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Full text of "Revue historique"

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HISTORIQUE 


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REVUE 


HISTORIQUE 

Fondée  bn  1876  par  GABRIEL  MONOD 

directeurs  : 
Charles    BÉMONT    et    Christian    PFISTER. 


Ne  quid  falsi  audeat,  ne  guid  veri  non  audeat  historia. 
CicéRoH,  de  Orat.,  II,  15. 


QUARANTE-CINQUIÈME  ANNÉE. 


TOME    CBNT    TRENTE- SIXIEME 
Janvier- Avril  1921. 


PARIS 
LIBRAIRIE  FÉLIX  ALGAN 

108,     BOULEVARD     SAINT-GERMAIN 

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1921  \  1 


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LES 

«   PROPHÈTES   ••   DU    LANGUEDOC 

EN   1701   ET   1702 
LE  PRÉDICANT-PROPHÈTE  JEAN  ASTRUC,  DIT  MANDAGOUT 


Deux  articles  de  la  Revue  historique  consacrés  par  M.  F. 
Puaux  aux  Origines,  causes  et  conséquences  de  la  guerre  des 
Camisards^,  et  la  publication,  par  M.  Puaux  également,  des 
Mémoires  du  chef  camisard  Jean  Cavalier  ont  ramené  l'atten- 
tion sur  la  fameuse  révolte  cévenole.  Il  y  aurait  lieu  sans  doute 
de  discuter  certaines  affirmations  de  M.  Puaux  et  d'examiner 
dans  le  détail  la  valeur  documentaire  des  Mémoires  de  Cava- 
lier (contrairement  au  traducteur,  et  avec  le  protestant  Antoine 
Court,  nous  les  jugeons  «  très  infidèles  »).  Les  pages  qui  suivent 
tendent  seulement  à  établir  un  fait  considérable,  qui  ne  ressort 
ni  de  l'exposé  publié  dans  la  Revue  histoyHque,  ni  surtout  du 
récit  de  Cavalier,  à  savoir  les  liens  qui  unissent  l'insurrection 
méridionale  avec  une  crise  religieuse  morbide  peut-être  unique 
dans  l'histoire.  Les  caractères  propres  du  soulèvement,  son 
audace,  ses  excès,  son  irrésistible  violence  ne  peuvent  être 
compris  ni  sainement  jugés  que  si  on  le  rattache  étroitement 
à  la  fièvre  religieuse  du  «  prophétisme  »,  comme  disaient  les 
protestants,  ou,  comme  disaient  les  cathoHques,  du  «  fanatisme  », 
fièvre  qui  depuis  1700  a  sévi  si  étrangement  dans  le  Bas- Lan- 
guedoc et  les  Cévennes. 

Les  historiens  anciens  des  Camisards,  à  commencer  par  les 
cathoHques  :  le  curé  Louvreleuil  (1704),  le  juge  La  Baume,  Brueys 
(1709),  font  unanimement  sortir  la  révolte  de  1702  de  l'exalta- 
tion maladive  de  1701 -.  Les  autorités  du  Languedoc  ont  été  si 

1.  T.  CXXIX,  p.  1  et  209. 

2.  Louvreleuil,  le  Fanatisme  renouvelé,  vol.  I,  1704  (nous  citons  l'édition 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  1"  fasc.  1 


X  CB.    BOST. 

convaincties  de  cette  dépendance  qu'elles  ont  réprimé  avec  une 
impitoyable  promptitude  les  manifestations  tardives. du  prophé- 
tisme,  au  cours  du  xviii''  siècle.  Du  côté  protestant,  le  Théâtre 
sacré  des  Céve^mes,  publié  à  Londres  en  1707,  proclame  l'union 
intime  des  cliefs  camisards  et  des  inspirés.  Antoine  Court, 
ordonnant  en  1760  ses  notes  et  ses  souvenirs  dans  son  Histoire 
des  troubles  des  Cécennes,  n'a  pas  manqué  non  plus  de  relier 
la  prise  d'armes  à  des  manifestations  insolites  de  la  piété  hugue- 
note et  le  pasteur  de  Nîmes  Samuel  Vincent,  rééditant  en  1819 
l'ouvrage  de  Court,  a  montré  qu'il  avait  su  le  lire,  en  insistant 
dans  une  préface  sur  l'état  «  d'ignorance  et  de  fanatisme  »  où 
la  persécution  avait  réduit  les  protestants  qui  se  soulevèrent'. 

Cependant,  ces  affirmations  semblent  être  demeurées  sans 
écho.  Michelet,  sans  doute,  a  insisté  sur  le  caractère  inouï  que 
l'exaltation  religieuse  avait  imprimé  à  cette  terrible  guerre.  Mais 
M.  RébeUiau,  dans  son  chapitre,  à  certains  égards  si  neuf,  con- 
sacré aux  embarras  protestants  de  Louis  XIV  {Hist.  de  France 
de  Lavisse,  t.  VIII,  i,  p.  381),  ne  parle  même  pas  du  prophé- 
tisme,  et  aujourd'hui  M.  Puaux  recommande,  sans  une  restric- 
tion, des  Mémoires  de  Cavalier  où  l'ancien  chef,  lui-même  ins- 
piré et  prédicateur,  se  donne  uniquement  pour  un  soldat  et  ne 
fait  pas  même  mention  des  faits  quotidiens  de  possession  reli- 
gieuse dont  il  avait  été  le  témoin-. 

A  quoi  tient  que  la  crise  religieuse  du  «  fanatisme  »  soit 
ainsi  oubliée?  A  cette^ seule  raison,  croyons-nous,  que  la  docu- 
mentation des  anciens  historiens  est  trop  réduite.  Louvreleud, 
La  Baume  et  Brueys,  avec  tous  les  catholiques  de  leur  temps, 

d'Avignon,  1868)  ;  La  Baume,  Relation  historique  de  la  révolte  des  fanatiques 
(manuscrit  du  temps,  publié  à  Nîmes,  1874);  Brueys,  Histoire  du  fanatisme, 
t.  I,  1709  (nous  citons  une  édition  d'Utrecht,  1727). 

1.  Nous  citons  A.  Court  dans  cette  édition  de  1819.  On  sait  que  le  Théâtre 
sacré,  publié  à  Londres  en  1707,  est  un  recueil  de  témoignages  qui  doivent 
attester  la  réalité  et  la  valeur  religieuse  du  mouvement  «  prophétique  »  en 
face  des  incrédules,  et  particulièrement  des  pasteurs  de  Londres,  ennemis  des 
inspirés.  Le  livre  a  été  réédité  en  1847  sous  le  titre  :  les  Prophètes  protes- 
tants..., par  le  pasteur  A.  Bost,  qui  a  modifié  l'ordre  des  témoignages  et  ajouté 
au  texte  quelques  notes.  Les  idées  très  particulières  de  A.  Bost,  qu'il  exprime 
dans  une  préface,  ont  fait  dire  que  son  édition  «  n'était  pas  exacte  ».  Une 
minutieuse  collation  nous  a  prouvé  au  contraire  que  l'édition  est  très  honnê- 
tement faite.  Le  texte  original  est  entièrement  reproduit.  Quelques  modifica- 
tions verbales  (très  rares)  ne  valent  seulement  pas  d'être  signalées. 

2.  M.  Puaux  n'a  malheureusement  pas  fourni  de  ces  Mémoires  le  texte  le 
plus  ancien,  qui  est  représenté  par  un  manuscrit  de  La  Haye,  lequel  mentionne 
au  moins  une  fois  les  prophètes. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DD    LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.      ■  3 

affirment  que  le  «  fanatisme  »  est  l'œuvre  de  simulateurs,  sus- 
cités en  France  par  des  étrangers  qui  ont  voulu  soulever  le 
midi  protestant  contre  le  roi.  Mais  ils  ont  été  si  étonnés  de  ce 
qu'ils  ont  vu  ou  appris  qu'ils  sont  demeurés  très  sobres  dans 
leurs  récits,  et  leur  modération  même  trahit  leur  embarras. 
Quant  au  protestant  Court,  il  se  tient. également  sur  la  réserve. 
Il  ne  pouvait  dire  du  bien  des  inspirés,  car  de])uis  1715  son 
activité  missionnaire  en  France  a  consisté  à  les  forcer  au  silence. 
Il  n'ose  pas  non  plus  les  condamner  résolument,  car  son  enfance 
s'est  écoulée  au  milieu  d'eux  et  il  a  eu  de  la  vénération  pour 
leur  piété.  Il  a  interrogé  des  témoins  sûrs,  mais  ceux-ci,  parlant 
en  des  temps  et  en  des  lieux  où  le  fanatisme  était  devenu  sus- 
pect, ont  tu  souvent  ce  qu'ils  en  auraient  pu  dire.  Il  nous  reste 
le  Théâtre  sacré  des  Cévennes.  Mais  le  petit  volume,  quia  pro- 
fondément remué  Michelet,  apparaît  sans  doute  aux  lecteurs 
d'aujourd'hui  comme  un  amas  de  bizarreries  où  il  est  difficile  de 
porter  la  critique.  L'ouvrage  avait  été  accueilli  par  les  pasteurs 
de  Londres  avec  une  véritable  répulsion  et  c'est  assurément 
pour  ne  pas  évoquer  son  souvenir  que  Cavalier,  dans  la  recen- 
sion  anglaise  de  ses  Mémoires,  a  usé  d'une  si  belle  pudeur  à 
l'égard  du  prophétisme.  Ce  recueil  d'  «  expériences  religieuses  » 
extraordinaires  choque  nos  historiens  contemporains  autant  que 
les  pasteurs  d'autrefois.  Comme  d'ailleurs  il  contient  peu  de 
dates  et  émane  d'exaltés  dont  la  sincérité  peut  être  douteuse, 
on  ne  veut  plus  faire  fond  sur  lui. 

Le  seul  écrivain  qui,  depuis  1760,  ait  apporté  quelques  préci- 
sions sur  le  mouvement  prophétique  est  M .  Roschacli .  Dans  le  qua- 
torzième volume  de  la  nouvelle  édition  de  Y  Histoire  de  Lan- 
guedoc (Toulouse,  1876)  il  a  publié  des  lettres  de  Broglie  et  de 
Bâville  au  ministre  de  la  Guerre  qui  jettent  un  peu  de  lumière 
supplémentaire  sur  ces  temps  troublés.  Mais  il  ne  paraît  pas, 
comme  on  le  verra,  que  le  commandant  militaire  ni  l'intendant 
du  Languedoc  aient  voulu  donner  à  la  cour  une  image  exacte 
des  agitations  religieuses  de  leur  province.  Ils  avaient  intérêt  à 
couvrir  des  manifestations  trop  étranges.  Leur  correspondance 
officielle  n'ajoute  donc  pas  beaucoup  aux  auteurs  que  nous  avons 
cités.  Cependant,  eUe  confirme  leurs  dires,  et  M.  Roschach  y  a 
trouvé  de  quoi  s'en  tenir  formellement  à  l'opinion  des  anciens 
historiens.  Il  a  écrit  (t.  XIV,  p.  734)  :  «  La  grande  insurrec- 
tion des  Cévennes  s'est  annoncée  de  loin  comme  une  explosion 
inévitable  par  suite  de  l'exaspération  du  pays.  » 


4  •  CH.    BOST. 

Des  documents  nouveaux  nous  permettent  de  reprendre  à 
notre  tour  cette  assertion  et  de  l'établir  de  façon  indiscutable. 
Mais  nous  la  préciserons.  Nous  montrerons  comment  1'  «  exas- 
pératio^i  du  pays  »  s'est  manifestée  en  une  contagion  religieuse 
frénétique.  Il  ne  nous  suffira  pas  de  montrer,  comme  M.  Puaux, 
que  la  révolte  n'est  pas  sortie  du  meurtre  de  l'abbé  du  Chayla, 
et  de  dire  qu'elle  fut  causée  par  la  répression  brutale  qui  sui- 
vit cet  attentat.  Ce  serait  encore  faire  dater  l'agitation  des 
Cévennes  de  la  mort  de  l'archiprêtre.  Nous  dirons  en  quel  état 
d'esprit  se  trouvaient  les  attroupés  qui  ont  forcé  le  logis  de 
l'atbé,  et  l'on  verra  comment  il  est  impossible  de  séparer  le 
drame  du  Pont-de-Montvert  d'un  certain  nombre  d'événements 
qui  l'ont  immédiatement  précédé.  Avant  que  du  Chayla  tombât 
sous  les  coups  des  compagnons  de  Séguier  le  prophète,  la  colère 
des  inspirés  avait  déclaré  que  les  temps  de  la  résistance  pacifique 
étaient  clos.  Dans  la  province  martyrisée  les  fanatiques  n'étaient 
plus  maîtres  ni  de  leurs  esprits  ni  de  leurs  corps. 

Cette  esquisse  aura  tout  au  moins  le  mérite  de  la  nouveauté. 
En  1887,  un  écrivain  catholique  déclarait,  pour  blâmer  la  révolte 
cévenole,  que  «  jamais  les  protestants  du  midi  n'avaient  été 
laissés  aussi  tranquilles  qu'en  1702  ».  Le  pasteur  qui  répondit 
vertement  à  «  cette  phrase  incroyable  »  ne  trouva  cependant  à 
lui  opposer  que  quelques  faits  assez  maigres,  qu'il  avait  copiés 
dans  Antoine  Court'.  On  se  convaincra  par  notre  récit  que 
jamais  la  justice  de  Bâville  ne  sévit  de  façon  aussi  rigoureuse 
contre  les  nouveaux  convertis  que  pendant  les  mois  qui  ont 
précédé  la  grande  insurrection .  Mais  on  verra  aussi  comment  le 
prophétisme,  exaspéré  dès  le  début  par  la  persécution,  se  porta 
aussitôt  à  des  actes  de  violence  qui  devaient  aboutir  au  soulè- 
vement sanguinaire. 

Ces  éléments  essentiels  de  notre  travail  nous  ont  été  fournis 
par  des  pièces  judiciaires  de  l'intendance  du  Languedoc  (Archives 
de  l'Hérault  à  Montpellier).  Nous  avons  pu  étayer  ces  documents 
par  des  notes  prises  aux  archives  du  présidial  de  Nîmes  et 
aussi  par  quelques  relations  des  papiers  Court  (Bibl.  publique 
de  Genève.  Copies  à  la  Bibl.  du  protestantisme  français  à  Paris), 
relations  que  Court  a  déjà  mises  en  œuvre,  mais  avec  trop  de 
timidité.  Le  cadre  de  notre  exposé  nous  sera  fourni  par  la  des- 

1.  M.  Talion,  Fragment  de  la  guerre  des  Camisards.  Privas,  1887,  p.  xiij; 
Ch.  Dardier,  la  Révolte  des  Camisards  justifiée.  Genève,  1889,  p.  27. 


LES  «  PROPHÈTES  »  DU  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702,       5 

tinée  d'un  prédicant  prophète  cévenol,  Astruc-Mandagout, 
qui  mourut  au  début  même  des  troubles  camisards.  Ni  Brueys 
(t.  I,  p.  354),  ni  Court  (t.  I,  p.  83),  qui  se  borne  à  lui  emprunter 
une  ligne,  laquelle  contient  une  erreur,  ne  fournissent  de 
détails  sur  lui.  Louvreleuil  a  ignoré  son  nom  véritable.  Son  dos- 
sier judiciaire  se  réduit  actuellement  à  un  dernier  interrogatoire 
et  à  une  sentence  de  mort,  que  complètent  heureusement 
quelques  autres  procès  criminels.  Le  peu  que  nous  possédons 
offre  cependant  un  intérêt  considérable,  car  à  l'occasion  de  ce 
prophète  se  pose  le  problème  de  la  préméditation  de  la 
révolte. 

Le  «  prophétisme  ». 

Pendant  longtemps  il  n  y  eut  point  d'  «  inspirés  »  en  Bas- 
Languedoc  et  dans  les  Cévennes.  De  1685  à  1700,  dans  ces 
régions,  seuls  des  «  prédicants  »,  désireux  de  ressembler  en 
toutes  choses  aux  pasteurs  disparus,  ont  entretenu  une  piété 
dont  les  manifestations  sont  restées  conformes  à  la  tradition 
protestante  française  des  xvi®  et  xvii®  siècles.  Le  «  prophé- 
tisme »  au  contraire,  qui  avait  agité  d'abord  la  vallée  inférieure 
de  la  Drôme  en  1688,  puis  les  montagnes  du  Vivarais  en  1689, 
présentait  des  traits  absolument  insolites  '  sur  lesquels  il  importe 
d'insister,  avant  d'entrer  dans  la  suite  historique  des  faits. 

Les  «  prophètes  »  des  deux  sexes,  souvent  des  enfants,  tom- 
baient d'abord  dans  un  assoupissement  plus  ou  moins  convulsif, 
à  la  suite  duquel  ils  faisaient  entendre  des  exliortations  ou  incons- 
cientes, ou  à  demi  conscientes.  Toute  question  de  moralité  ou 
de  piété  mise  à  part,  ils  étaient  des  malades  nerveux  chez  qui, 
dirait  un  praticien  d'aujourd'hui,  un  état  de  sommeil  cataleptique 
était  suivi  d'un  état  de  somnambulisme,  ou  de  veille  somnambu- 
lique.  Leurs  discours,  —  dont  ils  perdaient  souvent  la  mémoire  à 
leur  réveil,  —  n'étaient  pas  une  allocution  suivie,  mais  une  suite 
de  paroles  bibliques  ou  d'appels  à  la  repentance  et  à  la  conver- 
sion, quelquefois  des  cris  indéfiniment  répétés,  quelquefois  des 
exclamations  de  douleur  ou  de  ravissement.  Ils  avaient  des 
hallucinations.  Souvent  l'idée  qui  s'imposait  à  eux  prenait  la 
forme  d'une  prédiction  assurée. 

1.  C'est  dans  la  région  de  la  Drôme,  en  1688,  que  les  enfants  inspirés  ont 
été,  pour  la  première  fois,  appelés  par  les  protestants  «  les  petits  prophètes  », 
«  ies  prophètes  dormants  ». 


CH.    BOST. 


Le  caractère  contagieux  de  ce  mal  sacré  le  rendait  plus  sur- 
prenant encore.  Il  se  communiquait  parfois  avec  une  prompti- 
tude incroyable.  Mis  en  présence  d'un  inspiré,  des  protestants 
fervents,  des  indifférents,  des  catholiques  «  tombaient  »  immé- 
diatement comme  lui.  Des  prophétesses  embrassaient  les  fenunes 
qui  les  entouraient,  en  leur  disant  :  «  Tu  seras  de  nos  sœurs  », 
et  quelques  heures,  quelques  jours  plus  tard,  celles  qui  avaient 
été  désignées  ainsi  recevaient  «  le  don  »  à  leur  tour.  Certains 
prophètes,  totalement  transformés  par  cette  crise  physique 
et  morale  à  la  fois,  devenaient  des  prédicateurs,  c'est-à-dire 
qu'en  dehors  de  leurs  accès  ils  se  sentaient  capables  de  pronon- 
cer de  longues  exhortations  devant  une  foule.  Mais  l'étrangeté 
de  leurs  inspirations  passait  dans  leurs  discours.  C'est  à  peine 
si  l'on  peut  dire  qu'ils  les  énonçaient  consciemment,  tant  leur 
exaltation  les  mettait  hors  d'eux-mêmes.  Leur  passion,  conta- 
gieuse comme  leurs  accès,  subjuguait  leur  auditoire  au  point 
que  les  cris  et  les  sanglots  couvraient  leur  voix. 

Nous  n'étudions  pas  ici  une  question  de  psychologie  patholo-, 
gique.  Quelques  exemples  par  conséquent  suffiront  pour  mon- 
trer que  les  inspirés  ne  possédaient  plus  le  plein  contrôle  de 
leurs  paroles  quand  leur  bouche  s'ouvrait.  Les  témoins  oculaires 
rapportent  toujours  les  mêmes  traits. 

On  nous  dit  de  la  prophétesse  Marie,  qui  paraît  à  Vais  en 
Vivarais  l'année  1700  :  «  Avant  de  commencer  son  discours  elle 
se  serait  laissée  aller  sur  le  dossier  de  sa  chaise,  où  s'étant  repo- 
sée quelque  temps,  sanglotant  et  soupirant  comme  si  elle  avait 
quelque  accident',  et  dans  une  espèce  d'assoupissement,  elle 
prit  tout  à  coup  la  parole  avec  chaleur,  cita  un  passage  de 
l'Ecriture  et  suivit  tant  bien  que  mal  jusqu'à  la  fin  de  son  dis- 
cours »^.  - 

Voici  maintenant  la  description  de  deux  crises  violentes  d'ins- 
pirés, dictée  par  un  juge  à  son  greffier  dans  le^inoment  même 
qu'il  ks  avait  sous  les  yeux. 

Le  vicaire  de  Montagnac  (Hérault)  a  fait  arrêter  dans  ce  lieu 
Denis  Doustin,  qui  vient  de  Villemagne  (aujourd'hui  Villeveyrac, 
entre  Montagnac  et  Montpellier).  Doustin  a  vingt-huit  ans,  et 
travaille  la  terre.  Il  est  catholique  d'origine,  et  cependant  il 
a  reçu  le  don  (il  dit  :  le  souffle)  à  Villemagne,  où  un  inspiré, 

1.  En  patois  languedocien,  le  mot  signifie  encore  :  des  convulsions. 

2.  Extrait  d'une  information  judiciaire  (Archives  de  l'Ardèche;  Bulletin  de 
la  Société  d'tiistoire  du  protestantisme  français,  t.  XXXVl,  p.  609). 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  7 

Gouze,  valet  du  sieur  Amat,  prophétisait.  Le  baillif  de  Montagnac 
interroge  Doustin  dans  sa  prison  (27  mat- 1702)  ^  : 

S'il  a  assisté  aux  assemblées  [pieuses]  de  Gouze,  à  Villemagne? 

Répond  qu'un  jour,  passant  devant  la  maison  d'Amat  à  une 

heure  de  l'après-midi,  il  entendit  du  bruit.  Entrant  dans  la  maison 
avec  d'autres,  il  trouva  ledit  Gouze.  Gouze  fut  alors  arrêté  et  con-' 
duit  dans  les  prisons  de  Villemagne.  Le  soir,  Doustin  ayant  été 
commandé  pour  le  garder  pendant  la  nuit  [sans  doute  Doustin, 
catholique,  était  soldat  de  bourgeoisie],  Doustin  aurait  eu  un  souffle, 
et  sur  le  matin  le  nommé  Fabié,  qui  était  [aussi]  de  garde,  dit  à 
Doustin  qu'il  avait  prêché  pendant  la  nuit,  de  quoi  pourtant  Dous- 
tin ne  s'était  point  reconnu. 

Le  baillif  écrit  ensuite  : 

Incontinent  après  avoir  fait  lad.  réponse,  le  répondant  [Doustin] 
aurait  eu  un  grand  tremblement  de  toutes  les  parties  de  son  corps, 
tenant  la  tète  baissée,  marmottant  entre  ses  dents  :  éé,  oui,  oui, 
fîlii,  filio,  meo,  ce  qu'il  aurait  répété  par  plusieurs  fois,  comme 
s'il  était  dans  des  convulsions.  Et  aurait  continué  ce  tremblement, 
disant  :  miséricorde  !  grâce!  Seigneur!  battant  des  bras  en  répé- 
tant les  mêmes  mots.  Un  quart  d'heure  après  aurions  demandé  au 
répondant  d'où  procédait  son  accident?  Il  nous  aurait  répondu  qu'il 
avait  reçu  le  souffle  et  qu'il  ne  se  sentait  aucun  mal.  —  Si  ce  souffle 
lui  vient  souvent?  —  Oui,  principalement  quand  il  songe  à  Dieu... 
Il  a  ce  souffle  depuis  la  nuit  qu'il  gardait  ledit  Gouze.  —  S'il  a  la 
croyance  de  la  religion  cath.  A.  et  R?  —  Il  ne  croit  qu'en  Dieu. 

Peu  de  jours  après  (i^""  juin),  le  même  baillif  interroge  dans 
la  même  prison  de  Montagnac  le  jeune  Simon  Durand  (dix- 
huit  ans),  qui  vient  d'être  arrêté  comme  ayant  pareillement  le 
souf/fe. 

Depuis  un  mois  environ,  il  a  vu  un  éclair  devant  ses  yeux,  il  a 
reçu  le  souffle  en  labourant  la  terre.  Il  ne  sait  qui  le  lui  a  donné,  il 
croit  que  c'est  Dieu.  Depuis  ce  temps,  le  souffle  lui  est  venu  deux 
ou  trois  fois  le  jour,  à  la  réserve  de  quatre  jours  d'intervalle  qu'il 
ne  l'eut  point.  Il  l'a  eu  aujourd'hui  à  huit  heures  du  matin.  — 
Qu'est-ce  qu'il  dit  alors?—  Il  ne  s'en  souvient  plus  quand  le  souffle 

1.  Information  faite  à  Montagnac  (Archives  de  l'Hérault,  C  183).  Toutes  les 
références  qui  suivent,  relatives  à  des  cartons,  C  180-C  186,  proviennent  du 
même  fonds.  Ce  sont  des  dossiers  transmis  à  Bàviile  par  ses  subdéiégués. 


CH.\BOST. 


l'a  quitté.  Quand  il  a  le  souffle,  il  voit  des  éclairs  devant  ses  yeux. 
Il  est  de  la  religion  p.  réformée  où  il  est  né,  et  il  veut  y  mourir. 

Après  cet  interrogatoire,  le  baillif  sort  de  la  salle.  Mais  il 
rentre  aussitôt,  pour  avoir  entendu  crier  le  prisonnier.  Il  le 
trouve  alors  couché  par  terre,  le  visage  vers  le  ciel,  les  yeux 
troublés,  battant  des  mains  continuellement  et  criant  :  «  Cou- 
rage, mes  frères,  je  vous  le  dis,  c'est  le  temps  de  la  persécution  ! 
Tenez  ferme,  et  que  l'appréhension  de  la  perte  de  vos  biens  ne 
vous  ébranle  point!  La  manne  tombera  sur  nous,  je  vous  le  dis, 
mes  frères!  On  croit  que  je  suis  possédé  du  démon  et  que  j'ai  le 
diable  au  corps?  Non  !  non  !  (battant  continuellement  des  mains). 
Vous  le  trouverez  écrit  dans  le  Nouveau  Testament  :  il  faut 
quitter  vos  biens.  »  Le  baillif  à  ce  moment  l'interrompt  : 
«  Écrit?  Dans  quel  chapitre?  » —  «  Dans  le  chapitre...,  dans  le 
chapitre...,  je  ne  le  sais  point!  »  Et  le  jeune  homme  continue 
de  parler  un  quart  d'heure  dans  la  même  agitation.  Après  quoi, 
il  se  remet.  Mais  il  déclare  ne  plus  se  souvenir  de  ce  qu'il  a 
pu  dire. 

Citons  maintenant  quelques  lignes  qui  nous  montreront  un 
«  prédicateur  »  prophète  au  milieu  de  ses  auditeurs.  Il  s'agit  de 
Jacques  Claude  (vingt-cinq  ans)  de  La  Bâtie  de  Crussol  (Aisdèche). 
Il  a  convoqué  une  assemblée  près  des  Ollières  (Ardèche)  pour 
montrer  «  une  femme  qui  pleure  du  sang  »,  ce  miracle  étant, 
d'après  lui,  un  signe  divin  qui  doit  obliger  tout  le  pays  à  pleu- 
rer ses  péchés  et  à  renoncer  à  la  messe  (14-15  septembre  1701  )  *. 
Le  colonel  de  milice  rapporte  ce  qu'il  a  vu,  à  une  portée  de  pis- 
tolet des  protestants  :  «  Le  prédicant  prêchait  avec  tant...  d'em- 
portement que  ses  auditeurs  étaient  si  attentifs  ^t  si  touchés  de 
ce  qu'ils  entendaient  que  les  uns  hurlaient,  les  autres  pleuraient, 
les  autres  gémissaient,  ce  qui  faisait  parmi  eux  une  espèce  de 
sabbat,  ne  s'entendant  point  les  uns  les  autres,  à  la  réserve  du 
prédicant,  dont  la  voix  très  forte  et  très  pénétrante  retentissait 
tout  le  long  du  ruisseau.  Mais  il  y  avait  si  peu  de  suite  et  de 
règle  dans  son  discours  que  le  déposant  ne  put  jamais  y  rien 
comprendre,  si  ce  n'est  qu'il  était  dans  une  passion  et  un  mou- 
vement extraordinaires.  »  Au  moment  de  son  arrestation,  le 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C  181  (dossier  de  l'assemblée  de  Pranles).  C'est  l'as- 
semblée du  Creux  de  Veye  dont  parle  Court,  t.  I,  p.  8.  La  femme,  Marie  la 
Boiteuse,  enfant  trouvé,  avait  quelquefois  des  vomissements  de  sang,  comme 
le  constata  l'ofTicier  qui  la  mena  prisonnière  à  Montpellier. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.  9 

prédicant,  qui  fut  pris  «  la  bouche  encore  ouverte  »/«  avait  un 
doigt  d'écume  à  la  bouche  de  chaque  côté,  avec  la  voix  si 
enrouée  qu'il  ne  pouvait  presque  plus  parler  ».  Un  autre  témoin, 
qui  a  abordé  l'assemblée  par  le  côté  le  plus  éloigné  du  prédi- 
cant, nous  parle  «  de  cris,  de  gémissements,  de  frappements  de 
mains,  de  la  répétition  de  Ah!  mes  frères,  Ah!  mes  frères  », 
qui  l'ont  empêché  de  rien  comprendre  à  ce  que  disait  Claude. 
Les  mots  lui  manquent  pour  décrire  le  spectacle  :  «  Hurlements, 
espèce  de  sabbat,  assemblée  de  gens  qui  semblaient  avoir  perdu 
l'esprit.  » 

Les  derniers  successeurs  des  prophètes,  que  le  pasteur  John 
Wesley  verra  en  Angleterre,  se  seront  apaisés,  mais  ils  pré- 
senteront les  mêmes  caractères  que  les  premiers  :  «  Le  dimanche 
28  février  [1739]  »,  écrit  Wesley  dans  son  journal',  «  j'allai  au 
logis  de  l'une  de  ces  personnes  communément  appelées  pro- 
phètes français...  C'était  une  femme  de  vingt-quatre  ou  vingt- 
cinq  ans.  Elle  nous  demanda  le  but  de  notre  visite.  Je  répondis  : 
«  Nous  sonmaes  venus  pour  éprouver  les  esprits  et  pour  savoir 
s'ils  sont  de  Dieu^.  »  Bientôt,  elle  se  renversa  sur  sa  chaise  et 
parut  éprouver  une  forte  constriction  de  la  poitrine,  accompa- 
gnée de  profonds  soupirs.  Sa  tête,  ses  mains  et  alternativement 
toutes  les  parties  de  son  corps  étaient  secouées  de  mouvements 
convulsifs.  Cet  état  dura  environ  dix  minutes,  puis  elle  com- 
mença à  parler  d'une  voix  claire  et  forte,  mais  en  phrases  sou- 
vent hachées  par  les  soupirs  et  les  contorsions  de  son  corps... 
Elle  parla  comme  au  nom  de  Dieu  et  en  termes  bibliques.  » 
«  Deux  ou  trois  de  notre  compagnie  »,  ajoute  Wesley,  «  furent 
vivement  afiecl^îs  et  crurent  qu'elle  parlait  par  l'esprit  de  Dieu. 
Quant  à  moi,  la  chose  ne  me  parut  pas  claire  du  tout.  Ces  mou- 
vements peuvent  être  hystériques  ou  artificiels  et,  pour  ce  qui 
est  des  paroles  prononcées,  toute  personne  d'inteUigence 
moyenne  et  connaissant  les  Écritures  pourrait  les  dire.  » 

Les  protestants  persécutés  n'avaient  pas  la  sagesse  de  Wes- 
ley. Dès  l'apparition  des  premiers  inspirés,  le  peuple  (et  avec 
lui  Jurieu)  avait  vu  en  eux  des  êtres  d'élite,  auxquels  Dieu  don- 
nait un  pouvoir  miraculeux  d'exhortation  oi^  de  divination.  Le 
caractère  morbide  des  prophètes,  qui  les  apparente  (par-dessus 

1.  Stamlard  Edition,  t.  Il,  p.  136  (traduit  par  M.  Lelièvre). 

2.  Citation  du  Nouveau  Testament  (I.  Ép.  de  Jean,  IV,  1). 


10  eu.    BOST. 

*  les  grands  réformateurs)  avec  les  anabaptistes  de  Munster  en 
Westplialie  (1525)',  aurait  dû  d'emblée  les  chasser  des  cadres 
rigides  et  rationnels  du  calvinisme  méridional.  Mais  leur  étran- 
geté  fit  leur  puissance.  Bien  des  protestants  saluèrent  en  eux 
des  envoyés  de  la  grâce  céleste  se  penchant  sur  leur  misère.  Ils 
furent  d'autant  plus  vénérables  que  leurs  crises  n'étaient  pas 
volontaires  et  qu'ils  apparaissaient  par  conséquent  comme  pas- 
sifs sous  l'esprit  qui  les  maîtrisait.  Leur  langage  et  leur  per- 
sonne furent  revêtus  d'un  caractère  sacré.  On  se  mettait  à 
genoux  pendant  l'agitation  qui  précédait  leurs  discours  et  l'on 
recevait  leur  parole  comme  un  oracle.  S'il  arrivait  que  Suracti- 
vité religieuse  suscitât  autour  d'eux  des  prédicants  à  la  vieille 
mode,  qui  n'avaient  pas  le  «  don  »  et  qui  parlaient  comme 
l'avaient  fait  leurs  prédécesseurs  de  1685  à  1700,  ces  hommes, 
moins  exaltés,  se  plaçaient  d'eux-mêmes  au  second  plan  et  se 
subordonnaient  aux  prophètes.  Ces  derniers  seuls  étaient  tenus 
pour  les  vrais  organes  de  l'esprit. 

Extrêmement  vivace  et  contagieux  d'abord,  en  Dauphiné  et 
dans  le  Vivarais,  le  mouvement  avait  perdu,  dès  1689,  sa  puis- 
sance communicative.  Ce  furent  seulement  des  inspirés  isolés 
que  Claude  Brousson,  en  1697,  admira  pieusement  dans  ces 
quartiers,  où  il  alla  les  observer 2.  Ils  se  conservèrent  en  Viva- 
rais pendant  les  années  1699  et  1700,  sans  que  leurs  crises  y 
produisissent  aucune  agitation  sérieuse.  Mais  il  était  réservé  à 
ces  dernières  braises  d'un  feu. mystérieux  de  rallumer  dans  les 
Cévennes  et  le  Bas-Languedoc  un  incendie  dont  l'ampleur  devait 
dépasser  toute  imagination. 

Nous  n'avons  pas  à  insister  ici  sur  l'état  auquel  les  nouveaux 
convertis  de  la  montagne  et  de  la  plaine  étaient  réduits  par  la 
politique  religieuse  de  Bâville,  soutenue  par  les  évêques  de 
Nîmes,  d"Uzès,  d'Alais  et  de  Mende.  M.  Puaux  a  ajouté 
quelques  pièces  au  dossier  que  nous  avons  constitué  par  nos 
deux  volumes  consacrés  aux  Prédicants  protestants'^.  On  sait 
que  l'intendant  n'a  pas  voulu  tenir  compte  de  la  vague  modéra- 
tion commandée  par  la  Déclaration  royale  de  décembre  1698  et 
qu'il  a  exercé  sur  les  opiniâtres  une  dure  contrainte,  assimilée 
par  lui-même  aux  procédés  de  l'Inquisition.  On  sait  aussi  que, 

1.  La  Baume  (p.  10)  a  très  justeiVienl  rapproché  les  deux  mouvements. 

2.  Voir  Ch.  Bost,  Icx  Prédicants  protestants...,  t.  Il,  p.  178. 

3.  Voir,  en  particulier,  t.  II,  p.  277,  297  et  suiv. 


I,ES    «    PROPHÈTES    »    DD    LANGDEOOC    EW    1701    ET    1702.  11 

par  une  suprême  maladresse,  il  a  combiné  de  telle  sorte  les 
mesures  prises,  que  le  clergé  catholique  est  devenu  officielle- 
ment, dans  la  région,  maître  de  la  situation  matérielle  des 
récalcitrants'.  Les  prêtres,  et  avec  eux  les  régents  d'é^îole  (sou- 
vent ecclésiastiques),  distributeurs  de  pénalités  ou  d'amendes, 
voient  s'accumuler  contre  eux  de  terribles  haines.  La  foi  hugue- 
note, privée  du  culte  public  par  l'exil  ou  la  mort  des  derniers 
prédicaiits,  s'est  concentrée  au  foyer  domestique,  où  les  enfants 
sont  nourris  dans  l'horreur  de  l'Église  romaine.  Dans  ce  pays 
exaspéré,  le  prophétisme  se  déchaînera  en  une  épidémie  dont 
l'histoire  religieuse  offre  peu  d'exemples.  Elle  atteindra  surtout, 
comme  il  est  naturel,  les  jeunes  gens  et  les  jeunes  filles,  la 
génération  née  depuis  1685,  ou  qui,  trop  jeune  à  cette  date,  n'a 
pu  recevoir  l'éducation  religieuse  des  pasteurs  réguliers.  Ce 
sont  là  des  esprits  qui  ont  grandi  dans  la  fournaise  de  la  persé- 
cution et  qui  ne  trouvent  pas  dans  leurs  souvenirs  le  solide 
appui  d'une  instruction  raisonnée,  qui  aurait  pu  leur  permettre 
de  soutenir  le  choc-. 

Nos  documents  sont  assez  abondants  pour  nous  permettre  de 
suivre  maintenant  dans  son  développement  géographique  cette 
fièvre  rehgieuse,  qui  venue  du  Vivarais  s'étendra  sur  les  dio- 
cèses d'Uzès,  d'Alais  et  de  Nîmes,  de  Mende  et  de  Montpellier. 

Le  prophétisme  autour  d'Uzès. 

Pendant. les  mois  de  juillet  et  d'août  1700,  aux  environs  de 
Vais,  dans  le  Bas-Vivarais,  se  tiennent  des  assemblées  reli- 
gieuses auxquelles  prennent  part  des  prophètes,  entre  autres  le 
prédicant  Marc  (de  Vallon)  et  les  prédicantes  Catin  et  Marie^. 
De  Vais,  les  prophètes  vont  vers  le  sud  (assemblée  à  Salavas, 
31  octobre'»).  Mais  il  s'agit  toujours  de  manifestations  peu 
graves,  et  Bàville,  s'il  ne  les  laisse  pas  impunies,  n'y  voit  sans 
, doute  que  les  derniers  remous  d'une  tempête  qu'il  croit  apaisée. 

L'événement  le  détrompe.  Au  sud  de  la  rivière  d'Ardèche, 
dans  la  paroisse  de  La  Bastide-de  Virac,  des  cultes  secrets  sont 

1.  Qh.  Bosl,  <es  l'rc-dicants  prolestants...,  t.  Il,  p.  275  (lire  :  éteinte);  t.  II, 
p.  298. 

2.  Ibid.,  t.  Il,  p.  305. 

3.  Information  judiciaire  à  Vais  el  à  Villeneuve-de-lkTg  »  (Bhlletin  cité, 
t.  XXXVI,  p.  600). 

i.  HuUclui...,  I.  XXXVI,  p.  (J(}5. 


12  CH.    BOST. 

dénoncés,  qui  éveillent  la  méfiance  de  l'intendant.  Nous  n'avons 
pas  les  dossiers  judiciaires  qui  les  concernent,  mais  on  peut 
supposer  qu'ils  sont  convoqués  par  le  prédicant  prophète 
Daniel  Raoulx  ou  Raoux,  qui  est  de  Vagnas  (près  de  La  Bas- 
tide). Sans  doute,  il  inaugure  chez  lui,  au  moment  où  l'esprit 
l'a  saisi,  une  activité  qui  va  en  quelques  mois  bouleverser  le 
diocèse  d'Uzès.  Brusquement,  en  efiet,  le  mal  s'étend  :  «  Dans 
le  commencement  de  1701...,  la  maladie  devint  si  contagieuse 
qu'à  son  introduction  des  communautés  entières  en  étaient 
infectées^.  » 

Bâville  juge  les  circonstances  assez  sérieuses  pour  demander 
au  roi  le  moyen  de  hâter  les  châtiments.  Il  faut  éviter  les  dis- 
cussions et  les  lenteurs  de  la  justice  ordinaire.  Un  conflit  de 
juridiction  lui  permet  d'obtenir  de  la  cour  d'abord  la  suppres- 
sion du  droit  d'appel  pour  ces  premiers  accusés  de  1701^  puis 
(chose  plus  importante)  le  dessaisissement  du  tribunal  ordinaire 
en  ce  qui  concerne  le  jugement  à  prononcer.  Le  25  mai,  un 
arrêt  du  Conseil  décide  que  le  procès  des  accusés  de  La  Bas- 
tide sera  instruit  par  les  juges  de  Nîmes,  de  qui  ils  ne  dépendent 
pas  naturellement,  et  qu'ils  seront  jugés  en  dernier  ressort 
par  l'intendant-.  Le  15  juin  suivant,  un  nouvel  arrêt  du 
Conseil  mentionne  la  nouveauté  des  délits  poursuivis.  Il  ne 
s'agit  plus  simplement  de  religionnaires  rebelles  aux  lois,  mais 
de  «  gens  qui  afiéctent  de  paraître  fanatiques  dans  le  des- 
sein de  troubler  le  repos  public  ».  Une  juridiction  double- 
ment exceptionnelle  leur  sera  désormais  appliquée  dans  tout 
le  Languedoc.  Non  seulement  Bâville  les  jugera,  et  en  der- 
nier ressort,  mais  c'est  Bâville  qui  informera  contre  eux,  de 
façon  plus  expéditive  que  les  tribunaux  réguliers  3.  Ceux  que 

1.  Relation  écrite  à  Uzès  (Bulletin  cité,  t.  LVIII,  p.  433). 

2.  L'arrêt  du  Conseil  du  25  mai,  sur  parchemin,  se  trouve  C  160.  «  Le  roi 
ayant  été  informé  qu'il  s'est  tenu  quelques  assemblées  illicites  dans  la  paroisse 
de  La  Bastide  de  Virac,  au  pays  de  Vivarais,  et  qu'il  s'est  formé  un  conflit  de 
juridiction  entre  les  juges  royaux  d'Uzès  et  de  Villeneuve-de-Berg  pour  en 
connaître,  ce  qui  retarde  l'instruction  du  procès  des  coupables...  S.  M... 
ordonne  que  le  procès  sera  fait  aux  coupables  par...  le  présidial  de  Nîmes  en 
premier  ressort  et  jugé  en  dernier  ressort  par  le  s''  de  Basville...,  intendant... 
Donné  à  Versailles,  le  25  mai  1701.  » 

3.  L'arrêt  du  Conseil  du  15  juin,  sur  parchemin,  se  trouve  C  160  et  en 
imprimé  C  180.  «  Le  roi  ayant  été  informé  que  depuis  quelque  temps  il  s'est 
trouvé  dans  le  diocèse  d'Uzès  et  lieux  voisins  des  gens  qui  ailectent  de  paraître 
fanatiques  dans  le  dessein  de  troubler  le  repos  public...,  S.  M....  ordonne  que, 


LES   «    PROPHÈTES    »    DU   LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  13 

les  nouveaux  convertis  appellent  des  inspirés  ou  des  prophètes 
sont  désormais  officiellement  des  «  fanatiques  »,  comme  l'a 
déclaré  (ou  va  le  déclarer)  ex  professa  la  Faculté  de  Montpel- 
lier, et  Bâville  sera  armé  contre  eux  des  mêmes  foudres  qu'il  a 
maniées  de  1685  à  1698  contre  les  irréductibles. 

Les  fanatiques  ont  montré,  aussitôt  parus  dans  le  diocèse 
d'Uzès,  une  exaltation  stupéfiante,  et  ils  se  révèlent  parfois 
comme  des  caractères  singulièrement  violents.  «  Il  n'est  point 
de  folies  et  d'extravagances  »  qu'on  ne  leur  voie  commettre  ^ 
Les  excès  ont  commencé  avant  même  que  Bâville  ait  eu  en 
main  le  premier  de  ces  arrêts. 

Le  2  juin,  à  Valérargues  (près  Lussan,  au  nord  d'Uzès),  le 
curé  de  Lussan  s'approche  innocemment  de  Jacques  Bouton,  fils 
d'un  notaire,  qui  jusque-là  «  lui  a  toujours  paru  être  de  ses 
amis  ».  Mais  Bouton,  sous  son  aUure  cahne,  est  hors  de  lui.  Le 
prêtre,  stupéfait,  s'entend  traiter  «  d'idolâtre,  de  séducteur, 
d'ange  de  Satan  et  de  faux  prophète  ».  Un  instant  après,  Bou- 
ton tombe  à  terre  et  «  fanatise,  sous  la  figure  et  les  postures 
d'un  obsédé,  vomissant  contre  l'Église  et  l'Etat  les  abominations 
les  plus  exécrables  ».  Deux  prêtres  et  un  juge  veulent  aussitôt 
le  traîner  aux  prisons  d'Uzès.  Mais  «  tout  le  village,  atteint  du 
même  mal  »,  s'amasse,  libère  l'inspiré.  «  Puis  la  foule,  armée  de 
haches  et  de  marteaux,  se  rue  dans  l'église  de  Valérargues,  la 
saccage  entièrement  et  abîme  ensuite  la  maison  du  prieur  du 
lieu  2.  » 

A  la  même  date,  un  certain  David  Arnaud,  de  Gros  (près 
Saint-Hippolyte,  dans  les  Basses-Gévennes),  arrêté  comme  fana- 
tique aussitôt  après  une  «  assemblée  »  religieuse  du  29  mai, 
à  Avéjan  (au  nord  de  Lussan),  et  qui  a  d'abord  caché  son  nom 
véritable,  est  reconnu  comme  l'assassin  d'une  femme  de  Gros, 
qu'il  a  tuée  le  22  juin  de  l'année  précédente^. 

Enfin,  entre  le  7  et  le  12  août,  une  assemblée  conVoquée  non 
loin  d'Uzès,  près  de  1'  «  arche  »  de  Baron,  par  Daniel  Raoux 

par  le  s'  de  Basville...,  il  sera  informé  contre  eux  pour  leur  (Hre  fait  le  pro- 
cès en  dernier  ressort.  »  Bâville  fit  afficher  cet  arrêt  le  27  juin. 
^  1.  Nous  citons  ici  une  phrase  du  manuscrit  GailTe,  dont  nous  parlerons  plus 
loin. 

2.  Bulletin  cité,  t.  LVIII,  p.  438;  Hist.  de  Languedoc,  f.  XIV,  1537. 

3.  D'après  le  jugement  du  3  août,  résumé  dans  des  notes  de  F.  Teissier 
prises  aux  archives  de  la  Cour  d'appel  de  Nîmes  (Bibl.  du  prot.  français, 
manuscrit  423). 


14  CB.    BOST. 

lui-même  et  son  suivant  Jean  Flotier  (d'Arpaillargues,  près 
Uzès),  est  découverte  parla  garnison  bourgeoise  cantonnée  au 
château  de.Foncouverte.  Le  détachement,  qui  a  arrêté  une 
femme,  -est  attaqué  à  coups  de  pierre,  près  de  Foissac,  par  qua- 
rante personnes  des  deux  sexes  ;  un  coup  de  feu  est  même  tiré 
sur  les  miliciens.  Le  sergent  ordonne  en  réponse  une  décharge 
générale.  Six  des  mutins  sont  blessés ,  dont  Flotier ,  qm 
s'échappe  ' . 

La  justice  a  sévi  immédiatement.  Le  11  juin,  le  présidial  de 
Nîmes,  siégeant  à  Uzès,  a  condamné,  pour  le  sacrilège  de  Valé- 
rargues,  Jacques  Bouton  à  la  roue,  Jacques  Olympe,  hôte  de  Valé- 
rargues,  à  la  potence  et  Jérôme  Serres  à  six  ans  de  galères 2.  Le 
3  août,  à  Uzès  encore,  Bâville,  qui  maintenant  juge  lui-même 
les  fanatiques,  envoie  David  Arnaud  à  la  potence  (il  fut  pendu 
le  4),  et,  le  4  août,  pour  une  assemblée  de  fanatiques  tenue  à 
Lussan,  il  condamne  aux  galères  perpétuelles  David  Dumas,  de 
Valérargues.  Revenu  à  Uzès  après  l'afiaire  de  Foissac,  l'inten- 
dant y  juge  l'un  des  fanatiques  blessés,  Nègre  (de  Coulorgues), 
qu'il  fait  pendre  le  16  août,  auprès  avoir  envoyé  aux  galères, 
pour  le  même  attentat,  Denis  Pasquier  (de  Coulorgues)  et 
Lagarde  (de  Baron) 3.  Nous  ne  savons  comment  il  termina  les 
autres  procédures  engagées  contre  divers  inspirés  d'Uzès,  de 
Coulorgues  ou  de  Brignon.  Les  dossiers  que  nous  avons  encore 
nous  représentent  tout  le  quartier,  après  le  passage  de  Daniel 
Raoux,  soulevé  par  une  inspiration  inconnue  et,  comme  le  dit 
une  relation,  «  les  habitants  s'embrassant  les  uns'  les  autres, 
tant  dans  les  rues  que  dans  leurs  maisons,  en  sanglotant  et 
soupirant  conome  des  personnes  accablées  de  déplaisir  ;  d'autres 
qui,  feignant  d'être  essoufflés  et  agités,  disant  quelques  paroles 
entre  les  dents,  se.  vantaient  de  parler  au  nom  et  par  la  force 

1.  Hist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  1540;  papiers  Court,  n°  11,  fol.  413;  n"  17  H, 
fol.  307. 

2.  Bulletin  cité,  t.  LVIII,  p.  440,  et  notes  F.  Teissier  (Bibl.  du  prot.  fran- 
çais, manuscrit  423). 

3.  Pour  le  jugement  d'Arnaud,  notes  F.  Teissier.  Le  jugement  de  Dumas  est 
aux  Arch.  de  l'Hérault,  C  192.  Les  jugements  de  Nègre,  Pasquier  et  Lagarde 
ne  sont  connus  que  par  les  papiers  Court  [loc.  cit.).  La  Baume  (p.  35)  parle 
d'un  Jaussaud,  brûlé  vif  par  jugement  du  21  juillet  pour  réparation  du  sacri- 
lège de  Valérargues.  Il  ne  peut  s'agir  que  d'un  jugement  par  contumace,  rendu 
à  la  suite  d'un  jugement  du  20  juin  (notes  Teissier),  ordonnant  de  faire  le  pro- 
cès à, trois  défaillants,  dont  Jaussaud. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DD    LANODEDOC    EN    1701    ET    1702.  15 

du  Saint-Esprit;  d'autres  frappant  leur  poitrine,  se  glorifiant 
d'être...  envoyés  du  ciel  pour  prêcher  la  pénitence  »^ 

C'est  à  ce  moment  que  nous  allons  trouver,  pour  la  première 
fois,  une  indication  qui  nous  amènera  au  prophète  Astruc. 

Les  arrestations  qui  se  multipliaient  autour  d'Uzès  poussèrent 
Raoux  à  s'éloigner  de  la  ville  et  à  gagner,  par  Vézenobres,  au 
nord-ouest,  les  environs  d'Alais. 

Le  16  août,  à  huit  heures  du  matin,  à  Saint-Etienne-de- 
Colm,  dans  la  maison  de  Barthélémy  Sautel,  une  vingtaine  de 
protestants  étaient  assemblés.  La  nièce  du  prieur,  passant 
devant  les  fenêtres,  distingue  la  voix  de  plusieurs  prophètes  en 
transe.  Deux  jeunes  filles  et  un  garçon  crient  :  «  Mes  frères! 
convertissez-vous!  faites  pénitence!  Nous  voyons  les  cieux 
ouverts!  Nous  voyons  les  anges!  C'est  à  présent  qu'il  faut 
prendre  le  chemin  de  la  véritable  religion  et  quitter  la  méchante  !  » 
Elle  entend  «  des  soupirs  et  des  sanglots,  comme  si  la  respira- 
tion leur  manquait,  pendant  lequel  temps  on  cessait  de  parler  ». 
La  femme,  prudente,  n'a  garde  d'entrer,  mais  elle  dit,  en  haus- 
sant la  voix  :  «  Quelqu'un  a  envie,  ici,  d'avoir  les  fers  aux 
pieds!  »  La  fille  de  Sautel  se  penche  à  la  fenêtre  et  répond  : 
«  Vous  êtes  un  diable  d'enfer  et  vous  le  payerez  !  » 

Un  autre  témoin  est  entré  dans  la  maison.  Dès  qu'il  a  paru 
dans  la  chambre,  un  jeune  homme  et  sa  sœur,  «  en  se  donnant 
des  contorsions  et  en  faisant  des  postures  et  des  grimaces  extra- 
vagantes »,  l'ont  conjuré  de  se  convertir.  Le  ipaître  du  logis, 
Sautel,  s'est  joint  à  eux  et  l'a  prié  de  se  mettre  à  genoux  : 
«  Demandez  pardon  à  ces  enfants,  que  vous  faites  pâtir!  »,  et 
un  étranger,  qui  est  là  présent,  lui  explique  en  effet  :  «  Qu'il 
fait  pâtir  ces  enfants  parce  qu  il  pe?^mure  (sic)  »,  c'est-à-dire, 
sans  doute,  qu'il  demeure  incrédule.  Une  troisième  personne 
déclare  avoir  vu  la  jeune  Gabrielle  Sautel,  en  pleine  crise, 
«  étendue  sur  son  lit,  qui  disait  en  français'  :  Mes  sœurs,  repen- 
tez-vous, affectant  une  voix  plaintive  comme  quand  un  pigeon 
roucoule  ». 

Une  heure  plus  tard,  la  chambre  se  vide,  mais  la  scène  se 
poursuit  dans  la  rue,  où  une  jeune  fanatique  continue  ses  cris  de 
«  repentez-vous  »,  en  se  donnant  des  mouvements  extraordi- 

1.  Manuscrit  GaiHc,  enlièrement  confirmé  par  les  dossiers  des  Arch.  de 
l'Hérault,  C  180. 

2.  Et  non  en  patois,  son  langage  habituel. 


16  CH.    BOST. 

naires  et  eu  tremblant  de  tout  son  corps.  Quatre  femmes  font  de 
même.     • 

Puis  les  quelques  personnes  qui  sont  réunies  quittent  le  lieu. 
On  se  transporte  près  de  la  rivière  de  Droude,  sur  la  paroisse  de 
Montignargues,  et  l'inconnu,  debout,  commence  une  exhorta- 
tion. Mais  le  culte  est  troublé.  Le  prieur  Vispron,  informé  par 
sa  nièce,  a  donné  avis  du  désordre  au  viguier  de  Vézenobres, 
qui  est  à  une  demi-lieue.  Les  soldats  de  bourgeoisie  paraissent. 
L'assemblée  se  disperse.  Un  soldat  tire  son  pistolet  sur  des 
femmes  qui  fuient.  La  nièce  du  prieur  se  saisit  d'un  protestant, 
qu'elle  lâche  quand  il  la  menace  de  la  tuer  d'un  coup  de  pierre.  Le 
prédicant  étranger  s'échappe.  Il  eût  été  de  bonne  prise,  car  le 
mot  «  vous  permurez  »,  prononcé  par  lui  dans  la  maison,  le  fait 
reconnaître  à  Uzès  pour  Raoux  lui-même  :  «  C'est  son  terme 
quand  on  lui  résiste  dans  ses  fonctions  de  fanatisme  * .  » 

Au  nombre  des  personnes  qui  sont  entrées  chez  Sautel  la 
nuit  du  15  au  16,  et  qui  y  étaient  encore  le  matin,  l'information 
nomme  «  Pierre  Mandagout,  maçon,  et  sa  fille  ».  Il  y  a  lieu  de 
croire  que  ce  Mandagout,  maçon,  habitant  les  environs  immé- 
diats de  Vézenobres,  ou  Vézenobres  même,  a  quelque  rapport 
avec  notre  prophète  Astruc. 

Jean  Astruc,  âgé  de  quarante-sept  ou  quarante-huit  ans  en 
septembre  1702,  était  né,  au  dire  de  Louvreleuil  (t.  I,  p.  55), 
à  Alais  et  de  parents  réformés.  Il  est  toujours  appelé  «  Manda- 
gout »  par  ceux  qui  l'ont  entendu  prêcher.  Lui-même  se  donne 
comme  maçon.  Il  déclare,  à  son  procès,  qu'il  est  d' Alais,  mais 
son  jugement  laisse  en  blanc  le  nom  du  lieu  d'où  il  est  origi- 
naire, ce  qui  prouve  que  ses  juges  doutaient  de  son  affirmation, 
et  un  habitant  de  Saint-Hippolyte-du-Fort  le  dit  «  de  Véze- 
nobres »,  à  ce  qu'il  semble  d'après  le  témoignage  des  soldats  qui 
le  menaient  au  supplice.  Où  peut  donc  supposer  qu' Astruc, 
maçon,  a  séjourné  à  Vézenobres  ou  aux  environs,  que  c'est 
pendant  ce  séjour  qu'il  a  reçu  (ou  peut-être  pris  lui-même) 
le  Surnom  de  Mandagout,  et  que  c'est  à  la  suite  du  passage  de 
Raoux  dans  le  quartier  qu'il  est  devenu  prophète.  Il  faut  ajou- 
ter qu'après  avoir  reçu  «  le  don  »,  il  a  aussitôt  quitté  le  lieu  de 
sa  résidence,  car  il  se  qualifie  de  «  fugitif  »,  c'est-à-dire  qu'il 
n'a  plus  de  domicile  fixe.  Entraîné  par  sa  vocation,  il  devient 

1.  Informations  des  25  août  et  19  septembre,  C  180.  Il  y  eut  une  dizaine 
d'arrestations. 


LES   «    PROPHÈTES    »    DD   LANGUEDOC  EN    1701    ET    1702.  17 

un  de  ceux  qui  propagent  «  le  souffle  ».  Disons  ici  qu'il  ne  savait 
pas  signer  son  nom. 

Raoux  passa  de  Vézenobres  dans  les  montagnes  qui  dominent 
le  village  de  Bagard,  entre  Alais  et  Anduze,  en  une  région  où 
la  prophétesse  Marie  (que  nous  avons  vue  à  Vais)  et  une  autre 
fille  du  Vivarais  venaient  de  semer  le  mal  sacrée  Le  24  août, 
il  était  au  hameau  de  Blatiès,  au-dessus  de  Bagard.  «  Une  grande 
fille  du  Vivarais,  bien  faite,  d'environ  vingt  ou  vingt-cinq  ans, 
et  le  nommé  Flotier  prêchèrent,  le  prophète  Daniel  [Raoux] 
étant  occupé  à  empêcher  que  ceux  qui  prophétisaient  [dans  l'as- 
semblée] ne  criassent  et  que  cela  n'empêchât  d'entendre  la  pré- 
dication. L'assemblée  était  de  6  à  700  personnes,  et  un  grand 
nombre  criaient  et  prophétisaient...  Comme  il  y  avait  quelques 
filles  qui  portaient  des  fontanges,  les  prophétesses  leur  crièrent 
d'ôter  ces  banes  (cornes)  du  diable-.  » 

Raoux  descendit  alors  à  Anduze  et  fut  pris  à  Tornac,  sur  le 
grand  chemin,  le  27  ou  le  28  août,  grâce  à  un  espion  de  Bâville, 
en  même  temps  que  Jean  Flotier  et  Bonaventure  Rey  (d'Arpail- 
largues)  et  aussi  Pierre  Bourély  de  Blatiès.  Bâville  était  alors  à 
Carcassonne,  retenu  par  la  session  annuelle  des  Etats  du  Lan- 
guedoc. Il  renvoya  les  prisonniers  au  présidial  de  Nîmes,  qui, 
le  9  septembre,  condamna  Raoux  à  la  roue  et  Flotier  à  la 
potence,  tous  deux  après  qu'ils  auraient  subi  la  question  ordi- 
naire et  extraordinaire.  Le  jugement  porte  en  marge  :  «  A  été 
arrêté  par  délibération  que  ledit  Daniel  Raoux  sera  préalable- 
ment étranglé,  »  Rey  alla  aux  galères,  et  Bourély  fut  seulement 
enrôlé  de  force.  Raoux  et  Flotier,  que  Bâville  poursuivait  pour 
le  sacrilège  de  Valérargues,  semblent  avoir  été  acquittés  de  ce 
chef.  Ils  ne  furent  condamnés  que  pour  la  part  qu'ils  avaient 
prise  à  l'enlèvement  de  la  prisonnière  de  Foissac  et  pour  leur 
«  fanatisme  »,  et  le  jugement  rendu  dut  paraître  trop  modéré  à 
l'intendant^. 

Raoux  pouvait  disparaître,  il  laissait  derrière  lui,  non  plus 
seulement  à  Uzès,  mais  dans  les  Cévennes,  d'innombrables 

1.  Assemblées  à  Saint-Sébastien,  près  d'Anduze,  14-15  août  (dossier  des 
assemblées  de  Mialet  et  d'Anduze,  C  180). 

2.  Même  dossier,  d'après  la  déposition  d'une  femme  de  quarante  ans,  «  pro- 
phétesse, grâce  à  Dieu,  et  qui  s'en  estime  bien  heureuse  ». 

3.  Notes  F.  Teissier.  Nous  n'indiquons  pas  les  autres  références,  à  part  Court 
(Troubles...,  t.  1,  p.  18),  qui  dit  par  erreur  que  Raoux  fut  rompu  vif. 

Rev.  Hisïor.  CXXXVI.  1"  FASC.  2 


18  CH.    BOST. 

.4 

disciples.  Le  22  septembre,  Bâ ville,  avisé  du  pullulement  des 
prophètes,  datait  de  Garcassonne  une  ordonnance  signifiant 
que  les  femmes  ou  filles  saisies  dans  les  assemblées  de  fana- 
tiques seraient  punies  avec  la  même  rigueur  que  les  hommes, 
et  que  les  parents  dont  les  enfants  seraient  trouvés  fanatiques 
seraient  eux-mêmes  chargés  d'amendes  ou  poursuivis  comme 
rebelles  et  perturbateurs  du  repos  public.  Des  ordres  rigoureux 
furent  donnés  aux  soldats  de  milice  et  aux  rares  détachements 
de  troupes  régulières  dont  pouvait  disposer  Broglie.  Désormais, 
les  patrouilles  lancées  contre  les  assemblées  firent  usage  de  leurs 
fusils.  Mais  les  inspirés  et  leurs  admirateurs  se  défendirent,  et 
la  lutte  ouverte  commença. 

Vers  le  17  septembre,  au  pont  de  La  Bastide,  aux  portes  de 
Nîmes,  vingt-quatre  soldats  de  la  ville,  après  une  décharge  qui 
blessa  de  deux  balles  le  nommé  Gaussen,  maçon,  se  saisirent  de 
lui,  d'un  autre  homme  et  de  dix-sept  femmes  ou  fiUes^  A  la  même 
époque  (19  septembre),  dans  les  Basses-Cévennes,  au  mas  de 
la  Roussarié  (entre  Lasalle  et  Saint-Jean-du-Gard),  les  soldats 
du  fort  de  Saint-Hippolyte  attaquent  une  assemblée  de  300  per- 
sonnes et  font  quarante  prisonniers.  Dans  le  nombre  étaient 
plusieurs  blessés,  et  ils  avaient  tué  «  le  prédicant  »,  qui  était  un 
enfant  de  quatorze  à  quinze  ans,  de  Lasalle,  nommé  Bourras-. 
Le  2  octobre,  à  la  fontaine  de  Drus,  près  Tornac,  quinze  soldats 
de  bourgeoisie  d'Anduze,  ayant  investi  une  autre  assemblée,  font 
feu  sur  les  assistants.  «  Les  prédicants  »,  dit  l'enquête,  «  furent 
aussitôt  enlevés  par  des  hommes  [de  leurs  amis]  qui,  en  se  reti- 
rant, criaient  :  Tue!  Tue!  et  tiraient  quelques  coups  de  fusil.  » 
Un  des  protestants  fut  pris  ayant  en  main  une  épée  nue. 
D'autres,  sans  armes,  firent  pleuvoir  des  pierres  sur  la  troupe^. 
Le  16  octobre,  à  Colombeirol  (Saint-Théodorit,  au  sud  de  Lédi- 
gnan),  une  assemblée,  réunie  dans  un  champ  depuis  minuit, 
est  assaillie,  à  quatre  heures  du  soir,  par  un  détachement.  Les 
soldats,  d'après  l'information,  «  tirèrent  sur  les  gens,  criant  : 
Tue!  Tue!  ».  Le  prédicant  fut  blessé  par  un  lieutenant,  mais, 
malgré  les  traces  de  sang  qu'il  laissait  dans  sa  fuite,  il  échappa. 

1.  Hist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  1551;  notes  F.  Teissier  (Bâville,  de  Garcas- 
sonne, ordonne,  le  22  septembre,  de  faire  le  procès  aux  prisonniers). 

2.  Hist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  1551;  papiers  Court,  n*  17  B,  fol.  221,  et 
manuscrit  de  Saint-Jean-du-Gard,  communiqué  par  le  pasteur  G.  Cadix. 

3.  Arch.  de  l'Hérault,  C  180. 


LES   «    PROPHÈTES   »    DD   LANGDEDOC   EN    1701    ET    1702.  19 

«  Il  avait  été  vu  un  pistolet  à  la  main,  comme  les  deux  hommes 
qui  étaient  à  côté  de  lui*.  »  Le  22,  dans  le  même  quartier,  en 
poussant  vers  l'est,  une  autre  assemblée  est  découverte  au  mas 
de  Videbouteille,  près  Sauve.  Les  soldats  encore  font  feu  sur 
les  attroupés.  Une  sentinelle  qui  s'enfuit  à  cheval  riposte  de 
deux  coups  de  pistolet^. 

On  juge  de  l'efiervescence  où  ces  événements  pouvaient 
mettre  la  région.  Quand  Bâville  revint  des  Etats  de  Carcassonne 
(clôturés  le  24  octobre),  il  trouva  les  prisons  du  Bas-Languedoc 
pleines  de  plus  de  400  fanatiques  arrêtés  de  toutes  parts  et  un 
grand  nombre  d'instructions  criminelles  déjà  commencées,  l'une 
même  concernant  le  Vivarais,  où  le  fanatisme  avait  été  si  vio- 
lent en  1689.  Sans  perdre  un  instant,  il  se  remit  à  la  besogne 
judiciaire,  dont  il  avait  fait  frustrer  le  présidial  de  Nîmes,  écri- 
vant à  Fléchier  en  cette  occasion  la  phrase  amère  :  «  Je  ne 
ferai  aucune  grâce  aux  prédicants  :  triste  et  ennuyeux  emploi 
quand  on  l'a  fait  dix-sept  ans^.  »  Du  4  au  23  novembre,  en  rai- 
son d'assemblées  tenues  en  Vivarais,  dans  les  Basses-Cévennes 
ou  le  Bas-Languedoc,  il  prononça  cinq  condamnations  à  la 
potence,  quatorze  aux  galères  et  trois  (contre  des  femmes)  à  la 
fustigation  publique.  Nous  ne  disons  rien  des  prisonniers  con- 
servés dans  leurs  geôles,  ni  des  amendes  imposées  aux  commu- 
nautés coupables  4. 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C  181  et  183. 

2.  Ibid.,  G  180. 

3.  Lettre  du  4  novembre  1701  {Bulletin  cité,  t.  XV,  p.  137). 

4.  Le  4  novembre  (pour  l'assemblée  tenue  aux  OUières,  en  Vivarais).  Pendus  : 
Jacques  Gode  [Claude],  le  prédicant  fanatique,  Jacques  Plantier,  René  Faillot, 
David  Marlier  père.  Aux  galères  :  Pierre,  Jean  et  Jacques  Marlier  fils,  Charles 
Aurenche,  Noël  Peyre  et  la  femme  Marie  la  Boiteuse,  qui  passait  pour  pleurer 
le  sang.  Au  fouet  et  à  la  fleur  de  lis  :  Isabeau  la  Daufinenque  (Dauphinoise), 
fanatique. 

14  novembre  (assemblées  de  Mialet,  près  Anduze,  25-31  août).  Cinq  ans  de 
galères  à  Denis  Durand.  Au  fouet  :  Louise  Durand  et  Jeanne  Laporte. 

14  novembre  (assemblée  de  Tornac,  2  octobre).  Pendu  :  Jean  Puech.  Aux 
galères  :  Thomas  Martin,  Etienne  Euzière,  André  Barbusse,  Jacques  Borgne. 

14  novembre  (assemblée  de  Sauve,  22  octobre).  Galères  :  Antoine  Rol- 
land). 

19  novembre  (assemblées  d'Uchaud,  près  Nîmes).  Cinq  ans  de  galères  et  le 
fouet  à  Jean  Rouergas. 

19  novembre  (assemblée  de  Saint-Théodorit,  14  octobre).  Galères  :  Élie 
Cabanis.  Le  23  novembre  (pour  la  même  assemblée,  Jean  Lauze,  le  prédicant). 

Tous  ces  jugements  sont  en  original  aux  Arch.  de  l'Hérault,  C  192. 


20  CH.    BOST. 

Le  prophétisme  dans  les  Cêvennes. 

La  répression  brutale  ne  pouvait  qu'exciter  les  convulsions 
du  fanatisme.  Nous  venons  de  le  montrer,  à  la  fin  d'octobre 
1701,  ayant  atteint,  au  sud,  les  environs  de  Nîmes,  à  l'ouest  le 
quartier  de  Saint-Hippolyte-du-Fort,  au  nord-est  et  au  nord  les 
hauteurs  qui  dominent  Lasalle,  Saint- Jean-du-Gard  et  Mialet. 
Les  informations  judiciaires  permettent  de  suivre  la  contagion 
dans  sa  marche  presque  régulière.  Nous  la  trouverons  bientôt 
dans  les  plaines  méridionales.  Pour  le  moment,  regardons  aux 
Gévennes.  La  fièvre  dont  les  environs  d'Andu^e  et  d'Alais  ont 
été  le  foyer  gagne  vers  l'ouest  et  le  nord,  saisissant  ici  ou  là 
des  personnalités  qui  joueront  quelques  mois  plus  tard  un  rôle 
décisif. 

Déjà  les  assemblées  de  Saint-Sébastien  et  de  Blatiès  (17  août) 
nous  montrent,  accompagnant  Raoux,  «  le  fils  de  Jean  Laporte, 
du  mas  Soubeyran  »,  c'est-à-dire  le  futur  camisard  Rolland  ou 
l'un  de  ses  frères  ^  En  octobre,  Abraham  Mazel,  de  Fauguières 
(Saint-Jean-du-Gard),  «  reçoit  ses  premières  grâces  »  près  de 
Toyras^.  Plus  haut,  Moissac,  le  Pompidou,  sont  bouleversés 
(octobre-novembre)  par  les  agitations  d'Etienne  Goût,  dit  La 
Coite  ou  La  Couette,  du  Pompidou,  qui  se  saisit  un  jour  du  curé 
Bugarel,  de  Fraissinet-de-Fourques,  le  mène  sur  les  ruines  du 
temple  de  Bassurels  et  le  fait  mettre  à  genoux,  pendant  que 
quelques  inspirés  «  fanatisent  »  autour  de  lui,  priant  Dieu  évi- 
demment pour  sa  conversion 3.  Plus  au  nord  encore,  Barre-des- 
Cévennes,  la  montagne  du  Bougés  et  le  versant  sud  du  mont 
Lozère  sont  contaminés  dès  novembre.  Pierre  Séguier  (ou 
Séquier),  qui  est  de  Magestavols,  près  Barre,  sera,  au  début  de 
janvier  1702,  «  le  moteur  de  tout  le  désordre  »  de  ces  quar- 
tiers^.  Salomon  Couderc,  drapier,  autre  inspiré,  sortira  de  VieL 
jouvès  ( Saint- André-de-Lancize,  sur  le  Bougés^). 

1.  Arch.   de  l'Hérault,   C.  180.  Interrogatoire   de    Jeanne  Laporte,  veuve 
Barafort  (5  septembre  1701). 

2.  Théâtre  sacré...,  p.  25  (éd.  Bost,  p.  145).  Corriger  Queiras  en   Toyras, 
comme  y  oblige  le  nom  du  hameau  de  Corbès,  qui  suit. 

3.  Mémoire  de  Meynadier  contre  l'abbé  du  Chayla   (Arch.   de  l'Hérault, 
C  183). 

4.  Lettre  de  Bâville  à  Meynadier  (de  Barre),  du  17  janvier  (Arch.  de  l'Hé- 
rault, C  183,  dossier  Meynadier). 

5.  La  France  protestante  de  Bordier,  t.  IV,  p.  761,  donne  à  tort  Salomon 


LES   «    PROPHÈTES   »    DD   LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  21 

Les  Basses-Cévennes  offrirent  bientôt  l'aspect  d'un  pays  hors 
.  de  sens.  Un  manuscrit  ayant  fait  partie  de  la  collection  Gaiffe, 
et  dont  l'auteur  était  un  habitant  d'Alais,  nous  présente  de  cette 
région  une  image  qui,  si  étrange  qu'elle  puisse  paraître,  con- 
corde absolument  avec  celle  que  laissent  les  pièces  judiciaires 
du  temps  1.  «  Au  commencement  de  1702,  le  nombre  de  ces 
furieux  et  de  ces  prophètes  devint  si  grand,  et  singulièrement 
dans  les  Cévennes,  et  il  y  parut  avec  tant  de  hardiesse  et  de 
liberté  qu'il  ne  fut  aucun  endroit  où  ces  malheureux  ne  fissent 
publiquement  leur  exercice.  On  les  vit  dans  les  villes  d'Alais, 
d'Anduze,  de  Sauve  et  autres,  les  bras  en  l'air,  en  tournant  les 
yeux  et  les  lèvres,  hurler  et  crier  par  les  rues  de  faire  pénitence, 
qu'on  était  à  la  fin  du  monde  et  à  la  dernière  heure.  »  Les  envi- 
rons d'Alais  (Cassagnoles,  15  janvier  1702),  de  Saint-Hippolyte 
(Colognac,  mars),  de  Ganges  (Roquedur,  fin  février  ;  Soubeyras, 
fin  janvier;  le  Marcou,  15  mars),  de  Valleraugue  (assemblée  de 
Rocalte,  3  mars),  du  Vigan  (Aulas,  février)  connaissent  ces 
prophètes,  qui  sanglotent  et  tremblent,  appellent  au  jeûne  et  à 
la  repentance,  présentent  des  fleurs  d'amandier  en  disant  : 
«  Voici  la  fleur  du  grain  de  miséricorde  que  Dieu  m'a  donné  et 
illuminé,  m'ayant  donné...  le  pouvoir  de  faire  toutes  choses  de 
sa  part  »,  affirment  que  Dieu,  tel  jour,  «  leur  a  donné  son 
esprit,  qui  est  entré  en  leur  cœur  comme  une  chandelle  (?)  », 
déclarent  «  qu'ils  ont  le  don  de  prophétiser  et  de  faire  des 
miracles  »,  et  parfois  interpellent  les  prêtres  dans  la  rue  en  les 
adjurant  de  revenir  à  la  vraie  religion.  Les  prisons  sont 
pleines,  les  amendes  pleuvent,  mais  les  soldats  sont  rares  dans 
la  province  et,  quand  ils  marchent,  ils  se  heurtent  parfois  à  une 
rude  résistance.  La  nuit  du  dimanche  19  au  lundi  20  juin,  un 
lieutenant  de  bourgeoisie  de  Ribaute  (près  d'Alais)  surprend  des 
protestants  réunis  dans  une  bergerie  qui  lui  appartient.  Les  huit 
soldats  du  détachement  tirent  dans  la  porte,  qui  n'est  fermée 
que  par  une  claie.  Mais  les  protestants  se  défendent  plus  d'une 
heure  «  à  coups  de  pierres,  de  bâtons  et  de  hallebardes  ».  Ils 
tentent  enfin  une  sortie  et  laissent  neuf  hommes  et  sept  femmes 

comme  originaire  de  Mazelrosade  (Saint-Germain).  C'est  Jacques  Couderc,  dit 
Lafleur,  qui  était  de  Mazelrosade,  et  nous  ne  sommes  pas  du  tout  assuré  que 
les  deux  inspirés  fussent  frères,  ni  même  parents. 

1.  Le  manuscrit  Gaiffe  a  été  copié  par  M.  N.  Weiss,  et  nous  avons  en  main 
une  copie  de  M.  Fonbrune-Berbinau,  prise  sur  la  copie  Weiss. 


22  CH.    BOST. 

aux  mains  des  miliciens  ^  Quelques  nouvelles  condamnations  de 
l'intendant  répondirent  à  des  manifestations  qui,  évidemment, 
le  déconcertaient,  mais  contre  lesquelles  la  rigueur  seule  lui 
paraissait  efficace  2. 

A  côté  de  ce  large  courant  de  fanatisme  qui,  conome  nous 
venons  de  le  dire,  unit  Anduze  aux  Hautes-Cévennes  par  Saint- 
Jean-du-Gard  et  le  Pompidou,  on  en  peut  noter  un  autre. 
Celui-ci  réunira  encore  Alais  au  Bougés  et  à  la  Lozère,  mais  le 
long  des  deux  routes  royales  tracées  par  Bâville,  qui  montent, 
d'une  part  vers  Saint-Germain-de-Calberte  par  Branoux,  de 
l'autre  vers  le  Pont-de-Montvert  parle  château  de  Portes.  Nous 
sommes  ici  dans  la  région  des  Gévennes  qui  était  alors  consi- 
dérée comme  la  moins  accessible. 

Au  début  de  décembre  1701,  l'inspirée  Françoise  Brès,  dite 
Bichon  (vingt-cinq  ans),  qui  a  vécu  aux  environs  d' Alais  depuis 
sept  ou  huit  ans  comme  servante  et  qui  est  remontée  vers  les 
montagnes  de  sa  naissance^,  «  prophétise  »,  sur  le  Bougés, 
au-dessus  de  Saint-Maurice-de-Ventalon.  Quinze  jours  plus 
tard,  elle  est  redescendue  dans  un  quartier  qui  n'a  pas  encore 
été  touché  par  la  contagion.  Quelques  assemblées  lui  suffisent 
pour  mettre  en  ébullition  les  alentours  du  Collet  de  Dèze.  Mais 
les  Gévennes  protestantes  qui  dépendaient  du  diocèse  de  Mende 
étaient  bien  surveillées,  et  par  un  homme  qui  ne  plaignait  pas  sa 
peine  quand  il  fallait  sévir  contre  de  mauvais  catholiques.  L'abbé 
du  Chavla,  ecclésiastiquement,  était,  dans  la  région,  «  inspec- 
teur des  missions  ».  Administrativement,  Bâville  avait  fait  de 
lui  un  «  inspecteur  des  chemins  des  Gévennes  ».  Dans  la  réa- 
lité, il  inspectait  toutes  les  démarches  des  nouveaux  convertis, 
accomplissant  (sans  mandat  régulier  à  ce  qu'il  semble)  des  opé- 

t.  Tout  ce  qui  précède  résume  des  procédures  des  Arch.  de  l'Hérault, 
C  182  et  C  184. 

2.  Le  6  mars,  la  femme  Massacan  est  condamnée  au  fouet  et  au  bannisse- 
ment (assemblée  de  Soubeiras,  C  182). 

Le  3  avril,  Simon  Cazalet  (assemblée  de  Ganges)  et  Jean  Galary  (assemblée 
d'Aulas)  sont  condamnés  aux  galères  (C  192). 

Le  3  avril  également  (assemblée  de  Ribaute),  Jean  Bonnet  est  condamné  à 
la  potence,  Pierre  Loubié  et  André  Barrefort  sont  envoyés  aux  galères  (C  192). 

Le  6  mars,  Bâville  avait  condamné  à  être  pendu  en  Vivarais  après  avoir  eu 
le  poing  coupé,  le  prédicant  fanatique  Claude  Maire,  dit  Caucadon,  qui  avait 
été  arrêté  en  Vivarais  et  qui  avait  tué  un  des  hommes  qui  l'avaient  voulu  sai- 
sir (C  192). 

3.  Elle  était  de  Champ-Long-de-Lozère,  au  nord  du  Pont-de-Montvert. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU   LINGCEDOC   EPf    1701    ET    1702.  23 

rations  de  police  ou  de  justice  qui  faisaient  de  lui  une  manière 
de  subdélégué  de  l'intendant'.  L'abbé,  qui  résidait  d'ordinaire  à 
Saint-Germain-de-Calberte,  intervenait  partout.  Accompagné  de 
quatre  soldats,  il  est  venu  à  Bassurels  après  l'affaire  du  curé 
Bugarel  et  a  imposé,  de  sa  propre  autorité,  60  écus  d'amende 
aux  coupables.  Persuadé  que  le  prédicant  Jean  Roman  (sorti  du 
royaume  depuis  la  fin  de  1699)  est  toujours  dans  le  pays  à  la  tête 
d'une  troupe  de  «  fugitifs  »,  il  ne  verbalise  au  Pompidou  que 
dans  une  maison  fortifiée.  C'est  là  qu'il  fouette  jusqu'au  sang  et  à 
plusieurs  reprises  un  jeune  inspiré,  qu'il  prend  pour  un  simula- 
teur^.  L'abbé  du  Ghayla  encore  agira  contre  Françoise  Brès. 
Il  est  averti  par  le  prieur  de  Saint-Andéol-de-Clerguemort  des 
manœuvres  de  la  prophétesse,  qui,  dans  les  paroisses  de  Saint- 
Andéol,  Saint-Frézal  et  Saint-Privat,  «  dénonce,  par  l'Esprit  », 
ceux  de  ses  auditeurs  qui  ont  «  avalé  douze  ou  quinze  fois  le 
nouveau  basilic,  voulant  dire  la  sainte  hostie  ».  Françoise 
Brès  fut  arrêtée  le  16  décembre  au  Gros  (Saint-Andéol)  avec 
quelques  femmes  et  un  jeune  homme,  Jean  Deleuze  (vingt  ans), 
qui  faisait  la  quête  dans  les  assemblées  qu'elle  convoquait.  Le 
19  janvier  1702,  à  Montpellier,  Bâville  condamnait  l'inspirée  à 
la  potence,  Deleuze  aux  galères  et  Catherine  Martin  de  Penens 
(Saint-Frézal)  à  être  fustigée  au  pied  de  la  potence  de  Françoise 
Brès.  Le  jugement  fut  exécuté  au  Pont-de-Montvert  le  24  jan- 
vier^. 

Une  relation  recueillie  par  A.  Court  rapporte  un  bruit  qui 
courut  les  Cévennes.  «  Lorsque  l'abbé  voulut  faire  dresser  la 
potence  où  elle  devait  être  pendue,  [Françoise  Brès]  déclara 
elle-même  à  la  justice  qu'elle  savait  qu'on  la  ferait  pendre  à  tel 
endroit,  qu'elle  nomma.  L'abbé,  plein  de  furie  et  de  mépris  pour 
ceux  qui  se  disaient  inspirés,  alla  chercher  [ailleurs],  vers  les 
terres  du  Camp-Long  (qui  sont  hors  du  village,  vers  la  montagne 
du  Bougés)  et  vers  celles  qui  sont  à  l'avenue  du  chemin  de 
Finiels.  Mais,  ne  trouvant  aucune  place  à  son  gré,  il  résolut  de 
la  faire  exécuter  là  où  elle  avait  dit,  ce  qui  étonna  le  peuple^.  » 

1.  Voir  Bulletin  cité,  t.  LVIl,  p.  208. 

2.  Mémoire  de  Meynadier,  Arch.  de  l'Hérault,  C  183  (le  fait  est  antérieur  au 
16  novembre). 

3.  Arch.  de  l'Hérault,  C  181  (dossier)  ;  C  192  (jugement). 

4.  Papiers  Court,  n*  30.  Notes  de  Jacques  Morin,  dit  Saltet,  qui  commentent, 
en  les  corrigeant,  quelques  pages  de  Louvreleuil.  Le  jeune  Morin,  qui  avait  dû 
quitter  les  Cévennes,  en  1741,  pour  avoir  blessé  le  curé  de  Molezon  [près 


24  CH.    BOST. 

La  part  qui  revint,  dans  cette  exécution,  à  l'abbé  du  Chayla 
nous  est  attestée  encore  par  un  récit  dont  nous  avons  une  double 
forme.  Le  Cévenol  Jean  Rampon  (qui  était  du  Pont-de-Mont- 
vert  même)  rapporte  que  la  prophétesse,  sur  la  place  du  Pont-de- 
Montvert,  «  annonça  que  celui  qui  l'exposait  à  ce  supplice  y 
viendrait  finir  sa  vie  dans  vingt-quatre  jours  »,  «  ce  qui  fut 
vingt-quatre  semaines  »,  explique  Rampon,  «  et  la  chose  arriva 
à  point  nommé*  ».  Cavalier  écrit,  dans  la  première  recension  de 
ses  Mémoires,  que  la  jeune  inspirée  (il  ne  sait  pas 'son  nom) 
aurait  dit  au  prêtre  :  «  Compte  que  d'aujourd'hui  en  un  an  et 
six  jours  tu  mourras  dans  la  même  place  où  tu  me  fais  mou- 
rir-. »  Que  l'on  s'arrête  à  un  chiffre  ou  à  l'autre,  la  prédiction 
n'est  pas  plus  exacte.  Rampon,  qui  participa  au  meurtre  de 
l'archiprêtre,  aurait  pu  observer  que  celui-ci  mourut  six  mois 
jour  pour  jour  après  Françoise  Brès  (24  janvier-24  juillet).  En 
essayant  de  corriger  un  mot  que  l'événement  n'a  pas  entière- 
ment réalisé,  il  nous  en  garantit  l'authenticité.  Il  nous  fournit 
à  la  fois  une  preuve  de  l'autorité  que  le  peuple  protestant  atta- 
chait alors  aux  discours  des  inspirés  et  de  la  colère  qui  montait 
dans  les  Cévennes  contre  le  plus  actif  de  leurs  persécuteurs. 

Un  peu  au  sud  de  la  région  où  avait  prêché  Françoise  Brès, 
le  fanatisme  allait  trouver  un  terrain  d'élection.  L'auteur  du 
manuscrit  Gaiffe  attache  une  importance  unique  aux  assemblées 
qui  se  sont  tenues  là.  Il  veut  que  la  révolte  camisarde  y  ait  été 
concertée.  Il  se  trompe  assurément,  mais  il  faut  reconnaître  que 
des  paroles,  grosses  de  conséquences,  y  ont  été  prononcées  ou 
colportées,  et  il  est  possible  que  ce  soit  en  efïet  dans  ce  quartier 
nouveau  que  l'agitation  morbide  des  illuminés  se  soit  délibéré- 
ment orientée  vers  la  violence. 

L'écrivain  anonyme,  qui  est,  avons-nous  dit,  d'Alais,  expose 
que  le  fanatisme,  après  s'être  manifesté  dans  des  individus  iso- 
lés ou  dans  de  petits  groupements,  a  fini  par  s'affirmer  dans  des 
assemblées  considérables,  qui  ont  débuté  aux  environs  de  la 
viUe. 

Barre],  écrit  ses  notes  en  1742.  Il  avait  parcouru  les  Cévennes  (où  il  était  né) 
aux  côtés  du  pasteur  Jean  Combes,  son  aîné  et  de  beaucoup.  Les  notes  de 
Morin,  comme  celles  de  Combes,  sont  des  souvenirs  qu'ils  ont  recueillis  dans 
leurs  courses. 

1.  Papiers  Court,  n"  17  K,  fol.  75  (relation  de  Jean  Rampon).  Jean  Rampon 
est  contemporain  de  ces  événements.  Voir  plus  loin. 

2,  Éd.  Puaux,  p.  10,  note. 


LES   «    PllOPHÈTES   »    DO   LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  25 

Entre  le  Gardon  d'Alais  à  l'est  et  le  Galeizon  à  l'ouest,  domi- 
nant au  nord  le  village  de  Branoux'et  le  Collet  de  Dèze,  à  l'ouest 
Saint-Martin  de  Boubaux  et  à  l'est  la  vallée  où  est  aujourd'hui 
bâtie  la  Grand'Combe,  s'élève  une  crête  inégale,  qui  atteint  sou- 
vent 700  mètres,  et  le  long  de  laquelle  serpente  la  route  d'Alais 
à  Saint-Germain.  Notre  auteur  nous  y  transporte.  «  Ils  choi- 
sirent »,  dit-il,  «  les  montagnes  de  Roffières  et  de  la  Melouze, 
à  deux  lieues  au-dessus  d'Alais,  comme  celles  de  la  contrée  où 
ils  pouvaient  être  avec  plus  de  sûreté  par  rapport  à  leurs  éléva- 
tions [extases]  et  à  leurs  figures...  Tout  ce  pays,  qui  est  celui  de 
la  province  le  plus  rude,  le  plus  âpre  et  par  conséquent  le  plus 
propre  pour  les  favoriser,  s'y  rendait  de  toutes  parts  {sic),  de 
quoi  le  s""  Bertrand  de  La  Bruguière,  mon  ami  particulier,  juge 
de  Mgr  le  prince  de  Gonti  dans  sa  comté  d'Alais  et  sabdélégué 
de  M.  de  Bâville,  en  fit  en  divers  temps  diverses  procédures, 
comme  il  m'a  fait  voir,  et  m'a  instruit  d'ailleurs  de  vive  voix.  » 

Avant  d'en  venir  à  l'assemblée  de  Roffières,  où  nous  retrou- 
verons Astruc  Mandagout,  transcrivons  encore  quelques  témoi- 
gnages qui  nous  apprendront  la  puissance  de  l'épidémie  fana- 
tique dans  ce  canton.  De  la  fin  de  janvier  1702  à  la  fin  d'avril, 
les  assemblées  où  l'on  «  tombe  »  et  où  l'on  «  prophétise  »  ne 
cessent  pas  à  Saint-Privat-de-Vallongue,  où  est  passée  Fran- 
çoise Brès'.  La  nuit  du  25  au  26  mars,  le  curé  de  Saint-Michel 
de  Dèze  en  découvre  une  dans  sa  paroisse.  Le  lendemain  matin, 
une  autre  s'est  formée,  et  dix  des  assistants  sont  conduits  à 
Alais-.  Le  21  avril,  on  informe  contre  un  praticien  de  Blan- 
naves,  dont  les  deux  servantes,  catholiques  d'origine,  sont 
devenues  prophétesses  à  son  exemple.  On  le  soupçonne  d'avoir 
donné  à  ces  filles  des  «  bruvages  »,  entendez  des  philtres 
magiques,  et  l'une  d'elles  ne  comprend  rien  à  son  cas  :  «  Après 
avoir  dîné  à  la  maison,  elle  alla  garder  ses  brebis  aux  champs, 
un  tremblement  la  prise  et  elle  a  prêché.  »  Depuis,  «  elle  a 
demandé  pardon  à  Dieu  autant  de  fois  qu'elle  avait  reçu  des 
hosties  »,  et  elle  a  jeté  ses  chapelets  au  feu 3.  Le  Théâtre  sacré 
des  Cévennes  rapporte  un  fait  analogue  qui  s'est  passé  à  la 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C  183.  Information  à  Saint-Privat,  le  24  avril. 

2.  Ibid.,  C  183.  Information  à  Saint-Michel,  1"  avril  1702. 

3.  Ibid.,  C  183.  Information  à  Alais.  Le  prieur  de  Mialct,  après  avoir  vu  les 
premiers  prophètes  de  sa  paroisse  (août  1701),  était  convaincu  qu'on  avait 
donné  à  ces  enfants  «  quelque  poudre  d'enchantement  »  (assemblée  de  Mialet, 
C  180). 


26  CH.    BOST. 

même  époque  à  Saint- Paul-la-Coste^  Le  Cévenol  Halmède 
(Aumède)  alla  consulter  son  curé  touchant  son  fils  de  douze  à 
treize  ans,  «  qui  recevait  des  inspirations  »  (on  se  souvient 
qu'aux  termes  d'une  ordonnance  de  Bâville  le  père  était  respon- 
sable du  fanatisme  du  fils).  Le  prêtre  fut  d'avis  d'abord  de  faire 
jeûner  l'enfant,  puis  de  lui  donner  de  bons  coups  de  bâton,  fina- 
lement de  lui  appliquer  secrètement  de  la  peau  de  serpent  sur  la 
tête.  Comme  le  père,  ayant  usé  vainement  des  deux  premiers 
remèdes,  se  disposait  à  essayer  le  dernier,  son  fils  le  reprit 
«  d'une  façon  si  terrible  »  que,  peu  de  jours  après,  Halmède 
«  reçut  lui-même  les  dons  de  révélation  et  de  prédication 2  ». 

Notons  enfin  un  dernier  trait.  Dans  cette  région  de  Branoux, 
les  prophètes  ou  leurs  auditeurs  se  sont,  depuis  quelques  mois, 
emportés  à  un  acte  sacrilège.  Un  «  ancien  catholique  »  ayant 
tué  d'un  coup  de  fusil,  devant  l'égUse  de  la  Melouze,  un  «  gros 
chien  de  parc  »  appartenant  à  un  nouveau  converti,  le  lende- 
main l"""  novembre  1701,  jour  de  la  Toussaint,  on  a  trouvé  le 
corps  du  chien  «  étendu  et  attaché  sur  les  bras  de  la  croix  du 
cimetière  de  la  paroisse  ».  Huit  jours  plus  tard,  l'abbé  du 
Chayla,  sur  une  plainte  du  prieur  Audiffred,  a  fait  procéder 
(inutilement  d'ailleurs)  à  une  information,  et  il  a  dû  se  borner 
à  une  cérémonie  publique  d'expiation 3. 

Telle  était  la  situation  aux  environs  de  Branoux  quand  se 
tinrent  les  assemblées  que  mentionne  notre  auteur  d'Alais.  Les 
procédures  qui  nous  restent  sont  incomplètes.  Elles  suffisent  à 
confirmer  pleinement  ses  dires^.  Les  tout  premiers  jours  de  mai, 
un  culte  public  est  célébré  à  Prades  (paroisse  de  Laval,  près  la 
Grand'Combe).  Laurence  Laval,  une  fanatique  de  Blannaves 
(près  Branoux),  y  prêche,  avec  deux  autres  filles.  Puis,  la  nuit 
du  6  au  7,  les  protestants  du  quartier  se  transportent  «  sur  le 
penchant  de  la  montagne  de  Roffières,  au-dessus  du  hameau  de 
La  Favède  »  ^  Nous  ne  savons  rien  de  cette  réunion.  Mais  la  nuit 

1.  Déposition  d'Abraham  Mazel,  insérée  dans  celle  d'Élie  Marion,  p.  88  (éd. 
Bost,  p.  80). 

2.  Aumède,  devenu  camisard,  sortit  de  France,  en  1705,  avec  Élie  Marion  et 
Abraham  Mazel. 

3.  Manuscrit  Gaiffe,  et  Mingaud,  Troubles  des  Cévennes  (Le  Vigan,  1889), 
p.  14,  qui  s'accordent  sur  la  date.  Louvreleuil,  p.  26,  renvoie  le  fait  au  prin- 
temps de  1702. 

4.  Arch.  de  l'Hérault,  0  182  (assemblées  de  Roffières,  dossier  mai-juillet  1702. 
Autre  dossier  de  septembre,  relatif  à  Etienne  Soleyret). 

5.  Roffières  est  un  hameau  de  la   commune  des   Salles-du-Gardon,  qui 


LES    «    PROPHÈTES    »    DD   LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.  27 

suivante,  du  dimanche  7  au  lundi  8  mai,  une  autre  est  convo- 
quée à  la  même  place,  autrement  importante,  et  sur  laquelle 
nous  sommes  renseignés. 

Le  culte  dura  la  nuit  entière,  présidé  successivement  par  de 
nombreux  prophètes-prédicateurs.  Les  uns  étaient  du  quartier 
même,  tels  Laurence  Laval,  qu'on  entend  à  nouveau,  ou 
encore  Abraham  Pouget,  de  RofRères  (quarante- sept  à  qua- 
rante-huit ans),  Rozier,  de  La  Favède,  ou  Louis  Brès  père 
(soixante  ans),  ancien  chantre  de  l'église  protestante  de  Bra- 
noux.  Mais  avec  eux  on  nomme  «  Mandagout,  qui  aurait  prê- 
ché avant  Brès  »,  et  nous  ne  savons  si  les  phrases  qui  nous 
sont  rapportées  doivent  être  attribuées  à  l'un  ou  à  l'autre.  Les 
termes  de  l'exliortation  attirent  l'attention  des  juges.  Ils  sont 
neufs,  en  effet.  Ce  n'est  plus  seulement  l'Eglise  catholique  qui 
est  mise  en  cause,  mais  le  roi.  La  venue  de  Mandagout  (qui  des- 
cend, comme  on  le  verra,  du  Pont-de-Montvert)  et  celle  d'autres 
prophètes  fugitifs  (que  nous  nommons  plus  loin)  marque  dans  la 
région  un  nouveau  degré  d'exaltation.  «  Le  roi  veut  nous  faire 
renoncer  à  la  parole  de  Dieu  et  nous  faire  renoncer  à  la  grâce 
de  l'Eternel  »,  ont  dit  les  prédicateurs,  «  mais  il  est  incapable 
de  rien  faire  contre  la  parole  de  notre  Éternel!  N'allez  à  la 
messe  que  pour  la  forme,  le  temps  est  venu  où  nous  n'irons 
plus!  Le  roi  défend  de  manger  de  la  viande  les  vendredis  et 
samedis  et  le  carême!  Il  en  faut  manger,  l'Éternel  le  commande. 
Ayons  bon  courage,  l'Éternel  nous  a  donné  la  victoire!  »  On 
remarquera  que  ceci  est  déjà  du  vocabulaire  camisard. 

Lvassemblée  se  retire  avant  l'aube,  les  assistants  se  groupant 
par  hameaux,  afin  de  rentrer  chez  eux  en  masses  plus  impo- 
santes. Ils  savent  ce  qu'ils  font.  Il  s'est  trouvé  en  effet  dans  la 
foule  deux  espions  (à  ce  qu'il  semble  deux  soldats  de  bourgeoi- 
sie) qui,  à  la  clarté  de  la  lune,  ont  pu  reconnaître  quelques-uns 
des  assistants,  et  qui,  avec  huit  autres  catholiques,  ont  «  occupé 
en  deux  pelotons  les  deux  points  de  retraite  de  l'assemblée  ». 
L'allure  décidée  des  auditeurs  .qui  repartent  a  ôté  cependant 
aux  malintentionnés  l'envie  de  les  attaquer.  Mais,  deux  heures 
plus  tard,  les  deux  hommes  arrêtent  chez  lui  un  fermier  et 

domine  le  hameau  et  le  château  de  La  Favède.  C'est  du  château  de  La  Favède 
qu'était  originaire  la  famille  de  Benjamin  du  Plan,  ouvrier  actif  dans  les  pre- 
miers synodes  t  du  désert  »,  et  que  son  attachement  aux  prophètes  rendit  plus 
tard  suspect  à  Court  et  aux  pasteurs  du  Languedoc.  Mais  du  Plan  ne  connut 
des  prophètes  qu'en  1710. 


28  CH.    BOST. 

sa  jeune  parente.  La  fille  pousse  des  cris;  les  catholiques,  qui 
sont  armés,  lâchent  chacun  un  coup  de  fusil  de  peur  que  les 
voisins  n'accourent.  Personne  ne  se  montre,  et  les  captifs  sont 
conduits  à  Alais.  Le  lendemain,  des  patrouilles  vont  fouiller  les 
hameaux  de  la  montagne  et  arrêtent  quatorze  personnes. 

L'information,  dirigée  par  le  juge  d' Alais,  La  Bruguière, 
commença  le  19  mai.  Elle  se  poursuivait  encore  un  mois  plus 
tard,  quand  dans  le  même  canton  des  Cévennes  une  autre 
affaire  éclata. 

Le  dimanche  11  juin,  le  capitaine  de  bourgeoisie  Coste, 
ancien  officier  de  carrière,  qui  était  en  garnison  dans  le  châ- 
teau de  Portes  (en  face  de  Roffières  et  de  Branoux,  sur  l'autre 
rive  du  Gardon),  partit  à  l'entrée  de  la  nuit  pour  surprendre  une 
assemblée  qui  lui  était  signalée  sur  le  terroir  de  Peyremale. 
Entre  le  lieu  de  Mercoire  et  la  métairie  de  l'Issartol,  vers  Char- 
reneuve,  il  entend  une  voix  d'homme  qui  retentit  au  fond  du 
vallon .  La  dernière  réunion  de  Roffières  a  paru  si  séditieuse  que 
les  soldats,  maintenant,  ne  gardent  plus  de  mesures.  L'officier 
écrit  lui-même  qu'il  a  divisé  sa  troupe  en  deux  parties,  mettant 
l'assemblée  au  milieu.  Une  lampe  brille  parmi  les  250  auditeurs 
amassés,  éclairant  un  homme  habillé  de  blanc,  plus  élevé  que 
les  autres.  Coste  «  ordonne  de  tirer  sur  l'assemblée  »,  qui  se  dis- 
perse en  tumulte,  lâchant,  en  se  retirant,  quatre  ou  cinq  coups 
de  feu.  Les  soldats  avaient  réussi  à  tuer  le  prédicant,  Jean 
Mathieu,  dit  Claudine,  de  Genolhac.  On  le  retrouva  vêtu  d'une 
veste  et  d'une  culotte  de  toile,  à  quatre  pas  d'une  pierre  qui  lui 
avait  servi  de  tribune,  une  partie  du  corps  dans  l'eau  du  ruis- 
seau. A  côté  de  lui,  un  Nouveau  Testament,  un  psautier  et  un 
pistolet ' .  ' 

Les  soldats  firent  vingt  prisonniers,  la  plupart  blessés  par 
leur  décharge.  Ils  ramenèrent  au  château  de  Portes  ceux  qu'ils 
purent.  Une  femme  et  un  homme  furent  laissés  à  Mercoire,  «  ne 
pouvant  marcher  du  fait  de  leurs  blessures  ou  des  coups  reçus  »  ; 
une  autre  femme,  «  blessée  d'u^  coup  de  feu  à  la  tête,  ne  pou- 
vant marcher  »,  fut  confiée  à  son  frère,  et  le  juge  Rozier,  d'Uzès 

l.  Arch.  de  l'Hérault,  C  182  (assemblée  de  Peyremale.  Il  n'y  a  que  le  procès- 
verbal  dressé  par  le  capitaine)'.  Broglie  et  Bâville  écrivirent  en  cour  pour 
signaler  l'aflaire.  Tous  deux  prétendent  (on  les  a  peut-être  volontairement 
trompés)  que  les  protestants  ont  tiré  les  premiers  (Hist.  de  Languedoc,  t.  XIV, 
1560). 


LES  «  PROPHÈTES  »  DD  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702.     29 

(le  lieu  de  l'assemblée  était  sur  le  diocèse  d'Uzès),  vint,  le 
16  juin,  commencer  à  Peyremale  une  information  que  noUs 
n'avons  plus'. 

Le  jugement  de  Mandagout  mentianne  des  dépositions  faites 
à  cette  occasion,  précisément  le  16  juin,  par  Pierre  Pradel  et 
Antoine  Légal,  dont  nous  ignorons  le  lieu  d'origine.  Comme  le 
jugement  ne  s'appuie  que  sur  ces  deux  dépositions  perdues,  en 
plus  de  l'information  du  19  mai  que  nous  possédons,  nous 
sommes  fondés  à  croire  que  c'est  de  Pradel  et  de  Légal  que  pro- 
viennent toutes  les  accusations  nouvelles  dont  se  corsa  le  dos- 
sier de  l'inspiré.  Nous  ne  savons  si  les  deux  témoins  affir- 
mèrent que  Mandagout  s'était  trouvé  dans  l'assemblée  surprise 
à  Peyremale  (Bâville  l'en  accuse)  ou  si  plutôt  ils  parlèrent  du 
prophète  comme  ayant  séjourné  récemment  dans  le  quartier.  Ils 
rapportèrent  un  récit  de  Mandagout  relatif  à  ces  voyages.  Au 
Pont-de-Montvert,  les  protestants  l'avaient  pris  d'abord  pour  un 
espion.  «  Il  a  eu  si  peur  qu'il  a  faUu  lui  'donner  de  l'eau-de-vie 
pour  le  remettre  »,  et  il  a  dû  ensuite  prêcher  pour  montrer  sa 
bonne  foi.  Mandagout  porte  des  armes,  et  il  en  use.  Pradel  (qui 
sans  doute  a  voulu  l'arrêter)  dit  que  l'inspiré  «  lui  a  tiré  ur  coup 
de  pistolet  et  l'a  ensuite  blessé  d'un  coup  de  pierre  ».  Enfin,  il 
aurait  tenu  un  propos  d'une  extrême  gravité.  Il  a  dit  qu'au  pre- 
mier jour  il  y  aurait  deux  cents  personnes  rassemblées,  qui 
abattraient  les  églises  et  tueraient  tous  les  catholiques.  Nous 
ne  connaissons  la  phrase  que  parce  que  Bâville  reproche  à  Man- 
dagout de  l'avoir  prononcée.  Comme  l'interrogatoire  est  d'une 
époque  (13  septembre)  où  déjà  les  premières  fureurs  camisardes 
se  sont  déchaînées,  on  pensera  peut-être  que  Bâville  a  ici  trans- 
formé en  accusation  un  simple  soupçon  né  dans  son  esprit; 
mais  il  faut  noter  que  la  question  qui  suit  :  «  S'il  ne  s'est  asso- 
cié avec  Brès  [père]  pour  prêcher  alternativement  »,   nous 
ramène  aux  assemblées  de  Roffières  (ou  de  Peyrenîale)  et  que, 
par  conséquent,, l'intendant  paraît  avoir  posé  à  Mandagout  des 
questions  qui  sortent  des  dossiers  qu'il  a  sous  les  yeux.  Il  nous 
semble  donc  très  probable  que  la  phrase  séditieuse  —  et  cette 
fois  réellement  prophétique  —  de  l'inspiré  a  été  prononcée  par 
lui  à  la  fin  de  mai  ou  au  début  de  juin,  sans  qu'elle  puisse  être 

1.  Une  pièce  isolée,  Arch.  de  l'Hérault,  C  186,  nous  a  conservé  le  nom  des 
prisonniers,  ces  détails  et  la  date. 


30  CH.    BOST. 

tenue  d'ailleurs  pour  autre  chose  qu'une  exclamation  de  fureur 
sacrée*. 

Trois  mois  plus  tard,  l'interrogatoire  d'un  Cévenol  apprenait 
qu'aux  assemblées  de  Roffières  on  avait  vu  Gédéon  Laporte 
(quarante-cinq  ans,  le  futur  chef  camisard),  de  Branoux. 
Laporte  était  un  ancien  soldat,  qui  avait  été  également  forgeron 
dans  un  martinet  et  marchand  de  fer  ;  il  était  maintenant  mar- 
chand de  porcs 2.  Laporte,  qui  deviendra  un  «  prédicant  »,  ne 
prêche  sans  doute  pas  encore.  Du  moins  on  ne  l'a  pas  entendu 
avec  Brès  et  Mandagout.  Mais  un  autre  prophète  a  paru  avec 
eux,  «  Salamon  ».  Nous  songeons  naturellement  à  Salomon 
Couderc,  du  Bougés,  qui  serait  descendu  avec  Mandagout  de  la 
haute  montagne.  Mais  comme  la  même  pièce  parle  plus  loin  de 
«  Salamon,  prédicant  de  Saint- Jean  »,  on  voit  que  Salomon 
Couderc  a  été  ici  confondu  avec  Abraham  Mazel,  et  ceci  prou- 
verait que  les  deux  inspirés,  dès  le  mois  de  mai  1702,  agissaient 
ensemble  dans  les  Cévennes  avec  Mandagout  3. 

Mandagout,  qu'il  ait  assisté  ou  non  à  l'assemblée  de  Peyre- 
male,  avait  quitté  les  Cévennes  au  moment  des  informations 
du  juge  Rozier.  Nous  allons  le  retrouver  dans  la  plaine  de 
Nîmes. 

Le  prophétisme  dans  «  le  pays  bas  ». 

La  région  méridionale  du  Bas -Languedoc,  celle  que  les 
Cévenols  appellent  «  le  pays  bas  »,  était  alors  presque  aussi 
agitée  que  les  environs  d'Alais. 

Le  5  novembre  1701,  Bâville  avait  interrogé  un  jeune  Rouer- 
gas  (seize  ans),  d'Uchaud,  qui,  après  avoir  rencontré  un  inspiré 
dans  sa  crise,  était  à  son  tour  tombé  brusquement  saisi  d'un  grand 
tremblement  au  moment  où  il  récitait  le  Notre  Père.  Fléchier 
avait  été  curieux  d'examiner  ce  prophète  qui,  «  lorsque  le 
Saint-Esprit  entrait  en  lui,  sentait  quelque  chose  dans  l'estomac 
comme  un  caillou  ».  L'intendant  «  l'expédia  vite  »  en  le  con- 

1.  Pour  ce  qui  précède  :  interrogatoire  de  Mandagout,  13  septembre  1702 
(Arch.  de  l'Hérault,  C  183);  jugement  de  Mandagout,  C  192. 

2.  Sur  Laporte,  voir  Louvreleuil,  t.  I,  p.  41,  que  La  Baume  (t.  I,  p.  26)  se 
borne  à  copier.  Laporte  est  qualifié  marchand  de  pourceaux  dans  le  procès  qui 
fut  fait  à  sa  mémoire  (Arch.  de  l'Hérault,  C  182). 

3.  Interrogatoire  de  Soleyret,  de  Branoux,  2  septembre  1702  (Arch.  de 
l'Hérault,  C  182). 


LES    «    PROPHÈTES    »    DD   LANGUEDOC   EPf    1701    ET    1702.  31 

damnant  à  cinq  ans  de  galères  i.  A  la  même  époque,  à  Gènérac, 
un  tailleur  suspect  de  fanatisme,  que  le  vicaire  du  lieu  interroge, 
lui  raconte  les  miracles  dont  on  colporte  le  récit  dans  Nîmes. 
«  Des  enfants  de  naissance  (venant  de  naître)  ont  parlé.  Même 
un  enfant,  du  temps  qu'il  recevait  le  baptême,  a  dit  :  «  Prêtre, 
«  ne  me  baptise  point,  je  suis  déjà  baptisé-.  »  Dès  le  mois  de 
mars  1702,  le  mal  a  été  porté  jusqu'aux  environs  de  Béziers,  à 
Villemagne  (Villeveyrac),  où  Bàville  fait  pendre  le  prophète 
Gouze  et  fustiger  une  inspirée.  Un  mois  plus  tard,  nous  avons 
vu,  dans  la  même  région,  Montagnac  contamiçé  par  Doustin,  à 
qui  Gouze  a  communiqué  «  le  souffle^  ». 

Dès  le  printemps  également,  le  fanatisme  s'est  répandu  dans 
toute  la  plaine  qui  va  de  Nîmes  au  Rhône  et  à  la  mer.  Le 
8  mars,  un  inspiré  déjà  connu  dans  le  quartier,  Boudon,  origi- 
naire de  Bernis,  «  tombe  »  et  prêche  dans  une  maison  de  Beau- 
voisin,  en  même  temps  qu'une  prophétesse,  Isabeau  Romajon, 
dite  Vernelouze  (vingt  ans),  qui  est  du  village  d'Uchaud.  Le 
curé  pénètre  dans  le  logis.  Boudon  lui  échappe,  mais  il  fait  sai- 
sir la  fille  et  trois  hommes.  Le  lendemain,  sur  l'ordre  du  baron 
de  Saint-Cosme,  ancien  membre  du  consistoire  de  Nîmes,  qui 
commande  maintenant  les  milices  de  la  plaine,  les  quatre  pri- 
sonniers partent  pour  le  château  de  Sommières.  Près  d'Aigues- 
Vives,  sous  le  village  de  Mus,  dans  un  chemin  bas  bordé  d'oli- 
viers, seize  hommes  sortent  de  dessous  les  arbres,  armés  de 
bâtons,  de  pistolets,  l'un  même  d'un  fusil,  entourent  les  soldats, 
leur  crient  qu'ils  sont  des  infâmes,  qu'ils  veulent  aller  contre  la 
loi  des  saints  prophètes,  les  menacent  de  les  tuer  tous.  Ils 
clament  «  qu'ils  sont  tous  des  jeunes  gens,  mais  qu'ils  n'ont 
qu'une  vie  à  perdre  pour  Dieu  ».  Les  soldats  réussissent  à  se 
retirer  avec  les  trois  hommes  qu'ils  conduisent.  Mais  Verne- 
louze, qui  avait  été  mise  sur  un  âne,  est  entourée  par  les  libé- 
rateurs, qui  coupent  les  cordes  qui  la  lient  et  l'emmènent  vers 

1.  C  181,  dossier  Rouergas.  Voir  Bulletin  cité,  t.  XV,  p.  136. 

2.  C  182,  dossier  des  assemblées  de  Beauvoisin,  mars  1702. 

3.  Une  note  des  papiers  Court,  n°  17  B,  fol.  433,  dit  :  «  Le  mercredi  5  avril 
1702,  on  pendit  à  Villemagne  le  nommé  Gouze,  de  Pignan  [près  Montpellier], 
pour  cause  de  religion.  Le  même  jour,  pour  le  même  objet,  on  donna  le  fouet 
à  une  fille  du  lieu.  »  Nous  avons  vu  plus  haut  Gouze  nommé  dans  le  procès 
fait  à  Montagnac  au  prophète  Doustin.  Doustin  et  son  hôte  David  Combes,  de 
Montagnac,  furent  condamnés  aui  galères  au  début  de  juillet  (Arch.  de  l'Hé- 
rault, C  183.  Le  jugement  manque). 


32  CH.    BOST. 

La  Vaunage.  La  prophétesse,  avec  le  chef  de  la  troupe,  Dour- 
nin  Bombonnoux,  de  Bernis,  ira  continuer  ses  prédications  vers 
Uzès^ 

Il  reste  cependant  des  prophètes  à  Beauvoisin.  L'après-midi 
du  dimanche  12  mars  se  tient  une  assemblée  de  3  à  400  per- 
sonnes à  l'entrée  du  bois  de  Beauvoisin,  à  urie  demi-lieue  de 
Franquevaux.  Le  curé,  informé,  fait  arrêter  deux  prisonniers 
à  leur  retour,  et  Saint- Cosrae  envoie  dix  femmes  aux  prisons 
d'Aigues-Mortes^.  L'opinion  catholique  s'affole;  elle  parle  d'une 
«  bande  de  meurtriers  »  qui  parcourt  le  pays.  Le  dimanche 
25  mars,  jour  de  l'Annonciation,  les  catholiques  de  Saint-GLUes, 
en  sortant  des  vêpres  et  après  la  procession,  apprennent  que  les 
protestants  célèbrent  un  culte  vers  l'église  de  la  Madeleine.  Ils 
s'arment  de  toutes  parts  et  courent  de  tous  côtés  au  lieu  indiqué. 
Les  protestants  s'épouvantent  et  s'enfuient.  A  la  métairie  du 
Trondet,  beaucoup  d'entre  eux  arrivent  en  pleurant,  y  cher- 
chant un  refuge.  Parmi  eux  on  voit  «  Samuelet,  de  Générac, 
qui  porte  la  Bible  >  et  qui  passe  pour  le  chef  de  «  la  bande  ». 
On  dit  qu'un  homme  a  été  tué,  un  autre  blessé 3. 

Le  7  avril,  on  arrêta  près  d'Uzès  Bombonnaux  et  Vernelouze. 
BâviUe  condamna  Bombonnaux,  le  20,  à  être  pendu,  après 
avoir  subi  la  question  sur  le  lieu  où  il  avait  enlevé  la  pro- 
phétesse aux  soldats,  et  le  jugement  fut  exécuté  le  22.  Verne- 
louze, que  l'abbé  de  Nogaret  fit  relâcher  sur  la  promesse  qu'elle 
vivrait  désormais  en  catholique,  retomba  aussitôt  «  dans  ses 
accès  de  fanatisme  ».  Elle  fut  arrêtée  à  nouveau,  et  le  4  mai 
Bâville  la  condamnait  au  fouet  et  au  bannissement^. 

Les  mouvements  de  Beauvoisin  et  de  Saint-Gilles  aboutirent, 
dans  la  plaine,  à  une  fusillade  pareille  à  ceUe  de  Peyremale  dans 
les  Gévennes. 

Le  lundi  17  mai  au  soir,  un  lieutenant  de  la  compagnie  bour- 
geoise de  GuiUeminet,  qui  était  casernée  au  château  de  Vau- 
vert,  est  informé  d'une  assemblée  convoquée  pour  la  nuit  au  ter- 
roir de  Gombemigeyre,  limitrophe  des  terres  de  Franquevaux. 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C  182  (dossier  des  assemblées  de  Beauvoisin);  C  183 
(dossier  Vernelouze-Bombonnoux). 

2.  Ibid.,  C  182  (assemblée  de  Beauvoisin). 

3.  Ibid.,  C  183  (assemblée  de  Saint-Gilles.  Information  faite  à  Saint-Gilles). 
Samuelet,  «  jeune  meunier  »,  devint  camisard.  Il  passa  pour  avoir  tué  le 
capitaine  Poul  au  combat  du  Val-de-Bane,  dans  la  plaine  de  Nîmes  (12  jan- 
vier 1703).  Voir  France  protestante  de  Bordier,  t.  III,  p.  857. 

4.  Ibid.,  G  183  (dossier  Bombonnoux- Vernelouze). 


LES   «    PROPHÈTES   »    DD   LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  33 

Avec  une  vingtaine  de  soldats,  il  marche- vers  les  protestants, 
qu'il  découvre  réunis  au  nombre  de  400  personnes.  «  Il  fait 
tirer  dessus  aussitôt  »,  en  tue  deux,  en  blesse  quelques  autres 
et,  soit  sur  le  lieu,  soit  dans  les  métairies  voisines,  fait  plus  de 
quatre-vingts  prisonniers.  Bâville  se  les  fit  amener  à  Montpel- 
lier et,  le  1^'"  juin,  en  condamna  treize  aux  galères*.  Quatre 
femmes  furent  condamnées  au  fouet.  Le  prédicateur  de  l'assem- 
blée, qu'on'  nommait  Antoine,  ou  Benoni,  avait  pu  s'échapper. 
Mais  on  avait  saisi  un  autre  prophète,  qui  se  donna  d'abord 
pour  un  Jean  Laurier,  de  Vallon  en  Vivarais,  ancien  tailleur  de 
pierre.  Bàville  le  condamna  à  subir  la  question,  pour  être 
ensuite  pendu  à  Vauvert.  Il  fut  exécuté  le  3  juin,  déclarant  au 
pied  de  la  potence  qu'il  se  nommait  Marc  Laurier,  ce  qui  nous 
le  donne  à  reconnaître  (avec  d'autres  sources  qui  le  nomment  le 
Petit  Marc)  pour  le  prédicant  Marc,  qui  avait  paru  à  Vais  en 
Vivarais  en  octobre  1700.  Le  juge  Loys  rendit  compte  à  Bâville 
de  l'exécution  :  «  Il  a  dit  qu'il  était  justifié  et  qu'il  voyait  les 
cieux  ouverts.  Il  a  souffert  la  question  sans  faire  la  moindre 
plainte  et  sans  rien  avouer^.  » 

Le  baron  de  Saint-Cosme  eut  ici  son  rôle,  non  dans  la  décou- 
verte de  l'assemblée,  mais  dans  les  poursuites  judiciaires 
qu'elle  provoqua.  Ce  fut  lui  qui  requit  le  subdélégué  de  Saint- 
Gilles  de  se  transporter  dans  la  campagne  pour  y  verbaliser 
contre  des  protestants  qui  auraient  enterré  le  corps  des  deux 
morts  restés  sur  le  terrain  ^  Il  forma  ensuite  un  détachement  de 
douze  soldats  qui  allèrent  désarmer  tous  les  nouveaux  convertis 
depuis  Saint-GiUes  jusqu'à  Aimargues.  La  mesure  provoqua  un 
vif  mécontentement  dans  des  quartiers  où  les  habitants  vivaient 
en  partie  de  la  chasse  sur  les  marais  de  Vauvert^. 

1.  Claude  Vaupilière,  Roustan  Glaize,  Jacques  Brun,  Jean  Maubernard, 
David  Rey,  Jacques  Teissier,  François  Tribes,  Pierre  Foussati,  Pierre  Charde- 
non  aux  galères  perpétuelles;  François  (ou  Pierre)  Roques,  Pierre  Farinièrc, 
David  Roubaud,  Jacques  Gouirand  aux  galères  pour  cinq  ans  (tous  étaient  de 
Vauvert  ou  de  Beauvoisin).  Jugement,  C  192. 

2.  C  183  (assemblée  de  Combernigeyre).  Il  semble  que  trois  filles  seulement 
aient  été  publiquement  fustigées.  On  avait  pri^  dans  l'assemblée  la  prophétesse 
Catin  Barde,  vingt  et  un  ans,  originaire  dé  Beauchastel  [Ardèche],  qui  déjà 
avait  été  emprisonnée  à  Nîmes  et  que  levèque  avait  fait  libérer  (serait-ce  la 
prophétesse  Catin,  que  nous  avons  vue  également  à  Vais  en  1700?).  Le  juge- 
ment ne  parle  pas  d'elle. 

3.  C  186.  Pièce  isolée. 

4.  Bulletin  cité,  t.  LX,  p.  124. 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  1"  FASC.  3 


34  CB.   BOST. 

Ces  quelques  détails  relatifs  aux  inspirés  du  «  pays  bas  » 
nous  apprennent  que  le  prophète  Maiidagout,  en  descendant 
des  Cévennes,  se  retrouva  dans  le  milieu  qui  lui  était  familier. 

Des  rapports  d'espions,  qui  semblent  d'ailleurs  par  instants 
concerner  quelque  autre  inspiré,  nous  le  montrent  «  faisant  les 
vers  à  soie  »  dans  une  métairie  du  terroir  de  Beaucaire,  c'est-à- 
dire  s'y  étant  «  loué  »,  comme  le  faisaient  les  montagnards, 
pour  la  cueillette  de  la  feuille  de  mûrier.  La  dernière  assemblée 
de  Roffières  ayant  eu  lieu  le  8  mai,  il  semble  que  Mandagout 
serait  arrivé  dans  la  plaine  à  une  date  bien  tardive  pour  pouvoir 
s'employer  de  la  sorte  et,  si  le  détail  était  exact,  il  en  faudrait 
conclure  que  le  prophète,  sûrement,  n'a  pas  su  se  trouver  dans 
l'assemblée  surprise  de  Peyremale  (11  juin). 

Avant  de  «  se  fixer  à  faire  les  vers  à  soie  »,  Mandagout  aurait 
fréquenté  à  Beaucaire,  chez  le  sieur  de  Valotte-Gibertain,  gentil- 
homme converti  des  environs  de  Saint-Germain-de-Calberte,  qui 
avait  quitté  les  Cévennes  pour  venir  s'enfermer  près  de  l'ermitage 
de  Saint-Sixte,  à  un  quart  de  lieue  de  la  viUe.  Ce  gentilliomme 
énigmatique,  que  les  Camisards  tuèrent  plus  tard,  quand  il  vou- 
lut, sans  escorte,  leur  porter  des  propositions  de  paix,  est  soup- 
çonné d'avoir  reçu  en  même  temps  que  Mandagout  d'autres 
fanatiques.  Le  sieur  de  la  Valotte  a  convenu  avec  Mandagout  qu'il 
le  prendra  avec  lui  prochainement,  dans  un  voyage  qu'il  doit 
faire  aux  bains  de  Balaruc  (près  Cette). 

Ce  dernier  trait  a  été  répété  dans  Beaucaire  par  une  femme 
que  Mandagout  «  mène  après  lui,  qu'il  dit  être  son  épouse  et 
qui  n'est  rien  moins  que  cela  ».  Au  début  de  juillet,  à  ce  qu'il 
semble,  Mandagout  est  avec  cette  femme  à  Nîmes.  Il  manque  y 
être  arrêté.  Il  sort  alors  de  la  ville,  déclarant  à  la  femme  qu'il 
va  à  la  foire  de  Beaucaire  (elle  se  tenait  du  22  au  28  juillet) 
«  et  que,  s'il  est  pris,  elle  ne  doit  plus  compter  sur  lui  ». 

Mandagout  avait  prévu  son  sort.  C'est  à  Beaucaire  et  au 
début  de  la  foire  qu'il  tomba  entre  les  mains  du  comte  de  Roche- 
fort-Brancas.  Le  27  juillet,  ce  dernier,  qui  avait  déjà  annoncé 
à  Bâville  la  prise  du  prophète,  fournissait  à  l'intendant  les  ren- 
seignements que  nous  venons  de  rapporter i.  Nous  avons  dit 
qu'ils  ne  sont  peut-être  pas  très  exacts. 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C182.  La  lettre  a  été  publiée  dans  Bulletin  cité, 
t.  LXIII,  p.  113.  Aucun  autre  document  n'accompagne  plus  la  lettre.  Sur  le 
sieur  de  Valotte,  voir  Louvreleuil,  t.  I,  p.  54  ;  t.  III,  p.  22,  23. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU   LANGDEDOC   EN    1701    ET    1702.  35 

Pour  ce  qui  est  de  la  femme  dont  on  nous  parle,  il  faut  recon- 
naître que  plus  d'un  prophète  —  surtout  dans  les  débuts  du 
fanatisme  —  fut  assez   peu  scrupuleux  sur  le  chapitre  des 
mœurs.  L'ancien  fanatique  Alexandre  Astier,  pris  en  Vivarais 
en   1689,  convenait  plus  tard,  alors  qu'il  était  guéri  depuis 
longtemps,  que  «  les  inspirations  portaient  au  mal  plutôt  qu'au 
bien  et  surtout  à  inspirer  de  l'inclination  pour  le  sexe^  »,  et 
nous  savons  d'étranges  histoires  en  effet  sur  ses  confrères  viva- 
rois  de  1689,  qu'un  coreligionnaire  accuse  d'avoir  «  paillarde  à 
la  vue  de  leurs  assemblées''^.  »  D'autre  part,  les  catholiques  du 
temps  et  les  historiens  qui  sont  l'écho  de  leur  opinion  (Louvre- 
leuil,  Brueys)  ont  vu  quelquefois  le  mal  où  il  n'était  pas.  Ils 
veulent  que  Françoise  Brès  ait  été  attirée  dans  la  paroisse  de 
Saint-Frézal  par  la  présence  «  d'un  jeune  homme  qu'elle  aimait  » 
et  qui  fut  condamné  le  même  jour  qu'elle.  Rien  dans  les  infor- 
mations n'indique  qu'il  y  eût  un  commerce  scandaleux  entre 
l'inspirée  et  Jean  Deleuze  qui  .la  suivait  en  effet  et  quêtait  dans 
ses  assemblées.  Le  prophète  Raoux  était  venu  "du  Vivarais  avec 
la  prophétesse  Marie,  qui  avait  «  le  don  »  aussi  puissamment 
que  lui.  Leurs  mœurs  n'ont  pas  été  soupçonnées.  Il  ne  faut  pas 
oublier  enfin   que,   pour  plus  d'un   inspiré,   la   réception  de 
r  «  esprit  »  marque  le  début  d'une  vie  religiei^e  nouvelle  dont 
on  ne  doit  méconnaître  ni  la  dignité  ni  l'austérité.  Jean  Cava- 
lier, de  Sauve,  cousin  du  fameux  chef,  raconte  dans  le  Théâtre 
sacré  comment  il  a  été  terrassé,  en  entendant  un  prophète, 
comme  «  par  des  coups  de  marteau  qui  frappaient  fortement  sa 
poitrine  ».  Il  ajoute  que  lorsque  ses  agitations  convulsives  ont 
ensuite  cessé,  il  a  gardé  intérieurement  une  émotion  et  une 
ardeur  inexprimables.  «  J'étais  alors  »,  dit-il,  «  tout  occupé  du 
sentiment  que  j'eus  de  mes  péchés.  Les  fautes  de  libertinage, 
auxquelles  j'étais   le  plus  sujet,  me  parurent  des  crimes 
énormes  et  me  mirent  dans  un  état  que  je  ne  saurais  ici 
décrire  3.  » 

Il  est  donc  impossible  de  porter  un  jugement  d'ensemble  sur 

1.  Arnaud,  Bist.  des  protestants  du  Vivarais,  t.  II,  p.  16. 

2.  Lettre  écrite,  en  Vivarais,  à  Claude  Brousson,  qui  la  lut  sans  aucune 
sympathie  (Ch.  Bost,  les  Prëdicants  protestants,  t.  II,  p.  182,  518).  Voir  aussi 
Fléchier,  Récit  fidèle  de  ce  qui  s'est  passé  dans  les  assemblées  des  fanatiques 
du  Vivarais  (composé,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte,  au  moyen  de 
pièces  judiciaires). 

3.  Théâtre  sacré,  p.  43  (éd.  Bost,  p.  91). 


36      CH.  BOST.  —  LES  «  PROPHETES  »  DU  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702. 

les  mœurs  des  inspirés.  Il  est  même  difficile  de  se  faire  une  opi- 
nion nette  surlesfaits  individuels.  Précisément  en  1702/ et  aux 
environs  de  Nîmes,  nous  trouvons  un  cas  analogue  à  celui  de 
Mandagout  et  sur  lequel,  malgré  les  apparences,  il  est  malaisé 
de  décider.  La  prophétesse  Vernelouze,  avons-nous  dit,  fut 
reprise  en  même  temps  que  Bombonnoux.  Ils  étaient  dans  le 
même  lit  et  en  chemise.  Vernelouze  se  contente  de  dire  à  ce 
propos  :  «  Qu'ils  avaient  chacun  leur  linceul  (drap)  »,  et  un 
habitant  d'Uzès,  qui  les  a  logés  quatorze  jours  sous  son  tfàt,  ne 
s'étonne  pas  autrement  de  leur  façon  d'agir  :  «  Ils  couchaient 
ensemble,  ayant  dit  qu'ils  étaient  cousins  germains.  »  Nous  rap- 
pellerons que  les  mariages  entre  cousins  germains  n'étaient 
alors  autorisés  qu'avec  une  dispense  du  roi.  et  que,  d'autre 
part,  les  auberges,  et  aussi  les  famiUes  paysannes,  offraient 
quelquefois  aux  voyageurs  une  hospitalité  dont  nous  avons 
peine  aujourd'hui  à  concevoir  la  naïveté'.  Après  quoi  l'on  pen- 
sera ce  que  l'on  pourra  de  Vernelouze  et  aussi  de  Mandagout. 

Ch.  BosT. 
(Sera  continué.) 

1.  Voir  Bulletin  cité,  t.  XL,  p.  644,  l'aventure  qu'eut,  en  1720,  dans  une 
auberge,  le  pasteur  Cabrit  (c'était  en  Allemagne)  et,  dans  les  Mémoires  d'Ant. 
Court  (éd.  Hugues,  p.  116),  voir  comment  Court  raconte  simplement  que  les 
soldats  l'ont  surpris  dans  une  petite  maison  des  environs  de  Nîmes,  couché 
dans  un  même  lit  avec  son  hôte  et  la  femme  de  celui-ci. 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA 

(3  AVRIL  1367) 
LE  COMMUNIQUÉ  DU  PRINCE  NOIR 


Lorsque  rhéritier  de  Jean  le  Bon,  de  régent,  devint  roi  en  1364, 
la  revanche  contre  l'Anglais  n'était  possible  qu'à  la  condition  de 
refaire  moralement  et  matériellement  la  France,  épuisée  par  des 
défaites  successives,  bouleversée  par  des  crises  intérieures.  Charles  V 
s'imposa  cette  tâche,  qu'il  sut  d'ailleurs  mener  à  bien.  Car  c'était 
un  esprit  réfléchi,  équilibré,  mesuré  autant  que  patient,  qui,  comme 
l'écrit  Christine  de  Pisan,  savait  «  qu'en  hastiveté  ne  gist  pas  la 
bonne  ordonnance  ».  Aussi  échelonna-t-il  ses  efforts  avec  ce  mer- 
veilleux sens  de  l'à-propos  qui  est  comme  le  rythme  de  tout  son 
règne. 

A  son  avènement,  la  France  était  secouée  par  les  intrigues  de 
Charles  le  Mauvais,  roi  de  Navacre,  désolée  par  les  ravages  des 
Grandes  Compagnies.  A  dire  vrai,  les  deux  questions  étaient  soli- 
daires. Car  le  Navarrais  n'était  fort  et  redoutable  que  parce  qu'il 
avait  des  routiers  à  son  service.  La  bataille  de  Cocherel,  gagnée  par 
Du  GuescHn  et  ses  Bretons  sur  le  captai  Jean  de  Grailly,  la  veille  du 
sacre  du  roi  à  Reims,  marque  non  seulement  la  déroute  militaire 
des  bandes  anglo-navarraises,  mais  la  ruine  des  prétentions  navar- 
rajses.  A  Cocherel,  en  effet,  le  16  mai  1364,  «  se  jouait  une  très 
grosse  partie,  dont  le  règne  de  Charles  Vêtait  l'enjeu.  Il  suffit  d'une 
poignée  d'iiommes  pour  affermir  le  trône  du  roi,  et  ce  premier  sou- 
rire de  la  fortune  fut  le  gage  des  succès  éclatants  qui  procurèrent  la 
revanche  du  traité  de  Bréligny  »  '.  L'importance  de  cette  victoire  n'a 
pas  échappé  aux  contemporains  eux-mêmes  qui,  trop  souvent, 
entrevoient  mal  la  portée  des  événements.  Christine  de  Pisan  ne  s'y 
est  pas  trompée.  Cocherel  coïncide  avec  le  couronnement  et  le  sacre 

1.  Delacbenal,  Histoire  de  Charles  V,  t.  III,  {>•  63. 


38  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

du  roi.  A  dater  de  ce  jour,  les  gros  nuages  qui  voilaient  le  ciel  de  la 
France  se  sont  dissipés  et  les  rayons  du  soleil  ont  commencé  à 
poindre.  «  Fortune  au  double  visage  »,  dit-elle,  «  volt  à  France 
commencier  a  demoustrer  et  faire  luire  le  ray  du  soleil  de  sa  riant  et 
belle  face,  lequel  par  long  temps  avoit  été  en  ce  reaume  couvert  de 
très  nubileuses  et  infortunées  nues.  » 

La  victoire  remportée  par  Du  Guesclin  délivra,  en  effet,  la  France 
d'une  crise  dynastique  et  le  successeur  de  Jean  le  Bon  d'un  préten- 
dant dangereux,  allié  de  d'Angleterre.  Plus  encore  que  l'arbitrage 
pontifical  et  que  les  sollicitations  pressantes  et  réitérées  d'Urbain  V, 
elle  obligea  le  Navarrais  à  signer  la  paix;  malgré  ses  équivoques, 
malgré  le  caractère  précaire  de  certaines  clauses  qui  ne  furent 
jamais  pleinement  ni  franchement  exécutées,  le  traité  était  bien  une 
renonciation.  i 

Opportuniste  en  politique,  Charles  V  avait  su  régler  à  son  heure 
la  question  navarraise.  Dans  les  instructions  détaillées  qui  furent 
données  au  duc  d'Anjou,  chargé  de  présenter  au  pape  Urbain  V  des 
explications  autant  que  des  justifications,  il  y  a  un  article,  qui 
montre  bien  la  mentalité  royale,  cette  méthode  consciente  et  inflexible, 
si  remarquable  chez  ce  souverain  :  «  Que  veu  tout  ce  que  le  Roy  a 
fait,  nulz  ne  puet  dire  qu'il  se  soit  trop  hastez,  mais  pourroit  l'en 
dire  que,  se  il  eust  plus  attendu,  que  il  eust  trop  demouré  et  eust 
peu  le  roy  de  Navarre  faire  une  si  grande  plaie  ou  royaume  que  elle 
eust  trop  cousté  à  remettre  à  point  ^  »  ^ 

Mais  si  Charles  le  Mauvais  était  cette  fois  politiquement  éliminé, 
la  question  des  Compagnies  restait  entière.  Elles  semaient  le  trouble 
partout  et  désolaient  le  pays.  Il%liait  à  tout  prix  s'en  débarrasser 
pour  rétablir  le  calme,  l'ordre  et  la  sécurité  dans  la  France  conva- 
lescente. A  ce  mal  il  s'agissait  de  trouver  le  remède.  Charles  V,  et 
ce  fut  son  mérite,  le  chercha  et  le  trouva.  La  cure  fut  des  plus  heu- 
reuses. Le  vainqueur  de  Cocherel  avait  été  malencontreusement  fait 
prisonnier  à  Auray,  le  29  septembre  1364,  lors  de  la  dernière  grande 
bataille  de  la  guerre  de  succession  de  Bretagne.  Le  roi  contribua  à 
payer  son  énorme  rançon  et  lui  confia  le  commandement  de  l'expé- 
dition de  Castille.  Entraîner  les  Grandes  Compagnies  en  Espagne, 
à  la  suite  du  plus  grand  capitaine  de  l'époque,  officiellement  pour 
combattre  les  Maures  de  Grenade,  en  fait  pour  soutenir  Henri  de 
Traslamara  contre  Pierre  le  Cruel,  allié  et  ami  de  l'Angleterre, 
c'était  non  seulement  une  solution  des  plus  élégantes,  mais  encore 

1.  Arch.  nat.,  J  255,  n'  138. 


LA   BATAILLE   DE  NAJERA    (3   AVRIL    1367).  39 

une  habile  manœuvre  politique,  un  coup  de  maître.  L'expédition  de 
Castille  fut  un  fait  capital  et  décisif. 

Les  conséquences  de  cette  intervention  française  furent  double- 
ment heureuses.  Tandis  que  la  France,  loin  de  s'affaiblir,  se  déga- 
geait en  enrôlant  les  routiers  sous  la  bannière  de  Du  Guesclin,  elle 
obligeait  l'Angleterre  à  intervenir;  elle  attirait  le  roi  d'Angleterre 
et  son  fils,  le  Prince  Noir,  dans  les  aventures  espagnoles  en  déviant 
le  meilleur  des  forces  anglaises  au  delà  des  Pyrénées.  Quelle  que  fût 
l'issue  de  la  guerre  d'Espagne,  que  les  Compagnies  fussent  déci- 
mées ou  victorieuses,  la  France  n'avait  rien  à  perdre,  mais  tout  à 
gagner.  Les  conseillers  du  roi  voyaient  sans  déplaisir  s'engouffrer 
dans  les  sierras,  voisines  de  l'Èbre,  au  delà  des  ports  de  Roncevaux, 
dans  ce  pays  de  l'épopée  dont  Roland  n'était  pas  revenu,  ces  bandes 
de  pillards  et  de  bandits  qui  constituaient  un  fléau  permanent.  Pour 
le  commun  peuple,  le  départ  des  routiers  était  une  délivrance.  Le 
roi  avait  vu  plus  loin  :  pour  faire  échec  aux  Grandes  Compagnies,  ' 
commandées  par  Du  Guesclin,  il  fallait  que  l'Angleterre  mît  sur  pied 
des  armées  opérant  très  loin  de  leurs  bases,  par  suite  qu'elle  dégar- 
nît les  territoires  continentaux  qu'elle  occupait.  Pour  un  prince  qui 
préparait  dans  l'ombre  une  rentrée  savante,  à  l'heure  qu'il  avait 
choisie,  l'expédition  de  Castille  avait  une  importance  capitale.  La 
guerre  était  portée  hors  de  France  et  ce  n'était  point  là  un  maigre 
résultat  dans  un  royaume  où  il  voulait  ramener  le  calme  indispen- 
sable, en  attendJnt  l'heure  de  la  glorieuse  revanche. 

L'histoire  de  l'intervention  française  en  Castille  a  été  faite  récem- 
ment, et  de  magistrale  façon,  par  le  dernier  historien  de  Charles  V, 
M.  Roland  Delachenal,  qui  lui  a  consacré  quatre  remarquables  cha- 
pitres'. Son  exposé  lumineux,  écrit  dans  une  langue  aussi  nerveuse 
que  colorée,  projette  un  jour  nouveau  sur  des  faits  restés  jusqu'à 
lui  très  confus.  L'un  des  épisodes  les  plus  fameux  est  la  bataille  de 
Najera  (3  avril  1367),  la  plus  grande  bataille  du  siècle,  dit  un  chro- 
niqueur anglais,  gagnée  par  le  prince  dç  Galles  et  où  Du  Guesclin 
fut  fait  prisonnier^.  C'est  à  propos  de  cette  bataille  que  je  pubhe  un 
document  qui  a  échappé  jusqu'ici  aux  recherches. 

1.  R.  Delachenal,  Histoire  de  Charles  V,  t.  III  :  136i-1368  (Paris,  Picard, 
1916),  p.  239  à  493.  Les  chapitres  de  l'ouvrage  qui  se  rapportent  à  notre  sujet 
sont  les  suivants  :  chap.  viii.  La  crise  des  Compagnies.  Du  Guesclin  et  la 
Croisade  contre  les  Maures.  —  Chap.  ix.  L'expédition  de  Castille  :  le  renver- 
sement de  don  Pèdre.  —  Chap.  x.  Le  prince  de  Galles.  La  bataille  de  Najera. 
—  Chap.  XI.  La  revanche  de  don  Henri.  Le  drame  de  Montiel. 

2.  Chronicon  Henrici  KnigTiton  vel  Cnitt/ion,  monachi  Leyceslrcmis  (édi- 
tion Lumby,  Rolls  Séries,  p.  122)  :  «  Istud  erat  maximum^bellum  quod|in  die- 
bus  nostris  actum  est.  » 


40  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

La  bataille  de  Najera  a  été,  à  notre  époque,  étudiée  à  des  points 
de  vue  différents.  Les  biographes  d'Arnoul  d'Audrehem*,  maréchal 
de  France,  et  de  Jean  de  Gand,  duc  de  Lancastre^,  ont  été  amenés 
à  raconter  cette  bataille,  parce  qu'ils  retraçaient  la  vie  de  grands  per- 
sonnages qui  y  avaient  pris  part.  D'autres,  se  plaçant  au  point  de 
vue  militaire,  préoccupés  de  dégager  des  campagnes  du  xiv^  siècle 
les  principes  de  l'art  de  la  guerre^  et  les  enseignements  de  la  tac- 
tique'', en  ont  décrit  les  péripéties  pour  prouver  qu'elle  marquait  le 
triomphe  des  arôhers  anglais  sur  la  cavalerie  légère  espagnole,  les 
célèbres  Ginetes  de  l'Andalousie.  D'autres,  enfin,  restant  sur  le  ter- 
rain de  l'histoire  générale,  historiens  français,  historiens  anglais^, 
historiens  espagnols",  en  ont,  chacun  de  leur  côté,  montré  l'impor- 
tance politique  en  ce  qui  touche  à  la  France,  à  l'Angleterre  et  à  la 
Oastille. 

La  bataille  où  l'infanterie  anglaise  s'est  mesurée,  le  3  avril  1367, 
avec  la  cavalerie  espagnole  que  soutenaient  les  compagnies  placées 
sous  les  ordres  de  Du  Guesclin,  s'est  livrée  aux  environs  de  la  petite 
ville  de  Najera,  arrosée  par  le  Najerillà,  affluent  de  di-oite  de  l'Èbre. 
Par  suite  d'une  erreur,  qui  longtemps  a  prévalu^,  elle  s'est  appelée 
bataille  de  Navarette.  On  a,  en  effet,  identifié  et  confondu  deux  loca- 
lités séparées  l'une  de  l'autre  par  une  distance  de  seize  kilomètres; 
or,  c'est  à  Najera  que  s'est  faite  précisément  la  concentration  des 
deux  armées^.  L'armée  du  prince  de  Galles,  partie  de  Sauveterre,  se 

1.  Emile  Molinier,  Études  .mr  la  vie  d'Arnoul  d'Audrehem,  maréchal  de 
France  (mémoires  présentés  par  divers  savants  à  l'Académie  des  inscriptions 
et  belles-lettres,  2"  série.  Antiquités  de  la  France,  t.  VI  (1883),  p.  177). 

2.  Sydney  Armitage-Smith,  John  of  Gaunt,  King  of  Castile  and  Léon,  duke 
of  Aquitaine  and  Lancaster,  earl  of  Derby,  Lincoln  and  Leicester,  seneschal 
of  England  (1904),  p.  33-35,  avec  une  carte  de  la  marche  du  Prince  Noir  et 
de  la  raiarche  de  don  Henri. 

3.  Kohler,  Die  Entwickelung  des  Kriegswesens  und  der  Kriegsfilhrung  in 
der  Ritterzeit  von  Mitte  des  XIII  Jahrhxmderts  bis  zu  den  Hussiten  Knegen, 
t.  II,  p.  500-517. 

4.  Charles  Oman,  A  history  of  the  art  of  War  :  the  middle  âges  from  the 
fourth  to  the  fourteenth  century,  1898,  p.  636-648,  avec  deux  cartes,  une  de 
la  région,  l'autre  plan  de  la  bataille. 

5.  Tout,  The  History  of  England  from  the  accession  of  Henry  III  to  the 
death  of  Edward  III  (1216-1377),  dans  The  Political  History  of  England, 
t.  III  (1905),  p.  405. 

6.  Juan  Catalina-Garcia,  Castilla  y  Léon  durante  los  reinados  de  Pedro  1°, 
Enrique  II,  Juan  y  Enrique  III,  1893,  p.  378-394. 

7.  Oman,  The  art  of  War,  p.  642,  l'appelle  encore  Battle  of  Navarette. 

8.  Les  Grandes  Chroniques  de  France,  selon  que  elles  sont  conservées  en 
l'église  de  Saint-Denis  en  France,  édition  Paulin  Paris,  1838,  t.  VI,  p.  246, 
n.  1  :  M  Cette  bataille  a  pris  encore  le  nom  tantôt  de  Nadera  ou  Najera  et  tan- 
tôt de  Navarette.  Ce  dernier  a  prévalu.  »  —  Chronique  latine  de  Guillaume 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  41 

porta  de  Logrono  et  de  Navarrete  ^  à  la  rencontre  de  l'armée  franco- 
castillane  qui,  rassemblée  tout  d'abord  à  Santo  Domingo  de  la  Cal- 
zada^,  sur  la  route  de  Pampelune  à  Burgos,  avait  franchi  le  rio 
Najerilla,  à  Najera,  pour  s'établir  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve. 
C'est  pour  cela  que  la  rencontre  s'est  produite  tout  près  de  Najera, 
et  c'est  précisément  la  raison  pour  laquelle  les  documents  et  chro- 
niques contemporains  la  désignent  sous  le  nom  de  bataille  de  Nasers, 
Nazers,  Nadres',  Nazres  et  Nazares.  Nazares  est  le  mot  dont  se  sert 
Du  Guesclin  lui-même,  prisonnier  à  Bordeaux  du  prince  Noir, 
lorsque  Charles  V,  voulant  lui  montrer  «  sa  grâce  et  amour  par 
vray  effet  »,  répond  pour  lui  d'une  somme  de  30,000  doubles'*. 

Tous  les  historiens  sont  d'accord  pour  placer  le  lieu  de  la  ren- 
contre aux  environs  de  Najera,  à  l'est  de  cette  petite  ville  que  baigne 
le  rio  Najerilla,  c'est-à-dire  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve.  Le  chro- 
niqueur castillan  Ayala,  témoin  de  tout  premier  ordre,  puisqu'il 
assista  à  la  bataille,  dit  que  don  Henri  de  Trastamara  avkit  établi 
son  camp  entre  Najera  et  la  Najerilla,  afin  de  laisser  cet  obstacle 
naturel  entre  son  armée  et  les  troupes  anglaises  qui  devaient  arriver 
par  la  route  de  Logroûo  et  de  Navarette,  en  direction  de  Burgos^. 
La  tête  de  pont  de  Najera  était  une  position  stratégique  excellente, 
un  soHde  point  d'appui  pour  qui  voulait  couvrir  Burgos,  de  même 
que  tenir  le  pont  de  Logrono  sur  l'Èbre  était  pour  les  Anglais  une 
nécessité  impérieuse.  L'Èbre  servait  de  frontière  entre  la  Navarre  et 
la  Castille*',  et  l'occupation  du  pont  «  du  Groing  «  permettait  une 

de  Nangis,  de  1113  à  1300.,  avec  les  conlimiations  de  cette  chronique,  de 
1300  à  1368,  édition  Géraud,  Société  de  ruistoire  de  France  (1843),  t.  II, 
p.  372,  n.  1  :  «  11  s'agit  de  la  bataille  de  Najara  ou  Navarette.  » 

1.  Province  et  district  judiciaire  de  Logrono,  à  onze  kilomètres  de  Logrono. 

2.  Province  de  Logrono.  C'est  la  localité  que  les  Grandes  Chroniques 
de  France  appellent  Saint-Domingue  [Chronique  des  règnes  de  Jean  H  et  de 
Charles  V.  édition  Delachenal,  Soc.  Hist.  de  France,  t.  Il  (1916),  p.  30). 

3.  Clironique  de  Bertrand  Du  Guesclin  par  €uvelier,  édition  Charrière, 
V.  2075  : 

«  Comment  ;\  N.idres  fu  pris  ellorcccment 
Et  menez  ;\  Bordeaux  ou  il  fu  longuement.» 

4.  Lettre  de  Du  Guesclin  (Arch.  nat.,  J  381),  du  17  décembre  1367,  publiée 
par  Charrière,  Curelier,  Piàcvs  juslif.  n"  XIV,  t.  II,  p.  402  :  «  Comme  noble 
prince  Edouard,  ainsné  (ilz  du  roy  d'Angleterre,  prince  d'Aquitaine  et  de  Galles, 
auquel  nous  sommes  prisonnier  de  la  bataille  qui  nagaire  fu  devant  Nazares 
ou  royaume  de  Castelle  et  encores  nous  délient  en  ses  prisons.  » 

5.  Cronicas  de  los  reyes  de  CastUla  don  Pedro,  etc.,  p.  449  :  «  É  puso  su 
real  aquende  la  villa  (Najara),  en  tal  guisa  que  el  rio  Najarilla  eslaba  entre  su 
Real  é  el  camino  por  do  el  rey  don  Pedro  é  el  Principe  avian  de  venir  à  pasar 
à  Rioja,  é  tomar  su  camino  para  Burgos.  » 

6.  Froissart,  édition  Luce,  t.  VII,  p.  28  :  «  S'en  vinrent  passer  la  rivière 


42  MÉLiNGES  ET  DOCUMENTS. 

retraite  par  les  chemins  et  défilés  difficiles  de  la  Navarre.  L'impor- 
tance de  ces  défilés  n'avait  pas  échappé  à  un  capitaine  avisé  comme 
l'était  Arnoul  d'Audrehem,  maréchal  de  France,  qui  avait,  en  com- 
pagnie de  Du  Guesclin,  amené  les  renforts  français  et  les  Grandes 
Compagnies  au  secours  de  don  Henri.  Il  avait  conseillé  à  don  Henri 
de  les  occuper  solidement.  «  Se  vous  volés  croire  mon  conseil  »  — 
c'est  Froissart  qui  lui  prête  ces  paroles'  —  «  vous  les  desconfiriés 
tous  (les  Anglais)  sans  ja  cop  férir  ;  car,  se  vous  faisiés  tant  seule- 
ment garder  les  destrois  et  les  passages,  par  quoi  pourveances  ne  leur 
puissent  venir,  vous  les  affameriés  et  desconfiriés  par  ce  point,  et 
retourroient  en  leur  pays  sans  arroy  et  sans  ordenance,  et  lors  les 
ariés  vous  a  vostre  volenté.  » 

Mais  don  Henri,  courageux  certes,  mais  impulsif,  et  entêté, 
négligea  d'écouter  la  voix  du  bon  sens,  pas  plus  qu'il  ne  céda  aux 
objurgations  pressantes  de  ceux  qui  lui  déconseillèrent  d'abandonner 
la  bonne  position  qu'il  tenait  à  Najera  pour  porter  son  camp  sur  la 
rive  droite  du  rio  Najerilla.  Il  était  en  effet  fort  imprudent  de  se 
mettre  à  dos  une  rivière  large  de  plus  de  cent  mètres  et  que  des 
crues  soudaines  pouvaient  grossir,  à  une  époque  surtout  où  un  corps 
de  pontonniers  exercés  ne  suivait  pas  les  armées  en  campagne.  Don 
Henri,  voulant  à  tout  prix  se  mesurer  avec  l'ennemi  en  rase  cam- 
pagne, préféra  se  démunir  des  avantages  que  lui  offrait  la  configura- 
tion du  terrain.  Le  geste  était  crâne,  digne  d'un  féodal  aventureux, 
fréquentant  les  tournois  et  les  champs  clos,  mais  la  suite  prouva 
qu'il  avait  agi  en  mauvais  tacticien  2. 

«  Il  s'entêta  dans  son  idée  et  un  faux  point  d'honneur  lui  inspira 
une  bien  fâcheuse  détermination.  Abandonnant  la  rive  gauche  du 
Najerilla,  il  prit  position  sur  la  rive  opposée,  à  l'extrémité  de  la 
huerta,  de  Najera,  à  l'entrée  de  la  courte  plaine,  par  où  devaient 
arriver  don  Pedre  et  ses  aUiés^  »  Est-ce  bien  là  que  don  Henri 
avait  décidé  de  prendre  position?  Il  y  a  tout  lieu  de  supposer  qu'il 
fut  devancé  par  les  événements,  par  la  marche  rapide  du  Prince 
Noir,  qui  avait  levé  son  camp  de  Navarette.  Le  chroniqueur  Ayala 

(l'Èbre)  qui  départ  Navare  et  Castille  au  pont  dou  Groing.  »  Ckronographia 
Rerjum  Franconim,  t.  II,  p.  328;  Chronique  normande  du  XIV  siècle, 
p.  183. 

1.  Édit.  Luce,  t.  VII,  p.  26. 

2.  Ayala,  p.  453-454  :  «  E  desto  peso  â  muchos  de  los  que  con  él  estaban, 
ca  tenian  priineto  su  real  à  mayor  ventaja  que  despues  le  asentaron;  pero  el 
roy  don  Enrique  era  orne  de  muy  grand  corazon,  é  de  muy  grand  esfuerzo,  é 
dixo  que  en  todas  guisas  queria  poner  la  batalla  en  plaza  llana,  sin  aventaja 
alguna.  » 

3.  Delachenal,  op.  cil.,  p.  400. 


LA   BATAILLE   DE   NAJERA    (3   AVRIL    1367).  43 

nous  dit,  en  effet,  que  don  Henri  avait  choisi  tout  d'abord  comme 
emplacement  de  combat  un  grand  terrain  avoisinant  Navarette', 
barrant  ainsi  la  route  de  Pampelune  à  Burgos.  Mais  il  n'eut  sans 
doute  pas  le  temps  de  réaliser  son  plan,  qui  consistait  à  se  porter 
en  avant  au  nord-est  de  Najera,  jusqu'aux  abords  de  Navarette. 
Oar  il  dut  être  averti  par  ses  patrouilleurs  que  l'armée  anglaise 
s'était  mise  en  marche  le  3  avril  au  matin.  Par  suite,  le  terrain 
primitivement  choisi  pour  une  rencontre  dut  être  abandonné. 

L'armée  castillane  s'arrêta  devant  le  rio  Yalde,  affluent  de  droite 
du  Najerilla,  qui,  après  avoir  arrosé  les  petites  localités  de  Manjarres 
et  d'Aleson  et  avant  de  se  jeter  dans  le  Najerilla,  en  aval  de  Najera, 
passe  à  quelques  kilomètres  de  Najera  et  coupe  la  route  allant  de 
cette  ville  à  Navarette.  Mais  elle  dut  opérer  un  mouvement  de  con- 
version. Oar  l'armée  anglaise  —  c'est  Froissart  qui  nous  l'apprend^ 
—  avait  dessiné  un  mouvement  enveloppant  et  déboucha  dans  la 
plaine  de  Najera  par  le  sud-est,  déjouant  ainsi  les  calculs  de  don 
Henri  qui  l'attendait  au  nord-est  sur  la  route  de  Navarette.  Nous 
croyons  pouvoir  établir  que  la  bataille  a  eu  heu  au  sud-est  de 
Najera,  près  de  Bezarès^.  Cette  petite  localité  est  située  à  huit  kilo- 
mètres à  vol  d'oiseau  de  Najera  et  à  onze  de  Navarette,  au  pied  de 
la  sierra  de  Cameros  et  à  l'extrémité  de  la  plaine  qui  s'étend  entre  le 
rio  Najerilla  et  le  rio  Yalde  * .  Si  l'on  examine  une  carte  de  la  province 
de  Logrono^,  on  s'aperçoit  que  cette  plaine  cesse  à  partir  de  Bezarès 
pour  faire  place  à  des  ondulations  de  plus  en  plus  importantes  à 
mesure  que  l'on  s'avance  vers  l'est  et  vers  le  sud.  Le  terrain  où  les 

1.  Ayala,  p.  453  :  «  É  ovo  su  acuerdo  de  pasar  el  rio,  é  poner  la  batalla  en 
una  grand  pUâza  que  es  conlra  Navarrete,  por  dô  los  otros  venian,  é  fizolo 
asi.  1 

2.  Froissart,  t.  VII,  p.  282,  ms.  d'Amiens  :  «  Si  vous  di  qu'il  ne  prissent 
mies  adonc  le  plus  droit  chemin  pour  venir  sus  le  roy  Henry,  mes  chevau- 
chierent  a  le  droite  main  en  tournant  une  grande  montagne  et  le  passèrent  et 
puis  descendirent  en  ung  val.  Ja  estoil  grans  jours  et  solaus  levés  moult  biaux 
et  moult  clers.  » 

3.  Diccionario  geogrnfico  postal  de  Espana  (Madrid,  1880)  :  «  Villa  con 
ayuntamiento,  Juzgado  Najera,  Provincia  Logroiïo.  »  Au  recensement  de  1876, 
cette  localité  n'avait  que  132  habitants. 

4.  Gran  Diccionario  geografico  estadistico  e  hislorico  de  Espana.  Barce- 
lone, 1889. 

5.  Notamment  la  carte  au  1/200,000%  publiée  en  1868  par  d.  Francisco 
Coello.  Outre  la  carte  du  1/200,000' de  rÊtat-major  espagnol,  on  peut  consulter 
l'Atlas  d'Espagne  de  D.  Tomds  Lôpez,  notamment  la  carte' intitulée  :  Castila 
la  Viejà,  parlidos  de  Santo  Domingo  de  la  Calzada  y  de  Logrono  correspon- 
denties  à  la  prov.  de  Burgos,  1787,  1/280,000°.  Sur  la  carte  de  France  dressée 
au  dépôt  des  fortifications  (feuille  XIII,  1/500,000*),  la  localité  de  Bezarès  est 
appelée  Pezarès. 


44  MÉLANGES   ET  DOCDMENTS. 

forces  anglaises  et  castillanes  se  sont  heurtées  est  compris  dans  ce 
triangle  isocèle,  dont  la  ville  de  Najera  est  le  sommet,  dont  les  rios 
Najerilla  et  Yalde  sont  les  côtés.  Bezarès  est  sur  la  base.  Comme 
l'écrit  le  dernier  historien  qui  a  visité  le  champ  de  bataille,  ce  terrain 
est  plat  et  découvert,  ainsi  qu'il  convenait  pour  une  rencontre  en 
champ  clos,  mais  le  sol  se  relève  rapidement,  et  de  tous  les  côtés  des 
montagnes  Umitent  l'horizon;  au  sud  et  à  l'ouest,  les  hautes  sierras, 
séparant  l'un  de  l'autre  les  bassins  de  l'Èbre  et  du  Douro  et  dont 
quelques  cimes  montent  à  plus  de  deux  mille  mètres  ;  au  nord  et  à 
lest,  les  dernières  ramifications  des  Pyrénées,  couvrant  la  Navarre 
méridionale;  à  l'ouest,  dans  la  direction  de  Najera,  les  coHines  ron- 
gées par  les  eaux,  de  forme  et  de  coloration  si  originales,  au  pied 
desquelles  s'allonge  la  petite  ville,  blottie  entre  la  rivière  et  les 
falaises  à  pic,  qui,  aux  rayons  du  soleil,  s'embrasent  comme  les 
rochers  rouges  de  l'Esterel  * .  ' 

Si  je  crois  pouvoir  affirmer  que  la  bataille  de  Najera  devrait,  à 
dire  vrai,  s'appeler  bataille  de  Bezarès,  c'est  que  deux  chroniques 
anglaises  sont  seules  à  fournir  un  détail  très  précis  qui,  jusqu'ici, 
n'a  pas  attiré  l'attention  et  qu'aucun  historien  n'a  songé  à  utiliser. 
Le  chroniqueur  John  de  Reading,  moine  à  Westminster,  qui  a  cori- 
tinué  l'œuvre  de  maître  Adam  de  Murimuth  de  1346  à  1367  et  qui, 
comme  son  prédécesseur,  a  composé  d'après  des  sources  et  des  rela- 
tions officielles 2,  raconte  que  don  Henri  rencontra  l'armée  anglaise 
dans  la  plaine  de  Priazers,  «  in  campo  Priazers,  super  ripam 
Nazers^  ».  La  même  mention,  plus  explicite  encore,  se  retrouve 
dans  la  plus  ancienne  chronique  en  prose  de  moyen  anglais  que 
nous  possédions  actuellement,  The  Brut  or  the  Chronicles  of 
England^  :  «  L'an  de  nostre  seigneur  MCCCLXVII  et  du  roi 

1.  Delachenal,  op.  cit.,  p.  402. 

2.  Cette  chronique  vient  d'être  récemment  mise  au  jour  et  éditée,  en  1914, 
par  M.  James  Tait,  d'après  un  ms.  du  Brilish  Muséum  (Cotton,  Cleopatra  A, 
XVI). 

3.  Chronica  Johannis  de  Reading  et  anonymi  Cantuariensis,  édition  Tait, 
p.  182  :  «  Oui  [principi]  dominas  Henricus  inlrusor  in  campo  Priazers  super 
ripam  Nazers,  cura  gente  ac  equis  impenetrabiliter  armatis...,  superbus  et 
audax,  quasi  de  Victoria  securus,  contra  consilium  in  armis  ac  rébus  bellicis 
instructorum  occurrit  pompose.  »  M.  Tait  lit  dans  le  manuscrit  Priazers  ou 
Prazers. 

4.  Friedrich  Brie,  Geschichte  uvd  Quellen  der  mittelenglischen  Prosnchro- 
nik  the  Brute  of  England  oder  The  Ch)-onicles  of  England  (Marburg,  1905). 
Le  «  Brut  »  original  est  une  compilation  en  dialecte  anglo-normand  tirée  de 
Wace  et  de  Gaimar,  qui  s'arrête  à  la  conquête  normande,  entre  106G  et  1100. 
Des  auteurs  anonymes  l'ont  successivement  continuée  en  français  jusqu'à  1333, 
peut-être  même  jusqu'à  la  mort  d'Edouard  III,  et  ce  n'est  qu'à  la  lin  du 
xiV  siècle,  vers  1380,  que  l'ouvrage  entier  fut  traduit  en  anglais. 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  45 

Edouard  XLII,  le  troisième  jour  d'avril,  il  y  eut  une  forte  et  grande 
bataille  dans  une  large  pleine  qui  entoure  Pryazers,  tout  près  de 
l'eau  de  Najera^  »  Les  renseignements  donnés  par  la  chronique  en 
moyen  anglais  sont  bien  plus  précis  que  ceux  du  chroniqueur  de 
Westminster.  Le  dernier  éditeur  de  la  chronique  de  Brut  estime  que 
l'auteur  anonyme  de  la  première  continuation,  qui  s'étend  de  1333 
à  1377  ^  a  utiUsé  comme  source  principale,  jusqu'à  1367,  la  chro- 
nique du  moine  de  Westminster,  John  de  Reading.  Cette  assertion 
n'est  pas  exacte.  Il  faut  plutôt  dire  que  Reading,  qui  écrivait  en 
latin,  et  son  contemporain,  qui  écrivait  en  anglais,  ont  tous  deux 
tiré  parti  d'une  source  commune  que  nous  n'avons  plus.  J'incli- 
nerais volontiers  à  penser  qu'il  s'agit  en  l'espèce  de  la  chronique  de 
William  of  Packinglon,  malheureusement  aujourd'hui  perdue.  Pac- 
kington  était  un  clerc  qui  accompagna  le  Prince  Noir  et  qui  faisait 
partie  de  son  conseil.  A  ce  titre,  il  a  dû  disposer  de  relations  offi- 
cielles. Mais  ce  n'est  là  qu'une  supposition.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que 
deux  chroniques  anglaises  connues  ont  eu  une  source  commune, 
dont  la  documentation  était  excellente  puisqu'elles  sont  les  seules  à 
situer  d'une  façon  exacte  le  lieu  de  la  rencontre  entre  le  prince  de 
Galles  et  don  Henri,  à  huit  kilomètres  au  sud-est  de  Najera.  La 
bataille  s'est  livrée  dans  la  plaine  de  «  Pryazers  » ,  que  nobs  pouvons 
identifier  avec  la  localité  actuelle  de  Bezarès. 

C'est  à  Bezarès,  en  effet,  que  finit  la  plaine  de  Najera,  cette 
«  vega  »  propice  à  une  rencontre  en  terrain  plat.  Là  commencent 
ces  vallonnements  qui  permettent  à  une  troupe  aguerrie  de  se 
défiler.  L'armée  anglaise,  qui  savait  manœuvrer,  profita  de  ces 
accidents  de  terrain,  si  bien  qu'elle  resta  longtemps  inaperçue. 
Archers  anglais  et  frondeurs  catalans  se  trouvèrent  soudain  nez  à 
nez.  Froissart  nous  raconte,  en  effet,  que,  en  descendant  une  petite 
montagne,  les  Anglais  aperçurent  les  troupes  castillanes  et  qu'ils 
commencèrent  à  se  mettre  en  bataille,  au  pied  de  ce  monticule,  et 
à  «  se  traire  en  leurs  batailles  sus  les  camps ^  ».  Il  est  probable  que 

1.  The  Brut  or  the  Chronicles  of  England,  édition  Brie,  Early  English  Texl 
Society,  original  séries  136  (1908),  part  II,  p.  320  :  «  Of  the  bataill  of  Spayne 
bituene  Prins  Edward  Hcrry  the  Bastard  of  Spayne.  In  the  yer  of  our  Lord 
a  M  CGC  LXVII  &  of  Kyng  Edward  .XLII,  the  thrid  day  of  aprill,  her  was  strong 
bataill  &  a  grêle,  in  a  large  feld  ydept  Pryazers,  fast  by  the  water  of  Nazers 
in  Spayne.  » 

2.  Et  que  M.  Brie  publie  d'après  un  ms.  de  Cambridge  (Corpus  Christi  Col- 
lège, n°  174). 

■  3.  Froissart,  t.  VII,  p.  34  :  «  Et  bien  savoient  li  signeur  ens  es  deux  hos, 
par  le  raport  de  leurs  coureurs,  que  il  se  dévoient  trouver.  Si  chevaucierent 
ensi  et  cheminèrent  tout  le  pas,  li  un  contre  l'autre...  Et  puierent  li  dis 
princes  et  ses  gens  une  petite  montagne,  et  au  descendre  il  perchurent  tout  cle- 


46  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

l'armée  anglaise  déboucha  sur  le  rio  Yalde,  à  hauteur  de  Bezarès, 
et  c'est  là  qu'elle  rencontra  l'armée  espagnole.  Averti  par  ses 
patrouilles  que  le  Prince  Noir  avait  opéré  une  marche  sur  son  flanc 
gauche,  don  Henri,  qui  attendait  l'ennemi  du  côté  d'Alesson,  là  où 
le  rio  Yalde  coupe  la  route  de  Pampelune  à  Burgos,  remonta  le  rio 
Yalde  qui  coule  dans  la  direction  sud-est-nord-ouest.  Le  Prince 
Noir  le  manœuvra;  il  l'obligea  à  changer  son  dispositif  de  combat  et 
à  accepter  le  sien.  A  coup  sûr,  il  eût  été  plus  sage  que  don  Henri 
attendît  ses  ennemis  derrière  le  rio  Najerilla,  sur  les  falaises  à  pic 
qui  le  dominent. 

«  Che  samedi  au  matin  »,  nous  conte  Proissart,  «  entre  Nazres 
et  Navaret,  fu  la  bataille  grande,  felenesce  et  horrible  et  moult  y  eut 
de  gens  mis  en  grant  meschief...  on  vei  l'aiguë  au  quai  desous 
Nazres,  rouge  dou  sanch  des  hommes  et  des  chevaux  qui  là  furent 
mors  et  occis^.  «  A  le  lire,  on  croirait  que  le  vieux  chroniqueur  a 
assisté  à  la  bataille,  qu'il  a  entendu  les  trompettes  crier  «  à  l'arme  » 
ou  les  «  araines  »  sonner  le  réveil  et  qu'il  a  encore  devant  les  yeux 
le  spectacle  grandiose  de  ces  douze  cents  bannières  qui  flottaient  au 
vent  et  des  armures  qui  i'eluisaient  au  soleil 3.  Malheureusement,  le 
récit  de  Froissart,  si  vivant  et  si  alerte,  n'est  pas  celui  d'un  témoin 
oculaire.  Il  rapporte  ce  qu'il  a  entendu  dire  «  si  com  je  l'oy  depuis 
recordet  chiaus  qui  y  furent  ».  Peu  s'en  est  fallu  d'ailleurs  qu'il 
prît  part  à  l'action.  Au  début  de  l'année  1367,  au  moment  où  le 
prince  de  Galles  préparait  son  expédition,  Froissart  était  à  Bor- 
deaux. Il  suivit  jusqu'à  Dax  le  Prince  Noir,  qui  jugea  opportun  de 
le  renvoyer  en  Angleterre  auprès  de  sa  mère,  la  reine  Philippa,  pour 
des  raisons  que  nous  ne  connaissons  pas^  Ce  voyage  intempestif  le 
priva  d'assister  à  cette  rencontre,  qui  passa  à  l'époque  comme  un 
très  grand  fait  d'armes,  une  «  apertise  ».  Plus  tard,  lorsqu'il  écrivit 
ses  mémoires,  Froissart  interrogea  les  survivants  de  cette  bataille 

rement  leurs  ennemis  qui  venoient  le  chemin  droitement  vers  yaus.  Quant  il 
eurent  tout  avalé  cette  ditte  montagne,  il  se  traisent  en  leurs  batailles  sus  les 
camps,  et  se  tinrent  tout  quoi.  » 

1.  Froissart,  t.  VII,  p.  38. 

2.  /dem,  p.  46. 

3.  Idem,  p.  34  :  «  Quant  li  solaus  fu  levés,  c'estoit  grant  biautés  de  veoir 
ces  banieres  venteler  et  ces  armeures  resplendir  contre  le  soleil.  »  Idem, 
p.  35  :  «  Si  estoit  ce  grans  solas  a  veoir  et  considérer  les  banieres,  les  pennons 
et  le  noble  armoierie  qui  là  estoit.  » 

4.  c  Et  avoie  intention  d'aller  au  voyage  d'Espaigne  avoec  le  prince  de  Galles 
et  les  seigneurs  qui  au  voyage  furent;  mais  quant  nous  fusmes  en  la  cité  de 
Dai,  le  prince  me  renvoya  arrière  en  Angleterre  devers  madame  sa  mère  ». 
Idem,  t.  VU,  p.  iv. 


LA    BATAILLE    DE   NAJERA    (3    AVRIL    1367).  47 

sanglante  et,  pour  mieux  se  documenter,  puisa  ses  sources  dans  les 
auteurs,  ses  devanciers.  Ainsi  fut-il  amené,  et  le  plagiat  était  admis 
à  son  époque,  à  mettre  dans  une  prose  excellente,  qui  fait  encore 
aujourd'hui  nos  délices,  de  mauvais  vers,  fruit  des  élucubrations 
d'un  rimailleur  sans  prétentions  littéraires,  monotones  et  ennuyeux 
à  coup  sûr,  mais,  en  dépit  de  leur  remplissage,  plus  près  de  la  vérité 
historique. 

Froissart  s'est  en  effet  largement  inspiré  d'une  chronique  riméetl, 
«  la  Vie  et  les  hauts  faits  d'armes  du  Prince  Noir  »,  poème  historique 
que  le  héraut  d'armes  de  Jean  Chandos,  qui  était  Anglais,  composa 
vers  1385  et  écrivit  en  français  du  Hainaut,  c'est-à-dire  en  wallon  2. 
A  Najera,  Jean  Chandos,  connétable  d'Aquitaine,  servait  dans  «  la 
bataille  »  du  duc  de  Lancastre,  frère  du  Prince  Noir,  qui  se  trouvait, 
par  suite  du  dispositif  adopté,  à  l'avant-garde.  Le  héraut  qui  l'ac- 
compagnait prit  part  à  ces  corps  à  corps  furieux,  où  l'on  se  battit  à 
la  lance,  à  l'épée,  à  la  hache,  à  la  dague,  au  couteau  ^  Lorsqu'il 
entreprit  plus  tard  d'écrire  ses  souvenirs,  il  avait  encore  la  vision 
sinistre  du  champ  de  bataille,  du  nuage  de  poussière  qui  s'éleva  de 
la  mêlée  furieuse,  de  la  pluie  de  flèches  qui  tombait  sur  les  premiers 
rangs  ;  il  croyait  entendre  le  cliquetis  des  lances  entrechoquées  et  les 
clameurs  des  combattants,  «  Guyenne  S'  Georges  ou  Castille  San- 
tiago ».  Ce  témoin  oculaire,  d'ailleurs  plus  rimeur  que  poète,  est 
sans  doute  esclave  de  ses  rimes.  Mais,  en  dépit  des  redites,  des  mots 
inutiles,  des  chevilles,  ses  deux  mille  vers  octôsyllabiques  \  relatant 
l'expédition  du  prince  de  Galles  en  Espagne,  gardent  encore  la  saveur 
des  vieilles  rapsodies'*. 

1.  C'est  l'opinion  de  Kervyn  de  Leltenhove  (édition  de  Froissart),  de  Luce 
dans  son  édition  de  Froissart,  t.  VII,  p.  iv,  note,  et  celle  également  de  Dela- 
chenal,  op.  cit.,  p.  401,  n.  4. 

2.  Romania,  1913,  p.  125,  compte-rendu  de  la  nouvelle  édition  par  Paul 
Meyer. 

3.  Chronique  des  quatre  premiers  Valois  (1327-1393),  édition  feuce,  p.  179  : 
«  Car  quant  les  Francoiz,  Normans  et  Bretons  ourent  combatu  des  glaives,  ilz 
se  combatirent  des  hasches.  Qui  la  cheist,  nient  fust  du  relever.  »  Froissart, 
t.  VII,  p.  285  :  «  Geste  bataille  fu  durement  aspre  et  fellenesse  et  bien  comba- 
tue  de  lances  acérées,  des  haces,  de  dagbes,  d'espées  et  de  couliaux.  > 

4.  Le  vers  octosyllabique  était  très  en  vogue  dans  les  chroniques  rimées  au 
temps  de  Philippe  VI  de  Valois  et  de  Jean  le  Bon.  Delisle,  Fragments  d'un 
poème  historique  du  XIV'  siècle  {Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  t.  LX, 
1899,  p.  611-616). 

5.  La  chroni<iue  riraée  du  héraut  de  Jean  Chandos  a  été  publiée  pour  la  pre- 
mière fois  par  H.  0.  Coxe  pour  le  Roxburghe  Club,  en  1842  :  The  Black 
Prince,  an  hislorical  poem  written  in  French,  wiih  a  translation.  Elle  a  été 
réimprimée  en  1883  par  Francisque  Michel  :  The  life  et  feats  of  arvis  of 
Edward  the  Black  Prince  by  Chandos  herald,  a  metrical  chronicle  with  an 


48  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

C'est  aussi  un  rapsode  que  Cuvelier,  ce  pauvre  trouvère  dont 
nous  parle  Philippe  de  Mézières  dans  le  Songe  du  vieil  pèle- 
rin, et  qui.  pour  gagner  sans  doute  sa  vie,  eut  le  courage  de  consa- 
crer à  la  vie  de  Bertrand  Du  Guesclin  un  long  poème  de  vingt-trois 
mille  vers  dodécasyllabes,  dont  près  de  huit  cents  à  la  bataille  de 
Najera'.  Ses  laisses  monorimes,  très  archaïques  pour  l'époque  où 
il  composait,  ont  la  prolixité  d'un  perpétuel  refrain,  la  monotonie 
d'une  litanie  si  interminable  que  les  auditeurs  de  la  fm  du  xiv^  siècle 
en  ont  eux-mêmes  demandé  un  abrégé.  Bien  que  l'auteur  affirme 
tenir  ses  renseignements  des  compagnons  de  Du  Gue.sclin,  il  y  a  tel- 
'  lement  d'erreurs  chronologiques  que  la  critique  moderne  est  impuis- 
sante à  exhumer  la  vérité  de  cet  extraordinaire  roman  d'aventures, 
médiocre  au  point  de  vue  poétique,  plus  médiocre  encore  au  point 
de  vue  historique.  Pour  ceux  qui  cherchent  l'histoire  vraie,  ce  sont 
des  travaux  d'imagination  qu'il  faut  délibérément  laisser  de  côté  — 
Rabelais  dira  qu'ils  sont  baveux  comme  un  pot  à  moutarde  —  ainsi 
que  le  conseillait  déjà  à  ses  lecteurs  le  chroniqueur  Jean  le  Bel  dans 
sa  préface  qui  est  une  profession  de  foi  :  «  Qui  veut  lire  et  ouir  la 
vraye  histoire...  si  lise  ce  petit  livre  que  j'ay  commencé  à  faire  et 
laisse  ung  grant  livre  rimé  que  j'ay  veu  et  leu,  lequel  aucun  con- 
trouveur  a  mis  en  rime  par  grandes  faintes  et  bourdes  controuvées, 
duquel  le  commencement  est  tout  faulx  et  plain  de  menchongnes... 
Et  de  la  en  avant  peut  avoir  assez  de  substance  de  vérité  et  assez  de 
bourdes,  et  si  y  a  grant  plenté  de  parolles  controuvées  et  de  redictes 
pour  embelir  la  rime,  et  grand  foison  de  si  grands  proesses  racon- 
tées sur  aucuns  chevaliers  et  aucunes  personnes  qu'elles  debveroient 
sembler  mal  créables  et  ainsy  comme  impossibles.  Par  quoy  telle 
hystoire  ainsi  rymée  par  telz  controuveurs  pourroit  sembler  mal 
plaisant  et  mal  aggreable  a  gens  de  raison  et  d'entendement 2.  » 

Si  le  héraut  Ohandos  et  Cuvelier  ont  été  dominés  par  le  souci  de 
la  rime,  le  poète  officiel  du  Prince  Noir,  qui  a  écrit  en  latin  sur  la 
guerre  de  Najera  ou  plutôt  sur  la  victoire  de  la  guerre  d'Espagne 
remportée  par  trois  confrères  (le  Prince  Noir,  le  duc  de  Lancastre  et 
Pierre  le  Cruel)  contre  trois  bâtards  (don  Henri,  don  Tello,  don 

english  translation  and  notes.  En  1910,  Mildred  Pope  et  EleanorLodge  en  ont 
donné  une  édition  définitive  (Oxford  Clarendon  Press)  :  Life  of  the  Black 
Prince,  by  the  Herald  of  Sir  John  Chandos,  ediled  from  the  manusa'ipt  in 
Worcester  Collège,  with  linguislic  and  historical  notes. 

1.  Chronique  de  Bertrand  Du  Guesclin  par  Cuvelier,  trouvère  du  xiv  siècle 
(édition  Cliarrière).  Documents  inédits  (1839),  2  vol.  La  bataille  de  Najera 
occupe  les  vers  11415  à  12192. 

2.  Chronique  de  Jean  le  Bel  (édition  Viard  et  Déprez),  Soc.  Hist.  de 
France,  1904,  t.  I,  p.  1. 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  49 

Sanche) ,  a  été  asservi  par  la  versification  ^ .  Chandos  narrait  ses  souve- 
nirs, comme  un  trouvère,  dans  une  langue  simple,  naïve,  mais  claire. 
Le  panégyriste  en  titre  de  la  cour  du  prince  de  Galles  enveloppe  ses 
sources  dans  un  style  affecté  et  ampoulé,  riche  en  jeux  de  mots  2, 
plein  d'allusions  obscures  et  d'allégories  parfois  inintelligibles.  Il  vise 
à  l'effet,  à  l'élégance  des  mots,  si  bien  que  les  renseignements  précis 
sont  noyés  dans  le  fatras  des  assonances  et  que  la  vérité  disparaît 
dans  la  fiction.  C'est  une  œuvre  médiocre,  qui  n'offre  à  l'historien 
qu'une  valeur  très  mince,  mais  qui  a  été  très  goûtée  au  moyen  âge, 
si  appréciée  qu'on  la  donnait  comme  modèle  dans  les  écoles  ou  les 
universités  aux  étudiants  qui  apprenaient  à  forger  les  distiques.  Pour 
nous,  elle  n'a  qu'un  intérêt  historiographique.  L'éditeur  de  ce  poème^ 
l'attribue  à  un  moine  de  Revesby  dans  le  Lincolnshire,  Walter  de 
Peterborough.  Je  veux  bien,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  accepter 
cette  identification,  au  lieu  de  l'appeler  W.  Burgeys''.  Le  nom  a 
d'ailleurs  peu  d'importance.  Ce  que  l'on  n'a  pas  dit  et  ce  qui  vaut  la 
peine  d'être  signalé,  c'est  que  ce  moine  semble  avoir  été  sinon  atta- 
ché à  la  personne  du  Prince  Noir,  du  moins  avoir  célébré,  en  latin, 
les  hauts  faits  d'armes  du  Prince  que  d'autres  rimaient  en  français. 
Dans  la  préface  de  son  poème  qu'il  dédie  à  Jean  de  Marton,  tréso- 
rier de  Jean  de  Gand,  duc  de  Lancastre,  il  a  bien  soin  d'indiquer 
qu'il  a  jadis  écrit  pour  le  Prince  Noir  un  poème  sur  la  bataille  de 
Poitiers,  poème  dont  il  nous  donne  le  titre  «  Theotocon  »,  c'est-à- 
dire  le  fils  de  Dieu.  La  victoire  de  Najera,  sans  avoir  l'importance 
de  celle  de  Poitiers,  attestait  encore  onze  ans  après  1356  la  valeur 
du  Prince,  commandant  en  chef,  et  la  supériorité  de  l'armée  anglaise 
au  point  de  vue  de  l'armement,  de  la  valeur  militaire  et  de  l'unité 
de  commandement.  Ce  nouveau  et  brillant  fait  d'armes  était  une 

1.  «  Incipit  Victoria  belli  in  Hispania.  Explicit  bellum  Nasorense  gestum,  et 
sic  digestuin  anno  Domini  M°  CCC°  LXVr,  habens  versus  quingentos  sexaginta, 
per  W.  Burgensem.  » 

2.  Ainsi  la  ville  de  Logrono,  en  français  Le  Groin,  devient  sous  sa  plume 
«  portum  verrinum  i,  le  port  du  «  verrat  ». 

3.  Thomas  Wright,  Political  poems  and  songis  relating  to  English  History 
composcd  during  the  period  froin  tke  accession  of  Edward  III  to  that  of 
Ricard  III,  t.  I,  p.  95-122;  publié  sous  le  titre  :  Prince  Edwards  expédition 
inlo  Spain  and  the  battle  of  Najara.  Ce  poème  était  déjà  connu  du  temps  de 
Fabricius,  t.  IV,  p.  566-567. 

4.  Dans  le  ms.  de  la  BodJeienne  à  Oxford  (Digby,  n"  16G,  fol.  97),  le  poème 
est  signé  W.  Burgensem.  Thomas  Wright,  d'après  une  mention  de  la  chronique 
de  Peterborough  (British  Muséum,  Colton,  Claudius  A,  5),  dit  que  W.  Burgen- 
sis  et  Wallerus  de  Burgo  sont  un  seul  et  môme  personnage.  Je  n'ai  pu  vérifier 
cette  assertion. 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  1"  FASc.  4 


50  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

aubaine  poétique  pour  un  moine  qui  passait  ses  nuits  à  se  nourrir 
d'Ovide  pour  la  gloire  et  Ihonneur  de  l'Église*. 

La  chronique,  en  espagnol,  d'Ayala  est  une  source  de  premier 
ordre^.  Don  Pedro  Lopez  de  Ayala,  après  avoir  été  un  partisan  de 
Pierre  le  Cruel,  embrassa  la  cause  de  don' Henri  de  Trastamara. 
Devenu  chancelier  de  Castille  de  1398  à  1407,  il  occupa  les  loisirs 
que  lui  laissaient  ses  fonctions  à  écrire  l'histoire  des  rois  de  Castille 
et  des  événements  auxquels  il  avait  été  mèlé^.  Comme  Froissart,  il 
écrivait  après  les  événements  ;  aussi  sa  véracité  et  sa  bonne  foi  ont- 
elles  été  mises  en  doute''.  Mais  il  avait  l'avantage  d'avoir  été  la  plu- 
part du  temps  un  témoin  oculaire,  et,  en  ce  qui  concerne  la  bataille 
de  Najera,  il  est  bien  naturel  qu'il  nous  en  ait  fait  un  récit  circons- 
tancié, plein  de  charme  et  de  vie.  On  aime  à  conter  les  batailles  aux- 
quelles on  a  pris  part,  non  pas  seulement  en  témoin,  mais  en  acteur, 
et  Ayala  s'y  est  étendu  d'autant  plus  volontiers  qu'à  Najera  il  por- 
tait la  bannière  des  chevaliers  de  l'Écharpe^,  troupe  d'élite  recrutée 
parmi  les  «  ricos  hombres  »  de  Castille,  qu'il  eut  la  chance  de  sor- 
tir indemne  de  la  mêlée  meurtrière,  mais  connut,  comme  Du  Gues- 
cHn,  la  mésaventure  d'une  captivité. 

A  côté  des  sources  narratives  :  chroniques,  anglaises  et  françaises, 
chroniques  rimées,  poèmes,  il  y  a  une  source  diplomatique  dont  je 
n'ai  pas  besoin  de  souligner  l'importance  et  que  j'ai  eu  la  bonne  for- 
tune de  trouver  à  Londres,  au  Public  Record  Office^.  C'est  un 
document  émané  du  Prince  Noir,  où  le  vainqueur  de  Najera  fait  lui- 

1.  '  «  Principe  pro  nostro  scripsi  quondam  Theotecon 

In  Pictavensi  marte,  poeta  suus. 
Ad  decus  ecclesiœ  super  Ovidium  vigilavi 
Jam  duce  pro  nostro  proque  salute  sua.  » 

2.  Cronicas  de  los  reyes  de  Castilla  don  Pedro,  don  Enriqne  II,  don 
Juan  I,  don  Enrique  III,  por  D.  Pedro  Lopez  de  Ayala,  chanciller  mayor 
de  Castilla,  con  las  enmiendas  del  Secretario  Geronimo  Zurita,  y  las  correc- 
ciones  y  notas  anadUlas,  por  don  Eugenio  de  Llaguno  Amirola,  t.  I.  Madrid 
(1779).  Réimprimé  dans  la  Biblioteca  de  Autores  Espanoles  desde  la  forma- 
don  del  lenguaje  hasta  nuestros  dias,  t.  LXXVI,  p.  393-629  (Madrid,  Rivade- 
neyra,  1875). 

3.  Schirrraacher,  Geschichte  von  Spanien,  1890  (dans  Geschichte  der  Euro- 
pàischen  Staaten]  ;  Fueter,  Ayala  und  die  Chronik  Peters  des  Grausaynen 
(Mittheilungen  des  Instituts  fUr  ôsterreichische  Geschichtsforschungen, 
t.  XXVI,  1905). 

4.  Don  Rafaël  de  Floranes,  Vida  literaria  del  canciller  mayor  de  Castilla 
d.  Pedro  Lopez  de  Ayala  (CoUecciôn  de  documentes  inédites  para  la  historia 
de  Espafia,  1851-1852,  t.  XIX  et  XX). 

5.  «  El  pendén  de  la  erden  de  la  Banda.  » 

6.  Ancient  Correspondance,  vol.  XLII,  n°  33.  Minute  sur  papier. 


LA    BATAILLE    DE   NAJERA    (3    AVRIL    1367).  51 

même  le  récit  de  la  bataille.  Il  a  la  saveur  d'une  lettre  familière  et 
l'éloquente  simplicité  d'un  communiqué. 

Le  lundi  5  avril  1367,  deux  jours  après  la  bataille,  alors  qu'il 
chevauchait  vers  Burgos  à  la  tète  de  son  armée  victorieuse,  avant  de 
faire  halte  à  BrivescaS  comme  nous  le  disent  Froissart^  et  le  héraut 
Chandos^,  le  prince  de  Galles  adressa  à  la  princesse,  qui  se  trouvait 
sans  doute  à  Bordeaux,  la  missive  suivante  : 

Très  cher  et  très  entier  coer,  bien  ame  compaigne.  Nous  vous  saluoms 
de  tut  nostrecoer  desiraunt  etc.  Très  chère  compaigne,  quant  as  noveles 
voilliez  savoir  qe  auxint  avint  le  secounde  jour  d'aprill  esteioms  logiez 
sur  les  chaumps  près  de  Naverres  et  illoesques  avoms  novelles  qe  le 
Bastard  de  Spaigne  ove  tut  son  host  estoit  logie  a  dieux  lieux  de  nous 
sur  la  ryvere  de  Nazare  et  lendemayn,  c'est  assavoir  bien  matyn,  nous 
nous  deslogeames  pur  aler  dever  luy  et  y  envoisames  nos  scoverours 
devant  pur  savoir  Testât  du  dit  Bastard,  les  queux  nous  reporterount 
qil  avoit  pris  sa  place  et  armes  ses  batailles  en  un  bel  lieu  pur  nous 
attendre,  et  tantost  nous  nous  mesmes  en  ordinaunce  de  luy  combatre 
esteiantz  tant  par  la  volunte  et  grâce  de  Dieux  qe  le  dit  Bastard  et  touz 
les  sens  furent  desconfitz.  Regraciez  soit  nostre  seignur;  et  en  furent 
mortz  en  tut  cynk  ou  sys  mille  des  combataunz  et  y  furent  tut  pleyn 
des  prisoners  des  queux  nous  ne  savoms  mye  les  nouns  a  présent,  mes 
entre  aultres  estoient  pris  Done  Senche  frère  de  dit  Bastard,  le  counte 
de  Domee,  monseignur  Bertram  Claykyn,  le  marchai  d'Oudenham, 
monseignur  Johan  Romery,  monseignur  Johan  de  Neville,  le  con[te] 
Craundoun,  le  Beek  de  Villains,  S[imon]  Charilhel,  le  mestre  Seynt 
Jame,  le  mestre  Saint  Johan  et  plusours  chastelains  que  nous  ne 
savoms  nomer  jesqes  a  dieux  mille  prisoners  des  [gens]  d'estat;  et  le 
Bastard  mesmes  nous  ne  savoms  quant  a  présent  sil  estoit  pris  mort 
ou  fuy.  Et  après  le  dit  journe  nous  nous  logeamez  a  soir  en  logges 
de  dit  Bastard  et  en  ses  tentes  mesmes  ou  nous  esteioms  mieulz  esez 
qe  nous  ne  fuissoms  de  qatre  jours  ou  cynk  devan[i],  et  y  demorasmes 
lendemayn  tut  le  jour  et,  le  lundy,  cest  assavoir  le  jour  de  la  fesaunce 
de  cestes,  nous  nous  deslogeamez  et  prismes  n[ostre]  chemyn  avaunt 
dever  Burges  et  ensy  avaunt  en  bon  complisement  de  nostre  dit  viage, 
ove  l'aide  de  Dieu;  et  voilliez  savoir,  très  cher  compaigne,  qe  nous, 
nostre  frère  de  Lancastre  et  touz  les  gens  d'estat  de  nostre  host  sount 

1.  A  quarante-sept  kilomètres  nord-est  de  Burgos. 

2.  Froissaj-t,  édition  Luce,  t.  VII,  p.  51  :  «  Et  le  lundi  après  boire,  il  (le 
Prince  Noir)  se  deslogea  et  toutes  ses  gens,  et  s'en  vinrent  ce  Jour  logier  a 
Barbesque.  Si  y  furent  jusques  au  merkedi  que  il  s'en  vinrent  tout  devant 
Burghes  ». 

3.  Life  of  the  Black  Prince,  v.  3596  :  \ 

«  Et  li  très  noble  Prince  de  pris 
S'en  vint  à  Benesques  logier.  » 


52  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

en  bon  poynt,  dieu  mercy,  fors  seulement  monseignur  Johan  Ferrers, 
qi  moult  ad  combatu.  Par  quel,  très  cher  compaigne,  etc. 

La  lettre  du  Prince  Noir  a  été  connue  en  Angleterre.  Des  copies 
ont  dû  être  affichées  à  la  porte  des  églises,  comme  des  communiqués' . 
Le  moine  anonyme  qui  a' composé  la  chronique  de  Cantorbéry  (1346- 
1367)  et  qui  écrivit  en  1367,  alors  que  le  Prince  et  don  Pedro 
étaient  encore  à  Burgos,  s'est  servi  de  ce  document  officiel^.  Au  lieu 
de  l'insérer  in  extenso  dans  sa  Chronique,  comme  l'auraient  fait 
Adam  de  Murimuth,  le  chanoine  de  Saint-Paul  de  Londres  ou 
Robert  d'Avebury,  garde  des  archives  archiépiscopales  de  Cantor- 
béry, il  l'a  analysé  et  l'on  reconnaît  dans  la  traduction  latine  les 
termes  et  les  phrases  mêmes  de  l'original  français^.  La  confrontation 
des  deux  textes  ne  laisse  aucun  doute  :  même  chiffre  de  morts, 
même  chiffre  de  prisonniers  ^ 

Le  message  du  Prince  Noir  débute  par  un  salut  très  affectueux 
qu'on  serait  tenté,  au  premier  abord,  de  considérer  comme  de  pure 
convention,  conforme  à  la  stricte  étiquette  d'un  formulaire  de  chan- 
cellerie^. Mais  cette  affection  semble  toute  naturelle  quand  on  songe 
que  le  Prince  Noir,  en  épousant  la  comtesse  Jeanne  de  Kent,  sa  cou- 
sine, veuve  en  premières  noces  du  comte  Thomas  Holland,  avait  fait 

1.  La  lettre  du  Prince  Noir  a  été  adressée  sans  doute  à  plusieurs  destina- 
taires, au  roi,  au  chancelier.  Pour  chaque  destinataire,  on  changeait  l'adresse 
et  le  salut.  Nous  avons  conservé  la  minute  de  l'exemplaire  adressé  à  la  prin- 
cesse. 

2.  Chronica  Johannis  de  Reading  et  anonymi  Cantuariensis  (13i6-1367), 
edited  witli  introduction  and  notes,  by  James  Tait  (Manchester,  University 
Press,  1914),  p.  224  :  «  Et  post  haec  princeps  ipse  cum  rege  Ispanie  iter  silum 
arripuit  versus  Burges,  ubi  ad  invicem  nunc  morantur.  » 

3.  «  Ex  parte  dicti  principis  exploratoribus  et  insidiatoribus  belli  praemis- 
sis,  secundo  die  aprilis  eidem  principi  juxta  Nâverete  in  Ispania,  ubi  tentoria 
sua  fixerat,  venerunt  nova  quod  idem  Bastardus  cum  exercitu  suo  fere  per  duo 
miliaria  a  dicto  principe  super  ripam  de  Nazare,  directis  belli  sui  aciebus,  pla- 
ceara  ceperant  ad  pugnandum  ibidem,  dictum  principem  expectando  et  in 
crastino  ipse  movebat  se  cum  armata  potentia  ad  debellandum  Bastardum 
eundem.  » 

4.  «  Nomina  dominorum  et  comitum  captivorum  in  bello  de  Nasers  in  Ispa- 
nia :  et  alii  ad  suramam  m'  m'  et  amplius  bonarum  gentium.  »  —  «  Mortui  in 
bello  de  Nasers  :  et  alii  usque  ad  numerum  quinque  m'  vel  vi  millium  bonarum 
gentium  armalarum  »,  Idem,  p.  226. 

5.  Dans  la  chancellerie  anglaise  du  xiv  siècle,  la  formule  usitée  par  le  roi 
dans  les  lettres  à  la  reine  est  «  très  doux  cœur  »  et  au  protocole  final  <  douz 
cuer.  Dieu  soit  gardein  de  vous  ».  Voir,  à  cet  égard,  la  lettre  missive  que 
Edouard  111  adressait  de  Grand-Champ,  près  de  Vannes,  le  25  novembre  1342, 
à  la  reine  Philippa  pour  lui  annoncer  la  mort  de  Robert  d'Artois  et  que  j'ai 
publiée  dans  la  Revue  historique,  t.  XCIV  (1907),  p.  65. 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  53 

un  mariage  d'amour,  mariage  que  son  père  Edouard  III  avait, 
paraît-il,  désapprouvé,  et  qui  avait  déplu  aux  barons  ' ,  car  c'était  une 
femme  «  soubtille  et  pleine  d'aguet^  ».  Le  Prince  Noir,  fier  de  sa 
victoire,  envoie  à  son  épouse,  sans  doute  inquiète,  la  bonne  nou- 
velle. A  défaut  de  Froissart,  d'Ayala,  de  la  chronique  rimée  du 
héraut  Chandos,  cette  seule  lettre,  qui  est  un  communiqué  de  vic- 
toire, nous  permettrait  de  situer  la  bataille  et  de  saisir  les  conditions 
dans  lesquelles  elle  s'est  livrée. 

Le  2  avril,  l'armée  anglaise  était  campée  près  de  Navarette  au 
repos  sous  les  oliviers.  Le  Prince  apprit  que  l'armée  ennemie  com- 
mandée par  don  Henri  de  Trastamara  —  désigné  communément 
sous  le  nom  de  bâtard  d'Espagne  —  et  concentrée  à  deux  lieues 
au  sud-ouest,  avait  dressé  ses  tentes  au  milieu  des  bruyères  devant 
Najera^.  Le  samedi  3  avril,  veille  du  dimanche  de  la  Passion,  qui 
était  pour  les  Anglais  la  fête  de  saint  Richard,  évêque  de  Chiches- 
ter^  avant  l'aube,  le  prince  leva  le  camp  après  avoir  envoyé  au 
préalable  une  patrouille  pour  prendre  contact  avec  l'ennemi  et  con- 
naître son  dispositif  de  combat.  Les  éclaireurs  rendirent  compte  que 
don  Henri  avait  pris  position  sur  un  beau  terrain,  qu'il  avait  armé 
ses  batailles,  c'est-à-dire  placé  ses  unités,  et  qu'il  attendait  la  ren- 
contre. C'est  alors  que  le  Prince  fît  prendre  à  l'armée  anglaise  sa 
formation  de  combat,  après  quoi  l'on  en  vint  aux  mains. 

Le  Prince,  dans  sa  hâte  d'annoncer  la  victoire,  a  négligé  de  don- 
ner de  plus  amples  détails  sur  les  péripéties  dune  lutte  acharnée  qui 
dura  Jusqu'au  soir.  Il  s'est  borné  à  enregistrer  les  résultats  essen- 
tiels; cinq  à  six  mille  morts  et  deux  mille  prisonniers.  D'ailleurs, 
à  l'heure  où  il  écrit,  les  prisonniers  n'avaient  pas  encore  été  dénom- 
brés, car  il  y  en  avait  «  tout  plein  »,  et  l'identification  n'était  pas 
rapide.  Après  un  coup  de  filet  tel  que  celui  de  Najera  où,  pour  nous 
servir  de  l'expression  du  chroniqueur  des  quatre  premiers  Valois^, 

1.  Jeanne  de  Kent  était  fille  d'Edmond  de  Woodstock,  comte  de  Kent,  fils 
d'Edouard  I".  Le  mariage  fut  célébré  à  Windsor,  le  10  octobre  1361,  après  que 
le  pape  eut  accordé  la  dispense  (Rymer,  t.  III,  p.  626).  Le  Prince  Noir  avait  en 
outre  été  le  parrain  des  deux  fils  de  la  comtesse.  L'archevêque  de  Cantorbéry 
déclara  bénir  l'union  contre  sa  conscience,  parce  que  contraint  {Chronicon 
anonymi  Cantuariensis,  édition  Tait,  p.  213). 

2.  Chronique  des  quatre  premiers  Valois,  édition  Luce  (Soc.  Hist.  de 
France),  p.  124. 

3.  Froissart,  t.  VII,  p.  31  et  279  :  «  Cil  coureur  ...  veirent  l'ost  entièrement 
des  Espagnolz  qui  estoient  logiet  ens  es  bruieres  devant  Nazres.  » 

4.  Chronicon  anomjmi  Cantuariensis  (édition  Tait),  p.  224.  Mort  en  12^3, 
Richard  avait  été  canonisé  le  3  avril  1262. 

5.  Chronique  des  quatre  premiers  Valois  (1327-1393),  édition  Luce  (Soc, 
Hist.  de  France),  p.  180. 


54  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

les  Franco-Bretons,  luttant  en  désespérés,  avaient  été  «  avironnéz  de 
toutes  parts  comme  les  oiseaulx  entre  les  raseurs*  »,  la  cohue  est 
parquée  avant  de  subir  l'interrogatoire  de  rigueur.  Deux  jours  après 
la  bataille,  et  il  n'y  a  là  rien  de  surprenant,  les  listes  définitives 
n'avaient  pas  été  établies.  Elles  le  furent  plus  tard,  avec  une  origine 
officielle  ou  demi -officielle^,  telles  qu'on  les  trouve  dans  le  moine 
anonyme  de  Cantorbéry^,  dans  John  de  Reading\  dans  Ayala^  ou 
dans  la  chronique  que  le  neveu  du  cardinal  Gilles  Albojnoz,  ancien 
professeur  de  droit  canonique  à  l'Université  de  Bologne,  a  inscrite 
en  tête  d'un  exemplaire  du  Décret  de  Gratien  que  ses  élèves  lui 
avaient  offert  à  son  départ  de  Bologne*. 

Au  lendemain  de  la  bataille,  le  Prince  Noir,  ne  pouvant  adresser 
à  Londres  la  liste  complète  des  prisonniers  «  des  queux  nous  ne 
savons  mye  les  nouns  » ,  s'était  contenté  de  dresser  l'état  des  person- 
nages de  marque  qui  avaient  été  capturés.  «  Mes  entre  aultres  estoient 
pris  don  Sanche,  frère  de  don  Henri^,  le  comte  de  Denia^,  Du  Gues- 
clin,  le  maréchal  d'Audrehem,  Jean  Romery ',  Jean  de  Neuville'",  Le 
Bègue  de  Villaines'*  et  les  maîtres  des  ordres  militaires.  » 

Il  est  regrettable  que  le  Prince  Noir  n'ait  pas  soufflé  mot  des  pertes 
anglaises  qui  furent  certainement  plus  sérieuses  que  celles  dont  parle 
Froissart'^  dans  sa  première  rédaction  et  qu'il  rectifia  dans  sa 

1.  C'est  ce  que  dit  également  la  Chronique  normande  du  XIV'  siècle,  édition 
Emile  et  Auguste  Molinier  (Soc.  Hist.  de  France),  p.  184  :  «  La  furent  Fran- 
çois enclos  de  toutes  parts.  Car  moult  estoit  petite  quantité  au  regard  du  grant 
est  que  le  prince  avoit.  » 

2.  Comme  le  fait  justement  observer  M.  Tait,  dans  son  édition  de  Reading, 
p.  371. 

3.  Édition  Tait,  p.  225-227. 

4.  Idetn,  p.  183-184. 

5.  Ayala,  op.  cit.,  p.  456-457. 

6.  Cette  chronique  a  été  éditée,  d'après  un  ms.  des  archives  du  chapitre  de 
Tolède,  par  Moisant  :  le  Prince  Noir  en  Aquitaine,  appendice  III,  p.  276.  Fer- 
dinand Alvarez  d'Albornoz,  doyen  de  l'église  de  Valladolid,  puis  archevêque  de 
Séville,  nous  a  laissé  une  liste  des  prisonniers  espagnols. 

7.  Don  Sanche,  comte  d'Albuquerque.  Cf.  Chandos,  édition  Michel,  p.  365. 

8.  Don  Alfonso,  comte  de  Dénia,  marquis  de  Villena,  cousin  germain  du  roi 
d'Aragon.  Cf.  Chatidos,  édition  Michel,  p.  365;  édition  de  Lodge,  p.  247. 

9.  C'est  sans  doute  Le  Remerik  donné  comme  prisonnier  par  le  chroniqueur 
John  de  Reading  et  que  M.  Tait  {op.  cit.,  p.  184)  identifie  avec  Juan  Ramirez 
de  Arellano,  cité  par  Ayala.  / 

10.  Il  était  le  neveu  du  maréchal  d'Audrehem.  Cf.  Molinier,  op.  cit. 

11.  Pierre  de  Villaines,  dit  Le  Bègue  de  Villaines,  sénéchal  de  Carcassonne  de 
1360  à  1362,  prit  part,  «n  1362,  à  la  guerre  de  Normandie.  Cf.  Chandos,  édi- 
tion Michel,  p.  365. 

12.  Édition  Luce,  t.  VII,  p.  48.  D'après  Froissart,  les  Anglais  'perdirent  quatre 
chevaliers,  dont  deux  gascons,  un  anglais  et  un  allemand,  vingt  archers  et 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  55 

seconde'.  Il  annonce  seulement  l'accident  survenu  à  un  vaillant 
guerrier^  John  Ferrers,  qui  fut  mortellement  blessé  en  poursuivant 
les  fuyards  et  qui  ne  survécut  pas  à  ses  blessures^. 

Le  soir  de  la  bataille  de  Najera,  l'armée  anglaise  vint  occuper  le 
camp  ennemi.  Le  Prince  Noir  s'installa  dans  la  tente  même  de  don 
Henri  et  il  avoue  s'y  être  trouvé  mieux  à  Taise  que  quatre  ou  cinq 
jours  auparavant,  du  côté  de  Logroiio  et  de  Navarette^  Il  est  pro- 
bable que  l'armée  espagnole  laissa  des  victuailles  que  les  archers 
anglais  apprécièrent,  car  les  approvisionnements  commençaient  à 
manquer  et  le  pain  coûtait  très  cher-^.  Le  dimanche  4  avril,  jour  de 
Pâques,  l'armée  anglaise  goûta  un  repos  bien  gagnée  et  le  lundi  5 
elle  se  mit  en  marche  en  direction  de  Burgos,  l'ancienne  capitale  de 
la  vieille  Castille,  où  l'on  sacrait  les  rois. 

Deux  jours  après  la  bataille,  on  était  encore  sans  nouvelles  de  don 
Henri.  Nul  ne  pouvait  dire  s'il  était  mort,  s'il  avait  été  fait  prison- 
nier, s'il  avait  fui''.  Don  Pèdre  était  très  inquiet.  Déjà,  en  pleine 
mêlée,  on  l'avait  vu,  rouge  de  colère,  chercher  dans  les  rangs  ce 
frère  adultérin  que  son  père,  Alphonse  XI,  avait  eu  de  dona  Leo- 

quarante  soldats.  La  Chronique  du  monastère  de  Meaux  (de  Melsa),  Rolls 
Séries  III,  p.  159,  dit  que  les  Anglais  ne  perdirent  que  trois  hommes. 

1.  Froissart,  t.  VII,  p.  289  :  «  Car  si  grosse  bataille  que  ceste  fu  ne  puet 
raie  estre  outrée  a  si  petis  frès  qu'il  n'en  y  ait  mors  otant  bien  de  chiaui  qui 
le  place  obtiennent,  que  des  descomfts,  quoyque  li  victore  leur  demeure.  » 

2.  Édition  Moranvillé  (Soc.  Hist.  de  France),  1893,  t.  II,  p.  329. 

3.  «  Validus  bellator  »,  Reading,  p.  183;  Froissart,  t.  VII,  p.  48  et  289,  «  ungs 

bons  chevaliers  qui  s'appelloit  li  sires  de  Ferrieres  »;  Ghandos,  édition  Lodge, 

V.  3420  : 

1  Auxi  de  la  part  des  Englois 

Morut  uns  chevaliers  par  fetz 

Ce  fut  li  seignours  de  Ferrieres.  » 

4.  Froissart,  t.  VII,  p.  48  :  «  Li  princes  et  ses  gens  se  avalèrent  ens  es  logeis 
le  dit  roy  Henry  et  des  Espagnolz.  Si  s'espardirent  par  ordenance  tout  partout 
et  se  logierent  bien  et  aisieinent,  car  li  dit  logeis  estoient  grant  et  estendut 
et  moult  i  trouvèrent  de  bonnes  pourveances,  dont  il  avoient  eu  grant  souf- 
freté.  ...  Si  se  tinrent  là  ce  samedi,  dou  soir,  tout  aise.  Bien  trouvèrent  de 
quoi,  vins  et  viandes,  bien  et  plentiveusement  et  s'i  rafreschirent.  » 

5.  Froissart,  t.  VII,  p.  27  :  «  Et  sachiés  que  li  princes  de  Galles  et  leurs 
gens  estoient  en  grand  defaute  de  vivres  et  de  pourveances  pour  yaus  et  pour 
leurs  chevaus',  car  il  logoient  en  moult  mauvais  pays  et  magre...  Si  vendoit 
on  en  l'ost  dou  prince  un  pain  un  llorin,  encores  tout  ewireus  qui  avoir  le 
povoit.  »  Idem,  p.  28  :  «  Mes  trop  avoient  grand  déliante  de  vivres.  »  Idem, 
p.  32  :  «  Si  se  tinrent  li  Espagnol  ce  soir  tout  aise,  et  bien  avoient  de  quoi,  de 
tous  vivres  très  largement  ;  et  li  Englès  en  avoient  très  grant  defaute.  » 

6.  Froissart,  t.  VII,  p.  51  :  «  Ce  dimence,  tout  le  jour,  se  tint  li  princes 
ens  es  logeis  que  il  avoit  trouvés  et  conquis  et  le  lundi  apriès  boire,  il  se  des- 
loga.  »  Idem,  p.  48  :  u  Et  le  dimence,  tout  le  jour,  qui  fu  li  Paske  florie.  » 

7.  Le  15  avril,  don  Pèdre  écrivait  de  Burgos  au  conseil  et  aux  alcaldes  de 


56  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

nora  de  Guzmân,  cet  aîné  de  dix  bâtards,  «  ce  fils  de  putain ^  »  qui 
lui  disputait  le  trône  de  Castille^,  Mais  il  n'avait  pu  le  reconnaître, 
sans  doute  parce  que  don  Henri  de  Trastamara^  avait  eu  la  précau- 
tion de  dissimuler  son  «  pennon  »  et  qu'il  était  monté,  peut-être, 
sur  cette  mule  «  fort  et  rade,  à  l'usage  dou  pays  »,  dont  nous  parle 
Froissart*.  Le  soir  du  combat,  il  le  cherchait  encore  parmi  les 
morts,  explorant  le  terrain  à  la  lueur  des  torches  et  des  cierges, 
relevant  les  visières  des  heaumes  pour  reconnaître  ce  frère  maudit. 
Quatre  chevaliers  et  quatre  hérauts  d'armes  qui  avaient  été  chargés 
de  cette  sinistre  besogne  ne  furent  pas  plus  heureux.  Don  Henri 
n'était  ni  parmi  les  morts  ni  parmi  les  prisonniers.  Craignant  en 
effet  la  vengeance  de  don  Pèdre,  qui  aurait  été  implacable  s'il  était 
tombé  vivant  entre  ses  mains  ^,  il  avait  fui  à  toute  bride  vers  l' Ara- 
gon, par  la  route  de  Soria,  lorsque  la  débandade  de  ses  troupes  ne 
lui  laissait  plus  aucun  espoir^.  La  fuite  de  don  Henri  ne  réglait  pas 
la  question  de  Castille.  Le  Prince,  bien  qu'il  ne  l'eût  Jamais  vu, 
savait  que  don  Henri  était  tenace,  quoique  vaincu,  incapable  de 
,découragement,  quoique  détrôné.  «  Eh  bien  »,  demandait-il  à  ceux 
qui  avaient  relevé  les  morts,  «  le  bâtard  est-il  mort  ou  pris?  »  Et 
comme  la  réponse  était  négative.  «  Alors  »,  reprit-il,  «  tout  esta 
refaire'^  ». 

La  défaite  de  don  Henri  de  Trastamara  et  des  troupes  franco-cas- 
tillanes conscicra  la  renommée  du  Prince  Noir  qui,  trois  fois  en  trente 
ans,  à  Crécy,  à  Poitiers,  à  Najera,  avait  mené  les  troupes  anglaises 

Marcie  qu'il  ne  savait  pas  si  son  traître  de  frère  était  pris  ou  mort,  «  i  el 
traidor  no  sabemos  si  es  preso  o  muerto  ».  Cette  lettre,  par  laquelle  don 
Pèdre  annonce  sa  victoire,  mais  qui  ne  renferme  aucun  détail  précis,  a  été 
publiée  par  Cascales  :  Diseur sos  histôricos  de  la  mui  noble  i  mui  leal  ciudad 
di  Murcia,  1621,  fol.  117  r°. 

1.  Froissa7-t,  t.  VII,  p.  42  :  «  La  estoit  li  rois  dan  Piètres,  moult  escaufés 
et  qui  durement  désiroit  a  trouver  et  a  encontrer  son  frère  le  bastart  Henri 
et  disoit  :  ou  est  cilz  filz  de  putain  qui  s'appelle  rois  de  Castille?  » 

2.  Alphonse  XI  était  mort  le  27  mars  1350.  De  sa  femme  légitime,  doîïa 
Maria,  infante  de  Portugal,  il  avait  eu  don  Pèdre.  Mérimée,  Histoire  de  don 
Pèdre,  p.  39-40. 

3.  Rodrigo  II  Alvarez  de  Asturias,  seigneur  de  Noreiïa  et  de  Trastamara, 
avait  adopté  don  Henri  et  fait  de  lui  son  héritier.  De  là  le  surnom  de  Henri 
de  Trastamara. 

4.  Froissart,  t.  VII,  p.  33. 

5.  Idem,  t.  VII,  p.  289  :  «  Car  bien  savoit,  s'il  estoit  pris,  qu'il  seroit  mors 
sans  merchy  et  sans  remède,  ne  li  rois  dans  Pierres,  ses  frères,  n'aroit  nulle 
pitié  de  lui.  » 

6.  Un  chroniqueur  dit  qu'il  fut  blessé  à  la  hanche  par  une  flèche.  Historia 
Anglicana,  édition  Riley,  t.  I,  p.  303. 

7.  Ayala,  Adiciones,  p.  578. 


LA   BATAILLE   DE   NAJERA    (3    AVRIL    1367).  57 

à  la  victoire  et  prouvé  sa  supériorité  incontestable'.  Les  Anglais, 
tout  naturellement,  les  Allemands,  les  Flamands,  les  Wallons 
disaient  bien  haut  qu'il  était  taillé  pour  gouverner  le  monde.  Frois- 
sart  s'est  fait  l'écho  du  prestige  qui  auréolait  le  nom  du  grand 
triomphateur.  «  Si  en  fu  li  dis  princes  renommés  et  honnourés  de 
bonne  chevalerie  et  de  haute  emprise,  en  tous  les  lieus  et  marces 
où  on  en  ooit  parler,  et  par  especial  en  l'empire  d'Alemagne  et  ou 
royaume  d'Engleterre.  Et  disoient  li  Alemant,  li  Thiois,  li  Flamant 
et  li  Englès,  que  li  princes  de  Galles  estoit  la  fleur  de  toute  la  che- 
valerie dou  monde,  et  que  uns  telz  princes  estoit  dignes  et  tailliés  de 
gouverner  tout  le  monde,  quant  par  sa  proèce  il  avoit  eu  trois  si 
hautes  journées  et  si  notables  :  la  première  à  Creci  en  Ponlieu,  la 
seconde,  dix  ans  apriès,  à  Poitiers;  et  la  tierce,  ossi  dix  ans  apriès, 
en  Espagne,  devant  la  cité  de  Nazres^.  »  Crécy,  Poitiers,  Najera 
étaient  en  effet  trois  mémorables  journées.  On  comprend  que  les 
bourgeois  de  la  cité  de  Londres  aient  pavoisé  en  signe  de  liesse 
lorsque  leur  parvint  l'annonce  de  la  dernière  victoire  ^  gagnée  non 
par  le  nombre,  mais  par  la  force''. 

La  bataille  de  Najera  était  une  victoire  anglaise  et  une  défaite 
espagnole.  Ce  n'était  pas  une  défaite  française.  Les  Espagnols 
avaient  lâché  pied.  Les  Français  avaient  tenu.  Le  vieux  maréchal 
Arnould  d'Audrehem  connaissait  pour  l'avoir  éprouvée  la  résistance 
de  ses  adversaires  et  il  avait  prévenu  don  Henri.  «  Ce  sont  droites 
gens  d'armes  et  lis  trouverez  durs,  sages  et  bien  combatans,  ne  ja 
pour  morir,  plain  piet  ne  fuiront^.  »  Les  contingents  français,  mal- 
gré la  force  de  leurs  bras  et  le  rempart  de  leurs  poitrines ^  furent 
écrasés  parce  qu'ils  se  trouvèrent  seuls  et  qu'un  tir  précis  et  dru  des 
archers',  un  tir  de  flanc,  faucha  leurs  rangs  serrés.  C'est  ce  qu'é- 
crit d'une  façon  lumineuse  le  chroniqueur  des  quatre  premiers 

1.  Froissart,  t.  VII,  p.  11  :  Il  avait  «  le  grasce,  l'eur  et  le  fortune  d'armes 
plus  que  nulz  princes  aujourd'ui.  » 

2.  Idem,  t.  VII,  p.  53. 

3.  7de?rt,  t.  VII,  p.  53  :  «  Si  en  fisent  en  le  cité  de  Londres,  en  Engleterrc, 
11  bourgeois  de  la  ditte  ville  le  solennité  toute  sus,  pour  ^D  victore  et  le 
triumphe,  ensi  que  anciennement  on  faisoit  pour  les  rois  qui  avoient  obtenu 
place  et  desconfis  leurs  ennemis.  » 

4.  Reading,  p.  223  :  «  Princeps  advertens  quod  non  in  multitudine  exercitus, 
sed  in  Dei  fortitudine  Victoria  belli  consistit.  » 

5.  Froissart,  t.  VII,  p.  26. 

6.  Idem,  p.  284  :  «  Et  puis  boutoient  par  forche  de  bras  et  de  poitrinnes,  et 
se  tenoient  si  serré  qu'il  ne  pooient  entrer  li  uns  en  l'autre.  » 

7.  Froissart,  t.  VII,  p.  287  :  «  Ossi  il  avoient  archer  granl  fuisson  qui 
traioient  si  ouniement  et  si  espcssement  que  nulx  ne  s'osoit  mettre  ne  bouter 
en  leur  trait,  se  il  ne  voloit  estre  mors  davantaige.  » 


58  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

Valois*  :  «  Mais  trop  greva  les  diz  Françiz  une  bataille  d'archiers 
d'Angleterre,  bien  trois  mille  et  plus,  qui  traioient  de  travers  leur 
bataille  sur  eulx  tant  asprement  que  a  pou  qu'ilz  ne  veoient  goûte. 
Claykin  comme  preux  fu  desconfiz  par  la  defaulte  des  Espaingnolz 
qui  s'enfuirent.  Maiz  ce  n'estoit  pas  partie  égal.  »  En  vain,  DuGues- 
clin,  sentant  les  Espagnols  fléchir,  cria-t-il  «  que  nul  pour  paour  ne 
vousist  fuir  » ,  en  vain  exhorta-t-il  les  caballeros  à  descendre  de  leurs 
coursiers  richement  carapaçonnés  pour  combattre  à  pied^  au  lieu  de 
caracoler  comme  dans  un  tournoi.  Dans  cette  armée  disparate, 
l'unité  de  commandement  n'existait  pas  et  on  ne  l'écouta  pas,  pas 
plus  qu'on  ne^'avait  écouté  lorsqu'il  avait,  paraît-il,  déconseillé,  en 
chef  prudent,  d'engager  le  combat'.  Froissart  a  bien  montré  que, 
si  les  Espagnols  avaient  fait,  comme  les  Franco-Bretons,  leur  devoir, 
les  Anglo-Gascons  n'auraient  pas  si  facilement  triomphé"*. 

Dans  cette  rencontre  où  venaient  de  s'affirmer  une  fois  de  plus, 
du  côté  anglais,  l'unité  de  commandement  et  la  supériorité  de  l'ar- 
mement, les  meilleurs  chefs  français  étaient  prisonniers;  le  maré- 
chal d'Audrehem,  ce  vieux  guerrier  sexagénaire^,  fidèle  et  intègre, 
noble  de  race  et  de  cœur,  qui,  comme  l'écrit  Charles  V  lui-même, 
avait  accompli  de  nobles  actions  qui  lui  assuraient  la  gloire  et  les 
louanges  de  la  postérité  et  s'était  exposé  plus  d'une  fois  à  la  mort 
pour  le  bien  de  l'État ^  et  surtout  Du  Guesclin,  le  fameux  Ber- 
trand', dont  le  prénom  est  déjà  inscrit  en  grande  capitale  dans  un 
manuscrit  du  xiv^  siècle^,  figure  sympathique  et  séduisante,  cet 
ennemi  de  tout  repos  qui  préférait  la  guerre  à  la  paix®  et  personni- 
fiait la  France  armée.  La  captivité  de  Du  Guesclin  et  d'Audrehem 
était  une  perte  pour  la  France  et  l'importance  n'en  a  pas  échappé  à 

1.  Édition  Luce  (Soc.  Hist.  de  France),  p.  180. 

2.  Chronique  normande  du  XIV'  siècle,  p.  183. 

3.  Ypodigma  Neustriœ,  p.  312  :  «  Clykin,  more  ducis  providi,  bellum  differre 
gestiens.  » 

4.  Froissart,  t.  VII,  p.  40  :  «  Et  sachiés  de  vérité  que,  se  li  Espagnol  en 
euissenl  ossi  bien  fait  leur  devoir  que  cil  fisent,  li  Englès  e  li  Gascon  euissent 
eu  plus  a  souffrir  que  il  n'eurent.  » 

5.  Ayala,  t.  I,  p.  459  :  «  E  era  en  edad  de  sesanta  afinos  o  mas.  » 

6.  Lettre  de  Charles  V,  du  9  février  1370  (Arch.  nat.,  J  475,  n°  70),  publiée 
par  Molinier,  op.  cit.,  p.  335  :  «  Qui  famosus  existit  et  génère  et  animo  nobi- 
lis,  quem  non  semel  sed  pluries  propriura  corpus  mortis  periculo  certum  est 
honorifice  submisisse  pro  statu  prospero  reipublice  regni  nostri.  » 

7.  «  Insignis  et  belliger  »  {Ypodigma  Neustrix,  Rolls  Séries,  p.  312). 

8.  British  Muséum,  ras.  Arundel  28  :  c'est  le  ras.  original  de  la  Chronique 
dite  de  Jean  de  Venette,  dont  je  publierai  prochainement  une  nouvelle  édition. 

9.  Historia  anglicana,  t.  I,  p.  303  :  «  Bertrandus  semper  quietis  impatiens, 
bellum  diligens  plus  quam  pacem.  » 


LA  BATAILLE  DE  NAJERA  (3  AVRIL  1367).  59 

l'auleur  anglais  anonyme  d'un  poème  latin  sur  la  bataille  de  Najera, 
qui  fut  très  goûté  à  l'époque  '  : 

Francia  fraudatur,  quoniam  Claykin  superatur. 
Carcere  servatur,  cui  Doudinham  sociatur. 

Mais  l'Angleterre  avait  usé  au  delà  des  Pyrénées  le  meilleur  de 
ses  forces^  et  elle  allait  être  incapable  pour  un  temps  de  fournir  un 
grand  effort.  Charles  V  avait  vu  juste  en  faisant  dévier  les  forces 
anglaises  en  Castille.  Aussi,  la  France  reconnaissante  unit-elle  dans 
une  même  pensée  et  presque  dans  un  même  culte  le  sage  roi  qui 

...  Par  son  sens  et  sa  prudance 
Vint  au  dessus  par  grant  vaillance 
De  toutes  ses  adversitez. 

et  son  connétable, 

Son  bon  connestable  Clasquin 
Qui  pour  lui  ot  maint  grant  hustin. 

Par  une  pieuse  attention,  ils  reposaient  presque  côte  à  côte  dans 
une  chapelle  de  Saint-Denis,  dernière  demeure  des  rois,  sépulture 
des  héros,  et  leur  collaboration  avait  été  sur  terre  si  intime  qu'elle 
se  prolongeait  au  paradis,  à  la  droite  du  Tout-Puissant  : 

A  la  destre  du  roy  celestre 
Puissent  il  en  paradis  estre. 
Car  nous  trestous,  au  mien  cuidier, 
En  sommes  tenus  de  prier^. 

Eugène  Déprez. 

1.  P.olitical  Poems  and  Songs,  édition  Wright,  t.  I,  p.  95  :  «  On  Prince 
Edtvards  expédition  into  Spain.  »  John  de  Reading  en  a  inséré  une  vingtaine 
de  vers  dans  sa  chronique  (édition  Tait,  p.  184-185). 

2.  Knighton,  t.  il,  p.  122  :  «  Periit  populus  anglicanus  in  Hispania  de  (luxu 
ventris  et  aliis  infirinitatibus  quod  vix  quintus  homo  rediit  in  Angliam.  »  — 
Chronicles  of  the  reigns  of  Edward  I  and  Edward  II  :  gesia  Edwardi  tertii, 
édition  Stubbs,  p.  150  :  «  In  isto  itinere  multi  nobiles  mortui  sunt  de  Anglicis 
in  Hispania  non  gladio,  scd  fluxu  ventris.  » 

3.  Bibl.  nat.,  46Hb.  fol.  131  v  :  «  Ce  sont  les  croniques  des  Kois  de  France 
qui  devisent  quant  ducs  et  quant  roys  il  a  eu  en  France  et  combien  ils 
régnèrent  et  comment  la  ville  de  Paris  fut  fondée  et  par  quelle  raison  elle  est 
appelée  Paris.  » 


60  MELANGES   ET    DOCUMENTS. 

LES 

SOURCES  DE  VOLTAIRE  ET  LA  CHRONIQUE  MOLDAVE 

POUR    LE    RÉCIT    DE   LA    CAPTURE    DE    CHARLES   XII    A    BENDER 


Voltaire  a  raconté  le  siège  extraordinaire  soutenu  par  Charles  XII 
à  Varnitza,  aux  environs  de  Bender,  avec  une  telle  netteté  dans 
l'exposition  et  tant  de  mouvement  dans  le  style  que  son  récit  est 
devenu  classique^  L'aventure  de  ce  roi  «  moitié  héros,  moitié  fou  », 
se  défendant  avec  une  poignée  d'hommes  contre  une  armée  de  Turcs 
et  de  Tartares,  semble  détachée  d'un  roman  d'aventures,  et  l'on 
pourrait  craindre  que  l'auteur  dramatique  chez  Voltaire  ne  l'aît 
emporté  sur  l'historien,  si  l'authencité  des  événements  n'était  point 
garantie  par  plusieurs  témoignages  concordants. 

Voltaire  lui-même  a  signalé  un  des  témoins  qui  l'ont  renseigné  : 
«  Cette  Histoire  (l'ouvrage  sur  Charles  XII)  fut  principalement 
composée  en  Angleterre,  à  la  campagne,  avec  M.  de  Fabrice...,  qui 
avait  résidé  sept  ans  auprès  de  Charles  XII,  après  la  Journée  de 
Pultava^.  » 

Friedrich-Ernst  baron  von  Fabrice  avait  été  chargé  par  le  due 
Christian- Auguste  de  Holstein  de  se  rendre  auprès  du  roi  de  Suède. 
Il  entretint,  durant  sa  mission,  avec  le  duc  de  Holstein  et  le  baron 
de  Gœrtz,  conseiller  intime  et  maréchal  de  cour  au  service  du  duc, 
une  correspondance  nourrie  pour  les  tenir  au  courant  des  événe- 
ments. 

Mais,  tandis  que  VHistoire  de  Charles  XII,  à  laquelle  Voltaire 
travaillait  depuis  1727,  fut  publiée  dès  17313,  les  lettres  de  Fabrice, 
écrites  en  langue  française,  ne  parurent  qu'en  1760,  à  Hambourg*. 
Elles  sont  précédées  de  cet  avant-propos  :  «  Il  y  a  longtemps  que 
M.  de  Voltaire  souhaite  que  l'on  rende  publiques  les  lettres  de 
M.  de  Fabrice;  il  se  peut  que  c'est  dans  l'intention  de  nous  donner 
une  nouvelle  édition,  amplement  augmentée  et  corrigée,  de  son  His- 

1.  Voltaire,  Histoire  de  Charles  XII,  livre  VI,  éd.  Garnier,  t.  XVI  des 
Œuvres  complètes. 

2.  Voltaire,  Commentaire  historique,  ibid. 

3.  Histoire  de  Charles  XII,  par  M.  de  V**.  Basle,  Christophe  Revis,  1731. 

4.  Anecdotes  du  séjour  du  roi  de  Suède  à  Bender  ou  lettres  de  M.  le  baron 
de  Fabrice  pour  servir  d'éclaircissement  à  V  «  Histoire  de  Charles  XII  ». 
Hambourg,  1760. 


LES  SOURCES   DE   VOLTAIRE   ET   LA   CBRONIQDE   MOLDAVE.  61 

toire  de  Charries  XII;  quoi  qu'il  en  soit,  nous  sommes  charmés 
d'avoir  trouvé  l'occasion  de  remplir  ses  désirs.  Il  nous  reste  à  dire 
que  toutes  ces  lettres  sont  authentiques  et  que  les  originaux,  écrits 
en  chiffres,  se  trouvent  en  grande  partie  dans  les  archives  du  duc 
de  H***  (Holstein).  »  La  lettre  47%  écrite  de  Bender,  le  31  jan- 
vier 1713,  et  la  48%  écrite  de  la  même  ville,  le  15  février  1713, 
c'est-à-dire  trois  jours  après  la  capture  du  roi,  renferment  des 
détails  pittoresques  que  Voltaire  n'a  pas  jugé  bon  d'utiliser  :  l'amé- 
nagement à  Varnitza,  les  sonneries  de  trompettes  lors  de  la  pre- 
mière attaque,  la  mise  à  mort  secrète  d'une  trentaine  de  janis- 
saires mutins,  le  défilé  comique  des  Tartares  après  le  pillage  du 
camp. 

Fabrice  a  pu  interroger  les  acteurs  du  drame,  et  notamment  le 
roi,  aussitôt  après  l'échauffourée  :  «  El  insensiblement  »,  écrit-il,  «  la 
conversation  tomba  sur  l'action  même,  dont  il  me  fit  avec  beaucoup 
de  vivacité  un  assez  long  détail,  où  il  omit  seulement,  par  modes- 
tie, les  circonstances  qui  le  regardaient  personnellement.  »  Il  a 
même  assisté  de  loin  à  la  mêlée  :  «  J'étois  resté  pendant  l'action 
avec  M.  Jeffreys  '  à  la  porte  de  derrière  de  sa  maison,  qui  donnoit 
sur  le  camp  du  Roi,  et  nous  étions  informés  de  moment  à  autre  de 
ce  qui  se  passoit  par  quelques  émissaires  que  nous  avions  entre 
les  Turcs  et  les  Tartares,  mais  surtout  par  un  nommé  M.  de  La 
Motraye  que  j'avois  amené  de  Constanlinople  avec  moi  et  qui,  voya- 
geur et  curieux  d'événements,  s'étoit  mis  à  cheval,  déguisé  en  Tar- 
tare,  pour  voir  cette  action,  et  venoil  de  temps  en  temps  nous  en 
rendre  compte  2.  »  Cet  Aubry  de  La  Motraye  ^  était  un  protestant  fran- 
çais qui  avait  entrepris  de  longs  voyages,  dont  il  a  donné  une  volu- 
mineuse relation,  imprimée  à  La  Haye  en  1727%  Il  raconte  en 
détail  les  événements  de  Varnitza,  dans  le  chapitre  iv  de  son  tome  II, 
et  renvoie  à  la  planche  VI  où  il  a  dressé  soigneusement,  mais  sans 
échelle,  le  plan  du  camp  de  Charles  XII,  en  désignant  par  des 
chiffres  les  tentes  et  les  principaux  emplacements,  pour  permettre 
de  suivre  le  déroulement  de  l'action'.  En  appendice,  il  donne  la 
lettre  de  Fabrice  du  15  février. 

t.  Jeffreys,  ministre  anglais  auprès  du  roi. 

2.  Lettre  48* 

3.  Haag,  France  prolestante,  t.  VI. 

4.  Voyages  du  sieur  A.  de  La  Motraye  en  Europe,  Asie  et  Afrique.  La 
Haye,  1727. 

5.  En  haut  de  la  planche,  dans  un  cartouche,  se  trouve  cette  inscription 
bilingue  :  «  Warnitza,  whcre  H.  S.  M.  fought  against  the  Turks  and  was  taken 
Prisonner  the  1"  of  February  1713,  où  S.  M.  S.  se  battit  contre  les  Turcs,  le 
1"  février  de  1713.  » 


62  MÉLANGES  ET    DOCUMENTS. 

Voltaire,  lorsqu'il  composa,  en  Angleterre,  son  Histoire  de 
Charles  XII^  avait  certainement  le  livre  de  La  Motraye  dans  les 
mains.  La  plupart  des  souscripteurs  à  cette  publication  sont  anglais, 
et  dans  la  liste  qui  en  est  fournie  on  relève  le  nom  de  Fred.-Ern. 
Fabrice,  chambellan,  avec  qui  Voltaire,  d'après  sa  propre  affirma- 
tion, se  trouvait  à  la  campagne. 

Voltaire  cite,  à  plusieurs  reprises,  le  nom  de  Fabrice  dans  le 
corps  de  son  ouvrage,  mais  il  a  supprimé  le  nom  de  La  Motraye  à 
partir  de  l'édition  de  1748,  parce  que  ce  dernier  avait  publié  des  cri- 
tiques malveillantes  \  et  d'ailleurs  insignifiantes,  auxquelles  Voltaire 
avait  immédiatement  répondu  de  sa  meilleure  plume. 

Un  chapelain  du  roi  de  Suède,  Nordberg,  publia  postérieurement 
une  grosse  et  indigeste  compilation  2.  Il  n'apportait  rien  de  nouveau 
dans  son  récit  de  la  capture  du  roi  :  «  M.  Nordberg,  qui  n'était  pas 
présent  à  cet  événement  »,  écrit  Voltaire  dans  une  note  de  l'édition 
de  1748,  «  n'a  fait  que  suivre  ici  dans  son  Histoire  celle  de  M.  de 
Voltaire,  mais  il  l'a  tronquée,  il  en  a  supprimé  les  circonstances 
intéressantes...  » 

Voltaire  se  jugeait,  sans  doute,  complètement  renseigné,  puisque 
dans  les  questions  posées  à  plusieurs  correspondants,  qu'il  a  réunies 
avec  les  réponses^  pour  servir  de  preuves  à  son  Histoire,  il  ne  se 
préoccupe  pas  des  événements  de  Bender. 

La  Motraye  et  Fabrice  sont  des  témoins  précieux;  mais  leur 
témoignage,  comme  ils  ont  assisté  aux  événements  en  se  rensei- 
gnant mutuellement,  doit  être  confronté. 

Or,  un  chroniqueur  moldave,  Axinte  (ou  Acsintius),  secrétaire 
du  prince  Racovitsa,  puis  du  prince  Nicolas  Mavrocordato,  succes- 
seur de  Cantémir,  a  rédigé  en  fonctionnaire  fidèle  une  chronique  de 
la  cour  de  Jassy,  de  1711  à  1715,  dans  laquelle  il  a  laissé  une  rela- 
tion des  événements  de  Bender  que  Voltaire  n'a  pas  connue*. 

1.  Remarques  historiques  et  critiques  sur  l'histoire  de  Charles,  roi  de 
Suède,  par  M.  de  Voltaire.  Londres  et  Paris,  1732. 

2.  Nordberg,  Histoire  de  Charles  XII,  trad.  franc,  par  Warmholz,  1741. 

3.  Bibl.  nat.,  fonds  français,  ras.  n°  9722. 

4.  Kogalniceano,  dans  la  préface  de  ses  Fragments  tirés  des  Chroniques 
moldaves  et  valaques  (Jassy,  1845),  signale  que  des  Chroniques  roumaines 
furent  traduites  en  grec  moderne  par  le  grand  sludjar  Alexandre  Amiras,  par 
ordre  du  prince  Grégoire  Ghica,  en  1730.  La  traduction  fut  portée  à  Paris  par 
M.  de  Peyssonel;  mais  Voltaire,  lorsqu'il  cite  les  sources  où  il  a  puisé,  n'en 
fait  pas  mention.  D'aiUeurs  cette  chronique  d'Amiras,  dont  une  version  ita- 
lienne a  été  publiée  par  N.  lorga  dans  Studii  si  documente  eu  privire  la  Ma- 
ria Romînilor,  t.  IX,  est  très  sommaire  pour  le  récit  des  événements  de  Var- 
nitza. 


LES    SOURCES    DE  VOLTAIRE    ET    LA    CHRONIQDE    MOLDAVE.  63 


Récit  de  la  défense  du  roi  de  Suède  Charles  XII  à  Bender,  i7i3'. 

«  Les  Turcs  et  les  Tartares  cernèrent  la  résidence  du  roi  de  Suède, 
puis  ils  écrivirent  à  ConstBiptinople.  D'après  eux,  le  roi  se  refusait  à 
écouter  les  ordres  et  mème-fdans  l'intention  de  combattre,  avait  entre- 
pris des  travaux  de  défense  :  autour  de  sa  maison,  il  avait  fait  dis- 
poser des  tonneaux  et  des  vases  remplis  de  terre  pour  fournir  un  abri 
de  tir  à  ses  gens. 

En  attendant  la  réponse  du  gouvernement  impérial,  le  khan  des 
Tartares,  le  pacha  et  l'aga  envoyèrent  dire  au  roi  de  ne  pas  faire 
d'opposition  à  l'ordre  de  l'Empereur  et  de  sortir  pour  être  transféré 
ailleurs.  Le  roi  répondit  qu'il  avait,  désormais,  mauvaise  opinion  du 
khan  et  du  pacha  qui  ne  lui  épargnaient  aucune  vexation,  au  point 
d'empêcher  ses  gens  d'aller  puiser  de  l'eau;  aussi  était-il  décidé  à  ne 
point  se  livrer  entre  leurs  mains,  mais  plutôt  à  périr  sur  place. 

Autour  du  roi  se  trouvaient  Joseph  Potocki,  voïvode  de  Kiew,  le 
prince  Wisznowski,  Tarlo  et  Crispin.  Lorsqu'ils  se  rendirent  compte 
que  le  roi  s'était  engagé  dans  une  affaire  dangereuse,  ils  quittèrent  la 
résidence  et  se  rendirent  auprès  du  khan  et  du  pacha  qui  les  logèrent 
dans  la  ville,  en  dehors  de  la  forteresse  de  Bender.  Ils  y  demeurèrent 
quelques  jours,  puis  une  nuit,  ayant  pris  une  décision  dont  les  motifs 
m'échappent,  ils  s'enfuirent  et  se  rendirent  à  nouveau  auprès  du  roi. 

Le  30  janvier  (vieux  style),  l'aga  lousouf,  chef  des  Cafedjis,  apporta 
l'ordre  impérial  :  le  roi  devait  être  saisi  et  transporté  à  Salonique,  et, 
en  cas  de  résistance  de  sa  part,  on  devait  lui  déclarer  la  guerre  et 
s'emparer  de  lui,  mort  ou  vif. 

Le  pacha  envoya,  de  nouveau,  au  roi  l'aga  des  cérémonies,  et  le 
khan,  de  son  côté,  un  certain  Sefer  Schahu  Mirzea,  pour  l'avertir 
que  l'ordre  impérial  était  arrivé  et  qu'il  devait  suivre  les  instructions 
de  l'Empereur.  Mais  Charles  répondit  encore  qu'il  périrait  plutôt  que 
de  sortir. 

Alors  le  pacha  ordonna  de  rassembler  les  chefs  des  janissaires,  les 
janissaires  et  toute  l'armée.  Il  fit  descendre  de  l'ancienne  forteresse 
les  canons  et  les  fit  braquer  sur  la  maison  du  roi.  Le  lendemain, 
samedi,  le  khan  Devlet  se  mit  à  la  tête  de  ses  Tartares.  Il  portait  à 
sa  ceinture  un  carquois,  le  pacha  avait  des  pistolets  dans  les  arçons, 
et  tous  les  cavaliers  qui  se  trouvaient  à  Bender  les  suivaient. 

Ils  commencèrent  à  faire  tirer  les  canons  sur  la  maison  où  se  trou- 
vaient, autour  du  roi,  environ  700  personnes;  puis  le  pacha  ordonna 
aux  janissaires  de  faire  feu  contre  lès  Suédois  et  de  donner  l'assaut. 
Ils  répondirent  qu'ils  ne  combattraient  pas  contre  des  hommes  qui 

1.  Anthologie  de  la  littérature  roumaine  par  N.  Jorga  et  Septime  Gorceix 
(Delagrave,  1920). 


64  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

n'avaient  pas  l'intention  de  les  attaquer.  Ils  commencèrent  à  crier  : 
«  Allah!  Allah!  w^et  ils  s'en  retournèrent  dans  la  citadelle  pour  rega- 
gner leurs  quartiers.  Le  khan,  avec  les  Tartares,  demeura  à  côté  du 
pacha,  entouré  des  gens  de  sa  suite  et  d'un  petit  nombre  de  cavaliers^ 
tous  plein  de  fureur;  puis  il  s'en  retourng,  aussi  dans  la  citadelle.  La 
défection  des  janissaires  s'explique,  soit  par  la  compassion  qu'ils  res- 
sentaient naturellement  pour  le  roi  dont  ils  recevaient  souvent  des 
pourboires,  soit  par  une  habile  manœuvre  du  roi  auprès  de  leurs 
chefs  qu'il  aurait  gagnés  par  des  présents. 

Le  lendemain,  l"  février  (vieux  style),  dès  le  matin,  le  pacha  fit 
venir,  à  nouveau,  les  chefs  des  janissaires,  tous  les  vieillards  de  ce 
corps  et  l'aga  lui-même.  Il  déploya  et  fit  lire  l'ordre  impérial  de  façon 
à  ce  que  tous  l'entendissent.  A  leur  tour,  les  janissaires  répondirent 
que  si,  le  samedi,  ils  n'avaient  pas  combattu  le  roi,  la  faute  en  incom- 
bait aux  recrues  qui  n'avaient  pas  voulu  dégainer.  Ils  demandèrent, 
en  outre,  à  être  envoyés  auprès  du  roi  pour  lui  parler  et  le  décider  à 
sortir  de  son  camp.  Ils  le  prendraient  alors,  disaient-ils,  sous  leur 
protection,  en  lui  donnant  par  écrit  l'assurance  qu'il  ne  souffrirait 
aucun  mal  et  le  conduiraient  ainsi  où  l'ordonnait  la  lettre  de  l'Empe- 
reur. Le  pacha  ayant  accepté  cette  proposition,  les  chefs  des  janis- 
saires et  les  commandants  de  compagnie  parlementèrent  avec  le  roi, 
à  qui  ils  promirent  de  le  prendre  sous  leur  protection.  Le  roi  leur 
répondit  qu'il  n'avait  pas  confiance  en  eux  et  qu'il  ne  sortirait  à  aucun 
prix. 

Après  cette  réponse,  les  janissaires  prirent,  à  nouveau,  leurs  dis- 
positions de  combat,  en  laissant  de  côté  les  canons  qu'ils  avaient 
amenés  au  début.  Ils  en  portèrent  d'autres  plus  lourds  et,  armés  de 
bombes,  ils  marchèrent  contre  le  roi.  Charles  XII  avait  rangé  ses 
Suédois  dans  un  ordre  de  bataille  soigneusement  déterminé.  Il  avait 
toujours  conservé  l'espoir  que  les  janissaires  n'entreprendraient  rien 
contre  lui,  parce  qu'il  les  avait  comblés  de  cadeaux;  néanmoins,  il 
avait  pris  ses  précautions. 

Donc  les  janissaires,  s'étant  réunis  à  la  même  place,  lancèrent  des 
bombes  et  déchargèrent  plusieurs  fois  leurs  canons.  Les  projectiles 
n'atteignaient  pas  la  maison  du  roi,  mais  passaient  au-dessus  du  toit, 
soit  que  les  janissaires  ne  voulussent  pas  le  tuer,  soit  qu'ils  n'eussent 
pas  de  bons  artilleurs ^  Ensuite,  ils  donnèrent  l'assaut  et  pénétrèrent 
par  une  fenêtre  dans  la  maison.  Ils  commencèrent  à  piller  et  à  chasser 

1.  Voltaire  écrit  :  «  Le  canon  tirait  contre  la  maison;  mais,  les  pierres  étant 
fort  molles,  il  ne  faisait  que  des  trous  et  ne  renver.sait  rien.  »  La  Motraye 
fournit  les  deux  explications  :  «  Cependant  les  boulets  de  canon  ne  faisoient 
pas  sur  la  maison  du  Roi  l'effet  qu'on  espéroit,  parce  qu'ils  étoient  mal  tirés, 
et  parce  que  les  pierres  dont  elle  étoit' faite  étant  trop  molles,  ils  n'y  faisoient 
que  des  trous  de  la  grandeur  du  boulet  ;  car  je  n'en  ai  pas  compté  vingt  dans 
les  murs  qui  restèrent  debout  après  qu'elle  eut  été  brûlée,  quoi  qu'il  y  en  ait 
eu  plus  de  deux  cents  de  tirés.  » 


LES   SOURCES   DE  VOLTAIRE    ET    LA    CHRONIQUE    MOLDAVE.  65 

les  Suédois  par  groupes  de  deux  ou  de  trois.  Le  roi  se  trouvait  dans 
une  chambre  intérieure  avec  ses  meilleurs  soldats;  il  combattait  et  se 
défendait  à  merveille,  si  bien  que  personne  n'osait  l'approcher.  Les 
Turcs,  voyant  qu'ils  ne  pouvaient  s'emparer  de  lui  dans  la  chambre, 
y  mirent  le  feu.  Mais  les  Suédois,  qui  se  trouvaient  à  l'intérieur,  se 
hâtaient  de  l'éteindre.  Le  jeu  se  prolongea  quelques  heures,  jusqu'à 
ce  que  les  janissaires  eussent  observé  l'endroit  par  lequel  les  Suédois 
sortaient  sur  le  toit  pour  éteindre  le  feu.  Alors,  chaque  fois  qu'un  Sué- 
dois apparut  pour  essayer  d'éteindre  le  feu,  ils  tirèrent  sur  lui  avec 
leurs  fusils  ;  aussi  les  Suédois  durent-ils  renoncer  à  sortir  :  le  toit  fut 
incendié  et  la  maison  commença  à  brûler. 

Le  roi  s'entêta  à  demeurer  sur  place.  Ses  généraux  durent  le  pousser 
dehors  en  criant  :  «  Pourquoi  rester,  voulez-vous  brûler  dans  la 
chambre?  »  Ils  sortirent  tous  en  armes.  L'échauffourée  continua 
dehors  et  le  roi  fut  blessé  légèrement  à  une  main.  Les  Turcs,  voyant 
qu'il  se  défendait,  se  rassemblèrent  en  groupe  et  l'auraient  tué  sur 
place,  si  un  général  n'avait  crié  que  c'était  le  roi.  Les  janissaires, 
alors,  s'élancèrent,  et,  ayant  cerné  le  roi,  ils  l'entraînèrent  avec  eux. 
Ses  vêtements  étaient  tachés  de  sang  et  un  Turc  l'avait  égratigné 
près  du  nez  avec  sa  lance.  C'était  l'heure  où  les  muezzins  crient  dans 
les  mosquées. 

Le  roi,  conduit  par  les  janissaires  devant  le  pacha,  lui  dit  en  riant  : 
«  Voici  comment  vous  m'avez  arrangé.  »  Il  fut  envoyé  dans  i^ie 
chambre  du  palais  du  pacha  et  donna  un  pourboire  à  chacun  des 
janissaires  qui  l'avaient  amené. 

Après  la  capture  du  roi,  les  Turcs  pillèrent  la  résidence.  Ils  y  trou- 
vèrent beaucoup  d'objets  de  valeur  :  des  harnais  dignes  de  l'Empe- 
reur, de  l'argenterie' et  d'autres  richesses;  mais  bientôt  le  feu  les 
empêcha  de  s'approcher  de  la  maison.  Alors,  on  posa  des  sentinelles 
autour  du  bâtiment  incendié  pour  que  personne  ne  s'en  approchât. 

Quant  aux  Suédois,  à  leurs  femmes  et  à  leurs  enfants,  ils  furent 
faits  prisonniers.  Il  n'y  eut  que  dix  tués  et  quelques  blessés.  Les  Tar- 
tares  prirent  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la  main.  Les  janissaires  se 
partagèrent  les  Suédois  et  les  séparèrent  de  leurs  familles.  Ils  con- 
duisirent, suivant  leur  coutume,  les  prisonniers  dans  des  basses  fosses, 
si  bien  qu'après  quelques  instants  cette  cour  de  Suède,  célèbre  par  sa 
bravoure,  avait  disparu  de  la  surface  de  la  terre.  » 

Le  chroniqueur  moldave  raconte  ainsi  le  drame,  vu  du  côté  turc. 
Son  exposé,  dégagé  de  ces  menus  détails  où  se  sont  empêtrés  La 
Motraye  et  Fabrice,  est  digne,  à  tous  les  points  de  vue,  de  confirmer 
la  narration  vive  et  brillante  de  Voltaire. 

Septime  Gorceix. 


Rev.  IIistor.  CXXXVI.  1"  f.\sc. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


HISTOIRE  ECCLESIASTIQUE  DU  MOYEN  AGE. 

Depuis  le  cinquième  volume,  les  Quellen  und  Forschungen 
ZUT  lateinischen  Philologie  des  Mittelalters,  fondées  par  feu 
Ludwig  Traube,  continuent  de  paraître  sous  la  direction  de  M.  Paul 
Lehmann'.  Celui-ci  a  fait  précéder  le  premier  fascicule  du  tome  V 
d'une  étude  courte,  mais  riche  dïdées,  sur  l'origine  du  mot  moyen 
âge  (il  l'a  trouvé  employé  pour  la  première  fois  sous  la  plume  de 
l'évèque  d'Aleria  Jean  André  à  propos  de  Nicolas  de  Cues  et  de  sa 
connaissance  des  historié  medie  tempestELtis) ,  ainsi  que  d'un 
résumé  historique  des  progrès  de  la  philologie  médiévale  (il  y  fait  la 
part  du  Hon  à  la  science  allemande). 

Le  livre  de  M.  Whitham^  appartient  à  cette  chronique  au  moins 
par  ses  derniers  chapitres;  il  conduit  l'histoire  de  l'Église  ancienne 
jusqu'en  plein  moyen  âge,  jusqu'à  Photius.  Il  est  écrit  du  point  de 
vue  de  l'anglicanisme  High  Church;  l'auteur,  en  terminant,  reven- 
dique pour  son  Église,  «  qui  tient  la  foi  catholique,  qui  en  appelle, 
sur  les  points  controversés,  au  jugement  de  l'ancienne  Église  encore 
indivise  et  qui  prétend  posséder  dans  ses  ministres  une  succession 
valide  »,  le  privilège  de  devenir  la  médiatrice  possible  entre  l'Orient 
et  l'Occident.  D'ailleurs,  sur  tous  les  points  qu'agite  la  polémique 
interconfessionnelle,  les  conclusions  en  sont  conciliantes  et  le  ton 
des  plus  mesurés.  Très  clair,  l'ouvrage  est  bien  adapté  à  sa  destina- 
tion de  livre  d'enseignement.  Quelques  chicanes  :  p.  301,  le  pape, 
au  vi^  siècle,  était  métropolitain,  non  pas  seulement  des  sept  évê- 
chéssuburbicaires,  mais  de  toute  TltaUe  centrale  et  méridionale. 
P.  339,  M.  Whitham  a  l'air  de  dire  que  la  donation  de  Constantin 
a  la  même  origine  que  les  Fausses  Décrétales.  P.  342,  la  théorie  de 
la  translation  de  l'Empire  des  Grecs  aux  Francs  est  bien  postérieure 
à  Charlemagne. 

1.  Paul  Lehmann,  Vom  Mitlelalter  und  von  der  lateinischen  Philologie  des 
Mitlelalters.  Munich,  Beck,  1914,  in-8%  25  p.  (Quellen  und  Forschungen  zur 
lateinischen  Philologie  des  Mitlelalters,  t.  V,  fasc.  1). 

2.  Rev.  A.  R.  Whitham,  The  history  of  the  Christian  Church  to  the  sépa- 
ration of  East  and  West.  Londres,  Rivîngtons,  1920,  in-12,  xii-354  p. 


HISTOIRE  ECCLÉSUSTIQDE   DD   MOYEN   AGE.  67 

Saint  Augustin  est  placé  comme  à  la  rencontre  de  deux  mondes, 
et  si  l'on  veut  voir  à  quel  point  il  appartient  déjà  au  moyen  âge,  il 
suffit  de  rechercher,  avec  M.  Gerosa  * ,  quels  ont  été  ses  sentiments 
vis-à-vis  de  l'Empire.  Ce  ne  sont  pas  ceux  d'un  patriote  romain. 
Il  ne  l'admire  qu'à  moitié.  Il  reconnaît  qu'il  a  été  voulu  par  la  Pro- 
vidence; mais  il  y  voit  la  récompense  toute  terrestre  de  vertus  tout 
humaines;  il  blâme  l'appétit  de  domination  de  ceux  qui  l'ont  créé, 
et  il  ne  donne  pas  l'impression  de  considérer  l'histoire  romaine 
comme  son  histoire.  La  vieillesse  et  la  décadence  de  l'Empire,  qu'il 
reconnaît,  ne  lui  inspire  aucun  regret  explicite.  Elle  est  comme  un 
cas  particulier  de  la  vieillesse  et  de  la  décadence  du  monde,  de  ce 
monde  dont  la  fin  est  souhaitable  pour  le  chrétien.  S'agit-il  de  la 
prise  de  Rome  par  Alaric,  il  compatit  aux  souffrances  des  particu- 
liers, bien  plus  qu'il  ne  s'afflige  de  l'humiliation  de  l'Empire.  Il 
prêche  la  résignation  plus  que  la  résistance;  il  fait  des  vœux  pour 
le  salut  individuel  et  éternel  des  Romains,  non  pour  le  salut  de 
l'État.  Il  développe  l'idée  que  le  christianisme  est  favorable  au  bien 
pubHc;  mais  il  identifie  ce  bien  avec  le  règne  de  la  vertu,  non  avec 
le  maintien  de  certaines  formes  politiques.  Il  justifie  la  guerre  contre 
les  barbares,  et  donc  en  un  sens  la  défense  de  l'Empire,  mais  dans 
l'intérêt  des  églises  à  protéger  et  dans  l'intérêt  spirituel  des  barbares 
eux-mêmes,  qu'il  faut  préserver  du  mal  qu'ils  commettent.  Il  est 
beaucoup  trop  détaché  du  monde  et  citoyen  de  .la  seule  cité  de  Dieu 
pour  qu'on  puisse  parler  de  son  patriotisme.  —  M.  Gerosa  aurait 
pu  éclairer  sa  thèse,  développée  avec  beaucoup  de  science  et  de 
pénétration,  par  un  rapprochement  instructif.  Rien  ne  fait  mieux 
comprendre,  par  le  contraste,  le  sentiment  vrai  d'Augustin,  que 
lattitude  toute  différente  d'un  Prudence,  aussi  ardent  que  les  païens 
Rutilius  ou  Claudien  à  célébrer  la  mission  providentielle  et  civili- 
satrice de  Rome  et  très  enclin  à  identifier  les  destinées  du  christia- 
nisme avec  celles  de  l'Empire  converti  et  régénéré. 

Les  origines  de  la  vie  monastique  ont  été  étudiées  par  M.  Mac- 
KEAN-  dans  un  livre  sur  le  monachisme  chrétien  en  Egypte,  bon 
résumé,  sinon  très  neuf,  écrit  avec  sympathie  et  mesure.  L'auteur 
est  assez  sceptique  sur  les  origines  indiennes  ou  en  général  non 
chrétiennes  du  monachisme;  les  ressemblances  entre  ascètes  de  reli- 
gions différentes  ne  sont  pour  lui  que  d'inévitables  rencontres.  Par 

1.  Pietro  Gerosa,  SanC  Agostino  e  la  decadenzn  deW  Impero  Romano. 
Turin,  Libreria  éditrice  internazionale,  191G,  in-S",  140  p. 

'2.  W.  H.  Mackean,  Chrialian  Monuslicism  in  Egypt  to  thc  close  of  the 
foHith  cenlury.  Londres,  Society  for  promoting  Clirisliau  Knowledge,  1920, 
in-12,  IGO  ]).;  prix  :  8  sh. 


68  BULLETIN   HISTORIQUE. 

contre,  il  insiste  sur  l'explication  que  Ton  peut  tirer  des  conditions 
morales  et  géographiques  propres  à  l'Egypte.  Il  traite  assez  longue- 
ment, d'après  Cassien,  du  monachisme  cénobitique  non  pakhomien. 
Un  chapitre  final  suit  sommairement  la  diffusion  en  Orient  et  en 
Occident  des  institutions  monastiques. 
Elles  devaient  se  développer  en  Occident  sous  une  forme  bien 
'  différente  du  type  égyptien  et  oriental;  et  le  livre  de  dom  Butler^ 
est  comme  une  contre-partie  de  celui  de  M.  Mackean.  Bien  qu'il 
touche  à  peu  près  à  toutes  les  questions  qui  se  posent  à  propos  de 
ce  que  l'on  appelle  —  d'une  expression  dont  il  montre  l'impropriété 
juridique  —  l'ordre  bénédictin,  on  n'y  cherchera  pas  une  histoire, 
abrégée  sans  doute,  mais  suivie  et  complète,  ni  un  manuel  analogue 
à  celui  que  le  P.  Holzapfel  a  donné  pour  l'ordre  franciscain.  L'au- 
teur s'est  proposé  de  dégager,  dans  un  exposé  systématique,  la  phi- 
losophie, la  théorie,  de  la  vie  et  de  la  règle  bénédictines;  et  de 
rechercher  dans  quelle  mesure  elles  peuvent  être  adaptées  aux  con- 
ditions présentes  de  l'Église  et  de  la  société.  Il  détermine  d'abord 
aussi  exactement  que  possible  en  quoi  a  consisté  l'originalité  de 
saint  Benoît,  quel  esprit  distingue  sa  règle  des  autres,  comment 
elle  a  compris  et  dosé  l'obéissance,  l'ascétisme,  le  travail,  la  vie  con- 
templative. Il  y  voit  une  réaction  voulue  contre  les  méthodes  de 
vie  et  les  types  d'organisation  apportés  d'Orient  en  Occident,  très 
en  vogue  au  temps  de  saint  Benoît,  et  qu'il  rejeta  délibérément 
après  en  avoir  essayé.  Saint  Benoît  avait  mené  la  vie  érémitique,  et 
il  légiféra  exclusivement  pour  le  fortissimum  genus  des  céno- 
bites. Saint  Benoît  avait  rivalisé  d'austérité  avec  les  moines  d'Orient  ; 
il  déclara  vouloir  proportionner  sa  règle  à  la  moyenne  et  aux 
«  commençants  ».  Saint  Benoît  avait  fondé  à  Subiaco  une  espèce 
de  congrégation  :  douze  monastères  distincts  relevant  de  lui-même. 
La  règle  définitive,  rédigée  au  Mont-Cassin,  est  fondée  sur  le  prin- 
cipe de  l'autonomie  de  chaque  monastère.  Principe  dans   lequel 
dom  Butler  voit  une  caractéristique  essentielle  du   monachisme 
bénédictin,  ainsi  que  dans  les  deux  principes  apparentés  :  vœu  de 
stabilité,  par  lequel  le  moine  fait  profession,  non  seulement  de  fidé- 
lité à  la  vie  monastique,  mais  de  persévérance  dans  une  maison 
déterminée;  conception  du  rôle  de  l'abbé,  élu  à  vie  et  investi  d'une 
autorité  absolue,  tempérée  seulement  par  le  rappel  constant  de  sa 
responsabilité.  Il  va  de  soi  que  pour  saint  Benoît  comme  plus  tard 
pour  saint  François,  et  presque  aussi  vite,  la  force  des  choses 

1.  Right  Rev.  Cuthbert  Butler,  Bénédictine  Monachistn,  studies  in  Béné- 
dictine life  and  rule.  Londres,  Longmans,  Green  et  C'*,  1919,  in-8°,  viii-387  p.; 
prix  :  18  sh. 


HISTOIRE    ECCLÉSIASTIQUE    DD    MOYEN    AGE.  69 

entraîna  bien  des  déviations  de  l'idée  primitive.  Que  devenait  le 
voeu  de  stabilité  quand  les  Bénédictins  s'adonnaient  à  l'œuvre  des 
missions  ou  recrutaient  l'épiscopat?  Sans  renier  les  gloires  de  son 
ordre,  ni  méconnaître  la  légitimité  d'un  certain  «  développement  », 
au  sens  deNewman,  dom  Butler  n'en  préconise  pas  moins  le  retour, 
dans  la  mesure  du  possible,  à  la  tradition  primitive.  Tandis  que, 
invoquant  le  pouvoir  discrétionnaire  de  l'abbé  et  la  nécessité  de 
l'adaptation  aux  mœurs  de  chaque  époque,  il  prend  très  aisément 
son  parti,  soit  de  la  substitution  du  travail  intellectuel  au  travail 
manuel,  soit  de  l'adoucissement  des  austérités  physiques,  il  n'hésite 
pas  à  faire  sienne  l'idée  du  cardinal  Gasquet,  que  Cluny  était  une 
altération  du  type  bénédictin  ;  il  s'élève  contre  la  thèse  (de  la  con- 
grégation de  Beuron)  que  le  système  de  la  Car  ta  caritatis  cister- 
cienne est  le  plus  conforme  aux  intérêts  de  l'Eglise,  et  il  montre 
une  respectueuse  mais  défiante  réserve  à  l'égard  des  tentatives  qui 
se  sont  fait  jour  depuis  Léon  XIII  pour  unifier  ou  au  moins  fédé- 
rer les  Bénédictins.  Nous  sortirions  de  l'objet  de  cette  chronique  en 
suivant  l'auteur  sur  ce  terrain.  Mais  «ous  conclurons  que  son 
livre,  qui  par  certains  côtés  est  une  œuvre  d'édification,  par  d'autres 
un  panégyrique,  un  témoignage  ému  des  sentiments  d'un  moine 
envers  l'ordre  dont  il  est  fier,  est  en  même  temps  une  utile  contri- 
bution à  l'histoire,  en  ce  qu  il  permet  de  mieux  pénétrer  l'esprit  qui 
a  inspiré  la  grande  institution  bénédictine'. 

M.  Spearing^,  mort  glorieusement  dans  les  rangs  de  l'armée 
anglaise,  le  11  septembre  1916,  laissait  en  grande  partie  achevée 
une  étude  sur  l'histoire  des  patrimoines  de  l'Eglise  romaine,  que 
des  mains  pieuses  ont  mise  au  point  et  publiée  après  sa  mort.  On 
remarquera  et  on  regrettera  que  l'auteur,  qui  connaît  bien  la  litté- 
rature italienne  et  surtout  allemande  de  son  sujet,  ignore  les  livres 
français.  A  propos  du  colonat,  il  ne  cite  pas  le  mémoire  de  Fustel 
de  Coulanges  ;  ce  qui  est  plus  fort,  puisqu'il  s'agit  de  son  sujet 
même,  il  ne  connaît  ni  la  thèse  de  Paul  Fabre^,  ni  son  mémoire 
sur  les  Colons  de  l'Église  romaine  au  VP  siècle*.  Il  en  résulte 
que  son  travail  n'est  pas  toujours  aussi  neuf  qu'il  le  croit;  de 

1.  Il  est  un  aspect  du  sujet  que  dom  Butler  a  à  peine  effleuré,  au  moins 
pour  le  moyen  âge  :  les  rapports  de  l'ordre  avec  le  Saint-Siège.  L'institution 
de  l'exemption  aurait  mérité  plus  de  détails.  Il  n'est  pas  exact,  au  moins  au 
début,  que  les  Cisterciens  l'aient  recherchée  systématiquement.  —  On  aurait 
aussi  aimé  voir  traiter  l'institution,  si  singulière  pour  nous,  des  oblals. 

2.  Edward  S|)earing,  The  patrimony  of  tlie  Roman  Church  in  the  lime  of 
Gregonj  the  Grcat.  Cambridge,  University  Press,  1918,  in-12,  xx-147  p. 

3.  De  patrimoniis  Romanae  Ecclesiae  usqne  ad  aelalem  Carolinorum,  1892. 

4.  Revue  d'histoire  et  littérature  religieuses,  t.  I  (1896),  p.  74. 


70  BULLETIN    HISTORIQUE. 

même,  la  connaissance  de  ses  devanciers  lui  aurait  épargné  quelques 
menues  erreurs'.  Son  livre,  auquel  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  n'a 
pas  pu  mettre  lui-même  la  dernière  main,  n'en  reste  pas  moins  une 
œuvre  utile  et  solide,  reposant  sur  un  dépouillement  consciencieux 
du  registre  de  saint  Grégoire  le  Grand. 

Le  nouveau  volume  que  le  P.  Peitz^,  connu  par  ses  beaux  tra- 
vaux sur  le  registre  de  Grégoire  VII,  consacre  au  registre  de  saint 
Grégoire  le  Grand,  ou  plutôt  à  ceux  des  papes  jusqu'au  xiii*  siècle, 
appartient  à  la  catégorie  des  recherches  étonnamment  minutieuses 
qui  ne  peuvent  s'analyser  ni  se  discuter  dans  les  limites  d'un 
compte-rendu.  Nous  devons  nous  borner  à  le  signaler  à  l'attention 
et  à  en  indiquer  brièvement  les  conclusions.  En  ce  qui  concerne  le 
registre  de  Grégoire  le  Grand,  il  tend  à  renverser  les  thèses  d'Ewald, 
qui  ont  servi  de  base  à  l'édition  des  Monumenta  Germanisie. 
Les  trois  grandes  collections  que  distinguait  Ewald  sont  :  la  pre- 
mière, une  copie  intégrale  du  registre  original;  la  seconde,  identique 
au  recueil  mentionné  dans  la  correspondance  de  saint  Boniface,  un 
extrait  des  décrétâtes  contenues  dans  deux  indictions  du  registre, 
augmenté  de  diverses  pièces  copiées  sur  les  originaux;  la  troisième, 
un  formulaire  de  la  chancellerie  de  Grégoire  le  Grand.  —  En  ce 
qui  concerne  les  registres  pontificaux  en  général,  le  P.  Peitz  com- 
bat l'idée  qu'il  aurait  existé  des  registres  contenant  à  la  fois  les 
pièces  reçues  et  les  pièces  expédiées.  Les  compilateurs  des  collec- 
tions canoniques  n'ont  connu  les  pièces  reçues  par  le  Saint-Siège 
que  par  les  originaux  conservés  aux  archives.  La  chancellerie  apos- 
tohque  enregistrait  d'après  les  minutes,  et  seulement  les  lettres 
d'intérêt  politique  ou  Juridique  durable,  à  l'exclusion  de  la  corres- 
pondance administrative  courante.  La  disposition  des  registres, 
dérivée  de  la  chancellerie  impériale,  a  peu  varié  jusqu'à  Inno- 
cent III.  Le  P.  Peitz  maintient,  contre  Caspar,  sa  thèse  que  sous 
Grégoire  VII  l'enregistrement  était  dirigé  par  le  cardinal  bibliothé- 
caire en  personne  et  interrompu  en  son  absence,  d'où  les  grosses 
lacunes  que  présente  le  registre. 

1.  Ainsi,  p.  72,  il  ne  nous  paraît  pas  avoir  compris  en  quoi  consistait  l'in- 
justice commise  à  l'égard  des  colons,  que  Grégoire  redresse  :  ce  n'est  pas  qu'on 
ne  leur  pay<àt  pas  le  blé  au  juste  prix,  c'est  qu'on  ne  leur  en  achetât  pas  la 
quantité  convenue.  —  P.  9,  il  risque  de  donner  une  idée  fausse  de  la  compo- 
sition des  patrimoines  en  parlant  du  fort  de  Gallipoli;  castrum,  à  cette  époque, 
n'a  pas  ce  sens. 

2.  Wilhelm  Peitz,  S.  J.,  Das  Regisler  Gregors  I.  Beiirage  zur  Kenntniss 
des  pàpstlichen  Kanzlei-  und  Regislerwesens  bis  auf  Gregor  VII.  Fribourg- 
en-Brisgau,  Herder,  1917,  in-8%  xvi-222  p.,  3  pi.  (Ergànzungshefte  zu  den 
SUmmen  der  Zeit,  2°  Reihe,  fasc.  2). 


HISTOIRE    ECCLÉSIASTIQnE    DO    MOTEN    AGE.  71 

Nous  craignons  que  la  plupart  des  lecteurs,  sur  le  titre  du  livre 
de  M.  MoRESco',  n'en  devinent  guère  le  contenu.  On  désigne  sous 
le  nom  de  patrimoines  de  l'Église  romaine  ou  de  saint  Pierre,  au 
pluriel,  les  biens-fonds  que,  dès  la  fin  de  l'Empire  romain  et  durant 
le  haut  moyen  âge,  le  Saint-Siège  possédait  en  grand  nombre  en 
Italie,  dans  les  îles,  en  Illyrie;  et  sous  le  nom  de  Patrimoine  de 
saint  Pierre  ou  Patrimoine  tout  court,  parfois  l'Etat  pontifical,  plus 
souvent  celle  de  ses  provinces  qui  se  trouvait  en  Toscane,  au  nord 
du  Tibre.  Mais  je  ne  crois  pas  que  personne  ait  appelé  ainsi,  avant 
M.  Moresco,  l'ensemble  des  ressources  financières  de  la  papauté, 
dîmes,  annates  et  taxes  de  chancellerie  comprises.  M.  Moresco  a 
entrepris  de  faire  des  divers  revenus  pontificaux  une  étude  autant 
juridique  qu'historique,  s'appHquant  à  les  classer  d'après  leur 
nature,  à  les  distinguer  en  revenus  d'ordre  spirituel  et  d'ordre  tem- 
porel, en  impôts  ou  en  taxes,  en  impôts  ordinaires,  extraordinaires, 
spéciaux.  Mais,  pour  les  bien  classer,  il  faudrait  d'abord  les  décrire 
exactement,  et  c'est  ce  qu'il  ne  fait  pas  toujours.  Une  première 
partie  traite  des  institutions  financières  temporelles.  L'auteur  y 
réunit  les  revenus  domaniaux  et  les  revenus  d'ordre  public.  Sans 
doute  le  moyen  âge  n'a  pas  distingué  aussi  bien  que  nous  les  notions 
de  propriété  et  de  souveraineté.  Est-ce  une  raison  pour  les  con- 
fondre à  ce  point?  Si  M.  Moresco  ne  s'est  pas  aperçu  de  cet  incon- 
vénient, c'est  qu'il  a  à  peu  près  arrêté  son  exposé  précisément  au 
moment  où  la  souveraineté  politique  du  Saint-Siège  s'étend,  s'af- 
fermit, s'organise,  où  les  revenus  d'ordre  public  tiennent  une  plus 
grande  place  dans  les  finances  pontificales.  Mais  il  aurait  dû  être 
averti  par  la  seule  étude  de  la  table  des  cens  de  Cencius,  où  ne 
figurent  pas,  où  n'ont  pas  été  inscrits  après  coup,  sauf  de  rares  et 
explicables  anomalies,  les  revenus  qui  n'ont  pas  un  caractère  doma- 
nial. Cela  montre  que  la  Chambre  apostolique  à  la  fin  du  xii«  et 
au  xrii''  siècle  savait  parfaitement  distinguer  entre  ces  revenus  et 
les  revenus  d'ordre  public.  —  Vient  ensuite  la  seconde  partie,  les 
ressources  d'ordre  spirituel  et  d'abord  les  impôts  ordinaires,  c'est- 
à-dire  —  d'après  M.  Moresco  —  en  premier  lieu  les  cens  payés  par 
les  églises  et  monastères.  Sont-ce  bien  là  des  impôts  et  pourquoi 
les  ranger  dans  les  revenus  spirituels?  Alors  que  M.  Fabre  a 
démontré  que  ces  cens  étaient  primitivement,  sont  restés  longtemps 
et  ont  toujours  jusqu'à  un  certain  point  passé  pour  être  récognitifs 
de  la  propriété  du  Saint-Siège.  Sans  doute,  c'est  à  raison  du  pres- 

1.  Mattia  Moresco,  Il  patnmonio  di  S.  Pietro,  studio  storico-giuridico  sulle 
istiluzioni  finanziarie  délia  Santa  Sede.  Turin,  Bocca,  1916,  ia-8%  xvi-364  p.; 
prix  :  12  fr. 


72  BDLLETIJN    HISTORIQUE. 

tige  religieux  de  la  papauté,  et  parce  que  l'on  comptait  que  ce  pou- 
voir spirituel  pourrait  assurer  la  perpétuité  des  monastères,  que  les 
fondateurs  les  lui  donnaient.  Mais  le  lien  juridique  entre  les  monas- 
tères donnés  à  saint  Pierre  et  le  Saint-Siège  nen  était  pas  moins 
un  rapport  de  propriété.  Sans  doute,  un  régime  de  propriété  où  le 
nu-propriétaire  et  l'usufruitier  sont  deux  personnes  morales  immor- 
telles et  incapables  d'aliéner  est  un  régime  -très  particulier,  mais 
c'est  la  propriété  "tout  de  même.  M.  Moresco  veut  qu'il  ne  s'agisse 
que  de  la  protection  apostolique.  S'il  ne  déclarait  pas  se  séparer  de 
lui  et  ne  le  citait  pas  quelquefois,  ce  serait  à  se  demander  s'il  a  lu 
les  analyses  et  les  distinctions  si  lumineuses  de  Paul  Fabre,  et  l'im- 
mense enquête  qu'il  critique  assez  superficiellement  sur  quelques 
points  adroitement  choisis,  au  lieu  de  l'envisager  dans  son  ensemble 
pour  accepter  l'impression  irrésistible  qui  s'en  dégagea  II  ne  nous 
paraît  pas  qu'il  en  ait  en  quoi  que  ce  soit  ébranlé  les  conclusions. 
Ici  encore,  il  suffît  de  lire  Cencius  pour  s'en  convaincre;  et  de 
même  pour  constater  qu'aux  yeux  des  hommes  du  moyen  âge  les 
cens  que  payaient  nombre  de  seigneuries  ou  de  royaumes  offerts  à 
l'Apôtre  n'étaient  pas  juridiquement  différents  des  cens  des  monas- 
tères. Comment  est-il  possible  de  réduire  à  un  simple  rapport  de 
protecteur  à  protégé  les  relations  établies  entre  le  Saint-Siège  et  des 
souverains  comme  les  rois  de  Sicile  ou  d'Angleterre?  J'avoue  ne 
pas  le  comprendre  2.  —  Obligé  de  me  borner,  je  laisserai  de  côté  ce 
que  M.  Moresco  dit  des  décimes,  pour  en  venir  aux  communs  ser- 
vices et*aux  annales.  Il  veut  que  ce  soient  des  «  impôts  spéciaux  » 
et  non  des  taxes.  Soit;  les  définitions  de  mots  sont  libres,  mais  à  la 
condition  de  ne  pas  justifier  celle-ci  par  la  raison  suivante  :  «  Ces 
prestations  sont  destinées  à  la  satisfaction  des  besoins  généraux  et 
indivisibles  de  toute  la  communauté  religieuse,...  et  à  leur  paie- 
ment obligatoire  ne  correspond  pas  la  contre-prestation  d'un  service 
qui  soit  d'une  utilité  spéciale  pour  le  contribuable.  »  La  première 
moitié  de  la  phrase  est  vraie  pour  les  annates,  fausse  pour  les  com- 
muns services,  dont  la  moitié  était  partagée  entre  les  cardinaux; 

1.  Outre  Fabre,  Étude  sur  le  Liber  censuum  de  l'Église  romaine,  cf.  G.  Schrei- 
ber,  Kurie  und  Klosler  im  XII  Jahrhundert  (1910). 

2.  M.  Moresco  fait  (p.  231)  un  bien  singulier  contresens  sur  un  passage  de 
l'acte  par  lequel  Robert  Guiscard  promettait  un  cens  à  Nicolas  II,  pour  toute 
la  terre  qu'il  détenait,  ad  conp-mationem  traditionis.  «  Quelle  est,  dit-il,  la 
tradition  qu'invoque  Robert"?  Elle  n'existe  pas  et  ne  pourrait  être  justifiée 
d'aucune  manière.  »  Il  paraît  croire  qu'il  s'agit" d'une  tradition  historique. 
Mais  tradilio  signifie  ici  la  donation  et  la  remise  de  sa  terre  faite  par  Robert 
au  Saint-Siège.  Loin  d'impliquer,  le  mot  exclut  plutôt  qu'il  s'agisse  d'une 
espèce  de  restitution  fictive. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE    DD    MOYEN    AGE.  73 

la  deuxième  partie  n'est  pas  toujours  vraie  pour  les  annales  et  elle 
est  fausse  pour  les  communs  services;  les  annates,  souvent,  et  les 
services,  toujours,  étaient  perçus  à  l'occasion  de  la  collation  d'un 
bénéfice  par  le  pape;  ils  avaient  le  caractère  d'une  espèce  de  casuel, 
d'indemnité  pour  la  peine  prise  (témoin  la  règle  de  partager  le  com- 
mun service,  non  entre  tous  les  cai'dinaux,  mais  enti-e  tous  ceux 
qui  avaient  assisté  au  consistoire  où  le  bénéfice  avait  été  donné,  tel 
'un  jeton  de  présence).  En  somme,  M.  Moresco  s'est  donné  beaucoup 
de  peine  pour  faire  entrer  les  institutions  du  moyen  âge  dans  le 
cadre  des  conceptions  juridiques  modernes,  tâche  peut-être  impos- 
sible, en  tout  cas  assez  mal  exécutée.  Il  a  négligé  de  faire  ressortir 
ce  fait  capital,  qui  a  pesé  lourdement  sur  l'histoire  de  l'Église,  que 
le  Saint-Siège  a  essayé,  mais  n'a  jamais  réussi,  devant  les  résis- 
tances des  églises  locales  et  des  gouvernements,  à  établir  un  sys- 
tèmes d'impôts  proprement  dits.  Même  les  décimes,  qui  sont  ce  qui 
y  ressemblait  le  plus,  ont  toujours  été  levés  d'une  façon  inégale, 
exceptionnelle,  au  moins  en  théorie,  et  irrégulière.  Comme  d'autre 
part  les  besoins  d'argent  du  Saint-Siège  étaient  immenses  et  gran- 
dissaient toujours,  il  a  dû  développer  hors  de  toute  mesure  ce  qu'on 
peut  appeler  son  casuel.  Or,  le  casuel  est  un  genre  de  ressources 
qui  a  bien  des  inconvénients.  La  perception  en  est  irritante,  et, 
s'agissant  d'une  autorité  spirituelle,  prend  facilement  des  apparences 
simoniaques.  Des  apparences  seulement  :  il  n'y  a  pas  plus  simonie 
à  percevoir  de  l'argent  à  l'occasion  de  la  nomination  à  un  évèché, 
qu'une  Université,  par  exemple,  ne  vend  ses  grades  parce  qu'elle 
encaisse  des  droits  d'examen  et  de  diplôme.  Mais  ce  qui  n'était  pas 
simoniaque  de  soi  pouvait  devenir  occasion  de  simonie.  Puis  la 
tentation  était  grande,  pour  faire  jouer  les  annales  et  les  services, 
de  multiplier  les  réserves.  La  centralisation  réclamait  beaucoup 
d'argent  et  fournissait  les  moyens  de  s'en  procurer.  On  tournait 
dans  un  déplorable  cercle  vicieux. 

La  thèse  de  M.  Le  Bras',  sur  l'immunité  réelle  dont  bénéficiait 
le  clergé  en  matière  d'impôts,  témoigne,  entre  autres  mérites,  d'un 
grand  sens  historique  et  d'une  connaissance  approfondie  et  peu  fré- 
quente à  ce  degré  de  la  littérature  canonique.  Nous  ne  trouverions 
à  y  regretter  qu'une  condensation  un  peu  excessive  qui  la  rend  — 
quelquefois  —  un  peu  dure  à  suivre  et  nous  prive  de  bien  des 
détails  pittoresqu(!S  que  l'auteur,  évidem-ment,  connaît  très  bien.  Par 

1.  Gabriel  Le  Bras,  l'Immunité  réelle;  étude  sur  la  formation  de  la  théorie 
canonique  de  la  participation  de  l'Église  aux  chai-ges  de  l'État  et  sur  son 
application  dans  la  monarchie  française  au  XIII'  siècle,  thèse  pour  le  doc- 
torat en  droit.  Rennes,  1920,  in-8°,  154  p. 


74  BULLETIN    HISTORIQUE. 

ailleurs,  elle  abonde  en  vues  et  en  renseignements  intéressants. 
D'abord  sur  les  origines  du  privilège  fiscal,  né  au  iV  siècle,  par  les 
lois  impériales,  regardé  par  les  Pères  comme  une  faveur,  non 
comme  un  droit  imprescriptible  de  l'Église;  considéré  d'ailleurs  par 
eux  avec  une  certaine  indifférence;  disparu  avec  l'empire  d'Occi- 
dent; rétabli  par  les  diplômes  des  rois  francs,  mais  sous  une  forme 
un  peu  nouvelle  (l'immunité  tend  à  se  confondre  avec  la  garantie 
du  patrimoine)  ;  médiocrement  respecté  d'ailleurs  et  subordonné  à 
l'observation  des  devoirs  féodaux.  Puis  la  législation,  canonique 
vient  donner  un  nouveau  fondement  au  privilège.  Elle  se  constitue 
en  grande  partie  contre  un  pouvoir  nouveau,  dont  les  luttes  contre 
l'Eglise  sont  incessantes,  celui  des  communes.  Ce  sont  elles  que 
visent  d'abord  les  deux  textes  fondamentaux  :  le  canon  iVon  minus 
(c.  4,  X,  III,  49)  et  le  canon  Adversus  (c.  7,  X,  m,  49)  des  troi- 
sième et  quatrième  conciles  de  Latran,  que  M.  Le  Bras  analyse  et 
interprète  avec  beaucoup  d'exactitude  et  de  précision;  ils  sont 
expressément  étendus  à  tous  les  princes  par  la  bulle  Clericis  lai- 
cus,  maintenue,  quant  au  fond,  par  Clément  V.  L&  chapitre  m 
étudie  les  théories  des  décrétistes  et  des  décrétalistes  et  en  montre 
le  caractère  :  respect  pour  les  lois  humaines  et  le  Code,  essai  «  de 
concilier  le  droit  romain  et  les  réalités  féodales  »,  idée  que  l'Eglise 
n'est  jamais  tenue  qu'en  vertu  d'un  contrat;  d'oîi  obligation  de  sup- 
porter les  charges  féodales  et,  parmi  les  impôts,  de  payer  les  ordi- 
naires, regardés  comme  le  salaire  de  la  protection  du  prince  et 
comme  une  espèce  d'assurance.  Le  chapitre  iv  recherche  dans  quelle 
mesure  le  patrimoine  ecclésiastique  a  contribué  en  fait  aux  charges 
de  la  monarchie  française.  Il  décrit  les  origines  de  cette  institution 
des  décimes,  forme  sous  laquelle  «  jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime 
le  clergé  fournira  à  l'Etat  des  subsides  ».  La  querelle  entre  Philippe 
le  Bel  et  Boniface  VIII  n'a  été  qu'un  épisode,  plus  dramatique 
qu'important  dans  ses  conséquences  juridiques.  Après  comme 
avant,  c'est  par  l'entremise  de  la  papauté  que  l'Eghse  est  taxée  au 
profit  du  roi.  Le  principe  invoqué,  c'est  la  réserve  que  contenaient 
toutes  les  affirmations  de  l'immunité  ecclésiastique  :  l'exception  faite 
pourlecasdenécessitéetmoyennantleconsentementdupape.  «  Le  roi 
a  tenté  sans  succès  de  régulariser  les  levées,  en  instituant  des  impôts  ; 
le  pape  a  réussi  dans  la  même  entreprise  »  ;  de  défenseur  du  patri- 
moine ecclésiastique,  il  en  est  devenu  le  dispensateur  suprême. 
«  Lorsque  son  administration  a  été  parfaitement  organisée,  elle  a 
fonctionné  au  profit  de  la  fiscalité  royale.  »  C'est  au  pape  que  le 
clergé  en  a  voulu,  beaucoup  plus  qu'au  roi^ 

1.  M.  Le  Bras  n'exagère-t-il  pas  un  peu  en  écrivant  (p.  129)  que  «  le  clergé 


HISTOIRE    ECCLÉSIASTIQUE    DD    MOYEN   AGE.  75 

On  peut  être  surpris  qu'un  personnage  de  l'envergure  de  Gré- 
goire VII  ait  attendu  si  longtemps  pour  trouver  un  historien 
dans  la  collection  les  Saints.  Il  n'y  a  rien  à  regretter  d'ailleurs,  car 
•  il  ne  pouvait  échoir  à  des  mains  plus  compétentes  que  celles  de 
M.  Fliche*,  dont  les  travaux  antérieurs  suffisent  à  prouver  sur 
quelles  recherches  personnelles  et  pénétrantes,  en  dépit  de  l'absence 
de  tout  appareil  d'érudition,  est  fondé  le  présent  livre.  Son  Gré- 
goire VII,  comme  le  demande  la  nature  de  la  collection  dont  il  fait 
partie,  donne  une  très  grande  place  à  l'étude  du  caractère  et  de  la 
personnalité  du  grand  pape,  mieux  connu,  grâce  à  ses  lettres  si 
vivantes,  que  la  plupart  des  papes  du  moyen  âge.  Il  nous  apporte 
en  quelque  sorte  une  explication  de  l'œuvre  par  l'homme.  Le  por- 
trait qu'il  trace  de  Grégoire  est  vivant  et  ressemblant,  avec  sa  foi 
profonde,  sa  confiance  absolue  dans  sa  mission,  sa  très  haute  idée 
de  sa  dignité  tempérée  par  l'humilité  personnelle,  son  inflexibilité 
devant  le  danger,  sa  générosité  chrétienne  et  aussi  son  manque  de 
pénétration  psychologique;  dans  l'affaire  de  Canossa,  aux  éloges  que 
mérite  sa  magnanimité  dans  le  pardon,  il  faut  ajouter  l'aveu  qu'il  a 
été  Joué  par  Henri  IV;  s'il  avait  démêlé  les  intentions  du  roi,  son 
devoir  eût-il  donc  été  de  l'absoudre?  Ce  sont  des  pages  excellentes 
que  celles  où  M.  Fliche  analyse  les  décrets  réformateurs  de  Gré- 
goire (avec  les  étapes  et  les  ménagements  par  lesquels  il  procède), 
sa  politique  vis-à-vis  de  Henri  IV  (beaucoup  plus  patiente  qu'on  ne 
le  croit  souvent,  plus  désireuse  d'éviter  la  rupture),  le  développe- 
ment de  la  centralisation  ecclésiastique,  d'abord  moyen  de  la  réforme, 
mais  qui  tend  à  devenir  une  fin,  et  qui  aboutit  à  faire  de  cette  réforme, 
non  pas  un  retour  au  passé,  mais  une  espèce  de  révolution  au  profit 
de  l'autorité  du  pape.  Le  chapitre  sur  le  gouvernement  théocra- 
tique  montre  fort  bien  en  quoi  a  consisté  cette  «  théocratie  »  de  Gré- 
goire VII.  Elle  se  borne,  en  somme,  à  revendiquer  pour  le  pouvoir 
spirituel  comme  tel  la  supériorité  de  but  .et  de  dignité,  et  le  droit 
d'admonester  et  de  punir  le  pouvoir  temporel  ratione  peccati.  Il 
est  un  point  toutefois  sur  lequel  M.  Fliche  —  sous  réserve  des  expli- 
cations et  démonstrations  qu'il  ne  manquera  pas  d'apporter  dans  la 
suite  de  ses  études  —  ne  nous  a  pas  pleinement  convaincu.  Il  s'agit  des 
tentatives  de  Grégoire  VII  pour  établir  le  domaine  éminent  du  Saint- 
Siège  sur  le  temporel.  M.  Fliche  les  nie.  Sans  doute,  nous  le  recon- 
naissons volontiers,  il  y  a  une  large  part  de  vérité  dans  sa  thèse,  en 

n'a  aucun  rôle  dans  l'établissement  des  décimes  jusqu'en  1294  »?  C'est  quelque 
chose  que  d'être  obligé,  en  fait,  de  le  réunir  et  de  le  coQSulter,  même  si  on 
passe  outre  à  ses  protestations. 

1.  Augustin  Fliche,  Saint  Grérjoire  VIL  Paris,   Victor  Lecoffre-Gabalda, 
1920,  in-12,  x-192  p.;  i)rix  :  3  fr.  50  (collection  les  Sainls). 


76  BCLLETIN    HISTORIQUE. 

ce  sens  qu'il  a  parfaitement  raison  d'opposer  Grégoire  VII  à  Inno- 
cent III  (et  plus  encore  à  Innocent  IV  et  à' ses  successeurs).  A  par- 
tir du  xiii"  siècle,  les  papes  et  leurs  partisans  ont  considéré  la  suze- 
raineté universelle  sur  le  temporel  comme  un  droit  inhérent  à  leur 
qualité  de  successeurs  de  Pierre,  vicaire  du  Christ,  lequel  était 
monarque  au  temporel  comme  au  spirituel;  en  sorte  qu'aucun  pou- 
voir n'était  légitime  en  dehors  de  leur  délégation.  Pour  Grégoire  VII, 
le  pape,  au  contraire,  tenait  ses  droits  d'actes  individuels  de  libéra- 
lité et  de  déférence  de  la  part  des  princes  et  des  seigneurs.  Seule- 
ment, il  cherchait  à  provoquer  ces  actes  et  les  supposait  facilement. 
D'autre  part,  la  distance  est  grande  entre  les  formules,  très  vagues 
encore,  par  lesquelles  Grégoire  VII  exprime  la  suzeraineté  plus  ou 
moins  bien,  définie  dont  il  croit  jouir  et  les  engagements  minutieux 
et  précis  comme  ceux  que  renferme,  par  exemple,  l'acte  d'investi- 
ture de  la  Sicile  à  Charles  d'Anjou  ou  de  l'Aragon  à  Philippe  le 
Hardi.  L'institution  s'est  donc  développée,  et  doublement.  Maisles 
premiers  germes  en  existaient  dès  le  xi*  siècle.  C'est  autre  chose 
qu'un  droit  de  direction  morale  que  Grégoire  VII  cherchait  à  se 
faire  reconnaître.  Ce  droit,  il  n'aurait  pas  eu  besoin  qu'on  le  lui 
reconnût;  il  croyait  bien  le  posséder  de  par  sa  charge.  M.  Fliche 
lui-même  rapproche  les  Etats  censiers  des  abbayes  censières;  or 
celles-ci  entrent  bien  dans  le  domaine  éminent  du  Saint-Siège.  Bien 
des  pays  entrent  en  ligne  de  compte  en  dehors  de  ceux  que  men- 
tionne M.  Fliche,  et  ce  sont  ceux  parfois  sur  lesquels  la  prétention 
à  la  suzeraineté  féodale  se  m^inifeste  avec  le  plus  de  netteté,  ainsi  la 
Russie,  ainsi  la  Croatie \  Si  l'on  songe  que  le  mot  miles  a  très 
souvent  le  sens  de  vassal  dans  les  documents  allemands  ou  italiens, 
que  peut  bien  signifier  l'expression  :  miles  heati  Pétri,  dans  la 
formule  de  serment  demandé  à  Hermann  de  Luxembourg,  sinon  ce 
qu'elle  sigpifie  dans  la  lettre  d'Urbain  II  relative  au  comté  de  Subs- 
tantion  (Jafîé,  n°  5375),  c'est-à-dire,  à  coup  sûr,  vassal  de  saint 
Pierre?  Hermann  devra  promettre  de  devenir  miles  sancti  Pétri, 
per  msinus  mea.s  (ces  mots  ne  font-îls  pas  songer  à  la  cérémonie 
de  l'hommage?),  à  sa  première  entrevue  avec  le  pape,  alors  qu'il 
aura  déjà  juré  de  lui  obéir  en  tout  ce  qu'il  lui  prescrirait  per  ve?'am 
obedientiam.  De  même  le  serment  de  fidélité  demandé  par  Gré- 

1.  Par  contre,  nous  nous  demandons  si  M.  Fliche  a  raison  d'affirmer  que 
saint  Etienne  de  Hongrie  s'était  formellement  reconnu  vassal  du  pape.  La  bulle 
de  Silvestre  II  (qui  d'ailleurs  est  au  moins  suspecte  d'tHre  interpolée)  ne  le  dit 
pas  nettement.  Les  lois  de  saint  Etienne,  ses  Monita  à  son  fils,  n'y  font  aucune 
allusion.  Grégoire  VII  est  le  premier  à  l'affirmer;  mais  la  question  est  juste- 
ment de  savoir  s'il  ne  suppose  pas,  pour  le  passé,  des  rapports  qui  lui  semblent 
tout  naturels  et  qu'il  travaille  à  établir  partout. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE    DU    MOYEN    AGE.  77 

goire  VII  à  Guillaume  le  Conquérant  n'a  certainement  pas  été  con- 
sidéré par  celui-ci  comme  un  simple  engagement  «  à  se  conformer 
dans  son  gouvernement  aux  principes  généraux  posés  »  parle  pape. 
Il  ne  l'aurait  pas  repoussé  avec  cette  vigueur;  une  phrase  vague  lui 
aurait  peu  coûté.  Il  y  a  vu  autre  chose  ou  l'amorce  d'autre  chose. 
M.  Fliche  nous  paraît  trop  affaiblir  le  sens^du  mot  fidélité.  Il  le 
réduit  en  une  vague  promesse  d'ordre  moral.  Il  nous  semble  que 
Paul  Fabre  avait  raison  d'admettre  que  la  cour  de  Rome,  dans  tous 
ces  documents,  confondait  fidélité  et  hommage.  Il  y  aurait  lieu  aussi 
de  rechercher  avec  soin  la  signification  exacte  que  le  Saint-Siège  atta- 
chait au  mot  servitiuin,  à  la  remise  ou  à  l'envoi  du  gonfanon  (envoyé 
à  Henri  III  avant  son  expédition  de  Hongrie,  à  Guillaume  le  Con- 
quérant partant  pour  l'Angleterre,  à  Roger  de  Sicile  après  sa  vic- 
toire de  Cerami,  demandé  à  Grégoire  VII  par  Michel  de  Serbie, 
traditionnellement  employé  pour  l'investiture  des  princes  normands 
de  ritahe  du  Sud).  Naturellement,  dans  toute  cette  étude,  il  importe 
de  distinguer  avec  grand  soin  ce  que  Grégoire  VU  a  cherché  à  insi- 
nuer, ce  qu'il  a  formellemeraent  réclamé,  et  ce  qu'il  a  obtenu. 

En  abordant  l'étude  des  doctrines  et  de  l'organisation  de  la  secte 
cathare,  M.  Broeckx'  ne  pouvait  prétendre  à  renouveler  de  fond  en 
comble  un  sujet  souvent  traité  ;  il  a  donné  des  travaux  antérieurs  — 
en  les  suivant  parfois  de  très  près,  notamment  celui  de  M.  Guiraud 
—  une  bonne  mise  au  point  et  un  résumé  très  commode,  et  si  dans 
ce  compte-rendu  nous  présentons  surtout  des  objections  ou  signa- 
lons des  lacunes,  ce  n'est  pas  le  moins  du  monde  dans  la  pensée  de 
contester  la  sérieuse  valeur  de  son  livre.  Une  singularité,  c'est  que 
l'étude  des  sources  est  renvoyée  au  chapitre  v,  vers  le  commence- 
ment du  dernier  tiers  de  l'ouvrage.  Cela  vient  de  ce  que  M.  Broeckx 
les  envisage  surtout  en  tant  que  spécimens  et  témoignages  de  la 
polémique  entre  hérétiques  et  catholiques.  Soit;  mais  un  inconvé- 
nient de  ce  parti  est  qu'il  a  pu  contribuer  à  cacher  à  M.  Broeckx 
une  des  difficultés  de  son  sujet,  tel  qu'il  l'avait  délimité.  Il  veut 
traiter  du  catharisme  avant  la  croisade.  Or,  la  plus  grande  partie  de 
nos  sources  est  postérieure  :  tous  les  documents  inquisitoriaux, 
bien  entendu,  et  la  plupart  des  écrits  de  controverse.  Peut-on  faire 
état,  pour  le  catharisme  du  xii''  siècle,  de  textes  du  xiii"  ou  même  du 
XIV*  siècle?  Le  catharisme  n'a-t-il  pas  évolué?  Il  semble  bien  que 
M.  Broeckx  a  commis  un  anachronisme  à  propos  de  l'endura.  Ce 

1.  Edmond  Broeckx,  le  Catharisme  ;  élude  sur  les  doctrines,  la  vie  religieuse 
et  morale,  l'activité  lilléraire  et  les  vicissitudes  de  la  secte  cathare  avant  la 
croisade.  Uoogslraten,  Haseldonckx,  1916,  in-8%  xxiv-308  p.  (thèse  de  doctorat 
de  la  Faculté  de  théologie  catholique  de  Louvain,  série  II,  t.  VIII). 


78  BULLETIN    HISTORIQUE. 

suicide  religieux  plus  ou  moins  volontaire  a  été  en  grand  usage  en 
Languedoc  au  début  du  xiv*  siècle,  mais  là  seulement.  M.  Broeckx 
ne  se  demande  pas  si  certaines  contradictions  dans  ce  que  l'on  nous 
dit  des  croyances  ou  des  pratiques  des  cathares  ne  s'expliquent  pas 
par  la  différence  des  temps  autant  que  par  celle  des  sectes.  Il  admet 
que  les  sources  catholiques,  à  peu  près  les  seules  que  nous  possé- 
dions, hous  renseignent  avec  une  certitude  suffisante.  En  gros,  oui  ; 
mais  sous  quelques  réserves'.  Leur  accord  est  une  preuve  de  leur 
véracité  et  de  leur  exactitude,  à  condition  qu'elles  ne  dépendent  pas 
les  unes  des  autres.  Ainsi  Bernard  Gui,  dont  la  Practica  n'est  en 
de  nombreux  passages  qu'un  démarquage  des  travaux  antérieurs, 
n'a  guère  une  autorité  distincte  de  celle  de  ses  garants.  Si  dans  ses 
grandes  lignes  le  catharisme  nous  est  connu,  il  reste  et  il  restera  tou- 
jours bien  des  points  obscurs  ;  et  du  point  de  vue  historique,  c'est 
une  bien  grande  perte  que  celle  de  toute  la  littérature  de  la  secte ^. 
Quelle  en  était  la  valeur,  il  est  naturellement  impossible  de  le  dire. 
Les  défauts  que  M.  Broeckx  croit  y  découvrir  ou  y  deviner,  d'après 
les  témoignages  des  adversaires,  ne  sont-ils  pas  aussi  ceux  des  écri- 
vains catholiques  du  moyen  âge  :  discuter  à  coup  «  d'autorités  » ,  de 
passages  détachés  de  leur  contexte  et  par  là  même  exposés  à  être 
mal  compris,  auxquels  on  donne  un  sens  littéral  et  absolu  quand 
ils  sont  favorables,  et  qu'on  interprète  dans  un  sens  allégorique  ou 
spirituel  quand  ils  sont  gênants.  Au  fond,  les  méthodes  ne  diffé- 
raient pas  beaucoup.  M.  Broeckx  reconnaît  franchement  une  cause 
de  faiblesse  des  écrivains  catholiques^.  Ils  se  sont  attardés  dans  la 
réfutation  successive  de  chaque  erreur  en  particulier,  et  se  sont 
montrés  incapables  de  concentrer  leurs  attaques  sur  le  point  essen- 
tiel et  central  de  la  doctrine,  c'est-à-dire  sur  le  dualisme.  Un  autre 
point  me  parait  mériter  d'être  relevé.  Les  historiens  modernes  cons- 
tatent avec  raison  le  caractère  antisocial  de  l'hérésie  cathare,  qui 
niait  le  droit  de  vindicte  publique,  interdisait  la  guerre  même  juste 
et  défensive,  rejetait  le  serment,  alors  que  toutes  les  relations  entre 
les  hommes  étaient  fondées  sur  le  serment,  et  condamnait  le 
mariage.  Quelques-uns  en  ont  conclu  que  c'est  à  cause  de  ces  ten- 
dances antisociales  que  l'on  poursuivait  l'hérésie.  L'examen  des 
traités  contre  les  cathares  n'est  pas  favorable  à  cette  opinion.  A  peu 

1.  Il  va  de  soi  qu'il  ne  faut  pas  croire  aveuglément  leurs  injures.  M.  Broeckx 
y  serait  peut-être  trop  enclin  (cf.  p.  171). 

2.  Sur  la  richesse  de  cette  littérature,  M.  Broeckx  n'utilise  pas  l'anecdote 
curieuse  d'Élienne  de  Bourbon  touchant  Robert  de  Montferrand  et  la  collection 
considérable  d'ouvrages  hérétiques  réunie  par  lui. 

3.  M.  Broeckx,  pour  le  dire  en  passant,  a  placé  trop  tôt  l'entrée  de  Monéta 
dans  l'ordre  des  Prêcheurs. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE   DU   MOYEN   AGE.  79 

près  jamais  ils  n'invoquent  les  arguments  que  le  gros  bon  sens  ou  le 
sens  moral  suggère  d'emblée.  S'agit-il  par  exemple  du  mariage,  ils 
ne  feront  presque  jamais  remarquer  que  le  triomphe  du  catharisme 
serait  la  fin  du  monde;  que  d'ailleurs  «  qui  veut  faire  l'ange  fait  la 
bête  »,  et  qu'en  refusant  aux  sens  toute  satisfaction  permise  on 
expose  à  en  rechercher  d'illégitimes.  Ils  reprochent  aux  cathares  de 
mal  interpréter  les  textes.  Si  le  catharisme  était  anarchique,  ce  sont 
les  modernes  qui  s'en  sont  avisés  ^  A  propos  de  l'admaiistration  du 
consolamentuin ,  on  aurait  aimé  que  M.  Broeckx  examinât  la 
théorie  curieuse  de  M.  Guiraud,  qui  voit  dans  le  rituel  cathare 
comme  un  témoin  de  celui  de  la  priinitive  Eglise^.  Dans  quelle 
mesure,  d'autre  part,  est-il  légitime  de  compléter  ce  rituel,  tel  que 
nous  l'avons,  par  le  passage  de  Pierre  de  Vaux-Cernay,  qui  men- 
tionne le  renoncement  formel,  explicite,  détaillé  à  toutes  les  bénédic- 
tions et  onctions  du  baptême?  Il  est  fâcheux  que  Pierre  de  Vaux- 
Cernay  soit  un  médiocre  garant.  Car  il  serait  intéressant  de  pouvoir 
constater  que  la  liturgie  cathare  considérait  comme  le  cas  normal  que 
le  futur  consolé  fût  un  ancien  baptisé.  L'hérésie  se  serait  toujours 
recrutée  par  conversion,  non  par  naissance,  malgré  sa  longue  durée 
et  la  tolérance  de  fait  dont  elle  avait  longtemps  joui.  Cela  confirme- 
rait une  remarque  que  l'on  peut  faire  dans  les  documents  inquisito- 
riaux.  Je  n'ai  pas  souvenir  d'y  avoir  trouvé  un  seul  exemple  d'un 
accusé  qui  se  serait  défendu  en  alléguant  qu'il  n'était  point  baptisé^. 
Le  cas  aurait  été  embarrassant  pour  l'inquisiteur,  qui,  strictement, 
n'aurait  pu  que  se  déclarer  incompétent,  tout  au  plus  condamner 
l'accusé  comme  fauteur,  mais  non  comme  hérétique,  le  non-baptisé 
ne  pouvant,  pas  plus  que  le  juif  ou  le  païen,  être  contraint  de  prati- 
quer une  religion  qu'il  n'a  jamais  embrassée*.  Il  faut  en  'conclure 
peut-être  que  les  deux  religions  n'étaient  pas  aussi  nettement  dis- 
tinctes que  pouri'aient  le  faire  croire  les  diatribes  que  leurs  clergés 
lançaient  l'un  contre  l'autre  et  les  colloques  publics  où  leurs  repré- 
sentants discutaient.  Une  grande  partie  des  «  croyants  »  n'avait 
pas  complètement' rompu  avec  le  catholicisme,  continuait  à  le  pra- 
tiquer à  moitié,  assistait  aux  cérémonies,  acceptant  les  rites  essen- 
tiels, par  hésitation,  politique,  routine  ou  prudence  et  aussi  par 
incapacité  à  bien  comprendre  la  différence  des  deux  religions.  Ce  que 

1.  L'argument  d'anarchisme  a  éfé  invoqué  au  contraire  contre  Wycliffe  et  Hus. 

2.  Est-ce  que  vraiment,  comme  il  est  dit  p.  193,  le  consolamenium  était 
censé  conférer  l'impeccabilité? 

3.  Le  cas,  au  contraire,  se  présente  devant  l'Inquisition  espagnole  pour  les 
Juifs  accusés  de  rechute. 

4.  L'obligation  de  tenir  les  promesses  faites  au  baptême,  tel  est  le  fondement 
de  la  contrainte,  qui  n'avait  pas  précisément  pour  objet  la  conversion. 


