, sur « la colline inspirée »). — A. Demangeon.
Le déclin de l'Europe (on lui oppose la puissance des pays neufs,
États-Unis, Brésil, Japon). =i Février-mars. Henri Froidevaux. Géo-
graphie; voyages (comptes-rendus de dix-sept ouvrages, dont ceux
^de Schrader, James Bryce, Pierre Denis, F. Gautier, etc.). —
G. MOLLAT. Hagiographie et biographie ecclésiastique (signale trente
volumes). — Publications relatives à la guerre européenne, parmi
lesquelles : Charles Benoist. L'Europe en feu (publie ses chroniques
de la « Re\ue îles Deux Mondes »); Alfred II. Fried. Mein Kriegs-
Tagebuch, t. III et IV (du l"- août 1916 au 3U juin 1919; très iusiruc-
138 RECDEILS PÉEIODIQCES.
tif ) ; Marcel Jay. Le général Gouraud. De Fez à Strasbourg (émaillé
d'anecdotes). — J. Carcopino. La loi de Hiéron et les Romains (très
clair dans des discussions juridiques difficiles). — G. Goyau. Sainte
Jeanne d'Arc (étude sur la renommée de Jeanne). — C. Enlart Villes
mortes du moyen âge (Hesdin, Térouanne, Maguelone, Aleria en Corse,
Wisby dans l'île de Gotland, Famagouste dans l'île de Chypre; des-
• cription très pittoresque). — Imbart de la Tour. Histoire politique,
des origines à 1515, dans l'Histoire de la nation française de Hano-
taiix (clair; intéressantes vues générales). — Richard de Boysson.
L'invasion calviniste en Bas -Limousin, Périgord et Bas-Quercy
(excellent). — É. Sageret. Le Morbihan et la chouannerie morbihan-
naise sous le Consulat, 4 vol. (enquête minutieuse et impartiale). —
Boulay de la Meurthe. Histoire de la négociation du Concordat de
1801 (excellent). — St. du Moriez. La question polonaise vue d'Alle-
magne. L'organisation de. l'est de l'Europe (la Pologne constitue un
point d'appui contre la Prusse à la mentalité conquérante, et, en se
servant de ce pays, on peut organiser l'est de l'Europe de manière à
le soustraire à l'emprise germanique). = Avril. Louis Maisonneuve.
Philosophie. — Publications relatives à la guerre européenne, parmi
lesquelles : Général Niox. La Grande Guerre (récit vivant) ; vice-ami-
ral Ronarc'h. Souvenirs de la guerre. I : Août 1914-septembre 1915
(récit de l'admirable défense de Dixmude); von Hindenburg. Aus
meinem Leben, trad. française (bien des jugements erronés, mais
œuvre de vérité et d''impartialité) ; Sir George Arthur. Kitchener et
la guerre 1914-1916 (effort produit par la Grande-Bretagne). — Bio-
graphies de sainte Jeanne d'Arc par Mgr Touchet, Albert Renaud,
Mgr Henri Debout. — Etienne Dupont. Les exilés de l'ordre du roi
au Mont-Saint-Michel, 1685-1789 (réfute ce qu'il appelle « les légendes
criminelles de l'histoire »). — M. Giraud. Essai sur l'histoire reli-
gieuse de la Sarthe de 1789 à l'an IV (impartiahté rigoureuse). —
Georges Pariset. La Révolution. Le Consulat et l'Empire, 2 vol. de
l'Histoire de France de Lavisse (ouvrage qui dénote de hautes et pré-
cieuses qualités; mais il y a des réserves à faire). — Charles Dupuis.
Le ministère de Talleyrand en 1814 (de premier ordre). — Louis Le
Page. L'impérialisme du pétrole (pose une importante question éco-
nomique, sociale et politique).
7. — La Révolution de 1848. Décembre 1920-février 1921. —
Capitaine Breillout. La révolution de 1848 en Corrèze, février-mai
(les huit députés élus le 29 avril; leur biographie). — G Vergez-
Tricom. Les événements de décembre 1851 à Lyon (condamnations
que prononce la commission mixte). — F. Uzureau. Politique d'ex-
trême droite sous la Restauration (extraits de lettres adressées dé
Paris au chevalier de Sapinaud du Bois, chef d'Etat-major des gardes
nationales de la Sarthe, 1816-1821).
8. — Révolution française. 1921, janvier-mars. — Doctorat de
RECUEILS PÉRIOUIQCES. 139
l'abbé Giraud; la thèse principale : Essai sur l'histoire religieuse de
la Sarthe de 1789 à l'an IV, est un excellent travail; la thèse complé-
mentaire : Levées d'hommes et acheteurs de. biens nationaux dans la
Sarthe en 1793, est de même remarquable. Résumé des deux ouvrages
par le candidat. — Doctorat du lieutenant-colonel Tournés. Thèse :
La garde nationale dans le département de la Meurthe pendant la
Révolution (résumé de la thèse faite par le candidat, reçu docteur,
comme l'abbé Giraud. avec mention très honorable). — A. Houtin.
Quelques notes sur l'histoire des Jésuites (quelques observations Sur
le t. III du P. J. Burnichon). — L. Lévy-Schneider. Le système
corporatif dans le Nivernais à la fin de l'Ancien régime (idées géné-
rales qui se dégagent de la thèse de M. Gueneau). — Ed. Clavery.
Le général Narino, précurseur de l'indépendance colombienne (f 1823 ;
notes biographiques). = C. -rendus : Frédéric-Christian Lankhard.
Souvenirs traduits par W. Bauer (intéressants sur l'histoire de la
Révolution). — G. Lenôtre. Le roi Louis XVII et l'énigme du Temple-
(M. Lenôtre « est un habile conteur dont la plume légère amuse tou-
jours et instruit quelquefois »). — Boulay de la Meurthe. Histoire
de la négociation du Concordat de 1801 (mise en œuvre des six
volumes de documents publiés antérieurement). — Marcel Blan-
chard. Les routes des Alpes occidentales à l'époque napoléonienne,
1796-1815 (intéressant; on critique le plan). — G. Lacour-Gayet.
Napoléon, sa vie, son œuvre, son temps (surtout anecdotique). —
Daniel Haléoy. Le courrier de M. Thiers (nombreux documents). —
Albert Houtin. Le Père Hyacinthe dans l'Église romaine (d'après le
journal du P. Hyacinthe). — Ludovic Naudeau. Les dessous du chaos
russe (connaît bien les êtres et choses de Russie).
9. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1920, 15 dé-
cembre. — Feld-maréchal von BiXlow. Mon rapport sur la bataille de
la Marne, trad. par J. Netter (relevé minutieux de tous les mouve-
ments de troupes de la deuxième armée allemande jusqu'au 19 sep-
tembre 1914). — Erich von Falkenhayn. Die oberste Heeresleitung,
1914-1916 (mémoire qui a pour but de justifier les mesures essentielles
ordonnées par le généralissime depuis le 14 septembre 1914, où Fal-
kenhayn reçut la succession de MoUke, jusqu'au 29 août 1916). —
L. Thomas. Les États-Unis inconnus (description des villes moyennes,
dont l'essor est déjà considérable, et avec lesquelles nous aurions
intérêt à nouer des rapports économiques). — A. Orregon Luco. La
question du Pacifique, trad. par E. Vaïsse (depuis le traité d'Ancon,
1884, qui mit fin à la guerre entre le Chili et le Pérou). — Ch. Clerc.
Les théories relatives au culte des images chez les auteurs grecs du
II* siècle ap. J.-C. (mérite d'être lu). — A. Loisy. Essai historique
sur le sacrifice (œuvre magistrale). — Ch. H. Cunningham. The
Audiencia in the Spanish colonies, as illustrated by ihe Audiencia of
Munifa, 1583-1800 (très intéressant). = 1921. Les livraisons du l*"" jan-
vier au l"' avril ont été analysées dans la Rev. histor.., t. CXXXVI,
140 REC0EILS PÉRIODIQUES.
p. 284-286. =: 15 avril. Cari Clemen. Die griechischen uud iateiiii-
schen Nachrichten ûber die Persische Religion (consciencieux). —
Catalogue of the- arable and persian manuscripts in the Oriental public
library at Bankipore, t. VI (important). — H. Hauser. Travailleurs
et marchands dans l'ancienne France (ce n'est pas un livre, mais un
recueil d'articles à peine reliés par des idées générales ; cependant,
« livre plein et qui donne à penser »). — Fr. Lachèvre. Cyrano de
Bergerac (on saura désormais que le fameux Gascon des Casteljaloux
était d'origine sarde et qu'il, naquit à Bergerac, fief situé au canton de
Chevreuse, près de Paris; qu'enfin il mena une vie de bohème et qu'il
fut poète à ses heures). — Adrien Huguet. Le marquis de Cavoye,
1640-1761 (bonne biographie, où le personnage est un peu accablé par
le poids des documents). — Ed. de Marcère. La France et la rive
gauche du Rhin. Le traité de Bâle, 1794-1795 (peu de nouveau, Beau-
coup de fautes d'impression, mais l'ensemble est instructif). — Alfred
de Curzon. L'enseignement du droit français dans les Universités de
France aux xviF et xyiip siècles (traite surtout de la manière dont
l'enseignement du droit a été tardivement introduit dans les Univer-
sités). — 0. Karmin. Le transfert de Chambéry à Fribourg de l'évê-
ché de Genève, 1815-1819 (utile recueil de documents nouveaux). =r
!«■■ mai. Ch. RiST. Les finances de guerre de l'Allemagne (enquête
menée avec un remarquable esprit d'impartialité scientifique). —
G. Gaillard. L'Allemagne et le Baltikum (important). — G. Pariset.
Le Consulat et l'Empire (excellent). — Fréd. Masson. La vie et les
conspirations du général Malet (pénétrante étude de psychologie). —
H. M. King. Les doctrines littéraires He la « Quotidienne », 1814-
1830 (bon). — C. H. Wright. French classicism (fait bien comprendre
la nature et l'importance du goût classique en France au xvii« siècle).
— Marie L. Herking. Charles Victor de Bonstetten, 1745-1832; sa
vie, ses œuvres (bon). = 15 mai. Labande. Avignon au xv» siècle
(remarquable travail sur l'histoire d'Avignon de 1464 à 1494; beaucoup
de documents analysés dans le texte et publiés en appendice). —
E. Rodocanachi. La Réforme en Italie; 1''« partie (ouvrage de vulga-
risation utile à consulter, mais qui va un peu à l'aventure sans un
plan nettement arrêté ; « recueil de matériaux classés de façon provi-
soire et empirique, eu vue d'une enquête qui reste à entreprendre »).
— G. Schelle. Œuvres de Turgot; t. III (excellent). — H. Van
Houtte. Histoire économique de la Belgique à la fin de l'Ancien
régime (bon). — Augustin Cochin. Les Sociétés de pensée et la
démocratie; études d'histoire révolutionnaire (remarquable).
10. — Revue de Thistoire des religions. 1920, novembre-dé-
cembre. — A. van Gennepp. Nouvelles recherches sur l'histoire en
France de la méthode ethnogra|)hique : Claude Guichard, Richard
Simon, Claude Fleury (le premier né à Saint-Rambert-en-Bugey au
milieu du xvi« siècle, mort à Turin en 1607, dans son livre « Funé-
railles et diverses manières d'ensevelir des Romains, Grecs et autres
RECUEILS PÉRIODIQUES. 141
nations, tant anciennes que modernes », paru à Lyon en 1581; le
second, 1638-1718, dans ses deux ouvrages, « les Cérémonies et cou-
tumes qui s'observent aujourd'huy parmi les Juifs », 1674, et « His-
toire critique de la Créance et des Coutumes des Nations du Levant »,
1684; le troisième dans « Les Mœurs des Israélites », 1681). — P. Mas-
SON-OURSEL. Bulletin des religions de l'Inde (articles nécrologiques
sur A. Barth et E. Chavannes; de la méthode en histoire des reli-
gions; publications récentes : ouvrages de L.J. Trotter, Vincent A.
Smith, H. G. Rawlinson, Josepti Davey Cumingham, etc.). —
P. Hippolyte Boussac. L'animal sacré de Set-Typhon (un chien
domestiqué). = C. -rendus : Edward Chiera. Lists of sumerian Per-
sonal names (bon). — D'" G. Contenait. Trente tablettes cappado-
ciennes (prouvent l'existence à une haute époque, dans le voisinage
du Taurus, d'une société sémitique organisée). — L. Pareti. Storia
di Sparta arcaïca (des origines jusque vers le milieu du vif siècle). —
René Dussaud. Le cantique des cantiques (hypothèse nouvelle : le
livre renferme quatre poèmes; objections qu'elle soulève). — H. A.
Walter. The Ahmadîya movement (à la fin du xix« et au début du
xx° siècle. Ahmad, fondateur de cette doctrine, est mort en 1908). —
Charles Renel. Les amulettes malgaches (excellent). — F. Mourret.
Le concile du Vatican d'après des documents inédits (ouvrage édi-
fiant). = A la Société Ernest-Renan, M. Mayer-Lambert fait une
communication intitulée : « Quelques observations sur le caractère
littéraire des Prophètes. »
11. — Revue des études anciennes. 1921, janvier-mars. —
A. CuNV. Questions gréco-orientales. XII. L'inscription lydo-ara-
méenne de Sardes; suite (examine, après le texte araméen, le texte
lydien). — P. Cloché. Le discours de Lysias contre Hippothersès (on
y trouve quelques renseignements sur la restauration démocratique à
Athènes en 403). — C. Jullian. Notes gallo-romaines. LXXXIV. La
question des « poypes » (on donne ce nom à des buttes artificielles en
terre, à forme conique, d'ordinaire entourées de fossés; ce sont des
tertres funéraires). — A. Blanchet. Recherches sur les « grylles », à
propos d'une pierre gravée trouvée en Alsace (au sud de Benfeld; on
y a gravé une de ces figures grotesques connues sous le nom de
grylles et qui servaient de talisman). — Ch. Marteaux. Note sur
Chamerande (nom de lieu qui signifierait un chemin près d'une
limite). — C. Julliax. Chronique gallo-romaine. = C. -rendus :
Pericle Ducati. L'arte classica (des origines à la mort de Théodoric,
526 ap. J.-C; livre de vulgarisation bien conçu et parfaitement exé-
cuté). — Jean Lesquier. L'armée romaine d'Egypte, d'Auguste à
Dioclétien (œuvre magistrale). — Eugène Albertini. Sculptures
antiques du Conventus Tarraconensis (excellent catalogue, imprimé
avec un luxe « d'avant-guerre »). — Marcellin Boule. Les hommes
fossiles, éléments de paléontologie humaine (livre d'une inteUigence
supérii'iirp pt d'une science absolue). =: Avril-juin. P. Pehdrizet.
k
142 RECDEILS PÉRIODIQDES.
Copria (ce nom de famille se trouve souvent dans l'Egypte de l'époque
impériale; il indique des enfants qui étaient exposés sur des terrains
vagues de décharge, qui venaient èx xonpta;). — L. Havet. La fable
du loup et du chien (la fable de Phèdre est une fable à clef ; le loup
est Arminius, le vainqueur de Varus; le chien son frère Flavus, qui
a longtemps touché des stipendia romains). — C. Jullian. Les
tares de la « Notitia dignitatum » : le duché d'Armorique (les rensei-
gnements que nous donne à ce sujet la Notitia sont insuffisants et,
sans doute, erronés). — J. Loth. Le gaulois Turno dans les noms
de lieux (le mot doit signifier éminence, hauteur). — E. Duprat.
Notes sur Saint- Jean-de-Garguier (inscription, fragment de sculpture,
monnaies, qui ont été trouvées dans ce domaine des environs de Mar-
seille). — Adrien Blanchet. Une inscription d'Antibes, composée
sous François I^"" (invitation faite au roi de visiter la ville). — C. Jul-
lian. Chronique gallo-romaine. = C. -rendus : C. Autran. Phéni-
ciens (des parties brillantes, mais l'ensemble ne tient pas debout). —
J. G. Frazer. Les origines magiques de la royauté, traduction Loy-
son (beaucoup de conjectures). — Alice Brenot. Recherches sur
l'éphébie attique et en particuHer sur la date de l'institution (clair et
bien conduit). — Roy C. Flickinger. The greek theater and its drama
(excellent). — Fr. Poulsen. Delphi (bon). — A. Reinach. Recueil
Milliet : textes grecs et latins relatifs à l'histoire de la peinture
ancienne, t. I (véritable encyclopédie de la peinture antique). — J.-E.
Sandys. Latin epigraphy (premier manuel épigraphique imprimé en
Angleterre).
12. — Le Correspondant. 1921, 10 mai. — Pierre de Nolhac.
Ronsard humaniste; suite et fin. Frédéric Ozanam. Lettres iné-
dites à Victor Cousin, 1839-1841 (huit lettres permettant de suivre les
débuts d'Ozanam dans l'Université). — Maximo del Campo. La ques-
tion du Pacifique et l'Amérique latine. — Louis Dimier. Les rues et
monuments de Paris et leur avenir. == 25 mai. *** France et Suisse.
Petites zones et grands traités. — *** Les dernières manifestations du
gouvernement des soviets. Les concessions aux étrangers et l'entente
avec les paysans. — Ernest Daudet. Souvenirs de mon temps. IL Les
dernières années de l'Empire; suite (les élections de 1869 et la forma-
tion du ministère Ollivier).
13. — Études. Revue fondée par des Pères de la Compagnie de
Jésus. 1921, 20 janvier. — Léonce de Grandmaison. La vie religieuse
au grand siècle. La tradition mystique dans la Compagnie de Jésus
(d'après le livre de Henri Bremond : le P. Louis Lallemant, le P. Jean-
Joseph Surin). — Stephen Brown. La crise présente de l'Irlande par
un Irlandais ; suite les 5 et 20 février (articles très sympathiques à la
cause de l'Irlande; toutefois, l'auteur, avec les évêques irlandais, con-
damne tout crime, de quelque côté qu'il soit commis). — Alexandre
Brou. La soumission de Fénelon d'après la correspondance de Bos-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 143
suet (t. XI). — Paul Dudon. Un centenaire. La découverte du détroit
de Magellan (octobre-novembre 1520). = 5 février. *** La question
rhénane; fin le 20 février (comment la question s'est posée de
novembre 1918 à septembre 1919; comment elle se pose actuellement;
croit à une révolte de la Rhénanie catholique contre les lois scolaires
écartant le prêtre de l'école). — Guillaume de Jerphanion. Choses
d'Orient. Sur l'antique Byzance (d'après les travaux de Diehl, Bré-
hier, Mgr Batiffol, Laurent, Millet). =: 20 février. Paul Dudon. Bulle-
tin d'histoire religieuse chez les protestants (les questions internatio-
nales ; en face de l'église catholique ; l'organisation du protestantisme
français). =: 5-20 mars. Adhémar d'Alès. Le catholicisme de saint
Augustin (d'après le livre de Mgr Batiffol). — F. P. Les épreuves des
« Moines d'Occident » et de leur auteur (lettres inédites de Mpntalem-
bert sur l'accueil fait à son ouvrage). — Jules Lebreton. La Pologne
à la veille du plébiscite de la Haute-Silésie (justifie les revendications
polonaises). — P. Treilhard de Chardin. Les hommes fossiles
(d'après le volume de M. Boule). = C. -rendus : le P. Antoine Rab-
bath. Documents inédits pour servir à l'histoire du christianisme en
Orient, xvF-xixe siècles (le P. Tournebize vient de faire paraître le
fascicule III du tome II; pièces du plus haut intérêt). — Jean-H.
Mariéjol. Catherine de Médicis (remarquable). = 5 avril. Jeha^i de
Witte. L'ofïre de paix séparée de l'Autriche et les négociations
du prince Sixte (croit que la paix séparée aurait pu être conclue en
juin 1917). — Joseph Boubée. Deux œuvres catholiques et françaises
à la Trinitad (l'orphelinat de Belmont, la léproserie de Cocorite, fon-
dés par des Dominicaines françaises). =:20 avril. Paul Dudon. Sur le
cercueil de Napoléon (impressions causées par sa mort). — Et^ard
F. Garesché. Le cardinal Gibbons. — Adhémar d'Alès. A Byzance.
Psellos et Cérulaire (à propos des deux thèses d'Emile Renauld). =
5 mai. François Datin. L'anglicanisme et les problèmes du temps pré-
sent; lin le 20 mai (à propos de la sixième conférence de Lambeth,
réunie le 5 juillet 1920. Les tentatives d'union entre les communau-
tés protestantes chrétiennes aboutiront-elles? L'auteur rêve d'un retour
au cathoUcisme). — Adhémar d'Alès. Saint Augustin en Sorbonne (il
s'agit des deux thèses de Charles Boyer). = C. -rendus : O. Braunsber-
ger. Petrus Canisius (d'une valeur exceptionnelle). — C. Aulran. Phé-
niciens (voit des Phéniciens partout, sauf en Phénicie). — D. Sébastian
Puig y Puig. Pedro de Luna, ultimo papa de Aviilon (avec 219 docu-
ments ; ouvrage important). =20 mai. A. DORE. Le « réveil égyptien » (le
mouvement est dirigé contre tous les étrangers et tous les chrétiens).
— L. RouRE. Une gloire du pays rhénan : Nicolas de Cues (d'après
la thèse de Ed. Vansteenberghe). — J. Boubée. Le mouvement reli-
gieux hors de France. République de Cuba : catholicisme et vie
publique à La Havane. = C. -rendus : É. Magne. Lettres inédites du
prince de Condé et du duc d'Enghien à Marie-Louise de Gonzague,
reine de Pologne, sur la cour de Louis XIV, 1664-1067 (intéressant).
144 RECUEILS PE'rIODIQUES.
— G. Bonnenfant. Les séminaires normands du xvi» au xviif siècle
(très précis, mais s'arrête un peu trop aux faits matériels). — A. Astrain.
Historia de la Compania de Jésus en la Asistencia de Espana, t. VI,
1652-1705 (remarquable). — Éd. Lecompte. Les Jésuites au Canada
au xix« siècle, t. I, 1842-1872 (très documenté).
14. -— Mercure de France. 1921, l*-" mai. — Gabriel Brunet.
Napoléon et l'adaptation au malheur (commentaire de ce mot de l'em-
pereur en 1816.: « Je crois que la nature m'avait calculé pour les
grands revers; ils m'ont trouvé une âme de marbre, la foudre n'a pu
mordre dessus, elle a dû glisser. » A Sainte-Hélène, il domine sa
situation tragique en l'organisant). — H.-R. Savary. Les réparations
et l'action des Alliés; la déconfiture du système de M. Keynes. —
R. Chevaillier. La captivité et la mort de Napoléon dans les
mémoires d'outre-tombe (montre comment Chateaubriand a trans-
formé les documents qu'il avait à sa disposition. Il en a tiré une véri-
table œuvre d'art, mais trop souvent aux dépens de la vérité. Il est
curieux à cet égard de comparer le présent article à celui de G. Bru-
net). — Armand Praviel. La légende de Clémence Isaure (amusante
histoire de cette supercherie jqui a pris naissance au milieu du
XVF siècle). = 15 mai. J. Dietérlen. Autour d'un interdit : l'affaire
de Marienthal (il s'agit des Carmélites de Marienthal, près de Stras-
bourg, dont la maison fut mise en interdit par l'autorité ecclésiastique
en 1921. Pour quelle cause? Il y eut sans doute vengeance exercée
par lesr religieux allemands contre les sœurs restées françaises de
cœur ; mais il y eut aussi sans doute un de ces conflits obscurs entre
l'autorité souveraine de l'Eglise catholique et des religieuses obstinées
dans leur parfait amour en Jésus seul). — Tony Roche. Paul-Louis
Courier, soldat de Napoléon (vie anecdotique d'un canonnier à cheval
hellénisant; ce qu'il devint quand il eut quitté l'armée après
Wagram). — J.-G. Prod'homme. Napoléon, la musique et les musi-
ciens.
15. — La Revue de France. 1921, l^"- mai. — FocH. La bataille
de Laon, mars 1814 (commentaire par le lieutenant-colonel, aujour-
d'hui maréchal. Pourquoi Napoléon a-t-il été vaincu par Blùcher?
Parce qu'il avait, dans son ambition démesurée, détourné le cours
inévitable de l'histoire. A Valmy, c'est le droit et la justice qui avaient
vaincu; Laon, c'est « la défaite du génie par le droit révolté »). —
E. de Las Cases. Las Cases et le « Mémorial de Sainte-Hélène » (ce
qu'était Las Cases avant 1815; pourquoi, n'ayant rien reçu de Napo-
léon, maître du monde, alla-t-il le rejoindre dans l'exil; portrait qu'il
trace de l'empereur. Il « reste aux côtés de Napoléon le symbole de
la fidélité au malheur, celui qui a le mieux connu et rendu l'âme du
grand homme »). — Paul Adam. Ligny et Waterloo. I. Ligny, 13 juin
1815 (intelligent et brillant; mais l'auteur était un romancier avant de
s'être fait un historien); fin le 15 mai. — R. Recouly. Comment
RECUEILS PÉRIODIQOES. 145
faire payer l'Allemagne. — S. Lalande. Les « Einwohnerwehren ».
— CanudO. Le centenaire de Dante. — Jacqueline Bertillon. Une
Université du Middle West (celle de Minnesota, « véritable petite
ville au milieu de la grande ville de Minnéapolis »). := 15 mai. Phi-
lippe Crozier. L'Autriche et l'avant-guerre. III (imbroglio balkanique
après l'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine à la double monar-
chie; sous l'influence de l'Allemagne, le sentiment grandit chaque
jour qu'une « vigoureuse opération de police » devait être exécutée sur
l'autre rive du Danv^be. Passe d'armes diplomatique entre .ïlrenthal
et Iswolsky; intransigeance des Serbes, dont les extrémistes atten-
daient tout d'une intervention armée de la Russie. Cette menace
décide l'Autriche à faire de grands préparatifs militaires au moment
même où le gouvernement russe annonçait à ses agents qu'il fallait
« à tout prix » écarter l'éventualité d'une guerre ; et bientôt à préparer
un ultimatum menaçant contre la Serbie. La certitude donnée à l'em-
pereur d'Autriche par l'ambassadeur de France qu'en aucun cas le gou-
vernement de la République n'abandonnerait son aUié russe fit réfléchir
yErenthal et l'envoi de l'ultimatum fut suspendu. M. Crozier a oublié
d'ajouter les dates; c'est une lacune grave). — Désiré Roustan. Une
nouvelle biographie de Descartes (par M. Gustave Cohen dans son
beau livre : « Écrivains français en Hollande dans la première moitié
du xvn« siècle »). — Laurence Hills. Les États-Unis et l'Europe. Les
points cardinaux de la politique américaine. .
16. — La Revue de Paris. 1921, l*" mai. — Henry Bataille.
L'enfance éternelle (l'auteur, poète et auteur dramatique, est né à Cas-
telnaudary le 4 avril 1872; détails sur sa famille et le midi toulousain,
où il passa son enfance et sa jeunesse). — Général A. Tanant. Napo-
léon chef de guerre (met en relief les qualités maîtresses de celui qui
fut vraiment le Dieu de la guerre). — Henri-Robert. Napoléon et la
justice (création du Code civil et organisation du Barreau). — Lieute*
nant-colonel René Tournés. Le G. Q. G. de Napoléon l^^ (son orga-
nisation; la « Maison » et 1' « État-major » ; à la « Maison » se rat-
tache le « Cabinet » comprenant trois bureaux, dont le principal est
le service des renseignements. La « Maison » reçoit son impulsion
directement de l'empereur; 1' « État-major » est placé sous les ordres
de Berthier, major général). — Robert Pinot. L'organisation perma-
nente du travail. = 15 mai. G. Pariset. Le système napoléonien de
gouvernement (vigoureux tableau de cette organisation d'un caractère
si nettement autocratique et individualiste à la fois, résistante, mal-
gré les efforts tentés depuis un siècle pour la détruire). — Jacques
Lambry. Les souvenirs d'un garde d'honneur de 1813 (journal ou « Iti-
néraire » tenu par Jean Lambry, brigadier dans cette garde, pendant
la campagne de Saxe, du 14 mai au 26 décembre 1813). — *** Au 3« bu-
reau du 3« G. Q. G., 1917-1918; suite (genèse de la directive n° 5 et de
la contre-offensive française, mai-juillet 1918. Cette directive est celle
que donna Pétain le 12 juillet : « Dès maintenant, les armées doivent
Rev. Histor. CXXXVII. l" fasc. lO
146 RECUEILS PÉBIODIQOES.
envisager la reprise de l'offensive... Les chefs à tous les échelons ont
le devoir d'entretenir la foi dans le succès. »). — Jean Poirier.
Lycéens impériaux, 1814-1815 (la population des lycées resta ardem-
ment bonapartiste, même après la double abdication de l'Empereur.
Des efforts accomplis ensuite pour gagner les élèves à l'amour des
Bourbons; malgré-tout, l'esprit resta militariste, libéral, antirehgieux,
conspirateur) .
17. — Revue des Deux Mondes. 1921, l^"" mai. — Frédéric Mas-
son. La mort de l'Empereur, l. La maladie (les médecins de l'Empe-
reur : O'Meara, Irlandais, qui n'était même pas médecin, mais qui
avait été chirurgien militaire ; le D"" Verling, aide-chirurgien de l'ar-
tillerie royale, qui ne fut même pas admis auprès de Napoléon; le
D' Stokoë, camarade d'O'Meara. Ces praticiens sont avant tout des
espions chargés de surveiller l'Empereur et de dépister les maladies
imaginaires qu'il aurait pu inventer pour obtenir un lieu de détention
moins. redoutable. Cependant^ la maladie réelle empirait et, à la fin de
1819, le cancer est apparu). — Louis Madelin. Napoléon à travers le
siècle, 1821-1921. — René Bazin. Charles de Foucauld, explorateur
du Maroc, ermite du Sahara. II (voyage de découverte en 1883 et son
livre : « Reconnaissance du Maroc » ; second voyage en 1884-1885.
Catholique non pratiquant, mais avide de croire pour posséder enfin
la vérité, il se convertit, cédant à l'influence de l'abbé Huvelin)'. —
Maurice Paléologue. La Russie des tsars pendant la Grande Guerre.
VI (du 24 avril au 6 septembre 1915 : bataille de Dounaïetz et défaite
des Russes, évacuation de la Pologne et de la Lithuanie. Contre-coup
produit par ces revers et les énormes pertes de l'armée sur l'âme
populaire, qui réagit un moment, puis retombe dans son fatalisme
apathique. Sourde rivalité entre Moscou, la vraie capitale, et Péters-
bourg, création de Pierre le Grand et centre du gouvernement auto-
cratique. Ces événements fournissent à Raspoutine l'occasion de
reprendre son œuvre néfaste auprès des souverains; c'est lui qui fait
décider le renvoi du grand-duc Nicolas, en insinuant qu'il cherchait à
se créer dans les troupes et même dans le pays une popularité mal-
saine. Le 6 septembre, le tsar annonce qu'il va prendre lui-m^me le
commandement de ses troupes). — Duc de La Force. Le grand
Conti. II. A Chantilly (où il est exilé en 1686; il épouse en 1688 sa
cousine, M"« de Bourbon). = 15 mai. G. Lacour-Gayet. Bonaparte et
l'Institut (comment il fut élu membre de la « Section des arts méca-
niques, classe des sciences physiques et mathématiques », le 25 dé-
cembre 1797; comment il fut admis, quelle part il prit aux séances;
comment, en 1815, il fut omis dans l'Annuaire ou « Etat actuel de
l'Institut »). — Frédéric Masson. La mort de l'Empereur. II. L'agonie
et la mort (le D' Antommarchi proposé par le cardinal Fesch et
Madame Mère, d'ailleurs médecin ignorant et convaincu que la mala-
die de Napoléon était une imagination ou une feinte. Les derniers
moments, les testaments et la mort). — Maurice Paléologue. La
RECUEILS PÉRIODIQUES. 147
Russie des tsars pendant la Grande Guerre. VII (la félonie bulgare et
la tragédie serbe du 12 septembre au 31 décembre 1915; tentatives du
gouvernement allemand pour détacher le tsar de ses alliés ; elles sont
vaines). — Raymond Thamin. La réforme de l'enseignement secon-
daire. I (les « compagnons » et l'école unique). — Camille Bel-
LAIGUE. Souvenirs de musique et de musiciens. — Victor Giraud.
Jean-Jacques Rousseau prophète religieux (d'après le livre de Maurice
Masson).
18. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus, 1920, mars-mai. — Paul Monceaux. Une invocation au
« Christus medicus » sur une pierre de Timgad (probablement l'œuvre
d'un donatiste du début du v* siècle). — É. Châtelain. Rapport sur
les travaux des écoles françaises d'Athènes et de Rome pendant l'an-
née 1918-1919. —P. Paris. Le rocher de Perescrita, près de Cenicien-
tos, province de Madrid (bas-relief avec une inscription illisible). —
Jules Baillet. Les graffiti grecs dans les tombeaux des rois à Thèbes
d'Egypte (série de noms propres). — Paul Monceaux. Martyrs de
Bourkika (au nord-est de Milianah, mentionnés sur un sarcophage du
iv» siècle). — Ch.-V. Langlois. Rapport sur le concours des antiquités
de la France eu 1920. — J. de Morgan. Note sur la succession des
princes mazdéens de la Perside (de 220 av. J.-C. à 227 apr.). — L. Poins-
SOT. Deux inscriptions d'Auiiobari (dans la région de Dougga; décrets
sur des contestations de limite). —Adrien Blanchet. Intailles repré-
sentant des génies de la secte des Ophites (amulettes gnostiques). —
Lettre de M. Vignaud sur l'entreprise de Christophe Colomb en 1492.
= Juin-août. A. Thomas. Le nom de lieu Pertu, Creuse, et la légende du
roi Artur (l'étymologie est Podium Artus). — Paul Monceaux. Note
sur une eroix de bronze trouvée à Lambèse (croix qui déterminait le
point central où se croisaient les deux directions de Vantica et de la
postica). — Le P. Delattre. La basilique voisine de Sainte-Monique
à Carthag^ (publie le texte de huit épitaphes). — Rapport du secrétaire
perpétuel sur la situation des publications de l'Académie pendant le
premier semestre de 1920. — Charles Diehl. A propos d'une inscrip-
tion grecque dans la basilique d'Ererouk (l'inscription, mal lue par
Strzygowski, reproduit un verset des Psaumes). — Ed. Pottier. Un
colosse « criophore » archaïque découvert à Thasos (provient sans
doute du temple d'Apollon Pythien). — H. Sottas. Le papyrus
démotique inédit de Lille n" 3 et la notation des jours épagomènes. —
J. DÉ Morgan. Sur un signe indéchiffré des monnaies sassanides et
arabo-pehlvies (ce signe indique la puissance, le pouvoir temporel). —
A. Gabriel. Les fouilles de Foustat (capitale de l'Egypte avant la
fondation du Caire; fouilles faites à partir de 1912 par Ali Bey Bah-
gat). — Le P. Villecourt. La date et l'origine des « homélies spiri-
tuelles » attribuées à Macaire (l'auteur doit être un Messalien vivant en
Mésopotamie dans la seconde moitié du iv» siècle). — D"" Carton.
Découverte d'une fontaine antique à Carthage (plan du monument et
148 RECUEILS PÉRIODIQUES.
ses transformations). — Fr. Cumont. Les enfers selon l'Axiochos
(dialogue attribué à Platon). — -Louis Poinssot. La civitas Mizigita-
norum' et le pagus Assalitanus (signalés par deux inscriptions trou-
vées sur la route de Carthage à Theveste, près d'Aïn-Babouch). :=
Septembre-octobre. Paul Monceaux. Martyrs de Djemila (donne les
noms de neuf martyrs locaux de l'ancien Cuicul). — Comte Begouen.
Un dessin relevé dans la caverne des Trois-Frères à Montesquieu-
Avantès, Ariège (représente un homme masqué). — Comte Durrieu.
Deux miniatures à caractère historique de la bibliothèque de Vienne
(portraits du roi d'Ecosse, Jacques IV, et de sa femme Marguerite). —
Albertini. Tables de mesures de Djemila (d'un setier, d'un capitum
et d'un muid). — D"" Carton. Rapport sur les fouilles exécutées à
BuUa Regia en 1919-1920, avec une note de M. Ca&nat sur une ins-
cription de ce lieu en l'honneur d'une femme qui a fait construire les
thermes. — Paul Monceaux. Deux victimes des Maures à Madauros
(deuxième moitié du iv« siècle). — Ed. CuQ. La cité punique et le
municipe de Volubilis (deux communes étaient juxtaposées). —
H. Cordier. Rapport sur les travaux de l'École française d'Extrême-
Orient, 1918-1920. — Louis Poinssot. Datus, conductor praediorum
regionis Thuggensis (signalé sur une inscription de l'époque d'Ha-
drien). — P. Lacau. Les travaux du service des antiquités d'Egypte,
1919-1920. — Ch. Fraipont. Essai de chronologie du néolithique en
Belgique. — Dom Wilmart, Un manuscrit de TertuUien retrouvé (à
la bibliothèque de Troyes).
19. — Académie des sciences morales et politiques. Compte-
rendu des séances et travaux, 1920, février-mars. — G. Lacour-
Gayet. Son Éminence le cardinal Mercier, primat de Belgique, et le
gouverneur général allemand von Bissing (d'après la correspondance
du cardinal avec le gouverneur). — René Worms. Les prises mari-
times et la cinquième année de la guerre. — Paul Meuriot. La cons-
titution de 1875 et ses parrains : Prévost-Paradol et Victor de BrogUe
(les idées exprimées par ces deux écrivains dans « la France nouvelle »
et « Vues sur le gouvernement de la France » ont trouvé plus ou
moins leur expression dans les lois constitutionnelles dont l'ensemble
forme la Constitution de 1875). — Paul Fauchille. La guerre de
l'avenir et les moyens de l'empêcher (demande que toute attaque
brusquée ou toute violation d'une règle du droit des gens entraîne la
responsabilité personnelle de ceux qui s'en rendront coupables). =:
Avril-mai. E. Seillière. Le catholicisme de Sainte-Beuve (cette
période catholique se place entre 1829 et 1835 et n'avait rien de
sincère). — Albert Rivaud. L'édition internationale des œuvres de
Leibnitz (histoire de la collaboration avec les Allemands de 1903 à
1914; un seul volume, le second, se trouve prêt. Pourquoi ne pas le
publier?). — Alfred Massé. L'Allemagne et le traité de Versailles. La
livraison du bétail. = Juin. E. Seillière. Impressions parisiennes
d'uu jeune Suisse en 1752 (Isaac Iselin, de Bâle, âgé alors de vingt-
RECCEILS PÉRIODIQUES. y 149
quatre ans). — Vicomte de Guichen. La Pologne au point de vue
diplomatique et économique dans le passé et le présent (la Pologne
doit vivre, puisqu'elle est un des éléments essentiels de l'équilibre
européen, et parce que sa disparition serait un déni de justice). — Vara-
GNAC. Un chapitre de la législation des cultes en France (sur la liberté
ou l'interdictiop des processions).
États-Unis.
20. — The american historical Review^. 1921, avril. — Frédé-
ric DunCalf. La croisade des paysans (les gens du peuple qui par-
tirent les premiers en 1096 pour la Croisade n'étaient pas de pauvres
paysans, mais des gens de moyenne condition qui avaient pu réunir
assez d'argent pour s'entretenir pendant les premiers mois de l'expé-
dition; c'est quand leurs ressources personnelles furent épuisées qu'ils
se mirent à piller). —Frank A. Golder. La guerre civile d'Amérique
vue par les yeux d'un diplomate russe (d'après les dépêches envoyées
au ministère russe des Affaires étrangères par Edouard de Stœckel,
qui habita à Washington de 1849 à 1868; elles sont toutes en fran-
çais). — Ross H. Mac Lean. Les mouvements de troupes sur les
chemins de fer américains pendant la Grande Guerre. — Cari Russell
FiSH. L'indemnité imposée à l'Allemagne et les Etats du Sud (on
oppose parfois la générosité des États du Nord envers ceux du
Sud à la dureté sivec laquelle l'AUemaghe vaincue a été traitée par
les Alliés. Cependant, à ne considérer que le côté économique de la
question, il est certain que le Sud a dû payer un très lourd tribut à la
guerre civile; il lui fallut un demi-siècle pour se relever de ses ruines).
= C. -rendus : Wi\liB.m A. Mason. A history of the art of writing
(livre bien écrit, intéressant, très bien illustré). — J. Hellmann. Das
Mittelalter bis zum Ausgange des Mittelalters (très bon exposé). —
Mary W. Williams. Social Scandinavia in the Viking âge (remar-
quable compilation). — Charles W. David. Robert Curthose, duke
of Normandy (étude très consciencieuse). — //. Cordier. Ser Marco
Polo ; notes and addenda to Sir Henry Yule's édition (additions utiles,
'mais trop impersonnelles; plus de bibliographie que de critique). —
Henry 0. Taylor. Thought and expression in the sixteenth century
(insuffisant malgré plusieurs bons chapitres). — Julius West. History
of the chartist movement (ce livre n'est pas assez au courant de la
science). — Joseph H. Park. The english reform bill of 1867 (contient
beaucoup d'utiles informations). — //. Plehn. Bismarck's auswœrtige
Politik nach der Reichsgrùndung (ouvrage très consciencieux, mais
que des documents récemment publiés permettraient de corriger ou
de compléter sur plus d'un point). — Hermann, baron d'Eckardslein.
Lebenserinnerungen und politische Denkwiirdigkeiten (l'ancien ambas-
sadeur d'Allemagne à Londres critique vivement la politique extérieure
de Guillaume II et de son principal conseiller Ilolstein. Important). —
150 RECUEILS PE'rIODIQHES.
0 von Mohl. Fùnfzig Jahre Reichsdienst. Lebenserinnerungen (très
intéressant). — Comte Louis Voinovitch. Dalmatia and the jugo-
slav movement (important plaidoyer). — Woodhouse. Italy and the
Jugoslavs (beaucoup de faits bien présentés par un habile avocat). —
R. M. Henry. The évolution of Sinn Fein (excellent). — H. W. V.
Temperley. A history of the peace conférence; 3 vol. (confus en géné-
ral ; plusieurs bons chapitres, ainsi sur la politique étrangère du pré-
sident Wilson). — Katsuro Hura. An introduction to the history of
Japan (excellent résumé). — H. E. Bolton et Thos. M. Marshall.
The colonization of North America, 1492-1783 (excellent manuel). —
Fred. J. Turner. The frontier in american history (bon). — Tho-
mas G. Wright. Literary culture in early New England, 1620-1730
(remarquable). — W. Chauncey Ford. A cycle of Adams letters,
1861-1865 (très intéressant au point de vue psychologique). — Ernest
L. Bogart et Charles M. Thompson. The industrial state, 1870-1893
(importante étude sur le développement industriel de l'Illinois). —
Charles E. Merriam. American political ideas, 1865-1917 (trop de
bibliographie et pas assez de vues d'ensemble). — Joseph B. Bishop.
Théodore Roosevelt and his time shown in his letters (important). —
John B. Mac Master. The United States 1918-1920, tome XI (chro-
nique de la guerre, d'après des témoignages confus et passionnés). —
Joseph B. Lockey. Pan-Americanism ; its beginning (bon). — Harold
J. Lashi. Political thought in England from Locke to Bentham (beau-
coup de vues intéressantes, que déparent un trop grand nombre d'er-
reurs de détail).
Italie.
21 . — Archivio storico italiano. Anno LXXVII, 1919 (paru en 1921
après les livraisons de 1920). — Roberto Cessi. Études sur les « Maone »
au moyen âge (la « maona » est un navire de commerce; on étudie ici
les affaires maritimes en partitipation ou, plus précisément, l'arme-
ment et la navigation avec un caractère collectif âans leurs rapports
avec l'État; étude de droit commercial au xiv^ et au xv* siècle). —
Carlo Frati. Luciano Scarabelli, Pietro Giordani et les « Paralipo-
meni di storia Piemontese » (les « Paralipomènes » sont en partie
l'œuvre du marquis Felice di San Tommaso qui, après en avoir
recueilli les matériaux, mourut en 1843, âgé seulement de trente-deux
ans. La mère pria Giordani de compléter et de publier l'ouvrage de
son fils. Giordani, qui n'avait aucune aptitude pour ce genre de tra-
vail, le fit attribuer à un jeune historien parmesan qu'il aimait et pro-
tégeait, L. Scarabelli. Puis des difficultés s'élevèrent entre l'historien et
la marquise et l'ouvrage finit par paraître sans que le nom de San
Tommaso figurât sur le titre du volume. On publie de nombreuses
lettres touchant cette question). — Isidoro Del Lungo. Un petit-neveu
de Gianni Schicchi et les Cavalcanti délia Scimmia (notes biogra-
phiques sur un personnage que Dante a placé parmi les Faussaires).
— Giusepne Stefanini. Les questions coloniales pendant la Grande
RECUEILS PÉRIOniQOES. 151
Guerre, au temps où l'Italie était encore neutre (revue des ouvrages
très nombreux qui parurent en Italie sur ces questions en 1914-1915).
— Giorgio Falco. Publications émanant des comités chargés d'organi-
ser l'assistance publique pendant la guerre. — Luigi Pagliai. Clémente
Lupi (notice nécrologique sur cet historien né le 7 juillet 1840 et
mort le 23 février 1918 étant directeur des archivfts de Pise). =
C. -rendus : L. Chiappelli. Studî storici Pistoiesi; vol.'if'(reinarquable).
— D. Guerri. La disputa di Dante Alighieri con Cecco d'Ascoli sulla
uqbiltà (curieux). — L. Gommi. Come Reggio venue in potestà di
Bertrando Del Poggetto, 1306-1326 (bon). — N. Mengozzi. Il ponte-
fice Paolo II ed i Sinesi (bon). — Riciotti Bratti. La fine délia Sere-
nissima (utilise surtout la correspondance d'Andréa di Francesco Vit-
turi, vice-podestat et capitaine de Feltre, 1796-1797). — Maria
Borghesini-Scarabellin. La vita privata a Padova nel sec. xvii (tra-
vail soigné). — Al. Luzio. La congiura spagnola contro Venezia nel
1618 (d'après les archives de Gonzague). — Giov. Sforza. Silvio Pel-
lico a Venezia, 1820-1822 (précieuse monographie). — Jos. Schnitzer.
Der Nùrnberger Humanist Hartmann Schedel und Savonarola (il s'agit
de Michel Savonarola qui fut un célèbre médecin de l'Université de
Padoue). — Id. Zur Wahl Alexanders VI (Schedel, dans sa chronique,
parle de la bonne opinion qu'on avait du futur pape au moment de
son élection. Il tenait ces faits d'un compatriote et ami, Laurent
Behaim, qui avait été au service du cardinal Rodrigo Borgia). —
E. Lasinio. Regesto délie pergamenedel r. Archivio di stato in Massa
(très utile). — P. S. Leicht. Le terre irredente nella storia d'Italia,
(bon résumé). — Antonio Panella. Fra Paolo Sarpie il dominio dell'
Adriatico. — D. Cambiaso. L'anno ecclesiastico e le feste dei Santi
in Genova nel loro svolgimento storico (compilation très méritoire).
22. — Archivio storico siciliano. Nouv. série, anno XXXVIII,
1913, fasc. 1-2. — Giuseppe Pitre. Le quatrième centeriaire de la
naissance de G. -F. Ingrassia. — S. Salomone-Marino. Le cas de la
baronne de Carini dans la légende et dans l'histoire (en 1563, la
baronne de Carini s'appellait Laura Lanza de Gaetani ; elle était fille
de César, baron délia Trebia, et femme de Vincent La Grua, baron de
Carini. La légende raconte qu'une de leurs filles, Caterina, devint la
maîtresse d'un de ses cousins, Vernagallo, et qu'elle fut tuée par son
père vengeant ainsi le déshonneur de la famille. Montre comment
l'histoire et la légende se sont confondues dans cette banale aven-
ture). — F. -M. MiRABELLA. Un poète inconnu du xvi* siècle : Marco
Filippi. — L. Genuardi. Les origines de Mezzojuso (à propos d'un
ouvrage de l'archiprêtre 0. Buccola intitulé : « Nuove ricerche sulla
foiidazione délia colonia greco-albanese di Mezzojuso », 1912). —
G.-B. P"'eruigno. L'entrée triomphale d'un prince à Castelvetrano au
xvii" siècle (il s'agit de don Juan d'Aragon, duc de Terranova et prince
de Castelvetrano, qui fit son entrée le l"" septembre 1622). = C. -rendu :
P. Cavdona. La guerra fra Spagna ed Austria in Italia; il blocco,
l'assedio e la resa di Siracusa del 1735 (intéressant). = Fasc. 3-4.
152 RECUEILS PÉRIODIQUES.
N. NiCEFORO, alias Emilio Del Cerro. La Sicile et la constitution de
1812. — C.-A. Garufi. Notes et documents sur l'histoire de l'Inquisi-
tion en Sicile aux xvi^ etxvii« siècles, d'après les archives espagnoles.
— N. Rati. Le procès de Giovanna Bonanno, dite « la Vecchia di
l'Acitu » (vieille mendiante qui, vers la tin de sa vie, se fit empoison-
neuse par avarjoe; pour rendre service à certaines gens et remettre la
paix dans des ménages désunis, elle fournissait un breuvage à base
d'arsenic, puis elle priait pour le repos de l'âme de ses victimes. Elle
exerça son sinistre métier de 1786 à 1788; arrêtée, elle fut jugée,
condamnée à mort et exécutée le 30 juillet 1789). — V. Ruffo. La
Monnaie royale de Messine, d'après des documents inédits. L L'office
du maître des essais. = C. -rendus : H. Edwin Freshfield. Cellae
trichorae and other Christian antiquities in byzantine provinces of
Sicilia, with Calabria and North Africa, including Sardinia; vol. I
(remarquable). — C.-A. Garufi. Perla storia dei secoli xi et xii. Mis-
cellanea diplomatica. Le isole Eolie a proposito del « Constitutum »
deir abate Ambrogio del 1095 (brillante étude sur la politique de
Roger ler et sur les prétentions des papes sur les îles Ioniennes. Lipari
avait eu un siège épiscopal jusqu'à la conquête des îles par les Arabes).
— Id. « Memoratoria, chartae et instrumenta divisa » in Sicilia nei
secoli xi-xv (bon). — H. Niese. Zur Geschichte des geistigen Lebens
am Hofe Kaiser Friedrich II (excellent). — Id. Das Bistum Catania
und die sizilischen Hohenstaufen (bon). — Sa7%rius von Walters-
hausen. Die sizilische Agrarverfassung und ihre Wandlungen, 1780-
1912 (important). = Anno XXXIX, 1914, fasc. 1-2. G. Pitre. Les par-
tisans de la Cronica di Sicilia et ses adversaires (leurs journaux et
leur poésie de combat, 1812-1815). — G. Giannone. Le ms. de Fita-
lia; étude d'histoire diplomatique (description d'un ms. qui contient
une cronaca svevo-angioina et qu'il vaut mieux désigner par le titre
de ms. de Fitalia; liste des documents qu'il contient et qui vont de
1189 à 1339; dans le nombre, on compte cinquante-cinq documents de
l'empereur Frédéric II. Ce n'est d'ailleurs qu'un formulaire, un traité
« de arte dictandi » composé à l'usage d'une école de rhétorique, sans
doute à Palerme). — V. Epifanio. Sur la guerre de Sicile au temps
de Jeanne 1"^, d'après les registres angevins des Archives de l'Etat à
Naples, 1344-1347. — B. Page. Notes sur les découvertes et les études
qui intéressent la Sicile (II : les sculptures archaïques de Corfou; III :
documents épigraphiques concernant les relations de la Sicile et de la
Grèce dans l'antiquité; IV : la dédicace à Polyzalos). — I. Scaturro.
Oii naquit Agathocle? (il naquit en 361 à Thermse-Selinuntise,
aujourd'hui Sciacca). — Fr. Venuta. Une noble figure de la Révolu-
tion de 1848-1849 en Sicile (le prêtre Luigi Venuta, 1823-1872). =
C. -rendus : Ferruccio-Quintavalle. Il risorgimento italiano, 1814-
1871 (bon résumé). — G. de Majo. La crociera borbonica dinanzi a
Marsala (publie des documents nouveaux sur la croisière entreprise
par les Bourbons en 1860 pour empêcher le débarquement des émi-
grés et des volontaires). — C.-R. Du Bocage. Étude préUrainaire sur
RECUEILS PÉRIODIQUES. 153
la prise de Ceuta par les Portugais le 21 août 1415 ())on). =: Fasc. 3-4.
Era. Del Cerro. La Sicile et la constitution de 1812; suite. —
V. RuFFO. La galerie Ruffo à Messine au xyii* siècle. — C.-A. Ga-
RUFi. Pour servir à l'histoire de l'Inquisition en Sicile aux XVF et
xvii« siècles ; documents tirés des archives espagnoles (procès « super
magariam » ou de sorcellerie, en 1555). — F. -G. Savagnone. Études
sur les paroisses de Sicile (époque prénormande). — PuLCi. Jean V,
archevêque de Bari (épisode de l'histoire de la Sicile et de la Pouille
au xv* siècle). — Pietro Bottalla. Sur un fragment d'un registre
d'écrou du Saint-Office à Palerme, 1757-1760 (avec uu fac-similé). —
G. Di Marzo. Quelques notes sur le peintre Guillaume Borremans
(Borremans d'Anvers, qui vécut en Sicile de 1715 à 1744). — E. Mau-
CERi. Un acte notarié concernant la fourniture de « gualdrappe » à
Noto, 1495 (étofîes dont la trame était faite de laine « barbaresque »
et la chaîne de laine sicilienne). = C. -rendus : Guido de Majo.
Il mancato sbarco a Marsala délia brigata Bonanno (11-16 mai 1860).
— V. Brunelli. Storia délia città di Zara, dai tempi più remoti sino
al 1815; I (bon). — S. Romano. Istituti scolastici ed educatrici, man-
tenuti dalla Lega nazionale nel Trentino, nella Venezia Giulia e nella
Dalmazia (bon). := Anno XL, 1915, fasc. 1-2. E. Gabrici. Parallèle
entre les antiquités préhistoriques de la Sicile et celles de l'Italie
méridionale. — N. Niceforo. La Sicile et la constitution de 1812;
chap. II. — V. RuFFO. La Monnaie royale de Messine, d'après des
documents inédits; suite (autres fonctionnaires de cet établissement;
des locaux occupés par la Monnaie; du travail de la fabrication en
général. Espèces d'or et d'argent frappées de 1462 à 1541). — Biagio
Page. Études récentes sur le « Trésor » des Syracusains à Delphes.
— A. Outrera. Un règlement de police du xvif siècle à Palerme
(texte intéressant pour l'histoire du droit, octobre 1650). — G.-B. Fer-
RIGNO. Un contrat de paix passé entre donna Antonina Concessa
d'Aragon et Terranova en 1516 (à la suite du soulèvement des barons
contre le vice-roi Ugo Moncada, aussitôt après la mort de Ferdinand
le Catholique. Copieux appendice de documents). — E. Mauceri.
Documents inédits relatifs à la peinture syracusaine du xv« siècle. —
U. de Maria. Figures et épisodes du « Risorgimento » dans la cor-
respondance du marquis di Torrearsa. — C. Fara. Tommaso Natali
d'après la correspondance de Giovanni Lami, 1758. = C. -rendus :
Giuseppe Bicchieri. La guerra mondiale; suoi fattori geografici e
storici (recueil de onze leçons admirables de clarté et de pénétration).
— T. Sillani. Lembi di patria (important et illusiré de cent dessins
reproduisant les monuments les plus remarquables du Trentin, de
l'istrie et de la Dalmatie). — F. -A. Termini. Pietro Rausano, uma-
nista palermitano del sec. xv (d'utiles recherches). = Fasc. 3-4.
G. -A. Cesareo. La jeunesse de Giovanni Meli (le plus grand poète
bucolique de la Sicile, 1740-1802). — E. Nicefouo. La Sicile et la
constitution de 1812; suite. — C.-A. Garufi. Notes et documents sur
l'histoire de l'Inquisition en Sicile aux xvi* et xvii» siècles, d'après
154 RECUEILS PÉRIODIQUES.
les archives espagnoles; suite. La « Réforme religieuse » en Sicile
(beaucoup de documents. Important). — G. La Mantia. Les plus
anciennes suppliques de la ville de Palerme des xiie-xrv* siècles et la
condition de la ville elle-même pendant les années 1354-1392 (publie
quatre documents des années 1346-1392). — G. Pitre. Pour servir à
l'histoire de la charité en Sicile (publie un document de l'année 1769).
= C.-rendus : Al. Dudan. La monarchia degli Asburgo. Origini,
grandezza e decadenza (deux gros volumes bourrés de faits). —
Michèle Rosi. Storia contemporanea d'Italia dalle origini del Risor-
gimento ai giorni nostri (tableau assez largement brossé). — Giov.
Roncagli. Atti del X Congresso internazionale di geografia. —
A. d'Alia. La Dalmazia, le regioni limitrofe e l'Adriatico (impor-
tant). = Anno XLI (1916), fasc. 1-2. G. -A. Cesareo. Giuseppe Pitre
et la littérature populaire (résume en termes un peu grandiloquents
l'œuvre de Pitre dans ses ouvrages sur le folklore). — N. Giordano.
Nouvelles études sur les rapports entre l'Eglise et l'État en Sicile au
temps des Normands. — P. Sciajno-Invidiata. Une persistance de
la féodalité dans certaines possessions de fonds de terre au pays de
Geraci (il s'agit de terres plantées d'oliviers, qui étaient soumises à un
droit particulier, le « jus nozzuli ». En appendice, quelques documents
du xviP et du xyiii^ siècle). — F. -A. Termini. Reconstruction chro-
nologique de la biographie de Pietro Ransano- (humaniste palermi-
tain du xv« siècle; suit la biographie du personnage de 1454 à 1490,
date de sa mort. En appendice, des lettres, des vers et autres écrits
de Ransano). — V. Ruffo. La Monnaie royale de Messine, d'après
des documents inédits ; fin (les comptes de cet atelier monétaire s'ar-
rêtent en 161.0 ; on continua cependant d'y travailler pendant tout le
xviiie siècle. Nombreux documents en appendice). — G. Majorana. La
seconde copie des chroniques inédites de Filippo Caruso (chroniqueur
sicilien du xyii^ siècle; on connaît maintenant deux exemplaires com-
plets de ses chroniques, dont l'original est perdu). = G. -rendu : Cor-
pus nummorum italicorum; t. VII. = Nécrologie : Luigi Siciliano
Villanueva (professeur d'histoire de droit italien à l'Université de
Palerme, 1869-1915); Mgr Gioacchino Di Marzo (garde de la biblio-
thèque municipale de Palerme, 1839-1916); Salvatore Salomone-
Marino (1847-1915). = Fasc. 3-4. S. Romano. Impressions et souve-
nirs d'histoire sicilienne recueillis dans un voyage de Tunis à Tripoli.
— Emilio Del Cerro [N. Niceforo]. La Sicile et la constitution de
1812; chap. m. — N. Giordano. Le droit maritime de la Sicile depuis
les origines jusqu'au xiv^ siècle. — C.-A. Garufi. Documents tirés
des archives espagnoles sur l'Inquisition en Sicile aux xvi^ et
xvije siècles. IV. Conflits de juridiction entre les inquisiteurs et les
vice-rois. — Giuseppe La Mantia. La « Secrezia » ou douane de Tri-
poli et les articles de son administration approuvés et réformés par les
vice-rois de Sicile de 1511 à 1521. — Ignazio Scaturro. Le diocèse
de Triocala et Cronio (explique pourquoi ce diocèse, mentionné dans
la « Dispositio » de Léon le Savant, est appelé, suivant les manus-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 155
crits, Triocala = Caltabellotta, ou Cronio — S. Calogero, près de
Sciacca. Ce sont en réalité deux diocèses différents qui furent détruits
par les Sarrasins et englobés après la conquête normande dans le
diocèse de Girgenti, 1093). = C. -rendus : Diverses brochures de pro-
pagande sur les prétentions italiennes en Dalmatie. — P. Orsi. Necro-
poli sicula a Pozzo di Gotto. — Baranzini et Pottino. Il beato cardi-
nale Giuseppe Maria Tommasini nella vita e nelle opère (Tommasini
est l'auteur d'ouvrages liturgiques loués par Mabillon). — Giuseppe
Paladino. Lettere inédite del Crispi e del Regaldi ad Onofrio Abbate
(publie trois lettres de Crispi, 1858, 1887 et 4894; biographie du
Dr. med. 0. Abbate). — Andréa Figlioli. Marsala nella epopea Gari-
baldina. — M. Cagiati. Le monete del reame délie Due Sicilie da
Carlo I di Angiô a Vittorio Eraanuele II; fasc. 9. =: Anno XLII,
1917, fasc. 1-2. A. Sansone. Mazzini et la Sicile. — N. Giordano. Le
droit maritime de la Sicile, depuis les origines jusqu'au xiw siècle
(chap. I : le vaisseau; chap. ii ; le personnel; avec une abondante
documentation). — C.-A. Garufi. Documents tirés des archives espa-
gnoles sur l'Inquisition en Sicile aux xvi« et xyii* siècles ; suite. —
G.-B. Palma. Poésies siciliennes du xv« siècle. — G. Musotto.
Notes sur l'église du Saint-Esprit à Caltanisetta, d'après un ms. ano-
nyme de 1779. = C. -rendus : E. Bignone. Empedocle (excellent). —
G. Sorge. Mussomeli dall' origine ail' abolizione délia feudalità
(important; beaucoup de documents inédits). — M. Cagiati. La zecca
di Benevento (bon). =z Fasc. 3-4. Giuseppe La Mantia. Les archives
du secrétariat du vice-roi de Sicile et les « Istruzioni » données par
le roi Phihppe III en 1642. — G. Bova. Un document nouveau sur
Baldassare De Massa, i" octobre 1565. =. C. -rendus : Outrera. L'ar-
chivio del senato di Trapani del secolo xiv al xviii (inventaire som-
maire de ces archives). — Archivum melitense (publié par la Société
historique et scientifique de Malte). — Silvio Pivano. Annuario
degli istituti scientifici italiani (excellent et très utile).
23. — Nuovo archivio veneto. Nouvelle série, 1918, janvier-juin,
anno XVIII, t. XXXV. — Antonio Battistella. La domination dans
l'Adriatique (fait l'histoire de la législation maritime appliquée par
Venise dans l'Adriatique depuis les temps les plus reculés du moyen
âge jusqu'à la fin du xyiii* siècle). — Roberto Cessi. Les premières
conquêtes lombardes en Italie. — Giov. Sforza. Renseignements
nouveaux sur le général Giovanni Duraodo et la guerre dans le pays
vénitien en 1848. — Giuseppe Paladino. L'ingénieur Filippo Besseti
de Vernida à la défense de Candie en 1651 (avec des documents iné-
dits). — Giuseppe Gerola. Les armes des comtes d'Annonia dans
l'île d'Eubée (décrit les armes sculptées sur une plaque de marbre
découverte dans l'île d'Eubée en 1914. Ce sont celles de Florent de
Hainaut, qui succéda dans la souveraineté de l'ile à son beau-père
Guillaume II de Villehardouin en 1278 et mourut en 1297; de sa veuve
Isabelle, qui avait ensuite épousé Philippe de Savoie, et de leur tille
Mathildei. — Linda Fellini. Les contributions fournies par la com-
156 RECDEILS PÉRIODIQUES.
mune d'Esle à la République de Venise pendant la guerre de Candie
(d'après les actes du conseil conservés dans les archives communales).
— Riciotti Bratti. Antonio Canova; sa vie privée et artistique,
d'après une correspondance inédite; suite et fin. = C. -rendus :
Al. Lattes. Trieste nella storia politica e giuridica d'Italia (leçon d'ou-
verture faite à l'Université de Genève le 3 novembre 1917). — A. Tal-
lone. Elzzelino III da Romano nel « Memoriale » di Guglielmo Ven-
tura (la critique de l'auteur paraît assez incertaine ; il faut attendre
l'édition qu'il annonce du « Memoriale »). — N. Papadopoli. I dogi
omonimi di Venezia e le loro monete (intéressant). — Id. Monete
italiane inédite délia raccolta Papadopoli (intéressant). = Juillet-dé-
cembre. Giannino Ferrari. La législation vénitienne sur les biens
communaux, 1461-1683. — Antonio Favaro. L'Université de Pavie
d'après le Journal de Marino Sanuto (copieux extraits des « Diarii » de
Sauuto de 1496 à 1533). — Garlo Grimaldo. Deux inventaires domi-
nicains du xiye siècle tirés des archives de S. Nicole de Trévise aux
Archives de l'État vénitien (1° inventaire des livres et objets donnés
par le P. FalUone, prieur du couvent de S. Nicole O. P., 22 mai
1347; 2° donation faite par le P. Francesco de Belluno, professeur en
théologie, des livres qu'il possédait au couvent de S. Nicole, 13 août
1347. Ces deux documents sont en latin; ils énumèrent beaucoup de
livres, que l'auteur s'est efïorcé d'identifier dans les notes à la suite
du texte). — Vittorio Cavazzocca Mazzanti. Où se trouvait le village
de San Daniele des empereurs? (cette localité, où campaient les
empereurs quand ils entraient en Italie par la vallée de l'Adige, a
disparu ; le nom a été conservé dans celui de « riva di San Daniele »
relevé sur plusieurs actes des archives communales de Lazise). —
Dante Olivieri. La localité vénitienne de Lupia; étude de topo-
nomastique (le nom n'est pas d'origine slave; il vient du latin
« alluvies »). = 1919, janvier-juin. Roberto Cessi. Amédée d'Achaïe
et la revendication des seigneurs de Savoie en Orient (négociations
ayant pour but de rétablir la domination des princes de Savoie
en Morée; extraits des archives d'Achaïe de 1387-1392). — Pio Pas-
CHiNi. Un humaniste disgracié du xvi« siècle : Publio Francesco Spi-
nola (c'était un humaniste milanais; ses poésies latines contiennent
d'intéressantes indications sur lui et sur son cercle littéraire; partisan
des doctrines luthériennes et peut-être anabaptiste, il dut quitter
Milan en toute hâte pour écljapper à une enquête judiciaire faite par
le tribunal de l'archevêque, 1560; à Venise, où il avait trouvé asile,
il fut arrêté en 1564 par le Conseil des Dix et condamné à mort en 1567
comme hérétique relaps. Il ne fut pas brûlé publiquement, ce qui eût
fait scandale, mais noyé). — Romolo Putelli. Rapports du pays de
Valle Camonica avec le gouvernement vénitien au xviF siècle. —
Eugenio Musatti. Une Vénitienne du xviiF siècle (quelques notes
biographiques sur Alba-Querini, qui époiisa Giorgio Morosini en 1766;
elle donna, paraît-il, de sérieux motifs de jalousie à son mari, qui
RECUEILS PÉRIODIQUES. 157
finit par la faire^ enfermer dans un couvent en 1783). — Augusto
Serena. Sébastien de Trévise (le Trévisan Sebastiano de Federicis,
professeur de droit- à Rome, fut envoyé au bûcher par Léon X « pour
avoir falsifié des suppliques et des bulles », 8 juillet 1519). = C. -ren-
dus : D. Borlolan et S. Rumor. Guida di Vicenza (remarquable). —
Corpus nummorum italicorum. Vol. VIII : Veneto. Venezia. 2« par-
tie : Da Leonardo Donà alla chiusura délia zecca (1606-1866). —
G. Soranzo. Sigismondo Pandolfo Malatesta in Morea e le vicende del
suo dominio (bonne histoire de l'expédition de Morée conduite par le
seigneur de Rimini en qualité de capitaine général de la République
de Venise, 1464-1466). = Juillet-décembre. Vittorio Lazzarini.
Anciennes lois vénitiennes concernant les propriétaires de la terre
ferme (publie dix-sept décisions juridiques de 1256 à 1408). — Giu-
seppe Papaleoni. Une commune du Trentin au début de la période
moderne (le Val di Chiese, qui constitue la Pieve di Bono et la Pieve
di Condino, dans les Giudicarie; son histoire et son organisation
administrative au xyi* siècle). — Angela de Poli. Recherches sur
Antonio Pigafetta (généalogie et biographie de ce Pigafetta, qui
accompagna Magellan dans son voyage de découverte). — Giuseppe
Paladino. Les Napolitains à Venise en 1848 (publie des documents
inédits). — A. Battistella. Luigi Zanutto (notice nécrologique,
1856-1918). = T. XXXIX, janvier-juin 1920. Giovanni Chiuppani.
Venise trahie et le congrès de Bassano en 1797 (trahie par ses
propres sujets de terre ferme). — Angelo Main. Le cardinal de Mon-
selice-Simone Paltanieri dans l'histoire du xiii* siècle (copieuse bio-
graphie de ce cardinal, qui mourut à Viterbe en février 1277. Publie
en appendice le texte de son testament. Il était cardinal-prêtre du
titre de Saint-Martin). — Dionisio Tassini. La révolte du Frioul en
1511 pendant la guerre contre les Allemands (publie un récit en latin
par un notaire d'Udine à la date du 12 mars 1511, v. st.). — Aldo
Rava. Le « Camerino délie antigaglie » de Gabriele Vendramin (ce
Vendramin, mort en 1552, laissa par testament des biens immenses à
ses neveux; dans le nombre se trouvait un cabinet d'antiquités plein
d'objets précieux qui devait rester leur propriété indivise; mais l'un
d'eux, api)renant que des médailles provenant de ce cabinet avaient
été vendues, voulut qu'on en fît un inventaire détaillé. Cet inventaire
prit plusieurs années, 1567-1569; on en donne ici le texte). — Gio-
vanni Sforza. La guerre en Vénétie de 1848 et le général Giovanni
Durando. — Cesare Musatti. Une donation faite à Carlo Goldoni,
1732. — Antonio Pilot. Brève histoire d'une édition d'Ossian ([ui n'a
pas été imprimée (publie sur ce sujet une note puisée dans le Journal
de Cicogna à la date du 5 mars 1818).
CHRONIQUE.
France. — M. Henri Vast est décédé le 7 juin 1921 à l'âge de
soixante-treize ans. Sa thèse pour le doctorat es lettres, sur Bessarion,
a été remarquée (1878). On lui doit en outre un utile recueil des
Grands traités du règne de Louis XIV et un certain nombre de
manuels d'histoire (en collaboration avec Jallitfier), qui ont été très
favorablement accueillis dans nos lycées.
— L'Académie des inscriptions et belles-lettres a décerné le pre-
mier prix Gobert à M. Henri Stein : Charles de France, frère de
Louis XI, et le second à M. Labande : Avignon au XV^ siècle. Elle
a décerné le prix Bordin à M. Emile Renauld pour ses ouvrages sur
Psellos; en outre, sur les arrérages disponibles de la fondation, deux
récompenses, de 1,000 fr. chacune, sont attribuées : à M. Tafrali
pour ses ouvrages sur Thessalonique et à M. Vansteensberghe
pour son livre sur le Cardinal Nicolas de Cues.
Dans le concours des Antiquités de la France, la l""* médaille est
décernée à M. Marcel Aubert : Notre-Dame de Paris; sa place
dans l'architecture du XII^ au XIV^ siècle; la 2^ à M. le chanoine
Urseau : la Peinture décorative en Anjou, du XI I^ siècle au
XVIII^; la 3« à M. l'abbé Roux : la Basilique Saint-Front de
Périgueux ; la 4^ à M. Raoul Basquet : Histoire des institutions
de la Provence de lk82 a 1790. — Cinq mentions ont été attribuées :
1° à M. Charles Durand : Fouilles de Vésone; 2° Emile Ginot : le
Manuscrit de Sainte-Radegonde de Poitiers; 3° Emile Trolliet :
Histoire (manuscrite) de Veigny- Fonceux ( Haute -Garonne);
4° Alphonse Meillon : Cartulaire de l'abbaye de Saint-Servin-en-
Lavedan; 5° M. Ritt : le Bourg et le territoire de La Ciotat au
XV^ siècle.
— Le second Congrès d'histoire de la médecine s'est tenu à Paris
du ler au 5 juillet 1921. Ont été mises à l'ordre du jour les questions
suivantes : 1° Études historiques sur les hôpitaux et l'assistance publique
en tous pays. 2° Documents permettant de calculer la ration alimentaire
de l'homme dans l'antiquité et au moyen âge. 3° Étude et identification
des grandes épidémies historiques. 4° Le rôle des pharmaciens dans
le développement de la biologie. 5° Histoire des officines. 6° Docu-
ments sur les épizooties. 7° L'alimentation des animaux dans l'anti-
quité et au moyen âge.
— Du Rapport annuel présenté au ministre de l'Instruction
publique sur le service des Archives nationales, rapport rédigé par
CHBONIQDE. 159
M. Ch.-V. Langlois et qui a été inséré dans le Journal officiel du
\S mai 1921, nous extrayons les renseignements suivants. D'ahord,
en ce qui concerne les versements exercés en vertu des règlements,
nous apprenons qu'ont été versés par le ministère de la Marine plus
de 700 articles du Service hydrographique (journaux de bord d'avant et
d'après 1789) et 96 portefeuilles du Service historique (cartes et plans
relatifs à des voyages et campagnes hydrographiques de 1768 à 1869).
La Chambre des députés a versé près de 300 registres et plus de
3,000 liasses ou cartons. La série C {Sessions) présente un intérêt
exceptionnel pour l'histoire parlementaire de la Restauration et de la
monarchie de Juillet; un inventaire sommaire des 500 cartons dont
elle se compose sera terminé avant la fin de la présente année. La
série B {Pétitions) est arrivée aux Archives avec des répertoires qui
peuvent être considérés comme une clé suffisante pour le moment.
Quelques dons et acquisitions (concernant par exemple l'ordre
moderne du Temple) sont venus ajouter quelques numéros à ces
importantes additions. Dans la série des inventaires ont été mis à
la disposition du public : ceux de la série S, tome IV : Corporations
religieuses d'hommes du département de la Seine (S. 3632-3871), de
la série O* : Maison du roi (cartons 279-290, 350-361 et 587-809) ; ceux
des Actes du Parlement de Paris, 2" série; ceux de la série G^ : Agence
générale du Clergé; enfin de la série F, dont la sous-série F^^ : Cultes,
avait été livrée dans un désordre incroyable. Le fascicule 3 de VÉtat
sommaire des versements faits aux Archives nationales par les
ministères est sous presse; il contiendra l'inventaire des sous-séries
F2 et F3.
Le Rapport de M. Langlois énumère à la fin plusieurs « récupéra-
tions » de documents obtenues en conséquence du traité de paix avec
l'Allemagne, notamment plusieurs fonds de l'ancienne principauté
de Montbéliard. Quant au « statut » des archivistes départementaux,
dont l'importance est si grande pour l'avenir d'un personnel instruit,
zélé, mais jusqu'ici fort mal traité, M. Langlois expose tout au long
l'état de la question dans le passé (depuis 1838, année où l'État com-
mença de s'intéresser à ces fonctionnaires) jusqu'au moment actuel,
où le statut est à la veille d'être enfin établi par une loi bienfaisante
autant qu'impatiemment attendue.
Nous ne quitterons pas le service des Archives sans annoncer la
suite des Actes du Parlement de Paris. Il avait été décidé en 1902
que l'on continuerait le travail de Boutaric {Actes du Parlement
de Paris, !■•« série, 1254-1328. 2 vol. in-4o, publ. 1863-1867), mais en
donnant d'abord seulement l'analyse des Jugés. Pour les années 1328-
1350, l'inventaire devait comprendre deux volumes; le tome I était en
voie d'impression au moment où la guerre éclata. Le travail fut continué
néanmoins; mais les frais d'impression ont, depuis, augmenté dans de
telles proportions qu'on a dû prendre la décision, regrettable mais néces-
saire, de s'arrêter avec le tome I ; le tome II, ([ui devait terminer la série
des Jugés, est remplacé provisoirement par une copie manuscrite mise
160 CBEONIQDE.
à la disposition des lecteurs dans la salle du public. Le volume imprimé
a pour titre : Inventaires et documents publiés par la direction
des Archives : Actes du Parlement de Paris, 2" série, de l'an
1328 à Van 1350. Jugés, tome I, 1328-13k2, par Henri Furgeot
(Paris, Plon-Nourrit, 1920. In-4°, iv-465 pages à 2 colonnes; prix :
60 fr.). Rappelons que ce volume vient s'ajoutera la série des vingt-huit
volumes constituant la belle collection des « Inventaires et docu-
ments ».
— La librairie Chapelot fait paraître, depuis le 1er juillet 1921, une
Revue militaire française, publiée avec le concours de l'État-major
de l'armée: dans cette Revue sont fondus le Journal des sciences
militaires, la Revue militaire des armées étrangères et la Revue
d'histoire. Elle paraît, tous les mois, en une livraison de 128 pages,
avec cartes et croquis. Prix du numéro : 4 fr. 50; prix de l'abonne-
ment : France et colonies, un an : 50 fr.; six mois : 26 fr. Étranger,
un an : 60 fr.; six mois : 32 fr.
Allemagne. — Une librairie de Berlin entreprend d'éditer une
Zeitschrift fur experimentelle Politik und die wissenschaftliche
Vorhersage der politischen Zukunft, fondée par Hermann Schulte-
Vàerting. Le premier numéro paru porte la date : juni-juli, 1921.
Belgique. — Un Congrès international du travail intellectuel a été
organisé par l'Union des associations internationales. Il doit se tenir à
Bruxelles les 20-22 août 1921. Il traitera de six questions : 1° Examen
des conditions faites à l'intelligence et aux travailleurs intellectuels
dans la société nouvelle. 2° Protection des intérêts professionnels, cor-
poratifs et privés, dans l'ordre des travaux de l'esprit. 3° Problème
des imprimés et de la presse. 4° Etablissement d'un plan d'action.
5" Etude du problème de la Société des Nations. 6° Place à faire dans
la Société des Nations à l'intellectualité comme elle en a fait une
déjà au travail manuel et à la finance.
Les délibérations du Congrès sur ces six points seront préparées par
des enquêtes et des rapports seront distribués avant sa réunion.
La cotisation de membre du Congrès est fixée à vingt francs. Les
congressistes sont priés de se mettre en relation, sans tarder, avec le
secrétariat du Congrès pour toutes les communications qu'ils auraient
l'intention de faire. (Adresse : Palais mondial, parc du Cinquante-
naire, Bruxelles.)
Grande-Bretagne. — Sous les auspices de la « Royal United ser-
vice Institution » s'^st fondée à Londres, au début du mois de juin
1921, une société d'histoire militaire qui publiera, trimestriellement,
une revue sous le nom à'Army j^istorical research.
Le gérant : R. Lisbonne.
Nogpnt-Ie-Rotrou, imprimerie Daupei.by-Gouvbrnedr.
LES
PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS
DU SÉNAT ROMAIN
sous L'EMPIRE
ET LEUR DISPARITION GRADUELLE
AU COURS DU III« SIÈCLE
Le système administratif (l'Auguste, qui reposait sur une large
collaboration du Sénat, n'a pas survécu au m® siècle ap. J.-C.
Sur ce point, aucun doute n'est possible. Mais quand et comment
est-il tombé? L'opinion courante veut que ce travail de démoli-
tion soit tout entier l'œuvre de Dioclétien : cet empereur aurait
abattu d'un seul coup le vieil édifice administratif impérial pour
le remplacer radicalement par un autre, celui du Bas-Empire.
La théorie, si commode et simpliste qu'elle soit, n'en est pas pour
cela plus fondée. Cet effondrement, en réalité, est de date plus
ancienne ; il est antérieur à l'avènement de Dioclétien et se place
au cours des cinquante années qui l'ont précédé. Tel est le fait
que, dans les pages qui vont suivre, nous voudrions essayer de
démontrer.
La difficulté du problème tient essentiellement à deux causes :
la nature des sources, en premier lieu, et, d'autre part, la com-
plexité des rapports entre les pouvoirs en présence. — 1° Nature
des sources. — Les documents à notre disposition sont entachés
d'un triple défaut : a) ils sont rares; h) ils sont médiocres ; c) ils
sont en partie suspects. — a) Les principales sources sont les
suivantes : sources latines : Biographies de l'Histoire Auguste
de 235 à 285 (Vies de Maximin, Maxime et Balbin, des Gor-
diens, de Gallien, des Trente Tyrans, de Claude, d'Aurélien, de
Tacite, de Probus, des Quatre Tyrans, de Garus, Carin et Numé-
Rev. HisïOR. CXXXVII. 2« fasc. H
162 LÉON HOMO.
rien). Il y a, dans ce recueil, une lacune de seize ans (244-260)
qui porte sur les règnes de Philippe, Decius, Gallus, Aemilianus
et Valérien (sauf quelques fragments conservés de cette der-
nière vie). — Aurelius Victor, Césars, §§ 25-38 ; Epitome ano-
nyme, §§ 25-38; Eutrope, Breviarium, IX, 1-20; Ammien
MarceUin (particulièrement XXX, 8, 8). — Sources grecques :
Hérodien, VII-VIII; Zosime, I, 13-71 ; Zonaras, XII, 16-30;
Syncelle, I, p. 680-725 (éd. Bonn) ; Gedrenus, I, p. 450-464 (Id.) ;
Fragments de Dexippe {Fragmenta Historicorum Graecorum
de Miiller, III, fr. 10-24) ; d'Eunape {Id., IV, fr. 1-4) ; de Pierre
le Patrice {Id., IV, fr. 9-12), du Continuateur anonyme de Dion
(7^., IV, fr. 1-12), de Jean d'Antioche {Id., IV, fr. 142-163).
— Inscriptions grecques et latines, nos meiKeures sources, mal-
heureusement trop peu nombreuses. — Monnaies alexandrines
et latines. — b) Les sources littéraires sont de qualité inférieure,
surtout les sources latines. Les indications relatives aux insti-
tutions y sont rares et souvent imprécises. — c) L'Histoire
Auguste, la plus détaillée de nos sources, a été la plus attaquée.
Certains critiques y ont même vu une vaste falsification de la
fin du iv^ ou du début du v® siècle. Non. Il s'agit bien d'un recueil
authentique de biographies rédigé sous la dynastie dioclétiano-
constantinienne et, par conséquent, l'historien du lit siècle n'a
pas le droit de la rejeter systématiquement'. Mais deux réserves
capitales sont nécessaires. Tout d'abord, l'Histoire Auguste
abonde en anachronismes, dus à l'information médiocre et au
manque d'esprit critique de ses auteurs. Deuxièmement, les pré-
tendues pièces d'archives qu'elle contient sont des faux compo-
sés en règle générale par les auteurs des biographies eux-mêmes.
Ils ne doivent donc pas être utilisés comme des documents authen-
tiques, mais les faits précis qu'ils avancent ne sont pas néces-
sairement faux, puisque le faussaire peut les avoir empruntés
aux sources authentiques qu'il avait à sa disposition. Quant à la
nomenclature oflicielle qui y est donnée, elle ne vaut ni plus ni
moins que celle du texte proprement dit, c'est-à-dire que les
erreurs et les anachronismes s'y rencontrent à chaque ligne. En
résumé, on n'a le droit ni d'accepter les yeux fermés, ni de reje-
ter à priori les données de l'Histoire Auguste, mais le premier
1. Voir, sur la question, L. Homo, la Grande crise de l'an 238 ap. J.-C. et
le problème de l'Histoire Auguste, Rev. histor., t. CXXXII, 1919, p. 37-38.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 163
devoir de l'historien est de les retenir, au moins provisoirement,
pour les soumettre à une critique impartiale et rigoureuse.
2° Complexité des rapports entre les pouvoirs en présence. —
Il est impossible de déterminer l'évolution administrative au
iii^ siècle, si l'on ne tient pas un compte exact des rapports
généraux entre l'empereur et le Sénat pendant cette période.
Or, au cours des cinquante années qui séparent la mort de Sévère
Alexandre de l'avènement de Dioclétien, le caractère de ces rela-
tions a subi de fréquentes variations; il a oscillé de la guerre
déclarée à l'entente complète en passant par tous les degrés et
toutes les nuances intermédiaires. Bornons-nous ici, pour la
clarté de l'exposition, à fixer les principales étapes de cette his-
toire : a) Règne de Maximin (235-238). Hostilité irréductible de
l'empereur et du Sénat qui dégénère en guerre à mort entre les
deux pouvoirs, b) Les deux premiers Gordiens. Maxime et Bal-
bin (238). Restauration sénatoriale, c) Gordien III (première
partie de son règne : 238-240). Relations aigres-douces sans rup-
ture ouverte toutefois, d) Gordien III (seconde partie de son
règne, depuis l'avènement aux affaires de Tiraésithée, en 241)
et ses successeurs jusqu'à la captivité de Valérien : 260.
Période de collaboration loyale et d'union, e) Gallien seul empe-
reur (260-268). Rupture complète de l'entente. Antagonisme
constant et violent des deux pouvoirs, f) Claude (268-270).
Même politique, mais situation moins tendue. Quelques conces-
sions faites par l'empereur, g) Aurélien (270-275). Nouvelle
tension dans les rapports des deux pouvoirs. Reprise d'hostili-
tés, h) Tacite (275-276). Restauration sénatoriale, i) Probus
(276-282). Politique d'entente et de collaboration. Conclusion
d'un compromis équitable, j) Carus et ses fils Carin et Numé-
rien (282-285). Renonciation au système de Probus. Retour à
la politique de Gallien. Le Sénat de nouveau écarté des affaires.
Ces quelques jalons indispensables ainsi posés, nous pouvons,
sans crainte de trop nous égarer, entrer en matière.
La participation du Sénat à l'administration générale de l'Em-
pire, telle qu'elle avait été réglée par Auguste et complétée sous
ses successeurs immédiats, s'exerçait essentiellement sur un qua-
druple domaine : justice, administration du territoire, armée,
finances. Voyons à quelle époque et dans quelles conditions cha-
cun de ces privilèges sénatoriaux a définitivement disparu.
164
LEON HOMO.
I. Privilège judiciaire. — Le privilège judiciaire du Sénat,
au i^*" siècle de l'Empire, comprenait trois éléments : 1° Le Sénat
exerçait la juridiction d'appel concurremment avec l'empereur.
2° En première instance, pour l'Italie, il jugeait au criminel
dans les cas particulièrement graves. 3° Il possédait, égale-
ment au criminel, une juridiction particulière sur ses propres
membres. Ces diverses prérogatives furent très vite battues en
brèche. Le droit d'appel au Sénat disparut de bonne heure devant
le droit d'appel à l'empereur, représenté en l'espèce par son pré-
fet du prétoire. La compétence criminelle de première instance,
relative à l'Italie, prit fin avec le règne de Septime Sévère pour
passer aux deux grands fonctionnaires judiciaires impériaux, le
préfet de la viUe, dans la limite des cent milles autour de Rome,
et le préfet du prétoire, pour le reste de la péninsule^. Restait la
juridiction au criminel sur ses propres membres. Septime Sévère,
en 193, fit encore voter un sénatus-consulte par lequel il s'in-
terdisait formellement de mettre à mort un membre du Sénat
sans en ^voir délibéré avec ce corps ''^. Mais cette disposition
resta purement théorique. En 197, après sa victoire sur Albi-
nus, Septime Sévère lui-même n'hésita pas à la violer et à mettre
àmort sans jugement vingt-neuf membres duSénat^. En réalité,
dès la fin du ii^ siècle, le Sénat a perdu l'ensemble de ses pou-
voirs judiciaires. Jusqu'à la restauration sénatoriale de 275, il
n'en sera plus question.
IL Privilège relatif à l'administration du territoire. —
Ce second privilège sénatorial s'applique simultanément à l'Ita-
lie et aux provinces, mais dans des conditions différentes, a) En
Italie, participation à l'administration générale de la péninsule.
h) Dans les provinces, il faut distinguer entre provinces sénato-
riales et provinces impériales. Provinces sénatoriales : adminis-
tration directe par le Sénat. Provinces impériales : les légats
d'ordre consulaire ou prétorien sont recrutés dans l'aristocratie
sénatoriale.
Le privilège administratif du Sénat en Italie avait été, au cours
du 11^ et au début du iif siècle, directement frappé par trois séries
de mesures : 1° Intervention impériale dans l'administration
municipale des cités italiennes, par la création et la généralisa-
1. Digeste, I, 12, 1.
2. Vita Severi, 1, 5; Dion Cassius, Histoire romaine, LXXIV, 2.
3. Vita Severi, 13, 1-8.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 165
tion des curateurs, sous les Antonins. 2° Développement des
pouvoirs des grands fonctionnaires impériaux, le préfet du pré-
toire et le préfet de la ville, qui s'achève sous le règne de Sep-
time Sévère. 3" Création de nouveaux fonctionnaires impériaux
en Italie, les uns réguliers et permanents — consulaires sous
Hadrien, « juridici » sous Marc-Aurèle — les autres exception-
nels et temporaires, les correcteurs depuis le règne de Caracalla.
Aurélien compléta plus tard cette organisation en faisant de la
correcture une fonction permanente'. Cette dernière mesure
scelle définitivement pour le Sénat la perte de son privilège
administratif italien.
Passons aux provinces. Il faut distinguer, nous l'avons vu,
en ce qui concerne la nature du privilège, entre provinces séna-
toriales et provinces impériales. Mais, avant d'aborder directe-
ment la question, il est nécessaire de déblayer le terrain d'une
tliéorie préjudicielle, qui a prétendu expliquer l'évolution admi-
nistrative du m" siècle et n'a fait, en réalité, que la rendre tota-
lement inintelligible. C'est la théorie célèbre de Borghesi^ sur la
séparation des pouvoirs civil et militaire, qui a joui d'une grande
vogue en son temps et a généralement été adoptée avec ferveur
par les historiens modernes.
Cette théorie peut se résumer de la manière suivante : vers le
second tiers du iii^ siècle, avec l'empereur Sévère Alexandre
(222-235), apparaît dans l'administration provinciale un prin-
cipe nouveau, la séparation des deux pouvoirs civil et militaire;
le premier est confié à des « Praesides » , le deuxième à des fonc-
tionnaires militaires spéciaux, les « Duces ». Inaugurée par Sé-
vère .\lexandre, la réforme se généralise sous ses successeurs;
elle est entièrement réalisée dans le système administratif du Bas-
Empire, tel qu'il est sorti des mains de Dioclétien et de Cons-
tantin. Voilà la- théorie. Sur quels documents s'appuie-t-elle? Les
points d'appui en sont au nombre de deux. Ce sont deux textes
de la Biographie de Sévère Alexandre : l'un concerne les « Prae-
sides » (§ 24, 1), l'autre est relatif aux « Duces limitanei » (§58,
4-5). — a) % 24., 1 : « Provincias legatorias praesidiales plu-
rimas fecit; proconsulares ex senatus voluntate ordinavit ». Il
(Sévère Alexandre) transforma de nombreuses provinces à légats,
1. J'ai trait»^ la question en détail dans mon Essai sur le règne de l'empe-
reur Aurélien, p. 144-145; il est inutile d'y revenir ici. '
2. Œuvres, t. V, p. 397.
166 - LÉON HOMO.
« legatoriae », en provinces à « praesides », « praesidiales ».
Ces « Praesides », selon Borghesi, auraient été des fonction-
naires purement civils, b) %bS, 4-5 : « Sola quae de hostibus
capta sunt limitaneis ducibus aut militibus donavit, itaut eorum
ita essent si heredes illorura railitarent, nec unquam ad privâ-
tes pertinerent, dicens attentius eos esse militaturos, si etiam
rura sua defenderent. Addidit sane his et animalia et servos ut
possent colère quae acceperant, ne per inopiam hominum vel
senectutem possidentum desererentur rura vicina barbariae quod
turpissiraum iUe ducebat » . De ce texte on a conclu : les « Duces
limita nei », qui sont les « Duces limitum » du rv® siècle, existent
dès l'époque de Sévère Alexandre, et par conséquent la sépara-
tion des pouvoirs civil et militaire dans les provinces, le premier
confié à des « Praesides », le second à des « Duces limitum », est
dès ce règne chose accomplie ou du moins en voie d'accomplis-
sement.
L'histoire des institutions administratives au iii^ siècle véri-
fie-t-elle cette théorie? Étudions-en à ce point de vue les deux
bases fondamentales et posons-nous successivement les deux
questions suivantes : 1° Est-il vrai que, dès l'époque de Sévère
Alexandre, les gouverneurs, « Praesides », soient purement
civils? 2° Est-il vrai que, dès la même époque, on trouve dans
les provinces des « Duces limitum » régionaux?
l'' Le texte de la Vie de Sévère Alexandre nous dit que cet
empereur a remplacé dans de nombreuses provinces les gouver-
neurs légats, « Legati pro praetore », par des « Praesides ». Les
premiers étaient des fonctionnaires à pouvoirs mixtes, militaire
et civil à la fois; les « Praesides », qui les ont remplacés, n'au-
raient eu qu'une compétence strictement civile^. Cette vue est-
elle exacte? Il importe avant tout de définir le terme de « Prae-
ses ». Au début du iif siècle, le mot a deux sens bien difîerents ;
au sens large, il désigne tous les gouverneurs, sans exception^.
Il est bien évident que le mot « Praeses », dans notre texte,
n'est pas pris daris cette acception. Autrement, dire que les
« Legati pro praetore » ont fait place à des « Praesides » ne
signifierait rien du tout. Au sens étroit, il s'applique aux
gouverneurs des provinces équestres, à l'exclusion des autres
(gouverneurs des provinces sénatoriales ou « Proconsules » ; gou-
1. Borghesi, loc. cit.
2. Digeste, I, 18, 1.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 167
verneurs des provinces impériales à légats ou « Legati pro prae-
tore »). Ce sont précisément ces trois catégories que nous retrou-
vons dans notre texte de la Vie de Sévère Alexandre : « pro-
vinciae procousulares », c'est-à-dire provinces sénatoriales;
« provinciae legatoriae » ou provinces impériales à légats;
« provinciae praesidiales », qui sont nécessairement la seule
catégorie non encore mentionnée, les provinces impériales à
gouverneurs équestres.
Cette déduction est confirmée de la manière la plus formelle
par un autre texte de la même biographie ^ : « Praesides, pro-
consules et legatos nunquam fecit ad benefîcium, sed ad judicium
vel suum vel senatus. » Nous y retrouvons les trois mêmes
catégories : provinces sénatoriales, <x proconsules » ; provinces
impériales à légats, « legati » ; provinces impériales équestres,
« praesides ». S'il fallait encore une preuve complémentaire,
nous la trouverions dans un passage de la Vie de Probus^ rela-
tif aux réformes administratives de cet empereur : « Permi-
sit patribus ut . . . proconsules crearent, legatos ex consulibus
darent, jus praetorium praesidibus darent», qui présente encore
la même triple classification, et où « praesides » — à côté des
gouverneurs de provinces sénatoriales, « proconsules », et des
gouverneurs légats des provinces impériales, « legati » —
désigne, sans aucun doute possible, les gouverneurs impériaux
équestres. Par conséquent, de cet ensemble de textes se dégage
une conclusion très nette. Dans le langage de l'Histoire Auguste,
le terme de « Praesides » représente exclusivement les gouver-
neurs impériaux d'ordre équestre ; la multiplicité même des textes
où la classification se retrouve avec une rigueur absolue montre
bien qu'il ne s'agit dans la circonstance ni d'erreur ni d'impro-
priété d'expression. Le texte de la Vie de Sévère Alexandre con-
sidéré signifie donc que cet empereur a remplacé dans certaines
provinces impériales comme gouverneurs les légats d'ordre séna-
torial par des gouverneurs d'ordre équestre. Rien de plus, rien
de moins.
Est-ce tout? Y a-t-il eu dans ces provinces simple cliangement
de personnel sans modification d'attributions — les nouveaux
gouverneurs équestres cumulant, comme leurs prédécesseurs
sénatoriaux, les pouvoirs civil ou militaire — ou, au contraire,
1. 46, 5.
2. 13, 1.
168 LÉON HOMO.
y a-t-il eu chez les nouveaux titulaires restriction d'attributions
par démembrement des pouvoirs des « legati », les nouveaux
« praesides » équestres n'ayant plus que le pouvoir civil? Pour
le règne de Sévère Alexandre, nous ne pouvons rien dire, rien
dans nos autres sources, notamment dans les documents épigra-
phiques, ne venant appuyer l'indication du biographe. Il peut
fort bien ne s'agir que d'une mesure temporaire, qui, comme tant
d'autres au ut siècle, aura peu duré et n'aura pas laissé de traces.
L'essentiel de la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si,
comme le veut la théorie en question, il y eut une innovation
capitale — la séparation des pouvoirs civil et militaire — qui
s'est perpétuée et généralisée dans le courant du lit siècle.
Or les inscriptions, notre meilleure source en l'espèce, conti-
nuent à nous montrer après Sévère Alexandre les provinces
impériales à légats toujours administrées selon la règle tradi-
tionnelle. Voici quelques exemples précis : Mésie inférieure',
sous Maximin, FI. LuciUianus « legatus pro praetore »; Cappa-
doce'2, sous Gordien III, Guspidius Flaminius Gelerinus; Mésie
inférieure^, sous Gordien III, un légat dont le nom a disparu,
mais dont le titre subsiste; Dalmatie^, sous Philippe, Claudius
Herennianus « legatus pro praetore »; Mésie inférieure-^ sous
Decius, Post[uminus?J ; Cappadoce*', sous Gallus, A. Ver-
gilius Maximus. — D'autres inscriptions, plus importantes
encore, prouvent que les gouverneurs impériaux, après Sévère
Alexandre, continuent à détenir le pouvoir militaire suprême
dans leurs provinces respectives. Citons particulièrement, pour
le règne de Gordien III, la Bretagne sous ses deux légats Mae-
cilius Fuscus' et Egnatius Lucilianus^; pour le règne de Valé-
rien et Gallien (253-260), la même province sous le légat Des-
ticius Juba^ et l'Arabie sous le gouvernement du légat Aelius
Aurelius Theo^o,
Par conséquent, la réforme en vertu de laquelle Sévère
1. C. 1. L., III, 7605.
2. Ibid., 6913, 6934-6936, 6953.
3. Ibid., 7606-7607.
4. Ibid., 10174.
5. Ibid., 12515.
6. Ibid., 6919, 12196.
7: Ibid., VII, 446.
8. Ibid., 445, 1030.
9. Ibid., 107.
10. Ibid., III, 89, 90.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 169
Alexandre aurait enlevé aux gouverneurs des provinces impé-
riales leurs pouvoirs militaires pour en faire des fonctionnaires
purement civils n'a jamais existé. La mesure prise par cet empe-
reur est bien plus modeste et beaucoup moins révolutionnaire. Il
a simplement remplacé dans certaines provinces impériales les
légats sénatoriaux par des gouverneurs équestres, sans rien
changer au caractère mixte de la fonction. Le procédé qui con-
sistait à faire passer une province d'une catégorie dans une
autre n'était pas nouveau à Rome. Il avait déjà été employé à
plusieurs reprises, notamment par Marc-Aurèle, au cours de ses
grandes guerres danubiennes. Le biographe de cet empereur
nous dit en effet' : « Provincias ex proconsularibus consulares
aut ex consularibus proconsulares aut praetorias pro belli neces-
sitate fecit. » « Pro belli necessitate », l'expression est aussi
significative que possible. Il s'agit de mesures transitoires déter-
minées par la crise danubienne. Sévère Alexandre, placé en pré-
sence de circonstances analogues, n'a pas fait autre chose. Rien
n'a été changé à la nature même des pouvoirs réunis entre les
mains des gouverneurs.
2* Outre le texte fondamental de la Vie de Sévère Alexandre,
§ 58, relatif aux « duces limitanei », la théorie de la séparation
des pouvoirs s'appuie sur ce fait que, pour la période comprise
entre la mort de Sévère Alexandre et l'avènement de Dioclétien,
les textes mentionnent toute une série de « Duces limitum »
régionaux. L'Histoire Auguste est particulièrement riche à cet
égard. Voici, avec leurs dates, les « Duces limitum » qu'elle nous
fait connaître. — Sous Valérien-, un « Dux totius Illyrici » qui
n'est autre que Claude, le futur empereur : « Dux factus est et
dux totius Illyrici. Habet in potestatem Thracios, Moesos, Dal-
matas, Pannonios, Dacos exercitus ». Idem, en 258, au conseil
de Byzance tenu par l'empereur-^ figurent un « Dux Scythici
limitis », un « Dux Orientalis limitis », un « Dux Illyriciani limi-
tis et Thracici », un « Dux Rhetici limitis ». Idem, mêmedate'^,
un « Dux Transrhenani limitis », qui est Postumus, le futur empe-
reur. — SousGallien, en 261, un «Dux limitis Libyci'' ». — Sous
1. Vita M. Antonini, 22, 9.
2. Vila Claudii, 15, 2.
3. Vila Àureiiani, 13, 1-2.
4. Vilae XXX Tyrann., 3, 9.
5. Ibid., 29, 1.
170 LÉON HOMO.
Aurélien, vers 272-273, un « Dux limitis Africanii »; idem, en
273-275, un « Dux limitis Orientalis* ». Sous Aurélien ou Pro-
bus, un « Dux Rhetici limitis ^ » . En outre, nous avons deux textes
de Zonaras^ et un texte de Syncelle^ relatifs au roi de Palmjre
Odaenath, désigné, à la date de 261, avec le titre de SxpaxYjYoç
T^ç 'Etoaç® et de 2Tpax-/)Ycç Uaariç 'AvaxoX^'^, et un autre texte de
Zonaras^ d'après lequel Dioclétien, avaiit son avènement, aurait
exercé les fonctions de « Dux » de Mésie (Aoù^ Mua(aç).
Ces textes, forment un ensemble impressionnant et qui serait
décisif, si leur qualité répondait à leur nombre. Mais à cet égard
nous .sommes loin de compte. Une rapide critique va nous le prou-
ver. Commençons par les textes de l'Histoire Auguste et cela pour
deux raisons : ils sont les plus nombreux et ils sont les seuls à
désigner les « Duces » antérieurs à Dioclétien sous le titre de
« Duces limitum ». — Une première série de ces « Duces » est
mentionnée par de pseudo-documents officiels : Claude, « Dux
totius Illyrici », par une lettre de l'empereur Valérien au préfet
du prétoire Ablavius Murena; Avulnius Saturninus, « DuxScy-
thici limitis », Julius Trypho, « Dux Orientalis limitis », Ulpius
Crinitus, « Dux lUyriciani limitis et Thracici », Fulvius Boius,
« Dux Rhetici limitis », par l'ouvrage d'Acholius « Magister
admissionum » de Valérien, au livre IX ; Postumus, « DuxTrans-
rhenani limitis », par une lettre de Valérien aux Gaulois. Les
autres « Duces » figurent dans le texte même des Biographies :
c'est le cas de Fabius Poraponianus, « Dux limitis Libyci », de
Firmus, « Dux limitis Africani », de Saturninus, « Dux limitis
orientalis », et de Bonosus, « Dux Rhetici limitis ». Les docu-
ments en question étant faux et ayant été composés par les
auteurs mêmes des diverses biographies, les titres de fonctions,
qui y sont contenus, n'ont aucune valeur officielle. Ils ne valent
ni plus ni moins que les indications données par le texte histo-
rique proprement dit; ils appellent donc les plus expresses
réserves. Pour la période qui nous intéresse ici, erreurs et ana-
. 1. Vitae IV Tyrann., 3, 1.
2. Ibid., 1, 2.
3. Ibid., 14, 2-3.
4. XII, 23 et 24.
5. I, p. 716.
6. Zonaras, XII, 23; Syncelle, loc. cit.
7. Zonaras, XII, 24.
8. Ibid., XII, 31.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 171
chronisraes abondent. En 258, le biographe d'Aurélien* men-
tionne au conseil de guerre de Byzance la présence de Quintus
Ancarius, « praeses Orientis », une fonction qui n'a et ne peut pas
avoir jamais existé. A la même date, Postumus est appelé « prae-
ses Galliae- », titre tout aussi absurde. Des erreurs aussi mani-
festes relatives à certains titres nous obligent, en bonne critique,
à être extrêmement défiants vis-à-vis de tous, en général, et des
pseudo « duces limitum » en particulier. Quant aux textes de
Zonaras et de Syncelle mentionnés ci-dessus, nous y revien-
drons plus loin. Remarquons pourtant dès maintenant qu'aucun
d'eux ne parle de « Duces limitum », mais qu'ils emploient des
expressions beaucoup plus générales : ZxpaTYjYbç xf,q 'E(oaç ou
Ttaff^ç 'AvaxoXYjç, pour Odaenath ; Aoù^ Mudiaç, pour Dioclétien.
Les éléments fondamentaux pour la solution du problème
doivent être empruntés aux seuls documents dont le témoi-
gnage, en l'espèce, soit au-dessus de tout soupçon : inscrip-
tions, papyrus et monnaies. Or, un fait est certain : ces docu-
ments ne mentionnent avant le règne de Dioclétien aucun « Dux
limitis ». La première apparition de ces « Duces » se trouve, à la
date de 289, dans le discours d'Eumène « Pro restaurandis scho-
lis'^ » : « Qui justitiam vestram judices aemulentur, qui virtutis
vestrae gloriam duces servent. » A cette date, les provinces ont
à leur tête deux sortes de fonctionnaires : le « judex », gou-
verneur purement civil, et le « dux » régional, chef exclusive-
ment militaire. La séparation des pouvoirs est donc, sans aucun
doute possible, réalisée. A la fin du règne de Dioclétien appar-
tient le premier « Dux limitis » épigraphiquement attesté :
«AureliusFirrainianus,virperfectissimus, dux limitis provinciae
Scythiae"* ». Puis vient une inscription de Brigetio, en Pannonie
supérieure'', datée du 15 juillet 303, mentionnant « Aurelius
Januarius Bata\'us, vir perfectissimus, dux Pannoniae Secundae
Saviae », et enfin, à la date de 310, une inscription du Norique,
qui nomme Aurelius Senecio « dux » [de Norique et de Pannonie
supérieure*']. Il serait au moins singulier, si l'institution avait
1. Vila Aureliani, 13, 1.
2. Vilae XXX Tyrann., 3, 9.
3. FI, 3.
4. C. /. jL., III, 764.
5. Ibid., 10981.
6. Ibid., 5565.
172 LÉON HOMO.
réellement existé dans les cinquante années qui séparent le règne
de Sévère Alexandre de celui de Dioclétien, que nous n'en pos-
sédions absolument aucune mention indiscutable. Cette lacune
serait d'autant plus inexplicable que nous avons de source cer-
taine, pour la même période, des mentions de « Duces », mais
sous une forme et avec un sens fort différents.
Le « Dux », au sens primitif du mot, est le commandant d'un
corps de troupes en campagne ; c'est avec cette acception qu'on
trouve les « Duces » à la fin du ir^ siècle et au commencement
du iii^ Tiberius Qaudius Candidus est nommé, sous Septime
Sévère, « Dux exercitus Illyrici expeditione Asiana, item Par-
tliica, item Gallica' ». A la même époque, Marins Maximus est
« Dux exerciti Mysiaci apud Byzantium et apud Lugudunum^ »,
et L. Fabius Cilo, « Dux vexillationum^ ». Un autre, dont le nom
a disparu, porte le titre de « Dux legionum Daciae^ ». Le rang
de ces « Duces » est fort variable et le recrutement très irrégu-
lier, puisqu'il peut s'agir, selon l'importance des effectifs à com-
mander, de consulaires, de prétoriens (Tib. Claudius Candidus,
Marins Maximus, L. Fabius Cilo) ou même d'un simple centurion
(l'anonyme cité en dernier lieu). En tout cas, quel que soit
leur rang, les uns et les autres sont des commandants d'armées
en campagne et non pas des chefs de circonscriptions territo-
riales, comme le seront plus tard les « Duces limitum » du Bas-
Empire.
Or, ces « Duces » nous les retrouvons sans changement dans
la période comprise entre la mort de Sévère Alexandre et l'avè-
nement de Dioclétien. Inscriptions, papyrus et monnaies, inatta-
quables à la fois dans leur libellé et dans leur authenticité, nous
le montrent sous une forme péremptoire. Une inscription de
265 \ sous le règne de Gallien, relative à la reconstruction de
l'enceinte de Vérone, nous apprend que les travaux ont été diri-
gés par « Aurelius Marcellinu9| vir perfectissimus, dux duce-
narius ». Ce personnage n'est pas un « dux limitis », mais un
chef de corps, « dux », délégué à cette tâche particulière. Une
autre inscription '\ de Trajana Augusta en Thrace,'nous donne
i. Ibid.,U, i\[ii.
2. Ibid., VI, 1450.
3. Ibid., 1408-1409.
4. Ibid., 1645.
5. Ibid., V, 3329.
6. Inscriptiones Graecae ad res Romanas pertinentes, éd. Gagnât, I, n" 1496.
LA DISPIEITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 173
la carrière d'un certain Mucianus, qui s'étend du milieu du
ni** siècle au règne de Dioclétien. Sorti du' rang, Mucianus est
arrivé aux hauts commandements ; il a été « Dux » et, en cette
qualité, il a rempli des emplois importants et variés, mais tou-
jours au sens traditionnel du mot, comme commandant de troupes
actives, jamais comme « Dux » chef d'un « limes ». Nous le
retrouverons gouverneur de Rhétie sous Dioclétien ^ .
Arrivons à un autre cas, plus intéressant encore, celui du roi
de Pahnyre, Odaenath. En 261, après le désastre de Valérien,
Gallien, pour sauvegarder au moins théoriquement la souverai-
neté romaine en Orient, constitue Odaenath son mandataire et
il lui confère un titre officiel, celui de « Dux ». Sous quelle
forme et dans quelles conditions? Zonaras et Syncelle, nous
l'avons vu plus haut, donnent le libellé « 2TpaTY)Yoç tyjç 'E(j)aç »;
Zonaras, dans un second ^passage, celui de « SxpaxiQYcç irafrijç
'AvaToXriç » , traduction grecque qui suppose la forme latine offi-
cielle « Dux Orientis », Par hasard — une fois n'est pas cou-
tume dans ce nf siècle si mal connu — nous pouvons faire la
preuve que la formule des deux auteurs bj^zantins n'est pas
exacte. En 270, quelques années après la mort d'Odaenath,
l'empereur Aurélien, par une convention expresse, reconnaît
au fils d'Odaenath, Waballath, les titres officiels qu'avait por-
tés son père, et ces titres nous avons l'heureuse fortune de les
connaître sous une double forme : in extenso sur les papyrus,
en abrégé sur les monnaies alexandrines et latines. Le libellé
complet donné par les papyrus est le suivant : « Aai^-TcpoTaxoç Baat-
Xcùç A'JToxpâKop STpaTYJYoç 'Pw|j.a(ti)v », traduction grecque d'une
nomenclature latine qu'il est facile de rétablir : « Clarissimus
Rex Imperator Dux Romanorum ». La série de ces titres, sous
forme abrégée, est- donnée simultanément par les monnaies
alexandrines et latines. Sur les premières on lit : 'V. A. 2. P.
[ VlTïa-tf/.cç) A(jTCxpix(i)p| ^fTpaTr^voç) 'P(u)[;.ai'(»)v)] ; sur les secondes :
V. C. R. IM. D. R. f« y(ir) C(larissimus ou Consularis) Im(pe-
rator) D(ux) R(omanorum) ».] Il y a quelques variantes dans le
libellé de certains titres, mais peu nous importe ici. L'essentiel
est que les trois catégories de documents — papyrus, monnaies
alexandrines, monnaies latines — sont unanimes sur le texte du
dernier : « Dux Romanorum », en latin; -TpaxYifbç 'PwfjLatwv, en
grec. Odaenath n'a donc pas été un « Dux Orientis » ou un
1. c. /. L., m, 5785.
17'l LÉON HOMO.
« Dux Orieiitalis liinitis », coinmo lo donneraient, à supposer
Zonaras et Syncelle, mais un < Dux » tout court, au sens tra
(litionn<*l du mot, c'est-à-dire commandant en chef d'une armée;
romaine d'opérations. Il a été « Dnx » <>,7i Orient, mais nulle-
ment « Dux » rf'Orient; la difl'érence est capitale. Cette f^orte de
« Duces », les écrivains du iv" siècle, qui ont servi de sources à
Zonaras et à Syncelle pour l'histoire du m" siècl<\ ne la con-
naissaient plus,, puisque les seuls « Duces » qu'ils eussent sous
les yeux étaient des « Duces » k commandement territorial, les
« Duces limitum ».
Du même coup et de la même manière, s'expliquent les ana-
chronismes de l'Histoire Auguste. Les pseudo a Duces », qu'elle
énumère, se répartissent entre quatre biographies ou groupes de
biographies : Vies des Trente Tyrans, de Claude, d'Aurélien el.
des Quatre Tyrans. Les Vies des Trente Tyrans et de Claude, qui
appartiennent au groupe conservé sous le nom de Trébellius
PoUion, ont été écrites sous Dioclétien entre 298 et 303; les
Vies d'Aurélien et des Quatre Tyrans, qui font partie du groupe
de Vopiscus, entre 305 et 307. Les auteurs de ces bi<)grai)hies
vivaient donc à la fin du règne de Dioclétien. Ils ont travaillé
pour la rédaction de leur texte et la confection de leurs pseudo-
pièces d'archives sur des sources de l'époque immédiatement
antérieure à l'avènement de Dioclétien ou tout au plus contem-
poraines des premières années de cet empereur. Or, s'ils ont
été parfois d'impudents faussaires, les écrivains de l'Histoire
Auguste sont surtout de pauvres esprits et de piètres historiens.
Leur culture est fort médiocre et leur critique à peu près inexis-
tante. Hs ne savent pas faire avec sûreté le départ entre les
institutions du passé et celles qu'ils voient fonctionner autour
d'eux. C'est dans cette ignorance et ce défaut de méthode qu'il
faut recherche!" le plus souvent la cause de leurs erreurs et de
leurs anachronismes. Aussi, lorsqu'il s'agit de les utiliser sur
un point quelconque, devons-nous constamment nous poser une
double question : qu'ont-ils trouvé dans leurs sources? com-
ment les choses se présentaient-elles de leur temps? Ce qu'ils
rencontraient dans leurs sources, c'étaient, en matière d'admi-
nistration provinciale, des gouverneurs concentrant entre leurs
mains l'ensemble des pouvoirs civil et militaire; c'étaient, dans
le domaine strictement militaire, des « Duces » chefs d'armées
U DISPARITION DES PEinLÈCE» ADMINI5TBATIFS DO hf.HàT ROMAIIV. 175
d'c^pérations. Au œri train?, ce qu'ils voyaient wua leurs jeux
cVHaieiit des gouverneurs de compétence exclusivement civile
et des « Duces » chefs de circonscriptions territoriales. L#es
institutions du passé leur étaient devenues parfaitement étran-
gères, à eux et à la masse de leurs conteniptjrains. Qu'ont-il»
l'ait? Par ignorance et par légèreté, ils ont traduit, peut-on dire,
en langage d'institutiofis contemporaines, les renseignements
que leur fournissaient leurs, sources pour l'hisU^ire du passé,
lia ns ces conditions, il est fatal que les anachronismes abondent,
le contraire seul serait. surprenant; mais aussi il est d'une mau-
vaise méthode de les traiter par le d(';Miain et de les rejeter pure-
ment et simplement du pied. I>i devoir de l'hisUjrien est, au con-
traire, de les retenir et de rechercher, s^jus l'enveloppe erronée
de la forme, les vérités historiques qui peuvent s'y cacher.
Ces hases jjosées, que représentent, historiquement parlant,
les € Duces limitum » de l'Histoire Auguste? Ces « Duces »,
aouH l'avons vu, ne peuvent avoir été des chefe de circonscrip-
tions territoriales du type créé par Diociétiefi. D'autre part,
rien ne nous autorise à y voir de pures inventions de nos
fjauvres hiographes. Uleur est simplement arrivé la méraenu'isa-
venture qu'a Odaenath, dans les récils de Zonaras et de Syn-
celle; leur titre vëel a ét/'i défiguré et leurs fonctions ont été
travesties à l'iinage des institutions du fv* siècle. Qu'ont donc
été en réalité ces pseudo« Duces limitum »? Ils peuvent d'abord
— et c'est le cas le plus général — avoir été des « Duces »
ancienne manière, c'est-à-dire des commandants de trouf>es
actives d'oïK^rations. De ces troupes, au cours de la crise du
III' siècle, il y en avait un peu partout, notamment dans les
provinces frontières. Rïeu de surprenant, par conséquent, à ce
qu<j la Vie de Claude signale sous Valérien un « Dux ^ en Illy-
ricum; la Vie d'Auréhen, en 258, un « Dux > dans la province
de Scy thie, d'autres en lllyricum, en (Jrient ; les Vies des Trente
Tyrans, à la même date, un < Dux » sur le Rhin ; h Vie de
Gallien, en 204, un « Dux » près delà frontière de Libye; les
Vies des Quatre Tyrans, entre 273 et 275, un « Dux > en
Orient et, vers la même époque ou un peu plus tard, un « Dux »
en Rhétie. L'erreur des biographes a donc porté, (Jans ce cas,
non sur le titre de « Dux », qui est exact, non pas même sur
l'indication de la région où se trouvai/mt réunie» les troupes dont
176 LÉON HOMO.
il s'agit, mais uniquement sur l'adjonction du mot « Limitis » ,
qui est née d'un simple anachronisme et suffit à transformer du
tout au tout le sens de l'institution.
Il faut d'ailleurs, pour être équitable, dire, à la décharge des
historiens de l'Histoire Auguste, que la titulature des « Duces >
du type ancien pouvait souvent prêter à confusion. Sur l'ins-
cription de Tib. Claudius Gandidus citée plus haut, ce person-
nage est dit, à l'époque de Septime Sévère : « Dux exercitus
lUyrici expeditione Asiana, item Parthica, item Gallica », ce
qui signijSe qu'il a commandé un corps de troupes tiré des gar-
nisons de rillyricum et employé successivement dans les guerres
d'Asie, de Parthie et de Gaule. Or, que trouvons-nous dans la
Vie de Claude de l'Histoire Auguste? Le biographe* rapporte
une pseudo-lettre de Valérien au préfet du prétoire, Ablavius
Murena, où l'empereur s'exprime de la manière suivante :
« Desine conqueri quod adhuc Claudius est tribunus, nec exer-
citus ducendos accepit, unde etiam senatum et populum con-
queri jactabas. Dux factus est et dux totius lUiTici. Habet in
potestatem Thracios, Moesos, Dalmatas, Pannonios, Dacos
exercitus ». La fonction de « Dux totius Illyrici » n'a jamais
existé, même dans l'organisation du Bas-Empire et, d'aiUeurs,
la réunion sous l'autorité de Claude, qui était alors presque un
débutant, de la totalité du territoire danubien est parfaitement
inadmissible. Mais Claude a fort bien pu recevoir effectivement
le commandement d'une armée d'opérations formée' de troupes
de marche et tirée des différents corps de l'IUyricum. En tout
cas, il faut avouer que des expressions comme « Dux exer-
citus Illyrici », appliquées au commandement de troupes en
campagne, pouvaient pécher au moins par l'ambiguïté, et il con-
vient de reconnaître aux écrivains de l'Histoire Auguste, lors-
qu'ils s'y sont trompés, tout au moins le bénéfice des circons-
tances atténuantes.
Mais les pseudo « Duces limitum » de l'Histoire Auguste
peuvent encore avoir été autre chose. Avant Dioclétien, les
gouverneurs des provinces impériales, qu'ils soient d'ordre
sénatorial ou d'ordre équestre, détiennent le pouvoir militaire
aussi bien que le pouvoir civil; par^uite, les sources perdues
de l'histoire du iii^ siècle étaient fréquemment amenées à par-
ler d'eux comme de chefs militaires. Qu'ont fait dans ce cas les
1. 15, 1-4,
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 177
écrivains de l'Histoire Auguste? A leur époque, les gouver-
neurs provinciaux étaient strictement |^ exclusivenaent civils,
tandis que les seuls chefs militaires qu'ils connussent étaient
les « Duces » . Parler de gouverneurs comme de chefs militaires
était donc une anomalie qu'ils ne comprenaient pas; ils l'ont
interprétée à leur manière en transformant les gouverneurs, eux
aussi, en « Duces ». Parmi les «k Duces limitum » de l'Histoire
Auguste, quelques-uns, certainement, sont des gouverneurs de
provinces défigurés. Nous ne pouvons, malheureusement, faute
d'éléments de contrôle, les découvrir à coup sûr; mais il y en a
un cependant pour lequel on peut arriver, semble-t-il, à un résul-
tat précis, c'est Saturninus, le futur usurpateur du temps de
Probus, dont les Vies des Quatre Tyrans* font un « Dux limitis
Orientalis ». Or, en dehors de l'Histoire Auguste, nous possé-
dons sur son compte deux textes intéressants de Zosime et de la
Chronique d'Eusèbe, ce dernier conservé en double exemplaire
par Syncelle et la Chronique de saint Jérôme. Zosime ^ nous
apprend que Probus lui a confié le gouvernement de la Syrie,
« ïrjv S'jpîaç àpxTjV £iciTeTpaiJL[jL£voç » ; Syncelle^ nous le montre
commençant dans la province la construction d'une nouvelle
ville à Antioche, « Saxopvîvoç ... Tr,v xaivY;v 'Av-tô/siav î^p^xTO
xxt!;£iv », et la Chronique de saint Jérôme^ confirme ce témoi-
gnage : « Saturninus ... novam civitatem Antiochiae orsuscon-
dere. » Or, la fondation d'une ville rentre évidemment dans les
attributions d'un gouverneur civil. Saturninus a donc été, non
pas « Dux limitis », mais gouverneur de Syrie. A quel titre?
Etait-il un gouverneur d'ordre sénatorial ou d'ordre équestre?
Les textes ne nous le disent pas expressément, mais on peut le
déduire d'une indication de sa Biographie.
Aurélien, nous dit l'auteur des Vies des Quatre TjTans^',
avait interdit à Saturninus d'aller en Egypte : « Aurelianus
limitis Orientalis ducatum dédit, sapienter praecipiens ne
unquam Aegyptum videret. » Pourquoi cette interdiction? Le
malheureux biographe se bat les flancs pour en trouver la rai-
son : « Gogitabat enim, quantum videmus, vir prudentissimus
1.7,2.
2. II, 66.
3. I, p. 723.
4. Éd. Schône. II, p. 185.
5. 7, 2.
Rev. Hfstor. CXXXVII. 2« fasc. 12
178 LÉON HOMO.
Galloriim naturam (Saturninus en effet était Gaulois) et vere-
baturne, si perturbidam civitatem vidisset, quo eum natura
ducebat, eo societate quoque hominum duceretur. Sunt enim
Aegyptii, viri ventosi, furibnndi, jactantes, injuriosi atque adeo
vani, liberi, novarum rerum usque ad cantilenas publicas cupien-
tes, versificatores, etc., etc. ». Il n'est pas nécessaire de cher-
cher si loin. Depuis Auguste, il était strictement interdit aux
membres de l'ordre sénatorial de mettre le pied en Egypte. Une
anecdote, rapportée par le biographe des Trente Tyrans ^ montre
que cette stipulation séculaire existait encore à la fin du m* siècle.
Saturninus a été soumis à une défense de cet ordre parce qu'il
appartenait à la classe sénatoriale. Il a donc été, sous Probus,
gouverneur de Syrie en qualité de légat propréteur. A ce titre, il
a bien eu à garder et à défendre le « limes » de l'Euphrate, c'est-
à-dire la plus grande partie du « limes » d'Orient. L'erreur de
l'Histoire Auguste porte donc, non sur le fait, qui est indé-
niable, mais uniquement sur la nature de la fonction.
Un autre « Dux liraitis » doit vraisemblablement donner lieu à
une interprétation analogue. La Vie des Quatre Tyrans ^ nous
parle d'un certain Firmus qui a été, vers 272, « Dux limitis
Africani idemque proconsule ». L'attribution à un proconsul
d'Afrique de fonctions militaires serait une erreur manifeste;
depuis le milieu du i*'' siècle, en effet, ce fonctionnaire n'avait
plus rien à voir avec la défense de la frontière' africaine, con-
fiée tout d'abord au légat propréteur de Numidie et. depuis la
création de la province de Tripolitaine, probablement sous Gai-
lien, partagée entre les gouverneurs de ces deux provinces.
Mais le fait à retenir est que Firmus est appelé à la fois « Dux »
et proconsul, c'est-à-dire qu'il a été un gouverneur d'Afrique à
pouvoirs militaire^s. Comme dans le cas de Saturninus, l'indica-
tion peut parfaitement être fondée, et l'anachronisme concerne
uniquement les titres que le biographe donne au personnage.
Nous aurons d'ailleurs à revenir plus loin sur la question, à pro-
pos de l'administration des provinces sénatoriales.
Enfin, lorsque Zonaras^ nous dit que Dioclétien, antérieure-
ment à son avènement, a été « Dux » de Mésie (Aoù^ Muaiaç), je
croirais volontiers qu'il faut traduire gouverneur d'une des pro-
1. 22, 9-11.
2. 3, 1.
3. XII, 31.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 179
vinces de Mésie. Dioclétien n'a jamais été un foudre de guerre
et les qualités éminentes qui l'ont toujours caractérisé étaient,
avant tout, celles d'un administrateur, celles précisément qui
guidaient les empereurs dans le choix de leurs gouverneurs. Or
de tels hommes étaient rares à la fin du m® siècle. Constance-
Chlore, qui était un esprit du même genre, a exercé sous
Carus les fonctions de gouverneur de Dalmatie. Il serait par-
faitement normal que Dioclétien, à la même époqiie, eût été
pour l'une des provinces voisines de Mésie l'objet d'une mesure
analogue.
D'autres erreurs du même genre sont parfaitement possibles.
Le « dùx limitis Scythici » de la Vie d'Aurélien^ peut fort bien
avoir été un gouverneur de Mésie inférieure; le « dux limitis
Illyriciani'^ », un gouverneur de Pannonie supérieure ou de Pan-
nonie inférieure; le « dux limitis Rhetici^ », un gouverneur de
Rhétie; le « dux limitis Libyci'^ », un gouverneur soit de Numi-
die, soit de TripoUtaine. On ne saurait affirmer davantage.
Que devient, dans ces conditions, le texte de la Vie de Sévère
Alexandre-^, sur lequel s'appuie la théorie de Borghesi? Voyons ce
texte de plus près. La phrase essentielle est la suivante : « Sola. . .
limitaneis ducibus aut militibus donavit, ita ut eorum essent. »
« Eorum » se rapporte simultanément à « militibus » et à « duci-
bus » : il s'agit de fixer au sol un certain nombre de soldats des
frontières, « milites », et de leurs chefs, « duces ». Cette
remarque suffit à prouver que ces « duces » n'ont rien de com-
mun avec les « duces limitum », tels qu'on les trouve sous Dio-
clétien, grands chefs militaires, qu'il ne pouvait être question de
fixer au sol, qui, comme tous les fonctionnaires impériaux,
étaient sujets à de fréquentes permutations et qui, enfin, pour-
suivaient régulièrement leur carrière par l'obtention successive
de grades plus élevés, soit dans d'autres provinces, soit à la
cour. Les « duces lirai tanei » de la Vie de Sévère Alexandre
sont simplement des officiers de l'armée des frontières pourvus
de petits conunandements autonomes, chefs sédentaires d'efiec-
tifs eux-mêmes fixés au sol.
1. 13, 1.
2. Ibid.
3. Ibid., 13, 2.
4. Vilae XXX Tyrann., 29, 1.
6. 58, 4-5.
180 LÉON HOMO.
En résumé, et pour en finir avec cette question préalable, il
n'y a pas eu de « duces limitum » régionaux avant Dioclétien,
et les plus anciens dont l'existence soit historiquement prouvée
apparaissent précisément avec le règne de cet empereur. La
théorie de Borghesi tombe donc tout entière. Le terrain ainsi
déblayé, nous pouvons maintenant aborder l'histoire adminis-
trative des provinces au iii^ siècle, les provinces sénatoriales
d'abord, les provinces impériales ensuite.
Provinces sénatoriales. — Au début du iii^ siècle, les pro-
vinces sénatoriales sont au nombre de dix : Sicile, Narbonaise,
Bétique, Macédoine, Achaïe, Asie, Lycie et Pamphylie, Chypre,
Crète et Cyrénaïque, Afrique. Ces provinces sont administrées
par des gouverneurs d'ordre sénatorial, représentants du Sénat;
deux d'entre elles — l'Asie et l'Afrique — sont dites consulaires
et gouvernées par d'anciens consuls; les huit autres sont préto-
riennes et administrées par d'anciens préteurs. Dans l'organi-
sation primitive d'Auguste, deux listes, l'une des anciens con-
suls, l'autre des anciens préteurs — à condition qu'ils fussent
sortis de charge depuis un minimum de cinq années — étaient
dressées et constamment tenues à jour. Les inscrits de chaque
liste tiraient au sort annuellement les provinces appartenant à
leur catégorie. Théoriquement au moins, l'empereur n'avait rien
à voir dans le recrutement des gouverneurs chargés d'adminis-
trer les provinces sénatoriales. Or, ces provinces sénatoriales,
qui existent encore avec leur administration autonome au com-
•mencement du iii^ siècle, ont disparu comme telles au temps de
Dioclétien. Le fait est certain. Quand et comment ce change-
ment capital s'est-il produit? Au milieu de la profonde nuit qui
recou^Te le iii*^ siècle pouvons-nous réunir à cet égard quelques
indications précises?
Sous le règne de Sévère Alexandre, à l'époque où Dion Cas-
sius rédige son histoire, le système avait déjà subi une modifica-
tion importante : « Plus tard », nous dit cet lystorien^ « comme
quelques-uns d'entre eux (les gouverneurs sénatoriaux) gouver-
naient mal, leurs provinces furent ajoutées à celles de l'empe-
reur, et, de cette façon, c'est en quelque sorte lui qui leur donne
leurs gouvernements, car il admet à tirer au sort un nombre de
magistrats égal à celui des provinces et ceux qu'il veut. » L'em-
1. Dion Cassius, LUI, 14.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DO SE'nAT ROMAIN. 181
pereur dresse donc chaque année une liste de dix anciens magis-
trats — deux consuls, huit préteurs — dont le total correspond
exactement au nombre des provinces sénatoriales disponibles ;
il procède ainsi à une véritable désignation collective. Les deux
consulaires d'une part, les huit prétoriens de l'autre n'ont plus
ensuite qu'à tirer leurs provinces au sort.
Une dernière étape a consisté dans le passage de la désigna-
tion collective à la nomination individuelle par l'empereur,
d'après le système employé depuis Auguste pour les provinces
impériales. Quand ce dernier pas a-t-il été franchi et quand a
été réalisée, par conséquent, l'assimilation des deux catégories
de provinces?
On a voulu faire de cette transformation le corollaire logique
d'une réforme plus complète,, la séparation dans le domaine
administratif des pouvoirs civil et militaire. La difierence fon-
damentale entre les gouverneurs des provinces impériales et les
gouverneurs des provinces sénatoriales, a-t-on dit, tenait à ce
fait que les premiers concentraient entre leurs mains l'ensemble
des pouvoirs militaire et civil, tandis que les seconds n'avaient
que des attributions d'ordre strictement civil. Le jour où les
gouverneurs des provinces impériales perdent leur pouvoir mili-
taire, tous les gouverneurs de provinces, sans exception, se
trouvent au point de vue des attributions placés sur le même
plan. Dès lors, il n'y a plus aucune raison de maintenir la dis-
tinction traditionnelle entre provinces impériales et provinces
sénatoriales ; l'unification se fait et naturellement, comme dans
les autres branches de l'administration, au bénéfice de l'autorité
impériale. La conclusion en ce qui concerne la disparition des
provinces sénatoriales est donc double : au point de vue de la
modalité, c'est une conséquence de la séparation nouvelle des
pouvoirs civil et militaire; au })oint de vue de la date, la trans-
formation commence dès le règne de Sévère Alexandre pour
s'achever peu après lui.
Que faut-il penser de cette manière de voir? La base de la
théorie est la séparation des pouvoirs telle qii'elle aurait été
réalisée par Sévère Alexandre. Or, nous venons de voir que
cette pseudo-réforme n'avait jamais existé que dans l'imagina-
tion des historiens modernes. Les conséquences qu'on a voulu
en tirer pour la disparition des provinces sénatoriales tombent
182 LÉON eOMO.
donc du même coup. La cause est jugée ; il n'y a pas à s'y attar-
der. Voyous les faits.
Un premier texte intéressant se trouve dans la Vie de Sévère
Alexandre, § 46,5 : « Praesides, proconsules et legatos nunquam
fecit ad beneficium, sed ad judicium vel suum vel senatus. » Ce
passage est susceptiMe d'une double interprétation, en ce qui
concerne les gouverneurs auxquels s'applique le « vel suum,
vel senatus » . Ou bien la phrase s'applique aux diverses catégo-
ries de gouverneurs énumérés, tant impériaux que sénatoriaux,
c'est-à-dire que le Sénat aurait joué un rôle dans la désignation
des gouverneurs impériaux, ou bien <^ vel suum, veb senatus »
se rapportent séparément aux deux classes de gouverneurs, impé-
riaux et sénatoriaux, le « vel suum » aux premiers, le « vel
senatus » aux seconds. Le texte signifie, sans aucun doute pos-
sible, que Sévère Alexandre, pour le choix des gouverneurs
sénatoriaux, respecta le « judicium » du Sénat. Cette interpré-
tation est d'ailleurs confirmée par un autre texte de la même
biographie' : « Proconsûlares (provincias) ex senatus voluntate
ordinavit », aussi explicite qu'on peut le désirer. Constitùtion-
nellement, il n'y avait dans cette conduite aucune innovation.
Mais, en pratique, le privilège sénatorial avait été violé bien
souvent, surtout depuis la mort de Marc-Aurèle, et le simple
retour au passé était pour les sénateurs un avantage fort appré-
ciable.
Sous Sévère Alexandre, par conséquent, les provinces séna-
toriales existent encore et, dans ce domaine — les textes de la
Vie de Sévère Alexandre le prouvent — l'empereur respecte
encore les prérogatives- traditionnelles du Sénat. D'autre part,
nous avons vu plus haut que la nomination individuelle des gou-
verneurs sénatoriaux par le pouvoir impérial n'était pas encore
en usage à cette époque. A la fin du m'' siècle, au contraire,
sous Dioclétien, tout est changé. Toutes les provinces, sans
exception, relèvent de_,rempereur et tous les gouverneurs sont
nommés directement par lui. Le changement s'est donc opéré
nécessairement dans les années qui suivent la mort de Sévère
Alexandre, au plus tôt, sous le règne de Dioclétien, au plus tard.
Il y a moyen de préciser davantage. Le « terminus ante quem »
peut être tout d'abord notablement ramené en arrière. En 275,
1. 24, 1.
LA DISPARITION DES PBIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SÉNAT ROMAIN. 183
lors de la grande restauration sénatoriale, sous Tacite, le Sénat
recou^Te le droit proconsulaire ' , ce" qui prouve qu'il ne le pos-
sédait plus à l'avènement de cet empereur, et cette première
indication est j)leinement confirmée par une seconde; en 276,
Probus, comme don de joyeux avènement, confère au Sénat un
certain nombre de privilèges et notamment le droit de désigner
les proconsuls*. La disparition des provinces sénatoriales — le
fait résulte nettement de ces deux textes -r- est donc antérieure,
non seulement au règne de Dioclétien, mais même à l'avènement
de Tacite. Nous sommes donc amenés à la placer dans la période
de quarante années (235-275) qui a séparé la mort de Sévère
Alexandre de celle d'Aurélien.
Le « terminus post quem », d'autre part, peut être avancé
de quelques années. Le successeur de Sévère Alexandre, Maxi-
min, dont on connaît la politique hostile au Sénat, n'a guère dû
respecter, au moins en pratique, le privilège du Sénat relatif à
l'administration des provinces sénatoriales; mais en ce cas la
réaction sénatoriale avec Maxime et Balbin (238) n'a pas man-
qué de rétablir l'état antérieur et, s'il y a eu alors suppression,
il est certain qu'elle n'a été que temporaire. La période qui
s'étend de l'avènement de Gordien III à la captivité de Valé-
rien (238-260) est une époque d'union contre le péril exté-
rieur, où l'entente avec le Sénat est un des articles fondamen-
taux du prograname impérial, notamment dans là dernière partie
du règne de Gordien III, sous Philippe, Decius et Valérien. Une
mesure aussi terrible pour le Sénat que l'a été la disparition des
provinces sénatoriales ne saurait évidemment y trouver place.
La politique générale des empereurs à cette époque en exclut
jusqu'à l'hypothèse.
n reste donc, pour notre réforme, une courte période de
quinze ans (automne 260-railieu 275). C'est à un des trois
empereurs qui ont régné alors, Gallien, Claude, Aurélien, que
la mesure doit nécessairement être rapportée. Claude doit être
exclu en raison de son attitude conciliante vis-à-vis du Sénat.
Il n'y a donc à retenir que deux noms, ceux de Gallien et d'Au-
rélien, qui tous deux, nous le savons, ont été, pendant la durée
de leur règne, en lutte plus ou moins ouverte avec le Sénat.
1. Vila Taciti, 18-19.
2. Vita Probi, 13, 1.
184 LÉON aOMO.
C'est entre ces deux empereurs qu'il faut choisir. En avons-nous
les moyens ?
Les preuves décisives en la circonstance devraient être four-
nies par l'êpigraphie. Voyons donc ce que les inscriptions de
l'époque peuvent nous apprendre sur la question. Nos documents
épigraphiques sont rares : une inscription relative à la province
d'Asie, une à la province d'Achaïe, une à la province d'Afrique,
deux à la province de Bétique, au total cinq gouverneurs de
provinces sénatoriales. Notre bilan est vite fait.
a) Asie. — L'inscription C. I. L., VI, 3832, mentionne un
gouverneur d'Asie, G. Julius Adurius Ovinius Paternus, qui a
été désigné par le sort, s'est récusé et par conséquent n'a jamais
géré la fonction « Proconsuli provinciae Asiae sorte facto excu-
sato ». Ce personnage est connu en outre par les Fastes consu-
laires et par la liste des préfets de la ville du Chronographe de
354'. lia été consul ordinaire sous Claude en 269, consul ordi-
naire pour la seconde fois sous Probus en 279, et préfet de la
ville sous le même empereur en 281 . Le tirage au sort de la pro-
vince d'Asie se place entre les deux consulats (269-279). On
peut préciser davantage. Le consulat et le gouvernement d'une
province sénatoriale devaient réglementairement être séparés
par un intervalle minimum de cinq ans. En fait, étant donné le
nombre des sénateurs consulaires à pourvoir très supérieur à
celui des provinces sénatoriales (deux) annuellement dispo-
nibles, ce minimum était largement dépassé et porté fréquem-
ment à dix années. C. Julius Adurius Ovinius Paternus étant
devenu consul pour la seconde fois en 279, le tirage au sort en
question est de fort peu antérieur à cette date. Il est contempo-
rain de la restauration sénatoriale inaugurée en 275 et se place
dans les premières années du règne de Probus.
b) Achdie. — Plusieurs inscriptions grecques, C. I. A., III,
299, 400, 705, A£Xt(ov àpy.xioXoY'.y.ôv, 1889, p. 133, n° 14, nous
ont conservé le nom d'un gouverneur, Claudius lUyrius, qui a
joué un rôle important dans la reconstruction des murs d'Athènes
vers 253. Le personnage a donc été proconsul d'Achaïe au
début du règne de Valérien.
c) Afrique. — L'inscription C. I. L., VIII, 1018, concerne
an gouverneur dont le nom est mutilé. Le texte donne L. Mes...,
1. Chronica Minora, éd. Mommsen, t. I, p. 65.
LA UlSPiJUTlOK ItES niTILÈCES âl»HLVlSTaiTfFS DO SÉMIT EOMlL>. 185
qu'il faut peut-^tre complêi<er eo L. Mes[siusj. Le document ofire
deux élémeLfs de datation. Tout d'abord. Gallien y est désigné
comme c-onsul pc»ur la troisième foi? : ce troisième consulat est
de 252. le quatrième de 261 . L'inscription se place donc néces-
sairement entre 252 et le 1*" janvier 2tii. En outre. Valèrien ne
figure pas a côté de son fils. Au moment où l'inscription fiit
dédiée, il avait c^ssé d'être considéré comme empereur. Sa cap-
tivité est de septembre-octobre 260; la nouvelle du désastre a
été connue en Afrique dans le c-ourant d'octobre ou au commen-
c^-meot de novembre. L'inscription a été dédiée postérieurement
à cette <iate et antérieurement au quatrième consulat de Gai-
lien, qui c<;tmmence le 1*"' janvier 261. donc en novembre-dé-
cembre 260.
d) Bétique. — Enfin, sur deux inscriptions, C. I. /»., U,
1115-1116. datées du règne éphémère de Florien (276) et du
début de celui de Probus. figure un gouverneur de Bétique,
Aarelius Julius, avec les titres de < Vir perfectissimus Tices
agens praesidis ». Ce personnage n'est pas connu d'autre part,
mais les inscriptions qui le c-oncernent nous donnent deux in<ii-
cations capitales: il n'est pas, comme l'aurait voulu la tradition,
d'ordre sénatorial, mais il apj>artient à l'ordre équestre, comme
le prouve son titre de « Vir perfectissimus *. D'autre pari, il
n'exerce ses fonctions, officiellemeLit au moins, qu'en qualité de
< Aices agens praesidis », c'est-à-dire sous la fonÉe de la sup-
pléance ^
1. Qiwtre«etre io$<Tlptioii<> sr -r , • .. • •de'.
«*iç. tute de d*l# f»«xit* oe ;• : . ipo-
t^liqnr.. Deox eoaoefami ' - e, ui.t ) ^
1* Afi^: — a<l K. B«re^ •,. Aut Lv ,eo-
^[nfihûcfae Bcisefrâcfcle, j<. L^.-iiJ. — . u* Maiiuiiilia
■•*, qw a Hé ^mvttmcu d'.4sie. L k , «irlenir au règiw de
Valériea e» GaXIiea IÎ53-368).
b KAibel, /. G. /., 283. — Limscriptioa aooiMe [C Asîau?]u£ Nioom«-
rhfts JaliaaM, peat-êlre çoaTeraeor d A.gie tcts b mêmtt éfioqae.
^ Aeàaif. — I. G., Vil. W. — D est <nKsli(M d'u ^amvtfutut d Adtuïe,
M. Aemilios Sïlaniaas, peaft-4tre iéemti^mt aa S»t«niuK ooKal tan Gal-
Ika ea %f. La fioacliM de prooMKtl d'Adulé étaat d'ofdiv préloriea, par
eaatéqaeal antérievre aa ooKsolat, ce piaoetait vers U fin du règne de Valé-
riea. Mai» lideatificatioa des deax pawuè^ies reslant douteus-e. ou ne peut
nea ooadore avec oertilade.
3* Afriqw. — L'iMCiiptioa C. I. L., VUI, 1437 {= Supj»!. 152S4I, neattoue
aa govTeraeur de la prariaoe ««aaloiiale d.Alriqne, Sex. Cooceias Aakias
186 LÉON eOMO.
Les résultats fournis sur la question par l'épigraphie peuvent
donc se résumer de la manière suivante : 1° Sous Valérien, les
proconsuls d'Achaïe sont encore recrutés, selon la règle tradi-
tionnelle, dans l'ordre sénatorial. 2° En novembre-décembre
260, la province d'Afrique a encore un gouverneur du même
type. 3° Même cas pour la province d'Asie entre 275 et 279,
mais avec cette remarque nécessaire que nous sommes ici dans
une période de restauration sénatoriale, qui se prolongera jusqu'à
la mort de Probus en 282. 4° Enfin, sous Florien et au début du
règne de Probus, la Bétique est administrée par un gouverneur
d'ordre équestre et sous la forme intérimaire.
De ces conclusions se dégagent deux faits fondamentaux :
i° Aucun gouverneur de province sénatoriale n'est connu, par
l'épigraphie, pour la période 260-275, c'est-à-dire pour les
règnes de Gallien et d'Aurélien. 2° En 276, nous retrouvons un
gouverneur de province sénatoriale, en Bétique, mais cette fois
c'est un chevalier et non plus un sénateur.
L'épigraphie confirme donc pleinement les résultats auxquels,
par voie de déduction, nous étions parvenus précédemment,
mais elle ne les complète pas et la question de savoir si la
réforme émane de Gallien ou d'Aurélien reste entière.
Continuons donc notre enquête par d'autres moyens. En
faveur de Gallien, il existe tout d'abord une présomption très
forte : c'est sa réforme administrative des provinces impériales,
dont il sera question plus loin, et la substitution réalisée par lui
dans ces provinces des gouverneurs équestres aux gouverneurs
sénatoriaux. Puisqu'il n'hésitait pas à déposséder le Sénat de
son privilège administratif dans les provinces impériales, il était
indiqué, et même logique, qu'il procédât de même à l'égard des
provinces sénatoriales. L'autonomie de ces dernières n'était
plus, depuis bien longtemps, qu'une fiction, et ce second coup,
à regarder froidement la réalité des choses, devait être beaucoup
moins préjudiciable au Sénat que le premier. Ce n'est là, il faut
le répéter, qu'une présomption ; mais eUe a son importance, et
nous allons, à la lumière des faits, lui voir prendre corps par
la suite.
Revenons quelques instants en arrière et cherchons si, par
hasard, l'histoire passée des provinces sénatoriales ne nous four-
Faustus Paulinus. Il a exercé ses fonctions au m* siècle et, semble-t-il, vers
l'époque de Gallien. La preuve manque.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DO SÉNAT ROMAIN. 187
nirait pas quelques indications susceptibles d'éclairer notre reli-
gion. Le caractère fondamental de ces provinces, dès leur ori-
gine même, leur raison d'être, peut-on dire, c'est qu'elles sont
provinces « inermes », provinces dépourvues de forces mili-
taires. Dion Cassius^ est sur ce point aussi formel que possible :
« Auguste remit au Sénat les provinces les plus faibles comme
étant pacifiées et exemptes de guerres — etpirjvaia -/.ai à-.6\z\t.0L. —
Quant aux plus fortes, il les retint comme présentant des périls
et des dangers, soit parce qu'elles étaient voisines des ennemis,
soit parce qu'elles étaient capables encore par elles-mêmes de
causer quelque agitation. C'était en réalité pour que sous ce
prétexte les autres fussent sans armes et sans forces — àoitXot
xal àixayoi — tandis que lui seul aurait des armées à sa disposi-
tion et entretiendrait des soldats. » La liste des provinces séna-
toriales, telle qu'elle fut fixée lors du partage de l'année 27 av.
J.-G.2 — Sicile, Sardaigne, Bétique, Dalmatie ou Illyricum,
Macédoine, Achaïe, Asie, Bithynie, Crète et Cyrénaïque, Afrique
— montre qu'en effet cette condition essentielle s'}^ trouvait
pleinement réalisée. Les provinces sénatoriales étant « inermes »
et pacifiées par définition même, le gouverneur n'en pouvait
être, et n'en était, qu'un fonctionnaire strictement civil.
Dans la pensée de l'empereur, cette liste n'était pas définitive.
Il se réservait toujours la possibilité de prendre à sa charge, le
cas échéant, telle ou telle de ces provinces. Le fait se vérifia
dès le début. La Dalmatie devient province impériale en 11 av.
J.-C; la Sardaigne, en 6 ap. J.-C, puis une seconde fois, tem-
porairement encore, sous Vespasien. et définitivement sous
Commode; la Macédoine, temporairement de Tibère à Claude;
l'Achaie, de 15 av. J.-C. à 14 ap. J.-C; la Bithynie, en 135; la
Bétique, sous Marc-Aurèle. Eu compensation, le Sénat reçoit en
22 av. J.-C. la Narbonaise et Ciiypre, et, en 135, la province
de Lycie et Pamphylie. Il était donc parfaitement admis, dès le
début de l'Empire, que l'empereur en cas de nécessité — et dans
l'espèce il était seul juge — pouvait enlever au Sénat, à titre
temporaire ou définitif, l'administration de telle ou telle des pro-
vinces sénatoriales.
Quelle était la raison qui pouvait motiver ce transfert? Les
laits et les textes vont nous répondre. La Dalmatie est province
1. Dion Cassius, LUI, 12.
•2. Ibid.
188 LÉON HOMO.
sénatoriale de 27 à 11 av. J.-C; eu 11, l'empereur prend en
mains l'administration de la province^. C'est qu'alors com-
mencent les grandes campagnes qui ont eu pour résultat la con-
quête de la rive droite du Danube. La Dalmatie cesse d'être une
province pacifiée ; il est logique, conformément au principe qui
a présidé à la répartition des provinces entre l'empereur et le
Sénat en 27, qu'elle passe dans le lot de l'empereur. La Sar-
daigne, province sénatoriale depuis 27, devient province impé-
riale en 6 ap. J.-C. et reçoit comme gouverneur un procurateur
d'ordre équestre. Pourquoi? Dion Cassius^ va nous le dire : « Il
y eut aussi à cette époque beaucoup de guerres. Des brigands
firent de si fréquentes incursions que durant trois années la
Sardaigne, au lieu d'être gouvernée par un sénateur, fut confiée
à des soldats et à des généraux pris dans l'ordre équestre —
w(7T£ Tr,v lapBw [j.rjB' ap/ovxa ^ouXeux-fjV STSdi xpiut cr/eX^, atXà. axpa-
TtwxaiçTc xal ffxpaTtâp'/aiç iTCiréuciv iTzi-paTrî^vai. » La Sardaigne est
donc infestée par des brigands ; elle cesse d'être par conséquent
une province pacifiée. Elle reçoit une garnison, un commandant
militaire et devient province impériale. Autre exemple : sous
Marc-Aurèle, les Maures d'Afrique passent en Espagne et enva-
hissent la Bétique. L'empereur enlève immédiatement au Sénat
l'administration de la province et la conserve jusqu'à ce qu'elle
soit de nouveau pacifiée^. Marc-Aurèle procède de façon iden-
tique pour d'autres provinces encore, ainsi que nous l'apprend
son biographe^ : « Provinciasex proconsularibus consulares aut
ex consularibus proconsulares aut praetorias pro belli necessi-
tate fecit. » *
Inversement, et en vertu du même principe, une province
définitivement pacifiée, et dès lors « inermis », devient sénato-
riale. C'est le cas, en 22 av. J.-C, pour la Narbonaise et
Chypre, qui avaient été d'abord assignées à l'empereur : « A
cette même époque v, nous dit Dion Cassius^ « Auguste rendit
au peuple Chypre et la Narbonaise, parce qu'elles n'avaient plus
besoin de ses armes — wç [AYjSèv tôv '£ti:X(i)v aùxoj oscp.evaç — et par
suite des proconsuls conamencèrent à être envoyés dans ces pro-
1. Dion Cassius, LIV, 34.
2. Ibid., LV, 28.
3. Viia M. Anlonini, 21, 1; Vita Severi, 2, 4.
4. Vita M. Antonini, 22, 9.
5. Dion Cassius, LIV, 4.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 189
vinces. » De même la Bétique, le danger de l'invasion maure
dissipé, redevient sénatoriale sous Commode. Sans doute l'em-*
pereur peut aussi prendre en mains une province sénatoriale
pour des motifs purement administratifs, ainsi la Bithynie sous
Trajan', mais c'est là un cas exceptionnel. La raison constante
de la mainmise de l'empereur sur les provinces sénatoriales ou
inversement, de la restitution au Sénat, c'est le caractère
« inermis > ou non de la province.
Il y a donc eu à cet égard sous l'Empire une tradition admi-
nistrative constante. Le procédé ne supposait nullement, par
définition même, une mauvaise volonté quelconque de l'empe-
reur vis-à-vis du Sénat. La preuve en est que Marc-Aurèle, un
des empereurs les plus favorables à la politique sénatoriale qui
aient existé, enlève temporairement au Sénat la Bétique et cer-
taines autres provinces, tandis que Commode, l'ennemi féroce
de ce corps, lui restitue précisément la Bétique. La tradition
impériale en la matière est nettement définie par le texte de la
Vie de Marc-Aurèle cité plus haut : « Pro belli necessitate ».
L'expression montre bien qu'il ne s'agit pas d'une question de
politique intérieure, mais avant tout d'une question de défense
nationale.
Ce point nettement fixé, voyous un peu ce que vont devenir
les provinces sénatoriales dans la grande tourmente du iii"^ siècle.
Les provinces sénatoriales devaient à leur situation même leur
caractère de provinces désarmées ; elles se trouvaient à l'inté-
rieur de l'Empire, étaient éloignées de la périphérie et couvertes
par les grandes armées des frontières. Or, que se passe-t-il au
milieu du m® siècle, précisément pendant la crise terrible qui
s'ouvre à la fin de 260 par le désastre de Valérien et dont Gai-
lien, resté seul empereur, va avoir à supporter tout le poids? A
l'occident, la barrière rhénane est forcée ; en 258, les Germains,
particulièrement les Francs, envahissent la Gaule, l'Espagne et
vont jusqu'en Afrique. Au printemps de 261 , . l'invasion se
renouvelle dans le secteur du Rhin supérieur ; les Alamans
pénètrent sur le territoire romain par la vallée de l'Aar, gagnent
la vallée du Rhône d'où ils passent en Italie. Rome est un ins-
tant mise en danger par ces bandes "de pillards que Gallien va
1. Correspondance de Pline et Trajan^ lettre 32 : « Meininerinus idcirco te
in islam proTinciain inissuni, quonian) multa in ea eraendanda apparuerint. »
Cf. lettres 18 et 117.
190 LÉON HOMO.
bientôt écraser à la bataille de Milan. Sur la frontière danu-
bienne, les Goths, forçant le cours inférieur du fleuve, inondent
en 267 la péninsule des Balkans. Gallieu les en expulsera, mais
ils reviendront en 269 et Claude les anéantira à Naïssus. Plus à
l'est, les Boranes et autres barbares de la Russie méridionale,
après la destruction du royaume Bosporan, mettent systémati-
quement au piUage les villes du bassin oriental de la Méditerra-
née; en 256-258, ils dévastent le littoral asiatique de la mer
Noire, passent les détroits et, débouchant dans la Méditerranée,
viennent rançonner les villes maritimes de l'Asie Mineure occi-
dentale. Nouvelle invasion en 267, où ils pillent les côtes de
Thrace, de Grèce, d'Asie Mineure, les îles de Crète et de Chypre.
En Asie, ce sont les Perses qui, à la suite du grand désastre de
Valérien, mettent à feu et à sang toute l'Asie Mineure. Aux
invasions étrangères, il faut ajouter les troubles intérieurs; de
258 à 260, soulèvement des peuplades indigènes dans l'Afrique
du Nord; en 261, grande -révolte d'esclaves en Sicile.
Dès lors, ce ne sont plus seulement les frontières de l'Empire
et les provinces impériales de la périphérie qui sont atteintes,
mais aussi toutes les provinces de l'intérieur et du même coup
les provinces sénatoriales. La Narbonaise, tout d'abord. La
grande invasion franque de 258 passe à Test du Massif central
et va franchir les Pyrénées. Elle traverse donc au moins la par-
tie occidentale de la Narbonaise. L'invasion des Alamans en
259-260 porte, au contraire, sur la partie orientale. Ce n'est
pas tout. De 258 à 267^ la guerre est constante entre Gallieu
d'une part, les usurpateurs gallo-romains Postmnus, Victori-
nus, Laelianus de l'autre, et la Narbonaise sert précisément à
l'armée romaine de base d'opérations. La présence d'un corps
de troupes y est expressément attestée, pour le début du règne
de Claude, par une inscription de 269 ' . — Bétique : en 259-260,
les Francs, venus de Gaule, pillent la ville de Tarragone et
poussent jusqu'en Afrique. La Bétique ne dut pas rester à l'abri
de cette invasion. En 261, l'Espagne est perdue pour Gallien;
cette sécession ne se fit évidemment pas sans une série de
troubles intérieurs qui ne durent pas épargner notre province.
— Macédoine : en 261, la péninsule des Balkans est envahie
par l'armée de l'usurpateur Macrianus, qui succombe bientôt
sous les coups du général de GaUien, Aureolus. En 267, les
\. c. I. L., XII, 2228.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SE'nAT ROMAIN. 191
Goths, après avoir pillé les îles de Scyros, de Lemnos et les
villes d'Achaïe, remontent vers le nord en dévastant toute la
Macédoine. Gallien les bat sur le fleuve Nestos, aux confins
mêmes de cette province et de la Thrace, puis les rejette sur le
Rhodope. Ils n'en reparaissent pas moins deux ans plus tard en
Macédoine, où ils font le siège de Thessalonique (269). —
Achaïe : en 267, les Goths, venus de l'Archipel, enlèvent
Athènes, Eleusis, Corinthe, Sparte, Argos. Toute l'Achaïe est
dévastée. L'armée romaine, sous les ordres de Marcianus, les
rencontre et les défait dans le nord de la province. — Asie :
probablement touchée déjà par la grande invasion perse de 260-
261, consécutive à la prise de Yalérien, la province est en
proie, pendant les années suivantes, aux incursions maritimes
des barbares. En 263, les Goths dévastent la Troade, ruinent
Ephèse avec son célèbre sanctuaire d'Artémis. L'invasion se
renouvelle sous la même forme en 264 et en 267. — Lycie
Pamphvlie : le sort de cette province est analogue à celui de la
province voisine d'Asie. En 268, les Goths y attaquent la ville
de Sidé, dont le siège nous est longuement décrit par un frag-
ment conservé de Dexippe^ — Chypre : l'île est dévastée par
les Goths en 270. — Crète : invasion semblable à la même
époque. — Sicile : la Sicile semble être, au cours de la crise,
grâce à la protection des flottes italiennes, restée à l'abri des
invasions étrangères. Mais elle n'en fut pas pour cela plus tran-
quille. Une grave révolte d'esclaves y éclata en 261 : « Denique
quasi conjuratione totius mundi », écrit la Vie de Gallien 2,
« concussis orbis partibus, etiam in Siciliam quasi quoddam
servile bellum extitit latronibus evagantibus », et l'auteur ajoute
une indication intéressante, « qui vix oppressi sunt ». Le sou-
lèvement n'a donc été réprimé que par l'intervention d'efiiectifs
considérables. — Enfin, Afrique : de 258 à 260, les indigènes
Bavari et Quingentanei s'insurgent aux portes mêmes de la pro-
vince. La gravité de la menace contraignit évidemment les auto-
rités militaires k prendre toutes les précautions d'ordre militaire
nécessaires. En 261, la province est troublée par l'usurpation
de Celsus. Mais la ville de Sicca reste fidèle à la cause de Gallien
et l'usurpateur est renversé-'.
1. Fragment 23.
2. Vila Gullieni, 4, 9.
3. Vitae WX Tyrann., 29, 1-4.
192 LÉON HOMO. •
En résumé, dans la grande crise de l'Empire, qui atteint son
paroxysme avec le règne de Gallien (260-268), il n'est aucune
des provinces sénatoriales — remarquons-le bien, aucune —
qui ait conservé son caractère traditionnel de province « iner-
mis » et pacifiée. Le fait est indiscutable. La logique veut que,
conformément aux règles séculaires de l'administration romaine,
l'empereur, en ce moment de danger suprême, les ait enlevées
au Sénat pour en assurer lui-même le gouvernement et la défense.
Il n'y avait là, si on se rappelle les précédents, absolument rien
de révolutionnaire. Ce qui était nouveau, ce n'était pas le pro-
cédé, ce furent les modalités qui présidèrent à son application.
Tout d'abord l'extension ; il ne s'agit plus, comme par le passé,
d'une province sénatoriale isolée, mais de toutes les provinces
jusque-là réservées à l'administration du Sénat. En second lieu,
le transfert se fait sans compensation. L'usage voulait que l'em-
pereur, lorsqu'il enlevait au Sénat une de ses provinces, lui en
remît une autre en échange. En 67, Néron proclame l'indépen-
dance de l'Achaïe ; il dédommage le Sénat par la cession de la
Sardaigne. En 135, Hadrien assume le gouvernement de la
province sénatoriale de Bithynie; il donne au Sénat la Lycie
Pamphylie, jusque-là province impériale. Sous Marc-Aurèle,
enfin, la Bétique. prise par l'empereur, est remplacée dans le lot
sénatorial par la Sardaigne.
Au temps de Gallien, il n'en est plus de même. Pourquoi?
Est-ce mauvaise volonté de l'empereur? Nullement. Si l'empe-
reur dépouille le Sénat sans rien lui rendre en échange, sa con-
duite s'explique par une raison péremptoire. En raison de la
crise exceptionnelle qui sévit sur le monde romain, toutes les
provinces de l'Empire passent, selon une expression moderne,
dans la zone des armées. Dès lors, aucun échange n'était plus
possible et, dans ces conditions, la mainmise impériale sur les
provinces du Sénat devait nécessairement rester sans compen-
sation.
Enfin — troisième nouveauté — ces prises de possession
impériales avaient généralement été jusque-là temporaires et
limitées à la durée que la situation rendait strictement néces-
saire. Cette fois-ci, il ne peut plus en être de même, non pas,
répétons-le encore, par hostilité systématique de l'empereur,
mais tout simplement parce que la crise dont souSre l'Empire
sera exceptionnellement longue et, malgré quelques accalmies
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 193
temporaires, se prolongera somme toute jusqu'au règne de Dio-
clétien.
Qu'allait devenir, au point de vue administratif, la situation
de ces provinces sénatoriales dont l'empereur se trouvait ainsi
contraint d'assumer la charge? Le problème comportait deux
solutions possibles : ou bien placera la tête de ces provinces des
légats propréteurs, recrutés selon la tradition, dans l'ordre séna-
torial, ou bien leur donner des gouverneurs équestres. Mais, au
moment où avait lieu le transfert, la question n'était plus
entière. Gallien venait précisément de promulguer l'édit qui
excluait les sénateurs des commandements militaires dans les
provinces impériales et à l'armée. Il ne pouvait donc confier
aux sénateurs dans les anciennes provinces sénatoriales ce
même pouvoir militaire qu'il leur enlevait dans les provinces
impériales. Dès lors, la solution s'imposait : donner aux pro-
vinces sénatoriales l'organisation même que l'édit de Gallien
venait d'introduire dans les provinces impériales, c'est-à-dire
les faire administrer par des gouverneurs de rang équestre, qui
réuniraient l'ensemble des attributions civiles et militaires.
D'ailleurs, l'application de l'édit aux deux. catégories de pro-
vinces était parfaitement logique et apparaissait comme une
nécessité inéluctable de la situation générale. Les membres de
l'ordre sénatorial, à quelques rares exceptions près, ne faisaient
que de piètres chefs d'armée. Dans la crise épouvantable où se
débattait l'Empire, ce qu'il fallait à la tête des provinces — pro-
vinces de l'intérieur aussi bien que provinces frontières —
c'étaient des chefs capables et éprouvés. Ces chefs, l'empereur
ne pouvait les trouver que dans Tordre équestre.
Que ces conclusions correspondent à la réalité des faits,
l'Histoire Auguste nous en donne indubitablement la preuve.
Voici ce que nous raconte l'auteur du recueil des Trente Tyrans,
aux paragraphes 19 et 21 : « Valens... exerçait à la même
époque le proconsulat d'Achaïe, qui lui avait été donné par Gal-
lien. Macrianus, qui le redoutait extrêmement, ou parce qu'il
connaissait tout son mérite ou parce qu'Q le croyait jaloux du
sien et qu'il le supposait son ennemi, chargea Pison, d'une des
plus nobles maisons de Rome et d'une famille de consulaires, de
lui ôter la vie. Valens, prudent et perspicace, pensa qu'il
n'avait d'autre moyen d'échapper à la mort que de prendre
l'Empire. Mais il fut tué peu après par les soldats... Pison, que
Rev. Histor. CXXXVn. 2« fasc. 13
194 LÉO^i HOMO.
Macrianus avait envoyé pour tuer Valens, voyant que celui-ci
avait su le prévenir et s'était fait proclamer empereur, se retira
en Thessalie. Là, aidé d'un petit nombre de ses partisans, il prit
lui-même l'Empire, se fit appeler Thessalique et périt bientôt
après. C'était un homme d'une grande vertu et on l'appelait de
son temps Frugi. Il passait pour un descendant de cette ancienne
famille des Pisons à laquelle Cicéron s'allia pour anoblir la
sienne... J'insérerai ici, pour montrer de quelle estime il jouis-
sait, un sénatus-consulte rendu après sa mort. Le septième jour
des calendes de judlet, la nouvelle étant arrivée que Pison avait
péri sous les coups de Valens et que celui-ci avait été à son tour
tué par ses soldats, AreUius Fuscus, consulaire qui avait suc-
cédé à Valérien dans le droit de parler le premier, dit : « Con-
« sul, prends les avis », et, quand on lui demanda le sien :
« Pères conscrits », dit-il, « je décerne à Pison les honneurs
« divins..., car il n'y eut jamais d'homme meilleur ou plus
« ferme à la fois. » Le reste de l'assenoblée fut d'avis que l'on
mît sa statue parmi celles des triomphateurs et qu'on lui votât
un char attelé de quatre chevaux. La statue existe encore;
quant au quadrige qui lui fut décerné on le plaça à l'en-
droit où furent construits plus tard les Thermes de Dioclétien. »
Dans ce récit, il y a plusieurs particularités qui doivent rete-
nir notre attention :
1° Valens y est qualifié de « Vir militarisa ». Le mot « milita-
ris » dans la langue des historiens du rv^ siècle a un sens très
précis. Ce sens, nous le trouvons notamment dans deux passages
d'Aurelius Victor (Caesares) et de VEpitome, relatifs à l'avène-
ment de l'empereur Maximin en 235 : « G. .Julius Maximinus...
primus e militaribus... potentiam cepit sufiragiis legionum- »,
« Julius Maxhninus Thrax, ex militaribus ^ ». Il désigne un sol-
dat de carrière^. Valens « Vir militaris » est lui aussi un soldat
de carrière et un chef à pouvoir militaire. L'hypothèse d'un
anachronisme commis par l'Histoire Auguste doit être nécessai-
rement exclue. A l'époque où il écrivait sa courte biographie de
1. Vitae XXX Tyrann., 19, 1.
2. Àurelius Victor, Caesares, 25, 1.
3. Epitome, 25, I.
4. Cf. Aurelius Victor, Caesares, 37, 7, où l'auteur blâme l'égoïsme des séna-
teurs, qui « raunivere militaribus et paene barbaris viam in se ac posteros
doroinandi ».
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SKIVAT ROMAIN. 195
l'usurpateur Valens — entre 298 et 303 — le biographe n'avait
plus sous les yeux que des gouverneurs civils : c'était le cas en
particulier du proconsul d'Achaïe. L'idée d'un proconsul d'Achaïe
à pouvoir militaire ne pouvait lui venir spontanément à l'esprit.
Il y a plus. Le texte de la biographie montre nettement que le
biographe a été surpris par ce gouverneur militaire d'Achaïe. D
cherche une explication à ce fait qui lui paraît anormal et, dans
son ignorance, il n'en trouve d'autre que ceUe-ci : « Simul etiam
civilium virtutum gloria pollens », qu'il répète une seconde fois
plus loin : « Quem Macrianus vehementer reformidans, simul
quod omni génère vitae satis clarum norat. » Il ne peut donc
avoir inventé la mention relative à Valens. Il l'a trouvée dans
quelqu'uiïe de ses sources et l'a reproduite sans bien la com-
prendre. Le témoignage n'en prend que plus de valeur. Le
caractère militaire du gouverneur Valens est confirmé par cet
autre fait qu'il a des troupes sous ses ordres : « Sumpsit impe-
rium et brevi a militibus interemptus est^ », et que Pison est
tué précisément par les soldats de Valens : « Missis a Valente
militibus compluribus interfectus est 2. » Or, ce gouverneur à
caractère militaire est proconsul d'Achaïe, province sénatoriale
et par définition même « inermis ».
2° Valens a été, nous dit notre texte, nommé proconsul
d'Achaïe par Gallien : « Proconsulatum Achaiae dato a GaUieuo
tune honore gubernabat^. » Or, l'Achaïe étant province sénato-
riale, ses gouverneurs étaient tirés au sort et non désignés indi-
viduellement par l'empereur. L'indication est donc extrêmement
précieuse et, selon toute vraisemblance, l'auteur l'a donnée
intentionnellement.
3° La personnalité du rival de Valens, Calpurnius Pison, est
particulièrement intéressante. Ce Pison, que Macrianus envoie
comme gouverneur en Grèce, est un sénateur de noble race et
de famiUe consulaire : « Misso Pisonem unum ex nobilibus et
principibus Senatus^ »; « Misso Pisone nobilissimae tune et
consularis familiae viro"' »; « Vir summae sanctitatis et tempo-
ribus suis Frugi dictus et qui ex illa Pisonum familia ducere ori-
1. Vitae XXX Tyrann., 19, 3.
2. Vita Gallieni, 2, 3-4.
3." Vitae XXX Tyrann., 19, 1.
4. Vita Gallieni, 2, 2.
5. Vitae XXX Tyrann., 19, 2-3.
196 LÉON HOMO.
ginem dicerétur cui se Cicero nobilitandi causa sociaverat* »;
« Pisonem. . . virum cujus similem Romana res publica non habe-
ret^ ». Le Sénat, à la nouvelle de sa mort, lui décerne des hon-
neurs extraordinaires 3. Tous ces faits sont très caractéristiques
et trouvent leur explication dans la politique de Macrianus. Pour
se concilier les bonnes grâces du Sénat dans sa lutte imminente
contre Gallien, Macrianus envoie en Achaïe, comme gouver-
neur, un membre de l'aristocratie sénatoriale. Valens, le chef
militaire nommé par Gallien; Pison, le gouverneur sénatorial
envoyé par Macrianus, ce ne sont pas seulement deux hommes,
mais deux politiques en présence. Enfin, que le Sénat ait pris
un vif intérêt au choix de Pison résulte directement des hon-
neurs exceptionnels qu'il rend à sa mémoire.
Quant à la date de ces événements, elle peut être fixée dans
des limites suffisamment étroites. L'année est donnée par la Vie
de Gallien^, « Gallieno et Volusiano consulibus », donc 261.
L'usurpation de Valens'' a précédé de peu la défaite de Macria-
nus, laquelle se place à la fin de l'année, et sa nomination par
Gallien comme gouverneur a été faite au plus tard dans le cou-
rant de l'automne. Par conséquent, en automne 261, Gallien
choisit un gouverneur d' Achaïe qui n'appartient plus, comme
l'aurait voulu la tradition administrative impériale, à l'ordre
sénatorial, et ce gouverneur, il le nomme directement. C'est donc
la mainmise complète de l'empereur sur une province du Sénat
et, réalisée dans un cas concret, l'abolition du privilège séna-
torial.
Un autre texte de l'Histoire Auguste, déjà cité plus haut à
propos des « Duces » et relatif à la province d'Afrique, vient direc-
tement à l'appui des conclusions précédentes. La Vie de Fir-
mus, dans le recueil des Quatre Tyrans, nous raconte : « Eo
tempore » — vers 272-273 — « très fuisse Firmos, quorum...
alter dux limitis Africani idemque pro consule*^... » Le libellé
des fonctions, sous cette forme, est une pure absurdité, mais ce
qu'il faut en retenir c'est le cumul aux mains d'un même per-
1. ibid., 21, 1-2.
2. Ibid., 21, 2.
3. Ibid., 21, 5-7.
4. Vita Gallieni, 1, 2.
5. Ibid., 2, 2-.3.
6. Vitae IV Tyrann., 3, 1.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 197
sonnage, gouverneur d'Afrique, des pouvoirs civil et militaire.
Ici non plus il ne peut être question d'anachronisme : à l'époque
à laquelle vivait le biographe, il n'y avait pas de proconsuls qui
fussent en même temps « duces », les attributions civiles et mili-
taires étant désormais nettement séparées. La mention de ce
cumul, il faut donc qu'il Tait trouvée quelque part dans ses
sources. Le lait apparaît plus intéressant encore si on le rap-
proche d'une autre indication donnée par le même recueil des
Quatre T}Tans : « Afri quoque auctore Vibio Passieno, procon-
sule Africae et Fabio Pomponiano duce limitis Libyci, Celsum
imperatorera appellaverunt^ » Cette fois, il s'agit d'un gouver-
neur d'Afrique qui est purement civil, puisqu'il s'entend pour
proclamer un usurpateur avec le chef militaire d'une circons-
cription voisine. Cet événement a eu lieu en 261. Par consé-
quent, entre ces deux dates — usurpation de Celsus en 261 et
gouvernement de Firmus vers 272-273 — il s'est produit un
changement dans la condition du gouverneur d'Afrique. En 261 ,
la province a encore un gouverneur civil; vers 272-273, elle
possède un gouverneur à la fois civil et militaire. L'exemple de
Firmus confirme celui de Valens; ce sont deux applications
d'une même idée gouvernementale, deux expressions d'une
même méthode administrative.
Les résultats auxquels nous aboutissons ainsi pour les pro-
vinces sénatoriales sont d'autant plus importants qu'ils ne sont
pas isolés. Cette date de 261 est également, nous le verrons plus
loin, celle du fameux édit de Gallien, qui a inauguré une
réforme décisive dans l'administration des provinces impériales.
Par cet édit, Gallien interdit aux sénateurs toutes les fonctions
militaires; il les exclut par conséquent du gouvernement des
provinces impériales et des grades d'officiers. A ce moment
même, la crise atteint son maximum d'acuité dans toute l'éten-
due de l'Empire; les provinces sénatoriales les unes après les
autres entrent dans la zone des armées. Que faire ? Gallien
applique aux provinces sénatoriales le même régime qu'aux pro-
vinces impériales, c'est-à-dire qu'il remplace les gouverneurs
sénatoriaux par des gouverneurs non sénatoriaux, revêtus de
pouvoirs militaires aussi bien que civils. Les deux séries de
mesures, cjui ont transformé radicalement l'administration des
1. Vitae XXX Tyrami.. 29, 1.
198 ' LÉON HOMO.
deux grandes catégories de provinces, se révèlent ainsi à nous
comme logiquement connexes et étroitement apparentées.
Sur les détails de l'organisation nouvelle introduite par Gai-
lien dans les provinces sénatoriales, nous sommes fort mal ren-
seignés. Mais nous connaissons mieux ce qui s'est passé dans
les provinces impériales. Nous verrons bientôt que, dans ces
dernières, la réforme a comporté trois changements fonda-
mentaux : 1° Les gouverneurs d'ordre sénatorial — consulaires
ou prétoriens — sont remplacés par des gouverneurs d'ordre
équestre. 2" Ces gouverneurs équestres n'exercent tout d'abord
leurs fonctions que sous la forme de la suppléance, c'est-à-dire
en qualité de vice-gouverneurs. 3° Ils portent le titre de « Viri
Perfectissimi ». Nous avons le droit de nous demander, à titre
de pure hypothèse, si le système suivi dans les provinces séna-.
toriales n'aurait pas été analogue. Or, la confirmation de cette
hypothèse est donnée de la manière la plus nette par les deux
inscriptions de Bétique^, mentionnées ci -dessus. Elles nous
montrent, à la date de 276, la province de Bétique gouvernée
•par Aurelius Julius, « vir perfectissimus », « vices agens prae-
sidis ». Ces deux inscriptions, seuls témoins épigraphiques con-
servés de la réforme des provinces sénatoriales sous Gallien,
sont capitales. Nous y constatons, à quinze ans de distance,
l'application de ces mêmes principes que nous trouvons réa-
lisés par Gallien dans l'administration des provinces impériales :
disparition du gouverneur sénatorial remplacé par un gouver-
neur équestre, système de la suppléance, rang de « perfectis-
sime ». — Nous aimerions à connaître l'origine et la carrière de
ces nouveaux gouverneurs. Mallieureusement, nous ne savons
rien sur le passé d' Aurelius Julius. Mais nous avons vu que
Valens, gouverneur d'Achaïe en 261, était un militaire de
métier. Le nom d'Aurelius porté par Aurelius Julius semble
déceler une origine danubienne, car cette appellation était
extrêmement répandue — nous aurons à revenir sur ce point
— parmi les habitants de l'Illyricum. Enfin , les nécessités
de la défense étant exactement les mêmes dans les provinces
\. C. I. L., II, 1115, 1116. — Nous verrons plus loin, à propos des provinces
impériales, les antécédents du système. Remarquons ici que la suppléance
éventuelle du gouverneur par le procurateur impérial de la province se ren-
contre aussi, avant Gallien, pour les provinces sénatoriales : par exemple,
C. l. L., V, 875 (sous Doraitien), et XIII, 1807 (sous Maximin).
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SÉNAT ROMAIN. 199
sénatoriales que dans les autres, il est logique d'admettre que le
personnel de gouverneurs, chargé désormais d'y faire face, a
été le même dans les deux cas.
Une dernière question se pose. La transformation dans l'ad-
ministration des provinces sénatoriales s'est-elle opérée simulta-
nément pour toutes ou seulement par étapes? On ne peut direc-
tement déterminer qu'une date, celle de 261 pour l'Achaïe, mais
il faut considérer que les raisons qui ont amené la réforme ne
sont pas particulières à cette province. En 261, la crise est
générale dans l'ensemble des provinces sénatoriales, aussi bien
que dans le reste de l'Empire. En Narbonaise, grande invasion
des Alamans (260-261); guerre de Gallien contre Postumus,
qui prend un acharnement particulier à la suite de la conven-
tion signée entre Gallien et Aureolus (fin 261). En Bétique, la
province est perdue pour Gallien et se rattache à l'empire gaUo-
romain de Postumus. En Sicile, grande révolte servile de 261.
En Macédoine, intervention armée de Macrianus et usurpation
d'Aureolus (automne 261). En Asie, invasion perse à la suite de
la captivité de Valérien (fin 260-début 261). En Lycie et Pam-
phylie, même invasion. En Afrique, usurpation de Celsus.
Comme, d'autre part, cette date de 261 est ceUe de l'édit de Gal-
lien, qui réorganise le gouvernement des provinces impériales
et le recrutement des officiers, il semble très vraisemblable
d'admettre que la transformation dans l'administration des pro-
vinces sénatoriales a été une réforme d'ensemble et qu'elle se
place précisément cette année-là.
La crise, qui avait rendu nécessaire les réformes de Gallien
dans le domaine de l'administration provinciale, se maintint,
sous une forme permanente, jusqu'à la mort de cet empereur.
La Narbonaise, en raison de la lutte de Gslllien contre Postumus
et ses successeurs, reste dans la zone des opérations. La situa-
tion est analogue pour les trois provinces de Macédoine, d'Achaïe
et d'Asie que les Goths viennent encore dévaster en 267. Dans
ces conditions, il ne pouvait être question d'un retour à l'orga-
nisation administrative traditionnelle, et les réformes adminis-
tratives de Gallien durent rester nécessairement en vigueur'
jusqu'à la fin de son règne (268).
L'avènement de Claude, en 268, marque la prise de posses-
sion directe du pouvoir par l'armée danubienne. En raison de la
haine dont il avait poursuivi Gallien jusqu'à son dernier jour.
200 LEON HOMO.
le Sénat accueillit son successeur, sinon avec un enthousiasme
délirant, du moins sans défaveur. Claude, de son côté, par
caractère autant que par patriotisme, était disposé à se montrer
accommodant et même, le cas échéant, à faire quelques conces-
sions. Apporta-t-Q quelques modifications sérieuses au nouveau
régime introduit dans les provinces sénatoriales par Gallien? Il
nous est impossible de répondre avec précision à cette question,
car pour les deux années du règne de Claude nous ne connais-
sons le nom d'aucun gouverneur des anciennes provinces séna-
toriales. Mais du moins nous savons une chose, et une chose
importante : les nécessités de salut public qui avaient dicté la
conduite de Gallien continuent à agir. La Narbonaise est occu-
pée par des troupes romaines chargées de la défendre, ainsi que
l'Italie, contre une ofiènsive toujours possible des empereurs
gallo-romains*. La Macédoine, en 269, est de nouveau envahie
par les Goths. Venus par mer. ils débarquent près de Thessalo-
nique, assiègent la ville et, remontant vers le nord, dévastent
toute la province. Claude arrive enfin, leur coupe la retraite et
les écrase à la bataille décisive de Naïssus. En Lycie et Pamphy-
lie, les Goths dévastent le littoral et attaquent la ville de Sidé,
Même situation et à la même époque dans la province d'Asie, à
Chypre et en Crète. Dans ces conditions, Claude, malgré la
meilleure volonté du monde, ne pouvait de nouveau proclamer
« inermes » des provinces livrées aux incursions des barbares
et où la présence d'un gouvernement militaire se révélait comme
une nécessité inéluctable. Rien ne dut donc être changé, en ce
qui concerne les provinces sénatoriales, au règlement de Gallien.
Avec Aurélien que se passe-t-il? Considérons tout d'abord,
comme nous l'avons fait jusqu'ici, les éléments généraux de la
situation. Sous le règne de cet empereur, deux points essentiels
sont à relever. Tout d'abord, l'attitude d' Aurélien vis-à-vis du
Sénat. Aurélien est le soldat de métier, l'homme de l'armée
danubienne par excellence. Son caractère, de plus, est tout
d'une pièce et insoucieux des nuances; ce n'est pas chez lui
qu'on risque de trouver un excès de condescendance vis-à-vis
du Sénat, et, de fait, sa politique a toujours été nettement, sou-
vent même brutalement, antisénatoriale. Il n'aime pas les séna-
teurs et ceux-ci le lui rendent bien. Après la courte période de
1. c. I. L., XII, 2228.
LA DISPARITION DES PHITILÈGES ADMINISTRAT! FS DU SENAT ROMAIN. 201
détente marquée par le règne de Claude, les mauvais jours du
règne de Gallien semblent revenus pour le Sénat. Second point :
la situation générale de l'Empire. L'unité romaine se reconsti-
tue en 272-273, par la double reconquête de l'Orient et de l'Oc-
cident. La grande crise semble terminée. Dès lors, les mesures
prises par Gallien dans le domaine de l'administration provin-
ciale pouvaient, semble-t-il. être remises en question et, sinon
abolies, du moins sérieusement atténuées. Le fait s'est-il pro-
duit? Deux textes de l'Histoire Auguste doivent à cet égard
retenu* notre attention.
La Vie d'Aurélien ', à propos de l'interrègne qui suivit la mort
de cet empereur, s'exprime de la manière suivante : « Ita ut per
sex menses imperatorem Romanus prbis non habuerit, omnes-
que judices ii permanerent quos aut senatus aut Aurelianus ele-
gerat, nisi quod pro consule Asiae Falconius Probus in locum
AreUi Fusci delectus est. » Il résulterait de ce passage que le
Sénat, sous Aurélien , avait choisi des «judices », qui ne peuvent
être que des gouverneurs de provinces sénatoriales. Le texte ne
s'en tient pas à cette indication générale. Il cite un exemple
particulier, celui de la province d'Asie, dont le gouverneur sor-
tant, Arellius Fuscus, aurait été remplacé au cours de l'inter-
règne par Falconius Probus. Si ces faits sont exacts, Falconius
Probus a pris i)Ossession du proconsulat d'Asie au début de 276.
Son prédécesseur, Arellius Fuscus, aurait donc exercé cette
charge pendant l'année 275, et ainsi il serait prouvé qu'il y a
eu, sous Aurélien, au moins un gouverneur d'ordre sénatorial
dans une province du Sénat. Nous avons déjà rencontré ce nom
d'AreUius Fuscus à propos des honneurs rendus en 261 à la
mémoire de Calpurnius Pison^ : « Arellius Fuscus, consularis
primae sententiae , qui in locum Valeriani successerat » ; il
aurait donc reçu cette dignité en 253, lorsque Valérien fut élevé
à l'Empire. Serait-ce ce même Arellius Fuscus que la Vie d' Au-
rélien nous montre, en 275, proconsul d'Asie? Est-ce son fils ou
quelque autre membre de la famiUe? Nous n'en savons absolu-
ment rien. Gomme, d'autre part, le nom ne se rencontre pas en
dehors de l'Histoire Auguste, nous n'avons aucun moyen de
résoudre le problème, et l'existence même du personnage doit,
1. Vila Aureliaiii, 4U, 4.
2. Vitae XXX Tyrann., '21, 3.
202 LÉON HOMO.
par suite, être considérée comme fort suspecte. Mais ce doute
sur la personne n'implique nullement que le double témoignage
du biographe, relatif aux provinces en général et à l'Asie en
particulier, soit à rejeter sans autre forme de procès.
Le second de nos deux textes se trouve dans la Biographie de
Tacite^ : « Nos recepimus jus proconsulare », écrit un sénateur
dans une pseudo-lettre adressée à son père : « Nous avons
recouvré le droit proconsulaire », par conséquent le privilège
de nommer les gouverneurs de provinces sénatoriales. Si le
Sénat recouvre cette prérogative au lendemain de la mort d'Au-
rélien, c'est donc, semble-t-il logiquement, que sous cet empe-
reur il ne la possédait plus.
Les deux textes paraissent contradictoires. En réalité, ils ne
le sont pas et leur libellé, à l'étudier de près, nous permet de
préciser la politique impériale d'Aurélien en la matière. Du pre-
mier, il résulterait qu'il y a eu « des » gouverneurs sénatoriaux
sous cet empereur; mais ce fait n'implique nullement que le
Sénat ait recouvré son privilège administratif pour «. toutes »
ses anciennes provinces. Dans le second, c'est le principe
même, le privilège de choisir les gouverneurs sénatoriaux qui
reparaît : « Recepimus jus proconsulare. » La situation aurait
donc été la suivante : pour le règne d'Aurélien, tolérance por-
tant sur quelques gouvernements de provinces sénatoriales ;
sous Tacite, rétablissement complet et par principe du privilège
du Sénat dans les provinces sénatoriales traditionnelles.
Ce point de vue n'est ni arbitraire ni purement hypothétique.
Il trouve sa conformation dans un texte important de la Vie de
Probus-, sur lequel nous aurons à revenir par la suite. Le bio-
graphe de cet empereur nous dit qu'à son avènement « permisit
patribusut... ipsi... proconsules crearent». Le mot «permisit»
est aussi significatif que possible : le rapprochement de cette
expression et du « recepimus jus proconsulare » de la Vie de
Tacite montre bien toute la différence qui existe entre la poli-
tique d'un Danubien, même bien intentionné vis-à-vis du Sénat,
comme l'était Probus, et celle d'un représentant de la classe
sénatoriale, ce qui était le cas de Tacite. Permission d'un côté,
recouvrement d'un droit de l'autre; il y a un abîme entre les
deux formules.
(
1. Vita Taciti, 19, 2.
2. Vita Probi, 13, 1.
LA DISPARITION DES PaiVILEGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 203
Nous pouvons donc admettre que, sous Aurélien, il y a eu
« des » proconsuls choisis par le Sénat avec la permission
expresse de l'empereur. Le fait se serait réalisé, en particulier,
pour la province sénatoriale d'Asie, toutes réserves faites d'ail-
leurs, sur le nom du sénateur qui en aurait été le bénéficiaire.
Mais il s'agit d'une concession impériale toujours révocable et,
d'autre part, le texte de la Vie d' Aurélien n'implique nullement
qu'elle ait porté sur « toutes » les anciennes provinces sénato-
riales. L'empereur reste le seul juge en l'espèce. Nous verrons
plus loin — et le rapprochement est capital — que la situation
est la même pour les provinces impériales, où l'empereur, tout
en maintenant le système de Gallien, peut, par exception, nom-
mer comme gouverneurs des membres de l'aristocratie sénato-
riale.
Lorsque meurt Aurélien, en 275, les dispositions de Gallien
relatives au gouvernement des provinces sénatoriales restent
toujours, théoriquement au moins, en vigueur, et il faudra la
restauration sénatoriale de 275-276 pour que le Sénat recouvre
temporairement' en cette matière son privilège traditionnel.
Léon Homo.
(Sera continué:)
MELANGES ET DOCUMENTS
LE « MARIAGE SPIRITUEL »
DANS L ANTIQUITE CHRÉTIENNE
Un roman moderne peut donner quelque lointaine idée de ce que
fut, dans les premiers siècles chrétiens, le « mariage spirituel » :
c'est le Désespéré de Léon Bloy.
Marchenoir a recueilli^ chez lui Véronique Cheminot, « célèbre
naguère au quartier latin sous le pseudonyme expressif de la Ven-
touse, splendide goujate que dix années au moins de prostitution sur
vingt-cinq n'avaient pu flétrir ». Marchenoir, ferme croyant, inspire
à Véronique une admiration, une confiance sans limites. Elle vient
le supplier de la prendre avec lui, de Taider à devenir une bonne
chrétienne comme lui. « Tous les dangers qui peuvent résulter pour
un catholique exact d'une si prochaine occasion habituelle de man-
quer de continence, il les accepta avec la certitude résignée de com-
promettre et de surcharger abominablement sa vie. » Alors com-
mence entre Marchenoir et Véronique une chaste cohabitation.
Marchenoir goûte lémerveillement de voir cette « Marie l'Egyp-
tienne » se consumer d'amour mystique, se transmuer peu à peu en
un lis de pureté. Il en arrive à croire que « l'amitié est une chose
espérable entre un homme et une femme qui n'ont pas au moins
deux cents ans el qui vivent tous Tes jours ensemble ». Mais cette
illusion ne tarde pas à se dissiper. 11 sent- monter en lui la sourde
protestation de « cette misérable chair que nul mysticisme ne peut'
supprimer ». Au cours d'une retraite qu'il fait loin de Véronique, il
se décide à lui écrire pour lavertir qu'il est en péril de mort à cause
d'elle et qu'il faut qu'elle trouve un moyen de le sauver. La pauvre
fille n'en imagine point d'autre que de se défigurer pour le dégoûter
d'elle. Elle coupe sa magnifique chevelure rousse, « où quarante
amants s'étaient baignés comme dans un fleuve de flamme où
renaissaient leurs désirs ». Elle se fait arracher toutes les dents,
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DAIVS l'aNTIQUITÉ CHRe'tIENNE. 205
telle une « furie de miséricorde et de prières » ; et, dans la ferveur
de son épouvantable sacrifice, elle change en un blême rictus « l'arc
terrible qui avait vidé tant de carquois » !
$ I.
Le « mariage spirituel » fut-il pratiqué couramment, parmi les
premières générations chrétiennes, sous le regard bienveillant des
autorités ecclésiastiques? H. Achelis* et Jiilicher^ sont de cet avis.
Ils en parlent lun et l'autre avec une sorte de componction atten-
drie et s'enchantent de l'image idyllique qu'ils s'en sont formée :
« Qui pourrait dire », s'écrie Achelis', le « dévouement, l'esprit d'ab-
négation, la tendre charité que pratiquaient ces épouses du Christ
et leurs patrons spirituels; quelle force et quelles consolations les
uns et les autres puisaient dans leur vie commune que ne flétrissait
point la souillure du mariage, alors si vivement ressentie! » Cette
coutume serait née, selon ces critiques, de la nécessité de pourvoir
à la protection et à l'entretien des vierges et des veuves qui, renon-
çant au mariage du type normal, avaient pourtant besoin d'un sou-
tien dans une société si impitoyable aux faibles. Puis, quelle meil-
leure occasion de montrer aux non-chrétiens, asservis pour la
plupart à la domination des sens, de quels renoncements étaient
capables les âmes en qui agissait la vertu purificatrice de l'Esprit?
Tout en désapprouvant l'illusion mystique de ces « unis », Jiilicher^
ne se défend point, lui non plus, d'admirer l'énergie morale qu'elle
révèle chez eux.
Ni Achelis, ni Jiilicher ne veulent admettre que les « cas » de cette
sorte aient été assez exceptionnels ou qu'ils aient pu naraitre d'em-
blée suspects au bon sens de l'Église. Ce serait beaucoup plus tard,
après une série d'expériences instructives, que l'ÉgUse aurait décon-
seillé ou même proscrit ce genre d'unions. Comment s'y serait-elle
opposée des le début sans ébranler les principes mêmes sur lesquels
elle se déclarait fondée? Jésus n'avait-il pas dit : « Les fils de ce
siècle se marient et sont donnés en mariage. Mais ceux qui seront
trouvés dignes du siècle à venir et de la résurrection des morts ne
se marieront point et n'épouseront point de femmes"? » A- son
1. Virgincs subinlroduclae : Ein lieilrag zii 1. Kor. VU. Leipzig, Hiurichs
1902.
2. Arcfiio fur heligionsuHssenschaft, VII (1904), p. 373-386.
3. Op. cit., p. 72.
4. P. 386.
5. Luc, XX, 35.
206 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
tour saint Paul n'avait-il pas célébré une sorte d'abolition des sexes
quand il s'était écrié : « Il n"y a plus n'y Juif, ni Grec ; plus d'esclave
ni de libre; plus d'homme ni de femme. Car vous n'êtes tous
qu'une seule chose dans le Christ Jésus ^ » Et encore : « Mes frères,
le temps est court; il faut que ceux même qui ont des femmes
soient comme n'en ayant point... et ceux qui usent de ce monde
comme s'ils n'en usaient pas : car elle passe, la figure de ce
monde ^? »
Bien mieux, la première épître de l'Apôtre aux. Corinthiens^ a
fourni à Achelis et Jiilicher deux versets qu'ils Jugent décisifs et
qui auraient été, à leur gré, la véritable chartre du mariage spiri-
tuel. « Si quelqu'un », écrit saint Paul, « pense manquer aux bien-
séances à l'égard de sa vierge (<iff5(T)iJ,ov£tv iià ty)v Tuap6évov aùxoû),
si elle a dépassé la pleine floraison (èàv y) b'Ks.piv.ii.oq) et qu'ainsi cela
doit arriver, qu'il exécute ce qu'il veut. Il ne pèche pas : qu'ils
se marient! — Quant à celui qui, en pleine stabilité de cœur, sans
qu'aucune nécessité s'impose à lui, avec toute la liberté de son propre
vouloir, décide dans son cœur de garder sa vierge, il fera bien.
En sorte que celui qui donne sa vierge en mariage fait bien (o
Yai^tCtDv TYjv sauToû xapôévov xaXwç TcotsT) , et celui qui ne la donne pas
fera mieux. » ,
Avouons-le sans ambages : ce texte est obscur et l'interprétation en
est délicate. Dans tout ce chapitre de sa lettre aux Corinthiens, Paul
répond à des questions que les Corinthiens lui avaient posées par
écrit*; il tranche des difficultés d'ordre pratique. Ne sachant pas
au juste comment ses correspondants avaient formulé leurs consul-
tations, nous éprouvons quelque peine à suivre l'Apôtre dans tous
les détails de sa casuistique.
Ce qui est sûr, c'est que l'exégèse à laquelle s'arrête Achelis
éveille une impression assez comique. Voici l'histoire qu'il imagine.
Il suppose qu'il s'agit d'un mariage « spirituel ». Un homme et une
jeune fille ont réalisé leur vqpu de vivre ensemble dans une loyale
chasteté. Mais, au bout de quelque temps, l'homme s'aperçoit qu'il
a trop présumé de ses forces : la chair se révolte en lui (c'est ainsi
qu' Achelis interprète assez arbitrairement l'adjectif uTUcpâxiAoç, où il
voit un masculin). Il craint de faillir. En ce cas, lui conseille
l'apôtre, point d'hésitation : qu'il donne « sa vierge » en mariage à
un autre chrétien. Au contraire, s'il se sent sûr de soi, il peut libre-
ment la garder. Paul autorise donc formellement le mariage spirituel,
1. Gai., III, 28.
2. / Cor., VII, 29-31. Cf. / Cor., ix, 5.
3. VII, 36-38.
4. I, VII, 1.
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DANS l'aNTIQTJTTÉ CHRÉTIENNE, 207
sur lequel, sans aucun doute, les Corinthiens perplexes avaient sol-
licité son avis.
On aperçoit tout de suite les invraisemblances morales de ce
petit roman. La jeune fille en question a fait vœu de virginité :
pourquoi donc faudrait-il qu'elle y manquât en acceptant un mari
de la main même de celui qui lui avait promis de l'aider à soutenir
cet engagement? Si son conjoint sent qu'il va/aillir, ne serait-il pas
plus naturel qu'il se déliât d'elle et la confiât à quelque autre « spi-
rituel » de tempérament moins instable ou à une famille qui lui
offrirait un abri sûr? Le sacrifice serait moins exorbitant que cette
façon de la marier, en dépit qu'elle en ait, sous prétexte de la sauver
de désirs indiscrets dont elle n'est pas responsable.
Jiilicher lui-même n'a pu se tenir de déclarer l'explication d'Ache-
lis un peu ridicule ; et on ne saurait le contredire là-dessus. Il sup-
pose, pour sa part, qu'il s'agit d'un couple qui s'est marié avec le
ferme propos d'observer la continence. L'homme a des tentations;
la femme, passive de caractère, ne saura pas les éluder. Saint Paul,
qui n'est nullement l'ennemi du mariage, encore qu'il le place
au-dessous de la virginité, lève le scrupule du mari et lui apprend
qu'il lui est licite de faire de cette épouse nominale sa femme véri-
table et de mettre ainsi le point final à un louable essai qui n'a pas
réussi.
Le commentaire est ingénieux : mais il s'aheurte à une grosse
difficulté d'ordre philologique : c'est le mot yaiJ-tÇetv, du verset 38.
TaïAiCsiv ne signifiait pas « épouser », mais « donner en mariage ))^
Comment saint Paul aurait-il détourné le terme de son acception
normale dans une consultation aussi épineuse^?
Au surplus, si nous consultons les exégètes les plus qualifiés, un
saint Jean Chrysostome^, un saint Basile"*, un Épiphane de Sala-
mis^, un saint Augustin*, nous constatons que, tous, ils ont
entendu le passage dans un même sens. Il s'agit d'un père ou d'un
tuteur que travaillent des inquiétudes sur la hcéité du mariage et qui
se démande ce qu'il doit faire de sa fille, celle-ci ayant déjà dépassé
l'âge de la pleine effiorescence juvénile'^. S'il a de justes raisons de
penser qu'il y ait des inconvénients à ne point la marier — incon-
1. Cf. Mt., XXIV, 38; xxii, 30; Me, xii, 25; Luc, xvii, 27; xx, 35.
2. Jiilicher (p. 384) suppose que Paul a voulu « varier l'expression »!
3. De Virrj., lxxviii (Migne, XLVIII, 590).
4. De Virg., lvi (Migne, XXX, 784).
5. Panarion, lxi, 4 (Dindorf, n, 568).
6. Quaest. in Ilept., iv, 57 {Corp. scr. eccl. lat., 28, 361). On rencontre
aussi une inlcrprétalion mystique où « vierge » est entendu au sens de « chair-
vierge » : v. g. saint Jérôme, Adu. Jouin., i, 13 (Migne, XXIII, 242).
7. Platon plaçait l'àxfjiTi à vingt ans (Rep. 460 E). Le grec profane disait
208 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
vénients d'ordre moral pour lui-même ou péril de séduction pour sa
fille ^ — il est libre de le faire. Sinon, qu'il la garde vierge, la virgi-
nité étant en soi préférable. La solution se rattache aux principes
fondamentaux de saint Paul dans la question sexuelle 2.
Elle semble attribuer au père une autorité despotique qui ferait
abstraction des préférences personnelles de la jeune fille. A dire
vrai, les jeunes filles n'étaient guère consultées dans l'antiquité
gréco-romaine ! Mais qu'on y regarde de plus près. Saint Paul est
trop fin connaisseur des âmes pour outrager la liberté intime du
choix virginal. Au verset 36, il dit « qu'ils se marient ». Qui donc,
ils? Évidemment, la jeune fille, et le jeune homme qu'elle rêve pour
époux. Le père suspendait son consentement à ce jeune amour.
Paul l'invite à l'octroyer, du moment que des motifs sérieux l'y
engagent, et parmi ces motifs le désir de la jeune fille n'est pas
oublié.
On voit combien peu sûre est la thèse d'Achelis et de Jùlicher, en
tant qu'elle rattache à l'enseignement de saint Paul les premières
manifestations et légitimations du « mariage spirituel ». Il est fort
vraisemblable que saint Palil ne vise nullement un fait de cette
sorte et qu'il règle l'exercice de l'autorité paternelle en un cas que la
conscience timorée de quelque père de famille corinthien avait jugé
litigieux. '
Qu'il y ait eu, de bonne heure, des exemples isolés d'unions spi-
rituelles; qu'un certain goût d'ascétisme, une recherche de mortifi-
cation plus raffinée aient pu favoriser ces expériences périlleuses, je
ne voudrais pas le nier, encore que les preuves explicites fassent
défaut. Ce que je conteste, c'est que l'Église ait jamais encouragé,
réglementé cette forme bizarre d'héroïsme, acceptant que les fidèles
s'exposassent à une tentation quotidiennement renouvelée pour la
gloire incertaine d'en triompher quotidiennement.
Je dirai avec quelle rudesse les initiatives siipilaires furent prohi-
bées dès le III'' siècle par les plus qualifiés de ses porte-parole, sans
qu'un seul mot laisse entendre au cours de ces polémiques qu'ils
veuillent couper court à un usage longtemps reçu, consacré, et dont
l'expérience ait enfin décelé les inconvénients.
Mais il faut d'abord examiner quelques documents où l'on a voulu
voir des vestiges de cette pratique et du crédit dont elle aurait joui
au sein des églises avant que se marquât l'inévitable réaction.
itapaxfidtÇEtv (Xénophon, Memor., IV, iv, 23), TrapaxjjLadTtxô; (Galien, vi, 123)
pour exprimer l'idée rendue ici par ÛTt£pax(io;.
1. 'A(r-//)|jLoveîv comporte ce double sens.
2. Cf. P. de Labriolle, la Crise montanisle. Paris, 1913, p. 374.
LE « MARIAGE SPIBITL'EL » DANS l'aNTIQUITÉ CHRÉTIENNE. 209
II-
Nous rencontrons dans le Pasteur d'Hermas^ vers le milieu du
second siècle, un passage où Ernest Renan subodorait, non sans
raison, « un parfum de chasteté un peu maladive ». Ce texte se
trouve dans la partie du livre intitulée les Similitudes (IX, x et
suiv.).
L'Ange de la Pénitence, le Pasteur* a transporté Hermas en
Arcadie, sur le sommet d'une montagne d'où il découvre une large
plaine limitée par douze autres montagnes d'aspect divers. Au
centre de la plaine se dresse un grand rocher blanc, de forme qua-
drangulaire, « assez vaste pour contenir le monde entier ». Les
flancs de ce rocher sont creusés d'une porte auprès de laquelle
se tiennent douze vierges d'une grande beauté, habillées d'une
tunique de lin serrée par une ceinture, et « pleines de gaieté et d'en-
train ». Ces vierges aident six hommes, sous lesquels travaillent
une multitude d'ouvriers, à construire une tour au sommet du
rocher. Les pierres qui n'ont point passé par leurs mains virginales
dérangent l'ordonnance de la tour et elles en sont retirées sur
l'ordre des six hommes qui dirigent la construction. La lâche est
interrompue momentanément et la tour, encore inachevée, reste
sous la garde des vierges. Quelques jours plus tard, un homme de
taille colossale arrive, accompagné d'une troupe nombreuse. Il exa-
mine l'édifice et en rectifie certains détails.
Hermas supphe le Pasteur de lui expliquer le sens de tous ces
gestes mystérieux. Le Pasteur lui promet de déférer à son désir :
provisoirement, il le laisse, en le recommandant aux vierges. Her-
mas dépeint celles-ci, pleines d'aimable empressement à son égard.
Comme il songe à partir vers le soir, elles l'en dissuadent gracieu-
sement : Tu dormiras avec nous comme un frère, non comme
un époux, me répondirent-elles. Tu es, en effet, notre frère :
désormais nous habiterons avec toi, car nous t'aimons très
fort. Hermas rougit à cette idée. Mais celle qui parait commander
à ses compagnes le prend dans ses bras, lui donne des baisers. Les
autres font de même. Plein de joie, tout rajeuni, Hermas partage
leurs jeux et leurs danses. La nuit tombée, elles étendent à terre
leurs tuniques, font reposer Hermas au milieu d'elles et les heures
s'écoulent ainsi jusqu'à laube naissante.
Il n'est point aisé de tirer de ce morceau singulier des conclu-
sions fermes au point de vue historique. Le genre « apocalyp-
tique » auquel le Pasteur se rattache comportait ou môme requé-
Rev. Histor. CXXXVH. 2" fa.sc. 14 •
210 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
rait une imprécision dont les critiques avides de données exactes
s'évertuent à percer le nuage. Le style imagé et mou du bon Her-
mas, avec ses allégories et ses symboles, se prête moins qu'aucun
autre à l'analyse. Ce qui est sûr, c'est qu'Hermas s'attarde à rêver
un peu langoureusement autour de cette cohabitation qui n'exclut
pas une gaieté douce ni même de tendres familiarités, mais qui se
préserve par la prière de tout ce qui en altérerait l'innocence. Cette
demi-complaisance d'imagination dissimule-t-elle une tentative apo-
logétique au bénéfice du mariage spirituel? Je ne le pense pas. Com-
ment comparer à une alliance durable la bonne fortune mystique à
laquelle Hermas hésite, de son aveu même, à s'abandonner et dont
la chaste douceur n'aura pas de lendemain? Promouvoir les
pécheurs vers la rénovation dont ils ont besoin, clamer le devoir de
la pénitence, lequel s'impose d'une façon d'autant plus impérieuse
que l'univers n'en a plus pour longtemps, c'est là tout le dessein du
Pasteur, et avec ce dessein ne cadre guère la recommandation d'une
vie à deux, même épurée de tout vil commerce.
Quelques rares allusions, qui remontent également au ii'' siècle,
décèlent les premières défiances de l'Eghse à l'égard des couples
ainsi associés. Saint Irénée, là où il s'attache à stigmatiser l'immor-
ralité des « Gnostiques » , remarque que des scandales publics ont
discrédité ces essais dangereux : « D'autres », écrit-il, « ayant fait
semblant, d'une façon tout à fait sérieuse au début, d'habiter avec
des sœurs (wç [Asxà àâsXçwv TrpoaTioioûiJLevot auvoixetv), ont été pris en
faute à la longue, la « sœur » étant devenue enceinte des œuvres du
« frère » ^ .
De Tertullien devenu montaniste, on attendrait plus d'indulgence
si l'on songe au rôle que les femmes jouaient dans la secte, à l'ar-
deur que Priscilla et Maximilla, les acolytes de Mon tan, avaient
dépensée pour répandre les ^oracles du « Paraclet ». Il n'y condes-
cend guère, si l'on en juge par un trait qu'Achelis n'a pas relevé.
Cette allusion, d'une rare insolence, est bien dans le ton du de
leiunio^, où le vieux jouteur s'attarde à représenter les catholiques
rétifs aux jeûnes montanistes comme des goinfres chez qui la gour-
mandise se mue inévitablement en lasciveté :
Tu t'es fait de ton ventre un dieu, de tes viscères un temple, de ta
panse un autel. Ton prêtre, c'est ton cuisinier; ton Saint-Esprit, c'est
la fumée des plats ; tes charismes, ce sont tes ragoûts, et ta prophétie,
1. Adv. Haer., I, vi, 3 (Migne, P. G., VII, 507).
2. De ieiiinio.'xvu (Reiflercheid, p. 296).
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DANS l'aNTIQUITÉ CBRÉTIENNE. 21 i
ce sont tes hoquets d'homme repu. Ton agape' bouillonne dans la
marmite; ta foi chautîe dans tes cuisines, ton espérance réside au fond
des plats. Et ce qui donne encore plus d'attrait à cette agape, c'est
qu'elle fournit à tes jeunes gens l'occasion de coucher avec leurs
sœurs. Eh! sans doute! La débauche et la luxure ne sont-elles pas
les suites naturelles de l'intempérance?
Adulescentes fui cum sororibus dormiunt. Ce mot soror
ferait penser d'abord que Tertullien vise à ridiculiser certaines
unions que les catholiques auraient été disposés à croire innocentes.
Mais il est possible aussi qu'oublieux du tableau si émouvant de
fendre pureté qu'il avait tracé de l'agape chrétienne dans son Apolo'
geticus (§ 39), il tire simplement parti de quelque esclandre récent
auquel ces repas fraternels avaient donné lieu, tout de même que
dans le De Monogar>iia il n'hésite pas à rappeler une triste affaire
de mœurs à laquelle avait été mêlé, paraît-il, l'évèque d'Uthina, une
colonie romaine d'Afrique.
En tous cas, son montanisme ne l'a induit à aucune complai-
sance pour l'union spirituelle, que la secte ne préconisait nulle-
ment*. Achelis a eu la naïveté de prendre au sens propre une de ses
métaphores dans le De Exhortatione Castitatis^. S'adressantà un
veuf pour le dissuader de se remarier, Tertullien lui démontre que
les soins du ménage ne -sont point d'une telle importance qu'il ne
puisse s'en tirer à soi seul. La tâche lui paraît-elle trop lourde,
alors, lui conseille-t-il, « prends une épouse spirituelle. Parmi
les veuves, choisis-en une qui soit belle de sa foi, riche de sa pau-
vreté et que l'âge' ait marquée déjà. Voilà un bon mariage! Des
épouses comme celles-là, on peut en avoir même plusieurs sans
déplaire à Dieu"*. » Cela revient à dire : prends une ménagère d'âge
canonique, prends-en deux, trois, si tu veux; les difficultés de la
vie quotidienne seront ainsi résolues pour toi et ne pourront plus te
servir à masquer les raisons sournoisement voluptueuses qui t'ai-
guillonnent à te remarier.
Quoi de commun entre ces gouvernantes préposées à l'adminis-
tration de la maison et de véritables épouses, fussent-elles « spiri-
tuelles »?
1. 11 joue sur le mot (Kjupe, qui désignait à la fois la charité et l'agape au
sens chrétien.
2. Mgr Ladeuze paraît s'être mépris sur ce point {Hev. d'hisl. eccl., 1905,
p. 61). Voir aussi ce que Tertullien dit d'Apelle, De Praescr. Uaer., 30 (Œhler,
n, 27).
3. § 12 (Œhler, i, 753).
1. Expressions analogues dans le De Monngmnia, xvi (Qihicr. i,786).
212 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
III.
En somme, les' traces de l'union mystique sont très fugitives
durant les deux premiers siècles ; et il paraît impossible de démon-
trer que l'Eglise Tait envisagée avec sympathie.
Dès le iii^ siècle, elle se répand dans toutes les parties du monde
chrétien, en dépit des admonestations de l'autorité ecclésiastique,
auxquelles bientôt feront écho les canons des conciles.
C'est surtout dans les cercles ascétiques qu'elle est en honneur :
des couples se forment entre « frères » et « sœurs », qui ont fait
profession de virginité sans abandonner d'ailleurs la vie séculière
(le monachisme n'est pas encore né). On habite la même maison; on
partage la même chambre ; on se rend tous les services que requiert
la vie en commun ; et il est entendu que cette intimité presque com-
plète respectera les limites fixées conventionneliement au début.
Achelis a réuni une longue série de documents qui signalent
pareil abus en Espagne comme en Syrie, en Perse comme en Gaule,
à Carthage comme à Constantinople. Sans doute faut-il passer au
crible toute cette érudition. Ainsi Achelis fait état du cas d'Origène
qui, d'après une donnée de VHistoire Lausiaque (§ 64), aurait
trouvé abri durant une persécution chez une vierge chrétienne
nommée Juhana, à Césarée de Cappadoce : « L'honorable M. Ache-
lis, qui a été étudiant », objecte spirituellement Mgr P. Batifîol ', « a
peut-être demeuré chez quelque respectable vieille demoiselle, sans
mériter d'être soupçonné de mariage blanc ou de libertinage! »
Aussi peu significative est l'histoire de saint Athanase. habitant
durant six ans sous le toit d'une vierge pour se dérober aux sévices
de ses ennemis.
Le reliquat des textes pertinents est considérable et il serait aisé
de le grossir^. On y voit l'ampleur du scandale et la sévérité avec
laquelle il fut jugé.
Un des premiers témoignages de cette rigueur, c'est chez saint
Cyprien que nous le relevons. Dans la lettre IV, l'évêque de Carthage
administre une consultation fort délicate à un certain Pomponius
(peut-être l'évêque de Dionysiana, en Byzacène). Il s'agissait de
vierges peu sages qui, quoique s'étant obligées à demeurer en leur
1. Revue biblique, 1903, p. 317.
■ 2. Achelis a omis : saint Arabroise, Èp. v, 20 {P. L., XVI, 936); Amphilo-
chius contra Ps.-Ascetas, p. 69 (Ficker. Amphilochiana, Leipzig, 1906);
Ps. -Basile^ Uom. de contubem. {P. G., XXX, 811); Ps.-Chrysostonie, Quod
ascetoe facetiis uti non debent {P. G., XL VIII, 1055 et suiv.). Voir aussi p. 225,
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DANS l'aNTIQUITÉ CHRÉTIENNE. 213
état, avaient vécu dans la plus étroite familiarité avec des chrétiens
(parmi lesquels un diacre) et soutenaient qu'il ne leur était rien
arrivé de fâcheux.
Il n'est pas commode de suivre Oyprien dans tous les détails de
son admonestation. C'est un fait que l'hostilité des polémistes chré-
tiens primitifs contre l'immoralité sous toutes- ses formes, loin de
leur imposer une particulière réserve de langage, les incitait, au con-
traire, aux évocations les plus directes, comme pour arracher les der-
niers voiles aux turpitudes qu'ils voulaient faire haïr. L'ombrageuse
pudeur de la foi évangéhque a longtemps traduit sans pruderie
aucune ses indignations et ses dégoûts. Cette intempérance verbale
n'est plus dans nos habitudes. Elle s'est adoucie toujours davantage
à mesure que s'affinait au cours des siècles la vie de société. De là
l'étonnement et quelquefois l'embarras du lecteur moderne en face
de la rude franchise des premiers écrits chrétiens.
Cyprien pose en principe que les clercs et laïcs doivent s'opposer
absolument à ce que les vierges cohabitent avec des hommes, non
dico simul dormire, sed nec simul vivere*. Il en a vu avec
douleur un très grand nombre se perdre par ces liaisons illicites. Si
elles ne peuvent persévérer dans le don d'elles-mêmes qu'elles ont
fait au Christ, mieux vaut encore qu'elles se marient que de trou-
bler la foi de leurs frères. Cyprien réfute ensuite leurs vaines
excuses avec une précision, une crudité toutes médicales; et il note
qu'à soi seule la coniacentium duorum turpis et foeda. dormi-
tio est une honte, un crime, dont le Christ ne peut que s'indigner.
Il applaudit donc à la sage énergie avec laquelle Pomponius a
retranché de la communion le diacre et les laïcs coupables. Quant
aux vierges, si l'examen des matrones expertes les révèle intactes,
elles pourront rentrer dans TEglise, après une semonce sérieuse et
changement complet de vie. Dans le cas contraire, elles devront
passer par le cycle de la pénitence. Les obstinés, qui refuseront de
se séparer de leur conjoint, seront avertis que plus jamais ils- ne
pourront être admis dans l'Eglise.
La lettre XIII''' déplore l'attitude de certains « confesseurs » qui
gâtent la gloire qu'ils se sont acquise par leur courage, en faisant
preuve d'un fâcheux esprit d'orgueil et d'acrimonie. Et même,
ajoute Cyprien, « nous avons appris non sans une profonde dou-
leur qu'il n'en manque point qui souillent le temple de Dieu et des
membres sanctifiés, illustrés du fait de la confession, par un con-
cubinage honteux et infâme, en partageant leur lit avec des
1. Éd. Harlcl, p. 472, 1. 22.
2. ^ 5 (Hartel, p. 507). Coinp, Ep. xiv, 3 (Hartel, p. 512, 1. 8).
214 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
femmes. Leur conscience restât-elle pure du stupre, ce serait déjà
un crime que de préparer par un tel scandale la ruine de son pro-
chain. »
C'est vers 250 que saint Cyprien rédigeait ces mercuriales impi-
toyables, dont l'inflexibilité même s'expliquerait mal — j'insiste sur
ce point — s'il ne s'agissait que de survivances d'un ancien usage
longtemps agréé.
Quelques années plus tard, en 267-268, un des griefs formulés
contre Paul de Samosate par les évêques orientaux, dans leur lettre
collective à Denys de Rome et Maxime d'Alexandrie ' , était celui-ci :
Paul s'était ôté tout droit de réprimer les écarts de son clergé en
donnant lui-même de détestables exemples :
Comment, en effet, pourrait-il reprendre autrui ou l'avertir de ne pas
en venir à cohabiter désormais avec une femme et de se garder ainsi
de tomber selon qu'il est écrit, lui qui en a bien renvoyé une, mais
qui en a avec lui deux autres dans la fleur de l'âge et d'un aspect
séduisant?..
Cette même lettre nous apprend que les habitants d'Antioche
appelaient ces compagnes irrégulières les^uvaixeçauveiffaxToi^. L'ex-
pression devint courante dans la langue grecque ultérieure ; le troi-
sième concile de Nicée devait lui donner en 325 une consécration
quasi officielle. Les Latins la transportèrent plus tard sous la forme
suhintî^oductae. Achelis déclare que ce mot apparaît pour la pre-
mière fois dans la traduction des canons de Nicée par Denys le
Petit^. En fait, on le rencontre déjà au début du v** siècle, en 419,
dans la traduction de ces mêmes canons par Atticus de Conslanti-
nople"*.
La préoccupation que causait alors aux églises et aux âmes sou-
cieuses de sévère discipline morale la diffusion de ces désordres se
trahit dans un opuscule syriaque faussement attribué à Clément de
Rome et qui dut être composé au m'' siècle, en Palestine ou en
Syrie. L'auteur, qui n'est pas un évêque, mais une personnalité de
quelque relief, s'adresse à un cercle d'ascètes. Il relève les mauvais
bruits qui courent sur certains imprudents « qui sub pietatis prae-
1. Ap. Eusèbe, Hist. eccl., VII, xxx, 14 (trad. Grapin, II, 393).
2. g 12 (de CTuveio-àysiv, introduire. L'infinitif est employé au § 14). On ren-
contre aussi ÈTTeîffaxTo; dans des lois impériales {Nouvelle 123, c. 29, Photius).
3. Migne, Pair. laL, LXVII, 147 D.
4. Migne, P. l., LXXXIV, 221 A; Mansi, iv, 409 E; Turner, Eccl. occid.
monumenta iuris anliquù.sima, fasc. I, pars 2, Oxford, 1904. Saint Jérôme
(Ép. XXII, 24) emploie un autre sobriquet, agapelae, « les chéries », calqué
sur le grec àyaTiyjTaî (cf. Pair, gr., XXVIII, 1640 B, etc.).
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DANS LANTIQDITÉ CHUÉTIEIVIVE. 215
texlu cum virginibus in eadem domo habitant',.. ». Il les avertit
que cette façon d'agir « Christianos et viros religiosos prorsus
dedecet ». D'autres encore assistent avec les vierges consacrées à
des festins fort licencieux; ou bien ils les visitent, sous couleur de
les exorciser, de leur lire l'Écriture, de les instruire. Le Christ a
condamné ces dangereux otiosi^. Le premier article d'une conduite
bien réglée, c'est de ne point habiter avec les vierges, de ne manger,
ni de boire, ni de se coucher là où elles couchent, boivent et
mangent. Pour nous, ajoute-t-il, omnino non dormimus ubi
somnum capit puella innupta aut Deo sacrata; et ne per-
noctamus quidem. ibideyn, si haec sit sola, quanqudm in alio
loco. Le conseil revient d'un bout à l'autre de la lettre^ : on sent
que l'auteur en est obsédé.
Quand saint Jérôme entra en lice à son tour, ce fut avec son par-
fait dédain des circonlocutions et sa vigueur grondeuse digne de
Juvénal. On notera que c'est à une jeune fdle de dix-huit ans que
ces propos s'adressent '' . La discrétion dans le langage est, je l'ai dit,
une précaution de date fort récente, dont les Pères se sont, en géné-
ral, fort peu souciés.
Je rougis d'aborder ce sujet. 0 sacrilège! cela est déplorable, mais
cela est vrai. D'où s'est introduit dans les églises ce fléau des agapètes.
D'où viennent, sans qu'il y ait mariage, ces époux d'un nouveau
genre? Ou plutôt d'où vient cette nouvelle espèce de concubines?
Disons mieux : d'où viennent ces courtisanes qui se réservent à
un seul? La" même maison, la même chambre, souvent le même lit
les reçoit, et l'on nous traite de mauvaises langues si cela nous donne
à penser. Le frère abandonne sa sœur vierge ; la vierge dédaigne son
frère qui vit dans le célibat, et, feignant l'un et l'autre d'embrasser
un même genre de vie, ils cherchent une consolation spirituelle chez
autrui, pour se ménager à domicile le commerce charnel. Ce sont
ceux-là que Dieu condamne dans les Proverbes de Salomon, quand
il dit : « Quelqu'un peut-il cacher le feu dans son sein sans que ses
vêtements s'enflamment? Marche-t-on sur des charbons ardents sans
se brûler les pieds?..
Dans la lettre CXVIP, il inflige une semonce bien sentie à une
mère gauloise et à sa fille qui se sont séparées l'une de l'autre et
1. De Virginitate, I, x (Funk-Diekamp, II, p. 17).
% II, I, 2 (Funk-D., II, p. 29).
3. Il, 3; 5; m, 2; iv, 3; v, 1; vu, 2; ix, 2; x, 3; xiv, 1; xv, 4.
4. Ep. xxn, 14, ad Eustochium (Hilberg, Corp. scr. ceci, lat., LIV, [1910,]
p. 161).
5. P. L., XXII, 956; Hilberg, Corp. scr. ceci. Int., LV, 422.
"216 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
qui, soit pour égayer leur solitude, soit pour mieux gérer leur for-
tune, se sont adjoint des clercs comme praesules. C'est surtout à
la fille qu'il s'en prend. Pourquoi s'est-elle ainsi attachée à un
homme? Si elle n'est plus vierge, que ne se marie- t-elle^ ? — Mais
c'est un si saint personnage! — Alors, pourquoi la tient-il séparée
de sa mère veuve, de son frère moine? Non superat sumorem
matris et fratris, nisi solus uxoris affectus. Pourquoi accepte-
t-elled'un clerc tant de services risibles^? Le seul parti raisonnable,
c'est de se séparer de lui, ne maledici homines sub uno tectulo
vos manentes lectulum quoque criminentur habere commu-
nem.
IV.
Il serait oiseux d'énumérer tous les polémistes chrétiens qui ont
traité la question des subintroductae ou de passer en revue les
faits particuliers dont ils se prévalent. Ce qui peut, en revanche,
offrir un réel intérêt, de l'ordre historique et psychologique, c'est de
connaître les arguments par lesquels essayaient de se justifier les
pseudo-époux de ce ■^d\).oq ày(X[)/iq — comme disait saint Grégoire de
Naziance, fin lettré, expert aux réminiscences classiques^ — ainsi
que les rétorquations de leurs adversaires.
Je choisis d'une part le De Singularitate clericorum, d'autre
part les deux opuscules de saint Jean Chrysostome Ilpbç xoùç exovxaç
TiapOévouç auv£taâ/,Touç et ïlepl toO tàç xavovt/.àç [j.r) duvoaetv àvûpâdi.
Ces ouvrages sont de valeur bien différente. Ceux de saint Jean
Chrysostome respirent la délicatesse d'une âme fine et vraiment
religieuse qui, sans humilier ceux qu'elle voit errer, ne cherche
qu'à les remettre, avec compassion, mais aussi avec fermeté, dans
la droite voie. Le De Singularitate clericorum* est d'une rhéto-
rique assez banale. On n'en connaît pas l'auteur. C'est certaine-
ment un évêque^, et, semble- t-il, un évêque préposé à une com-
munauté schismatique^. Sa lettre s'adresse spécialement aux clercs
(tandis que Chrysostome vise des hommes qui font simplement pro-
fession d'ascétisme et des vierges qui se sont liées par des vœux).
Les femmes avec qui vivent ces clercs ne sont pas des servantes,
comme le prétend Harnack^ : elles ont pris, elles aussi, des enga-
1. Hilberg, p. 425, 1. 13.
2. P. 430, 22 et suiv.
3. (îf.. Sophocle, Œdipe roi, 1214; Euripide, Hélène, 690.
4. Ce titre signifie : « Du devoir qu'ont les clercs de vivre seuls. »
5. Operu Cyprinni, éd. Hartel, p. 173, 5-10; 174, 4-12; 219, 6.
6. Cf. g 1 (Hartel, p. 174, 7) et § 34 (p. 210, 6).
7. Texte u. Untersuchungen, N. F., IX, 35. *
LE « MARIAGE SPIUITUEL » DANS l'aNTIQDITK CUKE'tIÉÎVINE. 217
gements vis-à-vis de Dieu' et leurs associés parlent d'elles avec
respecta Volontiers placerais-je dans la seconde moitié du m* siècle^
cette instruction pastorale, où abondent les indications précieuses
pour le présent débat.
La plus valable excuse des couples incriminés était tirée des
nécessités de la vie pratique : besoin pour l'homme de la présence
d'une femme, qui tienne la maison, la surveille quand il est absent,
règle les détails du ménage^; besoin pour la femme de la présence
d'un homme sur qui sa faiblesse puisse s'appuyer ^ L'apôtre Paul
n'avait-il pas dit : « Portez-vous vos fardeaux les uns des autres,
et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ*. »
Mais ce « fardeau » pour lequel l'apôtre avait recommandé de
s'aider réciproquement n'était-il pas aussi celui des âmes, le faix
intime qui pesé sur chaque créature dans le secret d'elle-même et
qu'il est si bon de pouvoir partager avec un cœur ami? On voit que
les « unis » faisaient appel à cette caritas, à cette dilectio dont
saint Paul avait tant de fois vanté la vertu merveilleuse''.
Que le voisinage constant d'une femme exposât son conjoint à des
tentations, quelques-uns n'osaient le contester, mais de ce péril
même ils prétendaient tirer de plus méritoires occasions de lutter
contre soi et de refréner leur propre concupiscence dans un cotidia-
nus triumphus pro castitate^. On eût dit que leur virtuosité
d'ascète n'était pas contente à moins : Habere volo qi(4)d vincam,
disaient-ils... Captivum teneo adversarium meum cui semper
insultem^.
D'autres, soit qu'ils voulussent s'épargner l'aveu de leurs luttes
clandestines, soit que cette prétention d'affronter les pièges démo-
niaques leur parût d'une crànerie trop paradoxale, remarquaient
non sans aigreui- que, s'il y avait si grand péril à mettre ensemble
des hommes et des femmes, on devrait aller jusqu'à interdire les
réunions du culte, puisque les sexes y sont mêlés'".
1. g 16 (Hartel, 191, 1. 20).
2. U 32 et 44.
3. La façon dont l'auteur parle du martyre et dont H suppose qu'en parlent
les clercs qu'il endoctrine ne permet pas d'en reculer la date de composition
jusqu'au iv siècle, comme le veut Harnack (cf. i 34; Hartel, p. 210; le ^ 4
[p. 177, 27] est moins probant).
4. npo; Touç..., g IX.
5. riipl Toù..., 2 IV : àiOevir); ï(|j.i, yrioi, xai ywr\, xa.\ où"/ txavVl (iôvy; xat;
•/petan; àpxéirai xaî; itiayrij;.
6. Gnl., VI, 2.
7. De SingriL, xxix-.\xxii (Hartel, p. 205).
8. P. 183, 1. 24.
9. De SinguL, g xviii.
10. De SinguL, xiii.
218 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
On s'autorisait aussi d'exemples scripturaires. Hélie n'avait-il pas
logé chez une veuve? Les apôtres ne se laissaient-ils pas accompa-
gner par des « sœurs ^ » ? Saint Jean n'avait-il pas reçu de Jésus
expirant la mission de protéger Marie? Jésus lui-même n'acceptait-il
pas d'être nourri par de pieuses femmes? N'avait-il pas souffert
que Marthe le servît, qu'une pécheresse lui essuyât les pieds de ses
cheveux dénoués? Pourquoi tant de méfiance, là où les grands
ancêtres de la foi, où le Seigneur lui-même, avaient montré tant de
franche et libre largeur d'âme ^? — Que si quelques timides pre-
naient ombrage de ces intimités innocentes, fallait-il donc condes-
cendre à leurs pusillanimités au lieu de se hausser aux saintes har-
diesses recommandées par saint Paul? Qu'importait l'opinion d'au-
trui? Si hominibus placere vellem, avait déclaré l'Apôtre^,
Christi servus non essem. Ces calomniateurs feraient mieux de
méditer aussi cette autre parole de l'épître aux Romains : Tu quis
es ut de servo alieno iudices*?
Telles étaient les allégations, \e& sanctitatis ccrgumenta — argu-
ments de spécieuse sainteté, selon l'estimation du rigoureux auteur
du De Singularitate cleriGorum^ — par où les délinquants
essayaient de pallier leur désir passionné de conserver à tout prix
la compagne dont la présence leur était un si cher' besoin. L'an-
goisse d'âme — de chair peut-être chez quelques-uns — qui perce
sous cette dialectique maladroite, le besoin de féminité qui s'y tra-
hit, a quelque chose de si poignant que nous nous sentons tout
prêts à nous attendrir sur la détresse de ces ascètes fourvoyés.
A dire vrai, les ripostes de leurs adversaires — j'ai choisi, je l'ai
dit, les deux polémistes qui m'ont paru les plus représentatifs — ne
laissent rien paraître de ce genre d'apitoiement. Plus âpres chez
l'évêque schismatique, plus modérées de ton chez Tillustre orateur
catholique, elles réfutent inexorablement ces sophismes enfantins et
ne veulent point prendre au sérieux ces indignations anxieuses.
Elles ne leur permettent pas, comme eût dit Salluste, de changer le
véritable nom des choses.
« Votre entêtement », leur objectent en substance saint Jean
Chrysostome et l'anonyme du De Singularitate, « éveille les suspi-
cions les plus légitimes; et voici pourquoi. Les exemples d'ascétisme
authentique sont assez fréquents de nos jours pour qu'on puisse se
rendre compte du prix qu'il faut mettre quand on tient à persévérer
1. Cf. / Cor., IX, 5.
2. De SinguL, g xx.
3. Gai., I, 10. Cf. De Singul., g vm et xii (p. 187).
4. Rom., XIV, 4. Ibid., g xxxvi (p. 211, 1. 26).
5. g XIX (p. 194, 1. 15).
LE « MARIAGE SPIRITCEL » DANS l'aNTIQOITÉ CHRÉTIENIVE. 219
dans une résolution aussi difficile. Des époux chrétiens décident-ils
d'observer la continence? Presque toujours ils se séparent pour
éviter Virritâtio praesentiae*. Ceux qui, non mariés, se décident
à une vie vraiment mortifiée acceptent souvent de se retirer au
désert, de passer leurs jours sous le sac, dans les jeûnes, dans les
veilles: ils interdisent absolument aux femmes l'entrée de leur misé-
rable abri; malgré ces précautions, c'est à peine s'ils réussissent
à calmer la fièvre de leurs sens. Voilà les précautions dont s'en-
tourent ceux qui veulent véritablement soutenir jusqu'au bout leur
sacrifice une fois commencé.
« Vous prétendez nous faire croire que vous maintenez strictement
vos engagements ascétiques à travers toutes les occasions mal-
saines de la contubernalitas^. Alors que les gens sincères avouent
que les statues, les tableaux même ne sont pas sans produire sur
eux quelque impression^, vous, vous resteriez de glace auprès
d'une jeune femme avec qui vous prenez vos repas, qui cause, rit,
chante, pleure, qui vit enfin de votre vie, et le jour et la nuit*?
En fait, cette prétendue invulnérabilité est un leurre. Ce qui le
prouve, c'est votre obstination même à conserver vos compagnes,
coûte que coûte. La femme est en soi si dommageable à l'homme
par les tracas qu'elle lui cause, par les scènes qu'elle lui fait, par les
préoccupations dont elle est la source, que jamais l'homme n'accep-
terait la vie en commun si Dieu n'avait armé la femme d'une force
secrète qui le fait passer sur tant d'ennuis^. C'est Vepmq. c'est le
TcéBoç — la passion, le désir — qui rendent l'homme si patient.
A cette loi de séduction, vous-mêmes vous n'échappez pas. Vous y
êtes même bien plus fortement asservis que les ménages réguliers.
Oui, l'rjoovY), ferment de l'union conjugale, est plus vive dans vos
liaisons illicites que dans le mariage méitie. Entre gens mariés, le
désir, par le fait qu'il se satisfait comme il veut, s'émousse assez
vite; puis les enfants surviennent; les fatigues de la grossesse et de
leducation éteignent chez l'épouse l'éclat de la jeunesse; aux pre-
mières ardeurs conjugales succède une paisible amitié. Mais vos
subintroductae, à qui sont épargnées les inquiétudes des mères
de famille, conservent bien plus longtemps en sa fleur l'agrément de
leur personne. Chez vous, l'élan naturel n'est donc point amorti
par le déclin de charmes à qui la vie est plus clémente^.
1. De Singul., xxxi.
2. Ibid., X (p. 185).
3. Ilpà; TO"j;..., ^ v : ôti iroXXoi xai upoî iyi\[ia.-ca. xai Xî6ou; enaÔôv Tt.
4. Ibid., x; IIpô; toûç..., g m; ri£p\ toù..., 'i viii.
h. Tlpô; TO'j;..., 2 v : on oiBûi av IXoito xùtÎ) <Tuvoiy.>)Tai xaôapeyojv èniB'Jiiîa;.
6. Ibid., 1.
220 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
« Comment croire que vous restiez insensibles à toutes ces sug-
gestions troubles, quand on vous voit accepter le ridicule dont votre
servitude même, vos courses absurdes à travers les boutiques de
corsets, de quenouilles, de parfums et d'étoffes, vous affublent aux
yeux de tous^ ; le mépris inavoué de celles à qui vous rendez ces
offices*; pis encore, la dérision des juifs, des païens, le déshonneur
de toute l'Église-^? A qui persuaderez-vous que quelques avantages
ou commodités matérielles suffisent à vous faire supporter tout
cela, alors qu'il serait si simple, ne pouvant vous suffire à vous-
mêmes, de prendre avec vous un frère au lieu d'une sœur (et réci-
proquement pour vos amies ■*).
« Au fond de tout ce commerce, sous prétexte d'aide mutuelle et
de consolation réciproque^, se dissimule un attrait qui n'a rien de
commun avec la « charité » que célébrait l'apôtre. Cette continen-
tia criminosa, cette sanctimonia infamis est pire, en un sens,
que la moechia elle-même^. C'est une gageure sournoise que vous
pouvez prolonger, mais que vous êtes sûrs de perdre^ ; un supplice
de Tantale auquel Tantale lui-même prendrait goût, soupçonnant
que la xoôouixévY] ne restera pas toujours inaccessible à son étreinte®.
Mieux vaut la corruption cynique de la fille qui attire, satisfait, puis
renvoie son client, que cette pureté perverse où l'âme se salit. Que
ne vous êtes-vous mariés? Le mariage, ni Dieu ne le condamne,
ni les hommes ne le blâment. Mais cette vie de tentations à moitié
consenties, de demi-défaites, de chutes plus ou moins profondes,
quelquefois irrémédiables, est la honte de la pseudo-virginité qui en
accepte l'équivoque'. »
Inflexible réquisitoire! Saint Jean Chrysostome lui-même, tout
en déclarant qu'il est personnellement disposé à croire à l'innocence
des cuveiuax.Toi et de leurs protecteurs, répète qu'il lui parait impos-
sible de faire partager à autrui cette disposition bienveillante, tant
les apparences sont contre eux"*. Son grand grief, c'est qu'ils
oublient égoïstement le respect dû aux âmes, le devoir de ne pas
1. Ilep'i Toû..., g VI ; IIpoç toijç..., g ix.
2. Ilept Toù..., § VI ; IIpôç io\>ç, § xi.
3. npèç To-jç..., g XIII. Cf. De singuL, viii; xxxiv (pro iinius feminae amore
culpari totam Ecclesiam [patilur]).
4. De Singul., xix; Ilpoç xoyç..., g vi; IlepV toO..., g iv.
5. Alterutra solacia : De Singtil., xix (p. 194, 12).
6. Ibid., VII (p. 180, 26).
7. g II.
8. Ilpo; Toûç..., § II.
9. Ibid., g II. Cf. riepi toO..., g m et ix.
10. Ilepi ToO..., g v.
LE « MARIAGE SPIRITDEL » DANS l'aNTIQUITÉ CHRe'tIENNE. 221
prêter le flanc à la critique, fût-elle injuste, si celte critique lèse les
intérêts majeurs de la foi. « Dieu veut que nous soyons une
lumière, un ferment. Avec tout le prestige d'une vie irréprochable,
nous avons déjà bien de la peine à convertir les pécheurs. Que
sera-ce si, par nos défaillances de conduite, nous donnons prise à
leurs blâmes? Ne serons-nous pas responsables de leur chute^? »
Une défiance profonde à l'égard de la nature humaine, à qui l'on
ne permet aucune illusion sur son irrémédiable faiblesse, voilà le
sentiment sous-jacent à ces réprimandes. Ajoutons : une peur
extrême de la femme. Ah ! certes, on peut reprocher aux écrivains
d'Eglise des rudesses quelquefois mortifiantes à l'égard de la femme;
mais non pas d'avoir diminué la force de la fascination qu'elle
exerce! Aculeus peccati facfa est forma feminea... Sodalitas
mulierum. gluten est delictorum et viscwm toxicatum quo
diabolus aucupatur^. Quel charme ils lui prêtent et quel hom-
mage involontaire ils lui rendent, par les précautions mêmes dont ils
veulent qu'on s'arme contre elle!
L'état d'esprit qui respire dans les écrits que je viens de résumer
trouva de bonne heure une sorte de systématisation officielle dans
les décisions conciliaires, bientôt renforcées de dispositions impé-
riales, oîi furent déterminées, spécialement à l'égard des clercs, les
cohabitations légitimes. Déjà l'évêque à qui l'on doit le De Singu-
lavltate clericorum avait formulé à la fin de sa longue instruc-
tion, au § XLiv^, une règle précise, plus rigide encore que celle dont
se contenteront la plupart des conciles ultérieurs''.
Tout clerc, déclarait-il, qui a une mère, une fille, une sœur, une
épouse ou une proche parente, n'a besoin ni de servante ni d'étran-
gère. Autrement on dirait qu'il ne les garde que pour se procurer,
sous leur couvert, des femmes du dehors. Si elles ne peuvent se pas-
ser de l'aide des domestiques ou de la consolation d'amies, mieux
vaut qu'elles aillent demeurer ailleurs que de lui faire garder des
1. ripô; Toûç, g vu; g ix et xiii. Ilepl tôO..., g vi. De SinguL, vni.
2. Ibid., IV.
3. Hartel, p. 219, 1. 9.
'i. Voir cependant les Décrétâtes Gregorii IX, lib. III, titre II (éd. Richter-
Friedberg, Lipsiae, 1881, t. Il, p. 454). « Inliibenduni est et modis omnibus
inlerminanduni, ut nullus sacerdos feniinas, sicul et in canone inserlum con-
tinetur, de ((uibus suspicio potest esse, in domo sua retineat, sed neque illas,
quas canones concedufit, scilicet inatrem, amilani et sororem, quia instigante
diabolo et in illis .stelus fréquenter perpetratum reperitur, aut etiani in pedis-
sequis earundein. »
222 MÉLANGES ET UOCOMENTS.
personnes qui lui nuisent. Une femme, même insignifiante, même
vieille, ne doit pas être employée spécialement pour le service de la
maison. Car plus prompt est le péché, quand il y a chance qu'on ne
s'en doute pas ; et pour la passion il n'est rien de laid, rien de mépri-
sable, rien de vil, du moment que le diable emploie ses fictions à rendre
prestigieuses des créatures de laideur et de dégoût.
En général, les décisions synodales' se contentent de défendre
aux clercs, quelquefois même aux laïcs ^, de prendre avec eux des
étrangères, et elles énumèrent limitativement les personnes autori-
sées à vivre dans la maison cléricale : épouse^, sœur'', fille ^, mère®,
grand'mère'^, tante *^, belle-fille^, proche parente ^^, ou même toute
femme « échappant au soupçon^ ^ ». Des pénahtés sont plus d'une
fois prévues '2 contre les déUnquants, dont la ténacité se devine aux
renouvellements si fréquents de ces mesures coercitives.
1. 1° Concile d'Antioche, vers 267-8 (cf. Hefele-Leclercq, 1, i, 199); 2° Concile
d'Elvire, vers 300, can. 27 {ibid., I, i, 236); 3° Concile d'Ancyre, 314, can. 19
{ibid., I, I, 321); 4° Concile de Nicée, 325, can. 3 {ibid., I, i, 536); 5° Concile
de Carthage, 348, can. 3 (Mansi, III, 154) [noter les mots sub praetextu cari-
tatix et dileciionis] ; 6° Concile d'Hippone, 393, can. 20 (Hefele-Leclercq, II, i,
87); 7° 3' Concile de Carthage, 397, can. 17 (Mansi, III, 883); 8° 4' Concile de
Carthage, date douteuse, can. 46 (Hefele-Leclercq, II, i, 102) ; 9° Synode perse,
410 (J.-B. Chabot, Synod. Orientale, Paris, 1902, p. 464); 10° Concile d'Arles,
443, can. 3 (Hefele-Leclercq, II, i, 462); 11° Synode d'Acacius, 486 (Chabot,
p. 303-306); 12° Concile d'Agde, 506, can. 10 (Hefele-Leclercq, II, ii, 985);
13° Concile de Girone, en Espagne Tarrac, 517, can. 7 (Hefele-Leclercq, II,
II, 1029); 14° Concile de Lerida, 524, can. 15 {ibid., II, ii, 1066); 15° Concile
de Tolède, 531, can. 3 (II, ii, 1083): 16° 3' Concile d'Orléans, 538, can. 4 (II,
II, 4); 17° Concile de Tours, 567, can. 10 (III, i, 187); 18° Concile de Tolède,
581, can. 5 (HI, i, 225); 19° Concile de Séville, 590, can. 3 (III, i, 234);
20* Synode nestorien de 596 (Chabot, op. cit., p. 459); 21° Synode de 605
{ibid.); 22» 4« Concile de Tolède, 633, can. 42 (Hefele-Leclercq, III, i, 272);
23° Synode de Braga, 675, can. 4 (111, i, 315); 24° Concile de Nicée, 787,
can. 18 (III, II, 788) ; 25° Decretum Gratiani, Distinctio xxxu, surtout le
chap. XVI (éd. Richter-Friedberg, I, 116 et suiv., Lipsiae, 1879) et Distinc-
tio Lxxxi (p. 287 et suiv.).
2. Voir à la note précédente le n° 5.
3. N° 10 (sous réserve du vœu de chasteté).
4. N°' 2, 4, 7, 9, 12, 13, 15, 17, 22.
5. N" 2, 10, 12, 17, 22.
6. N°' 4, 7, 9, 10, 12, 13, 15, 17, 22.
7. N" 7, 3, 10.
8. N" 4, 7, 9, 22.
9. N* 7 (si les enfants se sont mariés après l'ordination).
10. N° 7, 15.
11. N" 4, 9.
12. N°' 5, 14, 18, 20, 22. — Les empereurs Honorius et Théodosc s'appro-
prièrent, le 8 mai 420, les décisions du Concile de Nicée {Cod. Theod., XVI,
LE « MAUIAGE SPIRITUEL » DANS LANTIQUITE CHRÉTIENNE. 223
Sous la sécheresse de certaines anecdotes, on devine d'étranges
drames d'àme, des désespoirs sentimentaux qui ne reculaient devant
aucune extrémité pour ne pas être frustrés de l'objet de leur attache-
ment. Un des accusateurs de saint Athanase, Léontius, soupçonné
d'avoir eu des rapports avec une jeune femme nommée Eùg-oXioç et
ayant reçu défense de la garder auprès de lui, n'hésita pas à prati-
quer sur lui-même, pour pouvoir rester avec elle (BiaipiSeiv jast'
aÙTTïç), la même opération qu'une interprétation trop stricte du ver-
set de saint Matthieu (xix, 12) avait jadis conseillée à Origène'. Il
n'en fut pas moins destitué de sa charge presbytérale.
En regard de ces complications « passionnelles », il faut placer la
rigidité des plus authentiques exemplaires de la pensée chétienne, et
je ne pai'le pas seulement des ascètes qui avaient renoncé à toutes
les délectations de la vie civilisée. Possidius, le biographe de saint
Augustin, raconte 2 qu'aucune femme ne séjournait jamais dans la
maison de l'évêque d'Hippone, pas même sa propre sœur, ni ses
nièces, qui en eussent inévitablement attiré d'autres. Augustin
redoutait à ce point l'ombre même d'un scandale que, quand une
femme venait le voir, toujours il gardait un clerc auprès de lui.
Saint Martin, au témoignage de Sulpice-Sévère, n'était pas moins
précautionneux pour soi et pour l'opinion^. Ecoutons encore saint
Jérôme'' : « Que jamais ou que rarement un pied de femme ne
foule le seuil de ta modeste demeure » , conseillait-il au clerc Nepotia-
nus; « que toutes les jeunes filles et les vierges du Christ te soient
également inconnues ou également chères. N'habite pas avec elles
sous le même toit et ne te fie pas à ta chasteté passée. Tu ne peux
être ni plus saint que David, ni plus sage que Salomon. N'oublie
jamais que, si le premier homme fut chassé du paradis terrestre, une
femme en fut la cause... » Et il le mettait en garde contre diverses
conjonctures fâcheuses, où son inexpérience aurait pu s'aheurter.
VI.
Il serait peut-être intéressant de suivre aussi loin que possible
l'histoire du « mariage spirituel » que H. Achelis arrête à tort au
2, 44). Juslinien prescrivit la déposition des clercs etdesévêques récalcitrants
[JVovelle, 123, c. 29; 1.37, cl).
1. Cette histoire est racontée par saint Athanase, Apol. de Fuga sua, xxvii
(Migne, P. G., XXV, 677 B); cf. Ilist. ar. ad Mon., xviii (XXV, 725 A).
2. Vila Aug., xxvi (Migne, XXXII, 55).
3. Dial., II, VII (Migne, XX, 206).
4. Ep. LU, 5 (Hilberg, dans Corp. scr. eccl. lat., t. LIV, 423).
224 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
VI® siècle*. Kuno Meyer montrait récemment^ que cet usage s'est
prolongé bien plus tard dans la lointaine Église irlandaise. Il a
exhumé un poème en vieil irlandais que deux copies ont conservé*.
C'est un cantique d'amour adressé à une syneisakté qui, après
avoir longtemps vécu avec le poète dans une chaste union, revient
vers lui sur le tard, vieillie, mais pure toujours.
Que de voluptés spirituelles presque inédites le christianisme a
fait connaître à l'âme humaine! Et comme ces premiers siècles
chrétiens sont plus intéressants, plus riches de substance morale
que ceux où, dévots adorateurs de la seule nature, les Mimnerme et
les Anacréon, les Catulle et les Ovide paraient de vers charmants
les superficielles émotions d'une sensualité sans remords!
Mais il est temps, après ce long exposé, d'aboutir à quelques con-
clusions.
H. Achelis veut que l'Eglise ait évolué dans la question des sub-
introductae et qu'une lente volte-face l'ait amenée à condamner ce
qu'elle avait souffert ou favorisé d'abord. Il ne permet pas aux
modernes de s'indigner ni de s'égayer de ces demi-épouses, demi-
vierges. Il rappelle qu'il faut juger des choses de la morale, comme
de tout le re§te, avec un peu d'esprit historique; que bon nombre
de sincères chrétiens d'aujourd'hui ne se considèrent pas comme
aussi strictement tenus de fuir le théâtre, d'éluder les modes, de
s'abstenir de la danse, etc., qu'ils eussent accepté de l'être au temps
de TertuUien ou de saint Jean Chrysostome.
Il y a une part de vrai dans cette observation : je dis une part
seulement, car il suffit de lire saint Jean Chrysostome ou TertuUien
pour s'apercevoir que, dans la Carthage du iii^ siècle comme dans
la Constantinople du iv% les avis étaient fort partagés sur plus d'un
problème pratique. Ce qui est sûr, c'est que le rigorisme dominait;
nous en tombons d'accord avec Achelis. Encore moins admettrons-
nous que les communautés chrétiennes, si surveillées sur le point
des mœurs, si convaincues que la volonté humaine est prompte aux
1. Au VI' siècle même se rapportent deux textes curieux, dont l'un a échappé
à Achelis. 11 est de Jean d'Éphèse, au g lu de son Commentaire sur les saints
d'Orient (trad. latine de van Douwen et J.-P.-N. Land, dans les Verhandelin-
gen der K. Akad. van Wetensch. Letterkunde, XVIII (1889). C'est Jùlicher
qui l'a signalé {art. cité, p. 375). — Le second est une lettre des évêques Lici-
nius, Melanlus et Eustochius aux prêtres bretons Lovocatus et Catihernus. J'ai
traduit le document et j'y ai fourni un apparat critique dans mes Sources de
l'hist. du montanisme, Paris, 1913, p. 226.
2. Sitz. Ber. d. Akad. Berlin, 1918, n"' XVIII-XIX, p. 362-374. J'ai analysé
cet article dans la Rame de philologie {Revue dea reviiex) de 1919.
3. Le manuscrit A (9) du couvent des Franciscains, à Dublin, et le manus-
crit H. 4. 22 de la bibliothèque du Trinity Collège, de la même ville.
LE « MARIAGE SPIRITUEL » DANS l'aNTIQUITÉ CHRÉTIENNE. 225
défaillances, que les meilleurs doivent éviter les « occasions », tant
ils sont peu sûrs de n'y point succomber, aient jamais vu d'un bon
œil ces intimités pseudo-maritales. L'invraisemblance est criante et,
pour y imposer silence, il faudrait des preuves péremptoires que ni
Achelis, ni Jûlicher n'ont réussi à produire. On a vu combien
précaires sont les interprétations qu'ils proposent des fameux ver-
sets de la première épitre aux Corinthiens : or, si cette base est
ébranlée, tout l'édifice qu'ils ont fondé dessus apparaît ruineux.
L'union spirituelle n'était formellement recommandée que dans
certains cercles hétérodoxes, par exemple chez les « Abéloïtes », à
qui la secte imposait, paraît-il, la double obligation de vivre avec
une épouse et d'observer la continence : ces ménages étranges
devaient adopter un garçon et une fille qui leur succédaient plus
tard dans le même pacte^ — Au sein de l'Église, elle ne paraît
guère avoir été autre chose qu'une sorte de correctif et de rançon
du célibat; et, pour autant que l'histoire se construit, non pas avec
des fictions, mais avec des documents, on ne voit point qu'elle ait
jamais obtenu l'aveu de l'autorité compétente.
Il sera permis, à ce propos, de mettre au point une réflexion
d'Ernest Havet, dans son beau livre sur le Christianisme et ses
origines^. Avec son ardeur lucrétienne de délivrer les âmes de
la superstition, Havet faisait flèche de tout bois, même parfois du
plus fragile. C'est ainsi qu'après avoir décrit l'organisation sociale
proposée par Platon dans sa République et en avoir souligné cer-
taines parties un peu cyniques, il ajoute : « Les choses qui se pas-
saient en pleine lumière et avec une solennité bizarre dans l'utopie
de la République ne se sont-elles pas passées plus d'une fois au
fond de l'Église, clandestinement et dans l'ombre? Elle s'y rési-
gnait, pourvu qu'elle obtînt ce grand résultat politique, etc.. » Je
ne sais si un historien du moyen âge accepterait comme véridique
l'observation de l'éminent humaniste. Pour la période que j'ai étu-
diée, elle se trouve inexacte. Non seulement l'Église ne s'est pas
« résignée » à ces abus, mais elle les a pourchassés avec une rigueui-,
une suite, une minutie inquisitoriale, qui feraient volontiers crier
grâce aux âmes un peu romanesques que la sensibilité moderne
dispose aux faciles amnisties.
Pierre de Labriolle.
1. Praedest., lxxxvii (Œhier, Corp. Haereseol., I, 254) : c'est la reproduc-
tion d'un texte de saint Augustin. Achelis ne semble pas avoir connu non plus
ce naorceau.
2. T. I, p. 239. .
Rev. Histor. CXXXVII. 2» fasc. 15
BULLETIN HISTORIQUE
SCIENCES AUXILIAIRES DE L'HISTOIRE.
PALÉOGRAPHIE. DIPLOMATIQUE. BIBLIOGRAPHIE. DIVERS.
(1912-1920.)
En reprenant ce Bulletin, interrompu par la guerre, nous nous
trouvons en présence d'une matière extrêmement vaste, malgré le
ralentissement de la production scientifique. Il est donc nécessaire
de restreindre les limites du plan adopté ; je me bornerai à signaler,
sous les trois principales rubriques ci-dessus, les ouvrages ou
mémoires les plus importants, et je grouperai à la fin, quelques
indications sommaires sur la toponomastique, la sphragistique, l'hé-
raldique et la numismatique.
Paléographie. — L'ouvrage le plus considérable paru en ces
dernières années, dans le champ des études paléographiques, est,
sans contredit, celui qu'a publié en 1915 M. W. M. Lindsay sous
le titre Notée la-tinse, an account of abbreviation in latin
manuscri'pts of the early minuscule period (c. 100-850)*. Sept
ans auparavant, l'auteur avait préludé à ces recherches dans ses Con-
tractions in early latin minuscule m,anuscriyts'^ , où il avait
commencé à réunir les abréviations usitées par les scribes du
viii" siècle, et dans ses monographies sur les écritures nationales,
irlandaise et galloise^. Les célèbres travaux de Traube avaient montré
la nécessité d'enquêtes plus minutieuses pour fixer la date et le lieu
d'origine des divers groupes de manuscrits. Les Nomina sacra ^ sur
les abréviations usitées dans les manuscrits en capitales, devaient
former le premier volume d'une Histoire des abréviations latines
qui ne vit pas le jour. Le livre de M. Lindsay est venu combler en
partie celte lacune. Son enquête a porté sur la plupart des manus-
crits en minuscule du viii^ siècle et de la première moitié du Ix^
1. Cambridge, at Ihe University Press, 1915, in-8°, xxiv-500 p.
2. Oxford, 1908.
3. Early irish minuscule script et Early welsh script. Oxford, 1910 et 1912.
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 227
Ses statistiques d'abréviations permettront de rectifier certaines
pages de Traube.
En Belgique, M. Hubert Nelis a édité, dans la Collection créée
pour l'avancement des ^cienceg, des lettres et des arts, un réper-
toire bibliographique sur Y Écriture et les scribes*, dont l'utilité
se faisait véritablement sentir. C'est un complément à la première
partie de la Bibliographie paléographico-diplomatico-bibliologique
de P. Namur, parue à Liège en 1838, et au résumé de M. Prou,
Paléogruphie et diplomatique (1888-1897), publié dans le Con-
grès hihliogra.'phique de 1898. Plus de 1 500 livres, brochures et
articles y ont été classés méthodiquement. Une œuvre de ce genre
devait nécessairement présenter quelques légères omissions que les
éditions postérieures ne manqueront pas de réparer 2.
En France, la municipalité de Beauvais a publié un Album his-
torique et paléographique beauvaisien^ qui renferme onze fac-
similés phototypiques de documents, avec transcription : les uns,
tirés des Archives nationales, concernent le siège de 1472 ; les autres,
tirés des archives municipales, ont trait à la commune et au col-
lège de Beauvais (de 1 182 à 1545). — Pour une tout autre région, le
projet que nous annoncions dans notre dernier Bulletin a été mis
à exécution : MM. Galabert et Lassalle ont fait paraître un
Album, de paléographie et de diplomatique, renfermant des
fac-similés phototypiques de documents relatifs à l'histoire du midi
de la France et en particulier de la ville de Toulouse, publica-
tion faite avec le concours d'un groupe d'archivistes*. Enfin un
Recueil de fac-similés de chartes normandes a été publié, à
l'occasion du cinquantenaire de la fondation de la Société de l'His-
toire de Normandie, par J.-J. Vernier^, comprenant des actes de 984
à 1425, tirés des archives de la Seine-Inférieure ou des Archives
nationales.
Pour l'Angleterre, M. R. James a donné, sous le litre Wande-
rings and homes of manuscripls, un résumé substantiel de nos
connaissances en fait d'anciens manuscrits®. M. Wells a publié
un supplément à son Manrml of writings in Middle English
1. Bruxelles, Van Oest, 1918, in-8°, xu-159 p. Prix : 10 fr.
2. C'est par erreur qu'un compte-rendu (BibUothèquc de l'École des chartes,
t. LXXIX, p. 208) lui reproche l'oubli de la New pnlœographical Society. Les
publications de cette Société ligurent, en effet, sous le n" 152.
3. Beauvais et Paris, 1913, in-4°, 21 p. et 11 pi. en phototypie.
4. Pariii, Chain|tion, 1912 et 1!JI3, in-fol., 48 p. et pi.
5. Rouen, Lestringant, 1919, in-4«, 34 p. et 32 pi.
6. Cf. Rev. histor., t. CXXXllI, p. 336.
228 ' BULLETIN HISTORIQUE.
(1050-1400) qui s'étend jusqu'en 1918'. M. Jenkinson a écrit deux
intéressants mémoires sur la « court hand », ou cursive diploma-
tique anglaise du xi^ au xvi* siècle ■^ et, sous le titre Roman cur-
sive writiyig, M. Van Hoesen a présenté à la Faculté de Princeton
une dissertation avec de nombreux fac-similés^.
La nouvelle Société paléographique de Londres, sous la direction
de MM. Thompson, Kenyon, Gilson et Herbert, a édité vingt planches
de fac-similés du ii* au xv* siècle, depuis un papyrus d'Homère jus-
qu'à un manuscrit anglais daté de HCS-*.
On doit à M. Turner-^ les fac-similés des manuscrits et chartes
du viii^ siècle, appartenant à la cathédrale de Worcester [Early
Worcester rnanuscripts, etc.), à MM. Gaselee et P^tow ceux
des manuscrits de Paris de Pétrone {Codex Traguriensis]^ et
d'Henri d'Andeli {la Bataille des sept arts)''. Dom Ant. Staerk
publie une Collection de reproductions phototypiques, textes
et miniatures, dont le tome I" comprend les chartes des xii^ et
XIII* siècles de l'abbaye de Bulfestra ou Buckfast (Devonshire),
dépendance de l'abbaye normande de Savigny^.
Pour l'Italie, M. E. A. Loew, qui est un disciple de Traube,
a consacré à l'histoire de l'écriture bénéventaine une importante
monographie : The Benevantan scri2:)t, a history of the south
italian minuscule^. Cette écriture, très caractéristique, qu'on a
quelquefois désignée du terme trop général de lombardique, est
représentée par plusieurs centaines de manuscrits, exécutés dans les
anciennes principautés lombardes de Capoue et de Bénévent. M. Loew
en a démêlé les origines et le développement, notamment au Mont-
Cassin, jusqu'au xii'= siècle et même au xm". Il rejette l'hypothèse
d'une origine espagnole, soutenue par Rodolico à cause de certaines
analogies avec l'écriture wisigothique. Il prépare, d'ailleurs, un album
de planches. La connaissance des particularités qu'il signale aurait
évité à l'éditeur Bruno Krusch certaines erreurs de classement de
manuscrits.
1. Publié sous les auspices de la « Connecticut Academy of arts and sciences ».
New-Haven, Conn., Yale Univ., 1919, in-8°, p. 947-1037.
2. New-York, Putnam, 1915, in-4°, x-38 p. et illustr.; Londres, Humpbrey
Milford, 1915, in-8% texte de 298 p. et 44 pi. in-fol.
3. Princeton, 1915, University Press, viii-268 p., pi.
4. 4° partie, 2' série. Londres, 1918, in-fol.
5. Oxford Clarendon Press, 1916, in-fol., lxxi-32 p., pi.
6. iNew-York, Putnam, 1915, in-8°.
7. University of California press, Berkeley, 1914, in-4% 60 p. et 10 pi. Cl.
Hev. histor., t. CXXIV, p. 333.
8. Kain-lez-Tournai, 1914, gr. in-4% xx-35 p. et 25 pi.
9. Oxford Clarendon press, 1914, in-8% xx-384 p., 9 pi.
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 229
Tout récemment, M. le D"" Novak, d'Agram ou Zagreb (Yougo-Sla-
vie), a complété ce travail en publiant une très suggestive étude paléo-
graphique intitulée Scriptura Beneventana* . Il y montre le déve-
loppement de cette écriture en Dalmatie, où elle fut apportée par
les moines bénédictins des ix*" etx* siècles, et où elle lutta longtemps
contre la Caroline, jusqu'au moment où elle fut remplacée par l'écri-
ture cyrillique et la glagolitique angulaire croate.
Le savant liturgiste anglais Marriott Bannister a édité en deux
beaux volumes les Monumenti Vaticani di paleogr-afia musi-
cale latina^, recueil qui est appelé à rendre de réels services aux
paléographes. Suivant la remarque très juste de l'auteur, la nota-
tion musicale offre des éléments beaucoup plus sûrs que l'écriture
elle-même pour dater les manuscrits, car les mélodies sont toujours
transcrites suivant l'usage le plus récent et le système des neumes
change plus vite que l'écriture. Le même a écrit une étude paléo-
graphique en tète de son édition du « Missale gothicum », a gal-
lican sacram.entary,'-ms. Vatican. Regin. lat. 317^, célèbre
manuscrit en onciale mérovingienne, publié jadis par Mabillon et
décrit par L. Delisie.
Le reiVetté Ernest Monaci a fait paraître des Facsimili di docu-
menti per la storia délie lingue e délie letterature romanze*
qui ne font pas double emploi avec les fac-similés déjà édités par lui
pour les écoles de philologie romane. Le choix des planches se recom-
mande par sa variété : la série commence par des tablettes de plomb
du Musée Kircher, pour se terminer sur le Roland de Venise et les
cantiques d'Alphonse le Sage.
Dans son pvédeux Archivio paleografîco italiano (fasc. 40-44) ^,
il a publié, avec ses collaborateurs, des documents d'archives (depuis
le viii« siècle) tirés du Mont-Cassin, de Sienne, Florence, Parme,
Modène, Plaisance, Milan, Ravenne, Vérone, Brescia, Bénévent,
Naples, Gaëte, Sorrente, Amalfi et Capoue.
En un article paru dans VAnnuario del R. Archioio di^Stato
in Milano'^, le professeur G. Vittani a signalé l'activité des écoles
paléographiques annexées à la plupart des archives d'Etat italiennes,
dont il suit l'origine et le développement. Il s'efforce de montrer que
1. Zagreb et Vienne, Angrera et Goschla, in-4°, vii-88 p., 18 fac-similés.
2. Leipzig, Harrassowitz, 1913, 2 vol. gr. in-fol., lxi-280 p. et x-132 pi. (Codi-
ces e Vaticanis selecti, phololypice expressi..., vol. Xli).
3. T. I. Londres, l'J17, in-8", lxxi-145 p. et 6 pi. (« Henry Bradshaw Society »,
vol. LU).
4. Rome, .\nderson, 1910 et 1913, in-8% 2 fasc, 115 pi.
5. Rome, Anderson, 1913-1915, in-fol.
6. Milan, 1916, in-8».
230 BULLETIN HISTORIQUE.
renseignement palédgraphique, donné dans les archives, est mieux
orienté vers les besoins des futurs archivistes que celui des Univer-
sités, et que les chaires de sciences auxiliaires, qui existent dans les
Universités italiennes, feraient mieux de se tourner davantage vers
l'étude des manuscrits, de manière à compléter l'enseignement tech-
nique des archives.
L. ScHiAPARELLi a publié des notes paléographiques sur l'ori-
gine et les divers caractères de l^écriture irlandaise ' et il a aussi
étudié le système abréviatif des signes tachygraphiques des Notae
juris au moyen àge^.
En Espagne, M. Millares-Carlo a étudié les documents pon-
tificaux sur papyrus des archives catalanes au point de vue
paléographique et diplomatique^, et la Palseographia iberica de
3. BuRNAM, que nous annoncions dans notre dernier Bulletin, a
commencé à paraître. Elle comprend des fac-similés de manuscrits
espagnols et portugais du ix^ au xi'' siècle, avec notices et trans-
criptions ^
En Allemagne, les livraisons 12 à 23 du grand recueil des Monu-
menta palœographica du moyen âge (2^ série) du D' Chroust
ont paru de 1913 à 1917. ?e
Dans les Tabulée in usurn scholarum de Lietzmann, M. Mentz
a donné un choix de bons spécimens d'écritures personnelles du temps
de la Réforme^. On y trouvera des autographes d'Érasme, de
Luther, de Calvin, de Zwingli, etc. Dans la même collection,
M. HùLSHOF a édité des fac-similés de manuscrits allemands et latins
des Pays-Bas, de 1350 à 1650^. Les manuscrits de Oicéron de Leyde
et de Ti bulle de Wolfenbiittel ont été reproduits avec préfaces par
Plasberg et Léo, ainsi que le Vieux Testament de l'Alexandrinus
de Londres, dans la série des Codices graeci et laAini photogra-
phice depicti de Leyde ^. Enfin Steffens a publié des Probenaus
griechischen Handschriften und Urkunden^.
Le Spicilegium palimpsestorum arte photographica para-
tum des moines bénédictins de Tabbaye de Beuron' offre un excel-
1. Note paleogra/iche, etc. Florence, tip. Galileiana, 1917, in-8°, 126 p.
[Archivio storico italiano).
2. A}-chivio storico italiano, 1915.
3. Documentas pontificios en papiro, etc. Madrid, Fortanel, et impr. Hel-
lénica, 1918, in-8% 274 p.
4. Paris, Champion, fasc. II, 1920, in-fol., 20 pi. et p. 81-155.
5. Bonn, Marcus et Weber, 1912, gr. in-8*, xxxviii p. et 50 pi.
6. Ibid., 1918.
7. Leyde, Sijthoflf, 1914, in-fol., xvi p., 83 pi.; 1915, in-fol., xiv-120 flf.
8. Trêves, Scliaar et Dathe, 1912, in-4% 8 p. et 24 pi.
9. Vol. I : Codex Sangallensis 193 continens fragmenta plurium prophe-
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'BISTOIRE, 231
lent spécimen des résultats tout à fait satisfaisants qu'on peut obtenir
pour la lecture et la reproduction des palimpsestes, grâce aux pro-
cédés photographiques perfectionnés par Dom Raphaël Kôgel. Le
manuscrit reproduit est un palimpseste du viii^-ix*^ siècle conservé à
Saint-Gall (saint Césaire et saint Augustin) écrit sur un saint
Jérôme en semi-onciale du vi<=-vii« siècle. Une étude paléographique
détaillée, par D. Anselme Manser, lui sert de préface.
Notons enfin l'apparition du tome second des Exempla de manus-
crits grecs en minuscule et onciale, publiés par Cereteli et Sobo-
levski', et l'album de fac-similés de manuscrits yougo-slaves par
le même Sobolevski, avec la collaboration de Lavrof et Kalitchiatslti,
à Pétrogçad en 1913 et 1916=*.
Pour les nombreux livres et articles relatifs aux manuscrits à
peintures, on pourra consulter notre Bibliographie des publica-
tions relatives aux manuscrits à peintures (1913 à 1920) dans
le Bulletin de la Société française de reproductions des
manuscrits à peintures.
Diplomatique. — Nous devons remonter à 1912, pour mention-
ner un ouvrage d'ensemble arrivé trop tard pour notre dernier Bul-
letin : la Grande chancellerie en France des origines à. 1328,
par M. L. Perrichet^, résumé consciencieux de l'état de nos con-
naissances générales.
En Allemagne, nous indiquerons seulement la nouvelle édition
du manuel d'Harry Bresslau^ Handbuch der Urkundenlehre
fur Deutscidand und Italien, qui, d'ailleurs, ne présente que
peu de différences avec la précédente.
Recueils ou Catalogues d'actes. — La collection des « Chartes et
diplômes relatifs à l'histoire de France », publiée par l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, s'est accrue de trois importants volumes :
le tome I du Recueil des actes de Philippe-Auguste (1179-
tanim secundum Iranslationem S. Hieronymi. Beuron et Leipzig, Harrasso-
witz, 1913, in-fol., 15 p. et 152 pi.
1. Exempla codicum graecorum litleris 7ninuscuHs scriplorum nnnorum-
'/ne notis instruclotum. Volumen allerum : Codices Fetropolitani. Moscou,
1913, 19 p. et 58 pi. en pholoty|)ie. — Id., Exempta codicum graecorum lil-
teris uncialibus scriptorum. Saint-l'étersbourg, 1913, in-fol., 10 p. et 17 pi.
en pholoty|)ie.
2. Album de fac-similés de mss. yougoslaves en écrilure bulgare et serbe
et de mss. ajrilliques d'orifjine roumaine. Pétrograd, 1916, 130 planches
[1« mss. yougo-slaves, par P. -A. Lavrof, pi. 1-97; '2° mss. cyrilliques, par
K. Kalilchiatski et A. Sobolevski, pi. 98-130] [Enciclopedin slavianskoi fîlo-
logii de Jagic).
3. Paris, Larose et Tanin, 1912, in-8*, 575 p.
4. 1" iiarlie du tome II. Leipzig, Veit, 1915, in-8°, x-392 p.
232 BULLETIN HISTORIQUE.
1194) publié par M. H. -F. Delaborde' ; le tome I du Recueil des
actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie,
concernant les provinces françaises et les affaires de France,
œuvre posthume de Léopold Delisle, revue ef publiée par M. Elie
Berger^, ei\e Recueil des actes des rois de Provence, par M. R.
PouPARDiN^. Nous nous bornerons à les mentionner ici en insis-
tant sur la valeur de ces recueils, dont les introductions sont des
études approfondies de la diplomatique française et anglaise et qui
constituent, avec leurs tables, des ouvrages destinés à devenir clas-
siques pour les études médiévales. Rappelons que le Recueil des
actes de Louis IV [936-95'i], par moi-même, a paru antérieure-
ment\ avec une préface de M. Maurice Prou qui explique la genèse
de la collection.
Les Regesta chartarum Italise^ ont atteint, en 1914, leurs 12«
et \^^ volumes avec le Regesto Mantovano et le tome III du
.Regesto di Camaldoli dus à MM. Torelli, Schiaparelli et Bal-
DASSERONi. La collaboration de Tlnstitut historique italien avec
l'Institut historique prussien de Rome a été interrompue par la
guerre: mais il est à prévoir que l'œuvre des éditeurs italiens ne
s'arrêtera pas pour cela. MM. Schiaparelli et Federici ont déjà
apporté le concours de leur féconde activité. Ils réussiront, nous
n'en doutons pas, à continuer la précieuse série, sans assistance
étrangère, avec la collaboration de leurs élèves et des érudits locaux.
Comme régestes ou catalogues d'actes, il y a lieu de signaler
Vltinéraire de Philippe de Valois, par J. VIARD^ et le Cata-
logue des actes des ducs de Lorraine de iOkS à 1139 et de
1116 à 1220, par E. Duvernoy', qui complète celui des actes de
Mathieu I" de Lorraine (1139-1176) qu'il avait donné en 1904, et
celui de Mathieu II (1220-1251), dû à Le Mercier de Morière (1893) ;
en sorte que nous possédons actuellement un régeste complet pour
la période s'étendant du milieu du xi' siècle au milieu du xiii«.
En Allemagne, W.. Peitz a publié diverses recherches sur les
chartes fausses de Hambourg^.
1. Paris, Klincksieck, 1916, in-4', xl-575 p.
2. Ibid., 1916, in-4% vii-587 p.
3. Ibid., 1920, in-4°, lviii-157 p., 3 pi.
4. Ibid., 1914, in-4% lxxvi-1^ p.
b, Rome, Loescher, 1907-1914, 13 vol. in-8".
6. Nogent-le-Rotrou, Daupeley-Gouverneur, 1913, in-8% 150 p. (extr. de la
Bibl. de l'École des chartes).
7. Nancy, Crépin-Leblond, 1915, in-8% ii-264 p. (extr. des Mém. de la Soc.
d'archéologie lorraine, l. LXII et LXIV). Cf. Rev. kistor., t. CXX, p. 390.
8. linlersuchungen zu Urkundenfalschungen des Mittelalters , 1 Teil. Die
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 233
Bibliographie. — La plupart des ouvrages généraux nous
viennent des Etats-Unis^ M. Cotton-Dana a consacré un livre d'en-
semble aux Bibliotiièques"^ ; Feipel, quelques pages à des Eléments
of bibliography'^; Dufï Brown, diverses brocliures à la bibliothé-
conomie, principalement aux questions de classification^ {Library
classification et Subject classification) ; Jennie Dorcas Fel-
Lows a fait paraître des règles pour cataloguer [Cataloging rules)^;
Savage, un Manual of descriptive annotation for library cata-
logues'^; Phillips, le Catalogue des cartes de la bibliothèque du
Congrès'', et Sayers, une étude sur les méthodes de classification
qui y sont adoptées [Canons of classification, etc.), notamment la
décimale^. Un Manual del bibliotecario (Reglas elementales
para la organizaciôn de bibliotecas), par Amaral, a paru en
1916^, en même temps qu'une troisième édition du Manuel de biblio-
graphie d'OTTiNO et Fumagalli^".
En France, le i" fascicule du tome VI de la Bibliographie géné-
rale des travaux historiques et archéologiques publiés par
les Sociétés savantes de la France, par R. de Lasteyrie et
A. Vidier*\ achève l'ensemble de l'ouvrage commencé en 1885. Les
dépouillements sont ainsi conduits jusqu'en 1900, année où ils ont
été complétés successivement par neuf suppléments jusqu'en 1910.
Les tomes VIII et IX du Bulletin de la bibUothèque et des tra-
vaux historiques de la ville de Paris renferment un répertoire des tra-
vaux publiés par les Sociétés d'histoire de Paris, depuis leur fon-
dation jusqu'au 31 décembre 1914 '2.
Le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque
Hamburger Falschungen (3° fasc. de Stimmen der Zeit, Erg. Heft. Il, 3). Fri-
boiirg-en-Brisgau, Herder, 1919, in-8°, xxviii-319 p.
1. Signalons, cependant, les conférences sur les bibliothèques et la bibliogra-
phie, faites à l'École des Hautes-Études sociales, et publiées par l'Association
des bibliothécaires français, sous le titre : Bibliothèques, livres et librairies.
Paris, Rivière, 1912-1914, 3 yol. in-8«.
2. While plains. New-York, Wilson, 1916, in-8°, xi-299 p.
3. Chicago, University, 1916, in-8°, 37 p.
4. New- York, Wilson, 1917, in-8°, 262 et 406 p.
5. New-York, University, 1915, in-8°, 181 p. (Library school Bull.).
6. New-York, Wilson, 1917, in-16, 155 p.
7. ('. S. Library of Comjress. Division of Maps... Notes on the catalo-
ging... Washington, Gov. printing odice, 1915, in-12, 20 p.
8. White plains. New-York, Wilson, 1916, in-12, 173 p.
9. La Piata, Benavides, 1916, in-8% 102 p.
10. Milan, Hoepli, 1916, in-24, xx-340 p. et fig.
11. Paris, Leroux, in-4% xii p. et p. 601-816. Les fa.sc. 1-2 du t. VII (400 p.)
ont paru en 1914. %
12. Paris, Impr. nationale, 1914, in-8°, vii-358 p.
234 BULLETIN HISTORIQUE.
nationale (auteurs) s'est accru des tomes L VIII (Gaulthier de Rumilly-
Genthe) à LXXIII (Holman-Houzet) ^ Mentionnons le Catalogue
des thèses et écrits académiques pour les années 1915 à 1918- et le
Catalogue des écrits académiques suisses de 1914 à 1915 3. Le
regretté É. Picot a publié, avec la collaboration de P. Lacombe,
les tomes IV et V (table) du Csitalogue des livres composant la
bibliothèque de feu M. le baron James de Rothschild*, et
M. l'abbé Langlois a donné sur la bibliothèque de l'Institut catho-
lique de Paris des Renseignements préliminaires^.
Nous devons à Dom Besse le tome VIII des Abbayes et prieu-
rés de l'ancienne France, recueil historique des archevêchés,
évêchés, abbayes et prieurés de France par Dom Beaunier,
qui concerne la province ecclésiastique de Tours ^. On sait les pré-
cieuses indications topographiques, documentaires et bibliogra-
phiques que renferme cette excellente publication.
Dans le Bibliographe moderne, M. Dufay a publié une
Bibhographie de la Sologne^. M. J. Régné ^ sous le titre les Syn-
thèses d'histoire provinciale à la veille de la guerre (1905-
1915), a passé en revue un certain nombre de travaux consacrés "aux
provinces de la vallée du Rhône. M. le chanoine Sabarthés a publié
dans le Bu^e^in archéologique de Narbonne une Bibhographie de
l'Aude^, département dont il a déjà, comme l'on sait, donné le Dic-
tionnaire topographique, et une Bibliographie historique du
Rouergue, par M. C. Oouderc, est en cours®. On doit enfin à
M. Perrod un Répertoire bibliographique des ouvrages franc-
comtois antérieurs à 1790'".
En Angleterre, Humphreys a édité un Manuel de bibliographie
des comtés et villes d'Angleterre et d'Irlande {A Handbook to
county bibliography)**. En Amérique, J. Van Ness Ingram a
relevé les journaux du xviii* siècle conservés à la bibliothèque du
Congrès '2. Au Danemark, Erichsen et Krarup ont édité le tome III
!. Paris, Impr. nationale, 1914-1920, 16 vol. in-8».
2. Paris, Leroux, 1917 et 1919, in-8° à 2 col., p. 146 à 251 et 254 à 410.
3. Bâie, Schweighausen, 1915, in-8°, iv-98 p.
4. Paris, Rahir, 1912 et 1920, 2 vol. in-8% fig. et pi.
5. Paris [1912], in-8°.
6. Paris, Picard, 1920, in-8°, 369 p. Cf. Rev. hislor., t. CXXXIII, p. 336.
7. Bibliographe moderne, 1914-1915, p. 65-188.
8. iNarbonne, Gaillard, 1914, in-8°, 611 p.
9. I (A-K). Paris, Champion, 1918-1920, in-8« à 2 col., 168 p. Cf. Rev. his-
tor., t. CXXXII, p. 163.
10. Paris, Champion, 1912, in-8% 382 p.
11. Londres, Humphrey Milford, 1917, in-4% x-503 p. #
12. Washington, 1912, gr. in-8°, 186 p.
SCIENCES ADIILIAIRES DE l'hISTOIRE. 235
de leur savante Bibliographie historique*, et Lauritz Nielsen a
dressé une Bibliogra'phie danoise des années 1482 à 1500^.
Pour l'Espagne, IIaebler a écrit une Bibliografîa iberica del
siglo XV^. M. KoNT a publié une Bibliographie française de
la Hongrie (1521-1910), avec un inventaire sommaire des docu-
ments manuscrits*. En Italie, sous le titre leBibliotechemilanesi,
a paru un manuel à l'usage des travailleurs, suivi d'une liste de
périodiques^. Une liste analogue pour les bibliothèques de Rome a
été dressée par Gabrieli et Silvagni^, et Mazziotta est l'auteur
d'une brochure intitulée le Biblioteche di Messina''. Pour la Rus-
sie, Kerner a jeté les bases d'une bibliographie slave : The foun-
dations of slavic bibliography^. En Suisse, Roesli a publié le
Verzeichnis der ôffentlichen schweizerischen Bibliotheken^.
Comme bibliographies spéciales, c'est-à-dire relatives à un sujet
déterminé, nous mentionnerons en premier lieu celles qui concernent
l'histoire et la littérature de la France.
Il faut faire une place toute spéciale à l'excellent répertoire de
H. Hauser, les Sources de l'histoiî'e de France au XVP siècle
(li94-1610)'", qui fait suite au manuel classique que Molinier a
consacré au moyen âge et comble la lacune qui existait entre ce
dernier et les Sources de l'histoire de France au XVII^ siècle
(1610-1715) de MM. Emile Bourgeois et Louis André (I, Géo-
graphie et histoire générale ; II, Mémoires et lettres), paru en 1913^'.
La valeur bibliographique et documentaire de cet ensemble n'a pas
besoin d'être mise en relief. Le plan inauguré avec tant de succès
par Molinier, pour le début, a été heureusement continué autant
qu'il était possible, malgré la diversité des matières. Cette méthode,
suivie avec rigueur et critique, fait de cet ensemble un des plus utiles
instruments de travail dont on ait doté les études historiques.
M. P. Caron a publié un Manuel pratique pour l'histoire de
la Révolution française*'^, et, avec la collaboration de MM. Brière
1. Copenhague, Gad, 1917, in-8°.
2. Ibid., Gyldendal, 1919, in-8«, 25i i>.
3. T. II. Leipzig, Hierseinann, 1917, in-8», ix-208 p.
4. Paris, Leroux, 1913, in-8*, xvi-323 p. {Travaux de la Conférence d'études
hongroises à la Sorbonne).
5. Milan, Cogliati, 1914, in-8°, xii-583 p.
6. Rome, Istitulo biblico, 1914, in-8°, xvi-406 p. {Subsidia bibliographica, I).
7. Messine, D'Aniico, 1917, in-8% 144 p.
8. Cambridge, University press, 1916, in-8% 42 p.
9. Berne, 1916, in-8% xiii-168 p.
10. Paris, Picard, 1916, in-8% xix-23Û p.
11. Ibid., 1913, in-8% xvm-329 p. et xji-412 p.
12. Ibid., 1912, iii-8% xv-294 p.
#
236 BULLETIN HISTORIQDE.
et LÉPiNE, le tome VII du Répertoire méthodique de l'histoire
moderne et contempordine de la France (années 1904 à 1906) '.
M. Léon Le Grand a dressé le répertoire des Sources de Vhistoire
religieuse de la. Révolution aux Archives nationales^ , qu'il a
classées dans l'ordre même des cotes actuelles de cet établissement.
Le tome XI du Répertoire général des sources manuscrites
de l'histoire de Paris pendarit la Révolution française, de
M. TuETEY, correspond comme les précédents à la période de la
Convention nationale^.
M. Hervé du Halgouet est l'auteur d'un Répertoire sommaire
des documents manul^crits de l'histoire de Bretagne antérieurs
à 1189, conservés dans les dépôts publics de Paris, dont le tome I"
concerne les Archives et la Bibliothèque nationales^ et qui, mal-
gré certaines imperfections, pourra rendre des services. M. F. Duine
et M. le comte de Castries ont fait paraître, l'un un Mémento
des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne (1" par-
tie, les Fondateurs et les primitifs du V^ au X^ siècle) ^ et l'autre
les Sources inédites de Vhistoire du Maroc {["' série. Dynastie
saadienne : archives et bibliothèques d'Angleterre, tome I^) ; le
premier, précieux comme bibh'ographie et inventaire critique de
l'hagiographie bretonne, le second, continuant les riches séries de
documents précédemment publiés sur l'histoire du Maroc. M. Renau-
DET a dressé un répertoire des Sources de Vhistoire de France
aux Archives d'État de Florence, des guerres d'Italie à la
Révolution (1494-1789)'.
Un assez grand nombre d'inventaires d'^irchives françaises ont
paru au cours de ces derniers temps. On en trouvera l'énumération
dans VÉtat des inventaires et répertoires des Archives natio-
nales, départementales, communales et hospitalières de la
France, à la date du P"" décembre i9i9,par M. Robert Doré ^, qui
complète la liste du même genre parue en 1908 dans la Correspon-
dance historique et archéologique, avec supplément jusqu'au
I" novembre 1913. Un appendice renferme quelques renseignements
sur les archives des colonies et surtout les archives particulières.
1. Paris, Rieder, 1914-1918, iii-8% xl-413 p.
2. Paris, Champion, 1914, in-8% 210 p.
3. Paris, 1914, in-4°, c-916 p.
4. Saint-Brieuc, Prudhomme, 1914, in-4% xvi-326 p.
5. Rennes, 1918, in-8°, 215 p., 2 cartes.
6. Paris, Leroux, 1918, in-4°, xxxii-575 p.
7. Paris, Rieder, 1916, in-8°, xii-276 p.
8. Paris, Champion, 1919, in-8°, xvii-60 p. (extr. de la Revue des Biblio-
thèques).
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 237
Pour les sources littéraires, Spence a édité un Dictionnaire des
romans du moyen âge et des auteurs de romans'. M. A. Lângfors
a établi, à l'aide des notes de M. Paul Meyer, un instrument de tra-
vail fort précieux : les Incipit des poèmes français antérieurs
au XVP siècle^, et il nous promet un second volume pour la poé-
sie française du xV siècle, avec des tables se référant à l'ensemble.
De son côté, M. Jeanroy nous a apporté une Bibliographie som-
maire des chansonniers provençaux (manuscrits et éditions)^
dans la Collection des classiques français du moyen âge dirigée par
M. Mario Roques. Elle vient à son heure remplacer le travail ana-
logue de Bartscb, qui remonte à plus de quarante ans.
A l'étranger, M. Paetow a publié un Guide des études d'histoire
médiévale à l'usage des étudiants des Universités américaines \ où
l'on trouve l'indication d'ouvrages récents qui ne figurent pas dans
les répertoires de Monod et Dahlmann-Waitz, principalement sur
l'histoire de la civilisation, des sciences et des arts. Rappelons aussi
l'apparition d'une deuxième édition, avec additions, de l'excellent
livre de Ch. Gross sur les Sources et la littérature de l'histoire
d'Angleterre, depuis les temps les plus anciens jusqu'en lk85
environ^. Enfin M. Hubert Hall a édité avec ses élèves une Biblio-
graphie choisie de textes et d'ouvrages sur l'histoire écono-
mique, excellent complément des bibliographies de Gross et de Mor-
ris-.Iordan^; et Meadows a publié un Uvre des sources de l'histoire
de Londres, des origines à 1800 {A source book of London his-
tory, etc.').
En Allemagne, une huitième édition du Dahlmann-Waitz (Quel-
lenkunde der deutschen Geschichte) a paru par les soins de Paul
Herre. Jansen e\ Schmitz-Kallenrerg ont édité une His-
toriographie de l'histoire d'Allemagne jusqu'en 1.500^, et en Autriche
Aug. VON Jacksch un supplément aux sources de l'histoire de
Carinthie du ix^ au xiii^ siècle [Die Kàrnter Geschichtsquellen)^.
Ester Pastorello est l'auteur des Indici per nome d'autore
e per materie délie pubblicazioni sulla storia medioevale ita-
1. New- York, Dutton, 1914, in-8% vi-396 p.
2. Paris, Champion [1917], in-8°, vii-444 p. '
3. Paris, Champion, 1916, in-8°, vni-86 p.
4. University of California press, 1917, in-8°, xvi-552 p. Cf. fier, histor.,
t. CXXIV, p. 334.
5. Londres, Longmans, 1915, in-S". Cf. Rev. histor., l. CXXIX, j). 113.
6. Londres, King, 1916, in-16. Cf. Rev. histor., t. CXVI, p. 386.
7. Londres, Bell, 1914, in-8», 204 p.
8. Leipzig, Teubner, 19L14, in-8°, iv-130 p. ,
9. Klagenfurt, F. von Kleinmayr, 1915.
238 BULLETIN HISTORIQUE.
Hana [1899-1910) raccolte e receûsite da Carlo Cipolla\ Enfin
Barth a publié une Bibliographie de l'histoire suisse compre-
nant les ouvrages parus jusqu'en 1912 2. Comme bibliographies
spéciales, il y a lieu d'appeler l'attention sur le Catalogue des livt'es
concernant Pétrarque, donnés par Willard Fiske à l'Université Cor-
nell ; il a été dressé par Miss Powler ^.
Pour l'histoire religieuse, le P. Girolamo Golubovich a terminé
sa Biblioteca hio-bibliografica délia Terra Santa e delV Oriente
francescano^, véritable bibliographie des missions franciscaines en
Orient. Enfin Clemen et Eissfeldt ont fait paraître une bibliogra-
phie de l'histoire des religions pour les années 1914 et 1915^.
Notons en outre, parmi les instruments de travail, le Roma-
nisches etymologisches Wôrterbuch de Meyer-Lûbke^, les
nouvelles éditions du lexique vieux-français de Tobler par Lom-
matsch', de V Altdeutsches Namenbuch de Forstemann par Jel-
LiNGHAUS^, enfin le dictionnaire étymologique des surnoms anglais
de Harrison et Pulling^.
Histoire du livre. — La Gallia typographica, le précieux réper-
toire biographique et chronologique des imprimeurs de France, des
origines à la Révolution, par G. Lépreux, continue à paraître.
Le tome IV est relatif à la province de Bretagne^". Aussitôt après, il
convient de faire une place à part à un article sur les Premiers
caractères d'imprimerie en métal résistant^ d'après un acte d'as-
sociation conservé dans les archives notariales, retrouvé par
M. Maurice Roy, qui touche à l'une des questions les plus intéres-
santes des origines de l'imprimerie, celle de la fabrication des carac-
tères mobiles ^ ^ .
La matière subjective de l'écriture, le papier, a fait l'objet d'une
Histoire en anglais, par Maddox^^^ tandis que le spécialiste bien
1. Venise, C. Ferrari, 1916, in-S», 616 p.
2. Bâle, Geering, 1914 et 1917, 3 vol. gr. in-8°.
3. Catalogue of the Petrarch Collection bequeathed to the Cornell Univer-
sity... Oxford, Humphrey Milford, 1917, in-4% 570 p.
4. T. II. Quaracchi, 1913, in-8% viii-641 p.
5. Religionsgeachichlliche Bibliographie. Leipzig, Teubner, 1917, in-8*,
viii-53 p.
6. Heidelberg, Winter, 1916, in-8', p. 641-800.
7. Berlin, Weidmann, 1915-1917, gr. in-8% lxx-592 p.
8. T. II, 2" partie. Bonn, Hanstein, 1916, in-4% vi-942 p.
9. Sumames of United Kingdom. Londres, Morland press, 1918, in-8°, 16
et 36 p.
10. Paris, Champion, in-8% iv-302 et ii-199 p.
11. Le Bibliographe moderne, 1919, p. 163-173.
12. Croydon, Pitman, 1917, in-8% 156 p.
SCIENCES ADXILIAIRES DE l'hISTOIHE. 239
connu Briquet étudiait le symbolisme des filigranes dans un article
du Bibliographe moderne*, et que De Witte essayait d'établir
Comment il faut classer et cataloguer les filigranes^.
Les recherches de Vecchioni, sur le passage de l'écriture à l'im-
primerie, complètent celles d'Olschki sur les incunables illustrés
imitant les manuscrits, et celles de Zedler sur les lettres d'indul-
gence^.
A l'occasion de l'exposition du livre à Leipzig, divers travaux ont
vu le jour en Italie, pays qui y avait largement participé pour la
partie historique. D'abord le Catalogo délia mostra storica delV
arte di stampa initalia dalla meta del sec. XV a tutto ilXVIII,
avec une préface de Fr. Novati^. On y trouvera décrits cent-vingt-
huit livres ou brochures rares, dont trente-neuf du xv" siècle etcin-"
quante-deux du xvi^ prêtés par la bibliothèque Brera ou des parti-
culiers. En même temps Cosentini a publié Gli incunabuli ed i
tipografi Piemontesi del secolo XV, indici bibliografici, Museo
nazionale del libro^, et Olschki le Livre en Italie à travers
les siècles, où il examine le rôle joué par l'Italie dans le développe-
ment de l'art de l'imprimerie et de l'illustration du livre du xv* au
xix*" siècle, d'après les collections figurant à l'exposition susmention-
née^. Ce dernier a encore décrit, sous le titre Incunabula typo-
graphica, une nouvelle série de mille incunables oii figure sa
propre collection^.
Carbonelli a publié une Bibliographia medica typographica
du Piémont (xv^-xvi* siècle)^. De son côté, M. L. Prati a fait con-
naître les incunables rarissimes de la bibliothèque de Grenoble^.
En Angleterre, les inventaires du Musée britannique se sont
accrus de la quatrième partie du Catalogue des livres imprimés
du XV siècle., concernant l'Italie, Subiaco et Rome^**. M. Perrins
a publié : Italian book illustrations and early printing**.
1. Années 1914-1915, p. 302-325.
2. Bruxelles, 1912, ^-8% 17 p. (extr. du Bull, de l'imtitut international
de bibliographie, n' 121).
3. Aquilu, Vecchioni, 1915, in-8% 145 p.; Florence, Olschki, 1914, in-4°,
27 p.; Mayence, Gutenberg-Gesellscliaft, 1913, gr. in-8% vi-116 p., l(j pi. in-fol.
4. Milan, 1914, in-8', xvii-51 p. avec (ig.
5. Turin, Scuoia tipogr., 1914, in-8°, vi-130 p.
6. Florence, Junline, 1914, in-8°, xv-51 p. et facsiin.
7. Florence, 1915, in-8% vii-638 et 16 p., 3 pi. et lig. (extr. de la Bibliofilia).
8. Rome, Centenari, 1914-1919, in-4% 434 p. et lig.
9. Florence, Olschki, 1916, in-4', 10 p. (extr. de la Bibliofilia).
10. Londres, Ihnnphrey Milford, 1916, in-4% 14G et 10 p., 13 pi.
11. Londres, Quaritch, 1914, in-4°, 268 p.
240 BULLETIN HISTORIQUE.
M. Leightone donné la troisième partie de son excellente biblio-
graphie Early printed books arranged by presses^ qui concerne
précisément Paris et L}'on\ tandis qu'en France M. P. Le Verdier
consacrait une étude à r^feiier de Guillaume Le Talleur, premier
im.primeur rouennais [histoire et bibliographie)^, MM. Omont
et Amweg aux débuts de rimprimerie à Évreux' et à Porrentruy^
En Allemagne, E. Voullième a continué la publication des
Monumenta Germanise et Italiœ typographica^ , où il a écrit
un mémoire sur les imprimeurs allemands du xv* siècle ; et il a dressé
l'inventaire des incunables récemment acquis par les bibliothèques
de Berlin®.
Pour l'Angleterre, M. Plomer a écrit une courte histoire de l'im-
* primerie en Angleterre [A short history of englisU printing) de
1476 à 1900'.
Aux États-Unis, Pr. W. Ashley a dressé Je Catalogue de la
collection d'incunables de John Boyd Thacher, conservés actuel-
lement à la bibliothèque du Congrès à Washington^, et M. Ped-
die un catalogue de livres imprimés au xV siècle, avec un guide
pour leur identification^.
En Espagne, Serrano y Sanz est l'auteur d'un mémoire tendant
à prouver, documents à l'appui, que l'imprimerie de Saragosse est
la plus ancienne de l'Espagne {la Imprenta de Zaragoza es la
m,âs antigua de Espana, prueba documentai). Aux Pays-Bas,
Kronenberg a publié le Catalogue des incunables de la bibliothèque
deDeventer^^ ; en Russie, Kisselew celui des incunables de la col-
lection Norow à Moscou ^^, et en Suisse Reichling des Appendices
ad Hainii Copingeri Repertorium, concernant principalement les
bibliothèques suisses, avec un index des villes et des typographes'^.
1. Londres, Leighton, 1917, in-4°, 216 p.
2. Paris, 1916, in-4% 179 p. et 77 pi. el fig.
3. Bulletin historique et philologique du Comité des travaux scientifiques,
1917, p. 84-117 et pi.
4. Porrentruy, 1917, in-S", iv-127 p.
5. X-XI. Leipzig, Harrassowitz, 1913 et 1916, in-fol.. 50 et xvi-123 p.
6. Ibid., 1914, in-8°, iv-120 p.
7. New-York, Dutton, 1916, in-8°, xii-276 p.
8. Washington, Gov' printing olfice, 1915, in-8% 329 p. et fig.
9. Fïfteenth century books, etc. New-York, Wilson, 1917, in-8°, 310 p.; in-12,
89 p.
10. Zaragoza, Manero, 1915, in-4°) 22 p.
11. Deventer, Kluwer, 1917, in-8°, xxiv-148 p., 1 pi.
12. Francfort, Baer, 1913, gr. in-8'', xvi-56 p.
13. Munster, Theissing, 1914, gr. in-8°, l'89-cxxxv p.
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 241
Sigillographie. — Le Manuel de sigillographie française,
qui est l'œuvre de M. J. Roman V n'est pas seulement une classifi-
cation, mais encore une étude technique des sceaux et matrices.
En Allemagne, dans le Handbuch der Mittelalterlichen und
Neueren Geschichte, publié par von Below et Meinecke, a paru un
ouvrage sur les sceaux : Slegelkunde, par W. Ewald^. M. Aug.
CouLON a écrit sur le service sîgiilographique et les collections
d'empreintes des sceaux des Archives nationales^, une notice fort
utile à tous ceux qui auront à consulter ce précieux dépôt. Rappe-
lons qu'on doit au même auteur un Inventaires des sceaux de la
Bourgogne, recueillis dans les dépôts d'archives, dans les musées
et même dans les collections particulières*.
A signaler les Collections sigillographiques de MM. Gustave
ScHLUMBERGER ct Adricu Blanchet^, publiées par leurs proprié-
taires. Elles comprennent 690 sceaux-matrices et bagues, dont les
plus anciens remontent aux temps barbares et les plus récents au
xvii* siècle, le tout classé par pays ou provenance : France, Italie,
Espagne, Pays-Bas, Allemagne, Orient grec et latin, sceaux juifs,
etc. Ce très beau catalogue met à la disposition des chercheurs une
précieuse série de monuments jusqu'ici inaccessibles au public.
Enfin le D"" Pol Gosset a décrit la collection de sceaux-matrices,
cachets et timbres de la bibliothèque de Reims ^, et M. Labande les
sceaux du Trésor des chartes du comté de RétheV .
Héraldique. — Comme publications héraldiques ^citons la Wap-
penkunde de F. Hauptmann dans la collection Below-Meinecke^.
En France, M. PRiNExafait une étude sur les IJsages héraldiques
au XIV^ siècle, d'après les Chroniques de Froissart, où il
montre que Froissart décrit fort exactement les blasons des seigneurs
de son temps, et il a publié un Armoriai de France de V époque
de Philippe le Bel, retrouvé par lui dans les papiers de Jules Ohif-
flet à la bibliothèque de Besançon, et qu'il considère comme le plus
ancien armoriai connu'. M. Jacques Meurgey a publié deux pla-
1. Paris, Picard, 1912, in-8°, vii-401 p., 30 pi., 45 fig.
2. Munich et Berlin, R. Oldenbourg, 1914, in-8", xiv-244 p., 40 pi.
3. Le Service sigillotjrapinque et les collections d'empreintes des sceaux
des Archives nationales. Paris, Champion, 191G, in-lG, 15G p. cl 8 pi.
4. Paris, Leroux, 1912v in-4% xlvii-369 p. et 60 pi.
5. Paris, Picard, 1914, in-8% ix-228 p., 12 lig. et 28 |)I.
6. Reims, Monce, 1913, in-8% xi-56 p., fig., pi.
7. Paris, Picard, 1914, in-4% 304 p. et 63 pi.
8. Munich et Berlin, R. Oldenbourg, 1914, in-8°, vni-61 p., 4 pi.
9. Paris, Laurens, 1917, in-8", 10 p. (exlr. de V Annuaire- Bulletin de la
Rev. Histor. CXXXVII. 2e FASC. 16
242 BULLETIN HISTORIQUE.
quettes intitulées : les Anciens synriboles héraldiques des villes
de France : Verdun et Paris* , ainsi que les armoiries du pays
basque, étude historique et critique sur les différents écus qui ont,
formé le blason de ce pays 2; enfin une Étude sur les armoiries
de l'abbaye de Tournusei un Armoriai dupays de Tour'nus^.
HoPE a composé une grammaire héraldique (GrarnîTiar of english
heraldry]*. En Italie, M. de Ferrari a compilé un recueil des
armoiries de familles d'Alexandrie''. MM. Paul Bredo, Grandjean
et Hans Toll sont les auteurs d'études sur l'héraldique danoise* et
suédoise'.
Toponomastique. — La toponomastique, si nécessaire aux médié-
vistes pour leurs identifications, vient de s'enrichir du l*"" fascicule
des Noms de lieu de France, leur origine, leur signification,
leurs transformations, par Auguste Longnon^, cours professé en
1912 à l'École des Hautes-Études, publié par les soins de MM. Mari-
CHAL et MiROT. Ce fascicule concerne les noms de lieu d'origine
phénicienne, grecque, ligure, gauloise et romaipe. Le fascicule II,
sous presse, comprendra les noms barbares. L'ouvrage entier comp-
tera avec la table quatre fascicules. Il suffit de rappeler la valeur de
l'enseignement créé par Longnon, pour comprendre l'intérêt toujours
actuel de cette publication, comme base d'études et de recherches.
Parmi les travaux de détail, quelques-uns méritent une men-
tion particuhère. Dans le Congrès du millénaire normand, a
paru le mémoire de M. Charles Joret intitulé : les Noms de lieu
d'origine non romane et la colonisation germanique et Scan-
dinave en Normandie^. D'un examen systématique de tous les
noms, il conclut que la plupart sont danois, ce qui justifie l'appella-
tion de Dani attribuée aux Normands par la plupart de nos vieilles
chroniques. Dans le même recueil et dans le Bulletin de la Société
des Antiquaires de Normandie*" MM. Prentout et Sauvage ont
Société de l'histoire de France, 1916), et Champion, 1920, in-8°, 58 p. (extr.
du Moyen Age).
1. Paris, Champion, 1918 et 1920, in-8°, 51 p. et grav., 16 p. et grav. Cf.
Rev. histor., t. CXXIX, p. 350.
2. Ibid., 1918, in-8% 78 p. et «g. Cf. Rev. histor., t. CXXVIII, p. 143.
3. Paris, Champion, 1918 et 1920, 2 vol., 31 et 360 p. Cf. Rev. histor.,
t. CXXVIII, p. 143, et supra, p. 124.
4. Cambridge Univ. press, 1913, in-16, 142 p. {Cambridge manuals).
5. Alexandrie, tip. di G. Chiaretto, 1919, in-8% 56 p.
6. Copenhague, Schultz, 1919, in-8*, 310 p.
7. Stockholm, Norstedt, 1919, in-8% 30 p.
8. Paris, Champion, 1920, in-8% 177 p.
9. Paris, Picard, 1913, in-8\
10. T. XXIX, 1913, p. 33-43.
SCIENCES AUXILIAIRES DE l'hISTOIRE. 243
étudié l'origine de VOtlinga. Saxonia sur le littoral du Bessin, et
M. H. Gr»KEN les noms de lieu dans la chronique d'Orderic\,VitaP.
Rappelons enfin les travaux de MM. T. Perrenot, .1. Soyer et
Marichal sur les toponymies franc-comtoise, blésoise ou orléanaise
et lorraine. y
On sait tout le parti qu'on peut tirer des anciens PouiUés pour
l'identification des noms de lieu et la valeur, toute spéciale à ce
point de vue, de la publication entreprise par l'Académie des ins-
criptions et belles-lettres, sous les auspices de feu Auguste Lon-
gnon. Le tome V, consacré à la province de Trêves, a été terminé
par M. l'abbé Victor Carrière, sous la direction de M. Maurice Prou ^.
Le texte n'avait été établi par Longnon que pour les Trois-Évêchés.
C'est. à M. l'abbé Carrière qu'est dû l'achèvement de toute la par-
tie relative au diocèse de Trêves et la confection des précieuses
tables. En Italie, Trauzzi a publié la deuxième partie de son étude
Attraverso l'onomastica del meclio evo in Italia^.
Numismatique. — Le Manuel de numismatique française de
MM. Blanchet et Dieudonné*. qui comprend les monnaies royales
françaises depuis les origines jusqu'à la Révolution, est moins une
classification des monnaies qu'une étude des relations qui rattachent
l'histoire de la monnaie à l'histoire politique, administrative et éco-
nomique de la monarchie française. Le tome II, qui commence
avec Hugues Capet, est divisé en trois livres. Dans le premier, sont
exposés les caractères généraux de la monnaie royale : organisation
monétaire, procédés de fabrication, valeur. Dans le second, est retra-
cée l'histoire politique, économique et artistique delà monnaie. Dans
le troisième, sont décrites les différentes espèces frappées par les rois
capétiens. Cet ouvrage est appelé à rendre les plus grands services
aux historiens et économistes.
Ph. Lauer.
1. Normannikche Orstnamen bei ùrdericus Vitalis. Lingen (Ems), Acken,
1913, in-8°, G4 p.
2. Paris, Kiincksieck, 1915, in-4*, lxviii-600 p. {Recueil des historiens de. la
France. PouiUés, t. V).
3. Rocca S. Casciano, L. Cappelli, 1915, in-8°, 124 p.
4. Paris, Auguste Picard, 1912-1916, 2 vol. in-8°, vii-431 p., 3 pi., 248 (ig., et
X-4C8 p., 238 fig. et 9 pi.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
L.-M. Hartmann et J. Kromayer. Romische Geschichte. [Welt-
geschichte in gemeinverstàndlicher Darstellung , Drilter
Band). Gotha, Andréas Perthes, 1919. Gr. in-8°, x-384 pages et
3 cartes.
Ce volume fait partie d'une Histoire universelle destinée au grand
public; intitulé Histoire roumaine, il comprend cependant en outre,
par une singulière répartition des matières, l'histoire de l'Italie, de
l'Orient grec et de l'Islamisme jusqu'en 753 après J.-C. C'est un
simple manuel, suffisamment clair et précis, mais sans références,
-Sans notes, sans originalité, sans aucune qualité spéciale ni de forme
ni de fond. L'exposition et la critique des sources y sont plus que
sommaires; la bibliographie, encore plus misérable, offre ce trait carac-
téristique de ne guère signaler que des ouvrages allemands ; on y relève
à peine sept à huit noms étrangers, Pais, Modestov, Gibbon, Duruy,
Diehl, Salvioli, Duchesne, Bury, Rostovzev. Pour la deuxième par-
tie, il n'y a absolument qu'un auteur à lire : Moramsen ! M. Hartmann
a écrit la première partie, VHistoire romaine primitive, en quatre
chapitres, depuis l'époque préhistorique jusqu'à la fin de la conquête
de l'Italie et la guerre contre Pyrrhus. Tantôt conservateur, tantôt radi-
cal, il rejette toute l'histoire des rois jusqu'aux Tarquins, seuls histo-
riques, l'existence du consulat avant le milieu du v siècle, la pre-
mière retraite de la plèbe : il accepte la date traditionnelle de la loi
des Douze Tables,, recule jusqu'en 348 le premier traité de Rome
avec Carthage. La deuxième partie, due à M. Kromayer, continue en
trois chapitres l'histoire de la République jusqu'à sa chute. Rele-
vons-y seulement quelques opinions intéressantes : la concurrence du
blé étranger ne serait pour rien dans la décadence économique de l'Ita-
lie ; les colonisations de Sylla continuent l'œuvre des Gracques ; Pom-
pée est un précurseur d'Auguste. La troisième partie, écrite aussi par
Kromayer, traite en quatre chapitres l'histoire du principat, d'Auguste
à Dioclétien. La quatrième partie, écrite par M. Hartmann, a pour
titre la Chute du monde ancien. Les deux premiers chapitres étu-
dient les bases économiques et politiques de la société, l'esclavage, la
grande propriété, le colonat, les castes et les corporations, les classes,
la bureaucratie, les régimes militaire, fiscal et municipal. Le troisième
chapitre est consacré à l'histoire des empereurs jusqu'à Valens et
Valentinieu. L'histoire religieuse fait l'objet du quatrième chapitre et
VEITH : FELDZDG VON DYRRACHIDM ZWISCHEPJ CAESAR CND POMPEJUS. 245
celle des Germains et de leurs invasions l'objet du cinquième. Le
manuel devrait logiquement se terminer avec le sixième chapitre, con-
sacré à la fondation des royaumes barbares et à la disparition de l'Em-
pire d'Occident. L'auteur a cependant jugé bon d'y ajouter quatre cha-
pitres sur l'Empire d'Orient au v* siècle et les Ostrogoths; sur l'œuvre
de Justinien et la lutte des Byzantins contre les Perses jusqu'à Héra-
clius; sur la naissance et l'expansion de l'Islamisme en Orient et en
Occident jusqu'au viii» siècle; sur la séparation définitive de l'Italie
et de l'Or^nt, et l'État des Lombards jusqu'en 753, enfin un tableau
chronolog' ue de 753 avant J.-C. jusqu'à 753 après J.-C.
Ch. Lécrivain.
Georg Veith, ObersUeutnant. Der Feldzug von Dyrrachium
zvvischen Caesar und Pompejus. Vienne, Seidel et fils, 1920.
In-8°, xix-267 pages, avec 9 cartes et plans et 21 vues photogra-
phiques.
Auteur de ÏHistoire des campagnes de Jules César, collabora-
teur de Kromayer pour ses Champs de bataille de l'antiquité,
explorateur de l'Albanie sous le prince de Wied en 1914, oiBcier de
l'armée autrichienne durant la campagne de 1917 dans celte même
région, M. Veith était particulièrement compétent pour écrire la
Campagne de Dyrrachium entré César et Pompée. Son livre,
qui repose à la fois sur les textes et sur l'étude minutieuse du ter-
rain, est excellent; il adopte les solutions les plus vraisemblables,
rectifie et complète souvent les travaux de Stoffel et d'Heuzey; il
intéressera le militaire, l'historien, l'archéologue et le géographe.
Après la bibliographie très complète et l'examen des sources, surtout
du récit de César, sorte de Bulletin, M. Veith décrit l'état actuel du
terrain des opérations : la plaine marécageuse de la Muzakja; la par-
tie montagneuse; les rivières comprises entre Oricum et Dyrrachium,
la Vojusa [Aous), le Semeni (Apsus), formé par le Devoli et l'Osum
{Ason), le Skumbi (Genusus), le Darci, le Gesnike; le climat, avec
une saison séché et une saison des pluies; la malaria, endémique; les
ditïicultés des communications; la population de race illyrienne; les
cultures (céréales, oliviers) et l'élevage, dont le produit suffit à peine
au pays; en somme un champ d'opérations très défavorable. Il exa-
mine ensuite la topographie ancienne; les changements souvent con-
sidérables qu'a subis le cours des rivières depuis César; la popula-
tion illyrienne, surtout les Parthini, dont la ville était probablement
Clodiana; les villes grecques : Oricum (Palaeo-Kastro), Apollonia, Dyr-
rachium (l'ancienne Epidamnos, aiij. Durazzo), Lissus (Alessio), Nym-
phaeum (Saint-Jean de Medua), Byllis (Gradica), Amantia (plutôt
Kljosque Pljoca); les villages, dont Asparagium, près de Clodiana;
246 COMPTES-RENDOS CRITIQUES.
les voies romaines postérieures à César, surtout la via, Egnatia, avec
ses deux branches, de Clodiana à Dyrrachium et à Apollonia; toutes
les difficultés de cette région marécageuse, sans routes, sans ponts,
saris ressources alimentaires, probaiblement déjà ravagée par la mala-
ria, aussi impropre par conséquent alors qu'aujourd'hui aux opéra-
tions militaires. Deux chapitres reconstituent les manœuvres de César
et de Pompée avant la bataille de Dyrrachium, fixent en particulier le
débarquement de César à Palaeste (Strada bianca), celui d'Antoine à
Nymphaeum, les positions sur l'Apsus à Kuci, la réunion de César et
d'Antoine vers Elbasan, le camp de Pompée sur la rive droite, celui
de César sur la rive gauche du Skumbi. Les trois chapitres suivants,
consacrés à la bataille de Dyrrachium et à ses conséquences, décrivent
avec une précision remarquable les retranchements des deux adver-
saires, les camps principaux, celui de César au nord du Sumhil, celui
de Pompée à Pétra (Sasso bianco], la double ligne enveloppante de
César, la percée de Pompée, la contre-attaque, le désastre et la
retraite de César, la concentration de la flotte pompéienne pour blo-
quer le golfe de Valona. M. Veith étudie ensuite différents points : l'ar-
mée de Pompée, forte d'environ 115 à 120 cohortes de grosse infante-
rie de 360 à 400 hommes chacune, de 4,000 hommes d'infanterie légère,
de 7,000 cavaliers ; sa flotte de 320 bateaux; l'armée de César, forte de
onze légions et de 700 cavaliers, sa flotte extrêmement faible ; il dresse
la liste de ses légats. Il fixe le sens du mot justum iter qui représente
non pas la soi-disant marche normale de douze kilomètres, mais
l'étape normale d'un camp à un autre, et montre que, sauf dans des
circonstances spéciales, la capacité normale de marche du légionnaire
était à peu près la même que celle de nos troupes modernes. Il signale
les analogies singulières qui rapprochent la grande guerre de 1914-
1918 et la campagne de Dyrrachium, avec sa guerre de positions,
l'encerclement de Pompée par César, l'extension réciproque des deux
ailes jusqu'à la mer, la percée de Pompée. Il montre quelle impor-
tance a eue la question du ravitaillement. Pompée avait eu le temps
de le préparer; c'est au contraire le manque de vivres qui explique
beaucoup d'imprudences et d'actes de César, l'envoi intempestif de
détachements vers l'Est, la tentative d'envelopper un ennemi supé-
rieur en force, la retraite en Macédoine. Les soldats de César durent
remplacer en partie leur aliment essentiel, le blé (mangé sous la forme
soit de pain et de biscuits, soit de bouillie à la graisse), par de l'orge,
des légumes, de la viande, de la chara, une sorte d'arum indigène.
Le livre aboutit à la conclusion suivante : l'idée directrice de César
avait été d'enlever rapidement Dyrrachium et la côte pour couper
Pompée de sa flotte; mais la résistance de la ville et l'arrivée de Pom-
pée avec des forces supérieures l'obligèrent à des manœuvres témé-
raires qui devaient presque fatalement, malgré les fautes de Pompée,
aboutir à un échec. M. Veith compare la marche sur Dyrrachium à
la .marche sur Calais.
Ch. LÉCRIVAIN.
G. COHEN : MYSTÈRES ET MORALITÉS DU MS. 617 DE CHANTILLY. 247
Gustave Cohen. Mystères et Moralités du manuscrit 617 de
Chantilly, publiés pour la première fois et précédés d'une étude
linguistique et littéraire. Paris, Champion, 1920. In-4°, clix-
140 pages, 3 pi. Prix : 30 fr.
Le manuscrit 617 de Chantilly contient deux Mystères de la Nati-
vité et trois Moralités de date et de provenance incertaines. M. Cohen,
connaisseur émérite des choses et des œuvres du théâtre médiéval, les
a étudiés et publiés de façon excellente. L'examen attentif des parti-
cularités linguistiques des deux Nativités; l'étude approfondie des
rimes et des assonances; celle des allusions même, dans une cer-
taine mesure, le conduisent d'abord à affirmer que nous sommes en
présence de textes d'origine wallonne et plus précisément liégoise.
Cette thèse se trouve confirmée de la façon la plus amusante et la
plus topique par l'identification de deux noms qui figurent sur le
manuscrit : celui d'une sœur Catherine Bourlet, qui le copia au milieu
du xve siècle, celui d'une sœur Elys de Potiers, qui le posséda au début
du xviie, toutes deux du couvent des Dames blanches de Iluy, dans
la région même que, par avance, désignait la langue des Nativités.
Copiées et sans doute représentées à Huy vers 1466, ces deux pièces
sont évidemment antérieures à cette date. La première notamment et
la plus intéressante, d'une saveur naïve et prime-sàutière, entretient
d'étroits rapports avec le drame liturgique en latin : M. Cohen la rap-
proche notamment d'un drame de la Nativité de Bilsen en Limbourg,
proche de Liège et de Huy. Pour des raisons distinctes des siennes,
nous sommes, nous aussi, enclin à croire fort ancienne cette pièce
sobre et expressive. Elle est, si l'on peut dire, tout à fait « royaliste ».
De tous les noms qu'on peut donner à l'Enfant-Dieu, c'est celui de roi
que l'auteur retient et reprend avec le plus d'insistance. « Hey Dieu,
s'exclame Balthazar (v. 453 et suiv.), où est vostre sale royale et
vostre couche impériale? »
Où sont votre chevalier et vos chambrier.
Qui doiient eslre apresté por vos servir?
Très significatives, les paroles des trois chevaliers s'indignant contre
l'annonce d'un nouveau roi (v. 323-24 et suiv.), la plainte d'Hérode à
son peuple et l'affirmation de fidélité de celui-ci :
Car nos vous tenrons loyalté,
Et jamais en nostre terre
N'arons aultre roy ne maislre!
Archaïque aussi, l'épithète de « noble homme » adressée par Bal-
thazar à saint Joseph; elle irait déjà fort mal au saint Joseph enlu-
miné de Melchior Brœderlam, qui boit si gaillardement et si populai-
rement un coup de sa gourde pendant la fuite on Egypte. Par ailleurs,
248 COMPTES-RENDOS CRITIQUES.
^les deux sages-femmes n'apparaissent pas dans la Nativité de Chan-
tilly; M. Cohen pense que c'est par pudeur de couvent; mais c'est un
fait avéré que les deux sages-femmes disparaissent aiï xiii« siècle des
représentations plastiques de la Nativité pour reparaître beaucoup plus
tard seulement (par exemple, à Dijon, dans l'exquise Nativité du
maître de Flémalle, v. 1430). Toutes ces remarques vont dans le même
sens que celles de M. Cohen; il s'agit évidemment d'un texte ancien,
dont ,1a valeur se trouve accrue par là et l'importance. Quant à ses
apparentements, une particularité du texte aurait peut-être pu conduire
à quelques constatations intéressantes. Dans tous les drames litur-
giques latins que nous possédons, les offrandes sont présentées par
les trois rois dans l'ordre qu'indique le texte de Mathieu : Aurum,
thus, myrrha. Dans la Nativité de Chantilly, l'ordre est inverse :
Gaspard débute, offrant la myrrhe; Mélchior porte ensuite l'encens
et Balthâzar l'or. Il y aurait eu lieu de signaler et d'étudier cette ano-
malie ; ce que dit Hugo Kehrer de l'ordre des offrandes et de la pré-
séance des rois est précisément faible et, semble-t-il, erroné en
partie.
Au point de vue historique, cette fort ancienne Nativité, l'une des
plus anciennes Nativités en'« vulgaire « que nous possédions, offre un
intérêt spécial, qu'il faut marquer. S'il s'agit, et il s'agit d'un texte de
provenance liégeoise, de cette région de Liège dont Pirenne nous dit
qu'elle était dominée, à l'époque qui nous occupe, par des influences
flamandes fort nettes, la Nativité de Chantilly nous permet de préci-
ser ce que furent en réalité et dans quels domaines s'exercèrent ces
influences. Elle nous montre qu'elles n'entamèrent en rien le vieux
fonds populaire des idées et des sentiments wallons, qui était, cultu-
ralement parlant, un fonds français. Il ne s'agit pas de supposer ici,
arbitrairement, une « influence française « imaginaire, mais de con-
clure, comme Helbig jadis à propos de l'art mosan médiéval, « à des
similitudes dans les tempéraments, dans le caractère comme dans la
langue ». Ainsi l'étude de M. Cohen, intéressante pour le romaniste et
pour l'historien de la littérature, ne l'est pas moins pour l'historien
tout court.
Lucien Febvre.
James Hogan. Ireland in the european system. Tome I : 1500-
1551. London, Longmans, Green et C*^', 1920. 1 vol. in-8°,
237 pages. Prix : 12 sh. 6 d.
Comment l'Irlande, au XVF siècle, est-elle entrée dans le grand
courant de la politique internationale? Telle est la question qu'étudie
M. Hogan dans ce très intéressant ouvrage, pour lequel il a fait de
fort consciencieuses recherches dans les grands recueils de documents
diplomatiques qui ont été publiés, et sans entreprendre lui-même de
JAMES HOGAN : IRELAND Of THE EDROi'EAN SYSTEM. 249
nouvelles explorations dans les dépôts d'archives. Mais il semble qu'il
ait vu tout l'essentiel.
Les Irlandais, pour lutter contre l'Angleterre, cherchent des alliés
sur le continent et s'efforcent surtout d'obtenir l'appui de la France.
Les relations diplomatiques ont été préparées par des relations com-
merciales très actives, par des relations intellectuelles, car de jeunes
Irlandais, en assez grand nombre, viennent faire leurs études en France,
et aussi par des relations militaires, car, au xv* et au xvi» siècle, bien
des Irlandais servent dans Tarmée française et viennent grossir les
contingents écossais.
M. Hogan montre que c'est sous le règne de Henri VIII que les
Irlandais ont commencé à nouer, d'une façon suivie, des intelligences
avec l'étranger ; ils y sont contraints par la politique même de
Henri VIII et de Wolsey, qui veulent réduire l'Irlande par la
force. Aussi, dès 1523, le comte de Desmond et Kildare concluent-ils
un traité avec François I^""; celui-ci s'engage à envoyer en Irlande un
corps expéditionnaire; les chefs irlandais fourniront^ de leur côté,
15,000 hommes et 400 chevaux. Le but, c'est de chasser les Anglais
d'Irlande et de placer sur le trône d'Angleterre le duc de Suffolk. La
campagne commence non en Irlande, mais en Ecosse : c'est l'expé-
dition, commandée par le duc d'Albany, qui échoue, et bientôt la
défaite de Pavie réduit à néant tous les espoirs des Irlandais. Des-
mond se rapproche alors de Charles-Qyint et entame des négociations
avec ce prince en 1527. M. Hogan met eu relief le rôle de Desmond,
qui, le premier, a pris une conscience nette des aspirations nationales
de l'Irlande.
A partir de 1540, la politique de la France se précise. Sous l'in-
fluence d'hommes comme Léo Strozzi et Jean de Monluc, évêque de
Valence, on comprend que la question religieuse commande l'alliance
de la France et de l'Irlande, catholiques, contre l'Angleterre, protes-
tante, et que, pour combattre l'Angleterre, le moyen le plus sur c'est
d'envahir l'Irlande. La politique française est encouragée par la
papauté et par Reginald Pôle. C'est ce dernier qui emmène en Italie
le dernier survivant de la famille Kildare, le jeune Fitzgerald, ijui a
d'abord trouvé un asile en France, à la cour de François I'''", puis à
Liège. L'appui donné par la France au jeune chef irlandais irrite au
plus haut point Henri VIII, et la guerre éclate entre les deux pays
l'n 1543. Aussitôt, on prépare à Brest une expédition en Irlande, et
des négociations très actives sont entamées avec les chefs irlandais,
qu'irrite de plus en plus la politique religieuse de Henri VIII. Le gou-
vernement anglais considère le danger comme très sérieux, ainsi que
le montrent les lettres des agents de Henri VIII. Mais François I*""
fléçoit une fois de plus les Irlandais, car il renonce à l'expédition d'Ir-
lande pour celle d'Ecosse, en 1545. C'est un nouvel échec, puis survient
la paix, en 1546. Cependant François I""" rêve toujours une union de
la France, de l'Ecosse et de l'Irlande et il projette le mariage de Fitz-
250 COMPTES-KENDUS CRITIQUES.
gerald avec Marie Stuart, lorsque sa mort, en 1547, remet tout en
question.
Cependant, sous le règne de Henri II, l'Irlande doit jouer un rôle
plus considérable encore, car c'est le moment où la Contre-Réforme
s'organise dans toute l'Europe. En 1549, des négociations sont menées
en France, où viennent Wauchop et Sir George Paris, et en Irlande, où
se rend l'ambassadeur français en Ecosse, Jean de Monluc. L'expédi-
tion française est soigneusement préparée, mais la tempête empêche
le débarquement en Irlande (1550), et bientôt la lutte contre Charles-
Quint oblige Henri II à faire la paix avec l'Angleterre. Cependant, on
sent que ce n'est qu'une trêve. Les intrigues reprennent de plus belle
en Irlande, grâce à l'influence de Marie de Lorraine, du duc de Guise
et du cardinal de Lorraine. Henri II hésite cependant à faire la guerre,
en 1550 et 1551, et finalement il abandonne les Irlandais qui, comp-
tant sur l'appui de la France, se sont révoltés. Le gouvernement
anglais, averti par la diplomatie autrichienne, ne cesse cependant de
redouter les intrigues françaises et écossaises. A l'avènement de Marie
Tudor, en 1553, le danger paraît plus redoutable encore, car Henri II
a traité avec le prétendant Northumberland, et, en Irlande, les O'Con-
nor ont fait éclater encore une fois la révolte; l'arrestation de Nort-
humberland sauve la reine. Cependant, la diplomatie française ne
renonce pas à ses intrigues en Irlande, qui semblent avoir été actives,
au moment où se négociait le mariage de Marie avec Philippe II.
M. Hogan a donc raison de conclure que le rôle joué par l'Irlande
dans la première moitié du xvp siècle a contribué à fortifier en ce
pays la conscience nationale. Il s'est proposé seulement d'étudier
les relations extérieures de l'Irlande. On peut regretter qu'il ne nous
ait pas exposé, brièvement tout au moins, l'histoire intérieure de ce
pays, son organisation politique et sociale. Dans son récit, on voit
apparaître quelques chefs, Desmond, Kildare, les O'Neill, les O'Con-
nor. Mais on aimerait à savoir en quoi consistait le peuple irlandais.
Il nous parle du commerce très actif qui se faisait entre l'Irlande et
les ports français et il déclare que, sans l'oppression de l'Angleterre,
ce pays aurait pu jouer un rôle de premier plan dans l'histoire mari-
time et coloniale du monde. Quelles étaient donc les forces produc-
tives de rirknde, ses ressources économiques? C'est ce dont on dési-
rerait avoir une idée au moins sommaire, qui nous aiderait à mieux
comprendre les relations internationales, que M. Hogan expose avec
tant de conscience *.
Henri SÉE.
1. A sigaaler quelques fautes d'impression ; Marilloc pour Marillac; Ct/?i-
bier et Danjou, pour Cimber et Danjou.
G. LACOUH-GAYET : NAPOLÉON. 251
G. Lacour-Gayet. Napoléon. Paris, Hachette, 1921. 1 vol. in-4°,
587 pages, avec 524 illustrations et 24 planches hors texte en cou-
leurs. Prix : 100 fr.
Celui qui ouvre ce magnifique volume commence par regarder et
admirer les planches ; vingt-quatre sont en couleurs ; la plupart repro-
duisent les tableaux que nos visites au Musée du Louvre ou au Musée
de Versailles ont gravés dans notre mémoire : œuvres de Gros, de
Gérard, de David, de Couder, de Bouchot; d'autres sont empruntés à
des collections fermées, ainsi le portrait du roi Murât par Gros, le por-
trait de Madame Mère par Gérard à celle du prince Murât, le portrait du
roi de Rome de Lawrence à celle de M"'« la duchesse de Bassano. Nous
aurions souhaité, s'il avait été possible, de retrouver ici le fameux
portrait de Napoléon !«'■, vaincu à Waterloo, par David, qui se trouve
au château de la Punta, construit, au-dessus d'Ajaccio, par les Pozzo
di Borgo avec les ruines des Tuileries ; il eût fait contraste avec celui
de Bonaparte à Arcole qui ouvre le volume : entre les deux se déroule
la fortune prestigieuse qui fit du général de l'armée d'Italie un con-
sul, un empereur et le maître d'une partie de PEurope. A côté des
grandes planches hors texte, plus de 500 illustrations ont été données
dans le texte même : nombreux portraits des généraux, des ministres,
des artistes; palais impériaux; mobiliers et costumes de l'époque;
caricatures françaises et étrangères , estampes de diverses sortes,
cartes des champs de bataille, fac-similés de documents, signatures
ou paraphes de Napoléon aux diverses périodes de sa vie, etc., etc.
Les originaux sont conservés au cabinet d^estampes de la Biblio-
thèque nationale, au Musée de l'armée, au musée Carnavalet;
mais d'autres appartiennent à des collections particulières, comme
celles du prince Roland Bonaparte, du comte Primoli, du comte
A. de Ilunolstein, de M. Frédéric Masson à qui revenait de droit la
dédicace du volume. Nulle part, on ne trouvera réunie sur Napoléon
et son époque une iconographie aussi variée et aussi riche. La pro-
venance de chaque pièce est toujours indiquée avec soin : quelque-
fois on aimerait à être fixé sur la date de chacune d'elles ; à côté de
documents contemporains de l'empereur, pris sur le vif, on a placé
souvent des œuvres postérieures, des (puvres d'interprétation, ainsi
le i8i4 de Meissonnier, ou des lithographies du temps de la Restau-
ration et du gouvernement de Louis-Philippe.
Dans un tel ouvrage, l'auteur est naturellement un peu esclave des
images qu'il doit présenter. Ainsi on avait réuni un très grand nombre
de portraits de Maria Letizia Ramolino, la mère de Bonaparte. Pour
les mettre en valeur, M. Lacour-Gayet a dû consacrer à Madame Mère
un long chapitre, d'ailleurs fort intéressant, de son volume. Ce cha-
pitre est placé après le récit de la campagne de Prusse et de Pologne,
de 1806-1807. Nous revenons ainsi en arrière; on raconte la naissance
252 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
de Napoléon, on nous présente son acte de baptême; on expose la
mort du père, Charles Bonaparte, en 1785, les troubles de Corse sous la
Révolution, la fuite éperdue de la famille et son arrivée à Toulon le
13 juin 1793. Et nous suivons les destinées de la mère jusqu'à sa fin
qui arriva à Rome le 2 février 1836, quinze ans après que son fils eut
succombé à Sainte-Hélène. Suivent alors, pour une raison analogue,
trois chapitres intitulés : les frères de Napoléon, les sœurs de Napo-
léon, Napoléon et Joséphine, avec une illustration très abondante, de
nombreuses anecdotes, et qu'on lit avec un plaisir véritable.
Est-il nécessaire de dire que M. Lacour-Gayet connaît à fond son
sujet, qu'il a vu les documents de près, qu'il a mis à profit les nom-
breux historiens de l'époque napoléonienne, depuis ceux qui, comme
Chuquet, racontent la jeunesse de Bonaparte et énumèrent ses cama-
rades à l'école de Brienne, jusqu'à ceux qui, comme Henry Houssaye,
exposent la chute de 1814 rendue plus profonde par le retour de 1815.
Visiblement aussi, en beaucoup de ses pages, il s'est inspiré des écri-
vains étrangers. Mais, écrivant pour le grand public, il laisse de côté
les références et, loin d'étaler son érudition, il la dissimule. Pour
le même motif, il ne fait point sur Napoléon de théorie nouvelle ; il
ne montre point en lui exclusivement ou le Corse ou le jacobin; il
ne le dépeint point comme ami de la paix et entraîné, malgré lui,
dans les guerres; il ne tente point de faire une analyse de son génie
militaire et de formuler les principes qui l'ont mené à la victoire, ces
principes qui, au dire du maréchal Jofïre dans la préface mise en tête
du volume, « sont éternellement vrais et dont l'application vient encore
de nous conduire au triomphe ». Il raconte simplement la vie de
Bonaparte, montre comment les événements agissent sur lui jusqu'au
jour où il se trouve en quelque sorte maître d'eux et les mène à sa
guise. En son livre une place importante est faite aux campagnes,
sans qu'on puisse dire que son histoire soit, comme celle de Thiers,
une histoire militaire. Il trace de façon sommaire, mais nette, les plans
des batailles d'Austerlitz, d'Iéna, de Wagram, les péripéties de la cam-
pagne de France. Pourtant, il n'a garde d'oublier l'histoire des insti-
tutions ; il caractérise fort bien l'œuvre du premier consul « qui fut
moins une création qu'une restauration ; mieux encore, ce fut -une
fusion », la création de l'Université impériale : « De même que l'Etat
est l'unique marchand de tabac, il doit être l'unique marchand d'ins-
truction publique. » Il signale l'importance des questions écono-
miques, consacre quelques lignes aux progrès de l'industrie et aux
expositions. (Il n'a pu profiter des chapitres substantiels que M. Georges
Pariset consacre à ces sujets, les deux volumes ayant paru à peu
près en même temps.)
M. Lacour-Gayet porte sur Napoléon un jugement modéré et équi-
table ; il admire son grand génie militaire et son génie d'organisation,
le Napoléon de la guerre et celui de la paix ; il ne s'indigne pas contre
le coup d'État du 18 brumaire et répète avec Sorel : « Ce n'est pas
HAAEE : JOHANN PETER ANCILLON UND ÏRONPRINZ FRIEDRICH WILHEM IV. 253
parce que deux tambours et quelques grenadiers pénétrèrent dans
l'Orangerie de Saint-Cloud que le Directoire croula : la cause, ce fut
l'état général des esprits », et il rappelle que le 18 fructidor avait
atteint mortellement la constitution de l'an III. Mais il sait blâmer
aussi l'ambition du souverain qui voulait absorber en lui-même toute
la France et imposer sa volonté à l'Europe; que de sang il a fait cou-
ler et en définitive il a laissé la France beaucoup plus petite qu'il ne
l'avait trouvée en 1799! « Cet empire gigantesque, écrit M. Lacour-
' Gayet, ne pouvait durer : cette œuvre colossale avait contre elle le
bon sens, la tradition, la géographie. » Ces réserves n'ont pas tou-
jours été faites dans les diverses cérémonies qui ont marqué le cente-
naire ; il faut savoir gré à l'auteur de ce beau livre sur Napoléon de
les avoir formulées.
Chr. Pfister.
Paul Haake. Johann Peter Ancillon und Kronprinz Friedrich
w^ilhem IV von Preussen. Munchen u. Berlin, Oldenbourg, 1921 .
In-8°, iv-180 pages.
Id. Der preussische Verfassungskampf vor hundert Jahren.
Ibid., 1921. In-8°, vni-126 pages.
Ces deux études de M. Paul Haake, « privât dozent » à l'Uni-
versité de Berlin, se font suite; elles peuvent être analysées et
appréciées dans un même compte-rendu. L'auteur s'y occupe en
première ligne d'un personnage, passablement oublié de nos jours,
mais qui joua un rôle assez marquant dans la politique intérieure de
la Prusse, au cours des trente premières années du xix« siècle.
Membre de la colonie française de Berlin, prédicateur fort goûté de
l'église du Refuge, auteur d'un Tableau des révolutions du systè-nie
politique de l'Europe depuis le XV"« siècle (1803) et d'autres écrits
politiques, plus apprécié encore comme « philosophe des salons » à la
cour de Potsdam, Jean-Pierre Ancillon fut choisi en 1808 comme pré-
cepteur du prince héréditaire Frédéric-Guillaume, celui qui, né en 1795,
fils aîné de Frédéric-Guillaume III et de la reine Louise, régna de
1840 à. 1861 sous le nom de Frédéric-Guillaume IV. C'est de l'éduca-
tion du jeune prince et de ses vicissitudes que M. Haake nous entre-
tient tout d'abord, d'après les correspondances intimes du maître et
de l'élève, conservées aux Archives royales secrètes de Prusse. Elles
sont intéressantes surtout pour la période décennale qui suivit les
« guerres d'indépendance ». A ce moment, les libéraux allemands les
plus modérés réclamaient la réalisation des promesses faites par Fré-
déric-Guillaume III pour entraîner ses sujets a combattre rE?'6/"emd
Napoléon. Ancillon, d'un libéralisme très modéré, mais pourtant
assez éclairé pour comprendre la nécessité de réformes constitution-
nelles au sf'in de la bureaucratie prussienne, se prononçait alors en
254 COMPTES-RENDOS CRITIQUES.
faveur de ces réformes et le prince lui-même les appuyait auprès de
son père, qui, pris de scrupules, hésitait de plus en plus à tenir sa
parole, bien que le prince de Hardenberg, son grand chancelier, essayât
de l'amener à résipiscence. Après la mort de Hardenberg (1822) et
sous l'influence de la réaction générale en Europe, ces tentatives furent
abandonnées par leurs promoteurs intimidés; Ancillon et le Kron-
■prinz devinrent tous deux, sous l'influence du milieu, de plus en plus
réactionnaires ; quand l'ancien prédicateur et précepteur fut nommé, sur
le tard, ministre des Affaires étrangères (1832), il ne se souvenait plus
guère d'avoir été libéral. Quand il mourut, en 1837, on a pu résumer
sa carrière politique en disant de lui que « la lutte contre la Révolu-
tion avait été le but de son existence ».
Le second mémoire de M. Haake reprend l'exposé de la crise cons-
titutionnelle prussienne en remontant plus haut, jusqu'aux précurseurs
des aspirations libérales de 1813, jusqu'à Kant, à Fichte, à Schiller, au
baron de Stein ; il nous montre le monarque et son premier ministre
promettant, dès 1810, des assemblées provinciales et une représenta-
tion nationale. Après la victoire, l'édit du 22 mai 1815 semblait
annoncer la réalisation prochaine de ces promesses. Mais l'influence
de Metternich, de Schmalz, etc., l'emporta sur les sages conseils de
Hardenberg et de Guillaume de Humboldt; le clan féodal et la vieille
bureaucratie s'emparèrent de l'esprit timoré du roi et les espoirs des
patriotes avortèrent misérablement. Les suites de cette attitude sont
connues. Pour empêcher la Révolution de 1848, il importait de tenir
la parole engagée-en 1815; « mais, dit l'auteur en terminant, il aurait
fallu pour cela d'autres souverains que Frédéric-Guillaume IH et Fré-
déric-Guillaume IV ; ils n'étaient pas à la hauteur de leur tâche, et ils
ont suivi de mauvais conseillers ».
Rod. Reuss.
Jacques Ancel. Les travaux et les jours de l'armée d'Orient
(1915-1918). Paris, Bossard, 1921. 1 vol. m-8°, avec 2 cartes,
16 photographies et 233 pages. Prix : 7 fr. 50
L'armée d'Orient, dont la nécessité, la direction, le rôle avaient sou-
levé pendant la guerre dès discussions sans nombre, n'avait pas, depuis
la paix, trouvé en France un historien'. Récemment, elle inspira des
romans dont la verve truculente lui fit, du reste, plus de mal que de bien,
en paraissant grossir, contre le gré de leurs auteurs, la part, en réalité
infime ou inexistante, qu'auraient eue dans sa vie les intrigues mercan-
tiles et les joies de bastringue de certains milieux saloniciens. Elle a ali-
menté des souvenirs savoureux et pittoresques, mais anecdotiques et
1. Voir, sur le livre du colonel Feyler, publié à Genève en 1920, la Revue
historique, t. CXXXVl, p. 124.
J. ANCEL : LES TRAVAUX ET LES JOURS DE l'aRMÉE d'oRIENT. 255
personnels, comme ceux de J.-J. Frappa. Elle a provoqué des repor-
tages alertes, intelligents et avertis, mais forcément inégaux et un peu
superficiels, comme l'ouvrage de M. E. Helsey. Elle a suscité, soit des
récits restreints à l'œuvre d'un seul et par là même injustes, comme
les pages brillantes où M. Constantin Photiadès a célébré la victoire des
Alliés en Orient (15 septembre-13 nooembre 1918); soit de franches
apologies, comme celle qu'a écrite en traits de feu le général Sarrail et
qui, si elle devance, sur la plupart des points, par les preuves qu'elle
apporte à foison et l'évidence qu'elle révèle à chaque pas, le jugement
de l'histoire, n'en a, assurément, ni la largeur de composition ni la
sérénité. Mais elle n'avait pas, jusqu'à présent, fait l'objet d'une étude
synthétique et désintéressée. M. Jacques Ancel a souffert de cette
lacune ; il a voulu réparer cette injustice envers une armée à laquelle
il a eu l'honneur d'appartenir pendant deux ans et demi, et dont il a
pu, des divers postes d'observation où l'ont placé les hasards du ser-
vice, suivre mieux que personne le long et admirable effort. Il faut
avouer qu'il est bien près d'y avoir pleinement réussi: sous le titre
renouvelé de l'ancienne poésie grecque qu'il a choisi, comme pour voi-
ler d'une réminiscence classique l'émotion toujours présente qu'il
éprouvait devant le grand labeur, persévérant et douloureux, de l'ar-
mée d'Orient, il vient de nous donner un précis accompli d'histoire
contemporaine, objectif, substantiel et méthodique.
La méthode s'affirme tout de suite dans la présentation même de
ce volume élégant. Au bas des pages, l'auteur a cité, toutes les fois que
le commandait l'importance ou la nouveauté de ses assertions, les
sources dont elles jaillissent et qui les fondent en vérité. Afin de
mieux marquer l'enchainement des faits, il a jalonné son récit des
courtes et parlantes « manchettes » auxquelles recourent aujourd'hui
nos meilleurs manuels. Il l'a, en outre, illustré de photographies qui
sont toujours une parure, et, quelquefois (p. 66 : àCorfou, la fosse com-
mune des typhiques serbes; — p. 76 : les marais du Bas-Vardar; une
piste durant l'hiver 1915-1916; — p. 162 : la boucle de la Cerna; —
p. 188 : le Dobropolié), un enseignement direct et pathétique. De plus, il
l'a muni d'un index où les noms de personnes sont distingués des noms
de lieux, et les renvois aux pages des références aux notes, en sorte
que son livre sera aussi facile à consulter qu'il est agréable à lire.
Enfin, il l'a pourvu d'une carte d'ensemble, claire et détaillée, grâce
à laquelle le lecteur, même peu familiarisé avec la toponymie hétéro-
clite de la Macédoine et la complexité d'un terrain où les chaînes nei-
geuses alternent avec les marécages et les plaines sans écoulement,
pourra retrouver les péripéties d'une action que nul encore de ceux
qui ont cherché à la décrire ne s'était avisé de situer avec une égale
exactitude.
Pareillement, la documentation est de premier ordre, souvent de
première main. Attaché à l'État-major de l'armée française, puis à
celui de deux divisions du front de Monastir, linalement appelé parle
256 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
général Guillaumat à la tête de la section politique du quartier géné-
ral des armées alliées, M. Ancel a beaucoup vu par lui-même, et tout
. retenu. Par surcroît, il a pu consulter soit les archives de la section
historique, soit, et la chose, pour nous, revient au même, les offi-
ciers chargés de leur classement (p. 12). Il ne s'est pas fait faute de
compléter ses dossiers par les pièces imprimées en France (comités
secrets; annexes du livre du générail Sarràil) et à l'étranger (livre
blanc grec; révélations de Demetra Vaka, etc.), et ses lectures par des
conversations avec les premiers auteurs du drame et, notamment, avec
M. Venizelos. Maintes fois il lui arrive, par l'utilisation adroite d'une
confidence inédite ou le rapprochement imprévu de témoignages qui
s'ignoraient entre eux, ici de rectifier une erreur, là de mettre au point
une question mal élucidée ou de clore une controverse qui menaçait
de s'éterniser. Par exemple, p. 134-135, il relate la protestation qu'a
toujours opposée Venizelos au reproche d'avoir provoqué le rappel du
général Sarrail, et il ajoute que ses « renseignements personnels, dont
[il doit] taire la source', [lui] permettent d'affirmer que « c'est sur l'in-
tervention des Anglais et de Lloyd George que Sarrail dut d'être
relevé ». P. 21, il essaye de résoudre le problème des origines de
l'expédition de Salonique. Les compétitions créées par le succès ont
rendu fort laborieuse la recherche de cette paternité ; mais, si M. Ancel
ne se flatte pas de l'avoir découverte, du moins verse-t-il une pièce
intéressante au débat en nous apprenant que, dès novembre 1914, le
général Franchet d'Esperey avait fait tenir au président de la Répu-
blique un projet d'opérations rédigé par le colonel de Lardemelle,
revu et approuvé par lui, et tendant à refaire « à l'échelle de la vapeur
et de l'électricité », de Salonique comme base, et par la vallée du Var-
dar comme route, la marche sur Vienne que visait, en Italie, la cam-
pagne de 1796 :*la justice immanente aurait donc accordé au promo-
teur de l'idée d'en achever triomphalement la réalisation...
Mais ce ne sont là, pour M. Ancel, que des à côté : les détails ne
valent à ses yeux que dans l'ensemble, et c'est de l'ensemble qujl
s'efforce à tracer une esquisse intelligible et véridique. En 1915, l'ar-
mée d'Orient a sauvé l'armée serbe de la destruction totale; en 1916,
elle a délivré la Macédoine et « accouché » la révolution hellénique;
en 1917, elle a opéré sa jonction avec les Italiens d'Albanie et l'Adria-
tique, et écarté le péril constantinien ; pendant les premiers mois de
1918, elle a consolidé ses positions, élargi ses bases, perfectionné ses
services, amélioré ses ravitaillements; dans le second semestre de
1918, renforcée par l'appoint de la Grèce venizeliste, elle a rompu les
lignes ennemies, et jeté bas, du même coup de massue, le Bulgare,
le Turc et l'Autrichien. M. Ancel a nettement marqué les phases déci-
sives de la lutte ; il en a saisi les rapports et la liaison ; et c'est en
pleine lumière que, de chapitre en chapitre, il nous achemine, par la
1. J'imagine que les « renseignements » alla « protestation » ne doivent pas
sortir de sources très éloignées l'une de l'autre.
J. ANCEL : LES TRAVAUX ET LES JOI'BS DE l'aRMKE d'oRIENT. 257
voie âpre et détournée qu'ont suivie les événements, jusqu'aux cimes
• radieuses où se posa la victoire finale. Des descriptions brèves et corn-
préhensives d'un pays accablant et meurtrier rendent sensibles les
dilïicultés de l'énorme tâche. De sobres et saisissants portraits des
chefs qui la dirigèrent se détachent de la masse anonyme des soldats
qui l'accomplirent (voir p. 35 celui du général Sarrail; p. 184, celui du
général Franchet d'Esperey). Je n'adresserai à l'exposé de M. Ancel
que deux critiques : on ne voit pas assez, en l'étudiant, que l'année
1917 a été une des plus dures pour l'armée d'Orient. L'émerveille-
ment qu'inspire à l'auteur « la campagne contre la fièvre et la famine »,
menée dès cette année-là avec une extraordinaire énergie, lui a mas-
qué la vigueur de celle que, concurremment, le général Sarrail a con-
duite contre le Bulgare, d'abord avec la tentative de dégagement de
Monastir par une avance entre les lacs d'Ochrida et de Presba (février
1917), puis avec la tentative de dégagement direct en direction de
Krklina (mars 1917), enfin et surtout avec la tentative de rupture dans
la boucle de la Cerna (9 mai 1917). Sauf la seconde, qui a partiellement
atteint ses objectifs par la prise de la cote 1248, ces tentatives n'ont
pas réussi. Elles n'en représentent* pas moins un sérieux efïort du
commandement pour répondre à l'appel de l'État-major interallié du
front occidental et d'héroïques sacrifices de la part des troupes; et
l'on eût aimé voir M. Ancel rendre hommage au courage malheu-
reux, en même temps que discerner les causes que j'imagine à ces
échecs immérités : en février, l'alerte qui, probablement donnée à
l'ennemi par l'espionnage albanais, nous a empêchés d'obtenir l'effet
de foudroyante surprise que nous avions escompté ; en mai, la puis-
sance encore redoutable des Allemands qui avaient pu concentrer dans
la boucle de la Cerna, avec de nombreuses batteries d'artillerie lourde,
un corps d'armée et demi de leurs meilleures troupes, encadrant les
bataillons bulgares et galvanisant leur lassitude. Le second reproche
que j'exprimerai à M. Ancel est d'avoir trop annihilé les actions indi-
viduelles. Dans son avant-propos, il se défend « d'avoir méconnu le
rôle des chefs ». Il me semble, cependant, qu'il l'a réduit plus que de
raison, et qu'il n'aurait dû ni raconter la retraite de Serbie sans faire
une allusion à l'admirable activité du général Leblois qui commandait
alors la 57« D. T., ni exalter le sauvetage de l'armée serbe sans nom-
mer l'amiral Lacaze qui, au témoignage des Serbes eux-mêmes, l'a
personnellement organisé. De même, on regrette de ne point retrou-
ver, sous sa plume, le souvenir des exploits dont certaines unités,
exceptionnellement valeureuses, s'étaient illustrées : le 2" bis de zouaves
de feu le lieutenant -colonel Déchizelle, le 176<= que commandait,
sous Florina, le colonel Salle, le groupe léger, les 371« et 372« régi-
ments de réserve auxquels le général Sarrail attribua la fourragère. On
comprend d'autant moins le silence de l'auteur sur les hauts faits de
ces corps d'élite qu'au moins en ce qui concerne les trois derniers il
les avait vus à l'œuvre, sous le feu, tandis qu'en compagnie du géné-
Rev. IIistor. CXXXVn. 2" FASC. 17
258 COMPTES-BEIVnDS CRITIQDES.
rai Jacquemot il parcourait leurs tranchées ou se glissait à leurs
observatoires. Mais c'est à peine si l'on pourrait soupçonner ailleurs
qu'il a séjourné à Monastir et qu'il y a rempli des fonctions « dans la
salle d'interrogatoire, quand le 105 [trouait] la cour voisine » (p. 10?).
La raison se devine pourquoi aux « jours » de l'armée d'Orient
M. Ancel n'a pas ajouté quelques « journées » ; la modestie du lieu-
tenant a fait tort à l'historien.
Il est, par contre, un mérite qui distingue son livre entre tous
et dont on ne saurait trop le féliciter ; c'est l'impartialité. M. Ancel
l'a pratiquée, non peut-être sans regret', mais résolument. Il n'a
point cherché le succès facile que donne la critique insinuante ou
suraiguë. Il n'a certes point caché les fautes quand il en a rencontré
sur son chemin (voir ce qu'il dit des puérilités des débuts de notre
occupation à Korica, p. 142). Mais il ne s'est pas fait un plaisir de les
poursuivre et de les analyser. Il s'est donné, au contraire, celui, très
noble et salutaire, d'admirer. Pour lui, « les polémiques ne comptent
point qui ont tenté de rogner le lot de l'un ou de l'autre » (p. 10);
la besogne est vaine et vilaine qui consisterait à ne grandir un vain-
queur qu'au détriment des autres. En des conjonctures diverses, avec
des tempéraments différents, Sarrail, Guillaumat, Franchet d'Esperey
se sont montrés dignes de la confiance que la patrie avait mise en eux.
Le maréchal Franchet d'Esperey a été le plus heureux : avec cette
volonté irrésistible et lucide qui a frappé tous ceux qui l'approchèrent,
il a triomphé en cinq mois, et, comme César, il pourrait dire :
Veni, vidi, vici. Sans lui chicaner cet impérissable honneur, on ne
pourra qu'associer à sa gloire les devanciers dont il a couronné splen-
didement l'œuvre grandiose. Dans le semestre de son propre com-
mandement, le général Guillaumat n'a eu le temps de déployer que
ses éminentes facultés d'administrateur; mais, rentré en France, il
s'est fait, dans les conseils interalliés de l'été 1918, hostiles ou scep-
tiques, l'apôtre de l'ofïensive générale dont son coup d'oeil avait dis-
cerné l'opportunité et dont son enthousiasme entraîna la résolution,
et cela avec une abnégation émouvante, puisqu'il savait, tout en per-
suadant ses interlocuteurs, qu'un autre conduirait à sa place l'opéra-
tion qu'il préconisait et selon un plan qui difïérait du sien (p. 176).
Quant au général Sarrail, le commandant en chef de 1915, 1916 et
1917, des jours incertains et des situations tragiques, s'il n'a pas vu la
victoire, il n'a jamais cessé ni de l'espérer, même aux heures les plus
critiques de la campagne, ni de la préparer avec une profondeur de
vues et une décision étonnantes. Politique et diplomate, il a manœu-
vré parlement et gouvernement pour en obtenir les effectifs et le
matériel sans lesquels toute action sérieuse et de quelque envergure
était condamnée d'avance; il a réalisé, avec une ténacité et une
souplesse dont tous nos alliés ne lui ont pas su gré, et bien au delà
1. On sent la grifte rentrée, p. 30, SI, 113, etc.
WLADTMIR WOYTINSKI : LA DÉMOCRATIE GEORGIENNE. 259
des pauvres satisfactions verbales que lui apportaient les formules
délibérées à Chantilly, Paris, Londres ou ailleurs, ce commanderaent
unique sans lequel, pas plus en Orient que sur le front occidental, le
succès n'eût été possible. Diplomate et soldat, il a dénoncé, isolé,
crevé l'abcès grec, ce qui a fourni aux Alliés, en 1918, avec les
80,000 fusils du contingent hellénique, l'efîectif indispensable à leur
ultime manœuvre de percée. Grand chef, il a réussi, d'abord en jetant
en avant, avec une tranquille audace, à mesure de leurs débarque-
ments, les régiments serbes et français qui lui furent envoyés à par-
tir de mai 1916, ensuite en les maintenant contre toutes les sugges-
tions de repli sur cette ligne rationnelle qu'il avait arc-boutée à la
Strouma vers l'est, aux lacs vers l'ouest, à établir du premier coup,
puis à assurer inébranlablement ce front continu d'où notre attaque
générale s'est, deux ans plus tard, élancée à la victoire ; mieux encore,
il a, dès le printemps de 1917, et dans les instructions qu'il donna au
général Grossetti, commandant alors les troupes françaises, ébauché le
schéma stratégique qu'elle a suivi au glorieux automne de 1918 (p. 177).
Suum cuique : M. Ancel, en faisant œuvre de vérité, a fait aussi œuvre
de justice, et il n'a pas à craindre que les histoires à venir brisent le
cadre solide ou modifient sensiblement les conclusions durables de
son excellent petit livre.
Jérôme Carcopino.
Wladimir Woytinski. La démocratie géorgienne. Paris, Félix
Alcan, 1921. 1 vol. in-8°, vii-304 pages. Prix : 16 fr.
Ce consciencieux ouvrage vient heureusement compléter les rensei-
gnements qui nous ont été fournis par le livre de M. La Chesnais,
dont il a été récemment rendu compte dans la Rev. histor.,
t. CXXXVI, p. 11.3. M. Woytinski insiste beaucoup plus que ce der-
nier ne pouvait le faire sur le passé de la Géorgie, sur sa condition
économique et sa constitution sociale.
On nous montre, tout d'abord, comment la Géorgie chrétienne, au
milieu des puissances musulmanes qui ne cessaient de la menacer,
s'est tournée forcément vers Moscou et a recherché la protection des
tsars. Elle est devenue d'abord un État vassal, puis, en 1801, elle a
été incorporée à la Russie ; le gouvernement russe a employé d'ail-
leurs, au delà du Caucase, la politique de russification à outrance dont
il a usé à l'égard de tous les allogènes.
M. Woytinski insiste sur l'unité ethnique de ce peuple de trois mil-
lions d'habitants, dont toutes les fractions appartiennent à la même
race, malgré la nomenclature de nombreuses tribus, qui ne se dis-
tinguent les unes des autres que par des variétés dialectales et par cer-
taines coutumes particulières; seuls, les montagnards se différencient
du reste de la nation par une physionomie tranchée. Les Géorgiens
260 COMPTES-UENDUS CRITIQUES.
sont essentiellement un peuple de paysans, très démocratique, car
beaucoup de cultivateurs sont propriétaires et les nobles n'ont que des
propriétés peu étendues. Les intellectuels eux-mêmes sortent du peijiple
et n'oublient pas leurs origines. Enfin, la propriété collective et le mir
russe n'ont jamais existé en ce pays.
Il est assez curieux de constater que cette contrée agricole ait donné
naissance à un puissant parti socialiste, qui s'est organisé, en 1885,
sous l'inflaence de quelques hommes remarquables, comme Noë Jor-
dania, et qui s'est d'abord employé surtout à lutter contre la bureau-
cratie tsariste. Mais on comprend que ce soit la tendance possibiliste
ou menchevik qui ait prédominé en Géorgie; les maximalistes ou
bolcheviks n'y ont jamais eu que très peu de partisans. M. Woy-
tinski montre le rôle considérable qu'ont joué à la Douma, et surtout
à la deuxième Douma, les députés géorgiens, dont le plus éloquent et
le plus actif fut Tseretelli.
La révolution, qui a chassé le tsarisme au printemps de 1917, fut
accueillie avec enthousiasme en Géorgie. Mais le coup d'Etat bolche-
viste (novembre de la même année) fut la source de grosses difficultés.
Par la cessation des hostilités, le front du Caucase fut brusquement
dégarni : on eut à redouter, à la fois, les incursions des Turcs et les
violences des soldats démobilisés. Pour parer à ce double danger, la
démocratie géorgienne organisa une garde populaire, qui eut pour
principal office de désarmer les soldats revenant du front, qui assura,
en même temps, la défense extérieure du pays et empêcha les luttes
entre Arméniens etTatars, qui ensanglantaient la Transcaucasie orien-
tale.
Comme M. La Chesnais, mais avec moins de netteté, M. Woytinski
montre que la politique bolcheviste obligea la Géorgie à se séparer de
la Russie et à proclamer son indépendance (mai 1918), et que, pour
se préserver de l'invasion russe, on dut demander la protection des
Allemands.
Depuis l'armistice, la Géorgie, libérée de l'emprise allemande, a pu
s'organiser comme État indépendant. C'est un régime purement démo-
cratique qui s'y est établi. Les soviets ont abandonné leur pouvoir à
une Constituante, qui, en février 1919, a été élue au suffrage univer-
sel direct (les femmes ont le droit de vote). Les élections ont donné
une immense majorité au parti social-démocrate. Une constitution
très démocratique a été établie, avec référendum et droit d'ini-
tiative ; le chef de l'Etat n'est autre que le chef du cabinet des ministres,
, de sorte que le Parlement dispose d'un énorme pouvoir. D'ailleurs, on a
créé un self-government local ayant de larges attributions, et les
soviets ouvriers ont été conservés. Le peuple exerce donc une influence
réelle et très directe sur le gouvernement.