80  BULLETIN   HISTORIQUE. 

Ton  trouve  très  souvent  dans  les  interrogatoires  de  l'Inquisition, 
c'est  le  prévenu  qui  s'excuse  en  .disant  :  «  Je  suis  un  simple,  un 
illettré;  oui,  j'ai  écouté  des  Parfaits,  j'en  ai  pensé  du  bien;  mais  je 
ne  les  croyais  pas  hérétiques  *  ;  je  ne  me  suis  aperçu  qu'ils  l'étaient 
qu'en  voyant  l'Inquisition  les  poursuivre,  et  alors  je  les  ai  lâchés 
aussitôt.  »  Et  les  inquisiteurs  admettent  jusqu'à  un  certain  point 
cette  excuse.  Une  extrême  ignorance  religieuse,  combinée  avec  la 
prudence  des  Parfaits,  surtout  après  la  croisade,  et  avec  leur  soin  de 
réserver  leurs  doctrines  les  plus  caractéristiques  pour  un  enseigne- 
ment ésotérique,  voilà,  nous  semble-t-il,  pour  la  propagation  de 
l'hérésie,  des  causes  plus  importantes  encore  que  celles  qu'indique 
M.  Broeckx.  Avec  la  tolérance  très  large  accordée  par  les  Parfaits 
aux  croyants,  soit  pour  la  morale  (mariage,  serment,  etc.),  soit  pour 
la  participation  aux  rites  catholiques^,  leur  genre  de  vie  pouvait  ne 
pas  différer  beaucoup  de  celui  de  leurs  voisins  orthodoxes.  Sur 
l'origine  du  catharisme,  M.  Broeckx  semble  admettre  l'opinion  que 
le  manichéisme  aurait  obscurément  persisté  en  Occident  depuis  la 
chute  de  l'Empire  romain  et  que  le  réveil  en  fut  déterminé  au 
XI*  siècle  «  par  un  léger  contact  avec  les  Pauliniens  et  les  Bogomiles 
de  Bulgarie  ».  Cela  nous  paraît  trop  peu  dire.  Les  indices  d'une 
très  forte  influence  orientale  aux  origines  du  catharisme  sont  très 
nombreux^. 

La  thèse  de  M,  Kohler^,  plus  exacte  que  neuve,  mais  toujours 
utile  à  rappeler  aux  historiens  qui  essaient  de  rejeter  sur  le  pouvoir 
civil  la  responsabilité  et  l'initiative  des  procès  d'hérésie,  est  que  les 
Hohenstaufen,  pas  plus  qiîe  leur  adversaire,  Otton  IV,  n'ont  eu  à 
proprement  parler  de  politique  en  cette  matière.  S'ils  ont  promulgué 
des  mesures  répressives,  c'est  pour  obéir  au  pape,  ou  pour  se  le  con- 
ciher,  ou  pour  se  laver  du  reproche  d'hérésie  et  d'impiété.  La  thèse, 
encore  une  fois,  est  vraie  dans  l'ensemble;  bien  que  dans  le  détail 
M.  Kôhler  soit  peut-être  trop  affirmatif ,  trop  porté  à  abuser  de  l'ar- 

1.  Même  les  attaques  des  Parfaits  contre  le  clergé  catholique  ne  les  faisaient 
pas  nécessairement  reconnaître  comme  hérétiques.  Les  prédicateurs  les  plus 
orthodoxes  s'en  permettaient.  Quant  à  la  différence  radicale  entre  catholiques 
et  hérétiques,  les  premiers  admettant,  ce  que  rejetaient  les  seconds,' que  l'in- 
dignité du  ministre  ne  compromet  pas  la  validité  de  ses  actes;  elle  pouvait 
très  bien  échapper  à  des  idiotx. 

2.  M.  Broeckx  nous  paraît  (p.  118-120)  la  réduire  un  peu  trop. 

3.  M.  Broeckx  est,  en  général,  bien  au  courant  de  la  littérature  du  sujet. 
Cependant,  il  ne  paraît  connaître  ni  la  réédition  de  \ Histoire  générale  de  Lan- 
guedoc, ni  l'édition  de  Guillaume  de  Puylaurens  par  M.  Beyssier. 

4.  Hermann  Kôhler,  Die  Ketzerpolilik  der  deutschen  Kaiser  und  Kônige 
in  den  Jahren  Î152-125i.  Bonn,  Marcus  und  Weber,  1913,  in-8%  xvi-74  p. 
{lenaer  hislorische  Arbeiten,  fasc.  6);  prix  :  I  m.  80. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE   DU   MOYEN    AGE.  81 

gument  du  silence  et  à  croire  qu'il  n'y  a  rien  eu  quand  les  docu- 
ments font  défaut.  S'il  est  peu  probable  qu'il  ait  été  promulgué  des 
constitutions  impériales  qui  ne  nous  soient  au  moins  signalées  par 
des  mentions,  nous  ne  pouvons  nous  flatter  de  connaître  toutes  les 
mesures  d'exécution.  M.  Kuhler  aurait  pu  fortifier  sa  démonstra- 
tion si,  ne  se  bornant  pas  à  enregistrer  les  actes  impériaux  et  les 
circonstances  qui  les  ont  provoqués,  il  en  avait  analysé  davantage  le 
contenu  juridique.  Il  serait  possible,  croyons-nous,  de  montrer  que 
les  doctrines  sur  lesquelles  ils  reposent  sont  venues  en  grande  partie 
du  droit  romain,  mais  par  l'intermédiaire  de  l'Eglise.  Cela  est  évi- 
dent, notamment  pour  la  théorie,  si  grosse  de  conséquences,  de  l'hé- 
résie lèse-majesté  divine.  Je  crains  que  M.  Kohler  n'ait  mal  inter- 
prété Tédit  impérial  de  1184,  en  disant  qu'il  ordonnait  la  punition 
des  hérétiques  par  l'Etat  même  sans  avertissement  par  l'Église.  Ce 
qui  me  paraît  avoir  été  établi  en  1184,  c'est  précisément  une  espèce 
de  division  du  travail.  L'Église  recherche,  juge,  condamne  l'héré- 
tique ;  l'autorité  civile  inflige  la  peine.  C'est  à  ce  moment  qu'a  été 
nettement  élaborée  et  précisée  la  doctrine  de  la  remise  au  bras  sécu- 
lier ;  doctrine  très  importante,  puisqu'elle  a  permis  à  l'Église,  jus- 
qu'alors hésitante,  de  réclamer,  indirectement  d'abord,  puis  ouver- 
tement, la  peine  de  mort.  M.  Kohler  ne  nous  paraît  pas  avoir 
suffisamment  mis  en  lumière  les  variations  et  les  contrastes  de  la 
politique  de  Frédéric  II,  selon  les  temps  et  les  lieux.  Il  n'insiste  pas 
assez  sur  la  curieuse  tentative  de  l'empereur  pour  conclure  avec 
Grégoire  IX  un  véritable  marché  :  les  deux  pouvoirs  combattant  de 
concert  les  rebelles  à  l'Empire  et  à  TÉglisc.  Il  ne  parle  même  pas  de 
la  remarquable  lettre  impériale  du  3  décembre  1232;  il  date  mal  (de 
1232)  celle  du  15  juin  1233,  qui  en  est  à  certains  égards  la  suite.  Et 
j'avoue  ne  pas  comprendre  le  raisonnement  par  lequel  il  prétend 
justifier  Frédéric  II  du  reproche  d'avoir  utilisé  l'accusation  d'héré- 
sie contre  ses  adversaires  politiques  siciliens.  De  même  qu'il  n'étu- 
die pas  les  thèses  juridiques  qui  sont  à  la  base  des  poursuites,  de 
même  il  n'est  pas  assez  attentif  à  la  question  d'organisation  et  de 
procédure.  Autre  chose  était  de  réprimer  l'hérésie,  autre  chose  de 
donner  libre  cours  à  l'institution  que  le  pape  créait  en  ce  moment, 
c'est-à-dire  à  l'Inquisition.  Il  n'a  donc  pas  assez  marqué  ce  con- 
traste :  Frédéric  toujours  prêt,  en  Sicile,  à  poursuivre  les  héré- 
tiques, mais  par  ses  fonctionnaires  collaborant  avec  les  évêques,  et 
écartant  les  moines  mendiants;  sanctionnant  au  contraire  l'Inquisi- 
tion dominicaine  pour  l'Allemagne  (quitte  à  ne  pas  insister  devant 
l'opposition  soulevée),  et,  dans  l'Italie  impériale,  évitant  le  plus  pos- 
sible de  s'engager  dans  la  persécution  violente,  surtout  quand  les 
Rev.  Histor.  CXXXVI.  1"  fasc.  6 


82  BULLETIN   HISTORIQUE. 

événements  de  l'année  1233  lui  eurent  montré  comment  la  répres- 
sion de  l'hérésie  s'accordait  fort  bien  avec  une  agitation,  dangereuse 
pour  ses  intérêts,  poursuivie  sous  prétexte  de  paix.  Le  nom  de  Jean 
de  Vicence  n'est  même  pas  mentionné  par  M.  Kohler.  On  est  sur- 
pris qu'il  n'ait  pas  aperçu  l'importance,  pour  la  politique  de  Frédé- 
ric II,  de  l'année  de  V Alléluia,  avec  ses  enseignements. 

Dans  la  brochure  qu'il  a  consacrée  aux  théories  pohtiques  d'In- 
nocent III,  M.  Meyer'  s'est  appuyé  à  peu  près  exclusivement  sur 
les  écrits  de  ce  pape  lui-même,  d'ailleurs  très  soigneusement  dépouil- 
lés. Il  s'est  exposé  ainsi  à  ne  pas  bien  le  situer  dans  l'évolution  des 
idées.  D'une  part,  il  exagère  son  originalité  et  la  nouveauté  de  ses 
vues.  Il  a  l'air  de  croire  qu'Innocent  III  est  le  premier  pape  qui  se 
soit  comme  identifié  avec  saint  Pierre.  Mais  la  formule  qu'il 
allègue  :  sub  beati  Pétri  et  nostra  protectione,  est  bien  plus 
ancienne  qu'Innocent  III.  D'autre  part,  il  ne  marque  pas  assez 
qu'Innocent  III  est  resté  fort  en  deçà  des  prétentions  et  des  thèses 
de  certains  de  ses  successeurs.  Il  manque  de  précision  juridique  et 
théologique^.  Son  premier  chapitre,  abstraction  faite  d'une  courte 
introduction,  assez  inutile,  sur  la  vie  d'Innocent  III  avant  son  pon- 
tificat, réunit  un  assez  grand  nombre  de  textes  qui  affirment  la  pie- 
nitudo  potestatis  du  pape,  mais  en  termes  trop  généraux  et  trop 
vagues  pour  qu'on  puisse  êtt-e  sûr  qu'il  s'agit  d'autre  chose  que  de 
son  autorité  spirituelle.  Il  montre  sans  peine  qu'Innocent  III  est 
convaincu  de  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  sur  la  tempo- 
relle. Il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait  perdu  de  vue  leur  distinction  et 
réclamé  l'une  et  l'autre.  Il  a  cherché,  en  profitant  habilement  des 
circonstances,  à  établir  sa  suzeraineté  temporelle  dans  le  plus  grand 
nombre  possible  de  cas  particuliers.  Il  ne  l'a  pas  revendiquée  par- 
tout comme  un  droit.  C'est  ce  que  M.  Meyer  ne  fait  pas  ressortir, 
bien  qu'il  cite  quelques-uns  des  textes  qui  le  prouvent.  Par  exemple 
la  lettre  où  Innocent  déclare  que  l'Église  n'est  nulle  part  plus  pros- 

1.  Erich  W.  Meyer,  Staatstheorien  Papst  Innocenz  III.  Bonn,  Marcus  et 
Weber,  1920,  in-8°,  xii-50  p.  [Tenaer  kistorische  Arbeilen,  fasc.  9). 

2.  Cette  imprécision  est  parfois  bien  tendancieuse.  P.  9,  jamais  Innocent  III 
n'a  dit  qu'il  était  Dieu,  mais  vicaire  de  Dieu.  —  P.  46,  ce  que  M.  Meyer 
appelle  «  la  théorie  de  la  valeur  obligatoire  du  serment  politique  »  se  ramène 
à  ces  deux  principes  :  un  serment  dont  l'objet  est  illicite  ne  doit  pas  être  tenu, 
ce  que  tout  moraliste  concédera,  et  il  appartient  au  pape  de  juger  de  la  licéité 
de  l'objet;  affirmation  qui  n'était  pas  nouvelle,  et  personnelle  à  Innocent  III, 
et  qui  n'implique  pas  le  moins  du  monde,  comme  l'insinue  M.  Meyer,  que  le 
pape  revendique  un  pouvoir  discrétionnaire  d'annulation  des  serments.  Cer- 
tains papes,  cela  est  incontestable,  ont  abusé  de  la  théorie.  Ce  n'est  pas  une 
raison  pour  l'exposer  de  façon  inexacte. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE  DD   HOTEN  AGE.  83 

père  que  là  où  les  deux  pouvoirs  sont  réunis  dans  une  même  main, 
comme  dans  le  Patrimoine  ;  elle  implique  qu'ils  ne  sont  pas  néces- 
sairement réunis  partout.  Ou  encore  la  décrétale  Per  venerabilem 
(c.  13,  X,  IV,  17),  que  M.  Meyer  nous  parait  interpréter  à  faux;  il 
en  résulte  précisément  qu'Innocent  III  ne  considère  pas  que  le  roi 
de  France  lui  soit  soumis  au  temporel;  et  s'il  exerce  ca.sua.lUer  la 
juridiction  dans  son  royaume,  c'est  à  titre  d'arbitre,  en  quelque 
sorte,  et  à  la  demande  du  roi  lui-même.  Ou  encore  la  décrétale 
Novit  (c.  13,  X,  II,  1),  où  le  pape  distingue  si  clairement  entre  la 
question  de  fief,  qui  n'est  pas  de  sa  compétence,  et  la  question  de 
péché,  dont  il  est  juge.  Distinction  théoriquement  capitale  et  que 
M.  Meyer  traite  avec  beaucoup  trop  de  dédain  en  disant  que  tout 
peut  être  déclaré  péché  et  par  conséquent  soumis  à  la  compétence  du 
Saint-Siège.  Il  est  naturel  que  les  historiens  allemands  s'attachent 
particulièrement  aux  rapports  entre  le  Saint-Siège  et  l'Empire. 
Peut-être  cèdent-ils  parfois  —  et  le  présent  livre  entre  autres  —  à 
la  tendance  à  confondre  l'Empire  avec  le  pouvoir  civil  en  soi.  Même 
vis-à-vis  de  l'Empire  Innocent  III  dépasse  moins  ses  prédécesseurs 
que  ne  le  donne  à  entendre  M.  Meyer  et  il  reste  relativement 
modéré  si  l'on  songe  à  ce  qui  devait  suivre.  Ses  efforts  pour  se  faire 
reconnaître  comme  arbitre  par  les  électeurs  allemands  prouvent  qu'il 
ne  se  considérait  pas  comme  étant  de  droit  le  juge  de  l'élection.  De 
même  il  déclare  ne  pas  avoir  qualité  pour  créer  lui-même  un 
empereur.  On  est  encore  loin  des  thèses  d'Innocent  IV  et  de 
Jean  XXII. 

M.  Frenken*  s'est  occupé  des  Exempla  de  Jacques  de  Vitry, 
Déjà  Crâne  avait  publié  les  e.vemp /a  tirés  des  Sermones  vulgares 
de  Jacques.  M.  Frenken  publie  ceux  des  Sermones  communes  du 
même  auteur.  Ni  dans  un  cas  ni  dans  l'autre,  il  ne  s'agit  donc  d'une 
collection  d'exemples  formée  par  Jacques  lui-même,  mais  d'extraits 
faits  par  des  éditeurs  modernes.  Cela  est  un  inconvénient;  isolés  du 
contexte  et  de  ce  qu'ils  prétendent  prouver,  les  exempla  perdent  de 
leur  intérêt  pour  l'histoire  des  mœurs  religieuses;  ils  ne  sont  plus 
étudiés  que  du  point  de  vue  de  leur  diffusion,  de  leurs  sources,  de 
leur  généalogie  ;  on  ne  peut  s'empêcher  de  se  demander  quelquefois 
si  l'effort  n'est  pas  supérieur  à  l'importance  du  résultat.  L'introduc- 
tion résume  la  biographie  de  Jacques  de  Vitry  et  contient  une  étude 
d'ensemble  sur  le  genre  des  exempla  (est-il  bien  nécessaire,  pour 
en  expUquer  l'emploi   si  naturel ,  de  remonter  à  la  rhétorique 

1.  Frenken,  Die  Exempla  des  Jajiob  von  Vitry.  Munich,  Beck,  1914,  in-8% 
vi-154  p.  (Quellen  und  Forschungen  zur  lateinischen  Philologie  des  Mitlel- 
alters,  t.  V,  fa  se.  1). 


84  BULLETIN   HISTORIQUE. 

antique?),  ainsi  que  sur  les  sources  de  Jacques  de  Vitry  et  l'influence 
exercée  par  lui  (M.  Frenken  n'a  pu  connaître  l'ouvrage  de  M.  Wel- 
ter,  le  Spéculum  laicorum^,  imprimé  en  même  temps  que  le 
sien;  il  y  aurait  trouvé  des  variantes  intéressantes  de  quelques-uns 
de  ses  contes).  L'édition  est  soignée,  déparée  cependant  par  bien  des 
coquilles  d'imprimerie. 

M.  Carrière  2  a  donné  une  bonne  édition  du  cartulaire  des  Tem- 
pliers de  Provins,  conservé  aux  Archives  nationales,  et  qui  com- 
prend cent  vingt-huit  pièces,  en  très  grande  majorité  du  xiii*  siècle. 
Il  l'a  augmenté  de  trente-cinq  chartes,  empruntées  à  divers  dépôts 
d'archives,  et  l'a  fait  précéder  d'une  introduction  intéressante  qui 
comprend  deux  parties  :  d'une  part  une  étude  extrêmement  précise 
sur  les  débuts  de  l'ordre  en  France,  d'autre  part  une  histoire  de  la 
commanderie  de  Provins,  de  la  formation  et  de  l'administration  de 
son  temporel,  qui  est  une  contribution  importante  à  l'histoire  éco- 
nomique. » 

On  a  tant  écrit  sur  saint  François,  depuis  une  cinquantaine  d'an- 
nées surtout,  qu'un  livre  d'orientation  dans  toute  celte  littérature  ne 
peut  qu'être  le  bienvenu.  C'est  cette  espèce  de  guide  qu'a  donné  le 
P.  VAN  DEN  Borne  ^.  Résumant  dans  l'ordre  chronologique  les 
diverses  publications,  il  les  a  analysées  avec  compétence,  avec 
mesure,  avec  un  grand  souci  de  rendre  justice  aux  travaux  les  plus 
opposés  et  de  montrer  ce  qu'ont  apporté  d'utile  même  des  idées 
contestables  ou  périmées.  Il  a  bien  retracé  l'évolution  des  contro- 
verses et  marqué  la  position  actuelle  des  problèmes. 

M.  BiERBAUM'',  dans  un  livre  qui  fait  bien  augurer  de  la  nouvelle 
collection  :  Franziskanlsche  Studien,  a  édité  et  commenté  plu- 
sieurs écrits  du  xiii*  siècle  relatifs  aux  polémiques  entre  les  maîtres 
de  l'Université  de  Paris  et  les  ordres  mendiants.  Ce.  sont  :  1°  quelques 
parties  du  Tractatus  brevis  de  periculis  7iovissimorum  tempo- 
rum  de  Guillaume  de  Saint- Amour  (les  éditions  de  cet  ouvrage  sont 
assez  rares  pour  qu'il  puisse  pratiquement  être  regardé  comme  iné- 

1.  Paris,  Picard,  1914. 

2.  Victor  Carrière,  Histoire  et  cartulaire  des  Templiers  de  Provins,  avec 
une  introduction  sur  les  débuts  du  Temple  en  France.  Paris,  Champion,  1919, 
in-8%  Lxxxviii-231  p.;  prix  :  10  fr. 

3.  P.  Fidentius  van  den  Borne,  Die  Franziskus-Forschung  in  ihrer  Ent- 
wicklung  dargestellt.  Munich,  Lentner,  1917,  Jn-8°,  xii-106  p.  {Verôffentli- 
chungen  ans  dem  Kirchenhistorischen  Seminar  Munchen,  IV,  6). 

4.  Max  Bierbaum,  Bettelorden  und  Weltgeistlichkeit  an  der  Universitât 
Paris.  Texte  und  Untersvchtingen  zum  literorischen  Armuts-und  Exemtion- 
streit  des  XIII  Jahrhunderts  (1255-1272).  Miinster,  Aschendorff,  1920,  in-8», 
xvi-406  p.  [Franziskanische  Studien,  fasc.  2);  prix  :  22  m. 


BISTOIRE   ECCLÉSIASTIQDE   DU   MOYEN   AGE.  85 

dit);  2°  le  traité  Manitô,  que  contra  Omnipotentem  tenditur 
(inédit),  composé  par  un  franciscain,  très  probablement  Frère  Ber- 
trand de  Bayonne,  vers  1256-1257,  en  réponse  à  Guillaume  de 
Saint- Amour;  3"  les  ex  Exceptiones  de  maître  Gérard  d'Abbeville 
contre  le  traité  précédent  (inédit,  vers  1270);  4°  un  sermon  (inédit, 
vers  1270)  du  même  Gérard  d'Abbeville  en  faveur  delà  légitimité  de 
la  propriété  ecclésiastique;  5°  un  traité  de  maître  Nicolas  de  Lisieux 
(vers  1270,  inédit)  sur  le  rapport  entre  les  préceptes  et  les  conseils. 
L'édition  parait  faite  avec  soin;  les  études  critiques  qui  l'accom- 
pagnent apportent  des  résultats  intéressants  (M.  Bierbaum  a  notam- 
ment découvert  en  quelque  sorte  le  personnage  de  Bertrand  de 
Bayonne,  un  notable  défenseur  de  son  ordre,  par  la  plume  et  aussi 
par  la  parole,  à. la  dispute  d'Anagni  en  1256),  mais  restent  parfois 
un  peu  à  la  surface  des  choses  et  ne  sont  pas  exemptes  de  diffusion. 
En  somme,  l'ouvrage  est  une  utile  contribution  à  l'une  des  plus 
retentissantes  querelles  religieuses  et  littéraires  du  moyen  âge.  Mais 
une  contribution  seulement;  l'histoire  de  la  querelle  est  encore  à 
écrire.  Parmi  les  nombreux  ouvrages  qui  s'y  rapportent  et  dont 
M.  Bierbaum  a  donné  la  liste,  il  n'a  publié  qu'une  partie,  sans  que 
l'on  voie  bien  la  raison  de  son  choix;  et  ceux  qu'il  a  pris  ne  suffisent 
pas  à  donner  une  idée  complète  de  tous  les  aspects  du  conflit.  C'est 
ainsi  qu'on  n'y  trouve  rien  sur  la  question  des  chaires  universitaires, 
qui  avait  été  le  point  de  départ  de  toute  l'affaire.  Elle  avait  déjà  été 
réglée,  par  voie  d'autorité,  à  la  date  des  écrits  examinés  par  M.  Bier- 
baum. Le  débat  reste  universitaire,  en  ce  sens  que  ce  sont, des 
maîtres  de  l'Université  qui  le  mènent  du  côté  des  ennemis  des 
Frères,  mais  il  dépasse  de  beaucoup  le  domaine  scolaire.  Sous  cette 
réserve  donc  que  nous  n'avons  encore  qu'une  partie  des  documents, 
il  est  intéressant  de  voir  quels  sont  les  arguments  qui  sont  employés 
et  ceux  qui  sont  laissés  de  C(jté.  On  pouvait  attaquer  la  possibilité 
même  et  la  réalité  de  cette  pauvreté  commune  absolue  dont  se  van- 
taient les  Frères  et  qui  constituait  pour  eux  autant  une  prérogative 
âprement  revendiquée  qu'une  vertu  de  leur  ordre.  Gérard  d'Abbeville, 
dans  un  traité  non  publié  par  M.  Bierbaum,  et  contre  lequel  saint 
Bonaventure  a  écrit  son  apologie,  avait  malignement  demandé  à  qui 
donc  appartenait  tout  ce  que  les  Fraaciscains  recevaient  en  aumônes, 
critiqué  la  distinction  qu'on  prétendait  établir  entre  la  propriété  et 
l'usage,  et  montré  qu'il  est  des  biens  pour  lesquels  les  deux  droits 
sont  inséparables.  Mais,  dans  cette  phase  de  la  querelle,  on  n'a  pas 
encore  insisté  beaucoup  sur  cet  argument,  qui  tiendra  une  grande 
place  dans  les  polémiques  de  la  fin  du  xiii"  et  du  xiv"  siècle.  C'est  plus 
tard  aussi  que  deviendra  brûlante  la  question  de  Vususpaiiper,  qui 


86  BOLLETIN   HISTORIQUE. 

a  été  surtout  agitée,  au  sein  de  l'ordre  lui-même,  entre  la  commu- 
nauté et  les  Spirituels.  Sauf  sur  un  point  :  la  substitution  delà  men- 
dicité au  travail  manuel,  où  ils  pouvaient  prétendre  que  les  vues  de 
saint  François  avaient  été  faussées  au  sein  de  son  ordre,  on  ne  voit 
guère  les  polémistes  du  parti  universitaire  soulever  la  grosse  ques- 
tion, tant  agitée  par  les  modernes,  de  savoir  dans  quelle  mesure 
l'ordre  franciscain  était  resté  fidèle  à  la  pensée  de  son  fondateur  ; 
soit  qu'ils  aient  hésité  à  mêler  aux  polémiques  le  nom  unanimement 
vénéré  de  saint  François  \  soit  qu'ils  ne  se  soient  réellement  pas 
rendu  compte  de  l'évolution  que  l'ordre  avait  accomplie.  Ils  ne 
paraissent  pas  se  douter  qu'il  était  déjà  profondément  troublé  par 
les  protestations  du  parti  qui  commençait  à  s'appeler  les  Spirituels. 
Cependant,  les  Spirituels  auraient  pu  être  pour  eux  d'involontaires 
alliés.  En  ce  qui  concerne  la  pauvreté,  partis  des  deux  points  oppo- 
sés, ils  se  seraient  du  moins  rencontrés  pour  constater  les  interpré- 
tations et  les  fictions  légales  par  lesquelles  on  le  tournait',  quitte  à 
les  dénoncer,  les  uns  comme  un  abandon  de  leur  idéal,  les  autres 
comme  une  preuve  que  cet  idéal  était  chimérique.  Sur  deux  ques- 
tions, très  importantes  en  elles-mêmes  et  aux  yeux  des  universi- 
taires, le  vrai  saint  François  et  les  Spirituels  condamnaient  la  com- 
munauté. Saint  François  avait  défendu  de  rechercher  les  privilèges 
apostoliques,  et  il  était  à  coup  sûr  peu  favorable  aux  études.  Les 
publicistes  de  l'Université  ne  semblent  pas  s'être  avisés  de  ces  argu- 
ments ad  hominem.  Ils  ne  s'en  servent  pas  contre  Bertrand  de 
Bayonne,  qui  (comme  saint  Bonaventure)  justifiait  la  mendicité  par 
la  nécessité  de  réserver  aux  Frères  tout  leur  temps  pour  une  étude 
assidue,  incompatible  avec  le  travail  manuel;  étant  donné  surtout 
que  leur  prédication  et  leur  enseignement  s'adressaient  à  tout  le 
monde,  au  clergé  et  au  peuple,  et  non  pas  seulement  à  leurs  propres 
Frères.  Comme  si  saint  François  n'avait  pas  voulu  que  ses  fils 
fussent  pauvres  d'esprit  autant  que  de  biens  et  avait  jamais  rêvé  un 
ordre  savant  et  enseignant  (l'argument  de  Bertrand  de  Bayonne, 
d'ailleurs,  était  dangereux  pour  lui;  il  justifierait  l'acceptation  de  la 
propriété  beaucoup  mieux  encore  que  la  mendicité.  Car  l'étude  sup- 
pose, non  seulement  le  temps,  mais  la  stabililé,  la  sécurité  du  len- 
demain, les  ressources  matérielles  ;  elle  n'était  pas  plus  facile  à  con- 
cilier avec  la  vie  errante  et  mendiante  au  jour  le  jour  des  premiers 
Franciscains  qu'avec  le  travail  manuel;  les  nécessités  de  la  prédica- 
tion et  de  l'enseignement  ont  été  précisément  l'une  des  raisons  qui 
ont  justifié  la  fondation  de  couvents  importants  et  fixes,  pour  les- 

1.  Cf.  (p.  366)  la  manière  dont  Nicolas  de  Lisieux  cherche  à  couvrir  «  ces 
glorieux  saints,  Dominique  et  François  b,  tout  en  critiquant  leurs  ordres. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE   DO   MOTEN  AGE.  87 

quels  la  dislinction  entre  la  jouissance  et  la  propriété  ne  pouvait 
être  qu'une  pure  fiction).  On  ne  trouve  rien,  chez  Bertrand  de 
Bayonne,  de  l'enthousiasme  mystique  pour  la  pauvreté  qui  avait 
animé  saint  François,  rien  non  plus  de  l'idée  développée  par  des 
modernes,  admirateurs  enthousiastes  du  franciscanisme,  du  rôle 
«  social  »  de  la  pauvreté  volontaire.  La  pauvreté  est  pour  lui  une 
thèse  théologique,  soutenue  (comme  les  autres  la  combattent)  par 
des  arguments  tout  scolastiques.  Bien  qu'il  ne  se  fasse  pas  fauté,  à 
l'occasion,  de  dauber  sur  l'insuffisance  du  clergé  séculier,  Bertrand 
est  évidemment  gêné  par  l'argument  de  ses  contradicteurs  :  «  Vous 
insultez  l'Église  établie  et  possédante,  la  papauté  en  tête,  en  posant 
des  principes  qui  tendent,  en  dernière  analyse,  à  ébranler  la  légiti- 
mité de  la  propriété  ecclésiastique.  »  Et  Gérard  d'Abbeville  d'affir- 
mer que  les  prélats  de  l'Église  sont  en  soi  dans  un  état  de  perfection 
plus  excellent  que  les  religieux,  et  d'exalter  la  papauté,  à  laquelle 
Dieu  a  confié  le  double  empire,  terrestre  aussi  bien  que  céleste;  la 
papauté,  que  «  la  prudence  et  la  circonspection  de  Silvestre  »  ont 
enrichie.  La  donation  de  Constantin,  tant  maudite  au  moyen  âge 
par  les  Arnaldistes,  les  Vaudois,  plus  tard  les  Spirituels  et  Frati- 
celles,  et  peu  sympathique  même  à  beaucoup  d'excellents  catho- 
liques, est  louée  ici  avec  une  vigueur  qui  ferait  croire  que,  par  delà 
ses  adversaires,  les  Franciscains  de  la  communauté,  Gérard  visait 
des  adversaires  de  l'Église  elle-même,  avec  lesquels  il  n'aurait  pas 
été  fâché  d'insinuer  que  les  siens  avaient  quelque  ressemblance. 
Mais  par  un  renversement  complet,  dans  le  domaine  spirituel,  à  pro- 
pos des  privilèges,  et  notamment  du  principal,  celui  de  «  l'office  de 
l'universelle  prédication  »,  c'est  le  tour  de  Bertrand  de  Bayonne  de 
tout  accorder  à  l'autorité  du  pape,  maîtresse  et  créatrice  du  droit, 
decretorum  imperatrix  et  conditrix.  M.  Bierbaum  a  raison  de 
remarquer  que,  par  son  insistance  sur  ce  point,  l'écrit  de  Frère  Ber- 
trand se  distingue  tout  à  fait  de  ceux  de  saint  Thomas  et  de  saint 
Bonaventure  en  faveur  des  Mendiants.  Gérard  d'Abbeville,  par 
contre,  est  amené  à  paraître  limiter  l'autorité  du  Saint-Siège  par  les 
droits  des  églises  particulières  et  insiste  sur  l'origine  divine  des  pou- 
voirs des  évêques.  Non  sans  faire  des  aveux  qui  renversent  toutes 
ses  réserves  :  il  reconnaît  que  le  pape  peut  visiter  et  prêcher  partout, 
par  qui  et  quand  il  le  veut,  et  que  son  épiscopat  est  universel.  Au  fond, 
comme  l'a  bien  vu  M.  Bierbaum,  universitaires  et  Mendiants,  mal- 
gré leurs  querelles,  se  ressemblaient  en  ceci  que  leur  situation  pri- 
vilégiée, aux  uns  et  aux  autres,  reposait  sur  l'autorité  du  Saint- 
Siège,  que  leur  intérêt  était  donc  de  défendre;  et  c'est  bien  ce  qui 
paralysait  les  universitaires. 


88  BDLLETIN   HISTORIQUE. 

De  ces  querelles  l'écho  ne  s'entend  guère  dans  les  Leçons  d'his- 
toire franciscaine  publiées  par  P.  Ubald  d'Alençon^  Il  écarte, 
comme  une  espèce  d'énormité,  la  remarqlie  de  ses  confrères  de 
YArchivum  Franciscanum  qu'il  peut  y  avoir  une  distinction  à 
faire  entre  l'esprit  d'un  ordre  et  l'esprit  personnel  de  son  fonda- 
teur; il  ne  se  pose  donc  même  pas  la  question  de  savoir  si  l'ordre 
franciscain  n'a  pas  dévié  très  vite  de  la  pensée  de  saint  François  ;  il 
passe  par-dessus  tous  les  problèmes  délicats  qui  se  posent  à  ce 
sujet;  il  ne  veut  pas  douter  un  instant  que  saint  François  ne  fût 
favorable  à  l'étude^*;  il  fait  à  peine  une  allusion  aux  deux  contro- 
verses, théologique  et  pratique,  de  la  pauvreté,  qui  ont  divisé  l'ordre 
contre  lui-même  et  l'ont  dressé,  en  grande  partie,  contre  le  Saint- 
Siège^,  si  bien  qu'il  a  été  parfois  autant  un  embarras  qu'une  gloire 
pour  l'Église;  il  ne  dit  pas  un  mot  de  la  rivalité  de  l'ordre  et  du 
clergé  séculier  pour  l'enseignen^ent,  la  prédication,  les  confessions, 
les  sépultures.  Il  ne  traite  pas  non  plus  de  l'organisation  de  l'ordre 
et  presque  pas  des  fréquentes  réformes  partielles  ^  On  serait  donc 
déçu  si  l'on  cherchait  dans  son  livre  un  manuel  de  l'histoire  de 

1.  p.  Ubald  d'Alençon,  Leçons  d'histoire  franciscaine.  Paris,  librairie  Saint- 
François,  1918,  in-12,  vi-396  p. 

2.  Il  se  fonde  surtout  sur  deux  arguments  :  la  lettre  à  saint  Antoine  de 
Padoue  —  mais  le  texte  en  est  douteux  et  l'authenticité  même  en  a  été  dis- 
cutée —  et  le  récit  de  saint  Bonaventure  sur  le  couvent  où  l'on  n'avait  qu'un 
seul  exemplaire  du  Nouveau  Testament;  saint  François  le  déchire  et  en  par- 
tage les  feuillets  aux  Frères  pour  que  tous  puissent  étudier  en  même  temps. 
C'est  presque  se  moquer  que  de  parler  d'étude  et  dé  science  à  propos  d'un  fait 
qui  prouve  simplement  ce  que  jamais  personne  n'a  contesté  :  saint  François 
trouvait  bon  que  ses  Frères  excitassent  leur  piété  par  la  méditation  de  l'Evan- 
gile. Il  ne  s'agit  pas  d'autre  chose,  et  l'anecdote  donnerait  plutôt  lieu  de  penser 
que  saint  François  ne  se  doutait  pas  de  ce  qu'est  l'élude.  Le  jour  où  on  le 
montfera  préoccupé  de  constituer  dans  ses  couvents  des  bibliothèques,  nous 
reconnaîtrons  qu'il  tenait  à  promouvoir  les  études.  D'ici  là,  nous  croyons  qu'il 
faut  tout  de  même  marquer  la  différence  entre  lui  et  saint  Dominique,  par 
exemple. 

3.  On  ne  conteste  plus  guère  que  dans  la  physionomie  de  saint  François 
f  un  esprit  de  paix  et  de  concorde  »  et  «  une  soumission  profonde  à  l'Église  » 
ne  soient  des  traits  essentiels.  Mais  franchement  peut-on  en  dire  autant  des 
Spirituels,  d'un  Jacopone  de  Todi,  d'un  Ubertino  de  Casale  ou  d'un  Ange  de 
Clareno?  Cependant  le  P.  Ubald  (p.  41)  semble  bien  placer  Ubertino  de 
Casale  dans  la  très  correcte  lignée  des  Franciscains,  avec  saint  Bonaventure. 
—  P.  43,  est-il  bien  vrai  que  le  joachimisme  de  Jean  de  Parme  soit  superficiel? 

4.  On  est  un  peu  surpris  de  lire,  p.  18,  cette  espèce  de  contradiction  : 
«  Jamais  il  n'y  a  eu  abandon  de  l'idéal  franciscain...  Comment  expliquerez- 
vous  autrement  ces  réformes  répétées  au  sein  de  l'ordre,  le  ramenant  toujours 
à  la  pureté  de  son  origine?  »  Les  réformes  ont  été  nécessaires,  parce  que  l'idéal 
a  été  momentanément  oublié. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE    DU    MOYEN    AGE.  89 

l'ordre  comme  celui  du  P.  Holzapfel.  Ce  qu'on  y  trouve,  ce  sont 
des  renseignements  (abondants  surtout  pour  l'époque  moderne)  sur 
les  services  que  l'ordre  a  rendus  à  l'Eglise^  dans  la  prédication,  dans 
les  missions  contre  le  protestantisme  et  le  jansénisme.  L'actualité 
voulait  un  chapitre  sur  les  Franciscains  aux  armées.  Comme  aumô- 
niers, très  bien;  comme  prédicateurs  de  croisade  contre  les  Turcs, 
passe  encore;  mais  qu'aurait  pensé  saint  François  devoir  faire  un 
titre  d'honneur  à  un  de  ses  fils  d'avoir  été  ingénieur  militaire?  Le 
dernier  chapitre,  sur  l'art  franciscain,  contient,  à  côté  de  bien  des 
formules  contestables^,  l'aveu  très  franc  que  saint  François  se  défiait 
de  l'art,  incompatible  avec  la  pauvreté,  et  que  l'ordre  franciscain  a 
été  plutôt  inspirateur  que  créateur  d'œuvres  artistiques.  Alors 
pourquoi  écrire,  p.  373,  que  «  saint  François  a  libéré  l'art  et  créé 
l'art  franciscain  »?  L'impression  laisse  beaucoup  à  désirer;  bien  des 
noms  propres  sont  estropiés,  et  l'on  a,  p.  274,  la  surprise  de  voir  le 
héros  albanais  du  xv*  siècle  devenir  le  P.  Skanderberg^. 

Le  P.  Pelster''  s'est  attaqué  à  la  chronologie  de  la  vie  et  des 
écrits  d'Albert  le  Grand.  Nous  résumons  les  résultats  de  ses 
reclierches  érudites,  solidement  établis  pour  autant  que  le  permet 
la  nature  très  médiocre  des  sources  dont  on  dispose.  Albert  est  né 
vers  1193,  non  pas  seulement  vers  1206  ou  1207,  comme  on  l'a 
cru  souvent.  Il  est  entré  dans  l'ordre  dominicain  à  Cologne  ou  à 
Padoue  —  cela  est  incertain  —  et  dans  la  troisième  décade  du 
XIII*  siècle,  sans  que  l'on  puisse  préciser  davantage.  A  propos  des 
relations  d'Albert  avec  son  illustre  disciple  saint  Thomas,  le 
P.  Pelster  essaie,  sans  parvenir  à  des  conclusions  bien  fermes,  de 
débrouiller  l'histoire  très  incertaine  des  débuts  de  saint  Thomas  dans 
l'ordre,  de  sa  capture  et  de  sa  détention  par  les  siens  et  de  ses  pre- 
mières études.  L'histoire  des  écrits  d'Albert  s'établit  comme  suit  : 
avant  1245,  le  De  laudihus  heatae  Virginis  et  le  Tractatus  de 

1.  Le  P.  Ubald  a  d'ailleurs  une  tendance  à  annexer  au  franciscanisme  tout 
ce  qui  lui  paraît  louable.  Il  m'est  impossible  de  voir  en  quoi  la  congrégation 
de  la  Propagande  est  d'inspiration  particulièrement  franciscaine. 

2.  P.  372  :  «  L'Italie  méridionale  possédait  des  églises  normandes  à  voûtes 
ogivales  dès  le  xr  siècle!  »  «  Subiaco...  présente...  une  église  supérieure  avec 
ogives  de  10G6.  » 

3.  La  raison  donnée,  p.  15,  de  la  répugnance  des  membres  du  tiers  ordre  à 
prêter  serment  —  les  serments  entraînaient  souvent  à  la  guerre  —  ne  me  paraît 
pas  la  bonne  :  les  serments  servaient  tout  aussi  bien  à  cimenter  la  paix.  11  y 
avait  plutôt  là  un  vieux  scrui)ule  religieux,  toujours  renaissant  au  moyen  âge, 
en  présence  des  textes  évangéliques  qui,  pris  à  la  lettre,  interdisent  de  jurer. 

4.  Franz  Pelster,  S.  J.,  Kritische  Studieii  zum  Leben  itnd  zu  den  Schriften 
Albcrls  des  Grossen.  Pribourg-en-Brisgau,  Herder,  11)20,  in-S",  xvi-179  p. 
(Erganzungskefte  zu  den  Siimmen  der  Zeit,  II,  4). 


90  BOLLETIN    HISTORIQUE. 

i 

nature  boni;  au  temps  de  son  séjour  à  Paris,  depuis  1245,  la 
Summa  de  creaturis  et  les  traités  qui  s'y  rattachent;  peu  après, 
les  commentaires  sur  les  sentences  et  sur  saint  Denys  l'Aréopagite  ; 
de  1260  à  1270  environ,  le  commentaire  sur  Aristote;  à  la  fin  de  la 
vie  d'Albert  se  placent  la  Somme  théologique  et  les  deux  écrits  sur 
l'Eucharistie. 

M.  Emerton^  donne  du  Defensor  Pacis  de  Marsile  de  Padoue^ 
une  analyse  critique  écrite  avec  un  enthousiasme  qui  l'empêche  de 
s'apercevoir,  d'abord  que  les  théories  politiques  de  son  héros,  con- 
trairement à  son  assertion,  sont  souvent  obscures  et  incohérentes; 
ensuite  que,  si  on  les  poussait  tant  soit  peu,  elles  entraîneraient  des 
inconvénients  et  des  dangers  qui  ne  le  céderaient  en  rien  à  ceux  de 
la  théorie  pontificale  contre  laquelle  Marsile  polémique.  Notamment 
l'intolérance  religieuse  en  sortirait  tout  droit.  Car  Marsile  ne  sup- 
prime pas  l'autorité  en  matière  ,rehgieuse  ;  il  la  change  de  mains. 
Mais  ce  n'est  pas  le  lieu  de  discuter  la  valeur  des  théories  marsi- 
liennes  ;  il  s'agit  de  se  demander  si  elles  sont  bien  analysées  et  repla- 
cées dans  leur  milieu  ;  et  tel  est  le  cas,  sous  quelques  réserves.  A 
propos  de  la  rapide  ^comparaison  qu'il  fait  en  commençant  des  idées 
de  saint  Thomas  et  de  celles  de  Marsile,  M.  Emerton  nous  paraît  avoir 
expliqué  à  tort  l'absence,  dans  saint  Thomas,  de  toute  discussion  sur 
le  pouvoir  impérial  par  les  circonstances  du  moment,  par  la  lutte  du 
sacerdoce  et  de  l'Empire  et  la  défaite,  décisive  en  apparence,  de 
l'Empire.  La  vraie  explication  nous  paraît  être  plutôt  dans  le  carac- 
tère, abstrait  et  théorique  des  spéculations  politiques  de  saint  Tho- 

1.  Ephraim  Emerton,  The  Defensor  Pacis  of  Marsiglio  of  Padua.  Cam- 
bridge, Harvard  University  Press,  1920,  in-8°,  11-8I  p.  {Harvard  theological 
studies,  VIII);  prix  :  1  doll.  25. 

2.  Notons  qu'il  dénie  à  peu  près  la  collaboration  de  Jean  de  Jandun,  que 
M.  Valois  avait  tenue  pour  certaine.  En  quoi  il  nous  paraît  faire  trop  bon 
marché  du  témoignage  de  François  de  Venise  et  des  bulles  de  Jean  XXII  qui 
font  allusion  à  un  ouvrage  composé  en  commun  par  Jean  de  Jandun  et  Mar- 
sile, lequel  ne  peut  guère  être  autre  que  le  Defensor.  D'ailleurs,  la  mesure 
exacte  de  cette  collaboration  est  Impossible  à  déterminer.  Et  le  Defensor  àonne 
bien  l'impression  d'une  profonde  unité  d'esprit.  11  y  a  là  un  petit  problème 
littéraire  insoluble.  —  M.  Emerton  se  trompe  (cf.  la  notice  de  Valois)  quand  il 
dit  que  Marsile  était  encore  un  jeune  homme  lorsqu'il  quitta  Padoue  pour 
Paris;  de  même  quand  il  parle  d'un  séjour  à  Orléans.  —  Le  soin  dans  le  détail 
des  faits  n'est  pas  son  fort,  et  il  paraît  avoir  lu  bien  distraitement  l'excellente 
étude  de  M.  Valois.  Le  fait  que  Marsile  réconcilié  avec  Jean  XXII  aurait  été 
nommé  par  lui  archevêque  de  Milan  est  absurde;  mais  il  est  bien  attesté  qu'il 
le  fut  jiar  l'antipape  Nicolas  V  ou  par  Louis  de  Bavière.  —  Occam  n'est  pas 
précisément  devenu  général  de  l'ordre  franciscain;  cette  expression  pourrait 
induire  en  erreur.  Il  s'est,  après  la  mort  de  Michel  de  Césène,  comporté 
comme  teL 


OTSTOIRE    ECCLÉSIASTIQUE    DU    MOYEN    AGE.  91 

mas  ;  elles  ne  sont  d'aucun  pays  et  d'aucune  date  et  ne  reflètent  guère 
l'état  politique  de  son  temps.  Se  douterait-on,  par  exemple,  qu'il  écrit 
en  plein  régime  féodal  ?  Parlant  de  la  curieuse  théorie  de  Marsil^  : 
un  clergé  devant  vivre  dans  un  état  de  pauvreté  théorique,  entretenu 
par  des  biens  dont  la  propriété  reposerait  sur  le  «  législateur 
suprême  »  ou  sur  des  représentants  désignés  par  les  donateurs, 
M.  Emerton  n'insiste  pas  assez  sur  ce  que,  dans  son  principe  et  dans 
ses  détails,  elle  ne  fait  qu'appliquer  au  clergé  tout  entier  la  fiction 
légale  imaginée  par  le  Saint-Siège  pour  les  Franciscains  :  le  Saint- 
Siège  propriétaire,  des  syndici  pour  administrer,  à  moins  que  les 
donateurs  ne  se  fussent  réservé  la  propriété  et  n'eussent  concédé  aux 
Frères  qu'un  simple  droit  d'usage.  Le  législateur  suprême  a  seule- 
ment remplacé  le  pape.  M.  Emerton  a  raison  de  dire  que  Marsile  se 
rencontre  ici  avec  une  partie  des  Franciscains;  mais  ce  n'est  pas 
avec  les  Spirituels;  ce  sont,  au  contraire,  les  chefs  de  la  commu- 
nauté qui  avaient  toujours  profité  avec  empressement  des  biais, 
analogues  à  celui  que  propose  Marsile,  pour  tourner  la  loi  de  pau- 
vreté absolue'.  Il  est  souvent  question  dans  Marsile  de  la  valentior 
pars.  M. -Emerton  traduit  par  majorité.  N'est-ce  pas  un  peu  pres- 
ser le  sens?  L'expression  n'est-elle  pas  plutôt  le  pendant  de  celle  de 
major  et  sanior  pars,  bien  connue  des  canonistes,  par  laquelle  on 
affirmait  discrètement  que  la  majorité,  d'une  part,  la  moralité  et  les 
lumières,  de  l'autre,  devaient  être  d'accord,  en  évitant  de  se  deman- 
der nettement  ce  qu'on  ferait  si  elles  ne  l'étaient  pas.  M.  Emerton 
n'a  pas  recherché  ce  qu'il  faut  entendre  au  juste  parle  fidelis  legis- 
lator  humanus  nullo  siiperiore  carejis,  chargé  de  convoquer  le 
concile  général;  et,  si  c'est  l'empereur,  comme  il  semble  probable, 
comment  cette  idée  se  concilie  avec  le  peu  de  sympathie  de  Marsile 
pour  la  doctrine  de  la  monarchie  universelle.  Sur  la  donation  de 
Constantin,  Marsile  est  un  peu  hésitant  et  contradictoire.  Mais  il 
faudrait  faire  remarquer  l'origlnalilc  de  sa  position  :  se  servir  du 
célèbre  apocryphe  pour  prouver  la  subordination  du  Saint-Siège  à 
l'Empire,  source  de  son  autorité.  S'il  est  très  vrai  que  les  événe- 
ments dont  Rom#  fut  le  théâtre  en  1328  sont  jusqu'à  un  certain 
point  une  application  des  idées  de  Marsile,  ils  s'inspirent  aussi  d'une 

1.  M.  Emerton  s'était  de  même  trompé  en  ayant  l'air  Je  croire  (p.  15)  que 
les  Franciscains,  adversaires  de  Jean  XXII  et  partisans  do  Louis  de  Bavière, 
étaient  tous  du  parti  des  Spirituels.  Les  chefs  de  la  communauté,  aprt-s  avoir 
écrasé  les  Spirituels,  de  concert  avec  Jean  XXII,  se  révoltèrent  contre  celui-ci 
quand  le  débat,  changeant  d'objet,  en  vint  à  porter  sur  la  pauvreté  théorique, 
à  laquelle  ils  tenaient  d'autant  plus  qu'ils  faisaient  bon  marché  de  la  pauvreté 
pratique. 


92  BULLETIN    HISTORIQUE. 

autre  théorie,  différente,  celle  de  Dante  (et  de  bien  d'autres  avant  et 
après  lui)  :  l'Empire  propriété  inaliénable  et  inamissible  du  peuple 
romain.  Peut-on  dire  que  la  Bulle  d'or  ait  été  la  déclaration  la  plus 
positive  du  droit  des  électeurs  allemands  de  créer  le  roi  des 
Romains?  L'originalité  de  cet  acte  n'est-elle  pas  justement  dans 
l'adresse  avec  laquelle  il  évite  de  parler  du  pape  et  l'écarté  par  pré- 
tention? Il  nous  semble  impossible  d'expliquer  les  idées  de  Marsile 
sans  rappeler  qu'il  est  né  citoyen  d'une  ville  lombarde  et  que  c'est 
souvent  le  droit  public  des  villes  italiennes  dont  il  a  dégagé  et  géné- 
ralisé les  principes.  Ainsi,  notamment,  sa  conception  d'un  gouverne- 
ment purement  laïque  ;  nulle  part  ailleurs  qu'en  Italie  on  ne  l'eût 
imaginée  à  cette  date,  parce  que  partout  ailleurs  le  personnel  politique 
était  encore  en  grande  partie  d'Eglise. 

La  biographie  de  sainte  Catherine  de  Sienne  par  M.  Pierre  Gau- 
THiEz^  écrite  ^  sans  prétentions  scientifiques  ni  critiqués  »,  ne 
pourra  guère  servir  à  ceux  qui  voudraient  se  renseigner  sur  l'acti- 
vité extérieure  de  la  sainte;  celle-ci  est  exposée  d'une  manière  trop 
vague  et  avec  un  trop  grand  dédain  de  ces  précisions  chronologiques 
et  autres  sans  lesquelles  il  n'est  pas  d'histoire 2.  L'auteur  nous  parait 
avoir  exagéré  la  part  de  sainte  Catherine  au  retour  d'Avignon.  Il  était 
décidé  et  préparé  eh  dehors  d'elle  ;  son  rôle  n'a  pu  consister  qu'à 
surmonter  peut-être,  au  dernier  moment,  quelques  hésitations, 
quelques  accès  de  faiblesse  du  pape  ou  quelques  instances  de  son 
entourage.  La-compétence  nous  manque  pour  apprécier  dans  quelle 
mesure  la  doctrine  mystique  de  sainte  Catherine  est  bien  caractéri- 
sée. Même  comme  livre  d'édification,  l'ouvrage  nous  paraît  superfi- 
ciel, trop  long  et  trop  court  à  la  fois;  si  l'on  y  trouve  des  pages 
brillantes  sur  le  milieu  italien  et  spécialement  siennois,  il  n'est  pas 
exempt  de  déclamation,  notamment  dans  le  dernier  chapitre. 

L'Institut  historique  prussien  de  Rome  avait  publié,  en  1897,  le 
premier  volume  du  Repertorium  Germanicum,  collection  qui 
devait  contenir  l'analyse,  par  ordre  chronologique,  de  tous  les  docu- 
ments de  la  fin  du  moyen  âge  conservés  aux  archives  du  Vatican 
et  concernant  l'Allemagne.  Ce  premier  volume  n'embrassait  que  la 
première  année  du  pontificat  d'Eugène  IV  (1431-1432).  On  s'aper- 

1.  Pierre  Gauthiez,  Sainte  Catherine  de  Sienne,  TSil-1380.  Paris,  Bloud  et 
Gay,  1916,  iu-12,  256  p. 

2.  Les  discussions  sur  la  date  de  l'admission  de  sainte  Catherine  parmi  les 
tertiaires  ne  sont  pas  «extrêmement  indifiérentes  »  (p.  51).  L'opinion  qu'on 
se  fera  de  la  véracité  ou  au  moins  de  l'information  de  Raymond  de  Capoue 
(principale  source  pour  la  biographie  de  la  sainte)  peut  dépendre  de  la  date 
adoptée.  Personnellement,  nous  ne  voyons  pas  de  raison  décisive  pour  rejeter 
son  témoignage.  Mais  il  y  a  des  difficultés  qui  méritent  d'être  examinées. 

\ 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE   DD   MOYEN   AGE.  93 

çoit  tout  de  suite  que  l'entreprise,  continuée  sur  ce  plan,  réclamerait 
un  nombre  de  volumes  et  exigerait  une  dépense  de  temps  et  d'argent 
disproportionnée  avec  le  résultat  scientifique.  Après  des  hésitations, 
on  a  décidé  d'adopter  un  nouveau  programme  :  dresser,  au  lieu  de 
régestes,  deux  simples  tables  des  noms  (allemands)  de  personnes, 
puis  de  lieux,  mentionnés  dans  les  documents  des  archives  Vati- 
canes,  avec  une  brève  indication  de  l'objet  de  la  mention.  C'est  le 
tome  I  de  ce  nouveau  Repertorium  Germanicum,  comprenant 
tout  le  règne  de  Clément  VII  (1378-1394),  qui  a  paru,  en  1916,  par 
les  soins  de  M.  Goller*,  bien  connu  par  ses  nombreux  et  remar- 
quables travaux  sur  l'administration  pontificale  à  la  fin  du  moyen 
âge.  Son  nom  suffit  à  gaiantir  le  soin  avec  lequel  ont  été  dressées 
les  deux  tables  (celle  des  noms  de  personnes  a  même  été  établie  en 
double,  une  fois  par  noms  de  baptême,  une  autre  fois  par  surnoms). 
L'importance  en  sera  grande  assurément,  surtout  pour  l'histoire 
locale  allemande.  Ce  qui  peut  dès  maintenant  intéresser  tout  le 
monde,  c'est  l'introduction,  qui  comprend  trois  parties  :  !<»  une  des- 
cription des  registres  utilisés;  2°  une  étude  sur  la  théorie  juridique 
et  surtout  sur  le  mécanisme  des  provisions  apostoliques  sous  Clé- 
ment VII  ;  la  place  en  tête  du  volume  en  est  justifiée  par  le  fait  que 
ce  sont  les  registres  de  provisions  et  les  registres  de  suppliques  qui 
ont  fourni  de  beaucoup  le  plus  grand  nombre  des  mentions  rele- 
vées. M.  GôUer,  résumant  les  travaux  antérieurs  et  y  ajoutant  bien 
des  remarques  personnelles,  donne  les  plus  intéressants  renseigne- 
ments d'ordre  juridique,  diplomatique  et  administratif,  sur  la 
rédaction  et  la  remise  des  suppliques  isolées  ou  réunies  en  rôles, 
sur  les  fonctions  des  référendaires  et  du  daiafor  (on  trouve  dès 
Clément  VII  un  fonctionnaire  de  ce  nom,  le  futur  dataire),  sur  l'en- 
registrement et  l'expédition  des  bulles  par  la  chancellerie  (avec  inter- 
vention, dans  certains  cas,  de  la  chambre)  ;  3°  une  étude  sur  Clé- 
ment VII  et  le  Grand  Schisme  en  Allemagne  (au  lieu  de  vues 
d'ensemble,  on  peut  regretter  que  M.  Goller  se  soit  borné  à  rédiger 
une  série  de  notices  sur  les  personnages,  du  plus  grand  au  plus 
modeste,  mentionnés  dans  les  textes,  et  sur  leurs  relations  avec  Clé- 
ment VII,  faisant  ainsi  un  peu  double  emploi  avec  le  corps  même 
du  livre). 

Le  cardinal  Nicolas  de  Cues  est  à>  coup  sûr  un  des  personnages 
les  plus  intéressants  de  la  période  de  transition  entre  le  moyen  âge 
et  la  Renaissance.  Un  des  premiers  humanistes  allemands,  en  rela- 

1.  Emil  GiillPT,  Repcrlorium  Germanicum,  herausgegeben  vom  K.  Preus- 
sischen  Hislorischen  Institut  in  Rom.  Berlin,  Weidmann,  1916,  gr.  in-8%  xvi- 
t82*-250  p.;  prix  :  25  m.  20. 


94  BULLETIN    HISTORIQUE. 

tions  avec  tout  l'humanisme  italien,  heureux  dénicheur  de  manus- 
crits (sa  découverte  de  Plante  fut  un  des  événements  littéraires  du 
temps),  capable  d'une  critique  historique  pénétrante  et  ferme  (le  pre- 
mier il  a,  non  pas  soupçonné,  non  pas  affirmé  par  boutade  et  un  peu 
au  hasard,  mais  scientifiquement  démontré  la  fausseté  de  la  dona- 
tion de  Constantin),  publiciste,  philosophe,  théologien,  mathémati- 
cien, il  a  en  même  temps  mené  la  vie  la  plus  active  et  la  plus  mêlée 
à  la  politique;  partisan  du  concile  de  Bàle,  puis  d'Eugène  IV,  légat 
en  Allemagne,  évêque  de  Brixen  et  engagé  comme  tel  dans  un  reten- 
tissant conflit  avec  le  duc  d'Autriche,  enfin  vicaire  du  pape  à  Rome. 
Une  étude  d'ensemble  sur  lui  manquait  en  France  ;  même  les  tra- 
vaux allemands  de  Diix  et  de  Scharpff  ont  bien  vieilH.  M.  l'abbé 
Vansteenberghe  ^  a  donc  comblé  une  véritable  lacune.  Son  livre 
intéresse  plus  encore  peut-être  l'histoire  de  la  philosophie  et  des 
sciences  que  l'histoire  politique  et  religieuse.  Il  relève  cependant  de 
cette  chronique  par  la  biographie  détaillée  dont  l'auteur  a  fait  précé- 
der son  exposé  des  doctrines  du  Cusan.  Pour  commencer  par  les 
quelques  légères  réserves  que  le  livre  appelle,  on  souhaiterait  par- 
fois un  peu  plus  de  rehef  et  d'accent  ;  plus  de  soin  à  dégager  l'essen- 
tiel des  détails  accessoires;  un  plan  un  peu  plus  souple  (dans  la 
tâche  délicate  qui  s'impose  à  tout  biographe  de  combiner  l'ordre 
chronologique  avec  l'ordre  logique,  M.  Vansteenberghe  a  parfois 
pris  des  partis  discutables,  comme  par  exemple  quand  il  réunit  en 
un  même  chapitre  des  négociations  avec  les  hussites  dont  les  unes 
se  placent  au  temps  du  concile  de  Bâle  et  les  autres  à  l'extrême  fin 
de  la  vie  de  Nicolas  de  Cues).  Mais  ce  sont  des  vétilles  au  regard  de 
l'impression  dominante  qui  se  dégage  de  cet  ouvrage  considéra,ble  : 
comme  information,  conscience,  exactitude,  précision,  il  ne  laisse  à 
peu  près  rien  à  désirer.  De  vastes  recherches  dans  les  bibliothèques 
d'Allemagne,  d'Italie  et  d'Angleterre  ont  peVmis  à  M.  Vansteen- 
berghe de  faire  d'heureuses  trouvailles  et  d'utiliser  bien  des  docu- 
ments inédits:  notamment  (à  la  bibliothèque  Vaticane)  un  recueil  de 
sermons,  riche  en  indications  chronologiques,  qui  lui  a  permis 
d'écrire  sur  Nicolas  de  Cues  prédicateur  un  chapitre  très  nouveau-, 
et  à  Innsbriick  et  à  Cues  des  recueils  de  pièces  relatives  à  l'affaire 
de  Brixen*.  Le  tout  est  mis  en  œuvre  avec  un  sens  psychologique 

1.  Edmond  Vansteenberghe,  le  Cardinal  Nicolas  de  Cues  (liOl  Îi66);  l'ac- 
tion, la  pensée.  Lille,  Lefebvre-Ducrocq,  1920,  in-8°,  xx-506  p. 

2.  On  ne  connaissait  jusqu'ici  les  sermons  que  par  l'édition  bâloise  des 
œuvres  du  Cusan  (1565),  qui  est  incomplète,  et  les  donne  dans  le  plus  grand 
désordre. 

3.  M.  Vansteenberghe  annonce  la  publication  prochaine  de  plus  de  150  lettres 
inédites  de  Nicolas  de  Cues. 


HISTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE  DU   MOYEN   AGE.  95 

très  sûr.  Certains  actes  mémorables  de  Nicolas  de  Cues  ont  été  fort 
discutés,  de  son  temps  et  même  depuis;  ainsi  et  avant  tout  son  pas- 
sage du  parti  conciliaire  au  parti  pontifical.  M.  Vansteenberghe,  qui 
aborde  ce  point  délicat  avec  franchise  et  mesure,  conclut,  avec  rai- 
son, nous  semble-t-il,  qu'au  fond  Nicolas  de  Cues  a  moins  changé 
qu'on  n'a  changé  autour  de  lui.  La  politique  outrancière  dans  laquelle 
le  concile  se  laissa  entraîner  n'avait  jamais  été  désirée  ni  prévue  par 
lui.  Entré  au  service  d'Eugène  IV,  il  s'employa  à  le  faire  reconnaître, 
mais  en  même  temps  avec  assez  d'indépendance  et  de  modération  pour 
être,  à  Rome,  jugé  trop  enclin  aux  concessions.  On  lui  a  reproché 
d'avoir  évolué  par  ambition.  Il  faut  avouer  qu'il  aurait  été  mal  récom- 
pensé, car  on  lui  fit  attendre  une  douzaine  d'années  le  chapeau  et  l'évê- 
ché  de  Brixen.  Au  reste,  son  désintéressement  n'est  guère  douteux. 
S'il  n'est  pas  tout  à  fait  indemne  du  vice,  alors  si  répandu,  du  cumul 
des  bénéfices,  ses  torts  sur  ce  point  se  réduisent  à  peu  de  chose.  La 
querelle  avec  Sigismond  d'Autriche  est  un  épisode  assez  déconcer- 
tant dans  la  vie  d'un  prélat  qui,  par  ailleurs,  a  toujours  montré  le 
caractère  et  tenu  la  conduite  d'un  conciliateur»  ;  une  des  trouvailles 
les  plus  intéressantes  de  M.  Vansteenberghe  est  la  lettre,  citée  p.  199, 
où  le  cardinal  exprime  un  certain  regret  de  son  intransigeance  en 
cette  occasion  et  de  son  attachement  excessif  aux  intérêts  matériels 
de  son  église. 

La  description  de  la  vie  religieuse  de  l'Allemagne  à  la  fin  du 
moyen  âge,  d'après  les  sources  augsbourgeoises,  par  M.  Schairer^, 
intéressante,  bien  documentée,  impartiale  et  mesurée  de  ton,  diver- 
tit parfois  par  l'étonnement  un  peu  naïf  que  témoigne  l'auteur  en 
constatant  qu'il  pouvait  y  avoir  avant  Luther  une  religiosité  inté- 
rieure et  vraie. 

Ce  sont  des  institutions  caractéristiques  que  les  églises  nationales 
qui  existaient  à  Rome,  au  centre  de  la  catholicité,  et  qui  notamment 
s'y  sont  fondées  ou  rétablies  en  grand  nombre  avec  la  réinstallation 
de  la  papauté  à  Rome  au  lendemain  du  Grand  Schisme.  Aussi 
faut-il  savoir  gré  à  M.  Pocquet  du  Haut-Jussé'  de  la  très  solide, 
consciencieuse  et  minutieuse  étude  qu'il  a  consacrée  à  la  Compagnie 
de  Saint-Yves-des-Bretons,  d'après  ses  archives  conservées  aujour- 

1.  Voir  notamment,  dans  le  domaine  des  «royances  religieuses,  le  très  curieux 
traité  De  pace  fidci,  projet  de  paix  religieuse  perpétuelle  analysé  p.  400-408. 

2.  Dr.  Phil.  Schairer,  Dos  religiosc  Vulksleben  am  Ausgang  des  Mittelaltcrs 
nach  Augsbimjer  Quelle».  Leipzig,  Teubner,  1914,  in-8%  viii-136  p.  {Beilrage 
zur  KuUurgeschichle  des  MiUelallers  und  der  Renaissance  herausgegeben 
von  Walter  Goetz,  fasc.  1.3). 

3.  Pocquel  du  Haut-Jussé,  la  Compagnie  de  Saint-Yves-des-Bretons  à 
Rome.  Rome,  typ.  Cuggiani,  1919,  in-B",  85  p. 


96  BULLETIN   HISTORIQUE. 

d'hui  au  palais  des  établissements  français  à  Rome.  Depuis  la 
seconde  moitié  du  xiv^  siècle  au  moins,  il  existait  à  Rome  une 
société  des  Bretons,  mais  une  bulle  de  Martin  V,  de  1428,  atteste  la 
décadence  où  elle  était  tombée.  Une  bulle  de  Oalixte  III,  en  1455,  lui 
donna  un  hôpital  et  une  église,  Saint-André,  devenue  Saint- Yves, 
à  charge  d'y  assurer  le  service  paroissial.  L'histoire  de  la  Compa- 
gnie au  xv^  siècle  n'est  connue  que  par  les  pierres  tombales  qui  jon- 
chaient le  sol  de  l'église,  aujourd'hui  démolie,  les  archives  ne  remon- 
tant qu'à  1508  et  n'étant  vraiment  riches  que  depuis  1547;  mais,  de 
cette  date  jusqu'à  la  réunion  de  Saint- Yves  à  Saint-Louis-des- 
Français,  en  1582,  elles  ont  permis  à  M.  Pocquet  de  tracer  un 
curieux  tableau  de  la  vie  de  la  colonie  bretonne  et  des  ressources, 
des  dépenses,  des  fêtes,  de  l'activité  de  la  Compagnie. 

E.  Jordan. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


J.  Beloch.  Der  rômische  Kalender  von  218  bis  168.  (Extrait  de 
Klio,  t.  XV,  1918,  p.  382  et  suiv.) 

M.  Beloch  reprend  dans  cet  article  un  sujet  que  j'avais  traité  peu 
auparavant  dans  le  même  périodique  (Klio,  t.  XIV,  p.  37  et  suiv.).  Je 
ne  puis  donc  me  dispenser  de  m'expliquer  sur  les  divergences  de  vues 
qui  me  séparent  de  l'éminent  historien. 

M.  Beloch  a  fait  l'histoire  de  l'année  190  en  éliminant  complète- 
ment les  deux  renseignements  de  Tite-Live  relatifs,  l'un  à  l'éclipsé  du 
14  mars  190  (XXXVII,  4),  l'autre  à  la  date  de  la  bataille  de  Myonnèse 
(XL,  52).  La  façon  dont  il  explique  ces  deux  «  erreurs  »  qui  le  gênent 
a  déjà  quelque  chose  de  terriblement  forcé.  Mais  il  y  a  un  fait  bien 
plus  grave  et  décisif  à  mon  sens,  c'est  la  concordance  des  deux  ren- 
seignements. De  la  mention  de  l'éclipsé,  empruntée  aux  annales  pon- 
tificales, il  résulte  qu'en  190,  quinctilis  (juillet)  flavien  =z  notre  mars. 
De  la  dédicace  où  était  commémorée  la  victoire  de  Myonnèse  (août), 
dédicace  qui  n'était  certes  pas  mentionnée  dans  les  annales,  mais  que 
chacun  sans  doute  pouvait  lire  encore  au  temps  de  Tite-Live,  il 
résulte  qu'en  190,  décembre  flavien  =  notre  août.  L'une  et  l'autre 
donnée  concordent.  Or,  que  nous  ayons,  pour  une  même  année,  deux 
dates  précises  du  calendrier  romain,  que  ces  deux  renseignements 
soient  hétérogènes  au  point  qu'aucune  collusion  ne  puisse  être  sup- 
posée entre  eux,  et  que  ces  deux  renseignements  concordent  rigoureu- 
sement, c'est  là  un  fait  qui  serait  simplement  miraculeux  si  les  deux 
dates  n'étaient  l'une  et  l'autre  exactes.  Il  ne  faut  donc  pas  douter  que 
l'entrée  en  charge  de  Scipiop  l'Asiatique  (15  mars  flavien)  n'ait  eu  lieu 
vers  le  19  novembre  191. 

Pour  ce  qui  est  de  la  période  suivante,  je  laisse  le  lecteur  juge  de 
la  désinvolture  avec  laquelle  M.  Beloch  se  débarrasse  de  l'âquation  :  22 
juin  168  =  4  septembre -flavien.  Les  témoignages  qui  rattachent  la 
bataille  de  Pydna  à  l'éclipsé  du  22  juin,  comme  ceux  qui  la  placent 
en  septembre  flavien,  me  paraissent,  quant  à  moi,  impossibles  à 
écarter. 

Je  ne  vois  donc  aucun  motif  de  retirer  ce  que  j'ai  dit  pour  la 
période  191-167  et  celle  qui  suit. 

Il  en  est  autrement  de  la  période  qui  précède  191. 

Il  m'était  déjà  venu  à  l'esprit,  en  écrivant  mon  premier  article,  qu'il 
semblait  bien  résulter  du  récit  de  Polybe  (XVIII,  42)  comme  de  celui 
Rev.  Histor.  CXXXVI.  l"  FASC.  7 


98  COMPTES-RENDUS   CRITIQDES. 

de  Tite-Live  (XXXIII,  24)  une  certaine  coïncidence  entre  l'arrivée  des 
députés  de  Philippe  à  Rome,  l'entrée  en  charge  des  consuls  de  197- 

196,  et  la  paix.  Mais  il  m'avait  semblé  que  Polybe  avait  bien  pu,  pour 
des  faits  dont  il  ne  parlait  que  d'après  des  témoignages  écrits,  prendre 
un  consul  désigné  pour  un  consul,  et  que  Tite-Live  semblait  placer 
formellement  les  négociations  avant  l'entrée  en  charge.  Ma  certitude 
concernant  l'entrée  en  charge  des  consuls  de  191-90,  jointe  à  l'interpré- 
tation ordinaire  du  témoignage  relatif  à  Acilius  Glabion,  m'empêchait 
de  placer  l'entrée  en  charge  de  Marcellus  plus  tôt  que  la  fin  de  l'an 

197.  J'avoue  que,  sur  ce  point,  d'une  parties  arguments  de  M.  Beloch 
relatifs  aux  faits  de  197  m'ont  paru  convaincants,  cependant  que  son 
hypothèse  heureuse  sur  la  réforme  de  Glabrion,  qui  aurait  eu  lieu 
durant  la  préture  de  celui-ci  (197-6),  rend  la  conciliation  pos- 
sible. On  peut  supposer  que  l'entrée  en  charge  des  consuls  de  197-6 
a  eu  lieu  en  septembre  ou  octobre  197  (car  il  n'y  a  tout  de  même 
aucune  raison  de  serrer  les  événements  au  point  où  le  fait  M.  Beloch). 
En  supposant,  d'autre  part,  que  les  intercalations  ont  été  rétablies  en 
197-6  et  se  sont  précipitées  dans  les  années  suivantes,  on  explique  la 
date  du  49  novembre  191. 

Je  donnerais  donc  volontiers  raison  à  M.  Beloch,  dans  l'ensemble, 
pour  la  période  voisine  de  197. 

Reste  à  voir  ce  qui  résulte  de  cette  concession  pour  la  période  pré- 
cédant 197. 

Je  sacrifierais  difficilement  le  renseignement  de  Tite-Live  sur  le 
décret  de  Fabius  relatif  aux  kalendes  de  juin  215.  Et  ce,  pour  la  rai- 
son que  j'ai  dite  dans  l'article  précité  :  je  ne  vois  pas  quand  uQ  anna- 
liste romain  (vivant  entre  168  et  46)  aurait  été  amené  à  supposer  un 
retard  du  calendrier  romain.  On  peut  toutefois,  en  supposant  la  mois- 
son un  peu  précoce  en  215,  avancer  l'entrée  en  charge  des  consuls 
(15  mars  flavien)  du  21  mai  au  21  avril,  qui  me  paraît  être  le  terme 
extrême.  Ce  serait  même  plus  en  harmonie  avec  ce  que  nous  savons 
pour  218-6  (ici,  je  me  contente  de  renvoyer  à  l'article  de  M.  Beloch). 

Ceci  dit,  en  partant  du  21  avril  215  (au  lieu  du  21  mai),  et  en  sup- 
primant les  deux  intercalations  que  j'avais  admises  encore  après  215, 
on  tombe  en  197  sur  la  date  du  21  septembre,  qui  tient  compte  des 
justes  observations  de  M.  Beloch.  —  Il  ne  subsiste  qu'une  difficulté, 
relative  au  «  cas  »  de  210,  mais  elle  n'est  pas  insurmontable. 

Je  résume  les  résultats  de  la  transaction  intervenue  : 

Je  maintiens  pour  le  début  de  la  guerre  d'Hannibal  un  léger  retard 
du  calendrier  romain  (cinq  semaines  au  moins  en  215)  ;  —  je  suis  d'ac- 
cord avec  M.  Beloch  sur  la  suppression  des  intercalations  de  215  à 
197  et  sur  l'entrée  en  charge  des  consuls  de  197-6  entre  la  bataille  de 
Cynoscéphales  et  l'automne  (septembre  ou  octobre)  ;  —  je  me  rallie  à  la 
thèse  de  la  réforme  de  Glabrion  accomplie  pendant  la  préture  (197-6) 
et  à  ce  qui  en  résulte  pour  les  années  suivantes;  — je  maintiens  abso- 
lument la  date  de  l'entrée  en  charge  de  Scipion  l'Asiatique  (vers  le 


SERRANO  :  LA  LIOA  DE  LEPANTO  ENTRE  ESPANA,  VENECIA  T  LA  SANTA  SEDE.  99 

19  novembre  191)  et  la  marche  du  calendrier  romain  jusqu'en  168 
(entrée  en  charge  de  P.  Emile  vers  le  i"  janvier  168);  —  tout  en 
admettant  naturellement  la  possibilité  d'intercalations  irrégulières  (il 
y  en  a  eu  en  tous  cas  aux  environs  de  168),  j'exclus  toujours  l'hypo- 
thèse de  bonds  énormes  du  calendrier  romain  jusqu'à  l'époque  de 
Sylla. 

Eug.  Cavaignac. 


R.  P.  D.  LuciANO  Serrano.  La  liga  de  Lepanto  entre  Espana, 
Venecia  y  la  Santa  Sede  (1570-1573).  Madrid  (Escuela  espa- 
nôla  en  Roma),  1918.  T.  I.  In-8°,  viii-356  pages.  Index. 

M.  Serrano  nous  donne  une  bonne  bibliographie  critique  de  la  sainte 
Ligue  contre  les  Turcs.  Il  a  complété  cette  bibliographie  par  des 
recherches  aux  Archives  vaticanes  et  à  Simancas. 

Il  arrive  ainsi  à  nous  présenter  de  l'histoire  de  la  Ligue  une  version 
véridique,  assez  différente  de  la  légende.  Au  début,  il  montre  la  dan- 
gereuse situation  de  Venise,  dont  les  possessions  levantines,  et  spé- 
cialement Chypre,  sont  menacées  d'être  la  proie  des  Turcs.  Pie  V 
profite  de  la  circonstance  pour  essayer  de  grouper  contre  Suleyman  les 
deux  grandes  puissances  chrétiennes  de  la  Méditerranée,  la  Sérénis- 
sime  et  le  Roi  Catholique.  Nous  connaissons  trop,  par  une  expérience 
récente,  les  défauts  des  coalitions  pour  nous  étonner  que  l'œuvre 
imaginée  par  le  pape  ait  été  difficile  à  réaliser  V  Sous  le  général  pon- 
tifical Marc-Antonio  Colonna  et  l'amiral  génois  Doria,  la  première 
expédition  ne  réussit  pas  même  à  secourir  Chypre. 

En  1571,  grâce  à  «  l'unité  de  commandement  »  réalisée  sous  don 
Juan,  ce  fut  Lépante.  Victoire  retentissante,  célébrée  en  prose  et  en 
vers.  M.  Serrano  la  célèbre  à  son  tour  et,  après  avoir  vanté  l'habileté 
des  chefs  de  l'armada  chrétienne,  il  ajoute  ces  réflexions,  qu'on  s'éton- 
nerait de  trouver  sous  la  plume  d'un  historien  qui  ne  serait  pas  espa- 
gnol :  «  En  avançant  cette  affirmation  l'on  ne  prétend  pas  nier,  tant 
s'en  faut,  la  spéciale  intervention  divine  en  faveur  des  chrétiens  que 
les  contemporains  crurent  voir  dans  cette  victoire,  ni  méconnaître 
l'effet  miraculeux  des  prières  du  saint  pape  Pie  V,  auxquelles  Phi- 
lippe II  et  d'autres  personnages  politiques  de  cette  époque  attribuèrent 
l'heureuse  issue  de  la  journée.  » 

Après  ce  salut  aux  formules  pieuses,  l'esprit  critique  reprend  ses 
droits  et  note  que  la  Providence  a  bien  incomplètement  fait  les  choses  : 
«  La  flotte  victorieuse  n'avait  conquis  aucune  position  stratégique,  ni 
territoire,  ni  bases  navales  en  Albanie,  en  Moïée,  à  Négrepont  ou  dans 
les  îles  de  l'Archipel,  ni  causé  à  l'ennemi  aucun  préjudice  dans  ses 

1.  «  L'effet  des  ligues  »,  écrit  de  Gênes  le  nonce,  «  est  d'ordinaire  que  cha- 
cun des  aUiés  voudrait  accomplir  les  entreprises  qui  sont  utiles  pour  lui.  » 


100  COMPTES-BENDCS   CRITIQUES. 

arsenaux  ou  dans  sa  marine  marchande  ;  même,  en  dépit  de  sa  défaite, 
le  Turc  ne  perdait  pas,  mais  fortifiait  son  hégémonie  navale  dans  la 
Méditerranée  levantine,  grâce  à  l'occupation  définitive  de  Chypre  par 
les  armes  musulmanes,  Chypre  dont  la  possession  avait  été  la  cause 
de  la  rupture  avec  Venise  ».  Plus  loin  la  victoire  de  Lépante  est  trai- 
tée de  «  brillant  fait  d'armes,  mais  sans  les  conséquences  importantes,  ni 
pour  les  vainqueurs  ni  pour  les  vaincus,  que  la  généralité  des  histo- 
riens a  voulu  y  voir  ».  En  vérité  les  prières  de  saint  Pie  V  n'ont  qu'à 
demi  été  exaucées. 

Elles  ne  réussirent  pas  à  maintenir  l'union  entre  les  vainqueurs. 
Venise  se  sentait  jouée.  Elle  se  demandait  si  elle  ne  ferait  pas 
sagement  de  s'entendre  avec  le  Turc,  et  elle  était  inclinée  en  ce  sens 
par  les  conseils  que  lui  prodiguait,  à  son  passage,  l'ambassadeur  du 
roi  Très  Chrétien  auprès  du  sultan  Sélim,  l'évêque  de  Dax.  M.  Luciano 
Serrano  va  un  peu  vite  en  besogne  en  disant  que  François  de  Noailles 
faisait  «  profession  ouverte  de  calvinisme  »,  en  l'appelant  «  l'évêque 
calviniste  ».  Disons  simplement  que  ce  grand  seigneur  humaniste 
n'était  pas  d'humeur  à  sacrifier  la  tradition  et  les  intérêts  français  à 
la  politique  espagnole. 

Celle-ci,  d'ailleurs,  n'était  rien  moins  que  désintéressée.  Philippe  II 
immobilisait  don  Juan  à  Messine  et,  avec  cette  admirable  dissimula- 
tion qui  caractérise  sa  nature,  il  traînait  en  longueur  l'expédition  du 
Levant,  utile  à  Venise,  pour  employer  la  flotte  chrétienne  à  la  con- 
quête d'Alger  ou,  tout  au  moins,  à  un  coup  sur  Bizerte,  entreprises 
directement  utiles  à  l'Espagne.  Cette  manœuvre  avait  commencé  à  se 
dessiner  dès  avant  la  mort  de  Pie  V  ;  elle  s'accuse  sous  le  pontificat 
de  Grégoire  XIII. 

M.  Serrano,  qui  voudrait  vanter  la  politique  espagnole,  se  demande 
si,  en  cette  circonstance,  on  peut  trouver  à  Philippe  II  des  excuses. 
La  seconde  moitié  de  "son  livre  est  consacrée  à  la  discussion  de  cette 
question,  angoissante  pour  une  conscience  comme  la  sienne.  La 
réponse  est  que  Philippe  II  n'est  guère  défendable,  n  Conduite  peu 
franche,  dit-il,  farsa  diplomàtica  ». 

Son  excuse,  c'est  qu'il  craint  la  France  et  aussi  l'Angleterre  et  les 
protestants  allemands.  C'est  par  là  que  le  livre  de  M.  Serrano  devient 
intéressant  pour  l'histoire  de  France.  Lorsque  Pompeo  de  la  Cruz,  en 
février  1572,  écrivait  d'Allemagne  à  Milan  :  «  D'une  personne  de  foi 
et  d'importance  on  tient  que  le  Turc  a  envoyé  dire  à  l'amiral  de  France 
de  s'entendre  avec  son  roi  et  d'aller  avec  les  plus  grandes  forces  pos- 
sibles attaquer  les  États  de  Flandre,  en  sorte  que  le  roi  d'Espagne 
soit  forcé  de  les  secourir,  et  que  par  ce  moyen  le  Turc  puisse  harce- 
ler la  sainte  Ligue  ;  que  l'amiral  devrait  faire  ce  mouvement  au  nom 
de  son  roi,  et  que  le  Turc  le  fournirait  d'argent  »,  Pompeo  ne  faisait 
que  recueillir  un  bruit,  mais  ce  bruit  devait  inquiéter  les  Espagnols, 
surtout  quand  il  coïncidait  avec  les  tentatives  françaises  sur  Valen- 
ciennes  et  Mons. 


C.    G.    BOTHA    :    THE   FRENCH   REFCGEES   AT  THE   CAPE.  101 

II  y  avait  aussi  la  flotte  mystérieuse  que  Strozzi  formait  à  Bordeaux. 
Pour  le  Portugal,  les  Açores,  le  Nouveau  Monde,  peut-être  pour  la 
Méditerranée.  L'une  des  raisons  qui  pouvaient  justifier  une  expédition 
espagnole  sur  Alger,  c'est  que  le  prix  dont  le  Turc  paierait  une  inter- 
vention française  à  Venise  pourrait  bien  être  l'établissement  du  pro- 
tectorat français  en  Algérie.  Nous  savons,  par  nos  sources  françaises, 
que  ce  projet  n'était  pas  absolument  chimérique ^ 

Cependant,  devant  les  protestations  et  les  menaces  du  pape,  Phi- 
lippe II,  revenant  sur  son  ordre  du  17  mai,  autorisait  par  lettre  du 
4  juillet  don  Juan  à  partir  enfin  pour  le  Levant^.  Et  cependant...  le  roi 
disait  à  son  frère  :  «  Que  la  majeure  partie  de  cette  flotte  et  de  ces  gens 
et  votre  propre  personne  passent  en  Levant  pour  l'accomplissement 
de  la  Ligue,  tout  en  veillant  à  ce  que  la  nécessité  de  par  deçà  et  le 
danger  que  pourrait  faire  courir  à  mes  royaumes  et  Etats  l'éloigne- 
ment  de  mes  forces  soient  corrigés  par  quelque  partie  des  gens  et 
galères  que  vous  avez  rassemblés.  »  Pour  Philippe  II,  donner  et  rete- 
nir vaut.  En  fait,  par  ses  tergiversations,  il  avait  empêché  d'aboutir 
la  campagne  de  1572  et  manqué  à  ses  engagements  envers  la  Ligue. 
Ceci  à  la  veille  de  la  Saint-Barthélémy,  qui  allait  le  libérer  du  péril 
flamand  et  du  péril  algérien. 

M.  Serrano,  qui  publie  en  appendice  une  partie  de  ses  pièces,  pour- 
suivra son  étude,  la  plus  complète  qui  existe  sur  le  sujet.  Elle  fait 
honneur  à  l'École  espagnole  de  Rome. 

Henri  Hauser. 


Colin  Graham  Botha.  The  French  Refugees  at  the  Cape.  Cape 
Town,  Cape  Times,  1919.  viii-171  p.,  2  cartes  et  1  fac-similé. 

On  a  beaucoup  parlé  des  huguenots  réfugiés  au  cap  de  Bonne- 
Espérance,  mais  sans  avoir  de  précisions  sur  eux.  Le  livre  de  M.  C.  G. 
Botha  est  donc  bien  venu  parce  qu'il  en  fournit  de  décisives  et  que 
vraisemblablement  il  épuise  le  sujet.  Botha  avait  d'ailleurs  eu  un  pré- 
curseur dans  le  capitaine  W.  H.  Hinde  qui,  en  1895,  avait  publié  dans 
le  recueil  de  la  Huguenot  Society  de  Londres  un  travail  intitulé  :  The 
Huguenot  Settlement  at  the  Cape. 

La  colonie  du  Cap  avait  été  fondée  pour  fournir  de  grains,  de  viande 
et  de  légumes  les  navires  qui  y  relâchaient.  Elle  constituait  pour  la 
Compagnie  néerlandaise  des  Indes  orientales  une  lourde  charge  qu'on 
ne  pouvait  atténuer  qu'en  augmentant  le  nombre  des  colons.  Le  3  oc- 
tobre 1685,  le  Conseil  des  Dix-Sept  en  prit  la  résolution  et  décida  que 
l'on  comprendrait  parmi  ces  colons  des  réfugiés  français.  On  désirait 
particulièrement  ceux  qui  sauraient  faire  du  vinaigre  et  distiller  de 

1.  Voy.  Ch.  de  La  Roncière,  Marine  française,  l.  IV,  p.  132  et  suiv. 

2.  P.  298,  I.  21,  lire  :  «  no  desanlmar  los  Venecianos  », 


102  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

l'eau-de-vie.  Mais  seulement  deux  ou  trois  réfugiés  se  montrèrent 
disposés  à  aller  au  Cap.  Le  l^^  octobre  1687,  les  directeurs  de  la  Com- 
pagnie nommèrent  un  comité  pour  examiner  si  l'on  n'enverrait  pas  des 
Vaudois  piémontais.  Le  comité  approuva  et  décida  que  ceux  qui  vou- 
draient aller  au  sud  de  l'Afrique  devraient  se  présenter  aux  Chambres 
d'Amsterdam  et  de  Zélande  pour  être  examinés.  On  leur  promettait  un 
ministre  français  et  le  serment  d'allégeance  fut  traduit  en  français  pour 
leur  usage.  On  devait  leur  donner,  en  toute  propriété,  autant  de  terres 
qu'ils  pourraient  en  cultiver  et  leur  vendre  à  crédit  l'outillage  et  le 
bétail  nécessaire.  Les  réfugiés  vinrent  successivement  dans  sept  navires 
dont  le  premier  mit  à  la  voile  le  31  décembre  1687.  La  durée  de  la  tra- 
versée pour  ces  vaisseaux  fut  de  deux  mois  et  dix  jours  à  six  mois.  Plu- 
sieurs perdirent  du  monde  avant  d'arriver  au  Cap.  Les  six  premiers 
emmenèrent  en  tout  soixante-sept  hommes,  trente-trois  femmes  et  cin- 
quante et  un  enfants  ;  le  septième,  quarante  réfugiés  des  deux  sexes. 
Après  ce  gros  de  l'émigration,  une  trentaine  de  réfugiés  vinrent  encore 
sur  six  navires  de  1688  à  1700.  Le  12  juin  1690,  le  gouverneur  Van 
der  Stel  estimait  à  environ  150  le  nombre  des  huguenots  vivant  au 
Cap.  Presque  tous  étaient  Français.  2  ou  300  Vaudois  de  Nuremberg 
qui  avaient  d'abord  sollicité  d'aller  au  Cap  s'étaient  finalement  ravi- 
sés, parce  qu'ils  «  n'aimaient  pas  la  mer  et  les  longs  voyages  ».  Presque 
tous  les  huguenots  furent  étabhs  à  environ  soixante-dix  kilomètres 
du  Cap,  dans  la  superbe  vallée  du  Drakenstein,  le  long  de  la  rivière 
Berg,  «  où  les  beaux  arbres  croissent  en  quantité  ».  C'était  alors  la 
frontière  de  la  colonie.  Soixante-cinq  fermes  leur  furent  concédées. 
Quelques  autres  furent  établis  dans  le  district  de  Stellenbosch  (à  qua- 
rante kilomètres  du  Cap).  Tous  étaient  fort  pauvres.  Le  gouverneur 
ayant  représenté  leur  misère  à  la  Compagnie,  celle-ci  envoya  6,000  rix- 
doUars  (1,250  livres),  provenant  du  fonds  des  pauvres  de  l'ancienne 
colonie  de  Formose. 

Dès  le  8  novembre  1688,  sur  la  demande  des  réfugiés,  un  maître 
d'école  fut  nommé  pour  enseigner  à  leurs  enfants.  A  sa  mort,  en  1723, 
il  n'y  avait  plus  que  vingt-trois  réfugiés,  ne  comprenant  pas  le  hollan- 
dais. Son  successeur  parlait  les  deux  langues.  Le  Drakenstein  eut 
d'abord  le  même  ministre  que  Stellenbosch,  mais  en  novembre  1689 
ses  colons  pétitionnèrent  pour  former  une  congrégation  séparée,  la 
promesse  leur  ayant  été  faite  avant  leur  départ  de  Hollande  qu'ils 
auraient  leur  propre  ministre.  Rejetée  avec  indignation  par  le  gou- 
verneur, cette  demande  fut  accordée  par  le  Directoire.  Le  nouveau 
consistoire  de  Drakenstein  fut  établi  le  30  décembre  1691. 

Les  fermes  concédées  aux  réfugiés  étaient  disséminées  parmi  des 
fermes  hollandaises,  «  pour  qu'ils  pussent  apprendre  la  langue  et  les 
coutumes  des  Hollandais  »  et  se  fondre  avec  eux.  Les  réfugiés  consi- 
dérèrent ce  mélange  comme  une  vexation  et  s'efforcèrent  de  vivre  à 
part  des  Hollandais.  Beaucoup  de  ces  derniers  cessèrent  d'avoir  des 
rapports  avec  les  Français  et  plusieurs  dirent  qu'ils  donneraient  plu- 


HADSER  :  TRAVAILLEURS  ET  MARCHANDS  DANS  l'aNCIENNE  FRANCE.     103 

tôt  du  pain  à  un  Hottentot  et  à  un  chien  qu'à  un  Français.  Mais  la 
fusion  des  deux  races  s'opéra  néanmoins  peu  à  peu,  les  réfugiés 
n'ayant  jamais  constitué  plus  d'un  huitième  de  la  population  euro- 
péenne. Les  directeurs  en  profitèrent  en  1701  pour  interdire  de  prê- 
cher en  français  à  Drakenstein,  u  afin  que  cette  langue  puisse  y  tom- 
ber en  désuétude  ».  Les  réfugiés  protestèrent  et  l'ordre  semble  avoir 
été  d'autant  moins  observé  qu'en  1703  les  deux  tiers  de  la  congréga- 
tion de  Drakenstein  ne  pouvaient  encore  suivre  un  sermon  en  hollan- 
dais. Mais,  en  1723,  il  n'y  avait  plus  que  vingt-six  personnes,  toutes 
âgées,  ne  comprenant  pas  le  hollandais.  En  1726,  le  sacristain  Jéré- 
mias  Roux  filt  informé  par  le  Consistoire  de  Drakenstein  qu'il  ne 
devrait  plus  célébrer  les  offices  en  français.  Quand  l'abbé  La  Caille 
vint  au  Cap  err  1752,  beaucoup  de  descendants  de  réfugiés  parlaient 
encore  le  français,  mais  aucun  d'eux  n'avait  moins  de  quarante  ans. 

Matériellement,  les  réfugiés  avaient  vite  prospéré  et  John  Oving- 
ton,  qui  les  vit  en  1693,  dit  «  qu'ils  reconnaissaient  leur  bonheur  d'avoir 
été  transportés  ».  Le  gouverneur  paraissait  moins  enchanté  :  il  écri- 
vait en  1691  de  ne  pas  lui  envoyer  de  Français  de  qualité,  mais  seu- 
lement des  fermiers  et  des  artisans  industrieux,  parmi  lesquels  les 
Hollandais  et  les  Allemands  surpassaient  tous  les  autres.  En  1699,  il 
se  plaignait  que  nombre  de  réfugiés,  ignorant  l'agriculture  et  travail- 
lant peu,  fussent  une  charge  pour  la  Compagnie  et  le  fonds  des 
pauvres.  Dans  les  instructions  qu'il  laissa  pour  son  fils  la  même 
année,  il  disait  que  les  colons  français  sont  ceux  auxquels  il  faut  le 
moins  se  fier.  Cette  méfiance  était  partagée  par  le  landdrost  de  Stel- 
lenbosch,  qui  disait  en  1705  aux  colons  de  Drakenstein  qu'il  était  sur 
que,  si  les  Français  attaquaient  la  colonie,  ils  se  joindraient  à  eux. 
Mais,  dès  l'année  suivante.  Hollandais,  Afrikanders  et  réfugiés  s'étant 
associés  pour  protester  contre  la  tyrannie  de  Van  der  Stel,  on  voit 
l'antipathie  contre  les  réfugiés  disparaître.  Ils  ne  paraissent  pas  avoir 
introduit  de  noms  français  dans  la  langue  afrikander  (ceux  qu'elle 
contient  viennent  du  hollandais)  ;  seuls,  quelques  noms  de  famille  et 
de  lieu  dont  la  prononciation  a  été  déformée  rappellent  aujourd'hui 
la  venue  des  huguenots. 

Le  livre  de  M.  Botha  se  termine  par  des  listes  de  réfugiés,  de  bap- 
têmes, de  concessions  de  fermes,  et  par  la  copie  des  documents  prin- 
cipaux. 

Emile  Laloy. 


Henri  Hauser.  Travailleurs  et  marchands  dans  Tancienne 
France.  Paris,  Félix  Alcan,  1920.  1  vol.  in-8%  viii-231  pages. 
(Bibl.  générale  des  sciences  sociales.)  Prix  :  10  fr. 

Sous  ce  titre,  M.  Hauser  a  réuni  six  études  qui  avaient  paru  dans 
diverses  revues  de  1905  à  1912;  il  les  reproduit  sans  aucune  modi- 


104  COMPTES-BENDDS   CRITIQUES. 

fication.  Elles  sont  toutes,  d'ailleurs,  à  des  titres  divers,  fort  intéres- 
santes et  instructives. 

La  première,  qu'on  peut  considérer  comme  l'introduction  de  tout  le 
recueil,  nous  donne  un  aperçu  de  l'histoire  économique  en  France. 
L'auteur  montre  que  cette  histoire  date,  en  réalité,  de  la  seconde 
moitié  du  xix^  siècle,  bien  que  Montesquieu  et  surtout  Voltaire  aient 
indiqué  la  voie  à  suivre,  et  que  la  Révolution  française  et  la  révolu- 
tion industrielle  qui  a  suivi  commencent  à  donner  aux  historiens  le 
sens  des  questions  économiques  ;  Guizot  et  surtout  Augustin  Thierry 
se  rendent  compte  de  leur  importance;  Michelet,  plus  encore,  par 
l'effet  d'une  géniale  intuition.  Mais,  de  véritables  spécialistes  de 
l'histoire  économique,  il  n'y  en  a  pas  avant  la  publication  de  l'His- 
toire  des  classes  ouvrières,  de  Levasseur  (en  1859).  C'est  à  partir  de 
1875  surtout  que  cette  section  nouvelle  de  la  science  historique  fait 
de  grands  progrès  en  France,  en  grande  partie  sous  l'influence 
d'écoles  étrangères  :  de  l'école  allemande,  qui  s'est  formée  dans  des 
Universités  supérieurement  organisées;  de  l'école  anglaise,  suscitée 
par  le  développement  industriel  de  l'Angleterre;  de  l'école  russe,  qui 
se  préoccupait  surtout  de  la  question  agraire,  si  importante  dans  un 
pays  exclusivement  agricole.  —  M.  Hauser  décrit  ensuite  les  résultats 
essentiels  obtenus  jusqu'à  présent  par  l'histoire  de  l'agriculture,  de 
l'industrie,  du  commerce,  cette  dernière  beaucoup  moins  avancée. 
Enfin,  il  indique  avec  une  grande  netteté  les  principaux  problèmes 
que  doit  résoudre  l'histoire  économique  et  montre  les  principales 
sources  où  elle  peut  puiser. 

Dans  une  seconde  étude,  assez  courte,  l'auteur  veut  nous  donner 
une  idée  du  parti  que  l'histoire  économique  et  sociale  peut  tirer  de  la 
géographie  humaine,  de  l'action  et  de  la  réaction  que  le  sol  et  l'homme 
peuvent  avoir  l'un  sur  l'autre.  Il  prend  quelques  exemples  intéres- 
sants :  les  cultures,  les  routes,  les  industries,  les  établissements 
humains.  Il  montre  que,  «  si  les  causes  géographiques  sont  relative- 
ment permanentes,  leur  action  sur  l'homme  est  prodigieusement 
variable  ». 

Une  famine  il  y  a  kOO  ans  :  c'est  l'histoire,  retracée  d'après  les 
archives  communales,  d'une  famine  qui  a  désolé  la  ville  de  Dijon  pen- 
dant plus  d'un  an,  en  1529-1530;  l'énumération  de  toutes  les  mesures 
que  la  municipalité  a  prises  pour  y  parer  :  achat  de  blés,  organisation 
d'un  grenier  d'abondance,  vente  du  blé  aux  habitants  et  aux  boulan- 
gers; réglementation  imposée  aux  meuniers  et  aux  boulangers,  qui 
doivent  se  conformer  aux  procédés  de  fabrication  et  à  la  taxation 
édictés  par  le  corps  de  ville;  enfin,  précautions  prises  contre  les  spé- 
culateurs, dont  il  est  d'ailleurs  malaisé  de  déjouer  les  ruses. 

Spéculations  et  spéculateurs  au  XV I^  siècle  :  c'est  la  description 
—  pour  laquelle  on  a  utilisé  les  travaux  d'Ehrenberg  sur  les  Fugger,  de 
Vigne  et  de  Bonzon  sur  la  banque  lyonnaise  —  des  spéculations  aux^ 
quelles  donnèrent  lieu  le  commerce  de  l'argent  et  le  crédit  au  xvi^  siècle. 


HAUSER  :  TRAYAILLEOaS  ET  MARCHANDS  DANS  l'aNCIENNE  FRANCE.      105 

M.  Hauser  montre  l'importance  de  la  place  d'Anvers,  où  fut  instituée 
la  première  grande  bourse  du  marché  financier  ;  il  nous  donne  une 
idée  des  grandes  opérations  accomplies  par  les  spéculateurs  de  génie 
que  furent  les  Fugger,  les  Hœchstetter,  les  Grimaldi.  On  voit  appa- 
raître au  xvi»  siècle  les  origines  du  grand  capitalisme,  tel  que  nous  le 
connaissons. 

Mais  voici  les  deux  études  les  plus  importantes  du  volume.  La,  con- 
troverse sur  les  monnaies  est  relative  à  l'une  des  questions  les  plus 
intéressantes  de  l'histoire  économique  :  le  renchérissement  de  la 
seconde  moitié  du  XVP  siècle.  Le  prodigieux  accroissement  du  prix  de 
la  vie,  qui  a  troublé  profondément  la  vie  économique  et  sociale  de  cette 
époque,  a  pour  cause  essentielle  l'afflux  énorme  de  l'argent  du  nou- 
veau monde,  à  partir  de  1545.  Mais  la  plupart  des  contemporains  ne 
s'en  rendaient  pas  compte.  Ainsi  les  Remontrances  et  paradoxes  du 
seigneur  de  Malestroit  (1565),  qu'analyse  M.  Hauser,  affirment  que, 
depuis  300  ans,  il  n'y  a  pas  eu  renchérissement  de  la  vie,  que 
toute  la  perturbation  procède  de  l'abaissement  de  la  valeur  de  la  mon- 
naie de  compte  (la  livre)  par  rapport  à  l'écu;  telle  est,  déclare  Males- 
troit, la  cause  de  la  ruine  des  rentiers,  seigneurs  et  officiers,  dont  les 
revenus  sont  fixés  en  livres  et  non  en  écus.  Jean  Bodin,  au  contraire, 
dans  son  Discours  sur  le  rehaussement  et  diminution  des  mon- 
noyes  tant  d'or  que  d'argent,  de  1568,  a  compris  admirablement 
toutes  les  données  du  problème  ;  il  a  affirmé  que  la  hausse  des  prix 
avait  pour  cause  principale  l'afflux  du  numéraire,  pour  causes 
secondaires  l'exportation  et  le  gaspillage,  non  moins  que  le  «  mono- 
pole »  des  artisans  et  des  marchands.  Quant  au  Discours  [ano- 
nyme] sur  l'extrême  cherté  (1574),  il  reproduit  assez  servilement, 
sans  toujours  bien  les  comprendre,  les  arguments  de  Bodin.  Ce  qui 
montre  combien  ce  dernier  était  en  avance  sur  son  temps,  c'est  l'or- 
donnance royale  de  1577,  qui,  pour  combattre  la  hausse  de  la  livre,  fixe 
l'écu  à  trois  livres,  ce  qui  ne  devait  avoir  aucun  efïet  bienfaisant,  car 
le  renchérissement  provenait  de  causes  économiques  profondes  que  le 
pouvoir  royal  était  incapable  d'entraver. 

Sous  le  titre  Pouvoirs  publics,  M.  Hauser  étudie  l'action  des 
diverses  autorités  sur  l'organisation  du  travail.  Dans  les  villes  de 
commune,  c'est  la  municipalité  qui  exerce  cette  action.  Elle  a  un  pou- 
voir de  juridiction  et  un  pouvoir  réglementaire,  sur  les  métiers  libres. 
Lorsqu'un  métier  est  organisé  en  jurande,  que  l'initiative  vienne  des 
maîtres  ou  de  la  ville,  ce  sont  les  magistrats  municipaux  qui  doivent 
ratifier  les  statuts.  Même  sur  les  métiers  jurés,  ils  exercent  leur  sur- 
veillance, ont  voix  au  chapitre  pour  le  recrutement  du  personnel;  ils 
agissent  sur  la  réglementation  industrielle  au  nom  de  l'hygiène  (par 
exemple,  en  ce  qui  concerne  les  boucheries),  de  la  santé  publique 
(boulangers),  sur  le  taux  des  salaires,  sur  les  conditions  du  travail. 
Souvent  aussi,  la  commune  a  ses  manufactures  municipales.  Ainsi, 
«  le  droit  de  la  commune,  en  matière  d'organisation  du  travail,  est 


106  COMPTES-RENDOS  CRITIQUES. 

illimité  ».  Dans  les  villes  seigneuriales,  qui  ne  possèdent  pas  d'orga- 
nisation communale,  le  seigneur  et  ses  agents  exercent  exactement  la 
même  autorité.  Mais  communes  et  seigneurs  subissent  de  plus  en  plus 
la  concurrence  du  pouvoir  royal,  qui,  surtout  à  partir  de  la  fin  du 
xvie  siècle,  prétend  s'ingérer  dans  tout  ce  qui  regarde  le  travail  indus- 
triel. Au  xvii«  siècle  se  fixe  définitivement  «  la  théorie  royale  et  mer- 
cantilistede  l'économie  nationale  ».  Colbert  a  beaucoup  contribué  à  la 
faire  triompher,  car  il  considère  que  l'Etat  doit  prendre  en  main  les 
intérêts  économiques  de  la  nation.  Les  agents  royaux  se  montrent  de 
plus  en  plus  envahissants  :  lieutenants  de  police,  parlements,  inten- 
dants, inspecteurs  des  manufactures,  tous  contribuent  à  cette  main- 
mise de  l'État  sur  le  travail,  et  un  nouvel  organe,  le  Conseil,  puis 
Bureau  du  commerce,  centralise  maintenant,  résume  en  soi  toute 
cette  action  du  pouvoir  royal.  Il  y  a  là  un  travail  d'unification,  qui  a 
été  favorisé  par  tout  le  développement  de  la  civilisation  française,  et 
auquel  les  intéressés-  eux-mêmes  se  sont  soumis  volontiers,  parce 
qu'il  était  favorable  à  leur  prospérité.  Les  agents  de  l'autorité  royale 
eux-mêmes,  dans  la  seconde  moitié  du  xviii<>  siècle,  ont  préparé  la 
suppression  des  maîtrises  et  jurandes,  qui  ne  devait  être  difinitive- 
ment  accomplie  que  par  la  Révolution. 

Henri  Sée. 


Paul  Arbelet.  La  jeunesse  de  Stendhal.  Tome  I  :  Grenoble, 
1783-1799.  Paris,  Edouard  Champion,  1919.  1  vol.  in-8°,  xviii- 
403  pages.  (Bibliothèque  stendhalienne.)  Prix  :  15  fr. 

Stendhal  est  à  la  mode  :  après  une  période  incertaine  où  les  calom- 
nies de  Sainte-Beuve  et  la  déviation  du  goût  l'avaient  à  peu  près 
classé  parmi  les  écrivains  ennuyeux,  c'a  été,  presque  sans  transition, 
après  les  louanges  vengeresses  de  Taine,  l'admiration  hyperbolique. 
Aujourd'hui,  c'est  la  gloire.  Sans  doute,  Stendhal  garde-t-il  quelques 
adversaires  armés;  mais  sans  doute  n'oseraient-ils  plus  le  qualifier 
d'illisible,  de  fastidieux  et  d'inintelligent.  La  formule  retentissante 
de  M.  André  Suarès,  suivant  laquelle  dix  livres  seulement  par  siècle 
méritent  l'immortalité,  et  que,  pour  le  sien,  deux  au  moins  sur  dix  ont 
été  de  Stendhal,  traduira  bien  plus  vraisemblablement  l'engouement 
passionné  et  la  vogue  presque  officielle  dont  le  «  niais  »  de  Faguet 
est  mieux  que  réhabilité. 

A  cette  réparation  solennelle,  la  grande  édition  des  Œuvres  com- 
plètes, entreprise  par  M.  Edouard  Champion,  aura  largement  con- 
tribué. C'est  comme  un  Appendice  aux  œuvres  complètes  que  se 
présente  modestement  le  livre  de  M.  Paul  Arbelet.  Excessive  modes- 
tie :  il  s'agit  d'un  effort  considérable  et  heureux.  Déjà  familiarisé  avec 
la  vie  et  la  pensée  d'Henri  Beyle  jusqu'à  l'extrême  intimité  par  la 
publication  du  Journal  d'Italie,  par  les  Soirées  du  Stendhal-Club 


PAUL   ARBELET    :    LA   JEUNESSE   DE   STENDHAL.  107 

et  plusieurs  autres  essais  très  démonstratifs,  M.  Paul  Arbelet  élève 
ici  à  son  écrivain  d'élection  le  monument  d'une  piété  aussi  éclairée 
que  fervente.  Après  ce  premier  tome,  consacré  aux  seize  premières 
années  (1783-1799)  à  Grenoble,  et  un  deuxième  aux  trois  suivantes 
(1799-1802)  à  Paris  et  à  Milan,  ne  nous  annonce-t-il  pas  une  Vie 
amoureuse  et  philosophique  d'Henri  Beyle  (1802-1806),  que,  espé- 
rons-le, d'autres  tranches  de  biographie  prolongeront,  jusqu'à  restituer 
un  jour  le  miroir  complet  d'une  éblouissante  destinée. 

Tout  un  Uvre,  se  demande  pourtant  en  attendant  M.  Arbelet,  était-il 
bien  nécessaire  pour  raconter  les  premières  années  de  Stendhal?  La 
réponse  est  que  la  formation  d'une  âme  aussi  complexe,  aussi  mêlée 
et  subtilement  contradictoire,  lui  a  semblé  le  plus  intéressant  des  pro- 
blèmes moraux  ;  mais  un  problème  que  quelques  tableaux  en  raccourci 
ne  suffisaient  pas  à  résoudre,  et  pour  lequel  il  fallait  la  plus  patiente 
analyse  des  atavismes,  du  tempérament  et  des  influences.  De  là,  un 
livre  d'histoire,  d'histoire  psychologique  et  nuancée,  également  distant 
d'un  enthousiaste  égarement  et  d'une  défiante  antipathie,  et,  pour 
prendre  son  propre  mot,  un  «  roman  vrai  ». 

De  l'historien,  M.  Arbelet  a  toutes  les  primordiales  qualités  :  une 
patience  d'investigation  vraiment  bénédictme,  une  prudence  remar- 
quable dans  l'appréciation,  un  soin  permanent  de  la  vérification 
poussé  jusqu'à  la  minutie.  Il  ne  se  laisse  pas  aller  non  plus,  comme 
c'est  si  souvent  le  cas  des  biographes,  à  l'inconsciente  apologie  ;  bien 
qu'il  aime  son  Stendhal,  il  ne  se  laisse  pas  fasciner  par  lui  ;  il  garde 
intacts  sa  faculté  d'observation  et  son  sens  critique.  Il  reconnaît  que 
Beyle  n'eut  ni  beaucoup  d'idées  ni  beaucoup  de  curiosité  (p.  m).  On 
répondra  que  Beyle  l'avait  confessé  lui-même;  mais  il  ajoute  que  de 
ces  idées  il  ne  faut  s'exagérer  ni  l'originalité  ni  la  profondeur.  L'écri- 
vain a  composé  «  hâtivement  »  (p.  iv),  entassé  pêle-mêle.  L'homme  n'a 
pas  été  toujours  exempt  de  cynisme  (p.  75)  ;  par  contre,  il  fut  à  tout 
âge  la  dupe  de  ses  chimères  et  le  jouet  de  son  cœur  (p.  159),  précur- 
seur du  réalisme  qui  ne  voyait  rien  de  la  réalité. 

On  lira  avec  un  plaisir  extrême,  même  après  tant  d'autres  essais, 
d'ailleurs  sporadiques,  de  beylistes,  la  patiente  enquête  sur  les  ori- 
gines de  Stendhal  (livre  I,  p.  5  à  64),  origines  et  influences  pater- 
nelles contre  lesquelles  la  vie  de  l'enfant  fut  une  perpétuelle  réac- 
tion, origines  et  influences  maternelles  infiniment  plus  décisives,  car 
il  fut,  de  cœur  et  d'esprit,  beaucoup  moins  Beyle  que  Gagnon.  Sur 
cette  mère,  qui  lui  laissa  un  héritage  très  varié  de  vertus  aimables 
et  aussi  d^assion  concentrée,  il  y  a  des  pages  pénétrantes,  comme 
aussi  sur  les  années  heureuses  de  la  première  enfance  (livre  II,  p.  65 
à  82),  dans  une  vieille  maison  maussade  et  laide  du  vieux  Grenoble, 
faite  pour  abriter  de  petites  vies  monotones  et  étriquées,  celles  des 
Beyle;  années  qu'embellit  pourtant  la  grâce  lumineuse  d'Henriette 
Gagnon,  cette  mère  tôt  disparue;  —  et  sur  les  années  amères 
(livre  III,  p.  83  à  144),  après  la  mort  de  celle-ci,  qui  fut  vraiment  l'évé- 


108  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

nement  capital  de  sa  vie,  et  qui,  en  inclinant  sa  destinée  des  sinécures 
provinciales  vers  les  voyages  mélancoliques  et  du  confort  vers  l'aven- 
ture, lui  permit  de  donner,  dans  une  «  vie  incohérente  d'artiste  et 
de  soldat  »,  la  mesure  de  son  génie.  C'est  enfin  la  conquête  de  la 
liberté  (livre  IV,  p.  145  à  197),  au  sortir  de  la  tyrannie  de  l'abbé  Rail- 
lane,  l'accès  aux  livres,  une  «  furie  de  lecture  »,  la  découverte  de  Jean- 
Jacques  Rousseau.  Ainsi,  à  quinze  ans,  est-il  déjà,  quand  il  rêve 
la  vie,  à  peu  près  le  même  que  lorsque  plus  tard  il  la  vivra,  avec  son 
développement  «  excessif  et  presque  monstrueux  »  de  l'imagination 
romanesque,  avec  son  goût  de  la  négation  religieuse,  avec  son  enthou- 
siasme passionné  pour  la  Révolution  enfin,  qu'il  aima  d'ailleurs,  moins 
pour  ses  principes  que  pour  ses  spectacles,  et  dont  il  railla  non  pas 
les  idées  abstraites,  mais  l'héroïsme  et  le  panache  (p.  199  à  236).  C'est 
pour  avoir  vu  passer  devant  la  maison  de  son  grand-père,  du  balcon 
de  la  place  Grenette,  la  Révolution  dauphinoise,  «  avec  ses  fêtes,  ses 
ivresses  et  ses  morts  »,  que  cet  adolescent  enfiévré  et  brûlant  devint 
révolutionnaire.  Un  jacobin  de  salon  d'ailleurs,  qui  n'aimait  que  de 
loin  la  foule  «  vulgaire  »  et  «  sale  »  et  qui,  comme  tant  d'autres  depuis, 
fut  démagogue  sous  des  lambris. 

Ajoutons  encore  deux  excellents  chapitres,  l'un  sur  Beyle  à  l'École 
centrale  de  Grenoble,  ses  professeurs,  leurs  enseignements  et  ses 
camarades  (p.  235  à  326);  l'autre,  en  conclusion,  sur  son  départ  du 
Dauphiné  et  sa  découverte  de  la  vie,  à  une  époque  où  la  capitale  pro- 
vinciale semble  avoir  offert  bien  des  possibilités  de  plaisir  à  un  jeune 
homme  ardent  et  raffiné  comme  lui. 

La  minutie  de  cette  biographie  n'apparaîtra  pas  comme  inutile. 
Stendhal,  homme  de  peu  d'idées,  ne  fit,  tout  le  long  de  sa  vie,  que 
développer  celles  qu'il  a  entrevues  dans  sa  jeunesse  et  auxquelles,  à 
quinze  ans,  il  s'est  définitivement  fixé.  Stendhal,  homme  de  sensibi- 
lité hyperesthésiée,  a  appris  tôt  à  sentir,  et  jamais  peut-être  ne  sentit 
si  fort  qu'avant  la  maturité.  Ni  son  esprit  ni  son  cœur  n'ont  changé 
après  la  vingtième  année.  Son  portrait  de  jeunesse  est  donc  un  por- 
trait véritable. 

Comme  M.  André  Beaunier  pour  son  Joubert,  comme  Albert  Cas- 
sagne  pour  son  Chateaubriand,  M.  Paul  Arbelet  n'a  pas  isolé  Beyle  de 
son  cadre.  Les  hommes  et  les  choses  de  son  temps  animent  ce  livre 
attachant  que  tous  les  stendhaliens  aimeront. 

Roger  LÉVY-GUENOT. 


Henri  Prentout.  Histoire  d'Angleterre  depuis  les  origines  jus- 
qu'en 1919.  Paris,  Hachette,  1920.  In-16,  xii-1 188  pages.  Prix  : 
25  francs. 

Les  historiens  et  le  grand  public  accueilleront  avec  une  égale  sym- 
pathie ce  livre  clair  et  substantiel,  plein  de  choses  et  facile  à  consul- 


H.    PRENTODT    :    HISTOIRE   d'aNGLETERRE   JDSQU'eN    1919.  109 

ter,  précieux  instrument  de  travail  enrichi  de  la  substance  des  plus 
récents  travaux,  remarquable  synthèse  qui  pour  longtemps  sera  défi- 
nitive. Peut-être  se  portera-t-on  d'abord,  avec  une  légitime  curiosité, 
vers  les  derniers  chapitres,  où  M.  Prentout  étudie  ces  deux  faits  essen- 
tiels qui  n'ont  pas  achevé  de  développer  sous  nos  yeux  toutes  leurs 
conséquences  :  l'avènement  de  la  démocratie  anglaise,  la  formation 
de  l'Empire  britannique.  Qu'il  s'agisse  de  l'évolution  économique  et 
sociale,  du  mouvement  religieux,  artistique  ou  littéraire,  de  la  crise 
des  Lords  ou  des  affaires  étrangères,  il  y  a  dans  ce  manuel  tout  un 
ensemble  de  notions  précises  et  sûres  qui  aideront  à  mieux  con- 
naître un  peuple  dont  il  est  plus  que  jamais  indispensable  d'étudier 
le  caractère  et  l'histoire.  Quelles  sont  les  grandes  crises  de  l'histoire 
irlandaise  jusqu'en  1918?  Où  en  est  le  mouvement  ouvrier  et  socia- 
liste depuis  1895  et  quelle  a  été,  depuis  1900,  l'attitude  du  Labour 
party?  Quel  rôle  ont  joué  dans  l'Europe  contemporaine  des  hommes 
tels  que  Canning  et  Palmerston,  Gladstone  et  Chamberlain,  Asquith 
et  Lloyd  George?  Toutes  ces  questions  que  l'actualité  nous  impose  se 
trouvent  ici  posées,  discutées,  élucidées.  Puis,  avec  un  guide  aussi 
averti  et  de  si  agréable  compagnie,  le  lecteur  remontera  plus  aisé- 
ment dans  le  passé  et  il  comprendra  mieux  l'intérêt  des  époques  plus 
lointaines,  dont  la  connaissance  a  été  renouvelée  par  une  foule  de  tra- 
vaux d'érudition  ou  par  quelques  grandes  œuvres  historiques  :  la 
Révolution  parlementaire  du  xviii*  siècle,  le  xvF  siècle',  le  moyen 
âge.  Il  suffit  de  parcourir  la  bibliographie  placée  par  M.  Prentout  à  la 
fin  de  son  volume  pour  voir  quelle  large  part  les  savants  français  ont 
•eue  dans  ce  travail.  D'autre  part,  un  réveil  historique  incontestable 
s'est  manifesté  en  Angleterre  et  il  est  curieux  de  constater  comment 
l'école  historique  anglaise  s'est  progressivement  émancipée  des 
influences  germaniques.  Kemble,  Freeman,  Stubbs,  prenant  leurs 
modèles  et  puisant  leur  inspiration  chez  les  historiens  d'Allemagne, 
avaient  été  portés  «  à  ne  voir  dans  le  peuple  anglais  que  l'élément 
anglo-saxon,  à  faire  dériver  toutes  ses  institutions  politiques  et 
sociales  des  institutions  des  peuplades  primitives  germaniques  ».  Puis 
une  réaction  contre  le  germanisme  s'est  fait  jour  :  on  a  rendu  sa  place 
dans  la  formation  du  peuple  anglais  à  l'élément  celte,  on  a  dégagé 
l'importance  de  l'élément  romain  et  Scandinave,  on  étudie  la  valeur 

1.  M.  Prentout,  rencontrant  sur  son  cheiuin  Philippe  II,  le  grand  adversaire 
d'Elisabeth,  l'eiécute  en  une  formule  fort  jolie,  mais  sans  doute  injuste  :  ce 
prince,  dit-il  (p.  345),  était  «  toujours  en  retard  d'une  idée,  d'une  année,  d'une 
armée  et  d'une  flotte  ».  Sans  doute,  M.  Prentout  n'avait  pas  à  nous  faire  le 
portrait  de  Philippe  II,  mais  il  m'inquiète  de  trouver  en  sa  bibliographie  une 
référence  au  seul  ouvrage  de  Forneron,  qui  n'a  guère  mis  en  œuvre  que  les 
documents  hostiles  à  Philippe  II  et  qui  accepte  notamment,  avec  une  incroyable 
légèreté,  les  anecdotes  et  les  fables  répandues  par  Guillaume  d'Orange.  Il  serait 
déplorable  que  l'on  continuât  à  regarder  cet  ouvrage  comme  la  Judicieuse  syn- 
thèse de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  le  monarque  espagnol. 


110  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

de  l'apport  normand  dans  les  institutions  et  dans  la  civilisation.  Ces 
précisions  à  venir,  nul  n'est  plus  qualifié  que  M.  Prentout  pour  nous 
les  apporter.  N'a-t-il  pas  consacré  ,de  pénétrantes  analyses'  à  l'his- 
toire de  la  Normandie,  «  trait  d'union  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre^  »?  Car  l'histoire  de  la  Normandie  s'est  un  jour  confondue  avec 
celle  de  l'Angleterre  :  le  duché  a  marqué  profondément  de  son 
empreinte,  de  son  sceau,  le  royaume  que  conquirent  ses  enfants,  et 
c'est  vraiment  en  1066,  suivant  la  remarque  déjà  faite  par  Boutmy, 
que  se  dessine  et  s'accuse  «  la  pente  sur  laquelle  s'est  déroulée  toute 
l'histoire  des  institutions  politiques  anglaises  ».  Au  surplus,  il  y  a 
toujours  eu  entre  la  France  et  l'Angleterre  un  échange  perpétuel 
d'idées,  de  connaissances,  d'impressions  artistiques  et  littéraires.  De 
là,  dans  l'histoire  des  deux  pays,  un  remarquable  parallélisme  que 
M.  Prentout  s'est  efforcé  de  mettre  en  lumière.  Comparer  le  mouve- 
ment lollard  du  xiv«  au  xv^  siècle  à  notre  Réforme  du  xvi«  siècle  et 
le  schisme  anglican  de  1530  au  gallicanisme  de  1688,  rapprocher  les 
deux  Révolutions  de  1640-1648  et  1789-1793,  évoquer  Bonaparte  à 
propos  de  Cromwell,  c'est  ajouter  un  intérêt  plus  puissant  à  l'étude  des 
choses  anglaises,  c'est  contribuer  à  les  rendre  plus  vivantes  et  plus 
accessibles  au  public  français. 

Louis  ViLLAT. 


Ch.  RiST.  Les  finances  de  guerre  de  TAlIemagne.  Paris,  Payot, 
1921.  In-8°,  xiv-294  pages.  Index.  Prix  :  15  fr. 

Ceci  est,  dans  toute  la  force  du  terme,  un  ouvrage  capital.  Sans 
doute  la  Revue  historique  n'a  pas  à  se  prononcer  sur  la  partie  doc- 
trinale du  livre.  Mais,  avant  tout,  ce  livre  est  un  livre  d'histoire, 
le  livre  d'un  historien  qui  sait  rassembler  les  faits  et  les  textes  et  qui 
sait  lire,  même  quand  les  textes  essaient  de  taire  ou  de  travestir  la 
vérité.  Que,  deux  ans  seulement  après  la  paix,  puisse  paraître  cette 
histoire  financière  de  la  guerre  chez  l'un  des  principaux  belligérants, 
et  que  cette  histoire  soit  à  ce  point  solide,  qu'elle  sente  si  peu  l'im- 
provisation, voilà  qui  fait  le  plus  grand  honneur  au  labeur,  à  la  lar- 
geur d'intelligence,  à  la  force  de  pénétration  de  l'auteur.  De  nombreux 
ouvrages  économiques  sur  la  guerre,  publiés  en  diverses  langues, 
furent  des  plaidoyers.  Celui-ci,  encore  une  fois,  est  une  histoire,  écrite 
sans  aucun  parti  pris  de  dénigrement  ou  d'aveugle  admiration. 

Une  histoire  d'abord  de  la  préparation  financière  de  là  guerre  par 
l'Allemagne.  Par  une  patiente  et  soigneuse  analyse  des  bilans  des 
banques,  par  une  étude  attentive  de  la  politique  de  la  Reichsbank 

1.  La  Civilisation  /ranpawe,  juillet-août,  septembre-octobre  1919,  mars  1920. 

2.  L'expressiott  a  été  employée  par  M.  P.  Yvon  dans  une  récente  thèse  de  doc- 
torat d'Université  :  Traits  d'union  normands  avec  V Angleterre  avant,  pendant 
et  après  la  Révolution  (Caen,  1919,  374  pages). 


CE.    RIST    :    LES   FINANCES   DE   GOERRE   DE   l'aLLEMAGNE.  111 

et  des  mouvements  du  marché  monétaire  allemand,  M.  Rist  établit  que 
ces  préparatifs  financiers,  mentionnés  dans  les  fameux  rapports  secrets 
du  19  mars  1913,  «  commencent  au  lendemain  d'Agadir  >>.  Les  trente-cinq 
pages,  d'une  admirable  texture,  que  M.  Rist  consacre  à  ces  préparatifs, 
sont,  dans  leur  sérénité  même,  l'une  des  plus  fortes  preuves  que  nous 
ayons  de  la  préméditation  allemande.  «  Ainsi  l'Allemagne,  conclut-il, 
entrait  dans  la  guerre  après  une  longue  préparation  financière,  son 
plan  achevé,  ses  précautions  prises...  Et,  tout  de  suite,  l'énergie  avec 
laquelle  intervint  la  Reichsbank  montra  qu'elle  n'était  pas  prise  au 
dépourvu  ». 

La  politique  financière  qui  a  permis  à  l'Allemagne  de  vivre  cinq  ans 
est  surtout  l'œuvre  d'un  homme,  non  pas  de  Helfïerich,  mais  de 
Havenstein.  Au  premier  remonte  la  responsabilité  de  la  politique  bud- 
gétaire, qui  «  porte  la  marque  de  la  légèreté  et  de  l'insincérité  ».  Au 
second  revient  le  mérite  de  la  politique  monétaire  et  de  celle  des 
emprunts. 

M.  Rist  est  loin  d'admirer  sans  réserve  cette  politique.  Il  montre 
combien  elle  était  compliquée  et  souvent  menteuse.  La  création,  à 
côté  de  la  monnaie  métallique  et  des  billets  de  banque,  «  d'une  troi- 
sième monnaie  »,  les  Reichskassenscheine  ;  l'assimilation  de  ces  bons 
impériaux  au  métal  pour  constituer  l'encaisse  liquide  de  la  banque 
d'Empire;  enfin  l'apparition,  à  côté  des  billets  et  des  bons,  d'une  «  troi- 
sième catégorie  de  monnaie  de  papier  »,  les  Darlehenskassenscheine^ 
c'est  ce  que  M.  Rist  n'hésite  pas  à  nommer  des  «  trucs  »  trop  ingénieux, 
destinés  à  tourner  la  fameuse  règle  du  tiers  «  en  ayant  l'air  de  la 
maintenir  ».  Il  y  avait  là  un  édifice  singulièrement  fragile,  qui  ne  se 
pouvait  consolider  que  par  la  victoire.  Si  la  victoire  était  venue,  avec 
les  conséquences  économiques  que  les  Allemands  les  plus  modérés 
affichaient  l'intention  d'en  tirer,  nul  doute  que  l'œuvre  de  Haven- 
stein apparaîtrait  aujourd'hui  comme  le  chef-d'œuvre  de  l'habileté 
financière. 

Telle  quelle,  elle  a  permis  de  mobiliser  au  service  de  la  guerre 
allemande  la  richesse  allemande.  Il  est  tout  à  fait  injuste  de  parler, 
comme  on  l'a  souvent  fait  chez  nous,  de  «  superposition  extravagante 
d'emprunts  sur  des  avances  et  d'avances  sur  des  emprunts  ».  En 
autorisant  les  souscriptions  sur  avances,  le  gouvernement  allemand 
n'a  rien  fait  qui  ne  se  soit  fait  (et  qui  ne  se  fasse  encore)  ailleurs.  «  C'est 
une  des  nombreuses  méthodes  de  création  monétaire  que  tous  les  belli- 
gérants se  sont  vus  forcés  d'adopter.  »  L'hypocrisie  est  ailleurs.  Elle 
est  où  nous  venons  de  le  dire,  dans  la  création  d'une  encaisse-papier 
mensongèrement  confondue  avec  une  encaisse  métallique.  Hypocrisie 
dont  le  public  était  complice.  «  Pas  plus  pour  sa  dette  à  l'égard  de  la 
banque  que  pour  son  papier-monnaie,  l'Allemagne  n'a  désiré  la  clarté.  » 
A  cette  ignorance  volontaire,  M.  Rist  oppose  la  sincérité  des  bilans  de 
la  Banque  de  France. 

Il  montre  également  que,  si  l'Allemagne,  en  appatence,  a  su  éviter 


112  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

le  moràtorium,  ce  n'est  pas  qu'elle  ait  témoigné  d'une  élasticité  éco- 
nomique comparable  à  celle  de  l'Angleterre,  c'est  que,  par  une  autre 
série  d'artifices,  elle  a  «  substitué  le  moràtorium  individuel  au  morà- 
torium général  ». 

Un  autre  mensonge  financier  allemand,  c'est  celui  qui  consiste  à 
dire  que  le  blocus  renforçait  la  situation  de  l'Allemagne,  en  suppri- 
mant l'importation  et  les  dettes  extérieures. 

Il  est  exagéré,  à  mon  sens,  d'écrire  avec  M.  Rist  (p.  72)  que  «  leurs 
dettes  étrangères,  dont  ils  n'ont  même  plus  à  payer  les  intérêts  (?),  ne 
pèsent  pas  très  lourd  .sur  les  épaules  des  Alliés,  malgré  leurs  chiffres 
nominaux  que  la  baisse  de  change  ne  cesse  de  grossir  ».  Toujours  est-il 
que  l'Allemagne  s'est  trouvée  aux  prises  avec  un  problème  singuliè- 
rement plus  délicat  ;  «  Se  contenter  de  sa  seule  épargne.  »  Le  fait  indé- 
niable, c'est  qu'elle  l'a  résolu.  M.  Rist,  trop  bon  historien  pour  se  lais- 
ser décevoir  par  les  théories,  ne  dit  pas  :  «  Cela  ne  se  pouvait.  »  Il  dit  : 
«  Cela  se  fit.  »  L'histoii^e  des  emprunts  allemands  est  la  partie  essen- 
tielle de  sa  démonstration. 

Dans  son  histoire  des  impôts,  il  établit  que  le  contribuable  allemand 
était  au  début  du  siècle  un  des  moins  imposés  parmi  les  habitants  des 
grands  États.  La  charge  du  contribuable  prussien  était  de  42  marks  50 
par  an  (taxes  communales,  régionales  et  nationales),  celle  du  Français 
de  79  m.  57,  celle  de  l'Anglais  de  101  m.  44.  La  marge  imposable 
était  donc  plus  grande  en  Allemagne  qu'ailleurs.  Si  pourtant  l'Empire 
n'a  pas  demandé  tout  d'abord  à  ses  sujets  un  effort  fiscal  comparable 
à  l'admirable  effort  anglais  ni  même  au  médiocre  effort  français  ',  c'est 
toujours  pour  la  même  raison  :  la  guerre  devait  être  brève,  et  l'in- 
demnité devait  faciliter  la  liquidation  de  l'opération.  C'est  seulement 
quand  les  difficultés  commencèrent  qu'il  fallut  demander  à  l'impôt 
des  ressources  pour  l'Empire.  Ces  difficultés  même,  et  la  multipli- 
cation indéfinie  du  papier-monnaie,  révélèrent  des  phénomènes  qu'il 
fallut  bien  voir,  auxquels  Helfferich  essaya  de  trouver  des  explications 
rassurantes,  mais  qui  n'en  étaient  pas  moins  des  causes  de  ruine, 
comme  l'effondrement  du  mark.  Se  consoler  de  cet  effondrement  en 
prophétisant  le  «  détrônement  de  l'or  »,  voilà  qui  faisait  honneur  à  la 
capacité  allemande  de  créer  des  systèmes,  mais  ce  n'est  pas  avec  de  la 
métaphysique  que  l'on  redresse  une  situation  économique. 

La  victoire  et  l'indemnité  ^  ayant  manqué,  la  politique  de  Haven- 
stein  a  échoué,  et  l'Allemagne  s'est  trouvée,  encore  plus  que  les  autres 
belligérants,  devant  cette  «  plaie  sans  cesse  ouverte  et  qui  infeste  l'orga- 

t.  Je  ne  parle  que  de  l'eflfort  demandé  au  contribuable  français  dans  les  pre- 
mières années  de  la  guerre. 

2.  La  Revue  historique  n'est  pas  le  lieu  où  pourrait  s'exposer  et  se  discuter 
la  très  intéressante  critique  que  fait  M.  Rist  de  la  théorie  (il  dit  même  du  para- 
doxe) de  l'indemnité.  Il  y  a  certainement,  dans  ces  pages,  bien  des  choses  qui 
auraient  pu  servir  à  ceux  qui,  en  fin  de  compte,  se  sont  trouvés  les  vain- 
queurs —  pages  dont  certaines  avaient  paru,  dans  les  revues,  à  l'heure  utile. 


p. -G.  LA  CHESNAIS  :  LES  PEDPLES  DE  LA  TRANSCAUCASIE.    113 

nisme  entier,  le  déficit  budgétaire  ».  M.  Rist  montre  que  le  grand  mérite 
d'Erzberger  fut  d'essayer  de  fermer  cette  plaie.  Dans  un  appendice  sur 
«  la  situation  financière  de  l'Allemagne  en  juillet  1920  »,  il  démonte 
pièce  à  pièce  le  budget  allemand,  et  il  n'a  pas  de  peine  à  prouver  que 
les  comparaisons  établies  entre  les  charges  effectives  de  l'Allemagne 
et  celles  de  la  France  et  de  l'Angleterre  «  ne  donnent  pas  de  l'effort  alle- 
mand l'impression  favorable  que  la  presse  et  le  gouvernement  du  Reich 
en  voudraient  suggérer  ».  La  formidable  campagne  inaugurée  par  le 
livre  de  J.-M.  Keynes,  et  contre  laquelle  n'ont  réagi  qu'avec  mollesse 
certains  économistes  des  pays  alliés,  cette  campagne  ne  saurait  pré- 
valoir contre  ces  faits  :  «  La  charge  par  tête...  est  en  Allemagne 
moindre  qu'en  France...  Ce  peuple  de  soixante  millions  d'hommes 
est  moins  obéré  que  le  nôtre.  »  Voilà,  n'est-il  pas  vrai?  qui  éclaire  la 
question  des  réparations. 

Mais  nous  ne  nous  aventurerons  pas  davantage  sur  ce  terrain,  qui 
confine  à  la  politique  actuelle.  Nous  avons  dit  que  nous  ne  jugerions 
le  livre  de  M.  Rist  que  comme  un  livre  d'histoire.  Nous  tenons  à 
répéter  qu'il  est  peu  de  contributions  aussi  solides  à  l'histoire  de  la 
grande  guerre.  Comme  la  politique  financière  de  l'Allemagne  a  res- 
semblé à  celle  des  autres  Etats,  comme  elle  leur  a  parfois  servi  de 
modèle,  comme  cette  politique  n'a  été,  en  somme,  qu'un  cas  particu- 
lier —  un  cas  extrême  —  de  la  politique  financière  des  belligérants, 
on  voit  quelle  est  la  portée  générale  de  cet  excellent  ouvrage.  Il  honore 
la  science  française. 

Henri  Hauser. 


P. -G.  La  Chesnais.  Les  peuples  de  la  Transcaucasie  pendant 
la  guerre  et  devabt  la  paix.  Paris,  édilions  Bossard,  1921. 
1  vol.  in-16,  218  pages,  avec  3  cartes.  Prix  :  9  fr. 

C'est  une  étude  très  utile  et  fort  intéressante,  que  recommandent  une 
documentation  très  sure  et  une  information  très  étendue,  et  qui  nous 
fournit  une  foule  de  renseignements  sur  des  faits  peu  connus  dans 
l'Europe  occidentale.  L'elîondrement  du  tsarisme  a  posé  la  question 
particulièrement  difficile  de  la  Transcaucasie,  où  se  trouvent  aux 
prises  diverses  nationalités,  qui  peuvent  d'autant  plus  difiicilement 
s'accorder  qu'on  y  rencontre  un  grand  nombre  de  races,  difîérentes  par 
les  mœurs  et  les  religions,  et  qui  nulle  part  ne  forment  un  groupe 
compact.  A  l'ouest  sont  les  Géorgiens,  au  sud  les  Arméniens,  à  l'est 
les  Tartares;  mais  presque  partout  ces  populations  s'entremêlent,  et 
c'est  ainsi  qu'à  Tiflis  les  Géorgiens  ne  forment  qu'un  cinquième  de  la 
population.  Puis,  dans  tout  le  pays,  un  assez  grand  nombre  de 
Russes,  fonctionnaires  et  colons.  La  politique  extérieure,  qui  a 
imposé  à  ces  diverses  populations  des  orientations  différentes,  a  eu 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  1"  fasc.  8 


114  COMPTES-RENDDS   CRITIQDES. 

pour  effet  de  les  séparer  encore  plus  profondément  les  unes  des 
autres. 

L'auteur  étudie  successivement  l'influence  exercée  par  la  guerre  et 
la  révolution  bolcheviste  sur  la  Géorgie,  l'Arménie,  les  Tartares.  La 
Géorgie,  qui  vit  dans  l'orbite  de  l'Empire  russe  depuis  la  fin  du 
xviiF  siècle  et  le  commencement  du  xix«,  se  montrait  en  somme 
satisfaite  de  cette  domination  qui  la  protégeait  contre  les  Turcs. 
Lorsque  la  guerre  éclata,  ce  fut  un  comité  peu  nombreux  de  Géor- 
giens qui  traita  avec  la  Turquie,  en  octobre  1914,  pour  faire  recon- 
naître l'indépendance  de  la  Géorgie.  Rien  d'étonnant  qu'à  la  suite  de 
la  révolution  russe  Noë  Jordania,  chef  du  parti  social-démocrate, 
se  soit  prononcé  contre  l'indépendance,  pour  le  rattachement  à  la  Rus- 
sie. Mais  la  révolution  bolcheviste  changea  totalement  l'attitude  des 
Géorgiens,  qui  décidèrent  la  création  d'un  Parlement  transcaucasien 
indépendant.  Puis,  l'armée  russe  s'étant  débandée,  il  fallut  entamer 
des  pourparlers  avec  la  Turquie,  renoncer  à  l'union  avec  la  Russie. 
En  mai  1918,  les  Géorgiens  proclamèrent  leur  indépendance,  ce  qui 
eut  pour  conséquence  la  création  de  la  république  tartare  de  l'Azer- 
beidjan,  puis  la  proclamation  d'indépendance  de  l'Arménie.  Les  Turcs 
ayant  envahi  la  Transcaucasie,  les  Géorgiens  durent  demander  la  pro- 
tection des  Allemands.  A  l'armistice,  les  Allemands  quittèrent  le  pays 
et  furent  remplacés  par  les  Anglais. 

M.  La  Chesnais  consacre  un  chapitre  très  nourri  à  Bakou,  la  ville 
du  pétrole,  dont  l'importance  économique  s'est  accrue  d'une  façon  pro- 
digieuse depuis  1870  ;  c'est  un  centre  industriel  isolé  au  milieu  d'un  pays 
agricole,  comprenant  100,000  Russes,  60,000  Arméniens  et  une  popu- 
lation tartare,  élément  tout  à  fait  inférieur.  Il  n'est  pas  étonnant  que^ 
dès  mars  1918,  Bakou  se  soit  proclamé  république  indépendante.  Un 
soviet  fut  créé  sous  la  présidence  de  l'Arménien  bolcheviste  Chaou- 
mian,  mais  dans  lequel^les  tendances  non  bolchevistes  étaient  repré- 
sentées. Bakou  s'opposa  énergiquement  aux  Turcs  et,  si  la  ville  suc- 
comba après  quatre  mois  de  siège,  si  sa  prise  entraîna  le  massacre  de 
20,000  Arméniens,  sa  résistance  constitua  cependant  un  échec  grave 
pour  la  politique  allemande  et  turque. 

La  république  d'Azerbeidjan  fut  une  création  tout  artificielle  (le  nom 
a  été  emprunté  à  la  province  persane  voisine).  Cette  république  fut 
établie  par  l'aristocratie  des  propriétaires  tartares,  qui  ne  forment  que 
3  °/o.de  la  population;  c'est  un  pays  fertile,  grâce  aux  travaux  d'irri- 
gation créés  par  les  Européens,  et  qui  par  conséquent  aurait  tout 
avantage  à  être  protégé  par  la  Russie,  car  les  Turcs  sont  incapables 
de  toute  organisation  technique.  Dans  l'idée  d'Enver  Pacha,  l'Azer- 
beidjan  devait  s'étendre  sur  140,000  kilomètres  carrés,  englober 
Batoum  sur  la  mer  Noire  et  comprendre  une  population  de  trois  mil- 
lions d'habitants  ;  ce  serait  une  province  turque  dont  l'Arméùie  ne  for- 
merait qu'une  enclave.  M.  La  Chesnais  montre  que  les  Anglais 
commirent  la   faute  de   soutenir  contre  les  Russes   la   république 


JULIEN  BONNECASE  :  LA  NOTION  DE  DROIT  EN  FRANCE  AU  XIX^  SIECLE.    115 

d'Azerbeidjan  et  de  faire  ainsi  le  jeu  des  Turcs  et  du  gouvernement 
bolchevik. 

L'Arménie  a  été  particulièrement  victime  de  la  politique  générale 
pendant  la  guerre  et  depuis  la  paix.  La  question  arménienne  est  très 
malaisée  à  résoudre  et  d'autant  plus  que,  politiquement,  l'Arménie 
comprenait  deux  parties  :  une  Arménie  russe,  persécutée  par  le  tsa- 
risme, mais  relativement  tranquille,  et  une  Arménie  turque,  où  des 
massacres  étaient  continuels.  Les  Arméniens  russes,  souvent  très  assi- 
milés à  la  civilisation  russe,  se  seraient  volontiers  rattachés  à  une 
Russie  démocratique,  mais  ils  ne  forment,  avec  les  Arméniens  turcs, 
qu'une  seule  nationalité,  et  le  grand  parti  arménien,  le  dachnaktzou- 
sioun,  est  essentiellement  un  parti  national.  Au  congrès  d'octobre 
1917,  les  Arméniens  russes  décident  de  se  rattacher  à  la  république 
fédérative  de  Transcaucasie.  Mais,  à  la  suite  de  la  révolution  bolche- 
viste  et  du  traité  de  la  Géorgie  avec  les  Turcs,  l'Arménie  se  proclame 
indépendante.  La  situation  si  diflBcile  de  l'Arménie  ne  fut  guère  amé- 
liorée par  l'armistice;  elle  eut  à  soutenir  la  guerre  contre  la  Géorgie 
et  était  sans  cesse  menacée  par  les  Turcs.  M.  La  Chesnais  montre  avec 
une  grande  netteté  la  faute  que  commit  l'Angleterre  en  ne  soutenant 
qu'insuffisamment  les  Arméniens,  contrairement  à  son  véritable  inté- 
rêt, comme  le  déclarait  Lord  Bryce  :  l'Arménie  est  le  passage  natu- 
rel entre  l'Anatolie  et  la  Caspienne;  soutenir  les  Arméniens,  c'est  lut- 
ter de  la  façon  la  plus  efficace  contre  la  Turquie.  Les  Anglais  déci- 
dèrent de  se  retirer  du  pays,  et,  en  fait,  ils  abandonnèrent  l'Arménie 
(en  août-septembre  1919),  même  lorsque  les  États-Unis  eurent  refusé 
le  mandat  arménien.  Aujourd'hui,  la  petite  république  d'Erivan  est 
menacée  de  toutes  parts,  exepté  au  nord.  Les  Alliés  ne  la  protègent 
réellement  pas;  Lloyd  George  a  déclaré  cavaUèrement,  dans  un  dis- 
cours récent,  que  c'était  aux  Arméniens  à  se  défendre  eux-mêmes  et 
qu'on  ne  leur  accorderait  qu'un  secours  purement  moral.  Cependant, 
c'est  grâce  à  l'Arménie  que  la  Géorgie  a  pu  conserver  son  indépendance 
et  que  la  Transcaucasie  n'est  pas  tombée  sous  la  domination  turque. 

M.  La  Chesnais  conclut  que  la  situation  de  l'Arménie  et  même  celle 
de  la  Géorgie  restent  précaires,  parce  qu'elles  n'ont  pas  de  protection 
efficace  :  elles  sont  isolées  au  milieu  du  monde  turc  et  elles  ne  pour- 
raient être  assurées  de  l'avenir  qu'à  la  condition  d'avoir  l'appui  d'une 
Russie  démocratique. 

Henri  Sée. 


Julien  BoNNECASE,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Bordeaux. 
La  notion  de  droit  en  France  au  XIX«  siècle.  (Contribulion 
à  l'élude  de  la  philosophie  du  droit  contemporaine).  Paris,  F.  de 
Boccard,  1919.  (Bibliothèque  de  l'histoire  du  droit  et  des  institu- 
tions, t.  XVin.)  Prix  :  12  fr.  50. 

Ce  livre  rentre  pleinement  dans  le  cadre  des  préoccupations  des  lec- 


116  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

teurs  de  cette  revue  :  c'est  en  effet  l'histoire  des  doctrines  françaises 
sur  le  fondement  même  de  toute  pensée  juridique,  la  notion  de  droit. 

Composé  pendant  la  guerre  et  fruit  des  réflexions  qu'elle  suggéra, 
cet  ouvrage  a  pour  tendance  générale  d'élever  la  notion  du  droit  à 
la  hauteur  d'un  principe  éternel,  intangible,  immuable,  disons  tout, 
«  immanent  ».  L'auteur  veut  nous  montrer  les  doctrines  juridiques  de  la 
France  au  xix^  siècle  se  rattachant,  de  plus  ou  moins  loin,  à  cette 
idée  supérieure;  la  pensée  française  faisant  bloc  dans  une  croyance, 
généralement  admise,  en  un  idéal  juridique,  s'opposant  à  la  concep- 
tion allemande  réaliste  et  étatiste  du  droit'.  »> 

La  croyance  à  un  principe  supérieur  du  droit  a,  en  efïet,  dominé  en 
France  au  xix«  siècle  nos  luttes  politiques,  religieuses  ou  sociales. 
Chaque  parti  l'admet  en  s'en  réclamant,  chaque  opinion  l'avoue  du 
fait  même  qu'elle  l'invoque.  Législateurs,  commentateurs,  jurispru- 
dence attestent  en  toute  occasion  la  notion  de  droit.  L'Alsace-Lor- 
raine séparée  de  la  France  s'en  réclamera  passionnément,  appuyée  par 
toute  l'opinion  française.  Y  a-t-il  pourtant  dans  ces  allusions  inces- 
santes à  la  notion  de  droit  un  élément  caractéristique  de  la  France  du 
xix^  siècle?  N'est-ce  pas  plutôt  la  protestation  éternelle  et  nécessaire 
de  tout  être  lésé  et  sans  recours  meilleur? 

Il  faut  bien  conclure  de  l'exposé  si  clair  et  si  documenté  de  M.  Bon- 
necase  que,  si  l'opinion  juridique  française  s'étend  assez  volontiers  à 
reconnaître  la  notion  de  droit,  elle  borne  en  général  son  accord  à  cette 
seule  expression.  Dès  que  se  pose  la  question  de  la  nature  de  la  notion 
de  droit,  les  avis  divergent.  La  notion  de  droit  est  pour  les  uns  un 
pur  fait  du  domaine  des  constatations  :  le  fait  de  la  solidarité  pour 
M.  Duguit,  ou  encore  le  fait  de  l'interdépendance  sociale.  Pour  d'autres, 
elle  apparaît  comme  un  principe  supérieur  dont  chaque  doctrine,  à  sa 
manière,  s'efforce  de  dégager  la  base.  —  La  doctrine  psychologique  veut 
voir  dans  le  droit  tantôt  un  produit  des  consciences  individuelles  se 
formant  sous  l'empire  des  opinions  et  des  besoins  du  moment,  tantôt 
la  résultante  d'une  conscience  sociale  collective  (M.  Tanon),  tantôt 
enfin  une  donnée  immédiate  de  la  conscience,  identique  chez  tous  les 
hommes,  dans  tous  les  temps,  parce  qu'inhérente  à  la  nature  humaine 
(Aucoc,  M.  Pillet).  —  La  doctrine  métaphysique  prolonge  dans  le 
domaine  de  l'inconnaissable  les  conclusions  les  plus  avancées  des  doc- 
trines psychologiques.  Pour  Delvincourt,  Demante,  Demolombe,  le  droit 
est  une  idée  supérieure  d'origine  divine,  éternelle  et  immuable,  cons- 
ciente pour  tout  homme.  D'autres  prétendent  que  l'idée  de  droit  ne  peut 
être  perçue  qu'au  moyen  de  la  raison  et  par  une  pénible  élaboration  ; 
ils  entendent  réserver  aux  plus  sagaces  le  monopole  d'en  dégager  les 

1.  M.  Bonnecase  repousse  comme  contraire  à  nos  traditions  juridiques  fran- 
çaises certain  mouvement  doctrinal  fort  renseigné  sur  le  droit  allemand  d'avant 
guerre.  C'est  ainsi  qu'il  est  d'une  sévérité  peut-être  excessive  pour  l'œuvre  de 
R.  Saleilles,  qui  eut  au  moins  le  rare  mérite  de  charmer  une  génération  si  elle 
ne  parvint  pas  toujours  à  la  convaincre. 


JOLIEN  BONNECASE  :  LA  NOTION  DE  DROIT  EN  FRANCE  AD  XIX*  SIECLE.    117 

contours  (Duranton).  L'œuvre  magistrale  de  M.  Gény  se  rattache  à  la 
conception  métaphysique  du  droit.  —  Enfin,  les  doctrines  religieuses 
apparaissent  nécessairement  une  fois  qu'on  est  lancé  sur  la  pente  de 
la  métaphysique.  Tout  esprit  rattaché  à  une  religion  précise  trans- 
forme inévitablement  une  vague  conception  métapliysique  du  juste  en 
un  acte  de  foi  religieuse.  Marcadé,  Vareilles-Sommiere,  Coquille, 
Lucien  Brun  l'ont  fait  pour  la  doctrine  catholique,  et  leur  œuvre  est 
le  point  extrême  de  cette  gradation  où  nous  venons  de  voir  chaque 
philosophe  du  droit  apporter  selon  ses  préférences  une  dose  toujours 
croissante  d'idéal. 

Le  contenu  de  la  notion  de  droit  est  tout  aussi  discuté  que  sa  nature. 
Certains  la  conçoivent  comme  une  forme  vide,  susceptible  d^ ren- 
fermer un  contenu  variable  selon  les  lieux  et  les  temps  (Saleilles, 
Labbé).  D'autres  précisent  tout  au  moins  dans  leurs  termes  la  subs- 
tance du  droit  :  ce  serait  l'utilité  générale,  le  bien  commun,  la  soUda- 
rité  en  un  mot  (M.  Tanon).  —  La  doctrine  métaphysique  d'un  droit 
naturel  universel  et  immuable  voulait  jadis  trouver  dans  le  for  inté- 
rieur d'un  chacun  le  code  modèle  avec  les  rubriques  :  propriété,  pres- 
cription, contrat,  testament,  succession  ab-intestat;  elle  se  borne 
maintenant  à  affirmer  l'existence  d'un  principe  supérieur  de  respect 
de  la  personnalité  humaine.  A  cette  école  individualiste  et  libérale  se 
rattachent  avec  certaines  nuances  le  philosophe  Caro,  MM.  Beudant  et 
Michoud. 

Sur  la  fonction  de  l'idée  de  droit,  l'entente  entre  théoriciens  n'est 
point  meilleure.  La  notion  de  droit  semblait  à  Oudot  un  idéal  plus 
ou  moins  réalisable  ;  elle  présente  un  caractère  impératif  aux  yeux  de 
M.  Planiol.  Son  action  s'étend  même  au  domaine  judiciaire;  mais 
M.  Gény  fait  acte  de  prudence  en  ne  permettant  au  juge  et  à  l'inter- 
prète de  ne  l'invoquer  que  sur  la  base  et  par  le  moyen  du  droit  posi- 
tif. Dans  le  domaine  législatif,  tantôt  le  droit  naturel  est  vanté 
comme  un  code  de  préceptes  supérieurs  aux  lois  positives  (Bélime); 
tantôt  comme  une  simple  directive  guidant  le  législateur,  chargé  de 
réglementer  les  rapports  sociaux  (M.  Gény).  Pour  certains  (M.  Duguit), 
le  droit  social  aux  mains  d'un  état  tout-puissant  donne  comme  but  à 
chaque  disposition  législative  le  renforcement  de  la  solidarité  et  le 
développement  du  bien  commun.  (Le  qualificatif  des  lois  sociales 
appliqué  de  nos  jours  à  des  mesures  de  pur  droit  privé  procède  de 
cette  conception.)  Les  doctrines  métaphysiques,  au  contraire,  mainte- 
nant leur  point  de  vue  individualiste,  opposent  aux  fantaisies  du  légis- 
lateur la  barrière  des  droits  individuels.  Elles  ne  tracent  pas  de  ligne 
de  conduite,  leur  action  est  purement  négative. 

La  protection  des  libertés  de  l'individu  ou  des  groupes,  assurée  par 
cette  doctrine  métaphysique  de  la  notion  de  droit,  semble  pour  l'au- 
teur présenter  les  meilleures  garanties  non  seulement  d'équilibre 
interne  des  divers  éléments  d'une  même  nation,  mais  aussi  d'équi- 
libre international.  Il  ferait  volontiers  de  cette  théorie  la  conception 


118  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

traditionnelle  du  droit  en  France  %  et  son  exposé  historique  n'a  peut- 
être  pas  d'autre  but  que  de  dégager  par  la  réfutation  de  tous  sys- 
tèmes contraires  la  doctrine  à  laquelle  il  donne  ses  préférences.  Il  ne 
saurait  lui  en  être  fait  grief;  les  événements  des  dernières  années 
devaient  fatalement  conduire  à  son  apogée  l'idéalisme  juridique, 
auquel  tendait  indiscutablement  depuis  1870  le  plus  fort  courant 
d'opinion  en  France.  Il  est  intéressant  que  les  conceptions  métaphy- 
siques de  la  notion  de  droit  aient  été  ainsi  savamment  synthétisées  et 
affirmées  avec  autorité  par  l'un  des  meilleurs  esprits  de  la  philoso- 
phie française  contemporaine  du  droit.  Que  l'auteur  nous  permette 
seulement  certaines  réserves  sur  ces  prévisions  d'avenir.  Écrirait-il 
aujourd'hui,  d'ailleurs  sans  réserves,  certaines  lignes  sur  l'idéalisme 
juridique  de  toutes  les  nations  alliées  et  sur  le  «  réalisme  »  de  nos 
seuls  adversaires? 

F.  JOÛON  DES  LON&RAIS. 

1.  La  conception  traditionnelle  de  la  France,  celle  du  moins  qui  peut  invoquer 
le  plus  long  passé,  n'est-ce  pas  plutôt  l'idée  du  droit  coutumier  fondé  sur  une 
longue  expérience  des  faits  et  sur  une  tradition  toujours  respectable?  La  cou- 
tume, produit  réellement  autochtone,  œuvre  de  notre  race,  ne  se  trouvait  pas 
à  la  merci  des  fantaisies  d'un  législateur.  On  se  posait  moins  la  question  de 
l'existence  d'un  droit  naturel  dans  notre  ancienne  France,  parce  que  le  fonde- 
ment du  droit  positif  était  mieux  établi  et  moins  discuté.  Ne  ressort-il  pas  des 
divergences  précédemment  exposées  sur  la  notion  de  droit  une  crainte  perma- 
nente de  notre  France  du  xix°  siècle  vis-à-vis  de  l'œuvre  possible  de  son  légis- 
lateur. D'aucuns  veulent  étendre  son  action  sociale  à  l'extrême,  tandis  que 
d'autres  s'essaient  à  lui  imposer  le  frein  quelque  peu  théorique  des  droits  indi- 
viduels. La  genèse  coutumière  du  droit  ne  donnait-elle  pas  plus  de  garanties, 
tout  en  sauvegardant  également  la  marche  incessante  du  droit? 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale.  —  Mario  Casotti.  Saggio  di  una.  concezione 

idealistica  délia  storia  (Firenze,  Vallecchi  editore  [1920],  in-8°,  446  p.; 
prix  :  12  1.).  —  Id.  Introduzione  alla  pedagogia  (Ibid.,  in-S»,  105  p.; 
prix  :  3  1.  50).  —  Cet  essai  sur  une  conception  idéaliste  de  l'histoire  n'est 
guère  de  la  compétence  de  la  Revue  historique;  c'est  un  livre  de  pW- 
losophie,  de  métaphysique.  L'auteur  combat  la  conception  réaliste  et 
empirique.  Les  sciences  de  la  nature,  déclare-t-il,  peuvent  se  contenter 
du  pur  empirisme,  car  elles  n'étudient  pas  les  forces  spirituelles.  Mais 
l'histoire  se  trouve  en  présence  de  faits  qui  concernent  la  mentalité 
humaine,  le  vouloir  humain.  Il  ne  suffit  pas  de  les  décrire  tels  qu'ils 
se  sont  passés  dans  l'espace  et  dans  le  temps.  On  est  amené  à  dépas- 
ser cette  conception  purement  empirique,  car  on  entre  dans  le  domaine 
des  concepts  de  l'esprit.  L'histoire  consiste  précisément  à  maintenir 
«  actuelle  dans  l'esprit  »  toute  la  réalité  fugitive  des  faits.  Voilà  donc 
un  acte  de  conscience  qui  échappe  au  monde  des  simples  phénomènes. 
La  conception  idéaliste  de  l'histoire  a  pour  effet  d'identifier  l'histoire 
et  la  philosophie,  de  dépasser  l'étude  subjective  et  particulière  des  faits 
pour  arriver  à  concevoir  la  réalité  dans  sa  vérité  objective  et  univer- 
selle. La  philosophie  de  l'histoire  nous  donne  donc  une  vue  plus  pro- 
fonde des  choses  que  l'historiographie,  qui  ne  se  propose  que  la  con- 
naissance des  faits.  Grâce  à  cette  philosophie  idéaliste,  les  histoires 
particuUères  (des  sciences,  des  arts,  de  la  philosophie,  etc.)  prennent 
contact  les  unes  avec  les  autres  et  nous  permettent  de  saisir  des  véri- 
tés d'un  caractère  général.  Sans,  doute,  la  conception  idéaliste  que 
préconise  M.  Casotti  peut  ne  pas  être  inutile  même  aux  historio- 
graphes, car  elle  contribue  à  leur  faire  comprendre  les  limites  de  leur 
science.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  l'histoire  n'est  pas  un  ordre  de  con- 
naissances qu'on  puisse  assimiler  aux  sciences  de  la  nature,  puisque 
les  événements  historiques  traduisent  des  faits  de  conscience,  révèlent 
des  démarches  de  la  mentalité  humaine.  L'histoire  ne  se  prête  pas  non 
plus,  comme  les  sciences  de  la  nature,  à  la  méthode  purement  expé- 
rimentale; les  matériaux  dont  elle  dispose  sont  d'un  tout  autre 
caractère. 

L'Introduction  à  la  pédagogie,  du  môme  auteur,  est  animée  de  la 
même  conception  idéaliste.  La  pédagogie  ne  peut,  comme  les  autres 
arts  pratiques,  s'appuyer  principalement  sur  l'expérience,  car  ce  n'est 
pas  sur  une  science  de  la  nature  qu'elle  se  fonde;  elle  a  afla,ire  à  l'es- 
prit humain,  à  l'âme  humaine.  Aussi  les  données,  qui  peuvent  être 


120  NOTES  BIBIIOGBAPHIQUES. 

fournies  par  la  psychologie,  par  l'éthique,  par  la  sociologie,  ne  sont- 
elles  pas  suffisantes  pour  indiquer  les  règles  que  la  pédagogie  devra 
suivre.  La  pédagogie  est  donc  non  une  science  empirique,  mais  une 
science  philosophique.  Les  données  fournies  par  l'expérience  ne 
peuvent  avoir  une  application  pratique  que  si  elles  ont  une  véritable 
valeur  éducative  ;  il  faut  les  confronter  toujours  avec  la  conception 
idéaliste  qu'on  s'est  formée  de  l'éducation.  La  nature  particulière  de 
l'âme  humaine  distingue  forcément  les  procédés  dont  use  l'éducation 
de  ceux  qui  sont  pratiqués  dans  l'élevage  ;  et  il  faut  toujours  tenir 
compte  de  l'action  qu'exerce  l'âme  de  l'éducateur  sur  l'âme  de  celui 
qui  est  soumis  à  sa  direction.  Cette  influence,  rien  ne  peut  la  rem- 
placer; et  c'est  ainsi  que  l'école  de  la  vie  ne  doit  pas  être  considérée 
comme  vraiment  éducative,  car  souvent  elle  peut  avoir  une  action 
dissolvante  sur  des  âmes  qui  ne  sont  pas  encore  formées.      H.  S. 

.  —  George  O'Brien.  An  Essay  on  mediaeval  économie  teaching 
(Londres,  Longmans,  1920,  in-8°,  viii-242  p.  Index).  —  Dans  un  esprit 
de  vive  sympathie  pour  les  doctrines  sociales  du  catholicisme,  M.  G. 
O'Brien  a  repris  un  sujet  bien  souvent  traité.  Son  exposé  est  complet, 
clair  et  bien  ordonné.  Il  est  poussé  jusque  vers  la  fin  du  xv«  siècle. 
S'inspirant  surtout  de  saint  Thomas,  l'auteur  analyse  la  notion  du  jus- 
tum  pretium  et  montre  comment  l'interdiction  canonique  de  l'usure 
arrivait  à  se  concilier,  en  pratique,  avec  des  formes  assez  complexes  de 
l'activité  économique.  Un  historien  sera  tenté  de  faire  à  ce  livre  le 
même  reproche  qu'à  tout  ouvrage  qui  n'étudie  que  les  doctrines,  celui 
d'être  trop  loin  des  réalités.  Il  est  intéressant  d'essayer  d'établir  que 
la  doctrine  médiévale  était  favorable  à  la  fois  à  l'extension  de  la  pro- 
duction, à  la  régularisation  de  la  consommation,  à  la  justice  dans  la 
distribution,  mais  il  serait  utile  de  rechercher  dans  quelle  mesure  ces 
trois  postulats  (et  particulièrement  le  premier)  se  sont  réalisés  dans 
les  faits.  Après  avoir  lu  le  livre  de  M.  O'Brien,  on  ne  comprend  pas 
comment,  dans  l'ordre  de  la  production,  une  Renaissance  a  été  néces- 
saire. M.  O'Brien  indique  discrètement  que  les  circonstances  actuelles 
donnent  à  la  doctrine  catholique  (en  laissant  de  côté  son  contenu  reli- 
gieux) un  regain  d'actualité.  C'est  dire  que  les  doctrines  économiques 
sont  vraies  non  en  soi,  mais  par  rapport  aux  temps  où  elles  se  mani- 
festent, vraies  pour  une  époque,  fausses  pour  une  autre.  C'est  une 
idée  dont  commencent  à  se  pénétrer  même  quelques  économistes. 

H.  Hr. 

—  D""  W.  P.  C.  Knuttel.  Catalogus  van  de  Pamfietten-Verza- 
meling...  Negende  Deel.  Alfabetisch  Register...  Ik86-1195  (La  Haye, 
Algemeene  Landsdrukkerij,  1920,  in-8°,  148  p.).  —  Quiconque  a 
manié  le  catalogue  de  la  précieuse  collection  de  pamphlets  conservée 
à  la  Bibliothèque  royale  de  La  Haye  sera  heureux  de  pouvoir  consul- 
ter cette  table  alphabétique.  J'ai  à  peine  besoin  de  souligner  l'impor- 
tance qu'elle  présente  pour  l'histoire  de  France,  liée  si  étroitement, 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE.  121 

aux  xvF  et  xvif  siècles,  à  celle  des  Provinces-Unies.  Il  suffit,  pour 
s'en  rendre  compte,  de  parcourir  les  rubriques  Anjou,  Calvin,  l'énorme 
rubrique  Franhrijk  (8  colonnes),  Geertruidenberg,  Guise,  Nimègue, 
Saint-Denis  (bataille  de),  Utrecht,  etc.  H.  Hr. 

—  F.  J.  C.  Hearnshaw.  Macmillan's  historical  atlas  of  modem 
-Europe  (Londres,  Macmillan,  in-4°,  30  p.  et  12  cartes  en  couleur; 
prix  :  6  sh.).  —  Cet  atlas  s'adresse  aux  écoliers,  mais  beaucoup  de 
grandes  personnes,  même  fort  instruites,  pourront  le  parcourir  avec 
fruit.  Il  contient  les  cartes  suivantes  :  l'Europe  de  1815  à  1914;  la 
frontière  orientale  de  la  France  de  1598  à  1871  ;  la  Pologne  de  1772  à 
1914;  la  Prusse  de  1415  à  1914;  l'Allemagne,  l'empire  d'Autriche,  l'Ita- 
lie, la  péninsule  des  Balkans  et  l'Afrique  de  1815  à  1914;  une  carte 
ethnographique  de  l'Europe  centrale;  enfin,  une  carte  «  provisoire  » 
de  l'Europe  d'après  les  traités  de  paix  signés  en  1919  et  en  1920. 
Chaque  carte  est  d'ailleurs  accompagnée  d'un  texte  explicatif  où  se 
trouvent  résumés  dans  leurs  grandes  lignes  les  changements  survenus 
dans  la  géographie  politique  des  états  européens  depuis  la  fin  du 
moyen  âge.  Un  index  des  noms  marqués  sur  ces  cartes  termine  le 
volume.  ^^-  B- 

—  La  librairie  «  La  Renaissance  du  livre  »  (78,  boulevard  Saint- 
Michel,  à  Paris)  annonce  une  «  Bibliothèque  de  synthèse  historique  » 
qui  paraîtra  sous  la  direction  de  M.  Henri  Berr  avec  le  titre  général  : 
l'Évolution  de  l'humanité.  Elle  ne  comprendra  pas  moins  de  cent 
volumes  au  prix  de  15  francs  pour  les  premiers  souscripteurs.  Une 
première  section  comprendra  vingt-six  volumes,  dont  la  rédaction  a 
été  confiée  à  des  érudits  particulièrement  qualifiés.  Notons  seule- 
ment :  la  Terre  avant  l'histoire,  par  M.  Edmond  Perrier  (volume 
qui  vient  de  paraître);  l'Humanité  préhistorique,  par  M.  Jacques 
DE  Morgan  (avec  1,200  figures  dans  le  texte);  le  Langage, 
par  M.  J.  Vendryès;  le  Nil  et  la  civilisation  égyptienne,  par 
M.  A.  MORET;  la  Méditerranée  et  la  civilisation  égéenne,  par 
M.  G.  Glotz;  l'ImpériaHsme  macédonien  et  V hellénisation  de 
l'Orient,  par  M.  P.  Jouguet;  Rome  et  la  Grèce,  par  M.  Albert  Gre- 
nier; les  Celtes,  par  M.  Henri  Hubert;  la  Perse,  par  M.  Clément 
HuARD,  etc. 

Histoire  de  la  Guerre.  —  La  librairie  Charles-Lavauzelle  publie 
une  Histoire  de  la  guerre  par  M.  Lucien  Cornet,  sénateur.  Quatre 
volumes  ont  déjà  paru  :  le  tome  I  contient  la  crise  diplomatique  et  la 
déclaration  de  guerre,  la  mobilisation,  la  campagne  en  Belgique  et  en 
France  jusqu'à  la  fin  de  la  bataille  des  Flandres,  la  première  invasion 
de  la  Prusse  par  les  armées  russes  (386  p.;  prix  :  7  fr.  50);  le  tome  II 
contient  la  campagne  d'hiver  1914-1915  entre  France  et  Russie,  l'entrée 
en  scène  de  la  Turquie,  les  opérations  navales  jusqu'à  la  bataille  de 
Falkland  (350  p.;  prix  :  7  fr.  .50);  le  tome  III,  l'entrée  de  l'Italie  dans  la 
guerre,  les  opérations  maritimes  aux  Dardanelles,  la  guerre  sous- 


122  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

marine  jusqu'au  torpillage  du  Lusitania,  (344  p.;  prix  :  9  fr.);  le 
tome  IV,  les  opérations  militaires  en  France  en  1915  (386  p.;  prix  : 
10  fr.). 

—  André  Schmitz.  Sous  la  rafale  (Paris  et  Barcelone,  Bloud  et  Gay, 

1918,  in-8°,  288  p.).  —  Un  officier  de  liaison  nous  donne  quelques 
notes  sur  les  premières  années  de  la  guerre.  Son  récit  est  anecdotique 
et  il  l'est  exclusivement,  l'auteur  se  refusant  à  formuler  une  critique 
ou  même  une  opinion  sur  les  opérations  auxquelles  il  a  assisté.  Ce 
livre  ne  peut  donc  nous  intéresser  que  comme  un  document  sur  l'état 
d'esprit  des  combattants.  R.  D. 

—  Albert  Droulers.  Sous  le  poing  de  fer.  Quatre  ans  dans  un 
faubourg  de  Lille  (Paris,  Barcelone,  Bloud  et  Gay,  1918,  in-8o, 
246  p.).  —  C'est  un  récit  des  années  d'occupation,  un  récit  après  tant 
d'autres,  dont  il  diffère  peu;  c'est  toujours  la  même  succession  de 
brutalités,  de  pillages,  l'histoire  des  déportations  de  civils.  Il  faut 
savoir  gré  à  l'auteur  de  l'avoir  présenté  sous  une  forme  pittoresque  et 
dramatique.  R.  D. 

—  René  Henning.  Les  déportations  de  civils  belges  en  Alle- 
magne et  dans  le  nord  de  la  France  (Bruxelles,  Paris,  Vrouart, 

1919,  in-8°,  216  p.;  prix  :  3  fr.  75).  —  Cette  étude  porte  sur  les  règle- 
ments qui  ont  dirigé  les  déportations  et  sur  la  condition  des  déportés.  A 
la  suite,  nous  trouvons  de  nombreux  récits  de  déportés,  très  brefs  pour 
la  plupart  et  plus  souvent  encore  d'unq  extrême  monotonie;  il  faut 
réagir  pour  s'imaginer  ce  que  représente  de  crimes  et  de  souSrances 
cette  sèche  énumération  de  faits  simplement  présentés.        R.  D.     i 

—  Henriette  Célarié.  Quand  «  Ils  »  étaient  à  Saint-Quentin 
(Paris,  Bloud  et  Gay,  1918,  in-8°,  238  p.).  —  Encore  un  récit  des 
mois  d'occupation  allemande,  ni  plus  ni  moins  intéressant  que  beau- 
coup d'autres,  qui  se  laisse  lire  grâce  au  ton  volontiers  plaisant  que 
l'auteur  donne  à  ses  anecdotes  et  qui  fait  grandement  honneur  au 
caractère  des  populations  envahies.  R.  D. 

'  —  E.  Vandervelde.  Dans  la  mêlée  (Nancy,  Paris,  Strasbourg, 
Berger-Levrault,  1919,  in-8o,  188  p.;  prix  :  3  fr.  50).  —  On  a  jugé  bon 
de  réunir  en  volume  les  articles  publiés  dans  les  journaux  par  M.  Van- 
dervelde pendant  les  années  de  guerre.  Presque  tous  sont  courts  et 
insignifiants.  Ce  n'est  donc  pas  à  de  tels  documents  que  s'attardera 
l'historien,  ni  même  le  public  lettré,  pour  s'éclairer  sur  l'histoire  de 
la  guerre.  Les  seuls  articles  auxquels,  avec  beaucoup  de  bonne 
volonté,  on  peut  trouver  un  certain  intérêt,  sont  ceux  où  l'auteur  s'ef- 
force de  démontrer  que  la  révolution  russe  devait  fortifier  la  pause  de 
l'Entente.  Démonstration  paradoxale,  qui  nous  fait  douter  de  la  clair- 
voyance de  celui  qui  nous  la  présente.  R.  D. 

—  Paul  Crokaert.  L'immortelle  mêlée.  Essai  sur  l'épopée 
militaire  belge.  191k  (Paris,  Perrin,  1919,  in-8°,  328  p.;  prix  : 
4  fr.  50).  —  Ce  nouveau  récit  de  la  campagne  de  Belgique  en  1914, 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE.  123 

après  tant  d'autres  ouvrages  du  même  genre,  présente  un  intérêt  réel 
parce  qu'il  est  accompagné  d'une  documentation  solide.  L'auteur  ne 
laisse  aucun  point  dans  l'ombre  et,  à  défaut  d'études  techniques,  nous 
avons  là  un  des  meilleurs  récits  qui  aient  été  faits  des  débuts  de  la 
guerre.  R-  D. 

—  Sergent  Pierre.  Un  parc  à  prisonniers  :  Haus-Spital,  près 
Munster,  en  Westphalie,  illustrations-par  A.  Potage  (Lille,  Camille 
Robbe,  O.  Marquant,  successeur,  1920,  in-8»  oblong,  160  p.,  119  des- 
sins; prix  :  15  fr.).  —  Les  prisonniers  français  ont  été  surtout  maltrai- 
tés par  les  Allemands  au  début  de  la  guerre,  quand  la  conviction  de 
l'impunité  déchaîna  toute  la  férocité  des  officiers  prussiens.  M.  Pierre, 
professeur  agrégé  d'histoire  au  lycée  de  Lille,  en  apporte  ici  un  témoi- 
gnage incontestable  en  décrivant  simplement  ce  que  fut  l'existence 
des  prisonniers  de  Maubeuge  dans  le  «  parc  »  de  Haus-Spital,  à  quatre 
kilomètres  de  Munster.  1-5,000  soldats  ou  sous-officiers,  presque  tous 
français,  furent  entassés  dans  un  carré  de  500  mètres  de  côté.  Ils  y 
restèrent  soumis  aux  pires  privations,  exposés  au  froid  et  à  la  pluie 
(puisqu'ils  étaient  abrités  sous  des  auvents  et  non  sous  des  tentes  fer- 
mées), très  mal  nourris,  n'ayant  ni  eau  à  boire,  ni  eau  pour  se  laver. 
Ce  régime  barbare  dura  un  mois,  du  14  septembre  au  17  octobre  1914. 
L'intérêt  du  livre  provient  non  seulement  du  texte  précis  et  sobre  de 
l'auteur,  mais  du  grand  nombre  des  croquis,  qui  furent  pris  alors  par 
l'artiste  roubaisien  A.  Potage  et  soustraits  ensuite  à  toutes  les  per- 
quisitions allemandes.  L'imprimeur  lillois  C.  Marquant  était  au 
nombre  de  ces  malheureux.  Il  y  a  lieu  de  signaler  quelques  détails 
sur  le  siège  de  Maubeuge  (p.  97)  et  l'attitude  miséricordieuse  de  cer- 
tains soldats  westphaliens  (p.  151).  P.  Thomas. 

—  De  la  collection  des  «  Villes  meurtries  de  Belgique  et  de  France  », 
publiée  par  la  maison  G.  van  Œst  (Paris  et  Bruxelles,  chaque  volume 
comprenant  64  pages  et  des  planches  hors  texte;  prix  :  2  fr.  50),  nous 
avons  reçu  :  Villes  de  l'Est,  par  Georges  Grappe,  et  Villes  de  Picar- 
die, par  Henri  Malo.  Dans  la  première  plaquette,  il  est  question  de 
Verdun,  dont  on  nous  raconte  l'histoire  et  dont  on  nous  décrit  les 
ruines,  Saint-Mihiel  et  son  Saint-Sépulcre,  Bar-le-Duc,  Lunéville, 
Nancy,  Saint-Dié,  Pont-à-Mousson  et  Nomeny  ;  puis  en  Alsace  Thann. 
Dans  la  seconde,  M.  Malo  a  raconté  et  dépeint  avant  et  pendant  la 
guerre  Amiens,  Saint-Quentin,  Péronne,  Ham,  Montdidier,  Albert, 
Abbeville,  Boulogne-sur-Mer  et  Calais.  La  destruction  méthodique  de 
Saint-Quentin  donne  le  frisson.    • 

—  Dans  la  collection  «  La  France  dévastée  »  (Paris,  Félix  Alcan; 
chaque  volume  :  4  fr.)  ont  paru  deux  nouveaux  volumes  :  Arras  et 
l'Artois  dévastés,  par  André-M.  de  Poncheville,  et  l'Oise  dévastée, 
par  le  baron  A.  de  Maricourt.  Ce  dernier  ouvrage  commence  par 
une  géographie  historique  du  département'de  l'Oise,  où  l'on  apprécie 
l'érudition  d'un  ancien  chartiste.  Dans  les  chapitres  sur  Senlis,  «  le 
Louvain  français  »,  ce  sont  des  souvenirs  personnels,  déjà  connus 


124  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

d'ailleurs,  sur  l'invasion  allemande  de  1914.  Les  souffrances  et  les' 
ruines  subies  par  Chantilly  et  Compiègne,  d'un  côté  du  front,  Lassi- 
gny  et  Noyon,  de  l'autre  côté,  ont  été  exposées  en  un  résumé  qui 
ne  contient  rien  de  bien  nouveau,  mais  qui  doit  graver  dans  la 
mémoire  des  Français  d'ineffaçables  souvenirs.  —  Dans  le  livre 
de  M.  de  Poncheville,  l'histoire  de  l'Artois  et  notamment  d'Arras, 
ville  depuis  longtemps  paisible  et  jouissant  dans  le  calme  de  son 
antique  gloire,  occupe  la  plus  grande  place;  les  trois  derniers  cha- 
pitres seulement  (x-xiii)  sont  consacrés  aux  batailles  autour  d'Arras, 
de  Béthune,  de  Lens.  On  sait  que  de  Lens  il  ne  reste  plus  qu'un  mon- 
ceau de  décombres  et  que  les  Allemands  en  ont  systématiquement 
détruit  les  mines.  En  quoi  ont-ils  jusqu'ici  contribué  à  restaurer  les 
ruines  qu'ils  ont  accumulées  sans  nécessité  militaire?         Ch.  B. 

—  Colonel  F.  Feyler.  La  campagne  de  Macédoine,  1916-1911.  Illus- 
tré de  photographies  par  Frédéric  Boissonnas  (éditions  d'art  Boissonnas. 
Genève,  1920,  in-4°,  115  p.,  24  grandes  reproductions  photographiques 
et  3  cartes).  —  Pour  préparer  le  récit  de  cette  campagne,  l'éminent 
correspondant  militaire  du  Journal  de  Genève  a  commencé  par  visi- 
ter le  pays.  Sur  les  opérations  militaires,  il  s'est  renseigné  auprès  du 
commandant  Stoyanovitch,  de  l'état-major  de  l'armée  serbe  (ch.  m  : 
le  front  de  Macédoine  et  les  armées  en  présence),  du  général  Sarrail 
(ch.  IV  :  la  sortie  du  camp  retranché),  de  M.  Protonotarios,  directeur 
du  Bureau  de  la  presse  à  Salonique  (même  chapitre  :  les  Bulgares  au 
fort  Ruppel),  de  M.  Marcq,  lieutenant  du  haut  commissaire  à  Cons- 
tantinople  (ch.  viii  :  à  la  fin  de  l'offensive  alliée).  —  Pour  la  partie 
diplomatique,  ce  sont  les  documents  insérés  au  Livre  blanc  hellé- 
nique et  ceux  qu'a  publiés  M.  Maccas  qui  lui  ont  fourni  la  base  de  son 
exposé.  Cette  riche  documentation  a  été  utilisée  avec  la  précision,  la 
clairvoyance,  l'impartialité  qui  ont  inspiré  à  l'auteur  tant  d'articles 
intéressants  sur  la  Grande  Guerre.  Dans  le  présent  volume,  M.  Feyler 
s'arrête  après  l'abdication  forcée  et  nécessaire  du  roi  Constantin,  dont 
les  intrigues  et  la  mauvaise  foi  eussent  mérité  un  plus  prompt  châti- 
ment. On  ne  saurait  passer  sous  silence  les  belles  vues  photogra- 
phiques prises  dans  ce  tragique  pays  de  Macédoine,  victime  de  tant 
de  dévastations  depuis  les  plus  anciens  temps  de  l'histoire.  —  Ch.  B. 

—  D''  Johannès  Lepsius.  Rapport  secret  sur  les  massacres  d'Ar- 
ménie (Paris,  Payot,  1919,  in-8°,  xx-332  p.;  prix  :  5  fr.)  —  Le  docteur 
Lepsius,  président  de  la  Deutsche  Orient-Mission,  s'était  rendu  à 
Constantinople  en  1915  pour  y  faire  une  enquête  sur  les  déportations 
et  les  massacres  dont  avaient  été  victimes  les  populations  arméniennes. 
Son  rapport  qui,  en  Allemagne,  était  resté  secret  à  cause  des  accusa- 
tions qu'il  contenait  contre  le  gouvernement  allié  de  la  Turquie,  est 
révélé  au  public  français  par  M.  René  Pinon. 

Nous  y  trouvons  des  détails  précis  et,  en  même  temps,  les  moins  sus- 
pects de  partialité  sur  les  événements  de  1915  :  les  déportations  ont 


HISTOIRE   DE   LA   GDEBRE.  125 

atteint  tous  les  vilayets  de  l'Anatolie  de  l'Est  et  de  l'Ouest,  la  Cilicie 
et  la  Mésopotamie;  1,200,000  habitants  environ  en  ont  été  chassés, 
dont  plus  de  300,000  ont  été  massacrés  et  les  autres  établis  en  Méso- 
potamie sous  prétexte  de  coloniser  le  pays,  mais  destinés  en  réalité  à 
y  périr  de  misère.  L'auteur  établit  que  la  responsabilité  de  ces  faits 
retombe  sur  le  gouvernement  turc  et  sur  le  parti  jeune-turc,  qui  a 
faussement  imputé  aux  Arméniens  des  tentatives  de  rébellion,  mais 
qui  ne  cherchait  en  réalité  qu'à  exterminer  un  peuple  infidèle.  —  R.  D. 

—  Capitaine  Jules-Jeanbernat-Barthélemy  de  Ferrari -Doria. 
Lettres  de  guerre,  Î9îii-Î918  (Paris,  Plon-Nourrit,  1920,  in-8°, 
11-417  p.,  avec  portrait  en  héliogravure;  prix  :  12  fr.).  —  Ces  extraits, 
qui  vont  du  3  août  1914  (Le  Fuy)  au  5  septembre  1918  (l'auteur  tomba 
deux  jours  après  en  conduisant  son  bataillon  à  l'attaque)  sont  évidem- 
ment très  intéressants  pour  la  famille  et  les  amis  du  capitaine  de  Fer- 
rari-Doria.  Il  y  raconte  sa  vie  avec  simplicité  et  bonhomie.  Mais  l'his- 
torien et  même  le  psychologue  n'y  trouveront  guère  à  glaner.  Tout  y 
est  connu,  correct,  convenu;  rien  n'y  sort  de  l'ordinaire;  pas  de  pen- 
sée profonde,  neuve  au  moins  dans  son  expression,  pas  de  jugement 
qui  frappe  et  retienne  l'attention  et  provoque  la  réflexion.  Cela  soit  dit 
sans  intention  blessante,  car  l'auteur  semble  avoir  été  un  excellent 
officier,  consciencieux  et  brave.  Un  frère,  caporal-secrétaire  d'état- 
major,  fut  tué  quinze  jours  avant  lui.  Th.  SCH. 

—  Albert  Henry.  L'œuvre  du  Comité  national  de  secours  et 
d'alimentation  pendant  la  guerre.  Avec  une  préface  de  S.  É.  le  car- 
dinal Mercier,  archevêque  de  Malines  (Bruxelles,  Lebègue,  1920, 
xii-377  p.  et  six  portraits  hors  texte).  —  L'auteur,  qui  a  publié  un 
livre  d'Études  sur  l'occupation  allemande  en  Belgique,  est  le 
secrétaire  général  de  ce  Comité,  dont  il  nous  décrit  ici  dans  tout  le 
détail  l'œuvre  magnifique  accomplie  pendant  la  guerre.  On  se  fera 
une  idée  de  la  richesse  et  de  la  variété  des  renseignements  que 
renferme  ce  beau  volume,  en  songeant  qu'à  elle  seule  la  table  des 
matières  couvre  quatorze  pages.  Des  quatre  parties  qui  en  groupent 
le  contenu,  la  première  donne,  en  onze  chapitres,  un  aperçu  historique 
de  toute  la  vie  du  Comité;  la  deuxième  traite,  en  neuf  chapitres,  l'im- 
portante question  de  l'alimentation;  la  troisième  décrit  les  modes 
variés  du  secours  que  le  Comité  porta  aux  nécessiteux  en  général,  aux 
chômeurs,  aux  invalides  de  guerre  et  aux  familles  des  mobiUsés,  aux 
orphelins,  aux  évacués,  les  secours  médicaux,  etc.;  enfin,  la  quatrième 
expose,  encore  en  neuf  chapitres,  la  politique  du  Comité  à  l'égard  de 
la  main-d'œuvre  belge,  des  déportations,  de  la  presse  censurée,  de 
l'activisme  flamingant  (deux  chapitres  sont  consacrés  à  cet  activisme 
et  en  révèlent  notamment  les  tendances  hollandaises).  Il  serait  très 
intéressant  de  glaner  dans  cette  mine;  mais  il  faut  l'explorer  en 
entier;  tout  y  est  disposé  pour  la  plus  grande  facilité  des  visiteurs, 
que  nous  lui  souhaitons  très  nombreux.  Th.  Sch, 


126  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

—  L'histoire'^du  rôle  des  Américains  pendant  la  Grande  Guerre  a 
été  écrite  par  M.  Shipley  Thomas  {The  history  of  the  A.  E.  F.  New- 
York,  George  H.  Doran  C°,  1920,  in-S»,  540  p.)-  —  M.  Thomas,  qui  a 
pris  part  à  la  campagne  comme  capitaine  du  26^  d'infanterie,  participa 
aux  opérations  de  Sommerville,  Cantigny,  Montdidier,  Saint-Mihiel 
et  à  l'offensive  de  l'Argonne  ;  il  n'a  été  démobilisé  qu'au  mois  d'avril 
1919.  Il  a  été  autorisé  par  le  secrétaire  de  la  guerre,  M.  Barker,  à 
consulter  les  archives  de  1'  «  Army  War  Collège  »  et  à  utiliser  les  tra- 
vaux des  officiers  de  la  division  historique  de  l'État-major.  Il  a  pu 
ainsi  compiler  un  ouvrage  qui  fournit  les  faits  essentiels  et  les  expli- 
cations indispensables.  On  y  trouve  le  détail  des  mouvements  accom- 
plis en  France  par  les  divisions  américaines  ;  un  bref  historique  est 
présenté  pour  chacun.  Des  diagrammes  et  des  photogravures  l'il- 
lustrent ingénieusement.  G.  Bn. 

Antiquité.  —  P.  Cloché.  Le  Conseil  athénien  des  Cinq-Cents  et 
la  peine  de  mort  (extrait  de  la  Revue  des  Études  grecques,  1920,  p.  1 
et  suiv.).  —  M.  Cloché  examine  l'évolution  des'pouvoirs  judiciaires  du 
Conseil  des  Cinq-Cents.  Au  temps  de  Démosthènes  et  d'Aristote,  le 
Conseil  ne  pouvait  plus  prononcer  de  peines  capitales.  Il  avait  exercé 
ce  droit,  un  moment,  après  405,  par  suite  de  l'état  de  choses  révolu- 
tionnaire créé  par  les  Trente.  Il  ne  l'avait  jamais  exercé  antérieure- 
ment, en  ayant  été  explicitement  privé  dès  le  temps  de  Clisthène. 

Il  me  paraît  difficile  de  faire  remonter  l'original  du  décret  IG,  I,  57, 
jusqu'en  502-1  ;  on  pense  plutôt  à  l'époque  d'Ephialtès.  En  tous  cas, 
je  ne  puis  concevoir  le  serment  institué  en  502-1  comme  une  mesure 
restrictive.  —  La  date  fixée  pour  l'incident  de  Lysimachos  me  paraît 
solidement  démontrée.  Eumélidès  est  peut-être  le  père  de  l'enfant  qui 
apparaît,  Dém.  XLIX,  11  (en  362).  E.  C. 

—  P.  Cloché.  La  Grèce  et  VÉgypte  de  405-4  à  342-i  av.  J.-C. 
(extrait  de  la  Revue  égyptologique,  1919).  —  Dans  ce  premier  article 
sur  le  sujet,  l'auteur  reprend  les  questions  relatives  à  la  chronologie 
des  dernières  dynasties  pharaoniques.  Il  place  le  début  d'Amyrtée  en 
405,  celui  de  Néphéritès  en  399  (rejetant  le  témoignage  qui  ferait 
intervenir  Hakoris  [?]  dès  396)  ;  il  place  Hakoris  en  393-380,  réduit  au 
mininum  la  durée  des  règnes  éphémères  de  Psammuthis,  etc.,  fait 
finir  Nectanébo  I^en  361,  Tachos  en  359  (je  persiste  à  penser  qu'Agé- 
silas  n'a  pu  mourir  après  360;  cf.  Plut.,  Agés.,  40);  enfin,  il  adopte 
pour  les  guerres  d'Okhos  contre  Nectanébo  II  les  dates  de  351  et  342. 
Sauf  erreur,  l'auteur  ne  s'est  servi  nulle  part  du  Livre  des  rois 
d'Egypte,  de  M.  Gauthier,  dont  le  tome  IV,  relatif  à  cette  période, 
est  de  1915;  il  eût  été  bon  de  citer  au  moins  cette  importante  publi- 
cation.      ■  '  E.  C. 

Allemagne.  —  Bruno  Krusch.  Die  Hannovrische  Kloster- 
kammer  inihrergeschichtlichenEnt'wickelung,  ihre  Zweche  und 
Ziele,  und  ihre  Leistungen  fiXY  das  Wohl  der  Provinz  (Hanovre, 


HISTOIRE   DE   BELGIQUE.  127 

Schulze,  1919,  in-8°,  114  p.).  —  Une  curieuse  survivance  et  trans- 
formation des  institutions  monastiques  est  la  Klosterkammer  hano- 
vrienne,  dont  M.  Krusch  a  étudié  l'origine  et  l'histoire.  Après  avoir 
montré  que,  dès  avant  la  Réforme,  la  protection  —  et  la  tutelle  —  de 
l'administration  territoriale  remplaçait  pour  les  monastères  la  protec- 
tion royale  ou  pontificale,  M.  Krusch  étudie  les  conséquences  de  la 
Réforme,  lentes  à  se  manifester;  longtemps  après  que  la  duchesse 
ÉHsabeth  se  fut  déclarée  luthérienne,  bien  des  monastères  persistaient 
à  vivre  en  catholiques.  Il  n'y  eut  guère  de  violences,  ni  confiscations, 
ni  sécularisation,  mais  protestantisation  progressive  et  mise  en  tutelle 
de  plus  en  plus  étroite,  aboutissant  peu  à  peu. à  la  création  d'une  admi- 
nistration spéciale  chargée  de  gérer  les  biens  monastiques  et  d'em- 
ployer les  excédents  de  revenus  à  des  œuvres  pies  et  d'utilité  publique, 
et  notamment  d'enseignement;  les  Universités  de  Helmstedt,  puis  de 
Gœttingue,  furent  dotées  en  partie  sur  ces  ressources.  Les  couvents 
eux-mêmes,  de  même  ceux  de  femmes,  durent  encore  sous  forme  de 
chapitres  de  chanoinesses  protestantes  vouées  à  des  œuvres  de  bien- 
faisance. E.  J. 

—  Charles  Andler.  Le  socialisme  impérialiste  dans  l'A  llemagne 
contemporaine.  Dossier  d'une  polémique  avec  Jean  Jaurès,  1912- 
1913  (Paris,  Bossard,  in-16,  262  p.;  prix  :  4  fr.  50).  —  A  la  fin  de  1912, 
un  an  après  l'atîaire  d'Agadir,  au  moment  où  les  esprits  clairvoyants 
apercevaient  les  tendances  de  la  politique  allemande,  M.  Andler  écri- 
vait dans  l'Action  nationale  des  articles  où  il  examinait  la  con- 
duite du  parti  socialiste  allemand.  Il  laissait  entrevoir  l'impuissance 
de  celui-ci  dans  sa  résistance  à  la  politique  du  gouvernement  et  une 
sorte  de  consentement  tacite  au  développement  de  l'impérialisme 
germanique.  Il  démontrait  qu'il  s'était  constitué  à  la  droite  de  ce 
parti  un  groupe  nettement  impérialiste,  qui  semblait  appelé  à  un 
grand  avenir.  Cette  tendance  du  parti  socialiste  apparaissait  claire- 
ment dans  l'affaire  Hildebrand  :  ce  théoricien  de  la  politique  coloniale 
et  belliqueuse  avait  été  exclu  du  parti,  mais  tous  ses  amis  y  étaient 
restés.  Aussi  devait-on  logiquement  conclure  de  ces  faits  que  le  parti 
socialiste  français  se  laissait  égarer  lorsqu'il  voulait  régler  sa  politique 
sur  un  accord  international  avec  le  socialisme  allemand  et  lorsqu'il 
comptait  sur  cet  accord  pour  sauvegarder  la  paix  européenne.  On  con- 
çoit que  les  chefs  du  parti  socialiste  français  aient  mal  pris  cette 
leçon,  même  venant  d'un  homme  aussi  parfaitement  au  courant 
des  choses  d'Allemagne.  Ils  traitèrent  M.  Andler  sans  ménagements, 
comme  le  prouvent  les  articles  reproduits  dans  la  seconde  partie  de 
cet  ouvrage.  Les  événements  ont  justifié  depuis  lors  le  point  de  vue 
de  M.  Andler.  Mais  cette  publication  n'en  était  pas  moins  intéressante, 
parce  qu'elle  fixe  l'attitude  du  parti  socialiste  à  un  moment  particuliè- 
rement critique  de  notre  histoire.  R.  D. 

Belgique.  —  A  l'ouverture  solennelle  des  cours  de  l'Université  de 


128  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

Liège,  le  recteur,  M.  Eugène  Hubert,  a  lu  un  mémoire  sur  les  Gouver- 
neurs généraux  et  ministres  plénipotentiaires  aux  Pays-Bas  pen- 
dant les  dernières  années  du  régime  autrichien;  il  y  utilise  un  grand 
nombre  de  documents  inédits  provenant  des  Archives  impériales  de 
Vienne.  Il  publie  en  appendice  des  «  Notes  présentées  à  Vienne,  au 
commencement^ de  l'année  1786,  sur  les  changements  à  introduire  dans 
la  direction  des  affaires  aux  Pays-Bas,  avec  la  réponse;  notes  présen- 
tées au  prince  Kaunitz  et  à  Sa  Majesté,  20  janvier  1786  »,  et  plusieurs 
lettres  sur  le  même  sujet  (Liège,  impr.  liégeoise,  1920,  in-8°,  180  p.). 

—  Les  Archives  de  l'État  en  Belgique  pendant  la  guerre,  191k- 
1918  (1  vol.  in-8o,  vii-452  p.).  —  Rapport  consciencieux  et  précis  de 
l'archiviste  général  du  royaume  de  Belgique  (M.  Joseph  Cuvelier)  et 
des  archivistes  d'État  sur  leur  activité  pendant  la  guerre.  Alors  que 
dans  tous  les  services  administratifs  les  Allemands  avaient  opéré  la 
dissociation  des  Wallons  et  des  Flamands,  dans  les  Archives  — 
était-ce  un  oubli?  —  ils  maintinrent  l'unité  de  direction,  et  les  archi- 
vistes travaillèrent,  classèrent,  publièrent,  même  pendant  la  guerre; 
ce  n'est  que  pour  des  raisons  budgétaires  que  les  impressions  durent 
être  interrompues  en  1917.  L'occupation  se  fit  sentir  plus  particuliè- 
rement lourde  à  Liège,  à  Namur,  à  Arlon;  dans  ces  trois  dépôts,  les 
soldats  pillèrent  les  bureaux  et  détruisirent  les  documents;  à  Arlon, 
le  gouverneur  civil  installa  son  chauffeur  dans  les  dépôts  ;  à  Namui*, 
l'incendie  du  25  août  1914  détruisit  quantité  de  registres  paroissiaux. 

G.  S. 

Danemark.  —  La  seconde  partie,  tome  I,-des  Annales  danici 
medii  sévi,  publiées  par  Ellen  Joergensen,  contient  les  annales  du 
monastère  d'Essenbœk,  dans  le  district  d'Aarhus  [Annales  Essenbe- 
censes),  qui  vont  de  l'incarnation  à  1323;  celles  de  Ribe  (Annales 
Ripenses),  qui  commencent  à  Rollon  et  s'arrêtent  en  1324,  mais  ne 
sont  guère  originales  avant  1289;  la  chronique  du  Jutland  {Continua- 
tio  compendii  Saxonis,  sive  Chronica  Jutensis).,  originale  de  1227 
environ  à  1340;  une  chronique  de  Seeland  {Ex  chronica  Danorum 
ecclesiastica  et  precipue  Sialandie)  de  1028  à  1363,  de  plus  en  plus 
détaillée  à  partir  de  1308;  de  brèves  annales  de  Scanie  {Annales 
Scanici),  1316-1389;  une  série  de  neuf  courtes  annales  du  xf  au 
xiv«  siècle;  enfin,  les  Collectanea  du  moine  franciscain  Pierre  Olsen, 
qui  vont  de  1104  à  1511.  Le  volume  se  termine  par  deux  tables  des 
noms  de  personnes  et  de  lieux  (Copenhague,  Gad,  1920,  in-4°,  en  tout 
228  p.;  prix  :  10  kr.). 

France.  —  D""  G.-J.  Witkoswski.  Comment  moururent  les  rois 
de  France,  nouvelle  édition  augmentée  et  illustrée  (Paris,  Biblio- 
thèque des  curieux,  4,  rue  de  Furstenberg,  1920,  in-8o,  246  p.;  prix  : 
10  fr.).  —  Geci  est  à  peine  de  l'histoire,  bien  qu'il  y  soit  question  de 
la  mort  de  nos  rois  de  France,  de  quelques  reines  et  même  de 
quelques  autres  membres  des  familles  régnantes  depuis  Charlemagne 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  129 

jusqu'au  Prince  impérial.  L'auteur  de  ce  volume  a  surtout  voulu  se 
divertir  aux  dépens  de  ceux  de  ses  confrères  (les  D"-*  Blanchet,  Caba- 
nes, etc.)  qui  ont  porté  des  diagnostics  rétrospectifs  et  souvent  fan- 
taisistes sur  les  maladies  mortelles  de  tous  nos  souverains.  Non  licet 
inter  vos  tantas  componere  lites!  Tout  de  même,  M.  Witkosw*ki 
fait  un  peu  trop  d'esprit  —  et  pas  toujours  du  meilleur  —  et  la  gail- 
lardise de  ses  propos  passe  parfois  les  bornes.  L.  H. 

—  Jacques  Soyer.  Les  actes  des  souverains  antérieurs  au 
XI V^  siècle  conservés  dans  les  archives  départementales  du  Loi- 
ret... I  ;  Prieuré  de  Saint-Samson  d'Orléans  (Besançon,  impr. 
Jacques  et  Demontrond,  1919,  in-8°,  59  p.;  extrait  du  Bibliographe 
moderne,  1918-1919).  —  M.  Soyer  a  conçu  l'utile  projet  de  publier 
in-extenso  tous  les  actes  des  souverains  antérieurs  au  xiv^  siècle  con- 
servés en  original  ou  en  copie  dans  les  archives  confiées  à  ses  soins. 
Le  premier  fascicule  est  réservé  aux  actes  royaux  et  aux  lettres  pon- 
tificales du  fonds  de  Saint-Samson  d'Orléans,  soit  un  ensemble  de  dix- 
neuf  pièces  émanant  des  rois  de  France  Philippe  !«••,  Louis  VI, 
Louis  VII,  Louis  IX  et  des  papes  Adrien  IV,  Alexandre  III,  Ur- 
bain IV,  Clément  IV,  Grégoire  X  et  Innocent  V.  Toutes  ces  pièces, 
sur  lesquelles  quatorze  étaient  inédites  jusqu'alors,  concernent  soit  le 
prieuré  de  Saint-Samson  lui-même,  soit  l'abbaye  de  Notre-Dame  du 
Mont-Sion,  à  Jérusalem,  dont  le  couvent  Orléanais  fut  une  dépendance 
à  partir  de  1152.  Elles  sont  publiées  avec  soin,  précédées  de  bonnes 
analyses  et  suivies  d'une  table  des  noms  propres  où  l'on  trouvera 
l'identification  des  noms  de  lieu.  L.  H. 

—  Positions  des  thèses  soutenues  par  les  élèves  [de  l'Ecole 
des  chartes]  de  la  promotion  de  1921  pour  obtenir  le  diplôme 
d'archiviste  paléographe  (Paris,  Alph.  Picard,  1921,  in-8°,  116  p.). 
—  L'abondance  des  thèses  présentées  cette  année  témoigne  d'une 
reprise  d'activité  intellectuelle  dont  il  faut  se  réjouir,  après  les 
cruelles  pertes  que  la  guerre  a  fait  subir  à  l'École  ;  et  la  qualité  n'est 
nullement  inférieure  à  la  quantité.  En  voici  l'énumération  :  Pros- 
per  Alquier  :  Les  châteaux  des  vicomtes  de  Béziers,  Albi  et  Carcas- 
sonne  pendant  la  croisade  albigeoise,  21  juillet  1209-juin  1211;  — 
Marie-Louise  Arrivot  :  Dix-sept  églises  de  l'île  de  la  cité  de  Paris  : 
essai  historique  et  archéologique  ;  — -  Maurice  Béguin  :  L'abbaye  cis- 
tercienne de  La  Noë  et  l'organisation  de  son  domaine  entre  Evreux  et 
Couches,  11G6-1250;  —  Fernand  Benoît  :  La  Provence  sous  Raimond- 
Bérenger  V;  étude  sur  le  gouvernement  du  comte,  suivie  d'un  recueil 
de  ses  actes,  1209-1245;  —  Raymond  Daucet  :  Étude  historique  sur 
le  chapitre  de  Saint-Honoré  de  Paris;  —  Renée  Flachaire  de  Rous- 
TAN  :  Étude  sur  la  vie  de  saint  Honorât  de  Raimon  Féraut;  —  Frédé- 
ric JoûON  DES  LonCtRais  :  La  dévolution  possessoire  dans  la  coutume 
de  Bretagne;  acquisition  de  la  possession  par  les  successeurs  du 
défunt  dans  la  coutume  de  Bretagne  ;  —  Jean  de  La  Monneraye  :  Le 

Rev.  IIistor.  CXXXVI.  l-"-  fasc.  9 


130  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

régime  seigneurial  dans  le  Maine  au  xviii«  siècle  ;  —  Paul  Le  sourd  : 
Le  comte  de  Poitiers,  roman  d'aventure  publié  d'après  le  manuscrit 
unique  de  l'Arsenal;  —  Pierre  Lévy  :  Histoire  du  collège  de  la 
Marche  et  de  Winville  en  l'Université  de  Paris;  —  Jean  Marchand  : 
Les  brisures  des  armes  de  France;  —  Louis  Martin  :  L'affaire  des 
évêques  simoniaques  bretons  et  l'érection  de  Dol  en  métropole,  848- 
850  ;  étude  d'un  fragment  de  la  chronique  de  Dol  par  Baudry  de  Bour- 
gueil  et  de  ses  sources  narratives  ;  —  Jean  Porcher  :  Le  «  De  disci- 
plina scholarium  »,  traité  du  xiii«  siècle  faussement  attribué  à  Boëce; 
—  René  Prigent  :  Le  formulaire  de  TrégUier,  publié  avec  une  intro- 
duction et  des  notes  ;  —  Colette  Renié  :  Etude  sur  le  suffixe  acus 
dans  la  formation  des  noms  de  lieu  français  ;  —  Suzanne  Solente  : 
Introduction  historique  à  l'édition  du  «  Livre  des  faits  et  bonnes  meurs 
du  sage  roy  Charles  V  »,  de  Christine  de  Pisan;  —  Henri  Vendel  : 
Étude  sur  l'abbaye  d'Aliiienêches,  de  sa  fondation  à  l'an  1599. 

—  On  connaît  le  diamant  «  le  Sancy  »  que  le  roi  d'Angleterre 
Jacques  I^""  acheta  60,000  francs;  on  connaît  aussi  l'œuvre  d'Agrippa 
d'Aubigné  :  «  La  confession  catholique  du  sieur  de  Sancy.  »  Dans  une 
charmante  brochure  intitulée  Quelques  notes  sur  la  confession 
catholique  du  sieur  de  Sancy  (Genève,  édition  «  Sanos  »,  1920, 
in-8°,  12  p.),  M.  Francis  de  Crue  raconte  la  vie  de  ce  personnage,  qui, 
né  catholique,  se  convertit  au  protestantisme,  puis  abjure  après  la 
Saint-Barthélémy,  redevient  ensuite  protestant  quand  le  Béarnais  est 
candidat  au  trône  de  France  et  change  à  nouveau  en  1597,  pensant 
complaire  à  Henri  IV  converti;  mais  le  roi,  gêné  par  ces  palinodies,  se 
borne  à  dire  :  «  Il  ne  lui  reste  qu'à  prendre  le  turban.  »  M.  de  Crue 
explique  fort  bien  quelques  passages  jusqu'ici  mal  interprétés  du 
célèbre  pamphlet.  C.  Pf. 

—  Archives  historiques  du  Poitou,  t.  XLIII  (Poitiers,  impr. 
Nicolas,  Renault  et  C''=,  1920,  in-8°,  214  p.).  —  Ce  volume  est  occupé 
en  entier  par  des  Notes  et  documents  sur  les  artistes  en  Poitou 
jusqu'au  X7X«  siècle,  publiés  par  Pierre  Rambaud.  On  y  trouvera 
donc  la  liste  alphabétique,  avec  indications  biographiques,  des  maîtres 
en  l'art  de  peinture,  des  peintres  verriers  et  céramistes,  des  gra- 
veurs, brodeurs,  imagiers  et  sculpteurs,  des  architectes  et  ingénieurs 
du  roi,  enfin  des  musiciens,  compositeurs  et  professeurs  de  musique, 
maîtres  de  psallette  et  fabricants  d'instruments  de  musique.  Beaucoup 
de  ces  documents  sont  tirés  de  pièces  d'archives. 

—  Charles  Porée.  Études  historiques  sur  le  Gévaudan  (Paris, 
Picard,  1919,  in-8°,  531  ^p.;  prix  :  12  fr.).  —  M.  Ch.  Porée  a  réuni 
sous  le  titre  d'Études  historiques  sur  le  Gévaudan  un  certain 
nombre  d'articles  parus  dans  le  Moyen  âge,  en  1901,  sur  les  Anciennes 
mesures  de  grain  du  Gévaudan;  dans  le  Bulletin  archéologique 
du  Comité  des  travaux  historiques,  en  1903,  sur  la  Construction 
de  la  cathédrale  de  Mende,  en  1904,  sur  Une  église  romane  du 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  131 

XI V^  siècle  en  Gévaudan  (l'église  de  Ribennes,  aujourd'hui  détruite) 
et  le  Marché  de  construction  du  Pont-Neuf,  près  Mende  (l(i21); 
enfin  en  1907,  les  Statuts  de  la  communauté  des  seigneurs 
pariers  de  la  Garde-Guérin  (1238-1313),  dans  la  Bibliothèque  de 
l'École  des  chartes.  L'intérêt  de  ces  mémoires  a  été  apprécié 
dès  leur  apparition,  et  il  est  inutile  d'y  revenir,  si  ce  n'est  pour 
annoncer  leur  réédition.  Mais  l'auteur  y  a  joint  des  travaux  inédits  qui 
occupent  plus  de  la  moitié  du  volume  (p.  195  à  510)  et  constituent  une 
contribution  des  plus  importantes  à  l'histoire  médiévale  du  Gévaudan. 

La  première  de  ces  nouvelles  études  est  intitulée  :  la  Domination 
aragonaise  en  Gévaudan  (1172-1258).  A  l'aide  des  enqjj.êtes  qu'il 
publie,  M.  Porée  essaie  de  démêler  les  événements  enchevêtrés  au 
cours  desquels  la  vicomte  de  Gévaudan  passa  par  héritage  dans  la  mai- 
son de  Barcelone  (1112),  puis  fut  engagée  au  comte  de  Toulouse  (1204) 
et  finalement,  après  diverses  péripéties,  dues  à  la  croisade  contre  les 
Albigeois,  réunie  à  la  couronne  par  le  traité  de  Corbeil  (1258). 

La  seconde  étude  porte  sur  Une  pseudo-conspiration  contre 
Odilon  de  Mercœur  (1268).  Il  s'agit  d'un  complot  contre  l'évêque  de 
Mende,  suscité  par  ses  propres  agents  pour  se  rendre  compte  des  véri- 
tables sentiments  du  pays.  Curieux  exemple  d'expérience  politique  au 
moyen  âge. 

La  troisième  roule  sur  le  Procès  du  paréage  de  1307  et  le  fonds 
de  ce  procès  aux  archives  de  la  Lozère.  Ce  paréage,  conclu  entre 
Philippe  le  Bel  et  Guillaume  Durand  le  Jeune,  est  la  véritable  charte 
constitutive  de  l'administration  du  Gévaudan  au  moyen  âge.  M.  Porée 
analyse  et  rapproche  les  nombreuses  pièces  du  procès  aujourd'hui  dis- 
persées dans  les  archives  de  la  Lozère. 

La  quatrième  étude  consiste  dans  la  publication,  avec  commentaire, 
du  texte  de  l'A /franchissement  des  habitants  de  la  terre  de  Peire 
(1261). 

Enfin,  la  cinquième,  de  beaucoup  la  plus  considérable  par  son  éten- 
due et  par  son  sujet,  est  consacrée  aux  Évêques-comtes  de  Gévau- 
dan, étude  sur  le  pouvoir  temporel  des  évêques  de  Mende  aux 
X//«  et  XIII^  siècles.  L'auteur  montre  comment  les  origines  des  droits 
régaliens  des  évêques  de  Mende  remontent  au  milieu  du  xii"  siècle 
environ,  époque  à  laquelle  ils  commencent  à  s'affranchir  de  la  suze- 
raineté des  vicomtes,  qui,  moins  d'un  siècle  après,  se  trouvent  avoir 
passé  sous  la  leur.  Le  fameux  Aldebert  III,  l'auteur  des  Miracles  de 
saint  Privât,  obtint,  en  effet,  une  charte  du  roi  Louis  VII  lui  recon- 
naissant la  jouissance  définitive  de  ces  droits.  Un  peu  plus  tard,  le 
désaccord  surgit  entre  les  agents  royaux,  successeurs  des  vicomtes,  et 
les  évêques.  D'où  le  long  procès  au  Parlement  de  Paris,  dont  la  con- 
clusion fut  le  «  paréage  »  de  1307,  qui  détermina  les  pouvoirs  respec- 
tifs du  roi  et  de  l'évêque  et  créa  la  «  terre  commune  »,  ou  juridiction 
indivise  sur  ce  qui  ne  relevait  ni  de  l'un  ni  de  l'autre. 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  davantage,  pour  faire  comprendre  toute  la 


132  NOTES  BIBLIOGRAPHIQDES. 

portée  de  cette  analyse  très  fouillée  et  faite  avec  sagacité  et  finesse, 
d'une  des  plus  curieuses  pages  de  l'histoire  de  la  constitution  du  tem- 
porel d'un  évêché  qui  fut  célèbre  au  moyen  âge.  C'est  un  excellent 
modèle  du  genre,  qui  mériterait  d'être  imité  pour  d'autres  sièges  épis- 
copaux  de  l'ancienne  France.  Ph.  L. 

—  Justin.  Monsieur  Lebureau  et  Monsieur  Leparlement  (Paris, 
Bossard,  1919,  in-16,  92  p.;  prix  :  1  fr.  80).  —  Nous  trouvons  là 
quelques  observations  sur  l'administration  française  que  l'auteur  s'ef- 
force de  justifier  en  montrant  que  ses  défauts  sont,  pour  la  plupart, 
imputables  à  l'intervention  parlementaire.  Rien  dans  tout  cela  qui  soit 
nouveau  et^V^ui  nous  change  des  critiques  que  nous  présente  la  presse 
quotidienne.  ~  -  R.  D. 

Grande-Bretagne.  —  J.  T.  Fowler.  Adamnani  Vita  sancti 
Columbae,  edited  from  D»"  Reeves's  text.  A  new  édition,  revised 
(Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1920,  in-8°,  280  p.;  prix  :  10  sh.  6  d.). 
—  Cette  nouvelle  édition  ne  diffère  de  la  première  qu'en  des  points  de 
détail.  La  bibliographie  a  été  mise  au  courant;  je  n'y  vois  pas  figurer 
l'édition  de  la  vie  de  Columba  par  Manus  O'Donnell  (1552),  publiée  à 
Chicago  par  A.  O'Kelleher  et  G.  Schœpferle  (1918).  Dans  l'introduc- 
tion, plusieurs  passages  ont  été  remaniés  ou  ajoutés,  sans  que  le  fond 
ait  été  sensiblement  modifié  ;  on  y  relit  avec  profit  les  chapitres  con- 
sacrés à  saint  Patrick,  au  monachisme  irlandais,  à  la  vie  de  saint 
Columba".  La  modification  la  plus  considérable  consiste  en  ceci  que 
les  notes  placées  dans  la  première  édition  au  bas  des  pages,  juste 
au-dessous  des  passages  commentés,  sont  maintenant  renvoyées  à  la 
fin  du  volume,  à  l'exception  des  variantes  fournies,  qui  conservent 
'leur  place  nécessaire.  Ce  changement  est-il  bien  heureux?  Signalons 
enfin  cinq  pages  d'Addenda,  ajoutées  entre  le  glossaire  et  l'index.     , 

Ch.  B. 

—  The  Assemby  books  of  Southampton,  edited,  with  introduc- 
tion, notes  and  index,  by  J.  W.  Horrocks.  Vol.  II,  1609-1610  (Sou- 
thampton, Cox  et  Sharland,  1920,  in-8°,  XLiii-119.;  prix  :  28  sh.).  — 
Nous  avons  déjà  mentionné  (t.  CXXXV,  p.  74)  le  tome  I  de  cette 
publication;  dans  l'introduction  au  tome  II,  M.  Horrocks  étudie  les 
rapports  de  l'Assemblée  communale  avec  les  tribunaux  locaux  :  la 
cour  des  «  pieds  poudreux  »,  qui  siégeait  au  besoin  tous  les  jours; 
celle  des  «  gênerai  sessions  »,  autrement  dite  «  Quarter  »,  réunie  deux 
ou  trois  fois  par  an  pour  vider  les  prisons  après  enquête  sur  les  cri- 
minels détenus;  la  «  Court  leet  »,  tribunal  de  simple  police  réuni  une 
fois  l'an.  Il  parle  ensuite  des  mesures  prises  à  l'égard  des  pauvres  et 
des  étrangers,  parmi  lesquels  se  rencontraient,  comme  on  sait,  des 
Français  réfugiés  pour  cause  de  religion  ;  des  règlements  concernant 
l'apprentissage,  le  commerce  et  les  prix,  les  différends  avec  les  com- 
pagnies de  commerce  étrangères,  comme  la  «  Dutch  Company  »,  ou 
faisant  le  commerce  avec  l'étranger,  comme  la  «  Levant  Company  » 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  133 

de  Londres,  la  «  Spanish  »  et  la  «  French  Company  ».  A  noter  ici 
quelques  menus  détails  sur  le  «  May  Flower  »  et  les  rapports  de 
Southampton  avec  le  Nouveau  Monde.  Le  texte  des  procès-verbaux 
de  l'Assemblée  pour  les  deux  années  1609  et  1610  a  été  reproduit  avec 
une  exactitude  minutieuse  et  complété  par  d'abondantes^ notes.  Enfin 
deux  tables,  l'une  pour  les  noms  propres,  l'autre  pour' les  noms  de 
choses.  Ch.  B. 

—  Society  for  promoting  Christian  knowledge.  Dans  la  série  des 
«  Texts  for  students  »  ont  paru  des  extraits  relatifs  aux  sports  et 
amusements  au  moyen  âge,  par  E.  L.  Guilford  {Select  extracts 
illustrating  sports  and  pastimes  in  the  middle  âges,  64  p.;  prix  : 
1  sh.  9  d.).  On  ne  reprochera  pas  à  l'auteur  d'avoir  emprunté  quelques 
passages  à  des  auteurs  du  xvi«  et  du  xvif  siècle,  car  les  jeux  popu- 
laires du  moyen  âge  se  sont  assurément  continués  dans  les  temps 
modernes. 

—  The  catholic  directory  1921  (Londres,  Burns  Oates  et  Wash- 
bourne,  in-S",  xxiv-784  p.;  prix  :  3  sh.  6  d.).  —  Cet  annuaire  du  clergé 
catholique  romain  dans  les  Iles  britanniques  apprendra  beaucoup  de 
choses  auT-  Français,  même  catholiques.  La  plupart  ne  soupçonnept 
pas  sans  doute  que  la  hiérarchie  de  l'Église  romaine  a  été  entièrement 
reconstituée  en  Angleterre  et  en  Galles  depuis  1850,  puis  en  Ecosse 
depuis  1878;  c'est-à-dire  qu'à  côté  de  l'église  établie  {Church  of 
England)  il  existe  en  Angleterre  quatre  archevêchés  ou  provinces 
ecclésiastiques  :  Westminster,  avec  cinq  suffragants;  Birmingham, 
avec  trois  suffragants  :  Cardiff ,  avec  un  suffragant,  et  Liverpool,  avec 
quatre  suffragants;  en  Ecosse,  deux  provinces  ecclésiastiques  :  S*- An- 
drews et  Edimbourg,  avec  quatre  suffragants,  et  Glasgow,  que  dirige 
un  «  administrateur  apostolique  ».  Quant  à  l'Irlande,  elle  a  naturelle- 
ment conservé  son  organisation  séculaire  avec  ses  quatre  archevêchés 
et  ses  vingt-trois  évêchés  traditionnels.  Cette  hiérarchie  enfin  a 
débordé  hors  des  Iles  britanniques,  puisqu'il  y  a  des  évoques  catho- 
liques en  Europe  (Malte-Gozzo  et  Gfbraltar),  sans  compter  ceux  dont 
le  réseau  couvre  l'Asie,  l'Afrique,  l'Amérique  et  l'Australie.  Comme 
l'Église  anglicane  a,  elle  aussi,  ses  évêchés  répandus  dans  tout  l'im- 
mense empire  colonial,  on  peut  mesurer  l'ampleur  de  la  propagande 
parallèle  et  plus  ou  moins  hostile  patiemment  entretenue  par  les  deux 
confessions  rivales.  Pour  les  diocèses  de  la  Grande-Bretagne,  le 
Directory  donne  une  foule  de  détails  sur  le  personnel  laïque  et 
ecclésiastique,  les  institutions  et  fondations  religieuses,  le  clergé 
régulier,  dont  les  maisons  sont  distribuées  par  comtés.  Si  l'on  veut, 
par  exemple,  savoir  la  composition  actuelle  des  ordres  religieux 
chassés  de  France  qui  ont  trouvé  asile  de  l'autre  côté  du  détroit,  il 
faut  se  reporter  au  comté  où  ces  ordres  sont  allés  se  reconstituer; 
ainsi  l'on  retrouvera  les  Bénédictins  de  Solesmes  dans  Ilamsphire 
(diocèse  de  Portsmouth)  à  Farnborough  (p.  320),  etc.  Ch.  B. 


134  NOTES  BIBLIOGRAPHIÇDES. 

Pays-Bas.  —  Dans  l'assemblée  générale  de  la  Société  d'histoire 
(Historisch  Genootschap),  qui  s'est  tenue  à  Utrecht  le  25  mai  1920, 
M.  le  professeur  Blok  a  prononcé  un  discours  sur  l'histoire  de  cette 
Société,  qui  existe  depuis  soixante-quinze  ans,  et  M.  le  professeur 
COLENBRANDER  a  exposé  les  relations  de  la  science  historique  et  la 
littérature,  en  prenant  pour  point  de  départ  un  texte  du  vicomte 
Haldane  dans  son  Before  the  War  (London,  1920).  Ces  deux  discours 
ont  été  publiés  ensuite  séparément.  N.  J. 

—  Signalons  une  revue  nouvelle  :  Tijdschrift  voor  Geschiedenis, 
qui  paraît  chez  Noordhofî,  à  Groningue,  sous  la  direction  de  MM.  de 

BOER,  BOLKESTEIN,  VaN  DiLLEN,  EuUO  VAN  GELDER,  SeVERYN  et 

Tenhaeff.  Elle  fait  suite  au  Tijdschrift  voor  Geschiedenis,  land-en 
Volkenkunde,  dont  trente-neuf  tomes  ont  paru,  et  qui  s'adressait  plu- 
tôt au  grand  public.  Trois  livraisons  ont  déjà  été  distribuées.  Au  lieu 
de  tracer  le  programme  du  nouveau  recueil,  M.  Van  Gelder  a 
donné  un  aperçu  du  développement  qu'ont  pris  les  sciences  histo- 
riques ;  il  montre  ainsi  le  besoin  où  l'on  était  en  Hollande  de  posséder 
une  revue  où  toutes  ces  sciences  seraient  représentées.  Nous  y  signale- 
rons les  articles  suivants  :  M.  Japikse  a  exposé  la  politique  étrangère  de 
Bismarck  après  1871,  à  l'aide  de  documents  que  M.  Pribram  a  récem- 
ment publiés  d'après  les  archives  autrichiennes  ;  M.  Van  Dillen  a  parlé 
de  Lénine  et  du  bolchévisme  ;  M.  Tenhaeff,  de  la  puissance  impériale 
au  moyen  âge;  M.  Bolkestein,  de  la  reUgion  et  de  l'art.  Chaque 
livraison  contient  des  comptes-rendus  de  publications  historiques. 

'  N.  J. 

Europe  orientale.  —  M.  Martna.  UEsthonie,  les  Esthoniens  et 
la  question  esthonienne  (Paris,  Armand  Colin,  s.  d.).  —  D""  Jean 
LoRis-MÉLicoF.  La  Révolution  russe  et  les  nouvelles  républiques 
transcaucasiennes  (Paris, FéhxAlcan,  1920;  prix: 7  fr.,plus  40%). — 
Ces  deux  livres  rendront,  l'un  et  l'autre,  à  peu  près  les  mêmes  services. 
On  s'attachera  plus  aux  faits  qu'ils  racontent  qu'aux  solutions,  toutes 
provisoires  et  qui  prêtent  à  discussion,  qu'ils  proposent.  M.  Martna, 
membre  de  la  délégation  esthonienne,  décrit  le  pays  et  ses  habitants, 
expose  le  développement  historique  du  peuple  esthonien,  les  conditions 
actuelles  de  la  propriété  foncière,  et  fait  ressortir  les  conséquences 
déplorables  de  l'influence  prépondérante  qu'exerçait  la  haute  noblesse 
balte  avant  la  guerre  de  1914.  L'exposé  est  nourri  de  faits  et  on  le 
consultera  avec  profit.  La  partie  la  plus  vivante  de  l'ouvrage  est  con- 
sacrée à  la  description  de  l'Esthonie  pendant  l'occupation  allemande 
et  à  la  lutte  qu'elle  soutint  contre  les  bolcheviks  ;  l'auteur  conduit  son 
récit  jusqu'à  l'élection  de  l'Assemblée  constituante  esthonienne 
(5-7  avril  1919).  Un  dernier  chapitre  traite  de  «  l'indépendance  »  de 
l'Esthonie.  L'auteur  semble  oublier  que  la  Russie,  une  fois  débarras- 
sée du  régime  bolchevik,  ne  pourra  se  résigner  à  se  voir  barrer  le 
chemin  qui  mène  à  la  Baltique,  et  qu'il  faudra  s'entendre  avec  elle 


HISTOIRE   DE  TCHÉCO-SLOVAQDIE.  135 

d'une  façon  ou  d'une  autre.  D'autre  part,  l'Esthonie,  isolée  en  fait  par 
une  langue  peu  connue  et  peu  pratiquée,  n'a-t-elle  pas  intérêt  à  gar- 
der des  liens  avec  la  Russie?  L'avenir  décidera. 

On  ne  s'arrêtera  dans  le  livre  du  D""  Loris- Mélicof  qu'aux  parties 
vraiment  neuves.  Le  chapitre  vi  expose  les  répercussions  de  la  révolu- 
tion russe  en  Transcaucasie  :  rempli  de  faits,  il  échappe,  par  sa  nature 
même,  à  l'analyse.  Les  historiens  ne  pourront  se  dispenser  de  le  con- 
sulter. Dans  les  chapitres  vu  et  viii,  on  voit  aux  prises  les  nouvelles 
républiques  de  Transcaucasie  et  le  triple  conflit  qui  dresse  contre  les 
Russes  les  Géorgiens,  les  Arméniens  contre  les  Géorgiens,  les  Armé- 
niens contre  les  Tatars.  L'auteur  souhaite  dans  ses  «  conclusions  » 
(p.  180)  que  les  républiques  de  la  Transcaucasie  s'unissent  pour  former 
une  confédération  approximativement  analogue  à  la  Confédération 
suisse.  Il  a  écarté  par  avance  (p.  133)  la  possibilité  de  tous  liens  poli- 
tiques avec  la  Russie  future.  Comment  celle-ci  accueillerait-elle  cette 
solution?  Personne  ne  le  sait.  L'ouvrage  est  terminé  par  sept  appen- 
dices, dont  les  plus  intéressants  sont  deux  rapports  adressés  au 
directeur  des  affaires  politiques  au  ministère  des  Affaires  étrangères; 
de  ces  rapports,  le  premier  seul  porte  une  date  précise,  celle  du  2  no- 
vembre 1919.  E.  D. 

—  Marc  Slonim.  Le  bolchévisme  vu  par  un  Russe  (Paris,  édi- 
tions Bossard,  1921  ;  prix  :  7  fr.  50).  —  Ce  petit  volume  de  205  pages 
est  le  meilleur  réquisitoire  qu'on  ait  écrit  jusqu'ici  contre  le  bolché- 
visme. Il  est  divisé  en  deux  parties.  La  première,  consacrée  aux  ori- 
gines, s'arrête  à  la  paix  de  Brest-Litowsk.  La  seconde  partie  étudie 
successivement  l'organisation  du  pouvoir,  la  politique  intérieure  du 
bolchévisme ,  la  Terreur,  la  constitution  de  l'armée  rouge.  Qu'il 
s'agisse  de  la  vie  que  l'on  mène  en  Russie  bolchéviste  ou  du  bilan 
économique  du  bolchévisme,  l'auteur  laisse  parler  les  faits  et  les 
chiffres.  Les  écoles,  la  science  et  les  arts  dépérissent.  Le  bolché- 
visme a  contre  lui  tous  les  partis  du  socialisme  russe.  Si  parfois  le 
bolchévisme  a  semblé  faire  quelques  concessions,  il  n'a  pas  renoncé 
à  «  son  esprit  sectaire  et  despotique  ». 

Les  épreuves  ont  été  soigneusement  revues;  nous  relevons  seule- 
ment (p.  65)  «  l'arbitre  illimité  »,  lire  «  l'arbitraire  ».  Il  faut  lire 
(p.  205)  ôrjiioî  et  non  SéfAoç.  E.  D. 

Tchéco-Slovaquie.  —  Vilém  Mathesius.  English  literature 
and  the  Czeko-Slovaks  (published  by  the  Czech  Society  of  Great 
Britain,  in-8°,  15  p.).  —  Deux  auteurs  anglais  ont  exercé  sur  les  Bohé- 
miens la  plus  profonde  et  durable  influence  :  Wycliffe  et  Shakespeare. 
Celle  de  Wycliffe  est  connue  de  tous;  au  sujet  de  Shakespeare,  la 
brochure  que  nous  annonçons  contient  des  faits  significatifs.  Le  jubilé 
du  grand  dramaturge,  eu  1864,  a  été  célébré  à  Prague  avec  un  grand 
enthousiasme;  celui  de  1916  fêté  avec  un  éclat  qui,  peut-être,  n'a  pas 
été  égalé  dans  le  reste  de  l'Europe;  malgré  les  angoisses  de  l'heure 


1 36  NOTES   BIBLIOGRAl'HIQDES. 

présente,  Shakespeare  a  été  le  grand  initiateur  du  théâtre  et  du  drame 
tchèques. 

Turquie.  —  G.  E.  Hubbard.  The  Day  of  the  crescent  :  glimpses 
of  old  Turkey  (Cambridge,  University  Press,  1920,  in-8°,  x-242  p., 
16  pi.).  —  Le  hasard  de  quelques  recherches  à  la  bibliothèque  du 
Foreign  Office  a  fait  tomber  M.  Hubbard  sur  un  lot  de  livres  du  XVF 
et  du  xvii«  siècle  relatifs  à  la  Turquie.  Peu  familier  sans  doute  avec 
ce  genre  de  littérature,  il  a  considéré  comme  des  nouveautés  bien  des 
choses  qui  sont  presque  banales.  C'est  ainsi  qu'il  consacre  trois  cha- 
pitres à  un  sujet  aussi  connu  que  l'ambassade  de  Busbecq  et  un  cha- 
pitre à  l'expédition  de  La  Feuillade  à  Candie.  Tout  cela  sans  aucune 
bibliographie.  Les  diverses  relations  utilisées  par  l'auteur  n'ajoutent 
rien  à  notre  connaissance  des  mœurs  turques,  d'ailleurs  décrites  avec 
agrément.  Les  planches  sont  prises  surtout  à  Nicolay.  —  P.  4,  le 
«  grand  Soudan  de  Babylone  »  doit  être  non  le  shah,  mais  le  souverain 
de  l'Egypte.  —  P.  12,  le  mot  de  «  capitulations  »  n'est  pas  du  tout, 
en  l'espèce,  un  «  terme  arrogant  ».  Il  vient  de  capitula.  —  H.  Hr. 

Histoire  de  la  musique.  —  Paul  RouGNON.  La  musique  et  son 
histoire  (Paris,  Garnier  frères,  s.  d.  [1920],  in-8°,  297  p.).  —  Livre  élé- 
mentaire, qui  est  plutôt  l'œuvre  d'un  musicien  que  d'un  historien, 
mais  d'un  musicien  que  préoccupe  l'histoire  de  son  art  et  qui  s'ap- 
plique en  conscience  à  en  résumer  les  principales  étapes.  Au  lieu  de 
retracer  l'évolution  de  la  musique  dans  son  ensemble,  M.  Rougnon  — 
et  c'est  une  des  originalités,  d'ailleurs  contestable,  de  son  livre  —  a  pra- 
tiqué dans  l'énorme  matière  qui  faisait  l'objet  de  son  exposé  des  divi- 
sions logiques  :  il  étudie  successivement  l'histoire  de  la  mélodie,  puis 
celle  des  «  sciences  harmoniques  »,  celle  de  la  notation  musicale,  des 
instruments  de  musique,  de  l'instrumentation  et  de  l'orchestration,  du 
drame  lyrique  et  de  l'opéra,  de  l'opéra-comique  et  de  l'opérette,  de  la 
«  musique  de  concerts  »,  de  la  musique  religieuse,  de  la  musique  de 
danse  et  des  ballets,  enfin  de  l'enseignement  musical.  M.  Rougnon 
fait  preuve  d'un  bout  à  l'autre  de  son  ouvrage  d'un  aimable  et  admira- 
tif  éclectisme.  Malheureusement,  les  vues  générales  sont  rares  et 
sujettes  à  caution;  le  style  est  parfois  plus  enthousiaste  que  sûr; 
M.  Rougnon  n'est  pas  toujours  un  guide  aussi  bien  informé  qu'on  le 
souhaiterait;  et  nous  craignons,  en  outre,  que  les  bibliographies  peu 
méthodiques  et  bien  incomplètes  qui  terminent  chaque  chapitre  ne 
puissent  être  d'un  grand  secours.  L.  H. 

—  Ch.  Van  den  Borren.  Orlayide  de  Lassus  (Paris,  Félix  Alcan, 
1920,  in-16,  254  p.,  de  la  collection  «  Les  maîtres  de  l,a  musique  »; 
prix  :  4  fr.  90).  —  La  célébrité  de  Roland  de  Lassus  (1530  ou  1532 
f  1594)  —  auquel  M.  Van  den  Borren  tient  à  conserver  le  nom  d'  «  Or- 
lande  »,  calqué  mal  à  propos  sur  la  forme  italienne  «  Orlando  »  —  est 
loin  d'égaler  celle  de  son  contemporain  et  émule  Palestrina;  mais 
l'ampleur  de  son  œuvre  est  telle  et  il  est  si  malaisé  de  s'orienter  dans 


OUVRAGES   REÇUS   PAR    LA    «    REVUE   HISTORIQUE    ».  137 

Je  dédale  de  ses  motets,  de  ses  messes,  de  ses  magnificats,  comme 
aussi  de  ses  madrigaux,  de  ses  chansons  ou  de  ses  lieder  (pourquoi 
M.  Van  den  Borren  dit- il  lieds  au  pluriel?),  qu'on  saura  le  plus 
grand  gré  à,  l'auteur  de  ce  volume  d'y  avoir  consacré  une  étude  ana- 
lytique claire,  sobre  et  d'un  très  juste  sentiment  artistique.  M.  Van 
den  Borren  a  fait  précéder  cette  étude  d'un  chapitre  très  soigné  sur  la 
vie  du  grand  musicien  belge,  son  compatriote,  dont  la  carrière,  fort 
curieuse,  s'est  déroulée  successivement  à  Mons,  en  Italie,  mais  sur- 
tout en  Bavière,  à  la  cour  des  ducs,  où  il  passa  presque  toute  sa  vie 
d'artiste.  Comme  tous  ceux  de  l'excellente  collection  à  laquelle  il 
appartient,  le  livre  de  M.  Van  den  Borreh  se  termine  par  une  biblio- 
graphie sommaire,  mais  fort  bien  dressée  (p.  245-252),  de  l'œuvre  du 
musicien  et  des  travaux  dont  il  a  été  l'objet.  L.  H. 

Ouvrages  reçus  par  la  «  Revue  historique  ». 

D"-  V.  Bagiel.  La  Pologne  et  les  Polonais.  Paris,  édit.  Bossard,  1921. 
In-8°,  390  p.  et  une  carte.  Prix  :  9  fr.  —  Charles  J.  Billson.  Mediœ- 
val  Leicester.  Leicester,  Edw.  Backus,  1920.  In-8°,  232  p.  Prix  :  21  sh. 

—  James  C.  BonbriGht.  Railroad  capitalization  ;  a  sturty  of  the  prin- 
ciples  of  régulation  of  railroad  securities.  New-York,  Columbia  Uni- 
versity.  Londres,  King  et  fils,  1920.  In-8°,  206  p.  Prix  :  2  dol.  — 
Cecily  Booth.  Cosimo  1,  duke  of  Florence.  Cambridge,  ad  the  Univ. 
Press,  1921.  In-8°,  xv-325  p.,  illustr.  Prix  :  25  sh.  —  Henriette  Céla- 
RIÉ.  Le  martyre  de  Lille.  Paris,  Blond  et  Gay,  1920.  In-16,  257  p. 
Prix  :  6  fr.  —  Prince  Sixte  de  Bourbon.  L'offre  de  paix  séparée  de 
l'Autriche,  5  décembre  1916-12  octobre  1917.  Paris,  Plon-Nourrit, 
1920.  In-8°,  434  p.  Prix  :  9  fr.  —  Richard  de  Boysson.  L'invasion 
calviniste  en  Bas-Limousin,  Périgord  et  Haut-Quercy.  Paris,  A.  Picard, 
1920.  In-8°,  xii-458  p.  Prix  :  20  fr.  —  Sir  Geofîrey  Butler.  Studiesin 
statecraft;  being  chapters  biographical  and  bibliographical,  mainly  on 
the  sixteenth  century.  Cambridge,  Univ.  Press.  In-8°,  vr-138  p.  Prix  : 
10  sh.  —  Edmond  Cazal.  Sainte  Thérèse.  Paris,  OUendortî,  1921. 
In78°,  313  p.  Prix  :  7  fr.  —Augustin  Cochin.  Les  Sociétés  de  pensée 
et  la  démocratie;  études  d'histoire  révolutionnaire.  Paris,  Plon-Nour- 
rit, 1921.  In-8'',  300  p.  Prix  :  7  fr.  50.  —  Id.  et  Charles  Ch-vrpentier. 
Les  actes  du  gouvernement  révolutionnaire,  23  août  1793-27  juillet 
1794.  Paris,  A.  Picard  i Société  d'histoire  contemporaine),  tome  I,  1920. 
In-S»,  LXXiv-586  p.  —  Abbé  J.  Dedieu.  Le  rôle  politique  des  protes- 
tants français,  1685-1715.  Paris,  Bloud  et  Gay,  1921.  In-8°,  xii-362  p. 

—  Jane  Dieulafoy.  Isabelle  la  Grande,  reine  de  Castille,  1451-1504. 
Paris,  Hachette,  1920.  In-8'>,  ix-486  p.  et  38  pi.  hors  texte.  —  Edouard 
Dhiault.  La  grande  idée.  La  renaissance  de  l'hellénisme.  Paris,  Félix 
Alcan,  1921.  In-12,  vi-242p.  Prix  :  6  fr.,  plus  major.  40  "/o  (Bibliothèque 
d'histoire  contemporaine).  —  Abel  Ducornez.  Les  derniers  jours  de 
Long\v7.   Paris,  Bloud  et  Gay,  1920.  Jn-lO,  320  p.  Prix  :  5  fr.  — 


138  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

Roger  DE  FÉLiCE.  Le  meuble  français  sous  Louis  XVI  et  sous  l'Em- 
pire. Paris,  Hachette.  Ia-16  illustré,  H3  p.  Prix  :  15  fr.  —  James 
Fitzmaurice-Kelly.  Fray  Luis  de  Léon.  Oxford,  University  Press, 
1921.  In-8°,  xiv-259  p.  Prix  :  7  sh.  (Hispanic  notes  and  monographs). 

—  John  Stephen  Flynn.  The  influence  of  puritanism  on  the  political 
and  religions  thought  of  the  English.  Londres,  Murray,  1920.  In-8°, 
xii-257  p.  Prix  :  15  sh.  —  Abbé  M.  Giraud.  Essai  sur  l'histoire  reli- 
gieuse de  la  Sarthe  de  1789  à  l'an  IV.  Paris,  Jouve,  1920.  In-8o,  691  p. 

—  Id.  Levées  d'hommes  et  acheteurs  de  biens  nationaux  dans  la 
Sarthe  en  1793.  Le  Mans,  A.  de  Saint-Denis,  1920.  In-8°,  159  p.  — 
C.  S.  S.  HiGHAM.  The  development  of  the  Leeward  islands  under  the 
Restoration,  1660-1688.  Cambridge,  Univ.  Press.  In-8°,  xiv-266  p. 
Prix  :  20  sh.  —  James  Hocan.  Ireland  in  the  european  System.  Vol.  I, 
1500-1557.  Londres,  Longmans,  1920.  In-8°,  xxx-237  p.  Prix  :  15  sh. 
6  d.  —  Otto  Karmin.  Sir  Francis  d'Ivernois,  1757-1842;  sa  vie,  son 
œuvre  et  son  temps.  Genève,  Bader  et  Mongenet,  1920.  In-8*»,  xiii-730  p. 
Prix  :  15  fr.  —  Julius  Klein.  The  mesta;  a  study  in  spanish  écono- 
mie history,  1273-1836.  Cambridge,  Mass.  Harvard  University  Press, 

1920.  In-8°,  xviii-444  p.  Prix  :  4  dol.  (Harvard  économie  studies).  — 
L.-H.  Labande.  Avignon  au  xv«  siècle;  légation  de  Charles  de  Bour- 
bon et  du  cardinal  Julien  de  La  Rovère.  Paris,  A.  Picard,  1920.  In-8o, 
xxx-723  p.  Prix  :  50  fr.  —  Henri  Lambert.  Pax  economica.  La  liberté 
des  échanges  internationaux.  Paris,  Félix  Alcan,  1920.  In-8*,  324  p. 
Prix  :  7  fr.  50  —  Id.  Le  nouveau  contrat  social,  ou  l'organisation  de 
la  démocratie  individualiste.  Ibid.  In-8"',  351  p.  Prix  :  7  fr.  50.  — 
Stanislas  Lami.  Dictionnaire  des  sculpteurs  de  l'école  française  au 
xixe  siècle.  Paris,  Champion.  Tome  III,  1919,  gr.  in-8°,  495  p.;  tome  IV, 

1921,  378  p.  Prix  :  30  fr,  —  Georges  Lardé.  Le  tribunal  du  clerc  dans 
l'Empire  romain  et  la  Gaule  franque.  Moulins,  impr.  régionale,  1920. 
In-.8°,  230  p.  —  Id.  Une  enquête  sur  le  vingtième  au  temps  de  Necker; 
histoire  des  remontrances  du  Parlement  de  Paris,  1777-1778.  Paris, 
Letouzey  et  Ané,  1920.  In-8°,  136  p.  —  Robert  de  La  Sizeranne.  Béa- 
trice d'Esté  et  sa  cour.  Paris,  Hachette,  1920.  In-8o,  is-212  p.  et  7  pi. 
Prix  :  12  fr.  50.  —  Ernest  La  visse.  Histoire  de  France  contemporaine, 
tome  III  :  le  Consulat  et  l'Empire,  par  G.  Pariset.  Paris,  Hachette, 
1921,  444  p.  —  G.  Lenôtre.  Le  roi  Louis  XVII  et  l'énigme  du  Temple. 
Paris,  Perrin,  1921.  In-8°,  451  p.  et  8  gravures.  Prix  :  12  fr.  — 
E.  Lenient.  La  faute  capitale  du  haut  commandement.  Paris,  éditions 
de  l'armée  nouvelle,  1920.  In-8°,  viii-207  p.  Prix  :  5  fr.  —  Comte 
Louis  de  Lichtervelde.  La  monarchie  en  Belgique  sous  Léopold  I»"" 
et  Léopold  II.  Bruxelles,  G.  van  Œst,  1921.  In-8»,  viii-117  p.  —  J.  de 
LouTER.  Le  droit  international  public  positif.  Tome  I.  Londres,  Hum- 
phrey  Milford,  1920.  In-8°,  xi-576  p.  Prix  :  22  sh.  (Dotation  Carne- 
gie pour  la  paix  internationale).  —  Paul  Masson.  Marseille  depuis 
1789;  études  historiques.  Tome  I,  1789-1814.  Paris,  Hachette,  1921. 
In-S",  563  p.  — Albert  Mathiez.  Un  procès  de  corruption  sous  la  Ter- 


OUVRAGES  REÇUS  PAR   LA    «    REVUE    BISTORIQUE    ».  139 

reur  ;  l'affaire  de  la  Compagnie  des  Indes.  Paris,  Félix  Alcan.  Gr.  in-8°, 
399  p.  Prix  :  12  fr.  —  Johannes  Mattern.  The  employment  of  the 
plébiscite  in  the  détermination  of  sovereignty.  Baltimore,  Johns  Hop- 
kins  Press,  1920.  In-8°,  ix-214  p.  Prix  ;  1  dol.  50  c.  (Johns  Hopkins 
University  studies  inhistorical  and  political  science).  —  Henry  MoREL- 
JOURNEL.  La  politique  de  Bonaparte  en  pays  occupé,  d'après  des  docu- 
ments recueillis  à  Vicence  sur  l'occupation  française  de  1797.  Paris, 
Berger-Levrault,  1921.  In-16,  vii-66  p.  Prix  :  6  fr.  —  Georges  Motte. 
Les  vingt  raille  de  Radinghem.  Paris,  Bloud  et  Gay,  1920.  In-16, 
322  p.  —  Maurice  Pernot.  L'épreuve  de  la  Pologne.  Paris,  Plon-Nour- 
rit,  1921.  In-16,  311  p.  Prix  :  7  fr.  50.  —  Louis  Schaudel.  Les  comtes 
de  Salm  et  l'abbaye  de  Senones  aux  xii*  et  xiii°  siècles.  Paris,  Ber- 
ger-Levrault, 1920.  In-8o,  xxin-211  p.  Prix  :  12  fr.  —  James  Brown 
Scott.  The  déclaration  of  London,  february  26,  1909.  New-York, 
Oxford  University  Press,  1919.  In-S",  xiii-268  p.  (Carnegie  endow- 
ment  for  international  peace).  —  Id.  L'institut  de  droit  international. 
Tableau  général  des  travaux,  1853-1913.  Ibid.,1920.  XLix-366p.  —  Id. 
The  proceedings  of  the  Hague  peace  conférence.  The  conférence  of 
1899.  Ibid.,  1920.  xxii-883  p.  —  Id.  The  conférence  of  1907.  Vol.  I. 
Ibid.,  1920.  In-4»,  xxv-703  p.  —  Id.  The  project  of  a  permanent  court 
of  international  justice,  and  Resolutions  of  the  advisory  Committee  of 
jurists.  Ibid.,  4920.  In-8°,  235  p.  —  Id.  The  project  relative  to  a  court  of 
arbitral  justice,  1907.  Ibid.,  1920.  106  p.  —  Id.  Treaties  for  the  advan- 
cement  of  peace  between  United  States  and  other  Powers,  negociated 
by  the  hon.  William  J.  Bryan,  secretary  of  State  of  the  United  States. 
Ibid.,  1920.  LXix-152  p.  —  F.  M.  Stenton.  Documents  illustrative  of 
the  social  and  économie  history  of  the  Danelaw,  from  various  collée-^ 
lions.  Londres,  Humphrey  Milford,  1920.  In-8°,  CLXiv-554  p.  Prix  :'' 
31  sh.  6d.  (tome  V  des  «  Records  of  the  social  and  économie  history  of 
England  and  Wales  »,  publ.  par  la  British  Academy).  —  Paul  Thu- 
reau-Dangin.  Pages  religieuses.  Paris,  Bloud  et  Gay,  1920.  In-16, 
268  p.  Prix  :  6  fr.  —  Ludwig  Traube.  Vorlesungen  and  Abhandlun- 
gen.  Tome  III  :  Kleine  Schriften,  publ.  par  Samuel  Brandt.  Munich, 
Beck,  1920.  In-8»,  xvi-344  p.  Prix  :  35  m.  —  Sir  Adolphus  W.  Ward. 
Collected  papers.  Vol.  I  et  II  :  Historical.  Cambridge,  University 
Press,  1921.  In-8°,  xi-407  et  397  p.  —  Lilian  Winstanley.  Ham- 
let  and  the  scottish  succession  ;  being  an  examination  of  the  relations 
of  the  play  of  Hamlet  to  the  succession  and  the  Essex  conspiracy. 
Ibid.,  1921.  In-8°,  188  p.  Prix  :  10  sh. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 


1.  —  Annales  révolutionnaires.  1920,  Novembre-décembre.  — 
Maurice  Dommanget.  Les  pratiques  cultuelles,  les  miracles  et  le  fana- 
tisme révolutionnaires.  —  Albert  Mathiez.  Un  complice  de  La 
Fayette,  Frédéric  Dietrich;  suite  et  fin  («  Dietrich  fut  surtout  un 
ambitieux  qui  subordonna  ses  convictions  aux  intérêts  du  moment... 
Il  crut  que  La  Fayette  triompherait  et  il  se  lia  à  son  char...;  s'il  avait 
réussi,  c'était  la  guerre  civile  »).  —  Id.  Une  amie  de  Chabot,  la  com- 
tesse de  Linières.  —  Id.  Charlotte  Robespierre  et  le  Neuf  Thermidor 
(ajoute  une  mention  d'elle  en  date  du  13  thermidor;  la  sœur  de 
Robespierre,  qui  avait  rompu  avec  lui,  avait  trouvé  asile  chez  des 
amis).  —  Antoine  Richard.  La  carte  de  pain  à  Pau  en  l'an  IL  — 
M.  Dommanget.  La  Société  populaire  de  Gerberoy  (localité  qui  comp- 
tait alors  120  habitants.  Cette  Société  fut  fondée  pour  «  épurer  les 
citoyens  »,  bannir  «  les  traîtres  et  les  fédéralistes  »).  =  C. -rendu  : 
Albert  Mathiez.  Danton  et  la  paix  (compte-rendu  du  livre  par  l'au- 
teur lui-même.  Il  prend  acte  de  ce  fait  que,  depuis  la  publication  de 
son  ouvrage,  aucun  des  nombreux  défenseurs  de  Danton  n'a  réfuté 
ses  conclusion^;  il  les  résume  donc  en  les  accentuant).  =  1921,  jan- 
vier-février. Albert  Mathiez.  Recherches  sur  la  famille  et  la  vie  pri- 
vée du  conventionnel  Basire.  —  G.  BréGail.  Chantreau,  journaliste 
et  professeur  sous  le  Directoire  (professeur  d'histoire  près  de  l'Ecole 
centrale  du  département  du  Gers  ;  discrédité  malgré  son  talent  profes- 
sionnel, il  fut,  en  1803,  chargé  de  la  chaire  d'histoire  à  l'École  mili- 
taire de  Fontainebleau).  —  H.  Harmand.  PouUain-Grandprey  et  ses 
correspondants;  lettres  inédites.  I  (1772-an  II).  — Gabriel  Vauthier. 
La  succession  de  Chamfort  (arrêté  le  4  septembre  1793,  Chamfort  veut 
se  tuer  pour  éviter  d'être  mis  en  prison.  Il  se  blesse  seulement,  mais 
meurt  le  13  avril  1794  des  suites  de  sa  blessure.  On  publie  l'inventaire 
de  ses  biens  après  décès;  ils  furent  estimés  à  795  1.  15  s.).  —  René 
Farge.  Documents  sur  Lazowski  (Polonais  qui  commanda  sous  la 
Révolution  la  compagnie  des  canonniers  du  faubourg  Saint-Marcel  ; 
publie  son  acte  de  mariage,  5  août  1792,  le  programme  de  la  cérémo- 
nie funèbre  et  l'invitation  pour  assister  à  ses  funérailles,  24  avril  1793). 
—  Ant.  Richard.  Un  projet  de  canal  du  sud-ouest  en  1793.  =  C. -ren- 
dus :  Lieutenant-colonel  Tournies.  La  garde  nationale  dans  le  dépar- 
tement de  la  Meurthe  pendant  la  Révolution,  1789-1802  (excellent).  — 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  141 

Abbé  M.  Giraud.  Essai  sur  l'histoire  religieuse  de  la  Sarthe  de  1789 
à  l'an  IV  (essai  fort  remarquable  par  la  documentation  abondante  et 
précise,  et  parla  mise  en  œuvre,  qui  est  irréprochable).  —A.  Trévis. 
Livre  de  comptes  de  l'abbé  Glaize,  curé  constitutionnel  de  Glux  (très 
intéressant).  —  G.  Lenôtre.  Le  roi  Louis  XVII  et  l'énigme  du  Temple 
(amusant,  mais  fait  sans  critique). 

2.  —  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme 
français.  1920,  octobre-décembre.  —  A.  Leroux.  L'église  réformée 
de  Bordeaux  de  1660  à  1670  (d'après  le  cinquième  registre  de  cette 
église;  pasteurs;  composition  du  consistoire;  services  religieux;  les 
fidèles;  actes  de  violence  contre  les  protestants).  —  E.  Le  Parquier. 
Les  sources  de  1'  «  Histoire  du  parlement  de  Normandie  »  de  Floquet 
de  1560  à  1562  (n'a  pas  vu  tous  les  registres  du  parlement  et  n'a  pas 
bien  consulté  ceux  qu'il  a  vus;  redresse  les  erreurs  pour  1560;  à 
suivre).  —  Ch.  Pradel.  Testament  du  pasteur  Antoine  de  Fanjeaux 
(f  16  décembre  1607;  le  testament  est  daté  du  11  février  1596).  — 
N.  Weiss.  Olivier  Cromwell  (est-il  vrai  que  Cromwell  a  créé  la  ques- 
tion de  rUlster?  Réponse  à  un  article  de  journal).  p=  G. -rendus  : 
A.  Leroux.  Les  religionnaires  de  Bordeaux  de  1685  à  1802  (remar- 
quable). —  Raoul  Allier.  Anthologie  protestante  française,  xviii«  et 
xixe  siècles  (intérêt  du  recueil.  On  û'y  trouve  pas  le  nom  de  Vinet). 
=  Lettre  de  M.  Jacques  Pannier  à  propos  de  l'Astrée  de  Ronsard 
(c'est  Françoise  d'Estrée,  mère  de  Gabrielle;  or,  la  famille  d'Estrée 
adhéra  à  la  Réforme  jusqu'en  1572,  et  il  est  possible  que  la  belle 
Gabrielle,  née  en  1570,  ait  été  baptisée). 

3.  —  Le  Moyen  âge.  2»  série,  t.  XXI,  septembre-décembre  1919. 
—  A.  Fliche.  Hildebrand;  fin  (la  fortune  d'Hildebrand  ne  date  que 
de  l'élection  d'Anselme  de  Lucques  comme  pape,  sous  le  nom 
d'Alexandre  II,  en  1061  ;  ce  n'est  même  alors  qu'un  modéré  comme 
saint  Pierre  Damien,  et  non  pas  un  intransigeant  comme  le  cardinal 
Humbert;  seule,  «  l'implacable  logique  des  événements  »  l'orientera 
peu  à  peu,  après  son  propre  avènement  au  pontificat,  vers  les  doctrines 
radicales  professées  par  ce  dernier  dès  le  temps  d'Etienne  IX).  — 
Valls-Taberner.  Un  diplôme  de  Charles  le  Chauve  pour  Suniaire, 
comte  d'Ampurias-Roussillon  (acte  inédit  de  l'année  862,  d'après  une 
copie  du  XVIII*  siècle  conservée  à  1'  «  Institut  d'Estudis  catalans  »).  — 
Paul  Deschamps.  La  sculpture  romane  en  Lombardie  d'après  l'ou- 
vrage récent  de  M.  A.  Kingsley-Porter,  Lombard  architecture  (une 
grande  école  de  sculpture  exista  en  Lombardie  durant  la  première 
moitié  du  xii»  siècle,  sans  contact  avec  l'école  de  sculpture  de  l'Ile-de- 
France).  =  T.  XXII,  janvier-avril  1920.  Armoriai  de  France  composé 
à  la  fin  du  xiii^  siècle  ou  au  commencement  du  xiv«,  publié  par  Max 
Prinet  (avec  une  copieuse  annotation).  —  Ch.  Samaran.  Un  diplo- 
mate français  du  xv«  siècle  :  Jean  de  Bilhères-Lagraulas,  cardinal  de 
Saint-Denis  (né  vers  1430,  au  manoir  de  Lagraulas  en  Fezensac, 


142  RECUEILS  PÉRIODIQOES. 

évêque  de  Lombez  en  1473,  est  nommé  la  même  année  administrateur 
de  l'abbaye  de  Saint-Denis  par  Louis  XI,  en  récompense  de  ses  ser- 
vices; élu  abbé  en  1474,  est  chargé  par  le  roi  de  France  de  plusieurs 
missions  diplomatiques  en  Espagne.  Suite  au  fasc.  de  mai-aoùt  :  Après 
la  mort  de  Louis  XI,  il  préside  les  États-Généraux  de  Tours,  en  1483; 
est  nommé  président  de  l'Échiquier  de  Normandie  en  1484;  négocie  le 
traité  signé  à  Francfort  entre  Charles  VIII  et  Maximilien;  envoyé  en 
ambassade  à  Rome,  est  fait  cardinal  en  1493,  meurt  à  Rome  en  1499). 
—  PiÉTRESSON  DE  Saint-Aubin.  Document  inédit  relatif  aux  Juifs 
de  Troyes  (acte  de  PhiHppe  le  Bel,  1294,  faisant  allusion  à  la  persécu- 
tion de  1288).  =:  Mai-aoùt.  A.  Dieudonné.  Les  poids  du  moyen  âge 
et  la  numismatique,  d'après  une  étude  publiée  en  1906  (celle  de  Guil- 
hiermoz,  Note  sur  les  poids  du  moyen  âge.  En  appendice,  huit 
tableaux  des  principaux  poids  du  moyen  âge).  —  G.  Enlart.  L'archi- 
tecture lombarde  d'après  M.  Kingsley-Porter  (le  livre  de  l'archéologue 
américain  nous  apporte  une  «  histoire  très  complète  et  souvent  très 
nouvelle  de  l'architecture  lombarde  »  avec  des  théories  générales  sou- 
vent très  contestables). 

4.  —  Polybiblion.  1920,  novembre-décembre.  —  André  Pératé. 
Beaux-arts  (compte-rendu  de  cinquante  ouvrages,  parmi  lesquels  ceux 
de  Robert  André-Michel,  Enlart,  Henri  Focillon,  Louis  Hour- 
ticq,  Jacques-Emile  Blanche,  etc.).  —  Publications  relatives  à  la 
guerre  européenne;  parmi  elles  :  Lucien  Cornet.  1914-1915,  t.  III 
(exposé  documentaire  des  faits  et  des  textes)  ;  Albert  Bonnard. 
Pages  d'histoire  contemporaine,  1895-1916  (a  bien  servi  en  Suisse  la 
cause  française)  ;  Maurice  Sarraut  et  J.  Revol.  Un  épisode  du  drame 
serbe  (récit  de  quinze  jours  passés  à  l'armée  serbe,  du  7  au  20  octobre 
1915);  Henry-Amour  de  Villeborine.  La  retraite  du  Vardar  (livre 
de  douleur  et  d'honneur)  ;  Paul  Gentizon.  L'Allemagne  en  république 
(à  Munich  et  Weimar  en  1920  ;  témoignage  d'observation  directe).  — 
Gustave  Glotz.  Le  travail  dans  la  Grèce  ancienne  (serré  de  texte, 
nourri  de  faits).  —  B.  Kirsch  et  H. -S.  Roman.  Les  ordres  frères 
(dominicains  et  franciscains;  les  auteurs  suivent  les  traces  des  deux 
fondateurs).  —  Henri  Malo.  Dunkerque  (dans  le  passé  et  dans  la  der- 
nière guerre).  —  Visenot.  Dernières  publications  illustrées. 

5.  —  La  Révolution  française.  1920,  octobre-décembre.  — 
A.  AuLARD.  Sieyès  et  Talleyrand,  d'après  Benjamin  Constant  et  Bar- 
ras (pubhe  une  copie,  prise  sur  les  papiers  de  Barras  par  M.  Doney, 
de  deux  portraits  de  Sieyès  et  de  Talleyrand.  M.  Doney  affirme  que  ces 
portraits  sont  dus  à  une  collaboration  de  Barras  et  Benjamin  Cons- 
tant; M.  Aulard  cite  à  ce  propos  d'autres  pages  de  B.  Constant  sur 
Sieyès  et  Talleyrand.  La  question  des  papiers  de  Barras,  dont  la  Revue 
historique  s'est  occupée  jadis,  t.  CXXVIII,  p.  67,  mériterait  d'être 
tirée  au  clair).  —  P.  Robiquet.  La  disgrâce  de  Fouché,  en  septembre 
1815  (publie  le  texte  du  rapport  de  Fouché  «  sur  la  situation  de  la 


RECUEILS  PERIODÎQDES. 


143 


France  et  sur  les  relations  avec  les  armées  étrangères  »,  qui,  avec 
l'élection  de  la  chambre  introuvable,  amena  la  chute  de  l'ancien 
régicide).  —  F.  Braesch.  Un  livre  de  M.  d'Estrée  sur  Hébert  (paru  en 
1908;  livre  intéressant,  vivant,  plein  de  faits,  appuyé  sur  une  enquête 
documentaire  un  peu  hâtive,  mais  étendue  et  intelligente).  =  C. -ren- 
dus :  Marcel  Marion.  Histoire  financière  de  la  France  depuis  1715; 
t.  II,  1789-1792  (très  important,  mais  on  reproche  à  l'auteur  une  com- 
plaisance trop  visible  à  dénoncer  les  fautes  de  la  Révolution).  — 
Hubert  et  Georges  Bourgin.  L'industrie  sidérurgique  en  France  au 
début  de  la  Révolution  (enquête  poussée  à  fond).  —  H.  Hauser.  Tra- 
vailleurs et  marchands  dans  l'ancienne  France  (excellent).  —  Saint- 
Marly.  Histoire  populaire  du  Quercy,  des  origines  à  1800  (beaucoup 
de  travail  ;  les  références  manquent).  —  Raoul  Busquet.  Histoire  des 
institutions  de  la  Provence  de  1482  à  1790  (bon).  —  Jean  de  Pierre- 
feu.  G.  Q.  G.  (livre  à  lire  et  à  relire). 

6.  —  Revue  de  l'histoire  des  religions.  1920,  mai-juin.  — 
Ch.  Clermont-Ganneau.  La  lampe  et  l'olivier  dans  le  Coran  (.l'ori- 
gine des  lampes  dont  on  se  sert  dans  le  culte  musulman  doit  être 
cherchée  dans  l'art  religieux  byzantin  ;  il  est  souvent  question  dans  le 
Coran  de  l'olivier  qui  fournissait  à  l'homme  l'éclairage).  —  Ch.  Picard. 
L'ancien  droit  criminel  hellénique  et  la  vendetta  albanaise  (très 
curieux  détails  sur  la  situation  actuelle  de  l'Albanie,  sur  les  clans 
qui  y  sont  encore  soumis  à  la  «  loi  du  sang  »  et  rapprochement 
avec  les  temps  primitifs  de  l'Hellade).  —  A.  CauSSE.  Le  jardin  d'Élo- 
him  et  la  source  de  vie  (évolution  dans  la  littérature  biblique  du 
mythe  du  jardin  paradisiaque).  —  G.  Contenau.  De  la  valeur  du 
nom  chez  les  Babyloniens  et  de  quelques-unes  de  ses  conséquences 
(chez  les  Babyloniens,  une  chose  n'existe  que  si  elle  a  un  nom).  — 
A.  Cabaton.  La  divine  comédie  et  l'Islam  (expose  la  thèse  de 
M,  Miguel  Asin  Palacios  sur  les  emprunts  faits  par  Dante  à  la  littéra- 
ture arabe).  =  C.-rendus  :  Si-  Gsell.  Histoire  ancienne  de  l'Afrique 
du  Nord,  t.  IV.  La  civilisation  carthaginoise  (excellent,  d'une  ampleur 
remarquable).  —  F.  Macler.  Le  texte  arménien  de  l'Évangile 
d'après  Mathieu  et  Marc  (travail  énorme,  conduit  avec  une  admi- 
rable patience).  —  J.  Laurent.  L'Arménie  entre  Byzance  et  l'Islam 
depuis  la  conquête  arabe  jusqu'en  886  (excellent  tableau  d'ensemble). 
—  Id.  Byzance  et  les  Turcs  seldjoucides  en  Asie  occidentale  jusqu'en 
1081  (bon).  — H.  Massé.  Essai  sur  le  poète  Saadi  (bonne  étude  sur  ce 
poète  paysan  du  xii"  siècle).  =  Juillet-octobre.  M.  Goguel.  Le  texte 
et  les  éditions  du  Nouveau  Testament  grec  à  propos  d'un  article  récent 
(celui  de  M.  M.  Wilmotte  dans  le  Correspondant;  indique  les  édi- 
tions du  Nouveau  Testament,  depuis  la  première,  de  1514,  parue  au 
t.  V  de  la  Bible  polyglotte  du  cardinal-archevêque  de  Tolède,  Fran- 
cisco Ximenès  de  Cisneros,  jusqu'aux  éditions  modernes  de  Bernhard 
Weiss,  von  Soden,  Baljon,  etc.;  examine  jusqu'à  quel  point  il  est  per- 
mis d'utiliser,  dans  une  édition  de  ce  texte,  la  méthode  conjectu- 


144  «  -*    RECUEILS  pe'riodiques. 

raie).  —  L.  Massignon,  La  légende  «  de  tribus  impostoribus  »  et  ses 
origines  islamiques  (la  phrase  attribuée  à  Frédéric  II  par  le  pape  Gré- 
goire IX  se  trouve  en  réalité,  dès  l'an  909,  dans  un  texte  initiatique 
dû  à  la  secte  musulmane  des  Qarmates).  —  W.  Déonna.  Questions 
d'archéologie  religieuse  et  symbolique.  XVI.  Le  drapeau  de  la 
«  Régence  du  Carnaro  »  (ce  drapeau  vermeil,  arboré  par  d'Annunzio 
le  12  septembre  1920,  a  pour  emblème  un  serpent  qui  se  mord  la 
queue,  les  sept  étoiles  de  la  grande  Ourse  et  la  devise  :  «  Quis  con- 
tra nos?  »  Il  faut  en  chercher  l'origine  dans  l'astrologie  et  l'astrono- 
mie antiques).  —  Fr.  Cumont.  La  célébration  du  «  Natalis  invicti  »  en 
Orient  (d'après  un  traité  syriaque  de  Thomas  d'Edesse,  qui  vécut  au 
VF  siècle).  =  C. -rendus  :  Alfred  Loisy.  Essai  sur  le  sacrifice  (remar- 
quable). —  Sir  James  George  Frazer.  Les  origines  magiques  de  la 
royauté  (œuvre  d'un  grand  collectionneur  de  faits  qui  sait  formuler 
des  observations  générales).  —  S.  Langdon.  Le  poème  sumérien  du 
Paradis,  du  Déluge  et  de  la  Chute  de  l'homme  (traduction  française 
de  la  traduction  anglaise,  qui  a  été  mise  au  point).  —  G.  Autran. 
Phéniciens  (thèse  bien  contestable).  —  Alfred  Loisy.  Les  mystères 
païens  et  le  mystère  chrétien  (mise  au  point  très  précise  du  problème).'' 

—  HsLsleagh  Rashdall.  The  idea  of  atonement  in  Christian  theology 
(huit  lectures  sur  l'expiation  faites  à  Oxford  en  1915;  l'auteur  est  très 
attaché  à  la  doctrine  traditionnelle). 

7.  —  Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France.  1920,  avril-juin. 

—  Emile  Lesne.  Les  ordonnances  monastiques  de  Louis  le  Pieux  et 
la  «  Notitia  de  servitio  monasteriorum  »  ;  1. 1  (commente  les  passages 
de  la  vie  de  saint  Benoît  d'Aniane  par  Ardon,  où  sont  énumérées 
les  mesures  ordonnées  par  l'empereur  pour  la  réforme  des  monas- 
tères sous  l'influence  du  saint).  =  C. -rendus  :  Abbé  Welter.  Le 
«  Spéculum  laicorum  »  ;  édition  d'une  collection  d'  «  Exempla  »  com- 
posée en  Angleterre  à  la  fin  du  xiiP  siècle  (ce  «  Spéculum  »  est 
l'œuvre  d'un  franciscain  anglais  qui  écrivait  entre  1279  et  1282).  — 
L.  Guiraud.  La  Réforme  à  Montpellier,  t.  VI  et  VII  (importante  con- 
tribution à  l'histoire  du  protestantisme  et  au  mouvement  de  la  contre- 

' réforme).  —  L.  Delavaud.  Quelques  collaborateurs  de  Richelieu 
(important).  —  Aug.  Gazier.  Bossuet  et  Louis  XIV,  1662-1704 
(prouve  que  Bossuet  ne  fut  pas  un  prélat  de  cour,  une  âme  adula- 
trice ;  tout  au  plus  peut-on  lui  reprocher  d'avoir  fait  auprès  du  roi  des 
démarches  tendant  à  faire  nommer  son  neveu  évêque  de  Meaux).  — 
H.  Pocquet  du  Haut-Jussé.  La  vie  temporelle  des  communautés  de 
femmes  à  Rennes  aux  xvii«  et  xviii«  siècles  (bon).  —  A.  Lombard. 
L'abbé  Du  Bos,  un  initiateur  de  la  pensée  moderne,  1670-1742  (bon). 

—  P.  de  La  Gorce.  Histoire  religieuse  de  k  Révolution  française, 
t.  III  (très  suggestif).  —  A.  Rebillon.  La  situation  économique  du 
clergé  à  la  veille  de  la  Révolution  dans  les  districts  de  Rennes, 
de  Fougères  et  de  Vitré  (bon).  —  Mgr  A.  Baudrillart.  Vie  de 
Mgr  d'Hulst,  t.  II  (excellent  chapitre  d'une  histoire  complète  de  la 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  145 

pensée  et  de  l'action  en  France  pendant  la  seconde  moitié  du  xix«  s.). 

—  P.  Viard.  Histoire  de  la  dîme  ecclésiastique  en  France  au 
xvp  siècle  (étude  très  consciencieuse).  —  Etienne  Giran.  Sébastien 
Castellion  et  la  Réforme  calviniste  (bon).  —  Audard,  Foulon  et  Le 
Rohellec.  Actt'5  des  martyrs  et  des  confesseurs  de  la  foi  pendant  la 
Révolution.  T.  I  :  Jean  Rétrif,  Jean-Jacques  d'Advisard,  dom  Henri 
de  Noyelle;  les  prêtres  exilés  dans  les  États  pontificaux  (excellent).  = 
Juillet-septembre.  —  Emile  Lesne.  Les  ordonnances  monastiques  de 
Louis  le  Pieux  et  la  «  Notifia  de  servitio  monasteriorum  »  ;  II.  =  C. -ren- 
dus :  abbé  Ch.  Gxiéry.  Histoire  de  l'abbaye  de  Lyre  (consciencieux,  mais 
confus  et  fait  sans  méthode).  —  A.  Fliche.  Études  sur  la  polémique 
religieuse  à  l'époque  de  Grégoire  VIL  Les  Prégrégoriens  (remar- 
quable; mais  l'auteur  a  donné  une  place  excessive  à  l'influence  exer- 
cée par  Pierre  Damien  sur  la  formation  des  idées  de  Hildebrand).  — 
Noël  Valois.  Vassy;  N.  Weiss.  La  vérité  sur  le  massacre  de  Vassy 
(dissertation  critique  sur  un  texte  mal  connu,  mais  qui  est  de  pre- 
mière importance  pour  l'histoire  de  ce  célèbre  épisode  :  la  lettre  latine 
adressée  par  le  luthérien  Jean  Brentz  à  Jérôme  Baumgartner  vers  la^ 
fin  d'avril  1562,  moins  de  deux  mois  après  l'événement.  Les  doutes 
soulevés  par  N.  Weiss  sur  la  réalité  de  certains  faits  relatés  par  ce 
témoin  ne  tiennent  pas  devant  les  observations  de  N.  Valois).  —  Aug, 
Léman.  Urbain  VIII  et  la  rivalité  de  la  France  et  de  la  maison  d'Au- 
triche de  1631  à  1635.  —  Id.  Recueil  des  instructions  générales  aux 
nonces  ordinaires  de  France  de  1624  à  1634  (important  compte-rendu 
par  G.  Fagniez).  =  Chronique  d'histoire  régionale.  =  Notes  biblio- 
graphiques :  L'art  et  les  saints  (parle  de  saint  Nicolas,  par  Aug.  Mar- 
guillier;  de  sainte  Catherine,  par  H.  Brémond;  de  sainte  Geneviève, 
par  A.-D.  Serlillanges;  de  saint  Martin,  par  H.  Martin).  —  Eug. 
Roupain.  Carnet  de  Jeanne  d'Arc,  1412-1431;  notes  à  l'usage  des  con- 
férenciers (contient  beaucoup  de  faits  utiles).  —  Marquis  de  Roux. 
Pascal  en  Poitou  et  les  Poitevins  dans  les  Provinciales  (intéressant). 

—  H.  Lechevallier.  La  propriété  foncière  du  clergé  et  la  vente  des 
biens  ecclésiastiques  dans  le  district  de  Saint-Lô  (thèse  remarquable). 

—  Abbé  Pfévost.  Répertoire  biographique  du  clergé  du  diocèse  de 
Troyes  à  l'époque  de  la  Révolution  (bon).  —  Jean  Guiraud.  Clergé 
et  congrégations  au  service  de  la  France  (pendant  la  dernière  guerre). 

—  Abbé  A.  Duplaix.  Table  alphabétique  de  l'Histoire  du  Berry  de 
Thaumas  de  La  Thaumassière,  avec  références  aux  deux  éditions.  — 
Paul  Richard.  Lyon  sacré;  histoire  hagiographique  de  l'ancien  dio- 
cèse de  Lyon  au  point  de  vue  chronologique  (utile).  =:  Octobre- 
décembre.  Emile  Lesne.  Les  ordonnances  monastiques  de  Louis  le 
Pieux  et  la  «  Notifia  de  servitio  monasteriorum  »  ;  III  (étude  critique 
sur  les  sources  de  cette  «  Notitia  »,  qui  nous  conserve  un  fragment 
d'une  «  schedula  »  promulguée  par  Louis  le  Pieux  au  plaid  de  819;  en 
appendice,  réédition  du  texte  de  la  «  Notitia  »  énumérant  les  monas- 
tères qui,  dans  l'empire,  «  dona  et  militiam  facere  possunt,  quae  scia 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  l"  fasc.  10 


146  RECOEILS   PÉRIODIQOES. 

dona  sine  militia,  quae  vero  nec  dona  nec  militiam,  sed  solas  oratio- 
nes  pro  salute  imperatoris  vel  filiorum  ejus  et  stabilitate  imperii  »).  = 
C. -rendus  :  H.  Lévy-Bruhl.  Les  élections  abbatiales  en  France; 
époque  franque  (excellent).  —  Dom  Germain  Morin.  Anecdota 
Maredsolana.  2«  série  :  Études,  textes,  découvertes,  coiltributions  à  la 
littérature  et  à  l'histoire  des  douze  premiers  siècles  (recueil  fort  ins- 
tructif). —  P.  Bouvier.  Etude  sur  l'Hôtel-Dieu  d'Orléans  au  moyen 
âge  et  au  xvf  siècle  (excellent).  —  L.  Hogu.  Jean  de  L'Espine,  mora- 
liste et  théologien,  1505-1597;  sa  vie,  son  œuvre,  ses  idées  (très 
bonne  étude  sur  un  personnage  insignifiant).  —  Commandeur  de 
Broqua.  Claude  Bernard,  dit  le  Pauvre  Prêtre,  1588-1641  (bon  ouvrage 
d'édification).  —  Vicomte  Maurice  de  Lestrange.  La  question  reli- 
gieuse en  France  pendant  la  guerre  de  1914-1918.  Documents  (ces 
documents  se  composent  surtout  de  découpures  de  journaux).  — 
P.  Mello7i.  L'Académie  de  Sedan,  centre  d'influence  française.  A 
propos  d'un  manuscrit  du  xviF  siècle  (histoire,  composée  en  latin, 
datée  de  1613  et  1620,  de  cette  Académie  fondée  par  les  La  Marck  en 
1576  et  supprimée  par  Louis  XïV  à  cause  de  son  caractère  protes- 
tant et  bien  qu'on  y  enseignât  à  peu  près  toutes  les  matières  utiles  au 
métier  militaire). 

8.  —  Le  Correspondant.  1920,  25  décembre.  —  Mgr  Pierre 
Batiffol.  La  conversion  d'un  évêque  :  Frederick  Kinsman  (évêque 
de  l'Église  épiscopalienne  d'Amérique;  après  avoir  considéré  que 
l'épiscopat  sur  le  modèle  de  l'Église  anglicane  était  le  plus  conforme 
à  l'enseignement  des  Pères,  il  se  convertit  au  catholicisme  romain  en 
1919.  Il  avait  découvert,  chemin  faisant,  «  la  morale  de  nos  moralistes 
et  de  nos  sociologues,  que  l'anglicanisme  nous  fait  aujourd'hui  l'hon- 
neur de  nous  envier  »).  —  Pierre  de  Là  Gorce.  A  travers  la  Révolu- 
tion. Après  le  9  thermidor.  La  Vendée  et  la  première  loi  d'émancipa- 
tion religieuse  (expose  en  détail  les  négociations  qui  ont  abouti  à  la 
«  Pacification  de  La  Jaunaie  »,  29  pluviôse  an  III  ou  17  février  1795,  que 
suivit  bientôt  le  décret  sur  la  police  des  cultes  du  3  ventôse  ou  21  fé- 
vrier). —  F.  Baldensperger.  Les  scrupules  d'un  Américain  attardé. 
L'éducation  de  Henry  Adams  (d'après  son  autobiographie).  —  A.  Ha- 
LOT.  Les  leçons  de  l'histoire.  Le  traité  de  1839  et  la  Belgique.  — Jean 
Des  Cognets.  Un  document  inédit  sur  La  Mennais  (publie,  d'après  les 
mémoires  de  J.-M.  Dargaud,  une  lettre  qu'écrivit  à  celui-ci  La  Men- 
nais, le  2  juillet  1833,  et  quelques  souvenirs  puisés  à  la  même  source). 
=  1921,  10  janvier.  ***.  Le  Japon  et  l'avenir  de  l'Extrême-Orient.  — 
L.  de  Lanzac  de  Laborie.  Les  vingt  premiers  siècles  de  notre  his- 
toire (annonce  le  tome  II  de  VHistoire  de  la  nation  française,  qui 
est  consacré  à  l'histoire  politique,  des  origines  à  1515,  et  qui  a  pour 
auteur  P.  Imbart  de  La  Tour).  =  25  janvier.  Nelly  Melin.  La  réforme 
de  l'éducation  anglaise  (intéressant  et  bien  informé  ;  le  rôle  personnel 
du  ministre,  M.  Fisher,  aurait  dû  être  marqué  plus  fortement,  car  il 
paraît  avoir  été  décisif)'.  —  Joseph  Hun  Y.  L'Église  anglicane  et  le 


RECUEILS    PÉRIODIQDES.  147 

ministère  des  femmes  (commente  le  rapport  sur  la  conférence  de 
Lambeth  du  5  juillet  au  7  août  1920,  véritable  concile  œcuménique 
des  évéques  anglicans.  Cette  conférence  admit  en  principe  que  les 
femmes  pouvaient  être  admises  à  recevoir  les  ordres  mineurs  comme 
diaconesses  ;  elle  ne  paraît  pas  s'opposer  à  leur  admission  même  aux 
ordres  majeurs).  —  Claude  Saint-André.  Louis  XV  et  les  colonies 
(Louis  XV  a  toujours  porté  un  vif  intérêt  à  la  géographie,  à  la  marine, 
aux  colonies;  après  le  traité  de  1763,  il  approuva  toutes  les  mesures 
prises  par  Choiseul  pour  en  réparer  les  funestes  conséquences).  = 
10  février.  Emile  Dermenghem.  Le  centenaire  de  Joseph  de  Maistre 
(ampleur  de  ses  idées  politiques  et  religieuses).  —  ***.  Sinn  Fein; 
essai  de  psychologie  politique.  —  Maurice  Brillant.  Pierre  Biardeau 
et  la  statuaire  angevine  en  terre  cuite  au  xvii»  siècle.  —  Henry 
Lemonnier.  a  propos  du  centenaire  de  l'École  des  chartes,  1821-1921 
(avec  quelques  souvenirs  personnels  de  1862-1865). 

9.  —  Mercure  de  France.  1920,  l^""  janvier.  —  Maurice  Des 
Ombiaux.  Le  gouvernement  du  Havre  et  sa  politique  en  Belgique 
occupée  (véhémente  apologie  de  cette  pohtique).  —  Jean  Maxe.  La 
propagande  bolchevique  mondiale  (à  lire  et  à  méditer,  car  Zinoviev  et 
Lénine  disent  crûment  les  choses).  =  15  janvier.  Georges  Batault. 
Le  problème  juif.  La  renaissance  de  l'antisémitisme,  ses  causes 
actuelles  et  sa  signification  (l'antisémitisme  actuel  est  une  réaction 
contre  le  bolchevisme  russe  que  conduisent  des  Israélites;  d'une  façon 
plus  générale  encore  et  plus  mystérieuse,  il  s'oppose  aux  deux  inter- 
nationales, celle  de  l'Or  et  celle  du  Sang,  qui  ont  également  à  leur 
tête  une  élite  de  Juifs.  Ce  sont  encore  les  Juifs  qui  ont  dicté  les  con- 
ditions de  la  paix  et  qui  ont  inventé  la  nébuleuse  Société  des  nations; 
leur  instrument  fut  le  puritanisme.  Si  différente  que  soit  leur  nature, 
Wilson  et  L.  George  ont  ce  point  commun  d'être  des  Puritains  utili- 
taires ;  or,  «  tous  les  éléments  de  la  mentalité  puritaine  qui  sont  en 
relation  avec  les  progrès  de  l'esprit  capitaliste  procèdent  directement 
du  judaïsme  ».  Israël  a  fait  alliance  avec  les  Puritains  du  Nouveau 
Monde  ;  «  cette  vue  de  l'affinité  qu'ont  l'un  pour  l'autre  le  Juif  et  le 
Puritain  est  une  des  plus  profondes  et  des  plus  fécondes  de  la  philo- 
sophie de  l'histoire  moderne  »).  —  Gabriel  Brunet.  Le  jeune  Taine 
(d'après  sa  correspondance).  —  Georges  Matisse.  Les  rapports  entre 
les  sciences  de  l'humanité  et  les  sciences  de  la  nature.  :=  le""  février. 
Pai^  Rival.  Un  acteur  tragique  :  Gabriele  d'Annunzio.  —  B.  Niki- 
TiNE.  Quelques  observations  sur  les  Kurdes.  =:  15  février.  Georges 
Batault.  Le  problème  juif;  l'exclusivisme  juif  (à  travers  l'histoire). 

10.  —  Revue  de  Paris.  1921,  l»""  janvier.  —  Lieutenant-colonel 
Jean  Fabrv.  La  France  de  1921  et  la  «  Nation  armée  ».  —  Arthur 
Raffalovitch.  La  conférence  (inancière  internationale  de  Bruxelles. 
—  Piferre  de  Nolhac.  Souvenirs  de  la  biblidthèque  Vaticane  (1882- 
1885).  —  Marie-Louise  Pailleron.  L'autobiographie  de  Mrs  Asquith 


148  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

(intéressant  et  peu  banal).  —  D.  Pasquet.  La  découverte  de  l'Angle- 
terre par  les  Français  au  xyiiP  siècle  ;  suite  et  fin  (la  vie  de  société  et 
la  vie  intellectuelle  à  Londres  et  ce  qu'en  pensent  les  Français  ;  quel 
contraste  avec  la  gaieté  de  Paris!  Mais  aussi  comnien  les  Anglais 
apprécient  leur  «  précieuse  liberté  »  !  Vers  la  fin  du  siècle  cependant, 
l'engouement  pour  l'Angleterre  s'atténue  pour  faire  place  à  l'esprit 
critique).  =  15  janvier.  ***.  France  et  Angleterre  (explique  les  causes 
du  dissentiment  entre  les  deux  pays  et  montre  qu'il  est  à  la  fois  néces- 
saire et  facile  de  le  faire  disparaître).  —  Général  Buat.  Une  crise  de 
commandement  dans  l'armée  allemande  en  1914-1916  :  Hindenburg 
etLudendorff  contre  Falkenhayn  (d'après  leurs  mémoires).  —  Edmond 
Perrin.  L'enseignement  secondaire  en  Alsace  et  en  Lorraine  (l'auteur, 
nommé  en  janvier  1919  dans  un  lycée  de  Strasl)ourg,  montre  par  quels 
tâtonnements  on  a  réussi  à  organiser  l'enseignement  français  sans 
violenter  les  sentiments  et  les  habitudes  d'esprit  contractés  sous  le 
régime  allemand).  —  Jacques  de  Clausonne.  La  crise  économique. 
—  Nicolas  DE  Berg-Poqgentpotl.  Lettre  au  directeur  de  la  Revue 
de  Paris  (pour  réfuter  les  erreurs  commises  par  l'auteur  anonyme  de 
l'article  sur  le  gouvernement  de  Koltchalk  en  Sibérie,  paru  dans  la 
Revue  du  15  novembre  1920).  =  l^»"  février.  Frédéric  Masson.  Marie- 
Louise  et  ses  carnets  de  voyage.  I  (introduction  où  sont  contées  l'en- 
fance de  la  future  impératrice,  son  aversion  à  l'égard  de  Napoléon 
jusqu'en  1810,  les  négociations  et  les  cérémonies  du  mariage).  —  Élie 
Halévy.  Les  origines  de  la  discorde  anglo-allemande  (d'après  les 
mémoires  du  baron  d'Eckardstein  publiés  à  Leipzig  en  1919;  montre 
ce  qu'ils  nous  apprennent  de  nouveau  sur  les  intrigues  et  négociations 
de  1901-1902  et  comment  enfin  les  tentatives  d'une  alliance  anglo- 
allemande,  dont  l'Allemagne  avait  pris  l'initiative,  aboutirent  à  l'ac- 
cord anglo-français  de  1904).  —  Marie-Louise  Pailleron.  M.  Wells 
chez  les  Bolcheviks  (d'après  le  récit  d'un  séjour  de  Wells  à  Moscou; 
amusant,  s'il  est  permis  de  le  dire,  et  instructif).  —  Général  Buat.  Une 
crise  de  commandement  dans  l'armée  allemande  en  1914-1916;  suite  : 
Campagne  d'été  contre  la  Russie,  mai-octobre  1915;  défensive  sur  le 
front  russe,  fin  1915-aoùt  1916  (hostilité  de  Hindenburg  et  de  Luden- 
dorfï  contre  Falkenhayn,  qui  est  amené  à  donner  sa  démission  le 
29  août  1916).  —  Charles  Loiseau.  La  politique  sociale  et  la  papauté. 

11.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  l^""  janvier.  —  ***.  L'ar- 
mée qu'il  nous  faut.  —  Maurice  Barrés.  Le  génie  du  Rhin.  II  :  La 
vie  légendaire  du  Rhin  (le  folklore  du  Rhin  attira  d'abord  l'attention 
des  administrateurs  français  de  la  Rhénanie  pendant  la  Révolution  et 
l'Empire;  les  Allemands  en  continuèrent  l'étude,  mais  en  la  dénatu- 
rant par  des  préoccupations  très  personnelles.  Il  faudra  désormais, 
après  avoir  renvoyé  dans  leur  pays  les  divinités  du  Walhalla,  encou- 
rager les  dévouements  locaux  à  la  légende  et  à  l'histoire,  faire  revivre 
les  «  figures  indigènes  que  la  fantaisie  rhénane  avait  fait  sortir  de  sa 
vie,  de  son  rêve,  de  ses  aspirations  les  plus  sûres  »).  —  Henry  Bor- 


RECDEILS    PÉRIODIQUES.  149 

• 

BEAUX.  Les  amants  d'Annecy.  Anne  d'Esté  et  Jacques  de  Savoie.  II 
(Mme  (Je  La  Fayette  n'a  pas  composé  un  roman  historique  ;  aux  person- 
nages du  xvi«  siècle,  dont  elle  empruntait  les  noms,  elle  a  enlevé  leur 
caractère  violent  et  magnifique  pour  en  faire  des  contemporains  de 
Racine).  —  Ernest  Daudet.  Quelques  scènes  du  drame  hellénique, 
juin-décembre  1916.  III  :  Autour  des  journées  de  décembre  (drama- 
tique récit  qui  fait  retomber  sur  le  roi  Constantin  toute  la  responsa- 
bilité du  massacre  des  Français  :  53  tués,  dont  6  officiers,  138  blessés, 
10  disparus,  voilà  le  bilan  de  ce  que  le  roi  osait  hier  encore  appeler 
une  «  querelle  de  famille  »).  —Louis  Gillet.  Les  souvenirs  de  Mar- 
got Asquith  (d'après  son  autobiographie,  récemment  parue  à  Londres, 
avec  une  dédicace  à  son  mari,  l'ancien  premier  ministre).  =  15  jan- 
vier. Maurice  Paléologue.  La  Russie  des  tsars  pendant  la  Grande 
Guerre  (l'ancien  ambassadeur  de  France  à  Pétersbourg  publie  les 
notes  où  il  a  marqué  les  étapes  de  la  crise  des  douze  jours  :  visite  du 
président  de  la  République  à  l'empereur  Nicolas,  20-23  juillet  1914; 
vers  la  guerre,  24  juillet-2  août.  Document  historique  de  grande 
importance  et  très  émouvant).  —  Maurice  Barrés.  Le  génie  du  Rhin. 
III  :  L'histoire  du  cœur  charitable  rhénan  (fondations  charitables  de 
Lezay-Marnesia  ;  la  pensée  des  philanthropes  français  survit  à  la  chute 
du  premier  Empire  ;  les  rapports  sympathiques  entre  la  France  et  la 
Rhénanie  sur  le  terrain  de  la  religion  se  détendent  à  partir  de  1871; 
mais  les  Rhénans  souffrent  de  la  rigidité  prussienne  en  toute  matière 
spirituelle.  «  Le  cœur  rhénan  soufîre  de  la  même  manière  que  l'ima- 
gination rhénane.  Ici  encore,  la  Prusse  donne  l'assaut.  Comme  elle 
a  dénaturé  et  étouffé  les  imaginations  du  Rhin,  elle  dessèche  les  aspi- 
rations charitables,  les  meilleures  richesses  bienfaisantes  de  la  foi  »). 
—  Brieux.  Emile  Augier,  chevalier  de  la  Bourgeoisie.  II.  —  ***. 
Fiume,  l'Adriatique  et  les  rapports  franco-italiens  ;  I  :  Avant  l'arrivée  de 
G.  d'Annunzio  (convention  de  Londres,  pacte  de  Corfou  et  de  Rome; 
l'occupation  interalliée  de  Fiume  et  l'installation  de  la  base  française; 
la  question  de  l'Adriatique  devant  les  Alliés  et  le  message  Wilson;  le 
projet  Tardieu  et  la  chute  du  cabinet  Orlando).  =  1"  février.  Marie- 
Louise  Pailleron.  François  Buloz  et  ses  amis  au  temps  du  second 
Empire.  I  (il  y  est  surtout  question  de  George  Sand).  —  Maurice 
Paléologue.  La  Russie  des  tsars  pendant  la  Grande  Guerre.  II 
(notes  du  5  au  20  août  1914;  enthousiasme  qui  règne  à  la  cour  et 
même  dans  le  peuple  pour  la  guerre  contre  le  germanisme;  l'empe- 
reur à  Moscou  le  18  août;  sa  «  résignation  mystique  »).  —  Maurice 
Barrés.  Le  génie  du  Rhin.  IV  :  Les  directions  françaises  dans  la  vie 
sociale  du  Rhin  (ce  sont  les  administrateurs  français  qui,  à  l'aube  du 
XL\e  siècle,  ont  les  premiers  compris  les  qualités  laborieuses  du 
peuple  rhénan  et  qui  ont  su  leur  donner  une  valeur  utile  et  humaine. 
A  partir  de  1850,  la  bureaucratie  prussienne  refusa  son  concours  aux 
industriels  rhénans  qui  continuaient  l'œuvre  d'équilibre  et  d'harmonie 
sociales,  qui  est  leur  honneur).  —  René  Pinon.  L'avenir  de  l'entente 


150  RECUEILS  PE'RIODIQDES. 

franco-britannique.   I  :   La  politique  des  ports.  —  Charles  Nord- 
MANN.  Impressions  de  Roumanie. 

12.  —  Annales  du  Midi.  1920,  juillet-octobre.  —  P.  Genevray. 
Ouvriers  allemands  et  concurrence  allemande  dans  les  Pyrénées  arié- 
geoises  il  y  a  cent  ans.  —  Ch.  Samaran.  A  propos  de  Bernard  de 
Panassac  (quelques  identifications  de  noms  de  lieu).  =  C. -rendus  : 
C.  Jullian.  Histoire  de  la  Gaule,  t.  V  et  VI  (ouvrage  capital  «  qu'il 
ne  faut  pas  admirer  seulement  comme  une  magnifique  œuvre  d'art, 
mais  comme  le  guide  et  le  manuel  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à 
nôtre  histoire  nationale  »).  —  G.  Melchior.  Les  établissements  des 
Espagnols  dans  les  Pyrénées  méditerranéennes  aux  viii^  et  ix^  siècles 
(intéressante  thèse  de  doctorat).  —  Abbé  Jean  Contrasty.  Histoire  de 
Sainte-Foy  de  Peyrolières  (important). 

13.  —  Revue  historique  de  Bordeaux.  1920,  juillet-septembre. 
—  J.-A.  Brutails.  La  chapelle  de  la  Trinité  à  Saint-Émilion  (pro- 
teste contre  l'abus  des  restaurations  archéologiques).  —  Abbé  A.  Gail- 
lard. Le  prieuré  de  Barp  ;  suite  (chap.  iv  :  dom  Jean  de  La  Barrière 
et  les  Feuillants.  La  Barrière  devint  en  1573  abbé  de  Feuillant, 
monastère  placé  sous  le  vocable  de  Notre-Dame,  aujourd'hui  dans  la 
commune  de  La  Bastide-des-Feuillants.  Il  mourut  à  Rome  en  odeur  de 
sainteté  le  25  avril  1600  ;  chap.  v  :  l'union  du  prieuré  de  Barp  au  monas- 
tère des  Feuillants  en  1589;  chap.  vi  :  administration  du  prieuré).  — 
Marguerite  Castel.  La  formation  topographique  du  quartier  de  Saint- 
Seurin;  suite.  —  R.  Brouillard.  Nouvelles  recherches  sur  les  Giron- 
dins proscrits,  1793-1794.  2«  partie  :  séjour  à  Saint-Émilion;  suite 
(chez  M™«.Bouquey).  — Alfred  Leroux.  Bordeaux  capitale  de  Guyenne- 
et-Gascogne  (Bordeaux  fit  une  première  fois  partie  de  la  Gascogne 
politique  en  567,  puis  définitivement  en  817;  elle  rentra  politiquement 
en  1036,  tout  au  moins  en  1052,  dans  la  Guyenne;  à  partir  de  1152, 
elle  étendit  la  juridiction  de  ses  ducs  sur  les  deux  territoires  de  Gas- 
cogne et  de  Guyenne  aux  dépens  de  Poitiers). 

États-Unis. 

14.  —  The  American  historical  Revie-w.  1921,  janvier.  — 
Edward  Channing.  Il  y  a  trois  cents  ans  (lecture  faite  à  l'American 
historical  Association  sur  le  troisième  centenaire  du  Mayflower).  — 
M.  ROSTOVTSEV.  La  Russie  méridionale  à  l'époque  préhistorique  et 
classique  (important  article  avec  une  copieuse  bibliographie).  —  Sid- 
ney  B.  Fay.  Lumières  nouvelles  sur  les  origines  de  la  guerre.  Ifl  :  La 
Russie  et  les  autres  puissances  (peut-on  admettre  la  thèse  allemande 
que  la  mobilisation  partielle  ou  générale  des  armées  russes  a  précédé  et 
justifié  la  résolution  prise  par  Guillaume  II  de  mobiliser  à  son  tour 
et  d'appuyer  de  toute  sa  force  l'ultimatum  autrichien  avec  toutes  ses 
conséquences?  L'examen  critique  de  tous  les  documents  jusqu'ici  con- 


RECUEILS  Pe'rIODIQOES.  151 

nus  ne  le  permet  pas).  —  L.  M.  Sears.  Un  diplomate  confédéré  à  la 
cour  de  Napoléon  III  (ce  diplomate  est  John  Slidell,  qui  fut  envoyé  à 
Paris  en  1861  par  les  États  du  Sud,  tandis  que  James  Mason,  séna- 
teur de  Virginie,  était  envoyé  à  Londres  ;  analyse  les  lettres  écrites  à 
cette  occasion  par  Slidell  à  Mason.  Intéressant).  —  Th.  C.  Pease.  Des 
précautions  à  prendre  avec  les  documents  militaires.  =  Documents  : 
Le  général  Meig  et  la  conduite  de  la  guerre  civile  (ce  général  fut 
quartier-maître  général  à  l'armée  en  1861  et  occupa  cette  fonction 
jusqu'à  sa  retraite  en  1882.  En  1887  et  1888,  à  la  demande  de  la  direc- 
tion du  journal  le  «  Century  »,  il  rédigea  un  rapport  sur  les  relations 
qu'avaient  eues  Lincoln  et  Seward  avec  les  chefs  de  l'armée.  Ce  rapport 
ne  fut  pas  inséré;  on  le  publie  maintenant,  avec  des  extraits  du  jour- 
nal tenu  par  Meig  du  29  mars  au  8  avril  1861).  =  C, -rendus  :  S.  C. 
Vestal.  The  maintenance  of  peace  (étudie  la  «  balance  du  pouvoir  »  et 
des  ententes  internationales  dans  l'histoire;  mais  ses  raisonnements 
sont  trop  simplistes  et  encombrés  de  détails  superflus).  —  Fr.  M. 
Fling.  The  writing  of  history;  an  introduction  to  historical  method 
(bon  guide  à  l'usage  des  étudiants).  —  Edwin  C.  Eckel.  Coal,  iron 
and  war;  a  study  in  industrialism  past  and  future  (instructif).  — 
T.  Franck.  An  économie  history  of  Rome  to  the  end  of  the  Republic 
(excellent).  —  C.  Henry  Smith.  The  Mennonites  (bon  résumé  de 
l'histoire  de  cette  secte  en  Europe  et  en  Amérique).  —  Turberville. 
Mediiïval  heresy  and  the  Inquisition  (utile  résumé).  —  N.  Curnock. 
The  journal  of  the  Rev.  John  Wesley,  sometime  fellow  of  Lincoln 
Collège,  Oxford,  vol.  VII  et  VIII  (très  important  recueil  de  docu- 
ments). —  J.  F.  Scheltema.  The  Lebanon  in  turmoil,  Syria  and  the 
Powers  in  1860;  book  of  the  marvels  of  the  time  concerning  the 
massacres  in  the  arab  country,  by  Iskander  Ibn  Yaqub  Abkarius, 
translated  and  annotated  (il  résulte  des  corrections  apportées  par  le 
traducteur  aux  souvenirs  d'Abkarius,  en  son  temps  vice-consul  des 
États-Unis  à  Beyrout,  que  la  responsabilité  des  massacres  de  1860 
retombe  en  partie  sur  les  Maronites  eux-mêmes).  —  Sarah  Wam- 
baugh.  Amonograph  on  plébiscites,  with  a  collection  of  oflicial  docu- 
ments (brève  étude  sur  les  plébiscites  qui  ont  amené  des  changements 
de  souveraineté,  de  1791  à  1905  :  réunion  d'Avignon  et  du  Comtat- 
Venaissin  à  la  France  en  1791  ;  séparation  de  la  Suède  et  de  la  Nor- 
vège en  1905,  etc.  ;  suit  une  masse  de  documents  qui  remplissent  un 
millier  de  pages).  —  W.  S.  Sims  et  B.  J.  Hendrick.  The  victory  at 
sea  (excellent,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  guerre  sous-marine).  — 
Hasktiis  et  Lord.  Sorae  problems  of  the  Peace  Conférence  (donne  une 
très  bonne  id^ip  du  travail  accompli  par  la  Conférence  de  la  paix  pour 
la  reconstitution  territoriale  de  l'Europe).  —  Cari  Becker.  The  Uni- 
ted States;  an  experiment  in  democracy  (intéressant).  —  W.  //.  Bur- 
gess.  The  pastor  of  the  Pilgriras;  a  biography  of  John  Robinson 
(beaucoup  de  lumière  nouvelle  sur  la  biographie  de  ce  personnage).  — 
C/i.  Burrage.  An  answer  to  John  Robinson  of  Leyden  by  a  puritan 


152  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

friend,  now  first  published  from  a  ms.  of  1609  (ce  document,  qui  reste 
anonyme,  montre  les  difficultés  que  rencontra  Robinson  quand  il  se 
sépara  de  l'Église  établie).  —  H.  E.  Bolton.  Kino's  historical  memojr 
of  Pimerîa  Alta  ;  a  contemporary  account  of  the  beginnings  of  Califor- 
nia,  Sonora  and  Arizona,  1683-1711  (le  frère  Eusebio  Kino  est  un  mis- 
sionnaire qui,  de  1687  à  1711,  fit  plus  de  cinquante  voyages  dans  ces 
pays  californiens  ;  sa  relation,  publiée  au  xviiP  siècle  sous  le  titre 
Favores  celestiales,  était  tombée  dans  un  injuste  oubli.  La  présente 
édition,  avec  une  traduction  anglaise,  lui  restitue  son  légitime  inté- 
rêt). —  Clarence  W.  Alvord.  The  Illinois  country,  1673-1818  (bon). 

—  A.  C.  Mac  Laughlin.  Steps  in  the  development  of  american 
democracy  (brillante  exposition).  —  J.  Brown  Scott.  Justicial  settle- 
ment  of  controversies  between  States  of  American  union  ;  an  analy- 
sis  of  cases  decided  in  the  suprême  court  of  the  United  States  (impor- 
tant; la  thèse  de  l'auteur  sur  le  rôle  que  doit  jouer  la  Cour  suprême 
des  États-Unis  est  très  exagérée).  —  V.  F.  O'Daniel.  The  right  rev. 
Edward  Dominik  Fenwick,  0.  P.,  founder  of  the  Dominicans  in  the 
United  States,  pioneer  missionary  in  Kentucky,  apostle  of  Ohio,  first 
bishof  of  Cincinnati  (recherches  très  étendues  ;  l'ouvrage  a  été  entre- 
pris à  l'occasion  du  centenaire  de  la  fondation  du  diocèse  catholique 
romain  de  Cincinnati).  —  Paul  L.  Haworth.  The  United  States  in 
our  own  times,  1865-1920  (bon,  malgré  un  abus  de  références  peu 
utiles).  —  0.  D.  Skelton.  The  Canadian  dominion;  a  chronicle  of  our 
Northern  neighbor  (excellent).  —  J.  H.  Latané.  The  United  States 
and  latin  America  (nouvelle  édition  d'un  ouvrage  publié  déjà  il  y  a 
vingt  ans,  continué  jusqu'à  nos  jours,  mais  demeuré  incomplet).  — 

—  H.  Bayley.  Archaic  England  (compilation  de  haute  fantaisie).  — 
J.  E.  Elias.  Het  voorspel  van  den  eersten  Engelschen  oorlog  (étude 
ioH  bien  documentée  sur  les  préliminaires  de  la  première  guerre  entre 
la  Hollande  et  l'Angleterre;  pas  de  documents  nouveaux).  —  G.  E. 
Cory.  The  rise  of  South  Africa,  to  1857  (se  rapporte  à  la  période 
1834-1840  et  notamment  à  la  guerre  contre  les  Cafres  en  1835).  — 
M.  G.  Hindus.  The  russian  peasant  and  the  Révolution  (l'auteur, 
bien  renseigné,  traite  du  paysan  russe  avec  sympathie  ;  mais  il  a  le 
tort  de  ne  pas  distinguer  les  différentes  parties  de  la  Russie  où  la  vie 
économique  du  paysan  n'est  pas  du  tout  la  même,  de  ne  rien  dire  sur 
ses  habitudes  religieuses  et  morales,  enfin  d'idéahser  son  caractère. 
Ces  remarques  sont  de  M.  Rostovsev). 

Grande-Bretagne. 