On trouvera dans le livre de M. Woytinski les renseignements les
plus précis sur la réforme agraire qui a été accomplie en Géorgie, et
qui marque une révolution sociale très profonde. Elle s'opéra très rapi-
dement et très facilement pour ceux des paysans qui étaient métayers
WLADIMIR WOYTIIVSKl : LA DEMOCRATIE CÉORGIEIVIVE. 261
et qui s'affranchirent de la part due aux propriétaires, sans d'ailleurs
qu'il y ait eu de violences. La Constituante, pour doter les paysans
dénués de propriété, ordonna la confiscation des terres, laissant aux
anciens propriétaires quatorze déciatines (environ quinze hectares) de
terre arable. Avec ces terres confisquées, et aussi avec les domaines de
la couronne et des princes, on constitua un fonds agraire d'environ
quatre millions d'hectares ; on décida de vendre aux paysans les terres
arables et aux communes, sous forme collective, les pâturages. Puis
on commença de grands travaux de défrichement, afin de caser les
paysans qui n'avaient pu encore se procurer de terre. Ainsi la réforme
agraire a consisté à affranchir ou à créer la propriété paysanne, mais
sous forme individuelle. Le socialisme géorgien s'est refusé à organi-
ser le communisme.
En matière industrielle, on a suivi le même principe. On a conservé
les entreprises privées, mais en protégeant fortement les ouvriers et
en soumettant au contrôle de l'Etat tout emploi de la main-d'œuvre.
Un décret réglemente minutieusement tout ce qui concerne le
contrat de travail, l'embauchage; les salaires sont soumis aussi
au contrôle de l'État, grâce à une Chambre des tarifs; enfin,
dans les grandes entreprises, des commissions spéciales, élues par
les ouvriers, surveillent tout l'ordre intérieur de l'usine. L'État s'est
préoccupé d'ailleurs d'étendre les monopoles publics: il a organisé
sous cette forme l'exportation du tabac, de la soie, du manganèse.
L'État géorgien a manifesté une très grande activité en matière éco-
nomique. Il s'est efforcé de développer les forces productives du pays,
dont le gouvernement tsariste avait singulièrement négligé l'exploita-
tion. La productivité des mines s'est beaucoup accrue et un vaste pro-
gramme de travaux a été dressé. Mais c'est l'agriculture qui a le plus
gagné à la révolution : en 1920, la superficie ensemencée s'était accrue
de 20 à 30 "/o et on récolta trente-sept millions de pouds de céréales,
chiffre supérieur à celui des meilleures années antérieures.
En ce qui concerne la culture intellectuelle, on a tracé aussi un
grand programme de réformes, dont la réalisation n'est encore qu'ébau-
chée; cependant, 2,000 écoles primaires fonctionnaient déjà en 1920;
on avait créé 156 écoles primaires supérieures, amélioré l'enseignement
secondaire, réorganisé l'Université de Tiflis, fondé des cours d'adultes,
établi la gratuité à tous les degrés de l'enseignement.
Dans un dernier chapitre, l'auteur insiste sur les difficultés de la
politique étrangère que doit suivre l'Etat géorgien. Il a dû se garder
à la fois des attaques des Turcs et des entreprises de la Russie sovié-
tique. En dépit du traité conclu avec celle-ci, on sait que le gou-
vernement bolcheviste est parvenu tout récemment à mettre la mam
sur la Géorgie. La Société des Nations n'a-t-elle pas commis une
grande faute en se refusant à admettre comme membre ce vaillant
petit pays, qui méritait de conserver son indépendance?
Henri Sée.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire générale. — Institut américain de droit internatio-
nal. Procès-verbaux de la première session tenue à Washington, du
29 décembre 1915 au 8 janvier 1916 (New-York, 1916, 1 vol. in-8»,
155 p.). — Fondé le 12 octobre 1912, l'Institut américain de droit
international a été inauguré à Washington le 29 décembre 1915. Deux
citations préciseront le but poursuivi par les créateurs du nouvel Ins-
titut : « L'intention était, non d'enseigner un droit des gens exclusive-
ment américain, mais de défendre le droit des gens au point de vue
américain et d'ajouter ainsi à la matière du droit positif naissant une
somme de précieuses et nouvelles données*. » « Que l'Institut améri-
cain, composé d'un nombre égal de pubiicistes représentant chacune
des Sociétés nationales créées dans chacune des vingt et une répu-
bliques américaines, fasse comprendre au monde qu'une Société des
Nations existe, qu'il y a une solidarité entre ses membres, qu'un droit
est nécessaire pour régler la conduite de chaque nation vis-à-vis des
autres membres de la Société et qu'il doify avoir un instrument pour
développer et créer le droit, ainsi qu'un instrument pour le détermi-
ner et l'appliquer aux litiges toutes les fois qu'il s'en élève entre les
nations. » Tel est l'espoir formulé par M. James Brown Scott, prési-
dent de l'Institut, en terminant son discours d'inauguration (p. 51).
Les premiers travaux ont, en conformité de ces sentiments, abouti
à l'adoption des statuts de l'Institut américain de droit international
et d'une Déclaration des droits et devoirs des nations.
Léon Adam.
— Samuel Rachel, Jurisconsult and Professer of Law in the illus-
trious University of Holstein, De jure naturae et gentium disserta-
tiones duae, edited by Ludwig von Bar, professor of Criminal Law
and Procédure and of International Law in the UniA'ersity of Gôttingen
(Washington, 1916, 2 vol. gr. in-S"; fait partie des « Classics of inter-
national law », publiés sous la direction de James Brown Scott). —
Le droit international primitif a offert le caractère d'une doctrine
morale ou philosophique plutôt que celui d'une véritable science juri-
dique. La théorie précéda naturellement la pratique. Mais, à mesure
que la personnalité et la souveraineté des États se précisèrent et s'af-
fermirent, le droit des gens entra dans une voie de réalisation plus
positive. Cette évolution peut être considérée comme coïncidant avec
1. J. de Lauler, le Droit internalional public positif, t. I, p. 157.
niSTOIKE GÉNÉRALE. 263
la paix de Westphalie de 1648, qui resta jusqu'à la Révolution fran-
çaise la charte principale des rapports internationaux entre peuples
européens.
Antérieurement à 1648, le savant hollandais Grotius avait recherché
et posé les bases du droit international dans des écrits fort curieux. Il
distinguait le droit naturel, « éternel et immuable, indépendant de la
volonté humaine et même divine, possédant une force directement
obligatoire pour les hommes et les peuples, et le jus voluntarium,
établi par la volonté divine ou humaine ». Grotius montre une préfé-
rence évidente pour le droit naturel. Quelques esprits plus positifs
estimèrent qu'il ne fallait point attendre trop de bien des mirages
du droit naturel et cherchèrent des bases plus solides. De ce nombre
fut Samuel Rachel (1628-1691), Allemand du Holstein. qui devint en
1665 professeur à Kiel et fit paraître en 1676 ses De jure naturae et
gentium dissertationes duae. Il reconnaît les exigences de la néces-
sité et des relations naturelles, source véritable du droit des gens.
« Le droit spécial s'appuierait sur l'accord exprès, c'est-à-dire que ce
droit n'existerait qu'entre contractants; le droit général ou droit des
gens véritable s'appuierait sur un accord tacite reconnu par les cou-
tumes et obligatoire pour tous'. » La « coutume » du droit des gens
est depuis longtemps remplacée par la Convention internationale.
Au point de vue historique, la publication de M. L. von Bar, qui
contient dans le tome I le texte de l'édition originale et dans le
tome II une traduction en anglais par M. John Pav^'ley Bâte, présente
aujourd'hui un réel intérêt. Il est singulièrement instructif et édifiant
de rapprocher des idées exprimées par le professeur allemand de 1676
la mentalité allemande actuelle, qui, dans la dernière guerre, a systé-
matiquement foulé aux pieds les principes les plus élémentaires du
droit naturel et du droit positif des traités. Léon Adam.
— Les historiens qu'intéresse l'aspect juridique des questions éco-
nomiques accueilleront avec une grande faveur le livre clair et subs-
tantiel que M. Julien Bonnecase, professeur à la Faculté de droit de
Bordeaux, consacre au Particularisme du droit commercial mari-
time (Bordeaux, Delmas, 1921, in-S", 146 p.). Procédant à une rigou-
reuse analyse et appuyant ses raisonnements sur une série de cons-
tatations concrètes, M. Julien Bonnecase montre que la notion de
particularisme se résout en fin de compte dans l'état inorganique et
dans le caractère essentiellement anarchique de ce droit. L'abdication
progressive du législateur devant les corporations maritimes a fait
perdre de vue le caractère véritable du droit maritime, partie inté-
grante du droit commercial et, par suite, du droit privé; mais cette
dépendance demeure manifeste dans certaines institutions (avarie
commune, assurance mutuelle) qui s'(^xpliquent organiquement et
rationnellement par des notions inhérentes au droit privé général.
1. J. de Lauter, le Droit international public positif, l. I, p. 112.
264 NOTES BJBLIOGKAPHIQOES.
Aussi bien le jurisconsulte a-t-il moins en ces matières à recourir aux
textes qu'à dégager des faits et des intérêts la part qui revient à la
pure notion du droit; telle est la vérité profonde qui apparaît dans
ces appels à 1' « ordre public » et à 1' « équité >> que les procès mari-
times reproduisent si souvent. On voit toute la portée de cette remar-
quable étude qui amorce, par la conception qu'elle exprime, un traité
de droit maritime en préparation. L. Villat.
— D. P. Heatley. Diplomacy and the study of international
relations (Oxford, Clarendon Press, 1919, in-8°, 292 p.). — Suite de
dissertations vagues sur l'art de la diplomatie, sans ordre ni plan bien
apparent. Notes successives, entrecoupées de réflexions générales, sur
un certain nombre d'ouvrages ayant des rapports plus ou moins loin-
tains avec l'histoire diplomatique, tels que le manuel de Langlois et
Stein (les Archives de l'Histoire de France) analysé en deux pages,
ou l'Atlas histoHque de Droysen... A l'appendice, des morceaux
choisis d'ouvrages anciens concernant les qualités que doit posséder
le parfait diplomate. Le tout aussi décousu et aussi lâche que pos-
sible. On ne voit pas bien à quel public peut s'adresser un tel livre
ni quels services il peut rendre. L. Febvre.
— Alexandre de Olazabal. Vers l'^émancipation écpnomique
(Paris, Giard et C'^, 192i, in-16, xiv-87 p.). — Dans cette « Lettre
ouverte au Président de la nation argentine », l'auteur établit un plan
pour résoudre la crise sociale moderne. Écrite dans une langue fleurie
de métaphores redondantes et étonnamment imprécise, elle oppose
d'abord le type de civilisation française aux types allemand et
anglais, puis détermine les principaux moments de l'évolution éco-
nomique argentine et les tendances politiques et sociales des grands
partis argentins : socialiste, radical, démocrate. D'après M. de Olaza-
bal, ces partis peuvent s'associer pour opérer la nation du * cancer
capitaliste » ; par le groupement des associations corporatives en socia-
lisant le capital, par l'organisation des forces productives au moyen
d'un parlement économique, par la simplification des organismes
politiques dans le cadre de la patrie et de la propriété, M. de Olaza-
bal espère résoudre la crise qu'il a d'abord définie; ces modçstes
solutions valaient-elles de s'envelopper dans un langage si chatoyant
et si hermétique? G. Bourgin.
— Dans une publication ofiicielle du Bureau international du tra-
vail (Statut international des marins. Communication adressée
aux gouvernements par le Bureau international du travail.
Genève, 1921, in-8°, 135 p.), on trouvera, pages 126-134, une intéres-
sante « Notice historique sur les premiers codes maritimes ». Ces
codes sont les lois de Rhodes, les ordonnances de Trani, les rôles
d'Oléron, les lois de Wisby, celles de Damne et le Consolato del
Mare; il faut y ajouter la procédure des juridictions spéciales aux
armateurs et marins, les coutumes spéciales à telles ou telles régions
HISTOIRE DE l'antiquité. 265
OU mers. Au xvii« siècle, on commença à codifier le droit maritime
sur une base nationale, telle « l'Ordonnance de marine » de 1681, et
c'est par un retour curieux de l'évolution économique et juridique que
la question est actuellement posée d'un « Statut international des
marins ». G. B.
— Le lieutenant-colonel d'État-major U. Spigo étudie, dans la très
technique Rivisla Marittima de mars 1921, pages 589-640, « la Guerre
et les lois du déterminisme économique » ; il y fournit une importante
contribution à la méthodologie historique. M. Spigo montre, par de mul-
tiples exemples, comment l'unification nationale et l'expansion écono-
mique qui en résulte préparent fatalement des conflits entre les Etats
parvenus à peu près au même stade de développement intérieur. Les
moteurs puissants du matérialisme économique peuvent bien être recou-
verts par la phraséologie poétique, juridique, historique ou sentimen-
tale; ce sont eux en dernière analyse auxquels obéissent les hommes-
et ce sont les lois économiques qui règlent finalement l'issue des guerres.
Le récent grand conflit mondial et ses suites fournissent à M. Spigo
un grand nombre de faits qu'il interprète à la lumière de sa théorie,
mais dont le choix et l'interprétation portent la marque de son ori-
gine nationale, ce qui fait que l'auteur apporte lui-même, inconsciem-
ment, une espèce de correction à ce que son système a de trop méca-
nique et de trop rigide. G. B.
— M. E. W. Hume, dans un intéressant article publié par la revue
technique The Engineer (12 novembre 1920, p. 482-484), a dressé
une bibliographie choisie de l'histoire de la mécanique depuis les ori-
gines de l'humanité jusqu'en 1640. G. B.
Histoire de Tantiquité. — J. K. Fotheringh.\m. A solution* of
ancienl éclipses of the Sun (extrait des « Monthly notices of the
Royal astronomical Society », vol. LXXXL 2, in-8o, 24 p.). —
M. F'otheringham, bien connu par ses savantes recherches astrono-
mico-historiques, passe ici en revue un certain nombre d'éclipsés de
soleil, la plupart totales, mentionnées par des documents historiques
qui s'échelonnent entre 1062 av. J.-C. et 364 ap. J.-C. Il cherche à en
préciser la date et l'heure exactes, la dimension, la zone de visibilité,
puis, par de savants calculs où nous ne pouvons pas le suivre, il en
déduit certaines conséquences pour la détermination des accélérations
séculaires du soleil et de la lune qu'il estime à 10 secondes 8/10 pour
la lune et à 1 seconde 5/10 pour le soleil. L'historien sera surtout
intéressé par la discussion des textes relatifs aux éclipses observées
par les Babyloniens ou les Grecs; l'auteur parait parfaitement au
courant de la « littérature » très abstruse de ces questions ; sa critique
est pénétrante et son jugemeut sensé. Toutefois, il ne devait pas
mettre en doute l'aHirmation de Thucydide que pendant l'éclipsé de
1. Le .sens du mol solution m'échappe.
266 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
430, quoique incomplète, « quelques » étoiles devinrent visibles ; les
Anciens avaient de meilleurs yeux que nous et le ciel de l'Attique est
d'une pureté incomparable. D'autre part, il a dû se glisser une coquille
ou une erreur dans la discussion (p. 112) de la fameuse éclipse de
Phlégon, qu'on a voulu identifier à l'obscurcissement du ciel pendant
la crucifixion. Fotheringham la fixe au 29 novembre 24, which fell
in the first, not the fourth y car, of Olymp. 202. Mais le mois de
novembre 24 tombe dans 01. 200,4 et non pas 202,1 ; la date de 202,1
correspondrait à 29/30 ap. J.-C. Ou Fotheringham (c'est-à-dire ici
Kepler) s'est trompé, ou le texte de Phlégon a été altéré à la fois quant
à l'olympiade et quant à l'année. Th. Reinach.
— Alice Brenot. Recherches sur l'éphébie attique et en parti-
culier sur la date de l'institution (Paris, Champion, 1920, in-8°,
xxvii-52 p.; « Bibliothèque de l'École des Hautes-Études, section des
"sciences historiques et philologiques », fasc. CCXXIX). — C'est un
bien beau sujet qui a valu à M'i« Alice Brenot le titre d'élève diplô-
mée de l'École des Hautes-Études. En l'élargissant et en donnant
plus de profondeur à ses recherches, elle pourrait en tirer une inté-
ressante thèse de doctorat. Tel qu'il est, le travail qu'elle présente au
public donnel'état de la question. G. Glotz.
— E. CiccoTTi. Lineamenti delV evoluzione tributaria nel
mondo antico (Milano, Società éditrice libraria, 1921, in-S", 216 p.).
— M. Ciccotti, auteur de travaux distingués sur l'économie politique
des Grecs et des Romains, notamment sur l'esclavage, a publié dans
le tome V de la Biblioteca di storia economica {Bibliothèque
d'histoire économique) les Grandes lignes de l'évolution des
impôts dans le monde ancien. Il passe en revue chronolo'giquement
les principales catégories d'impôts et de revenus dans les monarchies
orientales, la Grèce classique, les monarchies hellénistiques, dans
l'Egypte ptolémaïque, à Rome sous la République et sous l'Empire.
Cette étude, forcément rapide et sommaire, suppose des lectures, des
connaissances étendues et fournit les renseignements essentiels, pui-
sés aux travaux les plus importants. Mais ce n'est, ni pour la forme ni
pour le fond, la synthèse claire, méthodique, serrée, substantielle et
originale qu'on pouvait espérer. L'auteur ne domine jamais son sujet.
Sa compilation, souvent obscure, indigeste, tantôt incomplète, tantôt
prolixe et surchargée de discussions et de digressions inutiles, montre
trop rarement l'indépendance d'un travail personnel. Sur les impôts
fonciers, par exemple, il ne sait pas se dégager des vieilles théories de
Savigny, de Mathias, de Rodbertus. Malgré quelques réserves, il
accepte trop aisément des opinions très discutables, par exemple celles
de Meyer, de Cavaignac sur l'histoire financière d'Athènes, de Schul-
ten à propos du cadastre d'Orange, de Savigny, de Zachariae sur le
caput et le jugum, sur l'impôt de la Gaule. Il ne nous dit pas que, sans
la détermination de la valeur du denier, toutes les discussions sur les
UIS'KIIHK DE l'antiquité. 267
prix de 1 edit de Dioclétien sont stériles. Pourquoi toucher à des ques-
tions immenses telles que le régime monétaire du Bas-Empire, le
colonat, les grands domaines? C'est trop ou trop peu. Pourquoi tra-
duire le préambule de l'édit de Dioclétien, des pages entières de Lac-
tance et de Salvien? Combien d'autres travaux M. Ciccotti aurait-il
pu utiliser, par exemple la Table hypothécaire de Veleia de De
Pachtere, la Loi de Hiéron et les Romains de Carcopino, les
articles de Pais sur les mines de l'Italie, de Mispoulet, de Cuq et de
Flach sur les mines de l'Espagne, de Monnier sur \'éx>ibolè, de Mas-,
pero sur les grands domaines de l'Egypte byzantine, les nouveaux
textes sur les emprunts de Milet, le livre d'Andréadès sur les finances
et l'économie politique de la Grèce! Malgré ces défauts, le travail de
M, Ciccotti rendra tout de même des services au grand public pour
lequel il a été écrit. Ch. Lécrivain.
— Lucien Guenoun. La Cessio Bonorum (Paris, Geuthner, 1920,
in-S", 106 p.). — Sous les auspices et avec les conseils de M. P. -F. Gi-
rard, M. L. Guenoun a écrit sur la cessio bonorum, sur le bénéfice
de la cession de biens en droit romain, depuis l'origine jusqu'au Bas-
Empire, une monographie excellente, précise, qui ne pouvait évidem-
ment guère donner de résultats nouveaux, mais qui réunit, critique,
discute tous les textes classiques et les papyrus, toutes les hypothèses
avec une complète et solide érudition. Il accepte généralement les
solutions les plus probables, par exemple sur la création de l'institu-
tion, attribuée à Auguste plutôt qu'à César, sur le sens toujours dis-
cuté de la formule jurare bonam copiam. Au sujet du maintien au
Bas-Empire de l'exécution sur la personne, il aurait pu citer beau-
coup d'autres textes, en particulier de saint Ambroise, de saint Jean
Chrysostome, de saint Basile, qui s'élèvent en outre contre la vente
des enfants des débiteurs. Ch. L.
— Tenney Frank. An économie history of Rome lo the end of
the Republic (Baltimore, Johns Hopkins University press, 1920,
in-8°, ix-310 p.). — Avec la prédilection et la perspicacité particu-
lières qu'apportent les Américains à ce genre de recherches,
M. T. Frank, auteur de travaux distingués sur la politique étrangère
de la République romaine, a écrit sur l'Histoire économique de
Rome jusqu'à la fin de la République un livre intéressant qui, sans
apporter de résultais nouveaux, a le mérite de condenser, d'éclairer,
d'interpréter d'une façon' originale les connaissances acquises. En
treize chapitres, il expose chronologiquement les conditions de l'agri-
culture et du commerce à l'époque primitive dans le Latium et
l'Étrurio et le rôle des Etrusques et des Grecs ; la formation et la ,
situation économique et juridique de la classe des petits proprié-
taires et de la jjlèbo ouvrière de Rome; les premières lois agraires et
les colonies ; la formation et la culture des grands domaines après la
conquête de l'Italie; l'extension de l'esclavage et la décadence de la
268 NOTES BIBLlOrxRAPHIQUES.
population civique; les finances et le système monétaire; le dévelop-
pement relativement médiocre du commerce et de l'industrie par suite
de l'indifférence de Taristocratie sénatoriale; la révolution des
Gracques; l'industrie à la fin de la République caractérisée par les
traits suivants que fournit surtout Pompeï : concentration et spéciali-
sation de quelques industries, poterie, briqueterie, foulage de la laine,
tannerie, verrerie, métallurgie, mais en général résistance victorieuse
du travail des esclaves domestiques à la grande industrie ; le capital
et ses principaux emplois dans la banque et le prêt, le commerce de
la terre, le fermage des travaux publics et des impôts ; le commerce
et la part respective qu'y ont les Romains et les étrangers ; les tra-
vailleurs, composés surtout d'esclaves et d'affranchis, les salaires, les
loyers, les corporations; les vicissitudes de la propriété foncière et la
classe des fermiers libres en Italie, la grande propriété en Afrique.
M. T. Frank a laissé de côté dans sa bibliographie des ouvrages
essentiels, tels que la Table hypothécaire de Veleia et la Loi de
Hiéron et les Romains citées plus haut, VAfrique romaine de
Gsell, la République romaine de Bloch. Ch. L.
— Arthur Stein. Rômische Reichsbeamte der Provint Thracia
(Sarajevo, Zemaljska Stamparija, 1920, in-8», 139 p.). — M. Stein,
auteur de travaux importants sur l'histoire ancienne de la Bulgarie et
des régions voisines, a écrit un livre de tout point excellent, un véri-
table modèle de monographie sur les fonctionnaires romains de la
province de Thrace jusqu'à l'époque de Dioclétien. Après avoir fixé la
date probable de la création de la province, plutôt 45 que 46 ap. J.-C,
il dresse la liste des gouverneurs connus, d'abord procurateurs, deux,
indépendants et non pas soumis, comme on le répète à tort, aux gou-
verneurs de la Mésie; puis, au plus tard sous Trajan, légats impé-
riaux, de rang prétorien, quarante-sept. Il examine ensuite : les pro-
curateurs financiers; la situation spéciale, sous deux procurateurs
distincts, de la Chersonèse de Thrace, longtemps simple groupe de
domaines impériaux , transformé en province probablement par
Hadrien, et de l'Hellespont (sur la rive asiatique du détroitl; le rang,
la situation, l'origine, la carrière des gouverneurs, la plupart préto-
riens, mais de haut rang et souvent consuls désignés pendant leurs
fonctions, quelques-uns par exception consulaires; les principales
villes, Philippopolis, métropole, siège de l'assemblée provinciale créée
sans doute à l'époque d'Hadrien; Périnthe, deux fois néocore, rési-
dence du gouverneur; Apri et Deultum, colonies, la seconde pourvue
avec Coela du jus italicum; les principaux jeux tenus à Périnthe et
à Philippopolis ; les garnisons, élevées de deux cohortes à un chiffre
supérieur inconnu; les contingents fournis par la Thrace aux armées
romaines, au moins dix ailes de cavalerie et plus de vingt cohortes,
sans compter les soldats isolés; l'hellénisation de la province, visible
surtout depuis Hadrien et attestée principalement par l'emploi presque
HISTOIRE d'allemàcne. 269
exclusif de la langue grecque et le peu d'importance de la langue
latine, sauf pour l'usage officiel des magistrats et de l'armée. — Ch. L.
Allemagne. — D"^ O. Nippold. Le chauvinisme allemand. Tra-
duction française. Préface d'A. Milhaud (Paris. Payot, in-8°, 65i p.).
— M. Nippold. ancien professeur de droit international à Copenhague,
publia ce volume en 1913, sous les auspices du Verband fur interna-
tionale Verstandigung, atténuant autant que possible le chauvinisme
allemand, le mettant dans l'ordre hiérarchique d'influence et d'inten-
sité non à sa vraie place, mais « sur le pied d'égalité avec les autres »,
pour « ne pas offenser », dira-t-il plus tard, « mes amis allemands ».
Dans sa réédition de 1917 (augmentée d'une seconde partie : articles
d'août 1913-août 1914), dont celle-ci n'est que la traduction française,
il proteste contre quiconque voudrait voir là « un acte inamical à
l'égard de la nation allemande », dont il se dit au contraire le véri-
table ami, puisque c'est « lui rendre un grand service » que de lui
montrer « une fois encore une face de son propre visage et de mettre
devant ses yeux les dangers qui existaient avant la guerre et ont fini
par la provoquer ». Ce livre d'un neutre professant pour l'Allemagne
le contraire de sentiments hostiles, où sont simplement réunis les
articles des principaux journaux et revues allemands depuis janvier
1913, est un témoignage irrécusable contre les organisations alle-
mandes d'avant guerre (presse, ligues) et certains leaders pangerma-
nistes qui, par tous les moyens et surtout I3 « calomnie », dévelop-
pèrent « systématiquement les sentiments belliqueux du peuple
allemand », lui enfonçant dans le cerveau, à force d'articles répétés,
que « la guerre européenne n'est pas seulement une éventualité contre
laquelle il faut se prémunir, mais une nécessité dont, dans l'intérêt
même du peuple allemand, il faut se réjouir » (p. 153), qu' « elle doit
être préventive » pour qui ne la veut perdre. A la fin de 1913,
M. Nippold constate que « le peuple français est en général pacifique »,
que les chauvins « y sont une minorité » négligeable, sans influence
sur le gouvernement, et qui n'existerait même pas sans les provoca-
tions périodiques de l'Allemagne durant les dernières années (p. 4);
il s'effraye au contraire de voir croître chaque jour, dans toutes les
classes de la société allemande, depuis les historiens de la jeune
école, les gens cultivés jusqu'aux piliers de brasseries, le nombre des
« contaminés », de ceux « qu'infecte le chauvinisme allemand »; il
dénonce « un danger politique contre lequel on ne saurait trop tôt ni
trop énergiquement mettre le pubUc en garde » (p. 164); il montre à
l'Allemagne qu'elle peut satisfaire ses aspirations politiques et écono-
miques, « sans qu'il y ait pour cela besoin d'une guerre universelle »
(p. 169); et il l'avertit amicalement que s'abandonner à la vague de
chauvinisme qui semble l'emporter c'est « préparer la voie à la
guerre ». Quatre ans plus tard,. il écrira (p. 9) : « Les événements ne
m'ont donné rnalheureusement que trop raison. Je n'ai rien à retirer
270 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
de ce que j'ai écrit en 1913. Tout s'est passé comme je l'avais prévu.
En Allemagne, on a tranquillement laissé les chauvins poursuivre
leur jeu... Aujourd'hui, c'est le monde entier qui doit expier ce péché
d'omission. »
Ces paroles d'un neutre, désirant le bien de l'Allemagne, sont la
conclusion d'un volumineux recueil de pièces à conviction qui restera
pour l'historien une preuve évidente de la responsabilité pangerma-
niste dans la catastrophe européenne de 1914-1918. G. C.
— La suite des Mémoires de Bismarck, dont la publication a été
interdite eu Allemagne, vient de paraître à Londres chez Hodder et
Stoughton : The forbidden book; New chapters of Bismarck's auto-
biography, traduits par Bernard Miall (prix : 12 sh. 6 d.).
— Robert Pimienta. L'ancienne colonie allemande du sud-
ouest africain (Paris, A. Challamel, 1920, in-8°, 85 p.). — En octobre
1918, le chasseur alpin Robert Pimienta ramassa dans les tranchées
de l'Aisne, que nos troupes venaient d'enlever aux Allemands, un
exemplaire de l'ouvrage de Cari Peters : Afrikanische Kôpfe. Cha-
rakterskizzen aus der neueren Geschichte Afrikas, et trouva dans
la musette d'un soldat ennemi quelques réclames où étaient vantées
les beautés de la colonie du sud-ouest africain ; c'est ce qui lui donna
l'idée d'écrire cette brochure, qui contient une histoire de la colonie
allemande, une étude de géographie physique, humaine et écono-
mique, une bibliographie comprenant trente et un numéros et une
série d'illustrations empruntées au travail de Cari Peters.
C. Pfister.
Espagne. — J. PuiG y Cadafalch, Antoni de Falgubra et
J. GoDAY Y Casals. L' arquitectuva romànica a Catalunya (Barce-
lona. Institut d'Estudis Catalans, et Paris, Champion, 1909-1918,
in-4°, 3 vol. en 4 ^omes, xviii-471 p. et 470 grav., 640 p. et 509 grav.,
974 p. et 1261 grav.; prix : 80 pesetas). — Ce remarquable travail de
trois archéologues barcelonais mériterait mieux qu'une simple notice.
Fervents disciples de l'école de Quicherat, les trois auteurs affirment
l'origine romaine des constructions catalanes. Ils nient tout contact
artistique de la Catalogne avec l'Islam. Les deux races, disent-ils, se
rencontraient sans se mêler, « comme l'huile et l'eau ». Par contre,
l'influence lombarde est indéniable. Un chapitre entier de l'ouvrage
est consacré au rayonnement de l'école toulousaine de sculpture en
Catalogne. Mais, tout compte fait, l'architecture catalane s'apparente
plus étroitement à la Provence qu'au Languedoc, ce qui s'explique
peut-être par l'antique domination des comtes de Barcelone sur la
marche de Provence. En somme, il n'existe pas d'école romane cata-
lane. Les architectes de ce pays affectionnent certains procédés de
construction et d'ornementation qui ne leur sont pas propres. Lom-
bardes par la décoration, les églises catalanes ressemblent par la
structure aux églises de la France méditerranéenne. Elles en diffèrent
eiSTOIKE DESPAGNE. 271
cependant par quelques traits d'ensemble, qui frappent l'observateur
le moins averti. Massive et trapue, la construction catalane se fait
remarquer par sa robustesse et sa solidité à toute épreuve. MM. Puig,
de Falguera et Goday ont élevé, eux aussi, à la gloire de leur petite
patrie un monument solidement bâti et capable de traverser les
siècles. J. RÉGNÉ.
— Fidel DE MoRAGAS I Rodes. L'antigua Universitat de Valls
(Valls, Estampa de Eduard Castells, 1914, in-4°, 50 p.). — L'auteur
étudie l'organisation de l'ancienne communauté de Valls d'après les
archives municipales de cette ville. Il passe tour à tour en revue les
finances, la juridiction, l'hôpital, les fortifications, le serment de l'ar-
chevêque de Tarragone, seigneur de Valls, les foires et marchés, les
corporations et confréries, la vie industrielle, le patrimoine commu-
nal, les armes de la ville. J. R.
— Enrique Esperabé Arteaga. Historia pragmàtica e interna
de la Universidad de Salamanca (Salamanca, impr. de Fr. Nunez
Izquierdo. 1914-1917, 2 vol. in-4o, 1124 p. et 935 p.; prix : 60 pesetas).
— Les deux premiers volumes parus de l'histoire de la célèbre Uni-
versité témoignent de la riche documentation recueillie par son
auteur. Il n'est pas possible d'assigner une date certaine à la fonda-
tion de l'Université de Salamanque. On sait seulement qu'à la fin du
xii« siècle Alphonse IX de Léon établit dans cette ville une école
capitulaire. Dans le premier volume, don Enrique publie plusieurs
centaines d'actes émanés des rois de Castille. Le tome II présente à
la fois un caractère historique et biographique ; l'auteur y a consigné
les événements universitaires les plus notables ; des notices détaillées
rappellent le rôle et la carrière des maîtres et des élèves les plus
remarquables. Trois livres restent encore à paraître : l'Université de
Salamanque et les collections du cloître; l'Université et les papes; les
rentes et les colWges de l'Université. Dans l'ensemble, l'ouvrage du
savant professeur est moins une histoire qu'un recueil documentaire.
Par ses vastes proportions, il rappelle le livre bien connu publié sous
le titre de Cartulaire de l'Université de Paris par le P. Denifle et
M. Châtelain. J. R.
— Vicente Castaneda y Alcover. Ascendencia, enlaces y servi-
cios de los barones de Dos Aguas cuyo solar es en el reino de
Valencia (Madrid, tip. de la « Revista de Archifos, bibliotecas y
museos », 1914, in-4°, 15 p.). — Du même. La catedra de institu-
ciones teolôgicas de la xmiversidad Valenciana y la orden de
San Agustin. Estudio biobibliogràfico (Madrid, tip. de la « Re-
#vista... », 1914, in-4», 20 p.). — Du même. Relaciôn del aulo de fe
en el que se condenô a don Pablo de Olavide, natural de Lima,
caballero del habito de Santiago (Madrid, tip. de la « Revista... »,
1916, in-4o, 21 p.). — Du même. El primer libre impreso sobre
aviaciôn es espanol'i' (Madrid, tip. de la « Revista... », 1916, in-4",
272 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
13 p.). — La première de ces quatre brochures élucide la généalogie
de la famille Rabasa, issue de Torson, comte de Toulouse, à qui
Charlemagne confia la garde de la province d'Aquitaine. La seconde
souligne le rôle joué à l'Université de Valence par les religieux
augustins du xv« au xviiF siècle. Dans la troisième se trouve publiée
la relation de l'autodafé du 24 novembre- 1778, dont fut victime le
docteur Pablo de Olavide, né à Lima en 1725. Enfin, d'après M. Cas-
tarieda, le premier auteur qui traite du « vol artificiel » de l'homme
est le capucin espagnol Antonio de Fuente la Pena, dans son livre El
ente dilucidado, imprimé à Madrid en 1677. J. R.
— R, Gay de Montellâ. Diez anos de politica intemacional en
el Mediterràneo, 190k-191k. Ensayo de historia politica modema
(Madrid, Fr. Beltrân, [1914], in-8°, 242 p.). — Le livre de M. Gay est
un exposé d'histoire générale depuis l'affaire de Fachoda (automne
1898) jusqu'à la veille de la conflagration européenne. L'auteur met
en pleine lumière les motifs qui ont déterminé l'Angleterre à sortir de
son splendide isolement et à se rapprocher de la France. La lutte
pour l'hégémonie méditerranéenne fait ressortir non seulement les
visées latines et anglo-saxonnes, mais aussi les ambitions germa-
niques, panislamiques et panslaves. J. R.
— g'. Cirot. Biographie du Cid, par Gil de Zamora (Bordeaux,
Feret, et Paris, Picard, 1914, in-8», 8 p.; extrait du « Bulletin hispa-
nique », t. XVI, n° 1). — Du MÊME. Florian de Ocampo, chroniste
de Charles-Quint (Bordeaux et Paris, 1914, in-S", 32 p.; extrait du
« Bulletin hispanique »,t. XVI, n» 3).— Du même. Quelques lettres
de Mariana et nouveaux docuinents sur son procès (Bordeaux et
Paris, 1917, in-8°, 25 p.; extrait du « Bulletin hispanique », t. XIX,
n» 1). — Juan Gil de Zamora a écrit au moins deux fois la Vie du
Cid. M. Cirot publie ces deux versions qui se complètent l'une l'autre.
Le chroniqueur officiel Florian d'Ocampo, s'il n^a pas fait grand'chose
lui-même pour débrouiller ses matériaux, a du moins su faire travail-
ler ses correspondants. La dernière des trois brochures de l'érudit
professeur de l'Université de Bordeaux peut être considérée comme
un appendice à son livre sur Mariana historien. J. R.
— A. Huici. Estudio sobre la campana de las Navas de Tolosa
(Valencia, impr. Hijos de Fr. Vives Mora, 1916, in-8°, 196 p.; prix :
5 ptas; « Anales del Instituto gênerai y técnico de Valencia »). —
L'auteur a suivi pas à pas, sur le terrain, les évolutions de l'armée
musulmane et des troupes chrétiennes. De nombreux croquis et des
reproductions photographiques accompagnent la narration de la
bataille (16 juillet 1212), qui fut une grande victoire pour les rois
chrétiens de la péninsule. Des étrangers assistèrent aux opérations,
parmi lesquels Tévèque de Nantes, l'archevêque de Bordeaux et le
célèbre Arnaud Amalric, archevêque de Narbonne. Des fragments de
lances et de flèches ont été recueillis sur l'emplacement du champ de
HISTOIRE d'espagne. 273
bataille de las Navas. Les sources chrétiennes sont beaucoup plus
riches et plus précises que les sources arabes. Près de cent pages de
la monographie de M. Huici sont consacrées à la publication des
chroniques musulmanes et chrétiennes qui rapportent l'événement,
ainsi qu'à celle des lettres et des bulles relatives à la campagne. Le
document le plus curieux est la lettre par laquelle l'archevêque de
Narbonne annonce aux abbés des monastères cisterciens réunis en
chapitre général la déroute de Miramolin, roi du Maroc. Il convient
de souligner le mérite particulier de cette étude que ne désavouerait
pas un technicien de l'état-major de l'armée. J. R.
— Cristôbal Pellegero-Soteras. Delincuencia en Castilla desde
Fernando III el Santo hasta don Juan II. Tipos delincuentes.
Factores del delito. Ensayo sobre ideas ético-juridica?. medioe-
vales (Zaragoza, tip. Heraldo [1916], in-12, 142 p.). — Utilisant les
sources monastiques, les collections de chartes, les textes législatifs,
les « fueros », les chroniques royales et même les œuvres littéraires,
l'auteur a tenté d'esquisser l'état moral de la société castillane au
xiii« et au xiv« siècle : délits commis par des fonctionnaires dans
l'exercice de leurs fonctions; délits contre les personnes, injures,
calomnies; délits contre la propriété, vols, dommages; délits commis
par la collectivité. J. R.
— Fidel DE MoRAGAS i Rodes. Catalec dels llibres, pergamins i
documents antics de l'arxiu municipal de la ciutat de Valls
(Valls, impr. de Eduard Ca&tells, 1916, in-4,'', xiv-221 p.). — Après
avoir classé les archives de sa ville natale, M. Moragas en a rédigé
l'inventaire sommaire. Il distingue trois sections : les registres, les
pièces sur parchemin et les actes sur papier. Les plus anciens docu-
ments remontent au xii« siècle. A signaler de précieux livres de
comptes (à partir de 1371) et d'intéressants livres d'estimes (à partir
de 1397). Le conseil municipal de Valls a été bien inspiré en votant
l'impression de l'excellent répertoire de M. Moragas. J. R.
— Bibliographie hispanique (New- York, G. P. Putnam's Sons,
1916 et 1917, 2 vol. in-12, 122-191, 106-208-iv p.; prix : 2 dollars
50 cents le vol.). — Tandis que, dans la première partie de chacun de
ces deux volumes, M. Foulché-Delbosc donne, par ordre alphabé-
tique de noms d'auteurs, la liste complète des études espagnoles; dans
la deuxième, M. Emile Legrand poursuit et termine sa bibliographie
hispano-grecque (1561-1800). Un index alphabétique clôt cette utile
publication; l'auteur de la seconde partie, l'helléniste Legrand, est
mort le 28 novembre 1903. J. R.
— La Société hispanique d'Amérique a entrepris une série d'études
sur la littérature espagnole, dont les deux premiers ouvrages ont paru
en 1921 : Frais Luis de Léon et El Inca de Garcilasso de la Vega,
qui ont pour auteurs M. James Fitmaurice-Kellv et (je suppose) la
Rev. Histor. CXXXVII. 2« fasc. 18
274 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
femme ou la fille de ce professeur. Le volume sur Luis de Léon (xiv-
261 pages) renseigne suffisamment sur la vie et les déboires du
célèbre théologien, et le volume sur Garcilasso (vi-99 pages) nous
offre une étude bien faite de cet historien péruvien; mais je n'ai pas
vu que M^i^ Julia Fitzmaurice-Kelly ait connu la polémique de
Manuel Gonzalez de la Rosa, parue dans la Revista Histôrica,
ôrgano del InstitvAo Histôrico del Peru, t. IV, p. 301 à 365 (Lima,
1912). - Alf. M.-F.
États-Unis. — Nous avons reçu de M. Karl Young, professeur
d'anglais à l'Université de Wisconsin, tout un lot de brochures éru-
dites sur les origines liturgiques du drame médiéval : les Tortures de
l'Enfer dans le drame liturgique (The Harro-wing of the Hell;
extrait du tome XVI, l"""^ partie, des « Transactions of the Wisconsin
Academy of sciences, arts and letters », septembre 1909) ; une Étude sur
les développements dramatiques dans la Hturgie de Noël {Officmm
pastorum; a study of the dramatic developments within the
liturgy of Christmas; ibid., octobre 1912); Observations sur l'origine
du mystère de la Passion (Observations on the origin of the mediae-
val Passion-play ; extrait des « Publications of the modem language
association of America », XXV, 2, 1910) ; Philippe de Mézières et l'office
pour la présentation au Temple (Philippe de Mézières dramatic
office for the présentation of the Virgin; ibid., XXVI, 1, 1911);
Joseph et ses frères au théâtre (A liturgical play of Joseph and his
brethren; ibid.); l'Origine du mystère de Pâques (The origin of the
Easter play; ibid., XXIX, 1, 1914); Onulphus et le « Poema bibh-
cum » (The « Poema biblicum » of Onulphus ;ihid., XXX, 1, 1915.
Texte de ce poème « de Generis humani reparatione »); une Nouvelle
version du Peregrinus (A new version of Peregrinus ;ihid., XXXIV,
1, 1919, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Madrid);
le Massacre des Innocents (Ordo Rachelis; « University of Wiscon-
sin studies in language and literature », n" 4, 1919, 65 p.); le Saint-
Sépulcre de Pâques (The dramatic associations of the Easter
sçpulchre; ibid., n° 10. Texte des récitatifs et du scénario qui accom-
pagnaient la représentation de ce mystère en ses trois actes princi-
paux : la dispositio, Velevatio et la visitatio, 130 p.). — Ch. B.
— Les milieux navals américains s'intéressent très vivement aux
événements maritimes de la Grande Guerre, d'où ils s'efforcent de
tirer des expériences pour le présent et pour l'avenir. Le capitaine
G. C. Marsh, de la Section historiquer de l'Amirauté, a consacré une
importante monographie, avec cartes et graphiques, au Gerraan sub-
marine activities on the Atlantic coast of the United States and
Canada (Government Printing office, in-8», 135 p.), où il a fait l'his-
torique des croisières de six sous-marins allemands et présenté le
tableau des mesures de défense organisées dans l'Amérique du Nord
contre les tentatives navales des Allemands. — Le commandant
HISTOIRE DE FRANCE. 275 -
Charles C. Gilla fait porter ses études sur la guerre dans les eaux
européennes : son livre What happetfed at Jutland, the tactics of
the battle (New-York, Doran), repose sur une documentation abon-
dante et aboutit à des conclusions intéressantes sur l'attitude offensive
en matière navale. — Le capitaine Thomas G. Frothingham étudie
la même question dans un opuscule intitulé : A true account of the
battle of Jutland (Cambridge, Mass., Bacon Brown). — Enfin,
M. Marsh a, pour la Section historique, publié deux monographies
groupées dans un seul opuscule et intitulées : l'une The Norlheym
Barrage and other mining activities, l'autre The Northern Bar-
rage (Taking up the Mines); on en trouvera une analyse dans Army
and Navy Journal, du 9 avril 1921. G. Bn.
— Une étude du Ueutenant-commandant G. B. Vroom est consa-
crée à The place of naval offîcers in international affairs dans
les United states naval institute proceedings de mai 1921 (p. 681-
700); Paul Jones et la guerre de l'Indépendance, Bainbridge et la
Turquie, Perry et le Japon sont les principaux types de négociateurs
navals examinés par M. Vroom. Les autres pays fourniraient des con-
tingents aussi intéressants si l'auteur se préoccupait, ultérieurement,
d'une étude d'ensemble sur la question abordée. G. Bn.
France. — Edouard Schuré. L'âme celtique et le génie de la
France à travers les âges (Paris, Perrin et C'«, 1921, in-12, xvi-
236 p.; prix : 7 fr.). — M. Schuré est l'un des représentants les plus
éminents du « celtisme ». Son celtisme est une aspiration à la fois
morale, esthétique, religieuse et philosophique. Par le celtisme, il veut
expliquer toutes les grandes manifestations de la pensée française, la
Renaissance, le romantisme, tout notre passé, les croisades, Jeanne
d'Arc, la Révolution. Des trois éléments qui ont formé notre nation,
la race franque prend la place du corps vigoureux : c'est l'ossature ; le
génie latin joue le rôle de l'intellect et de la raison régulatrice; le
génie celtique assume celui de l'âme profonde, de l'âme inspiratrice
et créatrice. M. Schuré, qui hante les sommets purs, explique ainsi,
en un chapitre vigoureux, toute l'histoire de France. Ce chapitre est
encadré d'un « conte préhistorique », tes Avatars de la druidesse, et
d'une étude sur Jeanne d'Arc, conférence donnée jadis à Strasbourg,
le 29 octobre 1909, où il se montra un peu sévère aux deux volumes
d'Anatole France et où il exalta, devant les Alsaciens vivant sous un
joug détesté, celle qui fut l'incarnation la plus pure du patriotisme
français. C. Pf.
— André Hallays. Essai sur le XV II" siècle. M'"^ de Sévigné
(Paris, Perrin et C'", 1921, in-12, 254 p., 7 gravures; prix : 12 fr.). —
M. André Hallays reproduit dans ce volume les six leçons du cours
qu'il a donné à la Société des conférences. L'esprit de M"'» de Sévi-
gné, comment elle aimait ses amis, comment elle aimait ses enfants,
tel est le titre des trois premières qui nous font bien « entrer dans le
276 NOTES BlBLlOGRAPfllQOES.
charme et la facilité » de la marquise, pour reprendre des expressions
qu'elle applique elle-même à La Fontaine. Puis, dans les lettres de
M°»« de Sévigné, les historiens du xvii« siècle trouvent beaucoup à
glaner; à l'aide de la correspondance, M. Hallays retrace, dans les
deux leçons suivantes, un tableau de la cour et décrit la vie de la pro-
vince sous Louis XIV, au moins de deux provinces, la Bretagne, où
M™« de Sévigné a souvent résidé à son château des Rochers, près de
Vitré, la Provence, dont son gendre M. de Grignan était gouverneur.
Faut-il s'étonner que l'auteur du « Pèlerinage de Port-Royal » ait,
dans une dernière leçon, montré en M'"^ de Sévigné une « amie » du
couvent janséniste, recherché les raisons, les limites et les suites de
cette amitié ? Il a été de la sorte conduit à se demander comment elle
comprit et pratiqua sa religion. C'était achever le portrait, finement
nuancé et tout charmant, qu'il a tracé de l'incomparable écrivain.
C. Pf.
— Dom A. M. P. InCtOld. Général et trappiste : le P. Marie-
Joseph, baron de Géramb (Paris, P. Téqui, 1921, 1 vol. in-12,
355 p.; prix : 7 fr.). — Carrière très mouvementée. François-Ferdi-
nand de Géramb naquit à Lyon le 14 janvier 1779 d'un père autri-
chien, qui avait fondé en cette ville une importante maison de com-
merce, et d'une mère lyonnaise ; en 1790, la famille quitte la France
et, après un voyage en Italie, Géramb entre à l'Académie militaire de
Vienne. Il devient officier autrichien, se marie, sert les Bourbons de
Naples et ceux d'Espagne, est nommé général par la junte de Cadix,
veut recruter pour elle des auxiliaires en Angleterre et est expulsé de
ce pays, comme l'a raconté jadis M. L'enôtre dans Vieux papiers,
vieilles maisons. N*apoléon le fait arrêter en 1812 près de Hambourg
et il est enfermé à Vincennes, d'où la victoire des alliés le délivre en
1814. Puis changement à vue : le général renonce au monde, s'enferme
le 5 janvier 1816 à la Trappe du Port-du-Salut, au sud de Laval, et rem-
plit avec zèle les devoirs les plus humbles de sa charge. En 1824, il
trouve un asile en Alsace au monastère d'Oelenberg; il fait, en 1832-
1833, un pèlerinage en Terre-Sainte, qu'il raconte en trois volumes
in-S»; plus tard, il est appelé à Rome par le pape Grégoire XVI
comme procureur général de la Trappe et c'est à Rome qu'il meurt,
au début du pontificat de Pie IX, le 15 mars 1849. Dom Ingold nous
raconte cette biographie, en se servant d'un manuscrit d'un religieux
du Port-du-Salut, le P. Irénée, des Archives nationales, des ouvrages
du P. de Géramb lui-même et d'autres documents recueillis de
tous côtés. Il a voulu plutôt, comme il le déclare, édifier le lecteur
que l'instruire ; mais, si le volume a souvent les allures d'une hagio-
graphie, l'historien pourra en tirer quelques renseignements intéres-
sants sur l'époque de Napoléon I*"-, puis sur le rétablissement en
France des maisons de la Trappe au début de la Restauration et sur
leur destinée jusqu'en 1848 : les trois congrégations qui existaient en
1848 ont été réunies en 1892 sous le nom d'ordre des Cisterciens
HISTOIRE DE FRANCE. 277
réformés de la stricte observance. Les historiens d'Alsace feront leur
profit des détails donnés sur le monastère*d'Oelenberg qui, pendant la
dernière guerre, se trouvait sur la ligne de feu et dont les bâtiments
sont en voie de reconstruction. C. Pf.
— Victor Malrieu. Documents historiques sur Bourret {Tarn-
et-Garonne) (Paris, É. Champion; Montauban, P. Masson, 1920, petit
in-8°, 125 p. Société des Etudes locales dans l'enseignement public,
groupe Tarn-et-Garonne). — Le groupe de la Société des Études locales,
fondé en 1912 dans le Tarn-et-Garonne, a publié avant la guerre deux
petits volumes, dont l'un est consacré à Saint-Antonin et dont l'autre
est -un élégant recueil de contes populaires dû à M. A. Perbosc. Grâce à
un membre actif de ce groupe, M. Malrieu, la collection commencée
avant la guerre a pu s'enrichir en 1920 d'un nouveau fascicule. L'his-
toire de Bourret, à laquelle est consacrée l'étude de M. Malrieu, ne se
recommande pas par des faits extraordinaires; mais son obscurité
même fait son intérêt. A force de recherches patientes dans les archives
municipales, dans celles du département et dans des chartriers privés,
l'auteur a restitué le passé de sa commune; comme il a eu l'idée
d'adopter un plan méthodique et non chronologique, nous apprenons
successivement comment cette petite communauté d'habitants, qui
appartenait au pays de Rivière-Verdun, était administrée et jugée,
comment l'enseignement y était distribué, quelles charges militaires et
financières pesaient sur les habitants, comment le culte y était exercé.
Plusieurs pièces justificatives terminent l'ouvrage; l'une des plus
intéressantes est sans doute le tableau démographique.
La forme du livre est simple. L'auteur s'est borné à exposer les
faits sans apparat. On peut seulement lui reprocher quelques incur-
sions, du reste peu nombreuses, dans l'histoire ancienne. A la page 71,
il est question des « Garites », peuplade gauloise dont la capitale était
Gariès. Cette allégation, atténuée, il est vrai, par un point d'interro-
gation, est contestable. — P. 95, la date de 245, qui est assignée à
l'évangélisation du Toulousain par saint Saturnin, est douteuse. Ces
digressions doivent être bannies des monographies d'histoire locale.
L'annotation substantielle dont M. Malrieu a garni son étude est
excellente. L'indication des sources est d'une précision qu'on ne ren-
contre guère que dans les œuvres des spécialistes.
En résumé, ce petit volume 'peut servir d'exemple aux travailleurs
locaux qui sont désireux d'écrire l'histoire de leur petite patrie. A ce
titre, il est très digne de figurer dans une bibliothèque de vulgarisation.
R. Latouche.
— Paul Gaultier. Les maîtres de la pensée française (Paris,
Payot et C'«, 1921, in-12, 271 p.; prix ; 7 fr. 50). — On trouvera dans
le volume sur Paul Hervieu, Emile Boutroux, Henri Bergson et Mau-
rice Barrés des études très fouillées, très pénétrantes, écrites en un
beau style qui sait rendre les nuances les plus fines et s'élever aux
278 i>OTES BIBLIOGRAPHIQUES.
sommets de la philosophie. Elles doivent être connues et méditées par
tout historien qui veut comprendre la pensée et la philosophie fran-
çaises contemporaines. C. Pf.
Orient latin. — Annie Herzog. Die Frau a.uf den FiXrstenthro-
nen der Kreuzfahrerstaaten (Berlin, Ebering, 1919, in-8°, xi-
419 p.). — Après une dissertation qui n'apporte rien de nouveau
sur la succession féminine dans le droit féodal, l'auteur cherche à
montrer que, dans les principautés franques de Syrie, cette situation
juridique de la femme s'est encore améliorée par la reconnaissance de
ses droits de succession en ligne collatérale. Le rôle important que les
femmes ont tenu dans les Etats de Terre- Sainte est mis en lumière
par les biographies caractéristiques de Mélisende, veuve de Bau-
douin II de Jérusalem, de sa sœur Alice d'Antioche, de la fille de
celle-ci Constance, surtout de Sibylle, fille du roi Amaury, et des
reines de Chypre Alice de Champagne et Plaisance d'Antioche. On
remarque d'ailleurs qu'elles ne peuvent conserver leurs droits qu'en
choisissant un époux et qu'en se remariant, si elles sont veuves. Il
n'est peut-être pas très exact d'affirmer que c'est du mariage de Méli-
sende avec Foulque d'Anjou en 1129 que date la prédominance de la
chevalerie française en Palestine, ainsi que le règne des femmes.
L'ouvrage se termine par une étude intéressante sur Philippe de
Novare et son hostilité contre l'instruction des femmes. On en a rap-
proché avec raison les plans d'instituts féminins rêvés par Pierre
Dubois et le rôle que les femmes devaient jouer selon lui dans le
recouvrement de la Terre-Sainte. L. Bréhier.
— H. C. LuKE et D. J. Jardine. The Handbook of Cyprus
(Londres, Macmillan, 1920, in-12, 300 p.). — On trouvera dans cet élé-
gant manuel un exposé de toutes les questions qui intéressent l'île de
Chypre : géographie, histoire, ethnographie, religion, notices sur les
localités les plus intéressantes, renseignements à l'usage des tou-
ristes, histoire naturelle, etc.. Bien que sommaire, l'exposé historique
est exact. Un chapitre est consacré aux antiquités de Chypre et aux
principaux monuments. On peut regretter l'absence d'une bibliogra-
phie. L. B.
— H. C. LuKE. Cyprus under the Turks 1591-1878 (Oxford Uni-
versity Press, 1921, in-12, 281 p.; prix : 8 sh. 6 d.). — L'histoire de
Chypre, si brillante sous la maison de Lusignan, est pauvre et terne
pendant les trois siècles de la domination turque. La seule source est
la chronique de l'archimandrite Cyprien (1788), à laquelle il faut ajou-
ter des récits de voyageurs, mais le consulat britannique, fondé en
1626, possède des archives qui vont de 1710 à 1878, et c'est d'après ces
documents inédits que M. Luke a pu tracer un tableau intéressant de
l'histoire de Chypre sous la domination turque. Il y a joint une
notice sur la Compagnie anglaise du Levant (1626-1825) et une ana-
lyse des archives du Consulat. L. B.
HISTOIBE DES PAYS-BAS. 279
' Pays-Bas. — Verslag van de algemeene Vergadenng der Leden
van het Historisch Genootschap (Amsterdam, J. Mûller, 1920, in-8°,
42 p.). — L'assemblée générale de la Société historique d'Utrecht,
tenue le "25 mai 1920, a eu une importance et un éclat singuliers parce
que la Société fêtait trois quarts de siècle d'existence. En l'absence du
président Millier, indisposé, l'éminent professeur P.-J. Blok a pro-
noncé le discours inaugural, retraçant la vie de la Société depuis sa
fondation en 1845, racontant ses débuts difficiles, ses expériences
parfois malheureuses, enfin résumant tout ce qu'elle/a fait pour
répandre et développer la connaissance de l'histoire nationale. Les
publications de la Société ont aujourd'hui une valeur considérable : la
série des Werken, en particulier, forme un précieux recueil de sources,
tandis que les Bijdragen en mededeelingen, substitués à la Chro-
nique, tiennent depuis 1878 le public au courant du travail fécond de
chaque année.
Après ce rapport intéressant, le professeur Colenbrander, une autre
sommité du monde universitaire aux Pays-Bas, a discuté la ques-
tion, toujours à l'ordre du jour et jamais résolue, peut-être inso-
luble, de savoir jusqu'à quel point l'histoire est un art et une science,
car il est généralement admis qu'elle est l'un et l'autre. Un passage
d'un livre récent du vicomte Haldane, intitulé Before the war et
publié à Londres en 1920, servait de thème à cette étude où ont été
rappelées les vues successives des écoles historiques : de l'ancienne
école d'abord, éprise du rôle moral de l'histoire et dont Schiller a
résumé l'opinion dans le vers célèbre :
Die Weltgeschichte ist das Weltgericht;
puis de l'école du milieu du xix" siècle, cherchant avec Ranke et
Augustin Thierry à ramener l'histoire à la connaissance objective du
passé , sans , lui refuser absolument la haute mission définie par
Auguste Comte : « voir, savoir, prévoir » ; enfin de l'école moderne qui,
avec Fruin et Nietzsche (M. Colenbrander semble ignorer les Renan,
les Taine, les Sorel, les Monod), a voulu concilier la recherche
impartiale et critique avec les éléments de psychologie et d'art que
contient forcément toute science morale. Il n'apparaît pas que M. Hal-
dane ait apporté au débat des faits nouveaux, ni même un point de
vue vraiment nouveau; la discussion qui a suivi la conférence de
M. Colenbrander l'a prouvé, et nous devons, après comme avant, en
rester à une opinion moyenne.
Certes, par certains côtés, l'histoire est une science, et l'école fran-
çaise du xix« siècle a particulièrement contribué à lui donner ce
caractère; mais elle demeurera toujours une science analogue aux
sciences naturelles, avec un rôle plus étendu des éléments psycholo-
giques : travaillant sur des données en partie subjectives et dont l'ap-
préciation n'f'st pas nécessairement invariable, elle continuera à être,
plus que toute autre science, une œuvre personnelle, partant une
280 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
œuvre d'art. Je ne crois pas, pour cela, qu'elle soit irrémédiablement
inexacte ou fausse, ni qu'il faille aimer un homme et ses idées, un
pays et ses traditions pour les apprécier sainement, pas plus qu'il
n'est indispensable de professer une religion pour en écrire impartia-
lement l'histoia-e. J'estime, d'autre part, qu'il importe de repousser
dans ce qu'elle a d'excessif la thèse du vicomte Haldane, thèse de
dilettante plutôt que d'homme de science, et qui nous porterait à nous
défier par trop de nous-mêmes; je crois qu'il y a des faits dont la
matérialité s'impose incontestablement à la raison et que ces faits
rendent possible une sentence de la postérité, ce verdict du monde
(Weltgericht) que Schiller a si fortement proclamé identique à l'his-
toire. De cette nature incontestable sont, à mon avis, les données
générales de la grande guerre mondiale de 1914 à 1918, données suffi-
samment connues actuellement pour qu'on puisse dire qu'elles ne per-
mettront jamais, comme le suppose M. Haldane, je ne dis pas d'ex-
pliquer, mais de justifier la politique allemande, voire l'attitude du
peuple allemand tout entier. L'homme d'État anglais, qui désirait
avant 1914 un rapprochement de son pays et de l'Allemagne, a peut-
être sur ce point des raisons d'appréciation que la raison ne connaît
pas. Albert Waddington.
D'' A. VAN SCHELVEN. Kerkeraads-Protocollen der neder-
duitsche Vluchtelingen-Kerk te Londen , 1560-1563 (Amsterdam,
J. MùUer, 1921, in-8°, xix-555 p.). — M. van Schelven a déjà fait
divers travaux sur les églises néerlandaises du Refuge au xvF siècle.
Il a voulu compléter les publications de documents déjà dues au
D"- Kuyper, à M. Moens et à la Huguenot Society; il nous donne
aujourd'hui les procès-verbaux pour les années 1560-1563 du consis-
toire de l'église réformée, fondée à Londres en 1550 par des réfugiés
des Pays-Bas, dont le plus connu est Jean Utenhove. Obligés de fuir
au temps de Marie Tudor et de chercher un asile en Danemark, puis
à Emden, les proscrits purent revenir en Angleterre en 1559; leur
église, qui a subsisté jusqu'à nos jours à Londres, a cessé toutefois
d'être appelée une église du Refuge depuis qu'en 1578 ses membres
ont pu, à leur gré, rentrer aux Pays-Bas ou rester à l'étranger.
Les documents publiés ici n'ont qu'un intérêt excessivement res-
treint, et les événements qu'ils signalent presque chaque jour (profes-,
sions de foi, pénitences, amendes honorables, discussions théolo-
giques, etc.) ne méritent guère d'attirer l'attention de l'historien, non
plus que les personnages mis en scène, même les chefs de la com-
munauté : Pierre Delenus ou Nicolas Carineus. A. W.
Pologne. — Di- V. Bugiel. La Pologne et les Polonais, avec une
carte (Paris, éditions Bossard, 1 vol. in-16; prix : 9 fr.). — Maurice Per-
NOT.L épreuve de ta Poiogne (Paris, Plon-Nourrit, 1921 ; prix : 7 fr. 50).
— Enfermer en un volume de 383 pages la géographie et l'ethnogra-
phie de la Pologne, son histoire politique et httéraire, l'exposé de sa
BISTOIKE DE POLOGNE.
281
littérature, de sa vie artistique, musicale, sociale, économique, était
une entreprise périlleuse : s'étonnera-t-on que le docteur Bugiel ne
l'ait pas menée complètement à bonne fin? Il a voulu tout dire; on
lui reprochera bien des lacunes. La géographie et l'ethnographie sont
à peine esquissées. A l'histoire de la Pologne, suffisamment connue,
il n'a pas imprimé sa marque personnelle. Tout l'intérêt du livrée est
concentré dans les pages 130-202, qui exposent l'histoire de la Pologne
depuis le début de la guerre jusqu'à l'année 1920 inclusivement.
Cette partie attirera l'attention des historiens; le récit est clairet pré-
cis. L'histoire de la littérature polonaise (p. 203-295) éveillera, sans la
satisfaire, la curiosité des lecteurs pour qui cette littérature est nou-
velle; l'auteur, dang sa hâte, se borne trop souvent à dresser une liste
de noms. Les écrivains sur lesquels il s'arrête sont faiblement carac-
térisés; des formules enthousiastes ne peuvent tenir lieu des juge-
ments précis que requiert le sujet. Les cinquante pages consacrées
aux beaux-arts et à la musique sont rapides et superficielles. La vie
sociale et économique est presque complètement sacrifiée, bien à tort,
car c'est là un sujet qui intéresse vivement les amis de la Pologne;
or, ce livre ne leur offre, sur ce point, que des réponses bien insuffi-
santes. Il serait discourtois de signaler quelques incorrections ou
quelques bizarreries chez un étranger qui, en général, manie fort bien
notre langue. Nous nous contenterons de relever quelques fautes d'im-
pression : p. 77, Vassilli pour Vasih; p. 235, Pierre Villy pour Pierre
Villey; p. 293, Gaguin pour Gauguin; p. 315, Réaux pour L. Réau.
Nous ne pouvons nous expliquer deux transcriptions étranges : ne
faut-il pas lire (p. IQ8) Apfelbaum et (p. ilùyMacha Dombrovskaia?
Le livre de M. Maurice Pernot, publié d'abord dans la Revue des
Deux Mondes, a produit une vive impression; sous sa nouvelle
forme, il rencontrera le même succès. Dans sa consciencieuse
enquête, l'auteur a frappé à toutes les portes : il nous donne, dit-il,
« des observations et des témoignages », nous transmet « des choses
vues et des propos recueillis » (p. 8). A qui veut se rendre compte des
multiples et pressants problèmes qui se posent pour la Pologne, qu'il
s'agisse des rapports de l'État polonais avec l'Europe ou de la poli-
tique intérieure, de l'organisation économique ou des questions
sociales, de la question juive, des conflits entre le nationalisme et la
religion, de la vie intellectuelle des Universités, l'auteur donne satis-
faction. Il n'a pas voulu écrire un exposé historique, mais il en trace
les grandes lignes avec une aisance parfaite; dans les limites où il
s'est volontairement enfermé, il échappe à toute critique. Nous regret-
tons que M. Pernot ne se soit pas affranchi de la fameuse transcription
allemande des noms russes et qu'il n'ait pas écrit Savinkov, Rodit-
chev (p. 31); Merjhowski (ibid.) est une faute d'im[)ression, il faut lire
Merejkovskii. E. Ducheï^ne.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
France.
1. — Nouvelle revue historique du droit français et étran-
ger. 1920, juillet-décembre. — G. Boulen et 0. Martin. « Des fiez
à l'usage de France » (publication du texte ; appendices, entre autres
un texte curieux provenant d'un manuscrit de Saint-Martin-des-
Champs : « Haec sunt jura feodalia spectantia ad feodorum dominos
in vicecomitatu Parisiensi »). — A. Dumas. Encore la question :
« Fidèles ou vassaux? » (combat la thèse de M. Flach; « les institu-
tions dites féodales ne sont que les institutions carolingiennes mises
à la portée du dernier des seigneurs »). — L. Debray. Recherches
sur l'édit du préteur (sur une « praescriptio » en matière d' « actio
judicati » dans l'édit du préteur urbain antérieur à Julien). —
Ed. Meynial. Études sur l'histoire financière du xvi« siècle (l'organi-
sation fiscale au début du xvp siècle ; création du trésor de l'épargne ;
suppression du Conseil de Messieurs des finances et son remplace-
ment par le Conseil privé ou Conseil des finances ; à suivre ; impor-
tante étude pour l'histoire des institutions). — Paul Fournier. Notes
complémentaires pour l'histoire des canonistes au xiv^ siècle. Gaillard
de Durfort (professeur à Toulouse ; quelques-unes de ses leçons nous
ont été conservées dans un manuscrit de la bibliothèque de Reims).
— Roger Grand. Les notions de coutume et de loi dans la « lex
salica » et dans les capitulaires additionnels (discute la thèse récente
de M. Pétrau-Gay et y fait de sérieuses objections), — E. Maugis.
Note sur la réforme de l'administration de la question dans le ressort
du Parlement de Paris au xviiP siècle (d'après une enquête faite en
1729 par le procureur général Joly de Fleury). — Idem. Une enquête
faite par le Parlement de Paris au xviiP siècle sur l'application des
règlements d'état civil (après la déclaration du 9 avril 1736 concer-
nant la forme de tenir les registres des baptêmes, mariages et sépul-
tures). = C. -rendus : Jules Viard. Les Journaux du Trésor de Phi-
lippe VI de Valois; Idem. Les Journaux du Trésor de Charles IV le
Bel (ce que nous apprennent ces deux volumes). — T. -F. Tout. Chap-
ters in the administrative history of mediaeval England (sur l'histoire
de la garde-robe, de la chambre et des petits sceaux; œuvre de
grande importance). — F. -G. de Pachtere. La table hypothécaire de
Veleia (les domaines hypothéqués appartenaient aux mauvaises terres
et l'opération eut des résultats médiocres). — Pocquet du Haut-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 283
Jussé. Les statuts synodaux d'Alain de La Rue, évèque de Saint-
Brieuc, 1421 (petit code méthodique). — Jules Mathorez. Les étran-
gers en France sous l'Ancien régime; t. I (important).
2. — La Révolution de 1848. 1921, mars-mai. — René Hous-
SET. Les procès-verbaux inédits de la commission extra-parlemen-
taire chargée de préparer la loi Falloux (M. Housset, né en octobre
1818, ancien secrétaire de la Conférence des avocats, fut nommé
secrétaire de ladite commission et en rédigea les procès-verbaux ; il
mourut le 31 mai 1910. Son descendant se propose de publier intégra-
lement ces procès-verbaux, jusqu'ici inédits et souvent mal analysés).
— Elie Peyron. Le rôle de l'impératrice Eugénie en septembre et
octobre 1870 (elle songeait à la restauration impériale; « par trois
fois, pendant ces deux mois, il n'a tenu qu'à Bazaine de rétablir
l'Empire; par trois fois, il s'est dérobé »). — Paul Raphaël. A
propos d'une lettre de Baraguey d'Hilliers au ministre de la Guerre
(Besançon, 16 mars 1848; il demande un commandement en chef).
— Gabriel Vauthier. Un procès de presse en 1837 (le général Don-
nadieu fut poursuivi pour attaques au gouvernement dans un livre :
« De la vieille Europe », et condamné à deux ans de prison). —
Capitaine Breillout. La Révolution de 1848 en Corrèze; suite (de
mai 1848 aux élections du 13 mai 1849; cinq représentants à la Cons-
tituante sur huit furent réélus; députés nouveaux, Sage et Chamiot-
Aventurier; triomphe du parti républicain). — G. de Boër. Aperçu des
publications récentes sur l'histoire moderne parues en Hollande.
3. — Revue archéologique. 1919, mai-juin. — Jean Ebersolt.
Manuscrits à miniatures de Saint-Gall (manuscrits grecs des ix«, x^ et
xi« siècles avec des miniatures influencées par l'art grec de l'Orient).
— Léon' Maître. Géographie industrielle de la Basse-Loire : les
forges et les ateliers fortifiés (vestiges de forges romaines que signalent
les scories; les mines de fer et d'étain ; les « chatelliers »). — Léon
de Vesly. Lampe mérovingienne de Notre-Dame du Vaudreuil (Nor-
mandie). — D"" L. Carton. Questions de topographie carthaginoise
(la cité primitive : le port et la ville; la grande Carthage : l'enceinte,
le faubourg de Mégara). — G. -H. LuQUET. La « roue à oiseaux » vil-
lanovienne (c'est la représentation géométrique d'une voiture attelée
de deux chevaux; il n'y a pas lieu d'y voir un symbole du soleil). —
E. Pottieh. Le musée du Louvre pendant la guerre de 1914-1918. —
S. Heinach. Antoine Héron de Villefosse, avec bibliographie. —
Bibliographie. = Juillet-octobre. J. Six. La maîtresse pierre du coin
(servant de pivot à une porte. Voir psaumes CXVHI, v. 22). —
Th. Reinach. Nouveaux fragments de musique grecque (sur un feuil-
let de papyrus du musée de Berlin). — M. Besmer. Interdiction du
travail des mines sous la République (connue par un texte de Pline
l'Ancien; place cette interdiction au temps des Gracques). — Jules
Maurice. Attribution à Constantin U du buste dit de Marcellus au
284 BECDEILS PÉBIODIQDES.
musée lapidaire d'Arles (daterait de 319-320). — D. Sidersky. La
stèle de Mésa. Index bibliographique (262 numéros). — Victor
BÉRARD. Instruments et bâtisses homériques (corrections d'une série
de mots; à suivre). — Georges Seure. Archéologie thrace. Documents
inédits ou peu connus. 2« série, n» 158-166; suite au n» suivant, 167-
184, et en janvier 1921, n» 185 (discussion sur une statuette verseuse
d'épices provenant d'un trésor découvert en 1909 dans le district de
Plevna). — Salomon Reinach. Quelques enseignements des mystères
d'Eleusis (sur la légende sacrée et mystérieuse relative à la grenade).
— Nouvelles archéologiques. — Bibliographie. = Novembre-dé-
cembre. Franz Cumont. Une statue praxitélienne d'Acarnanie (statue
d'une jeune grecque trouvée près du village de Zaberda, apportée à
Bruxelles en 1913). — M. Valotaire. Bronzes figurés au musée de
Saumur (divinités, tètes, animaux). — M°»« Roblot-Delondre. Les
sujets antiques dans la tapisserie; suite (histoire grecque et orientale,
histoire romaine, histoire des Juifs, n^^ 94-178). — Nouvelles archéo-
logiques. — Bibliographie. — R. Gagnât et M. Besnier. Revue des
publications épigraphiques relatives à l'antiquité romaine. Année
1919 (quatre-vingt-seize inscriptions nouvelles). = 1920, janvier-juin.
Th. HOMOLLE. Sur trois bas-reliefs de Phalère (nouvel et ingénieux
essai d'interprétation). — L.-H. Vincent. Le plan tréflé dans l'archi-
tecture byzantine (recherche les origines de ce plan). — W. Déonna.
Le trésor des fins d'Annecy (trouvé en 1912; énumération des objets;
explication des sujets représentés sur une patère portant au centre la
tête d'Octave : cette patère célèbre les victoires d'Auguste, principale-
ment celle d'Actium). — Sal. ReinaCH. Pégase, l'hippogriffe et les
poètes (ce n'est qu'au milieu du XVF siècle que Pégase apparaît
comme la monture des poètes). — F. Préchac. Ampehana (le pas-
sage sur les sept merveilles du monde ne doit pas être écarté ; rensei-
gnements sur l'Artémision d'Éphèse, le Mausolée et la statue du Nil).
— Salvatore Mirone. L'Odéon de Catane (article en italien). — F. DE
MÉLY. Nos vieilles cathédrales et leurs maîtres d'oeuvre; fin en jan-
vier 1921 (renseignements qui nous sont fournis sur les fondateurs ou
les architectes des grandes églises médiévales; à la fin un index
alphabétique. L'épitaphe d'un des maîtres de la cathédrale de Stras-
bourg, Erwin, de sa femme Husa et de son fils Jean, reproduite au
n° de janvier 1921, planche II, est exacte ; mais sur aucun document
authentique on ne donne à Erwin le titre : do Steinbach). — • Nou-
velles archéologiques. — Bibliographie. = Juillet-octobre. M. Ros-
TOVZEV. L'âge du cuivre dans le Caucase septentrional et les civi-
lisations de Soumer et de l'Egypte protodynastique (rapports entre
ces pays à l'époque do l'âge du cuivre,' d'après les sépultures de
Maïkop et de Staromychastovskaïa). — Jean Colin. Étude sur
une inscription de Murgantia (Mommsen l'a crue fausse à tort). —
Pierre Paris. Promenades archéologiques en Espagne (à Sagonte;
histoire de la ville; de toutes les anciennes cités d'Espagne, c'est
la plus délaissée et la plus triste, la plus morte). — Nouvelles
RECUEILS PÉRIODIQUES. 285
archéologiques. — Bibliographie. = Novembre-décembre. Frédéric
POULSEN. Deux reliefs italiques à la glyptothèque Ny-Carlsberg (le
relief d'Égisthe ; le second semble représenter une course de mulets).
— Th. Reinach. La stèle de Chélidon itrouvée à Tekké près Zéla; cor-
rections à l'inscription). — A. Blanchet. Recherches sur les tuiles et
briques des constructions de la Gaule romaine (relevés des dimen-
sions). — M, Besnier. Le commerce du plomb à l'époque romaine;
suite au n° suivant (d'après les lingots estampillés trouvés en Sar-
daigne, en Espagne, en Grande-Bretagne et en Gaule; à suivre). —
Sal. Reinach. Une grande vente à Rome (la vente des biens particu-
liers de Commode sous son successeur Helvius Pertinax). — André
JouBiN. Quelques aspects archéologiques du Languedoc méditerra-
néen (les grottes du canon inférieur du Gardon ; les hypogées de la
montagne de Cordes et du Castellet, Montlaurès; la colonisation hel-
lénique dans le golfe du Lion; à suivre). — Et. Michon. Le cheval de
bronze de Saint-Germain-en-Laye en 1625 (il fut?exécuté en Italie par
Daniel de Volterra en vue d'une statue équestre* de Henri II ; amené
en France en 1622, il reçut comme cavalier Louis XIII sur la place
Royale et fut détruit en 1792). — Nouvelles archéologiques. — Biblio-
graphie. — R. Cagnat et M. Besnier. Revue des publications épigra-
phiques relatives à l'antiquité romaine. Année 1920 (signale 130 ins-
criptions nouvelles). = 1921, janvier-mars. Jean Ebersolt. Miniatures
irlandaises à sujets icopographiques (dans des manuscrits de la biblio-
thèque de Saint-Gall). — Abbé H. Breuil. Les bas-reliefs de Marquinez
(Alava, dans une grotte; ces bas-reliefs très grossiers remontent en
réalité au moyen âge). — Henry Corot. A propos de l'exploitation du
minerai de fer à l'époque gallo-romaine (signale un haut fourneau
romain près de Nuits- sous-Ravières). — Nouvelles archéologiques.
— Bib iographie.
4. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1921, l^"" juin.
— C. Autran. Phéniciens; essai de contribution à l'histoire antique
de la Méditerranée (les Phéniciens sont un peuple d'Asie Mineure net-
tement distinct des Sémites cananéens; leur patrie primitive est la
Carie et la côte orientale de la mer Egée. C'est plus tard seulement
qu'ils ont pénétré en Syrie et en Palestine. Il y a une grande diffé-
rence de culture entre la grande Phénicie égéenne et la Phénicie
sémitique qui lui est nettement postérieure. Thèse remarquable et
dont il faudra tenir grand compte). — M. Bloch. Rois et serfs (ins-
tructif). — G. Cohen. Écrivains français "en Hollande dans la pre-
mière moitié du xyii* siècle (remarquable). — Jean Cordey. Corres-
pondance du maréchal de Vivonne relative à l'expédition de Messine;
t. II (octobre 1676-janvier 1678. Importante introduction). — E. Seil-
Hère. M™* GuyoD et Fénelon précurseurs de Rousseau (Fénelon, oui ;
mais M"* Guyon n'est qu'une folle). — M"* Ingersoll-Smouse. La
sculpture funéraire en France au-WiiF siècle (bon). — S. Charléty.
La Restauration (remarquable). — Ch. Rivet. Les Tchécoslovaques
286 RECDEILS PÉRIODIQDES.
(éloquent plaidoyer en leur faveur). — H. Chardon. L'organisation
d'une démocratie; les deux forces : le nombre et l'élite (remarquable;
à méditer). = 15 juin. Marc Slonim. Le bolchévisme vu par un
Russe (« le bolchévisme est une entreprise à la fois sotte et crimi-
nelle, qui tend à la destruction complète de la civilisation en Rus-
sie I)). — A. van Gennep. L'état actuel du problème totémique (éru-
dit et instructif; recherches personnelles d'un auteur très compétent
en matière d'ethnographie). — A. Hollard. L'apothéose de Jésus (bon
résumé, simple, clair, un peu sec). — W. H. Holmes. Handbook of
aboriginal american antiquities. I : the lithic industries (important). —
P. Imbart de La Tour. Histoire politique, des origines à 1515
(remarquable). — Général t;on Lettow-Vorbeck. Meine Erinnerungen
aus Ostafrika (très intéressant).
5. — Revue de l'histoire des colonies françaises. 1920,
l^"" trimestre. — A. Martineau. Dupleix; fin au n" suivant (donne les
quatre premiers chagitres de son beau volume dont nous publierons un
compte-rendu ispécial). — Pierre de Joinville. Les armateurs de
Bordeaux et l'Indo-Chine sous la Restauration; fin au n° suivant
(relations de la France et de la Cochinchine jusqu'en 1816; les pre-
mières expéditions bordelaises en ce pays; la « Paix » et le « Henry »;
rôle de Balguerie-Stuttenberg; après sa mort, en 1825, le mouvement
est arrêté; seuls, des missionnaires parcourent le pays, et de rares
navires s'arrêtent à Saigon ou à Tourane). — Paul Marty. Le suicide
d'un gouverneur du Sénégal (Ollivier se tua le 20 mars 1846 par
crainte des responsabilités). — A. Martineau. Benoist Dumas (notes
biographiques sur le prédécesseur de Dupleix à Pondichéry). =
G. -rendus : Les origines de la colonisation française aux Antilles; la
Compagnie des Indes occidentales (beaucoup de renseignements nou-
veaux). — Charles E. Chapman. Catalogue of materials in the
Archivo gênerai de Indias for the history of the pacifie Goast and the
American Southwest (on relève dans Cet excellent catalogue le nom
des Français qui ont navigué sur les côtes occidentales des Etats-Unis
au xviii'^ siècle). =: 2« trimestre. F. -P. Renatjt. L'odyssée d'un colo-
nial sous l'Ancien régime : Philippe-Rose Roume de Saint-Laurent,
1776-1796 (il était né en l'île de la Grenade en 1743, devint anglais
après le traité de Paris de 1763, visita l'île de la Trinité, en reconnut
les ressources et contribua à la prospérité de cette colonie espagnole).
= G. -rendus : V. Démontés. La colonisation militaine sous Bugeaud
(travail considérable et important). = 3^ trimestre. Claude Faure. La
garnison européenne du Sénégal et le recrutement des premières
troupes noires (la garnison du Sénégal de 1779 à 1809; la garnison
européenne de 1816 à 1839, après l'occupation anglaise; le recrute-
ment des premiers soldats noirs, 1817-1827; recrutements pour Mada-
gascar et la Guyane; la compagnie indigène du Sénégal de 1840 à
1857; le bataillon des tirailleurs sénégalais formé grâce à Faidherbe
en 1857). — M. de Pradel de Lamase. Un officier colon en Loui-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 287
siane : le chevalier de Pradel (né à Uzerche en 1692, mort en 1764,
d'après sa correspondance conservée dans la famille). = C. -rendus :
Ch. de La Roncière. Histoire de la marine française, t. V. La guerre
de Trente ans, Colbert (récit exact, précis, neuf à beaucoup d'égards).
— A. Martineau. Dupleix et l'Inde française (remarquable). = 4« tri-
mestre. R. RiSTELHUEBER. Louis XIV et l'église des Maronites à
Alep (les Maronites réclamèrent l'agrandissement de leur église et
demandèrent l'appui de Louis XIV ; mais celui-ci ne parvint pas à
leur faire donner satisfaction). — D'" Baudens. Relation de l'expédi-
tion de Médéa (il s'agit de la seconde expédition faite en 1831 et con-
duite parle général Berthezène; récit du chirurgien aide-major qui fit
partie de l'expédition; le récit est publié et annoté par V. Démon-
tés). = C. -rendu : Christian Schefer. D'une guerre à l'autre.
Essai sur la politique extérieure de la troisième République, 1871-1914
(ce que l'ouvrage nous apprend sur la politique coloniale). =r 1921.
le-" trimestre. Fr.-P. Renaut. Études sur le pacte de famille et la poli-
tique coloniale française, 1760-1762 (comment fut conclue l'alliance
entre la France et l'Espagne; les clauses coloniales du traité de
Paris). — Paul Marty. Un centenaire colonial. La découverte des
sources de la Gambie et du Sénégal (par Gaspard-François Mollien ;
récit de ses voyages en 1818 et 1819). — René de Kerallain. Dupleix
et Clive (d'après le livre de Henry Dodwell; montre combien les his-
toriens, Dodwell y compris, se sont trompés sur les dimensions du
Trou Noir de Calcutta). = C. -rendus : Charles-B. Maybon. Histoire
moderne du pays d'Annam (l'étude d'ensemble la plus complète, la
plus sérieuse et la meilleure que nous possédions sur le sujet). —
Notes historiques d'/saac Louverture (publiées par la « Revue de
l'Agenais » ; importance et critiques de ces notes),
6. — Revue de Thistoire des religions. 1921, janvier-avril. —
P. Saintvves. L'origine de Barbe-Bleue (Barbe-Bleue n'est pas le
maréchal Gilles de Rais ni une représentation du Soleil; les divers
incidents du conte se rattachent à des croyances très anciennes et
montrent les divers aspects de la tentation initiatique). — W. DéOnna.
La légende d'Octave-Auguste, dieu-sauveur et maître du monde (à
propos d'une phiale trouvée à Annecy; montre comment un thème
historique se superpose à un thème mythique ; à suivre). — Th. Rei-
NACH. Minucius Félix et Tertullien (apporte un argument pour prouver
que VOctavius du premier est antérieur à l'Apologétique du second).
— J. Herber. Tatouages marocains (la proscription des tatouages,
efficace chez les Juifs, est demeurée inopérante chez les Arabo-Ber-
bères du Maroc). .= C. -rendus : Les Psaumes. Extrait de la Bible du
centenaire (remarquable). — Oscar Holtzmann. Der Tosephtatraktat
Berakot : Idem. Berakot (Gebete), Text, Uebersetztung und Erklazung;
Georg Béer. Pesachim (Ostern), Text (les deux derniers textes ont
paru dans la grande édition de la Michna; le premier dans les Beihefte
zur Zeilschrift fiir die alttestamentliche Wissenschafl). — The
288 RECCEILS PÉRIODIQUES.
cpptic version of the new Testament; t. IV et V (consacrés aujj:
épîtres de saint Paul en sahidique). — D'' George-Samné. La Syrie
(remarquable). — Marcel Granet. Fêtes et chansons anciennes de la
Chine (cet ouvrage, qui s'annonce comme une esquisse de folklore,
est une oeuvre maîtresse d'histoire religieuse). — Idem. La polygynie
sororale et le sororat dans la Chine féodale (explique l'usage qui per-
met à un homme de s'unir en mariage avec deux ou plusieurs sœurs).
— Conférence à la Société Ernest Renan de M. Toutain. Sur
quelques textes relatifs à la signification du sacrifice chez les peuples
de l'antiquité.
7. — Revue des études historiques. 1920^^ janvier-mars. — Fran-
çois Rousseau. La Visitation du faubourg Saint-Jacques de Paris,
1626-1792 (les diverses supérieures; les religieuses appartenant à la
famille Lamoignon). — André Auzoux. Alfred de Vigny et l'amiral
Collingwood (Vigny s'est inspiré dans la « Canne de jonc » de la vie
et correspondance de l'amiral anglais, ouvrage paru à Londres en
1829). — G. Truc. Calvin et les cinq prisonniers de Lyon (cinq étu-
diants français, partis de Lausanne, fin avril 1552, pour aller propager
la nouvelle foi dans leurs villes natales, furent arrêtés à l'arrivée à
Lyon, et, après une procédure très compliquée, brûlés vifs le 16 mai
1553 sur la place des Terreaux; lettres adressées par Calvin aux pri-
sonniers). — G. Vauthier. Le tabac au xviiF siècle (monopole de la
ferme; la culture du tabac était prohibée en France, excepté en
Alsace et en Flandre). — L. Davillé. Le rôle du Poitou dans l'his-
toire de France (d'après le volume de Boissonnade). = C. -rendus :
C.-G. Picavet. Les dernières années de Turenne (long et richement
documente). — G. -G. Ramon. Frédéric de Dietrich (bon exposé de la
carrière du premier maire -de Strasbourg). — A. Mendelstam. Le sort
de l'empire ottoman (très sévère pour la Turquie). i= Avril-juin.
Comte Mareschal de Bièvre. Histoire de la garde constitutionnelle
de Louis XVI (créée le 24 août 1791 et comprenant 150 officiers et
1,600 hommes de troupes, elle fut licenciée le 30 mai 1792). — R. Vil-
latte des Prugnes. La bataille de la Malmaison (ou bataille du
chemin des Dames, 23 octobre 1917). — B. Combes de Patris. Un
prélat d'ancien régime : Jean-Marie Champion de Cicé, évèque de
Rodez, 1770-1781 (d'après sa correspondance conservée au château de
Combret). — S. Chabert. Un appel à la France victorieuse, « soldat
de l'idéal » (commente une lettre de l'humaniste François Filelfe à
Charles VII, du 17 février 1451, et appelant le roi de France à la
croisade). = C. -rendus : G. Glotz. Le travail dans la Grèce antique
(clair et précis). — Ch. de La Roncière. Histoire de la marine fran-
çaise. T. V. La guerre de Trente ans. Colbert (œuvre maîtresse). —
René Doumic. Saint-Simon. La France de Louis XIV (œuvre inci-
sive et pénétrante). — H. Bordeaux. Sur le Rhin (impressions de
deux voyages en 1905 et 1918). =: Juillet-octobre. M. Chassaigne. Un
maître des requêtes lieutenant général des armées du roi : M. de La
RECUEILS PÉRIODIQUES. 289
Barre aux Antilles (nommé en 1663 lieutenant général de S. M. sur
toutes les terres de l'Amérique méridionale depuis la rivière des
Amazones jusqu'à celle de l'Orénoque; lutte dans les Antilles entre
Français et Anglais de 1665 à 1668; rappel au début de 1669 de La
Barre, qui, en 1682. sera nommé gouverneur du Canada). —
II. Matrod. Dante et le blason (beaucoup d'images du poète sont
empruntées au blason). — J. Gaillard. Essai sur quelques pamphlets
contre la Ligue; suite dans le n° suivant (analyse d'abord les pam-
phlets antérieurs aux Etats généraux de 1588; puis les pamphlets pos-
térieurs à l'assassinat de Henri III jusqu'au moment où paraît la
satire Ménippée; ces pamphlets l'emportent sur ceux des ligueurs par
le style, la finesse de l'ironie et la composition). — G. Vauthier. Les
missions religieuses sous la Restauration (il s'agit des missions dans
l'intérieur de la France; elles eurent lieu chaque année à partir
de 1817 et furent un grand embarras pour Louis XVIII, une cause
d'ébranlement pour le trône de Charles X). = C. -rendus : J. d'Ivray.
La Lombardie au temps de Bonaparte (intéressant, quelques menues
erreurs). — P. Quentin-Bauchart. La crise sociale de 1848 (remar-
quable). — R. Johannet. Rhin et France (l'auteur est disciple fidèle
du nationalisme intégral). — Pierre Lhande. Notre sœur latinç l'Es-
pagne (montre les divers partis en Espagne). — G. Lecarpentier.
L'Egypte moderne (compendium rapide, mais complet). — L. Cahen
et A. Mathiez. Les lois françaises de 1815 à nos jours (recueil utile).
=r Novembre-décembre. Ph. Selk. La femme dans la société il y a
5,000 ans (chez les Sumériens et les Akkadiens, avant Hammurabi).
— L. RiBALLiER. Un adversaire des encyclopédistes : la querelle de
« Bélisaire » (cet adversaire est l'abbé Ambroise Riballier, grand
maître du collège Mazarin et syndic de la Faculté de théologie de
Paris). — Léo Mouton. M™^ de Nerha et Mirabeau (le vrai nom est
Van Ahren ; publie la relation que fit cette dame de sa liaison avec
Mirabeau, qui dura de 1784 à 1788). — P. Rain. La victoire et la
failUte (d'après le livre de Jacques Bainville). = C. -rendus : P. Mon-
ceaux. Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne. T. V. Saint Optât
et les premiers écrivains donatistes (érudition loyale et bien fran-
çaise). — Jean-H. Mariéjol. Catherine de Médicis (remarquable). —
Georges Goyau. Une ville-église. Genève, 1535-1907 (clair et vivant).
— Emile Collas. La belle-fille de Louis XIV (aurait dû insister
davantage sur la politique du roi vis-à-vis de la Bavière). —
Michel Lhéritier. Tourny (très complet). — René Pétiet. Gus-
tave IV et la Révolution française (montre son hostilité contre la
France). — Ed. Chapuisat. Figures et choses d'autrefois (le princi-
pal article est consacré à Clavière). — Colonel E. Bourdeau. Cam-
pagnes modernes. T. II. L'épopée impériale, 1804-1814 (exposé large
et complet).
8. — Revue des sciences politiques. 1919, 15 octobre. —
G. Lecarpentier. Paul Leroy-Beaulieu économiste. — G. LaGny.
Rev. IIistor. CXXXVII. 2* fassc. 19
290 RECUEILS PÉRIODIQUES.
L'Angleterre et la France et les stipulations financières du traité du
20 novembre 1815; fin au n» suivant (sur l'indemnité de 700 mil-
lions, 125 devaient revenir à l'Angleterre, 70 millions étaient
donnés à des particuliers; l'exécution de ces charges, le règlement
définitif). — Paul Vaucher. La réforme constitutionnelle et l'avène-
ment des partis démocratiques en Suède (durant la dernière guerre).
— O. Festy. Le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont et la con-
dition des ouvriers français aux environs de 1830; fin. — F. -P.
Renaut. La situation politique en Caucasie, 1917-1919. = C. -rendu :
0. Reclus. L'Atlantide : Algérie, Maroc, Tunisie (œuvre de foi pas-
sionnée). =r 15 décembre. V. de Marge. Vue d'ensemble sur la Cour
des comptes en Allemagne, en Autriche et en Italie. — L. Roulleau
de La Roussière. Louis XVIII pendant les Cent-Jours. La politique
de la cour de Gand (la cour de Gand prépara la seconde restauration
par ses bonnes relations avec l'Angleterre, ses efîorts pour se conci-
lier la Russie et l'Autriche ; cette restauration ne doit pas être attri-
buée au seul Fouché). — H. Froidevaux. Formation territoriale de
l'Afrique orientale allemande (colonie merveilleusement riche et pleine
de promesses). — A. Isambert. Les provinces du Rhin pendant l'ar-
mistice (le mouvement séparatiste, Tadministration judiciaire). =
C. -rendus : André Hallays. L'opinion allemande pendant la guerre
1914-1918 (instructif et profitable). — A. Beaunier. La jeunesse de
Joubert (véritable régal). =: 1920, 15 février. R. Pinon. La nouvelle
Europe (leçon d'ouverture du cours à l'École des Bciçnces politiques).
— Comte de Calan. Les élections de 1919 et leurs précédents histo-
riques (examine les diverses régions de la France). — A. Alvarez.
L'organisation internationale d'après le traité de Versailles (étudie les
conséquences du traité pour le droit public européen et le droit public
américain). — L. R. Notes sur le bolchévisme. Impressions d'un
témoin. = C. -rendu : J. Jusserand. En Amérique jadis et mainte-
nant (a bien mis en lumière les vieilles relations d'amitié entre l'Amé-
rique et la France). = 15 avril. Lord Bryce. Réflexions sur l'histoire
universelle (communication faite à la British Academy, œuvre d'uni-
fication faite par la religion et la science). — Paul Matter. Les ten-
tatives de colonisation allemande en Alsace-Lorraine (tentatives avant
la guerre; la société Westmarck, créée pendant la guerre; très inté-
ressant). — F. BaldensperGER. Les universités américaines et leur
orientation dominante (souligne les différences entre les universités
françaises et américaines). — ***. Ce qu'on apprend à l'Université
d'Oxford. — DOBRO. L'intrigue allemande en Ukraine (publie une
circulaire que le chargé d'affaires en Ukraine, le comte Berckheira,
adressa le 3 décembre 1918 aux consuls allemands; elle montre que
l'Allemagne rêvait de compensations en Russie). — A. Gérard. A
propos du traité de Versailles du 28 juin 1919 (analyse du livre de
G. Hanotaux). — P. Cauboue. L'expansion économique itahenne en
Europe occidentale (en Bulgarie, Grèce, Pologne, Roumanie, Russie
RECUEILS PÉRIODIQUES. 291
méridionale, Tchécoslovaquie, Turquie). = C. -rendu : A. Léman.
Urbain VIII et la rivalité de la France et de la maison d'Autriche de
1631 à 1635 (très savant, mais mal composé). = 15 juin. J. Rovère.
L'opinion et la vie politique en Bavière de 1871 à 1914 (les divers roi^
et ministres; les partis libéral, conservateur et socialiste). — A. D.
L'armée allemande de 1871 à 1918 (d'après le livre de Camena d'Al-
méida). — P. Bodereau. Gambetta (d'après le livre de Paul Descha-
nel). — G. GiDEL. Le ministère de Talleyrand en 1814 (d'après le
livre de Ch. Dupuis). = C. -rendus : Ch. Rist. La doctrine sociale de
Lénine (pénétrant). — G. Goyau. L'Église libre dans l'Europe libre
(analyse les idées de M. Goyau : l'Église associée à la victoire).
9. — Revue d'histoire de l'Église de France. 1921, avril-juin.
— Baron J. de Terline. Une signature suspecte de Jeanne d'Arc (la
signature tracée au bas de la lettre du 16 mars 1430, possédée par le
comte de Maleissye, diffère > nettement de celle du 9 novembre
1429, qui s'est conservée aux archives de Riom; n'a-t-on pas le
droit de la tenir pour suspecte?). — A. Clerval. Strasbourg et la
Réforme française, octobre 1525-décembre 1526 (Lefèvre d'Étaples et
ses amis, pour échapper aux poursuites dirigées contre eux par la
Sorbonne et le Parlement de Paris, se réfugient à Strasbourg en sep-
tembre 1525; ils y travaillent à l'œuvre de la réforme, qu'ils veulent
propager en France. Au retour de sa prison, François I"^"", sur l'inter-
cession de sa sœur, s'empressa de rappeler les exilés « avec. hon-
neur », mais se garda bien de s'associer à leur entreprise; d'ailleurs,
le zèle de Lefèvre lui-même se rçfroidit et Farel, qui n'avait pu ren-
trer en France, émigra en Suisse). — Bulletin critique (sur la « Gallia
christiana novissima », t. V et VI; J. Depoin. Recueil de chartes et
documents de Saint-Martin-des-Champs; E. Sainte-Marie Perrin.
La belle vie de sainte Colette' de Corbie, 1381-1447; R. Chauviré.
Jean Bodin; Georges Goyau. Une ville-église, Genève, 1535-1907;
E. Jovy. Fénelon inédit; J. Gass. Strassburger Theologen im Auf-
kla?rungszeitalter, 1766-1790; abbé J. Charonnot. Mgr de La Luzerne
et les serments pendant la Révolution). — Notes bibliographiques. —
Chronique d'histoire régionale : Ile-de-France, Maine, Touraine,
Anjou, Normandie, Bretagne, Orléanais, Poitou, Angoumois, Aunis et
Saintonge. — Revue des périodiques.
10. — Revue générale du droit. 1920, mars-avril. — A. ISORÉ.
Recherches d'un régime matrimonial de droit commun; fin. —
Ch. KuHLMANN. Le pacilicisme et la Révolution française; suite dans
les trois n*»» suivants et à suivre (étude qui a paru en juillet 1915 dans
la Mid. West Quarterly, publiée par l'Université de Lincoln,
Nébraska, et qui est traduite ici, avec de nouveaux développements
ajoutés par l'auteur; le pacificisme des Jacobins; rôle du « cercle
social » créé à Paris en octobre 1790). — J. Crouzel. Études sur la
responsabilité: suite, continuées et finies dans les deux n"« suivants
292 RECUEILS PÉRIODIQUES.
(des obligations de voisinage). — Alessandri. Le droit international
public, son fondement et sa sanction ; suite au n" suivant (définitions ;
à suivre). = C. -rendu : Eug. CaLvaignac. Histoire de l'antiquité :
Javan, l'Orient et les Grecs (bon). = Mai-juillet. J. Bonnecase. La
philosophie diT code Napoléon iappliquée au droit de famille ; suite
dans les deux n°^ suivants. = C. -rendu : J.-L. de Lanessan. Les
relations de la France et de l'Angleterre depuis le xvi^ siècle jusqu'à
nos jours (plaidoyer en faveur de l'entente; les deux nations ont
besoin l'une de l'autre et se complètent l'une l'autre). = Août-oc-
tobre. Ch. Appleton. L'hypercritique ; fin au n° suivant (erreurs où
sont tombés de grands savants pour avoir dédaigné le témoignage des
anciens. Exemple : la question du taux de l'intérêt à Rome). —
J. PÉRITCH. Le droit de rébellion en droit pénal serbe et français; fin
au n» suivant. = C. -rendus : G. Schelle. Œuvres de Turgot; t. III
(ce tome montre le rôle de Turgot comme intendant du Limousin,
1768-1774). — D'Estournelle de Constant. Les États-Unis d'Amé-
rique (réédition d'un ouvrage paru avant la guerre). = Novembre-
décembre. C. -rendu : Joseph Barthélem.y. Le gouvernement de la
France (plan judicieux, très net).
11. — Revue Mabillon. N° 39, juillet 1920. — Léon Maître. Les
abbayes de Déols et de Saint -Martial de Limoges et leurs sépul-
tures insignes (les tombeaux de Léocade et de son fils saint Ludre à
Déols, celui de saint Ursin à Bourges). — Dom Léon Guilloreau.
Les funérailles de Catherine d'Aragon à Peterborough, 29 janvier
1536 (d'après la relation faite par Eustache Chapuis à Charles-Quint,
dont il était l'agent à Londres ; la relation est aux archives de Vienne).
— M. Langlois. Gaignières au pays chartrain (en 1695, 1696 et 1699;
il y fit provision d'un certain nombre de pièces originales). — F. Uzu-
reau. L'abbaye du Ronceray d'Angers au début du xviii® siècle
(notice due à Joseph Grandet, empruntée à son ouvrage manuscrit
« Notre-Dame angevine » composé en 1704). — Dom J.-M. Besse.
Chronique bibliographique. = N° 40, novembre 1920. D. P. Monsa-
BERT. Dom Besse, f 26 juillet 1920. — Léon Maître. L'abbaye de
Saint-Martial de Limoges. La crypte et le château (difficulté de déter-
miner la place du tombeau de saint Martial). — R. Delamare.
Quelques notes sur la liturgie dans les abbayes normandes (au moyen
âge). — Dom Léon Guilloreau. Visite des monastères de la ville
d'Angers par les commissaires du légat Stefano Nardini (août-octobre
1467, d'après les procès-verbaux conservés aux archives de Maine-et-
Loire). — Dom P. MoNSABERT. L'abbaye Sainte-Croix de Poitiers et la
troisième guerre de rehgion ; fin au n° 42-43 (liste des dégâts commis
à l'abbaye, constatés par une visite de 1569-1570, et autres documents
sur les pillages). — Dom G. Charvin. Notes bibhographiques (par
régions). = N" 41, janvier 1921. Dom Léon Guilloreau. Analyses des
« Norman Rolls » de Henri V d'Angleterre, relatives aux établisse-
ments reUgieux de Normandie; fin dans le n° suivant (6 septembre
RECUEILS PÉRIODIQDES. 293
1417-24 août 1422). — G. V. Le cartulaire de Montier-en-l'Ile et le
fonds de ce prieuré aux archives de l'Aube (le cartulaire, liste des
documents de 878 à 1380; publie les documents inédits; à suivre). —
J.-B. Martin. Bibliographie liturgique de l'ordre de saint Benoît;
suite au u» suivant (147 ouvrages cités; d'abord ceux qui ne sont pas
datés, puis les ouvrages datés de 1480 à 1576; à suivre). — Dom G.
Charvin. Chronique bibliographique. = N*» 42-43, avril-juillet 1921.
Dom A. WiLMART. Le couvent et la bibliothèque de Cluny vers le
milieu du xi"» siècle (bref des livres à lire en carême et liste des lec-
teurs; on idendifie les livres indiqués dans le bref, qui remonte à l'an-
née 1042). — Dom Van den Boren. Bénédictins de la congrégation de
Saint-Maur originaires des territoires formant aujourd'hui le diocèse
de Versailles (religieux de chœur et frères convers). — Dom G. Char-
vin. Chronique bibliographique.
12. — Le Correspondant. 1921, 10 juin. — La Cour-Grandmai-
SON. A propos du programme naval. Quelques enseignements de la
guerre sur mer. — R.-P. LaCORdaire. Lettres à deux jeunes Alsa-
ciens-Lorrains (ces deux personnes sont Paul Rencker, de Strasbourg,
qui fut ordonné prêtre en 1851 et mourut à Strasbourg en 1865, et
Jules Guipon, de Briey, mort en 1875 médecin à Laon. Tous deux
assistèrent en 1846 aux sermons prêches par le P. Lacordaire à la
cathédrale de Strasbourg; ils lui furent présentés, eurent la joie de
converser avec lui et, désormais, restèrent en correspondance avec
celui qu'ils considéraient comme leur directeur spirituel. C'est de cette
correspondance que le P. Janvier publie des extraits, de 1846 à 1861).
— Jean Pozzi. Les roses de Konopitschte (caractère et Idées de l'ar-
chiduc François-Ferdinand; quelle fut l'importance de l'entrevue de
l'héritier présomptif de l'empire dualiste avec Guillaume II en 1914?
Rien ne permet encore d'affirmer que l'exécution militaire contre la
Serbie et, moins encore, la guerre mondiale, furent décidées à Kono-
pitschte. La visite de ['empereur d'Allemagne, bien qu'escorté de Tir-
pitz. paraît n'avoir été qu'un acte de courtoisie). — G. Saint -Yves.
L'occupation française du bassin de la Ruhr, 1806-1815 (le grand-duché
de Berg et l'administration française sous Agar et Beugnot). =:
25 juin. P. Decize et J. Derpuy. Une nouvelle question des Pays-
Bas. La nation rhénane (la géographie et l'histoire du bassin du Rhin
de la Suisse à la mer ont fait des peuples habitant cette région une
nation que le Rhin ne saurait séparer en deux moitiés. Il faut faire
en sorte que cette nation se joigne volontairement à la France). —
L. DE Lanzac de Laborie. Quarante ans d'épiscopat sous l'Ancien
régime, la Révolution et le Consulat : le cardinal de Boisgelin (d'après
la thèse de l'abbé Lavaquery). — ***. Les zones et les traités (régime
des traités passés depuis le wi* siècle entre la France et Genève; en
1860, Napoléon III, pour calmer les susceptibilités de l'Angleterre et
répondre aux vœux de la population genevoise, résolut de faire de la
Savoie du Nord une zone franche; quel intérêt la France aurait-elle
294 aEcuEiLs périodiqces.
aujourd'hui à détruire cette œuvre boiteuse peut-être, mais bienfai-
sante, puisqu'elle crée la paix?). — Ernest Dimnet. M. Lansing et le
président Wilson (puissant intérêt du livre de M. Lansing : « The
peace négociations » ; il met à nu froidement, lourdement, les erreurs
du président Wilson, les fautes de la politique française, mais aussi
les préjugés tenaces des Américains contre la France ; ce qui peut le plus
nous nuire est de dire et de répéter cette erreur que c'est à Paris qu'ont
été élaborées les compromissions louches et injustes du traité de paix).
— Guy DE Valaus. Revues d'Italie (traduction de certains passages de
revues italiennes sur le fascisme, les récentes élections, 1' « italianité »
de la Dalmatie).
13. — Études. Revue fondée par des Pères de la Compagnie de
Jésus. 1921, 5-20 juin. — Adhémar d'Alès. Saint Éphrem le Syrien
et l'église grecque (né au début du iv^ siècle à Nisibe, mort en juin
373, saint Éphrem vient d'être proclamé par Benoît XV docteur de
l'Église universelle). — François Bertrand. Choses de l'Inde : la
situation politique en février 1921 (les partis : les nationalistes, les
modérés, les non-brahmes; l'œuvre des missionnaires catholiques). —
Louis Jalabert. Six mois d'histoire grecque (la surprise des élections
du 14 novembre 1920 et la restauration de Constantin; la conférence
de Londres; la Grèce continuera-t-elle la guerre?). = C. -rendus :
Charles Rivet. Chez les Slaves libérés (beaucoup d'illusions sur
les Tchécoslovaques). — A. Bellessort. Études et figures (on insiste
sur l'article consacré à Veuillot).
14. — La Revue de Paris. 1921, l^"" juin. — ***. La conférence
de Londres (« il faut que l'opinion sache à quelles préoccupations
sont en proie les négociateurs britanniques ; lorsqu'elle le saura, elle
aura peut-être moins tendance à dénoncer les intrigues machiavéliques
du Foreign Office ». La conférence de Londres n'a pas laissé d'appor-
ter à la France d'appréciables avantages). — Emile Mâle. Études
sur l'art de l'époque romane. I. Le monde et la nature dans l'art du
xiF siècle (l'art du moyen âge s'est proposé d'illustrer l'Évangile ou la
Vie des saints ; mais aussi il s'est appliqué parfois à expliquer le vaste
univers. Montre ce que le xiF siècle avait conservé des notions
acquises sur le monde par l'antiquité et ce qu'en traduisent les ima-
giers,, instruits par le « Physiologus » et par le Bestiaire qui en pro-
vient). — Pierre de Nohlac. Ronsard et l'Université de Paris. —
L. Blum. La maladie chronique de l'enseignement secondaire. —
Henri Hauvette. Dante et la pensée moderne (en quoi Dante, si pro-
fondément imbu de l'idée scolastique, intéresse cependant les modernes :
l'idée de l'unité italienne, l'amour de la science. « Homme du moyen
âge, il l'est assurément, mais avec des échappées lumineuses de pen-
sée et de sentiments modernes »). — ***. Au 3^ bureau du 3« G. Q. G.,
1917-1918. III (vivant exposé de la victorieuse contre-ofïensive de juil-
let-octobre 1918. Faute commise par Hindenburg en retardant la
RECUEILS PÉRIODIQUES. ' 295
retraite de ses armées; il courait ainsi à un désastre que lui a épar-
gné l'armistice, signé sans condition, du 11 novembre). = 15 juin.
Duc DE Leuchtenberg. La débâcle de l'armée russe en 1917 (ex-com-
mandant d'une brigade de chasseurs du Turkestan, ancien aide de
camp de Nicolas II, l'auteur a pu suivre de près et il nous montre les
progrès de la démoralisation dans l'armée russe avant la révolution
où elle s'effondra). — Emile Mâle. Études sur l'art de l'époque
romane. Le monde et la nature dans l'art du xii« siècle ; suite (la con-
naissance plus profonde que nous avons de l'art décoratif en Orient
prouve clairement que, presque toujours, l'étrange forme des chapi-
teaux et des portails reproduit les magnifiques animaux des tissus
orientaux. Il n'y faut pas voir une influence du symbolisme : « Nos
sculpteurs ne pensaient pas toujours à instruire; la plupart du
temps ils ne songeaient qu'à décorer »). — Prince de Condé.
Journal d'émigration (arrivé à Bruxelles avec son fils et l'un de
ses petit-fils, le prince de Condé rédigea un journal dopt le comte
de Ribes entreprend la publication. Il commence au 15 juillet 1789,
jour où le prince quitta Chantilly pour un voyage qui devait être un
long exil. Séjour à Bruxelles, puis départ pour Aix-la-Chapelle,
Cologne, Mayence, où l'on arrive le 9 août). — Amiral Degouy.
Les armistices; préliminaires de paix (à la difïérence des armis-
tices conclus par Bonaparte, par Napoléon I<=»", par Napoléon III,
par les Anglais en 1807 et à Moudros en octobre 1918, l'armistice
du 11 novembre 1918 n'a pas été conçu comme fixant les prélimi-
naires d'une paix. Foch avait sans doute les pleins pouvoirs pour
imposer ses conditions ; mais il n'était pas libre et, d'ailleurs, il igno-
rait la situation vraie de l'Allemagne. Il eût fallu dire que des négo-
ciations pour la paix auraient lieu à telle date entre les ptiissances
alliées et « les États allemands » et, en outre, que l'occupation d'une
partie du territoire allemand serait « administrative » en même temps
que militaire. On laissa passer l'occasion de rendre aux « États alle-
mands » ce que la Prusse leur avait enlevé depuis 1815, et on permit
à Berlin de reconquérir la suprématie qu'il avait failli perdre sur « les
Alleraagnes »). := lo"" juillet. Lyautey. Lettres du Tonkinetde Mada-
gascar, 1895-1899 (intéressant pour le caractère de l'homme, qui est
un moraliste et un organisateur eu même temps qu'un soldat; la
force n'est pour lui qu'un moyen pour faire triompher une civilisation
supérieure chez des peuples enfants). — Maurice Bompard. L'entrée
en guerre de la Turquie. I (très instructif; l'auteur apporte d'impor-
tantes rectifications aux mémoires de Morgenthau. Il montre comment
les Jeunes Turcs en vinrent à cette conviction que l'empire turc
n'aurait de salut que dans une alliance avec la plus grande puissance
militaire du monde, l'invincible Allemagne). — A. Le Chatelier.
Pour nos livres (ce qu'il faut faire pour avoir enfin du papier, à la fois
bon et d'un prix raisonnabU'. L'avenir de la production intellectuelle
de la Franco dépend de quelques industriels et dos mesures qu'ils
«
296 RECUEILS PERIODIQUES.
prendront ou qu'il faudra leur imposer. L'auteur ne dit pas que,
pour éditer un livre, il faut encore autre chose que du papier). — Prince
DE CONDÉ. Journal d'émigration. II (du 10 août à l'arrivée en Suisse,
à Schafïouse, le 21, puis à Lucerne, le 5 septembre. Beaucoup de
détails d'un caractère très banal. Ce qui frappe surtout, c'est la nul-
lité du prince). — J. Dessaint. Le centenaire de Joseph de Maistre.
— Joseph Vassal. Dans les pays rhénans (rapports de la population
avec les Français dans les pays occupés. Corrects, sans plus; l'in-
fluence française ne paraît pas pouvoir de si tôt contrebalancer l'in-
fluence allemande).
15. — Revue des Deux Mondes. 1921, 1^' juin. — E. Wet-
TERLÉ. La « langue maternelle » en Alsace et en Lorraine (ce n'est
pas l'allemand, mais le patois, qui est un dialecte allemand sans doute,
mais non une langue littéraire. Sous le régime allemand, on forçait
les enfants des écoles à apprendre l'allemand ; ils devront apprendre
le français sous le régime français. Personne ne songe à leur interdire
l'usage de leur langue maternelle). — René Bazin. Charles de Fou-
cauld. III. L'appel du désert (Charles de Foucauld entra à la Trappe
le 16 janvier 1890. Son noviciat terminé à Notre-Dame-des-Neiges,
il est envoyé, sur sa demande, au monastère de Notre-Dame-du-Sacré-
Cœur, dans les montagnes de la Syrie septentrionale ; puis il demande
à mener la vie d'ermite dans le désert algérien et part pour Beni-
Abbès en 1901. Il se propose de servir d'aumônier aux soldats français
et surtout de conquérir les Mahométans au christianisme). — Jérôme
et Jean Tharaud. Bolchévistes de Hongrie. III. La Jérusalem nou-
velle (splendeur et misère de Bêla Kun et consorts. Violente animo-
sité contre les Israélites qui, traqués de toute part, conservent néan-
moins une surprenante force de vie et l'espoir d'un brillant retour de
fortune). — Duc de La Force. Le grand Conti(à l'armée, 1688-1693,
où il se fait un solide renom de courage et de science militaire, mais
sans réussir à obtenir du roi le commandement des armées. L'affaire
de Pologne s'offre à lui en 1697 comme une occasion de prendre sa
revanche sur la mauvaise fortune). = 15 juin. Saint-Denis, dit Ali.
Souvenirs du second mameluk de l'empereur (Louis-Étienne Saint-
Denis est né à Versailles le 22 septembre 1788; fils d'un professeur
d'équitation, il fut d'abord clerc de notaire; la protection du duc de
Vicence le fit entrer dans la maison de l'empereur, où il devint sous-
piqueur, puis mameluk ; il prit alors le nom d'Ali. Il accompagna Napo-
léon dans la campagne de Russie, à l'ile d'Elbe, à S<ainte-Hélène, où
il se maria et où il obtint de retourner lors du « retour des cendres »
en 1840. Retiré finalement à Sens, il se mit à écrire ses souvenirs,
dont l'original autographe est conservé dans sa famille. Souvenirs
tardifs, comme on voit, mais Saint-Denis, modeste et sincère, parait
avoir été doué d'une bonne mémoire; il resta fidèlement attaché
à son empereur. Il mourut le 9 mai 1856. Dans ce premier article,
Ali explique en quoi consistait son service auprès de S. M. en 1812
RECUEILS pe'riodiques. 297
à Paris ou à Saint-Cloud ; puis il raconte l'incendie de Moscou, la
retraite de Russie, la tentative de suicide de l'empereur à Fontaine-
bleau). — René Bazin. Charles de Foucauld, explorateur du Maroc,
ermite au Sahara. IV (soulèvement des Berâbers en 1903; le « Père
Charles » obtient l'autorisation de rejoindre le poste de Taghit, qui
était en danger et ou il n^y avait personne pour porter les secours de la
religion!. — Raymond Thamin. La réforme de l'enseignement secon-
daire. II. Le recrutement de l'élite. — Duc de La Force. Le grand
Conti. IV (élection de Conti comme roi de Pologne, en juin 1697;
malgré la répugnance qu'il éprouve à prendre une couronne qui ne lui
est pas offerte par un vœu unanime, il part, échappe à la surveillance
des Anglais et arrive à Danzigle 26 septembre. Là, il constate que ses
partisans sont aussi tièdes que ses ennemis sont actifs, et il se rem-
barque le 9 novembre. Procès intenté au prince par la duchesse de
Nemours pour lui disputer la succession de Longueville. Sa mort,
22 février 1709). — Jacques Chevalier. Comment s'est faite la France
(d'après le volume de P. Imbart de La Tour dans 1' « Histoire de la
nation française » de Hanotaux). = 1«'' juillet. Saint-Denis, dit Ali.
Souvenirs du second mameluk de l'empereur. II (la maison de l'em-
pereur à l'île. d'Elbe et retour de Napoléon; ce dernier chapitre, vrai-
ment très intéressant, appartient à la grande histoire). — André
Hallays. Jean de La Fontaine. — Edmond Pilon. Autour de La
Fontaine. Maucroix et la marquise de Brosses. — Raymond Thamin.
La réforme de l'enseignement secondaire. III. La querelle des pro-
grammes. — ***. Lettres de Pétrograd; esquisses de la vie soviétique
(extraits de lettres écrites par un Russe qui réussit à pénétrer secrète-
ment à Pétrograd et à y demeurer en janvier-mars 1921. L'aspect
extérieur de la ville est fantastique et lamentable; c'est la désolation;
dans l'intérieur des maisons, c'est la misère pour tout le monde,
bourgeois et autres, tous étant soumis au même niveau de la faim, du
froid et de la saleté).
16. — Académie des sciences morales et politiques. Comptes-
rendus des séances et travaux. 1920, juillet-août. — G. Lacour-
Gavet. Le traité hollando-belge du 10 avril 1839 (d'après l'ouvrage
d'Alfred de Ridder). — Geoffroy de Grandmaison. Les aumôniers
militaires catholiques pendant la guerre. — Christian Schefer. Un
colonial d'autrefois : le chevalier Mesnager, gouverneur de Gorée (il
reçut ce titre en 1764 et fut rappelé en 1767; affaires qu'il eut à trai-
ter). — D"" Cabanes. La méthode scientifique appliquée à l'histoire.
Taine, historien physiologiste (sa théorie de la race, du milieu et du
moment; ses tentatives de psychologie appliquée). =: Septembre-
octobre. G. Lacour-Gayet. Guillaume II et la marine allemande
(chap. .wiii du volume « Guillaume II le Vaincu », paru chez Hachette).
— Jean Bourdeau. La guerre et la paix d'après les prévisions des
sociologues (il faut se défier des thèses des sociologues ; avant 1914, ils
concluaient à l'impossibilité d'une guerre). — É. Chartier. La vitalité
298 RECOEILS PÉRIODIQUES.
française au Canada (le recensement de 1911 comptait 3,254,890 Fran-
çais, et ils pensent, parlent et vivent en Français). — H. Buffenoir.
Napoléon et J.-J. Rousseau (influence du second sur le premier). =:
Novembre-décembre. E. Seilliére. Joseph de Maistre et Rousseau
(sociologie mystique de Joseph de Maistre ; il croit que Dieu marque
au front les rois, qu'il dicte les constitutions durables, que chaque
peuple a sa mission; il est mystique comme Jean-Jacques, mais son
mysticisme est aristocrato-monarchique, celui de Rousseau est déma-
gogique). — Jean Bourdeau. Un nouveau Tolstoï (d'après les conver-
sations que Gorski eut avec lui en 1901). — Ch. Pfister. Les
voyages de Louis XIV en Alsace. I (celui d'aoùt-septembre 1673). —
Arthur Raffalovich. Le problème monétaire aux Indes (au début de
1920). — Jacques Bardoux. La crise révolutionnaire en Angleterre
(depuis 1906; ses origines religieuses; la campagne de R. Blatchford
contre le puritanisme biblique). = 1921, janvier-février. Ch. Lyon-
Caen. Notice sur la vie et les travaux de M.. Louis Liard, 1846-1917
(lue à la séance publique du 18 décembre 1920). — E. Seilliére.
Bonald et Rousseau (Bonald Juge très sévèrement Rousseau; il réfute
sa doctrine de la bonté naturelle; il trouve la thèse de l'Emile
funeste; il classe l'auteur de la Nouvelle Hélolse parmi les hommes
à imagination; néanmoins, sa doctrine propre décèle un rous-
seauisme latent). — E. Descamps. Le génie de 'la langue fran-
çaise et son rayonnement international (hommage rendu à la langue
française par l'éminent ministre d'État de la Belgique). — Georges
Tessier. Les voies de recours contre les actes de la puissance
publique (à propos du livre de M. Pierre Dareste). — D"" Cabanes. Les
historiens physiologiques; suite (la méthode pseudo-scientifique de
Michelet).
17. — L^ Anjou historique. 1920, mars-décembre. — M'i« Rous-
seau, fondatrice de la Croix et de la Providence à Angers (d'après
Pocquet de Livonnière). — Louis XIV en Anjou (il passa près d'An-
gers le 30 août 1661, se rendant à Nantes). — L'abbé Ménage et sa
famille (mémoire que l'abbé rédigea en 1691 sur la noblesse de sa
famille). — ■ Les Angevins contre le jansénisme (l'évèque d'Angers
avait refusé de signer le formulaire du 15 février 1665; émoi que ce
refus suscita à Angers). — La ville d'Angers au xyiif siècle (article
du « Mercure de France »). — Le marquis de Ferrières, député de la
sénéchaussée de Saumur (aux Etats généraux ; biographie). — Les
Ursulines d'Angers pew^dant et après la Révolution (insermentées et
assermentées; leurs destinées ultérieures). — Les représentants du
peuple en mission dans l'ouest, 1793-1795 (liste alphabétique). —
Mi'e« de Régnon, détenues au Calvaire d'Angers (interrogatoires
qu'elles subissent le 25 janvier 1794). — Le préfet de Maine-et-Loire
et les fêtes supprimées, 1806-1808 (en 1782, dix-huit fêtes étaient chô-
mées à Angers ; après le concordat, quatre furent conservées, quatre
transférées au dimanche, dix supprimées; le gouvernement interdit
de chanter des messes les jours de fêtes non conservées). == 1921, jan-
RECUEILS PÉRIODIQUES. 299
vier. L'Anjou et le Vendômois (rapports entre ces deux pays du x* au
XVIII8 siècle). — La paroisse de Lesvières-lès-Angers au xyiii» siècle
(l'une des dix-sept paroisses d'Angers). — La Fidélité de Trêves et de
Saumur (couvent de femmes, fondé à Trêves en 1618, transféré à
Saumur en 1626). — M. Le Noir de La Cochetière, vicaire général
d'Angers, 1755-1828. — Les derniers jours de l'abbaye de Saint-Nico-
las-lès-Angers (1791, sort des religieux). — L'amnistie accordée aux
Vendéens par la Convention (2 décembre 1794; les Vendéens repous-
sèrent cette amnistie). — Les élections législatives de Maine-et-Loire,
1807 (liste des candidats présentés par le collège du département et
les collèges des cinq arrondissements). — La duchesse de Berry au
petit séminaire de Beaupréau (7 juillet 1828 ; diverses lettres sur cette
visite). — La Révolution de 1830 et les Angevins (départ du préfet
Frotier de Bagneux: la nouvelle municipalité). — Incendie du cloître
de la cathédrale d'Angers (4 août 1831).
18. — Annales de Bretagne. T. XXXIV, n» 2, 1920. — Henri
SÉE. L'agriculture dans les Côtes-du-Nord en 1844 (d'après le volume
publié en cette année par les inspecteurs de l'agriculture). — E. Gal-
MICHE. La vie militaire à Saint-Brieuc sous l'Ancien régime et au
début de la Révolution (régiments en garnison avec la liste des offi-
ciers). — E. DÉPREZ. Un pays de bocage du massif armoricain : le
Bas-Maine (d'après la thèse de M. R. Muss'et). — L. Dubreuil. Le
conventionnel Pierre Guyomar ; fin au n" suivant (né à Guingamp en
1757, mort en 1826 ; ni girondin, ni jacobin, un « crapaud du marais »).
— F. DuiNE. Bibliographie ménaisienne ; suite, (in au n° suivant
(bibliographie de 1900 à 1920). = C. -rendus ; R. Musset. L'élevage
du cheval en France (travail tout à fait neuf). — A. Aulard. La
Révolution française et le régime féodal (très intéressant). — Abbé
F. Robidou. Les derniers corsaires malouins. La course sous la
République et l'Empire (montre la décadence de l'institution). —
B. Pocquet du Haut-Jussé. La Compagnie de Saint- Yves-des-Bre-
tons à Rome (jusqu'au moment où elle fut réunie à Saint-Louis-des-
Français en 15^). — E. Sageret. Le .Morbihan et la chouannerie
morbihannaise sous le Consulat; t. III et IV (très consciencieux, mais
gâté par la haine que l'auteur a vouée à la Révolution). = N° 3, 1920.
F. UzuREAU. Les prêtres insermentés du Finistère (d'après des notes
envoyées en 1793 par le chanoine Cossoul, de Quimper, à l'abbé Bar-
ruel, qui préparait une histoire du clergé sous la Révolution). —
L. GouCrALD. Mentions anglaises des saints bretons et de leurs
reliques (texte sur onze de ces saints). = C. -rendus : Désiré Jouany.
La formation du département du Morbihan (superficiel). — Dom
Anger. Histoire de l'abbaye de Saint-Sulpice-la-Forèt (recueil abon-
dant d'anecdotes). — Léon Dubreuil. L'idée régionaliste sous la
Révolution (abonde en vues intéressantes).
19. — Bulletin du Comité d^études historiques et scienti-
fiques de l'Afrique occidentale française. 1919, juillet-septembre.
300 RECUEILS PÉRIODIQDES.
— H. Noël. Le port de la côte d'Ivoire (propose la solution Vridy- Abid-
jan). — D'' MÉO. Études sur le Rio-Nunez; fin au n° suivant (étude
sur les deux populations qui l'habitent, les Nalous et les Bagas). =
Octobre-décembre. Modat. Les populations primitives de l'Adrar
mauritanien (préhistoire, traditions locales, arrivée au xix* siècle des
Lemtounas). — P. Humblot. Du nom propre et des appellations chez
les Malinké; fin. = 1920, janvier-mars. D>- Jouenne. Les roches gra-
vées du Sénégal (roches à bassins, sillons, etc.; voit dans ces lignes
une sorte de calendrier solaire). = Avril-juin. J. Monteilhet. Leduc
de Lauzun gouverneur du Sénégal, janvier-mars 1779 (d'après ses
papiers saisis lorsqu'il fut envoyé devant le tribunal révolutionnaire ;
en annexe : les instructions pour M. de Lauzun et, dans le n° d'oc-
tobre-décembre, le journal du duc de Lauzun et un mémoire de lui
sur le commerce et les possessions du roi en Afrique; très inté-
ressant). = C. -rendu : R. C. F. Maugham. The republic of Libéria
(excellent). = Juillet-septembre. M'hammed Ould Ahmed Youra.
« L'histoire des puits », traduit de l'arabe par Paul Marty (le texte
arabe rédigé en 1900 a été publié par René Basset; intéressant pour
l'histoire et les noms des puits de la région). = Octobre-décembre.
Fr. de Coutouly. Notes sur les migrations Krou contemporaines (de
l'ouest .à l'est, de la côte libérienne et la côte d'Ivoire sur la côte
d'Or). = 1921, janvier-mars. Fr. de Coutouly. Cérémonies et
épreuves rituelles dans le Bas-Cavally (colonie de la côte d'Ivoire). —
Cl. Faure. Le Libéria en 1833 (renseignements transmis par le gou-
verneur de Sénégal au comte de Rigny, ministre de la Marine et des
Colonies). — Tableau historique de Cheikk-Sidia, traduit par Paul
Marty (sur la Mauritanie du xiv* à la fin du xix« siècle). — Georges
Hardy. L'enseignement au Sénégal de 1817 à 1854 (bibliographie ; le
problème tel qu'il se présentait en 1817; organisation de l'enseigne-
ment mutuel, 1819-1829; la crise de cet enseignement, 1829-1841;
l'installation des frères de Ploermel en 1841 ; la fondation du collège
de Saint-Louis en 1843; à suivre). = C. -rendus : Angoulvant. Le
problème des voies de communication et des débouchés maritimes de
l'Afrique occidentale française (liste des travaux à réaliser). — Id. Le
Togo (résultats acquis, perspectives d'avenir. Il serait souhaitable que
la question du mandat français fût bientôt réglée).
20. — Bulletin trimestriel de la Société archéologique de
Touraine. T. XXI, 1917-1920, n» 3. — Henri Guerlix. A propos d'un
manuscrit de l'école tourangelle (psautier à la bibliothèque d'Avi-
gnon; il date des environs de 1450). — L. Bosseboeuf. L'ancienne
église de Saint- André à Neuvy-le-Roi (remonte à l'époque mérovin-
gienne). — A. ChauviGné. Les peuples ligériens (Namnetes, Pictones,
Andecavi; à suivre). = N» 2. A. Chauvigné. Les peuples ligériens;
suite et fin (Turones, Carnutes, Bituriges, Aedui, Arverni, Segusiavi,
Vellavii, Helvij). — Ch. de Beaumont. L'ancienne église de Beau-
mont-la-Ronce, notes et documents (au canton Neuillé-Pont-Pierre,
RECUEILS PÉRIODIQDES. 301
Indre-et-Loire, avec la liste des curés, vicaires et prêtres habitués de
la paMsse de 1476 à 1915). *
21. — Mémoires de TAcadémie de Vaucluse. Année 1919. —
Al. MouziN. La collection du maître ferronnier Noël Biret au musée
d'Avignon. — D-" Colombe. Au palais des papes. La salle « de
Jésus ». — G. Marchal. Le premier conclave d'Avignon. — Marc de
ViSSAC. Une vendetta en Avignon (1606-1614). — Adrien Marcel.
Aubert d'Avignon, joaillier du roi et garde des diamants de la cou-
ronne (1736-1785). — J. Sautel. Les statues impériales du musée de
Vaison (Tibère, Hadrien, Sabine, statues non identifiées avec photo-
graphies). — D' Pansier. Les débuts de l'imprimerie à Avignon
(contre la thèse de H. Requin; ce qu'il faut entendre par l'ars scri-
bendi artificialiter de Procope Waldfoghel; le Luciani Palinurus
de 1497 imprimé par Michel Rohault, Michel du Riczeau et Bernard
le Gentilhomme, les imprimeurs jusqu'en 1550). — D"" Colombe. Au'
palais des papes. Une « note » de Prosper Mérimée (Mérimée a eu
raison de dire que le palais renfermait des prisons et qu'il contenait
un local réservé à la torture). == 1920. M. Barber. La vie et l'œuvre
de M. le chanoine Requin. — D"" Colombe. Au palais des papes. La
place des Cancels (un plan montre cette place et les abords du palais
de Benoît XII). — Adrien Marcel. L'Académie de Vaucluse chez le
peintre Palasse (l'Académie vient de recevoir donation d'un immeuble
qui appartenait au peintre François Palasse, 1717-1790; biographie et
œuvre de cet élève de Parrocel; description de la demeure).
22. — Mémoires de la Société éduenne. T. XLIV, l*"^ fascicule,
1920. — A. DE Charmasse. Nouvelle note sur la légende de saint
Emiland (martyrologes qui mentionnent ce saint). — P. Montarlot.
Les émigrés de Saône-et-Loire (individus inscrits par le département
de Saône-et-Loire; suite, par ordre alphabétique, de « Des Jours » à
« Fussey »).
23. — Recueil de la Commission des arts et monuments his-
toriques de la Charente-Inférieure. 8" livraison, t. XIX, 1919-
1920. — D'' Vincent. Les Graffiti militaires des remparts de Brouage
(xviie et xviiie siècles; bateaux, chaussures, bonshommes, etc.). —
Paul Enard. L'île d'Oléron; suite (vieilles maisons).
24. — Revue africaine. 1920, l""" et 2« trimestres. — E. LÉvi-
Provençal. Deux nouvelles inscriptions de Timgad (l'une de l'an 125,
l'autre de l'époque chrétienne). — J. Deny. Les registres de solde des
janissaires conservés à la Bibliothèque nationale d'Alger; suite au n°
suivant et à suivre (ces registres remontent au xviii* siècle). —
G. Marçais. Les faïences de Fez d'après un livre récent (celui d'Al-
fred Bel). — L. VoiNOT. La menace des Oulad Sidi Cheikh contre le
Tell algérien et les dangers de leurs intrigues au Maroc (1870-1873;
nombreux documents officiels). = C. -rendus : J. Carcopino. Virgile
302 BECDEILS PÉRIODIQUES.
et les origines d'Ostie (tlièse aussi neuve qu'ingénieuse). — Soualah
Mohammed. Ibrahim ibn Sahl, poète musulman d'Espagne; Id. Une
élégie andalouse sur la guerre de Grenade, texte arabe (thèses soute-
nues devant la Faculté des lettres d'Alger). — HenH Massé. Essai
sur le poète Saadi (autre thèse d'Alger; excellent). = 2« et ¥ tri-
mestres. G. YvER. Les Maronites'et l'Algérie (projets faits de 1840 à
1860 pour attirer et installer en Algérie des émigrants maronites). —
J. Desparmet. Ethnographie de la Mettidja; suite (le calendrier folk-
lorique : le mardi). — H. Pamart. Étude sur le Madracen et le Kebeur
Roumia (deux tombeaux; le premier dans le département de Cons-
tantine, le second dans celui d'Alger; ils doivent remonter l'un
et l'autre à l'époque romaine). — A. Ballu. Rapports sur les travaux
de fouilles et de restauration exécutés en Algérie en 1919. = G. -ren-
dus : Paul Monceaux. Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne, t. V.
Saint Optât et les premiers écrivains donatistes (contribution pré-
cieuse et originale à l'histoire de l'Afrique ancienne). — Ibn Muyas-
sar. Annales d'Egypte, texte arabe publié par Henri Massé (de 972 à
1158 de notre ère). — Henri Basset. Le culte des grottes en Egypte
(modèle d'enquête ethnographique). — Id. Essai sur la littérature des
Berbères (excellent; ces deux ouvrages sont des thèses). = 1921, l^"" et
2e trimestres. R. Basset. Le folklore dans le Journal asiatique,
1822-1920 (bibUographie par pays : Chine, Indo-Chine, Inde, Egypte,
langues africaines, etc.). — E.-F. Gautier. Les premiers résultats de
la mission Frobenius (mission scientifique allemande, qui a parcouru
l'Algérie au début de 1914; elle s'est occupée surtout de la question
de l'Atlantide). — A. Robert. Jeux et divertissements des indi-
gènes d'Algérie (dans la région de Bordj-bou-Arrérédy). — A. Cour.
Recherches sur l'état des confréries religieuses musulmanes (dans le
sud-est de la province de Constantine ; tableaux statistiques très pré-
cis; à suivre). — Pi Martino. Le centenaire de Fromentin (s'occupe
surtout des écrits du peintre). — Bencheneb. Essai de répertoire
chronologique des éditions de Fez (éditions datées de 1125 H. à 1309;
à suivre). = C. -rendus : M.-L. Ortega. Los Hebreos en Marruecos
(médiocre). — A. Cour. Un poète arabe d'Andalousie : Ibn Zaïdoun
(xi« siècle; sa vie, ses œuvres, édition partielle; on souhaite une édi-
tion complète). — Id. La dynastie marocaine des Béni Wattas, 1420-
1554 (efforts sérieux). — Pierre Granchamp. La France en Tunisie
à la fin du xvF siècle (série de documents de 1582-1600; ils auraient
dû être annotés).
25. — Revue de l'Anjou. 1920, septembre-octobre. — Ch. Ber-
JOLi. Eugène Brunclair {peintre né à Angers le 15 mai 1832, mort le
10 mars 1918). — V. Dauphin. Archives Ponts-de-Céaises; fin (l'ad-
ministration cantonale, 1795-1800; les présidents; les commissaires du
pouvoir exécutif; les agents et adjoints des Ponts-libres). = Novembre-
décembre. M. Sache. La dotation des étabUssements hospitaliers; sa
nature et son importance au point de vue juridique. Hôpitaux de
RECUEILS PÉRIODIQUES. 303
Doué-la-Fontaine ei d'Angers (l'aumônerie de Doué a été fondée en 1229
par dame Eustachie ; la Maison-Dieu d'Angers vers 1170; destinées de
ces deux établissements). — Queruau-Lamerie. Les religieuses d'An-
gers et de Beaufort pendant la Révolution ; suite (leur arrestation, leur
interrogatoire). — G. Grassin. Angers et l'Anjou pendant la guerre
(l"-9 juin 1917).
26. — Revue de Saintonge et d'Aunis. XXXIX'^ volume. Année
1920-1921, 6 livraisons. — H. Stein. Comptes des recettes et dépenses
de Saintonge et du gouvernement de La Rochelle (1469-1470; la Sain-
tonge faisait partie du fief de Guyenne, concédé à Charles, frère de
Louis XI). — D"" SoTTAS. Le gouvernement de Brouage et La Rochelle
sous Mazarin (1653-1661 ; à suivre). — J. Guérin. Un procès devant le
juge de paix du canton de Saintes (21 mars 1792). — Ch. Dangiheaud.
Les grottes rustiques de Bernard Palissy (au château d'Écouen et au
château des Tuileries). — J. Depoin. Introduction à l'histoire des
évêques de Saintes jusqu'au règne de saint Louis (ancien passionnaire
de Saintes ; mission de saint Séverin en Gascogne, l'évangélisation de
la Gaule centrale et occidentale, l'hymnologie d'Eutrope; à suivre). —
Pacaud. Monographie de Rioux (prix des terres et population à diverses
dates, maires et adjoints, le château). — F. Uzureau. Le clergé de la
Charente-Inférieure déporté en Espagne*(publie une relation de Pichon
de La Sablière, curé de Saujon, à l'abbé Barruel, mai 1795; à suivre).
— Ch. Dangibeaud. L'inscription de Jehan Lebas aux Jacobins de
Saintes (en 1446, ce Lebas a donné au couvent 12 marcs d'argent pour
fondation de messes).
Grèce.
27. — Neoshellenomnemon, édité par Lambros, Athènes, XIV,
31 mal 1920. — Le Grand Chronographe de Constantinople (un
manuscrit grec de Stockholm copié en 1573 à Madrid par le scribe Dar-
marios, d'Epidaure, contient la Chronique pascale avec la fin, endom-
magée dans le manuscrit de Paris (P) qu'a reproduit l'édition de Bonn.
En outre, à partir du fol. 797, on trouve un appendice composé de
deux extraits, dont l'un, emprunté 'Sx toO \».tyâXo\j -/povoypâfou. Les évé-
nements qu'il mentionne, tremblements de terre sous Zenon et
Léon III, sont connus par d'autres chroniques, mais formulés autre-
ment). — Canons en l'honneur de Manuel Paléologue (manuscrit de
la bibliothèque patriarcale du Caire. D'après le titre, ces canons furent
composés après que Manuel, « ayant revêtu le divin et angélique habit,
changea son nom en celui du moine Mathieu » en 1423, vraisembla-
blement même après la mort de Manuel en 1425. L'auteur insiste sur
le savoir théologique de ce « pilier de la foi », peut-être par opposition
à son héritier Jean VIII qui, dès 1438, négocie un rapprochement avec
Rome. Ces pièces montrent la persistance de la tradition des mélodes
jusqu'au xv»-' siècle). — Lettres de Grégoire de Bulgarie, métropolite
304 RECUEILS PÉRIODIQUES. ,
d'Achrida,.mort vers 1332 (Vienne, Cod. Theolog., CCIII, xiv« siècle).
La seconde lettre est adressée sûrement au grand logothète Théodore
Metochitès sous Andronic II, 1282-1328; la troisième probablement au
savant de Trébizonde André Livadenos qui a laissé le récit de son
voyage en Egypte et en Palestine). — Texte de l'acte de fondation
d'une compagnie pour la filature du coton à Ampelaki en 1780.
Italie.
28. — Nuova Rivista storica. Anno IV, 1920, fasc. 6, novembre-
décembre. — Général Filareti. Danton et Robespierre; essai de
psychologie sociale ; suite (on ne peut douter de la vénalité de Dan-
ton ; d'ailleurs un régime terroriste est inconciliable avec l'honnêteté
et la vertu). — G. Barbagallo et 0. Masnovo. L'histoire et l'histo-
riographie d'après Benedetto Croce. -— Ernesto Pontieri. Les débuts
de la féodalité en Galabre. — Valentino Piccoli. De quelques ouvrages
récents, sur la philosophie politique. — G. B. et G. Maliandi. Études
italiennes et étrangères d'histoire religieuse (parle de A. Rostagni :
Giuliano l'Apostata; E. Carpenter : Il posto del Gristianesimo tra le
religioni, trad. en italien par G. Conte; et AL Chiappelli i VirgiUo
nel Nuovo Testamento). = G. -rendus : R. Mondolfo: Sulle orme di
Marx; studî di marxismo e di socialismo (nouvelle édition; bon). —
C. Scalia. Il matérialisme storico e il socialismo (bonne critique des
doctrines économiques de Marx et de Loria ; la bibliographie est très
incomplète). — R. Maiocchi. Galileo e la sua condanna (habile plai-
doyer qui a pour objet de prouver que l'Église eut raison de condam-
ner GaUlée; mais rien de nouveau). — - G. Pasquali. Socialisti tedes-
chi (vivant exposé de leurs doctrines, avec une très abondante
bibliographie).
CHRONIQUE.
France. — L'Académie française a décerné les récompenses sui-
vantes : prix Thérouanne : abbé Dedieu, le Rôle politique des
protestants français; M. Blanchard, les Routés des Alpes occi-
dentales à Vépoque napoléonienne (1796-1815); M. Giraud, Essai
sur l'Histoire religieuse de la Sarthe, de 1189 à l'an IV ; M. Cro-
quez, Louis XIV en Flandre; M. Deloche, Autour de la plume
du cardinal de Richelieu. — Prix Bordin : M. de Labriolle, His-
toire de la littérature latine chrétienne ; M. Choisy, Sainte-Beuve.
— Prix Marcellin Guérin : M^^ Saint-René Taillandier, Madame
de Maintenon; M. Laborde-Milaa, Un essayiste, Emile Montégut
(1825-1890); M. Arbelet, la Jeunesse de Stendhal, 2 vol.; M. A. de
Poncheville, Cahiers de l'amitié de France' et de Flandre;
M. Rivet, tes Alliés de demain; les T héco-Slovaques ; en Yougo-
slavie, 2 vol. ; M. Heuzé, les Cannions de la victoire. — Prix Weiss :
M. Gustave Michaud, Histoire de la comédie romaine, Plante,
2 vol. — Prix Montyon : abbé Charbonnier, la Poésie française et
les guerres de religion (1560-1574): M. Lechartier, Intrigues et
diplomatie à Washington; M. Ludovic Naudeau, En prison sous
la terreur russe; M. Sainte-Marie Perrin, la Belle vie de sainte
Colette de Corbie; général Canonge, Récit succinct de la grande
guerre; M. Fougerav du Coudrey, Granville et ses environs pen-
dant la Révolution; M. Motte, les Vingt mille de Radinghem;
M. Geoffroy de Grandmaison, le Capitaine Pierre de Saint- Jouan
(1888-1915); Mgr Piccard, l'Université chablaisienne ou la sainte
maison de Thonon. —■ Prix Davaine : M. Louis Ducros, Jean-Jacques
Rousseau, 3 vol. — Prix Charles Blanc : M. Schneider, Claudio
Monteverdi; M. J. Calmette, François Rude; M. Gielly, l'Ame
siennoise; M. Mauclair, Watteau; M. Boissonnot, Histoire et
description de la cathédrale de Tours. — Prix Jules Favre :
M"»» Valentine Poizat, la Véritable princesse de Clèves. — Prix
Sobrier-Arnould : M. Recouly, la Bataille de Foch. — Prix .Juteau-
Duvigneau : M. Bricout, Mgr d'Hulst, apologiste; M. Fliche, Saint
Grégoire VII; M. IIallé, la Guerre française et chrétienne. —
Prix Fabien : M. Quentin -Bauchart, ta Crise sociale de 18k8;
M. C.-G. Picavet, Une démocratie historique : la Suisse. — Prix
Narcisse Michaut : général Buat, Ludendorff. — Prix Broquette-
Gonin : M. Gustave Cohen, Écrivains français dans ta première
moitié du XV II" .siècle.
Rev. Histor. CXXXVH. 2« faSC. $0
306 CBBONIQCE.
— Le Journal officiel du 8 juillet 4921 contient le texte de l'Ar-
rêté portant règlement général des archives départementales, qui
a été pris par le ministre de l'Instruction publique à la date du l^"" juil-
let. Le règlement, tel qu'il est sorti des délibérations longues et appro-
fondies de la Commission supérieure des Archives, comprend cent
articles répartis en treize divisions : composition des archives départe-
mentales; local, personnel; prise en charge du dépôt par l'archiviste;
rapport annuel qu'il doit adresser au préfet « sur la situation des archives
départementales et de celles des sous-préfectures, des communes et
des hospices » ; mesures de sûreté; versements; suppressions; classe-
ment; répertoires et inventaires : répertoires numériques et inventaires
sommaires; communications; expéditions; bibliothèques, historique et
administrative. Quant aux suppressions, les articles 52 et 53 s'ex-
pliquent comme suit : « Sont à conserver indéfiniment, en principe :
tous les dossiers et registres clos antérieurement à 1830; toutes les
pièces qui peuvent servir à établir un droit au profit d'une administra-
tion ou d'un particuUer ; tous les documents qui présentent ou peuvent
acquérir un intérêt historique. — Peuvent être supprimés en principe :
les documents dont les données essentielles se retrouvent dans un
autre document récapitulatif, surtout si ce document récapitulatif a été
imprimé; les pap'iers qui ne présentent qu'un intérêt temporaire,
lorsque le temps pendant lequel ils pouvaient être utiles est écoulé ».
— La librairie F. de Nobele, à Paris, a mis en vente le Grand
Armoriai de la Toison d'Or, reproduction facsimile en couleurs du
manuscrit d'Anthoine de Beaulaincourt, que le héraut Toison d'Or
exécuta sur l'ordre qui lui en fut donné par l'empereur Charles-Quint
au chapitre de 1549; édition de grand luxe qui est mise en vente au
prix de 1,000 fr.
États-Unis. — Du rapport annuel présenté par le directeur du
« Department of historical research » institué auprès de la « Carnegie
Institution » à Washington, pour l'exercice 1919-1920, nous extrayons
les détails suivants : M. John S. Bassett, de Smith Collège, a été chargé
de préparer l'édition des papiers et de la correspondance du président
André Jackson ; elle comprendra plusieurs volumes et présentera un
grand intérêt pour les années qui s'étendent de la guerre de 1812 à la
mort du général. La préparation du « Guide pour les sources de l'his-
toire d'Amérique aux archives de Paris » a fait de grands progrès,
grâce au zèle déployé par M. Abel Doysié dans ses recherches aux
archives de la Marine et au dépôt des cartes et plans de la Marine.
Madame Surrey a continué son inventaire des documents conservés à
Paris sur l'histoire de la vallée du Mississipi; elle a déjà établi plus de
20,000 fiches prêtes pour l'impression. On a commencé des recherches
aux archives de Bermude, qui sont fort anciennes, et qui nous sont
parvenues dans un état de conservation inconnu dans les autres îles
des Indes occidentales. Un Atlas de géographie historique des États-
CHRONIQUE. 307
Unis est en préparation sous la clirection du Dr. Charles 0. PauUin.
M. David Matteson a été chargé de relever dans les catalogues impri-
més de manuscrits des bibliothèques d'Europe toutes les mentions
relatives à l'histoire d'Amérique ; son répertoire, dressé d'après l'ordre
alphabétique de noms de ville, en est arrivé à la lettre M. On sait
d'autre part que les manuscrits américains existant dans les biblio-
thèques de Londres, Oxford et Cambridge ont été catalogués dans le
Guide de MM. Andrews et Davenport; ceux des archives romaines et
italiennes et des bibliothèques de Rome, dans le Guide de M. Fish ; les
nombreux volumes des bibliothèques de Paris figureront dans le tome I
du Guide de M. Leland. Parmi les publications de textes mentionnons
enfin la suite des « Traités européens » qui se rapportent à l'histoire
des États-Unis, par Miss Davenport (1667-1670); les « Lettres de
membres du Congrès » jusqu'en 1782, par M. Burnett, qui compren-
dront quatre volumes ; les « Débats du parlement anglais concernant
l'Amérique du Nord », par le Dr. Stock, qui en est arrivé à l'an-
née 1645; les récits et documents pour l'histoire de la traite des nègres
recueillis par Miss Donnan.
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des livres composant la bibliothè-
que de feu M. le baron James de
Rothschild, t. IV et V, 234.
Plomer. A short history of english
printing, 240.
Poupardin {René). Recueil des actes
des rois de Provence, 232.
Prinet. Armoriai de France de l'époque
de Philippe le Bel, 241.
— Les usages héraldiques au xiv siècle,
241.
Pulling. Voir Harritoii.
Regesta chartarum Italiae, t. XI! et
XIII, 232.
Régné (Jean). Synthèses d'histoire
provinciale, 1905-1915, 234.
Reichling. Appendices ad Hainii Co-
pingeri repertorium, 240.
Renmidet. Sources de l'histoire de
France aux Archives d'État de Flo-
rence, 1494-1789, iSe.
Roesli. Verzeichnis der ôtt'entlichen
Schweizerischen Bibliolheken, 235.
Roman (J.). Manuel de sigillographie
française, 241.
Roy (Maurice). Les premiers caractè-
res d'imprimerie en métal résistant,
238.
Sabarthès (chanoine). Bibliographie
de l'Aude, 234.
Savaçe. Manual of descriptive anno-
tation for library catalogues, 233.
Sarjers. Canons of classification, 233.
Schlumberger (Gustove) et Blanchet
[Adrien). Collections sigillographi-
ques, 241.
SchiaparelU {L.). Note palepgrafiche,
230.
— Notae juris, 230.
Serrano y Sanz. La irnprenta de Za-
ragoza es la mâs antigua de Ëspana,
240.
Sobolevski, Lavrof et Kalilchiatski.
Album de fac-similés de mss. you-
go-slaves en écriture bulgare et
serbe et de mss. cyrilliques d'origine
roumaine, 231.
Staerk (dom Ant.). Collection de re-
productions phototypiques, textes
et miniatures, t. 1, 228.
Sleffens. Proben aus griechischen
Handschriften und Urkunden, 230.
Trauzzi. Attraverso l'onomastica dei
medio evo in Italia, 243.
Tuetey. Répertoire général des sour-
ces manuscrites de l'histoire de Pa-
ris pendant la Révolution française,
t. XI, 236.
Turner. Early Worcester manuscripts.
Van Hoesen. Roman cursive writing,
228.
Vernier [J.-J.). Recueil de fac-simi-
lés de chartes normandes, 227.
Viard (/.). Itinéraire de Philippe de
Valois, 232.
Vidier (A.). Voir La^leyrie [A. de).
Voullième (£".). Monumenta Gerraa-
niae et Italiae typographica, 240.
Wells. Manual of writings in middle
english, 1050-1400, 227.
TABLE DES MATIERES.
ARTICLES DE FOND.
Pages
BoST (Charles). Les « Prophètes » du Languedoc en 1701
et 1702. Le prédicant-prophète Jean Astruc, dit
Mandagout; suite et fin 1
Homo (Léon). Les privilèges administratifs du Sénat romain
sous l'Empire et leur disparition graduelle au cours
du iii« siècle ; i*-" article 161
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
BOUDIER (André). Charles Desmarets, corsaire dieppois.
Documents inédits de 1445 32
Labriolle (Pierre de). Le « mariage spirituel » dans l'an-
tiquité chrétienne 204
Stern (Alfred). L'insurrection polonaise de 1863 et l'impé-
ratrice Eugénie 66
Weil (Commandant Henri). Un précédent de l'afîaire Mor-
tara • • *9
BULLETIN HISTORIQUE.
Histoire de France : Époque moderne jusqu'en 1660, par
Henri Hauser 80
La littérature historique des Syriens, par l'abbé J.-B.
Chabot, de l'Institut 74
Sciences auxiliaires de l'histoire (1912-1920), par Ph.
Lauer 226
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Ancel (Jacques). Les travaux et les jours de l'armée
d'Orient, 1915-1918 (J. Carcopino) '254
Blanchard (Marcel). Les routes des Alpes occidentales à
l'époque napoléonienne (H. Hauser) 110
— Bibliographie de l'histoire des routes des Alpes occiden-
tales sous l'État de Piémont-Savoie (1796-1815)
(Id.) 110
[Supplément kv numbro dk .ioillet-août 1921.]
TABLE DES MATIÈRES- 315
P»ges
Cohen (Gustave). Mystères et moralités du ras. 617 de
Chantilly (Lucien Febvre) 247
Haake (Paul). Johann Peter Ancillon und Kronprinz Fried-
rich Wilhelm IV von Preussen (Rod. Reuss). . 253
— Der.Preussische Verfassungskampf vor hundert Jahren
(Id.) 254
Hartmann (L.-M.) et Kromayer (J.). Rômische Geschichte.
Bd. III (Ch. Lécrivain) 244
HoGAN (James). Ireland in the european System. T. 1 : 1500-
1557 (Henri Sée) 248
Klein (Julius). The Mesta. A study of spanish économie
history, 1273-1836 (Alfred Morel-Fatio). ... 98
Lacour-Gayet (G.). Napoléon (Chr. Pfister) 251
Lhéritier (Michel). Tourny, 1695-1760 (Paul Courteault). 102
— Les débuts de la Révolution à Bordeaux, d'après les
Tablettes manuscrites de Pierre Bernadau (Id.) . 108
RoDOCANACHi (E.). La Réforme en Italie; P^ partie (Henri
'Hauser) 100
TouTAiN (J.). Les cultes païens dans l'Empire romain, t. III
(A. Grenier) 96
Veith (Georg). Der Feldzug von Dyrrhachium zwischen
Caesar und Pompejus (Ch. Lécrivain) .... 245
WoYTiNSKi (Wladimir). La démocratie géorgienne (Henri
Sée) 259
Notes bibliographiques : Allemagne (p. 269), Autriche
(p. 124), Belgique (p. 117), Danemark (p. 118),
Espagne (p. 270), États-Unis (p. 274), France (p. 119,
275), Grande-Bretagne (p. 124), Inde anglaise(p. 124),
Japon (p. 126), Orient latin (p. 278), Pays-Bas
(p. 279), Pays Scandinaves (p. 127), Pologne (p. 280),
Suisse (p. 128). Histoire de l'antiquité (p. 265),
Histoire générale (p. 116, 262).
Livres reçus par la Revue historique 128
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
ÉTATS-UNIS.
The American historical review (p. 149).
FRANCE.
Académie Wles inscriptions et belles-lettres (p. 147); Académie des
sciences morales et politiques (p. 148, 297); Anjou (1') his-
torique ("p. 298); Annales de Bretagne (p. 299); le Biblio-
316 TABLE DES MATIÈRES.
graphe moderne (p. 133); Bulletin de la Société de l'his-
toire du protestantisme français (p. 132); Bulletin du Comité
d'études historiques et scientifiques de l'Afrique occidentale
française (p. 299) ; Bulletin hispanique (p. 134) ;Bulletin trimes-
triel de la Société archéologique de Touraine (p. 300); le Cor-
respondant (p. 142, 293); Études; revue fondée par des Pères
de la Compagnie de Jésus (p. 142, 294); Journal des savants
(p. 135); Mémoires de l'Académie de Vaucluse (p. 301);
Mémoires de la Société éduenne (p. 301); Mercure de France
(p. 144); Nouvelle revue historique de droit français et étran-
ger (p. 136, 282); Polybiblion (p. 137); Recueil de la Com-
mission des arts et monuments historiques de la Charente
Inférieure (p. 301): la Révolution de 1848 (p. 138, 283); la
Révolution française (p. 138); Revue africaine (p. 301); Revue
archéologique (p. 283); Revue critique d'histoire et de litté-
rature (p. 139, 285); la Revue de France (p. 144); Re-s^e de
l'Anjou (p. 302); Revue de l'histoire des colonies françaises
(p. 286); Revue de l'histoire des religions (p. 140, 287);
Revue d'histoire des ÉgUses de France (p. 291); Revue de
Paris (p. 145, 294); Revue de Saintonge et d'Aunis (p. 303);
Revue des Deux Mondes (p. 146, 296); Reiue des études
anciennes (p. 141); Revue des études historiques (p. 288);
Revue des sciences politiques (p. 289); Revue générale du
droit (p. 291); Revue Mabillon (p. 292).
GRÈCE.
Neoshellenomnemon (p. 303).
ITALIE.
Archivio storico itaUano (p. 150); Archivio storico siciliano (p. 151);
Nuovo archivio veneto ip. 155); NuovaRivistastorica(p. 304).
Chronique : Allemagne (p. 160), Belgique (p. 160), États-Unis (p. 306),
France (p. 158, 305), Grande-Bretagne (p. 160).
Index BiBLioaRAPHiQUE 308
Le gérant : R. Lisbonne.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Dadpblbt-Godvbrneur.
REVUE
HISTORIQUE
REVUE
HISTORIQUE
Fondée en 1876 par GABRIEL MONOD
directeurs :
Charles BÉMONT et Christian PFISTER.
Ne qxiid falsi audeat, ne quid veri non audeat historia.
CicÉRoN, de Orat., II, 15.
QUARANTE-SIXIÈME ANNEE.
TOME CENT TRENTE- HUITIEME
Septembre-Décembre 1921.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALGAN
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1921
LES
PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS
DU SÉNAT ROMAIN
sous L'EMPIRE
ET LEUR DISPARITION GRADUELLE
AU COURS DU I1I« SIÈCLE
(Suite et fin^.)
Provinces impériales. — A l'exception des provinces pro-
curatoriennes dont les gouverneurs appartenaient à l'ordre
équestre, les provinces impériales avaient des gouverneurs —
« legati pro praetore » — recrutés dans la classe sénatoriale ;
ces légats étaient les uns d'anciens consuls, les autres d'anciens
préteurs. Sous le règne de Sévère Alexandre, au moment où
allait s'ouvrir la grande crise de l'anarchie militaire, les pro-
vinces impériales à légats étaient au nombre de vingt-six, dont
quatorze (Bretagne, Germanie supérieure, Germanie inférieure,
Tarraconaise, Pannonie supérieure, Pannonie inférieure, Dacie,
Mésie supérieure, Mésie inférieure, Dalmatie, Cappadoce, Gili-
cie, Syrie Gaele, Syrie Phoenice) étaient consulaires et douze
(Belgique, Aquitaine, Lyonnaise, Lusitanie, Rliétie, Norique,
Tlirace, Bithynie-Pout, Galatie, Judée, Arabie, Numidie) étaient
prétoriennes. Quel que fût leur rang, ces légats étaient tous
choisis par l'empereur pour un temps indéterminé et respon-
sables devant lui. Ils réunissaient entre leurs mains l'ensemble
des pouvoirs civil et militaire ; les forces placées sous leurs ordres
variaient selon la catégorie et l'importance des provinces qu'ils
avaient à administrer, deux légions en général pour les pro-
vinces consulaires, une seule — quand il y en avait — pour les
.1. Voir Rev. histor., t. CXXXVII, p. t -203.
Rev. Histor. CXXXVIII. l»"- r-ASC, 1
Z LEON HOMO.
provinces prétoriennes. A l'exception des généraux de l'armée
d'Italie (préfets du prétoire et des vigiles), de l'armée de Méso-
potamie (préfet de Mésopotamie) et de l'armée d'Egypte (préfet
d'Egypte), qui étaient des chevaliers, les grands chefs de l'ar-
mée romaine sous l'Empire appartenaient donc à l'ordre sénato-
rial.- C'était là un privilège administratif fort important pour le
Sénat; on comprendra sans peine qu'il y ait tenu beaucoup.
Aucune atteinte sérieuse ne fut portée à ce régime avant Gai-
lien. Mais tout allait changer avec cet empereur. Sa politique
dans son ensemble est antisénatoriale. Il met fin à l'entente
étroite qui existait entre l'empereur et le Sénat depuis l'arrivée
aux affaires de Timésithée sous Gordien III (241). Au point de
vue administratif, cette politique s'est concrétisée surtout dans
le célèbre édit de Gallien, qui marque une étape décisive dans
la déchéance graduelle du Sénat. Cet édit, nous n'en connais-
sons ni le texte authentique ni la date précise. Nous allons
essayer dans les pages suivantes de combler, autant que pos-
sible, cette lacune regrettable.
Deux seuls textes nous parlent de ce document, tous deux
d'Aurelius Victor dans ses Caesares. Voici les deux passages :
a) « Et patres quidem, praeter commune Romani malum orbis,
stimulabat proprii ordinis contumelia, quia primus ipse metu
socordiae suae ne imperium ad optimos nobilium transferretur,
senatum militia vetuit et adiré exercitum^ ». « Les sénateurs,
outre le malheur commun du monde romain, étaient stimulés
par la honte qui avait frappé leur propre classe, car Gallien, le
premier, craignant qu'en raison de son apathie l'Empire ne fût
transféré aux meilleurs membres de la noblesse, interdit aux séna-
teurs la carrière militaire et leur défendit même de se présenter
à l'armée »\b) k propos du règne de Probus : « Amissa GaUieni
edicto refici militia potuit, concedentibus modeste legionibus,
Tacito régnante^ ». « La carrière militaire perdue (pour le
Sénat) à la suite de l'édit de Gallien put être rétablie sous le
règne de Tacite, en raison de la modération et de la condescen-
dance des légions. » Qu'il y ait eu édit formel résulte implicite-
ment du premier texte et explicitement — « Gallieni edicto » —
du second.
1. Aurelius Victor, Caesares, 33, 34.
2. Ibid., 37, 6.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SlÊNAT ROMAIN. ' 3
A propos de cet édit, deux questions se posent à la fois :
a) sa date; b) sa portée. — Aucun de nos deux textes ne donne
d'éléments de datation précis. Le premier mentionne le fait au
lendemain de la mort de Gallien et le second, plus tard encore,
après la mort de Probus. Il nous faut donc chercher ailleurs les
précisions qui nous manquent. Un premier élément nous est
fourni par le début du règne de Gallien. Valérien est fait pri-
sonnier dans le courant de septembre ou au commencement
d'octobre 260. La nouvelle est arrivée à Rome vers la fin de ce
mois. Officiellement, le règne de Gallien seul n'a guère coln-
inencé qu'avec novembre 260. L'édit de GaUien ne peut donc
être antérieur à cette date. D'autre part, la plus ancienne des
deux inscriptions de Der-At, en Arabie, dont il sera question
plus loin, nous montre, à une date désignée par la 158*' année
de l'ère de Bostra, c'est-à-dire 263 ap. J.-C, la province admi-
nistrée par Statilius Anmiianus, « vir egregius », par consé-
quent un membre de l'ordre équestre. La réforme administra-
tive de Gallien était donc réalisée à cette date. Par suite, l'édit
de GaUien se place nécessairement entre novembre 260 au
plus tôt, et l'année 263 au plus tard. Peut-on l'enfermer dans
des limites plus précises?
Première remarque. Au moment où son père Valérien suc-
combe en Orient, Gallien n'est pas présent à Rome, Il est en
Gaule, où il combat l'usurpateur Postumus. La guerre, com-
mencée dès la première moitié de 258, se prolonge jusqu'en 261,
date où Gallien est rappelé en Italie par la grande invasion des
Alamans. Or, une mesure aussi décisive, aussi terrible pour le
Sénat que l'était l'édit de Gallien, ne peut avoir été prise. qu'à
Rome, c'est-à-dire l'empereur étant sur place et ayant les
moyens de réduire immédiatement toute tentative de résistance
sénatoriale qui viendrait à se produire. Le premier long séjour
de Gallien à Rome, après la disj)arition de son père, se place
au lendemain de la défaite des Alamans, à l'automne 261. Au
début de 262, Gallien quitte de nouveau sa capitale et va
reprendre en Gaule la campagne contre Postumus.
Seconde remarque. En 261 a heu en Italie une terrible inva-
sion des Alamans. Les Barbares menacent Rome que le Sénat,
en l'absence de l'empereur, met précipitamment en état de
défense. La chronologie générale de cette année 261 peut s'éta-
blir de la manière suivante : printemps : traversée des Alpes par
4 LEON HOMO.
les Alamans. Été : dévastation de l'Italie du Nord ; marche contre
Rome. Fin de l'été ou début de l'automne : grande victoire de
Gallien à Milan. Automne : arrivée et séjour de l'empereur à
Rome. Le fait que le Sénat prend l'initiative de lever des
troupes pour arrêter les envahisseurs prouve que l'édit de Gal-
lien n'avait pas encore paru, puisque cet édit interdisait formel-
lement aux sénateurs tout contact avec l'armée. De plus, l'atti-
tude du Sénat dans la circonstance est une des raisons qui ont
déterminé l'empereur à promulguer son édit. Gallien n'a évi-
demment pas voulu que semblable fait pût se reproduire. Dans
ces conditions, l'édit ne peut être antérieur à l'automne 261 ; il
se place donc entre cette date et Tannée 263.
Troisième remarque. La province d'Arabie avait fait partie de
l'Empire oriental de Macrianus en même temps que la Syrie et
l'Egypte. Ces deux derniers pays sont revenus successivement
à l'autorité de GaUien, la Sj^ie à la disparition des deux fils de
Macrianus, Macrianus le jeune et Quietus, qui est de la fin de
261, l'Egypte avant Pâques de l'année 262; l'Arabie, intermé-
diaire entre les deux, a été recouvrée par Gallien vers le début
de 262. Le premier gouverneur, envoyé par l'empereur pour
administrer la province reconquise, a pris possession de son
poste vers la même date. Or, une inscription de Der-At, dans la
province d'Arabie, mentionne un gouverneur, Statilius Ammia-
nus, d'ordre équestre, qui était en fonctions la 158" année de
l'ère de Bostra (22 mars 263-21 mars 264'). Pour qu'il ait été
précédé, après la chute de Macrianus, d'un autre gouverneur,
il faudrait que ce prédécesseur ne fût resté en charge qu'un an
à peine. Il serait bien invraisemblable que Gallien, dans une
province qu'il s'agissait de réorganiser, ne l'eût pas laissé plus
longtemps en fonctions. Dans la province limitrophe d'Egypte,
le préfet, lors de la persécution de Valérien, en 257, était un
t. Mittheilungen des Dentschen Paldstina Vefeins, 1899, p. 58, n° 18
(= Inscriptiones Graecae ad res Romanas pertinentes, éÂ. Gagnât, III, 1287).
— Une seconde inscription {Mittheilungen..., 1897, p. 40 = Inscriptiones
Graecae..., III, 1286), de même provenance et également dédiée à Gallien,
porte, dans le texte donné par les Mittheilungen, la date incomplète pv [?],
15° [?] année de l'ère de Bostra; le chiflre des unités manque. Le tex*e publié
par les Inscriptiones Graecae... donne pvi;', 157° année de l'ère de Bostra
(22 mars 262/21 mars 263). Malheureusement, dans l'état de l'inscription, la
lecture ne mérite pas une pleine confiance. Le libellé de cette seconde inscrip-
tion indique qu'elle est non pas antérieure, mais postérieure à la précédente :
il faudrait donc lire — le chiffre des dizaines étant sûr — pvO', 159° année de
l'ère de Bostra (= 22 mars 264/21 mars 265).
LA DISPAiftTION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 5
certain Aemilianus. Or, cet Aemilianus nous le retrouvons à la
tête de la province au milieu de 262, date à laquelle il se fait
proclamer empereur, soit qu'il ait conservé ses fonctions sous
l'usurpation de Macrianus, ce qui serait fort invraisemblable,
soit, bien plutôt, que Gallien, après la reconquête de la province,
au début de 262, l'ait réintégré dans son gouvernement. Selon
toute apparence, Statilius Ammianus est le premier gouverneur
d'Arabie placé par Gallien à la tête de la province recouvrée.
Gomme il est d'ordre équestre et non sénatorial, la conclusion
serait donc que l'édit avait déjà paru au commencement de 262,
date où l'Arabie revient à l'obédience de Gallien.
L'édit de Gallien aurait donc été promulgué dans les derniers
mois de l'année 261. Or, nous avons vu plus haut que l'envoi de
Valens en Grèce est de l'automne 261 et que c'est à cette date
que Gallien inaugure en Achaïe la réforme administrative des pro-
vinces sénatoriales. Etant donné la liaison logique entre les deux
mesures, il y a là une coïncidence qui ne saurait être fortuite.
La conclusion s'impose donc très nette : Gallien, après sa vic-
toire sur les Alamans, rentre à Rome. Il y séjourne pendant tout
l'automne de 261 et c'est alors qu'il promulgue son fameux édit.
La date ainsi fixée avec précision va nous permettre de mieux
saisir les causes et la portée de cette mesure décisive.
Nous sommes en 261. La Gaule s'est séparée de l'Empire
romain avec Postumus en 258; la Bretagne, coupée de Rome,
a suivi cet exemple. En septembre-octobre 260, Valérien a été
écrasé par le roi de Perse Sapor et les Perses ont inondé l'Asie
romaine. A la suite de ce désastre, Macrianus a usurpé l'Em-
pire ; il est maître de la S^Tie et de l'Asie Mineure ; en Égvpte,
partisans et adversaires de Gallien se disputent la province les
armes à la main. Par la double défection de l'Orient et de l'Oc-
cident, l'Empire romain est réduit à l'Italie, aux provinces
danubiennes, à la péninsule des Balkans et à l'Afrique. Ce n'est
pas tout. Les Barbares du nord envahissent la Bithynie et brûlent
Astacum, près de la future Nicomédie. Les Alamans traversent
les Alpes, dévastent l'Italie et viennent menacer Rome, taudis
qu'une terrible guerre servile désole la Sicile. Un peu plus tard,
dans le courant de l'année, la crise s'aggrave encore. Macria-
nus, son empire oriental constitué de la mer Noire aux confins
de l'Egypte, passe en Europe et se prépare à marcher sur l'Ita-
lie pour y renverser Gallien (automne 261).
Telle est la situation générale en présence de laquelle se
6 LÉON HOMO.
trouve Gallien lors de son retour à Rome, au lendemain de sa
grande victoire sur les Alamans. Il est entièrement à la merci
de l'armée danubienne, la seule qui lui reste. Elle seule peut le
sauver; sinon, pris comme il l'est, entre Postumus a l'ouest et
Macrianus à l'est, il est perdu sans rémission. Or, cette armée
danubienne est dominée par deux sentimentè exclusifs : un
patriotisme romain farouche, une défiance — parfois même une
haine — vis-à-vis du Sénat traditionnelle dans son sein depuis
le règne de Maximin et la grande crise de l'année 238. Sur le
premier point on pouvait s'entendre, car Gallien, en fait de
patriotisme, ne le cédait nullement aux troupes de l'IUyricum ;
mais il restait le second. La politique de son père Valérien, son
propre passé et ses goûts personnels, tout portait GaUien vers
le Sénat. Mais nécessité n'a pas de loi. Le salut de l'Empire ne
pouvait être assuré que par l'armée danubienne. Gallien dut lui'
faire des concessions et lui garantir une collaboration étroite,
dont les prérogatives sénatoriales devaient nécessairement faire
les frais.
La conduite de Gallien s'explique également par une seconde
raison, celle-ci d'ordre strictement militaire. Dans cette crise
épouvantable où le monde romain luttait pour son existence,
même, toutes considérations devaient être sacrifiées au souci
exclusif de la défense nationale. Il fallait avant tout s'en
remettre du salut de la patrie à des généraux habiles et expé-
rimentés. Or, ce n'était pas dans les rangs de l'aristocratie
sénatoriale dégénérée que l'on pouvait espérer les rencontrer,
mais seulement parmi les soldats de métier formés à la rude
école de la défense des frontières. Une mesure aussi radicale
que l'exclusion des sénateurs de l'armée n'était donc pas seule-
ment un gage donné à l'armée du Danube, mais aussi une néces-
sité impérieuse de la situation. Le libellé de l'édit et la date de
la promulgation nous en fournissent la preuve décisive.
Après ces préliminaires indispensables, abordons l'étude de
redit lui-même. La formule qui nous a été transmise par le pre-
mier des deux textes d'Aurelius Victor* est très courte, mais du
moins elle a le mérite d'une netteté parfaite : « Senatum militia
vetuit et adiré exercitum ». Il s'agit donc d'une mesure géné-
1. 33, 34.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMLMSTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 7
raie s'appliquant à tous les commandements militaires qui étaient
officiellement accessibles à l'ordre sénatorial : a) gouverneurs
légats des provinces impériales; b) légats et tribuns de légions,
tribuns et préfets de corps auxiliaires. Laissons de côté cette
seconde catégorie, que nous retrouverons plus tard et bornons-
nous ici à ce qui concerne la première.
Sont touchés par Fédit tous les légats gouverneurs de pro-
vinces impériales, qu'ils soient d'ordre consulaire ou prétorien;
mais, dans la pratique, la portée immédiate de l'édit était singu-
lièrement plus restreinte. A l'ouest, la Bretagne, les provinces
gauloises (Germanie supérieure, Germanie inférieure, Belgique,
Lyonnaise, Aquitaine) étaient perdues pour l'Empire et faisaient
partie de l'état gallo-romain ; c'était probablement aussi, dès le
mQieu de 261 , le cas des deux provinces impériales de l'Espagne
(Tarraconaise et Lusitanie). A l'est, l'empire de Macrianus
englobait les provinces de Bithynie-Pont, Cappadoce, Galatie,
Cilicie, Syrie Caele, Syrie Phoenice, Judée, Arabie. Enfin, sur
la rive gauche du Danube, la province de Dacie était déjà occu-
pée par les Barbares. Les provinces impériales à légats, restées
fidèles à Gallien, se réduisaient à huit provinces danubiennes
(Rhétie, Norique, Pannonie supérieure, Pannonie inférieure,
Mésie supérieure, Mésie inférieure, Dalmatie, Thrace) et à la
province de Numidie en Afrique, au total neuf sur un ensemble
de vingt-six que comptait normalement l'Empire romain, soit
environ le tiers.
Telles sont les provinces dont les gouverneurs tombaient pra-
tiquement sous le coup de l'édit de Gallien. En vertu de cette
mesure, ces fonctionnaires d'origine sénatoriale ne pouvaient
continuer à réunir entre leurs mains, selon le système impérial
traditionnel, l'ensemble des pouvoirs militaire et civil. Qu'allait
faire l'empereur? Il y avait deux solutions possibles et il n'y en
avait que deux. 1° Procéder par démembrement de la fonction
en séparant radicalement les deux pouvoirs. Dans ce cas lais-
ser les attributions civiles au gouverneur d'ordre sénatorial
et transférer le pouvoir militaire à des officiers de métier, les
« Duces ». Ce sera la solution de Dioclétien. 2° Procéder par
simple substitution de personnes, en laissant intactes les fonc-
tions, c'est-à-dire remplacer purement et simplement les gouver-
neurs d'ordre sénatorial par des gouverneurs d'ordre équestre,
8 LEON HOMO. ,
en leur maintenant, comme par le passé, la totalité des pouvoirs.
Quelle est, de ces deux solutions, celle à laquelle Gallien s'est
rallié?
Un premier fait se dégage de l'examen général auquel nous
avons soumis plus haut la question des « Duces limitum » régio-
naux. Il est acquis que ces « Duces » n'ont pas existé antérieure-
ment au règne de Dioclétien. Par conséquent il n'y a pas eu, à
la suite de l'édit de Gallien, de fonctionnaires militaires régio-
naux, pas de séparation des pouvoirs civil et militaire, et, après
comme avant l'édit, les gouverneurs des provinces impériales
ont continué à cumuler l'ensemble des pouvoirs. C'est déjà la
preuve — indirecte, mais indéniable — que, des deux solutions
en présence, Gallien a délibérément écarté la première. Mais
nous avons mieux, et, quoique bien pauvre à notre gré, l'épi-
graphie ne nous en fournit pas moins les précisions nécessaires.
Les inscriptions, qui entrent en ligne de compte, s'éche-
lonnent au cours des vingt-quatre années qui séparent la pro-
mulgation de l'édit de GaUien des débuts de Dioclétien. Encore
une bonne partie de ces inscriptions ne sont-elles pas suffisam-
ment explicites^. Les seules qui nous apportent un témoignage
formel sur la nature des pouvoirs exercés par les gouverneurs à
la suite de l'édit sont les suivantes :
Règne de Gallien. — Année 263-264. — Inscription de
Der-At2 (province d'Arabie). — Construction d'un mur fortifié
« Tôpovoia SxaTiXlou 'A[xiJ.iavoû tou /.paTtçxou Stiirovxoç t'(]v Y]ifeiJ.ov(av ».
Année 26[4?]-26[5?]. — Id., postérieure en date à la précé-
dente^. — Construction d'une tour « irpovoia 'louviou 'O'Kùikkou tou
otaxeifjLOxaTOU 'r)f£(ji.pvoç ».
Année 267. — Inscription d'Aquincum (province de Panno-
nie inférieure^). — Dédicace à Gallien par « Clementius Silvius
v(ir) e(gregius) a(gens) v(ices) p(raesidis) » et « Val(erius)
Marcellinus praef(ectus) leg(ionis) prot(ector) Aug(usti) n(os-
tri) a(gens) v(ices) l(egati) ».
1. Par exemple, C. I. L., II, 4102 (de 283); III, 1805 (de 280), 3418 (de 284),
8707 (de 277), 14460 (sous Aurélien); VI, 1641 (avant Dioclétien); VIII, 2530
(de 284); cf. 2643, 2663, 2678, 2717, 4221, 4222, 4516, 4578, 7002.
2. Loc. cit.
3. Ibid.
4. C. I. L., III, 3424.
LA UISPAKITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATirS DU SÉNAT ROMAIN. 9
Règne de Claude. — Année 268. — Même provenance^. —
Réfection des thermes de la IP légion Adjutrix. — « Thermas
majores leg(ionis) II adj(utricis) Claudianae magno terapore
intermissas et destitutas retractatis porticibus aditibusque .....
Silvi et cura Ael(i) Frontini praef(ecti) leg(ionis) ejus-
dem. »
Règne de Probus. — Année 278-279. — Inscription de
Bostra. — Construction d'une citadelle. « 'Ex rpovotaç M(â)p-
(XOU) IléTpOU TOU 0ta(7[Y]|x(0TâT0u)] r,Y£[jL(cvoç) -. »
Règne de Carin et Numérien. — Année 284, — Inscrip-
tions de Lambèse (province de Numidie)^. — Dédicaces au,
« genius » du camp de la IIP légion Augusta par « M(arcus)
Aurelius Decimus v(ir) p(erl"ectissimus) p(raeses) p(rovinciae)
N(umidiae) ».
Voilà donc toute une série de gouverneurs de provinces
impériales, postérieurs à l'édit de Gallien, qui ont exercé le
pouvoir militaire eu même temps que le pouvoir civil. — A ces
témoignages épigraphiques vient s'ajouter un texte littéraire
relatif au règne d'Aurélien. Zosime^ nous raconte qu'au lende-
main de la chute de Palrayre, en 272, et pour prévenir toute
complication éventuelle, Aurélien nomma MarceUinus préfet de
Mésopotamie et le chargea, en outre, de l'administration de tout
l'Orient. Ce MarceUinus, selon toute vraisemblance, est l'Aure-
lius MarceUinus « vir perfectissimus dux ducenarius »^ qui
avait dirigé sous Gallien, en 265, la construction de l'enceinte
de Vérone. En tout cas — et c'est le seul point qui nous importe
ici — ce gouverneur impérial a réuni entre ses mains la pléni-
tude des pouvoirs aussi bien militaire que civil.
De cet ensemble de documents, nous pouvons tirer une con-
clusion certaine. Après comme avant l'édit de Gallien, les gou-
verneurs de provinces impériales ont continué à cumuler les
pouvoirs civU et mUitaire. L'édit n'a donc rien changé aux attri-
butions mêmes de la fonction . II n'a entraîné — nous sommes ainsi
nécessairement amenés à la seconde solution — qu'un change-
1. C. 1. L., 3525 (= 10492).
2. C. I. G., 4649 [= luscriplioncs Graecae ad res lomayins pertinentes,
éd. Gagnât, III, 1324 1.
3. C. I. L., MU, 2529.
4. I, 60.
5. C. 1. A., V, 3329.
10 LÉON HOMO,
ment de personnel. Voyons maintenant sous quelle forme et
dans quelles conditions.
Nous sommes tout d'abord, à l'examen des documents, frap-
pés par un fait : un certain nombre de provinces impériales qui,
avant l'édit de GaRien, avaient des- gouverneurs pris dans
l'ordre sénatorial, ont plus tard des gouverneurs d'ordre
équestre. Ce sont, en suivant l'ordre chronologique : sous le
règne de Gallien, l'Arabie [en 263-264, Statilius Ammianus,
vir egregius; en 26[4?]-26[5?], Junius Olympus, vir perfectis-
simus], la Pannonie inférieure [en 267, Clementius Silvius, vir
egregius]; sous Aurélien, la Mésie inférieure [entre 273-275,
Aurelius Sebastianus, vir perfectissimus] ; sous Probus, la Dal-
matie [277, Aurelius Marcianus, vir perfectissimus; 280,
M. Aurelius Tiberianus, vir perfectissimus], l'Arabie [278-279,
Aurelius Petrus, vir perfectissimus] ; sous Carin et Numérien,
la Numidie [284, M. Aurelius Decimus, vir perfectissimus]. A
une date incertaine, mais comprise entre 273 et l'avènement de
Dioclétien, la Germanie inférieure [?, le nom du gouverneur a
disparu, « vir perfectissimus »]'. Enfin, nous savons par deux
textes littéraires, le premier de l'Anonyme de Valois 2, le
second de la Vie de Carus et de ses fils dans l'Histoire Au-
guste 3, que Constance Chlore, le futur empereur, a rempli les
fonctions de gouverneur de Dalmatie — nécessairement au titre
équestre — en 282-283, sous le règne de Carus.
Nous saisissons ieiles conséquences de l'édit de Gallien, qui
a remplacé, à la tête des provinces impériales à légats, les gou-
verneurs de rang sénatorial par des gouverneurs d'ordre
équestre. Les inscriptions relatives à StatUius Ammianus,
Junius Olympus, Aurelius Petrus en Arabie, Clementius Sil-
vius en Pannonie inférieure, M. Aurelius Decimus en Numidie
nous montrent, sans hésitation possible, que ces gouverneurs
équestres ont, comme leurs prédécesseurs sénatoriaux, le pou-
voir militaire en même temps que le pouvoir civil. GaUien s'est
donc borné à remplacer, à la tête des provinces impériales à
1. C. I. L., VI, 1641. — Une autre inscription [Ibid., VIII, 2571 = Supplé-
ment, 18057 et p. 954], datée de 268, concerne un gouverneur de Numidie,
mais le nom et les titres du personnage ont disparu et l'on ne peut en tirer
aucune indication précise.
2. 1.
3. 17,^6.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 1 f
légats, les gouverneurs de rang sénatorial par des gouverneurs,
d'ordre équestre, sans rien changer à leurs attributions tradi-
tionnelles.
Le gouverneur équestre, chef militaire, n'était pas une inno-
vation dans l'administration de l'Empire. Les gouverneurs des
provinces dites procuratoriennes — Alpes Maritimes depuis
Auguste, Rhétie et Norique d'Auguste à Marc Aurèle, Judée
d'Auguste à Vespasien, Cappadoce de Tibère à Vespasien„
Maurétauie Tingitane et Maurétanie Césarienne depuis Cali-
gula, Alpes Cottiennes depuis Néron, Épire, peut-être depuis
Néron, en tout cas depuis Trajan, Alpes Pennines dès le
II" siècle — avaient sous leurs ordres, en plus ou moins grand
nombre, des effectifs militaires dont ils étaient les généraux en
chef; mais la règle générale était que ces contingents fussent
uniquement composés de corps auxiliaires, à l'exclusion des
troupes légionnaires. La raison de cette disposition était évi-
dente. Les légions étant commandées par des généraux, les
légats, recrutés dans l'ordre sénatorial, il ne pouvait être ques-
tion de placer ces officiers sénatoriaux sous les ordres d'un che-
valier, comme l'était lé gouverneur équestre. Toutefois, dès le
début de l'Empire, il y eut une exception, celle de l'Egypte, qui
fut considérée non comme une province impériale, à stricte-
ment parler, mais comme une possession personnelle et parti-
culière de 'l'empereur. Le gouverneur de l'Egypte était un pré-
fet d'ordre équestre, mais, par une exception que légitimaient
l'importance et le caractère spécial du pays, ce chevalier avait
plusieurs légions sous ses ordres. Pour faire disparaître la dif-
ficulté signalée plus haut, les légats sénatoriaux furent rempla-
cés à la tête des légions d'Egypte par des préfets pris, comme le
gouverneur lui-même, dans l'ordre des chevaliers. Ainsi, en
Egypte, dès le régné d'Auguste, toute la hiérarchie administra-
tive et militaire est rigoureusement et strictement de caractère
équestre.
Le cas de l'Egypte resta exceptionnel pendant plus de deux
siècles. Le Sénat veillait jalousement à la conservation de son
privilège administratif dans les provinces et les empereurs des
trois premières dynas^es ne voulurent pas ou n'osèrent y porter
atteinte. Tout change à la fin du ii" siècle avec Septime Sévère.
Ce grand ennemi du Sénat étend le système égyptien à une pro-
vince nouvellement organisée, la Mésopotamie. La Mésopota-
12 LÉON HOMO.
mie reçoit comme gouverneur un préfet d'ordre équestre ana-
logue à celui de l'Egypte. Comme l'Egypte encore, les deux
légions cantonnées dans cette province, la F® et la IIP Par-
tliiques, corps tous deux de nouvelle création, sont commandées
non par des légats sénatoriaux, conformément à la règle géné-
rale, mais par des préfets équestres analogues à ceux des
légions égyptiennes. Le type de la province impériale, gouver-
née par un préfet d'ordre équestre, ayant sous ses ordres des
légions commandées par des préfets d'origine analogue, existait
donc déjà en double exemplaire dès la fin du ii" siècle. Ce mode
d'administration présentait deux grands avantages : l'un d'ordre
administratif — le personnel soustrait à l'influence de l'ordre
sénatorial y était infiniment mieux dans la main de l'empereur
et offrait des garanties de fidélité beaucoup plus sérieuses ; —
l'autre d'ordre militaire — les officiers généraux équestres, au
point de vue technique, connaissaient infiniment mieux leur
métier que la grande masse des officiers sénatoriaux.
Gallien n'a donc pas eu à inventer de toutes pièces un système
nouveau d'administration provinciale. Ce type particulier, qu'il
trouvait déjà existant en Egypte et en Mésopotamie et qui avait
fait ses preuves, il n'eut qu'à le généraliser et à l'introduire
dans les autres provinces impériales à légats. Par son édit, il ne
fit en somme que reprendre et systématiser la tradition admi-
nistrative de Septime Sévère.
Le coup ainsi porté par l'édit au privilège sénatorial était
extrêmement dur. GaUien, en imposant le fond, s'appliqua, du
moins, à adoucir la forme. Il le fit grâce à un double expédient :
l** Les gouverneurs des provinces équestres nouvelles reçurent
le titre non de « Praefectus » — comme en Egypte ou en Méso-
potamie — mais de « Praeses ». Le titre était à la fois plus
honorifique et plus vague, double avantage pour la politique
impériale. Au uf siècle, le mot « Praeses », nous l'avons vu
plus haut, a deux sens difiérents : au sens étroit, il désigne le
gouverneur équestre par opposition aux proconsuls, gouver-
neurs des provinces sénatoriales, et aux légats propréteurs,
gouverneurs des autres provinces impériales; au sens large,
selon la définition du jurisconsulte Macer, il s'applique indis-
tinctement à toutes les catégories de gouverneurs sans excep-
tion. Par l'emploi du terme « Praeses », substitué à celui de
« Praefectus », Gallien dissimulait le caractère strictement
A.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 13
équestre de la fonction et atténuait, au moins dans la forme, la
déception sénatoriale. De plus, l'empereur semblait ne pas
exclure systématiquement pour l'avenir tout retour à l'usage
traditionnel, le mot de « Praeses » pouvant, par son élasticité
même, s'appliquer éventuellement à des gouverneurs sénato-
riaux aussi bien qu'aux gouverneurs équestres.
2° Les nouveaux gouverneurs équestres furent nommés non
pas sous forme définitive, mais à titre de suppléants. Nous pos-
sédons deux exemples précis de cette méthode dès le règne de
Gallien. En 263-264, le gouverneur d'Arabie, Statilius Ammia-
nus, est dit « Biézwv ty)v •fjYejj.ovtav » ; en 267, le gouverneur de
Pannoi^ie inférieure, Clementius Silvius, porte les titres de
« agens vices praesidis ». Tous deux sont donc, dans le langage
officiel, des gouverneurs suppléants. Nous verrons plus loin —
et la remarque est fort importante — que le même système de
l'intérim fut appliqué dans le remplacement des légats de
légions sénatoriaux par des préfets équestres. Gouverneurs
équestres et préfets équestres de légions apparaissent ainsi
dans la nomenclature officielle créée par GaUien non pas comme
titulaires de la fonction, mais simplement comme suppléants,
« agentes vices praesidis » pour les premiers, « agentes vices
legati » pour les seconds. Ils font la suppléance de gouver-
neurs et de légats légionnaires sénatoriaux qui, en réalité,
n'existent que sur le papier. On saisit sans peine les raisons du
procédé. Par cette nomination de simples suppléants, le système
établi en vertu de l'édit de GaUien pouvait être présenté comme
purement provisoire et le maintien fictif de l'ancienne hiérar-
chie sénatoriale était un adoucissement au moins formel à la
mesure irréparable qui venait de frapper le Sénat.
Sur ce point encore, Gallien n'a pas entièrement innové et,
conformément aux habitudes conservatrices de l'esprit romain,
c'est à une tradition séculaire qu'il a emprunté le système de
la suppléance. Depuis le début de l'Empire, les procurateurs
impériaux des provinces étaient les suppléants naturels du gou-
verneur en cas d'absence ou de décès. Les exemples du procédé
sont nombreux. Tacite, Annales, XIV, 32, à propos de la Bre-
tagne : « Sed quia procul Suetonius aberat, petivere a Cato
Deciano procuratore auxilium. » C. I. L., III, 251 : « G. Jul(ius)
Senecio proc(urator) prov(inciae) Galatiae, item vice praesidis
ejusdem prov(inciae) et Ponti. » Digeste, XLIX, 1, 23 : « Pro-
14 LÉON HOMO.
curatores ... qui partibus praesidis funguntur; » III, 3, 1 :
« Qui vice praesidis agunt. » Code Justinien, IX, 20, 4 : « Qui
vicem praesidis tuetur. » Mais c'est surtout avec le second
quart du in® siècle que le procédé se généralise. La carrière de
Timésithée, le futur préfet du prétoire et beau-père de Gor-
dien III, est particulièrement caractéristique à cet égard i. Sous
le règne de Sévère Alexandre, nous le trouvons successivement :
« procurator provinciae Arabiae ibi vice praesidis bis » (vers
2.26), puis « procurator patrimonii provinciae Belgicae et dua-
rum Germaniarum ibi vice praesidis provinciae Germaniae infé-
rions » ; sous Maximin, « procurator provinciae Bithyniae
Ponti Paphlagoniae tam patrimoni quam ration is privatae ibi
vice procuratoris quadragesimae item vice [praesidis] » et « pro-
curator provinciae Asiae ibi -^ice vigesimae et quadragesimae
itemque vice proconsulis. » A la même époque, les procura-
teurs Q. Axius Aelianus, en Dacie^, et Badius Cominianus, en
Lyonnaise^, suppléent le gouverneur dans des conditions ana-
logues. Enfin, sous Gordien III, C. Julius Priscus, frère de Phi-
lippe l'Arabe, est mentionné comme « procurator provinciae
Macedoniae, procurator provinciae [le nom de la province
manque], ubique vice praesidis^ ».
Cette tradition administrative ojSrait donc à Gallien un moyen
pratique de remplacer, avec tous les ménagements de forme
désirables, les fonctionnaires sénatoriaux qu'il éliminait du gou-
vernement des provinces impériales. Mais il est à remarquer que
la similitude des procédés était purement apparente. Les procu-
rateurs chargés des fonctions de « vice praesidis » ne le sont
qu'en vertu d'un cmuul et en passant, puisque leur suppléance
cesse généralement avec le retour de l'ancien gouverneur ou
l'arrivée d'un nouveau. Au contraire, les gouverneurs « vice
praesidis » créés à la suite de l'édit de Gallien sont, en dépit
des mots, des suppléants de gouverneurs sénatoriaux qui
n'ont jamais existé et n'existeront jamais ; par conséquent, ils
sont, en fait, des gouverneurs définitifs.
Aussi, comme il arrive toujours, les précautions de forme ne
tardèrent-eUes pas à tomber devant la réalité des choses. La
seconde des inscriptions de Der-At est caractéristique à ce
\. G. I. L., XIII, 1807.
2. Ibid., III, 1456.
3. Ibid., XIII, 3162.
4. Ibid., VT, 1638.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SÉNAT ROMAIN. 15
sujet. Elle mentionne comme gouverneur Juhius Olympus, qui
porte le titre de « BiaffY)[;L6TaT0ç -fiYeii-oiv », traduction de la formule
officielle latine « perfectissimus praeses ». Junius Olympus se
difiérencie de son prédécesseur Statilius Amraianus sur deux
points : tout d'abord, il est d'un rang plus élevé, « perfectissi-
mus », et non plus seulement « egregius » ; en second lieu, il est
gouverneur titulaire, « Yi^ei^wv », et non plus simple suppléant.
On aimerait à savoir combien de temps, pour la province d'Ara-
bie tout au moins, s'est maintenu le système de la suppléance
dont Statilius Ammianus semble avoir été, dans cette province,
le premier représentant.
Si, comme il est vraisemblable, il faut dater la seconde ins-
cription de Der-At de la 158® année de l'ère de Bostra [264-
265J, le système de la suppléance ne s'est pas maintenu dans la
province d'Arabie après le départ de Statilius Ammianus. Pour
les autres provinces, l'évolution s'est produite dans le même
sens et de la même manière. En 267, le gouverneur de Panno-
nie inférieure, Qementius Silvius, porte les titres de « vir egre-
gius agens vices praesidis »; en 268, au début du règne de
Claude, nous le trouvons encore à la tête de sa province, mais
cette fois sans mention de suppléance; il est juste d'ajouter qu'il
ne porte pas non plus explicitement le nom de gouverneur titu-
laire. Le gouverneur équestre Aurelius Sebastianus, connu en
Mésie inférieure sous Aurélien, est « vir perfectissimus » et
gouverneur titulaire; de même, sous Probus, Aurelius Marcia-
nus et M. Aurelius Tiberianus, tous deux « viri perfectissimi »
et gouverneurs titulaires de Dalmatie, le premier en 277, le
second en 280, et Marcus Petrus, « vir perfectissimus » et gou-
verneur titulaire d'Arabie en 278-^79; enfin, sous Carin et
Numérien, M. Aurelius Decimus, « vir perfectissimus » et gou-
verneur titulaire de Numidie en 284. La fiction de la suppléance
s'est donc évanouie successivement dans l'ensemble des pro-
vinces impériales et ce changement s'est opéré très vite, proba-
blement dès le règne de Gallien. Nous en avons la preuve
directe pour la province d'Arabie et, pour les autres provinces,
une preuve indirecte dans ce fait qu'après la mort de cet empe-
reur on ne trouve plus nulle part de gouverneurs équestres exer-
çant leurs pouvoirs sous forme de suppléance. Tous ceux que
nous connaissons, sans exception, ont le rang de « viri perfec-
tissimi » et sont titulaires de leur emploi.
En résumé, la réforme de Gallien relativement à l'administra-
16 LÉON HOMO.
tion des provinces impériales a donc porté sur trois points :
1° exclusion des sénateurs, par conséquent disparition des légats
propréteurs comme gouverneurs de provinces ; 2° remplacement
par des gouverneurs d'ordre équestre, qui héritent d'aiUeurs de
l'intégralité de leurs pouvoirs, tant civils que militaires; 3° no-
mination de ces nouveaux gouverneurs à titre de « vice prae-
sidum » et sous forme de suppléants.
Un dernier point reste à fixer, et ce n'est pas le moins inté-
ressant. Où Gallien et ses successeurs après lui prennent-ils le
personnel nécessaire à cette transformation et quels sont ces
membres de l'ordre équestre qui vont remplacer, à la tête des
provinces impériales, les légats sénatoriaux évincés? Étudions,
à ce point de vue, la liste des gouverneurs équestres connus de
Gallien à Dioclétien :
263-264. Arabie. — StatUius Ammianus, « vir egregius ».
26[4?]-26[5?]. Arabie. — Junius Olympus, « vir perfectissi-
mus ».
267. Pannonie inférieure. — Qementius Silvius, « vir egre-
gius ».
Sous Aurélien, Mésie inférieure. — Aurelius Sebastianus,
« vir perfectissimus ».
277. Dalmatie. — Aurelius Marcianus, « vir perfectissimus ».
280. Dalmatie. — M. Aurelius Tiberianus, « vir perfectissi-
mus ».
278-279. Arabie. — M. Petrus, « vir perfectissimus ».
Sous Carus. Dalmatie. — Constance [Chlore].
284. Numidie. — M. Aurelius Decimus, « vir perfectissimus ».
Peut-être vers la même époque. Mésie [inférieure? supé-
rieure?]. — Dioclétien.
On peut ajouter à cette liste Aurelius Mucianus, dont il a
déjà été fait mention ci-dessus à propos de la question des
« Duces », et Flavius Flavianus, gouverneurs, « viri perfectis-
simi », le premier de Rhétie, le second de Numidie, au début
du règne de Dioclétien. Que savons-nous sur l'origine et la car-
rière passée de ces gouverneurs?
En premier lieu, nous remarquerons que les gouverneurs dits
suppléants — nous en avons deux exemples : Statilius Ammia-
nus en 263-264, Clementius Silvius en 267 — sont « viri egre-
gii »; les gouverneurs titulaires, au contraire — Junius Olym-
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 17
pus en 26[4?]-26[5?], Aurelius Sebastianus sous Aurélien,
Aurelius Marcianus en 277, M. Petrus en 278-279, M. Aure-
lius Tiberianus en 280, M. Aurelius Decimus en 284, Aurelius
Mucianus et Flavius Flavianus sous Dioclétien — sont tous, et
sans exception aucune, des « viri perfectissimi ». Quant au
passé de ces gouverneurs, nous sommes en général fort peu
renseignés. Un trop grand nombre de ces personnages, malheu-
reusement, ne représentent pour nous que des noms et, pour la
plupart, nous ne possédons aucune indication ni sur leur ori-
gine, ni sur leur carrière antérieure. Mais, du moins, en
reste-t-il quelques-uns pour lesquels on peut établir un certain
nombre de précisions intéressantes.
Le premier est Constance Chlore, le futur César de Dioclétien,
qui a exercé sous Carus les fonctions de gouverneur de Dalma-
tie. Nous connaissons, par un texte de l'Anonyme de Valois ^,
deux étapes de sa carrière avant son gouvernement provincial;
il a été successivement « protector » et tribun. C'est donc pure-
ment et simplement un soldat de métier, un homme sorti du
rang et dont les débuts on^ été strictement militaires.
Le second est M. Aurelius Decimus, gouverneur équestre de
Numidie sous Carin et Numérien, eu 284. Les inscriptions qui
le nomment nous apprennent qu'il a été « princeps peregrino-
rum », c'est-à-dire commandant du camp de Peregrini à Rome.
Or, au III® siècle, le « princeps peregrinorum » est, en règle
générale, choisi parmi les centurions de l'armée des provinces.
Les inscriptions nous montrent d'autres carrières analogues,
par exemple T. Flavius Domitianus, qui, avant de devenir
« princeps peregrinorum » sous Sévère Alexandre, a été suc-
cessivement « speculator » de la IIP légion Parthique et « has-
tatus » de la X° légion Fretensis. — M. Aurelius Decimus est
donc, lui aussi, un officier sorti du rang, qui a passé successi-
vement par le centurionat et l'emploi de « princeps peregrino-
rum » avant d'obtenir le gouvernement de la province de
Numidie.
Le troisième est Aurelius Mucianus, gouverneur de Rhétie
sous Dioclétien, dont une inscription^ nous fait connaître en
détail la carrière. Nous en avons déjà parlé à propos de la ques-
tion des « Duces limitum ». Il suffit ici d'en rappeler briève-
1. 1.
2. Inscriplio7ies Graecae ad res romanas pertinentes, éd. Gagnai, I, 1496.
Hfv. Histor. CXXXVIII. 1" fasc. 2
18 LÉON HOMO.
ment les étapes. Mucianus a servi successivement comme sol-
dat à la V^ cohorte des Goncordienses et à la IP légion
Parthique, comme cavalier à la VIP cohorte prétorienne; il est
ensuite centurion « protector » à la XIP légion Gemina, aux
Vigiles, aux cohortes urbaines et à la V^ cohorte prétorienne,
« primipilaris ». Puis il entre dans le cadre des officiers supé-
rieurs; il est préfet de la IV® légion Flavia, « dux » des
légions VII Claudia et IV Flavia, puis, toujours en qualité de
« dux », commande divers groupements de troupes d'opéra-
tions. Ce personnage réalise donc parfaitement le type du sol-
dat de métier et de l'officier de fortune dont la seconde moitié
du iii^ siècle nous présente de si fréquents exemples.
Le quatrième est Flavius Flavianus, « vir perfectissimus »,
gouverneur équestre de Numidie sous Dioclétien. Une inscrip-
tion^ nous apprend qu'avant son gouvernement provincial il
avait été « cornicularius » d'un préfet du prétoire. Dans la hié-
rarchie militaire, le « cornicularius » faisait partie des « princi-
pales » — l'équivalent de nos sous-officiers — et le grade était
inférieur, par conséquent, à celui de centurion.
Peut-être enfin, si l'interprétation du texte de Zonaras précé-
demment donnée est exacte, faudrait-il en ajouter un cinquième,
Dioclétien. Or, nous savons que Dioclétien est, lui aussi, un
soldat de fortune, et qu'en cette qualité il a dû franchir succes-
sivement les échelons inférieurs de la carrière militaire.
Du rapide examen qui précède, il résulte que les quatre gou-
verneurs équestres de provinces impériales du type créé par
Gallien — cinq en y comprenant Dioclétien — les seuls sur le
passé desquels nous ayons quelques précisions, sont tous des
hommes sortis du rang et de carrière exclusivement militaire.
Avant leur nomination au poste de gouverneur, ils s'étaient éle-
vés plus ou moins haut dans la hiérarchie des grades : l'un jus-
qu'au ducénariat (Aurelius Mucianus), un autre jusqu'au tribu-
nat (Gonstance Ghlore), un autre jusqu'à la fonction de
« princeps peregrinorum », d'où l'on accédait directement du
centurionat (M. Aurelius Decimus), un dernier enfin seulement
jusqu'au grade de « cornicularius » (Flavius Flavianus). Nos
quatre gouverneurs provinciaux ont donc été recrutés : le pre-
mier (Aurelius Mucianus) parmi les officiers généraux, le second
\. C. I. L., VIII, 4325,
LA mSPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 19
(Constance Chlore) parmi les officiers supérieurs, le troisième
(M. Aurelius Decimus) parmi les officiers subalternes, le qua-
trième enfin (Flavius Flavianus) parmi les sous-officiers. La car-
rière qui mène aux gouvernements provinciaux depuis la
réforme de Gallien nous apparaît donc comme absolument diffé-
rente de la carrière équestre antérieure. Le « cursus » équestre
nouveau exclut tout emploi civil ; il est strictement militaire et,
par les grades de sous-officier, de centurion, de tribun, éven-
tuellement de « dux ducenarius », conduit le simple soldat des
rangs les plus humbles de la milice jusqu'aux gouvernements
des provinces.
Enfin, la carrière des personnages que nous venons d'étudier
fournit l'occasion d'une autre remarque, concernant non plus
la carrière, mais l'origine des gouverneurs équestres du nou-
veau type. Sur les gouverneurs dont il vient d'être parlé, il y
en a deux — trois avec Dioclétien — dont nous connaissons la
patrie avec certitude. Le premier. Constance Chlore, est un Dal-
mate; le second, Aurelius Mucianus, un Thrace. Quanta Dioclé-
tien, il est, coname Constance Chlore, originaire de Dalmatie.
Tous les trois sont donc des Danubiens. Pour d'autres, à défaut
de certitude, nous avons au moins la vraisemblance. A parcou-
rir la liste de nos gouverneurs équestres, on est frappé de ce fait
qu'un très grand nombre portent le gentilice d'Aurelius et, dans
ce cas, le prénom, lorsque nos documents l'indiquent, est tou-
jours Marcus : Aurelius Sebastianus, gouverneur de Mésie infé-
rieure sous Aurélien, Aurelius Marcianus, M. Aurelius Tiberia-
nus, gouverneur de Dalmatie sous Probus, M. Aurelius
Decimus, gouverneur de Numidie sous Carin et Numérien. Or,
à la fin du m" siècle, ces prénom et gentilice se trouvent parti-
culièrement représentés dans les pays danubiens. Les grands
empere\irs de la dynastie illyrienne — à l'exception d' Aurélien,
dont il faut remarquer toutefois le « cognomen » Aurelianus —
Claude II, Probus, Carus, sont des « Marci Aurelii », comme
aussi Maximien, le collègue de Dioclétien. Mucianus, dont il a
été question plus haut, et Dioclétien lui-même sont également
des « Aurelii ». Cette coïncidence n'est pas fortuite. La réforme
provinciale de Gallien, comme on pouvait le prévoir, s'est faite
essentiellement au bénéfice des officiers de l'armée danubienne.
C'est un dernier trait qui achève de la préciser et de lui donner
son véritable caractère.
20 LÉON HOMO.
Sous Claude et Aurélien, l'édit de Gallien reste pleinement
en vigueur. Aurelius Victor, dans un passage déjà /;ité de ses
Caesares, l'atteste formellement : « Amissa Gallieni edicto
refici militia potuit... Tacito régnante. » Il a fallu la restaura-
tion sénatoriale, marquée par le règne de Tacite, pour qu'il fût
abrogé. A défaut même de ce témoignage catégorique, la situa-
tion générale de l'Empire, au cours des années qui suivirent la
mort de Gallien, aurait sufiS à nous le faire deviner. Les nécessi-
tés de défense nationale, qui avaient été décisives par la pro-
mulgation de l'édit, restaient identiques et, bientôt même, la
crise reparaît avec une intensité nouvelle. En 267, à la fin du
règne de Gallien, les Alamans franchissent le Danube et
pénètrent jusqu'au lac de Garde, où Claude, devenu empereur,
les écrasera l'année suivante. En 268, les Goths et leurs alliés
viennent débarquer près de Thessalonique et remontent vers le
nord en mettant tout le pays à feu et à sang sur leur passage.
En 269, tandis que Claude libère les Balkans par la brillante
victoire de Naïssus, Zénobie, régente au nom de son fils Wabal-
lath, achève de constituer son empire par la conquête de
l'Egypte et de la plus grande partie de l'Asie Mineure. En 270,
au début du règne d' Aurélien, les Juthunges, suivant l'exemple
des Alamans, traversent les Alpes et envahissent l'Italie du
Nord ; puis ce sont les Vandales dans la région du Danube
moyen et les Marcomans qui, en 271, s'avancent jusqu'en Italie
centrale, aux limites mêmes de l'Ombrie. En 271 les Goths, en
272 les Carpes inondent la Mésie. En 274, les Alamans
occupent de nouveau la Rhétie et viennent assiéger Augusta
Vindelicorum. Enfin, à peine Aurélien aura-t-il disparu qu'une
terrible invasion de Germains se déchaînera sur la Gaule tout
entière.
Que deviennent dans la tourmente les provinces impériales?
Elles sont constamment la proie des invasions : la Rhétie et le
Norique en 267-268, en 270-271, en 274; les deux Pannonies
en 270; les deux provinces de Mésie en 268-269, 271-272. Il ne
pouvait être question, dans ces conditions, de renoncer au sys-
tème administratif créé par Gallien pour en revenir à l'organi-
sation antérieure. D'ailleurs, avec des nuances dans la pra-
tique, Claude et Aurélien, représentants au pouvoir de l'armée
danubienne, en partageaient les aspirations et les passions. Ce
n'est pas d'eux que l'on pouvait attendre la fin de la dictature
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 21
militaire réalisée par le régime de Gallien. Aussi continuons-
nous à voir les provinces impériales aux mains de gouverneurs
équestres. En 268, au début du règne de Claude, nous trouvons
la Pannonie inférieure administrée encore par ce même Clemen-
tius SUvius^ que nous avons déjà vu en fonctions à la fin du
règne de Gallien. Sous Aurélien, entre 273-275, une inscription^
nous montre la province de Mésie inférieure administrée par un
certain Aurelius Sebastianus qui a le rang de « perfectissi-
mus » ; c'est donc un gouverneur équestre. Une autre inscrip-
tion 3 relative à la même province est une dédicace à Aurélien,
da. par le libellé des titres, de l'année 272. Malheureuse-
ment, le nom de l'empereur, le nom et les titres du gouverneur
sont martelés, à l'exception des mots « [prae]ses provinciae »,
qui ne suffisent pas à nous renseigner avec précision sur la qua-
lité du gouverneur de la province. Il est très vraisemblable,
néanmoins, qu'il s'agit, comme dans le cas précédent, d'un gou-
verneur d'ordre équestre.
La mention de ces gouverneurs équestres, dans la période de
sept années [268-275] qui séparent la mort de GaUien de l'avène-
ment de Tacite, confirme donc pleinement le témoignage d' Au-
relius Victor. Mais, fait curieux, nous connaissons aussi pour
la même période deux légats impériaux du type traditionnel, l'un
dans la province de Bithy nie-Pont, l'autre dans celle de Mésie
inférieure. Le premier, connu par deux inscriptions de Nicée^,
se place sous le règne de Claude, en 269 ; c'est Velleius Macri-
nus, « 0 XaiiLTipixaTOç uTtaTty.bç irpeffêeuiY]? xal àvTtaxpaTTjYoç tou Seâaa-
ToO », par conséquent un légat impérial pris, selon l'ancienne
règle, dans l'ordre sénatorial. Nous voudrions connaître les rai-
sons de cette nomination exceptionnelle. Malheureusement, en
dehors de ces deux inscriptions, le personnage nous est totale-
ment inconnu. Qaude a-t-il voulu, par la nomination de Yel-
leius Macrinus, récompenser des services particuliers? Le plus
simple est de penser qu'il a clierché dans la circonstance à faire
preuve de conciliation vis-à-vis du Sénat, en donnant un gou-
vernement provincial important à l'un de ses membres. Cette
1. C. /. L., III, 3525 [= 10492J.
2. Inscripliones Graecae ad res ronianas pertinentes, éd. Gagnât, I, 591 =
1432.
3. C. I. /:., III, 7586.
4. C. /. G., 3747-3748.
22 LÉON HOMO.
avance correspondrait assez bien à la modération de son carac-
tère et à l'esprit conciliant de sa politique.
Le second exemple conservé également par l'épigraphiei est
de l'époque d'Aurélien et concerne la province de Mésie infé-
rieure. L'inscription n'est pas datée et le nom du gouverneur
est martelé. Mais, à défaut du nom, il reste son titre, « Legatus
pro praetore ». Il s'agit donc, comme dans le cas précédent,
d'un gouverneur légat pris dans la classe sénatoriale. Rappelons-
nous que, pour cette même province et pour le même règne
d'Aurélien, nous connaissons deux autres gouverneurs, dont
l'un est certainement, l'autre très vraisemblablement d'ordre
équastre.
Quelles qu'en soient les raisons spéciales — et nous les igno-
rons — ces deux exceptions au régime créé par l'édit de Gallien
et maintenu sous ses successeurs nous fournissent l'occasion
d'une double constatation : 1° l'empereur pouvait toujours, le
cas échéant, nommer à la tête des provinces impériales des gou-
verneurs légats du type ancien ; 2° cette faculté, il en a parfois
usé^. Nous verrons, en 276, Probus reprendre le procédé. Son
biographe emploie à cet égard le terme expressif de « permi-
sit ». La formule convient également à Claude et à Aurélien.
Le recrutement des gouverneurs des provinces impériales parmi
les sénateurs a cessé définitivement, avec l'édit de Gallien,
d'être un droit et une règle. Il est devenu une faveur exception-
nelle dont l'empereur, désormais, est seul juge et dont il ne
doit de compte à personne.
III. Privilège militaire. — Dans l'organisation militaire
impériale, telle qu'elle était sortie des mains d'Auguste, le
cadre d'officiers avait une triple origine : les officiers subal-
ternes (centurions dans l'infanterie, décurions dans la cavale-
rie) sortaient du rang; les officiers supérieurs et généraux
étaient pris dans les deux ordres privilégiés, ordre sénatorial et
ordre équestre, mais, dans ce partage, le lot du Sénat était, et
de beaucoup, le plus considérable. Le Sénat fournissait une
1. c. l. L., III, 14460.
2. Il est d'ailleurs très possible que les deux gouverneurs légats en question
n'aient pas été de naissance sénatoriale et ne soient entrés au Sén^t que par
« adlectio ».
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 23
partie des officiers supérieurs (tribuns de légions, tribuns et pré-
fets de cohortes, préfets d'ailes), l'autre partie étant recrutée
parmi les chevaliers, et la presque totaUtédes officiers généraux
(légats de légions, légats gouverneurs de provinces impériales).
Les seuls officiers généraux de l'armée de terre pris dans l'ordre
équestre étaient les suivants : les chefs des légions d'Egypte (pré-
fets de légions), les officiers généraux de l'armée d'Italie (préfet
des vigiles, préfet du prétoire) et, parmi les gouverneurs de
provinces, le préfet d'Egypte et les gouverneurs équestres des
provinces procuratoriennes.
Cette répartition se maintint d'une manière générale pen-
dant les deux premiers siècles de l'Empire. Les légions d'Au-
guste conservèrent leurs cadres sénatoriaux et les légions créées
par ses successeurs en reçurent d'analogues. Tout changea
avec Septime Sévère. Il maintint la tradition pour les légions
existantes , mais introduisit un nouveau "principe d'après
lequel le privilège sénatorial ne s'appliquerait plus aux légions de
nouvelle formation. Aussi, les trois légions créées par lui, les
trois légions Parthiques, destinées, la première et la troisième,
à la garnison de la Mésopotamie, la seconde à celle de l'Italie,
reçurent-eUes des cadres d'officiers supérieurs et généraux exclu-
sivement pris dans l'ordre équestre. Il en fut de même pour le
général eu chef de l'armée de Mésopotamie, le gouverneur de la
province, qui ne fut pas un légat sénatorial, mais un préfet
d'ordre équestre analogue au préfet d'Egypte. La Mésopotamie
ayant été la dernière province organisée sous le Haut-Empire
et les trois légions Parthiques, les dernières constituées avant
Dioclétien, le principe nouveau, posé par Septime Sévère, n'eut
plus à jouer par la suite. En 235, à la mort de Sévère Alexandre,
la situation, en ce qui concerne les cadres d'officiers généraux,
était donc la suivante : légions de Bretagne, du Rhin, du
Danube, de l'Euphrate, d'Arabie, d'Afrique, d'Espagne, exclu-
sivement sénatoriales; légions d'Italie, de Mésopotamie, exclu-
sivement équestres, soit, au total, vingt-neuf légions à cadres
d'officiers généraux sénatoriaux, quatre légions à cadres
d'officiers équestres. Encore ne faut-il pas être dupe de la
terminologie officielle ; les officiers généraux sénatoriaux,
surtout depuis les Sévères, étaient très souvent, en réalité,
d'origine équestre et étaient entrés dans la classe sénatoriale
24 LÉON HOMO.
par le procédé de 1' « adlectio ». Caracalla, en particulier, pra-
tiqua largement le système. A sa mort, nous dit Dion Cassius*,
de tous les légats légionnaires réunis pour prendre part à l'ex-
pédition contre les Parthes, un seul était de naissance sénato-
riale. Si, en principe, le privilège sénatorial restait encore intact
dans l'ensemble des légions, au début du m® siècle il avait déjà
subi, on le voit, dans la pratique, une atteinte très grave.
Au cours de la période de compromis entre l'empereur et le
Sénat qui dura jusqu'à la fin de 260, aucune innovation sérieuse
n'est à signaler sur ce point. Lé coup décisif fut porté en 261
par l'édit de GaUien. Nous avons vu plus haut l'effet de cet
acte sur le recrutement des gouverneurs des provinces impé-
riales ; les «. legati propraetore » , qui sont en même temps les offi-
ciers généraux du rang le plus élevé, puisqu'ils commandent en
chef l'armée de leur province, disparaissent pour faire place à des
gouverneurs équestres. L'édit ne visait pas seulement les gou-
verneurs de provinces. Le texte en était d'une portée beaucoup
plus générale : « Senatiun militia vetuit et adiré exerci-
tum », donc exclusion complète des sénateurs des carrières
d'officiers et même défense de paraître à l'armée. Par consé-
quent, les oflSciers généraux d'ordre sénatorial, subordonnés
aux gouverneurs de provinces, c'est-à-dire les légats de légions,
et les officiers supérieurs du même ordre (tribuns de légions), etc.
durent radicalement disparaître. A la suite du décret, il n'y eut
plus dans l'armée romaine un seul officier de la classe sénato-
riale.
Pour le remplacement des officiers sénatoriaux ainsi éliminés,
Gallien suivit les mêmes idées directrices et appliqua la même
méthode que pour les gouverneurs des provinces impériales :
1° Remplacement des officiers sénatoriaux par des officiers de
carrière équestre. Le fait résulte nettement des inscriptions. Le
dernier légat de légion sénatorial qui soit connu est Vitulasius
Laetinianus^, légat de la IP légion Augusta, en Bretagne, qui se
place encore au temps de Valérien, donc avant la fin de l'an-
née 260 et, à fortiori, avant la promulgation de l'édit de Gal-
lien. Par contre, dès le règne de Gallien nous voyons appa-
raître à la tête des légions des préfets de légions de type équestre.
Une iascription d'Aquincum (Pannonie supérieure) 3, datée de
1. LXXVIII, 12.
2. C. I. L., VII, 107.
3. Ihid., III, 3424.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 25
267, nous montre une légion, la IP Adjutrix, aux ordres de
Valerius Marcellinus, « praefectus legionis ». L'année suivante,
au début du règne de Claude, la même légion est conomandée
par le préfet de légion, Aelius Frontinus^ Ces témoignages épi-
graphiques sont le commentaire le plus précis et le plus élo-
quent de redit de Gallien. — 2° Application du système de la sup-
pléance, sous une forme identique à celle que nous avons vu
pratiquer dans la réforme des provinces impériales. Les préfets
de légion qui remplacent les légats sénatoriaux ne le sont, tout
d'abord, dans le langage officiel du moins, qu'à titre de sup-
pléants. Le préfet Valerius Marcellinus, qui commande en 267
la IP légion Adjutrix, est dit expressément « agens vices legati »,
c'est-à-dire suppléant du légat. De même, une autre inscription
danubienne 2, de Brigetio (Pannonie supérieure), nous montre,
en 269, sous Claude, la P® légion Adjutrix conmiandée par
Aurelius Superinus, préfet de légion, « agens vices legati », et la
même mention se retrouvera sur une inscription'' d'Aquincum,
datée du règne de Carin, en 284, oii nous voyons la IP légion
Adjutrix commandée, daAS les mêmes conditions, par le préfet
Aelius Paternianus.
L'exclusion totale prononcée par GaUien contre les officiers
d'origine sénatoriale a • été maintenue sous ses successeurs
Claude et Aurélien. Nous venons de voir, sous le règne de
Claude, deux légions danubiennes — la IP Adjutrix en' 268, la
F" Adjutrix en 269 — commandées par des préfets de légion de
type équestre. Quant à Aurélien, le second texte d' Aurelius
Victor, déjà cité plusieurs fois, est formel : « Amissa Gallieni
edicto refici militia potuit, concedentibus modeste legionibus,
Tacito régnante. » La carrière militaire antérieure, détruite par
l'édit de Gallien, a été seulement rétablie par Tacite, le succes-
seur d' Aurélien. Dès le règne de Gallien, il ne restait donc plus
rien du vieux privilège militaire du Sénat.
IV. Privilège financier-. — Le privilège financier du Sénat,
tel qu'il avait été fixé par Auguste, reposait sur une double
garantie, une administration autonome, des revenus assurés. Le
1. C. I. L., 3525 [= 10492].
2. Ibid., 4289. — Au contraire, sur l'inscription 3525 [= 10492], qui est du
mCme règne et de l'année 2G8, le commandant de la II» Adjutrix, Aelius Fron-
tinus, est dit simplement — probablement en abrégé — « Praefectus legionis ».
3. Ibid., 3469.
26 I-ÉON HOMO.
trésor sénatorial — V« Aerarium » — était administré par deux
préfets [Praefecti Aerarii] élus par le Sénat parmi les anciens
préteurs. D'autre part, il était alimenté par une série de recettes
particulières : revenus du domaine public (ager publicus) en Ita-
lie et dans les provinces sénatoriales; produit (au moins par-
tiellement) des impôts levés dans les provinces sénatoriales;
amendes variées, notamment en cas de concussion, dans les
mêmes provinces; biens des condamnés (Bona damnatorum);
biens vacants (Bona vacantia) ; biens caducs (Caduca) ; frappe
de la monnaie de bronze; taxes municipales diverses perçues
à Rome (taxe des eaux, octroi probablement dès le f siècle
de l'Empire).
L'évolution qui amena la disparition graduelle de ce privi-
lège sénatorial et l'établissement définitif du monopole financier
au profit de l'Empereur porta sur deux points : 1° le trésor séna-
torial perd graduellement son autonomie administrative; 2" il
est dépouillé successivement de la plus grande partie de ses
revenus primitifs.
La mainmise 'impériale sur la direction du trésor sénatorial
s'opéra la première. Elle se fit en trois étapes i. Dès 23 avant
J.-C, les deux préfets élus furent remplacés par deux préteurs
(Praetores aerarii), non plus élus, mais tirés au sort. Sous le
règne, de Claude, ce système fit place à celui de la nomination
directe par l'empereur. En 44 après J.-C, l'administration du
trésor passa à deux questeurs (Quaestores aerarii) choisis par
l'empereur et, depuis 56, sous Néron, à deux préfets pris
dans les mêmes conditions parmi les anciens préteurs. Dès le
milieu du f siècle après J.-C, l'administration du trésor séna-
torial était passée aux mains de l'empereur. Sans doute, théo-
riquement, rien ne pouvait se faire sans l'autorisation du Sénat,
mais c'était là une pure formalité sans aucune ùnportance.
Dion Cassius le dit déjà nettement pour l'époque d'Auguste :
« L'empereur, attendu qu'il était maître des finances (en appa-
rence le trésor public était distinct du sien, mais, en réalité,
les dépenses se faisaient à son gré^). » — « Les autres voies furent
plus tard réparées aux frais du trésor public, car aucun séna-
teur ne se décidait volontiers à en faire la dépense, ou, si l'on
1. Tacite, Annales, XIII, 29.
2. LUI, 16.
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 27
veut, aux frais d'Auguste. Je ne saurais en effet établir de diffé-
rence entre les deux trésors (Où yàp 56vay.ai Buxptvat xoùç ÔYjcau-
poùç aÙTôv). » Cette conclusion, si elle est déjà vraie pour le
début de l'Empire, l'est, à fortiori, plus encore pour le commen-
cement du III'' siècle'.
La dépossession du Sénat, en ce qui concerne ses recettes,
s'effiectua plus lentement; marquons-en simplement les dates
principales. Dès le règne de Tibère, en 17 après J.-C, les
biens vacants cessent d'être dévolus au trésor sénatorial pour
passer au fisc impérial. Il en est de même, temporairement au
moins, pour les biens des condamnés. Plus tard, notamment
sous les Antonins, ces biens retournent à r« Aerarium ». Septime
Sévère les attribue déÇnitivement au trésor impérial, représenté
dans la circonstance par la « Res privata ». Le domaine public
en Italie et dans les provinces sénatoriales, les amendes relèvent
du trésor impérial depuis Septime Sévère; les biens caducs,
depuis Caracalla. Que reste -t-il donc au trésor sénatorial
comme recettes régulières depuis cette époque? Au titre des
recettes générales, deux seules : les impôts des provinces
sénatoriales, le bénéfice de la frappe de la monnaie de bronze.
Au titre des recettes locales, la taxe des eaux et l'octroi de
Rome. Soixante-dix ans plus tard, sous Dioclétien, r« Aerarium »
est réduit à des recettes locales ; ses ressources d'ordre général
ont disparu. L'évolution qui tendait à transformer le trésor
sénatorial de caisse d'État en caisse municipale de la ville de
Rome est achevée. Le moment décisif, dans cette évolution, a été
la mainmise du pouvoir impérial sur les deux dernières recettes
d'ordre général qui restaient au trésor du Sénat : les impôts des
provinces sénatoriales et la frappe de la monnaie de bronze.
Avons-nous, dans l'état actuel de nos connaissances sur* le
111° siècle, le moyen de dater avec précision ce double événe-
ment?
a) Impots des provinces sénatoriales . — Il faut commencer
par éliminer les dix-huit années qui séparent la mort de Cara-
calla de celle de Sévère Alexandre. Nous savons, de la manière
la plus nette, que 1' « Aerarium » sénatorial, en tant que caisse
d'Etat, existait encore sous ce dernier empereur. C'est comme
telle que le représente l'histoire de Dion Cassius, un contem-
1. LUI, 22.
28 LÉON HOMO.
porain, ne l'oublions pas. Ce témoignage n'est pas isolé. Il est
confirmé par un texte de la vie de Sévère Alexandre, dans
l'Histoire Auguste ^ : « Leges de jure populi et fisci moderatas et
infinitas sanxit », où l'expression « jus populi » opposée à «jus
fisci » est tout à fait caractéristique. Et qu'on ne croie pas ici
à un de ces anachronismes ou une de ces inadvertances mal-
heureusement trop fréquentes dans l'Histoire Auguste. Le même
langage se retrouve dans les jurisconsultes les plus qualifiés de
l'époque, Paul et Ulpien, qui distinguent très nettement en
matière financière entre les droits du « populus » et ceux du « fis-
cus ». La perte pour 1' « Aerarium » .le ses dernières recettes
d'ordre général et sa transformation définitive en caisse purement
municipale est donc nécessairement postérieure à la mort de
Sévère Alexandre.
Faut-il placer le fait, dans la période suivante, entre la mort
de Sévère Alexandre et l'avènement au pouvoir de Gallien
comme seul empereur (235-260) ? Un premier texte peut entrer
en ligne de compte. La Vie des Gordiens, dans le recueil de
l'Histoire Auguste, écrit ce qui suit^ : « Timesitheus ... extinc-
tus est, herede Romana Republica, ut, quicquid ejus fuerat,
vectigalibus urbis accederet. » Le sens est parfaitement clair :
le trésor public — c'est-à-dire 1' « Aerarium » — hérite de tous
ses biens. L'expression « Romana republica » doit être rappro-
chée de celle de « populus », signalée pour l'époque de Sévère
Alexandre. Le trésor sénatorial avait donc encore, à cette
époque, le caractère de caisse d'État. Il serait d'aiUeurs bien
peu vraisemblable que la fortune de Timésithée eût été attribuée
à une simple caisse municipale, fût-ce celle de Rome. Quant
aux mots « vectigalibus urbis », ils s'expliquent par un simple
anachronisme de l'Histoire Auguste, la Vie des Gordiens ayant
été écrite sous Constantin (peu après 324-325), c'est-à-dire
à un^ époque où le trésor sénatorial avait déjà pris une forme
strictement municipale.
Deux autres textes de l'Histoire Auguste touchent à la même
question; ce sont deux lettres — disons tout de suite deux
pseudo-lettres — insérées dans la Vie d'Aurélien. La première^
est adressée au préfet de la viUe Ceionius AJbinus. L'empereur
1. 16, 1.
2. 28, 1.
3. Vita Aureliani, 9, 1-7.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DC SÉNAT ROMAIN. 29
annonce à ce fonctionnaire qu'Aurélien, récemment nonouxié
inspecteur général des camps, va passer quelque temps à Rome
et énuraère les diverses indemnités en nature et en espèces qu'il
devra lui fournir. Puis il ajoute : « Le reste lui sera fourni par les
préfets del' « Aerarium. » Ceionius Albinus, le destinataire, ayant
été effectivement préfet de la ville en 256, la lettre serait
donc datée de cette année. Le biographe nous dit expressément
qu'il a trouvé le document dans les archives de la préfecture de
la ville. Or, toutes les pièces qui nous sont données par l'His-
toire Auguste avec des certificats d'origine analogues sont régu-
lièrement fausses et ont été composées par l'auteur lui-même.
GeUe-ci n'échappe pas à la règle générale, d'autant plus qu'elle
renferme des détails bien troublants. Les fournitures en nature
ou en ^espèces, que l'empereur prescrit à son préfet de la viUe,
ne rentraient nullement dans les attributions de ce dernier. Les
premières relevaient du préfet de l'annone; les secondes, des
directeurs des deux trésors, 1' « a rationibus » pour le trésor
impérial, les préfets del' « Aerarium » pour le trésor sénatorial.
Ces préfets étant nommés dans la dernière phrase, on ne voit
pas pourquoi le préfet de la viUe serait expressément substitué
à r « a rationibus ». La pièce est manifestement fausse : tout
ce qu'il faut peut-être retenir des détails qu'elle contient, c'est
qu'à cette date de 256, il y avait encore des préfets à la tête de
r « Aerarium », fait que nous connaissons d'aiUeurs indubitable-
ment d'autre part.
La seconde lettre de Valérien* est adressée à Aelius Xifidius,
préfet de 1' « Aerarium ». Aurélien vient d'être nommé consul,
et, en cette qualité, il devra donner des jeux. Comme il est
pauvre, l'empereur indique au préfet les sonomes et les fourni-
tures diverses (tuniques, manteaux, tapis, etc.) qu'il convient
de lui délivrer. En outre, un banquet devra être offert aux séna-
teurs et aux chevaliers romains. La pièce n'est pas datée, mais
la date résulte directement d'une autre pièce, le procès-verbal
du conseil de guerre de l^yzance^, où il est également question
du consulat d' Aurélien et qui est de 258. Les deux pièces sont
indiscutablement fausses, le consulat d'Aurélien, à cette époque,
n'ayant jamais existé que dans l'imagination de l'auteur.
1. Vita Aureliani, 12, 1-2.
2. Ibid., 13-14.
30 LÉON HOMO.
Au point de vue de l'organisation financière, il n'y a rien de
précis à retenir de cette pseudo-lettre à Aelius Xifidius.
Pour combler les lacunes de notre documentation, il faut faire
une large part aux considérations de politique générale. Les dix-
neuf années qui s'étendent de l'accession de Timésithée au pou-
voir à l'avènemept de Gallien (241-260) sont, nous l'avons vu,
une période d'entente entre l'empereur et le Sénat où la consi-
dération et les droits de ce dernier sont strictement sauvegar-
dés. On ne saurait y placer une mesure aussi grave pour les
droits du Sénat, aussi contradictoire avec la politique générale
des empereurs, que la mainmise complète du pouvoir impérial
sur les revenus des provinces sénatoriales. Il nous faut donc des-
cendre plus bas encore.
Nous arrivons ainsi à la période de quinze années, qui com-
mence avec l'avènement de Gallien comme seul empereur (260)
et se termine lors de la restauration sénatoriale inaugurée par
Tacite, en 275. Les textes utilisables sont au nombre de quatre.
Deux d'entre eux se rapportent au règne de Gallien (260-268) :
a) Aurelius Victor, Caesares, 33, 31-33 : « At Senatus, com-
perto tali exitio, satellites propinquosque per scalas gemo-
nias praeceps agendos decrevit patronoque fisci in curiam
4- perduci efFossos oculos pependisse satis constat, cum irruens
vulgus pari clamore terram matrem, deos quoque inferos pre-
caretur, sedes impias uti GaUieno darent. Ac ni Claudius con-
festim recepta Mediolani urbe tanquam postulato exercitus par-
cendum, qui forte eorum supererant, praecepisset, nobilitas
plebesque atrocius grassarentur. » La phrase intéressante pour
nous est celle qui se rapporte au directeur du fisc ; on le conduit
au Sénat eton lui crève les yeux. Le texte, malheureusement,
est altéré, mais le sens n'est pas douteux, et il est certain que le
Sénat a joué un rôle plus ou moins important dans cette exécu-
tion sommaire. — b) Ammien Marcellin, XXX, 8, 8 : « Post
Gallienum et lamentabiles rei publicae casus exinanito aera-
rio. » Au point de vue financier, donc, les faits attestés pour le
règne de Gallien sont les suivants : immense détresse financière
et épuisement complet du trésor (Ammien Marcellin) ; réaction
sénatoriale terrible à la mort de Gallien, au cours de laquelle,
sur l'ordre ou avec la connivence du Sénat, le directeur du fisc
impérial a les yeux crevés (Aurelius Victor) ... Si maigres que
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DO SENAT ROMAIN. 31
soient ces indications, elles sont loin, nous le verrons bientôt,
d'être entièrement négligeables.
Deux autres textes concernent le règne d'Aurélien, tous deux
empruntés à sa biographie dans le recueil de l'Histoire Auguste :
a) Lettre d'Aurélien au Sénat' relative à la consultation des
livres sibyllins. L'empereur ordonne de consulter les livres en
question, d'accomplir toutes les cérémonies nécessaires et il
ajoute : « Si quid est sumptuum, datis ad praefectum aerarii lit-
teris decerni jussi. Est praeterea vestrae auctoritatis arca publica
quam magis refertam repperio esse quam cupio. » L'invasion
des Marcomans, qui a provoqué cette consultation, est de 271 ;
nous avons ainsi la date du pseudo-document; cette lettre, en
effet, est l'œuvre du biographe lui-même. Outre les raisons
d'ordre général qui amènent à cette conclusion, il y a des motifs
tirés de la lettre elle-même. Le document parle d'un préfet de
r « Aerarium » ; il n'y en avait pas un, mais deux, çt l'empereur
ne devait pas être le dernier à le savoir. Autre erreur : l'oppo-
sition entre le préfet de 1' « Aerarium » et 1' « arca publica »
est inexplicable, puisque, avant Dioclétien, 1' « Aerarium » et
r « arca publica > sont une seule et même chose, le trésor séna-
torial. Après Dioclétien, la situation est difiérente : la caisse
sénatoriale, devenue exclusivement municipale, prendra le
nom d' « arca publica », tandis que le trésof impérial, dès lors
seule caisse d'État, adoptera le vocable traditionnel d' « aera-
rium ». Ici encore, le faussaire a péché par anachronisme. En
langage de l'époque d'Aurélien, il aurait fallu écrire : « Si quid
est sumptuum, datis ad procuratorem fîsci litteris decerni jussi. »
Quant à la dernière phrase, « quam magis refertam repperio
esse quam cupio », elle est ou ridicule ou inintelligible. L'empe-
reur, selon son biographe, trouve la caisse sénatoriale trop
pleine; Ammien Marcellin, incomparablement plus sûr en
l'espèce, nous dit exactement le contraire^. — i) « Vectigal ex
Aegypto urbi Romae Aurelianus vitri, chartae, lini, stuppae
atque anabolicas species aeternasconstituit-^. » Aurélien consti-
tue à la viUe de Rome des revenus perpétuels versés par l'Egypte
et comprenant du verre, du papier, du lin, de l'étoffe et autres
t. Vita Aureliani, 20, 4-8.
2. XXX, 8, 8.
3. Vita Aureliani, 45, 1.
32 LÉON HOMO.
fournitures. La date de cette mesure peut être, au moins
approximativement, fixée : la reconquête définitive de l'Egypte
étant du début de 273, la mesure se place nécessairement entre
273 et 275, date de la mort d'Aurélien, selon toute vraisem-
blance dès 273. Les faits à retenir pour le règne d'Aurélien sont
donc les suivants : Aurélien trouve le trésor vide, et, pour se
procurer des ressources, est obligé de s'en prendre aux for-'
tunes de l'aristocratie (Ammien Marcellin). D'autre part, il
constitue à la ville de Rome cinq revenus réguliers en articles
divers fournis par l'Egypte (Vie d'Aurélien).
Ajoutons toutes les indications qui résultent de la politique
générale des empereurs pendant cette période de quinze années.
Gallien et Aurélien ont été les ennemis systématiques du
Sénat; ils lui ont, dans d'autres domaines, porté des coups déci-
sifs. Il y a donc une présomption naturelle pour que la mesure
relative aux recettes des provinces sénatoriales émane de l'un
ou, de l'autre.
Enfin — et cette remarque est particulièrement importante
— il y a liaison étroite entre cette mesure d'ordre financier et
la mesure qui a enlevé au Sénat son privilège administratif dans
les provinces sénatoriales. Gallien, dans l'intérêt du salut
public, a dû concentrer entre ses mains la défense de tout le ter-
ritoire, provinces sénatoriales comprises. Ce monopole impli-
quait pour le trésor impérial des charges nouvelles. Les reve-
nus des provinces sénatoriales représentaient, dans la pensée
d'Auguste, l'équivalent et la juste compensation des charges
qu'imposait au Sénat l'administration de ces mêmes provinces.
L'empereur en assumant désormais la charge, il était naturel
qu'il en perçût également les recettes. Prise en charge des pro-
vinces sénatoriales par l'empereur, passage au trésor impérial
des recettes en provenant sont deux mesures connexes et dont
la seconde apparaît comme le corollaire logique de la première.
Gallien, l'auteur de la réforme administrative relative aux pro-
vinces sénatoriales, est donc aussi, croj^ons-nous, l'auteur de la
réforme financière correspondante. Les deux réformes sont étroi-
tement liées et ont été, selon toute vraisemblance, contempo-
raines.
Cette conclusion se trouve confirmée de la manière la plus
nette par les textes énumérés ci-dessus. Elle nous donne la clef
de la conduite du Sénat, en 268, vis-à-vis du procurateur du fisc
impérial et du supplice terrible qui lui est infligé. Enfin, elle
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 33
explique la mesure prise par Aurélien au lendemain, de la
reconquête de l'Egypte. Le trésor sénatorial, privé des revenus
qu'il tirait de ses anciennes provinces, ne pouvait plus suffire à
ses obligations. L'empereur, pour le remettre à flot, lui assure
une recette permanente sous forme d'un tribut en nature fourni
par la province d'Egypte.
En résumé, Gallien a enlevé à la caisse du Sénat le revenu
des provinces sénatoriales et Aurélien a, au moins en partie,
comblé le déficit par l'attribution du tribut égyptien. Mais, si
cette générosité impériale rétablissait l'équilibre financier, une
atteinte décisive n'en avait pas moins été portée par Gallien au
trésor sénatorial. Celui-ci, dès lors, ne conserve plus qu'une
recette d'ordre général, le bénéfice que lui procure la frappe de
la monnaie de bronze; nous allons voir maintenant qu'il n'a pas
tardé à la perdre.
b) Frappe de la monnaie de bronze. — Auguste, en 15 av.
J.-C, avait partagé avec le Sénat la frappe de la monnaie; la
frappe de l'or et de l'argent devait relever de l'administration
impériale: celle du bronze, de l'administration sénatoriale. Les
pièces frappées par le Sénat étaient l'as, avec ses multiples, le
dupondius (2 as), le sesterce (4 as), et ses sous-multiples, le
semis (1/2 as) et le quadrans (1/4 d'as). La frappe sénatoriale
avait lieu dans la vieille monnaie républicaine sur l'Arx, sous
le contrôle du Sénat, attesté par l'estampille officielle S. G.
(« Senatus consulto »), et la surveillance d'un collège de trois
membres, les « Triumviri monefales ». Elle représentait à l'ori-
gine une source importante de revenus pour le trésor sénatorial.
Mais, au cours des deux premiers siècles, le privilège moné-
taire du Sénat subit, comme les autres, toute une série d'at-
teintes. Ces restrictions portèrent essentiellement sur rîeux
points : l°sur l'organisation du service. L'administration impé-
riale empiéta peu à peu sur le privilège sénatorial. Dès les der-
nières années du i'^'' siècle ap. J.-C, problablement sous Nerva,
l'atelier monétaire sénatorial est transféré sur le Caelius, où il est
annexé à la monnaie impériale. Un peu plus tard, sous Trajan,
la frappe de la monnaie sénatoriale est, comme celle de la mon-
naie impériale, soumise à un « optio et exactor auri, argenti et
aeris » *, contrôleur général, qui est un agent et un affi'anchi de
*
1. C. I. L., VI, 42-44.
Rev. FIistor. CXXXVIII. l" fasc. 3
34 LÉON HOMO.
l'empereur. Les « Triumviri monetales » subsistent, mais, en
réalité, l'administration monétaire sénatoriale a perdu son auto-
nomie. 2° Sur la nature des espèces frappées. La frappe du
bronze sénatorial se restreint; dès le règne de Trajan, le qua-
drans cesse d'être émis.
Cette situation générale se rnaintient au ii^ siècle et pendant
le premier tiers du m''. Au moment où commence la période
d'anarchie militaire, l'état des choses est le suivant. Théorique-
ment, le Sénat conserve son privilège monétaire, mais avec une
double limitation : l'une relative à l'administration (commu-
nauté de bâtiments avec la monnaie impériale, contrôle supé-
rieur des agents de l'empereur), l'autre concernant la frappe
elle-même (réduction des espèces frappées par la disparition du
quadrans). Le mouvement de décadence reprend et va se préci-
piter au cours de l'anarchie du m® siècle. La grande cause
n'est pas, comme on le dit trop souvent, la mauvaise volonté de
l'empereur vis-à-vis du Sénat; il s'agit, avant tout, d'un phé-
nomène essentiellement économique. La crise du m*' siècle
entraîne un bouleversement complet dans l'échelle des valeurs.
La monnaie d'argent impériale,* où la quantité d'argent fin
tombe de 50 °/o à 3°/o et même 1,25 °/o sous Qaude et Quintillus,
subit de jour en jour une dépréciation croissante. La monnaie
sénatoriale de bronze, à cause de son poids et de sa teneur en
cuivre, se trouve posséder bientôt une valeur intrinsèque plus
considérable. Elle fait prime et, en vertu du vieux principe
d'après lequel la mauvaise monnaie chasse toujours la bonne,
elle ne tarde pas à disparaître; on l'enfouit pour la conserver
précieusement ou les spéculateurs l'accaparent pour en tirer
profit. D'une manière comme de l'autre, elle ne reste pas dans
la circulation.
Dès lors, la frappe du bronze effectuée dans ces conditions
cesse d'être un revenu pour devenir une charge. Le Sénat dimi-
nue le nombre des espèces frappées et restreint l'abondance des
émissions. Une première étape de cette voie est marquée par le
règne de Decius : l'as, le quinaire, le semis disparaissent du
numéraire sénatorial en cours. Le Sénat continue à frapper des
sesterces et des « dupondii », mais en très petite quantité, beau-
coup moins pour alimenter le marché que pour affirmer la sur-
vivance de son privilège séculaire. Sous Claude, l'émission du
bronze sénatorial est rare et appartient uniquement au début du
LA DISPARITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 35
règne; sous Quintillus, il n'y en a plus du tout. Le dernier-
coup au privilège monétaire du Sénat fut porté par Aurélien.
En 271, h la suite du soulèvement des monétaires à Rome, l'em-
pereur déposséda définitivement le Sénat. La monnaie de bronze,
comme ses deux sœurs les monnaies d'or et d'argent, fut désor-
mais frappée par l'administration impériale. Les triumvirs
monétaires disparurent et le service entier de la monnaie fut dès
lors concentré entre les mains du procurateur impérial.
Avec le produit de la frappe du bronze, le trésor sénatorial
perdait sa dernière recette d'ordre général. Il ne possède plus
désormais que des recettes locales (taxe des eaux, octroi de
Rome), auxquelles s'ajoutera bientôt le tribut égyptien accordé
en compensation par Aurélien. L'évolution est terminée; d'an-
cien trésor d'État, le trésor sénatorial est devenu purement et
simplement la caisse municipale de la viUe de Rome.
La RESTAURATION SENATORIALE : TaCITE ET PROBUS (275-282).
— La mort d' Aurélien et la restauration sénatoriale qui en fut
la conséquence ouvrent un nouveau chapitre dans l'histoire de
l'administration romaine au m*' siècle. Pendant sept années,
avec Tacite (275-276) et Probus (276-282), le Sénat reprend
dans l'État une influence que l'on pouvait croire définitivement
perdue. Nous n'avons pas ici l'intention d'étudier, dans son
ensemble, cette restauration sénatoriale « in extremis » si
curieuse et si mal connue, mais seulement, dans la mesure où la
pauvreté des documents nous permet de le faire, d'en détermi-
ner le caractère au point de vue administratif et d'en suivre les
efi'ets sur ce terrain particulier.
Les changements d'ordre administratif, réalisés parla restau-
ration sénatoriale de 275, nous sont connus par les textes sui-
vants :
Vie de Tacite, 18, 2 : « Omnis provocatio praefecti urbis erit
quae tamen a proconsulibus et ab ordinariis judicibus emer-
serit. »
Id., 18, 5 : « Praefecturae urbanae aj)pellatio universa
décréta est. »
Id., 19, 2 : « Nos recepimus jus proconsulare. Redierunt ad
praefectum urbi appellatioues omnium potestatum et omnium
dignitatum. »
Id., 19, ;M : « Optinuimus quod semper optavimus, in anti-
36 LÉON HOMO.
quum statum senatus revertit. Nostri ordinis sunt potestates.
Gratias exercitui romano et vere romano ; reddidit nobis quam
semper habuimus potestatem. »
Enfin le passage déjà cité d'Aurelius Victor, Caesares, 37,
6 : « Amissa Gallieni edicto refici militia potuit, concedenti-
bus modeste legionibus, Tacito régnante. »
Les innovations apportées par le nouveau régime dans l'ad-
ministration de l'Empire portent donc sur trois points : justice,
gouvernement des provinces, armée. Elles concernent ainsi
directement trois des grands privilèges du Sénat à l'époque
impériale : le privilège judiciaire, le privilège relatif à l'adminis-
tration du territoire, le privilège militaire. Ces trois préroga-
tives avaient disparu, nous l'avons vu, la première au début du
III*' siècle, la seconde avec Gallien et Aurélien, la troisième avec
Gallien. Dans quelle mesure le régime sénatorial de Tacite les
rétablit-il?
1° Au point 4e vue judiciaire, la mesure décisive est l'institu-
tion de l'appel à la préfecture urbaine. Quelles sont les juridic-
tions de première instance soumises à cet appel? Tout d'abord
les proconsuls, gouverneurs des provinces sénatoriales, puis les
« judices », c'est-à-dire les agents impériaux prépo^s à l'admi-
nistration du territoire et, comme tels, exerçant une juridiction
(en Italie, les correcteurs ; dans les provinces, les gouverneurs
impériaux des diverses catégories). Il manque à cette énumération
les magistrats de la ville de Rome ; mais le fait s'explique aisément,
puisque, déjà auparavant, ils dépendaient, au point de vue de
l'appel, du préfet de la ville. Ce caractère général de l'appel, à la
suite des réformes de 275, résulte nettement de nos textes :
18, 2 : « Omnis provocatio praefecti urbis erit ; » 18, 5 : « Prae-
fecturae urbanae appellatio universa décréta est; » 19, 2 :
« Redierunt ad praefectum urbi appeUationes omnium potesta-
tum et omnium dignitatum. » Avant 275, le préfet de la viUe
possédait la juridiction d'appel à Rome et dans le rayon des
cent milles autour de la ville; en 275, cette prérogative est
étendue au reste de l'Italie et à l'ensemble des provinces. C'est
donc bien désormais, comme le disent nos textes, la totalité du
monde romain qui passe, en ce qui concerne l'appel, sous sa
compétence judiciaire.
Une seule réserve vient limiter cette juridiction, celle qui est
indiquée au § 18; 2 : « Quae tamen a proconsulibus et ab ordi-
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 37
nariis judicibus emerserit. » Sont donc exceptés les « judices »
qui ne sont pas « ordinarii ». Quels sont ces magistrats? Ce
sont ceux qui jugent en vertu d'une délégation particulière et
extraordinaire de l'empereur, ceux qui sont dits « vice sacra
judicantes ». Puisqu'ils incarnent, par délégation expresse, la
juridiction impériale, il est bien évident qu'il ne peut y avoir
appel de leur décision à un agent impérial, même aussi haut
placé que le préfet de la ville.
2" Le privilège administratif du Sénat, en matière de gouver-
nements provinciaux, portait sur deux séries de provinces : les
provinces sénatoriales et les provinces impériales. Que stipule
le régime nouveau pour les uns et pour les autres? Pour les pro-
vinces sénatoriales, le texte de la Vie de Tacite, 19, 2, est déci-
sif : « Nos recepimus jus proconsulare », c'est-à-dire le procon-
sulat et tous les droits qu'il comporte, non pas seulement la
désignation des gouverneurs sénatoriaux, mais aussi l'adminis-
tration des provinces sénatoriales. En un mot, pour les prd-
vinces sénatoriales, il s'agit du retrait des mesures prises par
Gallien et d'un retour complet au passé.
Passons aux provinces impériales. Deux de nos textes im-
pliquent le rétablissement de l'ancien privilège. Tout d'abord le
texte d'Aurelius Victor, qui est formel : « Amissa Gallieni edicto
refici militia potuit. » La carrière militaire est ainsi entière-
ment rouverte aux sénateurs, y compris, naturellement, les
plus hauts grades de cette hiérarchie qui étaient précisément les
fonctions de « legati pro praetore » provinciaux, c'est-à-dire de
gouverneurs consulaires ou prétoriens de provinces impé-
riales. Ce texte est confirmé par un autre de la Vie de Tacite,
§ 19, 4 : « Nostri ordinis sunt potestates. Gratias exercitui
roraano et vere romano; reddidit nobis quam semper habuimus
potestatem. »
3° Le privilège militaire du Sénat est rétabli dans son inté-
gralité. Le fait résulte expressément du texte d'Aurelius Victor,
cité plus haut. Les sénateurs reprennent donc leur place dans
la « militia », à la fois comme officiers généraux (légats pro-
préteurs de provinces et légats de légions) et comme officiers
supérieurs (tribuns de légions, etc.). L'édit de Gallien est aboli
purement et simplement; on en revient donc, sur ce point, à
l'état antérieur.
Il reste un dernier privilège sénatorial sur lequel nos textes
38 LÉON HOMO.
soat muets, le privilège financier. Tacite le leur a-t-il restitué?
A-t-il rendu au trésor sénatorial ses recettes d'ordre général,
comme les impôts des provinces sénatoriales et le produit de la'
frappe du bronze? Pour le second, il n'y a aucun doute; la
réponse est négative. La frappe de la monnaie de bronze sous
Tacite est peu abondante ; elle porte uniquement sur les ses-
terces, très rares, qui disparaissent précisément sous ce règne,
et sur les « dupondii », qui continueront à être émis jusqu'à
Dioclétien. Mais ce bronze sort uniquement de la monnaie impé-
riale. La signature S. G., caractéristique de l'ancienne frappe
sénatoriale, ne reparaît sur aucune pièce. Le privilège moné-
taire du Sénat est donc bien mort depuis la réforme d'Aurélien.
Tacite lui-même ne le fait pas revivre.
Quant aux impôts des provinces sénatoriales, nous n'avons
aucune indication précise, mais nous ferons deux remarques.
Tout d'abord, le privilège financier fait partie intégrante du
« droit de proconsulat ». Il a donc dû être normalement recou-
vré par le Sénat en même temps que ce droit lui-même. En
second lieu, il est dans la logique des choses que le Sénat l'ait
recouvré au moins en partie. Le rétablissement des provinces
sénatoriales, s'il était très flatteur pour le Sénat, comportait
aussi de lourdes charges, auxquelles le trésor sénatorial, devenu
simple caisse municipale de Rome, ne pouvait pas suffire. Le
Sénat reprenant sa part dans l'administration des provinces, il
fallait nécessairement que l'empereur lui restituât aussi les
recettes nécessaires pour qu'il pût décemment faire face à ses
obligations nouvelles. /
En résumé, le système gouvernemental intronisé sous Tacite
comporte un rétablissement presque complet des privilèges
administratifs du Sénat. La Vie de Tacite insiste à plusieurs
reprises sur ce fait important : 18, 4 : « In quo quidem
etiam vestram in antiquum statum redire credimus dignita-
tem, si quidem primus hic ordo est, qui recipiendo vim suam
jus suUm ceteris servet » ; 19, 1 : « Gum tantum auctoritas amplis-
sirai ordinis creverit ut reversa in antiquum statum repu-
blica... » ; 19, 3 : « Optinuimus quod semper optavimus ; in anti-
quum statum senatus revertit » ; 19, 4 : « (exercitus) reddidit ^
nobis quam semper habuimus potestatem ». L'expression n'est
pas tout à fait exacte, car un des privilèges sénatoriaux tout au
moins, celui de la frappe du bronze, n'a certainement pas fait
LA DISPABITION DES PRIVILEGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 39
retour à cette assemblée, et, d'autre part, il ne semble pas que le
Sénat ait recouvré son ancienne participation à l'administration
générale de l'Italie. Mais l'idée, d'une manière générale, n'en
reste pas moins juste. Le régime , nouveau représente dans
l'ordre administratif la chute du système de Gallien, et, si le
Sénat, dans certains domaines, ne retrouve pas sa puissance
d'autrefois, il obtient une large compensation sur un terrain où,
depuis la fin du ii^ siècle, il avait cessé de compter, le terrain
judiciaire. L'institution d'un appel universel au préfet de la
ville, avec la dépossession judiciaire du préfet du prétoire qui
en était le corollaire, représente un gros succès pour la poli-
tique sénatoriale et une innovation qui, à condition de durer,
pouvait avoir pour l'évolution générale de l'administration
romaine des conséquences de premier ordre.
Mallieureusement pour l'aristocratie sénatoriale, le nouveau
régime fut éphémère-. Tacite, après six mois de règne, meurt,
comme tant de ses prédécesseurs l'avaient été avant lui, tué par
ses propres soldats. Aussitôt tout l'édifice échafaudé par le
Sénat à la faveur de circonstances exceptionnelles s'écroule
comme un château de cartes. Le frère de Tacite, Florien, s'em-
pare du pouvoir sans demander l'avis du Sénat, c'est-à-dire en
violation du droit que Tacite lui avait formellement restitué :
« Post fratremi» — écrit le biographe de Tacite' — « arripuit
imperium non senatus auctoritate, sed suo motu, quasi heredi-
tarium t et imperium, cum sciret adjuratum esse in senatu
Tacitum, ut, cum mori coepisset, non liberos, sed optimum ali-
queni principem faceret. ■» Aussi — on le comprend sans peine
— : dès le début les relations sont mauvaises entre Florien et le
Sénat, et la Vie de Tacite- nous dit textuellement que le Sénat
souhaite Probus comme empereur : « Tantiis autem Probus fuit
in re militari ut illum senatus optaret. »
Tandis que Florien se saisit arbitrairement de l'Empire en
Occident, Probus est proclamé empereur par les troupes
d'Orient. Sa popularité est immense dans toute l'armée romaine,
particulièrement dans l'armée du Danube, dont il est resté,
après la disparition de Claude et d'Aurélien, le plus illustre
représentant. Cette armée, la plus nombreuse et la plus puis-
1. 14, 1.
2. 14, 3.
40 LÉON HOMO.
santé de toutes, va être, une fois de plus, maîtresse de la situa-
tion. Florien a évidemment fait tous ses efforts pour la gagner.
Le moyen le plus efficace qu'il eût à sa disposition était de
rompre avec la politique sénatoriale de son frère pour en revenir
au système de Gallien. Nous devons donc nous attendre, en par-
ticulier, à ce qu'il ait rétabli, dans les provinces sénatoriales, le
régime administratif de cet empereur. Qu'il l'ait fait, la preuve
nous en est donnée par les deux inscriptions de Bétique^ déjà
mentionnées plus haut ; ce sont deux dédicaces : la première à
Florien, la seconde à Probus, au début de son règne, au
nom du gouverneur de la province, Aurelius Julius, « vir per-
fectissimus, âgens vices legati »'. Il s'agit donc d'un gouverneur
équestre placé par Florien à la tête de la province sénatoriale
de Bétique; il a le rang de « perfectissimus » et exerce ses fonc-
tions sous la forme d'une suppléance. Nous retrouvons donc,
pour ce gouverneur, le système de Gallien avec ses traits essen-
tiels. Sur le passé du personnage, nous ne savons rien, mais
son gentilice d'Aurelius donne à penser qu'Q était d'origine
militaire et avait fait son chemin dans l'armée danubienne.
Les concessions de Florien restèrent d'ailleurs vaines ; il lui
était impossible de contrebalancer dans l'esprit des troupes le
prestige et la popularité d'un Probus. Ses soldats en firent
promptement justice et Probus resta seul maître de l'Empire.
Probus était un Danubien et un soldat ; son passé et ses ser-
vices ne l'aveuglaient pas toutefois sur les dangers du régime
militaire. L'armée, dans un sursaut d'énergie, venait de sauver
le monde romain, mais — le salut de l'Empire était à ce prix —
elle ne pouvait plus longtemps rester sans contrepoids. Il fallait
rétablir un pouvoir civil qui comptât, et, ce pouvoir civil, le
Sénat devait nécessairement en être un des organes essentiels.
Entendons-nous bien. Probus ne veut pas abdiquer aux mains
du Sénat, lui rendre l'influence prépondérante que la mort de
Tacite lui a fait perdre. Non. Ce qu'il veut, c'est conclure avec
lui une entente équitable, disons le mot, un juste compromis.
Cette entente, qui devait être la grande idée du règne, Pro-
bus la réalise dès son arrivée aux afïaires. Un texte capital de
sa biographie dans l'Histoire Auguste- nous en donne les
1. c. 1. L., II, 1115-1116.
2. 13, 1.
LA ÛISPAUrriON DES PRIVILÈGES ADMINISTBAtiFS DD SÉNAT ROMAIN. 41
clauses essentielles : « Accepte igitur hoc senatus consulte,
secunda oratione permisit patribus, ut ex magnorum judicum
appellationibus ipsi cognoscerent, proconsules orearent, legatos
ex consulibus darent, jus praetoriura praesidibus darent, leges,
quas Probus ederet, senatus consultis propriis consecrarent. »
De ces cinq articles, quatre — les quatre premiers — sont de
caractère strictement administratif; le premier se rapporte au
privilège judiciaire, les trois autres ont trait au privilège admi-
nistratif du Sénat dans les diverses catégories de provinces.
Étudions-les successivement dans leurs textes et dans leurs con-
séquences.
Au point de vue judiciaire, Probus n'en revient pas pure-
ment et simplement au système de Tacite. L'appel au préfet de
la viUe est remplacé par l'appel au Sénat. Quant aux juridic-
tions que vise cet appel, elles sont les mêmes que sous le régime
précédent : « Ut ex magnorum judicum appellationibus ipsi
cognoscerent » (cf. Vie de Tacite, 18, 2 : « Omnis provocatio
praefecti urbis erit, quae tamen a proconsulibus et ab ordinariis
judicibus emerserit »). Le texte ne nous dit pas d'ailleurs que
Probus ait renoncé à sa propre juridiction d'appel, concession
qui aurait été parfaitement inadmissible. On rétablit, en réalité,
l'appel simultané à l'empereur et au Sénat, qui avait été l'un
des principes fondamentaux de l'organisation judiciaire au
i®"" siècle. Probus, sur ce point, en restituant au Sénat un privi-
lège perdu depuis près de deux siècles, a été, de propos délibéré,
plus loin que Tacite lui-même. Le Sénat, dans sa pensée, devait
être le représentant essentiel du principe civil dans l'Etat réor-
ganisé. Rien ne pouvait mieux répondre à cette politique que
d'en faire un grand corps judiciaire et de collaborer, sur ce ter-
rain, légalement avec lui.
Les trois clauses suivantes du pacte de 276 visent le privilège
du Sénat,, relativement à l'administration des provinces. La pre-
mière concerne les provinces sénatoriales : « Permisit patribus
ut proconsules... crearent. » Remarquons le va^ue de l'expres-
sion « proconsules »; « proconsules » peut se traduire aussi
bien « des » proconsuls que « les » })r()consuls, et par consé-
quent le texte ne prouve nullement que Probus ait concédé au
Sénat la désignation de « tous » les proconsuls gouverneurs de
provinces sénatoriales. Qu'il y ait eu en réalité des proconsuls
choisis par le Sénat selon le système traditionnel est un fait
42 * LEON HOMO.
prouvé par l'inscription de C. Jiilius Adurius Oviriius Pater-
nus *, dont il a déjà été question plus haut. Ce personnage, nous
dit cette inscription, a été désigné par le sort comme procon-
sul d'Asie « sorte factus » et s'est récusé « excusatus ». Il est
devenu consul pour la seconde fois, peu après, en 279.
Sous le même règne devrait se placer un autre proconsulat,
celui de Garus en Cilicie, mentionné par sa biographie 2. Nous
verrons plus loin, à propos des provinces impériales, ce qu'il
convient d'en penser. 4
D'ailleurs, il faut le répéter, ce règlement relatif aux
provinces sénatoriales n'implique nullement que, partout et
toujours, les gouverneurs de ces provinces aient appartenu à la
classe sénatoriale. Les conditions générales qui avaient déter-
miné Gallien à mettre la main sur l'administration de ces pro-
vinces n'avaient pas, tant s'en faut, entièrement disparu. Un
exemple précis, pour le règne de Probus, est celui de la pro-
vince sénatoriale de Lycie-Pamphylie. La Vie de Probus^ nous
dit formellement que la révolte de Palfurius, en Isaurie, a
gagné la province Hmitrophe de Pamphylie. Cette province a
cessé, par conséquent, d'être « inermis », et Probus a dû, tempo-
rairement au moins, y remplacer le proconsul sénatorial par un
gouverneur militaire de son choix.
Les articles trois et quatre visent le gouvernement des pro-
vinces impériales. — Article trois : « Permisit patribus ... ut ...
legatos ex consulibus darent ». Cette clause est très claire;
c'est le droit pour le Sénat de fournir — non pas de nommer, la
différence est capitale — des légats anciens consuls, c'est-à-dire
des gouverneurs pour les provinces impériales d'ordre consu-
laire. « Des » légats et non pas « tous » les légats, notons-le
bien. Par conséquent, en ce qui concerne cette catégorie de
provinces impériales, on n'en revient pas entièrement au
régime antérieur à la réforme de Gallien, sous lequel c'étaient
« tous » les légats d'ordre consulaire qui étaient recrutés dans
les rangs de l'ordre sénatorial. — Probus déclare qu'il pourra
prendre dans le Sénat les gouverneurs des provinces impériales
consulaires, mais il se réserve aussi le droit — les inscriptions
nous en donneront plus loin la preuve — de les recruter en
dehors.
1. c. I. L., VI, 3832.
2. Vita Cari, 4, 5-7.
3. Vita Probi, 17, 1.
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 43
L'article quatre : « Permisit patribus ut ... jus praetorium
praesidibus darent », est beaucoup moins net que les précédents
et demande à être examiné de près. Deux questions se posent
successivement : 1" Quels sont ces « praesides » dont il parle?
2'' Quel est ce « jus praetorium » que le Sénat est autorisé à
leur conférer? — Nous avons vu plus haut que le mot « praeses »
était à cette époque susceptible d'un double sens, un sens large
et un sens étroit. Au sens large, il désigne tous les gouver-
neurs de provinces indistinctement ; ce n'est certainement pas
le cas ici, puisque notre texte oppose précisément aux « prae-
sides » deux autres catégories de gouverneurs, les gouverneurs
de provinces sénatoriales {« proconsules ») et les gouverneurs
de provinces impériales consulaires (« legatos ex consulibus »).
Le terme de « praesides » désigne donc dans notre texte une
catégorie déterminée de gouverneurs et non pas tous. Desquels
s'agit-il? Un rapprochement avec les deux autres textes de
l'Histoire d'Auguste, déjà mentionnés à propos de Sévère
Alexandre, va nous le montrer de la manière la plus décisive :
Vie de Sévère Alexandre, 24 : « Provincias legatorias praesi-
diales plurimas fecit; proconsulares ex senatus voluntate ordi-
navit. » Cette énumération comprend : les provinces sénato-
riales (« proconsulares »), les provinces impériales à légats
(« legatorias ») ; celles qui restent (« praesidiales ») sont néces-
sairement les provinces impériales non à légats, c'est-à-dire
celles qui sont administrées par des gouverneurs équestres. —
Id., 45 : « Praesides, proconsules et legatos nunquam fecit ad
beneficium, sed ad judicium vel suum, vel senatus », où nous
retrouvons, avec toute la précision désirable, les trois mêmes
catégories. Il n'y a donc aucun doute possible. Dans notre texte
de la Vie de Probus, « Praesides » désigne l'ensemble des gou-
verneurs impériaux équestres.
Nous retrouvons ainsi, dans les articles du compromis de
276, trois classes de gouverneurs : les gouverneurs de pro-
vinces sénatoriales (« proconsules »), les gouverneurs légats de
provinces impériales consulaires (« legati ex consulibus »), les
gouverneurs équestres (« praesides »). Mais il en manque une :
les gouverneurs légats de i)rovinces impériales prétoriennes.
Pourquoi cette lacune? Cette omission, en réalité, n'en est pas
une. Depuis Gallien, les provinces impériales — qu'elles fussent
d'ordre consulaire ou d'ordre prétorien — étaient administrées
par des gouverneurs équestres. Probus restitue au Sénat le pri-
44 LÉON HOMO.
vilège de fournir éventuellement les gouverneurs des provinces
impériales consulaires, mais non ceux des provinces impériales
prétoriennes. « Praesides », ce sont donc tous les gouverneurs
d'ordre équestre, qu'ils aient remplacé, en vertu de la réforme
de Gallien, les anciens légats prétoriens ou qu'ils soient simple-
ment les successeurs des gouverneurs équestres des deux pre-
miers siècles. L'article quatre les concerne tous sans exception.
Second point. Notre texte nous dit que, ces « praesides », le
Sénat reçoit le privilège de leur conférer le « Jus praetorium » .
Que désigne-t-il par ces mots ? L'expression « jus praetorium »
ne peut avoir qu'un sens : l'ensemble des prérogatives attachées
dans le système traditionnel aux fonctions de légats dans les
provinces impériales prétoriennes. Mais encore faut-il s'en-
tendre. Il ne peut être question des attributions en général, car
les gouverneurs équestres des provinces impériales ont hérité
dans leur province de l'ensemble des attributions civiles, mili-
taires et judiciaires dévolues à leurs prédécesseurs les légats.
Mais il restait d'autres prérogatives : les emblèmes de l'autorité
symbolisés parles cinq faisceaux et le rang de sénateur avec les
avantages qui en découlaient. Voilà évidemment les privilèges
visés par le « Jus praetorium » de l'article quatre. Le Sénat
reçoit le droit de conférer aux gouverneurs équestres provin-
ciaux des prérogatives équivalentes à celles des anciens légats
prétoriens ; il peut les faire entrer dans l'ordre sénatorial avec
un rang analogue à ceux de ces derniers. Il obtient ainsi un
moyen efficace d'influence sur toute une catégorie de gouver-
neurs provinciaux qui, jusque-là, à la fois par leur origine et
par leur carrière, étaient restés entièrement soustraits à son
autorité.
En résumé, l'administration des provinces impériales se trouve
réglée .par Probus sous la forme suivante : 1° provinces impé-
riales consulaires. Gouverneurs légats nommés par l'empereur,
qui « peut » les recruter dans l'ordre sénatorial. 2° Provinces
impériales prétoriennes. Gouverneurs équestres — par consé-
quent, pour cette catégorie l'édit de Gallien reste strictement
en vigueur — mais avec collation éventuelle du « Jus prae-
torium » par le Sénat.
Les exemples de gouverneurs de provinces impériales, que
nous connaissons pounle règne de Probus, confirment pleine-
ment les conclusions qui précèdent. Prenons séparément les
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SÉNAT ROMAIN. 45
deux catégories de provinces impériales. En premier lieu, les
provinces consulaires. Trois gouverneurs de cette classe entrent
en ligne de compte : en Sjrie, Saturninus et Virius Lupus ; en
Cilicie, Carus.
Saturninus, désigné par sa biographie comme « dux limitis
orientalis », a été en réalité, nous l'avons vu plus haut, gouver-
neur de S}Tie avec le titre de « Legatus pro praetore ». Il avait
reçu ce gouvernement de Probus et il exerçait encore ces fonc-
tions en 280 lorsqu'il se fit proclamer empereur. Il semble bien
avoir eu une carrière strictement militaire et, par conséquent,
n'être pas de naissance sénatoriale. La province de Syrie étant
d'ordre consulaire, il faut qu'il ait géré le consulat sujBfect —
car les fastes des consuls ordinaires ne le nomment pas —
avant de recevoir son gouvernement provincial. Saturninus a
donc dû entrer dans Tordre sénatorial par « adlectio ». Quoi-
qu'il fût devenu sénateur, il n'en était pas moins un officier de
carrière et, évidemment, c'est cette qualité qui a, avant tout,
déterminé le choix de l'empereur.
Virius Lupus est un grand personnage de la fin dû m® siècle.
Il semble avoir été, lui, de naissance sénatoriale et, vraisem-
blablement, fils ou petit-fils du Lupus que l'on trouve gouver-
neur de Bretagne sous CaracaUa. Il est consul ordinaire en 278;
préfet de la ville de 278-280; nous savons en outre, par une
inscription de Rome^ qu'il^a été « Prq^ses Syriae Caeles et Ara-
biae ». A quelle date? Ce gouvernement, qui est consulaire, n'est
pas antérieur à son consulat de 278. Mais, à sa sortie de charge, il
est devenu aussitôt préfet de la ville et l'est resté jusqu'en 280.
Son gouvernement de Syrie et Arabie se place nécessairement
soit dans le courant de l'année 280, soit les années suivantes.
— Un second fait à noter, c'est la réunion sous son autorité des
deux provinces de Syrie Caele et d'Arabie, par conséquent la
constitution d'un grand gouvernement militaire oriental à son
profit. Cet événement anormal et le choix même d'un person-
nage comme Virius Lu])us doivent s'expliquer par des raisons
particulières. Virius Lupus, tout d'abord, est un favori de Pro-
bus, qui le i)rend comme coUègue au consulat ordinaire en 278,
puis le nomme aussitôt après préfet de la ville, de 278 à 280.
Or, l'année 280 est marquée en Orient par un fait très impor-
\. c. l. /.., VI, 31775.
46 LÉON HOMO.
tant, la révolte de Saturninus. Probus réprima aussitôt le mou-
vement, mais, pour pacifier l'Orient profondément troublé, il lui
fallait un homme de confiance. C'est alors, très vraisemblable-
ment, qu'il eut recours à Virius Lupus et qu'il lui donna le gou-
vernement combiné des deux provinces de Syrie Caele et d'Ara-
bie. Virius Lupus, consulaire et ancien préfet de la ville,
appartenait à l'aristocratie sénatoriale. Le choix dont il fut l'ob-
jet est donc pleinement conforme à l'article trois du compromis
de 276..
Le troisième cas est celui de Carus, le futur empereur. La
Vie de Carus ^ nous rapporte que Carus, avant son avènement,
a été proconsul de Cilicie, et elle insère à l'appui une lettre
adressée par Carus à un de ses légats avec la suscription :
« Marcus Aurelius pro consule Ciliciae Junio legato suo. » Ce
texte soulève trois questions principales : 1° l'existence d'un
proconsulat de Cilicie ; 2*^ la possibilité que Carus l'ait jamais
exercé ; 3° la date.
1° La Cilicie, sous l'Empire, est une province impériale, d'ordre
consulaire depuis Caracalla, gouvernée par un légat impérial
ancien consul. Au début du règne de Dioclétien, on la trouve
administrée par un consulaire ; il y a donc dans le mode d'admi-
nistration de cette province une continuité indéniable. Jamais,
sous le Haut-Empire, la province n'a été sénatoriale; notre
texte est le seul qui fasse allusion à un fait de cette nature. Il
faut remarquer toutefois que la mention d'un proconsul de Cili-
cie se retrouve une seconde fois encore dans l'Histoire Auguste
pour le début du iv^ siècle^; à propos d'Aurélien, la Vita
Aureliani nous dit : « Aurélien, sénateur, proconsul de Cilicie,
qui vit maintenant en Sicile, est son petit-fils. » De ces deux
mentions, la seconde est certainement erronée, puisque le gou-
verneur de Cilicie, sous Dioclétien, a, nous le savons, le rang
de « praeses » et non pas celui de proconsul. L'erreur de la Vie
de Carus porte également sur le titre du gouverneur ; le pro-
consul dont elle nous parle n'est autre qu'un légat impérial
d'ordre consulaire. Quant à l'origine de cette erreur, il faut évi-
demment la chercher dans le souvenir classique du proconsulat
de Cicéron.
1. Vita Cari, 4, 5-7.
2. Vila Aureliani, 42, 2,
LÀ DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DU SENAT ROMAIN. 47
2° Carus a eu une carrière différente de celle des autres
empereurs ses contemporains. Le fait qu'il a été consul avant
son avènement — fait attesté directement par les inscriptions
— le prouve d'une manière péremptoire. Il n'y a donc pas
impossibilité matérielle à ce qu'il ait reçu le gouvernement de
la Cilicie en qualité de légat impérial consulaire, rang et titres
qui étaient régulièrement au m® siècle cetx des gouverneurs de
Cilicie. Cette solution du problème est pleinement acceptable.
3° Carus est préfet du prétoire à la fin du règne de Probus.
Son gouvernement de Cilicie est nécessairement antérieur.
Nous ne pouvons préciser la date, mais il est permis de faire
une hypothèse. En 279, Probus prend une série de mesures
pour pacifier définitivement l'Isaurie et mettre fin aux troubles
chroniques dont cette province était le théâtre. Or, l'Isaurie
faisait alors partie de la province de Cilicie. Il fallait donc, par
conséquent, placer à la tête de la Cilicie un gouverneur habile
et énergique, un homme qui eût déjà fait ses preuves. Carus
avait déjà une beUe carrière derrière lui. Il est vraisemblable
que Probus, dont il avait la confiance, voulut utiliser ses qua-
lités dans la circonstance et le liomma gouverneur impérial de
la province de Cilicie.
Mais, si Probus autorise le Sénat à fournir « des > légats
impériaux de provinces consulaires, il ne se-lie pas absolument
les mains et se réserve la faculté, à l'occasion, de recruter les gou-
verneurs de ces provinces dans l'ordre équestre. Les inscrip-
tions mentionnent, en effet, sous Probus, deux gouverneurs de
Dahnatie, une province impériale consulaire; tous deux sont
d'ordre équestre et ont le titre de « viri perfectissimi ». Ce sont,
en 277, Aurelius Marcianus^ et, en 280, M. Aurelius Tibe-
rianus*^.
Quant aux provinces impériales de la seconde catégorie,
celles qui, avant la réforme de Gallien, étaient d'ordre préto-
rien, nous n'avons par l'épigraphie qu'une mention de gouver-
neur s'y rapportant; elle concerne la province d'Arabie, qui
était administrée en 278-279 par Marcus Petrus, « vir perfectis-
simus^ ». Cet exemple de l'Arabie confirme donc bien la règle
fixée en 276 pour cette classe de provinces.
1. C. I: L., III, 8707.
2. Ibid., 1805. '
3. C. 1. G., 4649.
LEON HOMO.
9
Pour le privilège militaire sénatorial, son extension, sous
Probus, résulte des principes posés pour l'administration pro-
vinciale. Les provinces impériales d'ordre consulaire pouvant
avoir à leur tête des gouverneurs éqiiestres — c'est le cas de la
Dalmatie, comme l'attestent les deux inscriptions mentionnées
ci-dessus — celles d'ordre prétorien devant en avoir régulière-
ment, il ne pouvait pas être question de maintenir intégrale-
ment son ancien privilège militaire, tel que la restauration de
275 venait de le lui restituer. Dans toutes les provinces qui con-
tinuent à avoir des gouverneurs équestres, la carrière militaire,
qu'il s'agisse des gouverneurs provinciaux, des commandants de
légions ou des tribuns légionnaires, reste strictement fermée
aux sénateurs. Les seules provinces qui puissent faire exception
sont les provinces impériales d'ordre consulaire, gouvernées
par un légat propréteur sénatorial, comme la Syrie avec Virius
Lupus; il est possible dans ce cas — quoique nous n'en con-
naissions pas d'exemple — que les légions puissent avoir des
légats et d'autres officiers sénatoriaux, mais, dans ce domaine
même, il ne saurait s'agir que de pures exceptions. Au point de
vue des commandements militaires, aucun doute ne peut sub-
sister. L'édit de Gallien est pleinement remis en vigueur, . sauf
concessions individuelles émanant de l'empereur.
Reste le dernier des grands privilèges traditionnels du Sénat,
le privilège financier. A cet égard, nous ne savons avec préci-
sion qu'une chose. Pas plus que sous le règne de Tacite, le
Sénat n'a recouvré le droit de frapper la monnaie de bronze.
Les « dupondii » , la seule espèce frappée sous Probus depuis la dis-
parition du sesterce au temps de Tacite, sont émis exclusive-
ment par les ateliers monétaires impériaux. Quant aux recettes
des provinces sénatoriales, il est vraisemblable qu'elles n'ont pas
non plus été restituées au Sénat. Le « recepimus jus proconsu-
lare » de 275 pouvait comporter, par voie de conséquence
logique, le rétablissement du privilège financier sénatorial; le
« permisit ut proconsules crearent » dp 276 paraît bien ne s'ap-
pliquer strictement qu'à la nomination des gouverneurs. Sur ce
point, par conséquent, selon toute vraisemblance, la déposses-
sion du Sénat est restée définitive.
Si maintenant nous comparons la situation faite au Sénat par
la restauration de 275 et celle qui résulte pour lui du compro-
mis de 276, nous voj^ons qu'entre l'une et l'autre la difiérence
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 49
est considérable. Elle porte à la fois sur la forme et sur le fond.
Sur la forme : en 275, les privilèges sénatoriaux sont rétablis
comme un droit et comme un retour légitime à une tradition
séculaire; en 276, il n'est plus question que de concessions
impériales, dont le mot « permisit » détermine avec une clarté
aveuglante le caractère et la portée. Sur le fond : en 275, la
restauration sénatoriale, dans le domaine provincial et militaire,
est à peu près complète. Si le Sénat ne recouvre pas son pri-
vilège monétaire, une large compensation lui est réservée sur
le terrain judiciaire par la création de l'appel général au préfet
de la ville. En 276, au contraire, les concessions qui lui sont
faites, importantes sans doute, ne sont pourtant que partielles.
L'édit de Gallien est remis en vigueur à la fois pour le gouver-
nement des provinces impériales et pour les commandements
militaires, sauf exceptions individuelles destinées à en adoucir
l'amertume et à en tempérer la rigueur.
La politique à tendances civiles de Probus, malgré toutes les
réserves prudentes dont il avait eu soin de l'entourer, n'en prit
pas moins aux yeux de l'élément militaire l'aUure d'une véri-
table abdication. L'armée se disait sacrifiée. On colportait avec
complaisance, sous le nom de l'empereur, un mot perfide et ter-
rible : « Bientôt », aurait-il déclaré, « les soldats ne seraient plus
nécessaires. » Probus était trop intelligent et, en outre, trop
militaire de tempérament pour avoir jamais émis un aphorisme
de ce genre. Mais, malheureusement pour l'empereur, le mot
trouvait dans sa politique intérieure au moins une apparence
de confirmation. Les troupes du Haut-Danube se soulevèrent et
proclamèrent empereur leur général Carus, tandis qu'aux envi-
rons de Sirmium, Probus succombait sous les coups de ses
propres soldats.
Carus était donc l'élu d'une réaction militaire. Il ne l'oubliera
pas, et, l'eût-il oublié, que l'armée était là pour l'en faire sou-
venir. Le Sénat se rendit compte immédiatement de la perte
qu'il venait de faire dans la personne de Probus et n'apprit
qu'avec appréhension l'avènement de son successeur. Sans doute,
dès son arrivée à Rome, Carus, au témoignage de son biographe,
fit quelques avances aimables au Sénat, mais il s'en tint à de
vagues promesses qui n'engageaient à rien. Des concessions
faites par Probus en 276, il n'est plus question. L'armée n'en
voulait pas et Carus, instruit par le sort de son prédécesseur,
Rev. IIistor. CXXXVIII. 1" fasc. 4
50 LÉON HOMO.
ne tenait nullement à passer outre. Aussi est-ce de la mort de Pro-
bus qu'Aurelius Victor — et le témoignage est capital — ■■ date la
déchéance complète du Sénat, au point de vue politique, et l'avè-
nement définitif de la monarchie militaire ^ .
Sous Carus, les relations entre le Ôénat et l'empereur avaient
été correctes, sans plus. Avec son fils Carin, elles deviep' ent
franchement désagréables. Le Sénat voit d'un très mauvais œil le
retour au principe de l'hérédité qui choquait'ses théories poli-
tiques et semblait une atteinte directe à ses prérogatives. En
outre, Carin est un violent et un autoritaire qui, par nature,
incline au gouvernement despotique ; son règne est un retour
au régime militaire et le Sénat voit reparaître les mauvais jours
de Gallien et d'Aurélien. Dans ces conditions, sa participation
à l'achninistration de l'État est réduite à peu près à néant ; les
écrivains ne nous en disent rien pour la raison péremptoire qu'il
n'y a rien à en dire. L'édit de Gallien continue à être en vigueur
tant pour les gouvernements provinciaux que pour les com-
mandements militaires. L'épigraphie nous en donne doublement
la preuve. Plusieurs inscriptions d'Afrique-, datées de 283, nous
montrent que la Numidie, ancienne province impériale d'ordre
prétorien, a alors un gouverneur équestre, M. Aurelius Deci-
mus, avec le rang de « Yir perfectissimus ». Quant aux comman-
dements militaires, une inscription d'Aquincum'^ (Pannonie
mférieure), de 284, nous apprend que la IP légion Adjutrix avait
alors à sa tête, conformément à la règle posée par Gallien, un
préfet de légion, Aelius Paternianus.
L'application rigoureuse du système de GaUien n'excluait d'ail-
leur pas quelques rares exceptions en faveur de l'ordre sénato-
rial. Ce fait, que nous avons déjà signalé pour les règnes de
Claude et d'Aurélien, se vérifie également sous Carus et sous
Carin. Sous le règne de Cârus, d'après deux inscriptions datées
de 283^, nous trouvons l'Espagne citérieure — province impé-
riale consulaire — administrée par M. Aurelius Valentinianus,
« vir clarissimus, praeses Hispaniae Citerions, legatus Augus-
torum pro praetore » . Le personnage appartient à l'ordre séna-
1. Aurelius Victor, Caesares, 37, 5.
2. C. /. L., VIII, 2529, 2530, 2643, 4221, 7002 (cf. 4578). — En outre, nous
avons vu plus haut que, sous le règne de Carus, la province de Dalmalie avait
ou, en la personne de Constance Chlore, un gouverneur non sénatorial.
3. Ibid., III, 3469.
4. Ibid., II, 4102, 4103.
J
LA DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SENAT ROMAIN. 51
torial, puisqu'il est expressément désigné par le titre de « clarissi-
mus ». L'année suivante, d'après une inscription d'Aquincum ^
M. Aurelius Valentinianus est devenu légat propréteur, gouver-
neur de la province impériale de Pannonie intérieure. Le chan-
gement de gouvernement représente pour ce fonctionnaire un
avancement indubitable. Les deux provinces d'Espagne cité-
rieure et de Pannonie inférieure étaient, l'une et l'autre, d'ordre
consulaire, mais avec deux différences notables en faveur de cette
dernière : c'était une province frontière, une province d'avant-
garde, par conséquent plus importante, et surtout elle consti-
tuait un grand commandement militaire, puisqu'elle avait une
garnison légionnaire permanente. Nous ne connaissons mal-
heureusement rien sur l'origine et sur la carrière antérieure de
ce M. Aurelius Valentinianus, mais nous remarquons que, lui
aussi, est un M. Aurelius, par conséquent probablement un Danu-'
bien, un soldat de carrière qui ne serait entré au Sénat que tar-
divement et par « adlectio » . Il aurait été nommé successivement
légat propréteur de deux provinces impériales, non pas parce
qu'il était sénateur, mais quoiqu'il le fût. La dérogation au
règlement de Gallien, réalisée en sa faveur par Garus et Garin,
serait ainsi plus apparente que réelle.
En 285, Garin tombait assassiné sur le champ de bataille du
Margus et Dioclétien restait seul maître de l'Empire. Parvenus
au terme de cette étude, il ne nous reste plus qu'à en résumer
les conclusions. Si mal connue que soit l'histoire administrative
du m^ siècle, quelque importantes que soient encore les lacunes
de notre documentation, deux traits cependant apparaissent en
pleine lumière :
1" La ruine des privilèges administratifs du Sénat n'est pas
l'œuvre de Dioclétien. Elle a été consommée au cours de la
grande crise du iii** siècle ; les auteurs principaux en sont Gal-
lien et Aurélien. En 260, en dépit des atteintes subies au cours
des deux premiers siècles, le rôle du Sénat dans l'administra-
tion de l'Empire est encore considérable dans le triple domaine
de l'administration du territoire, de l'armée et des finances.
Gallien enlève au Sénat son privilège administratif à la t'ois dans
1. C. I. L., III, 3418.
52 HOMO. — DISPARITION DES PRIVILÈGES ADMINISTRATIFS DD SE'nAT ROMIaIN.
les provinces sénatoriales et les provinces impériales, son pri-
vilège militaire et, dans l'ensemble, son privilège financier.
Aurélien achève cette œuvre de dépossession, au point de vue
administratif, en Italie, par la transformation des correcteurs en
fonctionnaires permanents ; au point de vue monétaire, par la
suppression du privilège sénatorial de la frappe du bronze.
Dès avant 275, l'œuvre d'unification administrative poursuivie
depuis Auguste est achevée. Le grand rôle administratif du
Sénat a pris fin .
2° Il est d'usage d'expliquer cette chute par l'hostilité systé-
matique et irréductible du pouvoir impérial vis-à-vis du Sénat.
Cette interprétation est trop simpliste et rabaisse singulièrement
la portée de l'événement. En réalité, les derniers privilèges
sénatoriaux ont succombé devant les nécessités de la défense
nationale. Au milieu du iii^ siècle, la situation presque désespé-
rée de l'Empire exige la concentration de toutes les ressources
aux mains du souverain. Dans tous les domaines — administra-
tion du territoire, armées, finances — l'unité doit se faire abso-
lue et tout privilège disparaître. Le salut de l'Etat est à ce prix.
Ainsi s'explique le caractère exceptionnel du règne de GaUien ;
il représente à la fois le point culminant de la crise et le moment
décisif où les privilèges sénatoriaux reçoivent le coup fatal dont
ils ne se sont jamais relevés.
Léon Homo.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
LETTRE DE CHARLES MARCHAND
ABBÉ DE MUNSTER EN ALSACE
A UN CONFRÈRE^
Charles Marchand fut le premier abbé français de l'antique monas-
tère de Munster. Lorsqu'il fut nommé à celte dignité par l'évêque
de Bâle en 1656, l'abbaye était complètement désorganisée et char-
gée de dettes. Par son talent d'administrateur, il parvint à remettre,
de l'ordre dans les affaires de la maison él à lui rendre une prospé-
rité qu'elle n'avait plus connue depuis la guerre de Trente ans. Il
travailla à unir son abbaye à la congrégation lorraine de Saint-
Vanne et de Saint-Hidulphe et réahsa ce projet en 1659. Le traité
d'union stipule que six religieux « seront tirés des monastères qui
sont sous l'obéissance du roy et qui sauront les deux langues fran-
çaise et allemande, autant que faire se pourra ». Parmi ces der-
niers, se trouvait l'érudit prieur de Senones, Antoine de l'Escale,
qui fut investi des mêmes fondions à Munster, et qui est mentionné
dans la lettre que nous publions 2.
E. Waldner.
A Munster, ce 12« sept. 1662.
Mon Reverand Père,
Pour respondre a la vostre et vous donner l'éclaircissement que vous
m'avés mandé que Mons*" le comte de Briesne^ et autres Mess'* du
conseil du Roy désirent, ce que faisant de point en point, je vous
1. Texte publié d'après la minute conservée dans le fonds de l'abbaye aux
Archives départementales du Haut-Rhin.
2. Voy. Histoire de l'abbaye de Munster, par Dom Calmet, publiée par
F. Dinago, Colmar, 1882.
3. Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, secrétaire d'État. Il avait
le département des Affaires étrangères.
54 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
diray primo qu'il n'y a point de double qu'il y va de l'interest de la
France, quand elle peut avoir une ou plusieurs personnes affidées aux
séances, aux diettes et assemblées publiques de l'Empire, comme l'abbé
de Munster, lequel, a cause de son abbaye imperialle, est un membre
immédiat de l'Empire, et comme tel, réservé expressément par le
traitté de paix gênerai de Munster en Westpalie, a, peut, et doit avoir
séance auxdittes diettes et assemblées générales immédiatement après
les princes d'Empire et dans le même conclave d'iceux vis a vis des
princes, iceux a la droicte et les abbés d'Empire a la gauche. Les
comtes et barons, aussy bien que les villes d'Empire, vont après et
tiennent le 3« conclave, les princes et abbés d'Empire tiennent le
second, et Mess""* les Electeurs le premier. Il n'importe que l'abbé
de Munster soit francois , allemand , espagnol , lorrain , italien ou
savoyar ou bourguignon, car il y a eu des abbés de cette abbaye de
Munster de toutes ces nations, sans que l'on y ait jamais treuvé a
redire ny débattre cette séance a aucun d'iceux, puisque, possédant a
juste tittre un bénéfice dépendant immédiatement de l'Empire, ils
sont sensés naturalisés et traittés et recognus pour tels. Et pour vous
le faire toucher au doict, j'ay jugé à propos de vous envoyer une coppie
autentique du mandement exprès que l'Empereur moderne m'a envoyé,
en datte du moys de febvrier dernier, avec l'attache du grand sceau
de l'Empire, par lequel l'Ernpereur m'invite a me trouver a la diette
impériale prochaine pour y donner mes advis et conseils comme les
autres membres de l'Empire ^. Cependant Sa Majesté impériale et tous
les princes d'Allemagne savent très bien que je suis francois naturel
et que mesme, aux commissions, procurations, quittances et autres
affaires de pareille nature que j'ay donné depuis 7 ans que je suis
abbé, je me suis qualifié tousjours abbé de l'abbaye impériale de Muns-
ter, en la vallée de S^-Grégoire, et conseiller et aumosnier de Sa
Majesté très chrestienne. Le R. P. Dom Lescale, mon prieur, en a
porté luy mesme par deux foys, en l'an 1657 et 1660, des semblables
procures et quittances avec lesd^*» qualités jusques a la cour électorale
'de Bavière^ a Mùnchen et personne n'y a jamais treuvé a redire. Il y
a grande difîerance entre Monsieur le duc Mazarin^ comme prefect ou
grand baillif de Haguenau et d'Alsace et moy, parce que au traitté
gênerai de la paix a Munster les ministres et officiers du Roy ont
voulu absolument avoir la dite praefecture en souveraineté et inde-
1. L'Empire continua à considérer l'abbaye de Munster comme relevant de
lui. Les Archives départementales du Haut-Rhin possèdent une série de man-
dements impériaux réclamant les contributions impériales jusqu'en 1759. En
1721, par exemple, on demanda à l'abbaye son contingent matriculaire, se mon-
tant à « un" homme à cheval, quatre à pied, vingt-huit pièces d'armes et
1,400 florins ». Dès 1674, le roi avait défendu à l'abbé de payer aucune con-
tribution à l'Empire, défense renouvelée plusieurs fois.
2. L'électeur de Bavière était Ferdinand-Marie (1651-1679).
3. Cliarles-Armand de La Porte, marquis de La Meilleraye et duc de Mazarin,
neveu par alliance du cardinal Màzarin.
LETTRE DE CHARLES ItfARCHAND, ABBÉ DE MUNSTER EN ALSACE. 55
pendance de l'Empire, et par ce moyen ont bany le Roy de toutes les
élections et séances de l'Empire/ Mond' prieur en a tousjours bien
murmuré, aussy bien que moy, et en a adverty longtemps auparavent
Mess""* les procureurs et advocats generaulx du parlement de Mets, ou
il estoit, qui estoint bien de son sentiment, mais non pas Mess'"=* les
plénipotentiaires, car ils eussent voulu prendre l'Alsace et lad"= prae-
fecture aux mesmes conditions que les tenoit la maison d'Autriche.
Le Roy, en la qualité de landgrave de l'Alsace et de praefect des dix
villes, etc., auroit esté prince d'Empire, et par ce moyen auroit pu non
seulement avoir séance en toutes les diettes, ains aussy estre esleu
Empereur (c'en est faict). Les ministres de Suède ont faict bien plus
finement ; ils ont passé leur traitté a condition que leur roy releveroit
tousjours de l'Empereur les terres qui luy ont este cédées, affin de
jouir de tous les droits, privilèges et prerogratives de l'Empire; mais
en sorte que l'on ne pourroit jamais appeller à l'Empire de ses sen-
tences et arrests rendu par luy ausdites terres a lui cédées. Il ne faut
donc pas s'estonner sy en la diette on ne voudroit pas admettre Mons'' le
duc de Mazarin, puisque ses qualitéz sont du tout indépendantes de
l'Empire et que l'on les a voulu avoir de la sotte. Ce n'est pas- de
mesme de mon abbaye de Munster, puisqu'elle est spécifiquement
conservée et maintenue sous l'Empire par led' traicté de paix : et par
conséquent un abbé de Miinster peut tousjours aux occasions servir et
dire un bon mot. D'ailleurs, le Roy a grand interest de maintenir, con-
server et protéger cette abbaye en ses droicts et privilèges : primo
parce qu'il est le vray et légitime héritier et successeur des fondateurs
d'icelle. 2° Parce qu'il est le véritable prefect de ces pays, car la pré-
fecture a este cédée a perpétuité a sa courone et unie et incorporée a
icelle. Or, est il que le prefect est constitué par les Empereurs pour
juge et protecteur tant de notre abbaye de Munster que des dix villes
imperialles qui sont en AUesace, et il est obligé de leur jurer de les
conserver et maintenir dans leur droicts et privilèges, et après on luy
jure aussi de le recognoitre et luy obéyir comme a ses prédécesseurs.
En cette qualité, donc, il doit prendre cognoissance de nos justes griefs
que nous avons [contre] trois desdites villes ^ susdites impériales,
entendre les parties et faire droit a qiii il appartiendra pour mainte-
nir son auctorité, autrement on auroit sujet de dire qu'un roy de France
n'a que le seul nom et non le pouvoir et l'auctorité du prefect ou grand
baillif. 3» Il y va encore de l'interest de la France en ce que mes pré-
décesseurs ont cédé et transporté a l'Empire, il y a plus de 'lOO ans,
tout le domaine, haute, basse et moyenne justice de tout ce val, qui
consiste en quelque IG ou 17 tant villages que hameaux et en deux
petites villes impériales, savoir Munster et Turkem, aux conditions
d'estre maintenus et conservés en nos privilèges, franchises et immuni-
tés, que les empereurs françois comme Charlemagne, Louys le Débon-
naire, son fils, et Lothaire. son petit fils, nous avoint donnés par leur
1. Colinar, Munster et Turckheiin.
56 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
pieté et amour de Dieu. Et ce pendant on ne nous garde plus nosdites
franchises et immunités, ains on nous accable avec les contributions
d'Empire, de tele sorte que mon abbaye ne scait plus de quel bois
faire flèches. Je suis donc résolu de demander a cette diette de deux
choses l'une, ou de nous garder nos franchises et immunitez, ou de
nous rendre nostre domaine que nous avons cédé et transporté a
l'Empire a cette fin, etc. Il y a craindre qu'on ne nous accordera ny
l'un ny l'autre ; en ce cas nous serions bien fondés [de céder] nostre
dict domaine (transporté a l'Empire conditionalement, aux fins de nous
protéger en nos immunitez et franchises) au Roy pour nous mainte-
nir auxdts immunités, franchise et privilèges que ses susdits prédé-
cesseurs nous ont donné. Car fra7igenfi/îdem, frangatur fides eidem.
Par ce moyen, le Roy auroit juste sujet de s'attribuer la seigneurie
desdtes deux villes et de tout le val de Munster, et par ce moyen desel-
leroit ce fort dizain* dont le Roy est prefect, qui ne le veult reco-
gnoistre que par bénéfice d'inventaire et voudroit jouer de pair a compa-
gnon. 4° C'est l'interest et l'honeur du Roy, comme fils aisné de l'EgHse,
a l'imitation de ses prédécesseurs, d'assister les affligés et de relever les
oppressés. Mon abbaye est fondée par ses prédécesseurs roys de France
et Empereurs très richement, mais- réduite par les Allemands et ses
propres sujets qu'elle a cédés aux empereurs allemands, en une disette
et incomodité sy grande, et par ces contributions d'Empire qu'il ne se
peut exprimer, et par les continuelles usurpations, vexations et oppres-
sions d'iceux contre leurs propres promesses et transactions affermés
par leur propres sceaux et serments Jurés et attestés, comme il se peut
très bien vérifier par quantité de bons filtres, sains et entiers. Ce que
je n'aurois pu m'imaginer des Allemands qui se ventent tant d'estre les
. plus fidels et plus constants de toutes les nations, sy je ne voyois tous
les jours le contraire. Du temps passé on se fioit a leur parolle simple,
mais s'estoit bien in illo tempore. Maintenant il n'y a plus de fiance a
leur serment ny a leur sceaux et transactions, point de justice, point de
radresse^. Il appartient a un roy de France très chrestien de remédier
a ces abus intolérables corne le fils aisné de l'Église et comme le
prefect et protecteur de ces pays.
Je n'aurois jamais faict sy je voulois tout dire, mais il me semble
qu'en voilla asses pour faire voir au conseil qu'il y va de l'interest, de
l'aucthorité, de la pieté, de l'honeur et du zèle de la justice du Roy
d'assister, d'ayder et protéger cette province [et] désolée abbaye eu ses
justes prétentions.
Je vous prie très affectueusement de bien représenter notre bon
droit au Mess^-^ du conseil du Roy et de me croire tousjours cordia-
lement, mon Rf* P., votre très affectioné serviteur et confrère.
Charles M*, abbé de Munster et du St-Empire.
1. Les dix villes impériales d'Alsace, unies par une alliance conclue en 1354.
2. Vieux mot, signiiiant : chemin droit (voir Godefroy, Dictionnaire de
l'ancienne langue française).
LES JOURNÉES DE JDILLET ET AOUT 1789 A STRASBOURG. 57
LES JOURNÉES DE JUILLET ET AOUT 1789
A STRASBOURG
Le présent travail' se compose de deux parties, distinctes en appa-
rence, et que les auteurs antérieurs ont souvent séparées pour étudier
surtout la première, qui leur paraissait beaucoup plus importante
sous le rapport de la politique générale. C'est ainsi que, récemment
encore, un des meilleurs historiens de l'Alsace a porté toute son
attention sur les premiers événements révolutionnaires de Stras-
bourg2 et a laissé de côté ceux qui se produisirent quelques jours
après et qui en sont certainement inséparables.
Pour cette raison, on pouvait reprendre la question, en apparence
épuisée par la substantielle étude de cet auteur. A vrai dire, j'ai été
encouragé à tenter un nouvel examen des faits, parce que j'avais
entre les mains un document nouveau. La lettre, publiée ici en
appendice, est un témoignage complémentaire, qui, n'étant pas
officiel, doit être pris d'autant plus en considération, puisqu'il con-
firme et complète, sur divers points, ce que nous savons déjà^
Celui qui l'a écrite est évidemment un officier (d'artillerie?) assez
instruit, quoique son style présente des négligences nombi-euses; il
tient à être exact et impartial, car, s'il raconte nettement les faits
qu'il a vus, il n'expose les causes des troubles successifs qu'avec pru-
dence''. Le préambule de la lettre est un peu long; j'ai considéré
cependant qu'il n'était pas inutile, parce qu'il dépeint l'état desprit
d'un officier qui, en 1789, servait depuis trente-cinq ans. Il n'est
1. Lu au Congrès des Sociétés savantes, à Strasbourg, le 27 mai 1920; cet
article a été revu, corrigé et complété.
J'adresse ici de vifs remerciements à M. Pflster, doyen de la Faculté des lettres
à l'Université, et à M. M.-J. Bopp, professeur à Colmar, qui ont bien voulu me
signaler diverses publications. Je remercie aussi MM. Georges Delahache et
l'abbé Mollat, qui ont fait pour moi quelques recherches, malheureusement
infructueuses, dans les archives de la ville de Strasbourg.
2. Rodolphe Reuss, le Sac de l' hôtel de ville de Strasbourg (juillet 1189)-,
dans Rèv. histor., t. CXX, novembre-décembre 1915, p. 26 à 55 et 289 à 322
(cf. du même, Revue d'Alsace, n. s., t. VI, 1877, p. 43 à 58).
3. Naturellement, je ne chercherai pas à citer toutes les sources déjà utilisées
par ceux qui m'ont précédé et je m'attacherai surtout aux textes qui peuvent
être interprétés diUéremment.
4. Il accompagna sa relation des expressions dit-on et on prétend.
58 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
pas un révolté et attend autant du roi que de la nation ; mais il a
l'esprit du temps et désire qu'une ère de justice se manifeste promp-
tement.
Sa lettre contient tout l'essentiel des débuts de la Révolution à
Strasbourg; elle apporte quelques précisions de chiffres à propos
des scènes du pillage de l'hôtel de ville, épisode dont on a d'autres
relations concordantes, et, de plus, cette lettre fournit un nouveau
récit et des détails relatifs à la révolte militaire, qui eut lieu peu de
jours après et qui est beaucoup moins connue.
On sait que, le dimanche 19 juillet, les esprits étaient déjà surex-
cités par le bruit du renvoi de Necker et que des bandes saccagèrent
la maison de l'ammeistre Lemp '. Le 20 juillet, la question pohtique
se compliquait en se doublant d'une question ahmentaire : les
masses populaires réclamaient la suppression des droits sur la viande,
qui n'étaient cependant que de quatre deniers par livre^.
On brisa les vitres de l'hôtel de ville, sans que le commandant
de la place, M. de Klinglin, crût devoir intervenir^. Un groupe de
citoyens demanda en vain'' au comte de Rochambeau, gouverneur de
la proyince, l'autorisation de s'armer et de faire des patrouilles^.
C'est aussi Rochambeau qui, le lendemain, se contentait de répondre,
quand on lui demandait instamment de rétablir l'ordre : « Voulez-
vous que je fasse égorger la bourgeoisie par ma troupe^? » Le géné-
ral, à qui l'Amérique avait fait une heureuse carrière, rencontrait
assurément à Strasbourg une situation peut-être déconcertante, d'au-
tant plus qu'il venait d'arriver le 18 seulement et qu'il pouvait igno-
rer bien des faits. Pour cela, on lui doit quelque indulgence,, en tenant
1. M. Reuss a signalé les causes obscures du mouvement, qui peut paraître
artificiel; la conduite bizarre de certains personnages, confirmée par leur émi-
gration volontaire {loc. cit., p. 26, 311 à 314). En 1855, Frédéric Piton' accu-
sait le gouvernement d'avoir provoqué l'émeute. Cf. Manfred Eimer, Die poli-
tischen Verhaeltnisse und Bewegungen in Strassburg im Elsass im Jahre
1789. Strasbourg, 1877, in-8», 183 p.
2. Jean-Fréd. Hermann, Notices historiques, statistiques et littéraires sur la
ville de Strasbourg, t. I, 1817, p. 109.
3. Je reviendrai plus loin sur l'attitude de ce personnage.
4. On ne peut donc parler, comme on l'a fait, de lapathie de la bonne bour-
geoisie.
5. Hermann, loc. cit. On trouve la confirmation du fait dans la. lettre des
représentants de la bourgeoisie aux députés de Strasbourg, écrite le 28 juillet
1789 (Rodolphe Reuss, l'Alsace pendant la Révolution française; 1, Corres-
pondance des députés de Strasbourg à l'Assemblée nationale, 1880, p. 129,
1. n" XXVI).
6. « Nous avons ordre de ne pas agir », répondaient d'autres officiers (Her-
mann, op. cit., n. 98; p. 198).
LES JOURNEES DE JUILLET ET AOUT 1789 A STRASBOBRG. 59
compte aussi de la situation d'un gouverneur qui devait respecter
certaines libertés fondamentales, mais écarter certains empiétements
sur l'autorité royale. Nous pouvons cependant admettre que Rocham-
beau eût dû être averti d'un fait important : on remarquait dans les
rues de Strasbourg de nombreux visages inconnus ; des billets por-
tant lés mots : Citoyens, attaquez! circulaient parmi la foulée
Quelles que fussent l'ignorance des faits et les raisons d'inertie du
gouverneur, nous ne saurions comprendre que la garnison ait assisté
impassible à la première partie du sac de l'hôtel de ville : ce n'est
qu'au moment où les pillards s'apprêtaient à détruire les dépôts des .
notaires que le colonel de Royal-Alsace fit évacuer les bâtiments
envahis^.
Si la conduite de la garnison est énigmatique, celle des magistrats
de la ville l'est quelque peu aussi. En effet, nous avjons bien l'écho
des doléances des bourgeois djp Strasbourg au sujet de la réserve
des troupes royales, à l'origine des troubles^. Mais, d'autre part, une
autre lettre des 6 et 7 août 1789, adressée également aux députés,
dit en propres termes : « La bourgeoisie a insisté que les veilles et
fatigues de la garnison fussent récompensées \ » Et ce témoignage
de reconnaissance est confirmé par la lettre que nous publions plus
loin. L'auteur, qui paraît n'avoir rien écrit à la légère', dit nette-
ment que la ville savait gré à la garnison de la réserve prudente
qu'elle avait gardée pendant les troubles.
1. A l'origine de la plupart des mouvements populaires, on retrouve souvent
des preuves de l'ingérence d'éléments étrangers au milieu habituel. Il n'y a pas
de raisons suffisantes pour écrire, comme on l'a fait, que ces mots criminels
ont été répandus par les soldats.
2. On connaît une plaquette de quatre pages contemporaine du sac de
l'hôtel de ville et qui en donne une relation {Relation de ce qui s'est passé
dans la ville de Strasbourg le QO et le "21 juillet 1189. Paris, s. d., in-8°,
chez Lefévre, libraire, rue de la Harpe... Bibl. nat., Lb 39, 202i). Bien que
ce document soit peu précis et incomplet, j'en citerai le passage suivant :
« Les maisons des boulangers furent dévastées, les cafés détruits, les maisons
des receveurs incendiées. La ville invoqua le secours de la garnison qui refusa
de marcher; mais plusieurs ofliciers ayant dit que nul Bourgeois ne faisoit par-
tie de ce tumulte et qu'il falloit punir la classe turbulente du Peuple, les sol-
dats ont obéi, croyant (jue les mutins étoient une borde de ceux qui, deux
mois auparavant, avoient désolé les contrées qu'ils avoienl parcourues. » Ces
renseignements me paraissent sujets à caution. *
3. Lettre précitée du 28 juillet, confirmée par la relation de Jean-Frédéric
llermann.
4. Correspondance des députés de Strasbourg : loc. cit., n° XXXI, p. 140.
5. La somme de 20 sols de gratification par soldat est confirmée par la
lettre des G-7 août adres.sée aux députés. La gratification fut de 30 sols par
caporal et de 40 par sergent.
60 MÉLANGES, ET DOCUMENTS.
Si nous écoutons Rocharabeau lui-même dans ses Mémoires, dont
les historiens n'ont peut-être pas examiné les termes suffisamment,
le rôle de la troupe aurait été plus rapide et plus actif. Je transcris
quelques passages de ces Mémoires : « Je fis battre la générale au
premier avis; les piquets de cavalerie s'y portèrent aux ordres de
M. de Klinglin; je me mis à la tête du régiment d'Alsace... Klin-
glin péroroit et rien ne pouvoit arrêter ce peuple furieux : on vint
me dire qu'ils entroient dans une maison voisine où étoient tous les
papiers des mineurs de la province. Je pris ce moment pour animer
les grenadiers d'Alsace : « Mes enfans... ce sont vos papiers qu'on
« pille et vos contrats qu'on saccage... » Alsace s'y conduisit bien...
Nous parvînmes, avec son secours et celui de Hesse-Darmstadt^ à
faire vider tous les étages de l'hôtel de ville, où ils avaient pillé les
caisses, cassé les meubles et enfoncé mille pièces de vin^dans toutes
les caves où plusieurs d'entre eux se noyèrent. Pour ma part, j'en
fus quitte pour la perte de la moite de mon habit, qui fut emporté
par un gros poêle de fonte, jeté par une fenêtre^. » Rochambeau
reconnaît que les troupes agissaient mollement, parce que « tout
le monde se promenoit dans les rues et la cavalerie ne pouvoit char-
ger ces troupes de brigands sans courir le risque d'écraser d'hon-
nêtes, citoyens '' ». Cette phrase explique l'apostrophe que le chroni-
1. L'esprit de ce régiment étranger ne fut pas partout satisfaisant : « Un
soldat du régiment étranger Royal-Darmstadt, placé en faction et éloigné de
la vue de ses officiers, fut le seul qui opposa quelque résistance; il menaça
même de sa baïonnette celui qui voulait arrêter encore une scène partielle de
désordre » (J.-Fr. Hermann, op. cit., p. 199).
2. Même en admettant l'estimation de 10 à 15 francs l'hectolitre de vin de
pays donnée par l'abbé Hanauer (Études économiques sur l'Alsace ancienne
et moderne, t. II, 1878, p. 337), s'il s'agit de mille pièces de vin, la somme de
mille louis indiquée par l'officier Guiot est faible. Mais il est évident que ces
renseignements prouvent seulement l'importance des dégâts.
Une relation rédigée en allemand, que je cite plus loin (datée du 30 juillet
1789), évalue la quantité de vin répandu dans les termes suivants : « Gegen
tausend Ohmen Wein... » SiïOhme, mesure assimilée quelquefois, mais arbi-
trairement, au muid de Paris, peut être considérée comme valant à peu près
quarante-six litres à Strasbourg, le dégât aurait été moins considérable que
d'après Rochambeau. La question reste d'ailleurs assez vague. M. Reuss, qui
n'a pu faire état ni de la relation allemande ni de la lettre de Guiot, évalue
la perte à 600 hectoli,res (d'après Friesé) ou 800 (Rapport des représentants).
Voy. Rev. histor., lac. cit., p. 293 et 294.
3. Mémoires militaires, historiques et politiques de Rochambeau, ancien
maréchal de France, 1809, t. I, p. 353 et 354. Je sais que ces Mémoires ont
été rédigés par Luce de Lancival d'après les notes de Rochambeau ; mais les
faits énoncés ne peuvent avoir été inventés par le rédacteur.
4. La molle action des troupes a été constatée aussi par un étranger,
Arthur Young : « Voyant que la troupe ne répondait qu'en paroles, les pertur-
LES JODRNÉES DE JUILLET ET AOOT 1789 A STRASBODRG. 61
queur Hermann attribue à Rocbambeau et que j'aî rapportée plus
haut.
Je ne sais si je lis bien entre les lignes de ces passages des
Mémoires de Rocbambeau. Mais je crois comprendre que ce sol-
dat, d'ailleurs estimable, s'est trouvé, comme beaucoup d'autres à
cette époque, surpris par les événements. Il a senti ensuite la néces-
sité de se disculper. Pour cela, il semble rejeter la faute de l'inac-
tion sur Klinglin ; il prétend avoir pris la tête du régiment d'Alsace,
rôle qui n'était pas le sien; enfin, il tient à démontrer que ses
efforts ne furent pas sans danger. Mais si nous savons, d'autre
part, que des poêles furent jetés en effet par les fenêtres de l'hôtel
de ville S on reste un peu sceptique en apprenant l'effet singulier
produit par un projectile de cette sorte 2.
Il est certain que le baron de Klinglin, surnommé le « Père du
peuple » à Strasbourg^, joua un rôle important dans l'affaire. On
bateurs prirent de l'audace...; les troupes, tant à pied qu'à cheval, restèrent
impassibles. D'abord, elles n'étaient pas assez nombreuses...; plus tard..., le
mal était trop grand pour qu'on pût faire autre chose que garder les approches »
{Voyage en France pendant les années 1787, 1788,1789. Paris, 1860, t. I,
p. 248; cf. Rev. d'Alsace, nouvelle série, t. VI, 1877, p. 54).
Il est certain que les soldats envoyés devant l'hôtel de ville étaient en petit
nombre, « 100 ou 150 hommes d'infanterie et de cava|erie ». Or, la garnison
de la ville était composée de six régiments (Gottfried Harthmann-Lichtenfel-
der, Compte-rendu historique des troubles survenus à Strasbourg en l'an
1789, dans la Rev. d'Alsace, t. XL, p. 260 et 264).
Deux estampes donnent sans doute assez exactement l'aspect du pillage. L'une,
signée de Jean Hans et de Weis, montre une rangée de cavaliers, bien alignés
devant le beau monument, construit en 1582. Un otDcier est représenté un peu en
avant, à droite. En arriére et sur les côtés, des bourgeois font des gestes d'éton-
nement et de désespoir. Cette estampe a été reproduite par Hugo Haug, Das
Hôtel du Commerce... Strasbourg, 1913, p. 27, et aussi, avec la suivante, par
Adolphe Seyboth, Das aile Strassburg. Strasbourg, 1896, p. 131, pi. 17. Sur
l'autre estampe (.Se vend chez Devere, graveur, vis-à-vis Saint-Lo%iis, n' 12, à
Strasbourg), les cavaliers sont groupés à droite sur deux rangs; on voit des sol-
dats sur le pont qui relie l'hôtel de ville, à droite, aux autres constructions (Bibl.
nat., dép. des estampes, coll. Hennin, t. 119, Qb319, n" 9 et 10, et Hist. de
Fr., Qb 79). — C'est la seconde de ces gravures qui a été reproduite par
M. Reuss dans son Histoire d'Alsace (14* éd., 1918, pi. XIII; texte p. 212 et
213). Elle avait d'ailleurs été déjà lithographiée par Th. Muller dans le Stras-
bourg illustré de Frédéric Piton (1855).
1. Lettre aux députés de Strasbourg, du 28 juillet 1789 {toc. cit., p. 131).
2. Le passage de Rocbambeau n'a pas encore été relevé.
3. Une relation (que M. Reuss a déclaré connaître seulement d'après Engel-
hardt et Eimer, Rev. histor., loc. cit.) est écrite pour faire ressortir les mérites
de M. de Klinglin. A propos de l'ammeistre Lemp, on y lit : « ... Wenn nicht
der Herr komiuandant, baron von Klingkling, ein Beyspiel seines grossen Her-
62 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
a quelque peine à préciser ce rôle. Est-ce à cause de sa complai-
sance envers les émeutiers que la foule s'écria : « Vive Klinglin, A
bas le magistrat* ? » Cette foule était-elle composée uniquement
d'émeu tiers? Il est vraisemblable qu'elle comptait quelques-uns de
ces représentants de la bourgeoisie, ceux-là mêmes qui, vers
cinq heures de l'après-midi, assuraient aux délégués des magistrats
que le peuple voulait détruire l'hôtel de ville, et qu'on ne pouvait
pas compter sur les troupes, parce qu'elles avaient promis de faire
cause commune avec la population ^.
Si l'on en croit Rochambeau, lorsque tous les citoyens furent
rentrés chez eux, vers minuit, les charges de cavalerie devinrent
efficaces et 400 malfaiteurs furent arrêtés. Bien que les troupes
fussent rentrées dans leurs quartiers, l'épuration n'avait pas été
complète, puisque les magistrats, pour la parfaire, obtinrent du
gouverneur une distribution de 500 hallebardes et 1,200 sabres de
l'arsenaF. Ces armes servirent à une garde bourgeoises dont les
zens, seiner klugen Vorsicht und seiner bestandigen Wachbarkeit gegeben
batte... » Plus loin, à propos de l'hôtel de ville, il est encore question des
habiles dispositions et prévisions de Klinglin, à qui on associe toutefois
Rochambeau. L'auteur cite la devise appliquée à Klinglin : Patrem te dicunt
cires, dicentque nepotes (sans nom d'auteur, Beschreibung des jammer-
vollen Aufrulirs in Strassburg. A la lin : Strassburg, den 30 jiiU 1789. In-S",
16 p. Bibl. nat., L'^ k. 34,264). C'est Klinglin qui avait donné l'ordre de lais-
ser les auberges ouvertes toute la nuit pour fêter la prise de la Éastille, qui
avait harangué les émeutiers paternellement devant la maison Lemp (R. Reuss,
Rev. Iiistor., loc. cit., p. 44 et 46). Aussi, dès 1793, Jean Friesé n'hésitait pas
à attribuer à Klinglin le pillage de l'hôtel de ville et des archives, car ce per-
sonnage aurait eu intérêt à détruire les pièces du procès de son grand-père et
de son père [Neue vaterl. Geschichte Strassburg s..., t. IV, 1793, p. 247 à 257).
1. E. Seinguerlet, l'Alsace française; Strasbowg pendant la Révolution,
1891, p. 18, 22 et 27. Voy. aussi, au sujet des accusations portées contre M. de
Klinglin : Rodolphe Reuss, le Sac de l'hôtel de ville : Rev. d'Alsace, 1877,
p. 44 à 46. D'autre part, on a dit que le duc d'Aiguillon, gouverneur général
de l'Alsace, « plein de haine contre la Cour », pouvait avoir une grande res-
ponsabilité dans les troubles de Strasbourg (A. B., dans la Rev. d'Alsace,
1887, p. 501).
2. C'est sans doute pour cela que M. Reuss a cru que Rochambeau craignait
une émeute militaire {loc. cit., p. 313). Un autre auteur a été trop loin dans
la même voie, en écrivant : « La force armée faisant cause commune avec les
émeutiers... » (Louis Batiffol, les Anciennes républiques alsaciennes, 1918,
p. 284).
3. Rochambeau, Mémoires, p. 355 ; cf. la lettre du 28 juillet, loc. cit.,
p. 132.
4. L'officier Guiot, dont la lettre est publiée plus loin, porte le total de la
garde, bourgeoise à 2,000 hommes. Ce chiffre est en somme peu différent de
celui que les armes distribuées permettaient déjà d'armer, sans parler de
celles que la ville pouvait posséder.
LES JODRNÉES DE JDILLET ET AOOT 1789 A STRASBODRG. 63
rondes amenèrent l'arrestation d'un nombre de prisonniers qui
doubla celui des premières prises.
Nous avons vu plus haut que la ville tenait à récompenser les
troupes. Rochambeau nous dit : « Il étoit d'usage, à Strasbourg,
de donner une gratification de vingt sous par homme aux soldats
qui avoienl servi à arrêter les incendies; le magistrat vint me prier
de permettre qu'elle fût délivrée aux troupes pour avoir sauvé la
ville le jour du pillage de l'hôtel de ville...'. » Le gouverneur
refusa d'abord en dépeignant le danger d'une garnison qui pouvait
être ivre. « Je fis ce que je pus pour les engager à renoncer à ce
dessein et pour leur persuader de donner en vivres, à chaque cham-
brée, le produit de cette gratification... » « Enfin, pour la troisième
fois, les magistrats et les représentans de la bourgeoisie réunis,
ayant à leur tète le commissaire du roi^, vinrent me réitérer cette
demande, et me déclarèrent que, si je ne voulois pas y consentir,
chaque bourgeois étoit résolu de délivrer cet argent lui-même aux
soldats, à qui ils l'avoient promis. »
Ces paroles sont graves, puisqu'on pourrait déjà y trouver un
exemple de la pression exercée par le Tiers-État. Ont-elles été véri-
tablement prononcées? Rochambeau n'a-t-il pas voulu défendre
après coup sa responsabilité dans les événements qui allaient se
produire? Il est vraisemblable qu'il n'était plus sûr de la discipline
de ses troupes, et, en ce cas, il eut raison de dicter, comme il le
prétend, « un ordre de police pour que la moitié de chaque régi-
ment restât de garde à son quai'tier pour répondre de la discipline
du bataillon à qui la gratification seroit délivrée^... » Il est exact
que la bourgeoisie insista pour récompenser la garnison \ Mais,
d'après la lettre de l'officier Guiot, s'il y eut des troubles, c'est plu-
tôt à cause des mesures prises par Rochambeau, et dont ses
M(imoires ne laissent entrevoir qu'une partie; du moins Guiot
autorise à croire que toutes les troupes avaient été consignées au
quartier.
1. Mémoires, t. I, p. 357.
2. Il s'agit du baron Frédéric de Dietrich, désigné comme te! le 28 juin et
installé dans ses fonctions le 0 juillet. On a écrit tout récemment ([ue ce |ior-
sonnage avait fait « tout son devoir [lendant les journées de Juillet » (Gabriel-
G. Uamon, Fi-édéric de Diclriclt , premier maire de Strasbourg sons la liévo-
liilion française. Paris, 1919, p. 39). Si Dietrich a Joué ce rôle dans celle
circonstance, on comprend que Rocharabeau ait été contraint de chercher un
terrain de conciliation.
3. Loc. cit., t. I. p. 357.
4. Lettre des représentants de la bourgeoisie aux députés de Strasbourg
(n° XXXI) des G et 7 août 1789; citée plus haut.
64 ' MÉLANGES ET DOCCMENTS.
Ce fait démontre encore que l'état d'esprit, qui se développait
avec tant de rapidité parmi toutes les classes de la nation, avait
déjà fait des progrès dans l'armée elle-même ^ Rochambeau, comme
je l'ai dit plus haut, avait dû s'en rendre compte. Les événements
firent que les mesures prises par lui et qui, au surplus, étaient con-
formes aux règles de la discipline, n'eurent pas le résultat qu'il en
espérait. Les troubles, que beaucoup d'historiens ont plus ou moins
laissés de côté, eurent une réelle importance. La moitié des troupes,
en état d'ébriété, criait : « Vive le Tiers-État! C'est à nous à com-
mander à notre tour^... » Rochambeau ne parvint pas à protéger
les prisons, dont la garde était doublée et appuyée — en apparence —
par quatre canons. Ces pièces ne servirent pas ; le posté fut forcé
« et tous les prisonniers furent délivrés, ce qui étoit le principal
but de cette journée^ ». Le second jour de la révolte fut encore plus
grave ; les régiments étrangers se mêlèrent aux autres et se plon-
gèrent dans des excès de tout genre : « Les régimens allemands,
ne s'étant échappés que le second jour, se livrèrent plus tard, mais
plus fortement, à la plus grande débauche ; ils menaçoient de la lan-
terne tous leurs chefs*... » Nous trouvons la confirmation des faits
dans les autres sources que nous avons déjà utilisées. La lettre des
6 et 7 août aux députés de Strasbourg dit que « toutes les maisons
des marchands de vins, de brasseurs, de boulangers, chaircutiers,
graissiers », furent forcées et pillées. Ce document ajoute que la
troupe était exaspérée contre ses chefs et une autre lettre des repré-
sentants de la bourgeoisie aux mêmes députés, écrite le lendemain,
8 août, confirmant ce pillage, nous apprend que la garde bourgeoise
voulut s'opposer en vain au désordre et fut même maltraitée par les
1. Un reflet de cet état d'esprit nouveau apparaît dans un rare document,
qui est d'ailleurs empreint de sentiments élevés et judicieux : Dialogue entre
un citoyen et un soldat; Gespràch zwiscken einem Burger und einem Soldate?i,
par M' T. D. M., capitaine d'artillerie (de l'imprimerie de Le Roux; s. d., mais
certainement de la seconde moitié de 1789; in-4°, 15 p.). L'auteur, probablement
un camarade de Guiot, cherche à y concilier les devoirs du citoyen et du sol-
dat, et y soutient la nécessité de la discipline.
2. Les soldats auraient crié aussi : « Vive la nation! » (E. Seinguerlet, op.
laud., p. 26). Ils auraient ajouté : « Vive la bourgeoisie! » (Rev. d'Alsace,
t. XI., 1889, p. 265.)
3. Rochambeau, op. cit., p. 358. Ici, l'auteur semble suivre une idée qu'il
avait exposée plus haut (p. 356) : « ... Un brasseur et quelques mauvais citoyens,
(ort impliqués comme instigateurs du pillage de l'hôtel de ville; leurs parens
et leurs amis cherchèrent à corrompre la garnison. » La relation, rédigée en
allemand et datée du 30 juillet 1789, nous dit que le brasseur fut jugé et gra-
cié (p. 15).
4. Rochambeau, op. cit., p. 359.
LES JOURNÉES DE JUILLET ET AOUT 1789 A STRASBOURG. 65
révoltés ^ L'officier Guiot énonce plus brièvement les mêmes faits
et évalue à plus de 80,000 livres les dégâts causés par ces deux jour-
nées d'orgie.
L'historien russe Kararazine, qui traversait Strasbourg à cette
époque, confirme les faits et raconte que, sous ses yeux, une troupe
de soldats ivres arrêta un prélat en voiture et le força à boire de la
bière dans la même cruche que son cocher, à la santé de la nation. Le
même auteur vit aussi une salle de spectacle troublée par des
ivrognes 2.
Rochambeau relate la fin dés troubles. De bons soldats se grou-
pèrent autour des sous-officiers ; on fil des patrouilles et, à dix heures
du matin, le 7 août, toute la garnison était rentrée dans ses quartiers.
Le vent de folie étant apaisé, la réflexion inspira sans doute le
désir de se disculper, et les dissentiments entre les troupes de races
différentes se firent jour. Rochambeau nous apprend que le régi-
ment de Hesse-Darmstadt fut le dernier à rentrer dans l'ordre et que
ce résultat fut difficile à obtenir. Les régiments français rejetèrent sur
cette troupe le poids des vols commis pendant la révolte^, et M. de
Vaubecourt, heutenant général inspecteur, vint même avertir le Gou-
verneur que les contingents français voulaient attaquer le régiment
allemand dans ses quartiers. Rochambeau parvint à rétablir l'ordre
et ses Mémoires laissent transparaître un vif contentement de
soi-même''. Mais il est évident que le Gouverneur, averti par les
événements déconcertants des dernières semaines, préféra s'ab^ie-
nir de rechercher les responsabilités de la révolte et d'appliquer des
sanctions^. J'ai d'ailleurs cité plus haut le passage de ses Mémoires
où il prétend qu'il avait prévu les effets de la gratification de la
ville.
Il me paraît hors de doute que Rochambeau, aussitôt arrive à
Strasbourg, y subit les effets de l'état d'esprit qui influait sur les
relations entre l'autorité royale et les magistrats de la cité. Ceux-ci,
comme la plupart des représentants des vieilles libertés provinciales,
1. Op. cil., p. 141 et 144.
2. L'historien ni. 'ise Karamzine à Slrasboun/ e}i 1780 ; lellre de Slrasbourç,
du G août 1789, traduite par A. Legrelie, dans la Revue nouv. d' Alsace- Lorraine,
5» année, 6" vol., 1886, p. 203.
3. Le fait est confirmé par Ilarthinann-Lichtenfelder {liev. d'. Alsace. I. XL,
1889, p. 266).
4. Op. cit., p. 360 à 362.
5. C'est donc avec raison qu'on a pu écrire : « Il élail maintenant évident
pour tous qu'on ne pourrait avant longtemps faire fond sur ces troupes : ce
sera la cause profonde de la création de la garde nationale de SlrasJjourg »
(G. -G. Ramon, op. cit., p. 42).
Rev. IIistor. CXXXVin. le>- FASC. . 5
66 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
étaient jaloux des restes d'autorité qu'ils possédaient encore. Je citerai
un seul exemple, suffisant pour préciser cette situation. Quelques
années avant les événements qui ont été racontés plus haut, la
Cour des monnaies de Paris donnait un arrêt destiné à préciser les
droits de Juridiction de ses officiers au siège de Strasbourg, à l'oc-
casion d'empiétements commis par la chambre des Quinze de cette
ville. En 1784, le magistrat de Strasbourg répondait par un mémoire
pour étabhr son droit de juridiction sur l'hôtel de la Monnaie et pro-
. duisait des pièces justificatives à l'appui de sa requête^ Le même
dépôt conserve la copie d'une lettre adressée par les officiers, de la
Monnaie à Monseigneur le garde, des sceaux pour se plaindre des
empiétements du magistrat sur leurs droits de juridiction 2. Et
d'autres documents concernent la même affaire, ou des affaires qui
s'y rattachent, en 1784 et 1786=».
Il est évident qu'un état d'esprit, aussi nettement caractérisé,
devait rendre délicates les relations entre la cité de Strasbourg'' et le
pouvoir central. On ne saurait donc s'étonner que les fauteurs des
désordres aient su mettre à profit les hésitations suscitées par une
défiance réciproque.
Lorsque nous remarquons le rôle joué d'abord par certains élé-
ments du régiment allemand, puis par ce corps tout entier, nous
pouvons nous demander si une influence étrangère^ n*a pas pesé
sur les événements regrettables de Strasbourg, en juillet et août
1789.
Je sais que les querelles religieuses ont dû avoir une certaine
part dans ces événements. L'officier Guiot le laisse entendre dans sa
lettre^, qui est confirmée par d'autres documents. On sait que des ser-
mons furent même prêches par des ministres luthériens dans le dessein
d'apaiser les ferments susceptibleb d'amener de nouveaux troubles,
et le convent ecclésiastique^ de Strasbourg adressa, dès le surlen-
1. Archives communales de Strasbourg, AA57b {Inventaire des Archives
communales de Strasbowg antérieures à 1790, rédigé par J.-Ch. Brucker,
série AA, t. I, p. 27).
2. Ibid., A A 57c.
3. Ibid., AA57d, 58, 59 et 60.
4. Ces relations devaient être d'autant plus difficiles qu'il y avait souvent des
dissentiments intérieurs entre les diflérents rouages de la constitution de la
cité (cf. R. Reuss, dans Rev. d'Alsace, nouvelle .série, t. VI, 1877, p. 46).
5. N'oublions pas qu'un compagnon charpentier, pendu le 23 juillet pour
vol à l'hôtel de ville, était originaire de Mayence.
6. Eiraer a considéré le mouvement comme étant d'origine confessionnelle
pour une part. M. Reuss, qui n'a pas connu la lettre de Guiot, repousse l'hy-
pothèse {Rev. histor., loc. cit., p. 314).
7. Au jour du mal, prends-y garde ! Sermon prononcé à Strasbourg, le
LES JOURNÉES DE JOILLET ET AODT 1789 A STRASBODRG. 67
demain du âac de l'hôtel de ville, une exhortation pressante aux
communautés luthériennes des campagnes pour les engager à pré-
venir tout désordre ^
Que les émeutes de Strasbourg aient été amenées par les nouvelles
tendances politiques, qu'elles aient une origine religieuse^, qu'elles
résultent d'une superposition probable de divers éléments de dis-
corde, on peut tenir pour vraisemblable qu'elles eussent pu être
évitées, ou, du moins, très atténuées, si une entente parfaite eût
existé entre les pouvoirs qui administraient et surveillaient la grande
cité alsacienne.
C'est la conclusion que nous devons tirer des événements rappe-
lés plus haut; comme tout fait historique, ils apportent un ensei-
gnement à ceux qui s'efforcent de les comprendre. Certains adages
nous sont si familiers que nous n'y attachons plus guère d'importance ;
nous en avons cependant entrevu la force vitale au moment où le
danger nous a contraints de nous souvenir que la force et la gran-
deur de la nation reposent sur une union constante et fidèle de tous
les citoyens qui comprennent leur devoir^.
Adrien Blanchet.
APPENDICE.
Lettre écrite de Strasbourg par l'officier Guiot et relative
aux événements de juillet et août 1789.
Mes bons et chers amis,
Votre inquiétude sur mon existence n'est pas fondée; rappelés-
vous quo je vous ai promis de ne pas déguerpir d'ici-bas avant d'avoir
eu le plaisir de vous revoir, de vous embrasser et vous témoigner
combien je suis pénétré de reconnaissance des sentimens d'amitié
2 août 1789, à V occasion des troubles survenus dans cette ville, par M. Enget,
pasteur de l'Église française (cité par Rodolphe Reuss, les Églises protes-
tantes d'Alsace pendant la Révolution, 1789-1802; esquisse historique, 1906,
p. 19).
1. Rodolphe Reuss, les Églises protestantes, p. 18.
2. Hostilité apparente du clergé catholi([ue contre les églises protestantes, elc.
3. Voici la légende que le graveur Devere avait inscrite sur l'estampe que
j'ai citée plus haut : « Le moyen d'éviter les troubles", c'est de retracer ceux
qui ont causé bien des inquiétudes e^ des pertes irréparables. Le pillage de
l'hôtel de ville de Strasbourg, arrivé le 21 juillet 1789, dei>uis 4 hevres de
l'après-dînée jus<juà 7 heures du soir, est une époque que les habitans de
cette ville pouront représenter à tous ceux qui n'en auroient pas eu connois-
sance. C'est le but de l'auteur de cet ouvrage. »
k'
68 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
dont vous ne cessés de me donner des marques; je vous prie, mes
chers et bons amis, d'être bien persuadé du plus parfait retour de ma
part; je me flatte que vous n'en doutés pas. Sans doute j'ai à me
reprocher d'avoir tardé si longtems à vous écrire; croies que je ne
désire pas moins que vous d'apprendre souvent de vos nouvelles, et je
ne crois pas toutefois être criminel de lèze-amitié. Vit-on jamais une
année aussi orageuse ; voici mes raisons. Je ne vous rappellerés {sic) ~
pas toutes les horreurs qui se sont passées dans presque toutes les pro-
vinces du royaume, dans les villes particulières et ailleurs; vous savés
cela comme moi. Mais ce que vous ignorés peut-être est que les lettres
n'étaient pas sûres à la poste, et, comme je ne suis nullement aris-
tocrate, j'aurais craint de commettre quelques imprudences en m'in-
gérant de parler sur les affaires du tems ; la crainte de vous compro-
mettre avec moi a été la cause de mon silence. Je ne sçais pas trop si
l'on est encore bien rassuré aujourd'huy; on ne peut que gémir sur ce
que l'on voit et entend ; les nouvelles du jour détruisent celles de la
veille, de sorte que l'on ne sçait trop sur quoi compter. Enfin, que
fait donc cette Assemblée nationale, de quoi s'occupe-t-elle? En vérité,
l'on serait ,tenté de croire qu'elle ne finira jamais rien; quelle (sic)
sera donc le résultat de ces éternels débats : Dieu veuille que le tout
arrive à bien, mais...; on parle d'une réforme considérable dans l'ar-
mée, il faut s'attendre à tout; je compte que trente-cinq ans de ser-
vices sous les mêmes drapeaux seront pris en considération, soit par
la nation, soit par le Roy; enfin, plustot je serai libre et plustot j'au-
rai la satisfaction de vous serrer dans mes bras, car soies bien per-
suadés, mes chers amis, que mon premier acte de liberté se dirigera
vers vous, à moins q^ue des circonstances majeures n'en empêchent
l'exécution. Réduit aux événemens ordinaires, je crois pom^oir regar-
der comme certain de me rapprocher de vous l'année prochaine ; il y
a à parier dix contre un que le régiment ira à la Fère en Picardie,
alors la distance qui nous séparera ne sera plus que de 18 lieues, dix-
huit lieues! Ah! que n'y suis-je déjà; mais j'y compte.
Nous sommes assés tranquilles maintenant dans cette garnison ; c'est
encore une de celles de tout le royaume où l'on vit à meilleur
compte; nous avons eu aussi nos tems orageux; la populace, souf-
flée dit-on par la bourgeoisie, se mutina sur la fin de juillet, sous
prétexte de mécontentement contre le Magistrat; il y eut à ce sujet
une bagarre diabolique à l'hôtel de ville, une partie de la toiture fut
démolie, toutes les vitres brisées, une quantité énorme de papiers
jettes sur la place, elle en était jonchée. J'y passai avec un de nos
chefs de brigade, à neuf heures du soir, le jour de cette expédition ;
cela avait Tair d'une nuit d'hyver, où le matin, en sortant de chez soi,
on se trouve dans la neige jusqu'au genoul, telle fut l'impression que
le {sic) Bacanale présenta à mon imagination; les misérables s'étant
introduit dans les caves de cet hôtel de ville, après s'être ennivrés,
défoncèrent les tonneaux, et il y eut pour plus de 1,000 louis de vins
LES JOURNÉES DE JOILLET ET AODT 1789 A STEASBOURG. 69
perdus; deux en furent la victime en se noyant dans cette liqueur.
Voilà l'histoire qui nous a amenés (sic) la garde bourgeoise, qui est
de 2,000 hommes. Comme dans cette bagarre la garnison avait été
simple spectatrice , c'est-à-dire tranquile au milieu du tumulte,
empêchant seulement un plus grand désordre, la ville crut devoir lui
accorder une gratification de 20 sols par soldats. Cela eût été à mer-
veille si on eut laissé aux soldats la liberté d'en faire la consomma-
tion à leur grés; mais on crut (mal adroitement) qu'il serait plus pru-
dent de les obliger de les dépenser dans les chambrées, et, en effet, on les
consigna chacun dans leurs cazernes. Cette consigne fut le signal de la
Révolte ; les soldats dirent qu'ils préféraient leurs libertés à la gratifica-
tion et, en conséquence, se mutinèrent, sortirent de leur quartier, se
mêlèrent ensemble, cavalerie, infanterie française et' allemande, et
quelques-uns des nôtres, se répandirent dans la ville et complotèrent
une révolte générale. En effet, le lendemain tous se réunirent sans
exception; les prisons, les maisons de force furent enfoncées, nulle
authorité ne fut respectées pendant deux jours et deux nuits; on pré-
tend que les dégâts, joints à la boisson et mangeaille, fait un objet de
plus de 80,000 livres qui seront payées par je ne sçais qui, etc.
Voilà, mon cher compère, en abrégé, à peu près ce qui s'est passé
dans notre Strasbourg. On prétend qu'il y a encore quelques étincelles
sous la cendre; les Bourgeois ne sont pas, à beaucoup près, d'accord
ensemble ; la difîérence de Religion ne contribuent (sic) pas peu à
leurs mésintelligences, le nombre des Luthériens excédant presque
du double celui des catholiques. Mais c'est leur affaire.
(Suivent dix-huit lignes de compliments pour la femme et la
fille de son correspondant, pour des amis communs. Il trans-
met aussi des compliments d'un Monsieur Amspach et ter-
mine par de nouvelles protestations d'amitié).
Signé . Guiot.
Strasbourg, le 25 septembre 1789.
{Au dos, la suscription : A Monsieur, Monsieur Guilmat, secré-
taire, de Monsieur le premier Président au Parlement de Flandres, rue
des Malvaux, à Douay^.)
1. Papier, 4 pages; ma collection.
BULLETIN HISTORIQUE
HISTOIRE DE FRANCE
FIN DU MOYEN AGE (1328-1498).
Publications de textes. Chroniques et documents poli-
tiques. — La Société de l'histoire de France a pu, pendant et
après la guerre, poursuivre son œuvre et publier des volumes irré-
prochables dans la forme comme pour le fond. M. Delachenal a
achevé pour elle la publication de la Chronique des règnes de
Jean II et de Charles V, qui est la partie la plus précieuse des
Grandes Chroniques de France. Le tome III renferme la Conti-
nuation, âq 1381 à 1384^, écrite peut-être par l'auteur même de la
Chronique, et qui a, en tout cas, les mêmes qualités d'exactitude
et de précision. L'annotation de M. Delachenal, qui lui a été facili-
tée par les travaux de M. L. Mirot, ne laisse rien à désirer. Il a placé
à la suite, comme appendice à la Chronique, une collection d'im-
portantes pièces justificatives, presque toutes complètement iné-
dites, empruntées aux archives du Vatican et de la couronne d'Ara-
gon et à diverses archives françaises : testament de Charles V et
codicille, instructions données à ses ambassadeurs, pièces diverses
relatives à sa lieutenance et à son règne, et surtout à sa politique
extérieure (1354-1380). La table alphabétique qui clôt le volume est
un index des institutions (voir notamment au mot : Paris] en même
temps qu'un index des personnes. — Le tome IV, qui ne sera pas
le moins bien accueilh par les curieux, est un album de photogra-
vures : cinquante miniatures se rapportant à la période 1350-1379
ont été reproduites et accompagnées d'une étude et d'un commen-
taire de l'éditeur. Il s'agit des miniatures célèbres qui illustrent le
manuscrit français 2813 de la Bibliothèque nationale. Contempo-
raines du manuscrit lui-même, qui a été probablement composé
sous le contrôle de Charles V, elles ont, sinon une valeur documen-
taire, du moins un intérêt historique.
Quel est l'auteur de la Chronique des règnes de Jean II et de
1. Tomes III et IV, 1920.
1. Le baron Pichon l'avait déjà soigneusement publiée.
HISTOIRE DE FRANCE. 71
Charles V? M. Delachenal a traité la question avec toute l'am-
pleur désirable dans son introduction. Le monde savant a accepté la
thèse de Lacabane, qui a attribué la chronique au chancelier Pierre
d'Orgemont. M. Delachenal estime que le texte du mandement
découvert par Lacabane (... des croniques de France et de celles
que a faittes nostre amé et féal chancellier...) n'est pas pleine-
ment convaincant. En tout cas, il est vraisemblable que Pierre d'Or-
gemont a été chargé de su rveiller la rédaction , et il est certain que nous
avons affaire à une chronique officielle, à une version royaliste des
événements, qu'il faut contrôler et critiquer, mais dont l'infor-
mation est extrêmement riche et précise, grâce aux archives dont
disposait l'auteur.
Les Dépêches des ambassadeurs rtiilanais en France sous
Louis XI et François Sforza\ à la publication desquelles le
regretté Bernard de Mandbot a consacré les dernières années de sa
vie, forment un recueil d'un intérêt et d'une saveur incomparables.
Après les Mémoires de Commynes et les Lettres de Louis XI, je
ne connais pas, pour cette époque, de plus beau document, permet-
tant de pénétrer plus à fond dans la réalité vivante.
Bernard de Mandrot, dans une fort intéressante Lecture faite à
l'Assemblée générale de la Société de l'Histoire de France, le
3 mai 1910, avait montré l'importance historique de ces dépèches.
C'est à cette Lecture, publiée dans V Annuaire-Bulletin de 1910,
qu'il faudra se reporter pour avoir des vues d'ensemble, car, dans
l'introduction de l'édition, on trouvera seulement un exposé des évé-
nements historiques antérieurs à l'avènement de Louis XI, dont la
connaissance est nécessaire à l'intelligence des dépêches. Mais le
mieux est de lire les dépêches elles-mêmes elles pièces justificatives
qui terminent chaque volume, en s'aidant des copieuses analyses et
des précieuses notes ajoutéej^ par l'éditeur. Une fois la lecture com-
mencée, on ira jusqu'au bout.
Les dépêches se trouvent dans le fonds Custodi-Costa, dit « Archi-
vio Sforzesco », à la Bibliothèque nationale, et aux archives d'Etat
de Milan. Un bon nombre sont chiffrées, et nous n'en possédons pas
toujours le déchiffrement contemporain*^. Elles proviennent, jusqu'au
1. Société de l'Histoire de France. Tome I : U6Î-U63, 1916; tome II : li6^i
(ce volume contient la préface et rintrodnction historique), 1019; tome III :
li65, 19'20. On attend un quatrième volume, contenant les dernières dépêches
adressées à François Sl'orza et les tables. 11 y aura lieu à un ei-ralum. Les
fautes d'impression, dans les dates notamment, sont assez nombreuses.
1. En ce cas, l'éditeur a eu soin de les faire mettre en clair par un cryplo-
Rraphe. Il est déplorable qu'on n'en ait pas fait autant pour l'édition des
Lettres de Louis XI.
72 BULLETIN HISTORIQUE .
mois de septembre 1463, d'un assez grand nombre de correspondants.
Pendant quelques mois, le duc de Milan entretint même auprès de
Louis XI trois ambassadeurs à la fois, qui, naturellement, se jalou-
saient. Il avait aussi des informateurs occasionnels. En 1463, il se
décida à envoyer en France un diplomate éprouvé, Alberic Malleta,
qui lui rendit les plus grands services et conclut Talliance entre le
roi et le duc. Les dépêches de Malleta commencent le 1 7 septembre
1463, et se continuent jusqu'au mois de mai 1465, date à laquelle il
quitte Louis XI : le roi l'appréciait grandement, mais, avec son
système de voyages perpétuels, il lui imposait une vie éreintante.
Malleta laisse auprès du roi un homme qu'il qualifie jeune, intelli-
gent et dur à la fatigue, Jean-Pierre Panigarola. Ce dernier restera
auprès de Louis XI jusqu'en 1468 et deviendra dans la suite ambas-
sadeur du duc de Milan auprès de Charles le Téméraire^ — Due-
raent stylés par François Sforza, qui leur recommandait de tout
épier et de lui donner des renseignements complets concernant les
événements, le caractère des hommes importants et leurs relations
mutuelles, tous ces envoyés nous fournissent des informations abon-
dantes, non seulement sur la politique franco-italienne, qui a eu des
conséquences générales fort importantes, mais sur les rapports de
Louis XI avec l'Espagne et l'Angleterre, sur ses visées du côté de
lAliemagne, sur son gouvernement et ses favoris, sur les crises
intérieures, et enfin sur le roi lui-même, qui est à chaque instant
mis en scène.
La première série des dépêches nous fait assister à la double
volte-face que Louis XI exécute avant de fixer les principes de sa
poU tique en Itahe. Dauphin, il avait constamment contrecarré, sur
tous les points, les plans des conseillers de Charles VII et, comme
ceux-ci avaient mis la main sur Gènes et soutenu à Naples et en
Lombardie les maisons d'Anjou et d'Orléans contre les princes
d'Aragon et les ducs de Milan, il avait, le 6 octobre 1460, conclu
alliance avec François Sforza. A son avènement, il tourna casaque
brusquement. Alors même qu'il destituait ou emprisonnait les con-
seillers de son père, il s'appropriait, sur certains point, leurs vues
et leurs méthodes, et les affaires d'Italie montrent bien comme il est
difficile, pour être exact, de résumer en quelques formules l'his-
toire extraordinairement compliquée de son règne. Il déclarait à un
ambassadeur milanais, quelques semaines après son avènement,
que, quelle qu'ait pu être sa politique dans le passé, maintenant
1. On sait que ses dépêches de 1475-1476 ont été publiées par Gingins de
la Sarra.
HISTOIEE DE FRANCE. 73
qu'il avait la lourde charge de gouverner la France, il devait faire
besogne française (dapoy che la Galia gli fa lanto a manegiare,
bisogna sia galico) ^ Ce fut peut-être ce sentiment très vif qu'il avait
de ses devoirs envers la couronne et l'héritage royal, qui le portait
à reprendre les vues de Charles VII sur Gênes. Mais des mobiles
plus précis le poussaient à soutenir, comme l'avait fait son père,
les prétentions de la maison d'Anjou sur Naples. Nous croyoïis
qu'un des plus puissants était son désir de se procurer dans la
noblesse des appuis contre le duc de Bourgogne, dont la tutelle lui
pesait depuis longtemps; or, Philippe le Bon était brouillé avec les
Angevins 2. Quoi qu'il en soit, il prétendit obliger François Sforza
à seconder sa politique, et les ambassadeurs milanais vécurent pen-
dant plusieurs mois dans de grandes inquiétudes. La tenace volonté
et la grande intelligence du nouveau roi, sa connaissance prodi-
gieusement précise des affaires italiennes, l'obéissance à laquelle
il réduit tous ses sujets, sa puissante armée, les trésors qu'il accu-
mule on ne sait pour quel but, tout leur inspire une crainte
qu'ils ne dissimulent pas dans leurs dépêches. Sforza, pourtant,
tient bon, refuse poliment d'abandonner son allié Ferrand d'Aragon,
et par ses atermoiements, qui empêchent Louis XI d'agir sérieu-
sement en Italie, il gagne la manche. Au printemps de 1462,
ses ambassadeurs lui écrivent que le roi n'enverrra pas d'armée
au delà des Alpes. Une lacune dans la série des dépêches interrompt
ici nos informations milanaises pendant une année. Lorsqu'elles
recommencent, nous voyons que Louis XI a décidément renoncé à
toute entreprise en Italie. C'est que, dans l'intervalle, Jean d'An-
jou a été complètement battu à Troja et ses partisans napolitains
ont passé dans le camp de Ferrand; d'autre part, Louis XI est
accaparé par le souci des affaires espagnoles et anglaises. Désor-
mais, il ne jouera plus en Italie qu'un rôle d'arbitre et de protecteur;
seule, la Savoie tentera son ambition. Dès le mois de décembre
1463, Alberic Malleta obtient une victoire diplomatique presque
complète. Louis XI, résistant aux assauts de son entourage, inféode
Gênes au duc de Milan et renouvelle son alliance avec lui ; il len-
courage à racheter Asti au duc d'Orléans. Malleta jure de ne pas
quitter la France avant que l'Italie soit complètement débarrassée
des Français.
1. Dépêche du 11 août 1461.
2. Voir la déi.i^clie du 28 juillet 1461. — M. de Mandrot (t. II, introduction
historique, p. xxix) estime que Louis XI subissait l'inlluencede sa inérc Marie
d'Anjou et « de conseillers notoirement hostiles au dur de Milan, aux Aragon-
nais de iNaples et à tous les Italiens en général ».
74 BOLLETIN HISTORIQUE.
Asti, cependant, resta français, et Louis XI sut tirer bon parti
de l'alliance milanaise pendant la guerre du Bien-Public. Les
préludes et les péripéties de cette terrible crise sont vivement éclai-
rés par les dépêches de MaUeta et de Panigarola. Pendant les der-
niers mois de 1464, Malleta note l'aggravation continuelle de la
situation, causée par l'impopularité de Louis XI, la crainte et la
haine que sa dureté inspire, et les griefs de la noblesse. Cependant,
il a peine à croire que la guerre éclate et, quand les rebelles
prennent les armes, il reste d'abord très confiant, ainsi que son suc-
cesseur Panigarola : le roi est puissant, a beaucoup d'argent, et
les ligueurs devront bientôt faire la paix. Au mois de juillet 1465,
tout change, et cet optimisme, qui ne faisait que refléter celui de
Louis XI et de son entourage, fait place à l'affolement. A la nou-
velle que le comte de Charolais approche de Paris, le roi perd un
instant la tête et a une crise de larmes ^ Il a été surpris et n'a su où
se trouvaient ses adversaires que lorsqu'ils ont été près de lui. Sur
la bataille de Montlhéry, la conclusion de la paix, les sentiments de
rage et de rancune que. sa défaite inspire au roi, les dépèches de
Panigarola et diverses autres lettres découvertes par M. de Mandrot
apportent également les informations les plus précieuses. On y voit
Louis XI tout décidé, avant même de signer le traité, à n'en pas
tenir compte : après tout, dit-il, il ne sera lié que par du papier et
de l'encre^.
Sans modifier l'idée que les autres documents nous permettaient
de nous former des principaux personnages de ce temps et du roi
lui-même, les dépêches milanaises dressent devant nous des portraits
d'un coloris et d'une saveur que rien n'égale. Voici le vieux Charles
d'Orléans, devenu gâteux et dont Louis XI se moque ouvertement,
avec d'intarissables plaisanteries sur les grossesses de la duchesse
d'Orléans^; Philippe le Bon, follement prodigue, abruti par de
longues années de débauche, et incapable, à soixante-huit ans, de
renoncer aux femmes, qui vont le mener au tombeau ""i son fils
Charles, que Louis XI qualifie de brute orgueilleuse, colérique et
dénuée de sens, et dont il s'amuse à contrefaire les emportements^;
la reine Charlotte de Savoie, réfugiée dans une vie étroite et soli-
taire", presque délaissée de son dur mari : Louis XI se plaint de
1. Dépêche du 14 juillet 1465.
2. Dépèche du 4 septembre 1465.
3. Dépêches des 7 et 18 avril, 26 mai 1464.
4. Dépêche du 29 avril 1464.
5. Seconde dépêche du 25 décembre 1463.
6. 11 juillet 1464.
HISTOIRE DE FRANCE. 75
l'entendre crier pendant qu'elle accouche^ parle du mariage qu'il
ferait si elle mourait^, et, au surplus, il a des « amoureuses »*.
Nous connaissions bien Lo.uis XI, grâce à Commynes et aux
Lettres; mais les dépèclies milanaises sculptent sa figure avec un
relief plus saisissant encore, parce qu'elles nous racontent sa vie au
jour le jour, nous décrivent ses joies, ses angoisses, ses colères,
nous rapportent ses propos, ses bons mots, ses moqueries, ses dis-
cours de Grippeminaud et aussi ses explosions de cynisme^ nous
le représentent organisant de véritables scènes de comédie où il joue
son rôle en acteur consommé^ ; on voit que la politique le passionne
et le prend tout entier, qu'il ne vit que pour régner, et qu'à sa
besogne de roi il dépense toutes les ressources d'une énergie redou-
table et d'une intelligence de premier ordre *^. Figure grande et étrange,
au milieu de la pâle série de nos rois du xv^ siècle, et qui rappelle
plutôt les princes italiens de la Renaissance que ses ancêtres capé-
tiens. C'est bien pourquoi les orateurs milanais l'ont observée et
décrite avec une curiosité si ardente, dont les historiens sont main-
tenant bénéficiaires.
Documents sur le droit, les croyances et les moeurs. — Un
des plus illustres documents de cette nature au moyen âge est assuré
ment le Procès de condamnation de Jeanne d'Arc, que M. Pierre
Champion vient de rééditer et de traduire. Mais, au moins pour qui
possède la publication de Quicherat, les commentaires de M. Cham-
pion donnent à ces deux volumes leur valeur principale, et nous en
parlerons donc dans la seconde partie de ce Bulletin.
Le procès de Jeanne d'Arc, dirigé par Cauchon, fut un procès de
cour épiscopale, et l'Inquisition, alors en pleine décadence en
1. 27 avril 1464. Celte dépêche fixe au dimanche matin 22 avril la date de
naissance de l'infortunée Jeanne de France, dont M. de Maulde à écrit l'histoire.
2. 18 avril 1464.
3. 26 mai 1464.
4. Dépêche du 5 septembre 1464 : les Angevins auront beau faire, sa fille ne
sera pas réduite à aller « a la stufa, hoc est al bordello ».
5. Voir notamment la seconde dépêche du 25 décembre 1463.
6. Les ambassadeurs milanais ne tarissent pasd'éloj;es sur la vivacilr do son
intelligence, la itrécision de ses connaissances politiques et insistent sur la
crainte qu'il inspire à tous. Ils ne considèrent pas comme négligeable l'influence
de certains conseillers et ils nous donnent des renseignements importants et
nouveaux sur le rôle joué par eux. Panigarola nous apprend par exemple qu'à
réjHxpie de la guerre du Bien-Public le conseiller le plus écouté était Guil-
laume Cousinot, qui avait la charge de toutes les dépêches royales (dépèche du
12 juin 1465). Mais Louis XI, le plus souvent, n'en fait qu'à sa tête. Sur le
rôle du Conseil du roi, voir une intéressante dépêche du 27 avril 1464.
76 BULLETIN HISTORIQUE.
France, n'y joua qu'un rôle d'auxiliaire. Les procès courants por-
tés devant les justices d'évêques sont bien pâles à côté de celui-là ;
si nous en possédions un grand nombre cependant, que d'informa-
tions précieuses ils nous apporteraient! La publication du Registre
de l'officialité de Cerizy dans les Mémoires de la. Société des
Antiquaires de Normandie, celle des Testaments de l'officia.-
lité de Besançon par Ulysse Robert, et les Inventaires sommaires
des Archives départementales (surtout celui de l'Aube, pour le fonds
d'officialité de Troyes), nous ont depuis longtemps révélé l'intérêt
des archives d'officiahtés, non seulement pour l'histoire du droit
canonique, mais pour l'histoire de la famille et des mœurs en France.
Malheureusement ces archives ont, pour la plus grande partie, dis-
paru. A la différence de celles qui prouvaient les droits de pro-
priété, celles-ci n'avaient guère, pour les particuliers, qu'un inté-
rêt transitoire, et l'on s'apphquait peu à les conserver. C'est une
raison de plus pour pubher ce qui nous reste. A Paris, il n'existe
qu'un seul registre antérieur au xv'^ siècle. Joseph Petit, mort en
1908, en avait préparé l'édition et l'impression, et avait même écrit
l'introduction. Le soin de réviser les épreuves et la charge très
lourde de rédiger une table alphabétique qui contient 10 ou
12,000 noms ont incombé à M. Marichal, puis, par suite de la
guerre, au commissaire responsable, M. Lelong. Le Registre des
causes civiles de l'officialité épiscopale de Pans (1384-1387) a
pu enfm paraître^ Ce journal, où les scribes inscrivaient cursive-
ment les causes portées devant le tribunal, les incidents, les sen-
tences, est d'une brièveté sèche et monotone. On ne doit pas y cher-
cher de détails pittoresques, mais seulement des notes précises qui
permettent de se faire une idée exacte de la procédure du tribunal et
de sa compétence au xiv* siècle en matière de causes civiles. Bien
que la juridiction laïque ait progressé aux dépens de la juridiction
ecclésiastique (1 éditeur remarque notamment que les causes pécu-
niaires provenant du mariage échappent à peu près à l'officiaHté de
Paris au xiv* siècle) , cette compétence est encore très variée. Il est
question dans notre registre, ratione personae, de causes intéres-
sant les clercs, de tutelle des paroisses, d' « asseurements » prêtés par
les clercs (on compte dans ce recueil plusieurs centaines d' « asseure-
ments »), et, ratione materiae, de certaines affaires de testament,
de tutelle, de contrat, mais surtout d'affaires matrimoniales ou con-
nexes : rupture de fiançailles, bigamie, annulation du mariage, sépa-
t. PariSj Imprimerie nationale, 1919, 619 p. in-i" {Collection des documents
inédits).