15.  —  The  English  historical  Revie^v.  1921,  janvier.  —  R.-L. 
PooLE.  Les  débuts  de  l'English  historical  Review.  —  Miss  Alice  M. 
ASHLEY.  Les  «  alimenta  »  de  Nerva  et  de  ses  successeurs  (énumère  et 
analyse  les  textes  du  i^''  et  du  ii«  siècle  qui  se  rapportent  à  l'assistance 
des  enfants  pauvres  en  Italie).  —  F.  M.  PowiCKE.  Maurice  de  Rie- 


BECCEILS    PÉRIODIQUES.  153 

vaulx  (ce  Maurice,  élu  abbé  de  Rievaulx  en  1145,  puis  de  Fountains  en 
1147,  préféra  rester  simple  moine.  Un  chroniqueur  contemporain 
l'appelle  «  un  second  Bède  ».  On  peut  en  effet  lui  attribuer  trois 
ouvrages  :  un  volume  de  sermons,  un  autre  de  lettres,  un  troisième 
qui  contient  entre  autres  un  poème  latin  sur  la  translation  du  corps 
de  saint  Cuthbert.  Publie  une  lettre  de  lui  à  Th.  Becket).  —  Godfrey 
Davies.  La  bataille  d'Edgehill.  —  W.  A.  Morris.  Une  mention 
d'écuage  en  1100.  —  J.  H.  Round.  Le  service  féodal  ou  «  sergente- 
rie  »  de  bouteiller  (notes  sur  un  certain  Guillaume  de  Quevilly,  qui 
avait  en  fief  de  sergenterie  la  charge  de  bouteiller  du  roi  au  temps  de 
Henri  II).  —  James  Tait.  Les  deux  plus  anciennes  chartes  de  Coven- 
try  (Ranulf  III  de  Blonville,  comte  de  Chester  de  1181  à  1232,  a  con- 
cédé à  la  ville  de  Coventry,  dont  il  était  seigneur  pour  une  moitié, 
deux  chartes  municipales,  dont  une  a  été  confirmée  par  Henri  II 
vers  la  fin  de  son  règne.  Celle-ci  fut  donnée  sans  doute  quand  le 
comte,  encore  mineur,  était  sous  la  garde  du  roi.  L'autre  fut  concé- 
dée environ  vingt-cinq  ans  plus  tard).  —  Miss  Ililda  Johnstone.  Le 
parlement  de  Lincoln  en  1316  (discussion  sur  la  date  où  le  parle- 
ment accorda  au  roi  un  subside  pour  la  guerre  d'Ecosse  :  «  die  Mar- 
tis  proxima  ante  carniprivium  ».  Faul-il  faire  commencer  le  carême 
depuis  le  dimanche  avant  ou  après  le  mercredi  des  cendres  et  placer 
cette  date  au  17  février  ou  bien  au  24?  L'ordre  des  faits  tels  qu'ils  sont 
notés  dans  le  rôle  du  parlement  prouve  qu'il  faut  admettre  la  date  du 
17).  —  G.  Johnson.  Négociations  pour  la  rançon  de  David  Bruce  en 
1349  (publie  un  document  en  français  découvert  dans  les  liasses  de  la 
chancellerie).  —  R.  L.  Poole,  Ch.  H.  Haskins  et  Mrs  Erich  George. 
Un  poème  en  vers  latins  sur  l'Echiquier  (son  organisation;  vénalité 
de  ses  agents.  Le  poème  doit  avoir  été  rédigé  entre  1398  et  1410).  — 
Miss  Cora  L.  Scofield.  Cinq  contrats  passés  entre  le  roi  Edouard  IV 
et  le  Faiseur  de  rois  (concernant  les  capitaineries  de  Calais,  de  Guines 
et  de  Hammes).  —  Miss  Irène  Wright.  Histoire  de  la  Jamaïque  en 
1511-1536  (publie  vingt  documents  en  espagnol  provenant  des  registres 
des  ordres  royaux  à  la  Contratacion  de  Séville).  —  J.  E.  Neale.  L'au- 
teur des  «  Hislorical  collections  »  de  Townshend  (Townshend  est 
mort  en  1623;  ses  «  Historical  collections  »  ont  été  publiées  en  1680; 
il  n'est  manifestement  pas  l'auteur  de  cet  ouvrage,  qui,  d'ailleurs,  est 
une  compilation  sans  valeur  originale  :  des  dix-huit  journaux  du  par- 
lement qui  y  sont  publiés,  six  ne  sont  que  l'abrégé  de  ceux  que 
rédigea  d'Ewes  en  1629-1630;  les  deux  autres  sont  empruntés  à 
Robert  Bowyer).  =C. -rendus  :  A.  E.  Cowley.  The  Hittites  (M.  Cow- 
ley  discute  l'opinion  du  savant  autrichien  Ilrozny,  qui  voit  dans  les 
Hittites  un  peuple  indo-européen  parlant  une  langue  très  voisine  du 
latin;  il  prétend  prouver  que  ce  peuple  n'est  pas  arien.  Pour  être 
négatives,  ses  conclusions  n'en  sont  pas  moins  intéressantes;  mais 
l'Autrichien  a-t-il  tort?).  —  F.  Oswald  et  T.  Davies  Pryce.  An  intro- 
duction to  the  study  of  terra  sigillata  (important  surtout  pour  les  pote- 


154  RECDEILS   PERIODIQUES.  ^ 

ries  dites  samiennes  qui  ont  été  découvertes  en  Grande-Bretagne).  — 
B.  Krusch  et  W.  Levison.  Passiones  Vitaeque  sanctorum  aevi  mero- 
vingici  (belle  édition;  la  partie  chronologique  est  remarquable,  mal- 
gré des  erreurs  de  détail).  —  Chr.  Zervos.  Un  philosophe  néoplatoni- 
cien du  XP  siècle  :  Michel  Psellos  (bon).  —  Tout.  Chapters  in  the 
administrative  history  of  England,  vol.  I  et  II  (très  remarquable).  — 
Chartularium  Studii  Bononiensis,  vol.  II-IV  (ces  volumes  contiennent 
des  masses  de  documents,  dont  un  petit  nombre  seulement  inté- 
ressent l'Université  de  Bologne;  en  outre,  ils  étaient  déjà  connus  pour 
la  plupart).  —  Jules  Viard.  Les  journaux  du  Trésor  de  Charles  IV 
(important;  ces  journaux  permettent  de  faire  d'instructives  comparai- 
sons entre  les  méthodes  financières  suivies  dans  le  même  temps  en 
France  et  en  Angleterre).  —  Harry  W.  Gidden.  The  sign  manuals 
and  letters  patent  of  Southampton.  —  Margaret  Deanesley.  The  Loi- 
lard  Bible  and  other  biblical  versions  (remarquable  ;  assez  longue  liste 
de  corrections  faites  par  A.  G.  Little).  —  R.  H.  Murray.  Erasmus 
and  Luther;  their  attitude  to  toleration  (intéressant,  mais  diffus). — 
Rose  Graham.  The  chantry  certificates  and  the  Edwardian  invento- 
ries of  church  goods  (textes  instructifs  très  bien  publiés).  —  G.  C. 
Williainson.  George,  third  earl  of  Cumberland  (bonne  biographie 
d'un  contemporain  et  émule  de  Drake).  —  W.  H.  Burgess.  John 
Robinson,  pastor  of  the  Pilgrim  fathers  (bon).  —  Alfred  Martineau. 
Dupleix  et  l'Inde  française,  1722-1741  (excellent).  —  Gooch.  Germany 
and  the  French  révolution  (ouvrage  solide  et  instructif,  mais  mal  com- 
posé). —  Elise  Koppel,  Aage  Friiscoin  et  P.  Munch.  Andréas  Fre- 
derik  Kriegers  Dagboger,  1848-1880,  t.  I  (important,  surtout  pour 
l'histoire  des  duchés  de  l'Elbe  de  1848  à  1858).  —  S.  Hellmann.  Das 
Mittelalter  bis  zum  Ausgange  der  Kreuzzùge  (bon  manuel,  écrit  à  un 
point  de  vue  très  allemand  ;  la  biographie  ne  contient  guère  que  des 
ouvrages  allemands;  pourquoi?).  —  A.  J.  Toynbee.  The  place  of 
mediseval  and  modem  Greece  in  history  (intéressante  leçon  d'ouver- 
ture). —  A.  S.  Turberville.  Mediœval  heresy  and  the  Inquisition 
(bon).  —  J.  F.  Rees.  Social  and  industrial  history  of  England,  1815- 
1918  (très  bon  exposé).  ^ 

16.  —  History.  1921,  janvier.  —  Commandant  Weil.  Guizot  et 
l'entente  cordiale  (publie  une  lettre  de  Guizot  au  comte  de  Flahaut, 
ambassadeur  à  Vienne,  16  mars  1644,  et  deux  de  Flahaut  à  Guizot, 
2  et  18  avril  1844).  —  C.  M.  Cox  et  C.  H.  Greene.  L'enseignement  de 
l'histoire  dans  les  écoles.  =  C. -rendus  :  H.  G.  Wells.  An  outline 
of  history  (ouvrage  remarquable  dans  les  parties  où  l'imagination 
peut  se  jouer  sans  contrôle,  ainsi  dans  la  préhistoire;  pour  l'épOque 
moderne,  il  dicte  des  sentences  plutôt  qu'il  n'expose  des  faits).  — 
A.  Cewley.  Jewish  documents  of  the  time  of  Esra,  translated  from 
the  aramaic  (important).  —  W.  E.  Œsterley.  The  sayings  of  the 
jewish  fathers,  translated  from  the  hebrew  {utile  traduction  du 
«  Pirke  Aboth  »,  un  des  traités  dont  est  formée  la  mishnah).  —  A.  S. 


RECDETLS  PERIODIQDES.  155 

Turberville.  Mediscval  heresy  and  the  Inquisition  (travail  de  bonne 
vulgarisation).  —  Jan  Ruinen.  De  oudste  handelsbetrekkingen  von 
HoUand  en  Zeeland  met  Engeland  tôt  in  het  laaste  kwartaal  der 
xivrfc  eeuw  (très  bonne  thèse).  —  D.  B.  Morris.  The  Stirling  mer- 
chant  gild  and  life  of  John  Cowane  (bon).  —  W.  S.  Harmer.  Ciren- 
cester  weavers  Company;  a  review  of  its  records  (important;  1580- 
1796).  _  G.  E.  Hubbard.  The  day  of  the  Crescent;  gUmpses  of  old 
Turkey  (recueil  d'anecdotes  empruntées  à  des  voyageurs  au  xvi^  et  au 
xvii«  siècle).  —  W.  F.  Reddaway.  Introduction  to  the  study  of  rus- 
sian  history  (insuffisant).  —A.  Weiner.  Select  passages  illustrating 
commercial  and  diplomatie  relations  between  England  and  Russia 
(incomplet).  —  Janet  P.  Trevelyan.  A  short  history  of  the  italian 
people  (excellent  résumé).  —A.  Kalshoven.  De  diplomatieke  verhou- 
ding  tusschen  Engeland  en  de  Republick  der  Vereednigde  Nederlan- 
den,  1747-1756  (très  bonne  thèse).  —  H.  W.  Household.  Our  guar- 
dian  fleets  in  1805  (malheureuse  tentative- pour  initier  les  enfants  des 
écoles  à  la  stratégie  navale  qui  aboutit  à  Trafalgar.  La  question  de 
Nelson  a  été  trop  agitée  dans  ces  derniers  temps,  et  les  spécialistes 
sont  encore  trop  loin  d'être  d'accord).  —  William  Page.  Commerce 
and  industry,  1815-1914  (travail  solide  avec  d'instructives  statistiques). 

—  C.  S.  Terry.  Zeebrugge  and  Ostend  dispatches  (recueil  de  précieux 
documents  sur  l'action  de  la  flotte  anglaise  devant  Ostende  et  le  port 
de  Bruges  pendant  la  Grande  Guerre). 

17.  —  The  Quarterly  Review.  1921,  janvier.  —  Sir  Ernest 
Satow.  La  réorganisation  de  l'Europe.  —  Deux  hommes  d'Etat  de 
Dominions  :  1"  Sir  Wilfrid  Laurier,  par  Edward  Powitt;  2°  le  géné- 
ral Louis  Botha,  par  Sir  Lionel  Philipps.  —  Théodore  von  Sos- 
NOSKY.  Les  derniers  des  Habsbourg  :  l'empereur  François-Joseph, 
l'archiduc  François-Ferdinand  et  Charles  I"  (d'après  les  ouvrages  de 
Friedjung,  d'Aurel  C.  Popovici  et  du  comte  Czernin).  —  Le  mouve- 
ment agraire  au  Canada  (au  xx^  siècle).  —  J.  W.  Gordon.  La  nou- 
velle constitution  allemande.  —  Sir  William  Ashley.  Bolchevisme 
et  démocratie.  —  Sir  R.  Henry  Rew.  Le  problème  des  salaires  dans 
l'agriculture.  —  Laurence  Binyon.  Traditions  anglaises  en  art  (d'après 
les  t.  I-VII  des  publications  de  la  Walpole  Society,  qui  font  connaître 
toute  une  série  d'artistes  antérieurs  à  Ilogarth). 

18.  —  The  Scottish  historical  Review.  1921,  janvier.  —  James 
WiLSON.  Les  passages  de  saint  Malachie  à  travers  l'Ecosse  (saint 
Malachie  d'Armagh  traversa  deux  fois  l'Ecosse  en  allant  à  Rome  et 
au  retour  en  1140;  une  troisième  fois  eu  1148,  dans  un  voyage  qui  se 
termina  par  sa  mort  à  Clairvaux,  le  2  novembre.  Commente  le  récit 
que  nous  a  laissé  saint  Bernard  sur  la  vie  et  les  miracles  du  saint 
irlandais  et  s'eflorce  d'en  déterminer  les  indications  géographiques). 

—  J.  Duncan  Mackie.  Les  joyaux  de  la  reine  Marie  Stuart  (montre 
ce  qu'ils  sont  devenus;  Moray  paraît  avoir  vendu  les  perles  que  Marie 


156  RECOEILS   PÉRIODIQUES. 

avait  confiées  à  sa  garde.  Elisabeth  en  acheta,  sans  que  l'on  puisse 
dire  exactement  lesquelles,  en  dépit  des  inventaires  qu'on  en  possède). 
—  J.  Storer  Clouston.  Fermages  écossais  d'autrefois  dans  les 
Orcades  comptés  en  livres  sterling,  non  en  monnaie  écossaise  (il 
s'agit  des  «  rentals  »  du  comté  d'Orkney,  acquis  par  Lord  Sinclair, 
pour  l'année  1502-1503.  On  avait  admis  jusqu'ici  que  les  sommes  por- 
tées sur  ce  compte  étaient  en  monnaie  d'Ecosse).  —  J.  T.  Brown. 
James  Boswell  considéré  comme  «  Essayist  ».  =  C. -rendus  :  H.  M. 
Machay.  Old  Dornoch,  its  traditions  and  legends  (bonne  mon(^raphie 
d'une  ville  qui  fut  le  siège  d'un  évêché  fondé  par  saint  Gilbert).  — 
Th.  C.  Wade.  The  sovereignty  of  the  British  seas,  written  in  the 
year  1633  by  Sir  John  Borroughs,  keeper  of  the  records  in  the  Tower 
of  London  (bonne  édition  d'un  texte  important  pour  l'histoire  du 
droit  international.  Ce  mémoire  de  Borroughs,  terminé  en  1633,  fut 
connu  de  Selden,  qui  l'utilisa  dans  son  Mare  clausum  avant  qu'il  eût 
été  publié,  1651).  —  G.  C.  Williamson.  George,  third  earl  of  Cum- 
berland,  1558-1605  (bonne  biographie).  — John  Warrach.  Doraestic 
life  in  Scotland,  1488-1688  (beaucoup  de  renseignements  curieux  sur 
l'ameublement  et  les  usages  domestiques).  —  D.  P.  Heatley.  Diplo- 
macy  and  the  study  of  international  relations  (instructif).  —  W.  H. 
Scofield.  Mythical  bards  and  the  life  of  William  Wallace  (Henry 
l'Aveugle,  auteur  du  poème  sur  Wallace,  est  un  personnage  légen- 
daire; l'auteur,  anonyme,  n'a  jamais  été  aveugle,  ni  un  ménestrel 
errant  ;  c'était  sans  doute  un  héraut  qui  fit  une  propagande  sans  scru- 
pule en  faveur  de  son  pays  et  qui  n'a  pas  hésité  à  déformer  l'histoire 
pour  la  faire  servir  aux  intérêts  de  la  noblesse  écossaise).  —  HeW/ 
Scott.  Fasti  ecclesiae  Scoticanae  (nouvelle  édition  revue  et  continuée 
jusqu'à  nos  jours  d'un  tableau  montrant  l'œuvre  accomplie  par  les 
ministres  dans  l'église  d'Ecosse  depuis  la  Réforme). 


CHRONIQUE. 


France.  —  Le  comte  Robert  de  Lasteyrie  du  Saillant  est  mort 
le  29  janvier  1921,  âgé  de  soixante-onze  ans  ;  fils  du  comte  Ferdinand  de 
Lasteyrie,  l'auteur  d'une  Histoire  de  la  peinture  sur  verre  qui  lui 
avait  ouvert  les  portes  de  l'Institut  (1860),  il  naquit  à  Paris  le  15  no- 
vembre 1849.  Élève  à  l'École  des  chartes,  il  venait  d'y  terminer  sa 
seconde  année  quand  éclata  la  guerre  avec  la  Prusse.  Lasteyrie  se 
battit  bravement  à  l'armée  de  la  Loire  et  y  fut  blessé.  Il  revint  ensuite 
à  l'École  d'où  il  sortit  en  1873  avec  une  thèse  sur  l'Origine  des 
vicomtes  de  Limoges,  qui  lui  valut  plus  tard,  en  outre,  le  titre  d'élève 
diplômé  à  l'École  pratique  des  Hautes-Études.  Mais,  c'est  vers  l'ar- 
chéologie plutôt  que  vers  l'étude  des  institutions  qu'il  se  sentait 
entraîné  par  l'exemple  paternel  et  par  son  goût  personnel.  Il  fut 
d'abord  comme  une  sorte  de  répétiteur  du  cours  que  J.  Quicherat 
professait  alors  avec  tant  d'autorité  à  l'École;  il  fut  ensuite  chargé 
(1878)  de  suppléer  son  ancien  maître  et  enfin  il  lui  succéda  (1880); 
sans  faire  oublier  celui  qui  a  véritablement  créé  l'enseignement  de 
l'archéologie  médiévale  en  France,  il  s'en  montra  le  très  digne  suc- 
cesseur par  ses  vastes  connaissances,  l'originalité  de  ses  vues,  son 
talent  de  professeur.  Malheureusement,  la  politique  vint  pendant 
plusieurs  années  le  disputer  à  l'érudition;  puis  une  insidieuse  mala- 
die mina  peu  après  ses  forces  et  l'obligea  d'abord  à  prendre  un  sup- 
pléant, puis  à  quitter  cette  chaire  à  laquelle  il  était  profondément 
attaché.  D'autres  fonctions  venaient  en  même  temps  disperser  son 
activité  :  il  fut  en  effet  membre  de  la  Commission  de  surveillance 
de  la  bibliothèque  et  des  collections  de  la  ville  de  Paris,  du  Comité 
des  inscriptions  parisiennes,  du  Comité  des  travaux  historiques,  du 
Comité  du  Congrès  pour  la  protection  des  monuments,  etc.  Aussi 
a-t-il  relativement  peu  publié;  mais  le  peu  qu'il  a  donné  est  de  pre- 
mier choix.  Il  commença  cette  Bibliographie  des  Sociétés  savantes 
qui,  avec  la  collaboration  d'abord  de  M.  Lefèvre-Pontalis,  ensuite  et 
surtout  de  M.  A.  Vidier,  est  devenue  uh  admirable  instrument  de  tra- 
vail. Aux  Inscriptions  de  la  France  du  V^  au  XVI 11^  siècle,  par 
F.  de  Guilhermy,  il  ajouta  le  tome  V,  consacré  à  l'ancien  diocèse  de 
Paris  (1883);  puis  il  donna  le  Cartulaire  général  de  Paris,  tome  I, 
528-1180  (1887);  l'Album  archéologique  des  musées  de  province 
(1890).  Élu  membre  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres 
(1890),  il  ne  tarda  pas  à  être  chargé  pa^  elle  de  diriger  pour  la  période 
médiévale  le  grand  recueil  des  Monuments  Piot,  et  il  y  fit  insérer 
plusieurs  mémoires  rédigés  par  lui.  Son  ouvrage  capital,  où  il  put 
déployer  à  son  aise  toutes  les  richesses  de  son  érudition  :  l'Archi- 
tecture religieuse  en  France  à  l'époque  romane  (1912),  faisait 


158  RECUEILS    PÉRIODIQOES. 

espérer  une  suite  pour  l'époque  gothique.  Ce 'couronnement  d'une 
vie  de  labeur  lui  a  été  refusé  :  la  guerre  est  survenue,  qui  l'éprouva 
cruellement;  un  de  ses  fils  mourut  le  9  janvier  1915,  à  l'anniversaire 
du  jour  où  il  avait  été  blessé  lui-même  en  1870.  Depuis  lors,  son  état 
maladif  n'a  fait  qu'empirer.  A  peine  pouvait-il  quitter  son  château 
limousin  pour  venir  présider  le  Conseil  de  perfectionnement  de 
l'École  des  chartes  ou  pour  apporter  sa  voix  à  un  ami  candidat  à 
l'Académie  ;  la  dernière  fois  qu'il  y  parut,  en  novembre  dernier,  son 
extrême  maigreur  et  sa  respiration  difficile  laissèrent  à  ses  confrères 
et  amis  la  plus  pénible  impression.  Il  partit  en  effet  pour  ne  plus 
revenir.  Ch.  B. 

—  Le  centenaire  de  l'Ecole  nationale  des  chartes  a  été  célébré  le 
22  février  1921  avec  un  grand  éclat.  M.  le  Président  de  la  République 
a  bien  voulu  présider  la  séance  solennelle  de  l'après-midi.  MM.  Gus- 
tave Servois  (ancien  directeur  général  des  Archives,  promotion  de 
1854),  le  comte  Durrieu,  président  de  la  Société  des  anciens  élèves 
de  l'École,  Maurice  Prou,  directeur  de  l'École,  Henri  Pirenne,  rec- 
teur de  l'Université  de  Gand,  le  ministre  de  l'Instruction  publique  sont 
venus  dire,  avec  toute  l'autorité  qui  s'attache  à  leur  nom  et  à  leurs 
fonctions,  la  place  que  l'École  des  chartes  a  occupée  dans  le  travail 
scientifique  en  France  et  hors  de  France  depuis  la  Restauration  jusqu'à 
nos  jours.  Les  noms  de  Guérard,  de  Jules  Quicherat,  de  Paul  Meyer, 
tous  trois  anciens  directeurs  de  l'École,  de  Léopold  Delisle,  qui  pré- 
sida pendant  tant  d'années  le  Conseil  de  perfectionnement,  suffiraient, 
s'il  en  était  besoin,  pour  en  caractériser  la  multiple  et  féconde  activité. 
Un  ancien  élève,  officier,  décoré  pour  sa  belle  conduite  sur  les  champs 
de  bataille,  est  venu  lire  les  noms  de  ses  camarades  qui  ont  donné 
leur  vie  (ils  furent  cinquante  et  un)  pour  le  salut  de  la  France.  Le 
secrétaire  de  la  Société  des  anciens  élèves  a  lu  la  longue  liste  des 
adresses  envoyées  à  l'École  par  les  universités  et  établissements 
scientifiques  étrangers.  Le  soir,  un  banquet  de  240  couverts,  présidé 
par  le  ministre  de  l'Instruction  publique,  M.  Léon  Bérard,  a  renoué 
la  longue  chaîne  des  générations  qui  se  sont  succédé  durant  un  demi- 
siècle  à  l'École  ;  on  remarquait  dans  l'assistance  les  jeunes  filles 
élèves  de  l'École  appartenant  aux  récentes  promotions;  des  érudits 
étrangers  :  belges,  suisses,  anglais  et  américains,  ont  dit  en  termes 
chaleureux  ce  qu'ils  devaient  à  l'enseignement  de  l'École.  Ces  témoi- 
gnages, si  précieux  à  recueillir,  ont  été  au  cœur  des  Français, 
anciens  et  jeunes,  qui,  sans  doute,  ont  été  fiers  des  éloges  décernés  à 
leur  établissement,  mais  qui  voudront  continuer  de  les  mériter  en 
restant  fidèles  à  son  esprit  de  travail  persévérant  et  méthodique  mis 
au  service  de  la  science  et  de  la  patrie. 

—  Une  Société  d'histoire  du  droit  a  été  fondée  en  novembre  1913. 
Son  premier  président  fut  M.  Jobbé-Duval,  professeur  à  la  Faculté  de 
droit  de  l'Université.  Dès  sa  fondation,  elle  marqua  ses  intentions  par 
la  nomination  de  quatre  commissions.  La  première  doit'  s'occuper  des 


CHHONIQOE.  159 

études  de  droit  ancien,  oriental,  grec  et  romain;  la  seconde  a  pour 
mission  de  préparer  la  rédaction  de  tables  destinées  à  signaler  les 
passages  des  auteurs  et  des  documents  qui  intéressent  l'histoire  du 
droit;  la  troisième  et  la  quatrième  sont  respectivement  chargées  de 
préparer  des  éditions  de  textes  juridiques  et  de  recueillir  les  chartes 
de  franchises,  afin  d'en  former  ultérieurement  un  Corpus.  La  guerre 
avait  arrêté  les  travaux  et  suspendu  les  séances  de  la  Société.  En 
novembre  1920,  elle  a  décidé  de  reprendre  son  œuvre.  Désormais,  elle 
tiendra  le  deuxième  jeudi  de  chaque  mois,  à  il  heures,  à  la  Faculté 
de  droit  (rue  Saint-Jacques),  une  réunion  dans  laquelle  elle  recevra  les 
communications  d'ordre  scientifique  et  autres  que  ses  membres  sont 
invités  à  lui  adresser.  Ces  communications  doivent  être  envoyées  soit 
au  président,  M.  Paul  Fournier,  71,  avenue  de  Breteuil  (XV«),  soit  au 
secrétaire,  M.  Ernest  Champeaux,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de 
l'Université  de  Strasbourg,  6,  rue  Lenôtre,  à  Strasbourg.  La  cotisation 
annuelle  est  de  10  francs. 

Belgique.  —  La  Société  d'art  et  d'histoire  de  Liège  a  célébré  solen- 
nellement, le  12  novembre  1920,  le  millénaire  d'Etienne,  évèque  de 
Liège,  mort  le  19  mai  920.  Les  discours  prononcés  à  cette  occasion 
ont  été  publiés  dans  Leodium  (livraison  de  novembre-décembre  1920). 
Ce  sont  ceux  de  M.  Jules  Closon,  professeur  à  l'Université,  sur 
l'œuvre  politique  d'Etienne;  du  chanoine  G.  Simenon  sur  son  œuvre 
littéraire  et  liturgique;  d'Ant.  Auda,  maître  de  chapelle  à  l'établis- 
sement des  Salésiens,  sur  son  œuvre  musicale.  Dans  ce  dernier  écrit, 
on  fait  ressortir  l'importance  de  Metz  qui,  au  x"  siècle,  fut  «  le  centre 
par  excellence  du  mouvement  liturgico-musical,  comme  Aix  en  était 
le  foyer  littéraire  le  plus  brillant  ». 

Russie.  —  D'après  une  nouvelle  communiquée  à  l'Académie  des 
inscriptions  (séance  du  11  février  1921),  le  professeur  Fedor  Ivanovitch 
OuSPENSKY  a  été  «  assassiné  par  les  bolchevistes  ».  Cet  odieux  atten- 
tat ajoute  une  nouvelle  victime  à  la  liste  déjà  si  longue  des  savants 
que  la  guerre  n'a  pas  épargnés.  Professeur  à  l'Université  d'Odessa, 
puis  plus  récemment  à  celle  de  Kiev,  membre  de  l'Académie  des 
sciences  de  Petrograd,  directeur  de  1895  à  1914  de  l'Institut  archéolo- 
gique de  Russie  à  Constantinople,  Théodore  Ouspensky  avait  consa- 
cré toute  son  activité  à  l'étude  de  l'histoire  et  de  l'archéologie  byzan- 
tines. Les  lecteurs  de  la  Revue  historique  connaissent  quelques-uns 
de  ses  nombreux  travaux  qui  ont  été  signalés  au  fur  et  à  mesure  de 
leur  apparition  dans  nos  bulletins  d'histoire  byzantine'.  Œuvres 
d'un  historien,  en  même  temps  archéologue,  ils  mettaient  en  lumière 
tous  les  aspects  de  la  civilisation  byzantine  et  quelques-uns  ont  fait 
époque,  comme  la  publication  du  magnifique  manuscrit  de  l'Octa- 
teuque  du  Sérail  (Bulletin  de  l'Institut  archéologique  russe  de  Cons- 
tantinople, XII,  1907)  qui  révéla  des  tendances  peu  connues  jusque-là 

1.  Voyez  notamment  Rev.  histor.,  t.  CV,  1910,  p.  125;  C.WII,  1914,  p.  69; 
CXXVIII,  1918,  p.  328,  333. 


160  CHRONIQUE. 

de  l'art  byzantin  et  apporta  une  contribution  tout  à  fait  nouvelle  à 
l'histoire  intellectuelle  de  Byzance  sous  les  Comnènes. 

On  peut  en  dire  autant  de  son  étude  sur  les  Nouvelles  découvertes 
de  mosaïques  dans  l'église  Saint-Démétrius  de  Salonique  (Bulle- 
tin de  l'Institut  archéologique  russe,  1909)  qui  donna  pour  la  première 
fois  une  reproduction  de  ces  chefs-d'œuvre  de  l'art  byzantin. 

Mais  la  grande  œuvre  scientifique  d'Ouspensky  fut  l'organisation 
de  l'Institut  archéologique  de  Russie  à  Constantinople,  dont  il  fut  le 
directeur  depuis  sa  fondation  en  1895  jusqu'aux  événements  de  1914. 
Entouré  de  collaborateurs  éminents  qui  sont  aujourd'hui  des  maîtres 
de  la  science  byzantine,  Ouspensky  avait  installé  dans  un  hôtel  de  la 
Grand'Rue  de  Péra  une  bibliothèque  qui  devint  bientôt  considérable, 
ainsi  qu'un  cabinet  des  médailles  et  un  musée,  alimentés  par  les  nom- 
breuses fouilles  et  explorations  des  membres  de  l'Institut.  Ceux  d'entre 
nous  qui  ont  eu  l'occasion  d'aller  à  Constantinople  ne  se  souviendront 
pas  sans  émotion  de  la  bonne  grâce  souriante  avec  laquelle  ils  étaient 
accueillis  dans  cette  maison  et  de  l'hospitalité  affectueuse  qu'ils  y 
recevaient. 

Ouspensky  avait  fait  de  son  Institut  une  maison  de  travail  vraiment 
fécond.  Dès  1896,  il  commençait  la  publication  d'un  bulletin  (Izvestia) 
dans  lequel  ont  paru  des  travaux  de  premier  ordre,  comme  ceux  de 
Th.  Schmitt  sur  Kahriè-Djami  et  de  Pantchenko  sur  les  lois  agraires. 
En  même  temps  des  voyages  d'exploration  étaient  entrepris  à  Trébi- 
zonde,  au  mont  Athos  et  surtout  en  Bulgarie  où  des  fouilles  mirent  à 
jour  les  ruines  curieuses  de  la  première  capitale  des  khans  bulgares, 
Aboba-Pliska.  Dans  le  dixième  volume  du  bulletin  (1905),  Ouspensky 
et  ses  deux  collaborateurs,  Skorpil  et  Pantchenko,  présentèrent  eux- 
mêmes  la  découverte  qu'ils  venaient  de  faire  d'une  ville  bulgare  du 
ixe  siècle. 

La  dernière  œuvre  importante  d'Ouspensky  avait  été  la  publication 
du  premier  volume  d'une  Histoire  de  l'empire  byzantin  (1913)  qu'il 
laisse  inachevée.  Obligé  de  quitter  Constantinople  en  1914,  Ouspensky 
mit  à  profit  l'occupation  de  Trébizonde  par  les  armées  russes  en  1916 
pour  diriger  dans  les  vieilles  églises  byzantines  et  dans  les  monastères 
de  cette  ville  une  exploration  des  plus  fructueuses  (voy.  Revue  his- 
torique, t.  CXXVIII,  1918,  p.  333).  A  partir  de  ce  moment  on  perd  ses 
traces  et  l'on  ignore  le  détail  de  la  sanglante  tragédie  dont  il  périt 
victime.  Il  a  eu  la  douleur,  avant  sa  mort,  d'apprendre  que  les  trésors 
qu'il  avait  réunis  dans  son  Institut  avaient  été  indignement  saccagés. 
Ainsi  il  a  su  qu'était  anéantie  l'œuvre  à  laquelle  il  avait  consacré  toute 
son  existence;  du  moins  sa  mémoire  restera  chère  à  tous  ceux  qui 
ont  eu  l'honneur  de  le  connaître  et  les  travaux  importants  qu'il  laisse 
après  lui  continueront  de  faire  autorité  dans  la  science  historique. 

Louis  Bréhier. 

Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 

fJOGKNT-LE-ROTROL',    IMPRIMERIE   DAUPELEY-GOUVKRNEUR. 


NAPOLÉON  m  ET  LA  PAIX 


Comment  la  lutte  séculaire  entre  la  France  et  l'Allemagne, 
endormie  depuis  plus  de  cinquante  années,  s'est-elle  ranimée  en 
1870  pour  changer  la  face  de  l'Europe  et  amener  ensuite,  par 
une  autre  guerre,  quelques-uns  des  plus  extraordinaires  boule- 
versements de  l'histoire  et  des  révolutions  presque  géologiques? 
Il  a  été  pendant  longtemps  difficile  d'établir  les  faits;  aujour- 
d'hui que  tous  les  documents  importants  sont  sortis  des  archives 
et  que  les  grands  témoins  ont  parlé,  il  est  devenu  possible  d'abor- 
der le  problème  des  responsabilités,  à  condition  toutefois  de  le 
circonscrire. 

I. 

Le  problème  serait,  en  effet,  insoluble  si,  au  lieu  de  le  limiter 
aux  origines  politiques  et  diplomatiques  du  conflit,  on  retendait 
aux  origines  historiques,  comme  font  les  Allemands,  et,  notam- 
ment, un  de  leurs  plus  grands  historiens,  SybeP.  A  remonter 
non  seulement  aux  guerres  de  la  Révolution  et  de  l'Empire, 
qui  sont  l'avant-dernière  bataille,  mais,  par  delà  encore,  de 
siècle  en  siècle,  aux  entreprises  de  Frédéric  II,  à  celles  de  la  mai- 
son de  Bourbon  contre  la  maison  de  Habsbourg,  au  grand  des- 
sein du  cardinal  de  Richelieu,  à  la  rivalité  de  François  P""  et 
de  Charles-Quint,  au  mariage  de  Bourgogne  et  finalement,  mais 
logiquement,  à  la  succession  de  Charlemagne  et  aux  invasions 
barbares,  sans  doute  on  ne  quitte  pas  le  sujet  ;  mais  conunent  se 
pourrait-on  flatter  de  dresser,  pour  un  tel  nombre  d'années,  un 
compte  de  doit  et  avoir?  Les  hommes,  les  peuples,  les  idées,  les 
pays  ne  sont  plus  les  mêmes.  C'est  proprement  le  péché  scien- 
tifique allemand,  celui  que  raille  Henri  Heine  quand  il  avertit 
les  Français  que  ses  compatriotes  ne  leur  ont  point  encore  par- 
donné la  mort  de  Conradin. 

1.  Die  Begrilndung  des  deutsclien  Reichs,  chap.  i. 
—  Rev.  Histor.  CXXXVI.  2"  fasc.  11 


162  JOSEPH   REINACH. 

On  resterait  sur  un  terrain  plus  solide  si,  comme  l'a  fait 
Renan  ^  on  s'appliquait  à  mettre  en  regard  les  aspirations  d'une 
démocratie  d'essence  pacifique,  comme  sont  toutes  les  démo- 
craties, peu  propre  aux  grandes  entreprises  du  dehors  et  tour- 
née vers  les  œuvres  intérieures,  telle  la  France  depuis  1815,  et 
les  ambitions  d'une  monarchie  militaire  et  encore  féodale,  qui 
ne  peut  indéfiAiment  ajourner  la  liberté  que  par  ce  surcroît 
de  prestige  et  de  force  qu'elle  attend  de  guerres  heureuses, 
telle  la  Prusse  des  Hohenzollern. 

La  preuve  a  été  amplement  faite  pour  notre  démocratie  du 
xix^  siècle,  «  coulant  à  pleins  bords  »  déjà  sous  la  Restaura- 
tion, débordant  après  la  révolution  de  Février,  et,  républicaine 
ou  césarienne,  résolue  à  ne  pas  rentrer  dans  le  lit  où  auraient 
voulu  la  ramener  les  anciennes  classes  privilégiées  et  la  haute 
bourgeoisie,  qui  avaient  gardé  le  souci  des  choses  militaires  et 
le  goût  de  la  «  grande  »  politique  extérieure  ;  elle  se  prononça 
constamment  pour  le  maintien  de  la  paix.  Sans  doute,  les  bona- 
partistes et  les  libéraux  firent  un  crime  aux  Bourbons  des  trai- 
tés de  1815,  qui  n'étaient  pas  leur  œuvre,  et  les  partis  avancés 
un  grief  à  Louis-Philippe  de  la  prudence  et  de  la  sagesse  qui 
lui  valurent  de  Victor  Hugo  le  titre  un  peu  gros  de  «  Napoléon 
de  la  paix  »;  mais  les  tumultes  belliqueux  de  1830  et  de  1840 
s'éteignirent  d'eux-mêmes;  les  assemblées  de  1848  et  de  1849 
n'eurent  pas  d'autre  politique  extérieure  que  le  manifeste  de 
Lamartine;  enfin,  ce  pays  de  tant  de  révolutions  et  d'épopées 
n'accepta  Napoléon  III  que  dans  l'espoir  de  réaliser,  par  lui, 
l'ordre,  même  au  prix  de  la  liberté,  et  la  paix  plus  profitable 
que  la  gloire. 

Par  malheur,  cette  démocratie  avait  renoncé,  à  peine  fut- 
elle  maîtresse  de  la  souvei-aineté,  à  se  gouverner  elle-même; 
une  fois  encore  eUe  s'était  confiée  à  un  homme  et,  si  elle  fut 
trompée  par  lui,  elle  n'en  porte  pas  moins  la  responsabilité  de 
s'être  donnée  à  lui. 

C'est  dans  ce  sens  que  Renan,  après  avoir  fortement  opposé 
l'esprit  de  la  démocratie  à  celui  d'une  aristocratie  féodale,  a  pu 
dire  avec  raison  que  l'une  des  principales  causes  de  la  guerre  de 
1870a  été  «  la  faiblesse  de  nos  institutions  constitutionnelles-  ». 

1.  Réforme  intellectxielle  et  morale,  p.  24  et  suiv. 

2.  Lettre  à  Strauss. 


NAPOLÉON   III   ET    LA   PAIX.  163 

Il  faut  donc  en  revenir  aux  origines  politiques  et  diploma- 
tiques; mais,  ici,  une  autre  constatation  s'impose  et  domine  le 
procès.  La  diplomatie  du  second  Empire  a  été  beaucoup  plus 
attentive,  beaucoup  plus  avisée  et  beaucopp  plus  clairvoyante 
qu'on  ne  le  suppose  à  l'ordinaire.  Elle  s'informait  avec  soin, 
observait  avec  intelligence  les  hommes  et  les  choses.  Plus 
d'une  fois,  elle  a  su  pénétrer  à  temps  les  desseins,  surprendre 
les  arrière-pensées  des  hommes  d'État  étrangers.  Elle  ne  se 
satisfaisait  point  de  suivre  dans  leurs  évolutions  les  chancelle- 
ries et  les  cours;  les  mouvements  profonds  des  peuples,  et  par- 
ticulièrement de  la  nation  allemande,  ne  lui  échappèrent  pas; 
elle  y  vit  l'obscur  prologue  du  grand  drame.  Elle  a  fait  souvent 
entendre  des  avertissements.  Elle  avait  la  tradition  et  le  sens  de 
la  France.  Seulement,  elle  fut  étrangère,  ou  à  peu  près,  à  la 
politique  extérieure  du  second  Empire.  Cette  politique  a  été 
l'œuvre  personnelle  de  l'empereur  Napoléon  III,  tout  comme  la 
politique  de  la  Prusse,  dans  les  années  qui  ont  précédé  la  guerre, 
a  été  l'œuvre  personnelle  de  Bismarck. 

Ce  sont  ces  deux  hommes  qui  sont  les  grands  acteurs  du 
drame;  les  autres,  Rouher,  011ivier,,Gramont,  tout  comme  le  roi 
Guillaume  P'',  Moltke  et  Roon,  sont  des  deuxièmes  rôles. 


II. 

Le  caractère  de  Napoléon  III  est  un  des  plus  complexes  qui 
soient.  D'une  part,  sa  sensibilité,  que  la  reine  Victoria  quahfîait 
assez  singulièrement  d'  «  allemande '  »,  le  rendait  impropre  au 
métier  miUtaire  ;  au  premier  champ  de  bataille,  il  fut  pris  d'hor- 
reur. C'est  un  Allemand,  le  plus  «  bismarckien  »  des  historiens 
allemands,  qui  a  dit  de  lui  :  «  D'après  les  dispositions  de  sa  nature, 
c'était  un  homme  de  paix,  non  de  guerre...  Il  n'avait  aucun 
esprit  militaire;  il  ne  poursuivait  pas  comme  son  puissant  oncle 
la  conquête  du  monde'.  »  D'autre  part,  les  desseins  qu'il  s'était 
proposés  ne  pouvaient  s'exécuter  que  par  la  guerre  et,  si  pétri  d'il- 
lusions qu'il  fût,  il  n'eut  à  aucun  moment  celle  qu'il  effacerait  les 
traités  de  1815  dans  des  congrès.  Ses  propositions  de  congrès 

1.  «  La  reine  Victoria  lui  trouvait  l'esprit  plus  allemand  que   français   » 
(OUivier,  VEmpirc  libéral,  t.  III,  p.  98). 

2.  Sybel,  l.  I,  p.  71;  t.  III,  p.  231. 

y 


164  JOSEPH   REINACH. 

et  ses  discours  sur  «  le  désarmement  et  la  fédération  européenne  » 
sont  d'ailleurs  tous  postérieurs  à  la  guerre  d'Italie  *.  Mais  il 
s'était  si  bien  rendu  compte  du  caractère  pacifique  de  la  démo- 
cratie qu'il  s'appliqua  avec  toutes  seg  forces  de  dissimulation, 
qui  étaient  grandes,  à  ne  rien  laisser  soupçonner  de  ses  projets 
pendant  tout  le  temps  qu'il  lui  fallut  pour  s'emparer  du  pou- 
voir absolu,  et  il  ne  les  découvrit  que  peu  à  peu,  avec  d'infinies 
précautions,  après  qu'il  fut  devenu  le  maître. 

Plus  embarrassé  que  fier  des  inquiétudes  glorieuses  que  pro- 
voquait son  nom,  il  s'efforça  de  les  dissiper  en  identifiant  avec 
la  paix  le  régime  nouveau  ;  la  paix  au  prix  de  la  liberté  ne  parut 
point  avoir  été  achetée  trop  cher. 

La  façon  même  dont  Napoléon  III  s'y  prit  pour  sortir  du  pacte  : 
«  L'Empire,  c'est  la  paix,  »  qu'il  avait  passé  avec  sept  millions 
d'électeurs,  suffirait  à  prouver  combien  le  pays  était  délibéré- 
ment hostile  aux  entreprises  guerrières. 

La  diplomatie  officielle  fut  jusqu'à  la  dernière  heure  opposée 
à  la  guerre  de  Crimée,  provoquée  pour  une  querelle  de  moines  ' 
dont  Walewski  disait  publiquement  :  «  Le  jeu  n'en  vaut  pas  la 
chandelle  »  ;  une  petite  portion  des  catholiques  fut  seule  à  sou- 
haiter la  guerre  comme  une  croisade  contre  les  orthodoxes  où 
s'affirmerait  «  la  vocation  de  la  France ^  ».  L'Empereur  ne  par- 
vint à  rendre  le  conflit  inévitable  que  par  un  jeu  savant  de  con- 
cessions apparentes,  qui  provoquèrent  de  brusques  exigences  de 
la  Russie.  Même  après  la  victoire,  quelques-uns  des  meilleurs 
serviteurs  de  l'Empire  (notamment  le  meilleur,  Duruy)  portèrent 
un  jugement  sévère  sur  la  guerre  de  Crimée.  Pour  Napoléon  III, 
il  s'y  était  décidé  surtout  parce  qu'il  avait  reconnu  dans  la  rup- 
ture de  la  Sainte- Alliance  le  moyen  le  plus  sûr  d'ouvrir  les  voies 
à  l'intervention  en  Italie,  impossible  tant  que  le  faisceau  des 
trois  puissances  du  I^ord  n'aurait  pas  été  brisé,  l'Autriche  iso- 
lée, l'Angleterre  amenée  à  une  neutralité  bienveillante 3.  Il  ira 
en  Lombardie  par  la  Crimée. 

A  l'apothéose  du  Congrès  de  Paris,  après  les  angoisses  de  la 

1.  1863,  1865,  1870. 

2.  Lacordaire. 

3.  C'est  ce  qu'Emile  Ollivier,  favorable  d'ailleurs  à  la  guerre  de  Crimée,  a 
très  bien  montré  dans  les  deux  chapitres  :  «  Seul  moyen  d'allranchir  l'Ita- 
lie »  et  «  Pour  rompre  la  Sainte-Alliance  «  (t.  III,  chap.  vu  et  viii).  «  La  misé- 
rable querelle  des  lieux  saints  vint  le  servir  fort  à  propos;  il  en  profita  pour 
brouiller  les  anciens  alliés.  »  -- 


NAPOLÉON   III    ET   LA    PAIX.  165 

guerre  de  Crimée,  la  joie  fut  générale  et  il  sembla  que  ce  fut  la 
paix  perpétuelle. 

III. 

L'Empereur  eut  si  bien  le  sentiment  de  cet  état  des  esprits 
qu'il  eut  recours,  pour  préparer  la  guerre  d'Italie,  à  ses  vieilles 
habitudes  de  conspirateur,  Cavour  sut  se  taire,  sauf  avec  des 
confidents  intimes,  de  la  promesse  de  Napoléon  III  que  la  paix 
ne  durerait  pas  longtemps  ^ . 

Napoléon  III  aurait  découvert  son  projet  qu'il  eût  soulevé  de 
toutes  parts  de  vives  oppositions,  non  seulement  dans  le  parti 
catholique,  à  cause  de  Rome,  mais  parmi  toute  cette  bourgeoisie 
laborieuse  et  réfléchie  qui  eût  redouté  de  voir  la  guerre  générale 
sortir  de  l'aventure.  L'Impératrice,  dont  le  catholicisme  était 
d'Espagne,  et  la  plupart  des  ministres  se  seraient  prononcés 
contre  l'entreprise  italienne;  de  même  la  grande  majorité  du 
Corps  législatif,  qui  n'aUait  voter  qu'avec  une  extrême  répu- 
gnance, malgré  que  les  troupes  eussent  déjà  passé  la  frontière, 
les  crédits  de  guerre  2. 

Le  reste  de  l'Europe  n'aurait  pas  été  moins  hostile.  Au  pre- 
mier soupçon  qu'elle  aura  du  dessein  de  Napoléon  III,  l'Angle- 
terre l'avertira  qu'il  va  au-devant  d'une  nouvelle  coalition. 
Lui-même  il  dira,  après  coup,  au  Corps  législatif  :  «  Pour  ser- 
vir l'indépendance  italienne,  j'ai  fait  la  guerre  contre  le  gré  de 
l'Europe  ;  dès  que  les  destinées  de  mon  pays  ont  pu  être  en  péril, 
j'ai  fait  la  paix 3.  »    ' 

Il  machina  donc  la  convention  de  Plombières  avec  Cavour 
dans  le  plus  profond  secret,  comme  un  mauvais  coup,  et,  la  chose 
faite,  ne  s'en  ouvrit  qu'au  prince  Jérôme-Napoléon,  aussi  ita- 
lien que  lui  :  «  Garde  le  secret  pour  tout  le  monde  ;  l'Impératrice 
ne  se  doute  de  rien  ;  pas  davantage  Walewski  (le  ministre  des 
Afiaires  étrangères)  et  moins  encore  Fould  (le  ministre  des 
Finances) 4.  > 

1.  Lettre  à  Gastelli  d'avril  1856. 

2.  «  La  majorité  marqua  son  mécontentement  en  accueillant  par  un  silence 
glacial  les  passages  belliqueux  du  discours  impérial...  »  (Ollivier,  t.  X,  p.  94). 
Plichon,  futur  ministre  de  l'Empire  libéral,  dit  à  la  tribune  que,  si  le  drapeau 
n'avait  pas  été  engagé,  il  aurait  voté  non. 

3.  Discours  au  Corps  législatif  (juillet  1859). 

4.  Récit  du  prince  Napoléon  à  Emile  Ollivier. 


166  JOSEPH   REINACe. 

Sans  doute  la  guerre,  une  fois  déclarée,  fut  populaire  dans  la 
démocratie  des  villes  ;  il  y  avait  tant  d'années  que  toute  cette 
France  généreuse  s'était  émue  des  pitiés  d'Italie  !  Comment  n'eût- 
elle  pas  tressailli  à  la  pensée  d'ajouter  une  pierre  de  plus  au  monu- 
ment qu  avait  célébré  Michelet  :  «  Si  l'on  voulait  entasser  ce 
que  chaque  nation  a  dépensé  de  sang  et  d'or  et  d'efforts  de  toutes 
sortes  pour  les  choses  désintéressées  qui  ne  devaient  profiter 
qu'au  monde,  la  pyramide  de  la  France  irait  montant  jusqu'au 
ciel  »?  Pourtant  cet  enthousiasme  ne  fut  pas  seulement  guer- 
rier ;  républicains  et  libéraux  attendaient  de  la  guerre  contre  le 
despotisme  autrichien  des  contre-coups  dans  la  politique  inté- 
rieure ;  la  liberté  restaurée  chez  une  nation  amie  hâterait  «  la 
restauration  de  la  liberté  française  »  ^ . 

Quand  l'Empereur,  après  Solferino,  tourna  court  devant  la 
menace  de  l'Allemagne  en  armes,  il  fut  approuvé,  sauf  par 
l'opposition  u-réconciliable,  qui  blâmait  tout  indistinctement, 
mais  qui  le  mit  aussitôt  en  demeure  d'abdiquer  sa  dictature,  La 
France  avait  droit  au  moins  «  à  la  liberté  comme  en  Autriche "2.  » 

La  guerre  du  Mexique,  impopulaire  du  premier  jour,  fut  éga- 
lement engagée  car  surprise. 

IV. 

Mais  où  la  volonté  pacifique  de  la  France  se  rencontra  avec^ 
la  politique  personnelle  de  Napoléon  III,  ce  fut  à  l'endroit  de  la 
Prusse  et  de  l' Allemagne.  La  politique  allemande  de  l'Empe- 
reur a  été  tout  le  temps  néfaste  ;  elle  fut  obstinément  pacifique 
jusqu'à  l'heure  d'aberration  où  il  tomba  au  piège  de  Bismarck. 
Des  fanfaronnades  de  journalistes  ont  donné  à  croire  que  le  Rhin 
fut  une  pensée  secrète  de  Napoléon  III  et  que  la  France,  sous 
son  règne,  recommença  à  convoiter  les  pays  de  la  rive  gauche. 
Il  n'en  fut  rien. 

On  a  pu  se  demander  si  la  guerre  n'eût  pas  été  légitime  ou, 
pour  le  moins,  politique,  avant  qu'eussent  poussé  les  grandes 
ailes  de  l'aigle  noir.  De  fait,  on  laissa  passer  le  moment,  d'ail- 
leurs assez  difficile  à  fixer,  où  la  guerre  préventive  eût  été  pos- 
sible. 

1.  Discours  de  Jules  Favre  au  Corps  législatif. 

2.  Selon  le  mot  d'Eugène  Pelletan. 


NAPOLÉON    III    ET    LA    PAIX.  167 

Il  y  eut  trois  époques  dans  l'histoire  des  rapports  entre  la 
France  et  l'Allemagne  sous  le  second  Empire. 

La  pensée  du  Rhin  fut  parfaitement  absente  de  la  première 
(1852-1866)  ;  les  regrets  du  Rhin  s'en  étaient  allés  avec  les  géné- 
rations révolutionnaires  et  militaires  qui  l'avaient  conquis  et  qui 
avaient  à  peu  près  disparu  '  ;  on  ne  citerait  pas  un  mot  de  Napo- 
léon III  donnant  à  croire  qu'il  en  eût  même  l'arrière-pensée  ; 
Moruy,  l'ayant  un  jour  incité  à  reprendre  la  rive  gauche,  il  lui 
dit  qu'elle  serait  «  sa  Vénétie  »,  à  moins  que  les  Allemands  ne 
le  jetassent  dans  le  fleuve-.  Plus  encore  :  l'Empereur,  pendant 
ces  quatorze  années,  continua  à  rechercher  l'alliance  de  la 
Prusse,  gardienne  du  Rhin  pour  l'Europe  depuis  le  traité  de 
Vienne,  et  à  lui  souhaiter,  sinon  à  lui  offrir,  des  agrandissements 
afin  de  l'avoir  mieux  dans  le  jeu  de  ses  desseins  italiens.  Les 
preuves  en  abondent  dans  la  correspondance  diplomatique  et 
*dans  tout  ce  qui  a  été  publié  des  actives  correspondances 
secrètes. 

Si  l'alliance  prussienne  ne  fut  pas  conclue,  ce  fut  parce  que 
le  roi  Guillaume  s'y  refusa  constamment  par  piété  envers  le 
souvenir  de  la  reine  Louise,  et  avec  sa  morgue  de  Hohenzol- 
lern  pour  qui  les  Bonaparte  n'étaient  que  des  parvenus^;  roi 
de  droit  divin,  aristocrate  et  féodal,  il  avait  la  haine  et  la  crainte 
de  la  France  révolutionnaire.  A  Ferrières,  en  septembre  1870, 
Bismarck  dira  crûment  à  Jules  Favre  que  le  roi  souhaitait  la 
restauration  du  comte  de  Chambord. 

Le  deuxième  acte  fut  très  court  ;  l'Empereur,  pendant  quelques 
journées  de  juillet  1866,  au  lendemain  de  Sadowa,  céda  beau- 
coup moins  à  une  tentation  personnelle  qu'à  la  pression  de  ses 
ministres  affolés,  quand  il  demanda  à  Bismarck,  maiè  sans  insis- 
ter, l'octroi  gracieux  de  territoires  bavarois  et  hessois  sur  le  Rhin. 

Enfin,  de  1866  à  1870,  il  vit,  dans  des  intervalles  de  lucidité, 
venir  la  guerre,  mais  sans  s'y  préparer  efficacement  et  toujours 
avec  l'espérance,  qui  était  pour  l'immense  majorité  de  la  nation 
unQ  certitude,  de  l'éviter.  Même,  en  1867,  il  revint  à  son  pro- 
jet de  l'alliance  prussienne'^. 

1.  Renan,  Réforme  intellectuelle  et  morale,  p.  22. 

2.  OlUvier,  t.  III,  p.  101  :  t  II  ne  pensa  jamais  au  Rhin.  » 

3.  C'est  ce  que  dit  expressément  Filon,  Souvenirs  sur  l'impératrice  Eugé- 
nie, p.  208. 

4.  Voir  plus  loin,  j).  184. 


168  JOSEPH   REINACH. 

En  résumé,  il  ne  voulut  la  guerre  ni  pour  le  Rhin,  ni  contre 
l'unité  allemande;  bien  plus,  il  favorisa  constamment  les  des- 
seins de  la  Prusse  en  Allemagne  et  lui  oârit,  sans  se  lasser,  son 
alliance. 

Ses  sympathies  persistantes  pour  l'AUemagne  et  pour  les 
Allemands,  toujours  les  bienvenus  aux  Tuileries,  s'expliquent 
par  des  souvenirs  de  jeunesse  et  par  certains  traits  de  son 
caractère  ;  son  désir  de  l'alliance  prussienne  est  déjà  dans  son 
premier  manifeste,  ces  Idées  napoléoniennes  qui  furent  comme 
son  bréviaire  politique.  Il  y  regrettait,  en  propres  termes,  que 
Napoléon  eût  été  «  obligé  de  dompter  la  Prusse  »,  alors  qu'il 
avait  pensé  d'abord  à  <t  l'étendre,  la  fortifier  et  l'agrandir  pour 
assurer,  par  son  concours,  l'immobilité  de  l'Angleterre  et  de 
l'Autriche*  ».  Par  conséquent,  au  lieu  de  s'inquiéter  qu'elle  fût 
devenue  la  Macédoine  et  le  Piémont  de  l'Allemagne  et  qu'elle 
se  fût  donné,  sur  le  tard,  une  mission  allemande,  il  lui  en  fai- 
sait honneur  et  s'en  félicitait.  Son  père,  le  roi  Louis,  avait  dit  ' 
«  La  Prusse  est  l'alliée  et  l'amie  indispensable  de  la  France^.  » 
Il  va  répéter  avec  Victor  Hugo  que  l'Autriche  représente  le 
passé,  la  Prusse  l'avenir,  et  il  va  confier  à  Cavour  que  la 
Prusse  ne  peut  se  contenter  d'un  rôle  secondaire  :  «  Appelée 
à  une  plus  haute  fortune,  eUe  doit  accomplir  en  Allemagne  les 
grandes  destinées  qui  l'attendent  et  qu'on  attend  d'elle 3.  » 

On  ne  peut  accuser  que  d'un  manque  de  clairvoyance  Louis  XIV 
installant  le  premier  la  Prusse  suf"  le  Rhin  et  Louis  XV  l'aidant  à 
s'emparer  de  la  Silésie,  l'un  et  l'autre  parce  qu'ils  continuaient 
à  voir  l'ennemi  principal  à  Vienne,  où  le  Habsbourg  n'était  plus 
que  l'ombre  du  Saint-Empire,  alors  qu'à  Berlin  le  Hohenzollern 
grandissait,  dru  et  fort. 

On  s'étonne  que  la  République  et  Napoléon  aient  cherché, 
malgré  l'expérience  de  la  guerre  de  Sept  ans  et  du  partage  de 
la  Pologne,  à  s'appuyer  sur  Berlin,  où  les  ambitions  avaient 
grandi  avec  les  conquêtes,  contre  Vienne,  où  l'Angleterre 
maintenait  avec  peine  sa  succursale  continentale. 

Mais  qu'après  1813,  1814  et  1815,  il  se  soit  trouvé  un  gou- 
vernement français,  surtout  sous  un  neveu  de  l'Empereur,  pour 
favoriser  les  desseins  de  la  Prusse  et  l'appuyer  contre  l'Au- 

t.  Page  133,  avec  une  citation  des  Mémoires  de  Bignon. 

2.  Réponse  à  Sir  Walter  Scott  sur  son  «  Histoire  de  Napoléon  »,  p.  90. 

3.  Cavour  à  Viliamarina,  7  décembre  1858. 


NAPOLÉON    III    ET   LA    PAIX.  169 

triche,  c'est  ce  qui  déconcerterait  le  bon  sens  si  la  cause  pro- 
fonde de  la  faute  n'était  pas  le  prétendu  principe  qui  fut  l'idée 
fixe  de  Napoléon  III.  L'ambition  de  réformer  le  monde  par  la 
conquête,  qui  avait  été  celle  de  Napoléon  P%  coûta  à  la  France 
les  frontières  de  la  République  ;  l'ambition  de  réformer  le  monde 
par  la  politique  des  nationalités  va  coûter  à  la  France,  pendant 
près  d'un  demi-siècle,  les  limites  de  la  monarchie. 


Si  aveugle  qu'ait  été  la  politique  prussienne  de  Napoléon  III, 
elle  avait  pourtant,  ou  plus  exactement,  elle  aurait  dû  compor- 
ter un  avantage  au  regard  non  seulement  de  l'AUemagne,  mais 
encore  de  l'Angleterre  et  de  la  Russie  ;  elle  impliquait  la  renon- 
ciation aux  conquêtes  rhénanes.  Si  Napoléon  III  avait  voulu 
reprendre  la  marche  classique  vers  le  fleuve,  il  eût  fait  choix  de 
l'alliance  autrichienne.  La  violente  hostilité  de  Napoléon  III 
contre  l'Autriche  aurait  dû  suffire  à  rassurer  l'Allemagne  sur  le 
Rhin. 

Or,  l'Allemagne  ne  se  rassura  point,  incapable  d'admettre 
s(  A  le  désintéressement  territorial  de  la  France,  soit  la  sincé- 
rité de  Napoléon  III;  —  l'Empereur  certainement  «  voulait 
quelque  chose  d'énorme,  alors  que,  pour  rien  au  monde,  les 
Allemands  ne  voudraient  voir  un  lambeau  de  leur  pays  aller  à  la 
France^  »;  —  ou  elle  feignit  de  rester  inquiète  afin  de  justifier 
ses  propres  desseins  sur  l'Alsace.  A  chaque  génération  qui  avait 
appris  à  lire  dans  la  chanson  d'Arndt  :  «  Aussi  loin  que  reten- 
tit la  langue  allemande...  »,  le  caractère  ethnique  des  revendi- 
cations s'était  précisé.  Les  Universités,  qui  se  targuaient  d'être 
les  succursales  des  casernes,  fabriquaient  avec  la  même  pâte 
un  droit  germanique  antérieur  et  supérieur  à  tous  les  autres, 
la  religion  des  temps  primitifs  et  un  patriotisme  méthodique- 
ment étendu  de  la  nation  à  la  race.  L'idée  de  l'unité  évoquait  la 
reprise  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine,  en  même  temps  que  celle 
des  duchés  de  l'Elbe  et  de  tous  les  anciens  pays  teutoniques. 

L'évolution  de  l'Allemagne  et  celle  de  la  France  se  dévelop- 
pèrent ainsi  en  sens  contraire  ;  longtemps  rebelle,  sauf  dans  le 
domaine  de  l'art,  aux  influences  étrangères,  le  génie  français 

1.  Dépêche  de  Méroux  de  Valois,  agent  à  Kiel,  du  26  mars  1866,  à  Drouyn 
de  Lhuys  {07-igines  diplomatiques  de  la  gueire  de  1870,  t.  VIII,  p.  75). 


170  JOSEPH   REINACH. 

tendait  alors  à  une  sorte  de  cosmopolitisme  et  subissait  surtout 
l'influence  de  l'Allemagne.  Il  n'y  avait  rien  eu  de  plus  beau  pour 
Hugo  que  le  moyen  âge  allemand  ;  pour  le  vieux  Michelet  et 
pour  le  jeune  Renan,  rien  n'était  plus  noble  que  la  Réforme 
de  Luther  et  V Impératif  àe  Kant;  ils  appelaient,  et  presque 
tous  les  savants  avec  eux,  l'Allemagne  leur  maîtresse.  Au  con- 
traire, le  génie  allemand  se  concentrait  sur  lui-même  et  se  dur- 
cissait. Bismarck  n'eut  plus  qu'à  paraître  sur  la  grande  scène 
que  la  philosophie  et  la  science,  Hegel  et  Niebuhr,  lui  avaient 
préparée. 

Napoléon  III  eut  si  peu  le  sentiment  de  ce  qu'était  devenue 
l'Allemagne  de  sa  jeunesse  qu'il  se  flatta  de  son  concours,  pour 
le  moins  moral,  dans  sa  campagne  d'Italie.  Il  fut  stupéfait 
quand,  du  premier  jour  de  sa  croisade,  l'Allemagne  se  souleva 
et  réclama  une  levée  en  masse  pour  partir  en  guerre  au  secours 
de  r Autriche.  Il  avait  accueilli  avec  un  sourire  l'Angleterre 
l'avertissant  que  l'Autriche  vaincue  aurait  droit  aux  secours  de 
la  Confédération  germanique  et  qu'ainsi  son  entreprise  italienne 
risquait  de  conduire  à  une  crise  européenne,  «  où  la  France, 
comme  en  1814  et  en  1815,  aurait  contre  eUe  toutes  les  puis- 
sances »  ' . 

L'eflervescence  allemande  en  1859  dépassa  d'autant  l'excita- 
tion française  de  1840  qu'une  tempête  en  haute  mer  un  orage 
d'été.  Toutes  les  haines  cuites  et  recuites  des  hobereaux,  des 
militaires,  des  universitaires,  éclatèrent.  Un  bon  observateur 
anglais  écrivit  :  «  Les  événements  ont  réveillé  l'esprit  de  1813 
et  de  1815 ~.  »  Le  duc  de  Saxe-Cobourg  «  brûlait  du  désir  »  de 
courir  à  la  frontière-^;  Moltke  déclarait  que  l'heure  était  venue 
d'écraser  la  ÎFrance  ;  le  prince  régent,  le  futur  roi  et  empereur 
Guillaume,  négociait  à  Vienne  le  paiement  du  concoure  prussien 
et  mobilisait,  pour  commencer,  six  corps  d'armées  et  toute  la 
cavalerie^;  Schleinitz,  son  ministre  des  Affaires  étrangères, 
annonçait  à  ses  agents  l'imminence  d'une  guerre  avec  la 
France^;  des  centaines  de  brochures  et  d'articles,  «  élucubra- 

1.  Lettres  du  prince  Albert  (9  décembre  1858),  de  la  reine  Victoria  (4  fé- 
vrier 1859). 

2.  Rapport  du  consul  général  d'Angleterre  à  Leipzig,  3  mars  1859,  dans 
Matter,  Bismarck  et  son  temps,  t.  I,  p.  463. 

3.  Malmesbury,  Mémoires  d'un  ancien  ministre,  p.  287. 

4.  Kluppfel,  Geschichte  der  deutschen  Einheitsbesirebungen,  t.  I,  p.  199. 

5.  Circulaire  du  25  juin  1859. 


NAPOLBON    III    ET   LA    PAIX.  171 

tion  en  prose  et  en  vers  »  —  ainsi  les  qualifiait  Bismarck^  — - 
réclamèrent  le  retour  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine  à  la  patrie 
allemande  ;  la  guerre  «  inévitable  »  serait  «  une  guerre  à  mort  » 
jusqu'à  la  libération  des  vieilles  terres  impériales'^. 

La  poussée  vers  le  Rhin  ne  fut  pas  moins  violente  dans  les 
Etats  du  sud  ;  en  Saxe,  une  seule  chose  embarrassait  le  ministre 
Dalwigk  :  à  qui  donnerait-on  l'Alsace-^? 

L"Empereur  se  trouva  ainsi  dans  la  nécessité  ou  «  d'accepter 
la  lutte  sur  le  Rhin  comme  sur  l'Adige^  »,  ou  de  traiter  tout  de 
suite  sur  le  Mincio,  n'exigeant  de  l'Autriche  que  la  Lombardie 
et  lui  laissant  la  Vénétie.  Il  décida  de  céder,  et  juste  à  temps, 
alors,  dira  plus  tard  Bismarck,  «  qu'il  ne  s'en  fallait  que  de 
l'épaisseur  d'un  cheveu  que  la  Prusse  fut  entraînée  dans  une 
grande  guerre  de  coalition  européenne  »''.  Le  traité  de  Villa- 
frauca  fut  un  acte  de  bon  sens,  mais  qui  fut  suivi  presque  aussi- 
tôt par  les  pires  fautes. 

Les  révolutions  de  Toscane  et  deNaples,  bien  qu'elles  n'eussent 
été  rendues  possibles  que  par  les  victoires  françaises,  laissèrent 
l'Italie  libre  de  se  constituer  à  sa  guise,  dans  un  royaume  uni  et 
non  pas  sous  la  forme  fédérale  que  Napoléon  III,  s'il  était  aUé 
jusqu'au  bout  de  sa  promesse,  aurait  peut-être  pu  imposer.  Sur- 
tout, la  question  italienne  demeurait  ouverte,  puisque  Venise 
restait  aux  Autrichiens  et  Rome  au  pape  sous  la  protection  des 
troupes  françaises. 

L'Empereur  avait  rendu  un  service  assez  signalé  à  l'Italie, 
comme  aucune  nation  n'en  avait  reçu  d'aucune  nation,  et  il 
avait  rencontré  déjà  assez  d'ingratitude  pour  être  en  droit  de, se 
désintéresser  de  la  Vénétie. 

L'intervention  de  l'Allemagne,  et  surtout  de  la  Prusse,  en 
faveur  de  l'Autriche,  l'obligation  de  s'arrêter  devant  elle  en  pleine 
victoire,  eussent  pu  lui  laisser  quelque  dépit,  en  tout  cas  l'éclai- 
rer. Il  eut,  semble-t-il,  pendant  une  heure,  le  sentiment  qu'il 
n'avait  pas  des  devoirs  seulement  envers  l'Italie.  Puis  il  redevint 
prisonnier  de  sa  mission,  de  sa  vanité  d'auteur  :  signer  l'Italie, 
Napoleo  fecit,  et,  plus  que  jamais,  il  crut  à  la  Prusse. 

1.  Correspondance  diplomatique,  t.  II,  p.  427. 

2.  Grenzboten,  de  mai  1859. 

3.  Beust,  Mémoires,  t.  I,  p.  174. 

4.  Discours  de  l'Empereur  aux  grands  corps  d'État. 

5.  Discours  au  Reichstag,  du  6  lévrier  1888. 


172  JOSEPH   REINACH. 

A  la  veille  de  la  guerre  de  Crimée,  il  avait  dit  au  Corps  légis- 
latif :  «  J'ai  à  me  féliciter  de  mes  relations  avec  la  Prusse  qui 
n'ont  cessé  d'être  animées  d'une  bienveillance  naturelle ^  »  Au 
lendemain  de  la  guerre  d'Italie,  après  la  victorieuse  explosion 
prusso-allemande,  il  insista  :  «  Le  roi  de  Prusse,  en  venant  en 
France,  a  pu  juger  par  lui-même  de  notre  désir  de  nous  unir 
davantage  à  un  gouvernement  et  à  un  peuple  qui  marchent  d'un 
pas  calme  et  sûr  dans  la  voie  du  progrès  2.  » 

Incorrigible,  il  ne  voyait  que  ce  qu'il  souhaitait  voir. 

VI. 

Il  n'y  avait  eu  en  Allemagne  que  deux  hommes  pour  se  tenir 
à  l'écart  du  mouvement  contre  la  France  et  pour  conseiller  l'un 
au  peuple,  l'autre  au  roi  de  Prusse,  de  prendre  parti  contre 
l'Autriche.  C'était,  par  fidélité  à  l'esprit  de  la  révolution  de  48, 
le  socialiste  LassaUe,  et,  parce  qu'il  savait  voir  plus  loin  que  le 
soir  de  la  journée,  l'ancien  ministre  de  la  Prusse  auprès  de  la 
diète,  Bismarck. 

Lassalle  avait  écrit ^  :  «  Si  nous  avions  pour  roi  un  autre 
Frédéric,  il  attaquerait  l'Autriche  à  l'instant  et  ferait  l'unité  de 
l'Allemagne  »,  en  même  temps  que  par  son  entente  avec  la 
France  il  l'aiderait  à  achever  l'unité  de  l'Italie.  Sur  l'injonc- 
tion de  Karl  Marx,  Lassalle  désavoua  son  idée;  Bismarck  la 
recueillit.  Il  n'avait  pas  cessé,  de  son  poste  d'observation  de 
Pétersbourg,  de  dénoncer  les  «  folies  »  du  gouvernement  prus- 
sien et  des  patriotes  allemands  pendant  la  guerre  d'Italie.  Il 
était  resté  le  grand  voyant  du  Rapport  magnifique.  Il  avait 
écrit  à  son  frère  :  «  Si  nous  aidons  l'Autriche  à  la  victoire,  nous 
lui  assurerons  une  situation  comme  elle  n'en  a  jamais  eu  en 
Italie  et  en  Allemagne  depuis  l'édit  de  restitution,  et  il  faudra 
un  Gustave-Adolphe  ou  un  Frédéric  II  pour  nous  émanciper  à 
nouveau^.  » 

Dès  lors,  quatre  années  durant  (1862-1866),  Bismarck  fut 
quelque  chose  comme  le  second  Cavour  de  Napoléon  III.  Aussi 

1.  7  février  1854. 

2.  29  janvier  1862. 

3.  Dans  sa  brochure,  la  Guerre  d'Italie  et  le  devoir  de  la  Prusse. 

4.  Bismarcks'  Briefe,  p.  256  (du  8  mai  1859). 


NAPOLÉON   III   ET   LA   PAIX.  173 

bien,  à  l'en  croire,  les  deux  contemporains  qu'il  admirait  le  plus 
c'étaient  l'Empereur  et  Cavour^ 

Bismarck  a-t-il,  dès  1862,  dit  à  Disraeli,  selon  le  récit  fait  par 
l'homme  d'Etat  anglais  à  un  diplomate  russe ^,  que  son  dessein, 
s'il  prenait  le  pouvoir,  était  d'attaquer  le  Danemark  pour  s'em- 
parer du  Slesvig  et  du  Holstein,  de  chasser  ensuite  l'Autriche  de 
la  Confédération  germanique  et,  alors,  de  faire  la  guerre  à  la 
France?  L'anecdote  n'a  rien  d'invraisemblable  :  Bismarck  a 
fort  bien  pu  se  donner  la  joie  orgueilleuse  d'annoncer  son  for- 
midable dessein  à  l'interlocuteur  d'un  jour,  d'aiUeurs  avec  la 
pensée  méphistophélique  qu'on  le  prendrait  pour  un  fou.  Il  avait 
préconisé  dans  son  célèbre  rapport  de  1856  la  guerre  «  néces- 
saire »  contre  l'Autriche,  «  savant  édifice  bureaucratique  cen- 
tralisé, qui  s'écroulera  comme  un  château  de  cartes  »,  afin  de 
liquider  le  système  dualiste  au  profit  de  la  Prusse.  Cette  guerre, 
il  la  préparera  sur  l'Elbe  ;  il  cimentera  sur  la  Seine  l'unité  alle- 
mande. S'il  se  dit  que  Disraeli  le  prendrait  pour  un  rêveur  sans 
conséquence,  il  se  trompa;  romancier  et  horhme  d'État,  poli- 
tique d'autant  plus  avisé  qu'il  connaissait  mieux  le  cœur 
humain,  l'Anglais  prévint  le  Saxon  Vitzthum  :  «  Prenez  garde 
à  cet  homme;  il  projette  ce  qu'il  dit.  »  Mais  le  récit  serait-il 
controuvé  que  la  longue  association  de  Napoléon  III  et  de  Bis- 
marck n'en  serait  pas  moins  un  des  plus  étonnants  paradoxes 
de  l'histoire. 

VIL 

A  la  regarder  du  côté  français,  c'est  une  suite  ininterrompue 
de  fautes. 

Avec  l'ère  bismarckienne,  où  la  Prusse,  sous  le  continuateur 
du  grand  Frédéric,  va  monter  au  plus  haut  sommet  de  son  his- 
toire, le  second  Empire  va  recommencer  les  irréparables  dupe- 
ries et  les  tardifs  repentirs  de  la  monarchie  de  Louis  XV.  Les 
similitudes  ne  sont  pas  seulement  apparentes;  l'analogie  est  pro- 
fonde. Mêmes  causes  et  mêmes  effets,  plus  graves  encore. 

1.  Haussonville,  la  France  et  la  Prusse  devant  l'Europe,  p.  40. 

2.  Pierre  Sabouroff,  ambassadeur  de  Russie  à  Constantinople.  R<'cit  repro- 
duit par  Vitzlhum,  Saint-Pétersbourg  und  London,  l.  H,  p.  158;  voir  Lacour- 
Gayet  (Bismarck,  p.  112).  Bismarck,  à  l'époque  ambassadeur  à  Paris,  (Hait 
venu  à  Londres,  où  il  s'était  rencontré  chez  le  baron  Brunnuvv,  ambassadeur 
de  Russie,  avec  Gladstone  et  Disrat^li. 


174  TOSEPH   REINACe. 

Napoléon  III,  dès  1857,  deux  ans  avant  la  guerre  d'Italie, 
avait  livré  ses  pensées  de  derrière  la  tête  à  Bismarck,  «  la  plus 
forte  cervelle  politique  de  l'Allemagne  »,  lui  avait  dit  Stépha- 
nie de  Bade,  un  jour  que  le  Prussien  était  de  passage  à  Paris,  et 
il  avait  parlé  à  cet  inconnu  formidable  comme  s'il  se  fut  épanché 
devant  un  confident  de  théâtre,  devant  Persigny  ou  Fleury.  Il 
souhaitait  avant  tout,  lui  dit-il,  «  une  solide  entente  avec  la 
Prusse  »  pour  ses  projets  italiens,  contre  l'Autriche  et  contre 
l'Angleterre  éventuellement,  «  si  elle  s'opposait  à  son  dessein 
de  faire  de  la  Méditerranée  un  lac  un  peu  plus  français  ».  Peut- 
être  réclamera-t-il  «  une  petite  rectification  des  frontières  », 
mais  rien  que  pour  la  satisfaction  de  l'orgueil  national,  car  il 
n'a  aucune  vue  sur  le  Rhin,  et  il  paiera  volontiers  l'aUiance 
prussienne  par  le  Hanovre  et  les  duchés  de  l'Elbe  ^  ainsi  qu'il 
en  a  déjà  donné  l'assurance  au  prince  Antoine  de  Hohenzoilern, 
le  père  des  princes  Charles  et  Léopold'^. 

«  La  politique  étrangère  »,  disait  Thiers^,  «  c'est  cette  vfeiUe 
prudence  des  États  vigilants  qui  ont  l'œil  sans  cesse  ouvert  sur 
ce  qui  les  entoure  pour  empêcher  les  petits  de  devenir  grands, 
les  grands  de  devenir  plus  grands  ».  Exactement,  il  en  prit  le 
contre-pied.* 

Mêmes  offres,  plus  pressantes  encore,  en  1862,  quand  Bis- 
marck, à  la  veille  de  prendre  le  pouvoir,  vint  comme  ambas- 
sadeur à  Paris,  tant  l'Empereur  s'obstinait  à  «  trouver  à  la  France 
et  à  la  Prusse  de  conformités  d'intérêts^  »  et  à  rechercher  cette 
alliance  qui,  sans  jamais  se  refuser,  se  dérobait  toujours.  Cepen- 
dant, l'Empereur  ne  voyait  pas  ou  ne  voulait  pas  voir  le  jeu  de 
Bismarck,  cachant  la  répugnance  du  HohenzoUern  à  se  faire 
l'allié  public  du  Bonaparte.  L'année  d'après,  l'ambassadeur 
Goltz,  rendant  compte  à  Bismarck  de  l'intimité  croissante,  écri- 
.  vit  :  «  Je  suis  avec  César  de  cœur  et  d'âme  ^.  »  «  Plaire  »  à  cet 
homme  et  l'amuser,  c'était  sa  consigne. 

1.  Bismarck,  Gedanken  und  Erinnerungen,  t.  I,  p.  251  ;  conversation  avec 
Keudell  dans  Bismarck  et  sa  famille,  p.  50. 

2.  Geiicken,  Geschichte  des  orientalischen  Krieges;  Rothan,  la  Prusse  et  son 
roi  pendant  la  guerre  de  Crimée,  p.  273. 

3.  Discours  du  15  avril  1865. 

4.  Bismarck,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  324;  rapport  du  ministre  des  Aflaires  étran- 
gères et  lettre  à  BernstorflF,  dans  Horts  Kohi,  Bismarck  Jahrbuch,  t.  VI,  p.  150 
et  suiv. 

5.  31  août  1863  (Matter,  t.  II,  p.  176). 


NAPOLÉON   III   ET   LA    PAIX.  175 

Quand  s'ouvrit  la  succession  des  duchés  de  l'Elbe,  au  point 
précis  où  la  politique  française  pouvait  choisir  librement  et 
d'une  manière  décisive  entre  deux  voies  opposées,  alors  que 
Roon,  le  ministre  de  la  Guerre,  déclarait  «  qu'on  ne  pouvait 
prendre  aucune  décision  sans  l'homme  des  Tuileries  »,  et  que 
l'homme  dont  on  retrouvera  le  nom  au  bas  de  la  dépêche  d'Ems, 
Abeken,  écrivait  :  «  Que  fera  Napoléon?  c'est  la  question  qui 
domine  toutes  les  autres  »^  l'Empereur  n'eut  pas  de  scrupules 
à  sacrifier  le  Danemark  qui,  depuis  des  siècles,  avait  été  obsti- 
nément fidèle  à  la  France.  S'il  en  eut  quelque  honte,  il  eut  vite 
fait  de  rassurer  sa  conscience,  puisque  l'entreprise  se  couvrait, 
comme  il  le  dira  par  la  suite,  de  la  politique  des  nationalités 2. 
Il  fit  savoir  à  Berlin,  par  Fleury,  qu'il  était  d'accord  «  sur  les 
projets  prussiens  d'agrandissement  et  de  prépondérance  au 
détriment  de  l'Autriche 3  »  et,  par  Drouyn  de  Lhuys,  que,  si  les 
populations  y  consentaient,  il  n'avait  aucune  objection  à  leur 
entrée  dans  la  Prusse^. 

L'Autriche  s'étant  laissé  péniblement  entraîner  dans  la  guerre 
des  duchés  et  l'Angleterre  ayant  proposé  à  l'Empereur  d'accor- 
der au  Danemark  «  un  appui  au  besoin  matériel  »,  il  répondit 
qu'une  guerre  entre  l'Allemagne  et  la  France  serait  la  plus  impie 
et  la  plus  risquée-'  «  et  qu'il  n'y  fallait  pas  songer  ». 

Quand  éclatèrent  ensuite  entre  Berlin  et  Vienne  le  conflit 
pour  le  partage  du  butin  danois  et,  bientôt,  la  querelle,  autre- 
ment menaçante,  pour  la  domination  en  Allemagne,  car  la  ques- 
tion de  la  réforme  fédérale  proposée  par  Bismarck  se  posait 
bien  ainsi  :  «  Le  territoire  germanique  est  désormais  trop  étroit 
pour  contenir  un  empereur  d'Autriche  et  un  roi  de  Prusse  »•"% 
Napoléon  III  fut  encore  avec  la  Prusse'. 

Il  eût  pu,  comme  il  en  fut  pressé,  exiger  un  morceau  de  pays 
rhénan  pour  prix  d'une  neutralité  qui  laisserait  à  la  Prusse  le 

1.  Lettre  à  Bernhardi  du  23  novembre  1863,  et  Abeken,  Ein  schlichtes  Leben, 
p.  391. 

2.  Lettre  à  Droujn  de  Lhuys  du  11  juin  1867. 

3.  Fleury  à  Napoléon  III,  24  décembre  1864,  dans  les  Souvenirs  de  Fleury, 
t.  II,  p.  283. 

4.  Conversation  de  Drouyn  de  Lhuys  avec  Goltz   (dépCche  de  Drouyn  au 
ministre  de  France  à  Dresde,  du  4  avril  1864). 

'5.  Drouyn  de  Lhuys  au  prince  de  La  Tour  d'Auvergne,  ambassadeur  à  Londres, 
28  janvier  1864. 

6.  Cintrai,  ministre  à  Hambourg,  à  Drouyn  de  Lhuys,  5  avril  1866. 

7.  «  Visiblement  »,  dit  OUivier,  t.  VIII,  p.  185. 


176  JOSEPH   REINACH. 

libre  usage  de  toutes  ses  forces  contre  l'Autriche.  Il  se  refusa  à 
faire  plier  son  principe  devant  l'avantage  d'une  conquête.  Sur 
la  plage  de  Biarritz,  près  des  «  châteaux  en  Espagne  »,  ce  fut 
Bismarck,  quand  il  eut  plaidé  sa  cause  —  «  la  mission  piémon- 
taise  de  la  Prusse  »,  comme  il  affectait  de  dire,  sachant  bien  la 
puissance  des  mots,  de  la  Prusse  qui  avait  une  configuration 
impossible,  malheureuse,  «  l'épaule  démise  du  côté  du  Hanovre  », 
«  manquant  de  ventre  du  côté  de  Cassel  »,  mais  dès  qu'elle 
aurait  ses  membres  au  complet  «  elle  aurait  la  liberté  de  ses 
alliances  »  —  ce  fut  Bismarck  qui  parla  de  compensations,  et, 
nécessairement,  aux  dépens  d'autrui.  Il  répéta  une  fois  de  plus 
que  le  principe  des  nationalités  ne  s'opposerait  pas  à  l'extension 
éventuelle  de  la  France  partout  où  l'on  parle  français  dans  le 
monde  ,  c'est-à-dire  au  Luxembourg  et  en  Belgique*. 

Si  l'Empereur  retint  la  suggestion  empoisonnée,  ce  ne  fut  pas 
l'argument  qui  le  décida  pour  la  Prusse;  mais,  conséquent 
avec  lui-même,  avec  les  missions  de  Persigny  et  de  Fleury,  il 
donnait  raison  à  la  Prusse  de  vouloir  se  condenser  et  s'agran- 
dir-.  De  plus,  c'était  maintenant  la  Prusse  qui,  après  l'avoir 
arrêtée  en  1859  au  seuil  de  la  Vénétie,  la  lui  promettait  pour 
l'Italie.  Une  si  belle  occasion  de  satisfaire  à  la  fois  ses  sympa- 
thies allemandes  et  ses  sympathies  italiennes,  comment  la  lais- 
ser échapper? 

La  Prusse  ayant  posé  comme  condition  que  l'Italie  entrerait 
à  ses  côtés  dans  la  guerre  contre  l'Autriche,  ce  fut  l'Empereur 
lui-même  qui  négocia  leur  alliance  «  offensive  et  défensive  »^. 
L'Italie  hésitait;  il  la  prit  par  la  main,  la  conduisit  (à  la  lettre) 
à  Berlin  avec  l'injonction  de  pousser  hardiment  la  Prusse  à  la 
guerre  et  de  se  mettre  elle-même  en  état  de  la  faire  ^.  Le  mot 
de  Bismarck  à  Nigra  :  «  Si  l'Italie  n'existait  pas,  il  faudrait 
l'inventer  »^,  est  au  lendemain  de  Biarritz. 

L'intérêt  français  était  sacrifié,  mais  la  politique  personnelle 

1.  C'est  ce  qu'il  avait  dit  à  Lefèvre  de  Béhaine  à  la  veille  du  voyage  de 
Biarritz  (Lefèvre  de  Béhaine  à  Drouyn  de  Lhuys,  25  septembre  1865). 

2.  Lettre  du  11  juin  1866  à  Drouyn  de  Lhuys. 

3.  Traité  d'avril  1866. 

4.  Dépêches  de  Nigra  relatant  les  propos  de  l'Empereur  (28  février  1866). 
Pareillement,  dans  les  mêmes  termes,  dépêche  d'Arése  sur  d'autres  entretiens 
(30  mars  1866)  et  de  Govone  :  «  M.  Benedetti  pousse  à  la  guerre  et  nous 
pousse  à  la  conclusion  du  traité  »  (28  mars  1866).  La  Marmora,  Un  peti  plus 
de  lumière,  p.  121,  122,  139. 

5.  Nigra  à  La  Marmora  (3  novembre  1865). 


NAPOLÉON   III   ET   LA    PAIX..  177 

de  Napoléon  III,  sa  grande  idée  italienne,  allait  triompher.  Le 
traité  dûment  signé,  l'Empereur  se  préoccupa  encore  de  procu- 
rer à  l'Italie  une  contre-assurance,  qui  constituait  aussi  un 
avantage  de  plus  pour  la  Prusse.  Se  tournant  vers  Vienne,  il 
mit  pour  condition  à  sa  neutralité  que  l'Autriche,  victorieuse  ou 
vaincue,  lui  remettrait  la  Vénétie^ 

Comme  l'Autriche  y  consentit,  on  se  défend  difficilement  de 
croire  que  l'Empereur,  avec  un  peu  d'insistance,  aurait  obtenu 
de  la  cour  de  Vienne  l'abandon  immédiat  de  la  Vénétie  à  l'Ita- 
lie. L'Autriche  aurait  disposé  alors  de  toutes  ses  forces  contre 
la  Prusse  et,  avec  ce  tiers  de  l'armée  que  la  diversion  italienne 
retint  sur  l'Adige,  elle  aurait  gagné  sans  doute  la  bataille  de 
Bohême.  On  sait  assez  qu'elle  ne  la  perdit,  même  réduite  en 
nombre,  que  par  l'arrivée,  à  la  dernière  heure,  du  prince  royal 
de  Prusse.  Déjà  Bismarck  s'apprêtait  à  se  faire  tuer,  en  char- 
geant avec  le  dernier  escadron  des  cuirassiers,  «  plutôt  que 
d'être  assommé  à  coups  de  balai  par  les  vieilles  femmes 
de  Berlin  ». 

En  acceptant  à  la  fois  la  lutte  pour  le  point  d'honneur  en 
Italie  et  la  lutte  pour  la  vie  en  Bohême,  l'Autriche  exagérait 
son  imprévoyance.  Napoléon  III  souhaitait  la  victoire  de  la 
Prusse^;  très  consciemment,  en  obligeant  l'Autriche  à  vaincre 
en  Vénétie,  il  la  fit  battre  en  Bohême. 

Aussi  bien  suffirait-il  de  lire,  si  sa  politique  secrète  nous 
était  encore  inconnue,  ses  deux  manifestations  publiques  de  la 
veille  de  Sadowa.  Dans  le  discours  d'Auxerre^,  il  annonça,  avec 
une  satisfaction  extrême,  la  destruction  imminente  des  traités 
de  1815,  que  la  défaite  de  la  Prusse  aurait  consolidés  en  Alle- 
magne par  le  maintien  de  la  Constitution  fédérale;  dans  la 
lettre  à  Drouyn  de  Lhuys'*,  il  se  prononça  contre  l'Autriche  sur 
les  trois  causes  du  conflit  :  la  situation  géographique  de  la  Prusse 
mal  délimitée  ;  les  vœux  de  l'Allemagne  demandant  une  recons- 
titution politique  plus  conforme  à  ses  besoins  généraux;  la 
nécessité  pour  l'Italie  d'assurer  son  indépendance  nationale. 

1.  Traité  du  12  juin  1866. 

2.  «  Il  est  à  ma  connaissance  personnelle  qu'un  mois  à  peu  près  avant  le  com- 
mencement des  hostilités  de  1866,  l'empereur  Napoléon  III  croyait  au  succès 
de  la  Prusse,  et  même  qu'il  le  désirait.  »  (Renan,  lettre  à  Strauss.)  L'infor- 
mateur de  Renan,  c'est  le  prince  Napoléon. 

3.  8  mai  1866. 

4.  11  juin. 

Rev.  Histor.  CXXXVI.  2»  fasc.  12 


178  JOSEPH   REINACH. 

Si  un  congrès  s'était  réuni;  il  eût,  «  en  ce  qui  le  concernait, 
désiré  pour  la  Prusse  plus  d'homogénéité  et  de  force  dans  le 
monde  de  l'Allemagne  ». 

De  l'aveu  même  de  Bismarck,  il  eût  suffi  d'une  simple  démons- 
tration française  sur  le  Rhin  pour  que  la  Prusse  fût  obligée  de 
diviser  ses  forces.  L'Autriche  ayant  toutes  les  siennes  en  Bohême, 
c'eût  été  pour  la  Prusse  la  défaite  certaine. 

VIII. 

Napoléon  III  a  donc  suivi,  jusqu'en  1866,  non  seulement  une 
politique  résolument  pacifique  à  l'égard  de  l'Allemagne,  maiis 
encore  une  politique  résolument  favorable  à  la  Prusse.  Dans 
les  années  suivantes,  les  dernières  du  règne,  ni  l'Empereur  ni 
l'immense  majorité  de  la  nation  ne  voulurent  davantage  la 
guerre,  mais  sans  que  la  politique  devînt  moins  incohérente  et 
plus  clairvoyante.  ^ 

Les  contemporains  furent  très  peu  instruits  des  négociations 
de  Napoléon  III  avec  la  Prusse.  Cependant,  il  en  avait  assez 
transpiré  et,  après  Sadowa,  les  faits  parlèrent  assez  haut  pour 
inquiéter  quiconque  ne  se  payait  pas  de  formules. 

La  politique  de  croisade  avait  eu  son  heure  de  popularité, 
surtout  dans  les  milieux  démocratiques.  Les  afiaires  d'Italie 
avaient"  fort  contribué  à  en  montrer  les  inconvénients.  Un 
peuple  qui  s'attribue  la  mission  d'affranchir  tous  les  peuples, 
opprimés  ne  risque  pas  seulement  la  guerre  avec  tous  les  gou- 
vernements oppresseurs,  il  s'expose  à  voir  se  retourner  contre 
lui  la  liberté  qu'il  a  apportée. 

Ainsi  l'Italie  nous  savait  moins  de  gré  de  lui  avoir  conquis  la 
Lombardie,  de  l'avoir  encouragée  à  révolutionner  la  Toscane  et 
les  deux  Siciles  et  de  lui  avoir  donné  la  Vénétie,  qu'elle  ne  nous 
eu  voulait  de  l'empêcher  d'aller  à  Rome,  où  nous  montions  tou- 
jours la  garde  autour  du  pouvoir  temporel.  Bien  plus,  ayant 
échoué  à  conquérir  la  Vénétie  de  vive  force,  battue  sur  terre  à 
Custozza.et  sur  mer  à  Lissa,  elle  nous  en  voulait  encore  de  lui 
en  avoir  fait  le  don,  qu'elle  qualifiait  d'«  humiliant  »  et,  comme 
on  disait  alors,  d'  «  avoir  eu  à  notre  doigt,  avant  de  le  passer 
au  sien,  l'anneau  de  saint  Marc  »^.  La  presse  créa  de  toutes 

1 .  Marc  Dufraisse,  Histoire  du  droit  de  paix  et  de  guerre,  p.  464. 


NAI'OLÉON    III    ET   LA   PAIX.  179 

pièces  la  légende  qu'au  moment  où  Napoléon  III  proposa,  ou 
imposa,  l'armistice  après  Sadowa,  l'armée,  tout  à  coup  relevée 
de  ses  défaites,  s'apprêtait  à  passer  les  Alpes  et  à  opérer  sa 
jonction  avec  les  Prussiens  devant  les  murs  de  Vienne.  Alors  ce 
n'eût  pas  été  seulement  Venise  qui  tut  redevenue  italienne,  mais 
toute  la  montagne  de  Trente,  l'Istrie  avec  Triteste,  la  Dalmatien 

Il  flottait  néanmoins  autour  de  notre  politique  italienne 
cçmme  une  poésie  qui  faisait  totalement  défaut  à  la  politique 
allemande.  La  politique  du  sentiment  est  périlleuse;  eUe  a  sa 
logique.  Dans  la  guerre  des  Duchés,  le  sentiment  s'était  pro-^ 
nonce  pour  le  petit  et  héroïque  Danemark.  Dans  la  guerre  de 
1866,  beaucoup  de  sympathies  étaient  allées  àl' Autriche,  dépouil- 
lée parla  Prusse  des  territoires  qu'elles  avaient  conquis  ensemble. 
Comme  Bismarck  était  resté  étroitement  cuirassé  dans  sa  diplo- 
matie réaliste,  il  ne  parlait  pas  aux  imaginations.  Il  ne  libérait 
pas,  il  prenait. 

L'opinion  avait  commencé  de  bonne  heure  à  voir  clair.  Alors 
que  Napoléon  III  emmêlait  encore  sa  mission  italienne,  qu'il 
proclamait,  et  sa  mission  allemande,  qu'il  se  gardait  d'avouer,  les 
faits  se  dégageaient  des  illusions;  ils  apparaissaient  comme 
menaçants  pour  la  sûreté  du  pays.  Si  les  traités  de  1815  avaient 
méconnu  les  droits  des  peuples,  au  moins  avaient-ils  été  dres- 
sés contre  l'ambition  des  conquérants.  Ils  étaient  détruits,  mais 
au  profit  de  conquérants  italiens  et  allemands. 

Si  l'on  regardait  à  la  carte,  on  y  voyait  que  la  France  avait 
tout  juste  retrouvé  sa  frontière  des  Alpes,  pendant  que  le  Pié- 
mont s'était  étendu  sur.  toute  la  Péninsule  et  que  la  défaite  de 
l'Autriche  avait  livré  l'Mlemagne  à  la  Prusse.  Sans  doute,  la 
France  pouvait  se  satisfaire  de  la  place  qu'elle  occupait  alors 
et  qui  est  exactement  celle  qu'elle  a  retrouvée  aujourd'hui  ;  mais 
à  la  condition,  toutefois,  de  ne  pas  se  sentir  menacée;  or,  com- 
ment des  inquiétudes  ne  lui  seraient-elles  pas  venues  de  deux 
grands  Etats  substitués  sur  ses  flancs  à  des  poussières  d'États? 
Ainsi  rEm})ereur  n'avait  abaissé  le  Habsbourg  que  pour  élever 
le  Hohenzollern.  Il  n'avait  supprimé  le  moindre  danger  que  pour 
lui  substituer  un  plus  grand  péril!  Thiers  avait  eu  raison  -  : 
Napoléon  III  «  s'était  prêté  à  réédifier  l'ancien  empire  germa- 

1.  Dépêche  de  Malaret  du  li  juillet  1866;  Harcourt,  les  Quatre  mitiistères 
de  Drouyn  de  Lhuys,  \>.  263. 

2.  Discours  du  3  mai  186G. 

/ 


180  JOSEPH  REINACH. 

nique  que  la  France  avait  peu  à  peu  démoli  pendant  deux  siècles 
de  batailles,  depuis  Marignan  jusqu'à  Almanza  »  ;  le  Monstre 
«  qui  résidait  autrefois  à  Vienne  résiderait  à  Berlin,  plus  près 
de  la  frontière  » ,  la  pressant  et  la  serrant  et,  «  pour  com- 
pléter l'analogie,  au  lieu  de  s'appuyer,  comme  dans  les  xv®  et 
XVI®  siècles,  sur  l'Espagne,  s'appuyant  sur  l'Italie  ». 


IX. 

Au  lendemain  de  l'éclair  qui  laissa  entrevoir  un  peu  d'avenir, 
ce  que  l'opinion  comprit  surtout,  ce  fut  que  l'Empereur  n'avait 
pas  fait  une  politique  française.  Il  avait  fait  d'abord  de  la  poli- 
tique italienne,  et  ensuite  avait  travaillé  pour  le  roi  de  Prusse. 
L'un  de  ses  meilleurs  ambassadeurs,  du  haut  poste  d'observation 
qu'est  le  Vatican,  aUait  l'écrire  durement  :  «  Ce  que  je  reproche  à 
ce  qui  se  fait,  c'est  de  n'être  pas  français.  Faites  de  la  politique 
française.  L'Empereur  n'a  pas  charge  de  peuples;  il  a  charge 
du  peuple  français^.  »  Mérimée,  observateur  exact,  compara 
l'inquiétude  qui  se  manifestait  de  toutes   parts  à  l'angoisse 
étrange  qui   saisit  le  spectateur  du  Don  Juan  de  Mozart, 
lorsqu'il  entend  les  mesures  qui  préludent  à  l'entrée  du  comman- 
deur. Sauf  quelques  journaux  de  la  presse  démocratique,  achar- 
nés contre  l'Autriche,  toute  la  presse  donna  de  la  voix.  La  média- 
tion de  Napoléon  III,  bruyamment  annoncée  — ^  il  avait  fait 
pavoiser  Paris  comme  «  pour  une  grande  victoire-  »  —  ne  fit 
illusion  à  personne.  Il  fut  sommé,  ou  peu  s'en  fallut,  par  le  monde 
de  la  cour  et  par  ses  vieux  partisans  de  donner  satisfaction 
à  l'opinion.  Déjà  ébranlé  par  le  Mexique,  l'Empire  l'était  bien 
davantage  en  Bohême.  Randon,  ministre  de  la  Guerre,  fut  le  pre- 
mier à  appeler  Sadowa  «  une  défaite  française  ». 

Napoléon  III,  qui  avait  été  à  la  fois  complice  et  dupe,  ne  vou- 
lut ni  reconnaître  qu'il  avait  été  complice  ni  convenir  qu'il  avait 
été  dupe. 

Bien  qu'il  fût  l'homme  du  monde  qui  eût  lu  le  plus  avant  dans 
l'Empereur,  Bismarck  lui  avait  prêté  des  arrière-pensées  réa- 
listes :  «  Napoléon  III,  »  avait-il  dit  au  général  Govone,  «  désire 
une  grande  guerre  allemande,  parce  qu'à  la  tête  d'une  armée 

.1.  Lettre  (particulière)  de  Sartiges,  du  17  septembre  1866. 
2.  Dariiûon,  le  Tiers  Parti,  p.  401. 


NAPOLEON   III   ET   LA   PAIX.  181 

comme  l'armée  française,  on  peut  toujours  trouver  sa  part  du 
profit.  »  Le  pouvait-on  encore? 

L'Empereur,  s'il  ne  se  fût  engagé  ni  à  Berlin  ni  à  Florence, 
et  même  s'il  avait  eu  l'audace  de  se  dégager,  aurait  paru  cer- 
tainement sur  le  Rhin  avec  de  très  grandes  chances  avant  la 
bataille.  Maintenant,  après  Sadowa,  tout  l'échiquier  était  boule- 
versé. Ce  n'est  pas  à  dire  que  le  coup  de  l'intervention  militaire 
n'aurait  pu  être  tenté.  Il  faut  convenir  pourtant  que  l'Empereur, 
après  avoir  poussé  à  la  guerre  la  Prusse  et  l'Italie  —  et  il  y  en 
avait  des  preuves  écrites'  —  se  fût  exposé  à  de  terribles 
répliques  ;  que  Bismarck,  à  dévoiler  les  conversations  de  Bene- 
detti  et  les  négociations  avec  Govone,  aurait  eu  beau  jeu  contre 
lui,  et  qué^  l'intervention  militaire  de  la  France  eût  fort  bien  pu 
réunir  contre  elle  tous  les  Allemands,  Prussiens,  Autrichiens, 
gens  du  Sud  et  gens  du  Nord. 

C'est  ce  qu'écrivaient  les  agents  attentifs  :  La  Rochefoucauld, 
d'Astorg  :  «  A  la  veiUe  de  Sadowa,  une  puissance  qui  aurait 
prêté  aux  Etats  (de  la  Confédération)  son  assistance  matérielle 
contre  la  Prusse  aurait  trouvé  300,000  hommes  au  plus  bas 
mot  pour  lui  servir  d'avant-garde.  Aujourd'hui,  l' Allemagne  tout 
entière  se  soulèverait  en  armes  contre  la  puissance  étrangère 
qui  paraîtrait  sur  le  Rhin 2...  »  Dalwigk,  premier  ministre  du 
Hesse-Darmstadt,  le  dit  brutalement,  non  sans  regret  :  «  La 
France  a  perdu  sa  force  en  Allemagne.  En  juin,  nous  aurions 
été  avec  vous,  si  vous  nous  aviez  secourus.  Nous  désirions  fran- 
chement votre  secours.  Maintenant,  l'Allemagne  est  conquise; 
elle  est  une  vis-à-vis  de  vous.  Nous  sommes  enrégimentés.  Le 
jour  où  vous  ferez  un  pas,  nous  aimerons  encore  mieux  tirer 
sur  vous  que  de  périr  chez  nous  par  les  soins  de  la  Prusse'^  » 
Bismarck,  d'autre  part,  est  convenu  que  l'intervention,  même 
en  juillet,  l'eût  mis  dans  une  situation  très  difficile  ;  «  elle  aurait 
obligé  l'armée  prussienne  à  couvrir  Berlin  et  à  abandonner  ses 
succès  en  Autriche^  ». 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'Empereur  n'eut  pas  plus  tôt  décidé  de  mobi- 
liser, à  la  demande  pressante  de  quelques-uns  de  ses  ministres, 
qu'il  donna  contre-ordre  le  soir  même  (5  juillet),  tant  il  répugnait 

1.  Voir  plus  haut,  p.  175. 

2.  La  Rochefoucauld  à  Drouyn  de  Lhuys,  de  Darmstadt,  12  août  1866. 

3.  D'Astorg  à  La  Valette,  de  Darmstadt,  25  seplemhre  1866. 

4.  Discours  du  16  janvier  1874. 


182  JOSEPB   REINACH. 

toujours  à  l'idée  «  impie  »  d'une  guerre  contre  l'Allemagne, 
escomptait  encore  l'alliance  prussienne,  subissait  les  influences 
italiennes,  nécessairement  hostiles  à  toute  démonstration  fran- 
çaise'. Aussi  bien  la  non-intervention  était-elle  une  politique 
qui  se  pouvait  défendre,  comme  l'intervention  eût  été  une  poli- 
tique qui  se  serait  justifiée;  le  défi  au  bon  sens,  ce  fut  le  troi- 
sième parti  auquel  s'arrêta  l'Empereur. 

Il  n'y  a  pas,  dans  toute  la  diplomatie  impériale,  de  plus  déso- 
lant chapitre  que  celui  des  demandes  de  compensation  de  1866. 
Tout  ce  que  les  avocats  de  Napoléon  III  ont  pu  dire  ici  à  sa 
décharge,  c'est  que,  malade,  irrité  —  tel  «  un  homme  qui  n'a 
pas  sa  bonne  conscience ^  »  —  il  ne  fit  que  céder  aux  objurga- 
tions de  l'entourage  et  qu'accepter  de  ses  conseillers  intimes 
l'idée,  absurde  entre  toutes,  que  la  Prusse  victorieuse,  devenant 
la  tête  et  la  maîtresse  de  l'Allemagne,  consentirait  à  céder  béné- 
volement un  arpent  de  terre  allemande  à  seule  fin  de  donner 
satisfaction  à  l'amour-propre  des  Français  et  de  remettre  en  selle 
leur  chef  désarçonné,  et  l'idée  détestable  de  s'emparer  de  la  Bel- 
gique avec  le  concours  de  Bismarck  et  de  ses  armées. 

X. 

Aux  termes  d'une  dépêche  de  Drouyn  de  Lhuys  à  Benedetti, 
dont  communication  fut  faite  à  Bismarck  vingt  jours  après 
Sadowa,  «  l'équité  et  la  convenance  »  voulaient  que  «  l'Empire 
français  reçût  des  compensations  propres  à  accroître  dans  une 
certaine  mesure  sa  force  défensive  »^.  A  Nikolsbourg,  Benedetti, 
par  ordre,  était  resté  dans  le  vague  ;  à  Berlin,  en  août,  il  réclama 
la  rive  gauche  du  Rhin  jusque  et  y  compris  Mayence.  «  Idée 
personnelle  de  Drouyn  de  Lhuys  »,  selon  l'Empereur^.  Pourtant 
Napoléon  III  ne  dit  point  que,  si  malade  qu'il  ait  été  au  moment 
où  s'ouvrit  la  négociation,  il  n'en  ait  pas  été  instruit.  Drouyn  de 
Lhuys  précise  que  les  instructions  de  Benedetti  furent  «revues, 
corrigées  et  agréées  par  Sa  Majesté''.  » 

Le  refus  de  Bismarck  fut  immédiat  et  catégorique*^.  Au  dire 

1.  Harcourt,  loc.  cit.,  p.  261. 

2.  Récit  du  prince  de  Reuss  sur  sa  conversation  du  6  juillet  avec  Nkpoléon. 

3.  23  juillet  1866. 

4.  Lettre  du  12  août  1866  à  La  Valette  (voir  plus  loin,  p.  191). 

5.  Lettre  de  Drouyn  de  Lhuys  à  l'Empereur,  du  12  octobre  1867. 

6.  5  et  7  août  1866. 


NAPOLÉON   III    ET    LA    PAIX.  183 

de  Benedetti,  «  la  conversation  ne  cessa  pas  un  seul  instant 
d'être  convenable  et  courtoise  »^  Bismarck,  selon  son  récit, 
mais  il  a  toujours  eu  le  goût  de  dramatiser,  aurait  répondu  à 
l'ultimatum  :  «  C'est  bien,  nous  aurons  la  guerre  »,  puis  il  aurait 
menacé  de  s'entendre  avec  l'Autriche  :  «  Nous  vous  prendrons 
l'Alsace^...  » 

Dès  qu'il  eut  la  communication  de  Benedetti,  Bismarck  envoya 
le  général  de  Manteuffel  à  Pétersbourg.  Le  tzar  s'inquiétait  de 
voir  déposer  si  lestement  des  dynasties  (Hanovre,  Hesse,  Nas- 
sau) «  qui  régnaient  aussi  bien  que  celle  de  la  Prusse  par  la 
grâce  de  Dieu  » .  Le  roi  de  Prusse  avait  beau  se  réclamer  contre 
ces  princes  du  dieu  allemand  :  «  D'après  les  décrets  de  la  Provi- 
dence, le  sort  a  décidé  contre  eux  »3;  le  procédé  sentait  la  révo- 
lution. Mais  le  tzar  n'eut  pas  plutôt  connaissance  des  projets 
français  qu'il  retrouva  le  calme  de  sa  conscience.  Il  avait  songé 
à  proposer  un  congrès;  il  n'en  prononça  plus  le  mot. 

Benedetti  étant  retourné  à  Paris  avec  le  refus  de  Bismarck, 
l'Empereur  déclara  à  Goltz  que  toute  l'aJGFaire  était  un  malen- 
tendu et  que  Drouyn  de  Llmys  avait  abusé  de  son  état  de  mala- 
die pour  l'y  engager.  Il  restait  l'ami  de  la  Prusse  et  reconnaissant 
d'avance  les  annexions.  Goltz  télégraphia  à  Berlin  que  tout  dan- 
ger de  guerre  était  écarté^.  Drouyn  de  Lhuys  se  rabattit  alors  sur 
l'idée,  que  l'Empereur  approuva,  de  constituer  la  rive  gauche  du 
Rhin  en  un  Etat  indépendant  et  neutre,  «  un  établissement  ana- 
logue à  celui  de  la  Suisse  moderne  ou  de  la  Belgique  »,  d'ailleurs 
sous  un  prince  de  la  famille  de  Hohenzollern^.  Cela  rendrait  à 
la  Prusse  le  sacrifice  moins  pénible.  On  peut  supposer  que  Napo- 
léon avait  pensé  à  l'un  de  ces  HohenzoUern-Sigmaringen,  alliés 
des  Bonaparte,  qu'il  affectionnait  beaucoup,  Charles,  qu'il  allait 
prochainement  faire  prince  de  Roumanie,  ou  Léopold,  le^ futur 
candidat  au  trône  d'Espagne.  Comme  pour  ajouter  à  l'incohé- 
rence de  ces  temps  désemparés,  Drouyn  de  Lhuys  ne  chargea 
pas  de  la  négociation  l'ambassadeur,  mais  un  écrivain  danois'' 
que  Bismarck  ne  voulut  même  pas  recevoir,  n'ayant  pas  de  pou- 
voirs réguliers. 

1.  Benedetti,  Ma  mission  en  Prusse,  p.  181;  dépêches  des  6  el  8  août  1866. 

2.  Discours  au  Reichstag,  du  16  janvier  1874. 

3.  Exposé  des  motifs  des  projets  de  loi  sur  l'annexion  à  la  Prusse. 

4.  Sybel,  lot:  cit.,  l.  V,  p.  283. 

5.  Mémorandum. 

6.  Hansen. 


184  JOSEPH   BEINACH. 

Ce  fut  le  dernier  acte  de  ce  ministre  d'ancien  régime,  hon- 
nête, instruit,  élégant,  qui  fut  constamment  victime  de  la  diplo- 
matie secrète  de  l'Empereur.  Il  n'attendit  pas  que  sa  démission 
lui  fût  demandée  ;  il  la  donna,  au  surlendemain  de  sa  combinaison 
rhénane,  à  la  grande  joie  des  partisans  de  l'entente  prussienne^  ; 
l'intérim  des  Affaires  étrangères  fut  donné  au  ministre  de  l'Inté- 
rieur, La  VaUette,  et  Rouher,  le  vice-empereur,  prit  en  mains 
les  négociations  avec  la  Prusse  pour  une  autre  compensation 
que  la  rive  gauche,  et,  cette  fois,  en  plein  accord  avec  l'Em- 
pereur. 

Voici  maintenant  la  grande  tache  :  Napoléon  III  offre  à  Bis- 
marck son  alliance  défensive  et  offensive  ;  il  reconnaîtra  toutes 
les  annexions  de  la  Prusse;  celle-ci,  en  retour,  cédera  la  fron- 
tière de  la  Sarre,  consentira  à  la  réunion  de  Landau  et  du  Luxem- 
bourg à  la  France  et  accordera  son  concours  militaire  pour  la 
conquête  éventuelle  de  la  Belgique. 

La  France  avait  signé  au  traité  qui  garantissait  l'indépen- 
dance et  la  neutralité  de  la  Belgique;  récemment,  les  ministres 
anglais,  d'autant  plus  respectueux  de  la  parole  britannique  qu'ils 
restaient  plus  iSdèles  à  une  tradition  remontant  pour  le  moins  à 
la  guerre  de  Cent  ans,  avaient  répété  à  nos  ambassadeurs  à 
Londres  :  «  Si  vous  attachez  du  prix  au  maintien  de  la  paix, 
prenez  vos  compensations,  faites  ce  que  vous  voudrez  du  côté 
de  l'Allemagne,  mais  ne  touchez  pas  à  la  Belgique^.  »  Mais  l'en- 
tourage ne  cessait  de  répéter,  et  Benedetti  était  allé  jusqu'à  dire 
candidement  à  Bismarck^,  que  «  la  dynastie  serait  en  danger  si 
l'opinion  publique  n'était  pas  apaisée  par  des  concessions  terri- 
toriales » .  Le  tentateur  prussien  avait  tant  de  fois  montré  la  Bel- 
gique que  l'Empereur  se  laissa  glisser  au  piège. 

Récemment  encore,  Bismarck  a  repris  son  vieux  jeu  de 
diable  ironique.  A  Nikolsbourg,  il  dit  à  Benedetti  que  l'Empe- 
reur «  devait  chercher  un  équivalent  en  Belgique  et  s'offrait  de 
s'entendre  là-dessus  avec  lui  »^;  à  Berlin,  après  avoir  refusé  la 
rive  gauche,  il  s'offrit  à  prendre  avec  l'Empereur  «  d'autres 
engagements  qui  seraient  de  nature  à  satisfaire  les  intérêts  res- 

1.  Rothan,  la  Politique  française  en  1866,  p.  364. 

2.  OUivier,  t.  VIII,  p.,  566. 

3.  Commentaires  sur  les  papiers  de  Cerçay,  dans  le  Reichsanzeiger  du 
21  octobre  1871. 

4.  Benedetti  à  Drouyn  de  Lhuys,  26  juillet  1866. 


NAPOLÉON   III   ET   LA   PAIX.  185 

pectifs  des  deux  pays  »'  ;  il  expliqua,  une  autre  fois,  à  Lefèvre 
de  Béhaine  que,  «tout  en  respectant  l'autonomie  delà  Belgique  », 
la  France  pouvait  l'unir  à  elle  par  des  liens  si  étroits  «  qu'elle 
deviendrait  au  nord  son  véritable  boulevard  ».  Ainsi  excellait-il 
à  entretenir  ces  illusions  qui,  dira-t-il  le  jour  où  il  révélera 
l'aflaire  belge,  sont  «  propres  aux  hommes  d'Etat  français'  ». 
C'était  aussi  le  refrain  de  Goltz,  plus  écouté  que  jamais,  empressé 
auprès  de  l'Impératrice,  avec  qui  l'Empereur  s'épanchait  plus 
volontiers  qu'avec  ses  ministres  «  orléanistes  »,  comme  s'il  avait 
été  un  agent  italien.  Goltz  répétait  à  qui  voulait  l'entendre  que 
la  réunion  de  la  Belgique  à  la  France,  même  par  la  conquête, 
serait  «  légitime  en  principe  »  ;  l'opinion  ainsi  satisfaite,  il  n'y 
aurait  plus  d'obstacle  à  «  l'alliance  nécessaire  et  féconde  entre 
la  Prusse  et  la  France  »'^. 

Napoléon  III  n'eut  aucune  suspicion  du  côté  prussien  :  Bis- 
marck, comme  naguère  Cavour,  ne  pouvait  jouer  que  franc  jeu 
avec  qui  lui  avait  rendu  tant  de  services.  Il  paraît  bien  que, 
du  côté  de  sa  conscience,  il  éprouva  quelques  diâîcultés.  Il  par- 
vint à  se  rassurer.  Est-ce  que  l'Empereur,  à  Sainte-Hélène,  n'avait 
pas  annoncé  qu'il  n'y  aurait  en  Europe  «  d'équilibre  possible 
que  par  les  agglomérations  »?  Agglomérations  italiennes,  alle- 
mandes, franco-belges,  c'était  bien  la  vision  du  grand  homme, 
n  y  a  bien  aussi  le  droit  des  peuples  de  se  donner  une  patrie  ; 
mais  les  peuples  sont  une  chose,  les  «  nationalités  »  en  sont  une 
autre.  Lui,  l'homme  delà  politique  des  nationalités,  ne  se  démen- 
tira pas,  mais  il  interprète.  On  a  trouvé  dans  les  papiers  des 
Tuileries  cette  note  dictée  à  son  secrétaire  Conti  :  «  Si  la  France 
se  place  hardiment  sur  le  terrain  des  nationalités,  il  importe 
d'établir  qu'il  n'existe  pas  une  nationalité  belge  et  de  fixer  ce 
point  essentiel  avec  la  Prusse.  »  Pour  détruire  à  Berlin  «  la  con- 
viction que  nous  n'avons  pas  renoncé  à  revendiquer  la  rive 
gauche  »,  —  il  l'avait  laissé  revendiquer  la  veille  —  «  il  faut 
un  acte,  et  celui  qui  consisterait  à  régler  le  sort  ultérieur  de  la 
Belgique  de  concert  avec  la  Prusse,  en  lui  prouvant  que  l'End- 
pereur  cherche  décidément  ailleurs  que  sur  le  Rhin  l'extension 
nécessaire  à  la  France,  nous  vaudra  du  moins  une  certitude 

1.  Benedetti,  loc.  cit. 

2.  Circulaire  de  juillet  1870. 

3.  Rolhan,  loc.  cit.,  p.  379. 


186  JOSEPH   REINACU. 

relative  que  le  gouvernement  prussien  ne  mettra  pas  d'obstacle 
à  notre  agrandissement  dans  le  Nord^  » 

Ces  sophismes  ayant  paru  bons  à  Rouher,  l'empereur,  à  l'insu 
de  Drouyn  de  Lhuys  qui  continuait  à  expédier  les  afïaires,  lui 
confia  la  détestable  négociation.  Le  vice-empereur  eut  vite  fait 
de  se  mettre  d'accord  avec  Benedetti,  à  l'ordinaire  plus  clair- 
voyant, mais  qui,  pendant  quelques  heures,  va  se  voir  passer 
grand  homme.  Ils  signeront  leurs  dépêches  secrètes  de  noms 
convenus  :  «  Jacques  »  et  «  Mariette  ».  Benedetti  va  rentrer  à 
Berlin  où  un  courrier  spécial  lui  portera  les  instructions  de 
l'Empereur. 

Gomme  Rouher,  entre  autres  papiers  d'Etat,  avait  gardé  dans 
son  château  de  Cerçay  les  principales  pièces  de  l'affaire  belge, 
tous  ces  papiers  tombèrent  en  1870  aux  mains  de  soldats  meck- 
lembourgeois.  Bismarck  les  fit  venir  à  Versailles.  L'année 
d'après,  il  publia  dans  le  Moniteur  de  l'Empire  allemand  des 
fragments  importants  de  la  correspondance  échangée,  en- août 
1866,  entre  Rouher  et  Benedetti.  Le  traité  de  V^sailles  a  fait 
revenir  à  Paris  les  papiers  de  Cerçay  (s'il  y  manque  certaines 
pièces,  c'est  une  autre  question).  On  y  a  trouvé  le  dossier, 
manifestement  au  complet,  de  la  négociation  de  1866.  Il  n'ap- 
porte rien  d'essentiel  à  ce  que  l'on  savait  déjà  par  Bismarck, 
mais  il  ne  laisse  plus  de  place  à  la  contestation. 

Les  instructions  pour  Benedetti  sont  datées  du  16  août  : 
«  J'ai  eu  »,  écrit  Rouher,  «  une  longue  conférence  avec  l'Empe- 
reur et  cet  entretien  a  eu  pour  résultat  de  confirmer  sur  tous  les 
points  nos  appréciations  communes.  »  La  négociation  doit  avoir 
«  un  caractère  exclusivement  amical  »  ;  «  elle  doit  être  essen- 
tiellement confidentielle  »  ;  «  suivant  les  chances  de  succès,  les 
demandes  doivent  parcourir  trois  phases  successives  »  :  Bene- 
detti commencera  par  réclamer  la  frontière  de  la  Sarre,  Landau, 
Luxembourg  et,  «  par  un  traité  d'aUiance,  offensive  et  défen- 
sive, qui  serait  secret,  la  faculté  d'annexer  ultérieurement  la 
Belgique  »  ;  l'Empereur  renoncerait,  s'il  le  fallait,  à  Sarrebruck, 
à  Sarrelouis  et  «  à  cette  vieille  bicoque  de  Landau  »;  enfin, 
k  pour  apaiser  les  résistances  de  l'Angleterre,  on  pourrait  cons- 
tituer Anvers  à  l'état  de  viUe  libre  ».  Si  Bismarck  demande 
«  quels  avantages  lui  offre  un  pareil  traité  »,  la  réponse  sera 
simple  :  «  Il  assure  à  la  Prusse  une  alliance  puissante;  il  con- 

1.  Papiers  des  Tuileries,  t.  I,  p.  16-17. 


NAPOLÉON    111    ET   LA    l'AIX.  187 

sacre  toutes  ses  acquisitions;  Bismarck  ne  consent  à  laisser 
prendre  que  ce  qui  ne  lui  appartient  pas.  » 

Benedetti,  tout  de  suite,  «  s'en  tint  au  Luxembourg  et  à  la 
Belgique  (23  août)  ».  Bismarck,  sans  difficulté,  accepta,  mais 
fit  ajouter,  ce  qui  fut  admis  par  Benedetti,  que  l'Empereur  don- 
nait d'avance  son  assentiment  <:<  à  l'union  fédérale  de  la  Confé- 
dération du  Nord  avec  les  États  du  midi  de  l'Allemagne  ».  Il 
va  s'employer,  écrit  Benedetti,  à  décider  le  roi,  «  souverain 
défiant  et  irrésolu  ».  Il  est  convenu  que  l'Empereur  et  le  roi, 
Bismarck,  Rouher  et  Benedetti  resteront  seuls  dans  le  secret. 
Comme  Benedetti  a  reçu  de  Rouher,  non  un  projet  de  traité  en 
forme,  mais  seulement  «  le  résumé  succinct  et  précis  des  ins- 
tructions de  Sa  Majesté  »,  il  lui  envoie,  «  à  l'état  d'ébauche  », 
Bismarck  en  ayant  conservé  une  copie,  la  rédaction  qu'ils  ont 
élaborée.  «  Ils  remanieront,  s'il  le  faut,  ce  premier  projet, 
quand  il  aura  passé  sous  les  yeux  de  l'Empereur.  » 

Ce  sont  les  cinq  articles  tels  que  Bismarck  les  a  publiés  en 
1870,  moins  quelques  lignes  explicatives  qui  furent  supprimées 
ensuite  à  la  demande  de  l'Empereur. 

Ainsi  tombe,  devant  un  texte  signé  de  lui-même,  l'équivoque 
puérile  de  Benedetti  ^  —  quand  éclata  le  douloureux  scandale  — 
que  c'était  le  ministre  prussien  qui  avait  «  formulé  »  le  projet 
d'alliance,  et  que  c'était  lui,  ambassadeur  de  l'Empereur  des 
Français,  qui  avait  «  consenti  »,  dans  un  de  leurs  entretiens, 
«  à  transcrire  ces  combinaisons  en  quelque  sorte  sous  sa  dictée  ». 

Dans  une  autre  lettre'-',  sur  des  objections  faites  par  Rouher 
au  sujet  des  compensations  qui  seraient  offertes  à  la  Hollande 
pour  le  Luxembourg,  Benedetti  écrit  :  «  Je  dois  vous  avouer 
que  la  rédaction  (de  l'article  2)  est  mon  œuvre.  » 

«  L'Empereur  »,  répondit  Rouher,  «  attendait  avec  une  cer- 
taine impatience  vos  communications.  Aussi,  une  heure  après 
que  j'en  ai  été  en  possession,  j'ai  communiqué  à  Sa  Majesté  le 
projet  de  traité  que  vous  avez  préparé  et  vos  deux  lettres -^  La 
première  impression  a  été  très  favorable  et  pleine  de  reconnais- 

1.  Ma  missio7i  en  Prusse,  p.  182  et  suiv. 

2.  30  août. 

3.  Benedetti,  le  23  août,  avait  adressé  deux  lettres  à  Rouher  :  la  première 
sur  son  entretien  avec  Bismarck,  le  projet  do  traité  en  annexe;  la  seconde 
pour  confiriiier  son  relus  de  la  succession  de  Drouyn  de  Lhuys.  (Les  papiers 
de  Cerçay  ont  été  insérés  dans  le  lome  XII,  sous  presse,  des  Origines  diplo- 
matiques de  la  guerre.) 


188  JOSEPH   REINACe. 

sance  pour  l'habile  direction  que  vous  avez  su  donner  à  cette 
délicate  affaire...  Il  est  bien  évident  que  l'extension  delà  supré- 
matie de  la  Prusse  au  delà  du  Mein  »  —  c'est  l'addition  de 
Bismarck  au  projet  de  l'Empereur  —  «  nous  sera  une  occasion 
toute  naturelle,  presque  obligatoire,  pour  nous  emparer  de  la 
Belgique,  mais  d'autres  occasions  peuvent  se  présenter;  nous 
devons  en  être  les  juges  exclusifs  »  (23  août) . 

Le  triomphe,  qui  devenait  insolent,  fut  court. 

Entre  temps,  Bismarck  a  informé  le  roi.  Benedetti  rap- 
porte à  Rouher  ce  que  le  ministre  lui  a  dit  de  leur  entretien 
(29  août).  Le  roi  ne  s'est  pas  montré  défavorable,  préoccupé  seu- 
lement —  ce  qui  donne  bien  le  caractère  de  la  négociation  — 
«  d'obtenir  un  gage  de  notre  fidélité  et  de  notre  discrétion  ». 
«  Ainsi,  avec  sa  défiance  instinctive,  il  est  prêt  à  s'imaginer  que 
nous  pourrions,  si  notre  intérêt  ou  les  circonstances  avaient 
à  nous  le  conseiller,  donner  connaissance  à  l'Angleterre  ou 
à  d'autres  puissances  de  la  clause  relative  à  la  Belgique.  » 
Exactement  ce  que  fera  Bismarck  en  1870.  «  La  garantie  », 
aurait  répondu  le  ministre,  «  est  dans  la  compromission  que  la 
France  partage  avec  la  Prusse  en  signant  le  traité.  »  Au  surplus, 
aurait  encore  dit  Bismarck  au  roi,  quelle  alliance  serait  préfé- 
rable à  «  celle  de  la  France,  qui  n'aurait  plus  rien  à  convoiter 
sur  le  Rhin  après  l'acquisition  de  la  Belgique  »?  Toutefois,  pour 
s'éclairer  davantage  «  sur  les  véritables  dispositions  de  l'Empe- 
reur »,  le  roi  a  mandé  Goltz  à  Berlin. 

Les  premiers  doutes  viennent  alors  à  Benedetti  :  «  Je  ne  suis 
que  le  rapporteur  de  ce  que  M.  de  Bismarck  a  bien  voulu  m'ap- 
prendre  de  ses  conférences  avec  le  roi.  A-t-il  été  exact?  Je  ne 
puis  le  garantir;  il  n'est  pas  moins  prussien  que  son  souverain 
et  vous  remarquerez  que  le  roi  nous  croirait  aisément  capables 
de  lui  tendre  un  piège.  Quel  degré  de  confiance  pouvons-nous, 
de  notre  côté,  accorder  à  des  interlocuteurs  accessibles  à  de 
pareils  calculs?  »  Ainsi  se  méfiaient-ils  les  uns  des  autres. 

Bismarck  et  Benedetti  revirent,  une  dernière  fois,  la  rédaction 
du  projet,  «  avec  les  observations  dont  elle  avait  été  l'objet  à 
Paris  ».  La  conversation,  encore  cordiale,  porta  sur  des  ques- 
tions de  détail.  Mais  le  roi  n'avait  pas  encore  vu  Goltz.  Rien 
n'était  fait.  D'autre  part,  une  nouvelle  idée  était  venue  à  l'Em- 
pereur :  «  Au  lieu  de  livrer,  pour  entrée  de  jeu,  Mayence  à  la 
Prusse,  ne  vaudrait-il  pas  mieux  que  la  Prusse  s'annexât  la 


NAPOLÉON    III    ET   LA    PAIX.  189 

Saxe,  pays  protestant,  et  placer  le  roi  de  Saxe  sur  la  rive 
gauche  du  Rhin,  pays  catholique ^ ?  »  C'était  le  vieux  projet 
d'Alexandre  à  Vienne  que  l'Angleterre  et  l'Autriche,  avec  Tal- 
leyrand,  avaient  repoussé.  «  Je  tenterai,  avec  une  extrême  pru- 
dence »,  répondit  Benedetti,  «  une  suggestion  au  sujet  de  la 
Saxe.  On  regrette  ici,  plus  vivement  que  je  ne  pourrais  le  dire, 
d'avoir  renoncé  à  l'annexer'-^.  »  Il  s'inquiétait  aussi  de  la  mis- 
sion du  général  de  Manteuffel  eu  Russie  :  «  La  Prusse  a  besoin 
d'une  grande  alliance;  si  eUe  décline  celle  de  la  France,  c'est 
qu'elle  s'est  pourvue  ailleurs.  » 

Il  semble  bien  que  Benedetti  eut  à  ce  moment  le  sentiment 
que  l'affaire  était  manquée  et  qu'il  n'échangerait  plus  désormais 
avec  Bismarck  que  d'inutiles  paroles.  En  efiet,  Bismarck  avait, 
depuis  deux  semaines,  mis  les  fers  au  feu.  Les  chambres  prus- 
siennes avaient  voté  les  projets  d'annexion,  les  préliminaires 
de  Nikolsbourg  étaient  devenus  le  traité  de  Prague,  les  traités 
de  paix  et  les  conventions  militaires  secrètes  avaient  été  conclus 
avec  les  Etats  du  Sud  que  Bismarck  avait  informés  des  projets 
français.  Ainsi  était-il  nanti  et  n'avait-il  plus  besoin  de  l'Em- 
pereur. 

Il  n'y  a  pas  d'exemple  d'une  plus  extraordinaire  négociation 
qui  ait  plus  singulièrement  fini.  De  fait,  elle  ne  fut  qu'interrom- 
pue d'un  commun  accord,  mais  pour  ne  plus  recommencer,  bien 
que,  selon  Bismarck,  Benedetti  soit  revenu  en  1867,  après 
l'écliec  de  la  tentative  sur  le  Luxembourg,  au  projet  «  iavori  » 
de  l'Empereur'^  et  qu'au  dire  du  prince  Napoléon^,  ce  lut  Bis- 
marck qui,  en  1869,  se  déclara  de  nouveau  disposé  à  traiter  de 
la  Belgique.  Au  mois  de  septembre  1866,  Benedetti,  après  son 
dernier  entretien  avec  Bismarck,  eut  de  Rouher  l'autorisation 
d'aUer  se  soigner  pendant  quinze  jours  à  Carlsbad,  où  il  atten- 
drait la  dépêche  le  convoquant  à  Berlin  pour  l'entretien  défi- 
nitif. La  dépêche  ne  vint  pas.  Bismarck,  fatigué,  malade,  aUa 
de  son  côté  prendre  du  repos  pour  ne  rentrer  de  Varzin  qu'en 
décembre. 

D'une  part,  le  roi  de  Prusse,  qui  avait  répugné  à  l'alliance 
avec  l'Empereur  avant  ses  grandes  victoires,  la  repoussait  d'au- 

1.  Lettre  du  2G  août  à  Rouher. 

2.  30  août. 

3.  Reic/isanzeiger  du  21  octobre  18G7,  in  fine. 

4.  Voir  plus  loin,  p.  205. 


190  JOSEPH   REINACB. 

tant  plus  qu'il  avait  remporté  de  plus  éclatants  triomphes;  la 
seule  demande  d'une  compensation  française  sur  le  Rhin  lui 
avait  paru,  «  comme  à  toute  l'Allemagne,  une  mortelle  offense  '  »  ; 
et  Bismarck,  qui  savait  son  Europe  et  jusqu'où  il  était  possible 
de  la  défier,  n'aurait  consenti  à  aucun  moment  à  faire  signer  par 
le  roi  le  traité  belge.  Napoléon  III,  de  son  côté,  pendant  le  temps 
qu'il  avait  demandé  pour  réfléchir  au  traité,  en  avait  découvert 
l'odieux  et  la  sottise.  «  Sa  première  impression  avait  été  favo- 
rable ^  »  et  il  avait  fait  féliciter  Benedetti  parRouher  ;  la  seconde 
fut  moins  bonne.  Si  l'idée  de  mettre  la  main  sur  la  Belgique  lui 
avait  été  suggérée  par  Bismarck,  l'initiative  de  la  négociation 
venait  de  lui;  dès  lors,  la  responsabilité  lui  en  incomberait  le 
jour  qu'il  passerait  des  paroles  aux  actes,  quand  l'extension  de 
la  Prusse  au  delà  du  Mein,  d'avance  acceptée  par  Im,,  serait, 
comme  avait  écrit  Rouher,  l'occasion  «  naturelle  et  presque 
obligatoire  »  de  l'entrée  simultanée  en  Belgique  de  soldats  fran- 
çais et  d'Allemands. 

On  pourrait  presque  à  coup  sûr  fixer  la  date  où  il  vit  la  chose 
dans  toute  sa  laideur  et  recula  devant  eUe.  Si  discrète,  en  effet, 
que  la  négociation  eût  été  tenue,  ainsi  que  l'Empereur  et  Bis- 
marck n'avaient  pas  cessé  de  l'exiger  l'un  de  l'autre,  le  bruit 
en  avait  couru  à  Bruxelles  et  à  Londres.  Sur  quoi  l'Empereur, 
aussitôt  informé,  démentit  aussitôt,  imputant  le  projet  à  Bis- 
marck tout  comme  Bismarck  l'en  devait  accuser.  De  Londres,  le 
5  septembre,  Bernstorff,  qui  n'est  instruit  de  rien,  écrit  qu'il  a 
été  «  vivement  »  interpellé  par  Clarendon  sur  la  rumeur  répan- 
due que  Bismarck  aurait  offert  la  Belgique  à  Napoléon  III  qui 
aurait  refusé  avec  indignation  ;  de  Bruxelles,  le  16,  le  ministre 
russe  écrit  à  Gortschakoff  :  «  La  Belgique  s'inquiète,  l'empe- 
reur Napoléon  III  a  donné  les  assurances  les  plus  formelles, 
mais  qui  le  croit  encore  3?  » 

Ainsi  s'évanouit  le  projet  belge.  Bismarck  s'était  servi  de  la 
Belgique  avant  Sadowa  dans  la  seule  pensée  de  gagner  davan- 
tage l'Empereur  à  ses  desseins  sur  l'Allemagne  et,  après,  pour 
prendre  le  temps  nécessaire  à  la  conclusion  des  traités  qui  con- 
sacraient sa  victoire.  Mais  cette  savante  perfidie  avait  été  de 
luxe  et  il  aurait  pu  s'en  dispenser.  L'apport  de  la  Belgique  ne 

1.  Lefèvre  de  Béhaigne  à  Drouyn  de  Lhuys,  du  13  août  1866. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  186. 

3.  Sybel,  loc.  cit.,  t.  Y,  p.  311. 


NAPOLÉON    III    ET   LA    PAIX.  191 

fut  dans  la  politique  personnelle  de  l'Empereur  qu'une  considé- 
ration accessoire.  Bismarck  ne  lui  aurait  point  parlé  de  la  Bel- 
gique à  Biarritz  qu'il  ne  l'en  aurait  pas  moins  appuyé  contre 
l'Autriche  et  dans  l'intérêt  de  l'Italie,  et  Goltz  ne  lui  en  aurait 
point  parlé  après  Sadowa  qu'il  n'en  aurait  pas  moins  accueilli, 
avec  satisfaction,  les  annexions  prussiennes.  Dans  ses  combi- 
naisons de  métaphysique  mondiale,  cet  homme,  qui  était  bien 
intentionné  et  chevaleresque,  alternait  entre  la  méconnaissance 
de  l'honneur  français  et  celle  de  l'intérêt  français. 

XI. 

Si  l'opinion  ne  s'était  pas  démontée  au  lendemain  de  Sadowa 
et  si  le  monde  de  l'Empire  n'avait  pas  imposé  la  politique  des 
compensations,  faut-il  croire  que  Napoléon  III  se  fût  satisfait 
d'avoir  puissamment  aidé  à  l'unité  allemande  comme  à  l'unité 
italienne  et  de  jouer  pendant  une  heure  le  rôle  de  médiateur? 
Après  le  refus  de  Bismarck  sur  Mayence  et  l'échec  du  projet  belge, 
l'acceptation  du  fait  accompli,  dans  la  circulaire  du  16  septembre 
signée  du  ministre  intérimaire  (La  Valette),  parut  le  plaidoyer 
d'un  vaincu  qui  ne  veut  pas  l'avoir  été  et  qui  oppose  bon  visage 
à  mauvaise  fortune.  Affranchi  de  l'entourage  et  maître  de  l'opi- 
nion. Napoléon  III  l'aurait-il  dictée  deux  mois  plus  tôt?  On  peut 
le  croire,  si  l'on  rapproche  de  la  circulaire  du  16  septembre  la 
lettre  que,  dès  le  12  août,  Drouyn  de  Lhuys  étant  encore  nomi- 
nalement ministre  des  Affah*es  étrangères,  il  avait  écrite  au 
ministre  de  l'Intérieur.  L'Empereur  rejetait  sur  Drouyn  de  Lhuys 
la  responsabilité  de  la  demande  sur  Mayence  :  «  Les  journaux  vont 
jusqu'à  dire  que  les  provinces  du  Rhin  nous  ont  été  refusées.  Il 
résulte  de  ma  conversation  avec  Be^iedetti  que  nous  aurions 
toute  l'Allemagne  contre  nous  pour  un  très  petit  bénéfice^  \... 
Faites  contredire  très  énergiquement  ces  rumeurs  dans  les 
journaux.  »  Ce  fut  désormais  le  mot  d'ordre.  «  Le  véritable 
intérêt  de  la  France  n'est  pas  d'obtenir  un  agrandissement  de 
territoire  indifférent,  mais  d'aider  l'Allemagne  à  se  constituer 
de  la  manière  la  plus  favorable  à  nos  intérêts  et  à  celui  de 
l'Europe.  » 

Quoiqu'il  en  soit,  ([u'il  ait  applaudi  tout  de  suite,  dans  son  for 

1.  Souligné  dans  le  texte. 


192  JOSEPH   REINACe. 

intérieur,  à  la  victoire  de  la  Prusse  et  à  l'unité  de  l'Allemagne, 
ou  que,  repoussé  avec  perte,  il  se  soit  seulement  incliné  devant 
l'inévitable,  la  circulaire  de  septembre  a  bien  été  écrite  de  son 
style  très  personnel,  dans  une  révolte  de  ses  chimères  contre  la 
réalité. 

Il  y  répondait  à  l'opinion  «  émue  »,  il  en  convenait,  des  con- 
séquences de  Sadowa,  «  incertaine  »,  disait-il,  «  entre  la  joie  de 
voir  les  traités  de  1815  détruits  »  —  où  cette  joie  s'était-elle 
manifestée?  —  «  et  la  crainte  que  la  Prusse  ne  prît  des  propor- 
tions excessives.  »  Or,  il  suffisait  «  pour  dissiper  les  incertitudes  » 
d'  «  envisager  dans  leur  ensemble  le  passé  tel  qu'il  était,  l'ave- 
nir tel  qu'il  se  présentait.  »  Le  passé,  c'était  «  la  sécurité  pré- 
caire »  des  traités  de  Vienne  avec  «  l'Allemagne  autrichienne, 
inexpugnable  sur  l'Adige  »,  et  «  l'Allemagne  prussienne  dont 
l'avant-garde  sur  le  Rhin  était  composée  de  ces  États  secondaires 
sans  cesse  agités  par  des  désirs  de  transformation  politique  et 
disposés  à  considérer  la  France  comme  l'ennemie  de  leur  existence 
et  de  leurs  transformations  » .  Combien  l'avenir  s'annonçait  meil- 
leur !  L'Empereur  ne  se  félicitait  pas  seulement  de  l'unité,  enfin 
réalisée,  de  l'Italie,  «  mise  en  possession  de  tous  ses  éléments 
de  grandeur  nationale  »,  «  rapprochée  par  ses  idées,  ses  prin- 
cipes, ses  mœurs,  de  la  nation  qui  avait  versé  son  sang  pour 
l'aider  à  conquérir  son  indépendance  »,  il  ne  se  réjouissait 
pas  moins  «  des  garanties  que  l'unité  allemande  allait  présen-i 
ter  à  la  France  et  à  la  paix  du  monde  ».  «  La  Prusse  agrandie, 
libre  désormais  de  toute  solidarité,  assure  l'indépendance  en  Alle- 
magne. La  France  n'en  doit  prendre  aucun  ombrage.  Le  senti- 
ment national  de  l'Allemagne  satisfait,  ses  inquiétudes  se  dis- 
sipent, ses  inimitiés  s'éteignent.  En  imitant  la  France,  elle  fait 
un  pas  qui  la  rapproche  et  non  qui  l'éloigné  de  la  France.  » 
L'Empereur  y  insistait.  FaUait-il  «  regretter  qu'une  puissance 
irrésistible  poussât  les  peuples  à  se  réunir  en  grandes  agglomé- 
rations, en  faisant  disparaître  les  Etats  secondaires  »?  Ce  n'était 
pas  le  sentiment  du  neveu  de  Napoléon  P%  qui,  lui-même,  avait 
déposé  «  les  germes  des  nationalités  nouvelles  »  en  Italie  et  en 
Allemagne;  «  la  politique  doit  s'élever  au-dessus  des  préjugés 
étroits  et  mesquins  d'un  autre  âge  »,  c'est-à-dire  le  système  de 
l'équilibre,  la  tradition  capétienne,  l'un  et  l'autre  recueillis  par 
la  Convention  ;  «  l'Empereur  ne  croit  pas  que  la  grandeur  d'un 


NAPOLÉON    III    ET    LA    PAIX.  193 

pays  dépende  de  l'affaiblissement  des  peuples  qui  l'entourent 
et  il  ne  voit  de  véritable  équilibre  que  dans  les  vœux  satisfaits 
des  nations  de  l'Europe.  »  Il  n'a,  lui,  éprouvé  aucun  déboire. 
Ainsi,  d'un  aveu  retentissant.  Napoléon  III  avait  bien  eu  le  des- 
sein de  tout  ce  que  Bismarck  avait  fait.  Sa  déclaration  n'était 
pas  seulement  empreinte  du  désir  de  la  paix  ;  on  y  eût  cherché 
en  vain  une  arrière-pensée  de  guerre  ;  toujours  «  il  croyait  ce 
qu'il  disait  ». 

Nécessairement,  la  circulaire  La  Valette  enchanta  le  roi  de 
Prusse.  «  Il  y  retrouvait  »,  fit-il  dire  par  son  ambassadeur  ' ,  «  cette 
sagesse  et  ces  sentiments  bienveillants  pour  la  Prusse  qu'il  avait 
appris  de  longue  date  à  apprécier  chez  l'Empereur.  »  L'officieuse 
Gazette  de  Voss  écrivit  après  avoir  marqué  l'isolement  de 
la  France  :  «  Les  idées  personnelles  de  l'Empereur  sont  plus 
saines  que  ceUes  de  l'orléanisme,  auxquelles  Drouyn  de  Lhuys 
avait  fini  par  se  convertir.  La  nation  française  nous  est  hostile 
et  nous  devons  constamment  nous  tenir  sur  nos  gardes.  L'Em- 
pereur est  peut-être  le  seul  Français  qui  apprécie  à  leur  juste 
valeur  les  avantages  d'une  entente  avec  la  Prusse.  Qu'advien- 
dra-t-il  quand  il  quittera  la  scène?  »  Benedetti,  sachant  qu'il 
faisait  sa  cour,  transmit  aussitôt  l'article^. 

XL 

,  Si  prodigieuse  d'imprévoyance  que  paraisse  aujourd'hui  la  cir- 
culaire du  16  septembre,  où  il  n'était  question  qu'incidemment 
de  «  la  nécessité,  pour  la  défense  de  notre  te/ritoirre,  de  per- 
fectionner sans  délai  notre  organisation  militaire  »,  et  si  éton- 
nante la  théorie,  que  le  vice-empereur  Rouher  porta  ensuite 
devant  le  Corps  législatif,  de  l'Allemagne  désormais  divisée  en 
trois  tronçons  (Confédération  du  Nord,  Etat  du  Sud,  Autriche), 
cette  satisfaction  du  gouvernement,  réelle  ou  feinte,  corresi)on- 
dit  bientôt  à  une  résignation  à  peu  près  générale  de  l'opinion. 
«  La  France  avait  fait  l'unité  de  l'Italie,  la  Prusse  faisait 
celle  de  l'Allemagne.  Nous  avions  fait  école.  Qu'avions-nous  à 
dire-'?   » 

L'horizon  de  la  France  de  1866  était  assez  borné.  Laborieuse 

1.  Dépèche  à  Goltz,  28  septembre  1866. 

2.  Dépèche  du  29  septembre  1866. 

3.  Haussonville,  loc.  cit.,  p.  50. 

llEV.  HiSTOR.  CXXXVL  2"  FASC.  13 


194  JOSEPH   REINACH.  ^ 

et  économe,  elle  n'avait  pas  encore  joui  d'une  prospérité  aussi 
étendue.  Le  paysan,  qui  vendait  bien  son  blé  et  qui  aimait  Napo- 
léon III,  Y  Empereur  rural,  et  l'ouvrier,  dont  les  salaires 
n'avaient  pas  encore  été  aussi  élevés  et  qui  tenait  de  l'Empereur 
le  droit  de  grève,  étaient  parfaitement  étrangers  à  ce  souci  des 
questions  de  prestige  qui  est  le  propre  des  oligarchies  et  des 
aristocraties.  La  bourgeoisie,  avec  un  peu  plus  de  liberté,  dont 
le  besoin  lui  était  revenu,  se  fût  déclarée  satisfaite.  «  La  France 
ne  voulait  plus  de  conquêtes  ^  » 

Dans  ces  conditions,  l'irritation  du  lendemain  de  Sadowa  passa 
vite.  Après  tout,  il  était  juste  que  Venise  redevînt  italienne  ;  hors 
le  parti  catholique,  on  n'aurait  trouvé  aucun  scandale  au  mot  de 
Victor-Emmanuel  s'il  avait  été  connu  :  «  Maintenant  que  nous 
avons  Venise,  Rome  est  l'affaire  d'un  coup  de  pied-.  »  On  ne 
s'apitoya  pas  longtemps  sur  le  vieux  roi  aveugle  du  Hanovre, 
chassé  de  son  royaume  par  les  Prussiens,  ni  sur  le  bourgmestre 
de  Francfort  qui  s'était  suicidé  plutôt  que  de  survivre  aux  liber- 
tés de  la  vieille  cité  des  diètes,  faiseuse  d'empereurs.  Il  parut 
assez  indiâérent  que  les  Hessois  et  les  Hanovriens  fussent  gou- 
vernés par  des  dynasties  locales  ou  par  la  famille  de  HohenzoUern. 
Pour  toutes  sortes  d'absurdes  raisons,  la  Prusse  continuait  à 
avoir  la  réputation  d'un  Etat  démocratique. 

A  la  réflexion,  on  accepta  donc,  sans  trop  de  peine,  l'avène- 
ment d'une  Prusse  agrandie,  devenue  d'un  seul  tenant  et  prési- 
dant à  une  confédération  des  États  du  Nord.  Le  matérialisme 
politique  était,  par  ses  qualités,  comme  par  ses  défauts,  délibé- 
rément hostile  à  toute  idée  de  guerre  contre  l'Allemagne. 

Dans  le  calcul  des  responsabilités  que  nous  cherchons  à  éta- 
blir, cette  persistance  des  dispositions  pacifiques,  c'est  le  fait 
qui,  du  côté  français,  domine  tous  les  autres.  Le  public  avait  à 
peu  près  ignoré  l'affaire  des  demandes  de  compensation,  d'ailleurs 
fort  impudemment  démenties.  L'affaire  du  Luxembourg,  l'année 
d'après,  passionna  très  peu.  La  vieille  forteresse  de  Vauban 
fût  redevenue  française,  à  la  suite  du  marché  passé  avec  le  roi 
de  Hollande,  que  l'Empereur  n'en  aurait  point  tiré  grand  profit 
dans  l'opinion.  L'opposition  de  Bismarck  irrita  surtout  pour  la 
possibilité  d'une  guerre  dans  l'année  de  la  grande  foire  de  l'Ex- 
position. 

1.  Fustel  de  Coulanges,  Questions  contemporaines,  p.  56. 

2.  Sartiges  à  Drouyn  de  Lhuys,  de  Rome,  7  août  1866. 


NAPOLÉON   III   ET   LA   PAIX.  195 

La  France  ne  devait  pas  tarder  à  subir  les  dures  conséquences 
de  sa  confiance  dans  la  paix  entre  1866  et  1870.  Alors  que  Bis- 
marck était  déjà  résolu  à  une  troisième  guerre  pour  assurer  et, 
au  besoin,  étendre  les  résultats  des  deux  premières,  il  eût  mieux 
valu  que  la  France  fût  moins  dominée  par  la  vue  superficielle 
des  intérêts  immédiats  et  qu'elle  se  fût  habituée  à  la  pensée  delà 
bataille  prochaine.  L'événement  ne  l'aurait  pas  surprise  et,  on 
peut  le  croire,  n'aurait  pas  tourné  à  la  catastrophe.  La  preuve 
de  ses  intentions  pacifiques,  qui  dispenserait  de  toutes  les  autres, 
ce  fut  son  étonnement  en  juillet  1870  devant  le  guet-apens  et 
son  impréparation  à  la  guerre. 

Dans  les  quatre  dernières  années  de  l'Empire,  il  se  trouva  assu- 
rément des  hommes,  en  assez  grand  nombre,  qui  tenaient  la  guerre 
avec  la  Prusse,  non  pas  seulement  pour  inévitable,  mais  pour 
nécessaire.  C'étaient  des  officiers  à  qui  pesait  la  paix  aux  lents 
avancements;  fiers  d'avoir  triomphé  des  Russes  et  des  Autri- 
chiens, ils  brûlaient  d'en  découdre  avec  les  Prussiens;  ils  s'aga- 
çaient de  Sadowa;  leurs  victoires  de  Lombardie,  qui  auraient 
tourné  aisément  à  la  défaite,  leur  faisaient  illusion  sur  un  instru- 
ment militaire,  à  beaucoup  d'égards  archaïque.  —  C'était,  autour 
de  l'Impératrice,  presque  tout  le  monde  delà  cour,  et  au  dehors, 
surtout  dans  la  presse,  les  «  purs  »  bonapartistes,  hier  encore 
«  ambassadeurs  des  nationalités  auprès  de  l'Empereur'  »,  non 
moins  favorables  à  l'agrandissement  territorial  de  la  France  qu'à 
celui  de  l'Italie,  mais  à  qui  n'échappait  point  maintenant  que  le 
régime  était  sur  son  déclin,  et  qui  eussent  voulu  le  fortifier  par 
une  guerre  victorieuse.  — C'étaient  aussi  des  patriotes,  bien  ins- 
truits des  choses  du  dehors,  qui  connaissaient  la  Prusse  et  l'Alle- 
magne\  Ils  avaient  en  vain  annoncé  que  l'unité  germanique  était 
en  formation  depuis  trente-cinq  ans;  ils  annonçaient  maintenant 
que  r Allemagne,  «  une  fois  déchaînée,  ne  s'arrêterait  pas  », 
«  qu'elle  aspirerait  à  remplacer  la  France  au  premier  rang  des 
nations^  »,  et  ils  se  refusaient  à  accepter  que  «  la  France  per- 
mît cela^  »  ;  mais  il  ne  fallait  entrer  qu'après  une  sérieuse  pré- 
paration militaire  et  diplomatique,  avec  une  armée  au  moins 
égale  en  nombre  à  l'armée  ennemie  et  avec  des  alliances,  dans 

1.  Marc  Dufraisse,  loc.  cit.,  p.  396. 

2.  Quinnt,  lettre  du  21  juillet  I8G6. 

3.  Lamartine  (voir  Ollivier,  t.  VIII,  p.  522). 


196  JOSEPH   REINACH. 

cette  lutte  qui  déciderait  pour  un  siècle  de  la  prépondérance  entre 
l'Allemagne  et  la  France  1. 

Il  n'est  pas  vrai  de  dire  qu'il  y  eut  désormais  en  France  «  un 
parti  de  la  guerre  »  ;  il  ne  serait  pas  moins  contraire  à  la  vérité 
de  dire  qu'on  ne  parlait  pas  beaucoup  trop  de  la  guerre  à  la  cour, 
dans  les  mess  d'officiers  et  dans  les  bureaux  des  journaux.  Un 
éloquent  royaliste  a  écrit  durement  :  «  Le  régime  avait  contri- 
bué à  développer  chez  certaines  classes  de  la  société  les  côtés 
tapageurs  et  vaniteux  du  vieux  caractère  gaulois.  La  parole  était 
aux  bateleurs;  ils  étaient  les  favoris  du  règne^.  »  L'opinion  se 
répandit  au  dehors  que  «  la  France  guettait  une  revanche  de 
Sadowa  ».  De  fait,  en  dehors  de  ces  minorités,  les  inquiétudes 
qu'on  avait  eues  en  1866  et  qui,  l'année  d'après,  se  renouve- 
lèrent, affermirent,  loin  d'ébranler,  la  volonté  générale  pour  la 
paix.  Malgré  les  abus  de  la  candidature  officielle,  le  Corps  légis- 
latif, élu  en  1863,  représentait  assez  exactement  le  pays.  S'il 
écoutait  sans  déplaisir  les  critiques  de  l'opposition  contre  la  poli- 
tique impériale  dans  les  affaires  allemandes,  il  était,  à  l'exception 
«  des  effrontés-^.  »  de  l'extrême  droite,  résolument  hostile  à  toute 
tentative  de  réparer  les  fautes  commises.  L'Empereur,  au  con- 
traire de  la  cour  et  des  bonapartistes  professionnels,  ne  l'était 
pas  moins  et  le  prouva  par  ses  actes. 

S'il  avait  cherché  la  guerre,  l'affaire  du  Luxembourg  lui  en 
aurait  fourni  l'occasion.  Ni  l'Angleterre  ni  l'Autriche  n'eussent 
vu  d'inconvénient  à  la  cession  du  Luxembourg  et,  bien  plus, 
avaient  offert  leur  concours  diplomatique  ^  ;  le  duché  n'était  point 
«  un  territoire  allemand  »,  bien  que  Bismarck,  dès  juillet  1866, 
en  eût  réclamé  l'entrée  dans  la  nouvelle  Confédération  du  Nord; 
ce  dédommagement  était  bien  dû  à  la  France  pour  tout  le  con- 
cours que  Napoléon  III,  depuis  tant  d'années,  avait  prêté  à  la 
Prusse.  Bismarck,  d'un  ferme  propos,  poursuivit  l'échec  de  la 
tractation  entre  Paris  et  La  Haye,  l'humiliation  de  l'ETmpereur. 
Bien  Allemand  pour  ces  longues  rancunes,  il  ne  pardonnait  pas 
«  la  pacification  entreprise  par  Napoléon  III  aussitôt  la  bataille 
de  Sadowa  ».  Ce  sont  ses  expressions  textuelles.  «  Il  est  pos- 

1.  Gambetta,  discours  du  15  juillet  1870. 

2.  Haussonville,  loc.  cit.,  p.  56. 

3.  Ibid. 

4.  Dépêche  du  marquis  de  Moustier,  du  28  mars  1867,  à  Benedetti  sur  les 
démarches  et  communications  de  Lord  Cowley  et  de  Beust. 


NAPOLÉON    III    ET   LA    PAIX.  197 

sible,  »  avait-il  dit  encore,  «  que  le  bâton  fasse  son  effet  pour  l'ins- 
tant ;  mais  le  cocher  de  la  voiture  se  souvient  ensuite  de  celui 
qui  a  mis  le  bâton  en  travers  »^. 

Non  seulenient  l'Empereur  se  résigna  une  fois  de  plus,  renonça 
au  pourboire  du  Luxembourg  devant  l'insolente  menace  alle- 
mande, feignit  d'accepter  «  chaleureusement  »  la  neutralité 
du  duché,  mais  encore,  tant  il  était  exeftipt  de  haine  et  de  res- 
sentiment, il  ne  fut  pas  plus  tôt  sorti  de  l'incident  qu'il  poursui- 
vit à  nouveau  l'idée  de  renouer  avec  la  Prusse  et  de  reprendre 
d'anciennes  combinaisons  avec  les  vainqueurs  de  Sadowa^. 

Sa  santé,  depuis  longtemps  perdue,  et  «  sa  vitalité  chance- 
lante »  ne  suffisent  pas  à  expliquer  une  pareille  défaillance. 
C'était  «  la  politique  des  nationalités  »  qui  le  reprenait.  Comme 
le  prince  Napoléon,  comme  Emile  Ollivier  et  bien  d'autres,  comme 
Miciielet  lui-même,  il  gardait  ses  sympathies  pour  l'Allemagne, 
«  cette  grande  sœur  de  la  France  »^.  Vraiment,  il  eut  toujours, 
dans  un  coin  de  son  cœur,  des  Vergiss  mein  nicht  d'Are- 
nenberg. 

XII. 

Bien  qu'il  eût  aimé  «  ignorer  les  choses  graves  »,  que  lui  man- 
daient alors  ses  agents  en  Allemagne ^  et  qu'il  appartînt  à  cette 
sorte  de  rêveurs  et  de  théoriciens  qui,  démentis  par  la  réalité, 
disent  tranquillement  :  «  Tant  pis  pour  la  réalité  »,  tout  de  même 
il  avait  senti  le  froid  du  glaive.  Il  aurait  beau  vouloir  gar- 
der la  paix  avec  l'Allemagne,  la  guerre  pourrait  venir  le  cher- 
clier.  Il  convenait  quelquefois  que  «  des  points  noirs  étaient 
venus  assombrir  son  horizon  »^.  Il  était,  par  conséquent,  indis- 
pensable de  remettre  un  peu  d'ordre  dans  les  institutions  mili- 
taires et  de  renforcer  l'armée.  Alors  que  l'armée  prussienne  était 
plus  que  jamais  demeurée  fidèle  au  grand  précepte  de  Frédéric 

1.  Discours  du  5  décoinbre  1877  fil  du  10  février  1878. 

2.  FioUian,  Affaire  du  Lu.remhnurg,  p.  416. 

3.  La  France  devnnt  l'Europe,  p.  14  :  «  Pour  nous  aulres  Parisiens,  nous 
n'en  gardâmes  pas  moins  nos  s)  inpalhies  pour  l'Allemagne.  Les  miennes  n'ont 
jamais  varié.  Celle  année  même,  en  186G,  en  terminant  ma  grande  Histoire  de 
France,  j'énumérai  avec  plaisir  les  inlUiences  diversesque  l'Allemagne  eut  sur 
moi  à  mes  difléreuts  âges,  les  passions  littéraires,  vraiment  fortes,  que  m'ins- 
pira celte  grande  sœur  de  la  l'^ance...  »,  elc. 

4.  Rothan,  loc.  cit.,  p.  417. 

5.  Discours  de  Napoléon  III  à  Lille,  27  août  1867. 


198  JOSEPH    REINACH. 

d'  «  être  toujours  prête  »,  la  France  était,  exactement,  ouverte. 
Ducrot,  en  ayril  1867,  a  dit  à  un  diplomate  :  «  J'en  suis  réduit 
à  fermer  les  portes  de  la  citadelle  de  Strasbourg,  sous  prétexte 
de  réparations  aux  ponts-levis;  mais,  en  réalité,  pour  me  mettre 
à  l'abri  d'un  coup  de  main  ^  ?  » 

Ici  encore,  l'illusion  pacifique  empêcha  l'effort  nécessaire. 
Quand  le  roi  de  Prusse  et  Bismarck  voulurent  avoir  l'armée  de 
leur  politique,  ils  n'étaient  pas  entrés  dans  la  lutte  «  avec  leur 
âme  molle  et  des  paroles  mortes-  »,  mais  ils  avaient  passé  outre 
aux  résistances  des  députés  prussiens  et,  malgré  eux,  forgé 
l'instrument.  Au  contraire,  Napoléon  III  et  le  maréchal  Nie) 
s'arrêtèrent  devant  les  premiers  obstacles.  Leur  projet,  qui  était 
excellent,  échoua  devant  la  Commission,  «  composée  en  majorité 
de  candidats  officiels  »-K  L'Empereur  pensa  d'abord  à  relever  le 
défi  comme  avait  fait  le  roi  Guillaume;  Rouher  s'y  opposa,  Niel 
fléchit  et  Napoléon  céda,  commençant  la  défaite^  (juin  1867). 
Niel  ne  risqua  même  pas  d'affronter  le  Corps  législatif;  il  tran- 
sigea devant  la  Commission,  qui  ne  comprenait  pas  un  seul 
membre  de  gauche,  et  dénatura,  déforma  complètement  le 
projet. 

La  volonté ,  l'illusion  pacifique  de  la  France  d'alors  appa- 
raissent ici  tout  entières.  La  funeste  propagande  contre  la  loi  a  été 
engagée  par  des  royalistes,  militaires  et  civils,  et  par  un  prince  du 
sang.  «  Malheur  à  la  France  »,  s'écrie  Changarnier,  «  si,  bri- 
sant la  chaîne  de  ses  glorieuses  traditions,  elle  se  lasse  d'avoir 
une  armée  plus  puissante  par  l'organisation  que  par  le  nombre  ! 
N'essayons  pas  d'égaler  le  chiffre  de  nos  soldats  à  celui  de  nos 
adversaires  possibles.  Même  en  nous  épuisant,  nous  ne  serions 
pas  sûrs  d'y  parvenir.  Mais  ne  nous  inquiétons  pas.  S'il  est  très 
difficile  à  3,000  hommes  d'en  combattre  avec  succès  5,000,  il 
l'est  infiniment  moins  à  60,000  hommes  d'en  défaire  100,000. 
Plus  les  proportions  s'élèvent,  moins  l'infériorité  est  fâcheuse.  » 
De  même  Trochu  :  «  On  commettrait  une  faute  en  exagérant  les 
effectifs,  en  se  laissant  trop  dominer  par  les  préoccupations  de 
quantités.  »  Le  prince  de  Joinville  insiste  :  «  Exiger  davantage 

1.  Rothan,  p.  276. 

2.  Lamy,  Études  sur  le  second  Empire,  p.  168. 

3.  Ollivier,  t.  X,  p.  346. 

4.  «  C'est  avec  des  ressources  tout  à  fait  insuffisantes  que  l'Empire  engagea 
la  lutte  »  (Bernhardi,  Notre  avenir,  p.  118). 


NAPOLÉON   in   ET   LA    PAIX.  199 

(que  la  loi  de  1832),  écraser  outre  mesure  notre  race,  qui  donne 
déjà,  hélas  !  quelques  symptômes  d'épuisement,  c'est  donner  rai- 
son à  la  triste  théorie  qui  veut  que  les  peuples,  au  lieu  de  tirer 
de  leur  sein  des  armées  pour  leur  défense,  ne  sont  que  des 
machines  destinées  à  fabriquer  des  milliers  de  soldats  avec  les- 
quels on  joue  comme  avec  des  pions  sur  le  vaste  échiquier  de 
la  folie  humaine.  »  Et  Falloux  :  «  Je  suis  l'adversaire  de  la  nou- 
velle loi  militaire  dont  l'application  prolongée,  désolant  nos 
familles,  dépeuplerait  nos  campagnes.  »  Les  républicains  se  divi- 
sèrent :  dans  la  presse,  NefFtzer,  Havin  se  prononcèrent  pour 
la  loi  miUtaire  ;  au  Corps  législatif,  les  députés  divaguèrent  :  «  Si 
vous  voulez  que  l'Europe  soit  apaisée,  repoussez  le  projet  de  loi. 
L'idée  d'une  armée  nombreuse  pendant  la  paix  nous  répugne  >? 
(Favre).  «  Je  ne  vois  pas  que  la  Prusse  ait  intérêt  à  faire  la  guerre 
à  la  France.  Inutile  pour  la  justice,  le  soldat  n'est  même  pas 
nécessaire  à'ia  frontière.  Un  pays  qui  a  des  citoyens  est  invin- 
cible »  (Jules  Simon).  «  Pas  d'armée  prétorienne!  »  (PeUetan). 
«  Le  militarisme  est  la  plaie  de  l'époque  »  (Garnier  Pages).  — 
Encore  ces  sottises  ont-elles  une  apparence  vaguement  humani- 
taire. Les  députés  officiels  se  sont  décidés,  surtout,  pour  de  basses 
raisons  électorales.  Le  thème  en  a  été  fourni  par  les  familiers  du 
prince  Napoléon  :  Emile  de  Girardin,  Emilie  Ollivier,  Maurice 
Richard.  «  Il  ne  se  trouvera  pas  de  majorité  législative  qui 
immole  à  un  péril  imaginaire  la  liberté  de  six  millions  de  Français 
de  vingt  à  trente-neuf  ans.  Toucher  à  la  loi  française  pour  la 
prussifier,  ce  serait  ameuter  contre  la  loi  nouvelle  600,000  fa- 
milles, 4,200,000  personnes.  La  France  n'a  qu'un  seul  parti  à 
prendre  :  c'est  de  renoncer  systématiquement  à  la  guerre  et  de 
devenir  exclusivement  la  grande  nation  de  la  paix  »  (Girardin). 
«  Le  principe  de  la  loi  est  celui-ci  :  les  armées  de  France,  que 
j'ai  toujours,  pour  mon  compte,  trouvées  trop  nombreuses,  sont 
insuffisantes.  Mais  pourquoi  donc? Qui  nous  inquiète?  Personne. 
C'est  en  armant,  c'est  en  nous  montrant  par  là  belliqueux,  que 
nous  marchons  infailliblement  vers  la  guerre  »  (Ollivier).  «  On 
vient  proposer  d'augmenter  les  charges  militaires  et  d'enlever 
encore  des  bras  à  l'agriculture.  Non,  il  n'est  pas  possible  d'ac- 
cepter »  (Maurice  Richard').  La  loi,  si  énervée  qu'elle  eût  été 

1.  Un  mot  sur  le  projet  d'organisation  militaire,  par  le  général  Changat- 
nier;  l'Armée  française  de  1867,  par  le  général  Trochu  ;  ]^:iude  sur  Sadotva, 
par  le  prince  de  Joinvillc;  article  d'Emile  de  Girardin  dans  la  Liberté,  en 


200  JOSEPH    REINACH. 

par  la  Commission,  fut  péniblement  votée.  C'est  du  texte  de  la 
Commission  que  Jules  Favre  dit  qu'il  allait  faire  de  la  France, 
au  lieu  d'un  atelier  «  une  caserne  ».  On  inventa  beaucoup 
plus  tard  la  réplique  prophétique  de  Niel  :  «  Prenez  garde 
d'en  faire  un  cimetière  ^  !  » 

De  Zurich,  bon  poste  d'observation  sur  l'Allemagne,  un  pros- 
crit de  décembre  s'indigna  :  «  Quoi  !  la  France  étale  aux  yeux 
des  étrangers ,  qui  nous  observent ,  sa  répugnance  pour  la 
guerre,  son  amour  de  la  paix,  l'envie  grande  de  refuser  au  gou- 
vernement de  l'Empereur  l'argent  et  le  sang  nécessaires...  On 
marchande  les  moyens  d'assurer  la  paix  en  préparant  la  guerre. . . 
J'ai  le  cruel  pressentiment  que  ce  pays,  s'il  s'endort  dans 
l'ignorance  de  ces  dangers,  se  trouvera  un  jour,  avant  de 
Vavoh^  même  soupçonné,  d^ns  la  situation  où  le  premier  Empire 
fut  impuissant  à  défendre  la  France  qu'il  avait  faite  si  grande, 
si  forte,  si  une  de  l'Océan  à  la  Méditerranée,  des  Alpes  au  Rhin, 
du  Rhin  aux  Pjrrénées,  et  qu'il  allait  laisser  vaincue,  envahie, 
humiliée  et  amoindrie-.  » 

La  vérité,  c'est  qu'il  n'y  a  peut-être  pas  une  autre  époque  où 
l'esprit  militaire  de  la  nation  ait  été  aussi  affaibli  qu'au  lende- 
main de  Sadowa.  Dans  beaucoup  de  campagnes,  le  souci  légi- 
time de  garder  la  paix  avait  maintenant  tourné  au  pacifisme-^. 
Depuis  la  guerre  de  Crimée,  «  les  députés,  à  chaque  renouvelle- 
ment de  la  Chamljre,  ne  se  faisaient  élire  qu'en  promettant  le 
maintien  de  la  paix  et  la  réduction  de  l'armée  »^.  Le  rappor- 
teur de  la  nouvelle  loi  (Gressier),  bien  qu'il  eût  été  de  ceux  qui 
avaient  contribué  le  plus  à  l'édulcorer,  ne  fut  pas  réélu  au  con- 
seil général  :  «  Vous  avez  fait  mon  fils  soldat  »,  lui  dit  un  de 
ses  vieux  fermiers -^  «   Dans   l'énorme   enchérissement  de  la 

réponse  au  Siècle.  Corps  législatif,  séances  des  19  mars,  21  juin,  16  dé- 
cembre 1867,  etc..  Voir  capitaine  de  Tarlé,  Journal  des  sciences  militaires, 
avril  1913. 

1.  La  réplique  ne  figure  pas  au  Moniteur  officiel;  Ollivier,  présent  à  là 
séance,  écrit  qu'il  n'a  pas  entendu  le  propos  et  qu'aucun  de  ceux  qui  l'ont 
cité  n'a  pu  indiquer  où  il  l'avait  pris  (t.  X,  p.  381). 

2.  Marc  Dufraise,  loc.  cit.,  p.  472. 

3.  «  Je  fis  la  campagne  électorale  de  mai  1869  dans  une  circonscription 
toute  rurale  de  Seine-et-Marne;  je  puis  assurer  que  je  ne  trouvai  pas  sur  mon 
chemin  un  seul  élément  de  l'ancienne  vie  militaire  du  pays  »  (Renan,  loc.  cit., 
p.  23). 

4.  Fustel  de  Coulangcs,  p.  56. 

5.  Ollivier,  t.  X,  p.  381. 


WAPOLÉON    III    ET    LA    PAIX.  201 

main-d'œuvre,  le  paj^san  ne  pouvait  se  passer  de  son  aide  natu- 
rel pour  louer  un  ouvrier;  il  voulait  garder  son  fils.  Le  gou- 
vernement, ayant  décrété  la  garde  mobile,  n'osa  l'effectuer'.  » 
Les  doctrines  de  l'Internationale  pénétraient  de  toutes  parts  le 
monde  ouvrier.  Aux  élections  de  1869,  sur  960  candidats  938 
réclamèrent  la  diminution  des  contingents.  Le  roman  poi)ulaire, 
national,  dans  le  plein  sens  étj^mologique  du  mot,  c'est  celui 
qu'écrivent  deux  Alsaciens,  Erckmann  et  Chatrian,  qui  ont 
entrepris  de  l'aire  détester  la  guerre  du  premier  Empire  et  toutes 
les  guerres. 

Si  Napoléon  III  n'avait  pas  le  sens  de  l'histoire  de  France,  il 
connaissait  bien  le  paj^s.  Dans  cette  année  même  1867,  il  recon- 
nut très  exactement  que  la  France  ne  voulait  pas  la  guerre 
contre  l'Allemagne.  Cela  le  fortifia  dans  ses  dispositions  person- 
nelles. Il  laissa  ^er  les  choses.  On  a  mené  grand  bruit  au  sujet 
des  conversations  qu'il  engagea  un  peu  plus  tard  avec  l'Autriche 
et  avec  l'Italie  en  vue  d'une  alliance,  d'aiUeurs  en  dehors  de  ses 
ministres  et  de  ses  ambassadeurs;  elles  ne  furent,  suivant  le 
mot  de  l'archiduc  Albert,  que  des  «  débats  académiques  »2. 
Pareillement  d'autres  entretiens,  non  moins  secrets,  avec  des 
ministres  des  Etats  du  Sud,  qui  s'accommodaient  mal  de  l'hégé- 
monie prussienne.  En  efi'et,  de  temps  à  autre,  il  s'alarmait  sur 
des  avis  plus  pressants  de  Benedetti,  ou  de  l'attaché  militaire 
Stoflel,  ou  de  Ducrot,  ou  sur  quelque  nouveau  progrès  de  la 
Prusse  vers  l'unité  allemande.  Puis  la  fatigue  phj'sique  l'empor- 
tait sur  les  clairvoyances  intermittentes  d'un  cerveau  usé,  il 
revenait  à  la  poUtique  de  l'effacement  satisfait ••,  celle  de  la  cir- 
culaire La  Valette,  sa  circulaire,  et,  de  nouveau,  il  savait  gré 
à  ceux  de  ses  familiers  qui  arrêtaient  les  informations  inquié- 
tantes'*. Comme  pendant  ses  éternelles  «  patiences  »  aux  longues 
soirées  des  Tuileries  ou  de  Saint-Cloud,  il  se  trichait  lui-même  ^ 
«  Je  n'ai  pas  osé  montrer  votre  lettre  à  l'Empereur  de  peur 
de  l'affliger  »,  écrivit  un  jour  le  général  Fleury  au  général 
Ducrot.  Le  soir  de  Sedan,  Napoléon  III  dira  à  Ducrot  :  «  Vos 
pressentmients  sur  les  intentions  de  la  Prusse,  ce  que  vous 

1.  Michelet,  loc.  cit.,  p.  23. 

2.  Rapport  du  général  Lebrun,  30  mai  1870. 

3.  P.  de  La  Gorce,  Histoire  du  second  Empire,  t.  VI,  n.  125. 

4.  Correspondance  du  {jénéral  Ducrot,  t.  Il,  p.  122. 

5.  M  En  faisant  et  en  défaisant  »  ses  patiences,  «  il  se  trichait  lui-niénio  » 
(A.  Filon,  l Impératrice  Eugénie,  p.  77). 


202  JOSEPH    REINACD. 

m'aviez  dit  de  ses  forces  militaires  et  du  peu  de  moyens  que 
nous  aurions  à  leur  opposer,  tout  cela  n'était  que  trop  vrai; 
j'aurais  dû  tenir  plus  de  compte  de  vos  avertissements  et  de  vos 
conseils  ^  » 

XIII. 

La  guerre  entre  la  France  et  l'Allemagne  était-elle  inévi- 
table? 

Parce  que  la  guerre  a  eu  lieu,  la  fameuse  métaphore  «  des 
deux  convois  de  chemin  de  fer  qui,  partant  de  points  opposés  et 
éloignés,  seraient  placés  sur  la  même  voie  par  une  erreur 
funeste'^  »,  a  été  célébrée  comme  une  vision  d'une  lucidité  pro- 
digieuse. Qu'on  regarde  aux  faits  et  il  apparaît  que  la  guerre 
aurait  pu  et  dû  être  évitée  en  1870.  Goethe  a  dit  que  «  tout  ce 
qui  arrive  arrive  nécessairement  »  ;  si  on  interprète  ce  mot  dans 
l'esprit  du  fatalisme  oriental,  il  n'y  a  plus  de  science  politique; 
la  vertu  du  droit  s'effondre,  il  n'y  a  .plus  de  «  bien  »  ni  de 
«  mal  ». 

Du  côté  allemand,  la  préméditation  est  hors  de  doute,  avouée 
par  Bismarck,  glorifiée  par  ses  historiens.  Après  Sadowa,  Bis- 
marck a  dû  s'arrêter  devant  la  ligne  du  Mein  ;  il  n'a  réuni  à  la 
Prusse  que  les  États  de  l'Allemagne  du  Nord,  les  uns  qu'il  a 
simplement  annexés,  les  autres  qu'il  a  fait  entrer  de  gré  ou  de 
force  dans  la  vassalité.  Mais  pas  un  instant  il  n'a  considéré  la 
ligne  du  Mein  comme  une  frontière;  pour  tous  les  patriotes, 
«  eUe  ne  doit  être  rien  d'autre  qu'une  station  où  charger  de  l'eau 
et  du  charbon,  prendre  souffle  et  continuer-^  »  ;  les  traités  de  paix 
qu'il  a  accordés,  en  1866,  aux  États  du  Sud  ont  été  tous  pour- 
vus de  clauses  secrètes  qui  obligent  les  princes  vaincus  à  une 
alliance  défensive  et  offensive  avec  le  vainqueur  et  mettent  leurs 
troupes,  en  cas  de  guerre,  sous  le  commandement  du  roi  de 
Prusse  ;  dès  le  12  août  1866,  un  diplomate  (La  Rochefoucauld) 
a  écrit  :  «  Les  petits  États  ont  le  senthnent  que  leur  existence 
politique  a  cessé  de  fait.  »  Bismarck  a  publié  les  conventions 
militaires,  comme  il  s'en  était  réservé  le  droit,  à  son  heure,  en 
réponse  au  discours  de  Kouher  sur  les  trois  tronçons  de  l'AUe- 
mague.  Nul  avertissement  plus  clair. 

1.  Journée  de  Sedan,  par  Ducrot,  p.  43. 

2.  Prévost-Paradol,  la  France  nouvelle,  p.  388. 

3.  Discours  de  Miquel  au  Reichstag,  mars  1867. 


NAPOLÉON    m    ET    LA    l'AIX.  203 

La  Prusse,  en  1866,  avait  passé  de  dix-neuf  à  trente  et  un 
millions  d'habitants;  les  dix  millions  d'Allemands  du  Sud,  aux 
termes  de  la  paix  de  Prague,  devaient  constituer  une  confédé- 
ration indépendante;  cette  confédération  n'aura  vécu  que  sur  le 
papier  :  voici,  tout  de  suite,  les  uns  à  titre  de  sujets,  les  autres  à 
titre  d'auxiliaires,  quarante  millions  d'Allemands  à  la  disposi- 
tion de  la  Prusse.  La  France  a  laissé  faire  ;  souffrira-t-elle  que 
la  Prusse  aille  plus  loin,  qu'elle  franchisse4#Mein? 

Rouher,  comme  Tliiers,  dans  les  grands  débats  de  mars  1867 
au  Corps  législatif,  avait  paraphrasé  le  roi  Canut.  Le  tzar 
lui-même,  tout  Allemand  de  cœur  qu'il  était,  s'inquiétait  des 
«  appétits  »  du  roi  de  Prusse  et  de  Bismarck  :  «  Mon  oncle 
ferait  bien  de  digérer  ce  qu'il  a  absorbé  avant  de  se  faire  de  nou- 
veau conquérant  sur  terre  et  sur  mer'.  »  Toutefois,  Bismarck 
lui  promettait  déjà  l'abrogation  des  dispositions  du  traité  de 
Paris  sur  la  mer  Noire;  dès  août  1866,  Manteuffel  était  allé  en 
donner  l'assurance  à  Pétersbourg,  où  il  fut  l'hôte  du  tzar'^. 

Comme,  d'une  part,  l'esprit  particulariste,  bien  que  fort  atté- 
nué, survivait  dans  les  États  du  Sud,  et  que,  d'autre  part,  les 
socialistes  allemands  protestaient  contre  les  auteurs  de  la  Confé- 
dération du  Nord  qui  n'avaient  «  travaillé  qu'à  satisfaire  l'am- 
bition de  la  maison  de  Hohenzollern  »,  et  «  à  créer  une  grande 
Prusse  servie  par  des  princes  vassaux,  réduits  au  rôle  de 
préfets  »'\  Bismarck  ne  se  cacha  plus  de  son  dessein,  celui 
qu'il  avait  annoncé  à  Disraeli  :  «  J'ai  toujours  considéré  », 
a-t-il  écrit  dans  ses  Mémoires,  «  que  l'abîme  creusé  au  cours 
de  l'histoire  entre  le  sud  et  le  nord  de  la  patrie  ne  pouvait  pas 
être  pks  heureusement  comblé  que  par  une  guerre  nationale 
contre  le  peuple  voisin ,  notre  agresseur  séculaire.  »  Car  n'était-ce 
pas  la  guerre  de  l'indépendance,  de  1813  à  1815,  qui,  une  pre- 
mière fois,  «  parla  lutte  livrée  en  commun  et  avec  succès  contre 
la  France,  avait  fait  disparaître  l'antithèse  et  pétri  une  première 
conscience  nationale  »'^?Tout  de  suite,  ses  intimes,  Schleinitz, 
Bernhardi,  Blumenthal,  Moltke,  annoncèrent  la  guerre  pro- 
chaine''. Ostensiblement,  la  Prusse  la  prépara**. 

1.  Dépêche  (le  Fleury  au  prince  de  La  Tour  d'Auvergne,  minislre  des  Affaires 
étrang»>res,  du  13  novembre  1869. 

2.  Talleyrand  à  Drouyn  de  Lhuys,  1-i  août  18G6. 

3.  Discours  de  Bebel  (mars  1867). 

4.  Pensées  et  souvenirs,  t.  II,  p.  106. 

5.  Bernhardi,  Ans  mcinem  Leben,  l.  Vlll,  p.  419,  427,  etc.. 
G.  StoHel,  Rapports  militaires,  p.  289  et  suiv. 


204  JOSEPH   REINACH. 

Cependant,  Bismarck  lui-même  ne  pouvait  pas  faire  la  guerre 
pour  son  véritable  motif,  si  fort  qu'il  fût  ;  il  lui  faudra  un  pré- 
texte, sinon  honorable  et  honnête,  du  moins  plausible,  et,  de  pré- 
férence, un  incident  où  les  torts  seraient,  du  moins^en  apparence, 
à  l'Empire.  Il  n'y  avait  donc  pour  l'Empire  qu'une  seule  poli- 
tique à  suivre  exactement,  puisqu'il  voulait  la  paix,  après  qu'il 
eut  fait  lui-même  la  grandeur  de  la  Prusse  et  lui  avait  livré  l'Al- 
lemagne, c'était  TO  ne  pas  lui  fournir  le  prétexte  attendu,  de 
déjouer  son  jeu,  tout  en  se  tenant  prêt  aux  pires  surprises.  L'im- 
pardonnable faute  du  second  Empire,  ce  fut  de  continuer  à  négli- 
ger les  préparations  nécessaires,  du  moins  à  ne  point  les  pous- 
ser comme  il  eût  fallu;  il  s'est  efforcé,  par  contre,  jusqu'à  la 
dernière  heure,  où  il  tomba  au  panneau  le  plus  grossier,  à  garder 
jalousement  la  paix. 

Cette  politique  des  dernières  années  de  Napoléon  III  est  mêlée 
d'éléments  troubles  :  beaucoup  de  lassitude  des  choses  du  dehors, 
une  indulgence  persistante  pour  cette  entreprise  de  l'unité 
allemande,  qui  se  couvrait  toujours  à  ses  yeux  de  sa  propre 
théorie  des  nationalités  et  des  agglomérations.  Il  n'en  reste 
pas  moins  que,  pendant  un  peu  plus  de  trois  années,  il 
repoussa  pour  lui  la  responsabilité  que  Bismarck,  de  l'autre 
côté,  du  Rhin,  avait  prise  d'avance.  Il'avait  vu  les  épouvantes 
des  champs  de  bataille  et  il  souhaitait  de  ne  pas  les  revoir.  Il  se 
heurta  à  d'autant  plus  de  difficultés  que,  descendu  par  sa  propre 
faute  du  prestige  où  il  était  parvenu,  son  entourage  le  tentait 
d'un  appât  d'une  victoire  qui  l'y  ferait  remonter  ;  la  coterie  de 
la  guerre,  recrutée  surtout  parmi  ses  amis  les  plus  bruyants, 
sinon  les  meilleurs,  et  s'appuyant  de  l'Impératrice,  faisait,,irrup- 
tion  à  tout  moment  dans  son  cabinet.  Il  dut  subir  aussi  l'assaut 
de  ceux  des  partisans  du  régime  qui  ne  contestaient  pas  à 
l'Allemagne  du  Nord  le  droit  de  s'étendre  sur  celle  du  Sud,  mais 
qui  ne  renonçaient  pas  à  se  faire  payer  d'un  pourboire  leur  con- 
sentement à  l'œuvre  de  Bismarck. 

.  L'expérience  de  1866  et  celle  de  1867  n'avaient  servi  de  rien 
à  cette  fraction  de  la  démocratie  bonapartiste  qui  continuait  à 
s'attarder,  comme  avait  fait  la  jeune  noblesse  sous  Louis  XV', 
dans  la  haine  de  l'Autriche  et  qui  n'admirait  pas  moins  Bismarck 
que  Belle-Isle  et  ses  amis  n'avaient  célébré  Frédéric.  Bismarck, 
qui  ne  joua  jamais  sur  un  seul  tableau,  montrait  toujours  du 
doigt  la  Belgique  dans  l'espoir  de  pousser  l'Angleterre  contre  la 


NAPOLÉON    III    ET    LA    PAIX.  205 

France.  Il  reprit  (14  mars  1869)  la  scène  de  Mèphistophélès,  mais, 
cette  fois,  avec  un  docteur  Faust  plus  averti  :  «  Qu'est-ce  que 
l'Angleterre?  »  .dit-il  au  prince  Napoléon,  venu  en  touriste  à 
Berlin.  «  Si  j'étais  la  Turquie  ou  l'Egypte,  ou  quelque  rajah. 
des  Indes,  je  m'en  préoccuperais.  »  Il  offrit  de  se  rendre  à  Biar- 
ritz pour  chercher  avec  l'Empereur  le  prétexte  d'une  intervention 
française,  appuyée  par  la  Prusse,  en  Belgique^ 

Mais  l'Empereur,  aussi  dégoûté  des  vains  marchandages  que 
répugnant  à  la  bataille,  ne  voulut  rien  entendre.  Entre  les  deux 
grandes  voies  qui  s'ouvraient  devant  lui,  la  guerre  et  la  liberté, 
il  choisit  la  liberté,  qui  impliquait  la  paix,  et  recommença  à  sa 
manière  l'acte  additionnel.  Habitué  qu'il  était  aux  marches 
obliques,  s'il  n'alla  pas  droit  à  Emile  011ivier,Ll  se  rapprochait 
de  lui,  et  d'autant  plus  volontiers  que  le  séduisant  orateur  avait 
opposé  à  la  fois  aux  bonapartistes  d'extrême  droite,  qui  pariaient 
du  Rhin,  et  à  Tliièrs,  qui  prétendait  arrêter  Bismarck  devant  le 
Mein,  la  politique  des  idées  napoléoniennes.  Cette  même  poli- 
tique, qui  avait  naguère  conduit  à  la  guerre,  ramenait  à  présent 
à  la  paix  par  de  singuliers  détours.  Ollivier  se  l'appropria,  non 
point  par  courtisanerie,  mais  parce  qu'il  était  resté,  tout  grand 
lecteur  de  Machiavel  qu'il  fût,  un  romantique.  Ainsi,  il  avait  tour 
à  tour  dénié  toute  valeur  à  la  politique  de  l'équilibre,  applaudi  à 
la  destruction  des  traités  de  1815,  répudié  «  la  revendication  de 
prétendues  frontières  naturelles  »,  annoncé  que  l'Allemagne  du 
Nord  et  l'Allemagne  du  Sud,  qui  se  cherchaient  encore,  ne  tarde- 
raient pas  à  se  trouver,  et  conclu  que  «  la  seule  conduite  sage, 
habile,  digne,  c'était  d'accepter  sans  pusillanimité  et  sans  inquié- 
tude une  œuvre  (l'unité  allemande)  qui  n'était  pas  dirigée  contre 
la  France  »,  et  qu'il  valait  mieux  aider,  afin  d'avoir  «  le  bénéfice 
de  l'assistance  »,  que  simplement  «  laisser  faire '^  ».  Ce  discours 
retentissant  d'OUivier  lui  avait  valu  les  railleries  de  Thiers,  les 
invectives  de  Cassagnac  et  les  félicitations  du  prince  Napoléon, 
alors  d'accord  avec  son  cousin  sur  toutes  les  choses  du  dehors, 
sauf  sur  la  question  romaine.  Si  Napoléon  avait  eu  des  inquié- 
tudes, peut-être  des  remords  sur  sa  politique  de  1866,  la  parole 
d'OUivier  les  dissipait.  Appeler  au  gouvernement  l'auteur  de  ce 
discours,  au  mois  de  janvier  1870,  c'était  exactement  déclarer  la 
paix  à  l'Allemagne. 

1.  Récit  (lu  prince  Napoléon  (Ollivier,  t.  X,  p.  448). 

2.  Discours  du  15  mars  1867. 


206  JOSEPH   REINACH. 


XIV. 


Le  premier  ministre  resta  fidèle  aux  idées  de  l'orateur.  Ses 
adversaires,  les  vieux  bonapartistes,  eurent  beau  jeu  de  dire 
qu'il  bêlait  à  la  paix.  Bismarck,  au  traité  de  Prague i,  s'était 
engagé  à  consulter  les  habitants  du  Slesvig  septentrional, 
incontestablement  danois  ;  les  gouvernements  précédents  avaient 
insisté  pour  l'application  de  l'article  ;  le  ministère  du  2  janvier 
décide  de  «  rester  en  dehors  de  cette  question  »2.  La  nomination 
du  général  Fleury  comme  ambassadeur  en  Russie  avait  éveillé 
les  soupçons  de  Bismarck  ;  Fleury  reçoit  l'ordre  de  déclarer  au 
chancelier  russe  que  le  gouvernement  de  l'Empereur  ne  demande 
que  «  le  statu  quo  et  le  respect  des  traités  »  ;  «  il  accepte 
l'état  de  l'Europe  tel  qu'il  est  »^.  Sur  quoi  Gortschakoff,  non 
sans  ironie,  fait  savoir  «  qu'il  admire  beaucoup  la  grandeur 
d'âme  en  même  temps  que  la  haute  perspicacité  de  l'Empereur, 
qui  a  su  se  mettre  à  la  tête  d'une  révolution  pacifique  dont  le 
premier,  résultat  sera  un  gage  pour  le  maintien  de  la  paix  en 
même  temps  qu'une  assurance  pour  l'avenir  de  la  dynastie  ». 
La  Prusse  s'arrêtera-t-eUe  au  Mein  ?  La  France  l'y  arrêtera-t-elle? 
Daru  (ministre  des  Afiaires  étrangères)  ayant  simplement  écrit 
à  Benedetti  que  «  son  ambition  se  réduisait  à  ne  pas  laisser 
modifier  au  détriment  de  l'Empereur  et  de  la  France  la  situa- 
tion générale  qu'il  trouvait  établie  en  Allemagne  »^,  Ollivier 
jugea  que  c'était  aller  trop  loin  et  que  «  Napoléon  P""  n'eût 
point  parlé  autrement  »^.  En  conséquence,  selon  son  propre 
récit,  il  fit  venir  un  journaliste  prussien  et  lui  dicta  une  conver- 
sation où  il  affirmait  «  ses  sympathies  pour  l'Allemagne  »  et  se 
déclarait  prêt  à  trouver  bon  que  les  Etats  du  Sud  accédassent 
à  la  Confédération,  si  telle  était  la  volonté  des  populations"^. 
Enfin,  la  grande  pensée  du  ministère,  approuvée  par  l'Empereur, 

1.  Article  5. 

2.  Dépêche  de  Daru,  du  31  janvier  1870;  dépêche  du  6  janvier  au  général 
Fleury,  qui  avait  demandé  l'appui  de  la  Russie,  aussitôt  accordé  :  «  Ne  pas 
insister  davantage  sur  la  question  du  Slesvig.  »  La  femme  du  tzarévitch,  le 
futur  Alexandre  III,  était  une  princesse  danoise. 

3.  Dépêches  des  6  et  12  janvier. 

4.  Lettre  confidentielle  du  17  janvier. 

5.  Ollivier,  t.  XIII,  p.  64. 

6.  Ibid.,  p.  80  et  suiv. 


•NAPOLÉON    III    ET    LA    PAIX.  207 

ce  fut  de  faire  conseiller  par  l'Angleterre  au  roi  de  Prusse  «  l'ini- 
tiative d'un  désarmement  général  »^. 

L'Empire  libéral,  à  la  suite  du  plébiscite  qui  approuvait  la 
nouvelle  constitution ,  se  crut  à  ce  point  fortifié ,  assuré  de 
longs  lendemains  pacifiques,  qu'il  diminua  les  crédits  militaires, 
déjà  trop  maigres.  Aussi  bien  n'avait-il  obtenu  le  vote  qu'en 
jurant  que  le  plébiscite  devait  assurer  la  paix.  Le  projet  de  loi 
réduisant  le  contingent  de  100  à  90,000  hommes  fut  déposé  à 
la  veille  du  plébiscite  (21  mars  1870).  On  répandit  par  millions 
«  des  gravures  où  l'on  voyait,  sur  deux  colonnes,  le  Non,  et, 
dessous,  les  pillages  des  rouges  du  parti  de  la  guerre,  qui 
brûle  chaumières  et  moissons  ;  sous  le  Oui,  l'aimable  image  de 
la  Paix  que  l'Empereur  promettait,  moissons,  vendanges,  les 
greniers  pleins,  les  caves  pleines  »-. 

La  réduction  du  contingent  fut  votée  le  1"'' juin;  le  30,  Olli- 
vier  dit  au  Corps  législatif  :  «  A  aucune  époque  le  maintien 
de  la  paix  en  Europe  n'a  paru  assuré.  »  Il  le  croyait  comme  il 
le  disait. 

Dans  l'autre  plateau  de  la  balance,  que  pèsent  les  déclama- 
tions belliqueuses  de  quelques  milliers  d'officiers  et  d'écrivains? 
Que  pèse  même  le  propos  de  l'Impératrice  à  Prévost-ParadoP, 
la  veille  de  son  départ  pour  sa  légation  de  Washington,  sur  la 
guerre  nécessaire  à  la  consolidation  de  l'Empire? 

XV. 

Tout  à  coup  éclate  la  candidature  du  prince  Léopold  de  Hohen- 
zollern  au  trône  d'Espagne. 

L'intrigue  a  été  préparée  de  longue  date  par  Bismarck.  Au 
premier  bruit  qui  en  a  couru,  en  1869,  le  gouvernement  de  l'Em- 
pereur a  fait  savoir  à  Berlin  que  «  le  pays  ne  supporterait  pas 
l'avènement  d'un  prince  prussien  à  Madrid''  ».  Avant  même  que 
l'Empereur  soit  intervenu,  le  père  du  prince  a  écrit  à  son  autre 

1.  Janvier-février  1870. 

2.  Michelel,  loc.  cit,  p.  25  :  <  J'ai  sous  les  yeux  les  gravures...  » 

3.  Le  propos  fut  relaté  aussitôt  jiar  Prévost-Paradol  à  Ludovic  Halévy,  son 
frère  consanguin,  qui  l'avait,  ce  jour-là,  accompagné  à  Saint-Cloud.  Filon  dit 
seulement  que  Paradol,  «  en  sortani  au  bout  d'un  quart  d'heure  »  du  cabinet 
de  rimpératfice,  ne  jugea  pas  à  propos  de  lui  communiquer  aucune  impres- 
sion »  (p.  90). 

4.  Avril-mai  18G9. 


208  JOSEPH    REINACH. 

fils,  Charles,  celui  que  Napoléon  III  a  poussé  au  trône  de  Rou- 
manie :  «  La  France,  à  cause  de  nos  liens  avec  la  Prusse,  ne 
permettra  jamais  que  les  Hohenzollern  s'établissent  au  delà  des 
Pyrénées'.  »  D'autant  plus,  Bismarck  a  pressé  son  complot  à 
Berlin  et  à  Sigmaringen  comme  à  Madrid,  où  il  a  envoyé  le 
meilleur  de  ses  agents  secrets,  son  famulus  Lothar  Buscher;  il 
a  lié  partie  avec  Prim,  avec  des  députés  espagnols;  non  sans 
peine,  il  a  arraché  le  consentement  du  roi,  du  prince  Antoine, 
du  prince  Léopold.  On  connaît  par  lui-même  tout  le  détail  de 
l'insolente  embuscade. 

La  France,  ici,  est  manifestement  dans  son  droit,  dans  la  tra- 
dition la  plus  exacte  de  la  politique  d'équilibre.  La  moitié  de 
l'Europe  s'est  battue  pendant  plus  d'un  siècle  contre  l'autre  moi- 
tié pour  que  des  Habsbourg  ne  régnent  pas' à  Vienne  et  à  Madrid. 
Ce  n'a  pas  été  pour  que  l'Espagne  devienne  au  xix®  siècle  un 
apanage  de  la  Prusse.  Bismarck  a  donc  mal  choisi  son  bran- 
don. Le  style  «  héroïque  »  du  duc  de  Gramont  déplaît  à  Méri- 
mée; si  vivement  que  la  France  proteste,  elle  aura,  contre  la 
manœuvre  allemande,  l'opinion  à  peu  près  unanime  des  autres 
pays. 

Le  roi  de  Prusse  s'était  laissé  convaincre  par  Bismarck;  il 
avait  autorisé  le  prince  Léopold  à  accepter  les  offres  d'Espagne  ; 
pourtant,  il  ne  voulait  pas  la  guerre.  D'Ems,  où  il  faisait  une 
cure,  il  conseilla,  comme  chef  de  famiUe,  ce  qui  équivalait  à 
prescrire,  le  retrait  de  la  candidature.  Bismarck  ayant  cru 
habUe  de  se  retirer  à  sa  campagne  de  Varzin  pendant  qu'écla- 
terait «  la  bombe  »,  l'ambassadeur  de  France  s'était  adressé 
directement  au  roi  de  Prusse,  qui  ne  l'avait  pas  renvoyé  à  son 
ministre  des  Affaires  étrangères  comme  celui-ci  l'avait  engagé 
par  dépêche  à  faire.  Cela  ajoutait  à  la  victoire  diplomatique  que 
la  France  remportait  (12  juillet).  Le  soir  même,  Bismarck,  en 
art*ivant  à  Berlin,  apprit  la  renonciation  des  HohenzoUern. 
C'était  l'effondrement  de  toute  la  machination  savante  d'où  il 
attendait  la  guerre.  En  quittant  Varzin,  il  avait  décidé  de  se 
rendre  à  Ems  «  pour  demander  au  roi  la  convocation  du  Reichstag 
en  vue  de  la  mobilisation  »2.  Aussitôt,  il  renonça  à  son  voyage 
et  «  sa  première  pensée  fut  sa  démission  ». 

1.  Lettre  du  9  décembre  1868. 

2.  Pensées  et  souvenirs,  t.  II,  p.  101. 


NAPOLÉON   III   ET   LA    PAIX.  209 

j 

XVI. 

Si  nous  n'avions  de  Bismarck  lui-même  le  récit  des  journées 
du  12  et  du  13  juillet,  il  y  aurait  encore  un  problème  des  res- 
ponsabilités de  la  guerre.  C'est  lui-même  qui  l'a  résolu,  ou  bien 
il  faut  invoquer  le  vieil  adage  du  droit  romain  que  «  mil  ne  doit 
être  écouté,  alléguant  sa  propre  turpitude  ». 

On  ne  révisera  pas  le  jugement  qui  a  été  porté  sur  l'empereur 
Napoléon  III  et  sur  ses  ministres  pour  les  fautes  qu'ils  ajou- 
tèrent pendant  ces  deux  funestes  journées  à  toutes  ceUes  qui 
avaient  été  commises  auparavant  :  la  politique  des  nationalités 
devenue  la  politique  des  races,  l'abandon  du  Danemark,  la  dupe- 
rie de  Biarritz,  l'aide  donnée  à  la  Prusse,  les  demandes  de  com- 
pensation et,  après  tant  d'avertissements,  l'impréparation  des 
armées.  Mais,  d'autant  plus,  on  doit  préciser  et  exactement 
qualifier  les  fautes  suprêmes,  comme  on  fait  pour  les  délits  et 
les  crimes  devant  les  tribunaux,  et  ne  pas  imputer  aux  uns, 
ainsi  qu'on  l'a  fait  trop  longtemps,  les  actes  et  les  intentions  des 
autres.  Il  faut  donc  dire  que  Napoléon  III  laissa  échapper  la  paix 
et  que  Bismarck  voulut  la  guerre. 

Il  n'est  pas  contestable  que  la  candidature  du  prince  de  Hohen- 
zollern,  où  tous  les  torts  étaient  du  côté  de  ses  instigateurs, 
donna,  du  premier  jour,  un  surcroît  d'audace  et  de  force  à  la 
coterie  qui  voulait  la  guerre  contre  la  Prusse  et  qui  en  atten- 
dait, avec  des  conquêtes  rhénanes,  la  consolidation  de  la  dynas- 
tie et  le  retour  au  régime  autoritaire.  Ces  échauJBfés  étaient 
notoirement  hostiles  à  l'expérience  de  l'Empire  libéral.  La  res- 
ponsabilité de  ce  «  parti  parlementaire  de  la  guerre  »  dans  les 
malheurs  publics  est  d'autant  plus  considérable  que  les  fautes 
dU'  gouvernement  impérial,  en  juillet  1870,  ont  été  surtout, com- 
mises pour  échapper  aux  accusations  de  faiblesse  qui  grondaient 
contre  lui  au  Corps  législatif  et  dans  la  presse,  parmi  les  ennemis 
du  ministère,  au  lieu  qu'il  eût  fallu  aUer  bravement  au-devant 
d'elles  avec  la  conscience  des  devoirs  heureusement  accomplis 
et  la  satisfaction  de  la  victoire  diplomatique,  où  Bismarck  crou- 
lait. 

C'est  ce  dont  est  convenu  Emile  Ollivier,  car,  dans  cette  his- 
toire qui  restera  toujours  d'une  lecture  tragique,  c'est  Ollivier 
et  Bismarck  qui  ont  apporté  devant  la  barre  les  preuves  déci- 
IlEv.  HisTOit.  (JXXXVI.  2"  FASc.  14 


210  JOSEPH   REINACH. 

srves,  contre  eux-mêmes.  Ayant  raconté  le  désistement  du  prince 
de  HohenzoUern  :  «  Si  donc  »,  a  écrit  Ollivier,  «  aucun  incident 
nouveau  ne  surgissait,  voici  comment  les  choses  se  seraient 
passées.  Le  roi  de  Prusse,  dans  la  journée  du  13,  aurait  com- 
muniqué à  Benedetti  la  renonciation  qu'il  attendait.  Il  eût  ajouté 
qu'il  l'approuvait  et  autorisé  notre  ambassadeur  à  transmettre 
cette  double  assurance  à  notre  gouvernement.  Ainsi  eussent  été 
obtenues  les  deux  conditions  posées  par  Gramont  :  l'abandon  de 
la  candidature  et  la  participation  saisissable  du  roi  à  cet  abandon. 
Notre  victoire  du  12  au  soir  eût  été  complétée  le  13  et  Bismarck 
eût  été  définitivement  vaincu.  Il  se  serait  retiré  au  moins 
quelque  temps  des  affaires  et  le  nuage  gros  de  calamités  que  ce 
barbare  de  génie  promenait  sur  l'Europe  disparaissait  de  l'hori- 
zon européen.  Notre  ministère,  après  avoir  assuré  au  pays  la 
liberté,  lui  eût  assuré  le  prestige  d'une  paix  glorieuse ^  »  Or, 
les  incidents  surgirent  par  le  fait  même  des  vainqueurs. 

Quand  Emile  OUivier,  le  15  juillet,  vers  deux  heures,  apprend 
la  renonciation  du  prince  Léopold,  il  court  d'abord  «  donner  la 
bonne  nouvelle  à  sa  femme  »  ;  puis  U  se  rend  au  Corps  législa- 
tif, où  «  l'éclair  de  joie  qui  illumine  son  visage  »  suffit  à  faire 
connaître  que  la  guerre  est  évitée.  Mais,  déjà,  la  politique  inté- 
rieure, ambitions,  jalousies,  rancunes  de  partis,  envahit  les  cou- 
loirs. C'est  un  mauvais  brouillard  qui  empoisonne  l'atmosphère. 
Beaucoup  de  députés  s'agitent,  les  uns  qui  trouvent  la  satisfac- 
tion incomplète  et  poursuivent  la  chute  du  ministère,  les  autres 
qui  n'ont  pas  le  facile  courage  de  tenir  tête  à  cette  sorte  de 
gens  qui  monopolisent  le  patriotisme  pour  le  mieux  exploi- 
ter à  leur  profit.  Cependant,  Thiers  a  dit  à  OUivier  :  «  Main- 
tenant il  faut  vous  tenir  tranquille  »,  et  OUivier  lui  répond  : 
«  Soyez  rassuré,  nous  tenons  la  paix,  nous  ne  la  laisserons  pas 
échapper.  »  Il  se  rend  alors  chez  l'Empereur  qui,  lui  aussi,  comme 
Thiers,  est  très  satisfait,  s'en  va  répétant  à  ses  officiers  :  «  Je 
suis  bien  heureux  que  tout  se  termine  ainsi;  une  guerre  est 
toujours  une  grosse  aventure...  »  Tout  à  l'heure,  il  va  recevoir 
les  félicitations  de  l'ambassadeur  d'Italie.  «  C'est  une  grande 
victoire  morale  pour  la  France  »,  dit  Nigra,  «  et  j'espère  que 
l'Empereur  s'en  contente  et  qu'il  m'a  fait  appeler  pour  m'a nnon- 
cer  la  paix.  »  «  Oui,  c'est  la  paix  »,  répond  l'Empereur,  «  et  je 

1.  T.  XIV,  p.  225  et  suiv. 


NAPOLÉON   m   ET   LA   PAIX.  211 

VOUS  ai  fait  venir  pour  que  vous  le  télégraphiiez  à  votre  gouver- 
nement. »  Il  ne  fit  aucune  allusion  à  des  garanties  à  demander 
au  roi  de  Prusse.  A  la  réception  du  télégramme  de  Nigra  racon 
tant  la  conversation,  Victor-Emmanuel  qui,  l'avant-veille,  était 
revenu  précipitamment  de  la  chasse  à  Turin,  remonta  à  la  mon- 
tagne. Puis  l'Empereur,  avant  de  rentrer  à  Saint-Cloud,  dit  à 
l'aide  de  camp  de  service,  Bourbaki,  qu'il  n'y  avait  plus  lieu 
de  faire  seller  les  chevaux  de  guerre  :  «  Supposez  qu'une  île 
surgisse  tout  à  coup  entre  la  France  et  l'Espagne  ;  toutes  deux 
se  la  disputent;  eUe  disparaît;  sur  quoi  continuerait-on  à  se 
quereller?  » 

Alors  les  fautes.  Ollivier,  après  son  entretien  avec  l'Empe- 
reur, s'en  va  chez  le  ministre  des  Aâaires  étrangères  qu'il  trouve 
en  conversation  avec  l'ambassadeur  de  Prusse.  Gramont,  de 
lui-même,  ou  sur  le  conseQ  de  quelque  sous-ordre,  a  commis  une 
première  faute  :  il  a  demandé  à  Werther  de  suggérer  au  roi  de 
Prusse  de  s'associer  à  la  renonciation  du  prince  «  dans  une  lettre 
amicale  à  l'Empereur  ».  Même  il  en  a  préparé  le  texte  :  «  En 
autorisant  le  prince  Léopold  à  accepter  la  couronne  d'Espagne, 
le  roi  ne  croyait  pas  porter  atteinte  aux  intérêts  ni  à  la  dignité 
delà  nation  française.  Sa  Majesté  s'associe  à  la  renonciation  du 
prince  et  exprime  le  désir  que  toute  cause  de  mésintelligence 
disparaisse  désormais  entre  son  gouvernement  et  celui  de  l'Em- 
pereur. »  Ollivier,  sans  plus  de  réflexion,  appuie  le  duc  de  Gra- 
mont, qui  est  un  diplomate  de  profession,  un  grand  seigneur  et 
qui,  évidemment,  «  n'avait  pas  entendu  commettre  la  grossièreté 
de  réclamer  une  lettre  d'excuses  ». 

Il  avait  été  convenu  entre  l'Empereur  et  Ollivier  que  toute 
décision  serait  ajournée  jusqu'au  conseil  du  lendemain  matin. 
Ollivier  ne  songea  pas  à  en  faire  la  remarque  à  Gramont.  Deux 
heures  plus  tard,  Napoléon  III,  à  Saint-Cloud,  y  recevant  Gra- 
mont, ne  songea  pas  davantage  à  lui  faire  part  de  cet  engage- 
ment. Comme  il  avait  été  mal  accueilli  par  l'Impératrice  et  par 
le  monde  de  la  cour,  qui  n'était  guère  moins  excité  que  la  droite' 
du  Corps  législatif,  il  s'était  laissé  troubler  par  ce  bruit.  Un 
autre,  moins  malade,  moins  affaibli  d'esprit  et  de  corps,  eût 
imposé  silence  à  ces  agités.  Cependant,  il  désapprouva  la  pro- 
position qui  avait  été  faite  par  Gramont  à  Werther  d'une  lettre 
personnelle  du  roi  de  Prusse,  mais  pour  lui  substituer  une  autre 
procédure  qui  n'était  pas  meilleure.  Après  une  délibération  où 


212  JOSEPH   EEmACH. 

l'Impératrice  assista,  mais  où  ne  fut  appelé  ni  Ollivier  ni  aucun 
autre  ministre,  Gramont  télégraphia  à  Benedetti  de  demander 
directement  au  roi  de  Prusse  «  qu'il  s'associât  à  la  renonciation 
du  prince  de  Hohenzollern  et  donnât  l'assurance  qu'il  n'autori- 
serait pas  de  nouvelle  candidature  ». 

Si  Gramont,  ce  jour-là,  s'est  incliné  devant  des  propos  belli- 
queux de  l'Impératrice,  comme  il  l'a  dit  pour  sa  défense  et  comme 
il  est  permis  de  l'en  croire,  il  s'accuse  lui-même  de  courtisane- 
rie.  L'Impératrice  n'avait  aucun  rôle  constitutionnel;  depuis  le 
2  janvier,  sur  la  demande  formelle  d'OUivier,  elle  n'assitait  plus 
au  conseil  des  ministres  ;  si  vivement  qu'elle  ait  pu  l'exprimer, 
son  opinion  ne  devait  pas  plus  compter  pour  Gramont  que  celle  de 
Marie- Antoinette  pour  Vergen nés*.  L'Empereur,  selon  le  récit 
que  je  tiens  de  Benedetti,  considérait  la  demande  de  garanties 
comme  un  recul  sur  la  suggestion  d'une  lettre  personnelle  du 
roi  de  Prusse.  Ollivier  ne  connut  la  «  demande  de  garanties  » 
que  dans  la  soirée,  où  il  se  rendit  par  hasard  chez  Gramont. 
Ayant  approuvé  la  demande  faite  à  Werther,  il  n'était  en  droit 
de  se  plaindre  que  du  procédé.  Il  a  raconté  que  l'idée  lui  vint  de 
donner  sa  démission  ;  il  ne  la  donna  pas. 

Ainsi,  la  plus  belle  victoire  diplomatique  (au  dire  de  Thiers 
et  de  Guizot,  qui  n'étaient  point  des  juges  prévenus)  avait  été 
à  peine  remportée  que  ceux  qui  allaient  en  recueillir  l'honneur 
et  le  profit  la  gâchaient. 

Ils  ne  cherchaient  pas  la  guerre  et,  dans  leur  for  intérieur,  se 
persuadaient  même  qu'ils  continueraient  à  l'éviter,  malgré  leurs 
nouvelles  exigences.  Deux  ministres  déclarèrent  à  Thiers  «  qu'ils 
donneraient  leur  démission  plutôt  que  de  prendre  la  responsa- 
bilité de  la  guerre  »'^.  Le  lendemain,  au  conseil,  on  décida  de 
ne  pas  convoquer  les  réserves.  Entre  les  feux  croisés  de  la 
cour  et  de  l'opposition  de  droite,  les  ministres  paraissaient  sur- 
tout anxieux  d'élargir  leur  succès  du  dehors  afin  d'en  accabler 
plus  sûrement  les  adversaires  de  l'intérieur ^  ;  ils  mettront  au 

1.  Pour  le  propos  tant  de  fois  répété  :  «  C'est  ma  guerre  »,  que  l'Impéra- 
trice aurait  tenu  le  23  juillet  à  Lesourd,  premier  secrétaire  de  l'ambassade  de 
France  à  Berlin,  celui-ci  a  toujours  affirmé  sur  l'honneur  qu'il  ne  lui  avait  pas 
élé  tenu.  L'Impératrice  rn'a  dit  et  redit  qu^  le  propos  était  faux,  qu'elle  avait 
pu  dire  de  la  guerre  du  Mexique  que  «  c'était  sa  guerre  »,  qu'elle  ne  l'avait 
jamais  dit  de  la  guerre  de  1870.  Je  l'ai  toujours  trouvée  très  véridique. 

2.  Lettre  de  Thiers,  du  17  juillet,  à  Duvergier  de  Hauranne. 

3.  Voir  les  invectives  d'OUivier  contre  les  meneurs  de  la  droite,  Clément 


NAPOLÉON   m   ET  LA   PAIX.  213 

défi  les  faiseurs  de  surenchères  d'avoir  obtenu  plus  qu'eux- 
mêmes. 

La  demande  de  garanties  était  proprement  absurde.  Quand  la 
candidature  du  prince  Léopold  avait  été  retirée  sous  le  cri  du 
monde  et  sous  la  pression  de  ses  instigateurs  espagnols,  il  n'y 
avait  pas  une  chance  sur  cent  mille  qu'elle  pût  être  reprise. 

Dès  que  l'ambassadeur  d'Angleterre,  Lord  Lyons,  fut  informé 
par  Gramont  de  la  demande  de  garanties,  il  lui  manifesta  sa  sur- 
prise :  «  Si  la  guerre  survenait  maintenant,  toute  l'Europe  dirait 
que  c'est  le  fait  de  la  France,  qu'elle  s'est  jetée  dans  une  querelle 
sans  cause  sérieuse,  par  orgueil  et  par  ressentiment.  »  Allant 
droit  au  défaut  de  la  cuirasse,  à  la  misérable  fissure  par  où  le 
sang  de  la  France  allait  couler  à  flots  :  «  Le  ministère  est  dans 
une  meilleure  situation  s'il  se  contente  de  son  triomphe  diplo- 
matique que  s'il  plonge  le  pays  dans  une  guerre  pour  laquelle 
n'existe  aucun  motif  avouable'.  »  Langage  de  la  raison  même, 
dira  Ollivier,  mais  trop  tard'. 

XVIL 

■  C'était  le  jour  même  où  ces  sottises  et  ces  fautes  se  com- 
mettaient à  Saint-Qoud  et  à  Paris  que  Bismarck,  à  Berlin,  avait 
décidé  de  donner  sa  démission.  «  Après  toutes  les  provocations 
offensantes  qui  s'étaient  déjà  produites  »  —  la  déclaration  de  Gra- 
mont sur  la  candidature,  la  négociation  directe  à  Ems  avec  le  roi 
—  «  je  voyais  dans  ce  recul  auquel  on  nous  forçait  une  humiliation 
pour  l'Allemagne  ;  je  ne  voulais  pas  en  garder  la  responsabilité 
officielle.  L'impression  de  l'honneur  national  blessé  par  cette 
retraite  imposée  me  diminuait  tellement  que  j'étais  résolu  à 
envoyer  ma  démission  à  Ems.  Je  considérais  cette  humiliation 
devant  la  France  et  ses  manifestations  fanfaronnes  comme  pires 
que  celle  d'Olmùtz  »'.  Et  encore  :  «  Le  mal  envahissant  qu'une 
politique  timide  me  faisait  redouter  pour  notre  position  natio- 
nale, je  ne  voyais  pas  le  moyen  de  le  guérir  sans  nous  engager 

Duvernois  et  Jérôme  David,  qui  avaient  déposé  une  interpellation  sur  les 
garanties  nécessaires.  Il  les  traite  de  <  malfaiteurs  >  et  de  «  scélérats  »  après 
leur  avoir  cédé. 

1.  Lyons  à  Granville,  12  juillet. 

2.  T.  XIV,  p.  264  :  «  C'était  le  langage  môme  de  la  raison  et  de  l'amitié.  » 

3.  Souvenirs  et  pensées,  t.  II,  p.  101. 


214  JOSEPH   REINACH. 

maladroitement  dans  la  première  querelle  venue  ou  sans  en 
provoquer  artificiellement.  Je  regardais,  en  effet,  la  guerre 
comme  une  nécessité  à  laquelle  nous  ne  pouvions  pas  nous  déro- 
ber honorablement...  Je  ne  voulais  pas  assumer  la  responsabilité 
de  défendre  V  attitude  par  laquelle  on  aurait  acheté  la  paix... 
Nous  avions  reçu  un  soufflet  de  la  France  .et,  en  cédant,  nous 
nous  étions  mis  dans  la  situation  d'avoir  l'air  de  chercheurs  de 
noises  lorsque  nous  en  viendrions  à  la  guerre,  qui,  seule,  pou- 
vait laver  la  tache.  Ma  situation  était  intenable.  » 

VoUà  pour  la  journée  du  12  juillet.  Voici  maintenant  celle  du 
13,  où  la  demande  des  garanties  va  donner  à  Bismarck  sa 
revanche.  Il  s'était,  au  cours  de  la  matinée  et  de  l'après-midi, 
entretenu  avec  le  prince  royal  et  l'ambassadeur  d'Angleterre  et 
avait  exhalé  ses  plaintes  sur  «  la  trop  grande  condescendance  du 
roi^  »  et  les  conséquences  d'une  teUe  faiblesse.  Dès  qu'U  eut  le 
rapport  de  Werther  sur  sa  conversation  avec  Gramont  et  OUi- 
vier  et  leur  suggestion  d'une  lettre  du  roi  à  Napoléon  III,  un 
peu  d'espoir  de  remonter  sa  machine  de  guerre  lui  revint.  Il 
télégraphia  aussitôt  à  Werther  de  prendre  congé  et  d'informer 
Gramont,  avant  son  départ,  que  le  chancelier  ne  pouvait  sou- 
mettre au  roi  la  demande  française.  Entre  temps,  à  Ems,  Bene- 
detti,  abordant  le  roi  à  la  promenade,  lui  demandait,  en  confor- 
mité des  ordres  reçus,  la  permission  «  d'annoncer  en  son  nom 
à  Gramont  que,  si  le  prince  de  Hohenzollern  revenait  à  son  pro- 
jet. Sa  Majesté  interposerait  son  autorité  et  y  mettrait  obstacle  »2. 
Le  roi,  qui  jugeait  l'hypothèse  invraisemblable,  la  prétention 
inadmissible,  et  peu  convenable  l'interpellation  dans  un  lieu 
public,  refusa,  mais  sans  éclat  d'aucune  sorte,  simplement  et 
poliment,  plus  ennuj^é  qu'irrité.  Puis,  un  peu  plus  tard,  il 
envoya  son  aide  de  camp  Radziwill  à  Benedetti,  avec  la  com- 
munication dont  l'ambassadeur  rendit  compte  en  ces  termes  : 
«  Le  Roi  a  reçu  la  réponse  du  prince  de  Hohenzollern,  elle  est 
du  prince  Antoine,  et  elle  annonce  à  Sa  Majesté  que  le  prince 
Léopold,  son  fils,  s'est  désisté  de  sa  candidature  à  la  couronne 
d'Espagne.  Le  roi  m'autorise  à  faire  savoir  au  gouverne- 
ment de  V Empereur  quil  approuve  cette  résolution^.  » 

Ainsi  le  roi,  à  la  réflexion,  accordait  la  première  partie  de  la 
demande  de  garanties  qui  était  de  «  s'associer  à  la  renonciation 

1.  Diplomatie  réminiscences,  13  juillet  1870,  Lôftus  à  Granville. 

2.  Benedetti  à  Gramont,  13  juillet,  10  heures  30  minutes  du  matin. 

3.  Du  même  au  même,  3  heures  45  du  soir. 


NAPOLÉON   III    ET   LA    PAIX.  215 

du  prince  »,  puisqu'il  informait  le  gouvernement  de  l'Empereur 
qu'il  «  l'approuvait  ».  Mais  Benedetti,  qui  avait  reçu  de  Gra- 
mont  une  nouvelle  dépêche  pressante  S  crut  devoir  insister  sur 
la  seconde  partie,  celle  qui  était  parfaitement  déraisonnable  et 
pouvait  passer  pour  offensante  (la  promesse  formelle  d'interdire 
à  l'avenir  toute  candidature  du  prince),  et  cela  malgré  qu'il  eût 
télégraphié  :  «  J'ai  de  fortes  raisons  de  supposer  que  je  n'ob- 
tiendrai aucune  concession  à  cet  égard.  »  Il  demanda  donc  au 
roi  une  nouvelle  audience,  et,  comme  il  s'y  attendait,  se  heurta 
à  un  refus  que  lui  transmit  le  prince  Radziwill  :  «  Le  Roi  a  con- 
senti, m'a  dit  son  envoyé  au  nom  de  Sa  Majesté,  à  donner  son 
approbation  entière  et  sans  réserve  aii  désistement  du  prince 
de  Hohenzollem;  il  ne  peut  faire  davantage-.  » 

Et,  vraiment,  l'afïaire  se  réglait  encore  pour  le  mieux  et, 
malgré  son  imprudence,  son  inexcusable  complaisance  aux  exi- 
gences de  l'Impératrice  et  de  la  droite  extrême,  le  gouvernement 
français  obtenait  une  nouvelle  satisfaction.  «  L'approbation 
entière  et  sans  réserve  »  du  roi  était  d'autant  plus  appréciable 
qu'il  avait  reçu  dans  l'intervalle  le  rapport  de  Werther  sur  sa 
conférence  de  la  veille  avec  Ollivier  et  Gramont  et  «  qu'il  en 
avait  été  impressionné  de  la  façon  la  plus  déplorable^.  »  Telle 
était  la  légèreté  de  Gramont  qu'il  n'avait  même  pas  avisé  Bene- 
detti de  la  demande  qu'il  avait  faite,  dans  son  cabinet,  à  Wer- 
ther^. L'ambassadeurla  connut  seulement  plus  tard.  Il  revit,  d'ail- 
leurs, le  roi  le  lendemain,  avant  son  départ  pour  Berlin,  à  la  gare. 
Le  roi  «  se  borna  à  lui  dire  qu'il  n'avait  plus  rien  à  lui  communi- 
quer »\  mais,  toujours,  avec  beaucoup  de  courtoisie. 

Tout  naturellement,  le  roi  avait  fait  informer  Bismarck  de  ses 
entretiens  du  13  avec  Benedetti.  La  dépêche  fut  rédigée  par  le 
conseiller  Abeken.  Expédiée  d'Ems  avant  quatre  heures *"',  elle  fut 
remise  vers  cinq  heures  à  Bismarck  qui  la  fit  aussitôt  déchiffrer.  Il 
était,  à  ce  moment,  à  table  avec  Roon  et  Moltke,  les  ayant  invi- 
tés pour  «  leur  communiquer  ses  idées  et  ses  intentions".  »  Il 
persistait  «  à  se  retirer  »,  malgré  tout  ce  que  Roon  lui  avait 

1.  Du  13  juillet,  1  heure  45  du  matin?  Voir  Benedetti,  Ma  mission  en 
Prusse,  ji.  373. 

2.  Benedetti  à  Gramont,  13  juillet,  7  heures  du  soir. 

3.  Benedetti,  Ma  mission  en  Prusse,  p.  383. 

4.  Ibid. 

5.  Benedetti  à  Gramont,  14  juillet,  3  heures  45  minutes  du  soir. 

6.  3  heures  50. 

7.  Souvenirs  et  pensées,  t.  II,  p.  103  et  suiv. 


216  JOSEPH   REINACH. 

déjà  objecté.  «  Tous  deux  étaient  fort  abattus  et  ils  me  firent 
indirectement  des  reproches  parce  que,  pouvant  me  retirer  plus 
facilement  qu'eux,  j'avais  l'égoïsme  d'en  profiter.  Je  défen- 
dis mon  opinion.  Je  ne  pouvais  sacrifier  mon  point  d'honneur  à 
la  politique.  »  Les  trois  hommes  continuaient  à  discuter  quand 
on  apporta  à  Bismarck  la  traduction  de  la  dépêche  du  roi  :  «  Je 
la  lus  à  mes  hôtes  qui  furent  si  atterrés  qu'ils  en  oublièrent  le  boire 
et  le  manger.  »  Cependant  la  dépêche  ne  relatait  pas  que  le  roi 
eût  fait  dire  à  Benedetti  qu'il  approuvait  le  désistement. 

Alors  l'infernal  coup  de  génie.  Comme  Moltke  atteste  que 
l'armée  est  prête  à  la  guerre  et  qu'il  a  confiance  dans  la  victoire, 
Bismarck  reprend  la  dépêche,  que  le  roi  l'a  autorisé  à  garder 
pour  lui  ou  bien  à  communiquer  aux  ambassadeurs  et  aux  jour- 
naux allemands,  et  quelques  coups  de  son  grand  crayon  bleu 
vont  suffire  à  la  transformer.  Il  lit  aux  deux  généraux  «  la 
rédaction  qui  condensait  la  dépêche  »^.  Aussitôt  leurs  visages 
s'éclairent.  «  Voilà  »,  dit  Moltke,  «  qui  sonne  autrement  main- 
tenant. Auparavant,  on  eût  cru  entendre  battre  la  chamade;  à 
présent,  c'est  comme  une  fanfare  en  réponse  à  une  provocation.  » 
Et  Roon,  selon  son  propre  récit  2  :  «  Le  dieu  des  anciens  jours  vit 
encore,  et  il  ne  nous  laissera  pas  succomber  honteusement.  »    ^ 

Voici  les  deux  textes,  la  dépêche  d'Abeken,  la  «  condensation  » 
de  Bismarck,  vulgo,  la  «  fausse  dépêche  d'Ems  »  : 

Ems,  13  juillet  1870, 
3  h.  50  m.  après  midi. 

S.  M.  le  roi  m'écrit  : 

«  Le  comte  Benedetti  vint  La  nouvelle  du   renonce- 

me  trouver  aujourd'hui  sur  ment  du  prince  héritier  de 

la  promenside  ;  il  me  deman-  Hohenzollern  a  été  officielle- 

da  d'une  façon  fort  pressante  ment  communiquée  au  gou- 

que  je  m'engage  pour  l'ave-  vernement  impérial  français 

1.  Ibid.,  p.  108.  —  On  a  contesté  la  véracité  du  récit  de  Bismarck  dans  ses 
Souvenirs,  mais  sans  apporter  de  preuves.  La  version  des  Souvenirs  ne  fait 
que  confirmer,  avec  plus  de  détails,  les  récits  antérieurs  de  Bismarck  et  de  ses 
gens  (Moritz  Busch,  Unser  Reichskanzler,  Leipzig,  1884,  t.  II,  p.  66;  ffani- 
burcjer  Nachrichten;  Nouvelle  Presse  libre  de  Vienne  des  12  et  20  no- 
vembre 1892).  Admettons  que  Bismarck  ait  magnifié  les  choses  dans  ses  Sou- 
venirs, le  fait  de  la  «  condensation  )>  subsiste  et  l'intention  n'en  est  pas 
douteuse. 

2.  Deutsche  Revue  de  mai  1891. 


«APOLEON    III    ET   L4   PAIX. 


217 


par  le  gouvernemeyit  royal 
espagnol.  Depuis,  Vambassa.- 
deur  français  a  encore  adres- 
sé i  à  Ems,  à  Sa  Majesté  le 
roi,  la  demande  de  l'autoriser 
à  télégraphier  à  Paris  que  Sa 
Majesté  le  roi,  à  tout  jamais, 
s'engageait  à  ne  plus  donner 
son  consentement  si  les  Ho- 
henzollern  devaient  revenir 
à  leur  candidature.  Sa  Ma- 
jesté le  roi,  là-dessus.,  a  refu- 
sé de  recevoir  encore  l'am- 
bassadeur français  et  lui  a 
fait  dire  par  l'aide  de  camp 
de  service  que  Sa  Majesté 
n'avait  plus  rien  à  commu- 
niquer à  l'ambassadeur. 


nir  à  ne  jamais  autoriser  une 
nouvelle  candidature  des  Ho 
henzollern.  Je  lui  prouvai 
de  la  façon  la  plus  péremp- 
toire  qu'on  ne  peut  prendre 
ainsi  des  engagements  à  tout 
jamais.  Naturellement  j'a- 
joutai que  je  n'avais  encore 
rien  reçu  et  que,  puisqu'il 
était  averti  plus  tôt  par  Paris 
et  par  Madrid,  c'était  bien  la 
preuve  que  mon  gouverne- 
ment était  ho7^  de  question.  » 
Sa  Majesté  a  depuis  reçu 
une  lettre  du  prince.  Comme 
Sa  Majesté  avait  dit  au  comte 
Benedetti  quelle  attendait 
des  nouvelles  du  prince,  Elle 
a  résolu,  sur  la  proposition 
du  comte  Derlenbourg  et  la 
mienne,  de  ne  plus  recevoir 
le  comte  Benedetti  à  cause  de 
sa  prétention  et  de  lui  faire 
dire  simplement  par  un  aide 
de  camp  que  Sa  Majesté  avait 
reçu  du  prince  confirmation 
de  la  nouvelle  déjà  mandée 
de  Paris  et  qu'Elle  n'avait 
plus  rien  à  dire  à  l'ambassa- 
deur. Sa  Majesté  laisse  à 
Votre  Excellence  le  soin  de 
décider  si  une  nouvelle  exi- 
gence de  Benedetti  et  le  refus 
qui  lui  a  été  opposé  ne  doi- 
vent pas  être  comynuniqués 
aussitôt  tant  à  nos  ambassa- 
deurs qu'à  nos  journaux. 

Voici  maintenant,  selon  Bismarck,  le  commentaire  de  son 
texte  «  condensé  »,  qu'il  développa  tout  de  suite  devant  Moltke 
et  Roon.  «  Ce  texte  »,  dit-il,  «  n'apporte  aucunes  modifications  ni 
aucunes  additions  à  la  dépèche.  Si,  exécutant  le  mandat  de  Sa 
Majesté,  je  le  communique  aussitôt  aux  journaux  et  si,  en  outre, 
je  le  télégraj)liie  à  toutes  nos  ambassades,  il  sera  connu  à  Paris 


218  JOSEPH   REL\ACH. 

avant  minuit.  Non  seulement  par  ce  qu'il  dit,  mais  aussi  par 
la  façon  dont  il  aura  été  répandu,  il  produira  là-has  sur  le 
taureau  gaulois  l'effet  du  drapeau  rouge.  Il  faut  nous  battre, 
si  nous  ne  voulons  pas  avoir  l'air  d'être  battus  sans  qu'il  y  ait 
eu  seulement  de  combat.  Le  succès  dépend  cependant  avant  tout 
des  impressions  que  l'origine  de  la  guerre  provoquera  chez  nous 
et  chez  les  autres.  »  Depuis  longtemps,  il  a  résolu  ce  qu'un 
autre  Allemand*  appelle  «  la  question  de  Pilate  en  politique  : 
qu'est-ce  qu'une  guerre  offensive  »?  Mais  il  n'est  pas  de  ces 
théoriciens  du  droit  ou  de  la  force  qui  ne  se  soucient  pas  de  la 
galerie  et  il  explique  :  «  Il  est  essentiel  que  nous  soyons  les 
attaqués  ;  la  présomption  et  la  susceptibilité  gauloises  nous  donne- 
ront ce  rôle,  si  nous  annonçons  publiquement  à  l'Europe,  autant 
que  possible  sans  l'intermédiaire  du  Reichstag,  que  nous  accep- 
tons sans  crainte  les  menaces  publiques  de  la  France.  » 

Bismarck  connaissait  la  France,  surtout  son  personnel  gou- 
vernemental. Point  par  point,  ses  prévisions  s'accomplirent. 

On  chercherait  en  vain  à  disculper  Gramont,  Ollivier,  le  maré- 
chal Le  Bœuf,  l'Impératrice,  l'Empereur  d'être  tombés  au  piège. 
Les  ministres  ne  doutaient  pas  de  la  prompte  victoire  ;  l'Empe- 
reur, «  plus  entraîné  qu'entraîneur  »2,  était  beaucoup  moins 
confiant.  Le  lourd  discours  de  Napoléon  III  aux  grands  corps 
d'Etat,  avant  son  départ  pour  Metz,  annoncera  une  guerre 
longue  et  difficile.  La  plus  grande  faute,  selon  Napoléon  :  faire 
ce  que  souhaite  l'ennemi  ;  la  faute  moralement  la  plus  inexcu- 
sable, selon  le  poète  Romain  :  voir  le  mieux  et  suivre  le  pire. 

Quand  le  duc  de  Gramont  se  dit  «  souffleté  ^  »  par  la  note 
allemande,  comment  Ollivier  aurait-il  objecté  à  ca  gentilhomme 
qu'il  ne  se  sentait  pas,  lui  aussi,  souffleté?  Et,  pareillement, 
tous  les  autres  :  ceux  qui,  avec  l'Empereur,  redoutaient  la  guerre  ; 
ceux  qui,  avec  l'Impératrice,  l'appelaient.  «  De  bons  citoyens 
auraient  atténué  la  chose,  eu  recours  à  l'Angleterre  pour  l'ar- 
ranger, et  auraient  ainsi  sauvé  la  paix  >>^. 

Dans  la  déclaration  écrite  qu'Ollivier  porta  au  Corps  législa- 
tif^ il  motiva  ainsi  la  raison  déterminante  de  la  guerre  :  «  Notre 

1.  Reventlow,  Deulschland's  auswartige  Politik. 

2.  Lettre  de  Thiers  à  Duvergier  de  Hauranne. 

3.  A  peine  la  porte  franchie,  Gramont  s'écrie  :  «  Mon  cher,  vous  voyez  un 
homme  qui  vient  de  recevoir  une  gilïle  »  (Ollivier,  t.  XIV,  p.  355). 

4.  Thiers  à  Duvergier  de  Hauranne. 

5.  15  juillet  1870. 


NAPOLÉON   m   ET   LA   PAIX.  219 

surprise  a  été  profonde  lorsque,  hier,  nous  avons  appris  que  le 
roi  de  Prusse  avait  notifié  par  un  aide  de  camp  à  notre  ambas- 
sadeur qu'il  ne  le  recevrait  plus  et  que,  pour  donnera  ce  refus 
un  caractère  non  équivoque,  son  gouvernement  l'avait  commu- 
niqué aux  cabinets  de  l'Europe.  »  C'était  la  version  mensongère 
de  Bismarck;  ce  n'était  pas  celle  d'Abeken  et,  moins  encore, 
celle  de  Benedetti,  dont  on  avait  les  dépêches,  qui  n'avait  jamais 
soupçonné  qu'il  eût  été  insulté,  qui  arrivait  à  Paris  prêt  à  en 
témoigner,  qui  n'eut  pas  le  courage  de  crier  la  vérité  coûte  que 
coûte.  Comme  cela  avait  paru  tout  de  même  un  peu  faible,  Olli- 
vier  ajouta  que  «  le  baron  de  Werther  avait  reçu  l'ordre  de 
prendre  un  congé  »,  ce  qui  était  exact,  et  ce  qui,  de  son  propre 
aveu,  ne  l'était  pas,  «  que  des  armements  s'opéraient  en  Prusse  »  ' . 
On  sait  comment  un  vent  de  folie  passa  sur  la  majorité  du  Corps 
législatif;  comment  Thiers,  Jules  Favre,  Gambetta  luttèrent  en 
vain  pour  enrayer  la  catastrophe  ;  comment  la  France  parut  avoir 
cherché  la  guerre.  Jamais  assemblée,  jamais  paj  s  ne  furent  plus 
complètement  abusés.  Il  n'y  avait  eu  à  Ems  ni  insulteur  ni  insulté  ; 
il  ne  fut  cependant  pas  permis  de  mettre  en  doute  que  l'ambassa- 
deur de  France  eût  été  outragé  par  le  roi  de  Prusse.  Comme  le 
gouvernement  n'avait  voulu  communiquer  les  pièces  du  dossier 
diplomatique  qu'à  une  commission   de  onze  membres,  on  se 
persuada  qu'il  y  avait  quelque  part  une  dépêche  violemment  inju- 
rieuse de  Bismarck,  alors  que  «  la  guerre  n'était  engagée,  »  selon 
Ollivier  lui-même,  «  que  sur  la  publication  de  la  Gazette  de 
l'Allemagne  du  Nord  et  sur  les  dépêches  venues  de  Berlin,  de 
Berne  et  de  Munich  »^,  où  nos  agents  la  commentaient.  L'opi- 
nion de  l'Europe  fut  hostile  ;  l'Autriche  et  l'Italie  restèrent 
neutres;  toute  l'Allemagne  du  Sud  marcha  avec  la  Prusse.  Bis- 
marck eut  sa  guerre,  et  telle  qu'il  avait  voulu  l'avoir. 

«  Ce  droit  »,  avait  dit  Hegel  —  celui  de  commettre  des  actes 
violents  injustes  et  perfides  —  «  c'est  le  droit  des  héros  à  fonder 
des  Etats'^  »  Mais  la  conscience  humaine  n'est  pas  hégélienne. 

Joseph  Reinach. 

1.  En  note  :  «  Cette  assertion  n'était  pas  exacte.  Le  Bœuf  avait  été  mal  ren- 
seigné; les  armements  n'ont  commencé  que  le  16.  » 

2.  Ollivier,  t.  XI V,  p.  472. 

3.  Philosophie  de^echts,  p.  350. 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


SERF  DE  LA  GLÈBE 

HISTOIRE  D'UNE   EXPRESSION  TOUTE   FAITE 


L 

Dans  un  passage  célèbre  des  Coutumes  de  Bea.uv8Lisis,  Beau- 
manoir  a  dépeint  la  société  laïque,  telle  qu'elle  s'offrait  à  ses  yeux, 
dans  un  ordre  hiérarchique  :  «  L'en  doit  savoir  que  .m.  estât  sont 
entre  les  gens  du  siècle.  Li  uns  des  estas  si  est  de  gentillece.  Li 
secons  si  est  de  ceus  qui  sont  franc naturelment...  et  li  tiers  estas  si 
est  des  sers'.  »  Cette  description  vaut  pour  la  France  du  xiii^  siècle. 
Elle  ne  saurait  s'appliquer  sans  retouches  à  la  société  féodale  dans 
l'ensemble  de  son  évolution  historique.  Les  premiers  temps  de  la  féo- 
dalité n'ont  point  connu  de  «  gentillece  »,  c'est-à-dire  de  noblesse, 
au  sens  où  Beaumanoir  prend  ce  mot,  qui  désigne  pour  lui  une  caste 
héréditaire,  pourvue  de  privilèges  juridiques  précis.  Le  groupe 
noble  ne  s'est  dégagé  que  peu  à  peu  de  la  masse  des  hommes  libres. 
Mais  un  trait  du  tableau  qu'on  vient  de  lire  conserve  une  portée 
générale.  En  France,  ou  mieux  dans  l'Europe  occidentale,  pendant 
une  longue  période  .qui  s'étend  depuis  la  dissolution  de  l'Empire 
carolingien  jusqu'à  des  dates  variables  selon  les  régions,  mais  sou- 
vent fort  proches  de  l'époque  moderne,  il  a  existé  au-dessous  des 
hommes  hbres  une  catégorie  spéciale  composée  de  personnes  que  les 
coutumes  et  les  lois  considéraient  comme  privées  de  la  pleine  liberté. 
Ces  «  non-libres»  (pour  emprunter  à  la  langue  des  juristes  allemands 
une  expression  commode)  se  distinguaient  des  hommes  «  naturelle- 
ment francs  »  en  deux  manières  :  d'une  part,  ils  formaient  une  classe 
que  le  droit  et  l'opinion  s'accordaient  à  juger  inférieure,  et,  de  l'autre, 
ils  étaient  attachés  à  leurs  seigneurs  particuliers  par  des  liens  d'une 

1.  Ed.  Salinon  {Collection  de  lexles  pour  servir  à  l'étude  et  à  l'enseignement 
de  l'histoire),  t.  II,  ch.  xlv,  c.  1451  et  1452,  p.  233-234. 


SERF    DE   LA    GLEBE.  221 

force  extrême,  si  solides  que  seule  pouvait  les  rompre  une  opéra- 
tion juridique  bien  déterminée  :  l'affranchissement.  Selon  les 
moments,  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  de  ces  deux  caractères  a  pu 
paraître  dominer;  ils  ont  toujours  été  tous  les  deux  présents.  Beau- 
manoir  appelait  les  membres  de  cette  classe  :  les  serfs;  c'est  le  nom 
qu'aujourd'hui  encore  leur  donnent  communément  les  historiens 
français'. 

Or,  à  ce  mot  de  serf  on  joint  parfois  un  complément.  On  dit  : 
serf  de  la  glèbe.  Cette  expression,  il  est  vrai,  semble  un  peu  pas- 
sée de  mode.  Du  moins,  les  médiévistes  avertis  l'évitent,  sans  d'ail- 
leurs expliquer  pourquoi.  Mais  elle  a  joui  d'une  grande  fortune.  Pus- 
tel  de  Coulanges,  ce  maître  incontesté  de  la  sémantique  historique, 
l'a  employée  plusieurs  fois.  A  l'antiquité,  l'esclavage;  au  moyen  âge, 
le  servage  de  la  glèbe  :  cette  antithèse  a  nourri  bien  des  dissertations. 
Elle  fournit,  jadis,  le  sujet  d'un  concours  académique,  dont  Miche- 
let  fut  juge^.  Elle  n'est  pas  tout  à  fait  tombée  en  désuétude. 

Quand  a-t-on  eu  l'idée  d'unir  au  mot  serf  le  mot  glèbe?  Pour- 
quoi a-t-on  eu  cette  idée?  Qu'entendait-on  à  l'origine  par  cette  asso- 
ciation verbale?  Quelles  en  furent  les  vicissitudes?  Voilà  ce  que  je 
me  propose  de  rechercher  ici.  Éclairer  l'histoire  des  mots,  c'est 
jeter  une  plus  vive  lumière  sur  les  choses  qu'ils  désignent,  ou  qu'ils 
cachent. 

Ai-je  besoin  de  l'ajouter?  Je  ne  prétends  nullement  donner  les 
résultats  auxquels  j'ai  abouti  comme  définitifs.  Je  sais  mieux  que 
personne  tout  ce  qu'ils  ont  d'incomplet  et,  par  là  même,  de  conjec- 
tural. Le  vocabulaire  de  l'ancien  droit  français  est  singulièrement 
difficile  à  étudier.  Il  faut  travailler  à  tâtons.  Les  documents  diploma- 
tiques sont  dispersés  à  l'extrême;  beaucoup  ont  été  publiés,  mais 
toujours  sans  glossaires.  Il  en  va  de  même  pour  les  sources  narra- 
tives. L'immense  littérature  du  droit  savant  (romanistes,  canonistes, 

1.  Les  historiens  allemands  disent  d'ordinaire  «  Leibeigene  »,  les  Anglais 
«  villain  ».  Malgré  des  diflërences  notables,  qui  sont  allées  s'accentuant,  la 
ressemblance  fondamentale  des  Leibeirjcnen,  viilaim  et  serfs  est  évidente. 

1.  En  1837.  Voici  le  texte  des  deux  questions  mises  au  concours  :  «  1°  Par 
quelles  causes  l'esclavage  ancien  a-t-il  été  aboli?  2°  A  quelle  époque,  cet  escla- 
vage ayant  entièrement  cessé  dans  l'Europe  occidentale,  n'est-il  resté  que  la 
servitude  de  la  glèbe?  »  Le  prix  fut  décerné  à  un  mémoire  composé  en  colla- 
boration par  n.  Wallon  et  J.  Yanoski;  les  deux  auteurs  en  tirèrent  par  la 
suite  le  premier  son  Ilixloire  de  l'esclavage  dans  lanliqtiilé,  le  second  un 
ouvrage  beaucoup  moins  connu  (et  qui  ne  mérite  guère  de  l'être),  intitulé  :  De 
l'abolUinn  de  l'esclavage  en  Occident,  in-8°,  Paris,  1842.  On  trouvera  le  rap- 
port de  Michelct  sur  ce  concours  au  I.  III  (1842)  des  Mémoires  de  l'Académie 
des  sciences  morales. 


222  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

plus  tard  feudistes)  forme  un  fourré  touffu  où  les  guides  font  défaut. 
Nous  n'avons  pas  de  lexique  des  institutions  françaises  ;  c'est  une 
grave  lacune  dont  la  linguistique  et  l'histoire  souffrent  pareillement. 
Il  faudra  bien  qu'on  la  comble  un  jour.  Je  souhaite  que  ce  jour-là 
la  courte  étude  qu'on  va  lire  soit  rangée  parmi  celles  qui  auront 
servi  à  dégrossir  les  matériaux.  A  cela  se  borne  toute  mon  ambi- 
tion. 

IL 

Comment  appelait-on,  au  temps  du  servage,  ceux  qu'aujourd'hui 
nous  nommons  serfs  et  parfois  serfs  de  la  glèbe?  Il  ne  faut  pas 
poser  cette  question  sous  une  forme  trop  générale.  La  langue  juri- 
dique du  moyen  âge  n'était  pas  fixée  par  un  code  ;  elle  manquait 
d'unité.  Variable  selon  les  régions  et  les  moments,  elle  variait  aussi 
selon  les  milieux  qiii  la  parlaient.  Notaires,  jurisconsultes,  jongleurs 
ne  désignaient  pas  toujours  les  mêmes  choses  par  les  mêmes  mots. 
Il  convient  de  les  interroger  à  tour  de  rôle. 

Feuilletons  d'abord  les  textes  littéraires  français  ;  ce  sont,  parmi 
les  documents,  les  plus  proches  de  l'usage  courant. 

Ici,  point  de  doute.  Le  terme  employé  est  celui-là  même  que  nous 
avons  rencontré  chez  Beaumanoir,  et  qui,  à  juste  titre,  est  demeuré 
dans  le  vocabulaire  historique  courant  :  sers,  cas  régime  serf*.  Il 
est  extrêmement  fréquent.  Si  aristocratique  que  soit  l'inspiration 
des  chansons  de  geste  ou  des  romans  courtois,  on  y  voit  par  moments 
s'agiter  dans  le  lointain  la  «  servaille  ».  D'ailleurs,  le  mépris  même 
où  l'on  tenait  les  hommes  des  basses  classes  a  fait  que  leur  nom 
honni  parait  dans  les  vers  épiques;  car  les  héros  avaient  volontiers 
le  verbe  injurieux,  et  serf  était,  entre  gens  bien  nés,  une  insulte 
cruelle  2. 

1.  Le  féminin  est  tantôt  ancele,  tantôt  —  plus  souvent  semble-t-il  —  serve. 
Ancele  (de  ancilla)  paraît  s'être  plutôt  spécialisé  dans  le  sens  de  servante.  Cf. 
ei-dessous,  p.  233,  n.  4. 

2.  Serf  était  d'ailleurs  une  insulte,  si  je  puis  dire,  légalement  reconnue;  cer- 
taines coutumes  punissaient  d'une  amende  celui  qui  appelait  ainsi  un  homme 
libre  :  Coutumes  de  Cluny  (1161-1172),  dans  Bernard  et  Bruel,  Recueil  des 
Charles  de  l'abbaye  de  Clumj  {Documents  inédits),  t.  V,  if  4205,  c.  vu;  — 
Charte  d'Amiens  (1185),  dans  Beauvillé,  Recueil  de  documents  inédits  con- 
cernant la  Picardie,  t.  IV,  in-8°,  1882,  p.  19,  c.  42.  Dans  la  langue  littéraire,  on 
emploie  peut-être  plus  souvent  encore  (outre  vilain,  qui  veut  dire  paysan,  sans 
signification  juridique  précise)  cuvcrt,  cuivert,  culvert.  Les  cuverts  —  latin 
colliberti  —  formaient  une  classe  d'hommes  dont  la  condition  se  rapprochait 
beaucoup  du  servage  ;  les  historiens  du  droit  les  appellent  d'ordinaire  colliberts  ; 
mais  ce  mot  (inventé  par  les  modernes)  n'est  qu'un  calque  maladroit  du  latin, 


SERF   DE   LA    GLÈBE.  223 

L'étymologie  du  mot  est  claire  :  le  sers,  c'était  le  servus  latin  que, 
pour  éviter  toute  confusion,  nous  appelons  aujourd'hui  esclave.  Non 
que  le  servage  médiéval  ait  été  simplement  une  épreuve  atténuée  et 
comme  émoussée  de  l'esclavage  romain,  dans  une  société  nouvelle 
survivance  des  Ages  passés.  La  formule  de  Fuslel  de  Coulanges*  : 
«  Le  servage...  n'a  rien  de  commun  avec  la  féodalité  et  lui  est  anté- 
rieur » ,  ne  saurait  être  acceptée  sans  réserves.  Un  même  esprit  anima 
toutes  les  institutions  nées  dans  l'écroulement  de  l'Etat  antique  :  le 
servage  fut  proche  parent  de  la  vassalité.  Pourtant,  comme  les  ins- 
titutions humaines  ne  se  créent  pas  de  rien,  le  serf,  si  profondément 
différent  de  l'esclave,  n'était  après  tout  qu'un  esclave  lentement 
transformé.  Psv  une  transition  insensible,  le  mot  «  servus,  »  devenu 
«  sers  »,  en  arriva  à  désigner  une  réalité  juridique  bien  éloignée  de 
son  contenu  primitif.  Les  hommes  de  l'ancienne  France  qui  pro- 
nonçaient ce  nom  familier  ne  s'apercevaient  pas  que  sa  signification 
se  modifiait  peu  à  peu,  pas  plus  qu'ils  ne  sentaient  sur  leurs  lèvres 
le  latin  se  changer  en  français. 

Cependant,  un  jour  vint  oîi  des  esprits  réfléchis  mesurèrent  le 
chemin  parcouru  et  furent  choqués  de  constater  que  le  même  terme 
s'appliquait  à  deux  choses  dissemblables.  Le  langage  populaire, 
médiocrement  accessible  aux  considérations  étymologiques  de  cette 
sorte,  n'en  fut  point  troublé;  le  mot  serf  continua  d'y  être  en  hon- 
neur. Mais  les  notaires,  gens  savants,  crurent  bon  de  réformer  leur 
vocabulaire.  Voici  comment. 

Parcourons  les  documents  diplomatiques,  très  nombreux,  où  les 
serfs  apparaissent.  Pendant  longtemps,  dans  ces  textes  alors  rédigés 
en  latin,  le  serf  fut  appelé,  comme  il  était  naturel,  servus,  la  serve 
ancilla  ou,  beaucoup  plus  rarement  (car  les  clercs  se  piquaient  de 
classicisme),  serva.  Vers  le  début  du  xiii*  siècle,  ces  mots  tombèrent 
hors  d'usage  ;  ils  ne  disparurent  pas  complètement,  mais  ils  devinrent 
rares;  et  cela,  semble-t-il,  d'un  mouvement  uniforme  dans  les 
chartes  de  la  France  presque  tout  entière-.  Non  que  la  classe  ser- 

el,  à  vrai  dire,  un  pur  barbarisme;  il  faut  employer  le  vieux  terme  français. 
J'espère  revenir  un  jour  sur  l'histoire  des  cuvcrts. 

1.  L'alleu  et  le  domaine  rural,  p.  463.  Cf.  les  Transfoiinalions  de  la  royauté 
pendant  l'époque  carolingienne,  \>.  587,  n.  1. 

2.  Cf.  G.  Jeanton,  le  Servage  en  Bourgogne  (thèse  de  droil,  Paris),  in-S", 
Paris,  1906,  p.  80;  L.  Verriest,  le  Servage  dans  le  comté  de  Uainaut  (Acad. 
royale  de  Belgique.  Classe  des  lettres.  Mém.,  2'  série,  l  VI,  fasc.  3,  1900, 
p.  57).  J'ai  constatt^  moi-même  le  fait  pour  l'Ile-de-France  (y  compris  le  pays 
cbartrain  et  l'Orléanais);  il  ajuiarait  dans  celte  réj^ion  avec  une  extrême  net- 
teté. Il  me  semble,  d'ailleurs,  très  général.  Mais,  probablement,  il  y  a  eu  des 
variations  locales.  J'ai  peu  étudié  la  langue  des  notaires  vers  la  lin  du  moyen 


224  MÉLAMGES   ET   DOCUMENTS. 

vile  se  soit  à  ce  moment  brusquement  évanouie.  On  la  verra,  dans 
certaines  régions,  durer  pendant  des  siècles  encore.  Mais,  désormais, 
les  notaires  cherchent  pour  désigner  ses  membres  des  expressions 
nouvelles.  Une  grande  incertitude  règne  d'ailleurs  sur  ce  vocabulaire 
presque  improvisé.  Parfois  on  veut  rappeler  certaines  redevances 
spécifiques;  on  dit  homo  (ou  femina)  de  manumortua,  de  foris- 
maritagio  et  de  manumortua.  Ou  bien  on  emploie  des  formules 
où  se  traduit  la  force  du  lien  qui  attache  le  «  non-libre  »  à  son  sei- 
gneur :  homo  ligius,  homo  de  corpore;  dans  les  actes  en  langue 
française,  nombreux  depuis  le  milieu  du  xiii*  siècle  :  hom.me 
lige,  hom.me  de  corps. 

Ce  dernier  terme  surtout  fit  fortune.  Il  rendait  avec  une  sorte  de 
brutalité  le  caractère  personnel  et  presque  physique  de  l'emprise 
seigneuriale.  Il  n'était  sans  doute  pas  de  facture  savante;  on  doit 
voir  en  lui  une  trouvaille  populaire  :  «  les  serfs  et  serves  que  chez 
nous  on 'appelle  hommes  de  corps  »,  disait  en  1180  un  diplôme  du 
roi  Louis  VII'.  Mais  les  notaires  l'adoptèrent  et  le  répandirent  lar- 
gement. Homme  lige  leur  plaisait  moins.  Cette  expression,  d'éty- 
mologie  assez  mystérieuse-,  était  à  double  sens  :  en  même  temps 
qu'aux  serfs,  on  l'apphquait  aux  vassaux,  ou  plus  exactement  à 
ceux  des  vassaux  qui  avaient  prêté  l'hommage  le  plus  rigoureux, 
l'hommage  sans  réserves;  ainsi  le  langage,  interprète  de  la  cons- 
cience collective,  rapprochait  deux  formes  de  la  dépendance  que  le 
droit  théorique,  élaboré  aux  derniers  temps  de  la  féodahté  par  des 
techniciens,  nous  a  habitués  à  considérer  comme  radicalement  dis- 
tinctes. Des  juristes  n'auraient  pas  inventé  cette  amphibologie,  née 
certainement  dans  l'usage  vulgaire;  ils  ne  lui  firent  pas  bon  accueil. 
Presque  partout,  dans  la  langue  des  chartes,  homme  lige  fut  accepté 
seulement  pour  désigner  le  vassal.  Dans  le  sens  de  «  non-libre  » ,  il 
ne  se  maintint  guère  qu'à  titre  d'idiotisme  local,  propre  à  certaines 
régions  (Bugey,  Bordelais^).  Homme  de  corps  resta  maître  du  ter- 
âge.  Peut-être,  dans  les  actes  écrits  en  français,  serf  est-il  alors  revenu  à  la 
mode,  au  moins  sous  la  forme  «  de  serve  condicion  ». 

1.  c  Omnes  servos  et  ancillas  quos  homines  de  corpore  appellamus.  »  Affran- 
chissement des  serfs  habitant  Orléans  et  les  villages  voisins.  Ordonnances,  t.  XI, 
p.  214  (Luchaire,  Louis  VII,  n°  774,  et  A.  Cartellieri,  Philipp  II  August,  1. 1, 
Beilagen,  n°  75).  Cf.  la  confirmation  dans  les  Actes  de  Philippe- Auguste,  publ. 
par  H. -F.  Delaborde,  t.  I,  a°  3.  Remarquer  le  parallélisme  d'homme  de  corps 
et  de  Leibeigene  (en  latin  proprius  de  corpore). 

2.  Voir,  en  dernier  lieu,  une  note  de  J.  Briich,  Zeitsch.  fur  roman.  Philo- 
logie, t.  XXXVIIl  (1917),  p.  701  (dont  les  conclusions  me  paraissent  d'ailleurs 
contestables). 

3.  J'ai  donné  une  courte  bibliographie  de  l'emploi  A'homme  lige  au  sens  de 


SERF   DE  LA   GLEBE.  225 

rain.  Les  littérateurs,  même  dans  les  livres  de  droit,  continuèrent 
à  employer  serf'  ;  les  notaires  le  bannirent  :  si  bien  que  le  peuple, 
habitué  à  la  langue  des  tabellions,  en  arriva  parfois  à  oublier  le  sens 
juridique  de  ce  mot  pour  ne  plus  retenir  que  son  acceptation  inju- 
rieuse; sous  Charles  VI,  des  hommes  du  Vermandois  se  plaignaient 
comme  d'un  outrage  d'avoir  été  traités  de  serfs 2. 

D'où  vient  cet  ostracisme  frappant  un  mot?  A  n'en  pas  douter, 
de  l'influence  exercée  par  le  droit  romain.  Le  moment  même  où  l'on 
vit  servus  et  serf  disparaître  des  chartes  fut  celui  où  les  formules 
empruntées  au  Coiyus  juris  pénétraient  en  foule  dans  l'usage 
diplomatique  :  le  début  du  xiii*  siècle.  Cette  sorte  de  renaissance 
fut  surtout  l'œuvre  des  officialités,  chargées  en  ce  temps  de  rédiger 
la  plupart  des  actes  authentiques.  Pierre  de  Blois  ne  confondait-il 
pas  dans  le  même  anathème  la  loi  de  Justinien  et  les  officiaux^? 
Or,  les  documents  émanés  des  officialités  furent  précisément  les  pre- 
miers à  rejeter  servus;  les  autres  chancelleries  ne  firent  que  suivre 
le  mouvement,  parfois  avec  retarda  Le  serf  médiéval  ressemblait 

serf  dans  une  note  de  mon  ouvrage  intitulé  :  Rois  et  serfs,  p.  23,  n.  2,  et 
Additions  et  rectifications  (où  une  faute  s'est  glissée  :  joindre  les  deux  ali- 
néas en  un  seul). 

1.  Par  exemple  Beauraanoir.  Mais  Beaumanoir  connaît  aussi  serf  dans  le 
sens  latin  d'esclave.  Quand  il  parle  de  ces  «  sers  »  qui  «  sont  si  sougiet  a  leur 
seigneur  que  leur  sires  puet  prendre  quanqu'il  ont  et  a  mort  et  a  vie...  », 
l  1452,  cf.  l  1457,  —  espèce  humaine  qu'il  na  jamais  vue  en  Beauvaisis  —  il 
adapte  tout  simplement  ce  qu'il  avait  lu  dans  le  droit  romain  sur  les  servi. 
D'ailleurs,  serf  a  très  longtemps  traduit  servus;  le  mot  esclave  a  mis  long- 
temps à  paraître  et  plus  encore  à  se  faire  accepter  de  tous.  En  1694,  le  Dic- 
tionnaire de  l'Académie,  qui  connaissait  fort  bien  les  hommes  de  mainmoi-te 
(voir  l'article  Glèbe),  écrivait  encore,  à  l'article  Serf,  cette  phrase  étonnante  : 
«  Il  n'y  a  point  de  serfs  en  France.  »  C'est  que  l'usage  académique  voyait 
encore,  derrière  serf,  servus. 

2.  Mandement  de  Charles  VI  au  bailli  de  Vermandois,  Paris,  22  septembre 
1404,  cité  et  partiellement  publié  par  A. -A.  Monteil,  Histoire  des  Français  des 
divers  étais,  4«  éd.,  t.  I,  in-12,  Paris,  1853,  notes,  p.  81,  d'après  l'original,  en 
sa  possession. 

3.  Paul  Fournier,  les  Officialités  au  moyen  âge,  p.  8  et  9. 

4.  Dans  l'Ile-de-France,  les  actes  d'affranchissement  passés  sous  le  sceau  de 
communautés  ecclésiastiques  ou  de  seigneurs  laïques  conservent  encore  les 
mots  servus  et  ancilla,  alors  que  les  actes  passés  sous  le  sceau  de  l'officia- 
lité  et  rédigés  par  elle  les  avaient  rigoureusement  bannis.  Exemples  :  les  allr. 
de  Rosny-sous-Bois  (août  1246)  et  de  Nanterre  (mars  1248)  par  les  chanoines 
de  Sainte-Geneviève  de  Paris  :  Arch.  nat.,  S  1574,  n°  1,  et  1567,  n°  1  (où  les 
mots  servi  et  homines  de  corpore  alternent  comme  deux  synonymes);  —  laflr. 
de  trente-six  personnes  de  condition  servile  par  le  chevalier  Simon  de  Corbeil 
(l"-27  mars  1255)  :  Arch.  nat.,  JJ  26,  fol.  369  v°,  et  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  9778, 
fol.  255  v  (on  y  trouve  l'expression  curieuse,  où  se  marque  nettement  l'incer- 

Rev.  Histob.  CXXXVI.  2"  fasc.  15 


226  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

bien  peu  au  serons  romain.  Des  hommes  nourris  de  la  législation 
antique  ne  pouvaient  manquer  de  s'en  apercevoir;  l'étude  d'une 
belle  langue  technique  leur  avait  donné  le  goût  de  l'exactitude;  il 
leur  parut  insupportable  de  continuer  à  employer  un  terme  impropre. 
En  le  remplaçant  par  des  expressions  nouvelles,  ils  obéirent  à  un 
scrupule  de  purisme  juridique. 

Ce  scrupule  trouva  d'ailleurs  son  expression  très  nette  dans  cer- 
tains textes,  non  pas,  il  est  vrai  (du  moins  à  ma  connaissance), 
dans  les  actes  des  officiaux,  mais  dans  certains  documents  étabUs 
également  par  des  juristes  instruits  :  les  notaires  de  la  cour  ponti- 
ficale. 

Les  églises  françaises  possédaient  des  serfs  en  grand  nombre; 
c'est  pourquoi  les  papes,  mêlés  à  tant  d'affaires,  eurent  souvent  l'oc- 
casion d'intervenir  dans  les  questions  serviles.  Dans  beaucoup  de 
bulles,  les  non-hbres  apparaissent.  Sous  quel  nom?  C'est  ce  qu'il 
est  curieux  d'observer. 

Visiblement,  le  servage  français  embarrassait  beaucoup  les  sty- 
listes de  la  chancellerie  apostolique.  Ils  travaillaient  presque  tou- 
jotirs  sur  des  requêtes  ou  des  projets  présentés  par  les  églises  inté- 
ressées ;  mais  ils  en  modifiaient  la  rédaction  ;  ce  sont  certainement 
leurs  propres  incertitudes  dont  leur  vocabulaire  flottant  a  conservé 
la  trace.  Tantôt  on  les  voit  emprunter  au  latin  classique  des  mots 
qu'ils  détournent  de  leur  sens  exact  :  originarii*,  famuli^;  tantôt 
ils  disent  simplement  :  homines,  homines  vestrP,  termes  vagues 
qui,  au  moyen  âge,  servaient  à  indiquer  les  liens  de  dépendance, 
quelle  que  fût  leur  nature.  Quand  il  s'agissait  de  serfs,  on  préci- 
sait, nous  le  savons,  par  la  formule  :  homines  de  corpore.  Mais 
cette  expression  technique,  étrangère  aux  bons  auteurs,  déplut  long- 
temps aux  clercs  romains;  quand  ils  se  décidaient  à  l'employer,  ils 
prenaient  soin  d'observer  que  c'était  un  gallicisme.  «  Originarii  eccle- 
siarum  quos  homines  de  corpore  patria  censuit  nuncupandos  »  est-il 
écrit  dans  un  privilège  accordé  par  Grégoire  IX  à  Saint-Maur-des- 

titude  de  la  terminologie  :  homines  meos  et  ancillas  de  corpore).  Pour  mettre 
en  lumière  la  disparition  de  servus  et  la  vogue  nouvelle  d'Aomo  de  corpore, 
il  serait  intéressant  de  réunir  quelques  renseignements  statistiques;  mais  cela 
est  impossible;  presque  tous  les  cartulaires  ou  recueils  de  chartes  qui  ont  été 
publiés  sont  incomplets  à  partir  du  xiii'  siècle;  ils  ne  donnent,  le  plus  sou- 
vent, les  pièces  les  plus  récentes  qu'en  analyse. 
,     1.  Texte  cité  ci-dessous,  p.  234,  n.  3. 

2.  Texte  cité  ci-dessous,  p.  227,  n.  3. 

3.  Exemples  :  bulles  d'Innocent  IV  pour  Notre-Dame  de  Paris  (B.  Guérard, 
Carlul.  de  Noire-Dame  de  Paris,  t.  II,  p.  393,  n°  XIII)  et  pour  Saint-Denis 
(Doublet,  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Denys  en  Fi-ance,  in-4°,  Paris,  1625, 
p.  579). 


SERF   DE   LA   GLEBE.  227 

Fossés'  ;  ils  ne  lui  reconnurent  droit  de  cité  que  peu  à  peu  el  tar- 
divement. Restait  servus,  parfaitement  cicéronien,  eL,  à  ce  titre, 
souvent  accepté.  Mais  là,  si  les  amateurs  de  beau  langage  pouvaient 
se  déclarer  satisfaits,  les  juristes  ne  l'étaient  pas,  pour  les  raisons  que 
nous  connaissons  déjà.  Une  bulle  de  Pascal  II  s'explique  sur  ce 
point  avec  clarté.  Les  chanoines  de  Paris  avaient  quelque  temps 
auparavant  obtenu  de  Louis  VI  un  diplôme  autorisant  leurs  serfs  à 
témoigner  en  justice^;  ils  demandèrent  au  pape  de  leur  confirmer 
cette  faveur;  leur  requête  fut  accueillie.  L'acte  royal  parlait  simple- 
ment des  serfs,  servi.  Rédigée  par  des  notaires  plus  savants,  la 
bulle  dit  :  «  les  famuli  de  votre  église,  que  chez  vous  le  vulgaire 
appelle  improprement  des  serfs ^  ». 

Aussi  bien  ce  sont  deux  documents  pontificaux  dont  la  comparai- 
son, mieux  que  tout  autre  exemple,  nous  fera  comprendre  le  change- 
ment qui  s'accompht  au  xiii*  siècle  dans  la  terminologie  du  servage. 
En  1245,  Innocent  IV  légifère  pour  les  serfs  de  Saint-Germain-des- 
Prés;  le  notaire  qui  rédige  sa  bulle  n'aime  pas  les  expressions  nou- 
velles; il  écrit  :  «  Vous  avez  des  serfs  que,  vulgairement,  on  appelle 
hommes-de  corps^.  »  En  1289,  les  clercs  de  Nicolas  IV  expédient  deux 
bulles  en  faveur  du  chapitre  de  Chartres  ;  le  pape  revendique  pour  ses 
«  chers  fils  »  les  chanoines  toute  juridiction  temporelle  «  sur  leurs 
hommes  de  corps  que,  vulgairement,  on  appelle  serfs ^  ».  Entre  les 
deux  actes,  la  contradiction  est  frappante.  Elle  traduit,  un  peu  bizar- 

1.  29  mai  1239  (4  kal.  juin,  an  13  du  pontificat),  Latran  :  Livre  Noir  de  Saint- 
Maur-des-Fossés,  Arch.  nat.,  LL46,  fol.  5  v. 

2.  R.  de  Lasteyrie,  Cartulaire  général  de  Paj-is,  n"  150  (Luchaire,  Louis  VI, 
n'  63)  :  1108,  an  1"  du  règne. 

3.  «  Ipsius  ecclesie  famuli  qui  apud  vos  servi  vulgo  improprie  nuncupantur.  » 
24  janv.  1113.  B.  Guérard,  Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Paris,  t.  I,  p.  223, 
n'  VIII;  cf.  Lasteyrie,  Cartnlaire  général  de  Paris,  n°  162  (où  la  date  se 
trouve  rectifiée).  Le  mot  servus  est  rejeté  comme  impropre  à  désigner  les  non- 
libres  anglais  de  son  temps  par  un  coutumier  anglais  du  xiir  siècle,  le  Mirror 
of  justices,  éd.  Whittaker  [Selden  Society),  in-4°,  Londres,  1895,  p,  79. 

4.  «  Cum  habeatis  plures  servos  qui  homines  de  corpore  vulgariter  nuncu- 
pantur. »  3  février  1245  (3  nones  fevr.,  an  2  du  pontificat),  Lyon  :  Arch.  nat., 
L  244,  n°  6;  copie,  sans  indication  de  lieu,  dans  le  Livre  des  Privilèges,  Arch. 
nat,  LL  1027,  fol.  16. 

5.  «In  homines  ipsorum  de  corpore  qui  servi  vulgariter  appellantur.  » 
19  mars  1289  :  bulle  adressée  à  l'archçvêque  de  Sens  et  à  l'évêque  d'Auxerre, 
dans  E.  Langlois,  Registres  de  Nicolas  IV,  t.  I,  n"  736,  p.  163  ;  bulle  adressée 
au  roi  de  France,  analysée  Ibid.,  n"  738,  p.  167,  texte  complet  dans  le  Livre 
Rouge  du  chapitre  de  Chartres,  bibl.  de  la  ville  de  Chartres,  ms.  1162,  fol.  34, 
et  le  cartulaire  du  même  chapitre  conservé  à  la  bibl.  de  la  ville  de  Toulouse, 
ms.  590,  fol.  18.  Ces  bulles  ont  été  rédigées  par  un  notaire  particulièrement 
puriste;  cf.  Langlois,  p.  164,  «  ah  omni  consuctudine,  vel  costuma,  ut  utamur 
vocabulo  regionis  »;  —  p.  165,  <  aliqua  placita,  ut  patrie  verbis  utamur  ». 


228  MÉLANGES  ET  DOCDMENTS. 

rement,  l'évolution  du  langage.  Au  cours  du  xiii^  siècle,  les  notaires 
français,  que  suit  lentement  la  chancellerie  apostolique,  ont  rem- 
placé le  mot  serf  (ou  servus),  qui  choquait  leur  érudition,  par  un 
nom  emprunté  au  parler  populaire,  homme  de  corps;  serf,  autre- 
fois commun  au  langage  savant  et  au  langage  familier,  n'est  plus 
retenu  que  par  ce  dernier  ;  le  terme  vulgaire  est  devenu  juridique  ;  le 
terme  juridique  est  devenu  vulgaire. 

Homme  de  corps,  homme  lige,  homme  de  mainmorte,  que 
sais-je  encore  '  ?  La  terminologie  du  serf  dans  la  langue  diploma- 
tique du  XIII*  siècle,  en  France,  est  singulièrement  variée.  Pourtant 
une  expression  manque  à  cette  richesse  :  c'est  celle  même  que  nous 
cherchons,  c'est  serf  de  la  glèbe.  Elle  ne  semble  pas  avoir  jamais 
été  signalée  dans  les  chartes  du  moyen  âge  français^.  Faut-il  affir- 
mer que,  nulle  part,  en  aucun  temps,  dans  aucun  acte  authentique 
elle  ne  s'est  glissée?  Ce  serait  imprudent.  Nous  verrons  tout  à 
l'heure  que  les  romanistes  et  les  canonistes  ne  l'ont  pas  ignorée;  il 
se  peut  qu'une  fois,  par  hasard,  un  clerc,  nourri  de  leurs  œuvres, 
ait,  en  rédigeant  quelque  contrat,  utilisé  ses  souvenirs  littéraires. 
Aucun  cas  de  cette  sorte  n'a  encore  été  découvert  ;  on  en  découvrira 
peut-être  un  jour.  On  aura  alors  exhumé  une  exception  curieuse,  et 
ce  sera  tout.  Serf  de  la,  glèbe  n'appartient  pas,  en  France,  au  voca- 
bulaire courant  des  notaires  médiévaux.  C'est  un  fait  qu'on  ne  sau- 
rait mettre  en  doute.  Ces  deux  mots  joints  ne  se  rencontrent  pas 
davantage  chez  les  juristes  qui  écrivirent  en  langue  vulgaire  les 
grands  coutumiers  français.  Pas  plus  que  les  officiaux  ou  les  fonc- 
tionnaires de  la  chancellerie  royale,  Beaumanoir,  ni  Pierre  dé  Fon- 
taines, ni  les  auteurs  du  Livre  de  jostice  et  de  plet  ou  des  Eta- 

1.  On  trouve,  dès  le  xiii"  siècle,  homme  de  condition.  Il  est  curieux  que  ce 
terme,  quj  devait,  aux  xvii"  et  xviii"  siècles,  servir  de  synonyme  à  gentil- 
homme, ait,  au  moyen  âge,  désigné  surtout  les  hommes  de  «  serve  condition  ». 

2.  Je  connais  un  exemple  de  servus  glèbe  en  Italie,  dans  une  enquête  de  1258 
sur  les  droits  de  l'évêque  de  Trente,  Archiv  fur  œsterreischische  Geschichte, 
94  (1907),  p.  403,  n.  1  (cf.  Gotting.  Gelehrie  Anzeigen,  1909,  II,  p.  699).  Est-il 
isolé?  Je  suis  trop  ignorant  de  l'histoire  juridique  italienne  pour  oser  rien 
affirmer.  Comme  on  le  verra  tout  à  l'heure,  cette  association  de  mots  eut  pour 
créateurs  les  professeurs  bolonais  ;  peut-être  les  notaires  italiens  la  leur  ont-ils 
quelquefois  empruntée.  Pour  l'Allemagne,  la  4"  édition  des  Rechtsaltertumer 
de  Grimm,  I,  Leipzig,  1899,  p.  454,  donne  (sans  date)  un  exemple,  avec  renvoi 
à  Heider,  Grûndliche  Ausfuhrung  der  Reichsstadt  Lindau,  in-fol.,  Nuremberg, 
1643,  p.  293;  mais,  à  la  page  indiquée,  je  n'ai  rien  trouvé  de  pareil,  et  je  n'ai 
pu,  dans  le  corps  du  volume,  mettre  la  main  sur  l'acte  cité.  En  tout  cas,  l'ex- 
pression serait  tout  à  fait  anormale.  Les  historiens  allemands  du  xix"  siècle 
emploient  quelquefois  «  an  der  Scholle  gebunden  »  :  simple  imitation,  semble- 
t-il,  du  français  «  attaché  à  la  glèbe  »  (ou  du  latin  :  glebis  inkaerere). 


SEKF   DE   LA   GLEBE.  229 

blissements  de  saint  Louis  n'appelaient  ainsi  les  non-libres  de 
leur  temps.  Les  historiens  du  xix^  siècle  qui  ont  disserté  sur  le  ser- 
vage de  la  glèbe  au  moyen  âge  se  servaient  donc  d'un  terme  que  ne 
connaissaient  pas  ou  que  rejetaient  les  praticiens  de  l'époque  même 
qu'ils  étudiaient. 

Ils  ne  l'inventaient  pas  cependant.  De  quelle  tradition  l'avaient^jls 
reçu?  Pour  l'apprendre,  il  va  nous  falloir  quitter  la  pratique  pour 
le  droit  savant  et  la  France  pour  l'Italie. 

III. 

Vers  la  fm  du  xi*  siècle,  à  Bologne,  commença  l'enseignement 
d'Irnerius,  le  flambeau  du  droit,  «  lucerna  juris  ».  Il  expliquait  à  ses 
auditeurs  les  compilations  de  Justinien.  L'école  qu'il  fonda  rayonna 
sur  l'Europe  occidentale  tout  entière  :  école  d'annotateurs,  de  «  glos- 
sateurs  »  (ce  nom  leur  est  resté)  qui  suivaient  pas  à  pas  les  textes 
romains  pour  en  éclairer  les  obscurités,  enrichissant  de  gloses  les 
interlignes  ou  les  marges  de  leurs  manuscrits. 

Or,  Irnerius,  commentant  le  Digeste,  rencontra  le  titre  V  du  livre 
premier  :  De  statu  hominum.  Leg  jurisconsultes  dont  les  extraits 
sont  rassemblés  dans  ce  titre  divisaient  les  hommes  en  deux  catégo- 
ries :  les  libres  et  les  esclaves  [servi).  Cette  classification  devait 
paraître  incomplète  à  un  exégète  qui  connaissait  à  fond  le  Code  Jus- 
tinien ;  car  dans  ce  code,  témoin  d'un  état  du  droit  postérieur  à  la  doc- 
trine des  «  prudents  «,  telle  qu'elle  se  trouve  résumée  dans  le  Digeste, 
apparaît  un  groupe  social  dont  le  statut  juridique  forme  en  quelque 
façon  un  intermédiaire  entre  la  liberté  et  l*esclavage  :  les  coloni  ou 
ascriptitii  (ces  deux  termes,  souvent  employés  l'un  pour  l'autre 
dans  l'usage  ancien,  paraissent  avoir  été  acceptés  parles  glossateurs 
comme  exactement  synonymes).  Irnerius,  pour  l'instruction  de  ses 
élèves,  chercha  à  combler  la  lacune  qu'offrait  à  ses  yeux  le  texte 
antique;  il  s'y  employa  dans  des  gloses,  qui  furent  recueillies.  Voici 
l'une  d'elles.  Je  traduis  servus  par  serf,  comme  eût  fait  un  écrivain 
du  moyen  âge. 

«  La  condition  de  l'ascriptice  n'est  pas  telle  que  par  elle  on  soit 
soumis  au  dominium  d'autrui.  Par  ascriptice,  on  doit  entendre 
essentiellement,  non  pas  le  serf  d'une  personne,  mais  le  serf  d'une 
glehe  [glèbe  servus)*.  V 

1.  «  Ascripticia  enim  condicio  non  est  ea  qua  quis  alieno  subicilur  dominio, 
sed  glèbe  servus  inlelligitur,  non  principaliter  persone  b  (E.  Besta,  l'Opéra 
d'Irnerio,  II,  in-8°,  Turin,  1896,  p.  9).  Mon  attention  a  été  attirée  sur  cette 
glose  par  une  note  de  R.  "W.  et  A.  J.  Carlyle,  A  hislory  of  mediaeval  political 


230  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

Telle  est,  à  ma  connaissance,  le  plus  ancien  exemple  de  cette 
expression  vouée  à  un  si  grand  avenir.  D'Irnerius,  elle  passa  à  ses 
successeurs.  Placentin,  le  premier  des  grands  glossateurs  qui  aient 
enseigné  en  France,  l'emploie  à  deux  reprises  dans  sa  Somme  des 
Institutes,  comme  Irnerius,  à  titre  de  synonyme  ou  mieux  de  para- 
phrase du  latin,  «  ascriptitius ^  ». 

Puis  elle  se  répandit  chez  les  canonistes,  disciples  eux  aussi,  sur 
bien  des  points,  des  professeurs  de  droit  romain.  Vers  le  milieu  du 
xii^  siècle,  le  moine  Gratien  avait  composé  un  recueil  de  droit  canon, 
le  Décret,  qui  prit  bientôt  une  valeur  quasi  officielle.  Ouvrons  cette 
illustre  compilation,  et  cherchons-y  la  Distinctio  LIV;  toute  la 
première  partie  en  est  consacrée  à  l'antique  règle  ecclésiastique,  qui 
interdisait  de  conférer  les  ordres  sacrés  à  des  non-libres.  En  parti- 
culier, Gratien  y  reproduisait  une  lettre  d'un  pape  du  v^  siècle, 
Gélase  P%  annulant  l'ordination  au  diaconat  de  deux  originariP. 
Ce  mot  désignait,  semble-t-il,  des  colons  fixés  depuis  leur  naissance 
sur  le  même  domaine.  Il  pouvait  paraître  obscur  aux  lecteurs.  Il 
exigeait  une  glose.  Un  des  commentateurs  les  plus  anciens  du  Décret, 
Paucapalea,  imagina  de  l'expliquer  par  ascriptitius.  Par  là,  il  fut 
amené  à  donner  de  ce  dernier  terme  une  définition  empruntée  vrai- 
semblablement à  la  Uttérature  romaniste;  serf  de  la  glèbe  y  trouva 
sa  place ^.  Sa  glose  fut  acceptée  par  l'École;  maître  Rufm  la  copia"*; 
Etienne  de  Tournai  —  un  Français  qui  mourut  en  1203  —  s'en  ins- 
pira :  «  Les  ascriptices  » ,  écrit-il  dans  sa  Somme  du  Décret,  «  sont 
ceux  qui  s'inscrivent  comme  attachés  à  un  fonds  de  terre,  selon  des 
conditions  déterminées;  on  les  appelle  serfs  de  la  glèbe^.  » 

Ainsi,  pour  tous  ces  juristes,  le  serf  de  la  glèbe,  c'est  un  ascrip- 
tice,  ou,  comme  disent  plus  volontiers  les  historiens  d'aujourd'hui, 
un  colon,  au  sens  où  la  législation  du  Bas-Empire  prenait  ce  terme. 

theory  in  the  West,  II,  in-S",  Londres,  1909,  p.  39,  n.  3.  Servus  glèbe  (dans 
le  sens  d'ascriptitius)  se  rencontre  également  au  titre  V,  c.  7  des  Quesiiones 
de  juris  subtilitatibus  qui  sont  peut-être  d'Irnerius,  éd.  H.  Fitting,  in-4*,  Ber- 
lin, 1894,  p.  60. 

1.  Placenlini  jxirisconsuUi  vetustissimi,  in  Summam  Instihitionum..., 
libri  III,  in-fol.,  Mayence,  1535,  p.  4  et  6. 

2.  Cf.  Jaff'é'Wattenbach,  Regesta  pontificum  romanorum,  I,  n°  658. 

3.  Die  Summa  des  Paucapalea  iiber  das  Decretum  Gratiani,  éd.  J.  F.  v. 
Schulte,  in-8%  Giessen,  1890,  p.  36,  c.  11. 

4.  Éd.  J.  F.  V.  Schulte,  in-8°,  Giessen,  1892,  p.  122,  c.  11;  éd.  H,  Singer, 
in-8%  Paderborn,  1902,  p.  141,  c.  11. 

5.  Die  Summa  des  Stephanus  Tomacensis  iiber  das  Decretum  Gratiani, 
éd.  J.  F.  V.  Schulte,  in-8°,  Giessen,  1891,  p.  81,  c.  20.  «  Adscriplicios ,  qui  se 
ascripserunl  certa  condilione  fundo,  hique  servi  glèbe  dicuntur.  » 


SERF   DE   LA    GLEBE.  231 

D'où  leur  est  venue,  ou  mieux  d'où  est  venue  au  premier  d'entre 
eux,  Irnerius,  cette  alliance  de  mots? 

Si  l'on  en  croyait  le  Dictionnaire  de  l'Académie,  la  réponse  à  celte 
question  ne  souffrirait  pas  de  difficultés.  Prenons,  en  effet,  dans 
cette  vénérable  publication,  l'article  glèbe.  On  y  lit  ceci  (depuis 
1762)  :  «  Les  esclaves  attachés  à  un  domaine,  à  une  métairie,  chez 
les  Romains  s'appelaient  esclaves  de  la  glèbe.  »  Les  glossateurs 
n'auraient  donc  fait  que  puiser  dans  la  tradition  classique.  Malheu- 
reusement, il  semble  bien  que  l'Académie  se  trompe.  Je  ne  connais  pas 
chez  les  auteurs  anciens  de  texte  où  se  rencontre  serviis  glebae. 
On  ne  peut  guère  douter,  jusqu'à  nouvel  ordre,  qu'Irnerius  n'ait 
créé  l'expression  ^  Mais  il  la  créa  sous  l'influence  de  certains  pas- 
sages du  Code  et  du  Digeste.  Cherchons  à  retrouver  ses  sources. 

Vers  la  fln  de  l'Empire  romain,  les  hommes  politiques  et  les 
juristes  firent  le  rêve  d'une  société  où  chacun  devait  être,  par  des 
liens  héréditaires  et  indissolubles,  attaché  à  sa- fonction  :  le  décurion 
à  sa  dignité  municipale,  le  soldat  à  l'armée,  l'artisan  à  son  collège, 
le  cultivateur  (qu'il  fût  de  naissance  libre  ou  de  naissance  servile)  à 
son  champ^.  Ce  cultivateur,  ainsi  fixé  au  sol,  ce  fut  le  colon.  L'es- 
clave des  temps  antiques  avait  eu  pour  maître  un  homme;  le  colon 
eut  pour  maître  une  chose,  le  domaine.  Une  loi  de  Théodose,  recueil- 
lie au  livre  XI  du  Code  Juslinien,  s'exphque  là-dessus  fort  claire- 
ment. Je  traduis  toujours  servus  par  serf  :  «  Ils  [les  colons  de  la 
Thrace]  sont  serfs  de  la  terre  sur  laquelle  ils  sontnés^.  »  Servi  ter- 

1.  Irnerius  n'a  pas  trouvé  l'expression  servus  glèbe  dans  le  texte  du  Corpus 
Juris,  tel  que  nous  le  connaissons  aujourd'hui.  On  pourrait,  il  est  vrai,  sup- 
poser qu'il  eut  entre  les  mains  un  texte  dillërent,  où,  par  exemple,  dans  le 
Code  Juslinien,  XI,  52,  1,  on  aurait  lu  servi  glebae  au  lieu  de  sei'vi  terrae. 
Mais  cette  hypothèse  serait  en  contradiction  avec  ce  que  l'on  croit  savoir, 
aujourd'hui,  sur  l'histoire  des  manuscrits  de  la  compilation  justinienne.  Reste 
une  dernière  conjecture  :  Irnerius  aurait  rencontré  servus  glèbe  dans  la  litté- 
rature juridique  des  premiers  siècles  du  moyen  âge.  On  ne  saurait  l'écarter 
absolument;  car  nous  ne  possédons  certainement  pas  dans  son  entier  la  pro- 
duction antérieure  à  Irnerius;  ce  que  nous  avons  conservé  est  en  partie  resté 
manuscrit,  et  enfin  je  n'ai  pas  la  prétention  d'avoir  lu  tout  ce  qui  est  imprimé; 
je  signalerai  cependant  que  je  n'ai  pas  trouvé  servus  glèbe  dans  les  Excep- 
liones  Pétri.  Pour  être  tout  à  fait  exact,  il  ne  faut  donc  considérer  Irnerius 
comme  créateur  de  cette  expression  que  sous  réserves  de  découvertes  futures. 

2.  Cf.  0.  Seeck,  Geschichte  des  Untergangs^  der  antiken  Well,  II,  in-8', 
Berlin,  1901,  livre  III,  ch.  vu  :  Die  E-rblichkeit  der  SlOnde. 

3.  «  ...  licet  condicione  videantur  ingenui,  servi  tamen  terrae  ipsius  cui  nati 
sunt  aestimentur.  »  Code  Justinien,  XI,  52,  1.  M.  A.  Piganiol,  l'Impôt  décapi- 
tation sous  le  Bas-Empire  romain,  Chambéry,  1910  (thèse  de  Paris),  p.  67, 
propose  de  corriger  nati  en  dali;  mais  ce  qui  nous  intéresse  ici,  c'est  le  texte 


232  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

rae  :  en  écrivant  servus  glèbe,  Irnerius  ne  fera  que  substituer  au 
mot  terre  le  mot  glèbe. 

Pourquoi  cette  substitution?  Elle  était  en  un  sens  parfaitement 
légitime.  Dans  la  langue  bizarre  et  emphatique  des  derniers  juristes 
romains,  glèbe  (terme  poétique)  était  exactement  synonyme  de  terre; 
au  point  que,  dans  un  même  texte  reproduit  à  la  fois  par  le  Code 
Justinien  et  par  le  Code  Théodosien,  là  où  le  premier  donne  : 
terra,  on  lit  dans  le  second  :  gieba  '.  Le  Code  Justinien  n'a  pas  dit 
servus  glebae,  mais  il  eût  pu  le  dire.  Continuons  à  feuilleter  le 
livre  XI  ;  dans  une  loi  d'Arcadius  et  de  Théodose  II,  nous  trouvons, 
à  propos  des  colons,  cette  phrase  :  «  Ils  adhèrent  à  la  glèbe  si  forte- 
ment qu'ils  ne  peuvent  en  être  arrachés  même  pour  un  instant  2.  » 
Cette  loi,  la  loi  de  Théodose,  peut-être  d'autres  lambeaux  encore  du 
Corpus  Juris  où  figurait  le  mot  glèbe ^  flottaient  dans  la  mémoire 
d'Irnerius  quand  il  rédigea  sa  glose  sur  le  Digestum  Vêtus.  De  ces 
réminiscences  mêlées  —  beaucoup  plutôt,  semble-t-il,  que  d'un  effort 
de  style  conscient  et  réfléchi  —  naquit  servus  glèbe*. 

Paraphrase  d'un  terme  romain,  ascriptitius,  l'expression  serf 
de  la  glèbe  n'avait  pas  été  créée  par  Irnerius  pour  s'appliquer  aux 
réalités  de  son  temps.  C'était  le  colon  antique,  non  le  serf  médiéval 
qu'il  prétendait  désigner  ainsi.  Ses  imitateurs  ne  s'y  trompèrent  pas. 
Considérons,  par  exemple,  Etienne  de  Tournai,  que  je  citais  tout  à 
l'heure.  Ce  commentateur  de  Gratien  ne  fut  pas  un  pur  théoricien. 

tel  qu'Irnerius  l'avait  entre  les  mains.  Cf.  Code  Justinien,  XI,  53,  1,  «  Inser- 
viant  terris  ». 

1.  Loi  de  Valentinien  et  Valens  du  31  juillet  365  :  Code  Tiiéodosien ,  XI,  1, 
12;  Code  Justinien,  XI,  48,  3. 

2.  «  ...  quos  ita  glebis  inhaerere  praecipimus,  ut  ne  puncto  quidem  temporis 
debeant  amoveri  »  (Code  Justinien,  XI,  48,  15). 

3.  Faut-il  y  comprendre  le  texte  de  Javolenus  Dig.,  VIII,  3,  13,  1,  «  omnes 
glebae  serviant  »,  où  glebae  est  le  sujet  de  la  phrase  et  où  il  s'agit  d'ailleurs 
de  servitude  prédiale  (et  non  personnelle),  mais  qui,  lu  un  peu  vite  et  surtout 
dans  une  mémoire  un  peu  brouillée,  a  pu  contribuer  à  suggérer  l'association 
verbale  servi  et  glebae  ? 

4.  Je  suppose  dans  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  qu'Irnerius  connaissait  les 
titres  48  et  52  du  livre  XI  du  Code  Justinien.  Je  n'ignore  pas  que  cela  pour- 
rait être  contesté.  On  considère  en  général  que  les  premiers  glossateurs  n'ont 
pas  fait  usage  des  trois  derniers  livres  du  Code.  Il  convient  toutefois  de  remar- 
quer :  1"  que  précisément  le  titre  48  n'a  jamais  cessé  d'être  en  honneur  dans 
la  littérature  juridique  (Max  Conrat,  Geschichte  der  Quellen  und  Literatur  des 
Rômischen  Redits  ini  friiheren  MiUelalter,  I,  in-8%  Leipzig,  1889,  p.  55, 
n.  3)  ;  2°  que  ces  trois  livres  tout  entiers  étaient  laissés  de  côté  plutôt  qu'ils 
n'étaient  précisément  ignorés  {Ibid.,  p.  355).  En  résumé,  Irnerius  a  certaine- 
ment pu  lire  le  titre  48;  il  a  vraisemblablejnent  pu  lire  le  titre  52.  Et  je  ne 
vois  pas  où  il  aurait  pris  ailleurs  l'idée  de  servus  glèbe. 


SERF   DE   LA   GLEBE.  233 

Abbé  de  Saint-Euverte  d'Orléans,  puis  de  Sainte-Geneviève  de 
Paris,  évêque  de  Tournai,  il  connut  de  près  le  servage  français. 
Outre  ses  œuvres  juridiques,  nous  avons  conservé  de  lui  une  abon- 
dante correspondance^  ;  les  archives  de  Sainte-Geneviève  renferment 
des  actes  nombreux  passés  sous  son  abbatiat^.  Lettres  et  chartes 
parlent  souvent  de  serfs  ou  d'hommes  de  corps  :  de  serfs  de  la  glèbe 
jamais.  Canoniste,  Etienne  parlait  la  langue  de  Térudit  ;  adminis- 
trateur, celle  de  l'homme  d'affaires;  il  ne  les  embrouillait  pas  entre 
elles. 

D'autres,  il  est  vrai,  eurent  l'esprit  moins  net.  Les  clercs  du 
moyen  âge  se  piquaient  d'érudition;  obligés  d'employer  constam- 
ment une  langue  morte  —  le  latin  —  habitués  par  là  même  à  tra- 
vestir tant  bien  que  mal  sous  une  forme  antique  les  choses  du  pré- 
sent, ils  cherchaient  souvent  moins  le  terme  exact  que  le  terme 
élégant  ou  rare;  pour  tout  dire,  ils  étaient  volontiers  pédants.  Trou- 
vant chez  de  bons  auteurs  une  belle  alliance  de  mots,  comment 
n'eussent-ils  pas  été  tentés  de  s'en  emparer,  sans  trop  regarder  au 
sens,  pour  en  orner  leur  style? 

Rendons  toutefois  justice  aux  notaires  français.  Comme  nous 
l'avons  vu,  ils  laissèrent  dormir  dans  les  manuels  de  droit  romain 
ou  de  droit  canon  l'expression  inventée  par  Irnerius.  Ainsi,  firent 
également  les  auteurs  de  coutumiers.  En  revanche,  je  connais  dans 
la  littérature  latine  du  xiii''  siècle  deux  exemples  du  terme  qui  nous 
occupe  et  je  ne  doute  pas  qu'en  cherchant  bien  on  n'arrive  à  en 
découvrir  d'autres.  Mes  deux  auteurs  sont,  l'un  un  sermdnnaire, 
Jacques  de  Vitry,  l'autre;  un  historien,  Guillaume  le  Breton. 

On  possède  de  Jacques  de  Vitry  une  série  de  sermons  qui  s'adressent 
respectivement  aux  différentes  classes  de  la  société;  parmi  eux,  deux 
ad  servos  et  ancillas.  Ceux-ci  ne  sont  pas,  comme  on  pourrait  le 
croire,  destinés  aux  serfs  et  serves,  mais  bien  aux  serviteurs  et  ser- 
vantes^. Les  anciens  Romains  ne  demandaient  guère  les  services 
domestiques  qu'à  leurs  esclaves  ;  c'est  pourquoi  la  langue  n'avait  pas 
de  terme  usuel  pour  désigner  le  serviteur  libre.  Il  ne  pouvait  en 
être  de  même  en  plein  moyen  âge,  puisque  dans  presque  toute  l'Eu- 
rope occidentale  l'esclavage  était  alors  inconnu;  on  avait  des  servi- 
teurs ;  en  français  on  les  appelait  d'ordinaire  serjants*  ;  mais  les  lit- 

1.  É^.  Desilve.  Valenciennes  et  Paris,.  1893. 

2.  Archives  dn  grande  partie  inédites;  j'ai  eu  l'occasion  de  les  dépouiller. 

3.  Comme  l'a  bien  vu  k.  Lecoy  de  la  Marche,  la  Chaire  française  au  moyen 
âge,  in-S",  Paris,  1886,  p.  57  et  421. 

4.  Quel<|ue(ois  aussi  semhle-t-il,  mais  plus  rarement,  garsonx.  Pour  les  ser- 
vantes, la  terminologie  paraît  assez  peu  lixe;  on  trouve  ancelc  (cf.  ci-dessus. 


234  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

lérateurs  qui  écrivaient  en  latin,  désireux  avant  tout  de  ne  pas 
s'écarter  des  formes  classiques,  employaient  souvent  en  ce  sens  le 
mot  servus^  dépouillé,  pour  les  besoins  de  la  cause,  de  tout  contenu 
juridique  précis'.  Ainsi  faisait  Jacques  de  Vitry^.  Mais,  soit  afin 
de  prévenir  toute  équivoque,  soit  plus  simplement  dans  le  dessein 
d'étaler  son  érudition,  il  crut  bon  de  placer  en  tête  de  son  second 
sermon  un  développement  sur  les  différentes  significations  du  mot 
dont  il  usait.  Il  distingue  quatre  catégories  de  seî^vi  :  ceux  qui  n'ont 
pas  même  la  disposition  de  leur  propre  corps  (les  esclaves  du  droit 
antique),  les  ascripticii,  les  qriginarii  «  nés  des  ascriptices  »,  les 
conducticii  farauli,  c'est-à-dire  les  serviteurs.  De  la  deuxième,  il 
donne  la  définition  devenue  classique  dans  l'École  :  «  Ascriptices, 
ou  serfs  de  la  glèbe  attachés  au  soP  ».  Cet  exposé,  tiré  peut-être  de 

p.  222,  n.  1),  chamberiere,  meschine.  Voir  les  textes  —  d'ailleurs  insuffisants 
—  rassemblés  par  H.  Doercks,  Haus  und  Hof  in  den  Epen  des  Crestien  von 
Troies,  Greifswald,  1885,  p.  42,  et  Fritz  Meyer,  Die  Stdnde,  ihr  Leben  und 
Treiben  dm^gestelU  nach  den  altfr.  Artus-  und  Abenleuerromanen  [Ausg. 
u.  Abh.  aus  dem  Gebiete  der  romanischen  Philologie,  89),  Marbourg,  1892, 
p.  98  et  104. 

1.  Exemples  :  chez  des  moralistes,  Thomas  de  Cantimpré,  Bonum  univer- 
sale  de  apibus,  II,  i,  c.  10  et  c.  23;  XXVIII,  c.  11  (éd.  de  Douai,  in-8°,  1627); 
chez  des  lexicographes,  Jean  de  Garlande,  éd.  Scheler,  Jahrb.  fiir  rotnanische 
und  englische  Litleratur,  VI  (1865),  p.  149,  c.  31,  et  150,  c.  33;  dans  des  livres 
de  comptes.  Livre  de  raison  de  Saint-Martin  de  Pontoise,  éd.  J.  Depoin 
(publ.  Soc.  histor.  Pontoise),  in-8'',  Pontoise,  1900,  p.  198,  et  arch.  du  dépar- 
tement deSeine-et-Oise,  série  H,  ms.  non  coté,  fol.  13  (où  sei-vi  de  cellario  tra- 
duit le  français  les  vendeurs  dudit  cellier).  Brunetto  Latino,  pour  qui  le  fran- 
çais est  une  langue  apprise,  traite  serf  comme  synonyme  de  serjant  :  Livres 
dou  Trésor,  éd.  Chabaille  (Doc.  inéd.),  II,  2,  c.  xcix,  p.  442  et  suiv.  Cet  emploi 
de  servus  dans  le  sens  de  serviteur  survivra  dans  la  langue  juridique,  si  bien 
qu'au  xvi°  siècle  Hippolyte  Bonacossa  pourra  commencer  un  traité  De  servis 
et  famulis  par  cette  définition  étonnante  :  «  Et  servus  (de  quo  noster  sit  sermo) 
est  homo  liber...  quern  oportet  alii  famulari  »,  Tractatus  illustrium  juriscon- 
sultorum,  V,  1,  in-fol.,  Venise,  1584,  fol.  121  v.  Le  latin  médiéval  est  un  jar- 
gon parfois  singulier! 

2.  Voir  ses  Exempta,  éd.  Crâne  {Folk  Lore  Society),  in-8%  Londres,  1890, 
n"  XLII,  LXXXII  (p.  37),  CXX  et  CXCV;  éd.  Frenken  {Quellen  und  Unters. 
zur  lateinischen  Philologie  des  Miltelalters,  V,  h.  1),  in-8°,  Munich,  1914, 
n°"  XXIII,  XXV  (p.  112)  et  LIV.  On  a  beaucoup  écrit  sur  Jacques  de  Vitry;  il 
suffira  de  renvoyei*  (comme  au  dernier  travail  paru)  à  l'introduction  de  l'édition 
Frenken. 

3.  Les  sermons  ad  servos  et  ancillas  sont  encore  inédits,  Ils  ne  figurent  pas 
parmi  les  extraits  des  Sermones  vulgares  qu'a  donnés  dora  Pitra  dans  ses 
Analecta  Novissima,  II,  in-4°,  Tivoli,  1888,  p.  344  et  suiv.  Je  cite,  d'après  le 
ms.  lat.  17509  de  la  Bibliothèque  natit)nale,  fol.  133  :  «  Homo  servus  dicitur 

qui  servilis  est  conditionis;  nec  habet  potestatem  sui  corporis Servi 

etiam  hominis  sunt  qui  vocantur  ascripticii,  seu  servi  glèbe  qui  astricli  solo. 


SERF   DE   LA   GLÈBE.  235 

quelque  livre  de  droit  que  je  n'ai  pu  retrouver,  était  dépourvu  de 
tout  lien  avec  la  réalité  présente;  Jacques  de  Vitry  ne  pensait  pas 
aux  serfs  de  son  temps. 

Tel  n'est  point  tout  à  fait  le  cas  de  Guillaume  le  Breton.  Nous 
devons  à  ce  chanoine  —  instruit  et  soucieux  de  le  paraître  —  deux 
ouvrages  historiques  écrits  en  latin  et  consacrés  tous  deux  au  règne 
de  Philippe- Auguste  :  une  chronique  en  prose  et  une  sorte  d'épopée 
en  vers,  la  Philippide.  En  un  passage  de  la  chronique,  on  voit  un 
noble  homme  du  diocèse  de  Saint-Pol-de-Léon  apparaître  après  sa 
mort  à  l'un  de  ses  paysans  ;  Guillaume  le  Breton  écrit  :  à  un  de  ses 
esclaves,  je  veux  dire  à  un  esclave  de  sa  glèbe,  «  cuidam  mancipio  suo, 
scilicet  sue  glèbe  ^  »  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  l'expression  que  nous 
cherchons,  mais  peu  s'en  faut.  La  Philippide,  au  contraire,  nous 
la  présente  sous  sa  forme  traditionnelle.  Le  3  juillet  1194,  à  la-sur- 
prise de  Fréteval,  Philippe-Auguste  perdit  ses  archives.  C'est  pour 
notre  historien  une  occasion  de  nous  les  dépeindre.  Elles  conte- 
naient, si  nous  l'en  croyons,  entre  autres  documents  précieux,  «  des 
écrits  par  où  l'on  pouvait  connaître...  qui  était  serf  de  la  glèbe  et 
qui  serf  de  condition ^  ».  Quelle  différence  Guillaume  faisait-il  entre 
ces  deux  aspects  de  servage?  On  ne  sait.  Je  serais  tenté,  pour  ma  part, 
de  ne  pas  prendre  trop  au  sérieux  ce  qui  n'était  peut-être  que  redon- 
dance de  style.  En  tout  cas  voilà,  à  ma  connaissance,  le  plus  ancien 
texte  où  l'on  rencontre  des  serfs  français  appelés  serfs  de  la  glèbe. 

Guillaume  le  Breton  eut-il  des  imitateurs  en  son  temps?  Je  n'ose- 
rais dire  non.  Mais  certainement  son  exemple  fut  extrêmement  peu 
suivi.  Donner  au  servage  médiéval  le  nom  de  servitude  de  la  glèbe, 
inventé  pour  le  colonat  romain,  le  xiii^  siècle  ne  pouvait  guère  tom- 
ber dans  une  pareille  erreur.  Elle  ne  se  produisit  que  plus  tard.  Com- 
ment? C'est  ce  qui  nous  reste  à  raconter. 

IV. 

Le  servage  ne  resta  pas  toujours  pareil  à  lui-même.  Vers  la  fin 
du  moyen  âge  il  subit  des  modifications  profondes.  Il  en  fut  de 
même,  semble-t-il,  pour  toutes  les  institutions  qui  composaient 
le  régime  dit  «  féodal  ».  Malheureusement,  nous  connaissons  très 

Servi  vcro  originarii  dicunlur  qui  nati  sunt  ex  ascripticiis  in  ipso  solo.  Sunt 
insuper  servi  qui  dicuntur  conducticii  fainuli,  sciJicel  (|uos  ad  Icnipus  condu- 
cimus,  et  post  leruiinum  possunl  recedere  liberi.  »  Cf.  ms.  lat.  3284,  fol.  174  v°. 

1.  Éd.  H. -F.  Delahorde  {Société  de  l  histoire  de  France),  I,  c.  97,  p.  204. 

2.  Éd.  H. -F.  Delaborde,  II,  ch.  iv,  v.  561  et  566  :  «  Sed  sc.ri|)la  quibus  pre- 
iiosse  dabalur qui  sint  vel  glebo  servi  vcl  condilioiiis.  » 


236  MÉLANGES   ET   DOCUMBWTS. 

mal  cette  décadence  de  la  féodalité;  l'histoire  n'en  a  jamais  été 
écrite.  Voici,  pour  le  servage,  sans  tenir  compte  des  nuances  locales, 
ce  que  l'on  peut  conjecturer. 

Le  serf  des  temps  anciens  était,  au  sens  plein  du  mot,  un  homme 
de  corps.  Quoi  qu'il  fît,  où  qu'il  allât,  quelle  que  fût  la  terre  qu'il 
cultivât,  il  restait  attaché  à  son  seigneur  par  un  lien  indissoluble  (à 
moins  d'affranchissement),  héréditaire,  presque  corporel,  un  lien, 
comme  dira  Guy  Coquille,  adhérant  «  à  la  chair  et  aux  os'  ».  Il 
demeurait  toujours,  pour  certains  délits,  justiciable  de  son  sei- 
gneur ;  il  demeurait  toujours  soumis  envers  lui  aux  charges  de  son 
état.  En  revanche,  l'homme  libre  qui  acquérait  un  champ  des  mains 
d'un  serf  ne  cessait  pas  pour  cela  d'être  libre.  Il  y  avait  des  per- 
sonnes, ou  mieux  des  familles  serviles;  il  n'y  avait  pas  de  tenures 
serviles. 

Le  servage,  ainsi  compris,  n'apparaissait  pas  alors  comme  une 
anomalie  ;  la -vie  sociale  presque  tout  entière  était  fondée  sur  des  con- 
ceptions analogues  ;  rien  ne  semblait  aussi  fort  que  les  liens  d'homme 
à  homme.  Mais  ce  système  de  relations  personnelles  s'effrita  très 
vite;  les  idées  collectives  qui"  le  soutenaient  s'effacèrent.  On  hésite 
en  pareille  matière  à  donnner  des  dates;  on  peut  dire  néanmoins 
que,  dès  le  début  du  xiii*  siècle,  dans  la  France  du  Nord,  la  société 
avait  commencé  à  changer  de  face.  Or,  le  servage  ne  disparut  pas 
avec  l'ensemble  des  coutumes  et  des  notions  juridiques  parmi  les- 
quelles il  était  né.  Il  survécut  dans  beaucoup  de  provinces  françaises 
jusqu'au  xvi*  siècle;  dans  quelques-unes  jusqu'en  1789.  Mais  il  se 
transforma,  peu  à  peu,  très  profondément.  Désormais,  la  «  macule  » 
servile  s'attacha  moins  à  l'homme  qu'à  la  terre.  Qui  habitait  cette 
terre  contaminée  devenait  serf;  qui  l'abandonnait  devenait  libre.  Au 
servage  «  de  corps  »  succéda  lentement  le  servage  réel. 

Le  serf  dont  la  condition  avait  pris  cette  forme  nouvelle  restait 
bien  différent  du  colon  romain;  il  n'était  pas,  à  proprement  parler, 
fixé  au  sol.  En  droit  rien  ne  l'empêchait,  s'il  le  désirait,  de  quitter 
sa  tenure.  En  fait,  pourtant,  cette  liberté  de  mouvement  avait 
quelque  chose  de  fictif  :  il  pouvait  s'en  aller,  mais  à  condition  de 
laisser  au  seigneur  tous  ses  biens.  Le  départ,  c'était  pour  lui  la  pau- 
vreté; la  redoutant,  il  se  trouvait  par  une  nécessité  économique  lié 
à  ses  champs  héréditaires  aussi  fortement,  ou  peu  s'en  faut,  que 
s'il  y  avait  été  maintenu  par  la  plus  implacable  loi.  Comment  ne  pas 
songer  à  le  comparer  au  colon  du  Bas-Empire?  Tentation  d'autant 
plus  naturelle  que  les  juristes,  nourris  dans  le  culte  de  la  législation 

1.  Les  Coristinnes  du  pays  et  comté  de  Niveniois,  ch.  vui,  art.  VI  (Œuvres, 
éd.  de  Bordeaux,  in-fol.  1703,  II,  p.  130). 


SERF    DE   LA    GLEBE.  237 

afltique,  ne  demandaient  qu'à  y  trouver  des  précédents  à  tout  ce 
qu'ils  voyaient  autour  d'eux. 

En  Languedoc,  dès  le  xiii^  siècle,  la  situation  juridique  des  serfs 
ressemblait  par  certains  côtés  à  ce  qu'elle  devait  être  plus  tard  dans 
le  Nord;  il  y  avait  des  tenures  serviles,  qu'on  appelait  les  terres  de 
casalage^.  Aussi  fut-ce  dans  une  ordonnance  de  Philippe  le  Bel 
pour  le  Toulousain,  rédigée  certainement  par  des  fonctionnaires  ver- 
sés dans  le  droit  méridional,  que  l'on  vit,  pour  la  première  fois,  le 
servage  rapproché  de  1'  «  ascriptitiat^  ». 

L'exemple  fut  contagieux.  Sous  Philippe  le  Bel  encore,  en  1303, 
les  notaires  de  la  chancellerie  royale,  appelés  à  rédiger  une  ordon- 
nance applicable  à  tout  le  royaume,  employèrent  ascriptitiixs  comme 
synonyme  de  serf  3.  Cette  association  verbale  se  répandit  dans  la  lit- 
térature juridique.  Au  xv*  siècle.  Gui  Pape  l'adoptait  résolument''. 
Elle  devint  un  heu  commun. 