HISTOIRE DE FRANCE. 77
ration de corps, séparation de biens, etc.. L'Eglise exerçait en
matière familiale et sociale une tutelle au moins aussi étendue que
celle qui est dévolue à l'État aujourd'hui. « Le séducteur », dit
M. Joseph Petit dans son introduction, « était généralement condamné
à participer aux frais d'éducation de l'enfant né de ses œuvres, ou
bien il devait doter la femme séduite, en proportion de ses res-
sources. » L'official surveillait les sages-femmes et protégeait la
société contre l'infanticide. Il intervenait en faveur des orphelins,^
des veuves, des mineurs, des écoliers, des 'apprentis, contre ceux
qui voulaient les exploiter. Il disposait de moyens puissants et usait
de son ascendant pour amener au mariage lès couples vivant en
union libre et pour prévenir la rupture des promesses matrimo-
niales. Sur toutes ces questions, le Registre apportera d'instructifs
exemples, que le précieux index rerum contenu dans la table
alphabétique permettra de coUiger commodément.
hes Statuts synodccux d'Alain de la Rue, évêque de Saint-
Brieuc (1421), édités par M. Pocquet du Haut-Jussé d'après un
recueil du fonds de la reine Christine au Vatican*, portent témoi-
gnage du labeur de certains évêques au xv'' siècle. Alain de la Rue
était un homme actif et laissa la réputation d'un réformateur ecclé-
siastique comme d'un conseiller et d'un diplomate avisé. Ses statuts
forment une sorte de catéchisme à l'usage des prêtres et des fidèles.
Ils ne manquent certes pas d'intérêt, même (et peut-être surtout)
pour un profane, mais l'historien du xv* siècle n'aura pas beaucoup
à y glaner. Il est rare que l'auteur mentionne des faits particuliers
à son époque et qu'on puisse considérer comme vraiment spécifiques
de la fin du moyen âge.
La même observation s'applique aux Opuscules provençaux du
XV^ siècle sur la confession- tirés par M. Brunel du ms. fran-
çais 1852 de la Bibliothèque nationale, que Paul Meyer a signalé et
analysé. Ces opuscules consistent en un traité des sept péchés capi-
taux et un traité des dix commandements de Dieu, œuvre sans
doute d'un moine de Moissac. Il est difficile d'en tirer des conclu-
sions certaines sur l'état des mœurs à cette époque et de mesurer ce qui
peut être dû à Timagination échauffée de l'auteur, qui ne craint pas
1. Rennes, Vatar, 1920 (extrait du Bulletin de la Société archéologique de
Rennes). M. Pocquet du Haut-Jussé nous dit qu'il a eu à rectifier les fautes
nombreuses du coi>iste. Que serait-ce s'il ne les avait pas rectifiées! Il a laissé
subsister bien des incorrections, et certaines phrases sont à peu près inintelli-
gibles.
2. Extrait des Annales du Midi, t. XXIX, année 1917. Toulouse, Privât,
1917, 106 p.
78 BULLETIN HISTORIQUE.
les détails scabreux. Il faudrait une instruction théologique que
nous ne possédons point pour discerner ce qui, dans ces traités,
n'est point la pure répétition des indications en usage dans les
manuels de ce genre à travers les siècles. Nous hésitons un peu à
dii-e avec M. Brunel que ce sont des « documents curieux pour
l'histoire des mœurs et des idées morales dans le midi de la France
au XV* siècle ». Il y a cependant une dizaine de pages de commen-
taires sur le premier commandement de Dieu, concernant les supers-
titions, où l'historien nous paraît pouvoir puiser d'une main assu-
rée. Paul Meyer les avait déjà publiées. Il est mtéressant de noter
et ces superstitions, qui subsistent encore en partie, et les efforts de
l'Eglise pour les déraciner. En quelques cas, l'auteur adopte non
seulement les affirmations des médecins et des astrologues, mais
les croyances populaires, et il recommande d'agir tout au moins
comme si elles étaient l'expression de la vérité : ainsi, dit-il, il y a
eu bien souvent des signes quand une personne allait mourir, et, en
beaucoup d'abbayes, on a entendu alors des coups ; il faut donc, en
pareille occurrence, avertir le rnalade de se mettre en bon état. En
général, notre moine — auquel on ne peut faire grief de se montrer
parfois aussi crédule que les occultistes de notre époque — se
montre judicieux et d'esprit ferme. M. Brunel a édité selon les exi-
gences de la critique ces textes amusants.
Elles ne sont point toujours amusantes, les « Nativités » et les
« Moralités » liégeoises du xiv^ et du xv* siècle, que M. Gustave
Cohen a trouvées dans un manuscrit de Chantilly \ et l'éditeur
n'essaie pas de nous faire illusion sur « la quantité d'ennui » qui se
dégage, sinon des deux Nativités, assez naïves et savoureuses, du
moins des trois Moralités, qu'il publie avec tout le soin et tous les
éclaircissements désirables. L'étude de M. Cohen est à lire au moins
autant que le texte. L'historien y trouvera quelques détails instruc-
tifs sur la vie sociale, les idées religieuses et morales et l'évolution
du théâtre à la fin du moyen âge, mais surtout il y puisera une
excellente leçon de méthode sur la façon de dater et de situer des
textes en langue vulgaire.
Ouvrages relatifs a Avignon, aux papes et aux légats
d'Avignon. — L'histoire d'Avignon et des papes du xiv^ siècle
attire de plus en plus l'attention des érudits. L'indifférence que,
pendant un siècle, une administration inepte et une population igno-
1. Mystères et morûlités du manuscrit 617 de Chantilly, publiés pour la
previière fois et précédés d'une étude linguistique et littéraire. Paris, Cham-
pion, 1920 (Bibliothèque du xv" siècle), cxlix el 138 p. in-4°. Cf. Rev. histor.,
t. CXXXVII, p. 247.
HISTOmE DE FRANCE. 79
ranle ont témoignée au Palais des papes a causé des malheurs irré-
parables. Mais Avignon a encore de belles archives, au moins pour
la fin du moyen âge, et les registres du Vatican otTrent des sources
d'informations difficiles à épuiser.
Une phalange de savants travaille actuellement à l'exploitation de
toutes ces richesses. L'abbé Mollat, auquel on doit un ouvrage
d'ensemble, sommaire, mais utile, sur les Papes d'Avignon, s'est
chargé d'analyser les Lettres communes de Jean XXIT ; le dix-
huitième fascicule (5 septembre 1328-25 février 1329) a paru récem-
ment'. Une introduction et un index viennent de terminer la publi-
cation que le regretté Georges Daumet a consacrée aux registres de
Benoît XIF. Ce pape, d'une austérité assez rude, a été peu populaire.
Il a été attaqué, non seulement par ses contemporains, mais par des
historiens modernes, qui ont fait preuve de quelque légèreté dans
leur interprétation des documents. Daumet, qui connaissait « son
pape » mieux que personne, l'a défendu vigoureusement, et son
plaidoyer est presque toujours convaincant, qu'il s'agisse des réformes
tentées par Benoit XII dans l'Eglise ou de son attitude dans les conflits
européens et dans les éternels préparatifs de croisade. Les historiens de
la guerre de Cent ans auront désormais à tenir compte de lérudite
introduction des Lettres de Benoît XII se rapportant à la France.
La figure du sévère cistercien, mieux connue, devient plus intéres-
sante et plus grande, et il faut avouer que les reproches qu'on
lui a adressés, quand ils se fondent sur son horreur du népotisme,
de la corruption et des pourboires, et aboutissent à l'accusation
d' « égoïsme », ont quelque chose de bien surprenant.
La famille et les amis de Robert André-Michel ont voulu réu-
nir et présenter au public, sous forme de mélanges posthumes, des
travaux qvii ont pour objet principal Avignon et la cour des papes
au XIV* siècle^. Les deux thèses de doctorat projetées parle regretté
1. Jea7i XXII (I316-Î33i). Lettres communes, analysées d'après les registres
dits d'Avignon et du Valican, 18° fasc, t. VIII. Paris, Fontenioing, 1920, gr.
in-4°, 192 p. (Bibliothèque des Écoles d'Athènes et de Rome).
2. Benoît XII il3o'i-13i2). Lettres closes, patentes et curiales se rappor-
tant à la France. Introduction et index, lxxxvi p. (même collection).
3. Robert André-Michel, Mélanges d'histoire et d'archéologie : Avignon, les
fresques du palais des papes, le procès des Visconti. Introduction par
M. André Hallays. Paris, Armand Colin, 1920,-210 p., 24 planches hors texte.
Voici la liste de ces mémoires qui ont paru naguère dans la Reinie historique,
la Bibliothèque de l'École des chartes, les Mélanges de l'École de Rome,
etc.. : Le développement des villes dans le Comtat-Venaissin. Avignon au temps
des premiers papes. — Les fresques de la garde-robe au palais des papes. —
Los fresques de la chay)elle Saint-Jean. — Matteo de Viterbe et les fresques
de l'Audience. — Les premières horloges du palais des papes. — Le tombeau
d'Innocent VL — Les défenseurs des châteaux et des villes fortes dans le
80 BULLETIN HISTORIQUE.
érudit devaient être consacrées, l'une, la « petite », à la construc-
tion des remparts d'Avignon, l'autre, la « grande », aux villes fortes
et châteaux des papes en France au xiv^ siècle. Par les fragments
qui nous sont donnés, nous apprécions mieux et avec plus de tris-
tesse encore la perte que l'histoire et l'archéologie ont faite en sa
personne. Sans doute, s'il avait survécu à la guerre, Robert André-
Michel aurait revu et modifié certaines pages ; par exemple, il aurait
enrichi et corrigé son chapitre sur Avignon au temps des premiers
papes et il aurait probablement tenu compte de la critique que lui a
adressée Noël. Valois dans son étude sur Jacques Duèse, pape
sous le nom de Jean XXIP. Telle qu'elle est, cette publication
posthume lui fait grand honneur. Elle atteste son labeur, sa patience,
sa pénétration, autant que son goût des idées générales, tempéré par
le sentiment très vif des inexactitudes que commettra forcément
l'historien du moyen âge s'il veut « esquisser à grands traits l'état
social d'une vaste région pendant un long espace de temps » . Nous
aimons surtout les minutieuses et intéressantes études sur les
fresques du palais des papes, qui apportent beaucoup de nouveau et
attestent une sagacité à la fois ferme et prudente. Robert Michel
était un Français de belle race, et il l'a prouvé dans la guerre comme
dans ces travaux de science et d'art qu'il aimait si passionnément.
M. André Hallays, dans son introduction, a cité d'émouvants
extraits de ses carnets de route. La publication, fort bien illustrée,
s'ouvre par le portrait de Robert André-Michel ; on y a joint, avec
une poignante dédicace, la reproduction du portrait admirable que
John Sargent avait fait de sa jeune femme, Rose-Marie Ormond,
qui périt écrasée à Saint-Gervais, victime, elle aussi, des armes
allemandes.
Les Archives communales d'Avignon sont extrêmement riches
pour l'histoire de la ville et de la légation au xv^ siècle. M. L.-H.
Labande leur a emprunté, sans négliger les autres sources, la
matière d'une élude tout à fait remarquable par sa nouveauté.
Presque tous les documents cités en référence sont inédits. Dans un
premier volume, qui a été luxueusement édité aux frais du prince
de Monaco^, M. Labande a exposé l'histoire politique d'Avignon au
Comtat-Venaissin. — Anglais, Bretons et routiers à Carpentras. — Les clieva-
liers des arènes de Nîmes. — "Une accusation de meurtre rituel en 1297. — Le
procès de Matteo et de Galeazzo Visconti.
1. Dans Hisloire littéraire de la France, t. XXIV, 1915. Voir p. 416 et suiv.
2. Avignon au XV° siècle. Légation de Charles de Bourbon et du cardinal
Julien de La Rovère. Paris, Picard, 1920, xxxi-723 p. et 4 planches (Mémoires
et documents historiques publiés par ordre de S. A. S. le prince Albert I" de
Monaco). Prix : 50 fr. Les ouvrages d'érudition ne sont décidément plus acces-
sibles aux savants qui n'ont pas la chance d'être millionnaires.
HISTOIRE DE FRANCE. 81
xv° siècle. Dans un second, qu'il nous promet, il étudiera son his-
toire économique, sociale et intellectuelle.
C'est de l'Avignon des légats Charles de Bourbon et Julien de
La Rovère, de 1464 à 1503, qu'il nous parle. En un premier cha-
pitre, très substantiel et dont on regrette la brièveté, il nous décrit
l'aspect et les institutions de la cité. Avignon, depuis le milieu
du XIV* siècle, est un petit Etat particulier, serré entre le Comtat-
Venaissin, qui forme à ses côtés un second territoire pontifical, la
Provence et le royaume de France. La ville, entourée par le Rhône
et une petite zone rurale, est surpeuplée et étouffe dans ses remparts.
La population, étrangement cosmopolite, compte peu d'autochtones.
Les « cives et habitatores » sont sans doute tous ceux qui possèdent
une maison et sont installés définitivement dans la ville. La noblesse
est réduite à une vingtaine de damoiseaux. Les personnages impor-
tants sont les immigrés italiens et espagnols, qui détiennent le haut
commerce et la banque. Les artisans viennent de France et de Savoie ;
les artistes sont en majorité des Flamands et des Français. Un con-
seil recruté dans la plutocratie et trois consuls avec un assesseur
administrent la ville. Mais, à côté d'eux, il y a deux puissants per-
sonnages : l'évêque, et surtout le légat, qui représente la souverai-
neté pontificale, gère le domaine, juge, légifère, gouverne. Enfin -
il y a le roi de France et ses officiers, qui, traditionnellement,
exercent une surveillance très étroite sur les États pontificaux. Sur-
veillance légitime et nécessaire : les provinces ecclésiastiques du
Dauphiné, du Languedoc, d'une partie de la Gascogne sont sou-
mises à la légation, et, d'autre part, les commerçants français
doivent être protégés contre les brimades; enfin, et surtout, il ne
faut pas permettre qu'il se crée au delà du Rhône un foyer d'action
antimonarchique. A plusieurs reprises, nos rois ont eu évidemment
la tentation de mettre la main sur la proie que leurs ancêtres du
xiii" siècle avaient laissée échapper. Mais les Avignonnais ne se sou-
ciaient pas de tomber sous leur domination. Ils tenaient à conser-
ver les garanties civiles, fiscales, commerciales, politiques, qu'ils
avaient obtenues du Saint-Siège. D'ailleurs, ils gardaient l'espoir de
voir le pape, menacé parles princes et les républiques d'Italie, reve-
nir et refaire d'Avignon la capitale de la chrétienté et le rendez-vous
des pèlerins et des solliciteurs. Le plus sage,' pour la royauté, était
de se contenter d'une sorte de protectorat. En ces conditions, le
choix du légat envoyé par le pape était pour elle une grande préoc-
cupation. Un légat hostile pouvait être très dangereux, qu'il s'agît
des relations internationales ou des relations avec l'Église et le Saint-
Siège. C'est l'histoire de la légation d'Avignon, dans une phase
Rev. Histor. CXXXVIII. \" fasc. 6
82 BULLETIN HISTORIQDE.
particulièrement orageuse, que M. Labande s'est proposé pour prin-
cipal objet d'écrire. Son exposé commence en 1464, année où
Louis XI, prévoyant la mort prochaine du légat Pierre de Foix,
entame la lutte pour faire nommer à sa place un candidat dont il
serait sûr. II se termine lorsque le conclave fait du légat Julien de La
Rovère le pape Jules II, et que celui-ci confère la légation au principal
conseiller de Louis XII, Georges d'Amboise. M. Rey avait eu le
mérite, dans sa thèse sur Louis XI et les États pontifica,ux
de France, de montrer l'intérêt de la question et de faire quelques
recherches dans les Archives d'Avignon ; mais tous les érudits qui
ont eu à se servir de son livre savent avec quelle négligence il a été
rédigé. L'ouvrage de M. Labande fera autorité. Soit pour l'histoire
d'Avignon, soit pour celle de la politique royale, soit pour la bio-
graphie de Julien de La Rovère, il apporte des renseignements
neufs et abondants. Il sera permis seulement de regretter que l'ex-
posé soit si touffu et que les faits de minime importance ne soient pas
plus systématiquement mis dans l'ombre; au moins l'auteur pou-
vait-il, de temps en temps, dominer sa narration, nous éclairer et
nous reposer en résumant sa riche information. Quel voyageur
pourrait bien connaître Avignon, si on ne le menait pas sur la hau-
teur du rocher des Doms? L'érudition de M. Labande est d'une
sûreté qui impose la confiance ; son vaste labeur a épuisé le sujet,
et il a su l'exposer avec ordre; son livre manque seulement d'air, de
perspectives, de tables d'orientation.
Ouvrages relatifs a Jeanne d'Arc et son temps. — La
canonisation de Jeanne d'Arc ne peut manquer de susciter la fer-
veur des hagiographes. Souhaitons que cette ferveur ait des effets
dont la science profite et qu'une .chance heureuse fasse découvrir
aux érudits des documents nouveaux sur ce lumineux épisode, qui
éclaire dans ses profondeurs notre histoire nationale et morale. A
tout le moins, les historiens devront-ils exploiter avec soin tous les
documents déjà imprimés ; M. Pierre Champion vient de prouver,
dans la publication que nous avons déjà signalée plus haut\ qu'il
n'était pas besoin, même sur un sujet rebattu, de trouver de l'iné-
dit pour trouver du nouveau, et l'on goûtera l'ingéniosité et le
talent dont il a fait preuve dans son Introduction au Procès de
Jeanne d'Arc. Ces cent pages ne sont pas toutes de même qualité ;
il y a bien du décousu dans les dernières, dans les vues fragmen-
taires sur la « guerre au temps de Jeanne d'Arc », sur « l'idée de
patrie au temps de Jeanne d'Arc ». Mais on lira avec le plus vif
1. Procès de condamtiation de Jeanne d'Arc. Texte, traduction et notes.
Paris, Champion, 2 vol., 1920.
eiSTOIKE DE FRANCE. 83
plaisir et un sérieux profit tout ce qui a trait au procès lui-même et
aux juges. M. Champion adonné l'explication psychologique la plus
solide qu'on ait fournie jusqu'ici de l'état d'esprit des docteurs qui
siégeaient à Rouen. Intéressante aussi, la petite élude comparée,
malheureusement beaucoup trop courte, du procès de Jeanne d'Arc
et des autres procès de sorcellerie de ce temps. Excellente surtout,
l'idée de rechercher l'opinion des théologiens contemporains sur
l'inspiration et les apparitions, et de nous donner une analyse du
traité de Gerson sur la « Distinction entre les vraies visions et les
fausses ». Faute de documents nouveaux, peut-être inexistants, sur la
Pucelle elle-même, c'est par de tels moyens qu'on peut nous apprendre
encore quelque chose sur le grand drame dont elle a été l'héroïne.
Le texte du Procès, à quelques petites corrections près, est natu-
rellement celui que nous a donné Quicherat, dans une publication
complètement épuisée aujourd'hui, et qui est vieille déjà de quatre-
vingts années. L'annotation est enrichie de tout ce que les érudits
ont découvert en ce dernier siècle. Enfin, M. Pierre Champion a eu
la patience de faire une version française du Procès et des pièces qu'il
contient. Le public ne connaissait guère que la traduction de
M. Joseph Fabre, qui est abrégée et dramatisée. Nous entrons dans
un temps où le nombre des lettrés dépassera de plus en plus le
nombre de ceux qui peuvent lire le latin couramment, et il est bon
que l'histoire morale de la Pucelle et l'histoire de son martyre,
écrites par ses juges, puissent être abordées directement par tous
les Français cultivés. A le bien prendre, ils y apprendront plus de
choses qu'en lisant les hvres de seconde main.
La librairie Pion donne, dans sa bibliothèque à trois francs le
volume, une édition populaire de la Jeanne d'Arc de M. Gabriel
Hanotaux. Gravures et notes ont disparu, ainsi que certaines
pages, parmi lesquelles on regrettera le chapitre intitulé « Jeanne
d'Arc devant l'histoire », qui ne manquait pas d'intérêt. L'impres-
sion est très compacte, baveuse, et le papier a cette couleur sale
qu'avait, il y a peu de temps encore, notre pain quotidien; couleur
de guerre et typographie de guerre, qui devront totalement dispa-
raître de nos éditions, même populaires, si l'on veut qu'elles
prennent sur le marché mondial la place que méritent la pensée
et le travail français. Franchement, les compliments que la maison
Pion s'adresse à elle-même, dans le prospectus de ce petit livre, sur
sa « présentation matérielle », sont tout à fait excessifs.
La Sainte Jeanne d'Arc de M. Georges Goyau aété éditée avec
luxe par la librairie Henri Laurens^ Le papier est agréable à l'œil
1. G. Goyau, les Étapes d'une gloire religieuse, sainte Jeanne d'Arc. Paris,
Laurens, 1920, 156 p. in-4°, 16 planches hors texte.
84 BULLETIN HISTORIQUE.
et au toucher, les caractères de Hérissey sont élégants et nets, les
ornements gravés sur bois par Joseph Girard et les reproductions
de miniatures, de monuments ou de peintures modernes sont
presque tous intéressants. Le livre de M. Goyau en valait la peine.
Cette monographie, bien composée, bien écrite, bien informée, a
pour objet le culte, populaire avant d'être officiel, qui, depuis le
xv^ siècle, non toutefois sans une longue éclipse, a été voué à Jeanne
d'Arc. Décrire le travail d'opinion qui, dans le jugement de l'Église
et la conscience des catholiques, a abouti, après cinq siècles, à la
canonisation, « écouter parler l'Eglise, écouter prier le peuple, sur-
prendre les manifestations de piété qui préparaient les décisions
ecclésiastiques », telle a été l'intention de M. Goyau. Il nous dit,
avec une grande richesse d'informations et le plus honorable souci
d'exactitude, ce qu'on a pensé de Jeanne d'Arc au xv^ siècle, quelles
résistances a rencontrées l'accusation anglo-bourguignonne, quel a
été le rôle d'Orléans dans la gloire religieuse de la Pucelle, ce qu'elle
doit aux Jésuites, aux Oratoriens, au romantisme. Ça et là, à côté
de matériaux bien connus et qu'il s'agissait de mettre en œuvre, il
y a des aperçus ou des documents nouveaux ; tel ce cahier d'élève du
collège de Juilly, où les grandes lignes de l'histoire de Jeanne ont
été retracées avec exactitude, sous la dictée de l'Oratorien Sauvage,
en l'année 1715; tel, en sens contraire, ce témoignage, passé ina-
perçu, dans les Souvenirs du baron de Frénilly, sur les raille-
ries et les citations de la Pucelle de Voltaire, par lesquelles la foule
accueillit en 1808 les fêtes d'Orléans. M. Georges Goyau a rendu
justice au rôle joué par l'opinion anglaise au xix^ siècle; il le fait
toutefois avec une sécheresse qui étonne un peu. L'enthousiasme
des Anglais de toutes confessions pour Jeanne d'Arc est un de ces
faits caractéristiques qu'il faut mettre en valeur, en une époque où
il importe que les Français connaissent l'âme anglaise ; la ténacité
avec laquelle nos alliés s'attachent à une opinion une fois qu'ils l'ont
admise, la persévérance qui accompagne leur loyauté, la rigueur avec
laquelle ils dénoncent leurs propres erreurs, se marquent d'une
façon saisissante dans le culte qu'ils ont voué à la victime de Bedford.
La maison où naquit Jeanne d'Arc était-elle en Champagne ou en
Lorraine? Voilà une question qui a fait couler des flots d'encre et
même de fiel ; on se rappelle peut-être les dissertations du fougueux
abbé Misset, qui furent quelquefois amusantes et spirituelles, et tou-
jours dépourvues d'aménité. Cette querelle d'érudits, qui a eu sou-
vent le ton d'une querelle de sacristie, n'a pas été inutile. Mais elle
n'a pas eu du tout le résultat qu'en attendaient, dans un sens ou
dans l'autre, ses champions. Elle a fait déterrer des documents qui
ont prouvé la puérilité du problème, tel du moins qu'on s'obstinai
HISTOIRE DE FRANCE. 85
à le poser ; ils autorisent des conclusions dont l'intérêt déborde l'his-
toire personnelle de Jeanne d'Arc. A leur lumière, quand on ne se
met pas volontairement un abat-jour sur les yeux, on comprend
mieux l'histoire de la région, la politique des gens du roi et l'atti-
tude des populations de la frontière au xv^ siècle. On se rend compte
qu'aux yeux des contemporains de Jeanne d'Arc, il était bien indif-
férent que la libératrice fût née dans la partie de Domremy qui était
incontestablement du royaume de France, plutôt que dans celle où
les gens du roi cherchaient à faire prévaloir la souveraineté des
Valois. Villon, en parlant de Jehanne la bonne Lorraine, ne son-
geait point à trancher un litige sur les origines de la Pucelle, non
plus qu'à s'émerveiller qu'elle fût née hors des Umites du royaume
qu'elle devait sauver. De son temps, on savait bien que les gens du
Barrois avaient été pour la plupart de fidèles Armagnacs et que,
depuis de longs siècles, les Lorrains, sans être les sujets des Capé-
tiens, leur avaient fourni de bons chevahers et avaient souvent versé
leur sang pour la France. Un érudit messin, le comte Maurice
DE Pange, s'est appliqué à remettre en lumière ces vérités, dans
des mémoires qu'on vient de publier à nouveau'. L'édition de ce
volume de mélanges n'a pas été préparée par l'auteur lui-même,
mais par son fils, ancien élève de l'École des chartes, et c'est
à lui probablement qu'incombe la responsabilité de certaines négli-
gences dans la transcription ou la correction des épreuves des
pièces justificatives 2. Contentons -nous de signaler le réel inté-
rêt de l'ouvrage. Ainsi réunis, les opuscules du comte de Pange
prennent une signification plus précise et une force plus pro-
bante. Ils démontrent d'une façon péremptoire que vouloir, par
« patriotisme » , prouver que Jeanne d'Arc, étant une héroïne fran-
çaise, devait être Champenoise et non Lorraine, est une niaiserie,
et ils résolvent définitivement la question des « origines provin-
ciales » de la Pucelle, grâce à une étude honnête et objective des
textes et à un sens de l'histoire du moyen âge que beaucoup d'éru-
1. Les Lorrains et la France au moyen âge. Paris, ChanQ[>ion [1919], 196 p.
1'" partie : mémoire sur le Patriotisme français en Loiraine avant Jeanne
d'Arc [sujet également traité dans une introduction écrite par M. Jean de Pange].
— Mt'riiuire sur le Pays de Jeanne dtArc. — 2" partie : trois mémoires (dont
un inédit sur Gautier d'Épinal) concernant les Lorrains dans l'histoire litté'
raire de la France. — 3- partie : la Lorraine et le Barrois au XII' siècle
(mémoire sur Ferri de Bilcke).
2. Pour ne parler que des premières qui se présentent au lecteur, nous rele-
vons trois fautes de lecture (ou d'impression) dans la seule page 37 (cohabi-
lores, quator, nactes); p. 43, les clauses des coutumes de 1255 relatives à la
vengeance privée et au droit de chasse deviennent incompréhensibles en plu-
sieurs endroits à cause de la ponctuation défectueuse.
86 BULLETIN HISTORIQUE.
dits ne possèdent malheureusement pas. En présence de textes en
apparence contradictoires, ces polémistes saisissent ceux qui leur
conviennent, les brandissent et essaient d'en assommer leurs adver-
saires, qui ripostent de même façon. Le comte de Pange dit sage-
ment : « On adopte un texte dont la précision séduit : on se croit
autorisé par cette précision même à négliger tout ce qui s'oppose
ou paraît s'opposer aux déductions rigoureuses qu'on en tire. Il faut
bien mal connaître le moyen âge et les multiples faces que présen-
tait, à cette époque, la question la plus simple, pour ne pas voir la
nécessité d'une méthode toute différente. » La maison natale de
Jeanne d'Arc était située dans une partie du village de Domremy
qui dépendait de la prévôté barroise de Gondrecourt, au bailliage
barrois (te Bassigny ; or, le Barrois n'était pas dans le royaume de
France; et, cependant, d'après des lettres de Charles VII, Jeanne
était du bailliage champenois de Ohaumont « ou de son ressort » ; et
Perceval de Boulainvilliers, dans une lettre fameuse, embrouille tout
et déclare qu'elle est née à Domremy, au bailliage de Bassigny, dans
les limites du royaume de France. Tous ces textes sont faciles à
accorder, si l'on constate que, depuis 1301, la partie du Barrois où
est née la Pucelle était fief mouvant de la couronne, sans faire pour
cela partie du royaume, et que, en tant que fief tenu du roi de
France, elle dépendait de la prévôté champenoise d'Andelot. Les
gens du roi, suivant une tactique peu honnête mais bien naturelle,
s'efforçaient de confondre la mouvance et la souveraineté. Le senti-
ment à l'égard du roi et ce que l'on peut déjà appeler le patriotisme
des Lorrains ne dépendaient nullement des ergotages où se perdaient
les juristes, concernant la limite du royaume. Ainsi posé, le problème
disparaît. Puissent les érudits at)andonner ce terrain rebattu, à
moins qu'ils ne réussissent à y trouver des documents apportant du
nouveau.
Jeanne d'Arc a-t-elle connu Colette Boilet? A-t-elle été morale-
ment aidée ek soutenue par elle? Sainte Colette a-t-elle favorisé indi-
rectement la défense nationale contre l'invasion anglaise, a-t-elle
contribué au rapprochement du parti armagnac et du parti bourgui-
gnon? Siméon Luce Ta soutenu, avec de faibles arguments, dans
des pages qui ne sont pas les meilleures de ses recherches sur Jeanne
d'Arc à Domremy. La thèse vient d'être reprise, sans preuves nou-
velles, par E. Sainte-Marie Perrin\ qui nous donne, après tant
d'autres, une pieuse biographie de Colette. Siméon Luce a détruit
lui-même son hypothèse en observant que « Colette avait fini par
1. La Belle vie de sainte Colette de Corbie (1381-1^7), avec une préface de
Paul Claudel. Paris, Pion, in-16, 1921; prix : 7 fr. 50.
HISTOIBE DE FRANCE. 87
perdre de vue les misères de ce bas monde et par ne plus apercevoir
qu'un petit coin de terre... On dirait que l'enceinte des couvents
qu'elle a fondés ferme pour ainsi dire son horizon^ ». Tous les
détails, authentiques ou légendaires, que E. Sainte-Marie Perrin a
acceptés en bloc et reproduits dans son livre confirment cette impres-
sion. Colette est une ascète et une mystique, qui veut restauj'er tota-
lement l'idéal franciscain, et rien dans ses actes, rien dans les pro-
pos qu'on lui prête, rien dans la légende de miracles incessants qui
se forme autour d'elle ne montre qu'elle ait eu ou qu'on lui ait prêté
des préoccupations politiques et nationales. Est-il besoin d'ajou-
ter qu'il n'y a pas le moindre indice qu'elle se soit émue de l'accu-
sation d'hérésie portée contre Jeanne d'Arc? Son œuvre et sa vie
n'en restent pas moins tout à fait intéressantes et dignes d'une étude
critique, qu'on ne trouvera pas dans le petit livre de E. Sainte-
Marie Perrin. Ce petit ouvrage hagiographique n'est pas enntiyeux;
il n'est pas exempt de prétention, mais il est souvent écrit avec
agrément et ingéniosité, et les lecteurs pieux auxquels il s'adresse y
puiseront surie caractère de Colette de Corbie des vues qui, dans
l'ensemble, ne sont pas fausses. Mais la crédulité systématique de
l'auteur et les lacunes de son instruction historique^ ne permettent
pas de classer son livre parmi ceux qu'un public exigeant a intérêt à
consulter.
Monographies concernant le règne de Louis XI. — M. Henri
Stein vient de publier, après de longues années de travail, un énorme
in-octavo de près de 900 pages, dont 300 de pièces justificatives, sur
Charles de France, frère de Louis XI'^. Il sera difficile sans
doute de découvrir un document ou un livre se rattachant à cette
question et que M. Stein n'ait pas connu et utilisé''. Je ne vois
guère qu'une source dont il n'ait pas suffisamment profité : ce sont
précisément ces curieuses dépèches milanaises dont nous avons
parlé plus haut. Peut-être n'a-t-il commencé ses dépouillements qu'à
1. Jeanne d'Arc à Domremy, p. cclxxxv.
2. Il est question, par exemple, de 1' t empereur d'Autriche » à deux
reprises; il n'y avait pas d'empereur d'Autriche au xviii" siècle, pas plus qu'au
xv" (voir p. 132 et 257). Vers 1440, le besogneux René d'Anjou est dit « un des
plus riches princes du temps » (p. 233). Les joutiers et les écorcheurs sont les
« communistes d'alors, ancêtres des bolchevistes d'aujourd'hui! » (p. 157), etc..
3. Paris, Auguste Picard, 1921 (Mémoires et documents publics par la
Société de l'École des chartes, tome X).
4. Disons, en passant, que la préoccupation d'utiliser les renseignements
amassés et les scrupules de l'érudition ne devraient pas conduire à une rédac-
tion aussi massive. Beaucoup de notes de ce livre auraient pu être supprimées
ou abrégées.
88 BDLLETIN HISTORIQUE.
partir de la date de la mort de François Sforza, et B. de Mandrot,
dont il loue les obligeantes communications, ne lui a-t-il envoyé que
la copie des lettres intéressant directement Charles de France ; son
récit de la guerre du Bien-Public se ressent de cette lacune. Sauf
cette réserve, il parait avoir épuisé les sources d'informations. La
biographie personnelle du frère de Louis XI est maintenant, grâce
à lui, un sujet sur lequel il n'y aura plus à revenir. Il suit patiem-
ment Charles de France depuis sa naissance en 1446 et son enfance,
jusqu'à sa mort en 1472. Il nous le montre duc de Berry, duc de
Normandie, duc de Guyenne, raconte sa participation aux intrigues et
aux coalitions féodales, et nous donne des renseignements presque
complètement nouveaux sur l'administration de ses apanages succes-
sifs. Le petit problème historique des causes de sa mort prématurée, à
l'âge de vingt-cinq ans, est résolu définitivement : Charles n'a pas été
empoisonné ; il était fort probablement tuberculeux et syphilitique à la
fois. Sur le caractère de ce jeune homme, M. Stein ne fait que con-
firmer ce que nous savions déjà. Il n'a pas tracé de lui un « portrait «
dans le style académique, et il déclare modestement que la psycho-
logie du personnage lui échappe. Mais, en somme, toutes les fois
qu'il nous le montre en délibération ou en action — ou en inaction
— il nous le présente comme un malingre, un chétif , dépourvu de
volonté personnelle et de perspicacité, destiné à être le jouet d'autrui.
Il y a bien quelque contradiction entre ces appréciations répétées
et concordantes et l'introduction oîi, pour répondre d'avance aux
critiques que soulèvera le choix du sujet de son livre, M. Stein
déclare que Charles de France fut « l'âme de la coalition des princes
contre le pouvoir royal » . Non, même « timidement et presque incons-
ciemment », il ne fut l'âme d'aucune coalition. Que dirait-on alors
de Charles le Téméraire? Celuirlà, à défaut d'intelligence et de
bon sens, était énergique et avait des passions violentes qui ont fait
de lui l'ennemi acharné de Louis XI. Même des personnages de second
plan, comme Odet d'Aydie, ont eu, par leurs initiatives, plus de part
que Charles dans l'inspiration des menées qui ont failli perdre le roi et
plonger la France dans l'anarchie féodale. Charles de France n'a été
qu'un homme de paille et un prête-nom.
Il est évident, dès lors, qu'on peut chicaner M. Stein sur la forme
biographique qu'il a adoptée, et regretter que, si bien préparé à
écrire l'histoire des coalitions féodales pendant la première partie du
règne de Louis XI, il n'en ait traité qu'une partie. La décision qu'il
a prise de limiter ainsi son sujet a fortement gêné M. Stein. A par-
tir du moment où les ligueurs ont mis Charles de France en pos-
session d'un grand apanage, il n'a pas été trop malaisé de donner au
récit une forme biographique. Mais, pour composer son chapitre sur
HISTOIRE DE FRANCE. 89
la guerre de 1465 ', M. Stein a été visiblement embarrassé. A moins
de se contenter d'une énumération, sans grand intérêt, des faits con-
cernant Charles de France, comment procéder? M. Stein a hésité. Il
n'a parlé que par prétérition de la bataille de Montlhéry, parce que
« Charles de France n'y a pas participé ». Mais beaucoup de pages
de son chapitre sont des pages d'histoire générale, et c'est d'ailleurs
pour cette raison que nous le lisons avec tant de fruit. A tout prendre,
le mieux eût été que M. Stein nous donnât une histoire de la guerre
de 1465, plutôt que ce récit partiel. S'il s'y était décidé, il aurait
évité par exemple de nous faire, p. 48-49, un exposé aussi incom-
plet et par suite aussi inexact des ambitions féodales qui menaçaient
Louis XI au début de l'année 1465 : il cite le comte de Charolais,
le duc de Bretagne, le duc de Bourbon, le comte de Foix, et il ne
dit pas un mot des princes de la maison d'Anjou; or, les dépêches
des ambassadeurs milanais prouvent, et B. de Mandrot a justement
insisté sur ce point, que la déconvenue de Jean d'Anjou, abandonné
par Louis XI en Italie, a été une des causes principales de la guerre
du Bien-Public"^.
Il serait tout à fait injuste d'accentuer davantage ces observations.
Nous avons affaire ici à un livre important, qui mérite la plus
grande estime, et qui nous apporte une foule de renseignements nou-
veaux sur le règne de Louis XI. Il suffit de parcourir les titres
des pièces justificatives pour apercevoir immédiatement combien
d'informations curieuses on y trouvera. M. Stein a découvert non
seulement la correspondance de Charles de France, les comptes finan-
ciers qui le concernent, une ordonnance de 1471 sur l'administra-
tion de la Guyenne, un procès-verbal des Etats de Guyenne en
1470, mais des lettres de Louis XI encore inconnues, des instruc-
tions à des messagers, des dépositions très intéressantes, qui apportent
un contingent considérable de faits nouveaux et nous aident à mieux
comprendre cette époque si pleine d'événements et d'intrigues com-
pliquées.
Nous ne pouvons pas dire autant de bien de la brochure consacrée
par feu Jean de Jaurgain à deux contemporains de. Charles de
France, Jean de Lescun. bâtard d'Armagnac, et Odet d'Ay-
die'. Malleta écrivait le 21 novembre 1464 à Sforza qu'à en
1. M. Stein ne réserve pas a cette guerre seule le nom de guerre du Bien-
Public, et il intitule son chapitre . « Les débuts de la guerre du Bien-Public. »
2. Voir dans le tome III de la publication de B. de Mandrot une dépêche du
14 juillet 1465. Cf. l'Introduction historique, au t. II, p. xxxi et suiv.
.3. Jean de Jaurgain, Deux comtes de Commingcs béarnais nu XV' siècle :
Jean de Lcsatn, bâtard d'Armagnac, et Odet d'Aydie, seigneur de Lescun.
Paris, Champion. 1U19, 164 p. (extrait du Bulletin (^e la Société archéologique du
Gers).
90 BULLETIN HISTOEIQUE.
croire Louis XI lui-même, le bâtard d'Armagnac était un des
hommes que le roi aimait le plus et qui avait le plus de crédit
auprès de lui. Dans une dépêche du 6 février 1465, il le qualifie
d' « alter rex », Jean de Lescun, fils naturel d'Arnaud-Guilhem de
Lescun, évêque d'Aire, et d'Annette d'Armagnac, fille de Jean III
d'Armagnac, a été en effet, pendant une vingtaine d'années, un des
conseillers les plus écoutés de Louis. Sa biographie, que M. Sama-
ran n'a pas faite dans son livre sur la Maison d'Aimagnac au
XV^ siècle — aussi bien était-ce un bâtard de Lescun plutôt qu'un
bâtard d'Armagnac — n'a été retracée qu'en partie par Jean de Jaur-
gain. Elle aurait été digne de provoquer des recherches plus atten-
tives et de fournir une matière à quelque jeune élève de l'Ecole des
chartes en quête d'un sujet de thèse. Qu'on nous permette de le
prouver brièvement.
De 1438 à 1444, Jean de Lescun est capitaine de routiers dans le
Midi, servant tantôt la cause de Charles VII, tantôt celle de Jean IV
d'Armagnac et des Anglais. Puis, lorsque le Dauphin emmène les
Ecorcheurs en Alsace, Jean de Lescun s'attache à sa personne', et,
dès lors, il reste jusqu'à la mort son fidèle serviteur. Il le suit en
Dauphiné, et, pendant neuf années, l'aide à administrer sa prin-
cipauté. Les conseillers de Charles VII, qui auraient voulu réduire
à l'obéissance le remuant et insatiable dauphin, considèrent le bâtard
d'Armagnac comme un de leurs adversaires les plus dangereux^. Il
aide notamment son jeune maître à obtenir l'alUance du duc de
Savoie^ et l'appui secret de Jean V d'Armagnac*. Lorsque Louis
s'enfuit auprès du duc de Bourgogne, il le suit, en laissant ses gens
défendre Grenoble contre les troupes du roi^. Nommé en 1458 gou-
verneur du Dauphiné, il n'est qu'un gouverneur in partibus^. Il
partage la mauvaise fortune et la vie inquiète et resserrée de l'exilé.
Des lettres de Louis XI rappelleront plus tard la fidélité que le
bâtard lui a témoignée pendant les quinze années qu'il a résidé avec
1. Tuetey, les Ecorcheurs sous Charles Vil, t. II, p. 70; du Fresne de Beau-
court, Histoire de Charles VII, t. IV, p. 125; Pilot de Thofey, Catalogue des
actes de Louis relatifs à l'administration du Dauphiné, l. I, p. 315, n. 1;
p. 512, n. 1.
2. Marquis de Beaucourt, t. VI, p. 480.
3. Voir Pilot de Thorey, loc. cit., et deux actes de Louis, duc de Savoie, où
figure la souscription du bâtard, dans Samaran, p. 382 et 385.
4. Samaran, p. 118 et n. 2.
5. Marquis de Beaucourt, t. VI, p. 110.
6 M. de Jaurgain, p. 45, dit à tort que Philippe le Bon obtint de Charles VII
la restitution de 1' « "apanage » {sic) du dauphin. On a pu dire au contraire
que ce fut à cette époque que se consomma la réunion du Dauphiné au
domaine royal (Leroux, Nouvelles recherches critiques, p. 335).
HISTOIRE DE FRANCE. 91
lui en Dauphiné, en Brabant et en Flandre, servant loyalement son
maître et dépensant tout son avoir'. A Tavènement de Louis XI, il
devient un personnage de premier plan. Il est comte de Gomminges,
maréchal de France, gouverneur de Guyenne, gouverneur du Dau-
phiné. Si nous consultons le Recueil des ordonnances, nous voyons
qu'il est une des trois ou quatre personnes qui siègent le plus sou-
vent au Conseil de 1461 à 1465. L'Anglais Robert Nevil écrit le
17 novembre 1464 : « Le comte de Comminge... qui est un très
gentil chevalier, otant que j'en ay point vu au royaume de France, et
de quoy ung chascun dit plus de bien, gouverne le roi paisiblement. »
Et Nevil continue en exprimant de gaillarde façon l'ascendant que
le bâtard a pris sur son neveu le comte d'Armagnac 2. Après la
guerre du Bien-Public, cependant, l'étoile de Jean de Lescun pâlit.
Louis XI rend aux conseillers de son père leurs dignités et leur
influence; Jean de Lescun, obligé de restituer le maréchalat de
France au sire de Lohéac, s'éloigne de la cour et se rend dans son
gouvernement de Guyenne; il y renonce presque aussitôt et va finir
sa carrière dans le gouvernement du Dauphiné. Dès son arrivée, il
accomplit une importante réforme : en 1467, la constitution muni-
cipale de Grenoble est profondément modifiée; puis, en 1471. il pro-
cède à une réorganisation du Parlement^. Sauf quelques expédi-
tions militaires dont le roi lui confie le commandement, c'est en
somme l'administration du Dauphiné qui paraît avoir occupé la fin
de cette vie orageuse. On voit que, pour faire la biographie de Jean
de Lescun, il aurait fallu une connaissance approfondie des sources
de l'histoire de France au xv^ siècle, et notamment des sources dau-
phinoises, et non pas seulement des documents béarnais et gascons.
La monographie que Jean de Jaurgain a consacrée à cette intéres-
sante figure est à la fois trop longue et trop courte. Elle est trop
longue, parce que beaucoup de hors-d'œuvre retendent inutilement;
trop courte, parce que la plupart des faits que nous venons de résu-
mer, d'après des livres qu'il est bien facile de consulter, ont totale-
ment échappé à Jaurgain. U n'était pas au courant de la bibliogra-
phie, ne connaissait que quelques-uns des travaux modernes qui
auraient pu l'éclairer, et ne s'était pas préoccupé de faire des recherches
dans les documents dauphinois^. On cueillera des renseignements
1. Ordonnances, t. XV, p. 360.
2. Samaran, p. 144, n. 5.
3. A. Prudhomme, Histoire de Grenoble, p. 276-277; Diiponl-Ferrier, les
Officiers royaux des bailliages el sénéchaussées, p. 672 et suiv., et les notes.
4. ( Le Dauphin », écrit Jaurgain, p. 44, « s'était, des 1447, retiré dans
son apanage {sic), où il s'attribua tous les droits royaux {sic) et se lit détes-
ter (?) par ses exactions (?) ». Cette phrase prouve suHisainincnl que M. de
Jaurgain ne connaît rien de l'histoire du Dauphiné à cette époque.
92 BULLETIN HISTORIQUE.
utiles dans son mémoire, notamment sur le bâtard de Béarn, qui,
au xiv^ siècle, servit successivement les rois d'Angleterre et de
France; sur rarchevêque d'Auch, qui portait le même nom que son
frère Jean de Lescun et que des savants ont parfois confondu avec
le bâtard d'Armagnac; sur la généalogie du favori d'Edouard II,
Pierre de Gabaston, etc.. Mais la biographie du bâtard d'Armagnac
reste à faire. Une grande partie de sa carrière a été complètement
ignorée par M. de Jaurgain ; et, enfin, cette figure de Méridional actif
et intelligent, séduisant et impérieux, qui sut, pendant de longues
années, « gouverner » Louis XI, n'est nulle part mise en lumière;
elle est noyée dans un brouillard de menus faits qu'on ne s'est pas
donné la peine de lier et de rattacher au sujet.
La carrière d'Odet d'Aydie, que Jaurgain a prétendu retracer
dans la seconde partie de son mémoire, forme à bien des égards con-
traste avec celle du bâtard d'Armagnac. Ce petit gentihomme béar-
nais fut d'abord un bon serviteur de la royauté et fit rapidement
fortune à la fin du règne de Charles VII, qui le nomma bailli du
Cotentin et lui donna la seigneurie de Lescun. Mais Louis XI com-
mit la faute, à son avènement, de le destituer; il se réfugia, comme
beaucoup d'autres victimes du nouveau roi, auprès du duc de Bre-
tagne, dont il devait rester jusqu'à la fin un des principaux conseil-
lers, et il usa de son influence sur ce prince faible et inintelligent,
ainsi que sur le médiocre Charles de France, pour intriguer contre
Louis XI, susciter des coaUtions et se pousser aux honneurs. Deux
fois, en 1469 et en 1472, on put croire qu'il avait abandonné pour
toujours le parti de l'opposition féodale : en 1469, il jura fidélité à
Louis XI et lui rendit le sérieux service de décider « Monsieur
Charles » à accepter l'apanage de Guyenne, parce qu'il avait envie
lui-même de devenir grand seigneur dans le Midi ; il ne tarda pas à
oublier son serment et à reprendre ses intrigues; en 1472, Louis XI
réussit de nouveau à se l'attacher par de grandes faveurs, en même
temps qu'il gagnait Commynes ; mais, pendant la régence des Beau-
jeu, Odet rentra dans l'opposition. ,
Pour se faire une idée nette du personnage, nous ne pouvons que
conseiller d'avoir recours, comme auparavant, à des ouvrages dont
Jaurgain paraît avoir ignoré l'existence : là- très sérieuse Histoire
de la réunion de la Bretagne à la France, d'Antoine Dupuy ; l'in-
troduction de M. Camille Favre au roman historique du Jouvencel;
le Gaston IV de M. Courteault^ Jaurgain a fixé la généalogie
1. On trouvera, sur Odet d'Aydie, des détails nouveaux, dans le livre ci-des-
sus apprécié de M. Henri Stein, livre que Jaurgain n'a pu connaître.
HISTOIRE DE FRANCE. 93
d'Odet d'Aydie et donné quelques détails nouveaux sur son séjour
en Guyenne. Il a rectifié des erreurs de détail, montré qu'on l'avait
parfois confondu avec son frère, Odet le jeune, notamment pour les
événements de la Guerre-Folle, auxquels ils ont été mêlés tous les
deux. Mais la carrière de ce gentilhomme remuant et intrigant, qui
réussit en somme à se faire une brillante fortune tout en jouant les
jeux les plus dangereux, aurait mérité un exposé plus intéressant,
plus vivant, et aussi plus complet et mieux étudié. Par exemple,
nous possédons le serment de fidélité prêté par Odet à Louis XI le
6 février 1469* ; pourquoi ne l'avoir pas recherché? Quant au revi-
rement qui a suivi et à l'attitude prise par Odet d'Aydie pendant la
redoutable crise de 1471-1472, où Louis XI faillit perdre la cou-
ronne, i| est impossible d'en saisir la signification si l'on se contente
de consulter le mémoire de Jaurgain. Le projet de mariage entre
Monsieur Charles et une des filles de Gaston de Foix n'était nulle-
ment, comme il le prétend, une feinte. Odet réussit à faire conclure
le mariage de François II de Bretagne avec une autre fille de Gas-
ton, et son projet était de nouer une coalition entre les maisons de
Bretagne et de Foix et la nouvelle maison de Guyenne. De là, le
sentiment de haine furieuse qui éclate à son endroit dans une lettre
de Louis XI, datée du 7 février 1471. Odet y est traité d' « homme
de povre et basse condition... coustumier de telles cédicions, trahi-
sons et conspirations » pour « soy enrichir iniquement ». Il « a
entreprinz le gouvernement de la personne et des affaires de nostre-
dit frère de Guyenne ». « Il fut le premier inventeur et principal
auteur des troubles, guerres, n\aulx et divisions qui, depuis lesdits
sept ans, ont esté en nostre dit royaulme^. » Jaurgain n'a pas connu
ce document. Par un malheur dont la continuité étonne, cet érudit
a laissé échapper les textes caractéristiques, et par la maladresse de
sa méthode d'exposition, qui consiste à aligner ses fiches les unes
au bout des autres, les faits insignifiants apparaissent au même plan
que les autres. Et pourquoi citer des pages entières de vieux livres,
tels que VHistoire de Bretagne de Taillandier, ou Vllistoire de
Louis XI de Duclos? Pourquoi ces documents reproduits sans
commentaire dans le corps môme du récit, alors qu'ils auraient
souvent grand besoin d'être interprétés? Nous ne nous lasserons pas
1. M. Favre, Introduction au Jouvencel (Société de l'Histoire de France),
p. ccLxxiii, n. 1, a indiqué que ce document se trouvait dans le manuscrit
français 20430, fol. 41.
2. Duc de La Trémoille, Archives d'un serviteur de Louis XI, 1888,
p. 45.
94 BULLETIN HISTORIQUE.
de répéter que des livres préparés et écrits de cette façon n'ont rien
de commun avec l'histoire, qui est une science et un art.
Ch. Petit-Dutaillis.
HISTOIRE DE L'ISLAM.
Dans la Revue historique de septembre-octobre 1913, nous
avons puTïlié un bulletin sur l'histoire de l'Islam, dans lequel nous
avons signalé les principales publications parues sur ce sujet depuis
le début du xx'' siècle jusqu'en l'année 1913. C'est la suite de ce
premier travail de recension et d'analyse que nous reprenons après
un long intervalle dû aux événements tragiques par lesquels nous
avons passé, en faisant partir notre revue de l'an 1914 pour la con-
duire jusqu'à la fin de 1920.
La période de guerre 1914-1918 a été néfaste pour les études
scientifiques dans tous les domaines; l'orientalisme sémitique n'a
point échappé à cette dure nécessité. On peut dire aussi, malheu-
reusement, que, depuis l'armistice et la conclusion de la paix, les
circonstances n'ont guère été plus favorables : la cherté excessive et
croissante de la vie a eu ses répercussions dans l'imprimerie, la
fabrique du papier, et, par suite, la librairie. On sait quels prix
fabuleux les éditeurs et les auteurs ont à subir aujourd'hui pour
publier un volume, une revue, un journal ou une simple brochure.
Il est résulté de cet état de choses déplorable que, pendant la guerre,
nombre de revues ont cessé de paraître ou n'ont été imprimées qu'à
de longs intervalles ou sous une forme réduite et condensée. Il en
va de même pour de grandes publications scientifiques. C'est ainsi
que les éditeurs des Annali deW Islam, de Leone Caetàni, en
ont suspendu l'impression et le dernier fascicule de YEncyclopédie
de l'Islam (23« livraison) est de 1916. Toutefois, tandis que presque
partout s'est amoindrie ou même a disparu la production scienti-
fique dans ces branches d'études désintéressées que Renan tenait en
si haute estime à cause de ce caractère même, on est heureux de
constater qu'une publication aussi importante que VE^icyclopae-
dia of Religion and Ethics, éditée par James Hastings, a conti-
nué de paraître à Edimbourg pendant la durée de la guerre et depuis
la conclusion de la paix : cinq volumes (tomes VII à XI) ont été
imprimés de 1914 à 1920; nous aurons plus loin l'occasion d'y
signaler des articles intéressants pour l'histoire de l'Islam.
HISTOIRE DE l'iSLAM. 95
Nous laisserons de côté les publications nombreuses de la littéra-
ture courante relative à l'Islam (romans, nouvelles, contes, voyages,
descriptions de pays et de villes, etc.), dont plusieurs méritent sans
doute d'être lues, mais qui n'ont aucun titre à être considérées
comme ayant une valeur scientifique. Nous n'examinerons que les
ouvrages relevant, à quelque point de vue que ce soit, de la science
historique.
Dans notre bulletin de 1913, nous avions dressé la liste des revues
s'occupanl de l'histoire de l'Islam. Pourlapériode 1914-1918, on trou-
vera dans la Revue de l'histoire des religions de novembre-dé-
cembre 1919 un bulletin des périodiques de l'Islam, très exact, par
René Basset. Il n'y a guère que la Revue du monde musulman
qui n'y soit pas recensée.
Aux revues que nous avons signalées, il y a lieu d'ajouter, avec
une mention spéciale, les Archives berbères (Paris, E. Leroux),
dont le premier volume a paru en 1915-1916, et qui renferme de
sohdes études sur l'histoire de l'Islam berbère au Maroc. Ce pério-
dique est publié par le Comité d'études berbères de Rabat.
Pendant la guerre, depuis 1917, il a été publié en Allemagne une
revue très bien informée sur l'Orient et l'Islam, Der neue Orient
(Berlin*) ; ce périodique continue de paraître. C'est aussi pendant la
guerre, en 1917, qu'a été lancée la belle publication illustrée France-
Maroc (Paris ^) qui, à plusieurs reprises, a inséré des articles his-
toriques sur l'Islam marocain.
Dans la catégorie des ouvrages généraux, nous pouvons mention-
ner le second volume paru des Studi distoria orientale (tome III),
de Leone Caetani^. Ce volume expose, avec toute l'érudition qui
caractérise l'auteur, la biographie de Mahomet prophète et homme
d'État (p. 1-305), l'origine du califat (p. 307-343) et la conquête de
l'Arabie (p. 345-418).
L'Université de Genève a publié en 1917, à Paris, chez Fischba-
cher^ à l'occasion de sa trentième année de professorat, un volume
d'Études orientales et religieuses d'Edouard Montet. Dans ce
recueil, où l'histoire de l'Islam occupe une place importante, il y a
lieu de citer les articles sur les confréries religieuses de l'Islam
marocain, le culte des saints dans l'Islam au Maghreb, Fez, ville
sainte et ville savante, et Marrakech, la capitale du sud. Le même
1. Verlag « Der neue Orient ». Berlin, Abonnement : 20 m. (Allemagne).
2. Le bureau de la Revue éUit, à cette date, à Paris, 4, rue Chauveau-
Lagarde. Prix du numéro : 1 fr. 50.
3. Milan, Ilocpli, 1914, in-8% ix-431 p.; prix : 8 lire."
4. In-8% xii-359 p.; prix : 10 fr.
96 BULLETIN HISTORIQUE.
auteur a publié chez Payot * un volume de vulgarisation scientifique
intitulé l'Islam, où l'histoire islamique, aux points de vue reli-
gieux, politique, administratif, littéraire, scientifique et artistique,
est exposée d'une manière succincte, mais dans une lumière suffi-
sante pour en faire saisir l'intérêt et la valeur. '
Dans le recueil de mémoires publié en mai 1914 sous la direc-
tion de Karl Marti^, à l'occasion du 70^ anniversaire de JuIIusWell-
HAUSEN, il n'y a qu'un seul travail relatif à l'Islam sur la légende
de l'ascension au ciel de Mahomet (A. Bèvan). Mais, dans ce
recueil, Alfred Rahlfs a donné la liste complète des écrits de Well-
hausen ; on y trouvera indiqués tous les ouvrages de ce savant ara-
bisant sur l'histoire de l'Islam, ainsi que tous les comptes-rendus
qu'il a donnés des publications faites dans le champ des études
musulmanes. L'index est très utile et c'est pour cela que nous le
signalons.
L'ouvrage intitulé Miscelanea de estudios y textos arabes^,
publié à Madrid en 1915, contient, entre autres mémoires, une
étude intéressante de A. Prieto y Vives sur la réforme numisma-
tique des Almohades. Ce volume de 752 pages est consacré presque
entièrement à la publication d'un texte arabe important dont nous
parlerons plus loin et à des travaux sur des manuscrits arabes et
aliamiados^ des bibliothèques de Tolède et de Madrid, et sur d'autres
textes intéressants pubUés ou inédits.
Parmi les ouvrages de vulgarisation destinés au grand public,
nous tenons à citer, bien que l'histoire de l'Islam n'y occupe qu'une
place restreinte, la belle publication illustrée : l'Autre France^, de
Henri Lorin, Marcel Nési et Jean Garoby, sous la direction de
Louis Querouil-Archinard. Le milieu historique a été traité par
M. Nési. Des publications de ce genre, destinées à faire bien con-
naître nos colonies et pays de protectorat africains musulmans, sont
tout à fait à recommander.
1. Paris, Payot, 1921, in-8% 160 p.; prix 4 fr.
2. Studien zur semitischen Philologie und Religionsgeschichte Julius
Wellhausen zum lOsten Geburlstag (Beiliefte zur Zeitschrift fiir die alttesta-
raentliche Wissenschaft, 27). Berlin, A. Topelmann, in-8», xii-388 p.; prix [en
1914] : 24 fr.
3. Junta para ampliâcion de^ estudios e investigaciones cientificas. Madrid,
in-8', xv-752 p.; prix : 15 pesetas.
4. C'est-à-dire en arabe corrompu et en castillan, parlé par les Maures d'Es-
pagne et écrit en caractères arabes.
5. Tunisie, Algérie, Maroc. Bordeaux, Feret et fils, 1914, in-4°, ii-408 p.;
prix . 30 fr.
HISTOIRE DE l'iSLAM. 97
Dans la catégorie des écrits encyclopédiques, nous avons trois
ouvrages intéressants à signaler.
L'illustre arabisant espagnol Francisco Codera avait publié en
deux volumes, en 1887 et 1889, le texte arabe de l'ouvrage célèbre
d'iBN el-Abbâr, connu sous le nom de Takmila-t-essila, impor-
tant dictionnaire biographique des savants de l'Espagne. Codera
avait fait paraître ce texte d'après le manuscrit incomplet de l'Es-
curial. Des compléments (texte arabe) à cette édition, d'après un
manuscrit du Caire, ont été publiés en 1915 à Madrid par M. Alar-
cÔN et G. Palencia dans le recueil cité plus haut des Miscelanea,
de estudios y textos arabes (p. 149 à 690).
Les recherches faites à Fez par A. Bel luiont permis de trouver
un manuscrit assez complet de la Takmila dans la riche biblio-
thèque du chérif Elkittâni. En attendant la publication, en voie de
préparation, du texte du commencement de la Takmila (partie non
éditée.par Codera), M. A. Bel et M. Ben-Cheneb ont communiqué
dans la Revue africaine d'Alger (n°' 296-297), en 1918, la préface
d'Ibn el-Abbâr à sa Takmila (texte arabe et traduction française).
Cette préface fort intéressante nous apprend que l'auteur arabe avait
entrepris la rédaction de son ouvrage en 631 H. (1233 E. X.). Des
allusions aux événements historiques de celte époque montrent le
désarroi de la politique musulmane en Espagne au temps de la
rédaction de la préface, en 646 H. (1249 E. X.). A. Bel et M. Ben-
Cheneb ont rendu un véritable service à la science islamique en fai-
sant connaître cette préface, qui n'est que le prélude de la publica-
tion plus importante destinée à compléter tout ce qui a déjà paru
de la Takmila.
Le catalogue (en arabe) des livres de la bibliothèque de la mos-
quée d'El Qarouiyihe, à Fez, a été publié dans cette ville à l'impri-
merie municipale en 1918. A. Bel l'a fait précéder d'une préface
intéressante où sont signalés plusieurs des manuscrits impor-
tants que la bibliothèque possède encore. On sait que la biblio-
thèque de Qarouiyine, célèbre autrefois au Maroc par les manus-
crits qu'elle renfermait, a été, à plusieurs reprises, livrée au
pillage, et qu'elle a été finalement réduite à un état lamentable.
On y compte aujourd'hui 1,640 numéros (1,542 manuscrits et
98 imprimés). Mais, dans le nombre, il en est beaucoup d'incom-
plets, sans parler des volumes en lambeaux. La publication d'un tel
catalogue, qui intéresse au plus haut degré l'histoire de l'Islam, était
nécessaire pour permettre de travailler à la reconstitution de cette
bibliothèque fameuse dans les annales de l'Islam.
REV. HiSTOR. CXXXVIII. 1" FASC. 7
98 BTJLLETm HISTORIQUE.
La personnalité de Mahomet est toujours le sujet de nouveaux
travaux.
Sous le titre de la Vie de Mohammed, prophète d'Allah\
E. DiNET, le célèbre peintre orientaliste, et Sliman ben Ibrahim ont
publié une histoire de Mahomet qui est une merveille d'art. Les
illustrations admirables du maître Dipet et les décorations orien-
tales de Mohammed Racim font de cet ouvrage, dédié à la mémoire
des Musulmans morts pour la France, une œuvre artistique de pre-
mier ordre. Le texte, écrit au point de vue traditionnel musulman,
est très intéressant à lire; mais l'absence de critique historique
enlève toute autorité scientifique à cette publication magistrale au
point de vue artistique. Un mérite des auteurs a été de rattacher la
vie du prophète, telle qu'ils la racontent, aux pratiques de l'Islam
actuel ; ce procédé ingénieux donne beaucoup de vie à leur narration.
Signalons, à propos de Mahomet, la seconde édition de l'ouvrage
classique de Théodore Noeldeke sur l'histoire du Coran, refondue
par P. ScHWALLY^. La première partie, qui traite de l'origine du
Coran, avait paru en 1909; la seconde, qui a pour sujet la réunion
de la collection coranique et l'examen des documents musulmans
et des travaux des savants chrétiens sur le livre sacré, n'a été publiée
qu'en 1919.
L'histoire de l'Islam revêt toujours un caractère religieux ; lareh-
gion y est inséparable de la politique : c'est le fait que nous allons
constater une fois de plus dans la bibliographie que nous en don-
nons.
Comme ouvrage embrassant toute l'histoire dé l'Islam, nous
avons à citer les deux volumes de V Histoire des Arabes^ de
C. HuART. C'est un livre dont la lecture est à recommander à tous
ceux qui désirent avoir une connaissance générale des origines et du
développement de l'Islam : tous les sujets que comporte cette his-
toire sont traités (rehgion, politique, administration, lettres, sciences,
etc.) depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'époque contempo-
raine. Une carte, des listes chronologiques de souverains, des biblio-
graphies partielles pour chaque sujet, etc. , enfin un index général
rendent cette œuvre encyclopédique de l'Islam très pratique. On ne
saurait que féliciter l'auteur de la conscience qu'il a mise à compo-
ser ce savant et bel ouvrage.
1. Paris, H. Piazza, 1918, in-4°, iv-177 p.; prix : 150 fr.
2. Noeldeke, Geschichte des Qorans. Leipzig, Dieterich, 2 vol. in-8". I Theil :
x-262 p.; II Theil : vii-227 p.; prix en Allemagne : 35 m. 75.
3. Paris, P. Geuthner, 1912-1913, in-S". T. I : iv-381 p.; t. II : 512 p.; prix :
40 fr.
HISTOIRE DE l'iSLAU. 99
Dans YEncyclopaedia of Religion and Ethics, éditée par
James Hastings*, plusieurs articles importants sur l'histoire géné-
rale de l'Islam doivent être signalés : Mahomet (D. S. Margoliouth),
Mahométisme : Arabie, nord et centre de l'Afrique (D. S. Mar-
goliouth), Asie centrale (A, Vambèry), Chine (M. Hartmann),
Indes (T. W. Arnold), Perse (W. A. Shedd), Syrie et Mésopo-
tamie (T. H. Weir), Turquie (F. Giese). Comme articles plus
spéciaux, nous citerons ceux qui traitent de la prière, du pèleri-
nage et de la loi (Th. W. Juynboll) et des ordres religieux et de
leur histoire (E. Montet).
Comme ouvrages traitant de sujets historiques limités, nous atti-
rerons l'attention sur les écrits suivants :
La Syrie, dont la situation préoccupe tous ceux qui s'intéressent
aux questions d'Orient, a été l'objet d'une vaste étude, où l'histoire
tient une place importante, de la part du D' G. Samné. L'ouvrage
a pour titre la Syrie^.
Sur la pohtique de Bonaparte à l'égard de l'Islam, M. Christian
Cherfils a publié une étude très documentée et du plus grand
intérêt : Bonaparte et l'Islam d'après les documents français
et arabes^. Ce qui frappe surtout dans cet ouvrage, et ce que l'au-
teur a su mettre en relief, c'est combien ce grand génie que fut
Napoléon I" avait compris et pénétré l'esprit musulman.
M. Carlo Alphonse Nallino a publié une étude très judicieuse sur le
caractère du califat en général et le prétendu califat ottoman : Notes
on the nature of the Caliphate in gênerai and on the alleged
Ottoman Caliphate*. Il conclut cet opuscule parce jugement très
exact : « En acceptant le califat ottoman, ou tout autre califat, les
peuples de l'Islam ont la conscience très nette de tromper leurs
dominateurs européens et de faire un acte perpétuel de protesta-
tion politique contre eux. Il est vraiment extraordinaire que les
Etats européens se donnent la peine de revivifier artificiellement
une institution qui est morte d'elle-même il y a plusieurs siècles. »
Les arabisants espagnols se sont fait une spécialité des études
philosophiques musulmanes, et, depuis 1914, ils ont publié sur
l'histoire de la philosophie islamique, branche importante de la
science de l'Islam, des travaux remarquables. Voici la liste des prin-
cipaux d'entre eux. A l'exception du premier, qui a été publié par
1. Vol. VII à XI. Edinburgh, T. and T. Clark, 1914 à 1920.
2. Paris, Bossard, 1920, in-8°, 750 p., avec 30 photographies et 6 cartes
hors texte; prix : 48 fr.
3. Paris, A. Pedone, 1914, in-8% 299 p.; prix : 8 fr.
4. Translated from the 2d italian édition. Roma, 1919, Ministrj of the Colonies.
100 BULLETIN HISTORIQUE.
TAcadémie royale des sciences morales et politiques de Madrid, tous
ont été édités par la « Junta para ampliaciôn de estudios e investi-
gaciones cientifîcas » (Madrid) , que nous avons déjà citée.
Nous placerons en tête de cette collection l'ouvrage général de
Miguel AsÎN sur les origines de la philosophie hispano-musulmane
[Ahen masarra. y su escuela*). Le traité de logique de Abusalt
DE Dénia, intitulé Rectificaciôn de la mente, a été publié (texte
arabe et traduction) par C. Angel Gonzalez Palencia (1915)^.
L'« Introduction à l'art de la logique » de Abentomlus de Alcira
(texte arabe et traduction) a été traduite par Miguel Asîn (1916) 3.
Le « Manuel d'algèbre » de Abenbèder (texte arabe et traduction)
a été publié par José A. Sânchéz Pérez (1916)''. Le traité de
morale pratique [Los caractères y la co7iducta], par Abenhazam
DE CÔRDOBA, a été traduit par Miguel Asîn (1916)'. Enfin le traité
de métaphysique [Compendio de metafisica) d'AvERROÈs a été
publié (texte arabe et traduction) par Quirôs Rgdriguez (1919)^.
Nous devons ajouter à cette liste brillante de savantes éditions le
catalogue des manuscrits arabes de la bibliothèque de la Junta
{Manuscritos arabes y aljamiados), publié sous la direction de
J. RiBERA et M. Asîn', et où l'on trouve de nombreuses notices inté-
ressantes pour l'histoire de l'Islam.
Ajoutons à cette liste de travaux spéciaux des savants espagnols
une étude générale sur l'histoire de la philosophie musulmane de
T. J. DE BoER, l'historien hollandais bien connu de la philosophie
arabe. Cette étude a paru dans VEncyclopaedia of Religion and
Ethics {Philosophy : Miislim) qui a été citée plus haut.
Parmi les ouvrages importants dont la publication prochaine est
annoncée, nous citerons l'histoire de l'Islam en Chine de M. Hart-
mann : Zur Geschichte des Islam in China^.
Au moment où nous mettions la dernière main à cet article, nous
avons été très heureux de recevoir l'excellente traduction que Féhx
Arin a faite de l'ouvrage classique d'Ignacz Goldziher sur l'Islam.
Nous avons rendu compte avec détail de l'ouvrage du savant pro-
1. 1914, In-S", 167 p. Publication de l'Académie royale de Madrid.
2. In-8°, 137 et 53 p. (pag. arabe); prix : 4 pesetas.
3. In-8% XXIX, 153 et 109 p. (pag. arabe); prix : 7 pesetas.
4. In-8°, xLTii, 117 et 76 p. (pag. arabe); prix : 6 pesetas.
5. In-8°, xxxi-179 p.; prix : 5 pesetas.
6. In-8*, XL, 307 et 171 p. (pag. arabe) ; prix : 10 pesetas
7. Madrid, 1912, in-8% xxix-320 p.; prix : 10 pesetas.
8. Cet ouvrage formera le tome X de la collection : Quellen und Forschuïi'
gen zur Erd- und KuUurkunde. Leipzig, W. Heim ; le prix en sera en Alle-
magne de 175 m.
HISTOIRE DE l' ISLAM. 101
fesseur hongrois, dans cette Revue, en 1913'. Goldziher adonné
comme titre à son travail : « Leçons sur l'Islam' » [Vorlesungen
liber den Islam) ; le traducteur français l'a intitulé : le Dogme et
la loi de l'Islam, avec le sous-titre : « Histoire du développement
dogmatique et juridique de la religion musulmane^. » En fait, c'est
un ouvrage général'sur l'Islam, fait avec une précision et une richesse
de documentation dont était seul capable ce maître de la science
islamique.
L'ouvrage est divisé en six chapitres intitulés dans la traduction :
I, Mohammed et l'Islam; ii, Développement de la loi; m. Dévelop-
pement dogmatique ; iv, Ascétisme et sufisme ; v, Les sectes ; vi. For-
mations postérieures. L'auteur embrasse, aa double point de vue
religieux et juridique, tout le champ du développement de l'Islam'
depuis ses origines jusqu'au temps actuel.
Les idées principales exposées par l'auteur sur ce vaste sujet sont
les suivantes : éclectisme de l'Islam à ses débuts, rôle joué par l'es-
chatologie dans la prédication de Mahomet ; les préoccupations escha-
tologiques ont été la cause première de la tendance ascétique dans
l'Islam. Quelques-unes des observations les plus fécondes qu'ait
faites l'éminent maître de l'Université de Budapest portent sur le
caractère mondial de la mission du prophète arabe, sur le fait que
le Coran contient en germe tout le développement futur de l'Islam,
à tous les points de vue, sur l'importance capitale de la tradition
écrite [hadîth) dans laquelle s'expriment la loi et la doctrine
religieuses.
E. MONTET.
1. Numéro de septembre-octobre, p. 113.
2. Paris, Paul Geuthner, 1920, 1 vol. gr. in-8% vm-317 p.; prix : 20 fr.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Félix OswALD et T. Davies-Pryce. An introduction to the study
of Terra Sigillata. Treated from a chronological standpoint.
Londres, Longmans, GreenetC'% 1920. Gr. in-4°, xii-286 pages
et 85 pi.
Les trouvailles faites par MM. Oswald et Davies-Pryce à la station
romaine de Margidunum, dans le comté de Nottingham, les ont amenés
à faire un travail d'ensemble sur la poterie rouge sigillée, la Terra
sigillata. Après tant d'excellents travaux sur ce sujet, principalement
après celui de Déchelette, à la mémoire duquel ils ont dédié le leur,
ils ne pouvaient guère avoir d'autre but ni d'autre ambition que de
les résumer, de les coordonner en tenant surtout compte des trouvailles
et des ateliers des régions belges et rhénanes, d'écrire une sorte de
manuel essentiellement chronologique. Ils y ont pleinement réussi et
les tableaux, les classifications, surtout les bonnes illustrations de leur
ouvrage rendront d'incontestables services. Après une introduction
sur les origines orientales de cette poterie et sa diffusion en Italie et
en Gaule, les trois premiers chapitres exposent l'histoire du groupe
italien d'Arezzo, ses dates, ses principaux types de dessins, la liste
des trouvailles; puis l'histoire du groupe provincial, qui comprend la
liste complète des ateliers de la Gaule et des régions rhénanes, leurs
traits caractéristiques, les périodes de leur production, les noms de
leurs potiers, les lieux des découvertes, avec les dates de l'occupation
romaine, les zones d'exportation. Le chapitre iv, consacré aux timbres
des potiers, les divise en sept groupes chronologiques et donne leurs
noms avec la forme, la provenance et les particularités des vases. Le
chapitre v décrit, d'après les classifications et les numéros de Dragen-
dorff, de Déchelette et de Knorr, les principaux types de vases ornés :
coupes à pied, à fond en forme de carène, cyUndriques, hémisphé-
riques, circulaires avec bords plats décorés, marmites et pots. Le
chapitre vi est consacré à l'origine et au développement des dessins
décoratifs, dans les trois groupes du sud, du centre et de l'est de la
Gaule. Ils reproduisent surtout soit des plantes et des animaux, soit
des figures, soit des motifs de la mythologie hellénique, empruntés à
la céramique, à la sculpture et à la ciselure; les ateliers du sud
emploient à la fois les trois catégories; ceux du centre, de Lezoux,
surtout les deux dernières. Dans le chapitre vu sont étudiés des
détails d'une grande importance chronologique : l'ove, son origine,
(fleur et bouton du lotus), son évolution, sa stylisation; les bordures
J. HATZFELD : LES TRAFIQUANTS ITALIENS DANS l'oRIENT OELLÉNIQDE. 103
et motifs de démarcation, grains de collier, astragales, spirales, guir-
landes. Les chapitres viii et ix sont consacrés aux vases lisses, sans
décoration, ramenés à trente-deux formes; aux fabrications diverses,
vases marbrés, à décor incisé, à reliefs d'applique, ornés à la batbo-
tine. Le chapitre x revient, sans grande utilité ni originalité, sur l'ori-
gine orientale et l'évolution de la Sigilla.ta et étudie à ce point de vue
quelques motifs de décoration, tels que la croix de Saint-André, le
nautilus, la pointe de flèche, les écailles, la feuille cunéiforme, la
grenade, le bouton lancéolé, la guirlande de feuilles d'olivier. Viennent
ensuite : une chronologie de l'histoire de la Sigillata; trois excellentes
bibliographies, une des ouvrages généraux, une des travaux de détail,
une des livres sur les matières connexes; un appendice sur quelques
potiers des ateliers italiens, sur des prototypes de figures de vases
gaulois, sur des pièces rares; deux index, dont un des noms de potiers;
une carte' des principaux ateliers et des routes commerciales, et quatre-
vingt-quatre planches, dont les principales reproduisent, avec l'indica-
tion de la provenance, de la marque de potier, de la collection, de la
publication, de la forme, un certain nombre de vases ou de dessins
ou de motifs décoratifs, rangés de façon à correspondre aux types
classiques et numérotés soit principalement de Dragendorff et de
Déchelette, soit de Knorr, Ritterling, Walters, Curie, Ludowici.
Ch. LÉCRIVAIN.
Jean Hatzfeld. Les trafiquants italiens dans l'Orient hellé-
nique. Paris, E. de Boccard, 1919. In-8°, 413 pages. (Biblio-
thèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, fasc. CXV.)
La monographie de M. Hatzfeld n'est pas seulement une excellente
étude d'une des questions les plus curieuses et les moins connues jus-
qu'ici de l'histoire économique de l'antiquité. Comme je voudrais le
montrer, la portée de ses conclusions dépasse ce cadre et les historiens
du moyen âge occidental et byzantin devront en tenir le plus -grand
compte.
On sait, en effet, quelle a été l'importance de l'action exercée sur la
civilisation occidentale au début du moyen âge par les colonies de
marchands syriens (on appliquait ce nom générique à tous les Orien-
taux), établis non seulement dans les grands ports, mais très loin dans
les villes de l'intérieur. Leur activité se manifeste dès le début de
l'ère chrétienne et va en s'accroissant jusqu'à l'époque de Charle-
magne. Leur rôle dans, la diffusion des idées religieuses, des modes,
des procédés techniques et artistiques de l'Orient a été souvent étu-
dié, mais on n'avait pu jusqu'ici découvrir les causes profondes de cet
afflux de marchands orientaux, qui s'explique sans doute naturelle-
ment après les ravages des invasions barbares, mais qui parait moins
104 COMPTES-BENDUS CRITIQUES.
intelligible à l'époque du Haut-Empire, alors que l'Occident jouissait
encore d'une grande prospérité économique.
Or, ces causes ressortent d'une manière extrêmement claire de
l'étutie de M. Hatzfeld. Après avoir soumis à une critique sévère tous
les textes et les inscriptions qui peuvent nous renseigner, il a montré
que l'histoire des « negotiatores » italiens en Orient comprend quatre
périodes : l. Au milieu du iiP siècle av. J.-C. ils apparaissent encore
timidement en Grèce, dans les Cyclades, en Asie Mineure à Pergame.
— j2. De 146 (époque des grandes annexions, de la destruction de
Corinthe et de Carthage) jusqu'à la guerre de Mithridate en 88, les
« negotiatores », qui appartiennent surtout à l'Italie inéridionale et
aux municipes plus qu'à Rome, se précipitent en foule vers l'Orient.
On peut évaluer jusqu'à d 0^,000 le nombre de ceux qui sont établis en
Asie (voir p. 52 la discussion intéressante sur le chifîçe des victimes
de Mithridate en 88) et leur centre le plus important est l'île de Délos,
dont la prospérité atteint son maximum pendant cette période.
M. Hatzfeld a donné une explication nouvelle de cet essor brillant de
Délos, attesté par les monuments et les inscriptions dont la décou-
verte fait tant d'honneur à l'École française d'Athènes. Selon lui, ce
n'est pas seulement à sa situation géographique que Délos doit d'avoir
été choisie comme entrepôt du commerce entre l'Orient et l'Occident :
une autre des Cyclades aurait pu jouer le même rôle. Le sol de Délos
est pauvre, l'industrie y était nulle, le port même est médiocre. Mais
Délos avait toujours son sanctuaire d'Apollon, qui lui avait assuré un
traitement de faveur sous tous les régimes. Sous les Diadoques, alors
que les autres îles étaient occupées par des garnisons égyptiennes,
macédoniennes, rhodiennes, Délos resta indépendante et ce fut cette
liberté même qui y attira le commerce. Les Romains supprimèrent
sans doute cette indépendance, mais, avec leur doigté habituel, ils
sauvegardèrent la valeur de ce marché international en restituant
Délos à sa vieille métropole d'Athènes. Désormais Délos connut une
prospérité inouïe. Les marchands de Tyr et de Béryte, ayant perdu
en 146 le débouché incomparable qu'était Carthage, portèrent leurs
marchandises à Délos où les « negotiatores » italiens venaient les
recevoir. Le somptueux oixoç des Posidoniastes de Béryte et l'agora
des Italiens élevés l'un près de l'autre à la même époque sont les
temoignages.de ces relations entre les Italiens et les Orientaux. —
3. De la guerre de Mithridate au début de l'Empire on constate l'apo-
gée de ce mouvement d'expansion des « negotiatores » italiens en
Orient. Sans doute Délos, ruinée par la guerre, a perdu toute son
importance, mais les marchands italiens dominent dans tout le monde
grec et se réservent le monopole des importations des produits d'Orient
en Italie et des exportations des produits italiens (produits agricoles,
objets fabriqués dans les villes manufacturières de la Cisalpine, céra-
mique d'Arretium) en Orient. M. Hatzfeld insiste sur ce fait que l'Ita-
lie n'est pas seulement un pays de consommation, mais exporte ses
J. HATZFELD : LES TRAFIQUANTS ITALIENS DANS l'oKIENT HELLENIQUE. 105
produits jusqu'en Asie Mineure et en Arabie. — 4. Enfin sous l'Empire
on assiste, aux je"" et ii» siècles, à la décadence et à la disparition des
communautés italiennes d'Orient. Elles abandonnent la Grèce cen-
trale, les Cyclades, puis les ports d'Asie Mineure. Elles se main-
tiennent jusqu'au II" siècle en Macédoine, dans le Péloponèse et aussi
en Lydie, en Phrygie, en Isaurie. Le dernier texte qui les mentionne
est une inscription de Gortyne de 195.
On a cherché les causes de cet arrêt dans la conquête des Gaules
et de la Bretagne qui avait détourné les Italiens du commerce avec
l'Orient. M. Hatzfeld montre que justement l'expansion des « nego-
tiatores » dans les provinces d'Occident est contemporaine de leur
activité en Orient et que c'est à la même époque aussi, vers la fin du
II» siècle, qu'ils ont déserté à la fois les marchés d'Orient et d'Occi-
dent.
C'est au ralentissement de la production et du mouvement des
affaires en Italie à l'époque impériale qu'il faut attribuer cet affaisse-
ment. Le développement de la grande propriété a diminué la culture
de la vigne et de l'olivier. Les industries manufacturières ont péri-
clité. L'énorme consommation de produits exotiques par l'Italie a
amené un exode des capitaux dont Pline l'Ancien {Hist. nat., XII, 41)
montrait déjà le danger.
Alors ces marchands orientaux, ces « Syriens » qui venaient autre-
fois vendre les produits d'Orient aux « negotiatores » italiens dans les
ports helléniques, sont venus établir leurs centres d'opérations en Ita-
lie même et dans tout l'Occident. Déjà avant l'Empire, même lors-
qu'ils venaient vendre leurs marchandises à Délos, ces marchands
syriens ou alexandrins avaient gardé le monopole du commerce asia-
tique et des routes maritimes ou continentales de l'Inde. Il est signi-
ficatif, comme l'a montré M. Hatzfeld, que les « negotiatores » italiens
se soient peu établis en Syrie et que l'existence de leur communauté
à Alexandrie n'apparaisse guère avant l'époque impériale. Désormais
les Syriens viennent eux-mêmes apporter ces produits en Occident.
Dès 39 av. J.-C, des Nabatéens consacrent à Pouzzoles un sanc-
tuaire à leurs divinités nationales et la stèle funéraire de Flavius
Zeuxis, un Grec naturalisé, à Iliérapolis à la fin du i«'' siècle nous
révèle qu'il a fait soixante-douze fois le voyage d'Italie.
Ainsi l'on voit clairement à quelle époque précise et pour quelles
raisons l'expansion commerciale des Italiens en Orient a été suivie
d'un choc en retour, d'une véritable immigration des marchands
syriens en Occident, dont les effets durables ont exercé une action
incalculable sur les transformations de la société occidentale. Ce sont
là des résultats considérables et il faut féliciter M. Hatzfeld d'avoir
réussi à élucider ainsi un problème historique qui domine toute l'his-
toire du moyen âge. Nous ne pouvons qu'mdiquer en termmant avec
quel intérêt ont lit les chapitres nourris de faits dans lesquels il a
montré l'organisation des communautés marchandes d'Italiens, leur
106 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
origine et leur condition sociale, la nature de leur commerce et leur
rôle dans l'histoire des rapports entre la civilisation latine et l'hellé-
nisme.
Louis Bréhier.
Charles Guignebert. Le christianisme antique. Paris, Flamma-
rion, 1920. In-16, 270 pages. Prix : 7 fr.
M. Guignebert a publié, il y a déjà longtemps, dans la Bibliothèque
de philosophie scientifique^ un volume sur VÉoolution des dogmes,
qui a obtenu un succès très mérité et qui constitue une sorte d'intro-
duction générale à l'histoire de la dogmatique chrétienne. Il vient de
donner dans la même collection un travail analogue, mais plus limité,
sur le Christianisme antique^ où il suit ce dernier depuis ses origines
jusqu'au iv^ siècle. L'esprit et la tendance de ce nouveau travail s'af-
firment clairement dès ses premières pages. En une introduction
rapide, M. Guignebert observe très justement que la religion varie
toujours avec son milieu social, qu'elle offre comme toute société plu-
sieurs couches distinctes, mais solidaires, qui agissent constamment
les unes sur les autres, et que les masses populaires y jouent un rôle par-
ticulièrement important. C'est d'après ces principes très simples, mais
suggestifs, que lui-même s'efforce d'expliquer la genèse du christia-
nisme et son évolution.
Pour lui, Jésus était un nazir de Galilée, qui attendait, comme
tout son entourage, l'avènement prochain du royaume de Dieu prédit
par les prophètes et qui, dans l'ardeur de sa foi, prêcha la nécessité
de s'y préparer par la pratique parfaite de la justice. Il réussit à grou-
per autour de lui quelques Galiléens ingénus. Mais il échoua à Jérusa-
lem, où les prêtres et les docteurs, très opposés aux aspirations popu-
laires, le firent mettre à mort. Ses premiers disciples avaient trop
compté sur lui pour admettre qu'il eût disparu sans retour. Certains
se dirent qu'il n'avait pu rester dans son tombeau et crurent le voir
ressuscité. A ce signe, ils le reconnurent comme le chef prédestiné du
royaume attendu, comme le « Messie », ou le « Christ »", des oracles
prophétiques. Leur foi fut si ardente que très vite elle se propagea
dans les nombreuses juiveries qui vivaient dispersées dans le monde
hellénique. Elle ne put le faire sans s'adapter à ce nouveau milieu.
Là s'offraient des sectes syncrétistes, qui s'accordaient à dire que
l'âme, faite pour vivre dans la compagnie des purs esprits, est tombée
par sa faute dans les liens de la matière et en peut être délivrée seu-
lement par la « gnose », c'est-à-dire par la connaissance de sa véri-
table nature, apportée ici-bas par un « Sauveur » divin. Chez les païens
etix-mêmes, des religions très populaires parlaient aussi sous des
formes diverses d'un « fils de Dieu » ou d'un (f Seigneur » dont la mort
et la résurrection se renouvellent mystiquement chez ses fidèles au
CHARLES GUIGNEBERT : LE CHRISTIANISME ANTIQUE. 107
moyen de rites appropriés. Les chrétiens « hellénistes », ceux d'An-
tioche notamment, appliquèrent ces conceptions et ces dénominations
courantes à Jésus lui-même, dont la personnalité se trouva ainsi trans-
figurée. Paul se convertit à ce christianisme déjà très composite, parce
que la formation reçue par lui à Tarse et aussi, semble-t-il, à Antioche,
le préparait à la comprendre. Après l'avoir adopté, il le développa et
en accentua la dissidence, en même temps qu'il travaillait à le répandre.
Rompant définitivement avec les Juifs pour se tourner vers les Gentils,
il enseigna que la loi se trouvait désormais abrogée et qu'une nouvelle
alliance était instituée, à laquelle tous les hommes de bonne volonté
pouvaient participer. Le christianisme devint ainsi une religion univer-
selle, une « église » bien plus vaste et plus ouverte que la synagogue.
Dès lors, il se répandit à travers le monde gréco-romain et avec une
rapidité d'autant plus grande qu'il bénéficia de la défaveur des cultes
officiels et de la popularité des religions orientales. En s'étendant, il
dut s'organiser, et pour cela il prit modèle sur les corporations reli-
gieuses du temps. Dans chaque cité il se donna des ministres qui se
hiérarchisèrent et se subordonnèrent bientôt, dès la première moitié du
w siècle, à un chef unique, à un évêque. Une fois constitué, l'épisco-
pat tendit à se fédérer. Suivant la tendance naturelle de toutes les
autorités religieuses, il s'efforça, à mesure qu'il devint plus puissant,
de fixer sa propre tradition dans des formules dogmatiques et des
règles rituelles de plus en plus précises. Ainsi hiérarchisée et disci-
phnée, l'Église apparut à l'État comme une rivale très dangereuse et
fut en butte, dans tout le cours du iiF siècle, à des persécutions vio-
lentes qui semblaient devoir amener sa perte. Elle résista, parce
qu'elle était déjà trop puissante pour céder devant un pouvoir pure-
ment matériel et d'ailleurs assez faible. Elle finit par triompher, parce
que les circonstances amenèrent un empereur à s'en faire le patron
officiel. A partir de ce moment, elle s'imposa rapidement aux masses.
Mais elle n'y réussit que parce qu'elle s'était graduellement accom-
modée aux habitudes et aux idées courantes. Son succès même contri-
bua à la rendre encore plus mondaine et plus payenne. Los membres
du clergé devinrent des fonctionnaires et le peuple, trop brusquement
converti pour renoncer à ses coutumes ancestrales, fit entrer maintes
superstitions dans le courant de la vie catholique. Le christianisme
n'exista plus guère qu'en apparence, surtout en Occident, où les con-
ceptions orientales qui le constituaient ne purent subsister qu'en chan-
geant de nature.
Ou voit que M. Guignebert ne craint pas d'aborder de front les pro-
blèmes les plus ardus i;t d'en donner des solutions très nettes» Beau-
coup de ses affirmations paraîtront sans doute tout à fait téméraires à
maints lecteurs qui se trouvent dominés par le respect de la tradition.
Lui-même sait fort bien que certaines, celles qui concernent les pre-
miers débuts du christianisme, paraîtront au contraire trop conserva-
trices à quelques-uns que tourmente le démon de la critique. Il a voulu
108 COMPTES-RENDDS CBITIQCES.
garder le juste milieu entre ces deux extrêmes. Tout le monde devra
reconnaître qu'il présente ses convictions avec autant de clarté et de
vie que de sincérité et qu'il les a fondées sur des études très person-
nelles. Son livre est l'œuvre d'un maître. Il sera lu avec intérêt et pro-
fit non seulement par Ceux qui pourraient ignorer les graves problèmes
dont il s'occupe, mais encore par ceux qui les ont longuement discu-
tés. On ne saurait trop remercier l'auteur d'avoir mis le résultat de
ses longues recherches à la portée de tous, en un petit volume si
attrayant et si dense.
, Prosper Alfaric.
Charles Boyer. Christianisme et néo-platonisme dans la forma-
tion de saint Augustin. Paris, Beauchesne, 1920. In -8°,
233 pages. Prix : 12 fr.
Mgr Pierre Batiffol. Le catholicisme de saint Augustin.
Paris, Gabalda, 1920. In-16, 554 pages en 2 vol.
Dans une thèse récemment soutenue à la Faculté des lettres de
Paris, M. l'abbé Charles Boyer revient sur le problème déjà tant dis-
cuté de la conversion du Docteur de la grâce. On ne peut pas dire
qu'il renouvelle le sujet. Tout son effort tend plutôt à combattre les
études critiques qui en ont été faites et à justifier sur ce point la tra-
dition catholique. Pour lui, le récit des Confessions est tout à fait
véridique et il s'accorde parfaitement avec les textes antérieurs.
Saint Augustin est devenu chrétien avant d'être néo-platonicien et il
n'a adopté le néo-platonisme que dans une mesure assez restreinte et
en fonction du chri^anisme. M. Boyer mène cette démonstration à
la façon d'une argumentation. Il rappelle d'abord la « théorie » con-
traire. Puis il lui oppose le témoignage de l'évêque d'Hippone et il
réfute les objections qui visent à montrer que les Confessions ne
s'accorder^t pas bien avçc elles-mêmes ni avec les écrits de Cassicia-
cum. Son exposé convaincra aisément tous les lecteurs qui voudront
être convaincus, à condition qu'ils s'en tiennent aux textes allégués,
sans trop se soucier du contexte. A ceux qui n'ont pas d'autre préoc-
cupation que celle de la vérité historique et qui tiendraient à se faire
une opinion personnelle, je conseille de lire au hasard quelqu'un des
premiers écrits augustiniens. Ils verront de la façon la plus nette que
le rhéteur converti, tout en se déclarant d'accord avec les croyants,
pense plutôt en philosophe et qu'il regarde le christianisme de Monique
comme une forme populaire du néo-platonisme, que les « sages »
doivent respecter mais en la dépassant.
Comme M. Boyer, Mgr Batiffol persiste à nier l'évidence et il le
fait avec une belle assurance. Dans un ouvrage récent consacré au
catholicisme de saint Augustin, il rappelle la « ferveur néo-platoni-
GOLUBOVICH : BIBLIOTECA DELLA TERBA SANTA E ORIENTE FRANCESCANO. 109
cienne » du converti de Cassiciacum, que les Confessions elles-mêmes
font ressortir. Mais c'est pour expliquer, sur un ton dégagé, que « les
critiques récents ont éprouvé quelque peine à la concilier avec la catho-
lica disciplina professée par Augustin » et que, par suite, « ils en
ont pris occasion de conjecturer que la conversion d'Augustin, au
moment de sou baptême à Milan, était une conversion philosophique ».
Voilà le candide lecteur bien renseigné. Cette remarque, qui se pré-
sente incidemment au début du livre, en caractérise assez bien l'es-
prit et la mélhode. L'ouvrage entier est destiné à montrer que saint
Augustin a professé un catholicisme très orthodoxe, aussi conforme
à la tradition qu'à la saine raison, celui-là même qui s'est de plus en
plus imposé dans les siècles suivants et qui a été définitivement fixé
par le Concile du Vatican. L'auteur connaît bien les textes dont il
parle. Mais il les a lus en théologien soucieux d'orthodoxie, qui
regarde vers Rome bien plus que vers Hippone. Aussi son livre sera
surtout compris et apprécié par les théologiens. Il leur fournira un
riche arsenal de preuves patristiques pour les traités de la Religion
et de l'Église. Il sera moins goûté et moins utilisé par les historiens,
bien qu'il se donne, en débutant, comme une « histoire des origines
du christianisme ».
Prosper Alfaric.
P. -G. GoLUBOViCH, 0. p. M. Biblioteca bio-bibliografica délia
Terra Santa e dell' Oriente Francescano. T. III (1300-1332).
Quaracchi presse Firenze, 1919. In-4'>, v-496 pages.
Il a été déjà rendu compte ici du tome I de cette importante publi-
cation (voy. Rev. histor., t. XCVI, p. 181). Celui-ci, qui est numé-
roté tome III, bien qu'il fasse immédiatement suite au tome I, nous
donne un tableau de l'activité franciscaine en Orient de 1300 à 1332.
Il renferme des documents d'un grand intérêt, dont quelques-uns
étaient inédits, dont d'autres avaient paru dans des recueils souvent
peu accessibles, et des études critiques qui fixent des points impor-
tants de l'histoire de l'Orient latin. Nous nous contenterons de signa-
ler quelques-unes de ces notices qui apportent des faits nouveaux, en
les classant d'après les grandes questions qu'elles serviront à élu-
cider :
I. Les Frères Mineurs à Constantinople. Notices sur leur monastère
établi en 1220 et sur leur expulsion en 1307 par Andronic II, à l'ins-
tigation du patriarche Athanase (p. 111 et 117). — Leurs relations
avec l'impératrice Jeanne de Savoie et leurs légations en vue de
l'union des églises de 1325 à 1360 (p. 291).
II. Chypre et la Terre-Sainte. Notices sur des Mineurs, patriarches
de Jérusalem : Pierre de Plaine-Cassagne, ancien évoque de Rodez,
1309-1318 (détails sur la guerre civile de Chypre et l'exil du roi
Henri II en Arménie, sur la conquête de Rhodes en 1310, p. 125). Élie
110 . COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
de Nabinalis, 1332-1342, archevêque de Nicosie et cardinal (p. 394).
— Édition de l'itinéraire en Terre-Sainte des deux Franciscains irlan-
dais Symon et Hugue, 1322-1324 (description curieuse de Londres et
de Paris, où ce qui les a frappés le plus ce sont ses fortes murailles,
ses établissements d'enseignement et la façade de Notre-Dame, p. 237).
liéédition de l'itinéraire au Saint-Sépulcre, en Egypte et au Sinaï,
d'Antoine Reboldis de Crémone, 1327-1330 (p. 326).
III. Ambassades en Egypte. Notices très complètes sur les ambas-
sades de Jacques II d'Aragon au Soudan d'Egypte, 1303, 1305, 1314,
1318, 1322, 1327. Jacques II exerce u^ véritable protectorat sur les chré-
tiens d'Orient (p. 73, 185, 233, 309). — Ambassade de Guillaume de Bon-
nesmains, originaire de Figeac et bourgeois de Montpellier, au nom du
roi de France Charles le Bel, en 1327 (dans son itinéraire, le frère
Symon montre Guillaume établi en Egypte dès 1323 et obtenant du
Soudan la concession d'une église au vieux Caire. L'ambassade fran-
çaise partit d'Aigues-Mortes avec une ambassade aragonaise, mais en
route les deux envoyés se brouillèrent, et on a le récit de leurs démê-
lés dans une lettre de Charles le Bel au roi d'Aragon, p. 321).
IV. Histoire des missions franciscaines en Orient. Étude critique sur
le Codex Comanicus, manuscrit de Venise, écrit en 1303 et qui con-
tient un dictionnaire trilingue (latin, persan, coman) et un vocabulaire
(allemand-coman). Les mots choisis sont relatifs au culte et aux pro-
ductions du pays. Un texte de prière en coman semble indiquer que
l'auteur est un franciscain (p. 1). -<- Biographie du frère Jérôme de
Catalogne, premier évèque de Caffa, 1301-1325 (p. 38). — Réédition de
la '( Compendiosa relatio ex imperio Tartarorum » du frère 4'''^old
l'Allemand (p. 159). — Notice sur Toktaï, khan des Kiptchaks, 1291-
1313, converti au christianisme par des Mineurs (p. 171). — Délimi-
tation des juridictions des sièges épiscopaux franciscains et domini-
cains dans l'empire mOngol en 1318 (donne la liste des sufîragants de
l'archevêque franciscain de Cambalik (Pékin) et de l'archevêque domi-
nicain de Sultanieh en Perse, p. 197). — Notice sur la grande mission
des Dominicains et des Franciscains en Géorgie, Perse, Boukharie,
Inde, organisée en 1329-1330 (p. 350). — Documents tirés des archives
du Vatican sur la discussion qui eut lieu en Perse en 1333 entre les
Franciscains et les Dominicains sur la pauvreté pratiquée par le Christ
et les apôtres (on sait que cette grave question, qui avait failli exciter
un schisme, avait été tranchée en 1322 à Avignon par Jean XXII. La
même controverse eut lieu à Tauris en 1333 et sept Mineurs furent
accusés d'hérésie, p. 424).
V. Mission de Chine. Édition des lettres de frère Jean de Montecor-
vin, premier archevêque de Pékin, au pape, 1305-1307, d'après le Cod.
Paris, lat. 5006 (il donne des détails curieux sur les difficultés que les
Nestoriens lui ont suscitées auprès du grand khan). — Étude critique
sur les évêchés établis en Chine par Jean de Montecorvin (p. 86 et
184). — Notes critiques sur le bienheureux Oderic de Pordenone,
missionnaire en Chine et mort à Udine vers 1331 (p. 374). — Bio-
H. PIBENNE : HISTOIRE DE BELGIQUE. 111
graphie du frère Nicolo, deuxième archevêque de Pékin, vers 1333
(p. 419).
On peut voir par cette simple énumération l'intérêt considérable
que présente cette publication pour l'histoire, encore si mal connue,
des premiers rapports entre l'Europe et l'Extrême-Orient.
Louis Bréhier.
H. PiRENNE. Histoire de Belgique. Tome V. Bruxelles, Lamerlin,
1920. In-8°, xni-584 pages. Prix : 30.fr.
Le nouveau volume de l'œuvre de M. Pirenne embrasse la longue
période qui s'étend de la paix de Munster (1648) à la restauration du
régime autrichien dans les Pays-Bas (1791-1792). Comparé aux deux
tomes précédents, qui vont respectivement de 1477 à 1567 et de 1567
à 1648, il apparaît donc plus ramassé, plus concentré. Ce n'est pas
que pendant la période dont il s'agit la Belgique n'ait pas d'histoire,
au sens que l'on attachait jadis à cet expression. Jamais, en effet, ce
pays n'a traversé une plus abondante série de guerres qu'alors ; jamais
il n'a souffert davantage des « passées et repassées » des armées enne-
mies et autres. Mais si le côté militaire et diplomatique — c'est-à-dire
européen — de cette partie de l'histoire de Belgique est relativement
bien connu, il n'en est pas de même de tout ce qui a trait à l'évolu-
tion interne : vie économique, institutions politiques, développement
social, mouvement intellectuel et moral. Par une sorte de coquetterie,
l'auteur s'est abstenu de signaler, dans sa préface, les difficultés de sa
tâche : quantité de sources sont encore difficilement accessibles, très
peu ont fait l'objet d'études critiques et le nombre de travaux prépa-
ratoires sur tel ou tel épisode particulier est extrêmement restreint.
Aussi faut-il savoir gré à M. Pirenne d'avoir présenté pour la pre-
mière fois une véritable synthèse de cette période si négligée et si
ingrate à beaucoup d'égards de l'histoire de Belgique. Il a eu à
résoudre souvent des problèmes à multiples inconnues ; il l'a fait dans
le même esprit et avec la même méthode qui caractérisent toute son
œuvre. La réputation de celle-ci n'est plus à faire, et l'Académie fran-
çaise l'a consacrée en décernant à M. Pirenne le prix Jean Reynaud.
M. Pirenne raconte d'abord brièvement la fin du régime espagnol.
Il a hâte, semble-t-il, de quitter cette période néfaste, pendant laquelle
la Belgique, « ballottée en tous sens par la volonté des puissances qui
l'entourent, occupée et rançonnée successivement, quand ce n'est pas
en même temps, par les armées de la France, des Provinces-Unies,
de l'Angleterre, de l'Empire, ne peut que s'abandonner à sa desti-
née ». Malgré tout, les Belges firent preuve, comme le montre
M. Pirenne, d'un véritable loyalisme et conservèrent l'illusion que le
gouvernement de Madrid était « paternel ». C'est que l'orientation 4e
l'esprit public était exclusivement catholique, et ainsi le régime du
« roi cathoHque » apparaissait comme le seul qui convînt. Faut-il
112 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
s'étonner que la vitalité du pays, même l'activité artistique qui y avait
été si intense dans la première moitié du xviF siècle, s'affaiblît au
milieu des calamités qui fondent sur lui? Cette déchéance ne fut tou-
tefois pas aussi profonde que l'on pourrait le croire; à preuve, entre
autres, les productions si nombreuses et encore remarquables des
peintres, des graveurs et même des sculpteurs et des architectes
belges de la seconde moitié du xyip siècle. M. Pirenne reconnaît lui-
même (p. 330-331) que ce furent de vrais « représentants de la tra-
dition nationale qui, sous l'influence du génie de Rubens, s'inspirèrent
de l'Italie sans s'y asservir ». Il aurait dû, semble-t-il, leur consacrer
par conséquent plus que les quelques lignes qui résument le mouve-
ment artistique des cinquante dernières années du régime espagnol
(p. 69-70). Par contre, il se plaît à développer — et avec raison — le
rôle marquant joué par la Belgique dans l'évolution religieuse. Il
donne des aperçus nouveaux et hautement intéressants sur le jansé-
nisme et sur les rapports qui s'établirent entre la France et la Bel-
gique à l'occasion de celte doctrine.
La guerre de la Succession d'Espagne constitue l'un des épi^des
les plus marquants, l'un de ceux qui influèrent le plus sur les desti-
nées de la Belgique. Aussi M. Pirenne lui accorde-t-il une attention
particulière ; les chapitres qui en montrent les conséquences pour ce
pays sont parmi les plus instructifs et les plus attachants de ce livre
si nourri de faits et d'idées. Le régime « anjouin n, introduit par les
énergiques mesures de Bedmar et surtout de Bergeyck, duquel
M. Pirenne fait un portrait saisissant, a contribué dans une large
mesure à étouffer le jansénisme et à orienter ainsi la Belgique vers
l'ultramontanisme, qui devint l'un de ses caractères distinctifs au cours
du xviii^ siècle. D'autre part, cette longue guerre, dont les principales
péripéties se déroulèrent dans ce pays, lui apporta le joug de l'humi-
liante Barrière et le régime autrichien qui, tout en maintenant la
dynastie des Habsbourg — régnant depuis Charles-Quint — n'appa-
rut pas comme légitime, parce qu'il était imposé. Aux chapitres rela-
tifs à la guerre de la Succession d'Espagne, M. Pirenne en a ajouté un
sur la principauté de Liège de 1648 à 1715. Bien qu'encastrée géogra-
phiquement dans l'ensemble des Pays-Bas, cette principauté a formé
à cette époque une individualité politique et économique tout à fait
distincte. Sa situation géographique lui valut les mêmes vicissitudes
qui marquèrent les Pays-Bas espagnols, malgré la neutralité qu'elle
voulut s'assurer. Cette neutralité, il est vrai, était désarmée et entraî-
nait des conséquences sur lesquelles l'auteur aurait peut-être pu insis-
ter davantage. Les princes-évêques eux-mêmes furent la plupart du
temps des instruments de la politique française, et l'échec de celle-ci,
à la fin du règne de Louis XIV, amena le raffermissement des rap-
ports du pays de Liège avec l'Empire. M. Pirenne a su dégager avec
bftiheur les dominantes de l'histoire des institutions de la princi-
pauté, mais il ne traite pas les phénomènes de la vie économique, les
H. PIBENIVE : HISTOIBE DE BELGIQDE. 113
réservant pour le chapitre faisant suite à ceux qui se rapportent aux
Pays-Bas autrichiens.
L'établissement du régime autrichien provoqua une revision du
traité de la Barrière dans un sens favorable à la Flandre et au Bra-
bant, mais suscita aussitôt de graves difficultés à propos des privilèges
des villes en matière financière. Des troubles éclatèrent à Bruxelles
en 17 IT, qui donnèrent lieu à des mesures rigoureuses de la part du
marquis de Prié, ministre plénipotentiaire de Charles VI. La princi-
pale de ces mesures fut l'exécution du doyen Anneessens, qui rêvait
de « ressusciter l'indépendance urbaine du moyen âge en pleine
époque monarchique ». Tout en réalisant la centralisation absolutiste,
Charles VI et Marie-Thérèse surent ménager la noblesse et le haut
commerce, et le régime autlrichien se raffermit sous le gouvernement
de l'archiduchesse Marie-Elisabeth, au sujet duquel M. Pirenne donne
de très intéressants détails.
Parmi les chapitres les plus suggestifs du livre, il faut signaler ceux
qui concernent l'organisation du « despotisme éclairé » et le mouve-
ment économique sous le régime autrichien. Ils abondent en détails
nouveaux ou peu connus. Les pages qui retracent l'activité intellec-
tuelle pendant cette période sont remplies de curieux aperçus et de
notations caractéristiques. M. Pirenne intercale ensuite un second cha-
pitre sur l'histoire du pays de Liège : il insiste avec raison sur les
causes de la prospérité économique de la principauté et sur ses rap-
ports intellectuels de plus en plus fréquents avec la France.
Une large place est accordée aux deux révolutions qui agitèrent
respectivement et en même temps les Pays-Bas autrichiens et le pays
de Liège, mais qui offrent entre elles de si violents contrastes.
(M. Pirenne note cependant en passant certains points de contact.)
Les grandes phases de ces deux mouvements sont décrites avec toute
l'ampleur qu'elles comportent et souvent sous un aspect tout à fait
nouveau. On remarquera la manière dont l'auteur apprécie la portée
et les effets des réformes de Joseph II, et notamment de celle intro-
duisant la tolérance religieuse. La personnalité même de Joseph II,
étudiée à la lumière de sources de tout premier ordre, apparaît sous
un jour différent de celui sous lequel il était généralement présenté.
M. Pirenne insiste particulièrement sur les défauts de l'empereur phi-
losophe, son manque de tact et de perspicacité, sa singulière obsti-
nation, son despotisme intransigeant. Il va jusqu'à le comparer à
Philippe II, et le parallèle qu'il établit entre les « coups d'État », c'est-
à-dire les innovations de l'un et de l'autre, est tout à l'avantage de ce
dernier. Un historien de profession saisira tout de suite la véritable
signidcation de ce parallèle, mais il n'en sera pas toujours de même du
lecteur non initié. Or, le livre de M. Pirenne ne s'adresse pas seule-
ment aux hommes de métier, il est destiné aussi au grand public, et
cette évocation du tortionnaire de l'Escurial à propos de l'auteur de
ledit de tolérance est pour le moins déconcertante. Ij'ailleurs, on
Rev. Histor. CXXXVIII. 1" fas(* 8
114 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
pourrait discuter longuement sur le point de savoir si Josej)h II a
voulu « austriaciser » les Pays-Bas dans la même mesure où Philippe II
a tenté de les espagnoliser. En dépit de certaines analogies, les
méthodes des deux monarques, surtout leurs méthodes de répression,
ont été essentiellement différentes. Alors que Philippe II combine
avec le duc d'Albe tous les moyens de mettre le pays à feu et à sang,
Joseph II préconise les mesures de conciUation et recommande à ses
généraux de ne pas traiter les révoltés des Pays-Bas comme s'ils
étaient « des Turcs ou des Prussiens ». L'étude de personnages de
second plan tels que d'Alton et Trautmansdorff fournira probablement
de nouveaux éléments d'appréciation et permettra de déterminer plus
exactement la responsabilité de l'empereur dans les événements qui
amenèrent la révolution brabançonne et son influence sur l'issue de
celle-ci. Le livre de M. Pirenne fournit d'ailleurs lui-même quelques
données nouvelles à ce sujet.
Le chapitre relatif à la Révolution liégeoise met admirablement en
relief les faits marquants qui ont préludé, dans la principauté, à la
chute de l'ancien régime, et le chapitre final sur la restauration autri-
chienne décrit de même la physionomie générale de ce court épisode,
très important cependant, de l'histoire de Belgique, parce qu'il affecte
à la fois la principauté de Liège et les Pays-Bas proprement dits et
prépara ainsi leur fusion définitive.
Jusqu'au bout ce volume conserve donc une allure plus synthétique
que ses devanciers. M. Pirenne rappelait lui-même, il y a quelques
années, à l'occasion d'une manifestation organisée en son honneur,
le sort de toute œuvre de synthèse, et particulièrement de synthèse
historique, son caractère essentiellement provisoire, éphémère. Le
livre qui fait l'objet de ce compte-rendu ne partagera pas de sitôt la
destinée commune : il contient trop de morceaux de fine et pénétrante
analyse qui le rendront longtemps encore indispensable à quiconque
voudra connaître les origines de la Belgique contemporaine.
H. Vander Linden.
J. CoMBARiEU. Histoire de la musique des origines au début du
XX^ siècle, t. III : De la mort de Beethoven au début du
XX^ siècle. Paris, Armand Colin, 1919. In-8°, vi-667 pages,
avec un index alphabétique des trois volumes. Prix (majoration
comprise) : 15 fr.
M. Combarieu n'a pu mettre lui-même le point final à sa grande
Histoire de la musique, dont nous avons précédemment annoncé les
tomes I et II (Rev. histor., t. CXIV, p. 188-189, et CXVIII, p. 169-
170). Une mort soudaine est venue le frapper avant qu'il eût achevé
le tome III; mais il avait eu le temps d'en écrire les quatorze premiers
chapitres (jusqu'à Wagner inclusivement) et de pousser très loin la
préparation, en partie même la rédaction, des dix derniers, qu'un
COMBAEIED : HISTOIRE DE LA MUSIQUE DES OBIGINES AU DEBUT DU XX* S. 115
« musicien expérimenté » de ses amis, dont on a cru devoir taire le
nom, a eu à cœur de terminer.
Le volume va « de la mort de Beethoven au début du xx» siècle »
et est divisé en trois parties : 1° d'Auber à Berlioz; 2° les successeurs
de Berlioz; 3° le& courants nouveaux. Ces titres — le troisième
surtout — donnent tout d'abord à penser que M. Combarieu s'est
essayé à brosser un tableau d'ensemble de l'évolution de l'art musi-
cal durant la période la plus féconde peut-être, et en tout cas la plus
intéressante pour nous, de son histoire; le chapitre qui sert d'intro-
duction au volume (sur « le renouvellement de la musique » au début
du xixe siècle) entretient cette illusion. Mais très vite, malheureuse-
ment, le cadre biographique reparaît, et M. Combarieu doit se
résoudre à faire défiler devant nous un à un les musiciens les plus
notables, en s'arrètant successivement sur chacune de leurs œuvres
prise isolément. Il ne peut même toujours insister autant qu'on le
souhaiterait sur les tendances générales que ces œuvres révèlent ni
sur les mouvements qu'elles ont suscités. Cette Histoire de la
musique, dont le premier volume annonçait un véritable historien,
tend ainsi — un peu faute de recul, un peu aussi faute d'une élabora-
tion suffisante, et malgré les efforts faits souvent par l'auteur pour
s'élever au-dessus de 1' « individuel » — à dégénérer, pour l'époque
contemporaine, en une simple galerie de grands hommes.
Parmi ceux dont M. Combarieu étudie le plus attentivement la pro-
duction musicale — et sans discuter la question de savoir dans quelle
mesure la réputation de tel ou tel d'entre eux est fondée — citons
Meyerbeer, Berlioz, Chopin, Liszt, Mendelssohn, Schumann, Wagner,
Franck; mais ajoutons que, s'il s'arrête longuement sur chacun de
ces derniers et entre même à leur propos dans des détails biogra-
phiques un peu menus, il ne craint pas, pour donner une juste idée
des courants musicaux, de parler d'une façon circonstanciée des com-
positeurs de moindre importance — par exemple, du groupe des vio-
lonistes : Paganini, Rode, Kreutzer — ou même de consacrer tout un
chapitre (il est vrai, un peu superflu) aux chanteurs et cantatrices
célèbres du xix^ siècle. Les grands concerts et leurs programmes, le
répertoire de nos grandes scènes lyriques (du moins en France) ont
aussi eu l'honneur de chapitres séparés. Pour l'époque strictement
contemporaine, M. Combarieu *et son collaborateur se sont appliqués
à n'omettre aucune des manifestations musicales digues d'être rete-
nues et le nombre des musiciens de première ou de seconde grandeur
dont ils parlent est considérable.
Les jugements de M. Combarieu sont, en général, soigneusement
pesés. Parfois cependant ils surprennent. Ainsi M. Combarieu a
étrangement méconnu Schumann : il rapetisse son art jusqu'à ne
voir en lui qu'un gracieux et charmant mélodiste, un coloriste délicat
et semble ignorer le romantique puissant, pathétique et souvent éche-
velé. De même, on s'étonne que les innovations d'un Wagner ou d'un
Franck ne soient pas soulignées de traits plus énergiques : on ne se
116 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
douterait vraiment pas, à lire M. Combarieu, de l'influence formi-
dable exercée par l'auteur de Trislan.
Mais nous nous reprocherions d'insister sur des défauts que l'au-
teur, s'il eût vécu, eût sans doute atténués lui-même en mettant son
livre au point. Ces défauts n'empêcheront pas ce livre de rendre aux
historiens des services éminents : pour la première fois, en France,
on y trouvera traitée avec toute l'ampleur voulue par un homme de
goût et de science — dont la disparition prématurée est une perte
douloureuse pour nos études — l'histoire de la musique contempo-
raine. C'est, malgré les réserves que nous avons cru devoir faire, le
digne couronnement d'une œuvre qui honore grandement la mémoire
de celui qui l'avait conçue.
Louis Halphen.
J. Franklin Orowell. Government war contracts. New- York,
Oxford University Press, 1920. In-8°, 357 pages. Prix : 1 dollar.
Ce volume, qui est le vingt-cinquième d'une série intitulée Preli-
minary économie studies of the war, est publié par les soins de la
fondation Carnegie pour la paix internationale (section économique et
historique). C'est un essai méthodique et, à l'occasion, critique pour
exposer la manière dont il a été pourvu, par l'État américain, aux
fournitures de toutes sortes nécessaires à son armée et à sa marine
pendant la guerre. En outre des informations précises et souvent
curieuses que l'historien des opérations y trouvera, nous devons signa-
ler l'aspect purement économique de la question et les conclusions que
l'auteur en a dégagées. Elles sont souvent analogues à celles qu'on
doit tirer des expériences faites en Europe (nécessité de méthodes nou-
velles pour la préparation et la conclusion des marchés, efîets sur le
régime du travail, sur la concentration industrielle, etc.). Mais il y a
lieu de remarquer que l'union des intérêts, la suppression (relative) de
la concurrence dans les fournitures faites à l'État, la limitation des
bénéfices par accord des fournisseurs dans l'intérêt du pays étaient
aux États-Unis de grandes nouveautés. L'auteur a raison de souligner
que les producteurs américains ont maintenant pris l'habitude de s'as-
socier avec l'État dans un efïort comrnun pour développer l'exporta-
tion et d'ajouter que les conséquences de cette leçon ne seront pas
perdues. Le professeur David Kinley, directeur de la collection, dans
une spirituelle préface, a noté combien il est difficile aux fonction-
naires de l'Union de s'acquitter de leur tâche à la satisfaction de tous.
On les paie mal, on les ligotte de réglementations multiples, parce
que, les payant mal, on les suspecte, et, comme ils ne peuvent plus
agir, on dénonce leur incapacité économique. Il y a là quelques pages
pleines d'humour, qui ne valent pas seulement pour les États-Unis.
R. GUYOT.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire générale. — Henri Berh. L'histoire traditionnelle et
la synthèse historique (Paris, Félix Alcan, 1921, in-16, x-146 p.;
prix : 7 fr.). — Le volume comprend en réalité quatre études qui ont
paru à des époques diverses et dans différentes revues. La première est
une aimable biographie de Philippe Tamizey de Larroque, mort en 1898
dans sa campagne agenaise de Gontaud, à soixante-dix ans, après plus
de cinquante années d'un travail quotidien. On doit à M. de Larroque
des milliers de petits articles consacrés à son pays natal et dissémi-
nées dans d'innombrables revues — qui en dressera jamais la biblio-
graphie? — et, dans la collection des Documents inédits, la publica-
tion des lettres de Balzac (1873), de Chapelain (1880-1882), de neuf
volumes de la Correspondance de Peiresc (1888-1899), et cette dernière
publication n'est pas terminée! Pour M. Béer, Tamizey, qu'il a connu
et dont il parle d'ailleurs avec une profonde sympathie, représente en
histoire l'esprit d'analyse poussée à l'extrême, l'amour du document
inédit pour le document; mais contre lui il a beau jeu. La partie
deviendrait pfus risquée contre d'autres analystes qui savent faire
choix de documents, en tirer la substance et montrer la vérité des
faits^ sans prétendre à en tirer des lois, puisqu'ils nient l'existence
de ces lois. — A Tamizey de Larroque, M. Béer oppose, en sa quatrième
étude, un autre méridional, qui a vécu dans une petite propriété du
Tarn-et-Garonne, où il s'est éteint le 2 juillet 1919, dans sa quatre-
vingt-cinquième année. Lacombe était un partisan résolu de 1' « his-
toire-science » et de la synthèse historique. Dans un gros ouvrage
paru en 1894, il s'est efforcé de discerner sous 1' « accidentel »
r « institutionnel », de relier la nature et l'humanité, d'en déga-
ger la loi commune. M. Berr a trouvé en lui tout ensemble un pré-
curseur et un disciple ; les extraits qu'il nous donne du Journal iné-
dit du théoricien présentent un vif intérêt et montrent une pensée
toujours en activité et en ébullition. Mais quand Lacombe a écrit :
la Première commune révolutionnaire de Paris et les Assem-
blées nationales, n'a-t-il pas un peu oublié « l'institutionnel » et ne
s'est-il point rapproché de Tamizey? — Dans les deux études intermé-
diaires, M. Berr se livre à des polémiques contre A.-D. Xénopol et son
volume : la Théorie de l'histoire, et contre notre collaborateur M. Louis
Halphen; nous lui abandonnons le livre de Xénopol, souvent obscur,
mais nous faisons nôtres les objections que M. Halphen a présentées
à la Synthèse en histoire et nous nous bornons à revendiquer le
118 NOTES BIBLIOGBAFHIQDES.
simple titre d'historien w historisant » ou, pour mieux dire, celui
d'historien — d'historien tout court. G. Pf.
— On a groupé dans les numéros V et VI de la Correspondance
pour l'union de la vérité (nouvelle série, 28^ année, 1920) et sous le
titre de : les Français à la recherche d'une Société des Nations, des
textes assez bien choisis et qui concernent l'élaboration d'un orga-
nisme international dont la guerre mondiale a fait reconnaître la
nécessité et permis d'établir les bases. On y trouve des pages d'Éme-
ric de Crucé, Sully, Guez de Balzac, Fénelon, Montesquieu, l'abbé de
Saint-Pierre, J.-J. Rousseau, Sébastien Mercier, Condorcet, Destuttde
Tracy, Rabaut-Saint- Etienne, Lazare Carnot; des sociahstes Saint-
Simon, Pecqueur et Considérant; des démocrates Lamennais, Lamar-
tine, Quinet, E. Renan, V. Hugo, G. Sorel, Jaurès, Léon Bourgeois
et d'autres contemporains. On regrettera que ce recueil soit incomplet
et que les textes eux-mêmes soient fragmentaires; il rendra cepen-
dant des services par le groupement même de ceux qui ont été rete-
nus par les compilateurs. G. Bourgin.
— R. Michels. La teoria di Marx délia miseria crescente (Pic-
cola biblioteca di scienze moderne, n" 262. Torino, Bocca, 1921, in-18,
viii-244 p.; prix : 20 1.). — M. Michels est un des meilleurs spécia-
listes des études marxistes ; aussi son exégèse de la théorie marxiste
de la misère croissante constitue-t-elle une contribution importante
à l'histoire, non seulement des doctrines, mais des faits économiques.
La très vaste et très précise érudition de l'auteur se décèle dans une
foule de remarques Ingénieuses et de notes bibliographiques. Elle lui
a permis de faire remonter aux débuts du xvii« siècle l'origine de la
théorie étudiée, mais c'est avec le frère Giammaria Ortes (1774) que
l'efîort apparaît nettement pour établir un lien logique entre la quan-
tité de richesse et la quantité de pauvreté dans un pays. Les socia-
listes et économistes français : Babeuf, Fourier, L. Blanc, Sismondi,
Buret, Proudhon, Considérant, L. Faucher, Vidal; anglais :
R. Owen, Ricardo, Wade, ont apporté ensuite leur pierre à l'édi-
fice. C'est l'étude des phénomènes économiques anglais, poussée
peut-être avec plus de sens critique en Italie qu'ailleurs, qui a le plus
incité les observateurs à rechercher les causes du paupérisme, et l'on
sait qu'une bonne partie des éléments objectifs du Kapital de
K. Marx sont empruntés aux milieux industriels anglais. M. Michels
étudie, dans ses derniers chapitres, le sort qui a été fait ultérieure-
ment à la théorie considérée, tant par les savants que par les miheux
ouvriers, dans les divers pays. Un appendice est consacré par l'auteur
au rôle de l'Italie dans l'évolution de la science économique. — G. Bn.
— Léon Abensour. Histoire générale du féminisme (Paris,
Delagrave, 1921, in-18, 327 p.). — M. Abensour s'est déjà fait con-
naître par ses études de détail consacrées à des épisodes ou à des per-
sonnalités du féminisme. L'Histoire générale qu'il vient de faire
HISTOIRE DE LA GUERRE. 119
paraître témoigne d'une information étendue, et il le fallait bien,
puisque l'auteur fait partir son sujet des origines mêmes de la famille
matriarcale; mais cette seule observation suffit à montrer que
M. Abensour n'a pas nettement séparé l'histoire de l'idée féministe de
l'histoire réelle de la femme dans l'évolution humaine. D'autre part,
il semble que l'objet de son étude ait incité M. Abensour aux coquet-
teries de style et aux grâces d'écriture, qui, de fait, ne font que gâter
son exposé. Nous l'aurions, si résumé soit-il, et même parce que
résumé, voulu sobre, de façon à ce qu'on pût dégager, autant que
faire se peut, les lignes générales de l'évolution juridique et sociale
de la femme. G. Bn.
— La publication de l'ouvrage de M. Robert Lansing, secrétaire
d'État aux Affaires étrangères sous la présidence Wilson (The peace
négociations, Boston, 1921), a ramené l'attention sur la question de
la publication des documents concernant la Conférence de la paix.
On doit rappeler, à cet égard, que, dès le 14 décembre 1920, Sir Cecil
Harmsworth, sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères, avait
déclaré à la Chambre des Communes qu'on ne pouvait rien prévoir à
cet égard, et M. Lloyd George qu'un accord entre les gouvernements
britannique et français sur l'objet en question était indispensable.
G. Bn.
— Les livraisons 12-15 de V Atlas universel de géographie, dressé
sous la direction de F. Schrader (Hachette; chaque carte peut se
vendre séparément au prix de 1 fr. 20), contiennent les cartes sui-
vantes : France du Nord-Ouest et France politique (le territoire de la
Sarre est déterminé par des hachures particulières) ; Italie méridionale
(avec la Sardaigne); Pays-Bas; Antilles (cartons pour la Guadeloupe
et la Martinique); Brésil du Sud (carton pour la baie de Rio de
Janeiro) ; Afrique du Nord-Ouest et Afrique du Sud (avec la Réunion
et l'île Maurice); Amérique du Sud politique; Turkestan; régions
polaires (pôle nord et pôle sud) ; Asie physique.
Histoire de la guerre. — Charles Le Goffic. La Marne en feu
(Paris, Félix Alcan, in-16, 130 p.; prix : 4 fr.; collection « la France
dévastée »). — C'est un récit de la première bataille de la Marne, met-
tant particulièrement en lumière le rôle de Foch dans les marais de
Saint-Gond. L'auteur présente quelques réflexions intéressantes sur
le débat Gallieni-Jofïre. Il .publie trois petits textes inédits : le carnet
du général Moussy, qui commandait la 17« division d'infantei^ie ; celui
de Charles Penther, sergent au 19« régiment d'infanterie; enfin celui
de l'instituteur Roland, qui, à Villevenard, vit de près un tout petit
coin de la bataille, du 5 au 13 septembre 1914.
— Gaston Deschamps. LaSomme dévastée (même collection, 110 p.).
— On parle surtout de la dévastation commise parles Allemands lors
de leur « retraite stratégique » en 1917; on ne lira pas sans intérêt les
120 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
articles de propagande qu'à cette occasion publia le journal espagnol
A. B. C, organe des germanophiles de Madrid. Le reste du volume
traite des pillages, sévices et crimes perpétrés par les troupes alle-
mandes dans la « Picardie martyre ». Ch. B.
— L'Amirauté britannique, à la suite d'une campagne de presse qui
a eu un retentissement jusqu'à la Chambre des Communes, a publié
un Blue-book sur la bataille du Jutland (31 mai-l^"" juin 1916). Les
plus importants de ces documents ont été reproduits dans le Times
du 18 décembre 1920. G. Bn.
— Le 9 mai 1921 a paru le rapport du « Battles Nomenclature
Committee », créé, au mois d'août 1919, pour déterminer la nomen-
clature des batailles de la Grande Guerre auxquelles ont pris part les
armées britanniques. Ce Comité, formé de représentants des forces
diverses de l'empire, s'est efforcé de préciser les critères qui peuvent
s'appliquer, au point de vue de l'aire géographique et de la durée, aux
batailles; par « bataille », on entend tout engagement ou série d'en-
gagements où donne au moins un corps d'armée, les mots « actions » et
« affaires » étant réservés à des opérations moins importantes. Les
opérations sont répertoriées dans le rapport, par leurs noms, avec
leurs limites chronologiques et géographiques, puis groupées sous les
titres suivants : France et Flandres (invasion allemande, guerre des
tranchées, offensive des Alliés de 1916, avance vers la ligne Hinden-
burg, offensives des Alliés de 1917, offensive allemande de 4918, la
marche à la victoire), Egypte et Palestine, Mésopotamie, Russie
(Arkhangel et opérations de l'Oussouri), Italie, Macédoine, Darda-
nelles. Cette nomenclature rendra, dès maintenant, des services. Il
est toutefois regrettable que les États-majors des différentes puis-
sances alliées n'aient pas cherché à se mettre d'accord sur l'établisse-
ment, pour le moins, d'un cadre historique commun à toutes les rela-
tions à paraître de la Grande Guerre. Il l'est encore plus que, en cette
matière, la France ait été devancée par un pays qui, sans doute, a
joué un grand rôle pendant la guerre, mais qui, tout de même, n'a
été que l'associé, au point de vue'de la guerre terrestre, de la France.
Mais la faute n'en est pas, semble-t-il, uniquement à l'Angleterre.
G. Bn.
— Un livre blanc, intitulé Documents reZafiue to Sinn Fein
movement, 60 p. in-8°, est consacré aux rapports entre l'Allemagne
et le mouvement nationaliste irlandais pendant la guerre mondiale
(affaire Casement, 1916; intrigues allemandes dans les deux Amé-
riques et en Espagne, 1917-1918).
— Un très curieux sujet, qui a été à peine exploré en France, est
celui du folklore de guerre. M. le prof. G. Bellucci y a consacré,
dans la collection des Tradizioni popolari italiane {n° 6), un petit
volume, qui est avant tout un recueil de faits {Folklore di guerra.
Perugia, Unione tipografica cooperativa, 1920, in-18, vii-119 p.). Ces
fllSTOlBE DE LA GUERRE. 121
faits ont été classés par pays, et ils sont surtout nombreux pour les
pays de l'Europe occidentale, mais l'auteur n'a peut-être pas suffi-
samment distingué ceux qui résultent d'une invention amusante
individuelle, et reprise ultérieurement dans le même esprit par tout
un groupe d'imitateurs volontaires, et ceux où s'intègrent véritablement
des croyances collectives. C'est que la guerre, comme le montre exac-
tement M. Bellucci, développe le mysticisme, comme à chaque fois
que le progrès social s'arrête. De ce travail, il convient de rapprocher
une étude un peu antérieure parue dans la même collection (n° 5), du
même auteur, sur les clous dans l'ethnographie ancienne et moderne
(/ chiodi nelV etnografia antica e contemporanea. Perugia, Unione
tipogralica cooperativa, 1919, in-18, 266 p.). Les clous symbolisant la
foudre des monuments antiques, les clous votifs ou funéraires des
anciens, les Rolandsàule du moyen âge, l'emploi des clous comme
prophylactique, la croyance à la vertu des clous de la Crucifixion,
l'usage mystique des clous de fer à cheval, tels sont les faits, entre
autres, qui font l'objet de ce petit livre, où, d'une façon très exacte,
qui est tout de même -fort amusante, M. Bellucci apparente les sta-
tues-fétiches du Congo et la statue monumentale de bois élevée à
Berlin en l'honneur du maréchal Hindenburg, aujourd'hui (lempi pas-
sati!) mise à l'encan et démolie; G. Bn.
— Th. W. KocH. Les livres à la guerre. Traduction de l'anglais
par A. DOYSiÉ. Préface du maréchal Foch (Paris, Champion, 1920,
in-8°, 428 p.). — Cette étude prouve non seulement que la lecture des
bons livres, durant la guerre, fut un puissant soutien moral pour le
combattant, occupant d'une façon utile ses loisirs de la tranchée, de
l'arrière et de l'hôpital, mais il montre à des lecteurs français ce que
peut l'esprit d'initiative et d'organisation, puisqu'on peu de temps on
put fonder et développer une grande œuvre capable d'établir pour quatre
millions et demi M'hommes un réseau de bibliothèques s'étendant du
plus petit camp d'Amérique aux tranchées de l'Argonne et aux avant-
postes de Sibérie, s'avançant jusqu'à Arkhangel, Prague, Varsovie,
Constantinople, Beyrouth, et procurant à chacun le livre voulu, à beau-
coup le livre technique le plus récent et le meilleur. L' « Association des
bibliothèques américaines », avec la cessation des hostilités, n'a point
quitté la France : à la fin de 1919, elle trouvait les fonds nécessaires
pour laisser à Paris une bibliothèque, dirigée par des administrateurs
français, anglais et américains, où dominent les livres le plus aptes à
faire comprendre l'Amérique, et qui facilitera l'échange des idées avec
l'Ancien et le. Nouveau Monde, resserrera les liens entre la France et
les États-Unis. G. Constant.
— Gaston Hiou. La ciudad doliente. Diario de un soldado raso.
Prefacio de Miguel de Unamuno (Paris, Ediciones literarias, [1916],
in-18, 304 p.; prix : 3 pesetas 50). — Nous signalons ici, à cause de la pré-
face, la traduction espagnole d'un livre dont la Revue historique a déjà
122 NOTES BIBLIOGRAl'HIQUES.
rendu compte (t. CXXII, p. 157). Recteur de l'Université de Sala-
manque, M. de Unamuno est bien connu. Il est convaincu que ta plus
grande partie de la littérature de guerre sombrera dans l'oubli. Mais,
s'empresse-t-il d'ajouter, lelivre de Gaston Riou est moins un récit de
combattant qu'un témoignage de captif. Etude de fine psychologie,
l'ouvrage lui paraît, en outre, un effort sincère pour juger sans colère
et avec sérénité l'ennemi. J. R.
Allemagne. — Franco Caburi. Guglielmo II (Milano, Casa édi-
trice Risorgimento, 1920, in-18, 103 p.). — M. Caburi est un des jour-
nalistes italiens qui connaissent le mieux les choses d'Allemagne et
d'Autriche. Sa petite étude sur la psychologie de Guillaume II s'en
ressent : il a bien montré, d'une part, ce qui caractérisait, individuel-
lement, l'empereur déchu, en particulier la mégalomanie et la manie
de la persécution, et, d'autre part, comment, en l'empereur, s'indivi-
dualisait la politique du Neuer Kurs. Peut-être a-t-il utilisé trop large-
ment les souvenirs du dentiste américain Davis, mais il a dessiné,
au moyen de traits nets et exacts, l'évolution économique de l'Alle-
magne moderne. G. Bn.
Amérique du Sud. — José Antonio Saco. Documentos para su
vida, anotados por Domingo Figarola-Caneda (in-S", 420 p.). — Le
nom de Saco évoque le souvenir des luttes politiques et surtout de
l'abolition de l'esclavage à Cuba. Dans les documents sur sa vie, on
assiste à ses luttes contre le despotisme espagnol, à son exil, à ses
pérégrinations à travers l'Europe pendant une longue période, celle
dé 1836 jusqu'en 1879, date de sa mort survenue à Barcelone. La mise
en œuvre de ces documents est due à M. Domingo Figarola-Caneda,
fondateur et ex-directeur de la Bibliothèque nationale de la Havane,
membre de l'Académie de l'histoire de Cuba et directeur des Annales
que publie cette corporation. L'ouvrage est orné de sept gravures,
d'un prologue et d'une table alphabétique bien nourrie. Il est d'un
grand intérêt pour faire connaître l'histoire coloniale de Cuba.
— On trouvera des renseignements non seulement géographiques
et économiques, mais encore historiques, sur les républiques de l'Amé-
rique du sud et du centre et sur le Mexique dans VAnglo-South ame-
rican handbook for 1921 (London, F. Unwin, 25 sh.). — G. Bn.
États-Unis. — Francesco Ruffini. Il présidente Wilson (Milano,
fratelli Trêves, 1919, in-16, viii-132p.; « Pagine dell' ora »,n°^ 55-56). —
Dans ce petit volume, l'ancien ministre italien de l'Instruction publique
a réuni divers articles et discours composés avant l'arrivée du président
américain en France, c'est-à-dire avant les désillusions des Italiens
touchant le rôle de M. Wilson. Tout de même, il y a, dans ces écrits
de circonstance, des idées fort justes, et M. RufiQni a bien vu comment
M. Wilson, mis en possession, de par la Constitution, d'un véritable
pouvoir dictatorial, s'est efïorcé de remettre en contact le peuple et le
président, en écartant les chefs de trusts et de partis. Les idées de
HISTOIRE DE FRANCE. 123
Washington et de Lincoln, qui ont animé toute la pensée de ce profes-
seur de droit et d'histoire, se retrouvent, avec une nuance de mes-
sianisme religieux, dans la Société des Nations. Ainsi, et moins para-
doxalement qu'il ne semble au premier abord, s'apparentent, aux yeux
de M. RufBni, Mazzini et Wilson. G. Bn.
— On trouvera des vues intéressantes dans l'étude synthétique con-
sacrée par M. le professeur H. F. Krafft àSea power and american
destiny, dans les United States naval Institute proceedings,
avril 1921, p. 473-486.
France. — Joseph Reinach (Polybe). Francia. Histoire illustrée
de la France (Paris, Hachette, 1921, in-8°, 570 p.; prix : 10 fr.). —Ce
livre, le dernier qui soit sorti de la plume du fécond et brillant pùbliciste,
comprend vingt-huit chapitres qui se répartissent d'une façon assez
inégale en deux parties : l'ancien régime, qui occupe les 238 premières
pages, et l'époque moderne, issue de la Révolution, qui remplit tout le
reste. Ce défaut d'équilibre se justifie par le dessein que s'est proposé
M. Reinach ; il a voulu dire tout ce qui lui paraissait essentiel à un
« honnête homme » de savoir pour mieux connaître la France. Il dédie
son ouvrage « aux armées de Jofïre, de Foch et de Pétain, aux armées
alliées » ; aussi l'histoire militaire a-t-elle été traitée par lui avec un
soin particulier; mais Polybe ne pouvait pas se contenter de raconter
les batailles et d'analyser les traités qui ont constitué le corps politique
de notre pays ; il a dit aussi comment s'est formé le génie de la France
par ses institutions monarchiques et sa production intellectuelle, par
le rôle qu'elle a joué dans l'émancipation de l'esprit humain et dans
la lente conquête de la liberté. L'homme qui avait vu tant de choses,
lu tant de livres, touché à tant de sujets anciens et actuels, a su rem-
plir son programme avec une habileté, une verve qui lui gagneront de
nombreux lecteurs. 11 a dû élaguer fortement dans la forêt souvent
confuse et obscure de notre histoire et l'on ne s'en plaindra pas. Peut-
être cependant pourra-t-on regretter qu'il ait fait si peu de place aux
institutions religieuses et à la vie provinciale de l'ancienne France.
Comme tant d'autres historiens, il s'est contenté d'observer la monar-
chie française, plus que le peuple de France qui mérite cependant
d'être étudié autrement que sur les champs de bataille où il prodigue
son sang. M. Reinach est mort avant d'avoir pu voir de près les
épreuves de son volume; après lui, des mains pieuses et probes y ont
relevé des fautes de détail mentionnées dans un long appendice qui
est destiné à disparaître. dans les prochains tirages; mais, dans son
ensemble, le livre est aussi remarquable par l'exactitude des faits que
par l'intelligence avec laquelle ils sont présentés et appréciés. On y
pourrait noter plus d'un jugement personnel et original sur des ques-
tions de littérature et d'art. Jusque dans l'illustration du volume, on
retrouve les qualités maîtresses de l'écrivain qui est à l'ordinaire
exact, précis, soucieux de vérité, sensible aux manifestations les plus
124 NOTES BlBLlOGBAPfllQDES.
variées de la vie, enthousiasle et impartial, et qui, avant déjuger, veut
comprendre et faire comprendre. On trouvera en lui un guide sur et
bien informé. Ch. B.
— I. Gaston May. Introduction à la science du droit. II.
Ch. Lefebvre. La famille en France dans le droit et dans les
mœurs. III. Ch. Gide. Des institutions en vue de la transforma-
tion ou de l'abolitio7i du salariat (Paris, Giard et C>e, 1921, in-S»,
v-461 p.). — Les professeurs de la Faculté de droit de Paris com-
mencent la publication des cours ouverts en mai-juin 1919 à l'inten-
tio% des étudiants de l'armée américaine et destinés à leur donner,
sous la forme la plus sommaire, la synthèse substantielle et précise
des institutions juridiques françaises.
M. May, chargé plus spécialement de les préparer à la compréhen-
sion du, droit, le définit, le fonde sur le respect de la personnalité
humaine, en recherche les sources dont il décrit l'évolution, et énu-
mère ses sanctions (p. 3-32); puis il l'étudié comme science, passant
successivement en revue sa nature, ses rapports avec les autres
sciences, les diverses branches de cette science : droit privé, droit
public et droit des gens', l'histoire de leur codification et le rôle de
l'interprétation jurisprudentielle (p. 33-94); enfin, après avoir souligné
l'importance du droit romain dans l'enseignement de toutes les uni-
versités contemporaines 2, il indique comment le législateur moderne,
puisant les leçons de l'expérience dans les résultats de l'interpréta-
1. Division traditionnelle que M. May est heureux de retrouver, quoique
dans un ordre exactement inverse, dans Montesquieu {Esprit des lois, t. I,
p. 3) : « Considérés comme habitants d'une si grande planète qu'iLest néces-
saire qu'il y ait différents peuples, les hommes ont des lois dans les rapports
que ces peuples ont entre eux, et c'est le Droit des getis. Considérés comme
vivant dans une société qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le rap-
port de ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés, et c'est le Dy-oit
politique. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre
eux, et c'est le Droit civil. »
2. Voir notamment p. 100. « Ce n'est pas seulement par la supériorité de
leur technique que les Romains méritent de servir de modèles aux juriscon-
sultes. C'est aussi parce que leur droit offre le merveilleux exemple d'une
législation qui s'est développée, qui a su s'adapter aux nécessités de la vie,
sans faire constamment appel à l'intervention du législateur, simplement grâce
à l'effort continu de leurs magistrats, les préteurs, et de leurs jurisconsultes.
Leurs magistrats ont su tirer parti d'une législation écrite très peu détaillée
qu'ils n'avaient pas le droit d'abroger ou de changer ouvertement, mais qu'ils
ont transformée par un long et patient travail d'adaptation et de correction...
Quant aux jurisconsultes romains, ils ont déployé dans l'art d'interpréter le
droit une maîtrise remarquable. Ils n'ont pas été uniquement des logiciens à
l'esprit étroit. Ils ont eu au dernier degré le sens des réalités, la vision claire
des besoins et des moyens les plus simples pour atteindre le but, le don pré-
cieux de savoir garder la mesure en évitant l'écueil des solutions outrancières.
Eux aussi peuvent nous servir de guides dans nos tentatives de rénovation du
droit. »
HISTOIRE DE FRANCE. 125
tion, dans l'exemple des législations étrangères, dans les enseigne-
ments de l'économie politique, pourra orienter l'opinion nationale et
internationale vers la réalisation d'un droit meilleur (p. 95-114).
M. Lefebvre s'est proposé de résumer l'histoire de la constitution
et de l'organisation de la famille française, insistant plus particulière-
ment, ainsi qu'il l'avait déjà fait dans ses cours de doctorat bien con-
nus, sur le lien du mariage (p. 141-194) et sur ses efïets, d'abord géné-
raux dans toute union conjugale (p. 195-214), puis particuliers quant
aux biens, suivant les divers régimes matrimoniaux, dont il dégage
les traits essentiels dans un aperçu bref mais très net (p. 214-249), les
quatre derniers cours étant réservés aux droits et obligations des
parents à l'égard de leurs enfants (p. 250-302), aux relations extra-con-
jugales et à la situation des enfants nés hors mariage (p. 304-335).
M. Gide a choisi comme sujet de son cours l'étude de l'abolition du
salariat, problème capital qui a, pour ainsi dire, dominé l'évolution
du socialisme français et des organisations par lesquelles il tend à réa-
liser sa doctrine, d'abord par l'association coopérative de production
(p. 352-379), ensuite par la participation aux bénéfices ou la société en
participation ouvrière (p. 395-418), dont le plus bel exemple reste le
familistère de Guise (p. 406-418), enfin par la société coopérative de
consommation, qui semble devoir produire des résultats beaucoup plus
avantageux et être appelée à un grand avenir (p. 419-425). Les deux
dernières leçons sont consacrées à la législation agraire, à la condition
toute particulière du travailleur agricole et à l'association agricole,
pratiquée notamment dans certaines régions ravagées des départe-
ments du nord de la France (p. 435-457).
Cette publication collective a atteint son but et, comme le déclare
dans l'avant-propos M. le doyen Larnaude, destinées à « tous ceux
qui, dans le monde, tiendront à connaître la pensée française sur les
questions de droit et d'économie sociale qu'elles traitent », ces leçons
ont surtout pour caractère commun « la recherche dans les solutions
de l'idéal de justice. Justice individuelle, justice sociale, justice inter-
nationale, justice partout; c'est là, sans qu'il s'en doute toujours, le
ressort caché qui fait penser, parler et écrire le Français de notre
temps comme celui des temps anciens ». Ernest Lyon.
— Louis GiLLET. Un grand maître du XV 111'=^ siècle : Waiteau
(Paris, Pion, 1921, v-246 p.; prix : 10 fr.). — Ce que nous savons de
la biographie de Watteau se réduit à quelques dates et à quelques
anecdotes en partie suspectes. En 1712, à vingt-huit ans, il est « agréé »
à l'Académie royale de peinture et de sculpture et invité à faire son
« chef-d'oiuvre ». « Il musera, écrit M. Gillet, vaguera cinq ans comme
s'il avait l'éternité devant lui. On ne sait ce qu'il fait, où il se cache;
et soudain c'est le jaillissement du poème immortel (l'Embarquement
pour Cythère), une Hèvre de beauté, de génie et d'amour, une hâte,
une angoisse, une impatience et une ivresse, et puis brusquement tout
s'éteint et la flamme retombe. Il est mort. Il n'a pas trente-sept ans. »
126 NOTES BIBLIOGEAPHIQDES.
De l'œuvre elle-même, il n'existe pas de catalogue scientifique ; on n'a
pas encore classé les peintures, distingué les répliques des œuvres
originales, réuni la collection de ses dessins. Pourtant, il importait
qu'au moment où la France célébrait le deuxième centenaire de la
mort du peintre, emporté par un mal implacable le 10 juillet 1721,
parut un volume réunissant les traits épars de la biographie et mon-
trât la place et la portée de cette œuvre. M. Louis Gillet nous donne
ce volume. L'hiver dernier, il a fait à la Société des conférences un
cours de quatre leçons sur Watteau qu'il reproduit ici, dans un texte
un peu remanié, en autant de chapitres. Il dépeint fort bien l'homme ;
il apprécie en termes excellents ses tableaux célèbres : VEmbarque-
ment, le Gilles qu'il faudrait plutôt appeler le Pierrot, ÏAntiope,
l'Enseigne, ses paysages, ses portraits, ses arabesques. Il insiste sur-
tout sur la révolution que Watteau a accomplie, sans s'en douter, sans
le faire exprès. « Il a engagé la peinture pour un siècle dans des voies
absolument nouvelles... Tout le xyiii^ siècle, en dehors de Tiepolo,
relève plus ou moins de lui et dérive de lui. » C'est un livre que tout
historien devrait méditer C. Pf.
— Le Times a publié le 5 mai 1921 un supplément consacré à Napo-
léon et contenant d'importants articles de MM. Fisher {Napoléon
and democracy), Trevelyan (Napoléon and Italy), Marvin (Napo-
léon and éducation), Firth (Popular opinion in England), de
Montmorency {The code Napoléon), le Rev. Simpson {Napoléon
and the second Empire), Bailey {Napoléon in poetry)^ sans comp-
ter quelques lignes éloquentes et terriblement justes du maréchal
Foch. G. Bn.
— Jean Régné. Histoire du Vivarais (t. II : le Développement
politique et administratif du pays de 1039 à 1500. Largentière,
impr. Mazel, 1921, in-S"; xvi-520 p., prix : 45 fr.). — Nous avons
signalé en son temps (t. ,CXXI, p. 340) la très remarquable His-
toire du Vivarais entreprise, sous les auspices du Conseil général
de l'Ardèche, par le distingué archiviste départemental Jean Régné.
Le tome I se présentait, en 1914, sous la forme d'une réédition cri-
tique de l'ouvrage du fchanoine Rouchier et il s'arrêtait à la date de
1039, qui marque le rattachement immédiat du Vivarais au Saint-
Empire. Le second volume, qui vient de paraître, étudie le développe-
ment politique et administratif du pays jusqu'à 1500, c'est-à-dire jus-
qu'au moment où, pour un demi-siècle, la plus haute dignité religieuse
et la première magistrature civile se trouvent réunies entre les mains
de la famille de Tournon. On pourrait chicaner M. J. Régné sur la
valeur absolue de cette limitation chronologique, mais il est impos-
sible de méconnaître l'intérêt et l'importance des résultats auxquels il
est arrivé. Il montre excellemment comment le Vivarais, terre d'Em-
pire jusqu'en 1305, a vécu depuis sa réunion à la France jusqu'à la fin
du xye siècle. Pendant tout le cours du xiii^ siècle se dessine la péné-
HISTOIRE DE FRANCE. 127
tration capétienne; elle se précisera avec Philippe le Hardi, quand le
pariage de 1284 entamera le bloc des seigneuries ecclésiastiques ou
séculières du diocèse de Viviers; elle s'alErraera avec Philippe le Bel,
qui groupera sous l'autorité du bailli de Velay le diocèse de Viviers
et les fractions languedociennes des diocèses de Valence et de Vienne.
Ainsi ftat reconstituée l'ancienne Helvie et, dès le début de l'adminis-
tration royale, l'unité du pays de Vivarais se trouvait fondée de la
façon la plus solide. Que fut cette administration royale? C'est ce que
nous expose toute la seconde partie du volume, dont l'intérêt drama-
tique est aussi puissant que l'intérêt proprement scientifique. Intérêt
dramatique, à cause des péripéties de la guerre de Cent ans (les com-
pagnies et l'organisation de la défense locale, la révolte des Tuchins,
la guerre de Raymond de Turenne, etc.). Intérêt scientifique, avant
tout, car M. Jean Régné a fait œuvre originale en révélant les ori-
gines curieuses du bailliage royal de Vivarais et des États particuliers
de ce pays. Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur aux développe-
ments, nourris de faits et d'idées, qui conduisent à des conclusions
lumineuses, pleines de rigueur et en grande partie nouvelles.
Une série d'appendices apportent des éclaircissements de détail sur
des questions d'ordre religieux, financier, économique. Le dernier, sur
la tannerie et la draperie en Vivarais aux xiv« et xv^ siècles, est une
longue étude, absolument neuve et bourrée de documents, qui sera
particulièrement bien accueillie. '
Et l'on regrettera seulement que ce gros volume ne soit pas plus
ample encore. Il devait comprendre une dernière partie relative à Fétat
social et à la vie locale antérieurement au xvi« siècle ; mais il aurait
fallu augmenter dans une trop forte proportion le nombre des pages
et par suite le prix du volume. Les érudits en retrouveront du moins
la substance dans une série de monographies qui ne tarderont pas à
paraître séparément. Louis Villat.
— Historien très vivant et quelque peu passionné des rapports du
catholicisme et du protestantisme dans le pays de Montbéliard,
M. l'abbé Tournier publie une intéressante étude sur les Seigneuries
d'Héricourt et du Châtelot (Besançon, 1921, in-8°, 346 p.). Son
récit, qui s'étend depuis l'arrivée des Burgondes jusqu'à la conquête
par Louis XIV, repose sur un dépouillement minutieux des Archives
nationales et de quelques archives départementales (Doubs, Haute-
Saône). On y trouvera de curieux détails sur l'organisation religieuse et
la vie économique sous les comtes de Bourgogne et au temps de la
domination wurtembergeoise. Richelieu lui apparaît comme un homme
néfaste, par qui les seigneuries du pays de Montbéliard furent broyées,
piétinées, torturées. Dans l'ensemble, l'ouvrage est solide, bien com-
posé et apporte la plus utile contribution à l'histoire tourmentée de
l'ancien comté de Montbéliard. L. V.
— Pierre Boye. Le roi Stanislas et le culte du Sacré-Cœur. L'au-
128 NOTES BIBLIOGRÀPHIQDES.
tel de la cathédrale de Toul (Nancy, 1921, in-S», 38 p. avec une
planche; extrait du « Bulletin mensuel de la Société d'archéologie
lorraine »). — En août 1765, Stanislas et sa fille la reine de France
décidèrent que, dans la cathédrale de Toul, ils élèveraient un autel au
Sacré-Cœur; les plans en furent dressés par Richard Mique; mais le
roi de Pologne mourut avant que l'œuvre fût commencée et l'autel ne
fut terminé qu'au début de 1768. M. Boyé le décrit avec une grande
précision ; il donne surtout d'intéressants détails sur la manière dont
la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus s'est développée en Lorraine au
cours du xviii« siècle. C. Pf.
— J. Walter. Catalogue général de la bibliothèque munici-
pale de Sélestat. l-'e série : Les livres impriynés. !'■« partie : Les
alsatiques (Colmar, 1920, Société d'éditions « Alsatia », in-8°, 320 p.).
— La bibliothèque de Sélestat, qui jadis était logée de façon médiocre
dans les bâtiments du collège, a été installée en 1889, à l'étage supé-
rieur de l'ancienne halle aux blés, en une vaste salle bien éclairée et
vraiment digne d'elle. La municipalité a décidé, en 1919, de faire con-
naître au public les richesses qu'elle renferme. Elle a voté les fonds
pour l'impression d'un catalogue qui comprendra quatre parties : les
imprimés, les manuscrits (anciens et modernes) et estampes, les col-
lections du musée qui a trouvé place au rez-de-chaussée du même
bâtiment, les archives municipales. Le catalogue des imprimés se
divisera en trois volumes : les alsatiques dont un grand nombre pro-
viennent de la bibliothèque d'Antoine Dorlan, la bibliothèque moderne,
y compris celle des frères Joseph et Pantaléon Mury, puis la biblio-.
thèque ancienne où sont réunies les collections des humanistes, parti-
culièrement celle de Beatus Rhenanus. M. l'abbé J. Walter, qui,
après l'armistice, a été nommé bibliothécaire, vient de donner le cata-
logue des alsatiques, qui comprend 6,723 numéros, partagés entre quatre-
vingt-quatorze subdivisions. Ce catalogue établi avec soin n'est pas
seulement professionnel, si j'ose dire; il est bibliographique; il indique
les principaux articles des revues que possède la bibliothèque; l'au-
teur s'est inspiré du modèle donné par le catalogue d'alsatiques de la
bibliothèque universitaire et régionale de Strasbourg, malheureuse-
ment encore incomplet. Les historiens de l'Alsace devront le consul-
ter avant d'aborder n'importe quel sujet. Les n°^ 2678 à 2779 donnent
la liste des ouvrages sur Sélestat, qu'on ne trouvera nulle part aussi
complète. C. Pf.
Italie. — A. Gaudenzi. // costituto di Costantino (BuUettino dell'
Istituto storico itaUano, n° 39. Rome, 1919, 112 p.). — Cette étude cri-
tique sur la donation de Constantin était terminée et en épreuves
quand survint la mort de l'auteur; bien que Gaudenzi n'ait pas pu
donner les derniers soins à son travail, il méritait d'être publié tel
quel. En voici, en attendant mieux, le résumé : le texte de la dona-
HISTOIRE DO JAPON. 129
tien qui fut communiqué par Léon IX à Michel Cerularius est plus
ancien que celui de Saint-Denis ; avant d'être un faux diplomatique,
elle a été un faux historique en se présentant comme faisant partie
de la Vie de saint Sylvestre. Ainsi que l'original supposé de cette Vie,
elle a été rédigée en grec et les rédactions grecques sont antérieures
à la rédaction latine; Léon IX les retrouva quand il fit rechercher
dans ses archives le prétendu texte original, et c'est du texte latin de
Léon IX qu'est dérivé celui qui figure dans les recueils canoniques
de la fin du xi« siècle et dans le décret de Gratien. C'est bien plus
tard que l'on tira des archives le texte grec. A la fin de son mémoire,
Gaudenzi reproduit sur deux colonnes parallèles les deux textes, grec
et latin. Ch. B.
— Le tome XIII des Documenti di storia italiana est un recueil
de Documenti per la storia délia città d'Arezzo nel Medio evo
(1180-1331), par Ubaldo Pasqui.
— Une intéressante initiative est due au « R. Istituto per la pro-
paganda délia cultura italiana », qui s'est préoccupé de dresser le
bilan de la science italienne dans les différentes catégories du savoir
humain et de publier de courles bibliographies critiques et explica-
tives (Profili bibliografici delV Italia che scrive). Si l'on en juge
par les deux fascicules qui nous sont parvenus, la tentative peut être
jugée dès maintenant comme réussie. Dans II teatro (Roma, Istituto,
etc., 1919, in-16, 87 p.), M. Cesare Levi donne non seulement une
bibliographie des pièces de théâtre éditées, mais encore, au cours de
son introduction, une étude utile sur le théâtre dialectal (p. 30 et suiv.).
— C'est une histoire de la science géographique en Italie que fournit
M. Roberto Almagià dans les soixaûte-sept premières pages de son
opuscule sur la Geografia (R,oma, Istituto, etc., 1919, in-16, viii-
109 p.); il y montre en particulier le rôle des Délia Vedova et des
Marinelli et comment certains phénomènes proprement italiens, les
volcans, les tremblements de terre, etc., ont amené les géographes
de la péninsule à se spécialiser dans certaines disciplines. La biblio-
graphie proprement dite est singulièrement organisée en trois sections :
publications des sociétés et institutions scientifiques, périodiques,
ouvrages individuels, classés dans l'ordre alphabétique; telle quelle,
elle rendra de grands services. G. Bn.
Japon. — P. S. RivETTA. Storia del Giappone délia origine ai
giorni nostri, secondo le fonti indigène (Roma, Ausonia, 1920,
gr. in-S", xvi-190 p.). — Masaharu Anesaki. Quelques pages de
l'histoire religieuse du Japon (Paris, Edmond Bernard, 1921, in-8",
173 p.; t. XLIII de la Bibl. de vulgarisation. Annales du musée
Guimet). — Uichi Iwasaki. The working forces in Japanese poli-
tics, a brief account of political conflicts 1867-1920 (New-York,
Columbia Univ., 1921 ; Studies in History, vol. XCVII, n° 1). — L'his-
Rev. Histor. CXXXVIII. 1"' fasc. 9
130 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
toire du Japon, trop longtemps négligée, vient de tenter coup sur
coup plusieurs auteurs. Nous signalions dernièrement (t. CXXXVII,
p. 126) An Introduction to the History of Japan, publiée par M. Kat-
suro Hara sous les auspices de la Société Yamato, et nous trou-
vions dans cet ouvrage une réflexion assez abstraite, appliquée à la
méditation des facteurs, tant naturels qu'historiques, dont résulta la
vie japonaise. Le livre de M. Rivettâ ofîre au contraire un répertoire
classique d'intention et digne en effet d'un usage classique, portant
sur la totalité de l'histoire du Japon. Ce n'est pas une œuvre de science,
mais un résumé utile, en un ordre d'études où les éléments étant dif-
ficilement accessibles aux Européens, toute vue d'ensemble était inter-
dite aux non-spécialistes. L'auteur est, par profession, connaisseur de
la langue du Japon, et divers aspects, de l'activité de ce pays, surtout
la politique, mais aussi la religion et le droit, ont, à l'occasion, retenu
son attention. Mais son érudition est courte : nous regretterons que
son attachement aux « sources indigènes » l'ait détourné de mettre à
profit les indications quelquefois décisives, quoique fragmentaires,
obtenues sur tels ou tels points de l'histoire du Japon par la critique
moderne, soit extrême - orientale , soit européenne. Les travaux
d'un Chavannes, d'un Pelliot paraissent insoupçonnés. Le maigre
chapitre consacré au bouddhisme ne donne guère idée des problèmes
posés* par l'introduction de cette religion indienne déjà chinoisée, par
son développement dans l'empire insulaire, par la constitution du
canon japonais.
M. Anesaki, dans ses conférences au Collège de France (1919), que
vient de réunir en volume le musée Guimet, montre, au contraire,
l'essor de la civilisation japonaise résultant de l'introduction du boud-
dhisme. Le prince Umayado, plus connu sous l'élogieuse épithète de
Shôkoku, le Saint (593-622), apparaît ainsi, à ses yeux, la plus carac-
téristique figure de cette civilisation : il adapta l'un à l'autre l'idéal
politique indigène et l'idéal religieux d'origine étrangère. Après lui,
en des pages qui opèrent une sélection parmi un passé fort complexe,
on nous présente Dengyô et KôbS, les premiers réformateurs religieux
(fin du vrije siècle) ; Hônen, le piétiste d'Amitabha (xiF siècle) ; Nichi-
ren, le prophète (xiii« siècle) qui préconisa le retour à Dengyô et au
texte du Saddharmapundarîka, base tant doctrinale qu'historique
du bouddhisme japonais; les spéculations Zen et même quelques phi-
losophes japonais de nos jours. Aucun livre n'est plus propre à mettre
le lecteur occidental à l'unisson des subtiles résonances de la spiritua-
lité nipponne, dans son originalité comme dans sa faculté d'assimila-
tion, dans ses ambitions guerrières comme dans ses délicatesses de
mysticité. Aucun homme, en effet, n'était plus apte que l'auteur, illus-
tré par maints travaux solides et brillants, à ressentir, avec le tact
combiné de l'historien et de l'artiste, ces affinités, ces subtiles
influences qui donnent à une civilisation son cachet propre. Il fallait
unir à une compétence esthétique digne de celle d'Okakuraune péné-
HISTOIRE DES PATS-BAS. 131
tration bien supérieure des doctrines religieuses, ainsi qu'une plus
sûre érudition, pour écrire ces pages fines et fortes, qui rappellent
celles d'un Gebhart sur saint François, comme une esquisse de Fujita
rappelle les vieux peintres mystiques d'Ombrie ou de Toscane.
M. Iwasaki, enfin, vient de composer sur le dernier demi-siècle de
l'histoire japonaise un ouvrage remarquable. Par une analyse fort
serrée, où la sociologie se fait le guide de l'histoire, il réfute le pré-
jugé courant, selon lequel la suppression de la féodalité japonaise en
1867 marquerait un renversement complet des traditions et des idées
dans l'empire du Solejl Levant. Il réduit la restauration Meiji au rem-
placement du régime féodal par une bureaucratie héritière de l'esprit
du Shogunat. La fin des Tokugawa résulte simplement de l'échec du
shogun devant la révolte des daimyô; mais ces chefs de clans, si puis-
sants qu'ils fussent, n'avaient qu'une autorité locale ; et les samurai,
qui avaient soutenu leur cause, ne pouvaient encore faire figure de
classe dirigeante. La seule solution était donc le rétablissement de la
puissance impériale. Cette révolution toute politique n'eut qu'une
médiocre portée sociale : l'esprit traditionnel de la féodalité conserva
son influence prépondérante sur la vie de la nation. D'où l'action déci-
sive d'un corps extra-constitutionnel, les genrô, dominant à la fois les
pairs et les députés; d'où l'adoption d'une monarchie constitutionnelle
à l'allemande, conservatrice et militariste. L'esprit radical, les
influences financières accaparent aujourd'hui la Chambre des dépu-
tés, mais leur force grandissante se heurte au bloc traditionaliste des
aristocrates et de l'administration. Ajoutons qu'il ne s'est produit jus-
qu'ici qu'un mouvement prolétarien : la jacquerie de 1918. Les aspi-
rations démocratiques paraissent donc loin d'avoir cause gagnée. En
pesant avec une grande finesse d'appréciation l'importance relative de
ces divers facteurs, l'auteur fait preuve d'une sûre maîtrise.
P. MasSon-Oursel.
— Officiai history, naval and military, of the Russo-Japanese
War, t. III (London, Committee of Impérial Défense, 2, Whitehall
Gardens). — Préparé dès 1915 pour la publication, cet énorme volume
de 904 pages vient seulement de paraître, et il est indéniable qu'il
bénéficie, pour l'interprétation des événements de 1904-1905, des expé-
riences enregistrées pendant la guerre mondiale. Après un résumé
des faits essentiels survenus en 1904, il retrace les opérations de la
guerre russo-japonaise pendant l'année 1905, insiste en particulier sur
les batailles de San-de-Pu (25-28 janvier) et de Moukden (février), et
montre comment l'effort immense des Japonais n'aboutit pas aux
résultats escomptés par eux : de là, leur attitude assez magnanime
lors des négociations de paix. G. Bn.
Pays-Bas. — La revue générale d'histoire, Tijdschrift voor ges-
chiedenis, imprimée à Groningue chez Noordhof, et dont le directeur
reste le docteur de Boer, a adressé à la Revue historique, en tirage à
132 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
part, un de ses derniers bulletins bibliographiques (Literatuur over-
zicht). Ce bulletin, dont l'étendue est assez importante, rend compte
de publications de tous pays, sur les sujets les plus variés. Ses colla-
borateurs regardent un peu trop peut-être du côté de l'Allemagne ; ils
cherchent du moins à faire preuve d'impartialité, comme le prouve
plus d'un article, et la liste des livres nouveaux renferme un certain
nombre d'ouvrages français, dont on peut espérer trouver un compte-
rendu critique dans les prochains numéros. A. W.
Russie. — Simon ZaGORSKy. La République des Soviets. Bilan
économique (Paris, éd. Payot, 1921; 1 vol., prix : 15 fr.). — Ce livre,
bourré de faits, est l'œuvre d'un spéciaUste, d'un économiste habitué
à manier les chiffres, à tirer des statistiques la philosophie qu'elles
comportent. Les sources d'information ont été tirées par l'auteur exclu-
sivement des documents soviétistes (la presse bourgeoise a cessé
d'exister, en Russie, à partir du 15 juillet 1918). L'auteur a recueilli
directement une partie de ses documents, car il n'a quitté (p. 147) Pétro-
grad que vers la fin de 1918.
Croyance mystique à la vertu interne du prolétariat, incohérence
d'un pouvoir qui légifère au jour le jour, tels sont les traits caractéris-
tiques du régime bolchéviste. Les bolcheviks ont pris le pouvoir en
main « sans avoir de programme défini et élaboré d'avance (p. 5) ».
Ils ont d'abord remis à l'État un certain nombre d'industries peu
importantes; d'autres monopoles furent successivement établis (p. 9).
Dans l'œuvre proprement dite de la nationalisation, la même absence
de méthode se révèle. Le droit de contrôle, presque illimité, conféré
aux ouvriers (27 novembre 1917) ayaftit abouti au chaos économique,
les dirigeants effrayés annulent pratiquement ce droit de contrôle par
la création de Glavki ou Centry, directions principales ou cen-
trales, dont le public apprend la formation par le journal du gouver-
nement. Le nombre de ces directions (p. 24) était, au commencement
de 1919, de 51. La « dictature du prolétariat » aboutissait, comme le
fait remarquer l'auteur, à une sorte d' « Etat- trust », géré par la
bureaucratie (p. 32). Par une conséquence inévitable, la production
baissa lamentablement dans toutes les branches de l'industrie, et l'on
vit se développer concurremment le parasitisme de tout un peuple de
fonctionnaires (p. 46-114).
L'auteur expose (p. 115 suiv.) ce que sont devenus, sous ce régime,
« l'échange et la répartition » ; comment le bolchévisme a organisé
l'approvisionnement; comment, décidément impuissant à tuer le com-
merce libre, il a dû se résigner à le tolérer, ou même à en recon-
naître, plus ou moins franchement, la nécessité (p. 147-148),- en rai-
son de la désorganisation des transports, due surtout à l'existence du
« contrôle ouvrier ».
Le pouvoir soviétiste n'a point, comme il s'en vante, amélioré la
situation de la classe ouvrière : seule la bureaucratie ouvrière sovié-
tiste est intéressée à la consolidation de ce pouvoir. L'auteur le
HISTOIUE DE EUSSIE. 133
démontre particulièrement dans les pages 209-260; il lui suffit d'étu-
dier le M budget ouvrier ». Une autre preuve est fournie par la dispa-
rition de la classe ouvrière industrielle, qui émigré au village ou meurt
(p. 265). La militarisation du travail, imaginée pour remédier à la
désertion des ouvriers, a été inefficace.
Le chapitre vi traite des finances du nouveau régime : elles sont
caractérisées par l'émission ininterrompue du papier-monnaie, « con-
fiscation dissimulée pesant lourdement non seulement sur la classe
aisée, mais aussi sur les couches les plus pauvres du prolétariat »
(p. 308). Le chapitre vu montre que la politique des Soviets a tué la
grande industrie au profit de la petite, dépeuplé les villes au profit des
campagnes et que la propriété paysanne individuelle s'est prodigieuse-
ment développée. D'autre part, une nouvelle bourgeoisie, petite et
moyenne, s'est formée : très inférieure à celle qu'elle a remplacée,
elle « aura à jouer un rôle considérable dans la vie future du pays »
(p. 345).
L'auteur conclut que le régime soviétique, en faisant appel aux capi-
talistes étrangers, a avoué « la faillite actuelle du communisme en
Russie ». Il prévoit une réaction inévitable; elle mettra fin à ce régime
paradoxal qui a échoué dans toutes ses entreprises (p. 348).
L'ouvrage, clairement composé, se lit avec intérêt; les spécialistes
y trouveront, à l'appui des assertions de l'auteur, un grand nombre de
tableaux statistiques qu'ils consulteront avec profit.
Les fautes d'impression sont peu nombreuses : plusieurs mots, cor-
rectement transcrits, comme Centrotchaï (p. 28), le sont incorrecte-
ment plus loin (cf. p. 38). Nous relèverons seulement Koustis (p. 31)
au lieu de Kousty, dont on trouvera et la forme correcte et l'explica-
tion p. 38. E. DUCHESNE.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
France.
1. — Annales révolutionnaires. 1921, mai-juin. — Albert
Mathiez. Recherches sur la famille et la vie privée du conventionnel
Basire; suite et fin (avec un tableau généalogique de la famille Basire).
— Antoine Richard. L'application du premier maximum dans les
Basses-Pyrénées. — A. Harmand. Poullain-Grandprey et ses corres-
pondants; fin (lettres de l'an VIII à l'an XII). — Albert Mathiez. La
soi-disant erreur de la Constitution civile du clergé (la séparation de
l'Église et de l'État était impossible en 1789; personne ne la deman-
dait; l'Église, maintenue comme étant une institution nécessaire,
devait être réformée comme l'administration et les finances. Donc il
n'y a pas eu erreur). — Général DUPlessis. La déchristianisation
dans l'Est et en Côte-d'Or. — G. Vauthier. Le cœur de Henri IV
(récit d'un contemporain, G. Boucher, chirurgien à La Flèche; il
raconte comment, le 2 messidor an XIII, fut brûlé, par ordre de la
Convention, le cœur de Henri IV, qui avait été déposé dans le chœur
de l'église de cette ville, mais comment lui, Boucher, put recueillir
les cendres du foyer qui avait consumé les restes de cette relique). :=
C. -rendus : Pariset. La Révolution, 1792-1799 (long article d'A.
Mathiez, qui présente de nombreuses objections, mais qui conclut :
l'œuvre est de celles qui font avancer la science. M. Pariset « a
réformé bien des jugements erronés ; il a courageusement réagi contre
les légendes » ; ainsi dans le cas de Danton). — L. Lévy -Schneider.
L''application du Concordat par un prélat d'ancien régime, Mgr Cham-
pion de Cicé, archevêque d'Aix et d'Arles, 1802-1810 (mine précieuse
de renseignements de toute nature). — G. Hardy. La mise en valeur
du Sénégal de 1817 à 1854 (bon).
2. — Bulletin de la Société de Thistoire du protestantisme
français. 1921, juillet-septembre. — B. de Charnisay. L'assassinat
de M™« de Mirman (tuée en novembre 1702, près de Lussan ; elle était
fille de nouveaux convertis; cherchait-elle à gagner l'étranger pour
redevenir protestante et fut-elle assassinée par les « camisards noirs »
ou « florentins », ou bien, à ce que d'autres prétendent, par les vrais
camisards?). — N. Weiss. L'entrevue, avec le cardinal de Lorraine,
des Suisses envoyés à Paris pour intercéder en faveur des victimes de
l'assemblée de la rue Saint-Jacques, 6 novembre 1557 (d'après une lettre
d'un étudiant de Lausanne, Élie Philippin, au pasteur Fabri de Neuchâ-
EECDEILS PEKIODIQUES. 135
tel). — Th. Maillard. Un médecin huguenot saintongeois : Jehan
Rabotteau, sieur de La Rousserie (| à Saint-Fort, 31 décembre 1681 ;
on publie une lettre de lui aux pasteurs et anciens de Saintes). —
N. Weiss. Les aventures de Guillaume Chenu de Chalezac, seigneur
de Laujardière, au pays des Cafres, 1686-1689; suite. — Eug. Ritter.
Claude Huart, traducteur des Hypotyposes de Sextus Empiricus (paru
à Genève en 1725). — M. Aubert. Simon Goulart d'après une biogra-
phie récente (celle de Leonard-Chester Jones; tout à fait remar-
quable; rôle de Goulart comme historien et théologien).
3. — La Révolution française. 1921, avril-juin. — A. Aulard.
La mort de Napoléon et les journaux parisiens en 1821 (comment la
presse de droite et la presse de gauche annoncèrent et commentèrent
cette mort). — Thèses de doctorat de M. Renouvin. Les assemblées
provinciales de 1787, origines, développements, résultats. — L'assem-
blée des notables de 1787 : la conférence du 2 mars (résumés des deux
thèses faits par le candidat). — R. Chevaillier. Les revenus des
bénéfices ecclésiastiques au xyiii^ siècle d'après les comptes de la
régale et de la garde (pendant les vacances, les fruits des évêchés
appartenaient au roi en vertu de la régale; sur les bénéfices de fon-
dation royale, le roi exerçait le droit de garde et louait, en cas de
vacance, les fruits, mais au profit du futur titulaire; les diverses éva-
luations données de ces fruits sont très arbitraires). — J. Durieux.
Thermidor d'après des documents inédits (tirés des archives de la
Légion d'honneur; lettres d'acteurs de cette journée réclamant la
croix). — Julien Tiersot. Rouget de Lisle et Quiberon (on signale
une lettre de lui relative à la réimpression de sa notice sur Quiberon,
qui parut en 1834 dans les « Mémoires de tous »). — Le portrait de
Barère par David (exposé momentanément au musée de Bruxelles).
— La trahison de Marie-Antoinette (on attire l'attention sur un billet
de la reine au comte de Mercy-Argenteau, 26 mars 1792, publié, en
1866, par von Arneth). = C. -rendus : Lévy -Schneider. L'application
du Concordat par un prélat d'ancien régime : Mgr Champion de Cicé,
archevêque d'Aix et d'Arles, 1802-1810 (remarquable). — A.-C. Saba-
tié. Le tribunal révolutionnaire de Paris. Les tribunaux révolution-
naires de provinces; t. I : Provinces du Nord; t. II : Provinces du
Midi (compilations qui relèvent de l'hagiographie plus que de l'histoire).
— Marc Chassaigne. Le procès du chevalier de La Barre (documen-
tation nouvelle). — Lavaquery. Le cardinal de Boisgelin, 1739-1804
(récit intéressant, mais prolixe). — - Gaston Dodu. Trois mois à Paris
sous la Terreur (pluviôse, ventôse et germinal an II; documentation
abondante; rendra service). — J. Ancel. Les travaux et les jours de
l'armée d'Orient (beaucoup de talent). — André Tardieu. La paix
(« ce n'est pas encore la vérité complète, mais un coin du voile est
levé »)..
4. — Revue archéologique. 1921, avril-juin. — G.-I. Bratianu.
136 BECCEILS PÉRIODIQUES.
Les fouilles de Cartea de Argesh, Roumanie (dans l'église princière
de Saint-Nicolas, on a trouvé quatorze tombeaux, avec des bijoux, des
fragments de costumes, remontant au xiv« siècle, dans la période de
pénétration hongroise et catholique en Valachie). — Henri Sottas.
Le thiase d'Ombos (étude sur deux titres égyptiens conservés par les
ostraca qui ont été donnés en 1913 à l'Université de Strasbourg par
l'ex-prince impérial Joachim de Prusse). — A. Joubin. Quelques
aspects archéologiques du Languedoc méditerranéen; suite (Mague-
lonne, Villeneuve-lès-Maguelonne, Saint-Guilhem-le-Désert, Saint-
Martin-de-Londres, Aigues-Mortes). — H. Breuil. Les pétroglyphes
d'Irlande (fait des réserves au sujet des origines méditerranéennes de
l'art préhistorique irlandais). — E. VasSEL. Le bélier de Baal-Ham-
mon (les animaux des stèles puniques de Carthage sont des attributs
divins montés au rang de symboles ; le bélier est à Carthage l'attribut
et le symbole de Baal-Hammon, comme de Zeus-Ammon en Cyré-
naïque et d'Amon à Thèbes; les trois types divins se sont souvent
confondus et découlent d'une source commune, de nature totémique).
— J. LOTH. Les traits caractéristiques du gaulois d'après un livre
récent (celui de G. Dottin). — Seymour de Ricci. M. Ed. Naville et
la linguistique égyptienne (le livre de M. Naville est le procès de
l'école allemande qui admet le caractère sémitique de la langue égyp-
tienne). — Denyse Le Lasseur. L'école américaine de Jérusalem. =
C. -rendus : Marcellin Boule. Les hommes fossiles (excellent). —
Fr. Poulsen. Delphi (ouvrage soigneux qui dénote l'information
d'un maître). — Id. Ikonographische Miscellen (étude importante,
pleine de documents inédits). — Marins Jastrow. The book of Job
(le livre est de plusieurs mains et présente diverses couches). —
A. van Gennep. L'état actuel du problème totémique (la critique de
l'auteur est en général négative). — A. Longnon. Les noms de lieu
en France, l"^"" fascicule (sur les noms d'origine phénicienne, grecque,
ligure, gauloise et romaine; remarquable). — Louis Réau. L'art russe
des origines à Pierre le Grand (fait ressortir le caractère original de
cet art). — G. Groslier. Recherches sur les Cambodgiens (véritable
encyclopédie de la vie et des arts de l'ancien Cambodge).
5. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1921, l^-^ juil-
let. — G. Waterhouse. The year book of modem languages, 1920
(beaucoup trop de lacunes). — The Harvard theological Review,
XIV, 1. — B. de Mandrot. Dépêches des ambassadeurs milanais en
France sous Louis XI et François Sforza, t. III (remarquable). —
J. Viard. Les Grandes Chroniques de France, t. I (dans ce volume,
les Grandes Chroniques s'arrêtent à l'année 585). — Bossuet. Corres-
pondance, publ. par Urbain ei Levesque, t. XI et XII (décembre 1698-
décembre lîOO). — G. Lacour-Gayet. Napoléon (original et distingué).
— J. Ancel. Les travaux et les jours de l'armée d'Orient, 1915-1918
(document essentiel). — Edouard Schuré. Lettres à un combattant
(lettres d'un idéaliste impénitent. Que reste-t-il aujourd'hui de ses
RECOEILS rÉlUODIQUES. 137
, beaux rêves de paix universelle?). — M. Vesnitch. La Serbie à tra-
vers la guerre (beau livre d'un grand ami de la France qui fut aussi
un des meilleurs ouvriers de l'unité yougoslave). =: 15 juillet.
G. Noske. Von Kiel bis Kapp. Zur Geschichte der deutscheu Révolu-
tion (Noske raconte lui-même comment il réussit à endiguer la Révo-
lution en com'battant avec succès les extrémistes et les anarchistes)^
— H. de Villeneuve-Trans. A l'ambassade de Washington. Les
heures décisives de l'intervention américaine (instructive étude cri-
tique sur le caractère et l'œuvre du président Wilson). — Sabrij. La
révolution égyptienne, 2"^ partie (bonne étude sur le protectorat imposé
à l'Egypte par l'Angleterre en 1914 et sur les conséquences de cet acte
impolitique). — Éd. Driault. La grande idée. La renaissance de l'hel-
lénisme (brillant et partial exposé). — Commandant Doumenc. Les
transports automobiles sur le front français (livre plein de faits et de
statistiques, indispensable aux historiens de la Grande Guerre). —
R. Muir. Nationalisme et internationalisme (l'auteur appelle de ses
vœux les progrès de l'internationalisme, seul capable d'atténuer,
comme une sorte de libre pensée politique, ce que le nationalisme a
d'intolérant et d'agressif). — J. Marouzeau. La linguistique ou
science du langage (excellent manuel). — Description de l'Afrique du
Nord. Musée Alaoui. 2« supplément, !«■■ fasc, par A. Merlin (impor-
tant). ^ l*"" août. F. Macler. L'évangile arménien (édition pholoty-
pique d'un important manuscrit du x* siècle, avec de belles minia-
tures. La traduction arménienne de l'évangile qu'il contient fournit
une base solide pour l'étude critique du texte). — E. Lattes. L'enigma
etrusco (il reste toujours à démontrer que l'étrusque soit une langue
indo-européenne). — Rodocanachi. La Réforme en Italie, t. II (beau-
coup de faits précieux, mais que ne relie pas une conception générale).
— Fidelino de Figueiredo. Historia da litteratura classica, 1502-1580
(important). — H. Pirenne. Histoire de Belgique; t. V : 1648-1792
(très remarquable). — W. Wilson. Histoire du peuple américain, t. II
(distingué). — E. Sisson. Le complot germano-bolcheviste (recueil
de documents établissant que l'État-major et le gouvernement alle-
mands avaient partie liée avec les bolchevistes).
6. — Revue de l'histoire des colonies françaises. 1921, 2« tri-
mestre. — Alfred M.a.rtineau. Leçon d'ouverture du cours de l'his-
toire des colonies au Collège de France (4 mai 1921 ; développement
de l'empire colonial français ; depuis 1880, la France a ajouté à son
domaine huit millions de kilomètres carrés et quarante millions d'ha-
bitants; avenir de cet empire). — Canitrot. Les Portugais sur la
côte orientale de Madagascar et en Anosy au xvi« siècle (découverte
de Madagascar en 1500 par Diego Dias; Trano-Vato, la maison de
pierre, atteste encore un séjour des Portugais dans l'Anosy au
xvi« siècle; essai de colonisation et d'évangélisation par les Portugais
en 1613 et 1G17). — André Lesort. Les transactions d'un négociant
malouiu avec l'Amérique espagnole (d'après les papiers de famille de
138 RECUEILS PÉEIODIQDES.
Luc Magon de La Balue déposés aux archives d'Ille-et- Vilaine ; com-
ment, de 1719 à 1721, ce négociant réunit des marchandises qui étaient
expédiées chaque année en Amérique par la flotte et les galions de
Cadix). — J. MONTEILHET. Le ministre Decrès, historiographe de
Napoléon, à l'usage du Sénégal (séries de communiqués envoyés par
]e ministre de la Marine aux habitants du Sénégal sur les événements
d'Europe jusqu'en 1809, où le pays tomba aux mains des Anglais). =
C. -rendu : Georges Hardy. L'enseignement au Sénégal de 1817 à
1854 (remarquable). — Notes bibliographiques.
7. — Revue des études anciennes. 1921, juillet-septembre. —
É. Na VILLE. Le premier chapitre de l'Exode (« ce chapitre, bien loin
d'être un assemblage de fragments pris dans des auteurs de tendances
et de dates diverses, est l'œuvre d'un seul auteur et reflète cette unité
de pensée qui inspire la Genèse aussi bien que les livres suivants »).
— M. HOLLEAUX. Études d'histoire hellénistique; XII : L'expédition
de Philippe V en Asie; suite et à suivre (201 av. J.-C; la bataille de
Chios, la bataille de Ladé; l'invasion du royaume de Pergame; les
opérations de Carie). — C. Jullian. Notes gallo-romaines; XCI ': De
Pontchartrain à Icoranda sur les routes romaines (Pontchartrain,
pons Carnotensis, est le pont par où l'on pénétrait dans la cité des
Carnutes ; le nom Icoranda semble de même avoir désigné des noms
de lieux qui devaient leur origine à un ruisseau ou à un fossé, Ico,
marquant, sur une grande route, la frontière, Randa, entre deux pays
celtiques). — J. Soyer. Les « basilicae » de la civitas Carnutum et
de la civitas Aurelianorum (ils ont donné naissance aux villages du
nom de Bazoches; les basilicae étaient d'importants marchés à la
frontière de deux cités). — C. Jullian. Dallages de voirie urbaine (en
général très irréguliers dans les villes gallo-romaines). — S. Chabert.
Sépultures et inscriptions gallo-romaines découvertes à la Tronche,
près Grenoble, le 23 avril 1920 (inscription chrétienne). — H. Pren-
TOUT. Les inscriptions de la fontaine de la Herse, dans la forêt de
Bellème (elles semblent bien fausses). — Id. Les origines topogra-
phiques de Caen (la forme Cadomus provient sans doute d'une forme
plus ancienne, Catumagos, qui indique un marché). — G. Chenet.
Dépôt d'objets du bronze et du premier âge du fer dans des sépultures
d'époque plus récente (signale des trouvailles de ce genre dans des
sépultures de Lavoye, Meuse). — C. Jullian. Chronique gallo-
romaine. = C. -rendus : D'' G. Contenau. Mission archéologique à
Sidon, 1914 (les fouilles permettent de remonter au second millénaire
avant notre ère). — R. Gagnât et V. Chapot. Manuel d'archéologie
romaine (excellent). — Léon Homo. La Rome antique (plus et mieux
qu'un guide). — Léo Wiener. Contributions toward a history of ara-
bico-gothic culture; t. III : Tacitus, Germania and other forgeries (la
soi-disant Germanie de Tacite est remplie d'histoires tirées de romans
arabes du viii" siècle!). — B: Saint-Jours. Le Httoral gascon (sou-
tient la thèse de la stabilité du littoral gascon au cours des âges histo-
RECDEILS PÉRIODIQUES. 139
riques). — G. Cohen. Ecrivains français en Hollande dans la première
moitié du xyii" siècle (s'occupe des deux grands humanistes français,
professeurs à l'Université de Leyde, Scaliger et Saumaise).
8. — Revue des études historiques. 1921, janvier-avril. — Léon
MiROT. Un centenaire de la science historique française. L'École des
chartes, 1821-1921 (article intéressant dont les éléments sont emprun-
tés à la notice de M. Prou, mise en tête du livre du Centenaire). —
M.-D. Constant. Saint Dominique et les fraternités laïques au
xiiF siècle (deux éléments sont à l'origine du tiers-ordre dominicain :
les fraternités pénitlntielles et la milice de Jésus-Christ fondée pen-
dant la guerre des Albigeois). — Pierre de Nolhac. Quelques provin-
ciaux amis de la Pléiade (Etienne Forcadel, de Béziers; Scévole de
Sainte-Marthe, Poitevin; Le Duchat, de Troyes, etc.). — Fr. Rous-
seau. Une grande bienfaitrice de la jeunesse française : M™« de
Sainte-Beuve (la fondatrice des Ursulines, en 1612). — C. Leroux-
Cesbron. Un sosie de Louis XVI (Auguste d'Adouville, un frère du
roi de la main gauche; fut exécuté en 1793). — Pierre Rain. Les cen-
tenaires de la Restauration (énumération des faits qui se sont passés
du l»"" janvier au 31 décembre 1820). = C. -rendus : Charles Richet.
Abrégé d'histoire générale (intéressant). — H./Hauser. Travailleurs
et marchands dans l'ancienne France (bon). — A. Léman. Urbain VIII
et la rivalité de la France et de la maison d'Autriche de 1631 à 1635.
— Id. Recueil des instructions générales aux nonces ordinaires de
la France de 1624 à 1634 (magnifique exposé de la politique de Riche-
lieu). — Êouis Puech. Histoire de la Gascogne (utile). — F. Mourret.
Histoire générale de l'Église, t. VIII (jusqu'à la mort de Pie IX). —
De Ségur. Marie-Antoinette (conférences données en 1916). — E. Dau-
det. L'avant-dernier Roraanoff : Alexandre III (bon). — E. Vara-
gnac. Emilio Castelar (œuvre d'historien, de critique et de psycho-
logue). — Jacques Bardoux. La marche à la guerre (lumineux et
prophétique). — G. Lacour-Gayet. Guillaume II le vaincu (page
d'histoire vivante). — Émile-R. Wagner. A travers la forêt brési-
lienne (travail d'un naturaliste et d'un historien).
9. — Le Correspondant. 1921, lOjuillet. — Marins André. A propos
des « centenaires » sud-américains. La révolution libératrice de l'Amé-
rique espagnole; I (elle n'est pas fille de la Révolution française;
elle fut au contraire une réaction contre cette Révolution, surtout en
ce que celle-ci avait d'antireligieux. Réagit surtout contre le point
de vue de Gervinus, « un des historiens allemands qui ont contribué
le plus à répandre dans le monde l'histoire falsifiée au préjudice de
tout ce qui est catholique, latin et français ». Expose les événements
de 4808 qui amenèrent le soulèvement des Espagnols contre Napoléon
et, par contre-coup, préparèrent le mouvement d'émancipation qui
devait triompher plus tard). — Eugène Chrétien. Un Français dans
l'armée rouge. Simples notes (l'auteur raconte dans quelles conditions
140 RECCEILS PÉKIODIQDES.
dramatiques il fut arrêté à Bakou en avril 1920 et dépouillé de tous
ses biens ; entré « à titre civil » dans l'armée soviétique dans l'espoir
de pouvoir s'évader ensuite, il réussit à obtenir sa liberté comme repré-
sentant de la République géorgienne. Son témoignage est très émou-
vant). — P. Decize et J. Derpuy. Une nouvelle question des Pays-
Bas : la nation rhénane; III (les princes locaux et l'unité franque;
les traités de Westphalie et la Ligue du Rhin ; le rayonnement de la
civiUsation française). — Henri Froidevaux. Un siècle d'activité scien-
tifique : la Société de géographie. — François Boucher. La vie et
l'œuvre de Jean-Antoine Watteau. = 25 juillet. ***. Les partis et la
situation en Italie après les récentes élections. — ^ Robert Lavollée.
Les Mémoires du cardinal de Richelieu sont-ils faux? (non. Quoi
qu'en ait dit M. Batiffol, ils « restent ce que l'on a généralement cru
qu'ils étaient, une Histoire du règne de Louis XIII ». Cette Histoire
est une apologie à la fois du cardinal et du roi. Elle a été rédigée du
vivant même du cardinal, par Achille de Harlay de Sancy, évêque de
Saint-Malo, assisté par deux secrétaires particuliers de Richelieu, Char-
pentier et Cherré. Richelieu leur a livré les pièces les plus secrètes de
son cabinet et lui-même a pris soin de fournir le canevas de certains
chapitres; il en a aussi écrit de sa main plus d'une page. Le travail
était si considérable qu'il ne put être achevé ; il s'arrête à l'année 1639.
C'est donc une source de première valeur, qui reflète au mieux la poli-
tique et la pensée intime du cardinal). — Marius André. La Révolu-
tion libératrice de l'Amérique espagnole ; II : Le rôle du clergé (étudié
dans les deux grands foyers de l'émancipation sud-américaine, à la
Plata et au Venezuela, le rôle du clergé apparaît comme étant en
général favorable à la cause de l'indépendance. Si, au début, les
évêques nommés par le roi et pris parmi les Espagnols lui restent
fidèles, il n'en fut pas de même des curés ou des religieux,
presque tous américains, d'autant que la révolution n'eut presque
nulle part un caractère anticlérical. En réalité « le sentiment popu-
laire était opposé à 1^ révolution ; elle fut mise en branle par les nobles
qui furent, avec les grands propriétaires, les riches commerçants et
les intellectuels, ses premiers hommes d'État et ses chefs d'armée ».'
Tous d'ailleurs ou à peu près étaient bons et sincères catholiques. Le
révolutionnaire à la mode française a été une exception dans les luttes
pour l'émancipation). — P. Decize et J. Derpuy. Une nouvelle ques-
tion des Pays-Bas. La nation rhénane; IV : Les peuples, la Réforme et
la Révolution (il existe une nation rhénane ; sa frontière est à l'est du
Rhin, là où s'arrêtait déjà la domination romaine. Ces Rhénans sont
de soumission facile et pénétrables à l'influence française ; au delà, les
Germains pur sang sont nettement irréconciliables). — Ernest Dau-
det. Souvenirs de mon temps; II : Les dernières années de l'Empire
(fin de ces très intéressants souvenirs). = 10 août. Amiral Darrieus.
Les fondateurs de la puissance française. La marine de guerre (son
rôle pendant la dernière guerre). — Pierre IswolSKY. La crise russe
RECUEILS PÉRIODIQUES. 141
et l'Eglise (les souffrances du peuple russe, les crimes mêmes qu'il a
commis « ont produit un retour à la foi des aïeux, une exaltation reli-
gieuse que les autorités sont impuissantes à étouffer »). — P. Decize
et J. Derpuy. La nation rhénane; fin : la Rhénanie moderne, 1870-
1914 (dans le cadre de l'empire allemand, la Rhénanie est devenue
riche et prospère, mais le peuple reste réfractaire à l'esprit prussien,-
autoritaire et protestant. Même depuis la conclusion de la paix, le
« sentiment unanime qu'on retrouve dans tous les partis est celui de
l'indépendance : qu'on nous délivre de la Prusse! »). — L. de Lanzac
DE Laborie. La carrière du maréchal Lyautey. = 25 août. Marins
André. La révolution libératrice de l'Amérique espagnole; III : L'anar-
chie sanglante et la réaction catholique au Mexique; fin (relève un
grand nombre d'erreurs dans les livres et surtout les manuels français
d'histoire qui traitent de l'histoire du Mexique de 1810 à 1825. Le
court règne d'Iturbide y est tout à fait défiguré). — ***. La conférence
impériale de Londres. Le nouveau statut des « Dominions ». — Araé-
dée Britsch. Revues d'Autriche (le nationalisme et la question de
r « Anschiuss » ou union avec l'Allemagne, par A. Schager ; le parti
bourgeois du travail, par 0. Czernin; la politique étrangère, par Fr.
Wiesner).
10. — Études. Revue fondée par des Pères de la Compagnie de
Jésus. 1921, 5 juillet. — Ferd. Cavallera. Dante et son œuvre (la
« Vita nuova; il convivio »; à suivre). — Paul Dudon. Ignace de
Loyola au siège de Pampelune, 1521 (centenaire de ce fait). — Charles
Parra. Lettre de Belgique (les élections communales d'avril; la ques-
tion flamande; projet de créer des cours flamands de lettres et de
sciences à l'Université de Gand). — Paul Doncoeur. Pour l'intelli-
gence pratique de la Uturgie (notes sur quelques pubUcations récentes).
— Louis DE MoNDADON. Le Canada peint par un Français (« Maria
Chapdelaine » de Louis Hémon).
11. — La Grande Revue. 1921, avril. — Élie Faure. Napoléon;
suite (son armée et son impérialisme guerrier; ses idées politiques
appliquées à reconstituer en France la machine administrative). —
P.-L. PuECH. Les Saint-Simoniens précurseurs de la Société des
nations. = Mai. Paul-Hyacinthe Loyson. Conclusions sur l'affaire
Litlré; I : Récapitulation du débat (étude critique sur les « Notes »
de l'abbé Huvelin; mais il existe en outre une relation complète des
derniers moments de Littré par le même abbé. Ne devrait-on pas la
verser au débat?). — ÉHe Faure. Napoléon; suite (son « apostolat »
pour l'établissement d'un ordre de choses meilleur en Europe et dans
le monde). — Camille Pitollet. « Veillons au salut de l'Empire »
(curieuse histoire de cette composition jadis fameuse, qui, publiée en
1791, visait uniquement la France de la Révolution, et non l'Empire
napoléonien. Elle eut pour auteur Adrien-Simon Boy, plus tard chi-
rurgien en chef de l'armée du Rhin. Le mot Empire ne pouvait pas
«3
142 RECOEILS PERIODIQUES.
évidemment avoir le même sens en 1791 et quinze ans plus tard.
Chemin faisant, on corrige ici nombre d'attributions erronées sur la
musique patriotique en France de 1789 à 1815). — Georges Prévôt.
Les lois de la littérature et le renouvellement de la littérature fran-
çaise. — Pierre Guéguen. Directions de la pédagogie nouvelle. —
J, BÉZARD. Le principe de sélection et le renouvellement de l'ensei-
gnement secondaire. = Juin. Élie Faure. Napoléon; fin (intéressantes
considérations). — Paul-Hyacinthe Loyson. Conclusions sur l'afïaire
Littré ; fin (l'intrigue autour du malade ; des conditions mystérieuses
dans lesquelles Littré fut baptisé in extremis. Mgr Baudrillart a
déclaré qu'il fut baptisé par M"e Littré « environ vingt minutes avant
sa mort; elle lui a dit ce qu'elle faisait. M. Littré avait sa connais-
sance, mais ne parlait plus »). — Albert Sauzède. La politique com-
merciale de la France à l'égard de l'Allemagne et l'exécution du
traité. — Michel Merlay, La nouvelle constitution polonaise. = Juil-
let. Georges Renard. Histoire technique et sociale de l'imprimerie.
— Léon RouiLLON. Entre les Turcs et les Grecs (le peuple français
ne saurait tolérer le démembrement de l'empire musulman au profit
des Hellènes). — Marie-Louise Le Verrier. Une grande féministe
américaine : Elisabeth Cady Stanton.
12. — Mercure de France. 1921, l^"" juin. — Théodore Aubert.
Une forme de défense sociale : les unions civiques. — Maurice POT-
techer. Pour sauver Carthage (montre les dangers que court le
champ des fouilles exploité à Carthage et les mesures de préservation
qui s'imposent). — A. van Gennep. Ethnographie (annonce en termes
très élogieux les ouvrages de Boule : les Hommes fossiles; Raoul
Montandon : Bibliographie générale des travaux palethnologiques et
archéologiques, et Tauxier : le Noir du Yatenga). — Chevalier de
Selliers de Moranville. Les inexactitudes des Mémoires du lieute-
nant général belge de Ryckel (M. de Ryckel avait, dans le Mercure
de France du 25 avril, adressé à l'auteur de vifs reproches sur la pré-
paration immédiate de la campagne dans l'armée belge en 1914. Réfu-
tation de ces critiques). = 15 juin. Rechad Noury. Le poète Nédim
et la Société ottomane au xyiii^ siècle. — D"" Henri Amé. La torture et
les troubles mentaux. = 1" juillet. Georges Duhamel. Prague, avril
1921. — Georges Izambard. L'exemplaire conversion de M. de La Fon-
taine (raconte comment on obtint de La Fontaine mourant le désaveu
des « contes infâmes » qu'il avait composés et publiés. Le récit qu'en a
fait l'abbé Pouget ne présente aucune garantie de sincérité). = 15 juil-
let. De La Revelière. Nos alliances et la Pologne. — Louis Dumur.
La prise de Douaumont ; un morceau inédit du « Boucher de Verdun »
(reproduit, en le dramatisant, le récit d'un des deux officiers allemands
qui pénétrèrent les premiers dans le fort). — Léon Deffoux. Des
origines de l'Académie Concourt. Edmond de Concourt membre de
l'Académie de Bellesme (on publie aussi le texte complet du testament
d'Edmond de Concourt et des quatre codicilles qui constituent la
aSCDEILS PÉRIODIQUES. 143
charte, tenue pour parfaitement légale par le tribunal, de l'Académie,
ou mieux de la « Société littéraire dite des Goncourt »). — Bienstock.
Lettres russes (signale un Journal de Zénaide Hippius publié dans la
« Pensée russe », qui paraît maintenant à Sofia, le régime soviétique
ayant supprimé toute parole libre. Ce journal en dit long sur les bol-
chévistes et notamment sur Gorki, l'ami du grand romancier anglais
Wells). — Emile Laloy. Bibliographie politique (analyse l'œuvre de
Robert Lansing : « The peace négociations »). — Id. Ouvrages sur la
guerre de 1914 (analyse les « Note di guerra », où le général Luigi
Capello expose, en les critiquant sévèrement, les opérations militaires
des armées italiennes). = l»"' août. Lieutenant-colonel Chenet. La
vérité sur la perte du fort de Douaumont, d'après des témoignages
inédits (reproduit en particulier le récit fait par ce que l'officier alle-
mand, dont M. Dumur a rapporté le témoignage, appelle le comman-
dant du fort et qui, en réalité, était simplement le gardien de batterie
du fort, M. Chenot. Dès le 24 février, le haut commandement français
avait renoncé à défendre les forts et se préoccupait d'évacuer la rive
droite de la Meuse. Un décret du 5 août 1915 l'y autorisait d'ailleurs).
— André-M. de Poncheville. Les jeunes années de Watteau à
Valenciennes. — G. Hanet-Archambault. La « publicity » en Amé-
rique (notes instructives sur l'art de la réclame que les Allemands
savent utiliser victorieusement contre nous aux États-Unis). — Camille
PiTOLLET. Le rite mozarabe. — R. DE Villeneuve-Trans. La paix
(critique du livre d'André Tardieu; on y trouve beaucoup de faits
intéressants pour les questions d'intérêt matériel, mais le sens de la
haute politique lui échappe). =:15 août. Georges Maurevert. Généa-
logies fabuleuses et réalités héréditaires. — Ernest Raitstaud. Les
parents de Baudelaire.
13. — La Revue de France. 1921, l^f juin. — Armand Praviel.
L'assassinat de M. Fualdès, i"' partie (le miheu : description de Rodez
en 1817 ; biographie de Fualdès, ancien magistrat retraité et considéré ;
mais il a été juge au Tribunal révolutionnaire et sans doute il a des
adversaires politiques qui ne lui ont pas pardonné; circonstances
mystérieuses de son assassinat le 19 mars ; l'instruction piétine
d'abord sur place, puis un témoin terrorisé dénonce Bastide, filleul
de la victime). — Maréchal Fayolle. La stratégie française pendant
la guerre. — Jean Longnôn. Quatre siècles de philhellénisme fran-
çais (les croisades contre les Turcs, depuis Nicopolis jusqu'à Navarin).
— Philippe Crozier. L'Autriche et l'avant-guerre; fin (Sir Fairfax
Cartwright, remplace Sir E. Goschen à l'ambassade de Vienne fin
décembre 1908; il travaille, non sans succès, à rétablir des rela-
tions courtoises entre l'Angleterre et l'Autriche, ce qui indispose for-
tement l'ambassadeur allemand; il réussit à empêcher l'envoi d'un
ultimatum à la Serbie, et par conséquent à maintenir la paix. Quant à
^renthal, il est à ce moment partisan d'une politique pacifique, qu'im-
pose l'alliance franco-russe. L'entrevue de Marienbad en 1909 et l'action
144 RECUEILS PE'rIODIQDES.
personnelle du roi Edouard VIT ; l'entrevue de Raconigi et le rappro-
chement de la Russie avec l'Italie, qui offense François-Joseph et
irrite ^renthal. L'attitude d'^Erenthal lors d'Agadir; ici encore, il
contrebat l'action pangermaniste de Tschirschky. En quittant l'am-
bassade de Vienne, M. Crozier emportait une note d'iErenthal disant :
« Des intérêts communs de grande importance justifient les relations
parfaites qui existent entre la France et l'Autriche »). — Ch.-V. Lan-
GLOIS. Nouvelles histoires générales. =r 15 juin. Raymond Recouly.
Les heures tragiques d'avant-guerre; I : A Berlin. Récit de M. Jules
Cambon (comment l'empereur Guillaume II apprit l'attentat de Sera-
jevo ; certitude où se trouvait Jagow, après la remise de la note à la
Serbie, que l'Angleterre resterait neutre; Cambon lui affirmait le con-
traire. Goschen, à son tour, dit à Cambon : « Touchant l'attitude de
mon pays, je pense exactement comme vous; malheureusement, je
ne suis pas autorisé à le dire. » Silence coupable, qui laissa carte
blanche à l'Allemagne; mais, ajoute Cambon, les traditions de famille,
les préventions religieuses furent plus fortes d'abord en Angleterre
que la raison d'État. Quoi qu'il en soit, l'Allemagne, convaincue que
l'Angleterre ne marcherait pas, se décide pour la guerre immédiate.
Conseil de guerre de Potsdam le 29 juillet; le parti militaire l'emporte
et la mobilisation est ordonnée. Cambon reçoit ses passeports; avanies
qu'on lui fait subir). — Pierre de Nolhac. La Pléiade et le latin de
la Renaissance. — J. -Augustin Léger. Lord Rob~ert Cecil et la
débâcle des partis en Angleterre (expose les motifs qui ont déterminé'
Lord Robert à quitter Lloyd George pour rejoindre Asquith). —
Armand Praviel. L'assassinat de M. Fualdès; suite (le crime a pris
désormais l'apparence d'un attentat politique machiné par des meur-
triers novices, par de grands bourgeois qui se croyaient intangibles.
C'est contre eux que va maintenant être dirigé le procès). = l"^"" juil-
let. Raymond Recouly. Les heures tragiques d'avant- guerre. II. A
Londres : le récit de M. Paul Cambon (c'est seulement dans la soi-
rée du dimanche 2 août que le gouvernement britannique prit la réso-
lution d'intervenir. Les trois journées précédentes, l'ambassadeur avait
en vain travaillé pour obtenir des ministres, notamment de Sir Ed.
Grey, une réponse précise à sa demande : qu'allez-vous faire si l'Alle-
magne viole la neutralité "belge? Grey était trop pacifiste et trop timoré;
Lloyd George circonvenu par les financiers; Asquith favorable, mais
incertain d'avoir pour lui l'opinion de ses amis. Les conservateurs au
contraire se montrèrent dès le début très fermes en faveur de l'inter-
vention et, quand Bonar Law vint promettre à Asquith le concours de
son parti, le Premier se décida enfin. Les hésitations des deux Chambres,
des ministres, l'hostilité des financiers, l'indifférence du public très
mal informé expliquent l'aveuglement de l'Allemagne qui crut pouvoir
compter Sur la neutralité de l'Angleterre, du moins assez longtemps pour
écraser la France). — Louis de Launay. Ampère et le centenaire de
RECUEILS PERIODIQDES. 145
l'électro-dynamique. — Armand Praviel. L'assassinat de M. Fualdès;
3« partie (le procès de Rodez ; le verdict du jury, qui déclare coupable
cinq des accusés ; quatre sont condamnés à mort, un cinquième aux
galères à perpétuité. Mais le principal témoin s'était contredit; de
nouveaux procès allaient donc naître de la mystérieuse affaire). =
15 juillet. Léon Gambetta. Lettre inédite à Castelar, de F'aris, le
29 août 1873 (Gambetta conjure Castelar de mettre à profit les trois
mois de « dictature légale » qu'il détient jusqu'à la rentrée des Cortès
pour rétablir l'ordre en Espagne en fortifiant le pouvoir central au
détriment des fédéralistes et des communistes. Il souhaite qu'en
Espagne les ennemis de la République ne commettent pas le crime
contre la patrie dont s'était rendue coupable la Commune parisienne
en 1871). — Joseph Bédier. Quelques scènes de la « Chanson de
Roland » (traduction). — Armand Praviel. L'assassinat de M. Fual-
dès; suite (intervention dans l'affaire d'un journaliste : Hyacinthe
Thabaud, dit Henri de Latouche; tentative d'évasion des deux princi-
paux accusés, qui échoue. La cour d'assises d'Albi et la dénonciation
mensongère d'un témoin).- — Marcel Bouteron. Le lieutenant-colonel
Périolas et Balzac (en 1832, Balzac songeait à écrire un roman inti-
tulé « la Bataille », où il aurait placé une description de la bataille de
Wagram. Il se renseigne auprès de son ami Périolas, ancien officier
de Napoléon, alors capitaine détaché à l'École de Saint-Cyr; mais
Périolas se récuse en raison de ce qu'il appelle lui-même son « insuf-
fisance » et Balzac renonce à « la Bataille » ; mais il écrit « le Médecin
de campagne » où figure le commandant Genestas, qui n'est autre que
l'ami Périolas. Ce dernier mourut en 1859 avec le grade de lieutenant-
colonel en retraite). — D. Parodi. Le cartésianisme avant Descartes
(d'après deux ouvrages récents de Léon Blanchet : « Les antécédents
historiques du Je pense, donc je suis », et « Campanella ». On peut
trouver dans saint Augustin et Campanella des opinions qui précèdent
et font prévoir la théorie cartésienne du « Cogito ergo sum » ; mais il
n'y eut de la part de Descartes ni plagiat ni emprunt; et d'ailleurs il
a donné à des idées parallèles l'empreinte de son génie propre). —
Pierre Morane. Une nonciature (d'après les Mémoires du cardinal
Ferrata qui, avant de recevoir le chapeau, dirigea la nonciature de
France de 1891 à 1896). = l*"" août. Armand Praviel. L'assassinat de
M. Fualdès; fin (condamnation à mort et exécution des trois personnes
supposées coupables, et qui étaient sans doute innocentes. Il y eut
erreur judiciaire; l'affaire, toujours enveloppée de mystère, garde un
vif intérêt pour l'histoire des mœurs). — Raymond Recoulv. Les
heures tragiques d'avant-guerre; III : A Paris. Récit de M. Messimy,
ministre de la Guerre (très émouvant. Ici encore, c'est l'indécision de
l'Angleterre qui oblige le gouvernement français à retarder l'ordre de
mobilisation, alors que l'Allemagne commençait la sienne. Il nous
fallait jusqu'au dernier moment lui prouver notre volonté de ne com-
mettre aucun acte qui put avoir le caractère d'une provocation. « Si
Rev. Histor. CXXXVIII. 1" fasc. 10
146 RECDEILS PÉRIODIQUES.
l'Angleterre, à cette heure décisive, avait délibérément jeté son épée
dans la balance, je suis personnellement convaincu que l'Allemagne
aurait, à la dernière minute, reculé, que la guerre n'aurait peut-être
pas eu lieu »). — Paul Le Brethon. Voyage de Caroline Murât à
Munich, 1805 (pubhe, sur ce voyage peu connu, cinq lettres écrites
par Caroline à Hortense de Beauharnais et deux lettres adressées par
le secrétaire Janvier à son compère Aymé, trésorier du prince Murât).
— Jean Longnon. Le renouveau des romans du moyen âge. =
15 août. Ch.-V. Langlois. Mystiques de la première partie du
xvii" siècle (d'après l'Histoire littéraire du sentiment religieux en
France d'Henri Brémond. Très intéressant). — J. -Augustin LÉGER.
Figures d'outre-Manche : Lord Derby.
14. — La Revue de Paris. 1921, 15 juillet. — Général Buat.
L'État-major (son rôle mal connu en France; les succès de l'Alle-
magne en 1870 s'exphquent en partie par l'action de cet organisme
nécessaire ; la France se l'est donné en créant l'École de guerre, d'où
sortirent les chefs qui ont élaboré la victoire). — Maurice Bompard.
L'entrée en guerre de la Turquie; II (depuis le 2 août 1914, jour où la
Turquie et l'Allemagne « s'engagent à observer une stricte neutralité
en face du conflit actuel entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie », mais
où il est dit qu'en cas de guerre « l'Allemagne laissera sa mission
militaire à la disposition de la Turquie ». Traité secret d'ailleurs, mais
qui ne tarda pas à manifester ses effets, la mobilisation turque ayant
commencé en fait dès le 3 août. L'aventure du Gœhen et du Breslau,
soi-disant achetés par le gouvernement ottoman pour remplacer les
deux cuirassés qu'il avait fait construire en Angleterre et dont la
Grande-Bretagne venait de s'emparer. A la fin d'août, les Allemands
sont en réalité maîtres des Dardanelles. Enver Pacha leur est tout
acquis, parce qu'il est et restera toujours convaincu que l'Allemagne
serait victorieuse. Enfin, le 20 octobre, l'alliance avec Berlin est signée
et Odessa est bombardée le 29 octobre par la flotte ottomane que
commande un amiral allemand. L'ambassadeur de France part le
1er novembre. Talaat et Enver ont été les seuls artisans de tout ce
drame). — A. Aul.a.rd. Bonaparte républicain (depuis 1791. A Milan,
il fait paraître un journal peu connu : le Courrier de l'armée d'Ita-
lie, qu'inspire le plus pur républicanisme. Ce journal est une véri-
table trouvaille). — Commandant Fournier. Opinions bolcheviques
(ce serait une erreur de croire que la propagande bolchevique aban-
donne quoi que ce soit de ses principes communistes ; 1' « opportu-
nisme » que l'on prête à Lénine est tout simplement un temps d'arrêt
pour permettre au prolétariat européen de renforcer son organisation.
Tous les efforts tendent au triomphe définitif de la III^ Internatio-
nale). — G. Lechartier. Les Américains et le sport. — ***. Les
AUiés et la politique allemande. = 1" août. H. Berlioz. Lettres sur
les « Troyens ». — Berthe-Georges Gaulis. Dix jours à Angora;
avril-mai 1921 (intéressants et instructifs portraits du haut personnel
RECUEILS PÉRIODIQUES. 147
du parti nationaliste en Anatolie, et en particulier de leur chef, Mous-
tapha Kémal. Beaucoup d'entre eux ont été élevés en France ou
parlent un français très pur; leur amertume contre la France à propos
de la Cilicie; leur aversion contre la propagande anglaise, qui s'in-
filtre partout. « J'entendais le réquisitoire contre l'Angleterre et l'appel
à la France »). — E. Halperine-Kaminsky. Tolstoïsme et bolché-
visme. — J.-L. Vaudoyer. L'empereur des forçats (biographie de
Puget, « maître sculpteur de l'arsenal » de Toulon, auteur des deux
« Atlantes » de l'hôtel de ville, où l'artiste a su exprimer la douleur
humaine si souvent observée par lui sur la figure des forçats). —
Prince de Condé. Journal d'émigration; suite et fin (de Suisse à
Turin par le Tyrol ; la description de la route par la montagne est un
joli morceau. Le journal s'arrête le 31 décembre 1792). — Max Le-
TANNOiS. L'opinion en Rhénanie (cette opinion est modérée et libé-
rale, déférente à l'égard des Alliés qui lui ont donné la paix intérieure,
hostile à l'enragée propagande prussienne. « Beaucoup veulent cons-
tituer un État rhénan hors du Reich, déplacer l'équilibre de l'Alle-
magne et modifier de tout leur pouvoir la mentalité germanique. » —
***. Les États-Unis et la paix). = 15 août. Gabriel Bounoure. La 22« divi-
sion au Chemin-des-Dames, 27 mai 1918; suite et fin le l*"" septembre
(l'idée que se forme de cette bataille celui qui y a pris part et qui l'a
étudiée au moyen de témoignages directs, vérifiés, c'est que, « loin
d'avoir été un Caporetto français, elle est pour notre armée une des
plus glorieuses qui soit ». Pourquoi la défaite qu'elle a subie? La
place forte naturelle occupée par la 22*= division n'avait qu'une trop
faible garnison disposant de moyens insuffisants ; un repli en arrière
s'imposait, mais on eut peur de paraître abandonner une position répu-
tée inaccessible. On fut exactement renseigné sur le moment où l'en-
nemi devait attaquer, mais trop tard pour renforcer l'unique division
qui allait avoir affaire à une troupe huit ou dix fois supérieure en
nombre). — H. Berlioz. Lettres sur les Troyens; suite et fin le
l»"" septembre. — Brada. M™^ Chrestienne de France, princesse de
Piémont; suite (son arrivée à Turin en 1619; son entrée officielle à
côté de son mari Victor-Amédée, qui succède à son père en 1630.
Régente du duché après la mort du prince en 1637, elle gouverne
avec fermeté; l'on vante aussi sa « rare et exemplaire bonté »). —
***. Les Aihés et la Haute-Silésie. = l»"" septembre. Maurice Bom-
PARD. Les mémoires du comte Witte (étude critique sur ces mémoires,
trop souvent erronés, et qui ne serviront pas à la réputation de
leur auteur). — Georges Grappe. De la condition de l'homme de
lettres (depuis le xvii« siècle). — Maurice Muret. Le roman vécu de
Dostoïevski (par la fille de l'illustre romancier. Tandis que Vogué
voyait en Dostoïevski un Scythe, « le vrai Scythe qui va révolutionner
toutes nos habitudes intellectuelles », sa fille montre qu'il était d'ori-
gine lithuanienne, issu d'ancêtres cathohques; que, plus Lithuanien
que Moscovite, il a peint les Russes non pas du dedans, mais du
148 RECOEILS PÉRIODIQUES.
dehors. Elle a écrit ce livre sous l'influence du gobinisme, qui l'a plus
d'une fois fait se fourvoyer, mais elle a dit des choses qu'elle savait
de première main). — ***. Ce qui s'est passé au Conseil suprême (« la
politique française y a été non seulement exposée et défendue, mais
elle a fait adopter des solutions que les circonstances imposaient ».
Les thèses anglaises et françaises y ont été débattues non sans ani-
mosité ; « l'esprit de l'alliance n'a cependant rien perdu de sa vigueur »,
puisque l'Angleterre admet que la France a droit aux réparations tant
de fois promises et en fait si maigrement mesurées. Les prétentions
de la France n'ont rien de ce caractère d'impérialisme que l'Angle-
terre semble redouter en nous).
15. — Revue des Deux Mondes. 1921, 15 juillet. — Lyautey.
Lettres de Rabat, 1907 (lettres écrites par le général Lyautey à son
ami M. de Vogué lors d'une mission officielle où il accompagnait, par
ordre, le ministre de France à Tanger, M. Regnault, auprès du sultan
Abd-ul-Aziz). — Henry BiDOU. Voyage en Rhénanie. L'exposition de
Biebrich (la France veut se faire connaître par le rayonnement de son
art; de son côté, la Prusse travaille rageusement à la calomnier aux
yeux des Rhénans, qui, tout en restant bons Allemands, ne sont pas
insensibles à la douceur d'une autre culture). — André Hallays.
Jean de La Fontaine; cours libre professé à l'Université de Stras-
bourg. 2« et 3« leçons (chez le surintendant Fouquet). — ***. Lettres
de Pétrograd; esqviisses de la vie soviétique; II (aboutissement du
régime : la famine ; elle a pour causes principales l'absence de moyens
de transport et l'incapacité des bolchévistes à rien organiser). —
Robert de La Sizeranne. Les préfigurations chez Watteau. =:
1er août. Victor Giraud. Le général de Castelnau (sa famille, ses
études, sa carrière militaire jusqu'en 1914; son héroïque et victorieuse
résistance à Nancy, du 20 août au 9 septembre. L'ari#ée bavaroise ne
devait jamais se relever complètement des coups qu'elle y reçut).
— Saint-Denis, dit Ali, second mameluk de l'Empereur. Souve-
nirs; III (Waterloo; delà Malmaison à Rochefort; l'Empereur se rend
aux Anglais; arrivée à Sainte-Hélène le 16 octobre). — ***. L'Islam
et son avenir. = 15 août. Pierre Loti. Suprêmes visions d'Orient
(septembre-octobre 1910, août 1913). — N. Murray Butler. L'état
actuel des esprits aux États-Unis. Conférence prononcée à la Cour de
cassation le 18 juillet 1921 (« nous sommes pour la liberté, nos cœurs
aspirent à la fraternité et nous tenons à l'égalité de tous devant les
lois, mais nous abhorrons une égalité qui, en tuant la liberté, rendrait
la fraternité impossible. Fraternité dans la nation, fraternité entre
nations, fraternité entre la France et les États-Unis, voilà notre espoir
et notre devise »). — Victor Giraud. Le général de Castelnau; II
(opérations militaires depuis la fm de la bataille de la Marne : entre
Somme et Oise, septembre-octobre 1914; la bataille de Champagne,
septembre 1915 ; mission à Salonique pour étudier l'organisation
éventuelle de cette place, décembre 1915. De retour à Paris, il est
aSCUEILS PÉRIODIQDES. 149
envoyé à Verdun où il arrive en pleine débâcle le 25 février. Il y crée
ce qu'on a appelé « l'âme de Verdun». Associé à la mission française
de Russie, janvier-février 1917. Son rôle en 1918; c'est lui qui devait
frapper, le 13 novembre, le dernier coup par une attaque à fond en Lor-
raine. L'armistice du 11 novembre le frustra sans doute d'une grande
victoire). — Vicomte Georges d'Avenel. L'Église française après
quinze ans de séparation; I : le Clergé (résultats d'une enquête pour-
suivie dans soixante-seize départements, « La séparation d'avec l'État
a développé l'union avec les paroissiens en forçant le curé, pour quê-
ter son denier du culte, à pénétrer davantage dans le monde ». L'or-
ganisation spirituelle du clergé a donc beaucoup gagné à la sépa-
ration). — André Hallays. Jean de La Fontaine. 4" et 5'^ leçons
(Psyché; les amis de La Fontaine : Racine, Boileau. Deux amies :
la duchesse de Bouillon et M™* de La Sablière ; les contes). — Louis
DE Launay. Un bourgeois parisien pendant la Révolution (ce bour-
geois est Toussaint Maraux, établi miroitier rue Saint-Antoine. Il
avait deux fils dont l'un partit en 1784 pour Constantinople, enrôlé
dans une mission qui avait pour but d'organiser la mainmise militaire
de la France sur la Turquie ; l'autre accepta une place à Strasbourg
dans l'administration de la Loterie. Entre ces trois personnes qui s'ai-
maient tendrement s'échangea une correspondance qui devient inté-
ressante pour les années 1789-1792. Maraux était ardent patriote; il
fut même septembriseur, sans cesser d'être un brave et honnête bour-
geois. Il mourut suppléant de juge de paix en 1811). = i^" septembre.
Maréchal FoCH. Le 20^ corps à Morhange, 20 août 1914 (rectifie plu-
sieurs erreurs commises par M. Victor Giraud dans son article du
i" août analysé plus haut). — Georges Blondel. Impressions de
Berlin (« l'enquête à laquelle je me suis livré ne m'a pas permis de
découvrir jusqu'à ce jour une Allemagne libérée de l'influence prus-
sienne, une Allemagne avec laquelle nous puissions collaborer sans
crainte pour les œuvres pacifiques. Le premier devoir de la France
est de garantir sa sécurité »). — Marie-Louise Pailleron. François
Buloz et ses amis au temps du second Empire; VI : Henri Blaze de
Bury et la baronne Rose (la baronne Rose était une Écossaise, Miss
Rose Stuart, amie et parente des lords Brougham et Dunbar. Blaze
l'épousa en 1844; leur maison devient, sous l'Empire, un centre d'op-
position et de complots. Leurs amis et contemporains : Cousin, Ville-
main, ce dernier amoureux de Lady Rose, etc.). — Vicomte d'Ave-
nel. L'Église française après quinze ans de séparation; II : les Fidèles
(« il est aujourd'hui démontré que la confiscation des biens meubles
et immeubles, séculiers et réguliers, la suppression du budget des
cultes et le renvoi du clergé des logis qu'il y occupait ne lui ont pas
porté le préjudice que les uns espéraient et que redoutaient les
autres »). — Saint-Denis, dit Ali, second mameluk de l'Empereur.
Souvenirs; IV : la Vie à Sainte-Hélène (la journée de l'Empereur;
comment il écrivait et pourquoi il écrivait d'une façon illisible; les
150 . RECUEILS PÉRIODIQUES.
jardins de Longwood ; la messe à Sainte-Hélène ; Hudson Lowe,
homme sans doute « esclave des ordres ou instructions qu'il recevait
du gouvernement britannique; mais tout en les exécutant, même à la
lettre, il devait y mettre plus de forme et de bons procédés » ; propos
de l'Empereur).
16. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus des séances. ■1920, novembre-décembre. — E. Albertini.
Mosaïque à inscription découverte à Tipasa (l'inscription semble
prouver la transformation en un temple chrétien d'une construction
préexistante). — G. Marçais. La chaire à prêcher de la grande mos-
quée d'Alger (elle date de 1018 et fut replacée dans la mosquée bâtie
près d'un siècle plus tard). — Clermont-Ganneau. Le paradeisos
royal achéménide de Sidon (il s'agit de chapiteaux représentant de
grands taureaux agenouillés, provenant d'un jardin royal — paradei-
sos — et datant d'une époque où Sidon appartenait à l'empire perse,
lye siècle av. J.-C). — G. JéQUIer. L'ennéade osirienne d'Abydos et
les enseignes sacrées (d'après une stèle de Thoutmès !«■■ découverte
par Mariette à Abydos ; on en rapproche les huit enseignes qu'on por-
tait devant les dieux dans certaines cérémonies et qui sont représen-
tées dans un tableau avec la châsse d'Osiris). — H. de Castries.
Graciosa, une ville portugaise oubliée au Maroc (construite en 1489
dans l'île du Loukkos par Jean II, roi du Portugal). — R. CaGnat.
Un diplôme militaire de Corse (conféré à un marin de la flotte de
Misène libéré le 5 avril 71).
17. — Académie des sciences morales et politiques. Comptes-
rendus des séances et travaux. 1921, mars-avril. — A. Sertillanges.
Notice sur la vie et les travaux de M. Théodule Ribot. — Emile
Bourgeois. Notice sur la vie et les travaux de M. Paul Vidal de La
Blache (importance de son rôle dans les réformes de la géographie).
— A. Raffalovich. L'absence de solidarité financière après la guerre
et la conférence internationale de Bruxelles (conférence tenue du
24 septembre au 2 octobre 1920 ; efïorts pour créer un crédit interna-
tional qui n'ont pas abouti). — René Worms. Les prises maritimes
(comment la juridiction des prises a fonctionné du 4 août 1919 au
3 août 1920). — Commandant Weil. Guizot et l'entente cordiale
(publie et commente la lettre de Guizot au comte de Flahaut, ambas-
sadeur à Vienne, du 16 mars 1844, où le ministre de Louis-PhiHppe
pjréconise l'alliance des monarchies pures et des monarchies constitu-
tionnelles contre l'esprit anarchique). ,
18. — Annales du Midi. 1921, janvier-avril. — Henri Stein.
Compte des recettes des sénéchaussées d'Agenais et de Quercy sous
Louis XI, 1467-1470. = C. -rendus : J. Picot et F.-L. Bertrand. Pré-
cis d'histoire du Comminges et du Nébouzan (bon). — R. Busquet.
Histoire des institutions de la Provence de 1482 à 1790 (excellent). —
J. Fournier. La Chambre de commerce de Marseille et ses représen-
RECUEILS PÉRIODIQDES. 151
tants permanents à Paris, 1599-1875 (chapitre instructif d'une histoire
du commerce français et marseillais pendant plus de deux siècles). —
Louis Wolf. Le parlement de Provence au xyiii^ siècle ; organisation,
procédure (excellente thèse). — Michel Lhéritier. Tourny, 1695-1760
(œuvre très méritoire, mais déparée par de trop nombreuses imperfec-
tions. Long compte-rendu p^r Alf. Leroux). — H. L. Behnche. Eine
Lùbecker Kaufmannsfamilie (quatre gros" volumes non mis dans le
commerce et qui ont paru de 1901 à,f913; intéressant pour l'histoire
de la pénétration allemande dans la France méridionale au milieu du
xixe siècle). — R. de Boysson. L'invasion calviniste en Bas-Limou-
sin, Périgord et Haut-Quercy (œuvre de seconde main, consciencieuse,
mais exécutée par un homme qui ne sait rien de l'histoire du protes-
tantisme). — A. Bonis La Bastide à travers les siècles (exact, pré-
cis, copieux, mais fait presque toujours de seconde main).
19. — Revue historiqae de Bordeaux. 1920, octobre-décembre.
— Léo Mouton. Le duc d'Épernon et le parlement de Bordeaux
(quelques détails sur leurs querelles). — Marguerite Castel. La for-
mation topographique du quartier Saint-Seurin ; suite (le faubourg
Saint-Seurin au moyen âge). — Abbé Albert Gaillard. Le prieuré
du Barp; suite (les derniers prieurs). — R. Brouillard. Nouvelles
recherches sur les Girondins proscrits, 1793-1794; suite et fin. =
C. -rendus : Alfred Leroux. Les religionnaires de Bordeaux de 1685
à 1802 (bonne histoire de l'Église réformée de Bordeaux, d'après les
documents d'archives). — H. Stein. Charles de France, frère de
Louis XI (remarquable). — A. Bonis. La Bastide à travers les siècles
(très consciencieux). =: 1921, janvier-mars. G. Ducaunnès-Duval.
L'hôtellerie du Chapeau-Rouge (son histoire depuis 1464 jusqu'à sa
démolition en 1676). — Paul Courteault. Les dernières années de
Victor Louis (il s'agit de l'architecte qui construisit le Grand-Théâtre
de Bordeaux; ses efforts pour être chargé d'aménager les terrains du
Château-Trompette de 1790 à 1800). — Marguerite Castel. La for-
mation topographique du quartier Saint-Seurin; suite : le faubourg
Saint-Seurin au moyen âge. — Abbé Albert Gaillard. Le prieuré du
Barp; suite et fin (liquidation du prieuré en 1792; en appendice : liste
des vicaires perpétuels du Barp depuis 1618 et des curés desservants
depuis 1803). — A. Brutails. « Rompinlir », constructeur de Sainte-
Eulalie (M. de Mély a lu à Sainte-Eulalie une inscription de la voûte
achevée « le 18 octobre 1380 par Rompinlir ». En réalité, l'inscription
porte la date d'octobre 1390, « G. de Compinhe étant fabricien ».
Comment le nom de Compinhe a-t-il pu se métamorphoser en Rom-
pinlir?).
Italie.
20. — Archivio storico lombardo. Anno XLVII, fasc. 4, 1920
(publié le 15 mars 1921). — Carlo Salvioni. Les dates des poésies
152 RECUEILS PÉRIODIQUES.
milanaises de Carlo Porta, 1799-1817. — Gerolamo Biscaro. Dante
Alighieri et les sortilèges de Matteo et de Galeazzo Visconti contre le
pape Jean XXII (Dante fut peut-être initié aux pratiques de la magie ;
mais rien ne porte à croire qu'il les ait exercées contre le pape). —
Giuseppe Gallavresi. La correspondance intime d'Andréa Borda
(extraits se rapportant pour la plupart à l'année 1814). — Piero
Parodi. Une chronique sur les Sforza conservée dans la « Biblioteca
Concina de San Daniele du Friï)ul (analyse détaillée de ce manuscrit
qui intéresse les Sforza de 1369 à 1459). — Alessandro Giulini. Un
mariage par surprise; épisode de la vie milanaise au xvii* siècle
(mariage improvisé du comte Carlo Barbiano di Belgiojoso avec
Donna Francesca Malombra, jeune fille dont il était tombé amoureux
et qui, menacée d'être mariée à un autre, résolut, avec le consente-
ment de sa mère, de se faire enlever et épouser sans retard, juillet
1629. L'événement fit grand bruit. Plusieurs des personnages qui
figurent dans l'aventure se retrouvent dans les Promessi sposi de
Manzoni). = C. -rendus : E. Galli. Milano antico (étude' très érudite
d'un caractère plus archéologique qu'historique). — A. Schiaparelli.
Leonardo ritrattista (observations pénétrantes et originales). —
E. Gagliardi. Der Anteil der Schweizer an der italienischen Krie-
gen, 1494-1516; Bd. I (remarquable. Ce tome I s'arrête à la ligue de
Cambrai, 1509). — Pompeo Molmenti. Epistolàri Veneziani del
secolo XVIII (intéressant). — V. Adami. Storia documentata dei con-
fini del regno d'Italia. I. Confine italo francese (étude approfondie sur
la cession du comté de Nice à la France en 1860; la question des
frontières souleva de nombreuses difficultés de détail).
21. — Bullettino dell' Istituto storico italiano. N» 40 (Rome,
1921). — G. Falco. Rome contre Tusculum au moyen âge (publie
quatre documents sur leurs luttes en 1188, 1242 et 1274). — A. Cri-
VELLUCCi. Pour l'édition de 1' « Historia romana » de Paul Diacre
(minutieuse description des 113 mss. connus qui contiennent le texte
de r « Historia romana ». Droysen, qui a publié ce texte dans les
Mon. Germ. hist., t. XXIX, n'en a utilisé qu'une soixantaine). —
R. Morghen. Notes sur Malispini (examen critique de l'édition de
Malispini par Enrico Sicardi. Sicardi avait émis l'opinion que le récit
des Vêpres siciliennes par Malispini n'était pas une falsification du
xiv° siècle. L'auteur admet ces conclusions, mais l'appuie par des con-
sidérations différentes ; il estime d'ailleurs que toute confrontation de
texte entre Villani et Malispini ne peut donner de résultats probants
tant qu'on ne possédera pas d'édition critique de ces deux chroni-
queurs. Déjà il est permis d'affirmer qu'il a existé une rédaction ori-
ginale de Malispini et qu'elle est aujourd'hui perdue; puis Malispini a
été tout entier absorbé par Villani). — P. Fedele. Article nécrolo-
gique sur Oreste Tommasini, mort à Rome le 9 décembre 1919.
CHRONIQUE.
France. — Quoique les travaux de M. Edmond Perrier, ancien
directeur du Muséum, ne soient pas de notre ressort, nous devons
signaler au moins sa dernière œuvre : la Terre avant l'histoire; les
origines de la vie et de l'homme (1921), œuvre qui intéresse les his-
toriens autant que les zoologistes et les géologues. M. Périer vient de
mourir (l»"" août 1921) à l'âge de quatre-vingts ans.
— M. Philippe Lauzun est mort le 21 avril 1920 à l'âge de soixante-
treize ans; on lui -doit de nombreux travaux sur l'histoire et l'archéo-
logie de l'Agenais; il avait lui-même, en 1913, publié sa bibliographie.
— M'ie Louise Guiraud, à qui l'on doit notamment de remarquables
Études sur la Réforme à Montpellier, est morte le 6 mai 1918 à l'âge
de cinquante-huit ans.
— Le chanoine André Lecler, mort le 4 septembre 1920 à l'âge de
quatre-vingt-sept ans, avait pubUé d'importants ouvrages sur le
Limousin au temps de la Révolution : Martyrs et confesseurs de la
foi dans le diocèse de Limoges (4 vol.) ; le Limousin et la Marche
au tribunal révolutionnaire (3 vol.); on lui doit encore un Diction-
naire historique de la Creuse et de latr Haute- Vienne (2 vol.).
— M. Ernest Daudet, frère aîné de l'exquis romancier Alphonse
Daudet, est mort le 20 août 1921, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Il
était entré tout jeune, en 1857, dans le journalisme, d'abord à Lyon,
puis à Blois, à Privas, enfin à Paris, qui fut dès lors sa seconde patrie.
En 1862, il devint au corps législatif secrétaire-rédacteur du compte-
rendu analytique. Il connut ainsi, on peut dire, tout le monde politique
et littéraire du second Empire ; bien accueilli dès l'abord dans le parti
légitimiste, duquel le rapprochaient ses traditions do famille, puis ral-
lié à l'Empire dès qu'il crut s'apercevoir qu'une restauration monar-
chique était impossible, il resta, comme il se définit lui-même, un
« conservateur libéral ». Journaliste et romancier fécond, facile,
aimable et modéré, homme du monde apprécié pour ses manières
courtoises et la sûreté de son commerce, il fut aussi, à ses heures, un
historien attiré surtout par les époques ou les personnages d'un carac-
tère dramatique ou romaneiîque : la Révolution, l'Empire et la Res-
tauration l'occupèrent longtemps {la Conjuration de Pichegru; la
Police et les chouans soiis le Consulat et l'Empire; l'Émigration
pendant la Révolution française (3 vol.); la Terreur blanche; la
154 CHRONIQUE.
Révolution de 1830 et le procès des ministres) ; puis ce fut l'histoire
diplomatique au xix^ siècle, étudiée surtout en Allemagne et en Rus-
sie {Soixante années du règne des Romanoff; Missions (auprès
du gouvernement allemand après 1871), du comte de Saint-Vallier,
au baron de Courcel; les Auteurs de la guerre et leurs com-
plices, etc.). Il rechercha et sut utiliser non sans quelque talent des
documents inédits {Journal du comte Apponyi, qui fut publié par
lui), même confidentiels, mais trop souvent sans indiquer avec préci-
sion la source de ses renseignements, ce qui en affaiblit singulièrement
la valeur aux yeux des érudits. De ses premières années, il a parlé
tout au long dans un volume publié en 1 883 sous le titre : Mon frère
et moi, où il apporte d'intéressants compléments et des rectifications
au roman autobiographique de s^n frère cadet : le Petit Chose; le
petit Chose, c'est Alphonse, et le petit Jacques, si larmoyant et tou-
jours si bon, c'est Ernest. Son dernier ouvrage paru : Souvenirs de
mon temps. I. Débuts d'un homme de lettres, 1851-1861 (Pion,
1921, in-18, 282 p.; prix : 7 fr.), le peint à merveille avec son aimable
facilité à manier l'anecdote. C'est un témoin agréablement instructif
d'une époque déjà si loin de nous. Ch. B.
— Le 55e Cçngrès des Sociétés savantes de Paris et des départe-
ments s'ouvrira à Marseille le 18 avril 1922. Les communications
devront être adressées en manuscrit avant le 10 février 1922 au troi-
sième bureau de la Direction de l'enseignement supérieur à Paris ; en
vue de la pubHcation au Journal officiel des procès-verbaux des
séances, un résumé succinct de chaque communication devra être
joint au manuscrit. Les personnes désireuses de prendre part aux
travaux du Congrès recevront, sur la demande adressée, avant le
20 mars, à Monsieur le Ministre, une carte donnant accès dans les
salles des séances.
— A l'occasion du cinquantenaire de la Commune parisienne, le
groupe libertaire « Clarté » a fait paraître une réédition d'un volume
qui avait été tiré sur les presses du gouvernement des soviets et dédié
au Comité parisien de la troisième Internationale, et dont le titre est :
la Commune de Pa7ns. Actes et documents. Épisodes de la
semaine sanglante (Paris, 1921, in-18, 120 p.). On y trouve un choix
de textes originaux, classés dans l'ordre chronologique, des reproduc-
tions d'affiches de l'époque, des gravures de « ceux qu'il ne faut pas
oublier » et des extraits copieux du livre de C. Pelletan sur la semaine
de mai. On a insisté surtout, dans cet opuscule, sur l'aspect militaire
de la Commune, et aucune place n'y est donnée aux tentatives de
réorganisation économique qui ont été faites alors. Une préface de
G. Zinovief , en tête du volume, n'est qu'un appel à la révolution com-
muniste en France. G. Bn.
— La « Société d'études documentaires et critiques sur la guerre »
n'est guère connue, bien qu'elle ait déjà six années d'existence. C'est
en partie sa faute, car elle a un peu trop aimé le silence sans dédai-
CHRONIQCE.
155
gner, parfois, de choquer les esprits timides par des jugements trop
a priori; c'est aussi la faute des groupements scientifiques, qui ne se
résignent pas à voir dans la grande guerre un phénomène susceptible
dès maintenant d'être étudié objectivement. Au moment où la littéra-
ture officielle de là guerre, en France, se limite aux publications pure-
ment « mémoratives » — comme le Livre d'or que l'on compile à la
Marine — et où les cercles officiels prétendent fermer la bouche aux
témoins désintéressés — nous songeons aux défenses imposées par
l'État-major de la guerre aux anciens officiers de réserve — il convient
de faciliter toutes les tentatives propres à faire la lumière sur les ori-
gines et le développement du grand conflit. La « Société d'études »
s'est donné cette tâche : que les historiens de profession guident ses
pas dans un domaine ardu, c'est ce qu'on ne saurait trop souhaiter.
La grosse difficulté, ce sera d'éviter que les recherches entreprises
rejoignent par leurs apparences, ou en fait, la politique courante : en
intéressant la « Ligue des droits de l'homme » à sa tâche, la « Société
d'études » risque d'être entrée dans cette voie fâcheuse, où elle
retrouverait le « Comité d'études sur la guerre », créé par la « Sec-
tion universitaire parisienne de Clarté », dont les tendances sont
bien connues. Gr- Bn.
Allemagne. — Une information de Stuttgart à la Vossische Zei-
tung, de la fin du mois d'août, signalait que l'ex-kaiser consentait à la
publication du t. III des Mémoires de Bismarck. On sait qu'il y était
opposé, en raison des pages que ce volume contenait touchant les rela-
tions de Guillaume II et de son père. Un jugement récent avait auto-
risé la publication, en faisant des réserves sur les conséquences poli-
tiques de celle-ci, et ce jugement devait être soumis à une révision par
la cour de Leipzig. La décision de l'exilé de Doorn a tranché le déljat
et le volume vient de paraîti^e. G. Bn.
Danemark. — Au mois de mai dernier, des fêtes ont eu lieu, en
la présence du couple royal de Danemark, au Groenland en l'honneur
de la fondation de la colonie danoise par le missionnaire Hans Egede,
qui, né en 1686 et pasteur aux îles Lofoten, étudia dans les chroniques
normandes le passé groenlandais et quitta, le 2 ou 3 mai 1721, Bergen,
avec sfi famille et une quarantaine de colons, sur le Hope, à destina-
tion du Groenland. Son œuvre d'évangélisateur et de colon fut conti-
nuée après sa, mort (1758) par son fils Paul, auteur d'un dictionnaire
et d'une grammaire eskimo et traducteur, en langue eskimo, du Nou-
veau Testament. Ce n'est qu'en 1774 que le gouvernement danois orga-
nisa le monopole commercial du Groenland, et c'est sous cette forme que
s'exerce encore la domination du Danemark sur ce pays. — G. Bn.
États-Unis. — L'amiral Sims, qui dirigea les opérations navales
américaines pendant la Grande Guerre en Europe, et qui est à la tète
du « Naval war collège », vient de- recevoir un prix de l'Université de
Columbia pour son livre The viclory at sea (cf. The naval and
military record, 8 avril 1921, p. 854). G. Bn.
156 CHRONIQDE.
Grande-Bretagne. — Un certain nombre de savants anglais, sous
la présidence du professeur Pollard, viennent de créer à Londres un
Institut de recherche historique (Institute of Historical Research).
L'Angleterre est un heureux pays où l'histoire a ses mécènes :
20,000 livi^ sterling, versées par un donateur qui a voulu demeurer
anonyme, ont formé la première mise de fonds; des subventions et
des souscriptions ont fait le reste. L'Institut est rattaché à l'Univer-
sité de Londres, mais il est régi par une administration indépendante
et possède un budget particulier. Il a été officiellement inauguré le
8 juillet dernier. Appelé sans doute à jouer dans nos études un rôle de
premier plan, il mérite d'être décrit aux lecteurs de la Revue histo-
rique.
Le titre même de l'Institut indique très clairement son objet. On
n'y présentera pas l'histoire comme une chose toute faite; on y for-
mera les esprits aux méthodes de la recherche historique ; on y équi-
pera des travailleurs. Or, un pareil enseignement, à la fois spécialisé
et approfondi, ne saurait être suivi avec fruit que par des personnes
déjà pourvues de connaissances élémentaires, mais solides, et d'une
culture générale relativement étendue. L'Institut ne s'adresse donc
pas aux débutants. Il n'admet en principe comme élèves que des étu-
diants déjà pourvus d'une partie au moins de leurs grades, en aucun
cas des jeunes gens encore aux premiers pas de leur carrière scolaire.
Indispensable sélection, sans laquelle des études vraiment supérieures
ne sont point concevables; les Universités allemandes cherchent à la
réaliser par l'institution du « Proseminar » ; nos Universités, hélas ! ne
l'obtiennent d'ordinaire que bien imparfaitement.
Au public ainsi trié, l'Institut compte ofïrir deux choses : des salles
de travail, pourvues de livres bien choisis, et un groupe d'enseigne-
ments.
Le bâtiment qu'il occupe, Malet St., tout près du Musée britannique,
dans cette région de Londres que l'on rêve aujourd'hui de transformer
en un grand quartier universitaire, où se rassembleraient enfin les
membres dispersés de l'Université londonienne, est une sorte de bara-
quement, censément provisoire, mais d'un provisoire qui est fort
capable de durer et qui n'exclut pas en tout cas le confort. Des rayon-
nages, qui sont en train de se peupler de livres, couvrent les murs des
pièces qui devront servir en même temps de salles de conférences et
de bibhothèques de travail ouvertes aux étudiants. C'est le système
que les « séminaires » allemands, (à l'Université de Strasbourg, aujour-
d'hui les « Instituts ») nous ont rendu familier; mais au lieu de
vivre indépendamment les uns des autres, les « séminaires » ici sont
groupés selon une ordonnance rationnelle. Lamprecht avait tenté
quelque chose d'analogue à Leipzig avec l'Institut d'histoire univer-
selle et de la civilisation. A Londres comme à Leipzig, le classement
est dans le principe national : il y a une salle pour l'Angleterre, une
autre pour la France, etc. Seules les sciences auxiliaires, les histoires
diplomatique, navale et militaire ont leurs logis particuliers. Cette
CHRONIQDE. 157
méthode a le très grand mérite d'être simple et claire; on peut se
demander si l'expérience ne lui enlèvera pas un peu de sa rigueur. Il
paraît difficile en particulier que l'histoire économique, qui comporte
tant d'instruments de travail internationaux, ne réclame pas un jour
une pièce pour elle seule; à vrai dire, cette branche d'enseignement,
si brillamment représentée à Londres par la School for Economies,
a dû, au moins au début, attirer moins vivement que d'autres disci-
plines, jusqu'ici plus négligées, l'attention des fondateurs de l'Institut.
L'Institut de recherche historique n'est pas le seul occupant du
bâtiment qui l'abrite. Il en est propriétaire, mais il a un locataire : c'est
l'Institut britannique des affaires internationales. En 1919, dans les
commissions anglaises chargées de préparer le traité de paix, des
hommes de science et des hommes d'action se trouvèrent mêlés; cer-
tains d'entre eux conçurent l'idée de rendre cette association défini-
tive. Ainsi naquit l'Institut des affaires internationales, qui se propose
l'étude en commun des grands problèmes mondiaux à l'heure pré-
sente. Il n'est pas indifférent de savoir qu'à Malet St. la science pure
voisine avec la pratique. Certes, c'est une éducation historique
désintéressée que recevront les étudiants de l'Institut de recherche ;
mais plus d'un parmi les hommes qui ont, de quelque façon que ce
soit, aidé l'Institut à se fonder espère sans doute que les travailleurs
ainsi formés contribueront à répandre dans le public intelligent un
peu de cette culture historique que, depuis la guerre, beaucoup d'An-
glais s'accordent à considérer comme indispensable à une bonne
direction politique.
L'enseignement donné à l'Institut ne sera pas un enseignement ex
cathedra. Pour employer un terme familier aux universitaires fran-
çais, il consistera essentiellement en conférences, du type de celles
des hautes études, où le professeur dirigera et suivra les recherches
des étudiants et les associera au besoin aux siennes propres : instruc-
tion par l'exemple et la collaboration plutôt que par le précepte. Quant
à la liste des enseignements donnés, elle ne peut être jusqu'ici, pour
un Institut en formation, que provisoire, et il serait sans intérêt de la
reproduire en détail. Notons simplement trois ou quatre traits essen-
tiels. D'abord la place faite à la paléographie, à la diplomatique,
à la critique des sources, toutes disciplines qui, jusqu'à ces
dernières années, étaient imparfaitement organisées dans beaucoup
d'Universités britanniques. Puis quelques lacunes volontaires. L'anti-
quité classique, à plus forte raison l'antiquité orientale, paraissent
délibérément exclues. L'histoire, telle qu'on la présente à l'Institut,
commence aux temps anglo-saxons. Une pareille rupture prati-
quée dans le passé de l'Europe pourrait ne pas être sans danger pour
la culture historique ; au surplus, ses inconvénients sont vraisembla-
blement moins sensibles aux yeux d'un Anglais qu'à ceux d'un Français,
habitant d'un pays qui doit tant à Rome. Pour des raisons d'ordre philo-
logique, l'histoire des pays de l'Extrême-Orient ou de l'Islam n'est pas
représentée à l'Institut; mais^comment la section d'histoire coloniale
158 CHRONIQUE;
se passera-t-elle de ce soutien ? Parmi les sciences auxiliaires, aucune
place n'est faite ni à l'archéologie, ni aux sciences du langage, qui
sont enseignées dans d'autres institutions de l'Université de Londres ;
peut-être s'apercevra-t-on à la longue qu'il y a un vif intérêt à ne pas
laisser les étudiants en histoire oublier que les monunaents figurés
sont, eux aussi, des documents et qu'un historien digne de ce nom ne
peut plus aujourd'hui se priver d'une éducation linguistique, au moins
élémentaire.
Les fondateurs de l'Institut de recherche historique ne cachent
point que, voulant créer un organe scientifique qui manquait encore à
l'Angleterre, ils se sont inspirés d'exemples allemands et français. A
Paris notamment, l'École des Hautes-Études, l'École des Chartes, cer-
taines conférences de la Sorbonne leur ont fourni des modèles; mais,
venus les derniers, ils ont pu mettre debout quelque chose de mieux
coordonné, de plus rationnel et de plus systématique que quoi que ce
soit que nous ayons. Il faudra suivre de près le développement de
cette œuvre, qui s'annonce comme extrêmement intéressante.
On pourra lire dans la London University Gazette du 3 août 1921
le compte-rendu officiel de la cérémonie inaugurale de l'Institut et les
discours prononcés à cette occasion. Marc Bloch.
— Le 25 février 1921 a été inauguré à Londres l'Institut français
du Royaume-Uni; fondé par l'Université de Lille en 1913 et réorga-
nisé une fois la paix rétablie, cet Institut a pour but la diffusion de la
langue et de la culture françaises en Angleterre. Son activité doit se
manifester par la création de lycées ouverts aux enfants des Fran-
çais résidant à Londres, par l'enseignement d'une Faculté des lettres,
par des cours commerciaux et des conférences portant sur l'histoire,
la littérature, l'art, la musique, les sciences, les coutumes de la
France, etc.
-^ Le Times du mercredi 14 septeùibre 1921 a publié en l'honneur
de Dante un supplément gratuit qui contient plusieurs intéressants
articles, malheureusement non signés, sur les œuvres, la pensée et la
vie du grand Italien, et divers comptes-rendus d'ouvrages italiens ou
anglais qui lui sont consacrés.
— Le cinématographe pourra-t-il servir à la compréhension des
faits du passé? Les Anglais ont conclu par l'affirmative, témoin la
tentative du major général G. Aston, lecteur d'histoire navale et miU-
taire à l'Université de Londres, qui, utilisant les sources anglaises et
allemandes, a reconstitué pour le « cinéma » la bataille navale du Jut-
land (31 mai 1916). Bien entendu, dans ce cas, le film reproduit les
évolutions de modèles fabriqués pour la cause, et il n'y a aucune
analogie entre ce procédé et les productions de la Section photogra-
phique de l'armée française, qui a gro'upé tant de documents originaux
sur la Grande Guerre.
— De récents débats à la Chambre des Communes (20 et 25 juillet
CHBOIfIQOE. 159
1921) ont révélé l'existence au ministère britannique des Affaires étran-
gères d'un « historical adviser » chargé de toutes les recherches histo-
riques en rapport avec la Grande Guerre et la paix consécutive. Cette
fonction, créée l'an passé, est actuellement confiée à M. Headlam-
Morley. On s'est étonné, sur quelques bancs du Parlement, que ce per-
sonnage reçût un traitement de 50 % plus élevé que celui d'hommes
qualifiés comme les professeurs Stubbs, Fronde ou Freeman. En
France, on pourra se demander si c'est lui qui informe le Foreign
Office sur l'histoire de la Haute-Silésie.
— Une société s'est formée à Nagpour en 1916 à l'effet de publier
une Encyclopédie mahrate, sous la direction du D"" Shridar V. Ketkar
de Poona. Cette encyclopédie (Marathi Encyclopaedia) comprendra
vingt volumes, in-8° d'environ 500 pages chacun. Les cinq premiers
volumes donneront sous une forme narrative* un tableau général de la
civilisation arienne dans l'Hindoustan ; les quinze autres contiendront
des articles séparés rangés dans l'ordre alphabétique. Les deux pre-
miers volumes ont déjà paru.
Grèce. — Des fouilles vont être entreprises par les soins d'archéo-
logues suédois à Korone, l'ancienne Rhion, en Messénie, qui a joué
un rôle important aussi, comme forteresse vénitienne, pendant les
guerres du moyen âge. G. Bn.
Italie. — Le (jardinai Gasquet, préfet des archives du Vatican, a,
dans un interview au Times (13 juillet 1921), exposé les résultats des
travaux commencés sous sa direction dans les collections pontificales.
Le groupement systématique , par pays et chronologiquement , des '
documents a été entrepris, et le chef de service lui-même s'est occupé
des documents anglais, parmi lesquels il signale des lettres d'Edmund
Burke, de Nelson, du cardinal Erskine, qui a été ambassadeur à Rome
sous le règne de George IIL G. Bn.
— Parmi les nouvelles revues italiennes susceptibles d'intéresser les
historiens, il y a lieu de signaler les Miscellanea numisinatica, diri-
gés par M. Gagiati (n° 1, l^"" octobre 1920, à Naples, villino Mandara,
12 1.); Russia, rivista di letteratura, sloria e filosofia, dirigée par
M. E. Lo Gatto (n° 1, octobre 1920, à Naplés, piazza Amedeo, 179,
15 1.); les Studî trentini, édité parla « Società per gli studî trentini »
(n° 1, 1" trimestre 1920, à Trente, tip. Scotoni et Vitti, 15 1.); la
Rivista italo-belga, éditée par la « Lega italo-belga » (n° 1, février
1920, à Rome, piazza S. Nicola a Cesarini, 8 1.) ; le Bollettino biblio-
grafxco délie pubblicazioni italiane (à Rome : « Biblion », 10 1. par
an); Admatico nostro, revue mensuelle dirigée par M. Marescotti (à
Milan : « Stampa commerciale »; prix : 4 1. le fascicule); Archivio
storico délia provincia di Salerno (Gaetano fratelli, à Salerne);
Rivista critica di cullura calabrese (Naples, 74, via Monte di Dio).
— M. G. Manfroni a commencé dans la Rivista marittima, de
mars 1921 (p. 763-782), une revue critique détaillée de la « littérature
160 ^ ceaoNiQDE.
maritime de guerre ». Sa première contribution porte exclusivement
sur des publications allemandes.
Palestine. — Avec la permission du gouvernement britannique de la
Palestine, le Muséum de l'Université de Pensylvanie a entrepris des
fouilles à Beisan, la Beth-Shean du Livre des Juges et fief de la princi-
pauté de Galilée au temps des croisades. Toutefois, il reste entend»
que, conformément aux déclarations du même gouvernement, le pro-
duit des découvertes opérées doit rester en Palestine. Du reste, dès l'oc-
cupation de Jérusalem par les troupes anglaises, on a pu mettre la
main sur 120 caisses qui étaient toutes prêtes à partir pour Constanti-
nople, dont les musées se sont toujours enrichis par cette voie, et
M. Phythian-Adams, de l'École britannique d'archéologie, a pu iden-
tifier et cataloguer 6,000 des objets retrouvés. Le gouvernement anglais
se propose de concentrer tous les objets retrouvés dkns un musée cen-
tral d'antiquités qui sera prochainement ouvert à Jérusalem. La « Pro
Jérusalem Society » a reçu la mission de conserver les constructions
historiques de la ville. A Ain-Duk, 1' « École biblique de Saint-Étienne »,
sous la direction du P. Vincent, a fait d'intéressantes découvertes. Des
travaux ont été entrepris à Acre, Athlit, Ascalon, Jifna, Ramallah,
Tibériade, Césarée. Les Franciscains, dirigés par le P. Orfali, vont
reprendre les fouilles à Caphàrnaûm (Tel Hum). L'Université de Chi-
cago s'est chargée de Megiddo, celle d'Harvard de Samarie; les Amé-
ricains s'intéressent, en effet, d'une façon très active aux questions
bibliques ; après avoir organisé une « École d'études orientales » , ils
ont fondé une « Palestine oriental Society ». G. Bn.
Erratum.
T. CXXXVI, p. 225, dans l'article de M. Marc Bloch, Serf de la glèbe. Histoire
(Tune expression toute faite, ligne 5, au lieu de : des hommes du Verman-
dois, lire : des hommes de corps du Vermandois.
Le gérant : R. Lisbonne.
NOGENT-LE-ROTROU, IMPRIiMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR.
RICHELIEU
ET
LA QUESTION DE L'ALSACE
Dans mon livre les Anciennes républiques alsaciennes"^, ]3i\
exposé que le cardinal de Richelieu n'avait pas eu le dessein
de s'emparer de l'Alsace et que celle-ci, pour diverses raisons
politiques, s'était donnée d'elle-même à la France. Le cadre
de la publication ne comportait ni les développements néces-
saires ni l'indication suffisante des références. Il en est résulté
certaines hésitations chez les critiques. Il m'a donc paru utile
de revenir sur la question et de produire, avec quelque pré-
cision, les textes et les preuves'qui m'ont amené à conclure que
Richelieu, contrairement à l'opinion précédemment admise^
n'avait pas pu songer à conquérir l'Alsace et qu'il n'y avait
pas songé. Des déclarations nouvelles, empruntées à des docu-
ments encore inédits, conservés aux archives du ministère des
Affaires étrangères, vont en revanche marquer davantage la
sincérité et la force du curieux sentiment qui « jetait les Alsa-
ciens », comme le disait d'Erlach au xvii^ siècle, « dans les
bras de la France' ».
1
Il faut se reporter à l'époque où se place l'entrée des Fran-
çais en Alsace, 1634-1635, et songer à la situation politique
générale de l'Europe à ce moment, pour comprendre ce qu'a pu
penser et vouloir Richelieu et ce qu'en fait, d'après les docu-
ments, il a pensé et voulu.
Richelieu, avant de s'engager dans la grande lutte provo-
quée par les menaces de la politique d'hégémonie universelle de
la maison d'Autriche et l'ambition entreprenante de l'empereur
1. Paris, E. Flammarion, in-I8. Bibliothèque de philosophie scientilique.
2. Lettre datée du 11 janvier 1644 à Mazarin : Archives Attaires étrangères,
Alsace 9, fol. 252 r°.
Rev. Histor. CXXXVIII. 2« fasc. H
162 LOUIS BATIFFOL.
Ferdinand II, avait fait ce qu'avaient fait ses prédécesseurs, il
s'était allié avec les princes protestants allemands révoltés contre
leur souverain, les avait soutenus, passant des traités avec eux,
les subventionnant. Il faut remarcfuer avec attention ce point :
ces alliés germaniques, gens indociles, très peu fidèles, jaloux,
susceptibles, constamment occupés à réclamer, prêts à trahir, et
d'ailleurs, dans un sens, soucieux de l'intégrité du Saint-Empire,
seront le plus grand obstacle à toute velléité de la France, si
elle en a, de s'emparer 'de la moindre parcelle des territoires ger-
maniques : on va en avoir d'abondants témoignages.
Lorsque après avoir, pendant plus de dix ans, occupé les
forces de l'empereur « en mettant la main à la bourse et non
aux armes », Richelieu sera enfin oMigé, « ses alliés ne pou-
vant subsister seuls ^ », de jeter l'épée de la France dans le con-
flit, en 1635, on voit par les documents que deux idées con-
crètes dominent la politique française : la première, de maintenir
le contact avec les princes allemands confédérés pour les empê-
cher d'abandonner l'alliance et jîouvoir continuer à leur porter
secours; la seconde, de préserver le territoire du royaume de
l'invasion. On s'assurera à quel point ce double objectif s'impo-
sait à Richelieu si l'on songe aux événements tragiques de 1635-
1636, et comment, dans le courant de 1635, l'armée de Louis XIII
était à ce point battue en Lorraine que Feuquières écrivait à la
cour le 4 juillet : « Les afî'airés empirent de moment à autre ; il est
à craindre que, dans peu de jours, le siège de la guerre soit sur
la Moselle et peut-être jusqu'à la Marne^ » ; que Louis XIII,
angoissé, devait concentrer une armée à Château-Thierry afin de
couvrir Paris ^ ; ou qu'en 1636 avait lieu la terrible invasion qui
amenait l'ennemi, descendant l'Oise, surNoyon, Berry-au-Bac,
Pontavert, jetant « l'épouvante dans le royaume^ ».
Il n'y a qu'un moyen, disent les conseillers politiques et mili-
1. Succincte narration, dans Maximes d'État ou Testament politique... du
cardinal de Richelieu (éd. Foncemagne). Paris, 1764, in-8% p. 45.
2. Lettres et négociations du marquis de Feuquières, 1753, in-12, t. III,
j). 1-28. En octobre, Gallas et le duc Charles de Lorraine avançaient à ce point
que « leurs soldats se promettoient de venir prendre leurs (piartiers d'hiver, à
Paris » [Mémoires du cardinal de La Valette, 1771, t. I, p. 77).
3. Mémoires de Richelieu, éd. Michaud, t. II, p. 639.
4. Le mot est dans une lettre de Chavigny à La Valette du 23 juillet 1636 :
Aubéry, Mémoires pour l'histoire du cardinal de Richelieu^ 1660, t. I, p. 659.
Voir aussi Arch. Aff. étr., Alsace 10, fol. 185 r».
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 163
taires de Richelieu, pour éviter de pareils désastres et atteindre
les deux buts fixés plus haut : c'est d'abord de tenir quelque
bonne place sur le Rhin par où se fera la liaison avec les confé-
dérés allemands, puis, surtout, de constituer du Rhin une bar-
rière derrière laquelle le roi contiendra les armées impériales
et empêchera l'invasion du royaume. Le roi de France, con-
cluent-ils, doit occuper des têtes de pont sur le Rhin. Il ne s'agit,
observons-le, que d'occupation militaire et non de conquête.
Ces idées remjjlissent la correspondance du cardinal, celle des
secrétaires d'État ou de ses conseillers durant tout le règne.
Si l'empereur ne vise qu'à porter la guerre au cœur du royaume,
afin d'isoler les rebelles de son empire, dont, après, il viendra
plus facilement à bout, Riclielieu prescrit ou fait prescrire à ses
généraux de s'accrocher à tout prix au Rhin afin de parer aux
deux dangers. « Défendez-nous des Allemands sur le Rhin »,
dit le P. Joseph au cardinal de La Valette ' . « On couvre la France
le long du Rhin », mande le Hollandais aUié Aersen au maréchal
de Chàtillon - ; et Louis XIII répète : il faut avant tout « assu-
rer les bords du Rhin, la garde du Rhin^ ».
Dès janvier 1632, les confédérés allemands qui, d'abord, com-
prennent et semblent admettre, en principe, cette pohtique,
conseillent à Richelieu d'envoyer en effet des troupes à Philipps-
bourg, Mannheim. Le moment n'est pas encore venu, Richelieu
décline^. Après la mort de Gustave- Adolphe, tué sur le champ
de bataille de Liitzen en 1632, les circonstances étant plus
menaçantes, les confédérés allemands reviennent à la charge et
considèrent que la présence d'un corps d'armée français d'ob-
servation sur la rive gauche du Rhin serait indispensable.
Richelieu consulte ses généraux, La Force, Brézé. Ceux-ci sont
d'avis d'occuper Spire, Philippsbourg ou Mannheim, et, notons
ceci, ne conseillent pas d'aller en Alsace'. Louis XIII et Riche-
1. Dans une lettre du 23 août 1636, Aubéry, Mém., t. 1, \>. 685 : « Toute la
pensée des ennemis est do porter la guerre deçà le Rhin, dans la croyance (ju'ils
ont qu'en éloignant le secours de S. M. les villes et États d'Allemagne se por-
teront volontiers à traiter avec l'empereur, n Lettre de Feuquières à IJoutliilier
du 7 avril 1635, dans Lettres et négociations, t. III, p. 42.
2. Lettre du 24 avril 1638 : Aubéry, Mém., t. II, p. 125.
3. Lettres et négociations, t. II, p. 28, 60, 332; t. III, p. 40 et 218.
4. L'électeur de Trêves parle de Philippsbourg, Bavière de Mannheim, Avcnel,
Lettres de Richelieu, t. IV, p. 254.
5. Mémoires du duc de La Force, éd. La Grange, t. III, p. 417.
164 LOOIS BATIFFOL.
lieu, en effet, se prononcent pour Philippsbourg ^ Les discussions
relatives à l'occupation de cette ville vont remplir les documents
à partir de 1632. Car, à mesure qu'on approche de l'éventualité de
cette occupation, par un phénomène de réaction bien explicable,
les confédérés allemands éprouvent maintenant une instinctive
répugnance à laisser la France mettre la main sur une place
germanique 2. Le 26 a\Til 1633, l'assemblée des confédérés
d'Heilbronn, obligée d'avouer « avec combien moindre danger
on éteint le feu dans la maison de son voisin que dans la
sienne-^ », paraît cependant disposée à accepter ce qu'on appelle
« le traité de la garde du Rhin^ » ; puis Louis XIII a beau par-
lementer avec le possesseur de Philippsbourg, l'électeur de
Trêves, et les Suédois qui sont dans le pays, il ne parvient pas
à occuper Philippsbourg.
C'est pendant que durent -ces discussions, début de 1634,
que les Alsaciens, ruinés par les guerres, révoltés contre les vio-
lences de l'empereur et des Suédois, demandent au roi de France
de les prendre sous sa protection . Les premiers traités de protecto-
rat avec Neuwiller, Ingwiller, Bouxwiller, Saverne, Haguenau,
origine des autres traités qui mettront l'Alsace sous la protection
de Louis XIII, sont de janvier et février 1634. On voit dans
quelles circonstances occasionnelles, fortuites, au milieu d'une
politique générale que poursuit Richelieu orientée autrement,
cet événement se produit. Louis XIII, d'abord hésitant, a
accepté parce que les populations réclamaient son appui. Il n'a
vu là qu'un incident momentané analogue au fait que l'électeur
de Trêves ou la ville de Baie se sont mis aussi sous sa protec-
tion'^. Nous constaterons plus loin qu'il ne pouvait songer dès
1. Lettres et négociations, t. II, p. 275 et 383.
2. Mémoire à ce sujet de M. de Gournay, envoyé de Louis XIII en Alle-
magne : Arch. AfF. étr., Allemagne 10, fol. 31 r.
3. Lettre de l'assemblée d'Heilbronn à Louis XIII, Lettres et négociations,
t. I, p. 218.
4. Mot de Bouthilier à Feuquières : Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 182 r°.
5. Cf. Lettres et négocintions, t. I, p. clxxxv. Louis XIII avait fait occuper
Trêves par une garnison française. On ne .soutient pas aujourd'hui qu'il pen-
sât garder la ville, pas plus que celle de Bâle, par conquête. Le prince régent
du comté de Montbéliard avait également mis Montbéliard et les possessions
alsaciennes du comte, Horbourg, Riquewihr, sous la protection de la France
dans les mêmes conditions. Ce dernier fait momentané n'a pas eu d'action sur
la question générale qui nous occupe.
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 165
ce moment à garder le pays et l'annexer au roj'aume. Suivons
les développements des faits.
Dès le mois de mai 1634 des confédérés allemands, le marquis
de Bade, le landgrave de Hesse-Cassel, voyant les Français en
Alsace, suggèrent l'idée que la France, du moment qu'elle doit
veiller au Rhin, au lieu de Philippsbourg, occupe en effet des
villes alsaciennes. L'envoyé français, La Grange aux Ormes,
saisi par le landgrave de la question, répond qu'il n'a pas d'ins-
truction sur ce point. Hesse-Cassel réplique que la diète de
Francfort pourrait dans ce cas faire la proposition elle-même à
Louis XIII et qu'il en parlera à l'assemblée. Mais, et faisons
attention à ceci, les aUiés germaniques de la diète se récrient
aussitôt : ils entendent encore bien moins laisser venir les
Français en Alsace qu'à Philippsbourg. Le chancelier de Suède,
Oxenstiern, intervenant, déclare à son tour à La Grange aux
Ormes que les Suédois occupent des viUes d'Alsace, qu'ils
comptent à la paix générale s'en servir comme de gages et
qu'ils ne les céderont certainement pas aux Français. On
voit les difficultés ^ Louis XIII ne donne pas suite aux proposi-
tions du marquis de Bade et du landgrave de Hesse-Cassel. Le
21 juin, son ambassadeur en Allemagne, Feuquières, parlant
à la diète de Francfort, ne nomme toujours que Philipps-
bourg ^ et les confédérés allemands, butés contre toute idée de
voir occuper un territoire germanique quelconque par la
Fi-ance, refusent d'accorder Philippsbourg, sous prétexte que
« c'est trop risquer » que de mettre le roi en Allemagne-^ On le
voit : la France est encore loin de pouvoir songer à s'emparer
de l'Alsace.
Là-dessus on annonce que les Espagnols s'apprêtent à envoyer
des secours à l'empereur à travers la Franche-Comté et l'Alsace,
afin de prendre à revers les confédérés^. Sous l'effet de cette
menace qui les effraie, les alliés consentent enfin à ce que le
1. Lettres et né.gocintiom , l. II, p. 2G9, 278, 282.
2. D'après l'instruction à FouquitTes du 26 mai 1634 : Arch. Afl'. étr., Alle-
magne 10, fol. 100 r°, 125 r", 166 r" : « Et ne point accepter le change qu'on
lui pourroit offrir » (en Alsace), ajoute le texte.
3. Lettres et îiégociations, t. I, p. cl.
4. Cf. l'instruction au maréchal de La Force du 30 août 1634 : Mémoires du
duc de La Force, t. III, p. 409, 410, et un mémoire h Feuquières du 28 juin
sur le même sujet : Arch. .\ff. étr., Allemagne 10, fol. 149 r°.
166 LOUIS BATIFFOL,
roi de France occupe Philippsbourg. Mais que de précau-
tions ils prennent dans le traité passé avec lui à ce sujet, la
place ne sera bien qu'en dépôt provisoire entre ses mains; la
France s'engagera à la rendre au moment de la paix générale :
elle ne changera rien au statut de la ville ni à sa situation par
rapport à l'empire ^ Feuquières écrit le 5 septembre : « Le duc de
Saxe s'est montré le plus passionné contre nous^. » Les cir-
constances vont devenir ensuite de plus en plus critiques : l'em-
pereur avec ses forces marchant contre les confédérés les atteindra
à Nordlingen, leur infligera une sanglante défaite, et les con-
fédérés, désespérés, se retourneront vers Louis XIII, le suppliant
de venir à leur secours à tout prix, et ici se modifiera la question
d'Alsace qui nous occupe.
Car l'Alsace, en effet, à ce moment, prend au point de vue
militaire une importance grandissante 3. Si le roi de France
a le souci d'arrêter au Rhin l'envahissement de son royaume, si
les confédérés comptent sur le roi pour les aider contre leurs enne-
mis, la plaine alsacienne devient pour tous un grave sujet de
préoccupation. Nous venons de voir qu'en 1634 il est question que
les Espagnols arrivent par la Franche-Comté et l'Alsace prendre
à revers les ennemis de l'empereur. Déjà, en 1633, il avait été
agité dans les conseils impériaux de faire de l'Alsace « la prin-
cipale place d'armes », où se réunirait un corps puissant formé
de troupes venant de Souabe, de Thuringe, d'Italie, de Franche-
Comté^. Aux heures tragiques de 1636, l'empereur imaginera
d'envahir la Bourgogne en passant en Alsace par le pont de
Brisach^. Ce pont de Brisach, le seul sur le Rhin après celui de
Kehl dans la région alsacienne, constitue une position straté-
gique de premier ordye, dangereuse pour le roi de France
et les confédérés. Dans les plans successifs de campagne
1. Arch. Afif. étr., Allemagne 10, fol. 26 r° et suiv. Le traité est du 26 août.
2. Lettres et négociations, t. II, p. 408.
3. Au moment de Nordlingen, « les Espagnols tiraient vers l'Alsace ». Récit
de la bataille de Nordlingen par le maréchal suédois Horn : Arch. Aff. étr.,
Allemagne 10, fol. 191 v.
4. Lettres et négociations, t. I, p. 190; Arch. Afl". étr., Allemagne 10,
fol. 226 v°. Instruction à Feuquières du 13 juin 1633 : « S. M. est avertie de
toutes parts et de lieux fort certains que le dessein des Espagnols est de for-
mer promptement un corps puissant dans l'Alsace, composé de quelques troupes
qui passent d'Italie et d'autres qu'Aldringer fait filer par la Souabe et par
Brisach, que l'on fait aussi des levées en la Franche-Comté... », etc.
5. Mémoires du cardinal de La Valette, 1771, t. I, p. 177.
RICHELIED ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 167
des Français, il sera nécessaire de prévoir des armées d'obser-
vation surveillant le passage de Brisach. Peu à peu la place de
Brisach devient aussi importante pour Richelieu, sinon davan-
tage, que Philippsbourg, et derrière Brisach il y a l'Alsace, où
il faut tenir les voies de communication, faire attention aux
villes fortifiées qui ne doivent pas tomber aux mains de l'en-
nemi, sous peine de désastre pour les corps isolés. Richelieu, qui
écrit à Servien le 19 juin 1635 : « M. de La Force demeurera
dans l'Alsace pour boucher les passages de ce côté », en arrivera
à mander un an plus tard à des intendants : « De l'Alsace dépend
le bon succès de la guerre ou de la paix ^ »
On voit donc comment peu à peu s'est posée aux yeux de
Louis XIII et de son ministre l'importance de l'occupation de
F Alsace, c'est-à-dire sous la forme d'une question d'ordre pure-
ment militaire, mais combien difficile et compliquée, puisque,
d'une part, les Suédois, tenant déjà une partie du pays, ne veulent
pas qu'une autre puissance vienne sur leurs brisées, et que,
d'autre part, les confédérés allemands ne peuvent se faire à l'idée
de laisser un prince étranger mettre la main sur un territoire
germanique !
Entrant en Alsace au début de 1634 par les traités dont nous
avons parlé passés avec Haguenau, Saverne et autres places,
puis entraîné petit à petit à accroître cette occupation, Riche-
lieu, maintenant, avait-il l'intention secrète, une fois dans le
pays, de n'en plus sortir et de le garder? Les circonstances que
nous venons de dire ne s'accordent guère avec cette hypothèse.
Mais les documents vont répondre encore plus précisément. Nous
allons voir : 1° qu'en principe Richelieu, étant donné les idées
du temps, ne pouvait pas songer qu'il pût réclamer au futur
congrès de la paix la possession de l'Alsace ; 2" qu'en fait, devant
les soupçons des confédérés germaniques à ce sujet, leurs récri-
minations violentes, leurs menaces, il a dû, d'avance, prendre
position et répondre négativement sous toutes les formes à la
question qui vient d'être posée; 3° que, pour des motifs qui
vont être indiqués, n'ayant fait nul mystère durant son adminis-
tration de ses « buts de guerre », il en a exclu expressément
l'Alsace.
Il esl; difficile de bien conipivndre les idées d'un temps diffé-
1. Avenel, Lettres de Richelieu, l. V, p. 61 et 440.
168 LOUIS BATIFFOL.
relit du nôtre et volontiers nous prêtons aux gens du passé nos
propres préoccupations. Il faut cependant faire effort pour entrer
dans leurs modes de raisonnement et tâcher de considérer les
questions telles qu'elles se présentaient à leurs yeux et non telles
que nous croyons les voir.
Richelieu, engagé dans la guerre de Trente ans, a eu très vite
l'idée d'aboutir à la paix et a désiré constamment cette paix.
Les dangers courus par la France en 1635, les désastres de
1636, les embarras financiers au milieu desquels se débattait
BuUion, les campagnes violentes menées contre le cardinal parce
que l'opinion l'accusait de prolonger volontairement la lutte,
eussent été suffisants pour l'y décider. Dès novembre 1635, le
secrétaire d'État Chavigny, dépositaire de ses pensées, écrivait :
« Nous aurions grand besoin d'un grand succès pour faire la
paix'. » Richelieu répète : « Je désire la paix avec une passion
indicible 2. » Il mandera au nonce le 24 décembre 1637 : « M. le
nonce sait bien que Sa Majesté a tout tenté pour la paix 3. »
Dans ses instructions à ses agents à l'étranger, û proteste « de
la sincérité de la France dans le désir de la paix », au point,
ajoute-t-il, « que je ne crains point de désirer malédiction à
ceux qui, par des prétentions injustes, l'empêcheront^. » « Redou-
blez vos prières », dira-t-il à un religieux le 8 novembre 1638,
« pour la paix, que je souhaite avec tant de sincérité et d'ardeur
que je ne crains point de prier Dieu qu'il punisse ceux qui l'em-
pêchent\ » Et il confiera, découragé, à Bullion le 14 juillet 1640 :
« Je suis las de la guerre'^ ! »
Dès lors, il a accepté toutes les occasions qu'on lui a offertes
de négocier. Au début d'août 1636 on lui parle de conférences
à engager à Cologne. Il s'empresse de désigner les plénipoten-
tiaires, d'Avaux et Feuquières, dresse l'instruction générale,
réunit l'argent. L'affaire n'aboutit pas"-. On lui propose de
1. Aubéry, Mém., t. I, p. 557.
2. Septembre 1637, Avenel, Lettres, t. V, p. 852. Richelieu écrivait le
28 mars : « Dieu sait si nous trouverons facilité en la paix! » Ibid., p. 763.
3. Ibid., t. VIII, p. 321. Le 5 mars 1638, Louis XIII écrit aux évéques pour
leur demander des prières publiques afin d'obtenir de Dieu la paix : Ibid.,
t. VII, p. 185.
4. Ibid., t. VII, p. 1030; t. VI, p. 243.
5. Lettre au P. Bernard, Ibid., p. 235.
6. Ibid., t. VI, p. 709.
7. Bibl. nat., ms. fr. 10212; Avenel, Lettres, t. VI, p. 114, 256, 459, 521,
603, 632, 660.
RICHELIED ET LA QUESTION DE l' ALSACE. 169
nouveaux colloques à Hambourg. Il envoie d'Avaux^ Le pro-
jet traîne ; le cardinal est crispé : « Plus on approche du terme
où doit commencer la négociation, écrit-il à d'Avaux, plus on
prévoit de difficultés'. » En juin 1641 , les lieux de con-
férences sont changés et reportés à Miinster et Osnabrùck; à
la fin de janvier 1642 , Riclielieu désigne le plénipotentiaire
chargé de défendre les intérêts de la France, Mazarin^; il a
su où devait se signer la paix ; il faudra encore six ans
pour la conclure. Il n'a pas dépendu de lui qu'elle fût décidée
plus tôt.
S'il a pensé constamment à la paix, il a non moins constam-
ment songé à ses conditions. Cette paix qu'il souhaite, il la
veut juste, « honorable », dit-il, afin qu'elle soit sûre ; ce sont
les termes qui reviennent toujours sous sa plume^. « On veut
traiter de bonne foi », écrira-t-il à un agent en Espagne, Pujol,
le 8 novembre 1637, « et sans prétendre autre avantage que celui
que la raison doit accorder à un chacun. » Il faut que les enne-
mis se résolvent « à vouloir une juste paix"^ ». Mais qu'appeUe-
t-il une juste paix? Qu'entend-il par les avantages que « la
raison » doit accorder à la France ?
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, jusqu'à la fin de sa
vie, Richelieu a prétendu expliquer avec franchise et loyauté ses
intentions : « J'ai pour maxime », a-t-il écrit, « de dire franche-
ment ce que je veux faire et ne vouloir que la raison. . . Les cara-
cols inutiles ne sont plus bons pour un homme de mon âge qui
va droit à ses fins^. » Certes, il n'entend point faire la guerre de
façon désintéressée : le roi de France doit être dédommagé des
lourds sacrifices qu'il a consentis par des acquisitions territoriales.
1. Bougeant, Histoire du traité de Westphalie, t. Il, p. 39.
2. Avenel, Lettres, t. VIII, p. 3G3.
3. Ibid., t. VII, p. 141, 898: t. VIII. p. 371.
4. a II faut buter à contraindre l'empereur d'accorder une paix raisonnable
et sûre. » Mémoire à Feuquières : Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 24 rv On
souhaite une paix qui soit « sûre, juste et raisonnable » : Aubéry, Mém., l. 1,
p. 506.
5. Avenel, Lettres, t. VII, p. 779, 780, 817. « Quand je dis vouloir la paix,
j'entends à consentir aux conditions justes et raisonnables sans lesquelles elle
ne peut estre faite » (lettre à d'Avaux du 27 février 1042, Ibid., p. 904).
6. Ibid., t. VII, p. 833; t. VI, p. 730. Boutbilier écrit à Feuquières le
17 août 1634 : « On est si bien informé par deçà (en Allemagne) de la sincé-
rité de nos intentions et de la prudence et retenue avec laquelle vous agissez
pour le service du roi » (Arch. Afl. étr., Allemagne 10, fol. 182 t'].
170 LOUIS BATIFFOL.
Mais, en fait d'acquisitions territoriales, « la France », mande
Richelieu à un agent en Espagne le 15 février 1639, *. ne veut
que ce qu'elle peut prétendre avec justice^ ». Il écrit au maré-
chal d'Estrées le 8 octobre 1636 : « Nous n'avons à posséder que
ce qui nous appartient^. » Seulement, qu'est-ce qui nous appar-
tient? Et Richelieu répond : ce à quoi des titres juridiques
certains donnent au roi le droit de prétendre. Le xvii® siècle,
héritier des conceptions féodales du moyen âge, veut qu'un
prince invoque pour prendre un territoire, comme un particu-
lier pour revendiquer un bien, des titres légitimes : héritage,
donation, achat, traité, privilège de souveraineté. Les juristes
, de la couronne, les Godefroy, les Dupuy, les Lebret, les
Delorme, ont établi dans de savants mémoires quels étaient les
territoires que Louis XIII pouvait réclamer. Richelieu s'ins-
pire de ces mémoires. Il les a fait contrôler, au point de vue de
la conscience, par « les autorités de l'Écriture, des Pères et
des docteurs, pour faire voir si clairement la vérité qu'on n'en
puisse douter 3 ». .
Or, ces mémoires citent nombre de pays que peut revendiquer
la France : la Lorraine, la Franche-Comté, la Savoie, le Mila-
nais, Naples, la Sicile, des régions des Flandres : ils ne men-
tionnent jamais l'Alsace'^. Pour les juristes, il n'existe aucun
1. Avenel, Lettres, t. VIII, p. 352.
2. Ibid., t. V, p. 613.
3. Ibid., t. VIII, p. 2fi6.
4. Voir les volumineux dossiers constitués par les Godefroy établissant « J,e8
droits du roy de France sur plusieurs royaumes et seigneuries » : Bibl. de
l'Institut, collection Godefroy, 292 à 298. On y trouve encore mentionnés le
Piémont, Nice, la Navarre, l'Aragon, Gênes, le Montferrat, Orange, Avignon et
le Comtat, l'Artois, etc. La thèse de Godefroy est celle-ci {Ibid., 335,
fol. 19 y) : « C'est une loi générale et indubitable, tenue et gardée en tous
les royaumes et monarchies, autant en Allemagne qu'en France, que les rois
ne peuvent renoncer aux royaumes et provinces qui font part et portion de
leurs couronnes, et nommément quand il est question d'en quitter la souverai--
neté, pour ce qu'ils ne sont pas propriétaires ains, tant seulement, gardiens et
administrateurs de leurs royaumes. » Les Dupuy ont imprimé les mémoires
qu'ils avaient préparés sur le même sujet pour Richelieu, conjointement avec
Le Bret et Delorme, dans les Traités touchant les droits du Roi Très Chrestien
sur plusieurs Estais et seigneuries possédées par divers princes voisins.
Paris, A. Courbe, 1655, in-fol., 1018 p. Un magistrat, avocat du roi au siège
présidial de Béziers, avait, dès 1632, publié des conclusions identiques : J. de
Cassan, la Recherche des droits du roy et de la couronne de France sur les
royaumes, duchés, comtés, villes et pays occupés par les princes étrangers.
Paris, F. Pomeray, in-4*. Cassan invoque les principes de l'indivisibilité du
RICBELIEO ET LA QOESTION DE l'aLSACE. 171
acte dans les âges passés conférant aux ancêtres du roi très
clu'étien le droit de réclamer l'Alsace. Sans doute, les lettrés, à
travers les siècles, rappelant qu'autrefois les limites de l'an-
cienne Gaule allaient jusqu'au Rhin, ont souhaité le retour à cet
état ancien du royaume, et un jésuite, le P. Labbé, a})rès la
mort de Richelieu, écrira même un soi-disant Testamentum
politicum du cardiQal qui eut quelque fortune auprès des histo-
riens du xix° siècle et dans lequel sei:a attribuée à Richelieu
l'intention de porter à ces limites romaines les frontières de la
France^ Mais, aux yeux des juristes de la couronne et des poli-
tiques qui s'inspirent de leurs conclusions , le fait que les
Romains ou les Francs ont, il y a huit siècles, possédé la rive
gauche du Rhin, ne constitue pas un titre juridique dont ils
puissent faire état dans les discusssions futures d'un congrès
avec les plénipotentiaires du Saint-Empire. Ils n'en parlent pas.
Il reste bien, il est vrai, « la conquête ». Les gens du temps
connaissent, certes, « le droit de conquête » ou de guerre et
Richelieu le connaît aussi. Mais il déclare dans une lettre au
maréchal d'Estrées du 8 octobre 1636 qu'il ne le considère
comme « ni fondé, ni plausible- ». La conquête est pour lui un
acte violent. Ministre du roi très chrétien auquel on a donné
le surnom de « Juste », il ne croit pas devoir conseiller à son
maître des procédés que sa conscience, l'honneur du roi, la dignité
et l'intérêt de l'Etat lui interdisent^.
royaume, de la souveraineté qui ne peut ni se céder, ni s'aliéner, du (caractère
Inaliénable du domaine du roi et qu'il n'y a pas de prescription avec la souve-
raineté, etc. En 16G5, D. Godefroy et H. de Lionne maintiendront les mêmes
théories dans leurs Mémoires et instructions pour servir dans les négocia-
tions. Paris, in-l2. Le fait que l'Alsace n'est jamais nommée dans ces travaux
est une chose tout à fait remarquable.
1. Voir le Testament politique latin du cardinal de Richelieu, dans
Mémoires de la Société des sciences morales, des lettres et des arts de Seinc-
et-Oise, t. XV, 1887, p. 117-145. Malherbe écrivait de Richelieu à M. de Men-
tin le 14 octobre 1G27 (Œuvres, éd. Lalanne, t. IV, p. 109) : « L'esjtaco d'entre
le Rhin et les Pyrénées ne lui semble pas un champ assez grand pour les
llei^rs de lys; il veut qu'elles occupent les deux bords de la mer Méditerranée
et que de là elles portent leur odeur aux dernières contrées de l'Orient. »
2. Avenel, Lettres, t. V, p. 613.
3. Hugues de Lionne écrivait au baron de Boineburg le 7 juin 16.50 (dans
Valfrey, Hugues de Lionne, t. II, p. 269) : « Je veux venir à une autre
remarque que peut-être vous n'aurez pas encore faite, qui est que depuis les
con(|uêtes de Charlemagnc la France, en aucun traité qu'en celui-ci (la paix
des Pyrénées), n'a rien retenu au seul titre do conquête, el si, dans les autres,
172 LOUIS BATIFFOL.
Voilà du moins ce qui se dégage des documents. Maintenant,
Richelieu est-il de bonne foi? On ne le croira pas, étant donné
l'opinion que nos habitudes d'esprit, les romanciers et les dra-
maturges ont imposée à l'histoire du personnage de Richelieu, et
on jugera qu'au fond le cardinal a dû avoir certainement la
pensée que l'Alsace, qui s'offrait à lui, était bonne à prendre et à
garder. Serrons donc de plus près le problème.
Richelieu eût-il eu de pareilles intentions que, d'abord, les
infinies difficultés suscitées par les confédérés allemands à ce
sujet, difficultés de nature à compromettre à tout instant la situa-
tion générale, l'obligeraient à contenir ses ambitions. Puis ces
difficultés vont l'amener à des déclarations catégoriques qui
constitueront comme des engagements formels, absolus, sur
lesquels je ne saurais trop insister.
Ces princes confédérés allemands sont des gens, ainsi que
l'écrit Feuquières, « passionnés, superbes, avaricieux, glo-
rieux, brutaux, grands ivrognes, méfiants, haïs et méprisés
de leurs sujets^ ». On ne les tient qu'à force d'argent : le mar-
quis de Brandebourg, un Hohenzollern, touche 20,000 pistoles
de pension, un prince de Saxe 12,000 écus^. A tout instant ils
sont sur le point de trahir. Richelieu doit agir avec eux de façon
extrêmement circonspecte, les ménager, prendre garde à leurs
susceptibilités. Lorsque après la mort de Gustave- Adolphe à Liit-
zen, en novembre 1632, il envoie Feuquières à l'assemblée
d'Heilbronn avec mission de maintenir le faisceau fragile de l'al-
liance, l'ambassadeur français a une campagne très difficile à
conduire, tellement ces Germaniques sont de caractère ombra-
geux et irritable-^. Nous avons vu la résistance qu'a rencontrée
Richelieu, ne fût-ce que pour occuper une viUe comme Philipps-
bourg. Imagine-t-on quel accueil eût reçu l'idée de prendre l'Al-
sace entière et de l'annexer à la France? Or, précisément, voyant
elle a eu parfois quelque avantage, c'a été toujours à des choses qui se trou-
voient d'ailleurs appartenir à nos rois par succession, confiscation, échange ou
même par achat. »
1. Relation du voyage de Feuquières en Allemagne en 1633, Aubéry, Mém.,
t. I, p. 399. De Noyers, écrivant à La Valette en juillet 1636, dit : « Ces gros
ivrognes », Ibid., p. 651.
2. Lettres et négociations du marquis de Feuquières, t. I, p. 97, 106, 109;
t. II, p. 217. En 1634, Feuquières fait pour une fournée un total de 89,000 livres
(Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 434 r° et suiv.).
3. Lettres et négociations, t. I, p. 3 et suiv. La nomination d'ambassadeur
de Feuquières est du 3 février 1633.
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 173
les Français entrer en Alsace, les confédérés sont convaincus
que Louis XIII a certainement l'intention de s'emparer du pays.
Il n'est que de suivre dans les documents le dialogue qui s'éta-
blit entre eux et Richelieu, dès le début.
Lorsque en février 1634 les premières villes alsaciennes
s'ofirent au protectorat de la France, Saverne, Haguenau, Riche-
lieu, prévoyant les protestations violentes qUe vont formuler les
confédérés, écrit au maréchal de La Force le 10 février qu'il
accepte le projet de traité pour diverses raisons, mais il veut qu'ily
soit bien spécifié que « Haguenau et Saverne ont été mis en dépôt
au roi sous la condition de les rendre à l'empereur au traité
de paix ». C'est la formule de Philippsbourg^. L'occupation des
villes d'Alsace est, pour Richelieu, analogue à celle de Philipps-
bourg : une occupation provisoire militaire. Malgré cette pré-
caution, les alliés allemands se troublent et protestent. Richelieu,
allant au-devant de leurs préventions, s'empresse de répondre
que le roi de France ne songe pas « à accroître ses Etats de
ce côté^ ». Il confirme à son ambassadeur Feuquières, dans ses
instructions et ses dépêches, sa ferme pensée sur ce point. Il
est indispensable, dit-il, de rassurer les Allemands. La France
sait ce qu'elle veut : elle ne veut pas s'emparer de l'Alsace. Il
mande le 1"' février 1634 à Feuquières, lui parlant de l'élec-
teur de Saxe : « Il faut surtout lui ôter la créance que le roi ait
intention de s'agrandir dans l'Allemagne, s'assurant que Sa
Majesté n'g^ pris à autre intention la sauvegarde et manutention
des villes et des places (alsaciennes) qu'a^jec promesse et
volonté de les rendre par le traité de paix générale^. » Les
Allemands n'ajoutent pas foi à ces affirmations. L'effervescence
s'accroît outre-Rhin. Les alliés en viennent à menacer de rompre
et s'entendre avec l'empereur. Le chanceUer de Suède, Oxens-
tiern, homme remarquable d'intelligence, mais faux, brutal,
plein de malveillance pour nous, au dire de nos ambassadeurs,
les excite 4. Richelieu se décide alors à faire faire par Feuquières,
1. L'instruction de Louis XIII au maréchal de La Force, du 10 février 1634,
est dans les Mémoires du duc de La Force, éd. La Grange, l. 111, p. 395, et
aux Arch. Ail', étr., Lorraine 14, fol. 182 v.
2. Ibid.
3. Arch. Afl'. élr., Allemagne 10, fol. 12 v».
4. Ibid., fol. 50 T", et Lettres et négociations, t. H, p. 277. Richelieu trou-
vait les manières d'Oxenstiern « un peu gothiques et beaucoup linnoises »
(Avenel, t. VIII, p. 200).
174 , LOUIS BATIFFOL.
au nom du roi, une déclaration catégorique. Pesons- en les
termes, car sous la forme lourde et embarrassée du temps elle
contient la réponse de Louis XIII et de Richelieu à la question
qui nous occupe en ce moment.
« Si, sur le sujet des places que le roi tient en Alsace, conume
sont Haguenau, Sàverne et autre lieux », est -il dit dans les
instructions à Feuquières du 26 mars 1634, « les confédérés
témoignent ouvertement du mécontentement et de la jalousie, y
ajoutant les menaces de faire la paix, le sieur de Feuquières
leur dira qu'ils ne la désirent pas (la paix) plus que le roi et que,
pour leur faire connaître qu'il n'a prétention quelconque de
s'agrandir à leurs dépens, il leur déclare être tout prêt à leur
remettre lesdites places (d'Alsace) aussitôt que, par un bon
accommodement, cessera l'obligation qu'il a de conserver ceux
qui ont imploré sa protection pour éviter le péril de leur
ruine dans les agitations des deux partis... Qu'au reste le roi
étant entré en alliance avec les Suédois et lesdits confédérés
pour la liberté et le soulagement de l'Allemagne, spécialement
de ses alliés et voisins, chacun ne peut trouver étrange s'il met
à couvert ceux qui ont eu recours à lui.. . Sa Majesté, étant fort
assurée que tous ses déportements passés lui ont acquis un si
public et certain témoignage de sa justice et modération en toutes
les occurrences qui se sont présentées d'étendre ses limites,
qu'elle n'a point de peur qu'aucuns, bien ajSectionnés au public,
le puissent mettre en doute; qu'elle ne tient aucuns lieux avec
la plainte et le regret de ceux qui les lui ont mis entre ses
mains, n'ayant point usé de force, combien qu'elle ne manque
pas de pouvoir... Que, ne voulant pas garder les places qu' elle
a dans V Allemagne (l'Alsace), elle ne peut que trouver de
l'avantage, quand le temps viendra, de les rendre, et qu'elle
n'y apportera aucune difficulté, se promettant qu'on aura foi à
ses paroles confirmées par tant de précédents effets i . »
L'excitation des esprits est telle que, bien entendu, cette décla-
ration, pourtant très nette, ne produit pas l'effet désiré. Ber-
nard de Saxe-Weimar écrit à Feuquières : « Les plaintes sont
1. Cet important document se trouve aux Arch. Aff. étr., Correspondance
politique, Allemagne 10, fol. 42 r" et suiv. Le compilateur des Mémoires de
Richelieu l'a eu entre les mains (éd. Michaud, t. II, p. 556). Les affaires d'Al-
lemagne étaient délibérées entre Richelieu, le P. Joseph et Bouthilier. J'ai des
raisons de croire que ce texte a été rédigé par le P. Joseph.
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 175
continuelles de l'entrée que l'on donne aux étrangers en Alle-
magne contre les constitutions de l'empire' », et Louis XIII est
obligé de répondre à son ambassadeur « quels justes sujets il a
de reconnaître avec déplaisir les jalousies et les soupçons qu'on
a de lui- ». Il ordonne alors à cet ambassadeur de se rendre
devant l'assemblée de Francfort et là, dans un discours public,
de renouveler les déclarations solennelles de la France. Feu-
quières s'exécute le 21 juin 1634 : « J'ai ordre très exprès de
vous déclarer de la part de Sa Majesté Très Chrétienne », dit-il
à l'assemblée, « qu'elle continue d'affectionner de telle sorte
votre bien .et votre repos que vous ne devez nullement appréhen-
der qu'elle fasse jamais diflSculté aucune de remettre à l'empire
par le traité de paix générale toutes les places du pays
d'Alsace dont elle se trouvera saisie. » Il proteste avec hau-
teur de « la sincérité et généreuse conduite qui accompagnent
toutes les actions royales de son maître ». Il estime qu'elles
doivent suffire pour « dissiper les ombrages que l'artifice des
ennemis pourrait faire prendre de cette sienne protection à
quelques-uns de ses alliés ». Richelieu engage donc l'honneur
du roi sur cette affirmation qu'il ne veut pas s'emparer de
l'Alsace 3.
Les appréhensions et l'agitation des princes germaniques ne
cessent pas. Richelieu s'impatiente. Du moment que la simple
occupation de Philippsbourg va tellement « à contre-cœur » aux
confédérés, qu'elle leur laisse « un tel dépit dans l'âme » qui les
« irrite si fort », qu'elle provoque des jalousies « qu'on ne peut
surmonter'^ », il décide brusquement en août 1034 de renon-
cer même à Philippsbourg et il notifie à Feuquières de ne plus
1. Lettres et négociations, t. H, p. 274.
2. Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 147 x". Cf. fol. 87 r°.
3. Ibid., fol. 125 v". « Proposition de la part de Louis XIII", roy de France,
par le sieur de Feuquières à l'assemblée... à Francfort-sur-le-Main. » Le Mer-
cure françois donne le texte de ce document comme ayant été lu à l'assem-
blée le 24 mars [Mercure françois, 1634, p. 467). C'est une erreur. Pour ce
qui est de l'importance qu'attache Richelieu à la sincérité des déclarations du
roi, il n'est que de se rappeler ce mot de la Succincte narration [Testament
•politique, éd. Koncemagne, p. 54) : « Je sais bien que, si V. M. eût manqué à
sa parole, elle eut beaucoup perdu de sa réputation et que la moindre perte de
ce genre fait qu'un grand prince n'a [ensuite] plus rien à perdre. »
4. Lettre de La Grange aux Ormes à Richelieu : Arch. AU', étr., Allemagne 10,
fol. 158 r».
176 LOUIS BATIFFOL,
rien demander aux confédérés ^ . Lorsque à ce moment quelques-
uns de ceux-ci, contrairement à l'opinion irritée de leurs compa-
triotes, parlent d'offrir à la France, en échange de Philippsbourg,
l'occupation de viUes alsaciennes, Richelieu refuse sèchement :
« Le roi », écrit-il le 17 août 1634, « ne fait pas grand cas des
places qu'on pourrait lui bailler en échange de Philippsbourg, en
Alsace : cela ôierait la créance qu'elle veut quon ait quelle
ne prétend rien en Allemagne-. »
Dès lors, on comprendra son extrême irritation quand, le 9 oc-
tobre suivant, l'envoyé français à Strasbourg, Melchior de
l'Isle, agissant de son autorité privée, sans instruction, sans
autorisation, conclut avec Colmar le traité qui mettait en fait
l'Alsace entière, en dehors et à l'insu des confédérés, sous le pro-
tectorat de la France^. C'est « à ce coup » que les aUiés alle-
mands vont se soulever contre les ambitions françaises, décla-
rer justifiées leurs craintes, malgré les affirmations contraires de
Louis XIII, et accuser celui-ci de duplicité! De là la lettre très
vive écrite par Richelieu à Melchior de l'Isle. Le roi désavoue
publiquement son envoyé par une déclaration officielle à la diète
germanique^, puis ordonne au maréchal de La Force de retirer
toutes les troupes qu'il a envoyées dans les villes alsaciennes à la
suite du traité avec Colmar \ Pouvait-il proclamer plus claire-
ment la loyauté de ses intentions? Feuquières, qui est allé expli-
quer à Oxenstiern la convention de Melchior de l'Isle et le désa-
veu formel du roi, écrit à Bouthilier, devant l'extrême mécon-
tentement que lui manifeste le chancelier de Suède : « Il serait
à désirer que cela ne fût pas arrivé dans les conjonctures pré-
sentes, ne pouvant être expliqué avantageusement ni des amis,
ni des ennemis''. »
On a dit que, si Richelieu repoussa le traité .de Melchior de
risle, c'était non qu'il le trouvât aventureux, mais qu'il le
1. Arch. Âff. étr., Allemagne 10, fol. 177 r°, dépêche à Feuquières du 16 août.
2. Ibid., fol. 180 r°.
3. Voir mes Ancietines républiques alsaciennes, p. 209.
4. Arch. Aflf. étr., Alsace 6, loi. 80 r°. « Le roy ayant su le traité qui a esté
faict par le sieur de l'Isle estant pour le service de Sa Majesté à Stras-
bourg... », etc.
5. Lettre de Louis XIII au maréchal de La Force du 1" novembre 1634, dans
Mémoires du duc de La Fo7-ce, éd. La Grange, t. III, p. 415. Remarquons
cette date du l" novembre.
6. Arch. Aff. étr., Allemagne tO, fol. .379 v°.
RICUELIEO ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 177
jugeait insuffisant et faisant trop de concessions aux Golraariens.
Cette explication ne s'accorde guère avec les faits et les textes
qui précèdent. On a ajouté que le cardinal aiiua mieux lui subs-
tituer un traité infiniment plus fructueux pour la France, qui
fut signé le i^^ novembre 1634 suivant avec les princes confé-
dérés, et par lequel, au nombre des places de l'Alsace mises en
dépôt aux mains de Louis XIII, se trouvaient celles qu'occupaient
les Suédois, nommément Benfeld, Brisach, traité qui, par sur-
croît, ne parlait pas d'assurer de garanties aux Alsaciens pour
l'exercice de la religion protestante et ne stipulait pas la resti-
tution du pays après la guerre à l'empire. Le traité du 1*"^ no-
vembre, dit-oft, représenterait donc bien la véritable pensée
de Richelieu entendant s'emparer de l'Alsace'. Il n'est pour
répondre que de voir de près ce document du 1®'' novembre 1634
et les circonstances dans lesquelles il a été rédigé.
L'écrasement des confédérés allemands à Nordlingen a eu
lieu le 5 septembre 1634. Cette défaite produit un effet consi-
dérable en Allemagne. Les alliés sont atterrés. Feuquières écrit
à d'Avaux le 19 septembre : « La susdite déroute a tellement
étonné d'abord tous les confédérés, que sans cette espérance
qu'il leur reste du côté de Sa Majesté (le roi de France), de
laquelle j'ai cru devoir leur donner encore de plus grandes espé-
rances que je n'a vois lieu d'espérer pour eux, ils se fussent
laissé, sans doute, emporter aux propositions d'accommode-
ment (avec l'empereur). » Il va voir Oxenstiern qu'il trouve
« dans l'affliction ». Oxenstiern, abattu, déclare à l'ambassadeur
français qu'il ne compte plus que sur Louis XIII'-. Dans l'affo-
lement général, l'assemblée des confédérés adresse une députa-
tion à Feuquières pour supplier le roi de France de déclarer la
guerre à l'empereur, afin de venir les sauver, et ils detnandent,
par une seconde députation, à quelles conditions le roi con-
sentirait à relever leurs affaires. Feuquières répond que le mieux
serait d'envoyer à Paris un ambassadeur avec pouvoir de trai-
ter. Ainsi en est-il décidé'^ Philippe Streiff de Lauenstein est
désigné et les Suédois y adjoignent leur vice-chancelier, Jacques
Loffler. Oxenstiern parle même de retirer les Suédois de partout
et délaisser occuper par la France toutes les places qu'il détient
1. Cf. Rev. histor., W CXXIX, p. 323.
2. Lettres et négociations, t. II, p. 228, 425.
3. Ibid., p. 422.
Rev. Histor. OXXXVIII. 2« fasc. 12
178 LOUIS BATIFFOL.
jusqu'à l'Elbe^. Dans un mémoire spécial du maréchal suédois
Horn, il est émis l'avis que les Français devraient occuper inamé-
diatement l'Alsace entière pour empêcher les impériaux de venir
s'y installer et d'y faire la récolte^, et, sans attendre les ordres
d'Oxenstiern, le rhingrave Otton-Louis, qui commande les con-
tingents suédois en Alsace, veut livrer aux régiments du maré-
chal de La Force les places qu'il détient 3.
A Paris on a été très ému de la défaite de Nôrdlingen. L'écra-
sement des alliés germaniques rapproche de plus en plus le
moment où il faudra que la France entre en guerre. Richelieu,
à contre-cœur, prévoit qu'il devra s'}^ décider pour le printemps
suivant. Il se prépare. Il écrit à Feuquières dès le 14 septembre
que le roi de France est bien obligé de venir au secours des
confédérés, mais que, devant leur ruine, il lui faut les coudées
franches, afin de protéger le territoire du royaume, c'est-à-dire,
et il revient à la thèse indiquée plus haut, les confédérés alle-
mands doivent enfin accepter que la France puisse défendre ses
frontières sur la ligne du Rhin. Il répète qu'il doit assurer
« la défense du Rhin ». A cet efiet, et en raison des menaces
que présente la place de Brisach, il faut qu'il puisse assiéger
Brisach, et, quand il l'aura, l'occuper. En attendant, afin de
faciliter les opérations militaires, « les confédérés mettront
présentement au dépôt du roi les places de l'Alsace et notam-
ment Benfeld^ ». Feuquières explique à Richelieu qu'à son avis
les confédérés accepteront que la France assiège Brisach, mais
que, même dans leur détresse, ils ne céderont pas sur Benfeld
et les autres places d'Alsace^. Le 26 septembre il annonce le
départ des ambassadeurs pour Paris. Le 5 octobre il écrit qu'il
vient de voir Oxenstiern et qu'il l'a trouvé plus bas que jamais :
« Il commença par me dire qu'il ne me vouloit rien celer et
qu'ainsi il me diroit franchement que les aflaires générales étoient
1. Arch. Afif. étr., Allemagne 10, fol. 223 v°. Oxenstiern, affolé par la tour-
nure que prenaient les événements, avait fait cette proposition dès le 29 août.
Dépêche de Feuquières au P. Joseph de cette date.
2. IMd., fol. 221 r.
3. Le Vassor, Histoire de Louis XIII, p. 37. Cf. Lettres et négociations,
t. I, p. cix.
4. Mémoire à Feuquières : Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 275 r° et
277 r».
5. Ibid., fol. 257 r°. « Benfeld et les autres places d'Alsace, je doute que
nous les puissions avoir. »
RICHELIEO ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 179
encore en beaucoup plus mauvais état que ce que j'en voyois ne
me le pouvoit faire croire ' > .
Quand les deux ambassadeurs arrivent à Paris « avec ample
pouvoir de traiter et de conclure ce qui sera jugé nécessaire
pour le bien général », on leur explique nettement les idées
du gouvernement français : il s'agit de convenir de conditions
militaires éventuelles dans le cas où le roi romprait avec l'em-
pereur et entrerait en guerre contre lui et il ne s'agit que de
cela. Les ambassadeurs acceptent, et voici les clauses de ce
traité du l*^"" novembre 1634^. Le roi de France et les con-
fédérés allemands, avec les Suédois, confirment à nouveau leur
alliance. En cas de rupture, Louis XIII (art. IV) « tiendra
en deçà du Rhin une armée considérable pour s'y en servir
offensivement et défensiveraent, selon les occurrences, contre
les ennemis communs de Sa Majesté et des confédérés » ; donc
nécessité pour lui d'aller librement en Alsace et de détenir
les places fortifiées du pays^, et, en effet (art. XI) : « Au cas
que Sa Majesté entrât en rupture ouverte contre les enne-
mis communs qui sont dans l'empire ou ailleurs (allusion à la
Franche-Comté), lesdits confédérés, considérant les incommo-
dités et périls de la guerre auxquels Sa Majesté expose sa per-
sonne et ses États en leur faveur, consentent, dès à présent,
sous ladite condition de rupture de la part de Sa Majesté, pour
lui témoigner la confiance qu'ils ont en elle et à ce qu'elle
ait plus de lieu d'éloigner les ennemis communs de ses
propres États, comme aussi* pour mieux assurer le pays d'Al-
sace contre leurs efforts (que d'explications et de précautions!),
que ledit pays d'Alsace au delà du Rhin soit mis en dépôt en la
protection de Sa Majesté , avec les places et villes qui en
dépendent, qu'ils ont prises sur leurs ennemis, et spécialement
Kenfeld et Schlestadt, qui seront mises es mains du roi aussitôt
que Sa Majesté aura déclaré être en rupture, comme aussi géné-
ralement tout ce qui dépend d'Alsace en deçà du lihin. » La
1. Arch. Aflf. étr., Allemagne 10, fol. 310 r°. Lettre de Feuquières à Bouthi-
lier datée de Spire.
2. Dans Du Mont, Corps diplomatique, t. Vi, t" partie, p. 79-80. 11 existe
plusieurs copies manuscrites du document aux Arch. AIT. étr., Allemagne 10,
fol. 336 et suiv.
3. Louis Xlll explique à Feuquières, dans un mémoire du 28 juin 1634,
comment, si on a une armée en Alsace, il faut « avoir des retraites pour .sa
sûreté », c'est-à-dire tenir des places : Arch. AIT. étr., Allemagne 10, fol. 147 r°.
»
180 LOUIS BATIFFOL.
convention étant générale et d'ailleurs éventuelle, on n'entre pas
dans le détail minutieux de l'occupation, notamment de la ques-
tion de religion. Néanmoins, il est bien stipulé à l'article XI que
les alliés germaniques « seront maintenus en leurs possessions
légitimes et ne sera rien entrepris au préjudice de leur juridic-
tion et de tous leurs droits », ce qui implique, en fait, les liber-
tés religieuses ^ Enfin, la question de l'évacuation future et
de la restitution à l'empire des territoires alsaciens occupés,
au moment de la paix générale, y est parfaitement spécifiée à
l'article XII : « Le roi (de France) promet de bonne foi de reti-
rer ses garnisons de Brisach et autres lieux susdits deçà et delà
le Rhin (c'est-à-dire l'Alsace) sans aucune restitution de frais,
pour en être disposé selon qu'il sera convenu au traité de la paix
générale. »
En définitive, les aUiés allemands, étant dans une situation
très critique, sont venus supplier Louis XIII de déclarer la
guerre à l'empereur pour les tirer d'affaire. Louis XIII répond :
dans le cas où je la déclarerais, sur quoi puis-je compter de votre
part? J'entends défendre mes frontières au Rhin, entre autres en
Alsace : vous soulevez des chicanes perpétuelles à ce sujet ; con-
sentez-vous, oui ou non, à me laisser amener mes troupes sur
la ligne que je considère comme la meilleure pour protéger le
royaume et vous porter secours? Et les alliés accèdent, à con-
dition que Louis XIII promette d'évacuer le pays à la paix, ce
que Louis XIII accorde. Ou ne voit donc pas en quoi ce traité
du !•"■ novembre 1634 est meilleur pour Richelieu que celui de
Melchior de l'Isle, sinon parce que le cardinal tient des confé-
dérés et non plus seulement des Alsaciens le droit d'entrer en
Alsace; en quoi surtout il donne l'Alsace à la France et la
donne mieux ou plus sûrement que celui du 9 octobre avec Gol-
mar. Richelieu n'a d'ailleurs considéré ce traité que comme un
renouvellement de celui d'Heilbronn « pour les soutenir (les
confédérés) et empescher leur déroute », dit-il 2.
1. En effet, Louis XIII dira, dans un document du 2 avril suivant, qu'il
veut qu'on maintienne en Alsace « la religion catholique en toute liberté et
selon qu'il est porté par le dernier traité fait à Paris » (B. Rose, Herzog Bern-
hard der Grosse von Sachsen-Weiînar. Weimar, 1829, in-8°, t. II, p. 465).
2. Lettre de Richelieu à Oxenstiern du 21 novembre 1634, Avenel, Lettres,
t. IV, p. 789. Un commis de Bouthilier, résumant le traité du 1" novembre,
écrira (Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 349 v») : t Les confédérés consentent
qu'en cas que S. M. entre en rupture ouverte contre l'ennemi, que le pays
RICDELIEU ET LA QOESTlOi^ DE l'aLSACE. 181
Puis, ce qui achève d'enlever à ce traité l'importance qu'on
lui attribue, traité qui, répétons-le, était uniquement une con-
vention militaire éventuelle ne constituant pas une cession de
territoire et n'aurait dû jouer d'ailleurs que lorsque, en 1635,
Louis XIII entra en guerre contre la maison d'Autriche, c'est
que les Allemands ont mis une mauvaise volonté extrême et un
temps infini à le ratifier et que les Suédois ne le ratifièrent jias'.
Louis XIII ne pourra donc pas en faire état : U invoquera seu-
lement le fait que les gens du pays d'Alsace ont sollicité sa pro-
tection et, comme il se prépare à la lutte inévitable, ses troupes
en attendant resteront dans la plaine de l'Ill.
En efi'et, le traité du 1*"" novembre provoque des réclama-
tions infinies en Allemagne, tellement les préventions contre
l'entrée des Français en Alsace sont violentes. Le 26 novembre
1634, Brézé écrit au P. Joseph, d'Ogersheim, près Mannheim :
« L'opinion , dans les esprits de tout le monde, est que nous
n'avons dessein que d'envahir l'Alsace 2. » Le 9 décembre, le
duc de Rohan a beau répéter à Bernard de Saxe-Wehnar : « Sa
Majesté n'a aucune intention de s'accroistre au préjudice des
princes et États Allemagne^ »; Richelieu recommander à
Feuquières « d'ôter l'opinion que le dessein du roi soit de
démembrer l'empire et de se prévaloir d'une partie ^ » ; lui répé-
d'Alsace du deçà du Rhin et ses dépendances, nommément Benfeld et Schle-
stadt, soient mis en dépôt es mains du roy, eux estant maintenus en leurs pos-
sessions légitimes; les gens des dits lieux prêteront serment aux uns et aux
autres. » De son côté, le compilateur des Mémoires de Richelieu, parlant du
même traité, dit que Richelieu a fait décider « que les places de deçà le Rhin
seroieot mises entre les mains du roi », uniquement « afin qu'il pût secourir
ses alliés avec sûreté de ses armées ». Des contemporains assez bien placés ne
voient donc nullement, dans ce traité du 1" novembre, une cession de l'Alsace
à la France.
1. Il y a toute une correspondance à ce sujet entre Feuquières et la cour :
Arch. Air. étr., Allemagne 10, fol. 382 r°, 406 v°, 415 v°; 11, fol. 120 v», etc. Ce
fut Oxenstiern qui provoqua l'attitude des Allemands : « Le chancelier a reçu
et traité les ambassadeurs extraordinaires comme des traîtres » (dans B. Rose,
Herzo(j Bcnihnrd der Grosse, t. II, p. 445; lettre de Feuquières à Bouthilier).
Devant le refus d'Oxenstiern de ratifier, Louis XIII déclara qu'il ne se consi-
dérait pas comme lié par le traité de Paris {Ibid., p. 446). C'est parce que ce
traité s'est trouvé, en fait, inexistant que je n'en ai point parlé dans mes
Anciennes républiques alsaciennes pour ne pas allonger mon récit, déjà
étendu, de détails qui n'étaient pas essentiels.
2. Arch. Atf. étr., Allemagne 10, fol. 391 v.
3. Dans B. Rose, op. cit., p. 451.
4. Arch. Ail. étr., Allemagne 10, fol. 373 r°.
182 LOUIS BATIFFOL.
ter le 28 janvier 1635, au moment, où celui-ci se rend à l'assem-
blée de Worms : « Sa Majesté ne s'attribue ledit pays (d'Alsace)
que comme en dépôt jusqu'à la paix et pour le garantir des
oppressions de l'un et de l'autre parti ^ »; que la France n'est
sur le Rhin que « pour empêcher le passage de ladite rivière
aux ennemis, défendre tous ensemble les villes situées sur le
Rhin, d'ôter aux ennemis celles qu'ils y ont^ », les passions sont
à ce point montées qu'on reste convaincu que la France veut
conquérir l'Alsace.
Et la preuve cependant qu'elle ne veut pas garder le pays
pour elle, c'est qu'elle l'a promis à ce moment à un Allemand,
Bernard de Saxe-Weimar, et qu'elle s'est engagée à lui faire
reconnaître le landgraviat d'Alsace à la paix générale : Ber-
nard devra le posséder dans le cadre de l'empire, comme terre
germanique, à l'exclusion de toute ingérence française.
On a dit que si, le 27 octobre 1635, Richelieu céda à Bernard
de Saxe-Weimar l'Alsace, c'était que la situation militaire était
à ce moment si critique dans le pays qu'il fallait un général éner-
gique pour le sauver; l'Alsace était perdue pour la France :
le duc de Lorraine, Charles IV, descendu des Vosges, avait
mis la main sur plusieurs villes de la plaine, les impériaux
étaient entrés à Andlau^. Mais, quelle que soit d'abord la cause
qui aurait décidé Richelieu à donner l'Alsace à un prince alle-
mand, le fait qu'il l'abandonnait à un tiers impliquait bien qu'il
ne comptait pas la garder. Puis il n'est encore ici que de pré-
ciser quelques dates et quelques faits pour se rendre compte de
la portée de l'argument.
Depuis longtemps, depuis 1633 au moins, Richelieu cherchait
à gagner Bernard à la cause des alliés^. Feuquières avait reçu
l'ordre « d'ouvrir tous les moyens qu'il trouverait plus conve-
nables pour acquérir l'amitié et la confiance du duc Bernard^ ».
1. Arch. Atf. étr., Allemagne 12, fol. 29 v°.
2. Lettres et négociations, t. II, p. 451.
3. Rev. histor., toc. cit.
4. Aubéry, Mémoires, t. I, p. 384. Feuquières avait cherché, en 1633, à cau-
ser avec lui à Wiirtzbourg, lui olfrant une pension du roi. Bernard avait
décliné, disant qu'il était engagé au service de la Suéde. Feuquières rend
compte dans une dépêche du 9 mars 1633.
5. Le 26 mars 1634 : Arch. Aft". étr., Allemagne 10, fol. 41 v°. La France avail
cherché à gagner de même Wallenstein et Jean de Werth [Ibid.^ fol. 17 r°, 18 r";
Avenel, t. IV, p. 471; t. V, p. 381, 382; Lettres et négociations, t. II, p. 1).
RICHELIEU ET LA QOESTION DE LALSACE. 183
Les tractations avaient passé par des alternatives diverses, puis,
brusquement, le 4 décembre 1634, le marquis de La Force et
Brézé écrivaient à Louis XIII qu'ils avaient reçu la visite d'un
envoyé de Bernard, le colonel Gassion, lequel, « Sire », annon-
çaient-ils, « nous a dit qu'il croyoit que ledit duc Bernard — en
l'estime et confiance duquel il a beaucoup de part — seroit pour
s'attacher au service de Votre Majesté, et s'est comme laissé
entendre qu'étant homme de grand cœur, il seroit bien aise d'y
être convié, ce que nous avons jugé devoir mander à Votre
Majesté ' . » Le 3 janvier 1635, Bernard envoie de nouveaux con-
fidents aux maréchaux de La Force et Brézé, le colonel Hébron
etd'Espenan, pour renouveler et préciser ses offres de service^,
et c'est le 30 janvier que le roi de France décide de donner l'Al-
sace à Bernard ! Un mémoire à Feuquières de cette date le dit
expressément : « Sa Majesté consentira que le duc Bernard de
Weimar jouisse du landgraviat d'Alsace^. » C'est donc en jan-
vier 1635 que Louis XIII a résolu de remettre l'Alsace à Ber-
nard, et ce n'est pas la situation militaire de l'Alsace en octobre
suivant, comme on le dit, qui a provoqué cette cession. Il faut
remarquer avec queUe facilité la France a cédé, sans discus-
sion, à la demande, je crois, du duc. A la fin de janvier 1635,
d'ailleurs, Louis XIII n'avait nul besoin de Bernard en Alsace,
où le duc de Rohan se trouvait avec une armée"^. Louis XIII
écrira quelques semaines plus tard à Rohan, en l'envoyant en
Valteline : « Maintenant que l'Alsace est entièrement déhvrée
1. Arch. Aff. étr., Alsace 6, fol. 215 v°.
2. Ibid., fol. 244 r*. Sur un ton d'ailleurs aigre-dolix et en menaçant, si l'on
refuse de l'écouter, de traiter avec l'empereur. Lettre des maréchaux au roi.
Richelieu constatait chez Bernard « la dureté de son naturel qui est fort atta-
ché à ses intérêts particuliers » (Avenel, t. VI, p. 427). Le colonel Hébron
était un Anglais dont le vrai nom était John Hepburn (Gustave Clanché,
Sii- John Hepburn. Toul, in-S").
3. Dans Lettres et iiégocialums du marquis de Feuquières, t. II, p. 447.
Louis XIII s'engage à laisser à Bernard les droits de la mai.son d'Autriche sur
le landgraviat d'Alsace, mais, « d'autant que S. M. ne s'attribue le dit pays que
comme en dépôt jusqu'à la paix et pour le garantir des oppressions de l'autre
parti. S. M. est obligée de se réserver la principale autorité en icelui pays ».
Ceci indique bien la position de la France en Alsace sous Louis XIII. Pour ce
qui est du landgraviat d'Alsace, possessions de la maison d'.\utricho, n'oublions
pas que c'est précisément ce landgraviat promis par Richelieu à Bernard que
Mazarin fera donner à Louis XIV au traité de Westi)halie.
4. X. Mossmann, Matériaux pour servir à l'histoire de la gnenc de Trente
ans, dans Revue d'Alsace, 1878, t. YII, p. 471 et suiv.
184 LODIS BATIFFOL.
de troupes ennemies^... » Les événements militaires auxquels
il a été fait allusion plus haut, progrès des Lorrains, des impé-
riaux, prise de la viUe d'Andlau, sont d'avril, mai, juin'<^.
Puis, Bernard ayant présenté de nouvelles exigences, les trac-
tations reprennent avec lui. Un deuxième traité est signé le
2 avril à Worms. Bernard se met au service de Louis XIII et
des confédérés, et, pour la peine, le roi consent, toujours, à ce
qu'il jouisse du landgraviat d'Alsace et du bailliage de Hague-
nau : ceci ne fait pas discussion. Un exemplaire du texte, signé
par Bernard, porte cette variante : « Qu'il jouisse du landgra-
viat d'Alsace et du bailliage de Haguenau avec tous les droits et
autorités conformes à celles qu'ont eues ceux de la maison d'Au-
triche ^ ». Le parti de Richelieu semble donc bien pris : il laisse
l'Alsace à Bernard sans arrière-pensée. En effet, dans une
instruction du 24 mai pour M. de Vignoles qui va trouver Ber-
nard, Louis XIII, expliquant qu'il veut empêcher les ennemis de
passer le Rhin, soit vers Brisach, soit vers Spire — toujours
l'idée qui hante le gouvernement — prie son envoyé de décider
le duc à le seconder dans ces deux directions, entre autres,
pour « aider à conserver l'Alsace, laquelle lui doit appar-
tenir ». L'expression est formelle^. Dans une lettre à l'abbé
de Coursan du 2 juin, Richelieu, parlant de Bernard, écrit :
« Le duc Bernard, auquel le roi laisse l'Alsace'^ », et, dans
une autre lettre du 23 juillet au cardinal de La Valette, il répé-
tera, parlant toujours du duc, « vu que Saverne est compris
dans l'Alsace qui lui a été laissée par le roi^ ».
Si la situation est particulièrement critique quelque part de
1. Arch. Aff. étr., Alsace 6, fol. 294 r°. Le duc de Lorraine avait battu en
retraite.
2. X. Mossmann, op. et loc. cit.; Lettres et mgociations. t. III, p. 88 et
suiv.
3. Dans B. Rose, op. cit., t. II, p. 465. L'exemplaire signé de Bernard est
daté de Metz. Mêmes stipulations que plus haut : « D'autant que S. M. ne
s'attribue le dit pays que comme en dépôt jusques à la paix et pour le garantir
de l'oppression des deux partis... ï, etc. Feuquières annonce la signature de ce
traité dans une lettre à Bouthilier du 7 avril {Lettres et négociations, t. III,
p. 38).
4. Texte dans B. Rose, op. cit., p. 462.
5. Avenel, Lettres, t. V, p. 47.
6. Aubéry, Mém., t. I, p. 657. Cf. Ibid., t. II, p. 426, 427. « Le roy ayant
donné l'Alsace au dit duc comme il le reconnaît par son testament... Par le
traité par lequel le roy lui a laissé l'Alsace... »
UICHELIED ET LA QDESTION DE l'aLSACE. 185
juillet à octobre 1635, ce n'est pas en Alsace, c'est en Lorraine,
où les armées impériales avancent, menacent Nancy, font redou-
ter une invasion de la Champagne. On se figure mal l'émotion
qu'a éprouvée à ce moment le gouvernement de Louis XIII'. Il
ne pensait guère alors à l'Alsace ! Il y pensait si peu que Riche-
lieu, préoccupé de s'assurer tous les concours possibles, écrivait
à La Valette, le 19 juillet, de maintenir à tout prix Bernard à
notre service, et que, « si l'Alsace venoit à manquer, je me lais
fort de lui procurer dans la Lorraine un notable revenu pour
soutenir sa dignité ; et quand la Lorraine manqueroit, la bonne
volonté du roi pour lui est telle qu'elle lui donneroit en France,
sur son propre revenu, la même chose -^ ». Et c'est en Lorraine,
le point dangereux, qu'on veut employer Bernard pour arrêter
l'invasion, non en Alsace.
Mais Bernard est un homme difficile, inquiet, s'affectant
outre mesure des déceptions, découragé, prêt à tout abandon-
ner, au surplus besogneux et quémandeur. Feuquières multi-
plie à son sujet les avertissements. Profitant de la situation cri-
tique des affaires, Bernard envoie son confident, Ponikau, faire
de nouvelles demandes à Louis XIII, le 17 juillet : il faut, dit-il,
que la France lui donne quatre millions de livres ; il voudrait
avoir une armée de 20,000 hommes de pied et de 8 à 10,000 che-
vaux^. La France se récrie. On discute. Louis XIII offre un
miUion de livres ou 1,200,000 au plus et ne tient qu'à une
armée de 12,000 hommes de pied et de 6,000 chevaux. Pour
ce qui est de l'Alsace, affaire secondaire, elle lui est promise,
Louis XIII n'y revient pas. La discussion continue des semaines
et des semaines uniquement sur la question d'argent : alarmes,
inquiétudes du côté français, où l'on a absolument besoin de con-
server l'aide de Bernard; récriminations, colères, menaces et
pleurs du côté de Bernard, où l'on a absolument besoin d'argent.
Il n'est pas question de l'Alsace dans toutes ces discussions^.
1. Le P. Griffet, Bistoire de Louis XIII, 1758, in-4°, t. II, p. 600 et suiv.
On suit cette «'motion et le caractère dramatique des événements dans la cor-
respondance de Feuquières, qui à ce moment commandait une armée en Lor-
raine.
2. B. Rose, op. cit., p. 467.
3. Lettres et végociatiom, t. III, p. 104. Les demandes de Bernard s'accom-
pagnent naturellement de menaces (lettre de Feuquières du 17 juillet, Ibid.,
p. 191).
4. On suit les discussions dans les Lettres et négociations, t. III, p. 196 et
186 LOCIS BATIFFOL.
L'Alsace, du reste, n'a pas besoin de Bernard, où, en août et
septembre, le duc d'Angoulême et le maréchal de La Force
poursuivent Lorrains et impériaux, battent Jean de Werth,
chassent le duc de Lorraine vers Brisach*. Le 28 septembre,
Richelieu écrit à La Valette qu'il faut en finir avec Bernard, et
il cède sur les quatre millions de livres, « qui est une somme
immense », dit-il~. S'il cède, il va nous le dire lui-même, ce
n'est nullement à cause de l'Alsace, mais à cause de la Lorraine
et de la situation critique, de ce côté, de l'armée de La Valette
menacée par Gallas sur la frontière : « Quand on vous a donné
pouvoir de traiter avec le duc de Weimar jusqu'à quatre mil-
lions », écrit-il le 5 octobre au cardinal de La Valette, « vous étiez
en péril et on l'a cru nécessaire pour vous sauver 3. » Le traité
est signé le 20 octobre, les articles secrets le 26 qui reprennent
le passage relatif à l'Alsace^. L'Alsace joue donc ici un rôle
très peu important, si peu important que l'auteur des Mémoires
de Richelieu, analysant le traité, néglige l'article relatif à l'Al-
sace et ne parle pas d'elle^.
Et c'est enfin si peu pour défendre et sauver l'Alsace qu'on
a traité avec Bernard, et qu'on lui a donné le pays, qu'après le
5 octobre, date du jour où Richelieu a accepté les conditions du
duc, l'Alsace se trouvant envahie par l'armée de Gallas, c'est
suiv., 276 et siiiv. La France ne tenait pas à ce que Bernard eût une trop forte
armée, en raison de la défiance qu'il inspirait.
1. Lettres et négociations, t. III, p. 239j 281. Dans un mémoire au roi du
30 août, Richelieu explique que, « pouvant employer les grandes forces qui,
de jour à autre, s'amassoient sur la frontière », il a quatre objectifs à choi-
sir : Picardie, Lorraine, Moselle, Alsace; il n'hésite pas : « Il croyoit qu'il ne
les devoit employer (ces forces) qu'en la Lorraine », parce que « les ennemis
avoient destiné d'y faire des efforts extraordinaires contre la France et que,
s'il arrivoit le moindre accident, la Champagne et la Bourgogne demeureroient
tout ouvertes » {Mémoires de Richelieu, éd. Michaud, t. II, p. 630). « Au lieu
que si nous envoyions toutes nos forces en Alsace, outre qu'elles s'y défe-
roient d'elles-mêmes, elles n'y feroient pas plus d'effet que mille chevaux de
renfort » {Ibid., p. 616).
2. Avenel, Lettres, t. V, p. 941 ; Lettres et négociations, t. III, p. 287.
3. Avenel, Lettres, t. V, p. 945 et ailleurs (p. 94) : « En Testât que M. le
cardinal de La Valette et les affaires du roi sont, le roi lui donne pouvoir de
traiter avec le duc Bernard. »
4. Aubéry, Mém.,t. I, p. 551. Aubéry date le traité du 27 octobre, le recueil
de Dupin du 26; j'ai adopté avec le P. Griffet {Histoire de Louis XHI, t. 11,
p. 636) les dates du recueil de Léonard, 20 et 26 octobre.
5. Mémoires de Richelieu, éd. Michaud, t. II, p. 642.
RICHELIEU ET LA QOESTIOK DE l'aLSACE. 187
le cardinal de La Valette qui se chargera d'aller la délivrer, non
Bernard. L'expédition ne semble être ni bien compliquée, car
La Valette ne réunit qu'un corps de 3,200 hommes de pied et
de 1,600 chevaux, ni bien urgente, puisqu'il ne part qu'à la fin
de janvier de 1636, ni enfin bien périlleuse, car il la termine en
trois semaines en une campagne qui n'est qu'une promenade
militaire ^ Le 20 décembre, Manicamp a écrit au maréchal de
La Force qu'il n'y a pas plus de 2,000 hommes de troupes enne-
mies en Alsace, lesquelles sont « foibles et écartées ... de cela,
je vous en réponds sur ma vie- ». Le 6 janvier 1636, Bullion
écrit à La Valette de la part de Richelieu : « Il n'y avoit que
vous seul qui pût entreprendre ce voyage d'Alsace-^ » : la
Valette seul et non Bernard. Ce n'est dohc pas pour délivrer
l'Alsace que Louis XIII a donné le pays à Bernard.
On a ajouté que Richelieu surveilla extrêmement le duc de
Weimar, ce que la défiance qu'inspirait le personnage justifiait
amplement; que le cardinal soutint n'avoir pas cédé à Bernard
le territoire de l'Alsace, mais les droits des landgraves autri-
chiens, la seigneurie, non la souveraineté, ce qui est exact, et
on ne voit pas trop, d'ailleurs, ce que, dans le droit compliqué
du temps, Richelieu aurait pu promettre au duc de lui faire don-
ner de plus^; qu'enfin Bernard étant mort le 18 juillet 1639,
Richelieu s'empressa de remettre la main sur le pays. Richelieu
s'empressa de remettre la main sur l'Alsace parce qu'ayant con-
1. Mémoires du cardinal de La Valette, 1771, t. I, p. 115 et suiv.
2. Dans Aubéry, Mém., t. I, p. 586. Manicamp était le gouverneur français
de Colmar.
3. Ibid., t. I, p. 584.
4. Louis XIII écrivait le 6 novembre 1635 à d'Hocquincourt (B. Rose, op. cit.,
p. 478) : « J'ai accordé à mon cousin le duc Bernard de Weimar... qu'il jouisse
de tous les droits et revenus qui appartenoient ci-devant à la maison d'Au-
triche en Alsace, ce que je vous fais savoir par la présente, afin que vous les
laissiez percevoir à ceux qu'il commettra pour cet ellel, les assistant de tout
ce qui dépendra de vous. » Cette lettre précise bien la question. Richelieu
occupant l'Alsace laisse pratiquement Bernard se substituer à la maison d'Au-
triche pour jouir des revenus de celle-ci dans le pays et exercer ses droits, et
il promet au duc de tâcher, à la paix générale, de faire consacrer cette substi-
tution par l'Europe. C'est cette substitution, je le répèle, que Mazarin fera
consacrer au traité de Miinster, mais au profit de Louis XIV. Étant donné la
situation juridique de l'Alsace et de Bernard dans l'empire, il n'est pas facile
de comprendre, je ne saurais trop le redire, ce que, en droit politique du temps,
Richelieu pouvait faire de plus.
lOO LOUIS BATIFFOL.
senti à y installer Bernard seul et nommément, il n'avait pas de
raison d'étendre cette faveur à des héritiers qu'il ne connais-
sait pas Qt qui, en efiet, traitèrent avec l'empereur, lorsque
dans son testament le duc lui-même avait spécifié qu'à défaut
de ses frères, ce qu'il avait en Alsace reviendrait à la France^ ;
et qu'enfin Richelieu, à ce moment, tenait à l'Alsace, non pour
la garder à titre de conquête, mais comme un gage pouvant
servir au moment des discussions de la paix; il va nous le dire
lui-même abondamment. Et c'est ici sur ce point essentiel, en
dernière analyse, qu'il faut insister.
Car, dira-t-on, jusqu'à présent nous avons bien entendu Riche-
lieu faire les déclarations que nécessitaient les circonstances.
Mais que de fois n'a-t-on pas vu des gouvernements, pour ne
pas alarmer leurs adversaires, protester de leurs sentiments désin-
téressés, quitte à ce que la suite démontrât la vanité de leurs
affirmations mensongères! Richelieu a dissimulé sa pensée : il
a tenu le langage de la diplomatie de tous les temps. Il s'agit
donc de pénétrer plus avant, si c'est possible, et de savoir si les
intentions du cardinal étaient sincères, si vraiment l'on peut
connaître ses sentiments réels. On le peut.
Richelieu, dans les infinis documents que nous avons de lui,
n'a point fait mystère des conclusions qu'il voulait voir donner
à la guerre en ce qui concernait les bénéfices que devait en reti-
rer la France. Il les a répétées de façon si constante, dans ses
correspondances privées, ses dépêches confidentielles, voire
même dans des traités passés avec des tiers, constituant ainsi
des engagements formels, qu'il est difficile de douter de ses
intentions. Nous avons de lui des lettres chiffrées adressées à
des agents diplomatiques secrets, dans lesquelles, pour faciliter
à ceux-ci leurs négociations, il leur révèle nettement ce qu'il
1. Pour être, bien entendu, rendue à l'empire au moment de la paix : le texte
du testament est dans le ms. fr. Bibl. nat. 3737, fol. 53-63. Cf. Legrelle,
Louis XIV et Strasbourg, p. 121. Voir, dans une lettre de Guébriant à de
Noyers du 25 juin 1639, une curieuse conversation de Bernard avec le premier
(B. Rose, op. cit., p. 545) : « Monsieur, ce me dit-il (Bernard) pour conclu-
sion, je ne souffrirai jamais que l'on me puisse justement reprocher que j'aie
été le premier à démembrer l'empire. — Comment? Monsieur, lui dis-je aus- .
sitôt, démembrer l'empire? Et qui vous en prie?... etc. » Richelieu avait fait
expliquer par M. d'Oysonville au duc ce même mois que « l'intention de S. M.
étoit de le maintenir en Alsace, afin que ce soit une perpétuelle barrière entre
la France et les ennemis » (Avenel, Lettres, t. VI, p. 410).
RICnELIED ET LA QUESTION DE l'àLSACE. 189
appelle « le fond du pot' », c'est-à-dire ses idées de derrière la
tête, et nous avons les minutes de ces dépêches corrigées de sa
main, témoignages précieux, puisqu'elles pourraient, sous les
ratures, révéler les intentions cachées. Or, il n'y a pas de doute,
jamais Richelieu n'a dit vouloir garder l'Alsace.
Dans un mémoire àFeuquières du l""" février 1634, cherchant
à gagner Wallenstein, il consent à ce que son ambassadeur
avoue au condottiere quelles "sont les visées de la France relati-
vement aux conditions de la paix, et il les éuumère : « Les inté-
rêts que Sa Majesté désire estre compris et décidés dans le traité
de paix générale » sont : la confirmation du protectorat de la
France sur Metz, Toul et Verdun; l'abandon par l'empire de
la Lorraine, sur laquelle le roi a des droits très anciens, incon-
testables, et dont le duc irrite Louis XIII par sa politique agitée
antifrançaise; la reconnaissance de la possession de Pigne-
rol, le règlement des affaires de Mantoue, les Grisons laissés
maîtres de la Valteline : voilà ses « buts de guerre » ; il va les
répéter vingt fois; il n'est pas question de l'Alsace "2.
Deux mois et demi après, le 15 avril 1634, Richelieu conclut
à La Haye un traité d'alliance avec les Pays-Bas où sont indi-
quées les clauses que les nouveaux alliés s'engagent à soutenir
en faveur de la France dans le congrès futur de la paix géné-
rale. Nous sommes ici en présence d'un engagement diploma-
tique important, essentiel, qui va fixer l'avenir. Quelles sont les
acquisitions territoriales que les Pays-Bas consentent à recon-
naître à la France? La Lorraine, les Trois-Evechés, Pignerol,
nullement l'Alsace^^ Et Richelieu se considérera comme si étroi-
tement lié par cette convention qu'il écrira à La Haye en 1636 :
« Le roi mourra plutôt que de ne pas garder religieusement à
Messieurs les États tout ce à quoi il est obligé* ». Il répétera au
1. Dans une lettre à La Valette du 10 juillet 1635 : B. Rose, op. cit., p. 467.
2. Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 19 r° et suiv. Le 26 mars suivant,
Richelieu énumère à nouveau à Feuquières ses conditions de paix {Ibid.,
fol. 39 r") et dit expressément qu'il évacuera les villes d'Alsace qu'il pourra se
trouver occuper. En revanche, il désire la réunion à la France de Metz, Toul
et Verdun. A la fin de mars, Richelieu dit à M. de Saint-Georges, qu'il envoie
ii Vienne en mission officieuse, qu'il évacuera l'Alsace même comme conditions
d'une trêve (Avenel, t. IV, p. 547).
3. Ambassades et négociations de M. le comte d'Estrades, 1718, in-l2, t. 1,
p. 87.
4. Avenel, Lettres, t. Vlll, p. 295.
190 LOUIS BATIFFOL.
gouvernement de La Haye, allant au-devant des accusations
dont il est l'objet de vouloir faire des conquêtes : « Le roi ne
prétend pas étendre les limites de son royaume en Allemagne ' . »
Pour l'Alsace, il dit et fera redire à tout le monde que le pays
n'est entre ses mains qu'un gage en vue de ce que la France
veut obtenir à la paix, c'est-à-dire la Lorraine. Le secrétaire
d'État de Noyers, recommandant au cardinal de La Valette, le
19 novembre 1636, de bien assurer la défense des villes alsa-
ciennes, ajoute : « Ces places étant d'importance pour la paix,
comme Votre Éminence le sait mieux qu'aucun-. » Lorsqu'il est
question de pourparlers de paix générale à Cologne, en 1636,
Richelieu, dans les instructions qu'il (besse pour ses plénipo-
tentiaires, répète « ses buts de guerre ». Les questions que la
France veut voir traiter à son avantage sont : celles de la Lor-
raine, Pignerol, Mantoue, la Valteline, et voici ce qu'il dit de
r.ysace : « Pour ce qui est de l'Alsace, Sa Majesté ne fait nulle
difficulté de remettre toutes les places à ceux à qui elles appar-
tiennent 3. » Le 6 décembre de cette même année 1636, deman-
dant au juriste Godefroy de préparer les dossiers de pièces néces-
saires aux revendications de la France, qui seront soumises à
la conférence de Cologne, il énumère ces revendications, tou-
jours les mêmes : il ne parle pas de l'Alsace^. A la fin de jan-
vier 1637, il fait répéter à Oxenstiern par M. de Rorté : « Le
roi tient plusieurs places en Alsace, lesquelles elle est prête de
rendre par la paix pour le bien commun , n'ayant point dessein
de s'agrandir en tout ce que dessus ^\ » A la même date, il envoie
un provincial des Minimes, le P. Bach, en mission secrète en
Espagne, afin de chercher à joindre le duc d'Olivarès et tâcher
1. Mémoires de Richelieu, éd. Michaud, t. II, p. 666. Il fera dire, le 4 mai
1634, par Feuquières à l'assemblée de Francfort : « S. M. souhaite devoir ses
atl'aires réduites à ce point que, remettant les places où elle tient de ses
troupes pour la seule défense et protection de ceux qui l'ont requise, elle fasse
voir clairement qu'elle n'a point d'autre intérêt que le bien commun, ce qui
peut servir dès cette heure pour dissiper les soupçons et réfuter les calomnies
de ceux qui publient le contraire » (Arch. Aff. étr., Allemagne 10, fol. 75 r").
2. Aubéry, Mém., t. I, p. 718.
3. Bibl. nat., ms. fr. 10212, fol. 55 r°. « Instruction pour Mrs les ambassa-
deurs envoyés à Cologne pour le traité de la paix générale. » Cf. lettre de
Richelieu au maréchal d'Estrées du 8 octobre 1636, Avenel, Lettres, t. V,
p. 612.
4. Ibid., p. 706. « Mémoires pour la conférence de Colognf. »
5. lUd., p. 743.
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'ALSÂCE. 191
de s'entretenir avec lui des conditions possibles de la paix. Il
donne au P. Bach ses conditions : « Pour bien faire », dit-il dans
ses instructions au religieux, « il est nécessaire qu'il (le P. Bach)
ait une connaissance plus que générale des conditions auxquelles
on peut faire la paix ». Et il parle ainsi de l'Alsace : « Il (le
P. Bach) doit savoir que la France tient plusieurs jdaces en
Alsace, lesquelles elle est prête de rendre par la paix pour le
bien commun » ; la même formule que plus haut pour Oxens-
tiern 1. Le 10 février 1637, Richelieu redit au marquis de Saint-
Chamond, autre envoyé diplomatique : « Le roi tient plusieurs
places en Alsace qu'il veut bien restituer dans l'intérêt de la
paix^. » Ces répétitions sont formelles, décisives. Suivons tou-
jours les textes, année par année. La doctrine ne va pas varier.
En avril 1638, le cardinal promet à la Suède de s'employer à
lui assurer au moment de la paix générale la possession de la
Pomèranie, à condition qu'en retour la Suède promette son con-
cours pour assurer à la France : quoi, l'Alsace? non! la Lor-
raine 3.
En septembre 1638, discutant une proposition des ambassa-
deurs d'Angleterre qui offrent de se joindre à la France et à la
Suède afin de demander la paix à l'empereur et leur expliquant
ses conditions, le cardinal insiste sur la Lorraine, « que nous
ne voulons pas rendre », dit-il; il ne parle pas de l'Alsace^. A la
fin de novembre, il envoie un nouvel agent secret en Espagne,
Pujol, pour, encore, sonder le terrain et voir si l'on peut traiter
1. Avenel, LeXirea, t. V, p. 739.
2. /6id., t. VIII, p. 309. A ce moment, Richelieu sent que la possession
même de la Lorraine va lui être vivement contestée; il fait dire à Oxcnstiern :
« Le roi consentira à ce qu'elle lui demeure seulement en la mesme façon que
la couronne de Suède pourra conserver ce qui lui demeurera de ses con-
questes. »
3. Ihid., t. VIll, p. 143, et t. VI, p. 28.
4. Ibid., t. VI, p. 136. « Les Anglois, qui ne songent qu'à avoir leur compte,
estimeront juste la restitution de la Lorraine et mesme celle de la Pomèranie,
pourvu qu'on leur rende le Palatinat. Nous nous moquerons d'une telle propo-
sition... La maison d'Autriche... témoignera, pour les attirer de son côté, ne
faire aucune diiliculté de rendre le Palatinat, pourvu que nous rendions la Lor-
raine, et elle fera cette oHre sans bourse délier, parce qu'elle sait Lien que
nous ne voulons pas rendre la Lorraine... Les intérêts de la Suède et de la
France requièrent la conservation de la Pomèranie et de la Lorraine à divers
titres justes..., etc. » On voit autour de quels sujets tourne le débat. Le doiu
de l'Alsace n'est pas prononcé.
192 LOUIS BATIFFOL.
de la paix; il lui dévoile ses conditions : toujours la Lorraine,
et ceci sur l'Alsace : « Bien que la France eût pu prétendre
retenir quelques-unes des places qu'elle tient en Allemagne, elle
est disposée de les rendre en cas de paix ^ . »
L'année suivante 1639, mêmes affirmations. L'Alsace n'est
toujours entre les mains de la France qu'un gage qu'elle tient
afin d'obtenir la Lorraine en échange, c'est ce que répète Riche-
lieu à Bernard qui voudrait que Louis XIII lui abandonnât
toutes les villes qu'il occupe dans le pays : «.En lui remettant
ces places (alsaciennes) », écrit le cardinal, « on n'auroit plus rien
pour obliger l'empereur à la paix, en ce qu'on donneroit au duc
tout ce dont l'empereur peut espérer la restitution par un traité
de paix générale ; On se priveroit par ce moyen d'un des meil-
leurs expédients pour conserver la Lorraine, ce que la raison
veut qu'on garde. » Le texte est catégorique'^ ! Cette même année
1639, le cardinal examine « divers projets selon lesquels on peut
accommoder les différends qui sont entre la France et la mai-
son d'Autriche ». Il y a six mémoires, œuvres de plusieurs con-
seillers. L'un d'eux propose au roi de garder tout ce qu'il a con-
quis, y compris l'Alsace : « Le roi gardera toutes les places
conquises, tant es Pays-Bas que Luxembourg, Bourgogne, Rous-
sillon, Alsace et Allemagne », et que répond Richelieu, qui
sait l'impossibilité de faire accepter pareilles conditions aussi
énormes aux adversaires comme aux alliés ? Ceci : « A la suite
de tous ces projets, après les avoir bien considérés, on peut dire
avec vérité que maintenant on n'en sauroit faire aucun qui ne
soit chimérique. » Chimérique! voilà le seul mot qu'il ait
trouvé pour qualifier, la première fois où on la lui propose,
l'idée d'annexer l'Alsace 3.
Et jusqu'à sa mort il ne changera pas. Vers la fin de 1640,
l'empereur réunit une diète à Ratisbonne. Richelieu s'arrange
pour y faire répéter ses « buts de guerre » et affirmer à nouveau
c(ue la France « n'a d'autre pengée que de conserver ou de
recouvrer ce qui lui appartient », c'est-à-dire nullement de s'em-
parer de l'Alsace qui ne lui appartient pas^. Deux mois avant sa
1. Avenel, Lettres, t. VI, p. 242. Les difficultés relativement à la Lorraine
augmentant, Richelieu parle d'offrir un dédommagement au duc.
2. Ibid., p. 409.
3. Ibid., t. VII, p. 802.
4. Ibid., t. VIII, p. 169. On ne peut donc, comme cela a été essayé, voir
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'aLSACE. 193
mort, le 4 octobre 1642, il fait rappeler au prince d'Orange,
par le comte d'Estrade, son ambassadeur, les conditions que les
Pays-Bas se sont engagés, le l'^"' avril 1334, à soutenir en faveur
de la France et à obtenir pour elle au congrès de la paix ; ces
conditions restent les mêmes qu'il y a huit ans : « Messieurs
les Etats ;■>, dit-il, « ne peuvent faire la paix sans que Pignerol
demeure au roi paisible, sans que les traités faits avec l'empe-
reur et l'Espagne sur le sujet de Mantoue ne soient entièrement
exécutés, sans que les Grisons demeurent seigneurs de la Val-
teline et sans que le roi d'Espagne abandonne le duc de Lor-
raine »; rien sur l'Alsace^. Nous n'avons pas une ligne de la
main de Richelieu qui permette de supposer que ses idées, rela-
tivement à l'Alsace, se soient jamais modifiées avant sa mort et
aient été autres que celles qu'il vient de nous affirmer tant de
fois de manière si ferme. A moins de renverser les fonde-
ments de la critique historique et de dire que cent témoignages
positifs, directs, dont la sincérité est confirmée par toutes les rai-
sons pohtiques, juridiques et morales que nous avons indiquées,
ne peuvent compter devant une « supposition », une « croyance »
invérifiable, on peut conclure que Riclielieu, dans la mesure où
il est humainement possible à l'histoire d'avoir une certitude sur
les intentions d'un homme d'Etat, n'a jamais eu la pensée de
conquérir l'Alsace.
Mais, alors, quel intérêt prennent pour nous les manifestations
des Alsaciens venant d'eux-mêmes à la France et se donnant
librement à elle ! S'il est prouvé que Louis XIII ne songeait pas
à s'emparer du pays, c'est-à-dire qu'on ne puisse accuser Riche-
lieu d'avoir provoqué et soudoyé le mouvement des Alsaciejis
l'expression des intentions contraires de Richelieu dans une lettre du roi à
d'Avaux du 27 octobre 1640, où il est dit {Ibid., p. 366) : « On a su par voie
secrète... que plusieurs princes d'Allemagne se résoudroient à laisser la Ponié-
ranie à la Suède et l'Alsace avec Brisach à la France, que les électeurs vcr-
rolent volontiers des députés de la France et de la Suède à la diète de Ratis-
bonne... Agir d'après ces informations. » Cette note n'a eu aucune suite, et il
est didicile de penser que dans sa forme vague elle suflise à rendre caducs
tous les autres témoignages opposés. Ce qu'on peut seulement en inférer, c'est
que l'idée de donner l'ALsace à la France aurait été exprimée d'abord en Alle-
magne; j'ai dit ailleurs qu'elle avait été émise en premier lieu à Strasbourg,
en 1639 {Anciennes républiques alsaciennes, p. 220).
1. Ambassades et négociations de M. le comte d'Estrades^ 1718, in-12, l. I,
p. 87.
Rev. Histor. CXXXVIII. 2<= fasc. 13
194 LOUIS BATIFFOL.
vers la France, ce mouvemeat garde une spontanéité et pré-
sente à nos yeux, étant donné les idées actuelles, une impor-
tance dont on ne saurait exagérer la valeur. Je terminerai en
signalant à ce sujet quelques faits nouveaux et des témoignages
jusqu'ici inutilisés.
Lorsque les Français entrent en Alsace en janvier 1634, les oflS-
ciers informent Louis XIII de l'empressement avec lequel les popu-
lations s'oârent à la France. Les notables leur disent que ce sont
les bourgeois eux-mêmes qui sollicitent le protectorat français
et non les gouverneurs des places et qu'U faut, par conséquent,
traiter avec les bourgeois^. Non seulement Louis XIII acquiesce,
mais n spécifie expressément qu'il entend, en eôet, avoir l'assen-
timent des populations. En effet, les habitants de Haguenau et de
Saverne dressent eux-mêmes l'acte officiel par lequel ils agréent
et approuvent « estre entre les mains et la protection de Sa
Majesté le roi de France^ ». Le 5 février, le marquis de La Force
écrit à Richelieu : « Les habitants insistent toujours que c'est
leur volonté^ nul ne les pouvant garantir que Sa Majesté » ; et
le duc de Lorraine ayant protesté, le marquis répond n'avoir
fait que « ce de quoi les habitants m'avoient requis ^ ». Louis XIII
1. Lettre du colonel de La Bloquerie au maréchal de La Force lui rendant
compte des événements, 11 janvier 1634 (Arch. Aff. étr.. Lorraine 14, fol. 58 r").
« Le chancelier (de Saverne) me vient trouver et parler encore de Haguenau,
me disant... qu'il fallait que les bourgeois appellassent le roi... > Le maréchal
de La Force rendait compte de son côté à Richelieu (fol. 50 r°), demandant
des instructions.
2. Le marquis de La Force écrit à Richelieu le 1" février 1634 (Arch. Afl',
étr., Alsace 6, fol. 97 r") : « Le chancelier (de Saverne), qui a toujours témoigné
avoir de l'affection pour le service de S. M., m'a envoyé un acte que tous les
habitants ont fait par lequel ils agréent et approuvent le traité fait par M. le
comte de Salm et désirent grandement estre entre les mains et la protection
de S. M. »
3. Ibid., fol. 101 r*. Le 20 mars, le maréchal de La Force, proposant de
mettre la main sur Brisach, en raison de l'importance stratégique de la place,
Richelieu répond que cela n'est possible que « s'il y a disposition qu'elle se
veuille mettre en la protection de S. M., ce qu'il (La Force) reconnaîtra avec
prudence > [Ibid., Allemagne 10, fol. 28 r°). « S. M. lui donne ordre (à La
Force) précisément » qu'il n'envoie de troupes « qu'ayant traité avec le gou-
verneur et les habitants et estant bien assuré qu'ils désirent se remettre entre
les mains du roy » [Ibid., Lorraine 14, fol. 372 r°). La Force envoie des Cou-
tures à Brisach avec l'injonction répétée de Richelieu : « Il sera nécessaire que
le dit maréchal soit assuré de la volonté de ceux de dedans, laquelle ne soit
pas changée depuis qu'ils l'auront fait savoir au marquis de Bourbonne » {Ibid.,
fol. 460 v% 8 mai), et Richelieu ajoute : « Il les recevra en la protection du
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'iLSACE. 195
recommande à ses soldats d'être humains envers ces populations
qui font appel à la France : « Le roi seroit bien marri » , mande
un ministre le 16 avril 1634 au gouverneur français de Saverne,
€ de leur donner (aux Alsaciens) sujet de mécontentement. Il
importe de ménager toutes choses avec prudence ^ » De Paris
on prescrit aux gouverneurs de « faire vivre lesdits habitants
en union et concorde les uns avec les autres et lesdits gens de
guerre en bonne discipline et police^ »; surtout de ne pas tou-
cher aux questions religieuses : « Il faut éviter que les protes-
tants n'aient fondement de se plaindre que Sa Majesté préfère
les catholiques à eux-mêmes^. » « Jusqu'ici, «répond le 12 sep-
tembre 1634 M. de Saint-Simon, gouverneur de Saverne, à Bou-
thilier, « j'ai vécu avec ces peuples sans avoir aucune diffi-
culté 4. »
Et, en effet, les bons résultats de l'occupation française forti-
fient les sentiments signalés. Le maréchal de La Force, qui écri-
vait le 12 janvier dans quel état de misère, suite des guerres,
il avait trouvé l'Alsace : « Il n'est point croyable la grande
désolation qui se voit par tout le pays, estant toute la cam-
pagne abandonnée, les maisons désertes, les terres incultes,
les peuples réfugiés dans les villes ^ », et qui, dans une sorte de
proclamation du 9 février, disait aux Alsaciens : vous avez fait
roy, avec promesse de remettre la place aux légitimes seigneurs au temps de la
paix générale en Allemagne et généralement aux mêmes conditions qu'Hague-
nau et Saverne » (fol. 461 r°). L'aflaire n'aboutit pas.