Consultons  Guy  Coquille.  Ce  grand  juriste  était  Nivernais.  Il 
appartenait  à  un  pays  où  le  servage  personnel,  au  moins  dans  quelques- 
uns  de  ses  traits,  se  maintint  jusqu'aux  temps  modernes.  Autour  de 
lui  vivaient  des  serfs  «  de  corps  »  et  «  de  poursuite  ».  Dans  sa 
belle  langue,  savoureuse  et  drue,  il  l'a  dépeinte  plus  d'une  fois  lui- 
même,  cette  servitude  «  attachée  aux  os  »  «  qui  ne  peut  tomber 
pour  secouer 5  ».  Pourtant,  soumis  aux  théories  de  l'École,  voici  ce 

1.  Le  servage  méridional  n'a  guère  été  étudié.  J'ai  cherché  à  donner  quelques 
indications,  forcément  très  vagues,  dans  Rois  et  serfs,  p.  100.  Dés  le  début  du 
XIII'  siècle,  dans  le  Languedoc,  le  serf,  s'il  abandonnait  à  son  seigneur  tous  .ses 
biens,  cessait  d'être  serf.  C'est  ce  que  l'on  appellera,  mais  plus  tard,  dans  le 
Nord,  lorsque  cette  régie  juridique  y  apparaîtra,  le  désaveu  :  voir  les  cou- 
tumes i)romu!guées  par  Simon  de  Montfort  à  Pamiers  le  1"'  décembre  1212, 
Histoire  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  t.  VIIF,  col.  631,  art.  XXVH. 

2.  Ordonnance  abolissant  (ou  prétendant  abolir)  la  servitude  dans  la  séné- 
chaussée de  Toulouse  et  Albi,  avril  1290,  n.  st.  Histoire  de  Languedoc,  t.  X, 
Preuves,  col.  348  :  «  Nos...  omnes  universitates  et  singulas  personas...  in  qui- 
bus  aliquod  jus  habemus  vel  habere  seu  pretendere  possumus  ralione  vel  occa- 
sione  servitulis,  que  de  corpore  tantum  vel  de  casalagio  lantum  dicitur,  aut 
etiam  de  utroque,  vel  rerum  casalagii  conjunclim  vel  separatim,  aut  adscrip- 
ticiatus  vel  (|uasi,  seu  libertinitatis^-vel  cujuslibet  alterius  genoris  servitutis, 
preraissorum  natalibus  et  plene  liberlati  ac  ingenuitati  restituimus...  »  On 
remarquera  l'eflort  pour  assimiler  le  servage  aux  deux  conditions  qui,  dans  le 
droit  romain,  pouvaient  passer  pour  intermédiaires  entre  l'esclavage  et  la 
pleine  liberté  :  le  colonat  et  le  statut  des  affranchis. 

3.  Voir  ci-dessous,  p.  239,  n.  1. 

4.  Voir  ci-dessous,  p.  239,  n.  4.    *  * 

5.  Institution  au  droit  des  Fran{ois  {Œuvres,  éd.  de  Bordeaux,  II)  au  g 
intitulé  :  Des  servitudes  personnelles  et  des  mainmortes,  p.  40.  Cf.  ci-des- 
sus, p.  236. 


238  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

qu'il  écrivait  dans  son  Institution  au  droit  des  François  ;  «  Les 
servitudes  qui  sont  en  France  ne  sont  pas  semblables  à  celles  qui 
étoient  en  usage  auprès  des  anciens  Romains,  qui  faisoient  trafic  des 
personnes  serves  comme  d'animaux  brutes;...  mais  bien  sont  sem- 
blables aux  servitudes  ascriptices  et  colonaires,  qui  rendoient  les 
personnes  attachées  et  liées  aux  domaines  des  champs  pour  les  faire 
valoir...  L'origine  des  serfs,  que  nous  avons  en  quelques  provinces 
de  France,  procède  de  cette  usance  ancienne  des  Romains,  au  temps 
qu'ils  seigneurioient  les  Gaules*.  » 

Le  servage  né  du  colonat  et  presque  pareil  à  lui,  cette  doctrine 
devait  faire  fortune  dans  la  littérature  historique.  Si  tant  d'érudits 
se  sont  refusés  à  reconnaître  aux  institutions  serviles  quoi  que  ce 
soit  de  «  commun  avec  la  féodalité  » ,  ne  serait-ce  pas  tout  d'abord 
parce  que  l'on  enseigna  longtemps,  comme  deux  axiomes,  l'origine 
romaine  des  serfs,  l'origine  germanique  des  vassaux? 

Le  serf  paraissait  semblable,  ou  peu  s'en  fallait,  au  colon  romain, 
parce  que,  comme  lui,  il  paraissait  attaché  au  sol.  Or,  le  Code  ne 
disait-il  pas  du  colon  qu'il  «  adhérait  à  la  glèbe  »  ?  Belle  expression. 
Pourquoi  les  juristes,  traitant  du  servage,  eussent-ils  renoncé  à  en 
orner  leur  (^iscours?  Ils  s'en  emparèrent  de  très  bonne  heure. 

Au  parlement  de  la  Pentecôte  1287,  Philippe  le  Bel,  donnant  satis- 
faction aux  plaintes  des  barons,  avait  réglé  «  la  manière  de  faire  et 
tenir  »  les  bourgeoisies  royales.  Lorsque,  en  1303,  il  promulgua  la 
grande  et  vaine  ordonnance  sur  la  réformation  du  royaume,  il  lui 
adjoignit,  comme  une  sorte  d'appendice,  une  réédition  de  ce  règle- 
ment. En  1287,  la  cour  du  roi  avait  légiféré  en  français.  Le  solen- 
nel établissement  de  1303  fut,  au  contraire,  rédigé  en  latin.  Pour 
maintenir  l'unité  de  style,  il  fallut  donc  traduire  dans  cette  langue 
savante  les  dix  articles  sur  les  bourgeoisies  écrits  jadis  en  langue 
vulgaire.  Le  notaire  à  qui  l'on  confia  cet  exercice  de  thème  se  per- 
mit une  liberté.  A  l'article  9,  il  lisait  cette  phrase  :  «  Ne  n'est  aussi 
sa  ententions  que  si  sobgiet  ne  puissent  poursuire  a  retraire  de 
bourgeoisie  leur  hommes  de  cors  ou  d'autre  condition.  »  Il  la  ren- 
dit comme  il  suit  :  «  Nec  est  intentionis  nostre  quin  subjecti  nostri 
possint  requirere,  aut  de  prefatis  burgesiis  extrahere  homines  suos 
de  corpore,  ascripticios,  seu  glèbe  af/îxos,  aut  alterius  servilis 
conditionis.  »  En  français,  la  chancellerie  royale  avait  parlé  le  lan- 

1.  Au  §  cité  à  la  note  précédente,  p.  45  du  t.  II  de  l'éd.  de  1703.  h' Institu- 
tion a  paru  pour  la  première  fois  en  IBOf;  Guy  Coquille  était  mort  en  1603. 
Parmi  les  auteurs  postérieurs,  où  l'assimilation  se  rencontre,  on  peut  citer 
Desiderius  Heraldus,  De  rerum  judicatorum  auctoritate,  1.  IF,  ch.  xvii,  g  X, 
dans  le  Thesmtrus  d'Otto,  t.  II,  col.  1247. 


SERF   DE   LA   GLEBE.  239 

gage  des  praticiens.  Dans  le  latin  au  contraire,  l'imitation  du  droit 
romain  se  glissait.  Ainsi  apparurent,  pour  la  première  fois,  semble- 
t-il,  dans  un  document  officiel,  les  serfs  «  attachés  à  la  glèbe ^  ». 

Peu  à  peu  cette  expression  entra  en  usage ^.  Au  début  du 
XV''  siècle,  Jean  Jager,  avocat  du  roi  à  Château-Thierry,  écrivait  : 
«  Les  serfs  en  Champaigne  sunt  servy  conditionati  et  quodam 
modo  astricti  glebe^.  »  Vers  la  fin  du  même  siècle.  Gui  Pape, 
jurisconsulte  dauphinois,  employait  des  termes  analogues''.  Du  latin, 
cette  habitude  de  langage  finit  par  passer  en  français.  Le  Diction- 
naire de  l'Académie,  en  1694,  la  consacra.  «  Les  hommes  de  main- 
morte, y  lit-on,  sont  attachez  à  là  glèbe.  »  On  s'accoutumait  à  asso- 
cier dans  le  discours  ces  deux  mots  :  serf  et  glèbe. 

Mais  ce  n'était  pas  encore  «  serf  de  la  glèbe  ».  L'alliance  verbale, 
jadis  inventée  par  Irnerius,  pénétra-t-elle  en  français  avant  le  milieu 
du  XVIII*  siècle?  Je  ne  sais;  mais  en  tout  cas  elle  ne  conquit 
pas  l'usage  courant;  ni  les  juristes  comme  Guy  Coquille^,  ni  les 

1.  On  trouvera  les  deux  textes,  français  et  latin,  de  l'article  9  de  l'ordon- 
nance sur  les  bourgeoisies  dans  César  Chabrun,  les  Bourgeois  du  roi  (thèse 
droit  de  Paris),  1908,  p.  142.  Les  deux  rédactions  de  cette  ordonnance  (celle 
de  1287  et  celle  de  1303)  ont  d'ailleurs  été  publiées  maintes  fois,  notamment 
dans  le  Recueil  des  Ordonnances,  t.  I,  p.  314  et  367.  La  rédaction  latine  a  été 
promulguée  à  nouveau  en  1351  (cf.  Chabrun,  toc.  cit.,  p.  73),  ce  qui  a  pu  con- 
tribuer à  populariser  l'expression  «  glèbe  affixos,  ». 

2.  On  peut  noter  qu'en-Angleterre  Bracton,  qui  composa,  entre  1250  et  1258, 
uu  coutumier  célèbre,  emploie  déjà  glebae  ascripticii  :  Bracton,  De  legibus  et 
consuetudinibus  Angliae,  1.  I,  c.  xi,  g  1,  éd.  Twiss  (Rolls  Séries),  t.  I,  p.  52; 
éd.  F.  W.  Maitland,  Select  passages  from  the  works  of  Bracton  and  Azo 
{Selden  Society),  in-4°,  Londres,  1895,  p.  81  et  83. 

3.  Olivier  Martin,  Textes  inédits  de  droit  champenois  (extrait  des  Travaux 
juridiques  et  économiques  de  la  Faculté  de  droit  de  l'Université  de  Rennes, 
1913),  in-8%  Rennes,  1914,  p.  35. 

4.  Decisiones  Gratianopolilnnae,  Qu.  ccciiij,  éd.  de  Lyon,  in-8°,  1550, 
fol.  183  :  «  Et  taies  homines  talliabiles  possunt  aequiparari  hominibus  adscrip- 
tis  glebae  seu  oneri  talliarum  solvendarum  sicut  ascriptitii  se  adstringunt.  » 
Et  plus  haut  on  trouve  cité  le  titre  du  Gode  Justinien  relatif  aux  colons.  Il  est 
vrai  que  Gui  Pape  parle  des  laillables;  mais  ce  mot  semble  bien,  pour  lui, 
synonyme  de  serf.  M.  Esrnein  a  cité  ce  passage  des  Decisiones  dans  son  Cours 
élémentaire  d'histoire  du  droit  français,  11°  éd.,  p.  272,  n.  4.  —  Au  moment 
de  corriger  les  épreuves,  je  relève  encore  l'expression  astriclos  glèbe  dans  une 
plaidoirie  du  14  juin  1434  publiée  par  A.  Thomas,  le  Comté  de  la  Marche  et 
le  Parlement  de  Poitiers  [Bibl.  École  Hautes-Études,  fasc.  174),  p.  237, 
n*  CCLXXIX,  c.  3;  cf.  Ibid.,  la  réplique  du  même  avocat,  p.  239,  c.  15. 

5.  Voir,  dans  les  Œuvres,  éd.  de  Bordeaux,  les  Coustumes  du  pays  et  comté 
de  Nivernois,  ch.  viii  (p.  127)  et  ix  (p.  142);  V Instilulion  au  droit  des  Fran- 
çois, p.  45  et  suiv.;  les  Questions,  réponses  et  méditations  sur  les  articles 
des  coustumes,  p.  310  et  suiv. 


240  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

érudits  comme  Etienne  Pasquier\  ni  les  feudistes  comme  Brussel, 
ou  comme  ce  Dunod  qui  écrivit  en  1733,  «  froidement  et  indiffé- 
remment^ »,  un  Traité  de  la  mainmorte  justement  célèbre,  ni 
Ragueau  ou  Laurière  dans  leurs  Glossaires  du  droit  français^,  ni  le 
Dictionnaire  de  l'Académie  ou  celui  de  Furetière  ne  paraissent  la 
connaître'*.  Il  semble  bien  qu'elle  ait  végété  obscurément  dans  les 
vieux  livres  des  glossateurs  ou  des  canonistes,  jusqu'au  jour  où, 
par  on  ne  sait  quel  hasard,  un  écrivain  de  génie,  qui  avait  beau- 
coup pratiqué  cette  littérature,  l'en  tira  et  fit  sa  fortune.  Ce  fut 
Montesquieu. 

On  rencontre  dans  VEsprit  des  lois,  paru  en  1748,  deux  fois 
servitude  de  la  glèbe ^,  une  fois  esclavage  de  la  glèbe ^  ;  les  trois  fois 
il  s'agit  du  colonat  plutôt  que  du  servage.  Mais,  placée  dans  un 
ouvrage  si  souvent  lu,  commenté,  discuté,  l'expression  était,  si  je 
puis  dire,  lancée.  Faisant  image,  propre  en  même  temps,  par  l'em- 
ploi de  ce  mot  glèbe,  un  peu  rare  et  pompeux,  à  flatter  le  goût  clas- 
sique, elle  ne  pouvait  manquer  de  plaire.  Très  vite  des  écrivains 
moins  exacts  que  Montesquieu  l'appliquèrent  aux  conditions  juri- 
diques de  l'heure  présente.  Dès  1762,  le  Dictionnaire  de  l'Académie, 
refondant  complètement  l'article  Glèbe  des  anciennes  éditions, 
découvre  «  en  quelques  provinces  du  royaume  »  des  «  serfs  de  la 
glèbe '^  ».  Sans  doute,  les  techniciens  n'aiment  guère  ce  terme  nou- 
veau, plus  poétique  que  juste;  les  jurisconsultes  Claude  Serres^, 
Fréminville^,  Pothier^',  l'ignorent  ou  veulent  l'ignorer.  Mais  les  phi- 

1.  Les  Recherches  de  la  France,  1.  IV,  ch.  v,  où  il  est  longuement  question 
des  serfs  fonciers  et  ascriptices  (p.  437  de  l'éd.  de  1617,  Paris,  111-4"). 

2.  Voltaire,  Coutume  de  Franche-Comté  :  sur'  l'esclavage  imposé  à  des 
citoyens  par  une  vieille  coutume,  éd.  Garnier,  t.  XXVIH,  p.  373. 

3.  François  Ragueau,  Indice  des  droicts  roiaux  et  seigneuriaux  ;  la  pre- 
mière édition  est  de  1583;  je  n'ai  pu  voir  que  la  troisième  (in-4°,  Paris;  1609). 
En  1704,  E.  de  Laurière  donna,  sous  le  titre  de  Glossaire  du  droit  français, 
une  réédition  du  vieil  ouvrage  de  Ragueau;  le  Glossaire  de  Laurière  a  été 

-réimprimé  en  1882  par  L.  Favre,  in-4°,  Niort. 

4.  En  revanche,  l'oratorien  Jérôme  Vignier,  qui  avait  lu  les  canonistes,  la 
connaissait  bien  et  crut  faire  merveille  en  introduisant  dans  le  faux  testament 
de  l'évêque  saint  Perpétue  une  servitus  glebatica  qui,  de  là,  a  passé  dans  Du 
Cange.  Cf.  Julien  Havet,  les  Découvertes  de  Jérôme  Vignier  {Œuvres,  I),  p.  31. 

5.  XXX,  5  et  10. 

6.  XIII,  3. 

7.  4°  édition,  de  1762. 

8.  Les  Institutions  du  droit  fra7içois  suivant  l'ordre  de  celles  de  Justinien, 
in-4°,  Paris,  1753,  p.  12  (sur  le  servage). 

9.  Les  Vrais  principes  des  fiefs,  t.  Il,  in-4%  Paris,  1769,  p.  20  (au  mot 
Mainmorte). 

10.  Voir  son  Traité  des  personnes  et  des  choses,  t.  I,  i,  sect.  IV,  où  l'omis- 


SERF   DE   LA    GLEBE.  241 

losophes  l'accueillent  volontiers  ;  il  parle  à  l'esprit;  il  semble  qu'en  le 
prononçant  on  voit  le  paysan  esclave  du  sol  ;  il  porte  en  lui  je  ne  sais 
quelle  force  d'indignation.  Voltaire'  et  V Encyclopédie^  en  font 
usage.  En  1789,  plusieurs  cahiers  réclament,  comme  dit  le  Tiers  à  Bel- 
fort,  «  que  la  servitude  de  la  glèbe...  soit  abolie  dans  tout  le 
royaume^  ».  La  Révolution  donna  satisfaction  à  ce  vœu.  La  servi- 
tude de  la  glèbe  ne  survécut  plus  que  dans  le  langage  des  histo- 
riens, où  elle  s'ancra  solidement. 

V. 

Résumons  rapidement  les  résultats  de  notre  recherche. 

Vers  la  fin  du  xi*  siècle,  à  Bologne,  un  professeur  de  droit,  Irne- 
rius,  mêlant  dans  sa  tête  divers  passages  du  Code  Justinien,  écrit 
dans  une  glose  glèbe  serons;  il  désigne  ainsi  le  colon,  Vascriptice 
des  textes  romains.  Son  autorité  est  grande;  après  lui  romanistes  et 
canonistes  recueillent  l'expression  qu'il  avait  créée;  ils  l'emploient 
dans  le  même  sens  qup  lui.  A  l'exception  d'un  littérateur  sans  pré- 
tentions juridiques,  personne  au  moyen  âge,  semble-t-il,  presque 
personne  en  tout  cas  ne  songe  à  l'appliquer  aux  conditions  sociales 
du  présent. 

Mais,  peu  à  peu,  dès  le  xiv*  siècle,  le  servage  change  de  caractère. 
On  aime  à  le  rapprocher  du  colonat  romain;  et,  désormais,  il  se 
prête  à  ce  rapprochement.  Or,  le  Codé  Ju^inien  appelle  le  colon  : 
«  esclave  (ou  «  serf  »)  de  la  terre  ».  Va-t-on  nommer  ainsi  le  serf 
français?  Non;  car  le  mot  terre  est  commun;  il  ne  frappe  pas 
l'imagination.  Nul  ne  pense  à  exhumer  des  vieux  textes  cette  asso- 
ciation verbale  sans  éclat.  Mais,  s'emparant  d'un  autre  passage  du 
Code,  on  dit  volontiers,  pendant  les  derniers  siècles  du  moyen  âge 
et  plus  tard  encore,  que  le  serf  est  «  attaché  à  la  glèbe  »  ;  car  glèbe 
est  un  beau  mot  qui  appartient  au  style  noble  et  flatte  les  délicats. 

sion  de  Fexpression  serf  de  la  glèbe  est  d'autant  i)ius  frappante  que  Polhier 
disserte  des  «  serfs  d'héritage  ». 

1.  Dictionnaire  philosophique,  au  mot  Esclaves,  éd.  Garnier,  t.  XVIII, 
p.  603,  604;  Commentaire  sur  l'Esprit  des  lois,  t.  XXX,  p.  445;  Au  Roi  en 
son  Conseil  pour  les  sujets  du  roi  qui  réclament  la  liberté  en  France, 
t.  XXVIII,  p.  354,  n.  1. 

2.  Article  Serf  (au  t.  XV,  paru  en  1765). 

3.  Archives  parlementaires,  t.  II,  p.  316,  art.  29;  cf.  Ibid.,  t.  III,  p.  540, 
art.  16;  p.  543,  art.  17;  p.  662,  ch.  i,  art.  7;  t.  V,  p.  357,  Sec.  Section,  art.  18; 
et  le  Cahier  du  Tiers  de  Paris  hors  les  murs,  dans  Ch.-L.  Chassin,  les  Élec- 
tions et  les  cahiers  de  Paris  en  1789  [Collection  de  doc.  relatifs  à  l'histoire 
de  Paris  pendant  la  Révolution  française),  t.  IV,  section  II,  art.  XV,  p.  434. 

Rev.  Histor.  CXXXVL  2"  fasc.  16 


242  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

En  1748,  probablement  sans  y  faire  beaucoup  attention,  au  hasard 
d'un  souvenir  de  lecture,  Montesquieu  écrit  :  «  Servitude  de  la 
glèbe.  »  On  le  lit.  La  vieille  alliance  de  mots,  inventée  jadis  par 
Irnerius,  conquiert  les  esprits.  Elle  a  quelque  chose  à  la  fois  de  con- 
cret et  de  rare,  de  pittoresque  et  de  distingué.  Elle  émeut;  les  enne- 
mis du  servage  l'adoptent.  Elle  prend  vite  droit  de  cité.  Serf  de  la 
glèbe  devient  dans  l'usage  courant  —  et  sans  que  l'on  distingue 
les  époques  —  le  synonyme  éloquent  de  ce  mot  trop  court  :  serf. 

Ainsi  les  historiens  du  xix"  siècle  ont  désigné  souvent  les  serfs 
médiévaux  par  un  terme  qui,  au  moyen  âge,  dans  ce  sens,  était 
inconnu.  Inofîensive  négligence,  dira-t-on  peut-être.  Que  non  pas! 
Les  mots  ont  une  force  singulière.  Chacun  d'eux  traîne  après  soi  un 
cortège  d'idées  ou  d'images  qu'il  impose  à  l'esprit.  Appliquer  au  ser- 
vage une  expression  forgée  pour  le  colonat,  c'était  se  condamner  à 
l'erreur.  Colonat  et  servage  —  j'entends  le  servage  pendant  l'époque 
classique  de  la  féodalité  —  on  imaginerait  difficilement  deux  insti- 
tutions plus  profondément  différentes  :  l'une  créée  par  un  empire 
absolu,  afin  de  satisfaire  la  plus  impitoyable  Qscahté,  et  morte  avec 
l'Etat  qui  s'était  cru  assez  fort  pour  fixer  l'homme  au  sol;  l'autre, 
née  dans  la  dissolution  même  de  tout  Etat,  au  sein  d'une  société  oii 
presque  plus  rien  ne  comptait  que  les  liens  de  dépendance  les  plus 
strictement  personnels.  N'appelons  pas  serfs  de  la  glèbe  ceux  que 
le  peuplé,  au  moyen  âge,  avait  admirablement  nommés  hommes 
de  corps.  • 

Marc  Bloch. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


HISTOIRE    DE    FRANCE 

DE  1800  A  NOS  JOURS 
ET   QUESTIONS    GENERALES   CONTEMPORAINES. 

I.  1800-1848.  —  Il  y  a  beaucoup  de  choses  dans  l'intéressant 
volume  de  M.  Frédéric Masson  sur  Madame  Bonaparte^.  D'abord 
la  collection,  jusqu'ici  dispersée  en  divers  recueils,  et  demeurée  très 
incomplète  malgré  ses  recherches,  des  lettres*  de  Bonaparte  à  José- 
phine pendant  la  campagne  d'Italie.  Puis  des  chapitres  anecdotiques 
écrits  surtout  d'après  des  mémorialistes,  que  M.  Masson  cite  par- 
fois, même  longuement,  sans  toujours  donner  leurs  noms,  et  à  la 
suite  desquels,  trop  souvent,  il  procède  par  simples  allusions  à  des 
faits,  supposés  connus,  de  la  biographie  de  Joséphine  ou  de  Bona- 
parte. Des  chapitres  descriptifs  aussi,  souvent  curieux,  rédigés  sur 
des  documents  de  justice  ou  de  comptabilité  .(il  y  a  même  l'inven- 
taire complet  des  bijoux,  dentelles,  étoffes  précieuses,  etc.,  contenus 
dans  les  armoires  de  l'Impératrice  au  début  de  l'Empire).  Des  récits 
de  la  vie  à  la  Malmaison  (sans  doute  faut-il  lire  à  Malmaison, 
comme  M.  Masson,  qui  fait  même  ce  nom  mascuHn),  et  à  Saint- 
Cloud,  et  aux  Tuileries.  Ce  sont  les  chapitres  les  plus  complets,  les 
plus  neufs,  ceux  qui  se  suivent,  se  tiennent  le  mieux.  Ils  sont 
agréables  à  lire,  ils  seront  utiles.  Enfin,  on  trouve  dispersés  un  peu 
par  tout  le  livre,  pour  lier  les  documents  très  divers  dont  il  est  fait, 
et  remplir  parfois  les  vides,  des  développements  plus  généraux,  tou- 
chant à  l'ensemble  de  l'histoire  du  Consulat  ou  de  la  Révolution, 
non' sans  allusions  précises,  directes,  au  temps  présent.  On  rencontre 
là,  parfois,  des  affirmations  tranchantes  qui  arrêtent  l'esprit, 
inquiètent  un  peu  sur  la  méthode,  sur  le  soin  pris  dans  le  reste  du 
livre  de  vérifier  les  témoignages.  Peut-on  dire  vraiment  (p.  285)  : 
«  Pendant  la  Révolution  la  femme  n'avait  eu  que  le  droit  de  mourir, 
et  c'était  le  seul  qu'on  lui  reconnût  »,  ajouter  même  que  «  la  Révo- 
lution a  été  faite  par  des  hommes  au  profit  des  hommes  et  contre  les 

1.  Frédéric  Masson,  Madame  Bonaparte  (llBG-lHO'i).  Paris,  Ollendorfl,  1920, 
in-8%  399  p.;  prix  :  9  fr. 


244  BULLETIN    HISTORIQUE. 

femmes  »?  Si  Ton  pense,  non  à  telle  ou  telle  anecdote,  mais  aux 
lois,  aux  institutions  et  aux  mœurs  qui  s'ensuivirent  ;  si  l'on  com- 
pare, d'après  les  études  de  Douarche  ou  de  M.  Sagnac,  par  exemple, 
la  condition  faite  aux  femmes,  dans  la  vie  de  tous  les  jours,  par  les 
lois  de  la  Constituante  ou  de  la  Convention  et  par  celles  de  l'Ancien 
régime  ou  même  du  Code  civil,  l'affirmation  si  générale  de  M.  Mas- 
son  reste-t-elle  vraie?  Quand  on  le  voit  ailleurs,  pour  illustrer  le 
caractère  (selon  lui)  populaire  et  national  de  la  Constitution  de 
l'an  VIII,  affirmer  vigoureusement  que  depuis  1789  aucune  autre, 
sauf  celle  de  1793,  ne  fut  soumise  à  la  ratification  des  citoyens,  ni 
celle  de  1791,  ni  celle  de  l'an  III  (p.  205),  n'a-t-on  pas  le  droit 
d'être  en  défiance  contre  d'autres  affirmations  aussi  nettes,  mais 
moins  vérifiables?  Car  enfin  les  résumés  des  procès- verbaux  des 
assemblées  primaires  de  l'an  III  et  le  rapport  d'ensemble  à  la  Con- 
vention sur  l'acceptation  de  la  Constitution  sont  tout  entiers  dans  le 
Moniteur.  M.  Masson  a  toujours  affecté  de  mépriser  la  règle  de 
donner  ses  preuves.  Elle  a  du  bon  cependant  :  si  elle  met  parfois  des 
lisières  à  l'auteur,  elle  l'empêche  aussi  de  s'égarer. 

On  sait  depuis  longtemps,  d'après  Louis  de  Loraénie  et  Mérimée, 
que  le  témoignage  de  Charles  Nodier  ne  vaut  pas  grand'chose  pour 
l'historien.  Sainte-Beuve  a  écrit  qu'il  avait  «  le  don  de  l'inexacti- 
tude ».-  M.  Léonce  Pingaud',  qui  connaît  à  merveille  le  pays' et  le 
milieu  comtois  où  Nodier  passa  toute  sa  jeunesse,  a  éclairci,  par  un 
ouvrage  agréable  à  lire  et  solidement  documenté,  ce  qui  restait 
d'obscur  dans  la  biographie  du  personnage.  Nodier  n'en  sort  pas 
glorifié  :  nous  le  voyons,  jacobin  et  clubiste  en  1793,  prononcer  des 
discours  révolutionnaires  à  l'âge  où  d'autres  jouent  aux  billes,  puis 
élève  de  l'École  centrale  du  Doubs  et  se  découvrant  une  vocation 
d'entomologiste,  ensuite  bibliothécaire  (assez  négligent),  versifica- 
teur, romancier,  journaliste  officieux  à  Besançon  sous  le  Consulat, 
emprisonné  un  moment  pour  son  poème  la.  Napoléone,  et  libéré  sur 
le  vu  d'une  palinodie  écrite  aussitôt  sans  scrupule.  Il  devient  alors 
secrétaire  d'un  baronnet  anglais,  rédacteur  d'un  journal  français  à 
Laybach  en  Illyrie  sous  la  direction  de  Fouché,  puis  collaborateur 
au  Journal  de  VEmpire,  où  il  reste  après  1814  quand  la  feuille  a 
repris  son  nom  de  Journal  des  Débats.  Il  mériterait  une  bonne 
place  au  Dictionnaire  des  Girouettes.  On  admettrait  à  la  rigueur 
que,  rallié  à  la  Restauration,  il  eût,  comme  tant  d'autres,  coloré  son 
passé  et  transformé  des  imprudences  ou  des  fantaisies  de  jeune 

1.  Léonce  Pingaud,  la  Jeunesse  de  Charles  Nodier.  Les  Philadelphes.  Paris, 
Champion,  1919,  in-8»,  280  p.;  prix  :  8  fr.  25. 


eiSTOIBE  DE  FRANCE.  245 

homme  en  témoignages  de  fidélité  persistante  aux  Bourbons.  Mais 
il  invente  vraiment  à  l'excès,  et  il  sollicite  outre  mesure.  M.  Pin- 
gaud  publie  de  lui  des  lettres  pour  demander  des  décorations,  un 
titre  nobiliaire  ou  même  de  l'argent,  qui  ne  font  pas  plaisir  à  lire. 
Et,  naturellement,  ce  royalisme  fervent  n'a  pas  résisté  à  la  Révolu- 
tion de  1830.  M.  Pingaud,  qui  est  fort  indulgent,  nous  fait  voir  que 
Nodier  n'a  jamais  eu  la  notion  de  l'exactitude  historique,  qu'il  a 
même  déclaré  parfois  :  «  la  vérRé  est  inutile  »  ;  soit,  mais  il  savait 
aussi  que  la  contre-vérité  est  profitable.  La  plus  curieuse,  histori- 
quement parlant,  des  inventions  de  Nodier  est  celle  des  Phila- 
delphes,  cette  société  secrète  militaire  qui  aurait,  sous  lEmpire, 
pénétré  toute  l'armée  franraise  et  préparé  la  chute  de  Napoléon. 
M.  Pingaud  la  ramène  à  ses  vraies  proportions  :  Nodier,  jeune 
homme,  s'est  amusé  au  jeu  romantique  des  conspirations  ;  sa  Phi- 
ladelphie de  l'an  VI  ne  fut  qu'une  société  de  bons  vivants  qui 
aimaient  le  vin  et  les  filles.  Plus  tard,  il  a  voulu  se  servir  pour  son 
avancement  du  groupement  qu'il  avait  fondé  :  en  l'an  VIII,  il  veut 
pousser  les  Philadelphes  au  bonapartisme;  après  1815,  il  fera  d'eux, 
en  paroles,  comme  une  société  d'émigrés  à  l'intérieur.  M.  Pingaud, 
qu'il  faut  remercier  de  nous  avoir  donné  cet  excellent  travail, 
applique  à  Nodier  le  mot  de  Fisher  sur  l'historien  Fronde  :  consti- 
tutionally  inacuri-ate,  mais  il  traduit  «  impressionniste  de  nais- 
sance »  ;  c'est  peut-être  bénin  à  l'excès. 

Les  Aventures  de  guerre  civile  de  M.  l'abbé^ Le  Falher^ 
forment  le  second  tome  d'une  série  de  «  monographies  chouannes  » 
entreprise  en  1911.  Elles  n'intéressent  que  l'histoire  locale,  et  même 
la  chronique  anecdotique  le  plus  souvent.  L'auteur  sait  découvrir 
les  documents  et  les  utiliser;  ses  commentaires  ne  manquent  ni  de 
sens,  ni  de  verve,  mais  on  y  voudrait  plus  de  correction  grammati- 
cale parfois,  de  simplicité  souvent,  de  brièveté  toujours.  La  meil- 
leure étude  est  intitulée  :  le  Clergé  vannetais  sous  l'Empire. 
M.  Le  Falher  pourrait  sans  doute  nous  donner  un  ouvrage  utile  sur 
l'histoire  religieuse  du  Morbihan  de  1802  à  1815  et  même  au  delà. 
Il  semble  qualifié  pour  l'écrire. 

On  sait  avec  quel  empressement,  après  la  paix  d'Amiens,  les  tou- 
ristes anglais  reprirent  le  chemin  de  la  France  et  de  l'Italie.  L'un 
deux,  le  comte  Mount-Cassel,  pair  d'Irlande,  avait  amené  avec  sa 
famille  une  jeune  fille,  Catherine  Wilmot,  qui  écrivit  de  nombreuses 
lettres  pendant  le  voyage,  poussé  jusqu'à  Naplcs  et  Vienne,  avec 

l.  J.  Le  Falher,  Monographies  chouannes,  2°  série.  —  Areiitnres  de  guerre 
civile.  Paris,  Champion,  1919,  in-12,  205  p.;  prix  :  4  fr.  95. 


246  BULLETIN   HISTORIQUE. 

retour  par  Berlin.  M.  Sadleir  a  publié  avec  beaucoup  de  soin  cette 
correspondance,  d'un  intérêt  limité  en  elle-même,  mais  assez  carac- 
téristique de  l'ignorance  à  peu  près  complète  où  la  société  anglaise, 
même  instruite,  se  trouvait  à  cette  époque  des  hommes  et  des  choses 
du  continent^. 

Les  études  d'histoire  économique  prennent,  à  la  lumière  des  évé- 
nements actuels,  un  intérêt  tout  particulier.  Un  historien  américain, 
M.  Fr.  Edg.  Melvin^,  avait  commencé  avant  1914  un  travail  sur 
le  régime  des  licences  et  la  contrebande  au  temps  du  système  conti- 
nental. Il  a  été  conduit  par  le  développement  de  ses  recherches,  mais 
aussi  par  le  spectacle  du  présent,  à  rechercher  quelle  était  la  valeur 
d'un  pareil  système  comme  instrument  de  guerre,  et  aussi  quelle 
influence  le  système  pouvait  avoir  eu  sur  la  chute  du  premier 
Empire.  Son  enquête  a  été  poursuivie  à  Londres,  à  Paris  et  à 
Washington  avec  beaucoup  d'activité,  de  soin  et  de  méthode,  et  on 
peut  considérer  sa  thèse  sur  le  Système  de  navigation  de  Napo- 
léon comme  l'ouvrage  le  plus  complet  et  le  mieux  documenté  que 
nous  possédions  actuellement  sur  ce  sujet.  Ce  n'est  peut-être  pas, 
autant  que  M.  Melvin  l'imagine,  une  révélation  pour  le  lecteur  fran- 
çais d'apprendre  que  le  système  de  navigation  de  Napoléon  était,  hon 
seulement  une  arme  de  guerre,  mais  «  un  programme  vraiment 
intégral  pour  la  reconstruction  économique  de  la  France  et  du  con- 
tinent ».  Mais  on  n'avait  pas  encore  eu  sous  les  yeux  l'évolution 
complète  du  système  ;  on  n'avait  pas  connu  surtout  avec  précision 
les  pourparlers  engagés  avec  l'Amérique,  même  (en  1810)  avec  l'An- 
gleterre, pour  un  modus  vivendi  commercial.  L'auteur  estime 
n'avoir  pas  les  moyens  de  conclure  avec  netteté  sur  les  possibilités 
stratégiques  d'un  blocus  continental,  ni  sur  le  rôle  du  blocus  dans 
la  chute  de  Napoléon  (il  ne  croit  pas  ce  rôle  primordial)  ;  il  pense, 
sans  l'affirmer  pleinement,  que  si  le  système  a  finalement  échoué 
ce  n'est  pas  par  la  faute  de  son  principe  même,  ni  des  dérogations 
qu'il  subit  (l'emploi  des  licences  fut  un  essai  prémédité,  non  un 
expédient  de  circonstance),  mais  plutôt  parce  que  Napoléon  n'a  pas 
su  —  ou  pas  pu  —  attendre  davantage,  au  moment  où  il  semblait 
le  plus  près  de  réussir.  Sur  ce  dernier  point,  M.  Melvin  est  d'accord 
avec  M.  J.  H.  Rose;  on  ne  sait  (et  le  lecteur  français  le  regrette)  s'il 

» 

1.  An  Irish  peer  on  the  Continent  (1801-1803)...  as  related  by  Catherine 
Wilmot,  edited  by  Thomas  V.  Sadleir.  London,  Williams  et  Norgate,  1920, 
in-8°,  227  p.  (portraits)  ;  prix  :  10  sh.  6  d. 

2.  Frank  Edgar  Melvin,  Napoleon's  Navigation  System;  a  study  of  trade 
control  during  the  continental  blockade.  University  of  Pennsylvania,  1919, 
in-8»,  449  p. 


HISTOIRE   DE  FBANCE.  247 

partage  aussi  son  opinion  sur  la  mauvaise  foi  dont  Napoléon  aurait 
fait  preuve,  dans  le  préambule  du  décret  de  Milan,  à  l'égard  des 
ordres  en  conseil  britannique  de  1807  et  de  la  politique  navale  de 
l'Angleterre  envers  les  neutres. 

Les  publications  sur  l'histoire  militaire  du  début  du  xix^  siècle  se 
font  plus  rares.  Nous  n'avons  à  signaler  cette  fois  qu'une  étude 
minutieuse,  agréablement  écrite,  un  peu  disproportionnée  avec  l'im- 
portance du  sujet,  de  M.  Hennet  de  Goutel  sur  le  Général  Cas- 
san  et  la  défense  de  Pampelune  en  1813^.  Nous  avons  reçu  éga- 
lement le  tirage  à  part  d'un  intéressant  article  de  M.  A.  Despréaux 
sur  le  siège  de  Constantine  en  18372. 

L'attention  semble  se  porter  davantage  sur  l'histoire  de  l'opinion 
et  sur  les  questions  sociales.  M.  P.  Viard,  continuant  ses  études 
sur  l'esprit  public  dans  le  département  de  la  Côte-d'Or,  a  publié 
sur  la  première  Restauration  dans  ce  département  un  agréable 
article  dont  il  nous  a  adressé  te  tirage  à  part^.  M.  Cuvillier-*  a 
consacré  un  petit  volume,  soigneusement  étudié  et  solidement  cons- 
truit, au  journal  l'Atelier,  publié  de  1840  à  1850  par  des  ouvriers 
de  Paris,  adeptes  des  doctrines  de  Bûchez,  c'est-à-dire  à  la  fois 
saint-simoniens,  démocrates,  catholiques  et  patriotes.  Malgré  son 
faible  tirage  (1,500  exemplaires  au  maximum),  l'^fe^ier  paraît  avoir 
eu  une  influence  très  sensible  sur  les  ouvriers,  notamment  les  typo- 
graphes, et  il  est  permis  de  penser  que  les  effets  de  sa  propagande 
se  font  peut-être  encore  sentir,  notamment  dans  les  groupements 
coopératifs  et  parmi  les  démocrates  catholiques  français  et  belges. 

M.  Alexandre  Zévaès,  après  avoir  joué  un  rôle  au  Parlement  et 
au  Palais  comme  «  militant  »  du  socialisme,  semble  vouloir  consa- 
crer son  activité,  qui  est  grande,  à  des  travaux  historiques.  Il  a 
dirigé  la  publication  d'une  Histoire  des  partis  socialistes  en 
France,  et  il  vient  de  faire  paraître  un  volume  sut  Auguste  Blan- 
qui,  patriote  et  socialiste  français^.  C'est  un  ouvrage  assez 
hâtivement  composé,  semble-t-il,  à  la  fois  biographie  de  «  l'En- 

1.  Baron  Hennel  de  Goutel,  le  Général  Cnssanct  la  défense  de  Pampelune 
('35  juin-31  octobre  IHto).  Paris,  Perrin,  1920,  in-16,  300  p.;  prix  :  5  fr.  Cf. 
Revue  historique,  l.  CXXXV,  p.  301. 

2.  k.  Despréaux,  Siège  de  Constantine  et  mort  du  colonel  Combe.  Paris, 
Pion,  li)20,  in-8°,  23  p. 

3.  Paul  Viard,  la  Côte-d'Or  pendant  la  Restauration.  II  :  l'Esprit  public 
pendant  la  première  Restauration.  Dijon,  irnpr.  Darantière,  1919,  in-S",  20  p. 

4.  A.  Cuvillier,  Un  journal  d'ouvriers,  u  l'Atelier»  (l8'iO-lS50).  Paris,  Félix 
Alcan,  1914,  [paru  en  1919,]  in-16,  302  p.;  prix  :  3  fr.  50  (plus  majoration). 

5.  Alexandre  Zévaès,  Auguste  B la nqui,  patriote  et  socialiste  français.  PSiTis, 
Marcel  Rivière,  1920,  in-ie,  252  p.;  prix  :  5  fr. 


248  BULLETIN   HISTORIQUE. 

fermé  »,  exposé  de  ses  doctrines  et  histoire  de  son  parti,  où  l'auteur 
fait  preuve,  à  l'occasion,  de  qualités  critiques  (au  sujet  notamment 
du  document  Taschereau  et  de  la  polémique  Blanqui-Barbès) ,  mais 
qui  n'est  pas  exempt  d'une  certaine  tendance  à  l'apologie.  On  y  trou- 
vera beaucoup  de  textes  utiles,  encadrés  dans  un  récit  vivant  et  qui 
se  lit  sans  peine. 

M,  Ernest  Seillière,  continuant  la  série  de  ses  études  sur  le 
rousseauisme  et  ses  conséquences,  étudie  dans  un  nouvel  ouvrage 
les  Origines  romanesques  de  la,  morale  et  de  la  politique 
romantiques*.  Tenant  pour  démontrée,  par  ses  précédentes 
études,  l'influence  prépondérante  de  Rousseau  sur  cette  morale  et 
cette  politique,  il  cherche  à  qui  Rousseau  lui-même  a  pris  son  mys- 
ticisme démocratique.  Par  une  suite  d'analyses  et  de  rapprochements 
très  frappants  et  toujours  pleins  d'intérêt,  sinon  d'une  rigueur 
démonstrative  que  ce  genre  d'études  ne  peut  guère  atteindre,  il 
retrouve  une  filiation  spirituelle  directe  entre  la  conception  platoni- 
cienne de  l'amour  et  l'érotisme  romanesque  de  VAstrée,  par  l'inter- 
médiaire des  romans  courtois  comme  Lancelot  et  Jehan  de  Sain- 
tré.  Dans  la  pastorale,  forme  «  démocratisée  »  du  romanesque 
platonicien,  Rousseau,  grand  Hseur  de  romans,  aurait  puisé,  notam- 
ment la  doctrine  de  la  bonté  naturelle  :  s'il  a  légiféré  en  morale  et 
en  politique,  c'est  pour  une  société  non  pas  réelle,  mais  «  roma- 
nesque d'origine  et  mystique  de  constitution  ».  Sans  être  toujours, 
avouons-le,  pleinement  convaincu  par  les  raisonnements  de  l'auteur, 
on  ne  peut  que  ifendre  un  hommage  mérité  à  son  érudition  très 
étendue  et  à  l'ingéniosité  de  sa  dialectique. 

MM.  A.  Mathiez  et  Léon  Cahen^  ont  fait  paraître  une  seconde 
édition  de  leur  excellent  petit  recueil  des  Lois  françaises  de  1815 
à  nos  jours.  Revue,  corrigée  et  mise  au  point,  elle  sera  fort  utile 
et  très  bien  accueillie. 

On  relira  avec  intérêt,  sous  la  forme  commode  où  elle  a  été  réim- 
primée, l'intéressante  et  précise  introduction  que  M.  J.  A.  R!*  Mar- 
riott^ a  écrite  pour  son  édition,  déjà  signalée  à  cette  place,  de  l'Or- 

1.  Ernest  Seillière,  les  Origines  romanesques  de  la  morale  et  de  la  poli- 
tique romantiques.  Paris,  la  «  Renaissance  du  livre  »,  [1920,]  in-16,  176  p.; 
prix  :  3  fr.  75. 

2.  A.  Malhiez  et  L.  Cahen,  les  Lois  françaises  de  1815  à  nos  jours.  Recueil 
de  documents  avec  notices  explicatives.  Paris,  Félix  Alcan,  1919,  in-16,  375  p.; 
prix  :  6  fr. 

3.  J.  A.  R.  Marriott,  The  Right  to  Work,  an  essay  introductory  to  the  Eco- 
nomic  history  of  the  french  Révolution  of  18i8.  Oxford,  Clarendon  Press, 
1919,  in-16,  xcvn  p.;  prix  :  1  ^.  6  d. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  249  ' 

ganisation  du  travail  de  Louis  Blanc  et  de   l'Histoire  des 
ateliers  nationaux  d'Emile  Thomas. 

La  Correspondance  de  Thiers,  conservée  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale, et  depuis  quelque  temps  accessible  au  public,  comprend  vingt- 
quatre  volumes  in-folio.  Ceux  qui  les  ont  feuilletés  savent  que  lout^ 
y  est  intéressant  et  que  beaucoup  de  pièces  sont  capitales  pour  l'his- 
toire. Ce  recueil  doit  être  publié  :  il  le  sera  sans  doute,  dès  que  l'édi- 
tion des  ouvrages  sérieux  redeviendra  possible  à  des  prix  non  pro- 
hibitifs. M.  Daniel  Halévy^  en  a  extrait  ce  qui  lui  a  paru  curieux 
ou  piquant,  mais  il  a  mêlé  cela  avec  un  commentaire  continu  qui 
ressemble  à  une  biographie  et  avec  d'autres  textes,  de  Thiers  ou  de 
différents  auteurs,  même  non  inédits,  imprimés  dans  le  même  carac- 
tère. Le  tout,  intitulé  le  Courrier  de  M.  Thiers,  fait  un  ouvrage 
hybride,  naturellement  intéressant,  à  cause  des  pièces  reproduites 
et  aussi  des  recherches  de  l'auteur,  qui  sont  étendues  et  sérieuses, 
mais  infiniment  moins  utile  et  moins  commode  qu'une  édition  des 
lettres.  D'autant  que  le  principe  du  choix  et  des  coupures  reste 
inconnu,  que  nombre  de  pièces  ne  sont  pas  datées  (il  y  a  du  reste 
des  erreurs  de  classement  dans  les  volumes  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale), et  que  la  table  alphabétique,  indispensable  dans  un  recueil 
semblable,  manque.  L'auteur  semble  avoir  aperçu  qu'il  s'était 
trompé.  Et  il  a  fait,  comme  au  théâtre,  une  «  annonce  »  en  tête  du 
volume.  Souhaitons  qu'il  nous  donne  bientôt  une  vraie  édition  des 
lettres  de  Thiers.  C'est  une  œuvre  longue  et  modeste,  mais  durable. 

M.  Pierre  Quentin-Bauchart,  tué  glorieusement  à  la  bataille  de 
la  Somme,  avait  préludé,  par  la  publication  de  deux  volumes  sur 
Lamartine,  homme  politique,  à  la  série  de  travaux  qu'il  comptait 
donner  sur  la  seconde  République  française.  Il  a  laissé,  complètement 
achevé,  un  livre  sur  la  Crise  sociale  de  iS'iS'^,  qui  étudie  les  ori- 
gines de  la  Révolution  et  son  histoire  jusqu'à  la  Journée  du  16  avril, 
et  que  sa  famille  a  eu  grande  raison  de  publier.  La  documentation  en 
est  étendue  et  solide,  et  l'esprit  remarquablement  objectif.  On  notera 
spécialement,  à  ce  point  de  vue,  le  chapitre  m  (réaction  contre  les 
excès  du  régime  individualiste)  et  le  chapitre  xi  (la  commission  du 
Luxembourg),  où  la  personne  et  l'œuvre  de  Louis  Blanc  sont  pré- 
sentées et  appréciées  dans  des  termes  auxquels  il  parait  difficile  à 
tout  esprit  impartial  de  ne  pas  souscrire.  Rien  ne  saurait,  autant 

1.  Daniel  Halévy,  le  Courrier  de  M.  Thiers,  d'après  les  documents  conser- 
vés au  Département  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale.  Paris, 
Payot,  1921,  in-8°,  512  p.;  prix  :  20  fr. 

2.  Pierre  Quentin-Bauchart,  la  Crise  sociale  de  ISkS.  Les  orif)ines  et  la 
révolution  de  février.  Paris,  Hachette,  s.  d.,  [1!)20,J  in-8%  xiii-327  p. 


250  BDLLETIN   HISÏOBIQDE. 

que  cette  œuvre  interrompue,  faire  regretter  la  fin  prématurée  de 
l'auteur  à  qui  elle  est  due^ 

II.  1848-1914.  —  On  lira  avec  un  vif  intérêt  le  récit  des  années 
de  jeunesse  d'Emile  OlHvier,  écrit  par  sa  fille  d'après  son  journal 
et  sa  correspondance 2.  II  met  parfaitement  en  lumière  cette  nature 
essentiellement  romantique,  cette  âme  sentimentale  et  religieuse, 
portée  à  l'exaltation  et  au  découragement  et  usant  sa  force  contre 
elle-même.  Peu  d'épreuves  ont  été  épargnées  à  Emile  Ollivier  dans 
ses  jeunes  années.  Il  a  connu  la  pauvreté,  la  maladie,  de  cruels 
drames  de  famille  et  une  peine  d'amour  inguérissable,  et  ^'en  a  été 
ni  révolté,  ni  aigri.  Il  n'y  a  peut-être  là  qu'une  explication  partielle, 
sinon  une  justification,  des  erreurs  du  politique.  On  y  trouve,  à 
coup  sûr,  des  motifs  d'estime  pour  le  caractère  de  l'homme,  jugé 
parfois  avec  quelque  excès  de  sévérité. 

La  biographie  de  Gambetta,  par  M.  Paul  Deschanel^,  fait 
moins  de  place  à  l'étude  psychologique.  C'est  surtout  le  patriote  et 
le  fondateur  de  la  République  que  l'ancien  Président  a  voulu  nous 
présenter,  sans  négliger  toutefois  les  détails  personnels  propres  à 
expliquer  la  formation  et  l'évolution  de  son  esprit.  L'étude  est  faite 
avec  beaucoup  de  clairvoyance  et  de  justesse,  parfois  avec  une  légère 
tendance  au  plaidoyer,  fort  explicable  du  reste  de  la  part  de  l'auteur. 
Gambetta  n'est  pas  exempt  de  contradictions  :  on  l'a  parfois  soup- 
çonné de  calcul  politique  ou  de  versatilité;  est-ce  toujours  tout  à  fait 
à  tort?  Chez  un  homme  de  cette  origine  et  de  ce  tempérament  — 
sans  rien  dire  du  milieu  —  il  y  a,  patriotisme  à  part,  bien  des  degrés 
entre  la  sincérité  rigoureuse  et  le  machiavélisme  conscient...  Mais 
M.  Degchanel  a  eu  raison  de  défendre  l'œuvre  de  Gambetta  au  gou- 
vernement de  la  Défense  nationale  et  les  mérites  de  son  esprit  de 
concihation,  de  combinazione,  comme  il  dit  fort  bien,  dans  des 
circonstances  comme  la  discussion  de  la  constitution  de  1875  ou  le 
vote  de  l'amnistie.  Il  marque  aussi,  mais  avec  bien  de  la  discrétion, 
l'insuffisance  de  son  programme  social,  et  ses  illusions  singulières 
sur  la  possibilité  d'apprivoiser,  de  séduire  peut-être  le  «  monstre  de 
Varzin  ».  Mais  quoi?  Gambetta  est  mort  à  quarante-trois  ans,  et 
quel  est,  dans  les  pays  parlementaires,  depuis  la  disparition  des 

1.  Signalons  également  un  tirage  à  part  de  la  Révolution  de  18i8  contenant 
des  extraits,  publiés  par  M.  Gossey,  des  Souvenirs  d'un  médecin-major,  le 
D'  Ladoire,  sur  Saintes  en  1848  et  sur  les  guerres  du  second  Empire. 

2.  Marie-Thérèse  Ollivier,  Emile  Ollivier,  sa  jeunesse,  d'après  son  journal 
et  sa  correspondance.  Paris,  Garnier,  1919,  in-16,  311  p. 

3.  Paul  Deschanel,  Gambetta.  Paris,  Hachette,  1919,  in-8%  302  p.  (illustré. 
Collection  des  Figures  du  passé). 


niSTOIEE   DE   FRANCE. 


251 


bourgs  pourris,  l'homme  d'État  qui  n'a  plus  rien  à  apprendre  à 
cet  âge? 

Continuant  la  série  de  ses  études  sur  la  France  et  l'Allemagne 
après  le  Congrès  de  Berlin,  M.  Ernest  Daudet^  consacre  à  l'am- 
bassade du  baron  de  Courcel,  successeur  au  Pariser  Platz  du  comte 
de  Saint- Vallier,  un  nouveau  volume,  composé  suivant  la  même 
méthode,  sans  aucune  indication  de  sources  ni  critique  des  témoi- 
gnages, et  qui  appelle,  par  conséquent,  les  mêmes  réserves. 

M.  Bertrand  Bareilles^  publie  d'après  l'original,  qu'un  «  simple 
hasard  »,  dit-il,  lui  a  permis  de  transcrire,  un  rapport  secret  adressé 
en  1879  à  la  Sublime-Porte  par  Carathéodory  Pacha,  premier  plé- 
nipotentiaire ottoman  au  Congrès  de  Berlin.  Ce  document  ne  con- 
tient pas  de  révélations  sur  un  sujet  déjà  connu  dans  son  ensemble, 
mais  il  a  l'avantage  de  nous  renseigner  sur  l'état  d'esprit  du  gouver- 
nement turc  et  aussi  sur  celui  —  sensiblement  différent  —  des 
diplomates  qui  le  représentaient  au  Congrès.  M.  Bareilles  accom- 
pagne cette  publication  d'une  copieuse  introduction  sur  la  diplomatie 
turco-phanariote  et  sur  le  Congrès  lui-même,  où  il  y  a  beaucoup  de 
détails  et  d'aperçus  intéressants  et  des  traces  d'une  connaissance 
personnelle  et  directe  de  la  Turquie.  L'intérêt  actuel  de  ce  travail 
résulte  de  ce  que,  comme  le  dit  l'auteur,  «  c'est  à  Berlin  qu'a  été 
forgé  le  premier  anneau  de  la  chaîne  des  ambitions  germaniques 
qui,  de  proche  en  proche,  allait  enserrer  [sic)  l'Orienta  la  fortune 
de  l'Allemagne  ».  Le  défaut  de  prévoyance  et  de  perspicacité  des 
diplomates  de  l'Europe  occidentale,  français  et  anglais,  spécialement 
dans  l'affaire  de  Bosnie-Herzégovine,  parait  évident  aujourd'hui.  A 
vrai  dire,  l'Angleterre,  depuis  1840,  na  longtemps  eu  en  Turquie 
qu'une  politique  négative,  et  quant  à  la  France,  après  1870,  on  est 
tenté  de  se  demander  si  elle  en  a  jamais  eu  une  à  proprement  parler. 

C'est  un  peu  la  question  que  pose,  sous  une  forme  plus  générale, 
M.  Christan  Schefer',  en  nous  donnant,  sur  l'histoire  extérieure 
de  la  troisième  République,  un  résumé  des  faits  connus,  complété 
par  des  hypothèses  prudentes  sur  les  points  où  des  lacunes  existent 
dans  notre  information  (il  ne  parait  pas  avoir  connu  en  temps  utile 

1.  Ernest  Daudet,  la  Mission  du  baron  de  Courcel.  Paris,  Pion,  s.  d.,  [1919,] 
in-16,  285  p.;  i>rix  :  5  Ir. 

2.  Bertrand  Bareilles,  le  Rapport  secret  sur  le  Congrès  de  Berlin  adressé  à 
la  Sublime- Porte  par  Carathéodory  Pacha.  Paris,  Bossard,  1019,  in-16,  196  p.; 
prix  :  3  fr.  90. 

3.  Christian  Schet'er,  D'une  rjuerre  à  l'autre;  essai  sur  la  politique  exté- 
rieure de  la  troisième  République  (lSll-1'JW.  Paris,  Félix  Alcan,  1920, 
in-8»,  xi-361  p.;  prix  :  12  fr. 


252  BULLETIN   HISTOaiQDE. 

les  publications  entreprises  depuis  la  guerre  en  Russie,  en  Autriche 
et  en  Allemagne).  Sort  exposé,  attentif,  méthodique,  suffisamment 
complet,  rendra  service  aux  étudiants  ;  on  le  souhaiterait  par 
moments  plus  vivant,  et  les  figures  des  principaux  acteurs  de  notre 
politique  (M.  Delcassé  par  exemple)  gagneraient  à  être  placées  dans 
une  plus  vive  lumière.  Mais  la  conclusion,  favorable  en  somme  à  la 
politique  suivie  par  les  gouvernements  républicains,  est  bien  pré- 
sentée et  paraîtra  juste  aux  lecteurs  dépourvus  de  préjugés  de  doc- 
trine ou  de  parti. 

Il  y  a  plus  d'animation  et  moins  de  sérénité  dans  Tétude  sur  les 
événements  diplomatiques  de  1912-1914  écrite  par  M.  Jacques  Bar- 
doux  sous  le  titre  :  la  Marche  à  la  guerre^.  L'auteur  avait,  dès 
longtemps,  insisté  sur  le  danger  d'une  grande  conflagration  où  l'im- 
périalisme économique  et  politique  de  l'Allemagne  conduisait  sûre- 
ment le  monde.  Il  avait  reproché,  assez  vivement,  aux  radicaux 
anglais  et  aux  socialistes  français  leur  aveuglement  et  leurs  impru- 
dences. Dénoncé  pour  cela  comme  alarmiste  et  beUiciste,  il  dénonce 
à  son  tour,  après  l'événement,  ceux  qui  ne  l'ont  pas  vu  venir,  et  son 
récit,  bien  qu'écrit  en  grande  partie  avant  les  hostilités,  est  tout 
pénétré  de  polémique,  au  sens  propre  du  mot.  On  y  trouve  souvent 
le  ton,  la  disposition,  les  titres  et  sous-titres,  le  langage  de  l'article 
de  journal  «  sensationnel  ».  L'émotion  de  la  lutte  s'y  ajoute  :  l'ou- 
vrage est  dédié  par  l'auteur  à  la  mémoire  de  ses  parents,  amis  et 
camarades  tués  en  combattant.  Il  se  termine  par  une  péroraison 
touchante  (malgré  une  pointe  de  rhétorique)  oii  M.  Bardoux  remer- 
cie l'Allemagne  impérialiste  de  lui  avoir  fait  connaître  l'Epopée. 
Bien  qu'on  retrouve  ici  la  même  information  étendue  et  précise,  la 
même  pénétration,  le  même  talent  d'exposition  que  dans  les  précé- 
dents volumes,  on  est  tenté  de  les  préférer  au  dernier  venu,  qui,  à 
vouloir  être  plus  oratoire,  paraît  quelquefois  moins  persuasif. 

M.  Gérard  2  fut  ambassadeur  de  France  au  Japon  de  1907  à  fin 
1913.  Il  expose  dans  un  copieux  volume,  non  seulement  l'historique 
de  sa  mission,  mais  l'évolution  de  la  politique  japonaise  et  les 
alliances  conclues  par  l'empire  du  Soleil  levant  pendant  cette 
période,  ainsi  que  les  principaux  événements  provoqués  en  Extrême- 
Orient  par  la  guerre  de  1914-1918.  L'intérêt  de  cet  ouvrage  est  peut- 
être  moins  dans  le  détail  des  faits  diplomatiques,  qui  pourraient 

1.  Jacques  Bardoux,  la  Marche  à  la  guerre.  Deux  devoirs,  deux  tranchées. 
Paris,  Félix  Alcan,  1920,  in-8%  347  p.;  prix  :  15  fr. 

2.  A.  Gérard,  Ma  mission  au  Japon  (1907-191i).  Paris,  Pion,  1919,  in-8% 
412  p.;  prix  :  12  fr. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  253 

parfois  êlre  abrégés,  que  dans  les  indications  fournies  par  l'auteur, 
témoin  exceptionnel  sur  l'histoire  politique  intérieure  du  Japon,  sur 
la  personne  et  le  caractère  de  ses  hommes  d'Etat,  sur  l'esprit  public 
dans  le  pays,  et  enfin  sur  le  sens  général  de  la  politique  Japonaise 
envers  l'Europe.  A  la  suite  de  Lefcadio  Hearn  et  de  Kakuzo  Oka- 
kura,  M.  Gérard  croit  possible  (et  souhaite  presque)  une  fusion 
entre  l'éthique  morale  et  sociale  de  l'Orient  japonais  et  celle  de  l'Eu- 
rope occidentale.  Il  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  noter  qu'une 
indication  analogue  se  trouve  au  début  du  livre  de  M.  Seilhère  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut.  Ceux  quej^réoccupe  le  déclin  visible  de 
l'idéalisme  dans  les  démocraties  européennes  se  rencontrent  ainsi, 
pour  y  chercher  remède,  sur  les  chemins  qui  mènent  en  Orient  ou 
en  Amérique. 

Philibert  Lombard  de  Buffîères,  comte  de  Rambuteau,  petit-fils 
par  sa  mère  du  célèbre  préfet  de  la  Seine,  n'a  guère  de  titres  à  une 
mention  dans  l'histoire,  même  anecdotique.  On  ne  le  connaîtra  guère 
que  pour  avoir  publié  les  Mémoires  de  son  grand-père  et  rassemblé 
une  belle  collection  de  reliures  anciennes,  dont  il  a  fait  don  au 
musée  des  Arts  décoratifs.  C'est  en  souvenir  d'amitié  que  M.  G.  Le- 
QuiN*  lui  a  consacré  une  copieuse  et  luxueuse  biographie.  On  y  trou- 
vera de  nombreux  extraits  des  écrits  de  toute  sorte  laissés  par  le 
comte.  Ils  n'ont  pas  de  valeur  originale  le  plus  souvent,  mais  leur 
style  fait  regretter  que  cet  homme  d'esprit,  qui  ne  manquait  pas  de 
cœur,  soit  demeuré  à  peu  près  inutile  et  sûrement  malheureux,  sans 
doute  pour  avoir  eu  de  trop  bonne  heure  à  sa  disposition  tous  les 
agréments  de  la  vie,  sans  la  peine  de  les  conquérir. 

A  l'occasion  de  la  consécration  récente  de  la  basilique  du  Sacré- 
Cœur,  M.  François  Veuillot^  a  réimprimé  la  plus  grande  partie 
d'un  volume  pubhé  en  1890  par  le  R.  P.  Jonquet  sur  Mon<ma?'fre 
autrefois  et  aujourd'hui,  en  y  ajoutant  une  seconde  partie  qui 
conduit  le  lecteur  jusqu'en  1919.  Cet  ouvrage  d'édification  n'a  aucun 
caractère  critique,  mais  il'  contient  des  renseignements  utiles  pour 
l'histoire  des  croyances  et  de  la  propagande  catholiques  avant  et 
pendant  la  guerre  de  1914. 

M.  Farault  a  pubhé  une  étude  détaillée,  d'intérêt  exclusivement 
local,  sur  le  Conseil  des  prud'hommes  de  Niort^. 

1.  G.  Lequin,  Philibert  Lombard  de  Buffières,  comte  de  Rambuteau  (1838- 
1912).  Lyon,  I^ardancbet,  1919,  in-4°,  298  p.  (illustré);  prix  :  10  fr. 

2.  R.  P.  Jonquct  et  François  Veuiliol,  Montmartre  attire  fois  et  aujourd'hui. 
Paris,  Blond,  1920,  340  p. 

3.  Alph.  Faraull,  le  Conseil  des  prud'hommes  de  Niort.  Niort,  1920,  in-8°, 
172  p. 


254  BDLLETIN   HISTORIQrE. 

M.  Philippe  Bunau-Varilla <  avait  déjà  raconté  en  1913  l'his- 
toire du  canal  de  Panama  et  son  rôle  personnel  dans  la  révolution 
de  Colombie  de  1903,  qui  prépara  l'achèvement  du  canal  par  les 
États-Unis.  Il  reprend  aujourd'hui  ce  récit  en  y  faisant  intervenir 
l'Allemagne,  dont  la  conduite  dans  cette  affaire  ne  lui  était  pas  appa- 
rue avant  les  hostilités.  Selon  lui,  le  succès  de  l'entreprise  de  Panama, 
combattu  par  l'Allemagne  (qui  ruina  la  compagnie  française  en  1892 
et,  en  1903,  voulait  le  canal  pour  elle-même) ,  a  conservé  à  la  France 
les  sympathies  américaines  et  rendu  possible  ainsi  l'intei^vention  des 
États-Unis  en  1917.  D'autre  part,  sans  le  canal  de  Panama,  nous 
n'aurions  pu  disposer  des  nitrates  chiliens  pour  la  fabrication  de  nos 
poudres  de  guerre  dès  1914.  En  sorte  que  M.  Philippe  Bunau- 
Varilla  a  préparé,  moralement  et  matériellement,  la  bataille  de  la 
Marne  et  la  victoire  de  1918.  Son  intervention  a  même  un  «  rôle 
essentiel  dans  la  défaite  de  l'Allemagne  ».  Rien  de  moins.  Le  plus 
singulier  est  peut-être  que  l'auteur  semble  persuadé  d'avoir  donné 
la  preuve  de  ses  affirmations  et  emporté  la  conviction  du  lecteur. 

III.  La  guerre  et  la  paix.  —  Les  publications  sur  l'histoire 
militaire  de  la  dernière  guerre  se  multiplient.  Comme  il  est  naturel 
fet  d'usage  après  toutes  les^randes  crises  analogues,  on  assiste  prin- 
cipalement à  des  polémiques,  et  nous  entendons  successivement  des 
réquisitoires  et  des  plaidoiries,  les  uns  et  les  autres  prématurés, 
puisque  tous  les  témoins  importants  n'ont  pas  encore  déposé.  Parmi 
ceux-ci,  un  des  premiers  entendus  aura  été  M.  le  maréchal  French^, 
dont  le  livre,  écrit  sans  doute  assez  vite,  est  surtout  un  récit  d'opé- 
rations spécialement  développé  pour  la  bataille  d' Ypres.  On  y  trou- 
vera peu  de  considérations  stratégiques,  mais  un  certain  nombre  de 
faits  intéressants,  en  particulier  sur  les  rapports  du  commandant. en 
chef  britannique  de  1914  avec  le  G.  Q.  G.  français  et  avec  le  gou- 
vernement de  son  propre  pays  au  moment  de  la  bataille  de  la 
Marne,  et  plus  tard  lorsque  fut  discuté  le  plan  d'opérations  pour 
1915.  L'ouvrage  de  M.  Engerand  sur  CharleroP ,  qui  a  eu  beau- 
coup de  retentissement,  a  passé  aussi  pour  contenir  l'expression  des 
vues  personnelles  d'un  des  principaux  chefs  militaires  du  début  de 

1.  Ph.  Bunau-Varilla,  la  Grande  aventure  de  Panama.  Son  rôle  essentiel 
dam  la  défaite  de  l'Allemagne.  Paris,  Pion,  s.  d.,  [1920,]  m-l6,  272  p.; 
prix  :  6  fr. 

2.  Maréchal  Lord  French,  i9i4,  traduction  de  Robert  Burnand.  Paris,  Ber- 
ger-Levrault,  s.  d.,  [1919,]  in-8%  330  p.  (cartes);  prix  :  12  fr. 

3.  Fernand  Engerand,  le  Secret  de  la  frontière  (1815-187Î-19U),  Charleroi. 
Paris,  Bossard,  1918  (paru  en  1919),  in-8°,  600  p.  (portr.  et  cartes)  ;  prix  :  15  fr. 
Cf.  Revue  historique,  t.  CXXXI,  p.  334. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  255 

la  guerre,  M.  le  général  Lanrezac.  Dans  un  second  ouvrage,  qui 
complète  et  rectifie  le  premier,  bien  qu'il  se  rapporte  à  fîneyS 
c'est-à-dire  à  un  sujet  différent,  M.  Engerand  sest  expliqué  sur  ce 
point  d'une  manière  qui  ne  laisse  rien  a  désirer.  Au  reste,  le  géné- 
ral Lanrezac  a  fait  connaître  lui-même,  sous  sa  signature,  ce  qu'il 
a  vu  et  ce  qu'il  pense.  L'intérêt  du  livre  de  M.  Engerand  sur  Char- 
leroi  a  été  de  mettre  en  évidence,  dès  avant  la  fin  des  opérations,  ce 
qu'on  a  appelé  la  «  surprise  stratégique  »  de  1914  et  les  conséquences 
du  système  d'offensive  à  outrance  adopté  en  1913  par  le  haut  com- 
mandement français.  Aux  indications  déjà  fournies  sur  ce  point  par 
M.  Hanotaux,  l'auteur  a  joint  les  résultats  d'une  étude  attentive  et 
passionnée  —  au  bon  sens  du  mot  —  de  toute  notre  histoire  récente 
concernant  la  défense  des  frontières.  La  thèse  (dont  un  résumé,  for- 
cément très  court,  ne  peut  donner  qu'une  faible  idée)  est  que  l'adop- 
tion du  programme  offensif  procède  d'une  erreur  capitale  sur  les 
ressources  et  les  intentions  éventuelles  de  l'ennemi.  L'Etat-major 
français  croyait  l'Allemagne  résolue  à  n'employer  contre  nous  que 
l'armée  de  première  ligne  et  à  combattre  seulement  sur  la  frontière 
franco-allemande.  Il  ne  croyait  pas  à  une  attaque  par  la  Belgique, 
qui,  pensait-il,  exigerait  trop  de  temps,  trop  d'effectifs  et  entraîne- 
rait fatalement  l'intervention  anglaise.  Imbu  de  ces  préjugés  et  de  la 
doctrine  du  «  bourrage  »  exprimée  par  le  règlement  de  1913,  il  ne 
cessa,  du  14  au  24  août,  de  lancer  sur  les  différentes  parties  du  front 
des  attaques  violentes,  parfois  sans  objectifs  précis,  presque  toujours 
sans  lien,  et  qui  auraient  abouti  à  Charleroi  à  une  véritable  catas- 
trophe sans  la  clairvoyance  et  le  courage  du  chef  de  la  'V"  armée. 
Dès  la  période  de  concentration,  et  plus  encore  une  fois  connu  le 
mouvement  débordant  de  l'ennemi,  le  général  Lanrezac  sut  résister 
aux  ordres  d'offensive  quand  même  et  amorcer  à  temps  le  mouve- 
ment de  retraite  qui  devait  conduire  à  la  Marne. 

Ces  affirmations,  forcément  un  peu  hypothétiques,  M.  Engerand 
a  été  conduit  à  les  modifier  en  partie  —  mais  en  partie  seulement  — 
dans  son  second  ouvrage,  plus  directement  documenté.  Devenu,  en 
tant  que  député,  rapporteur  d'une  commission  d'enquête  sur  les 
motifs  de  l'abandon  du  bassin  minier  de  Briey  par  nos  troupes  en 
1914,  il  a  reçu  les  dépositions  du  général  Joffre  et  de  ses  subordon- 
nés et  obtenu  communication  d'une  partie  importante  des  dossiers 
du  G.  Q.  G.,  ainsi  que  des  documents  du  plan  XYU  qui  subsistent 
(la  majorité  fut  détruite  le  1"  septembre  1914  par  ordre  du  général 

1.  Le  mt^me,  la  Bataille  de  la  frontière  (août  19 tU),  Briey .  Paris,  Bossard, 
1920,  in-8%  xxiv-243  p.  (cartes);  prix  :  7  fr.  50.  Sur  l'ouvrage  du  même,  le 
Fer  sur  la  frontière,  cf.  Revue  historique,  l.  CXXXII,  p.  2G9. 


256  BULLETIN   HISTORIQUE. 

en  chef).  Il  publie  les  pièces  principales.  Sa  conclusion  porte  sur 
deux  points  :  1°  le  plan  d'opérations  et  la  surprise  stratégique  :  il 
est  acquis  que  le  commandement  français  avait  admis  l'hypothèse 
d'une  attaque  par  la  Belgique,  non  seulement  à  l'est,  mais  même  à 
l'ouest  de  la  Meuse.  Seulement,  il  n'avait  pas  cru  devoir,  pour  ce 
motif,  transformer  tout  le  plan  d'opérations  et  passer  du  programme 
offensif  au  programme  défensif  ;  2°  la  question  de  Briey  :  il  est 
prouvé  que  dans  le  plan  XVII  cette  région  était  laissée  sans  couver- 
ture, uniquement  parce  qu'elle  était  sous  le  canon  de  Metz,  Ce  n'est 
donc  pas  la  décision  fameuse  du  recul  de  dix  kilomètres  qui  l'a 
découverte.  Elle  n'est  pas  non  plus  restée,  après  le  15  août,  en  dehors 
des  projets  offensifs  du  commandement.  Lorsque,  par  suite  de  la 
manœuvre  allemande  en  Belgique,  la  IV^et  la  V  armée  appuyèrent 
vers  le  nord-ouest,  une  armée  spéciale  de  Lorraine,  confiée  au  géné- 
ral Maunoury,  fut  organisée  entre  la  IIP  et  la  IP,  en  face  de  Briey 
et  de  la  Woevre.  Longtemps  inactive,  à  cause  d'une  liaison  de  com- 
mandement mal  élabhe,  elle  remporta  le  25  août,  à  Etain,  un  bril- 
lant succès,  dont  l'exploitation  pouvait  ouvrir  de  belles  perspectives. 
Mais  à  ce  moment  même  elle  dut  être  disloquée.  L'échec  de  Char- 
leroi  découvrait  Paris  ;  il  fallut  trouver  des  troupes  pour  la  défense 
du  camp  retranché  ;  on  les  prit  à  l'armée  de  Lorraine.  «  Briey  était 
la  rançon  de  Paris.  »  M.  Engerand  estime,  avec  le  général  Rufîey, 
que,  si  l'offensive  d'Étain  avait  été  engagée  plus  tôt,  elle  pouvait 
changer  les  destinées  du  bassin  de  Briey  et  peut-être  toute  la  suite 
de  la  guerre. 

Il  est  curieux  que  cette  question  soit  complètement  négligée  dans  un 
livre  anonyme,  dont  l'auteur  paraît  avoir  eu  des  rapports  assez  directs 
avec  le  3«  bureau  du  G.  Q.  G.  et  prend,  avec  une  certaine  adresse, 
la  défense  des  inspirateurs  et  du  plan  XVII  ^ .  Ce  petit  volume  évite, 
probablement  avec  intention,  de  citer  les  textes  et  d'entrer  dans  le 
détail.  On  le  lira  avec  intérêt,  moins  comme  plaidoyer  —  d'ailleurs 
très  modéré  et  d'un  aspect  habilement  impartial  —  que  comme 
témoignage  d'un  état  d'esprit.  Selon  lui,  si  le  commandement  a 
ignoré  le  mouvement  allemand  par  la  Belgique,  c'est  qu'on  l'a  mal 
renseigné,  et  par  on  il  faut  entendre  les  éléments  inférieurs  et  sur- 
tout les  ageilts  diplomatiques.  Au  reste,  l'auteur  pense,  comme  le 
rédacteur  (demeuré  inconnu,  parait-il)  du  fameux  règlement  du 
28  octobre  1913  sur  la  conduite  des  grandes  unités,  que  les  déci- 
sions offensives  doivent  être  exécutées,  «  même  si  les  données  recueil- 
lies jusque-là  sur  les  forces  et  les  dispositions  de  l'ennemi  sont 

1.  ***,  le  Plan  XVII,  étude  stratégique.  Paris,  Payol,  1920,  in-12,  197  p. 
(carte)  ;  prix  :  G  fr. 


fllSTOIllE   DE   FRANCE.  257 

obscures  et  incomplètes  ».  Il  insiste  en  effet  sur  l'incertitude  oîi  le 
G.  Q.  G.  s'est  trouvé  jusqu'au  23  août,  et  pourtant  il  fait  grief  aux 
exécutants,  spécialement  au  général  Lanrezac,  d'avoir  manqué  de 
volonté  offensive.  Si  la  V*  armée  avait  attaqué  à  fond  à  Oharleroi, 
voire  plus  tôt,  son  succès  aurait  arrêté  la  marche  allemande  en  Bel- 
gique et  «  galvanisé  »  l'armée  belge.  Même  arrêtée,  elle  aurait  limité 
l'invasion,  usé  l'armée  ennemie,  etc.  Sans  mettre  en  cause  la 
valeur  des  hypothèses  rétrospectives  en  général,  on  peut  juger  que 
c'est  aller  un  peu  loin  dans  la  fidélité  aux  principes  de  l'École.  Les 
apôtres  du  plan  XVII  citaient  volontiers  Napoléon.  Mais  n'a-t-il  pas 
dit  lui-même  :  «  J'avais  envie  d'écrire,  mais  ensuite,  des  généraux 
sont  battus  en  disant  qu'ils  ont  suivi  les  principes  qu'on  leur  a 
inculqués.  Il  y  a  tant  d'éléments  divers  à  la  guerre!  » 

Les  historiens  de  la  guerre  ne  devront  pas  négliger  les  documents 
de  première  main  réunis  sur  l'occupation  allemande  et  mis  en  œuvre 
par  M"^  Saint-René  Taillandier,  M"'=  Chaptal  et  M.  Maurice 
Barrés  dans  trois  excellents  petits  volumes  de  la  collection  la 
France  dévastée^  publiés  sous  le  patronage  du  Touring-Club  de 
France  et  du  Comité  France- Amérique. 

MM.  Marins  et  Ary  Leblond^,  chargés  par  le  général  Galliéni 
d'écrire  «  l'histoire  de  son  ministère  »,  ont  eu  avec  lui  de  fréquents 
entretiens  à  mesure  des  événements.  Ils  les  ont  notés  et  les  repro- 
duisent :  «  Notre  effort  »,  disent-ils,  «  n'a  été  que  de  mémoire,  pas- 
sionnément fidèle;  —  de  choix  :  il  était  indispensable  de  laisser 
tomber  les  répétitions...;  —  et  de  composition  :  quelquefois,  pour 
éviter  la  monotonie,  nous  avons  fondu  en  une  conversation  deux  ou 
trois  phrases  dites  à  divers  moments  sur  le  même  thème...  »  On 
trouvera  donc  bien  des  éléments  utiles  à  l'histoire  du  gouvernement 
pendant  la  guerre  dans  ces  deux  volumes  intitulés  :  Galliéni 
parle...  C'est  sans  doute  la  faute  des  circonstances  si,  par  moments, 
on  trouve  que  cet  homme  d'action,  ce  «  réalisateur  »  parle  en  effet 
beaucoup.  Peut-être,  à  vrai  dire,  n'a-t-il  pas  eu  la  latitude  ni  la 
santé  nécessaires  pour  agir.  Aurait-il  réalisé  tous  les  espoirs  que 
beaucoup  mettaient  en  lui  f*  On  ne  peut  faire  là-dessus  que  des  hypo- 
thèses. 

1.  M""  Saint-René  Taillandier,  En  France  et  Belgique  envahies;  les  soirées 
de  la  C.  n.  B.,  175  p.,  7  pi.  —  M"'  Chaptal,  Rapatriés,  Î915-1918,  128  p.,  7  pi. 
—  Maurice  Barrés,  la  Lorraine  dévastée,  177  p.,  8  pi.,  1  carie.  Paris,  Félix 
Alcan,  1919,  3  vol.  in-lG;  prix  :  2  fr.  75  chaque  vol. 

2.  Galliéni  parle,  entrelien.s  du  «  Sauveur  de  Paris  »,  ministre  de  la  Guerre, 
avec  ses  .secrétaires,  Marius-Ary  Leblond.  Paris,  Albin  Michel,  1920,  2  vol. 
in-lG,  31G  et  286  p.;  prix  :  12  fr. 

Rev.  HisTon.  CXXXVI.  ^^  fasc.  17 


258  BULLETIN   HISTORIQUE. 

C'est  une  impression  analogue  qu'on  éprouve  en  lisant  le  compte- 
rendu  du  Pi^ocès  de  V assassin  de  Jaurès,  publié  par  le  Journal 
l'Humanité*.  Les  débats  ont  porté  principalement  sur  le  rôle  que 
la  victime  aurait  joué  pendant  la  guerre  si  elle  n'eût  succombé.  Et 
il  semble  que  les  jurés  se  soient  posé  la  même  question  pour  y 
répondre  selon  leur  opinion  personnelle.  Le  compte-rendu  est 
abrégé,  par  suppression,  dit  la  préface,  du  fatras  seulement.  Il  est 
piquant  de  voir  que  ce  critérium  n'a  laissé  entière  qu'une  seule  des 
quatre  plaidoiries  (celle  de  M''  Paul-Boncour,  l'un  des  avocats  de  la 
famille  Jaurès).  Oe  qui,  dans  ce  volume,  a  le  plus  d'intérêt  pour 
l'historien,  ce  sont  les  dépositions  et  discussions  sur  la  question 
d'Alsace-Lorraine. 

Le  livre  du  capitaine  Seignobosc,  Turcs  et  Turquie^,  ressemble 
à  un  recueil  d'articles,  souvent  intéressants,  mais  dont  l'auteur  n'a 
pas  assez  d'expérience  du  métier  d'écrire.  Il  n'a  pas  nettement  défini 
son  sujet  et  nous  donne  à  la  fois  ses  souvenirs  sur  une  mission  en 
Turquie  (qui,  d'après  certains  passages,  semble  avoir  été  de  courte 
durée)  et  un  ess^i  historique  sur  les  événements  de  la  guerre  en 
Orient.  Son  témoignage  est,  du  reste,  à  retenir,  sur  le  premier  point 
tout  au  moins. 

Recueil  d'articles  aussi  l'Allemagne  vaincue,  de  M.  Ernest 
Lémonon^,  mais  d'articles  mensuels,  et  d'ailleurs  remaniés  pour 
former  un  récit  assez  suivi.  L'auteur  est  rompu  au  travail  historique 
proprement  dit,  en  sorte  que  son  livre  ne  servira  pas  seulement 
comme  témoignage  de  l'opinion  d'un  moment,  mais  sera  utile  pour 
montrer,  comme  il  dit  lui-même,  l'enchaînement  des  faits.  Recueil 
d'articles  encore  (du  moins  en  grande  partie),  le  volume  du  comte 
DE  FELS^  Au  seuil  de  la  paix,  où  l'on  trouvera,  formulées  dès 
1918,  des  vues  qui  ne  manquaient  ni  de  hardiesse  ni  de  clairvoyance 
sur  le  vague  et  les  dangers  de  tel  des  principes  wilsoniens  ou  d'une 
certaine  conception  de  la  ligue  des  nations,  qui  est  justement  celle 
du  Covenant.  M.  Léon  Bourgeois^  a  fait  réimprimer  en  volume 
son  rapport  au  Sénat  sur  le  traité  de  Versailles,  critique  parfois 

1.  Le  Procès  de  l'assassin  de  Jaurès  (2i-29  mars  1919).  Paris,  éditions  de 
Vmctnanité,  1920,  in-16,  450  p.  (illustré)  ;  prix  :  12  fr. 

2.  Capitaine  H.  Seignobosc,   Turcs  et  Turquie.  Paris,  Payot,  1920,  in-16, 
247  p.  (4  cartes);  prix  :  7  fr.  50. 

3.  E.  Lémonon,  l'Allemagne  vaincue.  Paris,  Bossard,  1920,  in-8°,  227  p.; 
prix  :  7  fr.  50. 

4.  Comte  de  Fels,  Au  seuil  de  la  paix.  Paris,  Pion,  1916,  in-16,  300  p. 

5.  Léon  Bourgeois,  le  Trailé  de  paix  de  Versailles.  Paris,  Félix  Alcan,  1919, 
in-16,  328  p.;  prix  :  5  fr. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  259 

très  vive  et  pénétrée  d'inquiétude  d'un  texte  dont  l'auteur  demande 
néanmoins  la  ratification  par  un  vote  unanime.  M.  Hanotaux',  de 
son  côté,  rapproche  dans  un  recueil  sur  le  Traité  de  Versailles 
plusieurs  articles  de  revue  et  différents  mémoires  remis  par  lui, 
avant  l'armistice,  au  commandant  en  chef  et  au  ministre  des  Affaires 
étrangères.  Les  mémoires  surtout  seront  lus  avec  un  très  vif  inté- 
rêt. Il  y  a  là  des  exemples,  frappants  entre  tous,  de  ce  que  la  con- 
naissance de  l'histoire  peut,  à  certaines  heures,  fournir  de  précieux 
enseignements.  Mais  c'est  un  fait  que  ceux  qui  ont  négocié  la  paix 
ne  savaient  guère  l'histoire,  et  que  certains  d'entre  eux  la  mépri- 
saient même.  Sur  cette  façon,  vraiment  stupéfiante  parfois,  dont  la 
conférence  a  travaillé,  on  trouvera  des  précisions,  d'autant  plus  frap- 
pantes que  le  ton  est  plus  discret  et  plus  modéré,  dans  le  livre  de 
deux  des  «  experts  »  américains,  MM.  Ch.  H.  Haskins  et  R.  H, 
Lord  ^  ;  ce  beau  volume,  bien  ordonné  et  muni  de  cartes,  réunit  une 
série  de  conférences  faites  à  l'Institut  Lowell,  de  l'Université  Har- 
vard, sur  les  règlements  territoriaux  du  traité  du  28  juin.  C'est  une 
analyse  des  problèmes  de  la  paix  et  des  solutions  adoptées,  remar- 
quablement claire  et  commode.  Certains  jugements  paraîtront  peut- 
être  aujourd'hui  trop  indulgents  pour  l'œuvre  de  la  conférence,  mais 
la  position  personnelle  des  auteurs  suffit  à  expliquer  cet  optimisme. 
On  sait  qu'un  autre  expert,  anglais  celui-là,  M.  John  Maynard 
Keynes,  a  cessé  ses  fonctions  au  cours  de  la  négociation,  parce  qu'il 
trouvait  trop  rigoureuses  les  conditions  économiques  imposées  à 
l'Allemagne.  Il  a  publié  à  ce  sujet  un  livre  dont  le  retentissement  a 
été  immense,  grâce  à  une  propagande  savante  et  au  talent  incontes- 
table de  l'auteur.  M.  Paul  Franck  en  donne  une  très  bonne  traduc- 
tion française'.  Sans  discuter  ici  des  raisonnements  qui  ont  déjà  été 
réfutés,  et  où  le  sophisme  n'est  pas  rare,  non  plus  que  les  inexacti- 
tudes ni  les  violences,  signalons  aux  historiens  le  chapitre  m  oîi  il 
est  fait  de  la  Conférence  et  de  ses  membres  une  peinture  assurément 
tendancieuse,  mais  pleine  de  vie  et  d'intérêt. 

C'est,  au  contraire,  la  plus  parfaite  objectivité  qui  caractérise  le 
volume  d'un    professeur   d'histoire  de  l'Université  de   Chicago, 

1.  G.  Hanotaux,  le  Traité  de  Versailles  du  28  juin  1919.  Paris,  Pion,  1919, 
in-8%  366  p.;  prix  :  12  fr. 

2.  Charles  Homer  Haskins  et  Robert  Howard  Lord,  Sortie  problems  of  the 
Pcace  Conférence.  Cambridge  (Mass.),  Harvard  University  press,  1920,  in-8°, 
307  p.;  prix  :  3  dollars. 

3.  John  Maynard  Keynes,  les  Conséquences  économiques  de  la  paix,  traduit 
(le  l'anglais  par  Paul  Franck.  Paris,  Nouvelle  Revue  française,  1920,  in-16, 
237  p.;  prix  :  7  fr.  50.  Une  réfutation  de  la  thèse  présentée  par  M.  Keynes  a 
•  lé  entreprise  par  M.  Raphaël-Georges  Lévy  {Rev.  histor.,  t.  CXXXV,  q^  140). 


260  BULLETIN   HISTORIQUE. 

M.  A.  P.  Scott'.  Causes  de  la  guerre,  buts  des  belligérants,  ten- 
tatives de  pacification,  traité  de  paix  sont  analysés  et  expliqués  dans 
le  meilleur  esprit  scientifique.  C'était  une  entreprise  difficile;  elle  est 
réussie,  et  il  n'est  que  juste  d'en  savoir  gré  à  l'auteur. 

Les  partisans  déclarés  de  l'œuvre  de  la  Conférence  trouveront  des 
arguments  dans  les  Réflexions  d'un  diplomate  optimiste,  en 
deux  volumes,  de  M.  Jean  Francoeur^.  C'est  un  recueil  de  lettres, 
dont  quelques-unes  fort  longues  (pendant  la  guerre,  les  diplomates 
avaient  du  temps  de  reste) .  Il  y  en  a  certaines  —  par  exemple  sur  la 
poursuite  judiciaire  des  chefs  allemands  ou  sur  la  Société  des 
Nations  —  que  l'auteur  pourrait  relire  à  présent  avec  un  peu  d'iro- 
nie, si  l'ironie  et  l'optimisme  allaient  ensemble.  Ce  sont,  au  con- 
traire, des  critiques  du  traité  qu'on  trouvera  le  plus  souvent  dans 
le  volume  de  M.  René  Moulin  ^,  réunion  de  ces  articles  de  la  Revue 
hebdomadaire  où  il  reprochait  à  la  Conférence  son  obstination  à 
«  vivre  en  concubinage  avec  l'erreur  ».  Le  ton  est  parfois  très  vif, 
mais  l'auteur  revendique  le  dr^fit  de  parler  sans  détour  et  de  ne  pas 
faire  faire  «  l'école  buissonnière  à  la  vérité  ».  Prétention  justifiée  : 
dans  l'opinion  comme  au  pouvoir,  il  faut  avoir  une  politique;  le 
■wait  and  see  nous  a  coûté  assez  cher  pour  qu'on  en  finisse  avec 
lui.  M.  Paul  Louise  dans  son  étude  sur  le  Bouleversem,ent  mon- 
dial, est  encore  moins  tendre  pour  l'œuvre  de  la  Conférence.  Selon 
lui,  la  guerre  de  1914  est  le  produit  fatal  du  régime  capitaliste  et  la 
paix  de  1919  est  «  un  mensonge  ».  Elle  n'a  fait  qu'ajouter  au  chaos 
et  multiplier  les  possibilités  de  collisions  sanglantes.  L'effet  principal 
de  la  grande  crise  aura  été  de  précipiter,  dans  tous  les  pays,  le  mou- 
vement de  concentration  capitahste  décrit  par  Marx  et  Engels  dès 
1848,  de  rendre  la  lutte  de  classes  plus  aiguë  et  par  suite  la  révolu- 
tion sociale  plus  prochaine  et  plus  nécessaire.  Cet  exposé,  habile- 
ment et  rapidement  conduit,  peut  faire  impression,  mais  comme 
toutes  les  œuvres  de  ce  genre  il  repose  souvent  sur  des  généralisa- 
tions très  hasardeuses  ;  pour  démontrer,  par  exemple,  que  dans  tous 
les  pays  la  propriété  foncière  s'est  concentrée  pendant  et  depuis  la 

1.  Arthur  Pearson  Scott,  An  introduction  ta  the  peace  treatics.  Chicago, 
University  press,  1920,  in-8",  292  p.;  prix  :  2  dollars. 

2.  Jean  Francœur,  Réflexions  d'un  diplomate  optimiste.  T.  l  :  Je  fais  la 
guerre.  T.  II  :  la  Paix  sera  une  créatioii  continue.  Paris,  Bossard,  1920, 
2  vol.  in-16,  374  et  283  p.;  prix  :  4  fr.  50  et  3  fr. 

3.  René  Moulin,  l'Année  des  diplomates,  1919.  Paris,  Félix  Alcan,  1920, 
in-16,  243  p.;  prix  :  5  fr. 

4.  Paul  Louis,  le  Bouleversement  mondial.  Paris,  Félix  Alcan,  1920,  in-16, 
204  p.;  prix  :  4  fr.  90. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  261 

guerre,  il  faudrait  une  enquête  étendue  et  attentive,  qui  n'est  pas 
môme  commencée. 

S'il  arrivait  qu'après  avoir  fermé  ce  livre  d'un  écrivain  socialiste, 
on  ouvrit  celui  où  M.  Raymond  Poincaré'  a  réuni  ses  chroniques 
de  quinzaine  de  la  Revue  des  Deux  Mondes,  on  serait,  par  l'effet 
du  contraste,  tenié  de  penser  que  la  crise  sociale  de  l'heure  présente 
tient  assez  peu  de  place  dans  les  préoccupations  de  l'ancien  Président 
de  la  République.  Comme  cela  est  tout  à  fait  invraisemblable  de 
la  part  d'un  homme  d'État  dont  l'intelligence  embrasse  avec  une 
facilité  et  une  rapidité  exceptionnelles  les  problèmes  les  plus  divers, 
on  en  vient  à  se  demander  si  une  longue  pratique  de  la  vie  parle- 
mentaire n'entraîne  pas,  chez  ceux-là  mêmes  qui  sont  le  plus  capables 
de  s'élever  au-dessus  d'elle,  une  certaine  difficulté  à  admettre  que  le 
redoutable  procès  des  riches  et  des  pauvres  échappe  en  tout  pays  à 
la  compétence  des  assemblées  politiques  et  ne  se  résout  pas  par  des 
comptes  de  suffrages  et  des  ordres  du  jour  «  impliquant  la  confiance  » 
et  «  repoussant  toute  addition  » .  Mais  il  y  a  plutôt  lieu  de  supposer 
que  M.  Poincaré,  tout  spécialement  expert  à  mesurer  ce  que  peut 
entendre  —  aux  deux  sens  du  mot  —  l'auditoire  qui  l'écoute,  n'a 
jamais  oublié  pour  quels  lecteurs,  français  et  étrangers,  sont  écrites 
ses  chroniques.  Consacrées  surtout  aux  questions  extérieures,  elles 
doivent  à  la  science  de  l'auteur,  à  l'expérience  qu'il  a  acquise  dans 
ses  hautes  fonctions,  à  son  talent  d'écrivain,  à  sa  clairvoyance  de 
patriote,  une  valeur  historique  qui  n'a  pas  besoin  d'être  soulignée. 

IV.  Questions  générales  contemporaines.  —  En  écrivant  son 
gros  volume  sur  l'Afïnque  à  travers  les  âges,  M.  Alfred  Moulin - 
a  voulu,  dit-il,  faire  œuvre  de  compilation  et  de  coordination.  C'est 
une  compilation  en  effet,  mais  assez  hâtive  et  sans  critique  suffi- 
sante. Pour  ce  qui  est  de  l'ordre,  il  n'y  en  a  guère  :  le  plan  est  à  la 
fois  géographique  et  historique,  l'importance  des  développements 
n'y  est  pas  proportionnée  à  celle  des  événements  racontés,  la  biblio- 
graphie est  désordonnée  et  sans  critique,  l'index  absent.  Quant  aux 
idées  générales,  elles  sont  parfois  surprenantes.  Dès  la  première 
page,  l'auteur,  ayant  constaté  que  l'Afrique  offre  de  nombreux  con- 
trastes, que  «  les  forêts  inextricables  y  coudoient  (sic)  les  déserts 
sablonneux  »  et  que  «  la  gazelle  craintive  y  sert  d'appât  au  lion 
cruel  »,  cherche  l'explication  et  la  trouve;  c'est  que  «  l'Afriq-ue  est 

1.  Raymond  Poinraré,  nistoire  politit/ue,  chroniques  de  quinzaine.  T.  I: 
1')  tnars-1"  septembre  1920.  Paris,  Pion,  1920,  in-lG,  291  p.;  prix  :  7  fr.  50. 

2.  Alfred  Moulin,  l'Afrique  à  trarers  les  âges.  Paris,  Ollendorff,  1920,  in-8°, 
529  |).;  prix  :  10  fr. 


262  BULLETIN   HISTORIQUE. 

la  contrée  la  plus  équatoriâle  du  monde  »  !  Un  bon  manuel 
d'histoire  d'Afrique  reste  à  écrire. 

«  Le.socialisme  est-il  un  système  d'idées  vigoureusement  liées  les 
unes  aux  autres,  système  partout  et  toujours  identique  à  lui-même. . . 
ou  bien  représente-t-il  un  ensemble  assez  mal  délimité  de  tendances. . . 
variables  essentiellement  selon  les  temps,  selon  les  milieux  sociaux 
et  avant  tout  selon  le  caractère  des  peuples?  »  Tel  est  le  problème 
qu'examine  M.  Edmond  Laskine^  en  faisant  porter  son  étude  sur 
la  France,  la  Belgique,  l'Irlande  et  les  peuples  anglo-saxons,  un 
second  volume  devant  être  consacré  au  socialisme  allemand  et  à  ses 
applications  en  Russie,  Hongrie,  Italie  et  Espagne.  La  conclusion 
est  que  le  socialisme  revêt,  suivant  les  pays,  les  formes  les  plus  con- 
traires, «  selon  le  déterminisme  des  milieux,  des  races  et  des  tradi- 
tions nationales  »•■  L'identité  des  formules  employées  masque  la 
diversité  des  idées.  L'internationalisme  est  «  une  maladie  du  lan- 
gage »  et  la  cité  socialiste  universelle  une  Babel  démesurée.  L'auteur 
en  arrive  là  par  une  analyser  historique  et  descriptive  rapide,  mais 
brillante,  et  fondée  sur  une  connaissance  des  textes  et  des  doctrines 
qui  parait  sérieuse.  Les  deux  chapitres  sur  le  socialisme  en  Angle- 
terre sont,  à  cet  égard,  particulièrement  réussis.  Il  semble  toutefois 
que  M.  Laskine  se  laisse  entraîner  un  peu  loin  par  la  thèse  qu'il  sou- 
tient, quand  il  admet  que  les  nations  «  s'individualisent  de  plus  en 
plus  »  et  par  suite  que  les  transformations  sociales  ne  pourront 
jamais  être  réussies  que  par  les  «  individualités  nationales  ».  Les 
nationalistes  les  plus  intransigeants  ne  demandent-ils  pas  qu'une 
entente  internationale  précède  les  principales  réformes  concernant, 
par  exemple,  le  travail  industriel  ou  la  propriété  rurale? 

On  sera  peut-être  surpris  de  trouver,  dans  les  anciens  articles  que 
M.  Georges  Sorel^  a  réimprimés  sur  le  titre  de  Matériaux  d'une 
théorie  du  prolétariat,  certains  passages  (p.  211-12,  par  exemple) 
où  sont  exprimées  des  idées  analogues  à  celles  de  M.  Laskine.  Mais 
l'auteur  nous  avertit  lui-même  qu'il  a  souvent  énoncé,  dans  un 
délai  assez  court,  «  des  opinions  peu  concihables  ».  Il  lui  faut  savoir 
gré  de  cette  franchise  qui  va  jusqu'à  l'aveu  de  s'être  formé  sur 
l'avènement  prochain  du  sociahsme  «  des  idées  chimériques  ».  La 
principale  étude  concerne  l'avenir  socialiste  des  syndicats.  Elle  sera 
surtout  utile  comme  critique  et  complément  des  doctrines  de  Marx 
et  d'Engels,  M.  Sorel,  comme  on  sait,  se  défend  d'être  un  «  militant  » 

1.  Edm.  Laskine,  le  Socialisme  stiivant  les  peuples.  Paris,  E.  Flammarion, 
1920,  in-16,  264  p.;  prix  :  6  fr.  75. 

2.  Georges  Sorel,  Matériaux' d'ime  théorie  du  prolétariat.  Paris,  Marcel 
Rivière,  1919,  in-16,  413  p.;  prix  :  7  fr. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  263 

et  son  livre  s'adresse  à  ceux  qui  s'intéressent  «  aux  efforts  de  la 
pensée  spéculative  «  plutôt  qu'aux  historiens  en  général. 

Les  Feijiiiers  généraux  du  rail  de  M.  Edgar  MilHaud*  sont 
une  critique  très  serrée,  bourrée  de  faits  et  de  chiffres,  de  la  gestion 
des  chemins  de  fer  français  par  les  compagnies  concessionnaires. 
L'auteur,  partisan  de  Texploitation  par  l'Etat,  met  en  comparaison 
les  deux  régimes  aux  points  de  vue  des  développements  des  réseaux, 
de  l'organisation  matérielle,  des  tarifs,  de  la  condition  du  personnel, 
etc.  C'est  un  vrai  réquisitoire  contre  le  système  actuel.  Quant  à  celui 
proposé  par  le  gouvernement  et  récemment  adopté  par  le  Parlement, 
c'est  «  la  course  à  l'abîme,  effroyablefdans  la  nuit  ».  Ce  volume, 
qui  ne  manque  ni  d'information,  ni  d'habileté  d'exposition,  est  à 
verser  au  dossier  de  la  question  du  régime  des  chemins  de  fer,  où  la 
discussion,  comme  le  constatait  jadis  Emile  Levasseur,  repose  sou- 
vent sur  des  coefficients  mal  établis  et  non  comparables  entre  eux. 

A  en  juger  par  les  publications  nouvelles  et  par  la  fondation  de 
certains  groupes  d'études  et  de  propagande,  un  assez  bon  nombre  de 
théoriciens  français  de  la  réformation  sociale  —  sinon  de  socialistes 
proprement  dits  —  paraissent  s'éloigner  ou  se  détacher  du  marxisme 
pour  aller  —  ou  revenir  —  au  fouriérisme  et  plus  encore  au  saint- 
simonisme.  Il  faut  signaler  notamment  l'apparition  d'une  revue 
nouvelle,  appelée  le  Producteur^  comme  l'ancien  journal  d'En- 
fantin et  de  ses  adeptes.  Elle  paraît  compter  parmi  ses  inspirateurs 
et  ses  amis  un  certain  nombre  de  chefs  d'industrie  soucieux  de 
revendiquer  leur  droit  au  titre  de  «  producteur  »  et  leur  place  dans 
les  organes  du  gouvernement  économique  futur.  Ce  mouvement 
mérite  d'être  suivi,  bien  qu'il  ait  encore,  semble-t-il,  une  action 
assez  limitée.  On  peut  rattacher  aussi  à  la  tradition  de  Saint-Simon, 
en  mênje  temps  que  de  Robert  Owen,  le  plan  de  République  coo- 
pérative tracé  par  M.  Ernest  Poisson^,  secrétaire  général  de  la 
fédération  des  coopératives  de  consommation.  C'est  un  exposé  sys- 
tématique, très  bien  ordonné  et  très  clair,  de  la  doctrine  coopérative. 
L'auteur  s'est  attaché  à  définir  le  système  coopératif,  qu'il  considère 
comme  une  hypothèse  scientifique  pouvant  fournir  au  problème 
social  une  solution  positive,  progressive  et  non  révolutionnaire.  Il 
marque  avec  netteté  ce  qui  rapproche  la  coopération  du  socialisme 

1.  Eklgar  Milhaud,  les  Fermiers  généraux  du  rail.  Paris,  B.  Grasset,  1920, 
in-16,  381  p.;  prix  :  10  fr. 

'2.  (i  Le  Producteur  »,  revue  (mensuelle)  de  culture  générale  appliquée. 
Paris,  16,  rue  Geotlroy-Marie;  5  fr.  le  n°. 

3.  Ernest  Poisson,  la  Hépublûjue  coopérative.  Paris,  B.  Grasset,  1920,  in-16, 
256  p.;  prix  :  6  fr.  75. 


264  BULLETIN   HISTORIQUE. 

et  ce  qui  l'en  sépare  et  signale  sans  réticence  en  quoi  la  forme  coo- 
pérative de  la  société,  qui  se  suffît  à  elle-même,  ne  suffit  pas  à  tout 
(notamment  elle  ne  supprime  pas  le  salariat,  tout  en  recherchant  de 
nouvelles  formes  de  rémunération  du  travail).  Livre  bien  fait,  ins- 
tructif, qui  rendra  service. 

L'ouvrage  de  M.  Perron,  juge  à  Besançon,  sur  la  Séparation 
nécessaire*  est  une  brochure  de  polémique  adressée  aux  catho- 
liques, et  où  l'auteur,  après  avoir  décrit  et  déploré  longuement  la 
pohtique  anticléricale  et  les'progrès  de  l'irréligion,  préconise  comme 
remède  une  épuration  de  la  communauté  catholique,  et  notamment 
le  rétablissement  de  l'excommunication.  Quelques  passages  semblent 
indiquer  que  cette  proposition  a  paru  excessive,  même  à  certaines 
personnes  revêtues  dans  l'Église  catholique  d'une  autorité  qui  n'ap- 
partient pas  à  un  simple  fidèle,  fût-il  magistrat.  M.  de  Lamarzelle  2, 
constatant,  avec  M.  Lavisse,  que  la  guerre  a  trouvé  le  monde  dans 
un  état  anarchique,  et  admettant,  d'après  Auguste  Comte,  que  cette 
anarchie  existe  depuis  la  fin  du  moyen  âge,  a  entrepris  d'étudier 
comment  elle  s'est  introduite  et  quels  sont  ses  effets.  Il  incrimine  la 
Réforme  et  la  Renaissance,  signale  tout  ce  qui  lui  paraît  marquer 
la  résurrection  progressive  du  paganisme  et  conclut  que  cette  évolu- 
tion conduisait  à  la  résurrection  de  l'esclavage  (prolétariat)  et  à  l'as- 
servissement des  peuples  (conquête  pangermaniste) .  La  victoire  des 
Alliés  a  écarté  le  second  danger,  non  le  premier.  Dans  un  autre 
volume,  M.  deLamarzelle  démontrera  que  la  restauration  de  l'ordre 
(à  tous  les  points  de  vue)  ne  peut  se  faire  qu'en  restaurant  l'idéal 
chrétien  du  moyen  âge.  Il  s'agit,  on  le  voit,  d'un  ouvrage  d'apolo- 
gétique indirecte,  fondé  du  reste  sur  des  considérations  historiques 
très  générales  et  non  sur  l'étude  des  faits  et  des  textes. 

L'auteur  qui  signe  Celtis^  est  aussi  préoccupé,  avec  raison,  de 
la  Reconstruction  morale,  suprême  nécessité  de  l'après- 
guerre.  Mais  il  estime  qu'on  peut  y  arriver  par  une  sorte  de  dres- 
sage de  la  conscience  individuelle,  par  un  développement  pragma- 
tique de  la  «  contrainte  spontanée  »  acceptée  par  chacuH  et  par  la 
pratique,  en  toutes  choses,  de  Yefficiency  américaine.  Cet  exposé 
est  généreux  et  parfois  éloquent.  On  aimerait  à  le  voir  mis,  comme 
disait  Jaurès,  «  en  projets  de  loi  »  ou  en  programmes  d'enseigne- 
ment. Celtis  décrit  bien  un  des  «  centres  de  rayonnement  moral  » 

1.  Ch.  Perron,  Aux  catholiques!  La  séparation  nécessaire.  Paris,  Téqui, 
1920,  in-16,  165  p.;  prix  :  2  fr.  60. 

2.  G.  de  Lamarzelle,  l'Anarchie  dans  le  monde  moderne.  Paris,  Beau- 
chesne,  1919,  in-8%  470  p.;  prix  :  8  fr.  30. 

3.  Celtis,  la  Keconstruction  morale,  suprême  nécessité  de  l'après- guerre. 
Paris,  Félix  Alcan,  1919,  in-8%  371  p.;  prix  :  10  fr. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  265 

dont  il  préconise  la  fondation  et  qui  ressemblent  à  ce  qu'auraient 
voulu  être  les  universités  populaires  d'il  y  a  vingt  ans,  mais  les 
moyens  pratiques  de  recommencer  cette  tentative  rie  sont  indiqués 
nulle  part.  L'auteur  manquerait-il,  lui-même,  d'efficiencij? 

M.  Francesco  Cosentini',  professeur  de  philosophie  du  droite 
l'Université  de  Turin,  a  examiné  les  précédents  historiques,  les  con- 
ditions juridiques  et  les  possibilités  pratiques  d'une  Société  des 
Nations.  Esprit  réaliste,  il  juge  nécessaire  de  commencer  par  un 
groupement  franco-italien,  qui  s'étendrait  aux  autres  puissances 
latines,  puis  aux  peuples  anglo-saxons.  Sa  conclusion  est  optimiste  : 
«  L'analyse  des  grands  conflits  humains  nous  a  porté  à  constater 
que  chacun  d'eux  aboutit  à  une  formule  juridique  qui,  par  une  syn- 
thèse harmonisatrice,  rétablit  l'équilibre  entre  les  forces  opposées  : 
ce  qui  peut  faire  espérer  cette  cohésion  d'un  ordre  plus  élevé  :  la 
Société  des  Nations.  »  Espérer  est  le  mot  juste.  M.  Harold  J.  Laski^ 
examine,  d'un  point  de  vue  à  la  fois  historique  et  juridique,  la  notion 
de  souveraineté  et  les  bases  de  l'autorité  publique  dans  l'État 
moderne.  «  Un  Etat  »,  dit-il,  «  n'est  pas,  après  tout,  une  entité 
mystérieuse.  C'est  seulement  une  société  territoriale  dans  laquelle, 
pour  des  raisons  historiques  variées,  une  distinction  a  été  introduite 
entre  gouvernants  et  gouvernés.  Rien  ne  justifie  les  prétentions  du 
gouvernement  à  être  obéi,  sinon  la  preuve  évidente  qu'il  satisfait 
aux  besoins  matériels  et  moraux  des  gouvernés.  »  Ces  formules  ne 
sont  pas  nouvelles.  L'originalité  du  travail  de  M.  Laski  est  qu'il  s'en 
sert  d'abord  pour  une  critique  attentive  et  ingénieuse  des  doctrines 
d'autorité  (Bonald,  Brunetière,  M.  Paul  Bourget)  et  de  liberté  poli- 
tique (Lamennais,  Royer-Collard),  ensuite  pour  élucider  le  problème 
du  syndicalisme  des  fonctionnaires,  tel  qu'il  se  pose  en  France. 
L'auteur  connaît  bien  notre  histoire  récente  et  le  fonctionnement  de 
nos  institutions  politiques,  quoiqu'il  s'exagère  un  peu  la  puissance 
de  l'administration,  et  notamment  des  préfets.  Son  étude  sur  ce  sujet 
délicat  sera  donc  lue  avec  intérêt,  encore  qu'elle  paraisse  un  peu 
traînante  parfois.  La  conclusion  est  nettement  favorable  à  une 
«  démocratisation  »  de  l'Etat  dans  le  domaine  économique  et  admi- 
nistratif. Le  tome  III  du  cours  de  M.  *Zeballos^,  professeur  à 
l'Université  de  Buenos-Aires,  sur  la  Nationalité  se  rapporte  à  la 

1.  Francesco  Cosentini,  Préliminaires  de  la  Société  des  Nations.  Paris, 
Félix  Alcan,  1919,  in-16,  236  p.;  prix  :  3  fr.  50  (plus  majorations). 

2.  Harold  J.  Laski,  Authority  in  llie  modem  State.  New  Haven  (Conn.), 
Yale  Universily  press,  1920,  in-8%  398  p.;  prix  :  3  dollars. 

3.  E.  S.  Zeballos,  lu  Nationalité  aii  point  de  vue  de  la  législation  compa- 
rée et  du'droil  privé  humain  (trad.  par  A.  Bosq).  T.  III  :  Dénationalisation 
(l"  partie).  Paris,  librairie  du  Sirey,  1919,  in-8%  866  p.;  prix  :  25  fr. 


266  BULLETIN   HISTORIQUE. 

question  de  la  dénationalisation.  C'est  un  ouvrage  purement  juri- 
dique, mais  qui  pourra  fournir  aux  historiens  des  précisions  fort 
utiles,  les  phénomènes  d'émigration  étant  influencés  directement  par 
les  lois  sur  l'acquisition  et  la  perte  de  la  nationalité.  On  ne  peut  que 
louer  l'érudition  incroyablement  étendue  de  l'auteur  et  la  clarté  toute 
latine  de  son  exposé.  Et  si,  sur  le  vu  du  titre,  on  ouvre  avec  curio- 
sité et  intérêt  le  livre  de  M.  Joseph-Barthélémy  ^  sur  le  Vote  des 
femmes,  on  ne  sera  pas  déçu.  C'est  un  cours  professé  à  l'École  des 
hautes  études  sociales  et  qui  a  gardé  la  vivacité  et  l'accent  de  la 
parole.  Il  comprend  une  étude  théorique  du  droit  des  femmes  au 
suffrage,  une  histoire  du  mouvement  sufîragiste,  une  analyse  de  la 
législation  dans  les  divers  pays  et  un  examen  critique  des  résultats. 
Le  tout  animé  par  une  conviction,  non  dissimulée,  que  seul  le  «  suf- 
fragisme  intégral  »  est  équitable,  qu'il  est  sans  danger  sérieux  et 
sera  profitable  sans  doute.  La  conclusion  est  optimiste  et  modérée  : 
«  Rayez  d'abord  tous  les  noirs  pronostics  des  adversaires  du  suffrage 
des  femmes.  Prenez  ensuite  les  prophéties  optimistes  de  ses  parti- 
sans; opérez  une  réduction  de  95  %,  et  vous  serez  tout  proche  delà 
vérité.  Voilà  le  résultat  de  cette  longue  enquête.  »  Il  semble  bien 
que  les  expériences  les  plus  récentes,  anglaise  et  allemande,  con- 
firment ce  jugement. 

Raymond  Guyot. 

1.  Joseph-Barthélémy,  le  Vote  des  femmes.  Paris,  Félix  Alcan,  1920,  in-8°, 
619  p.;  prix  :  10  fr. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


E.  EsPÉRANDiEU.  Recueil  général  des  bas-reliefs,  statues  et 
bustes  de  la  Gaule  romaine.  Tome  VII  :  Gaule  germanique. 
I.  Germanie  supérieure.  Paris,  Impr.  nationale,  et  E.  Leroux, 
éditeur,  1918.  In-4°,  397  pages,  fig.  5270-5890.  (Collection  de 
documents  inédits  sur  l'Histoire  de  France  ^) 

«  Le  présent  volume  était  entièrement  en  pages  dès  les  premiers 
mois  de  1916.  La  rareté  du  papier  et  d'autres  causes  en  ont  retardé 
l'impression  pendant  trois  ans.  Par  suite  de  la  guerre,  je  me  suis 
trouvé  dans  l'impossibilité  de  tirer  parti  de  toutes  mes  notes  et  de 
suivre  l'ordre  logique  des  cités  rhénanes.  Il  m'eût  fallu,  pour  l'illus- 
tration des  notices,  des  photographies  ou  d'autres  images  qui  m'ont  man- 
qué. Ainsi,  indépendamment  des  sculptures  des  Némètes  et  des  Van- 
gions  réservées  pour  le  tome  VIII,  quelques  pierres  des  musées  de 
Strasbourg  et  de  Mayence  sont  omises.  Je  m'efforcerai  de  les  publier 
dans  un  supplément  général  dont  le  texte  est  déjà  presque  entière- 
ment composé.  )> 

Ces  lignes,  extraites  de  l'introduction,  sont  datées  du  l»""  octobre 
1918.  Le  volume  porte  le  millésime  de  1918;  c'est  dire  dans  quelles 
circonstances  il  a  été  tiré.  Tandis  que  les  troupes  françaises  achevaient 
de  s'ouvrir  le  chemin  des  pays  rhénans  et  atteignaient  le  fleuve,  le 
commandant  Espérandieu,  de  son  côté,  publiait  les  monuments  gallo- 
romains  des  cités  rhénanes.  Empressons-nous  d'ajouter  que,  sauf  les 
quelques  omissions  signalées  par  l'auteur,  rien,  ni  dans  l'exécution 
matérielle  du  volume,  ni  dans  la  rédaction,  ne  trahit  les  derniers  mois 
de  guerre.  M.  Espérandieu  rend  hommage  aux  savants  allemands  qui 
l'ont  aidé  dans  la  préparation  de  son  travail  aussi  bien  qu'aux  savants 
français  ou  suisses.  «  On  comprendra  »,  ajoute-t-il  simplement,  «  que 
ma  gratitude  ne  soit  pas  sans  amertume  à  la  pensée  de  ce  qu'ont  osé 
contre  mon  pays  les  dirigeants  et  les  armées  de  leur  nation.  » 

Il  n'y  a  plus,  à  propos  du  septième  volume,  à  faire  l'éloge  de  l'admi- 
rable Recueil  du  commandant  Espérandieu,  ni  même  à  signaler  tous 
les  services  qu'il  rend  déjà.  Que  l'on  parcoure  n'importe  quel  volume 
traitant  d'un  point  quelconque  de  nos  antiquités  nationales,  on  y  trou- 
vera le  Recueil  cité  et  utilisé  presque  à  chaque  page.  Par  exemple,  le 
chapitre  du  dernier  volume  de  M.  Toutain  traitant  des  cultes  indi- 
gènes de  la  Gaule  romaine  lui  doit  la  meilleure  partie  de  sa  documen- 

l.  Pour  le  l*  VI,  et.  Rev.  histor.,  t.  CXXV,  p.  14'J. 


268  COMPTES-RENDDS   CRITIQDES. 

tation  archéologique.  Quel  que  soit  le  sujet  que  l'on  se  propose  d'étu- 
dier, il  faut  commencer,  désormais,  pSÈi  dépouiller  Espérandieu. 

Quel  beau  voyage  archéologique  nous  fait  faire  ce  tome  VII,  de 
Besançon,  avec  sa  Porte-Noire  aux  reliefs  malheureusement  si  muti- 
lés, à  Mandeure,  à  Luxeuil  et,  de  là,  chez  les  Helvètes  à  Martigny, 
Nyon,  Avenches  et  Windisch!  Nous  passons  ensuite  en  Alsace,  avec 
de  longues  stations  à  Strasbourg,  Brumath,  la  région  de  Niederbronn 
et  Saverne,  pour  aboutir  enfin  à  Mayence.  Cent  soixante-cinq  numé- 
ros sont  consacrés  aux  monuments  lapidaires  du  musée  de  cette  ville. 

Du  premier  coup  d'oeil,  à  parcourir  simplement  le  Recueil^  on  est 
frappé  de  la  différence  entre  la  civilisation  spécifiquement  civile  et 
indigène  de  l'Alsace  et  la  civilisation  militaire  et  bien  plus  exclusive- 
ment romaine  de  la  cité  du  Limes.  Ici,  des  stèles  de  militaires  et  des 
dieux  presque  tous  romains;  là,  surtout  des  civils,  sauf  à  Strasbourg 
où  apparaissent  quelques  tombes  de  soldats,  et  des  divinités  en  majeure 
partie  indigènes,  à  condition,  bien  entendu,  de  compter  Mercure 
parmi  elles.  Chez  les  Helvètes  se  rencontrent,  semble-t-il,  plus  d'in- 
fluences du  bel  art  gréco-romain  du  !«■■  siècle  que  partout  ailleurs. 
Chaque  cité  conserve  d'ailleurs,  pour  la  forme  de  ses  stèles  et  ses 
représentations  funéraires,  ses  types  préférés. 

Ce  précieux  Recueil,  aux  figures  si  soignées,  aux  descriptions  si 
sobres  et  si  précises,  constitue,  pour  ainsi  dire,  l'illustration  anticipée 
de  toutes  les  études  à  venir  sur  la  civilisation  et  l'art  gallo-romains. 

A.  Grenier. 


Jean  Brunhes,  professeur  au  Collège  de  France.  Géographie 
humaine  de  la  France.  (T.  I  de  V Histoire  de  la  Nation  fran- 
çaise, sous  la  direction  de  Gabriel  Hanotaux,  de  l'Académie 
française.)  Société  de  l'Histoire  nationale.  Librairie  Plon-Nourrit. 
In-4^  s.  d.  [1920],  486  pages,  186  cartes  etfig.,  12  pi.  hors  texte 
en  couleurs.  Illustrations  d'Auguste  Lepère. 

Le  monument  que  M.  Gabriel  Hanotaux  édifie  à  la  «  Nation  fran- 
çaise »  reposera  sur  un  support  géographique  digne  de  l'ampleur  de 
la  construction*.  En  annonçant  les  deux  tomes  de  la  Géographie 
humaine,  M.  Hanotaux  écrit  :  «  Voici  donc,  pour  l'histoire  d'une 
nation,  un  chapitre  nouveau  et  fortement  original  (p.  \\)  ».  M.  Jean 
Brunhes  récuse  ce  brevet  de  novateur;  il  sait  que  Michelet  s'est 
hasardé  dans  un  essai  dont  il  ne  faut  retenir  que  l'inspiration  :  «  L'his- 
toire est  d'abord  toute  géographie;  »  et  il  se  défend  de  rivaUser  avec 

1.  Cette  Histoire  de  la  nation  française  comprendra  15  vol.  in-4°.  En  une 
introduction  de  80  p.,  M.  G.  Hanotaux  en  présente  les  collaborateurs,  le  dispo- 
sitif et  les  conceptions  directrices;  ouverture  singulièrement  riche  en  thèmes 
originaux  et  qui  méritera  un  examen  particulier. 


JEAN   BBDNUES    :    GEOGRAPHIE   HUMAINE   DE   LA   FRANCE.  269 

Vidal  de  La  Blache,  en  s'afïranchissaat  davantage  de  la  description 
régionale.  M.  Brunhes  embrasse  le  cadre  dans  son  ensemble;  mais 
il  en  discerne  et  eji  décrit  les  provinces  naturelles  sou&  d'autres 
rubriques  et  en  des  linéaments  plus  flous  :  le  bassin  d'Aquitaine;  du 
Massif  central  au  Massif  armoricain  ;  au  cœur  du  bassin  parisien  ;  le  sil- 
lon rhodanien  et  le  bassin  de  la  Saône.  Les  cours  d'eau  lui  servent 
d'axes  ;  et  cette  méthode  offre  quelque  inconvénient;  elle  fait  un  sort  ou 
l'honneur  d'une  mention  à  des  rivières  sans  importance  :  les  «  gouttes, 
mouilles  et  serves  »  de  la  Loire  (p.  184),  les  affluents  de  la  Seine  (p.  2H), 
etc.  Cela  sent  un  peu  trop  le  manuel  ou  le  précis  scolaire;  et,  pour  en 
finir  avec  cette  menue  chicane,  à  quoi  bon  la  classification  géologique 
des  terrains  (p.  38)  ou  la  répartition  des  surfaces  «  très  imperméables,  à 
peu  près  imperméables,  médiocrement  perméables  »,  etc.,  dans  l'aire  de 
la  Garonne  (p.  153),  ou  encore,  pour  définir  les  «  types  de  temps  »,  l'ana- 
lyse de  la  tempête  du  7  janvier  1917  et  de  la  situation  atmosphérique 
des  deux  premiers  mois  de  ladite  année  (p.  78)?  Ces  détails  dévient 
l'attention  des  aperçus  si  topiques  où  se  déploie  l'esprit  de  finesse  des 
auteurs  <;  nous  disons  des  auteurs,  car  M.  Brunhes  a  eu  la  bonne  for- 
tune d'une  collaboration  aussi  érudite  qu'élégante,  celle  de  sou  ancien 
collègue  de  l'Université  de  Fribourg,  M.  Paul  Girardin. 

La  vraie  didactique,  dans  un  ouvrage  de  cette  portée,  est  celle  des 
idées  qui  se  dégagent  d'une  enquête  si  volumineuse  et  si  variée. 

La  France  est  une  personne,  a  dit  Michelet;  personne  qui  se 
dédouble  ici  en  «  France-terre  et  en  France-hommes  »,  vocables  un 
peu  bizarres  (p.  18).  France-terre  se  laisserait  caractériser  ainsi  :  c'est 
un  «  bocage  »,  un  «  pays  de  petits  versants  »,  dont  une  esquisse  d'Au- 
guste Lepère  a  essayé  une  synthèse  coloriée.  Et  voilà  ce  qui  donne  un 
air  de  famille  à  ce  «  tout  »  2.  Mais  ce  «  tout  »  est  l'œuvre  moins  de  la 
nature  que  des  hommes,  à  mesure  qu'ils  se  sont  constitués  en  nation 

1.  C'est  ainsi  qu'ils  réhabilitent  le  Massif  central,  discrédité  par  Élie  de  Beau- 
luont  comme  «  centre  de  répulsion  ».  Ce  n'est  plus  un  parent  pauvre  et  déshé- 
rité dans  la  famille  française;  ses  charbonnages,  ses  terroirs  à  froment  où  le 
seigle  a  été  supplanté  ont  attiré  le  peuplement  (p.  69).  Il  y  aurait  lieu  d'ajou- 
ter que  bien  des  régions  fertiles  du  bassin  parisien,  «  centre  d'atfraction  »,  sont 
aujourd'hui  désertées. 

(P.  63.)  La  France  est  riche  en  côtes  articulées  ou  «  utiles  ».  La  valeur  des 
côtes  ne  se  mesure  plus  à  leur  articulation  seulement.  Peut-être  eût-il  fallu 
mettre  le  lecteur  en  garde  contre  une  idée  encore  trop  répandue. 

(P.  244.)  Le  Rhin  éloigne-t-il  les  établissements  humains  uniquement  en  raison 
de  l'instabilité  de  son  courant?  Et  ne  faut-il  pas  attribuer  aussi  la  désertion  de 
ses  rives  à  la  bande  d'alluvions  infertiles  et  ingrates  qui  les  borde'!* 

(P.  247.)  Lire  Binge;-Loch  et  non  Bingen-Loch. 

2.  Outre  cette  caractéristique  du  paysage  français,  on  en  découvre  d'autres; 
par  exemple  la  vallée  delà  Gartempe  est  un  «  pays  français  par  excellence  »,  c'est 
celui  de  Descaries,  né  à  la  Haye-Descartes,  et  de  Richelieu;  les  Plessis 
«  étaient  originaires  »  d'Angles-sur-Anglin  (p.  197).  Voilà  de  la  géographie  «  à 
la  manière  de  »  Michelet. 


270  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

et  ont  consommé  leur  unité.  Communion  lente  et  dont  M.  Brunhes  attri- 
bue le  mérite  «  à  l'histoire  »  (p.  17).  Mais  l'histoire  n'est  pas  un  bloc; 
et  peut-être  serait-il  équitable  que  l'on  distinguât  le  rôle  de  la  monar- 
chie, assembleuse  de  terres,  et  de  la  Révolution,  organisatrice  de  la  vie 
nationale. 

Pour  être  une,  la  France  n'est  pas  uniforme,  et  les  diversités  sub- 
sistent, dont  M.  Brunhes  célèbre  comme  symboles  «  les  pâtés  d'Amiens, 
rillettes  de  Tours,  foies  gras  de  Toulouse  ou  de  Strasbourg,  pru- 
neaux d'Agen,  pâtes  de  fruits  de  Clermont,  nougats  de  Montélimar, 
pain  d'épices  de  Dijon  »  (p.  20).  La  géographie  culinaire  apparaît 
comme  une  des  disciplines  de  la  géographie  humaine. 

En  abordant,  après  la  description  du  «  cadre  permanent  »,  le  facteur 
humain,  M.  Brunhes  fait  justice  d'une  notion  fausse,  mais  qui  a  pré- 
valu pour  les  fins  de  la  haute  et  plus  souvent  de  la  basse  politique, 
celle  de  la  race.  «  La  race  n'existe  pas  »  déclare-t-il  (p.  105).  Il  ne 
veut  voir  en  France-hommes  que  la  nation  dont  il  recherche  jus- 
qu'aux plus  obscurs  et  lointains  éléments  dans  les  dolichocéphales  de 
l'ère  néolithique,  initiateurs  de  l'art,  et  les  brachycéphales,  inven- 
teurs de  la  science  (c'est  M.  Brunhes  qui  souligne  p.  115);  il  s'atten- 
drit à  saluer  ces  ancêtres.  De  ceux-là,  nous  pouvons  être  fiers  plus 
que  de  la  filiation  Hgure  dont  les.  indices  seraient  plus  matériels  et 
moins  nobles  :  «  la  chevelure  noire  ou  la  voix  criarde  de  certains  méri- 
dionaux... traits  moraux  comme  l'entêtement  des  Bretons  »,  ou  cer- 
taines survivances  chez  les  carriers  du  Limousin  et  les  bûcherons  du  Mor- 
van  (p.  22).  Quant  aux  Germains,  M.  Brunhes  ne  veut  pas  que  le  groupe 
dont  est  issu  l'Allemand  ait  fourni  à  la  France  du  matériel  humain; 
le  germanisme  qui  s'est  infiltré  en  Gaule  provient  de  la  race  nordique, 
Scandinave  et  batave,  dont  les  représentants  furent  les  Wisigoths,  les 
Normands,  les  Francs,  les  Saxons,  qui  essaimèrent  de  l'Escaut  à  l'es- 
tuaire de  la  Loire.  Les  Burgondes,  eux,  «  ont  été  à  l'origine  des 
Slaves  »  (p.  143).  Voilà  de  quoi  rasséréner  nos  Bourguignons. 

Les  colonisations  ont  laissé  des  vestiges  dans  la  toponymie,  sur 
quoi  M.'  Brunhes  a  écrit  un  de  ses  plus  instructifs  et  amusants  cha- 
pitres. Les  noms  de  lieux  sont  des  créations  du  peuple,  dit-il  avec 
raison;  les  déformations  dont  notre  carte  d'état-major  porte  trop 
d'échantillons  sont  le  fait  des  savants  :  M.  Brunhes  n'en  a  pas  épuisé 
la  liste.  Est-il  exact  que  la  génération  des  noms  de  saints  —  on  compte 
4,450  localités  sous  ces  vocables  —  soit  contemporaine  de  la  diffusion 
du  christianisme  (p.  297),  et  ces  baptêmes  ne  sont-ils  pas  souvent  pos- 
térieurs, puisqu'on  peut  dater  la  naissance  de  maintes  agglomérations? 
Autre  doute  à  propos  des  suffixes  en  heim  et  weiler  (p.  301).  M.  Brunhes 
adopte  avec  une  confiance  flatteuse  pour  M.  Tourneur -Aumont, 
«  l'homme  qui  est  aujourd'hui  le  plus  compétent  sur  les  problèmes 
alémaniques  »,  une  théorie  que  cet  auteur  a  simplement  reproduite 
d'après  des  faiseurs  d'hypothèses  allemands,  mais  dont  il  signale  la 
fragilité  [Études  de  cartographie,  p.  101). 


JEAN    BRDNHES    :    GÉOGRAPHIE    HUMAINE   DE    LA    FRANCE.  271 

Traitant  des  divisions  territoriales,  M.  Brunhes  se  félicite  que  les 
pays,  ces  favoris  des  géographes,  aient  été  en  quelque  sorte  authen- 
tiqués par  les  communiqués  du  G.  Q.  G.  (p.  338);  mais  il  s'attache  de 
préférence  aux  «  ensembles  principaux  »,  dont  il  propose  un  groupe- 
ment en*«  familles  géographiques  »  (p.  344).  Nous  n'examinerons  pas 
dans  le  détail  ce  dispositif;  remarquons  seulement,  par  exemple,  que 
l'Alsace  figure  parmi  les  «  noyaux  attractifs  »  et  non  parmi  les  pro- 
vinces frontières  où  sont  inscrits  Barrois,  Trois-Evêchés  et  Lorraine; 
que  la  Provence,  avec  Aix,  Marseille,  avec  le  Comtat-Venaissin  et  le 
comté  de  Nice,  est  désignée  comme  province  frontière  de  nom,  alors 
que  le  commentaire  en  montre  la  puissance  attractive  (p.  363)  ;  dans 
ce  classement  assez  arbitraire  et  subtil,  l'histoire  et  la  géographie  ne 
s'ajustent  pas.  On  ne  leur  en  fera  pas  grief.  Mais  il  ne  semble  pas  que 
M.  Brunhes  ait  dressé  les  châssis  des  «  régions  »  vers  lesquelles 
s'oriente  la  géographie  politique  savante  et  officielle.  Il  salue  «  l'heu- 
reuse propagande  régibnaliste  »  ;  il  ne  s'y  rallie  pas  explicitement. 
Sans  doute,  ce  problème  est  réservé  pour  le  second  volume.  M.  Brunhes 
ne  saurait  se  dérober. 

Les  derniers  chapitres  sont  consacrés  à  ce  que  les  Allemands  ont 
appelé,  comme  s'ils  l'avaient  inventé,  la  siedelungskunde.  M.  Brunhes 
a  puisé  dans  les  substantielles  études  de  ses  devanciers  ^.  Son  apport 
plus  personnel  se  manifeste  dans  «  la  géographie  des  toits  »  (p.  438), 
et  il  renverse  un  dogme,  que  le  type  du  toit  soit  en  relation  avec  la 
distribution  des  pluies. 

Nord  et  Midi  contrastent  par  ce  motif  d'architecture;  mais,  consta- 
tation curieuse  révélée  par  la  carte,  une  île  de  toits  méridionaux, 
aigus,  à  tuiles  courbes  ou  romaines,  s'étend  entre  Marne  et  Moselle. 
Quelle  est  la  raison  de  cette  anomalie?  Les  maisons,  «  serais  fonda- 
mental »  —  l'expression  étonne  de  prime  abord  —  du  peuplement, 
sont  passées  en  revue  et  décrites  à  travers  la  France.  Ce  que  le  lec- 
teur souhaiterait,  c'est  un  signalement  caractéristique  de  ce  qui,  dans  la 
structure,  l'aménagement,  le  style,  procède  des  conceptions  proprement 
françaises,  nationales  ou  régionales.  La  littérature  du  sujet  est  assez 
copieuse  déjà  pour  permettre  des  comparaisons  qui  fassent  droit  aux 
originalités  locales. 

La  conclusion,  ou,  selon  un  terme  plus  relevé,  «  l'épilogue  »,  con- 
firme des  arguments  aujourd'hui  classiques  auxquels  M.  Brunhes 
ajoute  l'autorité  de  son  nom.  «  11  nous  semble  qu'au-dessus  de  la  mul- 
titude des  faits  secondaires  se  détachent  deux  types  de  régions... 
régions  géographiques  et  régions  historiques,  ces  dernières  «  sou- 
bassement logique  des  groupes  ou  sous-groupes  politiques  ».  Mais 
joici  la  profession  de  foi  :  «  De  la  géographie  naturelle  et  mécanique 
sort  une  géographie  humaine  de  plus  en  plus  compliquée  et  métho- 

1 .  Il  n'a  pu  faire  état  de  l'article  de  Demangeon,  VHabilalion  ntrale  en  France, 
qui  a  paru  dans  les  Annales  de  géographie  (15  septembre  1920). 


272  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

dique  et,  si  l'on  peut  dire  ainsi,  de  plus  en  plus  volontaire...  La  géo- 
graphie physique  est  partout  suivie  et  enveloppée,  dominée  et  même 
contredite  par  la  géographie  humaine.  » 

«  Dominée  et  contredite  ».  Retenons  cette  revendication  (Je  l'émi- 
nente  dignité  de  la  science  dont  M.  Brunhes  est  un  des  maîtres;  il 
place,  s'il  est  permis  de  dire,  le  spirituel  au-dessus  du  temporel;  et 
cette  doctrine  doit  inspirer  l'enseignement  pour  produire  toute  sa  vertu 
éducative  dans  l'école  et  dans  la  cité. 

On  éprouve  quelque  peine  à  juger  l'illustration,  parce  qu'elle  est 
l'œuvre  d'un  artiste  prématurément  disparu,  Auguste  Lepère,  dont 
M.  Ilanotaux  a  dit  la  scrupuleuse  et  enthousiaste  randonnée  à  travers 
le  pays  de  France  pour  en  traduire  les  aspects.  A  feuilleter  ces  images, 
on  se  demandera  toujours  si  Auguste  Lepère  a  exprimé  tout  ce  que 
son  œil' a  saisi,  tout  ce  que  son  cœur  a  senti.  C'est  à  une  géographie 
qu'il  a  collaboré.  De  parti  pris,  le  procédé  photographique  a  été  pros- 
crit (p.  9).  Certes,  la  photographie,  encore  qu'elle  ait  son  esthétique, 
peut  pécher  par  sécheresse,  par  impersonnalité;  elle  ne  rend  pas  «  un 
état  d'âme  »  ;  mais  elle  est  plus  documentaire  que  le  croquis  ou  le 
tableau.  Ayons  le  courage  d'avouer  que  dans  ce  volume  les  dessins  ou 
compositions  dont  nous  n'avons  pas  à  apprécier  la  technique  ne  con- 
tentent pas  toujours  et,  par  endroits,  étonnent  notre  vision  ;  nous  cher- 
chons ici  des  démonstrations  plutôt  que  des  sensations  même  styli- 
sées. 

B.  AUERBACH. 


A.  F.  Whyte.  The  practice  of  diplomacy,  being  an  English 
rendering  of  François  de  Callières  «  De  la  manière  de  négo- 
cier avec  les  souverains  »,  presented  with  an  introduction. 
Londres,  Constable  et  G'^  1919.  In-8°,  xxiv-146  pages. 

François  de  Caillières  (et  non  Callières)  est  aujourd'hui  bien  oublié. 
Cependant  ce  petit  noble  de  Thorigny  a  été  chargé  de  nombreuses 
missions  en  Pologne  (1670,  1674,  1682),  en  Hollande,  en  Savoie,  en 
Bavière.  Dès  1694,  il  a  préparé  les  négociations  de  paix,  et  il  a  été  l'un 
des  trois  plénipotentiaires  français  à  Ryswick.  M.  Delavaud,  dans  un 
excellent  article  de  la  Grande  Encyclopédie*,  signalait  que  ses  lettres 
à  la  marquise  d'Huxelles  sur  ces  négociations  sont  à  la  Bibliothèque 
nationale,  et  que  des  parties  de  sa  correspondance  diplomatique  se 
trouvent  aux  Archives  nationales,  à  la  Bibliothèque  nationale,  aux 
Archives  des  Affaires  étrangères. 

Membre  de  TAcadénxie  française  dès  1689,  son  principal  ouvrage  est 
De  la  manière  de  négocier  avec  les  souverains,  de  Vutilité  des 

1.  Voy.  aussi  E.  de  Barthélémy,  la  Marquise  d'Huxelles  et  ses  amis,  les  notes 
de  Boislisle  au  t.  III  de  Saint-Simon  (p.  253-301)  et  l'article  d'Oursel  dans 
Nouvelle  JJibliothèque  normande. 


N.  lOHGA  :  HISTOIRE  DES  ROUMAINS  ET  DE  LEOR  CIVILISATION.  273 

négociations,  du  choix  des  ambassadeurs  et  des  envoyez,  et  des 
qualitez  nécessaires  pour  réussir  dans  ces  employs...,  qui  parut 
à  Paris,  chez  Brunet,  en  1716,  en  un  in-12  de  viii-400  pages.  On  en 
connaît  des  rééditions  à  Amsterdam  et  à  Bruxelles  dès  1716,  puis  des 
éditions  amplifiées  en  deux  volumes  (le  second  n'est  pas  de  Caillières) 
à  Londres  et  à  Ryswick  en  1750.  Dès  lors,  on  n'en  entend  plus  parler, 
quoique  l'ouvrage  ait  été  traduit  en  anglais,  en  allemand,  en  italien, 
au  dire  des  bibliographes. 

M.  Whyte  a  pensé  que,  par  ce  temps  de  «  crise  »  de  la  diplomatie, 
une  traduction  anglaise  de  ce  vieil  ouvrage  français  serait  la  bienvenue. 
Donnera-t-elle  à  un  éditeur  français  l'idée  de  rééditer  le  texte  de 
1716,  dont  M.  Whyte  s'est  servi? 

Sa  préface,  qui  n'est  pas  dépourvue  d'humour,  insiste  sur  un  sujet 
très  actuel,  la  différence  entre  la  «  diplomatie  secrète  »  et  le  «  secret 
de  la  diplomatie  ».  C'est  un  point  sur  lequel  je  me  suis  expliqué  ail- 
leurs^.  Les  expériences  que  nous  avons  faites  récemment  de  la  diplo- 
matie à  ciel  ouvert  ne  sont  pas  pour  nous  faire  changer  d'avis,  ni 
M.  Whyte  ni  moi.  Ni  la  paix  du  monde  ni  les  bons  rapports  entre  les 
peuples  n'ont  rien  à  gagner  à  cette  façon  naïve  et  brutale  de  mener  les 
négociations.  Le  monde  sera  peut-être  heureux  quand  les  philosophes 
seront  rois,  mais  il  ne  l'est  pas  quand  ils  sont  diplomates.  Et,  ce  qui 
est  assez  déconcertant,  la  soi-disant  diplomatie  ouverte,  si  elle  tire  les 
négociations  du  secret  des  bureaux  et  des  cabinets,  s'accommode  fort 
bien  de  l'hypersecret  d'un  salon  où  siègent,  sans  contrôle,  trois  ou 
quatre  dictateurs  du  monde. 

Il  y  aura  donc  encore  à  faire  pour  les  diplomates  professionnels,  et 
ils  feront  bien  de  relire  Caillières.  De  le  relire  en  l'adaptant  aux  néces- 
sités de  la  vie  moderne.  C'est  un  fait  qu'en  tout  pays,  en  Angleterre 
comîhe  en  France,  et  jusqu'en  Suisse,  on.  se  plaint  à  l'heure  actuelle 
de  l'infériorité  du  personnel  diplomatique.  «  Les  ambassades  britan- 
niques sont  toujour^les  citadelles  de  la  tradition.  »  La  cause  profonde 
de  ce  mal,  c'est  que  l'opinion  publique  n'est  pas  instruite  des  questions 
de  politique  étrangère  et  y  demeure  indifférente.  Nous  ne  pouvons 
entrer  ici  dans  le  détail  des  réformes  que  M.  Whyte  préconise,  notam- 
ment pour  établir  un  lien  entre  le  «  Foreign  Office  »  et  le  «  Diploma- 
tie Service  ». 

Henri  Hauser. 


N.  lORGA.  Histoire  des  Roumains  et  de  leur  civilisation.  Paris, 
Henry  Paulin,  1920.  In-8%  289  et  xviii  pages.  Prix  :  12  fr. 

L'auteur,  qui  a  rendu  de  grands  services  à  la  cause  française  et  dont 
l'œuvre  historique  est  déjà  considérable,  mérite  quelques  notes  bio- 

1.  A  propos  de  Démocratie  et  politique  étrangère  de  M.  Joseph-Barlhéleray 
(dans  le  Parlement  et  l'opinion,  mai  1919). 

Rrv.  Histor.  (^XXXVL  2"  fasc.  18 


274  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

graphiques  dans  cette  Revue  où,  depuis  longtemps,  il  apporte  sa  colla- 
boration. 

Nicolas  lorga  (Jorga  est  une  forme  employée  fautivement  en  France, 
mais  jamais  en  Roumanie)  est  né  en  1871  à  Botosani  (Moldavie). 
Après  avoir  pris  sa  licence  es  lettres  à  l'Université  de  lassy,  en 
décembre  1889,  il  professa  quelque  temps  au  lycée  de  Ploïesti.  Il 
obtint  alors  une  bourse  du  ministère  de  l'Instruction  publique  pour 
suivre  les  cours  de  la  Sorbonne  et  de  l'École  des  Hautes-Études  ;  il  con- 
quit le  titre  d'élève  diplômé  de  cette  École  par  une  thèse  remarquée 
sur  Philippe  de  Mézières  (13^1-lk06)^.  Comme  les  étudiants  bour- 
siers devaient  en  outre  s'initier  aux  méthodes  allemandes,  il  suivit 
ensuite  les  cours  des  Universités  de  Berlin  et  de  Leipzig,  où  il  pré- 
senta, en  français,  une  thèse  de  doctorat  intitulée  Thomas  III,  mar- 
quis de  Saluées. 

Lorsque  M.  lorga  fut  nommé  professeur  à  l'Université  de  Bucarest, 
il  avait  pu  glaner,  dans  les  principales  bibliothèques  d'Europe,  des 
documents  qui  intéressaient  l'histoire  de  son  pays  et  aussi  celle  des 
croisades  postérieures  au  xiii*  siècle  2;  la  publication  critique  de  ces 
documents  occupe  plusieurs  volumes  3.  En  même  temps,  il  publiait  de 
nombreux  et  importants  ouvrages  d'histoire,  des  impressions  de 
voyage,  des  traductions,  des  poésies;  il  faisait  même  jouer  au  théâtre 
un  drame  en  vers  roumains.  Il  collaborait  assidûment  au  Bulletin 
historique  de  l'Académie  roumaine  et  au  Bulletin  de  l'Institut 
pour  l'étude  de  l'Europe  sud  orientale.  Il  dirigeait,  en  outre,  un 
journal  quotidien,  le  Neamul  Româ7iesc,  où  il  assume,  régulière- 
ment, la  charge  de  l'article  de  fond*. 

M.  lorga  qui,  dès  ses  débuts,  avait  montré  un  alerte  esprit  de  com- 
bativité dans  des  articles  de  critique^  donnés,  en  langue  française,  à 
un  journal  quotidien  de  Bucarest,  était  préparé  à  la  carrière  politique 
où  il  joue  un  rôle  éminent  comme  député  de  lassy.  Durant  la  guerre 
mondiale,  il  soutint  la  cause  de  l'Entente  avec  une  "conviction  ardente  et 
persuasive;  plus  tard,  alors  que  les  armées  allemandes  poursuivaient 
les  troupes  roumaines  en  retraite,  M.  lorga,  notamment  le  27  décembre 

1.  Phillippe  de  Mézières  (1327-1W6)  et  la  croisade  au  XIV'  siècle.  Fasci- 
cule 110  de  la  Bibliothèque  de  l'École,  1896. . 

2.  Notes  et  extraits  pour  servir  à  l'histoire  des  Croisades  au  XV°  siècle; 
cf.  Rev.  histor.,  t.  CXX,VII1,  p.  304. 

3.  Studii  si  documente  eu  privire  la  Istoria  Romînilor  (33  vol.).  —  Acte 
si  fragmente  eu  privire  la  Istoria  Romînilor.  —  Acte  din  secolul  al  XVJl^a. 
—  Extrade  din  corespondenla  ambasadorilor  Prusieni.  —  Acte  relative  la 
razboaele  si  cuceririle  lui  Mihai  Voda  Viteazul.  —  Docximenté  privitoare  la 
familia  Cantacuzino.  —  Documente  privitoare  la  familia  Callimachi.  — 
Documente  rominesti  din  archivele  Bistritei,  etc. 

4.  Quelques-uns  de  ces  articles  ont  été  traduits  en  français  :  Payes  roumaines 
(Paris  1918). 

5.  Réunis  en  un  volume  :  Opinions  sincères.  La  vie  intellectuelle  des  Rou- 
mains en  1899  (Bucarest). 


N.  lORGA  :  OISTOIRE  DES  ROUMAINS  ET  DE  LEUR  CIVILISATION.        275 

1916,  dans  un  mémorable  discours  tout  drapé  de  souvenirs  glorieux  et 
frissonnant  d'idéal,  fut  l'éloquent  interprète  delà  patrie  blessée.  Après 
notre  victoire,  il  fut  élu  président  de  la  Chambre  des  députés  du  pre- 
mier parlement  de  la  grande  Roumanie  et  le  gouvernement  de  la 
République  française  a  reconnu  les  éminents  services  qu'il  avait  ren- 
dus à  notre  cause  en  l'élevant  au  grade  de  commandeur  de  la  Légion 
d'honneiir. 

En  publiarit  une  Histoire  des  Roumains  et  de  leur  civilisatioriy 
M.  N.  lorga  a  voulu  mettre  à  la  portée  du  public  français  un  ouvrage 
de  vulgarisation.  Nous  avions  déjà,  en  langue  française,  deux  ouvrages 
sur  l'histoire  de  la  Roumanie  :  VHistoire  des  Roumains  de  la  Dacie 
Trajane*,  où  feu  Xénopôl  a  condensé  la  substance  des  six  volumes  de 
son  Istoria  Romînilor.^  malheureusement  sans  utiliser  suffisamment 
les  riches  archives  de  son  pays,  et  un  ouvrage  honorable  et  superfi- 
ciel de  F.  Damé  :  Histoire  de  la  Roumanie  contemporaine^. 
M.  lorga  était  préparé  à  renouveler  les  ouvrages  antérieurs,  non  seu- 
lement par  une  longue  pratique  des  documents  originaux,  mais  encore 
par  les  nombreuses  publications  où  il  avait  traité  l'histoire  de  l'Orient^, 
de  la  Roumanie^,  des  Roumains  en  dehors  du  royaume^,  des  rapports 
de  la  Roumanie  avec  les  autres  pays  s. 

Dans  VHistoire  des  Roumains  et  de  leur  civilisation,  l'auteur 
brosse  à  larges  traits  un  tableau  des  pays  qui  ont  servi  de  base  terri- 
toriale à  la  nation  roumaine.  Entre  des  régions  aussi  variées  que  la 
Transylvanie,  la  Valachie,  la  Moldavie,  la  Bessarabie,  les  deux  prin- 
cipes d'unité  sont,  d'une  part,  la  montagne  qui  a  abrité  les  meilleurs 
éléments  de  la  nationalité  roumaine  et,  d'autre  part,  le  fleuve  qui, 
réunissant  toutes  les  eaux  descendues  des  Alpes  transylvaines,  pro- 
tège et  féconde  le  pays. 

La  romanisation  des  Daces,  pasteurs  et  guerriers,  avait  toujours  été 
présentée  comme  une  conséquence  de  la  conquête  de  la  Dacie  par 
Trajan,  au  ii«  siècle  de  notre  ère.  Cette  explication  était  appuyée  sur 
un  texte  d'Eutrope  :  «  Ex  toto  orbe  romano  infinitas  copias  hominum 
eo  transtulerat  ad  agros  et  urbes  colendos  ».  Mais,  d'après  M.  lorga, 

1.  Histoire  des  Roumains  de  lu  Dacie  Trajane  depuis  les  origines  jus- 
qu'àVunion  des  principautés  en  1859,  par  A.-D.  Xénopol  (2  vol.,  1896). 

2.  Histoire  de  la  Roumanie  contemporaine,  1822-1900,  par  F.  Damé 
(1900). 

3.  Geschichte  des  Osmanichen  Reiches  (5  vol.  in-8',  Gotha,  1909-1913).  — 
Histoire  des  États  balcaniques  à  l'époque  moderne  (Bucarest,  1914). 

4.  Geschichte  des  Rumûnischen  Volkes  (2  vol.  in-8°,  Gotha,  1905). 

5.  Histoire  des  Roumains  de  Transylvanie  et  de  Hongrie  (2  vol.,  1917).  — 
Histoire  des  Rou7nains  de  Bucovine,  1775-191i  (1917).' 

6.  Histoire  des  relations  entre  la  France  et  les  Roiimains  (Paris,  1918).  — 
Histoire  des  relations  anglo-roumaines  (lassy,  1917).  —  Histoire  des  relations 
russo-roumaines  (lassy,  1917).  Cf.  Rev.  histor.,  t.  CXXIV,  p.  115;  t.  CXXVl, 
p.  166;  t.  CXXVII,  p.  159  ;  t.  CXXX,  p.  365,  366;  t.  GXXXI,  p.  372;  t.  CXXXIII, 
p.  305;  t.  CXXXIV,  p.  15G. 


276  COMPTES-RENDOS   CBITIQDES. 

ce  n'est  qu'un  texte  «  de  rhéteur  et  de  maître  d'école,  complètement 
étranger  aux  raisons  politiques  et  au  sens  de  la  réalité  ».  L'existence 
d'une  ville  romaine,  Drubetis,  antérieure  à  la  conquête  officielle,  le 
passage  de  marchands  latins,  témoigné  par  la  découverte  de  monnaies, 
et,  surtout,  la  comparaison  avec  les  phénomènes  de  dénationalisation 
dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays,  l'amènent  à  conclure  que 
la  romanisation  de  la  Dacie  se  rattache  au  grand  mouvement  d'émi- 
gration rurale  qui  se  produisit  en  Italie  vers  les  derniers  temps  de  la 
République.  Les  légionnaires  qui  furent  établis,  plus  tard,  dans  les 
camps  du  Danube  et  des  Carpathes  ne  firent  que  renforcer  cette  colo- 
nisation première.  Cette  dualité  d'origine  a  laissé  des  traces  dans  le 
langage  :  «  Il  y  eut,  en  effet,  un  caractère  militaire,  de  même  qu'un 
caractère  rural  dans  le  latin  vulgaire  qui  devint,  après  nombre  de 
mélanges  ultérieurs,  la  langue  roumaine.  » 

En  l'an  270 ,  «  après  de  longs  combats  malheureux  contre  les 
Goths  »,  un  décret  d'Aurélien  ordonna  l'abandon  des  régions  coloni- 
sées de  la  rive  gauche  du  Danube.  La  thèse,  exposée  en  1871  par 
Rœsler  dans  ses  Romanische  Studien  et  reprise  par  l'historien  hon- 
grois de  Bertha,  présente  cet  abandon  comme  une  émigration  totale 
des  colons  romains  ou  romanisès;  aussi  leur  retour  au  moyen  âge 
devient-il  une  véritable  énigme  historique;  mais  cette  énigme  est  fac- 
tice. Sans  doute,  «  sans  la  protection  des  soldats  les  villes  furent 
abandonnées  »  et  «  avec  l'administration  disparut  tout  ce  qui  servait 
à  l'exploitation  économique  du  territoire  et  qui  en  formait  le  décor  »  ; 
mais  la  population  rurale,  habituée  au  voisinage  des  Barbares,  jie  sui- 
vit pas  les  légions  dans  leur  déplacement  vers  le  territoire  de  la  rive 
droite  du  Danube  «  qui,  pour  sauver  les  apparences,  devint  une  nou- 
velle Dacie  ». 

Pendant  la  domination  des  peuples  de  la  steppe  jusqu'à  la  fonda- 
tion des  principautés,  on  pourrait  supposer  que  l'influence  slave  devient 
prépondérante,  mais  elle  est  médiocre  en  réalité,  comme  on  peut  le 
constater  «  par  l'examen  des  sources  historiques  ou  bien  par  l'étude 
des  mœurs  et  de  la  langue  ». 

Malgré  les  vicissitudes,  l'idée  d'empire  persiste;  aussi  des  États 
paysans  avec  un  domn  (dominus)  réussissent-ils  à  se  constituer.  En 
1330,  Bessarab  est  vraiment  suzerain  de  la  principauté  de  Valachie 
après  la  défaite  de  Charles-Robert,  roi  de  Hongrie,  à  Posada,  au  nord 
de  Câmpulung;  dans  une  miniature  contemporaine  de  la  Chronique 
officielle,  «  on  voit  la  brillante  chevalerie  du  roi  défilant  hâtivement 
au-dessous  des  pics  que  garnissent  des  paysans  roumains;  ceux-ci 
portent  de  longues  jaquettes  de  peau,  de  longs  manteaux  de  laine,  des 
braies  étroites,  collant  sur  le  pied;  ils  ont  de  hauts  bonnets  pointus 
de  fourrure  par-dessus  les  lohgues  boucles  de  leur  chevelure  ;  les  uns 
travaillent  à  jeter  l'effroi  au  milieu  des  ennemis,  qui  seront  écrasés 
bientôt  par  le  poids  des  pierres  détachées  du  rocher  protecteur  ou  tués 
en  détail  à  coups  de  massue  ». 


N.  lORGA  :  HISTOIRE  DES  ROCMAINS  ET  DE  LEUR  CIVILISATION.        277 

Vers  le  milieu  du  xiv"  siècle,  une  seconde  principauté  roumaine 
est  fondée  en  Moldavie  ;  elle  ne  demeure  pas  confinée  dans  les  val- 
lées des  Carpathes,  mais  s'étend  vers  le  Dniester  :  la  Bessarabie,  ainsi 
appelée  parce  qu'elle  avait  appartenu  à  la  dynastie  de  Bessarab, 
devient  une  terre  moldave. 

L'Empire  turc  est  le  nouvel  ennemi  qui  menace  les  Roumains.  La 
lutte  contre  lui  est  vaillamment  conduite  par  des  princes  énergiques  : 
au  xv^  siècle,  par  Etienne  le  Grand,  prince  de  Moldavie;  à  la  fin  du 
XVJB,  par  Michel  le  Brave,  prince  de  Valachie,  qui  soumet  également 
à  son  pouvoir  la  Moldavie  et  la  Transylvanie,  roumaine  de  race  et  de 
religion,  réalisant  ainsi,  pendant  un  temps,  le  rêve  d'unité  de  toute  la 
nation  roumaine. 

Au  XV*  et  au  xvi«  siècle,  l'art  roumain  se  développe  dans  les  édi- 
fices religieux  :  «  C'est  l'église  byzantine  que  l'on  trouve  en  pays 
orthodoxe,  mais  les  architectes  moldaves  ont  apporté  des  modifica- 
tions pour  l'adapter  à  un  climat  de  neiges  hivernales...  Au  milieu, 
comme  une  fleur  qui  s'élève  entre  les  feuilles  qui  la  protègent,  la  tour 
repose  sur  un  double  appui  de  polygones  inscrits  l'un  dans  l'autre,  qui 
est  une  invention  technique  ».  C'est  à  cette  époque  aussi  que  la  litté- 
rature, qui  sera  représentée  au  siècle  suivant  par  des  chroniqueurs, 
débute  par  des  publications  d'ouvrages  religieux  en  langue  roumaine. 

Au  xviiF  siècle,  les  princes  indigènes  sont  remplacés  par  des  princes 
grecs,  les  Phanariotes  (du  Phanar  de  Constantinople),  fonctionnaires 
du  sultan  ;  mais,  malgré  cette  complète  décadence  politique,  le  carac- 
tère national  se  maintient  dans  les  chroniques  et  la  langue  d'église. 
En  même  temps,  la  culture  française  trouve  des  adeptes  fervents  dans 
la  classe  des  boïars. 

Les  principautés  danubiennes,  au  xix^  siècle,  échappent  au  joug  du 
sultan  et  à  la  menace  moscovite.  Les  étapes  de  l'émancipation  sont 
marquées  par  la  tentative  de  Tudor  Vladimiresco  en  1821,  le  mouve- 
ment révolutionnaire  de  1848,  la  concession  de  l'indépendance  au 
Congrès  de  Paris,  enfin  par  l'union  des  principautés  :  «  En  janvier 
1862,  il  n'y  avait  plus  qu'une  seule  Roumanie.  »  Le  prince  de  Rouma- 
nie, Charles  de  Sigmaringen,  allié  à  la  famille  Napoléon  comme  des- 
cendant à  la  fois  des  Beauharnais  et  des  Murât,  prend  le  titre  de  roi 
en  1881. 

Cette  évolution  politique  favorise  le  renouveau'  national  des  lettres 
roumaines.  Dès  le  premier  tiers  du  xix^  siècle,  Jean  Héliade  en  Vala- 
chie, Georges  Asaki  en  Moldavie  attirent  l'attention  sur  la  création 
d'une  littérature  nationale.  A  cet  appel  répondent  des  prosateurs 
comme  Constantin  Negruzzi,  Jean  Ghica,  Nicolas  Balcesco,  Alexandre 
Odobesco,  Mihaïl  Kogalniceano;  des  poètes  comme  Alexandresco, 
Bolintineano  et  surtout  Basile  Alexandri  qui  interprète  avec  un  talent 
enchanteur  et  facile  les  côtés  aimables  de  la  civilisation  roumaine. 
Après  eux  vient  une  nouvelle  génération  d'écrivains  :  les  poètes 
comme  Eminesco,  qui  peut  prendre  rang  parmi  les  grands  lyriques 


278  COMl'TES-fiENDUS  CRITIQUES. 

européens,  Cosbuc,  losif,  Cerna;  les  historiens  et  les  critiques  comme 
Xenopol,  Maïoresco  '  ;  les  hommes  de  théâtre  et  les  conteurs  comme 
Caragiale,  Creanga,  Delavrancea,  etc.  Les  arts  sont  principalement , 
représentés  par  un  peintre  éminent,  Grigoresco,  et  par  un  grand  musi- 
cien Georges  Enesco. 

Au  dernier  chapitre,  écrit  avant  la  fin  des  hostilités,  l'historien  con- 
clut «  qu'il  y  a  dans  cet  Orient  carpatho-danuhien  un  peuple  de  qua- 
torze millions  d'âmes,  d'une  ancienne  civilisation  originale,  qui  ne 
demande,  en  échange  de  ses  souffrances  millénaires,  dont  la  civiUsa- 
tion  du  monde  chrétien  a  profité,  que  le  respect  dû  à  ses  droits  incon- 
testables ».  » 

Dans  son  ensemble,  l'ouvrage  montre  bien  l'évolution  de  la 
nation  roumaine;  mais  l'auteur,  pressé  par  le  temps,  à  côté  d'in- 
téressants aperçus,  trop  souvent  a  juxtaposé  les  faits  historiques 
comme  dans  un  précis  ;  aussi  —  et  c'est  là  une  critique  sérieuse  à 
l'égard  d'un  ouvrage  de  vulgarisation  —  faut-il  être  déjà  un  peu  fami- 
liarisé avec  l'histoire  du  pays  pour  comprendre  la  valeur  de  cette  éru- 
dition abondante  et  ramassée.  Maintenant  que  la  grande  Roumanie 
n'est  plus  un  rêve  millénaire,  mais  une  vivante  réalité,  il  serait  à  sou- 
haiter que  son  historien  national  voulût,  dans  une  nouvelle  édition 
refondue  de  son  ouvrage,  lui  élever  le  monument  dont  elle  est  digne 
et  dont  il  est  capable  d'être  l'architecte. 

Septime  Gorceix. 


D""  Wlad.  W.  Kaplun-Kogan.  Die  judischen  Wanderbewegun- 
gen  in  der  neuesten  Zeit  (1880-1914).  Bonn,  A.  Marcus  et 
E.  Weber,  1919.  1  vol.  in-8°,  80  pages.  Prix  :  4  m.  80. 

C'est  une  importante  contribution  à  l'histoire  de  la  question  juive. 
L'auteur  a  étudié  avec  grand  soin  les  statistiques,  qui  lui  ont  permis 
de  dresser  de  nombreux  tableaux  très  instructifs.  Il  a  tiré  bon  parti 
aussi  des  ouvrages  qui  touchent  à  son  sujet,  et  dont  il  nous  donne 
une  utile  bibliographie. 

L'émigration  des  Juifs  de  Roumanie,  de  Galicie  et  de  Russie  est  un 
phénomène  tout  récent,  qui  ne  remonte  qu'à  une  trentaine  d'années. 
M.  Kaplun-Kogan  en  étudie  les  causes  ;  ce  n'est  pas  leurs  croyances 
religieuses  qui  incitent  les  Juifs  à  quitter  le  pays  qu'ils  habitent,  mais 
des  raisons,  soit  juridiques,  soit  économiques.  —  En  Roumanie,  les 
Juifs  (environ  300,000)  ne  sont  pas  trop  nombreux  et  ils  pourraient 
trouver  aisément  un  emploi  à  leur  activité  économique,  si  des  lois  et 
des  mesures  d'exception  de  tout  genre  ne  leur  rendaient  la  vie  très  dif- 
ficile, pour  ne  pas  dire,  en  bien  des  cas,  impossible.  Aussi,  en  qua- 

1.  Voir  l'Anthologie  de  la  littérature  roumaine,  des  origines  au  XX"  siècle, 
par  N.  Jorga  et  Septime  Gorceix  (Paris,  Delagrave,  1920). 


KAPLDN-KOGAN  :  DIE  JCDISCITEIV  WANDERBEWEGDKGEN  1880-1914.      279 

torze  ans,  120,000  Juifs  ont-ils  émigré,  environ  un  tiers  de  l'effectif. 
En  Galicie,  le  régime  juridique  est  satisfaisant,  mais  les  Juifs,  qui, 
au  nombre  de  871,000,  constituent  le  dixième  de  la  population  totale, 
et  qui  sont  concentrés  presque  uniquement  dans  les  villes,  ont  bien 
de  la  peine  à  vivre  :  presque  tous  sont  artisans  ou  petits  commer- 
çants, et  ils  sont  beaucoup  trop  nombreux  pour  les  métiers  qu'ils 
exercent.  —  En  Russie,  les  Juifs  sont  victimes  de  mauvaises  condi- 
tions, d'ordre  tout  à  la  fois  juridique  et  économique.  Ils  sont  soumis 
à  tout  un  ensemble  de  mesures  vexatoires  ;  on  les  a  concentrés  dans 
les  provinces  de  l'ouest  (principalement  en  Pologne);  ils  sont  tenus 
d'habiter  les  villes;  leurs  biens  et  leurs  vies  ont  été,  à  tout  instant, 
menacés  par  des  pogroms.  En  Russie,  comme  en  Galicie,  les  Juifs 
sont  presque  uniquement  artisans  et  petits  marchands,  et  ils  se  font 
une  concurrence  désastreuse,  pouvant  d'autant  plus  difficilement  vivre 
que  les  progrès  de  la  grande  industrie  ruinent  beaucoup  de  petites 
exploitations.  D'autre  part,  les  Juifs  répugnent  au  métier  d'ouvriers 
de  fabriques;  ils  sont  très  peu  nombreux  dans  les  usines  :  47,000  pour 
une  population  totale  de  six  millions  d'âmes.  Même  dans  les  fabriques 
qui  appartiennent  à  des  Juifs  (et  il  y  en  a  1,200  sur  un  total  de  4,200), 
le  nombre  des  ouvriers  de  cette  même  religion  est  en  nombre  infime. 

Voilà  les  raisons  qui  expliquent  l'intensité  de  l'émigration  juive. 
De  1880  à  1914,  les  émigrants  juifs  comptent  pour  plus  de  trois  mil- 
lions, dont  près  de  deux  millions  de  Russes  (voy.  le  tableau  général  de 
l'émigration,  p.  19),  et  leur  nombre  s'est  accru  d'année  en  année  ;  81  % 
sont  partis  aux  États-Unis,  et  la  moitié  de  ces  derniers  s'est  établie  à 
New-York.  Le  plus  grand  nombre  d'entre  eux  sont  venus  avec  femme 
et  enfants;  c'est  dire  qu'ils  se  sont  expatriés  sans  esprit  de  retour. 
Leurs  ressources  personnelles  étaient  faibles,  puisque,  parmi  les  émi- 
grants, 4  à  7  %  seulement  possédaient  cinquante  dollars  et  au-dessus, 
25  à  30  o/o  étaient  dénués  de  tout  argent.  Par  contre,  le  nombre  des 
illettrés  (28  %)  est  moins  considérable  chez  les  Juifs  que  dans  les 
autres  catégories  d'émigrants.  Parmi  les  Juifs  qui  se  sont  réfugiés  aux 
Etats-Unis,  les  artisans  et  les  petits  marchands  sont  les  plus  nom- 
breux (35  et  38  o/o),  car  ce  sont  eux  qui  avaient  le  plus  de  peine  à 
vivre  dans  leur  pays  d'origine;  les  commerçants  aisés,  les  banquiers, 
les  commis  n'émigrent,  au  contraire,  qu'en  petit  nombre;  quant  aux 
personnes  appartenant  aux  professions  libérales,  elles  ne  représentent 
même  pas  1  °/o  du  total  des  émigrants.  —  Dans  les  autres  pays,  l'émi- 
gration juive  est  bien  moins  importante  ;  au  Canada,  48,000;  dans  la 
République  argentine,  30,000;  en  Angleterre,  240,000;  en  Allemagne, 
50,000;  en  France,  00,000;  dans  l'Afrique  australe,  25,000;  en  Egypte, 
22,000;  en  Palestine  et  en  Asie  Mineure,  70,000.  Et  encore,  parmi  les 
Juifs  qui  ont  émigré  en  Angleterre,  beaucoup  se  proposaient  de  repar- 
tir pour  les  États-Unis. 

Dans  un  dernier  chapitre,  M.  Kaplun-Kogan  examine  les  consé- 
quences de  l'émigration.  Il  ne  semble  pas  qu'elle  ait  modiflé  sensible- 


280  COMPTES-BENDOS  CRITIQUES. 

ment  la  condition  des  Juifs  qui  sont  restés  en  Galicie  et  en  Russie, 
et  que  la  vie  leur  soit  devenue  plus  facile.  Mais  les  émigrants,  au 
contraire,  ont  pu  souvent  se  féliciter  d'avoir  changé  de  patrie.  Sans 
doute,  beaucoup  d'entre  eux  continuent  à  végéter  dans  les  petits 
métiers,  notamment  dans  les  diverses  industries  du  vêtement  où  fleu- 
rit le  sweating -System;  mais  il  en  est  aussi  qui  se  sont  élevés  à  une 
condition  supérieure,  qui  sont  devenus  patrons,  surtout  dans  la  «  con- 
fection »,  presque  tout  entière  aux  mains  des  Juifs  à  New- York.  A 
mesure  qu'ils  s'américanisent,  les  Juifs  se  trouvent  de  plus  en  plus  en 
état  de  participer,  d'une  façon  brillante,  à  la  vie  économique  de  leur 
patrie  d'adoption.  —  Tandis  qu'en  Amérique  les  émigrants  vivent 
groupés,  dans  l'Europe  occidentale  ils  ont  tendance  à  se  disperser, 
car  ils  sont  trop  peu  nombreux  pour  former  des  centres  compacts. 
L'auteur  remarque  que  l'émigration  peut  d'ailleurs  indirectement  agir 
d'une  façon  heureuse  sur  la  condition  de  ceux  qui  n'ont  pas  quitté 
l'Europe  orientale.  En  efîet,  en  Angleterre,  et  surtout  aux  États-Unis, 
les  Juifs  sont  assez  nombreux  et  influents  pour  agir  sur  l'opinion 
publique;  c'est  ainsi  que  nulle  part  les  protestations  contre  les 
pogroms  n'ont  été  aussi  vigoureuses  qu'en  Amérique.  Quant  à  l'érpi- 
gration  en  Palestine,  qui  se  rattache  au  mouvement  sioniste,  et  sur 
laquelle  l'auteur  ne  donne  que  peu  de  détails,  elle  peut  faire  miroiter 
aux  yeux  des  Juifs  une  espérance  salutaire. 

Henri  SÉE. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 

1.  —  Annales  révolutionnaires.  1921,  mars-avril.  —  Albert 
Mathiez.  L'intri^me  de  La  Fayette  et  des  généraux  au  début  de  la 
guerre  de  1792  (au  lieu  de  s'entendre  pour  une  offensive  rapide  qui  eût 
été  sans  doute  victorieuse,  ces  généraux  s'attardèrent  à  des  intrigues 
qui,  pendant  deux  mois,  permirent  à  l'ennemi  de  terminer  ses  prépa- 
ratifs. Ainsi  fut  perdue  l'avance  qu'avait  au  début  l'armée  française). 

—  M.  DoMMANGET.  Santerre  dans  l'Oise.  —  R.  Harmand.  PouUain- 
Grandprey  et  ses  correspondants;  lettres  inédites;  suite.  —  Albert 
Mathiez.  Un  mémoire  inédit  de  Real  pour  sa  défense  (écrit  en  pri- 
son en  l'an  II  ;  important  pour  l'histoire  de  la  Commune  de  Paris).  — 
M.  DOMMANGET.  La  Société  populaire  de  Coutances  et  le  problème  de 
l'éducation  (d'après  le  registre  de  ses  publications).  =  C. -rendus  : 
G.  Dodu.  Trois  mois  à  Paris  sous  la  Terreur  :  pluviôse,  ventôse,  ger- 
minal an  II  (compilation  hâtive  «  où  rien  n'est  approfondi,  contrôlé, 
expliqué  »).  —  P.  Renouvin.  L'assemblée  des  notables  de  1787 
(publie  un  procès-verbal  très  complet,  très  précis,  de  la  grande  confé- 
rence qui  eut  lieu  le  2  mars  sous  la  présidence  du  comte  de  Provence). 

—  H.  Sée.  Les  idées  politiques  en  France  au  xyiii^  siècle  (instructif, 
mais  pas  tout  à  fait  au  courant).  —  G.  Lacour-Gayet.  Napoléon;  son 
œuvre,  sa  vie  et  son  temps  (remarquable  synthèse).  —  Comte  Boulay 
de  la  Meurthe.  Histoire  de  la  négociation  du  Concordat  (ouvrage  très 
érudit;  mais  le  Concordat  n'a-t-il  pas  été  la  grande  erreur  de  Napo- 
léon?). 

2.  -—  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes.  T.  LXXXI,  année 
4920.  —  Paul  Fourni ER.  L'œuvre  canonique  de  Réginon  de  Prùm 
(1°  étude  sur  les  «  libri  de  synodalibus  causis- »  ;  M.  Fournier  prouve 
que  Réginon  n'a  pas  hésité  à  insérer  dans  cette  compilation  des 
canons  apocryphes  ou  même  composés  par  lui;  2°  étude  sur  les  canons 
du  concile  de  Tribu»  en  895;  au  lieu  de  reproduire  le  texte  même 
de  ces  canons,  Réginon  en  a  donné  des  recensions  abrégées,  avec  les- 
quelles il  a  d'ailleurs  pris  de  grandes  libertés,  faute  d'esprit  critique 
très  fréquemment  commise  au  moyen  âge).  —  A.  Dieudonné.  Les 
conditions  du  denier  parisis  et  du  denier  tournois  sous  les  premiers 
Capétiens.  —  Ch.  Samaran.  La  «  fausse  Jeanne  d'Arc  »  du  musée  de 
Versailles  (ce  musée  possède  un  tableau  du  xv  siècle  représentant  la 
Vierge  entourée  de  deux  personnages,  où   l'on  a  voulu  voir  saint 


282  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

Michel  et  Jeanne  d'Arc.  Une  inscription  peinte  au  bas  contenait, 
dit-on,  le  nom  de  Jeanne.  En  réalité,  cette  inscription,  rédigée  en 
langue  provençale,  s'adresse  à  la  Vierge,  mère  d'humilit'é  et  de  misé- 
ricorde. C'est  donc  un  petit  tableau  de  piété  exécuté  en  l'honneur  de 
la  Vierge,  de  saint  Michel  et  de  saint  Georges  et  placé  dans  un  sanc- 
tuaire dédié  à  Notre-Dame  d'Humilité.  Le  nom  de  Jeanne  ne  s'y 
trouve  pas).  —  Ch.  Mortet.  Le  cours  de  bibliographie  et  le  service 
des  bibliothèques  de  l'École  des  chartes,  1847-1920.  —  L.  Auvray.  La 
collection  Baluze  à  la  Bibliothèque  nationale  (histoire  de  cette  belle 
collection  et  des  inventaires  qui  en  ont  été  publiés).  —  Ph.  Lauer. 
Diplôme  inédit  de  Charles  le  Simple  en  faveur  de  l'abbaye  de  San- 
Juan  de  las  abadesas,  Catalogne,  4  juin  899  (avec  un  fac-similé  par- 
tiel et  réduit).  —  Léon  Mirot.  Paiements  et  quittances  de  travaux 
exécutés  sous  le  règne  de  Charles  VI,  1380-1422  (analyse  de  860  pièces 
tirées  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale).  —  G.  Huet.  Les 
rédactions  de  la  «  Scala  celi  »  (la  «  Scala  celi  »  est  un  recueil 
d'  «  Exempla  »  composé  par  le  dominicain  Jean  Gobi  entre  1322  et 
1330,  imprimé  pour  la  première  fois  en  1476.  Il  est  représenté  à  la 
Bi-bliothèque  nationale  par  le  ms.  lat.  3506.  La  comparaison  des  deux 
textes  montre  que  celui  de  l'incunable  est  bien  l'œuvre  de  Jean  Gobi, 
qui  était  un  méridional,  et  qui  insère  volontiers  des  mots  et  des  phrases 
en  langue  de  son  pays;  c'en  est  la  rédaction  finale,  tandis  que  le 
ms.  3506  n'en  est  qu'une  première  rédaction).  =  C. ^rendus  :  Br. 
Krusch.  Der  Umsturz  der  kritischen  Grundlagen  der  Lex  Salica; 
Id.  Der  neu  entdeckte  Urtext  der  Lex  Salica  (deux  articles  ayant 
pour  objet  de  renverser  les  arguments  présentés  par  M.  Krammer 
pour  justifier  un  nouveau  classement  des  manuscrits  de  la  loi  salique 
et  de  défendre  les  positions  occupées  par  Pardessus  et  par  Waitz.  Il 
faut  donc  s'en  tenir  à  l'opinion  de  ces  grands  érudits  :  la  rédaction  de 
soixante-cinq  titres  est  la  première  en  date  ;  elle  doit  être  attribuée  au 
règne  de  Clovis,  après  la  conquête  de  la  Neustrie  et  avant  le  baptême 
de  Clovis).  —  Analecta  franciscana,  t.  VI.  —  Emile  Magne.  Le 
grand  Condé  et  le  duc  d'Enghien.  Lettres  inédites  à  Marie-Louise  de 
Gonzague,  reine  de  Pologne,  sur  la  cour  de  Louis  XIV,  1660-1667 
(précieux  pour  l'histoire  des  mœurs).  —  A.  de  Curzon.  L'enseigne- 
ment du  droit  français  dans  les  universités  de  France  aux  xvii'^  et 
xviii«  siècles  (depuis  l'édit  de  1679,  qui  institua  une  chaire  royale  de 
droit  français).  — -  É.  Houvet.  Cathédrale  de  Chartres.  Portail  nord 
(excellente  étude  iconographique).  —  Eugène  Jarry.  Notes  et  docu- 
ments sur  la  maladrerie  d'Orléans  (bon).  —  Vicomte  du  Moley.  Ori- 
gines de  la  Normandie  et  du  duché  d'Alençon  (premier  tome  d'une 
histoire  des  comtes  d'Alençon  ;  il  y  est  surtout  question  des  sires  de 
Talvas  et  de  Bellême).  —  Abbé  J.  Roux.  La  basilique  de  Saint-Front 
de  Périgueux;  ses  origines  et  son  histoire  jusqu'en  1583  (ouvrage  cons- 
ciencieux, mais  dont  les  conclusions  sont  inadmissibles,  parce  que  la 
méthode  suivie  par  l'auteur  est  vicieuse.  Très  bon  exemple  de  la 


EECUEILS  PÉRIODIQUES.  283 

manière  dont  on  ne  doit  pas  mener  une  étude  archéologique.  Long 
examen  critique  par  A.  Brutails).  —  M.  Boudet.  Collection  inédite  de 
chartes  de  franchises  de  Basse-Auvergne,  xiii^-xv*  siècles  (recueil  très 
utile,  mais  tléparé  par  de  nombreuses  erreurs  de  détail).  —  Mortier.  Fla- 
vigny,  l'abbaye  et  la  ville,  720-1 9?0  (agréable).  — A.  Sorbeth'.  La  «  noti- 
tia  status  Hetruriae  »  e  il  tempo  dalla  sua  composizione  (bonne  édition 
d'un  document  écrit  en  1400).  —  H.  Hauvette.  lo  dico  seguitando 
(par  ces  trois  mots  s'ouvre  le  chantVIII  de  l'Enfer  de  Dante;  l'auteur 
veut  prouver  que  Dante  a  commencé  son  poème  dès  1300-1301,  avant 
l'exil,  et  qu'il  le  reprit  quelques  années  plus  tard  dans  un  état  d'esprit 
très  différent.  L'opinion  consacrée  était  au  contraire  que  le  poème 
avait  été  écrit  tout  d'une  traite  entre  1311  et  1321).  —  R.  Livi.  Guido 
da  Bagnolo,  medico  del  re  di  Cipro  (beaucoup  de  documents  nouveaux 
sur  ce  médecin,  mort  en  1370).  — A.  Valente.  Margherita  di  Durazzo, 
vicaria  di  Carlo  III  e  tutrice  di  re  Ladislab  (intéressant).  —  Ghisej^pe 
La  Mantia.  L'archivio  délia  segretaria  dei  vicere  de  Sicilia  e  le 
«  istruzioni  »  date  dal  re  Filippo  III  nel  1642.  —F.  Valls-Taberner. 
Figures  de  l'epoca  coTntal  catalana;  Id.  La  data  de  l'acte  de  consa- 
gracio  de  la  catedral  d'Urgell,  839,  i  els  diplômes  de  Lluis  el  Piadôs; 
Id.  Els  origens  dels  comtats  de  Pallars  i  Ribagorça  (trois  brochures 
importantes  pour  l'histoire  de  la  Catalogne  et  des  fonctionnaires 
royaux  pendant  les  temps  carolingiens).  —  G.  Millet.  Recherches 
sur  l'iconographie  de  l'Évangile  aux  xiv^,  xv^  et  xvi«  siècles,  d'après 
les  monuments  de  Mistra,  de  la  Macédoine  et  du  mont  Athos  (impor- 
tant). 

3.  —  Pro  Alesia  (Revue  gallo-romaine),  nouvelle  série,  t.  I  (1914- 
1915).  —  J.  TouTAiN.  Où  en  est  l'œuvre  entreprise  par  la  Société  des 
sciences  de  Semur  sur  le  mont  Aussois?  —  Id.  Une  réplique  du 
Satyre  au  repos  trouvée  à  Alesia.  —  Id.  Étude  sur  le  rôle  des  Ger- 
mains dans  la  campagne  de  César  contre  Vercingétorix.  —  Id.  J.  Dé- 
chelette,  un  ami  d'Alesia.  —  C.  Jullian.  La  Gaule  et  le  passé  natio- 
nal de  la  France.  —  J.  Toutain.  Héros  et  bandit  :  Vercingétorix  et 
Arminius.  —  Chronique  des  fouilles.  — Variétés.  —  Bibliographie.  =: 
T.  II  (1915-1916).  F.  CuMONT.  La  romanisation  de  la  Belgique  dans 
l'antiquité.  —  V.  Pernet.  Les  richesses  archéologiques  du  mont 
Aussois.  —  J.  Toutain.  Les  origines  de  l'œuvre  d'Alesia  et  la  Société 
des  sciences  de  Semur.  —  Id.  Tête  de  panthère  en  bronze  trouvée  à 
Alesia.  —  V.  Pernet.  La  fontaine  Sainte-Reine  d'Alesia.  —  J.  Tou- 
tain. Deux  nouvelles  sculptures  gallo-romaines  d'Alesia.  —  Id.  Une 
nouvelle  théorie  sur  l'emplacement  du  combat  de  cavalerie  qui  précéda 
le  siège  d'Alesia.  —  L'archéologie  gallo-romaine  en  1915.  —  Alesia, 
tragédie.  —  Variétés.  —  Bibliographie.  =  T.  III  (1916-1917).  Maurice 
Vernes.  Pourquoi  chercher  en  Allemagne  l'origine  des  institutions 
françaises?  —  Camille  Jullian.  Notre  Alsace.  —  Id.  L'éternelle  his- 
toire. —  II.  de  Gérin-Ricard.  Étude  sur  le  rôle  des  ossements  de 
cheval  dans  les  rites  funéraires.  —  J.  Toutain.  Les  clefs  votives  dans 


284  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

le  culte  païen  et  le  rituel  chrétien  du  pays  des  Éduens.  —  V.  Pernet 
et  J.  TOUTAIN.  Les  aqueducs  antiques  découverts  en  1898-1899  à  l'ex- 
trémité orientale  du  mont  Aussois.  —  J.  Toutain.  Figurines  en  terre 
cuite  découvertes  à  Alesia.  —  G  Chenet.  A  propos  de  la  panthère  d'Ale- 
sia.  —  J.  Toutain.  Notes  d'épigraphie  et  d'archéologie  religieuse  gallo- 
romaine.  —  Id.  Notre  belle  France.  —  L'archéologie  gallo-romaine  en 
1916.  —  Variétés.  —  Bibhographie.  =  T.  IV  (1918).  J.  Toutain. 
Notes  d'épigraphie  et  d'archéologie  religieuse  gallo-romaine  (suite)  : 
L'autel  de  Mavilly  (Côte-d'Or);  Le  caractère  sacré  des  mégalithes 
dans  la  Gaule  romaine  et  le  sanctuaire  dolménique  d'Alesia.  —  Le 
caractère  sacré  de  certains  dépôts  d'objets  préhistoriques.  —  Le  carac- 
tère sacré  de  certains  trésors  de  monnaies  celtiques  et  de  monnaies 
romaines.  —  W.  Deonna.  L'autel  de  Mavilly.  —  L'archéologie  gallo- 
romaine  en  1917.  —  Variétés.  —  Bibliographie.  =  T.  V  (1919). 
J.  Poisson.  Un  dieu  de  l'unité  italo-celtique.  —  J.  Toutain.  Notes 
d'épigraphie  et  d'archéologie  religieuse  gallo-romaine  :  La  cueillette 
du  gui  chez  les  Gaulois  et  les  Gallo-Romains.  —  Le  sanctuaire  et  le 
culte  d'Ucuetis  et  Bergusia  à  Alesia.  —  Id.  A.  Héron  de  Villefosse.  — 
G.  Chenet.  Gobelets  ovoïdes  moulés  d'Autry-Lavoye  (Meuse).  — 
H.  DE  Gerin-Ricard.  Premier  congrès  de  la  Société  Rhodania.  — 
L'archéologie  gallo-romaine  en  1918.  —  L'Alsace  gauloise  et  gallo- 
romaine.  —  Variétés.  —  Bibliographie. 

4.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1921,  l*""  jan- 
vier. —  E.  Ludendorff.  Urkunden  der  obersten  Heeresleitung  ùber 
ihre  Taetigkeit  1916-1918  (très  important  pour  l'histoire  de  la  guerre 
et  même  de  l'avant-guerre.  Le  général  fait  retomber  sur  les  socialistes 
toute  la  responsabilité  de  la  défaite).  —  J.  Lorédan.  Lille  et  l'inva- 
sion allemande,  1914-1918.  Abandon,  martyre  et  délivrance  (témoi- 
gnage précieux,  mais  unilatéral  et  qu'il  conviendrait  de  confronter 
d'avec  d'autres,  allemands  surtout).  —  P.  de  Labriolle.  Histoire  de  la 
littérature  latine  chrétienne  (excellent).  —  Pierre  Batiffol.  Études  de 
liturgie  et  d'archéologie  chrétienne  (remarquable).  —  Albert  Lavi- 
gnac  et  Lionel  de  La  Laurencie.  Encyclopédie  de  la  musique  (t.  IV 
d'une  publication  très  incomplète,  mais  qui  est  tout  de  même  une 
mine  de  renseignements  précieux). —  Adrien  Legros.  M^^e  d'Épinay, 
valenciennoise  (intéressante  plaquette).  =:  15  janvier.  C.  H.  Lockitt. 
The  relations  of  french  and  english  society,  1763-1793  (thèse  insuffi- 
sante et  qui  n'est  pas  au  point).  —  Livres  sur  la  guerre  :  J.  Reinach. 
L'année  de  la  paix;  É.  Lémonon.  L'Allemagne  vaincue;  René  Mou- 
lin. L'année  des  diplomates,  1919;  F.  Jean-Desthieux.  La  leçon  dé 
Pyrrhus  ou  la  paix  n'est  pas  faite  ;  J.  Francœur.  Réflexions  d'un 
diplomate ,  optimiste,  1915-1919,  et  La  paix  sera  une  «  création  conti- 
nue »;  Paul  Louis.  Le  bouleversement  mondial;  G.  Davan-Guffy. 
La  République  d'Irlande  et  la  presse  française.  =  l^""  février.  Régi- 
nald  Kann.  Le  protectorat  marocain  (très  instructif).  —  -S. -G.  Zer- 
vos.  Rhodes,  capitale  du  Dodécauèse  (bon  ouvrage  de  propagande, 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  285 

bien  illustré).  —  J.  Carcopino.  La  loi  de  Hiéron  et  les  Romains 
(remarquable;  il  y  aurait  des  précisions  plus  grandes  à  donner  sur  la 
procédure  en  ce  qui  concerne  Verres).  — Ad.  Crémieux.  Marseille  et 
la  royauté  pendant  la  minorité  de  Louis  XIV  (important).  —  P.  Sa- 
gnac.  La  Révolution,  1789-1792  (beau  et  bon  volume).  —  G.  Pariset. 
La  Révolution,  1792-1799  (remarquable).  —  Fr.  Vial.  La  doctrine 
d'éducation  de  J.-J.  Rousseau  (bon  exposé  critique).  =:  15  février. 
Marcellin  Boule.  Les  hommes  fossiles;  éléments  de  paléontologie 
humaine  (très  remarquable  comme  méthode  et  comme  résultats).  — 
F.  Lachèvre.  Le  libertinage  au  xvTi«  siècle;  mélanges  (fort  intéres- 
sant recueil  de  quinze  morceaux,  inédits  pour  la  plupart).  —  Wood- 
row  Wilson.  Histoire  du  peuple  américain,  trad.  par  D.  Roustan; 
t.  I  (histoire  comprise  surtout  au  point  de  vue  politique  par  un  juriste 
qui  professe  une  vive  admiration  pour  le  peuple  américain  et  son 
développement  ininterrompu  vers  des  formes  toujours  plus  parfaites. 
L'auteur  attribue  ces  progrès  en  très  grande  partie  à  l'action  person- 
nelle des  grands  hommes  d'État  américains).  —  H.  et  G.  Bourgin. 
L'industrie  sidérurgique  en  France  au  début  de  la  Révolution  (réper- 
toire considérable,  dressé  département  par  département,  de  cette 
industrie,  avec  de  bonnes  cartes  régionales  et  un  précieux  lexique  des 
termes  techniques).  —  A.  Hdutin.  Le  P.  Hyacinthe  dans  l'Église 
romaine  (sorte  d'autobiographie  où  figure  un  dossier  de  lettres  impor- 
tantes. M.  Loyson,  qui  avait  communiqué  ces  lettres  à  l'auteur,  a  pu, 
avant  sa  mort,  en  1912,  lire  la  première  rédaction  du  manuscrit.  Très 
intéressant  pour  tout  ce  qui  est  de  la  vie  spirituelle  et  intellectuelle  de 
l'ex-carme  :  il  n'avait  rien  qui  pût  faire  de  lui  un  réformateur  de 
l'Église.  Pour  sa  rupture  avec  Rome,  il  a  subi  des  influences  émanant 
de  schismatiques,  de  M.  de  Pressensé,  de  M^  Emilie  Meriman).  — 
C.-G.  Picavet.  Une  démocratie  historique  :  la  Suisse  (utile,  surtout 
pour  l'histoire  des  variations  de  la  politique  fédérale  pendant  la 
guerre).  —  R.  Poincaré.  Histoire  politique;  chroniques  de  quinzaine, 
mars-septembre  1920  (fort  intéressant,  surtout  en  ce  qui  touche  nos 
rapports  avec  l'Allemagne,  qui  cherche  à  se  soustraire  aux  conditions 
du  traité  signé  par  elle).  —  G.  Goyau.  Sainte  Jeanne  d'Arc  (intéres- 
sant). —  Élie  Poirée.  Sainte  Cécile  (excellent).  =  l^--  mars.  Ch.  W. 
David.  Robert  Curthose,  duke  of  Normandy  (bon).  —  L.  Mirot. 
L'hôtel  et  les  collections  du  connétable  de  Montmorency  (plein  d'éru- 
dition). -;-  M""'  Saint-René  Taillandier.  Madame  de  Maintenon  (étude 
judicieuse  et  délicate).  —  A.  Pougin.  Une  cantatrice  amie  de  Napo- 
léon :  Giuseppina  Grassini  (excellent).  — •  Général  Sarrail.  Mon  com- 
mandement en  Orient  (fort  instructif).  —  Paul  Bléry.  En  mission  en 
Roumanie  (amusant  récit  des  missions  dont  cet  aviateur  fut  chargé 
auprès  de  nos  alliés  roumains).  —  C.-G.  Picavet.  Une  démocratie 
historique  :  la  Suisse  (bon  résumé).  —  E.  Gossart.  Emile  Banning  et 
Léopold  H,  1881-1892  (instructive  plaquette  où  sont  utilisées  des  notes 
laissées  par  Banning  lui-même).  =  15  mars.  Tacite.  Histoires;  édit. 


286  RECUEILS  pe'riodiqces- 

Gœlzer  (remarquable).  —  R.  Delachenal.  Les  Grandes  Chroniques  de 
France;  t.  III  et  IV  (important).  —  Alf.  Rufer.  Vier  Bûndnerische 
Schulrepubliken  aus  der  zWeiten  Haeifte  des  18  Jahrhunderts  (bonne 
étude  sur  les  réformes  pédagogiques  proposées  en  Suisse  au  xviii«  s.). 
—  J.  Estienne.  Lettres  de  la  municipalité  de  Mayence  aux  commis- 
,saires  du  gouvernement  dans  les  nouveaux  départements  de  la  rive 
gauche  du  Rhin;  germinal  an  Vl-thermidor  an  VIII  (très  instructif, 
même  pour  le  moment  présent).  —  Louis  Schneider.  Un  précurseur 
de  la  musique  italienne  aux  xvi^  et  xvii«  siècles  :  Claudio  Monteverdi 
(excellent  et  neuf).  =r  !«•■  avril.  R.  H.  Charles.  The  Révélation  of 
saint  John  (bonne  édition  critique  avec  traduction  anglaise  et  com- 
mentaire de  l'Apocalypse.  Remarquable;  important  compte-rendu 
d'A.  Loisy).  —  H.  Brémond.  Histoire  littéraire  du  sentiment  reli- 
gieux en  France  depuis  la  fin  des  guerres  de  religion  jusqu'à  nos 
jours;  t.  I-V  («  incomparable  monument  de  science  et  de  psychologie 
religieuses  »,  dit  A.  Loisy).  —  L.  Wolf.  The  forged  protocols  of  the 
learned  Elders  of  Zion  (bonne  histoire  d'un  des  faux  les  plus  célèbres 
de  l'histoire,  où  l'on  prétend  nous  révéler  comment  les  Juifs  ont  cons- 
piré pour  détruire  les  Etats  chrétiens  et  leur  substituer  un  Empire 
juif  universel.  Les  prétendus  mémoires  des  «  savants  anciens  de 
Sion  »  ne  sont  qu'un  roman  composé  en  1868  par  un  Prussien,  Her- 
mahn  Gœdsche,  espion  policier  qui  avait  été  chassé  de  la  police  en 
1849  pour  avoir  commis  des  faux  maladroits).  — E.  Lenient.  La  faute 
capitale  du  haut  commandement  (critique  justifiée  par  endroits,  mais 
partiale,  violente,  injurieuse  même  et  qui  met  le  lecteur  en  défiance). 

5.  —  Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France.  1921,  janvier- 
mars.  —  P.  PiSANi.  La  négociation  du  Concordat  de  1801  (d'après 
l'ouvrage  du  comte  Boulay  de  la  Meurthe,  «  œuvre  synthétique  de  la 
plus  haute  valeur  historique  »).  —  Charles  Du  Bus.  L'avenir  des 
Sociétés  savantes;  I  (parle  des  nombreuses  sociétés  de  ce  genre  qui 
ont  été  créées  en  France  depuis  le  xviiF  siècle  jusqu'en  1880,  où  fut 
fondé  le  Comité  chargé  de  rédiger  la  bibliographie  à  laquelle  Robert 
de  Lasteyrie  a  attaché  son  nom).  =  C. -rendus  :  L.  Duchesne.  Fastes 
épiscopaux  de  l'ancienne  Gaule;  t.  III  (remarquable;  mais  pourquoi 
l'auteur  ne  donne-t-il  pas  les  raisons  qui  ont  décidé  ses  choix?).  — 
Touzery.  Histoire  de  saint  Martial,  apôtre  d'Aquitaine,  fondateur  de 
l'église  de  Rodez,  et  histoire  de  saint  Amans,  premier  évêque  de 
Rodez  (sans  valeur  critique).  —  Cardinal  Perraud.  Mes  relations  per- 
sonnelles avec  les  deux  derniers  papes,  Pie  IX  et  Léon  XIII.  Souve- 
nirs et  lettres,  1856-1903,  publiés  par  Mgr  Gauthey  (intéressant).  — 
Alfred  Vanderpol.  La  doctrine  scolastiqùe  du  droit  de  guerre 
(remarquable).  —  Dom  Cabrol  et  Dom  Leclercq.  Dictionnaire  d'ar- 
chéologie chrétienne  et  de  liturgie,  fasc.  35-37  (contient  les  lettres 
de  D  à  Dimanche).  —  Albert  Houtin.  Les  séances  des  députés  du 
clergé  aux  États  généraux  de  1789.  Journaux  du  curé  Thibault  et  du 
chanoine  Coster  (très  utile  publication). 


RECUEILS   PÉBIODIQDES.  287 

6.  —  Le  Correspondant.  1921,  25  février.  —  Henri  JOLY.  Les 
syndicats  féminins.  I.  —  Georges  Lechartier.  Société  des  Nations  bu 
Association  des  Nations  ?  Les  États-Unis  participeront-ils  aux  affaires 
d'Europe?  (peut-être,  si  l'Europe  veut  accepter  les  conditions  nou- 
velles posées  par  l'Amérique).  —  Christian  Maréchal.  Auguste 
Comte,  Andrieux,  La  Mennais  et  l'École  polytechnique  (analyse  une 
brochure  écrite  par  La  Mennais  en  1816  sur  les  conseils  de  l'abbé 
Teysseyre,  répétiteur  adjoint  à  l'École  et  désireux  de  combattre  l'in- 
crédulité qui  y  était  alors  de  mode;  brochure  qui  était  restée  inconnue 
jusqu'ici.  La  Mennais  y  malmène  fortement  Andrieux,  membre  de 
l'Académie  française  et  professeur  de  belles-lettres  à  l'École,  parce 
qu'il  était  «  philosophe  »  et  adversaire  du  clergé  ;  il  y  fait  appel  à  la 
force  pour  contraindre  les  élèves  à  rentrer  dans  le  devoir.  Andrieux  y 
répondit,  non  sans  esprit,  dans  sa  «  Parabole  du  Samaritain  »,  en 
opposant  au  fougueux  pamphlétaire  une  profession  publique  de  tolé- 
rance. Andrieux  fut  d'ailleurs  destitué).  —  Henry  Bordeaux.  Le 
maréchal  Fayolle  dans  la  bataille  de  France.  =  10  mars.  Stary.  La 
Pologne  et  la  Lithuanie.  Wilna  ou  Vilnius?  Souvenirs  et  recherches 
(Wilna  est  un  nom  polonais;  Vilnius  un  mot  lithuanien.  Les  Lithua- 
niens ont  besoin  d'une  capitale;  ils  prétendent  l'établir  dans  Wilna, 
qui  n'est  pas  lithuanien,  qui  est,  dès  l'origine,  une  ville  «  slave  et 
chrétienne,  d'abord  blanc-ruthène  et  plutôt  orthodoxe,  très  vite  et 
complètement  polonaise  et  catholique  ».  Le  gouvernement  de  Kowno 
n'a  sur  cette  ville  et  son  territoire  «  aucun  droit  ethnographique  dans 
le  présent,  historique  dans  le  passé,  qui  mérite  d'être  pris  en  considé- 
ration »).  —  Henri  Joly.  Les  syndicats  féminins.  H.  Conclusions.  — 
LiRER.  Lord  Robert  Cecil.  —  L.  de  Lanzac  de  Lahorie.  Une  nou- 
velle histoire  de  la  Révolution  (les  trois  volumes  de  Sagnac  et  de 
Pariset  dans  l'histoire  de  France  contemporaine).  —  Pierre  de  Qui- 
rielle.  Une  figure  alsacienne  :  le  docteur  Bûcher.  —  ***.  L'(itat  d'es- 
prit et  la  situation  en  Italie  («  la  vieille  Italie  est  une  nation  jeune; 
elle  fait  des  enfants  et  elle  croit;  elle  a  foi  en  Dieu,  elle  croit  en  elle- 
même;  deux  gages  d'avenir  »).  =  25  mars.  René  Pinon.  L'Europe 
nouvelle  et  le  catholicisme  (les  peuples  catholiques,  anciens  et  nou- 
veaux, sont  devenus  plus  que  jamais  les  porte-flambeaux  de  l'huma- 
nité). —  Liher.  Hommes  du  jour  :  M.  Hughes  (le  nouveau  secrétaire 
d'État  aux  États-Unis).  —  Ernest  Daudet.  Souvenirs  de  mon  temps; 
suite  :  les  dernières  années  de  l'Empire  (beaucoup  d'anecdotes,  notam- 
ment sur  Emile  Ollivier;  extraits  de  la  correspondance  échangée 
entre  Ollivier  et  Daudet  de  1864  à  1866).  —  Pierre  de  La  Gorce.  Les 
derniers  jours  de  Pie  VL  —  ***.  L'Irlande  et  l'Angleterre  ;  calcul  de 
probabilités.  =  10  avril.  Pierre  de  Nolhac.  Ronsard  humaniste.  I. 

—  Général  Maitrot.  Les  Mannesmann  au  Maroc  (article  très  instruc- 
tif; il  faut  bien  se  garder  de  laisser  les  Allemands  reprendre  au 
Maroc  la  situation  formidable  qu'ils  s'y  étaient  faite  avant  la  guerre). 

—  Paul  Renaudin.  Le  poverello  de  Port-Royal  (Jean  Hamon,  qui 


288  RECDEILS   PÉRIODIQUES. 

entra  au  Désert  en  1650  et  y  mourut  après  une  vie  de  travail,  de  dures 
épreuves  et  de  charité).  —  Georges  Goyau.  La  belle  vie  de  sainte 
Colette  de  Corbie.  =  25  avril?  L.  de  Lanzac  de  Laborie.  Le  cente- 
naire de  Napoléon.  —  Piefre  de  Nolhac.  Ronsard  humaniste.  IL  — 
Ernest  Daudet.  Souvenirs  de  mon  temps.  IL  Les  dernières  années 
de  l'Empire  (parle  de  Khalil  Bey«t  de  son  beau-père,  Ispiaïl  Pacha, 
du  prince  Orloff,  de  Lucien  Biart  et  de  la  comtesse  de  Loynes,  de 
Walewski  et  d'Emile  Ollivier,  etc.).  —  Pierre  de  Quirielle.  Edouard 
Aynard  à  la  Chambre,  de  1893  à  1913.  —  René  AiCtRain.  Une  histoire 
de  la  littérature  latine  chrétienne  (celle  de  Pierre  de  Labriolle). 

7.  —  Études.  Revue  fondée  par  des  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  1921,  5  janvier.  — Joseph  Boubée.  Les  Juifs  en  Hongrie.  Bêla 
Kun  ou  Jean  Hunyade;  fin  (souhaite  en  Hongrie  la  conversion  des 
Israélites  et  le  développement  des  œuvres  catholiques  et  aussi  l'établis- 
sement de  relations  intellectuelles  entre  la  Hongrie  et  la  France).  — 
Yves  DE  LÀ  Brière.  Chronique  du  mouvement  religieux  (la  discus- 
sion à  la  Chambre  des  députés  sur  la  reprise  des  relations  diploma- 
tiques avec  le  Vatican).  =  C. -rendus  :  Les  Jésuites  morts  pour  la 
France,  1914-1919  (des  noms,  des  dates,  des  faits).  —  Paul  Nourris- 
soti.  Histoire  de  la  liberté  d'association  en  France  depuis  1789 
(ouvrage  de  grande  envergure).  —  A.  Lahure.  Notre-Dame  de  la 
Val-Roy,  abbaye  royale  de  Cisterciens  au  diocèse  de  Reims  (bon). 

8.  —  La  Grande  Revue.  1920,  décembre.  —  André  Pierre.  Le 
troisième  anniversaire  de  la  paix  de  Brest-Litovsk,  décembre  1917. 
Récit  d'un  témoin  (ce  témoin  est  le  socialiste  Mstislavski,  membre  de 
la  délégation  russe  chargée  de  négocier  la  paix).  =  1921,  janvier.  EUe 
Faure.  Napoléon;  suite  en  février,  mars  et  avril.  —  Jacques  Vaunois. 
Les  discours  et  messages  de  Gabriel  d'Annunzio.  —  Ernest  Tisse- 
rand. Les  mauvais  génies  de  la  France  :  Gabriel-Lucien  Ouvrard, 
1770-1846  (simple  esquisse).  — J.  Simon-Terquem.  La  France  est-elle 
morte  en  Orient?  =  Février.  Paul  Appell.  L'esprit  scientifique  et 
l'enseignement.  —  Henri  Mugel.  Si  l'on  veut  avoir  raison  du  bolche- 
visme  (il  faut,  en  France,  constituer  un  parti  paysan  qui,  d'ailleurs, 
ne  s'opposerait  nécessairement  à  aucun  autre,  si  ce  n'est  au  bplche- 
visme).  —  Marie  Hollebecque.  La  peinture  hindoue.  —  S.  de  Cal- 
lias  et  J.-Ch.  de  Valville.  Un  Allemand  qui  justifie  le  traité  de 
Versailles  (WiUi  Dûnnwald,  journaliste,  qui,  en  1919,  écrivit  à  une 
Française  des  lettres  où  il  exprimait  son  dégoût  de  la  politique  alle- 
mande pendant  la  guerre  et  depuis  l'armistice).  —  Léon  Abensour. 
Faut-il  reviser  le  traité  de  Sèvres?  =:  Mars.  James  G.  Frazer. 
Ernest  Renan  et  la  méthode  de  l'histoire  des  religions  (remarquable 
conférence  faite  à  la  Société  Ernest  Renan  le  11  décembre  1920).  — 
Claude  Berton.  Le  président  Harding,  l'Europe  et  le  Pacifique.  -- 
René  Gillouin.  Le  mysticisme  social  :  Fourier  et  Proudhon.  :=  Avril. 
P.-L.  Puech.  Les  Saint-Simoniens  précurseurs  de  la  Société  des 
nations. 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  289 

9.  —  Mercure  de  France.  1921,  l«''mars.  —  Georges  de  Pourta- 
LÈs.  'Éthique  et  esthétique  de  Senancour.  —  Raymond  de  Rigné. 
Souvenirs  sur  Massenet.'  —  Léon  Laffitte.  Une  définition  du  pro- 
grès. =:  15  mars.  Georges  Batault.  Le  problème  juif:  le  judaïsme 
et  l'esprit  de  révolte  (toute  l'histoire  juive,  tous  les  prophètes  montrent 
l'étroite  parenté  qui  unit  le  judaïsme  et  l'esprit  de  révolte.  «  Sous  des 
formules  diverses,  c'est  toujours  le  vieux  rêve  messianique  des  pro- 
phètes et  des  psalmistes  qui  hante  les  cerveaux  »).  —  D""  G.  Conte- 
NAU.  L'avenir  archéologique  de  la  Syrie.  r=  l»""  avril.  AmbroiseGOT. 
La  révolution  allemande  et  la  paix  (la  révolution  allemande  est  un 
trompe-l'œil  ;  les  Allemands  méritent  les  sévérités  de  la  paix  qu'on 
leur  a  infligée  par  leur  mauvaise  foi;  «  la  politique  de  sïireté  que 
nous  maudissons  est  une  conséquence  naturelle  de  notre  méfiance  »). 
—  David  Berman.  La  question  juive  (réponse  aux  articles  de  M.  G. 
Batault,  qui  représente  les  Juifs  comme  des  agents  de  dénationalisa- 
tion, comme  les  représentants  du  capitalisme  internationaliste).  = 
15  avril.  Georges  Batault.  Les  solutions  du  problème  juif;  nationa- 
lisme ou  assimilation.  —  Louis  Reynaud.  Les  débuts  du  germanisme 
en  France  (au  XYiii*  siècle). 

10.  —  La  Revue  de  France.  T.  I,  n°  1,  15  mars  1921.  —  R.  Re- 
COULY.  Foch  explique  la  défaite  allemande.  —  J.  BÉDIER.  L'esprit  de 
nos  plus  anciens  romans  de  chevalerie  (montre  comment  ces  romans, 
après  avoir  été  la  pure  expression  de  la  féodalité  chrétienne  et  de  la 
croisade,  ont  fini  par  devenir  une  poésie  de  cour  soutenue  par  de  riches 
patrons  et  enfin  une  entreprise  commerciale  exploitée  des  «  impres- 
sarii  »).  —  Paul  Olivier.  La  canonisation  de  don  Juan  (d'après  les 
dossiers  pour  la  canonisation  de  Miguel  Mafiara  Vicentelo  de  Leca, 
chevalier  profès  de  l'ordre  de  Calatrava,  Sévillan  originaire  de  Corse, 
qui  mourut  en  odeur  de  sainteté  le  9  mai  1679).  :=  1<"'  avril.  Philippe 
Crozier.  L'Autriche  et  l'avant-guerre  (l'auteur,  ambassadeur  de 
France  à  Copenhague,  puis  à  Vienne,  a  suivi  de  près  les  intrigues  de 
l'Allemagne  dans  l'affaire  marocaine,  puis  les  manœuvres  du  baron 
(r7F]renthal  pour  relever  le  prestige  de  l'Autriche-Hongrie  et  dévelop- 
per son  activité  économique  dans  les  Ball^ans.  Témoignage  instructif 
et  que  retiendra  l'histoire).  —  Gabriel  Faure.  Sainte-Beuve  en  Italie 
(publie,  avec  commentaire,  quelques  notes  de  Sainte-Beuve  sur 
Naples,  en  mai  1839).  —  Memor.  La  clef  du  drame  russe;  lettres  de 
la  tsarine  au  tsar,  1914-1916  (publie  ces  lettres  qui,  saisies  par  les 
agents  de  Lénine,  furent  vendues  à  un  journaliste  américain  et 
l)ubliées  dans  le  Globe  des  États-Unis;  elles  montrent  l'influence 
dominatrice  exercée  par  la  femme  sur  le  mari  et  l'influence  néfaste 
exercée  par  Raspoutine  sur  la  tsarine.  C'est  elle  notamment  qui 
décida  le  tsar  à  relever  de  son  (Commandement  le  grand-duc  Nicolas. 
D'autre  part,  il  est  faux  que  la  tsarine  ait  trahi,  au  profit  de  l'Alle- 
magne, les  intérêts  de  la  Russie;  elle  était  devenue  foncièrement 
russe).  —  Raymond   Recoulv.  La  conférence  de  Londres  (vue  de 

.   Rev.  Histor.  CXXXVL  20  fasc.  19 


290  RECDEILS  TEEIODIQUES. 

dehors  par  un  journaliste  curieux  et  informé  de  première  main).  = 
15  avril.  Général  Buat.  Les  erreurs  de  la  stratégie  allemande  en 
1918.  _  Paul  Crozier.  L'Autriche  et  l'avant-guerre.  II  (annexion  de 
la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine,  mécontentement  de  la  Russie.  Affaire 
des  déserteurs  de  Casablanca,  où  l'Autriche  ne  soutient  pas  l'Alle- 
magne, son  aUiée.  iErenthal  voulait,  en  effet,  sans  renoncer  à  la  Tri- 
plice,  recouvrer  son  indépendance  d'action  et  ne  plus  être  considéré 
seulement  comme  le  «  brillant  second  »). 

11.  —  La  Revue  de  Paris.  1921,  15  février.  —  Frédéric  Masson. 
Marie- Louise  et  ses  carnets  die  voyage.  II  (voyage  à  Saint-Quentin, 
Valenciennes,  Bruxelles,  Malines,  Anvers,  «  qui  sera  dans  un  an  une 
des  plus  fortes  places  de  l'Europe  »,  l'île  de  Walcheren;  avril-juin 
1810;  la  fête  donnée  parle  prince  de  Schwarzenberg  et  l'incendie  qui 
la  termina  si  lugubrement.  Fêtes  à  Rambouillet,  à  Trianon,  Fontai- 
nebleau, en  octobre  et  novembre  ;  baptême  du  second  fils  d'Hortense 
et  des  vingt-six  autres  enfants  que  l'empereur  a  promis  de  nommer 
pour  la  circonstance,  le  4  novembre,  et  déclaration  de  la  grossesse  de 
l'impératrice;  fêtes  pour  les  relevailles  de  Marie-Louise  en  1811  ;  «  vie 
étrange  et  de  mouvement  perpétuel  où  Napoléon,  maître  de  l'heure, 
n'admet  point  qu'il  en  soit  l'esclave  »).  —  Maurice  Muret.  Guil- 
laume II  dans  le  rôle  d'Hamlet  (d'après  le  livre  d'un  chauvinisme  tout 
prussien,  de  Karl  Rosner  :  «  der  Kœnig  »  ;  pour  ce  confident  et  admi- 
rateur du  dernier  roi  de  Prusse,  Guillaume  II  fut,  comme  Hamlet,  un 
caractère  faible,  timoré,  indécis.  «  La  puissance  de  l'empire  allemand  a 
donné  le  change  sur  l'impuissance  de  l'empereur  ».  Rosner  retrace 
quelques  journées  de  la  vie  de  celui-ci  pendant  le  fatidique  mois  de  juil- 
let 1918).  —  M.  Baumont.  L'Église  évangélique  et  l'Allemagne  républi- 
caine (l'ÉgUse  évangélique  reste  depuis  la  révolution  de  1918  fidèle  à 
son  passé  monarchiste;  la  nouvelle  Allemagne  commence  à  lui  tour- 
ner le  dos;  au  profit  de  qui?).  —  Gonzague  Truc.  Madame  de  Main- 
tenon  (étude  écrite  avant  l'apparition  du  livre  de  M°>«  Saint-René 
Taillandier,  mais  qui  aboutit  souvent  aux  mêmes  conclusions).  — 
L.  Hersch.  La  situation  sociale  et  l'état  stationnaire  de  la  popula- 
tion française  d'après  les  statistiques  de  la  ville  de  Paris.  =  l^""  mars. 
Frédéric  MasSON.  Marie-Louise  et  ses  carnets  de  voyage.  III  (voyago 
à  Dresde  et  à  Prague,  où  l'impératrice  des  Français  retrouve  sa 
famille,  très  hostile  à  la  France).  —  Pierre  Conard.  Hindenburg 
d'après  lui-même.  —  Louis-F.  Aubert.  Genève  et  Washington  (objec- 
tions soulevées  par  les  États-Unis  contre  la  décision  prise  de  placer 
à  Genève  le  siège  de  la  Société  des  Nations).  — -  Jean  Bonnerot.  Les 
routes  de  France.  =  15  mars.  Ernest  Renan.  Lettres  d'Italie.  I 
(lettres  écrites  par  Renan  à  sa  mère,  à  sa  sœur  Henriette,  à  son  frère 
Alain,  pendant  le  voyage  qu'il  fit  en  1849-1850  dans  le  midi  de  la 
France  et  en  Italie,  chargé  d'une  mission  par  l'Institut  de  France).  — 
Pierre  Conard.  Hindenburg  d'après  lui-même  ;  suite  et  fin.  —  Mont- 
chrestien.  Le  mouvement  syndicaliste  (en  1920).  —  J.  R.  Idées  d'hier 


RECUEILS   PÉRIODIQDES.  291 

et  d'aujourd'hui  sur  les  lois  militaires  (article  à  méditer,  œuvre  d'un 
otficier  supérieur  à  qui  l'on  doit  déjà  une  remarquable  étude  sur  le 
maréchal  Foch).  —  Henri  Mylès.  La  fin  de  Stamboul  (transformation 
de  la  ville  depuis  la  révolution  jeune-turque  de  1908).  —  Comte  de 
Fels.  Essai  de  politique  expérimentale;  l'école  dirigeante  française 
(surtout  depuis  1914).  =r  l*""  avril.  Ernest  Renan.  Lettres  d'Italie.  II 
(fort  intéressantes  lettres  envoyées  du  Mont-Cassin  et  d'Assise).  — 
Frédéric  Masson.  Marie-Louise  et  ses  carnets  de  voyage;  IV  (voyages 
sur  le  Rhin,  à  Cherbourg.  L'impératrice  aima  sans  doute  Napoléon 
d'un  amour  d'ailleurs  tout  physique  ;  mais  l'amour  n'a  pas  développé 
son  intelligence,  ni  même  sa  sensibilité  maternelle).  —  Félicien  Chal* 
LAYE.  Les  nouveaux  riches  au  Japon.  — Auguste  Dupouy.  Les  vicis- 
situdes du  port  de  Lorient.  —  Emile  Haumant.  Ernest  Denis  et  son 
œuvre  slave.  —  Comte  de  Fels.  L'histoire  des  négociations  avec 
l'Autriche  en  1917  (bref  résumé  du  livre  récemment  publié  par  le 
prince  Sixte  de  Bourbon).  =:  15  avril.  ***.  Au  3«  bureau  du  3«  G.  Q.  G., 
1917-1918  (beaucoup  de  faits  d'un  caractère  technique  exposés  avec 
une  grande  précision).  —  Un  Aveyronnais.  L'occupation  des  ports 
de  la  Ruhr  (mars  et  avril  1921).  —  Georges  Hardy.  L'éducation  fran- 
çaise du  Maroc.  —  J. -Emile  Ch.antriot.  Les  Allemands  en  Lorraine, 
2  mars  1871-16  septembre  1873  (montre  les  procédés  employés  alors 
par  le  vainqueur  pour  administrer  la  portion  de  territoire  détenue 
provisoirement  par  lui  comme  gage  d'une  indemnité  de  guerre).  — 
Altiar.  Notes  sur  l'Amérique  en  guerre  (du  21  mars  au  l^""  juin  1918; 
suit  les  fluctuations  de  l'opinion  publique  à  Philadelphie  dans  les 
milieux  très  francophiles  que  troublaient  profondément  les  mauvaises 
nouvelles  du  front  français). 

12.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  15  février.  —  Lyautey. 
Lettres  de  Grèce  et  d'Italie,  1893.  I.  —  Maurice  PaléOLOGUe.  La 
Russie  des  tsars.  III  (pendant  la  marche  des  Allemands  sur  Paris;  la 
bataille  de  Soldau  ;  notes  sur  le  caractère  du  tsar,  fartaliste,  persuadé 
qu'il  a  toujours  le  sort  contre  lui  et  qu'il  est  voué  aux  catastrophes  ; 
«  les  lignes  de  sa  main  sont  terrifiantes  »  ;  histoire  de  Raspoutine, 
«  charlatan  et  vaurien  de  la  pire  espèce  »,  que  les  souverains  défendent 
contre  toutes  les  accusations  :  «  les  saints  sont  toujours  calomniés  »  ; 
notes  sur  la  grande-duchesse  Elisabeth  Féodorowna,  sœur  de  l'impé- 
ratrice et  veuve  du  grand-duc  Serge,  ultra-réactionnaire  farouche  qui 
avait  été  victime  d'un  attentat  en  1905;  les  deux  sœurs  étaient  en 
désaccord  au  sujet  de  Raspoutine).  —  Maurice  Barrés.  Le  génie  du 
Rhin.  V  (la  tâche  qui  s'impose  maintenant  à  la  France  est  de  ramener 
les  Rhénans  à  l'union  française,  ce  qui  est  possible  si  l'on  sait  leur 
donner  des  guides  éclairés  et  bienveillants).  —  Gabriel  Hanotaux.  Le 
centenaire  de  l'Ecole  des  chartes  (intéressants  souvenirs  personnels 
sur  J.  Quichorat,  Léon  Gautier  et  An.  de  Montaiglon).  —  Testis. 
L'œuvre  de  la  France  en  Syrie.  I  :  Le  général  Gouraud  pacificateur. 
—  Guglielmo  Ferrero.  La  ruine  de  la  civilisation  antique.  IV  :  Cons- 


292  HECOEILS   PÉRIODIQUES. 

tantin  et  le  triomphe  du  christianisme.  —  Louis  Gillet.  Le  dernier 
roman  de  M.  Wells  :  «  The  outline  of  history.  »  =  l^r  mars.  Lyautey. 
Lettres  de  Grèce  et  d'Italie,  1893.  II  (intéressant).  —  Marie-Louise 
Pailleron.  François  Buloz  et  ses  amis  au  temps  du  second  Empire. 

11  :  George  Sand,  de  1859  à  1863.  —  Testis.  L'œuvre  de  la  France 
en  Syrie.  II  :  Le  général  Gouraud  organisateur  (avec  une  carte).  — 
Georges  Goyau.  La  pensée  religieuse  de  Joseph  de  Maistre,  d'après 
des  documents  inédits.  I  :  1774-1792  (très  intéressante  étude  sur 
Maistre  franc-maçon).  —  ***.  Fiume,  l'Adriatique  et  les  rapports 
franco-italiens.  II  :  Depuis  l'arrivée  de  G.  d'Annunzio.  =  15  mars. 
Maurice  Paléologue.  La  Russie  des  tsars  pendant  la  Grande  Guerre. 

JV  (suite  des  souvenirs  de  l'ex-ambassadeur,  du  29  octobre  191-4  au 

12  janvier  1915.  La  Russie  décidée  à  faire  payer  cher  à  la  Turquie  ses 
attaques  contre  les  villes  russes  du  littoral  de  la  mer  Noire  sans 
déclaration  de  guerre  :  «  Il  nous  faudra  prendre  sur  le  Bosphore  de 
solides  garanties  »,  dit  Sazonov  le  2  novembre;  mais  d'autre  part  il 
est  décidé  à  ne  pas  retirer  un  homme  du  front  allemand  :  «  avant  tout, 
il  nous  faut  vaincre  l'Allemagne  «.  Le  tsar  dit  à  son  tour  le  21  no- 
vembre :  «  Les  Turcs  doivent  être  expulsés  d'Europe  ;  Constantinople 
doit  être  une  ville  neutre  avec  un  régime  international.  »  Quant  à  l'Al- 
lemagne, il  faut  lui  reprendre  tous  les  pays  non  allemands  qu'elle 
s'était  annexés,  afin  «  d'assurer  pour  un  très  long  temps  la  paix  du 
monde  ».  En  ce  qui  concerne  Guillaume  II,  le  tsar  déclare  :  «  pas  un 
instant  il  n'a  été  sincère  »,  et  il  explique  le  télégramme  que  l'empereur 
lui  envoya,  «  six  heures  après  m'avoir  fait  remettre  sa  déclaration  de 
guerre  »,  le  2  août,  une  heure  et  demie  du  matin.  Comparaison  entre 
le  soldat  russe,  très  brave  sans  avoir  le  tempérament  belliqueux,  mais 
avec  le  coeur  très  charitable,  et  le  soldat  allemand,  qui  est  tout  autre. 
Notes  sur  le  caractère  du  peuple  russe  «  si  enclin  à  se  laisser  abattre, 
à  changer  de  désirs,  à  se  dégoûter  de  ses  rêves  ».  Quant  à  l'impéra- 
trice, M.  Paléologue  affirme  qu'on  la  calomnia  en  la  traitant  d'Alle- 
mande ;  elle  était  plutôt  Anglaise  d'allure  et  de  maintien  ;  mais  «  le 
fond  de  sa  nature  était  devenu  entièrement  russe  »  ;  elle  a  pris  en 
aversion  l'empereur  allemand  sur  qui  elle  fit  peser  toute  la  responsa- 
bilité de  la  guerre  ;  cette  naturalisation  morale  explique  l'influence 
prise  sur  elle  par  Raspoutine.  Détails  sur  l'Okrana  et  en  général  sur 
le  département  de  la  police  au  ministère  de  l'Intérieur.  Du  sentiment 
religieux  chez  les  Russes).  —  Lyautey.  Lettres  de  Grèce  et  d'Italie, 
1893;  suite  :  Rome  et  Florence.  —  Princesse  Bibesco.  Une  fille  de 
Napoléon  :  Emilie  de  Pellapra,  comtesse  de  Brigode,  princesse  de 
Chimay.  —  André  Hallays.  Pierre  Bûcher;  notes  et  souvenirs  (très 
intéressante  peinture  du  patriote  alsacien  qui  a  tant  fait  pour  mainte- 
nir, exalter  le  sentiment  français  en  Alsace).  —  André  Beaunier. 
Madame  de  La  Fayette  et  ses  bons  amis  les  savants  (Ménage,  Huetet 
Segrais).  —  Léon  Grégoire.  Les  mémoires  d'un  nonce  :  le  cardinal 
Ferrata  (qui   mourut   secrétaire   d'État   du   pape    Benoît   XV;    ses 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  293 

mémoires,  qui  se  rapportent  aux  années  1847-1890,  viennent  de 
paraître  à  Rome;  ses  nonciatures  en  France  de  1879  à  1883  et  de  1891 
à  1895.  Influence  exercée  par  l'attitude  conciliante  cïe  Léon  XIII  à 
l'égard  de  la  République  française  sur  l'éclosion  de  l'alliance  franco- 
russe).  —  René  Pinon.  L'avenir  de  l'entente  franco-britannique.  II  :  Le 
système  continental.  =:  1«'"  avril.  Duc  de  La  Force.  Le  grand  Conti 
(il  s'agit  de  François-Louis  de  Bourbon,  neveu  du  grand  Condé.  Son 
('•ducation  toute  janséniste;  Fleury  son  précepteur.  La  vie  du  prince 
i'i  ses  dépenses  à  La  Roche-sur-Yon,  1680-1684).  —  Maurice  Faléo- 
LOGUE.  La  Russie  des  tsars  pendant  la  Grande  Guerre.  V  (l'antago- 
nisme entre  le  pouvoir  impérial,  le  gouvernement  et  l'esprit  public; 
les  sectes  religieuses  en  Russie,  janvier-mars  1915).  —  Georges 
GOYAU.  La  pensée  religieuse  de  Joseph  de  Maistre.  II  :  1792-1821.  — 
***.  Fiume,  l'Adriatique  et  les  rapports  franco-italiens.  III  (épilogue 
de  la  dictature  d'Annunzio).  :=  15  avril.  Jérôme  et  Jean  Thapaud. 
Bolchevistes  de  Hongrie.  II  :  Michel  Karolyi  et  Bêla  Kun.  —  René 
Bazin.  Charles  de  Foucauld,  explorateur  du  Maroc,  ermite  au  Sahara 
(Foucauld,  ancien  lieutenant  de  hussards,  donne  sa  démission  pour 
aller  étudier  les  Arabes  chez  eux.  Son  exploration  du  Maroc  com- 
mença en  1883.  Amusante  histoire  du  juif  Mardochée  qui  devait  lui 
servir  de  guide).  —  Marie-Louise  Pailleron.  François  Buloz  et  ses 
amis  au  temps  du  second  Empire.  III  :  Les  opinions  du  fondateur  de 
la  Revue  (Buloz  était  libre  penseur  et  démocrate).  —  L.  Batiffol.  Les 
faux  mémoires  du  cardinal  de  Richelieu  (personne  n'a  entendu  parler 
des  Mémoires  de  Richelieu  avant  Foncemagne,  qui  avait  cru  les  trou- 
ver en  1764  dans  les  archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères; 
or,  ces  prétendus  mémoires  sont  en  réalité  l'œuvre  d'Achille  de  Har- 
lay  de  Sancy,  évèque  de  Saint-Malo.  M.  de  Saint-Malo,  qui  n'a 
jamais  été  le  secrétaire  du  cardinal,  écrivit  des  mémoires  après  la 
mort  de  Richelieu  à  l'aide  de  documents  déjà  réunis  par  deux  anciens 
secrétaires  :  Charpentier  et  Cherré).  —  ***.  La  Pologne  sauvée  et  tou- 
jours menacée. 

Grande-Bretagne. 

13.  —  The  english  historical  Revievsr.  1921,  avril.  —  G.  H. 
Wheeler.  La  chronologie  des  plus  anciens  rois  de  Wessex  (parmi 
les  sources  de  la  chronique  anglo-saxonne,  l'auteur  distingue  des 
fragments  généalogiques  pour  les  années  648-728,  qui  sont  contem- 
porains des  événements  f'en  les  étudiant  de  près,  il  dresse  un  tableau 
des  rois  de  Wessex  où  beaucoup  de  noms  et  de  dates  sont  corrigés). 
—  Richard  A.  Nevvhall.  Les  finances  de  guerre  de  Henri  V  et  le  duc 
de  Bedford  (étudie  en  particuher  les  impôts  levés  en  Normandie).  — 
Hosea  Ballou  Morse.  Le  subrécargue  dans  le  commerce  avec  la 
Chine  vers  l'an  1700  (intéressant  pour  l'histoire  du  commerce  avec 
l'Extrême-Orient).  —  J.  H.  Round.  «  Maison  du  comté  »  et  château 
(e-vemples  de  châteaux  féodaux  soustraits  à  la  juridiction  municipale  de 


294  HECCEILS  PÉBIODIQOES. 

certains  bourgs  et  où  se  réunissait,  dans  une  «  maison  »  également 
exempte  de  cette  juridiction,  la  cour  du  comté).  —  J.  A.  Twemlow. 
L'étymologie  de  «  Bay  sait  »  (c'est  la  baie  de  Bourgneuf,  Loire-Infé- 
rieure ;  mentions  fréquentes  de  cette  localité  dans  les  rôles  des 
xiiie-xv«  siècles).  —  S.  T.  Gibson.  L'office  d'échoiteur  de  1317  à 
1341  (il  y  avait  depuis  le  milieu  du  xiv«  siècle  des  ai^ents  chargés  de 
lever  les  «  échoites  »,  les  uns  au  delà  de  la  Trent,  les  autres  en  deçà; 
remaniés  en  1323,  rétablis  en  1327,  ces  deux  offices  furent  réunis  à 
celui  du  shérifï  en  1341.  Liste  des  «  échoiteurs  »  qui  furent  nommés 
dans  cet  intervalle).  —  Miss  Winifred  Jay.  La  Chambre  des  Com- 
munes et  la  chapelle  de  saint  Etienne  (d'un  acte  du  22  juillet  1550,  il 
ressort  que  le  roi  donna  la  maison  et  l'emplacement  du  collège  ou 
hbre  chapelle  de  saint  Etienne,  qui  venaient  d'être  sécularisés,  à  Sir 
Ralph  Fane,  en  se  réservant  la  partie  supérieure  de  la  chapelle  «  pro 
domo  parliamenti  et  pro  parliamerttis  nostris  ibidem  tenendis  »).  — 
Goddard  H.  Orpen.  Une  lettre  inédite  de  Charles  I"  au  marquis 
d'Ormonde  (cette  lettre  fut  écrite  dans  les  derniers  jours  de  juillet 
1646,  avant  la  paix  qui  fut  signée  à  DubUn  le  30.  C'est  une  transcrip- 
tion, faite  sans  doute  par  un  secrétaire  d'Ormonde,  de  l'original  expé- 
dié en  chifïres).  —  J.  Holland  Rose.  Rapport  de  Lord  Elgin  sur  les 
afîaires  du  Levant  et  de  Malte,  en  date  du  28  février  1803.  =  C-ren- 
dus  :  Sir  Paul  Vinogradoff.  Outlines  of  historical  jurisprudence. 
T.  I  (importante  étude  historique  et  juridique  sur  la  famille  et  la  pro- 
priété, la  tribu  et  le  clan).  —  H.  R.  Hall.  The  ancient  history  of  the 
Near  East  (4^  édit.  d'un  livre  plein  de  faits).  —  Th.  O.  Wedel.  The 
médise  val  attitude  towards  astrology,  particularly  in  England  (bon). 

—  C.  Cipolla  et  Giulio  Buzzi.  Codice  diplomatico  del  mouastero  di 
San  Columbano  di  Bobbio  fino  ail'  anno  1208  (recueil  d'un  intérêt 
surtout  local).  —  L.  Wahrmurid.  Die  «  ars  notariae  »  des  Rainerius 
Perusinus  (importante  compilation  ;  maître  Renier  de  Pérouse,  «  pre- 
clarus  et  famosus  doctor  atque  judex  »,  vécut  environ  de  1185  à  1245). 

—  A.  F.  Pollard.  The  évolution  of  Parhament  (très  important;. mais 
la  lumière  n'est  pas  faite  d'une  façon  définitive  sur  les  points  essen- 
tiels). —  John  R.  Elder.  Spanish  influences  in  scottish  history  (beau- 
coup de  faits  sur  les  rapports  de  l'Espagne  avec  l'Ecosse  de  1488  à 
1603;  mais  beaucoup  d'incertitude  dans  les  grandes  lignes).  — 
W.  Smith.  The  history  of  the  Post  office  in  the  British  North  Ame- 
riba,  1639-1870  (savant  livre,,  un  peu  dur  à  lire).  —  Journal  of  the 
Commissioners  for  trade  and  plantations  from  april  1704  to  february 
1708-1709  (important  pour  l'histoire  des  colonies  anglaises  en  Amé- 
rique). —  W.  Michael.  Englische  Geschichte  im  achtzehnten  Jahr- 
hundert.  II  :  Das  Zeitalter  Walpole's  ;  l""  partie  (cette  partie  ne  traite 
encore  que  de  trois  années  :  1717-1720.  Travail  considérable  et  de 
grande  importance).  —  H.  Fisher.  Studies  in  history  and  politics 
(intéressant  recueil  d'articles  dont  plusieurs  sur  l'époque  napoléo- 
nîenne).  —  H.  W.  Temperley.  A  history  of  the  peace  conférence  of 


BECOEILS   PÉRIODIQUES.  295 

Paris  (utile  et  par  endroits  très  remarquable).  —  A.  Mawer.  The 
place-names  of  Northumberlaud  and  Durham  (œuvre  de  solide  érudi- 
tion ;  nombreuses  observations  de  détail  par  Henry  Bradley).  — 
E.  Michael.  Geschichte  des  deutschen  Volkes  vom  dreizehnten  Jahr- 
hundert  bis  zum  Ausgaog  des  Mittelalters.  Bd.  VI  (le  savant  jésuite 
est  un  guide  très  bien  informé  à  travers  les  broussailles  de  l'histoire 
politique  de  l'Allemagne  depuis  la  mort  de  Henri  VI  jusqu'à  celle 
d'Honorius  III).  —  H.  Kretschmayr.  Geschichte  von  Venedig.  T.  II 
(de  la  4e  croisade  à  4516;  important). 

14.  —  History.  1921,  avril.  —  Arthur  Gray.  Les  débuts  des  col- 
lèges (il  s'agit  de  ceux  de  Cambridge).  —  G.  P.  GoocH.  L'Europe 
avant  la  guerre  (d'après  les  publications  de  documents  entreprises 
dans  les  divers  pays  d'Europe  sur  les  origines  de  la  Grande  Guerre). 
—  A.  F.  PoLLARD.  Un  e:;sai  de  méthode  historique  :  les  journaux  de 
Barbellion  (on  a  récemment  publié  sous  le  nom  de  W.  N.  P.  Barbel- 
lion  un  «  Journal  of  a  disappointed  man  »  et  «  A  last  diary  »  ;  ces 
ouvrages  sont  en  grande  partie  une  mystification  littéraire,  oeuvre  de 
deux  ou  trois  mains  différentes.  Les  invraisemblances  et  les  erreurs 
de  fait  sont  si  nombreuses  qu'on  ne  saurait  leur  accorder  aucune 
créance.  Wells,  l'éminent  romancier,  y  aurait-il  mis  la  main?).  — 
R.  W.  Seton-Watson.  La  Serbie  et  le  mouvement  yougoslave  (avec 
une  abondante  bibliographie).  =  C. -rendus  :  VV.  M.  Flinders  Pétrie. 
Some  sources  of  human  history  (beaucoup  d'intéressantes  observa- 
tions). —  W.  C.  Abbott.  The  expansion  of  Europe,  1415-1789  (com- 
pilation à  l'usage  des  étudiants  pressés  d'entasser  dans  leur  mémoire 
beaucoup  de  faits  sans  critique).  —  H.  E.  Bolton  et  T.  M.  Marshall. 
The  colonization  ofNorth  America,  1492-1783  (excellent).  ~  R.  Cohen.. 
Kuights  of  Malta,  1523-1798  (très  bref  résumé).  —  W.  E.  D.  Allen. 
The  Turks  in  Europe  (bon  résumé).  —  J.  L.  Morison.  British  supre- 
macy  and  Canadian  self-government,  1839-1854  (très  instructif). 

15.  —  The  Quarterly  Review.  1921,  avril.  —  Contre-amiral 
Ronald  A.  Hopwood.  La  foi  qui  sauve  (à  l'occasion  des  deux  ouvrages 
de  C.  Taylor  :  «  The  life  of  admirai  Mahan  »,  et  du  contre-amiral 
W.  S.  Sims  :  «  The  victory  at  Sea  »  montre  que,  si  les  Allemands 
ont  déployé  toute  l'industrie  dont  ils  sont  capables  pour  mettre  en 
pratique  1^  idées  de  Mahan  sur  la  maîtrise  de  la  mer,  ils  n'ont  pas 
su  s'inspirer  de  l'esprit  du  vrai  marin  qui  donne  la  victoire).  —  W.  R. 
Inge,  doyen  de  Saint-Paul.  L'homme  blanc  et  ses  rivaux  (ceux  de  la 
race  jaune).  —  Lord  Ernle.  L'Angleterre  et  les  ouvriers  agricoles  (à 
propos  de  trois  ouvrages  :  llasbach  :  «  A  history  of  tlie  euglish  agri- 
cultural  labourers  »,  trad.  par  Ruth  Kenyon;  Hammond  :  «  The  vil- 
lage labourer,  1760-1832  »,  et  F.  E.  Green  :  «  A  history  of  the  english 
agricultural  labourer,  1870-1920  »).  —  Geoffrey  L.  Bickersteth. 
Benedetto  Croce  considéré  comme  critique  littéraire.  —  F.  W.  Eg- 
GLESTUN.  L'unité  impériale  et  le  traité  de  paix  (l'indépendance  des 


296  BECCEILS  PÉRIODIQUES. 

Dominions  n'a  aucunement  ébranlé  l'unité  de  l'Empire  britannique, 
fondé  sur  le  principe  de  la  liberté).  —  A.  D.  C  Russell.  Le  chemin 
de  fer  de  Bagdad  (comment  il  a  été  construit;  avec  une  carte).  — 
G.  P.  GooCH.  Une  nouvelle  biographie  de  Gœthe  (celle  de  feu  P.  Hume 
Brown,  complétée  par  Lord  Haldane).  —  Mary  Maxwell  Moffat. 
Eleonora  Fonseca  et  la  révolution  napolitaine  de  1799.  —  G.  W.  Em- 
MET.  Le  livre  de  l'Apocalypse  (à  propos  de  l'ouvrage  de  R.  H.  Charles  : 
«  A  critical  and  exegetical  commentary  on  the  Révélation  of  St.  John  »  ; 
important  ouvrage,  dont  une  des  conclusions  est  qu'il  est  impossible 
d'attribuer  à  la  même  personne  le  4^  évangile,  les  trois  épîtres  johan- 
niques  et  l'Apocalypse.  Ce  dernier  ouvrage  a  été  composé  par  un  Jean 
inconnu,  un  prophète  qui  a  émigré  sur  le  tard  de  la  Galilée,  où  naquit 
l'Apocalypse,  à  Éphèse.  L'auteur  s'est  en  outre  efforcé  de  montrer  la 
puissance  dramatique  et  l'unité  de  l'Apocalypse).  —  Charles  Woods. 
La  vérité  sur  les  Balkans  (d'après  les  traités  de  Saint-Germain,  de 
Trianon,  de  Neuilly  et  de  Sèvres;  avec  une  carte).  —  W.  H.  MORE- 
LAND.  La  science  de  l'administration  publique. 

16.  —  The  Scottish  historical  Review.  1921 ,  avril.  —  R.  K.  Han-- 
NAY.  Le  Parlement  et  le  Conseil  général  (étude  sur  le  sens  des  mots 
«  parliamentum  »  et  «  générale  consihum  »  en  Ecosse,  du  xiv«  au 
xvp  siècle.  Le  Parlement  et  le  Conseil  général  sont  deux  institutions 
distinctes  ;  au  xvp  siècle,  le  terme  Conseil  général  est  d'ordinaire 
remplacé  par  celui  de  Convention).  —  Walter  Seton.  Les  papiers 
des  Stuarts  au  château  de  Windsor  (publie  un  catalogue  sommaire 
des  papiers  qui  furent  acquis  en  1810  par  l'intermédiaire  de  l'abbé 
Waters,  procureur  général  des  Bénédictins  anglais  à  Rome.  Ce  cata- 
logue est  une  note  autographe  de  Sir  William  Hamilton,  le  mari  de 
Lady  Hamilton,  qui  fut  la  maîtresse  de  Nelson).  —  W.  A.  Craigie. 
Inscriptions  bibliques  en  écossais  trouvées  en  France.  —  D.  Murray. 
Ninian  Campbell  de  Kilmacolm,  professeur  d'éloquence  à  Saumur, 
ministre  à  Kilmacolm  et  à  Rosneath  (biographie  de  ce  ministre,  qui 
mourut  à  Rosneath  le  11  mars  1657,  âgé  de  cinquante-huit  ans).  — 
S.  N.  Miller.  Poterie  samienne  et  chronologie  de  l'occupation 
romaine  (montre  comment  on  peut  marquer  l'extension  de  la  domina- 
tion romaine  en  Ecosse  en  étudiant  les  poteries  dites  «  samiennes  » 
ou  en  «  terra  sigillata  »  trouvées  dans  le  sol  et  récemment  étudiées  en 
Allemagne  par  Knorr,  en  Angleterre  par  F.  Oswald  et  T.  D.  Pryce).  = 
C.-rendus  :  Extracts  from  Newcastle-upon-Tyne  Council  minute- 
book,  1639-1656.  —  Marjorie  et  Quennell.  A  history  of  everyday 
things  in  England,  1066-1799  (extraits  joliment  illustrés).  —  Th.  May 
et  L.  E.  Hope.  Catalogue  of  the  roman  pottery  in  the  Muséum,  Tul- 
lie  House,  Carlisle.  —  A.  Mawer.  The  place-names  of  Northumber- 
land  and  Durham  (remarquable.  Les  conclusions  de  l'auteur  sont 
que,  dans  les  comtés  du  nord-est,  l'élément  celtique  n'est  pas  plus 
considérable  que  dans  ceux  du  reste  de  l'Angleterre;  la  plupart  des 
noms  de  lieu  sont  d'origine  anglaise;  l'élément  Scandinave  est  très 


RECUEILS  pe'riodiques.  297 

faible  et  l'élément  français  presque  nul).  —  //.  G.  Rawlinson.  British 
beginnings  in  Western  India,  1579-1657  (bonne  histoire  de  la  factore- 
rie anglaise  de  Surat).  —  The  city  of  Glasgow;  itsorigin,  growth  and 
development  (bon  recueil  d'articles  rédigés  par  des  érudits  locaux). 

17.  —  Transactions  of  the  royal  historical  Society.  4"  série, 
t.  111,  1920.  —  Sir  C.  W.  Oman.  Allocution  présidentielle  (sorte  de 
résumé  de  la  question  d'Orient  depuis  les  croisades).  —  Les  archives 
de  la  Grande-Bretagne  et  les  Puissances  alliées  pendant  la  guerre. 
2<-"  série  (France,  Belgique,  Canada,  Australie,  Union  du  Sud- 
Afrique).  —  G.  Edmundson.  Le  voyage  de  Pedro  Teixeira  sur  l'Ama- 
zone, de  Para  à  Quito  et  retour,  1637-1639  (utilise  des  documents  iné- 
dits). —  Miss  Mildred  Wretts- Smith.  Les  Anglais  en  Russie 
pendant  la  seconde  moitié  du  xvi"  siècle  (signale  de  nouveaux  fonds 
d'archives  qui  permettent  de  compléter  l'histoire  de  la  Compagnie 
anglaise  de  commerce  avec  la  Russie  au  temps  d'Elisabeth  et  d'Ivan 
le  Terrible).  —  Miss  H.  Dormer  Harris.  Documents  inédits  sur  la 
vie  municipale  à  Coventry  (d'après  deux  volumes  de  correspondances 
du  xvp  siècle  et  le  journal  de  Robert  Beake,  maire  de  Coventry  en 
1655).  —  W.  Rees.  La  peste  noire  en  Galles  (et  son  influence  sur 
l'économie  agricole).  —  J.  E.  Neale.  Les  journaux  de  la  Chambre 
des  Communes  au  temps  des  Tudors  (importante  étude  critique.  Au 
début,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du  xvi«  siècle,  les  Communes 
paraissent  ne  s'être  pas  préoccupées  de  tenir  un  procès-verbal  de 
leurs  délibérations;  en  1571,  on  commence  par  admettre  que  le  «  clerk  » 
de  la  Chambre  est  tenu  de  le  rédiger;  en  1604,  la  Chambre  considère 
qu'elle  doit  en  prendre  le  plus  grand  soin). 

Italie. 

18.  —  Archivio  storico  italiano.  1920,  anno  LXXVIII,  vol.  I, 
fasc.  2.  —  Luigi  Chiappelli.  Maîtres  et  écoles  à  Pistoia  jusqu'à  la  fin 
du  xiye  siècle  (publie  en  appendice  huit  documents  du  xii»  siècle  à  132G). 
—  Romolo  QuAZZA.  La  lutte  diplomatique  entre  Gênes  et  l'Espagne 
après  qu'Albéroni  eut  quitté  la  Ligurie  en  fugitif,  1720-1722.  —  Amy 
A.  Bernardv.  La  mission  de  Benjamin  Franklin  à  Paris,  d'après  les 
dépêches  des  ambassadeurs  vénitiens  en  France,  1776-1786  (publie  en 
appendice  trois  de  ces  dépêches,  plus  un  projet  de  traité  d'amitié  et  de 
commerce  entre  les  États-Unis  et  la  République  de  Venise  en 
décembre  1784).  =  C. -rendus  :  Vincenzo  Epifanio.  L'idea  italiana  e 
i  re  d'Italia  nei  secoli  (bon  écrit  de  propagande  nationaliste).  — 
P.  Torelli.  Studi  e  ricerche  di  diplomatica  comunale  (bon  instrument 
de  travail).  —  N.  Zucchelli  et  Eug.  Lazzareschi.  S.  Calerina  da 
Siena  e  i  Pisani  (mettent  en  bonne  lumière  l'œuvre  politique  et  reli- 
gieuse de  la  sainte;  son  séjour  à  Pise  a  marqué  le  début  de  la  mission 
qu'elle  s'était  dunuée  et  qui  avait  pour  objet  de  ramener  le  pape  à 
Rome).  — -  Fernanda  Surbelli-Bonfà.  Camilla  Gonzaga  Faà  (bonne 


298  RECOEILS   rÉRIOJDIQCES. 

étude  sur  le  mariage  fictif  du  duc  Ferdinand  de  Gonzague  avec 
Camille  Faà,  qui  finit  par  entrer  au  couvent  le  22  mai  1622).  — 
A.  Dallolio.  La  difesa  di  Venezia  nel  1848  (d'après  la  correspondance 
de  Carlo  Berti-Pichat  et  d'Auguste  Aglebert).  =  Article  nécrologique 
sur  Pietro  Vigo  (historien  livournais  mort  le  4  octobre  1918). 

19.   —  Archivio    storico   lombardo.    Anno   XLVII,    fasc.    1-2 
(30  juin  1920).  —  Ugo  Monneret  de  Villard.  Le  «  Memoratorium 
de  mercedibus  Commacinorum  »  (essaie  de  déterminer  le  caractère  de 
ce  document,  fort  important  pour  la  technique  et  l'organisation  de 
l'industrie  du  bâtiment  dans  l'Italie  lombarde  ;  explication  des  termes 
de  métier;  réédition  du  texte).  —  Carlo  M.  Rota.  Pays  du  Milanais 
disparus  ou  détruits;  suite.  —  Carminé  di  Pierro.  Un  poème  latin 
de  l'humaniste  Jean  de  Crémone  à  l'honneur  de  Carmagnola  (texte  de 
ce  poème  qui  a  pour  titre  :  «  Victoria  domini  ducis  Mediolani  in  domi- 
num  Pandulphum  de  Malatestis,  per  magistrum  Johannem  de  Cre- 
mona  gramatica?  doctorem  »).  —  Leopoldo  PaGani.  L'ambassade  de 
Francesco   Sforza  au  pape  Nicolas  V  pour  traiter  de  la  paix  avec 
Venise,  1453-1454. —  G.  Agnelli  et  A.  Mazzi.  Notes  de  topographie 
historique.  —  Rinaldo  Baretta.  Vente  par  les  seigneurs  de  Mandello 
à  Napoleone  délia  Torre  de  leurs  droits  sur  la  seigneurie  de  Grantola 
Valtravaglia,  1263  (texte  de  ce  document  en  latin,  très  long  et  très 
minutieux).  — Pio  Pecchiai.  Questions  de  préséance  au  xyiii^  siècle. 
—  Alessandro  Giulini.  Le  collège  impérial  des  chanoinesses  de  saint 
Charles  à  Crémone  (fin  xviii«  siècle).  =  C. -rendus  :,  Elia  Lattes. 
L'enigma  etrusco  (deux   brochures  où  l'auteur,  tout  en  s'eSorçant 
de  prouver  la   parenté   de   l'étrusque    avec    les   dialectes   italiques, 
reconnaît   que    l'énigme   reste    sans   solution).   —    Ugo    Monneret 
de  Villard.  La  moneta  in  Italia  durante  l'alto  medio  evo;  fasc.  1 
(important).  —  Giovanni  Antona  Traversi.  Per  le  nozze  Ponzani- 
Antona  Traversi  (on  fait  ici  l'histoire  de  l'abbaye  de  dames  bénédic- 
tines de  Saint- Victor,  près  de  Meda,  dans  la  Brianza  occidentale; 
les  terres  de  cette  abbaye  ont  été  achetées  en  1836  avec  les  archives, 
encore  aujourd'hui  considérables;  on  publie  quatorze  des  plus  anciens 
documents,  du  x*  au  xii«  siècle).  —  Pietro  Torelli.  L'archivio  Gon- 
zaga  di  Mantova;  t.  I  :  Monumenta  (inventaire  complet  de  ces  belles  . 
archives,  avec  une  très  abondante  bibliographie).  z=  Fasc.  3  (15  no- 
vembre 1920).  Arrigo  Solmi.   Le  texte   des   «   Honorantie  civitatis 
Papie  »  (d'après  un  manuscrit  du  xv^  siècle  non  utilisé  par  les  précé- 
dents éditeurs.  Le  texte  comprend  deux  parties  :  d'abord  un  docu- 
ment de  1024  intitulé  «  Instituta  regalia  et  ministeria  camere  regum 
Longobardorum  »,  puis  un  tableau,  tracé  au  xiv«  siècle,  des  gloires 
de  Pavie.  Nouvelle  édition  des  «  Instituta  »).  —  Giannina  Biscaro. 
Rapports  des  Visconti  de  Milan  avec  l'Eglise  (au  temps  de  Benoît  XII, 
1335-1342;  en  appendice,  une  note  sur  la  conspiration  de  Francescolo 
Pusterla).  — Alessandro  Visconti.  La  politique  ecclésiastique  du  gou- 
vernement autrichien  en  Lombardie  pendant  la  seconde  moitié  du 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  299 

xviiP  siècle.  —  Piero  Parodi.  Nicodemo  Tranchedini  de  Pontre- 
moli,  généalogiste  des  Sforza.  —  Pio  Pecchiai.  Les  deux  tombeaux 
des  Biraghi  à  l'Ospedale  maggiore  de  Milan  (Bernardo  Biraghi,  moine 
à  l'hôpital  du  Brolo  et  recteur  de  cet  hôpital,  mort  en  1491;  Daniele 
Biraghi,  sénateur  du  duché  de  Milan  au  temps  de  Galéas  Marie 
Sforza,  mort  en  1495).  —  C. -rendus  :  Cesare  Manaresi.  Gli  atti  del 
comune  di  Milano  fino  ail'  anno  1216  (bonne  édition  critique).  — 
G.  Gallavresi  et  V.  SalUer  de  La  Tour  de  Cordon.  Le  maréchal 
Sallier  de  La  Tour.  Mémoires  et  lettres  (ces  documents  intéressent 
l'histoire  des  guerres  contre  Napoléon  I^""  dans  l'Italie  méridionale  et 
en  Espagne).  —  Raffaello  Barbiera.  Voci  e  Volti  del  passato  1800- 
1900  (d'après  les  archives  d'État  de  Milan).  =  Notices  historiques  : 
A.  GiULiNi.  Documents  nouveaux  concernant  Maria  Marina  d'Esté 
Colonna  (publie  une  lettre  du  20  septembre  1758).  —  G.  Gallavresi. 
Quelques  lettres  de  Tommaso  Grossi  à  Mgr  Tosi,  1827-1830.  — 
Notice  nécrologique  et  bibliographique  sur  Giacinto  Romano. 

20.  —  Archivio  storico  perle  provincie  Napoletane.  T.  XXXIX, 

fasc.  2,  1914,  avril-juin.  —  F.  Torraca.  Jean  Boccace  à  Naples,  1326- 
1339;  suite.  —  F.  Forcelliki.  Étranges  aventures  d'un  bâtard  de  la 
maison  d'Aragon  ;  suite  (Alphonse  d'Aragon  ;  son  rôle  Sans  la  guerre 
avec  Venise,  1482-1489).  —  A.  Simioni.  Le  complot  jacobin  à  Naples 
en  1794,  d'après  des  documents  nouveaux;  suite.  —  G.  Caso.  Lachar- 
bonnerie  dans  la  Capitanate,  1816-1820,  et  l'histoire  du  «  Risorgi- 
mento  italiano  »  ;  suite  (chap.  m  :  les  «  ventes  »  des  «  Carbonari  »  en 
1820  à  Foggia,  Cerignola,  Lucera,  Manfredonia,  Mautesantangelo).  = 
C. -rendu  :  E.  Jamison.  The  norman  administration  of  Apulia  and 
Capua,  more  especially  under  Roger  II  and  William  II  (analyse 
détaillée  de  cette  remarquable  étude,  avec  l'indication  d'un  certain 
nombre  de  corrections).  =  Juillet-septembre.  F.  Torraca.  Jean  Boc- 
cace à  Naples,  1326-1339;  suite.  —  F.  Forcellini.  Étranges  aventures 
d'un  bâtard  de  la  maison  d'Aragon;  suite  (1489-1497).  —  A.  Simioni. 
Le  complot  jacobin  à  Naples  en  1794;  suite.  —  G.  Caso.  La  charbon- 
nerie  dans  la  Capitanate,  1816-1820;  suite  (les  «  ventes  »  de  S.  Barto- 
lomeo  in  Galdo,  Vieste,  Volturara,  Sansevero,  S.  Giovanni  Rotondo, 
Rodi,  S.  Marco  in  Lamis).  —  G.  d'Addosio.  Documents  inédits  con- 
cernant des  artistes  napolitains  du  xvi»  et  du  XYii*  siècle,  d'après  les 
polices  de  la  banque  des  Banchi;  suite  et  à  suivre  dans  toutes  les 
livraisons  de  1915  à  1919.  =  C. -rendus  :  R.-T.  Gûnther.  Pausilippon 
(décrit  tous  les  monuments  antiques  de  la  région  du  Pausilippe;  mais 
l'auteur,  géologue  distingué,  aurait  bien  fait  de  s'assurer  la  collabora- 
tion d'un  archéologue).  —  R.  Cessi.  Un  vescovo  Pugliese  del  sec.  vi 
(étude  sur  une  des  vies  de  S.  Sabino  de  Canosa).  —  Karl  Ilarstedtet 
Frilz  Kern.  Zum  Kampf  um  Sizilien,  1256-1258  (deux  documents 
sur  la  candidature  d'Edmond  d'Angleterre  au  trône  de  Sicile).  — 
Fr.  Nitti.  Le  pergamene  di  Barletta;  archivio  capitolare,  897-1285 
(334  documents  bien   publiés).  —  V.  Roppo.  Le  fonti  del  diritto  di 


300  RECOEILS   PÉRIODIQOES. 

Terra  di  Bari  (étude  d'un  caractère  surtout  bibliographique  et  d'un 
mince  intérêt).  —  F.  Sa.vini.  BuUarium  capituli  Aprutani  saec.xiii  et 
XIV  (bonne  édition  de  textes  dont  l'intérêt  est  surtout  local).  —  L.  Vol- 
picella  et  E.  Lazzareschi.  La  signoria  di  Lucca  aile  nozze  di  Ferdi- 
nando  I  di  Napoli  con  Giovanna  d'Aragona  (1476  ;  joli  «  per  le  nozze  »). 

—  G.  Paladino.  La  fine  del  conte  di  Policastro,  secondo  nuovi  docu- 
menti  (nie,  sur  la  foi  de  documents  nouveaux,  qu'au  moment  de  mou- 
rir sur  l'échafaud  le  comte  ait  imploré  la  grâce  du  roi,  13  novembre 
1486).  —  A.  Bianconi.  L'opéra  délie  compagnie  del  «  Divino  amore  » 
nella  Riforma  cattolica  (instructif).  —  C.  Contessa.  I  regni  di  Napoli 
e  di  Sicilia  nelle  aspirazioni  italiane  di  Vittorio  Amedeo  II  di  Savoia, 
1700-1713  (bon).  —  R.  Baldi.  La  contrarivoluzione  Cavese  del  1799  e 
il  capitano  Don  Vincenzo  Baldi  (brochure  de  vingt  et  une  pages).  — 
B.  Zumbini.  Gladstone  nelle  sue  relazioni  con  l'Italia  (bon).  =  Oc- 
tobre-décembre. F.  TORRACA.  Jean  Boccace  à  Naples,  1326-1339;  suite 
et  fin  (c'est  pendant  son  séjour  de  quatorze  années  à  Naples  que 
s'acheva  la  formation  intellectuelle  du  Florentin  Boccace.  Appendice 
de  trente-deux  documents  d'un  caractère  commercial  et  financier).  — 
P.  Egidi.  La  colonie  sarrasine  de  Lucera  et  sa  dispersion  ;  suite  et  fin. 
=  Nouvelle  série,  t.  I,  1915,  fasc.  1-2.  Bibliographie  des  œuvres  de 
Giuseppe  De  Blasiis  (De  Blasiis,  qui  est  mort  le  29  avril  1914,  âgé  de 
quatre-vingt-deux  ans,  avait  inauguré  en  1861  le  cours  d'histoire 
nationale  à  l'Université  de  Naples  et  fut,  pendant  une  quarantaine 
d'années,  directeur  de  l'Archivio,  première  série.  Suivent  le  texte  de 
trois  discours  prononcés  devant  son  cercueil  le  30  avril  1914  et  toute 
une  série  d'articles  sur  la  vie,  les  œuvres,  l'enseignement  du  défunt). 

—  G.  De  Blasiis.  Leçon  d'ouverture  du  cours  d'histoire  nationale, 
1861.  —  Id.  Un  château  souabe  et  angevin  à  Naples  (c'est  le  château 
du  Belvédère  ou  de  Monteleone,  qui  s'élevait  près  de  Pouzzoles  ;  cons- 
truit par  Frédéric  II  au  milieu  d'une  forêt  ou  «  gualdo  »,  vers  1227, 
comme  lieu  de  repos  et  centre  de  chasse,  il  fut  occupée  ensuite  par 
Charles  l'^"'  d'Anjou  et,  depuis,  on  peut  suivre  son  histoire  jusqu'au 
xvi^  siècle,  où  il  n'était  plus  qu'une  ruine.  Nombreux  documents  en 
appendice).  —  Giuseppe  Paladino.  Nouveaux  détails  sur  Fabrizio 
Marramaldo  (fameux  condottiere  napolitain  mort  en  1542.  D'après  des 
notes  et  des  documents  réunis  par  G.  De  Blasiis).  =:  Fasc.  3.  Angela 
Valente.  Marguerite  de  Durazzo,  lieutenant  de  Charles  III  et  tutrice 
du  roi  Ladislas.  Introduction  (publie  le  texte  des  sentences  d'excom- 
munication lancées  par  l'antipape  Clément  VII  contre  Charles  de 
Durazzo  et  ses  pjirtisans  le  25  décembre  anno  4°  et  contre  sa  femme, 
Marguerite,  le  11  juillet  de  la  même  année).  —  Enrico  Perito.  La 
guerre  d'Otrante  et  les  cédules  de  la  trésorerie  aragonaise  de  cette, 
époque  (analyse  de  documents  pour  les  années  1480  et  1481).  — 
M.  Martini.  L'acqua  Tufania  à  Naples  et  les  démêlés  du  cardinal 
Francesco  Pignatelli  (il  s'agit  d'affaires  de  poison  qui  atteignirent  un 
haut  degré  de  gravité  au  milieu  du  xviF  siècle  et  dans  les  premières 


RECUEILS   PÉBIODIQDES.  301 

années  du  xviif.  Publie  la  confession  d'une  empoisonneuse,  Gaterina 
de  Martino,  en  1707).  —  B.  C.  Une  ambassade  du  roi  de  Castille  à 
Tamerlan  et  son  passage  sur  les  côtes  du  royaume  de  Naples,  juin  et 
juillet  1-403  (publie  la  relation,  en  langue  vulgaire,  de  ce  voyage  par 
un  des  ambassadeurs,  Ruy  Gonzalez  de  Clavijo;  elle  a  déjà  été  éditée 
à  Séville  en  1582.  Elle  est  brève  et  d'un  intérêt  restreint).  —  Giuseppe 
Salvioli.  L'œuvre  de  Biagio  da  Morcone  (c'était  un  juriste  qui,  en 
1335,  composa  un  traité  «  De  différentes  inter  ius  Longobardorum  et 
lus  Romanorum  »).  —  Francesco  Cerone.  Gorrespondance  des  Rois 
Catholiques  avec  le  Grand  Capitaine  pendant  la  campagne  d'Italie 
(analyse  cette  correspondance  publiée  dans  la  «  Revista  de  archivos, 
bibliotecas  y  museos  »  en  1912  et  1913).  —  Giuseppe  Ceci  et  Attilio 
SiMiONi.  Bibliographie  de  l'histoire  méridionale,  1910-1914.  =  Fasc.  4. 
Angela  Valente.  Marguerite  de  Durazzo,  lieutenant  de  Charles  III 
et  tutrice  du  roi  Ladislas;  suite  (lutte  contre  Urbain  VI,  1384-1385). 

—  Giovanni  Pansa.  Le  rite  judaïque  de  la  profanation  de  l'hostie  et 
le  cycle  de  la  Passion  dans  les  Abruzzes  (dans  ce  cycle  figure  saint 
Longin,  nom  de  chose  devenu  nom  de  personne.  Ce  nom  a  en  outre 
contribué  à  l'altération  du  nom  de  lieu  Anxanum  devenu  Lanciano). 

—  Luigi  Genuardi.  La  «  lex  et  consuetudo  Romanorum  »  dans  le 
principat  Ipmbard  de  Salerne.  —  Alfonso  Gallo.  Aversa  et  la 
«  charta  »  pendant  la  période  normande  (étude  diplomatique  sur  la 
rédaction  des  actes  appelés  «  chartae  »,  xi^  et  xii^  siècles).  —  Martino 
Martini.  L'acqua  Tufania  à  Naples  et  les  démêlés  du  cardinal  Fran- 
cesco Pignatelli;  suite  (1703-1713).—  Mario  Vinciguerra.  La  régence 
bourbonienne  pendant  la  minorité  de  Ferdinand  IV  (Tanucci  après 
1759;  légende  de  sa  dictature).  —  B.  C.  Une  poésie  espagnole  à  la 
louange  de  Lucrezia  d'Alagna,  femme  d'Alfonse,  roi  d'Aragon  (par 
Pierre  Torroella).  —  G.  Ceci  et  A.  Simioni.  Bulletin  bibliographique 
sur  l'histoire  méridionale,  1910-1914.  =  Nouvelle  série,  anno  II, 
fasc.  1  (30  mai  1916).  F.  Cerone.  La  souveraineté  napolitaine  sur  la 
Morée  et  sur  les  îles  voisines.  —  M.  Schipa.  Le  soulèvement  de 
Masaniello,  d'après  des  mémoires  contemporains  inédits  (1"  le  héros 
populaire  du  7  au  16  juillet  1647;  2°  les  deux  premières  journées 
d'émeute  contre  la  gabelle,  7  et  8  juillet).  —  Mario  Vinciguerra.  La 
régence  bourbonienne  pendant  la  minorité  de  Ferdinand  IV;  suite 
(situation  écpnomique  du  pays  napolitain  en  1760-1761).  —  Albina 
Palanza.  Un  comte  normand  d'Avellino  (Goffredo,  comte  de  Catan- 
zaro,  qui,  en  11/14,  prit  le  titre  de  a  comes  Catacensis  Abellini  »).  — 
B.  C.  Un  pot-pourri  inédit  du  xv»  siècle  (publie  un  «  gliommero  »  ou 
«  frottola  »,  sorte  de  pot-pourri  en  dialecte  napolitain).  =  Fasc.  2-3 
(25  octobre  1916).  F.  Cerone.  La  souveraineté  napolitaine  sur  la  Morée 
et  sur  les  îles  voisines;  suite  (1270-1278).  —  Angela  Valente.  Mar- 
guerite de  Durazzo,  lieutenant  de  Charles  III  et  tutrice  du  roi  Ladis- 
las; chap.  II  (continuation  de  la  lutte  entre  Charles  III  et  Urbain  VI; 
seconde  lieutenance  de  Marguerite,  de  septembre  1385  à  mars  1387). 


302  RECDEILS   PÉRIODIQUES. 

—  M.  SCHIPA.  Le  soulèvement  de  Masaniello;  suite  (négociations  avec 
l'autorité  royale,  8-10  juillet).  —  Mario  Vinciguerra.  La  régence 
bourbonienne  pendant  la  minorité  de  Ferdinand  IV  (les  partis  clérical 
et  anticlérical  en  1762).  —  A.  Gallo.  Aversa  et  la  «  charta  »  pendant 
la  période  normande;  fin.  —  Martino .  Martini.  L'acqua  Tufania  à 
Naples  et  les  démêlés  du  cardinal  Francesco  Pignatelli  (fin  de  l'affaire 
des  poisons  vers  1730;  des  traces  qu'elle  a  laissées  dans  la  littérature). 
=  Fasc.  4  (30  mars  1917).  M.  Schipa.  Le  soulèvement  de  Masaniello; 
suite  (Masaniello,  capitaine  général  du  peuple,  10-12  juillet  1648).  — 
Mario  Vinciguerra.  La  régence  bourbonienne  pendant  la  minorité  de 
Ferdinand  IV;  suite  (la  marquise  Tanucci;  Wlnckelmann  à  Naples; 
état  où  se  trouvaient  en  1763  les  fouilles  de  Pompéi  et  d'Herculanum  ; 
la  question  des  grains  en  1764).  —  Albina  Palanza.  Un  comte  nor- 
mand d'Avellino;  suite.  —  B.  C.  Lettres  et  documents  tirés  des  papiers 
de  Giuseppe  Poerio  (1799-1818  ;  quelques  lettres  de  la  comtesse  d'Albany 
en  1814-1819).  =  C. -rendus  :  Ed.  Sthamer.  Die  Reste  des  Archivs 
Karls  I  von  Sizilien  im  Staatsarchiv  zu  Neapel  (beaucoup  de  docu- 
ments pour  l'histoire  et  l'administration  des  châteaux  possédés  par 
les  Hohenstaufen  dans  l'Italie  méridionale).  —  R.  Davidsohn.  Bei- 
traege  zur  Geschichte  Manfreds  (trois  courts  articles  où  sont  signalés 
quelques  documents  inédits  sur  Manfred  et  sa  famille).  —  A.  Bel- 
lucci.  Memorie  storiche  ed  artistiche  del  tesoro  nella  cattedrale  dal 
secolo  XVII  al  xviii  (beaucoup  d'utiles  documents).  =:  Anno  III, 
fasc.  1-2  (20  septembre  1917).  Francesco  Cerone.  La  souveraineté 
napoUtaine  sur  la  Morée  et  les  îles  voisines;  suite  (publie  beaucoup  de 
documents  se  rapportant  au  règne  de  Charles  I^'  d'Anjou,  1278).  — 
Albina  Palanza.  Un  comte  normand  d'Avellino;  suite  et  fin  (dis- 
tingue deux  seigneurs  appelés  Richard  d'Aquila  qui  vivaient  dans  le 
même  temps.  L'un  d'eux,  qui  fut  seigneur  de  Riardo,  eut  pour  suc- 
cesseur, en  1167,  son  fils  Roger  II). —  M.  Schipa.  Le  soulèvement  de 
Masaniello;  2«  partie  (suites  du  mouvement  après  la  mort  de  Masa- 
niello, 17  juillet-6  août  1647).  —  B.  C.  Lettres  et  documents  tirés  des 
papiers  de  Giuseppe  Poerio;  suite  (1820).  =  Fasc.  3-4  (20  mai  1918). 
Mario  Schipa.  Le  soulèvement  de  Masaniello;  suite  et  fin  (août- 
décembre  1647).  —  M.  Vinciguerra.  La  régence  des  Bourbons  pendant 
la  minorité  de  Ferdinand  II  ;  suite  et  fin  (la  dictature  de  Tanucci  fut 
en  somme  bienfaisante  autant  qu'opportune).  —  B.  C.  Lettres  et  docu- 
ments tirés  des  papiers  de  Giuseppe  Poerio;  suite  et  fin  (1820-1848). 
=:  Anno  IV,  1918,  fasc.  1-2.  A.  Valente.  Marguerite  de  Durazzo, 
lieutenant  de  Charles  III  et  tutrice  du  roi  Ladislas;  suite  (1387-1390). 

—  G.  Paladino.  Un  épisode  de  la  conspiration  des  barons.  Le  traité 
de  Miglionico,  1485.  —  F.  Torraca.  Boffile  de  Juge  (ajoute  peu  à 
l'ouvrage  de  Pasquier).  —  G.  Bresciano  et  M.  Fa  va.  La  librairie  et 
la  papeterie  à  Naples  au  temps  de  la  Renaissance,  l''^  partie  :  le  com- 
merce des  livres.  —  F.  Nicolini.  L'enfance  et  l'adolescence  de  l'abbé 
Galiani,  1735-1745;  notes,  lettres,  vers  et  documents.  =  Fasc.  3-4. 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  303 

Angela  Valente.  Marguerite  de  Durazzo,  lieutenant  de  Charles  III  et 
tutrice  du  roi  Ladislas  ;  suite  et  fin  (minorité  de  Ladislas  après  qu'il 
eut  été  reconnu  par  le  pape,  mai  1390-juillet  i393.  Quatorze  docu- 
ments inédits  en  appendice).  —  Giuseppe  Paladino.  Un  épisode  de  la 
conspiration  des  barons.  La  paix  de  Miglionico,  1485;  suite  et  fin.  — 
M.  Fava  et  F.  Bresciano.  La  librairie  et  la  papeterie  à  Naples  au 
xv«  siècle;  suite  (biographie  des  libraires).  —  Michelangelo  Schipa. 
La  conspiration  du  piince  de  Montesarchio  en  1648.  —  Nicola  Fero- 
RELLi.  Les  patriotes  de  l'Italie  méridionale  réfugiés  en  Lombardie  de 
1796  à  1806  (le  journaliste  Giuseppe  Abamonti).  —  Leone  Mattei- 
Cerasoli.  De  quelques  évêques  peu  connus  (xii«  et  xiiF  siècles).  = 
Anno  V,  1919,  fasc.  1-4  (31  mai  1920).  A.  Gallo.  Les  notaires  napo- 
litains pendant  le  moyen  âge  (organisation  de  cette  corporation  depuis 
le  vi«  jusqu'au  xiv"  siècle).  —  C  Rivera.  Pour  servir  à  l'his- 
toire des  Borrelli,  comtes  de  Sangro  (x-xii«  siècles;  avec  uli  tableau 
généalogique).  —  A.  Mancarella.  Florence,  l'Église  et  l'avènement 
de  Ladislas  de  Durazzo  au  trône  de  Naples;  l*''  article.  —  R.  Pes- 
CIONE.  ^e  métier  de  la  soie  à  Naples  et  le  privilège  de  juridiction, 
d'après  des  documents  inédits.  —  M.  Schipa.  La  conspiration  du 
prince  de  Montesarchio,  1648.  2'=  partie  :  les  conspirateurs  (le  prince 
de  Montesarchio  et  le  duc  de  Guise).  —  N.  Cortese.  Les  «  Enseigne- 
ments »  de  Francesco  d'Andréa  à  ses  neveux  (publie  le  texte  des 
«  Avvertimenti  ai  suoi  nepoti  »,  qui  est  une  véritable  autobiographie 
du  personnage.  Dans  l'introduction,  l'auteur  étudie  la  renaissance  de 
la  philosophie  à  Naples  au  xvii^  siècle).  —  G.  Ceci.  Les  mémoires  du 
général  Vincenzo  Pignatelli  di  Strongoli  (extraits  relatifs  aux  années 
1831-1837).  —  Leone  Mattei-Cerasoli.  De  quelques  évêques  napoli- 
tains peu  connus;  suite  et  fin  (xi-xiv^  siècles).  —  G.  Paladino.  Pour 
servir  à  l'histoire  de  la  conspiration  des  barons;  documents  inédits 
tirés  des  archives  d'Esté,  1485-1487.  —  B.  C.  L'Académie  des 
«  Sereni  »  (publie  l'acte  de  fondation  de  cette  Académie,  14  mars 
1546). 

21.  —  Rivista  storica  italiana.  Anno  XXXVII,  4^  série,  t.  XII, 
fasc.  1,  janvier-mars  1920.  —  J:  Strzygowski.  Die  Baukunst  der 
Armenier  und  Europa  (montre  l'influence  exercée  par  l'Arménie  sur 
l'architecture  européenne.  L'art  roman  devrait  être  appelé  plutôt  l'art 
oriental  de  l'Occident).  —  P.  Baldi.  La  questione  dei  luoghi  santi  in 
générale.  La  custodia  francescana  di  Terra  Santa  (deux  brochures  de 
propagande  pour  venir  au  secours  des  missionnaires  italiens).  — 
L.  Fausti.  Le  pergamene  dell'  archivio  del  duomo  di  Spalato  (inven- 
taire de  ces  chartes,  au  nombre  de  938).  —  (/.  Sironi.  La  stirpe  e  la 
nazionalità  nel  Tirolo.  La  Rezia  (sérieuse  tentative  pour  débrouiller  un 
problème  ethnique  très  compliqué).  —  E.  Ciaceri.  Processi  politici  e 
relazioni  internazionali  (recueil  de  mémoires  sur  les  deux  derniers 
siècles  de  la  République  et  le  premier  siècle  de  l'Empire).  —  Amedeo 
Crivellucci.  Landolfi  Sagacis  Historia  romana  (très  bonne  édition 


304  RECUEILS  pe'biodiques. 

d'une  chronique  écrite  sans  doute  à  Bénévent  au  xi«  siècle,  avant  la 
mort  de  Basile  II  en  1023).  —  V.  Facchinetti.  Siate  amici.  Siate 
apostoli  (deux  intéressantes  études  sur  la  vie  et  l'œuvre  de  saint  Fran- 
çois d'Assise).  —  L.  Frati.  Chartularium  studii  Bononiensis;  t.  IV 
(documents  tirés  d'archives  notariales  de  1319  à  1370).  —  Alessandro 
Gherardi.  La  storia  d'Italia  di  Francesco  Guicciardini  (très  belle  édi- 
tion). —  Inès  d'Onofrio.  Il  carteggio  intimo  di  Margherita  d'Austria, 
duchessa  di  Parma  e  Piacenza  (étude  critique  sur  les  papiers  des  Far- 
nèse).  —  N.  Giudici.  I  dispacci  di  Germania  dell'  amhasciatore  veneto 
Daniele  Dolfm  (ces  dépêches  vont  de  février  1703  à  juillet  1708).  — 
P.  Molmenti.  Carteggi  Casanoviani;  lettere  di  Giac.  Casanova  e  di 
altri  a  lui  (belle  édition  des  lettres  écrites  par  Casanova  au  comte  de 
Collalto  et  à  l'abbé  Délia  Lena,  1771-1792).  —  Eug.  Lazzareschi.  Un 
amhasciatore  Lucchese  a  Vienna  :  G.-B.  Domenico  Sardini,  1751- 
1759.  —  Publications  relatives  à  la  Révolution  française  et  au  Risor- 
gimento  italiano.  =  Fasc.  2,  avril-juin  1920.  A.  Solmi.  Storia  del 
diritto  italiano  (seconde  édition  d'un  ouvrage  désormais  classique).  — 
R.  di  Tucci.  Manuale  di  storia  délia  Sardegna  (bon).  —  E.  Calle- 
gari.  Alessandro  Severo  e  gli  «  Acta  martyrum  »  (montre  qu'Alexandre 
Sévère  n'a  pas  été  le  féroce  persécuteur  des  chrétiens   que   nous 
montrent  les  Actes  des  martyrs).  —  F.  Lanzoni.  La  prima  introdu- 
zione  del  Cristianesimo  e  dell'  episcopato  nella  Sabina  e  nel  Piceno 
(bon).  — A.  Gaudenzi.  Il  costituto  di  Costantino  (excellente  étude  sur 
la  donation  de  Constantin  et  sur  l'emploi  qui  en  fut  fait  par  la  papauté 
à  partir  de  Léon  IX).  —  Roberto  Cessi.  Regnum  ed  Imperium  in  Ita- 
lia  (bonne  étude  sur  l'organisation  politique  de  l'Italie  au  v«  siècle).  — 
Natalie  Schoepp.  Papst  Hadrian  V,  Kardinal  Ottobuono  Fieschi  (très 
consciencieuse  biographie).  —  Angela  Valente.  Margherita  di  Durazzo, 
vicaria  di  Carlo  III  e  tutrice  di  re  Ladislao  (bon).  —  G.  B.  Picotti.  La 
neutralità  Bolognese  nella  discesadi  Carlo  VIII  (important).  —  Livres 
sur  la  Révolution  française  et  le  Risorgimento.  =  Fasc.  3.  Vittorio 
Adami.  I  confiai  d'Italia  nelle  concezioni  storiche,  letterarie  et  scien- 
tifiche  (sans  valeur).  —  P.  Molmenti.  Curiosità  di  storia  veneziana 
(intéressant  recueil  d'articles,  dont  quelques-uns  inédits).  — E.  Bruzzi. 
L'arte  délia  lana  in  Prato  (bon  pour  l'époque  moderne).  —  Francesco 
Tarducci.  I  Pelasgi  secondo  gli  studî  di  un  autore  dimenticato  (bril- 
lante conférence  sur  don  Giuliano  Berti,  mort  depuis  longtemps,  qui 
publia  en  1877  un  ouvrage  sur  Ravenne  pendant  les  trois  premiers 
siècles  de  sa  fondation).  —  Gerda  Bseseler.  Die  Kaiserkronungen  in 
Rom  und  die  Roemer  800-1220  (bon).  —  R.  Filangieri  di  Candida. 
La  «  charta  »  Amalfitana  (bonne  étude  diplomatique  sur  les  chartes 
provenant  des  monastères  di  S.  Maria  di  Fontanella  et  de  S.  Lorenzo 
del  piano).  —  E.  Vacas  Galindo,  0.  P.  San  Raimund  de  Peîïafort, 
fundador  de  la  orden  de  la  Merced  (très  bonne  dissertation).  —  Guido 
Zaccagnini.  I  banchieri  Pistoiesi  a  Bologna  a  altrove  nel  secolo  xiii 
(important  pour  l'histoire  générale  du  commerce).  —  Id.  Giovanni  di 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  305 

Bonandrea,  dettatore  e  rimatore,  e  altri  grammatici  e  dottori  in  arti 
dello  studio  Bolognese  (publie  plusieurs  documents  importants).  — 
Giovanni  Drei.  Intorno  al  pontificato  di  Pio  IV  ed  al  concilio  di 
Trento.  La  corrispondenza  dal  card.  Ercole  Gonzaga,  présidente  del 
segretario  Camillo  Olivo  (très  utiles  brochures  sur  le  concile  de 
Trente).  —  Fr.  Novati,  Em.  Greppi  et  Al.  Giulini.  Carteggio  di 
Pietro  e  di  Alessandro  Verri,  1756-1797  (important).  —  Livres  sur  la 
Révolution  française  et  sur  le  Risorgimento. 

Suisse. 

22.  —  Bibliothèque  universelle  et  Revue  suisse.  1920,  dé- 
cembre. —  Virgile  RosSEL.  De  la  paix  de  Versailles  à  la  paix  (à  pro- 
pos des  ouvrages  de  G.  Hanotaux,  de  Raphël-Georges  Lévy  et  de 
Ch.  Benoist).  —  André  Langie.  Les  origines  de  la  noblesse  russe 
(noblesse  militaire  et  noblesse  de  fonctionnaires,  qui  s'est  recrutée 
surtout  parmi  les  étrangers  ;  il  en  est  de  même  pour  la  noblesse  intel- 
lectuelle. En  somme,  peu  d'individualités  marquantes  sont  nées  du  vrai 
peuple  russe;  ceci  explique  qu'après  avoir  subi  le  joug  des  Scandi- 
naves, des  Mongols,  des  Polonais  et  des  Allemands,  ce  peuple  en  soit 
arrivé  à,  supporter  avec  une  si  incroyable  résignation  la  tyrannie 
actuelle  des  Sémites  bolchevistes).  —  Julien  Gruaz.  Les  Helvètes  et 
la  question  gallo-romaine;  fin.  =:  1921,  janvier.  Jean  Hurny.  La 
nationalisation  chez  les  anciens  Romains  (l'intervention  de  plus  en 
plus  étendue  et  variée  de  l'État  romain,  d'abord  sous  la  République, 
puis  et  surtout  sous  l'Empire,  dans  la  vie  sociale,  économique  et 
administrative,  explique  la  décadence  du  iv«  siècle  et  le  succès  des 
invasions  barbares).  —  Joseph  Piller.  La  souveraineté  cantonale;  fin 
en  février.  —  A.  Guilland.  Alfred  Escher  (biographie  d'un  éminent 
politique  suisse  qui  est  mort  en  1882  à  l'âge  de  soixante-trois  ans).  =r 
Février.  Filippo  Carli.  L'état  présent  du  socialisme  italien.  —  Vir- 
gile RosSEL.  Un  patricien  libéral  :  Charles- Victor  de  Bonstetten 
(1775-1832,  d'après  un  ouvrage  très  intéressant  que  vient  de  lui  consa- 
crer M"«  Marie-L.  Herking).  zz  Mars.  Filippo  Carli.  L'évolution  des 
révolutions.  —  Hector  Nicole.  La  vie  en  Russie.  L'école  et  l'enfant 
dans  la  Russie  des  Soviets.  —  Maurice  Bonnard.  Centenaire  d'une 
controverse.  Le  doyen  Curtat  et  le  réveil  religieux  vaudois  (expose  le 
mouvement  religieux  que  suscita  la  brochure  publiée  en  1821  par  le 
pasteur  Curtat  ;  «  De  l'établissement  des  conventicules  dans  le  canton 
de  Vaud  »).  —  Jacqueline  de  La  Harpe.  Saint  Benoît,  Subiaco  et  le 
Mont-Cassln  (simples  impressions  de  voyage). 


Rev.  Histor.  CXXXVL  2»  fasc.  20 


CHRONIQUE. 


France.  —  Joseph  Reinach,  journaliste,  diplomate,  homme  d'État 
d'une  haute  culture,  moraliste  et  philanthrope,  qui  a  beaucoup  lu, 
beaucoup  voyagé,  non  par  plaisir,  mais  par  le  désir  passionné  de 
s'instruire,  qui  a  traversé  les  mondes  les  plus  divers,  qui  a  sollicité  et 
souvent  reçu  les  confidences  des  plus  notables  personnages  de  l'his- 
toire contemporaine  depuis  Thiers  jusqu'à  l'impératrice  Eugénie,  qui 
a  été  le  collaborateur»  le  confident,  l'exécuteur  littéraire  de  Gambetta, 
qui,  dans  l'affaire  Dreyfus,  a  joué  le  rôle  retentissant  que  l'on  sait  et 
qui  s'est  fait  l'historiographe,  le  Polybe,  de  la  G-rande  Guerre,  fut  aussi 
un  historien  de  grand  mérite,  et  c'est  ce  titre  surtout  que  nous  devons 
rappeler  ici.  A  la  mémoire  de  Gambetta  qui  lui  était  particulièrement 
chère  et  qu'il  défendait  avec  une  inlassable  ardeur,  il  consacra  toute 
une  série  d'ouvrages,  parmi  lesquels  nous  mentionnerons  Le  minis- 
tère Gambetta,  histoire  et  doctrine  (1882),  et  La  vie  politique  de 
Léon  Gambetta  (1918);  il  a  réuni  et  publié  les  Discours  et  plai- 
doyers de  l'éminentiiomme  d'État  (H  vol.,  1881-1885).  C'est  lui  aussi 
qui  fut  chargé  d'éditer  les  Œuvres  oratoires  de  Challemel-Lacour 
(1897).  Dans  ce  même  ordre  d'idées  et  de  publications,  rappelons  qu'il 
a  pris  soin  lui-même  de  réunir  tout  ce  qu'il  avait  dit  et  écrit  comme 
député  pendant  ses  deux  législatures  (1889-1897)  :  Mes  comptes-ren- 
dus, discours,  propositions  et  rapports  (4  vol.,  1914-1918).  Son 
Histoire  de  l'affaire  Dreyfus,  qui  ne  comprend  pas  moins  de  six 
forts  volumes  (1901-1908),  plus  un  index  général  (1911),  est  un  tableau 
très  varié,  très  fouillé,  vivant  et  émouvant  d'un  des  épisodes  les  plus 
tragiques  de  l'histoire  intérieure  de  la  France  entre  les  scandales  du 
Panama  et  la  Grande  Guerre.  Quand  celle-ci  eut  éclaté,  il  s'imposa  la 
tâche  périlleuse  d'en  noter  dans  le  Figaro  les  tragiques  péripéties,  et 
le  recueil  de  ces  articles,  qui  ne  remplit  pas  moins  de  dix-neuf  volumes 
[les  Commentaires  d^  Polybe,  1915-1919;  un  tome  XX,  comprenant 
une  table  générale,  est  à  la  veille  d'être  imprimé),  est  une  mine  féconde 
de  renseignements  et  d'enseignempnts.  En  même  temps,  il  travaillait 
à  fixer  le  souvenir  des  événements  qui  ont  précédé  immédiatement  ce 
monstrueux  conflit  dans  son  Histoire  de  douze  jours,  23  juillet- 
3  août  191k  (1917),  où  l'un  des  premiers  il  montra,  d'après  les  docu- 
ments diplomatiques  alors  publiés,  l'enchaînement  chronologique  des 
faits  et  prouva,  aussi  solidement  qu'il  était  alors  possible  de  le  faire, 
la  préméditation  de  l'Allemagne  et  la  lourde  part  de  responsabilité  qui 
lui  incombe.  Il  aimait  à  pénétrer  dans  les  arcanes  de  la  diplomatie; 


CDRONIQUE.  307 

le  jeu  des  intrigues  internationales  le  captivait;  aussi  a-t-il  beaucoup 
travaillé  aux  archives  de  notre  ministère  des  Affaires  étrangères.  En 
1892,  il  donnait  pour  le  recueil  des  Instmctions  aux  ambassadeurs  un 
volume  sur  Naples  et  Parme,  dont  l'introduction,  reprise  et  dévelop- 
pée, parut  ensuite  sous  le  titre  :  la  France  et  l'Italie  devayil  l'Iiis- 
toire  (1893).  Quand  le  gouvernement  français  eut  décidé  de  publier  les 
documents  relatifs  aux  origines  de  la  guerre  de  1870-1871,  il  fut  un  de 
ceux  qui  dirigèrent  le  travail,  et,  lui-même,  il  y  mit  la  main.  C'est  du 
tome  XII  de  cette  publication  qu'il  tira  les  éléments  de  son  étude  sur 
Napoléon  III  et  la  paix  qu'il  désirait  vivement  voir  paraître  dans  la 
Revue  historique  et  qui  a  peut-être  été  le  dernier  de  ses  écrits.  Il  en 
avait  relu  les  premiers  placards  quand  il  fut  arrêté  par  la  maladie; 
l'article  n'a  donc  pu  recevoir  ses  corrections  suprêmes.  Il  est  mort  le 
18  avril  1921,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans.  Ch.  B. 

—  A  l'occasion  du  centenaire  de  l'Ecole  des  chartes,  une  promotion 
extraordinaire  dans  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur  a  conféré  le  grade 
de  commandeur  à  M.  Gustave  Servois,  ancien  directeur  général  des 
Archives  nationales;  celui  d'ofïicier  à  MM.  le  comte  Durrieu,  prési- 
dent de  la  Société  des  anciens  élèves  pour  l'année  1920-1921,  Maurice 
Prou,  directeur  actuel  de  l'École,  Alfred  Morel-Fatio  et  Ch.  Bémont, 
anciens  secrétaires,  le  comte  H.-Fr.  Delaborde,  professeur,  Babe- 
LON  et  Brutails,  membres  de  l'Institut,  etc.  ;  le  grade  de  chevalier  à 
MM.  Poupardin,  secrétaire  de  l'École,  Dupont -Ferrier,  profes- 
seur, Léon  Mirot,  secrétaire  depuis  bien  des  années  de  la  Société  des 
anciens  élèves,  sans  compter  un  choix  de  bibliothécaires,  d'archi- 
vistes aux  Archives  nationales  et  d'archivistes  départementaux  qui  a 
été  fort  bien  accueilli  dans  le  monde  des  érudits. 

—  Nous  lisons  dans  la  Bibliographie  de  la  France  du '15  avril 
1921  cet  avis  important  :  «  Par  suite  d'un  accord  intervenu  avec  la 
Bibliothèque  nationale,  les  fiches  qui  nous  sont  fournies  par  le 
ministère  de  l'Intérieur,  conformément  aux  dispositions  du  décret  du 
14  octobre  1811,  comporteront,  à  partir  de  ce  jour,  une  addition  four- 
nie par  l'Administration  de  la  Bibliothèque  nationale,  celle  de  la  cote 
donnée  par  elle  à  chaque  volume  au  fur  et  à  mesure  des  entrées.  » 

Autriche.  —  L'administration  des  Archives  de  l'État  à  Vienne  a 
projeté  d'éditer  sous  le  titre  Historische  Blxtter  une  revue  générale 
d'histoire  où  une  attention  particulière  sera  donnée  aux  publica- 
tions relatives  à  tous  les  États  de  l'ancienne  monarchie  austro-hon- 
groise. La  direction  de  ce  recueil  a  été  confiée  au  D"^  Otto  H.  Sto- 
VVASSER,  et  il  paraîtra  dès  le  milieu  de  la  présente  année  à  la  librairie 
Rikola  (1,  Minoriten-platz). 

Belgique.  —  La  Belgique  a  perdu  il  y  a  (|uelques  mois  l'un  des 
représentants  les  plus  distingués  de  la  science  et  en  même  temps  de 
l'histoire  du  droit  international.  Ernest  Nvs  est  mort  à  Bruxelles  le 
4  septembre  1920,  en  pleine  activité,  au  moment  où  il  s'occupait  de  la 


308  CHRONIQUE. 

publication  d'études  composées  au  cours  de  la  guerre  et  relatives  aux 
problèmes  suscités  par  l'occupation.  Modeste  autant  que  laborieux,  il 
fut,  dans  toute  la  force  du  terme,  le  fils  de  ses  œuvres,  et  la  réputa- 
tion qu'il  acquit  comme  juriste  et  comme  historien  il  ne  la  doit  qu'à 
la  haute  valeur  de  ses  travaux.  L'orientation  nettement  réaliste  de  son 
esprit  lui  fit  scruter  les  fondements  historiques  du  droit  des  gens 
et  dégager  les  divers  facteurs  qui  ont  contribué  à  son  évolution. 
La  plupart  de  ses  publications  intéressent  autant  l'historien  que  le 
juriste. 

Né  à  Courtcai  le  27  mars  1851,  il  fit  ses  études  à  l'Université  de 
Gand,  où  il  fut  l'un  des  élèves  favoris  de  Laurent.  Il  visita  ensuite 
les  Universités  de  Heidelberg,  Leipzig  et  Berlin,  mais  la  fréquentation 
de  celles-ci  ne  semble  guère  avoir  influé  sur  la  direction  de  sa  pensée. 
C'est  l'Angleterre,  bien  plus  que  l'Allemagne,  qui  fixa  sa  destinée 
scientifique.  Un  séjour  qu'il  fit  à  Oxford  et  à  Londres  en  1877  lui 
apprit,  en  même  temps  que  certains  aspects  du  monde  britannique, 
les  énormes  ressources  que  les  bibliothèques  anglaises,  telles  que  la 
Bodléienne  et  la  bibliothèque  du  British  Muséum,  offrent  aux  travail- 
leurs. Il  revint  souvent  à  cette  dernière;  il  y  passa  la  plupart  des 
vacances  que  lui  laissèrent  ses  fonctions  de  magistrat  et  de  professeur. 
Il  entra  dans  la  magistrature,  en  1882,  comme  juge  au  tribunal  de 
première  instance  à  Anvers,  puis  passa  en  la  même  qualité  à  Bruxelles, 
où  il  devint  successivement  vice-président  au  tribunal  de  première 
instance,  puis  conseiller  et  président  à  la  Cour  d'appel.  Dès  1885,  il 
fut  chargé  de  cours  à  la  Faculté  de  droit  de  l'Université  de  Bruxelles 
et,  en  1898,  il  y  succéda  à  Rivier  à  la  chaire  de  droit  des  gens. 
'  Sur  l'évolution  du  droit  des  gens,  il  écrivit  une  série  de  monographies 
publiées  d'abord  à  part,  puis  groupées  pour  la  plupart  dans  le  volume 
intitulé  :  les  Origines  du  droit  international  (1894).  Signalons  notam- 
ment les  études  consacrées  à  Honoré  Bonet,  l'auteur  de  V Arbre  des 
batailles,  et  au  rôle  de  la  papauté  (une  des  plus  pénétrantes,  qui  a 
pour  objet  de  déterminer  la  valeur  et  la  portée  de  la  bulle  de  démar- 
cation du  pape  Alexandre  VI).  Ses  Études  de  droit  international  et 
de  droit  politique  (2  vol.,  1896-1901)  et  son  grand  ouvrage  de  syn- 
thèse, te  Droit  international.  Les  principes,  les  théories,  les  faits 
(3  vol.,  1904-1906),  contiennent  également  une  grande  quantité  de  cha- 
pitres concernant  des  problèmes  historiques  et  dénotant  une  vaste 
érudition  et  un  sens  critique  très  aiguisé.  C'est  avec  une  prédilection 
particulière  que  Nys  s'attachait  à  découvrir  les  origines  les  plus  loin- 
taines du  droit  international  et  à  dégager  les  principes  essentiels  qui 
ont  présidé  à  son  élaboration  au  cours  du  moyen  âge.  L'une  de  ses 
dernières  études" parues  avant  la  guerre  (dans  les  Bulletins  de  l'Aca- 
démie de  Belgique,  1914)  expose  l'influence  exercée  par  Christine  de 
Pisan  sur  le  mouvement  intellectuel  du  xiv«  siècle. 

Il  ne  nous  appartient  pas  d'apprécier  le  rôle  de  Nys  comme  juriste 
et  comme  membre  de  la  cour  permanente  de  La  Haye;  on  sait  que  ce 


CHBONIQCE.  309 

rôle  fut  considérable,  particulièrement  dans  l'attitude  prise  par  la  Bel- 
gique dans  la  question  de  la  neutralité  permanente  et  dans  celle  du 
régime  de  l'Escaut.  Nous  nous  sommes  borné  à  souligner  l'importance 
de  son  œuvre  au  point  de  vue  de  la  science  historique.  Il  a  servi 
celle-ci  avec  une  probité  et  une  ardeur  égales  à  son  amour  de  la  jus- 
tice et  de  l'humanité.  H.  V.  L. 

États-Unis.  —  La  «  Columbia  University  Press  d  de  New-York 
prépare  une  édition  complète  des  œuvres  de  Milton,  projetée  déjà  en 
1910  à  l'occasion  du  troisième  centenaire  de  la  naissance  du  grand 
poète,  mais  interrompue  par  les  événements.  L'idée  a  été  reprise  et 
sera  exécutée  sous  la  direction  des  membres  composant  le  Départe- 
ment de  littérature  anglaise  et  comparée  à  l'Université.  L'édition  com- 
prendra huit  volumes. 

Grande-Bretagne.  —  Le  25  février  1921  a  été  inauguré  à  Londres 
l'Institut  français  du  Royaume-Uni.  Fondé  par  l'Université  de 
Lille  en  1913  et  réorganisé  une  fois  la  paix  rétablie,  cet  Institut  a  pour 
but  la  difîusion  de  la  langue  et  de  la  culture  françaises  en  Angleterre; 
elle  se  manifeste  par  la  création  de  lycées  ouverts  aux  enfants  des 
Français  résidant  à  Londres,  par  l'enseignement  d'une  Faculté  des 
lettres,  par  des  conférences  portant  sur  l'histoire,  la  httérature,  l'art, 
la  musique,  les  sciences,  les  coutumes  de  la  France,  etc. 

Roumanie.  —  Notre  ancien  collaborateur  et  fidèle  ami  M.  Alexandre 
D.  Xénopol  est  mort  au  mois  de  mars  1920.  Il  était  né  à  lassy  le 
23  mars  1847.  Il  fit  ses  premières  études  au  lycée  de  cette  ville.  Une 
société  littéraire  :  la  «  Junimea  »  (la  Jeunesse),  lui  donna  une  bourse 
qui  lui  permit  d'aller  achever  ses  études  à  l'étranger  :  il  alla  prendre 
le  grade  de  docteur  eu  philosophie  à  Berlin.  Revenu  dans  son  pays 
en  1871,  il  entra  d'abord  dans  la  magistrature,  fut  ensuite  avocat 
(1878),  enfin  fut,  en  1883,  nommé  professeur  d'histoire  roumaine  à 
l'Université  de  lassy  et,  par  son  enseignement,  par  ses  travaux,  s'ac- 
quit une  notoriété  qui 'dépassa  rapidement  les  frontières  de  son  pays. 
Grand  ami  de  la  France,  il  donnait  une  part  de  son  affection  à  la 
Revue  historique  et  à  ses  directeurs  successifs.  C'est  grâce  à  lui  et  à 
ceux  de  ses  élèves  qu'il  désigna  lui-même  pour  continuer  son  œuvre 
que  nous  avons  pu  tenir  nos  lecteurs  au  courant  des  progrès  accom- 
plis par  la  Roumanie  dans  le  domaine  des  études  historiques.  Quand 
eut  éclaté  la  Grande  Guerre,  il  ne  cessa  d'insister  dans  la  presse  sur 
l'obligation  morale  qui  s'imposait  à  son  pays  d'entrer  dans  la  lutte  à 
côté  des  Alliés.  La  maladie  seule  put  interrompre  cette  campagne. 
Paralysé,  il  peut  néanmoins  continuel;^ de  mettre  au  point  une  nouvelle 
édition  de  son  Histoire  des  Roumaiiis;  la  guerre  en  arrêta  la  publi- 
cation au  tome  V.  Son  bagage  historique  est  considérable  :  Une 
énigme  historique  :  les  Roumains  au  moyen  âge  (Paris,  1885);  son 
Histoire  des  Roumains  de  la  Dacie  trajane,  parue  d'abord  en  rou- 
main (en  6  vol.,  1888-1893,  puis  en  12  vol.,  1896),  traduite  ensuite  en 
Rev.  IliSTOR.  CXXXVI.  2e  FASC.  20* 


310  CHEONIQDE. 

français  (2  vol.,  Paris,  1896),  est  le  plus  connu  de  ses  ouvrages;  œuvre 
un  peu  prématurée  et  que  l'abondance  des  documents  publiés  depuis 
un  quart  de  siècle  a  déjà  fait  Vieillir.  Quant  aux  origines  historiques 
du  peuple  roumain,  il  a  défendu  avec  ardeur,  mais  avec  des  arguments 
parfois  insuffisants  ou  incomplets,  la  thèse  de  la  continuité  romaine 
soit  contre  l'Allemand  Rœsler,  soit  contre  le  Hongrois  Bertha.  Dans 
les  dernières  années,  il  inclinait  plutôt  vers  l'étude  de  la  méthode  his- 
torique :  les  Principes  fondaynentaux  de  Vhistoire  (Paris,  1899; 
réédité  en  roumain,  1900);  la  Notion  de  valeur  en  histoire  (Revue 
de  synthèse  historique,  1906;  article  qui  a  paru  aussi  en  allemand, 
1906,  et  eu  russe,  1912);  la  Théorie  de  Vhistoire,  cours  professé  à  la 
Sorbonne  en  1907-1908  (Paris,  1908)  ;  De  la  méthode  dans  les  sciences 
et  dans  Vhistoire  (Revue  internationale  de  l'enseignement,  1910); 
VHistoire  et  la  géologie  (dans  la  revue  roumaine  Viata  romànesca, 
n°  9).  Nous  omettons  un  grand  nombre  d'articles  d'un  caractère  plu- 
tôt politique  et  économique,  de  récits  de  voyage,  etc.  L'autorité  scien- 
tifique que  Xénopol  s'était  ainsi  acquise  l'avait  désigné  aux  suffrages 
de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  qui  l'élut  correspon- 
dant en  1900,  puis  associé  étranger. 


Erratum. 

Tome  CXXXV,  p.  248.  Le  titre  de  l'article  de  M.  Ledeuil  d'Ënquin  'Captivité 
en  France  de  Georges  d'Autriche,  grand-oncle  de  Charles-Quint,  doit  être 
rectifié;  puisque  Georges  d'Autriche  était  un  fils  naturel  de  l'empereur  Maxi- 
milien,  il  fut  non  pas  le  grand-oncle,  mais  l'oncle  de  Charles-Quint. 


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et  1702.  Le  prédicant-prophète  Jean  Astruc,  dit 
Mandagout;  P"  article  .     , 1 

Reinach  (Joseph).  Napoléon  III  et  la  paix 161 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

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toute  faite 220 

DÉPREZ  (Eugène).  La  bataille  de  Najera,  3  avril  1367.  Le 

«  communiqué  »  du  Prince  Noir 37      . 

GORCEix  (Septime).  Les  sources  de  Voltaire  et  la  Chronique 
moldave  pour  le  récit  de  la  capture  de  Charles  XII 
à  Bender. 60 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Histoire  ecclésiastique  du  moyen  âge,  par  E.  JORDAN.        66 
Histoire  de  France  :  De  1800  à  nos  jours  et  questions 

générales  contemporaines,  par  Raymond  Guyot.      243 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Arrelet  (Paul).  La  jeunesse  de  Stendhal;  t.  I  (R.  Lévy- 

Guenot) .106 

Beloch    (J.).   Der   romische   Kalender  von    218    bis    168 

(E.  Gavaignac) 97 

BONNECASE  (Julien).   La  notion  de  droit   en    France    au 

xix«  siècle  (Fr.  Joûon  des  Longrais)     .     .     .     .      115 

BOTHA  (Colin  Graham).  The  french  refugees  at  the  Cape 

(Emile  Laloy) 101 

Brunhes    (Jean).    Géographie    humaine    de    la    France 

(B.  Auerbach) 268 

Espérandieu  (E.).  Recueil  général  des  bas-reliefs,  statues 
et  bustes  de  la  Gaule  romaine;  t.  VII,  1  (A.  Gre- 
nier)       267 

[Supplément  ao  numéro  de  mars-avril  1921.] 


TABLE    DES   UATIBRES-  315 

Pages 

Hauser  (Henri).  Travailleurs  et  marchands  dans  l'ancienne 

France  (Henri  Sée) 103 

lORGA  (Nicolas).  Histoire  des  Roumains  et  de  leur  civilisa- 
tion (S.  Gorceix) 273 

Kaplun-Kogan  (Wlad.).  Die  jùdischen  Wanderbewegun- 

gen  in  der  neuesten  Zeit,  1880-1914  (Henri  Sée)  .      278 

La  Chesnais  (P. -G.).  Les  peuples  de  la  Transcaucasie  pen- 
dant la  guerre  et  devant  la  paix  (Id.) 113 

Prentout  (Henri).  Histoire  d'Angleterre  depuis  les  ori- 
gines jusqu'en  1919  (Louis  Villat) 108 

RiST  (Ch.).  Les  finances  de  guerre  de  l'Allemagne  (Henri 

Hauser) 110 

Serrano  (Luciano).  La  liga  de  Lepanto  entre   Espaiïa, 

Venecia  y  la  Santa  Sede,  1570-1573  (Id.).     ...        99 

■Whyte  (A.  F.).  The  practice  of  the  diplomacy,  being  an 
English  rendering  of  François  de  Callières,  «  De 
la  manière  de  négocier  avec  les  souverains  »    .    .      272 

NOTE-s  bibliographiques  :  Allemagne  (p.  126),  Antiquité 
(p.  126),  Belgique  (p.  127),  Danemark  (p.  128), 
Europe  orientale  (p.  134),  France  (p.  128),  Grande- 
Bretagne  (p.  132),  Pays-Bas  (p.  134),  Tchéco-Slo- 
vaquie  (p.  135),  Turquie  (p.  136).  Histoire  de  la 
guerre  (p.  121),  de  la  musique  (p.  136).  Histoire 
générale  (p.  119). 

Ouvrages  reçus  par  la  Revue  historique 137 

RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 

ÉTATS-UNIS. 

1.  American  historical  review  (the) 150 

FRANCE. 

1.  Annales  du  Midi. 150 

2.  Annales  révolutionnaires 140,281 

3.  Bibliothèiiue  de  l'École  des  chartes 281 

4.  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'hist.  du  protestantisme  français.  141 

5.  Correspondant  (le) 146,287 

6.  Études.  Revue  fondée  par  des  PP.  de  la  C'«  de  Jésus  .  288 

7.  Grande  Revue  (la)   . 288 

8.  Mercure  de  France 147,289 

9.  Moyen  âge  (le) 141 

10.  Polybiblion     .     .     .     .^ 142 

11.  Pro  Alesia 283 

12.  Révolution  française  (la) 142 


316  TABLE   DES   MATIÈRES. 

Pages 

13.  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature 284 

14.  Revue  de  France 289 

15.  Revue  de  l'histoire  des  religions 143 

16.  Revue  de  Paris  (la) 147,290 

17.  Revue  des  Deux  Mpndes 148,  291 

18.  Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France 144, 286 

19.  Revue  historique  de  Bordeaux 150 

GRANDE-BRETAGNE . 

1.  Enghsh  (the)  historical  Review 152,293 

2.  Hist^ry 154,295 

3.  Quarterly  (the)  Review 155,295 

4.  Scottish  (the)  historical  Review 155,296 

5.  Transactions  of  the  royal  historical  society     ....  297 

ITALIE. 

1.  Archivio  storico  italiano 297 

2.  Archivio  storico  lorabardo ^98 

3.  Archivio  storico  per  le  provincie  napoletane    ....  299 

4.  Rivista  storica  italiana 303 

SUISSE. 

1.  Bibliothèque  universelle  et  Revue  suisse 305 

Chronique  :  Autriche  (p.  307),  Belgique  (p.  159,  307), 
États-Unis  (p.  309),  France  (p.  156,  306),  Grande- 
Bretagne  (p.  309),  Roumanie  (p.  309),  Russie 
(p.  159). 

Erratum 310 

Index  bibliographique 311 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupbley-Gouvbrneur. 


REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 

HISTORIQUE 

Fondée  en  1876  par  GABRIEL  MONOD 

directeurs  : 
Charles    BÉMONT    et    Christian    PFISTER. 


Ne  quid  fahi  audeat,  ne  quid  veri  non  audeat  historia. 
CicÉRON,  de  Orat.,  II,  15. 


QUARANTE-SIXIÈME  ANNÉE. 


TOME    CENT    TRENTE- SEPTIEME 
Mai- Août  1921. 


PARIS 

LIBRAIRIE  FÉLIX  ALCAN 

108,      BOULEVARD     S  A  I  N  T- GERMA  IN 
1921 


LES 

«   PROPHÈTES   »   DU    LANGUEDOC 

EN   1701   ET  1702 

LE  PRÉDICANT-PROPHÈTE  JEAN  ASTRUC,  DIT  MANDAGOUT 

(Suite  et  fin  '  j 


L'affaire  du  Ponl-de-Montvert. 

Mandagout,  arrêté  à  Beaucaire  vers  le  24  juillet  1702,  fut  con- 
duit à  Montpellier.  Sa  prise  donna  occasion  aux  juges  d'achever 
la  procédure  relative  aux  assemblées  de  Roffières  et  de  Pejre- 
male.  Le  28  juillet,  en  raison  des  assemblées  de  Roffières,  le  pro- 
cureur du  roi  demandait,  dans  ses  conclusions,  la  peine  des 
galères  pour  Jacques  Mouton,  du  Rouveret,  et  celle  du  fouet  et 
du  bannissement  pour  Suzanne  Fabrègues,  arrêtée  avec  lui. 
Quant  à  l'assemblée  de  Peyremale,  qui  avait  été  délibérément 
attaquée,  ceux  qui  y  avaient  assisté  furent  tenus  (sans  doute 
à  cause  des  propos  de  Mandagout  qu'avait  révélés  l'enquête  et 
où  il  parlait  de  massacres  de  prêtres  et  d'incendies  d'églises) 
'pour  particulièrement  coupables,  si  bien  que  le  procureur  con- 
clut à  la  pendaison  de  huit  d'entre  eux,  dont  deux  femmes^. 
Nous  ignorons  d'ailleurs  ce  qu'il  advint  de  tous  ces  prévenus. 
Mandagout  était  mentionné  dans  les  dossiers  des  assemblées  de 
Roffières ,  comme  dans  celui  de  l'assemblée  de  Peyremale  ; 
P>àville  ordonna,  le  30,  que  le  procès  M  fût  fait,  et  le  prophète 
subit  le  l'^'"  août  un  interrogatoire  que  nous  n'avons  plus. 

Mais  ce  procès  allait  traîner  en  longueur.  Des  événements 
en  eâet  venaient  d'éclater  dans  les  Hautes-Cévennes,  qui  obli- 
gèrent l'intendant  à  considérer  d'un  (Jt>il  plus  attentif  toutes  les 
agitations  qui  les  avaient  précédés. 

t.  Voir  nev.  hislor.,  t.  CXXXVI,  p.  1-3G. 
2.  C  182. 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  \"-  FASC.  1 


2  CH.    BOST. 

La  haute  montagne  cévenole,  de  l'Aigoual  à  la  Lozère,  était 
maintenant  possédée  de  la  même  frénésie  que  nous  avons  cons- 
tatée à  Uzès,  autour  d'Alais  ou  dans  le  bas  pays.  Dès  la  fin  de 
février  1702,  André  Castanet^  de  Massevaque  (Fraissinet-de- 
Fourques,  au  nord  de  l'Aigoual),  le  futm:-  chef  camisard  (vingt- 
sept  ans),  réunit  des  assemblées  où  «  des  enfants  prêchent  ». 
Il  mène  avec  lui  deux  compagnons,  dont  l'un,  Roqueblave  dit 
Pradet,  dénonce  l'Église  catholique  comme  le  temple  des  idoles, 
sa  doctrine  comme  celle  du  diable  et  l'hostie  qui  s'y  donne 
comme  un  morceau  du  Basilic.  Les  soldats  de  bourgeoisie 
guettent  les  trois  prédicateurs.  Le  20  mai,  à  la  foire  de  Cabril- 
lac  (au  nord  de  l'Aigoual),  ils  les  surprennent.  Castanet  se 
défend  d'un  coup  de  pistolet  chargé  de  chevrotines.  Un  soldat 
répond  par  un  coup  de  fusil.  Castanet  se  perd  dans  le  bois, 
mais  on  se  saisit  de  Roqueblave.  Trois  nouveaux  convertis  (dont 
les  s"'' de  La  Roque  et  Pagézy),.de  Saint-André,  veulent  arracher 
''aux  soldats  leur  prisonnier,  et  ils  provoquent  un  tumulte  sur  le 
champ  de  foire.  Les  soldats  cependant  conservent  le  dessus.  Le 
20  juin,  Roqueblave  était  à  Montpellier,  où  le  procureur  du  roi 
requérait  qu'il  fût  pendu,  après  avoir  eu  la  langue  percée  d'un 
fer  chaud.  Nous  ne  savons  quel  fut  son  sort  2. 

Le  15  mars,  au  hameau  de  Ventajols  ( Saint- Julien-d'Arpaon), 
près  Florac,  les  soldats  de  bourgeoisie  de  M.  de  Mirai  tirent  sur. 
une  assemblée  et  font  cinq  prisonniers,  dont  le  prédicant  Pierre 
Chantagrel,  qui  passe  pour  accomplir  des  miracles  par  la  puissance 
du  Saint-Esprit,  «  maniant  des  charbons  ardents  et  mettant  son 
pied  nu  dans  le  feu  sans  se  brûler  ».  Le  l'^^avril,  à  Montpellier, 
des  conclusions  tendent  à  l'envoyer  pour  trois  ans  aux  galères. 
Mais  Chantagrel  a  promis  de  vivre  en  catholique,  et  l'intendant, 
à  ce  qu'il  semble,  le  garde  en  prison,  sans  jugements 

Le  10  mai,  à  Majestavols,  près  Barre,  le  maire  de  Barre, 
Meynadier,  qui  n'aime  pas  l'abbé  du  Chayla  et  qui  lui  reproche 

1.  Castanet  était  signalé  comme  étant  revenu  depuis  peu  de  Genève.  Peut- 
être  faut-il  rapprocher  ce  fait  du  retour  de  Cavalier,  qui  lui  aussi,  vers  la 
même  époque,  rentra  de  Genève  dans  son  village  des  environs  d'Alais. 

2.  Arch.  de  l'Hérault,  C  183.  L'information  relative  à  l'aifaire  de  Cabrillac  eut 
lieu  à  Fraissinet-de-Fourques  dans  la  maison  du  curé  du  lieu,  Bugarel.  Casta- 
net garda  contre  les  catholiques  de  Fraissinet  un  ressentiment  violent,  qui 
aboutit,  comme  on  sait,  à  un  massacre  quand  la  révolte  fut  déchaînée  (février 

1703). 

3.  Assemblée  de  Ventajols,  C  183. 


LES    «    PROPUÈTES    »    DU    LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.  3 

d'être  trop  doux  pour  les  prophètes  qui  pullulent,  surprend  une 
assemblée  réunie  en  plein  jour  dans  une  chambre  obscure  autour 
d'un  fanatique  de  vingt-deux  ans,  Huguet,  qui  prêche  «  dans 
un  lit  suspendu  à  plus  de  quatre  pieds  de  terre,  ressemblant  à 
une  bierre  (un  cercueil)  ».  Meynadier  disperse  à  coups  4e 
bâton  les  assistants,  puis  tout  d'un  coup  il  s'arrête  à  la  pensée 
du  danger  qu'il  court  au  milieu  d'eux,  et  le  soir,  en  efiet,  en 
repassant  dans  le  lieu,  il  apprend  que  «  l'assemblée  se  repent  de 
ne  pas  l'avoir  assommé ^  ».  Majestavols  est  le  lieu  d'origine  de 
Pierre  Séguier,  qui  maintenant,  sous  le  nom  à' Esprit,  parcourt 
la  région,  fanatisant,  dit  Louvreleuil,  en  même  temps  qu'une 
inspirée,  Catherine  Doux,  dont  nous  n'avons  nulle  part  retrouvé 
le  nom.  Séguier  avoua  plus  tard  que  «  l'esprit,  s'étant  commu- 
niqué à  lui  en  travaillant  de  son  métier  [de  cardeur?],  lui  avait 
ordonné  d'aller  dans  le  désert,  et  qu'en  lui  obéissant,  s'étant 
rendu,  dans  les  bois  appelés  d'Altefage  [sur  le  Bougés]  et  du 
Fau-des-Armes  [sur  la  Lozère],  il  y  trouva  deux  révélés  comme 
lui  et  d'autres  qui  ne  l'étaient  pas  encore,  et  s'appelaient  entre 
eux  :  frères'^  ». 

Ce  dernier  témoignage  est  précieux,  car  il  nous  montre  les 
prophètes  ayant  constitué  dans  les  Hautes-Cévénnes  une  troupe 
itinérante,  dans  laquelle  ils  se  sont  adjoint  des  amis  qui  n'ont 
pas  «  le  don  »,  et  que  des  raisons  diverses  obligent  à  vivre  en 
«  fugitifs  ».  Un  jeune  Cévenol  du  Pont-de-Montvert,  Jean  Ram- 
pon,  qui  écrivit  plus  tard  un  précieux  mémoire  pour  Court, 
nous  apprend  que  Séguier  l'avait  pour  «.  associé  »,  c'est-à-dire 
pour  guide  ou  pour  «  accompagnateur».  Jean  Rampon  ne  fana- 
tisait pas.  Mais  son  frère  Antoine  (dix-neuf  ans  en  1701)  avait 
été  arrêté ,  en  novembre  1701 ,  comme  inspiré.  Conduit  en 
diverses  prisons,  puis  enrôlé  de  force,  Antoine  Rampon  avait 
déserté  des  casernes  de  Montpellier  et,  en  mai  1702,  il  avait 
rejoint,  sur  la  Lozère,  son  frère  Jean  et  le  proi)hète  Esprit^. 

De  mai  à  juillet,  nous  perdons  absolument  de  vue  les  pro- 
phètes des  Hautes-Cévennes.  Souvenons-nous  seulement  que 

1.  C  183  (dossier  Meynadier). 

2.  Manuscrit  Gaifl'e.  Louvreleuil  (t.  I,  p.  28)  dit  que  Séguier,  âgé  de  cin- 
quante ans  alors,  avait  été  condamné  dans  sa  jeunesse  à  être  pendu  pour  viol 
et,  plus  tard,  aux  galères  pour  vol.  On  se  demande  alors  comment  il  aurait 
pu  demeurer  encore  ù  Majestavols,  d'où  il  est  jtarti  comme  inspiré  en  1702. 

3.  Lettre  de  Jean  Rampon  accompagnant  son  Mémoire  (papiers  Court, 
n»  17,  K). 


CH.    BOST, 


c'est  l'époque  où  Mandagout,  descendu  du  Pont-de-Montvert, 
prêche  à  Roffières  avec  Salomon  Couderc  et  Abraham  Mazel  et 
est  accusé  de  semer  des  propos  graves  sur  les  bandes  qui,  un  jour, 
disaient-ils,  abattront  les  églises  et  tueront  les  catholiques.  C'est 
l'époque  où  l'écho  amplifié  de  la  fusillade  de  Pe^Temale  se 
répand  {jusqu'à  ITzès)  et  excite  naturellement  de  nouvelles  colères 
contre  les  persécuteurs'.  Notons  enfin  qu'à  cette  date,  au  dire 
d'Abraham  Mazel  lui-même,  qui  confirme  ce  que  nous  savons 
des  propos  de  Mandagout,  certains  prophètes  commencent  à 
prêcher  la  révolte  armée. 

Voici,  en  efiet,  ce  qu'on  lit  dans  le  Théâtre  sacré^.  C'est 
Abraham  Mazel  qui  parle.  Sa  déposition  a  été  sans  doute  rédi- 
gée par  Elle  Marion,  le  «  secrétaire  »  des  Camisards,  et  d'ail- 
leurs retouchée  par  une  main  plus  experte.  Mazel  va  raconter 
la  mort  de  l'abbé  du  Chayla,  et  il  déclare  sans  ambages  com- 
ment les  résolutions  les  plus  violentes  se  sont  imposées  lentement 
«  par  révélation  »,  à  lui-même  et  à  d'autres  inspirés. 

«  Quelque  temps  »,  dit-il,  «  avant  que  j'eusse  reçu  par  l'Es- 
prit l'ordre  positif  et  redoublé  de  prendre  les  armes  [c'est-à-dire 
avant  le  23  juillet  1702],  je  songeai  que  je  voyais  dans  un  jar- 
din de  grands  bœufs  noirs  fort  gras  qui  broutaient  les  plantes 
du  jardin.  Une  personne  me  dit  de  chasser  ces  bœufs,  mais  je 
refusai  de  le  faire.  Cependant,  la  mêm%  personne  ayant  fait  ins- 
tance, je  les  chassai.  Fort  peu  de  temps  après,  je  reçus  une 
inspiration,  dans  laquelle  il  me  fut  dit  que  ce  jardin  était  l'Eglise, 
que  les  gros  bœufs  noirs  étaient  les  prêtres  qui  la  dévoraient,  et 
que  je  serais  appelé  à  mettre  en  fuite  ces  sortes  d'hommes. 

«  A  quelques  jours  de  là,  l'Esprit  m'avertit  de  me  préparer  à 
prendre  les  armes  pour  la  cause  de  Dieu.  Cet  avertissement 
fut  suivi  de  quelques  autres  pareils,  et  comme  je  parlais  assez 
haut  dans  l'extase,  les  uns  qui  voyaient  ma  faiblesse,  ou  pour 
mieux  dire  mon  néant,  étaient  comme  scandalisés  de  cet  ordre 

1.  C'est  à  cet  événement  .seulement  que  peut  se  rapporter  l'indiration  don- 
née par  le  baron  d'Aygalliers,  d'Uzés  (Mémoires,  publiés  par  Frosterus.  Lau- 
sanne, 1866,  p.  18),  et  reproduite  par  Court  (t.  I,  p.  9),  de  protestants  surpris, 
en  1701  ou  1702,  par  des  soldats  de  bourgeoisie  du  mandement  de  Russon, 
diocèse  d'Uzés.  Il  y  aurait  eu  dix-huit  personnes  tuées  [le  texte  dit  :  trou- 
vées^, dont  trois  femmes  enceintes,  qui  auraient  été  éventrées.  PejTemale  est 
du  diocèse  d'Uzès  et,  par  rapport  à  TJzès,  Russon  (près  d'Alais)  est  à  peu  près 
dans  le  même  quartier  que  Peyremale. 

2.  Théâtre  sacré,  p.  85  (éd.  Bost,  p.  77).  C'est  nous  qui  soulignons  quelques 
mots. 


LES  M  PROPHÈTES  «  DU  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702.       5 

inconcevable,  et  les  autres,  plus  humbles,  se  contentaient  de 
lever  les  yeux  au  ciel.  Dans  ces  réitérations,  il  n'y  avait 
jusque-là  qp! une  déclaration  générale.  Pierre  Esprit  [Séguier] 
et  Salomon  Couderc,  deux  de  nos  principaux  inspirés,  eurent 
des  avertissements  conformes  aux  miens,  et  quelques  autres 
en  eurent  aussi.  » 

Rien  ne  s'oppose  à  ce  que  nous  placions  Mandagout  parmi 
ces  «  quelques  autres  »,  et  les  paroles  qui  lui  ont  été  reprochées 
ne  nous  étonnent  plus,  si  Mazel,  Séguier  et  Couderc  en  ont 
tenu  d'analogues  dans  leurs  «  extases  ».  Mandagout,  mainte- 
nant, est  emprisonné;  mais  ses  amis  agissent  toujours.  Nous 
allons  voir  comment  la  «  déclaration  générale  »  de  l'Esprit  va 
devenir  particuhère.  Constatons  seulement  que  nous  avons  tou- 
jours affaire  à  des  prophètes,  et  que  les  sanglants  incidents  qui 
vont  suivre  s'insèrent  dans  une  chaîne  ininterrompue  d'  «.  ins- 
pirations »  qui  remonte  jusqu'au  sacrilège  de  Valérargues. 

Après  tant  d'autres,  nous  raconterons  la  mort  de  l'abbé  du 
Chayla.  Mais  ce  sera  pour  insister  (ce  qu'on  n'a  pas  toujours 
fait  avant  nous)  sur  le  rôle  qu'y  a  joué  le  «  fanatisme  »,  qui 
poussait  en  avant  la  troupe  des  émeutiers. 

Le  lieutenant  de  bourgeoisie  du  Pont-de-Montvert,  Escalier, 
arrête  (vers  le  20  juillet  1702)  un  guide  qui  conduit  à  Genève 
trois  filles  travesties  et  deux  hommes.  Les  prisonniers  sont 
enfermés  dans  la  maison  où  loge  Tabbé  quand  il  vient  dans  le 
bourg,  la  maison  d'André.  Un  pont,  au  nord,  passant  sur  le 
Tarn,  rattache  la  maison  à  la  place  publique;  un  autre  pont,  au 
sud,  franchissant  le  Rioumal,  la  joint  au  chemin  qui  descend  du 
Bougés.  L'abbé  est  justement  dans  le  lieu,  où  depuis  le  l^""  juil- 
let il  dirige  une  mission  de  prédicateurs.  Il  fait  mettre  aux  ceps 
les  prisonniers,  ou  tout  au  moins  le  guide,  Massip,  et  ordonne 
une  information  qui  s'achèvera,  selon  toute  probabilité,  par  la 
pendaison  de  celui-ci  ou  sa  condamnation  aux  galères. 

Depuis  de  longs  mois  déjà,  les  nouveaux  convertis  des  Hautes- 
Cévennes  sont  excédés  par  la  sévérité  ou  la  rapacité  de  l'ar- 
chiprétre.  Les  prophètes,  tout  particulièrement,  lui  reprochent 
la  cruauté  dont  il  a  fait  preuve  à  l'égard  déjeunes  inspirés  qu'il 
a  fustigés  ou  maltraités,  et  aussi  les  condamnations  à  l'amende, 
à  l'enrôlement  forcé,  à  la  })rison,  aux  galères,  ou  à  la  mort  (Fran- 
çoise Brès),  qui  ont  terminé  des  enquêtes  qu'il  a  menées  contre 
eux. 


6  eu.    BOST. 

Une  assemblée  religieuse  a  été  convoquée  pour  la  nuit  du 
samedi  22  au  dimanche  23  juillet  sur  la  montagne  du  Bougés, 
dans  une  bergerie  au-dessus  de  Rabiès'.  Une  foire  s'est  tenue  à 
Barre  le  22,  qui  a  couvert  les  chemins  de  paysans,  et  a  rendu 
moins  suspect  et  moins  dangereux  le  rassemblement  des  nou- 
veaux convertis.  Séguier  et  ses  associés  ont  pu  circuler  plus 
librement  pour  annoncer  le  culte.  Dans  l'assistance  se  trouvent 
Séguier,  les  deux  Rampon,  Isaac  Soulages  (de  Cassagnas), 
David  Mazauric,  Salomon  Couderc  le  prophète,  qui  est  de  Viel- 
jouvès  (tout  près  de  Rabiès),  et  aussi  Abraham  Mazel. 

Ce  dernier,  avons-nous  dit,  a  fourni  un  récit  des  événements. 
Nous  avons  transcrit  le  début  de  sa  déposition,  qui  est  pour  nous 
d'une  très  grande  valeur,  car  Mazel  ne  songe  nullement  à  se 
disculper  d'actes  dont  il  attribue  l'exécution  à  des  injonctions 
de  l'Esprit,  et  il  nous  transporte  dans  une  atmosphère  •  où  les 
mots  de  responsabilité  ou  de  préméditation  n'ont  qu'un  sens  fort 
atténué.  Les  diverses  phases  de  l'expédition  vont  être  ratta- 
chées par  Mazel  à  des  «  ordres  »  que  l'Esprit  a  dictés  aux  pro- 
phètes. N'oublions  pas  que  ces  ordres  sont  exprimés  par  l'ins- 
piré après  une  crise  de  convulsions,  qui  peut  d'ailleurs  être  très 
courte.  Il  ne  parle,  en  tous  cas,  que  lorsque  l'Esprit  «  le 
saisit  ». 

Mazel,  après  avoir  donc  parlé  d'une  déclaration  «  générale  »  de 
prendre  les  armes,  à  lui  imposée  par  une  révélation,  en  vient  à 
dire  comment  l'ordre  s'est  précisé  et  à  quelle  date.  Nous  sommes 
dans  l'assemblée  de  Rabiès  ^  : 

Enfin,  le  dimanche  21  juillet  [lire  :  dimanche  matin  23],  comme 
nous  étions  dans  une  assemblée  proche  la  montagne  de  Lozère..., 
l'Esprit  me  saisit,  et  m'ordonna,  en  m'agitant  beaucoup,  de 
pi^endre  les  armes  sans  aucun  retardement  et  d'aller  délivrer  ceux 
de  nos  frères  que  les  persécuteurs  détenaient  prisonniers  au  Pont- 
de-Montvert...  Aussitôt  que  l^rdre  d'obéir  promptement  m'eut  été 
tJonné,  je  ne  balançai  plus  à  me  mettre  en  devoir  de  l'exécuter. 
Ceux  qui  avaient  reçu  le  même  avertissement  que  moi  mirent 
ensemble  la  main  à  l'œuvre.  Esprit,  Saloinon,  Soulages,  Mazauric 
et  quelques  autres  s'en  allèrent  en  grande  hâte,  l'un  ici,  l'autre  là, 
chercher  des  ouvriers.  [Nous  reviendrons  sur  ce  point  important.] 

1.  Mémoire  de  Combes,  papiers  Court,  n"  17,  B,  fol.  261. 

2.  Théâtre  sacré,  p.  85  (éd.  Bost,  p.  77). 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGOEDOC   EN    1701    ET    1702.  7 

Nous  nous  donnâmes  rendez-vous  pour  le  lendemain  au  soir 
[lundi  24]  et  nous  nous  rcnconlrâmes,  avec  nos  enrôlés,  au  nombre 
d'environ  quarante,  dans  le  lieu  marqué.  Nous  n'avions  que 
quelques  épées,  des  faux,  de  vieilles  hallebardes  et  peut-être  vingt 
fusils  ou  pistolets.  Mais  le  Dieu  des  armées  était  notre  force.  Nous 
nous  mimes  tous  en  prière,  et  plusieurs  reçurent  commELnde' 
ment  de  VEsprll  d'entrer  dans  le  bourg  à  nuit  close,  en  chantant 
des  psaumes,  et  d'aller  droit  au  château  [la  maison  d'André]  pour 
délivrer  nos  frères... 

Je  laisse  diverses  circonstances...  pour  dire  que,  malgré  les 
injures  et  la  résistance  de  l'abbé  du  Cliayla...,  nous  enlevâmes  les 
prisonniers  et  entre  autres  le  frère  Massip  [le  guide].  On  l'avait  res- 
serré dans  une  posture  si  gênée,  les  jambes  passées  entre  deux 
poutres,  qu'il  ne  pouvait  ni  se  coucher  ni  se  lever. 

Le  récit  de  Mazel  est  confirmé  par  un  autre  témoin  oculaire, 
Jean  Rampon,  1'  «  associé  »  de  Séguier  qui  a  dressé  un  mémoire 
des  faits  pour  Antoine  Court,  qu'une  lettre  complète'.  Les  pages 
de  Rampon,  plus  naïves  que  celles  de  IMazel,  parce  qu'elles 
n'ont  pas  été  corrigées  par  une  main  étrangère,  ne  font  aucune 
allusion  aux  «  inspirations  »  qui  auraient  commandé  l'entre- 
prise. Elles  ont  été,  en  effet,  écrites  en  1732,  en  un  temps  et 
en  un  lieu  où  les  prophètes  étaient  suspects,  et  aussi  pour  un 
homme  qui  ne  les  aimait  pas.  Rampon,  du  moins,  nous  a  gardé 
un  tableau  expressif  de  l'entrée  de  la  troupe  au  Pont-de-lMont- 
vert  et  il  nous  dira  l'esprit  qui  animait  les  justiciers.  Il  parle  de 
l'assemblée  pieuse  du  22,  fort  nombreuse,  convoquée,  à  la  faveur 
de  la  foire  de  Barre,  par  lui-même  et  par  Séguier  : 

Ledit  jour,  l'abbé,  qui  venait  de  Barre,  coucha  [en  retournant  au 
Pont-de-Montvert]  à  la  cure  de  Saint-Julien  [d'Arpaon],  moitié 
chemin  de  sa  retraite,  et,  étant  à  table  à  s'entretenir  sur  notre 
compte  [sur  le  compte  des  protestants],  il  déclara  hautement  le  des- 
sein qu'il  avait  projeté,  qui  était,  dès  (|u'il  serait  arrivé  au  Pont-de- 
Montvert,  de  faire  partir  l'ordre  au  bourreau  de  Mende  pour  faire 
exécuter  le  nommé  Massip^...  Et  le  23  au  matin,  lorsqu'on  eut 

1.  Papiers  Court,  n»  17,  K,  fol.  75. 

2.  11  est  didicile  de  ramener  ceci  à  l'exacte  vérité.  L'abbé  du  Chayla  n'avait 
pas  le  i)Ouvoir,  naturellement,  de  faire  exécuter  un  homme  sans  jugement,  ni 
même  de  le  juj^er.  Mais  il  semble  qu'il  usait  quelt|uefois  de  menaces  pareilles 
à  celles  qu'aurait  pu  lancer  Bâvillc.  Le  guide  Massip  prétend  que  l'abbé  lui 
aurait  dit,  dans  la  maison  d'André,  «  qu'il  ne  tenait  que  de  lui  de  le  faire  pendre 


8  CH.    BOST. 

donné  la  bénédiction  à  l'assemblée  et  les  ordres  pour  leur 
retraite  [le  retour  des  assistants]  dont  il  n'y  eut  pas  de  pris  pour 
cette  fois,  puis  [sic]  nous  vint  à  la  pensée  de  faire  arrêter  [de  rete- 
nir un  instant]  un  ou  deux  de  chaque  quartier  dudit  pays.  Et  ayant 
consulté  l'entreprise,  nous  dîmes  à  chacun  [de  ceux-là]  s'il  n'y  avait 
pas  moyen  d'avoir  quelques  armes  d'une  ou  d'autre  part.  Ils  nous 
dirent  qu'oui  ;  lors  nous  leur  dîmes  que  nous  étions  contents  de  leur 
bon  zèle. 

On  voit  que,  d'après  Rarapon,  l'inspiration  de  prendre  les 
armes  serait  venue  à  IMazel  non  pendant  l'assemblée,  mais  une 
fois  l'assemblée  congédiée,  dans  un  cercle  restreint  d'amis  qui 
demeurent  réunis.  Il  semble  que  cette  version  soit  plus  près  de 
la  vérité.  Rampon  continue  : 

Il  en  vint  quarante-huit,  et  nous  deux  [Séguier  et  Rampon]  fai- 
saient cinquante.  On  se  rassembla  le  soir  à  l'aile  [l'extrémité]  du 
bois,  au  sommet  le  plus  haut  de  la  montagne  du  Bouges  [les  Trois- 
Hêtres],  tellement  que  le  compte  fut  accompli  environ  les  cinq  heures 
et  demie  du  soir.  Et  après  s'être  bien  unis  et  promis  chacun  de  ne 
pas  se  quitter  et  fait  la  prière  tous  ensemble,  nous  fîmes  notre 
marche  vers  ledit  lieu  à  deux  de  rang.  Et  lors  que  nous  fûmes  à  la 
vue  dudit  lieu,  sur  les  neuf  heures  du  soir,  il  fut  ordonné  qu'il  fal- 
lait avertir  par  le  chant  de  ses  [sic]  louanges.  Sur  quoi  on  chanta  la 
première  pause  [partie]  du  psaume  51 ,  qui  finit  à  l'entrée  dudit  lieu, 
et  la  chose  alla  très  bien^  Puis  on  nomma  huit  hommes  pour 
l'avant-garde,  fusil  en  joue,  criant  :  «  Que  personne  ne  sorte  sous 

au  Pont  (de  Montvert),  sans  autre  autorité  que  la  sienne  propre  »  (papiers 
Court,  n"  17,  K,  fol.  67). 

1.  D'ans  une  lettre  qu'il  adresse  à  Court  (de  Berne,  2  septembre  1732)  et  qui 
est  écrite  après  son  Mémoire,  Rampon  déclare  que  Cavalier,  malgré  son  dire 
{Méin.  de.  Cavalier,  éd.  Puaux,  p.  41-45),  n'a  pas  été  témoin  de  l'aftaire. 
«  Quand  Cavalier  parle  du  chant  des  Psaumes,  [disant  qu'on  aurait  chanté  le 
psaume  68],  preuve  que  cela  n'est  pas  :  puisque  moi-même  je  choisis  celui-là 
[le  psaume  51],  que  chacun  savait  par  cœur,  comme  étant  déjà  nuit  et  que 
moi-même,  qui  le  commandais  [l'entonnais]  n'aurais  pas  su  la  pause  du  68  par 
cœur.  El  lorsqu'il  dit  avoir  été  de  l'assemblée  lorsque  le  complot  se  fit,  je  ne 
sais  qui  l'aurait  porté  là -haut,  sur  cette  montagne,  car  quand  il  parle  de 
parents  dans  ce  quartier  du  pays  je  n'ai  jamais  su  qu'il  en  eût  un.  »  Cavalier 
(p.  43)  prétend  s'être  trouvé  dans  l'assemblée  du  22-23,  mais  avoir  été  exclu  de 
l'expédition.  «  Mes  amis  ne  me  le  permirent  pas,  disant  qu'en  cas  de  malheur 
j'étais  trop  jeune,  et  de  plus  étranger  au  pays.  »  Ces  deux  raisons  sont  contre- 
dites par  les  faits.  Cavalier  avait  près  de  vingt  et  un  ans,  mais  Salomon  Cou- 
derc  avait  à  peu  près  cet  âge  et  fut  de  l'afl'aire.  De  plus,  on  verra  plus  loin  que 
parmi  les  attroupés  se  trouvaient  des  personnes  t  étrangères  au  pays  ». 


LES    «    l'IlOPHÈlES    »    DU    LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  9 

peine  de  mort!  »  —  Et  ainsi  on  avanra  le  chemin.  El  comme  ledit 
abbé  ou  ses  gens  eurent  entendu  le  bruit,  et  même  qu'on  avait 
lâché  un  coup  de  fusil  à  la  porte  du  s^  Dubos  [chez  la  femme  d'un 
lieutenant  de  bourgeoisie],  oîi  il  y  avait  deux  capucins  logés,  il 
envoya  son  secondaire  [vicaire]  pour  voir  ce  que  c'était,  croyant  que 
c'étaient  des  prisonniers  qu'on  menait,  de  nos  gens.  On  lui  répon- 
dit que  oui.  Si  pourtant,  lors  qu'il  voulut  tourner  la  face,  disant 
qu'il  allait  avertir  ledit  abbé  pour  faire  ouvrir  les  prisons,  il  eut  le 
sort  de  recevoir  un  coup  de  hallebarde  qui  le  perça  jour  a  jour  aux 
reins,  et  resta  là. 

Rampon  commet  une  confusion  de  personnes.  Ce  n'est  pas 
un  prêtre  que  les  attroupés  ont  d'emblée  frappé  mortellement  de 
trois  coups  de  hallebarde  aux  reins,  mais  le  régent  ecclésias- 
tique du  lieu,  nonmié  Roux'  : 

Puis  on  avança  sans  bruit  dix  ou  douze  pas,  et  voilà  l'homme  de 
chambre  [le  valet]  dudit  abbé  qui  vint  pour  voir,  et  eut  le  môme 
sort.  Mais  encore  celui-là  entra,  tout  blessé  à  moi  t  qu'il  était,  dans 
le  logis  du  s''  Guin,  qui  [et  il]  y  mourut  bientôt  après. 

Ici  encore  Rampon  confond  les  personnes.  Un  valet  de 
l'abbé,  nommé  IMichel,  fut  en  effet  blessé  à  mort,  mais  ce  fut 
plus  tard,  après  l'évasion  de  l'abbé.  Il  s'agit  ici  sans  doute  du 
paysan  qui  était  «  rentier  »  (locataire)  de  la  maison  d'André, 
qui  la  gardait  en  l'absence  de  Tarchiprétre,  et  qui  fut  également 
tué-.  N'oublions  pas  qu'il  fait  nuit.  Les  erreurs  de  Rampon 
s'expliquent  sans  effort. 

Rampon  dit  ensuite  comment  les  attroupés  arrivent  devant  la 
maison  de  rarchi})rêtre.  Ils  n'y  trouvent  qu'une  sentinelle,  un 
soldat  de  bourgeoisie,  à  qui  ils  commandent  «  de  mettre  les 
armes  bas  et  de  remettre  les  prisonniers  ».  IVIais  la  porte  reste 
close  et  l'abbé  refuse  de  l'ouvrir.  Joanny^,  de  Genolhac,  parti- 
culièrement vigoureux,  l'enfonce  au  moyen  d'une  hache,  qu'on 
est  allé  chercher  chez  un  voisin  à  qui  on  la  rendra  soigneuse- 
ment. Les  gens  de  l'abbé  cependant  se  défendent  :  «  A  la  faveur 

1.  Louvrelcuil,  t.  I,  p.  27,  et  déposilion  de  Gardés  sur  la  mort  de  l'abbé, 
C  183  (Gardés  était  le  greffier  du  commissaire  Le  Blanc,  venu  de  Florac  au 
Pont-de-Montvert  pour  instruire  le  i>rocès  du  guide  Massip). 

2.  Brueys,  t.  I,  p.  298,  et  déposition  de  Gardés. 

3.  Ou  Jouanin.  Ceci  d'après  Rampon  et  une  note  de  Court  insérée  dans  le 
Mémoire  de  celui-ci. 


10  CH.    BOST. 

des  coups  de  fusil  [c'est-à-dire  :  malgré  les  coups  de  fusil]  qu'on 
tirait  par  les  fenêtres  »,  dit  Rampon,  «  nous  forçâmes  la  porte 
pour  entrer  dedans  malgré  leur  feu,  et  nous  délivrâmes  nos  pri- 
sonniers du  cep.  »  Un  second  soldat  de  bourgeoisie,  pris  der- 
rière la  porte  enfoncée,  est  épargné  sur  la  demande  des  cap- 
tifs, qu'il  a  humainement  traités.  L'abbé  et  ses  deux  valets  se 
sont  réfugiés  dans  l'étage  supérieur  de  la  maison. 

L'afiaire,  brusquement,  va  devenir  plus  grave.  Abraham 
Mazel  nous  apprend  que  ce  fut  à  la  suite  d'une  nouvelle  «  ins- 
piration ». 

«  Après  cette  expédition  »,  dit-il  [c'est-à-dire  une  fois  les 
prisonniers  libérés],  «  nous  demandâmes,  par  ordre,  de  parler 
à  l'abbé.  »  Par  ordre,  cela  signifie  évidemment  pour  lui  :  par  un 
ordre  de  l'Esprit.  Le  curé  de  Barre-des-Gévennes,  en  relatant 
l'événement  sur  son  registre  curial^  confirme  le  récit  de  Mazel. 
«  Les  fanatiques  demandèrent  les  prisonniers,  à  quoi  M.  l'abbé 
répondit  qu'on  les  fît  rendre  [ceci  est  faux]  ;  mais,  n'étant  pas 
contents  de  cela,  ils  environnèrent  la  maison  et  demandèrent 
à  lui  parler.  » 

Qu'est-ce  donc  que  les  inspirés,  Sur  l'ordre  de  l'Esprit,  avaient 
l'intention  de  dire  à  l'archiprêtre? 

Antoine  Court,  qui  a  eu  l'occasion  de  correspondre  et  de 
causer  avec  quelques-uns  des  témoins  du  drame  et,  comme  il 
dit  (t.  I,  p.  42),  de  «  démêler  leurs  idées  »,  écrit  avec  beaucoup  de 
sagesse  :  «  Il  serait  difficile  de  savoir  au  juste  si  les  attroupés 
se  seraient  contentés  de  la  liberté  des  prisonniers  au  cas  où 
l'abbé  la  leur  aurait  accordée  »,  et  il  ajoute  «  qu'il  y  en  avait 
parmi  eux  qui  avaient  reçu  de  sa  part  de  fort  mauvais  traite- 
ments». Pour  s'en  tenir  à  des  faits  qui  paraissent  indiscutables, 
disons  que  plusieurs  des  conjurés  avaient  tout  au  moins  souffert 
dans  la  personne  de  leurs  parents.  Salomon  Couderc  avait  à  cette 
heure  un  frère,  David,  ancien  prédicant,  enfermé  à  Aigues- 
Mortes  dans  la  tour  de  Constance  et  amputé  d'un  bras,  que  l'abbé 
en  personne,  à  la  tête  d'un  détachement,  avait  arrêté  en  1692 ^ 
Sa  sœur  Françoise,  emprisonnée  au  Pompidou  en  1701  comme 
fanatique,  y  avait  entendu  les  cris  des  jeunes  inspirés  fustigés 
par  l'archiprêtre-^.  Un  autre  Couderc,  de  Mazelrosade  (près  de 

1.  Mairie  de  Barre-des-Cévennes  (Lozère). 

2.  Bost,  Prédicants  protestants,  t.  II,  p.  11. 

3.  Papiers  Court,  n°  30.  Notes  de  Morin-Saltet,  qui  dit  tenir  le  fait  de 
Françoise  Couderc  elle-même. 


LES  «  PROPHÈTES  »  DD  LANGOEDOC  EN  1701  ET  1702.      H 

Saint-Germain),  avait  été  enfermé,  en  juin  1702,  au  Pont-de- 
Montvert  dans  les  mêmes  ceps  qu'on  venait  d'ouvrir  et  lui- 
même  (ou  son  frère)  était  parmi  les  Cévenols  ameutés'.  Enfin, 
il  V  avait  là  également  un  certain  Larguier  de  l'Hermet  (Saint- 
Julien-d'Arpaon).  Or,  un  enfant  de  sept  ans,  d'une  veuve  Lar- 
guier, de  l'Hermet,  avait  été  si  odieusement  tiraillé  par  l'abbé, 
qui  voulait  l'obliger  à  accuser  sa  mère,  qu'il  en  était  mort  2. 

Si  violents  que  fussent  ces  griefs  —  ou  tant  d'autres  —  il 
ne  paraît  pas  cependant  que  les  inspirés  et  leurs  compagnons 
soient  venus  au  Pont-de-Montvert  avec,  l'intention  formelle  de 
tuer  le  prêtre.  Les  prophètes  qui  conduisaient  la  troupe  ne  se 
déci<laient  que  par  «  inspiration  »,  et  Mazel  n'avait  reçu 
d'abord  que  l'inspiration  délibérer  des  irères  captifs.  Maisl'  «  ins- 
piration »,  qui  n'était  ici  que  le  déchaînement  d'une  passion  irrai- 
sonnée, subissait  la  pression  des  événements.  La  résistance 
armée  de  l'archiprêtre,  la  vue  des  ceps  de  Massip  firent  oublier 
le  premier  dessein  de  l'entreprise,  conçu  déjà  d'une  manière 
assez  violente,  puisque,  selon  Rampon,  on  avait  déjà  blessé 
mortellement  deux  hommes  avant  même  d'être  arrivé  au  logis 
d'André.  Les  prisonniers,  main  tenant,  s'effaçaient  derrière  le  per- 
sécuteur, et  Mazel  «  reçut  l'ordre  »  de  parler  à  l'abbé.  Il  semble 
vraisemblable  qu'en  le  réclamant,  ou  en  lui  faisant  demander, 
comme  le  dit  Rampon,  «  de  se  rendre  à  vie-^  »,  le  prophète  vou- 
lait simplement  que  les  «  enfants  de  Dieu  »  s'affrontassent  à  lui, 
sans  se  représenter  encore  clairement  ce  qu'il  adviendrait  de  la 
rencontre. 

Sommé  de  se  remettre  aux  mains  des  attroui)és,  l'archiprêtre 
—  comme  il  était  trop  naturel  —  refusa.  Un  des  Cévenols,  ayant 
tenté  de  monter  l'escalier  qui  menait  à  lui,  fut  blessé  à  la  joue 
d'un  coup  de  feu'^.  C'est  alors,  raconte  Louvreleuil  (t.  I,  p.  26), 

t.  Louvreleuil,  t.  I,  p.  tiO.  Le  décret  de  Hà ville,  du  29  août  (voir  plus  loin), 
nomme  parmi  les  allroupcs  Couderc,  de  Masaraissast  {.sic,  erreur  très  probable 
pour  Mazelrosade). 

2.  Le  Mémoire  de  Uampon  donne  les  détails  relatifs  à  l'enfant.  La  lettre  de 
Rampon  nomme  à  la  fois  la  veuve  de  Larguier  et  le  Larguier  des  attroupés. 
Le  décret  du  29  août  nomme  un  Larrié  [=  Larguier]  a  de  Saint-André-dc- 
Lancize  »  (peut-être  y  a-l-il  une  erreur  dans  le  nom  du  lieu). 

3.  Rami»on  écrit  :  «  L'abbé,  avec  les  soldats  qui  étaient  avec  lui...,  mon- 
tèrent au  deuxième  étage  et,  de  là,  faisaient  toujours  feu  sans  vouloir  se  rendre 
à  vie.  » 

i.  Rampon  nomme  le  blessé  Chaplal,  de  Recoules  (Fraissinet-de-Lozérc).  Au 
malin,  les  illroupés  l'emmenèrent  vers  Frutgères,  arrêtant  sur  la  roule  un  che- 


12  ce.  BOST. 

que  «  le  chef  des  bandits  s'écria  tout  à  coup  :  Enfants  de  Dieu  ! 
mettez  vos  armes  bas.  Ceci  nous  arrêterait  trop.  Il  faut  brûler 
cette  maison  et  tous  ceux  qui  y  sont  ».  Pour  l'homme  qui  la 
lançait,  cette  injonction  était  encore  évidemment  l'effet  d'un 
«  ordre  »  divin,  auquel  ses  compagnons  obéirent  avec  empres- 
sement. Dans  la  salle  basse  qui  servait  de  chapelle,  on  fit  un 
monceau  de  meubles  et  de  bancs  ;  on  y.  jeta  les  paillasses  des 
soldats  et  l'on  alla  se  fournir  de  bois  dans  une  maison  qui  était 
proche.  Mazel  ne  dit  pas  expressément  que  l'incendie  fut  allumé 
par  «  inspiration  ».  Mais  un  trait  de  son  récit  nous  montre  les 
prophètes  épiant  partout  les  manifestations  de  la  volonté  de 
Dieu.  «  L'abbé,  dit-il  [à  qui  nous  avions  demandé  de  parler],  «  fit 
feu  sur  nous...  »,  mais  il  ne  trouva  pas  son  compte  dans  la  résis- 
tance. Le  château  fut  réduit  en  cendres,  et  même  d'une 
manière  miraculeuse.  »  Le  miracle  d'alors,  Mazel  déclare  ail- 
leurs' l'avoir  d'autres  fois  observé  en  d'autres  occasions  «  et 
particulièrement  quand  on  criait  :  A  sac!  A  sac!  contre  les 
temples  de  Babylone  [les  églises  catholiques]  ».  C'est  «  que  le 
feu  prit  au  bois  en  un  instant,  au  premier  attouchement  ». 

Forcé  dans  son  refuge  par  la  flamme  et  la  fumée,  l'abbé  reçut 
la  confession  des  deux  valets  qui  étaient  avec  lui^  et  tenta  une 
évasion  désespérée.  Par  une  corde  faite  de  rideaux  et  de  draps 
de  lit,  il  voiûut  descendre  dans  un  jardin  situé  au  nord,  dont  la 
pente  aboutissait  à  la  rivière.  Une  sentinelle  postée  sur  le  pont 
du  Tarn  l'aperçut,  et  lui  tira  un  coup  de  feu.  L'aljbé  tomba. 
Blessé  à  la  cuisse  parle  coup  ou  par  la  chute,  il  fut  conduit  par 
son  cuisinier,  Michel,  qui  l'avait  suivi,  sous  la  haie  qui  séparait  le 
jardin  du  Tarn.  Le  domestique,  abandonnant  alors  son  maître,  fut 
aperçu  par  les  sentinelles  et  reçut  une  blessure  dont  il  mourut 
dix  jours  plus  tard 3.  L'autre  valet,  nommé  La  Violette,  «  ramas- 
sant des  habits  et  des  bardes  »,  s'était  jeté  à  travers  les  flammes. 
Il  tomba  enfre  les  mains  des  attroupés,  qui  le  menèrent,  dit  Lou- 
vreleuil,  «  devant  le  coiimiandant  ».  Louvreleuil,  qui  nous  a 
rapporté  ces  détails  d'après  la  déposition  du  valet,  que  nous 
n'avons  plus  (t.  I,  p.  28,  29),  nomme  ce  commandant  :  Laporte, 

val  pour    le  hisser  dessus  (déposition  du  s'  de   Lascombes,  21  août  1702, 
C  183). 

1.  Théâtre  sacré,  p.  53  (cd.  A.  Bost,  p.  101). 

2.  Peut-être  y  avait-il  avec  lui  et  les  valets  quelques  soldats  de  bourgeoisie 
qui  pureut  fuir  par  les  fenêtres. 

3.  Louvreleuil,  t.  I,  p.  29;  Mingaud,  p.  11. 


LES  «  PROPHÈTES  »  OU  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702.      13 

et  il  semble  avéré,  en  effet,  que  Gédéon  Laporte,  l'ancien  sol- 
dat de  Branoux,  fut  l'organisateur  militaire  de  l'expédition. 
Rampon  nous  parle  si  naturellement  de  sentinelles  postées,  de 
consignes  données,  que  nous  sommes  tenus  de  nous  représenter 
l'action  comme  soumise  à  une  manière  de  discipline.  Laporte, 
cependant,  ne  décida  pas  du  sort  du  prisonnier  :  les  prophètes 
étaient  les  vrais  maîtres  de  la  troupe.  Il  remit  La  Violette  à 
Séguier,  pendant  que  ses  hommes,  le  fusil  en  joue,  attendaient 
que  la  sentence  fût  prononcée.  Séguier  «  fit  divers  gestes  de  ses 
doigts  et  divers  regards  vers  le  ciel  en  silence  »,  attendant  inté- 
rieurement sans  doute  «  un  ordre  ».  Un  des  soldats  de  bour- 
geoisie, qui  avaient  été  épargné  déjà,  prit  ce  moment  pour 
parler  de  la  douceur  dont  le  valet  avait  fait  preuve  à  l'égard  des 
prisonniers  de  l'abbé.  Les  prisonniers  libérés  insistèrent,  et 
Séguier,  «  mettant  alors  les  mains  sur  la  tête  du  patient  »,  pro- 
nonça devant  l'assemblée  :  «  Grâce  pour  La  Violette  !  L'Eternel 
veut  qu'il  vive,  pourvu  qu'il  renonce  au  papisme!  » 

A  ce  moment,  le  toit  de  la  maison  d'André  s'effondra  dans  le 
feu,  la  clarté  plus  vive  de  l'incendie  éclaira  le  jardin  et  le  pont 
du  Tarn.  L'abbé,  qui  s'était  blotti  sous  un  lierre  touffu,  et  qu'on 
cherchait  vainement  depuis  sa  chute,  fut  enfin  aperçu  par  un  des 
émeutiers,  qui  poussa  un  cri  de  triomphe  :  «  Je  le^  vois,  ce  per- 
sécuteur des  enfants  de  Dieu!  »  La  Violette,  abandonné,  s'alla 
au  plus  vite  réfugier  dans  un  grenier  à  foin'.  L'abbé  fut  traîné 
sur  le  pont.  Peu  d'instants  après,  son  corps  gisait  à  terre,  percé 
de  cinquante-deux  coups  d'arme  à  feu  ou  de  bayonnette. 

Il  est  difficile  de  raconter  la  scène  même  du  meurtre.  Mazel 
n'eu  parle  pas.  Rampon  n'y  assistait  pas,  parce  que,  dit-il,  «  il 
courait  d'un  poste  à  l'autre  ».  Il  prétend  (à  tort  semble-t-il)  que 
l'abbé,  ayant  réussi  par  ses  propres  forces  à  passer  du  jardin  sur 
le  pont,  y  fut  arrêté  par  une  sentinelle,  et  il  se  borne  à  rappor- 
ter un  dialogue  tirés  court  :  «  Lui,  persistant  à  dire  de  le  laisser 
passer  et  qu'il  ne  ferait  plus  de  mal  à  nos  gens,  on  lui  répondit 
que  non,  (ju'il  n'en  ferait  plus  et  qu'il  n'en  avait  que  trop  fait.  > 
On  le  tua,  (Ut  un  Cévenol,  «  après  lui  avoir  reproché  les  cruau- 
tés et  les  barbaries  qu'il  avait  exercées^  »,  et  liampon  explique 

1.  Nous  connaissons  le  nom  de,  La  Violelto  par  Rrueys  (t.  I,  p.  293),  qui  fait 
(le  lui  un  soldat  de  bourgeoisie.  Le  nom  parail  dans  la  lettre  de  Rampon  à 
Court. 

2.  Mémoire  de  Combes,  papiers  Court,  n"  17,  B. 


14  CB.    BOST, 

qu'on  s'acharna  sur  lui  «  crainte  qu'il  ne  fût  [pas]  mort,  parce 
qu'il  avait  renom  de  magicien,  ce  qui  ne  le  mit  pas  à  couvert  ». 

La  première  déposition  qui  fut  recueillie  au  Pont-de-Mont- 
vert,  le  27  juillet,  lors  des  enquêtes  judiciaires,  et  qui  émane  du 
greffier  Gardés,  logé  dans  le  bourg  la  nuit  du  meurtre,  rapporte 
que  «  les  attroupés  offrirent  quartier  à  l'abbé,  pourvu  qu'il  vou- 
lût renoncer  à  la  religion  catholique  et  que,  leur  ayant  dit  qu'il 
aimait  mieux  mourir,  ils  le  tuèrent^  ».  Louvreleuil  a  connu  ce 
témoignage,  mais  il  a  pu  le  compléter  sur  place  et  il  nous 
montre  un  prophète  intervenant  encore  aux  derniers  moments 
du  prêtre.  Les  Cévenols,  amassés  autour  de  lui,  lui  crient  :  «  Tu 
expieras  toutes  les  violences  que  tu  as  faites  à  nos  parents  et  à 
nos  amis.  »  Mais  Séguier  les  interrompt  :  «  Dieu  ne  veut  pas  la 
mort  du  pécheur,  mais  qu'il  se  convertisse  et  qu'il  vive! 
Accordons-lui  la  vie  s'il  veut...  faire  parmi  nous  les  fonctions 
de  ministre  de  l'Éternel!  »  Et  comme  l'abbé  refuse  violemment, 
l'inspiré  le  condamne  en  prononçant  le  mot  biblique  :  «  Ton 
péché  est  contre  toi  !  »  Bien  que  Court  ait  suspecté  la  véracité 
de  ce  témoignage,  la  scène  nous  paraît  trop  bien  s'accorder  avec 
tout  ce  qui  a  précédé  pour  que  nous  ne  la  tenions  pas,  dans  son 
fond;  pour  exacte-.  Les  prophètes  ont  conduit  toute  l'entreprise, 
depuis  l'assemblée  du  Bougés  jusqu'à  la  mort  du  persécuteur,  et 
rien  n'a  été  accompli  que  conformément  aux  «  révélations  » 
successives  qu'Us  ont  reçues. 

«  Les  vainqueurs  au  nom  du  Seigneur  »,  dit  Mazel,  «  pas- 
sèrent le  reste  de  la  nuit  à  chanter,  ses  louanges  et  à  lui  rendre 
des  actions  de  grâces  pour  le  succès  qu'il  avait  donné  à  la  pre- 
mière entreprise  de  ses  serviteurs.  »  Les  prophètes,  et  Salomon 
Couderc  entre  autres,  prêchèrent  et  fanatisèrent  sur  la  place  où 
avait  été  pendue  Françoise  Brès. 

«  Au  point  du  jour  »,  continue  Mazel,  «  nous  nous  retirâmes, 
en  chantant  toujours,  entre  les  mêmes  montagnes  d'où  nous 
étions  partis  le  jour  précédent.  »  Un  certain  nombre  des  qua- 
rante attroupés,  en  effet,  remontent  à  l'aube  vers  le  Bougés. 
Mais  les  autres  vont  prendre  une  route  différente.  Rampon  ne 
fait  pas  mystère  de  leurs  desseins. 

1.  Arch.  de  l'Hérault,  C  183  (reproduit  dans  Hisl.  du  Languedoc,  t.  XIV, 
p.  1571). 

2.  Nous  avons  dit  que  déjà  plusieurs  inspirés  des  Basses-Cévennes  ont  con- 
juré en  plein  jour  des  prêtres  de  se  repentir  et  de  se  convertir.  Un  insi)iré  de 
Grizac  (près  du  Pont-de-Montvert),  pris  d'une  crise  en  janvier  1702,  en  pré- 
sence du  prieur,  a  fait  de  même  (C  183.  Assemblées  de  Grizac). 


LES   «    PROPHÈTES    »    DO   LiNGDEDOC   EN    1701    ET    1702.  15 

«  Après  que  le  coup  fut  fait,  nous  nous  ramassâmes  sur  la 
place...  Nous  nous  fîmes  apportera  manger  et  à  boire  sur  la 
rue,  crainte  de  surprise.  Pour  moi,  je  fus  à  ma  maison  pour  la 
dernière  fois  cette  nuit-là  [il  était  du  bourg  même,  où  vivait  sa 
mère]  et,  après,  je  rejoignis  mes  gens  et  les  fis  ramasser,  voyant 
qu'il  était  déjà  jour,  et  que  nous  voulions  avoir  le  curé  de 
Frutgères  le  matin.  » 

Un  nouveau  projet  de  représailles,  en  effet,  a  été  concerté 
entre  ceux  des  attroupés  qui  sont  originaires  du  Pont-de-Mont- 
vert  ou  des  environs  immédiats.  L'abbé  du  Chayla  a  persécuté 
toute  la  région,  mais  ils  ont,  eux,  une  rancune  spéciale  contre 
le  prêtre  de  la  paroisse.  Le  25  juillet,  aux  premières  heures  du 
matin,  l'église  de  Frutgères  (dont  dépend  ecclésiastiquement  1% 
Pont-de-Montvert)  est  saccagée.  La  maison  où  loge  le  prieur 
Reversât  est  incendiée;  le  prieur  lui-même,  contraint  pour 
échapper  aux  flammes  de  se  lancer  à  travers  les  protestants, 
est  tué  d'un  coup  de  feu. 

La  troupe  pousse  alors  à  Saint -Maurice- de -Ventalou.  Le 
prêtre  du  Heu  s'est  enfui.  On  dîne  chez  lui,  on  lui  prend  deux 
fusils,  et  l'on  va  se  reposer  dans  les  bois  de  la  Lozère,  où  l'on 
demeure  immobile  toute  la  journée  *. 

A  l'aube  du  26,  les  révoltés,  qui,  sans  doute,  sont  mainte- 
nant tous  réunis,  quittent  la  Lozère,  passent  le  Bougés  et 
paraissent  sur  la  commune  de  Saint-André-de-Lancize  (d'où  est 
originaire  Salomon  Couderc).  Il  y  a  là,  dit  Rarapon,  «  deux 
mauvais  curés  (le  curé  et  le  régent  ecclésiastique  des  écoles)  ». 
Mais  tous  deux  sont  absents,  car  ils  assistent,  à  une  lieue  de 
là,  aux  funérailles  solennelles  de  l'abbé  du  Chayla,  dans  l'église 
de  Saint-Gerrhain-de-Calberte.  L'approche  des  attroupés  y  va 
semer  la  panique  parmi  les  prêtres  assemblés.  Cependant,  la 
fausse  nouvelle  qu'il  y  a  à  Saint-Gennain  un  fort  contingent 
de  soldats  émeut  les  attroupés  à  leur  tour.  Ils  retardent  leur 
avance  et  demeurent  vers  le  Bougés.  Mais  le  27  au  matin,  faisant 
irruption  à  Saint-André,  ils  pillent  la  maison  du  curé  Boisson- 
nade,  saccagent  l'église,  découvrent  le  prêtre  dans  le  clociier, 
l'en  précipitent  et  frappent  son  corps  de  coups  de  fusil  et  de 
dague.  Le  régent  ecclésiastique,  Jean-François  Parent,  est  par 
eux  non  seulement  frappé,  mais  affreusement  mutilé.  Rampon, 

t.  La  chronologie  des  faits,  telle  (luc  nous  la  donnons,  a  été  soigneusement 
vérifiée. 


16  ce.  BOST. 

qui  ne  rapi^orte  pas  ce  dernier  fait,  écrit  une  phrase  qui  nous 
en  donne  la  raison  :  «  On  ne  trouva  pas  leur  concubine,  qu'on 
eût  aussi  tuée  ^ .  » 

Enfin,  le  28,  au  point  du  jour  encore,  la  troupe,  conduite,  à 
ce  qu'il  semble,  par  Séguier,-  qui  cette  fois  vient  sur  son  terroir 
d'origine,  arrive  devant  le  château  de  La  Devèze,  sur  la  Cam 
de  Barre,  qui  est  habité  par  une  famille  d'anciens  catholiques. 
Les  prophètes  ont-ils  pensé  qu'ils  pourraient  là  recueillir  des 
armes?  Ou  ont-ils  cru  plutôt  que  des  prêtres  s'étaient  réfugiés 
dans  la  maison?  Leur  résolution,  en  tout  cas,  est  implacable. 
Rampon  dit,  avec  une  effroyable  simplicité  :  «  Devant  que  d'al- 
ler à  La  Devèze,  on  savait  qu'on  n'en  pouvait  pas  épargner,  tant 
•^u'on  en  trouverait  dans  la  maison.  »  Il  ne  fallait  pas  qu'il  res- 
tât un  témoin  capable  de  nommer  l'un  des  attroupés,  dont  plu- 
sieurs étaient  du  quartier  même.  Au  moment  de  pénétrer  dans 
le  chârteau,  les  assaillants  reçurent  un  coup  de  feu,  qui  tua,  dit 
Rampon,  «  David  (?)  Couderc,  de  la  Roche  (près  de  Vieljouvès), 
frère  (?)  de  Salomon  ».  Les  protestants  répondirent  par  un  mas- 
sacre. Un  fils  du  fermier,  les  deux  gentilshommes  (MM.  de  La 
Devèze  et  de  Nougueyrol),  leur  sœur  Marthe  (vingt-cinq  ans), 
leur  mère  (M"°  de  la  Cam,  soixante-dix  ans)  tombent  sous  leurs 
coups.  Ils  mettent  le  feu  au  logis;  et  un  oncle  âgé,  et  faible 
d'esprit,  M.  de  Grézel,  qui  sonne  la  cloche  d'alarme,  meurt 
aussi  dans  les  flammes. 

La  troupe  se  retire  dans  la  direction  du  nord,  enterre  le  corps 
de  Couderc  et  va  se  restaurer  au  Plan-de-Font-Morte  avec  les 
provisions  prises  dans  la  maison.  C'est  là  que,  peu  d'heures 
après,  le  capitaine  Poul,  avec  dix-huit  soldats,  surprit  les  meur- 
triers endormis,  qui  n'avaient  pas  posé  de  sentinelles,  les  pour- 
suivit sur  la  pente  qui  descend  au  nord  vers  le  Crémadet,  en  tua 
deux,  en  prit  trois  (dont  Séguier)  et  dispersa  les  autres. 

Les  trois  prisonniers  furent  conduits  à  Barre  et  interrogés  le 
jour  même  (28  juillet)  par  le  subdélégué  Campredon,  qui  les 
expédia  aussitôt  à  Bâville  avec  le  capitaine  qui  les  avait  arrê- 
tés. Mais  l'intendant  arrêta  Poul  dans  sa  marche,  à  Saint-Hip- 
polyte  (!"■  août),  et  lui  commanda  de  reconduire  ses  prisonniers 

1.  Le  fait  de  la  mutilation  du  régent,  mentionné  par  Louvreleuil,  t.  I,  p.  34 
((pii  était  de  Saint-Germain),  est  confirmé  par  les  notes  du  curé  Mingaud,  de 
Saint-Étienne-Valfrancesque.  Mingaud  vit  le  corps  du  curé  et  du  régent  et 
confia  le  moribond  à  un  chirurgien  de  Saint-Germain  (Mingaud,  Troubles  des 
Cévennes,  p.  10). 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGUEDOC    EN    1701    ET    l7U2.  17 

dans  la  montagne  jusqu'à  Florac,  en  même  temps  qu'il  donnait 
ordre  à  une  comihission  du  présidial  de  Nîmes,  qui  allait  siéger 
àiMarv-èjols,  de  demeurer  elle-même  à  Florac  pour  instruire  et 
juger  l'affaire.  Les  interrogatoires  de  Florac  commencèrent  le 
5  août.  Le  10  (sans  doute),  le  jugement  fut  rendu  et,  conformé- 
ment aux  sentences,  Séguier  eut  le  poing  coupé  et  fut  brûlé  vif 
au  Pont-de-Montvert  le  11  août,  Moïse  Bonnet  de  Peyremale 
fut  rompu  vif  et  brûlé  à  Saint-André-de-Lancize  le  12  et,  le  12 
également,  Pierre  Nouvel  de  Vialas  (qui  avait  été  blessé  à 
Font-Morte  de  deux  coups  de  sabre)  fut  pendu,  puis  brûlé 
devant  le  château  de  la  Devèze.  Rampon  dit  que  Séguier  tra- 
versa tout  le  lieu,  «  sa  main  pendante  et  saignante,  ce  qui  fit 
qu'il  était  presque  mort  quand  il  fut  au  feu.  Mais  toujours  avec 
un  grand  zèle,  il  parla  jusqu'à  la  fin  ».  Le  Manuscrit  Gai^fe, 
dont  l'auteur  semble  avoir  parcouru  la  procédure  faite,  fournit 
quelques  détails  de  plus,  qu'il  est  bon  de  connaître  pour  revoir 
dans  leur  pleine  réalité  ces  premiers  ouvriers  de  la  grande  insur- 
rection :  «  Le  prophète  Séguier  répondit  dans  tous  ses  interro- 
gats  qu'il  n'avait  fait  et  dit  que  ce  que  l'Esprit  lui  avait  sug- 
géré... Etant  présenté  au  banc  de  gène,  il  réitéra  tout  ce  qu'il 
avait  dit  dans  ses  interrogatoires,  et  y  étant,  après,  étendu,  il  y 
fanatisa  dans  toutes  les  formes  et  se  laissa  ensuite  couper  le 
poing  avec  une  intrépidité  sans  égale;  lequel,  tenant  encore  de 
la  peau,  il  acheva  lui-même  de  le  couper  avec  les  dents  et  le  jeta 
dans  son  bûcher,  où,  y  étant  finalement  attaché  avec  deux 
chaînes  de  fer,,  il  s'y  donna  deux  si  grandes  secousses  qu'il  se 
tua  avant  qu'on  y  eût  mis  le  feu.  » 

A  sa  dernière  heure,  Séguier  formula  une  prédiction,  comme 
l'avait  fait  Françoise  Brès,  s'il  faut  en  croire  un  Cévenol'. 
«  Avant  d'être  mené  au  supplice,  il  protesta...  qu'un  déborde- 
ment d'eaux  ravagerait  et  ruinerait  la  place  où  on  le  ferait  mou- 
rir, sans  que  jamais  elle  pût  être  réparée.  Ce  qui  arriva  », 
ajouta  notre  témoin,  «  dans  la  même  année  ou  au  commencement 
de  celle  d'après,  car  la  rivière  de  Tarn...,  dont  le  bord  battait  la 
muraille  de  la  place  du  Marché  au  milieu  de  laquelle  Esprit 
Séguier  fut  brûlé,  s#  déborda  avec  une  telle  fureur  qu'il  emporta 
la  place  jusqu'aux  rochers  mêmes  qui  soutenaient  les  fonde- 
ments de  la  muraille,  de  manière  qu'elle  est  irréparable.  Cette 

1.  Noies  de  Morin,  dit  Saltet  (papiers  Court,  n"  30). 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  fasc.  2 


18  ce.  BOST. 

prédiction,  méprisée  des  papistes  et  même  des  protestants,  dont 
la  plus  grande  partie  méprisait  les  inspirations  (qu'on  appelait 
fanatisme),  fut  un  sujet  d'étonnement  à  tout  le  peuple...  J'ai 
vu  moi-même  le  précipice  qui  est  au  milieu  de  la  place.  »  Ces 
lignes  furent  écrites  en  1742.  La  légende  de  Séguier  persistait 
encore  vivante  au  Pont-de-Montvert  cent  ans  plus  tard.  C'est 
là  que  Napoléon  Peyrat  recueillit  une  tradition,  suivant  laquelle 
le  prophète,  adjuré  de^  «  se  repentir  de  ses  crimes  »,  aurait 
répondu  :  «  Mon  âme  est  un  jardin  plein  d'ombrages  et  de  fon- 
taines^. » 

L'assemblée  de  Ghampmqurel. 

Le  comte  de  PejTe,  un  des  lieutenants  généraux  du  Langue- 
doc, personnage  considérable  2,  qui  habitait  son  château  de  la 
Baume  en  Gévaudan,  avait  cru  pouvoir  intervenir  au  Pont-de- 
Montvert,  dès  qu'il  avait  appris  le  meurtre  de  l'abbé,  de  sa 
propre  autorité,  avec  des  milices  bourgeoises  hâtivement  assem- 
blées. L'approche  de  ces  troupes  très  catholiques  (30  juillet) 
épouvanta  si  fort  la  région  que  le  comte  de  Broglie,  lieutenant 
général  également,  mais  investi  (au  moins  dans  le  quartier) 
d'une  autorité  supérieure,  et  qui  arriva  au  Pont-de-Montvert  le 
même  jour,  lui  donna  l'ordre  de  se  retirer.  Broglie  se  chargeait 
de  rétablir  Tordre,  à  lui  seul,  avec  moins  de  frais.  ILne  voulait 
pas  «  ébranler  toutes  les  milices  bourgeoises  et  faire  des  mou- 
vements qui  eussent  été  d'une  suite  fâcheuse  et  exciter  de 
grands  désordres,  par  la  frayeur  où  chacun  était,  et  dont  les 
malintentionnés  auraient  pu  profiter ^  ». 

Très  mortifié  de  son  aventure,  le  comte  de  Peyre  écrivit  en 
cour  à  la  fois-  pour  se  justifier  de  son  initiative  et  pour  se 
plaindre  de  toute  l'achiiinistration  religieuse  de  Bâville,  dont 
Broglie,  comme  on  sait,  était  le  beau-frère.  «  On  persiste  à 
dire  »,  lit-on  dans  sa  lettre  du  19  août,  «  que,  si  le  commande- 
ment des  Cévennes  pouvait  changer,  tout  y  serait  tranquille  et 
en  repos,  la  dureté  avec  laquelle  on  les  a  gouvernés  ayant  tout 

1.  Nap.  Peyral,  Hist.  des  pastetirs  du  désert,  1842,  t.  I,  p.  305. 

2.  11  avait  présidé  les  États  du  Languedoc  à  Carcassonne  en  1701. 

3.  Broglie  au   ministre  de  la   Guerre,  3  août   1702  (Hist.  du  Languedoc, 
t.  XIV,  p.  1578). 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGDEDOC    EN    1701    Eï    1702.  19 

gâté^  »  Ainsi  le  comte  de  Peyre,  que  Broglie  redoute  de  voir 
mettre  les  Hautes-Cévennes  en  révolution  par  sa  violence,  se 
fait  ici  le  dénonciateur  d'une  politique  de  brutalité  k  laquelle  il' 
ne  voudrait  pas  s'associer.  Rien  ne  montre  mieux  le  désarroi 
des  autorités  diverses  du  Languedoc  en  face  de  ce  mouvement 
énigmatique  du  prophétisme,  que  l'on  ne  savait  guérir,  et  dont 
on  redoutait  obscurément  les  conséquences. 

Le  bref  rapport  que  le  comte  de  Peyre  envoya  en  cour,  en 
même  temps  que  sa  lettre,  relativement  aux  trois  condamna- 
tions prononcées  à  Florac  et  aux  résultats  de  la  procédure,  est 
clairement  défavorable  à  l'abbé  dii  Ghayla^.  Il  y  est  parlé  de 
l'archiprêtre  sans  un  mot  de  sympathie,  et  on  y  lit  tous  les 
griefs  que  nourrissaient  contre  lui  les  prisonniers  qu'il  avait 
détenus  et  les  hommes  qui  venaient  de  l'exécuter.  Après  le  pro- 
cès, les  juges  réunis  à  Florac  ne  furent  pas  plus  sympathiques  à 
la  mémoire  de  l'abbé  que  ne  l'était  le  comte  de  Peyre,  et  Bàville 
n'en  fut  point  content. 

Le  même  rapport  du  comte  de  Peyre  nous  montre,  en  effet, 
l'intendant  en  conflit  avec  les  juges  dès  leur  sentence  rendue. 
«  M.  de  Bàville  a  écrit  à  MM.  du  présidial  de  lui  envoyer  toutes 
leurs  procédures,  qu'il  voulait  connaître  de  la  suite  de  cette 
affaire,  et  voudrait  bien  qu'on  n'en  eût  [qu'ils  n'en  eussent]  pas 
tant  connu.  »  Le  sens  de  cette  phrase  est  clair.  Bàville  tient 
essentiellement  à  rester  le  maître  des  procédures  dirigées  dans 
sa  province  contre  les  religionnaires.  Elles  sont,  pour  lui,  avant 
tout  des  affaires  de  pohce.  Il  n'entend  pas  que  des  subtilités 
juridiques  ou  des  considérations  d'humanité  y  apportent  la 
moindre  douceur  ou  le  moindre  retardement.  Dépossédé  en 
1698,  à  l'occasion  de  la  déclaration  royale  de  décembre,  des 
pouvoirs  judiciaires  exceptionnels  que  le  roi  lui  avait  accordés 
en  1685^,  il  s'était  fait  rendre,  nous  l'avons  dit,  ses  anciennes 
prérogatives  dès  qu'avaient  paru  dans  le  Bas-Languedoc  les 
premiers  inspirés.  S'il  avait  fait  agir  à  Florac  le  présidial  de 
Nîmes  sans  y  siéger  lui-même,  c'était  parce  qu'une  circons- 
tance favorable  transportait  les  juges  dans  la  montagne  et  per- 

1.  Hisl.  générale  de  Languedoc,  l.  XIV,  p.   1583.  Reproduit  dans  Bulletin 
cité,  t.  LVIII,  p.  248. 

2.  Jbid. 

3.  th.  Bosl,  les  Prédicants...,  l.  I,  p.  92;  t.  II,  p.  293. 


20  CH.    BOST. 

mettait  de  frapper  immédiatement  des  meurtriers  et  des  sacri- 
lèges, et  sur  les  lieux  mêmes  de  leurs  attentats.  Les  premiers 
jugements  prononcés,  l'intendant  se  hâtait  de  réclamer  ses 
droits  pour  achever  le  procès  selon  ses  méthodes  personnelles. 

Mais,  en  outre,  Bâville  —  la  chose  est  évidente  —  trouvait 
que  trop  de  témoins  avaient  été  entendus  et  avec  trop  de  com- 
plaisance. «  On  avait  trop  connu  de  l'affaire  »  :  l'abbé  du 
Chayla  sortait  fort  maltraité  de  la  procédure  engagée  contre  ses 
assassins.  Or,  avec  l'abbé,  l'intendant  aussi  était  touché. 
Depuis  1698,  Bàville  affirmait  que  la  politique  des  sévérités 
outrées  était  la  seule  qui  fût  efficace  dans  le  Languedoc.  Il 
ajoutait  qu'aucun  mouvement  séditieux  n'était  à  redouter  dans 
le  pays.  Il  lui  était  dur  d'avouer  qu'il  s'était  trompé,  que  sa 
méthode  —  et  ceUe  de  ses  agents  les  plus  zélés  —  loin  de 
pacifier  le  pays,  avait  en  quelques  jours  provoqué  le  meurtre  de 
trois  prêtres,  de  deux  régents  ecclésiastiques,  de  sept  anciens, 
catholiques,  le  sac  de  deux  églises  et  l'incendie  ou  la  ruine  de 
trois  maisons  curiales. 

L'intendant  jugea  bon,  par  conséquent,  et  dès  l'abord,  de  pré- 
senter ces  graves  événements  sous  leur  jour  le  moins  défavo- 
rable. La  première  dépêche  de  Broglie  à  la  cour,  expédiée  de 
Montpellier,  le  28  juiUet,  alors  qu'il  ne  connaît  encore  que  la 
mort  de  l'abbé  et  celle  du  curé  de  Frutgères,  débute  ainsi  :  «  Il 
vient  d'arriver  une  désagréable  aventure  à  l'abbé  du  Chayla'.  » 
Quelques  heures  plus  tard,  Bàville  envoie  au  ministre  la  dépo- 
sition de  Gardés,  qu'il  vient  de  recevoir  des  Gévennes.  Il  ne 
manque  pas  d'y  ajouter  que  les  attroupés,  à  ce  qu'il  croit,  ont 
seulement  voulu  libérer  des  prisonniers,  «  et  comme  ces  prison- 
niers étaient  dans  la  même  maison  que  cet  abbé,  après  les  avoir 
délivrés,  ils  se  sont  portés,  par  un  mouvement  de  fureur,  à  le 
tuer 2  ».  Le  31  juiUet,  du  Pont-de-Montvert  (où  Bàville  ne  se 
trouve  pas),  Broglie,  moins  diplomate  et  même  maladroit,  dans 
un  langage  de  rodomont  qui  touche  au  comique,  affirme  que  sa 
présence  a  rassuré  un  pays  épouvanté,  et  il  montre  les  insur- 
gés tuant  l'abbé  de  propos  bien  délibéré,  après  avoir  cependant 
obtenu  de  lui  les  prisonniers  qu'ils  ont  réclamés-^.  Bàville,  lui, 

1.  De  Montpellier,  28  juillet  1702.  Ilist.  de  Langurdoc,  t.  XIV,  p.  1564. 

2.  De  Montpellier,  28  juillet  (après  le  départ  de  Broglie  pour  les  Gévennes). 
Ifist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  p.  15G8. 

3.  Ilist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  p.  1572. 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGUEDOC    EiN    1701    El    1702.  21 

garde  sa  i)rudence,  et  avant  même  que  le  procès  fait  à 
Séguier,  Nouvel  et  Bonnet  soit  achevé,  il  écrit,  le  4  août,  ces 
lignes  innocentes  :  «  Il  est  certain  que  leur  dessein  n'était  pas 
d'abord  de  faire  les  meurtres  et  incendies  qu'ils  ont  commis.  Ils 
voulaient  sauver  l'un  d'eux  qui  était  malheureusement  pri- 
sonnier dans  la  même  maison  où  était  Vabbé  du  Chayla. 
Un  de  ses  valets  tira  un  coup  de  fusil  et  en  tua  un.  Cela  les 
irrita  et,  étant  entrés  en  fureur,  ils  tuèrent  l'abbé  du  Chayla^.  » 
La  phrase  est  plus  lénitive  encore  que  celle  du  28  juillet. 

Bâville  prétend-il  donc  expliquer  aussi  par  un  malheureux 
hasard  les  meurtres  et  incendies  qui  ont  suivi,  à  Frutgères,  puis 
à  Saint-André-de-Lancize,  puià  à  La  Devèze?  M.  Frank  Puaux 
dit  :  «  Pour  que  l'intendant  ait  pu  affirmer  que  les  Cévenols 
n'avaient  d'abord  aucun  dessein  de  meurtre  et  d'incendie,  il  a 
fallu  qu'il  en  possédât  la  i)reuve  décisive-.  »  Il  paraît  étrange, 
en  effet,  que  Bâville  ait  jamais  pu  chercher  à  diminuer  la  cul- 
pabilité de  nouveaux  convertis  armés,  meurtriers  et  incen- 
diaires. Mais  les  mots  du  comte  de  Peyre  nous  apprennent 
quelles  étaient  alors  les  préoccupations  du  «  roi  du  Languedoc  ». 
Son  avis  est  que  le  présidial  a  «  trop  connu  de  l'affaire  ».  Il 
ne  veut  pas  que  la  cour  reçoive  indirectement,  et  en  dehors  de 
lui,  des  avis  sur  des  événements  qui  l'ont  surpris  plus  qu'il  ne 
dit  et  dont  il  appréhende  les  suites.  Il  ne  veut  pas  Surtout  qu'on 
parle  des  colères  que  l'abbéMu  Chayla  ou  les  autres  prêtres  ont 
amassées  contre  eux  depuis  si  longtemps,  car  tout  ce  qu'ils  ont 
fait  dans  la  province,  Bâville  l'a  permis  ou  commandé. 

Les  juges  de  Florac  ne  cédèrent  pas  de  bon  gré  aux  ordres  de 
l'intendant.  «  MM.  du  présidial  »,  écrit  le  comte  de  Peyre,  «  ont. 
fait  quelque  difficulté,  disant  qu'ayant  pris  connaissance  de 
cette  affaire,  qui  de  droit  leur  appartenait,  M.  de  Bâville  ne 
l)Ouvait  connaître  des  suites  à  leur  préjudice^,  et  néanmoins  ils 
lui  ont  envoyé  extrait  de  toutes  leurs   procédures^.  Bâville 

1.  Cité  i>ar  F.  Puanx,  Hcv.  hislor.,  novembre-décembre  1918,  p.  211.  Aucun 
des  allrou|iés  ne  fut  tué  dans  lallaire.  Un  seul,  Jean  Chaptal,  de  Recoules,  fut 
blessé  légèrement  à  la  joue  d'un  coup  de  feu  tiré  dans  l'escalier  de  la  maison. 

2.  Ibid. 

3.  L'alVaire  ne  leur  appartenait  pas  de  droit,  puisque  des  «  fanatiques  »  y 
étaient  impli(|ués.  Par  là,  elle  appartenait  à  Bâville,  qui  les  a  délégués  eu  son 
lieu,  comme  cela  lui  était  permis. 

4.  La  procédure  elle-même  est  donc  restée  dans  les  archives  du  présidial. 
Nous  n'avons  pas  retrouvé  l'extrait  communiqué  à  Bâville. 


22  CH.    BOST. 

réclama  de  plus  dix-neuf  prisonniers  qui  restaient  à  Florac 
«  dans  des  prisons  trop  peu  sûres  »  et  Poul  les  amena  jusqu'à 
Saint-Hippolyte^  Broglie  écrivait  le  15  août  :  «  On  ne  perdra 
pas  un  moment  à  les  juger.  »  L'intendant  en  fit  interroger  par- 
ticulièrement cinq  et  en  retint  trois,  auxquels"  il  ordonna  de 
faire  le  procès.  De  leurs  interrogatoires,  ou"  de  l'extrait  qui  lui 
avait  été  communiqué  des  interrogatoires  antérieurs,  il  tira  le 
nom  de  vingt-cinq  personnes  qu'il  décréta  de  prise  de  corps  le 
29  août.  Dans  le  nombre  figurent  «  Abraham  [Mazel]  de  Saint- 
Jean,  de  Gardonnenque,  âgé  de  vingt-huit  ans  environ  », 
«  Salomon  Couderc,  de  Vieljouvé  »,  et  «  Laporte,  prédicant^  ». 

Le  28  juillet,  Bâville  avait  écrit  au  ministre  de  la  Guerre, 
après  lui  avoir  parlé  des  événements  des  Cévennes  :  «  Je  veil- 
lerai à  empêcher  que  le  désordre  ne  commence  pas  ailleurs.  » 
Il  veilla  mal,  ou  du  moins  put  se  convaincre  que  sa  vigilance 
était  mise  en  défaut,  car  le  désordre  commença  aussi  dans  la 
plaine. 

Le  dimanche  13  août,  le  baron  de  Saint-Cosme,  qui  passait 
pour  l'instigateur  et  l'exécuteur  de  toutes  les  mesures  violentes 
prises  dans  le  bas  pays  contre  les  fanatiques,  fut  assassiné  en 
plein  jour  au  moyen  de  l'un  de  ses  pistolets,  puis  achevé  à 
coups  de  pierres  et  de  bâtons,  entre  Vestric  et  le  château  de 
Boissières,  sur  un  chemin  public ^  Parmi  les  meurtriers  s'étaient 
trouvés  le  fanatique  Boudon,  de  Bernis,  dont  nous  avons  déjà 
transcrit  le  nom,  et  Gatinat,  du  Cailar  (Abdias  Maurel),  le  futur 
caraisard,  qui  aurait  été  le  chef  de  l'entreprise^.  Comme  le  baron 
était  parti  le  matin  de  Marsillargues  et  était  passé  par  Vauvert, 
de  nombreuses  arrestations  eurent  lieu  à  Vauvert  et  au  Cailar. 
Le  seul  des  prisonniers  qui  ait  été  retenu  fut  un  inspiré  du  Cai- 
lar, nommé  Paul  Bousanquet.  Toutes  les  pièces  du  procès  (qui 
fut  instruit  à  Nîmes)  nous  manquent.  Brueys  seul  nous  a  rap- 
porté un  détail  que  nous  croyons  exact,  car  il  s'accorde  avec  le 
récit  que  Mazel  nous  a  laissé  de  la  mort  de  l'abbé  du  Chayla. 

1.  Ils  y  étaient  le  dimanche  13  août. 

2.  Décret  contre  les  préi'enus  des  crimes  commis  dans  les  Cévennes.  De 
Montpellier,  Arch.  de  l'Hérault,  C  192.  Publié  i)ar  l'abbé  Rouquette  {l'Abbé  du 
Chayla...,  p.  109),  mais  avec  des  erreurs  de  lecture. 

3.  Hist.  de  Languedoc,  t.  XIV,  p.  1581.  Voir  Bulletin  cité,  t.  LX,  p.  128. 

4.  Témoignage  du  camisard  Béchard,  d'Aubais  (papiers  Court,  n"  17,  K, 
fol.  105).  Avec  Boudon  et  Catinat,  il  nomme  «  les  deux  David  du  Cailar,  Ban- 
cillon  de  Vauvert  et  Bénézet  de  Vauvert  ». 


LES    «    PROPHÈTES    »    DU    LANGDEDOC   E^    1701    ET    1702.  23 

Bousanquet,  ayant  vu  passer  Saint-Cosme  sous  ses  fenêtres, 
aurait  dit  à  des  coreligionnaires  réunis  chez  lui  (c'était  un 
dimanche)  :  «  Mes  frères,  voilà  notre  ennemi  qui  passe,  deman- 
dons à  Dieu  si  c'est  sa  volonté  qu'il  soit  tué  par-  nous.  »  «  Le 
prophète  trembla,  tomba  par  terre,  demeura  assoupi  quelques 
moments,  puis,  s'étant  relevé,  il  leur  dit  que  l'Esprit  venait  de 
lui  déclarer  qu'il  fallait  tuer  M.  de  Saint-Cosme^.  »  Il  semble 
avéré  que  Bousanquet  n'était  pas  du  nombre  des  meurtriers, 
bien  que  le  cocher  du  baron  ait  prétendu  le  reconnaître  ^  Mais 
là  encore  les  prophètes*  et  leurs  compagnons  ont  «  obéi  aux 
ordres  de  l'Esprit  ».  Un  jugement  du  7  septembre  rendu  par  le 
présidial  de  Nîmes  condamna  Bousanquet  à  être  rompu  vif,  et 
le  corps  fut  exposé  sur  le  lieu  du  meurtre. 

Les  préoccupations  que  les  événements  du  Pont-de-Montvert 
ou  de  Vestric  imposèrent  à  Bâville,  un  voyage  aussi  qu'il  fit 
jusqu'à  Alais^  retardèrent,  on  le  conçoit,  le  procès  de  Manda- 
sout.  Mais  une  autre  circonstance  accrut  encore  la  lenteur  de 
l'instruction.  L'intendant  reçut  des  Cévennes  d'autres  dossiers 
qui  semblaient  aggraver  la  culpabilité  du  prophète,  en  ratta- 
chant son  activité  de  mai  et  de  juin  aux  récents  attentats. 

Bâville  eut  avis,  en  effet,  que  le  23  juillet,  «  veille  du  jour 
qu'on  fit  mourir  l'abbé  du  Chayla  »,  le  capitaine  de  bourgeoisie 
de  Sainte-Gécile-d'Andorge,  averti  par  le  curé  de  Blannaves, 
avait  dissipé  à  cinq  heures  du  soir  une  assem])lée  de  600  per- 
sonnes, réunie  depuis  dix  heures  du  matin  dans  le  vallon  de 
Champmaurel,  Ihnitant  Blannaves  et  le  Collet  de  Dèze.  Les  sol- 
dats n'avaient  pu  appréhender  que  trois  personnes,  dans  une 
petite  maison,  le  Pradau,  refuge  ordinaire  des  prédicants'^.  Or, 
cette  nouvelle  assemblée  parut  au  juge  d'Alais,  le  s""  de  La 
Fabrègue,  avoir  été  d'une  extrême  importance,  en  raison  de  sa 
date  et  du  lieu  où  elle  avait  été  tenue.  C'était,  avons-nous  dit,  la 
veille  du  meurtre  de  l'archiprêtre,  et  dans  le  quartier  même  où 
Mandagout,  un  mois  auparavant,  avait  parlé  de  troupes  qui 

1.  Brueys,  t.  I,  p.  343,  344. 

2.  Paitieis  Court,  n°  35  (journal  écrit  à  Calvissoii). 

3.  Bâville  sortait  alors  de  maladie.  Peut-(}tre  est-ce  la  raison  i)Our  laquelle 
il  ne  s'était  pas  transporté  lui-même  jusqu'à  Florac  (Brueys,  t.  I,  p.  312). 

4.  Henri  Gleize  père  (soixante  ans)  et  Henri  Gleize  fils  (vingt-cinq  ans),  de 
Blannaves,  et  Pierre  Donnadieu.  Ce  dernier  venait  de  sortir  du  fort  de  Saint- 
Hippolyte  après  trois  mois  de  détention.  Le  lendemain,  on  arrêta  deux 
femmes,  dont  la  fille  de  Gleize  père  (Arch.  de  l'Hérault,  C  182). 


24  CH.    BOST. 

s'assembleraient  «  pour  abattre  les  églises  et  tuer  tous  les  catho- 
liques ».  On  ne  douta  pas  autour  d'Alais  que  la  réunion  de 
Cliampmaurel  n'eût  jiréparé  les  meurtres  et  les  ,incendies  qui 
l'avaient  immédiatement  suivie  et  qu'elle  n'eût  précisé,  par 
conséquent,  le  jour  où  devait  éclater  une  conjuration  générale 
des  nouveaux  convertis,  ou  tout  au  moins  des  fanatiques. 

Les  questions  posées  le  4  août  aux  trois  hommes  arrêtés  au 
Pradau  sont  l'écho  des  bruits  qui  coururent  alors  dans  le  pays  • 
«  S'il  ne  fut  dit  dans  l'assemblée  qu'il  ne  fallait  pas  retourner  à 
la  messe,  prendre  les  armes,  égorger  les  prêtres,  brûler  les 
églises  et  tuer  tous  les  vieux  catholiques?  S'il  n'y  avait  pas 
dans  l'assemblée  des  gens  du  pays  étranger  qui  promirent  du 
secours,  de  l'argent,  des  armes  pour  les  soulever,  disant  que  le 
roi  ne  saurait  parer  le  coup  e't  leur  religion  florirait?  S'il  n'y  fut 
résolu  d'assassiner  le  lendemain  l'abbé  du  Chayla,  le  curé  de 
Frutgères,  le  curé  de  Saint-André -de-Lancize  et  d'autres,  de 
brûler  les  églises  et  de  faire  un  soulèvement  général?  » 

Ces  faits,  que  les  accusés  nièrent  résolument,  ne  se  trouvent 
pas,  dans  la  procédure,  rapportés  par  des  témoins  assignés.  Ce 
sont,  très  probablement,  des  suppositions  du  magistrat  enquê- 
teur ou  de  son  entourage.  Le  juge  d'Alais  s'est  sans  doute  rap- 
pelé les  propos  tenus  par  Mandagout  à  RofRères  et  à  Peyre- 
male,  et  les  a  précisés  d'après  ses  propres  conjectures,  en  se 
fournissant  de  la  sorte  une  explication  de  l'émeute  sanglante  du 
Pont-de-Montvert. 

Bâville,  lui  aussi,  et  depuis  1689,  ne  voyait  dans  tous  les  pré- 
dicants  de  la  province  que  des  «  émissaires  de  l'étranger  ».  Il 
tenait  les  nouveaux  convertis  pour  un  peuple  «  résolu  de  se 
remettre  dans  ses  droits  lorsqu'il  en  trouverait  l'occasion  »  et 
«  qui  ne  renfermait  son  ressentiment  que  par  faiblesse  ^  ».  Quand 
il  reçut  les  procédures  de  l'assemblée  de  Champmaurel,  il  fit  à 
nouveau  interroger  Mandagout  (9  août)^  et  demanda  à  Alais  une 
information  supplémentaire,  qui  eut  lieu  le  21  août  et  ne 
donna  rien. 

Quelques  jours  plus  tard,  une  nouvelle  arrestation  sembla 
devoir  apporter  des  précisions  utiles.  Les  soldats  qui  surveil- 
laient toujours  la  montagne  de  RofRères  mirent  la  main,  le 
matin  du  dimanche  "27  août,  sur  un  passementier  de  Branoux, 

1.  Ch.  Bost,  les  Prédicanls...,  l.  II,  p.  279,  280;  p.  278,  281. 

2.  Interrogatoire  mentionné  dans  le  jugement.  Il  manque  au  dossier.' 


LES    «    PKOPIIÈTES    »    DU    LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.  25 

Etienne  Soleyret  (quarante-huit  ans),  porteur  d'un  pistolet.  Il 
se  rendait  sans  doute  à  une  assemblée,  qu'on  sut  ensuite  s'être 
réunie  en  effet  le  même  jour  à  La  Melouze.  Soleyret  avait  assisté 
aux  assemblées  de  Roffières  en  mai,  et  ce  fut  lui  qui  révéla  qu'il 
y  avait  vu  Laporte  et  qu'il  y  avait  entendu  «  Salamon  »,  deux  des 
lionmies  que  Bâville  savait  depuis  peu  avoir  été  parmi  les  attrou- 
pés du  Pont-de-Montvert.  Mais  Soleyret  déclara  aussi  qu'il  avait 
vu  à  Branoux,  le  25  août,  ce  même  Gédéon  Laporte.  Deux  prédi- 
cants  étaient  alors  avec  lui,  «  dont  l'un  de  Saint-Jean-du-Gard, 
que  les  enfants  nommaient  Salamon  de  Saint-Jean  »  (nous 
avons  déjà  relevé  cette  confusion  entre  Salomon,  du  Bougés  et 
Abraham,  de  Saint- Jean).  Cette  déposition  était  d'autant  plus 
précieuse  que  depuis  l'exploit  de  Poul  à  Font-Morte,  c'est-à-dire 
depuis  un  mois,  les  restes  dispersés  de  la  troupe  de  Séguier 
n'avaient  plus  donné  signe  de  vie.  On  demanda  naturellement  à 
Soleyret  si,  dans  l'assemblée  de  Champmaurel,  «  on  n'avait  pas 
résolu  de  prendre  les  armes  partout  » ,  et  il  fut  expédié  à  Bâville  ^ . 
Ce  fut  })rècisément  vers  la  date  où  Soleyret  signalait  la  pré- 
sence récente  de  Laporte,  d'Abraham  et  de  Salomon  à  Branoux 
que  se  ralluma  dans  les  Cévennes,  et  encore  autour  de  Roffières, 
le  feu  que  Bâville  avait  cru  un  instant  éteint.  Laporte,  au  dire  de 
Rampon,  et  Cavaher  confirme  le  fait  dans  ses  Mémoires,  «  avait 
rallié  la  troupe  après  Esprit.  »  Il  reprit,  par  les  niêmes  procédés,  la 
chasse  «  aux  gros  bœufs  noirs  qui  dévoraient  l'Eglise  ».  La  nuit 
du  7  au  8  septembre,  l'église  de  Saint-Paul-la-Cosfe  est  pillée  et 
saccagée.  Le  curé  Descamps,  qui  a  entendu  les  émeutiers  sor- 
tant du  bois  de  Mallebouisse,  a  pu  fuir.  Le  8,  à  dix  heures  du 
soir,  Laporte  entre  au  Collet  de  Dèze,  vidé  de  sa  garnison  par  un 
billet  supposé;  il  prêche  dans  le  temple  qui  est  resté  debout, 
abîme  quelques  maisons  (dont  le  logis  du  curé)  et  quitte  le  bourg 
dans  la  nuit^.  Le  11,  Poul,  que  Broghe  a  lancé  de  Saint-Ger- 
main sur  les  insurgés,  les  atteint  à  Champdoraergue,  au-dessus 
du  Collet,  et  les  disperse,  mais  après  avoir  senti  cette  fois  la 
vigueur  de  leur  résistance.  Désormais,  les  incendies  d'églises  et 
les  meurtres  de  catholiques  se  poursuivront  presque  journelle- 
ment dans  les  Cévennes. 

1.  \rch.  de  ruéraull,  C  18Î.  Interrogatoire  isolé  de  Soleyret,  du  2  septembre. 
C'est  «  le  second  ».  Le  premier  inan(|ue. 

1.  Il  n'incendia  pas  l'église  catboli(iue  parce  que  le  temple  du  lieu  [qui  sub- 
siste encore]  avait  été  laissé  debout.  La  marquise  de  Portes  voulait  le  trans- 
former en  un  hôpital. 


26  CH.    BOST. 

L'obstination  huguenote  qui  se  manifestait  depuis  quatre 
mois  dans  le  quartier  de  Roffières  et  les  excès  derniers  de 
Laporte  réclamaient  de  Bâville  un  exemple.  Il  termina  le  procès 
de  trois  des  accusés  de  -Branoux.  Nous  ne  savons  ce  qu'il  advint 
de  Soleyret  (recolé  le  12  dans  ses  interrogatoires).  Le  13,  l'in- 
tendant soumit  au  «  dernier  interrogatoire  »  Mandagout  et 
Abraham  Pouget^.  Pouget  était  accusé  d'avoir  prêché  à  Rof- 
fières le  7  mai.  Bâville  voulut  qu'il  se  fût  trouvé  à  l'assassinat 
de  l'abbé  du  Ghayla,  ce  qui  nous  apprend  qu'il  était  arrêté 
depuis  peu  de  jours.  Au  surplus,  il  nia  tout,  sauf  qu'il  connais- 
sait Laporte  «  pour  être  de  son  lieu  »  et  se  déclara  «  catholique 
apostolique  romain  ».  Astruc  Mandagout  n'eut  pas  sur  la  sellette 
une  attitude  plus  héroïque.  Il  se  donna  également  pour  «  catho- 
lique romain  »  et  opposa  des  dénégations  formelles  à  toutes  les 
questions  de  l'intendant  concernant  son  activité  religieuse  ou 
ses  propos  violents-. 

Notons  que  Bâville,  dans  cet  interrogatoire,  qui  décidait  du 
sort  de  l'accusé,  ne  le  questionna  que  sur  les  paroles  qu'il  avait 
prononcées  ou  sur  le  rôle  qu'il  avait  joué  à  Roffières  et  à  Pe}Te- 
male.  Cette  observation  a  sa  valeur,  car  Louvreleuil  (t.  I,  p.  55) 
prétend  que  le  prédicant  fut  condamné  «  pour  avoir  acheté  à  la 
foire  de  Beaucaire  six  charges  de  fusils  et  pour  les  avoir  distri- 
buées en  divers  lieux  suspects  de  fanatisme  » . 

L'erreur  de  Louvreleuil  ou  de  ses  informateurs  s'explique 
facilement.  L'opinion  catholique,  quand  se  déchaîna  la  révolte 
camisarde,  fut  convaincue  que  le  mouvement  avait  été  fomenté 
par  des  étrangers  et  formeUeraent  prémédité.  Quand  il  lui  fallut 
trouver  des  preuves  de  la  préméditation,  elle  s'attacha  aux 
moindres  indices.  La  Baume,  conseiller  au  présidial  de  Nîmes, 
dont  le  travail  historique  est  fondé  sur  des  pièces  judiciaires, 
nous  fournit  des  exemples  typiques  de  ces  jugements  hâtifs.  Il 
parle  disertement  de  la  venue  en  France  d'émissaires  étran- 
gers^; mais  il  se  contente  à  cet  égard  de  développer  simplement 
l'accusation  gratuite  que  le  s""  de  La  Fabrègue  a  formulée  à 
l'occasion  de  l'assemblée  de  Champmaurel.  Plus  loin,  il  dépeint 
l'enrôlement  clandestin  de  tous  les  nouveaux  convertis  en  état 
de  porteries  armes,  accompli  par  des  prédicants  itinérants.  Sa 

1.  Brès  père,  le  chantre  prédicateur,  s'était  évadé  des  prisons  d'Âlais  avant 
le  18  juillet. 

2.  Arch.  de  l'Hérault,  C  183. 

3.  La  Baume,  p.  30,  31. 


LES    «    PROPUÈTES    »    DO    LANGUEDOC    EN    1701    ET    1702.  27 

phrase,  ici,  sans  doute  s'appuie  sur  un  aveu  judiciaire  formel,  mais 
qui  nous  transporte  à  la  date  du  9  octobre,  c'est-à-dire  à  une 
époque  où  les  agitations,  d'abord  isolées,  se  coordonnent  • .  Enfin, 
La  Bamne  ajoute  :  «  Ils  firent  plusieurs  quêtes  qui  leur  rappor- 
tèrent beaucoup  d'argent,  dont  ils  achetèrent  des  armes  et  des 
munitions  à  la  foire  de  Beaucaire  de  1702.  Tous  les  fusils  qu'on 
y  avait  apportés  pour  vendre  furent  enlevés  dans  deux  heures 
de  temps.  »  Plus  loin,  il  parle  de  la  poudre  achetée  dans  les 
mêmes  circonstances-.  On  peut  affirmer  que  ces  indications, 
connue  celles  de  Louvreleuil,  ont  leur  origine  dans  le  simple 
fait  que  Mandagout  a  été  arrêté  à  Beaucaire,  et  au  début  de  la 
foire  •^. 

Malgré  la  précision  apparente  de  Louvreleuil,  il  n'y  a  donc 
pas  lieu  de  s'arrêter  à  son  allégation.  Si  l'accusation  a  été  for- 
mulée, elle  s'est  montrée  insoutenable.  Elle  ne  figure  pas  dans 
le  jugement  du  prophète  qui  fut  rendu  le  13  septembre.  Deux 
sentences  de  ce  jour  envoyèrent  Pouget  aux  galères  et  Jean 
Astruc  Mandagout  à  la  potence,  ce  dernier  «  pour  assemblées 
illicites,  phanatisme  et  port  d'armes  ».  Mandagout  devait  subir 
la  question  4. 

L'arrêt  relatif  à  Mandagout  allait  être  exécuté  à  Alais,  Un 
catholique  de  Saint-Hippolyte  note  que  ce  «  Mandagout,  maçon 
de  Vézenobres,  fanatique  »,  est  passé  dans  le  lieu,  le  14,  accom- 
pagné de  la  justice  et  du  bourreau •'^. 

Louvreleuil  (t.  I,  p.  55)  dit  s'être  trouvé  à  Alais  quand  le 

1.  Infonnalion  dirigée  contre  J.-J.  Sollier,  peigneurde  laine  (vingt-trois  ans), 
de  Saint-Hilaire-de-Brethmas,  près  Alais  (C  182).  Sollier  dépose  que,  le  9  oc- 
tobre, au  bois  des  Plans,  |>rés  de  Rrouzet,  «  Laporte  le  Chàtreur  »  (le  neveu 
de  Gédéon  Laporte,  le  futur  Rolland),  «  en  pn^chant,  leur  dit  que,  lors  que  le 
roi  voulait  du  inonde,  Ij  en  trouvait  autant  (|u'il  voulait  pour  faire  la  guerre 
et  que,  s'agissanl  de  l'intérêt  de  leur  religion,  personne  ne  voulait  se  soulever, 
et  les  exhorta  à  le  suivre  ». 

2.  La  Baume,  p.  31,  157. 

3.  L'auteur  anonyme  du  Fragment  sur  la  guerre  des  Camisards,  publié  par 
M.  Talion,  dit  (|t.  .16)  que  «  la  résolution  des  N.  Convertis  [en  1702]  était  de 
faire  un  coup  d'Etat  à  la  foire  [à  la  date  de  la  foirej  de  Beaucaire  ».  Comme 
cet  auteur  habitait  Alais  ou  les  environs,  il  nous  confirme  dans  l'opinion  que 
ce  bruit  a  été  provoqué  par  l'arrestation  de  Mandagout. 

4.  Les  deux  jugements  sont  aux  Arch.  de  l'Hérault,  C  192.  Les  quelques  pages 
du  registre  d'écrou  des  rhiourmes  de  .Marseille  retrouvées  à  Toulon  par  l'amiral 
Baudin,  en  1846,  jiortent  le  nom  d'Abraham  Pouget  (Bulletin  cité,  t.  1,  p.  54). 
Amené  aux  galères,  le  28  septembre,  il  mourut  à  l'hôpital  le  7  ou  le  8  décembre 
suivant. 

5.  Papiers  Court,  n"  17,  B,  fol.  225, 


28  ce.  BOST. 

prophète  fut  exécuté.  Mais  il  résulte  de  l'ensemble  de  son 
récit  qu'il  n'est  venu  séjourner  dans  la  ville  qu'en  octobre.  Ce 
qu'il  rapporte  de  la  fin  du  condamné  lui  aurait  donc  été  raconté 
un  peu  plus  tard.  «  Les  remontrances  'du  R.  P.  Milhet,  supé- 
rieur des  Jésuites  »,  écrit-il,  «  animées  d'une  grâce  efficace  de 
Dieu,  le  firent  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise  avant  que  de  mou- 
rir. »  Mandagout,  on  s'en  souvient,  s'était  déjà  déclaré  catho- 
lique dans  son  dernier  interrogatoire. 

Un  autre  témoignage,  qui  ne  contredit  pas  le  précédent,  nous 
prouve  du  moins  que  Jean  Astruc,  à  certains  égards,  fut  ressaisi 
par  la  vigueur  dont  il  avait  fait  preii\;^e  quelques  mois  aupara- 
vant. Il  émane  d'un  anonyme  (sans  doute  un  officier)  qui  habi- 
tait alors  Alaise 

«  Le  15  septembre  1702,  Mandagout,  maçon,  fut  pris  à  Beau- 
caire  et  mis  aux  prisons  de  Montpellier  pour  longtemps,  d'où  il 
fut  conduit  à  Alais  pour  être  pendu  pour  avoir  convoqué  des 
assemblées,  excité  des  émotions,  etc.  Jamais  on  n'a  vu  un 
homme  aller  au  supplice  ^vec  plus  d'ardeur  et  d'efîronterie, 
tournant  les  jeux  de  côté  et  d'autre,  sans  doute  dans  l'espérance 
qu'il  avait  que  ses  gens  viendraient  le  tirer  du  danger.  Se  voyant 
trompé,  il  appela  le  Père  Malet  [sic),  jésuite,  qu'il  avait  [qui 
l'avait?]  déjà  abandonné,  et  fit  abjuration  de  sa  religion  et  se 
disposa  à  mourir  en  bon  catholique.  Les  protestants  osèrent  nier 
le  fait  et  accuser  le  Père  de  fausseté.  » 

Louvreleuil  parle  de  Mandagout  comme  d'un  «  fameux  pré- 
dicant  ».  L'épithète  est  de  trop.  Mandagout  n'avait  tenu  qu'une 
place  de  second  rang  parmi  les  prophètes  de  1702,  et  son  sou- 
venir fut  entièrement  effacé  par  les  prédicateurs  qui  se  levèrent 
après  lui.  Mais  son  nom  avait  été  lié  aux  assemblées  de  Rof- 
flères  et,  comme  on  prétendit  à  Alais  que  toute  la  révolution 
camisarde  en  était  sortie,  Mandagout  porta  quelque  temps  le 
poids  de  cette  infamie  pour  les  uns,  de  cette  gloire  pour  les 
autres. 


Au  moment  o\i  mourait  Mandagout,  les  autorités  du  Langue- 
doc pouvaient  constater  que  le  mouvement  «  fanatique  »  qui 
ébranlait  la  province  depuis  deux  ans  n'était  pas  seulement  une 
'  bizarrerie  mentale.  Les  excès  isolés  que  nous  avons  notés  tout  au 

1.  Fragment  sur  les  Camisards...,  publié  par  M.  Talion,  p.  16. 


LES    «    PROPHÈTES   »    DO   LANGUEDOC   EN    1701    ET    1702.  29 

long  de  notre  récit  vont  devenir  plus  fréquents  et  plus  sangui- 
naires. Des  troupes  diverses  d'insurgés  vont  se  former,  incen- 
diant les  églises,  massacrant  les  prêtres  ou  les  catholiques, 
assaillant  les  patrouilles  de  soldats  pour  se  procurer  des  armes, 
des  munitions,  des  équipements.  La  guerre  des  Gamisards  com- 
mence. Partout  nous  verrons  agir  des  hommes  qui  nous  sont 
connus  déjà  comme  des  «  inspirés  ».  D'Alais  à  Florac,  ce  seront 
Laporte,  Abraham  Mazel,  Salomon  Gouderc,  La  Couette;  vers 
l'Aigoual,  Gastanet;  dans  la  plaine,  Gatinat,  Boudon,  Sarauelet. 
Dans  les  Basses-Gévennes,  autour  d'Anduze,  ce  seront  le  neveu 
de  Laporte  (Rolland)  et  Gavalier,  qui  prétend  dans  ses  Mé- 
moires s'être  trouvé  dans  les  Hautes-Gévennes  à  la  mort  de 
l'abbé  du  Ghayla  et  que  nous  croyons  au  contraire  ne  s'être 
enrôlé  dans  la  révolte  qu'à  la  fin  de  septembre,  lors  des  pre- 
miers appels  de  Rolland.  Il  faudra  quelques  semaines  encore 
pour  que  certaines  de  ces  bandes  consentent  à  s'associer,  pour 
qu'elles  s'organisent,  nous  dirons  même  pour  qu'elles  prennent 
nettement  conscience  du  but  qu'elles  poursuivent.  Loin  d'avoir 
été  savamment  concerté,  soit  par  des  protestants  de  France,  soit 
par  des  étrangers,  le  mouvement  camisard  à  été  la  réaction 
spontanée  d'un  peuple  dont  la  souffrance  était  intolérable. 

Si  à  cet  égard  nous  donnons  raison  aux  conclusions  de 
M.  Puaux,  nous  sommes  cependant  amenés  à  juger  un  peu 
autrement  qu'il  ne  le  fait  le  problème  de  la  «  préméditation  » 
dans  le  drame  du  Pont-de-Montvert.  Il  s'en  tient  nettement  aux 
paroles  que  Bàville  écrit  à  son  ministre  et  croit  à  un  meurtre 
commis  dans  un  mouvement  de  fureur  par  des  hommes  que 
l'abbé  a  accueillis  à  coups  de  fusil.  Il  semble  donc  se  représenter 
les  attroupés  qui  descendent  du  Bougés  pour  délivrer  les  prison- 
niers de  l'archiprêtre,  conune  un  amas  de  paysans  rudes,  excités 
par  la  colère  ou  la  jpassion  de  la  justice,  mais  de  sens  rassis. 
L'intendant  du  Languedoc,  lui  aussi,  les  voyait  de  la  sorte.  Il 
n'a  jamais  su  vraùnent  ce  qu'étaient  les  prophètes;  il  les  a  tenus 
pour  de  vulgaires  simulateurs  qui  cachaient  sous  des  contor- 
sions étudiées  des  desseins  séditieux  très  précis.  Yillars,  cepen- 
dant, y  verra  plus  clair  dès  son  arrivée  dans  la  province,  il 
ne  parlera  à  la  cour  que  des  «  fous  »  qu'il  rencontre.  Il  com- 
prendra qu'il  a  affaire  à  des  gens  qui  ne  sont  plus  dans  leur  état 
normal.  Tout  notre  exposé  nous  oblige  à  parler  comme  lui.  Les 
prophètes  se  disent,  menés  par  l'esprit  ;  ils  n'agissent  que  par 
inspirations  successives,   c'est-à-dire   sans   raisonner.   Leurs 


30  CH.    BOST. 

compagnons  obéissent  aveuglément  à  des  ordres  qu'ils  croient 
venir  d'en  haut.  Personne  donc  dans  la  troupe  n'est  plus  maître 
ni  de  sa  réflexion,  ni  de  ses  actes.  Le  mot  de  «  préméditation  », 
quand  il  s'agit  d'une  expédition  ordonnée  par  des  prophètes  en 
transe  et  guidée  par  eux,  n'a  proprement  pas  de  sens.  On  ne 
peut  parler  que  d'une  spontanéité  constante  dans  la  passion  des 
inspirés. 

N'y  aurait-il  pas  lieu,  cependant,  de  se  demander  si,  comme  le 
voulait  le  juge  d'Alais,  l'assemblée  de  Champmaurel  du  23  juil- 
let ne  se  rattacherait  pas  par  quelque  lien  avec  la  mort  de 
l'abbé,  le  24  au  soir?  Mazel  et  Rampon  s'accordent  pour  nous 
dire  qu'après  la  résolution  prise  au  matin  du  23  juillet  sur  le 
Bougés,  la  journée  du  23,  la  nuit  du  23  au  24  et  la  journée  du 
24  furent  employées  à  chercher  des  hommes  et  des  armes  pour 
l'expédition.  Le  soir  du  24,  au  rendez-vous  marqué,  s'as- 
semblent des  compagnons,  dont  quelques-uns  viennent  d'assez 
loin.  Parmi  ceux  qui  nous  sont  nommés  dans  les  récits  divers, 
qui  ont  été  condamnés  à  Florac,  ou  que  Bâville,  sur  le  vu  des 
enquêtes  de  Florac,  a  décrétés  de  prise  de -corps  le  29  août, 
figurent  non  seulement  des  Cévenols  du  Bougés  ou  de  la  Lozère 
qui  ont  assouvi  des  rancunes  personnelles  contre  l'abbé  du  Chayla, 
le  curé  de  Frutgères  ou  celui  de  Saint-André-de-Lancize,  mais 
nous  voyons  là  Joanny  de  Genolliac  (le  futur  chef  camisard); 
«  un  neveu  de  Bonnet,  du  Malhiguier,  près  de  Genolhac  »  ;  Pierre 
Nouvel,  de  Vialas  ;  Moïse  Bonnet  et  son  fils  aîné,  de  Peyremale, 
et  Louis  Bounel,  aussi  de  Pe3Temale.  Ces  protestants  ne  sont  mon- 
tés de  Vialas,  de  Genolliac  ou  de  PejTemale  que  sur  un  appel.  Il 
est  vrai  que  Vialas  et  Peyremale  sont  assez  éloignés  du  vallon  de 
Champmaurel.  Mais  le  décret  de  Bàville  porte  encore  les  noms 
de  Laporte,  qui  est  de  Branoux,  et  de  Jacques  Thérond,  de 
Prades  (Saint-Martin-de-Boubaux).  Ces  deux  derniers,  par 
exemple,  se  sont-ils  trouvés  à  l'assemblée  de  Champmaurel?  Y 
ont-ils  été  rejoints  par  un  émissaire  envoyé  du  Bougés  en  vue 
de  l'entreprise  concertée*?  Le  bruit,  dès  lors,  a-t-il  couru  dans 
le  quartier  qu'on  se  proposait  de  forcer  la  maison  de  l'abbé  du 
Chayla?  Ce  bruit  est-il  venu  jusqu'au  juge  d'Alais,  qui  n'au- 

t.  On  remarquera  que  ni  Mazel  ni  Rampon  ne  parlent  de  Laporte  comme 
s'étant  trouvé  à  l'assemblée  de  Rabiès  du  22-23  juillet.  S'il  a  commandé  l'en- 
treprise du  Pont-de-Montvert,  n'est-on  pas  allé  le  chercher  s()écialement  à 
Branoux? 


LES  «  PROPHÈTES  »  DU  LANGUEDOC  EN  1701  ET  1702.     31 

rait  fait  que  le  préciser  dans  les  interrogatoires  auxquels  il  sou- 
met les  prisonniers  du  Pradau?  La  réponse  à  ces  questions  reste 
incertaine. 

On  peut  seulement  affirmer  qu'au  moment  où  se  tenait  l'as- 
semblée considérée  (à  tort,  certainement)  par  le  s''  de  La  Fa- 
brègue  pour  le  signal  d'une  conjuration  générale,  des  hommes 
venus  du  Bougés  cherchaient,  vers  Branoux,  des  affidés  en 
armes.  Il  s'agissait  de  tenter  une  entreprise  violente  contre  le 
logis  du  grand  persécuteur  des  Cévennes.  «  Le  coup  »,  comme 
dit  Rampon,  devait  être  tenté  sous  la  conduite  de  prophètes 
à  qui  Dieu  avait  ordonné  plus  d'une  fois  déjà  de  prendre  les 
armes  pour  délivrer  son  Église.  Étant  donnés  les  actes  de  vio- 
lence auxquels,  depuis  plusieurs  mois,  s'étaient  laissés  aller 
les  inspirés  ou  leurs  auditeurs,  ce&  diverses  circonstances  ne 
pouvaient  que  provoquer  une  suprême  explosion.  Le  meurtre  de 
l'abbé  devait  entraîner  ensuite  les  prophètes  à  de  nouvelles  exé- 
cutions. Un  mois  et  demi  plus  tard,  Laporte  inaugurait  une  autre 
série  de  représailles,  à  laquelle  s'associèrent,  en  d'autres  quar- 
tiers, d'autres  prophètes  chefs  de  bandes.  Le  «  fanatisme  »  allait 
donnera  la  guerre  des  Camisards  ses  conducteurs,  ses  meilleurs 
soldats  et  son  «  inspiration  »,  à  la  fois  maladive  et  héroïque, 
tour  à  tour  sublime  d'audace  et  répugnante  de  brutalité  venge- 
resse ^ . 

Ch.  BoST. 

1.  On  notera  que,  si  les  pièces  du  temps  mettent  à  la  charge  des  Camisards 
des  actes  de  vraie  sauvagerie,  on  ne  leur  a  jamais  reproché  un  seul  attentat 
aux  mœurs.  La  chose  vaut  la  peine  d'être  relevée,  étant  donné  ce  que  nous 
avons  noté  plus  haut  du  dérèglement  moral  de  certains  prophètes  (p.  35,  36). 
Comme  complément  à  notre  exposé,  relativement  à  cette  question  des  mœurs, 
M.  le  professeur  Eug.  Choisy,  de  l'Université  de  Genève,  nous  signale  le  cas  du 
prophète  J.-J.  Donadille,  des  Hautes-Cévennes,  passé  en  Suisse  en  1706,  qui 
fut  condamné  à  Genève,  en  1731,  à  la  prison  perpétuelle.  Donadille  était  un 
mystique  érotomane.  Il  assurait  «  qu'il  était  permis  aux  prophètes  et  aux  ins- 
pirés tels  que  lui  d'approcher  de  la  femme  d'autrui  lorsque  l'esprit  le  lui  com- 
mandait »  (D'  Ch.  Ladame,  Un  prophète  cévenol  à  Genève...,  dans  \ei  Archive.i 
d'anthropologie  criminelle...,  publiées  sous  la  direction  de  A.  Lacassagne.  Lyon, 
année  1911,  p.  837,  902). 


MELANGES  ET  DOCUMENTS 


CHARLES  DESMARETS,  CORSAIRE  DIEPPOIS 

DOCUMENTS  liNÉDITS  DE  1445 


Comme  les  livres,  les  pièces  d'archives  ont  leur  destin.  C'est  à 
Dijon,  dans  les  archives  de  la  Côte-d'Or,  que  nous  avons  trouvé  des 
documents  nouveaux  sur  les  corsaires  dieppois  à  la  fin  de  la  guerre 
de  Cent  ans  et  sur  un  de  leurs  plus  fameux  capitaines. 

La  figure  de  Charles  Desmarets'  appartenait  autant  à  la  légende 
qu'à  l'histoire.  Nous  n'en  savions  guère  que  le  peu  qu'en  rapportent 
les  chroniqueurs  Thomas  Basin^  et  Monstrelet^. 

D'origine  cauchoise,  ouvrier  terrassier,  vassal  du  sieur  de  Ram- 
bures,  Charles  Desmarets  se  distingua  de  bonne  heure  dans  la  lutte 
contre  les  Anglais.  Dès  sa  jeunesse,  témoin  impuissant  des  infor- 
tunes de  son  seigneur  —  fait  prisonnier  en  1429  —  il  n'eut  qu'un 
souci  :  reprendre  à  l'ennemi  le  château  de  Rambures.  En  1432,  à  la 
tête  d'une  poignée  d'hommes  résolus,  il  y  réussit.  Tel  fut  son  coup 
d'essai.  Devenu  capitaine  de  Rambures,  il  s'empare,  dès  les  premiers 
jours  de  janvier  1433,  de  Saint- Valei^-sur-Somme.  En  mai  1435, 
il  passe  la  Somme  au  gué  de  Blanquetaque.  Nous  le  retrouvons  avec 
300  partisans  du  roi,  «  droites  gens  d'armes  et  vaillans  gens  d'élite  », 
à  la  prise  de  Rue"*.  La  même  année,  dans  la  nuit  du  16  au  17  no- 
vembre, il  répond  à  l'appel  des  Dieppois,  décidés  à  secouer  le  joug 
anglais.  Il  pénètre  par  surprise  dans  le  port,  et,  secondé  par  le  maré- 
chal de  Rieux,  chasse  l'ennemi  de  Dieppe.  . 

1.  Voir  les  Cronicques  de  Normendie  (édition  llellot).  Notes  sur  Ch.  Des- 
marets. Le  nom  de  Desmarets  ne  se  rencontre  pas  une  seule  fois  dans  \' His- 
toire de.  Charles  Vil,  ])ar  G.  Du  Fresne  de  Beaucourt;  cf.  Charles  de  La  Ron- 
cière,  Histoire  de  la  marine  française,  t.  H,  p.  2G2. 

2.  Thomas  Basin,  Histoire  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI,  t.  I,  p.  111  (édi- 
tion de  la  Société  de  l'histoire  de  France). 

3.  Monstrelet,  t.  IV,  p.  433  (même  Société). 

4.  Ibid.,  t.  V,  p.  117. 


CHARLES  DESMARETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  33 

D'après  Monstrelet,  Charles  Desmarets,  «  du  consentement  de 
tous  les  aultres  et  pour  le  roy  de  France  »,  devint  capitaine  de  la 
ville  conquise. 

Les  Anglais  regrettèrent  vivement  leur  perte  «  et  non  point  sans 
cause  » ,  dit  notre  chroniqueur,  «  car  ycelle  ville  de  Dieppe  estoit 
merveilleusement  forte  et  bien  gamye  sur  ung  des  bons  pays  de 
Normandie^  ». 

Les  vainqueurs  s'y  installèrent  en  nombre.  Ils  s'y  fortifièrent. 
Charles  Desmarets  arma  les  nombrei^x  navires  laissés  dans  le  port 
par  les  Anglais.  Il  répara  les  murs  de  la  ville  et,  sur  la  falaise  de 
l'ouest,  hâta  la  construction  d'  «  ung  beau  ch'asteau  et  fort^  ».  Mais 
la  défensive  pesait  à  son  caractère  aventureux.  Plus  de  4,000  pay- 
sans armés  et  plus  de  3,000  chevaux  sont  rassemblés  dans  la  place. 
Charles  Desmarets  et  «  plusieurs  nobles  et  chiefs  de  guerre  »  réso- 
lurent de  «  guerroyer  hardiment  les  Anglais^  ».  Le  24  décembre, 
ils  surprirent  Fécamp.  Dès  le  lendemain,  ils  assaillaient  Harfleur. 
D'abord  repoussés,  ils  purent  traiter  avec  les  ennemis  qui  abandon- 
nèrent le  port  normand.  Puis  presque  toutes  les  places  fortes  de  la 
région  se  rendirent  :  Tancarville,  Les  Loges,  Valmont,  Graville, 
Montivilliers,  Longueville. 

Nos  campagnes  cauchoises,  soulevées,  virent  partout  s'enfuir 
l'Anglais.  Mais  comment  se  ravitailler  dans  un  pays  sans  cesSe 
ravagé?  Aussi  fallut- il  licencier  les  troupes,  et  Charles  Desmarets, 
qui  avait  pris  une  part  active  à  ces  conquêtes,  regagna  Dieppe. 

Les  ennemis  réagirent. 

En  1436,  pendant  que  Charles  VII  se  portait  sur  Paris,  ils 
purent  reconquérir  une  bonne  partie  des  ^3laces  fortes  normandes. 
Bientôt  Harfleur  capitule.  Rouen  est  assiégé  et,  en  novembre  1442, 
Talbot  bloque  le  port  de  Dieppe. 

Les  assaillants  ne  pouvaient  songer  à  aborder  la  ville  par  le  sud, 
car  Charles  Desmarets  avait  fait  consolider  les  fortifications  ;  ils  ne 
pouvaient  attaquer  à  l'ouest,  car,  sur  la  falaise,  le  château  construit 
par  les  soins  du  capitaine  dressait  fièrement  ses  tours  menaçantes. 
Ils  attaquèrent  à  l'est.  De  la  Tour-aux-Crabes,  les  canonniers  diep- 
pois  ripostèrent  énergiquement  aux  coups  des  Anglais  retranchés 
dans  leur  bastille. 

Pendant  de  longs  mois,  la  faible  garnison  amenée  par  Dunois 
seconda  leurs  efforts.  Mais  le  roi  tardait  à  envoyer  des  secours. 
Enfin,  de  Poitiers,  Charles  VII  fit  partir  100  lances  commandées 

1.  Monstrelet,  l.  VI,  p.  201. 

2.  Les  Cronicques  de  Normendie  (édition  Hellol),  p.  90. 

3.  Monstrelet,  Ibid. 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  l"  fasc.  3 


34  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

par  Tudoal  le  Bourgeois  et  Guillaume  de  Ricarville^  Renfort  insuf- 
fisant mais  qui  ranima  pour  quelque  temps  l'ardeur  des  assiégés. 
Amiens,  de  son  aôté,  contribua  de  ses  deniers  au  «  secours  et  avitail- 
lement  de  la  ville^  ».  Puis,  grâce  à  la  vigilance  des  marins  de  Cliarles 
Desmarets,  entrèrent  dans  le  port  des  navires  bretons  et  rochelais  con- 
duits par  Guillaume  de  Goëtivy,  frère  de  l'amiral,  et  «  chargez  de  bled, 
vin,  chair  salée  et  quantités  de  traits,  de  poudre  et  autres  provisions 
qui  soulagèrent  les  bourgeois  et  la  garnison^  ».  L'amiral  anglais  Tré- 
goran,  en  observation  dans  la  Manche,  ne  put  intercepter  ce  convoi. 

Enfin,  le  dauphin  Louis  arrive  à  Dieppe,  le  il  août  1443,  avec 
3,000  hommes  environ.  Le  14  août,  les  retranchements  anglais 
étaient  enlevés.  La  bastille  tombée  entre  nos  mains,  la  ville  était 
délivrée''. 

On  sait  que  le  futur  roi,  renouvelant  à  Dieppe  le  fait  d'armes 
qu'il  avait  accompli  un  an  avant  sous  les  murs  de  Dax,  donna 
l'exemple  du  plus  ferme  courage  et  brava  les  plus  grands  dangers. 
On  sait  moins  quelle  aide  intelligente,  en  cette  circonstance,  il  reçut 
du  capitaine  de  Dieppe.  Les  constructeurs  les  plus  réputés  de  la 
ville  amenèrent  sous  la  bastille  les  engins  les  plus  perfectionnés  : 
machines,  grues,  ponts  de  bois.  Les  paysans  travaillèrent  avec  achar- 
nement à  combler  de  fascines  les  fossés.  Pendant  l'assaut,  les  arba- 
létriers dieppois  secondèrent  activement  les  troupes  royales.  Les 
habitants,  hommes  et  femmes,  distribuèrent  eau  et  vin  aux  combat- 
tants. Après  la  victoire,  ils  soignèrent  les  blessés. 

Tant  de  dévouement  ne  resta  pas  sans  récompense.  Pendant  son 
séjour  dans  la  ville,  le  dauphin  combla  de  faveurs  les  Dieppois.  S'il 
affranchit  de  plusieurs  droits  la  cité,  l'autorisant  à  lever  des  aides ^,  il 
n'oublia  pas  le  vaillant  défenseur  de  Dieppe.  Le  capitaine  Charles 

1.  Asseline,  Antiquilez  et  clu-oniques  de  la  ville  de  Dieppe,  t.  I,  p.  160. 

2.  Archives  municipales  d'Amiens,  CC  31,  fol.  15. 

'  3.  Guibert,  Mémoires  chronologiques  poxir  servir  à  l'histoire  de  la  ville  de 
Dieppe,  t.  I,  p.  33. 

4.  Pour  plus  de  détails  sur  la  délivrance  de  Dieppe,  cf.  Asseline  et  Guibert, 
Ibid.;  Croisé,  manuscrit  à  la  bibl.  de  Dieppe;  Vitet,  Histoire  de  Dieppe;  Le 
Corbeiller,  Notes  dieppoises;  Vasselin,  Récits  dieppois  ^t  normands. 

5.  A  diverses  reprises,  et  notamment  le  17  octobre  1450  (lettre  patente  déli- 
vrée à  Montbazon)  et  le  5  mars  1454  (lettre  patente  donnée  à  Mehun-sur- 
Yèvre),  la  ville  de  Dieppe  reçut  confirmation  de  ces  droits.  D'autres  lettres 
patentes,  le  18  juin  1457  et  le  1"  avril  1459,  lui  permirent  de  réparer  les  for- 
tifications et  les  jetées.  Le  dauphin,  devenu  roi,  renouvela  tous  ces  droits  par 
lettres  du  26  septembre  1463.  Le  24  octobre  1466,  il  accordait  aux  Dieppois  le 
franc-saler  du  poisson.  Enfin,  il  les  exemptait  de  l'imposition  foraine  par 
lettres  patentes  du  12  avril  1467  (Archives  municipales  de  Dieppe.  Privilèges 
de  la  ville). 


CHARLES   DESMARETS,    CORSAIRE    DIEPPOIS.  35 

Desmarets,  qui,  depuis  un  an,  était  «  escuier  d'escurie  du  roy  », 
devint  le  «  maistre  d'oslel  »  de  Théritier  royal.  Fonction  très 
enviée  à  l'époque  et  gage  de  l'estime  princière. 

En  quittant  le  théâtre  de  ses  exploits,  c'est  à  Charles  Desmarets 
que  le  dauphin  confia  le  commandement  de  la  garnison.  Sous  l'im- 
pulsion d'un  tel  capitaine,  la  ville  prospéra.  Dieppe  abrita  les  marins 
les  plus  audacieux  dont  les  vaisseaux  coururent  hardiment  l'aven- 
ture. Ces  croisières  inquiétèrent  fort  les  Anglais.  Au  cours  d'une 
incursion  dans  l'estuaire  de  la  Seine,  les  marins  de  Charles  Desma- 
rets surprirent  les  ennemis  à  Caudebec  et  à  Montivilliers  et  enle- 
vèrent le  lieutenant  général  du  bailli  de  Caux.  Bientôt,  remontant 
la  mer  du  Nord,  ils  rançonnèrent  le  commerce  anglais.  C'était  de 
bonne  guerre.  Ce  qui  l'était  moins,  c'était  de  s'en  prendre  aux 
marins  de  Flandres,  Hollande  et  Zélande,  qui  se  plaignirent  à  diverses 
reprises  à  Charles  VII.  Mais,  contre  ces  marins,  les  Dieppois 
n'avaient-ils  pas  de  nombreux  griefs,  dont  le  principal  était  que  ces 
sujets  du  duc  de  Bourgogne  continuaient,  en  dépit  du  traité  d'Ar- 
ras,  à  entretenir  des  relations  avec  nos  ennemis  d'outre-mer? 

En  leur  nom  et  pour  obtenir  lui-même  des  réparations,  Charles 
Desmarets  intervint  auprès  du  dauphin.  Les  doléances  réciproques 
des  Flamands  et  des  Dieppois  donnèrent  lieu  à  de  nombreuses  négo- 
ciations sur  lesquelles  nos  documents  apportent  un  peu  plus  de 
clarté. 

Voici,  en  premier  lieu,  une  lettre  inédite  du  dauphin.  Le  futur  roi 
prend  énergiquement  la  défense  de  ses  «  gens  ».  Ses  plaintes,  accom- 
pagnées de  menaces  non  équivoques,  obligent  les  Flamands  à 
répondre.  Dans  les  «  Advertissemens  »  qui  suivent,  «  ceulx  de 
Bruges^  »  fournissent  longuement  des  explications. 

Mais  pouvaient-elles  satisfaire  nos  Dieppois  qui,  défendant  loya- 
lement la  cause  royale,  désirent  surtout  obtenir  gain  de  cause? 

En  ces  temps  troublés,  ne  l'oublions  paS;  la  guerre  de  course 
remplace  la  guerre  d'escadre;  la  faiblesse  de  Charles  VII  rend  nos 
marins  aussi  exigeants  qu'indisciplinés;  chez  eux,  l'insubordination 
n'a  d'égale  que  la  hardiesse. 

Aussi,  lintervention  du  dauphin  ayant  été  sans  résultat,  leurs 
revendications,  par  l'intermédiaire  du  capitaine  de  la  ville,  se  font 
pressantes  et  hautaines. 
La  lettre  de  Charles  Desmarets,  qu£  renferment  nos  documents, 

1.  A  cette  époque,  Bruges  était  la  ville  la  plus  importante  des  Pays-Bas  et 
du  nord  de  l'Europe.  Par  le  port  de  L'Écluse,  alors  Uorissant,  s'y  accumulaient 
les  productions  de  l'univers.  Plus  tard,  Anvers  détrônera  Bruges. 


36  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

souligne  singulièrement  cet  état  d'esprit.  Elle  met  bien  en  lumière 
ces  deux  traits  du  caractère  de  nos  corsaires  :  intrépidité,  qui  rap- 
pelle celle  des  Normands  du  x^  siècle,  et  âpreté  au  gain,  qu'on 
retrouve  parfois  encore  chez  certains  de  nos  paysans. 


Cy  sensuit  la  copie  de  certaines  lettres  closes  envoyées  de  par  le 
daulphin  de  Viennois  à  la  loy  de  la  ville  de  Bruges  et  receues 
par  la  dicte  loy  le  premier  jour  de  may  l'an  XLV*. 

De  par  le  daulphin  de  Viennois.  Chiers  et  bien  amez;  nous  avons 
esté  et  sommes  informez  que  deux  [ans]  a  ouenviron^  ung  petit  bale- 
nier,  nommé  Eveillé  qui  dort,  appartenant  à  Perrot  Feré^,  nostre 
huissier  d'armes,  se  partit  de  devant  Dieppe  pour  aler  à  ses  aventures 
sur  la  mer,  en  entencion  de  rencontrer  les  Englois,  et  tant  singla  sur 
mer  qu'il  arriva  au  port  de  Lescluse  en  Flandres  pour  soy  refreschier 
et  recueillir  vitailles,  où  ilz  furent  receuz  à  seurté;  auquel  lieu  de 
Lescluse  vint  à  la  cognissance  des  compaignons  qui  lors  estoient 
dedens  le  dit  balenier  que  y  avoit  plusieurs  navieres  d'Angleterre  et 
en  prindrent  l'un  qu'ilz  amenoient  au  dit  lieu  de  Dieppe,  lesquelz  en 
eulx  en  venant  furent  poursuis  par  les  Flamens  qui  leur  rescouvrent 
leur  prinse,  et  en  ont  emmené  les  aucuns  prisonniers  à  Bruges  où  ilz 
les  ont  fait  mourir.  Et  pour  ce  que  le  cas  est  advenu  en  ce  Royaume 
et  commis  par  les  subgés  de  Monseigneur  et  en  son  obéissance,  et  que 

1.  1445. 

2.  En  1443. 

3.  Perrot  Féré  commandait  les  barges  dieppoises  sous  les  ordres  du  capitaine 
de  la  ville,  Charles  Desmarets.  En  1440,  Dieppe  étant  menacé  par  les  Anglais, 
il  jefusa  d'accéder  à  la  demande  du  duc  de  Bourgogne  et  d'escorter  au  Crotoy 
une  armée  de  secours.  Une  flotte  anglaise,  avec  le  duc  de  Sommerset,  n'était- 
elle  pas  annoncée?  Féré,  avec  Charles  Desmarets,  préparait  la  défense  de 
Dieppe.  Il  arma  de  nombreux  navires  pour  la  course.  Les  archives  de  la  ville 
(1'°  cl.,  layette  1,  4°  liasse,  n°  7)  mentionnent  ses  exploits.  Notre  capitaine, 
désirant  obtenir  une  remise  de  droits,  rappelle,  dans  sa  demande,  qu'  «  il  a 
tenu  sur  la  mer  grant  compaignie  de  gens  à  ses  dépens  ppur  grever  et  repeller 
les  Englois...  et  faire  choses  au  bien  de  la  dicte  ville  et  autres  lieux  ».  Ses 
marins  «  ont  gaigné  pluiseurs  navires,  marchandises  et  autres  choses  estans 
dedens,  ceulx  sur  nos  dicts  ennemiz  et  derreniérement  une  barque...  ». 

Le  dauphin,  qui  affectionnait  les  «  petites  gens  »,  encouragea  les  efforts  du 
capitaine  dieppois  dont  les  navires  assuraient  si  bien  la  police  des  mers.  Il  en 
fit  son  huissier  d'armes  en  attendant  de  lui  faire  obtenir  une  charte  d'anoblis- 
sement. Enfin,  il  intervint  pour  lui  auprès  de  Charles  VII,  et,  le  10  octobre 
1443,  des  lettres  patentes  permirent  à  Féré  de  jouir  de  l'exemption  de  o  tous 
droits  d'ayde  appartenans  au  Roy  et  à  la  ville  ».  Cette  faveur  entraînera  des 
démêlés  entre  les  receveurs  de  la  vicomte  et  notre  capitaine.  Mais  de  nouvelles 
lettres  patentes,  le  19  mars  1444,  confirmeront,  selon  leur  «  forme  et  teneur  », 
les  précédentes  lettres. 


CHARLES  DESHÂRETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  37 

onques  nulz  de  Dieppe  n'ont  fait  guerre  à  ceulx  de  Flandres,  combien 
que  chacun  jour  ilz  leur  pevent  porter  grant  dommaiges,  nous  vous 
prions,  requérons  et  néantmoins  mandons  sur  tant  que  désirez  éviter 
le  dommage  dud.  lieu  de  Bruges  et  de  tout  le  pais  de  Flandres,  que 
faciez  restituer  le  dit  Perroit  Feré  du  dommage  qu'il  a  eu  et  peu  avoir 
tant  des  mors  que  autrement  à  l'occasion  des  choses  dessus  dictes  ;  en 
nous  certiffiant  de  vostre  voulenté  sur  ce  par  nostre  serviteur  porteur 
de  ces  présentes,  affin  que  au  surplus  y  soit  donnée  provision  tele 
qu'il  appartiendra  de  raison. 

Chiers  et  bien  amez,  nostre  seigneur  soit  garde  de  vous. 

Escript  à  Nancey,  le  xxix»  jour  de  mars. 

LOYS.  SiBLON. 

A  nos  chiers  et  bien  amez  le  Bourgmaistres  et  eschevins  de  la  ville 
de  Bruges  ^. 

II. 

Advertissemens  touchans  les  lettres  closes  que  Monseigneur  le 
daulphin  de  Viennois  a  nagaires  envoyées  à  ceulx  de  Bruges... 

(1445.) 

Et  affin  que  nostre  très  redoubté  seigneur  et  prince  puist  estre 
infourmé  sur  la  vérité  de  la  matière  contenue  es  dictes  lectres  et 
aussi  à  la  manière  tenue  par  ceulx  de  Diepe  à  la  journée  de  Saint- 
Omer,  entre  le  cappitaine-  et  les  autres  députez  de  Diepe  d'une  part, 
et  les  députez  des  villes  de  Bruges  et  de  Lescluses  d'autre,  pour  trou- 
ver traittié  des  prinses  et  dommaiges  dont  les  d,  de  Diepe  se  douloient 
de  ceulx  de  Flandres,  et  aussi  de  plusieurs  prinses  ejt^  dommaiges  dont 
ceulx  de  Flandres  se  douloient  de  ceulx  de  Diepe;  les  d.  de  Bruges 
remonstrent  les  advertissemens  qui  s'ensuivent  : 

Et  premiers  que  il  est  vray  que  ou  mois  de  juillet,  l'an  mil 
CCCG  XLIII,  se  mist  sus  en  tout  Bouloigne  sur  la  mer  une  petite 
neif  appelée  «  scafîe  »,  estouffée  et  garnye  de  xviii  compaignons  ou 
environ  qui  estoient  allyez  et  assemblez  de  diverses  nacions,  assavoir 
aucuns  de  Flandres,  aucuns  de  Zellande,  autres  d'Allemagne,  autres 
de  Bouloigne  sur  mer  et  illec  environ  et  autres  de  Diepe  et  d'illec 
environ,  en  entencion  de  avecques  la  dicte  scaffe  comme  ilz  disoient 
de  faire  guerre  et  prinses  sur  les  Anglois,  lesquelz  compaignons, 
venant  environ  Dunkerke  en  Flandres,  fisrent  leur  capitaine  ung 
nommé  Jehan  Teghelare,  natif  de  Neufport  en  Flandres;  et  la  dicte 
scafîe  ainsi  venant  en  mer  prinst  son  chemin  vers  le  port  de  Les- 
cluse,  pour  illec  espier  les  marchans  y  entrant  et  yssant;  et  ou  che- 
min, assavoir  devant  Ostende,  à  quatre  lieues  du  dit  lieu  de  Neufport 
encontrèrent  deux  neifs  de  pescheurs  de  Flandres  desquels  ilz  prinsrent 
et  robèrent  assavoir  de  chacune  ung  tonnel  de  cervoyse,  contre  le  gré 

1.  Archives  départementales  de  la  Côte-d'Or,  série  B,  liasse  11927. 


38  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

et  volenté  des  diz  pescheurs  et  par  forche.  En  après  vint  la  dicte  scaffe 
au  dit  port  de  Lescluse,  qui  est  ung  lieu  de  seurté  et  où  les  neifs  de 
tous  Royaulmes  et  nations  viennent  et  reposent  pour  la  bonne  seurté 
que  y  est  et  ouquel,  combien  que  plusieurs  fois  y  arrivent  neifz  de 
nations  ennemyes  l'une  à  l'autre,  toutesfois  elles  y  demeurent  en 
bonne  seurté  sans  faire  guerre  ou  prinses  l'une  sur  l'autre;  et  passa 
parmi  le  dit  port  et  en  ycelluy,  dedens  la  baillie  et  eschevinage  de  la 
mer,  prinst  et  roba  par  forche  hors  d'une  neif  de  la  Goude'  en  Hollande 
qui  y  gisoit  robes,  pourpoins  et  autres  vestures  qui  y  estoient,  appar- 
tenant aus  d.  de  la  Goude.  Et  en  après,  assavoir  le  xxviii«  jour  de 
juillet  ou  dit  an  XLIII,  ou  matin,  prinsrent  et  robèrent  par  forche, 
hors  deux  ploytes  gisant  illec  à  leur  ancre  paisiblement  attendant  la 
marée  pour  sangler  vers  Zellande,  certain  grant  quantité  de  subs- 
tances d'espèces  safïran,  chaudron,  payelles,  mercherie  et  aultres 
biens,  desquelz  ilz  chargièrent  et  emplirent  leur  dicte  scafïe  et  s'en 
alèrent  avec  les  d.  prinses.  Et  quant  les  choses  dessus  dictes  vindrent 
à  la  cognissance  des  bailli  et  officiers  de  la  mer,  ilz  fisrent  diligence 
de  prendre  les  d.  robeurs,  et  ainsi  ilz  furent  prins  dedens  le  dit  port, 
ensemble  les  biens  par  eulx  pilliez  et  robez.  Et  après  que  les  d. 
robeurs  fusrent  ainsi  prins  et  détenuz  et  par  justice  examinez,  ils  con- 
fessèrent les  cas  dessus  d.  par  eulx  perpétrez  et  aucuns  d'eux  confes- 
sèrent plusieurs  autres  roberies  par  eulx  en  temps  passé  fais  et  per- 
pétrez, par  quoy  ilz  furent  tous  par  la  loy  de  la  ville  condempnez  à  la 
mort  et  justiciez. 

Item,  que  ou  mois  de  février  derrain  passé,  à  la  requeste  des  bailli, 
bourgois  et  conseilliers  de  Diepe  fu  prinse  et  accordée  certaine  journée 
estre  tenue  le  premier  jour  de  mars  derrain  passé  en  la  ville  de  Saint- 
Omer  par  le  sceu  et  consentement  de  nostre  très  redoublé  seigneur  et 
prince  Monseigneur  le  duc  de  Bourgoigne,  etc.,  entre  les  cappitaine, 
bourgois,  manans  et  habitans  de  Diepe,  d'une  part,  et  ceulx  des  villes 
de  Bruges  et  de  Lescluse,  d'autre,  pour  traittier  et  appointer  d'aucuns 
cas  d'estrousses  et  autres  manières  de  prinses  faictes  et  advenues  sur 
la  mer  depuis  le  temps  que  la  guerre  avoit  eu  cours,  auquel  jour  et 
lieu  ceulx  de  Bruges  et  de  Lescluse  envoyèrent  leurs  députez  à  ce 
souffisamment  fondez  par  procurations,  et  pareillement  comparurent 
au  d.  lieu  députez  ou  nom  du  cappitaine  et  des  bourgois  de  Diepe, 
aussi  souffisamment  fondez. 

Item,  que  les  députez  d'un  costé  et  d'autre  eurent  communication 
et  parolles  ensemble,  tant  sur  les  demandes  que  faisoient  aucuns  ou 
nom  et  comme  procureur  du  capitaine  de  Diepe,  et  sur  les  demandes 
que  faisoient  aucuns  députez  de  la  dicte  ville  de  Diepe  ou  nom  d'au- 
cuns bourgois  particuliers  de  Diepe,  d'une  part,  comme  aussi  sur 
aucunes  demandes  que  faisoient  yceulx  de  Bruges  et  de  Lescluses  ou 
nom  d'aucuns  bourgdis  et  habitans  des  d.  villes  de  Bruges  et  Lécluse 

1.  Gouda  ou  Ter-Gouw,  ville  de  la  province  de  3ud-HoIlande  (Pays-Bas). 


CHARLES  DESMARETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  39 

et  autres  villes  et  plaches  du  pays  de  Flandres,  d'autre;  et  baillèrent 
les  dictes  parties  leurs  demandes  l'une  à  l'autre  par  escript. 

Item,  par  dessus  ce,  dirent  ceulx  de  Diepe  de  bouche  que  dçux  ans 
a  ou  environ  une  neif  appartenant  à  ceulx  de  Diepe  fut  prinst  par 
ceulx  de  Flandres  et  les  gens  estans  en  icelle  exécutez  à  mort*, 
laquelle  chose  ilz  dirent  estre  irréparable  ;  à  quoy  les  députez  de 
Bruges  et  Lescluse  respondirent  pareillement  de  bouche  que  la  dicte 
exécution  a  esté  faicte  par  loy  et  justice,  pour  les  excès  et  déUs  des 
dictes  personnes  exécutées  par  loy  et  justice. 

Item,  et  pour  ce  que  les  demandes  que  faisoient  les  dictes  parties 
l'une  à  l'autre  n'estoient  pas  toutes  recogneues  et  vériffiées,  et  aussi 
que  les  d.  députez  de  Bruges  et  de  Lescluses  n'avoient  pas  entière- 
ment toutes  les  plaintes  des  adommagiez  du  pays  de  Flandres  pour 
parvenir  à  bon  appointement  et  trouver  moyen  de  paix,  et  avanchier 
et  entretenir  le  cours  des  marchandises  entre  icelles  parties,  fu  lors  la 
dicte  journée  proroguée,  différée  et  continuée  en  Testât  qu'elle  estoit 
jusques  au  dimence  après  Quasimodo  prochain  ensuivant.  Et  pro- 
mirent les  diz  députez  d'ung  côté  et  d'autre  souffisamment  fondez 
pour  en  la  matière  encommenchiée  procéder  en  oultre  comme  il 
appartiendroit  de  raison,  moyennant  que,  ce  temps  pendant,  les  d. 
parties  ne  useroient  ni  devroient  user  de  voye  de  fait  ou  d'arrest,  ne 
attempteroient  en  quelque  manière  l'une  contre  l'autre. 

Item,  et  pendant  la  dicte  continuation  ceulx  de  Bruges  et  de  Les- 
cluses pour  aucuns  affaires  et  nécessitez  à  eulx  survenans  escriprent 
à  ceulx  de  Diepe  en  requerrant  la  dicte  journée  estre  encore  prolon- 
guée  et  continuée;  sur  quoy  ceulx  de  Diepe  rescriprent  et  consentirent 
par  leurs  lettres  que  la  continuation  se  fesit  encore  jusques  au  premier 
jour  de  may  ensuivant;  toutes  choses,  ce  temps  pendant,  demourans 
en  mesme  état  qu'elles  estoient  pour  lors. 

Item,  ce  non  obstant,  ung  baleinier  dont  estoit  maistre  ung  nommé 
Robin  Barbey,  bourgois  et  habitant  de  la  ville  de  Diepe,  cacha^,  le 
xxviiie  jour  d'avril  derrainement  passé,  une  escute^  chargiée  decher- 
voises  appartenant  à  Girard  Gardin,  Niclais,  P.  Diérix  et  Michiel-P. 
Diérix,  bourgois  de  Dunkerke  en  Flandres,  tellement  que  par  forche 
de  cache  la  dicte  escute  fery  à  terre  au  devant  de  Zoudcoute,  à  une 
lieue  prez  de  Dunkerke,  où  elle  rompy  et  la  plus  grande  partie  des 
chervoises  fu  perdue,  et  sont  les  d.  bourgois  de  Dunkerke,  à  cause  de 
la  dicte  neif  des  chervoises  et  autres  biens  et  apparaulx  estans  en 
icelle,  adommagiés  bien  de  CXLii  nobles  et  demi  d'or. 

Item,  encores  le  xxix«  jour  il'avril,  le  dit  Robin  Berbey  prist  et  ren- 
contra une  neif  dont  estoit  maistre  ung  nommé  Jehan  Vander  Most, 

1.  II  s'agit  du  baleinier  Y  Éveillé  qui  dort,  appartenant  au  capitaine  diep- 
pois  Peirot  Féré,  dont  il  est  fait  mention  dans  la  lettre  du  dauphin  (docu- 
ment I). 

2.  Chassa. 

3.  II  faut  voir  dans  ce  mol  la  francisation  du  hollandais  schuit,  bateau. 


40  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

bourgois  de  Malines,  laquelle  neif  le  dit  Robin  amena  au  devant  du 
port  de  Dunkerke  et  la  renchonna  le  dit  Jehan  Vander  Most  à  iiii'^x  et 
III  nobles  d'Angleterre,  et  par  dessus  la  dicte  renchon  ont  ceulx  de 
Diepe  prins  beaucop  de  biens  hors  la  dicte  neif  de  Malines. 

Item,  et  au  mesme  jour  et  heure,  prindrent  ceulx  de  Diepe  une  neif 
de  Brabant  dont  estoit  maistr©  Leurens  Pierneif,  lequel  ilz  renchon- 
nèrent  à  xliii  nobles  d'or,  et  par  dessus  ce  ostèrent  plusieurs  biens 
hors  la  dicte  neif. 

Item,  ceulx  de  Bruges  et  de  Lescluses  ont  envoyé  leurs  députez  ,en 
la  ville  de  Saint-Omer,  au  premier  jour  de  may  derrain  passé,  et  aussi 
comparurent  députez  de  par  le  capitaine  et  ceulx  de  Diepe,  et  a  esté 
entretenue  et  continuée  la  journée  et  traittiée  paravant  encommen- 
chée;  et  a  esté  illec  remonstré  par  les  députez  de  Bruges  et  de  Les- 
cluse  à  ceulx  de  Diepe  comment  ceulx  de  Diepe  et  mesmement  le  dit 
Robin  Berbey  a  enfraint  le  traittié.  Testât  et  abstinence  pourpalée  et 
conclue  entre  les  dictes  parties  dont  dessus  est  faicte  mension  par 
espécial  en  la  prinse  des  dictes  neifs  de  Flandres;  de  quoy  iceulx  de 
Diepe  se  sont  excusez,  disans  qu'ilz  n'en  savoient  riens  ;  mais,  s'il  étoit 
ainsi,  il  leur  déplaisoit  et  ilz  en  feroient  faire  bonne  et  loyale  resti- 
tution. 

Item,  au  regard  de  la  matière  principale,  assavoir  des  demandes 
faictes  par  les  dictes  parties  l'une  à  l'autre,  fu  dit  à  la  dicte  journée 
par  ceulx  de  Diepe  que,  premiers  et  devant  toute  euvre,  il  convendroit 
que  leur  capitaine  fust  contenté  et  appaisié.^et,  ou  cas  que  le  pays  de 
Flandres  voulsist  païer  au  dit  capitaine  de  Diepe  pour  ses  demandes 
;iiM  saluz',  ilz  le  contenteroient  de  leurs  propres  deniers  du  surplus 
pour  l'affection  et  le  grand  désir  qu'ilz  avoient  d'avoir  paix  et  union 
avecques  le  pays  de  Flandres  pour  fréquenter  le  dit  pays  en  fait  de 
marchandise,  si  comme  ilz  disoient.  Et,  au  regard  des  demandes  par- 
ticulières faictes  d'un  costé  et  d'autre,  ilz  feroient  tant  de  leur  costé 
que  tout  ce  que  seroit  trouvé  véritablement  estre  osté  et  prins  à  ceulx 
de  Flandres  par  ceulx  de  Diepe  leur  seroit  rendu  par  tele  manière 
qu'ilz  en  devroient  estre  cohtens,  moyennant  que  pareillement  ceulx 
de  Diepe  adommagiez  fussent  aussi  récompensez  de  leurs  dommaiges. 

Item,  sur  ce  fu  respondu  par  les  députez  de  Bruges  et  de  Lescluse 
que,  pour  appaisier  la  rigeur  encommenchiée  entre  les  dictes  parties 
et  pour  le  bien  et  avanchement  de  la  marchandise,  jà  soit  ce  que  ceulx 
de  Diepe  et  mesmement  le  capitaine  de  Diepe  n'avoit  nulle  cause  de 
demander  à  ceulx  de  Flandres  aucune  restitution  à  cause  d'une  sienne 
barge  arrestée  au  port  de  Dunkerke,  veu  et  considéré  qu'elle  n'avoit 
point  esté  prinse  de  force,  mais  arrestée  par  loy  et  justice  par  le  Lieu- 
tenant de  l'Amiral  de  Flandres  à  la  requeste  de  partie,  et  qu'il  eust 
peu  poursuir  la  délivrance  de  sa  barge  par  voye  de  droyt  s'il  luy  eust 
pieu,  veu  que  il  n'estoit  point  ennemy  de  mon  très  redoubté  &*igneur 

1.  Le  salut  d'or  tirait  son  nom  de  la  salutation  angélique  que  représentait 
une  des  faces  de  la  pièce.  Il  valait  25  sous  (25  francs  de  notre  monnaie). 


CHARLES   DESMAREÏS,    COUSAIBE   DIEPPOIS.  41 

ne  de  son  pays  de  Flandres;  et  pour  ce,  se  aucun  dommaige  luy  en 
estoit  advenu,  il  en  estoit  en  coulpe.  Et  pareillement  ou  regart  des 
autres  biens  que  le  capitaine  de  Diepe  et  aultres  se  dieni  avoir  en 
temps  passé  derrement  conquesté  sur  les  Anglois  leurs  ennemis, 
lesquelz  biens  leur  dient  estre  ostez  de  force  par  ceulx  de  Flandres,  il 
leur  fu  respondu  que  les  biens  dessus  d.  n'appartenoient  pas  aux 
Anglois,  mais  à  aucuns  marchans  de  Hollande  et  Zellande,  comme  il 
apparu  loyaument  qui,  pour  lors,  n'estoient  pas  leurs  ennemis;  et 
pour  ce  furent  par  justice  constrains  de  leur  restituer  les  d.  biens. 

Toutes  lesquelles  choses  considérées  et  par  aultres  plusieurs  raisons 
à  ce  faisans  alléguées,  il  apparoît  que  à  mauvaise  cause  ilz  deman- 
doient  les  dictes  sommes  de  deniers  au  pays  de  Flandres  et  que, 
d'autre  costé,  les  subgets  et  habitans  du  pays  de  Flandres  estoient  à 
tors  et  sans  cause  grandement  adommagiez  par  ceulx  de  Diepe, 
comme  il  apparoît  par  les  plaintes  de  ceulx  de  Flandres  bailliez  par 
escript;  toutesfois,  ceulx  de  Flandres,  pour  le  bien  de  paix  et  affin  que 
marchandise  peust  avoir  cours  paisiblement  par  mer  et  par  terre,  leur 
offrirent  et  leur  accordèrent  de  compenser  les  pertes  et  dommaiges 
d'un  costé  et  d'aultre,  dont  ceux  de  Diepe  n'en  voulloient  pas  estre 
contens,  mais  se  partirent  tantost  et  incontinent  par  manière  de  cor- 
rous  et  mautalent. 

Item,  après  ce,  les  d.  députez  de  Bruges  et  de  Lescluse  leur  requer- 
roient  de  faire  encores  ung  estât  et  abstinence  de  voye  de  fait  entre 
les  dictes  parties,  de  trois  ou  quatre  mois  ou  sans  terme  au  desdit  de 
ung  mois  ou  deux  pour,  ce  temps  pendant,  labourer  à  trouver  manière 
de  bon  appointement,  ou  aussi  que,  ce  temps  pendant,  les  querelles  d'un 
costé  et  d'autre  fussent  mises  en  justice;  mais  ceulx  de  Diepe  n'ont  à 
riens  voulu  entendre  fors  que  de  recevoir  iii"  salus  pour  leur  capitaine, 
comme  dit  est,  et  ainsi  sont  partis  de  Saint-Omer  et  est  le  traittié  du 
tout  rompu  et  falli. 

Item,  est  à  noter  que  ceulx  de  Diepe  ont  obtenu  abolicion  générale 
du  Roy  de  tout  ce  qu'ilz  ont  meffait  sur  les  Flamens  et  tous  autres, 
et  que  ce  non  obstant  ilz  requirent  avoir  restitution  de  ce  qu'ilz  dient 
que  les  Flamens  ont  fait  sur  eulx^. 

m. 

Lettre  de  Charles  Desmarets,  capitaine  de  Dieppe,  «  à  honnorables 
et  sages  bourgmaistres ,  eschevins  et  conseil  des  villes  de 
Bruges  et  Lescluses,  en  Flandres  ». 

Honnorables  et  sagez. 
Il  est  vray  que  puis  naguerez  pour  et  affin  d'avoir  repparation  de 
certains  grans  tors  et  griefz  qui  faiz  me  ont  esté  en  vostre  pais  de 

1.  Archives  départementales  de  la  Côte-d'Or,  série  B,  liasse  11927.  Original 
papier. 


42  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

Flandres,  tant  sur  la  mer  de  certaines  marchandises  gaengnées  par 
aucuns  de  mes  vaisseaulx  sur  les  Anglois,  anciens  ennemis  et  adver- 
saires du  Roy  nostre  souverain  seigneur,  comme  laynez  et  autres 
bonnes  et  richez  marchandises  montans  à  haulte  somme  qui  leur  ont 
esté  ostez  par  forche;  et  aussi  m'avez  ostez  et  détenu  une  mienne 
barge  en  la  ville  de  Dunkerke  avec  plusieurs  biens  et  prisonniers 
anglois  estans  dedens  montant  à  certaine  aultre  haulte  somme;  je 
avoie  fait  naguèrez  mettre  en  arrest  une  escute  chargiée  de  heerens 
caques,  et  sur  ce  que  je  voulloie  pour  icelle  recompensation  avoir  pro- 
cédé par  voie  de  fait  tant  sur  icellui  arrest  comme  sur  autrez  de  vostre 
d.  païs.  Ce  venu  à  la  congnoissance  des  bailli  et  bourgois  gouver- 
neurs de  ceste  d.  ville,  journèrent  devers  moy,  disant  que  ilz  me 
requéroient  que  de  ce  ne  voulusse  soufîrir,  attendant  qu'ilz  vous 
eussent  escript  pour  sur  icellui  arrest  et  aultres  arretz  que  l'on  disoit 
voulloir  faire  en  vostre  d.  païs  sur  les  marchans  de  par  de  çà,  à  cause 
d'aucunes  prinses  ou  aultrez  choses  advenus  durant  le  temps  de  la 
guère  et  en  paravant  des  présentes  trêvez  trouver  moïen  de  commu- 
niquer et  assembler  ensembles  en  certain  lieu  pour  ce  faire  traittié  et 
bon  acord,  quelle  chose  ilz  eussent  fait;  et  par  le  moïen  des  lettres  de 
chacun  de  vous  assemblé  en  la  ville  de  Saint-Omer,  au  vii«  jour  de 
mars  derrain  passé,  auquel  jour  je  feis  estre  certaines  personnes  pour 
moy  soutïïsamment  fondés  par  lesquelz  je  feiz  remonstrer  aux  commis 
et  depputez  de  vous  les  tors  et  griefz  qui  me  ont  esté  faiz,  la  valleur 
d'iceulx  bailliez  par  déclaration,  et  aussi  y  ont  comparu  par  la  d.  ville 
le  bailli  et  deux  des  gouverneurs  d'icelle  et  en  leur  compaignie  deux 
des  aultres  bourgois  pour  sur  le  d.  traittié  pacifier  et  trouver  bonne 
union  ;  auquel  jour  par  vos  d.  depputez  feust  requis  icelle  journée 
estre  prolongnée  jusques  au  premier  jour  de  ce  présent  mois  de  may 
et  de  l'advis  de  vos  d.  depputez  et  de  ceulx  de  par  de  çà  fu  par  entre 
eulx  faitte  certaine  escripture  signée  de  chacune  des  parties  ;  auquel 
premier  jour  de  may  derrain  passé  vos  d.  depputez  et  les  nostres 
ont  comparu  et  convenu  ensemble  et  par  iceulx  voz  depputez  a 
esté  dit  et  desclairé  que  vostre  intencion  n'est  point  que  je  soie 
aucunement  récompensé  de  mes  dictes  pertez  autrement  ne  en  plus 
avant  que  de  ce  que  j'ay  fait  arrester  par  deçà  en  disant  que  plus 
auroit  mis  plus  auroit  perdu;  quelle  chose  je  n'ay  pas  intencion  de 
faire,  car  tout  ce  qui  est  arresté  ne  souffiroit  pas  aux  despens  que  j'ay 
faiz  en  pour  sauf  mon  bon  droit.  Et  sachez  certainement  que,  en  brief, 
je  ne  seray  récompensé  et  piéçà  le  fusse,  se  ne  feissent  les  dessus  d. 
de  ceste  d.  ville  qui,  à  leur  prière  et  requeste,  me  ont  en  ce  fait  diffé- 
rer; combien  que  je  soye  desplaisant  que  par  voie  de  fait  y  conviengne 
procéder  meus,  puisque  par  amours  ne  peult  estre,  je  convient  que  par 
forche  soit;  et  vous  souviengne  de  mes  gens  lesquelz  avez  prins  et  fait 
mourir  pour  avoir  prins  les  ennemis  du  Roy  nostre  d.  seigneur;  aussi 
il  avoit  esté  acordé  par  entre  nous  toute  voie  de  fait  estre  cessée  durant 
le  temps  de  la  d.  convencion,  laquelle  failly  dès  lundi  six  heures  après 
disner  que  les  d.  bailli  et  bourgeois  partèrent  du  d.  lieu  de  Saint- 


CHARLES   DESMARETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  43 

Orner,  ausquelz  iceulx  voz  depputez  distrent  que  pendant  icelle  con- 
vencion  et  la  d.  assuranche  aucuns  de  par  deçà  avoient  fait  des  prinses 
sur  aucuns  du  pais  de  Flandre  pour  ce  que  par  nos  d.  depputez  leur 
fu  accordé  icelles  prinses  leur  estre  renduez  si  aucunes  y  en  avoit;  je 
rescrips  devers  vous  affîn  que  incontinent  ces  lettres  veues  vous 
envoiez  par  deçà  aseurément  ceulx  à  qui  vous  dittez  les  d.  prinses 
avoir  esté  optez,  se  ainsi  est  qu'ilz  soient  de  vostre  d.  païsde  Flandre, 
pour  leur  en  faire  restitution  ;  aussi  aucuns  de  vous  gens  partans  de 
Nyeport  durant  le  temps  de  la  d.  convencion  ont  osté  et  resceus  par 
voie  de  fait  à  puissance  d'armée  à  aucuns  gens  de  guerre  de  par  de  çà 
certaines  prinses  par  eulx  faittes  sur  les  Hollandois  ou  Zellandois, 
lesquelles  prinses  faittez,  qu'ilz  soient  restituez  car  vous  y  estez  tenus 
par  la  d.  convencion  ;  par  vous  ont  esté  faiz  pluiseurs  grans  tors  et 
griefz  à  ceulx  de  ceste  d.  ville,  de  quoy,  pour  le  présent,  je  me  déporte 
de  le  vous  desclaré,  mais  j'ay  bonne  volenté  en  temps  et  lieu  de  une 
fois  et  de  brief  le  vous  faire  savoir;  et  se  vous  avez  failly  à  vostre 
intreprinse  ne  vous  en  vueillez  courroucher,  mais  se  je  fail  à  la 
mienne,  le  me  vueillez  pardonner.  Notre  Seigneur  vous  ait  en  sa 
garde. 
Escript  à  Dieppe,  le  vif  jour  de  may. 

Charles  Desmares,  escuier  d'escurie  du  Roy,  nostre  sei- 
gneur, maistre  d'ostel  de  Monseigneur  le  Daulphin,  cap- 
pitaine  de  Dieppe  et  de  Gam[ache]  en  Vimeu*. 

Le  ton  autoritaire  de  la  lettre  de  Charles  Desmarets  pouvait  faire 
craindre  aux  Flamands  de  sérieuses  représailles,  car  le  capitaine 
dieppois  était,  avant  tout,  homme  d'action.  Encouragé  par  le  dau- 
phin qui  se  plaisait  à  multiplier  les  conflits  entre  le  duc  de  Bour- 
gogne et  Charles  VII,  il  mit  ses  menaces  à  exécution.  Bientôt  les 
vaisseaux  de  Dieppe  sillonnent  la  mer  du  Nord  et  nos  corsaires, 
déçus  dans  leurs  espérances  et  conscients  de  l'importance  des  inté- 
rêts en  jeu,  renouvellent  leurs  exploits. 

En  vain,  leurs  .adversaires  s'abstiennent  de  tout  acte  d'hostilité, 
eux  «  continuent  journellement  à  faire  tout  dommaige  qu'ilz 
pevent,  au  grand  préjudice  et  retardement  du  bien  et  cours  de 
la  marchandise^  ».  Des  plaintes  véhémentes  sont  alors  adressées 
par  les  communautés  maritimes  intéressées  au  sénéchal  de  Bou- 
logne, Villiers  de  l'Isle.  Charles  VII  lui-même,  prévenu,  reçoit 
les  doléances  du  Conseil  du  duc  de   Bourgogne.  Les   Flamands 

1.  Archives  départeinenlalcs  de  la  Côte-d'Or,  série  B,  liasse  11927.  Original 
papier. 

2.  Remonxtianccs  foictes  par  les  gens  du  Conseil  de  Monseigneur  de 
Bourgoigne  iouchnnt  le  fait  de  Dieppe...  Collection  de  Bourgogne,  vol.  XCIX, 
p.  460;  cité  par  le  marquis  de  Beaucourt  (CAro«»<7wcA'  de  Mathieu  d'Escouchy, 
t.  m,  pièces  justificatives). 


44  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

supplient  le  roi  d'intervenir  auprès  du  capitaine  Desmarets  et 
d'  «  ordonner  une  surséance  de  guerre  jusques  au  terme  de  deux 
ans  ou  autre  terme  qu'il  lui  plaira^  ».  Ils  promettent  de  «  ne  porter 
aucun  dommaige  »  aux  Dieppois,  mais  demandent  instamment  qu'ils 
cessent  toute  prise.  Leur  désir  est  de  régler  définitivement  tous  les 
différends.  Après  avoir  entendu  les  explications  de  Charles  Desma- 
rets, le  roi  décida  que  la  «  matière  de  Dieppe  »  serait  au  nombre  des 
questions  soumises  à  la  conférence  de  Châlons,  conférence  instituée 
pour  régler  les  nombreuses  affaires  pendantes  entre  la  France  et  la 
Bourgogne^.  Au  cours  de  cette  conférence,  le  16  juin  1445,  un  accord 
sérieux  fut  conclu  entre  les  notables  de  Dieppe,  dont  Charles  Des- 
marets, et  les  gens  du  Conseil  de  la  maisori  de  Bourgogne.  De  part 
et  d'autre,  on  signa  une  trêve  jusqu'au  1"  octobre,  en  attendant  que 
fût  réglée  définitivement  la  question  délicate  des  indemnités. 
C'est  cet  accord  que  reproduit  le  document  inédit  suivant  : 

IV. 

Copie  du  seur  estât  apoincté  et  accordé  entre  les  pays  de  Flandres, 
Hollande,  Zellande  et  Frise,  d'une  part,  ef.  les  capitaine,  bour- 
geois, manans  et  habitans  de  la  ville  de  Dieppe,  d'autre  part. 

Sur  la  question  et  différent  estant  entre  les  conté  et  pays  de  Flandres, 
Hollande,  Zellande  et  Frise,  d'une  part,  et  les  capitaine,  bourgeois, 
manans  et  habitans  de  la  ville  de  Dieppe,  d'autre  part,  à  cause  de  cer- 
taines prises,  destrousses,  omicides  et  autres  entrefaictes  que  les  d. 
parties  dient  et  maintiennent  avoir  esté  faictes  tant  par  mer  comme 
par  terre  l'une  sur  l'autre;  par  madame  la  duchesse  de  Bourgoingne 
et  les  gens  du  Conseil  de  monseigneur  le  duc  de  Bourgoingne  estant 
avec  elle,  c'est  assavoir  Révérend  Père  en  Dieu  monseigneur  l'évesque 
de  Verdun,  maistre  Jehan,  seigneur  de  Créqui,  messire  Eùene,  sei- 
gneur de  [Hum...  (?)]3,  messire  Guillaume  le  Joint,  seigneur  de  Con- 
tay,  maistre  d'ostel  de  ma  dicte  dame,  maistre  Estienne  Arménie, 
président  des  parlements  de  Bourgoingne  et  autres ,  d'une  part  ; 
Charles  Des  Marez,  capitaine,  Pierre  Galopin,  bailU,  et  Jehan  Blanc- 
baston,  l'un  des  gouverneurs  du  d.  lieu  de  Dieppe,  fondés  de  povoir, 
et  eulx  faisans  fors  pour  le  corps  et  communauté  de  la  d.  ville  de 
Dieppe,  assemblez  en  la  ville  de  Chaalon,  d'aultre  part;  a  esté  apoinc- 
tié  et  accordé  que,  de  ce  jourd'uy  jusques  au  premier ijour  d'octobre 
prochainement  venant  incluz,  bon  et  sceur  estât  sera,  et  cessera  toute 
voye  de  fait  d'un  costé  et  d'autre  ;  et  pourront  tous  les  habitans  des  d. 
pays  et  autres  pays  subjets  de  mon  dit  seigneur  de  Bourgoingne  aler 
et  converser  paisiblement,  marchandamment  et  autrement,  ainsi  qu'il 

1.  Remonstrances,  citées  plus  haut. 

2.  Cf.  G.  Du  Fresne  de  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  VII,  t.  IV,  p.  131. 

3.  Sans  doute  André,  seigneur  d'Humières.  Ibid.,  p.  130. 


CHARLES  DESMARETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  45 

leur  plaira,  en  la  d.  ville  de  Dieppe  et  par  tout  ailleurs  par  mer  et  par 
terre.  Et  pareillement  les  diz  capitaine,  bailli,  bourgeois,  manans  et 
habitans  du  d.  Dieppe  pourront  aler  et  converser  paisiblement,  mar- 
chandemment  et  autrement,  ainsi  qu'il  leur  plaira,  par  mer  et  par 
terre  par  tous  les  d.  pays  de  Flandres,  Hollande,  Zellande  et  Frize  et 
autres  quelconques  pays  du  mon  d.  seigneur  de  Bourgoingne,  sans  ce 
que,  soubz  umbre  ne  à  l'occasion  de  quelconques  choses  faictes  et 
advenuues  par  ci-devant  par  mer  ou  par  terre,  l'en  peust  user  de 
quelque  voye  de  fait  ne  de  prison  ne  autre  quelconque  empeschement 
à  requeste  de  quelque  prisonnier  ne  pour  quelconque  cause  que  ce 
soit.  Et  en  oultre  est  accordé  et  appoinctée  que,  le  premier  jour  de  sep- 
tembre prouchain  venant,  une  journée  amiable  sera  tenue  en  la  ville  de 
Thérouane,  à  laquelle  mon  d.  seigneur  de  Bourgoingne  fera  que  ceulx 
des  d.  pays  de  Flandres,  Hollande,  Zellande  et  Frize  envoleront  leurs 
gens  ou  députez  garniz  de  povoir  seufisant;  et  pareillement  les  d. 
capitaine,  bourgois  et  habitans  de  Dieppe  y  envoleront  leurs  gens  ou 
députez  semblablement  garniz  et  fondez  de  povoir  souffisant,  pour 
des  d.  question  et  différens,  plus  appoincter,  accorder  et  conclure.  Et 
pour  [garantie  (?)]  entretement  et  sceurté  des  choses  dessus  dictes  est 
appoincté  par  ma  dicte  dame  et  gens  du  Conseil  que  de  ce  présent 
appoinctement  seront  faictes  lettres  soubz  le  seel  de  mon  d.  seigneur 
le  duc  et  envolées  au  d.  lieu  de  Dieppe  tantost  que  ma  dicte  dame 
sera  retournée  devers  mon  dit  seigneur;  et  néantmoins  ce  d.  jourduy, 
sans  attendre  les  dictes  lettres,  le  d.  sceur  estât  et  cessation  de  voye 
de  fait  sera  entretenu  et  continué  jusques  aud.  premier  jour  d'octobre. 
En  tesmoing  desquelles  choses  a  esté  fait  et  escript  cest  appoinctement 
double  et  signé,  par  l'ordonnance  de  ma  dicte  dame,  par  maistre  Loys 
Dommessons,  secrétaire  de  mon  dit  seigneur,  et  pour  la  part  des  d. 
de  Dieppe  par  les  d.  capitaine,  bailli  et  gouverneur,  le  xvi"  jour  de 
juing,  l'an  mil  quatre  cent  quarante  cinq^ 

La  question  flamande  résolue  —  au  mieux  des  intérêts  dieppois, 
comme  il  est  à  présumer  —  Charles  Desmarets,  en  bon  corsaire, 
porte  tous  ses  coups  contre  l'ennemi  d'outre-Manche. 

En  dépit  d'une  trêve  signée  en  1444  pour  deux  ans  et  prolongée 
d'année  en  année,  les  inimitiés  entre  Anglais  et  Français  persis- 
taient, toujours  vives,  surtout  en  Normandie. 

Personnellement,  le  capitaine  dieppois  intervint  auprès  du  roi  de 
France  pour  se  plaindre  que,  sur  la  mer,  «  avoient  de  nouvel  esté 
grant  prins  quantité  de  navires  garnis  de  vivres  et  marchandises 
appartenans  à  plusieurs  gens  de  la  ville  de  Dieppe^  ». 

C'est  qu'aux  portes  de  la  cité  normande  veillaient,  toujours  mena- 

1.  Archives  municipales  de  Dijon,  fonds  Baudot,  n"  39,  fol.  347. 

2.  Lettre  de  Henri  VI  à  Charles  VII  (Chroniques  de  Mathieu  d'Escouchy, 
pièces  justificatives,  t.  III,  p.  218-220). 


46  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

çants,  les  partisans  du  roi  d'Angleterre  Henri  VI.  Jean  de  Pevvrel, 
sire  d'Otfranville,  oubliant  l'accueil  cordial  que  son  père,  d'origine 
anglaise,  avait  reçu  en  France,  armait  de  nombreux  vaisseaux  pour 
le  compte  de  nos  ennemis.  C'était  pour  les  marins  dieppois  un  adver- 
saire redoutable. 

A  Arques,  le  lieutenant  Jehan  Peinchon,  également  au  service 
des  Anglais,  laissait  ses  hommes  d'armes  harceler  les  partisans  de 
Charles  VIL 

Charles  Desmarets,  dont  l'énergie  eut  alors  vraiment  à  se  dépen- 
ser, se  plaint  au  roi  qu'ils  «  ont  couru  en  plusieurs  lieux  obéissance 
à  environ  la  dicte  ville  de  Dieppe,  y  ont  prins  plusieurs  gens  de 
divers  estats,  tant  des  diz  lieux  que  d'icelle  ville,  et  commis  plusieurs 
autres  excez  etdelitz'  ».  Or,  Charles  VII  venait  d'apprendre  la  prise 
de  Beuvroy  et  de  Mortain.  Il  se  montra  fort  indigné  de  ces  «  graves 
attemptaz  faiz  et  commis  par  les  Anglais  à  rencontre  de  la  trêve ^  ». 
De  Montils-lès-Tours,  le  17  mars  1447,  puis  le  23,  il  écrivit  à 
Henri  VI,  demandant  pour  lui  et  pour  Charles  Desmarets  des  expli-' 
cations  et  des  réparations.  Le  3  mai  suivant,  le  roi  d'Angleterre 
répond.  Les  réclamations  de  Charles  Desmarets  sont  de  sa  part 
l'objet  dune  réglementation  toute  spéciale.  C'est  que  le  capitaine  de 
Dieppe  est  un  puissant  ennemi.  Henri  VI  le  craint;  il  le  ménage. 

«  En  toute  diligence  » ,  il  fait  rechercher  une  nef  capturée  par  les 
Anglais;  il  lui  en  fait  restitution  et  lui  fait  remettre  les  marchan- 
dises confisquées'.  On  ne  pouvait  être  plus  conciliant. 

Mais  bientôt,  après  la  prise  de  Fougères,  la  trêve  est  rompue  ;  la 
guerre  recommence.  A  l'appel  du  roi  et  au  lendemain  d'une  attaque 
fructueuse  contre  les  Bresmois,  les  marins  de  Charles  Desmarets, 
infatigables,  arment  à  nouveau. 

Sans  doute  le  capitaine  de  Dieppe  avait  obtenu  des  Anglais  de 
larges  compensations;  mais  il  ne  pouvait' refuser  son  concours  au 
roi  de  France  qui  ne  l'avait  jamais  oublié  dans  ses  libéralités. 
Charles  Desmarets  ne  venait-il  pas  encore  de  recevoir,  le  26  mai 
1447,  un  don  de  6U0  livres  tournois  que  le  trésorier  et  receveur  des 
finances  royales,  Estienne  Petit,  avait  versé  dans  la  caisse  du  rece- 
veur de  la  vicomte  de  la  ville,  Jehan  Blancbaston,  pour  «  estre  con- 
vertie et  employée  es  reparacions  de  la  ville  de  Dieppe"*  »? 

Tout  dévoué  à  la  cause  française,  le  capitaine  dieppois  arme  donc 
contre  les  Anglais.  A  la  hâte,  dès  1448,  il  forme  cinq  compagnies. 

1.  Lettre  de  Henri  VI  à  Châties  Vil  {Chronique  de  Mathieu  d'Escouchij, 
pièces  justificatives,  t.  IH,  p.  218-220). 

2.  Ibid. 

3.  Ibid. 

4.  Chronique  de  Mathieu  d'Escouchy.  Rôle  des  dépenses  du  26  mai  1447,  lac.  cit. 


CHARLES   DESMARETS,    CORSAIRE   DIEPPOIS.  47 

II  réussit  à  entretenir  des  intelligences  avec  les  moines  de  Fécamp, 
pénètre  dans  la  ville  par  l'abbaye  et  s'en  empare  presque  sans  coup 
férir.  Un  navire  anglais,  chargé  de  quatre-vingt-sept  hommes,  est 
pris  au  moment  où  il  entre  dans  le  port.  Nos  Dieppois  font  prison- 
niers les  renforts  anglais,  débarquant  fort  mal  à  propos* . 

Le  19  septembre  1449,  le  château  d'Arqués  tombe  entre  les  mains 
de  Charles  Desmarets,  après  deux  jours  de  siège. 

La  fortune  des  armes  favorise  Charles  VIL  Le  10  novembre, 
Rouen  lui  ouvre  ses  portes,  Harfleur  capitule  le  25  décembre.  Ron- 
fleur le  18  février  1450. 

Les  baleiniers  dieppois  prirent  une  pdrt  active  au  blocus  de  ces 
villes. 

Un  dernier  port  normand,  Cherbourg,  appartenait  aux  Anglais. 
En  août  1450,  cette  place  se  rend  et  nos  marins  contribuèrent 
encore  à  ce  succès.  Les  chroniqueurs  nous  apprennent  que  Charles 
Desmarets  équipa  à  ses  frais  un  navire  qui,  unissant  ses  efforts 
à  ceux  de  la  flotte,  isola  la  villa  et  rendit  efficace  le  tir  de  l'artillerie 
française  postée  sur  la  grève. 

Chassés  de  Normandie,  les  Anglais  ne  s'en  éloignèrent  pas  sans 
idée  de  retour.  En  attendant  des  jours  meilleurs,  ils  accrurent  con- 
sidérablement leurs  forces  navales.  Le  11  août  1454,  une  escadre 
anglaise  parut  en  rade  de  Dieppe.  Cette  menace  provoqua  un  vif 
émoi  et  Charles  Desmarets  fît  pousser  activement  les  préparatifs  de 
défense.  De  son  côté,  Charles  VII,  pour  prévenir  une  attaque  enne- 
mie, arma  une  flotte  imposante.  Le  25  août  1457,  plus  de  4,000  Fran- 
çais, embarqués  sur  au  moins  soixante  bâtiments,  quittèrent  le  mouil- 
lage de  la  Fosse-de-l'Eure.  Le  dimanche  28,  vers  six  heures  du 
matin,  seize  à  dix-huit  cents  hommes  débarquèrent  à  deux  lieues  de 
Sandwich,  dans  le  comté  de  Kent,  pour  cerner  la  ville,  tandis  que 
la  flotte  bloquait  entièrement  le  port.  Le  grand  sénéchal  de  Norman- 
die, Pierre  de  Brezé,  dirigeait  les  opérations.  Les  principales  villes  nor- 
mandes avaient  répondu  à  son  appel  ;  le  port  de  Dieppe  avait  fourni 
les  meilleures  nefs.  Au  nombre  des  chefs,  et  non  le  moins  intré- 
pide, se  remarquait  Charles  Desmarets. 

L'assaut  fut  rude.  Les  Anglais  perdirent  500  hommes.  La  flotte 
française,  entrant  dans  le  port,  dut  lutter  contre  quatre  navires  de 
guerre;  mais  les  marins  ennemis  abandonnèrent  vite  leur  bord.  Le 
jeudi  1"  septembre  nos  troupes,  craignant  une  surprise,  se  reti- 
rèrent; elles  emmenaient  avec  elles  trois  grandes  nefs  anglaises, 
vingt  et  un  petits  navires,  un  certain  nombre  de  prisonniers  et  deux 

1.  Asseline,  Antupiitez  et  chroniques  de  la  ville  de  Dieppe,  l.  I,  p.  196. 


48  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

à  trois  cent  mille  livres  de  butin.  En  route,  il  fallut  entrer  en  lutte 
avec  une  flotte  portugaise.  Nouvelle  victoire  pour  nos  marins.  La 
rentrée  à  Dieppe  fut  un  véritable  triomphe  pour  le  capitaine  de  la 
ville'. 

La  guerre  contre  les  Anglais  continuant,  Charles  Desmarets,  en 
qualité  d'  «  escuier  d'escurie  et  de  conseiller  de  Charles  VII  », 
dut  accompagner  les  troupes  royales.  Plus  tard,  la  défense  de  Per- 
pignan lui  est  confiée.  De  1464  à  1475,  il  occupe  la  charge  de  capi- 
taine du  château,  qu'il  put  conserver  au  roi  de  France^. 

Notre  capitaine  cumule  les  fonctions.  Dans  la  lettre  qu'il  adresse 
aux  Flamands,  ne  s'attribue-t-il  pas  aussi  le  titre  de  capitaine  de 
Gamaches  en  Vimeu?  En  outre,  vers  la  fin  de  sa  vie,  revenu  en 
Normandie,  il  s'intitule  seigneur  de  Boissi-le-Châstel  (en  Brie),  de 
la  Cour-le-Comte  et  de  Saint- Aubin-le-Cauf  (près  Dieppe). 

Se  retira-t-il  à  Bures  où,  d'après  M.  de  Grattier^,  «  il  occupa  sa 
vieillesse  à  construire  et  à  embellir  un  charmant  manoir  »?  A-t-il 
été  inhumé  à  Dieppe,  dans  l'ancienne  église  Saint-Remi,  au  pied 
de  ce  château  qu'il  construisit  sur  la  falaise?  Ou  bien  repose-t-il 
dans  l'église  d'Arqués,  oii  l'on  remarque  de  curieuses  verrières 
peintes  aux  armes  de  sa  famille  ? 

Autant  de  conjectures  que  ni  les  archives  ni  les  chroniqueurs  de 
Dieppe  ne  viennent  confirmer.  Le  fait  est  que,  dès  1485,  l'amiral 
de  Graville  succède  à  Charles  Desmarets  comme  «  cappitaine  de  la 
ville  et  du  chastel  de  Dieppe*  ». 

Veuf  de  Marie  des  Essars,  Charles  Desmarets  laissait  cinq 
enfants  légitimes  :  une  fille  et  quatre  garçons.  L'aîné  continua  les 
traditions  de  son  père  et  arma  de  nombreux  navires  ;  deux  autres 
se  firent  religieux  et  le  dernier  se  conduisit  vaillamment  avec 
Charles  VIII  en  Italie  où  il  fut  armé  chevalier. 

André  Boudier.. 

1.  Cf.  Ch.  de  La  Roncière,  Histoire  de  la  marine  française,  t.  II,  p.  290-293. 

2.  Les  Cronicques  de  Normendie,  édition  Hellot,  notes. 

3.  Ad.  de  Grattief,  Notice  sur  Charles  Desmarets,  1857. 

4.  Archives  municipales  de  Dieppe  (privilèges  de  la  ville),  1"  cl.,  layette  11, 
8'  liasse,  n"  5. 


UN   PRÉCÉDENT   DE   l'aFFAIRE  MORTARA.  49 

UN  PRÉCÉDENT  DE  L'AFFAIRE  MORTARA* 


Le  26  juin  1840,  RaynevaP,  notre  chargé  d'affaires  à  Rome,  adres- 
sait à  M.  Tliiers,  président  du  Conseil,  la  dépèche  suivante^  : 

Monsieur  le  Ministre, 
Une  affaire  fort  grave  et  dont  il  y  a,  je  crois,  peu  d'exemples,  a 

1.  Pour  l'aflaire  Mortara,  qui,  vieille  aujourd'hui  de  plus  de  soixante  ans, 
est  peut-être  oubliée,  nous  emprunterons  le  récit  qu'en  a  donné  YAmiuaire  des 
Deux  Mondes  de  1858-1859,  p.  268-270  :  «  L'événement  de  l'histoire  religieuse 
qui  a  le  plus  occupé  l'attention  publique,  c'est  l'aflaire  de  l'Israélite  Mortara, 
dont  il  convient  de  parler  ici  avec  quelque  détail. 

«  Dans  les  premiers  jours  de  juillet  1858,  un  commis  de  la  police  pontificale 
se  présenta,  accompagné  de  deux  gendarmes,  chez  M.  Ramolo  Mortara,  Israé- 
lite qui  habite  Bologne,  et  lui  enjoignait  de  lui  livrer  son  fils  Edgard,  âgé  de 
sept  à  huit  ans,  que  réclamait  le  Saint-Office.  Le  père  dut  céder  à  la  force, 
sans  même  avoir  obtenu  des  explications  suffisantes,  te  cardinal-légat  lui- 
même  ne  put  rien  lui  apprendre,  parce  qu'il  ne  savait  rien,  les  ordres  étant 
venus  directement  de  Rome.  M.  Mortara  se  dirigea  donc  en  toute  hâte  vers  la 
capitale  où,  d'ailleurs,  le  jeune  Edgard  venait  d'être  conduit  afin  d'être  élevé 
chrétiennement  dans  l'établissement  de  la  Madona  dei  Monti,  consacré  à 
l'éducation  des  jeunes  Israélites  néophytes. 

«  A  Rome,  M.  Mortara  apprit  enfin  qu'une  fille  Morisi,  qu'il  avait  eue  jadis  à 
son  service,  venait  de  déclarer  formellement  au  Saint-Office  que  deux  ans 
auparavant,  durant  une  maladie  grave  qu'avait  faite  le  petit  Mortara,  elle  lui 
avait  secrètement  administré  le  baptême.  Dès  lors,  ajoutait-on,  les  lois  de 
l'Église  ne  permettaient  plus  de  laisser  l'enfant  entre  les  mains  de  son  père,  à 
moins  que  celui-ci  ne  s'engageât  à  l'élever  dans  la  religion  chrétienne.  » 

«  Nous  n'avons  pas  à  suivre  plus  loin  cette  curieuse  atl'aire;  il  sufllrade  dire 
que  tous  les  efforts  de  la  famille  Mortara  pour  rentrer  en  possession  de  l'en- 
fant, l'intervention  diplomatique  des  gouvernements  français,  anglais,  prus- 
sien, italien,  se  heurtèrent  à  une  tin  de  non-recevoir  obstinée  de  la  part  de  la 
Cour  pontificale.  L'enfant  ayant  été  baptisé,  c'eût  été,  aux  yeux  du  Saint-Siège, 
une  «  cruauté  horrible  »  de  le  rendre  «  aux  ténèbres  de  sa  première  religion  «. 

2.  Rayneval  (Alphonse,  comte  de)  (1813-1858).  Attaché,  très  jeune,  à  Madrid, 
où  son  père  était  ambassadeur,  il  devint,  en  1836,  chef  de  cabinet  du  comte 
Mole.  Premier  secrétaire  à  Rome  (1839),  lorsque  son  chef  cessa  d'être  ministre, 
il  passa,  en  1844,  en  qualité  de  chargé  d'affaires  à  Saint-Pétersbourg,  ministre 
plénipotentiaire  à  Naples  en  juin  1849,  ambassadeur  à  Rome  en  1851,  il  rédi- 
gea, en  1856,  un  mémoire  qui  fit  grand  bruit  et  dans  lequel  il  se  prononçait 
nettement  en  faveur  du  maintien  de  l'occupation  française  et  plaidait  chaude- 
ment la  cause  du  pouvoir  temporel.  Nommé,  en  août  1857,  ambassadeur  à 
Saint-Pétersbourg,  il  mourut  presque  subitement  à  Paris,  en  février  1858, 
avant  d'avoir  pu  se  rendre  à  son  poste. 

3.  Archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères,  Rome,  volume  982.  Direc- 
tion politique,  n°  3,  fol.  90-97. 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  fasc.  4 


50  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

motivé  d'activés  démarches  de  ma  part  auprès  du  gouvernement  pon- 
tifical. —  Un  Israélite  français,  le  sieur  Daniel  Moutel,  de  Nîmes, 
débarque  à  Fiumicino  dans  les  premiers  jours  de  ce  mois  avec  sa 
femme,  fort  avancée  dans  sa  grossesse,  et  qui  ne  se  trouve  plus  en 
état  de  supporter  la  mer.  A  peine  a-t-elle  touché  terre  qu'elle  met  au 
monde  une  fille.  Le  curé  se  présenta  pour  la  baptiser  et,  sur  l'opposi- 
tion du  père,  cet  ecclésiastique  s'éloigna  en  protestant  de  son  respect 
pour  toutes  les  croyances.  Quelques  jours  après,  la  famille  entière  se 
transporta  à  Rome  et,  le  17  au  soir,  un  individu,  accompagné  de  plu- 
sieurs carabiniers  et  d'une  nourrice,  se  présenta  au  domicile  du  sieur 
Montel,  lui  enjoignant  de  lui  livrer  son  enfant  sous  prétexte  qu'il  avait 
été  baptisé  et  qu'en  conséquence  il  ne  pouvait  rester  entre  les  mains 
de  personnes  étrangères  à  la  religion  catholique.  Le  père  protesta,  et, 
sur  les  assurances  tout  à  fait  sérieuses  de  sa  part  que  le  baptême 
n'avait  pas  été  administré,  on  consentit  à  lui  laisser  son  enfant;  mais 
deux  gendarmes  sont  placés  dans  la  maison  pour  veiller  à  ce  qu'il  ne 
soit  pas  soustrait  à  l'action  qu'on  ne  renonçait  pas  à  exercer  sur  lui,  si 
les  assertions  du  père  se  trouvaient  n'être  pas  fondées. 

Dès  que  je  fus  instruit  de  ces  faits,  j'en  portai  plainte  verbalement 
à  Mgr  Capaccini^.  Il  m'apprit  que  l'enfant  avait  été  baptisé  à  Vinsu 
de  ses  parents  par  une  femme  de  Fiumicino  qui  avait  assisté  aux 
couches  de  M™*  Montel  et  que,  si  le  sacrement  avait  été  administré 
dans  les  règles,  il  serait  impossible,  suivant  les  lois  canoniques,  de 
laisser  un  enfant  chrétien  à  ses  parents  juifs. 

Après  ces  explications,  j'écrivis  officiellement  au  cardinal ^  et  ne  tar- 

1.  Capaccini  (François,  Mgr)  (1784-1845),  ordonné  prêtre  en  1807,  se  fit 
remarquer  par  de  beaux  travaux  de  physique  et  d'astronomie  et  fut  pour  cette 
raison  appelé  à  prendre,  en  1811,  la  direction  de  l'Observatoire  de  Naples,  qu'il 
conserva  jusqu'en  1815.  Nommé,  en  1824,  par  Léon  XII,  adjoint  au  secrétaire 
des  Brefs,  il  fut  envoyé,  en  1826,  en  Hollande  pour  y  seconder  le  cardinal 
Capellani,  chargé  de  négocier  un  concordat  avec  ce  royaume.  Nonce  à  La  Haye 
en  1828,  il  fut  choisi  en  1831  par  Grégoire  XVI  pour  remplir  les  fonctions  de 
sous-secrétaire  à  la  secrétairerie  d'État.  En  septembre  1837,  le  pape  lui  confie 
une  mission  secrète  à  Vienne  et  à  Berlin  pour  régler,  d'une  part,  la  question 
de  l'évacuation  des  Légations  par  les  troupes  autrichiennes,  de  l'autre,  le  diÔ'é- 
rend  avec  l'archevêque  de  Cologne.  Secrétaire  de  l'Académie  théologique  de 
Rome  en  1838,  il  est  de  nouveau  envoyé  en  mission  en  Hollande  en  1841,  puis, 
en  1842,  à  Lisbonne  en  qualité  d'internonce  et  de  légat  apostolique,  et  enfin 
créé  cardinal  le  22  juillet  1844.  Mais  sa  nomination  ne  lut  publiée  que  le 
24  août  1845,  peu  de  temps  seulement  avant  sa  mort  (cf.  dans  Gualtiero,  Gli 
Ultimi  Rivolgimenti  iialiani,  t.  I,  p.  152,  un  très  remarquable  portrait  de 
Mgr  Capaccini). 

2.  Lambruschini  (Louis,  cardinal)  (1776-1854),  d'abord  Barnabite,  puis  évèque 
de  Sabine  avant  de  devenir  archevêque  de  Gênes.  Nonce  à  Paris  sous  le  règne 
de  Charles  X,  cardinal  (septembre  1831),  il  fut  appelé  par  Grégoire  XVI  à  rem- 
placer le  cardinal  Bernelti  à  la  secrétairerie  d'État.  Adversaire  déclaré  des 
idées  de  progrès,  il  fut  l'âme  des  persécutions  politiques  et  des  procès  reli- 
gieux qui  ont  marqué  le  pontilîcat  de  Grégoire  XVI.  Détesté  par  les  popula- 
tions des  États  romains,  il  n'en  réunit  pas  moins  le  plus  grand  nombre  de  suf- 


TIN    PRÉCÉDENT    DE    l'aFFAIRE   MORTARA.  51 

dai  pas  à  avoir  avec  lui  à  ce  sujet  un  entretien  approfondi.  Je  fis  valoir 
toutes  les  raisons  possibles  en  faveur  de  M.  Montel  et  présentai  l'af- 
faire sous  toutes  ses  faces.  Mon  principal  argument  était  que  mon 
gouvernement  ne  pouvant  admettre  dans  la  protection  qu'il  doit  aux 
Français  aucune  distinction  de  croyance,  je  ne  pouvais  voir  dans 
M.  Montel  qu'un  citoyen  français  blessé  dans  ses  droits  les  plus  sacrés. 
Le  cardinal  m'exprima  tout  son  regret  de  ce  rwi'une  pareille  affaire 
se  fût  élevée.  II  me  dit  qu'  «  il  comprenait  mes  réclamations;  qu'il  les 
avait  déjà  soumises  au  Saint-Père;  que  toutes  les  garanties  possibles 
seraient  données;  qu'une  enquête  allait  être  ordonnée;  que  la  femme 
qui  avait  administré  le  baptême  serait  arrêtée,  jugée,  punie,  à  moins 
qu'elle  n'alléguât  en  faveur  de  sa  conduite  les  raisons  les  plus  satis- 
faisantes; que,  s'il  devenait  évident  qu'elle  eût  baptisé  l'enfant,  elle 
serait  immédiatement  interrogée  sur  la  manière  dont  elle  avait  admi- 
nistré ce  sacrement;  que  le  résultat  de  cet  interrogatoire  serait  sou- 
mis au  tribunal  du  Saint-Ofltice,  lequel  déciderait  si  le  baptême  était 
valide  ou  non  ;  que,  s'il  était  déclaré  non  valide,  l'enfant  serait  libre, 
mais  que,  s'il  avait  été  régulièrement  administré,  l'enfant  serait  élevé, 
jusqu'à  l'âge  de  raison,  loin  de  ses  parents  à  Rome,  avec  tous  les 
soins  désirables  et  sous  la  surveillance  spéciale  du  Saint-Siège  ». 

Je  cherchai  par  tous  les  moyens  à  persuader  Son  Eminence  de  céder 
sur  ce  dernier  point  ;  mais  je  vis  facilement  que  tous  mes  efîorts 
étaient  inutiles  ;  qu'il  s'agissait  pour  le  chef  de  la  religion  catholique 
d'un  cas  de  conscience,  d'un  cas  prévu  par  les  lois  canoniques  et  dont 
il  y  a  quelques  exemples.  La  question  posée  sur  ce  terrain  était  pour 
moi  hors  d'atteinte.  J'obtins  du  moins  que  tous  les  égards  possibles 
seraient  gardés  vis-à-vis  de  la  malheureuse  famille,  victime  de  cette 
excessive  rigueur  de  conscience,  et  qu'aucune  mesure  qui  la  menaçât 
ne  serait  prise  sans  que  j'en  fusse  prévenu  et  sans  qu'elle  eût  été 
préalablement  consentie  par  moi.  Le  cardinal  m'a  assuré  qu'  «  à  cet 
égard  nous  nous  donnerions  la  main  ». 

Le  père  de  l'enfant  a  consulté  le  principal  rabbin  de  la  colonie  juive 
qui  réside  à  Rome  et  en  a  reçu  la  réponse  la  moins  rassurante.  Je  l'ai 
trouvé  moins  ému  que  je  ne  m'y  attendais.  Les  soins  de  tout  genre, 
que  je  lui  ai  promis  de  donner  et  que  je  donnerai  effectivement  aux 
moindres  détails  de  cette  affaire,  ont  paru  le  tranquilliser. 

Depuis  mon  entretien  avec  le  cardinal-secrétaire  d'État,  j'ai  reçu  de 
lui  la  réponse,  fort  vague,  comme  de  coutume,  dont  j'ai  l'honneur 
d'adresser  ci-joint  à  Votre  Excellence  la  traduction.  J'ai  annoncé  a 
Son  Eminence  que  j'en  porterai  le  contenu  à  la  connaissance  de  mon 
gouvernement  qui  jugerait  jusqu'à  quel  point  les  motifs  allégués  par 
le  gouvernement  pontifical  pourront  satisfaire  au  devoir  de  protection 
qui  nous  était  imposé  à  l'égard  de  nos  nationaux. 

frages  lors  du  premier  vote  émis  par  le  Sacré  Collège,  peu  après  l'ouverture 
du  conclave  qui  s'assembla  à  la  mort  de  Grégoire  XVI,  mais  il  ne  put  obtenir 
ensuite  la  majorité  nécessaire  pour  être  élu.  Membre  de  la  Consulta  d'£tat  en 
1847,  il  accompagna  Pie  IX  à  Gaëte  en  1849. 


52  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Jusqu'à  nouvel  ordre,  je  me  bornerai  à  surveiller  l'exacte  exécution 
,  de  ce  gui  m'a  été  promis  et  je  tiendrai  Votre  Excellence  au  courant 
des  divers  incidents  qui  pourront  survenir  dans  la  suite  de  cette  mal- 
heureuse affaire.  Elle  peut  compter  que  je  ne  négligerai  aucun  moyen 
de  la  faire  tourner  à  bien,  mais  j'en  conserve  peu  l'espoir.  Je  ferai  du 
moins  en  sorte  d'adoucir,  autant  qu'il  me  sera  possible  dans  la  forme, 
ce  qu'elle  a  de  blessant  et  de  cruel  dans  le  fond. 
Veuillez  agréer,  etc.,  etc. 

Traduction  de  l'office  adressé  par  le  cardinal-secrétaire  d'État 
de  Sa  Sainteté  au  chargé  d'affaii-es  de  France.  (Annexé  à  la 
dépêche  n°  3.) 

Monsieur  le  Comte, 

Aussitôt  après  avoir  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'adresser  le  19  de  ce  mois,  je  me  suis  empressé  d'en  porter  le  con- 
tenu à  la  connaissance  du  Saint-Père  et  de  prendre  ses  ordres  relati- 
vement à  la  réponse  qu'il  m'appartient  de  vous  faire. 

Sa  Sainteté,  qui  avait  déjà  reçu  une  relation  fidèle  de  l'événement 
en  question,  s'est  aperçue  facilement  que  les  faits  ne  vous  avaient. pas 
été  exactement  rapportés  et  qu'on  avait  cherché  à  surprendre  votre 
religion  en  exagérant  notablement  certaines  circonstances. 

Toutefois,  voulant  procéder  avec  justice  et  avec  toute  la  maturité 
possible  dans  une  affaire  de  cette  nature,  affaire  véritablement  grave, 
et  en  considération  de  l'intérêt  que  vous  y  prenez.  Sa  Sainteté  n'a  pas 
hésité  à  ordonner  que  le  tribunal  compétent  en  fût  immédiatement 
saisi. 

Vous  pouvez  être  assuré  qu'aussitôt  que  l'examen  légal  de  l'affaire 
sera  terminé,  et  il  le  sera  sans  retard,  conformément  aux  ordres  déjà 
donnés,  le  Saint-Père  s'empressera  de  prendre  la  décision  qm  lui  sera 
suggérée  par  le  sentiment  de  ses  devoirs  sacrés. 

Ce  sera  à  moi  à  vous  informer,  et  je  le  ferai  dès  que  j'en  aurai  été 
informé  moi-même. 

Agréez,  etc.. 

Rome,  26  juin  1840. 

Signé  :  cardinal  Lambruschini. 

Rome,  7  juillet  1840'. 

...  Le  tribunal  du  Saint-Office  est  saisi  du  procès  relatif  au  baptême 
administré  à  Fiumicino  à  l'enfant  de  M.  Montel  et  par  suite  duquel  le 
gouvernement  pontifical  prétend  élever  cet  enfant  dans  la  religion 

1.  Rayneval  à  Thiers,  Rome,  7  juillet  1840.  Rome,  volume  982.  Direction 
politique,  n°  6,  fol.  107. 


UN   PRÉCÉDENT   DE    LAFFAIRE   MORTARA.  53 

catholique,  loin'  de  ses  parents.  La  sentence  doit  être  rendue  d'un 
moment  à  l'autre  et  le  Saint-Père  ne  tardera  pas  à  prononcer. 

J'ai  tojit  lieu  de  craindre  que  Sa  Sainteté,  par  conviction  person- 
nelle, ne  regarde  comme  un  devoir  de  conscience  de  rendre  une  déci- 
sion défavorable.  Mais  il  ne  sera  pris  aucune  mesure  sans  le  concours 
de  l'ambassade  du  Roi;  j'en  ai  sollicité  et,  reçu  de  nouvelles  assurances. 

M.  Montel  est  parti  pour  Malte.  Sa  femme  est  restée  seule  ici  avec 
l'enfant,  dont  j'ai  eu  soin  de  faire  constater  la  naissance  sur  les 
registres  de  l'état  civil. 

Veuillez  agréer,  etc.. 

Pendant  que  Rayneval  faisait  ces  démarches  à  Rome  et  tenait 
M.  Thiers  au  courant  des  péripéties  de  cette  affaire  qui,  transpor- 
tée sur  le  terrain  purement  canonique  et  déférée  au  tribunal  du 
Saint-Offîce,  devait  fatalement  se  terminer  par  une  sentence  con- 
cluant à  la  validité  du  baptême  et  à  l'approbation  des  mesures  pro- 
posées par  le  gouvernement  pontifical,  le  Département  avait  prêté 
à  cette  affaire  toute  l'attention  qui  lui  était  due  et  faisait  tenir  le 
8  juillet,  à  Rayneval,  des  instructions  nettes  et  précises  par  lesquelles 
il  approuvait,  du  reste  sans  la  moindre  réserve,  la  conduite  tenue  par 
notre  chargé  d'affaires  depuis  le  moment  où  il  avait  reçu  la  première 
communication  du  Saint-Siège. 

N»  33,  fol.  108. 

Paris,  8  juillet  1840. 
Département  au  comte  de  Rayneval, 

L'office,  dont  vous  m'entretenez  dans  votre  dépêche  n°  3,  est  très 
grave  et  la  conduite  tenue  par  le  Saint-Siège  envers  le  sieur  Montel 
ne  blesse  pas  moins  les  principes  du  droit  international  que  ceux  de 
la  liberté  de  conscience.  En  efîet,  parce  qu'une  femme  de  Fiumicino 
a  baptisé,  dit-on,  à  l'insu  du  sieur  Montel  et  de  sa  femme,  l'enfant 
dont  celle-ci  venait  d'accoucher,  le  gouvernement  pontifical  fait  enle- 
ver de  force  cet  enfant  à  ses  parents  pour  ne  pas  laisser  une  fille  chré- 
tienne au  sein  d'une  famille  juive.  On  saisit  de  cette  afïaire  le  tribunal 
du  Saint-Olïice  et  le  sort  en  est  subordonné  à  la  décision  qu'il  rendra, 
c'est-à-dire  que  l'enfant,  qu'on  arrache  ainsi  à  la  tendresse  de  ses 
parents,  ne  leur  sera  pas  rendu  s'il  est  reconnu  que  le  baptême  a  été 
régulièrement  administré.  Et  lorsque  vous  réclamez  contre  cet  acte 
darbitraire  et  d'intolérance,  on  allègue  des  lois  canoniques;  on  vous 
répond  qu'il  y  a  là  pour  le  pape  un  cas  de  conscience.  Que  tel  soit 
effectivement  aux  yeux  du  Saint-Siège  le  côté  dogmatique  et  théolo- 
gique de  la  question,  c'est  ce  dont  je  n'ai  pas  à  m'occuper.  Je  ne  veux 
même  pas  en  appeler  aux  lois  inviolables  de  la  nature  et  de  l'équité, 
aux  droits  sacrés  d'homme  et  de  père  si  cruellement  méconnus  envers 


54  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

le  sieur  Montel.  Je  me  borne  à  envisager  la  question  sous  le  point  de 
vue  du  droit  des  gens  et  de  la  nationalité.  Car  c'est  là  la  principale, 
pour  ne  pas  dire  l'unique  à  mes  yeux.  Sous  ce  rapport,  le  sieur  Mon- 
tel n'est  pas,  à  proprement  parler,  un  Juif  pour  nous,  mais  un  citoyen 
français  qui  doit  être  traité  dans  les  États  romains  à  l'égal  de  tous  ses 
compatriotes  et  au  préjudice  duquel  nous  ne  saurions  admettre  d'ex- 
ception basée  sur  une  difïérence  de  culte.  J'ajoute  que,  dans  les  rela- 
tions ordinaires  de  droit  international,  le  chef  spirituel  de  l'Eglise 
disparaît  devant  le  souverain  temporel  et  que  prétendre  apprécier  en 
casuiste  des  questions  qui  appartiennent  uniquement  à  la  sphère  pra- 
tique de  ces  rapports,  ce  serait  risquer  d'y  apporter  la  confusion  et  de 
les  compliquer  d'une  manière  très  grave. 

Dès  lors,  nous  ne  pouvons  point  accepter  comme  bonnes  et  valables 
les  explications  qui  vous  ont  été  données  par  le  cardinal-secrétaire 
d'État.  Au  surplus,  voici  la  marche  que  vous  devrez  suivre  : 

Vous  devez  faire  venir  le  sieur  Montel  à  l'ambassade.  Dites-lui  que 
la  meilleure  manière  de  lui  faire  rendre  son  enfant  est  d'obtenir  que 
celui-ci  soit  envoyé  en  France.  Entendez-vous  avec  lui  sur  ce  point. 
Le  sieur  Montel  n'aura  sans  doute  pas  de  peine  à  trouver  les  moyens 
de  faire  arriver  sûrement  sa  fille  à  Nîmes.  Puis,  après  vous  être  mis 
d'accord  avec  lui ,  adressez-vous  au  gouvernement  pontifical  pour 
demander  péremptoirement  que  l'enfant  soit  envoyé  en  France  et 
insistez  pour  que  l'ordre  en  soit  donné  sans  délai. 

La  prudence  fait  évidemment  au  Saint-Siège  une  loi  de  terminer  au 
plus  vite  cette  affaire,  car  il  ne  saurait  gagner  à  ce  que  la  publicité 
s'en  emparât.  Dans  ce  dernier  cas,  on  voudrait  peut-être  attribuer  sa 
conduite  à  un  esprit  peu  généreux  de  réaction  contre  les  Juifs,  au 
moment  où  le  déplorable  événement  de  Damas'  les  met,  pour  ainsi 
dire,  au  ban  de  la  chrétienté. 

Enfin,  le  gouvernement  du  roi  verrait  avec  d'autant  plus  de  peine 
la  cour  de  Rome  persister  à  ne  pas  accueillir  ses  réclamations  qu'il 
lui  serait  impossible  de  les  abandonner  et  qu'il  a  sincèrement  à  cœur, 
vous  le  savez,  d'éviter  tout  ce  qui  pourrait  créer  des  difficultés  et  sou- 
lever des  orages  entre  les  deux  gouvernements. 

Post-scriptum.  —  Je  reviens  sur  l'affaire  qui  concerne  le  sieur 
Montel,  afin  de  bien  vous  faire  comprendre  le  point  de  vue  sous  lequel 
nous  l'envisageons.  Je  conçois  jusqu'à  un  certain  point  et,  sans  vou- 
loir affaiblir  le  principe  qui  est  énoncé  dans  la  présente  dépêche,  je 
conçois  que  le  Saint-Siège  se  croie  autorisé  par  la  loi  canonique  à 
refuser  de  rendre  l'enfant  du  sieur  Montel  à  son  père,  tant  que  l'un  et 
l'autre  se  trouvent  sur  le  territoire  pontifical;  mais  ce  que  je  ne  sau- 

1.  Il  s'agit  là  d'une  affaire  qui,  comme  le  montrent  les  emprunts  aux  dépêches 
du  comte  de  Sambuy,  ministre  de  Sardaigne  à  Vienne,  que  l'on  trouvera  plus 
loin  à  l'appendice,  fit  grand  bruit  dans  le  monde,  d'un  prétçndu  crime  rituel 
commis  par  les  Juifs  accusés  d'avoir  assassiné  à  Damas  un  missionnaire  capu- 
cin, le  Père  Thomas. 


UN   PRÉCÉDENT   DE   l'AFFAIRE  MORTARA.  55 

rais  admettre,  c'est  qu'on  voulût  retenir  cet  enfant  lorsque  nous 
demandons  qu'il  soit,  à  titre  de  Français,  envoyé  en  France.  Tel  est 
le  terrain  sur  lequel  vous  devez  placer  la  question  et  la  soutenir  vis- 
à-vis  du  gouvernement  romain. 

Pendant  que  le  Département  expédiait  ses  instructions  à  Rayneval, 
le  gouvernement  pontifical  avait  eu  le  temps  d'examiner  la  question 
sous  toutes  ses  faces.  Cédant  aux  sages  conseils  de  Mgr  Capac- 
cini,  le  cardinal  Lambruschini  avait  reconnu  la.  nécessité  de 
faire  droit  aux  réclamations  du  gouvernement  français  et  proposé  à 
notre  chargé  d'affaires  une  solution  qui  lui  donnait  satisfaction, 
tout  en  ménageant  jusqu'à  un  certain  point  le  prestige  du  Saint- 
Siège,  soucieux  avant  tout  de  ne  pas  créer  de  précédent  qu'on  pût, 
plus  tard,  invoquer  contre  lui. 

Rome,  17  juillet  1840<. 
Monsieur  le  Ministre, 

Le  tribunal  du  Saint-Office  a  déclaré  valide  le  baptême  administré 
à  l'enfant  du  sieur  Montel,  et  je  désespérais  d'amener  le  gouvernement 
pontifical  à  abandonner  l'idée  d'enlever  cet  enfant  à  ses  parents  et  de 
l'élever  loin  d'eux  quand,  redoublant  d'efforts  et  puissamment  secondé 
par  Mgr  Capaccini,  qui  s'était  laissé  depuis  longtemps  convaincre  des 
conséquences  funestes,  non  seulement  au  point  de  vue  politique,  mais 
aussi  au  point  de  vue  religieux,  que  ne  pouvait  manquer  d'entraîner 
une  pareille  mesure,  nous  sommes  parvenus  aujourd'hui  seulement  à 
terminer,  non  sans  peine,  cette  fâcheuse  affaire,  et  voici  comment  : 

Le  cardinal-secrétaire  d'État,  en  me  donnant  les  détails  de  la  pro- 
cédure suivie  devant  le  Saint-Office  et  m'annonçant  la  décision  par  lui 
rendue,  m'informera  que  le  Saint-Père,  ne  pouvant  en  conscience  • 
restituer  à  ses  parents  infidèles  un  enfant  devenu  chrétien,  mais  d'un 
autre  côté,  comprenant  toute  la  valeur  des  réclamations  dont  j'étais 
l'organe  et  voulant  donner  au  gouvernement  du  Roi  une  preuve  de  sa 
confiance,  mettra  cet  enfant  à  ma  disposition  en  émettant  le  vœu  qu'il 
soit  élevé  dans  la  religion  catholique,  déchargeant  ainsi  sa  conscience 
sur  la  mienne  et  celle  de  mon  gouvernement.  A  cela  je  répondrai  que 
mon  gouvernement  prendra  sans  doute  soin  qu'il  en  soit  ainsi  et  je 
serai  libre  d'envoyer  la  mère  et  l'enfant  où  bon  me  semblera. 

On  sait  ici  parfaitement,  et  j'ai  eu  plus  d'une  fois  occasion  de  le  répé- 
ter à  propos  de  cette  même  affaire,  que  le  gouvernement  du  Roi  n'a 
nullement  le  pouvoir  d'engager  un  Français,  encore  moins  de  le  forcer, 
à  élever  son  enfant  dans  une  croyance  difîérente  de  la  sienne.  L'assu- 
rance qui  m'était  demandée  était  donc  purement  de  forme  et  il  était 
évident  que  le  Saint-Siège  cherchait  à  mettre  sa  conscience  à  l'abri 

1.  Hayneval  à  Thiers,  Rome,  17  juillet  1840.  Rome,  volume  982.  Direction 
politique,  n"  8,  fol.  113. 


56  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

derrière  des  mots.  J'ai  donc  consenti  à  répondre  comme  on  me  le 
demandait.  On  aurait  voulu  que  je  prisse  à  cet  égard  les  ordres  de 
Votre  Excellence.  Dans  ce  cas,  l'assurance  demandée,  quelque  vague 
qu'elle  soit,  aurait  été  refusée  ou  aurait  pris  une  valeur  qu'elle  ne 
pouvait  avoir,  venant  de  moi.  Dans  la  première  hypothèse,  j'ai  pu 
m'apercevoir  qu'on  aurait  poussé  la  résistance  très  loin  ;  dans  l'autre, 
fort  improbable,  la  responsabilité  du  gouvernement  du  Roi  aurait  été 
positivement  engagée.  J'ai  cru  de  mon  devoir,  pour  éviter  l'un  et  l'autre 
inconvénient,  de  faire  en  sorte  que  ma  réponse  suffît.  Je  crois  que 
cette  solution,  vu  les  idées  qu'on  s'était  fait  ici  d'une  obligation  abso- 
lue pour  le  Saint-Siège  d'assurer  à  l'enfant  une  éducation  catholique, 
est  la  plus  favorable  qu'on  pût  raisonnablement  espérer,  et  je  désire 
ardemment  qu'elle  obtienne  l'approbation  de  Votre  Excellence. 
Veuillez  agréer,  etc.. 

Dix  jours  plus  tard,  grâce  à  l'habileté,  mais  surtout  au  tact  de 
M.  Rayneval,  Tincident  était  clos,  sans  bruit,  et  à  l'entière  satisfac- 
tion des  deux  gouvernements. 

Rome,  27  juillet  1840*. 
Monsieur  le  Ministre, 

A  la  suite  d'un  échange  de  lettres  conçues  dans  le  sens  que  j'ai  indi- 
qué dans  ma  dépêche  n"  8,  le  gouvernement  pontifical  a  mis  à  ma  dis- 
position l'enfant  du  sieur  Montel  que  j'ai  immédiatement  rendu  à  sa 
mère.  Il  est  bien  entendu  qu'il  n'y  avait  point  eu  séparation  et  que 
tout  cela  n'a  été  que  de  forme.  Ils  s'embarqueront  le  24  pour  Malte. 

Je  joins  ici  copie  des  pièces  relatives  à  cette  restitution. 

Le  cardinal  Lambruschini,  comme  de  raison,  est  allé  plus  loin  dans 
ses  écritures  que  dans  ses  paroles,  et  ce  n'est  pas  sans  de  grandes  dis- 
putes de  mots,  de  part  et  d'autre,  que  la  rédaction  définitive  de  ces 
pièces  a  été  arrêtée.  On  me  demandait  beaucoup  plus  que  je  ne  pou- 
vais donner;  mais  j'ai  eu  soin  que  l'assurance  réclamée  de  moi  ne  fût 
exprimée  que  dans  la  forme  d'opinion  personnelle.  Comme  il  ne  s'agis- 
sait que  de  mots,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  et  qu'on  ne  pouvait  rai- 
sonnablement espérer  rien  obtenir  de  mieux,  on  s'est  contenté  de  mes 
paroles,  et  elles  ont  suffi  à  la  conscience  du  Saint-Père  pour  se  décla- 
rer complètement  tranquillisé. 

Tout  était  donc  terminé  quand  m'est  parvenue  la  dépêche  que  Votre 
Excellence  m'a  fait  l'honneur  de  m'adresser  à  ce  sujet.  Il  n'était  plus 
temps  de  me  conformer  à  ses  instructions,  et  d'ailleurs  le  départ  de 
M.  Montel  pour  Malte,  dès  le  23  juin,  avant  même  que  j'eusse  reçu 
aucune  réponse  du  gouvernement  pontifical,  et  dans  le  moment  le  plus 
critique  pour  sa  femme  et  son  enfant,  en  avait  rendu  depuis  longtemps 
la  stricte  exécution  impossible.  Je  suis  convaincu  d'ailleurs  que  nous 

1.  Rayneval  à  Thiers,  Rome,  27  juillet  1840.  Rome,  volume  982.  Direction 
politique,  u"  10,  fol.  127-129. 


UN    PBÉCÉDEIVT   DE    l'aFFAIRE    MORTARA.  57 

n'aurions  jamais  obtenu  la  remise  directe  de  l'enfant  à  ses  parents', 
et,  l'aurions-nous  obtenue,  ce  n'eût  été  certainement  qu'en  froissant 
de  la  manière  la  plus  vive  les  convictions  du  Saint-Père  et  en  laissant 
chez  lui  un  sentiment  de  dignité  blessée  qui  eût  entièrement  modifié 
sa  manière  de  penser  et  d'agir  à  notre  égard. 

Je  m'étais  proposé,  dans  cette  affaire,  d'atteindre  un  double  but  :  de 
rendre  l'enfant  à  ses  parents  et  d'éviter  que  les  rapports  des  deux  gou- 
vernements ne  reçussent  aucune  altération  sérieuse.  Dès  qu'il  a  été 
démontré  qu'on  ne  céderait  pas  sur  la  restitution  directe,  j'ai  demandé 
qu'on  mît  purement  et  simplement  l'enfant  à  ma  disposition  en  lais- 
sant à  mon  gouvernement  le  soin  de  décider  ce  qu'il  y  aurait  à  faire. 

Cette  idée  a  d'abord  été  repoussée  avec  force  :  «  Votre  gouverne- 
ment »,  me  disait-on,  «  n'a  aucun  pouvoir  pour  conserver  à  cet  enfant 
le  bénéfice  du  baptême.  Il  est  soumis  à  l'empire  de  lois  qui  lui  inter- 
.  disent  absolument  de  se  mêler  en  quoi  que  ce  soit  des  croyances  reli- 
gieuses de  ses  sujets.  Autant  vaudrait  le  remettre  à  ses  parents  eux- 
mêmes.  » 

Ce  parti  était  cependant  le  meilleur.  On  y  est  revenu  plus  tard  en 
demandant,  malgré  ce  qui  avait  été  dit,  l'assurance  que  cet  enfant 
serait  élevé  dans  la  religion  catholique.  «  Comment  demander  à  mon 
gouvernement  ce  que  vous-même  savez  qu'il  ne  pourra  tenir,  ni  par 
conséquent  promettre  »,  répondis-je? 

On  me  disait  à  cela  qu'un  gouvernement  avait  beaucoup  de  moyens 
d'influence  et  d'action,  que  l'argent,  par  exemple,  était  tout-puissant 
auprès  des  Juifs  et  qu'on  n'aurait  plus  tard  qu'à  en  offrir  à  la  famille 
Montel  pour  qu'elle  consentît  à  tout  ce  qu'on  voudrait.  On  reconnut 
cependant  la  force  de  mes  raisonnements  et  ce  fut  alors  qu'on  me 
demanda  de  prendre  sur  moi  de  prononcer  quelques  paroles  dans  le 
sens  que  je  viens  d'indiquer. 

Je  résistai  d'abord,  mais  il  devint  bientôt  évident  pour  moi  qu'on 
n'irait  pas  plus  loin  et,  pour  éviter  des  complications  fâcheuses,  des 
difficultés  graves,  conséquence  certaine  d'un  refus  de  ma  part,  pour 
éviter  surtout  un  refroidissement  inévitable  entre  les  deux  cours,  si 
cette  affaire  venait  à  être  traitée  directement  de  l'une  à  l'autre,  sachant 
inen  que  le  gouvernement  du  Roi  ne  pourrait  faire  aucune  concession 
(lu  genre  de  celle  que  le  Saint-Siège  regardait  comme  indispensable, 
faisant  d'ailleurs  la  part  des  scrupules  religieux  du  Saint-Père  (et  un 
passage  de  la  dépêche  de  Votre  Excellence  m'y  eût  autorisé  jusqu'à 
un  certain  point),  j'ai  cédé.  J'espère  que  Votre  Excellence  voudra  bien 
approuver  les  motifs  qui  m'ont  fait  agir  de  la  sorte. 

Les  raisons  de  droit,  les  raisons  de  politique,  que  je  faisais  valoir 
près  du  cardinal-secrétaire  d'État  et  qui  toutes  étaient  conformes  à 
celles  que  veut  bien  me  donner  Votre  Excellence,  étaient  reconnues 

1.  En  marge,  la  note  au  crayon  du  Département  :  «  Ce  n'est  pas  non  plus  ce 
qu'on  demandait,  mais  l'envoi  de  l'enfant  en  France.  » 


58  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

parfaitement  justes,  mais  on  n'admettait  pas  qu'elles  pussent  entrer 
dans  la  balance. 

«  De  la  part  de  tout  autre  gouvernement  »,  me  disait-on,  «  un  pareil 
•  enlèvement  serait  certainement  l'abus  le  plus  intolérable  et  ne  saurait 
être  souffert;  mais  c'est  du  Père  comrnun  des  fidèles  dont  il  est  ques- 
tion ici.  C'est  sa  conscience  qui  parle  et  il  n'y  a  pas  de  force  humaine 
qui  puisse  le  faire  transiger  avec  elle.  » 

Quand  je  parlais  de  l'obligation  où  était  le  gouvernement  d'obtenir 
satisfaction  d'un  acte  qu'il  ne  pouvait  considérer  que  comme  la  viola- 
tion la  plus  flagrante  des  droits  les  plus  sacrés  d'un  citoyen  français, 
et  quand  j'indiquais  dans  un  entretien  tout  confidentiel  jusqu'où  il 
avait  été  forcé  d'aller  pour  protéger  des  intérêts  bien  moindres,  on  me 
répondait,  poussant  immédiatement  les  choses  à  l'extrême  :  «  Vous 
vous  appuieriez  de  tout  ce  que  vous  avez  de  canons  et  vous  enverriez 
sur  nos  côtes  toutes  vos  flottes  que  ce  ne  serait  qu'une  raison  de  plus 
pour  nous  de  nous  montrer  inébranlables.  » 

Traitant  alors  la  question  au  point  de  vue  religieux,  je  montrai 
combien  cette  mesure,  devenue  politique,  nuirait  à  la  cause  catho- 
lique, combien  de  questions  elle  soulèverait,  combien  elle  réveillerait 
de  haines,  et  j'indiquai  que  le  Pape  n'avait  une  si  haute  position  dans 
l'Eglise  que  pour  être  à  même,  dans  certains  cas,  de  sacrifier  un  inté- 
rêt moindre  à  un  intérêt  majeur. 

A  cela,  on  m'a  d'abord  répondu  qu'il  n'y  avait  pas  d'intérêt,  quelque 
majeur  qu'il  fût,  qui  pût  autoriser  de  manquer  à  sa  conscience  et  de 
commettre  le  plus  patit  péché.  A  la  fin,  cependant,  c'est  de  cet  argu- 
ment que  j'ai  retiré  le  plus  de  fruits. 

Je  dois  dire  ici  que  les  personnes  du  pays  et  le  connaissant  bien,  à 
qui  j'ai  parlé  de  cette  affaire,  se  sont  montrées  fort  étonnées  que  le 
Saint-Siège  l'eût  ainsi  terminée,  et  il  ne  doit  pas  manquer  de  gens  qui 
l'en  blâment. 

Je  crois  que,  dès  le  début,  le  cardinal  Lambruschini  s'était  proposé 
de  la  terminer  tout  différemment,  et  je  ne  serais  pas  surpris  qu'il  en 
eût  fait  une  affaire  personnelle.  Du  moins  a-t-il  fallu  pour  le  faire 
changer  d'avis  que  je  fusse  appuyé^de  toute  la  persuasion,  de  toute 
l'influence  de  Mgr  Capaccini,  et  même  n'est-ce  qu'après  huit  à  dix 
entretiens  des  plus  longs  et  des  plus  animés  entre  eux,  sans  compter 
les  miens,  que  le  cardinal  a  commencé  à  fléchir.  Il  avait  par-devers 
lui  un  précédent  dont  il  voulait,  je  suppose,  renouveler  l'exemple... 
Etant  archevêque  de  Gênes,  il  arriva  qu'un  enfant  juif,  de  douze  à 
treize  ans,  fut  envoyé  par  ses  parents  chez  un  marchand  d'huile,  qui, 
lui  ayant  demandé  s'il  deviendrait  volontiers  chrétien  et,  sur  sa  réponse 
affirmative,  prit  de  l'eau  et  la  lui  versa  sur  la  tète  en  prononçant  les 
paroles  sacramentelles  du  baptême.  L'autorité  ecclésiastique,  avertie, 
fit  enlever  l'enfant  de  chez  ses  parents  qui  se  plaignirent  hautement. 
Le  roi,  qui  se  trouvait  à  Gênes,  réclama  lui-même  près  du  cardinal. 
Celui-ci  se  montra  inexorable.  Seulement  il  y  eut  enquête  et  jugement 


UN   PRECEDENT   DE   L  AFFAIRE  MOHTARA.  59 

du  Saint-Office  à  Rome.  Le  baptême  fut  déclaré  valable.  On  mit  le 
marchand  au  cachot,  mais  l'enfant  ne  fut  pas  rendu  à  sa  famille  et  fut 
élevé  loin  d'elle. 

J'ai  pu  remarquer,  à  propos  de  cette  alïaire,  que  la  haine  et  le  mépris 
pour  la  race  juive,  même  de  la  part  des  esprits  les  plus  éclairés,  exis- 
taient encore  ici  dans  toute  leur  force. 

Je  demande  pardon  à  Votre  Excellence  de  la  longueur  de  cette 
lettre;  mais  j'ai  cru  que  les  explications  dans  lesquelles  je  suis  entré 
ne  seraient  pas  dénuées  d'intérêt.  J'avais  d'ailleurs  à  montrer,  pour, 
expliquer  le  parti  auquel  je  me  suis  arrêté,  quels  efïorts  j'ai  faits, 
quels  obstacles  j'ai  eu  à  vaincre  et  quel  but  je  m'étais  proposé. 

Veuillez  agréer.  Monsieur  le  Ministre,  l'hommage  de  ma  très  haute 
considération. 

Rayneval. 

A  cette  dépêche  étaient  jointes  trois  annexes,  deux  notes  du  car- 
dinal-secrétaire informant  notre  chargé  d'affaires  de  la  résolution  à 
laquelle  le  Saint-Père  avait  cru  devoir  s'arrêter  et  de  la  mesure 
gracieuse  que  le  pape  soumettait  à  l'acceptation  du  gouvernement 
français.  J'aurais  assurément  pu  me  contenter  de  l'analyse  si  claire 
et  si  précise  qu'en  fait  M.  de  Rayneval  ;  mais  l'affaire  dont  il  s'agit 
ici  est  si  grave  et  surtout  si  délicate  qu'il  m'a  semblé  préférable  de 
reproduire  ici  ces  trois  pièces  qui  permettent  de  se  rendre  un 
compte  exact  et  de  la  procédure  suivie  à  Rome  et  des  scrupules  qui 
dictèrent  au  Souverain  Pontife  le  (^^ terme  moyen  »  qui,  en  donnant 
satisfaction  au  cabinet  des  Tuileries*,  permit  au  Saint-Siège  de  sau- 
ver les  apparences  et  de  terminer  à  l'amiable  une  affaire  qui,  si  elle 
était  venue  à  s'ébruiter,  n'aurait  pas  manqué  d'avoir  pour  lui  des 
conséquences  désagréables  qu'il  avait  intérêt  à  éviter. 

Traduction. 

Palais  du  Quirinal,  18  juillet  1840. 
A  Monsieur  le  chargé  d'affaires  de  S.  M.  le  roi  des  Français. 

Le  cardinal-secrétaire  d'État  s'est  fait  un  devoir  de  vous  informer 
que,  d'après  les  ordres  de  Sa  Sainteté,  la  Suprême  Inquisition  exami- 
nerait soigneusement  l'affaire  concernant  le  baptême  administré  par 
Flavie  Simouetti  à  une  fille  nouvellement  née  des  époux  juifs  Daniel 
Montel,  natif  de  Nîmes,  et  Miette  Crémieux,  de  nation  française,  pour 
que  l'an  adoptât  ensuite  les  mesures  convenables. 

Le  Saint-Office,  après  avoir  pris  les  renseignements  nécessaires 
pour  bien  connaître  les  circonstances  du  fait,  a  prononcé  son  juge- 
ment que  le  baptême  subsistait  et  était  valide.  Il  ne  sera  pas  hors 
de  propos  que  je  vous  fasse  le  récit  de  ce  qui  s'est  passé  pour  votre 


60  MÉLANGES  ET   DOCOMENTS. 

information  et  pour  que  vous  en  fassiez  l'usage  que  vous  croirez  le 
plus  convenable. 

Le  17  du  mois  de  juin  dernier  naquit  à  Fiumicino,  dans  l'hôtellerie 
de  Martignoni,  une  fille  qui  fut  baptisée  par  Flavie  Simonetti,  femme 
de  chambre  dans  cette  hôtellerie,  dans  la  persuasion  que  l'enfant  était 
en  danger  de  mort. 

L'autorité  ecclésiastique,  informée  de  cette  circonstance,  observant 
les  prescriptions  canoniques  et  l'usage  suivi  en  pareil  cas,  ordonna 
que  l'enfant  nouveau-né  fût  transporté  à  la  maison  pieuse  des  Caté- 
chumènes. Les  personnes  envoyées  pour  cet  objet  à  l'hôtellerie,  sur  la 
route  de  Chiavari,  où  logeaient  lesdits  époux  juifs,  éprouvèrent  de  la 
part  de  ceux-ci  une  opposition  à  la  remise  de  l'enfant.  Ils  nièrent 
constamment  que  leur  fille  eût  été  baptisée  à  Fiumicino.  On  jugea 
prudent  de  s'abstenir  de  toute  voie  de  fait  jusqu'à  ce  que  la  chose  eût 
été  éclaircie.  On  laissa  toutefois  deux  carabiniers  de  planton,  afin  que 
pendant  l'examen  l'enfant,  objet  de  la  contestation,  ne  fût  pas  enlevé. 

L'examen  ayant  été  terminé,  on  a  dû  reconnaître  avec  toute  la  cer- 
titude la  validité  du  baptême,  tant  pour  le  fait  que  pour  la  forme  dont 
il  avait  été  administré.  En  effet,  la  jeune  fille  dont 'il  s'agit  est  chré- 
tienne catholique,  et  c'est  à  cause  de  cela  que  le  Saint-Père  ne  peut 
permettre  que  l'on  confie  son  éducation  à  ses  parents,  puisqu'il  se  ren- 
drait responsable  devant  Dieu  de  la  perte  de  cette  âme.  D'un  autre 
côté,  le  Saint-Père  est  obligé  de  pourvoir  par  un  plus  sûr  moyen  à 
l'éducation  de  cette  jeune  fille  dans  le  sein  de  l'Église  où  il  a  plu  à  la 
divine  Providence  de  la  placer.  La  maison  pieuse  des  Catéchumènes 
remplirait  très  bien  cet  objet;  mais,  comme  il  s'agit  de  sujets  du  roi 
des  Français,  le  Saint-Père  désire  employer  les  plus  grands  égards  et 
Sa  Sainteté,  voulant  témoigner  à  Sa  Majesté  et  au  Ministère  royal  sa 
pleine  confiance  dans  la  loyauté  du  gouvernement  français.  Elle  est 
disposée  à  faire  remettre  cette  jeune  fille,  aujourd'hui  baptisée,  à  Votre 
Seigneurie,  pourvu  qu'au  nom  de  votre  gouvernement  vous  assuriez 
au  Saint-Siège  que  ledit  gouvernement  s'engage  à  la  faire  élever  dans 
la  religion  catholique. 

L'afïaire  est  d'une  si  grande  importance  pour  la  conscience  du  Saint- 
Père  que,  sans  cette  condition,  il  ne  pourrait  consentir  à  la  remise  de 
cet  enfant. 

C'est  pourquoi  Sa  Sainteté  ne  procédera  à  cet  acte  qu'en  en  rendant 
responsable  devant  Dieu  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  Très  Chré- 
tienne, dont  la  religion  ne  permet  pas  de  douter  qu'il  répondra  comme 
on  s'attend  à  cette  nouvelle  preuve  de  haute  estime,  de  déférence  et 
de  confiance  que  le  Saint-Siège  se  plaît  à  lui  donner. 

Dans  l'attente  de  votre  agréable  réponse,  le  soussigné  a  l'honneur 
d'être,  etc.,  etc. 

Signé  :  le  cardinal  Lambruschini'. 

1.  Rome,  volume  982.  Traduction,  fol.  118. 


UN   PRÉCÉDENT   DE   l'AFFAIRE   MORTARA.  61 

Vingt-quatre  heures  après  la  remise  de  cette  note,  Rayneval, 
comme  il  l'exposait  tout  au  long  dans  sa  dépêche  du  27  juillet,  avait 
pris  sur  lui  de  répondre  au  cardinal,  sans  en  avoir  naturellement 
référé  dans  l'intervalle  à  son  gouvernement. 

Copie.  Rome,  21  juillet  1840*. 

Monsieur  le  Cardinal, 
J'ai  reçu  hier  l'office  que  Votre  Éminence  m'a  fait  l'honneur  de 
m'adresser  pour  m'informer  que  le  tribunal  du  Saint-Office  avait  été- 
saisi  de  la  question  de  savoir  si  le  baptême  administré  par  une  femme 
de  Fiumicino  à  l'enfant  du  sieur  Montel  était  valide  ou  non  ;  que  ce 
tribunal  s'était  prononcé  pour  l'affirmative  et  qu'en  conséquence  la 
conscience  du  Saint-Père  ne  lui  permettait  pas  de  rendre  cet  enfant  à 
ses  parents,  desquels  on  pouvait  attendre  qu'ils  lui  feraient  perdre  le 
bénéfice  du  sacrement  qu'il  a  reçu;  mais  que,  considérant  que  cet 
enfant  était  Français  et  voulant  donner  au  gouvernement  du  Roi  une 
preuve  de  sa  confiance,  Sa  Sainteté  était  prête  à  le  mettre  à  ma  dis- 
position, pourvu  que  j'assurasse  à  Votre  Éminence,  au  nom  de  mon 
gouvernement,  qu'il  sera  élevé  dans  la  religion  catholique. 
•  Je  ne  doute  pas  que  le  gouvernement  du  Roi  ne  prenne  soin  qu'il  en 
soit  ainsi  et  je  suis  persuadé  qu'il  emploiera  à  cet  effet  tous  les 
moyens  possibles.  Je  me  rends  avec  plaisir  au  désir  de  Votre  Émi- 
nence en  lui  donnant  cette  assurance.  J'ose  espérer  qu'en  conséquence 
Elle  voudra  bien  donner  cours  aux  intentions  conciliantes  qu'Elle  m'a 
manifestées  et  dans  lesquelles  le  gouvernement  du  Roi  ne  saurait 
manquer  de  trouver  un  nouveau  témoignage  des  sentiments  de  Sa 
Sainteté. 

Agréez,  etc.,  etc.. 

A.  DE  Rayneval. 

La  réponse  de  notre  chargé  d'affaires  était  aussi  prudente  qu'habile 
et  moins  de  quarante-huit  heures  plus  tard  il  recevait  du  cardinal 
l'office  suivant  qui  terminait  cette  délicate  affaire  à  son  entière  satis- 
faction : 

Palais  du  Quirinal,  23  juillet  18402, 
A  Monsieur  le  chargé  d'affaires  de  Sa  Majesté  le  roi  des 
Français. 

D'après  l'assurance  que  Votre  Excellence  m'a  donnée  dans  sa  note 
d'aujourd'hui  au  sujet  de  l'éducation  catholique  à  donner  en  France  à 
la  jeune  fille  juive  dûment  baptisée  à  Fiumicino,  je  m'empresse  de 
vous  prévenir  que  je  transmets  en  même  temps  les  instructions  de 

1.  Rayneval  au  cardinal  Lambruschini.  Rome,  volume  982,  fol.  122. 

2.  Rome,  volume  982,  fol.  129. 


62  MELANGES  ET   DOCUMENTS. 

Sa  Sainteté  à  M.  le  cardinal-vicaire  pour  que,  par  l'entremise  de  son 
représentant,  il  s'entende  avec  vous  pour  la  remise  à  votre  respectable 
personne  de  la  jeune  fille  elle-même. 
Le  soussigné  a  l'honneur,  etc.,  etc.. 

Signé  :  cardinal  Lambruschini. 

Le  jeune  chargé  d'affaires  de  France  s'était  remarquablement  tiré 
d'une  affaire  délicate  que  la  moindre  maladresse  menaçait  d'aggra- 
ver, d'une  négociation  peu  aisée  à  conduire,  mais  dans  laquelle,  heu- 
reusement pour  lui,  il  avait  été,  comme  il  s'était  plu  à  le  recon- 
naître, puissamment  secondé  par  l'influence  et  l'esprit  libéral,  juste 
et  éclairé  de  Mgr  Capaccini.  Le  Département  lui  rendit  justice. 

«  J'ai  appris  »,  lit-on  dans  la  dépêche  en  date  de  Paris,  le  16  août 
1840  ^  «  avec  d'autant  plus  de  plaisir  la  manière  dont  s'est  terminée 
l'affaire  relative  à  l'enfant  du  sieur  Montel  que  le  terme  moyen  qui  a 
été  adopté  est  précisément  celui  que  j'avais  indiqué,  comme  vous  l'au- 
rez vu  en  recevant  ma  dépêche  du  8  juillet.  Le  Saint-Siège  a  très 
sagement  apprécié  les  motifs  qui  devaient  l'empêcher  de  prolonger  un 
démêlé  portant  sur  un  sujet  d'une  nature  si  grave  et  j'approuve  plei- 
nement la  ligne  de  conduite  que  vous  avez  suivie  dans  une  question 
qu'il  faut  se  féliciter  pour  le  gouvernement  pontifical  que  la  presse  ne 
s'en  soit  pas  emparée...  » 


APPENDICE. 


Le  Père  Tommaso  délia  Sardegna  (1777-1840).  né  à  Calangiano 
(province  de  Cagliari),  après  avoir  terminé  ses  études  de  pharmacie 
entra,  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  dans  l'ordre  des  Frères  mineurs  capu- 
cins. Aussitôt  après  avoir  été  ordonné  prêtre,  il  exprima  le  désir  de 
devenir  missionnaire  et  fut  désigné  par  la  congrégation  de  la  Pro- 
pagande pour  faire  partie  de  la  mission  de  Syrie  avec  le  Père  Fran- 
çois de  Ploaghe  (auteur  d'une  biographie  à  laquelle  le  comte  Degli 
Alberti  a  emprunté  ces  quelques  notes)  et  le  Père  Bonaventure  de 
Sassari.  Parti  de  Livourne  le  15  janvier  1807,  il  arriva  à  Damas  le 
14  avril  suivant.  Il  y  exerça  avec  autant  de  zèle  que  d'abnégation 
son  ministère  et  ne  tarda  pas  à  acquérir  les  sympathies  des  infidèles 
et  même  des  Juifs,  auprès  desquels  il  jouissait  d'un  prestige  tout 
particulier  en  raison  des  soins  qu'il  donnait  aux  malades.  Ce  fui 

1.  Département  à  Rayneval.  Paris,  16  août  1840,  fol.  140.  Rome,  volume  982, 
n»  55. 


UN   PRÉCÉDENT   DE   l'aFFAIRE   MORTARA.  63 

ainsi  que,  dans  la  soirée  du  5  février  1840,  il  fut  appelé  chez  le  juif 
Daoud  Arari,  pour  y  vacciner,  à  ce  qu'on  assurait,  un  de  ses  enfants. 
Mais  alors  fut  accompli  un  horrible  forfait  auquel  on  s'empressa 
d'ailleurs  de  donner  les  apparences  d'un  meurtre  rituel  :  assailli  à 
l'improviste  par  plusieurs  individus,  le  P.  Tommaso  fut  réduit 
à  l'impuissance  et  égorgé;  son  sang  fut  recueilli,  dit-on,  pour  ser- 
vir aux  fêtes  de  Pâques.  Les  circonstances  mêmes  de  ce  meurtre 
ainsi  que  tous  les  détails, de  l'instruction  et  du  procès  sont  exposées 
tout  au  long  dans  un  curieux  petit  volume  publié  par  un  auteur  ano- 
nyme, compatriote  du  Père  Thomas  et  religieux  comme  lui,  sous 
le  titre  de  :  Aceldama,  ossia  Processo  célèbre  istruito  contro 
gli  ehrei  cli  Damasco  nelV  anno  18k0  in  seguito  al  doppio 
assassinio  rituale  da  loro  consumato  nella  persona  del  Padre 
Tommaso  délia  Sardegna,  m,issionario  cappucino  ed  in  quella 
del  suo  garzoncello  cristiano  Ebrahim  Amarah  alV  unico 
scopo  di  avère  il  loro  sangue,  avec  documents  et  appendice  his- 
torique (Cagliari  et  Sassari,  G.  Dessi,  1896).  A  ce  pamphlet  on  peut 
opposer  le  rapport,  de  tous  points  favorable  aux  Juifs,  qui  fut  envoyé 
par  le' Père  François  de  Sardaigne,  capucin,  missionnaire  aposto- 
lique à  Damas,  au  préfet  de  la  congrégation,  en  date  du  5  mars  1840. 
Ce  rapport  a  été  cité  par  M.  Isambert  à  la  séance  de  la  Chambre  des 
députés  du  4  juin  1840.  Ajoutons  quelques  extraits  de  la  correspon- 
dance diplomatique  du  comte  de  Sambuy  : 

Je  vous  suis  fort  reconnaissant,  écrivait-il  de  Vienne,  le  28  avril,  au 
comte  Solaro  délia  Margarita  (dépêche  n°  874),  de  ce  que  vous  avez  la 
bonté  de  m'apprendre  de  certain  sur  la  malheureuse  catastrophe  dont 
le  Père  Thomas  a  été  la  victime  à  Damas,  fait  sur  lequel  régnaient 
encore  beaucoup  de  doutes... 

Dans  sa  dépêche  n°  899,  20  mai  1840,  on  lit  : 

Monseigneur  le  nonce  apostolique  paraît  fort  scandalisé  de  la  pro- 
tection ouverte  que  l'Autriche  accorde  aux  Juifs  de  Damas,  de  la  con- 
duite des  consuls  autrichiens  à  cet  égard  et  qu'on  ait  publié. leurs 
dépêches... 

Enfin  le  4  juin,  dans  sa  dépèche  n°  908,  il  revient,  cette  fois  en 
détail,  sur  cette  affaire  : 

J'en  ai  causé  avec  le  prince  de  Metternich  qui  m'a  dit  à  cet  égard 
que  la  seule  chose  à  vérifier  sur  cela  c'étaient  les  faits,  savoir  si  véri- 
tablement les  Juifs  qu'on  en  accusait  étaient  coupables  du  meurtre 
du  Père  Thomas  et  qu'il  fallait  découvrir  la  vérité  à  ce  sujet. 

Qu'il  est  indubitable  que  le  consul  de  France  à  Damas,  Ratti  Men- 


64  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS.  , 

ton',  est  une  espèce  de  fou,  qui  s'est  déjà  fait  chasser  de  plusieurs 
endroits,  entre  autres  de  Tiflis  ;  qu'il  a  commis  un  excès  de  pouvoir 
en  arrêtant  un  sujet  autrichien;  que  sa  correspondance  avec  le  consul 
de  l'empereur  est  celle  d'un  "fou,  pleine  de  déraison,  d'insolence  et 
d'injures  grossières. 

Que,  quoi  qu'il  en  soit  du  fait,  M.  Laurin^  a  bien  fait  d'adresser  au 
pacha  d'Egypte  les  demandes  qu'il  lui  a  faites;  qu'elles  consistent  à 
le  prier  de  faire  cesser  les  tortures  qui  ne  sont  pas  un  bon  moyen  de 
parvenir  à  la  découverte  de  la  vérité  et  qui  ne  servent  à  rien,  et  d'en- 
voyer à  Damas  des  hommes  de  loi  pour  instruire  régulièrement  le 
procès. 

Que  le  seul  tort  de  M.  Laurin  a  été  de  communiquer  à  Rothschild 
à  Paris  la  correspondance  de  ses  subordonnés,  ce  qu'il  n'aurait  jamais 
dû  faire,  et  d'où  est  résulté  l'inconvénient  qu'on  l'a  publiée  dans  les 
journaux,  ce  qui  a  produit  plusieurs  autres  conséquences  fâcheuses. 
Là-dessus  Son  Altesse  a  eu  la  bonté  de  me  traduire  la  dépêche  alle- 
mande qu'Elle  a  adressée  le  21  mai  à  M.  Laurin  pour  lui  reprocher 
cette  faute,  l'en  blâmer  sévèrement  et  lui  ordonner  de  n'adresser  doré- 
navant ses  rapports  qu'à  son  seul  gouvernement  exclusivement. 

Quoique  le  comte  de  Maltzahn^  nous  ait  dit- qu'il  avait  bien  des 
soupçons  sur  le  compte  du  consul  autrichien  en  Egypte,  il  ne  me 
paraît  pas  que  le  gouvernement  impérial  croie  qu'il  ait  pu  être  cor- 
rompu. Quant  à  M.  MerlatO'*,  sa  partiaUté  pour  les  Juifs  est  telle  que, 
d'après  les  articles  de  la  Gazette  d'Augsbourg,  l'opinion  publique  le 
croyait  juif  lui-même,  et  il  a  fallu  une  note  de  ce  journal  pour  le  tirer 
d'erreur. 

L'idée  générale  sur  ce  malheureux  événement  est  que,  parmi  les 
Juifs,  il  existe  plusieurs  sectes,  une  desquelles  se  rend  en  efîet  cou- 
pable des  atrocités  qu'on  attribue  à  la  nation  entière.  Ce  qui  est  sûr, 
c'est  que  le  pacha  de  Damas  a  enfermé  séparément  trois  rabbins  avec 
■Je  Talmud,  leur  ordonnant  d'en  extraire  et  traduire  les  passages  rela- 
tifs à  leur  manière  de  traiter  les  chrétiens;  que  ces  trois  manières  se 
sont  trouvées  identiques  et  confirment  pleinement  l'opinion  que  l'on 
avait  que  le  Talmud  recommande  aux  Juifs  de  maltraiter  de  toutes 
manières  les  chrétiens  dans  leurs  avoirs  et  dans  leurs  personnes. 

Je  trouve  en  outre  dans  l'Écho  p^ançais  du  2  courant,  que  V Uni- 
vers a  publié  une  longue  lettre  du  21  avril  du  supérieur  des  Lazaristes 

1.  Ratti-Menton  (Benoît-Ulysse-Laurent-François  de  Paule,  comte  de),  élève 
vice-consul  (1822),  vice-consul  à  Arta  (1831),  à  Tiflis  (15  mai  1833),  consul  de 
deuxième  classe  sur  place  (20  août  1833),  à  Gibraltar  (1837),  consul  à  Damas 
(juillet' 1839),  à  Canton  (1842),  à  Calcutta  (1846),  consul  général,  chargé  d'af- 
faires à  Lima  (1849),  à  Gênes  (1853),  à  La  Havane  (1855),  admis  à  la  retraite 
(1862). 

2.  Antoine  Laurin,  consul  général  d'Autriche  à  Alexandrie. 

3.  Maltzahn  (Mortimer,  comte  de),  ministre  de  Prusse  à  Vienne. 

4.  G.  G.  Merlato,  vice-consul  provisoire  d'Autriche  à  Damas, 


UN   PRÉCÉDENT   DE   l'aFFÀIRE   MORT  ARA.  65 

qui  réfute  le  rapport  de  M.  Merlato  et  un  extrait  d'une  lettre  d'Alexan- 
drie qui  est  dans  le  même  sens.  Il  me  parait  donc  que  la  vérité  ne 
saurait  tarder  à  se  faire  jour... 

Il  n'est  plus  question  après  cela  de  l'affaire  (Je  Damas  dans  le 
Carteggio  du  comte  de  Sambuy,  mais  en  revanche  notre  ambassa- 
deur à  Rome  s'en  était,  lui  aussi,  occupé,  et  voici  ce  que,  dès  le 
28  mai,  Latour-Maubourg  avait  mandé  à  ce  sujet  à  Thiers*  : 

...  C'est  maintenant  seulement  que  l'on  commence  à  s'occuper  ici 
de  l'aiïaire  des  Juifs  de  Damas.  La  polémique,  à  laquelle  se  sont 
livrés  à  ce  sujet  les  journaux  français,  a  excité  l'attention  et  donné 
lieu  à  l'opinion  de  se  prononcer  sur  ce  fait  qui  préoccupe  si  sérieuse- 
ment l'Europe  et  l'Orient.  Ainsi  que  Votre  Excellence  peut  le  penser, 
cette  opinion  n'est  pas  favorable  aux  Juifs.  La  propagande  a  reçu  de 
nombreux  rapports  de  ses  divers  agents  dans  l'Asie  Mineure,  lesquels 
s'accordent  tous  à  reconnaître  les  accusés  comme  coupables  des  faits 
qui  leur  sont  imputés,  et  le  sentiment  unanime  en  Asie  Mineure  est 
qu'ils  sont  bien  les  assassins  du  Père  Thomas. 

Le  rapport  passionné  du  consul  d'Autriche  a  mal  servi  la  cause  qu'il 
a  prétendu  défendre,  et  l'impression  produite  par  la  publication  de 
cette  pièce  est  loin  d'avoir  répondu  à  ce  qu'en  attendaient  sans  doute 
ceux  qui  l'ont  fait  imprimer.  Au  total,  le  rôle  qu'ont  joué  dans  cette 
affaire  les  agents  des  diverses  puissances  a  été  apprécié  ici  de  manière 
à  ce  que  notre  considération  n'a  pu  que  gagner  près  du  Saint-Père  et 
de  tout  ce  qui  l'entojare,  à  cause  de  l'intérêt  qu'a  pris  le  consul  de 
France  à  la  découverte  de  la  vérité  et  de  la  partialité  qu'ont  manifestée 
d'autres  agents  en  faveur  d'individus  auxquels  les  unissent  des  rap- 
ports de  famille  ou  de  patronage... 

Quelque  longue  que  soit  déjà  cette  note,  il  m'a  paru  utile  de  la 
compléter  en  rappelant  ici  ce  qu'aux  pages  458  et  459  du  volume 
de  1840  de  VHistoire  politique,  Lesur  dit  de  l'affaire  de  Damas  : 

On  accusait  les  Israélites  d'avoir  donné  la  mort  à  un  religieux,  le 
Père  Thomas,  dont, le  sang  aurait  été  versé  pour  s'en  servir  dans  la 
solennité  de  la  pâque.  Ainsi  formulée,  cette  accusation  se  serait  dif- 
ficilement soutenue  aux  yeux  d'hommes  éclairés.  Néanmoins,  les  auto- 
rités de  Damas  y  donnèrent  suite  et,  pour  arracher  aux  accusés  l'aveu 
de  leur*  prétendue  culpabilité,  leur  infligèrent  des  tortures  inouïes. 

Les  consuls  des  diverses  puissances  européennes  émirent  dans  cette 
affaire  des  opinions  différentes.  Les  uns  laissèrent  faire  ou  encoura- 
gèrent les  autorités  égyptiennes;  mais  le  représentant  de  l'Autriche 
protesta  avec  énergie  contre  les  moyens  violents  employés  pour  la, 
découverte  de  la  vérité  et   réclama  une  instruction  criminelh^  plus 

1.  Rome,  volume  982.  Direction  politique,  n°  78,  fol.  84. 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  fasc.  5 


66  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

conforme  aux  mœurs  du  xrx^  siècle.  C'est  ainsi,  du  reste,  que  parut 
l'entendre  M.  Thiers,  lorsqu'il  annonça  à  la  tribune,  le  2  juin  1840, 
que,  par  son  ordre,  un  vice-consul  allait  se  rendre  en  Orient  pour 
s'enquérir  de  l'état  des  choses  à  ce  sujet. 

Les  Chambres  anglaise  et  américaine  ne  s'émurent  pas  moins  de 
cet  incident  et,  sans  doute  par  l'influence  morale  de  leur  haute  inter- 
vention, jointe  aux  efforts  des  Israélites  européens,  déterminèrent 
l'ordre  donné  par  le  pacha  d'Egypte  de  suspendre  une  procédure  qui 
avait  pu  frapper  comme  coupables  des  hommes  sans  doute  innocents. 

Enfin,  il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que,  dans  sa  note  du 
18  septembre  1840,  le  Département  avait  mandé  ce  qui  suit  à  Ray- 
neval  : 

...  L'affaire  des  Juifs  de  Damas  est  terminée  par  la  mesure  que 
Méhémet-Ali  a  prise  d'ordonner  la  mise  en  liberté  des  prisonniers. 
Mais  l'opinion  de  leur  culpabilité  n'en  est  pas  moins  générale  en 
Egypte  ainsi  qu'en  Syrie,  et  les  rapports  que  j'ai  reçus  de  M.  Des 
Méloizes^  sont  loin  de  tendre  à  infirmer  cette  opinion... 

Je  termine  en  faisant  observer  qu'il  appert  du  rapport  même  du 
Père  François  de  Sardaigne,  capucin,  missionnaire  apostolique  à 
Damas,  au  préfet  de  la  congrégation,  en  date  du  5  mars  1840,  que 
«  quatre  personnes  ont  péri  à  la  suite  des  tortures  et  que  les  autres 
sont  dans  un  tel  état  de  faiblesse  qu'elles  succomberont  sous  peu  ». 

Commandant  Weil. 


L'INSURRECTION  POLONAISE  DE  1863 

ET  L'IMPÉRATRICE  EUGÉNIE 


L'insurrection  polonaise  de  1863,  a,  comme  on  sait,  suscité  les 
plus  chaudes  sympathies  dans  l'opinion  publique  en  France.  Les 
pétitions  qui,  dès  le  commencement  de  mars,  arrivèrent  au  Sénat 
parlaient,  sans  oser  prononcer  le  mot  de  guerre,  «  d'aide,  de  protes- 
tation, de  défense  du  droit  contre  l'iniquité  ».  M.  Pierre  de  La  Gorce, 
auquel  j'emprunte  cette  citation,  a  très  bien  exposé  dans  le  tome  IV 

1.  Méloizes-Fresnoy  (Maxime-Renaud  d'Avesnes,  vicomte  des),  né  en  1812, 
élève  consul  en  Egypte  (1838),  consul  à  Beyrouth  (1840),  rédacteur  à  la  Direc- 
tion commerciale  (1842),  chef  du  cabinet  (janvier  1851),  consul  générale  Ams- 
terdam (avril  1851),  chef  du  cabinet  (août  1852),  ministre  plénipotentiaire  près 
du  duc  de  Saxe-Weimar  et  des  duchés  de  Saxe  (1855),  à  Carlsruhe  (1862),  à 
Munich  (1864),  admis  à  la  retraite  (1867),  trésorier-payeur  général  (1872). 


l'insurrection  polonaise  i)e  1863.  67 

de  son  Histoire  du  second  Empire  que  les  relations  cordiales  avec 
la  Russie  commandaient  au  gouvernement  impérial  une  très  grande 
réserve.  Mais  il  a  ajouté  avec  raison  les  considérations  suivantes 
[loc.  cit.,  p.  441)  :  «  Est-ce  à  dire  pourtant  qu'en  ces  conjectures 
Napoléon  n'ait  pas  entrevu,  ébauché  peut-être,  le  plan  d'une  con- 
duite plus  active?  Mis  en  face  de  la  question  polonaise,  le  monarque 
inclinait  avant  tout  à  provoquer  du  gouvernement  russe,  par  une 
action  tout  officieuse,  tout  amicale,  un  octroi  souverain  qui  per- 
mettrait de  dire  la  Pologne  à  demi  satisfaite  et  de  déclarer  l'inci- 
dent clos.  Donc,  s'il  était  entraîné  hors  de  cette  voie,  c'est  à  Vienne 
qu'il  importerait  de  lier  partie,  non  à  Londres,  où  l'on  n'obtiendrait 
que  des  articles  de  journaux  ou  des  meetings.  Tout  en  prêchant 
très  sincèrement  la  paix,  l'Empereur  paraît  avoir  cavessé  une  autre 
politique,  toute  différente,  qui,  en  cas  d'échec  de  la  première,  s'y 
substituerait,  qui  aurait  en  Autriche  un  principal  point  d'appui  et 
qui,  grande  par  les  risques,  pourrait  l'être  également  par  les  résul- 
tats. Les  informations  que  Napoléon  recevait  des  bords  du  Danube 
étaient  plus  propres  à  le  tenir  en  éveil  qu'à  le  décourager.  «  A  l'ap- 
pui de  ces  remarques,  M.  de  La  Gorce  reproduit  des  extraits  de 
quelques  rapports  envoyés  par  le  duc  de  Gramont,  ambassadeur  à 
Vienne.  On  y  pouvait  voir,  sans  être  taxé  de  légèreté,  une  pro- 
vocation à  une  action  commune.  Avant  même  que  la  dernière 
dépêche,  dont  M.  de  La  Gorce  rend  compte,  arrivât  à  Paris,  le 
prince  de  Metternich,  ambassadeur  d'Autriche,  était  parti  pour 
Vienne.  «  Etait-il  »,  se  demande  M.  de  La  Gorce,  «  chargé  d'une 
négociation  précise?  C'est  ce  qu'aucun  document  n'autorise  à  affir- 
mer. Ce  qui  n'est  guère  douteux,  c'est  que  le  but  principal  de  sou 
voyage  ait  été  de  pénétrer  les  plus  intimes  pensées  de  sa  cour  et  de 
recueillir  les  instructions  de  son  souverain  en  vue  d'une  demande 
de  coopération  non  seulement  diplomatique,  mais  peut-être  mili- 
taire, qui,  de  Paris,  pourrait  être  adressée  à  l'Autriche.  » 

Emile  Ollivier,  dans  son  ouvrage  VEmpire  libéral  (t.  VI,  p.  183), 
s'exprime  d'une  manière  plus  précise  :  «  Napoléon  III,  en  vertu  de 
la  logique  particulière  de  l'illusion,  crut  que,  si  on  avait  refusé  à 
l'Angleterre  une  petite  action,  on  lui  en  accorderait  à  lui  une  grande. 
Il  pria  l'ambassadeur  autrichien  Metternich  de  se  rendre  à  Vienne; 
il  lui  remit  une  lettre  et  un  formulaire  pour  François-Joseph'.  Il 
proposait  de  constituer  une  Pologne  indépendante  accrue  de  la  Gali- 
cie,  à  la  tète  de  laquelle  on  placerait  un  archiduc  autrichien.  De  son 
côté,  l'Autriche  consentirait  à  la  cession  de  la  Vénétie  moyennant 
une  large  compensation  sur  le  hltoral  adrialique  ou  sur  le  Danube. 

1.  Ces  deux  pièces  manquent  aux  Archives  d'État  de  Vienne. 


68  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

Toute  divergence  cessant  ainsi  entre  les  deux  gouvernements,  ils 
noueraient  une  alliance  intime  et  l'alliance  franco-autrichienne  suc- 
céderait à  l'alliance  franco-russe.  » 

Je  me  réserve  de  traiter  la  question  tout  entière  dans  le  tome  IX 
de  mon  Histoire  de  l'Europe  de  1815  à  1871.  Qu'il  me  soit  per- 
mis, en  attendant,  de  communiquer  ici  quelques  documents  tirés 
des  archives  d'État  de  Vienne.  Grâce  à  l'administration  libérale  de 
ces  archives,  j'y  ai  pu  continuer  mes  recherches.  La  correspondance 
du  prince  de  Metternich  avec  son  chef,  le  comte  de  Rechberg,  con- 
firme dans  ses  traits  essentiels  le  récit  d'Emile  Ollivier.  Peut-être  la 
partie  la  plus  intéressante  des  dépêches  du  prince  de  Metternich  est- 
elle  l'exposé  du  rôle  actif  que  joua  l'impératrice  Eugénie  pendant 
ces  négociations.  Fille  fidèle  de  l'Église  catholique,  l'impératrice 
avait  les  sympathies  les  plus  ferventes  pour  la  cause  polonaise; 
elle  la  considérait  à  la  fois  comme  pouvant  devenir  le  point  de  départ 
d'une  alliance  franco-autrichienne  et  d'un  remaniement  de  la  carte 
de  l'Europe.  C'est  ce  qui  résulte  du  rapport  suivant  envoyé  par  le 
prince  de  Metternich  : 

Paris,  22  février  1863. 
Monsieur  le  Comte, 

J'ai  eu  hier  une  conversation  de  trois  heures  avec  l'Impératrice  au 
sujet  de  la  Pologne  et  je  me  félicite  d'avoir  eu  cette  occasion  de  devan- 
cer en  quelque  sorte  ce  qui  forme  l'objet  de  votre  télégramme  de  ce 
matin. 

L'Impératrice  m'a  annoncé  que,  vu  la  tournure  que  prenaient  les 
choses,  l'Empereur  n'était  plus  préoccupé  que  de  l'entente  entre  l'Au- 
triche, la  France  et  l'Angleterre,  entente  qui  peut  amener  la  solution  de 
toutes  les  affaires,  la  consolidation  de  sa  dynastie  et  le  bonheur  du 
monde.  Il  se  réserve,  me  dit-elle,  de  me  parler  franchement  de  tout 
cela  lorsque  le  moment  serait  venu.  Elle  voulait,  disait-elle,  jeter  son 
bonnet  par-dessus  les  moulins  et  me  dire  tout  ce  qu'elle  pensait.  Je  la 
prendrais  pour  une  folle  si  je  voulais;  mais,  comme  elle  était  sûre  que 
d'elle  à  moi  cela  ne  porterait  pas  à  conséquence,  elle  voulait  devan- 
cer l'Empereur  et  aller  de  suite  beaucoup  plus  loin  que  lui. 

Je  lui  dis  que  j'étais  prêt  à  l'écouter,  puisque  je  n'étais  destiné  qu'à 
entendre  des  rêveries  politiques  sans  conséquence,  comme  toutes  les 
pérégrinations  auxquelles  elle  m'avait  déjà  fait  assister. 

L'Impératrice  me  répondit  :  «  Je  sais  que  votre  Empereur  vous  écoute 
et  vous  aime;  faites-lui  connaître  le  fond  de  notre  sac.  Il  en  fera  ce 
qu'il  voudra;  mais  du  moins  il  rendra  justice  à  la  franchise  d'une  femme 
qui  est  naturellement  plus  fantasque  que  les  hommes,  mais  qui  a  trop 
à  cœur  l'intérêt  de  son  pays  adoptif,  de  son  époux  et  de  son  fils  pour 
se  risquer  de  mentir  en  parlant  de  l'avenir.  » 

Je  me  suis  permis  d'observer  à  Sa  Majesté  que  je  ne  méritais  pas  les 
assurances  flatteuses  qu'elle  me  donnait,  mais  que  dans  tous  les  cas 


l'insorrectiqn  poloihaise  de  1863.  69 

je  croyais  pouvoir  répéter  tout  ce  qu'elle  me  disait  sans  crainte  de 
mécontenter  mou  souverain  maître.  «  Vous  savez  du  reste,  Madame  », 
ajoutai-je,  «  que,  si  réellement  vous  trahissez  tous  vos  secrets,  c'est  là 
un  fait  d'une  importance  telle  que  vos  plaips,  fussent-ils  le  renverse- 
ment du  monde,  leur  révélation  aura  un  prix  inestimable  pour  ceux 
auxquels  vous  voudrez  bien  les  confier,  car  au  moins  serons-nous  aver- 
tis. » 

L'Impératrice  me  dit  en  souriant  :  «  Pour  vous  faire  comprendre  ce 
que  je  voudrais,  l'idéal  de  ma  politique,  il  faut  que  nous  prenions  la 
carte!  » 

J'avoue  que  ma  curiosité  fut  piquée  au  plus  haut  degré  de  la  per- 
spective de  voyager  avec  l'Impératrice  à  travers  une  carte  bien  souvent 
parcourue  par  le  couple  impérial. 

Sa  Majesté  prit  l'atlas  de  Le  Sage  et  m'expliqua  pendant  plus  d'une 
heure  le  plan  utopique,  mais  très  curieux,  qui  l'enthousiasme. 

Je  ne  saurais  suivre  dans  tous  les  détails  la  pérégrination  à  vol  d'oi- 
seau (quel  vol  et  quel  oiseau!)  de  l'Impératrice  et  j'en  arrive  de  suite 
à  ce  qui  m'a  paru  être  le  but  positif,  l'arrangement  décisif  auquel  on 
s'arrêterait  une  fois  lancé  dans  les  remaniements.  Je  procède  par  la 
désignation  des  puissances. 

Russie.  Refoulée  en  Orient  et  maigrement  rétribuée  de  la  perte  de 
la  Pologne  et  des  provinces  qui  en  fesaient  partie  par  une  compensa- 
tion dans  la  Turquie  d'Asie. 

Pologne.  Reconstituée  avec  un  archiduc  comme  roi,  si  nous  voulons, 
mais  encore  mieux  avec  le  roi  de  Saxe,  reprenant  ses  droits  dynastiques 
en  compensation  de  la  cession  de  son  royaume  à  la  Prusse. 

Prusse.  Céderait  la  Posnanie  à  la  Pologne,  la  Silésie  à  l'Autriche 
et  la  rive  gauche  du  Rhin  à  la  France,  mais  obtiendrait  la  Saxe,  le 
Hanovre  et  les  duchés  au  nord  du  Mein. 

Autriche.  Céderait  la  Vénétie  au  Piémont,  une  partie  de  la  Galli- 
cie  (Lemberg  et  Cracovie)  à  la  Pologne;  prendrait  une  longue  ligne  de 
nouvelles  frontières  à  travers  la  Servie  le  long  de  l'Adriatique,  la 
Silésie  et  tout  ce  qu'elle  voudrait  au  sud  du  Mein. 

France.  Ne  céderait  rien!  mais  prendrait  la  rive  gauche  du  Rhin, 
respectant  la  Belgique  à  cause  de  l'Angleterre,  à  moins  que  cette  puis- 
sance ne  lui  laisse  Bruxelles  et  Ostende,  etc.,  etc.,  pour  prendre  Anvers. 

Italie.  Le  Piémont  aurait  la  Lombardie,  là  Vénétie,  la  Toscane, 
Parme,  Plaisance.  Bologne  et  Ferrare,  mais  restituerait  les  deux 
Siciles  au  roi  de  Naples  qui  arrondirait  le  Pape. 

Turquie.  Supprimée  pour  cause  d'utilité  publique  et  de  moralité 
chrétienne,  se  laisserait  partager  en  cédant  ses  positions  d'Asie  à  la 
Russie,  la  ligne  de  l'Adriatique  à  l'Autriche,  la  Thessalie,  l'Albanie  et 
Constantinople  à  la  Grèce,  les  principautés  comme  une  enclave  indé- 
pendante à  un  prince  du  pays. 

Les  rois  et  les  princes  dépossédés  en  Europe  iraient  civiliser  et 
monarchiser  les  belles  républiques  américaines,  qui  toutes  suivraient 
l'exemple  du  Mexique. 


70  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

Voilà  le  plan  de  l'Impératrice  et  je  vous  prie,  Monsieur  le  Comte, 
de  vouloir  bien  ne  pas  le  considérer  comme  une  plaisanterie;  je  crois 
l'Impératrice  et  même  l'Empereur  très  convaincus  de  la  possibilité  et 
de  la  nécessité  de  le  réaliser  une  fois. 

Mettons  de  côté  ces  phantasmagories  napoléoniennes  et  permettez- 
moi  d'examiner  sérieusement  la  situation  au  point  de  vue  de  nos  inté- 
rêts réels. 

Mon  instinct  me  dit  qu'en  usant  de  la  sagesse  et  de  l'habileté  qui  a 
présidé  depuis  trois  ans  à  notre  politique,  nous  pourrions  profiter  de 
nos  avantages,  ne  fût-ce  que  pour  amener  l'Empereur  à  s'engager 
envers  nous  dans  la  question  d'Orient.  Pour  y  arriver  il  n'y  aurait,  je 
pense,  qu'à  laisser  venir  les  événements  et  les  avances  que  nous  fera 
l'Empereur;  là  où  noiis  pourrons  faire  cause  commune  nous  pouvons 
demander  un  engagement. 

Je  suis  curieux  de  savoir  si  l'Angleterre  entrera  dans  les  idées  de 
l'empereur  Napoléon? 

Il  est  possible  et  désirable  même  que  nous  trouvions  dans  le  cabi- 
net de  Londres  un  auxiliaire  précieux  pour  modérer  la  marche  des 
manifestations  diplomatiques  à  notre  guise.  Je  suis  charmé  que  nous 
ne  soyons  pas  en  tête  à  tête  pour  le  moment,  et  j'encourage  de  tous 
mes  efforts  l'idée  de  l'entente  à  trois,  parce  que  je  prévois  que  la  poli- 
tique anglaise  pourra  nous  être  d'un  grand  secours. 

Les  dangers  sont  grands  et  les  difficultés  que  nous  aurons  à  sur- 
monter sont  immenses  ;  mais  je  ne  sais  ce  qui  me  dit  que  nous  réussi- 
rons à  mener  au  port  notre  barque,  si  tourmentée  par  les  orages  depuis 
quelques  années. 

La  personnalité  qui  dirige  la  politique  française  aujourd'hui  me 
paraît  constituer  une  garantie  réelle  dans  ces  circonstances. 

M.  Drouyn  de  Lhuys  est,  en  fait  de  principe,  aussi  correct  que  pos- 
sible. —  Son  désir  de  s'allier  avec  nous  ne  date  pas  d'hier.  —  La  copie 
ci-jointe  d'un  rapport  de  M.  Lightenvelt  de  l'année  1855,  qui  emprunte 
aux  circonstances  présentes  un  caractère  d'actualité  remarquable,  en 
fait  foi  * . 

Si  nous  voulons  commencer  à  obtenir  dès  aujourd'hui  quelque  avan- 
tage en  Orient,  il  faudrait,  je  crois,  tâcher  dès  à  présent  à  demander 
que  l'influence  française  à  Belgrade  et  à  Bukareste  se  mette  un  peu 
à  notre  service;  il  faudrait  que  M.  Drouyn  de  Lhuys  fasse  com- 
prendre aux  princes  Couze  et  Michel  que  nous  sommes  appelés  à  les 
prendre  en  tutelle,  comme  étant  le  voisin  le  plus  intéressé,  et  tâcher 
d'éloigner  les  éléments  révolutionnaires. 

Agréez,  Monsieur  le  Comte,  l'hommage  de  mon  respect. 

Metternich. 

1.  Annexe  :  copie  d'un  rapport  très  secret  de  M.  de  Lighlenveld,  ministre 
des  Pays-Bas,  à  M.  van  Hall,  ministre  des  Affaires  étrangères,  en  date  de 
Paris  4  juin  1855  (concernant  des  négociations  pendant  la  guerre  de  Crimée  et  le 
rôle  de  Drouyn  de  Lhuys). 


^'insurrection  polonaise  de  1863.  71 

Le  comte  de  Rechberg  engagea 'le  prince  de  Metternich  à  ne  pas 
s'engager,  sans  cependant  rompre  le  fil  des  négociations  entamées 
avec  l'Empereur.  Mais  l'impatience  de  l'impératrice  gênait  beaucoup 
l'ambassadeur  de  l'Autriche,  qui  se  trouvait,  dit-il,  sur  un  sol  vol- 
canique (rapport  «  très  secret  »  du  5  mars).  C'est  alors  qu'il  fit  par- 
venir au  comte  de  Rechberg  la  copie  d'une  lettre  très  caractéristique 
que  l'impératrice  lui  avait  adressée  après  une  conversation  relative 
à  la  question  de  la  Pologne  et  d'une  alliance  franco-autrichienne. 

Copie  d'une  lettre  de  S.  M.  l'Impératrice  Eugénie 
au  prince  de  Metternich. 

Palais  des  Tuileries,  2  mars  1863. 

Mon  cher  prince,  notre  conversation  a  été  si  décousue  et  si  peu  pré- 
cise, qu'il  m'en  est  resté  à  peine  quelques  phrases  à  répéter;  une 
autre  fois  nous  commencerons,  si  vous  le  voulez  bien,  par  les  faits 
divers,  afin  de  conserver  la  mémoire  toute  fraîche  pour  les  choses  qui 
peuvent  avoir  de  l'importance. 

En  somme,  je  ne  vois  rien  d'encourageant,  et  je  crains  bien  que  la 
montagne  n'accouche  d'une  souris  morte  et  voilà  tout. 

Je  conçois  fort  bien  que  vous  trouviez  la  furia  francese  en  dehors 
de  vos  habitudes,  qu'elle  vous  efîraie  et  même  que  vous  aimiez  mieux 
l'abstention  qu'une  décision  rapide.  Mais  plus  j'y  pense,  plus  je  me 
demande  par  quel  bout  on  relèvera  le  fil  si  on  le  laisse  choir.  Si  l'ordre 
est  rétabli  en  Pologne,  si  l'insurrection  épuisée  et  abandonnée  à  ses 
propres  forces  est  comprimée,  comment  ferez-vous  pour  remettre  la 
question  sur  le  tapis?  On  vous  répondra  avec  raison  :  «  Nous  sommes 
assez  forts  chez  nous  pour  remettre  l'ordre  et  assez  maîtres  pour  ne 
recevoir  de  conseils  de  personne.  »  Les  circonstances  ont  sûrement 
fait  surgir  cette  question  dans  un  moment  où  chacun  avait  besoin  de 
repos  et  on  s'était  tacitement  promis  d'écarter  toute  question  propre  à 
susciter  des  embarras.  Mais  elle  existe  aujourd'hui.  La  renvoyer  à 
une  autre  époque  n'est-ce  pas  courir  le  risque  de  perdre  l'occasion; 
enfin,  si  vous  vous  abstenez  de  toute  action  commune,  où  se  trouvera 
le  point  de  contact  qui  doit  cimenter  notre  union?  —  Voilà  ce  que  je 
me  demande  depuis  votre  départ  et  j'avoue  qu'il  m'est  impossible  de 
me  répondre.  Voyages  autour  du  monde,  rêves  et  chimères,  voilà 
ce  qu'il  restera  :  un  train  de  plaisir  parti  trop  tôt  et  un  autre  parti 
trop  tard  sans  station  intermédiaire  et  sans  point  de  jonction.  Et 
pourtant  quand  on  pense  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand,  de  pratique 
même,  à  ce  rêve  éveillé  (jue  nou^  avons  fait  ensemble,  il  me  prend 
envie  de  pleurer  et  de  me  casser  la  tête  contre  le  mur.  Etre  incapable 
de  faire  passer  la  conviction  qu'on  a,  et  qu'on  s'explique  si  bien  à  soi- 
même,  dans  la  tête  d'un  autre,  c'est  bien  triste;  vous  me  répondez  que 
c'est  une  affaire  de  tempérament,  mais  comment  y  changer  quelque 
chose?  —  Si  les  événements  pouvaient  participer  de  uofre  nature,  je 
serais  bien  tranquille,  on  aurait  le  temps  de  tout  mener  de  front;  mais. 


72  MÉLANGES  ET   DOCOMENTS. 

hélas!  ils  vont  même  plus  vite  que  moi  et  c'est  tout  dire.  Nous  disions 
l'autre  jour  que  votre  pays  avait  un  bonheur  à  toute  épreuve.  Fautes 
entassées  sur  fautes  ont  souvent  et  je  dirai  toujours  été  réparées  par 
une  providence  qui  veille  sur  vous.  Le  bontieur  vient  en  dormant, 
dit  le  proverbe;  mais  un  autre  dit  ;  aide-toi  et  le  ciel  t'aidera.  Quel 
avenir  de  grandeur  se  présente  à  vos  yeux,  et  dire  que  vous  n'étendrez 
pas  la  main  pour  la  prendre,  ou  que  vous  le  ferez  trop  tard...  Pour 
ceux  qui  rêvent  comme  moi  une  alliance  sincère  et  durable  avec 
vous,  où  chacun  mettra  de  sa  part;  une  part  dans  les  sacrifices  comme 
dans  les  avantages,  j'avoue  qu'il  en  coûte  d'y  renoncer.  Une  autre 
chose  ressort  de  ce  que  vous  me  dites  :  vous  dites  que,  si  on  veut  vous 
séduire,  il  faut  un  appât  plus  puissant.  D'abord  n'en  est-ce  pas  un 
immense  que  d'être  complètement  identifié  avec  nous  dans  la  question 
allemande,  sauf  quelques  détails  dont  nous  voudrions  au  moins  la  dis- 
cussion; et,  si  on  vous  demande  des  sacrifices,  n'est-ce  pas  toujours 
avec  des  compensations?  Comme  une  maison  de  banque,  vous  pour- 
rez faire  votre  livre  en  partie  double  des  sorties  et  des  rentrées.  Vous 
me  dites  trop  impatiente  et  c'est  vrai,  mais  c'est  qu'une  entente  avec 
vous  a  toujours  été  ce  que  j'ai  le  pias  désiré.  Le  mariage  d'inclina- 
tion c'est  uous;  ne  nous  faites  pas  faire  un  mariage  de  raison.  Mais 
si  vous  me  disiez  de  préciser,  je  ne  saurais  trop  le  dire;  ce  que  j'ai  peur 
de  perdre,  c'est  l'occasion.  —  Vous  êtes  plus  près  des  événements 
et  vous  pouvez  même  juger  le  développement  qu'ils  prendront.  — 
Mais  surtout  précisons,  c'est  ce  qui  est  le  plus  pratique.  Au  fond,  j'ai 
relu  ma  lettre  et  je  ne  sais  pas  si  elle  a  une  raison  d'être;  je  crois  que 
c'est  par  habitude  que  je  reparle  de  l'affaire;  mais  surtout  gardez-la 
pour  vous,  je  ne  veux  pas  décidément  faire  partie  d'un  conte  de  fée 
ou  des  mille  et  une  nuits.  —  Nous  avons  de  bonnes  nouvelles  du 
Mexique;  à  cette  heure  ils  doivent  être  devant  Puebla.  —  Le  chemin 
de  fer  avance  et  avant  la  terrible  époque  pourra  nous  faire  franchir 
les  terres  chaudes.  Je  suis  donc  d'une  humeur  charmante.  A  ce  soir. 
Mes  amitiés  à  la  Princesse  et  surtout  gardez  ma  lettre  pour  vous,  j'ai 
peur  de  vos  principes;  elle  a  un  parfum  révolutionnaire,  qui  me  per- 
drait aux  yeux  de  Vienne,  tandis  que  mon  S""  Benito  Espagnol  me 
donne  une  bien  mauvaise  note  ici'.  Je  ne  suis  ni  l'un  ni  l'autre.  — 
Mais  si  c'est  un  rêve,  rêvons,  il  n'y  a  pas  de  mal. 
Croyez  à  tous  mes  sentiments. 

Eugénie. 

Au  cours  de  ces  négociations  avec  l'Empereur  et  avec  Drouyn  de 
Lhuys,  le  prince  de  Metternich  élabora  un  «  projet  d'entente 
secrète  ».  Il  y  était  dit  en  termes  généraux  :  «  Les  gouvernements 
de  la  France  comprennent  aujourd'hui  la  nécessité  d'entrer  dans  les 
plus  confiantes  communications  sur  la  combinaison  de  leurs  efforts 
dans  le  double  but  qu'elles  se  proposent,  se  réservant,  s'il  y  a  lieu; 

1,  Je  ne  suis  pas  capable  d'éclaircir  cette  allusion. 


l'insorrectio.n  polonaise  de  1863.  73 

de  donner  à  leur  action  commune  la  garantie  d'une  alliance  offen- 
sive, et  défensive  dont  les  stipulations  seraient  arrêtées  d'un  commun 
accord.  »  L'impératrice,  à  laquelle  il  avait  confié  la  papier,  l'ap- 
prouva, en  changeant  quelques  mots  (copie  d'une  lettre  de  Sa 
Majesté  l'impératrice  Eugénie  adressée  au  prince  de  Metternich, 
8  mars  1863).  Elle  apprit  avec  beaucoup  de  plaisir  que  le  prince  de 
Metternich  était  mandé  de  se  rendre  à  Vienne;  ses  souhaits  l'accom- 
pagnaient pendant  son  voyage. 

Le  résultat  de  ce  voyage  fut,  comme  on  sait,  négatif.  Ni  l'empe- 
reur François-Joseph,  ni  ses  ministres  n'étaient  disposés  à  «  se  jeter 
dans  des  entreprises  oîi  les  risques  étaient  certains  et  les  avantages 
problématiques  »'.  L'Autriche  s'associa  en  effet  à  la  France  et  à 
l'Angleterre  dans  la  campagne  diplomatique  infructueuse  en  faveur 
de  la  Pologne  contre  la  Russie.  Mais  le  projet  d'une  alliance  franco- 
autrichienne,  fondée  sur  la  cession  de  deux  provinces  d'Autriche 
et  sur  la  promesse  de  compensations  incertaines,  s'évanouit.  On 
resta  fidèle  à  Vienne  aux  principes  d'une  politique  conservatrice.  En 
tout  cas,  si  l'insurrection  polonaise  devait  faire  naître  des  complica- 
tions dans  un  avenir  prochain,  on  voulait  demander  des  garanties 
pour  la  possession  de  la  Gahcie^.  L'impératrice  Eugénie  fut  très 
mécontente  de  la  conduite  de  l'Autriche.  Quand  l'empereur  Napo- 
léon essaya  de  se  tirer  d'embarras  en  évoquant  de  nouveau  une  de 
ses  idées  fixes,  le  Congrès,  l'impératrice  donna  à  entendre  au  prince 
de  Metternich  que  l'Autriche  n'avait  aucun  droit  de  se  sentir  bles- 
sée par  cet  appel  à  l'Europe.  Elle  reprocha  au  gouvernement  de 
l'empereur  François-Joseph  d'avoir  laissé  le  gouvernement  français 
«  pendant  cinq  mois  »  dans  l'incertitude  la  plus  profonde  et  d'avoir 
refusé  les  propositions  loyales  de  son  époux  ^.  Cependant,  elle  ne 
fit  pas  peser  les  suites  de  son  mécontentement  sur  l'ambassadeur 
autrichien.  Au  contraire,  ses  relations  personnelles  avec  le  prince 
et  la  princesse  de  Metternich  devinrent  plus  étroites  d'année  en 
année. 

Alfred  Stern. 

1.  Lettre  particulière  de  Rechberg  à  Drouyn  de  Lhuys,  '21  mars  1863.  Pièces 
relatives  au  voyage  du  prince  de  Metternich  à  Vienne  en  mars  1863  {Archives 
d'Étal  de  Vienne). 

2.  Sclililter  :  Die  Frage  der  Wiederherslelhing  Polens  (Oestcrreichische 
Rundschau,  vol.  LVIII,  p.  63  et  suiv.,  1919).  Kozniian  :  Das  Jahr  1863.  Polen 
und  die  europilische  Diplomatie.  Vienne,  1896,  p.  300  et  suiv. 

3.  Copie  d'une  lettre  de  l'impératrice  Eugénie  au  prince  de  Metternich.  Com- 
piègne,  13  novembre  1863.  .\nnexe  à  la  lettre  particulière  du  prince  de  Metter- 
nich au  comte  de  Kechberg. 


BULLETIN  HISTORIQUE 


LA  LITTERATURE  HISTORIQUE  DES  SYRIENS. 

L'histoire  est  une  des  branches  les  plus  importantes  de  la  littéra- 
ture syriaque.  Les  documents  que  cette  littérature  offre  aux  érudits 
sont  de  deux  sortes  :  des  chroniques  ou  histoires  générales,  et  une 
longue  série  de  biographies,  de  monographies,  de  documents  hagio- 
graphiques, qui  constituent  une  mine  abondante  d'où  l'on  peut,  avec 
une  sage  critique,  tirer  des  matériaux  de  valeur.  Nous  ne  parlerons 
ici  que  de  l'histoire  proprement  dite. 

Presque  tous  les  manuscrits  syriaques  renfermant  des  ouvrages 
historiques  ont  été  publiés,  les  uns  intégralement,  les  autres  par 
fractions,  quelques-uns  sans  traduction  et  parfois  sans  tables.  Ce 
sera  un  des  avantages  du  Corpus  Scriiotorum  Christianorum 
Orientalium*  de  présenter,  dans  une  série  de  volumes  uniformes, 
le  texte  intégral  et  la  traduction  latine^  de  tous  ces  documents.  Un 
index  général  doit  terminer  la  série  et  coordonner  les  éléments  par- 
fois disparates  et  présentés  avec  cette  absence  d'ordre  et  de  méthode 
qui  caractérise  les  écrivains  orientaux.  En  passant  rapidement  en 
revue  la  Ijste  des  ouvrages  historiques  dans  l'ordre  même  où  ils 
doivent  être  publiés  par  le  Coyyus  (Scriptores  Syri,  séries  III), 
nous  indiquerons  ce  qui  a  déjà  été  réuni  dans  cette  collection  et  dans 
quels  ouvrages  on  peut  consulter  les  historiens  qui  n'y  figurent  pas 
encore. 

1.  Chronique  du  pseudo-Denys  de  Tellmahré.  —  Ouvrage 
anonyme  qu'Assémani  avait  attribué  à  Denys  de  Tellmahré.  Il  est 
conservé  dans  un  ms.  unique  de  la  bibliothèque  Vaticane.  Il  va  des 
origines  du  monde  à  l'an  775;  il  est  divisé  en  quatre  parties.  La 
première,  qui  s'arrête  à  Constantin,  a  pour  source  principale  la 
Clironique  d'Eusèbe  de  Césarée;  l'auteur  y  ajoute  divers  emprunts 
faits  à  des  écrits  syriens  d'un  caractère  légendaire.  Cette  partie  a  été 

1.  Corpus  Scriptorum  Christianorum  Onentoitw w,  edilum  consilio  Univer- 
sitatis  catholicse  Araericanœ  et  Univ.  cath.  Lovaniensis,  curantibus  J.-B.  Cha- 
bot, H.  Hyver'nat,  I.  Guidi,  I    Forget  (Gabalda,  éditeur;  paraît  depuis  1903). 

2.  La  traduction  de  chaque  ouvrage  est  imprimée  à  part  pour  l'usage  dés 
personnes  qui  n'ont  pas  besoin  de  consulter  les  textes  originaux. 


I 


LA   LITTERATURE   HISTORIQUE  DES  SYRIENS.  io 

éditée  sans  traduction  par  Tullberg^  La  seconde  partie,  compre- 
nant la  période  ide  Constantin  à  Théodore  le  Jeune,  est  presque 
entièrement  tirée  de  Socrate.  Elle  est  inédite^.  La  troisième,  qui 
s'arrête  à  Justin  II,  reproduit  presque  entièrement  la  seconde  sec- 
tion, aujourd'hui  perdue,  de  l'histoire  de  Jean  d'Asie,  complétée 
par  d'importants  documents.  Un  de  ceux-ci,  publié  à  part  sous  le 
titre  de  Chronique  de  Josué  le  Stylite^,  est  le  récit  le  plus  exact 
et  le  plus  développé  qu'on  ait  sur  les  guerres  d'Anastase  I"  et  de 
Cawad.  La  quatrième  partie,  éditée  et  traduite  en  français*,  ren- 
ferme de  nombreuses  données  historiques,  surtout  pour  l'époque  de 
la  domination  arabe.  Je  me  suis  procuré  une  photographie  du  ms. 
en  vue  d'une  édition  complète  dans  le  CoryvLS. 

2.  Histoire  ecclésiastique  de  Jean  d'Asie.  —  Jean,  originaire 
d'Amid,  évèque  monophysite  d'Éphèse,  mourut  vers  588.  Son 
ouvrage  fournit  des  renseignements  précieux  et  inconnus  par  ail- 
leurs sur  les  événements  pohtiques  et  religieux  survenus  sous  les 
règnes  de  Justinien  I"  et  de  Justin  II.  Les  deux  premières  parties 
s'étendaient  depuis  Jules  César  jusqu'à  l'an  572.  Nous  n'en  possé- 
dons plus  que  les  longs  extraits  insérés  dans  la  Chronique  du 
pseudo-Denys  et  les  fragments  recueillis  par  Land^  dans  les  mss. 
du  British  Muséum.  La  troisième  partie  va  de  572  à  585.  Elle  sub- 
siste ,  avec  quelques  légères  lacunes ,  dans  un  ms.  du  British 
Muséum  qui  a  été  publié  par  CurEton^  et  traduit  par  Payne- 
Smith  (Oxford,  1860)  et  par  Schoenfelder  (Munich,  1862). 

3.  Chronica  Minolta.  —  Sous  ce  titre,  le  Corpus  a  réuni  une 
série  de  petites  chroniques  et  de  fragments  en  partie  déjà  édités  et 
traduits,  mais  dispersés  dans  diverses  revues,  ou  bien  en  partie  iné- 
dits^. Ce  sont  : 

a)  Chronicon  Edessenum,  ainsi  appelé  du  lieu  où  il  fut  rédigé 

1.  Diomjsii  Telmahharensis  Chronici  liber  primus  (Upsal,  1851). 

2.  Cf.  Nau,  Analyse  des  parties  inédiles  de  la  chronique  attribuée  à  Denys 
de  Tellmahré  [Rev.  de  l'Orient  cfirélien,  1897). 

3.  P.  Martin,  Chronique  de  Josué  le  Stylite  (Leipzig,  1876);  W.  Wright, 
Clirunicle  of  Jos/tua  Ihe  Stylite  (Cambridge,  1882). 

4.  J.-B.  Chabot,  Chronique  de  Denys  de  Tellmahré,  4*  partie  (Paris, 
18'.)5). 

5.  Anecdola  syriaca,  t.  II  (Leyde,  1868). 

6.  The  third  part  of  Ihe  ecclesiastical  history  of  John  bisliop  of  Ephesus 
(Oxford,  1853). 

7.  T.  IV.  Chronica  Minora  (fasc.  I,  edidit  et  intcrjir.  I.  Guidi;  fa.sc.  2,  edi- 
dil  E.  W.  Brooks,  interpr.  J.-B.  Chabot;  fasc.  3,  ediderunt  et  interprétât!  sunt 
Brooks,  Guidi,  Chabot). 


76  BULLETIN   HISTOEIQUE. 

dans  la  seconde  moitié  du  vi^  siècle,  sur  des  documents  antérieurs, 
avec  une  admirable  précision. 

b}  Chronicon  anonymum  de  ultimis  regihus  Persarum,  qui 
va  de  la  mort  d'Hormfzd  IV  (590)  jusqu'à  la  fin  du  royaume  des 
Sassanides.  Ecrit  vers  680. 

c)  Chronicon  Maroniticum,  composé  vers  la  fin  du  vii^  siècle 
par  un  maronite  ;  les  derniers  fragments  s'arrêtent  à  l'an  664. 

d)  Fragment  relatif  à  la  conquête  de  la  Syrie  par  les  Arabes,  qui 
fixe  au  20  août  636  la  célèbre  bataille  du  Yarmouk. 

e)  Chronicon  Miscellaneum  (appelé  par  Land  «  Liber  Chali- 
pharum  »),  compilation  faite  sous  le  règne  du  calife  Hischam  (724- 
743)  à  l'aide  de  quatre  séries  de  documents  qui  vont,  la  première 
jusqu'en  640,  la  seconde  jusqu'en  570,  la  troisième  jusqu'en  636, 
la  dernière  jusqu'en  529. 

f)  Chronicon  anonymum  ad  annum  8k6  pertinens,  qui 
parait  reproduire  et  compléter  une  chronique  antérieure  s'arrêtant 
à  l'année  795. 

g)  Fragmenta  chronici  anonymi,  qui  vont  de  754  à  813. 
h)  Chronicon  Jacobi  Edesseni. 

i)  Enfin,  une  série  de  six  courtes  notices,  de  médiocre  intérêt, 
intitulées  :  Narrationes  varise  (relatives  au  ix"  siècle)  ;  Expositio 
generationum,  familiarum  et  annorum;  Descriptio  populd- 
rum  et  plagarum;  De  familiis  linguarum;  Pseudo-Dioclis 
fragmentum  (du  ix^  siècle)  ;  Documentum  nestorianum  (écrit 
à  tendances  polémiques) . 

4.  Histoire  ecclésiastique  de  Zacharie  le  Rhéteur.  —  La 
compilation  connue  sous  ce  titre  a  été  rédigée,  à  la  fin  du  vi*  siècle, 
en  partie  avec  des  sources  grecques  (notamment  avec  les  écrits  de 
Zacharie  de  Mytilène,  d'oîi  vient  le  nom  qu'on  lui  a  donné),  en  par- 
tie avec  des  documents  d'origine  syriaque.  Elle  se  rapporte  aux 
événements  du  v^  et  du  vi^  siècle  qui  concernent  les  églises  mono- 
physites  de  Syrie  et  d'Egypte,  et  elle  sert  de  complément  aux 
ouvrages  de  Jean  d'Asie.  Le  texte  publié  d'abord  par  Land  ^  a  été  tra- 
duit en  anglais^,  et  partiellement  en  allemand^.  M.  Brooks  en  donne 
dans  le  Corpus^  une  nouvelle  recension  sensiblement  améliorée. 

1.  Anecdota  syriaca,  t.  III  (Leyde,  1870). 

2.  Hamilton  and  Brooks,  Tfie  Syriac  Chronicle  known  as  ihat  of  Zachariah 
of  Mitylene  (Londres,  1899). 

3.  Krûger  und  Ahrens,  Die  sogenannte  Kirchengeschichte  des  Zacharias 
Rhelor  (Leipzig,  1899). 

4.  T.  V  et  VI.  Historia  ecclesiastica  Zachariae  Rhetori  vulgo  adsa-ipta. 
Texte  seul  publié.  La  traduction  latine  va  être  mise  à  l'impression: 


LA   LITTÉBATDRE   HISTORIQUE   DES   SYRIENS.  77 

5.  Chronique  de  Jacques  d'Édesse.  —  Jacques,  évêque 
d'Édesse,  mort  en  708,  fut  l'écrivain  syrien  le  plus  actif  et  le  plus 
érudit  du  vu*'  siècle.  Il  s'était  proposé,  dans  sa  Chronique,  de  con- 
tinuer celle  d'Eusèbe  de  Césarée;  son  œuvre  allait  jusqu'à  l'an  706. 
Elle  comprenait  deux  parties  répondant  aux  deux,  sections  du  Chro- 
iiicon  d'Eusèbe.  Malheureusement,  l'unique  ms.  (du  x*"  siècle)  qui 
l'a  conservée  nous  est  parvenu  fort  mutilé.  Il  s'arrête  à  l'an  631. 
Tout  ce  qui  reste  de  cette  Chronique  a  été  édité  et  traduit,  en  con- 
servant fidèlement  la  disposition  compliquée  de  l'original ,  par 
M.  Brooks  dans  les  Chronica  Minora. 

6.  Chronique  anonyme  de  l'an  819.  —  Ce  bref  document, 
découvert  en  1911  dans  le  Tourabdin  par  le  Rev.  A.  Barsaum 
(maintenant  évêque  syrien  de  Damas),  est  une  des  sources  de  la 
Chronique  de  l'an  846  publiée  dans  les  Chronica  Minolta.  Le  ms. 
est  du  ix^  siècle.  Nous  avons  probablement  la  rédaction  autographe 
de  l'auteur.  L'ouvrage  est  publié  en  tête  du  premier  volume  de  la 
Chronique  de  1234  (ci-après,  n°  10). 

7.  Chronique  de  Denys  de  Tellmahi^é.  —  Denys  fut  patriarche 
jacobite  d'Antioche  de  818  à  845.  Son  ouvrage  était  divisé  en  deux 
sections,  comprenant  chacune  huit  livres  partagés  en  chapitres;  il 
s'étendait  de  l'avènement  de  Mauricius,  empereur  de  Constantinople 
(582),  à  la  mort  de  Théophile  (844).  No'us  savons  cela  par  Michel  le 
Syrien.  Du  texte  même  de  l'auteur,  nous  ne  possédons  plus  qu'un 
fragment  égaré  dans  un  ms.  de  la  Vaticane*  ;  mais  Michel  y  a  fait 
de  très  larges  emprunts  et  paraît  l'avoir  résumé  en  entier.  L'auteur 
de  la  Chronique  de  l'an  1234  (ci-dessous,  n"  10)  l'a  également  utilisé. 
Les  derniers  chapitres,  transcrits  à  peu  près  intégralement  par  ces 
écrivains,  forment  une  intéressante  autobiographie  du  patriarche. 

8.  Chronique  d'Élie  de  Nisibe. —  Cet  ouvrage  est  le  seul  traité 
développé  d'histoire  générale  que  nous  aient  laissé  les  écrivains 
syriens  appartenant  à  l'église  nestorienne;  ils  ont,  par  contre,  écrit 
beaucoup  plus  de  monographies  et  d'histoires  particulières  que  les 
Jacobites.  La  première  partie  de  l'œuvre  d'Élie  est  une  véritable  chro- 
nique, ayant  l'avantage  d'indiquer  toutes  ses  sources  année  par 
année.  La  seconde  partie  est  une  sorte  de  «  Doctrina  temporum  » 
traitant  des  ères  et  des  calendriers  des  différentes  nations.  Le  texte 
syriaque  est  accompagné  d'une  traduction  arabe  faite  par  l'auteur 
lui-même.  Le  ms.  unique  de  cet  ouvrage  est  contemporain  de  sa 
rédaction.  11  comporte  malheureusement  de  grandes  lacunes  dans 

1.  Assémani,  Bibliotheca  orientalis,  t.  II,  p.  72-77. 


78  BDLLETIN   HISTORIQUE. 

la  première  section.  Tout  ce  qui  en  subsiste,  y  compris  la  version 
arabe  de  la  première  section,  a  été  publié  dans  le  Corpus  avec  tra- 
duction'. Les  nombreux  tableaux  chronologiques  ont  été  reproduits 
typographiquement  en  caractères  syriaques  avec  une  prodigieuse 
habileté. 

9.  Chronique  de  Michel  le  Syrien.  —  Œuvre  du  patriarche 
jacobite  Michel  (1166-1199),  cette  Chronique  est  la  plus  vaste  com- 
pilation historique  que  nous  ont  laissée  les  Syriens.  Elle  commence 
è  l'origine  du  monde  et  s'arrête  à  1196.  L'auteur  y  résume  presque 
toutes  les  chroniques  dont  nous  venons  de  parler;  il  nous  fait  en 
outre  connaître  un  certain  nombre  d'ouvrages  qui  ne  nous  sont  pas 
parvenus.  Il  donne,  comme  nous  l'avons  dit,  de  longs  extraits  de 
Denys  de  Tellmahré,  et  aussi  d'autres  chroniqueurs  plus  récents, 
comme  Ignace  de  Mélitène  et  Basile  d'Edesse,  qui  ne  sont  pas  men- 
tionnés ailleurs^.  Michel  a  pour  nous  l'avantage  de  citer  ses 
sources.  Inspiré  par  les  exemples  d'Eusèbe  et  de  Jacques  d'Edesse, 
il  a  essayé  d'abord  de  disposer  son  texte  par  sections  chronolo- 
giques ;  mais  l'étendue  des  chapitres  l'a  contraint  à  y  renoncer  ;  en 
règle  générale,  chaque  page  est  partagée  en  trois  colonnes  :  celle  du 
milieu  donne  la  succession  des  empires  et  l'histoire  profane;  la 
colonne  extérieure  présente  la  succession  des  patriarches  et  l'histoire 
ecclésiastique;  la  colonne  intérieure  narre  certains  événements  par- 
ticuliers (éclipses,  tremblements  de  terre,  etc.).  Les  canons  chrono- 
logiques, rédigés  à  l'instar  de  ceux  d'Eusèbe,  sont  rejetés  au  bas  des 
pages.  Cette  disposition  compliquée  nuit  parfois  à  l'enchaînement 
logique  des  faits.  Mais  l'abondance  des  renseignements  compense 
largement  les  défauts  de  la  méthode.  Il  n'est  peut-être  pas  inutile 
d'indiquer  que  l'ouvrage  arménien  publié  sous  le  nom  de  Chro- 
nique de  Michel,  traduit  en  français  par  V.  Langlois^,  en  partie 
reproduit  dans  les  Historiens  arméniens  des  Croisades  (t.  I), 
n'est  qu'une  adaptation  tendancieuse  et  fort  abrégée  dont  on  ne 
peut  plus  faire  usage  sans  se  reporter  au  texte  primitif. 

10.  Chronique  anonyme  de  l'an  i23k.  —  L'unique  ms.  qui 
contient  ce  document  a  été  découvert  à  Constantinople  en  1899  par 

1.  T.  VII  et  VIII.  Elias  Nisibénus,  Opus  vhronologicum,  pars  I,  edidit  et 
inlerpr.  E.  W.  Brooks;  pars  II,  edidit  et  interpr.  J.-B.  Chabot. 

2.  Chronique  de  Michel  le  Stjrien,  éditée  pour  la  première  fois  et  traduite 
en  français  par  J.-B.  Chabot,  4  vol.  in-4°  (Paris,  Leroux,  1899-1910).  Un  der- 
nier fascicule,  comprenant  l'introduction  et  les  tables,  est  sous  presse. 

3.  Chronique  de  Michel  le  Grand  (Paris,  1866).  Le  texte  arménien  a  eu 
deux  éditions,  d'après  deux  recensions  un  peu  différentes  (Jérusalem,  1869, 
1870). 


LA   LITTÉRATURE   HISTORIQUE   DES   SYRIENS.  79 

le  patriarche  Rahmani,  qui  en  a  publié  le  début  en  1904.  L'auteur 
écrivait  en  Syrie  au  commencement  du  xiii*  siècle.  Il  termina  son 
travail  en  1204;  la  suite  fut  ajoutée  par  lui-même.  La  Chronique 
est  partagée  en  deux  sections  :  histoire  profane  et  histoire  ecclésias- 
tique ;  cette  seconde  section  est  fort  mutilée  ;  elle  apporte  néanmoins 
d'utiles  compléments  à  la  Chronique  de  Michel  et  permet  de  com- 
bler quelques  lacunes  dans  les  derniers  chapitres  de  celui-ci.  Le 
moine  syrien  qui  rédigea  cette  compilation  paraît  avoir  eu  à  sa 
disposition  les  mêmes  ouvrages  que  Michel,  mais  il  semble  biep  les 
avoir  utilisés  directement  et  non  par  l'intermédiaire  de  ce  dernier. 
Le  texte  intégral  a  été  publié  dans  le  Cotyus,  qui  ne  tardera  pas  à 
en  donner  la  traduction  ' . 

It.  Chronique  de  Barhébréus.  — ■  C'est  le  plus  connu  des 
ouvrages  historiques  composés  par  les  Syriens,  à  cause  des  longs 
emprunts  que  lui  a  faits  Assémani  dans  sa  Bibliotheca  orienta- 
lis,  et  parce  qu'il  a  été  des  premiers  publiés.  L'auteur,  métropoli- 
tain des  diocèses  jacobites  orientaux  (Babylonie  et  Perse),  est  mort 
en  1286.  L'ouvrage  est,  comme  le  précédent,  divisé  en  deux  parties  : 
Chronicon  syriacum,  ou  histoire  profane^,  et  Chronicon  eccle- 
siasticum.  Ce  dernier  est  lui-même  partagé  en  deux  sections;  la 
première  retrace  l'histoire  de  l'Église  syrienne  occidentale  et  des 
patriarches  d'Antioche  :  elle  a  été  continuée  d'abord  par  son  frère, 
et  ensuite  par  un  auteur  anonyme,  jusqu'en  1495;  la  seconde  sec- 
tion, consacrée  à  l'Église  syrienne  orientale,  renferme  l'histoire  des 
patriarches  nesto riens  et  des  «  maphriens  »  ou  métropolitains  jaco- 
bites de  Tagrit.  Dans  la  Chronique  profane  et  dans  la  première  sec- 
tion de  la  Chronique  ecclésiastique,  pour  toute  la  période  antérieure  à 
Michel  le  Syrien,  Barhébréus  n'a  guère  fait  que  résumer  cet  auteur, 
en  essayant  de  disposer  les  faits  plus  méthodiquement.  Pour  la  der- 
nière partie  de  son  œuvre,  il  a  puisé  aux  archives  de  son  siège  épis- 
copal  et  utilisé  le  Livre  de  la  Tour,  ouvrage  théologico-historique 
écrit  en  arabe  par  Mari  ibn  Soleiman,  auteur  nestorien  du  xii*  siècle. 
La  Chronique  profane  a  eu  deux  éditions  :  la  première  laisse  beau- 
coup à  désirer  et  la  traduction  est  souvent  fautive';  la  seconde^  n'a 

1.  T.  XIV-XV.  Auctoris  anonymi  Chronicon  ad  annuyn  Chrisli  123i  perti- 
nens,  edidit  J.-B.  Chabot  (Praemissuin  est  Chronicon  ad  ann.  819  perlinens, 
cur.  A.  Barsaum). 

2.  Barhébréus  a  donné  lui-même  un  abrégé  en  arabe  de  cette  première  par- 
tie, qui  a  été  édité  et  traduit  par  Pocock,  ïlystorinm  compendiosam  dynas- 
tiarum,  authore  Gregorio  Abul-Pharagio  (Oxford,  1663). 

3.  Bar  Ilebraei  Chronicon  syriacum...,  publié  et  traduit  en  latin  par 
P.-J.  Bruns  et  G.-G.  Kirsch  (Leipzig,  1789). 

4.  Imprimée  à  Leipzig  par  les  soins  de  P.  Bedjan  (1890).  , 


80  BULLETIN   HISTORIQUE. 

pas  de  traduction,  mais  présente  un  texte  plus  correct.  La  Chro- 
nique ecclésiastique  a  été  copieusement  annotée  par  ses  éditeurs  • . 
Grâce  aux  nouvelles  découvertes,  et  surtout  à  la  Chronique  de 
Michel,  le  Corpus  pourra  donner  de  l'œuvre  complète  une  édition 
entièrement  satisfaisante. 

J.-B.  Chabot, 
membre  de  l'Institut. 


HISTOIRE  DE  FRANCE 

ÉPOQUE     MODERNE     JDSQU'eN     1660. 