1. Arch. Afif. étr., Alsace 6, fol. 137 r°.
2. Ibid., Alsace 10, fol. 12 r".
3. Instruction au maréchal de La Force du 10 février 1634 {Ibid., Lorraine 14,
fol. 183 r"). Il y a dans ce document cette phrase : « Il faut... leur donner
assurance (aux nobles) que S. M. ne désire que leur conservation et ne pré-
tend accroistre ses Estais, mais se joindre avec eux pour les maintenir en la
possession de leurs biens et franchises. »
4. Ibid., Alsace 6, fol. 1G2 r". Saint-Simon ajoute, parlant des Alsaciens :
« Ces Allemands sont un peu pesants, il les faut avoir avec méthode. » Les
Français de ce temps ne croient donc pas revenir en terre française en ren-
trant en Alsace, mais ils se croient en pays allemand. Il est à remarquer que
les bibliothécaires à la Bibliothèfpie du roi ont continué, au xyni» siècle, de
classer, jusqu'à la Révolution, les ouvrages relatifs à l'Alsace dans l'histoire
d'Allemagne. En revanche, après 1871, leurs successeurs ont continué ù les
classer dans l'histoire de France.
5. Ibid., Lorraine 14, fol. lî)l r°. Le duc de Rohan écrivait le 11 décembre
1634 à la cour : « L'.\lsace est un pays ruiné où il faut faire porter la plupart
des blés pour la nourrir » {Ibid., Alsace 6, fol. 229 r*).
196 LOUIS BATIFFOL.
appel à la protection de la France ; vous reconnaîtrez « l'assu-
rance et douceur de cette protection » ; rentrez dans vos foyers,
reprenez la culture de vos terres, jouissez « de la même douceur
et repos que jouissent tous ceux qui sont sous la protection de
Sadite Majesté' », note, au bout de peu de temps, avec quelle
confiance « les Alsaciens commencent à se remettre aux champs,
avec de grandes bénédictions qu'ils donnent à Sa Majesté^ ». Par-
tout le peuple d'Alsace affiche les panonceaux dé France.
Lorsque les soldats français entrent dans une ville, les « prin-
cipaux » accourent les recevoir à la porte, leur déclarent leurs
« grandes soumissions envers le roi de France, témoignant un
si grand contentement de se voir en la main et protection de Sa
M^esté qu'ils louent Dieu d'un si grand bonheur qui leur est
arrivé 3 ». Rendant compte de ces manifestations, le maréchal
de La Force écrit, étonné, à la cour : « Il n'est pas croyable le
contentement du peuple de se voir en la protection du roi et les
bénédictions qu'ils donnent à Sa Majesté dans les villes et aux
champs^! «
Avec empressement, les Alsaciens s'offrent à servir la France.
Dès février 1634, La Force signale le désir d'un grand nombre
d'entre eux de s'enrôler dans les, troupes françaises : il y a
400 demandes à Haguenau^. En août, des Alsaciens proposent
à d'Aiguebonne, gouverneur de Haguena,u, de lever des com-
pagnies entières d'infanterie ou de cavalerie « pour le service
du roi, s'il lui plaît de se servir d'eux^ ». Côlmar prend l'initia-
1. Arck. AflF. étr., Alsace 6, fol. 104 r°.
2. Ibid., Lorraine 14, fol. 191 r°.
3. Rapport du maréchal de La Force à la cour du 12 février 1634 (Ibid.,
fol. 190 r').
4. Ibid., fol. 170 v°, 7 février 1634. Lorsqu'en 1640, Louis XIII nomme un
lieutenant général pour l'Alsace, voici l'effet produit par la mesure sur les
Alsaciens : « Ils ont dit d'un consentement général qu'ils avoient désiré il y a
longtemps de savoir à qui ils estoient, mais, par cet établissement, ils reco-
gnoissoient qu'ils avoient pour maistre un si grand roy de la bonté duquel ils
se promettoient le rétablissement de la religion et de la justice... Une se peut
exprimer avec quelle joie et contentement les habitants ont entendu cette nou-
velle et comment ils ont remercié deçà publiquement. » Ils désirent même que
ce lieutenant général, qui n'est là que pour commander aux gouverneurs fran-
çais des garnisons des villes, soit nommé « gouverneur général de l'Alsace »
[Ibid., Alsace 9, fol. 298 v°, rapport au roi). Ce lieutenant général est le baron
d'Oyson ville.
5. Ibid., Lorraine 14, fol. 171 r°, 7 février.
6. Mémoire de d'Aiguebonne à la cour du 19 août, Ibid., Alsace 6, fol. 155 r°.
RICHELIEU ET LA QUESTION DE l'ALSACE. 197
tive d'armer 300 hommes, afin de * les employer pour le ser-
vice du roi lorsque l'occasion s'en présentera^ ». Le 22 juillet,
d'Aiguebonne écrit à Bouthilier qu'il peut trouver à Haguenau
de quoi fprmer un régiment, et, le 13 octobre, Servien se croira
en mesure de mander au cardinal de La Valette de lever dans le
pays deux régiments entiers 2,
La noblesse, d'abord inquiète et hésitante, se tenant sur la
réserve, finit par suivre le mouvement. Elle écrira au roi de
France, sous la plume de M. de Ribaupierre, qu'elle est « entre
les clients de Sa Majesté Très Chrétienne, possible des plus
grands, quant au désir et à l'afiection au service de Sa Ma-
jesté^ »; elle lui déclarera qu'elle va « faire afficher les panon-
ceaux portant vos armes, et, par ainsi, faire verdir les fleurs
de lys dans ces quartiers », et elle remercie avec eff'usion le roi
d'avoir pris sous son protectorat ce qu'elle appelle « notre chère
patrie^ ».
Le mot qui revient le plus souvent sous la plume des officiers
et des intendants parlant des sentiments des Alsaciens à ce
moment est celui « d'affection pour la France », « bonne
volonté pour la France » : notons le mot France, ici employé,
et non le roi. Du chanceher de la ville de Saverne, l'intendant
Gobelin écrira à Bouthilier le 12 février 1634 : « C'est un homme
fort afi'ectionné à la France », qui offre à prouver, « par quan-
tité de titres qui sont dans, la chancellerie de Saverne, que la
plupart des villes d'Alsace sont de la fondation des rois de
France. » Ainsi cet Alsacien veut retrouver les origines fran-
çaises de l'Alsace et s'en glorifie ^ De Paris on répond : « Sa
Majesté lui sait bon gré (au chancelier en question) de l'affisc-
tion qu'il a pour la France'^. » L'intendant de Thou écrit, le
7 février 1636, de Josias Glaser, secrétaire du conseil des Quinze
1. Lettre de la ville de Colmar à Richelieu, Ibid., Alsace 9, fol. 205 v°.
2. Ibid., Alsace 6, fol. 333 r', et Allemagne 11, fol. 275 r°. Les paysans alsa-
ciens se prêtent volontiers à M. de Manicamp pour aller espionner chez l'en-
nemi (Aubéry, Mém., t. I, p. 589).
3. Arch. Afr. étr., Alsace 10, fol. 33 r,».
4. Mémoire d'elle à Louis XIII de 1635, Ibid., Allemagne 12, fol. 123 r°. Cf.
fol. 121 r", où les chefs et députés de la noblesse de la Basse-Alsace expriment
leur gratitude « de tant de faveurs royales et bienfaits dont Sa Majesté très
chreslienne nous a comblés jusques ici, desquels nous demeure un perpétuel
ressentiment ». ' -, *
5. Ibid., Lorraine 14, fol. 188 x".
6. Ibid., fol. 245 r».
198 LODIS BATIFFOL.
de Strasbourg : « Il ne se peut dire l'assistance que j'ai reçue
de M. Glaser : c'est un homme intelligent, extrêmement pas-
sionné pour tous nos intérêts i. »
Il faut surtout consulter la correspondance de la ville de Col-
mar, la cité centrale alsacienne, celle qui, à défaut de Stras-
bourg, très particulariste, se tenant à part, a conduit le groupe
des petites républiques de la vallée de l'IU, parlé et agi en son
nom et représente véritablement le cœur, la tête de ce vaillant
petit peuple^. Ecoutons ses déclarations si curieuses et si émou-
vantes !
Colmar déclare dans ses lettres qu'elle s'est donnée à la France
librement, en vertu d'un traité voulu par ses bourgeois. On lui
en fait un crime au delà du Rhin, dit-eUe. Qu'a-t-elle cherché
après les misères dont elle a été accablée, sinon à se sous-
traire aux violences de l'empereur et à ses attentats contre ses
libertés? « L'on nous reproche, après avoir tant souffert, que
nous sommes en meilleur état que nos voisins et plusieurs
villes impériales dans l'empire... La principale raison qui nous
a portés à faire ledit traité (avec la France) et nous déclarer
entièrement pour le roi (Louis XIII) a été d'éviter les mauvais
traitements de la maison d'Autriche et être maintenus dans
nos privilèges 3. » On répète en Allemagne que la ville a été con-
quise de force par les Français : Non ! « La ville n'a pas été prise
par force, répondent énergiquement les gens de Colmar, mais
s'est mise d'elle-tnême et 'par affection sous la protection de
la France. » Retenons ces expressions décisives : La ville s'est
mise d'elle-même et par affection sous la protection de la
France'^. Maintenant elle ne cache pas « le zèle particulier »
qu'elle déploie « pour le service du roi de France ... de tout
son pouvoir^ »; elle entend être en Alsace « la place principale
pour le service du roi de France, la ville la plus considérable ».
1. Aubéry, Mém., t. I, p. 595.
2. « Colmar est la plus considérable des villes libres de la Haute-Alsace pour
sa grandeur et pour son affection à nostre parti » (le parti de la France) : Arch.
Aff. étr., Alsace 9, fol. 290 v°.
3. Lettre de la vUle de Colmar à Chavigny du 12 décembre 1641, Ibid.,
fol. 210 V.
4. Mémoire de la ville de Colmar au roi, non daté, Ibid., Alsace 6,
fol. 340 r°.
5. Ibid.
RICHELIED ET LA QDESTIOIÏ DE l'aLSACE. 199
Elle sera sur le Rhin « la sentinelle de France"^ ». Que lui
importent la colère et la haine des Allemands! Elle le sait :
« Nous sommes la ville la plus haïe du monde des ennemis (elle
appelle les Allemands les ennemis), à cause du traité fait avec
Sa Majesté ». Elle s'en réjouit. Elle sera aux Allemands « l'ai-
guiJlon de l'œil* ». Elle n'a rien à regretter. « La France fait
voir combien favorablement et avantageusement elle traite tous
ceux qui se jettent entre ses bras et dans sa protection ^î >
Elle proteste à Louis XIII et à Richelieu de sa reconnaissance
infinie pour tout le bien que la France lui a fait et dont les géné-
rations futures alsaciennes, héritières de ses sentiments, garde-
ront une éternelle gratitude : « Le traitement favorable, comme
celui que la ville a reçu jusqu'ici de Sa Majesté et de "Votre
Eminence, non seulement le magistrat et les bourgeois d'à pré-
sent, mais aussi leur postérité se rendra reconnaissante par ses
très humbles services envers la France ». Toujours la France"^ !
Voilà ce que pense et dit l'Alsace du xvii^ siècle^.
1. Arch. AflF. étr. Alsace 9, fol. 47 r". Elle dit : « Estant la sentinelle de
France, place frontière... » Lettre de la ville de Colraar à Richelieu du 13 sep-
tembre 1636 : on remarquera le mot « place frontière », frontière de la France
évidemment.
2. Ibid.
3. Lettre du baron d'Erlach à Mazarin du 22 janvier 1644 lui rappelant les
sentiments des habitants de Colmar, Ibid., fol. 252 r". Les gens de Colmar
rendaient justice eux-mêmes aux bienfaits de l'occupation française, écrivant à
Richelieu le 2 décembre 1641 {Ibid., fol. 212 r") : « Nos bourgeois... se
remettent autant qu'aucuns de leurs voisins. »
4. Lettre à Richelieu du 12 décembre 1641, Ibid., fol. 212 r°.
5. On pourrait relever dans ces précieux dossiers des Archives des Affaires
étrangères relatifs à l'Alsace, jusqu'ici peu utilisés, pour différentes raisons,
bien d'autres témoignages sur ce que les Alsaciens appellent « leur fidélité et
affection » à la France, « et nous sommes résolus de vivre et mourir en telles
intentions, constamment », disent-ils [Ibid., fol. 71 r"). C'est Colmar qui
répète à Louis XIII, le 8 juillet 1636 [Ibid., Alsace 9, fol. 37 r") : < Nous
rechercherons éternellement toutes les occasions de faire paroistre nos très
humbles et très obéissants services et afl'ection » envers la France; ou qui
parle à Richelieu le 6 octobre 1641 (fol. 201 r») de « l'affection très fidèle que
nous avons toujours eue et témoignée par effet au service du roi »; de sa
« constante fidélité et affection pour le service de leurs majestés » {Ibid.,
Alsace 10, fol. 105 r°) et fait cadeau de vingt charrettes de vin à un corps de
soldats français « par présent et de pure affection » (12 décembre 1641, Ibid.,
Alsace 9, fol. 210 r"). C'est Wissembourg qui se plaît à rappeler au gouverne-
ment français que le collège de la ville a été fondé par « le très glorieux Dago-
bert, roi de France » {Ibid., fol. 233 r°). C'est Schlestadt qui se targue de « sa
200 LOCIS BATIFFOL. — EICHELIED ET LA QUESTION DE l'ALSACE.
Il n'y a rieû à ajouter à ces déclarations ; elles ont par eUes-
mêmes leur éloquence et attestent des sentiments qu'il est super-
flu de vouloir davantage prouver.
Lorsque, donc, le 29 mai 1919, le comte de BrockdorfF-Rant-
zau a dit, dans ses Remarques sur les conditions de la paix,
au nom de la délégation allemande venue à Versailles pour le
traité que l'on sait, ces paroles qui traduisent la thèse germa-
nique : « Les parties allemandes de l'Alsace ont passé au
xvn® siècle sous la suzeraineté française par voie de conquête,
sans la consultation de la population et, la plupart du temps,
malgré leur résistance déclarée », il n'a rien affirmé qui ne
soit, mot pour mot, en ce qui concerne le temps'de Richelieu,
contredit par les documents !
Louis Batiffol.
[P. -S. — LaKerue historique n'a pas hésité à accueilUr l'article de
M. Louis Batiffol où, avec sa haute autorité et son grand talent, il
défend cette thèse : le cardinal de Richelieu n'a songé à aucun moment
à réunir l'Alsace à la France. La Direction estime que cette thèse sou-
lève de sérieuses objections et elle se réserve le droit d'examiner à
nouveau le problème.]
fidélité et obéissance au roi » (13 novembre 1640, Arch. Aff. étr., Alsace 9,
fol. 194 r"). C'est un abbé de monastère qui se félicite de voir « ce pays en la
puissance du roi », parce qu'il va pouvoir enfin être libre et réformer son
abbaye {Ibid., fol. 282 r% etc.)
MÉLANGES ET DOCUMENTS
LA GRANDE ORDONNANCE DE FÉVRIER 1351 :
LES MESURES ANTIGORPORATIVES
ET
LÀ LIBERTÉ DU TRAVAIL»
Esl-il vrai que l'ordonnance bien connue de février 1351 était
dirigée contre les corporations? Est-il vrai qu'elle a assuré la liberté
du travail? Ces questions ont soulevé de vives discussions entre les
historiens. Quelques-uns n'ont voulu voir dans cette grande ordon-
1. Sources : Grande ordonnance du 1" février 1351, dans Secousse, Ordon-
nances des rois de France de la troisième race, t. II, p. 350-380. — R. de
Lespinasse, les Métiers et corporations de la ville de Paris du XIV au
XVIIP siècle (3 vol., Paris). T. I, 1886, p. 2-44, et t. II, 1897. — Ordonnance
inédite de Philippe le Bel du 7 juillet 1307, publiée par Jean-Marie Richard
dans les Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France
(1875). — livre des métiers d'Etienne Boileau, publié par Depping (Collection
des documents inédits de l'Histoire de France, 1837). — G. Fagniez, Documents
relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France (2 vol. in-8»,
Paris, 1898-1900). — Chronicon Ilenrici de Knùjhton vel monachi Leijcestren
sis, edited by Joseph Rawson Lumby (Rerum Britannicarura medii aevi Scrip-
tores (2 vol., 1889).
OtrvRAGES GÉNÉR.\ux OU SPÉCIAUX : L. Biollay, les Ancie7mes halles de
Paris, dans les Mémoires de la Société de l'iiistoire de Paris (1876, p. 293-
355). — Boutaric, la France sous Philippe le Bel (Paris, 1861). — Eberstadt,
Dus franzôsische Gewerberecht und die Schaffung staatlicher Gesetzgebung
und Verwaltung in Frankreich von'^pO Jahrhundert bis 1581 (t. XVII des
« Staats- und Socialvvissenschaflliche Forschungen ». Leipzig, 1899-1900). —
Lecaron, Origines de la municipalité parisienne, dans les Mémoires de la
Société de l'histoire de Paris (1880 et 1881). — Levasseur, Histoire des classes
ouvrières en France avant 1789 (2 vol. Paris, Rousseau, 1900, 2" édition), —
Martin -Saint -Léon, Histoire des corporations de métiers depuis les ori-
giiies jusqu'à leur stippression en 1791 (Paris, 1897). — Morisseaux, la Légis-
lation du travail (Bruxelles, Weissenbruch, 1895). — E. Picarda, les Marchands
de l'eau. Hanse parisienne et Compagnie française (Bibliothèque des Hautes-
202 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
nance de législation industrielle et commerciale que les atteintes au
monopole corporatif et ont prétendu que le roi Jean avait voulu
détruire les corporations et fonder le régime de la liberté du travail.
Résumons les diverses théories émises à propos de cette grande
ordonnance avant d.'en indiquer la véritable portée ?
Théorie de Morisseaux. — Dans son ouvrage sur la Législa.-
tion du ti'âvail, Morisseaux a soutenu d'une façon systématique
que la royauté voulait la liberté du travail ^ « La royauté », dit-il,
« est hostile à l'indépendance et au monopole des corporations. »
Elle s'est fait, comme il convient au gouvernement d'un grand État,
« une religion économique, et cette religion c'est la liberté du com-
merce et de l'industrie » . Morisseaux ne voit dans l'ordonnance que
le fait politique : c'est à ses yeux le résultat de la politique des
Valois qui s'unissaient à la noblesse pour combattre la bourgeoisie,
et ce serait pour abattre la puissance politique des corporations que
Jean le Bon aurait institué la liberté de l'industrie et du commerce.
Théorie de Pigeonneau. — L'ordonnance est de même considé-
rée comme une conséquence de la lutte entre la royauté et la féoda-
lité bourgeoise. La royauté est guidée par l'intérêt général, supérieur
aux intérêts particuliers. Le roi est juge et gardien de l'intérêt com-
mun ; c'est la politique d'État substituée à la politique de fief 2. « Au
XIV* siècle, les corporations, de plus en plus riches, fortes, fermées,
constituent une aristocratie, une féodalité bourgeoise presque aussi
redoutable que la féodalité militaire et territoriale, et la royauté lutte
contre elles. » L'ordonnance du roi Jean marque un épisode de cette
lutte, et si l'ordonnance a établi la liberté du travail c'est pour faire
échec aux corporations.
Théorie de Levasseur. — Selon Levasseur, le roi Jean ^ préten-
dit rédiger un code général et uniforme de l'industrie dans la vicomte
de Paris et tout régler, jusqu'au taux des salaires. Il admet que la
crise économique fut la cause directe de l'ordonnance. Mais il attri-
bue au roi Jean trop de part dans la rédaction de l'ordonnance et lui
prête des idées trop absolues. « Le roi Jean », dit-il, « voulut chan-
Études, fascicule 134. Paris, 1901). — H. Pigeonneau, Histoire du commerce
de la France jusqii'à Richelieii (2 vol. Paris, in-8°, 1885-1889). — André
Réville, le Soulèvement des travailleurs en Angleterre en 1381. Études et
documents publiés avec une introduction historique par Ch. Petit-Dutaillis
(Paris, 1898. Mémoires et documents publiés par la Société de l'École des
chartes, t. II). — Thorold Rogers, Salaires en Angleterre depuis le XllI" siècle
(traduction Castelot. Paris, 1897).
1. Morisseaux, la Législation du travail, t. I, p. 28.
2. Pigeonneau, Histoire du commerce, t. I, p. 284-285, 347-348.
3. Levasseur, Histoire des classes ouvrières, t. I, p. 500 et 501.
l'ordonnance de févbieb 1351. 203
ger par sa volonté cet état de choses. » Il n'affirme pas que l'ordon-
nance a fondé la liberté du travail. La royauté prétendait abattre la
forteresse corporative, et l'ordonnance de 1351, sans supprimer le
corps de métier, s'appliquait à en détruire l'esprit exclusif. Pour cet
historien, la crise économique, consécutive à la guerre et à la peste
noire de 1348, n'est qu'un incident qui a provoqué l'exaspération de
la lutte entre la royauté et la bourgeoisie corporative.
Théorie d'Eberstadt^. — Eberstadt s'élève avec force contre
l'opinion de Morisseaux et de Pigeonneau, contre ce qu'il appelle la
littérature historique et une interprétation erronée de quelques lam-
beaux de phrase de l'ordonnance de 1351. « On la considère », dit-il,
« comme une création originale et possédant des éléments qui lui sont
propres » ; par son ordonnance le roi Jean, après avoir reconnu les
défauts des corporations, aurait tenté de les abattre. Pour Eberstadt,
l'ordonnance n'a rien d'oï'iginal ; elle n'a pas été créée en une seule
fois et repose^ sur l'ordonnance de Phihppe le Bel du 7 juillet 1307.
Elle n'innove rien, le roi applique les vieilles règles de droit. Eber-
stadt fait une part aux conditions économiques et aux circonstances
accidenlelies qui ont motivé l'ordonnance : peste de 1348, guerre
étrangère et ruine du pays. Il étudie minutieusement le texte et ne
voit pas ce qu'ont de nouveau les articles relatifs à la non-limitation
des apprentis et à l'établissement d'étrangers comme artisans. Il
s'attache à démontrer que la taxation des marchandises et des
salaires n'a rien d'hostile aux corporations, mais s'expUque par la
situation exceptionnelle du moment. Le roi Jean^ n'a donc pas pro-
clamé la liberté du travail : même dans cette ordonnance il n'y a pas
la moindre innovation, encore bien moins une pensée en faveur de
la liberté du travail. L'ordonnance de 1351 est la continuation de
celle de 1307.
Même Eberstadt exagère dans le sens opposé; il affirme* que
l'ordonnance de 1351, bien loin de libérer le travail industriel, for-
tifie l'exploitation corporative sous toutes ses formes. Eût-elle pro-
clamé la liberté du travail, elle n'aurait pas, d'après lui, instauré
un régime de liberté. La destruction des privilèges corporatifs
n'était pas à ce moment une règle absolue qui entraînait un régime
de liberté, mais plutôt un acte d'oppression des droits des cités
(« bûrgerliche Rechte »). Pour Eberstadt, l'ordonnance est surtout
1. Eberstadt, Das franzôsische Gewerberechl..., p. 163.
2. Ibid., ]}. 168, et Métn. Soc. hist. de Paris, 1875 (ordonnance inédite de
Philippe le Bel de juillet 1307).
3. Ibid., p. 172.
4. Jbid., p. 172-173.
204 MÉLANGES ET DOCUMENTS. ^
un fait juridique, une compilation, un relevé d'ensemble du droit
en cours. Avec l'ordonnance de 1351, la réglementation d'État
arrive à une action indépendante et arbitraire. Le droit industriel va
désormais reposer non plus sur les usages corporatifs fixés dans les
statuts, mais sur la volonté royale. L'ordonnance contient la pre-
mière tentative d'ensemble ^ d'unir les droits corporatifs dans une
réglementation d'Etat et d'introduire l'industrie dans l'administra-
tion de l'Etat. Sans négliger les conditions économiques, Eberstadt
ne leur réserve pas une part assez grande et réduit trop l'ordon-
nance à la création de la législation d'Etat en matière industrielle.
D'autres historiens ont fait une part plus grande aux phénomènes
économiques et considèrent l'ordonnance comme une œuvre de cir-
constance.
Théorie de Martin-Saint-Léon^. — L'idée dominante de
la royauté fut de favoriser le relèvement du commerce, bien moins
dans l'intérêt des marchands que dans celui du public. La taxe des
marchandises et des salaires, la non-limitation du nombre des
apprentis ont pour but de provoquer la baisse des prix. Protéger les
forains contre les tracasseries des jurés, assujettir les métiers à la
surveillance rigoureuse du prévôt, voilà des mesures qui dénotent
l'intention d'empêcher les marchands d'exploiter le public. « On
respecte sans doute le privilège des corporations, mais on sent déjà
poindre la défiance que leur puissance croissante a éveillée et que
leur participation à la révolution de 1358 allait bientôt justifier^. »
Théorie de Fagniez^. — Il voit surtout dans l'ordonnance de
1351 une œuvre de circonstance contre la cherté de la vie et une
tentative pour remédier à la crise économique et au malaise général
qui pesait sur tout le pays. La royauté aurait voulu établir pour la
main-d'œuvre, les produits fabriqués et les denrées de toute sorte
un tarif limitant la hausse, due à l'épidémie, et abolissant toutes les
restrictions à la liberté des contrats d'apprentissage. Le roi Jean
posa le principe de l'accession à tous les métiers des artisans
capables de les exercer, « sans déterminer d'ailleurs les preuves de
.capacité qui devaient être désormais exigées ». Mais on ne saurait
lui prêter la pensée de laisser le public livré à lui-même pour faire à
ses dépens la distinction des bons et des mauvais ouvriers.
De toutes ces opinions diverses que faut-il conclure? N'est-ce pas
1. Eberstadt, op. cit., p. 175.
2. Martin-Saint-Léon, Histoire des corporations de métier, p. 208-209.
3. Jbid., p. 209.
4. Fagniez, Documents relatifs au commerce et à l'industrie, introduction,
t. II, p. 28-29.
l'ordonnance de février 1351. 205
la marque d'un exclusivisme historique étroit que de réduire l'or-
donnance à n'être qu'un fait politique, épisode de la lutte entre la
bourgeoisie et la royauté? Pourquoi, comme Morisseaux et Pigeon-
neau, séparer ce texte des circonstances et de la crise économique
dont il dépend? C'est encore interpréter trop littéralement le texte
de l'ordonnance que de croire à la volonté du roi Jean d'assurer la
liberté du travail. MM. Fagniez, Martin-Saint-Léon, Levasseur
ont mieux tenu compte des causes économiques; Eberstadt réagit
contre l'interprétation insuffisante d'un texte sans qu'il soit tenu
compte des conditions naturelles et des circonstances qui l'expliquent.
En réalité, l'ordonnance de février 1351 est avant tout une œuvre
d'opportunité, inspirée par la crise économique et les circonstances.
C'est une œuvre de défense du bien public oîi l'intérêt des consom-
mateurs et l'approvisionnement du marché de Paris sont les préoc-
cupations dominantes et initiales de la royauté : « Et ainsi est-il
ordonné, tout pour le prouffit commun'. » En 1307 2, Philippe le Bel
invoquait aussi l'intérêt public : « Pro utilitate reipublicae et com-
muni bono. » Le roi Jean édicté ses règlements^ sur la plainte des
consommateurs, cherche à prévenir les fraudes, reproche aux jurés
des poissonniers de mer d'avoir trop négligé les intérêts du public.
Le redoublement de précautions prises pour obliger les jurés à une
sévérité rigoureuse, les pénalités qu'elle leur inflige : amendes, pri-
vations de métier, ce sont là des preuves évidentes de la sollicitude
de la royauté pour le consommateur. Il y a urgence pour elle à
remédier à une crise économique très grave, résultant des maux et
calamités qui se sont abattus sur le royaume depuis une dizaine
d'années^ : ruines et conséquences funestes de l'invasion anglaise et
de la peste de 1348, impôts excessifs et mutations de monnaie. Le
péril le plus immédiat c'est le renchérissement des vivres, des pro-
duits fabriqués et la hausse des salaires : la royauté essaie d'y parer
tout d'abord parla taxation des marchandises et des salaires^. Eber-
stadt affirme donc avec raison que cette taxation s'explique par des
circonstances économiques exceptionnelles. Ce sont des expédients
déjà employés par Philippe le Bel en 1307 pour remédier à une crise
économique analogue, mais moins grave ^.
1. R. de Lespinasse, Hist. gén. de Paris, t. I, ordonnance de 1351, p. 2 à 44.
Titre II, art. 2; titre V, art. 1".
2. Fagniez, Doc. relatifs au commerce et à l'industrie, t. II, pièce n" 9.
3. Titre IV, art. 1, et titre VIII, art. 49.
4. Voir Une crise économique au milieu du XIV" siècle (Revue d'histoire
économique et sociale, 1920, n° 2).
5. Eberstadt, omit, cité, p. 168.
6. Cf. art. 3, 4, 37 et 42, et Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 305.
206 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
L'ordonnance se présente aussi comme une loi du maximum,
moyen empirique des heures de crise. Parfois ces mesjures sont
quelque peu illogiques et incohérentes, en contradiction avec l'inten-
tion initiale de parer à la crise : la royauté va jusqu'à ramener les
salaires au taux antérieur à la crise économique ^ Visiblement, la
royauté est débordée par les circonstances et la place énorme accor-
dée à la taxe prouve cependant qu'elle considérait ce procédé comme
très efficace, s'inspirant d'ailleurs des traditions et des ordonnances
antérieures. Certes, la royauté légifère à la place des corporations,
intervient dans la fixation des prix de vente, veut établir un tarif de
salaires, mais cette méthode n'est pas anti corporative. Le roi, qui
fixe déjà à son gré le cours des monnaies, veut agir de même en
matière économique, il voudrait établir un maximum raisonnable qui
contribuerait à faire revivre des conditions économiques normales.
C'est une politique d'expédients au jour le jour qui n'est pas provo-
quée par une arrière-pensée à longue échéance de détruire la liberté
corporative. D'ailleurs, la royauté ne veut pas se rendre compte que sa
politique de variations de monnaie concourt aussi à l'instabilité des
prix et à l'inefficacité de la taxe : voilà qui prouve que la royauté de
Jean le Bon n'a point de doctrines précises en matière écono-
mique.
La corporation, de plus en plus jalouse et restrictive, cherchait
avant tout à protéger le commerce local contre la concurrence des
marchands forains étrangers à la ville. Mais en 1351, comme déjà
en 1307, la corporation se montre incapable de subvenir aux besoins
de la consommation et d'assurer l'approvisionnement régulier du
marché de Paris. Le roi Jean devait-il borner son idéal à celui de la
corporation, uniquement préoccupée des intérêts des artisans?
Peut-il être accusé d'avoir voulu briser le monopole corporatif et
établir la liberté du commerce, parce qu'il donne des facilités de plus
en plus grandes au commerce forain ? Le roi Jean agit sous l'em-
pire des circonstances et veut provoquer une concurrence plus âpre
entre un plus grand nombre de marchands : concurrence qui aura
le double avantage d'augmenter le stock d'approvisionnement des
marchés de Paris et de contribuer à la baisse des prix.
En présence de l'hostilité corporative, la royauté assume la pro-
tection du commerce forain, donne des garanties aux marchands du
dehors en déhvrant leur commerce d'une partie des charges qui le
grevaient. Elle protège les forains contre les mauvais débiteurs''',
1. Titre XXXIX, art. 4; titre XLVIII, art. 1; titre XLIII, art. 1.
2. Titre VIII, art. 10.
l'ordonnance de févuiee 1351. 207
augmente le nombre de jours de marché où les forains pourront
vendre. Jusqu'au début du xiv* siècle, le commerce des forains
n'était guère autorisé que le samedi ^ jour où les marchands de la
ville devaient fermer boutiques et aller vendre aux Halles. Mais au
XIV* siècle le nombre des jours de marché augmente, parce que l'ap-
provisionnement des marchés exigeait des quantités de marchan-
dises de plus en plus considérables^. Le roi Jean élargit le mono-
pole corporatif de vente : si par contre-coup il ébranle tout le vieil
arsenal de règlements corporatifs et la corporation elle-même, on ne
peut cependant en déduire son intention arrêtée de détruire ces
règlements'. Il s'inspire là encore de l'ordonnance de 1307.
La bienveillance de la royauté pour les forains s'explique par
l'hostilité de la corporation, bien que la concurrence des forains soit
limitée aux marchés publics. La royauté a le souci de ne pas ruiner
le commerce corporatif. La protection accordée par la royauté aux
forains vise à empêcher les tracasseries des jurés des corporations
parisiennes. Les jurés parisiens gardent leur droit de visite sur les
marchandises foraines, mais sous réserve de l'intervention et de la
décision de la justice prévôtale ou du prévôt des marchands. Les
maîtres des métiers sont réduits au rôle d'accusateurs auprès de la
justice royale et les forains relèvent ainsi directement de la juridic-
tion royale, souverain arbitre des affaires commerciales et indus-
trielles. Les forains pourront ainsi ^ « venir seurement et sans aucun
doute en la ville de Paris » et faire commerce, à la condition d'avoir
« marchandise bonne et loyal » .
La royauté veut réprimer les excès corporatifs, mais n'établit pas
la liberté du commerce. Les corporations sont maintenues avec
leurs privilèges, leurs jurés, leurs visiteurs, mais le commerce
forain est placé sous la tutelle royale. La tutelle corporative sera
moins lourde, puisque entre les corporations et « les marchans
dehors » intervient un arbitre qui est favorable à ceux-ci : la royauté.
Eberstadt a tort^ de nier les avantages accordés au commerce
forain par l'ordonnance et il oublie d'indiquer les restrictions anté-
rieures, qui empêchaient en fait tout commerce des forains. Per-
mettre et élargir la concurrence, ce fut une occasion pour la
royauté de restreindre en raison des circonstances le monopole
1. L. Biollay, Ancieimes halles de Paris, p. 297.
2. Ibid., p. 300.
3. Art. 2, 21.
4. Titre XIV, art. 1.
5. Titre XIV, art. 1, et litre L, art. 1.
6. Eberstadt, Das franzôsische Gewerberecht, p. 172-173.
208 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
corporatif ; mais elle n'a pas voulu briser ce monopole ni établir la
liberté du commerce.
L'organisation corporative et en particulier celle du travail
industriel avaient pu apparaître contraires àlintérêt public. Manque
de main-d'œuvre, insuffisance de la production : voilà les deux
maux auxquels la corporation ne peut remédier. La longue durée de
l'apprentissage et la limitation du nombre des apprentis empêchent
l'accroissement du nombre des ouvriers et des maîtres. Le petit
nombre de maîtres rend impossible l'émulation entre les produc-
teurs. Les artisans, assurés d'un travail suffisant et rémunérateur,
souhaitaient la continuation d'une crise économique qui leur était
favorable et n'augmentaient pas leur production. La royauté se voit
dans la nécessité de prendre la défense du public et d'activer la pro-
duction ' ; elle supprima la limitation du nombre des apprentis, per-
mit aux maîtres et apprentis de conclure à leur gré des contrats
d'apprentissage.
Ce ne sont pas là des mesures qui ont pour but d'établir la liberté
du travail; elles sont uniquement édictées sousTempire des circons-
tances économiques. Une fois la crise passée, le monopole corpora-
tif restera intact et le développement des corporations n'en sera pas
entravé 2. Les mêmes prescriptions édictées par Philippe le Bel en
1307 restèrent lettre morte après la crise et durent être renouvelées
en 1322 par Gilles Haquin, prévôt de Paris ^.
Jean le Bon a renouvelé, développé et amplifié ces expédients. Il
ne songe guère à augmenter le nombre d'heures de travail en per-
mettant le travail de nuit. L'ordonnance n'en fait mention qu'une
seule fois à propos du travail d'hiver"* des baudroyeurs : il s'agit
surtout de prolonger la journée de travail réduite dans la saison
d'hiver. Les prescriptions n'ont rien d'impératif et de vexatoire : le
nombre des apprentis peut être illimité, mais aucune durée n'est
imposée pour l'apprentissage, et les maîtres et apprentis discuteront
librement entre eux les clauses du contrat d'apprentissage. Le des-
sein de la royauté est de parera la crise de main-d'œuvre, à la crise
de production et de combattre la hausse des prix. « Temps conve-
nable » et prix raisonnable : telles sont les deux expressions de l'or-
donnance qui fait appel au bon sens des maîtres des métiers. For-
mer rapidement de mauvais ouvriers n'améhorera pas la situation,
et le sens des volontés royales est bien précisé par les prescriptions
1. Titre LI, art. 1.
2. Art. 57.
3. Fagniez, Doc. relatifs au commerce et à l'industrie, t. II, pièce n° 2.
4. Titre XIII, art. 2.
l'ordonnance de février 1351. 209
relatives aux « courrayeurs de cordouan » ^ La durée de l'appren-
tissage, fixée à cinq ans par les statuts de 1345, est ramenée à deux
ans^. La royauté conseille ainsi de ne pas tomber d'un excès dans
l'autre et de supprimer complètement les longues et rigoureuses
années d'apprentissage.
Une attaque peut-être plus directe au monopole corporatif et qui
dut être vivement ressentie par les maîtres des corporations, ce fut
de permettre aux ouvriers de tous les métiers de s'établir dans la
ville de leur choix. C'est une attaque au principe de la solidarité
locale entre les artisans*, que les règlements corporatifs maintenaient
jalousement. Les étrangers n'étaient admis qu'après un examen
sévère des jurés et à des conditions d'honorabilité très rigoureuses.
La royauté fait une brèche dans le monopole corporatif en permet-<
tant à « toutes manières de gens quelconques qui sauraient eulx
mesler et entremectre de faire mestier, euvre, labour ou marchan-
dise quelconques », de venir s'établir à Paris, à condition de faire
œuvre bonne et loyale^. Mais il y a danger à exagérer la portée de
cette mesure, à la systématiser : la royauté s'efforce de favoriser
l'esprit d'initiative, d'obtenir un abaissement des prix de revient des
objets fabriqués et une production plus active en favorisant la con-
currence dans le domaine industriel comme dans le domaine com-
mercial.
Pour les artisans comme pour les marchands, ces tentatives pour
accroître la concurrence n'ont pas abouti à la création d'un régime de
liberté industrielle et commerciale. Si l'ordonnance, par certaines de
ses prescriptions, peut être considérée comme la négation des droits
corporatifs, on ne peut en conclure que la royauté a eu la ferme
volonté d'instituer un régime de liberté économique. C'est une
ordonnance contre la cherté de la vie, un remède empirique qui
s'adapte aux circonstances du moment. Ce n'est pas seulement,
comme l'affirme Eberstadt"*, un fait juridique ou une simple réédi-
tion de l'ordonnance de 1307.
L'ordonnance a une tout autre importance en raison de la gra-
vité de la crise économique. A une crise plus profonde, à une misère
plus générale, il faut des mesures plus efficaces et plus généralisées.
C'est à peine si l'ordonnance de 1307 a ébauché une taxation des
marchandises et des salaires. Au contraire, cette taxe constitue l'ob-
1. Titre .XIII, art. 1 (courrayeurs de cordouan); titre XIII, art. 2 (bau-
droyeurs).
2. Lespinasse, t. III (tanneurs hongroyeurs).
3. Titre L, art. 1.
4. Eberstadt, op. cit., p. 164. '
Rev. Histor. CXXXVIII. 2« fasc. 14
■210 MELANGES ET DOCTMENTS.
jet essentiel de l'ordonnance du roi Jean. Par son ampleur, par la
inultitude de ses prescriptions, l'ordonnance de 1351 est plus qu'une
mesure transitoire, comme le fut celle de 1307. Sans doute, la
royauté a pu reproduire certains expédients déjà utilisés par Phi-
lippe le Bel, mais il est impossible de considérer les deux ordon-
nances comme identiques dans leur dessein et dans leurs moyens. L'af-
firmation^ d'Eberstadt reste vraie : la royauté n'a pas eu la moindre
pensée d'établir la liberté du travail. Jean le Bon, fort occupé par la
guerre, ne songea certes pas à suivre une ligne politique aussi
réfléchie, se contentant de vivre d'expédients politiques au jour le
jour.
L'ordonnance de 1351 ne reconnaît pas d'autre forme de travail
que le travail corporatif. Elle fait appel aux règlements corporatifs
quand ils sont nécessaires pour réprimer les fraudes et défendre
l'intérêt du public; elle maintient la visite et les jurés sous le con-
trôle de l'autorité royale : c'est reconnaître la corporation et ses
chefs. Dans une ordonnance postérieure de quelques mois, lef roi
Jean affirme sa volonté de respecter les corporations et de ne pas
porter atteinte ^ « aux métiers de ladite ville (de Paris) ne a leurs
privilèges, libertez et franchises » .
Cette affirmation si catégorique semble en contradiction avec cer-
taines dispositions de l'ordonnance de février. Mais ce respect des
libertés corporatives est énoncé dans une ordonnance financière qui
impose aux gens des métiers un lourd impôt sous forme d'une aide
perçue sur toutes les marchandises et denrées vendues à Paris;
pour atténuer le mécontentement corporatif, la royauté lui accorde
une sorte de satisfaction morale.
Les mesures anticorporatives de l'ordonnance de février 1351 ont
toutes le même but : remédier à l'anomalie des conditions écono-
miques et défendre l'intérêt public. Il n'y a pas d'hostihté systéma-
tique de la royauté à l'égard des corporations. Nous sommes en
présence d'une situation de fait : des mesures comme la suppression
de la limitation du nombre des apprentis visent en réalité à res-
treindre le monopole corporatif.
Dans une ordonnance de 1358, le dauphin Charles précisera l'at-
titude de la royauté, qui s'est aperçue que la majeure partie des
règlements corporatifs sont « faiz plus en faveur et prouffit des per-
sonnes de chascun mestier que pour le bien commun^ ». C'est
1. Eberstadt, 0^. cit., p. 172.
2. Ordonnance de mai 1351, p. 426 [Ordonnances des rois de France.
t. II).
3. Ordonnances des rois de France, t. III, p. 262.
l'ordonnance de février 1351. 211
pourquoi, « depuis dix ans euenea, furent faites et publiées plusieurs
ordenances royaux deroganz aus diz registres pour le bien public et
contenant entre les autres choses que chascun peut ouvrer en la
ville de Paris qui le sauroit faire, en manière que Teuvre fut bone,
souffisant et convenable ». On ne saurait expliquer de façon plus
précise la politique royale : apporter des correctifs au monopole cor-
poratif, même si en fait ils restreignent ce monopole et peuvent
paraître l'expression de la défiance de la royauté; combattre en
définitive le rigorisme corporatif, quand il est en contradiction avec
l'intérêt public.
Si la corporation ne peut être détruite, elle peut tout au moins
être subordonnée à l'autorité royale. Il est certain que la royauté
voit avec défiance s'accroître la puissance et la richesse de la bour-
geoisie corporative. Par le contrôle juridique, la royauté va s'effor-
cer de faire des corporations des associations dociles et obéissantes
à l'autorité royale. Elle soumet au prévôt de Paris les jurés chefs de
la corporation. Le prévôt les institue; le tribunal du Châtelet
tranche les différends et délits industriels et commerciaux. Il y a
une tentative pour subordonner les corporations à l'autorité royale
et attraction de tous les droits existants vers un même point : la
puissance de l'Etat, la puissance royale^ La vie politique des corpo-
rations se réduit à l'élection des jurés sous le contrôle du prévôt de
Paris. Parfois, la royauté fait appel à l'élite des corporations pour
désigner aux métiers-offices celui qui sera « le plus convenable et
expert pour y estre^ ». La royauté se réserve le droit dïntervenir
désormais dans la législation corporative. Au- cas où il serait néces-
saire de modifier l'ordonnance de 1351, ce seront les commissaires
nommés par le roi qui délibéreront à ce sujet et s'entendront avec
les « gens du Parlement^ ». Cette éventualité de revision ou de cor-
rection des statuts est répétée à propos des plâtriers, des poisson-
niers de mer*.
L'intention de la royauté est bien nette : elle n'entend pas main-
tenir des règlements immuables et contraires à l'intérêt public et
invite les jurés ou maîtres des métiers à se présenter plusieurs fois
l'an devant les agents de l'autorité royale pour faire les correctifs
nécessaires, « se mestier est' ». C'est un essai de substitution de la
réglementation d'Etat aux règlements corporatifs.
1. Eberstadt, op. cit., p. 175.
2. Titre VIII, art. 18.
3. Titre LXII, art. 3.
4. Titre XXXVIII, art. 1, et titre Vil), art. 48.
5. Titre XXXVIII, art. 1.
212 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Mais ce qui peut étonner de prime abord, c'est la participation de
la Hanse et de ses chefs à tous les actes de la politique économique
de la royauté. C'est là une exception ^ La Hanse est pour ainsi dire
en dehors des autres corporations ; ses membres ne sont pas néces-
sairement-recrutés parmi les artisans et les marchands; on y trouve
de simples bourgeois. C'est une association puissante, en possession
depuis fo'rt longtemps de nombreux privilèges. Elle participe à l'ad-
ministration de Paris. Ceitte collaboration des chefs de la Hanse et
du prévôt a donné de bons résultats et la royauté n'a aucun intérêt
à mettre fin à cette bonne entente. En continuant à associer la
Hanse à l'administration, la royauté s'en fait une alliée; sinon la
Hanse serait par sa puissance et la force de ses privilèges une enne-
mie trop redoutable.
La Hanse finit par constituer une sorte de municipalité pari-
sienne. Elle avait affermé une partie des métiers-offices, notamment
les « criages » . Aussi le prévôt des marchands a-t-il un certain
pouvoir sur les détenteurs de ces métiers-offices. Il choisit, de con-
cert avec les échevins, les vendeurs de vin 2. Il prend part à l'élection
et à « l'établissement » des jurés talemeliers (boulangers), des jurés
poissonniers d'eau douce et poissonniers de mer, des jurés bouchers^.
Il fixe le prix du charbon et du bois d'accord avec les vendeurs de
bûches^. D'accord avec le prévôt royal, il peut obliger les marchands
de sel à mettre leur sel en vente après quarante jours de magasin et
à un prix raisonnables En matière d'administration financière, la
Hanfee joue un certain rôle. Le prévôt des marchands reçoit le cau-
tionnement exigé des mesureurs de grain, des vendeurs et courtiers
de vin^. Il a une part des amendes infligées aux vendeurs de vin et
aux talemehers^. Il exerce certains pouvoirs judiciaires. Il est un
des juges à qui les jurés doivent en référer en cas de fraude ou d'in-
fraction aux règlements royaux^. Enfin l'ordonnance de 1351 con-
firme les pouvoirs de la Hanse en matière de travaux publics^; le
prévôt des marchands est tenu de veiller à l'entretien des chaussées
et rues de Paris. La Hanse reste la seule corporation associée par la
1. Cf. Lecaron, Origines de la municipalité parisienne, et Picarda, les
Marchands de l'eau.
2. Titre VI, art. 12.
3. Titre II, art. 1; titre IX, art, 7; titre VIII, art. 47; titre X, art. 8.
4. Titre XLIII, art. 1 et 17.
5. Titre XXXIX, art. 1.
6. Titre IV, art. 10; titre VI, art. 12 et 17,
7. Titre VI, art. 13; titre II, art. 1.
8. Titre IX, art. 7; titre XIV, art. 1.
9. Titre LXIl, art. 2.
l'ordonnance de fe'vrier 1351. 213
royauté à l'administration générale. La royauté, désireuse d'avoir
en elle une alliée plutôt qu'une ennemie, a maintenu ses privilèges.
Au contraire, l'ordonnance tend à subordonner les autres corpora-
tions à l'autorité royale.
En réalité, parmi tant d'intentions plus ou moins réelles prêtées
à Jean le Bon et à la royauté, une préoccupation essentielle domine :
celle de combler le déficit du trésor royal. Peu nous importe au fond
de discuter à l'infini qui, de Jean le Bon ou de ses conseillers, fut
l'auteur de l'ordonnance. Le roi semble n'avoir d'idées sur le con-
trôle royal des corporations qu'en raison de ses besoins financiers.
C'est la fiscalité qui explique le maintien presque intégral des règle-
ments corporatifs ou l'insertion dans la grande ordonnance de règle-
ments', simple répétition de règlements antérieurs.
La royauté a multiplié et élevé le tarif des amendes, institué des
métiers-offices, précédent et exemple pour les successeurs de Jean le
Bon, qui ne manqueront pas d'augmenter outre mesure les métiers-
offices pour remplir le trésor royal.
La crise économique du royaume de France ne fut pas un phéno-
mène isolé; elle atteignit vainqueurs et vaincus, Français et Anglais.
La peste de 1348 exerça en Angleterre les mêmes ravages qu'en
France, y raréfia la main-d'œuvre, y provoqua une misère géné-
rale^. La guerre de France n'enrichit que les soudards et leur
famille. Malgré le pillage du royaume de France, l'Angleterre n'était
pas un grenier d'hommes et d'argent inépuisable. La crise écono-
mique sévit donc en Angleterre à la même époque qu'en France et
fut surtout désastreuse pour l'agriculture. Comme en France, ce
fut sous la forme d'une intervention royale dans le domaine écono-
mique que l'on voulut remédier à cette crise : de là le statut des
travailleurs du 18 juin 1350. Dans les deux royaumes, les deux
ordonnances du roi Edouard et du roi Jean promulguées à la même
époque ont été provoquées par la même cause immédiate : la crise
'économique de 1348-1351. Contrôles mêmes maux les deux rois ont
employé des moyens analogues, comme la taxe des marchandises et
des salaires'. Toutes deux s'expliquent par la similitude des événe-
ments économiques qui ont affecté les deux royaumes et ne doivent
pas être isolées des circonstances exceptionnelles du moment : ce
1. R. (le Lespinasse, t. I, p. 409-416. Règlements des poissonniers de mer de
1315, 1318, 1320, 1324.
2. Chronicon Henrici de Knigihon, p. 58 et suiv.
3. Thorold Rogers, Travail et salaires en Angletetre, p. 199-200, et
A. Réville, le Soulèvement des travailleurs en 1381, introduction de Petit-
Dutaillis, p. 31.
214 MÉLANGES ET DOCCMENTS.
sont avant tout des œuvres d'opportunité édictées à la suite d'une
crise économique.
En définitive, la royauté française a voulu provoquer une baisse de
prix en prenant toutes les mesures susceptibles de produire cette
baisse : appel aux forains, liberté du travail assurée à Paris pendant
la période de crise, apprentis plus nombreux. Mais la corporation
subsiste; seulement la royauté met la main sur la corporation,
associant à son œuvre la Hanse de Paris qui devient une sorte de
municipalité.
Robert Vivier.
SAINT-JEAN DE LATRAN
LA CHAPELLE DE SAINTE PÉTRONILLE
ET LES PRIVILÈGES DE LA FRANCE
Latour-Maubourg écrivait à Guizot, de Rome, le 24 décembre
1840^ :
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous transmettre, en vous priant de la faire
•parvenir à sa haute destination, une lettre adressée au roi, au nom
du chapitre de Saint-Jean de Latran, à l'occasion de la nouvelle
année.
Le chapitre était autrefois possesseur en France de biens qu'il
tenait de la libéralité de ses rois. Je fais joindre à cette dépêche une
note historique sur l'origine de cette possession qui a cessé depuis
1789, par suite des événements de la Révolution. Dans les dernières
années de la Restauration, les revenus des biens, dont le chapitre
était propriétaire, furent remplacés par l'assignation annuelle d'une
rente de 24,000 francs sur la liste civile. La Révolution de 1830 a fait,
à son tour, disparaître les derniers débris de l'ancienne opulence du
I. Rome, volume 982, direction politique, n° 7, fol. 226-228. — Latour-Mau-
bourg (Armand-Charles-Septime, comte de Fay de) (1801-1845), maître des
requêtes en service extraordinaire (1821), attaché à Constantinople (1822), à la
direction politique (1823), deuxième secrétaire à Lisbonne (1826), à Hanovre
(1829), chargé d'aflaires sur place (juillet 1830), premier secrétaire à Vienne
(octobre 1830), chargé d'affaires à Vienne (14 novembre 1830), envoyé extraor-
dinaire et ministre plénipotentiaire à Bruxelles Quin 1832), ambassadeur à
Madrid (septembre 1836), à Rome (mars 1838), pair de France (1841).
SAINT-JEAN DE LATRAN ET LES PRIVILÈGES DE LA FRANCE. 215
chapitre. Toutefois, il n'a pas encore perdu l'espérance de voir revivre,
sous une forme quelconque, un revenu qu'il considérait comme une
juste indemnité des pertes que lui avait fait éprouver la réunion au
domaine de l'État des biens qu'il possédait en France. Aussi cherche-
t-il à entretenir et à conserver avec le gouvernement du roi et avec
l'ambassade de France à Rome des rapports qui rappellent le souve-
nir de ceux qui existaient précédemment.
Latour-Maubourg s'intéressait si fort à la requête du chapitre de
Saint-Jean de Latran qu'il avait cru pouvoir prendre la liberté de
faire connaître à Guizot, sans plus tarder, son opinion personnelle.
La cessation de ces payements lui semblait être un fait très regret-
table, parce qu' « ils assuraient, disait-il, à la France, un puissant
moyen d'influence ». Avant de terminer sa dépêche et d'y joindre
la notice ci-dessous, il n'avait pas manqué, en raison de la considé-
ration dont jouissaient à Rome les chanoines du chapitre de Saint-
Jean de Latran, d'insister sur « la fréquence des cas et des circons-
tances où il serait du plus haut intérêt de pouvoir utihser leur
dévouement », et il avait conclu en appelant l'attention sur « les
avantages que procurerait au gouvernement le rétablissement des
choses sur l'ancien pied » .
Note sur le chapitre de Saint-Jean de Latran.
Les bienfaits de la France envers la basilique de Saint-Jean de
Latran commencèrent sous le règne de Louis XI, vers 1480.
Ce prince avait recouvré la santé et le ciel lui avait donné un enfant.
Par reconnaissance envers saint Jean, à l'intercession duquel il avait
eu recours en cette occasion, il fit don à la basilique de Saint-Jean de ■
divers biens consistant en droits de péage, droits sur les offices des
syndics et des notaires, biens qu'il prit sur son propre patrimoine.
Ces dons furent confirmés par le pape Sixte IV, et le chapitre de
Saint-Jean jouit des effets de la munificence royale jusqu'au temps
des guerres des huguenots. A cette époque, les biens furent aliénés
et les droits perdus.
Après l'avènement de Henri IV au trône de France, le chapitre
obtint de ce prince, en l'an 1604, la donation de l'abbaye de Saint-
Pierre de Clairac, dans le diocèse d'Agent le revenu annuel en était
1. Clairac, Lot-et-Garonne, arr. Marmande, cant. Tonneins. Les conditions
de la donation ont été déclarées et déterminées dans un acte du 6 juin 1605
par le cardinal François de Joyeuse, protecteur des affaires de France près la
cour de Rome, et par le duc de Bélhune, son ambassadeur. Voir Mgr Pierre
Lacroix, Mémoires historiques sur l'administration des pieux établisseme7its
français de Rome (Paris, 1868), chap. ix, p. 63; cf. ce qui est dit Ibid,,
p. 63, des huit « brevisti » ou chanoines à brevet.
216 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
alors de 4,000 écus romains ; les améliorations qu'on y apporta le firent
monter à plus de 8,000. Le roi se réserva le droit de nommer à per-
pétuité huit chanoines, qui reçurent le nom de « Brevisti », auxquels
il assigna une moitié de la recette annuelle. Il voulut que l'autre moi-
tié, libre de toute charge, fût répartie entre tous les membres du cha-
pitre, y compris les chanoines'» Brevisti ». Le pape Paul V confirma
cette donation.
Le chapitre éleva dans la basilique une statue de bronze à la
mémoire de Henri IV. Une messe solennelle fut instituée pour le
salut du roi pendant sa vie. Après la mort du bienfaiteur du chapitre,
on établit une messe quotidienne et un service solennel annuel '. Ces
dispositions ont été constamment suivies et le sont encore aujour-
d'hui.
Les successeurs de Henri IV assurèrent au chapitre la continua-
tion de ces donations. Louis XV voulut y ajouter encore un nouveau
bienfait en donnant à la basilique les prieurés de Marsac et de Cler-
mont2. A cette occasion, le chapitre lui éleva un monument en marbre.
Jusqu'en 1789, les rois de France nommèrent les chanoines « Bre-
visti » et le chapitre continua de jouir des biens qui lui avaient été
donnés; mais, à cette époque, toutes les possessions de l'abbaye et des
prieurés furent aliénées comme biens nationaux.
Lorsque le pape Pie VII alla à Paris pour couronner Napoléon, le
cardinal Antonelli, archiprêtre de la basilique, fit des démarches pour
obtenir quelque dédommagement. L'empereur promit au pape et au
cardinal qu'il ferait droit à leurs demandes et le pape, à son retour à
Rome, en fit part au consistoire des cardinaux. Mais les événements
et les guerres de cette époque firent oublier ces promesses;
Plus tard, Louis XVIII écrivit au chapitre à plusieurs reprises qu'il
pensait à lui faire de nouvelles donations, dès qu'on aurait achevé l'or-
ganisation des évêchés de France.
Enfin Charles X mit cette promesse à exécution et, en 1825, lorsque
le duc de Laval-Montmorency était ambassadeur à Rome, il afïecta
sur certains fonds assignés à cette destination 24,000 francs annuels,
se réservant la nomination des membres du chapitre qui jouirent de
cette somme, c'est-à-dire de 500 écus annuels^pour le cardinal archi-
prêtre, 400 pour deux chanoines, 300 pour six autres chanoines, 160
pour un des bénificiaires et 144 pour les quatre autres. Les 500 écus
qui restaient furent laissés à tout le clergé pour le jour de la messe
1. L'ambassadeur de France, représentant du roi en sa qualité de premier
chanoine du chapitre de Saint-Jean de Latran, assistait jusqu'en 1830 à la
messe solennelle qu'on célébrait le 13 décembre, jour anniversaire de la nais-
sance de Henri IV.
2. Saint-Étienne de Marsac et Clermont -Dessous, au diocèse d'Agen (Dom
Besse, Abbnyes et prieurés de l'ancienne France, t. X, p. 113 et 117).
3. Le scudo valait en général 5 fr. 30.
SAINT- JEAN DE LATRAN ET LES PRIVILEGES DE LA FRANCE. 217
solennelle qui était célébrée et l'est encore aujourd'hui pour le salut
(lu roi, le 13 décembre de chaque année.
Le roi des Français Louis-PhiHppe I""" a continué ce bienfait jus-
qu'à la fin de 1830 et le chapitre, dans la lettre qu'il a adressée à Sa
Majesté au mois de décembre 1830, lui en exprima sa reconnaissance.
Depuis cette époque, les payements ont cessé et aujourd'hui se trouvent
vacants trois canonicats et un bénéfice qui jouissaient de la pension
du roi, savoir : deux canonicats de 400 écus chacun et le troisième de
300; le bénéfice recevait une pension de 160 écus^
On savait assurément que la fille aînée de l'Église avait porté un
intérêt tout particulier à la basilique constantinienne, « omnium
urbis et orbis ecclesiarum mater et caput » , à celle des églises de Rome
où les papes donnaient la bénédiction le jour de l'Ascension; mais ce
qu'on ignorait peut-être, ou ce qu'il n'était en tout cas pas inutile
de rappeler, c'est le fait qu'elle eut pour bienfaiteurs précisément
ceux de tous les rois de France qu'on ne devait guère s'attendre à
voir faire à l'Église romaine de si belles et de si riches donations.
Le grand sens politique de Louis XI et du Béarnais pourrait bien
avoir été l'une des causes déterminantes de leurs largesses; et quant
à Louis XV, peut-être a-t-il espéré que ses bienfaits l'aideraient à
racheter quelques-uns de ses nombreux péchés. Quoi qu'il en soit,
ce ne sera pas assurément sans quelque surprise que l'on verra repa-
raître le nom de Louis XI dans une autre dépêche de Latour-Mau-
bourg, relative, celle-là, au droit de juspalronat des rois de France
sur la chapelle de sainte Pétronille. Cette fois, il est vrai, l'ermite
de Plessis-lès-Tours, que la crainte de la mort a rendu plus supers-
titieux que jamais, s'il en vient à combler de ses bienfaits intéressés
une chapelle perdue au fond de la basilique vaticane, ne fait que
suivre l'exemple qui lui a été donné, près de 700 ans auparavant,
par les plus illustres de ses prédécesseurs, Pépin et Charlemagne^,
1. Par une décision du 2 juin 1863, nous apprend Mgr Lacroix {loc. cit., p. 69), le
gouvernement de Nai)oléoii III rétablit en faveur du chapitre de Saint-Jean de
Latran l'allocation de 24,000 francs. Le 24 avril, jour anniversaire de la nais-
sance de l'Emjtoreur, une messe solennelle devait tHre chantée par tout le cha-
pitre et le clergé de l'archibasilique jiapale, en présence de l'ambassadeur de
France et des prélats et notables de la nation française.»
2. Mgr Lacroix publie {loc. cit., i>. 192-193) un rapport du comte Ernest
Armand, |)remier secrétaire de l'ambassade de France prés le Sainl-Sii'ge, où
il est dit :
(( Parmi toutes les fondations françaises créées à Rome par les Français, il
n'y en a qu'un certain nombre qui réclament la surveillance administrative de
l'ambassade de France. Quelques-unes en elVet ne dépendent pas du ministère
des Affaires étrangères, telles que la villa Médicis et le chapitre de Saint-Jean
de Latran, dotées la première par le ministère des Beaux-Arts, le second par
218 , MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Latour-Maubourg à GuizotK
Rome, 7 janvier 1841.
Monsieur le Ministre,
Les rois de France possédaient autrefois un droit de juspatronat
sur une des cliapelles de Saint-Pierre, dédiée à sainte Pétronille. Le
temps et les événements politiques ont suspendu l'exercice de ce droit
depuis deux siècles ; mais il existe toujours et il a été formellement
reconnu par le Saint-Siège dans une note officielle du cardinal Albani
adressée en 1829 au chargé d'afïaires de France, en réponse à un olfice
du vicomte de Chateaubriand, alors ambassadeur de France à Rome.
J'ai renouvelé l'année dernière quelques tentatives pour faire revivre
un privilège qu'il serait regrettable de voir se perdre complètement.
Les ouvertures confidentielles que j'ai faites à ce sujet ont été favo-
rablement accueillies. Le secrétaire d'Etat et le chapitre de Saint-
Pierre se sont montrés disposés à donner leur assentiment au réta-
bUssement de l'ancien ordre de choses, sous la condition toutefois
qu'une allocation coiivenable et assurée pourvoirait à l'entretien du
prêtre chargé de desservir la chapelle.
La dotation antérieure consistait en immeubles, dont le revenu
appartenait aux chapelains nommés par le roi de France. Il est impos-
sible de penser aujourd'hui à voir renaître une dotation immobilière.
On ne peut pas songer davantage à prendre le traitement à allouer au
chapelain sur les fonds de la liste civile ou du trésor. Dans cet état
de choses, la difficulté de trouver une combinaison praticable a forcé-
ment suspendu mes démarches, et c'est ce qui m'avait également
empêché jusqu'à présent d'entretenir de cette affaire le Département
des Affaires étrangères, que je ne voulais en occuper que lorsque je
pourrais en même temps lui proposer les moyens de la mener à bien.
Après avoir longtemps cherché ce moyen, j'ai pensé qu'une assi-
gnation sur les fonds qui appartiennent aux pieux établissements
français était celui auquel nous pouvions avoir le plus convenable-
ment recours. La situation financière de ces établissements nous per-
met de disposer pour cette destination d'une partie de l'excédent de
leurs revenus et j'ai tout lieu de croire que cet arrangement, une fois
qu'il aurait eu l'approbation du gouvernement du roi, recevrait égale-
ment celle du Saint-Siège. Le montant de l'allocation annuelle devrait
être de 2,000 à 2,400 francs et de plus il y aurait à faire face aux
la cassette de l'Empereur. Sur d'autres, nous n'avons plus que des droits plus
ou moins éloignés qu'il faut faire valoir si nous ne voulons pas les laisser péri-
mer. Dans cette catégorie est la chapelle de sainte Pétronille à Saint-Pierre
du Vatican, fondée et dotée par Pépin le Bref, mais dont les revenus ont dis-
paru dans la suite des siècles. »
1. Rome, volume 983, direction politique, n° 9, fol. 8-10.
SAINT-JEAN DE LATRAN ET LES PKIVILÈGES DE LA FRANCE. 219
dépenses de deux cérémonies religieuses célébrées à l'autel de sainte
Pétronille, l'une le 31 mai pour la fête de cette sainte, l'autre le
30 août, anniversaire de la mort de Louis XI, en souvenir de ses lar-
gesses en faveur de la chapelle. Je ne puis encore préciser exactement
le chiffre de ces dépenses, mais j'ai la certitude, qu'il serait peu impor-
tant et ne dépasserait pas quelques centaines de francs.
Votre Excellence trouvera ci-joint une notice historique qui fera
connaître l'origine de cette fondation, ainsi que les diverses interrup-
tions que le temps et les événements lui ont fait subir.
Le rétablissement de la chapelle de sainte Pétronille serait presque
une mesure politique qui deviendrait aux yeux de tous un gage écla-
tant de la bonne harmonie qui existe entre le Saint-Siège et le gou-
vernement du roi. Aucun autre gouvernement ne jouit d'une telle pré-
rogative et, en ce pays,' où le crédit se mesure sur des privilèges de
ce genre, le nom français ne pourrait que gagner grandement à une
restauration qui attesterait à la fois la pieuse sollicitude de notre
famille royale et la haute considération dont elle jouit auprès du Saint-
Siège.
Note concernant les droits de juspatronat du roi de France
sur la chapelle de sainte Pétronille dans la basilique vaticane^
Les monuments historiques les plus anciens cités par Cancellieri
dans son grand ouvrage : De Secretariis BasiHcae Vaticanae
(p. 957 et suiv.), et notamment Anastase le Bibliothécaire, attribuent
la fondation de la chapelle de sainte Pétronille du Vatican au pape
Etienne III, qui jeta les fondements du côté méridional de l'ancienne
basilique, l'an 756, à la prière et avec l'aide des libéralités du roi
Pépin, père de Oharlemagne, lequel portait une dévotion singulière à
la allé spirituelle de saint Pierre, qu'il regardait comme sa patronne et
sa protectrice spéciale. « Auxiliaris vestrae Petronilae », lui écrit le
pape Paul !•=' dans une lettre citée plus bas.
Cette chapelle primitive, qui a été détruite en 1502 par les ordres du
pape Jules II pour faire place aux constructions de la nouvelle basi-
lique (dans laquelle elle fut ensuite placée au côté nord comme nous
la voyons aujourd'hui 2), ne fut terminée et dédiée que vers 760 parle
pape Paul I"'', qui y nomma alors au baptême, avec de grandes solen-
nités, la princesse Gisèle, fille du roi Pépin et de la reine Bertrade. Une
lettre de ce même pontife au même roi, qui est la vingt-septième dans
1. Jointe à la dépèche de l'ambassadeur de France du 7 janvier 1841,
fol. 11-13.
2. L'autel de sainte Pétronille existe toujours; il se trouve au fond du bas
côté de droite, à proximité du monument de Clément XIIl, au delà de la cha-
pelle Saint-Michel, entre deux colonnes ele granit rouge qui encadrent une
copie en mosaïque du grand tableau du Guercino placé maintenant au musée
du Capitolc et qui représente, dans sa partie inférieure, l'exhumation de la
sainte, et, en haut, sa réception au ciel par le llodempteur.
220 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
la collection de Duchesne (t. III, p. 752), nous a conservé le souvenir
de cet événement ^.
Cet exemple de piété fut imité par Charlemagne qui, étant venu à
Rome avec ses enfants pour les solennités de Pâques de l'an 781, pria
le pape Adrien de bien vouloir être le parrain de son fils Karloman.
Le Souverain Pontife y consentit avec plaisir et le jeune prince fut
baptisé dans la même chapelle de sainte Pétronille, considérée dès
lors comme de fondation royale. Charles en conçut une telle satisfac-
tion qu'il commença dès lors à prendre dans ses titres celui de
« Romani Pontificis Compater », comme on peut le voir dans la lettre
synodique à l'empereur grec de Constantinople.
Les siècles suivants virent se renouveler et se perpétuer Les témoi-
gnages de dévotion et les libéralités des rois de France envers la
même chapelle. Aussi, pendant le moyen âge et plus tard encore,
n'est-elle guère citée que sous le nom de « Capella Regum Franco-
rum, Cella Régis Franciae, Templum Galliae Regum » (voir Cancel-
lieri, oj). cit., p. 1041), et la cour, qui l'environnait et où est située
aujourd'hui la sacristie, s'appelait « Area Régis Franciae ».
Mais, sans nous arrêter plus longtemps à ces divers témoignages
historiques, nous avons, pour établir l'existence du droit de juspàtro-
nat des rois de France en qualité de fondateurs et bienfaiteurs de la
chapelle de sainte Pétronille du Vatican, des manuscrits bien autre-
ment importants et qui placent la question hors de toute controverse.
Le premier de ces monuments, que nous pouvons produire, est une
bulle du pape Innocent VIII, en date du 18 juin 1490, commençant
par ces mots : « Et si haec supernae », dont la copie que nous possé-
dons est conforme au Bullarium Basilicae Vâticayiae et à l'exem-
plaire déposé aux archives des établissements français de Rome. Par
ce diplôme, le Souverain Pontife érige canoniquement à l'autel de
sainte Pétronille, dans la basilique du Vatican, deux chapellenies
dotées à cet efîet par le roi de France Charles VIII du revenu de deux
maisons sises à Rome, l'une au lieu dit « Arcus Campi Florae »,
l'autre près de la chancellerie apostolique, près de la rue qui mène du
champ de Flore au pont Saint-Ange, réservant le juspatronat de
ladite chapelle audit roi Charles et à ses successeurs, afin que, dans le
cas de vacance de l'une ou l'autre desdites chapellenies, ils présentent,
pour les constituer, des sujets dignes, constitués dans l'ordre des
prêtres et institués par le Souverain Pontife en qualité de chapelains
perpétuels.
Ces dispositions d'Innocent VIII reçurent assez longtemps leur exé-
cution et une autre bulle de Clément VIII, dont nous allons bientôt
parler, cite en effet des lettres patentes de Louis XII, datées de Paris
le 10 août 1502, où le roi fait mention de la chapelle de sainte Pétro-
1. Voir Monumenta Germaniae historica, édit. in-4° : Episiolae aevi mero-
vingici et karolini, t. I, p. 511 (Codex Carolinus, epist. 14).
SAINT- JEAN DE LATRAN ET LES PRIVILEGES DE LA FRANCE. 221
nille au Vatican, fondée par ses prédécesseurs, comme l'un des motifs
de l'intérêt qu'il porte au chapitre de ladite basilique.
Mais il paraît que les troubles prolongés de l'Italie, le sac de Rome
en 1527, puis les longues discordes civiles survenues en France sous
les derniers Valois firent peu à peu s'éteindre le souvenir de ce privi-
lège de la couronne, en sorte que, vers 1600, le roi de France n'exer-
çait plus son droit de juspatronat. Mais, vers cette époque, le célèbre
cardinal d'Ossat, ambassadeur du roi Henri IV, de glorieuse mémoire,
ayant recouvré en partie les titres qui constituaient le droit royal,
entreprit d'en faire revivre l'exercice. Il s'adressa à cet effet au Souve-
rain Pontife Clément VIII qui, après un examen de l'affaire, donna, le
10 septembre 1601, la bulle : « Decet Romanum Pontificem », dont
voici l'analyse :
Le pape, s'appuyant sur les documents recueillis dans les archives
de la basilique du Vatican ou puisés à d'autres sources, reconnaît,-
par cette bulle, l'exercice du juspatronat des rois de France, à titre
de fondateurs de la chapelle de sainte Pétronille (qui, dès lors, était
déjà transférée au côté ouest de la nouvelle basilique). Il confirme de
nouveau ce droit, le distinguant avec soin d'un juspatronat « ex indulto
Apostolico » et, par conséquent, révocable, et il déclare qu'il ne pourra,
en aucun temps et sous aucun prétexte, être apporté aucune déroga-
tion quelconque qu'en vertu de lettres apostoliques spéciales et de
l'exprès consentement des rois de France ou de leurs ambassadeurs
pro tempore près le Saint-Siège.
« Decernentes », dit la bulle, « illi (jurispatronatiis) nuUo unquam
tempore... nisi iu litteris desuper conficiendis... ac eorumdem Regum
vel suorum oratorum expresso ad hoc assensu derogari aut deroga.-
tum censeri posse neque deberi. »
Ces lettres ni le consentement requis n'ayant pas été donnés jus-
qu'ici, il çn résulte que le droit d^ juspatronat dont il s'agit persé-
vère, bien qu'interrompu depuis longtemps dans son exercice par des
causes analogues à celles qui avaient déjà amené une semblable inter-
ruption antérieurement à 1601, époque de la bulle précitée de Clé-
ment VIII. Mais on peut espérer qu'à l'exemple de cet illustre Pon-
tife, Sa Sainteté Grégoire XVI s'empressera d'accéder au rétablissement
d'une institution fondée par Charlemagne, renouvelée par Charles VIII,
chère à Louis XII, et dont la restauration nouvelle sera digne de la
piété de la famille royale actuelle.
La réponse du Département ne se fit guère attendre \ mais elle fut
loin de répondre aux espérances de l'ambassadeur, de donner gain
de cause aux arguments qu'il avait fait valoir, en s'appuyant, d'une
part sur la notice historique, de l'autre, sur le consentement que le
1. Rome, volume 983, n" 66, fol. 55. Paris, 9 février 1841, Département à
Latour-Maubourg.
222 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Saint-Siège était disposé à donner au rétablissement du juspatro-
nat. Après un examen attentif de la question, il n'avait paru ni
légal, ni juste, ni prudent de faire, comme Latour-Maubourg le
proposait, supporter les frais de la dotation de la chapelle de sainte
Pétronille aux excédents de revenus des pieux établissements fran-
çais.
Le ministre faisait remarquer qu'une pareille mesure ne serait
en réalité rien autre chose que l'aliénation, au profit d'une fondation
étrangère aux établissements, d'une portion de leurs revenus, qui
ont une destination spéciale, et aurait pour conséquence forcée la
réduction de fonds affectés à des œuvres de bienfaisance et de cha-
rité nationales. Enfm, comme on créerait de plus un précédent, d'au-
tant plus dangereux qu'il ouvrirait une brèche dans l'emploi des
revenus de Saint-Louis-des-Français, ces différentes considérations
semblaient assez graves au Département « pour contrebalancer
l'avantage qu'il pourrait y avoir à faire revivre l'exercice de l'an-
cien droit de juspatronat, s'il n'y a pas d'autres moyens de consti-
tuer l'allocation exigée ». Ce moyen, le Département l'indiquait à
Latour-Maubourg, sans croire toutefois sérieusement à la possibi-
lité d'arriver à en faire usage. Il consistait à retrouver les titres de
propriété des deux maisons sises à Rome et dont les revenus avaient
été affectés par Charles VIII à la dotation des deux chapellenies éri-
gées par Innocent VIII. Enfm, le Département ajoutait en terminant :
« Le droit de juspatronat existe ; il est positivement reconnu par le
Saint-Siège; il ne saurait donc y avoir péril en la demeure relative-
ment au rétablissement de son exercice, quand on considère que cet
exercice se trouve suspendu depuis 200 ans » .
Malgré cette phrase, qui devait cependant dissiper les dernières
illusions qu'il aurait pu encore conserver sur la possibilité de res-
susciter cet exercice, Latour-Maubourg n'en tenta pas moins un
nouvel effort. Il avait naturellement commencé par rechercher, mais
en vain, la trace des titres de propriété établissant la dotation. Dési-
reux de tout mettre en œuvre pour conserver au gouvernement fran-
çais le droit qu'il craignait de voir lui échapper le jour « où un tiers
se présenterait pour se substituer au roi des Français », il avait fait
appel au concours et aux lumières de l'abbé Lacroix, clerc national
de France, et de Lasagni, avocat des pieux établissements français
de Rome. Ce fut ainsi qu'un peu plus tard, revenant une dernière
fois à la charge dans une dépêche en date du 28 janvier 1842 ^ il
mandait au Département que, pour des raisons purement cano-
1. Rome, volume 984, direction politique, n" 57, fol. 13-21. Latour-Mau-
bourg à Guizot, Rome, 28 janvier 1842.
SAINT-JEAN DE LATRAN ET LES PRIVILEGES DE LA FRANCE. 223
niques, l'abbé Lacroix, Lasagni et leurs deux collègues, les députés
administrateurs, concluaient dans des rapports (joints à sa dépèche
et placés aujourd'hui dans le dossier spécial des pieux établisse-
ments français) au prélèvement de la somme qu'on destinerait à la
chapelle de sainte Pétronille sur les revenus, entièrement libres et
sans affectation spéciale, de Saint-Claude des Francs-Comtois ou
des Bourguignons ' , qui présentaient un excédent annuel de
7,000 francs. Cette dernière proposition n'eut pas plus de succès
que les précédentes. On classa purement et simplement l'affaire du
juspatronat et, à partir de ce moment, il ne fut plus question, dans
la correspondance de Rome, de la chapelle de sainte Pétronille 2.
Commandant Weil.
1. L'église Saint-Claude des Bourguignons fait encore aujourd'hui partie
des pieux établissements français. Elle est située sur la place du même nom,
à l'extrémité de la Via del Tritone, et à quelques pas de la Piazza Colonna.
2. Bien que le juspatronat ait en fait cessé d'exister, le chapitre de Saint-
Pierre a la courtoisie d'inviter chaque année le clergé français à dire la messe
à l'autel de sainte Pétronille, et les abbés français y célèbrent en effet le
saint office le jour de la fête de la sainte. — Enfin, je dois à la bienveillance
de M. Caccioli, l'historien de Saint-Pierre, et à la communication qu'il a eu la
gracieuseté de faire à mon excellent ami Casanova, l'aimable et savant surin-
tendant des Archives du royaume, la possibilité de pouvoir affirmer qu'aucune
autre tentative n'a été faite depuis celle qu'avait ébauchée et proposée Latour-
Maubourg.
J'ajoute encore, comme me l'a fort opportunément rappelé un ami qui
n'ignore rien des choses de Rome, D. Serruys, que les ambassadeurs de France,
au sortir de l'audience au cours de laquelle ils présentaient leurs lettres de
créance au Saint-Père, se conformaient à un usage consacré par le temps et
allaient faire leurs dévotions à l'autel de sainte Pétronille.
BULLETIN HISTORIQUE
HISTOIRE DE FR.\NGE.
LE MOYEN AGE JUSQU'AUX VALOIS.
I. Publications de textes. — MM. Krusch et Levison ont
achevé et fait paraître depuis la fin des hostilités le dernier tome des
Scriptores rerum merovingicarum dans le recueil des Monu-
menta Germaniae* . La préface, signée du nom de M. Krusch
seul, rappelle le concours que le savant bollandiste A. Poncelet et
le paléographe français H. Lehègue ont apporté avant l'été 1914 à
la préparation des divers volumes de la série et se termine par cette
phrase, que nous traduisons tant bien que mal, d'un latin très fleuri :
« Maintenant que la paix est faite, ce tome VII, intéressant égale-
ment l'histoire des deux peuples, pourra être feuilleté de chaque côté
de la frontière. Dieu fasse que, grâce aux Muses, soient renoués les
liens que Mars a cruellement rompus-! » Les « Muses » de Lou-
vain, de Reims et autres lieux seront peut-être moins empressées à
s'entremettre que ne le pense l'érudit allemand; mais, s'il ne s'agit
que de rétablir les communications — nous ne disons pas les rela-
tions — scientiQques entre la France et l'Allemagne, nous sommes
pleinement d'accord avec lui : on ne voit aucune raison qui puisse
justifier la prolongation de létat d'ignorance mutuelle louchant le
travail historique (le seul dont nous ayons à nous occuper ici), dans
lequel nous avons vécu de part et d'autre depuis le mois d'août 1914 ;
et nous souhaitons spécialement que les éditeurs allemands rap-
prennent le chemin des revues scientifiques françaises.
Le volume que nous avons sous les yeux renferme : 1° la fin des
textes hagiographiques de l'époque mérovingienne; 2" un copieux
supplément et cent cinquante pages de corrections et additions aux
1. Monumenta Germaniae historica. Scriptorum rerum merovingicarnm ,
t. VII : Passiones vitaeque sanctorutn aevi merovingici cum supplemento et
appendice, éd. B. Krusch et W. Levison. Hannover et Leipzig, Hahn, 1920,
in-4'>, x-902 pages et 5 fac-similés hors texte. Prix : 146 marks.
2. « Pace restituta tomus noster ulriusque populi rébus gestis inserviens
utrobique evolvi potest, faxitque Deus, ut Musae vincula iterum conectant
saevicule Marte crudeliter disrupta » (p. x).
HISTOIRE DE FRANCE. 225
six volumes antérieurs. La méthode des deux collaborateurs est res-
tée semblable à elle-même : sagace et pondérée chez M. Levison;
pleine d'une assurance souvent téméraire et volontiers dénuée de
courtoisie à l'endroit de ses contradicteurs, chez M. Krusch.
Nous n'avons que des éloges à faire de la première partie (p. 1 à
191), due tout entière à M. Levison. Elle se compose de huit textes :
les Vies de Pardoux (f 737) et d'Eucher, évêque d'Orléans (f 738),
écrites au lendemain de la mort des saints eux-mêmes, mais dont
la substance historique est faible ; les Vies de Leufroi, abbé au début
du VIII' siècle, de Rigobert, évêque de Reims (-|- vers 750), de Gen-
goul (martyrisé à Varennes-sur-Araance, en Bourgogne, vers le
même temps), de Bertuin, reclus à Malonne près Namur (même
~ époque), et de Gamalbert, prêtre à Michaelsbuch en Bavière (date
indéterminée), qui toutes sont des œuvres d'époque tardive, soit du
milieu, soit même de la fin du ix* siècle, voire du début du siècle
suivant. La pièce de résistance, dans cette première partie, est la Vie
• du célèbre Willibrord, écrite par Alcuin un demi-siècle environ
après la mort du saint [f 739). M. Levison n'a pas seulement donné
de ce texte, comme de tous les autres du reste, une édition très soi-
gnée et accompagnée de notes excellentes ; il a, dans son introduction,
tracé de l'apôtre des Frisons une biographie très précise, à laquelle
les historiens feront bien de se reporter désormais.
Le Supplément est composé d'abord des morceaux suivants : Pas-
sion de sainte Afre d'Augsbourg, au iv« siècle; biographies de saint
Seurin de Bordeaux par Fortunat et de saint Germain d'Auxerre
par Constance, prêtre lyonnais qui écrivait vers 480 ; Vie de Solem-
nis, évêque de Chartres au début du vi" siècle; réédition de trois
œuvres hagiographiques déjà publiées dans des volumes antésieurs
(les deux premières au tome III des SciHptores rerum merovin-
gicarum et la dernière au tome IV des Auctores antiqulssimi),
savoir les Vies de saint Loup, évêque de Troyes au v" siècle ; d'Hym-
nemodus, Ambroise et Achivus, premiers abbés d'Agaune au
VI* siècle; et celle de saint Germain, évêque de Paris (-{-'576), par
le poète Fortunat; puis la biographie de saint Longis, abbé au dio-
cèse du Mans (vu* siècle), et la Vie primitive de saint Riquier
(vii' siècle). Les biographies de saint Seurin, de saint Germain
d'Auxerre, de saint Solcmnis et de saint Longis ont été publiées
par M. Levison, qui les a réduites à leur juste valeur, laquelle est
faible; l'édition des autres textes a été assurée par M. Krusch qui
s'est plu, selon son habitude, à retrouver presque partout la main
de « faussaires » de l'époque carolingienne, ce qui est peut-être aller
un peu loin.
lÎEV. HiSTOR. CXXXVIII. 2« FASC. 15
226 BULLETIN HISTORIQUE.
A ces œuvres hagiographiques on en a ajouté quelques autres :
un inventaire des éghses et autels de Clermont en Auvergne au
ix^ siècle (édité par M. Levison) ; une série d'anciens catalogues
des rois mérovingiens édités par M. Krusch avec des notes copieuses
de son cru sur la chronologie de ces rois; le fameux texte d'^thi-
cus sur l'origine des Francs, accompagné d'un fragment analogue
extrait d'un manuscrit de Bonn (par M. Krusch). Le Supplément
s'achève par un inventaire détaillé (188 pages) des manuscrits hagio-
graphiques utilisés dans ce volume et les précédents.
Nous devons aussi appeler l'attention des historiens sur l'impor-
tance des « corrections et additions » aux tomes I à VI qui remplissent
les pages 707 à 855. On y trouvera notamment (p. 707-756), comme
suite à diverses critiques adressées par M. Bonnet dans sa thèse sur
le Latin de Grégoire de Tours, une nouvelle étude sur les manus-
crits des Miracles de Grégoire de Tours, avec un relevé des variantes
de deux d'entre eux (par M. Krusch), une meilleure édition (par
M. Krusch encore) d'une autre œuvre du même auteur : la Passion
des sept dormants; la collation de manuscrits nouveaux du Liber
historiae Francorum et des Vies d'Arnulf, de sainte Gertrude,
d'Eptadius, de saint Loup de Sens; une longue note sur les Gesta
Dagoherti, etc. On fera bien de se reporter à ces copieux appen-
dices chaque fois que l'on consultera un des volumes antérieurs de
cette longue et précieuse série.
Les deux petites collections des Scriptores rerum: germanica-
rum in usum scholarum et des Fontes juris germanici anti-
qui, qui sont comme le prolongement des Monumenta Germaniae,
se sont depuis 1914 enrichies de plusieurs volumes. Le seul dont
nous ayons à parler ici^ est encore l'œuvre de M. Krusch 2, qui
s'est borné, il est vrai, à réimprimer les éditions des Vies de saint
Haimhram, évêque de Ratisbonne au vu* ou au début du viii^ siècle,
et de saint Corbinien, évêque de Freising (-j- vers 725), par Arbéon,
lui-même évêque de Freising à dater de 763, telles ou à peu près
telles qu'il les avait données déjà aux tomes IV et VI des Scripto-
res rerum merovingicarum. Pour la Vie de saint Haimhram
toutefois, M. Krusch a pu améliorer légèrement son premier tra-
vail en utilisant des manuscrits nouveaux; pour la Vie de saint
t
1. Nous n'avons pas reçu l'édition cle la Loi saxonne publiée en 1918 par
C. von Schwerin. ,
2. Arbeonis episcopi Prisingensis Vitae sanctorum Haimhrammi et Corbi-
niani, éd. Bruno Krusch. Hannover, Hahn, 1920, in-S", viii-244 p.; prix :
26Tn. 90 (de la collection des Scriptores rerum germanicarum in usum scho-
larum ex Monumentis Germaniae hisloricis separaiim editi).
HISTOIRE DE FRANCE. 227
Corbinien, il a fait l'économie du texte presque entier du rema-
niement composé au ix* siècle et d'un court passage de sa propre
préface. Il est commode de trouver ainsi réunies en un petit
volume ces deux œuvres, qui ne se distinguent point par des
mérites de premier ordre, mais qui sont des échantillons inté-
ressants de la culture littéraire en Bavière vers la seconde moitié
du vin* siècle. ^
Notre Académie des inscriptions et belles-lettres a poursuivi l'im-
pression de son grand recueil des Chartes et diplômes relatifs à
l'histoire de France. Plusieurs volumes sont à la veille de paraître,
comprenant la suite des actes de Philippe Auguste, d'Henri Plante-
genèt, ainsi que les diplômes délivrés par la chancellerie des rois
carolingiens d'Aquitaine; et dès maintenant nous avons en main
l'édition préparée par M. Poupardin des actes des trois souverains
qui se sont succédé sur le trône « de Provence » depuis la création
de ce royaume par l'empereur Lothaire en faveur de son troisième
fds, Charles (855), jusqu'à son absorption dans le royaume voisin
« de Bourgogne » ou, plus exactement, jusqu'à la mort du troisième
roi, Louis l'Aveugle (928) ^ L'histoire de ce royaume éphémère a
été retracée il y a vingt ans en détail par ce même érudit, au labeur
diligent duquel est dû le volume que nous annonçons présentement.
Nous rappellerons d'après lui que l'expression géographique .de
« Provence » ne doit pas donner le change sur l'étendue réelle et d'ail-
leurs très variable d'une souveraineté qui, englobant dabord à peu
près tous les pays sis entre le Rhône, la mer et les Alpes, a même
pu, à certains moments, déborder largement sur la rive droite du
Rhône et jusqu'au Jura et au Mçrvan. Les actes publiés par M. Pou-
pardin émanent, d'autre part, de trois princes dont les pouvoirs
se sont exercés dans des conditions assez différentes : le premier,
Charles (855-863), règne en vertu d'une décision de l'empereur
Lothaire; le deuxième, Boson (879-887), est un usurpateur qui, après
seize années, durant lesquelles le royaume a cessé d'avoir une exis-
tence propre, finit par se faire proclamer roi, mais doit lutter presque
sans arrêt pour défendre l'indépendance de ses États; le troisième,
Louis, lîls du précédent, tout jeune encore lors de la mort de son
père, n'est reconnu qu'après trois années d'interrègne (en 890) et
1. Recueil des actes des rois de Provence (855-928). publié sous la direction
de Maurice Prou par René Poupardin. Paris, Imprimerie nationale [et Klinck-
sieck éditeur], 19'20, in-4°, lx-157 pages et 3 planches (reproductions de sceaux
et monogrammes). Prix : 13 fr. et 75 •/. de majoration temporaire (collection
des Charles et diplômes relatifs à l'histoire de France publiés par les soins
de l'Académie des inscriptions et belles-lettres).
228 BULLETIN HISTORIQUE.
se laisse dès l'année 900 entraîner en Italie, où il reçoit (février
901) la couronne impériale ^ De là l'intérêt très médiocre, il faut
bien le dire, de la plupart des documents, au reste peu nombreux
(une soixantaine, dont plusieurs faux ou suspects), réunis par
M. Poupardin : ce sont en général de simples actes de donations ou
de confirmations, presque tous en faveur des églises ou des monas-
tères du royaume ; on y relève cependant deux intéressantes notices
de jugements (n°' 28 et 52). Comme dans les autres volumes de la
collection, la préface de l'éditeur est réservée à l'étude diplomatique
des pièces publiées. Cette étude se ressent, comme on pouvait s'y
attendre, du caractère inorganique de la chancellerie de ces petits
rois, dont l'administration et le pouvoir furent jusqu'au bout pré-
caires et instables.
La Société de l'Histoire de France a pris à tâche de publier une
édition critique des Grandes chroniques de France et elle a
chargé M. Viard de ce soin. Le premier volume 2, qui vient de
paraître, fait bien augurer de la suite; mais il ne dépasse pas l'an-
née 585 et il en faudra plusieurs encore avant que Ton atteigne la
partie originale delà chronique, qui n'est pour les périodes anciennes
qu'une traduction d'œuvres dont le texte original est venu jusqu'à
nous. Sans doute eût-il été plus sage, en ce temps de crise du papier
et de la librairie, de condenser le début de la compilation, ou tout
au moins de recourir à une disposition typographique plus avanta-
geuse que celle qu'on a choisie. L'édition d'ailleurs promet d'être
excellente. M. Viard s'est non seulement attaché à nous donner un
texte correct, en prenant pour base le manuscrit 782 de la Biblio-
thèque Sainte- Geneviève, mais il l'a annoté avec le soin dont
il est coutumier (sans doute même avec un soin excessif, étant
donné le caractère de l'œuvre), a relevé les sources auxquelles le
compilateur a puisé ^et ici Aimoin a fourni l'essentiel), enfin, en
une courte mais substantielle préface, a résumé tout ce que l'on
sait présentement de l'origine des Grandes chroniques. Il tient à
en faire remonter l'inspiration au roi saint Louis lui-même, et peut-
être s'exagère- t-il la valeur de ses arguments ; mais il est certain —
et c'est en partie ce qui en fait l'intérêt — qu'elles se rattachent au
1. Les actes de Louis l'Aveugle concernant l'Italie ont été exclus du recueil
de M. Poupardin. On sait qu'ils ont été publiés par M. Schiaparelli dans la
collection des Fo7ili per la storia d'IlaUa de 1' « Istituto storico italiano » (/
diplomi italiani di Lodovico III et di Rodolfo II. Roma, 1910, in-8°).
2. Les Grandes chroniques de France, publ. par Jules Viard; tome I : Des
origines à Glotaire II. Paris, Société de l'histoire de France, 46, rue Jacob,
1920, in-8°, xxxii-355 pages. Prix : 15 fr. (publication de la Société de l'his-
toire de France).
HISTOIRE DE FRANCE. 229
grand mouvement de curiosité encyclopédique du xiii* siècle, dont
Vincent de Beauvais est, dans un autre ordre d'idées, un des plus
illustres représentants.
Lé tome III du Recueil de chartes et documents de Saint-
Martin-des-Champs, formé par M. DEPorN^ comprend environ
trois cent cinquante pièces du temps de Philippe Auguste et un
« Mémorial chronologique des défunts commémorés » à l'abbaye à
la fin du xii" siècle. Ces documents sont, dans l'ensemble, aussi
dignes d'attention que ceux des volumes antérieurs ; l'édition en a
été préparée avec le même zèle, mais nous sommes obligés de répé-
ter à propos de cette nouvelle série les critiques que nous avons eu
à formuler à propos des deux premières 2. Les copies n'ont pas tou-
jours été revues avec assez de soin et, par suite, les textes sont sou-
vent défigurés : deux actes de Philippe Auguste que nous avons col-
lationnés sur l'édition de M. Delaborde ne laissent aucun doute à
cet égard. En outre, il est souvent difficile de comprendre comment
les textes ont été établis; les variantes sont relevées d'une façon
capricieuse; il arrive qu'on en donne Iprs même que l'original était
sous les yeux de l'éditeur ; il arrive, par contre, qu'on n'en donne
aucune quand le texte pourtant n'a pu être dressé qu'à l'aide de plu-
sieurs copies. Ainsi risque d'être gravement compromis le résultat
de longues recherches et d'un persévérant effort, qu'on voudrait
pouvoir louer sans restrictions.
On n'adressera pas les mêmes reproches à M. Meillon. Son édi-
tion du cartulaire de Saint-Savin, dans la vallée de Cauterets^, a
été élaborée avec une méthode qu'on serait presque tenté de trouver
trop minutieuse. La peine qu'il a prise pour établir la filiation des
diverses copies, pour en relever les variantes, pour commenter les
moindres détails de ses documents, mène parfois à des résultats un
peu compliqués pour un lecteur ordinaire, plus pressé que lui d'ar-
river au but. Mais nous aurions mauvaise grâce, après tout, à nous
plaindre de cet excès de conscience. Les quarante et quelques docu-
ments dont son volume reproduit le texte et fournit la traduction sont
curieux ; ils nous initient à des coutumes souvent fort originales de
1. Recueil de chartes et documents de Saint-Martin~des-Champs, monastère
parisien, par J. Depoin; tome III. Abbaye de Ligugé, à Chevetogne (Belgique),
et Paris, Auguste Picard, 1917, in-8°, 422 pages. Prix : 12 fr. {Archives de la
France monastique, t. XVIIl).
2. Rer. histor., t. CX (1912), p. 330-331; t. CXVl (1914), p. 82-84.
3. Alphonse Meillon, Histoire de la vallée de Cautercts ( Uautes-Pyrénées) :
tome I : les Origines. Le cartulaire de l'abbaye de Saint-Savin en Lavedan
(vers 975-vers II8O), avec une préface de Camille Jullian. Cauterets, Cazaux,
1920, in-8% xx-486 pages.
î I
230 BDLLETIN HISTORIQUE.
ces vallées pyrénéennes, en même temps qu'à l'histoire féodale,
si obscure, du comté de Bigorre au xi« et au xii* siècle.
IL Histoire générale. — Le Saint Sigisbert de M. l'abbé
Guise ^ , écrit en partie à l'intention des élèves de l'école Saint- Sigis-
bert, que l'auteur dirige à Nancy, est, comme la plupart des volumes
de la collection « Les saints » , un livre d'édification plus encore qu'un
livre d'histoire. Cependant par le souci dont il fait montre de se
reporter aux dernières éditions des textes qu'il utilise et de s'en tenir
autant que possible à la lettre de ces textes, M. Guise mérite d'être
traité en historien. Son sujet, malheureusement, était maigre : Sigis-
bert, fils du grand Dagobert, n'a vécu que vingt-six ans et son court
règne a été d'un extrême insignifiance ; à peine les chroniques lui con-
sacrent-elles quelques lignes. M. l'abbé Guise lui a consacré tout
un volume. C'est dire qu'il a dû parler de bien d'autres choses que
de Sigisbert lui-même, accueillir avec un peu trop de complaisance
des récits ou des commentaires hagiographiques pour lesquels il ne
montre cependant pas toujours lui-même une confiance très grande,
et paraphraser trop longuement certains passages d'une œuvre d'aussi
basse époque que les Gesta. DagohertP.
Pour l'époque carolingienne, on nous permettra de signaler d'abord
le volume dans lequel ont été rassemblées les études que nous avons
publiées ici même sur l'histoire de Charlemagne^. Il suffira d'en
rappeler sommairement l'ordonnance. Quatre études traitent des
sources principales de cette histoire : les Annales royales, les petites
annales, dont nous nous sommes efforcé de renouveler le classement
et la critique, l'œuvre d'Einhard et celle du Moine de Saint-Gall,
dont nous avons tenté de déterminer avec précision l'originalité et la
valeur, si étrangement surfaite dans l'un et l'autre cas. La deuxième
partie du volume s'attaque à des problèmes proprement historiques :
un premier chapitre retrace en détail les péripéties de la conquête de
la Saxe ; un second chapitre est réservé à l'histoire du couronnement
impérial en l'an 800 ; les deux derniers portent sur l'histoire écono-
1. L'abbé Guise, Saint Sigisbert, roi d'Austrasie (630-656). Paris, Lecoffre,
1920, in-12, x-i82 pages. Prix : 3 fr. (collection « Les saints »).
2. P. 10, et ailleurs encore, M. l'abbé Guise semble croire que les « saints »
de l'époque mérovingienne étaient tous des modèles de vertu. Il fera bien de
se documenter sur leur compte ailleurs que chez les hagiographes. P. 87 et
suiv., il a tort de se fier à Kurth et de voir avec lui dans l'histoire de la
guerre de Thuringe sous Sigisbert l'origine de toute une famille de légendes
épiques. M. Bédier, en dernier lieu, a fait justice de ces fantaisies.
3. Louis Halphen, Études critiques sur l'histoire de Charlemagne. Paris,
Félix Alcan, 1921, in-8% viii-314 pages et une carte hors texte. Prix : 14 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 231
mique et étudient respectivement le régime domanial et les théories
d'Inama-Sternegg et de M. Dopsh touchant la « renaissance» indus-
trielle et commerciale dans l'Empire carolingien au temps du grand
empereur franc.
En présence de l'immense labeur que suppose un volume de dimen-
sions aussi considérables que le Gerbert de M. de La Salle de
RocHEMAURE * , on hésitc à prononcer des paroles de découragement.
On ne peut taire cependant que ses sept cent cinquante pages in-
octavo n'apportent pas grand'chose de neuf à l'histoire. Admi-
rateur enthousiaste du pontife dont il est le compatriote, l'auteur de
ce livre a voulu élever à son héros un monument digne de lui ; mais
l'enthousiasme et la bonne volonté ne suffisent pas à faire un histo-
rien. M. de Rochemaure, qui puise dans le Larousse et dans l'abbé
Darras sa science sur le passé de la Pologne (p. 553-554), n'a qu'une
connaissance très imparfaite des travaux consacrés à Gerbert lui-
même. C'est seulement vers le milieu de son livre (p. 363), sauf
erreur, qu'il découvre le Hugues Capet de M. Ferdinand Lot — dont
il n'a du reste lu, semble-t-il, que deux pages en tout (p. 102-103)
— sans se douter qu'il y aurait trouvé, ainsi que dans les Derniers
Carolingiens du même auteur, des vues essentielles à son sujet. Il
ne semble pas non plus soupçonner l'existence des recherches érudites
de Jules Lair ; il a renoncé à se faire traduire celles de Boubnov ; sur
les connaissances mathématiques de Gerbert, des études aussi impor-
tantes que celles de Weissenborn lui ont échappé. Et ce ne sont là
que quelques oublis entre beaucoup d'autres. Tout le volume s'en
ressent : M. de Rochemaure, qui élargit perpétuellement un sujet
déjà assez, difficile en soi et qui se complaît aux aperçus généraux,
aux tableaux d'ensemble, a, sur l'histoire du x» siècle, des idées vrai-
ment trop sujettes à caution — et qui datent ; il les exprime, de plus,
en un style d'une magnificence excessive 2. Et puis était-il bien
utile de présenter de Gerbert une apologie à jet continu? Le
1. Duc de La Salle de Rochemaure, Gerbert (Silvestre II). Le savant, le
« faiseur de rois », le pontife. Rome, imprimerie « Editrice RoiT^ana », et
Paris, Émile-Paul, 1914 (en réalilé : 1921), in-8°, 752 p. et de nombreuses
planches hors lexte.
2. Un seul exemjde suffira : « Comme on voit un tleuve se dilater insensi-
blement et, dans sa course majestueuse vers l'Océan, aller répandre l'abon-
dance et la fécondité jus(iue dans les contrées les plus reculées, ainsi la
Papauté, à travers les crises, tour à tour douloureuses et héroïques des siècles
de son histoire, a puise dans sa divine institution, etc.. Si ce fleuve était
étroit et resserré à sa source jusqu'au jour où Constantin le laissa s'épandre
librement sur le monde, son onde était limpide, etc.. » Il y a des pages
entières de ce style.
232 BULLETIN HISTORIQUE.
héros de M. de Rochemaure a eu ses tares : il fut un homme de son
temps et nous croyons que son biographe eût été mieux inspiré en
cherchant à le peindre tel qu'il fut.
Dans un mémoire très étudié et qui ouvre souvent des perspectives
nouvelles\ M. Auguste Dumas, professeur à la Faculté de droit
d'Aix, a repris Texamen des principales questions soulevées par le
regretté Jacques Flach au tome IV de ses Origines de l'ancienne
France. Les lecteurs delajRevue historique se rappellent les con-
clusions paradoxales auxquelles ce dernier aboutissait : nous les
avons exposées et discutées ici même 2. M. Dumas est d'accord avec
nous sur la plupart des points, c'est-à-dire qu'il se rallie à la thèse
si brillamment soutenue par M. Ferdinand Lot dans son livre Fidèles
ou vassaux. Mais il ne se contente pas de montrer la fragilité des
raisonnements échafaudés par M. Flach; à propos des théories de ce
dernier, il refait l'histoire du contrat de vasselage, du serment de
fidélité, de l'hommage; il expose avec beaucoup de lucidité comment
ces divers éléments se sont rejoints d'abord, puis comment, à partir
de la fin du xi« siècle, les juristes se sont apphqués à les dissocier;
il développe enfin des considérations fort intéressantes sur l'évolution
du pouvoir royal du viii* au xiii^ siècle, pour conclure qu'on a fait
fausse route quand on a voulu établir une distinction entre l'autorité
du roi capétien en tant que « souverain » et son autorité en tant que
« suzerain » . Peut-être pourrait-on discuter sur ce chapitre et chercher
si, en dépit de l'imprécision du vocabulaire des hommes du moyen
âge, il n'y a pas lieu, quoi qu'en dise M. Dumas, de croire à la sur-
vivance, plus ou moins nette, des idées d'État et de Souveraineté
en Occident durant les siècles mêmes où la puissance publique s'af-
firme le moins dans les faits. Mais une pareille discussion nous
entraînerait trop loin. Qu'on partage ou non l'avis de M. Dumas,
son mémoire n'en mérite pas moins, même en ces matières, la plus
sérieuse attention. Nous ne saurions trop en recommander la lecture.
L'histoire du duché de Normandie depuis sa fondation jusqu'à
son incorporation à l'empire des Plantegenêts continue à occuper les
érudits. Après les ouvrages de MM. Prentout, Haskins, Vahn et
Ohesnel, dont nous avons rendu compte ces dernières années^ voici
encore deux volumes d'inégale valeur, l'un de M. Du Motey sur
1. Auguste Dumas, Encore la question « Fidèles ou vassaux? », à propos
du quatrième volume des Origines de l'ancienne France, de M. Flach (Paris,
librairie du « Recueil Sirey », 1921, in-8°, 115 p.; extr. de la Nouvelle revue
historique de dn-oil français et étranger, t. XLIV, p. 159-229 et 347-390).
2. Rev. histor., i. CXXIX (1918), p. 90 et suiv.
3. Rev. histor., t. C, p. 227; t. CIV, p. 106; t. CXXII, p. 175; t. CXXIX,
p. 96,
eiSTOlllE DE FRANCE. 233
les origines du duché et son histoire jusque vers la fin du xi'' siècle,
l'autre d'un professeur américain, M. Oh. David, sur le duc Robert
Courteheuse. L'ouyi'age du premier' se divise en trois parties :
1" une brève « étude préliminaire » sur le diocèse de Séez depuis
Charles le Chauve jusqu'au début du x" sièclç; 2° une série de sept
cliapitres sur la formation du duché normand depuis Rollon jusqu'à
la mort de Richard II (1026); 3" quelque deux cents pages sur les
seigneurs de Bellème et d'Alencon et leur rôle dans l'histoire de la
Normandie depuis le milieu du x'= siècle jusqu'en 1085. C'est pour
préparer cette troisième partie que tout le reste a été écrit, l'auteur,
qui est d'Alenron, s'intéressant plus spécialement à l'histoire nobi-
liaire de sa petite patrie. Nous ne songeons point à lui en faire un
reproche; mais son livre se ressent un peu trop de cette préoccupa-
tion d'ordre exclusivement local. Quand il veut se hausser à la
« grande histoire », comme il dit, et même lorsqu'il s'en tient à celle
du pays alençonnais, M. du Motey fait preuve d'une regrettable inex- *
périence. Il se montre médiocrement au courant des éditions et des
travaux récents, et il lui arrive de commettre, par suite, d'étranges
méprises, par exemple lorsqu'il utilise sans l'ombre d'une hésitation
le prétendu diplôme du roi Philippe I" confirmant la fondation de
l'église Saint-Léonard de Bellème : « Son authenticité, maintenant
complètement démontrée, est, dit-il, hors de doute » (p. 125, note 2).
Il n'oubhe qu'une chose, c'est que M. Prou en a déjà, par deux fois
— et la première il y a près de vingt ans — démontré l'absolue faus-
seté. Cet exemple suffit. M. du Motey fera bien, pour les prochains
travaux qu'il annonce sur Robert « le Diable » et sur les comtes
d'Alençon et du Ponthieu, de lire de plus près les quelques livres
modernes qu'il cite dans ses notes et de se reporter systématique-
ment, pour tous les textes qu'il utilise, aux dernières éditions qui en
ont été données.
L'ouvrage de M. David ^ est autrement solide. Entrepris sur les
conseils de M. Haskins, dont on n'a pas oublié les belles recherches
1. Le vicomte du Motey, Origines de la Normandie et du duché d'Alençon
de Van 850 à l'an 1085. Paris, Auguste Picard, 1920, in-8°, x-327 pages.
Prix : 25 fr. — Le titre que nous venons de transcrire est celui de la couver-
ture du volume. Le vrai titre est : Origines de la ISormandie et du duché
d'Alençon. Histoire des quatre premiers ducs de Normandie et des Talvas,
princes de Bellème, seigneurs d'Alençon, de Sées, de Domfront, du Passais
et du Saosnois, précédée d'une étude sur le diocèse de Sées au IX' siècle,
de l'an 850 à l'an 1085. Rien de plus, rien de moins.
2. Charles Wendell David, Robert^Curtliose, duke of Normandy. Cambridge,
Mass., Harvard University Press, et Oxford, University Press, l'J20, in-S", xiv-
271 pages, 1 carte et 1 gravure hors texte. Prix :3 dollars {llarrard historical
studies, l. XXV).
234 BULLETIN HISTORIQUE.
sur les institutions normandes, il nous apporte une biographie cri-
tique très étudiée du fils de Guillaume le Conquérant. Robert Cour-
teheuse n'a certes pas joué un rôle très glorieux : son histoire est
d'abord celle d'un fils rebelle, puis celle d'un prince incapable ; son
règne en Normandie est marqué par de perpétuels désordres ; il ne
réussit qu'à affaiblir et compromettre l'autorité ducale et mérite
ainsi d'en être dépouillé par son frère Henri Beauclerc lorsque, après
son retour dé la croisade, il est battu et fait prisonnier à Tinchebray
(1106). M. David ne modifie point l'idée que nous nous formions de
ce médiocre personnage ; mais il en précise l'histoire et expose avec
sagacité le détail des événements auxquels il fut mêlé tant en Nor-
mandie que dans le Maine et en Terre sainte. Le dernier chapitre est
consacré aiux légendes dont Robert Gourfceheuse est le héros. Il est
suivi de notes et d'appendices, qui achèvent de faire de tout le volume
un excellent instrument de travail.
• On attendait de M. Marc Bloch, aujourd'hui chargé de cours à
l'Université de Strasbourg, une étude sur le servage et les popula-
tions rurales de l'Ile-de-France au moyen âge. La guerre l'a obligé
à différer la réalisation de ce projet, et c'est seulement avec un com-
mentaire des ordonnances royales de 1315 et 1318 sur l'affranchis-
sement des serfs du domaine capétien ' qu'il est venu demander à la
Sorbonne le grade de docteur es lettres : ce qui devait être une thèse
« complémentaire » s'est mué en thèse « principale » , et même en
thèse unique; mais le commentaire a pris l'ampleur d'une enquête,
neuve et personnelle, sur le servage et les affranchissements enterre
capétienne, plus particulièrement en Vermandois et dans les régions
voisines, depuis le temps de Louis VI jusqu'à l'avènement de Phi-
hppe de Valois. M. Bloch s'est appliqué avant tout à définir d'une
façon rigoureuse la condition légale du serf et les charges vraiment
caractéristiques qui pesaient sur lui. Ce sont des pages très fouillées,
qui font faire à l'examen de la question un progrès marqué, quand
bien même on en pourrait discuter quelques points. Mais ce que ce
livre renferme de plus original, c'est une étude minutieuse et tout à
fait intéressante des raisons, où ni la morale ni la religion n'eurent
rien avoir, qui poussèrent les rois capétiens, saint Louis compris, à
vendre la hberté aux serfs de leurs domaines. Le procédé était com-
mode, et l'on ne s'étonnera pas que, dès Philippe le Bel, l'adminis-
tration royale, toujours habile à faire argent de tout, soit entrée
résolument dans la voie des affranchissements obligatoires, qui per-
mettaient de remplir dans les moments de détresse ïes coffres vides
du Trésor. Les affranchissements de 1315 et de 1318 procèdent de la
1. Marc Bloch, Rois et serfs. Un chapitre d'histoire capétienne. Paris,
Champion, 1920, in-S", 224 pages. Prix : 12 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 235
même pensée, malgré la magnificence du préambule qui ouvre les
lettres royales oij la mesure est édictée : M. Bloch a sans peine fait
justice de cette phraséologie creuse et prouvé également que, pas
plus que leurs prédécesseurs, Louis X et Philippe V n'avaient
entrepris, comme on Ta écrit mainte fois, d'affranchir tons les
serfs de tous leurs domaines. L'ouvrage de M. Bloch se termine
par quelques pièces justificatives et diverses notes, dont l'une, sur
les « collecteurs des mainmortes et formariages » et sur leur comp-
tabilité, mérite d'être spécialement signalée'.
On saura gré à M. Emile Ghénon^ d'avoir analysé, principalement
d'après les Olim, avec la compétence qu'on lui connaît, quelque
deux cents affaires intéressant sa province natale jugées au Parle-
ment de Paris de 1255 à 1328. Ces affaires sont résumées briève-
ment dans l'ordre môme où elles vinrent en délibéré devant les juges
royaux, c'est-à-dire pêle-mêle; mais M. Ghénon n'a pas omis de
dégager à la fin de son volume quelques-uns des faits généraux qui
ressortent d'une étude attentive de tous ces dossiers de procédure. Il
a très justement souligné l'intérêt que ces textes présentent pour
l'histoire des progrès de l'autorité .et de l'administration royales en
Beri7 à la fin du xiii'' siècle et au début du xiv^ relevant, entre
autres, les empiétements progressifs de la cour capétienne, les
mesures prises parle souverain pour rogner les griffes des baillis en'
les flanquant d'officiers nouveaux, montrant aussi les modifications
apportées dans la suite des temps au statut juridique des diverses
classes de la population (serfs, bourgeois, nobles, clercs), et les
patients mais fructueux efforts faits par les clercs du Parlement pour
préciser, compléter et coordonner le droit coutumier de la province^.
1. p. 21, 25, et ailleurs encore, M. Bloch tient le mol d' « hôte » pour un
simple équivalent de « manant » ou d'homme libre. Historiquement au moins,
il a tort. P. 30, il eût été bon d'expliquer la raison d'être du formariage.
P. 33, note 2, l'exemple tiré du Recueil des chartes de Saint- (,'crmaiii-des-
Prés ne semble pas s'appliquer au cas visé. P. 46, note 1, inutile de parler du
« devoir » qui incombe au seif^neur de poursuivre les meurtriers de son serf :
c'est comme si l'on parlait du « devoir » qui lui incombe de poursuivre le
meurtrier de sa vache ou de son cheval; son intérêt de pro|)riélaire frustré est
directement en jeu. P. 46-47, la question du « serf-chevalier » ne semble pas
élucidées P. 68, ligne 20, le mouvement pe peut être dit « nettement régio-
nal », puisqu'on suppose en même temps que des faits identiiiues se sont pro-
duits un peu partout.
2. Emile Ciiénon, les .hiius de l}crry au Parlement de Paris de V255 à
1328. Paris, librairie de- la Société du « Recueil Sirey », 1921, in-8°, 395 p. et
6 tableaux généalogiques, avec un index des noms propres et un index des
matières.
3. La courte préface du volume (p. 5-7) appellerait, par contre, quelques
réserves de fond et de forme.
236 BULLETIN HISTORIQUE.
III. Histoire religieuse. — Don^ESSE, que la mort est venue
l'an passé arracher brutalement à son infatigable labeur, a pour-
suivi jusqu'à son dernier souffle la rédaction du grand inventaire
des Ahbayes et 23?'ieurés de 1'a.ncienne France auquel il avait
consacré depuis quelque douze ou quinze ans le plus clair de ses
efforts ^ Nous avons déjà eu maintes fois l'occasion d'en expliquer
la composition^. Le dernier volume paru (le huitième) concerne la
province ecclésiastique de Tours. Il est aussi riche que ses aînés en
renseignements bibliographiques — presque trop riche même, car,
comme dans les volumes antérieurs aussi, on sombre souvent dans
la confusion. Il faut^déplorer, en outre, que les noms des auteurs cités
aient continué jusqu'au bout à être si fréquemment estropiés, au
point d'en être méconnaissables. (Notons en passant que dom Besse
a continué ici encore à écrire avec un seul t le nom de Potthast, qui
revient pourtant presque à chaque page.) Il y a enfin quelques
oubHs graves^. Mais, dans l'ensemble, l'ouvrage est clair, commode;
la liste des établissements monastiques qu'il renferme est infiniment
plus complète que celle de la Gallia christiana. C'est, en somme,
un monument d'érudition qui, malgré ses très graves défauts, fait
honneur à la mémoire de celui qui l'a conçu et presque entièrement
réalisé. Nous "espérons que ses confrères de l'abbaye de Ligugé
auront à cœur d'en assurer l'achèvement.
Le P. Delehaye a publié dans les Analecta Bollandiana un
remarquable mémoire sur saint Martin ■*. Il y attaque très vivement,
bien qu'en termes d'une parfaite courtoisie, les conclusions du livre
1. Abbayes et prieurés de l'ancienne France. Recueil historique des arche-
vêchés^ évêchés, abbayes et prieurés de France, par dom Beaunier ; tome VIII :
Province ecclésiastique de Tours, par le R. P. dom J.-M. Besse. Abbaye de
Ligugé, à Chevetogne (Belgique), et Paris, Aug. Picard, 1920, in-S", 369 pages.
Prix : 15 fr. {Archives de la France monastique, t. XIX).
2. Rev. histor., t. LXXXVIII (1905), p. 441; t. CI (1909), p. 444; t. CVIII
(1911), p. 132; t. CXII (1913), p. 344; t. CXVI (1914), p. 98; t. CXXIII (1916),
p. 139.
3. Par exemple, p. 5, note 3, où dom Besse en reste, pour la vie de saint
Martin de Sulpice Sévère, à l'édition de la Patrologie de Migne et, pour les
ouvrages modernes sur le même saint Martin, à celui de Lecoy de la Marcbe,
qui ne nous apporte certes pas le dernier mot de la science. P. 22, note 1,
le recueil des chartes de Saint-Julien de Tours de M. l'abbé Denis semble
totalement oublié. P. 59, pour la chronologie des évoques d'Angers, la préface du
Cartulaire noir de Saint-Maurice d'Angers de M. le chanoine Urseau eût dû être
citée en toute première ligne. Pas plus qu§ précédemment, dom Besse ne s'est
reporté à la deuxième édition des Fastes épiscopaux de Mgr Duchesne.
4. Hippolyte Delehaye, Saint Martin et Sulpice Sévère, dans les Analecta
Bollandiana, t. XXXVIII (1920), p. 5-136. Voir, à propos du même ouvrage,
l'article de Marc Bloch, Saint Martin de Totirs, à propos d'une polémique,
dans la Revite d'histoire et de littérature religieuses, 1921.
HISTOIRE DE FRANCE. 237
de M. Babut, dont nous avons rendu compte ici même'. On se
rappelle que M. Babut déniait à peu près toute valeur documentaire
à l'œuvre de Sulpice Sévère, prétendait que saint Martin avait été
médiocrement honoré de son vivant et soutenait, par surcroît, que
le culte de sa mémoire ne s'était implanté en Gaule qu'à une époque
tardive. Le P. Deleliaye reprend une à une toutes ces thèses, réfute
les accusations portées par M. Babut touchant la bonne foi de Sul-
pice Sévère, établit enfin que saint Martin a bel et bien été vénéré
par ses contemporains. Chemin faisant, il s'applique à démêler la
chronologie de la vie du saint évêque et apporte ainsi une contribu-
tion positive à l'histoire religieuse ^u iv^ siècle. Est-ce à dire que
toutes les observations naguère présentées par le regretté Babut
doivent être tenues pour inexistantes? Pas tout à fait, croyons-nous.
Mais le P. Delehaye a souligné avec force les dangers d'une méthode
qui fait à la conjecture et à l'ingéniosité personnelle de l'érudit une
trop large part et ramené la discussion sur son véritable terrain,
celui des documents, auxquels l'historien est en toute occasion
obligé de se tenir.
C'est sur ce terrain que se cantonne strictement M. Lardé dans
le livre^, clair et bien composé, où il examine, en remontant jus-
qu'aux origines mêmes de l'Eglise, comment s'est formé, en Gaule
particulièrement, le « privilège du for ecclésiastique » ou « privilège
de clergie » , grâce auquel les membres du clergé finirent par échap-
per dans la majorité des cas, tant au criminel qu'au civil, à la
juridiction des tribunaux ordinaires. M. Lardé a arrêté, provisoire-
ment au moins, son enquête à la mort de Charlemagne, dont le règne
paraît avoir marqué en effet une étape décisive dans la voie de l'af-
franchissement judiciaire du clergé des Gaules. L'étude à laquelle il
s'est livré et qui est divisée en deux parties — avant et après la
conquête franque — est l'œuvre d'un juriste averti et d'un érudit
habitué au maniement des textes ; elle nous permet de suivre pas à
pas les efforts déployés par l'Église pour obtenir le droit de juger
elle-même d'abord ses querelles intérieures, puis peu à peu toutes
les affaires où les siens étaient impliqués. L'édit promulgué par
Clotaire en 614 a dans cette histoire une importance capitale. Aussi
M. Lardé en a-t-il fait un examen minutieux. A-t-il réussi à inter-
préter sainement l'article 4, sur lequel on a déjà tant discuté?
Nous n'oserions l'affirmer et nous serions même porté à nous
séparer de lui à ce propos sur plusieurs points essentiels. Par contre,
les rapprochements qu'il a faits entre l'édit, les capitulaires de Char-
1. Rev. histor., t. CXII (1913), p. 338-339.
2. Georges Lardé, le Tribunal du clerc dans l'empire romain et la Gaule
franque. Moulins, Imprimerie régionale, 1920, in-8°, 230 pages.
238 BOLLETIJV HISTORIQUE.
lemagne et les délibérations du grand concile tenu à Paris en cette
même année 6iA sont des plus suggestifs, et quiconque écrira désor-
mais sur la question du for^cclésiastique aura profit à consulter son
travail.
Presque en même temps que M. Lardé, M. Génestal, qui a été
son maître à TEcole des hautes études, a fait paraître sur une autre
partie du même sujet — pour la période qui s'étend du milieu du
XII'' siècle à la fin du xiv* — le tome I" d'un ouvrage important sur
lequel nous aurons l'occasion de revenir lorsqu'il sera achevé^.
Pour l'instant, nous eu festons encore aux préliminaires, M. Génesr
tal s'étant proposé seulement dans ce premier volume de déterminer
avec précision les diverses catégories de personnes qui, en droit,
étaient fondées à invoquer le privilège du « for ecclésiastique ».
Mais cette étude est fort instructive. M. Génestal y montre combien
élastique était l'e^cpression de « clerc » dans la langue, même juri-
dique, du moyen âge, puisqu'elle s'appliquait, lato sensu, à qui-
conque avait reçu la tonsure, ce qui avait pour résultat, vu la faci-
lité avec laquelle on pouvait être tonsuré, de permettre à beaucoup
d'accusés, fussent-ils mariés, d'échapper aux juridictions séculières;
mais il montre aussi comment, dans la pratique et aussi dans la légis-
lation — voire dans la législation canonique — on s'appHqua à limi-
ter les inconvénients que devait entraîner l'extension indéfinie d'un
privilège, à la longue gênant pour la royauté et parfois pourTEghsc
elle-même.
Une simple mention suffira pour le livre de M. l'abbé Lahure
sur l'abbaye cistercienne de la Valroy, au diocèse de Reims^. Médio-
crement documenté, écrit dans un esprit qui n'a généralement rien
à voir avec le véritable esprit scientifique, ce livre risque de n'être
pas d'un grand secours pour les historiens de métier.
Nous ne citerons, de même, que pour mémoire, le petit volume^
que M. 0. de Warenghien a publié sur son « ancêtre » Michel de
Warenghien, évêque de Tournai (1284-1291), et où il s'est appli-
qué, nous dit-il, à mettre au point et compléter les travaux de deux
autres membres de sa famille, magistrats l'un et l'autre au cours du
1. R. Génestal, le » Privilegium fori » en France du décret de Graiien à la
fin du XIV siècle; tome I. Paris, Ernest Leroux, 1921, in-8°, xx-246 pages
{Bibliothèque de l'École des hautes études. Sciences religieuses, t. XXXV).
2. L'abbé A. Lahure, Notre-Datne de ta Valroy, abbaye royale de Cister-
ciens, autrefois située entre Sainl-Quentin-le-Petit et Sévùjny- Waleppe, au
diocèse de Reims, lli7-1789. Préface de Georges Goyau. Paris, Gabriel Beau-
chesne, 1920, in-S", xxiv-233 pages et 9 planches hors texte.
3. Camille de Warenghien, Un prélat au XIII" siècle. Michel de Waren-
ghien, éoéque de Tournai de 128i à 1291. Paris, E. de Boccard, 1919, in-16,
103 pages et 3 planches hors texte.
HISTOIRE DE FRANCE. 239
XIX* siècle. L'initiation historique de l'auteur semble encore rudi-
mentaire. Il décrit (p. 22) le sceau de l'évèque de Tournai d'après
l'original « conservé de nos jours aux Archives nationales, cabinet
des estampes » {sic), et le château d'Heichin avant sa démolition en
1382 (p. 24) d'après un écrivain du xvii' siècle, qui a été jusqu'à
dénombrer les moellons employés à sa construction. Enfin la seule
lecture de la bibliographie insérée p. 95-96 donne à penser que
M. de Warenghien n'est pas encore aussi familier qu'il conviendrait
avec quelques-uns des livres anciens ou modsrnes qu'il aurait eu
profit à manier.
IV. Histoire de la civilisation. — L'historien de la littérature
latine au moyen âge trouvera à glaner dans le troisième et dernier
volume des Œuvres de L. Traube * , bien qu'il soit composé presque
uniquement de notes très brèves portant sur des points de détail.
On y relèvera des pages intéressantes sur quelques manuscrits des
classiques latins au moyen âge (entre autres, sur des manuscrits de
Valère Maxime, Cornélius Nepos, Tite-Live, Ammien Marcellin.
Cicéron, Virgile, etc.), sur le rôle des « Scots » à l'époque franque,
sur le Comput d'Hilperich, moine de Seligenstadt, et quantité d'ob-
servations sur les œuvres littéraires de l'époque carolingienne.
Dans l'histoire de la philosophie scolastique et de l'enseignement
théologique en France avant Abélard, le célèbre maître de l'école
épiscopale de Laon Anselme (-j- 1117) tient, semble-l-il, une place
d'honneur; mais son rôle véritable et l'influence réelle de ses idées
restent à préciser. M. Bliemetzrieder, qui nous promet pour un
prochain fascicule des Beitràge zur Geschichte der Pliilosophie
des Mittelalter^s une étude spéciale sur cette question, nous apporte
dès maintenant une édition critique et annotée des deux principaux
traités d'Anselme, les Sententiae divinae paginae et les Senten-
tiae Anselmi^. Nous aurons l'occasion d'y revenir quand le travail
aura reçu le complément annoncé.
Nous souhaiterions pouvoir donner ici d'une façon réguhère un
aperçu d'ensemble de l'activité déployée tant en France qu'en Alle-
magne, en Amérique et ailleurs encore (notamment dans les pays
1. Lndwig Traube, Vorlesuyigen und Abhandlungen, publ. par Franz Boll;
tome III : Kleine Sckriften, publ. par Samuel Brantlt. Muncheu, Oskar Beck,
1920, ln-8% xvi-344 pages et 2 fac-similés de palimpsestes. Prix : 35 marks.
Sur les précédents volumes, voir Rev. histor., t. C (1909), p. 458, et t. CVI
(1911), p. 184.
2. Ariselms ton Laon Syslemalische Scnteuzen, publ. par Franz PI. Blie-
metzrieder; 1" partie : Texte. Munster i. W., Aschendorll", 1919, in-8°,
xxvi-38 et 1G7 p.; 2 fac-similés bors texte. Prix : 12 marks (forme le fasc. 2-3
des Beilrûgc zur Geschichte der Philosophie des Mittclallers. Texte und
Untersuchungetiy publ. par C. Baeumker, t. XVlll).
240 BDLLETIN HISTORIQUE.
Scandinaves) pour la mise au jour, la diffusion et l'étude des chefs-
d'œuvre de notre littérature française des xii* et xiii* siècles ' . Il faut
nous borner aux livres qui nous parviennent et nous contenter
pour cette fois des trois derniers volumes parus dans la petite col-
lection des Classiques français du moyen âge, dont nous avons
déjà souvent loué la méthode sûre et sobre et l'élégance de bon aloi.
Le premier d'entre eux nous apporte une des chansons de geste les
plus connues, le Couronnement de Louis, réédité par M. Ernest
Langlois^, qui l'avait déjà publié il y a près de vingt-cinq ans pour
la « Société des anciens textes français ». Le texte, qui date des
environs de 1130, a été revu attentivement et précédé d'une rapide,
mais suffisante introduction. — M. Wallenskold^ a donné, à son
tour, une édition nouvelle de lœuvre lyrique de Conon de Béthune,
un des croisés de 1189 et de 1202. Oe sont surtout des chan-
sons d'amour, banales d'ordinaire, avec de-ci de-là cependant
des traits assez piquants et des allusions à quelques personnages
notables du règne de Philippe Auguste. Un seul regret : la biogra-
phie de l'auteur eût gagné à être étudiée de plus près. — Le troisième
volume, dont nous ayons à parler, est dû à la collaboration de
MM. Jeanroy et LlNaFORS''. Il est presque tout entier réservé aux
chansons de langue d'oïl des satiristes français du xiii^ siècle : satires
contre le siècle, satires contre le clergé, satires contre l'amour, satires
contre les femmes, telles sont les grandes sections entre lesquelles se
répartissent les pièces de ce recueil dont quelques-unes sont célèbres
— comme la fameuse Chanson des ordres de Rutebeuf — dont
quelques-unes aussi sont publiées ici pour la première fois. Ge sont
toutes des satires d'ordre général, les chansons satiriques qui visent
des événements ou des personnages déterminés ayant été réservées
pour un recueil ultérieur. MM. Jeanroy et Lângfors ont complété
celui-ci en y annexant un petit groupe de chansons bachiques. Les
historiens de la société française au temps de Philippe Auguste et de
saint Louis liront le tout avec profit.
Nous ne terminerons pas cet article sans signaler la suite de la réé-
1. La Revue historique ne reçoit, malheureusement, qu'une faible partie des
ouvrages consacrés à notre littérature du moyen âge.
2. Le couronnement de Louis, chanson de geste du XIP siècle éditée par
Ernest Langlois. Paris, H. Champion, 1920, in-16, xviii-169 p. (de la collec-
tion Les classiques français du moyen âge publiés sous la direction de Mario
Roques) ; prix : 6 fr.
3. Les chansons de Conon de Béthune éditées par Axel Wallenskôld. Paris,
H. Champion, 1921, in-16, xxiv-39 p. (même collection); prix : 3 fr.
4. Chansons satiriques et bachiques du XIII' siècle éditées par A. Jeanroy
et A. Lângfors. Paris, H. Champion, 1921, in-lH, xiv-143 p. (même collec-
tion); prix : 5 fr.
HISTOIRE DE FRANCE. 241
dition que M. Enlart donne de son important Manuel d'archéo-
logie française^ On sait qu'il a entièrement refondu le tome I",
consacré à l'architecture religieuse, et ce volume a pris de telles
proportions qu'il a fallu le couper en trois. La première partie a
été appréciée dans notre précédent Bulletin 2; la deuxième, qui a
paru récemment, renferme l'histoire de l'architecture religieuse
depuis la fin du xii* siècle jusqu'à la Renaissance inclusivement; la
troisième sera réservée à un index général, qui sera le hienvenu.
Mais il ne faut pas se dissimuler que cette crise de croissance et ce
découpage, peut-être un peu exagéré, entraînent une augmentation
parallèle du prix de vente, qui finit par devenir presque prohibitif^.
Le dernier volume paru, qui correspond aux pages 434 à 806 de la
première édition (soit un gain d'une centaine de pages*), nous apporte
des chapitres ti-ès remaniés. L'historien s'arrêtera de préférence à
ceux qui traitent des origines du style gothique, auquel M. Enlart
tient, non sans d'assez bonnes raisons après tout, à rendre son vieux
nom de style « français » [opus francigenum). Il y tire parti des
recherches nouvelles de l'archéologue américain Kingsley Porter sur
l'architecture lombarde. Ailleurs, M. Enlart ajoute des détails ins-
tructifs tant sur le rayonnement de l'art gothique hors de France
que sur les influences étrangères qui peu à peu finirent, à leur tour,
par amener une transformation décisive de l'art gothique lui-même.
Le répertoire des églises françaises de la période étudiée dans ce
volume a été en grande partie refait et s'est enrichi de notes très
précises sur les édifices les plus célèbres et sur les maîtres d'œuvres
qui en ont dirigé la construction (Pierre et Eude de Montereau,
Villard de Honnecourt, Raymond du Temple, etc.). Ces^uelques
exemples suffiront à indiquer le soin avec lequel M. Enlart a pré-
paré cette nouvelle édition d'un livre, qu'on pourrait souhaiter par-
fois moins compact, mais auquel on s'accordera à reconnaître le
mérite d'une information remarquablement riche et neuve.
Louis Halphen.
1. Camille Enlart, Manuel d'archéologie française depuis les temps méro-
vingiens jusqu'à la Renaissa7ice ; tome I : Archileclure religieuse ; 2' édition
revue et augmentée, 2" partie : Période française dite gothique, style flam-
boyant, Renaissance. Paris, Auguste Picard, 1920, in-8% pages 459-937. Prix :
25 francs.
2. Rev. histor., t. CXXXIII (1920), p. 102-104.
3. Le tome I" seul coûtera désormais 25 -f 25 -f- 5 francs, soit 55 francs,
alors qu'il était vendu 15 francs sous sa première forme avant la guerre.
4. Il est vrai que près de quarante planches hors texte ont disparu pour
faire place à des figures dans le texte (pas toujours aussi bien venues qu'on le
souhaiterait].
Rev. Histor. CXXXVIIL 2«' fasc. 16
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
V. ScHEiL, membre de l'Institut, directeur d'études à l'École pra-
tique des Hautes-Études. Recueil de lois assyriennes. Texte
assyrien en transcription, avec traduction française et index. Paris,
Geuthner, 1921. 1 vol. gr. in-8^ 125 pages.
« On peut dire sans exagération que, depuis la trouvaille du Code
de Hammurabi (1901-1902), publié et traduit en 1902, rien de compa-
rable n'a été mis au jour en matière de législation antique. » Cette
phrase, extraite de l'avant-propos de l'auteur, caractérise au mieux
l'importance de cette nouvelle publication. En 1901, la Délégation
française en Perse trouva à Suse l'ensemble des lois de Babylone,
gravées par l'ordre du roi Hammurabi vers 2000 avant notre ère. L'an-
née suivante, le P. Scheil, dans le tome IV des Mémoires de la
Délégation, donnait la traduction de ce monument unique. Depuis, on
a reconnu que Hammurabi, roi sémite dont la dynastie prit pour
capitale Babylone, n'était pas absolument un novateur. Les Sumé-
riens, race rivale des Sémites, et qui nous apparaissent déjà mélangés
à ceux-ci dès le début de l'histoire mésopotamienne, avaient un code
de lois avant l'an 2000, et à plusieurs reprises on en a découvert des
fragments. Le P. Scheil en a traduit un certain nombre dans la Revue
d'assyriologie. Nous n'avions encore aucun recueil des lois de l'As-
syrie, limitrophe de la Babylonie, occupée comme elle par un mélange
de Sémites et de Sumériens non sémites, mais dont la population,
composée en grande partie de montagnards et ayant reçu en outre
d'Asie Mineure des éléments ethniques que nous qualifions encore
mal, offre un caractère plus rude que celui des Babyloniens. Les
fouilles allemandes effectuées sur le site d'Assur, l'ancienne capitale
de l'Assyrie, mirent au jour trois tablettes faisant partie du Recueil
des lois assyriennes, dont le P. Scheil nous donne la première trans-
cription et la traduction. Nous avons ainsi en une sorte de triptyque :
sumérien, babylonien, assyrien, un tableau de la législation et par
suite des mœurs et des usages de l'ancienne Mésopotamie ; nous sai-
sissons sur le vif les traits caractéristiques de chacun de ces peuples.
C'est ainsi que la loi babylonienne, qui reproduit la plupart des dispo-
sitions de la loi sumérienne, corrige ce qu'elle peut avoir d'imprécis,
de façon à y introduire plus d'équité, mais aussi plus de rigueur, car
elle tend à devenir inexorable. La loi assyrienne aggrave encore, si
faire se peut, les pénalités; nous y remarquons cette cruauté dont
feront si souvent étalage les monarques assyriens dans leurs annales
V. SGHEIL : RECUEIL DE LOIS ASSYRIENNES. 243
OU sur leurs monuments; et, puisque les codes de lois reflètent le
caractère de ceux pour qui ils ont été rédigés, nous nous rendons
compte, par la teneur de ces documents, de la violence des instincts
et de la rudesse des mœurs de la société assyrienne à la fin du second
millénaire avant notre ère.
C'est, en effet, de cette époque que datent les tablettes d'Assur tra-
duites dans ce volume, et leur importance générale s'accroît, pour les
assyriologues, de leur intérêt philologique ; c'est un texte extrêmement
intéressant tant par sa grammaire que par son lexique, dont la valeur
linguistique est de premier ordre, et qui présente de grandes difficul-
tés d'interprétation. C'est un point qu'il convient de signaler à ceux
qui ne sont point familiarisés avec les études d'orientalisme; il rend
encore plus précieuse cette traduction qui ouvre à tous l'accès de la
législation assyrienne.
La première tablette, de beaucoup la mieux conservée, semble une
compilation de la jurisprudence concernant « la femme » en général.
En même temps que les légistes se sont préoccupés de réunir ses
droits et ses devoirs sociaux, ils ont joint à ce chapitre les dommages
qu'elle peut subir ou les délits qu'elle peut commettre à l'égard de la
morale. Il se manifeste un certain disparate dans la rédaction qui traite
tour à tour de la femme qui a volé dans un temple, de celle qui pro-
fère des injures, qui vend quoi que ce soit à l'insu de son mari, de la
femme adultère, de l'avortement, des entremetteuses, de la femme
qui s'enfuit du domicile conjugal. Puis la tablette énumère ce qu'il
advient des propriétés de la femme et de son avenir, en cas de mort
du conjoint ou de son absence prolongée. Nous voyons, comme en
droit babylonien, que, à l'occasion du mariage, il y a plusieurs sortes
de donations : le dumaki, apport du mari entrant en ménage chez son
beau-père (la tirhatou du Code de Hammurabi); le biblou, objets
mobiliers donnés à la future par son beau-père; le chirqou, apport
de la femme entrant en ménage (la cheriqtou du Code de Hammurabi,
véritable dot); le noudounnou, don révocable du mari à la femme. Le
scribe intercale ensuite certaines prescriptions vestimentaires appli-
cables aux femmes de condition. Le port du voile, aujourd'hui encore
général en Islam, était déjà en usage. Les paragraphes 41 et 42 nous
apprennent que les femmes mariées, quelle que soit leur origine, ou
les filles d'homme libre, sortiront voilées; par contre, interdiction
sévère du port du voile aux prostituées ou aux servantes, et obligation,
pour qui saurait la transgression, de les dénoncer. Puis la tablette
revient à l'héritage et termine par la répression des sévices infligés à
une vierge. Chemin faisant est intercalé un long paragraphe (n° 48)
consacré à la révélation des actes de sorcellerie, qui sont punis de
mort ; le Code de Hammurabi débute de même par deux articles contre
les maléficiers; le sorcier est également passible do mort, s'il a jeté à
tort le sort sur sa victime ; les preuves qu'il produira ou, à leur défaut,
le jugement par le fleuve en décideront.
Nous ne pouvons préciser ce qu'était exactement ce jugement par
244 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
le fleuve. Nous savons qu'au moyen âge, pour décider dans certains
cas de l'innocence d'un inculpé, on le jetait, les membres liés, dans
un fleuve dont l'eau avait été bénite; s'il surnageait et était rejeté par
le fleuve, il était réputé coupable ; s'il enfonçait on le déclarait inno-
cent. Dans l'épreuve du fleuve, en Mésopotamie, c'était le contraire,
mais c'est toujours le fleuve qui extermine le coupable ou relaxe l'in-
nocent. En effet, la tablette nous dit : « S'il revient du fleuve » (para-
graphe 25), et elle nous apprend que tantôt le prévenu était chargé de
liens (paragraphe 17), que tantôt il n'en portait pas (paragraphe 23).
Les châtiments, dans les lois assyriennes, sont variés et parfois bar-
bares ; à côté de l'amende, payée le plus souvent en plomb, il y a la
bastonnade et la corvée royale, puis les mutilations; celles-ci, par
exemple : l'abcision de doigts, du nez, des oreilles, des seins, n'ont
plus que la valeur de châtiments, mais à l'origine elles étaient une
application du principe : l'organe qui a péché sera détruit, que l'on
retrouve dans le Code de Hammurabi, paragraphes 218, 226, où le chi-
rurgien maladroit aura les mains coupées, et paragraphe 192, où la
nourrice ayant laissé mourir son nourrisson alors qu'elle élevait un
autre enfant aura les seins coupés. En général, les lois assyriennes,
pour tout ce qui concerne la femme, suivent le Code de Hammurabi
lorsqu'il a traité de la question ; elles en difïèrent par le luxe de détails
concernant les délits contre la moralité et par la cruauté de la répres-
sion. Il y a, des lois sumériennes aux lois assyriennes, une compli-
cation croissante dont l'épanouissement se trouve dans les codes des
sociétés modernes. Cette complication semble un fait purement humain,
qui n'a rien de particulier à la société assyrienne.
La seconde tablette traite de questions de propriétés, champs, mai-
sons, etc. Elle expose tout au long la procédure à suivre dans les con-
testations, la juridiction à laquelle il conviendra d'avoir recours et la
composition du tribunal. Ces contestations peuvent naître de diverses
causes : culture du champ d'autrui à l'insu ou avec le consentement
du propriétaire, partage des eaux d'arrosage, etc.
La troisième tablette, assez mutilée, traite de ventes illicites de per-
sonnes ou d'animaux. Là encore, ainsi que dans la seconde tablette,
on remarque que le juge ne s'est plus contenté d'émettre des principes
généraux comme dans la loi sumérienne ou même dans le Code de
Hammurabi; il s'est efforcé d'envisager les différents aspects de la
question. Il s'en faut donc que nous ayons dans ces tablettes le recueil
complet des lois assyriennes ; nous n'en possédons qu'une partie, et
d'après la façon dont un chapitre a été traité : les droits et devoirs de
la femme et les relations entre l'homme et la femme envisagées au
point de vue de la morale, on peut présumer que le Code assyrien
dans son entier devait exiger un nombre considérable de tablettes
semblables à celles qui sont parvenues jusqu'à nous et dont nous
devons la connaissance au P. Scheil.
Nous ne pouvons mieux faire, en terminant le compte-rendu de
E. PAÏS : FASTI TRIUMPHALES POPDLI ROMANI. 245
cette publication si importante non seulement pour l'assyriologie,
mais aussi pour la connaissance de la haute antiquité, que de trans-
crire le dernier paragraphe du volume; il nous montrera que l'Assyrie
d'il y a trois mille ans a souffert des abus dont nous pâtissons aujour-
d'hui : « (Paragraphe J.) Si [quelqu'un les prix] à son prochain exa-
gère, on lui fera la preuve, on le convaincra,... et, comme le roi voudra,
on le punira. »
G. CONTENAU.
E. PaïS. Fasti triumphales Populi Romani. Rome, Nardecchia,
1920. In-8°, 546 pages en 2 vol. Prix : 75 1.
M. Pais vient de nous donner une nouvelle édition, complète et élé-
gante, du fameux document. Elle lui vaudra une grande reconnais-
sance de la part de tous ceux qui ont à en faire usage. On ne saurait
faire un compte-rendu digne de l'ouvrage qu'en abordant successive-
ment les nombreuses questiojis de détail qu'il soulève et étudie. Je me
propose simplement ici, pour donner une idée de l'intérêt qu'il pré-
sente, de consacrer quelques mots à une de ces questions : la chrono-
logie romaine primitive, j'entends la chronologie jusqu'à l'époque de
l'invasion gauloise, vers 383 av. J.-C.
Je suppose un historien moderne ne disposant que des documents
orientaux ou grecs antérieurs à l'annalistique romaine, n'ayant
aucune notion de cette annalistique, et chargé de présenter un tableau
de l'histoire d'Italie jusqu'au iv« siècle. Ce tableauserait évidemment
sommaire. Cependant, il y aurait plusieurs grands faits à mettre en
lumière. Les voici :
Rien jusqu'au viiF siècle; les documents orientaux mentionnent
parfois l'Espagne, mais non l'Italie. Avec la fondation des villes grecques
du Sud, aux viii^ et vii<^ siècles, commencent les premières lueurs de
l'histoire. Les Grecs, parmi les peuples indigènes, distinguent déjà
les « sauvages » Tyrrhéniens et les Latins, au vi" siècle; leurs récits
mentionnent très nettement l'essor des Etrusques, leur victoire navale
sur les Phocéens, leurs attaques contre Cumes. Ils mentionnent non
moins nettement la réaction grecque qui suit, la victoire de Hiéron à
Cumes (474), l'apparition des Syracusains à l'île d'Elbe et jusqu'en
Corse. A l'époque où les Athéniens fondent Thurii (444), on ne signale
aucun événement d'importance dans la péninsule, malgré que, parmi
les colons de Thurii, se soit trouvé précisément l'historien Hérodote.
Mais, peu après, commencent les attaques des peuples de l'Apennin,
la prise de Capoue (438) et de Cumes (421), enfin les grands succès
des Lucaniens contre les Grecs italiotes (vers 393). Nous arrivons
ainsi aux incursions gauloises, qui ont été parfaitement connues des
Grecs.
Je suppose maintenant qu'à notre historien soit brusquement rêvé-
246 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
lée l'existence de documents indigènes sur les villes d'Italie au
v« siècle, par exemple les annales de Rome telles qu'elles sont pré-
sentées par Tite-Live. Se précipitant sur ce document précieux, il y
trouvera, en gros, les faits suivants :
Rome a été une colonie d'Albe qui, très vite, a supplanté la métro-
pole dans la direction des Latins. Elle a subi une longue domina-
tion étrusque, que ses annalistes ont palliée et travestie, mais
sans pouvoir eflfacer complètement le souvenir des Tarquins et de
Porsenna. Puis commence une série continue de magistrats éponymes,
sous lesquels reviennent, année par année : au dedans, des querelles
civiles prenant généralement la forme de grèves de soldats ; au dehors,
des luttes contre les peuples montagnards, Eques ou Volsques. Les
annales marquent fortement la promulgation de la première législation
écrite, puis, après un intervalle, la prise de la grande ville étrusque
de Véies. Enfin elles arrivent à l'invasion gauloise.
Notre historien ne sera ni surpris ni mécontent. En somme, les
grands faits que les indications des Grecs lui donnaient pour l'histoire
générale de l'Italie, il les retrouve à leur poste dans l'histoire particu-
lière de Rome. Une seule chose le déconcerte, la chronologie. S'il
suppute les dates résultant de la liste des éponymes, il remarquera ;
que l'écroulement de la domination étrusque est placé vers 510 av.
J.-C, soit trente ou quarante ans avant la bataille de Cumes; que les
guerres contre les montagnards commencent aux environs de 480, soit
une quarantaine d'années avant la chute de Capoue; que la pre-
mière législation écrite est placée antérieurement à la fondation de
Thurii.
L'accord ne se rétablit avec la chronologie grecque qu'à l'époque
des invasions gauloises.
On dirait que la chronologie des annalistes romains a été décalée
d'une quarantaine d'années vers le haut. On ne peut se défendre du
soupçon qu'il y a là le résultat d'un artifice ou d'une confusion, et la
tentation naît de rajeunir les premiers événements dont le souvenir
ait été conservé à Rome. L'objection grave serait que, ce faisant, il ne
resterait plus de place pour les événements compris entre la législation
décemvirale et l'invasion gauloise. Or, par un hasard significatif, ces
événements n'existent pas. Il y a, justement à l'époque gênante,
.un moment où l'histoire romaine semble vide de faits importants. J'ai
signalé ceci ailleurs, en parlant du livre IV de Tite-Live. L'examen
scrupuleux auquel viennent d'être soumis les Fastes triomphaux four-
nit un moyen de contrôle et une confirmation.
On sait que la période 437-361 manque dans le document. Mais (et
c'est presque le principal), M. Païs a calculé exactement l'étendue de
la lacune.
Voici ce que donne un rapide examen des proportions : la paras-
tate 4, sur 179 lignes, devait contenir environ 80 triomphes pour
un intervalle de plus de 100 ans (correspondant en gros au i""" siècle
FRITZ KERN : GOTTESCNADENTDM UND WIDERSTANDSRECHT. 247
av. J.-C.) ; la parastate 3, 176 lignes, environ 80 triomphes pour moins
de 100 ans (en gros if siècle av. J.-C); la parastate 2, 179 lignes, plus
de 65 triomphes pour 80 ans (iii« siècle); le bas de la parastate 1, qui
est conservé, 74 lignes, 36 triomphes pour une soixantaine d'années
(361-301); la lacune, 26 lignes, une douzaine de triomphes pour
76 ans (437-361) : cf. Pais, p. 42 et suiv., 331 et suiv.; le haut de la
parastate 1, 33 lignes, 16 ou 17 triomphes pour 59 ans, si l'on part
de 496 — ou 50 lignes, 24 ou 25 triomphes pour 73 ans, si l'on part
de 509 (je laisse les triomphes royaux). Bref, la période comprise
dans la. lacune présenterait un triomphe tous les six ou sept ans,
tandis que la période précédente en présente un tous les trois
ou quatre ans, et la suivante un tous les deux ans au moins.
M. Païs n'a pu être frappé du fait, parce que, comme on sait, il est
entièrement sous l'influence de l'idée qu'il n'y a rien à tirer des
annales romaines pour le v^ siècle. Je suis de ceux qui ne peuvent
se résigner à cette amputation radicale. Alors, la constatation que je
viens de faire illustre merveilleusement l'allongement artificiel qu'ont
subi les annales pour la période comprise entre l'invasion gauloise
(vers 385-380) et les décemvirs, qui se sont trouvés rejetés ainsi vers
450 av. J.-C. J'ai dit ailleurs (Hist. de l'Antiquité, t. I, p. 488) com-
ment s'expliquerait, à mon avis, cet allongement, et pourquoi il fal-
lait, en réaUté, ramener les décemvirs vers 415, le début des annales
vers 470-460. Je persiste à croire l'explication juste dans l'ensemble.
Il va de soi que je suis prêt à faire bon marché de certains détails
(cf., sur le triomphe de Cossus, Païs, toc. cit., p. 333). Avec cette
correction, la période correspondant à la lacune est seulement d'une
quarantaine d'années. Douze triomphes, dans cet intervalle, c'est
exactement la proportion de la période antérieure. J'ajoute qu'il est
probable que la période se rapprocherait déjà du type postérieur, sans
la perturbation trop explicable apportée dans les Fastes triomphaux
par la catastrophe gauloise.
E. Cavaignac.
Fritz Kern. Gottesgnadentum und V7iderstandsrecht im frûhe-
ren Mittelalter. Zur Entwicklungsgeschichte der Monarchie.
Leipzig, K.-F. Kœhler, 1914. In-8», xxxii-444 pages. [Mlttelal-
terliche Studien herausgegeben von Fritz Kern. Bd. I, H. 2.)
Le livre de M. Kern, dont on peut traduire le titre ainsi ; la Royauté
de droit divin et le droit de résistance des sujets pendant le haut
moyen âge : contribution à Vhistoire de l'évolution de la monar-
chie, apparaîtra tout d'abord aux historiens comme un recueil très
précieux. Il témoigne d'une lecture immense et d'une érudition qui ne
cherche point à se dissimuler. Ses nombreuses notes, bourrées de ren-
vois et de citations, ses trente-huit appendices feront la joie de ceux
248 COMPTES-EENDUS CRITIQUES.
d'entre nous qui auront le courage de le « mettre en fiches ^ ». Sans doute
un procédé d'exposition différent aurait eu plus d'attrait. En certains
endroits, l'abondance des renvois aux ouvrages de seconde main semble
un luxe inutile. Et puis, à lire d'une part le texte proprement dit,
d'autre part les notes, on a souvent l'impression d^une sorte de dis-
cordance : en haut les « idées générales », en bas des pages les faits;
l'art eût consisté dans une fusion plus harmonieuse. Mais, devant tant
de richesses dont chacun profitera, il y aurait bien de l'ingratitude à
se plaindre.
Surtout prendre cet ouvrage seulement pour un répertoire serait
souverainement injuste. Une intelligence très pénétrante s'y donne
carrière. Il mérite d'être connu, médité et discuté.
Son objet est très clairement défini. « Du xyip au xix^ siècle »,
deux conceptions se sont disputé la prééminence dans les États de
l'Europe occidentale et centrale : d'une part le droit divin des rois,
d'autre part le droit de résistance des peuples ; leurs luttes retentissent
encore dans la mémoire des hommes d'aujourd'hui. Or, les origines
de ces deux grands principes sont anciennes. Pendant le haut moyen
âge, innommés encore, ils vivaient déjà dans les consciences. Com-
ment ils se sont formés d'éléments empruntés à des traditions diverses ;
quels furent leurs premiers combats et les incidents de leur développe-
ment : voilà ce que M. Kern s'est proposé de rechercher. Il arrête son
étude à la fin du xiiF siècle, au moment où, dans les différents pays,
le type d'État que caractérise la présence d'assemblées limitant les
pouvoirs du souverain ou bien s'établit ou bien s'essaye à la vie :
régime parlementaire anglais, tentatives des États généraux en France,
stàndische Verfassung dans les territoires allemands.
Prenons d'abord la royauté de droit divin. Sous ce terme commode
on groupe trois concepts différents : valeur absolue du gouvernement
monarchique, à l'exclusion de toute autre forme politique;, — droit au
pouvoir reconnu à un monarque déterminé, le roi « légitime », per-
sonnellement désigné à la fois par l'hérédité et par une consécration
religieuse; — irresponsabilité du souverain, autrement dit « absolu-
tisme». Il convient de distinguer soigneusement ces trois notions, ces
trois croyances.
A l'origine des sociétés médiévales, qu'apportaient avec eux les Ger-
mains? Non pas précisément le principe monarchique — car ils ne
se haussaient pas jusqu'à des principes politiques clairement définis
— mais (du moins depuis les invasions) une « habitude monarchique »
fortement établie. En outre, une conception de la légitimité très puis-
sante, mais très différente de la conception moderne. Dans chaque
peuple germain une seule famille — élevée au-dessus des autres par
1. On trouvera en tête du livre une bibliographie très riche, malheureuse-
ment sans classement méthodique. 11 n'y a ni index, ni, pour les appendices,
tables d'aucune sorte.
FRITZ KERN ^'. GOTTESGNADENTDM UND WIDERSTANDSRECHT.
249
une sorte de vertu religieuse ou magique — pouvait fournir les rois;
à l'intérieur de cette race sainte (qu'aux temps païens l'on considérait
d'ordinaire comme issue des dieux : telles les familles royales anglo-
saxonnes, nées de Wotan), le peuple choisissait comme roi le plus
digne. Ainsi la royauté était à la fois héréditaire et soumise à l'élection :
double idée si profondément enracinée dans les consciences que
M. Kern, ingénieusement et sûrement, a pu en suivre le développe-
ment et les survivances pendant tout le haut moyen âge.
En face de l'apport germanique, celui de l'Eglise. On y voit se mêler,
de façon à peu près indiscernable, aux éléments proprement chrétiens
ou bibliques des. emprunts faits à la civilisation antique. Pénétrée du
respect de la hiérarchie, formée d'ailleurs à la vie sociale en un temps
où l'Empire romain dominait le monde, l'Église, au début du moyen
âge, est naturellement monarchique, sans discussion, presque sans
réflexion; elle ne conçoit pas d'autres formes politiques. Mais non pas
monarchiste à la façon germanique. Pour elle le droit de la race
n'existe pas : peut-être (et ce point paraît avoir échappé à M. Kern)
parce que les sentiments, liés à tout un système de représentations
religieuses primitives, qui soutenaient un tel droit chez les Germains
lui étaient naturellement étrangers. Il faut un roi; mais le vrai roi, le
roi selon Dieu, sera celui — quelle que soit sa naissance — qui gou-
verne bien, c'est-à-dire qui gouverne conformément aux règles reli-
gieusesou morales du catholicisme ou conformément aux intérêts du
clergé : la nuance est difficile à saisir. En France, l'Église a reconnu
successivement les usurpations carolingienne et capétienne. En Alle-
magne — si nous en croyons M. Kern — d'accord avec les grands,
elle a si bien réussi à obscurcir la vieille notion germanique de la
légitimité familiale qu'à la fin du xiii^ siècle on en était arrivé à esti-
mer « contraire à la justice et à la raison » que le fils d'un roi succé-
dât à la couronae.
Tels étaient les principes originels de l'Église : monarchistes, non
légitimistes. Mais son attitude, ou plutôt l'attitude de ses différents
représentants vis-à-vis de la royauté, a. été au cours du moyen âge
plus hésitante, plus variable, moins une, en un mot, qu'on ne se le
représente généralement; et cette complexité s'exprime assez bien
dans l'histoire d'une cérémonie, à la fois politique et religieuse, qui a
tenu une grande place dans la vie des États médiévaux : le sacre
royal'. M. Kern, utilisant largement les travaux antérieurs, notam-
ment ceux de M. Schreuer, mais les complétant par endroits et sur-
t. Ces vicissitude.s de la pensée ecclésiastique se renèlent aussi avec exacti-
tude dans l'histoire d'une pratique, quasi magique, dont l'étude tient de très
près à celle du « droit divin » : le toucher des écrouelles par les rois de France
et d'Angleterre. M. Kern ne lui a consacré qu'une mention assez superficielle.
J'espère pouvoir prochainement présenter, sur ce sujet, un travail plus com-
plet.
250 COMPTES-RENDDS CRITIQOES.
tout les interprétant librement, a repris à son tour l'étude du sacre et
de son évolution. Parmi les rites divers qui composaient cette solen-
nité, il s'est attaché particulièrement, comme il était naturel, au rite
religieux par excellence : l'onction. Née à l'origine de souvenirs
bibliques, introduite dans l'Etat franc par les Carolingiens, l'onction
royale prit rapidement une importance extrême. Les clercs l'assimi-
laient volontiers à un sacrement; par elle le roi devenait un person-
nage quasi sacerdotal ; ainsi la vieille royauté germanique, un moment
dépouillée par le christianisme de la parure di-vine dont l'avaient
ornée les croyances païennes, recevait du clergé catholique une nou-
velle consécration religieuse. Par là, sans doute, elle marquait sa sou-
mission envers l'institution dont elle acceptait de tenir son caractère
sacré; elle s'insérait dans le système ecclésiastique, et cela pouvait
passer pour une victoire de l'Église. Mais, oints comme les prêtres et
comme les évêques, « christs du Seigneur » comme eux, les rois ne
risquaient-ils pas de concevoir un orgueil dangereux? Ne pouvait-on
craindre qu'ils en arrivassent à se considérer, même du point de vue
religieux, comme les égaux ou les supérieurs du sacerdoce? Ce fut ce
qui se produisit en eSet. On connaît la phrase fameuse qu'un chroni-
queur liégeois prête à l'empereur Henri III : comme l'évêque de
Liège le sommait de respecter en lui la dignité sacerdotale et l'onction
sainte : « Moi aussi », répondit-il, « j'ai été oint avec l'huile sacrée et
j'ai reçu par là le pouvoir suprême.»
Contre de pareilles prétentions, l'Église réagit. Ce fut l'œuvre de la
réforme grégorienne. Les polémistes s'efforcèrent d'abaisser le regnum
devant le sacerdotium. La dogmatique sacramentaire se fixa; et au
nombre des sept sacrements, désormais immuablement déterminés,
l'onction royale ne fut pas comprise. On ne pouvait empêcher que par
la pratique même de l'onction, commune aux deux rites, le sacre
royal ne se rapprochât de l'ordination des prêtres ; on s'appliqua du
moins à accuser, dans le détail du cérémonial, les différences entre
les deux actes. Théoriciens, hommes d'action, liturgistes, s'accordèrent
à marquer l'abîme qui devait séparer des dignités spirituelles toute
charge temporelle. Malgré tout, sur les rois l'empreinte sacrée demeura.
Vers le milieu du moyen âge, l'idée monarchiste s'était donc forti-
fiée d'éléments provenant de sources diverses : les vieilles habitudes
germaniques et les vieilles habitudes romaines, adoptées par l'Eglise,
— la notion de la légitimité dynastique, legs de la Germanie, trans-
formée dans certains États, et surtout, grâce à un heureux concours
de circonstances, dans l'État français, en un droit héréditaire de mâle
en mâle fermement établi, — la consécration religieuse, héritage loin-
tain de David et de Salomon ; — on peut ajouter, depuis la renaissance
du droit écrit, une nouvelle influence des conceptions plus qu'à demi-
orientales du Bas-Empire romain, transmises directement par la lec-
ture des Codes. La grande royauté de droit divin des temps modernes
préparait son apogée.
FBITZ KERN : GOTTESGNADENTUM BNi) WIDERSTANDSRECHT. 251
Mais était-ce déjà l'absolutisme? Non certes. Deux traditions encore
très fortes s'opposaient à son avènement. La tradition germanique
mettait au-dessus du roi, comme d'ailleurs au-dessus de la nation, le
droit, ou mieux la coutume sacrée des ancêtres. Par exemple, elle ne
concevait pas qu'un roi, non plus qu'une assemblée, créât une loi nou-
velle ; légiférer à ses yeux ce ne pouvait être que donner forme à une
loi jusque-là inexprimée, mais ayant vécu avant toute législation
d'une existence immémoriale au sein du peuple. Pour elle le souve-
rain n'était donc pas absolu, puisque tout ce qu'il faisait de contraire
au droit ancestral passait pour nul. Quant à l'Église, elle soumettait
tout pouvoir à un code divin qu'elle se chargeait d'interpréter.
Si un roi commettait un acte interdit par les « bonnes coutumes »
ou par les préceptes religieux ou moraux du catholicisme, que pou-
vaient faire les sujets? On s'habitua à leur reconnaître le droit ou
même le devoir de résister; et cela, comme le dit fort nettement le
Sachsenspiegel, sans que leur rébellion, en pareil cas, dût paraître
un manquement à la fidélité. C'était une vieille notion germanique.
L'Église ne l'accepta pas sans quelques difficultés. Ne devait-elle pas
plutôt écouter la leçon du Nouveau Testament, qui semble bien prê-
cher la soumission, au moins passive, aux ordres, même injustes, du
pouvoir temporel? Mais de bonne heure elle admit une exception à la
règle d'obéissance : tout souverain hérétique fut considéré comme
déchu et ses sujets comme déUés envers lui. C'était ouvrir la porte
au « droit de résistance y>. Le mouvement d'idées qui accompagna et
soutint la réforme grégorienne fit le reste. Ne reconnaissant plus à la
monarchie un caractère divin, les polémistes les plus radicaux allèrent
jusqu'à en faire une émanation de la souveraineté populaire ; la dignité
royale devenait un mandat sans cesse révocable. Ces pamphlets extré-
mistes, il est vrai, eurent peu d'écho. Cependant, l'idée que la désobéis-
sance pouvait, en certaines circonstances, devenir légitime, avait pro-
fondément pénétré dans les consciences religieuses. Sans doute, en
l'espèce, les théoriciens ne faisaient guère que mettre en formules
l'anarchie médiévale; mais est-il jamais indifférent que des considéra-
tions idéologiques viennent au secours d'un état de fait?
L'habitude de la révolte en elle-même n'était guère qu'un germe
perpétuel de désordre. Le progrès essentiel fut accompli le jour où
les sujets, fatigués de ne pouvoir lutter contre l'injustice royale qu'en
refusant, après coup, d'observer ses commandements, imaginèrent de
créer des institutions de contrôle chargées, en quelque sorte, de s'op-
poser par avance aux décisions arbitraires du pouvoir. Au xiii» siècle,
en Angleterre, le pas fut franchi. Ainsi, dès ce moment, la monarchie
constitutionnelle, en même temps que la monarchie de droit divin et
en réaction contre elle, faisait son entrée dans le monde. Eu vérité,
c'est elle qui apparaît à M. Kern comme la création propre de la pen-
sée médiévale et surtout de la pensée germanique. Le moyen âge,
dans l'ensemble, n'a cru ni au droit exclusif des rois, ni au droit exclu-
252 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
sif des peuples. Au-dessus des sujets comme des princes il plaçait
le droit ou la coutume : conception singulièrement riche et efficace,
qui est à l'origine des formes les plus harmonieuses de l'Etat moderne.
Telles sont les idées directrices essentielles que nous propose
M. Kern. J'ai essayé de les résumer, librement sans doute dans l'ex-
pression, c'est-à-dire sans m'astreindre à reproduire littéralement les
formules mêmes de l'auteur, mais, pour le fond, aussi fidèlement que
j'ai pu. Je voudrais maintenant, très brièvement, et en négligeant les
détails de pure érudition, indiquer les réserves que, sur quelques points
importants, ce livre brillant me paraît devoir appeler.
M. Kern a voulu écrire une étude d'histoire des idées politiques. Non
pas seulement des théories politiques. Il ne s'est pas contenté de lire
les traités des philosophes et des juristes. Ce qui intéresse l'historien,
ce sont les grandes idées collectives par où, en partie du moins, s'ex-
plique l'évolution politique des peuples; les œuvres doctrinales n'en
fournissent qu'une image imparfaite ; elles s'expriment aussi, souvent
avec plus de sincérité, dans les documents législatifs, les lettres, les
manifestes, dans les cérémonies, dans les institutions et le droit lui-
même. C'est ce qu'a très bien compris M. Kern. Son chapitre sur le
sacre restera, dans cet. ordre de recherches, comme un modèle de
discussion pénétrante. Mais, parmi les sources où il pouvait puiser, il
en a négligé une qui lui aurait beaucoup donné. Je veux parler de la
littérature de fiction, et, plus particulièrement, pour la France, des
textes épiques. Les épopées françaises sont pour l'érudit qui sait les
exploiter une mine de renseignements précieux. Il y a plus. Elles
furent aussi un admirable véhicule d'idées. Elles ont contribué à main-
tenir, à répandre, à populariser quelques conceptions très simples
touchant la société et l'État. Je ne prendrai qu'un exemple. M. Kern,
dans l'ouvrage dont je viens de rendre compte, et plus encore dans
un ouvrage antérieur, a fortement insisté sur les tentatives faites par
la royauté capétienne pour se rattacher aux traditions de l'Empire
carolingien. Ces rois ou leurs ministres eussent-ils conçu pareil des-
sein, si jamais trouvère n'avait chanté Charlemagne?
M. Kern s'est bien gardé de donner à son étude des limites étroite-
ment nationales. C'est dans toute l'Europe occidentale et centrale et
plus particulièrement dans les trois grands Etats médiévaux : Alle-
magne, France et Angleterre, qu'il suit, dans leurs vicissitudes, le
droit divin des rois et le droit de résistance des sujets. Conception
incontestablement excellente : nous ne verrons un peu clair dans la
vie des sociétés médiévales que le jour où on aura commencé d'en
écrire l'histoire comparée. Mais qui dit histoire comparée dit recherches
des dissemblances et de leurs causes aussi bien que des analogies. Il
n'est intéressant et utile de rapprocher la France, par exemple, de
l'Allemagne, que si l'on s'attache à mettre en lumière les raisons qui
font qu'en Allemagne les choses se sont passées autrement qu'en
France. Une histoire des idées politiques, fondée sur la méthode com-
B. SAINT-JODRS : LE LITTORAL GASCON. 253
parative, n'a de sens que si elle repose sur une étude, dirigée selon le
même esprit, des faits historiques nationaux qui, dans le^ différents
pays, ont conditionné de façon différente l'évolution des représenta-
tions collectives. Cest ce qu'on cherche en vain chez M. Kern. Trop
souvent, dans son livre, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, appa-
raissent comme des cadres vides où se jouent les idées. Cette erreur
de principe est particulièrement frappante en ce qui concerne l'Angle-
terre. N'est-elle point la cause de l'importance singulièrement exagé-
rée attribuée par M. Kern à l'article 61 de la Grande Charte? Sans
doute cet article, où la notion théorique du droit de résistance cherche
à s'exprimer dans une institution stable, est curieux ; mais pratique-
ment rien d'efficace n'en est sorti. Comme M. Kern le sait fort bien,
le Parlement anglais, la monarchie constitutionnelle anglaise ne sont
pas nés de là.
A vrai dire, si M. Kern témoigne d'un médiocre intérêt pour l'étude
des conditions politiques et sociales propres aux différents États médié-
vaux, c'est qu'il est surtout préoccupé de questions d'origine. Son
livre est un perpétuel diptyque, où s'opposent inlassablement deux
traditions : la tradition romano-chrétienne et la tradition germanique.
Cette tendance d'esprit n'est malheureusement pas une originalité :
on dirait qu'aux yeux de quelques historiens tout le moyen âge s'ex-
plique par le mélange de deux éléments divers, savamment dosés.
Chez beaucoup d'érudits allemands et aussi, il faut l'avouer, dans un
sens inverse, chez certains érudits français, cette complaisance exces-
sive pour les problèmes d'origine se rattache aux inspirations, plus ou
moins conscientes, d'un patriotisme mal compris. Pour les auteurs
allemands en particulier, tout ce qui, dans le moyen âge, n'est pas
romain passe trop aisément pour germanique : comme si le mot de ■
médiéval n'avait pas de sens et que tant de siècles de vie sociale
n'eussent rien créé. Malgré son honnêteté scientifique, qui est incon-
testable, M. Kern n'a pas toujours su éviter de tomber dans le travers
commun. Cela est surtout sensible dans ses développements sur le
droit de résistance. On disait jadis que les libertés de l'Europe moderne
étaient sorties des « forêts de la Germanie ». M. Kern ne le dit plus;
mais il ne peut se résigner à ne plus le croire : tant les vieux mirages
ont encore d'empire sur les plus probes esprits. Quand donc, d'un
accord unanime, se décidera-t-on à étudier le moyen âge comme il
mérite de l'être : en lui-même?
Marc Bloch.
B. Saint-Jours. Le littoral gascon. Bordeaux, Mounastre-Pica-
milh, 1921. In-8°, 418 pages et 19 cartes. Prix : 38 francs.
Dans sa Géographie de la Gaule romaine (t. I, p. 261; cf. la
carte qui fait face à la p. 272), Ernest Desjardins décrit et figure le
254 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
littoral gascon de l'Atlantique comme une ligne sinueuse dentelée
d'anses marines largement ouvertes sur l'Océan; pour lui La Teste,
Parentis, Mimizan étaient alors autant de ports de mer, et c'est après
l'époque classique que les dunes, lentement accrues par la force des
tempêtes et des marées, ont fini par transformer le rivage en une ligne
droite de sables stériles <. Cette opinion a été généralement adoptée;
elle a pénétré dans l'enseignement et même dans La France d'au-
jourd'hui, manuel rédigé par des professeurs très au courant des pro-
blèmes et de la bibliographie géographiques (Paris, Félix Alcan, 1920),
on lit (p. 390) : « L'accumulation des sables et leur progression rapide
vers l'intérieur du pays ont épaissi le cordon littoral...; le niveau des
golfes devenus des étangs s'éleva progressivement... » et l'image qui
accompagne cette description dessine nettement l'ancien rivage à
côté du nouveau. Cette double proposition, présentée comme un fait
incontestable, à savoir la formation à une époque récente, c'est-à-dire
postérieure aux temps gallo-romains, du littoral rectiligne, et l'inva-
sion des sables vers l'intérieur, a été attaquée par M. Saint-Jours dans
une série de mémoires dont plusieurs ont été mentionnés ici même à
leur date et dans le présent ouvrage, où sont présentés, sous une forme
plus ample, les résultats de recherches poursuivies depuis plus d'un
quart de siècle à la fois dans les livres et sur le terrain même. Quelque-
fois combattu, le plus souvent ignoré, il a trouvé un très chaud par-
tisan dans la personne de M. Camille JuUian et, en maint endroit, il
témoigne sa reconnaissance au savant professeur des antiquités de la
France pour l'encouragement qu'il a reçu de lui.
Des considérations d'un caractère purement géologique et qui sortent
de notre compétence ont conduit M. Saint-Jours à émettre cette hypo-
thèse primordiale que le littoral occidental de la Gascogne, tel que nous
le connaissons aujourd'hui, s'est formé de nombreux siècles (cent
peut-être) avant notre ère, à la suite d'un cataclysme produit par une
rupture d'équilibre entre les deux pôles austral et boréal. D'autre
part, il montre, par des faits matériellement établis, que, sur l'empla-
cement des prétendues baies largement ouvertes sur la grande mer,
ont existé des forêts de chênes dont il reste encore de très anciens
témoins ensevelis sous les eaux ou dans le sable; mieux encore, on y
a découvert des fours avec de nombreux débris de silex taillés et de
poteries qui remontent certainement bien plus haut que l'époque
gallo-romaine. « Notre littoral », dit-il, « n'a connu ni dentelure, ni
anses, ni d'autres entrées de ports que celles de l'embouchure delà
Girond'e, du bassin d'Arcachon et de l'embouchure de l'Adour » (p. 4). La
ligne des lagunes et des étangs est d'une « extraordinaire ancienneté »
(p. 49). « La mer se trouve au même niveau qu'il y a cent siècles »
I. Voir p. 260 : « Il est probable que la formation des dunes, datant du
moyen âge, a bien pu faire reculer la mer, dont la limite approximative nous
serait sans doute indiquée, pour l'époque romaine, par la ligne des étangs,
anciennes baies enfermées seulement pendant les âges modernes. »
UM
B. SAINT- JOUBS : LE LITTORAL GASCON. 255
(p. 54). On a parlé de dunes envahissantes, de villes disparues sous
les eaux mannes ; or, les dunes, pour la plupart perpendiculaires au
rivage, paraissent être de formation très ancienne et n'ont pas bougé
depuis qu'on peut entrevoir leur histoire dans des documents écrits.
Quant aux villes englouties, elles sont le produit de l'imagination
populaire; des pêcheurs gascons ont cru en apercevoir les vestiges
dans la passe de Cordouan, comme les pêcheurs bretons ont vu la
ville d'Ys dans les hauts fonds de Douarnenez. Ou bien on s'est laissé
tromper par des noms de lieu déformés, par des erreurs de gravure,
comme ce fut le cas pour le port d' « Anchises », nom sous lequel on
ne soupçonnerait guère que se dissimule le très réel et vivant Arca-
chon. Des paysans racontaient à Montaigne « que, depuis longtemps,
la mer se poulse si fort vers eulx qu'ils ont perdu quatre lieues de
terre ». Certains textes d'archives, des observations précises et con-
trôlées de certains navigateurs et géographes infirment la valeur de
ce témoignage. On a bien, il est vrai, énuméré une dizaine de
localités rendues inhabitables, disait-on, par les sables que les vents
d'ouest ne cessent de chasser devant eux. Prenant chacun des noms
inscrits sur cette liste, M. Saint-Jours montre ou bien que ces loca-
lités ont été mal identifiées, ou bien qu'elles n'ont pas en fait cessé
d'exister jusqu'à nos jours, ou encore que leur disparition doit être
attribuée non pas au sable en marche perpétuelle, mais aux eaux
terrestres qui, dans des terrains aux pentes insensibles et mal drai-
nés, n'ont pas réussi à se creuser un chenal d'écoulement. L'église de
Saint-Nicolas de Grave, portée par La Popelinière (1592) comme
« disparue sous les flots de l'Océan avec des paroisses entières »
(sic), est marquée sur la carte de Claude Masse (vers 1708) entre
Soulac et le Verdon, et l'on en a retrouvé des vestiges en 1909
(p. 107). « Noviomagus », mentionné par Ptolémée quelque part dans
le Médoc et qu'on s'obstine à rattacher sans preuves à Soulac port de
mer, pourrait aussi bien avoir été un simple marché de l'intérieur.
Lilhan, petite paroisse connue déjà au xiip siècle par des pièces d'ar-
chives, est encore marquée sur la carte de l'Etat-major comme un
lieu dit « dans une région plate, dépourvue de dunes modernes et en
regard de laquelle la mer dépose fort peu de sable » (p. 114). Il est
vrai qu'à Soulac l'église, qui est de style roman, a été assez fortement
ensablée, étant dans le creux d'une dune, mais le village lui-même
(qui n'a point ée port) n'a été mis en danger que par des tempêtes ou
de fortes marées qui ont battu furieusement la falaise. Cette falaise,
enfin, est fort ancienne et il faut renoncer à croire qu'à aucun
moment de l'époque historique l'îlot de Cordouan ait été rattaché, ou
presque, à la terre ferme. « Quand donc on parle de dunes mobiles
et envahissantes, on énonce un fait qui n'est nullement fondé. On n'a
pas eu à fixer, à arrêter les dunes, on les a simplement ensemencées »
(p. 78). Ce fut l'œuvre, comme on sait, œuvre bienfaisante, de Char-
lemont de Villiers, dont Brémontier a usurpé la gloire.
Du moment où les dunes eurent opposé aux flots de l'Océan une
256 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
barrière rectiligne et continue, les eaux fluviales de la région landaise,
ne pouvant s'écouler aisément vers la mer, formèrent un chape-
let d'étangs aussi anciens que la ligne côtière elle-même. Quand
elles parvenaient tout de même à s'ouvrir une issue vers la mer,
l'embouchure était constamment obstruée et souvent se déplaçait.
M. Saint-Jours donne comme exemple le « courant » d'Huchei où se
déversent les eaux de l'étang de Léon; un croquis (p. 85) montre avec
quelle peine il se traîne le long du littoral avant de rencontrer l'es-
tuaire instable où il se perdra dans l'Océan; mais le cas le plus inté-
ressant au point de vue historique est celui qui concerne l'Adour.
M. Saint-Jours, enfant du pays et qui ne l'a jamais quitté, à qui ses
fonctions dans le service des douanes (aujourd'hui capitaine retraité)
ont imposé le devoir de le parcourir dans tous les sens et à toutes les
époques de l'année, lui consacre une longue étude (p. 276-353), où il
expose, d'après les documents écrits et l'examen minutieux du terrain,
les changements imposés par la mer au cours inférieur et à l'embou-
chure de ce fleuve. Depuis l'époque gallo-romaine jusqu'au début du
xiye siècle, l'Adour alla se jeter dans la mer à Capbreton; puis, sans
doute à la suite de violentes tempêtes, cette embouchure fut obstruée
et les eaux durent aller vers le nord chercher un nouvel estuaire,
qu'elles trouvèrent au Boucau ou Port-d'Albret, aujourd'hui le Vieux-
Boucau. Elles suivirent ce chenal jusqu'au xvi^ siècle où les travaux
entrepris par Louis de Foix (1578) percèrent la barre de sable qui
arrêtait la ligne droite menant du fleuve à la mer. C'est l'embouchure
actuelle qui, on le sait, ne peut se maintenir qu'au moyen de tra-
vaux permanents d'entretien ou de dragage. Ce chapitre est un des
mieux fournis et des plus convaincants du volume tout entier. L'ou-
vrage se termine par une longue dissertation sur la jouissance et la
propriété des dunes que l'Etat revendique aujourd'hui au détriment
des communes riveraines.
Tel est ce livre dont, sans doute, le plan n'est pas assez rigoureuse-
ment établi, où les répétitions sont fréquentes, où l'on regrette de
rencontrer çà et là des tentatives malheureuses pour déterminer l'éty-
mologie de certains noms de lieu, mais où l'on ne saurait manquer
de reconnaître une méthode vraiment scientifique, une pénétration peu
ordinaire et dont les conclusions méritent de retenir l'attention des
géologues, des naturalistes, des géographes et des historiens.