Généralités.  —  Quel  ancien  étudiant  ne  sait  tout  ce  que  l'his- 
toire des  institutions  mérovingiennes  doit  aux  formulaires?  Sans 
avoir  la  même  importance  pour  l'histoire  moderne,  les  formules  de 
lettres  n'y  sont  pas  à  négUger.  M.  Eugène  Griselle  a  donc  bien 
fait  de  nous  donner,  d'après  trois  manuscrits  de  la  bibhothèque  de 
l'Institut,  des  formulaires  relatifs  en  faible  partie  à  François  I"  et 
aux  derniers  Valois,  davantage  à  Henri  IV  et  surtout  à  Louis  XIII, 
quelque  peu  à  la  minorité  de  Louis  XIV 2.  On  y  trouvera  des  for- 
mules de  lettres  de  et  à  ces  princes,  mais  aussi  de  et  à  d'importants 
personnages.  Quelquefois  les  lettres,  en  raison  de  l'intérêt  qu'elles 
éveillaient  (par  exemple  les  lettres  des  infidèles),  ont  été  reproduites 
presque  en  entier^.  A  ce  précieux  répertoire,  M.  GriseLle  a  joint  un 
Estât  et  gouvernement  de  la.  France  en  1642,  où  l'on  trouvera, 
en  dehors  de  l'exposé  classique  des  prérogatives  de  la  couronne,  une 
liste  des  charges,  sorte  d'almanach  royal,  avec  des  détails  sur  leurs 
titulaires  ^ 

Dans  VHistoire  universelle  du  travail  qu'il  dirige,  M.  Georges 
Renard,  avec  la  collaboration  de  M.  Weulersse,  pubMe  le  volume 
relatif  aux  temps  modernes'*.  Un  seul  tome  pour  la  période  immense 

1.  Gregorii  Bar  Hebraei  Chronicon  ecclesiasUcum...'f  ediderunt  J.-B.  Abbe- 
loos  et  Th.  Lamy  (Louvain,  1872). 

2.  Eugène  Griselle,  Formtilaire  de  lettres  de  François  I"  à  Louis  XIV  et 
état  de  la  France  dressé  en  16iQ.  Paris,  Paul  Catin,  1919,  in-8%  266  p.,  tables. 

3.  Il  faut  lire,  je  crois,  Mo«sulmans  et  non  MoMsulmans.  P.  54,  pour  Dijon, 
supprimer  la  virgule  entre  vicomte  et  majeur. 

4.  Le  dernier  membre  de  phrase  du  premier  paragraphe  sur  le  grand  Écuyer 
(p.  234)  semble  avoir  été  ajouté  après  l'arrestation  de  Cinq-Mars. 

5.  G.  Renard  et  G.  Weulersse,  le  Travail  dans  l'Europe  moderne.  Paris, 
Félix  Alcan,  1920,  in-8°,  524  p.,  29  grav. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  81 

et  variée  qui  s'étend  «  depuis  la  seconde  moitié  du  xv®  siècle  jus- 
qu'au dernier  tiers  du  xviii*  »,  on  avouera  que  c'est  peu  et  qu'il  y  a 
peut-être,  entre  les  diverses  parties  de  la  collection,  un  certain 
manque  d'équilibre.  A  vouloir  trop  condenser,  les  auteurs  se  sont 
condamnés,  malgré  toute  leur  science  spéciale,  à  ne  faire  qu'une 
œuvre  de  vulgarisation.  Ils  sont  amenés,  malgré  toutes  les  précau- 
tions qu'ils  prennent,  à  représenter  l'histoire  économique  de  plus  de 
quatre  siècles  comme  une  évolution  continue  ;  ils  ne  peuvent  tenir 
compte  des  régressions,  notamment  de  cette  remarquable  régression 
qui,  en  France  surtout,  fait  du  milieu  du  xvii*  siècle  une  époque  à 
maints  égards  moins  avancée  que  le  milieu  du  xvI^ 

Le  défaut  que  nous  signalons  est  en  grande  partie  corrigé  par  la 
largeur  avec  laquelle  sont  traitées  l'introduction  et  la  conclusion.  Il 
y  a  là  d'excellents  tableaux,  solidement  composés,  brossés  d'une 
main  vigoureuse,  et  l'on  ne  peut  guère  songer  à  y  corriger  que  de 
rares  détails'. 

MM.  Renard  et  Weulersse  ont  découpé  leur  vaste  matière  en  sec- 
tions géographiques.  Ils  se  sont  ainsi  interdit  tout  exposé  synchro- 
nique.  Leurs  monographies  seront  très  utiles  à  consulter  et  se  lisent 
même  avec  agrément.  Chacune  d'elles  se  termine  par  une  brève 
bibliographie.  Les  hispanisants  leur  reprocheront  sans  doute  de 
n'avoir  tenu  compte,  pour  la  péninsule  ibérique,  que  des  ouvrages 
défavorables  au  gouvernement  des  rois  catholiques;  il  fallait  au 
moins  mentionner  les  récentes  tentatives  de  réhabihlation^.  Le  cha- 
pitre sur  les  Pays-Bas  ne  copimence  réellement  qu'avec  la  période 
espagnole;  rien  sur  la  fin  de  la  période  flamande-bourguignonne,  qui 
fut  si  brillante  et  si  originale.  Le  mouvement  de  la  Bourse  d'Anvers 

1.  P.  4,  il  est  excessif  de  dire  que  les  Communes  n'ont  plus  aucun  pouvoir 
sous  les  Tudors  et  que  les  villes  impériales  allemandes  «  sont  réduites  à  l'im- 
puissance au  début  du  xvi*  siècle  »  ;  c'est  la  belle  époque  d'Augsbourg  et  de 
Nuremberg.  Il  est  un  peu  simpliste  de  parler,  à  ces  dates,  de  «  la  Confédéra- 
tion suisse  »;  on  dira  plus  exactement  :  «  les  cantons  suisses  et  leurs  confédé- 
rés ».  P.  12,  il  faut  tenir  compte  de  la  production  des  mines  d'Europe  qui,  jus- 
qu'en 1545,  balance  la  production  américaine.  On  ne  peut  dire  :  «  dans  toute  l'Eu- 
rope occidentale  les  foires  déclinent  »,  au  moment  où  fleurissent  celles  de  Lyon 
et  de  Francfort,  sans  parler  de  celles  de  Gènes  et  de  Médina  del  Campo.  P.  13-14, 
il  faudrait  insister  sur  la  différence  non  de  degré,  mais  bien  de  nature,  entre  la 
séparation  médiévale  des  professions  et  la  division  du  travail,  telle  qu'elle  appa- 
raît, par  exemple,  dans  la  draperie.  Les  mots  :  f  Mais  cela  n'est  point  assez  », 
ne  donnent  pas  l'idée  de  cette  opposition.  P.  16,  les  premières  gazettes  ont  été 
des  feuilles  d'avis  et  non  d'amwnces. 

2.  P.  48,  éviter  ces  expressions,  qui  feront  frémir  tout  géographe  :  «  Vasco 
de  Garaa,  ayant  remonté  la  côte  orientale  de  rAfrifjue...  »  Laissons  aux  jour- 
nalistes de  guerre  le  soin  de  «  remonter  la  Meuse  de  Saint-Mihiel  à  Verdun  » 
ou  l'Escaut  de  la  Lys  à  la  mer! 

Rev.  IIistor.  CXXXVII.  I"'  fa.sc.  G 


82  BULLETIN    HISTORIQUE. 

aurait  gagné  à  être  rendu  de  manière  plus  vivante.  Le  chapitre  sur 
l'Angleterre  serait  excellent  si,  comme  tout  l'ouvrage,  il  était  moins 
rapide.  On  n'y  a  point  le  loisir  d'admirer  comme  il  conviendrait 
l'œuvre  immense  de  Burleigh,  œuvre  plus  malaisée,  plus  cohérente 
et  aussi  plus  efficace  que  celle  même  de  Colbert^ 

Une  place  importante  est  naturellement  réservée  à  la  France,  et 
c'est  surtout  ici  que  nous  aurions  à  regretter  l'excessive  simplifica- 
tion des  aperçus  et  le  mélange  des  dates  ^.  On  passe  en  deux  Hgnes 
(p.  202)  des  négociants  bordelais  du  xviii^  siècle  à  Claude  de  Seys- 
sel.  Les  notions  sur  le  rôle  du  crédit  sont  des  plus  vagues  (p.  196). 
Mais  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  différenciation  progressive  des  classes 
sociales  et  aux  progrès  de  la  technique  est  d'une  solide  tenue. 

Pour  l'Italie,  on  ne  tient  pas  assez  compte,  parmi  les  causes  de  la 
déc^ence  de  Venise,  des  facteurs  politico-militaires  dont  l'impor- 
tance était  tout  dernièrement  mise  en  lumière  par  M.  Fueter.  Le 
rôle  des  foires  de  Gênes  (p.  344),  qui  sont  exclusivement  des  foires 
de  paiements,  est  trop  sommairement  analysé  :  Ehrenberg  et  Strie- 
der  auraient  pu,  ici,  être  utilisés  avec  plus  de  profit.  Pour  le  Pié- 
mont, il  aurait  été  bon  de  rappeler  que  ce  pays  a  vécu  sous  la  domi- 
nation française  et  de  se  reporter  à  M.  Romier.  Trop  sommaire 
aussi  sur  l'Allemagne,  dont  le  rôle  fut  capital  dans  les  dernières 
années  du  xv"  et  les  premières  du  xvi*"  siècle,  à  la  fois  pour  l'indus- 
trie minière,  la  banque  et  le  commerce  d'outre-mer. 

L'abondance  même  de  nos  critiques  témoigne  de  l'intérêt  que 
nous  avons  pris  à  la  lecture  de  ce  volume  et  de  la  valeur  que  nous 
lui  attribuons. 

Le  P.  Joseph  Brucker  nous  donne  un  manuel  historique  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  dont  l'érudit  ne  pourra  désormais  se  passer^. 
Sans  diminuer  en  rien  le  mérite  de  l'ouvrage  de  Bœhmer,  il  faut 
reconnaître  que  seul  un  jésuite  pouvait  nous  offrir  cet  exposé,  aussi 
complet  que  possible,  détaillé  sans  être  encombré,  de  la  vie  de  la 
Compagnie  depuis  sa  création  jusqu'à  sa  dissolution,  avec  la  suite 
complète  de  ses  généralats  et  de  ses  congrégations  générales,  avec  sa 
répartition  géographique  en  «  provinces  ».  On  sait  que  les  provinces 

1.  p.  83,  peul-on  traduire  Steelyard  et  Stahlhof  par  «  Marché  aux  fers  »? 
P.  101,  il  est  tout  à  fait  inexact  que  «  nul  ne  proteste  »  contre  l'immigration 
des  ouvriers  huguenots,  français  ou  llamands  en  Angleterre.  C'est  le  contraire 
qui  est  vrai. 

2.  Les  foires  de  Lyon  n'étaient  pas  des  «  expositions  internationales  »  comme 
il  est  dit  p.  184.  P.  204,  aucune  chronologie. 

3.  P.  Joseph  Brucker,  la  Compagnie  He  Jésus,  esquisse  de  son  Institut  et 
de  son  histoire  [1521-1113).  Paris,  Gabriel  Beauchesne,  1919,  petit  in-8% 
vii-842  p.,  index. 


niSTOlBE   DE   FRANCE.  83 

de  la  Compagnie  comprennent  en  dehors  de  l'Ei^rope  des  pays  aussi 
divers  et  aussi  distants  que  le  Japon  et  le  Paraguay,  Madagascar  el 
le  Canada.  On  ne  peut  se  donner  le  spectacle  de  celte  activité  débor- 
dante —  même  si  l'on  fait  la  part  des  exagérations  des  missionnaires 
et  du  mirage  trompeur  des  statistiques  de  catéchumènes  —  sans 
éprouver  l'impression  d'une  véritable  grandeur.  Avant  môme  la 
mort  d'Ignace,  la  Compagnie  est  une  puissance  universelle  ;  au 
moment  où  elle  va  être  frappée  par  Clément  XIV,  elle  est  une  des 
grandes  puissances  du  monde,  travaillant  non  seulement  à  l'édifica- 
tion des  âmes,  mais  à  l'instruction  des  esprits  et  même  au  progrès 
des  sciences  positives. 

Le  P.  Brucker  donne  de  cette  prodigieuse  histoire  un  résumé 
relativement  objectif.  Rien,  chez  lui,  qui  rappelle  la  naïveté  critique 
et  les  allures  d'énergumène  de  tel  historien  d'une  des  provinces  ou 
d'un  groupe  de  provinces  de  la  Société.  Le  P.  Brucker  s'est  donné 
pour  but  d'être  pris  au  sérieux  même  par  les  adversaires  des  Jésuites 
ou  les  simples  incroyants.  Cependant,  il  était  difficile  à  un  jésuite 
d'écrire  autrement  que  dans  le  style  des  «  lettres  édifiantes  »,  style 
aussi  agaçant,  en  son  genre,  que  celui  de  Chanaan.  Ce  qui  est  plus 
grave,  c'est  qu'en  ce  volume  compact,  les  Jésuites  ont  toujours  rai- 
son ;  les  très  rares  fautes  individuelles  qu'on  veut  bien  reconnaître 
—  et  encore  à  titre  d'hypothèse  —  n'engagent  jamais  la  responsabi- 
lité de  l'Institut.  Corps  purement  religieux,  la  Compagnie,  à  en 
croire  son  historiographe,  ne  s'est  jamais  occupée  des  affaires  du 
siècle.  Elle  n'est  en  rien,  ou  à  peine,  mêlée  aux  troubles  de  la  Ligue  ; 
elle  se  lave  les  mains  du  sang  des  victimes  de  la  Saint-Barlhélemy  ; 
ni  elle  ni  ses  membres  n'ont  été  compromis  dans  aucune  tentative 
de  régicide.  C'est  à  son  corps  défendant  qu'elle  a  fourni  aux  rois  et 
aux  grands  des  confesseurs,  et  ces  confesseurs  n'ont  jamais  cherché 
à  influer  sur  la  politique.  On  nous  concède,  il  est  vrai,  que  «  ces 
confesseurs  auraient  manqué  à  leur  propre  devoir  s'ils  n'avaient  pas 
fait  connaître  à  leur  pénitent  princier  à  quoi  l'obligeait,  pour  la 
répression  de  l'hérésie,  son  titre  de  fils  de  l'Eglise  ».  Mais  l'on 
ajoute  :  «  ce  n'était  pas  là  matière  politique...  »'.  Distinction 
subtile,  et  qui  permet  toutes  les  interprétations,  car  la  plupart  des 
«  matières  »  politiques  étaient  et  sont  des  «  matières  mixtes  ». 
Matières  mixtes  les  terribles  questions  que  le  P.  Caussin  posait  à  la 
conscience  inquiète  de  Louis  XIII  :  exil  de  la  reine  mère,  surveil- 

1.  On  goûtera,  p.  568,  cette  délicieuse  formule  :  «  Non  seulement  ce  dernier 
(le  Père  de  la  Chaize),  mais  encore  les  autres  eontesseurs  jésuites  ont  au  moins 
autant  contribué  «  adoucir  qu'à  exciter  les  rigueurs  ollicielles  contre  les  jan- 
sénistes. » 


84  BULLETIN    HISTORIQUE. 

lance  exercée  sur  Anne  d'Autriche,  «  alliances  immorales  avec  les 
protestants  d'Allemagne,  de  Suède,  de  Hollande  »,  et  l'alliance  plus 
immorale  encore  avec  les  Turcs.  Matière  mixte  aussi  le  projet  de 
renvoi  du  cardinal-ministre.  Le  P.  de  Rochemonteix  ne  nous  a  rien 
laissé  ignorer  de  cette  activité  du  P.  Oaussin,  qui  faillit  changer  le 
cours  de  l'histoire  de  France  et  de  l'Europe,  activité  qui,  parait-il, 
n'avait  cependant  rien  de  politique  ! 

Les  accusations  lancées  contre  les  Jésuites  sont  toujours  des 
«  calomnies  »,  qu'elles  viennent  des  protestants  ou  des  jansénistes, 

—  dont  l'illustre  porte-parole  est  représenté  comme  ayant  menti 
sciemment  —  des  Parlements^  ou  de  l'Université.  Les  adversaires 
des  Jésuites  sont  indignes  de  toute  considération.  Le  grand  shogoun 
Hidéyoshi,  parce  qu'il  a  mis  un  terme  —  et  encore  avec  une  certaine 
mansuétude  — à  l'activité  brouillonne  des  missionnaires,  devient  un 
affreux  tyran,  aussi  noir  que  Pombal  en  personne.  Même  les  ordres 
religieux  qui  se  sont  attaqués  à  l'impeccable  Compagnie  ne  sont 
guère  ménagés.  Elle  est  toujours  restée  pure,  et  dans  l'affaire  des 
rites  malabares,  et  dans  celle  des  cérémonies  chinoises. 

Je  laisse  à  penser  comment  sont  traités  les  philosophes,  Voltaire, 
qui  mena  «  contre  ce  qu'il  appelait  Vinfàme  une  guerre  digne  d'un 
satan  incarné  »,  et  «  ses  seconds  à  peine  moins  pervers  que  lui  ».  — 
En  vérité  j'ai  peut-être  eu  tort,  tout  à  l'heure,  de  recomiaître  au 
P.  Brucker  le  mérite  d'une  relative  objectivité.  Qui  veut  trop  prou- 
ver ne  prouve  rien. 

xvi^  SIÈCLE.  —  M.  DE  Vries  uous  donuc  sur  Genève,  pépinière 
du  calvinisme  hollandais^,  moins  un  livre  qu'un  recueil  de  docu- 
ments accompagnés  d'excursus  critiques  et  historiques.  Dans  le 
Livre  du  recteur,  dans  le  Livre  des  habitants^,  dans  les  Registres 
de  la  Compagnie  et  dans  ceux  du  Conseil,  il  a  relevé  soigneusement 
les  mentions  relatives  à  des  étudiants  néerlandais.  Tl  y  a  même  joint 

—  son  objet  étant  de  mesurer  l'action  exercée  par  la  pensée  de  Cal-, 
vin  et  de  Bèze  sur  les  Pays-Bas  —  les  personnages  d'autres  natio- 

1.  Pas  une  allusion  à  La  Cbalotais  et  à  la  campagne  en  faveur  de  l'éducation 
nationale.  Pas  un  mot  sur  le  rôle  des  Jésuites  dans  les  iutrigues  ministérielles 
sous  Louis  XV.  <^ 

2.  Herman  de  Vries,  Genève,  pépinière  du  calvinisme  hollandais,  t.  I. 
Fribourg  (Suisse),  Fragniére,  in-8°,  xv-329  p.,  index. 

3.  C'est  par  erreur  (p.  40)  que  M.  de  Vries  signale  les  années  1572-1574  et 
1585-1587  du  registre  des  habitants  comme  «  les  seules  qui  n'ont  pas  été  brû- 
lées lors  de  la  Révolution  ».  Un  premier  registre,  conservé  également  aux 
Archives  d'État,  contient  les  années  1549-1560.  M.  de  Vries  ne  cite  pas  le 
Livre  des  bourgeois  de  Covelle. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  85 

nalités  (des  Français  comme  Lambert  Daneau  et  du  Jon^)  dont  la 
carrière  ullérieure  devait  se  passer  en  Néer^ande.  Les  listes  qu'il  a 
dressées  et  enricliies  de  notes  biographiques  sont  d'un  réel  intérêt. 
Il  publie  des  lettres  inédites  de  et  à  Théodore  de  Bèze.  Il  est  regret- 
table que  les  circonstances  (c'est-à-dire  la  guerre)  ne  lui  aient  pas 
permis  de  compléter  les  recherches  qu'il  avait  faites  à  Genève  par 
d'autres  recherches  dans  les  archives  belges  et  néerlandaises. 

Tel  quel,  son  ouvrage  apporte  une  contribution  de  plus  à  cette 
thèse,  déjà  exposée,  après  Michelet  et  Quinet,  par  M.  Ch.  Borgeaud  : 
c'est  la  pensée  de  Théodore  de  Bèze,  dans  son  De  jure  magistra- 
tuum,  et  celle  de  Ilotman,  c'est  le  germe  révolutionnaire  inclus 
dans  le  calvinisme  à  l'insu  de  Calvin  qui  a  fermenté  dans  les  Pays- 
Bas  et  fait  des  Provinces-Unies  une  nation, 

M.  Mariéjol  avait  una  première  fois  étudié  Catherine  de  Médicis 
dans  VHistoire  de  France  de  Lavisse.  Séduit  par  cette  inquiétante 
figure,  il  lui  consacre  tout  un  livre.  Il  a  relu,  ligne  à  li^ne,  toute  la 
CorresiJondance  ;  il  la  éclairée,  commentée,  au  moyen  d'une  docu- 
mentation abondante.  Il  a  suivi  son  hérome  depuis  son  enfance  (il 
utilise  le  livre  de  Ptcumont)  jusqu'à  sa  mort.  Il  a  essayé  de  nous 
donnei'  un  ouvrage  qui  ne  fût  «  ni  un  plaidoyer,  ni  un  réquisitoire..., 
mais  une  histoire  aussi  objective  que  possible  de  la  vie  et  du  gou- 
vernement de  Catherine  de  Médicis^  ». 

Y  a-t-il  complètement  réussi?  Il  a  bien  montré  que  Catherine 
n'était  pas  le  monstre  que  tantôt  les  huguenots,  tantôt  les  catho- 
liques se  sont  plu  à  vouer  à  l'exécration  des  Français.  Il  a  vu  en 
elle  une  femme,  une  assez  faible  femme,  mise  en  face  de  responsa- 
bilités tragiques,  qui  s'efforce  de  sauver  ce  qui  peut  être  sauvé,  de 
louvoyer  entre  les  obstacles.  Il  a  rendu  un  juste  hommage  à  son 
application,  à  sa  capacité  de  travail,  à  l'action  très  réelle  qu'elle 
exen-a  sur  la  politique  de  la  France.  Sur  ce  point,  sa  documentation 
aurait  pu  être  plus  complète  encore  :  je  pense,  par  exemple,  à  cette 
correspondance  de  Charles  de  Danzay,  notre  ambassadeur  au  Dane- 
mark et  dans  les  pays  baltiques,  où  toute  lettre  au  roi  se  double 
d'une  lettre,  souvent  plus  explicite,  à  Catherine.  Même  la  régence 
finie,  il  y  eut  bien  un  «  gouvernement  de  Catherine  de  Médicis  ». 
Mais  voilà,  précisément,  qui  ne  permet  guère  de  diminuer  sa  part 
de  responsabilité  dans  les  actes  des  derniers  Valois. 

M.  Mariéjol  veut  nous  faire  accepter  comme  presque  naturels  les 

t.  Le  Forestanus  de  la  p.  44  (n*  15)  ne  serait-il  pas  un  Forézien  plutôt  qu'un 
originaire  de  Forest,  près  Bruxelles? 

2.  Jean-H.  Mariéjol,  Catherine  de  Médicis  {1519-15S9).  Paris,  Hachette, 
1920,  in-8°,  xi-431  p. 


86  BOLIETIN   HISTORIQUE. 

«  revirements  »  de  Catherine,  «  si  prompts  qu'ils  n'ont  pas  l'air 
d'être  forcés'  »  ;  «  l'aisance  »  avec  laquelle  elle  prit  «  la  direction  du 
parti  catholique...  »,  quand  ce  n'était  pas  celle  du  parti  adverse  2.  Il  est 
bien  difficile  (voir  plus  loin  l'analyse  du  hvre  de  M.  Victor  Martin)  de 
ne  pas  trouver  sa  main  dans  la  Saint-Barthélémy,  même  en  laissant 
de  côté  sa  haine  personnelle  contre  l'amiral.  On  a  exagéré  en  faisant 
d'elle  un  Prince  en  jupons.  M.  Mariéjol  n'exagère-t-il  point  en  la 
peignant  comme  une  opportuniste  aux  abois?  Ajoutons  qu'il  a  cher- 
ché à  dessiner,  à  côté  du  portrait  de  la  reine,  celui  de  la  femme  de  la 
Renaissance,  de  la  protectrice  des  arts^.  Ici,,  il  est  pleinement  vrai. 

Depuis  les  grands  gallicans  de  l'Ancien  Régime,  personne,  même 
parmi  les  historiens  de  la  contre-Réforme,  n'avait  étudié  pour  lui- 
même  ce  sujet  :  la  réception  en  France  du  Concile  de  Trente. 
M.  Victor  Martin,  grâce  à  un  très  méiitoire  dépouillement  des 
archives  Vaticanes  (spécialement  de  la  Nunziatura  di  Francia), 
comble  cette  lacune^.  Favorable  à  l'œuvre  du  Concile,  il  s'efforce  de 
n'être  pas  injuste  pour  les  parlementaires  et  aussi  pour  certains 
ecclésiastiques  français  qui,  en  s'opposantà  la  publication,  croyaient 
vraiment  défendre  les  lois  fondamentales  du  royaume  et  l'indépen- 
dance de  la  couronne.  Il  a  raison  de  montrer  que  des  intérêts  très 
temporels  expliquent  certaines  attitudes  des  cours  de  justice  et  sur- 
tout des  chapitres.  Il  ne  fait  pas  la  part  assez  large  aux  traditions 
nationales  qui  s'opposaient  à  tout  empiétement  de  Rome  sur  les 
«  libertés  »  gallicanes;  ces  traditions  sont  une  des  parties  les  plus 
résistantes  de  la  trame  de  l'histoire  de  France. 

La  position  de  la  royauté,  prise  entre  l'obligation  de  respecter  ces 

1.  P.  119. 

2.  Voir  aussi  la  p.  121,  très  finement  nuancée. 

3.  Menues  critiques  :  P.  23,  n.  4,  sur  l'interprétation  de  la  Nuit  de  Michel- 
Ange,  pourquoi  ne  pas  renvoyer  simplement  à  la  page  fameuse  de  Michelet, 
puisque  l'on  conclut  comme  lui?  P.  181,  une  phrase  bizarre,  dans  ce  livre 
généralement  écrit  avec  soin  :  «  La  fille  d'Henri  VIII  et  d'Anne  "Bolejn  garda 
en  son  pouvoir  cette  suppliante,  qui  descendait  comme  elle  d'Henri  VII  Tudor 
et  que  beaucoup  de  catholiques  anglais,  vu  son  hérésie  et  l'irrégularité  de  sa 
naissance,  considéraient  comme  la  légitime  héritière  des  Tudors.  »  M.  Mariéjol 
pourrait  (p.  173,  n.  4)  affirmer  avec  plus  de  force  que  d'Andelot  n'a  pas  été 
blessé  au  combat  des  levées  de  Loire.  La  Noue,  témoin  et  ami,  l'eût  dit,  si 
cela  était.  Or,  il  nous  montre  ensuite  d'Andelot  à  Pamprou,  à  Montreuil-Bel- 
lay,  à  Bassac,  sans  jamais  faire  la  moindre  allusion  à  cette  blessure. 

4.  Victor  Martin,  le  Gallicanisme  et  la  Réforme  catholique.  Essai  historique 
sur  l'introduction  en  France  des  décrets  du  Concile  de  Trente  {1563-1615)- 
Paris,  Aug.  Picard,  1919,  in-8°,  xxvii-415  p.  La  correction  des  épreuves  a  laissé 
subsister  de  nombreuses  fautes  de  grammaire.  Le  participe  passé  du  verbe  dis- 
soudre  est  couramment  imprimé  dissout. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  87 

traditions  et  les  nécessités  de  sa  politique  intérieure  et  extérieure, 
n'était  rien  moins  que  facile.  Ainsi  s'explique  cette  extraordinaire 
histoire  de  cinquante  ans,  promesses  toujours  renouvelées  et  tou- 
jours éludées,  aboutissant,  en  somme,  à  l'équivoque  de  16l5  :  «  Les 
adversaires  du  Concile  de  Trente  persistèrent  à  le  considérer  comme 
non  publié,  tandis  que  Rome,  au  contraire,  le  tenait  pour  reçu.  Les 
uns  et  les  autres  pensaient  juste,  du  point  de  vue  différent  d'où  ils 
voyaient  la  chose.  »  Équivoque  qui  ressemble  fort  à  un  escamotage. 

Cette  affaire  du  Concile  a  tenu  une  telle  place  dans  notre  histoire, 
la  réception  des  décrets  a  si  bien  joué  le  rôle  de  monnaie  d'échange 
dans  les  marchandages  entre  la  France  et  Rome  que  le  livre  de 
M.  Martin  dépasse  de  beaucoup,  en  intérêt,  le  cadre  restreint  d'une 
étude  d'histoire  ecclésiastique.  C'est  toute  la  politique  des  derniers 
Valois  qui  est  en  jeu.  Il  est  regrettable  que  M.  Mariéjol  n'ait  pas  eu 
connaissance  des  pages  que  M.  Martin  consacre  à  Catherine;  peut- 
être  eût-il  jugé  avec  moins  d'indulgence  cette  perpétuelle  politique 
de  bascule.  Sur  la  Saint-Barthélémy,  grâce  à  une  étude  qui  n'avait 
pas  encore  été  poussée  aussi  loin  de  la  correspondance  de  Salviati^ 
M.  V.  Martin  apporte  de  sérieux  arguments  à  la  thèse  de  la  prémé- 
ditation :  «  Avant  l'attentat  du  22  août  »,  écrit-il,  «  un  grand  coup 
avait  été  décidé,  où  de  nombreuses  victimes  devaient  périr.  »  Pré- 
méditation à  Paris,  mais  où  il  semble  que  la  cour  de  Rome  n'eut 
pas  de  part  directe.  C'est  à  peu  près  la  conclusion  à  laquelle  arrivait, 
dès  1913,  M.  Romier  (d'après  les  archives  Médicéennes)  dans  un 
mémoire  qu'il  est  étonnant  que  M.  Martin  n'ait  pas  connu  2. 
Ce  dernier  établit  que  le  projet  d'assassinat  du  seul  amiral  remonte 
au  moins  au  5  août,  le  projet  du  massacre  général  au  moins  au  21. 

Très  sévère  pour  Catherine  et  pour  Henri  III,  M.  Martin  est  très 
indulgent  pour  Henri  IV.  Le  charme  personnel  qui  éihanait  du 
Béarnais,  sa  rondeur,  ses  perpétuelles  protestations  de  bonne  foi 
impressionnent  à  distance  même  les  historiens.  Les  documents  ici 
rassemblés  me  donnent  plutôt  l'impression  d'un  politique  supérieu- 
rement habile,  qui  leurre  perpétuellement  le  Saint-Siège,  promet 
toujours  sans  tenir  jamais,  se  sert  de  ses  nouvelles  promesses  pour 
mieux  faire  oublier  qu'il  n'a  pas  tenu  les  anciennes,  joue  de  cette 

1.  Il  ajoute  des  parties  inédites  aux  textes  publiés  incomplètement  par 
Theiner.  Je  me  permettrai  de  discuter  certaines  traductions.  P.  105,  n.  2  : 
«  Più  tosto  disperai  di  buon  fine  cbe  altriinente  »,  ne  me  paraît  pas  vouloir 
dire  (p.  lOG)  :  «  Mon  impression  fut  qu'il  n'en  sortirait  pas  grand'chose  de 
bon  »,  mais  simplement  ceci  :  l'entreprise  que  lui  annoncent,  dès  le  21,  le  car- 
dinal de  Bourbon  et  de  Montpensier  est  si  «  gagliarda  »  que  le  nonce  redoute 
un  échec.  Il  y  a  là  une  nuance. 

2.  Revue  du  XVI'  siècle,  1913,  p.  529  et  suiv. 


88  BULLETIN    HISTORIQUE. 

affaire  du  Concile  pour  obtenir  l'absolution  pontificale,  pour  faire 
avaler  au  Saint-Siège  l'amère  pilule  de  l'Édit  de  Nantes,  pour  négo- 
cier le  mariage  tnédicéen,  pour  se  faire  accorder  des  décimes.  Il  table 
à  la  fois  sur  les  désirs  de  Rome  et  sur  l'entêtement  des  parlemen- 
taires et  lègue  finalement  à  son  successeur' une  situation  si  bien 
embrouillée  que  la  papauté  devra  se  contenter  de  la  solution  bâtarde 
de  1615. 

Signalons  aux  historiens  l'aimable  livre  de  M.  Chamard  sur  ^ 
Origines  de  la  poésie  française  de  la  Renaissance^  Sans  éta- 
lage d'érudition,  l'auteur  rappelle  au  public  cultivé  que  la  Renais- 
sance n'a  pas  marqué  une  rupture  dans  la  tradition  nationale,  mais 
qu'on  y  retrouve  l'écho  de  notre  moyen  âge  sous  l'imitation  de  l'an- 
tiquité et  de  l'Italie.  C'est  une  mise  au  point  du  travail  de  recherches 
dont  Brunetière  fut  jadis  l'un  des  plus  ardents  et  des  plus  pénétrants 
directeurs. 

XVII*  SIÈCLE.  —  Le  tome  IV  de  la  nouvelle  édition  des  Mémoires 
de  Richelieu  est  relatif  à  l'année  16242.  ji  g'ouvre  (p.  1-22)  par  un 
morceau  qui  ne  figurait  dans  aucune  des  éditions  antérieures,  mais 
qui  a  été  découvert  et  publié  par  Ranke.  Ce  morceau,  qui  raconte 
la  chute  des  Brûlarts,  semble  avoir  été  écrit  peu  de  temps  après  les 
événements  et  présente  des  rapports  étroits  avec  les  pamphlets  attri- 
bués à  Pancan.  De  même,  le  récit  de  la  chute  de  La  Vieuville  semble 
provenir  d'un  mémoire  spécial.  —  Des  appendices  complètent  et 
éclairent  le  volume. 

La  grande  presse  a  récemment  découvert  et  bruyamment  annoncé 
au  monde  que  les  Mémoires  de  Richelieu...  ne  sont  pas  de  Riche- 
lieu. Grâce  aux  savants  éditeurs  de  cette  publication,  nous  le  savions 
depuis  longtemps,  mais  là  vérité  qu'ils  nous  ont  révélée  comporte  un 
peu  plus  de  nuances. 

Autour  de  la  plume  du  cardinal  de  Richelieu  :  qu'elle  fût 
maniée  par  lui-même  ou  par  un  des  écrivains  qui  composaient  son 
cabinet,  cette  plume  redoutable  a  écrit  trop  de  pages  éloquentes,  elle 
a  trop  violemment  agi  sur  son  temps  pour  qu'on  s'étonne  de  voir 
M.  Maximin  Deloche  lui  consacrer  tout  un  livre,  comme  il  en 

1.  Henri  Chamard,  les  Origines  de  la  poésie  française  de  la  Renaissance. 
Paris,  E.  de  Boccard,  1920,  in-S",  307  p.  Ce  livre  est  la  mise  en  œuvre  d'un  cours 
public  fait  à  la  Sorbonne.  Peut-être  trouvera-t-on  que  M.  Chamard  a  trop 
sacrifié,  dans  l'imprimé,  aux  partis  pris  qui  s'imposent  en  présence  d'un 
auditoire. 

2.  Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu.  T.  IV,  publié  sous  la  direction  de 
M.  de  Courcel  par  Robert  Lavollée.  Paris,  Société  de  l'histoire  de  France,  1920, 
in-8»,  302  p.,  index. 


ilISTOIRE   DE   FRANCE.  89 

avait  consacré  un  à  la  maison  du  cardinal  ' .  Celui-ci  est  presque  une 
histoire  de  Richelieu,  vue  à  travers  les  écrits  dont  il  fut  l'auteur  ou 
l'inspirateur.  M.  Deloche,  qui  discute  avec  un  soin  passionné  les 
questions  d'attribution  de  ces  écrits^,  s'occupe  aussi  de  ceux  qui  ont 
été  dirigés  contre  le  cardinal  et  où  s'est  élaborée,  du  vivant  morne 
du  héros,  la  sinistre  légende  de  Yhomo  ruber.  A  force  de  vouloir 
protester  contre  cette  légende  et  faire  de  Richelieu  un  homme  au-des- 
sus de  l'humanité,  lenteur  en  arrive  parfois  %  être  injuste  contre 
ceux  qui  ont  eu  le  malheur  de  ne  pas  aimer  le  cardinal  ou  de  n'être 
pas  aimés  de  lui^.  Peut-être  aussi  qu'à  force  de  vouloir  faire  revivre 
son  personnage,  M.  Deloche  prête  à  l'exposé  une  allure  quelque  peu 
romanesque^  et  n'évite  pas  le  reproche  de  subtilité^. 

Signalons  une  intéressante  floraison  d'études  sur  l'histoire  reli- 
gieuse du  XVII''  siècle,  et  spécialement  sur  le  jansénisme. 

Louvain,  Paris  :  ce  sont  les  deux  capitales  du  jansénisme.  El 
voilà  comment  M.  Albert  de  Meyer  a  eu  l'idée  de  reprendre,  dans 
une  collection  lovaniste,  l'histoire  de  Jansénius  et  de  Saint- Cyran 
et  des  premières  luttes  qui  s'engagèrent  en  France  autour  de  la 
nouvelle  doctrine^.  Même  après  Sainte-Beuve  et  tant  d'autres,  son 

1.  Maximin  Deloche,  Autour  de  la  plume  du  cardinal  de  Richelieu.  Paris, 
Lecène  et  Oudin,  1920,  in-8%  vi-520  p. 

2.  Particulièrement  intéressant  sur  le  rôle  de  Fancani  M.  Deloche,  qui  a 
naturellement  utilisé  les  travaux  de  M.  Fagniez,  ne  cite  pas  la  publication  de 
Wiens,  cependant  mentionnée  par  M.  Fagniez.  Je  ne  trouve  rien  sur  la  colla- 
boration de  Richelieu  à  la  Gazette.  Pour  la  rédaction  des  Mémoires,  on  nous 
renvoie  surtout,  comme  il  est  raisonnable,  à  l'édition  en  cours. 

8.  La  légende  n'a  pour  ainsi  dire  rien  ajouté  aux  terribles  pages  (citées 
p.  433)  de  Richelieu  lui-même  sur  Fancan.  Cette  joie  atroce  à  sacrifier  un  ins- 
trument qui  a  cessé  d'être  utile  et  qui  peut  devenir  gênant,  c'est  tout  «  l'homme 
rouge  ».  Ne  faisons  pas  de  cette  âpre  figure  une  figurine.  P.  405,  colère  un  peu 
puérile  contre  Victor  Hugo.  Colère  aussi  contre  les  États-Généraux  de  1614, 
dont  l'opposition  est  surtout  présentée  comme  un  écho  des  rébellions  hugue- 
notes et  dont  le  lamentable  échec  est  célébré  comme  une  victoire.  Tous  les 
historiens  ne  seront  pas  de  cet  avis,  ni  très  disposés  à  opposer  à  l'antagonisme 
de  la  Noblesse  et  du  Tiers  «  la  sympathie  secrète  du  menu  peuple,  traditiona- 
liste par  essence,  pour  le  Clergé  et  la  Noblesse  authentique  restée  indépen- 
dante ».  Vraiment  secrète,  en  efl'et,  cette  sympathie  du  peuple  pour  la  noblesse 
champêtre.  M.  de  Vaissière  lui-même  n'irait  |)as  si  loin. 

4.  Richelieu  s'inspirant  des  farandoles  qu'il  a  vues  en  Avignon,  etc.  Un  .sujet 
comme  celui-ci  prête  facilement  à  la  conjecture,  mais  n'en  abusons  pas. 

5.  De  ce  que  tel  pamphlet  est  signé  à  la  fois  Ferrier  et  du  Ferrier,  il  est  un 
peu  risqué  d'en  induire  que  Richelieu  a  délibérément  voulu  créer  dans  l'esprit 
du  lecteur  une  confusion  entre  le  ministre  converti  Jérémie  Ferrier  et  l'ancien 
ambassadeur  à  Venise.  —  Une  expression  bizarre,  p.  435  :  «  rayant  en  défé- 
rence ».  Ailleurs,  je  crois  :  «  rayant  en  audace  ».  C'est  un  provincialisme  peu 
connu. 

G.   Albert   de   Meyer,   le.^   Premières   controverses  jansénistes  en   France 


90  BULLETIN   HISTORIQUE. 

livre  se  rangera  en  bonne  place  dans  nos  bibliothèques.  D'abord 
parce  qu'il  est  fait  avec  le  plus  grand  soin.  L'auteur  ne  s'est  pas 
contenté  de  lire  les  traités  que  les  deux  partis  se  jetaient  à  la  tête; 
il  a  copieusement  analysé,  pour  notre  profit,  les  plus  considérables 
d'entre  eux,  VAugustinus,  les  Apologies  d'Arnaud,  les  ripostes 
du  théologal  Habert  et  du  P.  Etienne  Deschamps,  la  Fréquente 
communion  et  la  Tradition  de  l'Église,  le  Petrus  Aurelius  et 
les  dissertations  du  P.  Petau'.  De  fructueuses  recherches  ont  été 
faites  à  Rome. 

A  force  de  vouloir  être  complet  et  parcourir,  par  des  avenues 
divergentes,  toutes  les  parties  de  son  vaste  domaine,  M.  de  Meyer 
n'est  pas,  il  faut  le  reconnaître,  sans  déconcerter  parfois  son  lecteur. 
On  a  du  mal  à  reconstituer  la  suite  chronologique  des  faits,  en  rai- 
son des  répétitions  fréquentes;  à  maintes  reprises  reviennent  les 
mêmes  événements,  considérés  chaque  fois  comme  les  points  de 
départ  d'une  évolution  différente  :  la  mort  de  Richelieu,  l'arrestation 
de  Saint-Oyran,  la  mort  du  fougueux  apôtre;  deux  fois  l'affaire  des 
PP.  Knott  et  Floyd.  Cela  était  peut-être  inévitable. 

M.  de  Meyer  a  fait  un  méritoire  effort,  et  qui  nous  paraît  cou- 
ronné de  succès,  pour  être  impartial.  Sans  adopter  le  moins  du 
monde  les  principes  du  jansénisme,  il  y  voit  une  floraison  naturelle 
de  la  contre-Réforme.  Les  luttes  qu'il  a  provoquées  sont  «  comme 
la  rançon  de  la  fidélité  de  la  France  à  l'orthodoxie  ».  Dans  son  étude 
du  jansénisme  moral,  il  insiste  sur  l'élévation  de  cette  conception, 
«  conception  très  aristocratique  »  d'ailleurs,  très  individualiste  to'ut 
au  moins  2.  Il  permet  de  prévoir  Pascal  lorsqu'il  nous  montre  Saint- 
Cyran  voulant  «  pour  l'àmeun  tête-à-tête  avec  Dieu,  aussi  continuel 
et  aussi  intime  que  s'il  n'y  avait  eu  au  monde  que  Dieu  et  cette 

{16i0-16i5).  Louvain  (Université  catholique.  Dissertations  doctorales..., 
II*  série,  t.  IX),  Van  Linthout,  1917,  in-8",  xxiii-574  p.  Après  l'incendie  de 
1914,  M.  de  Meyer  a  trouvé  asile  dans  la  bibliothèque  du  collège  des  Jésuites. 

1.  L'information  reste  un  peu  unilatérale.  Un  simple  coup  d'oeil  sur  la 
France  protestante  (t.  III,  p.  60-67)  eût  empêché  M.  de  Meyer  de  croire 
(p.  285)  La  Milletière  «  loyal  et  sincère  ».  Ce  pasteur  en  travail  de  conversion, 
excommunié  par  le  synode  de  Charenton,  le  25  janvier  1645,  apparaît  comme 
un  personnage  assez  méprisable,  et  probablement  vénal. 

2.  Nous  nous  étonnons  qu'après  avoir  relevé,  entre  autres,  cette  proposition 
du  P.  Héreau  :  «  Une  jeune  fille  trompée  par  ruse  ou  par  violence  peut,  pour 
éviter  le  déshonneur,  se  débarrasser  de  son  fruit  avant  qu'il  ne  soit  animé  », 
M.  de  Meyer  puisse  écrire,  avec  une  certaine  ironie  :  «  Les  requêtes  adressées 
au  Parlement  et  les  «  avertissements  »  destinés  au  public  dénonçaient  ces  pro- 
positions avec  des  accents  pathétiques  qui  nous  font  quelque  peu  sourire  à 
notre  époque.  »  Ces  propositions  ont  eu  un  regain  de  faveur  dans  les  premiers 
temps  de  l'invasion  allemande.  Elles  n'ont  rien  quv  appelle  le  sourire. 


HISTOIRE   DE   FRANCE. 


91 


âme  ».  Nous  croyons  qu'il  a  vu  très  juste  en  disant  que  «  cette 
sévère  doctrine,  qui  n'avait  pas  d'égard  pour  la  nature,  tomba  en 
France  dans  un  terrain  admirablement  préparé.  Le  jansénisme  y 
était  comme  attendu  ».  De  là  son  succès,  succès  facilité  d'ailleurs 
par  «  la  supériorité  intellectuelle  des  polémistes  de  Port-Royal,  en 
particulier  d'Arnauld  »,  et  par  les  maladresses  de  ses  adversaires. 

Quant  à  savoir  si  c'est  le  jansénisme  qui  a,  «  sans  le  vouloir,  tra- 
vaillé à  l'ébranlement  de  la  foi  et  à  l'émancipation  des  esprits,  en  les 
détachant  de  l'autorité  infaillible  de  l'Église  enseignante  »,  ou  si 
plutôt  ce  n'est  pas  la  polémique  elle-même  qui  fut  une  leçon  de  cri- 
tique et  d'indifférence,  la  question  est  délicate  et  reste  ouverte.  De 
toutes  façons,  et  quoique  le  jansénisme  ait  «  exercé  une  influence 
considérable  sur  la  ferveur  religieuse  que  manifestaient,  au  xvii'^  siècle, 
de  nombreuses  âmes  d'élite  »,  les  controverses  étudiées  par  M.  de 
Meyer  ont  «  déblayé  le  terrain  pour  les  philosophies  antireligieuses 
du  xviii*  siècle^  ». 

C'est  encore  du  jansénisme  qu'il  est  question  dans  le  premier  des 
deux  volumes  que  vient  de  publier  M.  Henri  Brémond^.  Deux 
volumes  sur  la  «  conquête  mystique  »  !  Cela  serait  à  faire  frémir  si 
l'on  ne  savait  qu'on  ne  s'ennuie  jamais  dans  la  compagnie  de  M.  Bré- 
mond.  Il  rend  vivant  tout  ce  qu'il  touche,  même  ce  qu'il  n'aime  pas. 
Fidèle  à  son  point  de  départ,  il  veut  démontrer  que  le  jansénisme 
est  une  doctrine  de  peu  d'originalité.  «  Saint-Cyran  n'est  en  somme 
qu'un  Bérulle  malade  et  un  peu  brouillon  »,  assez  dépaysé  dans  une 
histoire  littéraire  du  sentiment  religieux,  car  «  il  écrivait  mal  sans 
le  moindre  effort  ».  La  seule  originalité  que  M.  Brémond  lui  recon- 
naisse, par  une  conjecture  au  moins  hardie  (p.  72),  c'est  qu'au  fond  de 
son  cœur  il  était,  comme  on  disait  alors,  bien  près  de  Charenton.  En 
somme,  c'est  l'évêque  d'Ypres  qui  est  le  seul  et  vrai  père  du  jansé- 
nisme, encore  que  l'on  puisse  dire  d'Arnauld  :  «  Il  a  créé  la  secte 
janséniste,  mais  sans  le  vouloir,  sans  même  y  songer.  »  Doctoral  et 
pédant,  intellectuel  pur,  Arnauld,  aux  yeux  de  M.  Brémond,  appar- 
tient à  l'histoire  de  la  controverse,  mais  non  pas  à  celle  du  senti- 
ment religieux,  et,  dans  cette  famille  qu'il  étudie  après  et  souvent 

1.  Appendices  sur  Zamet  el  les  accusateurs  de  Saint-Cyran  en  1638,  les 
«  petites  écoles  »,  les  sources  de  la  Théologie  morale  des  Jésuites,  le  cardinal 
de  Lugo. 

2.  Henri  Brémond,  Histoire  littéraire  du  sentiment  religieux  en  France 
depuis  la  fin  des  guêtres  de  religion  jusqu'à  nos  jours.  T.  IV  :  la  Conquête 
mystique.  **  L'ixole  de  Port-Royal,  et  l.  V  :  la  Conquête  mystique. 
***  L'École  du  p.  Lallemanl  et  ta  tradition  mystique  dans  la  Compagnie  de 
Jésus.  Paris,  IJloud  et  Gay,  lOiO,  2  vol.  in-8°,  iii-595  p.,  8  pi.,  et  411  p.,  1  pL 
Le  tome  I  a  été  analysé  dans  la  Revue  de  1918,  t.  CXXVII,  p.  309-311.  Les 
tomes  II  et  III  ne  nous  sont  pas  parvenus. 


92  BULLETIN   HISTORIQUE. 

avec  Sainte-Beuve,  une  seule  figure  lui  parait  sympathique,  celle 
de  la  mère  Agnès. 

A  Pascal  va  toute  son  admirative  affection.  Son  chapitre  sur  «  la 
prière  de  Pascal  »  est  une  chose  profondément  émouvante.  Mais 
quoi,  ce  génie  vraiment  mystique,  ce  cœur  inondé  d'amour  et  de 
joie  divine,  on  ne  saurait  l'enfermer  dans  les  bornes  d'une  secte;  il 
s'en  échappe  à  mesure  qu'il  avance;  après  avoir  été  le  chevalier  de 
Port-Royal,  il  meurt  à  peine  janséniste.  «  Et  c'est  ainsi  que,  dans 
une  âme  vraiment  vivante,  la  vie  elle-même  complète,  corrige  et 
déborde  les  formules  étroites  sur  lesquelles  on  avait  cru  la  régler.  » 
Quant  au  bon  Nicole,  l'antimystique,  c'est  un  «  janséniste  malgré 
lui  ». 

Le  volume  suivant  doit  nous  donner  une  autre  démonstration 
non  seulement  du  peu  de  nouveauté,  mais  de  l'inutihlé  du  jansé- 
nisme, en  nous  montrant  le  travail  religieux  accomph  sans  lui,  en 
dehors  de  lui,  avant  lui.  C'est  un  voyage  de  découverte.  M.  Bré- 
mond  nous  révèle  Técole  du  P.  Lallemand,  «  plus  une,  plus  origi- 
nale, plus  sublime  vingt  fois  et  vingt  fois  plus  austère,  plus  dure 
que  Port- Royal  ».  Et  comme  son  fondateur  est  mort  «  sans  avoir 
rien  écrit  »,  nous  faisons  connaissance  avec  «  les  disciples  de  ce 
grand  homme  ».  Parmi  eux  brille  le  P.  Surin,  «  d'une  telle  gloire  » 
que  nous  sommes  honteux  de  l'avoir  jusqu'à  ce  jour  ignorée.  Que 
de  gloires,  grand  Dieu!  nous  en  sommes  tout  éberlués  :  JuHen 
Maunoir  et  Jean  Rigoleuc,  M™^  Hélyot  et  Jean  Grasset,  Louise  du 
Néant  et  François  Guilloré.  Gloires  quelquefois  un  peu  troubles, 
car  le  P.  Surin  est  mêlé  d'assez  fâcheuse  façon  à  l'histoire  des 
diables  de  Loudun,  que  M.  Brémond  nous  conte  d'ailleurs  avec  un 
grand  effort  critique,  et  sans  cacher  que  la  cellule  du  mystique  est 
en  certains  cas  l'antichambre  de  la  maison  de  fous. 

Il  n'importe.  On  suit  toujours  l'auteur  avec  intérêt,  parce  qu'il 
est  toujours  savoureux.  Les  historiens  goûteront  surtout  le  chapitre 
sur  les  missions  bretonnes,  sur  la  «  réévangélisation  de  la  Bretagne 
au  XVII*  siècle  ».  Il  y  a  là,  sur  l'état  intellectuel  et  moral  d'une  pro- 
vince au  temps  de  Louis  XIII,  et  aussi  sur  les  procédés  de  pédago- 
gie populaire  employés  pour  éclairer  ces  pauvres  cervelles,  des  docu- 
ments de  premier  ordre. 

On  revient  au  jansénisme  en  relisant  la  lettre  apologétique  (du 
20  novembre  1637)  de  Saint-Cyran  à  «  Monsieur  Vincent  »  dans  la 
nouvelle  édition  de  la  Correspondance  du  saint  donnée  par  M.  Pierre 
Coste'.  Cette  édition,  dont  le  premier  volume  va  jusqu'en  1635, 

1.  Saiîit  Vincent  de  Paul.  Correspondance,  entretiens,  documents.  I.  Cor- 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  93 

réalise  un  progrès  sensible  sur  celles  qui  Font  précédée.  Elle  a  été 
établie  avec  critique  et  c'est  ainsi  (p.  2)  que  le  nouvel  éditeur  a 
reproduit  des  passages  «  omis  »  par  Abelly,  omis  parce  qu'ils  «  lui 
semblaient  peu  dignes  du  saint  ».  Grâce  à  ses  recherches,  M.  Coste  a 
pu  ajouter  à  l'édition  de  Pémartin  (1880),  qui  contenait  plus  de 
2,000  lettres,  des  centaines  de  lettres  nouvelles  et  le  résumé  des 
lettres  dont  nous  connaissons  le  contenu  sans  en  posséder  le  texte. 
Elles  sont  publiées  avec  soin  et  correction  \  et  assez  bien  annotées. 
Surtout  le  volume  est  enrichi  des  lettres  adressées  à  Vincent  par  ses 
correspondants,  Louise  de  Marillëc  surtout,  la  présidente  Goussault, 
sainte  Chantai,  Olier,  etc.  C'est  par  là  surtout 'que  cette  édition  pré- 
sente un  intérêt  pour  l'histoire  sociale  du  xvii^  siècle^.  Comme  avec 
M.  Brémond,  nous  sommes  ici  dans  la  réalité  concrète. 

Le  rôle  de  la  Saintonge,  de  l'Aunis,  de  l'Angoumois,  du  Poitou 
est  essentiel  dans  l'histoire  de  la  Fronde,  à  raison  de  la  proximité 
de  Bordeaux.  Déjà  la  Société  des  archives  historiques  de  la  Sain- 
tonge et  de  l'Aunis  nous  avait  donné  sur  ce  sujet  les  lettres  de 
Samuel  Robert.  Elle  y  joint  un  paquet  de  219  lettres,  allant  de  1645 
à  1654,  recueilhes  à  la  Bibliothèque  nationale  et  aux  Affaires  étran- 
gères par  M.  Delavaud,  publiées  par  M.  Ch.  Dangibeaud^.  Elles 
n'apportent  rien  de  particulièrement  nouveau.  Cependant  les  lettres 
de  Montausier,  en  particulier,  nous  renseignent  sur  l'état  d'esprit  de 
provinces  où  vivait  le  souvenir  des  troubles  de  1644,  causés  par  les 
droits  sur  les  vins,  provinces  qui  semblaient  mûres  pour  la  rébellion. 
Le  succès  du  pétulant  Marsillac  devenait  dès  lors  assez  facile.  A  moins 
que  Montausier  n'ait  un  peu  exagéré  le  mal  pour  mieux  faire  valoir 

respondance.  T.  I  :  1607-1609,  édition  publiée  et  annotée  par  Pierre  Coste. 
Paris,  J.  Gabalda,  1920,  in-8%  xxxviii-624  p.,  un  fac-similé,  préface  de 
M.  François  Verdier.  L'édition  sera  complétée  par  des  entretiens  et  documents. 
Le  premier  volume  contient  416  lettres  de  et  à  Vincent.  En  dehors  de  trois 
lettres  de  1607-1610  (en  particulier  la  célèbre  lettre  à  M.  de  Cornet  sur  la  cap- 
tivité à  Tunis),  la  correspondance  commence  en  1616  et  ne  devient  régulière 
qu'en  16'25.  —  Rappelons  que  Vincent  signe  uniformément  Depaul.  L'ortho- 
graphe h.igiographique  courante  n'a  aucune  raison  d'être. 

1.  P.  133,  1.  14  de  la  lettre  87,  il  faut  lire  «  ains  »  et  non  «  ainsi  ». 

2.  Voir  par  exemple  (p.  191,  lettre  135)  comment  M"-  Goussault  raconte  un 
de  ses  voyages  de  converlisseuse  ou  comment  Olier  (j).  338,  lettre  226)  décrit 
la  fièvre  religieuse  qui  saisit,  lors  d'une  mission,  la  population  des  montagnes 
d'Auvergne.  Détails  intéressants,  çà  et  là,  sur  la  situation  réelle  du  protestan- 
tisme sous  Richelieu.  P.  252  (le  25  juillet  1634),  Vincent  écrit  ;\  propos  des 
Cévennes  :  «  Il  n'y  a  point  de  village  où  il  n'y  ait  quelques  catholiques  parmi 
les  huguenots,  excepté  cinq  ou  six.  » 

3.  Lettres  relatives  à  In  Fronde  en  Saintonrje  (t.  XLVI  des  Archives  histo- 
riques de  la  Saintonge  et  de  l'Amm).  Paris,  Picard,  et  Saintes,  G.  Prévost, 
1915,  in-8°,  LU-304  p.,  4  pi.,  introduction  de  M.  Dangibeaud  et  bibliographie. 


94  BDLLETIN    HISTORIQUE. 

son  dévouement  et  obtenir  de  Mazarin  le  remboursement  de  ses 
frais.  Ces  lettres  ajoutent  également  quelques  traits  au  portrait  de 
l'énigmatique  du  Dognon^ 

Claude  Cochin,  l'un  des  travailleurs  que  la  guerre  nous  a  enle- 
vés, avait  préparé  un  supplément  à  là  Correspondance  de  Retz^. 
Les  169  lettres  publiées  sous  son  nom  par  M.  Henry  Cochin  s'éche- 
lonnent de  1643,  mais  surtout  de  1650  à  1675.  Elles  se  rapportent 
particulièrement  à  la  fuite  du  cardinal,  à  son  long  séjour  en  Italie  et 
à  ses  dernières  années.  Ces  lettres  permettent  d'établir  que,  durant 
les  années  1657-1660,  Retz  n'a  pas  cessé,  malgré  ses  voyages,  de 
rester  en  correspondance  avec  les  chefs  de  l'Eglise.  Les  appendices 
préparés  par  Cochin  nous  apportent  des  documents  sur  la  profession 
de  M""  d'Epernon,  sur  le  «  chapeau  »  de  Retz,  sur  les  sentiments 
de  Louis  XIV  à  l'égard  de  l'ancien  rebelle,  sur  Retz  et  Port-Royal, 
c'est-à-dire  sur  la  façon  peu  élégante  dont  il  abandonna  Port-Royal 
après  l'avoir  soutenu,  sur  le  projet  qu'il  eut,  retiré  en  pénitent  à 
Saint-Mihiel,  de  renoncer  à  la  pourpre.  Sur  l'injonction  du  pape,  il 
se  décida,  nous  rapporte  M"**  de  Sévigné,  à  «  user  ses  vieilles 
calottes  ». 

Le  toîne  IV  deVHistoire  de  la  marine  française  de  M.  Ch.  de 
La  Roncière  avait  pour  sous-titre  :  En  quête  d'un  empire  colo- 
nial. Richelieu.  Le  cinquième  a  aussi  un  double  sous-titre  :  la 
Guerre  de  Trente  ans.  Colbert'^.  En  fait,  les  cent  premières  .pages 
du  volume  sont  encore  consacrées  à  Richelieu,  au  Richelieu  en 
guerre  ouverte  contre  la  maison  d'Autriche  à  partir  de  1635.  Puis 
vient  l'histoire  navale  du  ministère  de  Mazarin,  moins  vide  qu'on 
ne  le  répète  d'ordinaire,  avec  les  coups  de  main  en  Catalogne,  les 
tentatives  contre  les  Deux-Siciles,  et  ce  qu'on  peut  appeler  la  guerre 
de  la  Fronde  maritime.  C'est  seulement  après  avoir  déploré  l'effon- 
drement de  l'empire  colonial  de  Richelieu  et  narré  tout  d'une  haleine 
la  guerre  de  Candie  que  M.  de  La  Roncière  introduit  Colbert. 

^  1.  p.  24,  n.  2,  la  question  des  villes  impériales  d'Alsace  est  mal  comprise. 
P.  41,  1.  3,  au  lieu  de  «  vostre  »,  lire  «  y  estre  ».  Le  n"  XL  n'est  pas  adressé 
«  au  Parlement  de  Paris  »,  mais  probablement  aux  receveurs  des  traites  du 
Poitou.  Les  résumés  ne  sont  pas  toujours  exacts.  Par  exemple,  n"  CXXXVIII, 
c'est  contre  la  nomination  de  de  Launay  que  les  Rochelois  protestent,  et  non 
contre  le  retard  apporté  à  la  démolition  des  tours. 

2.  Cardinal  de  Retz,  Supplément  à  la  Correspondance...  Paris,  Hachette 
{les  Grands  Écrivains),  1920,  in-8°,  xii-328  p.,  deux  fac-similés,  préface  de 
M.  Henry  Cochin.  Le  manuscrit  a  été  revisé  par  M.  Léon  Lecestre.  Un  index. 
L'annotation  est  à  la  fois  sobre  et  instructive. 

3.  Charles  de  La  Roncière,  Histoire  de  la  marine  française.  T.\  :  la  Guerre 
de  TreîUe  a7is.  Colbert.  Paris,  Pion,  1920,  in-8',  748  p.,  une  trentaine  de 
fig.  non  numérotées.  ^ 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  ,  95 

Il  étudie  le  ministre,  son  œuvre  administrative  et  législative,  ses 
efforts  (le  plus  souvent  impuissants)  pour  intéresser  le  maître  aux 
choses  de  la  mer,  les  compagnies  qu'il  a  créées.  Puis  il  fait  l'histoire 
de  la  période  même,  les  guerres  de  1665  à  1668,  l'essor  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  la  guerre  de  Hollande  et  ses  suites,  la  lutte  contre 
les  Barbaresques.  Le  volume  s'arrête  en  l'an  1683. 

On  y  retrouvera  les  mêmes  qualités  que  dans  les  précédents,  la 
même  richesse  de  documentation,  la  même  abondance  de  détails.  II 
est  écrit,  aussi,  avec  la  même  verve,  qu'il  s'agisse  de  nous  conter 
les  aperlises  des  écumeurs  de  la  Méditerranée,  les  aventures  prodi- 
gieuses des  flibustiers  ou  les  duels  épiques  d'Abraham  du  Quesne  et 
de  Ruyter.  On  se  plaît  toujours  à  lire  M.  de  La  Roncière.  On  est 
parfois  un  peu  ébloui  par  les  éclairs  des  bombardes  et  par  le  fracas 
des  abordages  1.  On  se  demande  aussi  par  instants  comment  il  se 
fait  qu'en  ces  belles  histoires  les  Français  aient  toujours  raison  et 
leurs  ennemis  toujours  tort 2.  C'est  peut-être  une  vue  un  peu  simple. 

Henri  Hauser. 

.  1.  Comme  dans  les  volumes  antérieurs,  que  de  curieux  renseignements  sur 
des  inventions  techniques  qui  paraissent  avoir  été  négligées!  P.  385,  p.  4  : 
«  torpilles  et  sous-marins  ».  Même  page,  dans  le  texte  :  «  une  machine  capable 
de  faire  marcher  un  vaisseau  sans  vent,  sans  avirons  et  sans  voiles  ». 

2.  On  aimerait,  par  endroits,  certaines  discussions  critiques.  P.  598,  un 
document  vénitien  accuse  Colbert  d'avoir  rêvé  la  conquête  de  Naples  et  de  la 
Sicile.  Cela  vaudrait  la  peine  d'être  examiné.  —  M.  de  La  Roncière  attribue 
couramment  à  d'Elbée  (et  je  crois  bien  qu'il  a  ses  raisons)  la  Relation  de  ce  qui 
s'est  passé  dans  les  isles...  par  1.  C.  S.  D.  V.,  de  1671,  faussement  attribuée 
depuis  Gomberville  à  Clodoré  (voir  Bourgeois  et  André,  Sources,  n°  570)  et 
que,  dans  un  article  d'ailleurs  médiocre  de  la  Revue  des  éludes  historiques 
(juillet-octobre  1920),  M.  Chassaigne  revendique  pour  de  La  Barre.  Nous  sou- 
haiterions que  M.  de  La  Roncière  élucidât  ce  point. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


J.  TOUTAIN.  Les  cultes  païens  dans  l'Empire  romain.  1''*  partie  : 
les  Provinces  latines.  T.  III  :  les  Cultes  indigènes  nationaux 
et  locaux,  Afrique  du  Nord,  Péninsule  ibérique  et  Gaule. 
Paris,  Leroux,  1920.  1  vol.,  470  pages.  Prix  :  40  francs. 

Les  deux  volumes  précédemment  parus  ont  déjà  permis  d'apprécier 
toute  l'utilité  du  grand  travail  auquel  M.  Toutain  a  attaché  son  nom. 
Après  l'étude  des  Cultes  officiels  et  des  Cultes  orientaux  dans  les 
provinces  latines  du  monde  romain,  voici  celle  des  cultes  indigènes 
dans  les  trois  principales  d'entre  elles. 

Dans  chacune  d'elles,  l'enquête  est  conduite  suivant  un  plan  iden- 
tique. Après  quelques  considérations  générales  sur  la  province  elle- 
même  et  son  histoire,  M.  Toutain  commence  par  dénombrer  les  prin- 
cipales divinités.  Il  en  trouve  un  nombre  considérable  :  une  quarantaine 
en  Afrique;  130  environ  en  Espagne  et  plus  de  180  dans  la  Gaule 
romaine,  sans  compter  les  deux  provinces  de  Germanie.  Tout  ce  per- 
sonnel divin  est  énuméré  par  ordre  alphabétique.  Autant  que  faire  se 
peut,  la  physionomie  de  chaque  dieu,  déesse  ou  génie,  est  déterminée. 
Quiconque  a  eu  à  se  débattre  avec  les  innombrables  appellations  ou 
épithètes  ou  avec  les  représentations  figurées  des  mythologies  provin- 
ciales se  rendra  compte  de  l'immense  service  qu'est  appelée  à  rendre 
cette  mise  au  point. 

Vient  ensuite  l'étude  détaillée  des  principaux  sanctuaires  connus, 
puis  des  rites.  M.  Toutain  se  garde  prudemment  des  considérations 
théologiques.  Il  sait  que  les  monuments  épigraphiques  ou  archéolo- 
giques, qui  constituent  à  peu  près  sa  seule  source,  ne  permettent  guère 
de  retrouver  les  imaginations  religieuses  du  paganisme.  Tout  en  s'en 
tenant  résolument  aux  faits,  il  n'en  est  pas  moins  amené,  de  temps 
en  temps,  à  risquer  une  théorie.  Parmi  celles-ci,  nous  signalerons 
comme  fort  intéresssante  la  théorie  de  l'offrande-rachat,  très  ingé- 
nieusement déduite  du  texte  de  César  relatif  aux  sacrifices  humains. 
Les  Gaulois  croyaient  que  le  seul  moyen  d'apaiser  la  divinité  était  de 
lui  offrir  une  vie  d'homme  pour  une  vie  d'homme.  Les  offrandes  : 
figurines  d'hommes  ou  d'animaux  ou  parties  de  ces  figures  étaient  des 
substituts  représentant  l'être  ou  la  partie  de  l'être  qu'il  s'agissait  de 
racheter.  Si  juste  que  paraisse  cette  explication,  nous  hésiterons  cepen- 
pendant  à  l'appliquer  à  l'un  des  principaux  monuments  à  propos  des- 
quels M.  Toutain  fut  amené  à  la  formuler  :  le  cheval  de  bronze  de 


J.    TOUTAIN    :    LES    COLTES    PAÏENS    DANS   l'eMPIRE    ROMAIN.  97 

Neuvy-ea-SuUias.  On  connaît  cette  belle  statue  demi-grandeur,  con- 
sacrée au  dieu  Rudiobus  (Espérandieu,  Recueil,  n"  2978).  Ce  serait, 
pense  M.  Toutain,  un  simple  ex-voto  et  non  pas,  comme  l'expliquait 
M.  S.  Reinach,  la  statue  de  culte  de  Rudiobus  lui-même,  lequel  aurait 
donc  été  un  dieu-cheval.  Cependant,  l'hypothèse  de  M.  S.  Reinach 
s'attache,  peut-on  dire,  assez  solidement,  à  quatre  anneaux  fixés  sur 
le  socle  et  destinés  à  recevoir  des  brancards  permettant  de  porter  la 
statue  dans  des  processions.  Bien  plus,  l'inscription  gravée  sur  le 
socle  convient  mieux  à  une  statue  de  culte  qu'à  un  ex-voto  :  le  dona- 
teur précise  qu'il  a  offert  la  statue  de  ses  propres  deniers,  mention 
évidemment  superflue  s'il  s'agissait  de  l'exécution  d'un  vœu,  en  outre 
deux  personnages  sont  nommés  pour  avoir  présidé  à  la  confection  de 
l'œuvre  d'art  :  voilà  bien  de  l'importance  attribuée  à  un  simple  ex-voto  ! 
De  tels  éléments  d'appréciation  ne  permettent  guère,  sans  doute, 
d'atteindre  à  la  certitude.  Nous  n'avons  insisté  sur  ces  détails  que 
pour  donner  une  idée  des  difficultés  qu'a  rencontrées,  à  chaque  pas, 
le  travail  de  M.  Toutain. 

Après  avoir  étudié  les  dieux,  leurs  sanctuaires  et  leurs  rites, 
M.  Toutain  cherche  à  préciser  la  diffusion  géographique  et  sociale  des 
cultes.  Il  procède  par  une  suite  savante  de  statistiques  et  de  calculs 
proportionnels.  Si  légitime  que  paraisse  une  telle  méthode,  ne  peut-on 
pas  lui  reprocher  l'illusion  d'une  trop  rigoureuse  certitude?  N'ou- 
blions pas,  en  effet,  que  la  distribution  de  nos  documents  repose,  en 
dernière  analyse,  sur  le  hasard  des  trouvailles.  Aussi  bien,  M.  Tou^ 
tain  prend-il  soin  de  corriger  par  des  atténuations  ce  que  ses  conclu- 
sions ont  de  trop  absolu  :  «  Ces  inégalités  dans  la  ditïusion  des  cultes 
indigènes  dans  la  Gaule  romaine  »,  déclare-t-il,  «  sont  plus  apparentes 
que  réelles...  »  (p.  425);  ailleurs,  à  plusieurs  reprises  (p.  429,  430, 
432,  etc.),  il  reconnaît  que  les  raisons  précises  de  la  diffusion  de  tel  ou 
tel  culte  échappent  à  toute  explication.  Ce  ne  sont  donc  que  des  solu- 
tions provisoires.  C'est  ainsi  qu'il  faut  les  accepter  et,  en  ce  sens,  on 
ne  peut  que  savoir  gré  à  M.  Toutain  du  soin  apporté  à  établir  le  bilan 
de  nos  connaissances  actuelles. 

En  Afrique,  en  Espagne,  aussi  bien  qu'en  Gaule,  la  durée  des  cultes 
indigènes  semble  s'être  prolongée  jusqu'à  la  fin  de  l'époque  romaine 
et  même  au  delà.  M.  Toutain  fait,  dans  cette  partie,  un  usage  heureux 
des  indications  que  fournissent  les  premiers  auteurs  chrétiens  et  le 
folklore.  C'est  là  une  source  qui  n'a  encore  été  qu'insuffisamment 
exploitée.  Des  études  comme  l'article  de  feu  Marcel  Hébert  sur  les 
Martyrs  céplialoj)hores  (Revue  de  l'Université  de  Bruxelles,  jan- 
vier 1914)  montrent  notamment  tout  le  parti  que  l'on  pourrait  tirer 
des  légendes  des  saints  pour  la  connaissance  des  cultes  antiques. 

A  l'intérieur  même  de  l'époque  romaine,  peut-être  serait-il  possible, 
en  précisant  la  date  des  monuments  épigraphiques  et  archéologiques, 
de  retrouver,  au  moins  approxiipativement,  les  vicissitudes  de  la  riva- 
lité pacifique  entre  cultes  indigènes,  officiels  et  orientaux.  Le  chapitre 
Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  fasc.  7 


98  COMPTES-KENDUS   CRITIQCES. 

consacré  par  M.  Jullian  à  la  religion  gallo-romaine  dans  le  tome  VI 
de  son  Histoire  de  la  Gaule  apporte,  à  ce  sujet,  quelques  précieuses 
indications.  Mais  il  est  évidemment  difficile  d'atteindre,  en  pareille 
matière,  aux  conclusions  fermes  que  paraît  affectionner  M.  Toutain. 

Les  spécialistes  de  l'histoire  des  religions  n'apprécieront  pas  moins 
ce  livre  que  les  historiens  de  l'antiquité.  Les  uns  et  les  autres  y  trou- 
veront, distribuée  en  bel  ordre,  une  abondante  moisson  de  faits.  En 
cette  matière  particulièrement  confuse  et  compliquée  des  cultes  indi- 
gènes, l'auteur  apporte  une  netteté  éminemment  didactique  qui,  peut- 
être,  paraîtra  parfois  un  peu  sèche,  mais  qui  n'en  a  pas  moins  ses 
avantages.  Il  a  voulu  avant  tout  faire  un  livre  utile  et  il  y  a  parfaite- 
ment réussi. 

A.  Grenier. 


The  Mesta.  A  study  of  spanish  économie  history,  1273-1836,  by 

Julius  Klein,  Ph.  D.,  assistant  professer  of  latin  american  his- 
tory and  économies  in  Harvard  Uhiversity.  Cambridge,  Harvard 
University  press,  1920.  In-8°,  xvi  et  444  pages.  (Harvard  Eco- 
nomie Studies  published  under  the  direction  of  the  Department 
of  Economies,  voL  XXI.) 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  nous  entendons  parler  des  études 
de  M.  Julius  Klein  sur  la  fameuse  Mesta  :  il  avait  déjà  donné,  au 
Boletin  de  la  R.  Academia  de  la  Historia  de  Madrid  (16  février 
1914),  un  article  sur  les  «  privilegios  de  la  Mesta  »  de  1273  et  1276,  et 
un  autre  mémoire  sur  1'  «  Alcalde  Entregador  de  la  Mesta  »  dans  le 
Bulletin  hispanique  d'avril-juin  1915.  Mais  ce  n'étaient  là  que  des 
essais  et  l'ouvrage  entier,  qui  a  mérité  d'être  publié  dans  les  Econo- 
mie Studies  de  Harvard,  offre  une  importance  vraiment  considérable. 
Le  livre,  qui  compte  dix-sept  chapitres  et  une  conclusion,  traite  de 
l'organisation  du  pouvoir  judiciaire,  des  péages  et  du  pâturage,  du 
nomadisme  en  Espagne.  Il  est  pourvu  de  cinq  illustrations  :  une 
charte  de  Charles-Quint,  de  1525,  à  I'  «  honrrado  concejo  de  la  Mesta 
gênerai  destos  Reynos  de  Castilla  et  de  Léon  et  de  Granada  »,  qui 
contient  le  portrait  de  Charles-Quint  et  les  armes  de  la  Mesta  :  écar- 
telé  :  au  l»""  de  Castille;  au  2"-'  de  Léon;  au  3"  un  bélier  passant  con- 
tourné, la  tête  retournée  ;  au  4*  un  taureau  :  l'écu  supporté  par  une 
aigle;  une  carte  montrant  les  routes,  les  points  de  péage  et  les  pâtu- 
rages de  la  Mesta;  une  urne,  qui  date  du  xvi"  ou  du  xvii«  siècle 
(maintenant  la  propriété  de  l'Associàcion  gênerai  de  Ganaderos),  ser- 
vant aux  élections;  un  privilège  de  Ferdinand  et  Isabelle,  de  Sara- 
gosse,  26  janvier  1488,  fixant  les  péages  sur  les  troupeaux;  un  pri- 
vilège de  Jean  II  de  Castille,  "du  10  mai  1443,  confirmant  un  autre 
privilège  de  1441,  en  vertu  duquel  tous  les  bergers  du  royaume  doivent 


JULIUS  KLEIN  :'  THE  MESTi.  A  STUDT  OF  SPANISfl  ECONOMIC  HISTORï.       99 

être  membres  de  la  Mesta  et  sujets  à  ses  ordonnances.  L'auteur  de 
ce  privilège,  dit  M.  Klein,  doit  être  Alvaro  de  Luna,  qui  était  alors 
très  occupé  par  des  plans  pour  l'exploitation  de  l'industrie  pastorale. 

Au  sujet  du  mot  ■merino,  M.  Klein  est  d'avis  qu'il  faut  le  rattacher 
à  la  tribu  des  Beni-Merines.  «  Il  est  certain  que  la  race  des  mérinos 
n'était  pas  connue  en  Espagne  avant  ce  temps  (la  période  des  Almo- 
had),  car  le  fameux  auteur  classique  mauresque  sur  la  vie  agraire 
dans  la  péninsule,  Abu  Zacaria  Ben  Ahmed,  dans  son  «  Livre 
d'agriculture  »,  écrit  peu  de  temps  avant  l'arrivée  des  Beni-Merines, 
ne  fait  aucune  mention  de  mouton  ressemblant  au  merino.  Le  fait 
que  la  plus  grande  partie  des  termes  de  la  terminologie  espagnole  du 
moyen  âge  est  arabe  est  un  argument  de  plus  »,  et  il  cite  :  zagal, 
rabadan,  rafala,  morrueco,  ganado,  cahana,  et  mechta;  «  qui  est 
probablement  en  rapport  avec  mesla  ».  Mais  les  mots  ganado  (ani- 
mal domestique)  et  cahana  (troupeau,  bergerie,  cabane  du  berger) 
sont  d'origine  latine  :  ganado  (en  port,  gado)  vient  du  bas  latin 
ganatus  et  signifie  «  fortune,  biens  »,  «  troupeaux  »,  et  cahana  vient 
du  bas  latin  capanna  (Fr.  Dietz,  Etymologisches  Worterbuch  der 
romanischen  Sprachen,  Bonn,  1878,  p.  453  et  485).  Quant  à  mesta, 
l'étymologie  latine  donnée  par  Covarruvias  est  la  bonne  (mixta)  et 
Fernando  Cos-Gayon  l'approuve  :  «  sobre  la  etimologia  de  Mesta  no 
hay  taies  dudas.  Las  leyes  y  los  escritores  del  Honrado  Consejo  11a- 
man  constantemente  hacer  mesta  à  la  mezcla  y  reunion,  en  periodos 
determinados,  de  todos  los  ganaderos  y  de  todos  los  ganados,  à  fin  de 
contar  éstos,  separar  los  de  distintos  duerios,  conociendolos  por  las 
seîiales  hechas  con  hierros  o  de  otros  modos,  y  dejar  â  los  pastores, 
como  propiedad  suya,  los  que  resultasen  mostrencos  »  (La  Mesta. 
Revista  de  Espana,  t.  IX,  p.  337).  Rafala  est  traduit  par  M.  Klein 
une  première  fois  (p.  4)  :  «  a  pen  for  strays  »,  et  une  seconde  fois  : 
«  assemblée  »  (p.  12).  Dozy  ne  conniaît  que  le  second  sens  :  «  Comme 
le  verbe  raphala  signifie  voyager,  on  peut  fort  bien  avoir  donné  le 
nom  de  rehâla  à  l'assemblage  de  cabanes  que  les  bergers  voyageurs 
drossaient  pour  y  passer  la  nuit  »  {Glossaire  des  mots  espagnols 
etc.,  1869,  p.  331). 

Sur  le  sueldo  de  pipiones,  dont  M.  Klein  parle  à  la  p.  172,  je 
remarquerai  que  le  mot  figure  dans  Berceo,  dans  le  Libro  de 
Alexandre,  et  dans  le  Libro  de  amor  de  l'archiprêtre  de  Ilita,  et 
qu'il  signifie  une  monnaie  de  peu  de  valeur;  si  l'origine  de  ce  mot  est 
aragonaise,  cela  démontrerait  que  le  Libro  de  Alexandre  est  bien  de 
cette  région-là.  Dans  les  extraits  donnés  des  Ordonnances  de  la  Mesta 
de  Grenade  (p.  364  à  367),  il  faut  garder  sonsacar,  «  tirer  »  ;  alcarias 
est,  en  efïet,  pour  alquerias  (les  sulïixes  ca  et  que  se  mettent  l'un 
pour  l'autre);  ribediegos  est  aussi  à  conserver,  r  se  changeant  volon- 
tiers en  d.  Je  crois  que  le  mot  dehesa  (=  defensa)  aurait  dû  être  mis 
dans  le  glossaire  des  termes  indiquant  des  taxes  levées  sur  les  mou- 
tons; cf.  Dietz,  qui  compare  le  vieux  français  defois. 


100  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

M.  Klein,  dans  la  liste  qu'il  a  fournie  de  ses  sources,  a  donné  une 
description  des  archives  de  la  Mesta.  Ces  archives,  qui  étaient  dépo- 
sées dans  l'église  de  San  Martin  à  Madrid,  ont  été  récemment  trans- 
férées dans  une  maison  au  coin  de  la  rue  de  las  Huertas  et  de  la  rue 
de  Léon,  «  où  elles  sont  restées  sans  emploi  pendant  près  de  deux 
cents  ans  »,  dit  l'auteur;  elles  appartiennent  maintenant  à  l'Associa- 
cion  gênerai  de  Ganaderos  del  Reino.  Il  parle  aussi  des  archives  du 
duc  d'Osuna,  qui  est  depuis  peu  entre  les  mains  d'un  comité  de  créan- 
ciers, dont  le  président  est  le  comte  de  Romanones;  elles  ont  une 
importance  de  premier  ordre  pour  la  Mesta,  car  les  familles  alliées  à 
la  maison  d'Osuna  avaient  leurs  hiens  sur  les  routes  de  la  Mesta,  les 
Béjar,  les  Infantado,  les  Mendoza,  les  Santillana,  etc.^.  Il  termine 
par  le  British  Muséum  de  Londres  et  les  archives  de  Paris,  notam- 
ment la  collection  Tiran  des  Archivés  nationales,  et  la  bibliothèque 
Sainte-Geneviève. 

Ce  livre  de  M.  Julius  Klein  mérite  les  plus  grands  éloges,  il  est 
digne  de  l'Université  de  Harvard  et  fait  honneur  au  département  des 
sciences  économiques  qui  l'a  publié. 

Alf.  Morel-Fatio. 


E.  RoDOCANACHi.  La  Réforme  en  Italie.  1'*  partie.  Paris,  Aug. 
Picard,  1920.  In-8°,  465  pages. 

Beau  sujet.  Comment  le  mouvement  intellectuel  de  la  Renaissance 
a  donné  en  Italie  aux  spéculations  religieuses  un  essor  illimité;  com- 
ment, sur  ce  milieu,  ont  agi  les  influences  du  dehors,  celles  d'Alle- 
magne, qui  venaient  par  les  passages  orientaux  des  Alpes  et  par 
Venise,  celles  de'  France,  qui  s'infiltraient  par  la  cour  à  demi  fran- 
çaise de  Ferrare,  par  la  Savoie  et  le  Piémont,  terres  françaises  de 
1536  à  15592,  peut-être  même  par  la  Florence  des  Médicis,  et  encore 
par  les  hommes  d'Église  assez  suspects  que  le  Roi  Très-Chrétien 
employait  comme  ambassadeurs  en  Italie  ou  qui  représentaient  la 
France  dans  les  conclaves,  un  du  Bellay,  un  Pellicier  et  leur  suite  ;  sans 
parler  des  influences  suisses,  de  celle  de  Zwingli  en  particulier,  dont 
la  pensée  est  si  proche,  par  endroits,  de  celle  des  réformés  italiens? 

1.  L'un  des  propriétaires  d'une  des  plus  importantes  «  cabanas  »  Ht  don  à 
l'impératrice  Joséphine  d'un  troupeau  de  mérinos  :  «  El  Conde  de  Campo  de 
Alange,  cuya  cabaiia,  conocida  con  el  nombre  de  Negrete,  gozaba  de  gran  noin- 
bradia,  deseoso  de  tener  propicia  â  la  Emperatriz  Josephina,  le  regalô  un 
rebano  escogido  compuesto  de  1000  ovejas  y  de  los  correspondientes  carneros  » 
(Historia  de  Carlos  IV,  por  D.  A.  Muriel,  t.  III,  p.  67;  Mémorial  histôrico, 
t.  XXXI). 

2.  M.  Rodocanachi  ne  le  rappelle  même  pas  et  ne  fait  pas  même  allusion 
aux  Vaudois.  Il  est  vrai  qu'il  annonce  (sans  doute  pour  le  second  volume,  paru 
trop  tard  pour  être  mentionné  ici)  un  chapitre  sur  la  Savoie. 


E.    BODOCANACEI    :    LA   RÉFORME   EN   ITALIE.  101 

Pourquoi  l'Italie  n'a-t-elle  connu  ni  une  Réforme  révolutionnaire 
comme  celle  de  Luther  et  de  Hutten,  ni  une  Réforme  militante*  et  souf- 
frante, une  «  école  de  martyrs  »  comme  la  première  Réforme  française? 
Pourquoi,  sauf  quelques  exceptions  éclatantes,  les  Italiens  ont-ils  pré- 
féré la  fuite  au  bûcher?  Pourquoi  y  eut-il  des  réformateurs  itahens, 
non  une  réforme  italienne?  Voilà  quelques-unes  d^  questions  que 
doit  se  poser  l'historien. 

Pour  y  répondre,  il  se  dira  qu'il  faut  d'abord  voir  ce  qu'était  l'Ita- 
lie du  début  du  .wi^  siècle,  avec  ses  principautés  et  républiques,  et  les 
dominations  étrangères  qui  s'y  disputaient  la  prééminence  :  Français, 
Espagnols.  Il  faut  savoir  ce  qu'était  au  juste  la  papauté  de  ce  temps-là, 
au  temporel  et  au  spirituel;  savoir  que  les  Italiens,  contemplant  de 
plus  près  et  plus  constamment  qu'un  Luther  une  Rome  corrompue, 
avaient  peut-être  davantage  émoussé  en  eux  la  faculté  de  s'indigner. 
Des  langues  irrévérencieuses  disent  aujourd'hui  que  Rome  a  deux 
industries  :  les  antiquités  et  le  pape.  Cela  était  plus  vrai  encore  de  la 
Rome  et  de  toute  l'Italie  du  xvi«  siècle,  avec  leurs  églises  et  leurs  cou- 
vents innombrables.  Ne  serait-ce  point  l'une  des  raisons  pour  lesquelles 
les  Italiens  savaient  joindre  à  une  très  grande  hardiesse  de  pensée 
une  prudence  avisée  dans  la  pratique  de  la  vie?  La  papauté  était  pour 
l'Italie  du  xvi«  siècle  une  valeur  économique  de  premier  ordre.  Ceux 
qui  en  vivaient  pouvaient  difficilement  l'oublier.  —  Penser  comme  le 
petit  nombre  et  parler  comme  le  vulgaire,  c'est  le  mot  d'un  réform,a- 
teur  transalpin. 

On  aurait  aimé  que  M.  Rodocanachi  examinât  ces  problèmes.  II 
s'est  contenté,  après  un  exposé  très  général  de  ce  qu'était  l'état  du 
pays,  de  nous  donnef  quelques  indications  sur  le  mouvement  des 
idées,  sur  les  études  helléniques  et  les  études  juives,  sur  la  situation 
morale  du  clergé.  Des  fouilles  heureuses  dans  les  archives  vaticanes, 
aux  Investigationes,  lui  ont  fourni  sur  ce  dernier  et  scabreux  sujet 
de  savoureux  détails.  Mais  ces  choses  comptaient  en  Italie  moins  qu'en 
deçà  des  monts. 

Il  étudie  ensuite  les  controverses  religieuses,  pamphlets  hérétiques 
et  réfutations  catholiques,  puis  la  prédication.  Procédant  par  la 
méthode  monographique,  il  consacre  un  chapitre  à  chacun  des  prin- 
cipaux apôtres,  l'Espagnol  Valdès,  Ochino,  Vermigli,  Vergerio,  Car- 
nesecchi,  Caracciolo,  Paleario,  Curione,  Vittoria  Colonna,  Olimpia 
Morata,  etc.  Il  y  a  de  tout  dans  cette  liste,  des  réformés,  des  libres 
penseurs,  de  simples  humanistes.  A  aucun  moment  on  n'a  le  sen- 
timent d'une  évolution,  d'un  ensemble.  C'est  une  suite  de  notices  bio- 
graphiques, ce  n'est  pas  un  tableau^.  Est-ce  la  faute  du  sujet?  Un 
peu,  mais  il  faudrait  le  dire  et  expliquer  pourquoi. 

1.  M.  Rébelliau  a  consacré  à  ce  même  ouvrage  un  article  très  étudié,  plein 
d'indications  précieuses  pour  qui  s'intéresse  à  la  méthode  de  l'histoire  religieuse 
{Hevue  internationale  de  l'Enseignement,  janvier-février  1921).  Sous  la  poli- 
tesse académique  des  formules,  on  devine  que  M.  Rébelliau  souhaitait  mieux. 


102  COMPTES-RENDDS   CHiTIQDES. 

Eo  somme,  livre  assez  surperficiel,  qui  n'ajoutera  grand'chose  ni  à 
notre  connaissance  de  l'Italie  du  xvf  siècle,  ni  à  notre  conception  de 
la  Réforme  protestante.  Dans  les  appendices,  M.  Rodocanachi  adonné 
la  traduction  de  quelques  dialogues  d'Ochino  et  de  quelques  extraits 
de  Gontarini.  avec  des  notes  bibliographiques  ^  sur  quelques-uns  de 
ses  personnages.  Cela  est  bien.  Mais  pourquoi  n'a-t-il  pas  fait  corriger 
ses  épreuves?  Pas  une  page  où  un  nom,  un  titre  —  français,  italien  ou 
allemand  —  ne  soit  estropié;  par  exemple,  avec  une  insistance  aga- 
çante, celui  de  Reuchlin,  qui  devient  Reuchelin.  Les  coquilles,  les 
fautes  de  grammaire  même  ne  se  comptent  pas.  Il  serait  cruel  d'insis- 
ter sur  certaines  citations  allemandes  ou  même  italiennes. 

Henri  Hauser. 


Michel  Lhéritier.  Tourny  (1695-1760).  Paris,  Félix  Alcan,  1920. 
2  vol.  gr.  in-8°,  xvi-453  et  607  pages,  25  pi.*.  Prix  :  45  fr. 

Id.  Les  débuts  de  la  Révolution  à  Bordeaux,  d''après  les 
Tablettes  manuscrites  de  Pierre  Bernadau.  Thèse  complé- 
mentaire pour  le  doctorat  es  lettres  présentée  à  la  Faculté  des 
lettres  de  Paris.  Paris,  Félix  Alcan,  1919.  In-8°,  xxxii-1 15  pages. 

De  toutes  les  monographies  d'intendants  de  l'ancien  régime  que 
l'on  a  jusqu'ici  publiées,  celle  que  M.  Michel  Lhéritier  a  consacrée  à 
Louis-Urbain' Aubert,  marquis  de  Tourny,  intendant  de  Limoges  de 
1730  à  1743,  et  de  Guyenne  de  1743  à  1757,  est  certainement  la  plus 
copieuse.  Le  sujet  était  très  ample;  l'auteur  a  eu  l'ambition  d'en  épui- 
ser les  sources.  Les  diverses  séries  des  archives  départementales  de  la 
Gironde,  en  particulier  le  fonds  de  l'intendance,  lui  fournissaient  déjà 
une  très  riche  moisson  de  documents.  Il  l'a  complétée  par  des  recherches 
dans  les  archives  communales  de  Bordeaux,  d'Agen,  de  Périgueux  et 
des  villes  du  Bordelais  et  de  l'Agenais,  dans  les  archives  départemen- 
tales du  Lot-et-Garonne,  de  la  Haute- Vienne,  de  la  Charente,  de  la 
Corrèze,  de  l'Eure,  dans  les  archives  communales  de  Limoges  et  de 
Brive,  dans  les  fonds  manuscrits  des  bibliothèques  et  dépôts  de  Bor- 
deaux et  de  Périgueux.  Les  Archives  et  la  Bibliothèque  nationales, 
les  archives  de  la  Marine  et  des  Affaires  étrangères  ont  été  aussi 

Il  laisse  entendre  que  l'article  de  Long  dans  l'Encyclopédie  Lichtenberger  était 
plus  riche,  en  somme,  que  le  livre  de  M.  Rodocanachi.  Il  demande  pourquoi 
les  Socin  y  sont  omis. 

1.  Où  l'on  n'indique  même  pas  les  formats. 

2.  L'ouvrage,  accru  d'une  bibliographie,  réduit  pour  le  livre  I  à  une  intro- 
duction et  allégé  des  chajiitres  i,  ii,  xv  et  xvi  du  livre  IV,  a  aussi  paru  sous 
le  titre  :  Tourny  intendant  de  Bordeaux,  thèse  pour  le  doctorat  es  lettres 
pré.sentée  à  la,  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris  (Paris,  Félix  Alcan, 
iy'20,  1  vol.  in-8°  de  lxiv-813  p.).  ' 


MICHEL   LHÉRITIER    :    TOURNT    (1695-1760).  103 

mises  à  contribution.  Les  circonstances  seules  n'ont  pas  permis  à 
M.  Lhéritier  de  pénétrer  aux  archives  de  la  Guerre.  Par  contre,  il  a 
eu  communication  d'actes  notariés  et  de  papiers  de  famille  conservés 
par  M.  le  comte  de  Grancey,  héritier  de  Tourny.  L'enquête,  on  le  voit, 
a  été  très  vaste;  il  y  a  lieu  de  louer  l'ardeur  et  la  conscience  avec  les- 
quelles elle  a  été  conduite.  Cette  documentation  très  abondante  et  très 
variée  a  permis  à  M,  Lhéritier  de  renouveler  complètement  un  sujet  qui 
n'avait  été,  d'ailleurs,  que  très  légèrement  esquissé  avant  lui  dans 
quelques  éloges  académiques  et  dont,  seul,  M.  Benzacar  avait  tracé  les 
grandes  lignes  dans  son  étude  sur  les  Règles  économiques  de  Vad- 
minislration  d'Aiibert  de  Tournij. 

C'est  une  biographie  complète  de  Tourny  que  M.  Lhéritier  a  écrite. 
Les  origines  et  l'ascension  sociale  de  la  famille,  petits  gentilshommes 
originaires  du  Berry  ;  les  acquisitions  territoriales,  dues  aux  gains  faits 
comme  traitant  par  le  père  de  l'intendant,  créature  de  Pontchartrain  ; 
la  gestion  de  ce  riche  patrimoine;  les  rapports  de  Tourny  avec  sa 
sœur,  M""^  de  Grancey;  ses  chagrins  de  famille;  la  biographie  de  ses 
enfants;  l'extinction  de  sa  descendance;  les  héritiers  actuels;  l'icono- 
graphie de  Tourny,  il  a  étudié  tout  cela  par  le  menu,  et  tout  cela  est 
neuf,  ou  à  peu  près',  et  intéressant. 

La  carrière  administrative  de  Louis-Urbain  fut  celle  de  la  plupart 
des  intendants  de  l'ancien  régime.  Conseiller  au  Châtelet  à  dix-neuf 
ans,  par  dispense;  membre  du  Grand  Conseil  et  maître  des  requêtes 
avant  vingt-cinq  ans,  toujours  avec  dispense,  Tourny  fait  dans  ces 
fonctions  son  apprentissage  ;  il  s'initie  aux.  affaires  dans  les  bureaux 
et  se  crée  des  relations  utiles,  de  puissantes  amitiés.  Celle  de  Philibert 
Orry,  nommé  en  1730  contrôleur  général,  lui  vaut  d'être  désigné  pour 
l'intendance  de  Limoges,  puis  pour  celle  de  Guyenne.  Son  administra- 
tion ne  diffère  guère  de  celle  de  ses  collègues  du  temps  de  Louis  XV. 
Ce  qui  lui  appartient  en  propre,  c'est  la  façon  dont  il  exerça  sa  fonc- 
tion. Il  apporta  au  service  du  roi  un  dévouement  passionné,  un  désin- 
téressement absolu,  une  activité  admirable.  Il  voyait  tout  par  lui- 
même,  entrait  dans  le  plus  minutieux  détail  de  toutes  les  affaires, 
dirigeait  tout  d'une  main  ferme  et  impérieuse.  Peu  aimé  de  ses  admi- 
nistrés, (|ui  se  contentent  de  l'admirer,  il  fit  leur  bonheur  malgré  eux. 
Il  eut  à  un  degré  éminent  le  sens  de  l'urbanisme  et  le  goût  de  la  bâtisse. 
Il  transforma  plus  ou  moins  les  villes  de  ses  deux  généralités  ;  à  l'in- 
cohérence médiévale  il  substitua  l'ordre  et  la  symétrie;  à  Bordeaux, 
il  traça  les  grandes  lignes  de  la  ville  moderne.  Sa  volonté  vint  à  bout 
de  toutes  les  résistances;  il  ne  parvint  pourtant  pas  à  les  briser  et,  le 
jour  où  l'appui  du  pouvoir  central  lui  manqua,  il  tomba  victime  de 
son  humeur  impétueuse  et  de  sa  politique  trop  absolue.  Tourny  per- 
sonnifie, en  quelque  manière,  ce  régime  du  despotisme  éclairé  qui, 

1.  L'inconof^raphlc  de  Tourny  a  fait  l'objet  d'un  excellent  travail  de 
M.  Meaudrc  de  La|iouyade,  |)ublié  dans  la  Reçue  kistorùiue  de  Bordeaux,  1919, 
|).  20Ô-220,  et  qu'a  utilisé  M.  Lhéritier. 


104  •     COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

développant  les  principes  posés  par  Colbert,  donna  à  la  France  de 
Louis  XV  le  bienfait  d'une  administration  provinciale  à  beaucoup 
d'égards  excellente,  en  stimulant  la  vie  économique  du  pays,  en  trans- 
formant sa  figure  par  l'ouverture  de  routes  et  le  réveil  de  la  vie 
urbaine,  fondée,  d'ai|leurs,  sur  l'omnipotence  d'une  bureaucratie  très 
intelligente  et  très  active. 

M.  Lhéritier,  conquis  par  la  grandeur  de  ce  qu'il  appelle  «  un  *essai 
intéressant  de  régionalisme  centralisé  »,  a  pour  son  héros  une  admi- 
ration sans  mélange.. Elle  est  justifiée,  mais  à  la  condition  de  ne  pas 
l'exagérer.  Tourny  fut  un  administrateur  de  premier  ordre,  mais  on 
est  tenté  parfois  de  le  défendre  contre  son  propre  panégyriste.  Ce  n'est 
pas  diminuer  ce  grand  réalisateur  que  de  reconnaître  qu'il  eut  peu 
d'idées  personnelles,  qu'il  eut  surtout  le  mérite  d'exécuter  ce  que- 
d'autres  avaient  conçu.  Par  exemple,  dans  la  question  des  embellis- 
sements de  Bordeaux  —  la  seule  partie  de  son  œuvre  qui  lui  ait  survécu 
—  l'idée  des  «  cours  »  substitués  aux  fossés  n-'est  qu'une  imita- 
tion de  ce  qui  avait  été  fait  à  Paris,  et  les  règles  générales  de  l'amé- 
nagement des  villes,  Tourny  les  trouva  dans  «  son  »  Delamare.  Les 
allées  de  Tourny,  que  M,  Lhéritier  attribue  à  tort  à  d'Asfeld  (t.  IL 
p.  220),  qui  y  fit  précisément  opposition,  la  porte  du  Chapeau-Rouge, 
la  porte  Dauphine,  le  déplacement  de  la  porte  de  Tourny,  l'élargisse- 
ment de  la  rue  Sainte-Catherine,  l'ouverture  de  la  rue  Royale  appar- 
tiennent au  grand  architecte  Jacques  Gabriel,  qui  les  proposa  dès 
1728  (les  documents  ont  été  publiés  dans  le  t.  XLVIII  des  Archives 
historiques  de  la  Gii^onde).  L'idée  de  la  «  façade  »  sur  la  rivière 
remonte  au  projet  de  l'architecte  Michel  Du  Plessy,  en  1680,  repris  en 
1700  par  le  marquis  de  Durfort-Boissière,  qui  conçut  le  premier 
le  projet  de  la  place  Royale.  Ce  n'est  pas  non  plus  diminuer 
beaucoup  Tourny  que  d'avouer  qu'il  fut  un  courtisan  habile  à  ména- 
ger le  pouvoir  central  :  par  exemple,  dans  son  conflit  avec  l'Académie 
de  Bordeaux,  lorsqu'il  vit  que  la  partie  était  perdue  pour  lui,  à  la  suite 
de  l'intervention  de  Montesquieu,  il  sut  se  dégager  et  laissa  les  jurats 
seuls  en  face  de  Trudaine'.  La  conclusion  sur  Tourny  créateur  du 
plus  grand  Bordeaux  (t.  H,  p.  311-312),  juste  en  gros,  est  excessive  en 
ce  qu'elle  méconnaît  le  rôle  de  Dupré  de  Saint-Maur  qui,  en  1782, 
verra  plus  loin  et  plus  haut  que  son  prédécesseur.  Avec  M.  JuUian  et 
en  dépit  de  M.  Lhéritier  (cf.  t.  II,  p.  578),  il  est  permis  d'opposer  à 
l'intendant  de  Louis  XV  celui  de  Louis  XVI,  qui  eut  des  vues  plus 
larges,  plus  pénétrantes  et  qui  fut  plus  généreux,  plus  humain. 

M.  Lhéritier,  un  peu  écrasé  par  la  masse  formidable  de  documents 
qu'il  a  réunie,  n'a  donc  pas  pris  le  temps  de  regarder  en  dehors  des 
limites  de  son  sujet.  Sa  préparation  générale  se  trouve  de  ce  fait  par- 

1.  M.  Lhéritier  n'a  pas  suffisamment  utilisé  pour  l'histoire  de  ce  conflit  les 
registres  des  délibérations  de  l'Académie;  conservés  d'abord  à  la  Bibliothèque 
de  la  ville  de  Bordeaux,  ils  ont  été  récemment  réintégrés  aux  archives  de 
l'Académie. 


MICHEL   LHÉRITIER    :    TODRNT    (1695-1760).  105 

fois  insuffisante.  Ce  n'est  pas  dans  l'estuaire  du  Peugue  que  tint,  «  aux 
temps  anciens  »,  tout  le  port  de  Bordeaux  (t.  II,  p.  219),  c'est  dans 
celui  de  la  Devèze  ;  r«  estey  »  du  Peugue  fut  le  port,  non  de  l'emporium 
romain,  mais  de  la  ville  médiévale.  Les  pouvoirs  des  jurats  bordelais 
ne  s'étendirent  jamais  sur  les  «  villes  filleules  »  (t.  I,  p.  205).  Bazas 
n'était  pas  un  évèché  sutîragant  de  Bordeaux  (t.  I,  p.  203).  Aux  dio- 
cèses suffragants  de  Bordeaux,  il  eût  fallu  ajouter  Angoulême,  Saintes, 
Poitiers,  La  Rochelle  et  Luçon  (/bid.).  Il  y  avait  au  parlement  de  Bor- 
deaux deux  chambres  des  enquêtes  et  non  une;  une  chambre  des 
requêtes  et  non  deux  (t.  I,  p.  207).  Libourne  était  dans  l'élection  de 
Bordeaux,  Sainte-Foy  dans  celle  de  Périgueux,  Marmande  dans  celle 
d'Agen.  M.  Lhérilier  paraît  placer  ces  trois  villes  dans  l'élection  de 
Condom  (t.  I,  p.  194).  Issan  n'était  pas  une  paroisse,  mais  un  chef- 
lieu  de  juridiction  (t.  II,  p.  157).  Une  simple  consultation  de  VAlma- 
nach  de  la  province  de  Guienne  de  1760  eût  permis  d'éviter  ces 
lapsus. 

Le  grand  intérêt  du  travail  de  M.  Lhéritier  est  dans  l'étude  minutieuse 
qu'il  a  faite  de  l'œuvre  de  Tourny.  Organisation  des  bureaux  de  l'in- 
tendant, action  de  ses  subdélégués,  renforcement  de  ses  pouvoirs  judi- 
ciaires par  la  multiplication  des  évocations,  assiette  et  recouvrement 
de  l'impôt  avec  application  de  la  taille  tarifée,  police  des  étrangers, 
des  mœurs,  des  jeux,  des  livres,  des  corps  de  métiers,  tutelle  des 
communautés,  surveillance  des  petites  écoles,  efforts  —  inutiles  — 
pour  créer  à  Libourne  un  collège  de  Jésuites,  police  des  protestants, 
service  de  la  milice,  assistance  publique,  contrôle  du  travail,  commerce 
des  grains  et  des  vins,  collaboration  avec  la  Chambre  de  commerce  de 
Guyenne,  mesures  prises  pour  prévenir  ou  combattre  les  disettes,  éta- 
blissement d'une  fabrique  de  tissus  et  d'une  faïencerie  à  Limoges, 
de  fabriques  de  papier  à  Angoulême,  de  verreries  à  Libourne,  à  Bor- 
deaux et  à  Bergerac,  efforts  —  inutiles  —  pour  restreindre  les  plan- 
tations de  vignes  en  Bordelais,  création  de  pépinières,  œuvre  des 
routes  et  œuvre  des  villes,  on  trouvera  dans  ces  deux  volumes  une 
masse  de  faits  ignorés  ou  peu  connus  sur  l'histoire  administrative  et 
économique  du  Sud-Ouest  au  milieu  du  xyiii^  siècle.  Je  n'y  ai  pour- 
tant rien  rencontré  sur  la  condition  des  populations  rurales,  déjà  étu- 
diée par  M.  Marion,  ni  sur  la  multiplication  des  foires  et  marchés,  qui 
est  un  fait  caractéristique  de  cette  époque.  Il  n'a  pas  été  tiré  suffisam- 
ment parti  des  liasses  1653-1655  de  la  série  C  des  archives  de  la 
Gironde,  signalées,  d'ailleurs,  dans  les  sources  manuscrites. 

M.  Lhéritier  a  été  parfois  victime  de  la  richesse  même  de  sa  docu- 
mentation. Il  semble  qu'elle  l'ait  un  peu  grisé.  Il  fait  honneur  à 
Tourny  de  toutes  ses  démarches,  sans  se  demander  toujours  si  elles  ont 
été  suivies  d'effet.  Par  exemple,  à  propos  de  la  police  des  jeux  à  Agen 
('..  I,  p.  279),  les  délibérations  des  consuls,  qu'il  a  pourtant  vues, 
prouvent  qu'ils  ne  tinrent  aucun  compte  des  recommandations  de 
l'intendant  et  qu'on  continua  à  jouer  plus  que  jamais  à  Agen,  parce 


106  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

qu'on  n'osa  pas  sévir  contre  les  délinquants,  jeunes  gens  de  bonne 
famille.  Il  eût  fallu  distinguer  plus  nettement  des  mesures  qui  abou- 
tirent celles  qui  restèrent  lettre  morte.  M.  Lhéritier  a  été  un  peu 
dupe  de  la  paperasse  bureaucratique.  Les  circulaires  du  service  de 
santé  pendant  la  guerre  ne  sauraient  donner  une  idée  vraie  de  l'œuvre 
des  Croix-Rouges.  Soû  parti  pris  d'attribuer  à  Tourny  tout  ce  qui  s'est 
fait  de  bien  l'emporte  aussi  parfois  un  peu  loin.  Par  exemple,  à  pro- 
J)OS  de  l'école  de  dessin  créée  à  Bordeaux  par  les  jurats  en  1744,  il 
écrit  :  «  Aucun  document  émanant  directement  de  Tourny  ne  permet 
d'établir  d'une  façon  précise  la  part  qu'il  prit  dans  l'établissement  de 
l'école  en  question.  Tout  porte  à  penser  cependant  que  cette  part  fut 
grande  »  (t.  I,  p.  318).  Les  mémoires  du  directeur  Bazemont,  qu'il 
cite,  ne  permettent  pas  d'aller  jusque-là  :  ils  prouvent  seulement  que 
'Tourny  visita  l'école  et  lui  fit  accorder  des  gratifications.  L'initiative 
appartient  à  Bazemont,  la  décision  aux  jurats  qui  l'avaient  appelé  à 
Bordeaux  dès  1742 '.  Ces  exagérations  révèlent  un  manque  de  mesure 
et  de  critique. 

Dans  le  détail  des  faits,  on  relèverait  aisément  des  omissions  et  des 
inexactitudes.  Les  promenades  du  Château-Trompette,  à  Bordeaux, 
lie  commençaient  pas  «  sur  le  quai  à  la  porte  du  Chapeau-Rouge  » 
(t.  II,  p.  253);  elles  faisaient  retour  de  cette  porte  jusqu'à  l'entrée  du 
bastion  de  Navarre  (voir  la  vue  de  Bazemont  reproduite  t.  I,  p.  251). 
Il  n'est  rien  dit  de  la  grille  qui  prolongea  la  porte  du  Chapeau-Rouge 
jusqu'au  Château-Trompette  :  elle  fut  faite  après  1750  (Tourny  à  d'Ar- 
genson,  19  juin  1750,  C  1226).  Il  est  possible  de  préciser  la  date  de  la 
construction  de  la  nouvelle  porte  de  Tourny  (t.  II,  p.  255)  :  commen- 
cée en  1747,  elle  fut  achevée  en  janvier  1748  (procès-verbal  de  récep- 
tion du  14  janvier  1748,  C  1167).  Quant  à  la  décoration  de  cette  porte, 
elle  ne  «  revint  »  pas  à  Francin  ;  elle  tut  l'œuvre  d'un  sculpteur  peu 
connu,  nommé  Bellet  (C  1224).  La  porte  n'avait  pas  «  un  fronton  aux 
armes  du' roi  ».  La  grille  avait  simplement  deux  L  entrelacés;  mais 
les  deux  guichets  portaient  au  dedans  de  la  ville  les  armes  de  Bor- 
deaux, au  dehors  celles  de  Tourny  lui-même.  La  porte  Dauphine  (t.  II, 
p.  272),  dont  la  démolition  fut  décidée  par  les  jurats,  en  même  temps 
que  celle  de  la  porte  Dijeaux,  le  14  septembre  1746,  fut  rebâtie  de 
1748  à  1750.  Le  marché  avec  le  serrurier  Fuet  pour  la  grille  est  du 
30  avril  1749  et  en  donne  la  description  (C  1157).  Le  fronton  de  la 
porte  Dijeaux  (t.  II,  p.  273)  est  décoré  de  corselets  et  non  de  trophées. 
A  propos  de  l'ouverture  du  cours  d'Aquitaine  (t.  II,  p.  277),  il  n'est 
pas  dit  clairement  que  Tourny,  respectant  sur  ce  point  le  préjugé 
médiéval  de  la  ville  close,  rebâtit,  en  l'avançant,  le  mur  de  ville  sur 
toute  la  façade  du  midi.  Les  «  coûteuses  réparations  »  faites  à  la  porte 

1.  Cf.  Marionneau,  Anciens  artistes  aquitains  et  peintres  officiels  du  vieux 
Bordeaux  {Réunions  des  Sociétés  des  beaux-arts  des  départements,  1886, 
p.  224-232)  ;  Ch.  Braquehaye,  Les  Peintres  de  l'hôtel  de  ville  de  Bordeaux, 
Nicolas  Le  Roy  de  Bazemont  (Ibid.,  1900,  p.  622-624). 


MICHEL    LHÉRITIER    :    lOBBIVÏ    (1695-1760).  107 

Saint-Julien  en  1745  consistèrent  à  démolir  la  barbacane  et  s'élevèrent 
à  4,988  livres  (C  1169).  Pour  la  porte  d'Aquitaine,  Portier  fit  trois  pro- 
jets et  non  deux,  et  c'est  le  troisième  qui  fut  adopté.  L'adjudication 
des  travaux  eut  lieu  le  6  mars  1754.  Commencés  le  19  août,  ils  furent 
achevés  le  31  décembre  1756;  la  réception  eut  lieu  le  12  novembre 
1758.  La  dépense  s'éleva,  pour  la  maçonnerie,  à  49,688  livres  12  sols, 
qui  furent  payés  à  l'entrepreneur  Chevay  (C  1168).  En  ce  qui  concerne 
la  place  Royale,  la  décoration  de  l'hôtel  des  Fermes  n'est  pas  due  à 
Verberckt  (t.  II,  p.  236),  qui  n'en  eut  que  l'entreprise;  elle  fut  exé- 
cutée, sur  les  dessins  de  Gabriel,  par  Vandervoort  (Arch.  Iiist.  de  la. 
Gironde,  t.  LU,  p.  104-112).  Il  n'y  a  qu'une  allusion  vague  (t.  II, 
p.  226)  aux  travaux  du  sculpteur, bordelais  Pierre  Vernet,  exécutés  en 
1747.  Le  changement  apporté  par  Toiirny  aux  plans  primitifs  de  la 
Bourse,  dressés  en  1739  par  Jacques  Gabriel  —  agrandissement  de 
l'édifice  et  création  d'une  façade  sur  le  Château-Trompette  —  n'est  pas 
nettement  indiqué.  La  date  de  l'achèvement  de  la  Bourse  (1755)  n'est 
pas  donnée,  non  plus  que  le  compte  de  la  dépense  (C  1191,  3246).  «  Les 
documents,  »  lit-on  t.  II,  p.  240,  «  manquent  pour  démontrer  que 
l'intendant  ouvrit  le  fond  de  la  place.  »  La  phrase  signifie  sans 
doute  :  pour  démontrer  qu'il  en  eut  l'idée.  En  fait,  le;  prédécesseur 
de  Tourny,  Boucher,  s'en  occupa  dès  1738.  Lé  cahier  des  charges  fut 
établi  par  l'inventeur  de  l'idée,  Jacques  Gabriel,  le  30  mars  (C  1175).  En 
1743,  Boucher  démolit  les  échoppes  adossées  au  mur  de  ville  et  fit 
construire  un  mur  provisionnel  (C  1173),  mais,  aussitôt  après,  il  met- 
tait en  vente  les  emplacements  (C  1175).  Les  fontaines  monumentales, 
qui  ne  furent  pas  exécutées  et  dont  il  est  fait  honneur  à  Tourny  (t.  II, 
p.  2451,  avaient  été  prévues  par  Gabriel  dès  1729  {.Arch.  hist.  de  la. 
(îironde,  t.  XLVIII,  p.  317).  Quant  à  l'idée  du  pavillon  central,  elle 
fut  conçue  par  le  même  Gabriel  en  1731,  et  Tourny  n'eut  pas  grand 
mal  à  «  entrevoir  la  vraie  solution  du  problème  ».  M.  Lhéritier  ne  dit 
rien  de  la  construction  de  ce  pavillon,  commencée  en  novembre  1740, 
achevée  au  début  de  1755  (C  1175  et  supplément),  ni  du  pavage  de  la 
place,  établi  en  1754  (C  1174),  ni  de  la  grille  entourant  le  piédestal  de 
la  statue  équestre  de  Louis  XV,  exécutée  en  1751  par  le  serrurier  Pru- 
nier {Arch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XLVIII,  p.  428-434).  Quant  aux 
grilles  fermant  la  place  Royale  (t.  II,  p.  245),  le  marché  passé  avec 
le  serrurier  Fuet  est  du  30  avril  1749  (C  1173)  et  rien  ne  prouve  que 
(Je  devis  soit  de  Portier  :  le  dessin  conservé  est  de  Fuet. 

Ces  sondages  pratiqués  dans  trois  chapitres  sulïisent  à  prouver  que 
le  travail  de  M.  Lhéritier,  si  imposant  et  si  méritoire  qu'il  soit,  n'est 
pas  toujours  complet  ni  exact.  La  faute  en  est  sans  doute  à  l'ampleur 
du  sujet  trop  hardiment  embrassé.  Il  faut  aussi,  semble-t-il,  l'attribuer 
à  une  certaine  hâte  dans  la  mise  en  œuvre.  On  la  constate  jusque 
dans  le  style,  dont  la  rapidité  n'est  pas  exempte  de  négligence.  Tels 
quels,  ces  diuix  volumes  très  touffus  donnent  de  la  personne  et  de 
l'œuvre  de  Tourny  une  idée  juste  en  gros,  mais  pas  assez  nuancée  et 


108  COMPIES-RENDCS  CRITIQDES. 

systématiquement  déformée  par  l'absence  de  perspective  et  par  un  , 
parti  pris  de  louange  excessive.  Dans  le  détail,  il  conviendra  de  ne  s'y 
pas  fier  aveuglément '. 

L'avocat  bordelais  Pierre  Bernadau  eut  la  fortune,  ayant  vécu 
quatre-vingt-dix  ans,  de  1762  à  1852,  d'être  témoin  de  nombreux  et  de 
grands  événements.  Ce  fut  un  infatigable  écrivassier.  Ses  livres  — 
Histoire  de  Bordeaux,  Annales  de  Bordeaux,  Viographe  borde- 
lais, pour  ne  citer  que  les  plus  connus  —  sont  franchement  médiocres, 
«  dénués  souvent  de  sens  critique  et  parfois  d'honnêteté  »,  a  dit  avec 
beaucoup  de  modération  M.  Jullian.  Ses  papiers,  acquis  en  1860  par 
la  ville  de  Bordeaux  et  conservés  dans  sa  bibliothèque  municipale, 
forment  une  collection  de  107  volumes,  dont  la  partie  la  plus  utile 
aujourd'hui  est  la  série  de  52  volumes  appelée  par  l'auteur  Spicilège 
bordelais  et  consistant,  à  quelques  exceptions  près,  en  imprimés 
—  brochures,  factums,  arrêts,  prospectus,  feuilles  volantes,  frag- 
ments de  journaux,  poésies,  cartes,  gravures,  affiches  —  patiemment 
recueillis  au  cours  d'une  existence  presque  séculaire. 

Parmi  les  manuscrits  de  Bernadau  qui  composent  les  55  autres 
volumes,  ses  Tablettes  sont  le  plus  fameux.  C'est  une  suite  de  notes 
constituant  un  journal  qui  embrasse  soixante-cinq  années,  de  mars 
1787  à  décembre  1852.  Ces  notes,  souvent  utilisées  parles  chercheurs 
locaux,  n'ont  jamais  été  publiées.  M.  Lhéritier  a  eu  l'idée  d'en  don- 
ner des  extraits  pour  la  période  juin  1787-novembre  1789,  qui  corres- 
■  pond  aux  débuts  de  la  Révolution  à.  Bordeaux.  Il  les  a  fait  précéder 
d'une  introduction  où  il  résume,  en  la  complétant  par  quelques  ren- 
vois aux  documents  de  la  série  L  des  archives  de  la  Gironde,  la  notice 
consacrée  à  Bernadau  par  Aurélien  Vivie.  La  question  capitale  est  de 
savoir  comment  ont  été  composées  les  Tablettes.  On  a  dit  que  l'au- 
teur en  brûla  l'original  en  1793,  au  moment  de  son  arrestation,  et 
qu'il  reconstitua  plus  tard,  au  petit  bonheur,  tout  son  récit  d'avant 
cette  date.  M.  Lhéritier  ne  le  croit  pas.  Bien  qu'il  ne  conclue  pas  net- 
tement sur  ce  point  essentiel,  il  incline  à  croire  que  nous  possédons 
l'original  de  la  rédaction  et  que  ces  notes  ont  été  écrites  au  jour  le 
jour. 

Je  n'en  suis  pas  aussi  convaincu  que  lui.  Les  Tablettes  me  paraissent 
avoir  été  «  fabriquées  »  après  coup,  à  l'aide  de  notes  contemporaines 
des  événements,  mais  aussi  à  l'aide  de  souvenirs  souvent  incertains, 

1.  T.  I,  p.  44,  1.  32,  et  p.  64,  1.  11,  lire  amé  au  lieu  de  ami;  p.  54,  1.  28, 
lire  subdélégués  au  lieu  de  délégués;  p.  99,  n.  4,  1.  8,  lire  C.  37  au  lieu  de 
L  37;  p.  220,  1.  23,  lire  apurer  au  lieu  de  épurer.  —  T.  II,  p.  157,  1.  21,  lire 
Goulé  au  lieu  de  Goubé  et  Neyron  au  lieu  de  Neijran;  p.  219,  n.  3,  lire  Pier- 
rugues  au  lieu  de  Pierrugui;  de  même,  p.  269,  n.  5,  au  lieu  de  Pierruqui  et 
corriger  à  la  table;  p.  243,  1.  23  et  25,  p.  144,  1.  11,  lire  Monzoni  au  lieu  de 
Manzoni  et  corriger  à  la  table;  p.  281,  1.  10,  et  282,  n.  A,lhe  Montégiit&uheu 
de  Monlaigu  et  corriger  à  la  table. 


MICHEL  LHÉRITIER  :  LES  DÉBDTS  DE  LA  RÉVOLUTION  A  BORDEAUX.        109 

plus  ou  moins  raffermis  par  les  journaux  du  temps  et  par  les  innom- 
brables opuscules  qu'a  colligés  l'auteur.  Les  preuves  de  cette  fabrica- 
tion apparaissent  dès  qu'on  confronte  Bernadau  avec  les  documents 
d'archives.  Non  seulement  sa  chronologie  «  manque  de  précision  », 
mais  elle  est  presque  toujours  fallacieuse.  L'auteur  a  cherché  à  en 
imposer  en  donnant  des  dates  ;  elles  sont  le  plus  souvent  inexactes  et 
son  œuvre,  à  cet  égard,  est  un  monument  de  fausse  précision.  On 
ne  saurait  en  être  surpris  quand  on  connaît  la  valeur  morale  du 
témoin.  Bernadau  est  un  vilain  personnage.  Ce  n'est  pas  seulement 
un  atrabilaire  et  un  grincheux  ;  c'est  un  pied  plat,  bouffi  de  vanité  et 
gangrené  d'envie,  menteur  jusqu'à  l'effronterie,  ayant  au  cœur  la 
haine  de  toute  supériorité,  ramasseur  de  cancans  et  pornographe  par 
goût.  Ses  contemporains  l'ont  tenu  en  piètre  estime,  avec  raison. 
Sous  la  Révolution,  il  fut  successivement  de  tous  les  partis  ;  il  faillit 
être  victime  de  la  Terreur,  mais  après  avoir,  par  ses  délations,  envoyé 
d'honnêtes  gens  à  la  guillotine.  Son  témoignage  est  donc  infiniment 
suspect.  Quand  on  lui  emprunte  un  renseignement,  il  faut  souvent  le 
prendre  avec  des  pincettes  et  il  ne  convient  de  l'accepter  qu'après 
l'avoir  sévèrement  contrôlé  par  les  documents  originaux. 

C'est  ce  que  ne  semble  pas  avoir  fait  suffisamment  son  éditeur  qui, 
s'il  n'a  pas,  j'espère,  d'illusions  sur  la  moralité  de  son  auteur,  paraît 
en  avoir  sur  sa  véracité.  Il  l'a  trop  aisément  admise.  Il  ne  s'est  même 
pas  posé  la  question  des  sources  des  Tablettes.  L'annotation  dont  il 
a  accompagné  le  texte  de  ses  extraits  est  un  peu  sommaire  et  trop 
rapide.  Par  exemple,  la  manifestation  des  cocardes  tricolores  arborées 
au  spectacle  par  les  patriotes  ne  se  place  pas,  comme  l'affirme  Berna- 
dau, le  18  juillet  1789.  Ce  jour-là,  le  parterre  demanda  simplement 
que  l'on  jouât  Guillaume  Tell,  de  Lemierre,  en  l'honneur  de  la  prise 
de  la  Bastille,  et  Bernadau  aurait  pu  aisément  s'en  souvenir,  puisqu'il 
nous  a  conservé  le  discours  imprimé  que  Feuilherade,  l'un  des  quatre- 
vingt-dix  électeurs,  prononça,  le  20,  pour  en  dissuader  les  Bordelais. 
La  manifestation  des  cocardes,  invraisemblable  à  la  date  du  18  juil- 
let, n'eut  lieu  que  le  4  août,  où  l'on  joua  —  c'est  le  précieux  calen- 
drier manuscrit  de  Lecouvreur,  ignoré  de  M.  Lhéritier,  qui  nous  l'ap- 
prend —  la  Partie  de  chasse  de  Collé,  pièce  portée  à  tort  par  les 
Tablettes  au  programme  du  18  juillet.  Bernadau  a  tout  brouillé. 
M.  Lhéritier  a  annoncé  son  intention  de  publier  intégralement,  pour 
la  Société  de  l'histoire  de  la  Révolution,  la  première  partie  des 
Tablettes.  L'entreprise  en  vaut-elle  la  peine?  Il  conviendra,  en  tout 
cas,  d'établir  une  édition  véritablement  critique,  et  tout  porte  à  croire 
que  le  prestige  de  Bernadau  historien,  qui  a  fait  illusion  à  M.  Lhéri- 
tier comme  à  bien  d'autres  avant  lui,  s'écroulera  au  contact  des 
documents  d'archives. 

Si  cette  publication  était  faite,  elle  permettrait  de  combler  des 
lacunes  que  l'on  remarque  avec  surprise  dans  les  extraits  qui  nous 
ont  été  donnés.  Je  n'y  ai  pas  trouvé  la  mention,  à  la  date  (inexacte)  du 


110  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

23  septembre  1787,  de  la  première  représentatioa  de  la  tragédie  «  répu- 
blicaine »  de  Guillaume  Tell  (t.  V,  p.  83);  la  manifestation  hostile, 
d'après  Bernadau,  dont  le  duc  de  Duras  aurait  été  l'objet,  le  26  mars 
1788,  au  théâtre  des  Variétés  (p.  191)  ;  celles  qui  eurent  lieu,  le  27  juil- 
let, au  Grand-Théâtre  et  aux  Variétés  contre  les  jurats  imposés  (p.  269)  ; 
celles  du  30  août  et  du  7  septembre,  organisées  par  les  patriotes  à 
l'occasion  du  rappel  de  Necker  (p.  302,  309-310)  ;  celles  du  20  octobre 
(corr.  ;  21),  où  l'on  joua  au  Grand-Théâtre  une  pièce  de  circonstance, 
Henri  IV  aux  Champs-Elysées,  et  aux  Variétés  le  Retour  désiré, 
en  l'honneur  de  la  rentrée  du  Parlement  (p.  365-366,  397)  ;  la  première 
représentation  à  Bordeaux,  le  l»""  mars  1789  {coi^r.  :  le  3),  du  Mariage 
de  Figaro,  interdit  en  1785;  l'analyse  des  Courtisans  démasqués 
(5  octobre  1789),  à-propos  qui  mettait  en  scène  la  duchesse  de  Polignac 
et  le  parti  de  la  cour  (p.  742-743). 

Paul  COURTEAULT. 


Marcel  Blanchard.  Les  routes  des  Alpes  occidentales  à  l'époque 
napoléonienne  (1796-1815).  Essai  d'étude  historique  sur  un 
groupe  de  voies  de  communication.  Grenoble,  J.  Allier,  1920. 
In-S",  xviii-415  pages. 

Id.  Bibliographie  de  rhistoire  des  routes  des  Alpes  occidentales 
sous  l'État  de  Piémont-Savoie  (XVII«-XVIIIe  siècles)  et  à 
l'époque  napoléonienne  (1796-1815).  Grenoble,  J.  Allier,  1920. 
In-8%  118  pages. 

On  peut  —  et  l'on  doit  —  adresser  à  M.  Blanchard  plus  d'un  reproche . 
D'abord,  il  écrit  d'un  style  lourd,  abstrait,  obscur,  contourné,  rocail- 
leux ;  tout  le  contraire  du  style  simple,  clair,  précis  qui  convient  à 
l'histoire.  Il  n'a  pas,  dans  sa  façon  de  citer  ou  d'analyser  les  docu- 
ments, ces  habitudes  de  scrupuleuse  exactitude  qui,  seules,  donnent 
au  lecteur  le  sentiment  de  l'absolue  sécurité.  Il  ne  s'astreint  pas  à  ces 
méthodes  rigoureuses  que  l'érudition  moderne  tient  à  bon  droit  pour 
indispensables  :  donner  des  références  soigneusement  contrôlées, 
copier  fidèlement  les  titres  des  ouvrages,  en  indiquer  le  format  et  le 
nombre  de  pages,  surtout  en  des  matières  où  ces  précisions  donnent 
déjà  un  premier  indice  de  l'importance  du  livre  (par  exemple  les  rap- 
ports des  préfets). 

Tout  cela,  je  le  répète,  il  faut  le  reprocher  à  M.  Blanchard.  Et  les 
conditions  —  glorieuses  et  douloureuses,  pénibles  surtout  —  dans  les- 
quelles il  a  courageusement  repris  et  parachevé  un  travail  commencé 
avant  la  guerre  ne  suffisent  peut-être  pas  à  l'innocenter.  Mais  tout 
cela  n'empêche  pas  son  livre  d'être  neuf,  utile,  et  d'apporter  une  con- 
tribution importante  à  l'une  des  parties  essentielles  de  l'histoire  éco- 
nomique, l'histoire  des  routes. 

M.  Blanchard  avait  d'abord  rêvé  de  nous  donner  plus  qu'il  ne  nous 


M.    BLANCHARD    :    LES   ROUTES   DES   ALPES    OCCIDENTALES.  111 

offre.  Persuadé,  par  l'exemple  de  Vidal  de  La  Blache,  que  peu  d'études 
sont  aussi  fécondes  que  celle  de  l'évolution  d'un  système  de  voies  de 
communication,  il  aurait  voulu  retracer  l'histoire  de  l'utilisation  éco- 
nomique des  passages  occidentaux  des  Alpes  depuis  la  fin  du  xvi«  siècle 
(depuis  1559)  jusqu'à  l'ère  des  chemins  de  fer.  Il  nous  apporte  un  frag- 
ment de  cette  histoire  relatif  à  une  période  capitale,  parce  que  c'est 
une  époque  de  guerre,  de  crise,  de  transformation,  période  pendant 
laquelle  se  prépare,  s'élabore  et  s'applique  le  système  continental. 
Comme  il  l'a  dit  à  plusieurs  reprises,  la  guerre,  en  concentrant  la  cir- 
culation sur  un  petit  nombre  de  routes  bien  protégées,  met  en  lumière 
le  rôle  économique  normal  de  ces  voies.  Il  se  fait  ainsi  une  série  d'ex- 
périences dont  il  faut  noter  les  résultaits. 

Quelle  est  la  genèse  des  voies  napoléoniennes  entre  .France  et 
Italie? 

Quand  la  politique  française  en  Italie  se  cherche,  il  y  a  concurrence 
entre  les  divers  chemins  des  Alpes.  L'État  de  Savoie-Piémont,  menacé 
en  1756  par  le  renversement  des  alliances  d'être  coincé  entre  la  France 
et  le  Milanais  autrichien,  a  naturellement  pris  pour  axe  la  voie  savoi- 
sienne  par  excellence,  le  Cenis,  la  route  sur  laquelle  Montaigne,  lugeur 
inexpert,  s'était  fait  ramasser  par  les  marrons.  Par  l'établissement 
en  Lombardie  d'un  État  protégé  de  la  France,  la  politique  révolution- 
naire reprenait  à  son  bénéfice  exclusif  l'œuvre  de  1756,  ce  qui  donnait 
au  Simplon,  route  de  Milan,  la  première  place  dans  les  préoccupations 
françaises.  C'est  l'occupation  du  Piémont,  en  faisant  de  Turin  comme 
de  Chambéry  une  ville  française,  qui  remet  au  premier  plan  le  Cenis, 
considéré  désormais  comme  une  route  intérieurey  un  lien  entre  deux 
parties  de  l'Empire. 

Il  y  a  concurrence  d'ailleurs  —  dans  cette  partie  des  Alpes  qui 
sépare  les  départements  anciens  et  nouveaux  —  entre  deux  passages 
ou  monts,  le  Cenis  et  le  Genèvre,  c'est-à-dire  entre  Grenoble  et 
Chambéry,  toutes  deux  soucieuses  de  contrôler  les  relations  franco- 
italiennes.  Mais  les  Dauphinois  ne  sont  pas  d'accord  entre  eux  sur  les 
voies  d'accès  au  Genèvre  ;  la  bataille  entre  la  route  du  Briançonnais 
et  celle  de  l'Oisans  favorise  les  adversaires  du  Genèvre.  D'autre  part, 
la  route  de  la  Maurienne  avait  cette  supériorité  d'être  à  elle-même  sa 
propre  voie  d'accès  :  par  le  Cenis,  on  traversait  les  Alpes  en  une  seule 
fois.  Enfin,  la  route  de  Chambéry,  c'était  aussi  la  route  de  Lyon.  Or, 
la  politique  consulaire  et  impériale  tend  de  plus  en  plus  à  favoriser  la 
grande  ville,  non  seulement  à  lui  fournir  en  abondance  les  cocons  de 
la  Brianza,  mais  à  en  faire  le  vestibule  de  l'Italie,  à  la  fois  de  l'Italie 
annexée  et  du  royaume. 

C'est  donc  l'évolution  des  faits  qui  explique  l'évolution  de  la  poli- 
tique napoléonienne.  Les  hommes,  directeur  des  ponts,  ingénieurs, 
préfets  —  Crétet,  Dausse,  Deschamps,  etc.  —  jouent  un  rôle  secon- 
daire. M.  pianchard,  qui  a  étudié  à  fond  les  dossiers  administratifs, 
s'est  complu  à  cette  lecture,  et  il  en  vient  à  grossir  démesurément 


112  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

les  personnages  et  les  incidents.  Il  intitule  un  de  ses  chapitres  :  le 
Secret  de  Crétet.  C'est  un  bien. gros  mot.  Je  ne  vois  là  nul  «  secret  », 
sinon  le  désir  de  plaire  au  maître  ou  de  ne  pas  le  mécontenter  ouver- 
tement, et  cette  pratique  constante  des  administrateurs  de  tous  les 
temps  sous  tous  les  régimes  :  laisser  dormir  le  dossier  de  l'affaire  qui 
paraît  la  moins  urgente;  on  ne  rejette  pas  un  projet,  on  l'ajourne.  De 
même,  les  préfets  de  l'Empire  —  les  Fournier,  les  Menou,  les  Ladou- 
cette  —  sont  comme  tous  les  préfets  :  ils  trouvent  que  le  meilleur 
projet  est  celui  qui  sert  le  mieux  les  intérêts  de  leurs  administrés.  En 
fait,  c'est  bien  Crétet  qui  avait  raison  :  la  route  du  Cenis  était  la  meil- 
leure. Il  fallait  la  faire  vite,  surtout  depuis  que,  la  maîtrise  de  la  mer 
ayant  été  définitivement  saisie  par  l'Angleterre,  il  importait  d'assurer 
des  relations  régulières  entre  les  deux  versants  des  Alpes.  Essayons, 
par  la  pensée,  de  nous  représenter  un  temps  où,  du  Léman  à  la  Médi- 
terranée, aucune  voie  carossable  ne  franchissait  le  massif.  Même  les 
ports  de  la  rivière  de  Ponant  n'étaient  pas  reliés  entre  eux.  C'étaient 
autant  de  petites  marines  encadrées  parla  montagne  ligure.  Le  cabo- 
tage n'étant  plus  sûr,  il  fallut  les  réunir  par  la  route  de  la  Corniche, 
d'autant  plus  nécessaire  que  le  Cenis,  au  moins  jusqu'à  son  achève- 
ment, restait  impraticable  l'hiver. 

Mais  le  Simplon  aura  son  heure.  Lorsque  la  domination  française 
s'étendra  sur  l'IUyrie,  la  politique  balkanique  de  Bonaparte  réagira 
sur  sa  politique  alpestre.  L'évolution  de  sa  politique  genevoise  ^  et 
surtout  de  sa  politique  valaisanne  s'explique  par  la  signification  nou- 
velle prise  parle  Simplon,  route  de  Salonique^.  Il  s'agit  d'atteindre 
par  terre  —  et  autant  que  possible  par  des  terres  inféodées  à  l'Empire 
—  ces  marchés  du  Levant  dont  la  thalassocratie  anglaise  nous  inter- 
dit l'accès  par  mer.  C'est  peut-être  sur  ce  rôle  nouveau  des  routes  des 
Alpes  que  M.  Blanchard  a  écrit  ses  pages  les  plus  fortes,  les  plus 
imprégnées  du  véritable  esprit  de  l'histoire  économique.  Il  a  montré, 
en  traits  saisissants  et  pittoresques,  comment  ces  routes  des  Alpes 
deviennent  non  plus  seulement  les  routes  de  la  soie,  mais  les  routes 
du  coton,  de  la  matière  première  par  excellence  dont  l'Angleterre 
voulait  priver  les  usines  impériales. 

C'est  avec  un  sens  très  profond  de  l'évolution  économique  des 
routes  que  M.  Blanchard  écrit,  en  un  raccourci  puissant  :  «  Les  routes 
des  Alpes  occidentales,  de  tout  temps  routes  du  sel,  routes  de  la  laine 
aux  temps  lointains  du  moyen  âge,  quand  les  produits  des  Flandres 
venaient  se  faire  transformer  à  Florence  en  draperies  de  luxe,  routes 
de  la  soie  depuis  la  fortune  de  la  fabrique  lyonnaise,  allaient,  pour  un 
temps  et  par  une  conséquence  imprévue  du  blocus  napoléonien,  se 
transformer  en  routes  du  coton.  »  Et  si  le  style  de  l'auteur  est  souvent 

1.  Il  aurait  fallu  citer  W.  Rappard,  Révolution  industrielle  en  Suisse, 
p.  75. 

2.  M.  Blanchard,  très  riche  en  détails  sur  la  construction  du  Cenis,  passe 
plus  vite  sur  le  Simplon,  très  bien  éludié  par  Fr.  Barbey. 


R.    BLANCHARD    :    LES  ROUTES  DES  ALPES  OCCIDENTALES.  113 

critiquable,  il  a  parfois  des  formules  heureuses,  comme  celle-ci  :  «  Les 
cotons  ont  véritablement  réveillé  le  Simplon.  » 

Toute  l'histoire  de  notre  industrie  pendant  le  blocus  est  en  relation 
avec  l'histoire  des  routes,  spécialement  avec  celle  des  routes  alpestres. 

La  politique  des  routes  est  donc  une  pièce  maîtresse  du  système 
continental.  Aussi  l'ouvrage  de  M.  Blanchard  aidera-t-il  à  l'intelli- 
gence de  ce  système,  qui  n'était  pas  seulement  une  organisation  de 
défense  économique  contre  l'Angleterre,  mais  encore  (p.  313)  «  une 
tentative  d'exploitation  commerciale  du  continent  par  la  France  ». 
M.  Schmidt  l'avait  démontré  pour  certaines  parties  de  la  Confédéra- 
tion du  Rhin,  M.  Blanchard  le  confirme  pour  l'Italie.  En  premier  lieu, 
les  intérêts  de  la  partie  annexée  de  l'Italie  (et  l'on  sait  que  cette  par- 
tie ira  s'accroissant  constamment)  sont  sacrifiés  à  l'intérêt  français. 
S'il  est  exagéré  de  dire  avec  M.  Blanchard  que  l'administration  des 
départements  à  l'est  des  Alpes  avait  quelque  chose  de  «  colonial  »,  il 
reste  que  ces  nouveaux  sujets  de  l'Empire  étaient  un  peu  traités 
xomme  des  Français  de  deuxième  zone,  subordonnés  à  Lyon  et  aux 
villes  du  Nord.  Mais  l'égoïsme  impérial  apparaît  plus  à  plein  dans  le 
traitement  économique  infligé  au  royaume  d'Italie. 

On  a  justement  reproché  à  M.  Blanchard  (p.  312-313)  d'avoir  donné 
une  analyse  inexacte,  à  force  d'être  rapide,  du  traité  de  commerce 
franco-italien  du  20  (et  non  22)  juin  1808.  Il  est  certain  que,  dans  sa 
lettre,  ce  traité  est  un  traité  de  réciprocité  douanière  et  semble  éta- 
blir entre  les  deux  contractants  une  complète  égalité.  Mais  pour  qui 
est  habitué  à  lire  les  textes  de  ce  genre,  pour  qui  sait  ce  qu'en  peut 
tirer  dans  la  pratique  une  administration  des  douanes,  tout  s'éclaire 
d^une  autre  lumière. 

De  même,  l'auteur  sera  sans  doute  d'accord  avec  moi  pour  recon- 
naître qu'il  a  exagéré  en  écrivant  (p.  313)  que  le  décret  du  10  octobre 
interdisait  toute  importation  de  manufactures  étrangères  dans  le 
royaume  tandis  que  ce  décret  ne  parle  que  des  produits  textiles;  mais 
c'est  là  un  détail  de  peu  d'importance  puisqu'en  fait  le  commerce 
était  surtout  constitué  par  ces  articles. 

La  douane  impériale  est  d'accord  avec  le  Conseil  général  du  com- 
merce, organe  du  protectionnisme  industriel  français,  pour  admettre  ce 
postulat  que  l'Italie  (royaume)  est  un  État  purement  agricole,  fournis- 
seur de  matières  premières,  mais  non  de  produits  industriels.  Peu 
importe  qu'en  fait  le  Milanais  ait  déjà  été  atteint  par  la  révolution 
industrielle.  Il  lui  est  interdit  de  se  transformer,  il  lui  est  ordonné  de 
se  considérer  comme  un  fournisseur  de  matières  pour  l'industrie 
française,  comme  acheteur  obligé  de  produits  manufacturés  français. 
Pour  l'empêcher  de  lutter  contre  les  usines  françaises,  môme  dans 
les  régions  italiennes  réunies  à  l'Empire,  on  applique  aux  matières 
premières  dont  Milan  pourrait  se  servir,  par  exemple  aux  laines  roma- 
gnoles,  un  système  que  nous  appellerions  aujourd'hui,  en  langage 
fiscal,  celui  de  la  péréquation  des  prix  de  transport.  Traditionnelle- 
Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  f.\sc.  8 


114  COMPTES-RENDUS   CBITIQDES. 

ment,  ces  laines,  transformées  en  draps  en  Lombardie,  servaient  à 
vêtir  les  habitants  des  États  de  l'Église.  Mais,  dit  Montalivet,  «  il 
importe  de  ne  pas  en  priver  nos  manufactures...  Si  l'on  admet  l'ex- 
portation en  Italie  ^  il  convient  de  la  frapper  [cette  matière]  d'un 
droit  équivalent  aux  frais  de  transport  de  la  laine  jusqu'aux 
parties  les  plus  septentri.07iales  de  l'Empire^  soit  24  francs  le  quin- 
tal ».  Les  laines  romagnoles^  iront  donc  à  Elbeuf,  à  Saint-Quentin,  à 
Verviers,  d'où  elles  retourneront,  sous  forme  de  draps,  à  Rome,  à 
Ancône,  à  Ravenne.  Mais  Milan  ne  les  recevra  pas. 

Voilà  dans  quel  esprit  fut  exécuté  le  traité.  Aussi  le  Conseil  géné- 
ral du  commerce  pouvait-il  dire  :  «  La  France  a  tout  lieu  d'être  satis- 
faite... L'Italie  seule  nous  reste  et  remplace  pour  nous  toutes  les 
branches  d'exportation.  Elle  est  notre  unique  ressource.  » 

M.  Blanchard  a  supérieurement  éclairci  cette  partie  du  problème. 
Cela  ne  l'empêche  pas  d'admirer  l'œuvre  de  Bonaparte  constructeur  de 
routes.  Bonaparte  a  trouvé  les  Alpes  sans  une  seule  route  carrossable. 
Il  laisse  un  Cenis  presque  complètement  équipé  et  qui,  après  avoir 
repris  en  1815  son  rôle  d'instrument  aux  mains  du  «  portier  des  Alpes  », 
deviendra  la  grande  voie  franco-italienne  et  l'une  des  grandes  voies 
internationales  Nord-Méditerranée.  Le  Genèvre  est  à  peu  près  achevé. 
Le  Simplon  fut  d'abord  menacé  de  destruction  par  les  Valaisans 
eux  mêmes;  en  tout  temps,  les  peuples  qui  vivent  de  la  route  s'op- 
posent aux  perfectionnements  techniques  qui  portent  atteinte  à'ieur 
monopole.  Mais  Bonaparte  ne  s'était  pas  trompé  en  rêvant  un  grand 
avenir  pour  cette  route,  l'une  des  voies  de  l'Europe  occidentale  vers 
Trieste  et  les  Balkans.  Dans  cinq  cents  ans,  quand  l'épopée  napoléo- 
nienne et  le  despotisme  napoléonien  seront  oubliés,  il  restera  de 
Bonaparte  le  souvenir  d'un  ouvreur  de  routes,  d'un  Bahnbrecher, 
d'un  émule  des  Héraklès  et  des  Alexandre. 

M.  Blanchard,  qui  a  reçu  l'éducation  géographique,  a  su  dégager 
les  éléments  permanents  qui  gouvernent  la  circulation,  en  dépit  de  la 
mobilité  des  apparences  historiques.  Comment  les  voies  carrossables 
préfigurent  les  voies  ferrées,  c'est  ce  que  l'on  aperçoit  partout  dans 
son  livre.  La  route  du  Cenis,  route  des  cocons,  conçue  d'abord  comme 
éminemment  lyonnaise,  a  étendu  sa  sphère  d'action  en  repoussant 
vers  le  Nord  son  point  d'attache  au  grand  tronc  Manche-Méditerra- 
née. Après  avoir  été  le  monopole  d'une  Compagnie  de  roulage  stric- 
tement lyonnaise,  les  Bonafous,  la  circulation  s'y  établit  par  la 
variante  du  Bugey,  qui  raccourcit  la  distance  Paris-Turin  :  première 
ébauche  de  la  voie  ferrée  Bourg- Ambérieu.  Nous  avons  déjà  vu  com- 
ment le  Simplon  napoléonien,  fils  lui-même  de  la  politique  de  Choi- 
seul  à  Versoix,  menait  à  des  conceptions  ferroviaires  très  modernes^, 

1.  Lisez  :  de  la  Romagne,  qui  est  France,  vers  le  Royaume,  qui  est 
Italie. 

2.  M.  Blanchard  écrit  abusivement  «  romains  ». 

3.  II  est  également  curieux  de  constater  que  la  rivalité  Gap-Grenoble  repa- 


M.    BLANCHARD    :    LA   BOOTE   DES   ALPES  OCCIDENTALES.  115 

Les  chemins  de  fer  n'auraient  pas  eu,  sous  Louis-Philippe,  le  suc- 
cès que  l'on  sait  s'ils  n'avaient  pas  trouvé  un  réseau  de  routes  déjà 
très  complet  et  sur  lequel  les  grandes  entreprises  de  roulage  étaient 
parvenues  à  une  régularité  et  à  une  rapidité  remarquables  dans  le 
transport  des  marchandises.  On  en  est  donc,  dans  les  années  qui 
suivent  l'Empire,  à  ce  point  précis  où  une  nouvelle  amélioration  des 
conditions  de  transport  peut  constituer  un  avantage  économique  con- 
sidérable. Dans  l'histoire  des  chemins  de  fer  comme  dans  celle  des 
métiers  mécaniques,  c'est  le  besoin  qui  a  créé  l'organe.  Et  ce  sont  les 
progrès  antérieurs  qui  avaient  fait  naître  les  besoins  nouveaux,  à  qui 
ils  donnaient  une  première  satisfaction. 

Sur  ces  grandes  entreprises  de  transports  —  mères  de  nos  Compa- 
gnies de  chemins  de  fer  —  on  consultera  avec  fruit  les  documents 
publiés  par  M.  Blanchard  dans  sa  bibliographie.  Le  rôle  de  certaines 
villes  commerçantes  y  apparaît  avec  une  singulière  netteté,  non  seu- 
lement celui  de  Lyon,  mais  celui  de  Chalon,  arrière-port  de  la  Médi- 
terranée, carrefour  de  la  Bourgogne,  de  l'Alsace,  de  la  Lorraine,  du 
Nord,  de  la  région  parisienne.  Là  encore,  hier  préfigure  aujourd'hui 
—  et  peut-être  demain. 

De  patientes  recherches  aux  archives  de  Turin,  à  nos  Archives 
nationales,  aux  archives  de  l'Ain,  des  Alpes-Maritimes,  des  Hautes- 
Alpes,  de  l'Isère,  de  la  Savoie  ont  permis  à  M.  Blanchard  de  mettre  au 
jour  un  travail  qui  n'est  pas  sans  défaut,  mais  qui  enrichit  grandement 
notre  connaissance  de  l'histoire  économique.  Il  est  écrit  par  un  histo- 
rien, c'est-à-dire  par  un  homme  qui  ne  sépare  jamais  l'histoire  écono- 
mique de  l'histoire  générale,  par  un  homme  dont  l'horizon  intellec- 
tuel est  étendu  et  qui  ne  perd  jamais  la  notion  de  l'ensemble. 

Aussi  terminerons-nous  par  un  souhait  :  que  M.  Blanchard  pousse 
son  travail  jusqu'aux  jours  où,  dans  les  Alpes  occidentales,  la  voie 
ferrée  viendra  s'ajouter  à  la  route  carrossable.  Les  difiicultés  de  docu- 
mentation qu'il  prévoit  pour  cette  partie  du  sujet  ne  sont  pas,  je  crois, 
insurmontables.  Nul  n'est  plus  qualifié  que  lui  pour  entreprendre  cette 
tâche'. 

Henri  Hauser. 

rail  aujourd'hui,  à  peu  près  identique,  dans  la  question  des  délimitations  régio- 
nales. Gap  tend  à  descendre  vers  le  sud,  à  se  rapprocher  de  Marseille. 

1.  Quelques  expressions  inexactes.  P.  281  :  le  «  trust  »  piémontais. 
Ce  n'est  pas  un  trust,  mais  un  cartel.  Quelques  conjectures  risquées,  par 
exemple  p.  105,  à  propos  de  la  route  de  Versoix,  menace  à  la  fois  pour  les 
intérêts  grenoblois  et  pour  les  intérêts  chambériens;  mais  il  n'est  pas  démon- 
tré que  les  deux  villes  ont  conclu  une  entente.  —  Bibliographie,  p.  108, 
au  lieu  de  «  Bourg[?]-Saint-Maurice  en  Valais  »,  je  pense  qu'il  faut  lire 
«  Bourg-Saint-Maurice  en  Tarentaise  ». 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale.  —  Le  16^  fascicule  du  Dictionnaire  apologé- 
tique de  la  foi  catholique  (4«  édit.  refondue  sous  la  direction 
d'A.  d'Alès;  Paris,  Beauchesne,  1920)  contient  plusieurs  articles  qui 
constituent  de  véritables  mémoires  pourvus  d'une  abondante  biblio- 
graphie, par  exemple  sur  les  Mystères  païens  et  saint  Paul,  par 
E.  Jaquet  (l'apôtre  a  connu  certaines  doctrines  des  religions  de  mys- 
tères ;  mais  sa  théologie  est  fondée  «  si^r  des  conceptions  absolument 
étrangères  aux  conceptions  païennes  »);  la  Révocation  de  l'Edit  de 
Nantes,  par  Yves  de  La  Brière  (cet  acte  fut  certainement  l'expres- 
sion ^e  la  volonté  nationale,  «  ce  qui,  à  nos  yeux,  ne  suffit  pas  à  le 
légitimer  et  à  le  rendre  digne  d'éloges  »);  les  Religions  du  nord  de 
l'Europe,  par  Henri  Froidevaux;  la  Question  des  ordinations  angli- 
canes, par  Sidney  F.  Smith;  l'Origénisme,  par  A.  d'Alès;  Paix  et 
guerre,  fondements  du  droit  international  chrétien  et  théorie  catho- 
lique du  droit  de  guerre,' par  Yves  de  La  Brière. 

—  J.  de  Louter.  Le  droit  international  public  positif  (Oxford, 
University  Press,  1920,  2  vol.  in-S*,  xi-576  et  509  p.).  —  Étude  cons- 
ciencieuse des  principes  et  des  sources  du  droit  international,  exposé 
critique  de  son  histoire  et  de  ses  évolutions,  examen  et  fixation  des 
théories  et  des  instruments  positifs  qui  commandent  les  relations  des 
peuples,  telle  nous  apparaît  l'œuvre  du  savant  professeur  de  l'Univer- 
sité d'Utrecht. 

M.  de  Louter  définit  d'abord  le  droit  irrternational  et  la  science  de 
ce  droit,  en  discute  et  précise  les  éléments.  Il  donne  ensuite  un  aperçu 
historique  comprenant  trois  périodes  :  avant  1648,  de  1648  à  1815,  de 
1815  à  1914.  Après  cette  introduction  particulièrement  intéressante  et 
documentée,  il  entreprend  le  fond  même  du  droit  international  public 
actuel,  qu'il  considère  tant  au  point  de  vue  du  droit  matériel  (sujets, 
objets,  traités)  qu'au  point  de  vue  du  droit  formel  (organes,  conflits, 
guerre,  neutrali.té),  sans  oublier  les  dernières  manifestations  et  les 
instruments  sortis  des  deux  conférences  de  la  Paix  de  1899  et  1907  et 
de  la  déclaration  de  Londres  du  28  février  1909  (cour  permanente  d'ar- 
bitrage, cour  internationale  des  prises).  Si  la  première  de  ces  deux  juri- 
dictions a  pu  être  organisée,  l'établissement  de  la  seconde  a  été  arrêté 
par  la  guerre  de  1914.  ï^a.  réalisation  de  l'une,  aussi  bien  que  le  seul 
projet  de  création  de  l'autre,  n'en  constitue  pas  moins  de  nouvelles 
et  indéfectibles  bases  de  la  marche  ascendante  et  continue  du  droit  inter- 
national public.  Voilà  justifié  le  titre  doni\é  à  l'ouvrage.  Parti  du  droit 


HISTOIRE    DE    BELGIQUE.  117 

naturel  et  des  principes  élémentaires  de  philosophie  et  de  morale,  le 
droit  international  public  aboutit  à  un  droit  réel  et  positif.  Aux  viola- 
tions de  ce  droit  positif  et  contractuel,  quelles  sont  les  sanctions?  La 
dernière  guerre  a  bouleversé  tout  ce  qui,  sur  ce  sujet,  avait  été  laborieuse- 
ment instauré  ou  projeté.  De  nouveaux  instruments  diplomatiques  et  des 
organes  nouveaux  de  réalisation  sont  intervenus,  dont  nous  attendons 
légitimement  les  effets  utiles.  Mais  c'est  toujours  au  service  des  mêmes 
principes  du  droit  et  de  la  justice  entre  les  nations  que  sont  appor- 
tées les  nouvelles  forces.  Bien  que  son  livre  ait  paru  pour  la  première 
fois  en  1910,  l'édition  en  langue  française  que  vient  de  nous  en  don- 
ner M.  de  Louter  conserve  donc  tout  son  intérêt.  Elle  sera  lue  et 
appréciée  comme  le  méritent  la  haute  conscience  et  la  valeur  scienti- 
fique de  son  auteur.  L.  Adam. 

—  L'Annuaire  de  la  Fondation  pour  la  paix  internationale  (Carne- 
gie Endowment  for  International  peace  year  book  1919,  n°  8) 
contient  les  divers  rapports  présentés  par  les  commissaires  de  la 
Fondation,  dont  la  liste  figure  en  tête  de  l'ouvrage.  Les  pages  105-135 
contiennent  des  documents  intéressants  pour  ceux  qui  s'occupent  de 
droit  international.  Dans  une  brochure  annexée  au  volume  figurent 
les  signatures,  ratifications  et  adhésions  aux  conventions  et  aux  décla- 
rations de  la  première  et  de  la  seconde  conférence  de  la  paix  de  La 
Haye. 

—  Sir  Geoffrey  Butler.  Studies  in  statecraft  (Cambridge,  Uni- 
versity  Press,  1920,  in-8°,  vi-138  p.).  —  Notes  sur  :  Rodriguez  San- 
chez  de  Arevalo,  évêque  de  Calahorra,  conseiller  de  Paul  II,  auquel 
Sir  Geofîrey  Butler  attribue  un  dialogue  de  la  guerre  et  de  la  paix, 
où  l'interlocuteur  de  l'évêque  est  Platina;  l'influence  du  droit  romain 
sur  la  conception  française  de  la  monarchie  au  xyi^  siècle;  Guil- 
laume Postel;  le  grand  dessein;  Crucé.  L'auteur  donne  comme 
neuves  des  choses  fort  connues,  et  il  ne  connaît  pas  très  bien  les 
ouvrages  français  sur  ces  questions.  Utiles  bibliographies  des  ouvrages 
de  Sanchez  et  de  Postel.  H.  Hauser. 

—  Ant.  L.  Valverde.  Compendio  de  historia  del  commercio 
(Madrid,  V.  Suarez,  1915,  in-8°,  507  p.).  —  La  guerre  est  cause  que 
nous  n'avons  pas  signalé  plus  tôt  ce  manuel,  destiné  aux  écoles  de 
commerce.  L'auteur  est  professeur  à  la  Havane.  Ce  résumé  (qui  va 
des  origines  jusqu'en  1914)  est  clair  et  bien  ordonné.  En  appendice, 
tableaux  du  commerce  de  Cuba  de  1903-1904  à  1912-1913.  Une  petite 
bibliographie.  —  L'auteur  annonce  une  histoire  du  commerce  de  Cuba 
de  1452  à  1914.  H.  Hauser. 

Belgique.  —  Charles  De  Wissher  et  François-L.  Ganshof. 
Le  différend  des  Wielingen  (Bruxelles,  impr.  Weissenbruch,  1920, 
in-8o,  35  p.  Extrait  de  la  «  Revue  de  droit  international  et  de  législa- 
tion comparée  »,  1920,  n<"*  3-4).  —  On  sait  qu'il  existe  un  conflit  entre 


118  NOTÉS   BIBLlOGRAPflIQDES.  • 

la  Belgique  et  les  Pays-Bas  sur  le  point  de  savoir  auquel  de  ces  deux 
états  appartient  la  souveraineté  de  la  passe  des  Wielingen  qui,  des 
trois  embouchures  de  l'Escaut  dans  la  mer  du  Nord,  est  la  plus 
importante  et  la  plus  fréquentée;  elle  longe  la  côte  de  la  Flandre 
zélandaise.  La  conclusion  de  cette  étude  est  que  «  ni  au  point  de  vue 
historique  [présenté  par  M.  Ganshof],  ni  au  point  de  vue  juridique 
[présenté  par  M.  De  Wissher],  la  thèse  belge,  fondée  sur  le  droit 
commun  de  la  mer  territoriale,  n'a  pu  être  ébranlée  ». 

—  Léon  VAN  DER  ESSEN.  Les  tribulations  de  l'Université  de  Lou- 
vain  pendant  le  dernier  quart  du  XVI'  siècle  (Rome-Bruxelles- 
Paris.  Extrait  de  Rome  et  Belgique,  2«  vol.,  1921,  in-8°,  26  p.).  — 
Nous  devons  à  un  heureux  hasard  la  conservation  du  manuscrit 
(registre  de  lettres  expédiées  par  l'Université  ou  reçues  par  elle  de 
1583  à  1602)  qui  a  servi  à  composer  cette  brochure  :  M.  van  der 
Essen  Tavait  chez  lui,  en  consultation,  lors  de  la  destruction  de  la 
bibliothèque.  L'auteur  retrace  la  dramatique  histoire  de  l'Université 
et  celle  de  la  ville,  successivement  occupée,  prise  et  reprise  par  les 
troupes  et  les  bandes  espagnoles  ou  orangistes.  C'est  seulement  en 
1585  que  finit  cet  «  horrible  cauchemar  ».  Il  fallut  longtemps  encore 
pour  rendre  à  Louvain  sa  prospérité  et  à  l'Université  sa  vie  intellec- 
tuelle. Tout  au  moins  n'avaient-elles  été  victimes  que  des  excès, 
accompagnement  inséparable  de  la  guerre  au  XVP  siècle,  «  d'une  sol- 
datesque sauvage  et  indisciplinée  ».  Rien  de  comparable  à  la  destruc- 
tion systématique,  ordonnée,  planmàssig,  dont  les  ruines  actuelles 
de  Louvain  portent  encore  l'irrécusable  témoignage.  Dans  ces  mai- 
sons et  ces  édifices  nominativement  désignés  pour  la  destruction,  soi- 
gneusement rasés  à  côté  d'autres  non  moins  soigneusement  épar- 
gnés, il  y  a  un  spectacle  que  tout  historien  doit  voir  et  noter  avant 
que  les  travaux  de  reconstruction  en  aient  effacé  les  traits. 

H.  Hauser. 

Danemark.  —  Knud  Fabricius.  Kongeloven,  dens  tilblivelse  og 
plads  i  samtidens  natur-og  arveretlige  udvikling  (Copenhague, 
Hagerup,  1920,  in-8°,  xvi-407  p.).  —  M.  Fabricius,  dont  on  connaît  les 
beaux  travaux  sur  le  xvii^  siècle  danois,  vient  d'étudier  les  origines 
et  la  signification  de  la  fameuse  Lex  regia  (Kongelov)  de  Frédé- 
ric IIL  S'opposant  vigoureusement  aux  historiens  antérieurs,  Frideri- 
cia  et  Jôrgensen  en  particulier,  le  savant  professeur  de  Copenhague 
conteste  —  de  façon  sans  doute  trop  absolue  —  que  les  doctrines  de 
Hobbes  aient  influencé  le  moins  du  monde  P.  Schumacher  (Grififen- 
^feld),  principal  auteur  ou  plutôt  rédacteur  de  ce  document  capital. 
Mais  M.  Fabricius  montre  bien  que  la  Lex  regia  est  sortie  avant  tout 
de  ce  mouvement  d'idées  qui,  au  milieu  du  xvii°  siècle,  en  Danemark 
comme  dans  le  reste  de  l'Europe,  poussait  presque  tous  les  esprits  à 
faire  l'apologie  de  la  monarchie  absolue;  l'action  personnelle  de  Fré- 
déric III  fut  loin  d'être  prépondérante,  même  dans  les  mois  décisifs 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  119 

de  l'automne  1660.  Encore  après  l'acte  essentiel  du  10  janvier  1661,  la 
cour  de  Danemark  se  préoccupa  bien  plus  du  mariage  des  princesses 
royales  que  de  l'élaboration  de  la  Lex  regia.  C'est  seulement  de  1665 
à  1669  qu'utilisant  le  projet  de  Kornerup  et  Rasmus  Vinding,  Schu- 
macher rédigera  le  texte  fameux  —  monument  presque  aussi  impor- 
tant pour  l'histoire  de  la  langue  que  pour  celle  des  institutions 
danoises  —  qui,  pendant  près  de  deux  siècles,  devait  demeurer  la  loi 
fondamentale  du  royaume. 

A  ce  volume  plein  de  faits  et  d'idées,  il  nous  faut  bien  pourtant 
adresser  un  reproche.  M,  Fabricius  consacre,  à  juste  titre,  deux  cha- 
pitres à  l'examen  des  théories  sur  le  pouvoir  royal  aux  xvi«  et 
xvii«  siècles;  mais  pourquoi  donc  a-t-il  négligé  à  peu  près  toutes  les 
publications  françaises  se  rapportant  à  ce  sujet?  Son  ouvrage  eût 
gagné  à  ne  pas  ignorer  des  livres  comme  la  thèse  déjà  ancienne  de 
M.  G.  Weill  sur  l'époque  des  guerres  de  religion,  celle  de  M.  Chau- 
viré  sur  Bodin^  l'Éducation  politique  de  Louis  XIV  de  M.  Lacour- 
Gayet  et  aussi  le  dernier  tome  si  remarquable  de  Paul  Viollet. 

A.  Ganem. 

France.  —  Frédéric  Lachèvre.  Le  libertinsige  au  XV 11^  siècle. 
Mélanges  (Paris,  H.  Champion,  1920,  in -8°,  316  p.,  index,  1  planche). 
—  M.  Lachèvre  poursuit  ses  intéressantes  études  sur  le  libertinage, 
entendu  aux  lieux  sens  qu'avait  le  mot  :  libertinage  des  mœurs,  liber- 
tinage de  la  pensée.  Le  morceau  principal  de  ces  «  mélanges  «  est 
celui  sur  Geoffroy  Vallée.  Comme  il  a  été  brûlé  en  1574,  on  ne  peut 
le  faire  figurer  dans  un  volume  sur  le  xvii«  siècle  qu'en  lui  donnant 
ce  titre  :  l'Ancêtre  des  libertins  du  XV 11^  siècle  (le  morceau  a 
d'ailleurs  paru  également  à  part,  H.  Champion,  1920,  in-8°,  59  p.).  M.  La- 
chèvre a  particulièrement  étudié  la  Béatitude  des  chrestiens  ou  le 
Fléo  (sic)  de  la  Foy  de  1573  ;  il  a  publié  toutes  les  pièces  du  procès  qui 
cpnduisit  le  malheureux  Vallée  au  bûcher.  Ce  livre  lui-même,  qui  est 
un  exposé  du  déisme,  est^ici  reproduit  d'après  un  exemplaire  peut- 
être  unique,  provenant  de  La  Monnoye.  Vallée  n'y  apparaît  nullement 
comme  un  faible  d'esprit,  et  il  semble  bien  avoir  été,  dans  une  certaine 
mesure,  victime  de  parents  intéressés  à  se  débarrasser  de  lui.  C'est 
une  figure  très  pure,  qui  s'oppose  à  celle  de  son  petit-neveu  des  Bar- 
reaux, M  l'illustre  débauché  ».  C'est  à  ce  genre  de  «  libertinage  »  que 
se  rapporte  le  sujet  de  la  troisième  étude,  VEscole  des  filles  de  Mil- 
lot  et  L'Ange,  la  seconde  portant  sur  le  Trésor  inestimable  de  Jean 
Fontanier,  brûlé  en  1621.  Fontanier,  qui  était  de  Montpellier  et 
d'origine  réformée,  avait  fréquenté  à  Venise  et  à  Constantinople  les 
rabbins  ;  aux  Pays-Bas  il  fit  la  connaissance  du  célèbre  Daniel  de  Mou- 
take  et  sa  doctrine  semble  avoir  été  un  judaïsme  rénové.  C'est  par 
suite  de  ses  relations  avec  Louis  de  Montalte  que  l'on  trouve  dans  son 
procès  quelques  détails  sur  la  vie  de  Léonora  Galigaï,  dont  Isaac,  fils 
de  Louis,  était  le  médecin.  —  Pour  le  morceau  sur  M"*  de  La  Haye 
(Charlotte  des  Essarts)  et  son  amant  malheureux,  Christophe  de  Beau- 


120  NOTES   BIBLIOGRAPflIQDES. 

mont,  on  ne,  voit  pas  très  bien  ce  qu'il  fait  en  ce  volume.  —  On  s'ex- 
plique mieux  la  présence  d'un  article  (non  annoncé  au  sommaire)  sur 
la  religion  de  Montchrétien  :  les  arguments  donnés  par  M.  Lachèvre 
pour  prouver  qu'il  n'était  pas  huguenot  ne  me  paraissent  pas  décisifs. 

—  M.  Lachèvre  attribue  à  Angot  de  L'Éperonnière  les  Exercices  de 
ce  temps  et  à  Claude  Belurgey  (n'est-ce  pas  Bélorgey  ?)  les  Quatrains 
du  déiste.  L'article  sur  Une  première  attaque  inconnue  de  Claude 
Garnier  contre  Théophile  de  Viau  complète  les  belles  études  que 
l'auteur  a  déjà  consacrées  au  poète.  Plus  loin,  des  notes  reviennent 
encore  sur  Théophile  et  sur  son  procès,  non  plus  sur  le  procès  de  1625, 
mais  sur  celui  dont  il  fut  l'occasion  posthume  devant  la  justice  du 
second  Empire,  en  1859.  Dans  un  autre  article,  à  propos  de  Cramail, 
on  voit  passer  la  figure  de  Vanini,  et  dans  le  suivant  celle  de  Cyrano. 
Lignières,  récemment  célébré  par  M.  Magne  (voir  infra),  a  aussi  sa 
place  en  cette  galerie.  H.  Hauser. 

—  Magne  (Emile).  Un  ami  de  Cyrano  de  Bergerac.  Le  chevalier 
de  Lignières.,  plaisante  histoire  d'un  poète  libertin...  (Paris,  E.  San- 
sot,  Bibl.  hist.  des  curiosités  littéraires,  s.  d.,  in-S",  189  p.).  —  Sui- 
vant sa  méthode  ordinaire,  M.  Magne  prend  la  vie  d'un  poète  —  d'un 
de  ces  poètes  qui  ont  eu  maille  à  partir  avec  Despréaux  —  et  il  donne 
de  cette  vie  un  récit  romanesque  et  truculent.  Duels  et  ruelles,  fer- 
railleurs et  précieuses,  scènes  de  ripailles  et  scènes  d'alcôves;  le  lec- 
teur de  ces  sortes  d'ouvrages  doit  se  représenter  le  xvii«  siècle  nais- 
sant comme  une  suite  d'épisodes  du  Capitaine  Fracasse.  La  vie  était 
alors,  comme  en  tout  temps,  à  la  fois  plus  simple  et  plus  complexe. 

—  Bibliographie  des  œuvres  de  Lignières  et  documents  sur  sa  famille, 
la  famille  Payot,  sortie  de  la  finance  :  Charles  Payot,  trésorier  général 
de  la  Maison  du  roi,  et  Isaac  Payot,  trésorier  général  à  Soissons  en 
1603  ;  en  1619,  Isaac  se  fait  adjuger  la  ferme  générale  des  aides.  Charles 
de  Trouillart,  correcteur  en  la  Chambre  des  comptes,  épousa  Marie 
Payot,  qui  était  pupille  de  Robert  Miron,  maître  des  conrptes,  fils  et 
petit-fils  des  deux  prévôts  des  marchands.  Et  voilà  comme  on  fabriquait 
un  «  chevalier  »,  maître  d'un  castel!  Isaac  Payot  a  pour  beau-père 
Pierre  de  La  Bruyère,  «  argentier  »  de  la  Maison  du  roi.  D'après  les 
tables  de  Jal  et  de  Servois,  ce  Pierre  n'est  pas  un  ancêtre  de  l'auteur 
des  Caractères.,  mais,,  comme  le  conjecture  M.  Magne,  il  pourrait  être 
un  parent.  N'oublions  pas  que  le  farouche  ennemi  des  traitants  était 
fils  de  financiers  et  que  lui-même  fut  pourvu  d'un  office.  —  H.  Hauser. 

—  Désiré  Jouany,  docteur  en  droit.  La  formation  du  département 
du  Morbihan  (Vannes,  Impr.  ouvrière  vannetaise,  1920,  in-8°,  79  p.). 

—  L'auteur  a  choisi  le  Morbihan  pour  étudier  de  plus  près  la  forma- 
tion des  cinq  départements  qu'a  fournis  l'ancienne  province  de  Bre- 
tagne, parce  qu'il  est  seul  limitrophe  des  quatre  autres  et  qu'on  peut 
mieux  y  noter  les  facteurs  déterminants  des  mutations  plus  ou  moins 
profondes  que  l'Assemblée  nationale  introduisit  dans  le  pays,  ainsi  que 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  121 

la  coexistence  momentanée  des  anciens  et  des  nouveaux  rouages 
administratifs.  M.  Jouany  a  consulté  pour  son  étude  les  Archives 
nationales,  les  archives  départementales  du  Morbihan,  d'Ille-et- 
Vilaine,  les  archives  municipales  de  Vannes,  etc.  Après  avoir  som- 
mairement décrit,  dans  un  premier  chapitre,  l'ancienne  Bretagne  et 
son  état  avant  la  Révolution,  il  consacre  les  chapitres  suivants  au 
récit  de  la  création  et  du  baptême  du  département,  de  sa  division  en 
districts  et  cantons,  à  l'élection  des  nouveaux  corps  administratifs 
(mai  i790),  à  leur  activité  pendant  le  second  semestre  de  ladite  année. 
Son  exposé  s'arrête  avant  que  la  crise  religieuse  se  fasse  sentir  dans 
la  région.  C'est  une  monographie  utile,  comme  on  voudrait  en  possé- 
der une  pour  chacun  de  nos  départements.  Reuss. 

—  Henri  de  Laguérenne.  Une  page  d'histoire  régionale.  Pour- 
quoi Montluçon  n'est-il  pas  chef -lieu  de  département?  (Moulins, 
L.  Grégoire,  1919,  in-18,  109  p.).  —  L'auteur  nous  expose,  d'après  le 
registre  des'  délibérations  du  Comité  permanent  de  Montluçon  et 
d'après  d'autres  papiers  inédits,  pour  quels  motifs  cette  ville  ne  fut 
pas  désignée  comme  chef-lieu  du  département  de  l'Allier.  Cas  curieux 
d'une  de  ces  rivalités  locales  qui,  lors  de  la  nouvelle  division  en 
départements  par  la  Constituante,  amenèrent  la  brouille  entre  rivales 
qui  se^disputaient  l'honneur  de  posséder  une  administration  centrale, 
une  administration  de  district,  un  tribunal,  etc.  Montluçon,  la  ville  la 
plus  considérable  du  Bourbonnais,  se  croit,  un  moment,  assurée  de 
l'emporter  sur  Moulins;  mais,  en  janvier  1790,  l'Assemblée  nationale 
inflige  à  ces  espoirs  «  un  échec  définitif  et  irrévocable  ».  Les  habitants 
réclament  alors  au  moins  comme  dédommagement  un  «  district  fort 
étendu  »,  une  cour  souveraine  et  un  évêché.  Ils  n'obtinrent  de  tout 
cela  qu'un  tribunal  de  première  instance  et  furent  «  plongés  ainsi  », 
dit  M.  de  Laguérenne,  «  dans  une  période  d'obscur  repos,  »  dont  ils 
n'ont  commencé  à  sortir  qu'au  milieu  du  xix^  siècle.  En  1900,  Mont- 
luçon comptait,  en  efïet,  31,000  habitants,  Moulins  22,000  seulement; 
mais  il  est  peu  probable  qu'on  dépossède  cette  dernière  ville  de  son 
préfet  au  profit  de  l'autre.  Reuss. 

—  Comité  départemental  de  Seine-et-Oise  pour  la  recherche 
de  documents  relatifs  à  la  vie  économique  de  la  Révolution.  Bul- 
letin Âe  1914-1915-1916  (Versailles,  impr.  «  la  Gutenberg  »,  1917,  gr. 
in-8°,  94  p.,  photographies).  —  Ce  fascicule  comprend,  outre  les  pro- 
cès-verbaux des  séances  du  Comité  de  juillet  1915  à  mai  1918,  des 
notices  plus  ou  moins  détaillées  sur  quatre  de  ses  membres  décédés 
durant  cette  période  :  M.  le  sénateur  Ferdinand  Dreyfus  (par  M.  Lo- 
rin);  M.  U.  Quesvin,  ancien  professeur  d'histoire  au  lycée  Hoche,  et 
M.  ICugène  Grave,  l'auteur  de  V Histoire  de  iV/a?i<es  (par  M.  Defresne); 
M.  Maurice  Tourneux,  l'historien  et  le  bibliographe  bien  connu  (par 
M.  Evrard).  Les  mémoires  spéciaux  lus  dans  les  séances  du  Comité, 
au  cours  de  ces  années,  paraîtront  dans  le  prochain  Bulletin.  —  Reuss. 


122  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

—  Maurice  Dussarp.  Roger  Ducos  et  sa  mission  à  Landrecies  en 
Van  III,  1"^  germinal-10  fructidor  (Largentière,  impr.  Mazel,  s.  d., 
m-8°,  238  p.,  portrait).  —  Tour  à  tour  modéré,  puis  radical,  Roger 
Ducos,  adversaire  des  Girondins  à  la  Convention,  président  au  Con- 
seil des  Anciens  au  18  fructidor,  se  vit  porté,  par  l'influence  de  Bar- 
ras, au  fauteuil  directorial  et  prêta  «  le  concours  le  plus  actif  «  au 
coup  d'Etat  du  18  Brumaire;  il  devint,  le  lendemain,  consul  provi- 
soire, figura  plus  tard,  comme  comte  de  l'Empire  et  grand  officier  de 
la  Légion  d'honneur,  au  Sénat,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  voter  la 
déchéance  de  l'empereur.  Expulsé  de  France  comme  régicide,  il  mou- 
rut en  Allemagne  des  suites  d'un  accident  de  voiture  (1816).  Ce  per- 
sonnage, peu  sympathique  au  demeurant,  était  originaire  de  Dax,  où 
ses  papiers  se  trouvaient  naguère  encore  entassés  à  la  mairie  quand 
ils  furent  «  livrés  au  commerce  »  pour  déblayer  la  maison  commune. 
Le  registre  de  la  correspondance  de  Roger  Ducos  pendant  une  mission 
que  la  Convention  lui  donna  à  Landrecies  (mars-septembre  1795)  a 
seul  échappé  à  cette  destruction  par  un  heureux  hasard,  et  M.  Dussarp 
s'en  est  servi  (avec  quelques  autres  pièces  déjà  publiées  dans  le  grand 
recueil  de  M.  Aulard)  pour  nous  raconter  les  faits  et  gestes  du  conven- 
tionnel pendant  cette  mission,  assez  peu  importante  en  somme  (il 
s'agissait  surtout  de  la  réparation  des  dommages  de  guerre  dans  cette 
cité).  Évidemment,  il  était  tentant  d'exposer  en  détail  comment  le 
gouvernement  républicain  d'alors  avait  voulu  réparer  les  ravages  cau- 
sés par  une  invasion  allemande;  mais,  tout  en  constatant  que  le  tra- 
vail renferme  une  série  de  renseignements  intéressants,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  trouver  que  l'auteur  aurait  pu  resserrer  notablement 
les  limites  de  son  étude.  Reuss. 

—  E.  DE  Marcère.  La  Prusse  et  la  rive  gauche  du  Rhin.  Le 
traité  de  B aie,  i794-i795,  d'après  des  documents  inédits  (Paris,  Félix 
Alcan,  1918,  in-18,  244  p.).  —  L'esquisse  assez  détaillée  des  tentatives 
de  paix  qui,  dès  1792,  précédèrent  les  négociations  de  Bâle  entre  la 
République  française  et  le  roi  de  Prusse  semble  avoir  été  écrite  au 
cours  de  la  dernière  année  de  la  guerre  récente,  pour  montrer  «  avec 
quelle  facilité  la  Prusse  accepte  l'établissement  des  Français  sur  la 
rive  gauche  »  du  Rhin.  L'auteur  l'invite  en  conséquence  à  en  agir  de 
même  aujourd'hui.  «  Ce  qu'elle  fit  à  cette  époque  »,  écrit-il  naïve- 
ment, «  presque  sans  se  faire  prier,  en  prenant  même  une  sorte  d'ini- 
tiative, ne  peut-elle  donc  le  refaire  pour  assurer  dans  l'avenir  la  paix 
du  monde?  Ip.  2).  »  L'auteur  doit  être  revenu  depuis  de  ses  singulières 
illusions  sur  les  dispositions  de  l'Allemagne  à  «  envisager  sans  appré- 
hension la  cession  de  la  rive  gauche  du  Rhin  à  la  France  »  (p.  21).  — 
Pour  ce  qui  est  du  récit  lui-même,  on  ne  voit  pas  que  les  recherches 
de  M.  de  Marcère  aux  archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères 
aient  fourni  beaucoup  de  détails  nouveaux;  les  éloges  qu'il  prodigue 
à  Barthélémy  montrent,  en  tout  cas,  qu'il  n'a  pas  lu  ses  Mémoires, 
publiés  il  y  a  quelques  années,  et  où  Barthélémy  s'est  jugé  (sans  le 
vouloir)  plus  sévèrement  encore  que  ne  le  fit  le  Comité  de  Salut  public. 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  123 

Le  récit  de  M.  de  Marcère  est  défiguré  par  de  très  nombreuses  caco- 
graphies  quant  aux  noms  de  personnes  et  de  lieux.  Il  faut  lire,  par 
exemple,  Dohm  pour  Doehn,  Knesebeck  pour  Kneschbech,  Ruchel 
pour  Rugel,  Weisskirchen  pour  Wiesskirch,  Hochheim  pour 
Hoclieirn,  Eric  pour  Erie,  landgraben  pour  landgrahen,  Kœnigs- 
berg  pour  Koenisberg ,  etc.  Reuss. 

—  Henry  Morel-Journal.  La  politique  de  Bonaparte  en  pays 
occupé,  d'après  des  documents  recueillis  à  Vicence  sur  l'occu- 
pation française  en  1796,  av'fec  une  lettre-préface  du  général  Maistre 
(Paris  et  Nancy,  Berger-Levrault,  1921,  in-18,  66  p.).  —  Attaché  à 
l'état-major  du  corps  d'armée  envoyé  en  Italie  après  le  désastre  de 
Caporetto,  l'auteur  a  profité  de  quelques  loisirs  durant  son  séjour  aux 
portes  de  Vicence  pour  explorer  les  archives  de  cette  ville.  Il  y  a 
recueilli  plusieurs  documents  illustrant  les  procédés  employés  par  le 
Directoire  et  ses  représentants  militaires  (parmi  lesquels  le  général 
Bonaparte  fut  le  plus  important,  mais  non  le  plus  docile),  au  cours  de 
la  campagne  de  1797,  pour  amener  les  populations  vénitiennes  de  la 
terra  firma  à  se  «  réunir  »  à  la  République  cisalpine.  En  les  utilisant 
dans  sa  plaquette,  il  a  bien  ajouté  quelques  détails  intéressants  pour 
rhistoire  locale;  mais,  dans  l'ensemble,  on  connaissait  bien  l'opposi- 
tion d'une  partie  notable  des  populations,  l'antipathie  du  clergé,  les 
soulèvements  ruraux,  etc.;  depuis  longtemps  on  connaissait  aussi  les 
exactions  commises  par  certains  fonctionnaires  civils  et  militaires, 
et  que  «  nous  n'étions  pas  en  Italie  les  apôtres  tout  à  fait  désintéres- 
sés de  la  liberté  n  (p.  9l.  Je  note  ce  détail  curieux  que,  si  l'on  recrutait 
des  bataillons  italiens  en  Vénétie,  c'était  pour  les  employer  au  dehors 
et  «  pour  avoir  des  otages  »,  au  cas  que  les  troupes  françaises  dussent 
aller  en  Allemagne  (p.  61).  Reuss. 

—  Nous  avons  reçu  de  M.  l'abbé  F.  Uzureau  toute  une  nouvelle 
série  de  brochures  (tirages  à  part)  relatives  à  l'histoire  d'Angers  ou  de 
l'Anjou  :  1°  La  municipalité  d'Angers  oi  1790  (Angers,  Grassin, 
1919,  in-8°,  46  p.);  2°  Missions  dans  le  diocèse  d'Angers  sous  la 
Restauration  (Ibid.,  1919,  in-S»,  27  p.);  3°  L'hospice  Saint-Charles 
d'Angers,  171k-1920  (Ibid.,  1920,  in-8°,  25  p.);  4°  M.  l'abbé  Dernier 

t  ses  paroissiens  de  Saint-Laud  (Ibid.,  1920,  in-8°,  26  p.).  De  ces 
uatre  études,  extraites  des  Mémoires  de  la  Société  nationale 
d'agriculture,  sciences  et  arts  d'Angers,  la  dernière  est  la  plus 
intéressante  pour  l'histoire  générale,  puisqu'elle  nous  donne  du 
fameux  curé  de  Saint-Laud,  du  négociateur  occulte  du  Concordat, 
employé  par  Bonaparte  après  avoir  été  associé  aux  luttes  vendéennes, 
un  portrait  assez  différent  de  celui  qu'en  retracent  d'ordinaire  les  his- 
toriens. Mgr  Bernier  devient,  sous  la  plume  de  son  dernier  biographe, 
un  représentant  correct  et  bénin  de  la  hiérarchie  ecclésiastique.  On 
peut  se  demander  si  c'est  bien  là  sa  véritable  physionomie.  —  Reuss. 

—  Publiant  un  travail  que  M.  Jean  Martin,  le  regretté  bibliothécaire- 
archiviste  de  ïournus  (cf.  Rev.   histor.,  novembre-décembre  1919, 


124  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

t.  CXXXII,  p.  410),  avait  presque  terminé,  M.  Jacques  MeurGey  nous 
donne  un  Armoriai  du  pays  de  Tournus  (Champion,  1920,  in-S", 
360  p.),  précieux  répertoire  des  familles  nobles  et  bourgeoises  dans 
une  région  dont  le  cadre  enferme  essentiellement  les  trente  et  une 
paroisses  de  l'ancien  archiprêtré,  les  quarante-huit  communes  ou 
communautés  de  la  subdélégation.  Chaque  notice  comprend,  en  prin- 
cipe, trois  paragraphes  :  description  des  armes,  bref  historique  de  la 
famille,  indication  des  fiefs  et  des  alliances.  En  dehors  de  son  intérêt 
proprement  héraldique  et  de  la  contribution  qu'il  fournit  à  l'histoire 
locale  (les  châteaux  de  Brancion,  d'Uxelles,  de  Senneceyi  de  Corma- 
tin,  de  Ruffey,  de  Cruzille,  de  Lugny  ont  abrité  les  meilleures 
familles  féodales  de  Bourgogne),  cet  ouvrage  intéresse  l'histoire  géné- 
rale :  on  y  saisira,  par  des  exemples  précis,  comment  la  noblesse 
française  fut,  au  cours  des  âges,  renouvelée  par  l'accession  de  nom- 
breuses familles  bourgeoises.  Le  volume  se  termine  par  un  index  des 
fiefs  et  lieux  dits  avec  le  nom  des  familles  qui  y  étaient  possession- 
nées  et  par  une  bibliographie.  Page  10, 1.  23,  lire  «  Mailot-Granges  »  ; 
p.  64,  1.  4,  lire  «  Arlay  »  ;  p.  300,  au  mot  Arinthod,  placer  Lons-le- 
Saunier  dans  le  Jura  et  non  dans  le  Doubs.  L.  Villat.     • 

Autriche.  —  Pierre  Hamp.  La  peine  des  hommes.  Les  chercheurs 
d'or  (Paris,  1920,  éditions  de  la  Nouvelle  Revue  française,  1  vol.  in-16, 
192  p.).  —  C'est,  dans  la  série  où  le  vigoureux  et  probe  écrivain  pro- 
duisit déjà  te  Rail,  Marée  Fraîche,  Vin  de  Champagne,  le  Travail 
invincible,  les  Métiers  blessés  et  la  Victoire  mécanicienne  —  tous 
livres  qui  honorent  notre  temps  et  que  récompensa  récemment  le 
prix  Lasserre  —  une  nouvelle  enquête,  minutieuse  et  involontaire- 
ment éloquente,  sur  l'afflux,  dans  Vienne  meurtrie  et  déchue,  de  spé- 
culateurs internationaux.  Un  roman?  Non,  une  analyse  objective,  un 
témoignage  de  géographie  et  d'histoire,  un  acte.  Sur  la  République 
d'Autriche  au  lendemain  de  la  défaite,  sur  l'État  hydrocéphale  de  six 
milHons  d'habitants,  dont  près  de  trois  dans  sa  capitale  ruinée,  sur 
l'écroulement  à  cinq  centimes  de  la  couronne,  sur  le  déboisement  du 
Wiener-Wald,  sur  la  famine  d'un  peuple  coupable  et  pourtant 
pitoyable,  rien  de  plus  fort  ni  de  plus  direct.  —  R.  Lévy-Guenot. 

Grande-Bretagne.  —  J.  E.  Lloyd.  A  brief  bibliography  oi 
welsh  history  for  the  use  of  teachers  («  The  historical  Association, 
leaflet  49,  mars  1921,  in-S»,  8  p.).  —  Rapide  bibliographie  où  sont 
mentionnés  les  plus  importants  des  ouvrages  antérieurs  au  milieu  du 
xix^  siècle,  les  quelques  livres  d'histoire  écrits  en  gallois  ;  les  princi- 
paux manuels  de  l'histoire  galloise  en  anglais  ;  les  livres  que  l'on  peut 
consulter  avec  le  plus  de  fruit  pour  l'histoire  politique,  militaire  et 
religieuse;  enfin,  les  trois  périodiques  qui  s'occupent  de  l'histoire,  de 
la  langue  et  de  la  littérature  de  l'ancienne  «  Cambria  ». 

Inde.  —  E.  B.  Havell.  The  history  of  Aryan  rule  in  India 
from  the  earliest  times  to  the  death  of  Ahbar  (Lonilon,  G.  Ilarrap, 


HISTOIRE    DE    l'iNDE.  125 

1918,  in-S",  xxxi-583  p.,  orné  d'illustrations  et  de  cartes;  prix  :  15  sh. 
net).  —  Akshoy  Kumar  Mazumdar.  The  Hindu  history  B.  C.  3000 
to  1200  A.  D.  (Dacca  (Bengal),  Nagendra  Kumar  Roy,  1920,  in-12, 
2«  édit.,  viii-871  p.;  prix  :  pour  l'Inde,  8  r.;  pour  l'étranger,  1  sh.).  — 
L'histoire  de  l'Inde,  que  rendent  si  difiBcile  à  fixer  l'incertitude  chro- 
nologique et  l'insuffisance  de  la  documentation,  toutes  deux  impu- 
tables à  l'indifférence  des  Hindous  envers  les  faits  positifs  et  concrets, 
ne  paraît  avoir  jamais  sollicité  autant  d'esprits  que  depuis  quelques 
années.  Cambridge  et  Oxford  se  sont  piquées  au  jeu  :  dans  la  pre- 
mière de  ces  Universités,  Rapson  a  inauguré  une  vaste  entreprise 
(Cambridge  Hislory  of  India;  vol.  I  :  Ancient  India,  1914);  dans 
la  seconde,  Vincent  A.  Smith  a  composé  successivement  plusieurs 
précis,  et  nous  lui  devons  un  manuel  fort  estimable  {Oxford  History 
of  India,  1919).  Historien  de  l'art  indien,  E.  B.  Havell  a  donné 
maintes  preuves  d'un  enthousiasme  fougueux  pour  l'originalité 
indienne,  en  faveur  de  laquelle  il  a  rompu  des  lances,  notamment 
contre  Fergusson.  Il  apporte  en  son  récent  ouvrage  —  une  histoire 
poussée  jusqu'au  temps  d'Akbar  —  la  même  ardeur  passionnée  qui 
rend  ses  écrits  très  vivants,  mais  non  moins  intempérants  que  sug- 
gestifs. Nous  l'approuvons  volontiers  quand  nous  l'entendons  affirmer 
que  le  vieux  fonds  aryen  imprima  sa  marque  sur  l'ensemble  de  l'évo- 
lution indienne;  mais  nous  refusons  de  tenir  pour  négligeables  les 
autres  facteurs,  et  surtout  de  regarder  comme  conformes  à  cette  ins- 
piration aryenne  les  jougs  mêmes  que  l'Inde  a  subis  :  ceux  de  l'Islam 
et  de  l'Angleterre.  Toute  hypothèse  est  la  bienvenue,  pourvu  qu'elle 
se  montre  explicative  :  nous  nous  gardons  de  proscrire  en  principe 
l'idée  maîtresse  de  ce  volume,  selon  laquelle  une  certaine  doctrine 
pohtique  des  Aryens  —  le  communisme  de  village  —  constituerait  la 
clef  des  institutions  sociales,  même  des  croyances  religieuses  indiennes  ; 
mais  nous  dénoncerons  l'esprit  de  système  et  surtout  le  ton  dogma- 
tique avec  lequel  s'exprime  cette  thèse.  Elle  ne  se  justifie  que  par 
l'assignation  au  symbolisme  d'un  rôle  considérable  ;  expédient  témé- 
raire, car  toute  vérification  parait  illusoire.  Enfin,  les  transcriptions 
de  termes  sanscrits  témoignent,  semble-t-il,  non  pas  de  simples  négli- 
gences, mais  d'une  complète  impéritie  philologique  (l's  et  le  ç  non  dis- 
tingués; les  longues  et  les  brèves  consignées  de  façon  inexacte  :  par 
exemple  vinâya  [57,  101,  165]  pour  vinaya;  devata  [27,  41]  pour 
devatà;  Arjùna  [40]  pour  Arjuna;  Chanàkya  [66]  pour  Cânakya,  etc.). 
Reconnaissons  toutefois  que,  malgré  ces  imperfections,  souvent  même 
à  cause  de  son  originalité  quelque  peu  simpliste,  le  livre  est  suscep- 
tible de  répandre  le  goût  des  études  indiennes. 

L'ouvrage  de  M.  Mazumdar  a  été  conçu  et  exécuté  à  l'indienne,  con- 
formément à  cette  mentalité  qui  considère  un  sujet  comme  traité 
quand  divers  jugements  ont  été  compilés  sur  plusieurs  aspects  de  ce 
sujet.  La  seconde  édition  reproduit,  dans  l'ensemble,  la  première,  qui 
date  df  1917;  l'auteur  n'a  donc  pu  tirer  parti  de  l'ouvrage,  ci-dessus 


126  HOTES  BIBLIOGRAPHIQDES. 

mentionné,  de  V.  A.  Smith.  La  critique  est  inexistante  :  on  ne  soup- 
çonne aucune  difficulté  à  admettre  que  la  philosophie  indienne  ait  agi 
sur  Pythagore;  bien  plus,  on  ne  craint  pas  de  clore  en  2500  avant 
notre  ère  l'âge  védique  et  en  1200  av.  J.-C.  l'âge  épique,  comme  si 
quelque  précision  pouvait  être  fournie  sur  des  époques  proprement 
préhistoriques  et  comme  si  les  épopées  pouvaient  remonter  à  un 
temps  aussi  reculé.  Par  contre,  le  récit  se  fait  de  plus  en  plus  sec  à 
mesure  qu'il  atteint  des  époques  plus  accessibles  à  l'historien.  Néan- 
moins, il  ne  saurait  nous  être  indifférent  de  prendre  contact  avec  la 
notion  qu'un  Hindou  se  fait  du  passé  de  sa  race;  à  cet  égard,  un  sem- 
blable ouvrage  est  instructif  à  proportion  même  de  son  opposition  aux 
convictions  de  la  critique  européenne,  auxquelles  nous  avons  d'excel- 
lentes raisons  d'adhérer,  mais  qui  ne  sont  pas,  elles  non  plus, 
exemptes  de  préjugés.  P.  Masson-Oursel. 

—  H.  G.  Rawlinson.  British  Beginnings  in  Western  India, 
1519-1657.  An  account  of  the  early  days  of  the  British  factory  of 
Surat  (Oxford,  Clarendon  Press,  1920,  in-8°,  158  p.;  prix  :  10  sh.  6 
net).  —  N.  L.  Hallward.  William  Bolts,  a  Dutch  adventurer 
under  John  Company  (Cambridge,  University  Press,  1920,  in-B», 
viii-210  p.;  prix  :  15  sh.  net).  —  L'auteur  de  la  première  de  ces  deux 
monographies,  consacrées  à  des  épisodes  de  l'emprise  anglaise  sur 
les  «  Indes  orientales  »,  a  largement  puisé  dans  la  documentation  que 
conserve  V India  office  et  dont  l'importance  nous  est  attestée  par  les 
publications  de  Sir  George  Birdwood,  ainsi  que  de  W.  Foster  et  E.  B. 
Sainsbury.  Surate,  dont  l'importance  n'est  plus  qu'un  souvenir,  fut  le 
premier  bastion  de  la  Compagnie  des  Indes  à  une  époque  où  tout  l'in- 
térêt d'un  établissement  sur  la  côte  ouest  consistait  à  fixer  une  étape 
dans  le  transport  des  épices  originaires  des  Moluques.  Ce  fut  une 
création  de  négociants  puritains,  aussi  âpres  au  gain  que  farouches 
croyants.  —  L'épisode  qui  fait  l'objet  du  second  livre  embrasse  la 
seconde  moitié  du  xviii*  siècle.  Fort  pittoresque  est  la  savante  biogra- 
phie de  ce  Hollandais  anglicisé  qui  se  livrait  à  mille  intrigues,  tout  en 
s'instituant  le  dénonciateur  des  abus  de  la  Compagnie  et  le  défenseur 
tant  des  pouvoirs  indigènes  que  des  droits  des  sujets  anglais.  On 
s'étonne  de  ne  point  trouver  en  ce  livre  une  analyse,  même  sommaire, 
de  l'écrit  principal  de  Doits,  ses  Considérations  on  Indian  Affairs 
(1772),  qui  fit  assez  de  bruit  pour  mériter  d'être  traduit  en  français  par 
Demeunnier  (1775)  et  réédité  encore  dans  notre  langue  en  1838. 

P.  Masson-Oursel. 

Japon.  —  Katsuro  Hara.  An  Introduction  to  the  History  of 
Japan  (New- York,  Putnam,  1920,  in-S»,  xviii-411  p.;  prix  :  2dol.  50). 
—  «  La  plus  grande  malchance  de  notre  pays,  à  l'heure  actuelle,  est 
que  son  histoire  n'a  été  que  très  rarement  écrite  par  des  historiens 
européens  ou  américains  de  premier  rang.  »  M.  K.  Hara  n'a  point  tort 
de  s'exprimer  ainsi  (p.  19).  Florenz  n'aborde  l'histoire  japonaise  que  par 


eiSTOIfiE   DES   PAYS   SCANDINAVES.  127 

un  certain  biais;  et  si  un  Chavannes,  un  Pelliot,  un  Péri  ont,  sur  tel 
ou  tel  point,  apporté  la  précision  qui  ne  s'obtient  que  d'une  critique 
avertie,  aucun  savant  de  leur  trempe  n'a  maîtrisé  l'ensemble  de  l'his- 
toire japonaise.  Katsuro  Hara  domine  certes  son  sujet;  il  fait  preuve 
des  qualités  requises  pour  «  introduire  »  le  lecteur  à  cette  histoire  ;  il  ne 
se  borne  pas  à  fixer  leur  place  aux  faits,  mais  situe  les  questions  selon 
leur  importance  relative  et  leur  signification.  C'est  dire  que  l'ouvrage 
nous  présente  une  philosophie  de  l'histoire  japonaise  plutôt  qu'une 
histoire  du  Japon;  comme  il  se  conforme  en  cela  au  titre  qu'il  se 
donne,  nous  ne  pouvons  que  rendre  hommage  à  l'entreprise,  sans  être 
fondé  à  lui  reprocher  de  ne  point  nous  fournir  ce  que  pourtant  nous 
désirerions  le  plus  :  un  progrès  dans  l'analyse  critique  des  faits.  Le 
livre  oITre  une  documentation  aussi  restreinte  que  possible;  il 
dédaigne  de  mentionner  les  travaux,  trop  rares  à  son  gré  comme  au 
nôtre,  qui  ont  affronté  telle  ou  telle  partie  de  la  tâche.  Espérons  que 
la  société  Yamato,  sous  les  auspices  de  laquelle  il  a  paru,  suscitera 
non  pas  simplement  des  œuvres  d'excellente  vulgarisation,  mais  des 
études  positives.  P.  Masson-Oursel. 

Pays  Scandinaves.  —  Norsk  Historisk  Videnskap  i  femti  âr 
1869-19Î9,  utgitt  av  den  norske  historiske  forening  til  deno  femti-ârs- 
dag  21  desember  1919  (Kristiania,  Grœndahl  et  Sœn,  1920,  in-8°, 
iv-352  p.).  —  Pour  célébrer  le  cinquantenaire  de  sa  fondation,  la  Société 
historique  norvégienne  vient  de  réunir  en  volume  une  série  d'articles 
sur  le  développement  des  sciences  historiques  en  Norvège  de  1869  à  1919. 
A  chaque  branche  d'étude  —  l'histoire  proprement  dite  et  ses  sources, 
l'archéologie,  l'histoire  de  l'.art,  le  folklore,  l'histoire  littéraire,  la 
généalogie  —  est  consacrée  une  monographie  qui  renseigne  de  façon 
précise  et  critique  sur  les  travaux  parus  au  cours  du  demi-siècle  envi- 
sagé. Nous  trouvons  à  la  fois  une  bibliographie  méthodique  et  une 
sorte  de  résumé  succinct  des  questions,  à  la  façon  des  manuels  de  la 
collection  Ivan  Mûller.  Les  deux  premiers  chapitres,  qui,  en  une  sorte 
d'introduction,  nous  rappellent  les  tendances  générales  de  l'école  his- 
torique norvégienne  et  de  ses  principaux  représentants,  Birkeband, 
Sars,  Y.  Nielsen,  auraient  gagné  sans  doute  à  être  fondus  en  un 
exposé  unique,  évitant  ainsi  certaines  répétitions. 

Le  lecteur  français  relèvera  avec  un  intérêt  particulier  tout  ce  qui 
nous  est  dit  de  l'influence  que  Guizot  et  Tocqueville,  sans  parler 
d'A.  Comte,  exercèrent  sur  un  homme  comme  Sars,  l'historien  natio- 
nal de  la  Norvège.  A.  Ganem. 

—  Mary  M.  Williams.  Social  Sca.ndina.vla  in  the  Vihing 
Age  (New-York,  Macmillan  Company,  1920,  in-S",  xii-451  p.). 
—  Dans  ce  volume,  consacré  à  l'examen  de  la  civilisation  nordique  à 
l'époque  des  Vikings,  Miss  M.  Williams  n'a  pas  entendu  faire  œuvre 
d'érudition  ;  elle  a  souhaité  seulement  mettre  à  la  disposition  des 
étudiants  et  du  public  éclairé  un  ouvrage  «  lisible  >•,  résumant  de 


128  NOTES   BIBLIOGEAPHIQCES. 

façon  claire  les  derniers  travaux  des  historiens  et  des  archéologues 
Scandinaves.  Ce  souci  de  clarté  est  assurément  fort  louable.  Nous 
regretterons  pourtant  qu'il  ait  entraîné .  Miss  Williams  à  esquiver 
l'étude  des  problèmes  délicats,  ces  questions  d'influence  et  d'évolution 
qu'il  est  pourtant  néanmoins  impossible  de  ne  pas  aborder.  Du  début 
du  ix^  à  la  fin  du  XF  siècle,  la  civilisation  des  différents  pays  du  Nord 
n'est  certes  point  demeurée  immuable.  Cependant,  le  tableau  qui  nous 
est  ici  présenté  ne  contient  presque  jamais  de  distinctions  chronolo- 
giques. Ceci  dit,  le  livre  de  Miss  Williams  enferme  un  exposé 
méthodique  et  commode  des  divers  aspects  —  surtout  matériels  —  de 
la  vie  Scandinave  primitive  ;  il  est  de  lecture  facile,  agréable  même,  et 
est,  de  plus,  heureusement  illustré.  Il  rendra  donc  des  services,  au 
moins  dans  les  pays  de  langue  anglaise  et  de  change  élevé  :  quelle 
bibliothèque  française  se  risquerait  à  acheter  aujourd'hui  un  volume  de 
vulgarisation  dont  le  prix  atteint  six  dollars?  A.  Ganem. 

Suisse.  —  Alfred  Rufer.  Vier  bûndnerische  Schulrepubliken 
aus  der  zweiten  Haelfte  des  18.  Jahrhunderts  (Bern,  Wyss,  1921, 
in-8°,  39  p.).  —  M.  Alfred  Rufer,  qui  vient  d'être  appelé  à  continuer 
aux  archives  de  Berne  la  grande  collection  des  Actes  de  la  Confédé- 
ration helvétique  commencée  par  feu  Strickler,  a  raconté  dans  cette 
intéressante  étude  l'histoire  de  quatre  établissements  scolaires  créés 
dans  les  Grisons  au  cours  de  la  seconde  moitié  du  xviiF  siècle  pour 
réaliser  les  idées  pédagogiques  nouvelles  mises  en  circulation  surtout 
par  Basedow  en  Allemagne,  et  organisés  en  véritables  républiques 
scolaires.  Il  nous  expose  les  principes  d'après  lesquels  furent  dirigés 
le  Séminaire  de  Haldenstein  (1761-1772),  le  Philanthrope  de  Mar- 
schlins  (1772-1777),  l'École  nationale  de  Jenins  (1786-1793)  et  le 
Séminaire  de  Reichenau  (1793-1789);  il  nous  parle  des  personnages 
qui  en  furent  les  créateurs  ou  les  inspirateurs  politiques;  parmi  ces 
.derniers  figurent  deux  hommes  qui,  dans  des  camps  opposés,  ont  joué 
un  rôle  important  dans  l'histoire  des  Ligues  grisonnes  :  Ulysse  de 
Salis-Marschlins  et  Jean-Baptiste- de  Tscharner.  Aucune  de  ces  ins- 
titutions pseudo-romaines,  nées  dans  le  cadre  alpestre,  ne  survécut  à 
la  crise  révolutionnaire;  mais  leur  histoire  méritait  d'être  racontée 
comme  un  épisode  curieux  du  mouvement  des  idées  pédagogiques  de 
cette  époque.  -  Reuss. 

Livres  reçus  par  la  «  Revue  historique  »<. 

André-Michel  (Robert).  Avignon.  Les  fresques  du  palais  des 
papes;  le  procès  des  Visconti.  A.  Colin,  1920.  210  p.  Prix  :  20  fr.  — 
Anesaki  (Masaharu).  Quelques  pages  de  l'histoire  religieuse  du  Japon. 
Edm.  Bernard.  172  p.  —  Arthur  (Sir  George).  Kitchener  et  la 
guerre,  1914-1916.  Payot.  xix-319  p.  Prix  :  16  fr.  —  Aude  (A. -F.). 

1.  Sauf  indication  contraire,  tous  les  livres  indiqués  sont  édités  à  Paris  en 
1921,  et  en  format  in-8°. 


LIVRES   REÇDS   PAR    LA    «    RETCE    flISTORIQDE    ».  129 

Vie  publique  et  privée  d'André  de  Béthoulat,  comte  de  La  Vauguyon, 
ambassadeur  de  France,  1630-1693;  et  Généalogie  de  la  famille  de 
Béthoulat.  Edouard  Champion.  356  et  87  p.  Planches.  Prix  :  40  fr.  — 
AuLARD  (A.).  Études  et  leçons  sur  la  Révolution  française.  8»  série. 
Félix  Alcan.  In-12,  182  p.  Prix  :  6  fr.  —  Bauer  (Hanns).  Das  Recht 
der  ersten  Bitte  bei  den  deutschen  Kônigen  bis  auf  Karl  IV.  Stutt- 
gart, Enke,  1919.  xi-175  p.  Prix  :  18  m.  —  Bellessort  (André). 
Études  et  figures.  Variétés  littéraires.  Bloud  et  Gay.  284  p.  —  Bener- 
JEE  (Gauranga  Natt).  Hellenism  in  ancient  India.  2«  édit.  Londres  et 
Calcutta,  Butterworth,  1920.  v-344  p.  —  Berger  (Élie).  Les  registres 
d'Innocent  IV;  tome  IV  (Bibliothèque  des  écoles  françaises  d'Athènes 
et  de  Rome).  E.  de  Boccard.  In-4°.  —  Blume  (Karl).  Abbatia;  ein 
Beitrag  zur  Geschichte  der  kirchlichen  Rechtsprache.  Stuttgart,  Enke, 
1914.  xiv-118  p.  Prix  :  5  m.  40.  —  Bordeaux  (Henri).  La  bataille 
devant  Souville.  «  La  Renaissance  du  livre  ».In-18,24l  p.  Prix  :  6  fr. 

—  BoÙARD  (A.  DE).  Le  régime  politique  et  les  institutions  de  Rome  au 
moyen  âge,  1252-1347.  E.  de  Boccard,  1920.  xxx-362  p.  —  Brenot 
(Alice).  Recherches  sur  l'éphébie  attique  et  en  particulier  sur  la  date 
de  l'institution.  Champion,  1920  (Bibliothèque  de  l'École  des  hautes 
études,  n°  229).  xxvii-52  p.  Prix  :  9  fr.  50.  —  Bryce  (James).  Modem 
democracies.  Londres,  Macmillan.  2  vol.,  xxv-567  et  x-757  p. 
Prix  :  50  sh.  —  BUAT  (général).  Hindenburg.  Chapelot.  —  Calonne 
(vicomte  A.  de).  La  vie  agricole  sous  l'ancien  régime  dans  le  nord  de 
la  France.  A.  Picard,  1920.,x-593  p.  —  Carnegie  (Andrew).  A  manual 
of  the  public  benefactions  of  Andrew  Carnegie.  Washington,  1919. 
321  p.  —  Bénard  (Charles).  Un  été  chez  les  Samoyèdes;  juillet- 
octobre  1914.  Plon-Nourrit.  In-16,  229  p.  Gravures  et  cartes.  Prix  : 
9  fr.  —  Charlétv  (S.).  Histoire  de  France  contemporaine.  La  Res- 
tauration. Hachette.  In-4°,  397  p.  Prix  :  40  fr.  —  Chassaigne  (Marc). 
Le  procès  du  chevalier  de  La  Barre.  Gabalda,  1920.  xvi-272  p.  Prix  : 
11  fr.  —  Chiappelli  (Alberto).  Storia  e  costumanze  délie  antiche 
feste  patronali  di  S.  Jacopo  in  Pistoia.  Pistoie,  A.  Paccinotti,  1920. 
142  p.  Prix  :  5  1.  —  Choisy  (Louis-Frédéric).  Sainte-Beuve;  l'homme 
et  le  poète.  Plon-Nourrit.  In-16„  iv-298  p.  Prix  :  7  fr.  50.  —  Chu- 
QUET  (A.).  Études  d'histoire.  8«  série.  E.  de  Boccard.  337  p.  Prix  :  5  fr. 

—  Id.  Quatre  généraux  de  la  Révolution  :  Hoche  et  Desaix,  Kléber  et 
Marceau.  Tome  IV.  Ibid.,  1914-1920.  418  p.  —  îd.  Inédits  napoléo- 
niens. II.  Ibid.,  1914-1920.  538  p.  Prix  :  20  fr.  —  Ciccotti  (E.).  Linea- 
menti  dell'  evoluzione  tributaria  nel  mondo  antico.  Rome,  Società  édi- 
trice libraria.  210  p.  —  Clapham  (J.  IL).  Economie  development  of 
France  and  Germany,  1815-1914.  Cambridge  University  Press,  1920. 
xi-420  p.  Prix  :  18  sh.  —  Clark  (Ruth).  Anthony  Hamilton  ;  his  life, 
his  Works  and  his  family.  Londres,  John  Lane.  xii-362  p.  Prix  :  21  sh. 

—  Cohen  (Gustave).  Mystères  et  moralités  du  ms.  617  de  Chantilly. 
Champion,  1920.  In-4o,  cxlix-134  p.  —  Id.  Écrivains  français  en  Hol- 
lande dans  la  pretoièr^  moitié  du  xvii"  siècle.  Ibid.  756  p.  —  Corapte- 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  1"  FASC.  9 


130  LIVRES   REÇUS   PAR   LA    «    REVDE   HISTORIQUE    ». 

rendu  des  travaux  de  la  Chambre  de  commerce  de  Lyon.  Année  1919. 
Lyon,  impr.  Rey.  1920,  623  p.  —  Cornet  (Lucien).  1914-1915.  His- 
toire de  la  guerre,  tomes  I-IV.  Charles- Lavauzelle.  380,  360,  344  et 
386  p.  Prix  :  7  fr.  50,  9  et  10  fr.  —  Corti  (E.  C).  Alexandervon  Bat- 
tenberg;  sein  Kampf  mit  den  Zaren  und  Bismark.  Vienne,   Seidel, 
1920.  351  p.  Prix  :  40  m.  —  Cours  professé  à  la  Faculté  de  droit  de 
Paris  aux  étudiants  américains,  mai-juin  1919.  L  G.  May  :  Introduc- 
tion à  la  science  du  droit.  IL  Ch.  Lefebvre  :  La  famille  en  France 
dans  le  droit  et  dans  les  mœurs.  III.  Ch.  Gide  :  De  la  transformation 
ou  de  l'abolition  du  salariat.  Giard  et  Brière.  v-457  p.  Prix  :  25  fr.  -— 
Crowell  (J.  Franklin).  Government  war  contracts.  Oxford  Univer- 
sity  Press,  xiv-357  p.  Prix  :  1  dol.  —  Daumet  (Georges).  Benoît  XII, 
1334-1342.  Lettres  closes,  patentes  et  curiales   se  rapportant  à  la 
France.  Introduction  et  index.  E.  de  Boccard,  1920.  In-4o.  —  De- 
lattre  (Floris).  La  pensée  de  J.  H.  Newman.  Payot,  1920.  306  p. 
Prix  :  5  fr.  —  Deleheye  (Hippolyte).  Les  passions  des  martyrs  et  les 
genres  littéraires.  Bruxelles,  Société  des  BoUandistes.  viii-447  p.  — 
De  Pachtère  (F. -G.).  La  table  hypothécaire  de  Veleia;  étude  sur  la 
propriété  foncière  dans  l'Apennin  de  Plaisance.  Champion,  1920  (Bibl. 
de  l'École  des  hautes  études,  n"  228).  xix-117  p.  —  Drla,ult  (Edouard). 
La  question  d'Orient  depuis  ses  origines  jusqu'à  la  paix  de  Sèvres. 
8"  édit.  FéUx  Alcan.  xv-479  p.  Prix  :  15  fr.,  plus  major.  40  %.  — 
Dubois  (général  A.).  Deux  ans  de  commandement  sur  le  front  de 
France,  1914-1916,  tomes  I  et  IL  Charles-Lavauzelle,  280  et  292  p., 
cartes.  —  Duchesne  (L.).  Origines  du  culte  chrétien.  5«  édit.  E.  de 
Boccard,  1920.  viii-574  p.  Prix  :  15  fr.  —  Dunan  (Marcel).  L'Autriche. 
F.  Rieder.  124  p.  Prix  :  5  fr.  —  Enlart  (Camille).  Villes  mortes  du 
moyen  âge.  E.  de  Boccard,  1920.  167  p.  —  Ferrar(W.  J.).  The  proof 
of  the  Gospel.  Londres,  Society  for  promoting  Christian  Knowledge, 
1920.  2  vol.  XL-271  et  237  p.  Prix  :  30  sh.  —  Frignet-Despréaux 
(colonel).  Le  maréchal  Mortier,  duc  de  Trévise,  tome  III,  1804-1807. 
Berger-Levrault,  1920.  433  p.  et  2  cartes.  Prix  :  30  fr.,  plus  major. 
50  o^o.  _  Fueter  (Ed.).  Weltgeschichte  der  letzten  hundert  Jahren, 
1815-1920.  Zurich,  Schulthess.  vii-674  p.  Prix  :  30  fr.  —  Gagneur 
(capitaine  Maurice).  Napoléon,  d'après  le  Mémorial  de  Sainte-Hélène. 
Delagrave.  In-18,  vin-300  p.  Prix  :  7  fr.  —  Gauvain  (A.).  L'Europe 
au  jour  le  jour,  tome  IX.  Bossard.  x-519  p.  Prix  :  18  fr.  —  Génes- 
TAL  (R.).  Le  «  Privilegium  fori  »  en  France,  du  décret  de  Gratien  à 
la  fin  du  xiv  siècle,  tome  I.  E.  Leroux.  —  Geoffroy  de  Grandmai- 
SON.  Un  caractère  de  soldat  :  le  capitaine  Pierre  de  Saint-Jouan,  1888- 
1915.  Plon-Nourrit,  1920.  In-16,  xx-277  p.  Prix  :  7  fr.   —  Ginisty 
(Paul)  et  Gagner  (capitaine  Maurice).  Histoire  de  la  guerre  par  les 
combattants,  tomes  MIL  Garnier,  1917-1920.  562-353  p.  —  Gold- 
ziHER  (L).  Le  dogme  et  la  loi  de  l'Islam;   trad.  par  Félix  Arin. 
Geuthner,  1920.  viii-315  p.  Prix  :  25  fr.  —  GOT  (Ambroise).  L'affaire 
Miss  Cavell,  d'après  les  documents  inédits  de  la  justice  allemande. 
Plon-Nourrit.  In-16,  vi-177  p.  Prix  :  5  fr.  —  Grabmann  (Martin). 


LIVRES  REÇUS   PAR   LA    «    REVUE   HISTORIQUE    ».  131 

Saint  Thomas  d'Aquin;  trad.  par  E.  Vansteenberghe.  Bloud  et  Gay, 
1920.  viii-228  p.  —  GuiBAL-RoLAND.  La  vie  polonaise.  E.  de  Boccard, 
1920.  In-I8,  x-304  p.  Prix  :  7  fr.  50.  —  Hardy  (Georges).  La  mise  en 
valeur  du  Sénégal  de  1817  à  1854.  Larose.  xxxiii-376  p.  —  Homo 
(Léon).  La  Rome  antique.  Histoire-guide  des  monuments  de  Rome 
depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  l'invasion  des  Barbares. 
Hachette,  viii-360  p.  —  Iwasaki  (Uichi).  The  working  of  forces  in  Japa- 
nese  politics,  1867-1920.  New-York,  Columbia  University.  141  p.  — 
Laurent  (J.).  L'Arménie  en  Byzance  et  l'Islam,  depuis  la  conquête  de 
l'Islam  jusqu'en  886.  E.  de  Boccard,  1 919.  xii-398  p.  —  Lavaquery  (abbé 
E.).  Le  cardinal  de  BoisgeHn,  1732-1804.  Plon-Nourrit.  2  vol.,  410  et 
411  p.  —  Léger  (Louis).  Les  anciennes  civilisations  slaves.  Fayot. 
232  p.  Prix  :  4  fr.  —  Legge  (F.).  Philosophumena.  Londres,  Society 
for  promoting  Christian  Knowledge,  vi-180  et  189  p.  Prix  :  30  sh.  — 
Leslie  (Shane).  Henry  Edward  Manning,  his  life  and  labours.  Londres, 
Burns,  Oates  et  Washbourne.  xxiii-516  p.  Prix  :  25  sh.  —  Lloyd  (John 
William).  Coopérative  and  other  organized  methods  of  marketing 
California  horticultural  products.  Urbana,  Illinois.  142  p.  Prix  :  1  dol. 
25  c.  —  LuKE  (H.  C).  Cyprus  under  the  Turks,  1571-1878.  Oxford, 
University  Press.  In-16,  281  p.  Prix  :  8  sh.  6  d.  —  Mackinnon 
(James).  The  social  and  industrial  history  of  Scotland.  Londres,  Long- 
mans.  viii-298  p.  Prix  :  16  sh.  —  Martin  (Charles  E.).  The  policy  of 
the  United  States  as  regards  intervention.  New- York,  Columbia  Uni- 
versity Press.  172  p.  Prix  :  2  dol.  —  Masson  (Frédéric).  La  vie  et  les 
conspirations  du  général  Malet,  1754-1812.  Ollendorfî.  In-12,  311  p. 
Prix  :  12  fr.  —  Mathiez  (Albert).  Robespierre  terroriste.  «  La  Renais- 
sance du  livre  ».  In-18, 190  p.  Prix  :  4  fr.  50.  — Mêlas  (Georges-M.). 
L'ex-roi  Constantin;  souvenirs  d'un  ancien  secrétaire.  Payot.  XV- 
277  p.  Prix  :  15  fr.  —  Mermeix.  Les  négociations  secrètes  et  les 
quatre  armistices.  Ollendorfî.  In-12,  355  p.  Prix  :  8  fr.  —  Miner  (Cla- 
rence  E.).  The  ratiûcation  of  the  fédéral  constitution  by  the  State  of 
New  York.  New-York,  Columbia  University.  Prix  :  1  dol.  50  c.  — 
Mollat  (G.).  Jean  XXII,  1316-1334.  Lettres  communes.  18«  fasc. 
E.  de  Boccard,  1920.  In-4°,  192  p.  —  Mousset  (Albert).  Documents 
pour  servir  à  l'histoire  de  la  maison  de  Kergorlay.en  Bretagne.  Cham- 
pion. Gr.  in-4«,  iv-539  p.  —  Nippold  (Ottfried).  Le  chauvinisme  alle- 
mand. Payot.  ix-651  p.  Prix  :  25  fr.  —  Palat  (général).  La  Grande 
Guerre  sur  le  front  occidental.  Tome  VI  :  la  victoire  de  la  Marne, 
5-13septembre.  1920.  495etviip.  Prix:  15  fr.  —Park  (Joseph  H.).  The 
english  reform  bill  of  1867.  New- York,  Columbia  University,  1920. 
285  p.  Prix  :  3  dol.  —  Poincaré  (Raymond).  Messages,  discours,  allo- 
cutions, lettres  et  télégrammes,  tome  III.  Bloud  et  Gay.  507  p.  Prix  : 
10  fr.  —  Id.  Les  origines  de  la  guerre.  Plon-Nourrit.  In-10.  282  p. 
Prix  :  10  fr.  —  Poupardin  (René).  Recueil  des  actes  des  rois  de  Pro- 
vence, 855-928.  Klincksieck.  In-4°,  lviii-155,  p.  Prix  :  13  fr.,  plus 
major.  75  %.  —  Quintavalle  (Ferruccio).  Cronistoria  délia  guerra 
mondiale.  I.  Milan,  Hœpli.  In-16.  xxxiv-800  p.  Prix  :  24  1.  —  Rad- 


132     "  LIVRES   REÇUS   PAR   LA    «    REVUE   HISTORIQUE    ». 

HAKMUND  MOOKERIJ.  Local  government  in  ancient  India.  2^  édit. 
Oxford,  Clarendon  Press,  1920.  xxv-338  p.  —  R.  (J.).  Foch;  essai  de 
psychologie  militaire.  Payot.  In-12,  211  p.  Prix  :  6  fr.  —  Réau  (Louis). 
L'art  russe.  Henri  Laurens.  xi-387  p.  et  104  pi.  —  Récalde  (L  de). 
Écrits  des  curés  de  Paris  contre  la  politique  et  la  morale  des  Jésuites, 
1658  1659.  «  Éditions  et  librairie  ».  In-12,  403  p.  Prix  :  7  fr.  —  Renou- 
viN  (Pierre).  Les  assemblées  provinciales  de  1787.  A.  Picard  et 
Gabalda.  xxx-405  p.  —  Revol  (J.).  L'effort  militaire  des  Alliés  sur  le 
front  de  France.  Payot.  In-12,  91  p.  Prix  :  5  fr.  —  Rivetta  (Pietro 
Silvio).  Storia  del  Giappone  secundo  le  fonti  indigène.  Rome,  Auso- 
nia,  1920.  xvi-159  p.  Prix  :  10  1.  —  Rodocanachi  (E.).  La  Réforme 
en  Italie,  2«  partie.  Aug.  Picard.  608  p.  —  Ronarch  (vice-amiral). 
Souvenirs  de  la  guerre  1914-1915.  Payot.  336  p.  Prix  ;  16  fr.  — 
Russell  (C.  h.  St.  L.).  The  tradition  of  the  roman  empire;  a  sketch  of 
european  history.  Londres,  Macmillan.  viii-280  p.  Prix  :  6  sh.  — 
Saint-André  (Claude).  Louis  XV.  Émile-Paul.  271  p.  Prix  :  10  fr.  — 
Saint-Simon.  Mémoires,  t.  XXXI.  Hachette.  547  p.  —  Scheltema 
(J.  F.).  The  Lebanon  in  turmoil.  Syria  and  the  Powers  in  1860.  Yale 
University  Press,  New  Haven,  1920.  203  p.  —  Schelven  (A.  van). 
Kerkeraads-Protocollen  der  nederduitsche  Vluchstelingen  kerk  to 
Londen,  1560-1563.  Amsterdam,  Millier,  xix-555  p.  —  Simpson  (Kem- 
per).  The  capitalization  of  Goodwill.  Baltimore,  J.  Hopkins  Press. 
105  p.  —  Smith  (C.  Henry).  The  Mennonites.  Berne,  Indiana,  1920. 
340  p.  Prix  :  2  dol.  25  c.  —  Smith  (Miss  L.  M.).  The  early  history  of 
themon  astery  of  Cluny.  Oxford  University  Press,  1920.  x-225  p.  Prix  : 
16  sh.  —  Srbik  (Heinrich,  Ritter  von).  Wallenstein's  Ende.  Vienne, 
Seidel.  xvi-408  p.  Prix  :  60  m.  —  Stanton  (Vincent  Henry).  The  Gos- 
pels as  historical  documents.  III  :  the  fourth  Gospel.  Cambridge  Uni- 
versity Press,  x-293  p.  Prix  :  20  sh.  —  Stein  (Arthur).  Rœmische 
Reichsbeamte  der  Provinz  Thracia.  Sarajevo,  1920.  vi-137p.  —  Vat- 
TEL  (M.  de).  Le  droit  des  gens;  texte  de  1758.  Washington,  Carnegie 
Institute,  1916.  3  vol.  in-4o,  Lix-xxvi  et  544,  375  etLix-398p.  —  Veith 
(Georg).  Der  Feldzug  von  Dyrrhachium  zwischen  Caesar  und  Pompe- 
jus.  Vienne,  Seidel,  1920.  xix-267  p.  et  cartes.  Prix  :  80  m.  —  Ves- 
NiTCH  (Milenko  R.).  La  Serbie  à  travers  les  âges.  Bossard,  xii-160  p. 
Prix  :  9  fr.  —  Villeneuve-Trans  (R.  de).  A  l'ambassade  de  Washing- 
ton, octobre  1917  à  avril  1919.  Ibid.  286  p.  Prix  :  9  fr.  —  Watkins 
(Gordon  S.).  Labor  problems  and  labor  administration  in  the  United 
States  during  the  world  war.  Urbana,  University  of  Illinois.  117  et 
247  p.  Prix  :  1  dol.  chaque  vol.  —  Weil  (commandant  M.-H.).  D'Ulm 
à  léna;  correspondance  inédite  du  chevalier  de  Gentz  avec  Francis 
James  Jackson,  ministre  de  la  Grande-Bretagne  à  Berlin.  Payot. 
336  p.  Prix  :  18  fr.  —  Wilson  (Woodrow)'  Histoire  du  peuple  amé- 
ricain; trad.  par  Désiré  Roustan.  Bossard.  Tome  I,  1918-1919.  644  p. 
Prix  :  20  fr. 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 


France. 


1.  —  Le  Bibliogrraphe  moderne.  Janvier-juin  1920-1921,  n"»  H5- 
117.  —  Paul  Le  Cacheux.  Le.  fonds  de  l'abbaye  de  Savignyet  la  mis- 
sion de  Natalis  de  Wailly  à  Mortain  (en  1839,  N.  de  Wailly  fit  trans- 
porter aux  Archives  du  royaume  à  Paris  environ  1,700  documents  sur 
cette  abbaye  qui  se  trouvaient  à  la  sous-préfecture  et  à  l'hôtel  de  ville 
de  Mortain  ;  ceux  qu'il  dédaigna  furent  déposés  en  1853  aux  archives  de 
la  Manche  à  Saint-Lô,  si  bien  que  le  fonds  est  coupé  en  deux).  —  Mau- 
rice RoussET.  Supplément  au  catalogue  des  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque de  Lunéville  (n°  197  à  210).  —  H.  Stein.  La  succursale  plan- 
tinienne  de  Paris  (rue  Saint- Jacques,  près  des  Mathurins;  de  1567  à 
1608;  les  gérants  de  cette  succursale  :  la  famille  Gilles  Beys).  — 
Chronique  des  archives.  —  Chronique  des  bibliothèques.  =  C. -ren- 
dus :  C.  Couderc.  Bibliographie  historique  du  Rouergue;  t.  I  :  A-K 
(excellent).  —  Jacques  Soyer.  Répertoire  bibliographique  sommaire 
de  l'histoire  du  département  du  Loiret,  1"  fascicule.  Généralités  (heu- 
reuse tentative).  —  R.  J.  Odavitch.  Essai  de  bibliographie  française 
sur  les  Serbes,  Croates  et  Slovènes  depuis  le  commencement  de  la 
guerre  actuelle  (essai  intéressant  auquel  il  faudra  ajouter  un  supplé- 
ment). —  P.  Masson.  Eléments  d'une  bibliographie  française  sur  la 
Syrie  (M.  Masson,  guide  érudit,  aurait  dû  donner  son  opinion  sur  la 
valeur  des  ouvrages  cités).  —  M.  Nijhoff.  L'art  typographique  dans 
les  Pays-Bas,  1500-1540,  fasc.  I  à  XXI  (reproductions  en  fac-similés). 
—  Id.  Nederlandsche  Bibliographie  von  1500  tôt  1540  (indispensable 
accompagnement  de  l'album).  —  C  P.  Burger.  De  Incunabelen  en 
de  Nederlandsche  uitgaven  tôt  1540  in  de  Bibliotheek  der  Universiteit 
van  Amsterdam  (excellent  ;  classés  d'après  les  pays  d'origine).  —  Emm. 
de  Fiom  et  H.  Pottmeyer.  De  Incunabelen  of  Wiegedrukken  van  de 
Hoofdbibliotheek  der  Stad  Antwerpen  (dans  l'ordre  de  classement  du 
catalogue). 

2.  —  Bulletin  de  la  Société  de  Thistoire  du  protestantisme 
français.  1921,  janvier-mars.  —  H.  Pathy.  La  captivité  de  Bernard 
Palissy  pendant  la  première  guerre  de  religion,  1562-1563  (d'après  un 
opusculo  de  lui  récemment  découvert  par  M.  Edouard  Rahir  et  deux 
arrêts  du  parlement  de  Bordeaux).  —  E.  Le  Parquier.  Les  sources 
de  l'histoire  du  parlement  de  Normandie  de  Floquei  de  1560  à  1562; 
suitn  (l'alTaire  du  guet  du  22  novembre  1560,  les  troubles  de  décembre 


134  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

1560,  l'application  de  l'édit  de  Saint-Germain,  1561).  —  N.  Weiss. 
Les  aventures  de  Guillaume  Chenu  de  Chalezac,  seigneur  de  Laujar- 
dière,  au  pays  des  Cafres,  1686-1689  (publie  la  relation  de  ce  gentil- 
homme qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  Magdebourg).  =  C. -rendus  : 
M.  Ver.  La  cantilène  huguenote  (important).  —  Etienne  Giran. 
Sébastien  Castillon  et  la  réforme  calviniste,  les  deux  réformes,  avec 
préface  de  F.  Buisson  (émouvant).  —  Camille  Rabaud.  Paul  Rabaud, 
apôtre  du  Désert  (dans  la  collection  :  les  Héros  de  la  foi).  —  Colin 
Graham  Botha.  The  french  refugees  at  the  Cape  (ne  laisse  rien  à 
désirer).  —  Boulay  de  la  Meurthe.  Histoire  de  la  négociation  du  Con- 
cordat de  1801  (bon). 

3.  — Bulletin  hispanique.  1921,  janvier-mars.  —  G.  Cirot.  Fernén 
Gonzalez  dans  la  chronique  léonaise;  suite  au  n°  suivant  (discute  la 
formation  de  la  légende;  à  suivre).  —  A.  Morel-Fatio.  Catalogue  des 
manuscrits  de  sa  bibliothèque  (ces  manuscrits  ont  été  donnés  à  la 
bibliothèque  de  Versailles;  93  numéros;  à  suivre).  —  J.  Sarrailh. 
Quelques  sources  du  Câdiz  de  Galdôs  (il  a  consulté  surtout  l'histoire 
de  Cadix  de  1810  à  1812  par  Adolfo  de  Castro,  les  souvenirs  d'Alcalâ 
Galiano  et  l'histoire  du  comte  de  Toreno).  — G.  Le  Gentil.  Le  mou- 
vement intellectuel  en  Portugal  (histoire  et  travaux  de  1'  «  Academia 
das  sciencias  de  Lisboa  »).  —  G.  Cirot.  Cervantes  et  les  frères  Tha- 
raud  (une  page  de  «  Rabat  ou  les  heures  marocaines  »).  ^=  C. -rendus  : 
César  Moràn  Bardôn.  Investigaciones  acerca  de  arqueologia  y  pre- 
historia  de  la  région  salmantina  (on  signale  les  plus  importantes  de 
ses  découvertes).  —  D.  Ricardo  Vélàsquez  Bosco.  Médina  Azzahra 
y  Almariya  (résultats  des  fouilles  opérées  dans  deux  palais  près  de 
Cordoue,  le  premier  construit  par  l'émir  Abd  Er  Rahmane,  le  second 
par  le  ministre  El  Mansour).  —  Duque  de  Berwick  y  de  Alba. 
Contribuciôn  al  estudio  de  la  persona  del  III  duque  de  Alba  (discours 
de  réception  à  l'Académie  d'histoire;  quelques  traits  nouveaux  ajoutés 
à  l'histoire  du  fameux  gouverneur  des  Flandres).  =  Avril-juin. 
R.  Costes.  Pedro  Maxia,  chroniste  de  Charles-Quint;  suite  et  fin 
(divers  appendices).  —  J.-J.-A.  Bertrand.  Paul-Ferdinand  Buchholz 
(l'auteur  de  la  pseudo-biographie  de  Mariana).  —  A.  Morel-Fatio. 
D.  Juan  Antonio  Llorente  (documents  inédits  sur  ce  personnage  qui, 
réfugié  en  France,  fit  paraître  chez  Treuttel  et  Wiirtz,  en  1817-1818, 
l'Histoire  de  l'inquisition  en  Espagne).  —  M.  Bataillon.  Les  sources 
historiques  de  Zaragoza,  dans  les  Episodios  nacionales  de  Galdôs 
(concordances  avec  les  récits  du  comte  de  Toreno  et  d'Alcaide).  — 
A.  M. -F.  J.  H.  Wifïen  (le  traducteur  anglais  de  Garcilaso,  en  1823). 
=  C. -rendus  :  R.  de  Orueta.  Berreguete  y  su  obra  (catalogue  des 
œuvres  du  sculpteur  castillan  du  xvi«  siècle).  —  Henry  Thomas. 
Spanish  and  Portuguese  romances  of  chivalry  (leçons  faites  à  l'Univer- 
sité de  Cambridge).  —  Analecta  Montserratensia;  t.  I  et  II  (description 
de  soixante  et  onze  manuscrits  de  cette  célèbre  bibliothèque;  histoire 
de  l'imprimerie  de  Montserrat;  catalogue  des  incunables  et  des  impri- 
més de  1518  à  1526). 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  135 

4.  —  Journal  des  savants.  i920,  septembre-octobre.  —  A.  Mer- 
lin. La  civilisation  carthaginoise  (d'après  le  t.  IV  de  Stéphane  Gsell; 
l'apport  des  Phéniciens,  des  Libyens,  des  Grecs;  rôle  de  Carthage 
dans  la  civilisation  générale).  —  G.  Fagniez.  La  marine  française  au 
xvii«  siècle;  II  (d'après  Ch.  de  La  Roncière;  l'œuvre  de  Colbert).  — 
Louis  Léger.  La  vie  académique  des  Yougo-Slaves  (l'Académie  sud- 
slave  d'Agram  et  l'Académie  des  sciences  de  Belgrade).  =  G. -rendus  : 
R.  Forrer.  Das  romische  Zabern  (excellent).  —  L.  Bréhier.  L'art 
chrétien.  Son  développement  iconographique  (bien  renseigné  et  sait 
dominer  son  sujet).  —  P.  Batiffol.  Études  de  liturgie  et  d'archéologie 
chrétienne.  —  Id.  Leçons  sur  la  messe  (on  peut  avoir  confiance  en  un 
tel  guide).  —  Ch.  Diehl.  Histoire  de  l'empire  byzantin  (remarquable 
tableau  en  raccourci).  —  W.  Dlommaert.  Les  châtelains  de  Flandre 
(conclusions  nouvelles).  —  H.  Waquet.  Le  bailliage  de  Vermandois 
aux  xiiie  et  xiye  siècles  (bon).  —  Ajuntament  de  Barcelona  (renseigne 
sur  les  publications  de  Barcelone).  —  J. -Roger  Charbonel.  La  pen- 
sée italienne  au  xvF  siècle  et  le  courant  libertin  (c'est  un  chantier  de 
construction  ;  l'édifice  n'est  pas  fait).  —  William  Henry  Deale. 
Spencer  Fullerton  Baird  (1823-1876;  l'un  des  fondateurs  de  la 
Smithsonian  Institution).  =  Novembre-décembre.  P.  Monceaux. 
L'évolution  intellectuelle  de  saint  Augustin  (d'après  les  thèses  de 
P.  Alfaric;  «  travaux  importants,  copieux  et  solides  qui,  sur  bien  des 
points,  apportent  du  nouveau  »).  —  G.  Huart.  Saadî,  poète  persan 
(d'après  le  volume  de  Henri  Massé;  Saadi  vécut  fin  xip-début  du 
xrii»  siècle  :  «  Son  œuvre  est  un  miracle  et  le  miracle  est  la  preuve 
de  la  qualité  du  saint.  »)  —  M.  Besnier.  Le  commerce  romain  dans 
la  Méditerranée  orientale  (d'après  la  thèse  de  Jean  Hatzfeld  ;  expan- 
sion des  trafiquants  italiens;  leur  activité;  leur  rôle  social  et  poli- 
tique). =  G. -rendus  :  C.  JulUan.  Histoire  de  la  Gaule;  t.  V  et  VI 
(tout  à  fait  remarquable).  —  Carolus  Clemen.  Fontes  religionis  per- 
sicae  (recueil  édité  avec  soin).  —  J.  Carcopino.  La  loi  de  Hiéron  et 
les  Romains  (contribution  de  premier  ordre  à  l'histoire  du  gouverne- 
ment provincial  de  Rome).  —  L.  Pastor.  Die  Stadt  Rom  zu  Ende  der 
Renaissance  (fait  revivre  la  Rome  de  l'époque  de  Sixte-Quint).  = 
1921,  janvier-février.  H.  Lemonnier.  La  création  d'une  ville  seigneu- 
riale :  Chantilly,  1692-1740  (d'après  le  livre  de  G.  Maçon;  comparai- 
son de  Chantilly  avec  deux  autres  cités  créées  au  xviP  siècle  :  Riche- 
lieu et  Versailles).  —  Ed.  CuQ.  Les  pierres  de  bornage  babyloniennes 
du  British  Muséum  ;  suite  au  numéro  suivant  (d'après  le  catalogue  de 
L.  W.  King;  examine  à  ce  propos  la  question  de  la  propriété  et  ses 
modes  de  transmission).  —  A.  Rebelliau.  Les  nonces  en  France  sous 
Louis  XIII  (d'après  le  recueil  d'Auguste  Léman;  ce  que  nous  apprend 
cette  publication).  —  H.  D.  Les  catalogues  des  collections  de  M.  Pier- 
pont  Morgan.  =  C. -rendu  :  Paul  Marty.  L'émirat  des  Trarzas  (situé 
le  long  des  côtes  de  l'Atlantique,  au  nord  de  Saint-Louis  et  du  Séné- 
gal; curieux).  ==  Mars-avril.  E.  Barelon.  Le  voyage  archéologique 
des  PP.  Janssen  et  Savignac  en  Arabie  (d'après  les  trois  tomes  où  ils 


136  RECUEILS   PÉBIODIQDES.  ^ 

ont  raconté  leur  mission;  moisson  abondante  de  documents  qu'ils  ont 
rapportée).  —  L.  Mirot.  La  pénétration  des  étrangers  en  France;  I 
(d'après  le  livre  de  J.  Mathorez;  examine  l'apport  étranger  jusqu'à  la 
fin  du  xve  siècle).  —  M.  Prou.  Robert  de  Lasteyrie,  article  nécrolo- 
gique. =  C. -rendus  :  Cari  Maria  Kaufmann.  Handbuch  der  alt- 
christlichen  Epigraphik  (au  courant,  mais  est-ce  bien  un  manuel?). 
—  Homero  Seris.  La  colecciôn  cerventina  de  la  Sociedad  Hispanica 
de  America  (modèle  d'exactitude).  —  Ibn  Muyassar.  Annales  d'Egypte 
(sous  la  dynastie  des  Fatimides;  édition  par  Henri  Massé  du  texte 
arabe  d'après  l'unique  manuscrit  de  la  Bibliotiièque  nationale).  — 
Léo  Verriest.  Le  régime  seigneurial  dans  le  comté  de  Hainaut,  du 
XF  siècle  à  la  Révolution  (ouvrage  un  peu  confus,  mais  de  valeur). 

5.  —  Nouvelle  revue  historique  du  droit  français  et  étran- 
ger. 1919,  octobre-décembre.  —  C.  Appleton.  Contribution  à  l'his- 
toire du  prêt  à  intérêt  à  Rome.  Le  taux  du  «  fenus  unciarum  »  (ce 
taux  était  de  12  «/o  ;  mais  se  payait-il  par  mois  ou  par  an?  L'auteur  se 
prononce  pour  la  première  solution,  en  faisant  observer  que  le  taux 
de  12  %  par  mois  pour  des  emprunts  faits  à  court  terme  ne  corres- 
pond en  aucune  façon  à  un  taux  de  100  %  par  an).  —  Georges  Bou- 
LEN  et  Olivier  Martin.  «  Des  fiez  à  l'usage  de  France  »  (nouvelle  édi- 
tion d'un  texte  publié  pour  la  première  fois  par  G.  Thaumas  de  la 
Thaumassière,  en  1679,  d'après  un  manuscrit  aujourd'hui  perdu; 
il  s'agit  d'une  œuvre  privée,  rédigée  entre  1340  et  1388  et  qui 
fournit  d'importants  renseignements  sur  le  droit  féodal.  L'intro- 
duction est  continuée  dans  le  numéro  suivant  ;  classement  des 
manuscrits).  —  Théodore  Reinach.  Un  code  fiscal  de  l'Egypte 
romaine  :  le  gnomon  de  l'idiologue  (document  provenant  d'un  papy- 
rus d'Egypte,  dont  le  texte  grec  est  reproduit  par  M.  Reinach  avec  la 
traduction  française  en  regard;  dans  le  numéro  suivant,  on  donne 
un  commentaire  détaillé  des  articles  qu'il  renferme.  L'idiologue  est  le 
fonctionnaire  chargé  de  rechercher  les  biens  qui  doivent  échoir  au  fisc 
impérial;  le  gnomon  est  un  règlement  d'administration  publique;  le 
gnomon  dont  on  a  ici  un  abrégé  a  été  adressé  par  l'idiologue  en  exer- 
cice à  ses  collaborateurs  provinciaux  ;  le  document  se  place  entre  les 
années  150  et  161  ap.  J.-C).  —  Paul  Fournier.  Notes  complémen- 
taires pour  l'histoire  des  canonistes  du  xiv^  siècle  (il  ne  faut  pas  dis- 
tinguer deux  Stephanus  Provincialis  ;  il  n'y  en  a  eu  qu'un,  Etienne  Bon- 
nier  ;  Stephanus  Tro. . .  est  Etienne  Troche,  dit  Martinenches  ;  Petrus  de 
Stagno  est  Pierre  d'Estaing,  successivement  évèque  de  Saint-Flour, 
archevêque  de  Bourges,  cardinal,  mort  en  1377).  —  H.  Lévy-Brûhl. 
Observations  critiques  sur  deux  chapitres  des  établissements  de 
saint  Louis  (livre  I,  ch.  59  et  143).  —  P. -F.  Fournier.  La  première  édi- 
tion des  notes  de  Cujas  sur  Ulpien  (1554).  =:  1920,  janvier-juin.  Aug. 
Dumas.  Encore  la  question  :  «  Fidèles  ou  vassaux?  »;  I  (la  distinc- 
tion entre  la  foi  et  l'hommage  est  étrangère  aux  premiers  siècles  de 
la  féodalité;  elle  ne  devient  nette  qu'au  xiii«  siècle;  l'hommage,  c'est 


RECOEILS   PÉBIODIQDES.  137 

alors  la  cérémonie  qui  précède  l'investiture  d'un  fief  et  par  laquelle  le 
vassal  s'oblige  à  remplir  les  services  du  fief;  la  foi,  c'est  le  lien,  plus 
ou  moins  vague,  unissant  le  sujet  au  seigneur  qui  exerce  la  puissance 
publique).  —  Paul  Fournier.  Notes  sur  quelques  canonistes  du 
xiye  siècle  (Raymond  de  Salgues;  sa  biographie,  ses  œuvres).  — 
P. -F.  Girard.  Deux  nouvelles  lettres  de  Cujas  (2  juin  1571  et  29  jan- 
vier 1584).  =  G. -rendus  :  Charles  Porée.  Études  historiques  sur  le 
Gévaudan  (série  de  mémoires  archéologiques  ou  relatifs  à  l'histoire 
des  institutions).  —  H.  Prentout.  Étude  critique  sur  Dudon.de  Saint- 
Quentin  et  son  histoire  des  premiers  ducs  normands  (remarquable). 
—  H.  Carré.  La  noblesse  de  France  et  l'opinion  publique  au 
XVIII*  siècle  (tableau  intéressant  et  bien  documenté).  —  H.  Waquet. 
Le  bailliage  de  Vermandois  aux  xiip  et  xiv«  siècles  (beaucoup  de 
faits;  n'en  a  pas  montré  l'ensemble).  —  Ed.  Maugis.  Histoire  du 
Parlement  de  Paris,  t.  II  (des  guerres  dje  religion  à  la  mort  de 
Henri  IV;  ne  traite  que  de  l'histoire  politique  et  ne  veut  connaître 
que  les  registres  du  Parlement). 

6.  —  Polybiblion.  1921,  janvier.  —  Publications  relatives  à  la 
guerre  européenne,  parmi  lesquelles  :  l'Angleterre  au  feu.  Dépêches 
de  Sir  Douglas  Haig,  décembre  1915-avril  1919,  mises  en  français 
par  le  commandant  Gémeau  (rapports  détaillés  du  plus  haut  intérêt); 
général  Mangin.  Gomment  finit  la  guerre  (en  réalité  une  histoire  de 
toute  la  guerre).  —  Abbé  A.  Anthiaume.  Évolution  et  enseignement 
de  la  science  nautique  en  France  et  principalement  chez  les  Normands 
(labeur  considérable).  —  Tourneur-Aumont.  Études  de  cartographie 
historique  sur  l'Alémanie  (étayé  sur  des  bases  solides).  —  Maurice 
Brillant.  Les  mystères  d'Eleusis  (expose  les  résultats  acquis).  — 
Giuseppe  La  Mantia.  Godice  diplomatie©  dei  re  aragonesi  di  Sicilia, 
1282-1355,  t.  I  (publication  importante).  —  Œuvres  du  cardinal  de 
Retz,  supplément  à  la  correspondance  par  Claude  Cochin  (170  lettres, 
vingt  appendices).  —  Emile  Magne.  Le  grand  Gondé  et  le  duc  d'En- 
ghien.  Lettres  inédites  à  Marie-Louise  de  Gonzague,  reine  de  Pologne, 
sur  la  cour  de  Louis  XIV,  1664-1667  (véritable  chronique  de  la  cour 
du  grand  Roi).  —  P.  Quentin- Bauchar t.  La  crise  sociale  de  1848. 
Les  origines  de  la  révolution  de  Février  (remarquable).  —  Ghanoine 
Mangenot.  Sion,  son  sanctuaire,  son  pèlerinage  (excellent;  il  s'agit 
de  Sion-Vaudepnont,  sur  «  la  colline  inspirée  »).  —  A.  Demangeon. 
Le  déclin  de  l'Europe  (on  lui  oppose  la  puissance  des  pays  neufs, 
États-Unis,  Brésil,  Japon).  =i  Février-mars.  Henri  Froidevaux.  Géo- 
graphie; voyages  (comptes-rendus  de  dix-sept  ouvrages,  dont  ceux 
^de  Schrader,  James  Bryce,  Pierre  Denis,  F.  Gautier,  etc.).  — 
G.  MOLLAT.  Hagiographie  et  biographie  ecclésiastique  (signale  trente 
volumes).  —  Publications  relatives  à  la  guerre  européenne,  parmi 
lesquelles  :  Charles  Benoist.  L'Europe  en  feu  (publie  ses  chroniques 
de  la  «  Re\ue  îles  Deux  Mondes  »);  Alfred  II.  Fried.  Mein  Kriegs- 
Tagebuch,  t.  III  et  IV  (du  l"-  août  1916  au  3U  juin  1919;  très  iusiruc- 


138  RECDEILS  PÉEIODIQCES. 

tif )  ;  Marcel  Jay.  Le  général  Gouraud.  De  Fez  à  Strasbourg  (émaillé 
d'anecdotes).  —  J.  Carcopino.  La  loi  de  Hiéron  et  les  Romains  (très 
clair  dans  des  discussions  juridiques  difficiles).  —  G.  Goyau.  Sainte 
Jeanne  d'Arc  (étude  sur  la  renommée  de  Jeanne).  —  C.  Enlart  Villes 
mortes  du  moyen  âge  (Hesdin,  Térouanne,  Maguelone,  Aleria  en  Corse, 
Wisby  dans  l'île  de  Gotland,  Famagouste  dans  l'île  de  Chypre;  des- 
•  cription  très  pittoresque).  —  Imbart  de  la  Tour.  Histoire  politique, 
des  origines  à  1515,  dans  l'Histoire  de  la  nation  française  de  Hano- 
taiix  (clair;  intéressantes  vues  générales).  —  Richard  de  Boysson. 
L'invasion  calviniste  en  Bas -Limousin,  Périgord  et  Bas-Quercy 
(excellent).  —  É.  Sageret.  Le  Morbihan  et  la  chouannerie  morbihan- 
naise  sous  le  Consulat,  4  vol.  (enquête  minutieuse  et  impartiale).  — 
Boulay  de  la  Meurthe.  Histoire  de  la  négociation  du  Concordat  de 
1801  (excellent).  —  St.  du  Moriez.  La  question  polonaise  vue  d'Alle- 
magne. L'organisation  de.  l'est  de  l'Europe  (la  Pologne  constitue  un 
point  d'appui  contre  la  Prusse  à  la  mentalité  conquérante,  et,  en  se 
servant  de  ce  pays,  on  peut  organiser  l'est  de  l'Europe  de  manière  à 
le  soustraire  à  l'emprise  germanique).  =  Avril.  Louis  Maisonneuve. 
Philosophie.  —  Publications  relatives  à  la  guerre  européenne,  parmi 
lesquelles  :  Général  Niox.  La  Grande  Guerre  (récit  vivant)  ;  vice-ami- 
ral Ronarc'h.  Souvenirs  de  la  guerre.  I  :  Août  1914-septembre  1915 
(récit  de  l'admirable  défense  de  Dixmude);  von  Hindenburg.  Aus 
meinem  Leben,  trad.  française  (bien  des  jugements  erronés,  mais 
œuvre  de  vérité  et  d''impartialité)  ;  Sir  George  Arthur.  Kitchener  et 
la  guerre  1914-1916  (effort  produit  par  la  Grande-Bretagne).  —  Bio- 
graphies de  sainte  Jeanne  d'Arc  par  Mgr  Touchet,  Albert  Renaud, 
Mgr  Henri  Debout.  —  Etienne  Dupont.  Les  exilés  de  l'ordre  du  roi 
au  Mont-Saint-Michel,  1685-1789  (réfute  ce  qu'il  appelle  «  les  légendes 
criminelles  de  l'histoire  »).  —  M.  Giraud.  Essai  sur  l'histoire  reli- 
gieuse de  la  Sarthe  de  1789  à  l'an  IV  (impartiahté  rigoureuse).  — 
Georges  Pariset.  La  Révolution.  Le  Consulat  et  l'Empire,  2  vol.  de 
l'Histoire  de  France  de  Lavisse  (ouvrage  qui  dénote  de  hautes  et  pré- 
cieuses qualités;  mais  il  y  a  des  réserves  à  faire).  —  Charles  Dupuis. 
Le  ministère  de  Talleyrand  en  1814  (de  premier  ordre).  —  Louis  Le 
Page.  L'impérialisme  du  pétrole  (pose  une  importante  question  éco- 
nomique, sociale  et  politique). 

7.  —  La  Révolution  de  1848.  Décembre  1920-février  1921.  — 
Capitaine  Breillout.  La  révolution  de  1848  en  Corrèze,  février-mai 
(les  huit  députés  élus  le  29  avril;  leur  biographie).  —  G  Vergez- 
Tricom.  Les  événements  de  décembre  1851  à  Lyon  (condamnations 
que  prononce  la  commission  mixte).  —  F.  Uzureau.  Politique  d'ex- 
trême droite  sous  la  Restauration  (extraits  de  lettres  adressées  dé 
Paris  au  chevalier  de  Sapinaud  du  Bois,  chef  d'Etat-major  des  gardes 
nationales  de  la  Sarthe,  1816-1821). 

8.  —  Révolution  française.  1921,  janvier-mars.  —  Doctorat  de 


RECUEILS  PÉRIOUIQCES.  139 

l'abbé  Giraud;  la  thèse  principale  :  Essai  sur  l'histoire  religieuse  de 
la  Sarthe  de  1789  à  l'an  IV,  est  un  excellent  travail;  la  thèse  complé- 
mentaire :  Levées  d'hommes  et  acheteurs  de.  biens  nationaux  dans  la 
Sarthe  en  1793,  est  de  même  remarquable.  Résumé  des  deux  ouvrages 
par  le  candidat.  —  Doctorat  du  lieutenant-colonel  Tournés.  Thèse  : 
La  garde  nationale  dans  le  département  de  la  Meurthe  pendant  la 
Révolution  (résumé  de  la  thèse  faite  par  le  candidat,  reçu  docteur, 
comme  l'abbé  Giraud.  avec  mention  très  honorable).  —  A.  Houtin. 
Quelques  notes  sur  l'histoire  des  Jésuites  (quelques  observations  Sur 
le  t.  III  du  P.  J.  Burnichon).  —  L.  Lévy-Schneider.  Le  système 
corporatif  dans  le  Nivernais  à  la  fin  de  l'Ancien  régime  (idées  géné- 
rales qui  se  dégagent  de  la  thèse  de  M.  Gueneau).  —  Ed.  Clavery. 
Le  général  Narino,  précurseur  de  l'indépendance  colombienne  (f  1823  ; 
notes  biographiques).  =  C. -rendus  :  Frédéric-Christian  Lankhard. 
Souvenirs  traduits  par  W.  Bauer  (intéressants  sur  l'histoire  de  la 
Révolution).  —  G.  Lenôtre.  Le  roi  Louis  XVII  et  l'énigme  du  Temple- 
(M.  Lenôtre  «  est  un  habile  conteur  dont  la  plume  légère  amuse  tou- 
jours et  instruit  quelquefois  »).  —  Boulay  de  la  Meurthe.  Histoire 
de  la  négociation  du  Concordat  de  1801  (mise  en  œuvre  des  six 
volumes  de  documents  publiés  antérieurement).  —  Marcel  Blan- 
chard. Les  routes  des  Alpes  occidentales  à  l'époque  napoléonienne, 
1796-1815  (intéressant;  on  critique  le  plan).  —  G.  Lacour-Gayet. 
Napoléon,  sa  vie,  son  œuvre,  son  temps  (surtout  anecdotique).  — 
Daniel  Haléoy.  Le  courrier  de  M.  Thiers  (nombreux  documents).  — 
Albert  Houtin.  Le  Père  Hyacinthe  dans  l'Église  romaine  (d'après  le 
journal  du  P.  Hyacinthe).  —  Ludovic  Naudeau.  Les  dessous  du  chaos 
russe  (connaît  bien  les  êtres  et  choses  de  Russie). 

9.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1920,  15  dé- 
cembre. —  Feld-maréchal  von  BiXlow.  Mon  rapport  sur  la  bataille  de 
la  Marne,  trad.  par  J.  Netter  (relevé  minutieux  de  tous  les  mouve- 
ments de  troupes  de  la  deuxième  armée  allemande  jusqu'au  19  sep- 
tembre 1914).  —  Erich  von  Falkenhayn.  Die  oberste  Heeresleitung, 
1914-1916  (mémoire  qui  a  pour  but  de  justifier  les  mesures  essentielles 
ordonnées  par  le  généralissime  depuis  le  14  septembre  1914,  où  Fal- 
kenhayn reçut  la  succession  de  MoUke,  jusqu'au  29  août  1916).  — 
L.  Thomas.  Les  États-Unis  inconnus  (description  des  villes  moyennes, 
dont  l'essor  est  déjà  considérable,  et  avec  lesquelles  nous  aurions 
intérêt  à  nouer  des  rapports  économiques).  —  A.  Orregon  Luco.  La 
question  du  Pacifique,  trad.  par  E.  Vaïsse  (depuis  le  traité  d'Ancon, 
1884,  qui  mit  fin  à  la  guerre  entre  le  Chili  et  le  Pérou).  —  Ch.  Clerc. 
Les  théories  relatives  au  culte  des  images  chez  les  auteurs  grecs  du 
II*  siècle  ap.  J.-C.  (mérite  d'être  lu).  —  A.  Loisy.  Essai  historique 
sur  le  sacrifice  (œuvre  magistrale).  —  Ch.  H.  Cunningham.  The 
Audiencia  in  the  Spanish  colonies,  as  illustrated  by  ihe  Audiencia  of 
Munifa,  1583-1800  (très  intéressant).  =  1921.  Les  livraisons  du  l*""  jan- 
vier au  l"'  avril  ont  été  analysées  dans  la  Rev.  histor..,  t.  CXXXVI, 


140  REC0EILS   PÉRIODIQUES. 

p.  284-286.  =:  15  avril.  Cari  Clemen.  Die  griechischen  uud  iateiiii- 
schen  Nachrichten  ûber  die  Persische  Religion  (consciencieux).  — 
Catalogue  of  the- arable  and  persian  manuscripts  in  the  Oriental  public 
library  at  Bankipore,  t.  VI  (important).  —  H.  Hauser.  Travailleurs 
et  marchands  dans  l'ancienne  France  (ce  n'est  pas  un  livre,  mais  un 
recueil  d'articles  à  peine  reliés  par  des  idées  générales  ;  cependant, 
«  livre  plein  et  qui  donne  à  penser  »).  —  Fr.  Lachèvre.  Cyrano  de 
Bergerac  (on  saura  désormais  que  le  fameux  Gascon  des  Casteljaloux 
était  d'origine  sarde  et  qu'il,  naquit  à  Bergerac,  fief  situé  au  canton  de 
Chevreuse,  près  de  Paris;  qu'enfin  il  mena  une  vie  de  bohème  et  qu'il 
fut  poète  à  ses  heures).  —  Adrien  Huguet.  Le  marquis  de  Cavoye, 
1640-1761  (bonne  biographie,  où  le  personnage  est  un  peu  accablé  par 
le  poids  des  documents).  —  Ed.  de  Marcère.  La  France  et  la  rive 
gauche  du  Rhin.  Le  traité  de  Bâle,  1794-1795  (peu  de  nouveau,  Beau- 
coup de  fautes  d'impression,  mais  l'ensemble  est  instructif).  —  Alfred 
de  Curzon.  L'enseignement  du  droit  français  dans  les  Universités  de 
France  aux  xviF  et  xyiip  siècles  (traite  surtout  de  la  manière  dont 
l'enseignement  du  droit  a  été  tardivement  introduit  dans  les  Univer- 
sités). —  0.  Karmin.  Le  transfert  de  Chambéry  à  Fribourg  de  l'évê- 
ché  de  Genève,  1815-1819  (utile  recueil  de  documents  nouveaux).  =r 
!«■■  mai.  Ch.  RiST.  Les  finances  de  guerre  de  l'Allemagne  (enquête 
menée  avec  un  remarquable  esprit  d'impartialité  scientifique).  — 
G.  Gaillard.  L'Allemagne  et  le  Baltikum  (important).  —  G.  Pariset. 
Le  Consulat  et  l'Empire  (excellent).  —  Fréd.  Masson.  La  vie  et  les 
conspirations  du  général  Malet  (pénétrante  étude  de  psychologie).  — 
H.  M.  King.  Les  doctrines  littéraires  He  la  «  Quotidienne  »,  1814- 
1830  (bon).  —  C.  H.  Wright.  French  classicism  (fait  bien  comprendre 
la  nature  et  l'importance  du  goût  classique  en  France  au  xvii«  siècle). 

—  Marie  L.  Herking.  Charles  Victor  de  Bonstetten,  1745-1832;  sa 
vie,  ses  œuvres  (bon).  =  15  mai.  Labande.  Avignon  au  xv»  siècle 
(remarquable  travail  sur  l'histoire  d'Avignon  de  1464  à  1494;  beaucoup 
de  documents  analysés  dans  le  texte  et  publiés  en  appendice).  — 
E.  Rodocanachi.  La  Réforme  en  Italie;  1''«  partie  (ouvrage  de  vulga- 
risation utile  à  consulter,  mais  qui  va  un  peu  à  l'aventure  sans  un 
plan  nettement  arrêté  ;  «  recueil  de  matériaux  classés  de  façon  provi- 
soire et  empirique,  eu  vue  d'une  enquête  qui  reste  à  entreprendre  »). 

—  G.  Schelle.  Œuvres  de  Turgot;  t.  III  (excellent).  —  H.  Van 
Houtte.  Histoire  économique  de  la  Belgique  à  la  fin  de  l'Ancien 
régime  (bon).  —  Augustin  Cochin.  Les  Sociétés  de  pensée  et  la 
démocratie;  études  d'histoire  révolutionnaire  (remarquable). 

10.  —  Revue  de  Thistoire  des  religions.  1920,  novembre-dé- 
cembre. —  A.  van  Gennepp.  Nouvelles  recherches  sur  l'histoire  en 
France  de  la  méthode  ethnogra|)hique  :  Claude  Guichard,  Richard 
Simon,  Claude  Fleury  (le  premier  né  à  Saint-Rambert-en-Bugey  au 
milieu  du  xvi«  siècle,  mort  à  Turin  en  1607,  dans  son  livre  «  Funé- 
railles et  diverses  manières  d'ensevelir  des  Romains,  Grecs  et  autres 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  141 

nations,  tant  anciennes  que  modernes  »,  paru  à  Lyon  en  1581;  le 
second,  1638-1718,  dans  ses  deux  ouvrages,  «  les  Cérémonies  et  cou- 
tumes qui  s'observent  aujourd'huy  parmi  les  Juifs  »,  1674,  et  «  His- 
toire critique  de  la  Créance  et  des  Coutumes  des  Nations  du  Levant  », 
1684;  le  troisième  dans  «  Les  Mœurs  des  Israélites  »,  1681).  —  P.  Mas- 
SON-OURSEL.  Bulletin  des  religions  de  l'Inde  (articles  nécrologiques 
sur  A.  Barth  et  E.  Chavannes;  de  la  méthode  en  histoire  des  reli- 
gions; publications  récentes  :  ouvrages  de  L.J.  Trotter,  Vincent  A. 
Smith,  H.  G.  Rawlinson,  Josepti  Davey  Cumingham,  etc.).  — 
P.  Hippolyte  Boussac.  L'animal  sacré  de  Set-Typhon  (un  chien 
domestiqué).  =  C. -rendus  :  Edward  Chiera.  Lists  of  sumerian  Per- 
sonal names  (bon).  —  D'"  G.  Contenait.  Trente  tablettes  cappado- 
ciennes  (prouvent  l'existence  à  une  haute  époque,  dans  le  voisinage 
du  Taurus,  d'une  société  sémitique  organisée).  —  L.  Pareti.  Storia 
di  Sparta  arcaïca  (des  origines  jusque  vers  le  milieu  du  vif  siècle).  — 
René  Dussaud.  Le  cantique  des  cantiques  (hypothèse  nouvelle  :  le 
livre  renferme  quatre  poèmes;  objections  qu'elle  soulève).  —  H.  A. 
Walter.  The  Ahmadîya  movement  (à  la  fin  du  xix«  et  au  début  du 
xx°  siècle.  Ahmad,  fondateur  de  cette  doctrine,  est  mort  en  1908).  — 
Charles  Renel.  Les  amulettes  malgaches  (excellent).  —  F.  Mourret. 
Le  concile  du  Vatican  d'après  des  documents  inédits  (ouvrage  édi- 
fiant). =  A  la  Société  Ernest-Renan,  M.  Mayer-Lambert  fait  une 
communication  intitulée  :  «  Quelques  observations  sur  le  caractère 
littéraire  des  Prophètes.  » 

11.  —  Revue  des  études  anciennes.  1921,  janvier-mars.  — 
A.  CuNV.  Questions  gréco-orientales.  XII.  L'inscription  lydo-ara- 
méenne  de  Sardes;  suite  (examine,  après  le  texte  araméen,  le  texte 
lydien).  —  P.  Cloché.  Le  discours  de  Lysias  contre  Hippothersès  (on 
y  trouve  quelques  renseignements  sur  la  restauration  démocratique  à 
Athènes  en  403).  —  C.  Jullian.  Notes  gallo-romaines.  LXXXIV.  La 
question  des  «  poypes  »  (on  donne  ce  nom  à  des  buttes  artificielles  en 
terre,  à  forme  conique,  d'ordinaire  entourées  de  fossés;  ce  sont  des 
tertres  funéraires).  —  A.  Blanchet.  Recherches  sur  les  «  grylles  »,  à 
propos  d'une  pierre  gravée  trouvée  en  Alsace  (au  sud  de  Benfeld;  on 
y  a  gravé  une  de  ces  figures  grotesques  connues  sous  le  nom  de 
grylles  et  qui  servaient  de  talisman).  —  Ch.  Marteaux.  Note  sur 
Chamerande  (nom  de  lieu  qui  signifierait  un  chemin  près  d'une 
limite).  —  C.  Julliax.  Chronique  gallo-romaine.  =  C. -rendus  : 
Pericle  Ducati.  L'arte  classica  (des  origines  à  la  mort  de  Théodoric, 
526  ap.  J.-C;  livre  de  vulgarisation  bien  conçu  et  parfaitement  exé- 
cuté). —  Jean  Lesquier.  L'armée  romaine  d'Egypte,  d'Auguste  à 
Dioclétien  (œuvre  magistrale).  —  Eugène  Albertini.  Sculptures 
antiques  du  Conventus  Tarraconensis  (excellent  catalogue,  imprimé 
avec  un  luxe  «  d'avant-guerre  »).  —  Marcellin  Boule.  Les  hommes 
fossiles,  éléments  de  paléontologie  humaine  (livre  d'une  inteUigence 
supérii'iirp  pt  d'une  science  absolue).  =:  Avril-juin.  P.  Pehdrizet. 


k 


142  RECDEILS   PÉRIODIQDES. 

Copria  (ce  nom  de  famille  se  trouve  souvent  dans  l'Egypte  de  l'époque 
impériale;  il  indique  des  enfants  qui  étaient  exposés  sur  des  terrains 
vagues  de  décharge,  qui  venaient  èx  xonpta;).  —  L.  Havet.  La  fable 
du  loup  et  du  chien  (la  fable  de  Phèdre  est  une  fable  à  clef  ;  le  loup 
est  Arminius,  le  vainqueur  de  Varus;  le  chien  son  frère  Flavus,  qui 
a  longtemps  touché  des  stipendia  romains).  —  C.  Jullian.  Les 
tares  de  la  «  Notitia  dignitatum  »  :  le  duché  d'Armorique  (les  rensei- 
gnements que  nous  donne  à  ce  sujet  la  Notitia  sont  insuffisants  et, 
sans  doute,  erronés).  —  J.  Loth.  Le  gaulois  Turno  dans  les  noms 
de  lieux  (le  mot  doit  signifier  éminence,  hauteur).  —  E.  Duprat. 
Notes  sur  Saint- Jean-de-Garguier  (inscription,  fragment  de  sculpture, 
monnaies,  qui  ont  été  trouvées  dans  ce  domaine  des  environs  de  Mar- 
seille). —  Adrien  Blanchet.  Une  inscription  d'Antibes,  composée 
sous  François  I^""  (invitation  faite  au  roi  de  visiter  la  ville).  —  C.  Jul- 
lian. Chronique  gallo-romaine.  =  C. -rendus  :  C.  Autran.  Phéni- 
ciens (des  parties  brillantes,  mais  l'ensemble  ne  tient  pas  debout).  — 
J.  G.  Frazer.  Les  origines  magiques  de  la  royauté,  traduction  Loy- 
son  (beaucoup  de  conjectures).  —  Alice  Brenot.  Recherches  sur 
l'éphébie  attique  et  en  particuHer  sur  la  date  de  l'institution  (clair  et 
bien  conduit).  —  Roy  C.  Flickinger.  The  greek  theater  and  its  drama 
(excellent).  —  Fr.  Poulsen.  Delphi  (bon).  —  A.  Reinach.  Recueil 
Milliet  :  textes  grecs  et  latins  relatifs  à  l'histoire  de  la  peinture 
ancienne,  t.  I  (véritable  encyclopédie  de  la  peinture  antique).  — J.-E. 
Sandys.  Latin  epigraphy  (premier  manuel  épigraphique  imprimé  en 
Angleterre). 

12.  —  Le  Correspondant.  1921,  10  mai.  —  Pierre  de  Nolhac. 
Ronsard  humaniste;  suite  et  fin.  Frédéric  Ozanam.  Lettres  iné- 
dites à  Victor  Cousin,  1839-1841  (huit  lettres  permettant  de  suivre  les 
débuts  d'Ozanam  dans  l'Université).  —  Maximo  del  Campo.  La  ques- 
tion du  Pacifique  et  l'Amérique  latine.  —  Louis  Dimier.  Les  rues  et 
monuments  de  Paris  et  leur  avenir.  ==  25  mai.  ***  France  et  Suisse. 
Petites  zones  et  grands  traités.  — ***  Les  dernières  manifestations  du 
gouvernement  des  soviets.  Les  concessions  aux  étrangers  et  l'entente 
avec  les  paysans.  —  Ernest  Daudet.  Souvenirs  de  mon  temps.  IL  Les 
dernières  années  de  l'Empire;  suite  (les  élections  de  1869  et  la  forma- 
tion du  ministère  Ollivier). 

13.  —  Études.  Revue  fondée  par  des  Pères  de  la  Compagnie  de 

Jésus.  1921,  20  janvier.  — Léonce  de  Grandmaison.  La  vie  religieuse 
au  grand  siècle.  La  tradition  mystique  dans  la  Compagnie  de  Jésus 
(d'après  le  livre  de  Henri  Bremond  :  le  P.  Louis  Lallemant,  le  P.  Jean- 
Joseph  Surin).  —  Stephen  Brown.  La  crise  présente  de  l'Irlande  par 
un  Irlandais  ;  suite  les  5  et  20  février  (articles  très  sympathiques  à  la 
cause  de  l'Irlande;  toutefois,  l'auteur,  avec  les  évêques  irlandais,  con- 
damne tout  crime,  de  quelque  côté  qu'il  soit  commis).  —  Alexandre 
Brou.  La  soumission  de  Fénelon  d'après  la  correspondance  de  Bos- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  143 

suet  (t.  XI).  —  Paul  Dudon.  Un  centenaire.  La  découverte  du  détroit 
de  Magellan  (octobre-novembre  1520).  =  5  février.  ***  La  question 
rhénane;  fin  le  20  février  (comment  la  question  s'est  posée  de 
novembre  1918  à  septembre  1919;  comment  elle  se  pose  actuellement; 
croit  à  une  révolte  de  la  Rhénanie  catholique  contre  les  lois  scolaires 
écartant  le  prêtre  de  l'école).  —  Guillaume  de  Jerphanion.  Choses 
d'Orient.  Sur  l'antique  Byzance  (d'après  les  travaux  de  Diehl,  Bré- 
hier,  Mgr  Batiffol,  Laurent,  Millet).  =:  20  février.  Paul  Dudon.  Bulle- 
tin d'histoire  religieuse  chez  les  protestants  (les  questions  internatio- 
nales ;  en  face  de  l'église  catholique  ;  l'organisation  du  protestantisme 
français).  =:  5-20  mars.  Adhémar  d'Alès.  Le  catholicisme  de  saint 
Augustin  (d'après  le  livre  de  Mgr  Batiffol).  —  F.  P.  Les  épreuves  des 
«  Moines  d'Occident  »  et  de  leur  auteur  (lettres  inédites  de  Mpntalem- 
bert  sur  l'accueil  fait  à  son  ouvrage).  —  Jules  Lebreton.  La  Pologne 
à  la  veille  du  plébiscite  de  la  Haute-Silésie  (justifie  les  revendications 
polonaises).  —  P.  Treilhard  de  Chardin.  Les  hommes  fossiles 
(d'après  le  volume  de  M.  Boule).  =  C. -rendus  :  le  P.  Antoine  Rab- 
bath.  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  du  christianisme  en 
Orient,  xvF-xixe  siècles  (le  P.  Tournebize  vient  de  faire  paraître  le 
fascicule  III  du  tome  II;  pièces  du  plus  haut  intérêt).  —  Jean-H. 
Mariéjol.  Catherine  de  Médicis  (remarquable).  =  5  avril.  Jeha^i  de 
Witte.  L'ofïre  de  paix  séparée  de  l'Autriche  et  les  négociations 
du  prince  Sixte  (croit  que  la  paix  séparée  aurait  pu  être  conclue  en 
juin  1917).  —  Joseph  Boubée.  Deux  œuvres  catholiques  et  françaises 
à  la  Trinitad  (l'orphelinat  de  Belmont,  la  léproserie  de  Cocorite,  fon- 
dés par  des  Dominicaines  françaises).  =:20  avril.  Paul  Dudon.  Sur  le 
cercueil  de  Napoléon  (impressions  causées  par  sa  mort).  —  Et^ard 
F.  Garesché.  Le  cardinal  Gibbons.  —  Adhémar  d'Alès.  A  Byzance. 
Psellos  et  Cérulaire  (à  propos  des  deux  thèses  d'Emile  Renauld).  = 
5  mai.  François  Datin.  L'anglicanisme  et  les  problèmes  du  temps  pré- 
sent; lin  le  20  mai  (à  propos  de  la  sixième  conférence  de  Lambeth, 
réunie  le  5  juillet  1920.  Les  tentatives  d'union  entre  les  communau- 
tés protestantes  chrétiennes  aboutiront-elles?  L'auteur  rêve  d'un  retour 
au  cathoUcisme).  —  Adhémar  d'Alès.  Saint  Augustin  en  Sorbonne  (il 
s'agit  des  deux  thèses  de  Charles  Boyer).  =  C. -rendus  :  O.  Braunsber- 
ger.  Petrus  Canisius  (d'une  valeur  exceptionnelle).  — C.  Aulran.  Phé- 
niciens (voit  des  Phéniciens  partout,  sauf  en  Phénicie).  —  D.  Sébastian 
Puig  y  Puig.  Pedro  de  Luna,  ultimo  papa  de  Aviilon  (avec  219  docu- 
ments ;  ouvrage  important).  =20  mai.  A.  DORE.  Le  «  réveil  égyptien  »  (le 
mouvement  est  dirigé  contre  tous  les  étrangers  et  tous  les  chrétiens). 
—  L.  RouRE.  Une  gloire  du  pays  rhénan  :  Nicolas  de  Cues  (d'après 
la  thèse  de  Ed.  Vansteenberghe).  —  J.  Boubée.  Le  mouvement  reli- 
gieux hors  de  France.  République  de  Cuba  :  catholicisme  et  vie 
publique  à  La  Havane.  =  C. -rendus  :  É.  Magne.  Lettres  inédites  du 
prince  de  Condé  et  du  duc  d'Enghien  à  Marie-Louise  de  Gonzague, 
reine  de  Pologne,  sur  la  cour  de  Louis  XIV,  1664-1067  (intéressant). 


144  RECUEILS   PE'rIODIQUES. 

—  G.  Bonnenfant.  Les  séminaires  normands  du  xvi»  au  xviif  siècle 
(très  précis,  mais  s'arrête  un  peu  trop  aux  faits  matériels).  — A.  Astrain. 
Historia  de  la  Compania  de  Jésus  en  la  Asistencia  de  Espana,  t.  VI, 
1652-1705  (remarquable).  —  Éd.  Lecompte.  Les  Jésuites  au  Canada 
au  xix«  siècle,  t.  I,  1842-1872  (très  documenté). 

14.  -—  Mercure  de  France.  1921,  l*-"  mai.  —  Gabriel  Brunet. 
Napoléon  et  l'adaptation  au  malheur  (commentaire  de  ce  mot  de  l'em- 
pereur en  1816.:  «  Je  crois  que  la  nature  m'avait  calculé  pour  les 
grands  revers;  ils  m'ont  trouvé  une  âme  de  marbre,  la  foudre  n'a  pu 
mordre  dessus,  elle  a  dû  glisser.  »  A  Sainte-Hélène,  il  domine  sa 
situation  tragique  en  l'organisant).  —  H.-R.  Savary.  Les  réparations 
et  l'action  des  Alliés;  la  déconfiture  du  système  de  M.  Keynes.  — 
R.  Chevaillier.  La  captivité  et  la  mort  de  Napoléon  dans  les 
mémoires  d'outre-tombe  (montre  comment  Chateaubriand  a  trans- 
formé les  documents  qu'il  avait  à  sa  disposition.  Il  en  a  tiré  une  véri- 
table œuvre  d'art,  mais  trop  souvent  aux  dépens  de  la  vérité.  Il  est 
curieux  à  cet  égard  de  comparer  le  présent  article  à  celui  de  G.  Bru- 
net).  —  Armand  Praviel.  La  légende  de  Clémence  Isaure  (amusante 
histoire  de  cette  supercherie  jqui  a  pris  naissance  au  milieu  du 
XVF  siècle).  =  15  mai.  J.  Dietérlen.  Autour  d'un  interdit  :  l'affaire 
de  Marienthal  (il  s'agit  des  Carmélites  de  Marienthal,  près  de  Stras- 
bourg, dont  la  maison  fut  mise  en  interdit  par  l'autorité  ecclésiastique 
en  1921.  Pour  quelle  cause?  Il  y  eut  sans  doute  vengeance  exercée 
par  lesr  religieux  allemands  contre  les  sœurs  restées  françaises  de 
cœur  ;  mais  il  y  eut  aussi  sans  doute  un  de  ces  conflits  obscurs  entre 
l'autorité  souveraine  de  l'Eglise  catholique  et  des  religieuses  obstinées 
dans  leur  parfait  amour  en  Jésus  seul).  —  Tony  Roche.  Paul-Louis 
Courier,  soldat  de  Napoléon  (vie  anecdotique  d'un  canonnier  à  cheval 
hellénisant;  ce  qu'il  devint  quand  il  eut  quitté  l'armée  après 
Wagram).  —  J.-G.  Prod'homme.  Napoléon,  la  musique  et  les  musi- 
ciens. 

15.  —  La  Revue  de  France.  1921,  l^"-  mai.  —  FocH.  La  bataille 
de  Laon,  mars  1814  (commentaire  par  le  lieutenant-colonel,  aujour- 
d'hui maréchal.  Pourquoi  Napoléon  a-t-il  été  vaincu  par  Blùcher? 
Parce  qu'il  avait,  dans  son  ambition  démesurée,  détourné  le  cours 
inévitable  de  l'histoire.  A  Valmy,  c'est  le  droit  et  la  justice  qui  avaient 
vaincu;  Laon,  c'est  «  la  défaite  du  génie  par  le  droit  révolté  »).  — 
E.  de  Las  Cases.  Las  Cases  et  le  «  Mémorial  de  Sainte-Hélène  »  (ce 
qu'était  Las  Cases  avant  1815;  pourquoi,  n'ayant  rien  reçu  de  Napo- 
léon, maître  du  monde,  alla-t-il  le  rejoindre  dans  l'exil;  portrait  qu'il 
trace  de  l'empereur.  Il  «  reste  aux  côtés  de  Napoléon  le  symbole  de 
la  fidélité  au  malheur,  celui  qui  a  le  mieux  connu  et  rendu  l'âme  du 
grand  homme  »).  — Paul  Adam.  Ligny  et  Waterloo.  I.  Ligny,  13  juin 
1815  (intelligent  et  brillant;  mais  l'auteur  était  un  romancier  avant  de 
s'être  fait  un  historien);  fin  le  15  mai.  —  R.  Recouly.  Comment 


RECUEILS  PÉRIODIQOES.  145 

faire  payer  l'Allemagne.  —  S.  Lalande.  Les  «  Einwohnerwehren  ». 
—  CanudO.  Le  centenaire  de  Dante.  —  Jacqueline  Bertillon.  Une 
Université  du  Middle  West  (celle  de  Minnesota,  «  véritable  petite 
ville  au  milieu  de  la  grande  ville  de  Minnéapolis  »).  :=  15  mai.  Phi- 
lippe Crozier.  L'Autriche  et  l'avant-guerre.  III  (imbroglio  balkanique 
après  l'annexion  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine  à  la  double  monar- 
chie; sous  l'influence  de  l'Allemagne,  le  sentiment  grandit  chaque 
jour  qu'une  «  vigoureuse  opération  de  police  »  devait  être  exécutée  sur 
l'autre  rive  du  Danv^be.  Passe  d'armes  diplomatique  entre  .ïlrenthal 
et  Iswolsky;  intransigeance  des  Serbes,  dont  les  extrémistes  atten- 
daient tout  d'une  intervention  armée  de  la  Russie.  Cette  menace 
décide  l'Autriche  à  faire  de  grands  préparatifs  militaires  au  moment 
même  où  le  gouvernement  russe  annonçait  à  ses  agents  qu'il  fallait 
«  à  tout  prix  »  écarter  l'éventualité  d'une  guerre  ;  et  bientôt  à  préparer 
un  ultimatum  menaçant  contre  la  Serbie.  La  certitude  donnée  à  l'em- 
pereur d'Autriche  par  l'ambassadeur  de  France  qu'en  aucun  cas  le  gou- 
vernement de  la  République  n'abandonnerait  son  aUié  russe  fit  réfléchir 
yErenthal  et  l'envoi  de  l'ultimatum  fut  suspendu.  M.  Crozier  a  oublié 
d'ajouter  les  dates;  c'est  une  lacune  grave).  —  Désiré  Roustan.  Une 
nouvelle  biographie  de  Descartes  (par  M.  Gustave  Cohen  dans  son 
beau  livre  :  «  Écrivains  français  en  Hollande  dans  la  première  moitié 
du  xvn«  siècle  »).  —  Laurence  Hills.  Les  États-Unis  et  l'Europe.  Les 
points  cardinaux  de  la  politique  américaine.  . 

16.  —  La  Revue  de  Paris.  1921,  l*"  mai.  —  Henry  Bataille. 
L'enfance  éternelle  (l'auteur,  poète  et  auteur  dramatique,  est  né  à  Cas- 
telnaudary  le  4  avril  1872;  détails  sur  sa  famille  et  le  midi  toulousain, 
où  il  passa  son  enfance  et  sa  jeunesse).  —  Général  A.  Tanant.  Napo- 
léon chef  de  guerre  (met  en  relief  les  qualités  maîtresses  de  celui  qui 
fut  vraiment  le  Dieu  de  la  guerre).  —  Henri-Robert.  Napoléon  et  la 
justice  (création  du  Code  civil  et  organisation  du  Barreau).  —  Lieute* 
nant-colonel  René  Tournés.  Le  G.  Q.  G.  de  Napoléon  l^^  (son  orga- 
nisation; la  «  Maison  »  et  1'  «  État-major  »  ;  à  la  «  Maison  »  se  rat- 
tache le  «  Cabinet  »  comprenant  trois  bureaux,  dont  le  principal  est 
le  service  des  renseignements.  La  «  Maison  »  reçoit  son  impulsion 
directement  de  l'empereur;  1'  «  État-major  »  est  placé  sous  les  ordres 
de  Berthier,  major  général).  —  Robert  Pinot.  L'organisation  perma- 
nente du  travail.  =  15  mai.  G.  Pariset.  Le  système  napoléonien  de 
gouvernement  (vigoureux  tableau  de  cette  organisation  d'un  caractère 
si  nettement  autocratique  et  individualiste  à  la  fois,  résistante,  mal- 
gré les  efforts  tentés  depuis  un  siècle  pour  la  détruire).  —  Jacques 
Lambry.  Les  souvenirs  d'un  garde  d'honneur  de  1813  (journal  ou  «  Iti- 
néraire »  tenu  par  Jean  Lambry,  brigadier  dans  cette  garde,  pendant 
la  campagne  de  Saxe,  du  14  mai  au  26  décembre  1813).  —  ***  Au  3«  bu- 
reau du  3«  G.  Q.  G.,  1917-1918;  suite  (genèse  de  la  directive  n°  5  et  de 
la  contre-offensive  française,  mai-juillet  1918.  Cette  directive  est  celle 
que  donna  Pétain  le  12  juillet  :  «  Dès  maintenant,  les  armées  doivent 
Rev.  Histor.  CXXXVII.  l"  fasc.  lO 


146  RECUEILS   PÉBIODIQOES. 

envisager  la  reprise  de  l'offensive...  Les  chefs  à  tous  les  échelons  ont 
le  devoir  d'entretenir  la  foi  dans  le  succès.  »).  —  Jean  Poirier. 
Lycéens  impériaux,  1814-1815  (la  population  des  lycées  resta  ardem- 
ment bonapartiste,  même  après  la  double  abdication  de  l'Empereur. 
Des  efforts  accomplis  ensuite  pour  gagner  les  élèves  à  l'amour  des 
Bourbons;  malgré-tout,  l'esprit  resta  militariste,  libéral,  antirehgieux, 
conspirateur) . 

17.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  l^""  mai.  —  Frédéric  Mas- 
son.  La  mort  de  l'Empereur,  l.  La  maladie  (les  médecins  de  l'Empe- 
reur :  O'Meara,  Irlandais,  qui  n'était  même  pas  médecin,  mais  qui 
avait  été  chirurgien  militaire  ;  le  D""  Verling,  aide-chirurgien  de  l'ar- 
tillerie royale,  qui  ne  fut  même  pas  admis  auprès  de  Napoléon;  le 
D'  Stokoë,  camarade  d'O'Meara.  Ces  praticiens  sont  avant  tout  des 
espions  chargés  de  surveiller  l'Empereur  et  de  dépister  les  maladies 
imaginaires  qu'il  aurait  pu  inventer  pour  obtenir  un  lieu  de  détention 
moins. redoutable.  Cependant^  la  maladie  réelle  empirait  et,  à  la  fin  de 
1819,  le  cancer  est  apparu).  —  Louis  Madelin.  Napoléon  à  travers  le 
siècle,  1821-1921.  —  René  Bazin.  Charles  de  Foucauld,  explorateur 
du  Maroc,  ermite  du  Sahara.  II  (voyage  de  découverte  en  1883  et  son 
livre  :  «  Reconnaissance  du  Maroc  »  ;  second  voyage  en  1884-1885. 
Catholique  non  pratiquant,  mais  avide  de  croire  pour  posséder  enfin 
la  vérité,  il  se  convertit,  cédant  à  l'influence  de  l'abbé  Huvelin)'.  — 
Maurice  Paléologue.  La  Russie  des  tsars  pendant  la  Grande  Guerre. 
VI  (du  24  avril  au  6  septembre  1915  :  bataille  de  Dounaïetz  et  défaite 
des  Russes,  évacuation  de  la  Pologne  et  de  la  Lithuanie.  Contre-coup 
produit  par  ces  revers  et  les  énormes  pertes  de  l'armée  sur  l'âme 
populaire,  qui  réagit  un  moment,  puis  retombe  dans  son  fatalisme 
apathique.  Sourde  rivalité  entre  Moscou,  la  vraie  capitale,  et  Péters- 
bourg,  création  de  Pierre  le  Grand  et  centre  du  gouvernement  auto- 
cratique. Ces  événements  fournissent  à  Raspoutine  l'occasion  de 
reprendre  son  œuvre  néfaste  auprès  des  souverains;  c'est  lui  qui  fait 
décider  le  renvoi  du  grand-duc  Nicolas,  en  insinuant  qu'il  cherchait  à 
se  créer  dans  les  troupes  et  même  dans  le  pays  une  popularité  mal- 
saine. Le  6  septembre,  le  tsar  annonce  qu'il  va  prendre  lui-m^me  le 
commandement  de  ses  troupes).  —  Duc  de  La  Force.  Le  grand 
Conti.  II.  A  Chantilly  (où  il  est  exilé  en  1686;  il  épouse  en  1688  sa 
cousine,  M"«  de  Bourbon).  =  15  mai.  G.  Lacour-Gayet.  Bonaparte  et 
l'Institut  (comment  il  fut  élu  membre  de  la  «  Section  des  arts  méca- 
niques, classe  des  sciences  physiques  et  mathématiques  »,  le  25  dé- 
cembre 1797;  comment  il  fut  admis,  quelle  part  il  prit  aux  séances; 
comment,  en  1815,  il  fut  omis  dans  l'Annuaire  ou  «  Etat  actuel  de 
l'Institut  »).  —  Frédéric  Masson.  La  mort  de  l'Empereur.  II.  L'agonie 
et  la  mort  (le  D'  Antommarchi  proposé  par  le  cardinal  Fesch  et 
Madame  Mère,  d'ailleurs  médecin  ignorant  et  convaincu  que  la  mala- 
die de  Napoléon  était  une  imagination  ou  une  feinte.  Les  derniers 
moments,  les  testaments  et  la  mort).  —  Maurice  Paléologue.  La 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  147 

Russie  des  tsars  pendant  la  Grande  Guerre.  VII  (la  félonie  bulgare  et 
la  tragédie  serbe  du  12  septembre  au  31  décembre  1915;  tentatives  du 
gouvernement  allemand  pour  détacher  le  tsar  de  ses  alliés  ;  elles  sont 
vaines).  —  Raymond  Thamin.  La  réforme  de  l'enseignement  secon- 
daire. I  (les  «  compagnons  »  et  l'école  unique).  —  Camille  Bel- 
LAIGUE.  Souvenirs  de  musique  et  de  musiciens.  —  Victor  Giraud. 
Jean-Jacques  Rousseau  prophète  religieux  (d'après  le  livre  de  Maurice 
Masson). 

18.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus,  1920,  mars-mai.  —  Paul  Monceaux.  Une  invocation  au 
«  Christus  medicus  »  sur  une  pierre  de  Timgad  (probablement  l'œuvre 
d'un  donatiste  du  début  du  v*  siècle).  —  É.  Châtelain.  Rapport  sur 
les  travaux  des  écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome  pendant  l'an- 
née 1918-1919.  —P.  Paris.  Le  rocher  de  Perescrita,  près  de  Cenicien- 
tos,  province  de  Madrid  (bas-relief  avec  une  inscription  illisible).  — 
Jules  Baillet.  Les  graffiti  grecs  dans  les  tombeaux  des  rois  à  Thèbes 
d'Egypte  (série  de  noms  propres).  —  Paul  Monceaux.  Martyrs  de 
Bourkika  (au  nord-est  de  Milianah,  mentionnés  sur  un  sarcophage  du 
iv»  siècle).  —  Ch.-V.  Langlois.  Rapport  sur  le  concours  des  antiquités 
de  la  France  eu  1920.  —  J.  de  Morgan.  Note  sur  la  succession  des 
princes  mazdéens  de  la  Perside  (de  220  av.  J.-C.  à  227  apr.).  —  L.  Poins- 
SOT.  Deux  inscriptions  d'Auiiobari  (dans  la  région  de  Dougga;  décrets 
sur  des  contestations  de  limite).  —Adrien  Blanchet.  Intailles  repré- 
sentant des  génies  de  la  secte  des  Ophites  (amulettes  gnostiques).  — 
Lettre  de  M.  Vignaud  sur  l'entreprise  de  Christophe  Colomb  en  1492. 
=  Juin-août.  A.  Thomas.  Le  nom  de  lieu  Pertu,  Creuse,  et  la  légende  du 
roi  Artur  (l'étymologie  est  Podium  Artus).  —  Paul  Monceaux.  Note 
sur  une  eroix  de  bronze  trouvée  à  Lambèse  (croix  qui  déterminait  le 
point  central  où  se  croisaient  les  deux  directions  de  Vantica  et  de  la 
postica).  —  Le  P.  Delattre.  La  basilique  voisine  de  Sainte-Monique 
à  Carthag^  (publie  le  texte  de  huit  épitaphes).  —  Rapport  du  secrétaire 
perpétuel  sur  la  situation  des  publications  de  l'Académie  pendant  le 
premier  semestre  de  1920.  —  Charles  Diehl.  A  propos  d'une  inscrip- 
tion grecque  dans  la  basilique  d'Ererouk  (l'inscription,  mal  lue  par 
Strzygowski,  reproduit  un  verset  des  Psaumes).  —  Ed.  Pottier.  Un 
colosse  «  criophore  »  archaïque  découvert  à  Thasos  (provient  sans 
doute  du  temple  d'Apollon  Pythien).  —  H.  Sottas.  Le  papyrus 
démotique  inédit  de  Lille  n"  3  et  la  notation  des  jours  épagomènes.  — 
J.  DÉ  Morgan.  Sur  un  signe  indéchiffré  des  monnaies  sassanides  et 
arabo-pehlvies  (ce  signe  indique  la  puissance,  le  pouvoir  temporel).  — 
A.  Gabriel.  Les  fouilles  de  Foustat  (capitale  de  l'Egypte  avant  la 
fondation  du  Caire;  fouilles  faites  à  partir  de  1912  par  Ali  Bey  Bah- 
gat).  —  Le  P.  Villecourt.  La  date  et  l'origine  des  «  homélies  spiri- 
tuelles »  attribuées  à  Macaire  (l'auteur  doit  être  un  Messalien  vivant  en 
Mésopotamie  dans  la  seconde  moitié  du  iv»  siècle).  —  D""  Carton. 
Découverte  d'une  fontaine  antique  à  Carthage  (plan  du  monument  et 


148  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

ses  transformations).  —  Fr.  Cumont.  Les  enfers  selon  l'Axiochos 
(dialogue  attribué  à  Platon).  — -Louis  Poinssot.  La  civitas  Mizigita- 
norum' et  le  pagus  Assalitanus  (signalés  par  deux  inscriptions  trou- 
vées sur  la  route  de  Carthage  à  Theveste,  près  d'Aïn-Babouch).  := 
Septembre-octobre.  Paul  Monceaux.  Martyrs  de  Djemila  (donne  les 
noms  de  neuf  martyrs  locaux  de  l'ancien  Cuicul).  —  Comte  Begouen. 
Un  dessin  relevé  dans  la  caverne  des  Trois-Frères  à  Montesquieu- 
Avantès,  Ariège  (représente  un  homme  masqué).  —  Comte  Durrieu. 
Deux  miniatures  à  caractère  historique  de  la  bibliothèque  de  Vienne 
(portraits  du  roi  d'Ecosse,  Jacques  IV,  et  de  sa  femme  Marguerite).  — 
Albertini.  Tables  de  mesures  de  Djemila  (d'un  setier,  d'un  capitum 
et  d'un  muid).  —  D""  Carton.  Rapport  sur  les  fouilles  exécutées  à 
BuUa  Regia  en  1919-1920,  avec  une  note  de  M.  Ca&nat  sur  une  ins- 
cription de  ce  lieu  en  l'honneur  d'une  femme  qui  a  fait  construire  les 
thermes.  —  Paul  Monceaux.  Deux  victimes  des  Maures  à  Madauros 
(deuxième  moitié  du  iv«  siècle).  —  Ed.  CuQ.  La  cité  punique  et  le 
municipe  de  Volubilis  (deux  communes  étaient  juxtaposées).  — 
H.  Cordier.  Rapport  sur  les  travaux  de  l'École  française  d'Extrême- 
Orient,  1918-1920.  —  Louis  Poinssot.  Datus,  conductor  praediorum 
regionis  Thuggensis  (signalé  sur  une  inscription  de  l'époque  d'Ha- 
drien). —  P.  Lacau.  Les  travaux  du  service  des  antiquités  d'Egypte, 
1919-1920.  —  Ch.  Fraipont.  Essai  de  chronologie  du  néolithique  en 
Belgique.  —  Dom  Wilmart,  Un  manuscrit  de  TertuUien  retrouvé  (à 
la  bibliothèque  de  Troyes). 

19.  —  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Compte- 
rendu  des  séances  et  travaux,  1920,  février-mars.  —  G.  Lacour- 
Gayet.  Son  Éminence  le  cardinal  Mercier,  primat  de  Belgique,  et  le 
gouverneur  général  allemand  von  Bissing  (d'après  la  correspondance 
du  cardinal  avec  le  gouverneur).  —  René  Worms.  Les  prises  mari- 
times et  la  cinquième  année  de  la  guerre.  —  Paul  Meuriot.  La  cons- 
titution de  1875  et  ses  parrains  :  Prévost-Paradol  et  Victor  de  BrogUe 
(les  idées  exprimées  par  ces  deux  écrivains  dans  «  la  France  nouvelle  » 
et  «  Vues  sur  le  gouvernement  de  la  France  »  ont  trouvé  plus  ou 
moins  leur  expression  dans  les  lois  constitutionnelles  dont  l'ensemble 
forme  la  Constitution  de  1875).  —  Paul  Fauchille.  La  guerre  de 
l'avenir  et  les  moyens  de  l'empêcher  (demande  que  toute  attaque 
brusquée  ou  toute  violation  d'une  règle  du  droit  des  gens  entraîne  la 
responsabilité  personnelle  de  ceux  qui  s'en  rendront  coupables).  =: 
Avril-mai.  E.  Seillière.  Le  catholicisme  de  Sainte-Beuve  (cette 
période  catholique  se  place  entre  1829  et  1835  et  n'avait  rien  de 
sincère).  —  Albert  Rivaud.  L'édition  internationale  des  œuvres  de 
Leibnitz  (histoire  de  la  collaboration  avec  les  Allemands  de  1903  à 
1914;  un  seul  volume,  le  second,  se  trouve  prêt.  Pourquoi  ne  pas  le 
publier?).  — Alfred  Massé.  L'Allemagne  et  le  traité  de  Versailles.  La 
livraison  du  bétail.  =  Juin.  E.  Seillière.  Impressions  parisiennes 
d'uu  jeune  Suisse  en  1752  (Isaac  Iselin,  de  Bâle,  âgé  alors  de  vingt- 


RECCEILS   PÉRIODIQUES.  y  149 

quatre  ans).  —  Vicomte  de  Guichen.  La  Pologne  au  point  de  vue 
diplomatique  et  économique  dans  le  passé  et  le  présent  (la  Pologne 
doit  vivre,  puisqu'elle  est  un  des  éléments  essentiels  de  l'équilibre 
européen,  et  parce  que  sa  disparition  serait  un  déni  de  justice).  —  Vara- 
GNAC.  Un  chapitre  de  la  législation  des  cultes  en  France  (sur  la  liberté 
ou  l'interdictiop  des  processions). 

États-Unis. 

20.  —  The  american  historical  Review^.  1921,  avril.  —  Frédé- 
ric DunCalf.  La  croisade  des  paysans  (les  gens  du  peuple  qui  par- 
tirent les  premiers  en  1096  pour  la  Croisade  n'étaient  pas  de  pauvres 
paysans,  mais  des  gens  de  moyenne  condition  qui  avaient  pu  réunir 
assez  d'argent  pour  s'entretenir  pendant  les  premiers  mois  de  l'expé- 
dition; c'est  quand  leurs  ressources  personnelles  furent  épuisées  qu'ils 
se  mirent  à  piller).  —Frank  A.  Golder.  La  guerre  civile  d'Amérique 
vue  par  les  yeux  d'un  diplomate  russe  (d'après  les  dépêches  envoyées 
au  ministère  russe  des  Affaires  étrangères  par  Edouard  de  Stœckel, 
qui  habita  à  Washington  de  1849  à  1868;  elles  sont  toutes  en  fran- 
çais). —  Ross  H.  Mac  Lean.  Les  mouvements  de  troupes  sur  les 
chemins  de  fer  américains  pendant  la  Grande  Guerre.  —  Cari  Russell 
FiSH.  L'indemnité  imposée  à  l'Allemagne  et  les  Etats  du  Sud  (on 
oppose  parfois  la  générosité  des  États  du  Nord  envers  ceux  du 
Sud  à  la  dureté  sivec  laquelle  l'AUemaghe  vaincue  a  été  traitée  par 
les  Alliés.  Cependant,  à  ne  considérer  que  le  côté  économique  de  la 
question,  il  est  certain  que  le  Sud  a  dû  payer  un  très  lourd  tribut  à  la 
guerre  civile;  il  lui  fallut  un  demi-siècle  pour  se  relever  de  ses  ruines). 
=  C. -rendus  :  Wi\liB.m  A.  Mason.  A  history  of  the  art  of  writing 
(livre  bien  écrit,  intéressant,  très  bien  illustré).  —  J.  Hellmann.  Das 
Mittelalter  bis  zum  Ausgange  des  Mittelalters  (très  bon  exposé).  — 
Mary  W.  Williams.  Social  Scandinavia  in  the  Viking  âge  (remar- 
quable compilation).  —  Charles  W.  David.  Robert  Curthose,  duke 
of  Normandy  (étude  très  consciencieuse).  —  //.  Cordier.  Ser  Marco 
Polo  ;  notes  and  addenda  to  Sir  Henry  Yule's  édition  (additions  utiles, 
'mais  trop  impersonnelles;  plus  de  bibliographie  que  de  critique).  — 
Henry  0.  Taylor.  Thought  and  expression  in  the  sixteenth  century 
(insuffisant  malgré  plusieurs  bons  chapitres).  —  Julius  West.  History 
of  the  chartist  movement  (ce  livre  n'est  pas  assez  au  courant  de  la 
science).  —  Joseph  H.  Park.  The  english  reform  bill  of  1867  (contient 
beaucoup  d'utiles  informations).  —  //.  Plehn.  Bismarck's  auswœrtige 
Politik  nach  der  Reichsgrùndung  (ouvrage  très  consciencieux,  mais 
que  des  documents  récemment  publiés  permettraient  de  corriger  ou 
de  compléter  sur  plus  d'un  point).  —  Hermann,  baron  d'Eckardslein. 
Lebenserinnerungen  und  politische  Denkwiirdigkeiten  (l'ancien  ambas- 
sadeur d'Allemagne  à  Londres  critique  vivement  la  politique  extérieure 
de  Guillaume  II  et  de  son  principal  conseiller  Ilolstein.  Important). — 


150  RECUEILS   PE'rIODIQHES. 

0  von  Mohl.  Fùnfzig  Jahre  Reichsdienst.  Lebenserinnerungen  (très 
intéressant).  —  Comte  Louis  Voinovitch.  Dalmatia  and  the  jugo- 
slav  movement  (important  plaidoyer).  —  Woodhouse.  Italy  and  the 
Jugoslavs  (beaucoup  de  faits  bien  présentés  par  un  habile  avocat).  — 
R.  M.  Henry.  The  évolution  of  Sinn  Fein  (excellent).  —  H.  W.  V. 
Temperley.  A  history  of  the  peace  conférence;  3  vol.  (confus  en  géné- 
ral ;  plusieurs  bons  chapitres,  ainsi  sur  la  politique  étrangère  du  pré- 
sident Wilson).  —  Katsuro  Hura.  An  introduction  to  the  history  of 
Japan  (excellent  résumé).  —  H.  E.  Bolton  et  Thos.  M.  Marshall. 
The  colonization  of  North  America,  1492-1783  (excellent  manuel).  — 
Fred.  J.  Turner.  The  frontier  in  american  history  (bon).  —  Tho- 
mas G.  Wright.  Literary  culture  in  early  New  England,  1620-1730 
(remarquable).  —  W.  Chauncey  Ford.  A  cycle  of  Adams  letters, 
1861-1865  (très  intéressant  au  point  de  vue  psychologique).  —  Ernest 
L.  Bogart  et  Charles  M.  Thompson.  The  industrial  state,  1870-1893 
(importante  étude  sur  le  développement  industriel  de  l'Illinois).  — 
Charles  E.  Merriam.  American  political  ideas,  1865-1917  (trop  de 
bibliographie  et  pas  assez  de  vues  d'ensemble).  —  Joseph  B.  Bishop. 
Théodore  Roosevelt  and  his  time  shown  in  his  letters  (important).  — 
John  B.  Mac  Master.  The  United  States  1918-1920,  tome  XI  (chro- 
nique de  la  guerre,  d'après  des  témoignages  confus  et  passionnés).  — 
Joseph  B.  Lockey.  Pan-Americanism  ;  its  beginning  (bon).  —  Harold 
J.  Lashi.  Political  thought  in  England  from  Locke  to  Bentham  (beau- 
coup de  vues  intéressantes,  que  déparent  un  trop  grand  nombre  d'er- 
reurs de  détail). 

Italie. 

21 .  —  Archivio  storico  italiano.  Anno  LXXVII,  1919  (paru  en  1921 
après  les  livraisons  de  1920).  —  Roberto  Cessi.  Études  sur  les  «  Maone  » 
au  moyen  âge  (la  «  maona  »  est  un  navire  de  commerce;  on  étudie  ici 
les  affaires  maritimes  en  partitipation  ou,  plus  précisément,  l'arme- 
ment et  la  navigation  avec  un  caractère  collectif  âans  leurs  rapports 
avec  l'État;  étude  de  droit  commercial  au  xiv^  et  au  xv*  siècle).  — 
Carlo  Frati.  Luciano  Scarabelli,  Pietro  Giordani  et  les  «  Paralipo- 
meni  di  storia  Piemontese  »  (les  «  Paralipomènes  »  sont  en  partie 
l'œuvre  du  marquis  Felice  di  San  Tommaso  qui,  après  en  avoir 
recueilli  les  matériaux,  mourut  en  1843,  âgé  seulement  de  trente-deux 
ans.  La  mère  pria  Giordani  de  compléter  et  de  publier  l'ouvrage  de 
son  fils.  Giordani,  qui  n'avait  aucune  aptitude  pour  ce  genre  de  tra- 
vail, le  fit  attribuer  à  un  jeune  historien  parmesan  qu'il  aimait  et  pro- 
tégeait, L.  Scarabelli.  Puis  des  difficultés  s'élevèrent  entre  l'historien  et 
la  marquise  et  l'ouvrage  finit  par  paraître  sans  que  le  nom  de  San 
Tommaso  figurât  sur  le  titre  du  volume.  On  publie  de  nombreuses 
lettres  touchant  cette  question).  —  Isidoro  Del  Lungo.  Un  petit-neveu 
de  Gianni  Schicchi  et  les  Cavalcanti  délia  Scimmia  (notes  biogra- 
phiques sur  un  personnage  que  Dante  a  placé  parmi  les  Faussaires). 
—  Giusepne  Stefanini.  Les  questions  coloniales  pendant  la  Grande 


RECUEILS   PÉRIOniQOES.  151 

Guerre,  au  temps  où  l'Italie  était  encore  neutre  (revue  des  ouvrages 
très  nombreux  qui  parurent  en  Italie  sur  ces  questions  en  1914-1915). 

—  Giorgio  Falco.  Publications  émanant  des  comités  chargés  d'organi- 
ser l'assistance  publique  pendant  la  guerre.  —  Luigi  Pagliai.  Clémente 
Lupi  (notice  nécrologique  sur  cet  historien  né  le  7  juillet  1840  et 
mort  le  23  février  1918  étant  directeur  des  archivfts  de  Pise).  = 
C. -rendus  :  L.  Chiappelli.  Studî  storici  Pistoiesi;  vol.'if'(reinarquable). 

—  D.  Guerri.  La  disputa  di  Dante  Alighieri  con  Cecco  d'Ascoli  sulla 
uqbiltà  (curieux).  —  L.  Gommi.  Come  Reggio  venue  in  potestà  di 
Bertrando  Del  Poggetto,  1306-1326  (bon).  —  N.  Mengozzi.  Il  ponte- 
fice  Paolo  II  ed  i  Sinesi  (bon).  —  Riciotti  Bratti.  La  fine  délia  Sere- 
nissima  (utilise  surtout  la  correspondance  d'Andréa  di  Francesco  Vit- 
turi,  vice-podestat  et  capitaine  de  Feltre,  1796-1797).  —  Maria 
Borghesini-Scarabellin.  La  vita  privata  a  Padova  nel  sec.  xvii  (tra- 
vail soigné).  —  Al.  Luzio.  La  congiura  spagnola  contro  Venezia  nel 
1618  (d'après  les  archives  de  Gonzague).  —  Giov.  Sforza.  Silvio  Pel- 
lico  a  Venezia,  1820-1822  (précieuse  monographie).  — Jos.  Schnitzer. 
Der  Nùrnberger  Humanist  Hartmann  Schedel  und  Savonarola  (il  s'agit 
de  Michel  Savonarola  qui  fut  un  célèbre  médecin  de  l'Université  de 
Padoue).  —  Id.  Zur  Wahl  Alexanders  VI  (Schedel,  dans  sa  chronique, 
parle  de  la  bonne  opinion  qu'on  avait  du  futur  pape  au  moment  de 
son  élection.  Il  tenait  ces  faits  d'un  compatriote  et  ami,  Laurent 
Behaim,  qui  avait  été  au  service  du  cardinal  Rodrigo  Borgia).  — 
E.  Lasinio.  Regesto  délie  pergamenedel  r.  Archivio  di  stato  in  Massa 
(très  utile).  —  P.  S.  Leicht.  Le  terre  irredente  nella  storia  d'Italia, 
(bon  résumé).  —  Antonio  Panella.  Fra  Paolo  Sarpie  il  dominio  dell' 
Adriatico.  —  D.  Cambiaso.  L'anno  ecclesiastico  e  le  feste  dei  Santi 
in  Genova  nel  loro  svolgimento  storico  (compilation  très  méritoire). 

22.  —  Archivio  storico  siciliano.  Nouv.  série,  anno  XXXVIII, 
1913,  fasc.  1-2.  —  Giuseppe  Pitre.  Le  quatrième  centeriaire  de  la 
naissance  de  G. -F.  Ingrassia.  —  S.  Salomone-Marino.  Le  cas  de  la 
baronne  de  Carini  dans  la  légende  et  dans  l'histoire  (en  1563,  la 
baronne  de  Carini  s'appellait  Laura  Lanza  de  Gaetani  ;  elle  était  fille 
de  César,  baron  délia  Trebia,  et  femme  de  Vincent  La  Grua,  baron  de 
Carini.  La  légende  raconte  qu'une  de  leurs  filles,  Caterina,  devint  la 
maîtresse  d'un  de  ses  cousins,  Vernagallo,  et  qu'elle  fut  tuée  par  son 
père  vengeant  ainsi  le  déshonneur  de  la  famille.  Montre  comment 
l'histoire  et  la  légende  se  sont  confondues  dans  cette  banale  aven- 
ture). —  F. -M.  MiRABELLA.  Un  poète  inconnu  du  xvi*  siècle  :  Marco 
Filippi.  —  L.  Genuardi.  Les  origines  de  Mezzojuso  (à  propos  d'un 
ouvrage  de  l'archiprêtre  0.  Buccola  intitulé  :  «  Nuove  ricerche  sulla 
foiidazione  délia  colonia  greco-albanese  di  Mezzojuso  »,  1912).  — 
G.-B.  P"'eruigno.  L'entrée  triomphale  d'un  prince  à  Castelvetrano  au 
xvii"  siècle  (il  s'agit  de  don  Juan  d'Aragon,  duc  de  Terranova  et  prince 
de  Castelvetrano,  qui  fit  son  entrée  le  l""  septembre  1622).  =  C. -rendu  : 
P.  Cavdona.  La  guerra  fra  Spagna  ed  Austria  in  Italia;  il  blocco, 
l'assedio  e  la  resa  di  Siracusa  del  1735  (intéressant).  =  Fasc.  3-4. 


152  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

N.  NiCEFORO,  alias  Emilio  Del  Cerro.  La  Sicile  et  la  constitution  de 
1812.  —  C.-A.  Garufi.  Notes  et  documents  sur  l'histoire  de  l'Inquisi- 
tion en  Sicile  aux  xvi^  etxvii«  siècles,  d'après  les  archives  espagnoles. 

—  N.  Rati.  Le  procès  de  Giovanna  Bonanno,  dite  «  la  Vecchia  di 
l'Acitu  »  (vieille  mendiante  qui,  vers  la  tin  de  sa  vie,  se  fit  empoison- 
neuse par  avarjoe;  pour  rendre  service  à  certaines  gens  et  remettre  la 
paix  dans  des  ménages  désunis,  elle  fournissait  un  breuvage  à  base 
d'arsenic,  puis  elle  priait  pour  le  repos  de  l'âme  de  ses  victimes.  Elle 
exerça  son  sinistre  métier  de  1786  à  1788;  arrêtée,  elle  fut  jugée, 
condamnée  à  mort  et  exécutée  le  30  juillet  1789).  —  V.  Ruffo.  La 
Monnaie  royale  de  Messine,  d'après  des  documents  inédits.  L  L'office 
du  maître  des  essais.  =  C. -rendus  :  H.  Edwin  Freshfield.  Cellae 
trichorae  and  other  Christian  antiquities  in  byzantine  provinces  of 
Sicilia,  with  Calabria  and  North  Africa,  including  Sardinia;  vol.  I 
(remarquable).  —  C.-A.  Garufi.  Perla  storia  dei  secoli  xi  et  xii.  Mis- 
cellanea  diplomatica.  Le  isole  Eolie  a  proposito  del  «  Constitutum  » 
deir  abate  Ambrogio  del  1095  (brillante  étude  sur  la  politique  de 
Roger  ler  et  sur  les  prétentions  des  papes  sur  les  îles  Ioniennes.  Lipari 
avait  eu  un  siège  épiscopal  jusqu'à  la  conquête  des  îles  par  les  Arabes). 

—  Id.  «  Memoratoria,  chartae  et  instrumenta  divisa  »  in  Sicilia  nei 
secoli  xi-xv  (bon).  —  H.  Niese.  Zur  Geschichte  des  geistigen  Lebens 
am  Hofe  Kaiser  Friedrich  II  (excellent).  —  Id.  Das  Bistum  Catania 
und  die  sizilischen  Hohenstaufen  (bon).  —  Sa7%rius  von  Walters- 
hausen.  Die  sizilische  Agrarverfassung  und  ihre  Wandlungen,  1780- 
1912  (important).  =  Anno  XXXIX,  1914,  fasc.  1-2.  G.  Pitre.  Les  par- 
tisans de  la  Cronica  di  Sicilia  et  ses  adversaires  (leurs  journaux  et 
leur  poésie  de  combat,  1812-1815).  —  G.  Giannone.  Le  ms.  de  Fita- 
lia;  étude  d'histoire  diplomatique  (description  d'un  ms.  qui  contient 
une  cronaca  svevo-angioina  et  qu'il  vaut  mieux  désigner  par  le  titre 
de  ms.  de  Fitalia;  liste  des  documents  qu'il  contient  et  qui  vont  de 
1189  à  1339;  dans  le  nombre,  on  compte  cinquante-cinq  documents  de 
l'empereur  Frédéric  II.  Ce  n'est  d'ailleurs  qu'un  formulaire,  un  traité 
«  de  arte  dictandi  »  composé  à  l'usage  d'une  école  de  rhétorique,  sans 
doute  à  Palerme).  —  V.  Epifanio.  Sur  la  guerre  de  Sicile  au  temps 
de  Jeanne  1"^,  d'après  les  registres  angevins  des  Archives  de  l'Etat  à 
Naples,  1344-1347.  —  B.  Page.  Notes  sur  les  découvertes  et  les  études 
qui  intéressent  la  Sicile  (II  :  les  sculptures  archaïques  de  Corfou;  III  : 
documents  épigraphiques  concernant  les  relations  de  la  Sicile  et  de  la 
Grèce  dans  l'antiquité;  IV  :  la  dédicace  à  Polyzalos).  —  I.  Scaturro. 
Oii  naquit  Agathocle?  (il  naquit  en  361  à  Thermse-Selinuntise, 
aujourd'hui  Sciacca).  —  Fr.  Venuta.  Une  noble  figure  de  la  Révolu- 
tion de  1848-1849  en  Sicile  (le  prêtre  Luigi  Venuta,  1823-1872).  = 
C. -rendus  :  Ferruccio-Quintavalle.  Il  risorgimento  italiano,  1814- 
1871  (bon  résumé).  —  G.  de  Majo.  La  crociera  borbonica  dinanzi  a 
Marsala  (publie  des  documents  nouveaux  sur  la  croisière  entreprise 
par  les  Bourbons  en  1860  pour  empêcher  le  débarquement  des  émi- 
grés et  des  volontaires).  —  C.-R.  Du  Bocage.  Étude  préUrainaire  sur 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  153 

la  prise  de  Ceuta  par  les  Portugais  le  21  août  1415  ())on).  =:  Fasc.  3-4. 
Era.  Del  Cerro.  La  Sicile  et  la  constitution  de  1812;  suite.  — 
V.  RuFFO.  La  galerie  Ruffo  à  Messine  au  xyii*  siècle.  —  C.-A.  Ga- 
RUFi.  Pour  servir  à  l'histoire  de  l'Inquisition  en  Sicile  aux  XVF  et 
xvii«  siècles  ;  documents  tirés  des  archives  espagnoles  (procès  «  super 
magariam  »  ou  de  sorcellerie,  en  1555).  —  F. -G.  Savagnone.  Études 
sur  les  paroisses  de  Sicile  (époque  prénormande).  —  PuLCi.  Jean  V, 
archevêque  de  Bari  (épisode  de  l'histoire  de  la  Sicile  et  de  la  Pouille 
au  xv*  siècle).  —  Pietro  Bottalla.  Sur  un  fragment  d'un  registre 
d'écrou  du  Saint-Office  à  Palerme,  1757-1760  (avec  uu  fac-similé).  — 
G.  Di  Marzo.  Quelques  notes  sur  le  peintre  Guillaume  Borremans 
(Borremans  d'Anvers,  qui  vécut  en  Sicile  de  1715  à  1744).  —  E.  Mau- 
CERi.  Un  acte  notarié  concernant  la  fourniture  de  «  gualdrappe  »  à 
Noto,  1495  (étofîes  dont  la  trame  était  faite  de  laine  «  barbaresque  » 
et  la  chaîne  de  laine  sicilienne).  =  C. -rendus  :  Guido  de  Majo. 
Il  mancato  sbarco  a  Marsala  délia  brigata  Bonanno  (11-16  mai  1860). 

—  V.  Brunelli.  Storia  délia  città  di  Zara,  dai  tempi  più  remoti  sino 
al  1815;  I  (bon).  —  S.  Romano.  Istituti  scolastici  ed  educatrici,  man- 
tenuti  dalla  Lega  nazionale  nel  Trentino,  nella  Venezia  Giulia  e  nella 
Dalmazia  (bon).  :=  Anno  XL,  1915,  fasc.  1-2.  E.  Gabrici.  Parallèle 
entre  les  antiquités  préhistoriques  de  la  Sicile  et  celles  de  l'Italie 
méridionale.  —  N.  Niceforo.  La  Sicile  et  la  constitution  de  1812; 
chap.  II.  —  V.  RuFFO.  La  Monnaie  royale  de  Messine,  d'après  des 
documents  inédits;  suite  (autres  fonctionnaires  de  cet  établissement; 
des  locaux  occupés  par  la  Monnaie;  du  travail  de  la  fabrication  en 
général.  Espèces  d'or  et  d'argent  frappées  de  1462  à  1541).  —  Biagio 
Page.  Études  récentes  sur  le  «  Trésor  »  des  Syracusains  à  Delphes. 

—  A.  Outrera.  Un  règlement  de  police  du  xvif  siècle  à  Palerme 
(texte  intéressant  pour  l'histoire  du  droit,  octobre  1650).  —  G.-B.  Fer- 
RIGNO.  Un  contrat  de  paix  passé  entre  donna  Antonina  Concessa 
d'Aragon  et  Terranova  en  1516  (à  la  suite  du  soulèvement  des  barons 
contre  le  vice-roi  Ugo  Moncada,  aussitôt  après  la  mort  de  Ferdinand 
le  Catholique.  Copieux  appendice  de  documents).  —  E.  Mauceri. 
Documents  inédits  relatifs  à  la  peinture  syracusaine  du  xv«  siècle.  — 
U.  de  Maria.  Figures  et  épisodes  du  «  Risorgimento  »  dans  la  cor- 
respondance du  marquis  di  Torrearsa.  —  C.  Fara.  Tommaso  Natali 
d'après  la  correspondance  de  Giovanni  Lami,  1758.  =  C. -rendus  : 
Giuseppe  Bicchieri.  La  guerra  mondiale;  suoi  fattori  geografici  e 
storici  (recueil  de  onze  leçons  admirables  de  clarté  et  de  pénétration). 

—  T.  Sillani.  Lembi  di  patria  (important  et  illusiré  de  cent  dessins 
reproduisant  les  monuments  les  plus  remarquables  du  Trentin,  de 
l'istrie  et  de  la  Dalmatie).  —  F. -A.  Termini.  Pietro  Rausano,  uma- 
nista  palermitano  del  sec.  xv  (d'utiles  recherches).  =  Fasc.  3-4. 
G. -A.  Cesareo.  La  jeunesse  de  Giovanni  Meli  (le  plus  grand  poète 
bucolique  de  la  Sicile,  1740-1802).  —  E.  Nicefouo.  La  Sicile  et  la 
constitution  de  1812;  suite.  —  C.-A.  Garufi.  Notes  et  documents  sur 
l'histoire  de  l'Inquisition  en  Sicile  aux  xvi*  et  xvii»  siècles,  d'après 


154  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

les  archives  espagnoles;  suite.  La  «  Réforme  religieuse  »  en  Sicile 
(beaucoup  de  documents.  Important).  —  G.  La  Mantia.  Les  plus 
anciennes  suppliques  de  la  ville  de  Palerme  des  xiie-xrv*  siècles  et  la 
condition  de  la  ville  elle-même  pendant  les  années  1354-1392  (publie 
quatre  documents  des  années  1346-1392).  —  G.  Pitre.  Pour  servir  à 
l'histoire  de  la  charité  en  Sicile  (publie  un  document  de  l'année  1769). 
=  C.-rendus  :  Al.  Dudan.  La  monarchia  degli  Asburgo.  Origini, 
grandezza  e  decadenza  (deux  gros  volumes  bourrés  de  faits).  — 
Michèle  Rosi.  Storia  contemporanea  d'Italia  dalle  origini  del  Risor- 
gimento  ai  giorni  nostri  (tableau  assez  largement  brossé).  —  Giov. 
Roncagli.  Atti  del  X  Congresso  internazionale  di  geografia.  — 
A.  d'Alia.  La  Dalmazia,  le  regioni  limitrofe  e  l'Adriatico  (impor- 
tant). =  Anno  XLI  (1916),  fasc.  1-2.  G. -A.  Cesareo.  Giuseppe  Pitre 
et  la  littérature  populaire  (résume  en  termes  un  peu  grandiloquents 
l'œuvre  de  Pitre  dans  ses  ouvrages  sur  le  folklore).  —  N.  Giordano. 
Nouvelles  études  sur  les  rapports  entre  l'Eglise  et  l'État  en  Sicile  au 
temps  des  Normands.  —  P.  Sciajno-Invidiata.  Une  persistance  de 
la  féodalité  dans  certaines  possessions  de  fonds  de  terre  au  pays  de 
Geraci  (il  s'agit  de  terres  plantées  d'oliviers,  qui  étaient  soumises  à  un 
droit  particulier,  le  «  jus  nozzuli  ».  En  appendice,  quelques  documents 
du  xviP  et  du  xyiii^  siècle).  —  F. -A.  Termini.  Reconstruction  chro- 
nologique de  la  biographie  de  Pietro  Ransano-  (humaniste  palermi- 
tain  du  xv«  siècle;  suit  la  biographie  du  personnage  de  1454  à  1490, 
date  de  sa  mort.  En  appendice,  des  lettres,  des  vers  et  autres  écrits 
de  Ransano).  —  V.  Ruffo.  La  Monnaie  royale  de  Messine,  d'après 
des  documents  inédits  ;  fin  (les  comptes  de  cet  atelier  monétaire  s'ar- 
rêtent en  161.0  ;  on  continua  cependant  d'y  travailler  pendant  tout  le 
xviiie  siècle.  Nombreux  documents  en  appendice).  —  G.  Majorana.  La 
seconde  copie  des  chroniques  inédites  de  Filippo  Caruso  (chroniqueur 
sicilien  du  xyii^  siècle;  on  connaît  maintenant  deux  exemplaires  com- 
plets de  ses  chroniques,  dont  l'original  est  perdu).  =  G. -rendu  :  Cor- 
pus nummorum  italicorum;  t.  VII.  =  Nécrologie  :  Luigi  Siciliano 
Villanueva  (professeur  d'histoire  de  droit  italien  à  l'Université  de 
Palerme,  1869-1915);  Mgr  Gioacchino  Di  Marzo  (garde  de  la  biblio- 
thèque municipale  de  Palerme,  1839-1916);  Salvatore  Salomone- 
Marino  (1847-1915).  =  Fasc.  3-4.  S.  Romano.  Impressions  et  souve- 
nirs d'histoire  sicilienne  recueillis  dans  un  voyage  de  Tunis  à  Tripoli. 
—  Emilio  Del  Cerro  [N.  Niceforo].  La  Sicile  et  la  constitution  de 
1812;  chap.  m.  —  N.  Giordano.  Le  droit  maritime  de  la  Sicile  depuis 
les  origines  jusqu'au  xiv^  siècle.  —  C.-A.  Garufi.  Documents  tirés 
des  archives  espagnoles  sur  l'Inquisition  en  Sicile  aux  xvi^  et 
xvije  siècles.  IV.  Conflits  de  juridiction  entre  les  inquisiteurs  et  les 
vice-rois.  —  Giuseppe  La  Mantia.  La  «  Secrezia  »  ou  douane  de  Tri- 
poli et  les  articles  de  son  administration  approuvés  et  réformés  par  les 
vice-rois  de  Sicile  de  1511  à  1521.  —  Ignazio  Scaturro.  Le  diocèse 
de  Triocala  et  Cronio  (explique  pourquoi  ce  diocèse,  mentionné  dans 
la  «  Dispositio  »  de  Léon  le  Savant,  est  appelé,  suivant  les  manus- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  155 

crits,  Triocala  =  Caltabellotta,  ou  Cronio  —  S.  Calogero,  près  de 
Sciacca.  Ce  sont  en  réalité  deux  diocèses  différents  qui  furent  détruits 
par  les  Sarrasins  et  englobés  après  la  conquête  normande  dans  le 
diocèse  de  Girgenti,  1093).  =  C. -rendus  :  Diverses  brochures  de  pro- 
pagande sur  les  prétentions  italiennes  en  Dalmatie.  —  P.  Orsi.  Necro- 
poli  sicula  a  Pozzo  di  Gotto.  —  Baranzini  et  Pottino.  Il  beato  cardi- 
nale Giuseppe  Maria  Tommasini  nella  vita  e  nelle  opère  (Tommasini 
est  l'auteur  d'ouvrages  liturgiques  loués  par  Mabillon).  — Giuseppe 
Paladino.  Lettere  inédite  del  Crispi  e  del  Regaldi  ad  Onofrio  Abbate 
(publie  trois  lettres  de  Crispi,  1858,  1887  et  4894;  biographie  du 
Dr.  med.  0.  Abbate).  —  Andréa  Figlioli.  Marsala  nella  epopea  Gari- 
baldina.  —  M.  Cagiati.  Le  monete  del  reame  délie  Due  Sicilie  da 
Carlo  I  di  Angiô  a  Vittorio  Eraanuele  II;  fasc.  9.  =:  Anno  XLII, 
1917,  fasc.  1-2.  A.  Sansone.  Mazzini  et  la  Sicile.  —  N.  Giordano.  Le 
droit  maritime  de  la  Sicile,  depuis  les  origines  jusqu'au  xiw  siècle 
(chap.  I  :  le  vaisseau;  chap.  ii  ;  le  personnel;  avec  une  abondante 
documentation).  —  C.-A.  Garufi.  Documents  tirés  des  archives  espa- 
gnoles sur  l'Inquisition  en  Sicile  aux  xvi«  et  xyii*  siècles  ;  suite.  — 
G.-B.  Palma.  Poésies  siciliennes  du  xv«  siècle.  —  G.  Musotto. 
Notes  sur  l'église  du  Saint-Esprit  à  Caltanisetta,  d'après  un  ms.  ano- 
nyme de  1779.  =  C. -rendus  :  E.  Bignone.  Empedocle  (excellent).  — 
G.  Sorge.  Mussomeli  dall'  origine  ail'  abolizione  délia  feudalità 
(important;  beaucoup  de  documents  inédits).  —  M.  Cagiati.  La  zecca 
di  Benevento  (bon).  =z  Fasc.  3-4.  Giuseppe  La  Mantia.  Les  archives 
du  secrétariat  du  vice-roi  de  Sicile  et  les  «  Istruzioni  »  données  par 
le  roi  Phihppe  III  en  1642.  —  G.  Bova.  Un  document  nouveau  sur 
Baldassare  De  Massa,  i"  octobre  1565.  =.  C. -rendus  :  Outrera.  L'ar- 
chivio  del  senato  di  Trapani  del  secolo  xiv  al  xviii  (inventaire  som- 
maire de  ces  archives).  —  Archivum  melitense  (publié  par  la  Société 
historique  et  scientifique  de  Malte).  —  Silvio  Pivano.  Annuario 
degli  istituti  scientifici  italiani  (excellent  et  très  utile). 

23.  —  Nuovo  archivio  veneto.  Nouvelle  série,  1918,  janvier-juin, 
anno  XVIII,  t.  XXXV.  —  Antonio  Battistella.  La  domination  dans 
l'Adriatique  (fait  l'histoire  de  la  législation  maritime  appliquée  par 
Venise  dans  l'Adriatique  depuis  les  temps  les  plus  reculés  du  moyen 
âge  jusqu'à  la  fin  du  xyiii*  siècle).  —  Roberto  Cessi.  Les  premières 
conquêtes  lombardes  en  Italie.  —  Giov.  Sforza.  Renseignements 
nouveaux  sur  le  général  Giovanni  Duraodo  et  la  guerre  dans  le  pays 
vénitien  en  1848.  —  Giuseppe  Paladino.  L'ingénieur  Filippo  Besseti 
de  Vernida  à  la  défense  de  Candie  en  1651  (avec  des  documents  iné- 
dits). —  Giuseppe  Gerola.  Les  armes  des  comtes  d'Annonia  dans 
l'île  d'Eubée  (décrit  les  armes  sculptées  sur  une  plaque  de  marbre 
découverte  dans  l'île  d'Eubée  en  1914.  Ce  sont  celles  de  Florent  de 
Hainaut,  qui  succéda  dans  la  souveraineté  de  l'ile  à  son  beau-père 
Guillaume  II  de  Villehardouin  en  1278  et  mourut  en  1297;  de  sa  veuve 
Isabelle,  qui  avait  ensuite  épousé  Philippe  de  Savoie,  et  de  leur  tille 
Mathildei.  —  Linda  Fellini.  Les  contributions  fournies  par  la  com- 


156  RECDEILS   PÉRIODIQUES. 

mune  d'Esle  à  la  République  de  Venise  pendant  la  guerre  de  Candie 
(d'après  les  actes  du  conseil  conservés  dans  les  archives  communales). 
—  Riciotti  Bratti.  Antonio  Canova;  sa  vie  privée  et  artistique, 
d'après  une  correspondance  inédite;  suite  et  fin.  =  C. -rendus  : 
Al.  Lattes.  Trieste  nella  storia  politica  e  giuridica  d'Italia  (leçon  d'ou- 
verture faite  à  l'Université  de  Genève  le  3  novembre  1917).  —  A.  Tal- 
lone.  Elzzelino  III  da  Romano  nel  «  Memoriale  »  di  Guglielmo  Ven- 
tura (la  critique  de  l'auteur  paraît  assez  incertaine  ;  il  faut  attendre 
l'édition  qu'il  annonce  du  «  Memoriale  »).  —  N.  Papadopoli.  I  dogi 
omonimi  di  Venezia  e  le  loro  monete  (intéressant).  —  Id.  Monete 
italiane  inédite  délia  raccolta  Papadopoli  (intéressant).  =  Juillet-dé- 
cembre. Giannino  Ferrari.  La  législation  vénitienne  sur  les  biens 
communaux,  1461-1683.  —  Antonio  Favaro.  L'Université  de  Pavie 
d'après  le  Journal  de  Marino  Sanuto  (copieux  extraits  des  «  Diarii  »  de 
Sauuto  de  1496  à  1533).  —  Garlo  Grimaldo.  Deux  inventaires  domi- 
nicains du  xiye  siècle  tirés  des  archives  de  S.  Nicole  de  Trévise  aux 
Archives  de  l'État  vénitien  (1°  inventaire  des  livres  et  objets  donnés 
par  le  P.  FalUone,  prieur  du  couvent  de  S.  Nicole  O.  P.,  22  mai 
1347;  2°  donation  faite  par  le  P.  Francesco  de  Belluno,  professeur  en 
théologie,  des  livres  qu'il  possédait  au  couvent  de  S.  Nicole,  13  août 
1347.  Ces  deux  documents  sont  en  latin;  ils  énumèrent  beaucoup  de 
livres,  que  l'auteur  s'est  efïorcé  d'identifier  dans  les  notes  à  la  suite 
du  texte).  —  Vittorio  Cavazzocca  Mazzanti.  Où  se  trouvait  le  village 
de  San  Daniele  des  empereurs?  (cette  localité,  où  campaient  les 
empereurs  quand  ils  entraient  en  Italie  par  la  vallée  de  l'Adige,  a 
disparu  ;  le  nom  a  été  conservé  dans  celui  de  «  riva  di  San  Daniele  » 
relevé  sur  plusieurs  actes  des  archives  communales  de  Lazise).  — 
Dante  Olivieri.  La  localité  vénitienne  de  Lupia;  étude  de  topo- 
nomastique  (le  nom  n'est  pas  d'origine  slave;  il  vient  du  latin 
«  alluvies  »).  =  1919,  janvier-juin.  Roberto  Cessi.  Amédée  d'Achaïe 
et  la  revendication  des  seigneurs  de  Savoie  en  Orient  (négociations 
ayant  pour  but  de  rétablir  la  domination  des  princes  de  Savoie 
en  Morée;  extraits  des  archives  d'Achaïe  de  1387-1392).  —  Pio  Pas- 
CHiNi.  Un  humaniste  disgracié  du  xvi«  siècle  :  Publio  Francesco  Spi- 
nola  (c'était  un  humaniste  milanais;  ses  poésies  latines  contiennent 
d'intéressantes  indications  sur  lui  et  sur  son  cercle  littéraire;  partisan 
des  doctrines  luthériennes  et  peut-être  anabaptiste,  il  dut  quitter 
Milan  en  toute  hâte  pour  écljapper  à  une  enquête  judiciaire  faite  par 
le  tribunal  de  l'archevêque,  1560;  à  Venise,  où  il  avait  trouvé  asile, 
il  fut  arrêté  en  1564  par  le  Conseil  des  Dix  et  condamné  à  mort  en  1567 
comme  hérétique  relaps.  Il  ne  fut  pas  brûlé  publiquement,  ce  qui  eût 
fait  scandale,  mais  noyé).  —  Romolo  Putelli.  Rapports  du  pays  de 
Valle  Camonica  avec  le  gouvernement  vénitien  au  xviF  siècle.  — 
Eugenio  Musatti.  Une  Vénitienne  du  xviiF  siècle  (quelques  notes 
biographiques  sur  Alba-Querini,  qui  époiisa  Giorgio  Morosini  en  1766; 
elle  donna,  paraît-il,  de  sérieux  motifs  de  jalousie  à  son  mari,  qui 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  157 

finit  par  la  faire^  enfermer  dans  un  couvent  en  1783).  —  Augusto 
Serena.  Sébastien  de  Trévise  (le  Trévisan  Sebastiano  de  Federicis, 
professeur  de  droit-  à  Rome,  fut  envoyé  au  bûcher  par  Léon  X  «  pour 
avoir  falsifié  des  suppliques  et  des  bulles  »,  8  juillet  1519).  =  C. -ren- 
dus :  D.  Borlolan  et  S.  Rumor.  Guida  di  Vicenza  (remarquable).  — 
Corpus  nummorum  italicorum.  Vol.  VIII  :  Veneto.  Venezia.  2«  par- 
tie :   Da  Leonardo  Donà  alla  chiusura  délia  zecca  (1606-1866).  — 
G.  Soranzo.  Sigismondo  Pandolfo  Malatesta  in  Morea  e  le  vicende  del 
suo  dominio  (bonne  histoire  de  l'expédition  de  Morée  conduite  par  le 
seigneur  de  Rimini  en  qualité  de  capitaine  général  de  la  République 
de   Venise,    1464-1466).    =   Juillet-décembre.   Vittorio    Lazzarini. 
Anciennes  lois  vénitiennes  concernant  les  propriétaires  de  la  terre 
ferme  (publie  dix-sept  décisions  juridiques  de  1256  à  1408).  —  Giu- 
seppe  Papaleoni.  Une  commune  du  Trentin  au  début  de  la  période 
moderne  (le  Val  di  Chiese,  qui  constitue  la  Pieve  di  Bono  et  la  Pieve 
di  Condino,  dans  les  Giudicarie;  son  histoire  et  son  organisation 
administrative  au  xyi*  siècle).  —  Angela  de  Poli.  Recherches  sur 
Antonio    Pigafetta   (généalogie   et   biographie   de   ce    Pigafetta,  qui 
accompagna  Magellan  dans  son  voyage  de  découverte).  —  Giuseppe 
Paladino.  Les  Napolitains  à  Venise  en  1848  (publie  des  documents 
inédits).  —  A.   Battistella.  Luigi   Zanutto   (notice   nécrologique, 
1856-1918).  =  T.  XXXIX,  janvier-juin   1920.  Giovanni  Chiuppani. 
Venise   trahie  et    le  congrès  de    Bassano  en   1797  (trahie   par  ses 
propres  sujets  de  terre  ferme).  —  Angelo  Main.  Le  cardinal  de  Mon- 
selice-Simone  Paltanieri  dans  l'histoire  du  xiii*  siècle  (copieuse  bio- 
graphie de  ce  cardinal,  qui  mourut  à  Viterbe  en  février  1277.  Publie 
en  appendice  le  texte  de  son  testament.  Il  était  cardinal-prêtre  du 
titre  de  Saint-Martin).  —  Dionisio  Tassini.  La  révolte  du  Frioul  en 
1511  pendant  la  guerre  contre  les  Allemands  (publie  un  récit  en  latin 
par  un  notaire  d'Udine  à  la  date  du  12  mars  1511,  v.  st.).  —  Aldo 
Rava.  Le  «  Camerino  délie  antigaglie  »  de  Gabriele  Vendramin  (ce 
Vendramin,  mort  en  1552,  laissa  par  testament  des  biens  immenses  à 
ses  neveux;  dans  le  nombre  se  trouvait  un  cabinet  d'antiquités  plein 
d'objets  précieux  qui  devait  rester  leur  propriété  indivise;  mais  l'un 
d'eux,  api)renant  que  des  médailles  provenant  de  ce  cabinet  avaient 
été  vendues,  voulut  qu'on  en  fît  un  inventaire  détaillé.  Cet  inventaire 
prit  plusieurs  années,  1567-1569;  on  en  donne  ici  le  texte).  —  Gio- 
vanni Sforza.  La  guerre  en  Vénétie  de  1848  et  le  général  Giovanni 
Durando.  —  Cesare  Musatti.  Une  donation  faite  à  Carlo  Goldoni, 
1732.  —  Antonio  Pilot.  Brève  histoire  d'une  édition  d'Ossian  ([ui  n'a 
pas  été  imprimée  (publie  sur  ce  sujet  une  note  puisée  dans  le  Journal 
de  Cicogna  à  la  date  du  5  mars  1818). 


CHRONIQUE. 


France.  —  M.  Henri  Vast  est  décédé  le  7  juin  1921  à  l'âge  de 
soixante-treize  ans.  Sa  thèse  pour  le  doctorat  es  lettres,  sur  Bessarion, 
a  été  remarquée  (1878).  On  lui  doit  en  outre  un  utile  recueil  des 
Grands  traités  du  règne  de  Louis  XIV  et  un  certain  nombre  de 
manuels  d'histoire  (en  collaboration  avec  Jallitfier),  qui  ont  été  très 
favorablement  accueillis  dans  nos  lycées. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  décerné  le  pre- 
mier prix  Gobert  à  M.  Henri  Stein  :  Charles  de  France,  frère  de 
Louis  XI,  et  le  second  à  M.  Labande  :  Avignon  au  XV^  siècle.  Elle 
a  décerné  le  prix  Bordin  à  M.  Emile  Renauld  pour  ses  ouvrages  sur 
Psellos;  en  outre,  sur  les  arrérages  disponibles  de  la  fondation,  deux 
récompenses,  de  1,000  fr.  chacune,  sont  attribuées  :  à  M.  Tafrali 
pour  ses  ouvrages  sur  Thessalonique  et  à  M.  Vansteensberghe 
pour  son  livre  sur  le  Cardinal  Nicolas  de  Cues. 

Dans  le  concours  des  Antiquités  de  la  France,  la  l""*  médaille  est 
décernée  à  M.  Marcel  Aubert  :  Notre-Dame  de  Paris;  sa  place 
dans  l'architecture  du  XII^  au  XIV^  siècle;  la  2^  à  M.  le  chanoine 
Urseau  :  la  Peinture  décorative  en  Anjou,  du  XI I^  siècle  au 
XVIII^;  la  3«  à  M.  l'abbé  Roux  :  la  Basilique  Saint-Front  de 
Périgueux ;  la  4^  à  M.  Raoul  Basquet  :  Histoire  des  institutions 
de  la  Provence  de  lk82  a  1790.  —  Cinq  mentions  ont  été  attribuées  : 
1°  à  M.  Charles  Durand  :  Fouilles  de  Vésone;  2°  Emile  Ginot  :  le 
Manuscrit  de  Sainte-Radegonde  de  Poitiers;  3°  Emile  Trolliet  : 
Histoire  (manuscrite)  de  Veigny- Fonceux  (  Haute -Garonne); 
4°  Alphonse  Meillon  :  Cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Servin-en- 
Lavedan;  5°  M.  Ritt  :  le  Bourg  et  le  territoire  de  La  Ciotat  au 
XV^  siècle. 

—  Le  second  Congrès  d'histoire  de  la  médecine  s'est  tenu  à  Paris 
du  ler  au  5  juillet  1921.  Ont  été  mises  à  l'ordre  du  jour  les  questions 
suivantes  :  1°  Études  historiques  sur  les  hôpitaux  et  l'assistance  publique 
en  tous  pays.  2°  Documents  permettant  de  calculer  la  ration  alimentaire 
de  l'homme  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge.  3°  Étude  et  identification 
des  grandes  épidémies  historiques.  4°  Le  rôle  des  pharmaciens  dans 
le  développement  de  la  biologie.  5°  Histoire  des  officines.  6°  Docu- 
ments sur  les  épizooties.  7°  L'alimentation  des  animaux  dans  l'anti- 
quité et  au  moyen  âge. 

—  Du  Rapport  annuel  présenté  au  ministre  de  l'Instruction 
publique  sur  le  service  des  Archives  nationales,  rapport  rédigé  par 


CHBONIQDE.  159 

M.  Ch.-V.  Langlois  et  qui  a  été  inséré  dans  le  Journal  officiel  du 
\S  mai  1921,  nous  extrayons  les  renseignements  suivants.  D'ahord, 
en  ce  qui  concerne  les  versements  exercés  en  vertu  des  règlements, 
nous  apprenons  qu'ont  été  versés  par  le  ministère  de  la  Marine  plus 
de  700  articles  du  Service  hydrographique  (journaux  de  bord  d'avant  et 
d'après  1789)  et  96  portefeuilles  du  Service  historique  (cartes  et  plans 
relatifs  à  des  voyages  et  campagnes  hydrographiques  de  1768  à  1869). 
La  Chambre  des  députés  a  versé  près  de  300  registres  et  plus  de 
3,000  liasses  ou  cartons.  La  série  C  {Sessions)  présente  un  intérêt 
exceptionnel  pour  l'histoire  parlementaire  de  la  Restauration  et  de  la 
monarchie  de  Juillet;  un  inventaire  sommaire  des  500  cartons  dont 
elle  se  compose  sera  terminé  avant  la  fin  de  la  présente  année.  La 
série  B  {Pétitions)  est  arrivée  aux  Archives  avec  des  répertoires  qui 
peuvent  être  considérés  comme  une  clé  suffisante  pour  le  moment. 
Quelques  dons  et  acquisitions  (concernant  par  exemple  l'ordre 
moderne  du  Temple)  sont  venus  ajouter  quelques  numéros  à  ces 
importantes  additions.  Dans  la  série  des  inventaires  ont  été  mis  à 
la  disposition  du  public  :  ceux  de  la  série  S,  tome  IV  :  Corporations 
religieuses  d'hommes  du  département  de  la  Seine  (S.  3632-3871),  de 
la  série  O*  :  Maison  du  roi  (cartons  279-290,  350-361  et  587-809)  ;  ceux 
des  Actes  du  Parlement  de  Paris,  2"  série;  ceux  de  la  série  G^  :  Agence 
générale  du  Clergé;  enfin  de  la  série  F,  dont  la  sous-série  F^^  :  Cultes, 
avait  été  livrée  dans  un  désordre  incroyable.  Le  fascicule  3  de  VÉtat 
sommaire  des  versements  faits  aux  Archives  nationales  par  les 
ministères  est  sous  presse;  il  contiendra  l'inventaire  des  sous-séries 
F2  et  F3. 

Le  Rapport  de  M.  Langlois  énumère  à  la  fin  plusieurs  «  récupéra- 
tions »  de  documents  obtenues  en  conséquence  du  traité  de  paix  avec 
l'Allemagne,  notamment  plusieurs  fonds  de  l'ancienne  principauté 
de  Montbéliard.  Quant  au  «  statut  »  des  archivistes  départementaux, 
dont  l'importance  est  si  grande  pour  l'avenir  d'un  personnel  instruit, 
zélé,  mais  jusqu'ici  fort  mal  traité,  M.  Langlois  expose  tout  au  long 
l'état  de  la  question  dans  le  passé  (depuis  1838,  année  où  l'État  com- 
mença de  s'intéresser  à  ces  fonctionnaires)  jusqu'au  moment  actuel, 
où  le  statut  est  à  la  veille  d'être  enfin  établi  par  une  loi  bienfaisante 
autant  qu'impatiemment  attendue. 

Nous  ne  quitterons  pas  le  service  des  Archives  sans  annoncer  la 
suite  des  Actes  du  Parlement  de  Paris.  Il  avait  été  décidé  en  1902 
que  l'on  continuerait  le  travail  de  Boutaric  {Actes  du  Parlement 
de  Paris,  !■•«  série,  1254-1328.  2  vol.  in-4o,  publ.  1863-1867),  mais  en 
donnant  d'abord  seulement  l'analyse  des  Jugés.  Pour  les  années  1328- 
1350,  l'inventaire  devait  comprendre  deux  volumes;  le  tome  I  était  en 
voie  d'impression  au  moment  où  la  guerre  éclata.  Le  travail  fut  continué 
néanmoins;  mais  les  frais  d'impression  ont,  depuis,  augmenté  dans  de 
telles  proportions  qu'on  a  dû  prendre  la  décision,  regrettable  mais  néces- 
saire, de  s'arrêter  avec  le  tome  I  ;  le  tome  II,  ([ui  devait  terminer  la  série 
des  Jugés,  est  remplacé  provisoirement  par  une  copie  manuscrite  mise 


160  CBEONIQDE. 

à  la  disposition  des  lecteurs  dans  la  salle  du  public.  Le  volume  imprimé 
a  pour  titre  :  Inventaires  et  documents  publiés  par  la  direction 
des  Archives  :  Actes  du  Parlement  de  Paris,  2"  série,  de  l'an 
1328  à  Van  1350.  Jugés,  tome  I,  1328-13k2,  par  Henri  Furgeot 
(Paris,  Plon-Nourrit,  1920.  In-4°,  iv-465  pages  à  2  colonnes;  prix  : 
60  fr.).  Rappelons  que  ce  volume  vient  s'ajoutera  la  série  des  vingt-huit 
volumes  constituant  la  belle  collection  des  «  Inventaires  et  docu- 
ments ». 

—  La  librairie  Chapelot  fait  paraître,  depuis  le  1er  juillet  1921,  une 
Revue  militaire  française,  publiée  avec  le  concours  de  l'État-major 
de  l'armée:  dans  cette  Revue  sont  fondus  le  Journal  des  sciences 
militaires,  la  Revue  militaire  des  armées  étrangères  et  la  Revue 
d'histoire.  Elle  paraît,  tous  les  mois,  en  une  livraison  de  128  pages, 
avec  cartes  et  croquis.  Prix  du  numéro  :  4  fr.  50;  prix  de  l'abonne- 
ment :  France  et  colonies,  un  an  :  50  fr.;  six  mois  :  26  fr.  Étranger, 
un  an  :  60  fr.;  six  mois  :  32  fr. 

Allemagne.  —  Une  librairie  de  Berlin  entreprend  d'éditer  une 
Zeitschrift  fur  experimentelle  Politik  und  die  wissenschaftliche 
Vorhersage  der  politischen  Zukunft,  fondée  par  Hermann  Schulte- 
Vàerting.  Le  premier  numéro  paru  porte  la  date  :  juni-juli,  1921. 

Belgique.  —  Un  Congrès  international  du  travail  intellectuel  a  été 
organisé  par  l'Union  des  associations  internationales.  Il  doit  se  tenir  à 
Bruxelles  les  20-22  août  1921.  Il  traitera  de  six  questions  :  1°  Examen 
des  conditions  faites  à  l'intelligence  et  aux  travailleurs  intellectuels 
dans  la  société  nouvelle.  2°  Protection  des  intérêts  professionnels,  cor- 
poratifs et  privés,  dans  l'ordre  des  travaux  de  l'esprit.  3°  Problème 
des  imprimés  et  de  la  presse.  4°  Etablissement  d'un  plan  d'action. 
5"  Etude  du  problème  de  la  Société  des  Nations.  6°  Place  à  faire  dans 
la  Société  des  Nations  à  l'intellectualité  comme  elle  en  a  fait  une 
déjà  au  travail  manuel  et  à  la  finance. 

Les  délibérations  du  Congrès  sur  ces  six  points  seront  préparées  par 
des  enquêtes  et  des  rapports  seront  distribués  avant  sa  réunion. 

La  cotisation  de  membre  du  Congrès  est  fixée  à  vingt  francs.  Les 
congressistes  sont  priés  de  se  mettre  en  relation,  sans  tarder,  avec  le 
secrétariat  du  Congrès  pour  toutes  les  communications  qu'ils  auraient 
l'intention  de  faire.  (Adresse  :  Palais  mondial,  parc  du  Cinquante- 
naire, Bruxelles.) 

Grande-Bretagne.  —  Sous  les  auspices  de  la  «  Royal  United  ser- 
vice Institution  »  s'^st  fondée  à  Londres,  au  début  du  mois  de  juin 
1921,  une  société  d'histoire  militaire  qui  publiera,  trimestriellement, 
une  revue  sous  le  nom  à'Army  j^istorical  research. 

Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 

Nogpnt-Ie-Rotrou,  imprimerie  Daupei.by-Gouvbrnedr. 


LES 

PRIVILÈGES    ADMINISTRATIFS 
DU  SÉNAT  ROMAIN 

sous  L'EMPIRE 

ET    LEUR    DISPARITION    GRADUELLE 

AU   COURS  DU  III«  SIÈCLE 


Le  système  administratif  (l'Auguste,  qui  reposait  sur  une  large 
collaboration  du  Sénat,  n'a  pas  survécu  au  m®  siècle  ap.  J.-C. 
Sur  ce  point,  aucun  doute  n'est  possible.  Mais  quand  et  comment 
est-il  tombé?  L'opinion  courante  veut  que  ce  travail  de  démoli- 
tion soit  tout  entier  l'œuvre  de  Dioclétien  :  cet  empereur  aurait 
abattu  d'un  seul  coup  le  vieil  édifice  administratif  impérial  pour 
le  remplacer  radicalement  par  un  autre,  celui  du  Bas-Empire. 
La  théorie,  si  commode  et  simpliste  qu'elle  soit,  n'en  est  pas  pour 
cela  plus  fondée.  Cet  effondrement,  en  réalité,  est  de  date  plus 
ancienne  ;  il  est  antérieur  à  l'avènement  de  Dioclétien  et  se  place 
au  cours  des  cinquante  années  qui  l'ont  précédé.  Tel  est  le  fait 
que,  dans  les  pages  qui  vont  suivre,  nous  voudrions  essayer  de 
démontrer. 

La  difficulté  du  problème  tient  essentiellement  à  deux  causes  : 
la  nature  des  sources,  en  premier  lieu,  et,  d'autre  part,  la  com- 
plexité des  rapports  entre  les  pouvoirs  en  présence.  —  1°  Nature 
des  sources.  —  Les  documents  à  notre  disposition  sont  entachés 
d'un  triple  défaut  :  a)  ils  sont  rares;  h)  ils  sont  médiocres  ;  c)  ils 
sont  en  partie  suspects.  —  a)  Les  principales  sources  sont  les 
suivantes  :  sources  latines  :  Biographies  de  l'Histoire  Auguste 
de  235  à  285  (Vies  de  Maximin,  Maxime  et  Balbin,  des  Gor- 
diens, de  Gallien,  des  Trente  Tyrans,  de  Claude,  d'Aurélien,  de 
Tacite,  de  Probus,  des  Quatre  Tyrans,  de  Garus,  Carin  et  Numé- 
Rev.  HisïOR.  CXXXVII.  2«  fasc.  H 


162  LÉON   HOMO. 

rien).  Il  y  a,  dans  ce  recueil,  une  lacune  de  seize  ans  (244-260) 
qui  porte  sur  les  règnes  de  Philippe,  Decius,  Gallus,  Aemilianus 
et  Valérien  (sauf  quelques  fragments  conservés  de  cette  der- 
nière vie).  —  Aurelius  Victor,  Césars,  §§ 25-38  ;  Epitome  ano- 
nyme, §§  25-38;  Eutrope,  Breviarium,  IX,  1-20;  Ammien 
MarceUin  (particulièrement  XXX,  8,  8).  —  Sources  grecques  : 
Hérodien,  VII-VIII;  Zosime,  I,  13-71  ;  Zonaras,  XII,  16-30; 
Syncelle,  I,  p.  680-725  (éd.  Bonn)  ;  Gedrenus,  I,  p.  450-464  (Id.)  ; 
Fragments  de  Dexippe  {Fragmenta  Historicorum  Graecorum 
de  Miiller,  III,  fr.  10-24)  ;  d'Eunape  {Id.,  IV,  fr.  1-4)  ;  de  Pierre 
le  Patrice  {Id.,  IV,  fr.  9-12),  du  Continuateur  anonyme  de  Dion 
(7^.,  IV,  fr.  1-12),  de  Jean  d'Antioche  {Id.,  IV,  fr.  142-163). 
—  Inscriptions  grecques  et  latines,  nos  meiKeures  sources,  mal- 
heureusement trop  peu  nombreuses.  —  Monnaies  alexandrines 
et  latines.  —  b)  Les  sources  littéraires  sont  de  qualité  inférieure, 
surtout  les  sources  latines.  Les  indications  relatives  aux  insti- 
tutions y  sont  rares  et  souvent  imprécises.  —  c)  L'Histoire 
Auguste,  la  plus  détaillée  de  nos  sources,  a  été  la  plus  attaquée. 
Certains  critiques  y  ont  même  vu  une  vaste  falsification  de  la 
fin  du  iv^  ou  du  début  du  v®  siècle.  Non.  Il  s'agit  bien  d'un  recueil 
authentique  de  biographies  rédigé  sous  la  dynastie  dioclétiano- 
constantinienne  et,  par  conséquent,  l'historien  du  lit  siècle  n'a 
pas  le  droit  de  la  rejeter  systématiquement'.  Mais  deux  réserves 
capitales  sont  nécessaires.  Tout  d'abord,  l'Histoire  Auguste 
abonde  en  anachronismes,  dus  à  l'information  médiocre  et  au 
manque  d'esprit  critique  de  ses  auteurs.  Deuxièmement,  les  pré- 
tendues pièces  d'archives  qu'elle  contient  sont  des  faux  compo- 
sés en  règle  générale  par  les  auteurs  des  biographies  eux-mêmes. 
Ils  ne  doivent  donc  pas  être  utilisés  comme  des  documents  authen- 
tiques, mais  les  faits  précis  qu'ils  avancent  ne  sont  pas  néces- 
sairement faux,  puisque  le  faussaire  peut  les  avoir  empruntés 
aux  sources  authentiques  qu'il  avait  à  sa  disposition.  Quant  à  la 
nomenclature  oflicielle  qui  y  est  donnée,  elle  ne  vaut  ni  plus  ni 
moins  que  celle  du  texte  proprement  dit,  c'est-à-dire  que  les 
erreurs  et  les  anachronismes  s'y  rencontrent  à  chaque  ligne.  En 
résumé,  on  n'a  le  droit  ni  d'accepter  les  yeux  fermés,  ni  de  reje- 
ter à  priori  les  données  de  l'Histoire  Auguste,  mais  le  premier 

1.  Voir,  sur  la  question,  L.  Homo,  la  Grande  crise  de  l'an  238  ap.  J.-C.  et 
le  problème  de  l'Histoire  Auguste,  Rev.  histor.,  t.  CXXXII,  1919,  p.  37-38. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.       163 

devoir  de  l'historien  est  de  les  retenir,  au  moins  provisoirement, 
pour  les  soumettre  à  une  critique  impartiale  et  rigoureuse. 

2°  Complexité  des  rapports  entre  les  pouvoirs  en  présence.  — 
Il  est  impossible  de  déterminer  l'évolution  administrative  au 
iii^  siècle,  si  l'on  ne  tient  pas  un  compte  exact  des  rapports 
généraux  entre  l'empereur  et  le  Sénat  pendant  cette  période. 
Or,  au  cours  des  cinquante  années  qui  séparent  la  mort  de  Sévère 
Alexandre  de  l'avènement  de  Dioclétien,  le  caractère  de  ces  rela- 
tions a  subi  de  fréquentes  variations;  il  a  oscillé  de  la  guerre 
déclarée  à  l'entente  complète  en  passant  par  tous  les  degrés  et 
toutes  les  nuances  intermédiaires.  Bornons-nous  ici,  pour  la 
clarté  de  l'exposition,  à  fixer  les  principales  étapes  de  cette  his- 
toire :  a)  Règne  de  Maximin  (235-238).  Hostilité  irréductible  de 
l'empereur  et  du  Sénat  qui  dégénère  en  guerre  à  mort  entre  les 
deux  pouvoirs,  b)  Les  deux  premiers  Gordiens.  Maxime  et  Bal- 
bin  (238).  Restauration  sénatoriale,  c)  Gordien  III  (première 
partie  de  son  règne  :  238-240).  Relations  aigres-douces  sans  rup- 
ture ouverte  toutefois,  d)  Gordien  III  (seconde  partie  de  son 
règne,  depuis  l'avènement  aux  affaires  de  Tiraésithée,  en  241) 
et  ses  successeurs  jusqu'à  la  captivité  de  Valérien  :  260. 
Période  de  collaboration  loyale  et  d'union,  e)  Gallien  seul  empe- 
reur (260-268).  Rupture  complète  de  l'entente.  Antagonisme 
constant  et  violent  des  deux  pouvoirs,  f)  Claude  (268-270). 
Même  politique,  mais  situation  moins  tendue.  Quelques  conces- 
sions faites  par  l'empereur,  g)  Aurélien  (270-275).  Nouvelle 
tension  dans  les  rapports  des  deux  pouvoirs.  Reprise  d'hostili- 
tés, h)  Tacite  (275-276).  Restauration  sénatoriale,  i)  Probus 
(276-282).  Politique  d'entente  et  de  collaboration.  Conclusion 
d'un  compromis  équitable,  j)  Carus  et  ses  fils  Carin  et  Numé- 
rien  (282-285).  Renonciation  au  système  de  Probus.  Retour  à 
la  politique  de  Gallien.  Le  Sénat  de  nouveau  écarté  des  affaires. 

Ces  quelques  jalons  indispensables  ainsi  posés,  nous  pouvons, 
sans  crainte  de  trop  nous  égarer,  entrer  en  matière. 

La  participation  du  Sénat  à  l'administration  générale  de  l'Em- 
pire, telle  qu'elle  avait  été  réglée  par  Auguste  et  complétée  sous 
ses  successeurs  immédiats,  s'exerçait  essentiellement  sur  un  qua- 
druple domaine  :  justice,  administration  du  territoire,  armée, 
finances.  Voyons  à  quelle  époque  et  dans  quelles  conditions  cha- 
cun de  ces  privilèges  sénatoriaux  a  définitivement  disparu. 


164 


LEON    HOMO. 


I.  Privilège  judiciaire.  —  Le  privilège  judiciaire  du  Sénat, 
au  i^*"  siècle  de  l'Empire,  comprenait  trois  éléments  :  1°  Le  Sénat 
exerçait  la  juridiction  d'appel  concurremment  avec  l'empereur. 
2°  En  première  instance,  pour  l'Italie,  il  jugeait  au  criminel 
dans  les  cas  particulièrement  graves.  3°  Il  possédait,  égale- 
ment au  criminel,  une  juridiction  particulière  sur  ses  propres 
membres.  Ces  diverses  prérogatives  furent  très  vite  battues  en 
brèche.  Le  droit  d'appel  au  Sénat  disparut  de  bonne  heure  devant 
le  droit  d'appel  à  l'empereur,  représenté  en  l'espèce  par  son  pré- 
fet du  prétoire.  La  compétence  criminelle  de  première  instance, 
relative  à  l'Italie,  prit  fin  avec  le  règne  de  Septime  Sévère  pour 
passer  aux  deux  grands  fonctionnaires  judiciaires  impériaux,  le 
préfet  de  la  viUe,  dans  la  limite  des  cent  milles  autour  de  Rome, 
et  le  préfet  du  prétoire,  pour  le  reste  de  la  péninsule^.  Restait  la 
juridiction  au  criminel  sur  ses  propres  membres.  Septime  Sévère, 
en  193,  fit  encore  voter  un  sénatus-consulte  par  lequel  il  s'in- 
terdisait formellement  de  mettre  à  mort  un  membre  du  Sénat 
sans  en  ^voir  délibéré  avec  ce  corps ''^.  Mais  cette  disposition 
resta  purement  théorique.  En  197,  après  sa  victoire  sur  Albi- 
nus,  Septime  Sévère  lui-même  n'hésita  pas  à  la  violer  et  à  mettre 
àmort  sans  jugement  vingt-neuf  membres  duSénat^.  En  réalité, 
dès  la  fin  du  ii^  siècle,  le  Sénat  a  perdu  l'ensemble  de  ses  pou- 
voirs judiciaires.  Jusqu'à  la  restauration  sénatoriale  de  275,  il 
n'en  sera  plus  question. 

IL  Privilège  relatif  à  l'administration  du  territoire.  — 
Ce  second  privilège  sénatorial  s'applique  simultanément  à  l'Ita- 
lie et  aux  provinces,  mais  dans  des  conditions  différentes,  a)  En 
Italie,  participation  à  l'administration  générale  de  la  péninsule. 
h)  Dans  les  provinces,  il  faut  distinguer  entre  provinces  sénato- 
riales et  provinces  impériales.  Provinces  sénatoriales  :  adminis- 
tration directe  par  le  Sénat.  Provinces  impériales  :  les  légats 
d'ordre  consulaire  ou  prétorien  sont  recrutés  dans  l'aristocratie 
sénatoriale. 

Le  privilège  administratif  du  Sénat  en  Italie  avait  été,  au  cours 
du  11^  et  au  début  du  iif  siècle,  directement  frappé  par  trois  séries 
de  mesures  :  1°  Intervention  impériale  dans  l'administration 
municipale  des  cités  italiennes,  par  la  création  et  la  généralisa- 

1.  Digeste,  I,  12,  1. 

2.  Vita  Severi,  1,  5;  Dion  Cassius,  Histoire  romaine,  LXXIV,  2. 

3.  Vita  Severi,  13,  1-8. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.       165 

tion  des  curateurs,  sous  les  Antonins.  2°  Développement  des 
pouvoirs  des  grands  fonctionnaires  impériaux,  le  préfet  du  pré- 
toire et  le  préfet  de  la  ville,  qui  s'achève  sous  le  règne  de  Sep- 
time  Sévère.  3"  Création  de  nouveaux  fonctionnaires  impériaux 
en  Italie,  les  uns  réguliers  et  permanents  —  consulaires  sous 
Hadrien,  «  juridici  »  sous  Marc-Aurèle  —  les  autres  exception- 
nels et  temporaires,  les  correcteurs  depuis  le  règne  de  Caracalla. 
Aurélien  compléta  plus  tard  cette  organisation  en  faisant  de  la 
correcture  une  fonction  permanente'.  Cette  dernière  mesure 
scelle  définitivement  pour  le  Sénat  la  perte  de  son  privilège 
administratif  italien. 

Passons  aux  provinces.  Il  faut  distinguer,  nous  l'avons  vu, 
en  ce  qui  concerne  la  nature  du  privilège,  entre  provinces  séna- 
toriales et  provinces  impériales.  Mais,  avant  d'aborder  directe- 
ment la  question,  il  est  nécessaire  de  déblayer  le  terrain  d'une 
tliéorie  préjudicielle,  qui  a  prétendu  expliquer  l'évolution  admi- 
nistrative du  m"  siècle  et  n'a  fait,  en  réalité,  que  la  rendre  tota- 
lement inintelligible.  C'est  la  théorie  célèbre  de  Borghesi^  sur  la 
séparation  des  pouvoirs  civil  et  militaire,  qui  a  joui  d'une  grande 
vogue  en  son  temps  et  a  généralement  été  adoptée  avec  ferveur 
par  les  historiens  modernes. 

Cette  théorie  peut  se  résumer  de  la  manière  suivante  :  vers  le 
second  tiers  du  iii^  siècle,  avec  l'empereur  Sévère  Alexandre 
(222-235),  apparaît  dans  l'administration  provinciale  un  prin- 
cipe nouveau,  la  séparation  des  deux  pouvoirs  civil  et  militaire; 
le  premier  est  confié  à  des  «  Praesides  » ,  le  deuxième  à  des  fonc- 
tionnaires  militaires  spéciaux,  les  «  Duces  ».  Inaugurée  par  Sé- 
vère .\lexandre,  la  réforme  se  généralise  sous  ses  successeurs; 
elle  est  entièrement  réalisée  dans  le  système  administratif  du  Bas- 
Empire,  tel  qu'il  est  sorti  des  mains  de  Dioclétien  et  de  Cons- 
tantin. Voilà  la-  théorie.  Sur  quels  documents  s'appuie-t-elle?  Les 
points  d'appui  en  sont  au  nombre  de  deux.  Ce  sont  deux  textes 
de  la  Biographie  de  Sévère  Alexandre  :  l'un  concerne  les  «  Prae- 
sides »  (§  24, 1),  l'autre  est  relatif  aux  «  Duces  limitanei  »  (§58, 
4-5).  —  a)  %  24.,  1  :  «  Provincias  legatorias  praesidiales  plu- 
rimas  fecit;  proconsulares  ex  senatus  voluntate  ordinavit  ».  Il 
(Sévère  Alexandre)  transforma  de  nombreuses  provinces  à  légats, 

1.  J'ai  trait»^  la  question  en  détail  dans  mon  Essai  sur  le  règne  de  l'empe- 
reur Aurélien,  p.  144-145;  il  est  inutile  d'y  revenir  ici.  ' 

2.  Œuvres,  t.  V,  p.  397. 


166  -  LÉON    HOMO. 

«  legatoriae  »,  en  provinces  à  «  praesides  »,  «  praesidiales  ». 
Ces  «  Praesides  »,  selon  Borghesi,  auraient  été  des  fonction- 
naires purement  civils,  b)  %bS,  4-5  :  «  Sola  quae  de  hostibus 
capta  sunt  limitaneis  ducibus  aut  militibus  donavit,  itaut  eorum 
ita  essent  si  heredes  illorura  railitarent,  nec  unquam  ad  privâ- 
tes pertinerent,  dicens  attentius  eos  esse  militaturos,  si  etiam 
rura  sua  defenderent.  Addidit  sane  his  et  animalia  et  servos  ut 
possent  colère  quae  acceperant,  ne  per  inopiam  hominum  vel 
senectutem  possidentum  desererentur  rura  vicina  barbariae  quod 
turpissiraum  iUe  ducebat  » .  De  ce  texte  on  a  conclu  :  les  «  Duces 
limita nei  »,  qui  sont  les  «  Duces  limitum  »  du  rv®  siècle,  existent 
dès  l'époque  de  Sévère  Alexandre,  et  par  conséquent  la  sépara- 
tion des  pouvoirs  civil  et  militaire  dans  les  provinces,  le  premier 
confié  à  des  «  Praesides  »,  le  second  à  des  «  Duces  limitum  »,  est 
dès  ce  règne  chose  accomplie  ou  du  moins  en  voie  d'accomplis- 
sement. 

L'histoire  des  institutions  administratives  au  iii^  siècle  véri- 
fie-t-elle  cette  théorie?  Étudions-en  à  ce  point  de  vue  les  deux 
bases  fondamentales  et  posons-nous  successivement  les  deux 
questions  suivantes  :  1°  Est-il  vrai  que,  dès  l'époque  de  Sévère 
Alexandre,  les  gouverneurs,  «  Praesides  »,  soient  purement 
civils?  2°  Est-il  vrai  que,  dès  la  même  époque,  on  trouve  dans 
les  provinces  des  «  Duces  limitum  »  régionaux? 

l''  Le  texte  de  la  Vie  de  Sévère  Alexandre  nous  dit  que  cet 
empereur  a  remplacé  dans  de  nombreuses  provinces  les  gouver- 
neurs légats,  «  Legati  pro  praetore  »,  par  des  «  Praesides  ».  Les 
premiers  étaient  des  fonctionnaires  à  pouvoirs  mixtes,  militaire 
et  civil  à  la  fois;  les  «  Praesides  »,  qui  les  ont  remplacés,  n'au- 
raient eu  qu'une  compétence  strictement  civile^.  Cette  vue  est- 
elle  exacte?  Il  importe  avant  tout  de  définir  le  terme  de  «  Prae- 
ses  ».  Au  début  du  iif  siècle,  le  mot  a  deux  sens  bien  difîerents  ; 
au  sens  large,  il  désigne  tous  les  gouverneurs,  sans  exception^. 
Il  est  bien  évident  que  le  mot  «  Praeses  »,  dans  notre  texte, 
n'est  pas  pris  daris  cette  acception.  Autrement,  dire  que  les 
«  Legati  pro  praetore  »  ont  fait  place  à  des  «  Praesides  »  ne 
signifierait  rien  du  tout.  Au  sens  étroit,  il  s'applique  aux 
gouverneurs  des  provinces  équestres,  à  l'exclusion  des  autres 
(gouverneurs  des  provinces  sénatoriales  ou  «  Proconsules  »  ;  gou- 

1.  Borghesi,  loc.  cit. 

2.  Digeste,  I,  18,  1. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      167 

verneurs  des  provinces  impériales  à  légats  ou  «  Legati  pro  prae- 
tore  »).  Ce  sont  précisément  ces  trois  catégories  que  nous  retrou- 
vons dans  notre  texte  de  la  Vie  de  Sévère  Alexandre  :  «  pro- 
vinciae  procousulares  »,  c'est-à-dire  provinces  sénatoriales; 
«  provinciae  legatoriae  »  ou  provinces  impériales  à  légats; 
«  provinciae  praesidiales  »,  qui  sont  nécessairement  la  seule 
catégorie  non  encore  mentionnée,  les  provinces  impériales  à 
gouverneurs  équestres. 

Cette  déduction  est  confirmée  de  la  manière  la  plus  formelle 
par  un  autre  texte  de  la  même  biographie ^  :  «  Praesides,  pro- 
consules  et  legatos  nunquam  fecit  ad  benefîcium,  sed  ad  judicium 
vel  suum  vel  senatus.  »  Nous  y  retrouvons  les  trois  mêmes 
catégories  :  provinces  sénatoriales,  <x  proconsules  »  ;  provinces 
impériales  à  légats,  «  legati  »  ;  provinces  impériales  équestres, 
«  praesides  ».  S'il  fallait  encore  une  preuve  complémentaire, 
nous  la  trouverions  dans  un  passage  de  la  Vie  de  Probus^  rela- 
tif aux  réformes  administratives  de  cet  empereur  :  «  Permi- 
sit  patribus  ut  . . .  proconsules  crearent,  legatos  ex  consulibus 
darent,  jus  praetorium  praesidibus  darent»,  qui  présente  encore 
la  même  triple  classification,  et  où  «  praesides  »  —  à  côté  des 
gouverneurs  de  provinces  sénatoriales,  «  proconsules  »,  et  des 
gouverneurs  légats  des  provinces  impériales,  «  legati  »  — 
désigne,  sans  aucun  doute  possible,  les  gouverneurs  impériaux 
équestres.  Par  conséquent,  de  cet  ensemble  de  textes  se  dégage 
une  conclusion  très  nette.  Dans  le  langage  de  l'Histoire  Auguste, 
le  terme  de  «  Praesides  »  représente  exclusivement  les  gouver- 
neurs impériaux  d'ordre  équestre  ;  la  multiplicité  même  des  textes 
où  la  classification  se  retrouve  avec  une  rigueur  absolue  montre 
bien  qu'il  ne  s'agit  dans  la  circonstance  ni  d'erreur  ni  d'impro- 
priété d'expression.  Le  texte  de  la  Vie  de  Sévère  Alexandre  con- 
sidéré signifie  donc  que  cet  empereur  a  remplacé  dans  certaines 
provinces  impériales  comme  gouverneurs  les  légats  d'ordre  séna- 
torial par  des  gouverneurs  d'ordre  équestre.  Rien  de  plus,  rien 
de  moins. 

Est-ce  tout?  Y  a-t-il  eu  dans  ces  provinces  simple  cliangement 
de  personnel  sans  modification  d'attributions  —  les  nouveaux 
gouverneurs  équestres  cumulant,  comme  leurs  prédécesseurs 
sénatoriaux,  les  pouvoirs  civil  ou  militaire  —  ou,  au  contraire, 

1.  46,  5. 

2.  13,  1. 


168  LÉON    HOMO. 

y  a-t-il  eu  chez  les  nouveaux  titulaires  restriction  d'attributions 
par  démembrement  des  pouvoirs  des  «  legati  »,  les  nouveaux 
«  praesides  »  équestres  n'ayant  plus  que  le  pouvoir  civil?  Pour 
le  règne  de  Sévère  Alexandre,  nous  ne  pouvons  rien  dire,  rien 
dans  nos  autres  sources,  notamment  dans  les  documents  épigra- 
phiques,  ne  venant  appuyer  l'indication  du  biographe.  Il  peut 
fort  bien  ne  s'agir  que  d'une  mesure  temporaire,  qui,  comme  tant 
d'autres  au  ut  siècle,  aura  peu  duré  et  n'aura  pas  laissé  de  traces. 
L'essentiel  de  la  question  n'est  pas  là.  Il  s'agit  de  savoir  si, 
comme  le  veut  la  théorie  en  question,  il  y  eut  une  innovation 
capitale  —  la  séparation  des  pouvoirs  civil  et  militaire  —  qui 
s'est  perpétuée  et  généralisée  dans  le  courant  du  lit  siècle. 

Or  les  inscriptions,  notre  meilleure  source  en  l'espèce,  conti- 
nuent à  nous  montrer  après  Sévère  Alexandre  les  provinces 
impériales  à  légats  toujours  administrées  selon  la  règle  tradi- 
tionnelle. Voici  quelques  exemples  précis  :  Mésie  inférieure', 
sous  Maximin,  FI.  LuciUianus  «  legatus  pro  praetore  »;  Cappa- 
doce'2,  sous  Gordien  III,  Guspidius  Flaminius  Gelerinus;  Mésie 
inférieure^,  sous  Gordien  III,  un  légat  dont  le  nom  a  disparu, 
mais  dont  le  titre  subsiste;  Dalmatie^,  sous  Philippe,  Claudius 
Herennianus  «  legatus  pro  praetore  »;  Mésie  inférieure-^  sous 
Decius,  Post[uminus?J  ;  Cappadoce*',  sous  Gallus,  A.  Ver- 
gilius  Maximus.  —  D'autres  inscriptions,  plus  importantes 
encore,  prouvent  que  les  gouverneurs  impériaux,  après  Sévère 
Alexandre,  continuent  à  détenir  le  pouvoir  militaire  suprême 
dans  leurs  provinces  respectives.  Citons  particulièrement,  pour 
le  règne  de  Gordien  III,  la  Bretagne  sous  ses  deux  légats  Mae- 
cilius  Fuscus'  et  Egnatius  Lucilianus^;  pour  le  règne  de  Valé- 
rien  et  Gallien  (253-260),  la  même  province  sous  le  légat  Des- 

ticius  Juba^  et  l'Arabie  sous  le  gouvernement  du  légat  Aelius 
Aurelius  Theo^o, 

Par  conséquent,   la  réforme  en  vertu  de  laquelle  Sévère 

1.  C.  1.  L.,  III,  7605. 

2.  Ibid.,  6913,  6934-6936,  6953. 

3.  Ibid.,  7606-7607. 

4.  Ibid.,   10174. 

5.  Ibid.,   12515. 

6.  Ibid.,  6919,  12196. 
7:  Ibid.,  VII,  446. 

8.  Ibid.,  445,  1030. 

9.  Ibid.,  107. 

10.  Ibid.,  III,  89,  90. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      169 

Alexandre  aurait  enlevé  aux  gouverneurs  des  provinces  impé- 
riales leurs  pouvoirs  militaires  pour  en  faire  des  fonctionnaires 
purement  civils  n'a  jamais  existé.  La  mesure  prise  par  cet  empe- 
reur est  bien  plus  modeste  et  beaucoup  moins  révolutionnaire.  Il 
a  simplement  remplacé  dans  certaines  provinces  impériales  les 
légats  sénatoriaux  par  des  gouverneurs  équestres,  sans  rien 
changer  au  caractère  mixte  de  la  fonction.  Le  procédé  qui  con- 
sistait à  faire  passer  une  province  d'une  catégorie  dans  une 
autre  n'était  pas  nouveau  à  Rome.  Il  avait  déjà  été  employé  à 
plusieurs  reprises,  notamment  par  Marc-Aurèle,  au  cours  de  ses 
grandes  guerres  danubiennes.  Le  biographe  de  cet  empereur 
nous  dit  en  effet'  :  «  Provincias  ex  proconsularibus  consulares 
aut  ex  consularibus  proconsulares  aut  praetorias  pro  belli  neces- 
sitate  fecit.  »  «  Pro  belli  necessitate  »,  l'expression  est  aussi 
significative  que  possible.  Il  s'agit  de  mesures  transitoires  déter- 
minées par  la  crise  danubienne.  Sévère  Alexandre,  placé  en  pré- 
sence de  circonstances  analogues,  n'a  pas  fait  autre  chose.  Rien 
n'a  été  changé  à  la  nature  même  des  pouvoirs  réunis  entre  les 
mains  des  gouverneurs. 

2*  Outre  le  texte  fondamental  de  la  Vie  de  Sévère  Alexandre, 
§  58,  relatif  aux  «  duces  limitanei  »,  la  théorie  de  la  séparation 
des  pouvoirs  s'appuie  sur  ce  fait  que,  pour  la  période  comprise 
entre  la  mort  de  Sévère  Alexandre  et  l'avènement  de  Dioclétien, 
les  textes  mentionnent  toute  une  série  de  «  Duces  limitum  » 
régionaux.  L'Histoire  Auguste  est  particulièrement  riche  à  cet 
égard.  Voici,  avec  leurs  dates,  les  «  Duces  limitum  »  qu'elle  nous 
fait  connaître.  —  Sous  Valérien-,  un  «  Dux  totius  Illyrici  »  qui 
n'est  autre  que  Claude,  le  futur  empereur  :  «  Dux  factus  est  et 
dux  totius  Illyrici.  Habet  in  potestatem  Thracios,  Moesos,  Dal- 
matas,  Pannonios,  Dacos  exercitus  ».  Idem,  en  258,  au  conseil 
de  Byzance  tenu  par  l'empereur-^  figurent  un  «  Dux  Scythici 
limitis  »,  un  «  Dux  Orientalis  limitis  »,  un  «  Dux  Illyriciani  limi- 
tis  et  Thracici  »,  un  «  Dux  Rhetici limitis  ».  Idem,  mêmedate'^, 
un  «  Dux  Transrhenani  limitis  »,  qui  est  Postumus,  le  futur  empe- 
reur. —  SousGallien,  en  261,  un  «Dux limitis  Libyci''  ».  — Sous 

1.  Vita  M.  Antonini,  22,  9. 

2.  Vila  Claudii,  15,  2. 

3.  Vila  Àureiiani,  13,  1-2. 

4.  Vilae  XXX  Tyrann.,  3,  9. 

5.  Ibid.,  29,  1. 


170  LÉON    HOMO. 

Aurélien,  vers  272-273,  un  «  Dux  limitis  Africanii  »;  idem,  en 
273-275,  un  «  Dux  limitis  Orientalis*  ».  Sous  Aurélien  ou  Pro- 
bus,  un  «  Dux  Rhetici  limitis  ^  » .  En  outre,  nous  avons  deux  textes 
de  Zonaras^  et  un  texte  de  Syncelle^  relatifs  au  roi  de  Palmjre 
Odaenath,  désigné,  à  la  date  de  261,  avec  le  titre  de  SxpaxYjYoç 
T^ç  'Etoaç®  et  de  2Tpax-/)Ycç  Uaariç  'AvaxoX^'^,  et  un  autre  texte  de 
Zonaras^  d'après  lequel  Dioclétien,  avaiit  son  avènement,  aurait 
exercé  les  fonctions  de  «  Dux  »  de  Mésie  (Aoù^  Mua(aç). 

Ces  textes,  forment  un  ensemble  impressionnant  et  qui  serait 
décisif,  si  leur  qualité  répondait  à  leur  nombre.  Mais  à  cet  égard 
nous  .sommes  loin  de  compte.  Une  rapide  critique  va  nous  le  prou- 
ver. Commençons  par  les  textes  de  l'Histoire  Auguste  et  cela  pour 
deux  raisons  :  ils  sont  les  plus  nombreux  et  ils  sont  les  seuls  à 
désigner  les  «  Duces  »  antérieurs  à  Dioclétien  sous  le  titre  de 
«  Duces  limitum  ».  —  Une  première  série  de  ces  «  Duces  »  est 
mentionnée  par  de  pseudo-documents  officiels  :  Claude,  «  Dux 
totius  Illyrici  »,  par  une  lettre  de  l'empereur  Valérien  au  préfet 
du  prétoire  Ablavius  Murena;  Avulnius  Saturninus,  «  DuxScy- 
thici  limitis  »,  Julius  Trypho,  «  Dux  Orientalis  limitis  »,  Ulpius 
Crinitus,  «  Dux  lUyriciani  limitis  et  Thracici  »,  Fulvius  Boius, 
«  Dux  Rhetici  limitis  »,  par  l'ouvrage  d'Acholius  «  Magister 
admissionum  »  de  Valérien,  au  livre  IX  ;  Postumus,  «  DuxTrans- 
rhenani  limitis  »,  par  une  lettre  de  Valérien  aux  Gaulois.  Les 
autres  «  Duces  »  figurent  dans  le  texte  même  des  Biographies  : 
c'est  le  cas  de  Fabius  Poraponianus,  «  Dux  limitis  Libyci  »,  de 
Firmus,  «  Dux  limitis  Africani  »,  de  Saturninus,  «  Dux  limitis 
orientalis  »,  et  de  Bonosus,  «  Dux  Rhetici  limitis  ».  Les  docu- 
ments en  question  étant  faux  et  ayant  été  composés  par  les 
auteurs  mêmes  des  diverses  biographies,  les  titres  de  fonctions, 
qui  y  sont  contenus,  n'ont  aucune  valeur  officielle.  Ils  ne  valent 
ni  plus  ni  moins  que  les  indications  données  par  le  texte  histo- 
rique proprement  dit;  ils  appellent  donc  les  plus  expresses 
réserves.  Pour  la  période  qui  nous  intéresse  ici,  erreurs  et  ana- 

.  1.  Vitae  IV  Tyrann.,  3,  1. 

2.  Ibid.,  1,  2. 

3.  Ibid.,  14,  2-3. 

4.  XII,  23  et  24. 

5.  I,  p.  716. 

6.  Zonaras,  XII,  23;  Syncelle,  loc.  cit. 

7.  Zonaras,  XII,  24. 

8.  Ibid.,  XII,  31. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      171 

chronisraes  abondent.  En  258,  le  biographe  d'Aurélien*  men- 
tionne au  conseil  de  guerre  de  Byzance  la  présence  de  Quintus 
Ancarius,  «  praeses  Orientis  »,  une  fonction  qui  n'a  et  ne  peut  pas 
avoir  jamais  existé.  A  la  même  date,  Postumus  est  appelé  «  prae- 
ses Galliae-  »,  titre  tout  aussi  absurde.  Des  erreurs  aussi  mani- 
festes relatives  à  certains  titres  nous  obligent,  en  bonne  critique, 
à  être  extrêmement  défiants  vis-à-vis  de  tous,  en  général,  et  des 
pseudo  «  duces  limitum  »  en  particulier.  Quant  aux  textes  de 
Zonaras  et  de  Syncelle  mentionnés  ci-dessus,  nous  y  revien- 
drons plus  loin.  Remarquons  pourtant  dès  maintenant  qu'aucun 
d'eux  ne  parle  de  «  Duces  limitum  »,  mais  qu'ils  emploient  des 
expressions  beaucoup  plus  générales  :  ZxpaTYjYbç  xf,q  'E(oaç  ou 
Ttaff^ç  'AvaxoXYjç,  pour  Odaenath  ;  Aoù^  Mudiaç,  pour  Dioclétien. 

Les  éléments  fondamentaux  pour  la  solution  du  problème 
doivent  être  empruntés  aux  seuls  documents  dont  le  témoi- 
gnage, en  l'espèce,  soit  au-dessus  de  tout  soupçon  :  inscrip- 
tions, papyrus  et  monnaies.  Or,  un  fait  est  certain  :  ces  docu- 
ments ne  mentionnent  avant  le  règne  de  Dioclétien  aucun  «  Dux 
limitis  ».  La  première  apparition  de  ces  «  Duces  »  se  trouve,  à  la 
date  de  289,  dans  le  discours  d'Eumène  «  Pro  restaurandis  scho- 
lis'^  »  :  «  Qui  justitiam  vestram  judices  aemulentur,  qui  virtutis 
vestrae  gloriam  duces  servent.  »  A  cette  date,  les  provinces  ont 
à  leur  tête  deux  sortes  de  fonctionnaires  :  le  «  judex  »,  gou- 
verneur purement  civil,  et  le  «  dux  »  régional,  chef  exclusive- 
ment militaire.  La  séparation  des  pouvoirs  est  donc,  sans  aucun 
doute  possible,  réalisée.  A  la  fin  du  règne  de  Dioclétien  appar- 
tient le  premier  «  Dux  limitis  »  épigraphiquement  attesté  : 
«AureliusFirrainianus,virperfectissimus,  dux  limitis  provinciae 
Scythiae"*  ».  Puis  vient  une  inscription  de  Brigetio,  en  Pannonie 
supérieure'',  datée  du  15  juillet  303,  mentionnant  «  Aurelius 
Januarius  Bata\'us,  vir  perfectissimus,  dux  Pannoniae  Secundae 
Saviae  »,  et  enfin,  à  la  date  de  310,  une  inscription  du  Norique, 
qui  nomme  Aurelius  Senecio  «  dux  »  [de  Norique  et  de  Pannonie 
supérieure*'].  Il  serait  au  moins  singulier,  si  l'institution  avait 

1.  Vila  Aureliani,  13,  1. 

2.  Vilae  XXX  Tyrann.,  3,  9. 

3.  FI,  3. 

4.  C.  /.  jL.,  III,  764. 

5.  Ibid.,  10981. 

6.  Ibid.,  5565. 


172  LÉON   HOMO. 

réellement  existé  dans  les  cinquante  années  qui  séparent  le  règne 
de  Sévère  Alexandre  de  celui  de  Dioclétien,  que  nous  n'en  pos- 
sédions absolument  aucune  mention  indiscutable.  Cette  lacune 
serait  d'autant  plus  inexplicable  que  nous  avons  de  source  cer- 
taine, pour  la  même  période,  des  mentions  de  «  Duces  »,  mais 
sous  une  forme  et  avec  un  sens  fort  différents. 

Le  «  Dux  »,  au  sens  primitif  du  mot,  est  le  commandant  d'un 
corps  de  troupes  en  campagne  ;  c'est  avec  cette  acception  qu'on 
trouve  les  «  Duces  »  à  la  fin  du  ir^  siècle  et  au  commencement 
du  iii^  Tiberius  Qaudius  Candidus  est  nommé,  sous  Septime 
Sévère,  «  Dux  exercitus  Illyrici  expeditione  Asiana,  item  Par- 
tliica,  item  Gallica'  ».  A  la  même  époque,  Marins  Maximus  est 
«  Dux  exerciti  Mysiaci  apud  Byzantium  et  apud  Lugudunum^  », 
et  L.  Fabius  Cilo,  «  Dux  vexillationum^  ».  Un  autre,  dont  le  nom 
a  disparu,  porte  le  titre  de  «  Dux  legionum  Daciae^  ».  Le  rang 
de  ces  «  Duces  »  est  fort  variable  et  le  recrutement  très  irrégu- 
lier, puisqu'il  peut  s'agir,  selon  l'importance  des  effectifs  à  com- 
mander, de  consulaires,  de  prétoriens  (Tib.  Claudius  Candidus, 
Marins  Maximus,  L.  Fabius  Cilo)  ou  même  d'un  simple  centurion 
(l'anonyme  cité  en  dernier  lieu).  En  tout  cas,  quel  que  soit 
leur  rang,  les  uns  et  les  autres  sont  des  commandants  d'armées 
en  campagne  et  non  pas  des  chefs  de  circonscriptions  territo- 
riales, comme  le  seront  plus  tard  les  «  Duces  limitum  »  du  Bas- 
Empire. 

Or,  ces  «  Duces  »  nous  les  retrouvons  sans  changement  dans 
la  période  comprise  entre  la  mort  de  Sévère  Alexandre  et  l'avè- 
nement de  Dioclétien.  Inscriptions,  papyrus  et  monnaies,  inatta- 
quables à  la  fois  dans  leur  libellé  et  dans  leur  authenticité,  nous 
le  montrent  sous  une  forme  péremptoire.  Une  inscription  de 
265 \  sous  le  règne  de  Gallien,  relative  à  la  reconstruction  de 
l'enceinte  de  Vérone,  nous  apprend  que  les  travaux  ont  été  diri- 
gés par  «  Aurelius  Marcellinu9|  vir  perfectissimus,  dux  duce- 
narius  ».  Ce  personnage  n'est  pas  un  «  dux  limitis  »,  mais  un 
chef  de  corps,  «  dux  »,  délégué  à  cette  tâche  particulière.  Une 
autre  inscription '\  de  Trajana  Augusta  en  Thrace,'nous  donne 

i.  Ibid.,U,  i\[ii. 

2.  Ibid.,  VI,  1450. 

3.  Ibid.,  1408-1409. 

4.  Ibid.,  1645. 

5.  Ibid.,  V,  3329. 

6.  Inscriptiones  Graecae  ad  res  Romanas  pertinentes,  éd.  Gagnât,  I,  n"  1496. 


LA  DISPIEITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.       173 

la  carrière  d'un  certain  Mucianus,  qui  s'étend  du  milieu  du 
ni**  siècle  au  règne  de  Dioclétien.  Sorti  du' rang,  Mucianus  est 
arrivé  aux  hauts  commandements  ;  il  a  été  «  Dux  »  et,  en  cette 
qualité,  il  a  rempli  des  emplois  importants  et  variés,  mais  tou- 
jours au  sens  traditionnel  du  mot,  comme  commandant  de  troupes 
actives,  jamais  comme  «  Dux  »  chef  d'un  «  limes  ».  Nous  le 
retrouverons  gouverneur  de  Rhétie  sous  Dioclétien  ^ . 

Arrivons  à  un  autre  cas,  plus  intéressant  encore,  celui  du  roi 
de  Pahnyre,  Odaenath.  En  261,  après  le  désastre  de  Valérien, 
Gallien,  pour  sauvegarder  au  moins  théoriquement  la  souverai- 
neté romaine  en  Orient,  constitue  Odaenath  son  mandataire  et 
il  lui  confère  un  titre  officiel,  celui  de  «  Dux  ».  Sous  quelle 
forme  et  dans  quelles  conditions?  Zonaras  et  Syncelle,  nous 
l'avons  vu  plus  haut,  donnent  le  libellé  «  2TpaTY)Yoç  tyjç  'E(j)aç  »; 
Zonaras,  dans  un  second  ^passage,  celui  de  «  SxpaxiQYcç  irafrijç 
'AvaToXriç  » ,  traduction  grecque  qui  suppose  la  forme  latine  offi- 
cielle «  Dux  Orientis  »,  Par  hasard  —  une  fois  n'est  pas  cou- 
tume dans  ce  nf  siècle  si  mal  connu  —  nous  pouvons  faire  la 
preuve  que  la  formule  des  deux  auteurs  bj^zantins  n'est  pas 
exacte.  En  270,  quelques  années  après  la  mort  d'Odaenath, 
l'empereur  Aurélien,  par  une  convention  expresse,  reconnaît 
au  fils  d'Odaenath,  Waballath,  les  titres  officiels  qu'avait  por- 
tés son  père,  et  ces  titres  nous  avons  l'heureuse  fortune  de  les 
connaître  sous  une  double  forme  :  in  extenso  sur  les  papyrus, 
en  abrégé  sur  les  monnaies  alexandrines  et  latines.  Le  libellé 
complet  donné  par  les  papyrus  est  le  suivant  :  «  Aai^-TcpoTaxoç  Baat- 
Xcùç  A'JToxpâKop  STpaTYJYoç  'Pw|j.a(ti)v  »,  traduction  grecque  d'une 
nomenclature  latine  qu'il  est  facile  de  rétablir  :  «  Clarissimus 
Rex  Imperator  Dux  Romanorum  ».  La  série  de  ces  titres,  sous 
forme  abrégée,  est- donnée   simultanément  par  les  monnaies 
alexandrines  et  latines.  Sur  les  premières  on  lit  :  'V.  A.  2.  P. 
[  VlTïa-tf/.cç)  A(jTCxpix(i)p|  ^fTpaTr^voç)  'P(u)[;.ai'(»)v)]  ;  sur  les  secondes  : 
V.  C.  R.  IM.  D.  R.  f«  y(ir)  C(larissimus  ou  Consularis)  Im(pe- 
rator)  D(ux)  R(omanorum)  ».]  Il  y  a  quelques  variantes  dans  le 
libellé  de  certains  titres,  mais  peu  nous  importe  ici.  L'essentiel 
est  que  les  trois  catégories  de  documents  —  papyrus,  monnaies 
alexandrines,  monnaies  latines  —  sont  unanimes  sur  le  texte  du 
dernier  :  «  Dux  Romanorum  »,  en  latin;  -TpaxYifbç  'PwfjLatwv,  en 
grec.  Odaenath  n'a  donc  pas  été  un  «  Dux  Orientis  »  ou  un 

1.  c.  /.  L.,  m,  5785. 


17'l  LÉON    HOMO. 

«  Dux  Orieiitalis  liinitis  »,  coinmo  lo  donneraient,  à  supposer 
Zonaras  et  Syncelle,  mais  un  <  Dux  »  tout  court,  au  sens  tra 
(litionn<*l  du  mot,  c'est-à-dire  commandant  en  chef  d'une  armée; 
romaine  d'opérations.  Il  a  été  «  Dnx  »  <>,7i  Orient,  mais  nulle- 
ment «  Dux  »  rf'Orient;  la  difl'érence  est  capitale.  Cette  f^orte  de 
«  Duces  »,  les  écrivains  du  iv"  siècle,  qui  ont  servi  de  sources  à 
Zonaras  et  à  Syncelle  pour  l'histoire  du  m"  siècl<\  ne  la  con- 
naissaient plus,,  puisque  les  seuls  «  Duces  »  qu'ils  eussent  sous 
les  yeux  étaient  des  «  Duces  »  k  commandement  territorial,  les 
«  Duces  limitum  ». 

Du  même  coup  et  de  la  même  manière,  s'expliquent  les  ana- 
chronismes  de  l'Histoire  Auguste.  Les  pseudo  a  Duces  »,  qu'elle 
énumère,  se  répartissent  entre  quatre  biographies  ou  groupes  de 
biographies  :  Vies  des  Trente  Tyrans,  de  Claude,  d'Aurélien  el. 
des  Quatre  Tyrans.  Les  Vies  des  Trente  Tyrans  et  de  Claude,  qui 
appartiennent  au  groupe  conservé  sous  le  nom  de  Trébellius 
PoUion,  ont  été  écrites  sous  Dioclétien  entre  298  et  303;  les 
Vies  d'Aurélien  et  des  Quatre  Tyrans,  qui  font  partie  du  groupe 
de  Vopiscus,  entre  305  et  307.  Les  auteurs  de  ces  bi<)grai)hies 
vivaient  donc  à  la  fin  du  règne  de  Dioclétien.  Ils  ont  travaillé 
pour  la  rédaction  de  leur  texte  et  la  confection  de  leurs  pseudo- 
pièces d'archives  sur  des  sources  de  l'époque  immédiatement 
antérieure  à  l'avènement  de  Dioclétien  ou  tout  au  plus  contem- 
poraines des  premières  années  de  cet  empereur.  Or,  s'ils  ont 
été  parfois  d'impudents  faussaires,  les  écrivains  de  l'Histoire 
Auguste  sont  surtout  de  pauvres  esprits  et  de  piètres  historiens. 
Leur  culture  est  fort  médiocre  et  leur  critique  à  peu  près  inexis- 
tante. Hs  ne  savent  pas  faire  avec  sûreté  le  départ  entre  les 
institutions  du  passé  et  celles  qu'ils  voient  fonctionner  autour 
d'eux.  C'est  dans  cette  ignorance  et  ce  défaut  de  méthode  qu'il 
faut  recherche!"  le  plus  souvent  la  cause  de  leurs  erreurs  et  de 
leurs  anachronismes.  Aussi,  lorsqu'il  s'agit  de  les  utiliser  sur 
un  point  quelconque,  devons-nous  constamment  nous  poser  une 
double  question  :  qu'ont-ils  trouvé  dans  leurs  sources?  com- 
ment les  choses  se  présentaient-elles  de  leur  temps?  Ce  qu'ils 
rencontraient  dans  leurs  sources,  c'étaient,  en  matière  d'admi- 
nistration provinciale,  des  gouverneurs  concentrant  entre  leurs 
mains  l'ensemble  des  pouvoirs  civil  et  militaire;  c'étaient,  dans 
le  domaine  strictement  militaire,  des  «  Duces  »  chefs  d'armées 


U  DISPARITION  DES  PEinLÈCE»  ADMINI5TBATIFS  DO  hf.HàT  ROMAIIV.      175 

d'c^pérations.  Au  œri train?,  ce  qu'ils  voyaient  wua  leurs  jeux 
cVHaieiit  des  gouverneurs  de  compétence  exclusivement  civile 
et  des  «  Duces  »  chefs  de  circonscriptions  territoriales.  L#es 
institutions  du  passé  leur  étaient  devenues  parfaitement  étran- 
gères, à  eux  et  à  la  masse  de  leurs  conteniptjrains.  Qu'ont-il» 
l'ait?  Par  ignorance  et  par  légèreté,  ils  ont  traduit,  peut-on  dire, 
en  langage  d'institutiofis  contemporaines,  les  renseignements 
que  leur  fournissaient  leurs,  sources  pour  l'hisU^ire  du  passé, 
lia ns  ces  conditions,  il  est  fatal  que  les  anachronismes  abondent, 
le  contraire  seul  serait. surprenant;  mais  aussi  il  est  d'une  mau- 
vaise méthode  de  les  traiter  par  le  d(';Miain  et  de  les  rejeter  pure- 
ment et  simplement  du  pied.  I>i  devoir  de  l'hisUjrien  est,  au  con- 
traire, de  les  retenir  et  de  rechercher,  s^jus  l'enveloppe  erronée 
de  la  forme,  les  vérités  historiques  qui  peuvent  s'y  cacher. 

Ces  hases  jjosées,  que  représentent,  historiquement  parlant, 
les  €  Duces  limitum  »  de  l'Histoire  Auguste?  Ces  «  Duces  », 
aouH  l'avons  vu,  ne  peuvent  avoir  été  des  chefe  de  circonscrip- 
tions territoriales  du  type  créé  par  Diociétiefi.  D'autre  part, 
rien  ne  nous  autorise  à  y  voir  de  pures  inventions  de  nos 
fjauvres  hiographes.  Uleur  est  simplement  arrivé  la  méraenu'isa- 
venture  qu'a  Odaenath,  dans  les  récils  de  Zonaras  et  de  Syn- 
celle;  leur  titre  vëel  a  ét/'i  défiguré  et  leurs  fonctions  ont  été 
travesties  à  l'iinage  des  institutions  du  fv*  siècle.  Qu'ont  donc 
été  en  réalité  ces  pseudo«  Duces  limitum  »?  Ils  peuvent  d'abord 
—  et  c'est  le  cas  le  plus  général  —  avoir  été  des  «  Duces  » 
ancienne  manière,  c'est-à-dire  des  commandants  de  trouf>es 
actives  d'oïK^rations.  De  ces  troupes,  au  cours  de  la  crise  du 
III'  siècle,  il  y  en  avait  un  peu  partout,  notamment  dans  les 
provinces  frontières.  Rïeu  de  surprenant,  par  conséquent,  à  ce 
qu<j  la  Vie  de  Claude  signale  sous  Valérien  un  «  Dux  ^  en  Illy- 
ricum;  la  Vie  d'Auréhen,  en  258,  un  «  Dux  >  dans  la  province 
de  Scy thie,  d'autres  en  lllyricum,  en  (Jrient  ;  les  Vies  des  Trente 
Tyrans,  à  la  même  date,  un  <  Dux  »  sur  le  Rhin  ;  h  Vie  de 
Gallien,  en  204,  un  «  Dux  »  près  delà  frontière  de  Libye;  les 
Vies  des  Quatre  Tyrans,  entre  273  et  275,  un  «  Dux  >  en 
Orient  et,  vers  la  même  époque  ou  un  peu  plus  tard,  un  «  Dux  » 
en  Rhétie.  L'erreur  des  biographes  a  donc  porté,  (Jans  ce  cas, 
non  sur  le  titre  de  «  Dux  »,  qui  est  exact,  non  pas  même  sur 
l'indication  de  la  région  où  se  trouvai/mt  réunie»  les  troupes  dont 


176  LÉON    HOMO. 

il  s'agit,  mais  uniquement  sur  l'adjonction  du  mot  «  Limitis  » , 
qui  est  née  d'un  simple  anachronisme  et  suffit  à  transformer  du 
tout  au  tout  le  sens  de  l'institution. 

Il  faut  d'ailleurs,  pour  être  équitable,  dire,  à  la  décharge  des 
historiens  de  l'Histoire  Auguste,  que  la  titulature  des  «  Duces  > 
du  type  ancien  pouvait  souvent  prêter  à  confusion.  Sur  l'ins- 
cription de  Tib.  Claudius  Gandidus  citée  plus  haut,  ce  person- 
nage est  dit,  à  l'époque  de  Septime  Sévère  :  «  Dux  exercitus 
lUyrici  expeditione  Asiana,  item  Parthica,  item  Gallica  »,  ce 
qui  signijSe  qu'il  a  commandé  un  corps  de  troupes  tiré  des  gar- 
nisons de  rillyricum  et  employé  successivement  dans  les  guerres 
d'Asie,  de  Parthie  et  de  Gaule.  Or,  que  trouvons-nous  dans  la 
Vie  de  Claude  de  l'Histoire  Auguste?  Le  biographe*  rapporte 
une  pseudo-lettre  de  Valérien  au  préfet  du  prétoire,  Ablavius 
Murena,  où  l'empereur  s'exprime  de  la  manière  suivante  : 
«  Desine  conqueri  quod  adhuc  Claudius  est  tribunus,  nec  exer- 
citus ducendos  accepit,  unde  etiam  senatum  et  populum  con- 
queri jactabas.  Dux  factus  est  et  dux  totius  lUiTici.  Habet  in 
potestatem  Thracios,  Moesos,  Dalmatas,  Pannonios,  Dacos 
exercitus  ».  La  fonction  de  «  Dux  totius  Illyrici  »  n'a  jamais 
existé,  même  dans  l'organisation  du  Bas-Empire  et,  d'aiUeurs, 
la  réunion  sous  l'autorité  de  Claude,  qui  était  alors  presque  un 
débutant,  de  la  totalité  du  territoire  danubien  est  parfaitement 
inadmissible.  Mais  Claude  a  fort  bien  pu  recevoir  effectivement 
le  commandement  d'une  armée  d'opérations  formée'  de  troupes 
de  marche  et  tirée  des  différents  corps  de  l'IUyricum.  En  tout 
cas,  il  faut  avouer  que  des  expressions  comme  «  Dux  exer- 
citus Illyrici  »,  appliquées  au  commandement  de  troupes  en 
campagne,  pouvaient  pécher  au  moins  par  l'ambiguïté,  et  il  con- 
vient de  reconnaître  aux  écrivains  de  l'Histoire  Auguste,  lors- 
qu'ils s'y  sont  trompés,  tout  au  moins  le  bénéfice  des  circons- 
tances atténuantes. 

Mais  les  pseudo  «  Duces  limitum  »  de  l'Histoire  Auguste 
peuvent  encore  avoir  été  autre  chose.  Avant  Dioclétien,  les 
gouverneurs  des  provinces  impériales,  qu'ils  soient  d'ordre 
sénatorial  ou  d'ordre  équestre,  détiennent  le  pouvoir  militaire 
aussi  bien  que  le  pouvoir  civil;  par^uite,  les  sources  perdues 
de  l'histoire  du  iii^  siècle  étaient  fréquemment  amenées  à  par- 
ler d'eux  comme  de  chefs  militaires.  Qu'ont  fait  dans  ce  cas  les 

1.  15,  1-4, 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.       177 

écrivains  de  l'Histoire  Auguste?  A  leur  époque,  les  gouver- 
neurs provinciaux  étaient  strictement  |^  exclusivenaent  civils, 
tandis  que  les  seuls  chefs  militaires  qu'ils  connussent  étaient 
les  «  Duces  » .  Parler  de  gouverneurs  comme  de  chefs  militaires 
était  donc  une  anomalie  qu'ils  ne  comprenaient  pas;  ils  l'ont 
interprétée  à  leur  manière  en  transformant  les  gouverneurs,  eux 
aussi,  en  «  Duces  ».  Parmi  les  «k  Duces  limitum  »  de  l'Histoire 
Auguste,  quelques-uns,  certainement,  sont  des  gouverneurs  de 
provinces  défigurés.  Nous  ne  pouvons,  malheureusement,  faute 
d'éléments  de  contrôle,  les  découvrir  à  coup  sûr;  mais  il  y  en  a 
un  cependant  pour  lequel  on  peut  arriver,  semble-t-il,  à  un  résul- 
tat précis,  c'est  Saturninus,  le  futur  usurpateur  du  temps  de 
Probus,  dont  les  Vies  des  Quatre  Tyrans*  font  un  «  Dux  limitis 
Orientalis  ».  Or,  en  dehors  de  l'Histoire  Auguste,  nous  possé- 
dons sur  son  compte  deux  textes  intéressants  de  Zosime  et  de  la 
Chronique  d'Eusèbe,  ce  dernier  conservé  en  double  exemplaire 
par  Syncelle  et  la  Chronique  de  saint  Jérôme.  Zosime ^  nous 
apprend  que  Probus  lui  a  confié  le  gouvernement  de  la  Syrie, 
«  ïrjv  S'jpîaç  àpxTjV  £iciTeTpaiJL[jL£voç  »  ;  Syncelle^  nous  le  montre 
commençant  dans  la  province  la  construction  d'une  nouvelle 
ville  à  Antioche,  «  Saxopvîvoç  ...  Tr,v  xaivY;v  'Av-tô/siav  î^p^xTO 
xxt!;£iv  »,  et  la  Chronique  de  saint  Jérôme^  confirme  ce  témoi- 
gnage :  «  Saturninus  ...  novam  civitatem  Antiochiae  orsuscon- 
dere.  »  Or,  la  fondation  d'une  ville  rentre  évidemment  dans  les 
attributions  d'un  gouverneur  civil.  Saturninus  a  donc  été,  non 
pas  «  Dux  limitis  »,  mais  gouverneur  de  Syrie.  A  quel  titre? 
Etait-il  un  gouverneur  d'ordre  sénatorial  ou  d'ordre  équestre? 
Les  textes  ne  nous  le  disent  pas  expressément,  mais  on  peut  le 
déduire  d'une  indication  de  sa  Biographie. 

Aurélien,  nous  dit  l'auteur  des  Vies  des  Quatre  TjTans^', 
avait  interdit  à  Saturninus  d'aller  en  Egypte  :  «  Aurelianus 
limitis  Orientalis  ducatum  dédit,  sapienter  praecipiens  ne 
unquam  Aegyptum  videret.  »  Pourquoi  cette  interdiction?  Le 
malheureux  biographe  se  bat  les  flancs  pour  en  trouver  la  rai- 
son :  «  Gogitabat  enim,  quantum  videmus,  vir  prudentissimus 

1.7,2. 

2.  II,  66. 

3.  I,  p.  723. 

4.  Éd.  Schône.  II,  p.  185. 

5.  7,  2. 

Rev.  Hfstor.  CXXXVII.  2«  fasc.  12 


178  LÉON   HOMO. 

Galloriim  naturam  (Saturninus  en  effet  était  Gaulois)  et  vere- 
baturne,  si  perturbidam  civitatem  vidisset,  quo  eum  natura 
ducebat,  eo  societate  quoque  hominum  duceretur.  Sunt  enim 
Aegyptii,  viri  ventosi,  furibnndi,  jactantes,  injuriosi  atque  adeo 
vani,  liberi,  novarum  rerum  usque  ad  cantilenas  publicas  cupien- 
tes,  versificatores,  etc.,  etc.  ».  Il  n'est  pas  nécessaire  de  cher- 
cher si  loin.  Depuis  Auguste,  il  était  strictement  interdit  aux 
membres  de  l'ordre  sénatorial  de  mettre  le  pied  en  Egypte.  Une 
anecdote,  rapportée  par  le  biographe  des  Trente  Tyrans  ^  montre 
que  cette  stipulation  séculaire  existait  encore  à  la  fin  du  m*  siècle. 
Saturninus  a  été  soumis  à  une  défense  de  cet  ordre  parce  qu'il 
appartenait  à  la  classe  sénatoriale.  Il  a  donc  été,  sous  Probus, 
gouverneur  de  Syrie  en  qualité  de  légat  propréteur.  A  ce  titre,  il 
a  bien  eu  à  garder  et  à  défendre  le  «  limes  »  de  l'Euphrate,  c'est- 
à-dire  la  plus  grande  partie  du  «  limes  »  d'Orient.  L'erreur  de 
l'Histoire  Auguste  porte  donc,  non  sur  le  fait,  qui  est  indé- 
niable, mais  uniquement  sur  la  nature  de  la  fonction. 

Un  autre  «  Dux  liraitis  »  doit  vraisemblablement  donner  lieu  à 
une  interprétation  analogue.  La  Vie  des  Quatre  Tyrans ^  nous 
parle  d'un  certain  Firmus  qui  a  été,  vers  272,  «  Dux  limitis 
Africani  idemque  proconsule  ».  L'attribution  à  un  proconsul 
d'Afrique  de  fonctions  militaires  serait  une  erreur  manifeste; 
depuis  le  milieu  du  i*''  siècle,  en  effet,  ce  fonctionnaire  n'avait 
plus  rien  à  voir  avec  la  défense  de  la  frontière' africaine,  con- 
fiée tout  d'abord  au  légat  propréteur  de  Numidie  et.  depuis  la 
création  de  la  province  de  Tripolitaine,  probablement  sous  Gai- 
lien,  partagée  entre  les  gouverneurs  de  ces  deux  provinces. 
Mais  le  fait  à  retenir  est  que  Firmus  est  appelé  à  la  fois  «  Dux  » 
et  proconsul,  c'est-à-dire  qu'il  a  été  un  gouverneur  d'Afrique  à 
pouvoirs  militaire^s.  Comme  dans  le  cas  de  Saturninus,  l'indica- 
tion peut  parfaitement  être  fondée,  et  l'anachronisme  concerne 
uniquement  les  titres  que  le  biographe  donne  au  personnage. 
Nous  aurons  d'ailleurs  à  revenir  plus  loin  sur  la  question,  à  pro- 
pos de  l'administration  des  provinces  sénatoriales. 

Enfin,  lorsque  Zonaras^  nous  dit  que  Dioclétien,  antérieure- 
ment à  son  avènement,  a  été  «  Dux  »  de  Mésie  (Aoù^  Muaiaç),  je 
croirais  volontiers  qu'il  faut  traduire  gouverneur  d'une  des  pro- 

1.  22,  9-11. 

2.  3,  1. 

3.  XII,  31. 


LA   DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      179 

vinces  de  Mésie.  Dioclétien  n'a  jamais  été  un  foudre  de  guerre 
et  les  qualités  éminentes  qui  l'ont  toujours  caractérisé  étaient, 
avant  tout,  celles  d'un  administrateur,  celles  précisément  qui 
guidaient  les  empereurs  dans  le  choix  de  leurs  gouverneurs.  Or 
de  tels  hommes  étaient  rares  à  la  fin  du  m®  siècle.  Constance- 
Chlore,  qui  était  un  esprit  du  même  genre,  a  exercé  sous 
Carus  les  fonctions  de  gouverneur  de  Dalmatie.  Il  serait  par- 
faitement normal  que  Dioclétien,  à  la  même  époqiie,  eût  été 
pour  l'une  des  provinces  voisines  de  Mésie  l'objet  d'une  mesure 
analogue. 

D'autres  erreurs  du  même  genre  sont  parfaitement  possibles. 
Le  «  dùx  limitis  Scythici  »  de  la  Vie  d'Aurélien^  peut  fort  bien 
avoir  été  un  gouverneur  de  Mésie  inférieure;  le  «  dux  limitis 
Illyriciani'^  »,  un  gouverneur  de  Pannonie  supérieure  ou  de  Pan- 
nonie  inférieure;  le  «  dux  limitis  Rhetici^  »,  un  gouverneur  de 
Rhétie;  le  «  dux  limitis  Libyci'^  »,  un  gouverneur  soit  de  Numi- 
die,  soit  de  TripoUtaine.  On  ne  saurait  affirmer  davantage. 

Que  devient,  dans  ces  conditions,  le  texte  de  la  Vie  de  Sévère 
Alexandre-^,  sur  lequel  s'appuie  la  théorie  de  Borghesi?  Voyons  ce 
texte  de  plus  près.  La  phrase  essentielle  est  la  suivante  :  «  Sola. . . 
limitaneis  ducibus  aut  militibus  donavit,  ita  ut  eorum  essent.  » 
«  Eorum  »  se  rapporte  simultanément  à  «  militibus  »  et  à  «  duci- 
bus »  :  il  s'agit  de  fixer  au  sol  un  certain  nombre  de  soldats  des 
frontières,  «  milites  »,  et  de  leurs  chefs,  «  duces  ».  Cette 
remarque  suffit  à  prouver  que  ces  «  duces  »  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  les  «  duces  limitum  »,  tels  qu'on  les  trouve  sous  Dio- 
clétien, grands  chefs  militaires,  qu'il  ne  pouvait  être  question  de 
fixer  au  sol,  qui,  comme  tous  les  fonctionnaires  impériaux, 
étaient  sujets  à  de  fréquentes  permutations  et  qui,  enfin,  pour- 
suivaient régulièrement  leur  carrière  par  l'obtention  successive 
de  grades  plus  élevés,  soit  dans  d'autres  provinces,  soit  à  la 
cour.  Les  «  duces  lirai tanei  »  de  la  Vie  de  Sévère  Alexandre 
sont  simplement  des  officiers  de  l'armée  des  frontières  pourvus 
de  petits  conunandements  autonomes,  chefs  sédentaires  d'efiec- 
tifs  eux-mêmes  fixés  au  sol. 

1.  13,  1. 

2.  Ibid. 

3.  Ibid.,  13,  2. 

4.  Vilae  XXX  Tyrann.,  29,  1. 

6.  58,  4-5. 


180  LÉON    HOMO. 

En  résumé,  et  pour  en  finir  avec  cette  question  préalable,  il 
n'y  a  pas  eu  de  «  duces  limitum  »  régionaux  avant  Dioclétien, 
et  les  plus  anciens  dont  l'existence  soit  historiquement  prouvée 
apparaissent  précisément  avec  le  règne  de  cet  empereur.  La 
théorie  de  Borghesi  tombe  donc  tout  entière.  Le  terrain  ainsi 
déblayé,  nous  pouvons  maintenant  aborder  l'histoire  adminis- 
trative des  provinces  au  iii^  siècle,  les  provinces  sénatoriales 
d'abord,  les  provinces  impériales  ensuite. 

Provinces  sénatoriales.  —  Au  début  du  iii^  siècle,  les  pro- 
vinces sénatoriales  sont  au  nombre  de  dix  :  Sicile,  Narbonaise, 
Bétique,  Macédoine,  Achaïe,  Asie,  Lycie  et  Pamphylie,  Chypre, 
Crète  et  Cyrénaïque,  Afrique.  Ces  provinces  sont  administrées 
par  des  gouverneurs  d'ordre  sénatorial,  représentants  du  Sénat; 
deux  d'entre  elles  —  l'Asie  et  l'Afrique  —  sont  dites  consulaires 
et  gouvernées  par  d'anciens  consuls;  les  huit  autres  sont  préto- 
riennes et  administrées  par  d'anciens  préteurs.  Dans  l'organi- 
sation primitive  d'Auguste,  deux  listes,  l'une  des  anciens  con- 
suls, l'autre  des  anciens  préteurs  —  à  condition  qu'ils  fussent 
sortis  de  charge  depuis  un  minimum  de  cinq  années  —  étaient 
dressées  et  constamment  tenues  à  jour.  Les  inscrits  de  chaque 
liste  tiraient  au  sort  annuellement  les  provinces  appartenant  à 
leur  catégorie.  Théoriquement  au  moins,  l'empereur  n'avait  rien 
à  voir  dans  le  recrutement  des  gouverneurs  chargés  d'adminis- 
trer les  provinces  sénatoriales.  Or,  ces  provinces  sénatoriales, 
qui  existent  encore  avec  leur  administration  autonome  au  com- 
•mencement  du  iii^  siècle,  ont  disparu  comme  telles  au  temps  de 
Dioclétien.  Le  fait  est  certain.  Quand  et  comment  ce  change- 
ment capital  s'est-il  produit?  Au  milieu  de  la  profonde  nuit  qui 
recou^Te  le  iii*^  siècle  pouvons-nous  réunir  à  cet  égard  quelques 
indications  précises? 

Sous  le  règne  de  Sévère  Alexandre,  à  l'époque  où  Dion  Cas- 
sius  rédige  son  histoire,  le  système  avait  déjà  subi  une  modifica- 
tion importante  :  «  Plus  tard  »,  nous  dit  cet  lystorien^  «  comme 
quelques-uns  d'entre  eux  (les  gouverneurs  sénatoriaux)  gouver- 
naient mal,  leurs  provinces  furent  ajoutées  à  celles  de  l'empe- 
reur, et,  de  cette  façon,  c'est  en  quelque  sorte  lui  qui  leur  donne 
leurs  gouvernements,  car  il  admet  à  tirer  au  sort  un  nombre  de 
magistrats  égal  à  celui  des  provinces  et  ceux  qu'il  veut.  »  L'em- 

1.  Dion  Cassius,  LUI,  14. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DO  SE'nAT  ROMAIN.       181 

pereur  dresse  donc  chaque  année  une  liste  de  dix  anciens  magis- 
trats —  deux  consuls,  huit  préteurs  —  dont  le  total  correspond 
exactement  au  nombre  des  provinces  sénatoriales  disponibles  ; 
il  procède  ainsi  à  une  véritable  désignation  collective.  Les  deux 
consulaires  d'une  part,  les  huit  prétoriens  de  l'autre  n'ont  plus 
ensuite  qu'à  tirer  leurs  provinces  au  sort. 

Une  dernière  étape  a  consisté  dans  le  passage  de  la  désigna- 
tion collective  à  la  nomination  individuelle  par  l'empereur, 
d'après  le  système  employé  depuis  Auguste  pour  les  provinces 
impériales.  Quand  ce  dernier  pas  a-t-il  été  franchi  et  quand  a 
été  réalisée,  par  conséquent,  l'assimilation  des  deux  catégories 
de  provinces? 

On  a  voulu  faire  de  cette  transformation  le  corollaire  logique 
d'une  réforme  plus  complète,, la  séparation  dans  le  domaine 
administratif  des  pouvoirs  civil  et  militaire.  La  difierence  fon- 
damentale entre  les  gouverneurs  des  provinces  impériales  et  les 
gouverneurs  des  provinces  sénatoriales,  a-t-on  dit,  tenait  à  ce 
fait  que  les  premiers  concentraient  entre  leurs  mains  l'ensemble 
des  pouvoirs  militaire  et  civil,  tandis  que  les  seconds  n'avaient 
que  des  attributions  d'ordre  strictement  civil.  Le  jour  où  les 
gouverneurs  des  provinces  impériales  perdent  leur  pouvoir  mili- 
taire, tous  les  gouverneurs  de  provinces,  sans  exception,  se 
trouvent  au  point  de  vue  des  attributions  placés  sur  le  même 
plan.  Dès  lors,  il  n'y  a  plus  aucune  raison  de  maintenir  la  dis- 
tinction traditionnelle  entre  provinces  impériales  et  provinces 
sénatoriales  ;  l'unification  se  fait  et  naturellement,  comme  dans 
les  autres  branches  de  l'administration,  au  bénéfice  de  l'autorité 
impériale.  La  conclusion  en  ce  qui  concerne  la  disparition  des 
provinces  sénatoriales  est  donc  double  :  au  point  de  vue  de  la 
modalité,  c'est  une  conséquence  de  la  séparation  nouvelle  des 
pouvoirs  civil  et  militaire;  au  })oint  de  vue  de  la  date,  la  trans- 
formation commence  dès  le  règne  de  Sévère  Alexandre  pour 
s'achever  peu  après  lui. 

Que  faut-il  penser  de  cette  manière  de  voir?  La  base  de  la 
théorie  est  la  séparation  des  pouvoirs  telle  qii'elle  aurait  été 
réalisée  par  Sévère  Alexandre.  Or,  nous  venons  de  voir  que 
cette  pseudo-réforme  n'avait  jamais  existé  que  dans  l'imagina- 
tion des  historiens  modernes.  Les  conséquences  qu'on  a  voulu 
en  tirer  pour  la  disparition  des  provinces  sénatoriales  tombent 


182  LÉON    eOMO. 

donc  du  même  coup.  La  cause  est  jugée  ;  il  n'y  a  pas  à  s'y  attar- 
der. Voyous  les  faits. 

Un  premier  texte  intéressant  se  trouve  dans  la  Vie  de  Sévère 
Alexandre,  §  46,5  :  «  Praesides,  proconsules  et  legatos  nunquam 
fecit  ad  beneficium,  sed  ad  judicium  vel  suum  vel  senatus.  »  Ce 
passage  est  susceptiMe  d'une  double  interprétation,  en  ce  qui 
concerne  les  gouverneurs  auxquels  s'applique  le  «  vel  suum, 
vel  senatus  » .  Ou  bien  la  phrase  s'applique  aux  diverses  catégo- 
ries de  gouverneurs  énumérés,  tant  impériaux  que  sénatoriaux, 
c'est-à-dire  que  le  Sénat  aurait  joué  un  rôle  dans  la  désignation 
des  gouverneurs  impériaux,  ou  bien  <^  vel  suum,  veb  senatus  » 
se  rapportent  séparément  aux  deux  classes  de  gouverneurs,  impé- 
riaux et  sénatoriaux,  le  «  vel  suum  »  aux  premiers,  le  «  vel 
senatus  »  aux  seconds.  Le  texte  signifie,  sans  aucun  doute  pos- 
sible, que  Sévère  Alexandre,  pour  le  choix  des  gouverneurs 
sénatoriaux,  respecta  le  «  judicium  »  du  Sénat.  Cette  interpré- 
tation est  d'ailleurs  confirmée  par  un  autre  texte  de  la  même 
biographie'  :  «  Proconsûlares  (provincias)  ex  senatus  voluntate 
ordinavit  »,  aussi  explicite  qu'on  peut  le  désirer.  Constitùtion- 
nellement,  il  n'y  avait  dans  cette  conduite  aucune  innovation. 
Mais,  en  pratique,  le  privilège  sénatorial  avait  été  violé  bien 
souvent,  surtout  depuis  la  mort  de  Marc-Aurèle,  et  le  simple 
retour  au  passé  était  pour  les  sénateurs  un  avantage  fort  appré- 
ciable. 

Sous  Sévère  Alexandre,  par  conséquent,  les  provinces  séna- 
toriales existent  encore  et,  dans  ce  domaine  —  les  textes  de  la 
Vie  de  Sévère  Alexandre  le  prouvent  —  l'empereur  respecte 
encore  les  prérogatives- traditionnelles  du  Sénat.  D'autre  part, 
nous  avons  vu  plus  haut  que  la  nomination  individuelle  des  gou- 
verneurs sénatoriaux  par  le  pouvoir  impérial  n'était  pas  encore 
en  usage  à  cette  époque.  A  la  fin  du  m''  siècle,  au  contraire, 
sous  Dioclétien,  tout  est  changé.  Toutes  les  provinces,  sans 
exception,  relèvent  de_,rempereur  et  tous  les  gouverneurs  sont 
nommés  directement  par  lui.  Le  changement  s'est  donc  opéré 
nécessairement  dans  les  années  qui  suivent  la  mort  de  Sévère 
Alexandre,  au  plus  tôt,  sous  le  règne  de  Dioclétien,  au  plus  tard. 
Il  y  a  moyen  de  préciser  davantage.  Le  «  terminus  ante  quem  » 
peut  être  tout  d'abord  notablement  ramené  en  arrière.  En  275, 

1.  24,  1. 


LA  DISPARITION  DES  PBIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SÉNAT  ROMAIN.      183 

lors  de  la  grande  restauration  sénatoriale,  sous  Tacite,  le  Sénat 
recou^Te  le  droit  proconsulaire  ' ,  ce"  qui  prouve  qu'il  ne  le  pos- 
sédait plus  à  l'avènement  de  cet  empereur,  et  cette  première 
indication  est  j)leinement  confirmée  par  une  seconde;  en  276, 
Probus,  comme  don  de  joyeux  avènement,  confère  au  Sénat  un 
certain  nombre  de  privilèges  et  notamment  le  droit  de  désigner 
les  proconsuls*.  La  disparition  des  provinces  sénatoriales  —  le 
fait  résulte  nettement  de  ces  deux  textes  -r-  est  donc  antérieure, 
non  seulement  au  règne  de  Dioclétien,  mais  même  à  l'avènement 
de  Tacite.  Nous  sommes  donc  amenés  à  la  placer  dans  la  période 
de  quarante  années  (235-275)  qui  a  séparé  la  mort  de  Sévère 
Alexandre  de  celle  d'Aurélien. 

Le  «  terminus  post  quem  »,  d'autre  part,  peut  être  avancé 
de  quelques  années.  Le  successeur  de  Sévère  Alexandre,  Maxi- 
min,  dont  on  connaît  la  politique  hostile  au  Sénat,  n'a  guère  dû 
respecter,  au  moins  en  pratique,  le  privilège  du  Sénat  relatif  à 
l'administration  des  provinces  sénatoriales;  mais  en  ce  cas  la 
réaction  sénatoriale  avec  Maxime  et  Balbin  (238)  n'a  pas  man- 
qué de  rétablir  l'état  antérieur  et,  s'il  y  a  eu  alors  suppression, 
il  est  certain  qu'elle  n'a  été  que  temporaire.  La  période  qui 
s'étend  de  l'avènement  de  Gordien  III  à  la  captivité  de  Valé- 
rien  (238-260)  est  une  époque  d'union  contre  le  péril  exté- 
rieur, où  l'entente  avec  le  Sénat  est  un  des  articles  fondamen- 
taux du  prograname  impérial,  notamment  dans  là  dernière  partie 
du  règne  de  Gordien  III,  sous  Philippe,  Decius  et  Valérien.  Une 
mesure  aussi  terrible  pour  le  Sénat  que  l'a  été  la  disparition  des 
provinces  sénatoriales  ne  saurait  évidemment  y  trouver  place. 
La  politique  générale  des  empereurs  à  cette  époque  en  exclut 
jusqu'à  l'hypothèse. 

n  reste  donc,  pour  notre  réforme,  une  courte  période  de 
quinze  ans  (automne  260-railieu  275).  C'est  à  un  des  trois 
empereurs  qui  ont  régné  alors,  Gallien,  Claude,  Aurélien,  que 
la  mesure  doit  nécessairement  être  rapportée.  Claude  doit  être 
exclu  en  raison  de  son  attitude  conciliante  vis-à-vis  du  Sénat. 
Il  n'y  a  donc  à  retenir  que  deux  noms,  ceux  de  Gallien  et  d'Au- 
rélien, qui  tous  deux,  nous  le  savons,  ont  été,  pendant  la  durée 
de  leur  règne,  en  lutte  plus  ou  moins  ouverte  avec  le  Sénat. 

1.  Vila  Taciti,  18-19. 

2.  Vita  Probi,  13,  1. 


184  LÉON    aOMO. 

C'est  entre  ces  deux  empereurs  qu'il  faut  choisir.  En  avons-nous 
les  moyens  ? 

Les  preuves  décisives  en  la  circonstance  devraient  être  four- 
nies par  l'êpigraphie.  Voyons  donc  ce  que  les  inscriptions  de 
l'époque  peuvent  nous  apprendre  sur  la  question.  Nos  documents 
épigraphiques  sont  rares  :  une  inscription  relative  à  la  province 
d'Asie,  une  à  la  province  d'Achaïe,  une  à  la  province  d'Afrique, 
deux  à  la  province  de  Bétique,  au  total  cinq  gouverneurs  de 
provinces  sénatoriales.  Notre  bilan  est  vite  fait. 

a)  Asie.  —  L'inscription  C.  I.  L.,  VI,  3832,  mentionne  un 
gouverneur  d'Asie,  G.  Julius  Adurius  Ovinius  Paternus,  qui  a 
été  désigné  par  le  sort,  s'est  récusé  et  par  conséquent  n'a  jamais 
géré  la  fonction  «  Proconsuli  provinciae  Asiae  sorte  facto  excu- 
sato  ».  Ce  personnage  est  connu  en  outre  par  les  Fastes  consu- 
laires et  par  la  liste  des  préfets  de  la  ville  du  Chronographe  de 
354'.  lia  été  consul  ordinaire  sous  Claude  en  269,  consul  ordi- 
naire pour  la  seconde  fois  sous  Probus  en  279,  et  préfet  de  la 
ville  sous  le  même  empereur  en  281 .  Le  tirage  au  sort  de  la  pro- 
vince d'Asie  se  place  entre  les  deux  consulats  (269-279).  On 
peut  préciser  davantage.  Le  consulat  et  le  gouvernement  d'une 
province  sénatoriale  devaient  réglementairement  être  séparés 
par  un  intervalle  minimum  de  cinq  ans.  En  fait,  étant  donné  le 
nombre  des  sénateurs  consulaires  à  pourvoir  très  supérieur  à 
celui  des  provinces  sénatoriales  (deux)  annuellement  dispo- 
nibles, ce  minimum  était  largement  dépassé  et  porté  fréquem- 
ment à  dix  années.  C.  Julius  Adurius  Ovinius  Paternus  étant 
devenu  consul  pour  la  seconde  fois  en  279,  le  tirage  au  sort  en 
question  est  de  fort  peu  antérieur  à  cette  date.  Il  est  contempo- 
rain de  la  restauration  sénatoriale  inaugurée  en  275  et  se  place 
dans  les  premières  années  du  règne  de  Probus. 

b)  Achdie.  —  Plusieurs  inscriptions  grecques,  C.  I.  A.,  III, 
299,  400,  705,  A£Xt(ov  àpy.xioXoY'.y.ôv,  1889,  p.  133,  n°  14,  nous 
ont  conservé  le  nom  d'un  gouverneur,  Claudius  lUyrius,  qui  a 
joué  un  rôle  important  dans  la  reconstruction  des  murs  d'Athènes 
vers  253.  Le  personnage  a  donc  été  proconsul  d'Achaïe  au 
début  du  règne  de  Valérien. 

c)  Afrique.  — L'inscription  C.  I.  L.,  VIII,  1018,  concerne 
an  gouverneur  dont  le  nom  est  mutilé.  Le  texte  donne  L.  Mes..., 

1.  Chronica  Minora,  éd.  Mommsen,  t.  I,  p.  65. 


LA  UlSPiJUTlOK  ItES  niTILÈCES  âl»HLVlSTaiTfFS  DO  SÉMIT  EOMlL>.      185 

qu'il  faut  peut-^tre  complêi<er  eo  L.  Mes[siusj.  Le  document  ofire 
deux  élémeLfs  de  datation.  Tout  d'abord.  Gallien  y  est  désigné 
comme  c-onsul  pc»ur  la  troisième  foi?  :  ce  troisième  consulat  est 
de  252.  le  quatrième  de  261 .  L'inscription  se  place  donc  néces- 
sairement entre  252  et  le  1*"  janvier  2tii.  En  outre.  Valèrien  ne 
figure  pas  a  côté  de  son  fils.  Au  moment  où  l'inscription  fiit 
dédiée,  il  avait  c^ssé  d'être  considéré  comme  empereur.  Sa  cap- 
tivité est  de  septembre-octobre  260;  la  nouvelle  du  désastre  a 
été  connue  en  Afrique  dans  le  c-ourant  d'octobre  ou  au  commen- 
c^-meot  de  novembre.  L'inscription  a  été  dédiée  postérieurement 
à  cette  <iate  et  antérieurement  au  quatrième  consulat  de  Gai- 
lien,  qui  c<;tmmence  le  1*"'  janvier  261.  donc  en  novembre-dé- 
cembre 260. 

d)  Bétique.  —  Enfin,  sur  deux  inscriptions,  C.  I.  /».,  U, 
1115-1116.  datées  du  règne  éphémère  de  Florien  (276)  et  du 
début  de  celui  de  Probus.  figure  un  gouverneur  de  Bétique, 
Aarelius  Julius,  avec  les  titres  de  <  Vir  perfectissimus  Tices 
agens  praesidis  ».  Ce  personnage  n'est  pas  connu  d'autre  part, 
mais  les  inscriptions  qui  le  c-oncernent  nous  donnent  deux  in<ii- 
cations  capitales:  il  n'est  pas,  comme  l'aurait  voulu  la  tradition, 
d'ordre  sénatorial,  mais  il  apj>artient  à  l'ordre  équestre,  comme 
le  prouve  son  titre  de  «  Vir  perfectissimus  *.  D'autre  pari,  il 
n'exerce  ses  fonctions,  officiellemeLit  au  moins,  qu'en  qualité  de 
<  Aices  agens  praesidis  »,  c'est-à-dire  sous  la  fonÉe  de  la  sup- 
pléance ^ 

1.  Qiwtre«etre  io$<Tlptioii<>  sr -r  ,  •    ..  •    •de'. 

«*iç.  tute  de  d*l#  f»«xit*   oe  ;•  :        .  ipo- 

t^liqnr..  Deox  eoaoefami  '  -  e,  ui.t  )  ^ 

1*  Afi^:  —  a<l  K.  B«re^  •,.  Aut  Lv  ,eo- 

^[nfihûcfae  Bcisefrâcfcle,  j<.  L^.-iiJ.  —  .     u*  Maiiuiiilia 

■•*,  qw  a  Hé  ^mvttmcu  d'.4sie.  L  k  ,  «irlenir  au  règiw  de 

Valériea  e»  GaXIiea  IÎ53-368). 

b  KAibel,  /.  G.  /.,  283.  —  Limscriptioa  aooiMe  [C  Asîau?]u£  Nioom«- 
rhfts  JaliaaM,  peat-êlre  çoaTeraeor  d  A.gie  tcts  b  mêmtt  éfioqae. 

^  Aeàaif.  —  I.  G.,  Vil.  W.  —  D  est  <nKsli(M  d'u  ^amvtfutut  d  Adtuïe, 
M.  Aemilios  Sïlaniaas,  peaft-4tre  iéemti^mt  aa  S»t«niuK  ooKal  tan  Gal- 
Ika  ea  %f.  La  fioacliM  de  prooMKtl  d'Adulé  étaat  d'ofdiv  préloriea,  par 
eaatéqaeal  antérievre  aa  ooKsolat,  ce  piaoetait  vers  U  fin  du  règne  de  Valé- 
riea.  Mai»  lideatificatioa  des  deax  pawuè^ies  reslant  douteus-e.  ou  ne  peut 
nea  ooadore  avec  oertilade. 

3*  Afriqw.  —  L'iMCiiptioa  C.  I.  L.,  VUI,  1437  {=  Supj»!.  152S4I,  neattoue 
aa  govTeraeur  de  la  prariaoe  ««aaloiiale  d.Alriqne,  Sex.  Cooceias  Aakias 


186  LÉON   eOMO. 

Les  résultats  fournis  sur  la  question  par  l'épigraphie  peuvent 
donc  se  résumer  de  la  manière  suivante  :  1°  Sous  Valérien,  les 
proconsuls  d'Achaïe  sont  encore  recrutés,  selon  la  règle  tradi- 
tionnelle, dans  l'ordre  sénatorial.  2°  En  novembre-décembre 
260,  la  province  d'Afrique  a  encore  un  gouverneur  du  même 
type.  3°  Même  cas  pour  la  province  d'Asie  entre  275  et  279, 
mais  avec  cette  remarque  nécessaire  que  nous  sommes  ici  dans 
une  période  de  restauration  sénatoriale,  qui  se  prolongera  jusqu'à 
la  mort  de  Probus  en  282.  4°  Enfin,  sous  Florien  et  au  début  du 
règne  de  Probus,  la  Bétique  est  administrée  par  un  gouverneur 
d'ordre  équestre  et  sous  la  forme  intérimaire. 

De  ces  conclusions  se  dégagent  deux  faits  fondamentaux  : 
i°  Aucun  gouverneur  de  province  sénatoriale  n'est  connu,  par 
l'épigraphie,  pour  la  période  260-275,  c'est-à-dire  pour  les 
règnes  de  Gallien  et  d'Aurélien.  2°  En  276,  nous  retrouvons  un 
gouverneur  de  province  sénatoriale,  en  Bétique,  mais  cette  fois 
c'est  un  chevalier  et  non  plus  un  sénateur. 

L'épigraphie  confirme  donc  pleinement  les  résultats  auxquels, 
par  voie  de  déduction,  nous  étions  parvenus  précédemment, 
mais  elle  ne  les  complète  pas  et  la  question  de  savoir  si  la 
réforme  émane  de  Gallien  ou  d'Aurélien  reste  entière. 

Continuons  donc  notre  enquête  par  d'autres  moyens.  En 
faveur  de  Gallien,  il  existe  tout  d'abord  une  présomption  très 
forte  :  c'est  sa  réforme  administrative  des  provinces  impériales, 
dont  il  sera  question  plus  loin,  et  la  substitution  réalisée  par  lui 
dans  ces  provinces  des  gouverneurs  équestres  aux  gouverneurs 
sénatoriaux.  Puisqu'il  n'hésitait  pas  à  déposséder  le  Sénat  de 
son  privilège  administratif  dans  les  provinces  impériales,  il  était 
indiqué,  et  même  logique,  qu'il  procédât  de  même  à  l'égard  des 
provinces  sénatoriales.  L'autonomie  de  ces  dernières  n'était 
plus,  depuis  bien  longtemps,  qu'une  fiction,  et  ce  second  coup, 
à  regarder  froidement  la  réalité  des  choses,  devait  être  beaucoup 
moins  préjudiciable  au  Sénat  que  le  premier.  Ce  n'est  là,  il  faut 
le  répéter,  qu'une  présomption  ;  mais  eUe  a  son  importance,  et 
nous  allons,  à  la  lumière  des  faits,  lui  voir  prendre  corps  par 
la  suite. 

Revenons  quelques  instants  en  arrière  et  cherchons  si,  par 
hasard,  l'histoire  passée  des  provinces  sénatoriales  ne  nous  four- 

Faustus  Paulinus.  Il  a  exercé  ses  fonctions  au  m*  siècle  et,  semble-t-il,  vers 
l'époque  de  Gallien.  La  preuve  manque. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DO  SÉNAT  ROMAIN.       187 

nirait  pas  quelques  indications  susceptibles  d'éclairer  notre  reli- 
gion. Le  caractère  fondamental  de  ces  provinces,  dès  leur  ori- 
gine même,  leur  raison  d'être,  peut-on  dire,  c'est  qu'elles  sont 
provinces  «  inermes  »,  provinces  dépourvues  de  forces  mili- 
taires. Dion  Cassius^  est  sur  ce  point  aussi  formel  que  possible  : 
«  Auguste  remit  au  Sénat  les  provinces  les  plus  faibles  comme 
étant  pacifiées  et  exemptes  de  guerres  —  etpirjvaia  -/.ai  à-.6\z\t.0L.  — 
Quant  aux  plus  fortes,  il  les  retint  comme  présentant  des  périls 
et  des  dangers,  soit  parce  qu'elles  étaient  voisines  des  ennemis, 
soit  parce  qu'elles  étaient  capables  encore  par  elles-mêmes  de 
causer  quelque  agitation.  C'était  en  réalité  pour  que  sous  ce 
prétexte  les  autres  fussent  sans  armes  et  sans  forces  —  àoitXot 
xal  àixayoi  —  tandis  que  lui  seul  aurait  des  armées  à  sa  disposi- 
tion et  entretiendrait  des  soldats.  »  La  liste  des  provinces  séna- 
toriales, telle  qu'elle  fut  fixée  lors  du  partage  de  l'année  27  av. 
J.-G.2  —  Sicile,  Sardaigne,  Bétique,  Dalmatie  ou  Illyricum, 
Macédoine,  Achaïe,  Asie,  Bithynie,  Crète  et  Cyrénaïque,  Afrique 
—  montre  qu'en  effet  cette  condition  essentielle  s'}^  trouvait 
pleinement  réalisée.  Les  provinces  sénatoriales  étant  «  inermes  » 
et  pacifiées  par  définition  même,  le  gouverneur  n'en  pouvait 
être,  et  n'en  était,  qu'un  fonctionnaire  strictement  civil. 

Dans  la  pensée  de  l'empereur,  cette  liste  n'était  pas  définitive. 
Il  se  réservait  toujours  la  possibilité  de  prendre  à  sa  charge,  le 
cas  échéant,  telle  ou  telle  de  ces  provinces.  Le  fait  se  vérifia 
dès  le  début.  La  Dalmatie  devient  province  impériale  en  11  av. 
J.-C;  la  Sardaigne,  en  6  ap.  J.-C,  puis  une  seconde  fois,  tem- 
porairement encore,  sous  Vespasien.  et  définitivement  sous 
Commode;  la  Macédoine,  temporairement  de  Tibère  à  Claude; 
l'Achaie,  de  15  av.  J.-C.  à  14  ap.  J.-C;  la  Bithynie,  en  135;  la 
Bétique,  sous  Marc-Aurèle.  Eu  compensation,  le  Sénat  reçoit  en 
22  av.  J.-C.  la  Narbonaise  et  Ciiypre,  et,  en  135,  la  province 
de  Lycie  et  Pamphylie.  Il  était  donc  parfaitement  admis,  dès  le 
début  de  l'Empire,  que  l'empereur  en  cas  de  nécessité  —  et  dans 
l'espèce  il  était  seul  juge  —  pouvait  enlever  au  Sénat,  à  titre 
temporaire  ou  définitif,  l'administration  de  telle  ou  telle  des  pro- 
vinces sénatoriales. 

Quelle  était  la  raison  qui  pouvait  motiver  ce  transfert?  Les 
laits  et  les  textes  vont  nous  répondre.  La  Dalmatie  est  province 

1.  Dion  Cassius,  LUI,  12. 
•2.  Ibid. 


188  LÉON   HOMO. 

sénatoriale  de  27  à  11  av.  J.-C;  eu  11,  l'empereur  prend  en 
mains  l'administration  de  la  province^.  C'est  qu'alors  com- 
mencent les  grandes  campagnes  qui  ont  eu  pour  résultat  la  con- 
quête de  la  rive  droite  du  Danube.  La  Dalmatie  cesse  d'être  une 
province  pacifiée  ;  il  est  logique,  conformément  au  principe  qui 
a  présidé  à  la  répartition  des  provinces  entre  l'empereur  et  le 
Sénat  en  27,  qu'elle  passe  dans  le  lot  de  l'empereur.  La  Sar- 
daigne,  province  sénatoriale  depuis  27,  devient  province  impé- 
riale en  6  ap.  J.-C.  et  reçoit  comme  gouverneur  un  procurateur 
d'ordre  équestre.  Pourquoi?  Dion  Cassius^  va  nous  le  dire  :  «  Il 
y  eut  aussi  à  cette  époque  beaucoup  de  guerres.  Des  brigands 
firent  de  si  fréquentes  incursions  que  durant  trois  années  la 
Sardaigne,  au  lieu  d'être  gouvernée  par  un  sénateur,  fut  confiée 
à  des  soldats  et  à  des  généraux  pris  dans  l'ordre  équestre  — 
w(7T£  Tr,v  lapBw  [j.rjB'  ap/ovxa  ^ouXeux-fjV  STSdi  xpiut  cr/eX^,  atXà.  axpa- 
TtwxaiçTc  xal  ffxpaTtâp'/aiç  iTCiréuciv  iTzi-paTrî^vai.  »  La  Sardaigne  est 
donc  infestée  par  des  brigands  ;  elle  cesse  d'être  par  conséquent 
une  province  pacifiée.  Elle  reçoit  une  garnison,  un  commandant 
militaire  et  devient  province  impériale.  Autre  exemple  :  sous 
Marc-Aurèle,  les  Maures  d'Afrique  passent  en  Espagne  et  enva- 
hissent la  Bétique.  L'empereur  enlève  immédiatement  au  Sénat 
l'administration  de  la  province  et  la  conserve  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  de  nouveau  pacifiée^.  Marc-Aurèle  procède  de  façon  iden- 
tique pour  d'autres  provinces  encore,  ainsi  que  nous  l'apprend 
son  biographe^  :  «  Provinciasex  proconsularibus  consulares  aut 
ex  consularibus  proconsulares  aut  praetorias  pro  belli  necessi- 
tate  fecit.  »  * 

Inversement,  et  en  vertu  du  même  principe,  une  province 
définitivement  pacifiée,  et  dès  lors  «  inermis  »,  devient  sénato- 
riale. C'est  le  cas,  en  22  av.  J.-C,  pour  la  Narbonaise  et 
Chypre,  qui  avaient  été  d'abord  assignées  à  l'empereur  :  «  A 
cette  même  époque  v,  nous  dit  Dion  Cassius^  «  Auguste  rendit 
au  peuple  Chypre  et  la  Narbonaise,  parce  qu'elles  n'avaient  plus 
besoin  de  ses  armes  —  wç  [AYjSèv  tôv  '£ti:X(i)v  aùxoj  oscp.evaç  —  et  par 
suite  des  proconsuls  conamencèrent  à  être  envoyés  dans  ces  pro- 

1.  Dion  Cassius,  LIV,  34. 

2.  Ibid.,  LV,  28. 

3.  Viia  M.  Anlonini,  21,  1;  Vita  Severi,  2,  4. 

4.  Vita  M.  Antonini,  22,  9. 

5.  Dion  Cassius,  LIV,  4. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.       189 

vinces.  »  De  même  la  Bétique,  le  danger  de  l'invasion  maure 
dissipé,  redevient  sénatoriale  sous  Commode.  Sans  doute  l'em-* 
pereur  peut  aussi  prendre  en  mains  une  province  sénatoriale 
pour  des  motifs  purement  administratifs,  ainsi  la  Bithynie  sous 
Trajan',  mais  c'est  là  un  cas  exceptionnel.  La  raison  constante 
de  la  mainmise  de  l'empereur  sur  les  provinces  sénatoriales  ou 
inversement,  de  la  restitution  au  Sénat,  c'est  le  caractère 
«  inermis  >  ou  non  de  la  province. 

Il  y  a  donc  eu  à  cet  égard  sous  l'Empire  une  tradition  admi- 
nistrative constante.  Le  procédé  ne  supposait  nullement,  par 
définition  même,  une  mauvaise  volonté  quelconque  de  l'empe- 
reur vis-à-vis  du  Sénat.  La  preuve  en  est  que  Marc-Aurèle,  un 
des  empereurs  les  plus  favorables  à  la  politique  sénatoriale  qui 
aient  existé,  enlève  temporairement  au  Sénat  la  Bétique  et  cer- 
taines autres  provinces,  tandis  que  Commode,  l'ennemi  féroce 
de  ce  corps,  lui  restitue  précisément  la  Bétique.  La  tradition 
impériale  en  la  matière  est  nettement  définie  par  le  texte  de  la 
Vie  de  Marc-Aurèle  cité  plus  haut  :  «  Pro  belli  necessitate  ». 
L'expression  montre  bien  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  question  de 
politique  intérieure,  mais  avant  tout  d'une  question  de  défense 
nationale. 

Ce  point  nettement  fixé,  voyous  un  peu  ce  que  vont  devenir 
les  provinces  sénatoriales  dans  la  grande  tourmente  du  iii"^  siècle. 
Les  provinces  sénatoriales  devaient  à  leur  situation  même  leur 
caractère  de  provinces  désarmées  ;  elles  se  trouvaient  à  l'inté- 
rieur de  l'Empire,  étaient  éloignées  de  la  périphérie  et  couvertes 
par  les  grandes  armées  des  frontières.  Or,  que  se  passe-t-il  au 
milieu  du  m®  siècle,  précisément  pendant  la  crise  terrible  qui 
s'ouvre  à  la  fin  de  260  par  le  désastre  de  Valérien  et  dont  Gai- 
lien,  resté  seul  empereur,  va  avoir  à  supporter  tout  le  poids?  A 
l'occident,  la  barrière  rhénane  est  forcée  ;  en  258,  les  Germains, 
particulièrement  les  Francs,  envahissent  la  Gaule,  l'Espagne  et 
vont  jusqu'en  Afrique.  Au  printemps  de  261 , .  l'invasion  se 
renouvelle  dans  le  secteur  du  Rhin  supérieur  ;  les  Alamans 
pénètrent  sur  le  territoire  romain  par  la  vallée  de  l'Aar,  gagnent 
la  vallée  du  Rhône  d'où  ils  passent  en  Italie.  Rome  est  un  ins- 
tant mise  en  danger  par  ces  bandes  "de  pillards  que  Gallien  va 

1.  Correspondance  de  Pline  et  Trajan^  lettre  32  :  «  Meininerinus  idcirco  te 
in  islam  proTinciain  inissuni,  quonian)  multa  in  ea  eraendanda  apparuerint.  » 
Cf.  lettres  18  et  117. 


190  LÉON   HOMO. 

bientôt  écraser  à  la  bataille  de  Milan.  Sur  la  frontière  danu- 
bienne, les  Goths,  forçant  le  cours  inférieur  du  fleuve,  inondent 
en  267  la  péninsule  des  Balkans.  Gallieu  les  en  expulsera,  mais 
ils  reviendront  en  269  et  Claude  les  anéantira  à  Naïssus.  Plus  à 
l'est,  les  Boranes  et  autres  barbares  de  la  Russie  méridionale, 
après  la  destruction  du  royaume  Bosporan,  mettent  systémati- 
quement au  piUage  les  villes  du  bassin  oriental  de  la  Méditerra- 
née; en  256-258,  ils  dévastent  le  littoral  asiatique  de  la  mer 
Noire,  passent  les  détroits  et,  débouchant  dans  la  Méditerranée, 
viennent  rançonner  les  villes  maritimes  de  l'Asie  Mineure  occi- 
dentale. Nouvelle  invasion  en  267,  où  ils  pillent  les  côtes  de 
Thrace,  de  Grèce,  d'Asie  Mineure,  les  îles  de  Crète  et  de  Chypre. 
En  Asie,  ce  sont  les  Perses  qui,  à  la  suite  du  grand  désastre  de 
Valérien,  mettent  à  feu  et  à  sang  toute  l'Asie  Mineure.  Aux 
invasions  étrangères,  il  faut  ajouter  les  troubles  intérieurs;  de 
258  à  260,  soulèvement  des  peuplades  indigènes  dans  l'Afrique 
du  Nord;  en  261,  grande  -révolte  d'esclaves  en  Sicile. 

Dès  lors,  ce  ne  sont  plus  seulement  les  frontières  de  l'Empire 
et  les  provinces  impériales  de  la  périphérie  qui  sont  atteintes, 
mais  aussi  toutes  les  provinces  de  l'intérieur  et  du  même  coup 
les  provinces  sénatoriales.  La  Narbonaise,  tout  d'abord.  La 
grande  invasion  franque  de  258  passe  à  Test  du  Massif  central 
et  va  franchir  les  Pyrénées.  Elle  traverse  donc  au  moins  la  par- 
tie occidentale  de  la  Narbonaise.  L'invasion  des  Alamans  en 
259-260  porte,  au  contraire,  sur  la  partie  orientale.  Ce  n'est 
pas  tout.  De  258  à  267^  la  guerre  est  constante  entre  Gallieu 
d'une  part,  les  usurpateurs  gallo-romains  Postmnus,  Victori- 
nus,  Laelianus  de  l'autre,  et  la  Narbonaise  sert  précisément  à 
l'armée  romaine  de  base  d'opérations.  La  présence  d'un  corps 
de  troupes  y  est  expressément  attestée,  pour  le  début  du  règne 
de  Claude,  par  une  inscription  de  269  ' .  —  Bétique  :  en  259-260, 
les  Francs,  venus  de  Gaule,  pillent  la  ville  de  Tarragone  et 
poussent  jusqu'en  Afrique.  La  Bétique  ne  dut  pas  rester  à  l'abri 
de  cette  invasion.  En  261,  l'Espagne  est  perdue  pour  Gallien; 
cette  sécession  ne  se  fit  évidemment  pas  sans  une  série  de 
troubles  intérieurs  qui  ne  durent  pas  épargner  notre  province. 
—  Macédoine  :  en  261,  la  péninsule  des  Balkans  est  envahie 
par  l'armée  de  l'usurpateur  Macrianus,  qui  succombe  bientôt 
sous  les  coups  du  général  de  GaUien,  Aureolus.  En  267,  les 

\.  c.  I.  L.,  XII,  2228. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SE'nAT  ROMAIN.      191 

Goths,  après  avoir  pillé  les  îles  de  Scyros,  de  Lemnos  et  les 
villes  d'Achaïe,  remontent  vers  le  nord  en  dévastant  toute  la 
Macédoine.  Gallien  les  bat  sur  le  fleuve  Nestos,  aux  confins 
mêmes  de  cette  province  et  de  la  Thrace,  puis  les  rejette  sur  le 
Rhodope.  Ils  n'en  reparaissent  pas  moins  deux  ans  plus  tard  en 
Macédoine,  où  ils  font  le  siège  de  Thessalonique  (269).  — 
Achaïe  :  en  267,  les  Goths,  venus  de  l'Archipel,  enlèvent 
Athènes,  Eleusis,  Corinthe,  Sparte,  Argos.  Toute  l'Achaïe  est 
dévastée.  L'armée  romaine,  sous  les  ordres  de  Marcianus,  les 
rencontre  et  les  défait  dans  le  nord  de  la  province.  —  Asie  : 
probablement  touchée  déjà  par  la  grande  invasion  perse  de  260- 
261,  consécutive  à  la  prise  de  Yalérien,  la  province  est  en 
proie,  pendant  les  années  suivantes,  aux  incursions  maritimes 
des  barbares.  En  263,  les  Goths  dévastent  la  Troade,  ruinent 
Ephèse  avec  son  célèbre  sanctuaire  d'Artémis.  L'invasion  se 
renouvelle  sous  la  même  forme  en  264  et  en  267.  —  Lycie 
Pamphvlie  :  le  sort  de  cette  province  est  analogue  à  celui  de  la 
province  voisine  d'Asie.  En  268,  les  Goths  y  attaquent  la  ville 
de  Sidé,  dont  le  siège  nous  est  longuement  décrit  par  un  frag- 
ment conservé  de  Dexippe^  —  Chypre  :  l'île  est  dévastée  par 
les  Goths  en  270.  —  Crète  :  invasion  semblable  à  la  même 
époque.  —  Sicile  :  la  Sicile  semble  être,  au  cours  de  la  crise, 
grâce  à  la  protection  des  flottes  italiennes,  restée  à  l'abri  des 
invasions  étrangères.  Mais  elle  n'en  fut  pas  pour  cela  plus  tran- 
quille. Une  grave  révolte  d'esclaves  y  éclata  en  261  :  «  Denique 
quasi  conjuratione  totius  mundi  »,  écrit  la  Vie  de  Gallien 2, 
«  concussis  orbis  partibus,  etiam  in  Siciliam  quasi  quoddam 
servile  bellum  extitit  latronibus  evagantibus  »,  et  l'auteur  ajoute 
une  indication  intéressante,  «  qui  vix  oppressi  sunt  ».  Le  sou- 
lèvement n'a  donc  été  réprimé  que  par  l'intervention  d'efiiectifs 
considérables.  —  Enfin,  Afrique  :  de  258  à  260,  les  indigènes 
Bavari  et  Quingentanei  s'insurgent  aux  portes  mêmes  de  la  pro- 
vince. La  gravité  de  la  menace  contraignit  évidemment  les  auto- 
rités militaires  k  prendre  toutes  les  précautions  d'ordre  militaire 
nécessaires.  En  261,  la  province  est  troublée  par  l'usurpation 
de  Celsus.  Mais  la  ville  de  Sicca  reste  fidèle  à  la  cause  de  Gallien 
et  l'usurpateur  est  renversé-'. 

1.  Fragment  23. 

2.  Vila  Gullieni,  4,  9. 

3.  Vitae  WX  Tyrann.,  29,  1-4. 


192  LÉON    HOMO.  • 

En  résumé,  dans  la  grande  crise  de  l'Empire,  qui  atteint  son 
paroxysme  avec  le  règne  de  Gallien  (260-268),  il  n'est  aucune 
des  provinces  sénatoriales  —  remarquons-le  bien,  aucune  — 
qui  ait  conservé  son  caractère  traditionnel  de  province  «  iner- 
mis  »  et  pacifiée.  Le  fait  est  indiscutable.  La  logique  veut  que, 
conformément  aux  règles  séculaires  de  l'administration  romaine, 
l'empereur,  en  ce  moment  de  danger  suprême,  les  ait  enlevées 
au  Sénat  pour  en  assurer  lui-même  le  gouvernement  et  la  défense. 
Il  n'y  avait  là,  si  on  se  rappelle  les  précédents,  absolument  rien 
de  révolutionnaire.  Ce  qui  était  nouveau,  ce  n'était  pas  le  pro- 
cédé, ce  furent  les  modalités  qui  présidèrent  à  son  application. 
Tout  d'abord  l'extension  ;  il  ne  s'agit  plus,  comme  par  le  passé, 
d'une  province  sénatoriale  isolée,  mais  de  toutes  les  provinces 
jusque-là  réservées  à  l'administration  du  Sénat.  En  second  lieu, 
le  transfert  se  fait  sans  compensation.  L'usage  voulait  que  l'em- 
pereur, lorsqu'il  enlevait  au  Sénat  une  de  ses  provinces,  lui  en 
remît  une  autre  en  échange.  En  67,  Néron  proclame  l'indépen- 
dance de  l'Achaïe  ;  il  dédommage  le  Sénat  par  la  cession  de  la 
Sardaigne.  En  135,  Hadrien  assume  le  gouvernement  de  la 
province  sénatoriale  de  Bithynie;  il  donne  au  Sénat  la  Lycie 
Pamphylie,  jusque-là  province  impériale.  Sous  Marc-Aurèle, 
enfin,  la  Bétique.  prise  par  l'empereur,  est  remplacée  dans  le  lot 
sénatorial  par  la  Sardaigne. 

Au  temps  de  Gallien,  il  n'en  est  plus  de  même.  Pourquoi? 
Est-ce  mauvaise  volonté  de  l'empereur?  Nullement.  Si  l'empe- 
reur dépouille  le  Sénat  sans  rien  lui  rendre  en  échange,  sa  con- 
duite s'explique  par  une  raison  péremptoire.  En  raison  de  la 
crise  exceptionnelle  qui  sévit  sur  le  monde  romain,  toutes  les 
provinces  de  l'Empire  passent,  selon  une  expression  moderne, 
dans  la  zone  des  armées.  Dès  lors,  aucun  échange  n'était  plus 
possible  et,  dans  ces  conditions,  la  mainmise  impériale  sur  les 
provinces  du  Sénat  devait  nécessairement  rester  sans  compen- 
sation. 

Enfin  —  troisième  nouveauté  —  ces  prises  de  possession 
impériales  avaient  généralement  été  jusque-là  temporaires  et 
limitées  à  la  durée  que  la  situation  rendait  strictement  néces- 
saire. Cette  fois-ci,  il  ne  peut  plus  en  être  de  même,  non  pas, 
répétons-le  encore,  par  hostilité  systématique  de  l'empereur, 
mais  tout  simplement  parce  que  la  crise  dont  souSre  l'Empire 
sera  exceptionnellement  longue  et,  malgré  quelques  accalmies 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      193 

temporaires,  se  prolongera  somme  toute  jusqu'au  règne  de  Dio- 
clétien. 

Qu'allait  devenir,  au  point  de  vue  administratif,  la  situation 
de  ces  provinces  sénatoriales  dont  l'empereur  se  trouvait  ainsi 
contraint  d'assumer  la  charge?  Le  problème  comportait  deux 
solutions  possibles  :  ou  bien  placera  la  tête  de  ces  provinces  des 
légats  propréteurs,  recrutés  selon  la  tradition,  dans  l'ordre  séna- 
torial, ou  bien  leur  donner  des  gouverneurs  équestres.  Mais,  au 
moment  où  avait  lieu  le  transfert,  la  question  n'était  plus 
entière.  Gallien  venait  précisément  de  promulguer  l'édit  qui 
excluait  les  sénateurs  des  commandements  militaires  dans  les 
provinces  impériales  et  à  l'armée.  Il  ne  pouvait  donc  confier 
aux  sénateurs  dans  les  anciennes  provinces  sénatoriales  ce 
même  pouvoir  militaire  qu'il  leur  enlevait  dans  les  provinces 
impériales.  Dès  lors,  la  solution  s'imposait  :  donner  aux  pro- 
vinces sénatoriales  l'organisation  même  que  l'édit  de  Gallien 
venait  d'introduire  dans  les  provinces  impériales,  c'est-à-dire 
les  faire  administrer  par  des  gouverneurs  de  rang  équestre,  qui 
réuniraient  l'ensemble  des  attributions  civiles  et  militaires. 
D'ailleurs,  l'application  de  l'édit  aux  deux. catégories  de  pro- 
vinces était  parfaitement  logique  et  apparaissait  comme  une 
nécessité  inéluctable  de  la  situation  générale.  Les  membres  de 
l'ordre  sénatorial,  à  quelques  rares  exceptions  près,  ne  faisaient 
que  de  piètres  chefs  d'armée.  Dans  la  crise  épouvantable  où  se 
débattait  l'Empire,  ce  qu'il  fallait  à  la  tête  des  provinces  —  pro- 
vinces de  l'intérieur  aussi  bien  que  provinces  frontières  — 
c'étaient  des  chefs  capables  et  éprouvés.  Ces  chefs,  l'empereur 
ne  pouvait  les  trouver  que  dans  Tordre  équestre. 

Que  ces  conclusions  correspondent  à  la  réalité  des  faits, 
l'Histoire  Auguste  nous  en  donne  indubitablement  la  preuve. 
Voici  ce  que  nous  raconte  l'auteur  du  recueil  des  Trente  Tyrans, 
aux  paragraphes  19  et  21  :  «  Valens...  exerçait  à  la  même 
époque  le  proconsulat  d'Achaïe,  qui  lui  avait  été  donné  par  Gal- 
lien. Macrianus,  qui  le  redoutait  extrêmement,  ou  parce  qu'il 
connaissait  tout  son  mérite  ou  parce  qu'Q  le  croyait  jaloux  du 
sien  et  qu'il  le  supposait  son  ennemi,  chargea  Pison,  d'une  des 
plus  nobles  maisons  de  Rome  et  d'une  famille  de  consulaires,  de 
lui  ôter  la  vie.  Valens,  prudent  et  perspicace,  pensa  qu'il 
n'avait  d'autre  moyen  d'échapper  à  la  mort  que  de  prendre 
l'Empire.  Mais  il  fut  tué  peu  après  par  les  soldats...  Pison,  que 
Rev.  Histor.  CXXXVn.  2«  fasc.  13 


194  LÉO^i    HOMO. 

Macrianus  avait  envoyé  pour  tuer  Valens,  voyant  que  celui-ci 
avait  su  le  prévenir  et  s'était  fait  proclamer  empereur,  se  retira 
en  Thessalie.  Là,  aidé  d'un  petit  nombre  de  ses  partisans,  il  prit 
lui-même  l'Empire,  se  fit  appeler  Thessalique  et  périt  bientôt 
après.  C'était  un  homme  d'une  grande  vertu  et  on  l'appelait  de 
son  temps  Frugi.  Il  passait  pour  un  descendant  de  cette  ancienne 
famille  des  Pisons  à  laquelle  Cicéron  s'allia  pour  anoblir  la 
sienne...  J'insérerai  ici,  pour  montrer  de  quelle  estime  il  jouis- 
sait, un  sénatus-consulte  rendu  après  sa  mort.  Le  septième  jour 
des  calendes  de  judlet,  la  nouvelle  étant  arrivée  que  Pison  avait 
péri  sous  les  coups  de  Valens  et  que  celui-ci  avait  été  à  son  tour 
tué  par  ses  soldats,  AreUius  Fuscus,  consulaire  qui  avait  suc- 
cédé à  Valérien  dans  le  droit  de  parler  le  premier,  dit  :  «  Con- 
«  sul,  prends  les  avis  »,  et,  quand  on  lui  demanda  le  sien  : 
«  Pères  conscrits  »,  dit-il,  «  je  décerne  à  Pison  les  honneurs 
«  divins...,  car  il  n'y  eut  jamais  d'homme  meilleur  ou  plus 
«  ferme  à  la  fois.  »  Le  reste  de  l'assenoblée  fut  d'avis  que  l'on 
mît  sa  statue  parmi  celles  des  triomphateurs  et  qu'on  lui  votât 
un  char  attelé  de  quatre  chevaux.  La  statue  existe  encore; 
quant  au  quadrige  qui  lui  fut  décerné on  le  plaça  à  l'en- 
droit où  furent  construits  plus  tard  les  Thermes  de  Dioclétien.  » 

Dans  ce  récit,  il  y  a  plusieurs  particularités  qui  doivent  rete- 
nir notre  attention  : 

1°  Valens  y  est  qualifié  de  «  Vir  militarisa  ».  Le  mot  «  milita- 
ris  »  dans  la  langue  des  historiens  du  rv^  siècle  a  un  sens  très 
précis.  Ce  sens,  nous  le  trouvons  notamment  dans  deux  passages 
d'Aurelius  Victor  (Caesares)  et  de  VEpitome,  relatifs  à  l'avène- 
ment de  l'empereur  Maximin  en  235  :  «  G.  .Julius  Maximinus... 
primus  e  militaribus...  potentiam  cepit  sufiragiis  legionum-  », 
«  Julius  Maxhninus  Thrax,  ex  militaribus ^  ».  Il  désigne  un  sol- 
dat de  carrière^.  Valens  «  Vir  militaris  »  est  lui  aussi  un  soldat 
de  carrière  et  un  chef  à  pouvoir  militaire.  L'hypothèse  d'un 
anachronisme  commis  par  l'Histoire  Auguste  doit  être  nécessai- 
rement exclue.  A  l'époque  où  il  écrivait  sa  courte  biographie  de 

1.  Vitae  XXX  Tyrann.,  19,  1. 

2.  Àurelius  Victor,  Caesares,  25,  1. 

3.  Epitome,  25,  I. 

4.  Cf.  Aurelius  Victor,  Caesares,  37,  7,  où  l'auteur  blâme  l'égoïsme  des  séna- 
teurs, qui  «  raunivere  militaribus  et  paene  barbaris  viam  in  se  ac  posteros 
doroinandi  ». 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SKIVAT  ROMAIN.       195 

l'usurpateur  Valens  —  entre  298  et  303  —  le  biographe  n'avait 
plus  sous  les  yeux  que  des  gouverneurs  civils  :  c'était  le  cas  en 
particulier  du  proconsul  d'Achaïe.  L'idée  d'un  proconsul  d'Achaïe 
à  pouvoir  militaire  ne  pouvait  lui  venir  spontanément  à  l'esprit. 
Il  y  a  plus.  Le  texte  de  la  biographie  montre  nettement  que  le 
biographe  a  été  surpris  par  ce  gouverneur  militaire  d'Achaïe.  D 
cherche  une  explication  à  ce  fait  qui  lui  paraît  anormal  et,  dans 
son  ignorance,  il  n'en  trouve  d'autre  que  ceUe-ci  :  «  Simul  etiam 
civilium  virtutum  gloria  pollens  »,  qu'il  répète  une  seconde  fois 
plus  loin  :  «  Quem  Macrianus  vehementer  reformidans,  simul 
quod  omni  génère  vitae  satis  clarum  norat.  »  Il  ne  peut  donc 
avoir  inventé  la  mention  relative  à  Valens.  Il  l'a  trouvée  dans 
quelqu'uiïe  de  ses  sources  et  l'a  reproduite  sans  bien  la  com- 
prendre. Le  témoignage  n'en  prend  que  plus  de  valeur.  Le 
caractère  militaire  du  gouverneur  Valens  est  confirmé  par  cet 
autre  fait  qu'il  a  des  troupes  sous  ses  ordres  :  «  Sumpsit  impe- 
rium  et  brevi  a  militibus  interemptus  est^  »,  et  que  Pison  est 
tué  précisément  par  les  soldats  de  Valens  :  «  Missis  a  Valente 
militibus  compluribus  interfectus  est 2.  »  Or,  ce  gouverneur  à 
caractère  militaire  est  proconsul  d'Achaïe,  province  sénatoriale 
et  par  définition  même  «  inermis  ». 

2°  Valens  a  été,  nous  dit  notre  texte,  nommé  proconsul 
d'Achaïe  par  Gallien  :  «  Proconsulatum  Achaiae  dato  a  GaUieuo 
tune  honore  gubernabat^.  »  Or,  l'Achaïe  étant  province  sénato- 
riale, ses  gouverneurs  étaient  tirés  au  sort  et  non  désignés  indi- 
viduellement par  l'empereur.  L'indication  est  donc  extrêmement 
précieuse  et,  selon  toute  vraisemblance,  l'auteur  l'a  donnée 
intentionnellement. 

3°  La  personnalité  du  rival  de  Valens,  Calpurnius  Pison,  est 
particulièrement  intéressante.  Ce  Pison,  que  Macrianus  envoie 
comme  gouverneur  en  Grèce,  est  un  sénateur  de  noble  race  et 
de  famiUe  consulaire  :  «  Misso  Pisonem  unum  ex  nobilibus  et 
principibus  Senatus^  »;  «  Misso  Pisone  nobilissimae  tune  et 
consularis  familiae  viro"'  »;  «  Vir  summae  sanctitatis  et  tempo- 
ribus  suis  Frugi  dictus  et  qui  ex  illa  Pisonum  familia  ducere  ori- 

1.  Vitae  XXX  Tyrann.,  19,  3. 

2.  Vita  Gallieni,  2,  3-4. 

3."  Vitae  XXX  Tyrann.,  19,  1. 

4.  Vita  Gallieni,  2,  2. 

5.  Vitae  XXX  Tyrann.,  19,  2-3. 


196  LÉON    HOMO. 

ginem  dicerétur  cui  se  Cicero  nobilitandi  causa  sociaverat*  »; 
«  Pisonem. . .  virum  cujus  similem  Romana  res  publica  non  habe- 
ret^  ».  Le  Sénat,  à  la  nouvelle  de  sa  mort,  lui  décerne  des  hon- 
neurs extraordinaires  3.  Tous  ces  faits  sont  très  caractéristiques 
et  trouvent  leur  explication  dans  la  politique  de  Macrianus.  Pour 
se  concilier  les  bonnes  grâces  du  Sénat  dans  sa  lutte  imminente 
contre  Gallien,  Macrianus  envoie  en  Achaïe,  comme  gouver- 
neur, un  membre  de  l'aristocratie  sénatoriale.  Valens,  le  chef 
militaire  nommé  par  Gallien;  Pison,  le  gouverneur  sénatorial 
envoyé  par  Macrianus,  ce  ne  sont  pas  seulement  deux  hommes, 
mais  deux  politiques  en  présence.  Enfin,  que  le  Sénat  ait  pris 
un  vif  intérêt  au  choix  de  Pison  résulte  directement  des  hon- 
neurs exceptionnels  qu'il  rend  à  sa  mémoire. 

Quant  à  la  date  de  ces  événements,  elle  peut  être  fixée  dans 
des  limites  suffisamment  étroites.  L'année  est  donnée  par  la  Vie 
de  Gallien^,  «  Gallieno  et  Volusiano  consulibus  »,  donc  261. 
L'usurpation  de  Valens''  a  précédé  de  peu  la  défaite  de  Macria- 
nus, laquelle  se  place  à  la  fin  de  l'année,  et  sa  nomination  par 
Gallien  comme  gouverneur  a  été  faite  au  plus  tard  dans  le  cou- 
rant de  l'automne.  Par  conséquent,  en  automne  261,  Gallien 
choisit  un  gouverneur  d' Achaïe  qui  n'appartient  plus,  comme 
l'aurait  voulu  la  tradition  administrative  impériale,  à  l'ordre 
sénatorial,  et  ce  gouverneur,  il  le  nomme  directement.  C'est  donc 
la  mainmise  complète  de  l'empereur  sur  une  province  du  Sénat 
et,  réalisée  dans  un  cas  concret,  l'abolition  du  privilège  séna- 
torial. 

Un  autre  texte  de  l'Histoire  Auguste,  déjà  cité  plus  haut  à 
propos  des  «  Duces  »  et  relatif  à  la  province  d'Afrique,  vient  direc- 
tement à  l'appui  des  conclusions  précédentes.  La  Vie  de  Fir- 
mus,  dans  le  recueil  des  Quatre  Tyrans,  nous  raconte  :  «  Eo 
tempore  »  —  vers  272-273  —  «  très  fuisse  Firmos,  quorum... 
alter  dux  limitis  Africani  idemque  pro  consule*^...  »  Le  libellé 
des  fonctions,  sous  cette  forme,  est  une  pure  absurdité,  mais  ce 
qu'il  faut  en  retenir  c'est  le  cumul  aux  mains  d'un  même  per- 

1.  ibid.,  21,  1-2. 

2.  Ibid.,  21,  2. 

3.  Ibid.,  21,  5-7. 

4.  Vita  Gallieni,  1,  2. 

5.  Ibid.,  2,  2-.3. 

6.  Vitae  IV  Tyrann.,  3,  1. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      197 

sonnage,  gouverneur  d'Afrique,  des  pouvoirs  civil  et  militaire. 
Ici  non  plus  il  ne  peut  être  question  d'anachronisme  :  à  l'époque 
à  laquelle  vivait  le  biographe,  il  n'y  avait  pas  de  proconsuls  qui 
fussent  en  même  temps  «  duces  »,  les  attributions  civiles  et  mili- 
taires étant  désormais  nettement  séparées.  La  mention  de  ce 
cumul,  il  faut  donc  qu'il  Tait  trouvée  quelque  part  dans  ses 
sources.  Le  lait  apparaît  plus  intéressant  encore  si  on  le  rap- 
proche d'une  autre  indication  donnée  par  le  même  recueil  des 
Quatre  T}Tans  :  «  Afri  quoque  auctore  Vibio  Passieno,  procon- 
sule  Africae  et  Fabio  Pomponiano  duce  limitis  Libyci,  Celsum 
imperatorera  appellaverunt^  »  Cette  fois,  il  s'agit  d'un  gouver- 
neur d'Afrique  qui  est  purement  civil,  puisqu'il  s'entend  pour 
proclamer  un  usurpateur  avec  le  chef  militaire  d'une  circons- 
cription voisine.  Cet  événement  a  eu  lieu  en  261.  Par  consé- 
quent, entre  ces  deux  dates  —  usurpation  de  Celsus  en  261  et 
gouvernement  de  Firmus  vers  272-273  —  il  s'est  produit  un 
changement  dans  la  condition  du  gouverneur  d'Afrique.  En  261 , 
la  province  a  encore  un  gouverneur  civil;  vers  272-273,  elle 
possède  un  gouverneur  à  la  fois  civil  et  militaire.  L'exemple  de 
Firmus  confirme  celui  de  Valens;  ce  sont  deux  applications 
d'une  même  idée  gouvernementale,  deux  expressions  d'une 
même  méthode  administrative. 

Les  résultats  auxquels  nous  aboutissons  ainsi  pour  les  pro- 
vinces sénatoriales  sont  d'autant  plus  importants  qu'ils  ne  sont 
pas  isolés.  Cette  date  de  261  est  également,  nous  le  verrons  plus 
loin,  celle  du  fameux  édit  de  Gallien,  qui  a  inauguré  une 
réforme  décisive  dans  l'administration  des  provinces  impériales. 
Par  cet  édit,  Gallien  interdit  aux  sénateurs  toutes  les  fonctions 
militaires;  il  les  exclut  par  conséquent  du  gouvernement  des 
provinces  impériales  et  des  grades  d'officiers.  A  ce  moment 
même,  la  crise  atteint  son  maximum  d'acuité  dans  toute  l'éten- 
due de  l'Empire;  les  provinces  sénatoriales  les  unes  après  les 
autres  entrent  dans  la  zone  des  armées.  Que  faire  ?  Gallien 
applique  aux  provinces  sénatoriales  le  même  régime  qu'aux  pro- 
vinces impériales,  c'est-à-dire  qu'il  remplace  les  gouverneurs 
sénatoriaux  par  des  gouverneurs  non  sénatoriaux,  revêtus  de 
pouvoirs  militaires  aussi  bien  que  civils.  Les  deux  séries  de 
mesures,  cjui  ont  transformé  radicalement  l'administration  des 

1.  Vitae  XXX  Tyrami..  29,  1. 


198  '      LÉON    HOMO. 

deux  grandes  catégories  de  provinces,  se  révèlent  ainsi  à  nous 
comme  logiquement  connexes  et  étroitement  apparentées. 

Sur  les  détails  de  l'organisation  nouvelle  introduite  par  Gai- 
lien  dans  les  provinces  sénatoriales,  nous  sommes  fort  mal  ren- 
seignés. Mais  nous  connaissons  mieux  ce  qui  s'est  passé  dans 
les  provinces  impériales.  Nous  verrons  bientôt  que,  dans  ces 
dernières,  la  réforme  a  comporté  trois  changements  fonda- 
mentaux :  1°  Les  gouverneurs  d'ordre  sénatorial  —  consulaires 
ou  prétoriens  —  sont  remplacés  par  des  gouverneurs  d'ordre 
équestre.  2"  Ces  gouverneurs  équestres  n'exercent  tout  d'abord 
leurs  fonctions  que  sous  la  forme  de  la  suppléance,  c'est-à-dire 
en  qualité  de  vice-gouverneurs.  3°  Ils  portent  le  titre  de  «  Viri 
Perfectissimi  ».  Nous  avons  le  droit  de  nous  demander,  à  titre 
de  pure  hypothèse,  si  le  système  suivi  dans  les  provinces  séna-. 
toriales  n'aurait  pas  été  analogue.  Or,  la  confirmation  de  cette 
hypothèse  est  donnée  de  la  manière  la  plus  nette  par  les  deux 
inscriptions  de  Bétique^,  mentionnées  ci -dessus.  Elles  nous 
montrent,  à  la  date  de  276,  la  province  de  Bétique  gouvernée 
•par  Aurelius  Julius,  «  vir  perfectissimus  »,  «  vices  agens  prae- 
sidis  ».  Ces  deux  inscriptions,  seuls  témoins  épigraphiques  con- 
servés de  la  réforme  des  provinces  sénatoriales  sous  Gallien, 
sont  capitales.  Nous  y  constatons,  à  quinze  ans  de  distance, 
l'application  de  ces  mêmes  principes  que  nous  trouvons  réa- 
lisés par  Gallien  dans  l'administration  des  provinces  impériales  : 
disparition  du  gouverneur  sénatorial  remplacé  par  un  gouver- 
neur équestre,  système  de  la  suppléance,  rang  de  «  perfectis- 
sime  ».  —  Nous  aimerions  à  connaître  l'origine  et  la  carrière  de 
ces  nouveaux  gouverneurs.  Mallieureusement,  nous  ne  savons 
rien  sur  le  passé  d' Aurelius  Julius.  Mais  nous  avons  vu  que 
Valens,  gouverneur  d'Achaïe  en  261,  était  un  militaire  de 
métier.  Le  nom  d'Aurelius  porté  par  Aurelius  Julius  semble 
déceler  une  origine  danubienne,  car  cette  appellation  était 
extrêmement  répandue  —  nous  aurons  à  revenir  sur  ce  point 
—  parmi  les  habitants  de  l'Illyricum.  Enfin ,  les  nécessités 
de  la  défense  étant  exactement  les  mêmes  dans  les  provinces 

\.  C.  I.  L.,  II,  1115,  1116.  —  Nous  verrons  plus  loin,  à  propos  des  provinces 
impériales,  les  antécédents  du  système.  Remarquons  ici  que  la  suppléance 
éventuelle  du  gouverneur  par  le  procurateur  impérial  de  la  province  se  ren- 
contre aussi,  avant  Gallien,  pour  les  provinces  sénatoriales  :  par  exemple, 
C.  l.  L.,  V,  875  (sous  Doraitien),  et  XIII,  1807  (sous  Maximin). 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SÉNAT  ROMAIN.      199 

sénatoriales  que  dans  les  autres,  il  est  logique  d'admettre  que  le 
personnel  de  gouverneurs,  chargé  désormais  d'y  faire  face,  a 
été  le  même  dans  les  deux  cas. 

Une  dernière  question  se  pose.  La  transformation  dans  l'ad- 
ministration des  provinces  sénatoriales  s'est-elle  opérée  simulta- 
nément pour  toutes  ou  seulement  par  étapes?  On  ne  peut  direc- 
tement déterminer  qu'une  date,  celle  de  261  pour  l'Achaïe,  mais 
il  faut  considérer  que  les  raisons  qui  ont  amené  la  réforme  ne 
sont  pas  particulières  à  cette  province.  En  261,  la  crise  est 
générale  dans  l'ensemble  des  provinces  sénatoriales,  aussi  bien 
que  dans  le  reste  de  l'Empire.  En  Narbonaise,  grande  invasion 
des  Alamans  (260-261);  guerre  de  Gallien  contre  Postumus, 
qui  prend  un  acharnement  particulier  à  la  suite  de  la  conven- 
tion signée  entre  Gallien  et  Aureolus  (fin  261).  En  Bétique,  la 
province  est  perdue  pour  Gallien  et  se  rattache  à  l'empire  gaUo- 
romain  de  Postumus.  En  Sicile,  grande  révolte  servile  de  261. 
En  Macédoine,  intervention  armée  de  Macrianus  et  usurpation 
d'Aureolus  (automne  261).  En  Asie,  invasion  perse  à  la  suite  de 
la  captivité  de  Valérien  (fin  260-début  261).  En  Lycie  et  Pam- 
phylie,  même  invasion.  En  Afrique,  usurpation  de  Celsus. 
Comme,  d'autre  part,  cette  date  de  261  est  ceUe  de  l'édit  de  Gal- 
lien, qui  réorganise  le  gouvernement  des  provinces  impériales 
et  le  recrutement  des  officiers,  il  semble  très  vraisemblable 
d'admettre  que  la  transformation  dans  l'administration  des  pro- 
vinces sénatoriales  a  été  une  réforme  d'ensemble  et  qu'elle  se 
place  précisément  cette  année-là. 

La  crise,  qui  avait  rendu  nécessaire  les  réformes  de  Gallien 
dans  le  domaine  de  l'administration  provinciale,  se  maintint, 
sous  une  forme  permanente,  jusqu'à  la  mort  de  cet  empereur. 
La  Narbonaise,  en  raison  de  la  lutte  de  Gslllien  contre  Postumus 
et  ses  successeurs,  reste  dans  la  zone  des  opérations.  La  situa- 
tion est  analogue  pour  les  trois  provinces  de  Macédoine,  d'Achaïe 
et  d'Asie  que  les  Goths  viennent  encore  dévaster  en  267.  Dans 
ces  conditions,  il  ne  pouvait  être  question  d'un  retour  à  l'orga- 
nisation administrative  traditionnelle,  et  les  réformes  adminis- 
tratives de  Gallien  durent  rester  nécessairement  en  vigueur' 
jusqu'à  la  fin  de  son  règne  (268). 

L'avènement  de  Claude,  en  268,  marque  la  prise  de  posses- 
sion directe  du  pouvoir  par  l'armée  danubienne.  En  raison  de  la 
haine  dont  il  avait  poursuivi  Gallien  jusqu'à  son  dernier  jour. 


200  LEON    HOMO. 

le  Sénat  accueillit  son  successeur,  sinon  avec  un  enthousiasme 
délirant,  du  moins  sans  défaveur.  Claude,  de  son  côté,  par 
caractère  autant  que  par  patriotisme,  était  disposé  à  se  montrer 
accommodant  et  même,  le  cas  échéant,  à  faire  quelques  conces- 
sions. Apporta-t-Q  quelques  modifications  sérieuses  au  nouveau 
régime  introduit  dans  les  provinces  sénatoriales  par  Gallien?  Il 
nous  est  impossible  de  répondre  avec  précision  à  cette  question, 
car  pour  les  deux  années  du  règne  de  Claude  nous  ne  connais- 
sons le  nom  d'aucun  gouverneur  des  anciennes  provinces  séna- 
toriales. Mais  du  moins  nous  savons  une  chose,  et  une  chose 
importante  :  les  nécessités  de  salut  public  qui  avaient  dicté  la 
conduite  de  Gallien  continuent  à  agir.  La  Narbonaise  est  occu- 
pée par  des  troupes  romaines  chargées  de  la  défendre,  ainsi  que 
l'Italie,  contre  une  ofiènsive  toujours  possible  des  empereurs 
gallo-romains*.  La  Macédoine,  en  269,  est  de  nouveau  envahie 
par  les  Goths.  Venus  par  mer.  ils  débarquent  près  de  Thessalo- 
nique,  assiègent  la  ville  et,  remontant  vers  le  nord,  dévastent 
toute  la  province.  Claude  arrive  enfin,  leur  coupe  la  retraite  et 
les  écrase  à  la  bataille  décisive  de  Naïssus.  En  Lycie  et  Pamphy- 
lie,  les  Goths  dévastent  le  littoral  et  attaquent  la  ville  de  Sidé, 
Même  situation  et  à  la  même  époque  dans  la  province  d'Asie,  à 
Chypre  et  en  Crète.  Dans  ces  conditions,  Claude,  malgré  la 
meilleure  volonté  du  monde,  ne  pouvait  de  nouveau  proclamer 
«  inermes  »  des  provinces  livrées  aux  incursions  des  barbares 
et  où  la  présence  d'un  gouvernement  militaire  se  révélait  comme 
une  nécessité  inéluctable.  Rien  ne  dut  donc  être  changé,  en  ce 
qui  concerne  les  provinces  sénatoriales,  au  règlement  de  Gallien. 
Avec  Aurélien  que  se  passe-t-il?  Considérons  tout  d'abord, 
comme  nous  l'avons  fait  jusqu'ici,  les  éléments  généraux  de  la 
situation.  Sous  le  règne  de  cet  empereur,  deux  points  essentiels 
sont  à  relever.  Tout  d'abord,  l'attitude  d' Aurélien  vis-à-vis  du 
Sénat.  Aurélien  est  le  soldat  de  métier,  l'homme  de  l'armée 
danubienne  par  excellence.  Son  caractère,  de  plus,  est  tout 
d'une  pièce  et  insoucieux  des  nuances;  ce  n'est  pas  chez  lui 
qu'on  risque  de  trouver  un  excès  de  condescendance  vis-à-vis 
du  Sénat,  et,  de  fait,  sa  politique  a  toujours  été  nettement,  sou- 
vent même  brutalement,  antisénatoriale.  Il  n'aime  pas  les  séna- 
teurs et  ceux-ci  le  lui  rendent  bien.  Après  la  courte  période  de 

1.  c.  I.  L.,  XII,  2228. 


LA  DISPARITION  DES  PHITILÈGES  ADMINISTRAT! FS  DU  SENAT  ROMAIN.     201 

détente  marquée  par  le  règne  de  Claude,  les  mauvais  jours  du 
règne  de  Gallien  semblent  revenus  pour  le  Sénat.  Second  point  : 
la  situation  générale  de  l'Empire.  L'unité  romaine  se  reconsti- 
tue en  272-273,  par  la  double  reconquête  de  l'Orient  et  de  l'Oc- 
cident. La  grande  crise  semble  terminée.  Dès  lors,  les  mesures 
prises  par  Gallien  dans  le  domaine  de  l'administration  provin- 
ciale pouvaient,  semble-t-il.  être  remises  en  question  et,  sinon 
abolies,  du  moins  sérieusement  atténuées.  Le  fait  s'est-il  pro- 
duit? Deux  textes  de  l'Histoire  Auguste  doivent  à  cet  égard 
retenu*  notre  attention. 

La  Vie  d'Aurélien  ',  à  propos  de  l'interrègne  qui  suivit  la  mort 
de  cet  empereur,  s'exprime  de  la  manière  suivante  :  «  Ita  ut  per 
sex  menses  imperatorem  Romanus  prbis  non  habuerit,  omnes- 
que  judices  ii  permanerent  quos  aut  senatus  aut  Aurelianus  ele- 
gerat,  nisi  quod  pro  consule  Asiae  Falconius  Probus  in  locum 
AreUi  Fusci  delectus  est.  »  Il  résulterait  de  ce  passage  que  le 
Sénat,  sous  Aurélien ,  avait  choisi  des  «judices  »,  qui  ne  peuvent 
être  que  des  gouverneurs  de  provinces  sénatoriales.  Le  texte  ne 
s'en  tient  pas  à  cette  indication  générale.  Il  cite  un  exemple 
particulier,  celui  de  la  province  d'Asie,  dont  le  gouverneur  sor- 
tant, Arellius  Fuscus,  aurait  été  remplacé  au  cours  de  l'inter- 
règne par  Falconius  Probus.  Si  ces  faits  sont  exacts,  Falconius 
Probus  a  pris  i)Ossession  du  proconsulat  d'Asie  au  début  de  276. 
Son  prédécesseur,  Arellius  Fuscus,  aurait  donc  exercé  cette 
charge  pendant  l'année  275,  et  ainsi  il  serait  prouvé  qu'il  y  a 
eu,  sous  Aurélien,  au  moins  un  gouverneur  d'ordre  sénatorial 
dans  une  province  du  Sénat.  Nous  avons  déjà  rencontré  ce  nom 
d'AreUius  Fuscus  à  propos  des  honneurs  rendus  en  261  à  la 
mémoire  de  Calpurnius  Pison^  :  «  Arellius  Fuscus,  consularis 
primae  sententiae ,  qui  in  locum  Valeriani  successerat  »  ;  il 
aurait  donc  reçu  cette  dignité  en  253,  lorsque  Valérien  fut  élevé 
à  l'Empire.  Serait-ce  ce  même  Arellius  Fuscus  que  la  Vie  d' Au- 
rélien nous  montre,  en  275,  proconsul  d'Asie?  Est-ce  son  fils  ou 
quelque  autre  membre  de  la  famiUe?  Nous  n'en  savons  absolu- 
ment rien.  Gomme,  d'autre  part,  le  nom  ne  se  rencontre  pas  en 
dehors  de  l'Histoire  Auguste,  nous  n'avons  aucun  moyen  de 
résoudre  le  problème,  et  l'existence  même  du  personnage  doit, 

1.  Vila  Aureliaiii,  4U,  4. 

2.  Vitae  XXX  Tyrann.,  '21,  3. 


202  LÉON   HOMO. 

par  suite,  être  considérée  comme  fort  suspecte.  Mais  ce  doute 
sur  la  personne  n'implique  nullement  que  le  double  témoignage 
du  biographe,  relatif  aux  provinces  en  général  et  à  l'Asie  en 
particulier,  soit  à  rejeter  sans  autre  forme  de  procès. 

Le  second  de  nos  deux  textes  se  trouve  dans  la  Biographie  de 
Tacite^  :  «  Nos  recepimus  jus  proconsulare  »,  écrit  un  sénateur 
dans  une  pseudo-lettre  adressée  à  son  père  :  «  Nous  avons 
recouvré  le  droit  proconsulaire  »,  par  conséquent  le  privilège 
de  nommer  les  gouverneurs  de  provinces  sénatoriales.  Si  le 
Sénat  recouvre  cette  prérogative  au  lendemain  de  la  mort  d'Au- 
rélien,  c'est  donc,  semble-t-il  logiquement,  que  sous  cet  empe- 
reur il  ne  la  possédait  plus. 

Les  deux  textes  paraissent  contradictoires.  En  réalité,  ils  ne 
le  sont  pas  et  leur  libellé,  à  l'étudier  de  près,  nous  permet  de 
préciser  la  politique  impériale  d'Aurélien  en  la  matière.  Du  pre- 
mier, il  résulterait  qu'il  y  a  eu  «  des  »  gouverneurs  sénatoriaux 
sous  cet  empereur;  mais  ce  fait  n'implique  nullement  que  le 
Sénat  ait  recouvré  son  privilège  administratif  pour  «.  toutes  » 
ses  anciennes  provinces.  Dans  le  second,  c'est  le  principe 
même,  le  privilège  de  choisir  les  gouverneurs  sénatoriaux  qui 
reparaît  :  «  Recepimus  jus  proconsulare.  »  La  situation  aurait 
donc  été  la  suivante  :  pour  le  règne  d'Aurélien,  tolérance  por- 
tant sur  quelques  gouvernements  de  provinces  sénatoriales  ; 
sous  Tacite,  rétablissement  complet  et  par  principe  du  privilège 
du  Sénat  dans  les  provinces  sénatoriales  traditionnelles. 

Ce  point  de  vue  n'est  ni  arbitraire  ni  purement  hypothétique. 
Il  trouve  sa  conformation  dans  un  texte  important  de  la  Vie  de 
Probus-,  sur  lequel  nous  aurons  à  revenir  par  la  suite.  Le  bio- 
graphe de  cet  empereur  nous  dit  qu'à  son  avènement  «  permisit 
patribusut...  ipsi...  proconsules  crearent».  Le  mot  «permisit» 
est  aussi  significatif  que  possible  :  le  rapprochement  de  cette 
expression  et  du  «  recepimus  jus  proconsulare  »  de  la  Vie  de 
Tacite  montre  bien  toute  la  différence  qui  existe  entre  la  poli- 
tique d'un  Danubien,  même  bien  intentionné  vis-à-vis  du  Sénat, 
comme  l'était  Probus,  et  celle  d'un  représentant  de  la  classe 
sénatoriale,  ce  qui  était  le  cas  de  Tacite.  Permission  d'un  côté, 
recouvrement  d'un  droit  de  l'autre;  il  y  a  un  abîme  entre  les 
deux  formules. 

( 

1.  Vita  Taciti,  19,  2. 

2.  Vita  Probi,  13,  1. 


LA  DISPARITION  DES  PaiVILEGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.     203 

Nous  pouvons  donc  admettre  que,  sous  Aurélien,  il  y  a  eu 
«  des  »  proconsuls  choisis  par  le  Sénat  avec  la  permission 
expresse  de  l'empereur.  Le  fait  se  serait  réalisé,  en  particulier, 
pour  la  province  sénatoriale  d'Asie,  toutes  réserves  faites  d'ail- 
leurs, sur  le  nom  du  sénateur  qui  en  aurait  été  le  bénéficiaire. 
Mais  il  s'agit  d'une  concession  impériale  toujours  révocable  et, 
d'autre  part,  le  texte  de  la  Vie  d' Aurélien  n'implique  nullement 
qu'elle  ait  porté  sur  «  toutes  »  les  anciennes  provinces  sénato- 
riales. L'empereur  reste  le  seul  juge  en  l'espèce.  Nous  verrons 
plus  loin  —  et  le  rapprochement  est  capital  —  que  la  situation 
est  la  même  pour  les  provinces  impériales,  où  l'empereur,  tout 
en  maintenant  le  système  de  Gallien,  peut,  par  exception,  nom- 
mer comme  gouverneurs  des  membres  de  l'aristocratie  sénato- 
riale. 

Lorsque  meurt  Aurélien,  en  275,  les  dispositions  de  Gallien 
relatives  au  gouvernement  des  provinces  sénatoriales  restent 
toujours,  théoriquement  au  moins,  en  vigueur,  et  il  faudra  la 
restauration  sénatoriale  de  275-276  pour  que  le  Sénat  recouvre 
temporairement' en  cette  matière  son  privilège  traditionnel. 

Léon  Homo. 
(Sera  continué:) 


MELANGES   ET  DOCUMENTS 


LE    «    MARIAGE    SPIRITUEL    » 

DANS  L  ANTIQUITE  CHRÉTIENNE 


Un  roman  moderne  peut  donner  quelque  lointaine  idée  de  ce  que 
fut,  dans  les  premiers  siècles  chrétiens,  le  «  mariage  spirituel  »  : 
c'est  le  Désespéré  de  Léon  Bloy. 

Marchenoir  a  recueilli^  chez  lui  Véronique  Cheminot,  «  célèbre 
naguère  au  quartier  latin  sous  le  pseudonyme  expressif  de  la  Ven- 
touse, splendide  goujate  que  dix  années  au  moins  de  prostitution  sur 
vingt-cinq  n'avaient  pu  flétrir  ».  Marchenoir,  ferme  croyant,  inspire 
à  Véronique  une  admiration,  une  confiance  sans  limites.  Elle  vient 
le  supplier  de  la  prendre  avec  lui,  de  Taider  à  devenir  une  bonne 
chrétienne  comme  lui.  «  Tous  les  dangers  qui  peuvent  résulter  pour 
un  catholique  exact  d'une  si  prochaine  occasion  habituelle  de  man- 
quer de  continence,  il  les  accepta  avec  la  certitude  résignée  de  com- 
promettre et  de  surcharger  abominablement  sa  vie.  »  Alors  com- 
mence entre  Marchenoir  et  Véronique  une  chaste  cohabitation. 
Marchenoir  goûte  lémerveillement  de  voir  cette  «  Marie  l'Egyp- 
tienne »  se  consumer  d'amour  mystique,  se  transmuer  peu  à  peu  en 
un  lis  de  pureté.  Il  en  arrive  à  croire  que  «  l'amitié  est  une  chose 
espérable  entre  un  homme  et  une  femme  qui  n'ont  pas  au  moins 
deux  cents  ans  el  qui  vivent  tous  Tes  jours  ensemble  ».  Mais  cette 
illusion  ne  tarde  pas  à  se  dissiper.  11  sent-  monter  en  lui  la  sourde 
protestation  de  «  cette  misérable  chair  que  nul  mysticisme  ne  peut' 
supprimer  ».  Au  cours  d'une  retraite  qu'il  fait  loin  de  Véronique,  il 
se  décide  à  lui  écrire  pour lavertir  qu'il  est  en  péril  de  mort  à  cause 
d'elle  et  qu'il  faut  qu'elle  trouve  un  moyen  de  le  sauver.  La  pauvre 
fille  n'en  imagine  point  d'autre  que  de  se  défigurer  pour  le  dégoûter 
d'elle.  Elle  coupe  sa  magnifique  chevelure  rousse,  «  où  quarante 
amants  s'étaient  baignés  comme  dans  un  fleuve  de  flamme  où 
renaissaient  leurs  désirs  ».  Elle  se  fait  arracher  toutes  les  dents, 


LE    «    MARIAGE   SPIRITUEL    »    DAIVS   l'aNTIQUITÉ   CHRe'tIENNE.       205 

telle  une  «  furie  de  miséricorde  et  de  prières  »  ;  et,  dans  la  ferveur 
de  son  épouvantable  sacrifice,  elle  change  en  un  blême  rictus  «  l'arc 
terrible  qui  avait  vidé  tant  de  carquois  »  ! 


$  I. 

Le  «  mariage  spirituel  »  fut-il  pratiqué  couramment,  parmi  les 
premières  générations  chrétiennes,  sous  le  regard  bienveillant  des 
autorités  ecclésiastiques?  H.  Achelis*  et  Jiilicher^  sont  de  cet  avis. 
Ils  en  parlent  lun  et  l'autre  avec  une  sorte  de  componction  atten- 
drie et  s'enchantent  de  l'image  idyllique  qu'ils  s'en  sont  formée  : 
«  Qui  pourrait  dire  »,  s'écrie  Achelis',  le  «  dévouement,  l'esprit  d'ab- 
négation, la  tendre  charité  que  pratiquaient  ces  épouses  du  Christ 
et  leurs  patrons  spirituels;  quelle  force  et  quelles  consolations  les 
uns  et  les  autres  puisaient  dans  leur  vie  commune  que  ne  flétrissait 
point  la  souillure  du  mariage,  alors  si  vivement  ressentie!  »  Cette 
coutume  serait  née,  selon  ces  critiques,  de  la  nécessité  de  pourvoir 
à  la  protection  et  à  l'entretien  des  vierges  et  des  veuves  qui,  renon- 
çant au  mariage  du  type  normal,  avaient  pourtant  besoin  d'un  sou- 
tien dans  une  société  si  impitoyable  aux  faibles.  Puis,  quelle  meil- 
leure occasion  de  montrer  aux  non-chrétiens,  asservis  pour  la 
plupart  à  la  domination  des  sens,  de  quels  renoncements  étaient 
capables  les  âmes  en  qui  agissait  la  vertu  purificatrice  de  l'Esprit? 
Tout  en  désapprouvant  l'illusion  mystique  de  ces  «  unis  »,  Jiilicher^ 
ne  se  défend  point,  lui  non  plus,  d'admirer  l'énergie  morale  qu'elle 
révèle  chez  eux. 

Ni  Achelis,  ni  Jiilicher  ne  veulent  admettre  que  les  «  cas  »  de  cette 
sorte  aient  été  assez  exceptionnels  ou  qu'ils  aient  pu  naraitre  d'em- 
blée suspects  au  bon  sens  de  l'Église.  Ce  serait  beaucoup  plus  tard, 
après  une  série  d'expériences  instructives,  que  l'ÉgUse  aurait  décon- 
seillé ou  même  proscrit  ce  genre  d'unions.  Comment  s'y  serait-elle 
opposée  des  le  début  sans  ébranler  les  principes  mêmes  sur  lesquels 
elle  se  déclarait  fondée?  Jésus  n'avait-il  pas  dit  :  «  Les  fils  de  ce 
siècle  se  marient  et  sont  donnés  en  mariage.  Mais  ceux  qui  seront 
trouvés  dignes  du  siècle  à  venir  et  de  la  résurrection  des  morts  ne 
se  marieront  point  et  n'épouseront  point  de  femmes"?  »  A- son 

1.  Virgincs  subinlroduclae  :  Ein  lieilrag  zii  1.  Kor.  VU.  Leipzig,  Hiurichs 
1902. 

2.  Arcfiio  fur  heligionsuHssenschaft,  VII  (1904),  p.  373-386. 

3.  Op.  cit.,  p.  72. 

4.  P.  386. 

5.  Luc,  XX,  35. 


206  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

tour  saint  Paul  n'avait-il  pas  célébré  une  sorte  d'abolition  des  sexes 
quand  il  s'était  écrié  :  «  Il  n"y  a  plus  n'y  Juif,  ni  Grec  ;  plus  d'esclave 
ni  de  libre;  plus  d'homme  ni  de  femme.  Car  vous  n'êtes  tous 
qu'une  seule  chose  dans  le  Christ  Jésus  ^  »  Et  encore  :  «  Mes  frères, 
le  temps  est  court;  il  faut  que  ceux  même  qui  ont  des  femmes 
soient  comme  n'en  ayant  point...  et  ceux  qui  usent  de  ce  monde 
comme  s'ils  n'en  usaient  pas  :  car  elle  passe,  la  figure  de  ce 
monde  ^?  » 

Bien  mieux,  la  première  épître  de  l'Apôtre  aux.  Corinthiens^  a 
fourni  à  Achelis  et  Jiilicher  deux  versets  qu'ils  Jugent  décisifs  et 
qui  auraient  été,  à  leur  gré,  la  véritable  chartre  du  mariage  spiri- 
tuel. «  Si  quelqu'un  »,  écrit  saint  Paul,  «  pense  manquer  aux  bien- 
séances à  l'égard  de  sa  vierge  (<iff5(T)iJ,ov£tv  iià  ty)v  Tuap6évov  aùxoû), 
si  elle  a  dépassé  la  pleine  floraison  (èàv  y)  b'Ks.piv.ii.oq)  et  qu'ainsi  cela 
doit  arriver,  qu'il  exécute  ce  qu'il  veut.  Il  ne  pèche  pas  :  qu'ils 
se  marient!  —  Quant  à  celui  qui,  en  pleine  stabilité  de  cœur,  sans 
qu'aucune  nécessité  s'impose  à  lui,  avec  toute  la  liberté  de  son  propre 
vouloir,  décide  dans  son  cœur  de  garder  sa  vierge,  il  fera  bien. 
En  sorte  que  celui  qui  donne  sa  vierge  en  mariage  fait  bien  (o 
Yai^tCtDv  TYjv  sauToû  xapôévov  xaXwç  TcotsT) ,  et  celui  qui  ne  la  donne  pas 
fera  mieux.  »  , 

Avouons-le  sans  ambages  :  ce  texte  est  obscur  et  l'interprétation  en 
est  délicate.  Dans  tout  ce  chapitre  de  sa  lettre  aux  Corinthiens,  Paul 
répond  à  des  questions  que  les  Corinthiens  lui  avaient  posées  par 
écrit*;  il  tranche  des  difficultés  d'ordre  pratique.  Ne  sachant  pas 
au  juste  comment  ses  correspondants  avaient  formulé  leurs  consul- 
tations, nous  éprouvons  quelque  peine  à  suivre  l'Apôtre  dans  tous 
les  détails  de  sa  casuistique. 

Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  l'exégèse  à  laquelle  s'arrête  Achelis 
éveille  une  impression  assez  comique.  Voici  l'histoire  qu'il  imagine. 
Il  suppose  qu'il  s'agit  d'un  mariage  «  spirituel  ».  Un  homme  et  une 
jeune  fille  ont  réalisé  leur  vqpu  de  vivre  ensemble  dans  une  loyale 
chasteté.  Mais,  au  bout  de  quelque  temps,  l'homme  s'aperçoit  qu'il 
a  trop  présumé  de  ses  forces  :  la  chair  se  révolte  en  lui  (c'est  ainsi 
qu' Achelis  interprète  assez  arbitrairement  l'adjectif  uTUcpâxiAoç,  où  il 
voit  un  masculin).  Il  craint  de  faillir.  En  ce  cas,  lui  conseille 
l'apôtre,  point  d'hésitation  :  qu'il  donne  «  sa  vierge  »  en  mariage  à 
un  autre  chrétien.  Au  contraire,  s'il  se  sent  sûr  de  soi,  il  peut  libre- 
ment la  garder.  Paul  autorise  donc  formellement  le  mariage  spirituel, 

1.  Gai.,  III,  28. 

2.  /  Cor.,  VII,  29-31.  Cf.  /  Cor.,  ix,  5. 

3.  VII,  36-38. 

4.  I,  VII,  1. 


LE    «    MARIAGE   SPIRITUEL    »    DANS   l'aNTIQTJTTÉ   CHRÉTIENNE,       207 

sur  lequel,  sans  aucun  doute,  les  Corinthiens  perplexes  avaient  sol- 
licité son  avis. 

On  aperçoit  tout  de  suite  les  invraisemblances  morales  de  ce 
petit  roman.  La  jeune  fille  en  question  a  fait  vœu  de  virginité  : 
pourquoi  donc  faudrait-il  qu'elle  y  manquât  en  acceptant  un  mari 
de  la  main  même  de  celui  qui  lui  avait  promis  de  l'aider  à  soutenir 
cet  engagement?  Si  son  conjoint  sent  qu'il  va/aillir,  ne  serait-il  pas 
plus  naturel  qu'il  se  déliât  d'elle  et  la  confiât  à  quelque  autre  «  spi- 
rituel »  de  tempérament  moins  instable  ou  à  une  famille  qui  lui 
offrirait  un  abri  sûr?  Le  sacrifice  serait  moins  exorbitant  que  cette 
façon  de  la  marier,  en  dépit  qu'elle  en  ait,  sous  prétexte  de  la  sauver 
de  désirs  indiscrets  dont  elle  n'est  pas  responsable. 

Jiilicher  lui-même  n'a  pu  se  tenir  de  déclarer  l'explication  d'Ache- 
lis  un  peu  ridicule  ;  et  on  ne  saurait  le  contredire  là-dessus.  Il  sup- 
pose, pour  sa  part,  qu'il  s'agit  d'un  couple  qui  s'est  marié  avec  le 
ferme  propos  d'observer  la  continence.  L'homme  a  des  tentations; 
la  femme,  passive  de  caractère,  ne  saura  pas  les  éluder.  Saint  Paul, 
qui  n'est  nullement  l'ennemi  du  mariage,  encore  qu'il  le  place 
au-dessous  de  la  virginité,  lève  le  scrupule  du  mari  et  lui  apprend 
qu'il  lui  est  licite  de  faire  de  cette  épouse  nominale  sa  femme  véri- 
table et  de  mettre  ainsi  le  point  final  à  un  louable  essai  qui  n'a  pas 
réussi. 

Le  commentaire  est  ingénieux  :  mais  il  s'aheurte  à  une  grosse 
difficulté  d'ordre  philologique  :  c'est  le  mot  yaiJ-tÇetv,  du  verset  38. 
TaïAiCsiv  ne  signifiait  pas  «  épouser  »,  mais  «  donner  en  mariage  ))^ 
Comment  saint  Paul  aurait-il  détourné  le  terme  de  son  acception 
normale  dans  une  consultation  aussi  épineuse^? 

Au  surplus,  si  nous  consultons  les  exégètes  les  plus  qualifiés,  un 
saint  Jean  Chrysostome^,  un  saint  Basile"*,  un  Épiphane  de  Sala- 
mis^, un  saint  Augustin*,  nous  constatons  que,  tous,  ils  ont 
entendu  le  passage  dans  un  même  sens.  Il  s'agit  d'un  père  ou  d'un 
tuteur  que  travaillent  des  inquiétudes  sur  la  hcéité  du  mariage  et  qui 
se  démande  ce  qu'il  doit  faire  de  sa  fille,  celle-ci  ayant  déjà  dépassé 
l'âge  de  la  pleine  effiorescence  juvénile'^.  S'il  a  de  justes  raisons  de 
penser  qu'il  y  ait  des  inconvénients  à  ne  point  la  marier  —  incon- 

1.  Cf.  Mt.,  XXIV,  38;  xxii,  30;  Me,  xii,  25;  Luc,  xvii,  27;  xx,  35. 

2.  Jiilicher  (p.  384)  suppose  que  Paul  a  voulu  «  varier  l'expression  »! 

3.  De  Virrj.,  lxxviii  (Migne,  XLVIII,  590). 

4.  De  Virg.,  lvi  (Migne,  XXX,  784). 

5.  Panarion,  lxi,  4  (Dindorf,  n,  568). 

6.  Quaest.  in  Ilept.,  iv,  57  {Corp.  scr.  eccl.  lat.,  28,  361).  On  rencontre 
aussi  une  inlcrprétalion  mystique  où  «  vierge  »  est  entendu  au  sens  de  «  chair- 
vierge  »  :  v.  g.  saint  Jérôme,  Adu.  Jouin.,  i,  13  (Migne,  XXIII,  242). 

7.  Platon  plaçait  l'àxfjiTi  à  vingt  ans  (Rep.  460  E).  Le  grec  profane  disait 


208  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

vénients  d'ordre  moral  pour  lui-même  ou  péril  de  séduction  pour  sa 
fille ^  —  il  est  libre  de  le  faire.  Sinon,  qu'il  la  garde  vierge,  la  virgi- 
nité étant  en  soi  préférable.  La  solution  se  rattache  aux  principes 
fondamentaux  de  saint  Paul  dans  la  question  sexuelle 2. 

Elle  semble  attribuer  au  père  une  autorité  despotique  qui  ferait 
abstraction  des  préférences  personnelles  de  la  jeune  fille.  A  dire 
vrai,  les  jeunes  filles  n'étaient  guère  consultées  dans  l'antiquité 
gréco-romaine  !  Mais  qu'on  y  regarde  de  plus  près.  Saint  Paul  est 
trop  fin  connaisseur  des  âmes  pour  outrager  la  liberté  intime  du 
choix  virginal.  Au  verset  36,  il  dit  «  qu'ils  se  marient  ».  Qui  donc, 
ils?  Évidemment,  la  jeune  fille,  et  le  jeune  homme  qu'elle  rêve  pour 
époux.  Le  père  suspendait  son  consentement  à  ce  jeune  amour. 
Paul  l'invite  à  l'octroyer,  du  moment  que  des  motifs  sérieux  l'y 
engagent,  et  parmi  ces  motifs  le  désir  de  la  jeune  fille  n'est  pas 
oublié. 

On  voit  combien  peu  sûre  est  la  thèse  d'Achelis  et  de  Jùlicher,  en 
tant  qu'elle  rattache  à  l'enseignement  de  saint  Paul  les  premières 
manifestations  et  légitimations  du  «  mariage  spirituel  ».  Il  est  fort 
vraisemblable  que  saint  Palil  ne  vise  nullement  un  fait  de  cette 
sorte  et  qu'il  règle  l'exercice  de  l'autorité  paternelle  en  un  cas  que  la 
conscience  timorée  de  quelque  père  de  famille  corinthien  avait  jugé 
litigieux.  ' 

Qu'il  y  ait  eu,  de  bonne  heure,  des  exemples  isolés  d'unions  spi- 
rituelles; qu'un  certain  goût  d'ascétisme,  une  recherche  de  mortifi- 
cation plus  raffinée  aient  pu  favoriser  ces  expériences  périlleuses,  je 
ne  voudrais  pas  le  nier,  encore  que  les  preuves  explicites  fassent 
défaut.  Ce  que  je  conteste,  c'est  que  l'Église  ait  jamais  encouragé, 
réglementé  cette  forme  bizarre  d'héroïsme,  acceptant  que  les  fidèles 
s'exposassent  à  une  tentation  quotidiennement  renouvelée  pour  la 
gloire  incertaine  d'en  triompher  quotidiennement. 

Je  dirai  avec  quelle  rudesse  les  initiatives  siipilaires  furent  prohi- 
bées dès  le  III''  siècle  par  les  plus  qualifiés  de  ses  porte-parole,  sans 
qu'un  seul  mot  laisse  entendre  au  cours  de  ces  polémiques  qu'ils 
veuillent  couper  court  à  un  usage  longtemps  reçu,  consacré,  et  dont 
l'expérience  ait  enfin  décelé  les  inconvénients. 

Mais  il  faut  d'abord  examiner  quelques  documents  où  l'on  a  voulu 
voir  des  vestiges  de  cette  pratique  et  du  crédit  dont  elle  aurait  joui 
au  sein  des  églises  avant  que  se  marquât  l'inévitable  réaction. 

itapaxfidtÇEtv  (Xénophon,  Memor.,  IV,  iv,  23),  TrapaxjjLadTtxô;  (Galien,  vi,  123) 
pour  exprimer  l'idée  rendue  ici  par  ÛTt£pax(io;. 

1.  'A(r-//)|jLoveîv  comporte  ce  double  sens. 

2.  Cf.  P.  de  Labriolle,  la  Crise  montanisle.  Paris,  1913,  p.  374. 


LE    «    MARIAGE   SPIBITL'EL    »    DANS   l'aNTIQUITÉ   CHRÉTIENNE.       209 
II- 

Nous  rencontrons  dans  le  Pasteur  d'Hermas^  vers  le  milieu  du 
second  siècle,  un  passage  où  Ernest  Renan  subodorait,  non  sans 
raison,  «  un  parfum  de  chasteté  un  peu  maladive  ».  Ce  texte  se 
trouve  dans  la  partie  du  livre  intitulée  les  Similitudes  (IX,  x  et 
suiv.). 

L'Ange  de  la  Pénitence,  le  Pasteur*  a  transporté  Hermas  en 
Arcadie,  sur  le  sommet  d'une  montagne  d'où  il  découvre  une  large 
plaine  limitée  par  douze  autres  montagnes  d'aspect  divers.  Au 
centre  de  la  plaine  se  dresse  un  grand  rocher  blanc,  de  forme  qua- 
drangulaire,  «  assez  vaste  pour  contenir  le  monde  entier  ».  Les 
flancs  de  ce  rocher  sont  creusés  d'une  porte  auprès  de  laquelle 
se  tiennent  douze  vierges  d'une  grande  beauté,  habillées  d'une 
tunique  de  lin  serrée  par  une  ceinture,  et  «  pleines  de  gaieté  et  d'en- 
train ».  Ces  vierges  aident  six  hommes,  sous  lesquels  travaillent 
une  multitude  d'ouvriers,  à  construire  une  tour  au  sommet  du 
rocher.  Les  pierres  qui  n'ont  point  passé  par  leurs  mains  virginales 
dérangent  l'ordonnance  de  la  tour  et  elles  en  sont  retirées  sur 
l'ordre  des  six  hommes  qui  dirigent  la  construction.  La  lâche  est 
interrompue  momentanément  et  la  tour,  encore  inachevée,  reste 
sous  la  garde  des  vierges.  Quelques  jours  plus  tard,  un  homme  de 
taille  colossale  arrive,  accompagné  d'une  troupe  nombreuse.  Il  exa- 
mine l'édifice  et  en  rectifie  certains  détails. 

Hermas  supphe  le  Pasteur  de  lui  expliquer  le  sens  de  tous  ces 
gestes  mystérieux.  Le  Pasteur  lui  promet  de  déférer  à  son  désir  : 
provisoirement,  il  le  laisse,  en  le  recommandant  aux  vierges.  Her- 
mas dépeint  celles-ci,  pleines  d'aimable  empressement  à  son  égard. 
Comme  il  songe  à  partir  vers  le  soir,  elles  l'en  dissuadent  gracieu- 
sement :  Tu  dormiras  avec  nous  comme  un  frère,  non  comme 
un  époux,  me  répondirent-elles.  Tu  es,  en  effet,  notre  frère  : 
désormais  nous  habiterons  avec  toi,  car  nous  t'aimons  très 
fort.  Hermas  rougit  à  cette  idée.  Mais  celle  qui  parait  commander 
à  ses  compagnes  le  prend  dans  ses  bras,  lui  donne  des  baisers.  Les 
autres  font  de  même.  Plein  de  joie,  tout  rajeuni,  Hermas  partage 
leurs  jeux  et  leurs  danses.  La  nuit  tombée,  elles  étendent  à  terre 
leurs  tuniques,  font  reposer  Hermas  au  milieu  d'elles  et  les  heures 
s'écoulent  ainsi  jusqu'à  laube  naissante. 

Il  n'est  point  aisé  de  tirer  de  ce  morceau  singulier  des  conclu- 
sions fermes  au  point  de  vue  historique.  Le  genre  «  apocalyp- 
tique »  auquel  le  Pasteur  se  rattache  comportait  ou  môme  requé- 
Rev.  Histor.  CXXXVH.  2"  fa.sc.  14     • 


210  MÉLANGES  ET  DOCDMENTS. 

rait  une  imprécision  dont  les  critiques  avides  de  données  exactes 
s'évertuent  à  percer  le  nuage.  Le  style  imagé  et  mou  du  bon  Her- 
mas,  avec  ses  allégories  et  ses  symboles,  se  prête  moins  qu'aucun 
autre  à  l'analyse.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'Hermas  s'attarde  à  rêver 
un  peu  langoureusement  autour  de  cette  cohabitation  qui  n'exclut 
pas  une  gaieté  douce  ni  même  de  tendres  familiarités,  mais  qui  se 
préserve  par  la  prière  de  tout  ce  qui  en  altérerait  l'innocence.  Cette 
demi-complaisance  d'imagination  dissimule-t-elle  une  tentative  apo- 
logétique au  bénéfice  du  mariage  spirituel?  Je  ne  le  pense  pas.  Com- 
ment comparer  à  une  alliance  durable  la  bonne  fortune  mystique  à 
laquelle  Hermas  hésite,  de  son  aveu  même,  à  s'abandonner  et  dont 
la  chaste  douceur  n'aura  pas  de  lendemain?  Promouvoir  les 
pécheurs  vers  la  rénovation  dont  ils  ont  besoin,  clamer  le  devoir  de 
la  pénitence,  lequel  s'impose  d'une  façon  d'autant  plus  impérieuse 
que  l'univers  n'en  a  plus  pour  longtemps,  c'est  là  tout  le  dessein  du 
Pasteur,  et  avec  ce  dessein  ne  cadre  guère  la  recommandation  d'une 
vie  à  deux,  même  épurée  de  tout  vil  commerce. 

Quelques  rares  allusions,  qui  remontent  également  au  ii''  siècle, 
décèlent  les  premières  défiances  de  l'Eghse  à  l'égard  des  couples 
ainsi  associés.  Saint  Irénée,  là  où  il  s'attache  à  stigmatiser  l'immor- 
ralité  des  «  Gnostiques  » ,  remarque  que  des  scandales  publics  ont 
discrédité  ces  essais  dangereux  :  «  D'autres  »,  écrit-il,  «  ayant  fait 
semblant,  d'une  façon  tout  à  fait  sérieuse  au  début,  d'habiter  avec 
des  sœurs  (wç  [Asxà  àâsXçwv  TrpoaTioioûiJLevot  auvoixetv),  ont  été  pris  en 
faute  à  la  longue,  la  «  sœur  »  étant  devenue  enceinte  des  œuvres  du 
«  frère  »  ^ . 

De  Tertullien  devenu  montaniste,  on  attendrait  plus  d'indulgence 
si  l'on  songe  au  rôle  que  les  femmes  jouaient  dans  la  secte,  à  l'ar- 
deur que  Priscilla  et  Maximilla,  les  acolytes  de  Mon  tan,  avaient 
dépensée  pour  répandre  les  ^oracles  du  «  Paraclet  ».  Il  n'y  condes- 
cend guère,  si  l'on  en  juge  par  un  trait  qu'Achelis  n'a  pas  relevé. 
Cette  allusion,  d'une  rare  insolence,  est  bien  dans  le  ton  du  de 
leiunio^,  où  le  vieux  jouteur  s'attarde  à  représenter  les  catholiques 
rétifs  aux  jeûnes  montanistes  comme  des  goinfres  chez  qui  la  gour- 
mandise se  mue  inévitablement  en  lasciveté  : 

Tu  t'es  fait  de  ton  ventre  un  dieu,  de  tes  viscères  un  temple,  de  ta 
panse  un  autel.  Ton  prêtre,  c'est  ton  cuisinier;  ton  Saint-Esprit,  c'est 
la  fumée  des  plats  ;  tes  charismes,  ce  sont  tes  ragoûts,  et  ta  prophétie, 

1.  Adv.  Haer.,  I,  vi,  3  (Migne,  P.  G.,  VII,  507). 

2.  De  ieiiinio.'xvu  (Reiflercheid,  p.  296). 


LE    «    MARIAGE   SPIRITUEL    »    DANS   l'aNTIQUITÉ   CBRÉTIENNE.       21  i 

ce  sont  tes  hoquets  d'homme  repu.  Ton  agape'  bouillonne  dans  la 
marmite;  ta  foi  chautîe  dans  tes  cuisines,  ton  espérance  réside  au  fond 
des  plats.  Et  ce  qui  donne  encore  plus  d'attrait  à  cette  agape,  c'est 
qu'elle  fournit  à  tes  jeunes  gens  l'occasion  de  coucher  avec  leurs 
sœurs.  Eh!  sans  doute!  La  débauche  et  la  luxure  ne  sont-elles  pas 
les  suites  naturelles  de  l'intempérance? 

Adulescentes  fui  cum  sororibus  dormiunt.  Ce  mot  soror 
ferait  penser  d'abord  que  Tertullien  vise  à  ridiculiser  certaines 
unions  que  les  catholiques  auraient  été  disposés  à  croire  innocentes. 
Mais  il  est  possible  aussi  qu'oublieux  du  tableau  si  émouvant  de 
fendre  pureté  qu'il  avait  tracé  de  l'agape  chrétienne  dans  son  Apolo' 
geticus  (§  39),  il  tire  simplement  parti  de  quelque  esclandre  récent 
auquel  ces  repas  fraternels  avaient  donné  lieu,  tout  de  même  que 
dans  le  De  Monogar>iia  il  n'hésite  pas  à  rappeler  une  triste  affaire 
de  mœurs  à  laquelle  avait  été  mêlé,  paraît-il,  l'évèque  d'Uthina,  une 
colonie  romaine  d'Afrique. 

En  tous  cas,  son  montanisme  ne  l'a  induit  à  aucune  complai- 
sance pour  l'union  spirituelle,  que  la  secte  ne  préconisait  nulle- 
ment*. Achelis  a  eu  la  naïveté  de  prendre  au  sens  propre  une  de  ses 
métaphores  dans  le  De  Exhortatione  Castitatis^.  S'adressantà  un 
veuf  pour  le  dissuader  de  se  remarier,  Tertullien  lui  démontre  que 
les  soins  du  ménage  ne  -sont  point  d'une  telle  importance  qu'il  ne 
puisse  s'en  tirer  à  soi  seul.  La  tâche  lui  paraît-elle  trop  lourde, 
alors,  lui  conseille-t-il,  «  prends  une  épouse  spirituelle.  Parmi 
les  veuves,  choisis-en  une  qui  soit  belle  de  sa  foi,  riche  de  sa  pau- 
vreté et  que  l'âge' ait  marquée  déjà.  Voilà  un  bon  mariage!  Des 
épouses  comme  celles-là,  on  peut  en  avoir  même  plusieurs  sans 
déplaire  à  Dieu"*.  »  Cela  revient  à  dire  :  prends  une  ménagère  d'âge 
canonique,  prends-en  deux,  trois,  si  tu  veux;  les  difficultés  de  la 
vie  quotidienne  seront  ainsi  résolues  pour  toi  et  ne  pourront  plus  te 
servir  à  masquer  les  raisons  sournoisement  voluptueuses  qui  t'ai- 
guillonnent à  te  remarier. 

Quoi  de  commun  entre  ces  gouvernantes  préposées  à  l'adminis- 
tration de  la  maison  et  de  véritables  épouses,  fussent-elles  «  spiri- 
tuelles »? 

1.  11  joue  sur  le  mot  (Kjupe,  qui  désignait  à  la  fois  la  charité  et  l'agape  au 
sens  chrétien. 

2.  Mgr  Ladeuze  paraît  s'être  mépris  sur  ce  point  {Hev.  d'hisl.  eccl.,  1905, 
p.  61).  Voir  aussi  ce  que  Tertullien  dit  d'Apelle,  De  Praescr.  Uaer.,  30  (Œhler, 
n,  27). 

3.  §  12  (Œhler,  i,  753). 

1.  Expressions  analogues  dans  le  De  Monngmnia,  xvi  (Qihicr.  i,786). 


212  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 


III. 


En  somme,  les'  traces  de  l'union  mystique  sont  très  fugitives 
durant  les  deux  premiers  siècles  ;  et  il  paraît  impossible  de  démon- 
trer que  l'Eglise  Tait  envisagée  avec  sympathie. 

Dès  le  iii^  siècle,  elle  se  répand  dans  toutes  les  parties  du  monde 
chrétien,  en  dépit  des  admonestations  de  l'autorité  ecclésiastique, 
auxquelles  bientôt  feront  écho  les  canons  des  conciles. 

C'est  surtout  dans  les  cercles  ascétiques  qu'elle  est  en  honneur  : 
des  couples  se  forment  entre  «  frères  »  et  «  sœurs  »,  qui  ont  fait 
profession  de  virginité  sans  abandonner  d'ailleurs  la  vie  séculière 
(le  monachisme  n'est  pas  encore  né).  On  habite  la  même  maison;  on 
partage  la  même  chambre  ;  on  se  rend  tous  les  services  que  requiert 
la  vie  en  commun  ;  et  il  est  entendu  que  cette  intimité  presque  com- 
plète respectera  les  limites  fixées  conventionneliement  au  début. 

Achelis  a  réuni  une  longue  série  de  documents  qui  signalent 
pareil  abus  en  Espagne  comme  en  Syrie,  en  Perse  comme  en  Gaule, 
à  Carthage  comme  à  Constantinople.  Sans  doute  faut-il  passer  au 
crible  toute  cette  érudition.  Ainsi  Achelis  fait  état  du  cas  d'Origène 
qui,  d'après  une  donnée  de  VHistoire  Lausiaque  (§  64),  aurait 
trouvé  abri  durant  une  persécution  chez  une  vierge  chrétienne 
nommée  Juhana,  à  Césarée  de  Cappadoce  :  «  L'honorable  M.  Ache- 
lis, qui  a  été  étudiant  »,  objecte  spirituellement  Mgr  P.  Batifîol  ',  «  a 
peut-être  demeuré  chez  quelque  respectable  vieille  demoiselle,  sans 
mériter  d'être  soupçonné  de  mariage  blanc  ou  de  libertinage!  » 
Aussi  peu  significative  est  l'histoire  de  saint  Athanase.  habitant 
durant  six  ans  sous  le  toit  d'une  vierge  pour  se  dérober  aux  sévices 
de  ses  ennemis. 

Le  reliquat  des  textes  pertinents  est  considérable  et  il  serait  aisé 
de  le  grossir^.  On  y  voit  l'ampleur  du  scandale  et  la  sévérité  avec 
laquelle  il  fut  jugé. 

Un  des  premiers  témoignages  de  cette  rigueur,  c'est  chez  saint 
Cyprien  que  nous  le  relevons.  Dans  la  lettre  IV,  l'évêque  de  Carthage 
administre  une  consultation  fort  délicate  à  un  certain  Pomponius 
(peut-être  l'évêque  de  Dionysiana,  en  Byzacène).  Il  s'agissait  de 
vierges  peu  sages  qui,  quoique  s'étant  obligées  à  demeurer  en  leur 

1.  Revue  biblique,  1903,  p.  317. 
■  2.  Achelis  a  omis  :  saint  Arabroise,  Èp.  v,  20  {P.  L.,  XVI,  936);  Amphilo- 
chius  contra    Ps.-Ascetas,   p.   69   (Ficker.   Amphilochiana,   Leipzig,    1906); 
Ps. -Basile^  Uom.  de  contubem.  {P.  G.,  XXX,  811);  Ps.-Chrysostonie,  Quod 
ascetoe  facetiis  uti  non  debent  {P.  G.,  XL VIII,  1055  et  suiv.).  Voir  aussi  p.  225, 


LE    «   MARIAGE   SPIRITUEL    »    DANS   l'aNTIQUITÉ    CHRÉTIENNE.       213 

état,  avaient  vécu  dans  la  plus  étroite  familiarité  avec  des  chrétiens 
(parmi  lesquels  un  diacre)  et  soutenaient  qu'il  ne  leur  était  rien 
arrivé  de  fâcheux. 

Il  n'est  pas  commode  de  suivre  Oyprien  dans  tous  les  détails  de 
son  admonestation.  C'est  un  fait  que  l'hostilité  des  polémistes  chré- 
tiens primitifs  contre  l'immoralité  sous  toutes- ses  formes,  loin  de 
leur  imposer  une  particulière  réserve  de  langage,  les  incitait,  au  con- 
traire, aux  évocations  les  plus  directes,  comme  pour  arracher  les  der- 
niers voiles  aux  turpitudes  qu'ils  voulaient  faire  haïr.  L'ombrageuse 
pudeur  de  la  foi  évangéhque  a  longtemps  traduit  sans  pruderie 
aucune  ses  indignations  et  ses  dégoûts.  Cette  intempérance  verbale 
n'est  plus  dans  nos  habitudes.  Elle  s'est  adoucie  toujours  davantage 
à  mesure  que  s'affinait  au  cours  des  siècles  la  vie  de  société.  De  là 
l'étonnement  et  quelquefois  l'embarras  du  lecteur  moderne  en  face 
de  la  rude  franchise  des  premiers  écrits  chrétiens. 

Cyprien  pose  en  principe  que  les  clercs  et  laïcs  doivent  s'opposer 
absolument  à  ce  que  les  vierges  cohabitent  avec  des  hommes,  non 
dico  simul  dormire,  sed  nec  simul  vivere*.  Il  en  a  vu  avec 
douleur  un  très  grand  nombre  se  perdre  par  ces  liaisons  illicites.  Si 
elles  ne  peuvent  persévérer  dans  le  don  d'elles-mêmes  qu'elles  ont 
fait  au  Christ,  mieux  vaut  encore  qu'elles  se  marient  que  de  trou- 
bler la  foi  de  leurs  frères.  Cyprien  réfute  ensuite  leurs  vaines 
excuses  avec  une  précision,  une  crudité  toutes  médicales;  et  il  note 
qu'à  soi  seule  la  coniacentium  duorum  turpis  et  foeda.  dormi- 
tio  est  une  honte,  un  crime,  dont  le  Christ  ne  peut  que  s'indigner. 
Il  applaudit  donc  à  la  sage  énergie  avec  laquelle  Pomponius  a 
retranché  de  la  communion  le  diacre  et  les  laïcs  coupables.  Quant 
aux  vierges,  si  l'examen  des  matrones  expertes  les  révèle  intactes, 
elles  pourront  rentrer  dans  TEglise,  après  une  semonce  sérieuse  et 
changement  complet  de  vie.  Dans  le  cas  contraire,  elles  devront 
passer  par  le  cycle  de  la  pénitence.  Les  obstinés,  qui  refuseront  de 
se  séparer  de  leur  conjoint,  seront  avertis  que  plus  jamais  ils-  ne 
pourront  être  admis  dans  l'Eglise. 

La  lettre  XIII'''  déplore  l'attitude  de  certains  «  confesseurs  »  qui 
gâtent  la  gloire  qu'ils  se  sont  acquise  par  leur  courage,  en  faisant 
preuve  d'un  fâcheux  esprit  d'orgueil  et  d'acrimonie.  Et  même, 
ajoute  Cyprien,  «  nous  avons  appris  non  sans  une  profonde  dou- 
leur qu'il  n'en  manque  point  qui  souillent  le  temple  de  Dieu  et  des 
membres  sanctifiés,  illustrés  du  fait  de  la  confession,  par  un  con- 
cubinage honteux  et  infâme,  en  partageant  leur  lit  avec  des 

1.  Éd.  Harlcl,  p.  472,  1.  22. 

2.  ^  5  (Hartel,  p.  507).  Coinp,  Ep.  xiv,  3  (Hartel,  p.  512,  1.  8). 


214  MÉLANGES  ET  DOCDMENTS. 

femmes.  Leur  conscience  restât-elle  pure  du  stupre,  ce  serait  déjà 
un  crime  que  de  préparer  par  un  tel  scandale  la  ruine  de  son  pro- 
chain. » 

C'est  vers  250  que  saint  Cyprien  rédigeait  ces  mercuriales  impi- 
toyables, dont  l'inflexibilité  même  s'expliquerait  mal  — j'insiste  sur 
ce  point  —  s'il  ne  s'agissait  que  de  survivances  d'un  ancien  usage 
longtemps  agréé. 

Quelques  années  plus  tard,  en  267-268,  un  des  griefs  formulés 
contre  Paul  de  Samosate  par  les  évêques  orientaux,  dans  leur  lettre 
collective  à  Denys  de  Rome  et  Maxime  d'Alexandrie  ' ,  était  celui-ci  : 
Paul  s'était  ôté  tout  droit  de  réprimer  les  écarts  de  son  clergé  en 
donnant  lui-même  de  détestables  exemples  : 

Comment,  en  effet,  pourrait-il  reprendre  autrui  ou  l'avertir  de  ne  pas 
en  venir  à  cohabiter  désormais  avec  une  femme  et  de  se  garder  ainsi 
de  tomber  selon  qu'il  est  écrit,  lui  qui  en  a  bien  renvoyé  une,  mais 
qui  en  a  avec  lui  deux  autres  dans  la  fleur  de  l'âge  et  d'un  aspect 
séduisant?.. 

Cette  même  lettre  nous  apprend  que  les  habitants  d'Antioche 
appelaient  ces  compagnes  irrégulières  les^uvaixeçauveiffaxToi^.  L'ex- 
pression devint  courante  dans  la  langue  grecque  ultérieure  ;  le  troi- 
sième concile  de  Nicée  devait  lui  donner  en  325  une  consécration 
quasi  officielle.  Les  Latins  la  transportèrent  plus  tard  sous  la  forme 
suhintî^oductae.  Achelis  déclare  que  ce  mot  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  dans  la  traduction  des  canons  de  Nicée  par  Denys  le 
Petit^.  En  fait,  on  le  rencontre  déjà  au  début  du  v**  siècle,  en  419, 
dans  la  traduction  de  ces  mêmes  canons  par  Atticus  de  Conslanti- 
nople"*. 

La  préoccupation  que  causait  alors  aux  églises  et  aux  âmes  sou- 
cieuses de  sévère  discipline  morale  la  diffusion  de  ces  désordres  se 
trahit  dans  un  opuscule  syriaque  faussement  attribué  à  Clément  de 
Rome  et  qui  dut  être  composé  au  m''  siècle,  en  Palestine  ou  en 
Syrie.  L'auteur,  qui  n'est  pas  un  évêque,  mais  une  personnalité  de 
quelque  relief,  s'adresse  à  un  cercle  d'ascètes.  Il  relève  les  mauvais 
bruits  qui  courent  sur  certains  imprudents  «  qui  sub  pietatis  prae- 

1.  Ap.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  VII,  xxx,  14  (trad.  Grapin,  II,  393). 

2.  g  12  (de  CTuveio-àysiv,  introduire.  L'infinitif  est  employé  au  §  14).  On  ren- 
contre aussi  ÈTTeîffaxTo;  dans  des  lois  impériales  {Nouvelle  123,  c.  29,  Photius). 

3.  Migne,  Pair.  laL,  LXVII,  147  D. 

4.  Migne,  P.  l.,  LXXXIV,  221  A;  Mansi,  iv,  409  E;  Turner,  Eccl.  occid. 
monumenta  iuris  anliquù.sima,  fasc.  I,  pars  2,  Oxford,  1904.  Saint  Jérôme 
(Ép.  XXII,  24)  emploie  un  autre  sobriquet,  agapelae,  «  les  chéries  »,  calqué 
sur  le  grec  àyaTiyjTaî  (cf.  Pair,  gr.,  XXVIII,  1640  B,  etc.). 


LE    «    MARIAGE  SPIRITUEL   »    DANS   LANTIQDITÉ   CHUÉTIEIVIVE.       215 

texlu  cum  virginibus  in  eadem  domo  habitant',..  ».  Il  les  avertit 
que  cette  façon  d'agir  «  Christianos  et  viros  religiosos  prorsus 
dedecet  ».  D'autres  encore  assistent  avec  les  vierges  consacrées  à 
des  festins  fort  licencieux;  ou  bien  ils  les  visitent,  sous  couleur  de 
les  exorciser,  de  leur  lire  l'Écriture,  de  les  instruire.  Le  Christ  a 
condamné  ces  dangereux  otiosi^.  Le  premier  article  d'une  conduite 
bien  réglée,  c'est  de  ne  point  habiter  avec  les  vierges,  de  ne  manger, 
ni  de  boire,  ni  de  se  coucher  là  où  elles  couchent,  boivent  et 
mangent.  Pour  nous,  ajoute-t-il,  omnino  non  dormimus  ubi 
somnum  capit  puella  innupta  aut  Deo  sacrata;  et  ne  per- 
noctamus  quidem.  ibideyn,  si  haec  sit  sola,  quanqudm  in  alio 
loco.  Le  conseil  revient  d'un  bout  à  l'autre  de  la  lettre^  :  on  sent 
que  l'auteur  en  est  obsédé. 

Quand  saint  Jérôme  entra  en  lice  à  son  tour,  ce  fut  avec  son  par- 
fait dédain  des  circonlocutions  et  sa  vigueur  grondeuse  digne  de 
Juvénal.  On  notera  que  c'est  à  une  jeune  fdle  de  dix-huit  ans  que 
ces  propos  s'adressent  '' .  La  discrétion  dans  le  langage  est,  je  l'ai  dit, 
une  précaution  de  date  fort  récente,  dont  les  Pères  se  sont,  en  géné- 
ral, fort  peu  souciés. 

Je  rougis  d'aborder  ce  sujet.  0  sacrilège!  cela  est  déplorable,  mais 
cela  est  vrai.  D'où  s'est  introduit  dans  les  églises  ce  fléau  des  agapètes. 
D'où  viennent,  sans  qu'il  y  ait  mariage,  ces  époux  d'un  nouveau 
genre?  Ou  plutôt  d'où  vient  cette  nouvelle  espèce  de  concubines? 
Disons  mieux  :  d'où  viennent  ces  courtisanes  qui  se  réservent  à 
un  seul?  La" même  maison,  la  même  chambre,  souvent  le  même  lit 
les  reçoit,  et  l'on  nous  traite  de  mauvaises  langues  si  cela  nous  donne 
à  penser.  Le  frère  abandonne  sa  sœur  vierge  ;  la  vierge  dédaigne  son 
frère  qui  vit  dans  le  célibat,  et,  feignant  l'un  et  l'autre  d'embrasser 
un  même  genre  de  vie,  ils  cherchent  une  consolation  spirituelle  chez 
autrui,  pour  se  ménager  à  domicile  le  commerce  charnel.  Ce  sont 
ceux-là  que  Dieu  condamne  dans  les  Proverbes  de  Salomon,  quand 
il  dit  :  «  Quelqu'un  peut-il  cacher  le  feu  dans  son  sein  sans  que  ses 
vêtements  s'enflamment?  Marche-t-on  sur  des  charbons  ardents  sans 
se  brûler  les  pieds?.. 

Dans  la  lettre  CXVIP,  il  inflige  une  semonce  bien  sentie  à  une 
mère  gauloise  et  à  sa  fille  qui  se  sont  séparées  l'une  de  l'autre  et 

1.  De  Virginitate,  I,  x  (Funk-Diekamp,  II,  p.  17). 
%  II,  I,  2  (Funk-D.,  II,  p.  29). 

3.  Il,  3;  5;  m,  2;  iv,  3;  v,  1;  vu,  2;  ix,  2;  x,  3;  xiv,  1;  xv,  4. 

4.  Ep.  xxn,  14,  ad  Eustochium  (Hilberg,  Corp.  scr.  ceci,  lat.,  LIV,  [1910,] 
p.  161). 

5.  P.  L.,  XXII,  956;  Hilberg,  Corp.  scr.  ceci.  Int.,  LV,  422. 


"216  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

qui,  soit  pour  égayer  leur  solitude,  soit  pour  mieux  gérer  leur  for- 
tune, se  sont  adjoint  des  clercs  comme  praesules.  C'est  surtout  à 
la  fille  qu'il  s'en  prend.  Pourquoi  s'est-elle  ainsi  attachée  à  un 
homme?  Si  elle  n'est  plus  vierge,  que  ne  se  marie- t-elle^  ?  —  Mais 
c'est  un  si  saint  personnage!  —  Alors,  pourquoi  la  tient-il  séparée 
de  sa  mère  veuve,  de  son  frère  moine?  Non  superat  sumorem 
matris  et  fratris,  nisi  solus  uxoris  affectus.  Pourquoi  accepte- 
t-elled'un  clerc  tant  de  services  risibles^?  Le  seul  parti  raisonnable, 
c'est  de  se  séparer  de  lui,  ne  maledici  homines  sub  uno  tectulo 
vos  manentes  lectulum  quoque  criminentur  habere  commu- 
nem. 

IV. 

Il  serait  oiseux  d'énumérer  tous  les  polémistes  chrétiens  qui  ont 
traité  la  question  des  subintroductae  ou  de  passer  en  revue  les 
faits  particuliers  dont  ils  se  prévalent.  Ce  qui  peut,  en  revanche, 
offrir  un  réel  intérêt,  de  l'ordre  historique  et  psychologique,  c'est  de 
connaître  les  arguments  par  lesquels  essayaient  de  se  justifier  les 
pseudo-époux  de  ce  ■^d\).oq  ày(X[)/iq  —  comme  disait  saint  Grégoire  de 
Naziance,  fin  lettré,  expert  aux  réminiscences  classiques^  —  ainsi 
que  les  rétorquations  de  leurs  adversaires. 

Je  choisis  d'une  part  le  De  Singularitate  clericorum,  d'autre 
part  les  deux  opuscules  de  saint  Jean  Chrysostome  Ilpbç  xoùç  exovxaç 
TiapOévouç  auv£taâ/,Touç  et  ïlepl  toO  tàç  xavovt/.àç  [j.r)  duvoaetv  àvûpâdi. 

Ces  ouvrages  sont  de  valeur  bien  différente.  Ceux  de  saint  Jean 
Chrysostome  respirent  la  délicatesse  d'une  âme  fine  et  vraiment 
religieuse  qui,  sans  humilier  ceux  qu'elle  voit  errer,  ne  cherche 
qu'à  les  remettre,  avec  compassion,  mais  aussi  avec  fermeté,  dans 
la  droite  voie.  Le  De  Singularitate  clericorum*  est  d'une  rhéto- 
rique assez  banale.  On  n'en  connaît  pas  l'auteur.  C'est  certaine- 
ment un  évêque^,  et,  semble- t-il,  un  évêque  préposé  à  une  com- 
munauté schismatique^.  Sa  lettre  s'adresse  spécialement  aux  clercs 
(tandis  que  Chrysostome  vise  des  hommes  qui  font  simplement  pro- 
fession d'ascétisme  et  des  vierges  qui  se  sont  liées  par  des  vœux). 
Les  femmes  avec  qui  vivent  ces  clercs  ne  sont  pas  des  servantes, 
comme  le  prétend  Harnack^  :  elles  ont  pris,  elles  aussi,  des  enga- 

1.  Hilberg,  p.  425,  1.  13. 

2.  P.  430,  22  et  suiv. 

3.  (îf..  Sophocle,  Œdipe  roi,  1214;  Euripide,  Hélène,  690. 

4.  Ce  titre  signifie  :  «  Du  devoir  qu'ont  les  clercs  de  vivre  seuls.  » 

5.  Operu  Cyprinni,  éd.  Hartel,  p.  173,  5-10;  174,  4-12;  219,  6. 

6.  Cf.  g  1  (Hartel,  p.  174,  7)  et  §  34  (p.  210,  6). 

7.  Texte  u.  Untersuchungen,  N.  F.,  IX,  35.         * 


LE    «    MARIAGE   SPIUITUEL    »    DANS   l'aNTIQDITK   CUKE'tIÉÎVINE.       217 

gements  vis-à-vis  de  Dieu'  et  leurs  associés  parlent  d'elles  avec 
respecta  Volontiers  placerais-je  dans  la  seconde  moitié  du  m*  siècle^ 
cette  instruction  pastorale,  où  abondent  les  indications  précieuses 
pour  le  présent  débat. 

La  plus  valable  excuse  des  couples  incriminés  était  tirée  des 
nécessités  de  la  vie  pratique  :  besoin  pour  l'homme  de  la  présence 
d'une  femme,  qui  tienne  la  maison,  la  surveille  quand  il  est  absent, 
règle  les  détails  du  ménage^;  besoin  pour  la  femme  de  la  présence 
d'un  homme  sur  qui  sa  faiblesse  puisse  s'appuyer ^  L'apôtre  Paul 
n'avait-il  pas  dit  :  «  Portez-vous  vos  fardeaux  les  uns  des  autres, 
et  c'est  ainsi  que  vous  accomplirez  la  loi  du  Christ*.  » 

Mais  ce  «  fardeau  »  pour  lequel  l'apôtre  avait  recommandé  de 
s'aider  réciproquement  n'était-il  pas  aussi  celui  des  âmes,  le  faix 
intime  qui  pesé  sur  chaque  créature  dans  le  secret  d'elle-même  et 
qu'il  est  si  bon  de  pouvoir  partager  avec  un  cœur  ami?  On  voit  que 
les  «  unis  »  faisaient  appel  à  cette  caritas,  à  cette  dilectio  dont 
saint  Paul  avait  tant  de  fois  vanté  la  vertu  merveilleuse''. 

Que  le  voisinage  constant  d'une  femme  exposât  son  conjoint  à  des 
tentations,  quelques-uns  n'osaient  le  contester,  mais  de  ce  péril 
même  ils  prétendaient  tirer  de  plus  méritoires  occasions  de  lutter 
contre  soi  et  de  refréner  leur  propre  concupiscence  dans  un  cotidia- 
nus  triumphus  pro  castitate^.  On  eût  dit  que  leur  virtuosité 
d'ascète  n'était  pas  contente  à  moins  :  Habere  volo  qi(4)d  vincam, 
disaient-ils...  Captivum  teneo  adversarium  meum  cui  semper 
insultem^. 

D'autres,  soit  qu'ils  voulussent  s'épargner  l'aveu  de  leurs  luttes 
clandestines,  soit  que  cette  prétention  d'affronter  les  pièges  démo- 
niaques leur  parût  d'une  crànerie  trop  paradoxale,  remarquaient 
non  sans  aigreui-  que,  s'il  y  avait  si  grand  péril  à  mettre  ensemble 
des  hommes  et  des  femmes,  on  devrait  aller  jusqu'à  interdire  les 
réunions  du  culte,  puisque  les  sexes  y  sont  mêlés'". 

1.  g  16  (Hartel,  191,  1.  20). 

2.  U  32  et  44. 

3.  La  façon  dont  l'auteur  parle  du  martyre  et  dont  H  suppose  qu'en  parlent 
les  clercs  qu'il  endoctrine  ne  permet  pas  d'en  reculer  la  date  de  composition 
jusqu'au  iv  siècle,  comme  le  veut  Harnack  (cf.  i  34;  Hartel,  p.  210;  le  ^  4 
[p.  177,  27]  est  moins  probant). 

4.  npo;  Touç...,  g  IX. 

5.  riipl  Toù...,  2  IV  :  àiOevir);  ï(|j.i,  yrioi,  xai  ywr\,  xa.\  où"/  txavVl  (iôvy;  xat; 
•/petan;  àpxéirai  xaî;  itiayrij;. 

6.  Gnl.,  VI,  2. 

7.  De  SingriL,  xxix-.\xxii  (Hartel,  p.  205). 

8.  P.  183,  1.  24. 

9.  De  SinguL,  g  xviii. 

10.  De  SinguL,  xiii. 


218  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

On  s'autorisait  aussi  d'exemples  scripturaires.  Hélie  n'avait-il  pas 
logé  chez  une  veuve?  Les  apôtres  ne  se  laissaient-ils  pas  accompa- 
gner par  des  «  sœurs  ^  »  ?  Saint  Jean  n'avait-il  pas  reçu  de  Jésus 
expirant  la  mission  de  protéger  Marie?  Jésus  lui-même  n'acceptait-il 
pas  d'être  nourri  par  de  pieuses  femmes?  N'avait-il  pas  souffert 
que  Marthe  le  servît,  qu'une  pécheresse  lui  essuyât  les  pieds  de  ses 
cheveux  dénoués?  Pourquoi  tant  de  méfiance,  là  où  les  grands 
ancêtres  de  la  foi,  où  le  Seigneur  lui-même,  avaient  montré  tant  de 
franche  et  libre  largeur  d'âme  ^?  —  Que  si  quelques  timides  pre- 
naient ombrage  de  ces  intimités  innocentes,  fallait-il  donc  condes- 
cendre à  leurs  pusillanimités  au  lieu  de  se  hausser  aux  saintes  har- 
diesses recommandées  par  saint  Paul?  Qu'importait  l'opinion  d'au- 
trui?  Si  hominibus  placere  vellem,  avait  déclaré  l'Apôtre^, 
Christi  servus  non  essem.  Ces  calomniateurs  feraient  mieux  de 
méditer  aussi  cette  autre  parole  de  l'épître  aux  Romains  :  Tu  quis 
es  ut  de  servo  alieno  iudices*? 

Telles  étaient  les  allégations,  \e&  sanctitatis  ccrgumenta  —  argu- 
ments de  spécieuse  sainteté,  selon  l'estimation  du  rigoureux  auteur 
du  De  Singularitate  cleriGorum^  —  par  où  les  délinquants 
essayaient  de  pallier  leur  désir  passionné  de  conserver  à  tout  prix 
la  compagne  dont  la  présence  leur  était  un  si  cher' besoin.  L'an- 
goisse d'âme  —  de  chair  peut-être  chez  quelques-uns  —  qui  perce 
sous  cette  dialectique  maladroite,  le  besoin  de  féminité  qui  s'y  tra- 
hit, a  quelque  chose  de  si  poignant  que  nous  nous  sentons  tout 
prêts  à  nous  attendrir  sur  la  détresse  de  ces  ascètes  fourvoyés. 

A  dire  vrai,  les  ripostes  de  leurs  adversaires  —  j'ai  choisi,  je  l'ai 
dit,  les  deux  polémistes  qui  m'ont  paru  les  plus  représentatifs  —  ne 
laissent  rien  paraître  de  ce  genre  d'apitoiement.  Plus  âpres  chez 
l'évêque  schismatique,  plus  modérées  de  ton  chez  Tillustre  orateur 
catholique,  elles  réfutent  inexorablement  ces  sophismes  enfantins  et 
ne  veulent  point  prendre  au  sérieux  ces  indignations  anxieuses. 
Elles  ne  leur  permettent  pas,  comme  eût  dit  Salluste,  de  changer  le 
véritable  nom  des  choses. 

«  Votre  entêtement  »,  leur  objectent  en  substance  saint  Jean 
Chrysostome  et  l'anonyme  du  De  Singularitate,  «  éveille  les  suspi- 
cions les  plus  légitimes;  et  voici  pourquoi.  Les  exemples  d'ascétisme 
authentique  sont  assez  fréquents  de  nos  jours  pour  qu'on  puisse  se 
rendre  compte  du  prix  qu'il  faut  mettre  quand  on  tient  à  persévérer 

1.  Cf.  /  Cor.,  IX,  5. 

2.  De  SinguL,  g  xx. 

3.  Gai.,  I,  10.  Cf.  De  Singul.,  g  vm  et  xii  (p.  187). 

4.  Rom.,  XIV,  4.  Ibid.,  g  xxxvi  (p.  211,  1.  26). 

5.  g  XIX  (p.  194,  1.  15). 


LE    «    MARIAGE   SPIRITCEL    »    DANS   l'aNTIQOITÉ   CHRÉTIENIVE.        219 

dans  une  résolution  aussi  difficile.  Des  époux  chrétiens  décident-ils 
d'observer  la  continence?  Presque  toujours  ils  se  séparent  pour 
éviter  Virritâtio  praesentiae*.  Ceux  qui,  non  mariés,  se  décident 
à  une  vie  vraiment  mortifiée  acceptent  souvent  de  se  retirer  au 
désert,  de  passer  leurs  jours  sous  le  sac,  dans  les  jeûnes,  dans  les 
veilles:  ils  interdisent  absolument  aux  femmes  l'entrée  de  leur  misé- 
rable abri;  malgré  ces  précautions,  c'est  à  peine  s'ils  réussissent 
à  calmer  la  fièvre  de  leurs  sens.  Voilà  les  précautions  dont  s'en- 
tourent ceux  qui  veulent  véritablement  soutenir  jusqu'au  bout  leur 
sacrifice  une  fois  commencé. 

«  Vous  prétendez  nous  faire  croire  que  vous  maintenez  strictement 
vos  engagements  ascétiques  à  travers  toutes  les  occasions  mal- 
saines de  la  contubernalitas^.  Alors  que  les  gens  sincères  avouent 
que  les  statues,  les  tableaux  même  ne  sont  pas  sans  produire  sur 
eux  quelque  impression^,  vous,  vous  resteriez  de  glace  auprès 
d'une  jeune  femme  avec  qui  vous  prenez  vos  repas,  qui  cause,  rit, 
chante,  pleure,  qui  vit  enfin  de  votre  vie,  et  le  jour  et  la  nuit*? 
En  fait,  cette  prétendue  invulnérabilité  est  un  leurre.  Ce  qui  le 
prouve,  c'est  votre  obstination  même  à  conserver  vos  compagnes, 
coûte  que  coûte.  La  femme  est  en  soi  si  dommageable  à  l'homme 
par  les  tracas  qu'elle  lui  cause,  par  les  scènes  qu'elle  lui  fait,  par  les 
préoccupations  dont  elle  est  la  source,  que  jamais  l'homme  n'accep- 
terait la  vie  en  commun  si  Dieu  n'avait  armé  la  femme  d'une  force 
secrète  qui  le  fait  passer  sur  tant  d'ennuis^.  C'est  Vepmq.  c'est  le 
TcéBoç  —  la  passion,  le  désir  —  qui  rendent  l'homme  si  patient. 
A  cette  loi  de  séduction,  vous-mêmes  vous  n'échappez  pas.  Vous  y 
êtes  même  bien  plus  fortement  asservis  que  les  ménages  réguliers. 
Oui,  l'rjoovY),  ferment  de  l'union  conjugale,  est  plus  vive  dans  vos 
liaisons  illicites  que  dans  le  mariage  méitie.  Entre  gens  mariés,  le 
désir,  par  le  fait  qu'il  se  satisfait  comme  il  veut,  s'émousse  assez 
vite;  puis  les  enfants  surviennent;  les  fatigues  de  la  grossesse  et  de 
leducation  éteignent  chez  l'épouse  l'éclat  de  la  jeunesse;  aux  pre- 
mières ardeurs  conjugales  succède  une  paisible  amitié.  Mais  vos 
subintroductae,  à  qui  sont  épargnées  les  inquiétudes  des  mères 
de  famille,  conservent  bien  plus  longtemps  en  sa  fleur  l'agrément  de 
leur  personne.  Chez  vous,  l'élan  naturel  n'est  donc  point  amorti 
par  le  déclin  de  charmes  à  qui  la  vie  est  plus  clémente^. 

1.  De  Singul.,  xxxi. 

2.  Ibid.,  X  (p.  185). 

3.  Ilpà;  TO"j;...,  ^  v  :  ôti  iroXXoi  xai  upoî  iyi\[ia.-ca.  xai  Xî6ou;  enaÔôv  Tt. 

4.  Ibid.,  x;  IIpô;  toûç...,  g  m;  ri£p\  toù...,  'i  viii. 

h.  Tlpô;  TO'j;...,  2  v  :  on  oiBûi  av  IXoito  xùtÎ)  <Tuvoiy.>)Tai  xaôapeyojv  èniB'Jiiîa;. 
6.  Ibid.,  1. 


220  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

«  Comment  croire  que  vous  restiez  insensibles  à  toutes  ces  sug- 
gestions troubles,  quand  on  vous  voit  accepter  le  ridicule  dont  votre 
servitude  même,  vos  courses  absurdes  à  travers  les  boutiques  de 
corsets,  de  quenouilles,  de  parfums  et  d'étoffes,  vous  affublent  aux 
yeux  de  tous^  ;  le  mépris  inavoué  de  celles  à  qui  vous  rendez  ces 
offices*;  pis  encore,  la  dérision  des  juifs,  des  païens,  le  déshonneur 
de  toute  l'Église-^?  A  qui  persuaderez-vous  que  quelques  avantages 
ou  commodités  matérielles  suffisent  à  vous  faire  supporter  tout 
cela,  alors  qu'il  serait  si  simple,  ne  pouvant  vous  suffire  à  vous- 
mêmes,  de  prendre  avec  vous  un  frère  au  lieu  d'une  sœur  (et  réci- 
proquement pour  vos  amies  ■*). 

«  Au  fond  de  tout  ce  commerce,  sous  prétexte  d'aide  mutuelle  et 
de  consolation  réciproque^,  se  dissimule  un  attrait  qui  n'a  rien  de 
commun  avec  la  «  charité  »  que  célébrait  l'apôtre.  Cette  continen- 
tia  criminosa,  cette  sanctimonia  infamis  est  pire,  en  un  sens, 
que  la  moechia  elle-même^.  C'est  une  gageure  sournoise  que  vous 
pouvez  prolonger,  mais  que  vous  êtes  sûrs  de  perdre^  ;  un  supplice 
de  Tantale  auquel  Tantale  lui-même  prendrait  goût,  soupçonnant 
que  la  xoôouixévY]  ne  restera  pas  toujours  inaccessible  à  son  étreinte®. 
Mieux  vaut  la  corruption  cynique  de  la  fille  qui  attire,  satisfait,  puis 
renvoie  son  client,  que  cette  pureté  perverse  où  l'âme  se  salit.  Que 
ne  vous  êtes-vous  mariés?  Le  mariage,  ni  Dieu  ne  le  condamne, 
ni  les  hommes  ne  le  blâment.  Mais  cette  vie  de  tentations  à  moitié 
consenties,  de  demi-défaites,  de  chutes  plus  ou  moins  profondes, 
quelquefois  irrémédiables,  est  la  honte  de  la  pseudo-virginité  qui  en 
accepte  l'équivoque'.  » 

Inflexible  réquisitoire!  Saint  Jean  Chrysostome  lui-même,  tout 
en  déclarant  qu'il  est  personnellement  disposé  à  croire  à  l'innocence 
des  cuveiuax.Toi  et  de  leurs  protecteurs,  répète  qu'il  lui  parait  impos- 
sible de  faire  partager  à  autrui  cette  disposition  bienveillante,  tant 
les  apparences  sont  contre  eux"*.  Son  grand  grief,  c'est  qu'ils 
oublient  égoïstement  le  respect  dû  aux  âmes,  le  devoir  de  ne  pas 

1.  Ilep'i  Toû...,  g  VI  ;  IIpoç  toijç...,  g  ix. 

2.  Ilept  Toù...,  §  VI ;  IIpôç  io\>ç,  §  xi. 

3.  npèç  To-jç...,  g  XIII.  Cf.  De  singuL,  viii;  xxxiv  (pro  iinius  feminae  amore 
culpari  totam  Ecclesiam  [patilur]). 

4.  De  Singul.,  xix;  Ilpoç  xoyç...,  g  vi;  IlepV  toO...,  g  iv. 

5.  Alterutra  solacia  :  De  Singtil.,  xix  (p.  194,  12). 

6.  Ibid.,  VII  (p.  180,  26). 

7.  g  II. 

8.  Ilpo;  Toûç...,  §  II. 

9.  Ibid.,  g  II.  Cf.  riepi  toO...,  g  m  et  ix. 

10.  Ilepi  ToO...,  g  v. 


LE    «    MARIAGE   SPIRITDEL    »    DANS   l'aNTIQUITÉ   CHRe'tIENNE.       221 

prêter  le  flanc  à  la  critique,  fût-elle  injuste,  si  celte  critique  lèse  les 
intérêts  majeurs  de  la  foi.  «  Dieu  veut  que  nous  soyons  une 
lumière,  un  ferment.  Avec  tout  le  prestige  d'une  vie  irréprochable, 
nous  avons  déjà  bien  de  la  peine  à  convertir  les  pécheurs.  Que 
sera-ce  si,  par  nos  défaillances  de  conduite,  nous  donnons  prise  à 
leurs  blâmes?  Ne  serons-nous  pas  responsables  de  leur  chute^?  » 

Une  défiance  profonde  à  l'égard  de  la  nature  humaine,  à  qui  l'on 
ne  permet  aucune  illusion  sur  son  irrémédiable  faiblesse,  voilà  le 
sentiment  sous-jacent  à  ces  réprimandes.  Ajoutons  :  une  peur 
extrême  de  la  femme.  Ah  !  certes,  on  peut  reprocher  aux  écrivains 
d'Eglise  des  rudesses  quelquefois  mortifiantes  à  l'égard  de  la  femme; 
mais  non  pas  d'avoir  diminué  la  force  de  la  fascination  qu'elle 
exerce!  Aculeus  peccati  facfa  est  forma  feminea...  Sodalitas 
mulierum.  gluten  est  delictorum  et  viscwm  toxicatum  quo 
diabolus  aucupatur^.  Quel  charme  ils  lui  prêtent  et  quel  hom- 
mage involontaire  ils  lui  rendent,  par  les  précautions  mêmes  dont  ils 
veulent  qu'on  s'arme  contre  elle! 


L'état  d'esprit  qui  respire  dans  les  écrits  que  je  viens  de  résumer 
trouva  de  bonne  heure  une  sorte  de  systématisation  officielle  dans 
les  décisions  conciliaires,  bientôt  renforcées  de  dispositions  impé- 
riales, oîi  furent  déterminées,  spécialement  à  l'égard  des  clercs,  les 
cohabitations  légitimes.  Déjà  l'évêque  à  qui  l'on  doit  le  De  Singu- 
lavltate  clericorum  avait  formulé  à  la  fin  de  sa  longue  instruc- 
tion, au  §  XLiv^,  une  règle  précise,  plus  rigide  encore  que  celle  dont 
se  contenteront  la  plupart  des  conciles  ultérieurs''. 

Tout  clerc,  déclarait-il,  qui  a  une  mère,  une  fille,  une  sœur,  une 
épouse  ou  une  proche  parente,  n'a  besoin  ni  de  servante  ni  d'étran- 
gère. Autrement  on  dirait  qu'il  ne  les  garde  que  pour  se  procurer, 
sous  leur  couvert,  des  femmes  du  dehors.  Si  elles  ne  peuvent  se  pas- 
ser de  l'aide  des  domestiques  ou  de  la  consolation  d'amies,  mieux 
vaut  qu'elles  aillent  demeurer  ailleurs  que  de  lui  faire  garder  des 

1.  ripô;  Toûç,  g  vu;  g  ix  et  xiii.  Ilepl  tôO...,  g  vi.  De  SinguL,  vni. 

2.  Ibid.,  IV. 

3.  Hartel,  p.  219,  1.  9. 

'i.  Voir  cependant  les  Décrétâtes  Gregorii  IX,  lib.  III,  titre  II  (éd.  Richter- 
Friedberg,  Lipsiae,  1881,  t.  Il,  p.  454).  «  Inliibenduni  est  et  modis  omnibus 
inlerminanduni,  ut  nullus  sacerdos  feniinas,  sicul  et  in  canone  inserlum  con- 
tinetur,  de  ((uibus  suspicio  potest  esse,  in  domo  sua  retineat,  sed  neque  illas, 
quas  canones  concedufit,  scilicet  inatrem,  amilani  et  sororem,  quia  instigante 
diabolo  et  in  illis  .stelus  fréquenter  perpetratum  reperitur,  aut  etiani  in  pedis- 
sequis  earundein.  » 


222  MÉLANGES  ET   UOCOMENTS. 

personnes  qui  lui  nuisent.  Une  femme,  même  insignifiante,  même 
vieille,  ne  doit  pas  être  employée  spécialement  pour  le  service  de  la 
maison.  Car  plus  prompt  est  le  péché,  quand  il  y  a  chance  qu'on  ne 
s'en  doute  pas  ;  et  pour  la  passion  il  n'est  rien  de  laid,  rien  de  mépri- 
sable, rien  de  vil,  du  moment  que  le  diable  emploie  ses  fictions  à  rendre 
prestigieuses  des  créatures  de  laideur  et  de  dégoût. 

En  général,  les  décisions  synodales'  se  contentent  de  défendre 
aux  clercs,  quelquefois  même  aux  laïcs ^,  de  prendre  avec  eux  des 
étrangères,  et  elles  énumèrent  limitativement  les  personnes  autori- 
sées à  vivre  dans  la  maison  cléricale  :  épouse^,  sœur'',  fille ^,  mère®, 
grand'mère'^,  tante *^,  belle-fille^,  proche  parente ^^,  ou  même  toute 
femme  «  échappant  au  soupçon^ ^  ».  Des  pénahtés  sont  plus  d'une 
fois  prévues '2  contre  les  déUnquants,  dont  la  ténacité  se  devine  aux 
renouvellements  si  fréquents  de  ces  mesures  coercitives. 

1.  1°  Concile  d'Antioche,  vers  267-8  (cf.  Hefele-Leclercq,  1,  i,  199);  2°  Concile 
d'Elvire,  vers  300,  can.  27  {ibid.,  I,  i,  236);  3°  Concile  d'Ancyre,  314,  can.  19 
{ibid.,  I,  I,  321);  4°  Concile  de  Nicée,  325,  can.  3  {ibid.,  I,  i,  536);  5°  Concile 
de  Carthage,  348,  can.  3  (Mansi,  III,  154)  [noter  les  mots  sub  praetextu  cari- 
tatix  et  dileciionis]  ;  6°  Concile  d'Hippone,  393,  can.  20  (Hefele-Leclercq,  II,  i, 
87);  7°  3'  Concile  de  Carthage,  397,  can.  17  (Mansi,  III,  883);  8°  4'  Concile  de 
Carthage,  date  douteuse,  can.  46  (Hefele-Leclercq,  II,  i,  102)  ;  9°  Synode  perse, 
410  (J.-B.  Chabot,  Synod.  Orientale,  Paris,  1902,  p.  464);  10°  Concile  d'Arles, 
443,  can.  3  (Hefele-Leclercq,  II,  i,  462);  11°  Synode  d'Acacius,  486  (Chabot, 
p.  303-306);  12°  Concile  d'Agde,  506,  can.  10  (Hefele-Leclercq,  II,  ii,  985); 
13°  Concile  de  Girone,  en  Espagne  Tarrac,  517,  can.  7  (Hefele-Leclercq,  II, 
II,  1029);  14°  Concile  de  Lerida,  524,  can.  15  {ibid.,  II,  ii,  1066);  15°  Concile 
de  Tolède,  531,  can.  3  (II,  ii,  1083):  16°  3'  Concile  d'Orléans,  538,  can.  4  (II, 
II,  4);  17°  Concile  de  Tours,  567,  can.  10  (III,  i,  187);  18°  Concile  de  Tolède, 
581,  can.  5  (HI,  i,  225);  19°  Concile  de  Séville,  590,  can.  3  (III,  i,  234); 
20*  Synode  nestorien  de  596  (Chabot,  op.  cit.,  p.  459);  21°  Synode  de  605 
{ibid.);  22»  4«  Concile  de  Tolède,  633,  can.  42  (Hefele-Leclercq,  III,  i,  272); 
23°  Synode  de  Braga,  675,  can.  4  (111,  i,  315);  24°  Concile  de  Nicée,  787, 
can.  18  (III,  II,  788)  ;  25°  Decretum  Gratiani,  Distinctio  xxxu,  surtout  le 
chap.  XVI  (éd.  Richter-Friedberg,  I,  116  et  suiv.,  Lipsiae,  1879)  et  Distinc- 
tio Lxxxi  (p.  287  et  suiv.). 

2.  Voir  à  la  note  précédente  le  n°  5. 

3.  N°  10  (sous  réserve  du  vœu  de  chasteté). 

4.  N°'  2,  4,  7,  9,  12,  13,  15,  17,  22. 

5.  N"  2,  10,  12,  17,  22. 

6.  N°'  4,  7,  9,  10,  12,  13,  15,  17,  22. 

7.  N"  7,  3,  10. 

8.  N"  4,  7,  9,  22. 

9.  N*  7  (si  les  enfants  se  sont  mariés  après  l'ordination). 

10.  N°  7,  15. 

11.  N"  4,  9. 

12.  N°'  5,  14,  18,  20,  22.  —  Les  empereurs  Honorius  et  Théodosc  s'appro- 
prièrent, le  8  mai  420,  les  décisions  du  Concile  de  Nicée  {Cod.  Theod.,  XVI, 


LE    «    MAUIAGE   SPIRITUEL    »    DANS    LANTIQUITE   CHRÉTIENNE.       223 

Sous  la  sécheresse  de  certaines  anecdotes,  on  devine  d'étranges 
drames  d'àme,  des  désespoirs  sentimentaux  qui  ne  reculaient  devant 
aucune  extrémité  pour  ne  pas  être  frustrés  de  l'objet  de  leur  attache- 
ment. Un  des  accusateurs  de  saint  Athanase,  Léontius,  soupçonné 
d'avoir  eu  des  rapports  avec  une  jeune  femme  nommée  Eùg-oXioç  et 
ayant  reçu  défense  de  la  garder  auprès  de  lui,  n'hésita  pas  à  prati- 
quer sur  lui-même,  pour  pouvoir  rester  avec  elle  (BiaipiSeiv  jast' 
aÙTTïç),  la  même  opération  qu'une  interprétation  trop  stricte  du  ver- 
set de  saint  Matthieu  (xix,  12)  avait  jadis  conseillée  à  Origène'.  Il 
n'en  fut  pas  moins  destitué  de  sa  charge  presbytérale. 

En  regard  de  ces  complications  «  passionnelles  »,  il  faut  placer  la 
rigidité  des  plus  authentiques  exemplaires  de  la  pensée  chétienne,  et 
je  ne  pai'le  pas  seulement  des  ascètes  qui  avaient  renoncé  à  toutes 
les  délectations  de  la  vie  civilisée.  Possidius,  le  biographe  de  saint 
Augustin,  raconte 2  qu'aucune  femme  ne  séjournait  jamais  dans  la 
maison  de  l'évêque  d'Hippone,  pas  même  sa  propre  sœur,  ni  ses 
nièces,  qui  en  eussent  inévitablement  attiré  d'autres.  Augustin 
redoutait  à  ce  point  l'ombre  même  d'un  scandale  que,  quand  une 
femme  venait  le  voir,  toujours  il  gardait  un  clerc  auprès  de  lui. 
Saint  Martin,  au  témoignage  de  Sulpice-Sévère,  n'était  pas  moins 
précautionneux  pour  soi  et  pour  l'opinion^.  Ecoutons  encore  saint 
Jérôme''  :  «  Que  jamais  ou  que  rarement  un  pied  de  femme  ne 
foule  le  seuil  de  ta  modeste  demeure  » ,  conseillait-il  au  clerc  Nepotia- 
nus;  «  que  toutes  les  jeunes  filles  et  les  vierges  du  Christ  te  soient 
également  inconnues  ou  également  chères.  N'habite  pas  avec  elles 
sous  le  même  toit  et  ne  te  fie  pas  à  ta  chasteté  passée.  Tu  ne  peux 
être  ni  plus  saint  que  David,  ni  plus  sage  que  Salomon.  N'oublie 
jamais  que,  si  le  premier  homme  fut  chassé  du  paradis  terrestre,  une 
femme  en  fut  la  cause...  »  Et  il  le  mettait  en  garde  contre  diverses 
conjonctures  fâcheuses,  où  son  inexpérience  aurait  pu  s'aheurter. 

VI. 

Il  serait  peut-être  intéressant  de  suivre  aussi  loin  que  possible 
l'histoire  du  «  mariage  spirituel  »  que  H.  Achelis  arrête  à  tort  au 

2,  44).  Juslinien  prescrivit  la  déposition  des  clercs  etdesévêques  récalcitrants 
[JVovelle,  123,  c.  29;  1.37,  cl). 

1.  Cette  histoire  est  racontée  par  saint  Athanase,  Apol.  de  Fuga  sua,  xxvii 
(Migne,  P.  G.,  XXV,  677  B);  cf.  Ilist.  ar.  ad  Mon.,  xviii  (XXV,  725  A). 

2.  Vila  Aug.,  xxvi  (Migne,  XXXII,  55). 

3.  Dial.,  II,  VII  (Migne,  XX,  206). 

4.  Ep.  LU,  5  (Hilberg,  dans  Corp.  scr.  eccl.  lat.,  t.  LIV,  423). 


224  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

VI®  siècle*.  Kuno  Meyer  montrait  récemment^  que  cet  usage  s'est 
prolongé  bien  plus  tard  dans  la  lointaine  Église  irlandaise.  Il  a 
exhumé  un  poème  en  vieil  irlandais  que  deux  copies  ont  conservé*. 
C'est  un  cantique  d'amour  adressé  à  une  syneisakté  qui,  après 
avoir  longtemps  vécu  avec  le  poète  dans  une  chaste  union,  revient 
vers  lui  sur  le  tard,  vieillie,  mais  pure  toujours. 

Que  de  voluptés  spirituelles  presque  inédites  le  christianisme  a 
fait  connaître  à  l'âme  humaine!  Et  comme  ces  premiers  siècles 
chrétiens  sont  plus  intéressants,  plus  riches  de  substance  morale 
que  ceux  où,  dévots  adorateurs  de  la  seule  nature,  les  Mimnerme  et 
les  Anacréon,  les  Catulle  et  les  Ovide  paraient  de  vers  charmants 
les  superficielles  émotions  d'une  sensualité  sans  remords! 

Mais  il  est  temps,  après  ce  long  exposé,  d'aboutir  à  quelques  con- 
clusions. 

H.  Achelis  veut  que  l'Eglise  ait  évolué  dans  la  question  des  sub- 
introductae  et  qu'une  lente  volte-face  l'ait  amenée  à  condamner  ce 
qu'elle  avait  souffert  ou  favorisé  d'abord.  Il  ne  permet  pas  aux 
modernes  de  s'indigner  ni  de  s'égayer  de  ces  demi-épouses,  demi- 
vierges.  Il  rappelle  qu'il  faut  juger  des  choses  de  la  morale,  comme 
de  tout  le  re§te,  avec  un  peu  d'esprit  historique;  que  bon  nombre 
de  sincères  chrétiens  d'aujourd'hui  ne  se  considèrent  pas  comme 
aussi  strictement  tenus  de  fuir  le  théâtre,  d'éluder  les  modes,  de 
s'abstenir  de  la  danse,  etc.,  qu'ils  eussent  accepté  de  l'être  au  temps 
de  TertuUien  ou  de  saint  Jean  Chrysostome. 

Il  y  a  une  part  de  vrai  dans  cette  observation  :  je  dis  une  part 
seulement,  car  il  suffit  de  lire  saint  Jean  Chrysostome  ou  TertuUien 
pour  s'apercevoir  que,  dans  la  Carthage  du  iii^  siècle  comme  dans 
la  Constantinople  du  iv%  les  avis  étaient  fort  partagés  sur  plus  d'un 
problème  pratique.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  le  rigorisme  dominait; 
nous  en  tombons  d'accord  avec  Achelis.  Encore  moins  admettrons- 
nous  que  les  communautés  chrétiennes,  si  surveillées  sur  le  point 
des  mœurs,  si  convaincues  que  la  volonté  humaine  est  prompte  aux 

1.  Au  VI'  siècle  même  se  rapportent  deux  textes  curieux,  dont  l'un  a  échappé 
à  Achelis.  11  est  de  Jean  d'Éphèse,  au  g  lu  de  son  Commentaire  sur  les  saints 
d'Orient  (trad.  latine  de  van  Douwen  et  J.-P.-N.  Land,  dans  les  Verhandelin- 
gen  der  K.  Akad.  van  Wetensch.  Letterkunde,  XVIII  (1889).  C'est  Jùlicher 
qui  l'a  signalé  {art.  cité,  p.  375).  —  Le  second  est  une  lettre  des  évêques  Lici- 
nius,  Melanlus  et  Eustochius  aux  prêtres  bretons  Lovocatus  et  Catihernus.  J'ai 
traduit  le  document  et  j'y  ai  fourni  un  apparat  critique  dans  mes  Sources  de 
l'hist.  du  montanisme,  Paris,  1913,  p.  226. 

2.  Sitz.  Ber.  d.  Akad.  Berlin,  1918,  n"'  XVIII-XIX,  p.  362-374.  J'ai  analysé 
cet  article  dans  la  Rame  de  philologie  {Revue  dea  reviiex)  de  1919. 

3.  Le  manuscrit  A  (9)  du  couvent  des  Franciscains,  à  Dublin,  et  le  manus- 
crit H.  4.  22  de  la  bibliothèque  du  Trinity  Collège,  de  la  même  ville. 


LE    «    MARIAGE   SPIRITUEL    »    DANS   l'aNTIQUITÉ    CHRÉTIENNE.       225 

défaillances,  que  les  meilleurs  doivent  éviter  les  «  occasions  »,  tant 
ils  sont  peu  sûrs  de  n'y  point  succomber,  aient  jamais  vu  d'un  bon 
œil  ces  intimités  pseudo-maritales.  L'invraisemblance  est  criante  et, 
pour  y  imposer  silence,  il  faudrait  des  preuves  péremptoires  que  ni 
Achelis,  ni  Jûlicher  n'ont  réussi  à  produire.  On  a  vu  combien 
précaires  sont  les  interprétations  qu'ils  proposent  des  fameux  ver- 
sets de  la  première  épitre  aux  Corinthiens  :  or,  si  cette  base  est 
ébranlée,  tout  l'édifice  qu'ils  ont  fondé  dessus  apparaît  ruineux. 

L'union  spirituelle  n'était  formellement  recommandée  que  dans 
certains  cercles  hétérodoxes,  par  exemple  chez  les  «  Abéloïtes  »,  à 
qui  la  secte  imposait,  paraît-il,  la  double  obligation  de  vivre  avec 
une  épouse  et  d'observer  la  continence  :  ces  ménages  étranges 
devaient  adopter  un  garçon  et  une  fille  qui  leur  succédaient  plus 
tard  dans  le  même  pacte^  —  Au  sein  de  l'Église,  elle  ne  paraît 
guère  avoir  été  autre  chose  qu'une  sorte  de  correctif  et  de  rançon 
du  célibat;  et,  pour  autant  que  l'histoire  se  construit,  non  pas  avec 
des  fictions,  mais  avec  des  documents,  on  ne  voit  point  qu'elle  ait 
jamais  obtenu  l'aveu  de  l'autorité  compétente. 

Il  sera  permis,  à  ce  propos,  de  mettre  au  point  une  réflexion 
d'Ernest  Havet,  dans  son  beau  livre  sur  le  Christianisme  et  ses 
origines^.  Avec  son  ardeur  lucrétienne  de  délivrer  les  âmes  de 
la  superstition,  Havet  faisait  flèche  de  tout  bois,  même  parfois  du 
plus  fragile.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  décrit  l'organisation  sociale 
proposée  par  Platon  dans  sa  République  et  en  avoir  souligné  cer- 
taines parties  un  peu  cyniques,  il  ajoute  :  «  Les  choses  qui  se  pas- 
saient en  pleine  lumière  et  avec  une  solennité  bizarre  dans  l'utopie 
de  la  République  ne  se  sont-elles  pas  passées  plus  d'une  fois  au 
fond  de  l'Église,  clandestinement  et  dans  l'ombre?  Elle  s'y  rési- 
gnait, pourvu  qu'elle  obtînt  ce  grand  résultat  politique,  etc..  »  Je 
ne  sais  si  un  historien  du  moyen  âge  accepterait  comme  véridique 
l'observation  de  l'éminent  humaniste.  Pour  la  période  que  j'ai  étu- 
diée, elle  se  trouve  inexacte.  Non  seulement  l'Église  ne  s'est  pas 
«  résignée  »  à  ces  abus,  mais  elle  les  a  pourchassés  avec  une  rigueui-, 
une  suite,  une  minutie  inquisitoriale,  qui  feraient  volontiers  crier 
grâce  aux  âmes  un  peu  romanesques  que  la  sensibilité  moderne 
dispose  aux  faciles  amnisties. 

Pierre  de  Labriolle. 

1.  Praedest.,  lxxxvii  (Œhier,  Corp.  Haereseol.,  I,  254)  :  c'est  la  reproduc- 
tion d'un  texte  de  saint  Augustin.  Achelis  ne  semble  pas  avoir  connu  non  plus 
ce  naorceau. 

2.  T.  I,  p.  239.  . 


Rev.  Histor.  CXXXVII.  2»  fasc.  15 


BULLETIN   HISTORIQUE 


SCIENCES  AUXILIAIRES  DE  L'HISTOIRE. 

PALÉOGRAPHIE.   DIPLOMATIQUE.    BIBLIOGRAPHIE.    DIVERS. 
(1912-1920.) 

En  reprenant  ce  Bulletin,  interrompu  par  la  guerre,  nous  nous 
trouvons  en  présence  d'une  matière  extrêmement  vaste,  malgré  le 
ralentissement  de  la  production  scientifique.  Il  est  donc  nécessaire 
de  restreindre  les  limites  du  plan  adopté  ;  je  me  bornerai  à  signaler, 
sous  les  trois  principales  rubriques  ci-dessus,  les  ouvrages  ou 
mémoires  les  plus  importants,  et  je  grouperai  à  la  fin,  quelques 
indications  sommaires  sur  la  toponomastique,  la  sphragistique,  l'hé- 
raldique et  la  numismatique. 

Paléographie.  —  L'ouvrage  le  plus  considérable  paru  en  ces 
dernières  années,  dans  le  champ  des  études  paléographiques,  est, 
sans  contredit,  celui  qu'a  publié  en  1915  M.  W.  M.  Lindsay  sous 
le  titre  Notée  la-tinse,  an  account  of  abbreviation  in  latin 
manuscri'pts  of  the  early  minuscule  period  (c.  100-850)*.  Sept 
ans  auparavant,  l'auteur  avait  préludé  à  ces  recherches  dans  ses  Con- 
tractions in  early  latin  minuscule  m,anuscriyts'^ ,  où  il  avait 
commencé  à  réunir  les  abréviations  usitées  par  les  scribes  du 
viii"  siècle,  et  dans  ses  monographies  sur  les  écritures  nationales, 
irlandaise  et  galloise^.  Les  célèbres  travaux  de  Traube  avaient  montré 
la  nécessité  d'enquêtes  plus  minutieuses  pour  fixer  la  date  et  le  lieu 
d'origine  des  divers  groupes  de  manuscrits.  Les  Nomina  sacra  ^  sur 
les  abréviations  usitées  dans  les  manuscrits  en  capitales,  devaient 
former  le  premier  volume  d'une  Histoire  des  abréviations  latines 
qui  ne  vit  pas  le  jour.  Le  livre  de  M.  Lindsay  est  venu  combler  en 
partie  celte  lacune.  Son  enquête  a  porté  sur  la  plupart  des  manus- 
crits en  minuscule  du  viii^  siècle  et  de  la  première  moitié  du  Ix^ 

1.  Cambridge,  at  Ihe  University  Press,  1915,  in-8°,  xxiv-500  p. 

2.  Oxford,  1908. 

3.  Early  irish  minuscule  script  et  Early  welsh  script.  Oxford,  1910  et  1912. 


SCIENCES   AUXILIAIRES    DE   l'hISTOIRE.  227 

Ses  statistiques  d'abréviations  permettront  de  rectifier  certaines 
pages  de  Traube. 

En  Belgique,  M.  Hubert  Nelis  a  édité,  dans  la  Collection  créée 
pour  l'avancement  des  ^cienceg,  des  lettres  et  des  arts,  un  réper- 
toire bibliographique  sur  Y  Écriture  et  les  scribes*,  dont  l'utilité 
se  faisait  véritablement  sentir.  C'est  un  complément  à  la  première 
partie  de  la  Bibliographie  paléographico-diplomatico-bibliologique 
de  P.  Namur,  parue  à  Liège  en  1838,  et  au  résumé  de  M.  Prou, 
Paléogruphie  et  diplomatique  (1888-1897),  publié  dans  le  Con- 
grès hihliogra.'phique  de  1898.  Plus  de  1  500  livres,  brochures  et 
articles  y  ont  été  classés  méthodiquement.  Une  œuvre  de  ce  genre 
devait  nécessairement  présenter  quelques  légères  omissions  que  les 
éditions  postérieures  ne  manqueront  pas  de  réparer 2. 

En  France,  la  municipalité  de  Beauvais  a  publié  un  Album  his- 
torique et  paléographique  beauvaisien^  qui  renferme  onze  fac- 
similés  phototypiques  de  documents,  avec  transcription  :  les  uns, 
tirés  des  Archives  nationales,  concernent  le  siège  de  1472  ;  les  autres, 
tirés  des  archives  municipales,  ont  trait  à  la  commune  et  au  col- 
lège de  Beauvais  (de  1 182  à  1545).  —  Pour  une  tout  autre  région,  le 
projet  que  nous  annoncions  dans  notre  dernier  Bulletin  a  été  mis 
à  exécution  :  MM.  Galabert  et  Lassalle  ont  fait  paraître  un 
Album,  de  paléographie  et  de  diplomatique,  renfermant  des 
fac-similés  phototypiques  de  documents  relatifs  à  l'histoire  du  midi 
de  la  France  et  en  particulier  de  la  ville  de  Toulouse,  publica- 
tion faite  avec  le  concours  d'un  groupe  d'archivistes*.  Enfin  un 
Recueil  de  fac-similés  de  chartes  normandes  a  été  publié,  à 
l'occasion  du  cinquantenaire  de  la  fondation  de  la  Société  de  l'His- 
toire de  Normandie,  par  J.-J.  Vernier^,  comprenant  des  actes  de  984 
à  1425,  tirés  des  archives  de  la  Seine-Inférieure  ou  des  Archives 
nationales. 

Pour  l'Angleterre,  M.  R.  James  a  donné,  sous  le  litre  Wande- 
rings  and  homes  of  manuscripls,  un  résumé  substantiel  de  nos 
connaissances  en  fait  d'anciens  manuscrits®.  M.  Wells  a  publié 
un  supplément  à  son  Manrml  of  writings  in  Middle  English 

1.  Bruxelles,  Van  Oest,  1918,  in-8°,  xu-159  p.  Prix  :  10  fr. 

2.  C'est  par  erreur  qu'un  compte-rendu  (BibUothèquc  de  l'École  des  chartes, 
t.  LXXIX,  p.  208)  lui  reproche  l'oubli  de  la  New  pnlœographical  Society.  Les 
publications  de  cette  Société  ligurent,  en  effet,  sous  le  n"  152. 

3.  Beauvais  et  Paris,  1913,  in-4°,  21  p.  et  11  pi.  en  phototypie. 

4.  Pariii,  Chain|tion,  1912  et  1!JI3,  in-fol.,  48  p.  et  pi. 

5.  Rouen,  Lestringant,  1919,  in-4«,  34  p.  et  32  pi. 

6.  Cf.  Rev.  histor.,  t.  CXXXllI,  p.  336. 


228       '  BULLETIN   HISTORIQUE. 

(1050-1400)  qui  s'étend  jusqu'en  1918'.  M.  Jenkinson  a  écrit  deux 
intéressants  mémoires  sur  la  «  court  hand  »,  ou  cursive  diploma- 
tique anglaise  du  xi^  au  xvi*  siècle  ■^  et,  sous  le  titre  Roman  cur- 
sive writiyig,  M.  Van  Hoesen  a  présenté  à  la  Faculté  de  Princeton 
une  dissertation  avec  de  nombreux  fac-similés^. 

La  nouvelle  Société  paléographique  de  Londres,  sous  la  direction 
de  MM.  Thompson,  Kenyon,  Gilson  et  Herbert,  a  édité  vingt  planches 
de  fac-similés  du  ii*  au  xv*  siècle,  depuis  un  papyrus  d'Homère  jus- 
qu'à un  manuscrit  anglais  daté  de  HCS-*. 

On  doit  à  M.  Turner-^  les  fac-similés  des  manuscrits  et  chartes 
du  viii^  siècle,  appartenant  à  la  cathédrale  de  Worcester  [Early 
Worcester  rnanuscripts,  etc.),  à  MM.  Gaselee  et  P^tow  ceux 
des  manuscrits  de  Paris  de  Pétrone  {Codex  Traguriensis]^  et 
d'Henri  d'Andeli  {la  Bataille  des  sept  arts)''.  Dom  Ant.  Staerk 
publie  une  Collection  de  reproductions  phototypiques,  textes 
et  miniatures,  dont  le  tome  I"  comprend  les  chartes  des  xii^  et 
XIII*  siècles  de  l'abbaye  de  Bulfestra  ou  Buckfast  (Devonshire), 
dépendance  de  l'abbaye  normande  de  Savigny^. 

Pour  l'Italie,  M.  E.  A.  Loew,  qui  est  un  disciple  de  Traube, 
a  consacré  à  l'histoire  de  l'écriture  bénéventaine  une  importante 
monographie  :  The  Benevantan  scri2:)t,  a  history  of  the  south 
italian  minuscule^.  Cette  écriture,  très  caractéristique,  qu'on  a 
quelquefois  désignée  du  terme  trop  général  de  lombardique,  est 
représentée  par  plusieurs  centaines  de  manuscrits,  exécutés  dans  les 
anciennes  principautés  lombardes  de  Capoue  et  de  Bénévent.  M.  Loew 
en  a  démêlé  les  origines  et  le  développement,  notamment  au  Mont- 
Cassin,  jusqu'au  xii'=  siècle  et  même  au  xm".  Il  rejette  l'hypothèse 
d'une  origine  espagnole,  soutenue  par  Rodolico  à  cause  de  certaines 
analogies  avec  l'écriture  wisigothique.  Il  prépare,  d'ailleurs,  un  album 
de  planches.  La  connaissance  des  particularités  qu'il  signale  aurait 
évité  à  l'éditeur  Bruno  Krusch  certaines  erreurs  de  classement  de 
manuscrits. 

1.  Publié  sous  les  auspices  de  la  «  Connecticut  Academy  of  arts  and  sciences  ». 
New-Haven,  Conn.,  Yale  Univ.,  1919,  in-8°,  p.  947-1037. 

2.  New-York,  Putnam,  1915,  in-4°,  x-38  p.  et  illustr.;  Londres,  Humpbrey 
Milford,  1915,  in-8%  texte  de  298  p.  et  44  pi.  in-fol. 

3.  Princeton,  1915,  University  Press,  viii-268  p.,  pi. 

4.  4°  partie,  2'  série.  Londres,  1918,  in-fol. 

5.  Oxford  Clarendon  Press,  1916,  in-fol.,  lxxi-32  p.,  pi. 

6.  iNew-York,  Putnam,  1915,  in-8°. 

7.  University  of  California  press,  Berkeley,  1914,  in-4%  60  p.  et  10  pi.  Cl. 
Hev.  histor.,  t.  CXXIV,  p.  333. 

8.  Kain-lez-Tournai,  1914,  gr.  in-4%  xx-35  p.  et  25  pi. 

9.  Oxford  Clarendon  press,  1914,  in-8%  xx-384  p.,  9  pi. 


SCIENCES   AUXILIAIRES   DE   l'hISTOIRE.  229 

Tout  récemment,  M.  le  D""  Novak,  d'Agram  ou  Zagreb  (Yougo-Sla- 
vie),  a  complété  ce  travail  en  publiant  une  très  suggestive  étude  paléo- 
graphique intitulée  Scriptura  Beneventana* .  Il  y  montre  le  déve- 
loppement de  cette  écriture  en  Dalmatie,  où  elle  fut  apportée  par 
les  moines  bénédictins  des  ix*"  etx*  siècles,  et  où  elle  lutta  longtemps 
contre  la  Caroline,  jusqu'au  moment  où  elle  fut  remplacée  par  l'écri- 
ture cyrillique  et  la  glagolitique  angulaire  croate. 

Le  savant  liturgiste  anglais  Marriott  Bannister  a  édité  en  deux 
beaux  volumes  les  Monumenti  Vaticani  di  paleogr-afia  musi- 
cale latina^,  recueil  qui  est  appelé  à  rendre  de  réels  services  aux 
paléographes.  Suivant  la  remarque  très  juste  de  l'auteur,  la  nota- 
tion musicale  offre  des  éléments  beaucoup  plus  sûrs  que  l'écriture 
elle-même  pour  dater  les  manuscrits,  car  les  mélodies  sont  toujours 
transcrites  suivant  l'usage  le  plus  récent  et  le  système  des  neumes 
change  plus  vite  que  l'écriture.  Le  même  a  écrit  une  étude  paléo- 
graphique en  tète  de  son  édition  du  «  Missale  gothicum  »,  a  gal- 
lican sacram.entary,'-ms.  Vatican.  Regin.  lat.  317^,  célèbre 
manuscrit  en  onciale  mérovingienne,  publié  jadis  par  Mabillon  et 
décrit  par  L.  Delisie. 

Le  reiVetté  Ernest  Monaci  a  fait  paraître  des  Facsimili  di  docu- 
menti  per  la  storia  délie  lingue  e  délie  letterature  romanze* 
qui  ne  font  pas  double  emploi  avec  les  fac-similés  déjà  édités  par  lui 
pour  les  écoles  de  philologie  romane.  Le  choix  des  planches  se  recom- 
mande par  sa  variété  :  la  série  commence  par  des  tablettes  de  plomb 
du  Musée  Kircher,  pour  se  terminer  sur  le  Roland  de  Venise  et  les 
cantiques  d'Alphonse  le  Sage. 

Dans  son  pvédeux  Archivio  paleografîco  italiano  (fasc.  40-44)  ^, 
il  a  publié,  avec  ses  collaborateurs,  des  documents  d'archives  (depuis 
le  viii«  siècle)  tirés  du  Mont-Cassin,  de  Sienne,  Florence,  Parme, 
Modène,  Plaisance,  Milan,  Ravenne,  Vérone,  Brescia,  Bénévent, 
Naples,  Gaëte,  Sorrente,  Amalfi  et  Capoue. 

En  un  article  paru  dans  VAnnuario  del  R.  Archioio  di^Stato 
in  Milano'^,  le  professeur  G.  Vittani  a  signalé  l'activité  des  écoles 
paléographiques  annexées  à  la  plupart  des  archives  d'Etat  italiennes, 
dont  il  suit  l'origine  et  le  développement.  Il  s'efforce  de  montrer  que 

1.  Zagreb  et  Vienne,  Angrera  et  Goschla,  in-4°,  vii-88  p.,  18  fac-similés. 

2.  Leipzig,  Harrassowitz,  1913,  2  vol.  gr.  in-fol.,  lxi-280  p.  et  x-132  pi.  (Codi- 
ces  e  Vaticanis  selecti,  phololypice  expressi...,  vol.  Xli). 

3.  T.  I.  Londres,  l'J17,  in-8",  lxxi-145  p.  et  6  pi.  («  Henry  Bradshaw  Society  », 
vol.  LU). 

4.  Rome,  .\nderson,  1910  et  1913,  in-8%  2  fasc,  115  pi. 

5.  Rome,  Anderson,  1913-1915,  in-fol. 

6.  Milan,  1916,  in-8». 


230  BULLETIN   HISTORIQUE. 

renseignement  palédgraphique,  donné  dans  les  archives,  est  mieux 
orienté  vers  les  besoins  des  futurs  archivistes  que  celui  des  Univer- 
sités, et  que  les  chaires  de  sciences  auxiliaires,  qui  existent  dans  les 
Universités  italiennes,  feraient  mieux  de  se  tourner  davantage  vers 
l'étude  des  manuscrits,  de  manière  à  compléter  l'enseignement  tech- 
nique des  archives. 

L.  ScHiAPARELLi  a  publié  des  notes  paléographiques  sur  l'ori- 
gine et  les  divers  caractères  de  l^écriture  irlandaise  '  et  il  a  aussi 
étudié  le  système  abréviatif  des  signes  tachygraphiques  des  Notae 
juris  au  moyen  àge^. 

En  Espagne,  M.  Millares-Carlo  a  étudié  les  documents  pon- 
tificaux sur  papyrus  des  archives  catalanes  au  point  de  vue 
paléographique  et  diplomatique^,  et  la  Palseographia  iberica  de 
3.  BuRNAM,  que  nous  annoncions  dans  notre  dernier  Bulletin,  a 
commencé  à  paraître.  Elle  comprend  des  fac-similés  de  manuscrits 
espagnols  et  portugais  du  ix^  au  xi''  siècle,  avec  notices  et  trans- 
criptions ^ 

En  Allemagne,  les  livraisons  12  à  23  du  grand  recueil  des  Monu- 
menta  palœographica  du  moyen  âge  (2^  série)  du  D'  Chroust 
ont  paru  de  1913  à  1917.  ?e 

Dans  les  Tabulée  in  usurn  scholarum  de  Lietzmann,  M.  Mentz 
a  donné  un  choix  de  bons  spécimens  d'écritures  personnelles  du  temps 
de  la  Réforme^.  On  y  trouvera  des  autographes  d'Érasme,  de 
Luther,  de  Calvin,  de  Zwingli,  etc.  Dans  la  même  collection, 
M.  HùLSHOF  a  édité  des  fac-similés  de  manuscrits  allemands  et  latins 
des  Pays-Bas,  de  1350  à  1650^.  Les  manuscrits  de  Oicéron  de  Leyde 
et  de  Ti bulle  de  Wolfenbiittel  ont  été  reproduits  avec  préfaces  par 
Plasberg  et  Léo,  ainsi  que  le  Vieux  Testament  de  l'Alexandrinus 
de  Londres,  dans  la  série  des  Codices  graeci  et  laAini  photogra- 
phice  depicti  de  Leyde ^.  Enfin  Steffens  a  publié  des  Probenaus 
griechischen  Handschriften  und  Urkunden^. 

Le  Spicilegium  palimpsestorum  arte  photographica  para- 
tum  des  moines  bénédictins  de  Tabbaye  de  Beuron'  offre  un  excel- 

1.  Note  paleogra/iche,  etc.  Florence,  tip.  Galileiana,  1917,  in-8°,  126  p. 
[Archivio  storico  italiano). 

2.  A}-chivio  storico  italiano,  1915. 

3.  Documentas  pontificios  en  papiro,  etc.  Madrid,  Fortanel,  et  impr.  Hel- 
lénica,  1918,  in-8%  274  p. 

4.  Paris,  Champion,  fasc.  II,  1920,  in-fol.,  20  pi.  et  p.  81-155. 

5.  Bonn,  Marcus  et  Weber,  1912,  gr.  in-8*,  xxxviii  p.  et  50  pi. 

6.  Ibid.,  1918. 

7.  Leyde,  Sijthoflf,  1914,  in-fol.,  xvi  p.,  83  pi.;  1915,  in-fol.,  xiv-120  flf. 

8.  Trêves,  Scliaar  et  Dathe,  1912,  in-4%  8  p.  et  24  pi. 

9.  Vol.  I  :  Codex  Sangallensis  193  continens  fragmenta  plurium  prophe- 


SCIENCES   AUXILIAIRES  DE   l'BISTOIRE,  231 

lent  spécimen  des  résultats  tout  à  fait  satisfaisants  qu'on  peut  obtenir 
pour  la  lecture  et  la  reproduction  des  palimpsestes,  grâce  aux  pro- 
cédés photographiques  perfectionnés  par  Dom  Raphaël  Kôgel.  Le 
manuscrit  reproduit  est  un  palimpseste  du  viii^-ix*^  siècle  conservé  à 
Saint-Gall  (saint  Césaire  et  saint  Augustin)  écrit  sur  un  saint 
Jérôme  en  semi-onciale  du  vi<=-vii«  siècle.  Une  étude  paléographique 
détaillée,  par  D.  Anselme  Manser,  lui  sert  de  préface. 

Notons  enfin  l'apparition  du  tome  second  des  Exempla  de  manus- 
crits grecs  en  minuscule  et  onciale,  publiés  par  Cereteli  et  Sobo- 
levski',  et  l'album  de  fac-similés  de  manuscrits  yougo-slaves  par 
le  même  Sobolevski,  avec  la  collaboration  de  Lavrof  et  Kalitchiatslti, 
à  Pétrogçad  en  1913  et  1916=*. 

Pour  les  nombreux  livres  et  articles  relatifs  aux  manuscrits  à 
peintures,  on  pourra  consulter  notre  Bibliographie  des  publica- 
tions relatives  aux  manuscrits  à  peintures  (1913  à  1920)  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  française  de  reproductions  des 
manuscrits  à  peintures. 

Diplomatique.  —  Nous  devons  remonter  à  1912,  pour  mention- 
ner un  ouvrage  d'ensemble  arrivé  trop  tard  pour  notre  dernier  Bul- 
letin :  la  Grande  chancellerie  en  France  des  origines  à.  1328, 
par  M.  L.  Perrichet^,  résumé  consciencieux  de  l'état  de  nos  con- 
naissances générales. 

En  Allemagne,  nous  indiquerons  seulement  la  nouvelle  édition 
du  manuel  d'Harry  Bresslau^  Handbuch  der  Urkundenlehre 
fur  Deutscidand  und  Italien,  qui,  d'ailleurs,  ne  présente  que 
peu  de  différences  avec  la  précédente. 

Recueils  ou  Catalogues  d'actes.  —  La  collection  des  «  Chartes  et 
diplômes  relatifs  à  l'histoire  de  France  »,  publiée  par  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres,  s'est  accrue  de  trois  importants  volumes  : 
le  tome  I  du  Recueil  des  actes  de  Philippe-Auguste  (1179- 

tanim  secundum  Iranslationem  S.  Hieronymi.  Beuron  et  Leipzig,  Harrasso- 
witz,  1913,  in-fol.,  15  p.  et  152  pi. 

1.  Exempla  codicum  graecorum  litleris  7ninuscuHs  scriplorum  nnnorum- 
'/ne  notis  instruclotum.  Volumen  allerum  :  Codices  Fetropolitani.  Moscou, 
1913,  19  p.  et  58  pi.  en  pholoty|)ie.  —  Id.,  Exempta  codicum  graecorum  lil- 
teris  uncialibus  scriptorum.  Saint-l'étersbourg,  1913,  in-fol.,  10  p.  et  17  pi. 
en  pholoty|)ie. 

2.  Album  de  fac-similés  de  mss.  yougoslaves  en  écrilure  bulgare  et  serbe 
et  de  mss.  ajrilliques  d'orifjine  roumaine.  Pétrograd,  1916,  130  planches 
[1«  mss.  yougo-slaves,  par  P. -A.  Lavrof,  pi.  1-97;  '2°  mss.  cyrilliques,  par 
K.  Kalilchiatski  et  A.  Sobolevski,  pi.  98-130]  [Enciclopedin  slavianskoi  fîlo- 
logii  de  Jagic). 

3.  Paris,  Larose  et  Tanin,  1912,  in-8*,  575  p. 

4.  1"  iiarlie  du  tome  II.  Leipzig,  Veit,  1915,  in-8°,  x-392  p. 


232  BULLETIN    HISTORIQUE. 

1194)  publié  par  M.  H. -F.  Delaborde'  ;  le  tome  I  du  Recueil  des 
actes  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre  et  duc  de  Normandie, 
concernant  les  provinces  françaises  et  les  affaires  de  France, 
œuvre  posthume  de  Léopold  Delisle,  revue  ef  publiée  par  M.  Elie 
Berger^,  ei\e  Recueil  des  actes  des  rois  de  Provence,  par  M.  R. 
PouPARDiN^.  Nous  nous  bornerons  à  les  mentionner  ici  en  insis- 
tant sur  la  valeur  de  ces  recueils,  dont  les  introductions  sont  des 
études  approfondies  de  la  diplomatique  française  et  anglaise  et  qui 
constituent,  avec  leurs  tables,  des  ouvrages  destinés  à  devenir  clas- 
siques pour  les  études  médiévales.  Rappelons  que  le  Recueil  des 
actes  de  Louis  IV  [936-95'i],  par  moi-même,  a  paru  antérieure- 
ment\  avec  une  préface  de  M.  Maurice  Prou  qui  explique  la  genèse 
de  la  collection. 

Les  Regesta  chartarum  Italise^  ont  atteint,  en  1914,  leurs  12« 
et  \^^  volumes  avec  le  Regesto  Mantovano  et  le  tome  III  du 
.Regesto  di  Camaldoli  dus  à  MM.  Torelli,  Schiaparelli  et  Bal- 
DASSERONi.  La  collaboration  de  Tlnstitut  historique  italien  avec 
l'Institut  historique  prussien  de  Rome  a  été  interrompue  par  la 
guerre:  mais  il  est  à  prévoir  que  l'œuvre  des  éditeurs  italiens  ne 
s'arrêtera  pas  pour  cela.  MM.  Schiaparelli  et  Federici  ont  déjà 
apporté  le  concours  de  leur  féconde  activité.  Ils  réussiront,  nous 
n'en  doutons  pas,  à  continuer  la  précieuse  série,  sans  assistance 
étrangère,  avec  la  collaboration  de  leurs  élèves  et  des  érudits  locaux. 

Comme  régestes  ou  catalogues  d'actes,  il  y  a  lieu  de  signaler 
Vltinéraire  de  Philippe  de  Valois,  par  J.  VIARD^  et  le  Cata- 
logue des  actes  des  ducs  de  Lorraine  de  iOkS  à  1139  et  de 
1116  à  1220,  par  E.  Duvernoy',  qui  complète  celui  des  actes  de 
Mathieu  I"  de  Lorraine  (1139-1176)  qu'il  avait  donné  en  1904,  et 
celui  de  Mathieu  II  (1220-1251),  dû  à  Le  Mercier  de  Morière  (1893)  ; 
en  sorte  que  nous  possédons  actuellement  un  régeste  complet  pour 
la  période  s'étendant  du  milieu  du  xi'  siècle  au  milieu  du  xiii«. 

En  Allemagne,  W..  Peitz  a  publié  diverses  recherches  sur  les 
chartes  fausses  de  Hambourg^. 

1.  Paris,  Klincksieck,  1916,  in-4',  xl-575  p. 

2.  Ibid.,  1916,  in-4%  vii-587  p. 

3.  Ibid.,  1920,  in-4°,  lviii-157  p.,  3  pi. 

4.  Ibid.,  1914,  in-4%  lxxvi-1^  p. 

b,  Rome,  Loescher,  1907-1914,  13  vol.  in-8". 

6.  Nogent-le-Rotrou,  Daupeley-Gouverneur,  1913,  in-8%  150  p.  (extr.  de  la 
Bibl.  de  l'École  des  chartes). 

7.  Nancy,  Crépin-Leblond,  1915,  in-8%  ii-264  p.  (extr.  des  Mém.  de  la  Soc. 
d'archéologie  lorraine,  l.  LXII  et  LXIV).  Cf.  Rev.  kistor.,  t.  CXX,  p.  390. 

8.  linlersuchungen  zu  Urkundenfalschungen  des  Mittelalters ,  1  Teil.  Die 


SCIENCES   AUXILIAIRES   DE   l'hISTOIRE.  233 

Bibliographie.  —  La  plupart  des  ouvrages  généraux  nous 
viennent  des  Etats-Unis^  M.  Cotton-Dana  a  consacré  un  livre  d'en- 
semble aux  Bibliotiièques"^  ;  Feipel,  quelques  pages  à  des  Eléments 
of  bibliography'^;  Dufï  Brown,  diverses  brocliures  à  la  bibliothé- 
conomie,  principalement  aux  questions  de  classification^  {Library 
classification  et  Subject  classification)  ;  Jennie  Dorcas  Fel- 
Lows  a  fait  paraître  des  règles  pour  cataloguer  [Cataloging  rules)^; 
Savage,  un  Manual  of  descriptive  annotation  for  library  cata- 
logues'^; Phillips,  le  Catalogue  des  cartes  de  la  bibliothèque  du 
Congrès'',  et  Sayers,  une  étude  sur  les  méthodes  de  classification 
qui  y  sont  adoptées  [Canons  of  classification,  etc.),  notamment  la 
décimale^.  Un  Manual  del  bibliotecario  (Reglas  elementales 
para  la  organizaciôn  de  bibliotecas),  par  Amaral,  a  paru  en 
1916^,  en  même  temps  qu'une  troisième  édition  du  Manuel  de  biblio- 
graphie d'OTTiNO  et  Fumagalli^". 

En  France,  le  i"  fascicule  du  tome  VI  de  la  Bibliographie  géné- 
rale des  travaux  historiques  et  archéologiques  publiés  par 
les  Sociétés  savantes  de  la  France,  par  R.  de  Lasteyrie  et 
A.  Vidier*\  achève  l'ensemble  de  l'ouvrage  commencé  en  1885.  Les 
dépouillements  sont  ainsi  conduits  jusqu'en  1900,  année  où  ils  ont 
été  complétés  successivement  par  neuf  suppléments  jusqu'en  1910. 
Les  tomes  VIII  et  IX  du  Bulletin  de  la  bibUothèque  et  des  tra- 
vaux historiques  de  la  ville  de  Paris  renferment  un  répertoire  des  tra- 
vaux publiés  par  les  Sociétés  d'histoire  de  Paris,  depuis  leur  fon- 
dation jusqu'au  31  décembre  1914 '2. 

Le  Catalogue  général  des  livres  imprimés  de  la  Bibliothèque 

Hamburger  Falschungen  (3°  fasc.  de  Stimmen  der  Zeit,  Erg.  Heft.  Il,  3).  Fri- 
boiirg-en-Brisgau,  Herder,  1919,  in-8°,  xxviii-319  p. 

1.  Signalons,  cependant,  les  conférences  sur  les  bibliothèques  et  la  bibliogra- 
phie, faites  à  l'École  des  Hautes-Études  sociales,  et  publiées  par  l'Association 
des  bibliothécaires  français,  sous  le  titre  :  Bibliothèques,  livres  et  librairies. 
Paris,  Rivière,  1912-1914,  3  yol.  in-8«. 

2.  While  plains.  New-York,  Wilson,  1916,  in-8°,  xi-299  p. 

3.  Chicago,  University,  1916,  in-8°,  37  p. 

4.  New- York,  Wilson,  1917,  in-8°,  262  et  406  p. 

5.  New-York,  University,  1915,  in-8°,  181  p.  (Library  school  Bull.). 

6.  New-York,  Wilson,  1917,  in-16,  155  p. 

7.  ('.  S.  Library  of  Comjress.  Division  of  Maps...  Notes  on  the  catalo- 
ging... Washington,  Gov.  printing  odice,  1915,  in-12,  20  p. 

8.  White  plains.  New-York,  Wilson,  1916,  in-12,  173  p. 

9.  La  Piata,  Benavides,  1916,  in-8%  102  p. 

10.  Milan,  Hoepli,  1916,  in-24,  xx-340  p.  et  fig. 

11.  Paris,  Leroux,  in-4%  xii  p.  et  p.  601-816.  Les  fa.sc.  1-2  du  t.  VII  (400  p.) 
ont  paru  en  1914.     % 

12.  Paris,  Impr.  nationale,  1914,  in-8°,  vii-358  p. 


234  BULLETIN   HISTORIQUE. 

nationale  (auteurs)  s'est  accru  des  tomes  L  VIII  (Gaulthier  de  Rumilly- 
Genthe)  à  LXXIII  (Holman-Houzet)  ^  Mentionnons  le  Catalogue 
des  thèses  et  écrits  académiques  pour  les  années  1915  à  1918-  et  le 
Catalogue  des  écrits  académiques  suisses  de  1914  à  1915 3.  Le 
regretté  É.  Picot  a  publié,  avec  la  collaboration  de  P.  Lacombe, 
les  tomes  IV  et  V  (table)  du  Csitalogue  des  livres  composant  la 
bibliothèque  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild*,  et 
M.  l'abbé  Langlois  a  donné  sur  la  bibliothèque  de  l'Institut  catho- 
lique de  Paris  des  Renseignements  préliminaires^. 