Chi BÉMONT.
Gustave Cohen, docteur es lettres, chargé de cours à l'Université
de Strasbourg. Écrivains français en Hollande dans la pre-
mière moitié du XVII« siècle. Paris, Champion, 1920. Gr. in-8°,
756 pages, avec 52 pi. hors texte. (Bibliothèque de la Revue de
littérature comparée.)
Avec un zèle admirable, un goût de la recherche qui ne se laisse
G. COHEN : ÉCRIVAINS FRANÇAIS EN HOLLANDE AU XVII* SIECLE. 25*7
rebuter par rien, et ce zèle pour la résurrection du passé qui est une
sorte de piété, M. Cohen a entrepris de retracer la fortune et les des-
tinées des Français intellectuels aux Pays-Bas, à partir du xviF siècle.
Naguère encore professeur à Amsterdam, il a pu faire sur place, dans
un pays qu'il a souvent parcouru, les investigations les plus poussées
au sujet de ses devanciers en Hollande; combattant de la grande
guerre, il a mesuré mieux que d'autres l'importance des enjeux qu'il
convient de défendre; familier avec divers aspects de l'étranger, il
co.nnaît d'expérience les dangers qui y menacent certaines valeurs de
l'esprit. Tout cela contribue à donner à ce gros livre, dont la matière
est minutieuse et pourrait être pesante, une sorte de vibration carac-
téristique, parfois un peu imprévue, presque toujours émouvante : mens
agitât molem, et si cette multiple et parfois vétilleuse chronique est,
avant tout, l'aventure d'esprits plus déliés et aiguisés, de Schelandre
à Descartes, on peut dire qu'une alerte intelligence .opère son office
dans le rassemblement, dans la mise en œuvre et en forme d'une docu-
mentation considérable ^
Bien avant le Refuge, avant l'œuvre principale des nouvellistes de
Hollande, les Pays-Bas offrirent à des hommes de chez nous un séjour
de prédilection. Des régiments français, d'abord, ont combattu pour
le compte des États ; mais, tandis qu'un tel service peut aisément se
borner à des guerroiements mercenaires, il est caractéristique de
trouver ici (et le livre I établit implicitement le fait) une concor-
dance de vues et une sympathie de principes assez générales avec
la cause qu'on défendait^. Ne conviendrait-il pas d'établir, plus ample-
ment encore qu'aux pages 27 et 28, que cette collaboration plus
consciente semble due à deux raisons principales, l'instinct de lutte
contre la domination universelle de l'Espagne menant l'Empire, les
affinités spéciales de la principauté de Sedan avec les pays oran-
gistes? M. Cohen, en parlant de « France » et d' « esprit français »,
est peut-être un peu pressé de donner à ces termes un plein sens
moderne, alors que le xvip siècle comportait encore un fractionne-
ment que rien, ici, ne suggère et ne rappelle.
Pareille remarque s'impose au sujet du livre II, Professeurs et étu-
diants français à l'Université de Leyde; si, pour Balzac et Théo-
1. La correction typographique est remarquable pour un livre qui abonde en
lestes variés; lire de Leyde, p. 315. Il y a des redites entre les pages 33, 91
et 131 (mort de Béthune), avec une discordance dans l'indication des sources.
Quelques autres redites sont emportées par l'abondance de l'ample matière.
Le « ne s'y prête pas » de la p. 194, le toit et le couvert de la p. 208 et
quelques autres taches légères surprennent sous la plume avertie de l'auteur.
2. Avouerai-je que j'ai été déçu de ne pas trouver au livre I, tout garni de
détails militaires et dominé par une bataille de Nieuport, d'indications sur les
« chevaux de Frise » (spanische Reiter de la grande guerre)? Ce fut à propos
du siège de "Woerden que le Mercure galant de 1674 (t. IV, p. 51) dut expli-
quer la nature de ces défenses accessoires — employées depuis quand?
Rev. Histor. CXXXVIII. 2« fasc. 17
y^
258 COMPTES-RENDUS CRITIQDES.
phile, nulle réserve ne semble indiquée, il n'en est pas de même pour
un certain nombre d'autres personnages. « Les limites de la France
d'aujourd'hui », alléguées dans la note 3 de la page 226, comportent
des éléments rétrospectifs assez divers. Un Lorrain comme, le fils du
pasteur Ferry (p. 347), un Strasbourgeois comme Diedrich (p. 349),
nous semblent aujourd'hui dignes d'être mis au même rang que les
Parisiens ou les Normands cités : étaient-ils, à leur date, beaucoup
plus ralliés que des Genevois ou des Wallons, exclus des relevés de
M. Cohen et qui représentaient plus ou moins « le français sans la
France »?
C'est ainsi qu'on pourrait presque reconstituer, avec ce livre lui-
même et comme en un sous-chapitre, un côté des rapports de civili-
sation de Sedan avec les Pays-Bas. Les Bouillons — dont Turenne —
ouvriraient la marche, accompagnés de leurs vassaux les Schelandre
(rappellerai-je la singulière analogie de ce nom avec le Suédois Scho-
lander?), bientôt suivis de Louis Cappel et de Samuel Desmarets, de
Pierre du Moulin et d'Adam Stuart, de M. Justel et de Gassendi lui-
même qui touche barres dans la principauté , précédant enfin les
nombreux étudiants sedanais inscrits aux universités hollandaises.
Sans doute, l'indice religieux, que l'enthousiasme libéral de M. Cohen
se plaît si noblement à sacrifier à la tolérance et à un humanisme
agnostique, reparaîtrait-il plus qu'il n'est disposé à le laisser voir
dans la texture réelle de ces plaisants rapports franco-hollandais.
Avec le troisième livre, c'est Descartes qui occupe le devant de la
scène, et c'est justice. Peut-être y a-t-il cependant, dans le changement
de méthode qui distingue cette dernière partie de la précédente, quelque
inconvénient. Je n'aurais pas redouté un exposé de l'action de Jean de
Labadie, confiné dans une note. Il serait intéressant de savoir dans
quelles circonstances un Genevois comme Jean Tronchin se préparait à
fonder une Gazette française à Amsterdam, où sa famille se fixe vers
le milieu du xvii« siècle. N'y a-t-il pas surtout, dès la première moitié
de ce siècle, un changement marqué dans les affinités franco-hollan-
daises, et la « galanterie » plus que l'étude n'est-elle pas le terrain de
rencontre où s'établissent des relations nouvelles? Ainsi se nouerait,
dans un domaine où YAstrée serait mieux comprise que le Discours
de la Méthode, un ordre de contacts dont M. Cohen nous entretien-
dra un jour pour l'enrichissement de l'histoire littéraire et de la litté-
rature comparée : les vues si piquantes de Le Pays sur la Hollande
vers 1660, la Description d'Amsterdam en vers burlesques de Pierre
. Le Jolie (1666), peut-être même la présence imprévue d'observations
sur les comédiens flamands dans le Théâtre français de Chappu-
zeau en 1674. Tout cela, qui dépasse par la date les termes que s'as-
signait l'enquête de M. Cohen, ne laisse pas de supposer, dès avant
1650, une nouvelle forme d'action intellectuelle de la France : est-ce
conjecturer à faux que de supposer, comme y ayant part, des repré-
sentants, lettrés ou mondains, d'une mentalité nouvelle?
G. COHEN : ÉCRIVAINS FRANÇAIS EN HOLLANDE AU XVII® SIÈCLE. 259
Quel que soit le bien fondé de cette remarque, c'est toute l'histoire
de Descartes en Hollande (et même des va-et-vient qui l'en éloignent)
que nous donne ce beau troisième livre, si grave, si fier dans la restitu-
tion patiente d'une pensée indépendante. en face des pédantismes et
des mesquineries. Les découvertes incidentes sont fort nombreuses :
le chapitre xi, « le roman de Descartes » repris avec plus de clair-
voyance; le chapitre xxii, consacré à la princesse Elisabeth, ajoutent
un pathétique bien humain au récit, minutieusement contrôlé ^ des
démarches et des affaires intellectuelles du grand philosophe en Hol-
lande. On peut dire qu'ici, dans l'exposé de la lutte la plus directe
qui se puisse imaginer entre une pensée novatrice et une routine, la
patiente chronique se mue en drame sous la plume de M. Cohen; il
ajoute à l'admiration pour une grande pensée qui veut s'affirmer une
adhésion absolue — trop absolue, ont dit certains — pour la méthode,
l'unité foncière de la science et le principe de l'évidence. Les por-
traits, autographes, fac-similés qui, dans son volume si riche, multi-
plient ici l'illustration, procèdent d'un acte de foi où le dévot cartésien
double l'érudit.
« Des dates précises substituées aux indications vagues » ; la « Hol-
lande refuge », la « Hollande carrefour » des Scaliger et des Balzac,
des Saumaize et des Daneau revivant dans sa réalité, pour le plus
grand profit de notre conception du xyii^ siècle, si varié, si multiple
et agité, mais qui eut tôt besoin d'une sorte de hinterland de liberté;
la démonstration des liens vivants qui rattachent en Hollande à des
présences françaises la vie intellectuelle de mainte université, église,
école, de mille entreprises de l'esprit : la moisson est si abondante
qu'on s'en veut de souhaiter quelques épis supplémentaires, d'autant
qu'il fallait une vraie maîtrise pour lier solidement tant de gerbes.
C'est le résultat en France de ces dépaysements ou de ces contacts
qu'un lecteur de chez nous se prend à imaginer, comme dans cette
Académie de jyrovince au XV 11^ siècle présentée par A. Delalonde
(National, 6 mars et 10 juillet 1876) et groupée autour de Moysant de
Brieux à Caen. L' « air de la liberté » respiré en Hollande a-t-il aidé
vraiment et directement à rafraîchir l'atmosphère de certains milieux
français ?
F. Baldensperger.
1. Le portrait donné en fête du volume se trouve au musée deNy Carlsberg,
n° 1232. Les Histoires Irislcs et lamentables alléguées p. 619 évoquent plutôt
Gryphius et les drames allemands que les tragédies de Corneille. Le rituel du
grand et du petit lever (p. 58.3) était-il si réglé? Ce n'est pas M. Thibaudet
(p. 682, n° 2) qui a retrouré le ballet de Descartes. La leçon testes, p. 515,
dernière ligne, ne doit-elle pas être vérifiée?
260 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
Correspondance de saint Vincent de Paul, édition publiée et
annotée par P. Coste, prêtre de la Mission. Tome I (1607-1639) ;
tome II (janvier 1640-juillet 1646), 644 pages; tome III (août
1646-mars 1650), 1921, 649 pages. Paris, Lecoffre-Gabalda, 1920-
1921. In-S", xxxvii-624 pages.
Homme d'action avant tout, saint Vincent de Paul n'en écrivit pas
moins beaucoup de lettres, car les lettres étaient encore, pour lui, une
forme de l'action. Il le fallait bien. Jamais il n'aurait pu mettre sur
pied les œuvres multiples à l'aide desquelles son infatigable charité
s'évertuait à guérir ou à atténuer tant de misères morales et physiques
de son temps, s'il n'avait cherché à susciter ici des générosités, à s'as-
surer là des concours personnels, à s'enquérir ailleurs des vrais
besoins à soulager. Et de ce chef le voilà entraîné à entrer ou à se
tenir en relations avec bien des gens vivant loin de Paris et de Saint-
Lazare, sa résidence habituelle. Davantage encore, il a à sa disposi-
tion un corps d'auxiliaires tout prêts et dressés, ses Prêtres de la Mis-
sion et les Sœurs de charité, qu'il a fondés et^ qu'il dirige pendant
près de quarante ans ; mais encore lui faut-il rester en contact perma-
nent avec eux. Peu à peu leurs maisons se répandent à travers la
France, puis au dehors, en Italie, en Pologne, en Barbarie, à Mada-
gascar, etc. De bonne heure, il prendra donc l'habitude d'écrire toutes
les semaines, ou du moins « tous les ordinaires », au supérieur de
chacune d'elles et parfois même, au besoin, à quelqu'un de leurs
membres.
Pour faire face aux exigences d'une pareille correspondance, il
prend sur son repos, sur son sommeil et même sur ses voyages ; il
écrit « environ la minuit un peu harassé », dit-il à l'un de ses corres-
pondants, « de la ville où je me trouve dans la nuit » ou « en pleine
rue », dit-il à d'autres, et plus d'une fois il se plaint « qu'on lui ôte la
plume des mains ». Après 1645, il sera obligé de s'aider du secours
d'un ou de deux secrétaires, auxquels il indiquera les idées à dévelop-
per quand il ne dictera pas lui-même ses lettres.
• Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que Vincent de Paul ait
été amené à écrire plus de lettres peut-être qu'aucun de ses contem-
porains; au lendemain de sa mort, on en évaluait le nombre à plus
de 30,000. On ne s'étonnera pas davantage qu'elles ne soient pas
toutes conservées. Au milieu du xviii« siècle, quand les Lazaristes
voulurent faire écrire par un des leurs, Collet, la vie de leur saint
fondateur, ils ne purent en recueillir que 7,000 ; ils n'en trouvèrent plus
que 2,200 quand, près d'un siècle après la Révolution et les dévasta-
tions de Saint-Lazare qui en avaient été la suite, ils songèrent enfin à"
livrer à l'impression les épaves qui leur restaient de cette précieuse
correspondance.
Un des membres les pl^s importants de la congrégation, M. Pémar-
p. COSTE : CORRESPONDANCE DE SAINT VINCENT DE PAUL. 261
tin, son secrétaire général, fut chargé de la publication. Il s'en acquitta
aussi bien que le lui permettait son inexpérience, que compensait mal
la plus manifeste des bonnes volontés. Le texte fut peu ou mal établi
sur des originaux insuffisamment déchiffrés ou des copies, les pre-
mières venues, servilement acceptées, sans comparaison critique, à
peine éclairé par quelques notes vagues et rares. Les cinq volumes
(quatre en 1880, un cinquième en 1888, Paris) qui composaient l'édi-
tion furent réservés à l'usage exclusif de la double famille de saint
Vincent. Au public il ne fut donné qu'une édition à part, en deux
volumes distincts, de 840 lettres.
C'est à remplacer ces deux éditions épuisées qu'est destinée la pré-
sente. Elle a été confiée à M. Coste, prêtre de la Mission. Le choix est
heureux. Quelques études remarquables publiées par lui depuis une
dizaine d'années sur diverses circonstances de la vie de saint Vincent
et sur le texte de ses lettres l'avaient désigné pour une pareille tâche,
et la situation qui lui a été faite auprès des archives de la Compagnie
l'a mis en état de s'en acquitter au mieux.
Nous parlons déjà d'expérience. A la connaissance de la méthode
qui s'impose aujourd'hui à tout éditeur de textes, M. Coste joint la
curiosité active, sagace, toujours en quête des traces les plus ténues
de leur passage dans l'espace ou le passé. A son appel, près d'un mil-
lier de lettres inédites, inconnues, sont déjà sorties de leuqs cachettes.
Les trois volumes qu'il nous donne aujourd'hui nous apportent ainsi
1,205 lettres, tandis que son devancier, M. Pémartin, en a un bon
tiers en moins pour la même période de 1607-1650 (mars). II est vrai
que, parmi ces 1,205 lettres, il s'en trouve environ 400 écrites à saint
Vincent; car, à côté des lettres ou des écrits à forme épistolaire de
cet auteur, les volumes de M. Coste admettent celles qui lui sont
adressées dont il nous reste le texte ou quelque mention. C'est là une
nouveauté de cette édition, et elle n'est pas des moins appréciées des
lecteurs qui lui sont redevables d'utiles éclaircissements pour les
lettres mêmes du saint.
Mais le meilleur des éclaircissements est encore venu à ces lettres
de la lecture correcte du texte. Famiharisé par un long exercice avec
l'écriture un peu broussailleuse et souvent surchargée de son auteur
— comme le montrent les deux reproductions qui en sont données en
tête des volumes — il a déchiffré généralement en toute sûreté les
1,100 et quelques originaux qui nous restent de sa main; quant aux
copies, il a pris soin de les confronter et il a su faire un choix judi-
cieux des meilleures leçons quand il existait des variantes. L'indica-
tion de la provenance, jointe à chaque texte imprimé, laisse toujours
ouverte la possibilité du contrôle. Le nouvel éditeur porte enfin à un
trop haut degré le respect de son texte pour ne lui avoir pas épargné
les déformations que lui imposèrent les scrupules littéraires ou les
préoccupations d'édification des premiers biographes du saint, Abelly
et Collet, et les erreurs de lecture du premier éditeur de ses lettres.
262 COMPTES-RENDUS CBITIQUES.
Saint Vincent ne fait donc plus ici venir ses missionnaires de Poitou
à Tours en « Charente », mais en « charrette », et il peut prémunir
en toute liberté ses Filles de la charité, comme en sa vie, contre les
« entretiens gaillards » de leurs éventuels compagnons de voyage,
tandis que le « moelleux » Abelly l'autorisait seulement à leur signa-
ler les « entretiens qui seraient trop libres ». Guidé par les seules'
indications du texte, M. Coste n'hésite pas davantage à fondre dans
l'unité d'une seule lettre divers tronçons où ses devanciers s'obstinaient
à voir autant de lettres distinctes, placées à des dates plus ou moins
espacées. Tous les égards réclamés par des soucis d'honneur familial
ne l'empêchent pas de dénoncer les ratures faites intentionnellement
sur le texte des lettres de saint Vincent par leurs destinataires ou des
détenteurs actuels.
Au texte ainsi rétabli en sa forme native s'ajoute enfin une annota-
tion abondante et sûre ' où trouveront toutes les lumières voulues les
lecteurs que pourraient dérouter quelques formes surannées de notre
vieille langue ou certaines allusions à des personnages ou des faits
historiques peu connus.
Il y aura là, avec la bonne exécution typographique des volumes,
un des grands attraits de cette édition. Mais le principal sera toujours
dans le fond même des lettres qu'elle contient. Les plus curieuses
sont peut-être les premières où le jeune Vincent raconte à M. de
Comet de Dax, son bienfaiteur, sa captivité à Tunis, ou bien expose à
sa mère, à Pouy, ses espérances d'avenir et ses vues, quelque peu
humaines, « d'avancement » et « d'honnête retraite » auprès d'elle.
Dans les suivantes, il nous apparaît déjà adonné aux missions des
campagnes, en train d'utiliser les bons offices de quelques recrues
spontanées « pour gagner de pauvres âmes à Dieu en ce pays de Poi-
tou ou des Cévennes », ou de les « faire appliquer aux pauvres gens
de deçà ». Sa vocation est dès lors fixée et la plupart de ses lettres
iront désormais à sa collaboratrice dans la fondation des Filles de la
charité, Louise de Marillàc (360 dans ces trois volumes), ou à ses
prêtres en mission ou dans ses établissements de Toul, d'Annecy, de
Richelieu, de Marseille, de Cahors, de Rome, de Gênes, d'Alger, de
Madagascar, etc. Quelques-unes sont adressées à des cardinaux, à
des évêques, à des gens du monde associés ou intéressés à ses œuvres.
A ses correspondants habituels surtout, ses lettres apportent des
conseils de direction, des exhortations — accompagnées parfois, mais
1. Il est bien difficile de la prendre en faute : à peine puis-je faire remar-
quer que le cardinal Antoine Barberini ne fut pas nommé par Louis XIII « pro-
lecteur des affaires de France » (t. I, p. 593), mais reçut seulement l'offre de
la « comprotection » dont son oncle, Urbain VIII, ne lui permit pas de se char-
ger; l'épiscopat toulousain du cardinal de Joyeuse ne s'étend pas seulement de
1598 à 1605 (t. II, p. 359), mais de 1584 à 1605; le marquis de Poyanne n'est
pas mort en mars, mais le 3 février 1667 (t. III, p. 232). Ibid., p. 322, Arnauld
d'Aniilly a été mis pour Arnauld d'Andilly.
p. COSTE : CORRESPONDANCE DE SAINT VINCENT DE PAUL. 263
rarement et bien malgré lui, de quelque reproche — des encourage-
ments dans l'accomplissement des tâches qu'il leur a confiées. Tâches
ardues, délicates, variées, pour lesquelles la sagesse et la suite dans la
direction ne sont pas moins nécessaires que la docilité et l'abnégation
personnelle dans l'exécution. Il s'agit ici de missions à prêcher au
fond des campagnes délaissées; d'assemblées ou de confréries de
grands seigneurs ou de dames de charité à tenir en ville pour pro-
voquer les générosités en faveur des enfants trouvés; des pauvres
abandonnés sans assistance à secourir à Paris ou en province; de la
formation à donner aux Filles de la charité pour les mettre en état de
soigner les malades dans les hôpitaux, de tenir des écoles de filles
dans les villages ou d'y assurer aux paysans les secours médicaux
indispensables ; de séminaires à fonder dans tant de diocèses qui en
sont encore dépourvus, des méthodes d'enseignement à y introduire;
de forçats à évangéliser dans nos grands ports; des provinces entières,
telles que la Lorraine, la Champagne et la Picardie, à relever des
ruines entassées par l'invasion des armées espagnoles et impériales ;
des esclaves à soulager, en attendant de les racheter, en Barbarie; des
missionnaires enfin à soutenir en Irlande, en Ecosse, à Madagascar, etc.
A la variété, à la multitude des sujets abordés dans cette correspon-
dance, il est aisé de deviner qu'elle constitue par elle-même une pré-
cieuse contribution piour l'histoire du temps. Pour l'histoire des
mœurs d'abord, qui trou- era ici à glaner des traits singulièrement
curieux, et surtout pour l'histoire de la renaissance catholique en
France entre cette période de 1630-1660, qui en marque le point cul-
minant. En Vincent de Paul nous voyons à l'œuvre un de ses prin-
cipaux ouvriers. Nul ne contribue plus que lui à la réforme du clergé
par son influence, au Conseil de conscience, sur la nomination des
évêques, par la fondation des séminaires, des retraites d'ordinands et
des conférences ecclésiastiques. En même temps, par son œuvre des
missions, il regagne à la pratique religieuse les populations rurales,
et il assure au catholicisme en France et au dehors un nouvel ascen-
dant le jour où il lui assigne le rôle de premier moteur et d'organisa-
teur, à peu près unique alors, de l'assistance publique.
A côté de cet intérêt historique y a-t-il lieu de relever l'intérêt lit-
téraire qui s^attache à cette correspondance? C'est celui dont saint
Vincent ne s'est jamais préoccupé. Il n'en avait pas le temps, nous
l'avons vu. L'eùt-il eu, la seule pensée de se faire valoir par ce qu'il
dénonçait à ses missionnaires comme une « parade mondaine et dia-
bolique » eût fait horreur à son humilité. Mais, pour indifférent qu'il
soit aux soucis d'art, ce n'est pas impunément qu'un homme dont le
cœur est aussi débordant d'affection pour autrui, aussi vide d'amour
de soi, se porte à écrire des lettres dans le seul besoin d'exprimer des
idées justes et généreuses. Et il s'est trouvé que ce pauvre prêtre,
exclusivement soucieux de bien agir, est bien loin d'être resté aussi
étranger qu'il le croyait et voulait le faire croire à l'art de bien dire.
264 COMPTES-RENDUS CBITIQCES.
Des critiques de nos jours ont cru pouvoir donner place à Vincent
de Paul « parmi les maîtres de notre pensée et de notre langue ». Il
suffit de lire les citations qu'ils ont données de ses lettres pour cons-
tater qu'il n'y fait point mauvaise figure. L'ensemble de sa correspon-
dance confirme et au delà cette première impression. La place nous
manque ici pour appuyer par de nouveaux considérants les jugements
de M. Strowski ou de M. Lanson, mais il est bien difficile de lire nos
trois présents volumes sans être frappé de la noblesse de sentiment
de ces lettres toutes dominées par le désir de faire du bien autour de
soi. Le fond de la pensée s'y révèle, en toute sincérité et simplicité,
dans la bonne langue de son temps, franche, sans pruderie, un peu
rude peut-être, mais pas plus archaïque que celle de du Vair ou de
d'Urfé. Sa phrase court droit au but, courte et pressée ; en quoi elle
est plus près de la nôtre que celle de Balzac, plus dégagée et moins
pâteuse que celle de Descartes. De temps à autre, elle se colore ou
s'anime de quelque image expressive, de quelque heureuse alUance de
mots, ou même de quelqu'un de ces traits de vivacité, de finesse et de
bonhomie où se révèle, comme chez Henri IV, l'influence du terrain
gascon.
Mais, plus qu'à l'auteur, c'est à l'homme qu'ira l'admiration des lec-
teurs. A parcourir ces trois volumes, ils joindront au plaisir de la
découverte personnelle celui de saisir sur le vif, lettre par lettre, les
divers traits dont se compose la physionomie du plus populaire de nos
saints modernes. Ou je me trompe fort, ou ils rapporteront de cette
lecture la même impression que M. Lanson, qui écrivait naguère : « Il
n'y a pas de plus belle âme que celle de saint Vincent... et il y en a
peu qui soient plus intéressantes à étudiera »
p A. Degert.
1. Le tome IV, qui parait au moment où nous donnons le bon à tirer de la
présente feuille, contient la correspondance d'avril 1650 à juillet 1653 (630 p.,
1 fac-similé).
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire générale. — La librairie Letouzey et Ané continue avec
une méritoire régularité la publication de ses dictionnaires qui,
s'adressant tout d'abord au monde ecclésiastique, sont pour tous les
historiens d'un précieux secours. Voici de brèves indications sur les
derniers fascicules qui nous sont parvenus : 1° Dictionnaire d'histoire
et de géographie ecclésiastiques, publié sous la direction de
Mgr Alfred BauiIHillart ; fasc. 14, d'Annianus à Antioche : articles
sur Anseau de Garlande, par M. Lecomte ; Anselme de Cantorbéry
(20 col. avec une abondante bibliographie, où ne figure pas encore la
thèse de M. Ch. Filliâtre), par M. P. Richard; Antilles (introduction
du catholicisme, oppression et défense des indigènes, œuvre du clergé
dans les Antilles espagnoles du xyi^ au xviiie siècle), par H. Froi-
DEVAUX; Antioche (qui occupe les col. 563-671 et n'est pas encore
achevé. On y peut noter un tableau synchronique des églises issues
du patriarcat et une carte de ce patriarcat d'après la notice d'Anas-
tase I'"', au vi« siècle). — 2° Dictionnaire d'archéologie chrétienne
et de liturgie, publié sous la direction de dom Fernand Cabrol et
de dom Henri Leclercq; fasc. 41-43, avec lesquels se terminent
le tome IV et la lettre E. Principaux articles : Du Cange, par
M. Es|»ORiTO; Duel judiciaire, par H. Leclercq; Eau (usage de l'eau
dans la liturgie, eau bénite), par F. Cabrol; Échos d'Orient (indica-
tion des études d'archéologie chrétienne qui ont paru dans cette Revue
de 1897 à 1911); École (col. 1730-1883; histoire des écoles fondées dans
l'Europe chrétienne d'Occident jusque vers le xf siècle); Ecosse (ori-
gines chrétiennes, épigraphie, symbolisme des monuments; col. 1889-
1921); Écriture (origine, classements, particularités, paléographie
grecque et latine; écritures nationales, avec de nombreux fac-similés
et une bibliographie qui ne remplit pas moins de six colonnes) ; Édesse
(col. 2058-2110); Édits et rescrits (concernant les chrétiens, col. 2119-
2211); Église, le mot et le symbole, l'Église et l'État jusqu'au
iv« siècle et les Églises (31 chapitres, col. 2279-2399, avec de nom-
breuses illustrations); Egypte, du i" siècle à la conquête arabe (épi-
graphie et archéologie, avec de nombreuses inscriptions; la biblio-
thèque d'Alexandrie; col. 2401-2571); Élections abbatiales et
épiscopales (col. 2611-2651); Empereurs (culte, iconographie, style
et titres). Tous ces articles, si variés, d'une érudition si étendue,"'
sont l'œuvre de dom Leclercq dont on ne peut qu'admirer la féconde
activité. — 3° Dictionnaire de théologie catholique, commencé
266 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
SOUS la direction d'A. Vacant et continué sous celle d'E. Mangenot,
professeur à l'Institut catholique de Paris ; fasc. 50-52. Art. Hongrie
(son histoire religieuse jusqu'en 1914), par E. Horn; Honorius (bio-
graphie des quatre papes de ce nom), par E. Amann et H.-X. Arquil-
LiÈRES; Hospitaliers, par J. Besse; Hugues de Saint- Victor (sa. vie,
ses œuvres, sa doctrine; col. 240-307), par F. Vernet; Hus et Hus-
sites,par P.Moncelle; Hypostase et Union hypostatique (des deux
natures dans l'unique personne du Fils de Dieu, col. 369-567), par
A. Michel; lœnoclasme, par E. Emereau; Idolâtrie, idole (l'idolâ-
trie primitive, mosaïque et chrétienne; exposé théologique; col. 602-
669), par A. Michel; Ignace de Loyola, par J. Brucker; Images
(histoire, doctrine et culte; col. 766-845), par V. Grumel. Cette énu-
mération, si sèche qu'elle soit, permet tout au moins de donner une
idée de la masse prodigieuse de renseignements fournie par ces articles
dont certains ont la dimension 'de gros livres. jfQh. Bémont.
— Sir Adolphus Ward. Collected papers historhal, literary, ira-
vel and miscellaneous. Vol. I et II. Historical (Cambridge, at the
University Press, 1921, in-S», xi-407 et 397 p.). —M. Ward nous apprend
(tome I, p. 97) qu'il a passé son enfance en Allemagne : son père fut
le dernier ministre résident auprès des villes de la Hanse ; son frère,
Sir WilUam, a été, pendant plusieurs années, consul général d'Angle-
terre à Hambourg; lui-même a vécu longtemps à Lubeck et à Brème.
Rentré en Angleterre, il fut d'abord professeur à Owen's Collège
Manchester (1866), où il enseigna la langue et la littérature anglaises,
l'histoire ancienne et moderne. Plus tard, il passa à l'Université de
Cambridge où il k)ccupe aujourd'hui une situation éminente comme
a Master » de Peterhouse. Pendant sa longue et féconde carrière, il a
écrit dans un assez grand nombre de revues. Il nous donne aujour-
d'hui un recueil de ses articles, dont les plus anciens remontent à
l'année 1864. Il les a groupés en trois séries : histoire, littérature
et voyage. C'est la première série que l'on trouvera dans les deux
volumes annoncés plus haut.
Un choix pareil est une entreprise délicate. On court le risque d'y
admettre des articles vieillis sur des sujets où la science a, depuis,
fait de réels progrès. M. Ward a voulu les rééditer aujourd'hui
sans changement; à peine a-t-il ajouté çà et là quelques faits ou
quelques réflexions en post-scriptum ; mais était-il bien utile de repro-
duire par exemple le compte-rendu de l'Histoire commerciale de la
Ligue hanséatique par Emile Worms (1864), si l'on ne dit pas au
' moins que la publication des Procès-verbaux de la Hanse a complète-
ment renouvelé le sujet? On en pourrait dire autant des études sur
Tilly, sur Ludlow, même sur Gardiner, que M. Ward défend discrè-
tement contre l'âpre critique de M. Roland Usher, D'autre part, c'est
avec un vif intérêt qu'on retrouve ici de fins portraits d'Elisabeth de
Bohême, fille de Jacques I" d'Angleterre, et de sa petite-fille, la
princesse palatine, des études poussées assez à fond sur la politique
HISTOmE GÉNÉRALE. ' 267
d'équilibre depuis Charles-Quint jusqu'à Bismarck, sur les effets
désastreux de la guerre de Trente ans, sur les idées politiques de
Leibnitz.
C'est d'ailleurs aux choses d'Allemagne, surtout au xyii^ et au
xviii« siècle, que M. Ward paraît revenir avec le plus de prédilection.
Après avoir touché à la guerre de Trente ans dans son premier
volume, il a réuni dans le second toute une intéressante suite d'ar-
ticles sur le Grand Electeur, l'avènement de Frédéric-Guillaume III
comme roi en Prusse, Louis XV et le renversement des alliances, les
origines diplomatiques de la guerre de Sept ans, le déclin de la Prusse
sous Frédéric-Guillaume II, le second partage de la Pologne, etc. La
plupart de ces écrits sont antérieurs à la dernière guerre. Quand il
parle des événements récents, M. Ward conserve la sérénité de ton
et de jugement qui convient au véritable historien. Les essais qu'il
exhume aujourd'hui méritaient, pour la plupart, d'être tirés de l'oubli;
ils lui font le plus grand honneur. Ch. B.
— Le tome XXIV des Monuments et Mémoires publiés par l'Acadé-
mie des inscriptions et belles-lettres (fondation Eugène Piot), 1<='" et
2^ fascicules, n" 43 de la collection (Paris, E. Leroux, 1920, distribué
en octobre 1921, in-fol., 213 pages et 14 planches; nombreuses gra-
vures dans le texte), contient les travaux suivants : I. Léon Heuzey.
Le péplos des femmes grecques étudié [sur les monuments et] sur
le modèle vivant. II. Georges Bénédite. Amon et Toutânkhamon
(groupe en granit noir de la XVIII^ dynastie. Amon est assis et pose
les mains sur les deux bras d'un personnage représenté debout, qui
reçoit en même temps l'investiture et la protection du dieu. Ce per-
sonnage est le roi Toutânkhamon). III. A. Merlin. Statuette de
terre cuite peinte, trouvée à Carthage. IV. Ch. Picard. Portrait
d'homme inconnu ; tête de bronze trouvée par Charles Avezou dans la
« Vieille palestre » de Délos. V. Louis Bréhier. Les miniatures des
« homélies » du moine Jacques et le théâtre religieux à Byzance (ces
miniatures permettent de reconstituer un drame religieux dont le
sujet était l'histoire de Marie avant la Nativité). VI. Camille Enlart.
Un tissu persan du x<= siècle, découvert à Saint-Josse, Pas-de-Calais
(on y lit le nom du caïd Nedjtekin, qui paya de sa vie, en l'an 349 de
l'hégire, le déplaisir de son souverain Abd el Malik ibnNoùh. Le tissu
est donc du x° siècle, peu avant l'an 961 de notre ère; il présente des
points de ressemblance avec le tissu aux éléphants qui, à Aix-la-Cha-
pelle, enveloppait les reliques de Charlemagne). VII. Comte Durrieu.
La légende du roi de Mercie dans un livre d'heures du xv" siècle (cette
légende met en scène trois jeunes filles nues, souvenir sans doute des
trois grâces; elle fut bien plus tard transformée en scène du jugement
de Paris, transformation qui paraît s'être localisée en Allemagne ou
dans les pays immédiatement voisins de l'Allemagne). VIII. Ettore
Gahrici. Vase de style campanien à peintures. Polychromes repré-
sentant Silène et les nymphes (article rédigé eu italien ; ce vase, dit
268 NOTES BIBLIOGBAPHIQBES.
« vase de Falcone », a été trouvé en Sicile, non loin de l'ancien Tyn-
daris).
— Nous avons reçu un tirage à part de l'article publié par M. Henry
Elmer Barnes, professeur d'histoire à l'Université Clark : The past
and the future of history, paru dans : « The historical outlook » (Phi-
ladelphie, février 1921). Il est à recommander, ne serait-ce que pour
les indications bibliographiques marquées au bas des pages.
— René Worms. La sociologie, sa, nature, son contenu, ses
attache^ (Bibliothèque sociologique internationale. Paris, Giard et
C'«, 1921, in-18, 164 p.). — C'est au moment où s'ouvrait à Turin le
Congrès international de sociologie que paraissait le livre de M. R.
Worms. La disparition de M. É. Durkheim et la décomposition de
l'école qu'il avait formée font la partie belle à M. Worms, qui s'était
toujours refusé à accepter certaines classifications et certaines défini-
tions du groupe de V Année sociologique, et qui, dans le présent petit
livre, s'est efforcé, avec un sens critique qui n'exclut pas la bienveil-
lance intelligente, de préciser la nature et l'objet de la sociologie.
Cette science est pour lui la philosophie des sciences sociales parti-
culières, et son existence est justifiée par l'existence même du fait
social, irréductible à la notion de l'individuel; elle comporte trois
aspects, qui se complètent pour réaliser la synthèse interprétative,
selon qu'elle étudie les organes sociaux, le fonctionnement ou la trans-
formation de ceux-ci (anatomie, physiologie, ontogénétique ; ou statiquç,
dynamique, cinématique), et M. Worms passe rapidement en revue le
contenu de ces trois chapitres essentiels de la sociologie. Quant à la
méthode de la sociologie, c'est exactement la méthode inductive, et
M. Worms expose avec beaucoup de finesse de quelle nature est la
causalité qu'elle prétend atteindre et mettre en lumière (p. 100 et suiv.).
A cet égard, son livre est à retenir parles historiens que préoccupe le
souci des explications générales applicables aux phénomènes humains.
Trop souvent, les disciplines sociologique et historique se sont dure-
ment heurtées ; M. Worms prouve qu'elles peuvent collaborer pour la
recherche des lois générales auxquelles obéit l'évolution de l'huma-
nité.. G. Bn.
— M. Amédée Dunois a donné une nouvelle édition de l'Adresse
inaugurale de l'Association internationale des travailleurs, suivie
du préambule et des statuts de l'Association (Paris, librairie de
r « Humanité », 1921, in-18, 45 p. ; prix : 1 fr.). — Cette adresse, rédi-
gée par Karl Marx entre les 21 et 27 octobre 1864, ne fut traduite en
français qu'en 1866 par le républicain Charles Longuet ; imprimée en
1902 par le Mouvement socialiste, elle méritait d'être rééditée, parce
qu'elle constitue le point de départ de l'activité de la Première Inter-
nationale; elle l'a été soigneusement par M. A. Dunois, dont la
notice préliminaire raconte très exactement les conditions générales
et les circonstances particulières d'où est sorti le mouvement proléta-
rien d'ensemble. G. Bn.
HISTOIRE GÉNÉRALE. 269
— Carnegie Endowment for International Peace. Annual report
of Director of the Division of Economies and History, containing
Report on the économie and social History of the World War,
by James T. Shotwell, General Editor, March 16, 1921 (in-8",
33 p.). — Dès l'automne de 1916, la dotation Carnegie songeait à faire
établir une histoire économique et sociale de la Grande Guerre. Mais
c'est dans l'été et l'automne de 1919t, après la désignation particulière-
ment heureuse du professeur Shotwell comme éditeur général, que
l'on est entré dans l'ère des réalisations. Avec un très grand sens des
possibihtés pratiques, M. Shotwell a estimé qu'il fallait d'abord cons-
tituer, dans chacun des pays intéressés, un Comité de rédaction qui,
sous réserve de l'approbation des « Trustées » de la dotation, dresserait
le plan du travail, choisirait les collaborateurs, surveillerait l'exécu-
tion des monographies. Le Comité anglais, présidé par Sir William
Beveridge, comprend MM. H. W. C. Davis, E. C. K. Gonner, Tho-
mas Jones, J. M. Keynes, F. W. Hirst, W. R. Scott. M. Ch. Gide
préside le Comité français, où il a pour collaborateurs MM. Arthur
Fontaine, Henri Hauser, Ch. Rist. M. Henri Pirenne dirige le travail
pour la Belgique. Le Comité pour l'Autriche-Hongrie a pour prési-
dent M. Shotwell, assisté par MM. von Wieser, von Pirquet, Gustav
Gratz, Richard Riedl, Richard Schûller. Le Comité italien, présidé
par M. Luigi Einaudi, comprend MM. Pasquale Jannaccone et Umberto
Ricci. La Tchécoslovaquie est représentée par M. Rasin; les pays
baltiques par MM. Harald Westergaard, de Copenhague, N. Rugg, de
Christiania, EU Heckscher, de Stockholm; les Pays-Bas par M. H. B.
Greven. Des organisations sont en préparation pour la Suisse, le
Portugal, l'Allemagne, les États-Unis. Une œuvre analogue est en
train au Japon.
Le Comité français a élaboré un plan très complet, qui comportera
une cinquantaine de monographies, dont la plupart seront des volumes
de 200 ou 250 pages in-8°. Les sujets traités seront l'histoire indus-
trielle et commerciale de la France pendant la guerre, l'organisation
sociale, la démographie et l'hygiène, les finances. Une place à part
est faite aux questions spéciales à la France : régions envahies,
Alsace-Lorraine, colonies et Afrique du Nord, armées alliées sur le
sol français, etc.
Il est impossible de reproduire ici la liste des collaborateurs qui
sont les uns des hommes poUtiques directement mêlés à la politique
économique de guerre, les autres des professeurs, des administrateurs,
etc. Disons seulement que le premier volume à paraître sera une
Bibliographie de l'histoire économique et sociale de la guerre^
due à M. Camille Bloch. Du côté anglais sont déjà parus trois
volumes : War Goveimment in the Dominions, par M. A. B. Keith ;
Allied Shipping Control, par M. J. A. Salter, et Priées and
wages during the war, par M. A. L. Bowley. On espère que cette
grande œuvre sera menée vers son terme avec une suffisante rapi-
tlitt^. H. Hr.
270 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
— Dans la même section économique et historique ont paru, sous
la directioiï de M. James Brown Scott, les ouvrages suivants :
En 1919 : the Déclaration of London, february 1919, dossier de
la conférence navale de 1908-1909, avec introduction par Elihu Root
et une précieuse bibliographie (268 p. in-8°).
En l'920 : Proceedings of the Hague peace conférences, traduc-
tion anglaise des procès-verbaux officiels. Un volume (883 p.) est con-
sacré à la conférence de 1899: un autre (703 p.) aux séances plénières,
de la conférence de 1907 ; les séances des commissions et les annexes
rempliront encore deux volumes; — Treaties for advancement of
peace (1913-1914), recueil des conventions d'arbitrage entre les États-
Unis et les différentes puissances, précédé d'une excellente introduc-
tion de M. Scott (152 p.); — les Conférences de La Haye, ins-
tructions et rapports des plénipotentiaires américains (texte en
français, 146 p.); — V Institut du droit international ; tableau géné-
ral des travaux (1873-1913) (en français également, 366 p., ce recueil
sera particulièrement utile aux juristes).
En 1921 : les Travaux de la cour permanente d'arbitrage de La
Haye (en français, 492 p.), ou les historiens trouveront, illustrés
d'excellentes cartes, les dossiers complets d'affaires célèbres (pêche-
ries du Labrador, Dogger bank, Casablanca, Manouba et Carthage,
etc.).
Un recueil spécial, Manual of the public benef actions of Andrew
Carnegie (Washington, 1919, 321 p. in-8°, nombreuses illustrations),
vient rappeler à propos tout ce que l'humanité doit à la générosité
du grand industriel américain qui a écrit : the Man of wealth
becomes the mère trustée and agent for his poorer brethren.
R. GUYOT.
Histoire de la guerre. — Abel Ducornez. Les derniers jours
de Longwy (Paris, Bloud et Gay, 1920, in-16, 230 p.; prix : 5 fr.). —
Le récit est introduit par une préface du comte F. de Saintignon, qui
est plusieurs fois mentionné dans le volume, d'abord comme mettant
son hôtel des Récollets à la disposition de la Croix-Rouge (p. 83), puis à
propos d'obus atteignant son propre château (p. 118) et son usine (p. 150),
puis comme félicitant, au nom de la population civile, le commandant
de la place, colonel Dasche, de sa défense obstinée (p. 159), enfin comme
arrêtant une lettre que les dames de la Croix-Rouge voulaient envoyer
au général commandant le siège pour intercéder en faveur des hôpi-
taux (p. 166). Le récit lui-même est un peu gâté par trop de préoccu-
pations littéraires; les faits étaient assez éloquents par eux-mêmes
sans qu'il fût nécessaire de les relever par tant d'efîets oratoires et
par une telle abondance de paroles. L'auteur cède aussi à des préoc-
cupations catholiques ; il se laisse entraîner à parler de « rage luthé-
rienne » (p. 211) brisant des statues de la Vierge, sans songer que les
Bavarois, si bons catholiques, furent parmi les plus sauvages de nos
ennemis. La seule citation en allemand est estropiée : p. 77, lire
Schweinhunde, Sauhunde.
HISTOIRE DE LA GUERRE. 271
Toutefois, bien des passages méritent une mention : d'abord
celui qui raille notre manie de voir des espions partout, excepté
là où ils se trouvent réellement (p. 20), puis la description de 1' « in-
descriptible désarroi à la gare » (p. 38), la légèreté avec laquelle
furent recrutés les membres de la nouvelle police municipale (p. 41),
puis comment restèrent sans eSet les arrêtés préfectoraux (p. 43), se
colportèrent les Inventions de gens « bien informés » (p. 48), fut dif-
féré le départ des conscrits de la classe 1914 (p. 70), quelle artillerie
ridicule eurent à leur disposition les défenseurs de Longwy, « dont on
renvoyait périodiquement le déclassement aux calendes grecques »
(p. 86), comment la guerre trouva absolument vide le « magnifique
hangar pour aéroplanes, inauguré, il y a dix mois à peine, en grand
tralala et, naturellement, avec ministres présents, passés et futurs »
(p. 86), etc. En somme, Longwy n'était ni véritable forteresse, ni
déclarée ville ouverte, « situation équivoque... singulièrement dange-
reuse » (p. 87). La garnison ne comptait que 3,200 hommes, tous
« animés du meilleur esprit », mais trop « résignés à une résistance
passive ». On ne chercha pas à utiliser le terrain pour augmenter le
périmètre fortifié. De plus, les patrouilles allaient en reconnaissance
comme on va au tir à la cible, avec l'unique préoccupation de rappor-
ter « des trophées » (p. 90).
L'auteur juge ainsi la bataille qui se livra sous les murs de sa ville
le 22 août (deuxième jour du bombardement) : « Quoi de plus incon-
cevable que l'inconsciente témérité d'une armée qui va à l'ennemi,
suivant scrupuleusement un ordre de marche arrêté d'avance comme
pour une simple manœuvre et poussant droit devant soi, sans paraître
supposer qu'elle peut rencontrer l'adversaire, et éprouvant une sur-
prise indescriptible quand le feu meurtrier de ses mitrailleuses révèle
soudain sa présence... Les régiments, exténués de fatigue, vinrent
tomber en pleine bataille..., se faisant. Sans aucune utilité pour les
opérations militaires, massacrer par leur manque de précautions les
plus élémentaires... On n'avait pas oublié la théorie, mais c'est
l'ennemi qu'on oubliait » (p. 131). Th. Sch.
— Georges Motte. Les vingt mille de Radinghem (Pans, Bloud
et Gay, 1920, in -16, 324 p.). — Il s'agit de 20,000 civils du
Nord qui, obéissant à un ordre tardif arrivé à la mairie de Rou-
baix le vendredi 9 octobre 1914 et suivant un itinéraire prescrit
officiellement, mais néanmoins déraisonnable, se trouvèrent pris
entre les deux lignes de combattants, tombèrent entre les mains
de l'ennemi, qui les traita en francs-tireurs. « Nous ignorions tout
de la situation réelle », dit l'auteur; « nous ignorions que, déjà le
dimanche 4, quand on avait fait évacuer les autos (pourquoi pas
les hommes en même temps?) vers Saint-Omer, certaines de ces
autos avaient essuyé des coups de feu et que nous allions, de façon
presque certaine, nous jeter dans la gueule du loup. » Donc, ce sont
encore des victimes de l'incurable optimisme et cachotterie olïiciels.
272 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
L'auteur, grand industriel, dédie son récit à son fils, sous-lieutenant,
tué le 12 juin 1918; à son frère André, sous-lieutenant, tué à Verdun;
à son beau- frère Roussel, sergent, tué à Hébuterne; à son cousin
Joseph Motte, tué à Dinant, bref à la mémoire des sept Motte de
Roubaix morts au champ d'honneur. Les tristes étapes du voyage qui
mena les 20,000 à leur lieu de détention sont marquées dans le sous-
titre : Douai, Mersebourg, château de Celle. Dans la première de
ces villes, où ils conservèrent jusqu'au dernier moment l'espoir d'être
délivrés par une avance franco-anglaise ou d'être renvoyés dans leurs
foyers par leurs oppresseurs, ils restèrent quatre jours enfermés dans
une église dans des conditions hygiéniques qu'on peut aisément se
représenter; le voyage dura soixante-dix-huit heures, dans des con-
ditions tout aussi effrayantes. Voici l'arrivée à Mersebourg : « Des
cinquante wagons qui composent notre train, descend pêle-mêle une
foule de près de 3,000 pauvres hères à demi inconscients, au regard sans
vie... La plupart chancellent et beaucoup tomberont dans la dernière
étape de quelques kilomètres à fournir avant d'arriver au camp... Il
y a trois jours et demi que nous n'avons pu ni nous laver ni nous
peigner; il y a d& jours et demi que nous n'avons pu nous déchaus-
ser ni allonger nos membres courbaturés... Les femmes ne peuvent
retenir leurs larmes à la vue de ce misérable troupeau de gamins dont
le plus jeune a quinze ans, d'hommes et de vieillards dont le plus âgé
compte quatre-vingt-deux ans. »
Puis vient la description détaillée du camp, de l'installation inté-
rieure des baraques, des compagnons russes, belges, anglais, des
goumiers, de la nourriture, des occupations et distractions, des rap-
ports avec les Allemands, etc.
Le 20 mars 1915, douze privilégiés, dont l'auteur, furent envoyés au
château royal de Celle, où ils trouvèrent une société cosmopolite
aussi, mais une vie beaucoup plus supportable, qui dura jusqu'au
24 novembre, où un groupe fut rapatrié avec M. Motte. Celui-ci,
réinstallé à Roubaix, se mit à écrire ses souvenirs de captivité « à
bâtons rompus, interrompant fréquemment mon travail, cachant mon
manuscrit chaque fois que des Allemands apparaissaient ou que des
perquisitions devenaient plus menaçantes..., au son du canon, dont
les milliers de coups ont ponctué chacun de mes chapitres. » Terminé,
le manuscrit reposa « dans un cercueil d'acier, sous d'épaisses voûtes
de maçonnerie », pour n'en sortir que le 18. octobre 1918.
Tout y est intéressant; certains passages sont très poignants à
divers points de vue : telle la p. 90, où ces pauvres gens pestent
« contre le préfet du Nord, à qui ils attribuent la responsabilité de
leur villégiature en ces lieux mal odorants » ; ou la p. 134, où nous
les entendons exprimer « l'espoir de vivre désormais en paix dans
une France assagie par l'expérience et assainie par la souffrance » ; ou
la p. 137, où « tout le monde reconnaît les graves défauts du régime
passé qui a gaspillé les énormes ressources de la France et négligé la
HISTOIRE DE l'aNTIQDITE'. 273
défense nationale » ; ou enfin la p. 219, avec sa description enthou-
siaste des merveilleux levers et couchers de soleil d'hiver à Merse-
bourg. Th. Sch.
— Lucien Cornet. 191k-1915. Histoire de la guerre, tome V
(Paris, Charles-Lavauzelle, in-8°, 436 p.). — Ce tome V est consacré
à l'histoire intérieure des belligérants, d'avril à novembre 1915. On y
trouvera des renseignements détaillés sur l'œuvre législative du Par-
lement français, notamment sur les débats relatifs à la loi Dalbiez.
J. ISAAC.
— Henriette Célarié. Le martyre de Lille (Paris, Bloud et Gay,
1920, in-16, 259 p.; prix : 6 fr,). — L'auteur n'en est pas à ses débuts.
Elle a déjà publié au moins deux ouvrages sur la guerre : Quand
« Ils » étaient à Saint-Quentin et En esclavage (cf. jReu. histor.,
t. CXXIX, p. 149, et t. CXXXVI, p. 122). Ce dernier a même été cou-
ronné par l'Académie. Ici, elle s'est proposé de « recueillir les récits
de ses compatriotes lillois, en choisissant de préférence ces derniers
dans la classe populaire, grouper ces récits, les coordonner, de manière
à donner un aperçu de ce qu'a été la vie, à Lille, pendant l'occupa-
tion ». Elle a voulu faire raconter surtout « les gens de menue condi-
tion », parce que, « pour peu qu'ils aient le don d'observation joint à
celui du pittoresque, ils le font avec une saveur où n'atteignent pas
les lettrés ». Ajoutons tout de suite que cette saveur populaire est fort
atténuée dans le livre et que la préoccupation littéraire nuit parfois à
l'intérêt, puissant d'ailleurs, du récit. Celui-ci est parfois effrayant,
et l'on a peine à comprendre que des personnes déjà anémiées, voire
des vieillards, aient pu supporter des souffrances si intolérables. Beau-
coup, il est vrai, sont mortes dans des conditions navrantes. Ce
livre n'est pas fait pour des lecteurs trop sensibles. Douze chapitres
exposent successivement les différentes faces et phases du martyre
de Lille depuis la première apparition des Allemands, le 26 août
1914, jusqu'à la délivrance du 17 octobre 1918, en passant par les
amendes, la faim, l'état sanitaire, les réquisitions, les œuvres de
secours, l'affaire des sacs, les enlèvements de 1916, les travailleurs
dits volontaires, les otages, etc. Th. Sch,
— Les fascicules 41-44 de l'Histoire générale et anecdotique de
la guerre de 191k, par Jean-Bernard (Berger-Levrault), nous con-
duisent jusque vers la fin de 1915, aussitôt après la constitution du
ministère Briand (septembre 1915) et le meurtre de Miss Cavell (12 oc-
tobre). On notera çà et là quelques renseignements inédits que l'auteur
a puisés aux meilleures sources.
Allemagne. — La librairie Brockhaus, de Leipzig, vient de faire
réimprimer le Trésor des livres rares et précieux, de Grosse,
d'aprôs l'édition originale, parue à Dresde de 1859 à 1869. Les huit
volumes sont en vente au prix de 570 francs.
Antiquité. — Les travaux effectués par l'École britannique
Uev. IIistor. CXXXVIII. 2= fasc. 18
274 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
d'Athènes ont porté, pendant la campagne 1920-1921, sur Mycènes et
le cimetière de Chauchitsa, près Doiran, en Macédoine. Le résultat
général des fouilles est que l'ère mycénienne, loin d'être une période
de décadence, est une période de progrès technique en matière archi-
tecturale et mécanique.
— Ernest Babelon, membre de l'Institut. Les monnaies grecques;
aperçu historique (Paris, « Collection Payot », n^ 9 ; 4 fr. le volume
relié). — Petit livre, mais plein de choses, ingentes animos a7igusto
in corpore versât. L'auteur y résunie les volumes de son Traité des
monnaies, ses cours du Collège de France. C'est toute une existence
de savant qui se présente au lecteur en 160 pages. Mais l'érudition la
plus solide est maniée avec une aisance et un goût qui la rendent
accessible à tous. Les ignorants liront cet ouvrage avec plaisir, comme
les spécialistes avec profit. Les uns et les autres peuvent en toute con-
fiance suivre M. Babelon; se promenant parmi ses médailliers, il s'ar-
rête aux bons endroits : à tous, il fait admirer en artiste informé les
plus belles pièces, celles de Syracuse par exemple; aux archéologues,
il montre les reproductions de statues ou d'édifices disparus ; aux his-
toriens, il conte des détails qui confirment ou complètent les documents
littéraires ou épigraphiques. Souhaitons à l'éditeur et au public que
tous les volumes de la collection vaillent celui-là. L'impression est
excellente. A peine quelques lapsus : p. 55, au lieu de Conon, lire
Cimon; p. 76, écrire tyrannoctone. G. G.
— Une 3« édition corrigée et mise à jour delà. History of classical
scholarship, par Sir John Edwin Sandis, a commencé de paraître
chez C. F. Clay, à Londres (Cambridge University Press, t. I, xxiv-
701 p.; prix : 20 sh.).
— Norman H. Baynes. The Year's Work in classical Studies
(Londres, John Murray, 1920, 80 p.). — Le tirage à part du Bulletin
critique, publié pour le bureau du Journal de l'Association classique
par M. Norman H. Baynes, sous le titré Travail de Vannée dans les
études classiques (VIII, Histoire grecque, p. 97-126 ; IX, Histoire
romaine, p. 127-176), rendra un véritable service aux historiens de
l'antiquité grecque et romaine. Car, sauf l'archéologie pure et la numis-
matique, il embrasse à peu près en réalité toute la production, en
livres et en articles de revues, des quatre années 1915-1918, soit par
une simple indication nette et précise, soit avec une courte analyse
des travaux importants. Ch. Lécrivain.
Danemark. — M. Aage Friis a fait tirer à part une étude sur les
origines de l'article 5 du traité de Prague, qui a paru dans la revue
intitulée « Tilskueren » de février 1921 (Ophœvelsen af Pragfriedens
artikel 5. Copenhague, 15 p. in-8°).
Espagne. — The letters of saiiit Teresa. A complète édition
translated from the spanish and annotated by the Bénédictines of Stan-
brook with an introduction by cardinal Gasquet, vol. II (London, Tho-
HISTOIRE DE FRANCE.
275
mas Baker, 1921, in-S», vii-325p.). — Ce second volume des lettres de
sainte Thérèse n'est pas en progrès sur le premier (cf. Rev. histor.,
t. CXXIV, p. 295). Les Bénédictins de Stanbrook continuent à ignorer le
Boletin de la R. Academia de la Historia, où le R. P. Fita et le mar-
quis de Piedras Albas ont publié une série d'autographes de la sainte. J'ai
reçu de l'amabilité du marquis un exemplaire de son discours à l'Aca-
démie de l'Histoire, intitulé : Fray Jeronimo Gracian de la Madré
de Dios, insigne coautor de la reforma de santa Teresa de Jésus
(Madrid, 1918), où il y a, non seulement un catalogue des lettres pos-
sédées par le marquis et par quelques autres personnages, mais des
fac-similés de quelques-unes d'entre elles. Ainsi, à la page 174 de ce
discours, nous avons le fac-similé d'une lettre de sainte Thérèse à sa
tante Elvira de Cepeda, datée d'Avila, le 6 juillet 1541, qui n'existe
pas dans l'édition anglaise.
Sous le numéro 197 (qui ne correspond pas au 354 de La Fuente,
mais au 351) il y a une lettre à Doîia Yomar Pardo y Tavera (et non
Talera, comme il est dit à la page 76 et 157), dont nous nous sommes
déjà occupés (Bulletin hispanique, t. IX, p. 87-91), et où nous disions
que la lettre, mise par La Fuente à la date du 22 octobre 1581, est du
22 octobre 1576. Les Bénédictins de Stanbrook pensent qu'elle est de
l'année 1577, mais sans donner aucune preuve à l'appui. Ils montrent
qu'ils ont connu l'article du Bulletin, mais ils auraient mieux fait
d'en discuter les données, qui rue paraissent, encore, indiscutables.
Aux pages 106 et 290, il est question de Niccolo Ormaneto, nonce à
la cour de Philippe II de 1572 à 1577, qui a été en relation avec sainte
Thérèse et qui joua un rôle assez considérable dans les affaires de la
Réforme. Il eût mieux valu citer la brochure de Francesco Carini, Mon-
signor Niccolo Ormaneto... narrazione fatta sopra documenti ine-
diti dell' Archivio segreto vaticano (Roma, 1894), plutôt que la dis-
sertation du Rév. Cuthbert Robinson; les documents fournis par
Carini sont très importants. A. Morel-Fatio.
France. — Henry Lemonnier. Le collège Mazarin et le palais de
l'Institut (Paris, Hachette, 1921, in-4'', 112p. avec 28 gravures). — L'his-
toire du collège Mazarin et celle de l'Institut ont déjà été écrites; celle
des bâtiments que l'un et l'autre occupèrent successivement restait à
faire. Nul n'était mieux désigné pour remplir cette tâche que M. Henry
Lemonnier, historien de l'art et membre de l'Académie des beaux-arts.
Dans la première partie, consacrée au collège Mazarin, il expose les
clauses du testament du cardinal, nous présente son héritier, le duc de
Mazarin, qui fut le plus singulier des gouverneurs de l'Alsace, fait la
biographie de Louis Le Vau qui dressa le plan dos bâtiments, décrit
l'édifice, particulièrement la chapelle pour laquelle Le Vau fit trois pro-
jets successifs, passe en revue les décorations sculpturale et picturale,
le tombeau du cardinal de Mazarin auquel travailla Coysevox. Le col-
lège fut supprimé en 1792, et, après toutes sortes de péripéties, on
installa dans les bâtiments l'École d'architecture qui, du Louvre, s'y
transporta en 1804; mais, en 1805, un décret de Napoléon l<"' les
276 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
donnait à l'Institut avec ses quatre classes créées deux années aupara-
vant, et c'est à l'Institut qu'est consacrée la seconde partie de ce tra-
vail. M. Lemonnier expose les changements apportés à l'édifice par
l'architecte Vaudoyer : la chapelle fut réservée aux séances solennelles
et devint la « Coupole », l'École des beaux-arts — architecture, sculp-.
ture, peinture — fut installée de façon très médiocre dans des construc-
tions sur la rue Mazarine jusqu'au jour où elle reçut un asile au dépôt
des monuments historiques (Petits-Augustins); le déménagement eut
lieu en 1830 et l'Institut put à ce moment s'étendre. Dans cet exposé,
l'histoire de l'art a sa place, puisque la façade du palais sur la Seine
et la chapelle comptent parmi les monuments les plus notables de
Paris ; et que de souvenirs évoque la Coupole qui, depuis le 4 octobre
1806, a vu s'entasser aux séances solennelles de l'Institut des géné-
rations d'auditeurs, empressés à applaudir les académiciens ! — C. Pf.
— F. UzuREAU. Andegaviana (22^ série. Paris, A. Picard, 1921,
516 p. gr. in-8°). — Ce nouveau volume de l'infatigable chercheur
angevin qu'est M. l'abbé Uzureau contient, comme d'ordinaire, une
soixantaine de miscellanées, quelques-unes assez étendues, d'autres
fort courtes, se répartissant inégalement sur les xviP, xviiF et
xix^ siècles. Nous y relevons une note sur les Mémoires pour servir
à l'histoire ecclésiastique d'Anjou, rédigés par le sulpicien Joseph
Grandel, vers 1715, et restés inédits (p. 7), et des extraits d'une His-
toire d'Anjou due au bénédictin Barthélémy Roger, également con-
servée en manuscrit à la bibliothèque d'Angers; ces extraits sont inti-
tulés VAnjou au XVII^ siècle (p. 106-142). Signalons encore Un
incident à V Académie d'Angers (1758) qui relate un curieux conflit
entre les amis des Jansénistes et ceux des Jésuites (p. 28), des notices
sur les Représentants du peuple en mission dans l'Ouest (1793-1795)
(p. 339), sur le Clergé de Beaufort-en- Vallée pendant la Révolu-
tion (p. 199), enfin sur quelques Angevins plus ou moins célèbres du
xviie et du xviiie siècle (p. 227-259).
Nous avons reçu en même temps, du même auteur, quelques autres
plaquettes relatives à la période révolutionnaire : 1° Les prêtres inser-
mentés du Finistère, 1791-1793 (Rennes, Plihon et Honnay, 1921,
12 p. in-8°), emprisonnés pour refus d'obéissance au décret du 29 no-
vembre 1791 et plus tard déportés ; 2° Le décret du 29 novembre 1191 et
son application illégale en Maine-et-Loire (internement pour refus
de serment, motivé sur ledit décret, auquel le roi avait refusé sa sanc-
tion) ; extrait des « Mémoires de la Société d'agriculture et arts d'An-
gers », s. d., 32 p. in-8o. R.
— AmédéeBRiTSCH. Le maréchal Lyautey . Le soldat, l'écrivain, le
politique (Pa.vis, la « Renaissance du Livre », 1921,in-16,262p., cartes
et fac-similé; prix : 6 fr. 75). — Dans une lettre datée de Paris,
14 juillet 1920, et dont on trouvera le fac-similé à la fin du volume, le
général, plus tard maréchal Lyautey, écrit à M. A. Britsch : « Question
personnelle à part, vous avez bien jugé tout ce qui fait ma passion
HISTOIRE DE FRANCE. 277
et ma foi, toutes les doctrines auxquelles je suis le plus fermement
attaché. » Le général venait d'être reçu le 8 juillet précédent à l'Aca-
démie et M. Britsch avait, dans la Revue bleue, rappelé les étapes
de sa carrière. Déjà, le 10 octobre 1916, il avait raconté dans le Cor-
respondant les débuts de ce « maître colonial », puis lui avait consa-
cré d'autres articles dans l'Opinion etla. Revue universelle. Le livre
était ainsi déjà écrit par fragments; mais ils s'y trouvent si bien
coordonnés et fondus qu'il paraît avoir jailli d'un seul jet.Ce volume,
qui nous conduit de la naissance de Lyautey à Nancy, le 17 no-
vembre 1854, jusqu'à sa promotion au maréchalat, le 19 février
1921, et au delà, est tout à fait passionnant. On suit le capi-
taine, qui avait publié en mars 1891 le retentissant article : « Du
rôle social de l'ofïîcier », au Tonkin, où, commandant, il est à l'école
de Galliéni (1894-1897); à Madagascar (1897-1902), où, colonel, il
exerce, toujours sous Galliéni, le commandement dans le sud; en
Algérie et à Oran (1903-1910), où il conquiert les étoiles de brigadier
et de divisionnaire. Mais le nom de Lyautey est surtout attaché au
Maroc dont il a été, dont il est encore, le résident général. Il a défini
admirablement la politique que la France devait pratiquer dans
ce pays et, à l'heure où se déchaîna l'ouragan, il a su y maintenir,
malgré les ordres venus de Paris, notre domination; il a réussi à
l'étendre, alors que sévissait la guerre mondiale; puis, après trois
mois de ministère (12 décembre 1916-14 mars 1917), il a repris son
œuvre et, pour la gloire de la France, il la mènera à bonne fin.
M. Britsch devra ajouter de nouveaux chapitres à cet ouvrage où il rend
justice à un grand Français, et où il nous fait de façon saisissante
l'histoire de notre empire colonial, en particuHer celle, encore peu
connue, de l'entreprise marocaine. C. Pf.
— Cinquantenaire de l'armée de la Loire et de la victoire de
Coulmiers, 9 novembre 1870. Vie du commandant Teissier, 183k-
1911 (Limoges, impr. Perrette, 1920, in-8°, 48 p.). — Cet opuscule a
été rédigé d'après le livre de raison de la famille Teissier. On se pro-
pose d'y prouver que la victoire de Coulmiers doit être attribuée,
non pas, comme l'a déclaré le général Barry, aux mobiles de la Dor-
dogne, mais au 38« de marche où commandait Teissier. Un autre
chapitre se rapporte à la belle conduite de Teissier dans les opérations
contre la Commune de Paris en avril et mai 1871. Ch. B.
— Il est curieux que, parmi les nombreux sociaHstes qui se réclament
de Jean Jaurès, il ne s'en soit pas trouvé d'assez audacieux ou d'assez
fidèles pour entreprendre d'étudier la vie et les idées du grand leader.
L'esquisse de M. Lévy-Bruhl, écrite peu après l'assassinat de Jaurès,
les pages satiriques de M. Gustave Téry, le lourd ouvrage de M. Ch.
Rappoport renfermaient quelques éléments de cette étude. On en trou-
vera également dans la Vie de Jean Jaurès de M. L. Soulé (Paris,
« l'Émancipation », 1911, in-18, 241-iii p.). M. Soulé a l'intention
de consacrer plusieurs volumes à cette biographie, et, de fait, celui
qu'il vient de faire paraître ne traite que de Jaurès pré-socialiste (jus-
278 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
qu'en 1892) : les origines familiales, la formation intellectuelle, la vie
universitaire, le premier séjour au Parlement, d'où Jaurès sortit en
1889, l'action à la mairie toulousaine. Peu approfondi, il ne serre sans
doute pas de très près l'évolution de la pensée de Jaurès; surtout, il
ne la replace pas dans l'évolution générale des partis et du socialisme
français ou international. Tel quel, avec ses nombreuses citations de
discours et d'articles de journaux, il rendra quelques services au bio-
graphe véritable que nous attendons. G. Bn.
— Georges Delahache. Les débuts de l'administration française
en Alsace et en Lorraine (Paris, Hachette, 1921, in-8°, xiv-331 p.).
— L'Alsace et la Lorraine, dans les inoubliables journées de novembre
1918, s'étaient jetées dans les bras de la France, qui était venue reprendre
sa place au foyer où elle était attendue depuis quarante-sept ans. Mais,
après ces manifestations d'enthousiasme, il fallut organiser le pays, y
substituer à l'administration allemande une administration française,
y introduire peu à peu la législation française, tout en conservant cer-
taines institutions locales qui méritent d'être maintenues. Combien la
tâche était difficile et délicate, ceux qui liront les divers chapitres
de ce volume pourront s'en rendre compte. Ils verront aussi ce que la
France a fait pendant les deux années 1919 et 1920 et jusqu'à peu près
au milieu de 1921. M. Delahache n'étudie pas le sujet d'ensemble dans
un ordre chronologique; il ne distingue pas la période où M. Maringer
administrait le pays avec le titre de haut commissaire de la République,
sans pouvoirs bien définis, avec nécessité d'en référer pour toutes les
affaires au sous-secrétaire d'État à la présidence du Conseil et aux
divers ministres de Paris pour les affaires concernant chacun d'eux^ —
elle s'étend de novembre 1918 au 21 mars 1919 — ; celle où M. Millerand,
nommé commissaire général, eut véritablement les pouvoirs d'un
ministre et créa les directions générales de Strasbourg. M. Millerand
quitta l'Alsace au début de 1920 pour succéder à M. Clemenceau dans la
présidence du Conseil et, le 11 février, M. Alapetite était nommé à sa
place. M. Delahache suit l'ordre des diverses directions : intérieur,
finances, justice, commerce, intérieur et mines, instruction publique,
beaux-arts, travaux publics, chemins de fer, eaux et forêts, agricul-
ture, travail, législation ouvrière et assurances sociales, postes, télé-
graphes et téléphones, affaires militaires. Les divers directeurs lui ont
fourni les matières des divers chapitres qu'il a coordonnés, en s'effor-
çant de donner à chacun la proportion voulue et de les faire com-
prendre même des lecteurs non spécialistes. Dans ces divers rapports^
vous ne trouverez aucun nom propre de personnes, mais des faits et rien
que des faits précis, indiquant les mesures prises et les résultats. C'est
une série de documents d'où l'historien tirera plus tard un tableau de
l'Alsace pendant les débuts de l'administration française. Si nous
ne nous abusons, il rendra hommage à cette administration pour le
travail énorme qu'elle a fourni et pour son dévouement absolu ; elle a
pu parfois se tromper, mais elle n'a recherché que l'intérêt des pro-
vinces recouvrées ; elle a tout fait pour gagner le cœur et l'estime de
HISTOIRE DE GRANDE-BRETAGNE. 279
ses habitants. En réunissant tous ces rapports, en les faisant pré-
céder d'un très beau et très éloquent avant-propos, M. Delahache a
rendu un nouveau service à la cause de la France et de l'Alsace.
C. Pf.
— Dans l'Art de nommer les nouvesLU-nés français^ M. Emma-
nuel BiON a donné quelques observations utiles ou piquantes sur
l'onomastique française telle qu'elle a été réglée par l'usage depuis le
xvje siècle et enfin par la loi du 2 germinal an XI (librairie Bion-
Détrois, à Orsennes, Indre, 1920, 75 p.; prix : 4 fr.).
Grande-Bretagne. — Alice Drayton Greenwood. History of the
people of England. Vol. I, 55 B C. to A D 1485 (Londres, Society
for promoting Christian knowledge, 1921; collection « The Bede his-
toriés », 3« série, in-8°, xii-381 p.). — Bon manuel d'histoire d'Angle-
terre, sobrement illustré, muni de tableaux généalogiques et de cartes,
écrit pour des adolescents chez qui l'auteur se propose d'éveiller le
goût et le sens de l'histoire nationale. Ils y apprendront certainement
beaucoup d'utiles notions sur les institutions municipales, la vie
sociale dans les campagnes et dans les villes, les rapports de l'Angleterre
avec les nations voisines, et peut-être est-ce là, comme il est dit dans
la préface, un avantage qui distingue ce précis d'autres ouvrages sem-
blables ; encore ne faut-il rien exagérer. Une histoire du « peuple »
anglais est une œuvre autrement complexe et qui, sans doute, dépas-
serait l'efïort qu'on peut exiger d'écoliers de quinze ans. Ch.iB.
— R. B. Morgan. Readings in english social history from con-
temporary literature. T. I, to 1272 AD; t. II, 1272-1485 (Cambridge,
at the University Press, 1921, xi-117 et xi-109 p.; prix: 4 sh. chaque).
— Ce choix de lectures aurait été plus satisfaisant si M, Morgan, sui-
vant le plan indiqué dans le titre de l'ouvrage, avait esquissé des tableaux
d'histoire sociale d'après les contemporains : Holinshed écrivait-il au
temps des invasions danoises? John Allen, érudit anglais du xix« siècle,
est-il une « source » où nous puissions puiser pour connaître l'insti-
tution du M boc-land » et du « folc-land »? Notez que, sur ce dernier
point, M. Morgan paraît ignorer que l'interprétation d'Allen est aujour-
d'hui condamnée par tous les historiens; elle devra disparaître dans une
prochaine édition. Les deux exemples qui viennent d'être cités pour-
raient être aisément multipliés. Même dans un livre de lecture cou-
rante, il faut faire à l'érudition sa part. Ch. B.
— Hubert Hall. A repertory of british archives. Part I. England.
(Londres, Royal historical Society, 1920, iu-8o, Liii-2r)6 p.). — M. Hall,
directeur adjoint du P. Record Office, n'est pas seulement un archiviste
modèle; il enseigne, en outre, depuis longtemps déjà à l'Université
de Londres, ou, plus exactement, à la School of Economies, qui s'y rat-
tache. Il sait ce qu'il faut apprendre aux jeunes gens qui ont le désir
de se livrer à des travaux personnels, les répertoires dont ils ont
besoin; la paléographie, la diplomatique, la bibliographie historique
sont les constants objets de sa sollicitude. C'est avec la collaboration
280 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
de plusieurs de ses élèves et pour la préparation générale des étudiants
en histoire qu'il a pris la peine de compiler ce Répertoire des archives
anglaises qui rendra aux historiens de signalés services.
Il contient quatre parties. D'abord une introduction où sont indiqués
sommairement les principaux dépôts d'archives qui, dans le second tiers
du xix« siècle, ont été successivement réunis en un seul établisse-
ment (le P. Record Office de Chancery lane), et les lois ou décrets qui
ont régi l'administration des archives tant nationales et administra-
tives que locales. Un appendice, rédigé par M. Henry R. Tedder, du
P. R. 0., analyse les travaux de la Commission instituée en 1910 en
vue d'indiquer les meilleures mesures à prendre pour assurer la conser-
vation de ces archives. On n'ignore pas que M. Hall fut un des membres
les plus zélés de cette Commission.
Puis vient le corps de l'ouvrage divisé en trois parties contenant :
lo un tableau méthodique des archives politiques et administratives;
2° un tableau des archives locales, avec une abondante bibliographie
qui permettra d'entreprendre des recherches dans un domaine pendant
trop longtemps négligé et où, actuellement encore, il est souvent très
difficile aux travailleurs d'avoir accès; 3» une sorte d'almanach ou
bureau d'adresse (Directory) des archives anglaises : archives cen-
trales, archives des administrations publiques et des grandes institu-
tions d'un caractère semi-officiel, archives locales rangées suivant
l'ordre alphabétique des comtés.
Tel est cet ouvrage; il ne fait pas, on le voit, double emploi avec
le Guide de M. Scargill Bird, qui est classé par fonds et qui ne vaut
d'ailleurs que pour les Archives nationales de Chancery lane. Le clas-
sement de M. Hall est tout différent et se rapporte à des dépôts beau-
coup plus nombreux. Il arrive à un moment où, de l'autre côté de la
Manche, on s'inquiète beaucoup de réformer le service des archives,
souvent sur le modèle fourni par la Frajice ; mais il sera difficile de
rien faire qui ressemble à notre organisation des archives départemen-
tales, communales et hospitalières. Ch. B.
— On ne consultera pas sans intérêt une plaquette de 16 pages inti-
tulée : Guide to an exhibition of historical authorities illustrative
of British history, compiled from the ntss. of Coi'pus Christi
Collège Cambridge. Ce guide, rédigé par Sir Geoffrey Butler, biblio-
thécaire du collège, contient la notice sommaire de 24 mss. provenant
de la collection formée au xvi« siècle par Mathieu Parker, archevêque
de Cantorbéry, et légués par lui au collège du Corps-du-Christ.
— James Thayer Gould. Sources of English history of the
seventeenth century, 1603-i689, in the University of Minnesota
library, with a sélection of secondary material (publié par l'Univer-
sité de Minnesota. Minneapolis, janvier 1921, in-8°, v-565 p.; prix :
4 dol.). — Cette bibliographie contient 4,442 numéros, chiffre impo-
sant qui indique la richesse de la bibliothèque universitaire du Min-
nesota. Elle sera la bienvenue et permettra d'attendre la publication
retardée par la guerre, du Répertoire anglo-américain qui doit continuer
HISTOIRE DE GRANDE-BRETAGNE. 281
l'œuvre de Ch. Gross ; mais on ne doit pas perdre de vue que le pré-
sent volume contient uniquement l'indication des livres possédés par
cette bibliothèque; or elle ne possède pas tout, il s'en faut, et les
lacunes sont assez nombreuses. M. Gould n'en est pas responsable ;
on lui saura gré au contraire d'une compilation aussi considérable pour
l'étude de xvii« siècle. Ch. B.
— Dans la collection « Helps for students of history » (Society for pro-
moting Christian knowledge), M. R. Cohen a résumé l'histoire des che-
valiers de Malte : Knights of Malta, 1523-1798 (64 p.; prix : 2 sh.);
M. William Miller a exposé la réorganisation du gouvernement turc
en Grèce depuis le traité de Passarovitz jusqu'à la fin de la République
de Venise : The Turkish restoration in Greece, 1718-1797 (45 p.;
prix : 1 sh. 3 d.); M. John Eyre Winstanley Wallis a dressé le
tableau chronologique des rois d'Angleterre contenant, après une
brève introduction sur le début de l'année en usage dans la chancel-
lerie royale, la liste des souverains de 1066 à 1920 avec les années de
chaque règne, l'indication sommaire des titres royaux en usage dans
la chancellerie depuis le viii« siècle, des listes chronologiques des
ducs de Normandie et d'Aquitaine, des comtes d'Anjou, des comtes et
ducs de Cornouailles et de Chester, des princes de Galles (depuis
Edouard de Carnarvon, qui fut Edouard II), des ducs et comtes de
Lancastre, des souverains d'Ecosse de 1057 à 1707 et des rois de
France de 987 à 1793; une table de Pâques de 532 à 1066 d'après le
comput romain et le comput saxon, plus le chiffre de l'indiction; un
tableau marquant le commencement de l'année financière pour cha-
cun des règnes depuis Henri II. Dans les quinze dernières pages sont
analysés les éléments essentiels de la diplomatique anglaise en ce
qui concerne la rédaction des « chartes » et des brefs ou « writs »
royaux. Ce court manuel (English régnai years and titles, hand-
lists, easter dates, etc., 102 p.; prix : 4 sh.) rendra des services.
Dans la collection des « Texts for students » (même librairie), le
n" 27 est un recueil de morceaux, choisis parmi les écrits du
XVI" siècle, officiels ou non, qui se rapportent à l'établissement du
pouvoir royal en Irlande (The foundations of moderri Ireland,
1" partie, par Constantia Maxwell, 64 p.; prix : 1 sh. 6 d.). Le règne
de Henri VIII a opéré dans cette île deux changements fondamentaux :
d'abord ce prince, qm venait de rompre avec le pape, substitua le titre
de « roi » à celui de « seigneur » d'Irlande, qui rappelait la charte
par laquelle Hadrien IV avait conféré cette seigneurie à Henri II;
puis il se fit reconnaître comme « chef suprême », après Dieu, de
l'Église en Irlande comme il l'était déjà en Angleterre. Double lien
ou, si l'on veut, double chaîne que les Tudors ont imposée à l'Irlande.
Les dernières pièces du recueil constatent qu'à la fin du siècle les
Irlandais étaient restés réfractaires aux efforts tendant à faire triom-
pher dans l'île l'autorité royale et la foi protestante. Ch. B.
— M. Henri Prentout a fait tirer à part son mémoire De l'origine
de la formule « Dei gratia » dans les chartes de Henri II, lu
\
282 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
d'abord à l'Académie des inscriptions (22 octobre 1920), puis publié
dans les « Mémoires de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres
de Caen » (Imprimerie caennaise, 1920, 53 p.). On connaît la thèse au
moins spécieuse de M. Prentout : l'introduction de la formule de
grâce ne se fit pas après la mort de Thomas Becket et l'humiliation
d'Avranches en 1172, mais après la révolte du « jeune roi » Henri,
qu'appuyaient Louis VII, suzerain du roi d'Angleterre, et les grands
vassaux de France. C'est à ce moment et pressé par les circonstances
que le roi, qui jusqu'alors n'était désigné dans ses actes que par le
titre « rex Anglorum », ajouta la formule « Dei gratia » empruntée à
la chancellerie des rois de France. Il estimait sans doute « que l'acte
déloyal par lequel son suzerain appuyait la révolte de son fils le déga-
geait à son égard de tout scrupule et lui permettait de se considérer
comme un prince aussi indépendant que lui et traitant sur le même
pied. »
— Dans un article sur la mort de Thomas Becket et le sort fait à
.ses reliques au temps de Henri VIII, qui a d'abord paru dans The
Month, février et avril 1921, et qui a ensuite paru à part {King
Henry VIII and S* Thomas Becket. Londres, The Manresa Press,
1921, in-8°, 22 p.; prix : 6 d.), le P. Pollen, S. J., a entrepris de
réfuter la thèse du chanoine Mason. Celui-ci avait, on le sait [Rev.
histor., t. CXXXV, p. 268), essayé de démontrer que le crâne découvert
en 1888 sous la crypte de la cathédrale de Canterbury était bien celui
du martyr de 1170; le P. Pollen estime au contraire que, lorsque fut
violée la sépulture du saint archevêque en 1536, le crâne avec le reste
des ossements a été entièrement consumé par le feu. Cette profana-
tion a-t-ellç été, comme on Ta dit, exécutée en vertu d'une condam-
nation légale prononcée contre le prélat mort depuis près de quatre
siècles? Le P. Pollen ne le pense pas; il incline à croire que le procès
intenté à Th. Becket est une invention du P. Crisostomo Henriquez;
mais il n'explique pas comment ce peu scrupuleux historien a pu
imaginer les détails, si précis, de la procédure. Ch. B.
— Charles James Billson. Mediœval Leicester (Leicester, Edgar
Backus, 1920, in-8°, xii-232 p.; prix : 21 sh.). — Minutieuse descrip-
tion de la ville de Leicester au moyen âge, d'après les documents
imprimés; plusieurs plans, une vingtaine de gravures sur bois font
apparaître et jusqu'à un certain point revivre sous nos yeux cette
ville, qui intéres* à peine l'histoire générale de l'Angleterre. L'auteur
décrit successivement les rues, les faubourgs, les auberges, les pri-
sons, dont la principale, celle qui était dans le donjon du château
seigneurial, n'a pas encore complètement disparu, les hôtels de ville
ou guildhalls, les douze églises et chapelles qui ont été démolies, les
six ponts, les foires et les marchés, les métiers. A l'une des auberges,
à l'enseigne de l'Ours bleu, se rattachent plusieurs épisodes qu'on
peut retenir : ainsi, deux jours avant Bosworth, Richard III, passant
par la ville, y coucha, dit-on; plus tard, dans le bois du lit où il avait
HISTOIRE DE GRANDE-BRETAGNE. 283
reposé, on découvrit un trésor qui enrichit les tenanciers, un certain
Clark et sa femme. Celle-ci fut ensuite assassinée par des malan-
drins qui s'emparèrent de l'argent; ils furent pris et pendus (1605).
Ces faits divers sont racontés tout au long et non sans critique. Un
dernier chapitre montre comment disparut peu à peu le vieux Leices-
ter. Les références sont renvoyées à la fin du volume, et il faut se
livrer à un certain travail pour en trouver la clé. Ch. B.
— La Société Hakluyt a publié une traduction en anglais par Lady
GooDENOUGH de la Chronique de Muntaner (The Chronicle of Mun-
taner, 2 vol., 759 p.).
— Alfonso Lazzari. Le prime nozze di Maria Stuarda (tirage à
part du volume : « Miscellanea Pandiani », publié chez Gnecco et C'^,
Gênes, 1921, in-8°, 11 p.). — L'auteur a retrouvé dans les archives de
Modène et il publie une longue dépêche adressée de Paris, le 27 avril
1558, à son « seigneur et patron », le duc Hercule II, duc de Ferrare,
par le comte Teofilo Calcagnini, qui assista au mariage de Marie
Stuart avec le dauphin de France. Calcagnini était très en faveur
auprès du roi Henri II, qui l'avait en 1556 nommé gentilhomme de la
Chambre et capitaine d'une compagnie de cavaliers italiens ; retourné
en Italie après la mort du roi, il mourut le 5 janvier 1560, traîtreuse-
ment assassiné au sortir d'un banquet que lui avait offert le cardinal
Louis de Guise.
— Colonel J. P. Steel. Feet of fines, Cumberland (chez l'au-
teur). — Deux brochures contenant des extraits des « feet of fines »
ou accords, à la suite d'un procès fictif, pour obtenir du juge le trans-
fert de la propriété foncière, qu'interdisait le droit féodal. Ils se rap-
portent au xvF siècle et proviennent d'une série de pièces d'archives
qui est complète depuis Richard I^'' jusqu'en 1834.
— A l'occasion du cent-seizième anniversaire de la bataille de Tra-
falgar, le Times du 21 octobre publie l'analyse de lettres écrites à sa
femme par le capitaine Freemantle qui commandait le Neptune, de
quatre-vingt-dix-huit canons, à cette bataille, et retrouvées dans les
archives de Lord Cottesloe, son arrière-petit-fils, ainsi que le relevé
des ordres reçus à bord du Neptune le 21 octobre 1805. — A la date
du 4 octobre 1921, le même journal a publié des souvenirs curieux,
compléïls par deux illustrations, du général John Ilart Dunne, der-
nier survivant des Anglais (21^ fusiliers) qui débarquèrent, le 14 sep-
tembre 1854, sur la côte de Crimée. G. Bn.
— Pour célébrer le quatre-centième anniversaire de la fondation de
l'imprimerie de Cambridge, M. S. C. Rouerts, de Pembroke Col-
lège, a publié une History of the Cambridge University Press,
1521-1921 (Londres, Clay, in-8% xvi-190 p.; prix : 17 sh. 6 d.). Le
fondateur de cet établissement paraît avoir été un certain John Lair,
de Sieburg près Cologne, qui prit ensuite le nom de Siberch, et
qui a été lié avec Érasme. Le premier livre imprimé à Cambridge
284 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES.
est le texte du discours de Henry BuUock, vice-chancelier de l'Uni-
versité, lors de la visite faite à l'Université par le cardinal Wolsey
dans l'automne de 1520. C'est en 1530 que des lettres patentes du
roi Henri VIII établirent officiellement l'imprimerie de Cambridge.
Mais l'Université manifesta son activité, dans cette période de son
existence, plus en censurant qu'en imprimant les livres, et d'ailleurs
elle eut des difficultés corporatives avec la Compagnie des libraires
de Londres, difficultés qui gênèrent, nécessairement, la fabrication
de livres jusqu'au moment où Charles I^"" renouvela, en 1628, et
étendit le privilège de 1530. A partir de cette date, l'imprimerie de
Cambridge travaille davantage ; le D'' Bentley fait fondre en Hollande
les caractères splendides qui seront employés dans ï Horace de
Jacques Talbot; Matthew Prior fait venir de Paris des caractères
grecs, et, au xix^ siècle, les ateliers sont installés dans les locaux
qu'ils occupent, non sans s'être agrandis, encore actuellement. — G. Bn.
— Wilberforce Jenkinson. The royal and bishops' palaces in
old London (Londres, Society for promoting Christian knowledge,
1921, in-8°, xii-164 p.). — Le sous-titre de l'ouvrage en définit exac-
tement le caractère. C'est une « topographie littéraire du vieux
Londres [avant le grand incendie de 1666] fondée, pour la plus grande
partie, sur des citations empruntées aux auteurs du xvi« et du
xviP siècle ». Donc, ce n'est ni une histoire ni un dictionnaire, mais
une anthologie. Prenons-le tel qu'on nous le présente et constatons
simplement qu'il est divisé en cinq chapitres consacrés aux palais
royaux et à ceux des évêques (archevêques de Cantorbéry et d'York,
évêques de Londres, de Winchester, de Rochester, d'Ely, de Dur-
ham) ; aux hôtels habités par des seigneurs, des hommes d'État, des
citoyens distingués de la ville; à quelques maisons particulières
situées à l'est de la cathédrale de Saint-Paul ; enfin aux chambres du
Parlement et aux cours de justice. Les citations, généralement brèves,
ne sont pas sans intérêt. Ch. B.
— P. E. ROBERTS. A historica.1 geography of the British depen-
dencies. Vol. VII : India; part II : History under the govern-
ment of the crown (Oxford, at the Clarendon Press, 1920, in-8°,
iv-598 p., 5 cartes; prix : 7 sh. 6 d.). — C'est toute une histoire de
l'Inde sous la domination anglaise en Inde depuis la disparition de
l'ancienne Compagnie jusqu'au couronnement de Georges V comme
empereur des Indes en 1910 et à l'India Bill de 1919. Une « géogra-
phie historique » comporte-t-elle d'aussi longs développements? Ne
devrait-elle pas contenir seulement les notions nécessaires pour faire
comprendre le mécanisme administratif qui donna au pays son aspect
définitif? Quoi qu'il en soit, l'historien fera certainement son profit
d'un aussi bon résumé. Quelques cartes, pas de bibliographie, mais il
y a un index. • Ch. B.
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIETES SAVANTES.
France.
1. — Annales révolutionnaires. 1921, juillet-août. — Maurice
DOMMANGET. La ft'te et le culte de l'Être suprême (à Beauvais). —
Albert Mathiez. La Révolution et les subsistances. Les Enragés
contre la constitution de 1793. — Id. Erreurs et légendes de l'histoire
révolutionnaire. La constitution civile du clergé était-elle inacceptable
pour l'Eglise? (il est établi que, dans son ensemble, l'épiscopat fran-
çais est intervenu à plusieurs reprises, tant auprès du roi qu'auprès
du pape, pour obtenir l'application régulière des décrets de la Consti-
tuante. Si la rupture s'est produite, c'est contre l'attente et la volonté
des évêques; c'est surtout pour des raisons politiques, et, après une
longue attente, que le pape résolut de condamner la constitution
civile). — L. Villat. Un placard contre Bonaparte et contre les
lycées en 1802 (trouvé à Besançon). = C. -rendus : P.Renouvin. Les
assemblées provinciales de 1787; origines, développement, résultats
(thèse fort bien documentée et présentée avec force et sobriété, mais
l'auteur s'est laissé entraîner par le désir de réfuter ses devanciers
qui voyaient dans l'institution de ces assemblées le salut de l'Ancien
régime ; il exagère à son tour quand il veut prouver qu'elles n'ont rien
produit de bon ni de durable). — Abbé É. Lavaquery. Le cardinal de
Boisgelin, 1731-1804 (biographie très érudite, mais gâtée par une indul-
gence excessive envers le cardinal). — R. Patry. Le régime de la
première séparation, 1795-1802 (réunit et condense une masse consi-
dérable de faits et de documents). — G. Pariset. Le Consulat et l'Em-
pire (très remarquable).
2. — Bibliothèque de TËcole des chartes. 1911, janvier-juin.
— Léon Levillain. Études sur l'abbaye de Saint-Denis à l'époque
mérovingienne (étude critique sur les sources narratives concernant
la vie de saint Denis et son martyre : la Passio sanctorum Dio-
nysii, Rustici et Eleutheri a été composée à la fin du v« siècle et
rajeunie à la fin du viii"; elle est d'une importance primordiale pour
l'étude des origines de Saint-Denis ; la Vita Genovefae, do peu posté-
rieure, en est un précieux commentaire. Deux autres Passions, dési-
gnées par les deux premiers mots du texte : Post beatam, n'ont aucune
valeur historique pour l'époque mérovingienne. Les Miracula ont été
composés en 835 par un moine de Saint-Denis appelé Ilincmar, qui
rédigea en outre, peu après, les Gesla Dagoberti régis, à l'aide
286 BECDEILS PÉEIODIQUES.
d'extraits qu'on a réussi à identifier. Ces Gesta n'ont donc aucune
valeur originale et Julien Havet s'est lourdement trompé en les met-
tant à la base de son mémoire sur les origines de Saint-Denis). —
Henri Omont. Nouvelles acquisitions du département des manuscrits
de la Bibliothèque nationale pendant les années 1918-1920. — R.-N.
Sauvage. La tapisserie de la reine Mathilde de Bayeux (« la tenture
de Bayeux, œuvre de brodeuses saxonnes, fut exécutée sur les cartons
que fournit un clerc saxon rallié à la domination du vainqueur, atta-
ché à quelque puissant baron anglo-normand ; son ouvrage est l'ex-
pression de ses sentiments intimes, à demi dissimulés par néces-
sité... »). = C. -rendus : H. Tausin. Les devises des villes de France
(utile). — Alph. Meillon. Histoire de la vallée de Cauterets (bonne étude
critique sur le cartulaire de l'abbaye de Saint-Savin en Lavedan). —
P. Lebotgne et René Largillière. La vie d'un avocat jurisconsulte au
xvii« siècle : J. M. Ricard, 1622-1678 (excellente thèse sur un homme qui
se fit connaître par d'assez nombreux écrits sur des questions et des textes
juridiques). — Bartsch. Chrestomathie de l'ancien français, 12« édi-
tion par Léo Wiese. — G. Cohen. Mystères et moralités du ms. 617 de
Chantilly (long et important compte-rendu par Ernest Langlois). —
Jos. Anglade. Las leys d'Amors (bonne édition). — Jos. Casier et
Paul Bergmans. L'art ancien dans les Flandres (t. I d'une luxueuse
publication destinée à faire revivre l'exposition d'art rétrospective qui
fut organisée à Gand en 1913). — Rocheblave. Jean-Baptiste Pigalle
(belle monographie). — Charles Bouvet. Une dynastie de musiciens
français : les Couperin, organistes de l'église de Saint-Gervais (bon).
= Chronique : Loi et décrets concernant les archivistes départemen-
taux. — Rapport adressé au ministre de l'Instruction publique sur le
service des Archives 1920-1921. — L'exil de Baluze en 1711 (on publie
trois lettres de Baluze suppliant qu'on levât la sentence d'exil pronon-
cée contre lui et qu'on lui permît de rentrer à Paris pour y continuer
ses travaux).
3. — Bulletin hispanique. 1921, juillet-septembre. — Pierre
Paris. Bas-relief ibérique au Musée provincial de Cordoue (il repré-
sente une scène de chasse : jusqu'ici, on y a vu une sculpture wisigo-
thique chrétienne). — J.-J.-A. Bertrand. Herder et le Cid (le roman-
cero du Cid a été publié par un auteur anonyme dans la « Bibliothèque
des romans )>,en 1782, 1783 et 1784; ce n'est pas Herder qui l'a décou-
vert). — Catalogue des manuscrits de M. Morel-Fatio; suite (n**^ 94-
177). = C. -rendus : Général Burguete. Rectificationes histôricas, de
Guadalete â Covadonga y primer siglo de la reconquista de Asturias
(médiocre). — Américo Castro y Frederico de Onis. Fueros leoneses
de Zamora, Salamanca, Ledesma y Alba de Tormes; Galo Sànchez.
Fueros castellanos de Soria y Alcalâ de Hepares (on indique quels prin-
cipes les éditeurs ont suivis et les influences de ces documents les uns
sur les autres). — Eugeniusz Frankowski. Hôrreos y palafitos de la
peninsula ibérica (l'auteur conclut : les greniers ibériques doivent être
RECUEILS PÉRIODIQUES. 287
considérés comme des vestiges du temps où régnait l'architecture
palafittique qui survit encore en Portugal).
4. — Comité des travaux historiques et scientifiques. Bulletin
philologique et historique jusqu'à 1715. Année 1919 (Paris, Irapr. natio-
nale. Paru en septembre 1921). — Jacques de Font-Réaulx. Lettres
apostoliques postérieures à 1198, conservées aux archives départemen-
tales de l'Indre (analyse de quatre-vingt-dix-neuf bulles, vingt-et-un
brefs et deux signatures en cour de Rome, 1198-1754; en appendice,
sept lettres de légats pontificaux de 1246 à 1558. Cinq pièces pubHées
intégralement à la suite). — J. Depoin. Chronologie des évoques de
Saintes de 268 à 1918. — M"" Eugénie Droz. Jean Castel, chroniqueur
de France (petit-fils de Christine de Pisan ; recherches sur ses œuvres,
en général fort médiocres, mais fort prisées de son temps). — Jacques
DE FoNT-RÉAULX. Testament d'Isembert Feuille, abbé du Dorât,
17 février 1277. — Comte de Loisne. Catalogue des actes de
Robert I^"-, comte d'Artois, 1247-1250 (comprend 161 numéros. Impor-
tant pour l'histoire du règne de saint Louis).
5. — Journal des savants. 1921, mai-juin. — P.Paris. Stèles funé-
raires discoïdes de l'Espagne (d'après le livre d'Eugeniusz Frankowski ;
quelques-unes de ces stèles remontent à une période ancienne, un grand
nombre sont de l'époque wisigothique, un plus grand nombre sont des
XVF et xviP siècles ; elles représentent, en principe, selon Frankowski,
la tête du mort ; à cette théorie, M. Paris fait des objections). — Ed. CuQ.
Les pierres de bornage babyloniennes du British Muséum; fin (les
tablettes de pierre, contenant une copie de l'acte original; les cippes
commémoratifs en forme de pierres de bornage : le British Muséum
en possède deux). — Léon Mirot. La pénétration des étrangers en
France; fin (d'après le livre de M. J. Mathorez : les Hollandais, les
Allemands, les Italiens). — E. Lavisse. Le Musée Condé en 1920. —
A. Merlin. L'école britannique d'Athènes en 1918 et 1919 (d'après le
XXIIIe volume de YAnnual). — Id. Les papyrus d'Oxyrynchus (ana-
lyse du t. XII). =: C. -rendus : Aug. Longnon. Les noms de lieu de
la France (remarquable). — H. Delehaye. Les passions des martyrs
et les genres littéraires (pose quelques principes de critique). — Cata-
logue of the Morgan Collection of Chinese Porcelains (superbe publi-
cation). — S. Flury. Islamische Schriftbànder (étudie les bandeaux
en écriture koufique sur les monuments d'Amida-Diyarbékir). —
C. Autran. Phéniciens (thèse contestable). =r Juillet -août. —
P. JouGUET. Les Grecs au temps d'Abydos (d'après le beau
volume de Paul Perdrizet et Gustave Lefebvre « les Graffites grecs
du Memnonion d'Abydos » ; ce volume « n'est pas seulement un
recueil de documents exactement reproduits, mais une œuvre d'éru-
dition élégante, originale, toute pleine du sentiment de la vie antique ».
— J. Mathorez. Rapports intellectuels de la France et de la Hollande
du xvi« au xviip siècle (d'après les travaux do A. Germain, K. J.
288 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Riemens et Gustave Cohen; la Hollande n'était pas, comme ou le dit,
le pays de la liberté; mais, entre la France et elle, il y eut toujours
intimité intellectuelle). — L.-A. Constans. Récentes découvertes
archéologiques en Italie (à Rome et à Ostie). = C. -rendus : Sir Paul
Vinogradoff. Outlines of historical jurisprudence. I. Introduction
(rapports de la jurisprudence avec la logique, la psychologie, la
science sociale et la science politique ; méthodes et écoles de juris-
prudence aux xviip et xix« siècles). — R. Cagnat et V. Chapot.
Manuel d'archéologie romaine, t. II : peintures et mosaïques. Instru-
ments de la vie publique et privée (remarquable). — Ivan M. Lin-
forth. Solon the Athenian (biographie, édition des fragments de ses
œuvres). — G. Michaut. Plante (important et substantiel). — E. Rodo-
canachi. La Réforme en Italie (plein de renseignements, manque
d'idées générales). — Alfred Bel. Inscriptions arabes de Fez (impor-
tante contribution à l'exploration scientifique du Maroc).
6. — Pol^biblion. 1921, mai-juin. — Publications relatives à la
guerre européenne ; parmi elles : Raymond Poincaré. Les origines de
la guerre (livre magistral) ; Jacques Bardoux. La marche à la guerre
(montre les fluctuations de la politique extérieure britannique de 1912)
à 1914); Pierre Redan. La CiUcie et le problème ottoman (replace la
question de la Cilicie dans le cadre de la question ottomane);
G. Lacour-Gayet. Guillaume II le vaincu (biographie complète à
l'exception de l'ultime chapitre). — G. Michaut. Histoire de la comé-
die romaine. Plante (étude complète, traitée avec infiniment de cons-
cience et de goût). — F. Mourret Histoire générale de l'égUse (grande
entreprise, avec quelques défauts). — Paul Yvon. Traits d'union
normands avec l'Angleterre avant, pendant et après la Révolution
(instructif). — Prince de Ligne. Œuvres posthumes, publiées par
Félicien Leuridan (à lire). — Frédéric Masson. La vie et les cons-
pirations du général Mallet (Mallet ne fut ni jacobin ni royaliste, mais
un simple aventurier). — S. Charléty. La Restauration (pousse à
l'extrême ses critiques contre le régime). — Edouard Driault. La
grande Idée. La Renaissance de l'hellénisme (quinze conférences don-
nées à Athènes au début de 1920). = Juillet. Publications relatives à
la guerre européenne; parmi elles : Civrieux. La grande guerre
(bon résumé) ; une Anglaise à Berlin, notes intimes de la princesse BliX-
cher, traduit de l'anglais par Mii« H. Cavaignac (très intéressant) ;
général Buat, Hindenburg (pendant à son étude sur Ludendorfî) ;
Georges-M. Mêlas. L'ex-roi Constantin (veut prouver que le peuple
grec n'est pas solidaire de son ex-roi; mais l'ex-roi est redevenu roi);
Fr. Régamey. La caricature allemande pendant la guerre (en 1914
et 1915 ; devrait être continué) . — H. Hauser. Travailleurs et marchands
dans l'an<;ienne France (très clair). — J. Carcopino. Virgile et les ori-
gines d'Ostie (œuvre d'un érudit et d'un fin lettré). — G. Lardé. Le tribu-
nal du clerc dans l'empire romain et la Gaule franque (n'entraîne pas tou-
jours la conviction). — J. Viard. Les grandes chroniques def'rance, 1. 1
RECUEILS PÉRIODIQUES. 289
(excellente édition). — P. de La Gorce. Histoire religieuse de la Révolu-
tion française, t. IV (montre la vitalité du catholicisme pendant la persé-
cution). — R. de Chauvigny. La résistance au Concordat de 1801
(à Blois et à Vendôme contre l'évêque d'Orléans Bernier). — G. Lacour-
Gayet. Napoléon (exposé simple et clair). — C-G. Picavet. Una
démocratie historique : la Suisse (important pour la période de 1798 à
nos jours). — De Guichen. La crise d'Orient de 1839 à 1841 et l'Eu-
rope (instrument de travail de premier ordre). = Août-septembre.
E. Mangenot. Publications récentes sur l'écriture sainte et la lit-
térature orientale. — Publications relatives à la guerre européenne ;
parmi elles : Erzberger. Souvenirs de guerre (apologie personnelle) ;
Ch. Le Goffic. La Marne en feu (émouvant); Ch. Gallet. Le pape
Benoît XV et la guerre (articles écrits au jour le jour pendant la
guerre dans VÉtoile de la Vendée). — Jules de Lahondès. Les monu-
ments de Toulouse (superbe ouvrage publié après la mort de l'auteur
par Emile Carthailac). — J. Laurent. L'Arménie entre Byzance et l'Is-
lam, depuis la conquête arabe jusqu'en 886; Byzance et les Turcs
seldjoucides dans l'Asie occidentale jusqu'en 1081 (deux excellentes
thèses). — L'expansion belge à Rome et en Italie depuis le xv^ siècle
(trois études : Artistes flamands à Rome pendant la Renaissance, de
l'abbé P. Liebaert; les Manuscrits du Fondo Gesuitico, concernant les
Pays-Bas ; les Fondations hospitalières flamandes à Rome du xv« au
xviiP siècle, les deux dernières par Mgr Vaes, formant le premier bul-
letin de l'Institut historique belge à Rome). — Adrien Huguet. Un
grand maréchal des logis de la maison du roi : le marquis de Cavoye,
1640-1716 (excellent). — E. Babelon. La grande question d'Occident.
Au pays de la Sarre ; Sarrelouis et Sarrebruck (à méditer). — H. Carré.
La noblesse de France et l'opinion publique au xviii^ siècle (insiste
peut-être trop sur les scandales). — E. Lavaquery. Le cardinal de
Boisgelin (les deux volumes instruisent plus qu'ils ne récréent). —
Lévy-Schneider. Mgr Champion de Cicé, archevêque d'Aix et d'Arles,
1802-1810 (l'auteur « n'est pas de la maison », de là des erreurs). —
D'Ulm à lena. Correspondance de Gentz avec Jackson, ministre de
la Grande-Bretagne à Berlin, 1804-1806, publiée par le commandant
Weil (important document). — D. Halévy. Le courrier de M. Thiers
(utile). — G. Gaillard. Les Turcs et l'Europe (depuis 1916; très par-
tial pour les Turcs).
•7. — La Révolution française. 1921, juillet-septembre. — H. Hau-
SER. De quelques aspects de la Révolution américaine (causes écono-
miques et sociales de cette Révolution ; le rôle du thé et de la mélasse).
— Thèse de M. l'abbé Pommeret. L'esprit public dans les Côtes-du-Nord
pendant la Révolution, résumé fait par le candidat reçu avec mention
très honorable. — R. Durand. Le personnel judiciaire dansjes
Côtes-du-Nord pendant la Révolution (publie le « tableau des citoyens
juges et autres membres du tribunal civil, avec indication des fonctions
Rev. Histor. CXXXVIII. 20 fasc. 19
290 RECUEILS PÉRIODIQUES.
remplies pendant la Révolution », dressé en l'an VIII). — L. Villat. .
L'histoire de la Révolution en Corse (signale les documents sur Buo-
narroti que vient de publier M. Ambrosi). — D'' J. Raspail. Les
papiers de Lalande (lettres adressées de Berlin à sa mère en 1752, dis-
cours qu'il prononça lors de la fête de la déesse Raison, en novembre
1793, lettres qu'envoie à sa tante et à sa nièce la duchesse de Saxe-
Gotha de 1798 à 1802). = C.-rendus : H. Sée. Les idées politiques en
France au xyiif siècle (utile). —M. Pigallet. Répertoire des archives
du département du Doubs (séries M et N) et Inventaire sommaire
(série L, n^^ 1 à 81). — L. Abensour. Histoire générale du féminisme
(étude claire, un peu vague). — Erzberger. Souvenirs de guerre (très'
importants et instructifs). — P. Gilliard. Treize années à la cour de
Russie (montre surtout les beaux côtés de la cour russe).
8. — Revue critique d'histoire et de littérature. 1921,
15 août. — Edm. Perrier. La terre avant l'histoire. Les origines de
la vie et de l'homme (très remarquable). — Edw. Flinck. Auguralia
und Verwandtes (hypothèses ingénieuses, mais hasardées). —Max. J.
Rudwin. The origin of the german carnival comedy (utile compila-
tion). — H. Tronchon. La fortune intellectuelle de Herder en France.
La préparation (enquête minutieuse et prudente). — Les Bouches-du-
Rhône, encyclopédie départementale. III. Les temps modernes, 1482-
'1789 (remarquable). — C. Rabaud. Paul Rabaut (biographie du père
de Rabaut-Saint-Étienne, qui n'apprend rien de nouveau). — 0. Kar-
min. Sir Francis d'Ivernois, 1757-1842 (beaucoup de très utiles ren-
seignements). — Charles Cestre. Production industrielle et justice
sociale en Amérique (étude très pénétrante et très attachante). — Ed.
Fueter. Weltgeschichte der lezten hundert Jahren, 1815-1920 (remar-
quable essai d'une histoire vraiment universelle). = 1" septembre.
G. Glotz. Le travail dans la Grèce ancienne (travail sobre et précis).
— F. H. Marshall. Discovery in greek lands (élégant résumé des
découvertes archéologiques faites en Grèce et dans les pays grecs
depuis 1870). .— Le Musée du Louvre. Les accroissements de 1919 à
1920; dons, legs et acquisitions (somptueux catalogue, orné de belles
héliogravures; on y signale plusieurs signatures d'artistes sur des
sculptures du xv« siècle). — V. Gardthausen. Hand.buchder wissen-
schaftlichen Bibliothekskunde (confus, incomplet et souvent incorrect).
— Marguerite de Valois. Mémoires. Introduction et notes par Paul
de Bonnefon (bonne édition; l'introduction donne une biographie
complète de Marguerite). — A. Mathiez. Robespierre terroriste (l'au-
teur est vivement pris à partie par M. Welvert). = 15 septembre.
R. Poupardin. Recueil des actes des rois de Provence, 855-928 (bonne
édition). — G. Mollat. Les papes d'Avignon, 1305-1378 (3« édition qui
contient quelques utiles additions). — Id. Vitae paparum Avenionen-
sium, edit. Steph. Baluzius (cette nouvelle édition est très supérieure
à l'ancienne). — Nap. de Pauw. Cartulaire historique et généalo-
gique des Artevelde (excellent). — Abbé M. Giraud. Essai sur l'his-
RECUEILS PE'RIODIQDES. 291
toire religieuse de la Sarthe, de 1789 à l'an IV (intéressante, très
solidement bâtie et d'une remarquable impartialité). — Ch. Seigno-
bos. La Révolution de 1848 (excellent). — Albert Calmes. Der Zoll-
anschluss des Grossherzogtums Luxemburg an Deutschland, 1842-
1918 (solide ouvrage qui intéresse aussi l'histoire générale).
9. — Revue d'histoire de l'Église de France, 1921, juillet-sep-
tembre. — Eug. Welvert. Jean-Baptiste Massieu (biographie de ce
personnage qui, étant entré dans les ordres, fut professeur dans
divers établissements d'instruction secondaire, se fit élire à la Cons-
tituante et à la Convention où il vota la mort de Louis XVL Biblio-
thécaire-archiviste du ministère de la Guerre en 1797, il resta en fonc-
tion jusqu'en 1815 et fit d'excellente besogne; exilé comme régicide,
il mourut à Bruxelles en 1818). — Charles Du Bus. L'avenir des
sociétés savantes ; suite et fin. — Jean Vallery-Radot. Notre-Dame
de Paris; sa place dans l'histoire de l'architecture médiévale. =
C. -rendus : E.-Ch. Babut. Saint-Martin de Tours (savante entreprise
de démolition). — Delehaye. Saint Martin et Sulpice Sévère (le
savant boUandiste rétablit avec succès les idoles renversées par
E.-Ch. Babut. Réhabilite Sulpice Sévère et donne une chronologie
vraisemblable de saint Martin). — J. Despetis. Nouvelle chronologie
des évêques d'Agde, d'après les cartulaires de cette église (certains
points de sa liste épiscopale sont sujets à caution). — Comte Boulay
de La Meurthe. Pierre Carreau et les travaux sur l'histoire de Tou-
raine jusqu'à Chalmel (monographie très soignée). — J. Gass. Kons-
titutionelle Professoren am Strasburger Priesterseminar : Dereser,
Dorsch, Ksemmerer, Schwind (quatre biographies de prêtres fana-
tiques, tout imprégnés des « erreurs » venues d'Allemagne : rationa-
lisme, fébronianisme, joséphisme, panthéisme),
10. — Le Correspondant. 1921, 10 septembre. —Henry COCHIN.
Dante Alighieri et les catholiques français : Ozanam, Sainte-Beuve
(montre comment et par qui Ozanam fut amené à l'étude de Dante,
quelle impression ses travaux sur Dante firent d'abord sur Sainte-
Beuve, alors encore romantique, puis très refroidi quand il eut défini-
tivement rompu avec les catholiques). — Paul Claudel. Introduction
à un poème sur Dante. — Altiar. L'état d'esprit et la situation en
Grèce (de janvier 1920 à juin 1921; très intéressant témoignage,
vivant, passionné contre Vénizélos et son parti : la Grèce n'a jamais
cessé d'être monarchiste. C'est ce sentiment national qui ramena Cons-
tantin sur le trône, et cette restauration a rétabli en Grèce la liberté
opprimée par la tyrannie vénizéliste. Montre à quel point la presse
française a été mal informée des affaires helléniques depuis le début
de la grande guerre jusqu'au rétablissement de la dynastie et encore
au delà). — Henri Brkmond. Pascal, l'abbé de Villars, et la première
réfutation des « Pensées » (très curieuse analyse d'un petit opuscule
publié en 1G71 par l'abbé de Villars, un cousin de Montfaucon; cet
292 RECUEILS PÉRIODIQUES.
opuscule, intitulé « De la délicatesse », contient une réfutation' en
règle du traité d'apologétique chrétienne ébauché par Pascal; d'ail-
leurs cet abbé, qui cherche querelle à Pascal, n'a cessé de l'admirer et
de l'imiter). = 25 septembre. Pierre Khorat. Notes sur la Cochin-
chine. — Liber. Hommes du jour : M. Doumer. — A. Guasco.
L'œuvre de la propagation de la foi. Un siècle d'histoire (c'est en 1822
que cette œuvre fut fondée, en un moment où les missions catholiques
étaient en pleine décadence ; elle est née en France et c'est la France
qui a contribué pour la grosse part à constituer les revenus dont elle
vit. Jusqu'ici, elle a été administrée par deux conseillers généraux sié-
geant à Lyon et à Paris. Avant 1914, le gouvernement allemand essaya
d'une organisation séparée qui fut aussitôt condamnée par le Saint-
Siège; mais, en 1921, le pape Benoit XV a institué un troisième con-
seil central siégeant à Rome, et sans doute faut-il s'attendre à ce que
l'unité de l'œuvre soit encore démembrée au détriment de la France).
— L. DE Lanzac de Laborie. Une histoire de la monarchie consti-
tutionnelle, 1814-1848 (celle de M. Charléty; beaucoup d'éloges tem-
pérés par quelques restrictions. Intéressantes considérations sur la
Restauration et le gouvernement de Juillet). — Comte Jean de Ker-
GORLAY. Une vieille colonie anglaise : la Jamaïque. — Jean Rivière.
Le catholicisme de saint Augustin (d'après l'ouyrage de Mgr Pierre
Batiffol). = 10 octobre. J. Maître. Comment garantir efficacement la
paix en l'Europe (en organisant une Compagnie internationale des
chemins de fer rhénans, de Rotterdam à Bàle). — *** Avant-propos à
la conférence de Washington (à noter surtout ce qui est dit des rap-
ports du Japon avec la Chine, ou mieux avec les différents gouverne-
ments chinois. Quant au gouvernement et au peuple des Etats-Unis,
ce qu'ils veulent, c'est la paix et le désarmement obtenus après un
échange de vues honnête, franc, sans détour ni mystère). — Max TuR-
MANN. Les idées et les faits sociaux. = 25 octobre. Comte Jean de
Pange. Notre politique rhénane. — Edmond Renard. Un cardinal de
curie. Le cardinal Mathieu, 1899-1908 (importance de sa situation et
de son rôle dans les relations entre le gouvernement français et la
cour de Rome). — Jules Véran. Le septième centenaire de la Faculté
de médecine de Montpellier. — Comte Armand de Kergorlay. Paris
charitable, bienfaisant et social (d'après la 2« édit. du volume pubUé
par r « Office central des œuvres de bienfaisance », avec une préface
de son président : René Vallery-Radot).
11. — Études. Revue fondée par des Pères de la Compagnie de
Jésus. 1921, 20 juillet. — François Datin. Avant la Réforme de l'en-
seignement secondaire; fin le 5 août (approuve tout à fait le projet de
M. Léon Bérard). — Pierre Mertens. La légende dorée en Chine.
Maître Song, bonze du Bouddha et catéchiste de Jésus-Christ; fin le
5 août (histoire d'une conversion du bouddhisme au christianisme à la
fin du siècle dernier). — Ferd. Cavallera. Dante et son œuvre; suite
(la Divine Comédie). — Joseph Dassonville. Chez nos cousins les
RECUEILS PEBIODIQDES.
293
Canadiens français (la défense de la langue française; la cause fran-
çaise pendant la guerre et le loyalisme des Canadiens envers l'Angle-
terre). — Edward F. GaresCHÉ. Le premier président de la cour
suprême d'Amérique : Edward Douglass White. — Lucien ROURE.
Littérature franciscaine (l'anthologie franciscaine du moyen âge
translatée et annotée par Maurice Beaufreton; V « Archivum fran-
ciscanum historicum », t. XI-XIII). = C. -rendus : Johannes Joer-
gensen. Sainte Catherine de Sienne (on ne peut reprocher au livre que
l'excès de ses qualités). — Adolphe Reinach. Textes grecs et latins
relatifs à l'histoire de la peinture ancienne ; t. I (la période classique
et une partie de la période hellénistique; plus de 550 textes). — Fré-
déric Masson. La vie et les conspirations du général Mallet (toute
sorte de renseignements curieux). == 5 août. Michel d'Herbigny. Le
malheur russe. Comment le bolchevisme peut-il durer? (contre la bar-
barie nouvelle l'Église apparaît comme la seule force efficace). — Paul
DONCOEUR. La reconstruction spirituelle du pays; IIL La défense et
l'illustration de l'intelligence française ; suite le 20 août et le 5 septembre
(grand rôle que le catholisme doit assumer dans cette reconstruction). =
C. -rendus : Robert de La Sizeranne. Béatrice d'Esté et sa cour (fait
revivre l'une et l'autre). — //. Rodocanachi. La réforme en Italie (n'a
pas saisi les causes de l'échec du protestantisme dans la péninsule). —
H. Carré. La noblesse de France et l'opinion au xviiP siècle (excellent).
— Marc Chassaigne. Le pîocès du chevalier de La Barre (le fameux
chevalier était en réalité un jeune libertin). =20 août. Joseph Huby. Le
problème juif. L Les Juifs à la conférence de la paix (les Juifs ont été
les enfants gâtés à la conférence de la paix. Les clauses relatives au
sionisme « sont désordonnées et pleines de péril. »). — Michel d'Herbi-
gny. Anglicans et Orthodoxes. L En Grèce et à Constantinople (parle
d'un rapprochement entre les orthodoxes de Grèce et les anglicans et
de la reconstitution de la « seconde » Rome, celle de Photius et de
Michel Cérulaire, soustraite à l'autorité de la première Rome). —
M.-J. RouËT DE JouRNEL. Le congrès de musique sacrée de Stras-
bourg (début d'août 1921). = C. -rendus : Cardinal de Retz. Supplé-
ment à la correspondance, édité par Claude Cochin (important). —
René Doumic. Saint Simon (analyses pénétrantes). — ■ Comman-
dant H. Weil. D'Ulm à léna (édite des lettre de Gentz à Jackson,
1804-1806, trouvées au Record Office). — E. Lavaquery. Le cardi-
nal de Boisgelin, 1732-1804 (le cardinal a trouvé un historien digne de
lui). = 5-20 septembre. Joseph Huby. Le problème juif. IL Sionisme
et assimilation (le triomphe du sionisme sera une menace pour
la paix de la Syrie ; il faudrait souhaiter l'assimilation ; mais elle est
impossible). — Henri du Passage. La semaine sociale de Toulouse
(fin juillet 1921; ses résultats). = 5 octobre. Paul Dudon. Le
R. P. Raoul de Scorraille (f M juillet 1921; article nécrologique).
— Michel d'Herbigny. Anglicans et « orthodoxes ». II. En Yougo-
slavie (insiste sur les progrès faits en Yougo-Slavie par les épis-
294 RECUEILS PERIODIQDES.
copaliens d'Angleterre et d'Amérique : ces progrès favorisent en réa-
lité ceux des catholiques). = G. -rendus : Ch. Filliâtre. La phi-
losophie de saint Anselme (consciencieux). — René Brunet. La
constitution allemande du 11 août 1919 (utile). — M. Jugie. Photius
et la primauté de saint Pierre et du pape (important). — Von Pastor.
Geschichte der Pàpste seit dem Ausgang des Mittelalteri ; t. VII et VIII
(consacré le premier à Pie IV, 1559-1565, le second à Pie V, 1566-
1572; tout à fait remarquable). — Vitae paparum avenionensium.
Nouvelle édition par l'abbé Mollat, t. I (excellent).
12. —La Grande Revue. 1921, août. — A. Aulard. Un doctorat
en Sorbonne : M. Chassaigne et le chevalier de La Barre (montre
comment on est admis à présenter et à soutenir des thèses pour le
doctorat à la Faculté des lettres de l'Université de Paris, et raconte la
soutenance de M. Chassaigne qui, pour son étude sur le chevalier de
La Barre, obtint le grade de docteur avec la mention très honorable.
En somme, on trouvera ici un exposé détaillé de cette cause célébré
qu'on a eu le tort, paraît-il, de considérer comme un acte d'intolérance
imputable au clergé. En toute cette affaire, Voltaire fut léger, haineux
et de mauvaise foi ; la conduite de l'évêque d'Amiens au contraire a été
irréprochable). — Augustin Hamon. La crise du socialisme mondial.
— Eugenio Rignano. La désorientation du socialisme européen. = Sep-
tembre. Paul Degouy. Quelques jours à Wiesbaden. — Léon Lemo-
NiER. Baudelaire au lycée Louis-le-Grand, d'après des documents iné-
dits (1836-1838; ses plus notables succès scolaires ont été en vers
latins; quant à l'histoire, elle lui paraissait « parfaitement inutile »)•
— Victor Gastilleur. La ville des rois et des tombeaux (Hué). —
René Lote. L'avenir de l'intelligence.
13. — Mercure de France. 1921, l^"" septembre. -— D"" Louis.
HuOT. L'âme noire : les religions et les croyances des nègres centre-
africains (l'auteur consigne le résultat d'observations personnelles
recueillies pendant plusieurs années de séjour dans le Centre-Afrique;
à noter ce qu'il dit sur l'évolution des croyances religieuses et sur leurs
rapports avec les autres religions. Il estime en définitive que le nègre
est susceptible de culture intellectuelle et d'éducation morale). — J
Georges Maurevert. Généalogies fabuleuses et réalités héréditaires;
suite et fin (amusantes constatations). — Florian Delhorbe. Dante
critique littéraire (d'après son traité « De vulgari eloquentia »). — J. W.
Bienstock. Les mémoires du comte Witte (ces mémoires présentent
un intérêt considérable). = 15 septembre. Canudo. L'heure de Dante
et la nôtre (expose comment r« humanité nerveuse » de Dante « plaît
très particulièrement à notre orgueil moderne par son actuelle préci-
sion »). — André DuBOSGQ. Les relations sino-françaises en face de li
question d'Extrême-Orient. — Edmond Barthélémy. Gerbert, Syl-
vestre II (longue analyse et vif éloge de la biographie de ce pape.par le duc
de La Salle de Rochemaure). — *** Les limites de la compétence entre la
aECDEILS PÉRIODIQUES. 295
Société des nations et le Conseil suprême (à propos de l'affaire d'Alba-
nie; expose et discute la thèse présentée par A. F. Frangulis, ministre
de Grèce). == i^" octobre. Jean Topass. La Pologne a-t-elle son art? (oui,
un art qui est bien à elle). — D"" Louis HuOT. L'âme noire : la femme
chez les primitifs centre-africains (sa valeur au point de vue de l'intelli-
gence, du caractère et des sentiments; sa situation sociale). — Georges
Matisse. La transmutation (sic) de la sociologie. — René de Weck.
Ferdinand Hodler (biographie de ce célèbre peintre suisse, 1853-1918;
son œuvre d'après ce qui en a été exposé à Berne). =: 15 octobre.
D'' Louis HuoT. L'âme noire : l'homme primitif centre -africain
(étude psychologique dont on pourra tirer profit pour l'intelligence
rudimentaire du nègre).
14. — La Revue de France. 1921, 15 septembre. — Marianne
Damad. Souvenirs de famille et d'Orient (l'auteur, arménienne de nais-
sance, mais ayant toujours vécu à Constantinople jusqu'à son départ en
1876 pour la France, qu'elle n'a plus quittée, note les observations qu'elle
a recueillies sur ses compatriotes depuis environ l'année 1845 jusqu'à
cette date de 1876). — R. Recouly. Pour mieux défendre nos inté-
rêts (« M. Lloyd George est le politicien le plus adroit, le plus rusé,
le plus retors qui soit au monde ». Dans l'affaire de la Haute-Silésie,
il a réussi à duper à la fois Wilson et Clemenceau, d'abord hostiles
au plébiscite et qui en ont ensuite accepté le funeste principe ; puis il
a mis à profit les erreurs de notre diplomatie pour faire triompher
avant tout les intérêts de l'Angleterre commerçante et financière; et
ces intérêts sont liés à ceux de l'Allemagne). — Gustave Charlier.
Molière et les nouveaux riches (c'est sans doute ces derniers, les « pro-
fi teurs » de la Fronde et de la guerre contre l'Espagne, que Molière visait
en écrivant les Précieuses ridicules; il a noté un des résultats de la
crise sociale qui, à ce moment, bouleversa les conditions économiques).
= l»"" octobre. R. Recouly. L'Angleterre et nous (il faut savoir parler
aux Anglais, les mettre au courant de questions vitales pour nous et
qu'ils ignorent. Une entente cordiale avec les États-Unis nous met-
trait en bonne posture pour discuter avec eux ; car, si les Anglais ont
le respect de l'honneur et ne renient pas leurs engagements envers
la France, ils ont aussi le respect des forts et ils écouteront nos légitimes
revendications s'ils nous voient bien appuyés). — Ambroise GoT.
SociaUstes allemands (Hugo Haase, le docteur Rudolf Breitscheid,
Wilhelm Dittmann). — Pierre du Colombier. Les inspirateurs français
de Nietzsche (d'après le livre d'Andler). — Maria Tastevin. Les amis
oubliés de Port-Royal (d'après le livre de M°»e Julie Berliet). — - E. RODO-
CANACHL En marge de l'histoire (d'après M. Catalano : « Lucrezia Bor-
gia con nuovi documenti », 1921). = 15 octobre. Raymond Recouly.
Où en est l'Allemagne? (l'Allemagne de 1921 est redevenue un pays
d'ordre, de tranquillité, de sécurité, de discipline; désarmée, elle ne
parait pas avoir le désir de recommencer la guerre de sitôt. Tout notre
effort doit porter sur les « réparations »). — Charles Schmidt. Ce qu'il
296 RECDEILS PERIODIQUES.
faut savoir de la Rhénanie française (c'est qu'elle n'est pas réfrac-
taire à l'influence française ; que, sans briser avec les organisations
implantées par la Prusse depuis cent ans, elle trouvera profit à renouer
ses rapports économiques et moraux avec la France de la Révolu-
tion et de l'Empire).
15. — La Revue de Paris. 1921, 15 septembre. — Général Mes-
SiMY. Comment j'ai nommé Gallieni (malgré l'opposition du général
Jofïre et la résistance opposée par le gouverneur militaire de Paris,
général Michel, Gallieni fut nommé, le 26 août; il avait d'ailleurs
exigé auparavant que l'on mît à sa disposition trois corps d'armée
actifs afin de pouvoir défendre Paris. Jofïre voulait au contraire que
toutes les troupes disponibles lui fussent envoyées, afin d'enfoncer le
centre de l'armée allemande et jeter son aile droite à la mer. Jofïre
traitait Paris de quantité négligeable, Gallieni estimait au contraire
qu'il fallait à tout prix défendre la capitale). — Capitaine Koeltz. Au
tournant de la Marne (il s'agit de savoir qui a, le 9 septembre 1914,
entre midi et 13 heures, ordonné la retraite des !•■«, II* et III« armées
allemandes et si cette retraite était nécessaire. Plusieurs écrivains
militaires allemands ont prétendu qu'elle ne l'était pas. L'auteur de
l'article répond ; plus la II« armée serait restée au sud de la Marne,
plus sa défaite aurait été grave. « Von Bùlow sauva son armée du
désastre en la repliant dès le 9 septembre ; à cette date, il était trop tard
pour ramener la victoire sous les aigles allemandes »). — R. deTraz.
Henri-Frédéric Amiel (à l'occasion de son centenaire). — Camille PiCA-
VET. La légende de Turenne aux xvii® et xviiP siècles (expose com-
ment la personne morale de Turenne a été déformée, idéalisée, par
les orateurs de la chaire et par les écrivains, notamment Fléchier,
Massillon, Ramsay). — Henri d'Alméras. Dante, étudiant à Paris
(il paraît bien avoir passé environ six ans à Paris, de 1308 ou 1309
jusqu'en 1314; mais il n'y fut pas étudiant, approchant alors de la cin-
quantaine ; il s'y adonna simplement à l'étude sans préparer ni subir
aucun examen). =: l^r octobre. Baron Beyens. La Belgique pendant
la guerre (comment elle fut administrée sous la surveillance tracas-
sière de l'autorité allemande, elle-même asservie aux volontés de
l'État-major). — Lieutenant-colonel Requin. L'exécution du traité dans
la Sarre (expose comment a été organisée l'administration de ce pays
sous l'autorité supérieure de la Société des nations). — Marcel Fos-
SEYEUX. Sages-femmes et nourrices à Paris au xviii* siècle. — Louis
Laloy. Un précurseur du drame lyrique ; Claudio Monteverdi (d'après
sa biographie par Louis Schneider). =15 octobre. Baron Beyens. La
Belgique pendant la guerre. Les protagonistes du drame (Adolphe
Max, bourgmestre de Bruxelles; Théodor, bâtonnier de l'ordre des
avocats ; le cardinal Mercier, ses rapports avec von der Goltz et avec
von Bissing ; Emile Solvay, le grand organisateur du Comité national
de secours et d'alimentation ; Herbert Clarke Hoover, directeur amé-
ricain de la « Commission for relief » ; le ministre d'Espagne, mar-
RECUEILS PÉBIODIQOES. 297
quis de Villalobar ; Jean Jadot, gouverneur de la « Société générale »
de Belgique). — Pierre Lasserre. Renan au séminaire Saint-Nico-
las du Chardonnet. le"" art. (où il est surtout question du directeur du
séminaire, abbé Dupanloup, et de la part qu'il prit à la « rétractation »
in-extremis de Talleyrand). — Jacques Bouis. La dernière bataille de
Champagne (notes d'un agent de chasseurs à pied, du 23 septembre
au 3 octobre). — Georges Weill. A propos d'enseignement secon-
daire. — Maurice Valus. Un grand écrivain espagnol : Miguel de
Unamuno. — Antoine Albalat. La langue française et le style
archaïque. = l*"" novembre. Général Michel. Paris en août 1914.
Réponse au général Messimy (« le récit publié parlaiîeuue de Paris
contient des inexactitudes et des lacunes... Je n'ai été ni « limogé »
en 1911, ni « débarqué » en 1914; deux fois, sans mot dire, je suis
rentré simplement dans le rang, pour continuer à y servir à la place
où le Gouvernement jugeait convenable de m'employer »). — Igno-
TUS. Études et portraits : M. Alexandre Millerand. — Pierre Las-
serre. Renan au séminaire, II (comment Renan juge dans ses lettres
et dans ses souvenirs l'enseignement qu'il reçut à Saint-Nicolas;
succès qu'il remporta dans ses classes en latin, en histoire; d'ailleurs
médiocre en français). — François Denjean. Le mouvement révolu-
tionnaire en Espagne depuis 1918.
16. — Revue des Deux Mondes. 1921, 15 septembre. — Maré-
chal Fayolle. Au pays de l'érable. Journal de la mission française
au Canada. — Paul Hazard. Les plagiats de Stendhal. — L. Paul-
Dubois. Le drame irlandais. I. Les origines, 1914-1918. — André
Hallays. Jean de La Fontaine. IV (la vieillesse, la conversion et la
mort; mort toute chrétienne d'un homme sincère et candide. « Je ne
sais s'il a menti de sa vie », écrivit après sa mort son vieil ami le
chanoine Maucroix). — Norbert Sevestre. Une campagne type de
propagande allemande : « La honte noire » (cette campagne, dont un
des objets consiste à mettre à profit l'hostilité des Américains contre
les nègres et à persuader au gouvernement des États-Unis de retirer
le corps d'occupation qu'il entretient encore sur le Rhin afin de
maintenir l'union des Alliés contre l'Allemagne vaincue et impatiente
de reprendre sa revanche, est un monument de « mensonge, haine et
mauvaise foi ». Elle continue d'ailleurs sournoisement ou rageuse-
ment, avec la complicité manifeste du gouvernement allemand). —
Louis Gillet. Dante à Ravenne (d'après l'ouvrage de Corrado Ricci ;
« L'ultimo rifugio di Dante »). =: 1" octobre. Gustave Lanson. L'ex-
pansion française à l'étranger. Écrivains français en Hollande pen-
dant la deuxième moitié du xvii« siècle (d'après le remarquable
ouvrage de Gustave Cohen). — L. Paul-Dubois. Le drame irlandais.
II. Le Sinn-fein et la guerre anglo-irlandaise, 1918-1921 (étude pré-
cise et impartiale du drame terrible qui se joue actuellement en
Irlande). — Saint-Denis, dit Ali, second mameluk de l'Empereur;
fin : la mort et les funérailles de l'Empereur (très circonstancié et
298 EECUEIIS PÉRIODIQUES.
émouvant). — Henriette Célarié. Impressions de Vienne (aspect de
la ville depuis l'armistice ; les prix ; le service d'espionnage exercé par
le concierge, « ange gardien » de ses locataires ; Budapest et l'équipée
du roi Charles). — , André Bellessort. Un collège d'autrefois : le
vieux Louis-le-Grand (d'après l'histoire de ce lycée par G. Dupont-
Ferrier, dont le tome I vient de paraître). = 15 octobre. Vice-amiral
FouRNiER. Autour du traité de Tien-Tsin. Souvenirs diplomatiques
(hommes et choses du Céleste Empire de 1878 à 1880; rapports de
Fauteur, alors simple commandant de la canonnière Lynx, avec
Li-Hong-Tchang, vice-roi du Tchi-li. Situation de la France dans
l'Annam et au Tonkin en décembre 1882. Comment se fit le traité de
Tien-Tsin, le 11 mai 1884. Vivant et instructif , l'auteur ayant été l'ins-
trument décisif dans l'élaboration et la conclusion de ce traité). —
A. Augustin-Thierry. Augustin Thierry d'après sa correspondance
et des papiers de famille. I. La jeunesse (Thierry, brillant élève au
collège de Blois, à l'École normale, professeur à Compiègne, secré-
taire de Saint-Simon de 1814 à 1817). — Paul Heuzé. A l'aide de
l'Italie. La traversée des Alpes en automobile par les troupes fran-
çaises, octobre-novembre 1917 (très intéressant). — Raphaël-Georges
LÉVY. Saine monnaie et saines finances (véritable nature de la mon-
naie; inflation de la monnaie de papier après la guerre. Conséquences
et remèdes). — Victor Giraud. Chateaubriand romanesque et amou-
reux. — Henry Bidou. Voyage en Uruguay. = 1" novembre. René
PiNON. Une phase nouvelle de la lutte pour le Pacifique (à propos de
la conférence de Washington). — A. Augustin-Thierry. Augustin
Thierry. II. Une révolution en histoire (expose comment la politique,
où l'avait initié Saint-Simon, conduisit Augustin Thierry à l'histoire :
secrétaire du Censeur européen, où il publie ses Révolutions d'An-
gleterre^ prélude à son Histoire de la. conquête, il accepte d'écrire,
pour deux cents francs par mois, les discours de Laffitte. Il est à cette
époque un Ubéral ardent, admirateur de La Fayette. Il donne ses
Lettres sur Vhistoire de France au Courrier français, qui a suc-
cédé au Censeur européen, brutalement supprimé. Désormais, il est
un maître et c'est à ce moment qu'il commence à perdre la vue). —
Jean de Seillon. Chez les moines de l'Athos un jour de Toussaint
(1909). — André Beaunier. La jeunesse de Tallemant des Réaux.
17. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus des séances. 1921, janvier-février. — D'" A.-E. Cowley. L'ins-
cription bilingue araméo-lydienne de Sardes (tentative de traduction
des deux textes qui ne correspondent pas exactement, comme on
l'avait cru jusqu'ici). — Rapport du secrétaire perpétuel sur la situa-
tion des publications de l'Académie pendant le deuxième semestre
1920 (le travail des Fouillés a surtout été poussé). — Nicolas Iorga.
Fouilles faites à Curteu de Arges (l'église d'Arges n'a été fondée qu'au
xiv« siècle ; influences occidentales qui se firent sentir à cette' époque
en Valachie). — Th. Homolle. Rapport sur les travaux des Ecoles
RECUEILS PÉRIODIQUES. 299
françaises d'Athènes et de Rome durant l'année 1919-1920. — Jules
Baillet. Marc-Aurèle, Lucius Vérus et le gouverneur Catulinus à
Thèbes d'Egypte (les empereurs Marc-Aurèle et Vérus n'ont point
visité les Syringes; là où l'on a cru lire leur nom, il s'agit d'autres
personnages, particulièrement d'un gouverneur de la Thébaïde, Lucius
Aurelius Catulinus).
Autriche.
18. — Historische Blaetter. Herausgegeben vom Haus- Hof-
und Staatsarchiv in Wien, geleitet von Otto H. Stowasser, 1 Jahr.
1921, 1 Heft. — Dans une courte introduction, il est expliqué qu'en
principe la Revue nouvelle devait servir à faire connaître les travaux
historiques appuyés sur les documents dès Archives de cour et d'état
de Vienne ; ensuite le cadre a été élargi en une revue historique plus
générale, traitant de l'histoire de toute l'Europe occidentale, puisque
aussi bien on trouve dans les archives de Vienne des documents sur
toute cette histoire ; enfin il a été décidé qu'on accueillera non seule-
ment des travaux sur l'histoire proprement dite, mais sur l'histoire de
la civilisation, de la littérature, des beaux-arts, musique, philosophie,
poUtique, etc. — G. von Below. Les relations de l'historiographie
allemande avec la romantique et la philosophie de Hegel (l'influeiice
de la romantique sur Savigny, Eichhorn, Grimm, Ranke a été consi-
dérable; celle de la philosophie de Hegel est moins apparente; à
suivre). — Harold Steinacker. Nécessités historiques d'une politique
allemande (discours prononcé le 19 janvier 1921 à l'inauguration de
l'Université d'Innsbruck ; célèbre l'unité allemande et termine par ce
jeu de mots : « Das Reich muss uns doch bleiben »). -r- Otto Car-
TELLiERi. Le « pas de la dame Sauvaige » à la cour de Charles le
Téméraire de Bourgogne (tournoi tenu à Gand par Claude de Vau-
drey en 1469, n. st.; le récit contemporain d'Olivier de la Marche a été
publié par B. Prost, Paris, 1878). — Alfred Stein. Wit von Dôrring
au service de l'Autriche (fin 1859 et début de 1860, d'après des lettres
trouvées dans les Archives de la cour et de l'Etat). — Arnold Wink-
LER. La correspondance de l'archiduc Jean avec la chancellerie
d'État à propos de la question du Sunderbund (série de lettres de
1846). — Auguste Fournier. La politique européenne, de 1812 au
premier traité de Paris (ces pages devaient servir de chapitre prélimi-
naire à un volume sur le congrès de Vienne et ont été écrites peu de
temps avant la mort de Fournier). —Alexandre Cartellieri. L'Alle-
magne et la France en 1912, par une enquête du Figaro en Alle-
magne (d'après le livre de Georges Bourdon ; on en tire cette conclusion
qu'à cette date, après Agadir, personne en Allemagne ne songeait à la
guerre). — Julius Szekfu. L'historiographie hongroise et les archives
de Vienne (ce qui a été tiré de ces archives pour l'histoire de Hongrie
depuis 1846, où parut le premier volume de l'œuvre de Paul von
Jàszays; le rôle de l'Institut historique hongrois créé à Vienne dans
300 RECUEILS PÉRIODIQUES.
l'été de 1920). — Friedrich Schneider. Tedeschi lurchi ou tedeschi
lurchi? (dans un vers de l'Enfer de Dante, XVII, 21, Dante traite-
t-il les Allemands de lurchi, c'est-à-dire de goulus, ou s'agit-il d'am-
phibies allemands, tedeschi étant une épithète et non un nom
propre? La question reste ouverte).
Belgique.
19. — Analecta BoUandiana. Tome XXXIX, fasc. 1-2 (avril
1921). — Le R. P. François Van Ortroy (décédé le 20 septembre
1917; il était le doyen de la Société des BoUandistes ; sa vie et .ses
œuvres). — H. Delehaye. Martyr et confesseur (sens et emploi de
ces expressions dans les textes de la primitive Eglise ; le mot ixàpTu;
désigne tout d'abord le Christ, le « martyr par excellence »,puis ceux
qui ont été les témoins attitrés de la vie et de la résurrection de
Jésus, les apôtres; puis ceux qui, à l'imitation parfaite du Christ, sont
morts pour leur foi. Le confesseur est celui qui déclare sa foi, mais
dont la vie a été épargnée). — Paul Peeters. Les traductions orien-
tales du mot martyr ; note complémentaire à l'article précédent (sens
du mot en copte, en syriaque, en arabe, en arménien, dans la langue
géorgienne). — Id. Un miracle des saints Serge et Théodore et la
Vie de saint Basile, dans Fauste de Byzance (Fauste a utilisé deux
sources différentes qui ont brodé des variantes sur un même thème
légendaire, s'appliquant dans l'une à la mort de Valens, dans l'autre
à celle de Julien ; le texte grec qu'il a mis à contribution est à la fois
une des sources de la Vie de Basile actuellement connue et le proto-
type de tous les récits merveilleux qui ont pullulé sur le cadavre de
Julien l'Apostat). — M. Coens. Vita sancti Hilarii Auciacensis, con-
fessoris in Cenomannorum finibus (il s'agit de Saint-Hilaire d'Oizé,
Sarthe, cant. de Pontvallain ; étude sur les sources de cette Vie, qui
nous a été conservée dans un ms. de la Bodléienne et qui est une
falsification du xii^ siècle. Publie le texte et indique les sources où
l'auteur a puisé). — H. Quentin, 0. S. B. La liste des martyrs de
Lyon de l'an 177 (nouvelle tentative pour reconstituer cette liste qui doit
être fixée au nombre de quarante-huit). — Robert Lechat. Lettres de
Jean de Tagliacozzo sur le siège de Belgrade et la mort de saint Jean
de Capistran (1456). = C. -rendus : Edm. Bis hop. Liturgica historica
(important). — Pourrai. La spiritualité chrétienne. Des origines de
l'Église au moyen âge (bonne mise au point). — Jos. Schrijnen.
Essays en studien in vergelijkende Godsdienstgeschiedenis (intéressant
recueil d'articles sur l'hagiographie et le folklore). — J.-B. Rossi.
Inscriptiones christianae urbis Romae septimo saeculo antiquiores;
édit. J. Gatti. Voluminis I supplementum ; fasc. 1 (supplément, com-
pléments et rectifications). — Magistretti et Mônneret de Villard.
Liber notitiae sanctorum Mediolani (belle édition de l'ouvrage, qui fut
compilé vers le milieu du xiii« siècle par Geoffroi de Bussero, chapelain
RECDEILS PERIODIQUES.
301
de Rovello, diocèse de Milan). — C.-J. Cadoux. The early Christian
attitude to war (utile recueil de textes). — J. P. Waltzing. Tertul-
lien; apologétique (excellente édition). — Oriens christianus (nouv.
série, t. II-VII, 1912-1918). — O. R. Vassal- Philipps. The work of
s. Optatus, bishop of Milevis against the Donatists (bonne édition). —
J. Herwegen. Der heilige Benedikt (portrait d'une belle tenue litté-
raire). — Guise. Saint Sigisbert, roi d'Austrasie, 630-656 (agréable
amplification). — R. Aigrain. Sainte Radegonde, 520-587 (intéres-
sant). — W. Peitz. Martin I und Maximus Confesser (bon travail
critique sur le conilit des monothélites en 645-668). — E. Caspar.
Studien zum Register Gregors VIT (excellente étude qui contient des
observations neuves sur le fonctionnement de la chancellerie pontifi-
cale). — Rotha M. Clay. The hermits and an,-achorites of England
(très intéressant). — Ch. Singer. Studies in the history and method
of science (recueil d'articles intéressants pour l'histoire de la philo-
sophie et de la médecine). — Divers travaux sur sainte Hildegarde de
Bingen (par Erich Wassmann, Johannes May, Hélène Riesch, Louis
Baillet, Jos. Gmelch). — Eyirique Vacas Galindo. San Raimundo de
Pefiafort, fundator de la orden de la Merced (élimine impitoyablement
de nombreux actes faux qui troublent les origines de l'ordre de la
Merci. Plusieurs autres ouvrages sur le même sujet de F. D. GazuUa,
R. Serratosa, Michel Éven, P. W. Pérez). — Little, James et Ban-
nister. CoUectanea franciscana. — P. Sabatier. Franciscan essays (à
signaler surtout l'étude du P. Robinson sur sainte Claire). — Diverses
études sur Engelbert de Cologne. — Jos. Kuczynski. Le bienheureux
Guala de Bergame, 0. P., évéque de Brescia, paciaire et légat ponti-
fical, f 1244 (jette un peu plus de lumière sur l'histoire de l'inquisi-
tion). — J^. B. Herman. La pédagogie des Jésuites au xvp siècle;
ses sources, ses caractéristiques (important).
Grande-Bretagne.
20. — Bulletin of the John Rylands library, Manchester.
Les quatre premiers volumes de cette publication ne nous sont
pas parvenus, nous commençons donc avec le tome V, n°^ 1-2
(août 1918-mars 1919). — J. Rendel Harris. L'origine et la signi-
fication du culte de la pomme (note plusieurs faits de folklore en
Angleterre où le pommier est manifestement le centre d'un culte,
analogue au culte du chêne. Le pommier est parfois personnifié
sous la forme d'un oiseau, notamment du roitelet, puis d'un jeune
garçon ou d'une jeune fille, enfin chez les Grecs ils prirent la
forme d'Apollon, d'Hébé, de Ganymède, associé lui-même au roi des
oiseaux, qui est l'aigle). — C. H. Herford. Influence de la mytholo-
gie Scandinave sur la poésie anglaise. — J. Rendel Harris. Trois
lettres de John Eliot et un acte de connaissement pour le « Mayflo-
wer » (lettres adressées à J. Hanmer, de Barnstaple, par John Eliot,
302 RECUEILS PÉRIODIQUES.
l'apôtre des Indiens dans l'Amérique du Nord. L'acte de connaisse-
ment énumère les marchandises chargées en 1653 sur le fameux vais-
seau de 1620 à l'adresse d'Eliot). — Alex. Souter. Liste des abrévia-
tions relevées dans le ms. lat. n" 15 de la bibliothèque John Ryland
(ce ms. provient de l'abbaye de Murbach en Alsace ; c'est un des plus
anciens mss. connus des œuvres de saint Cyprien en minuscule
latine). — Alph. Mingana. Une nouvelle liste des rois persans (de la
dynastie des Sassanides, composée en l'an 561). — Liste méthodique
des récentes acquisitions de la bibliothèque John Ryland (dressée
d'après le système décimal; il s'agit des livres imprimés). = N°« 3-4
(avril-novembre 1919). J. Rendel Harris. Fragments métriques au
livre III des Macchabées (l'auteur de ce troisième livre connaissait la
littérature tragique des Grecs ; il paraît s'être inspiré de drames tels
que la chute de Troie, le tyran Phalaris, le Prométhée enchaîné,
Hécube. En tout cas, certains passages des tragiques grecs permettent
de corriger sûrement le texte hébreu). — T. F. Tout. Faussaires et falsi-
fications au moyen âge (cf. Rev. histor., t. CXXXIII, p. 348). — F. A.
Bruton. L'histoire de Peterloo (récit très circonstancié d'une mani-
festation qui eut lieu à Manchester, le 16 août 1819, en faveur de la
réforme électorale ; elle fut dispersée par une intervention maladroite
de la « yeomanry » et une charge meurtrière des hussards. Elle fit de
cinq à six cents victimes). — Alph. Mingana. Exposé de la doctrine
chrétienne au iv^ siècle, d'après Théodore de Mopsueste (traduction
en anglais d'un texte syriaque qui provient certainement de l'Eglise
nestorienne; le texte syriaque lui-même est une traduction du grec
et nous livre la pensée même du savant théologien). — G. Elliot
Smith. Dragons et dieux de la pluie. = N» 5 (décembre 1919-juillet
1920). G. H. Herford. Gabriele d'Annunzio. — F. J. Powicke.
Richard Baxter et son livre « Saints' everlasting rest » (ce livre, qui
est le chef-d'cEUvre de Baxter, parut en 1650 ; il avait été écrit quatre
ou cinq ans plus tôt, en pleine guerre civile, à une époque où Baxter,
malade et condamné par ses médecins, croyait n'avoir plus que
quelques semaines à vivre. Il était jeune encore, étant né en novembre
1615. Les circonstances d'où sortit le livre en expUquent le ton mélan-
colique. Histoire du livre, qui n'eut pas moins de douze éditions avant
la mort de l'auteur en 1691). — J. Rendel Harris. Le pivert sous forme
humaine. — W. E. Cram. Nouveaux mss. coptes acquis par la
bibliothèque John Ryland. = Tome VI, n°^ 1-2 (janvier 1921). La
bibliothèque John Ryland (son histoire depuis son ouverture en 1900;
ses catalogues; publications entreprises sous son patronage, etc.). —
T. F. Tout. La captivité et la mort d'Edouard de Carnarvon (cf. Rev.
histor., t. CXXXV, p. 281). — B. P. Grenfell. Situation actuelle
de la papyrologie. — J. Rendel Harris. Celse et Aristide (à propos de
la découverte, parmi les papyrus d'Oxyrhyncos, d'un fragment de
r « Apologie d'Arjistide » ; de nouvelles découvertes permettent d'af-
firmer que cette « Apologie » est la source où a puisé Celse pour sa
RECUEILS PÉRIODIQUES. 303
« Vraie parole ». On sait par ailleurs que 1' « Apologie » a passé
tout entière dans le roman de Barlaam et Joasaph, œuvre de saint
Jean de Damas écrite au monastère de Saint-Saba). — Alph. Min-
GANA. Résumé des travaux récents sur les odes de Salomon. — Robert
Fawtier. Les mss. latins acquis par la bibliothèque John Ryland en
1908-1920. — Guthrie Vine. Notes sur le Catalogue général des livres
imprimés de la bibliothèque John Ryland et sur la manière de s'en
servir.
21. — The english historical Review. 1921, juillet. — J. H.
Round. La date des plus anciens « Pipe roUs « (pour les dater exac-
tement, il faut se rappeler que l'année financière commençait à la
Saint-Michel, tandis que la chancellerie datait les actes royaux par
l'année du règne. Ainsi la première année de Richard I" commence
le 3 septembre 1189; le rôle de la Pipe pour cette année a été rédigé
à la Saint-Michel suivante, c'est-à-dire le 29 septembre de cette
même année et non en H90. Le rôle de la deuxième année doit être
daté de 1190, aussitôt après la Saint-Michel. L'oubli de cette règle a
causé nombre de menues erreurs dans la chronologie de ce règne).
— Ch. H. Haskins. Le traité « De arte venandi cum avibus » rédigé
par l'empereur Frédéric II (étude critique sur les manuscrits de cette
œuvre composée par l'empereur Frédéric, avec des additions par son
fils Manfred, et sur les sources utilisées. Important pour les origines
de l'art de la fauconnerie, pour lequel l'empereur professait une affec-
tion particulière : « Nos semper dileximus et exercuimus »). —
E. R. Adair et Miss P. M. Greir Evans. Brefs d'assistance, 1668-
1700 (ce sont des brefs par lesquels le roi commandait à ses conseil-
lers ou autres fonctionnaires d'assister au Parlement. Ils ont été
transcrits sur ce qu'on appelle les « Pawns » du Parlement, qui
forment aujourd'hui au P. Record Office quatre liasses de pièces sur
parchemin soit isolées, soit en rouleaux. Ils nous font connaître par
le menu détail la manière dont on procédait pour convoquer ces per-
sonnes). — Miss Lillian M. Penson. Londres et les Indes occiden-
tales au xviiie siècle (les intérêts anglais dans les Indes occidentales
étaient représentés surtout par les planteurs qui résidaient pour la
plupart à Londres même et avaient partie liée avec les marchands de
la cité. Cette alliance pesa fortement plus d'une fois sur la politique
intérieure pendant la seconde moitié du siècle). — H. Idris Bell.
Liste des bulles et brefs de la papauté qui sont conservés en original
au département des mss. du Musée britannique; l" partie (d'Ur-
bain II à Sixte IV). — H. E. Salter. Les débuts de l'Université de
Cambridge (il y avait déjà un chancelier de l'Université en 1226). —
Miss G. R. Cole-Baker. Une écriture imitée (mentionne un ms.
contenant le texte de constitutions pour l'ordre de saint Dominique
en 1260; ce ms. a été continué au xiv^ siècle entre 1358 et 1363 par
une main qui s'est efforcée de reproduire l'écriture du xiii» siècle). —
Preserved Smith. Anglais résidant à Wittenberg au xvi« siècle. =
304 RECUEILS PÉRIODIQUES.
C. -rendus : Vicomte Du Motey. Origines de la Normandie et du
duché d'Alençon, de l'an 850 à l'an 1085 (cette monographie n'est en
réalité qu'une histoire de Bellême et d^autres possessions de la maison
de Talvas. M. Davis y relève des fautes de critique et des lacunes
assez graves). — R. Poupardin. Recueil des actes des rois de Pro-
vence, 855-928 (excellent). — E. Bull. Leding. Militser-og finansfor-
fatning i Norge i œldre tid (bonne étude sur l'organisation militaire et
financière de la Norvège au moyen âge. Le mot « leding » désigne le
service dû au roi en cas d'expédition militaire et surtout navale). —
Giuseppe Zucchetti. Il chronicon di Benedetto, monaco di S. Andréa
del Soratte, e il Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma (deux
éditions remarquables). — R. H. Gretton. The Burford records; a
study in minor town government (très bonne monographie). — F. M.
Stenton. Documents illustrative of the social and économie history of
the Danelaw (excellent). — Fr. Pelster. S. J. Kritische Studien zum
Leben und zu den Schriften Alberts des Grossen (utile chronologie
de la vie et des écrits du célèbre théologien). — G. H. Orpen. Ireland
under the Normans, 1216-1333 (travail excellent, mais trop limité :
l'auteur expose à merveille les querelles de clans; il n'a pas écrit une
Histoire d'Irlande). — E. B. Fitzmaurice et A. G. Little. Materials
for the history of the franciscan province of Ireland, 1230-1450 (bon).
— D. Seymour. The Puritans in Ireland, 1647-1661 (excellent). — Mss.
of the earl of Egmont. Diary of viscount Percival, first earl of
Egmont. I : 1730-1733 (instructif). — W. L. Mathieson. England in
transition, 1789-1832 (bon). — William Wood. Select british docu-
ments of the Canadian war of 1812; vol. I (très instructif). — Chris-
tian C. Lange. Histoire de l'internationalisme; vol. I (important). —
Ch. U. Clark. CoUectanea hispanica (excellente étude sur la paléo-
graphie espagnole).
CHRONIQUE.
France. — L'Académie des inscriptions et belles-lettres a décerné
le prix Thorlet (prix d'encouragement pour des œuvres sociales ou
d'érudition s'occupant d'histoire ou d'art, en particulier de peinture)
à M. Léon Dorez pour l'ensemble de ses travaux. (
— Le samedi 5 novembre, à dix heures et demie, a eu heu en l'hô-
tel Thiers, place Saint-Georges, à Paris, l'inaugauration de la plaque
commémorative de l'hôpital qui y fut ouvert en septembre 1914 par
les soins et aux dépens de l'Institut de France, et qui fut fermé après
l'armistice, en octobre 1918, après avoir hospitalisé 993 grands bles-
sés, dont 43 succombèrent à leurs blessures. Parmi l'assistance, on
remarquait M'"^ Frédéric Masson, M™« Miret, infirmière-major, che-
valier de la Légion d'honneur, et un groupe d'anciennes infirmières
de l'hôpital, MM. Imbart de La Tour, président de l'Institut, Frédéric
Masson, secrétaire perpétuel de l'Académie française, Mgr Baudrillart,
MM. Bémont, Bigourdan, Gagnât, Ghâtelain, Glerraont-Ganneau, Cuq,
Dehérain, Giraud, Hanoteaux, Laudet,Omont, etc.
M. Imbart de La Tour, en un langage élevé, rendit hommage à
l'œuvre accomplie à l'hôpital pendant la guerre et à ceux qui en
furent les artisans. Après lui, M. Frédéric Masson, qui, du premier au
dernier jour, fut l'administrateur infatigable de l'hôpital, en retraça
l'historique en même temps qu'il dressa le bilan des services rendus
par cet organisme privé et purement civil.
Il fut ensuite procédé à une visite de la bibliothèque Thiers et de
l'exposition de documents émanant de Thiers ou l'intéressant. Cette
exposition, préparée avec beaucoup de goût et qui fait grand honneur
au bibliothécaire, M. Henri Malo, comprenait notamment une grande
variété de portraits, des estampes représentant l'hôtel Thiers, les phases
de sa démoHtion pendant la Commune et de sa reconstruction, des
caricatures, la belle série des cachets de Thiers, sa dernière plume
d'oie, des diplômes, des volumes annotés par lui, des lettres auto-
graphes, un carnet sur lequel il prenait des notes au cours de ses
visites dans les laboratoires de chimie, etc.. On admira les belles
pièces exposées dans la vitrine dite de la Liberation du territoire, où
figurent les clefs de Belfort, et les belles reliures des éditions rares
composant la bibliothèque de M"° Dosne. Puis on parcourut les diffé-
rentes salles de la bibliothèque, toutes en belle lumière, et où les tra-
vailleurs trouvent le recueillement nécessaire à leurs travaux, en
même temps qu'une remarquable documentation historique pour tout
Rev. Histok. CXXXVIII. 2« fasc. 20
306 CHRONIQUE.
ce qui concerne l'histoire de France, en particulier, depuis la mort de
Louis XV jusqu'à la fin du xix« siècle. Cette bibliothèque spéciale
comporte environ 40,000 volumes catalogués et s'augmente tous les
jours d'acquisitions et de dons. Bien que de fondation récente — elle
fut ouverte en novembre 1913 et ensuite transformée en hôpital —
elle est susceptible de rendre dès à présent les plus grands services
aux historiens qui s'occupent de l'histoire moderne et contemporaine.
— L'historique de la Grande Guerre. — Le ministre de la Guerre
communique la note suivante :
« A plusieurs reprises, il a été demandé que le ministère de la
Guerre commence la publication des documents officiels se rapportant
aux opérations de la guerre 1914-1918. Le service historique de l'état-
major de l'armée (transformation de l'ancienne section historique,
réorganisée et augmentée) est chargé de cette publication.
« Le but est de doùner au public, le plus rapidement possible, par un
travail scientifiquement conçu et exécuté, une relation exposant :
1° dans ses grandes conceptions, la doctrine de la guerre par le haut
commandement français; 2° dans leurs grandes lignes, le développe-
ment des opérations.
« Avant de pouvoir établir cette relation, il fallait : d'une part, procé-
der à un classement méthodique d'archives de toute nature, très volu-
mineuses, se rapportant à près de cinq aniiées d'opérations et repré-
sentant le contenu de près de 60,000 cartons ; d'autre part, dépouiller,
analyser ces archives et en extraire la documentation de base répon-
dant au but exposé ci-dessus. •
« Le travail, commencé depuis 1919, se poursuit aussi activement que
possible. Pour accélérer le travail, le temps de la guerre a été divisé
en un certain nombre de périodes chronologiques et l'étude de chaque
période confiée à une section distincte.
« L'ordre dans lequel les diverses sections feront paraître leurs publi-
cations respectives ne pourra être, d'une manière absolue, l'ordre
chronologique. D'autre part, les crédits élevés qu'exige la publication
d'une œuvre aussi importante obligent à l'échelonner, au point de vue
budgétaire, sur une période de plusieurs années; d'autre part, pour
chacune des diverses périodes considérées, il faut se livrer à un tra-
vail de recherches et de contrôle plus ou moins long, qui ne permet
pas d'achever en même temps le travail pour toutes les sections.
« Il y a lieu cependant de penser que dès l'année 1922, et si les cré-
dits nécessaires demandés au Parlement sont votés, pourront paraître
les volumes traitant du début des opérations de 1914. Ils seront suivis
par un certain nombre d'autres, dans lesquels seront successivement
traités : la préparation et l'attente de la bataille dans l'hiver 1917-
1918; la bataille défensive et la bataille offensive de 1918; les offen-
sives de 1915 en Artois et en Champagne; la deuxième bataille de la
Marne; les préUminaires de la bataille de Verdun; l'expédition des
Dardanelles et les débuts de celle de Salonique, etc.
CHRONIQUE. 307
« Enfin, en même temps que les premiers volumes publiés, paraîtra
un ordre de bataille concernant les grands commandements et les
grandes unités jusqu'à la division incluse. On y trouvera, sous forme
de tableaux, la composition détaillée de toutes les grandes unités de
l'armée française et leur historique sommaire, depuis la mobilisation
(ou leur création) jusqu'à la conclusion de l'armistice. »
— Avec leur 24" numéro (juillet 1921, in-8°, 128 p.), les Archives
de la Grande Guerre (Paris, Ernest Chiron) prennent un caractère
nouveau. Ce périodique (sous-titre : Revue internationale de docu-
mentation contemporaine) devient l'organe de la Société de l'his-
toire de la guerre. Le numéro de juillet est consacré à la Haute-Silé-
sie. Il est luxueusement illustré (illustrations fournies par les Biblio-
thèque et Musée de la guerre , que dirige avec tant d'activité
M. Camille Bloch). Parmi ces illustrations, on notera : 1» sur le
titre, une carte ethnographique de la Haute-Silésie, publiée en 1914
dans l'ouvrage allemand de VVeber, Die Polen in Oberschlesien,
qui démontre à l'évidence la prépondérance des Polonais (presque
partout plus de 75 «/o) à l'est de l'Oder (moins dans la fraction orien-
tale du cercle de Ratibor et dans quelques grandes villes, mais plus dans
la partie des cercles de Kosel et d'Oppeln située sur la rive gauche de
l'Oder) ; 2° une carte des résultats du plébiscite par communes qui,
malgré les progrès de la germanisation électorale et Tinfluence des
centres urbains, donne encore l'impression d'un pays dont la superfi-
cie (est et sud-est) est aux deux tiers polonaise. Parmi les articles, les
historiens retiendront surtout celui de M. Emile Bourgeois, les Popu-
lations de Haute-Silésie .(p. 10-25). Une excellente bibliographie de
la question, p. 113-127, est établie par le service de documentation
des Bibliothèque et Musée de la guerre, en particulier par M. G. Cal-
mette. Souhaitons donc heureuse vie à cet utile et intéressant recueil.
H. IlR.
— Grâce à yinitiative de quelques personnes pleines d'excellentes
intentions à l'égard de la marine française — et il va sans dire que
son quasi-historiographe officiel M. Ch. de La Roncière doit être
rangé parmi celles-ci — vient de se reconstituer l'Académie de marine,
formée à Brest, en 1752, sous les auspices du secrétaire d'État à la
Marine, Rouillé. M. H. Morand, dans un curieux article du Journal
des Débais, du 19 octobre 1921, a retracé la carrière de cette Acadé-
mie, qui a servi d'une façon indéniable le développement des études
hydrographiques au xyiii» siècle. La nouvelle Académie, sans négli-
ger les sciences exactes, si utiles à la marine, a fait une part très
large à d'autres disciplines, et particulièrement à l'histoire navale, et
elle comptera six sections, dont une historique. Il sera bon que, dans
cette direction, elle ne heurte pas les initiatives d'autres institutions,
telles que l'Ecole supérieure de la marine ou le Service historique,
mais que, dédaignant les formules d'ordinaire timides des corps aca-
démiques et soucieuse de maintenir en elle une véritable jeunesse
308 CHBONIQUE.
intellectuelle par un recrutement approprié, elle sache, le cas échéant,
entamer les enquêtes et procéder aux révisions qui, seules, pourront
être utiles à une organisation comme la marine française, tour à tour
attachée à une antique ornière ou s'éprenant soudainement de thjéories
nouvelles.. Nous ne doutons pas que ce rôle modérateur ou moteur,
selon le cas, ne puisse être tenu par l'Académie de marine. — G. Bn.
Grande-Bretagne. — Des spécialistes avaient été chargés en
Angleterre d'élaborer une histoire médicale de la Grande Guerre.
Cette histoire est maintenant prête à être publiée ; elle embrasse les
questions médicales, chirurgicales et d'hygiène. D'autre part, le
« Royal Collège of Surgeons » d'Angleterre a reçu une somme de
7,500 1. st. pour organiser un musée pathologique de la guerre, qui
comprendra des spécimens orthopédiques et rhinoplastiques.
— La librairie Watts (Londres) a publié une grosse compilation
qui rendra des services, sous le titre : A biographical dictionary of
modem Rationalists, par Joseph Mac Cabe (45 sh.).
— La Délégation irlandaise (Sinn-feiners) a fait traduire en français,
par J. Gros, et répandre à un grand nombre d'exemplaires le Rap-
port de la Commission envoyée en Irlande par le parti travail-
liste anglais (Paris, rue Scribe, n» 2, 39 p.). M. Lloyd George en
avait interdit la publication en Angleterre.
— Un fascicule, publié par la Historical Association (leaflet
n« 20, mai 1921), contient A brief bibliography of Scottish his-
tory (iii-8°, 12 p.).
Italie. — La librairie Ostinelli di Cesare Nani et C^^ (Corne) se
propose de publier une série d'ouvrages d'érudition sous le titre géné-
ral : « AuxiUa ad res italicas, raedii aevi exquirendas in usum schola-
rum instructa et collecta. » Elle est mise pour ainsi dire sous l'invo-
.cation des grands noms disparus de l'érudition italienne : Cipolla,
Crivellucci, d'Ancona, Villari, etc. Le premier volume, qui vient de
paraître, est celui de Luigi Schiaparelli : La scrittura italiana nelV
età romana, recueil de notes paléographiques auquel est joint en
appendice un index des publications relatives à la paléographie latine
(1 vol. in-16 de xii-212 p.; prix : 20 1.). Du même, une Raccolta di
documenti latini, fasc. 1 (allant du if siècle avant Jésus-Christ au
vii^ siècle après), est sous presse.
— Le Carrière délia Sera du 16 octobre 1921 a donné un résumé
intéressant des publications officielles de 1' « Ufficio storico délia
marina italiana » consacrées à l'activité de la marine italienne pendant
la guerre mondiale.
— On signale l'apparition d'une nouvelle revue d'histoire et de lit-
térature religieuses, intitulée Aile fonti délie religioni, sous la direc-
tion de M. G. Tucci (Rome, 3, via Cimarosa; 25 1. par an.)
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Anesaki {Masaharu). Quelques pages
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Iwosafii (Uichi). The working forces
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Rivetta {P. S.). Storia del Giappone,
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HISTOIRE DE RUSSIE.
Officiai history, naval and mUitary,
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HISTOIRE DE LA MUSIQUE.
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sous l'Empire et leur disparition graduelle au cours
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Vivier (Robert). La grande ordonnance de février 1351 ; les
mesures anticorporatives et la liberté du travail . 201
Waldner (E.). Lettre de Charles Marchand, abbé de
Munster en Alsace, à un confrère (1662) .... 53
Commandant Weil. Saint-Jean de Latran. La chapelle de
sainte Pétronille et les privilèges de la France . . 214
BULLETIN HISTORIQUE.
Histoire de France : Le moyen âge jusqu'aux Valois,
par Louis Halphen .... 224
— Fin du moyen âge, par Ch. Petit-
DUTAILLIS ........ 70
Histoire de l'Islam, par E. Montet 94
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Batiffol (Mgr Pierre). Le catholicisme de saint Augustin
(P. Alfaric) 108
Boyer (^Charles). Christianisme et néo-platonisme dans la
formation de saint Augustin (Id.) 108
CoheM (Gustave). Écrivains français en Hollande dans la
première moitié du xvif siècle (F. Baldensper-
ger) 256
Combarieu (J.). Histoire de la musique, t. III (Louis Hal-
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[Supplément ao numéro de novembre-décembre 1921.J
TABLE DES MATIÈRES. 315
Pages
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P. COSTE (abbé A. Degert) 260
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Guyot) , . . . 116
GOLUBOVICH (P. G.). Biblioteca bio-bibliograûca délia
Terra Santa e dell' Oriente francescano (L. Bré-
hier) 108
GuiGNEBERT (Charles). Le christianisme antique (P. Alfa-
ric) 106
IIatzfeld (Jean). Les trafiquants italiens dans l'Orient
hellénique (L. Bréhier) 103
Kern (Fritz). Gottesgnadentum und Wiederstandsrecht im
frûheren Mittelalter (Marc Bloch) 247
OswALD (Félix) et Davies-Pryce (T.). An introduction to
the study of. terra sigillata (Ch. Lécrivain). . . 102
Pais (E.). Fasti triumphales populi romani (E. Gavaignac). 245
PiRENNE (Henri). Histoire de Belgique, t. V (H. Vander
Linden) 111
Saint-Jours (B.). Le httoral gascon (Ch. Bémont) . . . 253
ScHEiL (V.), de l'Institut. Recueil de lois assyriennes
(G. Contenau) 242
Notes bibliographiques : Allemagne (p. 122), Amérique
du Sud (p. 122), Danemark (p. 274), États-Unis
(p. 122, 274), France (p. 123, 275), Grande-Bre-
tagne (p. 279), Japon (p. 129), Pays-Bas (p. 131),
Russie- (p. 132), Histoire de l'antiquité (p. 273),
Histoire de la guerre (p. 119, 270), Histoire géné-
rale (p. 117, 264).
RECUEILS PERIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
AUTRICHE.
Historische Blaetter (p. 299).
BELGIQUE.
Analecta BoUandiana (p. 300).
FRANCE.
Académie des inscriptions et belles-lettres (p. 150, 298); Académie des
sciences morales et politiques (p. 150); Annales du Midi
(p. 150); Annales révolutionnaires (p. 134,285); Bibliothèque
de l'École des chartes (p^285); Bulletin de la Société de l'his-
toire du protestantisme français (p. 134); Bulletin hispanique
316 TABLE DES MATIÈRES.
(p. 286); Comité des travaux historiques et scientifiques
(p. 287); le Correspondant (p. 139, 291); Études; revue fondée
par des Pères de la Compagnie de Jésus (p. 141, 292); la
Grande Revue (p. 141, 294); Journal des savants (p. 287);
Mercure de France (p. 142, 294); Polybiblion (p. 288); la
Révolution française (p. 135, 289); Revue archéologique
(p. 135) ; Revue critique d'histoire et de littérature (p. 136,
290); la Revue de France (p. 143, 295); Revue de l'histoire
des colonies françaises (p. 137); Revue de Paris (p. 146, 296);
I^vue des Deux Mondes (p. 148, 297); Revue des études
anciennes (p. 138); Revue des études historiques (p. 139);
Revue d'histoire de l'Église de France (p. 291); Revue histo-
rique de Bordeaux (p. 151).
GRANDE-BRETAGNE.
Bulletin of the John Rylands library, Manchester (p. 301); The english
historical Review (p. 303).
ITALIE.
Archivio storico lombardo (p. 151); Bullettino dell' istituto storico ita-
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Chronique : Allemagne (p. 155),, Danemark (p. 155), États-Unis
(p. 155), France (p. 153, 305), Grande-Bretagne (p. 156, 308),
Grèce (p. 159), Italie (p. 159, 308), Palestine (p. 160).
Erratum 160
Index bibliographique 309
Le gérant : R. Lisbonne.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupblby-Gouverneur.
CIIEMII DE FER DE PARIS A LYON ET A LA IIEDITERRAMË
Pour faciliter aux. voyageurs à :hîLuiatioa ou en provenance d'Algérie la traversée
(le Marseille, la Compagnie des Chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée et la Com-
pagnie Générale Transatlantique ont mis récemment en service une correspondante
par autobus entre la gare de Marscille-Saint-Charles et le quai de la Joliette (quai
d'embarquement de la Compagnie Générale Transatlantique) fonctionnant à l'arrivée
et au départ de chaque paquebot.
Le prix de transport de la gare au quai d'embarquement ou vice versa est de
A francs par personne. Les voyageurs 'peuvent emporter avec eux dans l'autobus
quelques menus bagages à main.
CHEMINS DE FER DE L'ÉTAT
Relations Franco-Anglaises
Le taux du change entre l'Angleterre et la France a fait augmenter dans des pro-
portions si considérables le prix des voyages entre Paris et Londres que le voyageur
doit, plus que jamais, se soucier de choisir, parmi les divers itinéraires reliant les
doux capitales, la voie la plus économique.
C'est ce qui explique la faveur avec laqueUc le public a vu rétablir, dernièrement,
les deux services rapides quotidiens de jour et de nuit Paris-Londres ci vice versa,
par Dieppe et Newhaven.
Cette voie, de beaucoup la plus courte entre Paris cl Londres, olîre, conjointe-
ment avec la voie du Havre à Southampton, l'appréciable avantage sur toutes les
autres lignes d'une différence de prix allant de 12 fr. 20 à 26 fr. 05. par billet simple,
cl de 23 fr. 40 à 54 fr. 55 par billet d'aller et retour.
A cette économie sérieuse vient s'ajouter le bénéfice d'un agréable confort, non
scuhnnent dans les trains français et anglais (voitures à couloir, wagon-restaurant,
couchettes, voitures Pullmann, etc.), mais encore sur les luxueux et i)uissants paque-
bots à turbines (couchettes réservées, cabines particulières, postes de T. S. F. ouverls
à la correspondance privée, etc.). De j)lus, l'avantage de la rapidité a également son
intérêt (service de jour Paris-Londres en S h. 15 dont 2 h. 45 seulement de traversée).
Aussi la ligne Paris-Londres via Dieppe-Newhavcn, avec ses départs journaliers
(dimanches et fêtes compris) de Paris-Saint-Lazare à 10 heures et 20 h. 20, est-elle de
plus en plus appréciée et utilisée.
CHEMINS DE FER DU NORD
LES FORÊTS DE CHANTILLY ET DE COMPIÈGNE EN AUTO-IAILS
Deux circuits au départ 1 Deux circuits au départ
de Chantilly I de Compiègne
Tous les jeudis et dimanches, depuis le -29 mai, le Chemin de fer du N'ord organise deux circuits automobiles
dans chacune des forets de Chantilly et de Compiègne.
Circuits au départ de Cbantilly. — Circuit A : (en matinée et en soirée) Chantill}', Scnlis, Etangs de
Commelle, Chantilly. — Circuit B : Chantilly, Etangs de Commello, Mortefontaine, Ermenonville, Chaaiis, Senlis,
Chantilly.
Cicruits au départ de Compiègne. — Circuit C: (en matinée et en soirée) Compiègne, Saint-Jean-aux-
Bois, Pierrefonds, Vieu.x-Moulin, Rethondes i emplacement où fut signé l'armistice), Compiègne. — Circuit D :
Compiègne, Saint-Jean-aux-Bois, Pierrefonds, Vieux-Moulin, Rethondes (emplacement où fut signé Tarmistice),
Tracy-le-Mont, Tracy-le-Val, Carlepont, Pont-l'Evéque, Noyon et sa cathédrale.
Prix des circuits au départ de Paris (trajets en chemin de fer et en auto-mail compris).
1" classe. 2* classe. 3* classe.
Circuit A 27.45 23.r5 20.
Circuit B 36.65 32.5.. 29.20
Circuit C 44.85 36.95 30.15
Circuit D 68.90 59.30 51.30
Les billets doivent être pris à l'avance, lis sont déiivn's à la Gare du Nord (salle des pas-perdus de la gare,do
Ceinture), 3, rue des Italiens, 11, rue Scribe, 16, place Vendôme et dans les principales agences do voyages.
Consulter la notice spéciale.
CHEMINS DE FER D'ORLÉANS
Nouvelles facilités pour la livraison à domicile des bagages dans Paris
Les Voyageurs désireux de faire livrer leurs bagages à domicile dans Paris sont invités
dans leur intérêt, et en vue de faciliter la remise rapide desdits bagages, à le faire connaître
dès la gare de départ.
A l'arrivée, ils présentent leur bulletin à un bureau spécial installé dans la salle des
bagages des gares du quai d'Orsay ou d'Austerlitz en remettant leur commande de livraison
et, le cas échéant, leurs clefs, s'ils ne veulent point assister eux-mêmes à la visite de l'octroi.
Ils peuvent ainsi gagner ensuite leur domicile débarrassés de tout souci.
Pour plus amples renseignements et notamment pour les tarifs consulter les prospectus
spéciau.v et les affiches apposées dans les gares.
CHEMINS DE FER DU MIDI ET D'ORLÉANS
RELATIONS DIRECTES ENTRE MUM D'ÛRSAY ET BARCELONE
Billets directs simples et d'aller et retour (l'% 2° et 3' classes)
Enregistrement direct des bagages. — Voiiu?-es directes. — Wagons-Lits. — Wagons-Restaurant,
lo PAR LIMOGES-TOULOUSE-NARBONNE
ALLER
Express. — Départ : Paris-Quai d'Orsay, 21 h. (Wagons-Lits de Paris à Port-Bou, toutes classes). — Arrivée :
Barcelone, 19 h. 30 (voitures do luxe sur les parcours espagnols). — Arrivée : Barcelone 23 h. (toutes classes).
Express. — Départ : Paris-Quai d'Orsay, 9 h. 52 (Wagons-Restaurant de Paris à Toulouse). — Arrivée. :
Barcelone, 10 h. 35 (toutes classes).
RETOUR
Express. — Départ : Barcelone, 5 h. (toutes classos . — Départ : Barcelone. 9 h. 4 (voitures de lu.ve sur les
parcours espagnols). — Arricée : Paris-Quai d'Orsay, 9 h. 37 i Wagons-Lits de Cerbère à Paris, toutes classes).
2° PAR TOURS-BORDEAUX-NARBONNE
ALLER
Express. — Départ : Paris-Qaai d'Orsay, 8 h. 25 ^Wagan-Restaurant de Paris à Bordeaux). — Arrivée :
Barcelone, 10 h. 35 (toutes classes).
RETOUR
Express. — Départ : Barcelone. 14 h. 23 (Wagon-Restaurant de Bordeaux à Tours). — Arrivée. : Paris-Quai
d'Orsay. 18 h. 25 (toutes classes).
D Revue historique
1
R6
t. 136-138
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