Nous  devons  à  Dom  Besse  le  tome  VIII  des  Abbayes  et  prieu- 
rés de  l'ancienne  France,  recueil  historique  des  archevêchés, 
évêchés,  abbayes  et  prieurés  de  France  par  Dom  Beaunier, 
qui  concerne  la  province  ecclésiastique  de  Tours  ^.  On  sait  les  pré- 
cieuses indications  topographiques,  documentaires  et  bibliogra- 
phiques que  renferme  cette  excellente  publication. 

Dans  le  Bibliographe  moderne,  M.  Dufay  a  publié  une 
Bibhographie  de  la  Sologne^.  M.  J.  Régné ^  sous  le  titre  les  Syn- 
thèses d'histoire  provinciale  à  la  veille  de  la  guerre  (1905- 
1915),  a  passé  en  revue  un  certain  nombre  de  travaux  consacrés  "aux 
provinces  de  la  vallée  du  Rhône.  M.  le  chanoine  Sabarthés  a  publié 
dans  le  Bu^e^in  archéologique  de  Narbonne  une  Bibhographie  de 
l'Aude^,  département  dont  il  a  déjà,  comme  l'on  sait,  donné  le  Dic- 
tionnaire topographique,  et  une  Bibliographie  historique  du 
Rouergue,  par  M.  C.  Oouderc,  est  en  cours®.  On  doit  enfin  à 
M.  Perrod  un  Répertoire  bibliographique  des  ouvrages  franc- 
comtois  antérieurs  à  1790'". 

En  Angleterre,  Humphreys  a  édité  un  Manuel  de  bibliographie 
des  comtés  et  villes  d'Angleterre  et  d'Irlande  {A  Handbook  to 
county  bibliography)**.  En  Amérique,  J.  Van  Ness  Ingram  a 
relevé  les  journaux  du  xviii*  siècle  conservés  à  la  bibliothèque  du 
Congrès  '2.  Au  Danemark,  Erichsen  et  Krarup  ont  édité  le  tome  III 

!.  Paris,  Impr.  nationale,  1914-1920,  16  vol.  in-8». 

2.  Paris,  Leroux,  1917  et  1919,  in-8°  à  2  col.,  p.  146  à  251  et  254  à  410. 

3.  Bâie,  Schweighausen,  1915,  in-8°,  iv-98  p. 

4.  Paris,  Rahir,  1912  et  1920,  2  vol.  in-8%  fig.  et  pi. 

5.  Paris  [1912],  in-8°. 

6.  Paris,  Picard,  1920,  in-8°,  369  p.  Cf.  Rev.  hislor.,  t.  CXXXIII,  p.  336. 

7.  Bibliographe  moderne,  1914-1915,  p.  65-188. 

8.  iNarbonne,  Gaillard,  1914,  in-8°,  611  p. 

9.  I  (A-K).  Paris,  Champion,  1918-1920,  in-8«  à  2  col.,  168  p.  Cf.  Rev.  his- 
tor.,  t.  CXXXII,  p.  163. 

10.  Paris,  Champion,  1912,  in-8%  382  p. 

11.  Londres,  Humphrey  Milford,  1917,  in-4%  x-503  p.    # 

12.  Washington,  1912,  gr.  in-8°,  186  p. 


SCIENCES   ADIILIAIRES   DE   l'hISTOIRE.  235 

de  leur  savante  Bibliographie  historique*,  et  Lauritz  Nielsen  a 
dressé  une  Bibliogra'phie  danoise  des  années  1482  à  1500^. 
Pour  l'Espagne,  IIaebler  a  écrit  une  Bibliografîa  iberica  del 
siglo  XV^.  M.  KoNT  a  publié  une  Bibliographie  française  de 
la  Hongrie  (1521-1910),  avec  un  inventaire  sommaire  des  docu- 
ments manuscrits*.  En  Italie,  sous  le  titre  leBibliotechemilanesi, 
a  paru  un  manuel  à  l'usage  des  travailleurs,  suivi  d'une  liste  de 
périodiques^.  Une  liste  analogue  pour  les  bibliothèques  de  Rome  a 
été  dressée  par  Gabrieli  et  Silvagni^,  et  Mazziotta  est  l'auteur 
d'une  brochure  intitulée  le  Biblioteche  di  Messina''.  Pour  la  Rus- 
sie, Kerner  a  jeté  les  bases  d'une  bibliographie  slave  :  The  foun- 
dations  of  slavic  bibliography^.  En  Suisse,  Roesli  a  publié  le 
Verzeichnis  der  ôffentlichen  schweizerischen  Bibliotheken^. 

Comme  bibliographies  spéciales,  c'est-à-dire  relatives  à  un  sujet 
déterminé,  nous  mentionnerons  en  premier  lieu  celles  qui  concernent 
l'histoire  et  la  littérature  de  la  France. 

Il  faut  faire  une  place  toute  spéciale  à  l'excellent  répertoire  de 
H.  Hauser,  les  Sources  de  l'histoiî'e  de  France  au  XVP siècle 
(li94-1610)'",  qui  fait  suite  au  manuel  classique  que  Molinier  a 
consacré  au  moyen  âge  et  comble  la  lacune  qui  existait  entre  ce 
dernier  et  les  Sources  de  l'histoire  de  France  au  XVII^  siècle 
(1610-1715)  de  MM.  Emile  Bourgeois  et  Louis  André  (I,  Géo- 
graphie et  histoire  générale  ;  II,  Mémoires  et  lettres),  paru  en  1913^'. 
La  valeur  bibliographique  et  documentaire  de  cet  ensemble  n'a  pas 
besoin  d'être  mise  en  relief.  Le  plan  inauguré  avec  tant  de  succès 
par  Molinier,  pour  le  début,  a  été  heureusement  continué  autant 
qu'il  était  possible,  malgré  la  diversité  des  matières.  Cette  méthode, 
suivie  avec  rigueur  et  critique,  fait  de  cet  ensemble  un  des  plus  utiles 
instruments  de  travail  dont  on  ait  doté  les  études  historiques. 

M.  P.  Caron  a  publié  un  Manuel  pratique  pour  l'histoire  de 
la  Révolution  française*'^,  et,  avec  la  collaboration  de  MM.  Brière 

1.  Copenhague,  Gad,  1917,  in-8°. 

2.  Ibid.,  Gyldendal,  1919,  in-8«,  25i  i>. 

3.  T.  II.  Leipzig,  Hierseinann,  1917,  in-8»,  ix-208  p. 

4.  Paris,  Leroux,  1913,  in-8*,  xvi-323  p.  {Travaux  de  la  Conférence  d'études 
hongroises  à  la  Sorbonne). 

5.  Milan,  Cogliati,  1914,  in-8°,  xii-583  p. 

6.  Rome,  Istitulo  biblico,  1914,  in-8°,  xvi-406  p.  {Subsidia  bibliographica,  I). 

7.  Messine,  D'Aniico,  1917,  in-8%  144  p. 

8.  Cambridge,  University  press,  1916,  in-8%  42  p. 

9.  Berne,  1916,  in-8%  xiii-168  p. 

10.  Paris,  Picard,  1916,  in-8%  xix-23Û  p. 

11.  Ibid.,  1913,  in-8%  xvm-329  p.  et  xji-412  p. 

12.  Ibid.,  1912,  iii-8%  xv-294  p. 

# 


236  BULLETIN   HISTORIQDE. 

et  LÉPiNE,  le  tome  VII  du  Répertoire  méthodique  de  l'histoire 
moderne  et  contempordine  de  la  France  (années  1904  à  1906)  '. 
M.  Léon  Le  Grand  a  dressé  le  répertoire  des  Sources  de  Vhistoire 
religieuse  de  la.  Révolution  aux  Archives  nationales^ ,  qu'il  a 
classées  dans  l'ordre  même  des  cotes  actuelles  de  cet  établissement. 

Le  tome  XI  du  Répertoire  général  des  sources  manuscrites 
de  l'histoire  de  Paris  pendarit  la  Révolution  française,  de 
M.  TuETEY,  correspond  comme  les  précédents  à  la  période  de  la 
Convention  nationale^. 

M.  Hervé  du  Halgouet  est  l'auteur  d'un  Répertoire  sommaire 
des  documents  manul^crits  de  l'histoire  de  Bretagne  antérieurs 
à  1189,  conservés  dans  les  dépôts  publics  de  Paris,  dont  le  tome  I" 
concerne  les  Archives  et  la  Bibliothèque  nationales^  et  qui,  mal- 
gré certaines  imperfections,  pourra  rendre  des  services.  M.  F.  Duine 
et  M.  le  comte  de  Castries  ont  fait  paraître,  l'un  un  Mémento 
des  sources  hagiographiques  de  l'histoire  de  Bretagne  (1"  par- 
tie, les  Fondateurs  et  les  primitifs  du  V^  au  X^  siècle)  ^  et  l'autre 
les  Sources  inédites  de  Vhistoire  du  Maroc  {["'  série.  Dynastie 
saadienne  :  archives  et  bibliothèques  d'Angleterre,  tome  I^)  ;  le 
premier,  précieux  comme  bibh'ographie  et  inventaire  critique  de 
l'hagiographie  bretonne,  le  second,  continuant  les  riches  séries  de 
documents  précédemment  publiés  sur  l'histoire  du  Maroc.  M.  Renau- 
DET  a  dressé  un  répertoire  des  Sources  de  Vhistoire  de  France 
aux  Archives  d'État  de  Florence,  des  guerres  d'Italie  à  la 
Révolution  (1494-1789)'. 

Un  assez  grand  nombre  d'inventaires  d'^irchives  françaises  ont 
paru  au  cours  de  ces  derniers  temps.  On  en  trouvera  l'énumération 
dans  VÉtat  des  inventaires  et  répertoires  des  Archives  natio- 
nales, départementales,  communales  et  hospitalières  de  la 
France,  à  la  date  du  P""  décembre  i9i9,par  M.  Robert  Doré  ^,  qui 
complète  la  liste  du  même  genre  parue  en  1908  dans  la  Correspon- 
dance historique  et  archéologique,  avec  supplément  jusqu'au 
I"  novembre  1913.  Un  appendice  renferme  quelques  renseignements 
sur  les  archives  des  colonies  et  surtout  les  archives  particulières. 

1.  Paris,  Rieder,  1914-1918,  iii-8%  xl-413  p. 

2.  Paris,  Champion,  1914,  in-8%  210  p. 

3.  Paris,  1914,  in-4°,  c-916  p. 

4.  Saint-Brieuc,  Prudhomme,  1914,  in-4%  xvi-326  p. 

5.  Rennes,  1918,  in-8°,  215  p.,  2  cartes. 

6.  Paris,  Leroux,  1918,  in-4°,  xxxii-575  p. 

7.  Paris,  Rieder,  1916,  in-8°,  xii-276  p. 

8.  Paris,  Champion,  1919,  in-8°,  xvii-60  p.  (extr.  de  la  Revue  des  Biblio- 
thèques). 


SCIENCES   AUXILIAIRES   DE   l'hISTOIRE.  237 

Pour  les  sources  littéraires,  Spence  a  édité  un  Dictionnaire  des 
romans  du  moyen  âge  et  des  auteurs  de  romans'.  M.  A.  Lângfors 
a  établi,  à  l'aide  des  notes  de  M.  Paul  Meyer,  un  instrument  de  tra- 
vail fort  précieux  :  les  Incipit  des  poèmes  français  antérieurs 
au  XVP  siècle^,  et  il  nous  promet  un  second  volume  pour  la  poé- 
sie française  du  xV  siècle,  avec  des  tables  se  référant  à  l'ensemble. 
De  son  côté,  M.  Jeanroy  nous  a  apporté  une  Bibliographie  som- 
maire des  chansonniers  provençaux  (manuscrits  et  éditions)^ 
dans  la  Collection  des  classiques  français  du  moyen  âge  dirigée  par 
M.  Mario  Roques.  Elle  vient  à  son  heure  remplacer  le  travail  ana- 
logue de  Bartscb,  qui  remonte  à  plus  de  quarante  ans. 

A  l'étranger,  M.  Paetow  a  publié  un  Guide  des  études  d'histoire 
médiévale  à  l'usage  des  étudiants  des  Universités  américaines \  où 
l'on  trouve  l'indication  d'ouvrages  récents  qui  ne  figurent  pas  dans 
les  répertoires  de  Monod  et  Dahlmann-Waitz,  principalement  sur 
l'histoire  de  la  civilisation,  des  sciences  et  des  arts.  Rappelons  aussi 
l'apparition  d'une  deuxième  édition,  avec  additions,  de  l'excellent 
livre  de  Ch.  Gross  sur  les  Sources  et  la  littérature  de  l'histoire 
d'Angleterre,  depuis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'en  lk85 
environ^.  Enfin  M.  Hubert  Hall  a  édité  avec  ses  élèves  une  Biblio- 
graphie choisie  de  textes  et  d'ouvrages  sur  l'histoire  écono- 
mique, excellent  complément  des  bibliographies  de  Gross  et  de  Mor- 
ris-.Iordan^;  et  Meadows  a  publié  un  Uvre  des  sources  de  l'histoire 
de  Londres,  des  origines  à  1800  {A  source  book  of  London  his- 
tory,  etc.'). 

En  Allemagne,  une  huitième  édition  du  Dahlmann-Waitz  (Quel- 
lenkunde  der  deutschen  Geschichte)  a  paru  par  les  soins  de  Paul 
Herre.  Jansen  e\  Schmitz-Kallenrerg  ont  édité  une  His- 
toriographie de  l'histoire  d'Allemagne  jusqu'en  1.500^,  et  en  Autriche 
Aug.  VON  Jacksch  un  supplément  aux  sources  de  l'histoire  de 
Carinthie  du  ix^  au  xiii^  siècle  [Die  Kàrnter  Geschichtsquellen)^. 

Ester  Pastorello  est  l'auteur  des  Indici  per  nome  d'autore 
e  per  materie  délie  pubblicazioni  sulla  storia  medioevale  ita- 

1.  New- York,  Dutton,  1914,  in-8%  vi-396  p. 

2.  Paris,  Champion  [1917],  in-8°,  vii-444  p.  ' 

3.  Paris,  Champion,  1916,  in-8°,  vni-86  p. 

4.  University  of  California  press,  1917,  in-8°,  xvi-552  p.  Cf.  fier,  histor., 
t.  CXXIV,  p.  334. 

5.  Londres,  Longmans,  1915,  in-S".  Cf.  Rev.  histor.,  l.  CXXIX,  j).  113. 

6.  Londres,  King,  1916,  in-16.  Cf.  Rev.  histor.,  t.  CXVI,  p.  386. 

7.  Londres,  Bell,  1914,  in-8»,  204  p. 

8.  Leipzig,  Teubner,  19L14,  in-8°,  iv-130  p.  , 

9.  Klagenfurt,  F.  von  Kleinmayr,  1915. 


238  BULLETIN   HISTORIQUE. 

Hana  [1899-1910)  raccolte  e  receûsite  da  Carlo  Cipolla\  Enfin 
Barth  a  publié  une  Bibliographie  de  l'histoire  suisse  compre- 
nant les  ouvrages  parus  jusqu'en  1912 2.  Comme  bibliographies 
spéciales,  il  y  a  lieu  d'appeler  l'attention  sur  le  Catalogue  des  livt'es 
concernant  Pétrarque,  donnés  par  Willard  Fiske  à  l'Université  Cor- 
nell  ;  il  a  été  dressé  par  Miss  Powler  ^. 

Pour  l'histoire  religieuse,  le  P.  Girolamo  Golubovich  a  terminé 
sa  Biblioteca  hio-bibliografica  délia  Terra  Santa  e  delV  Oriente 
francescano^,  véritable  bibliographie  des  missions  franciscaines  en 
Orient.  Enfin  Clemen  et  Eissfeldt  ont  fait  paraître  une  bibliogra- 
phie de  l'histoire  des  religions  pour  les  années  1914  et  1915^. 

Notons  en  outre,  parmi  les  instruments  de  travail,  le  Roma- 
nisches  etymologisches  Wôrterbuch  de  Meyer-Lûbke^,  les 
nouvelles  éditions  du  lexique  vieux-français  de  Tobler  par  Lom- 
matsch',  de  V Altdeutsches  Namenbuch  de  Forstemann  par  Jel- 
LiNGHAUS^,  enfin  le  dictionnaire  étymologique  des  surnoms  anglais 
de  Harrison  et  Pulling^. 

Histoire  du  livre.  —  La  Gallia  typographica,  le  précieux  réper- 
toire biographique  et  chronologique  des  imprimeurs  de  France,  des 
origines  à  la  Révolution,  par  G.  Lépreux,  continue  à  paraître. 
Le  tome  IV  est  relatif  à  la  province  de  Bretagne^".  Aussitôt  après,  il 
convient  de  faire  une  place  à  part  à  un  article  sur  les  Premiers 
caractères  d'imprimerie  en  métal  résistant^  d'après  un  acte  d'as- 
sociation conservé  dans  les  archives  notariales,  retrouvé  par 
M.  Maurice  Roy,  qui  touche  à  l'une  des  questions  les  plus  intéres- 
santes des  origines  de  l'imprimerie,  celle  de  la  fabrication  des  carac- 
tères mobiles  ^  ^ . 

La  matière  subjective  de  l'écriture,  le  papier,  a  fait  l'objet  d'une 
Histoire  en  anglais,  par  Maddox^^^  tandis  que  le  spécialiste  bien 

1.  Venise,  C.  Ferrari,  1916,  in-S»,  616  p. 

2.  Bâle,  Geering,  1914  et  1917,  3  vol.  gr.  in-8°. 

3.  Catalogue  of  the  Petrarch  Collection  bequeathed  to  the  Cornell  Univer- 
sity...  Oxford,  Humphrey  Milford,  1917,  in-4%  570  p. 

4.  T.  II.  Quaracchi,  1913,  in-8%  viii-641  p. 

5.  Religionsgeachichlliche  Bibliographie.  Leipzig,  Teubner,  1917,  in-8*, 
viii-53  p. 

6.  Heidelberg,  Winter,  1916,  in-8',  p.  641-800. 

7.  Berlin,  Weidmann,  1915-1917,  gr.  in-8%  lxx-592  p. 

8.  T.  II,  2"  partie.  Bonn,  Hanstein,  1916,  in-4%  vi-942  p. 

9.  Sumames  of  United  Kingdom.  Londres,  Morland  press,  1918,  in-8°,  16 
et  36  p. 

10.  Paris,  Champion,  in-8%  iv-302  et  ii-199  p. 

11.  Le  Bibliographe  moderne,  1919,  p.  163-173. 

12.  Croydon,  Pitman,  1917,  in-8%  156  p. 


SCIENCES   ADXILIAIRES   DE   l'hISTOIHE.  239 

connu  Briquet  étudiait  le  symbolisme  des  filigranes  dans  un  article 
du  Bibliographe  moderne*,  et  que  De  Witte  essayait  d'établir 
Comment  il  faut  classer  et  cataloguer  les  filigranes^. 

Les  recherches  de  Vecchioni,  sur  le  passage  de  l'écriture  à  l'im- 
primerie, complètent  celles  d'Olschki  sur  les  incunables  illustrés 
imitant  les  manuscrits,  et  celles  de  Zedler  sur  les  lettres  d'indul- 
gence^. 

A  l'occasion  de  l'exposition  du  livre  à  Leipzig,  divers  travaux  ont 
vu  le  jour  en  Italie,  pays  qui  y  avait  largement  participé  pour  la 
partie  historique.  D'abord  le  Catalogo  délia  mostra  storica  delV 
arte  di  stampa  initalia  dalla  meta  del  sec.  XV a  tutto  ilXVIII, 
avec  une  préface  de  Fr.  Novati^.  On  y  trouvera  décrits  cent-vingt- 
huit  livres  ou  brochures  rares,  dont  trente-neuf  du  xv"  siècle  etcin-" 
quante-deux  du  xvi^  prêtés  par  la  bibliothèque  Brera  ou  des  parti- 
culiers. En  même  temps  Cosentini  a  publié  Gli  incunabuli  ed  i 
tipografi  Piemontesi  del  secolo  XV,  indici  bibliografici,  Museo 
nazionale  del  libro^,  et  Olschki  le  Livre  en  Italie  à  travers 
les  siècles,  où  il  examine  le  rôle  joué  par  l'Italie  dans  le  développe- 
ment de  l'art  de  l'imprimerie  et  de  l'illustration  du  livre  du  xv*  au 
xix*"  siècle,  d'après  les  collections  figurant  à  l'exposition  susmention- 
née^. Ce  dernier  a  encore  décrit,  sous  le  titre  Incunabula  typo- 
graphica,  une  nouvelle  série  de  mille  incunables  oii  figure  sa 
propre  collection^. 

Carbonelli  a  publié  une  Bibliographia  medica  typographica 
du  Piémont  (xv^-xvi*  siècle)^.  De  son  côté,  M.  L.  Prati  a  fait  con- 
naître les  incunables  rarissimes  de  la  bibliothèque  de  Grenoble^. 

En  Angleterre,  les  inventaires  du  Musée  britannique  se  sont 
accrus  de  la  quatrième  partie  du  Catalogue  des  livres  imprimés 
du  XV  siècle.,  concernant  l'Italie,  Subiaco  et  Rome^**.  M.  Perrins 
a  publié  :  Italian  book  illustrations  and  early  printing**. 

1.  Années  1914-1915,  p.  302-325. 

2.  Bruxelles,  1912,  ^-8%  17  p.  (extr.  du  Bull,  de  l'imtitut  international 
de  bibliographie,  n'  121). 

3.  Aquilu,  Vecchioni,  1915,  in-8%  145  p.;  Florence,  Olschki,  1914,  in-4°, 
27  p.;  Mayence,  Gutenberg-Gesellscliaft,  1913,  gr.  in-8%  vi-116  p.,  l(j  pi.  in-fol. 

4.  Milan,  1914,  in-8',  xvii-51  p.  avec  (ig. 

5.  Turin,  Scuoia  tipogr.,  1914,  in-8°,  vi-130  p. 

6.  Florence,  Junline,  1914,  in-8°,  xv-51  p.  et  facsiin. 

7.  Florence,  1915,  in-8%  vii-638  et  16  p.,  3  pi.  et  lig.  (extr.  de  la  Bibliofilia). 

8.  Rome,  Centenari,  1914-1919,  in-4%  434  p.  et  lig. 

9.  Florence,  Olschki,  1916,  in-4',  10  p.  (extr.  de  la  Bibliofilia). 

10.  Londres,  Ihnnphrey  Milford,  1916,  in-4%  14G  et  10  p.,  13  pi. 

11.  Londres,  Quaritch,  1914,  in-4°,  268  p. 


240  BULLETIN    HISTORIQUE. 

M.  Leightone  donné  la  troisième  partie  de  son  excellente  biblio- 
graphie Early  printed  books  arranged  by  presses^  qui  concerne 
précisément  Paris  et  L}'on\  tandis  qu'en  France  M.  P.  Le  Verdier 
consacrait  une  étude  à  r^feiier  de  Guillaume  Le  Talleur,  premier 
im.primeur  rouennais  [histoire  et  bibliographie)^,  MM.  Omont 
et  Amweg  aux  débuts  de  rimprimerie  à  Évreux'  et  à  Porrentruy^ 

En  Allemagne,  E.  Voullième  a  continué  la  publication  des 
Monumenta  Germanise  et  Italiœ  typographica^ ,  où  il  a  écrit 
un  mémoire  sur  les  imprimeurs  allemands  du  xv*  siècle  ;  et  il  a  dressé 
l'inventaire  des  incunables  récemment  acquis  par  les  bibliothèques 
de  Berlin®. 

Pour  l'Angleterre,  M.  Plomer  a  écrit  une  courte  histoire  de  l'im- 
*  primerie  en  Angleterre  [A  short  history  of  englisU  printing)  de 
1476  à  1900'. 

Aux  États-Unis,  Pr.  W.  Ashley  a  dressé  Je  Catalogue  de  la 
collection  d'incunables  de  John  Boyd  Thacher,  conservés  actuel- 
lement à  la  bibliothèque  du  Congrès  à  Washington^,  et  M.  Ped- 
die  un  catalogue  de  livres  imprimés  au  xV  siècle,  avec  un  guide 
pour  leur  identification^. 

En  Espagne,  Serrano  y  Sanz  est  l'auteur  d'un  mémoire  tendant 
à  prouver,  documents  à  l'appui,  que  l'imprimerie  de  Saragosse  est 
la  plus  ancienne  de  l'Espagne  {la  Imprenta  de  Zaragoza  es  la 
m,âs  antigua  de  Espana,  prueba  documentai).  Aux  Pays-Bas, 
Kronenberg  a  publié  le  Catalogue  des  incunables  de  la  bibliothèque 
deDeventer^^  ;  en  Russie,  Kisselew  celui  des  incunables  de  la  col- 
lection Norow  à  Moscou  ^^,  et  en  Suisse  Reichling  des  Appendices 
ad  Hainii  Copingeri  Repertorium,  concernant  principalement  les 
bibliothèques  suisses,  avec  un  index  des  villes  et  des  typographes'^. 

1.  Londres,  Leighton,  1917,  in-4°,  216  p. 

2.  Paris,  1916,  in-4%  179  p.  et  77  pi.  el  fig. 

3.  Bulletin  historique  et  philologique  du  Comité  des  travaux  scientifiques, 
1917,  p.  84-117  et  pi. 

4.  Porrentruy,  1917,  in-S",  iv-127  p. 

5.  X-XI.  Leipzig,  Harrassowitz,  1913  et  1916,  in-fol..  50  et  xvi-123  p. 

6.  Ibid.,  1914,  in-8°,  iv-120  p. 

7.  New-York,  Dutton,  1916,  in-8°,  xii-276  p. 

8.  Washington,  Gov'  printing  olfice,  1915,  in-8%  329  p.  et  fig. 

9.  Fïfteenth  century  books,  etc.  New-York,  Wilson,  1917,  in-8°,  310  p.;  in-12, 
89  p. 

10.  Zaragoza,  Manero,  1915,  in-4°)  22  p. 

11.  Deventer,  Kluwer,  1917,  in-8°,  xxiv-148  p.,  1  pi. 

12.  Francfort,  Baer,  1913,  gr.  in-8'',  xvi-56  p. 

13.  Munster,  Theissing,  1914,  gr.  in-8°,  l'89-cxxxv  p. 


SCIENCES   AUXILIAIRES   DE   l'hISTOIRE.  241 

Sigillographie.  —  Le  Manuel  de  sigillographie  française, 
qui  est  l'œuvre  de  M.  J.  Roman  V  n'est  pas  seulement  une  classifi- 
cation, mais  encore  une  étude  technique  des  sceaux  et  matrices. 

En  Allemagne,  dans  le  Handbuch  der  Mittelalterlichen  und 
Neueren  Geschichte,  publié  par  von  Below  et  Meinecke,  a  paru  un 
ouvrage  sur  les  sceaux  :  Slegelkunde,  par  W.  Ewald^.  M.  Aug. 
CouLON  a  écrit  sur  le  service  sîgiilographique  et  les  collections 
d'empreintes  des  sceaux  des  Archives  nationales^,  une  notice  fort 
utile  à  tous  ceux  qui  auront  à  consulter  ce  précieux  dépôt.  Rappe- 
lons qu'on  doit  au  même  auteur  un  Inventaires  des  sceaux  de  la 
Bourgogne,  recueillis  dans  les  dépôts  d'archives,  dans  les  musées 
et  même  dans  les  collections  particulières*. 

A  signaler  les  Collections  sigillographiques  de  MM.  Gustave 
ScHLUMBERGER  ct  Adricu  Blanchet^,  publiées  par  leurs  proprié- 
taires. Elles  comprennent  690  sceaux-matrices  et  bagues,  dont  les 
plus  anciens  remontent  aux  temps  barbares  et  les  plus  récents  au 
xvii*  siècle,  le  tout  classé  par  pays  ou  provenance  :  France,  Italie, 
Espagne,  Pays-Bas,  Allemagne,  Orient  grec  et  latin,  sceaux  juifs, 
etc.  Ce  très  beau  catalogue  met  à  la  disposition  des  chercheurs  une 
précieuse  série  de  monuments  jusqu'ici  inaccessibles  au  public. 

Enfin  le  D""  Pol  Gosset  a  décrit  la  collection  de  sceaux-matrices, 
cachets  et  timbres  de  la  bibliothèque  de  Reims ^,  et  M.  Labande  les 
sceaux  du  Trésor  des  chartes  du  comté  de  RétheV . 

Héraldique.  —  Comme  publications  héraldiques  ^citons  la  Wap- 
penkunde  de  F.  Hauptmann  dans  la  collection  Below-Meinecke^. 
En  France,  M.  PRiNExafait  une  étude  sur  les  IJsages  héraldiques 
au  XIV^  siècle,  d'après  les  Chroniques  de  Froissart,  où  il 
montre  que  Froissart  décrit  fort  exactement  les  blasons  des  seigneurs 
de  son  temps,  et  il  a  publié  un  Armoriai  de  France  de  V époque 
de  Philippe  le  Bel,  retrouvé  par  lui  dans  les  papiers  de  Jules  Ohif- 
flet  à  la  bibliothèque  de  Besançon,  et  qu'il  considère  comme  le  plus 
ancien  armoriai  connu'.  M.  Jacques  Meurgey  a  publié  deux  pla- 

1.  Paris,  Picard,  1912,  in-8°,  vii-401  p.,  30  pi.,  45  fig. 

2.  Munich  et  Berlin,  R.  Oldenbourg,  1914,  in-8",  xiv-244  p.,  40  pi. 

3.  Le  Service  sigillotjrapinque  et  les  collections  d'empreintes  des  sceaux 
des  Archives  nationales.  Paris,  Champion,  191G,  in-lG,  15G  p.  cl  8  pi. 

4.  Paris,  Leroux,  1912v  in-4%  xlvii-369  p.  et  60  pi. 

5.  Paris,  Picard,  1914,  in-8%  ix-228  p.,  12  lig.  et  28  |)I. 

6.  Reims,  Monce,  1913,  in-8%  xi-56  p.,  fig.,  pi. 

7.  Paris,  Picard,  1914,  in-4%  304  p.  et  63  pi. 

8.  Munich  et  Berlin,  R.  Oldenbourg,  1914,  in-8°,  vni-61  p.,  4  pi. 

9.  Paris,  Laurens,  1917,  in-8",  10  p.  (exlr.  de  V Annuaire- Bulletin  de  la 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  2e  FASC.  16 


242  BULLETIN    HISTORIQUE. 

quettes  intitulées  :  les  Anciens  synriboles  héraldiques  des  villes 
de  France  :  Verdun  et  Paris* ,  ainsi  que  les  armoiries  du  pays 
basque,  étude  historique  et  critique  sur  les  différents  écus  qui  ont, 
formé  le  blason  de  ce  pays  2;  enfin  une  Étude  sur  les  armoiries 
de  l'abbaye  de  Tournusei  un  Armoriai  dupays  de  Tour'nus^. 
HoPE  a  composé  une  grammaire  héraldique  (GrarnîTiar  of  english 
heraldry]*.  En  Italie,  M.  de  Ferrari  a  compilé  un  recueil  des 
armoiries  de  familles  d'Alexandrie''.  MM.  Paul  Bredo,  Grandjean 
et  Hans  Toll  sont  les  auteurs  d'études  sur  l'héraldique  danoise*  et 
suédoise'. 

Toponomastique.  —  La  toponomastique,  si  nécessaire  aux  médié- 
vistes pour  leurs  identifications,  vient  de  s'enrichir  du  l*""  fascicule 
des  Noms  de  lieu  de  France,  leur  origine,  leur  signification, 
leurs  transformations,  par  Auguste  Longnon^,  cours  professé  en 
1912  à  l'École  des  Hautes-Études,  publié  par  les  soins  de  MM.  Mari- 
CHAL  et  MiROT.  Ce  fascicule  concerne  les  noms  de  lieu  d'origine 
phénicienne,  grecque,  ligure,  gauloise  et  romaipe.  Le  fascicule  II, 
sous  presse,  comprendra  les  noms  barbares.  L'ouvrage  entier  comp- 
tera avec  la  table  quatre  fascicules.  Il  suffit  de  rappeler  la  valeur  de 
l'enseignement  créé  par  Longnon,  pour  comprendre  l'intérêt  toujours 
actuel  de  cette  publication,  comme  base  d'études  et  de  recherches. 

Parmi  les  travaux  de  détail,  quelques-uns  méritent  une  men- 
tion particuhère.  Dans  le  Congrès  du  millénaire  normand,  a 
paru  le  mémoire  de  M.  Charles  Joret  intitulé  :  les  Noms  de  lieu 
d'origine  non  romane  et  la  colonisation  germanique  et  Scan- 
dinave en  Normandie^.  D'un  examen  systématique  de  tous  les 
noms,  il  conclut  que  la  plupart  sont  danois,  ce  qui  justifie  l'appella- 
tion de  Dani  attribuée  aux  Normands  par  la  plupart  de  nos  vieilles 
chroniques.  Dans  le  même  recueil  et  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
des  Antiquaires  de  Normandie*"  MM.  Prentout  et  Sauvage  ont 

Société  de  l'histoire  de  France,  1916),  et  Champion,  1920,  in-8°,  58  p.  (extr. 
du  Moyen  Age). 

1.  Paris,  Champion,  1918  et  1920,  in-8°,  51  p.  et  grav.,  16  p.  et  grav.  Cf. 
Rev.  histor.,  t.  CXXIX,  p.  350. 

2.  Ibid.,  1918,  in-8%  78  p.  et  «g.  Cf.  Rev.  histor.,  t.  CXXVIII,  p.  143. 

3.  Paris,  Champion,  1918  et  1920,  2  vol.,  31  et  360  p.  Cf.  Rev.  histor., 
t.  CXXVIII,  p.  143,  et  supra,  p.  124. 

4.  Cambridge  Univ.  press,  1913,  in-16,  142  p.  {Cambridge  manuals). 

5.  Alexandrie,  tip.  di  G.  Chiaretto,  1919,  in-8%  56  p. 

6.  Copenhague,  Schultz,  1919,  in-8*,  310  p. 

7.  Stockholm,  Norstedt,  1919,  in-8%  30  p. 

8.  Paris,  Champion,  1920,  in-8%  177  p. 

9.  Paris,  Picard,  1913,  in-8\ 

10.  T.  XXIX,  1913,  p.  33-43. 


SCIENCES    AUXILIAIRES    DE   l'hISTOIRE.  243 

étudié  l'origine  de  VOtlinga.  Saxonia  sur  le  littoral  du  Bessin,  et 
M.  H.  Gr»KEN  les  noms  de  lieu  dans  la  chronique  d'Orderic\,VitaP. 
Rappelons  enfin  les  travaux  de  MM.  T.  Perrenot,  .1.  Soyer  et 
Marichal  sur  les  toponymies  franc-comtoise,  blésoise  ou  orléanaise 
et  lorraine.  y 

On  sait  tout  le  parti  qu'on  peut  tirer  des  anciens  PouiUés  pour 
l'identification  des  noms  de  lieu  et  la  valeur,  toute  spéciale  à  ce 
point  de  vue,  de  la  publication  entreprise  par  l'Académie  des  ins- 
criptions et  belles-lettres,  sous  les  auspices  de  feu  Auguste  Lon- 
gnon.  Le  tome  V,  consacré  à  la  province  de  Trêves,  a  été  terminé 
par  M.  l'abbé  Victor  Carrière,  sous  la  direction  de  M.  Maurice  Prou  ^. 
Le  texte  n'avait  été  établi  par  Longnon  que  pour  les  Trois-Évêchés. 
C'est. à  M.  l'abbé  Carrière  qu'est  dû  l'achèvement  de  toute  la  par- 
tie relative  au  diocèse  de  Trêves  et  la  confection  des  précieuses 
tables.  En  Italie,  Trauzzi  a  publié  la  deuxième  partie  de  son  étude 
Attraverso  l'onomastica  del  meclio  evo  in  Italia^. 

Numismatique.  —  Le  Manuel  de  numismatique  française  de 
MM.  Blanchet  et  Dieudonné*.  qui  comprend  les  monnaies  royales 
françaises  depuis  les  origines  jusqu'à  la  Révolution,  est  moins  une 
classification  des  monnaies  qu'une  étude  des  relations  qui  rattachent 
l'histoire  de  la  monnaie  à  l'histoire  politique,  administrative  et  éco- 
nomique de  la  monarchie  française.  Le  tome  II,  qui  commence 
avec  Hugues  Capet,  est  divisé  en  trois  livres.  Dans  le  premier,  sont 
exposés  les  caractères  généraux  de  la  monnaie  royale  :  organisation 
monétaire,  procédés  de  fabrication,  valeur.  Dans  le  second,  est  retra- 
cée l'histoire  politique,  économique  et  artistique  delà  monnaie.  Dans 
le  troisième,  sont  décrites  les  différentes  espèces  frappées  par  les  rois 
capétiens.  Cet  ouvrage  est  appelé  à  rendre  les  plus  grands  services 
aux  historiens  et  économistes. 

Ph.  Lauer. 

1.  Normannikche  Orstnamen  bei  ùrdericus  Vitalis.  Lingen  (Ems),  Acken, 
1913,  in-8°,  G4  p. 

2.  Paris,  Kiincksieck,  1915,  in-4*,  lxviii-600  p.  {Recueil  des  historiens  de.  la 
France.  PouiUés,  t.  V). 

3.  Rocca  S.  Casciano,  L.  Cappelli,  1915,  in-8°,  124  p. 

4.  Paris,  Auguste  Picard,  1912-1916,  2  vol.  in-8°,  vii-431  p.,  3  pi.,  248  (ig.,  et 
X-4C8  p.,  238  fig.  et  9  pi. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


L.-M.  Hartmann  et  J.  Kromayer.  Romische  Geschichte.  [Welt- 
geschichte  in  gemeinverstàndlicher  Darstellung ,  Drilter 
Band).  Gotha,  Andréas  Perthes,  1919.  Gr.  in-8°,  x-384  pages  et 
3  cartes. 

Ce  volume  fait  partie  d'une  Histoire  universelle  destinée  au  grand 
public;  intitulé  Histoire  roumaine,  il  comprend  cependant  en  outre, 
par  une  singulière  répartition  des  matières,  l'histoire  de  l'Italie,  de 
l'Orient  grec  et  de  l'Islamisme  jusqu'en  753  après  J.-C.  C'est  un 
simple  manuel,  suffisamment  clair  et  précis,  mais  sans  références, 
-Sans  notes,  sans  originalité,  sans  aucune  qualité  spéciale  ni  de  forme 
ni  de  fond.  L'exposition  et  la  critique  des  sources  y  sont  plus  que 
sommaires;  la  bibliographie,  encore  plus  misérable,  offre  ce  trait  carac- 
téristique de  ne  guère  signaler  que  des  ouvrages  allemands  ;  on  y  relève 
à  peine  sept  à  huit  noms  étrangers,  Pais,  Modestov,  Gibbon,  Duruy, 
Diehl,  Salvioli,  Duchesne,  Bury,  Rostovzev.  Pour  la  deuxième  par- 
tie, il  n'y  a  absolument  qu'un  auteur  à  lire  :  Moramsen  !  M.  Hartmann 
a  écrit  la  première  partie,  VHistoire  romaine  primitive,  en  quatre 
chapitres,  depuis  l'époque  préhistorique  jusqu'à  la  fin  de  la  conquête 
de  l'Italie  et  la  guerre  contre  Pyrrhus.  Tantôt  conservateur,  tantôt  radi- 
cal, il  rejette  toute  l'histoire  des  rois  jusqu'aux  Tarquins,  seuls  histo- 
riques, l'existence  du  consulat  avant  le  milieu  du  v  siècle,  la  pre- 
mière retraite  de  la  plèbe  :  il  accepte  la  date  traditionnelle  de  la  loi 
des  Douze  Tables,,  recule  jusqu'en  348  le  premier  traité  de  Rome 
avec  Carthage.  La  deuxième  partie,  due  à  M.  Kromayer,  continue  en 
trois  chapitres  l'histoire  de  la  République  jusqu'à  sa  chute.  Rele- 
vons-y seulement  quelques  opinions  intéressantes  :  la  concurrence  du 
blé  étranger  ne  serait  pour  rien  dans  la  décadence  économique  de  l'Ita- 
lie ;  les  colonisations  de  Sylla  continuent  l'œuvre  des  Gracques  ;  Pom- 
pée est  un  précurseur  d'Auguste.  La  troisième  partie,  écrite  aussi  par 
Kromayer,  traite  en  quatre  chapitres  l'histoire  du  principat,  d'Auguste 
à  Dioclétien.  La  quatrième  partie,  écrite  par  M.  Hartmann,  a  pour 
titre  la  Chute  du  monde  ancien.  Les  deux  premiers  chapitres  étu- 
dient les  bases  économiques  et  politiques  de  la  société,  l'esclavage,  la 
grande  propriété,  le  colonat,  les  castes  et  les  corporations,  les  classes, 
la  bureaucratie,  les  régimes  militaire,  fiscal  et  municipal.  Le  troisième 
chapitre  est  consacré  à  l'histoire  des  empereurs  jusqu'à  Valens  et 
Valentinieu.  L'histoire  religieuse  fait  l'objet  du  quatrième  chapitre  et 


VEITH  :   FELDZDG  VON  DYRRACHIDM  ZWISCHEPJ  CAESAR  CND  POMPEJUS.    245 

celle  des  Germains  et  de  leurs  invasions  l'objet  du  cinquième.  Le 
manuel  devrait  logiquement  se  terminer  avec  le  sixième  chapitre,  con- 
sacré à  la  fondation  des  royaumes  barbares  et  à  la  disparition  de  l'Em- 
pire d'Occident.  L'auteur  a  cependant  jugé  bon  d'y  ajouter  quatre  cha- 
pitres sur  l'Empire  d'Orient  au  v*  siècle  et  les  Ostrogoths;  sur  l'œuvre 
de  Justinien  et  la  lutte  des  Byzantins  contre  les  Perses  jusqu'à  Héra- 
clius;  sur  la  naissance  et  l'expansion  de  l'Islamisme  en  Orient  et  en 
Occident  jusqu'au  viii»  siècle;  sur  la  séparation  définitive  de  l'Italie 
et  de  l'Or^nt,  et  l'État  des  Lombards  jusqu'en  753,  enfin  un  tableau 
chronolog' ue  de  753  avant  J.-C.  jusqu'à  753  après  J.-C. 

Ch.  Lécrivain. 


Georg  Veith,  ObersUeutnant.  Der  Feldzug  von  Dyrrachium 
zvvischen  Caesar  und  Pompejus.  Vienne,  Seidel  et  fils,  1920. 
In-8°,  xix-267  pages,  avec  9  cartes  et  plans  et  21  vues  photogra- 
phiques. 

Auteur  de  ÏHistoire  des  campagnes  de  Jules  César,  collabora- 
teur de  Kromayer  pour  ses  Champs  de  bataille  de  l'antiquité, 
explorateur  de  l'Albanie  sous  le  prince  de  Wied  en  1914,  oiBcier  de 
l'armée  autrichienne  durant  la  campagne  de  1917  dans  celte  même 
région,  M.  Veith  était  particulièrement  compétent  pour  écrire  la 
Campagne  de  Dyrrachium  entré  César  et  Pompée.  Son  livre, 
qui  repose  à  la  fois  sur  les  textes  et  sur  l'étude  minutieuse  du  ter- 
rain, est  excellent;  il  adopte  les  solutions  les  plus  vraisemblables, 
rectifie  et  complète  souvent  les  travaux  de  Stoffel  et  d'Heuzey;  il 
intéressera  le  militaire,  l'historien,  l'archéologue  et  le  géographe. 
Après  la  bibliographie  très  complète  et  l'examen  des  sources,  surtout 
du  récit  de  César,  sorte  de  Bulletin,  M.  Veith  décrit  l'état  actuel  du 
terrain  des  opérations  :  la  plaine  marécageuse  de  la  Muzakja;  la  par- 
tie montagneuse;  les  rivières  comprises  entre  Oricum  et  Dyrrachium, 
la  Vojusa  [Aous),  le  Semeni  (Apsus),  formé  par  le  Devoli  et  l'Osum 
{Ason),  le  Skumbi  (Genusus),  le  Darci,  le  Gesnike;  le  climat,  avec 
une  saison  séché  et  une  saison  des  pluies;  la  malaria,  endémique;  les 
ditïicultés  des  communications;  la  population  de  race  illyrienne;  les 
cultures  (céréales,  oliviers)  et  l'élevage,  dont  le  produit  suffit  à  peine 
au  pays;  en  somme  un  champ  d'opérations  très  défavorable.  Il  exa- 
mine ensuite  la  topographie  ancienne;  les  changements  souvent  con- 
sidérables qu'a  subis  le  cours  des  rivières  depuis  César;  la  popula- 
tion illyrienne,  surtout  les  Parthini,  dont  la  ville  était  probablement 
Clodiana;  les  villes  grecques  :  Oricum  (Palaeo-Kastro),  Apollonia,  Dyr- 
rachium (l'ancienne  Epidamnos,  aiij.  Durazzo),  Lissus  (Alessio),  Nym- 
phaeum  (Saint-Jean  de  Medua),  Byllis  (Gradica),  Amantia  (plutôt 
Kljosque  Pljoca);  les  villages,  dont  Asparagium,  près  de  Clodiana; 


246  COMPTES-RENDOS   CRITIQUES. 

les  voies  romaines  postérieures  à  César,  surtout  la  via,  Egnatia,  avec 
ses  deux  branches,  de  Clodiana  à  Dyrrachium  et  à  Apollonia;  toutes 
les  difficultés  de  cette  région  marécageuse,  sans  routes,  sans  ponts, 
saris  ressources  alimentaires,  probaiblement  déjà  ravagée  par  la  mala- 
ria, aussi  impropre  par  conséquent  alors  qu'aujourd'hui  aux  opéra- 
tions militaires.  Deux  chapitres  reconstituent  les  manœuvres  de  César 
et  de  Pompée  avant  la  bataille  de  Dyrrachium,  fixent  en  particulier  le 
débarquement  de  César  à  Palaeste  (Strada  bianca),  celui  d'Antoine  à 
Nymphaeum,  les  positions  sur  l'Apsus  à  Kuci,  la  réunion  de  César  et 
d'Antoine  vers  Elbasan,  le  camp  de  Pompée  sur  la  rive  droite,  celui 
de  César  sur  la  rive  gauche  du  Skumbi.  Les  trois  chapitres  suivants, 
consacrés  à  la  bataille  de  Dyrrachium  et  à  ses  conséquences,  décrivent 
avec  une  précision  remarquable  les  retranchements  des  deux  adver- 
saires, les  camps  principaux,  celui  de  César  au  nord  du  Sumhil,  celui 
de  Pompée  à  Pétra  (Sasso  bianco],  la  double  ligne  enveloppante  de 
César,  la  percée  de  Pompée,  la  contre-attaque,  le  désastre  et  la 
retraite  de  César,  la  concentration  de  la  flotte  pompéienne  pour  blo- 
quer le  golfe  de  Valona.  M.  Veith  étudie  ensuite  différents  points  :  l'ar- 
mée de  Pompée,  forte  d'environ  115  à  120  cohortes  de  grosse  infante- 
rie de  360  à  400  hommes  chacune,  de  4,000  hommes  d'infanterie  légère, 
de  7,000  cavaliers  ;  sa  flotte  de  320  bateaux;  l'armée  de  César,  forte  de 
onze  légions  et  de  700  cavaliers,  sa  flotte  extrêmement  faible  ;  il  dresse 
la  liste  de  ses  légats.  Il  fixe  le  sens  du  mot  justum  iter  qui  représente 
non  pas  la  soi-disant  marche  normale  de  douze  kilomètres,  mais 
l'étape  normale  d'un  camp  à  un  autre,  et  montre  que,  sauf  dans  des 
circonstances  spéciales,  la  capacité  normale  de  marche  du  légionnaire 
était  à  peu  près  la  même  que  celle  de  nos  troupes  modernes.  Il  signale 
les  analogies  singulières  qui  rapprochent  la  grande  guerre  de  1914- 
1918  et  la  campagne  de  Dyrrachium,  avec  sa  guerre  de  positions, 
l'encerclement  de  Pompée  par  César,  l'extension  réciproque  des  deux 
ailes  jusqu'à  la  mer,  la  percée  de  Pompée.  Il  montre  quelle  impor- 
tance a  eue  la  question  du  ravitaillement.  Pompée  avait  eu  le  temps 
de  le  préparer;  c'est  au  contraire  le  manque  de  vivres  qui  explique 
beaucoup  d'imprudences  et  d'actes  de  César,  l'envoi  intempestif  de 
détachements  vers  l'Est,  la  tentative  d'envelopper  un  ennemi  supé- 
rieur en  force,  la  retraite  en  Macédoine.  Les  soldats  de  César  durent 
remplacer  en  partie  leur  aliment  essentiel,  le  blé  (mangé  sous  la  forme 
soit  de  pain  et  de  biscuits,  soit  de  bouillie  à  la  graisse),  par  de  l'orge, 
des  légumes,  de  la  viande,  de  la  chara,  une  sorte  d'arum  indigène. 
Le  livre  aboutit  à  la  conclusion  suivante  :  l'idée  directrice  de  César 
avait  été  d'enlever  rapidement  Dyrrachium  et  la  côte  pour  couper 
Pompée  de  sa  flotte;  mais  la  résistance  de  la  ville  et  l'arrivée  de  Pom- 
pée avec  des  forces  supérieures  l'obligèrent  à  des  manœuvres  témé- 
raires qui  devaient  presque  fatalement,  malgré  les  fautes  de  Pompée, 
aboutir  à  un  échec.  M.  Veith  compare  la  marche  sur  Dyrrachium  à 
la  .marche  sur  Calais. 

Ch.   LÉCRIVAIN. 


G.    COHEN    :   MYSTÈRES   ET   MORALITÉS   DU    MS.    617    DE   CHANTILLY.     247 

Gustave  Cohen.  Mystères  et  Moralités  du  manuscrit  617  de 
Chantilly,  publiés  pour  la  première  fois  et  précédés  d'une  étude 
linguistique  et  littéraire.  Paris,  Champion,  1920.  In-4°,  clix- 
140  pages,  3  pi.  Prix  :  30  fr. 

Le  manuscrit  617  de  Chantilly  contient  deux  Mystères  de  la  Nati- 
vité et  trois  Moralités  de  date  et  de  provenance  incertaines.  M.  Cohen, 
connaisseur  émérite  des  choses  et  des  œuvres  du  théâtre  médiéval,  les 
a  étudiés  et  publiés  de  façon  excellente.  L'examen  attentif  des  parti- 
cularités linguistiques  des  deux  Nativités;  l'étude  approfondie  des 
rimes  et  des  assonances;  celle  des  allusions  même,  dans  une  cer- 
taine mesure,  le  conduisent  d'abord  à  affirmer  que  nous  sommes  en 
présence  de  textes  d'origine  wallonne  et  plus  précisément  liégoise. 
Cette  thèse  se  trouve  confirmée  de  la  façon  la  plus  amusante  et  la 
plus  topique  par  l'identification  de  deux  noms  qui  figurent  sur  le 
manuscrit  :  celui  d'une  sœur  Catherine  Bourlet,  qui  le  copia  au  milieu 
du  xve  siècle,  celui  d'une  sœur  Elys  de  Potiers,  qui  le  posséda  au  début 
du  xviie,  toutes  deux  du  couvent  des  Dames  blanches  de  Iluy,  dans 
la  région  même  que,  par  avance,  désignait  la  langue  des  Nativités. 

Copiées  et  sans  doute  représentées  à  Huy  vers  1466,  ces  deux  pièces 
sont  évidemment  antérieures  à  cette  date.  La  première  notamment  et 
la  plus  intéressante,  d'une  saveur  naïve  et  prime-sàutière,  entretient 
d'étroits  rapports  avec  le  drame  liturgique  en  latin  :  M.  Cohen  la  rap- 
proche notamment  d'un  drame  de  la  Nativité  de  Bilsen  en  Limbourg, 
proche  de  Liège  et  de  Huy.  Pour  des  raisons  distinctes  des  siennes, 
nous  sommes,  nous  aussi,  enclin  à  croire  fort  ancienne  cette  pièce 
sobre  et  expressive.  Elle  est,  si  l'on  peut  dire,  tout  à  fait  «  royaliste  ». 
De  tous  les  noms  qu'on  peut  donner  à  l'Enfant-Dieu,  c'est  celui  de  roi 
que  l'auteur  retient  et  reprend  avec  le  plus  d'insistance.  «  Hey  Dieu, 
s'exclame  Balthazar  (v.  453  et  suiv.),  où  est  vostre  sale  royale  et 
vostre  couche  impériale?  » 

Où  sont  votre  chevalier  et  vos  chambrier. 
Qui  doiient  eslre  apresté  por  vos  servir? 

Très  significatives,  les  paroles  des  trois  chevaliers  s'indignant  contre 
l'annonce  d'un  nouveau  roi  (v.  323-24  et  suiv.),  la  plainte  d'Hérode  à 
son  peuple  et  l'affirmation  de  fidélité  de  celui-ci  : 

Car  nos  vous  tenrons  loyalté, 
Et  jamais  en  nostre  terre 
N'arons  aultre  roy  ne  maislre! 

Archaïque  aussi,  l'épithète  de  «  noble  homme  »  adressée  par  Bal- 
thazar à  saint  Joseph;  elle  irait  déjà  fort  mal  au  saint  Joseph  enlu- 
miné de  Melchior  Brœderlam,  qui  boit  si  gaillardement  et  si  populai- 
rement un  coup  de  sa  gourde  pendant  la  fuite  on  Egypte.  Par  ailleurs, 


248  COMPTES-RENDOS   CRITIQUES. 

^les  deux  sages-femmes  n'apparaissent  pas  dans  la  Nativité  de  Chan- 
tilly; M.  Cohen  pense  que  c'est  par  pudeur  de  couvent;  mais  c'est  un 
fait  avéré  que  les  deux  sages-femmes  disparaissent  aiï  xiii«  siècle  des 
représentations  plastiques  de  la  Nativité  pour  reparaître  beaucoup  plus 
tard  seulement  (par  exemple,  à  Dijon,  dans  l'exquise  Nativité  du 
maître  de  Flémalle,  v.  1430).  Toutes  ces  remarques  vont  dans  le  même 
sens  que  celles  de  M.  Cohen;  il  s'agit  évidemment  d'un  texte  ancien, 
dont  ,1a  valeur  se  trouve  accrue  par  là  et  l'importance.  Quant  à  ses 
apparentements,  une  particularité  du  texte  aurait  peut-être  pu  conduire 
à  quelques  constatations  intéressantes.  Dans  tous  les  drames  litur- 
giques latins  que  nous  possédons,  les  offrandes  sont  présentées  par 
les  trois  rois  dans  l'ordre  qu'indique  le  texte  de  Mathieu  :  Aurum, 
thus,  myrrha.  Dans  la  Nativité  de  Chantilly,  l'ordre  est  inverse  : 
Gaspard  débute,  offrant  la  myrrhe;  Mélchior  porte  ensuite  l'encens 
et  Balthâzar  l'or.  Il  y  aurait  eu  lieu  de  signaler  et  d'étudier  cette  ano- 
malie ;  ce  que  dit  Hugo  Kehrer  de  l'ordre  des  offrandes  et  de  la  pré- 
séance des  rois  est  précisément  faible  et,  semble-t-il,  erroné  en 
partie. 

Au  point  de  vue  historique,  cette  fort  ancienne  Nativité,  l'une  des 
plus  anciennes  Nativités  en'«  vulgaire  «  que  nous  possédions,  offre  un 
intérêt  spécial,  qu'il  faut  marquer.  S'il  s'agit,  et  il  s'agit  d'un  texte  de 
provenance  liégeoise,  de  cette  région  de  Liège  dont  Pirenne  nous  dit 
qu'elle  était  dominée,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  par  des  influences 
flamandes  fort  nettes,  la  Nativité  de  Chantilly  nous  permet  de  préci- 
ser ce  que  furent  en  réalité  et  dans  quels  domaines  s'exercèrent  ces 
influences.  Elle  nous  montre  qu'elles  n'entamèrent  en  rien  le  vieux 
fonds  populaire  des  idées  et  des  sentiments  wallons,  qui  était,  cultu- 
ralement  parlant,  un  fonds  français.  Il  ne  s'agit  pas  de  supposer  ici, 
arbitrairement,  une  «  influence  française  «  imaginaire,  mais  de  con- 
clure, comme  Helbig  jadis  à  propos  de  l'art  mosan  médiéval,  «  à  des 
similitudes  dans  les  tempéraments,  dans  le  caractère  comme  dans  la 
langue  ».  Ainsi  l'étude  de  M.  Cohen,  intéressante  pour  le  romaniste  et 
pour  l'historien  de  la  littérature,  ne  l'est  pas  moins  pour  l'historien 

tout  court. 

Lucien  Febvre. 


James  Hogan.  Ireland  in  the  european  system.  Tome  I  :  1500- 
1551.  London,  Longmans,  Green  et  C*^',  1920.  1  vol.  in-8°, 
237  pages.  Prix  :  12  sh.  6  d. 

Comment  l'Irlande,  au  XVF  siècle,  est-elle  entrée  dans  le  grand 
courant  de  la  politique  internationale?  Telle  est  la  question  qu'étudie 
M.  Hogan  dans  ce  très  intéressant  ouvrage,  pour  lequel  il  a  fait  de 
fort  consciencieuses  recherches  dans  les  grands  recueils  de  documents 
diplomatiques  qui  ont  été  publiés,  et  sans  entreprendre  lui-même  de 


JAMES    HOGAN    :    IRELAND    Of    THE    EDROi'EAN    SYSTEM.  249 

nouvelles  explorations  dans  les  dépôts  d'archives.  Mais  il  semble  qu'il 
ait  vu  tout  l'essentiel. 

Les  Irlandais,  pour  lutter  contre  l'Angleterre,  cherchent  des  alliés 
sur  le  continent  et  s'efforcent  surtout  d'obtenir  l'appui  de  la  France. 
Les  relations  diplomatiques  ont  été  préparées  par  des  relations  com- 
merciales très  actives,  par  des  relations  intellectuelles,  car  de  jeunes 
Irlandais,  en  assez  grand  nombre,  viennent  faire  leurs  études  en  France, 
et  aussi  par  des  relations  militaires,  car,  au  xv*  et  au  xvi»  siècle,  bien 
des  Irlandais  servent  dans  Tarmée  française  et  viennent  grossir  les 
contingents  écossais. 

M.  Hogan  montre  que  c'est  sous  le  règne  de  Henri  VIII  que  les 
Irlandais  ont  commencé  à  nouer,  d'une  façon  suivie,  des  intelligences 
avec  l'étranger  ;  ils  y  sont  contraints  par  la  politique  même  de 
Henri  VIII  et  de  Wolsey,  qui  veulent  réduire  l'Irlande  par  la 
force.  Aussi,  dès  1523,  le  comte  de  Desmond  et  Kildare  concluent-ils 
un  traité  avec  François  I^"";  celui-ci  s'engage  à  envoyer  en  Irlande  un 
corps  expéditionnaire;  les  chefs  irlandais  fourniront^  de  leur  côté, 
15,000  hommes  et  400  chevaux.  Le  but,  c'est  de  chasser  les  Anglais 
d'Irlande  et  de  placer  sur  le  trône  d'Angleterre  le  duc  de  Suffolk.  La 
campagne  commence  non  en  Irlande,  mais  en  Ecosse  :  c'est  l'expé- 
dition, commandée  par  le  duc  d'Albany,  qui  échoue,  et  bientôt  la 
défaite  de  Pavie  réduit  à  néant  tous  les  espoirs  des  Irlandais.  Des- 
mond se  rapproche  alors  de  Charles-Qyint  et  entame  des  négociations 
avec  ce  prince  en  1527.  M.  Hogan  met  eu  relief  le  rôle  de  Desmond, 
qui,  le  premier,  a  pris  une  conscience  nette  des  aspirations  nationales 
de  l'Irlande. 

A  partir  de  1540,  la  politique  de  la  France  se  précise.  Sous  l'in- 
fluence d'hommes  comme  Léo  Strozzi  et  Jean  de  Monluc,  évêque  de 
Valence,  on  comprend  que  la  question  religieuse  commande  l'alliance 
de  la  France  et  de  l'Irlande,  catholiques,  contre  l'Angleterre,  protes- 
tante, et  que,  pour  combattre  l'Angleterre,  le  moyen  le  plus  sur  c'est 
d'envahir  l'Irlande.  La  politique  française  est  encouragée  par  la 
papauté  et  par  Reginald  Pôle.  C'est  ce  dernier  qui  emmène  en  Italie 
le  dernier  survivant  de  la  famille  Kildare,  le  jeune  Fitzgerald,  ijui  a 
d'abord  trouvé  un  asile  en  France,  à  la  cour  de  François  I'''",  puis  à 
Liège.  L'appui  donné  par  la  France  au  jeune  chef  irlandais  irrite  au 
plus  haut  point  Henri  VIII,  et  la  guerre  éclate  entre  les  deux  pays 
l'n  1543.  Aussitôt,  on  prépare  à  Brest  une  expédition  en  Irlande,  et 
des  négociations  très  actives  sont  entamées  avec  les  chefs  irlandais, 
qu'irrite  de  plus  en  plus  la  politique  religieuse  de  Henri  VIII.  Le  gou- 
vernement anglais  considère  le  danger  comme  très  sérieux,  ainsi  que 
le  montrent  les  lettres  des  agents  de  Henri  VIII.  Mais  François  I*"" 
fléçoit  une  fois  de  plus  les  Irlandais,  car  il  renonce  à  l'expédition  d'Ir- 
lande pour  celle  d'Ecosse,  en  1545.  C'est  un  nouvel  échec,  puis  survient 
la  paix,  en  1546.  Cependant  François  I"""  rêve  toujours  une  union  de 
la  France,  de  l'Ecosse  et  de  l'Irlande  et  il  projette  le  mariage  de  Fitz- 


250  COMPTES-KENDUS   CRITIQUES. 

gerald  avec  Marie  Stuart,  lorsque  sa  mort,  en  1547,  remet  tout  en 
question. 

Cependant,  sous  le  règne  de  Henri  II,  l'Irlande  doit  jouer  un  rôle 
plus  considérable  encore,  car  c'est  le  moment  où  la  Contre-Réforme 
s'organise  dans  toute  l'Europe.  En  1549,  des  négociations  sont  menées 
en  France,  où  viennent  Wauchop  et  Sir  George  Paris,  et  en  Irlande,  où 
se  rend  l'ambassadeur  français  en  Ecosse,  Jean  de  Monluc.  L'expédi- 
tion française  est  soigneusement  préparée,  mais  la  tempête  empêche 
le  débarquement  en  Irlande  (1550),  et  bientôt  la  lutte  contre  Charles- 
Quint  oblige  Henri  II  à  faire  la  paix  avec  l'Angleterre.  Cependant,  on 
sent  que  ce  n'est  qu'une  trêve.  Les  intrigues  reprennent  de  plus  belle 
en  Irlande,  grâce  à  l'influence  de  Marie  de  Lorraine,  du  duc  de  Guise 
et  du  cardinal  de  Lorraine.  Henri  II  hésite  cependant  à  faire  la  guerre, 
en  1550  et  1551,  et  finalement  il  abandonne  les  Irlandais  qui,  comp- 
tant sur  l'appui  de  la  France,  se  sont  révoltés.  Le  gouvernement 
anglais,  averti  par  la  diplomatie  autrichienne,  ne  cesse  cependant  de 
redouter  les  intrigues  françaises  et  écossaises.  A  l'avènement  de  Marie 
Tudor,  en  1553,  le  danger  paraît  plus  redoutable  encore,  car  Henri  II 
a  traité  avec  le  prétendant  Northumberland,  et,  en  Irlande,  les  O'Con- 
nor  ont  fait  éclater  encore  une  fois  la  révolte;  l'arrestation  de  Nort- 
humberland sauve  la  reine.  Cependant,  la  diplomatie  française  ne 
renonce  pas  à  ses  intrigues  en  Irlande,  qui  semblent  avoir  été  actives, 
au  moment  où  se  négociait  le  mariage  de  Marie  avec  Philippe  II. 

M.  Hogan  a  donc  raison  de  conclure  que  le  rôle  joué  par  l'Irlande 
dans  la  première  moitié  du  xvp  siècle  a  contribué  à  fortifier  en  ce 
pays  la  conscience  nationale.  Il  s'est  proposé  seulement  d'étudier 
les  relations  extérieures  de  l'Irlande.  On  peut  regretter  qu'il  ne  nous 
ait  pas  exposé,  brièvement  tout  au  moins,  l'histoire  intérieure  de  ce 
pays,  son  organisation  politique  et  sociale.  Dans  son  récit,  on  voit 
apparaître  quelques  chefs,  Desmond,  Kildare,  les  O'Neill,  les  O'Con- 
nor.  Mais  on  aimerait  à  savoir  en  quoi  consistait  le  peuple  irlandais. 
Il  nous  parle  du  commerce  très  actif  qui  se  faisait  entre  l'Irlande  et 
les  ports  français  et  il  déclare  que,  sans  l'oppression  de  l'Angleterre, 
ce  pays  aurait  pu  jouer  un  rôle  de  premier  plan  dans  l'histoire  mari- 
time et  coloniale  du  monde.  Quelles  étaient  donc  les  forces  produc- 
tives de  rirknde,  ses  ressources  économiques?  C'est  ce  dont  on  dési- 
rerait avoir  une  idée  au  moins  sommaire,  qui  nous  aiderait  à  mieux 
comprendre  les  relations  internationales,  que  M.  Hogan  expose  avec 
tant  de  conscience  *. 

Henri  SÉE. 

1.  A  sigaaler  quelques  fautes  d'impression  ;  Marilloc  pour  Marillac;  Ct/?i- 
bier  et  Danjou,  pour  Cimber  et  Danjou. 


G.  LACOUH-GAYET  :  NAPOLÉON.  251 

G.  Lacour-Gayet.  Napoléon.  Paris,  Hachette,  1921.  1  vol.  in-4°, 
587  pages,  avec  524  illustrations  et  24  planches  hors  texte  en  cou- 
leurs. Prix  :  100  fr. 

Celui  qui  ouvre  ce  magnifique  volume  commence  par  regarder  et 
admirer  les  planches  ;  vingt-quatre  sont  en  couleurs  ;  la  plupart  repro- 
duisent les  tableaux  que  nos  visites  au  Musée  du  Louvre  ou  au  Musée 
de  Versailles  ont  gravés  dans  notre  mémoire  :  œuvres  de  Gros,  de 
Gérard,  de  David,  de  Couder,  de  Bouchot;  d'autres  sont  empruntés  à 
des  collections  fermées,  ainsi  le  portrait  du  roi  Murât  par  Gros,  le  por- 
trait de  Madame  Mère  par  Gérard  à  celle  du  prince  Murât,  le  portrait  du 
roi  de  Rome  de  Lawrence  à  celle  de  M"'«  la  duchesse  de  Bassano.  Nous 
aurions  souhaité,  s'il  avait  été  possible,  de  retrouver  ici  le  fameux 
portrait  de  Napoléon  !«'■,  vaincu  à  Waterloo,  par  David,  qui  se  trouve 
au  château  de  la  Punta,  construit,  au-dessus  d'Ajaccio,  par  les  Pozzo 
di  Borgo  avec  les  ruines  des  Tuileries  ;  il  eût  fait  contraste  avec  celui 
de  Bonaparte  à  Arcole  qui  ouvre  le  volume  :  entre  les  deux  se  déroule 
la  fortune  prestigieuse  qui  fit  du  général  de  l'armée  d'Italie  un  con- 
sul, un  empereur  et  le  maître  d'une  partie  de  PEurope.  A  côté  des 
grandes  planches  hors  texte,  plus  de  500  illustrations  ont  été  données 
dans  le  texte  même  :  nombreux  portraits  des  généraux,  des  ministres, 
des  artistes;  palais  impériaux;  mobiliers  et  costumes  de  l'époque; 
caricatures  françaises  et  étrangères ,  estampes  de  diverses  sortes, 
cartes  des  champs  de  bataille,  fac-similés  de  documents,  signatures 
ou  paraphes  de  Napoléon  aux  diverses  périodes  de  sa  vie,  etc.,  etc. 
Les  originaux  sont  conservés  au  cabinet  d^estampes  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  au  Musée  de  l'armée,  au  musée  Carnavalet; 
mais  d'autres  appartiennent  à  des  collections  particulières,  comme 
celles  du  prince  Roland  Bonaparte,  du  comte  Primoli,  du  comte 
A.  de  Ilunolstein,  de  M.  Frédéric  Masson  à  qui  revenait  de  droit  la 
dédicace  du  volume.  Nulle  part,  on  ne  trouvera  réunie  sur  Napoléon 
et  son  époque  une  iconographie  aussi  variée  et  aussi  riche.  La  pro- 
venance de  chaque  pièce  est  toujours  indiquée  avec  soin  :  quelque- 
fois on  aimerait  à  être  fixé  sur  la  date  de  chacune  d'elles  ;  à  côté  de 
documents  contemporains  de  l'empereur,  pris  sur  le  vif,  on  a  placé 
souvent  des  œuvres  postérieures,  des  (puvres  d'interprétation,  ainsi 
le  i8i4  de  Meissonnier,  ou  des  lithographies  du  temps  de  la  Restau- 
ration et  du  gouvernement  de  Louis-Philippe. 

Dans  un  tel  ouvrage,  l'auteur  est  naturellement  un  peu  esclave  des 
images  qu'il  doit  présenter.  Ainsi  on  avait  réuni  un  très  grand  nombre 
de  portraits  de  Maria  Letizia  Ramolino,  la  mère  de  Bonaparte.  Pour 
les  mettre  en  valeur,  M.  Lacour-Gayet  a  dû  consacrer  à  Madame  Mère 
un  long  chapitre,  d'ailleurs  fort  intéressant,  de  son  volume.  Ce  cha- 
pitre est  placé  après  le  récit  de  la  campagne  de  Prusse  et  de  Pologne, 
de  1806-1807.  Nous  revenons  ainsi  en  arrière;  on  raconte  la  naissance 


252  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

de  Napoléon,  on  nous  présente  son  acte  de  baptême;  on  expose  la 
mort  du  père,  Charles  Bonaparte,  en  1785,  les  troubles  de  Corse  sous  la 
Révolution,  la  fuite  éperdue  de  la  famille  et  son  arrivée  à  Toulon  le 
13  juin  1793.  Et  nous  suivons  les  destinées  de  la  mère  jusqu'à  sa  fin 
qui  arriva  à  Rome  le  2  février  1836,  quinze  ans  après  que  son  fils  eut 
succombé  à  Sainte-Hélène.  Suivent  alors,  pour  une  raison  analogue, 
trois  chapitres  intitulés  :  les  frères  de  Napoléon,  les  sœurs  de  Napo- 
léon, Napoléon  et  Joséphine,  avec  une  illustration  très  abondante,  de 
nombreuses  anecdotes,  et  qu'on  lit  avec  un  plaisir  véritable. 

Est-il  nécessaire  de  dire  que  M.  Lacour-Gayet  connaît  à  fond  son 
sujet,  qu'il  a  vu  les  documents  de  près,  qu'il  a  mis  à  profit  les  nom- 
breux historiens  de  l'époque  napoléonienne,  depuis  ceux  qui,  comme 
Chuquet,  racontent  la  jeunesse  de  Bonaparte  et  énumèrent  ses  cama- 
rades à  l'école  de  Brienne,  jusqu'à  ceux  qui,  comme  Henry  Houssaye, 
exposent  la  chute  de  1814  rendue  plus  profonde  par  le  retour  de  1815. 
Visiblement  aussi,  en  beaucoup  de  ses  pages,  il  s'est  inspiré  des  écri- 
vains étrangers.  Mais,  écrivant  pour  le  grand  public,  il  laisse  de  côté 
les  références  et,  loin  d'étaler  son  érudition,  il  la  dissimule.  Pour 
le  même  motif,  il  ne  fait  point  sur  Napoléon  de  théorie  nouvelle  ;  il 
ne  montre  point  en  lui  exclusivement  ou  le  Corse  ou  le  jacobin;  il 
ne  le  dépeint  point  comme  ami  de  la  paix  et  entraîné,  malgré  lui, 
dans  les  guerres;  il  ne  tente  point  de  faire  une  analyse  de  son  génie 
militaire  et  de  formuler  les  principes  qui  l'ont  mené  à  la  victoire,  ces 
principes  qui,  au  dire  du  maréchal  Jofïre  dans  la  préface  mise  en  tête 
du  volume,  «  sont  éternellement  vrais  et  dont  l'application  vient  encore 
de  nous  conduire  au  triomphe  ».  Il  raconte  simplement  la  vie  de 
Bonaparte,  montre  comment  les  événements  agissent  sur  lui  jusqu'au 
jour  où  il  se  trouve  en  quelque  sorte  maître  d'eux  et  les  mène  à  sa 
guise.  En  son  livre  une  place  importante  est  faite  aux  campagnes, 
sans  qu'on  puisse  dire  que  son  histoire  soit,  comme  celle  de  Thiers, 
une  histoire  militaire.  Il  trace  de  façon  sommaire,  mais  nette,  les  plans 
des  batailles  d'Austerlitz,  d'Iéna,  de  Wagram,  les  péripéties  de  la  cam- 
pagne de  France.  Pourtant,  il  n'a  garde  d'oublier  l'histoire  des  insti- 
tutions ;  il  caractérise  fort  bien  l'œuvre  du  premier  consul  «  qui  fut 
moins  une  création  qu'une  restauration  ;  mieux  encore,  ce  fut  -une 
fusion  »,  la  création  de  l'Université  impériale  :  «  De  même  que  l'Etat 
est  l'unique  marchand  de  tabac,  il  doit  être  l'unique  marchand  d'ins- 
truction publique.  »  Il  signale  l'importance  des  questions  écono- 
miques, consacre  quelques  lignes  aux  progrès  de  l'industrie  et  aux 
expositions.  (Il  n'a  pu  profiter  des  chapitres  substantiels  que  M.  Georges 
Pariset  consacre  à  ces  sujets,  les  deux  volumes  ayant  paru  à  peu 
près  en  même  temps.) 

M.  Lacour-Gayet  porte  sur  Napoléon  un  jugement  modéré  et  équi- 
table ;  il  admire  son  grand  génie  militaire  et  son  génie  d'organisation, 
le  Napoléon  de  la  guerre  et  celui  de  la  paix  ;  il  ne  s'indigne  pas  contre 
le  coup  d'État  du  18  brumaire  et  répète  avec  Sorel  :  «  Ce  n'est  pas 


HAAEE  :  JOHANN  PETER  ANCILLON  UND  ÏRONPRINZ  FRIEDRICH  WILHEM  IV.  253 

parce  que  deux  tambours  et  quelques  grenadiers  pénétrèrent  dans 
l'Orangerie  de  Saint-Cloud  que  le  Directoire  croula  :  la  cause,  ce  fut 
l'état  général  des  esprits  »,  et  il  rappelle  que  le  18  fructidor  avait 
atteint  mortellement  la  constitution  de  l'an  III.  Mais  il  sait  blâmer 
aussi  l'ambition  du  souverain  qui  voulait  absorber  en  lui-même  toute 
la  France  et  imposer  sa  volonté  à  l'Europe;  que  de  sang  il  a  fait  cou- 
ler et  en  définitive  il  a  laissé  la  France  beaucoup  plus  petite  qu'il  ne 
l'avait  trouvée  en  1799!  «  Cet  empire  gigantesque,  écrit  M.  Lacour- 
'  Gayet,  ne  pouvait  durer  :  cette  œuvre  colossale  avait  contre  elle  le 
bon  sens,  la  tradition,  la  géographie.  »  Ces  réserves  n'ont  pas  tou- 
jours été  faites  dans  les  diverses  cérémonies  qui  ont  marqué  le  cente- 
naire ;  il  faut  savoir  gré  à  l'auteur  de  ce  beau  livre  sur  Napoléon  de 
les  avoir  formulées. 

Chr.  Pfister. 


Paul  Haake.  Johann  Peter  Ancillon  und  Kronprinz  Friedrich 
w^ilhem  IV  von  Preussen.  Munchen  u.  Berlin,  Oldenbourg,  1921 . 

In-8°,  iv-180  pages. 

Id.  Der  preussische  Verfassungskampf  vor  hundert  Jahren. 

Ibid.,  1921.  In-8°,  vni-126  pages. 

Ces  deux  études  de  M.  Paul  Haake,  «  privât  dozent  »  à  l'Uni- 
versité de  Berlin,  se  font  suite;  elles  peuvent  être  analysées  et 
appréciées  dans  un  même  compte-rendu.  L'auteur  s'y  occupe  en 
première  ligne  d'un  personnage,  passablement  oublié  de  nos  jours, 
mais  qui  joua  un  rôle  assez  marquant  dans  la  politique  intérieure  de 
la  Prusse,  au  cours  des  trente  premières  années  du  xix«  siècle. 
Membre  de  la  colonie  française  de  Berlin,  prédicateur  fort  goûté  de 
l'église  du  Refuge,  auteur  d'un  Tableau  des  révolutions  du  systè-nie 
politique  de  l'Europe  depuis  le  XV"«  siècle  (1803)  et  d'autres  écrits 
politiques,  plus  apprécié  encore  comme  «  philosophe  des  salons  »  à  la 
cour  de  Potsdam,  Jean-Pierre  Ancillon  fut  choisi  en  1808  comme  pré- 
cepteur du  prince  héréditaire  Frédéric-Guillaume,  celui  qui,  né  en  1795, 
fils  aîné  de  Frédéric-Guillaume  III  et  de  la  reine  Louise,  régna  de 
1840  à. 1861  sous  le  nom  de  Frédéric-Guillaume  IV.  C'est  de  l'éduca- 
tion du  jeune  prince  et  de  ses  vicissitudes  que  M.  Haake  nous  entre- 
tient tout  d'abord,  d'après  les  correspondances  intimes  du  maître  et 
de  l'élève,  conservées  aux  Archives  royales  secrètes  de  Prusse.  Elles 
sont  intéressantes  surtout  pour  la  période  décennale  qui  suivit  les 
«  guerres  d'indépendance  ».  A  ce  moment,  les  libéraux  allemands  les 
plus  modérés  réclamaient  la  réalisation  des  promesses  faites  par  Fré- 
déric-Guillaume III  pour  entraîner  ses  sujets  a  combattre  rE?'6/"emd 
Napoléon.  Ancillon,  d'un  libéralisme  très  modéré,  mais  pourtant 
assez  éclairé  pour  comprendre  la  nécessité  de  réformes  constitution- 
nelles au  sf'in  de  la  bureaucratie  prussienne,  se  prononçait  alors  en 


254  COMPTES-RENDOS   CRITIQUES. 

faveur  de  ces  réformes  et  le  prince  lui-même  les  appuyait  auprès  de 
son  père,  qui,  pris  de  scrupules,  hésitait  de  plus  en  plus  à  tenir  sa 
parole,  bien  que  le  prince  de  Hardenberg,  son  grand  chancelier,  essayât 
de  l'amener  à  résipiscence.  Après  la  mort  de  Hardenberg  (1822)  et 
sous  l'influence  de  la  réaction  générale  en  Europe,  ces  tentatives  furent 
abandonnées  par  leurs  promoteurs  intimidés;  Ancillon  et  le  Kron- 
■prinz  devinrent  tous  deux,  sous  l'influence  du  milieu,  de  plus  en  plus 
réactionnaires  ;  quand  l'ancien  prédicateur  et  précepteur  fut  nommé,  sur 
le  tard,  ministre  des  Affaires  étrangères  (1832),  il  ne  se  souvenait  plus 
guère  d'avoir  été  libéral.  Quand  il  mourut,  en  1837,  on  a  pu  résumer 
sa  carrière  politique  en  disant  de  lui  que  «  la  lutte  contre  la  Révolu- 
tion avait  été  le  but  de  son  existence  ». 

Le  second  mémoire  de  M.  Haake  reprend  l'exposé  de  la  crise  cons- 
titutionnelle prussienne  en  remontant  plus  haut,  jusqu'aux  précurseurs 
des  aspirations  libérales  de  1813,  jusqu'à  Kant,  à  Fichte,  à  Schiller,  au 
baron  de  Stein  ;  il  nous  montre  le  monarque  et  son  premier  ministre 
promettant,  dès  1810,  des  assemblées  provinciales  et  une  représenta- 
tion nationale.  Après  la  victoire,  l'édit  du  22  mai  1815  semblait 
annoncer  la  réalisation  prochaine  de  ces  promesses.  Mais  l'influence 
de  Metternich,  de  Schmalz,  etc.,  l'emporta  sur  les  sages  conseils  de 
Hardenberg  et  de  Guillaume  de  Humboldt;  le  clan  féodal  et  la  vieille 
bureaucratie  s'emparèrent  de  l'esprit  timoré  du  roi  et  les  espoirs  des 
patriotes  avortèrent  misérablement.  Les  suites  de  cette  attitude  sont 
connues.  Pour  empêcher  la  Révolution  de  1848,  il  importait  de  tenir 
la  parole  engagée-en  1815;  «  mais,  dit  l'auteur  en  terminant,  il  aurait 
fallu  pour  cela  d'autres  souverains  que  Frédéric-Guillaume  IH  et  Fré- 
déric-Guillaume IV  ;  ils  n'étaient  pas  à  la  hauteur  de  leur  tâche,  et  ils 
ont  suivi  de  mauvais  conseillers  ». 

Rod.  Reuss. 


Jacques  Ancel.  Les  travaux  et  les  jours  de  l'armée  d'Orient 

(1915-1918).  Paris,  Bossard,  1921.  1  vol.  m-8°,  avec  2  cartes, 
16  photographies  et  233  pages.  Prix  :  7  fr.  50 

L'armée  d'Orient,  dont  la  nécessité,  la  direction,  le  rôle  avaient  sou- 
levé pendant  la  guerre  dès  discussions  sans  nombre,  n'avait  pas,  depuis 
la  paix,  trouvé  en  France  un  historien'.  Récemment,  elle  inspira  des 
romans  dont  la  verve  truculente  lui  fit,  du  reste,  plus  de  mal  que  de  bien, 
en  paraissant  grossir,  contre  le  gré  de  leurs  auteurs,  la  part,  en  réalité 
infime  ou  inexistante,  qu'auraient  eue  dans  sa  vie  les  intrigues  mercan- 
tiles et  les  joies  de  bastringue  de  certains  milieux  saloniciens.  Elle  a  ali- 
menté des  souvenirs  savoureux  et  pittoresques,  mais  anecdotiques  et 

1.  Voir,  sur  le  livre  du  colonel  Feyler,  publié  à  Genève  en  1920,  la  Revue 
historique,  t.  CXXXVl,  p.  124. 


J.    ANCEL    :  LES  TRAVAUX  ET  LES  JOURS  DE  l'aRMÉE  d'oRIENT.        255 

personnels,  comme  ceux  de  J.-J.  Frappa.  Elle  a  provoqué  des  repor- 
tages alertes,  intelligents  et  avertis,  mais  forcément  inégaux  et  un  peu 
superficiels,  comme  l'ouvrage  de  M.  E.  Helsey.  Elle  a  suscité,  soit  des 
récits  restreints  à  l'œuvre  d'un  seul  et  par  là  même  injustes,  comme 
les  pages  brillantes  où  M.  Constantin  Photiadès  a  célébré  la  victoire  des 
Alliés  en  Orient  (15  septembre-13  nooembre  1918);  soit  de  franches 
apologies,  comme  celle  qu'a  écrite  en  traits  de  feu  le  général  Sarrail  et 
qui,  si  elle  devance,  sur  la  plupart  des  points,  par  les  preuves  qu'elle 
apporte  à  foison  et  l'évidence  qu'elle  révèle  à  chaque  pas,  le  jugement 
de  l'histoire,  n'en  a,  assurément,  ni  la  largeur  de  composition  ni  la 
sérénité.  Mais  elle  n'avait  pas,  jusqu'à  présent,  fait  l'objet  d'une  étude 
synthétique  et  désintéressée.  M.  Jacques  Ancel  a  souffert  de  cette 
lacune  ;  il  a  voulu  réparer  cette  injustice  envers  une  armée  à  laquelle 
il  a  eu  l'honneur  d'appartenir  pendant  deux  ans  et  demi,  et  dont  il  a 
pu,  des  divers  postes  d'observation  où  l'ont  placé  les  hasards  du  ser- 
vice, suivre  mieux  que  personne  le  long  et  admirable  effort.  Il  faut 
avouer  qu'il  est  bien  près  d'y  avoir  pleinement  réussi:  sous  le  titre 
renouvelé  de  l'ancienne  poésie  grecque  qu'il  a  choisi,  comme  pour  voi- 
ler d'une  réminiscence  classique  l'émotion  toujours  présente  qu'il 
éprouvait  devant  le  grand  labeur,  persévérant  et  douloureux,  de  l'ar- 
mée d'Orient,  il  vient  de  nous  donner  un  précis  accompli  d'histoire 
contemporaine,  objectif,  substantiel  et  méthodique. 

La  méthode  s'affirme  tout  de  suite  dans  la  présentation  même  de 
ce  volume  élégant.  Au  bas  des  pages,  l'auteur  a  cité,  toutes  les  fois  que 
le  commandait  l'importance  ou  la  nouveauté  de  ses  assertions,  les 
sources  dont  elles  jaillissent  et  qui  les  fondent  en  vérité.  Afin  de 
mieux  marquer  l'enchainement  des  faits,  il  a  jalonné  son  récit  des 
courtes  et  parlantes  «  manchettes  »  auxquelles  recourent  aujourd'hui 
nos  meilleurs  manuels.  Il  l'a,  en  outre,  illustré  de  photographies  qui 
sont  toujours  une  parure,  et,  quelquefois  (p.  66  :  àCorfou,  la  fosse  com- 
mune des  typhiques  serbes;  —  p.  76  :  les  marais  du  Bas-Vardar;  une 
piste  durant  l'hiver  1915-1916;  —  p.  162  :  la  boucle  de  la  Cerna;  — 
p.  188  :  le  Dobropolié),  un  enseignement  direct  et  pathétique.  De  plus,  il 
l'a  muni  d'un  index  où  les  noms  de  personnes  sont  distingués  des  noms 
de  lieux,  et  les  renvois  aux  pages  des  références  aux  notes,  en  sorte 
que  son  livre  sera  aussi  facile  à  consulter  qu'il  est  agréable  à  lire. 
Enfin,  il  l'a  pourvu  d'une  carte  d'ensemble,  claire  et  détaillée,  grâce 
à  laquelle  le  lecteur,  même  peu  familiarisé  avec  la  toponymie  hétéro- 
clite de  la  Macédoine  et  la  complexité  d'un  terrain  où  les  chaînes  nei- 
geuses alternent  avec  les  marécages  et  les  plaines  sans  écoulement, 
pourra  retrouver  les  péripéties  d'une  action  que  nul  encore  de  ceux 
qui  ont  cherché  à  la  décrire  ne  s'était  avisé  de  situer  avec  une  égale 
exactitude. 

Pareillement,  la  documentation  est  de  premier  ordre,  souvent  de 
première  main.  Attaché  à  l'État-major  de  l'armée  française,  puis  à 
celui  de  deux  divisions  du  front  de  Monastir,  linalement  appelé  parle 


256  COMPTES-RENDDS  CRITIQUES. 

général  Guillaumat  à  la  tête  de  la  section  politique  du  quartier  géné- 
ral des  armées  alliées,  M.  Ancel  a  beaucoup  vu  par  lui-même,  et  tout 
.  retenu.  Par  surcroît,  il  a  pu  consulter  soit  les  archives  de  la  section 
historique,  soit,  et  la  chose,  pour  nous,  revient  au  même,  les  offi- 
ciers chargés  de  leur  classement  (p.  12).  Il  ne  s'est  pas  fait  faute  de 
compléter  ses  dossiers  par  les  pièces  imprimées  en  France  (comités 
secrets;  annexes  du  livre  du  générail  Sarràil)  et  à  l'étranger  (livre 
blanc  grec;  révélations  de  Demetra  Vaka,  etc.),  et  ses  lectures  par  des 
conversations  avec  les  premiers  auteurs  du  drame  et,  notamment,  avec 
M.  Venizelos.  Maintes  fois  il  lui  arrive,  par  l'utilisation  adroite  d'une 
confidence  inédite  ou  le  rapprochement  imprévu  de  témoignages  qui 
s'ignoraient  entre  eux,  ici  de  rectifier  une  erreur,  là  de  mettre  au  point 
une  question  mal  élucidée  ou  de  clore  une  controverse  qui  menaçait 
de  s'éterniser.  Par  exemple,  p.  134-135,  il  relate  la  protestation  qu'a 
toujours  opposée  Venizelos  au  reproche  d'avoir  provoqué  le  rappel  du 
général  Sarrail,  et  il  ajoute  que  ses  «  renseignements  personnels,  dont 
[il  doit]  taire  la  source',  [lui]  permettent  d'affirmer  que  «  c'est  sur  l'in- 
tervention des  Anglais  et  de  Lloyd  George  que  Sarrail  dut  d'être 
relevé  ».  P.  21,  il  essaye  de  résoudre  le  problème  des  origines  de 
l'expédition  de  Salonique.  Les  compétitions  créées  par  le  succès  ont 
rendu  fort  laborieuse  la  recherche  de  cette  paternité  ;  mais,  si  M.  Ancel 
ne  se  flatte  pas  de  l'avoir  découverte,  du  moins  verse-t-il  une  pièce 
intéressante  au  débat  en  nous  apprenant  que,  dès  novembre  1914,  le 
général  Franchet  d'Esperey  avait  fait  tenir  au  président  de  la  Répu- 
blique un  projet  d'opérations  rédigé  par  le  colonel  de  Lardemelle, 
revu  et  approuvé  par  lui,  et  tendant  à  refaire  «  à  l'échelle  de  la  vapeur 
et  de  l'électricité  »,  de  Salonique  comme  base,  et  par  la  vallée  du  Var- 
dar  comme  route,  la  marche  sur  Vienne  que  visait,  en  Italie,  la  cam- 
pagne de  1796  :*la  justice  immanente  aurait  donc  accordé  au  promo- 
teur de  l'idée  d'en  achever  triomphalement  la  réalisation... 

Mais  ce  ne  sont  là,  pour  M.  Ancel,  que  des  à  côté  :  les  détails  ne 
valent  à  ses  yeux  que  dans  l'ensemble,  et  c'est  de  l'ensemble  qujl 
s'efforce  à  tracer  une  esquisse  intelligible  et  véridique.  En  1915,  l'ar- 
mée d'Orient  a  sauvé  l'armée  serbe  de  la  destruction  totale;  en  1916, 
elle  a  délivré  la  Macédoine  et  «  accouché  »  la  révolution  hellénique; 
en  1917,  elle  a  opéré  sa  jonction  avec  les  Italiens  d'Albanie  et  l'Adria- 
tique, et  écarté  le  péril  constantinien  ;  pendant  les  premiers  mois  de 
1918,  elle  a  consolidé  ses  positions,  élargi  ses  bases,  perfectionné  ses 
services,  amélioré  ses  ravitaillements;  dans  le  second  semestre  de 
1918,  renforcée  par  l'appoint  de  la  Grèce  venizeliste,  elle  a  rompu  les 
lignes  ennemies,  et  jeté  bas,  du  même  coup  de  massue,  le  Bulgare, 
le  Turc  et  l'Autrichien.  M.  Ancel  a  nettement  marqué  les  phases  déci- 
sives de  la  lutte  ;  il  en  a  saisi  les  rapports  et  la  liaison  ;  et  c'est  en 
pleine  lumière  que,  de  chapitre  en  chapitre,  il  nous  achemine,  par  la 

1.  J'imagine  que  les  «  renseignements  »  alla  «  protestation  »  ne  doivent  pas 
sortir  de  sources  très  éloignées  l'une  de  l'autre. 


J.  ANCEL  :  LES  TRAVAUX  ET  LES  JOI'BS  DE  l'aRMKE  d'oRIENT.         257 

voie  âpre  et  détournée  qu'ont  suivie  les  événements,  jusqu'aux  cimes 
•  radieuses  où  se  posa  la  victoire  finale.  Des  descriptions  brèves  et  corn- 
préhensives  d'un  pays  accablant  et  meurtrier  rendent  sensibles  les 
dilïicultés  de  l'énorme  tâche.  De  sobres  et  saisissants  portraits  des 
chefs  qui  la  dirigèrent  se  détachent  de  la  masse  anonyme  des  soldats 
qui  l'accomplirent  (voir  p.  35  celui  du  général  Sarrail;  p.  184,  celui  du 
général  Franchet  d'Esperey).  Je  n'adresserai  à  l'exposé  de  M.  Ancel 
que  deux  critiques  :  on  ne  voit  pas  assez,  en  l'étudiant,  que  l'année 
1917  a  été  une  des  plus  dures  pour  l'armée  d'Orient.  L'émerveille- 
ment qu'inspire  à  l'auteur  «  la  campagne  contre  la  fièvre  et  la  famine  », 
menée  dès  cette  année-là  avec  une  extraordinaire  énergie,  lui  a  mas- 
qué la  vigueur  de  celle  que,  concurremment,  le  général  Sarrail  a  con- 
duite contre  le  Bulgare,  d'abord  avec  la  tentative  de  dégagement  de 
Monastir  par  une  avance  entre  les  lacs  d'Ochrida  et  de  Presba  (février 
1917),  puis  avec  la  tentative  de  dégagement  direct  en  direction  de 
Krklina  (mars  1917),  enfin  et  surtout  avec  la  tentative  de  rupture  dans 
la  boucle  de  la  Cerna  (9  mai  1917).  Sauf  la  seconde,  qui  a  partiellement 
atteint  ses  objectifs  par  la  prise  de  la  cote  1248,  ces  tentatives  n'ont 
pas  réussi.  Elles  n'en  représentent*  pas  moins  un  sérieux  efïort  du 
commandement  pour  répondre  à  l'appel  de  l'État-major  interallié  du 
front  occidental  et  d'héroïques  sacrifices  de  la  part  des  troupes;  et 
l'on  eût  aimé  voir  M.  Ancel  rendre  hommage  au  courage  malheu- 
reux, en  même  temps  que  discerner  les  causes  que  j'imagine  à  ces 
échecs  immérités  :  en  février,  l'alerte  qui,  probablement  donnée  à 
l'ennemi  par  l'espionnage  albanais,  nous  a  empêchés  d'obtenir  l'effet 
de  foudroyante  surprise  que  nous  avions  escompté  ;  en  mai,  la  puis- 
sance encore  redoutable  des  Allemands  qui  avaient  pu  concentrer  dans 
la  boucle  de  la  Cerna,  avec  de  nombreuses  batteries  d'artillerie  lourde, 
un  corps  d'armée  et  demi  de  leurs  meilleures  troupes,  encadrant  les 
bataillons  bulgares  et  galvanisant  leur  lassitude.  Le  second  reproche 
que  j'exprimerai  à  M.  Ancel  est  d'avoir  trop  annihilé  les  actions  indi- 
viduelles. Dans  son  avant-propos,  il  se  défend  «  d'avoir  méconnu  le 
rôle  des  chefs  ».  Il  me  semble,  cependant,  qu'il  l'a  réduit  plus  que  de 
raison,  et  qu'il  n'aurait  dû  ni  raconter  la  retraite  de  Serbie  sans  faire 
une  allusion  à  l'admirable  activité  du  général  Leblois  qui  commandait 
alors  la  57«  D.  T.,  ni  exalter  le  sauvetage  de  l'armée  serbe  sans  nom- 
mer l'amiral  Lacaze  qui,  au  témoignage  des  Serbes  eux-mêmes,  l'a 
personnellement  organisé.  De  même,  on  regrette  de  ne  point  retrou- 
ver, sous  sa  plume,  le  souvenir  des  exploits  dont  certaines  unités, 
exceptionnellement  valeureuses,  s'étaient  illustrées  :  le  2"  bis  de  zouaves 
de  feu  le  lieutenant -colonel  Déchizelle,  le  176<=  que  commandait, 
sous  Florina,  le  colonel  Salle,  le  groupe  léger,  les  371«  et  372«  régi- 
ments de  réserve  auxquels  le  général  Sarrail  attribua  la  fourragère.  On 
comprend  d'autant  moins  le  silence  de  l'auteur  sur  les  hauts  faits  de 
ces  corps  d'élite  qu'au  moins  en  ce  qui  concerne  les  trois  derniers  il 
les  avait  vus  à  l'œuvre,  sous  le  feu,  tandis  qu'en  compagnie  du  géné- 
Rev.  IIistor.  CXXXVn.  2"  FASC.  17 


258  COMPTES-BEIVnDS   CRITIQDES. 

rai  Jacquemot  il  parcourait  leurs  tranchées  ou  se  glissait  à  leurs 
observatoires.  Mais  c'est  à  peine  si  l'on  pourrait  soupçonner  ailleurs 
qu'il  a  séjourné  à  Monastir  et  qu'il  y  a  rempli  des  fonctions  «  dans  la 
salle  d'interrogatoire,  quand  le  105  [trouait]  la  cour  voisine  »  (p.  10?). 
La  raison  se  devine  pourquoi  aux  «  jours  »  de  l'armée  d'Orient 
M.  Ancel  n'a  pas  ajouté  quelques  «  journées  »  ;  la  modestie  du  lieu- 
tenant a  fait  tort  à  l'historien. 

Il  est,  par  contre,  un  mérite  qui  distingue  son  livre  entre  tous 
et  dont  on  ne  saurait  trop  le  féliciter  ;  c'est  l'impartialité.  M.  Ancel 
l'a  pratiquée,  non  peut-être  sans  regret',  mais  résolument.  Il  n'a 
point  cherché  le  succès  facile  que  donne  la  critique  insinuante  ou 
suraiguë.  Il  n'a  certes  point  caché  les  fautes  quand  il  en  a  rencontré 
sur  son  chemin  (voir  ce  qu'il  dit  des  puérilités  des  débuts  de  notre 
occupation  à  Korica,  p.  142).  Mais  il  ne  s'est  pas  fait  un  plaisir  de  les 
poursuivre  et  de  les  analyser.  Il  s'est  donné,  au  contraire,  celui,  très 
noble  et  salutaire,  d'admirer.  Pour  lui,  «  les  polémiques  ne  comptent 
point  qui  ont  tenté  de  rogner  le  lot  de  l'un  ou  de  l'autre  »  (p.  10); 
la  besogne  est  vaine  et  vilaine  qui  consisterait  à  ne  grandir  un  vain- 
queur qu'au  détriment  des  autres.  En  des  conjonctures  diverses,  avec 
des  tempéraments  différents,  Sarrail,  Guillaumat,  Franchet  d'Esperey 
se  sont  montrés  dignes  de  la  confiance  que  la  patrie  avait  mise  en  eux. 
Le  maréchal  Franchet  d'Esperey  a  été  le  plus  heureux  :  avec  cette 
volonté  irrésistible  et  lucide  qui  a  frappé  tous  ceux  qui  l'approchèrent, 
il  a  triomphé  en  cinq  mois,  et,  comme  César,  il  pourrait  dire  : 
Veni,  vidi,  vici.  Sans  lui  chicaner  cet  impérissable  honneur,  on  ne 
pourra  qu'associer  à  sa  gloire  les  devanciers  dont  il  a  couronné  splen- 
didement l'œuvre  grandiose.  Dans  le  semestre  de  son  propre  com- 
mandement, le  général  Guillaumat  n'a  eu  le  temps  de  déployer  que 
ses  éminentes  facultés  d'administrateur;  mais,  rentré  en  France,  il 
s'est  fait,  dans  les  conseils  interalliés  de  l'été  1918,  hostiles  ou  scep- 
tiques, l'apôtre  de  l'ofïensive  générale  dont  son  coup  d'oeil  avait  dis- 
cerné l'opportunité  et  dont  son  enthousiasme  entraîna  la  résolution, 
et  cela  avec  une  abnégation  émouvante,  puisqu'il  savait,  tout  en  per- 
suadant ses  interlocuteurs,  qu'un  autre  conduirait  à  sa  place  l'opéra- 
tion qu'il  préconisait  et  selon  un  plan  qui  difïérait  du  sien  (p.  176). 
Quant  au  général  Sarrail,  le  commandant  en  chef  de  1915,  1916  et 
1917,  des  jours  incertains  et  des  situations  tragiques,  s'il  n'a  pas  vu  la 
victoire,  il  n'a  jamais  cessé  ni  de  l'espérer,  même  aux  heures  les  plus 
critiques  de  la  campagne,  ni  de  la  préparer  avec  une  profondeur  de 
vues  et  une  décision  étonnantes.  Politique  et  diplomate,  il  a  manœu- 
vré parlement  et  gouvernement  pour  en  obtenir  les  effectifs  et  le 
matériel  sans  lesquels  toute  action  sérieuse  et  de  quelque  envergure 
était  condamnée  d'avance;  il  a  réalisé,  avec  une  ténacité  et  une 
souplesse  dont  tous  nos  alliés  ne  lui  ont  pas  su  gré,  et  bien  au  delà 

1.  On  sent  la  grifte  rentrée,  p.  30,  SI,  113,  etc. 


WLADTMIR   WOYTINSKI    :    LA    DÉMOCRATIE    GEORGIENNE.  259 

des  pauvres  satisfactions  verbales  que  lui  apportaient  les  formules 
délibérées  à  Chantilly,  Paris,  Londres  ou  ailleurs,  ce  commanderaent 
unique  sans  lequel,  pas  plus  en  Orient  que  sur  le  front  occidental,  le 
succès  n'eût  été  possible.  Diplomate  et  soldat,  il  a  dénoncé,  isolé, 
crevé  l'abcès  grec,  ce  qui  a  fourni  aux  Alliés,  en  1918,  avec  les 
80,000  fusils  du  contingent  hellénique,  l'efîectif  indispensable  à  leur 
ultime  manœuvre  de  percée.  Grand  chef,  il  a  réussi,  d'abord  en  jetant 
en  avant,  avec  une  tranquille  audace,  à  mesure  de  leurs  débarque- 
ments, les  régiments  serbes  et  français  qui  lui  furent  envoyés  à  par- 
tir de  mai  1916,  ensuite  en  les  maintenant  contre  toutes  les  sugges- 
tions de  repli  sur  cette  ligne  rationnelle  qu'il  avait  arc-boutée  à  la 
Strouma  vers  l'est,  aux  lacs  vers  l'ouest,  à  établir  du  premier  coup, 
puis  à  assurer  inébranlablement  ce  front  continu  d'où  notre  attaque 
générale  s'est,  deux  ans  plus  tard,  élancée  à  la  victoire  ;  mieux  encore, 
il  a,  dès  le  printemps  de  1917,  et  dans  les  instructions  qu'il  donna  au 
général  Grossetti,  commandant  alors  les  troupes  françaises,  ébauché  le 
schéma  stratégique  qu'elle  a  suivi  au  glorieux  automne  de  1918  (p.  177). 
Suum  cuique  :  M.  Ancel,  en  faisant  œuvre  de  vérité,  a  fait  aussi  œuvre 
de  justice,  et  il  n'a  pas  à  craindre  que  les  histoires  à  venir  brisent  le 
cadre  solide  ou  modifient  sensiblement  les  conclusions  durables  de 
son  excellent  petit  livre. 

Jérôme  Carcopino. 


Wladimir  Woytinski.  La  démocratie  géorgienne.  Paris,  Félix 
Alcan,  1921.  1  vol.  in-8°,  vii-304  pages.  Prix  :  16  fr. 

Ce  consciencieux  ouvrage  vient  heureusement  compléter  les  rensei- 
gnements qui  nous  ont  été  fournis  par  le  livre  de  M.  La  Chesnais, 
dont  il  a  été  récemment  rendu  compte  dans  la  Rev.  histor., 
t.  CXXXVI,  p.  11.3.  M.  Woytinski  insiste  beaucoup  plus  que  ce  der- 
nier ne  pouvait  le  faire  sur  le  passé  de  la  Géorgie,  sur  sa  condition 
économique  et  sa  constitution  sociale. 

On  nous  montre,  tout  d'abord,  comment  la  Géorgie  chrétienne,  au 
milieu  des  puissances  musulmanes  qui  ne  cessaient  de  la  menacer, 
s'est  tournée  forcément  vers  Moscou  et  a  recherché  la  protection  des 
tsars.  Elle  est  devenue  d'abord  un  État  vassal,  puis,  en  1801,  elle  a 
été  incorporée  à  la  Russie  ;  le  gouvernement  russe  a  employé  d'ail- 
leurs, au  delà  du  Caucase,  la  politique  de  russification  à  outrance  dont 
il  a  usé  à  l'égard  de  tous  les  allogènes. 

M.  Woytinski  insiste  sur  l'unité  ethnique  de  ce  peuple  de  trois  mil- 
lions d'habitants,  dont  toutes  les  fractions  appartiennent  à  la  même 
race,  malgré  la  nomenclature  de  nombreuses  tribus,  qui  ne  se  dis- 
tinguent les  unes  des  autres  que  par  des  variétés  dialectales  et  par  cer- 
taines coutumes  particulières;  seuls,  les  montagnards  se  différencient 
du  reste  de  la   nation  par  une  physionomie  tranchée.  Les  Géorgiens 


260  COMPTES-UENDUS   CRITIQUES. 

sont  essentiellement  un  peuple  de  paysans,  très  démocratique,  car 
beaucoup  de  cultivateurs  sont  propriétaires  et  les  nobles  n'ont  que  des 
propriétés  peu  étendues.  Les  intellectuels  eux-mêmes  sortent  du  peijiple 
et  n'oublient  pas  leurs  origines.  Enfin,  la  propriété  collective  et  le  mir 
russe  n'ont  jamais  existé  en  ce  pays. 

Il  est  assez  curieux  de  constater  que  cette  contrée  agricole  ait  donné 
naissance  à  un  puissant  parti  socialiste,  qui  s'est  organisé,  en  1885, 
sous  l'inflaence  de  quelques  hommes  remarquables,  comme  Noë  Jor- 
dania,  et  qui  s'est  d'abord  employé  surtout  à  lutter  contre  la  bureau- 
cratie tsariste.  Mais  on  comprend  que  ce  soit  la  tendance  possibiliste 
ou  menchevik  qui  ait  prédominé  en  Géorgie;  les  maximalistes  ou 
bolcheviks  n'y  ont  jamais  eu  que  très  peu  de  partisans.  M.  Woy- 
tinski  montre  le  rôle  considérable  qu'ont  joué  à  la  Douma,  et  surtout 
à  la  deuxième  Douma,  les  députés  géorgiens,  dont  le  plus  éloquent  et 
le  plus  actif  fut  Tseretelli. 

La  révolution,  qui  a  chassé  le  tsarisme  au  printemps  de  1917,  fut 
accueillie  avec  enthousiasme  en  Géorgie.  Mais  le  coup  d'Etat  bolche- 
viste  (novembre  de  la  même  année)  fut  la  source  de  grosses  difficultés. 
Par  la  cessation  des  hostilités,  le  front  du  Caucase  fut  brusquement 
dégarni  :  on  eut  à  redouter,  à  la  fois,  les  incursions  des  Turcs  et  les 
violences  des  soldats  démobilisés.  Pour  parer  à  ce  double  danger,  la 
démocratie  géorgienne  organisa  une  garde  populaire,  qui  eut  pour 
principal  office  de  désarmer  les  soldats  revenant  du  front,  qui  assura, 
en  même  temps,  la  défense  extérieure  du  pays  et  empêcha  les  luttes 
entre  Arméniens  etTatars,  qui  ensanglantaient  la  Transcaucasie  orien- 
tale. 

Comme  M.  La  Chesnais,  mais  avec  moins  de  netteté,  M.  Woytinski 
montre  que  la  politique  bolcheviste  obligea  la  Géorgie  à  se  séparer  de 
la  Russie  et  à  proclamer  son  indépendance  (mai  1918),  et  que,  pour 
se  préserver  de  l'invasion  russe,  on  dut  demander  la  protection  des 
Allemands. 

Depuis  l'armistice,  la  Géorgie,  libérée  de  l'emprise  allemande,  a  pu 
s'organiser  comme  État  indépendant.  C'est  un  régime  purement  démo- 
cratique qui  s'y  est  établi.  Les  soviets  ont  abandonné  leur  pouvoir  à 
une  Constituante,  qui,  en  février  1919,  a  été  élue  au  suffrage  univer- 
sel direct  (les  femmes  ont  le  droit  de  vote).  Les  élections  ont  donné 
une  immense  majorité  au  parti  social-démocrate.  Une  constitution 
très  démocratique  a  été  établie,  avec  référendum  et  droit  d'ini- 
tiative ;  le  chef  de  l'Etat  n'est  autre  que  le  chef  du  cabinet  des  ministres, 
,  de  sorte  que  le  Parlement  dispose  d'un  énorme  pouvoir.  D'ailleurs,  on  a 
créé  un  self-government  local  ayant  de  larges  attributions,  et  les 
soviets  ouvriers  ont  été  conservés.  Le  peuple  exerce  donc  une  influence 
réelle  et  très  directe  sur  le  gouvernement. 

On  trouvera  dans  le  livre  de  M.  Woytinski  les  renseignements  les 
plus  précis  sur  la  réforme  agraire  qui  a  été  accomplie  en  Géorgie,  et 
qui  marque  une  révolution  sociale  très  profonde.  Elle  s'opéra  très  rapi- 
dement et  très  facilement  pour  ceux  des  paysans  qui  étaient  métayers 


WLADIMIR    WOYTIIVSKl    :    LA    DEMOCRATIE   CÉORGIEIVIVE.  261 

et  qui  s'affranchirent  de  la  part  due  aux  propriétaires,  sans  d'ailleurs 
qu'il  y  ait  eu  de  violences.  La  Constituante,  pour  doter  les  paysans 
dénués  de  propriété,  ordonna  la  confiscation  des  terres,  laissant  aux 
anciens  propriétaires  quatorze  déciatines  (environ  quinze  hectares)  de 
terre  arable.  Avec  ces  terres  confisquées,  et  aussi  avec  les  domaines  de 
la  couronne  et  des  princes,  on  constitua  un  fonds  agraire  d'environ 
quatre  millions  d'hectares  ;  on  décida  de  vendre  aux  paysans  les  terres 
arables  et  aux  communes,  sous  forme  collective,  les  pâturages.  Puis 
on  commença  de  grands  travaux  de  défrichement,  afin  de  caser  les 
paysans  qui  n'avaient  pu  encore  se  procurer  de  terre.  Ainsi  la  réforme 
agraire  a  consisté  à  affranchir  ou  à  créer  la  propriété  paysanne,  mais 
sous  forme  individuelle.  Le  socialisme  géorgien  s'est  refusé  à  organi- 
ser le  communisme. 

En  matière  industrielle,  on  a  suivi  le  même  principe.  On  a  conservé 
les  entreprises  privées,  mais  en  protégeant  fortement  les  ouvriers  et 
en  soumettant  au  contrôle  de  l'Etat  tout  emploi  de  la  main-d'œuvre. 
Un  décret  réglemente  minutieusement  tout  ce  qui  concerne  le 
contrat  de  travail,  l'embauchage;  les  salaires  sont  soumis  aussi 
au  contrôle  de  l'État,  grâce  à  une  Chambre  des  tarifs;  enfin, 
dans  les  grandes  entreprises,  des  commissions  spéciales,  élues  par 
les  ouvriers,  surveillent  tout  l'ordre  intérieur  de  l'usine.  L'État  s'est 
préoccupé  d'ailleurs  d'étendre  les  monopoles  publics:  il  a  organisé 
sous  cette  forme  l'exportation  du  tabac,  de  la  soie,  du  manganèse. 

L'État  géorgien  a  manifesté  une  très  grande  activité  en  matière  éco- 
nomique. Il  s'est  efforcé  de  développer  les  forces  productives  du  pays, 
dont  le  gouvernement  tsariste  avait  singulièrement  négligé  l'exploita- 
tion. La  productivité  des  mines  s'est  beaucoup  accrue  et  un  vaste  pro- 
gramme de  travaux  a  été  dressé.  Mais  c'est  l'agriculture  qui  a  le  plus 
gagné  à  la  révolution  :  en  1920,  la  superficie  ensemencée  s'était  accrue 
de  20  à  30  "/o  et  on  récolta  trente-sept  millions  de  pouds  de  céréales, 
chiffre  supérieur  à  celui  des  meilleures  années  antérieures. 

En  ce  qui  concerne  la  culture  intellectuelle,  on  a  tracé  aussi  un 
grand  programme  de  réformes,  dont  la  réalisation  n'est  encore  qu'ébau- 
chée; cependant,  2,000  écoles  primaires  fonctionnaient  déjà  en  1920; 
on  avait  créé  156  écoles  primaires  supérieures,  amélioré  l'enseignement 
secondaire,  réorganisé  l'Université  de  Tiflis,  fondé  des  cours  d'adultes, 
établi  la  gratuité  à  tous  les  degrés  de  l'enseignement. 

Dans  un  dernier  chapitre,  l'auteur  insiste  sur  les  difficultés  de  la 
politique  étrangère  que  doit  suivre  l'Etat  géorgien.  Il  a  dû  se  garder 
à  la  fois  des  attaques  des  Turcs  et  des  entreprises  de  la  Russie  sovié- 
tique. En  dépit  du  traité  conclu  avec  celle-ci,  on  sait  que  le  gou- 
vernement bolcheviste  est  parvenu  tout  récemment  à  mettre  la  mam 
sur  la  Géorgie.  La  Société  des  Nations  n'a-t-elle  pas  commis  une 
grande  faute  en  se  refusant  à  admettre  comme  membre  ce  vaillant 
petit  pays,  qui  méritait  de  conserver  son  indépendance? 

Henri  Sée. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale.  —  Institut  américain  de  droit  internatio- 
nal. Procès-verbaux  de  la  première  session  tenue  à  Washington,  du 
29  décembre  1915  au  8  janvier  1916  (New-York,  1916,  1  vol.  in-8», 
155  p.).  —  Fondé  le  12  octobre  1912,  l'Institut  américain  de  droit 
international  a  été  inauguré  à  Washington  le  29  décembre  1915.  Deux 
citations  préciseront  le  but  poursuivi  par  les  créateurs  du  nouvel  Ins- 
titut :  «  L'intention  était,  non  d'enseigner  un  droit  des  gens  exclusive- 
ment américain,  mais  de  défendre  le  droit  des  gens  au  point  de  vue 
américain  et  d'ajouter  ainsi  à  la  matière  du  droit  positif  naissant  une 
somme  de  précieuses  et  nouvelles  données*.  »  «  Que  l'Institut  améri- 
cain, composé  d'un  nombre  égal  de  pubiicistes  représentant  chacune 
des  Sociétés  nationales  créées  dans  chacune  des  vingt  et  une  répu- 
bliques américaines,  fasse  comprendre  au  monde  qu'une  Société  des 
Nations  existe,  qu'il  y  a  une  solidarité  entre  ses  membres,  qu'un  droit 
est  nécessaire  pour  régler  la  conduite  de  chaque  nation  vis-à-vis  des 
autres  membres  de  la  Société  et  qu'il  doify  avoir  un  instrument  pour 
développer  et  créer  le  droit,  ainsi  qu'un  instrument  pour  le  détermi- 
ner et  l'appliquer  aux  litiges  toutes  les  fois  qu'il  s'en  élève  entre  les 
nations.  »  Tel  est  l'espoir  formulé  par  M.  James  Brown  Scott,  prési- 
dent de  l'Institut,  en  terminant  son  discours  d'inauguration  (p.  51). 
Les  premiers  travaux  ont,  en  conformité  de  ces  sentiments,  abouti 
à  l'adoption  des  statuts  de  l'Institut  américain  de  droit  international 
et  d'une  Déclaration  des  droits  et  devoirs  des  nations. 

Léon  Adam. 

—  Samuel  Rachel,  Jurisconsult  and  Professer  of  Law  in  the  illus- 
trious  University  of  Holstein,  De  jure  naturae  et  gentium  disserta- 
tiones  duae,  edited  by  Ludwig  von  Bar,  professor  of  Criminal  Law 
and  Procédure  and  of  International  Law  in  the  UniA'ersity  of  Gôttingen 
(Washington,  1916,  2  vol.  gr.  in-S";  fait  partie  des  «  Classics  of  inter- 
national law  »,  publiés  sous  la  direction  de  James  Brown  Scott).  — 
Le  droit  international  primitif  a  offert  le  caractère  d'une  doctrine 
morale  ou  philosophique  plutôt  que  celui  d'une  véritable  science  juri- 
dique. La  théorie  précéda  naturellement  la  pratique.  Mais,  à  mesure 
que  la  personnalité  et  la  souveraineté  des  États  se  précisèrent  et  s'af- 
fermirent, le  droit  des  gens  entra  dans  une  voie  de  réalisation  plus 
positive.  Cette  évolution  peut  être  considérée  comme  coïncidant  avec 

1.  J.  de  Lauler,  le  Droit  internalional  public  positif,  t.  I,  p.  157. 


niSTOIKE   GÉNÉRALE.  263 

la  paix  de  Westphalie  de  1648,  qui  resta  jusqu'à  la  Révolution  fran- 
çaise la  charte  principale  des  rapports  internationaux  entre  peuples 
européens. 

Antérieurement  à  1648,  le  savant  hollandais  Grotius  avait  recherché 
et  posé  les  bases  du  droit  international  dans  des  écrits  fort  curieux.  Il 
distinguait  le  droit  naturel,  «  éternel  et  immuable,  indépendant  de  la 
volonté  humaine  et  même  divine,  possédant  une  force  directement 
obligatoire  pour  les  hommes  et  les  peuples,  et  le  jus  voluntarium, 
établi  par  la  volonté  divine  ou  humaine  ».  Grotius  montre  une  préfé- 
rence évidente  pour  le  droit  naturel.  Quelques  esprits  plus  positifs 
estimèrent  qu'il  ne  fallait  point  attendre  trop  de  bien  des  mirages 
du  droit  naturel  et  cherchèrent  des  bases  plus  solides.  De  ce  nombre 
fut  Samuel  Rachel  (1628-1691),  Allemand  du  Holstein.  qui  devint  en 
1665  professeur  à  Kiel  et  fit  paraître  en  1676  ses  De  jure  naturae  et 
gentium  dissertationes  duae.  Il  reconnaît  les  exigences  de  la  néces- 
sité et  des  relations  naturelles,  source  véritable  du  droit  des  gens. 
«  Le  droit  spécial  s'appuierait  sur  l'accord  exprès,  c'est-à-dire  que  ce 
droit  n'existerait  qu'entre  contractants;  le  droit  général  ou  droit  des 
gens  véritable  s'appuierait  sur  un  accord  tacite  reconnu  par  les  cou- 
tumes et  obligatoire  pour  tous'.  »  La  «  coutume  »  du  droit  des  gens 
est  depuis  longtemps  remplacée  par  la  Convention  internationale. 

Au  point  de  vue  historique,  la  publication  de  M.  L.  von  Bar,  qui 
contient  dans  le  tome  I  le  texte  de  l'édition  originale  et  dans  le 
tome  II  une  traduction  en  anglais  par  M.  John  Pav^'ley  Bâte,  présente 
aujourd'hui  un  réel  intérêt.  Il  est  singulièrement  instructif  et  édifiant 
de  rapprocher  des  idées  exprimées  par  le  professeur  allemand  de  1676 
la  mentalité  allemande  actuelle,  qui,  dans  la  dernière  guerre,  a  systé- 
matiquement foulé  aux  pieds  les  principes  les  plus  élémentaires  du 
droit  naturel  et  du  droit  positif  des  traités.  Léon  Adam. 

—  Les  historiens  qu'intéresse  l'aspect  juridique  des  questions  éco- 
nomiques accueilleront  avec  une  grande  faveur  le  livre  clair  et  subs- 
tantiel que  M.  Julien  Bonnecase,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de 
Bordeaux,  consacre  au  Particularisme  du  droit  commercial  mari- 
time (Bordeaux,  Delmas,  1921,  in-S",  146  p.).  Procédant  à  une  rigou- 
reuse analyse  et  appuyant  ses  raisonnements  sur  une  série  de  cons- 
tatations concrètes,  M.  Julien  Bonnecase  montre  que  la  notion  de 
particularisme  se  résout  en  fin  de  compte  dans  l'état  inorganique  et 
dans  le  caractère  essentiellement  anarchique  de  ce  droit.  L'abdication 
progressive  du  législateur  devant  les  corporations  maritimes  a  fait 
perdre  de  vue  le  caractère  véritable  du  droit  maritime,  partie  inté- 
grante du  droit  commercial  et,  par  suite,  du  droit  privé;  mais  cette 
dépendance  demeure  manifeste  dans  certaines  institutions  (avarie 
commune,  assurance  mutuelle)  qui  s'(^xpliquent  organiquement  et 
rationnellement  par  des  notions  inhérentes  au  droit  privé  général. 

1.  J.  de  Lauter,  le  Droit  international  public  positif,  l.  I,  p.  112. 


264  NOTES    BJBLIOGKAPHIQOES. 

Aussi  bien  le  jurisconsulte  a-t-il  moins  en  ces  matières  à  recourir  aux 
textes  qu'à  dégager  des  faits  et  des  intérêts  la  part  qui  revient  à  la 
pure  notion  du  droit;  telle  est  la  vérité  profonde  qui  apparaît  dans 
ces  appels  à  1'  «  ordre  public  »  et  à  1'  «  équité  >>  que  les  procès  mari- 
times reproduisent  si  souvent.  On  voit  toute  la  portée  de  cette  remar- 
quable étude  qui  amorce,  par  la  conception  qu'elle  exprime,  un  traité 
de  droit  maritime  en  préparation.  L.  Villat. 

—  D.  P.  Heatley.  Diplomacy  and  the  study  of  international 
relations  (Oxford,  Clarendon  Press,  1919,  in-8°,  292  p.).  —  Suite  de 
dissertations  vagues  sur  l'art  de  la  diplomatie,  sans  ordre  ni  plan  bien 
apparent.  Notes  successives,  entrecoupées  de  réflexions  générales,  sur 
un  certain  nombre  d'ouvrages  ayant  des  rapports  plus  ou  moins  loin- 
tains avec  l'histoire  diplomatique,  tels  que  le  manuel  de  Langlois  et 
Stein  (les  Archives  de  l'Histoire  de  France)  analysé  en  deux  pages, 
ou  l'Atlas  histoHque  de  Droysen...  A  l'appendice,  des  morceaux 
choisis  d'ouvrages  anciens  concernant  les  qualités  que  doit  posséder 
le  parfait  diplomate.  Le  tout  aussi  décousu  et  aussi  lâche  que  pos- 
sible. On  ne  voit  pas  bien  à  quel  public  peut  s'adresser  un  tel  livre 
ni  quels  services  il  peut  rendre.  L.  Febvre. 

—  Alexandre  de  Olazabal.  Vers  l'^émancipation  écpnomique 
(Paris,  Giard  et  C'^,  192i,  in-16,  xiv-87  p.).  —  Dans  cette  «  Lettre 
ouverte  au  Président  de  la  nation  argentine  »,  l'auteur  établit  un  plan 
pour  résoudre  la  crise  sociale  moderne.  Écrite  dans  une  langue  fleurie 
de  métaphores  redondantes  et  étonnamment  imprécise,  elle  oppose 
d'abord  le  type  de  civilisation  française  aux  types  allemand  et 
anglais,  puis  détermine  les  principaux  moments  de  l'évolution  éco- 
nomique argentine  et  les  tendances  politiques  et  sociales  des  grands 
partis  argentins  :  socialiste,  radical,  démocrate.  D'après  M.  de  Olaza- 
bal, ces  partis  peuvent  s'associer  pour  opérer  la  nation  du  *  cancer 
capitaliste  »  ;  par  le  groupement  des  associations  corporatives  en  socia- 
lisant le  capital,  par  l'organisation  des  forces  productives  au  moyen 
d'un  parlement  économique,  par  la  simplification  des  organismes 
politiques  dans  le  cadre  de  la  patrie  et  de  la  propriété,  M.  de  Olaza- 
bal espère  résoudre  la  crise  qu'il  a  d'abord  définie;  ces  modçstes 
solutions  valaient-elles  de  s'envelopper  dans  un  langage  si  chatoyant 
et  si  hermétique?  G.  Bourgin. 

—  Dans  une  publication  ofiicielle  du  Bureau  international  du  tra- 
vail (Statut  international  des  marins.  Communication  adressée 
aux  gouvernements  par  le  Bureau  international  du  travail. 
Genève,  1921,  in-8°,  135  p.),  on  trouvera,  pages  126-134,  une  intéres- 
sante «  Notice  historique  sur  les  premiers  codes  maritimes  ».  Ces 
codes  sont  les  lois  de  Rhodes,  les  ordonnances  de  Trani,  les  rôles 
d'Oléron,  les  lois  de  Wisby,  celles  de  Damne  et  le  Consolato  del 
Mare;  il  faut  y  ajouter  la  procédure  des  juridictions  spéciales  aux 
armateurs  et  marins,  les  coutumes  spéciales  à  telles  ou  telles  régions 


HISTOIRE    DE    l'antiquité.  265 

OU  mers.  Au  xvii«  siècle,  on  commença  à  codifier  le  droit  maritime 
sur  une  base  nationale,  telle  «  l'Ordonnance  de  marine  »  de  1681,  et 
c'est  par  un  retour  curieux  de  l'évolution  économique  et  juridique  que 
la  question  est  actuellement  posée  d'un  «  Statut  international  des 
marins  ».  G.  B. 

—  Le  lieutenant-colonel  d'État-major  U.  Spigo  étudie,  dans  la  très 
technique  Rivisla  Marittima  de  mars  1921,  pages  589-640,  «  la  Guerre 
et  les  lois  du  déterminisme  économique  »  ;  il  y  fournit  une  importante 
contribution  à  la  méthodologie  historique.  M.  Spigo  montre,  par  de  mul- 
tiples exemples,  comment  l'unification  nationale  et  l'expansion  écono- 
mique qui  en  résulte  préparent  fatalement  des  conflits  entre  les  Etats 
parvenus  à  peu  près  au  même  stade  de  développement  intérieur.  Les 
moteurs  puissants  du  matérialisme  économique  peuvent  bien  être  recou- 
verts par  la  phraséologie  poétique,  juridique,  historique  ou  sentimen- 
tale; ce  sont  eux  en  dernière  analyse  auxquels  obéissent  les  hommes- 
et  ce  sont  les  lois  économiques  qui  règlent  finalement  l'issue  des  guerres. 
Le  récent  grand  conflit  mondial  et  ses  suites  fournissent  à  M.  Spigo 
un  grand  nombre  de  faits  qu'il  interprète  à  la  lumière  de  sa  théorie, 
mais  dont  le  choix  et  l'interprétation  portent  la  marque  de  son  ori- 
gine nationale,  ce  qui  fait  que  l'auteur  apporte  lui-même,  inconsciem- 
ment, une  espèce  de  correction  à  ce  que  son  système  a  de  trop  méca- 
nique et  de  trop  rigide.  G.  B. 

—  M.  E.  W.  Hume,  dans  un  intéressant  article  publié  par  la  revue 
technique  The  Engineer  (12  novembre  1920,  p.  482-484),  a  dressé 
une  bibliographie  choisie  de  l'histoire  de  la  mécanique  depuis  les  ori- 
gines de  l'humanité  jusqu'en  1640.  G.  B. 

Histoire  de  Tantiquité.  —  J.  K.  Fotheringh.\m.  A  solution*  of 
ancienl  éclipses  of  the  Sun  (extrait  des  «  Monthly  notices  of  the 
Royal  astronomical  Society  »,  vol.  LXXXL  2,  in-8o,  24  p.).  — 
M.  F'otheringham,  bien  connu  par  ses  savantes  recherches  astrono- 
mico-historiques,  passe  ici  en  revue  un  certain  nombre  d'éclipsés  de 
soleil,  la  plupart  totales,  mentionnées  par  des  documents  historiques 
qui  s'échelonnent  entre  1062  av.  J.-C.  et  364  ap.  J.-C.  Il  cherche  à  en 
préciser  la  date  et  l'heure  exactes,  la  dimension,  la  zone  de  visibilité, 
puis,  par  de  savants  calculs  où  nous  ne  pouvons  pas  le  suivre,  il  en 
déduit  certaines  conséquences  pour  la  détermination  des  accélérations 
séculaires  du  soleil  et  de  la  lune  qu'il  estime  à  10  secondes  8/10  pour 
la  lune  et  à  1  seconde  5/10  pour  le  soleil.  L'historien  sera  surtout 
intéressé  par  la  discussion  des  textes  relatifs  aux  éclipses  observées 
par  les  Babyloniens  ou  les  Grecs;  l'auteur  parait  parfaitement  au 
courant  de  la  «  littérature  »  très  abstruse  de  ces  questions  ;  sa  critique 
est  pénétrante  et  son  jugemeut  sensé.  Toutefois,  il  ne  devait  pas 
mettre  en  doute  l'aHirmation  de  Thucydide  que  pendant  l'éclipsé  de 

1.  Le  .sens  du  mol  solution  m'échappe. 


266  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

430,  quoique  incomplète,  «  quelques  »  étoiles  devinrent  visibles  ;  les 
Anciens  avaient  de  meilleurs  yeux  que  nous  et  le  ciel  de  l'Attique  est 
d'une  pureté  incomparable.  D'autre  part,  il  a  dû  se  glisser  une  coquille 
ou  une  erreur  dans  la  discussion  (p.  112)  de  la  fameuse  éclipse  de 
Phlégon,  qu'on  a  voulu  identifier  à  l'obscurcissement  du  ciel  pendant 
la  crucifixion.  Fotheringham  la  fixe  au  29  novembre  24,  which  fell 
in  the  first,  not  the  fourth  y  car,  of  Olymp.  202.  Mais  le  mois  de 
novembre  24  tombe  dans  01.  200,4  et  non  pas  202,1  ;  la  date  de  202,1 
correspondrait  à  29/30  ap.  J.-C.  Ou  Fotheringham  (c'est-à-dire  ici 
Kepler)  s'est  trompé,  ou  le  texte  de  Phlégon  a  été  altéré  à  la  fois  quant 
à  l'olympiade  et  quant  à  l'année.  Th.  Reinach. 

—  Alice  Brenot.  Recherches  sur  l'éphébie  attique  et  en  parti- 
culier sur  la  date  de  l'institution  (Paris,  Champion,  1920,  in-8°, 
xxvii-52  p.;  «  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes-Études,  section  des 
"sciences  historiques  et  philologiques  »,  fasc.  CCXXIX).  —  C'est  un 
bien  beau  sujet  qui  a  valu  à  M'i«  Alice  Brenot  le  titre  d'élève  diplô- 
mée de  l'École  des  Hautes-Études.  En  l'élargissant  et  en  donnant 
plus  de  profondeur  à  ses  recherches,  elle  pourrait  en  tirer  une  inté- 
ressante thèse  de  doctorat.  Tel  qu'il  est,  le  travail  qu'elle  présente  au 
public  donnel'état  de  la  question.  G.  Glotz. 

—  E.  CiccoTTi.  Lineamenti  delV  evoluzione  tributaria  nel 
mondo  antico  (Milano,  Società  éditrice  libraria,  1921,  in-S",  216  p.). 
—  M.  Ciccotti,  auteur  de  travaux  distingués  sur  l'économie  politique 
des  Grecs  et  des  Romains,  notamment  sur  l'esclavage,  a  publié  dans 
le  tome  V  de  la  Biblioteca  di  storia  economica  {Bibliothèque 
d'histoire  économique)  les  Grandes  lignes  de  l'évolution  des 
impôts  dans  le  monde  ancien.  Il  passe  en  revue  chronolo'giquement 
les  principales  catégories  d'impôts  et  de  revenus  dans  les  monarchies 
orientales,  la  Grèce  classique,  les  monarchies  hellénistiques,  dans 
l'Egypte  ptolémaïque,  à  Rome  sous  la  République  et  sous  l'Empire. 
Cette  étude,  forcément  rapide  et  sommaire,  suppose  des  lectures,  des 
connaissances  étendues  et  fournit  les  renseignements  essentiels,  pui- 
sés aux  travaux  les  plus  importants.  Mais  ce  n'est,  ni  pour  la  forme  ni 
pour  le  fond,  la  synthèse  claire,  méthodique,  serrée,  substantielle  et 
originale  qu'on  pouvait  espérer.  L'auteur  ne  domine  jamais  son  sujet. 
Sa  compilation,  souvent  obscure,  indigeste,  tantôt  incomplète,  tantôt 
prolixe  et  surchargée  de  discussions  et  de  digressions  inutiles,  montre 
trop  rarement  l'indépendance  d'un  travail  personnel.  Sur  les  impôts 
fonciers,  par  exemple,  il  ne  sait  pas  se  dégager  des  vieilles  théories  de 
Savigny,  de  Mathias,  de  Rodbertus.  Malgré  quelques  réserves,  il 
accepte  trop  aisément  des  opinions  très  discutables,  par  exemple  celles 
de  Meyer,  de  Cavaignac  sur  l'histoire  financière  d'Athènes,  de  Schul- 
ten  à  propos  du  cadastre  d'Orange,  de  Savigny,  de  Zachariae  sur  le 
caput  et  le  jugum,  sur  l'impôt  de  la  Gaule.  Il  ne  nous  dit  pas  que,  sans 
la  détermination  de  la  valeur  du  denier,  toutes  les  discussions  sur  les 


UIS'KIIHK    DE    l'antiquité.  267 

prix  de  1  edit  de  Dioclétien  sont  stériles.  Pourquoi  toucher  à  des  ques- 
tions immenses  telles  que  le  régime  monétaire  du  Bas-Empire,  le 
colonat,  les  grands  domaines?  C'est  trop  ou  trop  peu.  Pourquoi  tra- 
duire le  préambule  de  l'édit  de  Dioclétien,  des  pages  entières  de  Lac- 
tance  et  de  Salvien?  Combien  d'autres  travaux  M.  Ciccotti  aurait-il 
pu  utiliser,  par  exemple  la  Table  hypothécaire  de  Veleia  de  De 
Pachtere,  la  Loi  de  Hiéron  et  les  Romains  de  Carcopino,  les 
articles  de  Pais  sur  les  mines  de  l'Italie,  de  Mispoulet,  de  Cuq  et  de 
Flach  sur  les  mines  de  l'Espagne,  de  Monnier  sur  \'éx>ibolè,  de  Mas-, 
pero  sur  les  grands  domaines  de  l'Egypte  byzantine,  les  nouveaux 
textes  sur  les  emprunts  de  Milet,  le  livre  d'Andréadès  sur  les  finances 
et  l'économie  politique  de  la  Grèce!  Malgré  ces  défauts,  le  travail  de 
M,  Ciccotti  rendra  tout  de  même  des  services  au  grand  public  pour 
lequel  il  a  été  écrit.  Ch.  Lécrivain. 

—  Lucien  Guenoun.  La  Cessio  Bonorum  (Paris,  Geuthner,  1920, 
in-S",  106  p.).  —  Sous  les  auspices  et  avec  les  conseils  de  M.  P. -F.  Gi- 
rard, M.  L.  Guenoun  a  écrit  sur  la  cessio  bonorum,  sur  le  bénéfice 
de  la  cession  de  biens  en  droit  romain,  depuis  l'origine  jusqu'au  Bas- 
Empire,  une  monographie  excellente,  précise,  qui  ne  pouvait  évidem- 
ment guère  donner  de  résultats  nouveaux,  mais  qui  réunit,  critique, 
discute  tous  les  textes  classiques  et  les  papyrus,  toutes  les  hypothèses 
avec  une  complète  et  solide  érudition.  Il  accepte  généralement  les 
solutions  les  plus  probables,  par  exemple  sur  la  création  de  l'institu- 
tion, attribuée  à  Auguste  plutôt  qu'à  César,  sur  le  sens  toujours  dis- 
cuté de  la  formule  jurare  bonam  copiam.  Au  sujet  du  maintien  au 
Bas-Empire  de  l'exécution  sur  la  personne,  il  aurait  pu  citer  beau- 
coup d'autres  textes,  en  particulier  de  saint  Ambroise,  de  saint  Jean 
Chrysostome,  de  saint  Basile,  qui  s'élèvent  en  outre  contre  la  vente 
des  enfants  des  débiteurs.  Ch.  L. 

—  Tenney  Frank.  An  économie  history  of  Rome  lo  the  end  of 
the  Republic  (Baltimore,  Johns  Hopkins  University  press,  1920, 
in-8°,  ix-310  p.).  —  Avec  la  prédilection  et  la  perspicacité  particu- 
lières qu'apportent  les  Américains  à  ce  genre  de  recherches, 
M.  T.  Frank,  auteur  de  travaux  distingués  sur  la  politique  étrangère 
de  la  République  romaine,  a  écrit  sur  l'Histoire  économique  de 
Rome  jusqu'à  la  fin  de  la  République  un  livre  intéressant  qui,  sans 
apporter  de  résultais  nouveaux,  a  le  mérite  de  condenser,  d'éclairer, 
d'interpréter  d'une  façon' originale  les  connaissances  acquises.  En 
treize  chapitres,  il  expose  chronologiquement  les  conditions  de  l'agri- 
culture et  du  commerce  à  l'époque  primitive  dans  le  Latium  et 
l'Étrurio  et  le  rôle  des  Etrusques  et  des  Grecs  ;  la  formation  et  la  , 
situation  économique  et  juridique  de  la  classe  des  petits  proprié- 
taires et  de  la  jjlèbo  ouvrière  de  Rome;  les  premières  lois  agraires  et 
les  colonies  ;  la  formation  et  la  culture  des  grands  domaines  après  la 
conquête  de  l'Italie;  l'extension  de  l'esclavage  et  la  décadence  de  la 


268  NOTES   BIBLlOrxRAPHIQUES. 

population  civique;  les  finances  et  le  système  monétaire;  le  dévelop- 
pement relativement  médiocre  du  commerce  et  de  l'industrie  par  suite 
de  l'indifférence  de  Taristocratie  sénatoriale;  la  révolution  des 
Gracques;  l'industrie  à  la  fin  de  la  République  caractérisée  par  les 
traits  suivants  que  fournit  surtout  Pompeï  :  concentration  et  spéciali- 
sation de  quelques  industries,  poterie,  briqueterie,  foulage  de  la  laine, 
tannerie,  verrerie,  métallurgie,  mais  en  général  résistance  victorieuse 
du  travail  des  esclaves  domestiques  à  la  grande  industrie  ;  le  capital 
et  ses  principaux  emplois  dans  la  banque  et  le  prêt,  le  commerce  de 
la  terre,  le  fermage  des  travaux  publics  et  des  impôts  ;  le  commerce 
et  la  part  respective  qu'y  ont  les  Romains  et  les  étrangers  ;  les  tra- 
vailleurs, composés  surtout  d'esclaves  et  d'affranchis,  les  salaires,  les 
loyers,  les  corporations;  les  vicissitudes  de  la  propriété  foncière  et  la 
classe  des  fermiers  libres  en  Italie,  la  grande  propriété  en  Afrique. 
M.  T.  Frank  a  laissé  de  côté  dans  sa  bibliographie  des  ouvrages 
essentiels,  tels  que  la  Table  hypothécaire  de  Veleia  et  la  Loi  de 
Hiéron  et  les  Romains  citées  plus  haut,  VAfrique  romaine  de 
Gsell,  la  République  romaine  de  Bloch.  Ch.  L. 

—  Arthur  Stein.  Rômische  Reichsbeamte  der  Provint  Thracia 
(Sarajevo,  Zemaljska  Stamparija,  1920,  in-8»,  139  p.).  —  M.  Stein, 
auteur  de  travaux  importants  sur  l'histoire  ancienne  de  la  Bulgarie  et 
des  régions  voisines,  a  écrit  un  livre  de  tout  point  excellent,  un  véri- 
table modèle  de  monographie  sur  les  fonctionnaires  romains  de  la 
province  de  Thrace  jusqu'à  l'époque  de  Dioclétien.  Après  avoir  fixé  la 
date  probable  de  la  création  de  la  province,  plutôt  45  que  46  ap.  J.-C, 
il  dresse  la  liste  des  gouverneurs  connus,  d'abord  procurateurs,  deux, 
indépendants  et  non  pas  soumis,  comme  on  le  répète  à  tort,  aux  gou- 
verneurs de  la  Mésie;  puis,  au  plus  tard  sous  Trajan,  légats  impé- 
riaux, de  rang  prétorien,  quarante-sept.  Il  examine  ensuite  :  les  pro- 
curateurs financiers;  la  situation  spéciale,  sous  deux  procurateurs 
distincts,  de  la  Chersonèse  de  Thrace,  longtemps  simple  groupe  de 
domaines  impériaux ,  transformé  en  province  probablement  par 
Hadrien,  et  de  l'Hellespont  (sur  la  rive  asiatique  du  détroitl;  le  rang, 
la  situation,  l'origine,  la  carrière  des  gouverneurs,  la  plupart  préto- 
riens, mais  de  haut  rang  et  souvent  consuls  désignés  pendant  leurs 
fonctions,  quelques-uns  par  exception  consulaires;  les  principales 
villes,  Philippopolis,  métropole,  siège  de  l'assemblée  provinciale  créée 
sans  doute  à  l'époque  d'Hadrien;  Périnthe,  deux  fois  néocore,  rési- 
dence du  gouverneur;  Apri  et  Deultum,  colonies,  la  seconde  pourvue 
avec  Coela  du  jus  italicum;  les  principaux  jeux  tenus  à  Périnthe  et 
à  Philippopolis  ;  les  garnisons,  élevées  de  deux  cohortes  à  un  chiffre 
supérieur  inconnu;  les  contingents  fournis  par  la  Thrace  aux  armées 
romaines,  au  moins  dix  ailes  de  cavalerie  et  plus  de  vingt  cohortes, 
sans  compter  les  soldats  isolés;  l'hellénisation  de  la  province,  visible 
surtout  depuis  Hadrien  et  attestée  principalement  par  l'emploi  presque 


HISTOIRE  d'allemàcne.  269 

exclusif  de  la  langue  grecque  et  le  peu  d'importance  de  la  langue 
latine,  sauf  pour  l'usage  officiel  des  magistrats  et  de  l'armée.  —  Ch.  L. 

Allemagne.  —  D"^  O.  Nippold.  Le  chauvinisme  allemand.  Tra- 
duction française.  Préface  d'A.  Milhaud  (Paris.  Payot,  in-8°,  65i  p.). 
—  M.  Nippold.  ancien  professeur  de  droit  international  à  Copenhague, 
publia  ce  volume  en  1913,  sous  les  auspices  du  Verband  fur  interna- 
tionale Verstandigung,  atténuant  autant  que  possible  le  chauvinisme 
allemand,  le  mettant  dans  l'ordre  hiérarchique  d'influence  et  d'inten- 
sité non  à  sa  vraie  place,  mais  «  sur  le  pied  d'égalité  avec  les  autres  », 
pour  «  ne  pas  offenser  »,  dira-t-il  plus  tard,  «  mes  amis  allemands  ». 
Dans  sa  réédition  de  1917  (augmentée  d'une  seconde  partie  :  articles 
d'août  1913-août  1914),  dont  celle-ci  n'est  que  la  traduction  française, 
il  proteste  contre  quiconque  voudrait  voir  là  «  un  acte  inamical  à 
l'égard  de  la  nation  allemande  »,  dont  il  se  dit  au  contraire  le  véri- 
table ami,  puisque  c'est  «  lui  rendre  un  grand  service  »  que  de  lui 
montrer  «  une  fois  encore  une  face  de  son  propre  visage  et  de  mettre 
devant  ses  yeux  les  dangers  qui  existaient  avant  la  guerre  et  ont  fini 
par  la  provoquer  ».  Ce  livre  d'un  neutre  professant  pour  l'Allemagne 
le  contraire  de  sentiments  hostiles,  où  sont  simplement  réunis  les 
articles  des  principaux  journaux  et  revues  allemands  depuis  janvier 
1913,  est  un  témoignage  irrécusable  contre  les  organisations  alle- 
mandes d'avant  guerre  (presse,  ligues)  et  certains  leaders  pangerma- 
nistes  qui,  par  tous  les  moyens  et  surtout  I3  «  calomnie  »,  dévelop- 
pèrent «  systématiquement  les  sentiments  belliqueux  du  peuple 
allemand  »,  lui  enfonçant  dans  le  cerveau,  à  force  d'articles  répétés, 
que  «  la  guerre  européenne  n'est  pas  seulement  une  éventualité  contre 
laquelle  il  faut  se  prémunir,  mais  une  nécessité  dont,  dans  l'intérêt 
même  du  peuple  allemand,  il  faut  se  réjouir  »  (p.  153),  qu'  «  elle  doit 
être  préventive  »  pour  qui  ne  la  veut  perdre.  A  la  fin  de  1913, 
M.  Nippold  constate  que  «  le  peuple  français  est  en  général  pacifique  », 
que  les  chauvins  «  y  sont  une  minorité  »  négligeable,  sans  influence 
sur  le  gouvernement,  et  qui  n'existerait  même  pas  sans  les  provoca- 
tions périodiques  de  l'Allemagne  durant  les  dernières  années  (p.  4); 
il  s'effraye  au  contraire  de  voir  croître  chaque  jour,  dans  toutes  les 
classes  de  la  société  allemande,  depuis  les  historiens  de  la  jeune 
école,  les  gens  cultivés  jusqu'aux  piliers  de  brasseries,  le  nombre  des 
«  contaminés  »,  de  ceux  «  qu'infecte  le  chauvinisme  allemand  »;  il 
dénonce  «  un  danger  politique  contre  lequel  on  ne  saurait  trop  tôt  ni 
trop  énergiquement  mettre  le  pubUc  en  garde  »  (p.  164);  il  montre  à 
l'Allemagne  qu'elle  peut  satisfaire  ses  aspirations  politiques  et  écono- 
miques, «  sans  qu'il  y  ait  pour  cela  besoin  d'une  guerre  universelle  » 
(p.  169);  et  il  l'avertit  amicalement  que  s'abandonner  à  la  vague  de 
chauvinisme  qui  semble  l'emporter  c'est  «  préparer  la  voie  à  la 
guerre  ».  Quatre  ans  plus  tard,. il  écrira  (p.  9)  :  «  Les  événements  ne 
m'ont  donné  rnalheureusement  que  trop  raison.  Je  n'ai  rien  à  retirer 


270  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

de  ce  que  j'ai  écrit  en  1913.  Tout  s'est  passé  comme  je  l'avais  prévu. 
En  Allemagne,  on  a  tranquillement  laissé  les  chauvins  poursuivre 
leur  jeu...  Aujourd'hui,  c'est  le  monde  entier  qui  doit  expier  ce  péché 
d'omission.  » 

Ces  paroles  d'un  neutre,  désirant  le  bien  de  l'Allemagne,  sont  la 
conclusion  d'un  volumineux  recueil  de  pièces  à  conviction  qui  restera 
pour  l'historien  une  preuve  évidente  de  la  responsabilité  pangerma- 
niste  dans  la  catastrophe  européenne  de  1914-1918.  G.  C. 

—  La  suite  des  Mémoires  de  Bismarck,  dont  la  publication  a  été 
interdite  eu  Allemagne,  vient  de  paraître  à  Londres  chez  Hodder  et 
Stoughton  :  The  forbidden  book;  New  chapters  of  Bismarck's  auto- 
biography,  traduits  par  Bernard  Miall  (prix  :  12  sh.  6  d.). 

—  Robert  Pimienta.  L'ancienne  colonie  allemande  du  sud- 
ouest  africain  (Paris,  A.  Challamel,  1920,  in-8°,  85  p.).  —  En  octobre 
1918,  le  chasseur  alpin  Robert  Pimienta  ramassa  dans  les  tranchées 
de  l'Aisne,  que  nos  troupes  venaient  d'enlever  aux  Allemands,  un 
exemplaire  de  l'ouvrage  de  Cari  Peters  :  Afrikanische  Kôpfe.  Cha- 
rakterskizzen  aus  der  neueren  Geschichte  Afrikas,  et  trouva  dans 
la  musette  d'un  soldat  ennemi  quelques  réclames  où  étaient  vantées 
les  beautés  de  la  colonie  du  sud-ouest  africain  ;  c'est  ce  qui  lui  donna 
l'idée  d'écrire  cette  brochure,  qui  contient  une  histoire  de  la  colonie 
allemande,  une  étude  de  géographie  physique,  humaine  et  écono- 
mique, une  bibliographie  comprenant  trente  et  un  numéros  et  une 
série  d'illustrations  empruntées  au  travail  de  Cari  Peters. 

C.  Pfister. 

Espagne.  —  J.  PuiG  y  Cadafalch,  Antoni  de  Falgubra  et 
J.  GoDAY  Y  Casals.  L' arquitectuva  romànica  a  Catalunya  (Barce- 
lona.  Institut  d'Estudis  Catalans,  et  Paris,  Champion,  1909-1918, 
in-4°,  3  vol.  en  4  ^omes,  xviii-471  p.  et  470  grav.,  640  p.  et  509  grav., 
974  p.  et  1261  grav.;  prix  :  80  pesetas).  —  Ce  remarquable  travail  de 
trois  archéologues  barcelonais  mériterait  mieux  qu'une  simple  notice. 
Fervents  disciples  de  l'école  de  Quicherat,  les  trois  auteurs  affirment 
l'origine  romaine  des  constructions  catalanes.  Ils  nient  tout  contact 
artistique  de  la  Catalogne  avec  l'Islam.  Les  deux  races,  disent-ils,  se 
rencontraient  sans  se  mêler,  «  comme  l'huile  et  l'eau  ».  Par  contre, 
l'influence  lombarde  est  indéniable.  Un  chapitre  entier  de  l'ouvrage 
est  consacré  au  rayonnement  de  l'école  toulousaine  de  sculpture  en 
Catalogne.  Mais,  tout  compte  fait,  l'architecture  catalane  s'apparente 
plus  étroitement  à  la  Provence  qu'au  Languedoc,  ce  qui  s'explique 
peut-être  par  l'antique  domination  des  comtes  de  Barcelone  sur  la 
marche  de  Provence.  En  somme,  il  n'existe  pas  d'école  romane  cata- 
lane. Les  architectes  de  ce  pays  affectionnent  certains  procédés  de 
construction  et  d'ornementation  qui  ne  leur  sont  pas  propres.  Lom- 
bardes par  la  décoration,  les  églises  catalanes  ressemblent  par  la 
structure  aux  églises  de  la  France  méditerranéenne.  Elles  en  diffèrent 


eiSTOIKE    DESPAGNE.  271 

cependant  par  quelques  traits  d'ensemble,  qui  frappent  l'observateur 
le  moins  averti.  Massive  et  trapue,  la  construction  catalane  se  fait 
remarquer  par  sa  robustesse  et  sa  solidité  à  toute  épreuve.  MM.  Puig, 
de  Falguera  et  Goday  ont  élevé,  eux  aussi,  à  la  gloire  de  leur  petite 
patrie  un  monument  solidement  bâti  et  capable  de  traverser  les 
siècles.  J.  RÉGNÉ. 

—  Fidel  DE  MoRAGAS  I  Rodes.  L'antigua  Universitat  de  Valls 
(Valls,  Estampa  de  Eduard  Castells,  1914,  in-4°,  50  p.).  —  L'auteur 
étudie  l'organisation  de  l'ancienne  communauté  de  Valls  d'après  les 
archives  municipales  de  cette  ville.  Il  passe  tour  à  tour  en  revue  les 
finances,  la  juridiction,  l'hôpital,  les  fortifications,  le  serment  de  l'ar- 
chevêque de  Tarragone,  seigneur  de  Valls,  les  foires  et  marchés,  les 
corporations  et  confréries,  la  vie  industrielle,  le  patrimoine  commu- 
nal, les  armes  de  la  ville.  J.  R. 

—  Enrique  Esperabé  Arteaga.  Historia  pragmàtica  e  interna 
de  la  Universidad  de  Salamanca  (Salamanca,  impr.  de  Fr.  Nunez 
Izquierdo.  1914-1917,  2  vol.  in-4o,  1124  p.  et  935  p.;  prix  :  60  pesetas). 
—  Les  deux  premiers  volumes  parus  de  l'histoire  de  la  célèbre  Uni- 
versité témoignent  de  la  riche  documentation  recueillie  par  son 
auteur.  Il  n'est  pas  possible  d'assigner  une  date  certaine  à  la  fonda- 
tion de  l'Université  de  Salamanque.  On  sait  seulement  qu'à  la  fin  du 
xii«  siècle  Alphonse  IX  de  Léon  établit  dans  cette  ville  une  école 
capitulaire.  Dans  le  premier  volume,  don  Enrique  publie  plusieurs 
centaines  d'actes  émanés  des  rois  de  Castille.  Le  tome  II  présente  à 
la  fois  un  caractère  historique  et  biographique  ;  l'auteur  y  a  consigné 
les  événements  universitaires  les  plus  notables  ;  des  notices  détaillées 
rappellent  le  rôle  et  la  carrière  des  maîtres  et  des  élèves  les  plus 
remarquables.  Trois  livres  restent  encore  à  paraître  :  l'Université  de 
Salamanque  et  les  collections  du  cloître;  l'Université  et  les  papes;  les 
rentes  et  les  colWges  de  l'Université.  Dans  l'ensemble,  l'ouvrage  du 
savant  professeur  est  moins  une  histoire  qu'un  recueil  documentaire. 
Par  ses  vastes  proportions,  il  rappelle  le  livre  bien  connu  publié  sous 
le  titre  de  Cartulaire  de  l'Université  de  Paris  par  le  P.  Denifle  et 
M.  Châtelain.  J.  R. 

—  Vicente  Castaneda  y  Alcover.  Ascendencia,  enlaces  y  servi- 
cios  de  los  barones  de  Dos  Aguas  cuyo  solar  es  en  el  reino  de 
Valencia  (Madrid,  tip.  de  la  «  Revista  de  Archifos,  bibliotecas  y 
museos  »,  1914,  in-4°,  15  p.).  —  Du  même.  La  catedra  de  institu- 
ciones  teolôgicas  de  la  xmiversidad  Valenciana  y  la  orden  de 
San  Agustin.  Estudio  biobibliogràfico  (Madrid,  tip.  de  la  «  Re- 

#vista...  »,  1914,  in-4»,  20  p.).  —  Du  même.  Relaciôn  del  aulo  de  fe 
en  el  que  se  condenô  a  don  Pablo  de  Olavide,  natural  de  Lima, 
caballero  del  habito  de  Santiago  (Madrid,  tip.  de  la  «  Revista...  », 
1916,  in-4o,  21  p.).  —  Du  même.  El  primer  libre  impreso  sobre 
aviaciôn  es  espanol'i'  (Madrid,  tip.  de  la  «  Revista...  »,  1916,  in-4", 


272  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

13  p.).  —  La  première  de  ces  quatre  brochures  élucide  la  généalogie 
de  la  famille  Rabasa,  issue  de  Torson,  comte  de  Toulouse,  à  qui 
Charlemagne  confia  la  garde  de  la  province  d'Aquitaine.  La  seconde 
souligne  le  rôle  joué  à  l'Université  de  Valence  par  les  religieux 
augustins  du  xv«  au  xviiF  siècle.  Dans  la  troisième  se  trouve  publiée 
la  relation  de  l'autodafé  du  24  novembre- 1778,  dont  fut  victime  le 
docteur  Pablo  de  Olavide,  né  à  Lima  en  1725.  Enfin,  d'après  M.  Cas- 
tarieda,  le  premier  auteur  qui  traite  du  «  vol  artificiel  »  de  l'homme 
est  le  capucin  espagnol  Antonio  de  Fuente  la  Pena,  dans  son  livre  El 
ente  dilucidado,  imprimé  à  Madrid  en  1677.  J.  R. 

—  R,  Gay  de  Montellâ.  Diez  anos  de  politica  intemacional  en 
el  Mediterràneo,  190k-191k.  Ensayo  de  historia  politica  modema 
(Madrid,  Fr.  Beltrân,  [1914],  in-8°,  242  p.).  —  Le  livre  de  M.  Gay  est 
un  exposé  d'histoire  générale  depuis  l'affaire  de  Fachoda  (automne 
1898)  jusqu'à  la  veille  de  la  conflagration  européenne.  L'auteur  met 
en  pleine  lumière  les  motifs  qui  ont  déterminé  l'Angleterre  à  sortir  de 
son  splendide  isolement  et  à  se  rapprocher  de  la  France.  La  lutte 
pour  l'hégémonie  méditerranéenne  fait  ressortir  non  seulement  les 
visées  latines  et  anglo-saxonnes,  mais  aussi  les  ambitions  germa- 
niques, panislamiques  et  panslaves.  J.  R. 

—  g'.  Cirot.  Biographie  du  Cid,  par  Gil  de  Zamora  (Bordeaux, 
Feret,  et  Paris,  Picard,  1914,  in-8»,  8  p.;  extrait  du  «  Bulletin  hispa- 
nique »,  t.  XVI,  n°  1).  —  Du  MÊME.  Florian  de  Ocampo,  chroniste 
de  Charles-Quint  (Bordeaux  et  Paris,  1914,  in-S",  32  p.;  extrait  du 
«  Bulletin  hispanique  »,t.  XVI,  n»  3).—  Du  même.  Quelques  lettres 
de  Mariana  et  nouveaux  docuinents  sur  son  procès  (Bordeaux  et 
Paris,  1917,  in-8°,  25  p.;  extrait  du  «  Bulletin  hispanique  »,  t.  XIX, 
n»  1).  —  Juan  Gil  de  Zamora  a  écrit  au  moins  deux  fois  la  Vie  du 
Cid.  M.  Cirot  publie  ces  deux  versions  qui  se  complètent  l'une  l'autre. 
Le  chroniqueur  officiel  Florian  d'Ocampo,  s'il  n^a  pas  fait  grand'chose 
lui-même  pour  débrouiller  ses  matériaux,  a  du  moins  su  faire  travail- 
ler ses  correspondants.  La  dernière  des  trois  brochures  de  l'érudit 
professeur  de  l'Université  de  Bordeaux  peut  être  considérée  comme 
un  appendice  à  son  livre  sur  Mariana  historien.  J.  R. 

—  A.  Huici.  Estudio  sobre  la  campana  de  las  Navas  de  Tolosa 
(Valencia,  impr.  Hijos  de  Fr.  Vives  Mora,  1916,  in-8°,  196  p.;  prix  : 
5  ptas;  «  Anales  del  Instituto  gênerai  y  técnico  de  Valencia  »).  — 
L'auteur  a  suivi  pas  à  pas,  sur  le  terrain,  les  évolutions  de  l'armée 
musulmane  et  des  troupes  chrétiennes.  De  nombreux  croquis  et  des 
reproductions  photographiques  accompagnent  la  narration  de  la 
bataille  (16  juillet  1212),  qui  fut  une  grande  victoire  pour  les  rois 
chrétiens  de  la  péninsule.  Des  étrangers  assistèrent  aux  opérations, 
parmi  lesquels  Tévèque  de  Nantes,  l'archevêque  de  Bordeaux  et  le 
célèbre  Arnaud  Amalric,  archevêque  de  Narbonne.  Des  fragments  de 
lances  et  de  flèches  ont  été  recueillis  sur  l'emplacement  du  champ  de 


HISTOIRE  d'espagne.  273 

bataille  de  las  Navas.  Les  sources  chrétiennes  sont  beaucoup  plus 
riches  et  plus  précises  que  les  sources  arabes.  Près  de  cent  pages  de 
la  monographie  de  M.  Huici  sont  consacrées  à  la  publication  des 
chroniques  musulmanes  et  chrétiennes  qui  rapportent  l'événement, 
ainsi  qu'à  celle  des  lettres  et  des  bulles  relatives  à  la  campagne.  Le 
document  le  plus  curieux  est  la  lettre  par  laquelle  l'archevêque  de 
Narbonne  annonce  aux  abbés  des  monastères  cisterciens  réunis  en 
chapitre  général  la  déroute  de  Miramolin,  roi  du  Maroc.  Il  convient 
de  souligner  le  mérite  particulier  de  cette  étude  que  ne  désavouerait 
pas  un  technicien  de  l'état-major  de  l'armée.  J.  R. 

—  Cristôbal  Pellegero-Soteras.  Delincuencia  en  Castilla  desde 
Fernando  III  el  Santo  hasta  don  Juan  II.  Tipos  delincuentes. 
Factores  del  delito.  Ensayo  sobre  ideas  ético-juridica?.  medioe- 
vales  (Zaragoza,  tip.  Heraldo  [1916],  in-12,  142  p.).  —  Utilisant  les 
sources  monastiques,  les  collections  de  chartes,  les  textes  législatifs, 
les  «  fueros  »,  les  chroniques  royales  et  même  les  œuvres  littéraires, 
l'auteur  a  tenté  d'esquisser  l'état  moral  de  la  société  castillane  au 
xiii«  et  au  xiv«  siècle  :  délits  commis  par  des  fonctionnaires  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions;  délits  contre  les  personnes,  injures, 
calomnies;  délits  contre  la  propriété,  vols,  dommages;  délits  commis 
par  la  collectivité.  J.  R. 

—  Fidel  DE  MoRAGAS  i  Rodes.  Catalec  dels  llibres,  pergamins  i 
documents  antics  de  l'arxiu  municipal  de  la  ciutat  de  Valls 
(Valls,  impr.  de  Eduard  Ca&tells,  1916,  in-4,'',  xiv-221  p.).  —  Après 
avoir  classé  les  archives  de  sa  ville  natale,  M.  Moragas  en  a  rédigé 
l'inventaire  sommaire.  Il  distingue  trois  sections  :  les  registres,  les 
pièces  sur  parchemin  et  les  actes  sur  papier.  Les  plus  anciens  docu- 
ments remontent  au  xii«  siècle.  A  signaler  de  précieux  livres  de 
comptes  (à  partir  de  1371)  et  d'intéressants  livres  d'estimes  (à  partir 
de  1397).  Le  conseil  municipal  de  Valls  a  été  bien  inspiré  en  votant 
l'impression  de  l'excellent  répertoire  de  M.  Moragas.  J.  R. 

—  Bibliographie  hispanique  (New- York,  G.  P.  Putnam's  Sons, 
1916  et  1917,  2  vol.  in-12,  122-191,  106-208-iv  p.;  prix  :  2  dollars 
50  cents  le  vol.).  —  Tandis  que,  dans  la  première  partie  de  chacun  de 
ces  deux  volumes,  M.  Foulché-Delbosc  donne,  par  ordre  alphabé- 
tique de  noms  d'auteurs,  la  liste  complète  des  études  espagnoles;  dans 
la  deuxième,  M.  Emile  Legrand  poursuit  et  termine  sa  bibliographie 
hispano-grecque  (1561-1800).  Un  index  alphabétique  clôt  cette  utile 
publication;  l'auteur  de  la  seconde  partie,  l'helléniste  Legrand,  est 
mort  le  28  novembre  1903.  J.  R. 

—  La  Société  hispanique  d'Amérique  a  entrepris  une  série  d'études 
sur  la  littérature  espagnole,  dont  les  deux  premiers  ouvrages  ont  paru 
en  1921  :  Frais  Luis  de  Léon  et  El  Inca  de  Garcilasso  de  la  Vega, 
qui  ont  pour  auteurs  M.  James  Fitmaurice-Kellv  et  (je  suppose)  la 

Rev.  Histor.  CXXXVII.  2«  fasc.  18 


274  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

femme  ou  la  fille  de  ce  professeur.  Le  volume  sur  Luis  de  Léon  (xiv- 
261  pages)  renseigne  suffisamment  sur  la  vie  et  les  déboires  du 
célèbre  théologien,  et  le  volume  sur  Garcilasso  (vi-99  pages)  nous 
offre  une  étude  bien  faite  de  cet  historien  péruvien;  mais  je  n'ai  pas 
vu  que  M^i^  Julia  Fitzmaurice-Kelly  ait  connu  la  polémique  de 
Manuel  Gonzalez  de  la  Rosa,  parue  dans  la  Revista  Histôrica, 
ôrgano  del  InstitvAo  Histôrico  del  Peru,  t.  IV,  p.  301  à  365  (Lima, 
1912).  -  Alf.  M.-F. 

États-Unis.  —  Nous  avons  reçu  de  M.  Karl  Young,  professeur 
d'anglais  à  l'Université  de  Wisconsin,  tout  un  lot  de  brochures  éru- 
dites  sur  les  origines  liturgiques  du  drame  médiéval  :  les  Tortures  de 
l'Enfer  dans  le  drame  liturgique  (The  Harro-wing  of  the  Hell; 
extrait  du  tome  XVI,  l"""^  partie,  des  «  Transactions  of  the  Wisconsin 
Academy  of  sciences,  arts  and  letters  »,  septembre  1909)  ;  une  Étude  sur 
les  développements  dramatiques  dans  la  Hturgie  de  Noël  {Officmm 
pastorum;  a  study  of  the  dramatic  developments  within  the 
liturgy  of  Christmas;  ibid.,  octobre  1912);  Observations  sur  l'origine 
du  mystère  de  la  Passion  (Observations  on  the  origin  of  the  mediae- 
val  Passion-play  ;  extrait  des  «  Publications  of  the  modem  language 
association  of  America  »,  XXV,  2, 1910)  ;  Philippe  de  Mézières  et  l'office 
pour  la  présentation  au  Temple  (Philippe  de  Mézières  dramatic 
office  for  the  présentation  of  the  Virgin;  ibid.,  XXVI,  1,  1911); 
Joseph  et  ses  frères  au  théâtre  (A  liturgical  play  of  Joseph  and  his 
brethren;  ibid.);  l'Origine  du  mystère  de  Pâques  (The  origin  of  the 
Easter  play;  ibid.,  XXIX,  1,  1914);  Onulphus  et  le  «  Poema  bibh- 
cum  »  (The  «  Poema  biblicum  »  of  Onulphus ;ihid.,  XXX,  1, 1915. 
Texte  de  ce  poème  «  de  Generis  humani  reparatione  »);  une  Nouvelle 
version  du  Peregrinus  (A  new  version  of  Peregrinus  ;ihid.,  XXXIV, 
1, 1919,  d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Madrid); 
le  Massacre  des  Innocents  (Ordo  Rachelis;  «  University  of  Wiscon- 
sin studies  in  language  and  literature  »,  n"  4,  1919,  65  p.);  le  Saint- 
Sépulcre  de  Pâques  (The  dramatic  associations  of  the  Easter 
sçpulchre;  ibid.,  n°  10.  Texte  des  récitatifs  et  du  scénario  qui  accom- 
pagnaient la  représentation  de  ce  mystère  en  ses  trois  actes  princi- 
paux :  la  dispositio,  Velevatio  et  la  visitatio,  130  p.).  —  Ch.  B. 

—  Les  milieux  navals  américains  s'intéressent  très  vivement  aux 
événements  maritimes  de  la  Grande  Guerre,  d'où  ils  s'efforcent  de 
tirer  des  expériences  pour  le  présent  et  pour  l'avenir.  Le  capitaine 
G.  C.  Marsh,  de  la  Section  historiquer  de  l'Amirauté,  a  consacré  une 
importante  monographie,  avec  cartes  et  graphiques,  au  Gerraan  sub- 
marine activities  on  the  Atlantic  coast  of  the  United  States  and 
Canada  (Government  Printing  office,  in-8»,  135  p.),  où  il  a  fait  l'his- 
torique des  croisières  de  six  sous-marins  allemands  et  présenté  le 
tableau  des  mesures  de  défense  organisées  dans  l'Amérique  du  Nord 
contre  les  tentatives   navales   des  Allemands.  —  Le   commandant 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  275  - 

Charles  C.  Gilla  fait  porter  ses  études  sur  la  guerre  dans  les  eaux 
européennes  :  son  livre  What  happetfed  at  Jutland,  the  tactics  of 
the  battle  (New-York,  Doran),  repose  sur  une  documentation  abon- 
dante et  aboutit  à  des  conclusions  intéressantes  sur  l'attitude  offensive 
en  matière  navale.  —  Le  capitaine  Thomas  G.  Frothingham  étudie 
la  même  question  dans  un  opuscule  intitulé  :  A  true  account  of  the 
battle  of  Jutland  (Cambridge,  Mass.,  Bacon  Brown).  —  Enfin, 
M.  Marsh  a,  pour  la  Section  historique,  publié  deux  monographies 
groupées  dans  un  seul  opuscule  et  intitulées  :  l'une  The  Norlheym 
Barrage  and  other  mining  activities,  l'autre  The  Northern  Bar- 
rage (Taking  up  the  Mines);  on  en  trouvera  une  analyse  dans  Army 
and  Navy  Journal,  du  9  avril  1921.  G.  Bn. 

—  Une  étude  du  Ueutenant-commandant  G.  B.  Vroom  est  consa- 
crée à  The  place  of  naval  offîcers  in  international  affairs  dans 
les  United  states  naval  institute  proceedings  de  mai  1921  (p.  681- 
700);  Paul  Jones  et  la  guerre  de  l'Indépendance,  Bainbridge  et  la 
Turquie,  Perry  et  le  Japon  sont  les  principaux  types  de  négociateurs 
navals  examinés  par  M.  Vroom.  Les  autres  pays  fourniraient  des  con- 
tingents aussi  intéressants  si  l'auteur  se  préoccupait,  ultérieurement, 
d'une  étude  d'ensemble  sur  la  question  abordée.  G.  Bn. 

France.  —  Edouard  Schuré.  L'âme  celtique  et  le  génie  de  la 
France  à  travers  les  âges  (Paris,  Perrin  et  C'«,  1921,  in-12,  xvi- 
236  p.;  prix  :  7  fr.).  —  M.  Schuré  est  l'un  des  représentants  les  plus 
éminents  du  «  celtisme  ».  Son  celtisme  est  une  aspiration  à  la  fois 
morale,  esthétique,  religieuse  et  philosophique.  Par  le  celtisme,  il  veut 
expliquer  toutes  les  grandes  manifestations  de  la  pensée  française,  la 
Renaissance,  le  romantisme,  tout  notre  passé,  les  croisades,  Jeanne 
d'Arc,  la  Révolution.  Des  trois  éléments  qui  ont  formé  notre  nation, 
la  race  franque  prend  la  place  du  corps  vigoureux  :  c'est  l'ossature  ;  le 
génie  latin  joue  le  rôle  de  l'intellect  et  de  la  raison  régulatrice;  le 
génie  celtique  assume  celui  de  l'âme  profonde,  de  l'âme  inspiratrice 
et  créatrice.  M.  Schuré,  qui  hante  les  sommets  purs,  explique  ainsi, 
en  un  chapitre  vigoureux,  toute  l'histoire  de  France.  Ce  chapitre  est 
encadré  d'un  «  conte  préhistorique  »,  tes  Avatars  de  la  druidesse,  et 
d'une  étude  sur  Jeanne  d'Arc,  conférence  donnée  jadis  à  Strasbourg, 
le  29  octobre  1909,  où  il  se  montra  un  peu  sévère  aux  deux  volumes 
d'Anatole  France  et  où  il  exalta,  devant  les  Alsaciens  vivant  sous  un 
joug  détesté,  celle  qui  fut  l'incarnation  la  plus  pure  du  patriotisme 
français.  C.  Pf. 

—  André  Hallays.  Essai  sur  le  XV II"  siècle.  M'"^  de  Sévigné 
(Paris,  Perrin  et  C'",  1921,  in-12,  254  p.,  7  gravures;  prix  :  12  fr.).  — 
M.  André  Hallays  reproduit  dans  ce  volume  les  six  leçons  du  cours 
qu'il  a  donné  à  la  Société  des  conférences.  L'esprit  de  M"'»  de  Sévi- 
gné, comment  elle  aimait  ses  amis,  comment  elle  aimait  ses  enfants, 
tel  est  le  titre  des  trois  premières  qui  nous  font  bien  «  entrer  dans  le 


276  NOTES    BlBLlOGRAPfllQOES. 

charme  et  la  facilité  »  de  la  marquise,  pour  reprendre  des  expressions 
qu'elle  applique  elle-même  à  La  Fontaine.  Puis,  dans  les  lettres  de 
M°»«  de  Sévigné,  les  historiens  du  xvii«  siècle  trouvent  beaucoup  à 
glaner;  à  l'aide  de  la  correspondance,  M.  Hallays  retrace,  dans  les 
deux  leçons  suivantes,  un  tableau  de  la  cour  et  décrit  la  vie  de  la  pro- 
vince sous  Louis  XIV,  au  moins  de  deux  provinces,  la  Bretagne,  où 
M™«  de  Sévigné  a  souvent  résidé  à  son  château  des  Rochers,  près  de 
Vitré,  la  Provence,  dont  son  gendre  M.  de  Grignan  était  gouverneur. 
Faut-il  s'étonner  que  l'auteur  du  «  Pèlerinage  de  Port-Royal  »  ait, 
dans  une  dernière  leçon,  montré  en  M'"^  de  Sévigné  une  «  amie  »  du 
couvent  janséniste,  recherché  les  raisons,  les  limites  et  les  suites  de 
cette  amitié  ?  Il  a  été  de  la  sorte  conduit  à  se  demander  comment  elle 
comprit  et  pratiqua  sa  religion.  C'était  achever  le  portrait,  finement 
nuancé  et  tout  charmant,  qu'il  a  tracé  de  l'incomparable  écrivain. 

C.  Pf. 

—  Dom  A.  M.  P.  InCtOld.  Général  et  trappiste  :  le  P.  Marie- 
Joseph,  baron  de  Géramb  (Paris,  P.  Téqui,  1921,  1  vol.  in-12, 
355  p.;  prix  :  7  fr.).  —  Carrière  très  mouvementée.  François-Ferdi- 
nand de  Géramb  naquit  à  Lyon  le  14  janvier  1779  d'un  père  autri- 
chien, qui  avait  fondé  en  cette  ville  une  importante  maison  de  com- 
merce, et  d'une  mère  lyonnaise  ;  en  1790,  la  famille  quitte  la  France 
et,  après  un  voyage  en  Italie,  Géramb  entre  à  l'Académie  militaire  de 
Vienne.  Il  devient  officier  autrichien,  se  marie,  sert  les  Bourbons  de 
Naples  et  ceux  d'Espagne,  est  nommé  général  par  la  junte  de  Cadix, 
veut  recruter  pour  elle  des  auxiliaires  en  Angleterre  et  est  expulsé  de 
ce  pays,  comme  l'a  raconté  jadis  M.  L'enôtre  dans  Vieux  papiers, 
vieilles  maisons.  N*apoléon  le  fait  arrêter  en  1812  près  de  Hambourg 
et  il  est  enfermé  à  Vincennes,  d'où  la  victoire  des  alliés  le  délivre  en 
1814.  Puis  changement  à  vue  :  le  général  renonce  au  monde,  s'enferme 
le  5  janvier  1816  à  la  Trappe  du  Port-du-Salut,  au  sud  de  Laval,  et  rem- 
plit avec  zèle  les  devoirs  les  plus  humbles  de  sa  charge.  En  1824,  il 
trouve  un  asile  en  Alsace  au  monastère  d'Oelenberg;  il  fait,  en  1832- 
1833,  un  pèlerinage  en  Terre-Sainte,  qu'il  raconte  en  trois  volumes 
in-S»;  plus  tard,  il  est  appelé  à  Rome  par  le  pape  Grégoire  XVI 
comme  procureur  général  de  la  Trappe  et  c'est  à  Rome  qu'il  meurt, 
au  début  du  pontificat  de  Pie  IX,  le  15  mars  1849.  Dom  Ingold  nous 
raconte  cette  biographie,  en  se  servant  d'un  manuscrit  d'un  religieux 
du  Port-du-Salut,  le  P.  Irénée,  des  Archives  nationales,  des  ouvrages 
du  P.  de  Géramb  lui-même  et  d'autres  documents  recueillis  de 
tous  côtés.  Il  a  voulu  plutôt,  comme  il  le  déclare,  édifier  le  lecteur 
que  l'instruire  ;  mais,  si  le  volume  a  souvent  les  allures  d'une  hagio- 
graphie, l'historien  pourra  en  tirer  quelques  renseignements  intéres- 
sants sur  l'époque  de  Napoléon  I*"-,  puis  sur  le  rétablissement  en 
France  des  maisons  de  la  Trappe  au  début  de  la  Restauration  et  sur 
leur  destinée  jusqu'en  1848  :  les  trois  congrégations  qui  existaient  en 
1848  ont  été  réunies  en  1892  sous  le  nom  d'ordre  des  Cisterciens 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  277 

réformés  de  la  stricte  observance.  Les  historiens  d'Alsace  feront  leur 
profit  des  détails  donnés  sur  le  monastère*d'Oelenberg  qui,  pendant  la 
dernière  guerre,  se  trouvait  sur  la  ligne  de  feu  et  dont  les  bâtiments 
sont  en  voie  de  reconstruction.  C.  Pf. 

—  Victor  Malrieu.  Documents  historiques  sur  Bourret  {Tarn- 
et-Garonne)  (Paris,  É.  Champion;  Montauban,  P.  Masson,  1920,  petit 
in-8°,  125  p.  Société  des  Etudes  locales  dans  l'enseignement  public, 
groupe  Tarn-et-Garonne).  —  Le  groupe  de  la  Société  des  Études  locales, 
fondé  en  1912  dans  le  Tarn-et-Garonne,  a  publié  avant  la  guerre  deux 
petits  volumes,  dont  l'un  est  consacré  à  Saint-Antonin  et  dont  l'autre 
est -un  élégant  recueil  de  contes  populaires  dû  à  M.  A.  Perbosc.  Grâce  à 
un  membre  actif  de  ce  groupe,  M.  Malrieu,  la  collection  commencée 
avant  la  guerre  a  pu  s'enrichir  en  1920  d'un  nouveau  fascicule.  L'his- 
toire de  Bourret,  à  laquelle  est  consacrée  l'étude  de  M.  Malrieu,  ne  se 
recommande  pas  par  des  faits  extraordinaires;  mais  son  obscurité 
même  fait  son  intérêt.  A  force  de  recherches  patientes  dans  les  archives 
municipales,  dans  celles  du  département  et  dans  des  chartriers  privés, 
l'auteur  a  restitué  le  passé  de  sa  commune;  comme  il  a  eu  l'idée 
d'adopter  un  plan  méthodique  et  non  chronologique,  nous  apprenons 
successivement  comment  cette  petite  communauté  d'habitants,  qui 
appartenait  au  pays  de  Rivière-Verdun,  était  administrée  et  jugée, 
comment  l'enseignement  y  était  distribué,  quelles  charges  militaires  et 
financières  pesaient  sur  les  habitants,  comment  le  culte  y  était  exercé. 
Plusieurs  pièces  justificatives  terminent  l'ouvrage;  l'une  des  plus 
intéressantes  est  sans  doute  le  tableau  démographique. 

La  forme  du  livre  est  simple.  L'auteur  s'est  borné  à  exposer  les 
faits  sans  apparat.  On  peut  seulement  lui  reprocher  quelques  incur- 
sions, du  reste  peu  nombreuses,  dans  l'histoire  ancienne.  A  la  page  71, 
il  est  question  des  «  Garites  »,  peuplade  gauloise  dont  la  capitale  était 
Gariès.  Cette  allégation,  atténuée,  il  est  vrai,  par  un  point  d'interro- 
gation, est  contestable.  —  P.  95,  la  date  de  245,  qui  est  assignée  à 
l'évangélisation  du  Toulousain  par  saint  Saturnin,  est  douteuse.  Ces 
digressions  doivent  être  bannies  des  monographies  d'histoire  locale. 

L'annotation  substantielle  dont  M.  Malrieu  a  garni  son  étude  est 
excellente.  L'indication  des  sources  est  d'une  précision  qu'on  ne  ren- 
contre guère  que  dans  les  œuvres  des  spécialistes. 

En  résumé,  ce  petit  volume 'peut  servir  d'exemple  aux  travailleurs 
locaux  qui  sont  désireux  d'écrire  l'histoire  de  leur  petite  patrie.  A  ce 
titre,  il  est  très  digne  de  figurer  dans  une  bibliothèque  de  vulgarisation. 

R.  Latouche. 

—  Paul  Gaultier.  Les  maîtres  de  la  pensée  française  (Paris, 
Payot  et  C'«,  1921,  in-12,  271  p.;  prix  ;  7  fr.  50).  —  On  trouvera  dans 
le  volume  sur  Paul  Hervieu,  Emile  Boutroux,  Henri  Bergson  et  Mau- 
rice Barrés  des  études  très  fouillées,  très  pénétrantes,  écrites  en  un 
beau  style  qui  sait  rendre  les  nuances  les  plus  fines  et  s'élever  aux 


278  i>OTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

sommets  de  la  philosophie.  Elles  doivent  être  connues  et  méditées  par 
tout  historien  qui  veut  comprendre  la  pensée  et  la  philosophie  fran- 
çaises contemporaines.  C.  Pf. 

Orient  latin.  —  Annie  Herzog.  Die  Frau  a.uf  den  FiXrstenthro- 
nen  der  Kreuzfahrerstaaten  (Berlin,  Ebering,  1919,  in-8°,  xi- 
419  p.).  —  Après  une  dissertation  qui  n'apporte  rien  de  nouveau 
sur  la  succession  féminine  dans  le  droit  féodal,  l'auteur  cherche  à 
montrer  que,  dans  les  principautés  franques  de  Syrie,  cette  situation 
juridique  de  la  femme  s'est  encore  améliorée  par  la  reconnaissance  de 
ses  droits  de  succession  en  ligne  collatérale.  Le  rôle  important  que  les 
femmes  ont  tenu  dans  les  Etats  de  Terre- Sainte  est  mis  en  lumière 
par  les  biographies  caractéristiques  de  Mélisende,  veuve  de  Bau- 
douin II  de  Jérusalem,  de  sa  sœur  Alice  d'Antioche,  de  la  fille  de 
celle-ci  Constance,  surtout  de  Sibylle,  fille  du  roi  Amaury,  et  des 
reines  de  Chypre  Alice  de  Champagne  et  Plaisance  d'Antioche.  On 
remarque  d'ailleurs  qu'elles  ne  peuvent  conserver  leurs  droits  qu'en 
choisissant  un  époux  et  qu'en  se  remariant,  si  elles  sont  veuves.  Il 
n'est  peut-être  pas  très  exact  d'affirmer  que  c'est  du  mariage  de  Méli- 
sende avec  Foulque  d'Anjou  en  1129  que  date  la  prédominance  de  la 
chevalerie  française  en  Palestine,  ainsi  que  le  règne  des  femmes. 
L'ouvrage  se  termine  par  une  étude  intéressante  sur  Philippe  de 
Novare  et  son  hostilité  contre  l'instruction  des  femmes.  On  en  a  rap- 
proché avec  raison  les  plans  d'instituts  féminins  rêvés  par  Pierre 
Dubois  et  le  rôle  que  les  femmes  devaient  jouer  selon  lui  dans  le 
recouvrement  de  la  Terre-Sainte.  L.  Bréhier. 

—  H.  C.  LuKE  et  D.  J.  Jardine.  The  Handbook  of  Cyprus 
(Londres,  Macmillan,  1920,  in-12,  300  p.).  —  On  trouvera  dans  cet  élé- 
gant manuel  un  exposé  de  toutes  les  questions  qui  intéressent  l'île  de 
Chypre  :  géographie,  histoire,  ethnographie,  religion,  notices  sur  les 
localités  les  plus  intéressantes,  renseignements  à  l'usage  des  tou- 
ristes, histoire  naturelle,  etc..  Bien  que  sommaire,  l'exposé  historique 
est  exact.  Un  chapitre  est  consacré  aux  antiquités  de  Chypre  et  aux 
principaux  monuments.  On  peut  regretter  l'absence  d'une  bibliogra- 
phie. L.  B. 

—  H.  C.  LuKE.  Cyprus  under  the  Turks  1591-1878  (Oxford  Uni- 
versity  Press,  1921,  in-12,  281  p.;  prix  :  8  sh.  6  d.).  —  L'histoire  de 
Chypre,  si  brillante  sous  la  maison  de  Lusignan,  est  pauvre  et  terne 
pendant  les  trois  siècles  de  la  domination  turque.  La  seule  source  est 
la  chronique  de  l'archimandrite  Cyprien  (1788),  à  laquelle  il  faut  ajou- 
ter des  récits  de  voyageurs,  mais  le  consulat  britannique,  fondé  en 
1626,  possède  des  archives  qui  vont  de  1710  à  1878,  et  c'est  d'après  ces 
documents  inédits  que  M.  Luke  a  pu  tracer  un  tableau  intéressant  de 
l'histoire  de  Chypre  sous  la  domination  turque.  Il  y  a  joint  une 
notice  sur  la  Compagnie  anglaise  du  Levant  (1626-1825)  et  une  ana- 
lyse des  archives  du  Consulat.  L.  B. 


HISTOIBE   DES  PAYS-BAS.  279 

'  Pays-Bas.  —  Verslag  van  de  algemeene  Vergadenng  der  Leden 
van  het  Historisch  Genootschap  (Amsterdam,  J.  Mûller,  1920,  in-8°, 
42  p.).  —  L'assemblée  générale  de  la  Société  historique  d'Utrecht, 
tenue  le  "25  mai  1920,  a  eu  une  importance  et  un  éclat  singuliers  parce 
que  la  Société  fêtait  trois  quarts  de  siècle  d'existence.  En  l'absence  du 
président  Millier,  indisposé,  l'éminent  professeur  P.-J.  Blok  a  pro- 
noncé le  discours  inaugural,  retraçant  la  vie  de  la  Société  depuis  sa 
fondation  en  1845,  racontant  ses  débuts  difficiles,  ses  expériences 
parfois  malheureuses,  enfin  résumant  tout  ce  qu'elle/a  fait  pour 
répandre  et  développer  la  connaissance  de  l'histoire  nationale.  Les 
publications  de  la  Société  ont  aujourd'hui  une  valeur  considérable  :  la 
série  des  Werken,  en  particulier,  forme  un  précieux  recueil  de  sources, 
tandis  que  les  Bijdragen  en  mededeelingen,  substitués  à  la  Chro- 
nique, tiennent  depuis  1878  le  public  au  courant  du  travail  fécond  de 
chaque  année. 

Après  ce  rapport  intéressant,  le  professeur  Colenbrander,  une  autre 
sommité  du  monde  universitaire  aux  Pays-Bas,  a  discuté  la  ques- 
tion, toujours  à  l'ordre  du  jour  et  jamais  résolue,  peut-être  inso- 
luble, de  savoir  jusqu'à  quel  point  l'histoire  est  un  art  et  une  science, 
car  il  est  généralement  admis  qu'elle  est  l'un  et  l'autre.  Un  passage 
d'un  livre  récent  du  vicomte  Haldane,  intitulé  Before  the  war  et 
publié  à  Londres  en  1920,  servait  de  thème  à  cette  étude  où  ont  été 
rappelées  les  vues  successives  des  écoles  historiques  :  de  l'ancienne 
école  d'abord,  éprise  du  rôle  moral  de  l'histoire  et  dont  Schiller  a 
résumé  l'opinion  dans  le  vers  célèbre  : 

Die  Weltgeschichte  ist  das  Weltgericht; 

puis  de  l'école  du  milieu  du  xix"  siècle,  cherchant  avec  Ranke  et 
Augustin  Thierry  à  ramener  l'histoire  à  la  connaissance  objective  du 
passé ,  sans ,  lui  refuser  absolument  la  haute  mission  définie  par 
Auguste  Comte  :  «  voir,  savoir,  prévoir  »  ;  enfin  de  l'école  moderne  qui, 
avec  Fruin  et  Nietzsche  (M.  Colenbrander  semble  ignorer  les  Renan, 
les  Taine,  les  Sorel,  les  Monod),  a  voulu  concilier  la  recherche 
impartiale  et  critique  avec  les  éléments  de  psychologie  et  d'art  que 
contient  forcément  toute  science  morale.  Il  n'apparaît  pas  que  M.  Hal- 
dane ait  apporté  au  débat  des  faits  nouveaux,  ni  même  un  point  de 
vue  vraiment  nouveau;  la  discussion  qui  a  suivi  la  conférence  de 
M.  Colenbrander  l'a  prouvé,  et  nous  devons,  après  comme  avant,  en 
rester  à  une  opinion  moyenne. 

Certes,  par  certains  côtés,  l'histoire  est  une  science,  et  l'école  fran- 
çaise du  xix«  siècle  a  particulièrement  contribué  à  lui  donner  ce 
caractère;  mais  elle  demeurera  toujours  une  science  analogue  aux 
sciences  naturelles,  avec  un  rôle  plus  étendu  des  éléments  psycholo- 
giques :  travaillant  sur  des  données  en  partie  subjectives  et  dont  l'ap- 
préciation n'f'st  pas  nécessairement  invariable,  elle  continuera  à  être, 
plus  que  toute  autre  science,  une  œuvre   personnelle,  partant  une 


280  NOTES    BIBLIOGRAPHIQUES. 

œuvre  d'art.  Je  ne  crois  pas,  pour  cela,  qu'elle  soit  irrémédiablement 
inexacte  ou  fausse,  ni  qu'il  faille  aimer  un  homme  et  ses  idées,  un 
pays  et  ses  traditions  pour  les  apprécier  sainement,  pas  plus  qu'il 
n'est  indispensable  de  professer  une  religion  pour  en  écrire  impartia- 
lement l'histoia-e.  J'estime,  d'autre  part,  qu'il  importe  de  repousser 
dans  ce  qu'elle  a  d'excessif  la  thèse  du  vicomte  Haldane,  thèse  de 
dilettante  plutôt  que  d'homme  de  science,  et  qui  nous  porterait  à  nous 
défier  par  trop  de  nous-mêmes;  je  crois  qu'il  y  a  des  faits  dont  la 
matérialité  s'impose  incontestablement  à  la  raison  et  que  ces  faits 
rendent  possible  une  sentence  de  la  postérité,  ce  verdict  du  monde 
(Weltgericht)  que  Schiller  a  si  fortement  proclamé  identique  à  l'his- 
toire. De  cette  nature  incontestable  sont,  à  mon  avis,  les  données 
générales  de  la  grande  guerre  mondiale  de  1914  à  1918,  données  suffi- 
samment connues  actuellement  pour  qu'on  puisse  dire  qu'elles  ne  per- 
mettront jamais,  comme  le  suppose  M.  Haldane,  je  ne  dis  pas  d'ex- 
pliquer, mais  de  justifier  la  politique  allemande,  voire  l'attitude  du 
peuple  allemand  tout  entier.  L'homme  d'État  anglais,  qui  désirait 
avant  1914  un  rapprochement  de  son  pays  et  de  l'Allemagne,  a  peut- 
être  sur  ce  point  des  raisons  d'appréciation  que  la  raison  ne  connaît 
pas.  Albert  Waddington. 

D''  A.  VAN  SCHELVEN.  Kerkeraads-Protocollen  der  neder- 

duitsche  Vluchtelingen-Kerk  te  Londen ,  1560-1563  (Amsterdam, 
J.  MùUer,  1921,  in-8°,  xix-555  p.).  —  M.  van  Schelven  a  déjà  fait 
divers  travaux  sur  les  églises  néerlandaises  du  Refuge  au  xvF  siècle. 
Il  a  voulu  compléter  les  publications  de  documents  déjà  dues  au 
D"-  Kuyper,  à  M.  Moens  et  à  la  Huguenot  Society;  il  nous  donne 
aujourd'hui  les  procès-verbaux  pour  les  années  1560-1563  du  consis- 
toire de  l'église  réformée,  fondée  à  Londres  en  1550  par  des  réfugiés 
des  Pays-Bas,  dont  le  plus  connu  est  Jean  Utenhove.  Obligés  de  fuir 
au  temps  de  Marie  Tudor  et  de  chercher  un  asile  en  Danemark,  puis 
à  Emden,  les  proscrits  purent  revenir  en  Angleterre  en  1559;  leur 
église,  qui  a  subsisté  jusqu'à  nos  jours  à  Londres,  a  cessé  toutefois 
d'être  appelée  une  église  du  Refuge  depuis  qu'en  1578  ses  membres 
ont  pu,  à  leur  gré,  rentrer  aux  Pays-Bas  ou  rester  à  l'étranger. 

Les  documents  publiés  ici  n'ont  qu'un  intérêt  excessivement  res- 
treint, et  les  événements  qu'ils  signalent  presque  chaque  jour  (profes-, 
sions  de  foi,  pénitences,  amendes  honorables,  discussions  théolo- 
giques, etc.)  ne  méritent  guère  d'attirer  l'attention  de  l'historien,  non 
plus  que  les  personnages  mis  en  scène,  même  les  chefs  de  la  com- 
munauté :  Pierre  Delenus  ou  Nicolas  Carineus.  A.  W. 

Pologne.  —  Di-  V.  Bugiel.  La  Pologne  et  les  Polonais,  avec  une 
carte  (Paris,  éditions  Bossard,  1  vol.  in-16;  prix  :  9  fr.).  —  Maurice  Per- 
NOT.L épreuve  de  ta  Poiogne  (Paris,  Plon-Nourrit,  1921  ;  prix  :  7  fr.  50). 
—  Enfermer  en  un  volume  de  383  pages  la  géographie  et  l'ethnogra- 
phie de  la  Pologne,  son  histoire  politique  et  httéraire,  l'exposé  de  sa 


BISTOIKE    DE    POLOGNE. 


281 


littérature,  de  sa  vie  artistique,  musicale,  sociale,  économique,  était 
une  entreprise  périlleuse  :  s'étonnera-t-on  que  le  docteur  Bugiel  ne 
l'ait  pas  menée  complètement  à  bonne  fin?  Il  a  voulu  tout  dire;  on 
lui  reprochera  bien  des  lacunes.  La  géographie  et  l'ethnographie  sont 
à  peine  esquissées.  A  l'histoire  de  la  Pologne,  suffisamment  connue, 
il  n'a  pas  imprimé  sa  marque  personnelle.  Tout  l'intérêt  du  livrée  est 
concentré  dans  les  pages  130-202,  qui  exposent  l'histoire  de  la  Pologne 
depuis  le  début  de  la  guerre  jusqu'à  l'année  1920  inclusivement. 
Cette  partie  attirera  l'attention  des  historiens;  le  récit  est  clairet  pré- 
cis. L'histoire  de  la  littérature  polonaise  (p.  203-295)  éveillera,  sans  la 
satisfaire,  la  curiosité  des  lecteurs  pour  qui  cette  littérature  est  nou- 
velle; l'auteur,  dang  sa  hâte,  se  borne  trop  souvent  à  dresser  une  liste 
de  noms.  Les  écrivains  sur  lesquels  il  s'arrête  sont  faiblement  carac- 
térisés; des  formules  enthousiastes  ne  peuvent  tenir  lieu  des  juge- 
ments précis  que  requiert  le  sujet.  Les  cinquante  pages  consacrées 
aux  beaux-arts  et  à  la  musique  sont  rapides  et  superficielles.  La  vie 
sociale  et  économique  est  presque  complètement  sacrifiée,  bien  à  tort, 
car  c'est  là  un  sujet  qui  intéresse  vivement  les  amis  de  la  Pologne; 
or,  ce  livre  ne  leur  offre,  sur  ce  point,  que  des  réponses  bien  insuffi- 
santes. Il  serait  discourtois  de  signaler  quelques  incorrections  ou 
quelques  bizarreries  chez  un  étranger  qui,  en  général,  manie  fort  bien 
notre  langue.  Nous  nous  contenterons  de  relever  quelques  fautes  d'im- 
pression :  p.  77,  Vassilli  pour  Vasih;  p.  235,  Pierre  Villy  pour  Pierre 
Villey;  p.  293,  Gaguin  pour  Gauguin;  p.  315,  Réaux  pour  L.  Réau. 
Nous  ne  pouvons  nous  expliquer  deux  transcriptions  étranges  :  ne 
faut-il  pas  lire  (p.  IQ8)  Apfelbaum  et  (p.  ilùyMacha  Dombrovskaia? 
Le  livre  de  M.  Maurice  Pernot,  publié  d'abord  dans  la  Revue  des 
Deux  Mondes,  a  produit  une  vive  impression;  sous  sa  nouvelle 
forme,  il  rencontrera  le  même  succès.  Dans  sa  consciencieuse 
enquête,  l'auteur  a  frappé  à  toutes  les  portes  :  il  nous  donne,  dit-il, 
«  des  observations  et  des  témoignages  »,  nous  transmet  «  des  choses 
vues  et  des  propos  recueillis  »  (p.  8).  A  qui  veut  se  rendre  compte  des 
multiples  et  pressants  problèmes  qui  se  posent  pour  la  Pologne,  qu'il 
s'agisse  des  rapports  de  l'État  polonais  avec  l'Europe  ou  de  la  poli- 
tique intérieure,  de  l'organisation  économique  ou  des  questions 
sociales,  de  la  question  juive,  des  conflits  entre  le  nationalisme  et  la 
religion,  de  la  vie  intellectuelle  des  Universités,  l'auteur  donne  satis- 
faction. Il  n'a  pas  voulu  écrire  un  exposé  historique,  mais  il  en  trace 
les  grandes  lignes  avec  une  aisance  parfaite;  dans  les  limites  où  il 
s'est  volontairement  enfermé,  il  échappe  à  toute  critique.  Nous  regret- 
tons que  M.  Pernot  ne  se  soit  pas  affranchi  de  la  fameuse  transcription 
allemande  des  noms  russes  et  qu'il  n'ait  pas  écrit  Savinkov,  Rodit- 
chev  (p.  31);  Merjhowski  (ibid.)  est  une  faute  d'im[)ression,  il  faut  lire 
Merejkovskii.  E.  Ducheï^ne. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 


1.  —  Nouvelle  revue  historique  du  droit  français  et  étran- 
ger. 1920,  juillet-décembre.  —  G.  Boulen  et  0.  Martin.  «  Des  fiez 
à  l'usage  de  France  »  (publication  du  texte  ;  appendices,  entre  autres 
un  texte  curieux  provenant  d'un  manuscrit  de  Saint-Martin-des- 
Champs  :  «  Haec  sunt  jura  feodalia  spectantia  ad  feodorum  dominos 
in  vicecomitatu  Parisiensi  »).  —  A.  Dumas.  Encore  la  question  : 
«  Fidèles  ou  vassaux?  »  (combat  la  thèse  de  M.  Flach;  «  les  institu- 
tions dites  féodales  ne  sont  que  les  institutions  carolingiennes  mises 
à  la  portée  du  dernier  des  seigneurs  »).  —  L.  Debray.  Recherches 
sur  l'édit  du  préteur  (sur  une  «  praescriptio  »  en  matière  d'  «  actio 
judicati  »  dans  l'édit  du  préteur  urbain  antérieur  à  Julien).  — 
Ed.  Meynial.  Études  sur  l'histoire  financière  du  xvi«  siècle  (l'organi- 
sation fiscale  au  début  du  xvp  siècle  ;  création  du  trésor  de  l'épargne  ; 
suppression  du  Conseil  de  Messieurs  des  finances  et  son  remplace- 
ment par  le  Conseil  privé  ou  Conseil  des  finances  ;  à  suivre  ;  impor- 
tante étude  pour  l'histoire  des  institutions).  —  Paul  Fournier.  Notes 
complémentaires  pour  l'histoire  des  canonistes  au  xiv^  siècle.  Gaillard 
de  Durfort  (professeur  à  Toulouse  ;  quelques-unes  de  ses  leçons  nous 
ont  été  conservées  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Reims). 
—  Roger  Grand.  Les  notions  de  coutume  et  de  loi  dans  la  «  lex 
salica  »  et  dans  les  capitulaires  additionnels  (discute  la  thèse  récente 
de  M.  Pétrau-Gay  et  y  fait  de  sérieuses  objections),  —  E.  Maugis. 
Note  sur  la  réforme  de  l'administration  de  la  question  dans  le  ressort 
du  Parlement  de  Paris  au  xviiP  siècle  (d'après  une  enquête  faite  en 
1729  par  le  procureur  général  Joly  de  Fleury).  —  Idem.  Une  enquête 
faite  par  le  Parlement  de  Paris  au  xviiP  siècle  sur  l'application  des 
règlements  d'état  civil  (après  la  déclaration  du  9  avril  1736  concer- 
nant la  forme  de  tenir  les  registres  des  baptêmes,  mariages  et  sépul- 
tures). =  C. -rendus  :  Jules  Viard.  Les  Journaux  du  Trésor  de  Phi- 
lippe VI  de  Valois;  Idem.  Les  Journaux  du  Trésor  de  Charles  IV  le 
Bel  (ce  que  nous  apprennent  ces  deux  volumes).  —  T. -F.  Tout.  Chap- 
ters  in  the  administrative  history  of  mediaeval  England  (sur  l'histoire 
de  la  garde-robe,  de  la  chambre  et  des  petits  sceaux;  œuvre  de 
grande  importance).  —  F. -G.  de  Pachtere.  La  table  hypothécaire  de 
Veleia  (les  domaines  hypothéqués  appartenaient  aux  mauvaises  terres 
et  l'opération  eut  des  résultats  médiocres).  —  Pocquet  du  Haut- 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  283 

Jussé.  Les  statuts  synodaux  d'Alain  de  La  Rue,  évèque  de  Saint- 
Brieuc,  1421  (petit  code  méthodique).  —  Jules  Mathorez.  Les  étran- 
gers en  France  sous  l'Ancien  régime;  t.  I  (important). 

2.  —  La  Révolution  de  1848.  1921,  mars-mai.  —  René  Hous- 
SET.  Les  procès-verbaux  inédits  de  la  commission  extra-parlemen- 
taire chargée  de  préparer  la  loi  Falloux  (M.  Housset,  né  en  octobre 
1818,  ancien  secrétaire  de  la  Conférence  des  avocats,  fut  nommé 
secrétaire  de  ladite  commission  et  en  rédigea  les  procès-verbaux  ;  il 
mourut  le  31  mai  1910.  Son  descendant  se  propose  de  publier  intégra- 
lement ces  procès-verbaux,  jusqu'ici  inédits  et  souvent  mal  analysés). 

—  Elie  Peyron.  Le  rôle  de  l'impératrice  Eugénie  en  septembre  et 
octobre  1870  (elle  songeait  à  la  restauration  impériale;  «  par  trois 
fois,  pendant  ces  deux  mois,  il  n'a  tenu  qu'à  Bazaine  de  rétablir 
l'Empire;  par  trois  fois,  il  s'est  dérobé  »).  —  Paul  Raphaël.  A 
propos  d'une  lettre  de  Baraguey  d'Hilliers  au  ministre  de  la  Guerre 
(Besançon,  16  mars  1848;  il  demande  un  commandement  en  chef). 

—  Gabriel  Vauthier.  Un  procès  de  presse  en  1837  (le  général  Don- 
nadieu  fut  poursuivi  pour  attaques  au  gouvernement  dans  un  livre  : 
«  De  la  vieille  Europe  »,  et  condamné  à  deux  ans  de  prison).  — 
Capitaine  Breillout.  La  Révolution  de  1848  en  Corrèze;  suite  (de 
mai  1848  aux  élections  du  13  mai  1849;  cinq  représentants  à  la  Cons- 
tituante sur  huit  furent  réélus;  députés  nouveaux,  Sage  et  Chamiot- 
Aventurier;  triomphe  du  parti  républicain).  —  G.  de  Boër.  Aperçu  des 
publications  récentes  sur  l'histoire  moderne  parues  en  Hollande. 

3.  —  Revue  archéologique.  1919,  mai-juin.  —  Jean  Ebersolt. 
Manuscrits  à  miniatures  de  Saint-Gall  (manuscrits  grecs  des  ix«,  x^  et 
xi«  siècles  avec  des  miniatures  influencées  par  l'art  grec  de  l'Orient). 

—  Léon'  Maître.  Géographie  industrielle  de  la  Basse-Loire  :  les 
forges  et  les  ateliers  fortifiés  (vestiges  de  forges  romaines  que  signalent 
les  scories;  les  mines  de  fer  et  d'étain  ;  les  «  chatelliers  »).  —  Léon 
de  Vesly.  Lampe  mérovingienne  de  Notre-Dame  du  Vaudreuil  (Nor- 
mandie). —  D""  L.  Carton.  Questions  de  topographie  carthaginoise 
(la  cité  primitive  :  le  port  et  la  ville;  la  grande  Carthage  :  l'enceinte, 
le  faubourg  de  Mégara).  —  G. -H.  LuQUET.  La  «  roue  à  oiseaux  »  vil- 
lanovienne  (c'est  la  représentation  géométrique  d'une  voiture  attelée 
de  deux  chevaux;  il  n'y  a  pas  lieu  d'y  voir  un  symbole  du  soleil).  — 
E.  Pottieh.  Le  musée  du  Louvre  pendant  la  guerre  de  1914-1918.  — 
S.  Heinach.  Antoine  Héron  de  Villefosse,  avec  bibliographie.  — 
Bibliographie.  =  Juillet-octobre.  J.  Six.  La  maîtresse  pierre  du  coin 
(servant  de  pivot  à  une  porte.  Voir  psaumes  CXVHI,  v.  22).  — 
Th.  Reinach.  Nouveaux  fragments  de  musique  grecque  (sur  un  feuil- 
let de  papyrus  du  musée  de  Berlin).  —  M.  Besmer.  Interdiction  du 
travail  des  mines  sous  la  République  (connue  par  un  texte  de  Pline 
l'Ancien;  place  cette  interdiction  au  temps  des  Gracques).  —  Jules 
Maurice.  Attribution  à  Constantin  U  du  buste  dit  de  Marcellus  au 


284  BECDEILS   PÉBIODIQDES. 

musée  lapidaire  d'Arles  (daterait  de  319-320).  —  D.  Sidersky.  La 
stèle   de   Mésa.    Index    bibliographique    (262   numéros).   —   Victor 
BÉRARD.  Instruments  et  bâtisses  homériques  (corrections  d'une  série 
de  mots;  à  suivre).  —  Georges  Seure.  Archéologie  thrace.  Documents 
inédits  ou  peu  connus.  2«  série,  n»  158-166;  suite  au  n»  suivant,  167- 
184,  et  en  janvier  1921,  n»  185  (discussion  sur  une  statuette  verseuse 
d'épices  provenant  d'un  trésor  découvert  en  1909  dans  le  district  de 
Plevna).  —  Salomon  Reinach.  Quelques  enseignements  des  mystères 
d'Eleusis  (sur  la  légende  sacrée  et  mystérieuse  relative  à  la  grenade). 
—   Nouvelles   archéologiques.    —   Bibliographie.   =   Novembre-dé- 
cembre. Franz  Cumont.  Une  statue  praxitélienne  d'Acarnanie  (statue 
d'une  jeune  grecque  trouvée  près  du  village  de  Zaberda,  apportée  à 
Bruxelles  en  1913).  —  M.  Valotaire.  Bronzes  figurés  au  musée  de 
Saumur  (divinités,  tètes,  animaux).  —  M°»«  Roblot-Delondre.  Les 
sujets  antiques  dans  la  tapisserie;  suite  (histoire  grecque  et  orientale, 
histoire  romaine,  histoire  des  Juifs,  n^^  94-178).  —  Nouvelles  archéo- 
logiques. —  Bibliographie.  —  R.  Gagnât  et  M.  Besnier.  Revue  des 
publications   épigraphiques    relatives  à   l'antiquité    romaine.   Année 
1919  (quatre-vingt-seize  inscriptions  nouvelles).  =  1920,  janvier-juin. 
Th.  HOMOLLE.  Sur  trois  bas-reliefs  de  Phalère  (nouvel  et  ingénieux 
essai  d'interprétation).  —  L.-H.  Vincent.  Le  plan  tréflé  dans  l'archi- 
tecture byzantine  (recherche  les  origines  de  ce  plan).  —  W.  Déonna. 
Le  trésor  des  fins  d'Annecy  (trouvé  en  1912;  énumération  des  objets; 
explication  des  sujets  représentés  sur  une  patère  portant  au  centre  la 
tête  d'Octave  :  cette  patère  célèbre  les  victoires  d'Auguste,  principale- 
ment celle  d'Actium).  —  Sal.  ReinaCH.  Pégase,  l'hippogriffe  et  les 
poètes  (ce  n'est  qu'au  milieu  du  XVF   siècle   que    Pégase  apparaît 
comme  la  monture  des  poètes).  —  F.  Préchac.  Ampehana  (le  pas- 
sage sur  les  sept  merveilles  du  monde  ne  doit  pas  être  écarté  ;  rensei- 
gnements sur  l'Artémision  d'Éphèse,  le  Mausolée  et  la  statue  du  Nil). 
—  Salvatore  Mirone.  L'Odéon  de  Catane  (article  en  italien).  —  F.  DE 
MÉLY.  Nos  vieilles  cathédrales  et  leurs  maîtres  d'oeuvre;  fin  en  jan- 
vier 1921  (renseignements  qui  nous  sont  fournis  sur  les  fondateurs  ou 
les  architectes  des  grandes  églises  médiévales;   à  la  fin  un  index 
alphabétique.  L'épitaphe  d'un  des  maîtres  de  la  cathédrale  de  Stras- 
bourg, Erwin,  de  sa  femme  Husa  et  de  son  fils  Jean,  reproduite  au 
n°  de  janvier  1921,  planche  II,  est  exacte  ;  mais  sur  aucun  document 
authentique  on  ne  donne  à  Erwin  le  titre  :  do  Steinbach).  — •  Nou- 
velles archéologiques.  —  Bibliographie.  =  Juillet-octobre.  M.  Ros- 
TOVZEV.  L'âge  du  cuivre  dans  le  Caucase  septentrional  et  les  civi- 
lisations de  Soumer  et  de  l'Egypte  protodynastique  (rapports  entre 
ces  pays  à  l'époque  do  l'âge  du  cuivre,'  d'après  les  sépultures  de 
Maïkop    et    de    Staromychastovskaïa).    —   Jean    Colin.    Étude   sur 
une  inscription  de  Murgantia  (Mommsen  l'a  crue  fausse  à  tort).  — 
Pierre  Paris.  Promenades  archéologiques  en  Espagne  (à  Sagonte; 
histoire  de  la  ville;  de  toutes  les  anciennes   cités  d'Espagne,  c'est 
la  plus  délaissée   et   la   plus   triste,  la   plus  morte).  —  Nouvelles 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  285 

archéologiques.  —  Bibliographie.  =  Novembre-décembre.  Frédéric 
POULSEN.  Deux  reliefs  italiques  à  la  glyptothèque  Ny-Carlsberg  (le 
relief  d'Égisthe  ;  le  second  semble  représenter  une  course  de  mulets). 

—  Th.  Reinach.  La  stèle  de  Chélidon  itrouvée  à  Tekké  près  Zéla;  cor- 
rections à  l'inscription).  —  A.  Blanchet.  Recherches  sur  les  tuiles  et 
briques  des  constructions  de  la  Gaule  romaine  (relevés  des  dimen- 
sions). —  M,  Besnier.  Le  commerce  du  plomb  à  l'époque  romaine; 
suite  au  n°  suivant  (d'après  les  lingots  estampillés  trouvés  en  Sar- 
daigne,  en  Espagne,  en  Grande-Bretagne  et  en  Gaule;  à  suivre).  — 
Sal.  Reinach.  Une  grande  vente  à  Rome  (la  vente  des  biens  particu- 
liers de  Commode  sous  son  successeur  Helvius  Pertinax).  —  André 
JouBiN.  Quelques  aspects  archéologiques  du  Languedoc  méditerra- 
néen (les  grottes  du  canon  inférieur  du  Gardon  ;  les  hypogées  de  la 
montagne  de  Cordes  et  du  Castellet,  Montlaurès;  la  colonisation  hel- 
lénique dans  le  golfe  du  Lion;  à  suivre).  —  Et.  Michon.  Le  cheval  de 
bronze  de  Saint-Germain-en-Laye  en  1625  (il  fut?exécuté  en  Italie  par 
Daniel  de  Volterra  en  vue  d'une  statue  équestre*  de  Henri  II  ;  amené 
en  France  en  1622,  il  reçut  comme  cavalier  Louis  XIII  sur  la  place 
Royale  et  fut  détruit  en  1792).  — Nouvelles  archéologiques.  —  Biblio- 
graphie. —  R.  Cagnat  et  M.  Besnier.  Revue  des  publications  épigra- 
phiques  relatives  à  l'antiquité  romaine.  Année  1920  (signale  130  ins- 
criptions nouvelles).  =  1921,  janvier-mars.  Jean  Ebersolt.  Miniatures 
irlandaises  à  sujets  icopographiques  (dans  des  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque de  Saint-Gall).  —  Abbé  H.  Breuil.  Les  bas-reliefs  de  Marquinez 
(Alava,  dans  une  grotte;  ces  bas-reliefs  très  grossiers  remontent  en 
réalité  au  moyen  âge).  —  Henry  Corot.  A  propos  de  l'exploitation  du 
minerai  de  fer  à  l'époque  gallo-romaine  (signale  un  haut  fourneau 
romain  près  de  Nuits- sous-Ravières).  —  Nouvelles  archéologiques. 

—  Bib  iographie. 

4.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1921,  l^""  juin. 

—  C.  Autran.  Phéniciens;  essai  de  contribution  à  l'histoire  antique 
de  la  Méditerranée  (les  Phéniciens  sont  un  peuple  d'Asie  Mineure  net- 
tement distinct  des  Sémites  cananéens;  leur  patrie  primitive  est  la 
Carie  et  la  côte  orientale  de  la  mer  Egée.  C'est  plus  tard  seulement 
qu'ils  ont  pénétré  en  Syrie  et  en  Palestine.  Il  y  a  une  grande  diffé- 
rence de  culture  entre  la  grande  Phénicie  égéenne  et  la  Phénicie 
sémitique  qui  lui  est  nettement  postérieure.  Thèse  remarquable  et 
dont  il  faudra  tenir  grand  compte).  —  M.  Bloch.  Rois  et  serfs  (ins- 
tructif). —  G.  Cohen.  Écrivains  français  "en  Hollande  dans  la  pre- 
mière moitié  du  xyii*  siècle  (remarquable).  —  Jean  Cordey.  Corres- 
pondance du  maréchal  de  Vivonne  relative  à  l'expédition  de  Messine; 
t.  II  (octobre  1676-janvier  1678.  Importante  introduction).  —  E.  Seil- 
Hère.  M™*  GuyoD  et  Fénelon  précurseurs  de  Rousseau  (Fénelon,  oui  ; 
mais  M"*  Guyon  n'est  qu'une  folle).  —  M"*  Ingersoll-Smouse.  La 
sculpture  funéraire  en  France  au-WiiF  siècle  (bon).  —  S.  Charléty. 
La  Restauration  (remarquable).  —  Ch.  Rivet.  Les  Tchécoslovaques 


286  RECDEILS    PÉRIODIQDES. 

(éloquent  plaidoyer  en  leur  faveur).  —  H.  Chardon.  L'organisation 
d'une  démocratie;  les  deux  forces  :  le  nombre  et  l'élite  (remarquable; 
à  méditer).  =  15  juin.  Marc  Slonim.  Le  bolchévisme  vu  par  un 
Russe  («  le  bolchévisme  est  une  entreprise  à  la  fois  sotte  et  crimi- 
nelle, qui  tend  à  la  destruction  complète  de  la  civilisation  en  Rus- 
sie I)).  —  A.  van  Gennep.  L'état  actuel  du  problème  totémique  (éru- 
dit  et  instructif;  recherches  personnelles  d'un  auteur  très  compétent 
en  matière  d'ethnographie).  —  A.  Hollard.  L'apothéose  de  Jésus  (bon 
résumé,  simple,  clair,  un  peu  sec).  —  W.  H.  Holmes.  Handbook  of 
aboriginal  american  antiquities.  I  :  the  lithic  industries  (important).  — 
P.  Imbart  de  La  Tour.  Histoire  politique,  des  origines  à  1515 
(remarquable).  —  Général  t;on  Lettow-Vorbeck.  Meine  Erinnerungen 
aus  Ostafrika  (très  intéressant). 

5.    —   Revue    de   l'histoire    des    colonies    françaises.    1920, 
l^""  trimestre.  —  A.  Martineau.  Dupleix;  fin  au  n"  suivant  (donne  les 
quatre  premiers  chagitres  de  son  beau  volume  dont  nous  publierons  un 
compte-rendu  ispécial).  —  Pierre  de  Joinville.  Les  armateurs  de 
Bordeaux  et  l'Indo-Chine  sous  la  Restauration;  fin  au  n°  suivant 
(relations  de  la  France  et  de  la  Cochinchine  jusqu'en  1816;  les  pre- 
mières expéditions  bordelaises  en  ce  pays;  la  «  Paix  »  et  le  «  Henry  »; 
rôle  de  Balguerie-Stuttenberg;  après  sa  mort,  en  1825,  le  mouvement 
est  arrêté;  seuls,  des  missionnaires  parcourent  le  pays,  et  de  rares 
navires  s'arrêtent  à  Saigon  ou  à  Tourane).  —  Paul  Marty.  Le  suicide 
d'un  gouverneur  du  Sénégal  (Ollivier  se  tua  le  20  mars  1846  par 
crainte  des  responsabilités).  —  A.  Martineau.  Benoist  Dumas  (notes 
biographiques   sur  le   prédécesseur  de    Dupleix   à    Pondichéry).   = 
G. -rendus  :  Les  origines  de  la  colonisation  française  aux  Antilles;  la 
Compagnie  des  Indes  occidentales  (beaucoup  de  renseignements  nou- 
veaux). —  Charles  E.  Chapman.  Catalogue   of  materials  in   the 
Archivo  gênerai  de  Indias  for  the  history  of  the  pacifie  Goast  and  the 
American  Southwest  (on  relève  dans  Cet  excellent  catalogue  le  nom 
des  Français  qui  ont  navigué  sur  les  côtes  occidentales  des  Etats-Unis 
au  xviii'^  siècle).  =:  2«  trimestre.  F. -P.  Renatjt.  L'odyssée  d'un  colo- 
nial sous  l'Ancien  régime  :  Philippe-Rose  Roume  de  Saint-Laurent, 
1776-1796  (il  était  né  en  l'île  de  la  Grenade  en  1743,  devint  anglais 
après  le  traité  de  Paris  de  1763,  visita  l'île  de  la  Trinité,  en  reconnut 
les  ressources  et  contribua  à  la  prospérité  de  cette  colonie  espagnole). 
=  G. -rendus  :  V.  Démontés.  La  colonisation  militaine  sous  Bugeaud 
(travail  considérable  et  important).  =  3^  trimestre.  Claude  Faure.  La 
garnison  européenne  du  Sénégal  et  le  recrutement  des  premières 
troupes  noires  (la  garnison  du  Sénégal  de  1779  à  1809;  la  garnison 
européenne  de  1816  à  1839,  après  l'occupation  anglaise;  le  recrute- 
ment des  premiers  soldats  noirs,  1817-1827;  recrutements  pour  Mada- 
gascar et  la  Guyane;  la  compagnie  indigène  du  Sénégal  de  1840  à 
1857;  le  bataillon  des  tirailleurs  sénégalais  formé  grâce  à  Faidherbe 
en  1857).  —  M.  de  Pradel  de  Lamase.  Un  officier  colon  en  Loui- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  287 

siane  :  le  chevalier  de  Pradel  (né  à  Uzerche  en  1692,  mort  en  1764, 
d'après  sa  correspondance  conservée  dans  la  famille).  =  C. -rendus  : 
Ch.  de  La  Roncière.  Histoire  de  la  marine  française,  t.  V.  La  guerre 
de  Trente  ans,  Colbert  (récit  exact,  précis,  neuf  à  beaucoup  d'égards). 

—  A.  Martineau.  Dupleix  et  l'Inde  française  (remarquable).  =  4«  tri- 
mestre. R.  RiSTELHUEBER.  Louis  XIV  et  l'église  des  Maronites  à 
Alep  (les  Maronites  réclamèrent  l'agrandissement  de  leur  église  et 
demandèrent  l'appui  de  Louis  XIV  ;  mais  celui-ci  ne  parvint  pas  à 
leur  faire  donner  satisfaction).  —  D'"  Baudens.  Relation  de  l'expédi- 
tion de  Médéa  (il  s'agit  de  la  seconde  expédition  faite  en  1831  et  con- 
duite parle  général  Berthezène;  récit  du  chirurgien  aide-major  qui  fit 
partie  de  l'expédition;  le  récit  est  publié  et  annoté  par  V.  Démon- 
tés). =  C. -rendu  :  Christian  Schefer.  D'une  guerre  à  l'autre. 
Essai  sur  la  politique  extérieure  de  la  troisième  République,  1871-1914 
(ce  que  l'ouvrage  nous  apprend  sur  la  politique  coloniale).  =r  1921. 
le-"  trimestre.  Fr.-P.  Renaut.  Études  sur  le  pacte  de  famille  et  la  poli- 
tique coloniale  française,  1760-1762  (comment  fut  conclue  l'alliance 
entre  la  France  et  l'Espagne;  les  clauses  coloniales  du  traité  de 
Paris).  —  Paul  Marty.  Un  centenaire  colonial.  La  découverte  des 
sources  de  la  Gambie  et  du  Sénégal  (par  Gaspard-François  Mollien  ; 
récit  de  ses  voyages  en  1818  et  1819).  —  René  de  Kerallain.  Dupleix 
et  Clive  (d'après  le  livre  de  Henry  Dodwell;  montre  combien  les  his- 
toriens, Dodwell  y  compris,  se  sont  trompés  sur  les  dimensions  du 
Trou  Noir  de  Calcutta).  =  C. -rendus  :  Charles-B.  Maybon.  Histoire 
moderne  du  pays  d'Annam  (l'étude  d'ensemble  la  plus  complète,  la 
plus  sérieuse  et  la  meilleure  que  nous  possédions  sur  le  sujet).  — 
Notes  historiques  d'/saac  Louverture  (publiées  par  la  «  Revue  de 
l'Agenais  »  ;  importance  et  critiques  de  ces  notes), 

6.  —  Revue  de  Thistoire  des  religions.  1921,  janvier-avril.  — 
P.  Saintvves.  L'origine  de  Barbe-Bleue  (Barbe-Bleue  n'est  pas  le 
maréchal  Gilles  de  Rais  ni  une  représentation  du  Soleil;  les  divers 
incidents  du  conte  se  rattachent  à  des  croyances  très  anciennes  et 
montrent  les  divers  aspects  de  la  tentation  initiatique).  —  W.  DéOnna. 
La  légende  d'Octave-Auguste,  dieu-sauveur  et  maître  du  monde  (à 
propos  d'une  phiale  trouvée  à  Annecy;  montre  comment  un  thème 
historique  se  superpose  à  un  thème  mythique  ;  à  suivre).  —  Th.  Rei- 
NACH.  Minucius  Félix  et  Tertullien  (apporte  un  argument  pour  prouver 
que  VOctavius  du  premier  est  antérieur  à  l'Apologétique  du  second). 

—  J.  Herber.  Tatouages  marocains  (la  proscription  des  tatouages, 
efficace  chez  les  Juifs,  est  demeurée  inopérante  chez  les  Arabo-Ber- 
bères  du  Maroc). .=  C. -rendus  :  Les  Psaumes.  Extrait  de  la  Bible  du 
centenaire  (remarquable).  —  Oscar  Holtzmann.  Der  Tosephtatraktat 
Berakot  :  Idem.  Berakot  (Gebete),  Text,  Uebersetztung  und  Erklazung; 
Georg  Béer.  Pesachim  (Ostern),  Text  (les  deux  derniers  textes  ont 
paru  dans  la  grande  édition  de  la  Michna;  le  premier  dans  les  Beihefte 
zur  Zeilschrift  fiir  die  alttestamentliche   Wissenschafl).  —  The 


288  RECCEILS    PÉRIODIQUES. 

cpptic  version  of  the  new  Testament;  t.  IV  et  V  (consacrés  aujj: 
épîtres  de  saint  Paul  en  sahidique).  —  D''  George-Samné.  La  Syrie 
(remarquable).  —  Marcel  Granet.  Fêtes  et  chansons  anciennes  de  la 
Chine  (cet  ouvrage,  qui  s'annonce  comme  une  esquisse  de  folklore, 
est  une  oeuvre  maîtresse  d'histoire  religieuse).  —  Idem.  La  polygynie 
sororale  et  le  sororat  dans  la  Chine  féodale  (explique  l'usage  qui  per- 
met à  un  homme  de  s'unir  en  mariage  avec  deux  ou  plusieurs  sœurs). 
—  Conférence  à  la  Société  Ernest  Renan  de  M.  Toutain.  Sur 
quelques  textes  relatifs  à  la  signification  du  sacrifice  chez  les  peuples 
de  l'antiquité. 

7.  —  Revue  des  études  historiques.  1920^^  janvier-mars.  —  Fran- 
çois Rousseau.  La  Visitation  du  faubourg  Saint-Jacques  de  Paris, 
1626-1792  (les  diverses  supérieures;  les  religieuses  appartenant  à  la 
famille  Lamoignon).  —  André  Auzoux.  Alfred  de  Vigny  et  l'amiral 
Collingwood  (Vigny  s'est  inspiré  dans  la  «  Canne  de  jonc  »  de  la  vie 
et  correspondance  de  l'amiral  anglais,  ouvrage  paru  à  Londres  en 
1829).  —  G.  Truc.  Calvin  et  les  cinq  prisonniers  de  Lyon  (cinq  étu- 
diants français,  partis  de  Lausanne,  fin  avril  1552,  pour  aller  propager 
la  nouvelle  foi  dans  leurs  villes  natales,  furent  arrêtés  à  l'arrivée  à 
Lyon,  et,  après  une  procédure  très  compliquée,  brûlés  vifs  le  16  mai 
1553  sur  la  place  des  Terreaux;  lettres  adressées  par  Calvin  aux  pri- 
sonniers). —  G.  Vauthier.  Le  tabac  au  xviiF  siècle  (monopole  de  la 
ferme;  la  culture  du  tabac   était  prohibée  en  France,  excepté   en 
Alsace  et  en  Flandre).  —  L.  Davillé.  Le  rôle  du  Poitou  dans  l'his- 
toire de  France  (d'après  le  volume  de  Boissonnade).  =  C. -rendus  : 
C.-G.  Picavet.  Les  dernières  années  de  Turenne  (long  et  richement 
documente).  —  G. -G.  Ramon.  Frédéric  de  Dietrich  (bon  exposé  de  la 
carrière  du  premier  maire -de  Strasbourg).  —  A.  Mendelstam.  Le  sort 
de  l'empire  ottoman   (très  sévère  pour  la  Turquie).   i=  Avril-juin. 
Comte  Mareschal  de  Bièvre.  Histoire  de  la  garde  constitutionnelle 
de  Louis  XVI  (créée  le  24  août  1791  et  comprenant  150  officiers  et 
1,600  hommes  de  troupes,  elle  fut  licenciée  le  30  mai  1792).  —  R.  Vil- 
latte  des  Prugnes.  La  bataille  de  la  Malmaison  (ou  bataille  du 
chemin  des  Dames,  23  octobre  1917).  —  B.  Combes  de  Patris.  Un 
prélat  d'ancien  régime  :  Jean-Marie  Champion  de  Cicé,  évèque  de 
Rodez,  1770-1781  (d'après  sa  correspondance  conservée  au  château  de 
Combret).  —  S.  Chabert.  Un  appel  à  la  France  victorieuse,  «  soldat 
de  l'idéal  »  (commente  une  lettre  de  l'humaniste  François  Filelfe  à 
Charles  VII,  du  17  février  1451,  et  appelant  le  roi  de  France  à  la 
croisade).  =  C. -rendus  :  G.  Glotz.  Le  travail  dans  la  Grèce  antique 
(clair  et  précis).  —  Ch.  de  La  Roncière.  Histoire  de  la  marine  fran- 
çaise. T.  V.  La  guerre  de  Trente  ans.  Colbert  (œuvre  maîtresse).  — 
René  Doumic.  Saint-Simon.  La  France  de  Louis  XIV  (œuvre  inci- 
sive et  pénétrante).  —  H.  Bordeaux.  Sur  le  Rhin  (impressions  de 
deux  voyages  en  1905  et  1918).  =:  Juillet-octobre.  M.  Chassaigne.  Un 
maître  des  requêtes  lieutenant  général  des  armées  du  roi  :  M.  de  La 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  289 

Barre  aux  Antilles  (nommé  en  1663  lieutenant  général  de  S.  M.  sur 
toutes  les  terres  de  l'Amérique  méridionale  depuis  la  rivière  des 
Amazones  jusqu'à  celle  de  l'Orénoque;  lutte  dans  les  Antilles  entre 
Français  et  Anglais  de  1665  à  1668;  rappel  au  début  de  1669  de  La 
Barre,  qui,  en  1682.  sera  nommé  gouverneur  du  Canada).  — 
II.  Matrod.  Dante  et  le  blason  (beaucoup  d'images  du  poète  sont 
empruntées  au  blason).  —  J.  Gaillard.  Essai  sur  quelques  pamphlets 
contre  la  Ligue;  suite  dans  le  n°  suivant  (analyse  d'abord  les  pam- 
phlets antérieurs  aux  Etats  généraux  de  1588;  puis  les  pamphlets  pos- 
térieurs à  l'assassinat  de  Henri  III  jusqu'au  moment  où  paraît  la 
satire  Ménippée;  ces  pamphlets  l'emportent  sur  ceux  des  ligueurs  par 
le  style,  la  finesse  de  l'ironie  et  la  composition).  —  G.  Vauthier.  Les 
missions  religieuses  sous  la  Restauration  (il  s'agit  des  missions  dans 
l'intérieur  de  la  France;  elles  eurent  lieu  chaque  année  à  partir 
de  1817  et  furent  un  grand  embarras  pour  Louis  XVIII,  une  cause 
d'ébranlement  pour  le  trône  de  Charles  X).  =  C. -rendus  :  J.  d'Ivray. 
La  Lombardie  au  temps  de  Bonaparte  (intéressant,  quelques  menues 
erreurs).  —  P.  Quentin-Bauchart.  La  crise  sociale  de  1848  (remar- 
quable). —  R.  Johannet.  Rhin  et  France  (l'auteur  est  disciple  fidèle 
du  nationalisme  intégral).  —  Pierre  Lhande.  Notre  sœur  latinç  l'Es- 
pagne (montre  les  divers  partis  en  Espagne).  —  G.  Lecarpentier. 
L'Egypte  moderne  (compendium  rapide,  mais  complet).  —  L.  Cahen 
et  A.  Mathiez.  Les  lois  françaises  de  1815  à  nos  jours  (recueil  utile). 
=r  Novembre-décembre.  Ph.  Selk.  La  femme  dans  la  société  il  y  a 
5,000  ans  (chez  les  Sumériens  et  les  Akkadiens,  avant  Hammurabi). 

—  L.  RiBALLiER.  Un  adversaire  des  encyclopédistes  :  la  querelle  de 
«  Bélisaire  »  (cet  adversaire  est  l'abbé  Ambroise  Riballier,  grand 
maître  du  collège  Mazarin  et  syndic  de  la  Faculté  de  théologie  de 
Paris).  —  Léo  Mouton.  M™^  de  Nerha  et  Mirabeau  (le  vrai  nom  est 
Van  Ahren  ;  publie  la  relation  que  fit  cette  dame  de  sa  liaison  avec 
Mirabeau,  qui  dura  de  1784  à  1788).  —  P.  Rain.  La  victoire  et  la 
failUte  (d'après  le  livre  de  Jacques  Bainville).  =  C. -rendus  :  P.  Mon- 
ceaux. Histoire  littéraire  de  l'Afrique  chrétienne.  T.  V.  Saint  Optât 
et  les  premiers  écrivains  donatistes  (érudition  loyale  et  bien  fran- 
çaise). —  Jean-H.  Mariéjol.  Catherine  de  Médicis  (remarquable).  — 
Georges  Goyau.  Une  ville-église.  Genève,  1535-1907  (clair  et  vivant). 

—  Emile  Collas.  La  belle-fille  de  Louis  XIV  (aurait  dû  insister 
davantage  sur  la  politique  du  roi  vis-à-vis  de  la  Bavière).  — 
Michel  Lhéritier.  Tourny  (très  complet).  —  René  Pétiet.  Gus- 
tave IV  et  la  Révolution  française  (montre  son  hostilité  contre  la 
France).  —  Ed.  Chapuisat.  Figures  et  choses  d'autrefois  (le  princi- 
pal article  est  consacré  à  Clavière).  —  Colonel  E.  Bourdeau.  Cam- 
pagnes modernes.  T.  II.  L'épopée  impériale,  1804-1814  (exposé  large 
et  complet). 

8.   —   Revue    des    sciences   politiques.    1919,    15   octobre.   — 
G.  Lecarpentier.  Paul  Leroy-Beaulieu  économiste.  —  G.  LaGny. 
Rev.  IIistor.  CXXXVII.  2*  fassc.  19 


290  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

L'Angleterre  et  la  France  et  les  stipulations  financières  du  traité  du 
20  novembre  1815;  fin  au  n»  suivant  (sur  l'indemnité  de  700  mil- 
lions, 125  devaient  revenir  à  l'Angleterre,  70  millions  étaient 
donnés  à  des  particuliers;  l'exécution  de  ces  charges,  le  règlement 
définitif).  —  Paul  Vaucher.  La  réforme  constitutionnelle  et  l'avène- 
ment des  partis  démocratiques  en  Suède  (durant  la  dernière  guerre). 

—  O.  Festy.  Le  vicomte  Alban  de  Villeneuve-Bargemont  et  la  con- 
dition des  ouvriers  français  aux  environs  de  1830;  fin.  —  F. -P. 
Renaut.  La  situation  politique  en  Caucasie,  1917-1919.  =  C. -rendu  : 
0.  Reclus.  L'Atlantide  :  Algérie,  Maroc,  Tunisie  (œuvre  de  foi  pas- 
sionnée). =r  15  décembre.  V.  de  Marge.  Vue  d'ensemble  sur  la  Cour 
des  comptes  en  Allemagne,  en  Autriche  et  en  Italie.  —  L.  Roulleau 
de  La  Roussière.  Louis  XVIII  pendant  les  Cent-Jours.  La  politique 
de  la  cour  de  Gand  (la  cour  de  Gand  prépara  la  seconde  restauration 
par  ses  bonnes  relations  avec  l'Angleterre,  ses  efîorts  pour  se  conci- 
lier la  Russie  et  l'Autriche  ;  cette  restauration  ne  doit  pas  être  attri- 
buée au  seul  Fouché).  —  H.  Froidevaux.  Formation  territoriale  de 
l'Afrique  orientale  allemande  (colonie  merveilleusement  riche  et  pleine 
de  promesses).  —  A.  Isambert.  Les  provinces  du  Rhin  pendant  l'ar- 
mistice (le  mouvement  séparatiste,  Tadministration  judiciaire).  = 
C. -rendus  :  André  Hallays.  L'opinion  allemande  pendant  la  guerre 
1914-1918  (instructif  et  profitable).  —  A.  Beaunier.  La  jeunesse  de 
Joubert  (véritable  régal).  =:  1920,  15  février.  R.  Pinon.  La  nouvelle 
Europe  (leçon  d'ouverture  du  cours  à  l'École  des  Bciçnces  politiques). 

—  Comte  de  Calan.  Les  élections  de  1919  et  leurs  précédents  histo- 
riques (examine  les  diverses  régions  de  la  France).  —  A.  Alvarez. 
L'organisation  internationale  d'après  le  traité  de  Versailles  (étudie  les 
conséquences  du  traité  pour  le  droit  public  européen  et  le  droit  public 
américain).  —  L.  R.  Notes  sur  le  bolchévisme.  Impressions  d'un 
témoin.  =  C. -rendu  :  J.  Jusserand.  En  Amérique  jadis  et  mainte- 
nant (a  bien  mis  en  lumière  les  vieilles  relations  d'amitié  entre  l'Amé- 
rique et  la  France).  =  15  avril.  Lord  Bryce.  Réflexions  sur  l'histoire 
universelle  (communication  faite  à  la  British  Academy,  œuvre  d'uni- 
fication faite  par  la  religion  et  la  science).  —  Paul  Matter.  Les  ten- 
tatives de  colonisation  allemande  en  Alsace-Lorraine  (tentatives  avant 
la  guerre;  la  société  Westmarck,  créée  pendant  la  guerre;  très  inté- 
ressant). —  F.  BaldensperGER.  Les  universités  américaines  et  leur 
orientation  dominante  (souligne  les  différences  entre  les  universités 
françaises  et  américaines).  —  ***.  Ce  qu'on  apprend  à  l'Université 
d'Oxford.  —  DOBRO.  L'intrigue  allemande  en  Ukraine  (publie  une 
circulaire  que  le  chargé  d'affaires  en  Ukraine,  le  comte  Berckheira, 
adressa  le  3  décembre  1918  aux  consuls  allemands;  elle  montre  que 
l'Allemagne  rêvait  de  compensations  en  Russie).  —  A.  Gérard.  A 
propos  du  traité  de  Versailles  du  28  juin  1919  (analyse  du  livre  de 
G.  Hanotaux).  —  P.  Cauboue.  L'expansion  économique  itahenne  en 
Europe  occidentale  (en  Bulgarie,  Grèce,  Pologne,  Roumanie,  Russie 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  291 

méridionale,  Tchécoslovaquie,  Turquie).  =  C. -rendu  :  A.  Léman. 
Urbain  VIII  et  la  rivalité  de  la  France  et  de  la  maison  d'Autriche  de 
1631  à  1635  (très  savant,  mais  mal  composé).  =  15  juin.  J.  Rovère. 
L'opinion  et  la  vie  politique  en  Bavière  de  1871  à  1914  (les  divers  roi^ 
et  ministres;  les  partis  libéral,  conservateur  et  socialiste).  — A.  D. 
L'armée  allemande  de  1871  à  1918  (d'après  le  livre  de  Camena  d'Al- 
méida).  —  P.  Bodereau.  Gambetta  (d'après  le  livre  de  Paul  Descha- 
nel).  —  G.  GiDEL.  Le  ministère  de  Talleyrand  en  1814  (d'après  le 
livre  de  Ch.  Dupuis).  =  C. -rendus  :  Ch.  Rist.  La  doctrine  sociale  de 
Lénine  (pénétrant).  —  G.  Goyau.  L'Église  libre  dans  l'Europe  libre 
(analyse  les  idées  de  M.  Goyau  :  l'Église  associée  à  la  victoire). 

9.  —  Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France.  1921,  avril-juin. 
—  Baron  J.  de  Terline.  Une  signature  suspecte  de  Jeanne  d'Arc  (la 
signature  tracée  au  bas  de  la  lettre  du  16  mars  1430,  possédée  par  le 
comte  de  Maleissye,  diffère  >  nettement  de  celle  du  9  novembre 
1429,  qui  s'est  conservée  aux  archives  de  Riom;  n'a-t-on  pas  le 
droit  de  la  tenir  pour  suspecte?).  —  A.  Clerval.  Strasbourg  et  la 
Réforme  française,  octobre  1525-décembre  1526  (Lefèvre  d'Étaples  et 
ses  amis,  pour  échapper  aux  poursuites  dirigées  contre  eux  par  la 
Sorbonne  et  le  Parlement  de  Paris,  se  réfugient  à  Strasbourg  en  sep- 
tembre 1525;  ils  y  travaillent  à  l'œuvre  de  la  réforme,  qu'ils  veulent 
propager  en  France.  Au  retour  de  sa  prison,  François  I"^"",  sur  l'inter- 
cession de  sa  sœur,  s'empressa  de  rappeler  les  exilés  «  avec. hon- 
neur »,  mais  se  garda  bien  de  s'associer  à  leur  entreprise;  d'ailleurs, 
le  zèle  de  Lefèvre  lui-même  se  rçfroidit  et  Farel,  qui  n'avait  pu  ren- 
trer en  France,  émigra  en  Suisse).  —  Bulletin  critique  (sur  la  «  Gallia 
christiana  novissima  »,  t.  V  et  VI;  J.  Depoin.  Recueil  de  chartes  et 
documents  de  Saint-Martin-des-Champs;  E.  Sainte-Marie  Perrin. 
La  belle  vie  de  sainte  Colette' de  Corbie,  1381-1447;  R.  Chauviré. 
Jean  Bodin;  Georges  Goyau.  Une  ville-église,  Genève,  1535-1907; 
E.  Jovy.  Fénelon  inédit;  J.  Gass.  Strassburger  Theologen  im  Auf- 
kla?rungszeitalter,  1766-1790;  abbé  J.  Charonnot.  Mgr  de  La  Luzerne 
et  les  serments  pendant  la  Révolution). —  Notes  bibliographiques.  — 
Chronique  d'histoire  régionale  :  Ile-de-France,  Maine,  Touraine, 
Anjou,  Normandie,  Bretagne,  Orléanais,  Poitou,  Angoumois,  Aunis  et 
Saintonge.  —  Revue  des  périodiques. 

10.  —  Revue  générale  du  droit.  1920,  mars-avril.  —  A.  ISORÉ. 
Recherches  d'un  régime  matrimonial  de  droit  commun;  fin.  — 
Ch.  KuHLMANN.  Le  pacilicisme  et  la  Révolution  française;  suite  dans 
les  trois  n*»»  suivants  et  à  suivre  (étude  qui  a  paru  en  juillet  1915  dans 
la  Mid.  West  Quarterly,  publiée  par  l'Université  de  Lincoln, 
Nébraska,  et  qui  est  traduite  ici,  avec  de  nouveaux  développements 
ajoutés  par  l'auteur;  le  pacificisme  des  Jacobins;  rôle  du  «  cercle 
social  »  créé  à  Paris  en  octobre  1790).  —  J.  Crouzel.  Études  sur  la 
responsabilité:  suite,  continuées  et  finies  dans  les  deux  n"«  suivants 


292  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

(des  obligations  de  voisinage).  —  Alessandri.  Le  droit  international 
public,  son  fondement  et  sa  sanction  ;  suite  au  n"  suivant  (définitions  ; 
à  suivre).  =  C. -rendu  :  Eug.  CaLvaignac.  Histoire  de  l'antiquité  : 
Javan,  l'Orient  et  les  Grecs  (bon).  =  Mai-juillet.  J.  Bonnecase.  La 
philosophie  diT  code  Napoléon  iappliquée  au  droit  de  famille  ;  suite 
dans  les  deux  n°^  suivants.  =  C. -rendu  :  J.-L.  de  Lanessan.  Les 
relations  de  la  France  et  de  l'Angleterre  depuis  le  xvi^  siècle  jusqu'à 
nos  jours  (plaidoyer  en  faveur  de  l'entente;  les  deux  nations  ont 
besoin  l'une  de  l'autre  et  se  complètent  l'une  l'autre).  =  Août-oc- 
tobre. Ch.  Appleton.  L'hypercritique  ;  fin  au  n°  suivant  (erreurs  où 
sont  tombés  de  grands  savants  pour  avoir  dédaigné  le  témoignage  des 
anciens.  Exemple  :  la  question  du  taux  de  l'intérêt  à  Rome).  — 
J.  PÉRITCH.  Le  droit  de  rébellion  en  droit  pénal  serbe  et  français;  fin 
au  n»  suivant.  =  C. -rendus  :  G.  Schelle.  Œuvres  de  Turgot;  t.  III 
(ce  tome  montre  le  rôle  de  Turgot  comme  intendant  du  Limousin, 
1768-1774).  —  D'Estournelle  de  Constant.  Les  États-Unis  d'Amé- 
rique (réédition  d'un  ouvrage  paru  avant  la  guerre).  =  Novembre- 
décembre.  C. -rendu  :  Joseph  Barthélem.y.  Le  gouvernement  de  la 
France  (plan  judicieux,  très  net). 

11.  —  Revue  Mabillon.  N°  39,  juillet  1920.  —  Léon  Maître.  Les 
abbayes  de  Déols  et  de  Saint -Martial  de  Limoges  et  leurs  sépul- 
tures insignes  (les  tombeaux  de  Léocade  et  de  son  fils  saint  Ludre  à 
Déols,  celui  de  saint  Ursin  à  Bourges).  —  Dom  Léon  Guilloreau. 
Les  funérailles  de  Catherine  d'Aragon  à  Peterborough,  29  janvier 
1536  (d'après  la  relation  faite  par  Eustache  Chapuis  à  Charles-Quint, 
dont  il  était  l'agent  à  Londres  ;  la  relation  est  aux  archives  de  Vienne). 
—  M.  Langlois.  Gaignières  au  pays  chartrain  (en  1695, 1696  et  1699; 
il  y  fit  provision  d'un  certain  nombre  de  pièces  originales).  —  F.  Uzu- 
reau.  L'abbaye  du  Ronceray  d'Angers  au  début  du  xviii®  siècle 
(notice  due  à  Joseph  Grandet,  empruntée  à  son  ouvrage  manuscrit 
«  Notre-Dame  angevine  »  composé  en  1704).  —  Dom  J.-M.  Besse. 
Chronique  bibliographique.  =  N°  40,  novembre  1920.  D.  P.  Monsa- 
BERT.  Dom  Besse,  f  26  juillet  1920.  —  Léon  Maître.  L'abbaye  de 
Saint-Martial  de  Limoges.  La  crypte  et  le  château  (difficulté  de  déter- 
miner la  place  du  tombeau  de  saint  Martial).  —  R.  Delamare. 
Quelques  notes  sur  la  liturgie  dans  les  abbayes  normandes  (au  moyen 
âge).  —  Dom  Léon  Guilloreau.  Visite  des  monastères  de  la  ville 
d'Angers  par  les  commissaires  du  légat  Stefano  Nardini  (août-octobre 
1467,  d'après  les  procès-verbaux  conservés  aux  archives  de  Maine-et- 
Loire).  —  Dom  P.  MoNSABERT.  L'abbaye  Sainte-Croix  de  Poitiers  et  la 
troisième  guerre  de  rehgion  ;  fin  au  n°  42-43  (liste  des  dégâts  commis 
à  l'abbaye,  constatés  par  une  visite  de  1569-1570,  et  autres  documents 
sur  les  pillages).  —  Dom  G.  Charvin.  Notes  bibhographiques  (par 
régions).  =  N"  41,  janvier  1921.  Dom  Léon  Guilloreau.  Analyses  des 
«  Norman  Rolls  »  de  Henri  V  d'Angleterre,  relatives  aux  établisse- 
ments reUgieux  de  Normandie;  fin  dans  le  n°  suivant  (6  septembre 


RECUEILS   PÉRIODIQDES.  293 

1417-24  août  1422).  —  G.  V.  Le  cartulaire  de  Montier-en-l'Ile  et  le 
fonds  de  ce  prieuré  aux  archives  de  l'Aube  (le  cartulaire,  liste  des 
documents  de  878  à  1380;  publie  les  documents  inédits;  à  suivre).  — 
J.-B.  Martin.  Bibliographie  liturgique  de  l'ordre  de  saint  Benoît; 
suite  au  u»  suivant  (147  ouvrages  cités;  d'abord  ceux  qui  ne  sont  pas 
datés,  puis  les  ouvrages  datés  de  1480  à  1576;  à  suivre).  —  Dom  G. 
Charvin.  Chronique  bibliographique.  =  N*»  42-43,  avril-juillet  1921. 
Dom  A.  WiLMART.  Le  couvent  et  la  bibliothèque  de  Cluny  vers  le 
milieu  du  xi"»  siècle  (bref  des  livres  à  lire  en  carême  et  liste  des  lec- 
teurs; on  idendifie  les  livres  indiqués  dans  le  bref,  qui  remonte  à  l'an- 
née 1042).  —  Dom  Van  den  Boren.  Bénédictins  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur  originaires  des  territoires  formant  aujourd'hui  le  diocèse 
de  Versailles  (religieux  de  chœur  et  frères  convers).  —  Dom  G.  Char- 
vin.  Chronique  bibliographique. 

12.  —  Le  Correspondant.  1921,  10  juin.  —  La  Cour-Grandmai- 
SON.  A  propos  du  programme  naval.  Quelques  enseignements  de  la 
guerre  sur  mer.  —  R.-P.  LaCORdaire.  Lettres  à  deux  jeunes  Alsa- 
ciens-Lorrains (ces  deux  personnes  sont  Paul  Rencker,  de  Strasbourg, 
qui  fut  ordonné  prêtre  en  1851  et  mourut  à  Strasbourg  en  1865,  et 
Jules  Guipon,  de  Briey,  mort  en  1875  médecin  à  Laon.  Tous  deux 
assistèrent  en  1846  aux  sermons  prêches  par  le  P.  Lacordaire  à  la 
cathédrale  de  Strasbourg;  ils  lui  furent  présentés,  eurent  la  joie  de 
converser  avec  lui  et,  désormais,  restèrent  en  correspondance  avec 
celui  qu'ils  considéraient  comme  leur  directeur  spirituel.  C'est  de  cette 
correspondance  que  le  P.  Janvier  publie  des  extraits,  de  1846  à  1861). 
—  Jean  Pozzi.  Les  roses  de  Konopitschte  (caractère  et  Idées  de  l'ar- 
chiduc François-Ferdinand;  quelle  fut  l'importance  de  l'entrevue  de 
l'héritier  présomptif  de  l'empire  dualiste  avec  Guillaume  II  en  1914? 
Rien  ne  permet  encore  d'affirmer  que  l'exécution  militaire  contre  la 
Serbie  et,  moins  encore,  la  guerre  mondiale,  furent  décidées  à  Kono- 
pitschte. La  visite  de  ['empereur  d'Allemagne,  bien  qu'escorté  de  Tir- 
pitz.  paraît  n'avoir  été  qu'un  acte  de  courtoisie).  —  G.  Saint -Yves. 
L'occupation  française  du  bassin  de  la  Ruhr,  1806-1815  (le  grand-duché 
de  Berg  et  l'administration  française  sous  Agar  et  Beugnot).  =: 
25  juin.  P.  Decize  et  J.  Derpuy.  Une  nouvelle  question  des  Pays- 
Bas.  La  nation  rhénane  (la  géographie  et  l'histoire  du  bassin  du  Rhin 
de  la  Suisse  à  la  mer  ont  fait  des  peuples  habitant  cette  région  une 
nation  que  le  Rhin  ne  saurait  séparer  en  deux  moitiés.  Il  faut  faire 
en  sorte  que  cette  nation  se  joigne  volontairement  à  la  France).  — 
L.  DE  Lanzac  de  Laborie.  Quarante  ans  d'épiscopat  sous  l'Ancien 
régime,  la  Révolution  et  le  Consulat  :  le  cardinal  de  Boisgelin  (d'après 
la  thèse  de  l'abbé  Lavaquery).  —  ***.  Les  zones  et  les  traités  (régime 
des  traités  passés  depuis  le  wi*  siècle  entre  la  France  et  Genève;  en 
1860,  Napoléon  III,  pour  calmer  les  susceptibilités  de  l'Angleterre  et 
répondre  aux  vœux  de  la  population  genevoise,  résolut  de  faire  de  la 
Savoie  du  Nord  une  zone  franche;  quel  intérêt  la  France  aurait-elle 


294  aEcuEiLs  périodiqces. 

aujourd'hui  à  détruire  cette  œuvre  boiteuse  peut-être,  mais  bienfai- 
sante, puisqu'elle  crée  la  paix?).  —  Ernest  Dimnet.  M.  Lansing  et  le 
président  Wilson  (puissant  intérêt  du  livre  de  M.  Lansing  :  «  The 
peace  négociations  »  ;  il  met  à  nu  froidement,  lourdement,  les  erreurs 
du  président  Wilson,  les  fautes  de  la  politique  française,  mais  aussi 
les  préjugés  tenaces  des  Américains  contre  la  France  ;  ce  qui  peut  le  plus 
nous  nuire  est  de  dire  et  de  répéter  cette  erreur  que  c'est  à  Paris  qu'ont 
été  élaborées  les  compromissions  louches  et  injustes  du  traité  de  paix). 
—  Guy  DE  Valaus.  Revues  d'Italie  (traduction  de  certains  passages  de 
revues  italiennes  sur  le  fascisme,  les  récentes  élections,  1'  «  italianité  » 
de  la  Dalmatie). 

13.  —  Études.  Revue  fondée  par  des  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  1921,  5-20  juin.  —  Adhémar  d'Alès.  Saint  Éphrem  le  Syrien 
et  l'église  grecque  (né  au  début  du  iv^  siècle  à  Nisibe,  mort  en  juin 
373,  saint  Éphrem  vient  d'être  proclamé  par  Benoît  XV  docteur  de 
l'Église  universelle).  —  François  Bertrand.  Choses  de  l'Inde  :  la 
situation  politique  en  février  1921  (les  partis  :  les  nationalistes,  les 
modérés,  les  non-brahmes;  l'œuvre  des  missionnaires  catholiques). — 
Louis  Jalabert.  Six  mois  d'histoire  grecque  (la  surprise  des  élections 
du  14  novembre  1920  et  la  restauration  de  Constantin;  la  conférence 
de  Londres;  la  Grèce  continuera-t-elle  la  guerre?).  =  C. -rendus  : 
Charles  Rivet.  Chez  les  Slaves  libérés  (beaucoup  d'illusions  sur 
les  Tchécoslovaques).  —  A.  Bellessort.  Études  et  figures  (on  insiste 
sur  l'article  consacré  à  Veuillot). 

14.  —  La  Revue  de  Paris.  1921,  l^""  juin.  —  ***.  La  conférence 
de  Londres  («  il  faut  que  l'opinion  sache  à  quelles  préoccupations 
sont  en  proie  les  négociateurs  britanniques  ;  lorsqu'elle  le  saura,  elle 
aura  peut-être  moins  tendance  à  dénoncer  les  intrigues  machiavéliques 
du  Foreign  Office  ».  La  conférence  de  Londres  n'a  pas  laissé  d'appor- 
ter à  la  France  d'appréciables  avantages).  —  Emile  Mâle.  Études 
sur  l'art  de  l'époque  romane.  I.  Le  monde  et  la  nature  dans  l'art  du 
xiF  siècle  (l'art  du  moyen  âge  s'est  proposé  d'illustrer  l'Évangile  ou  la 
Vie  des  saints  ;  mais  aussi  il  s'est  appliqué  parfois  à  expliquer  le  vaste 
univers.  Montre  ce  que  le  xiF  siècle  avait  conservé  des  notions 
acquises  sur  le  monde  par  l'antiquité  et  ce  qu'en  traduisent  les  ima- 
giers,, instruits  par  le  «  Physiologus  »  et  par  le  Bestiaire  qui  en  pro- 
vient). —  Pierre  de  Nohlac.  Ronsard  et  l'Université  de  Paris.  — 
L.  Blum.  La  maladie  chronique  de  l'enseignement  secondaire.  — 
Henri  Hauvette.  Dante  et  la  pensée  moderne  (en  quoi  Dante,  si  pro- 
fondément imbu  de  l'idée  scolastique,  intéresse  cependant  les  modernes  : 
l'idée  de  l'unité  italienne,  l'amour  de  la  science.  «  Homme  du  moyen 
âge,  il  l'est  assurément,  mais  avec  des  échappées  lumineuses  de  pen- 
sée et  de  sentiments  modernes  »).  —  ***.  Au  3^  bureau  du  3«  G.  Q.  G., 
1917-1918.  III  (vivant  exposé  de  la  victorieuse  contre-ofïensive  de  juil- 
let-octobre 1918.  Faute  commise   par   Hindenburg  en  retardant  la 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  '  295 

retraite  de  ses  armées;  il  courait  ainsi  à  un  désastre  que  lui  a  épar- 
gné l'armistice,  signé  sans  condition,  du  11  novembre).  =  15  juin. 
Duc  DE  Leuchtenberg.  La  débâcle  de  l'armée  russe  en  1917  (ex-com- 
mandant d'une  brigade  de  chasseurs  du  Turkestan,  ancien  aide  de 
camp  de  Nicolas  II,  l'auteur  a  pu  suivre  de  près  et  il  nous  montre  les 
progrès  de  la  démoralisation  dans  l'armée  russe  avant  la  révolution 
où  elle   s'effondra).  —  Emile  Mâle.   Études   sur  l'art  de  l'époque 
romane.  Le  monde  et  la  nature  dans  l'art  du  xii«  siècle  ;  suite  (la  con- 
naissance plus  profonde  que  nous  avons  de  l'art  décoratif  en  Orient 
prouve  clairement  que,  presque  toujours,  l'étrange  forme  des  chapi- 
teaux et  des  portails  reproduit  les  magnifiques  animaux  des  tissus 
orientaux.  Il  n'y  faut  pas  voir  une  influence  du  symbolisme  :  «  Nos 
sculpteurs   ne   pensaient   pas    toujours  à   instruire;    la   plupart   du 
temps  ils   ne   songeaient   qu'à   décorer    »).  —   Prince   de    Condé. 
Journal  d'émigration  (arrivé  à  Bruxelles   avec  son  fils   et  l'un  de 
ses  petit-fils,  le  prince  de  Condé  rédigea  un  journal  dopt  le  comte 
de  Ribes  entreprend  la  publication.  Il  commence  au  15  juillet  1789, 
jour  où  le  prince  quitta  Chantilly  pour  un  voyage  qui  devait  être  un 
long  exil.   Séjour  à  Bruxelles,   puis   départ   pour  Aix-la-Chapelle, 
Cologne,  Mayence,  où  l'on  arrive  le  9  août).  —  Amiral  Degouy. 
Les  armistices;  préliminaires  de  paix  (à  la  difïérence  des  armis- 
tices conclus  par  Bonaparte,  par  Napoléon  I<=»",  par  Napoléon  III, 
par  les  Anglais  en  1807  et  à  Moudros  en  octobre  1918,  l'armistice 
du  11  novembre  1918  n'a  pas  été  conçu  comme  fixant  les  prélimi- 
naires d'une  paix.  Foch  avait  sans  doute  les  pleins  pouvoirs  pour 
imposer  ses  conditions  ;  mais  il  n'était  pas  libre  et,  d'ailleurs,  il  igno- 
rait la  situation  vraie  de  l'Allemagne.  Il  eût  fallu  dire  que  des  négo- 
ciations pour  la  paix  auraient  lieu  à  telle  date  entre  les  ptiissances 
alliées  et  «  les  États  allemands  »  et,  en  outre,  que  l'occupation  d'une 
partie  du  territoire  allemand  serait  «  administrative  »  en  même  temps 
que  militaire.  On  laissa  passer  l'occasion  de  rendre  aux  «  États  alle- 
mands »  ce  que  la  Prusse  leur  avait  enlevé  depuis  1815,  et  on  permit 
à  Berlin  de  reconquérir  la  suprématie  qu'il  avait  failli  perdre  sur  «  les 
Alleraagnes  »).  :=  lo""  juillet.  Lyautey.  Lettres  du  Tonkinetde  Mada- 
gascar, 1895-1899  (intéressant  pour  le  caractère  de  l'homme,  qui  est 
un   moraliste  et  un  organisateur  eu  même  temps  qu'un  soldat;  la 
force  n'est  pour  lui  qu'un  moyen  pour  faire  triompher  une  civilisation 
supérieure  chez  des  peuples  enfants).  —  Maurice  Bompard.  L'entrée 
en  guerre  de  la  Turquie.  I  (très  instructif;  l'auteur  apporte  d'impor- 
tantes rectifications  aux  mémoires  de  Morgenthau.  Il  montre  comment 
les  Jeunes  Turcs  en  vinrent  à  cette  conviction  que  l'empire  turc 
n'aurait  de  salut  que  dans  une  alliance  avec  la  plus  grande  puissance 
militaire  du  monde,  l'invincible  Allemagne).  —  A.  Le  Chatelier. 
Pour  nos  livres  (ce  qu'il  faut  faire  pour  avoir  enfin  du  papier,  à  la  fois 
bon  et  d'un  prix  raisonnabU'.  L'avenir  de  la  production  intellectuelle 
de  la  Franco  dépend  de  quelques  industriels  et  dos  mesures  qu'ils 


« 


296  RECUEILS   PERIODIQUES. 

prendront  ou  qu'il  faudra  leur  imposer.  L'auteur  ne  dit  pas  que, 
pour  éditer  un  livre,  il  faut  encore  autre  chose  que  du  papier).  —  Prince 
DE  CONDÉ.  Journal  d'émigration.  II  (du  10  août  à  l'arrivée  en  Suisse, 
à  Schafïouse,  le  21,  puis  à  Lucerne,  le  5  septembre.  Beaucoup  de 
détails  d'un  caractère  très  banal.  Ce  qui  frappe  surtout,  c'est  la  nul- 
lité du  prince).  —  J.  Dessaint.  Le  centenaire  de  Joseph  de  Maistre. 
—  Joseph  Vassal.  Dans  les  pays  rhénans  (rapports  de  la  population 
avec  les  Français  dans  les  pays  occupés.  Corrects,  sans  plus;  l'in- 
fluence française  ne  paraît  pas  pouvoir  de  si  tôt  contrebalancer  l'in- 
fluence allemande). 

15.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  1^'  juin.  —  E.  Wet- 
TERLÉ.  La  «  langue  maternelle  »  en  Alsace  et  en  Lorraine  (ce  n'est 
pas  l'allemand,  mais  le  patois,  qui  est  un  dialecte  allemand  sans  doute, 
mais  non  une  langue  littéraire.  Sous  le  régime  allemand,  on  forçait 
les  enfants  des  écoles  à  apprendre  l'allemand  ;  ils  devront  apprendre 
le  français  sous  le  régime  français.  Personne  ne  songe  à  leur  interdire 
l'usage  de  leur  langue  maternelle).  —  René  Bazin.  Charles  de  Fou- 
cauld.  III.  L'appel  du  désert  (Charles  de  Foucauld  entra  à  la  Trappe 
le  16  janvier  1890.  Son  noviciat  terminé  à  Notre-Dame-des-Neiges, 
il  est  envoyé,  sur  sa  demande,  au  monastère  de  Notre-Dame-du-Sacré- 
Cœur,  dans  les  montagnes  de  la  Syrie  septentrionale  ;  puis  il  demande 
à  mener  la  vie  d'ermite  dans  le  désert  algérien  et  part  pour  Beni- 
Abbès  en  1901.  Il  se  propose  de  servir  d'aumônier  aux  soldats  français 
et  surtout  de  conquérir  les  Mahométans  au  christianisme).  —  Jérôme 
et  Jean  Tharaud.  Bolchévistes  de  Hongrie.  III.  La  Jérusalem  nou- 
velle (splendeur  et  misère  de  Bêla  Kun  et  consorts.  Violente  animo- 
sité  contre  les  Israélites  qui,  traqués  de  toute  part,  conservent  néan- 
moins une  surprenante  force  de  vie  et  l'espoir  d'un  brillant  retour  de 
fortune).  —  Duc  de  La  Force.  Le  grand  Conti(à  l'armée,  1688-1693, 
où  il  se  fait  un  solide  renom  de  courage  et  de  science  militaire,  mais 
sans  réussir  à  obtenir  du  roi  le  commandement  des  armées.  L'affaire 
de  Pologne  s'offre  à  lui  en  1697  comme  une  occasion  de  prendre  sa 
revanche  sur  la  mauvaise  fortune).  =  15  juin.  Saint-Denis,  dit  Ali. 
Souvenirs  du  second  mameluk  de  l'empereur  (Louis-Étienne  Saint- 
Denis  est  né  à  Versailles  le  22  septembre  1788;  fils  d'un  professeur 
d'équitation,  il  fut  d'abord  clerc  de  notaire;  la  protection  du  duc  de 
Vicence  le  fit  entrer  dans  la  maison  de  l'empereur,  où  il  devint  sous- 
piqueur,  puis  mameluk  ;  il  prit  alors  le  nom  d'Ali.  Il  accompagna  Napo- 
léon dans  la  campagne  de  Russie,  à  l'ile  d'Elbe,  à  S<ainte-Hélène,  où 
il  se  maria  et  où  il  obtint  de  retourner  lors  du  «  retour  des  cendres  » 
en  1840.  Retiré  finalement  à  Sens,  il  se  mit  à  écrire  ses  souvenirs, 
dont  l'original  autographe  est  conservé  dans  sa  famille.  Souvenirs 
tardifs,  comme  on  voit,  mais  Saint-Denis,  modeste  et  sincère,  parait 
avoir  été  doué  d'une  bonne  mémoire;  il  resta  fidèlement  attaché 
à  son  empereur.  Il  mourut  le  9  mai  1856.  Dans  ce  premier  article, 
Ali  explique  en  quoi  consistait  son  service  auprès  de  S.  M.  en  1812 


RECUEILS  pe'riodiques.  297 

à  Paris  ou  à  Saint-Cloud  ;  puis  il  raconte  l'incendie  de  Moscou,  la 
retraite  de  Russie,  la  tentative  de  suicide  de  l'empereur  à  Fontaine- 
bleau). —  René  Bazin.  Charles  de  Foucauld,  explorateur  du  Maroc, 
ermite  au  Sahara.  IV  (soulèvement  des  Berâbers  en  1903;  le  «  Père 
Charles  »  obtient  l'autorisation  de  rejoindre  le  poste  de  Taghit,  qui 
était  en  danger  et  ou  il  n^y  avait  personne  pour  porter  les  secours  de  la 
religion!.  —  Raymond  Thamin.  La  réforme  de  l'enseignement  secon- 
daire. II.  Le  recrutement  de  l'élite.  —  Duc  de  La  Force.  Le  grand 
Conti.  IV  (élection  de  Conti  comme  roi  de  Pologne,  en  juin  1697; 
malgré  la  répugnance  qu'il  éprouve  à  prendre  une  couronne  qui  ne  lui 
est  pas  offerte  par  un  vœu  unanime,  il  part,  échappe  à  la  surveillance 
des  Anglais  et  arrive  à  Danzigle  26  septembre.  Là,  il  constate  que  ses 
partisans  sont  aussi  tièdes  que  ses  ennemis  sont  actifs,  et  il  se  rem- 
barque le  9  novembre.  Procès  intenté  au  prince  par  la  duchesse  de 
Nemours  pour  lui  disputer  la  succession  de  Longueville.  Sa  mort, 
22  février  1709).  —  Jacques  Chevalier.  Comment  s'est  faite  la  France 
(d'après  le  volume  de  P.  Imbart  de  La  Tour  dans  1'  «  Histoire  de  la 
nation  française  »  de  Hanotaux).  =  1«''  juillet.  Saint-Denis,  dit  Ali. 
Souvenirs  du  second  mameluk  de  l'empereur.  II  (la  maison  de  l'em- 
pereur à  l'île. d'Elbe  et  retour  de  Napoléon;  ce  dernier  chapitre,  vrai- 
ment très  intéressant,  appartient  à  la  grande  histoire).  —  André 
Hallays.  Jean  de  La  Fontaine.  —  Edmond  Pilon.  Autour  de  La 
Fontaine.  Maucroix  et  la  marquise  de  Brosses.  —  Raymond  Thamin. 
La  réforme  de  l'enseignement  secondaire.  III.  La  querelle  des  pro- 
grammes. —  ***.  Lettres  de  Pétrograd;  esquisses  de  la  vie  soviétique 
(extraits  de  lettres  écrites  par  un  Russe  qui  réussit  à  pénétrer  secrète- 
ment à  Pétrograd  et  à  y  demeurer  en  janvier-mars  1921.  L'aspect 
extérieur  de  la  ville  est  fantastique  et  lamentable;  c'est  la  désolation; 
dans  l'intérieur  des  maisons,  c'est  la  misère  pour  tout  le  monde, 
bourgeois  et  autres,  tous  étant  soumis  au  même  niveau  de  la  faim,  du 
froid  et  de  la  saleté). 

16.  — Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Comptes- 
rendus  des  séances  et  travaux.  1920,  juillet-août.  —  G.  Lacour- 
Gavet.  Le  traité  hollando-belge  du  10  avril  1839  (d'après  l'ouvrage 
d'Alfred  de  Ridder).  —  Geoffroy  de  Grandmaison.  Les  aumôniers 
militaires  catholiques  pendant  la  guerre.  —  Christian  Schefer.  Un 
colonial  d'autrefois  :  le  chevalier  Mesnager,  gouverneur  de  Gorée  (il 
reçut  ce  titre  en  1764  et  fut  rappelé  en  1767;  affaires  qu'il  eut  à  trai- 
ter). —  D""  Cabanes.  La  méthode  scientifique  appliquée  à  l'histoire. 
Taine,  historien  physiologiste  (sa  théorie  de  la  race,  du  milieu  et  du 
moment;  ses  tentatives  de  psychologie  appliquée).  =:  Septembre- 
octobre.  G.  Lacour-Gayet.  Guillaume  II  et  la  marine  allemande 
(chap.  .wiii  du  volume  «  Guillaume  II  le  Vaincu  »,  paru  chez  Hachette). 
—  Jean  Bourdeau.  La  guerre  et  la  paix  d'après  les  prévisions  des 
sociologues  (il  faut  se  défier  des  thèses  des  sociologues  ;  avant  1914,  ils 
concluaient  à  l'impossibilité  d'une  guerre).  —  É.  Chartier.  La  vitalité 


298  RECOEILS  PÉRIODIQUES. 

française  au  Canada  (le  recensement  de  1911  comptait  3,254,890  Fran- 
çais, et  ils  pensent,  parlent  et  vivent  en  Français).  —  H.  Buffenoir. 
Napoléon  et  J.-J.  Rousseau  (influence  du  second  sur  le  premier).  =: 
Novembre-décembre.  E.  Seilliére.  Joseph  de  Maistre  et  Rousseau 
(sociologie  mystique  de  Joseph  de  Maistre  ;  il  croit  que  Dieu  marque 
au  front  les  rois,  qu'il  dicte  les  constitutions  durables,  que  chaque 
peuple  a  sa  mission;  il  est  mystique  comme  Jean-Jacques,  mais  son 
mysticisme  est  aristocrato-monarchique,  celui  de  Rousseau  est  déma- 
gogique). —  Jean  Bourdeau.  Un  nouveau  Tolstoï  (d'après  les  conver- 
sations que  Gorski  eut  avec  lui  en  1901).  —  Ch.  Pfister.  Les 
voyages  de  Louis  XIV  en  Alsace.  I  (celui  d'aoùt-septembre  1673).  — 
Arthur  Raffalovich.  Le  problème  monétaire  aux  Indes  (au  début  de 
1920).  —  Jacques  Bardoux.  La  crise  révolutionnaire  en  Angleterre 
(depuis  1906;  ses  origines  religieuses;  la  campagne  de  R.  Blatchford 
contre  le  puritanisme  biblique).  =  1921,  janvier-février.  Ch.  Lyon- 
Caen.  Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M..  Louis  Liard,  1846-1917 
(lue  à  la  séance  publique  du  18  décembre  1920).  —  E.  Seilliére. 
Bonald  et  Rousseau  (Bonald  Juge  très  sévèrement  Rousseau;  il  réfute 
sa  doctrine  de  la  bonté  naturelle;  il  trouve  la  thèse  de  l'Emile 
funeste;  il  classe  l'auteur  de  la  Nouvelle  Hélolse  parmi  les  hommes 
à  imagination;  néanmoins,  sa  doctrine  propre  décèle  un  rous- 
seauisme  latent).  —  E.  Descamps.  Le  génie  de  'la  langue  fran- 
çaise et  son  rayonnement  international  (hommage  rendu  à  la  langue 
française  par  l'éminent  ministre  d'État  de  la  Belgique).  —  Georges 
Tessier.  Les  voies  de  recours  contre  les  actes  de  la  puissance 
publique  (à  propos  du  livre  de  M.  Pierre  Dareste).  —  D""  Cabanes.  Les 
historiens  physiologiques;  suite  (la  méthode  pseudo-scientifique  de 
Michelet). 

17.  —  L^ Anjou  historique.  1920,  mars-décembre.  —  M'i«  Rous- 
seau, fondatrice  de  la  Croix  et  de  la  Providence  à  Angers  (d'après 
Pocquet  de  Livonnière).  —  Louis  XIV  en  Anjou  (il  passa  près  d'An- 
gers le  30  août  1661,  se  rendant  à  Nantes).  —  L'abbé  Ménage  et  sa 
famille  (mémoire  que  l'abbé  rédigea  en  1691  sur  la  noblesse  de  sa 
famille).  — ■  Les  Angevins  contre  le  jansénisme  (l'évèque  d'Angers 
avait  refusé  de  signer  le  formulaire  du  15  février  1665;  émoi  que  ce 
refus  suscita  à  Angers).  —  La  ville  d'Angers  au  xyiif  siècle  (article 
du  «  Mercure  de  France  »).  —  Le  marquis  de  Ferrières,  député  de  la 
sénéchaussée  de  Saumur  (aux  Etats  généraux  ;  biographie).  —  Les 
Ursulines  d'Angers  pew^dant  et  après  la  Révolution  (insermentées  et 
assermentées;  leurs  destinées  ultérieures).  —  Les  représentants  du 
peuple  en  mission  dans  l'ouest,  1793-1795  (liste  alphabétique).  — 
Mi'e«  de  Régnon,  détenues  au  Calvaire  d'Angers  (interrogatoires 
qu'elles  subissent  le  25  janvier  1794).  —  Le  préfet  de  Maine-et-Loire 
et  les  fêtes  supprimées,  1806-1808  (en  1782,  dix-huit  fêtes  étaient  chô- 
mées à  Angers  ;  après  le  concordat,  quatre  furent  conservées,  quatre 
transférées  au  dimanche,  dix  supprimées;  le  gouvernement  interdit 
de  chanter  des  messes  les  jours  de  fêtes  non  conservées).  ==  1921,  jan- 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  299 

vier.  L'Anjou  et  le  Vendômois  (rapports  entre  ces  deux  pays  du  x*  au 
XVIII8  siècle).  —  La  paroisse  de  Lesvières-lès-Angers  au  xyiii»  siècle 
(l'une  des  dix-sept  paroisses  d'Angers).  — La  Fidélité  de  Trêves  et  de 
Saumur  (couvent  de  femmes,  fondé  à  Trêves  en  1618,  transféré  à 
Saumur  en  1626).  —  M.  Le  Noir  de  La  Cochetière,  vicaire  général 
d'Angers,  1755-1828.  —  Les  derniers  jours  de  l'abbaye  de  Saint-Nico- 
las-lès-Angers (1791,  sort  des  religieux).  —  L'amnistie  accordée  aux 
Vendéens  par  la  Convention  (2  décembre  1794;  les  Vendéens  repous- 
sèrent cette  amnistie).  —  Les  élections  législatives  de  Maine-et-Loire, 
1807  (liste  des  candidats  présentés  par  le  collège  du  département  et 
les  collèges  des  cinq  arrondissements).  —  La  duchesse  de  Berry  au 
petit  séminaire  de  Beaupréau  (7  juillet  1828  ;  diverses  lettres  sur  cette 
visite).  —  La  Révolution  de  1830  et  les  Angevins  (départ  du  préfet 
Frotier  de  Bagneux:  la  nouvelle  municipalité).  —  Incendie  du  cloître 
de  la  cathédrale  d'Angers  (4  août  1831). 

18.  —  Annales  de  Bretagne.  T.  XXXIV,  n»  2,  1920.  —  Henri 
SÉE.  L'agriculture  dans  les  Côtes-du-Nord  en  1844  (d'après  le  volume 
publié  en  cette  année  par  les  inspecteurs  de  l'agriculture).  —  E.  Gal- 
MICHE.  La  vie  militaire  à  Saint-Brieuc  sous  l'Ancien  régime  et  au 
début  de  la  Révolution  (régiments  en  garnison  avec  la  liste  des  offi- 
ciers). —  E.  DÉPREZ.  Un  pays  de  bocage  du  massif  armoricain  :  le 
Bas-Maine  (d'après  la  thèse  de  M.  R.  Muss'et).  —  L.  Dubreuil.  Le 
conventionnel  Pierre  Guyomar  ;  fin  au  n"  suivant  (né  à  Guingamp  en 
1757,  mort  en  1826  ;  ni  girondin,  ni  jacobin,  un  «  crapaud  du  marais  »). 
—  F.  DuiNE.  Bibliographie  ménaisienne  ;  suite,  (in  au  n°  suivant 
(bibliographie  de  1900  à  1920).  =  C. -rendus  ;  R.  Musset.  L'élevage 
du  cheval  en  France  (travail  tout  à  fait  neuf).  —  A.  Aulard.  La 
Révolution  française  et  le  régime  féodal  (très  intéressant).  —  Abbé 
F.  Robidou.  Les  derniers  corsaires  malouins.  La  course  sous  la 
République  et  l'Empire  (montre  la  décadence  de  l'institution).  — 
B.  Pocquet  du  Haut-Jussé.  La  Compagnie  de  Saint- Yves-des-Bre- 
tons  à  Rome  (jusqu'au  moment  où  elle  fut  réunie  à  Saint-Louis-des- 
Français  en  15^).  —  E.  Sageret.  Le  .Morbihan  et  la  chouannerie 
morbihannaise  sous  le  Consulat;  t.  III  et  IV  (très  consciencieux,  mais 
gâté  par  la  haine  que  l'auteur  a  vouée  à  la  Révolution).  =  N°  3,  1920. 
F.  UzuREAU.  Les  prêtres  insermentés  du  Finistère  (d'après  des  notes 
envoyées  en  1793  par  le  chanoine  Cossoul,  de  Quimper,  à  l'abbé  Bar- 
ruel,  qui  préparait  une  histoire  du  clergé  sous  la  Révolution).  — 
L.  GouCrALD.  Mentions  anglaises  des  saints  bretons  et  de  leurs 
reliques  (texte  sur  onze  de  ces  saints).  =  C. -rendus  :  Désiré  Jouany. 
La  formation  du  département  du  Morbihan  (superficiel).  —  Dom 
Anger.  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sulpice-la-Forèt  (recueil  abon- 
dant d'anecdotes).  —  Léon  Dubreuil.  L'idée  régionaliste  sous  la 
Révolution  (abonde  en  vues  intéressantes). 

19.  —  Bulletin  du  Comité  d^études  historiques  et  scienti- 
fiques de  l'Afrique  occidentale  française.  1919,  juillet-septembre. 


300  RECUEILS  PÉRIODIQDES. 

—  H.  Noël.  Le  port  de  la  côte  d'Ivoire  (propose  la  solution  Vridy- Abid- 
jan). —  D''  MÉO.  Études  sur  le  Rio-Nunez;  fin  au  n°  suivant  (étude 
sur  les  deux  populations  qui  l'habitent,  les  Nalous  et  les  Bagas).  = 
Octobre-décembre.  Modat.  Les  populations  primitives  de  l'Adrar 
mauritanien  (préhistoire,  traditions  locales,  arrivée  au  xix*  siècle  des 
Lemtounas).  —  P.  Humblot.  Du  nom  propre  et  des  appellations  chez 
les  Malinké;  fin.  =  1920,  janvier-mars.  D>-  Jouenne.  Les  roches  gra- 
vées du  Sénégal  (roches  à  bassins,  sillons,  etc.;  voit  dans  ces  lignes 
une  sorte  de  calendrier  solaire).  =  Avril-juin.  J.  Monteilhet.  Leduc 
de  Lauzun  gouverneur  du  Sénégal,  janvier-mars  1779  (d'après  ses 
papiers  saisis  lorsqu'il  fut  envoyé  devant  le  tribunal  révolutionnaire  ; 
en  annexe  :  les  instructions  pour  M.  de  Lauzun  et,  dans  le  n°  d'oc- 
tobre-décembre, le  journal  du  duc  de  Lauzun  et  un  mémoire  de  lui 
sur  le  commerce  et  les  possessions  du  roi  en  Afrique;  très  inté- 
ressant). =  C. -rendu  :  R.  C.  F.  Maugham.  The  republic  of  Libéria 
(excellent).  =  Juillet-septembre.  M'hammed  Ould  Ahmed  Youra. 
«  L'histoire  des  puits  »,  traduit  de  l'arabe  par  Paul  Marty  (le  texte 
arabe  rédigé  en  1900  a  été  publié  par  René  Basset;  intéressant  pour 
l'histoire  et  les  noms  des  puits  de  la  région).  =  Octobre-décembre. 
Fr.  de  Coutouly.  Notes  sur  les  migrations  Krou  contemporaines  (de 
l'ouest  .à  l'est,  de  la  côte  libérienne  et  la  côte  d'Ivoire  sur  la  côte 
d'Or).  =  1921,  janvier-mars.  Fr.  de  Coutouly.  Cérémonies  et 
épreuves  rituelles  dans  le  Bas-Cavally  (colonie  de  la  côte  d'Ivoire).  — 
Cl.  Faure.  Le  Libéria  en  1833  (renseignements  transmis  par  le  gou- 
verneur de  Sénégal  au  comte  de  Rigny,  ministre  de  la  Marine  et  des 
Colonies).  —  Tableau  historique  de  Cheikk-Sidia,  traduit  par  Paul 
Marty  (sur  la  Mauritanie  du  xiv*  à  la  fin  du  xix«  siècle).  —  Georges 
Hardy.  L'enseignement  au  Sénégal  de  1817  à  1854  (bibliographie  ;  le 
problème  tel  qu'il  se  présentait  en  1817;  organisation  de  l'enseigne- 
ment mutuel,  1819-1829;  la  crise  de  cet  enseignement,  1829-1841; 
l'installation  des  frères  de  Ploermel  en  1841  ;  la  fondation  du  collège 
de  Saint-Louis  en  1843;  à  suivre).  =  C. -rendus  :  Angoulvant.  Le 
problème  des  voies  de  communication  et  des  débouchés  maritimes  de 
l'Afrique  occidentale  française  (liste  des  travaux  à  réaliser).  —  Id.  Le 
Togo  (résultats  acquis,  perspectives  d'avenir.  Il  serait  souhaitable  que 
la  question  du  mandat  français  fût  bientôt  réglée). 

20.  —  Bulletin  trimestriel  de  la  Société  archéologique  de 
Touraine.  T.  XXI,  1917-1920,  n»  3.  —  Henri  Guerlix.  A  propos  d'un 
manuscrit  de  l'école  tourangelle  (psautier  à  la  bibliothèque  d'Avi- 
gnon; il  date  des  environs  de  1450).  —  L.  Bosseboeuf.  L'ancienne 
église  de  Saint- André  à  Neuvy-le-Roi  (remonte  à  l'époque  mérovin- 
gienne). —  A.  ChauviGné.  Les  peuples  ligériens  (Namnetes,  Pictones, 
Andecavi;  à  suivre).  =  N»  2.  A.  Chauvigné.  Les  peuples  ligériens; 
suite  et  fin  (Turones,  Carnutes,  Bituriges,  Aedui,  Arverni,  Segusiavi, 
Vellavii,  Helvij).  —  Ch.  de  Beaumont.  L'ancienne  église  de  Beau- 
mont-la-Ronce,  notes  et  documents  (au  canton  Neuillé-Pont-Pierre, 


RECUEILS   PÉRIODIQDES.  301 

Indre-et-Loire,  avec  la  liste  des  curés,  vicaires  et  prêtres  habitués  de 
la  paMsse  de  1476  à  1915).  * 

21.  —  Mémoires  de  TAcadémie  de  Vaucluse.  Année  1919.  — 
Al.  MouziN.  La  collection  du  maître  ferronnier  Noël  Biret  au  musée 
d'Avignon.  —  D-"  Colombe.  Au  palais  des  papes.  La  salle  «  de 
Jésus  ».  —  G.  Marchal.  Le  premier  conclave  d'Avignon.  —  Marc  de 
ViSSAC.  Une  vendetta  en  Avignon  (1606-1614).  —  Adrien  Marcel. 
Aubert  d'Avignon,  joaillier  du  roi  et  garde  des  diamants  de  la  cou- 
ronne (1736-1785).  —  J.  Sautel.  Les  statues  impériales  du  musée  de 
Vaison  (Tibère,  Hadrien,  Sabine,  statues  non  identifiées  avec  photo- 
graphies). —  D'  Pansier.  Les  débuts  de  l'imprimerie  à  Avignon 
(contre  la  thèse  de  H.  Requin;  ce  qu'il  faut  entendre  par  l'ars  scri- 
bendi  artificialiter  de  Procope  Waldfoghel;  le  Luciani  Palinurus 
de  1497  imprimé  par  Michel  Rohault,  Michel  du  Riczeau  et  Bernard 
le  Gentilhomme,  les  imprimeurs  jusqu'en  1550).  —  D""  Colombe.  Au' 
palais  des  papes.  Une  «  note  »  de  Prosper  Mérimée  (Mérimée  a  eu 
raison  de  dire  que  le  palais  renfermait  des  prisons  et  qu'il  contenait 
un  local  réservé  à  la  torture).  ==  1920.  M.  Barber.  La  vie  et  l'œuvre 
de  M.  le  chanoine  Requin.  —  D""  Colombe.  Au  palais  des  papes.  La 
place  des  Cancels  (un  plan  montre  cette  place  et  les  abords  du  palais 
de  Benoît  XII).  —  Adrien  Marcel.  L'Académie  de  Vaucluse  chez  le 
peintre  Palasse  (l'Académie  vient  de  recevoir  donation  d'un  immeuble 
qui  appartenait  au  peintre  François  Palasse,  1717-1790;  biographie  et 
œuvre  de  cet  élève  de  Parrocel;  description  de  la  demeure). 

22.  —  Mémoires  de  la  Société  éduenne.  T.  XLIV,  l*"^  fascicule, 
1920.  —  A.  DE  Charmasse.  Nouvelle  note  sur  la  légende  de  saint 
Emiland  (martyrologes  qui  mentionnent  ce  saint).  —  P.  Montarlot. 
Les  émigrés  de  Saône-et-Loire  (individus  inscrits  par  le  département 
de  Saône-et-Loire;  suite,  par  ordre  alphabétique,  de  «  Des  Jours  »  à 
«  Fussey  »). 

23.  —  Recueil  de  la  Commission  des  arts  et  monuments  his- 
toriques de  la  Charente-Inférieure.  8"  livraison,  t.  XIX,  1919- 
1920.  —  D''  Vincent.  Les  Graffiti  militaires  des  remparts  de  Brouage 
(xviie  et  xviiie  siècles;  bateaux,  chaussures,  bonshommes,  etc.).  — 
Paul  Enard.  L'île  d'Oléron;  suite  (vieilles  maisons). 

24.  —  Revue  africaine.  1920,  l"""  et  2«  trimestres.  —  E.  LÉvi- 
Provençal.  Deux  nouvelles  inscriptions  de  Timgad  (l'une  de  l'an  125, 
l'autre  de  l'époque  chrétienne).  —  J.  Deny.  Les  registres  de  solde  des 
janissaires  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale  d'Alger;  suite  au  n° 
suivant  et  à  suivre  (ces  registres  remontent  au  xviii*  siècle).  — 
G.  Marçais.  Les  faïences  de  Fez  d'après  un  livre  récent  (celui  d'Al- 
fred Bel).  —  L.  VoiNOT.  La  menace  des  Oulad  Sidi  Cheikh  contre  le 
Tell  algérien  et  les  dangers  de  leurs  intrigues  au  Maroc  (1870-1873; 
nombreux  documents  officiels).  =  C. -rendus  :  J.  Carcopino.  Virgile 


302  BECDEILS  PÉRIODIQUES. 

et  les  origines  d'Ostie  (tlièse  aussi  neuve  qu'ingénieuse).  —  Soualah 
Mohammed.  Ibrahim  ibn  Sahl,  poète  musulman  d'Espagne;  Id.  Une 
élégie  andalouse  sur  la  guerre  de  Grenade,  texte  arabe  (thèses  soute- 
nues devant  la  Faculté  des  lettres  d'Alger).  —  HenH  Massé.  Essai 
sur  le  poète  Saadi  (autre  thèse  d'Alger;  excellent).  =  2«  et  ¥  tri- 
mestres. G.  YvER.  Les  Maronites'et  l'Algérie  (projets  faits  de  1840  à 
1860  pour  attirer  et  installer  en  Algérie  des  émigrants  maronites).  — 
J.  Desparmet.  Ethnographie  de  la  Mettidja;  suite  (le  calendrier  folk- 
lorique :  le  mardi).  —  H.  Pamart.  Étude  sur  le  Madracen  et  le  Kebeur 
Roumia  (deux  tombeaux;  le  premier  dans  le  département  de  Cons- 
tantine,  le  second  dans  celui  d'Alger;  ils  doivent  remonter  l'un 
et  l'autre  à  l'époque  romaine).  —  A.  Ballu.  Rapports  sur  les  travaux 
de  fouilles  et  de  restauration  exécutés  en  Algérie  en  1919.  =  G. -ren- 
dus :  Paul  Monceaux.  Histoire  littéraire  de  l'Afrique  chrétienne,  t.  V. 
Saint  Optât  et  les  premiers  écrivains  donatistes  (contribution  pré- 
cieuse et  originale  à  l'histoire  de  l'Afrique  ancienne).  —  Ibn  Muyas- 
sar.  Annales  d'Egypte,  texte  arabe  publié  par  Henri  Massé  (de  972  à 
1158  de  notre  ère).  —  Henri  Basset.  Le  culte  des  grottes  en  Egypte 
(modèle  d'enquête  ethnographique).  —  Id.  Essai  sur  la  littérature  des 
Berbères  (excellent;  ces  deux  ouvrages  sont  des  thèses).  =  1921,  l^""  et 
2e  trimestres.  R.  Basset.  Le  folklore  dans  le  Journal  asiatique, 
1822-1920  (bibUographie  par  pays  :  Chine,  Indo-Chine,  Inde,  Egypte, 
langues  africaines,  etc.).  —  E.-F.  Gautier.  Les  premiers  résultats  de 
la  mission  Frobenius  (mission  scientifique  allemande,  qui  a  parcouru 
l'Algérie  au  début  de  1914;  elle  s'est  occupée  surtout  de  la  question 
de  l'Atlantide).  —  A.  Robert.  Jeux  et  divertissements  des  indi- 
gènes d'Algérie  (dans  la  région  de  Bordj-bou-Arrérédy).  —  A.  Cour. 
Recherches  sur  l'état  des  confréries  religieuses  musulmanes  (dans  le 
sud-est  de  la  province  de  Constantine  ;  tableaux  statistiques  très  pré- 
cis; à  suivre).  —  Pi  Martino.  Le  centenaire  de  Fromentin  (s'occupe 
surtout  des  écrits  du  peintre).  —  Bencheneb.  Essai  de  répertoire 
chronologique  des  éditions  de  Fez  (éditions  datées  de  1125  H.  à  1309; 
à  suivre).  =  C. -rendus  :  M.-L.  Ortega.  Los  Hebreos  en  Marruecos 
(médiocre).  — A.  Cour.  Un  poète  arabe  d'Andalousie  :  Ibn  Zaïdoun 
(xi«  siècle;  sa  vie,  ses  œuvres,  édition  partielle;  on  souhaite  une  édi- 
tion complète).  —  Id.  La  dynastie  marocaine  des  Béni  Wattas,  1420- 
1554  (efforts  sérieux).  —  Pierre  Granchamp.  La  France  en  Tunisie 
à  la  fin  du  xvF  siècle  (série  de  documents  de  1582-1600;  ils  auraient 
dû  être  annotés). 

25.  —  Revue  de  l'Anjou.  1920,  septembre-octobre.  —  Ch.  Ber- 
JOLi.  Eugène  Brunclair  {peintre  né  à  Angers  le  15  mai  1832,  mort  le 
10  mars  1918).  —  V.  Dauphin.  Archives  Ponts-de-Céaises;  fin  (l'ad- 
ministration cantonale,  1795-1800;  les  présidents;  les  commissaires  du 
pouvoir  exécutif;  les  agents  et  adjoints  des  Ponts-libres).  =  Novembre- 
décembre.  M.  Sache.  La  dotation  des  étabUssements  hospitaliers;  sa 
nature  et  son  importance  au  point  de  vue  juridique.   Hôpitaux  de 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  303 

Doué-la-Fontaine  ei  d'Angers  (l'aumônerie  de  Doué  a  été  fondée  en  1229 
par  dame  Eustachie  ;  la  Maison-Dieu  d'Angers  vers  1170;  destinées  de 
ces  deux  établissements).  —  Queruau-Lamerie.  Les  religieuses  d'An- 
gers et  de  Beaufort  pendant  la  Révolution  ;  suite  (leur  arrestation,  leur 
interrogatoire).  —  G.  Grassin.  Angers  et  l'Anjou  pendant  la  guerre 
(l"-9  juin  1917). 

26.  —  Revue  de  Saintonge  et  d'Aunis.  XXXIX'^  volume.  Année 
1920-1921,  6  livraisons.  —  H.  Stein.  Comptes  des  recettes  et  dépenses 
de  Saintonge  et  du  gouvernement  de  La  Rochelle  (1469-1470;  la  Sain- 
tonge  faisait  partie  du  fief  de  Guyenne,  concédé  à  Charles,  frère  de 
Louis  XI).  —  D""  SoTTAS.  Le  gouvernement  de  Brouage  et  La  Rochelle 
sous  Mazarin  (1653-1661  ;  à  suivre).  —  J.  Guérin.  Un  procès  devant  le 
juge  de  paix  du  canton  de  Saintes  (21  mars  1792).  —  Ch.  Dangiheaud. 
Les  grottes  rustiques  de  Bernard  Palissy  (au  château  d'Écouen  et  au 
château  des  Tuileries).  —  J.  Depoin.  Introduction  à  l'histoire  des 
évêques  de  Saintes  jusqu'au  règne  de  saint  Louis  (ancien  passionnaire 
de  Saintes  ;  mission  de  saint  Séverin  en  Gascogne,  l'évangélisation  de 
la  Gaule  centrale  et  occidentale,  l'hymnologie  d'Eutrope;  à  suivre).  — 
Pacaud.  Monographie  de  Rioux  (prix  des  terres  et  population  à  diverses 
dates,  maires  et  adjoints,  le  château).  —  F.  Uzureau.  Le  clergé  de  la 
Charente-Inférieure  déporté  en  Espagne*(publie  une  relation  de  Pichon 
de  La  Sablière,  curé  de  Saujon,  à  l'abbé  Barruel,  mai  1795;  à  suivre). 
—  Ch.  Dangibeaud.  L'inscription  de  Jehan  Lebas  aux  Jacobins  de 
Saintes  (en  1446,  ce  Lebas  a  donné  au  couvent  12  marcs  d'argent  pour 
fondation  de  messes). 

Grèce. 

27.  —  Neoshellenomnemon,  édité  par  Lambros,  Athènes,  XIV, 
31  mal  1920.  —  Le  Grand  Chronographe  de  Constantinople  (un 
manuscrit  grec  de  Stockholm  copié  en  1573  à  Madrid  par  le  scribe  Dar- 
marios,  d'Epidaure,  contient  la  Chronique  pascale  avec  la  fin,  endom- 
magée dans  le  manuscrit  de  Paris  (P)  qu'a  reproduit  l'édition  de  Bonn. 
En  outre,  à  partir  du  fol.  797,  on  trouve  un  appendice  composé  de 
deux  extraits,  dont  l'un,  emprunté  'Sx  toO  \».tyâXo\j  -/povoypâfou.  Les  évé- 
nements qu'il  mentionne,  tremblements  de  terre  sous  Zenon  et 
Léon  III,  sont  connus  par  d'autres  chroniques,  mais  formulés  autre- 
ment). —  Canons  en  l'honneur  de  Manuel  Paléologue  (manuscrit  de 
la  bibliothèque  patriarcale  du  Caire.  D'après  le  titre,  ces  canons  furent 
composés  après  que  Manuel,  «  ayant  revêtu  le  divin  et  angélique  habit, 
changea  son  nom  en  celui  du  moine  Mathieu  »  en  1423,  vraisembla- 
blement même  après  la  mort  de  Manuel  en  1425.  L'auteur  insiste  sur 
le  savoir  théologique  de  ce  «  pilier  de  la  foi  »,  peut-être  par  opposition 
à  son  héritier  Jean  VIII  qui,  dès  1438,  négocie  un  rapprochement  avec 
Rome.  Ces  pièces  montrent  la  persistance  de  la  tradition  des  mélodes 
jusqu'au  xv»-'  siècle).  —  Lettres  de  Grégoire  de  Bulgarie,  métropolite 


304  RECUEILS    PÉRIODIQUES.  , 

d'Achrida,.mort  vers  1332  (Vienne,  Cod.  Theolog.,  CCIII,  xiv«  siècle). 
La  seconde  lettre  est  adressée  sûrement  au  grand  logothète  Théodore 
Metochitès  sous  Andronic  II,  1282-1328;  la  troisième  probablement  au 
savant  de  Trébizonde  André  Livadenos  qui  a  laissé  le  récit  de  son 
voyage  en  Egypte  et  en  Palestine).  —  Texte  de  l'acte  de  fondation 
d'une  compagnie  pour  la  filature  du  coton  à  Ampelaki  en  1780. 

Italie. 

28.  —  Nuova  Rivista  storica.  Anno  IV,  1920,  fasc.  6,  novembre- 
décembre.  —  Général  Filareti.  Danton  et  Robespierre;  essai  de 
psychologie  sociale  ;  suite  (on  ne  peut  douter  de  la  vénalité  de  Dan- 
ton ;  d'ailleurs  un  régime  terroriste  est  inconciliable  avec  l'honnêteté 
et  la  vertu).  —  G.  Barbagallo  et  0.  Masnovo.  L'histoire  et  l'histo- 
riographie d'après  Benedetto  Croce.  -—  Ernesto  Pontieri.  Les  débuts 
de  la  féodalité  en  Galabre.  —  Valentino  Piccoli.  De  quelques  ouvrages 
récents,  sur  la  philosophie  politique.  —  G.  B.  et  G.  Maliandi.  Études 
italiennes  et  étrangères  d'histoire  religieuse  (parle  de  A.  Rostagni  : 
Giuliano  l'Apostata;  E.  Carpenter  :  Il  posto  del  Gristianesimo  tra  le 
religioni,  trad.  en  italien  par  G.  Conte;  et  AL  Chiappelli  i  VirgiUo 
nel  Nuovo  Testamento).  =  G. -rendus  :  R.  Mondolfo:  Sulle  orme  di 
Marx;  studî  di  marxismo  e  di  socialismo  (nouvelle  édition;  bon).  — 
C.  Scalia.  Il  matérialisme  storico  e  il  socialismo  (bonne  critique  des 
doctrines  économiques  de  Marx  et  de  Loria  ;  la  bibliographie  est  très 
incomplète).  —  R.  Maiocchi.  Galileo  e  la  sua  condanna  (habile  plai- 
doyer qui  a  pour  objet  de  prouver  que  l'Église  eut  raison  de  condam- 
ner GaUlée;  mais  rien  de  nouveau).  — -  G.  Pasquali.  Socialisti  tedes- 
chi  (vivant  exposé  de  leurs  doctrines,  avec  une  très  abondante 
bibliographie). 


CHRONIQUE. 


France.  —  L'Académie  française  a  décerné  les  récompenses  sui- 
vantes :  prix  Thérouanne  :  abbé  Dedieu,  le  Rôle  politique  des 
protestants  français;  M.  Blanchard,  les  Routés  des  Alpes  occi- 
dentales à  Vépoque  napoléonienne  (1796-1815);  M.  Giraud,  Essai 
sur  l'Histoire  religieuse  de  la  Sarthe,  de  1189  à  l'an  IV ;  M.  Cro- 
quez, Louis  XIV  en  Flandre;  M.  Deloche,  Autour  de  la  plume 
du  cardinal  de  Richelieu.  —  Prix  Bordin  :  M.  de  Labriolle,  His- 
toire de  la  littérature  latine  chrétienne  ;  M.  Choisy,  Sainte-Beuve. 
—  Prix  Marcellin  Guérin  :  M^^  Saint-René  Taillandier,  Madame 
de  Maintenon;  M.  Laborde-Milaa,  Un  essayiste,  Emile Montégut 
(1825-1890);  M.  Arbelet,  la  Jeunesse  de  Stendhal,  2  vol.;  M.  A.  de 
Poncheville,  Cahiers  de  l'amitié  de  France'  et  de  Flandre; 
M.  Rivet,  tes  Alliés  de  demain;  les  T héco-Slovaques ;  en  Yougo- 
slavie, 2  vol.  ;  M.  Heuzé,  les  Cannions  de  la  victoire.  —  Prix  Weiss  : 
M.  Gustave  Michaud,  Histoire  de  la  comédie  romaine,  Plante, 
2  vol.  —  Prix  Montyon  :  abbé  Charbonnier,  la  Poésie  française  et 
les  guerres  de  religion  (1560-1574):  M.  Lechartier,  Intrigues  et 
diplomatie  à  Washington;  M.  Ludovic  Naudeau,  En  prison  sous 
la  terreur  russe;  M.  Sainte-Marie  Perrin,  la  Belle  vie  de  sainte 
Colette  de  Corbie;  général  Canonge,  Récit  succinct  de  la  grande 
guerre;  M.  Fougerav  du  Coudrey,  Granville  et  ses  environs  pen- 
dant la  Révolution;  M.  Motte,  les  Vingt  mille  de  Radinghem; 
M.  Geoffroy  de  Grandmaison,  le  Capitaine  Pierre  de  Saint- Jouan 
(1888-1915);  Mgr  Piccard,  l'Université  chablaisienne  ou  la  sainte 
maison  de  Thonon.  —■  Prix  Davaine  :  M.  Louis  Ducros,  Jean-Jacques 
Rousseau,  3  vol.  —  Prix  Charles  Blanc  :  M.  Schneider,  Claudio 
Monteverdi;  M.  J.  Calmette,  François  Rude;  M.  Gielly,  l'Ame 
siennoise;  M.  Mauclair,  Watteau;  M.  Boissonnot,  Histoire  et 
description  de  la  cathédrale  de  Tours.  —  Prix  Jules  Favre  : 
M"»»  Valentine  Poizat,  la  Véritable  princesse  de  Clèves.  —  Prix 
Sobrier-Arnould  :  M.  Recouly,  la  Bataille  de  Foch.  —  Prix  .Juteau- 
Duvigneau  :  M.  Bricout,  Mgr  d'Hulst,  apologiste;  M.  Fliche,  Saint 
Grégoire  VII;  M.  IIallé,  la  Guerre  française  et  chrétienne.  — 
Prix  Fabien  :  M.  Quentin -Bauchart,  ta  Crise  sociale  de  18k8; 
M.  C.-G.  Picavet,  Une  démocratie  historique  :  la  Suisse.  —  Prix 
Narcisse  Michaut  :  général  Buat,  Ludendorff.  —  Prix  Broquette- 
Gonin  :  M.  Gustave  Cohen,  Écrivains  français  dans  ta  première 
moitié  du  XV II"  .siècle. 

Rev.  Histor.  CXXXVH.  2«  faSC.  $0 


306  CBBONIQCE. 

—  Le  Journal  officiel  du  8  juillet  4921  contient  le  texte  de  l'Ar- 
rêté portant  règlement  général  des  archives  départementales,  qui 
a  été  pris  par  le  ministre  de  l'Instruction  publique  à  la  date  du  l^""  juil- 
let. Le  règlement,  tel  qu'il  est  sorti  des  délibérations  longues  et  appro- 
fondies de  la  Commission  supérieure  des  Archives,  comprend  cent 
articles  répartis  en  treize  divisions  :  composition  des  archives  départe- 
mentales; local,  personnel;  prise  en  charge  du  dépôt  par  l'archiviste; 
rapport  annuel  qu'il  doit  adresser  au  préfet  «  sur  la  situation  des  archives 
départementales  et  de  celles  des  sous-préfectures,  des  communes  et 
des  hospices  »  ;  mesures  de  sûreté;  versements;  suppressions;  classe- 
ment; répertoires  et  inventaires  :  répertoires  numériques  et  inventaires 
sommaires;  communications;  expéditions;  bibliothèques, historique  et 
administrative.  Quant  aux  suppressions,  les  articles  52  et  53  s'ex- 
pliquent comme  suit  :  «  Sont  à  conserver  indéfiniment,  en  principe  : 
tous  les  dossiers  et  registres  clos  antérieurement  à  1830;  toutes  les 
pièces  qui  peuvent  servir  à  établir  un  droit  au  profit  d'une  administra- 
tion ou  d'un  particuUer  ;  tous  les  documents  qui  présentent  ou  peuvent 
acquérir  un  intérêt  historique.  —  Peuvent  être  supprimés  en  principe  : 
les  documents  dont  les  données  essentielles  se  retrouvent  dans  un 
autre  document  récapitulatif,  surtout  si  ce  document  récapitulatif  a  été 
imprimé;  les  pap'iers  qui  ne  présentent  qu'un  intérêt  temporaire, 
lorsque  le  temps  pendant  lequel  ils  pouvaient  être  utiles  est  écoulé  ». 

—  La  librairie  F.  de  Nobele,  à  Paris,  a  mis  en  vente  le  Grand 
Armoriai  de  la  Toison  d'Or,  reproduction  facsimile  en  couleurs  du 
manuscrit  d'Anthoine  de  Beaulaincourt,  que  le  héraut  Toison  d'Or 
exécuta  sur  l'ordre  qui  lui  en  fut  donné  par  l'empereur  Charles-Quint 
au  chapitre  de  1549;  édition  de  grand  luxe  qui  est  mise  en  vente  au 
prix  de  1,000  fr. 

États-Unis.  —  Du  rapport  annuel  présenté  par  le  directeur  du 
«  Department  of  historical  research  »  institué  auprès  de  la  «  Carnegie 
Institution  »  à  Washington,  pour  l'exercice  1919-1920,  nous  extrayons 
les  détails  suivants  :  M.  John  S.  Bassett,  de  Smith  Collège,  a  été  chargé 
de  préparer  l'édition  des  papiers  et  de  la  correspondance  du  président 
André  Jackson  ;  elle  comprendra  plusieurs  volumes  et  présentera  un 
grand  intérêt  pour  les  années  qui  s'étendent  de  la  guerre  de  1812  à  la 
mort  du  général.  La  préparation  du  «  Guide  pour  les  sources  de  l'his- 
toire d'Amérique  aux  archives  de  Paris  »  a  fait  de  grands  progrès, 
grâce  au  zèle  déployé  par  M.  Abel  Doysié  dans  ses  recherches  aux 
archives  de  la  Marine  et  au  dépôt  des  cartes  et  plans  de  la  Marine. 
Madame  Surrey  a  continué  son  inventaire  des  documents  conservés  à 
Paris  sur  l'histoire  de  la  vallée  du  Mississipi;  elle  a  déjà  établi  plus  de 
20,000  fiches  prêtes  pour  l'impression.  On  a  commencé  des  recherches 
aux  archives  de  Bermude,  qui  sont  fort  anciennes,  et  qui  nous  sont 
parvenues  dans  un  état  de  conservation  inconnu  dans  les  autres  îles 
des  Indes  occidentales.  Un  Atlas  de  géographie  historique  des  États- 


CHRONIQUE.  307 

Unis  est  en  préparation  sous  la  clirection  du  Dr.  Charles  0.  PauUin. 
M.  David  Matteson  a  été  chargé  de  relever  dans  les  catalogues  impri- 
més de  manuscrits  des  bibliothèques  d'Europe  toutes  les  mentions 
relatives  à  l'histoire  d'Amérique  ;  son  répertoire,  dressé  d'après  l'ordre 
alphabétique  de  noms  de  ville,  en  est  arrivé  à  la  lettre  M.  On  sait 
d'autre  part  que  les  manuscrits  américains  existant  dans  les  biblio- 
thèques de  Londres,  Oxford  et  Cambridge  ont  été  catalogués  dans  le 
Guide  de  MM.  Andrews  et  Davenport;  ceux  des  archives  romaines  et 
italiennes  et  des  bibliothèques  de  Rome,  dans  le  Guide  de  M.  Fish  ;  les 
nombreux  volumes  des  bibliothèques  de  Paris  figureront  dans  le  tome  I 
du  Guide  de  M.  Leland.  Parmi  les  publications  de  textes  mentionnons 
enfin  la  suite  des  «  Traités  européens  »  qui  se  rapportent  à  l'histoire 
des  États-Unis,  par  Miss  Davenport  (1667-1670);  les  «  Lettres  de 
membres  du  Congrès  »  jusqu'en  1782,  par  M.  Burnett,  qui  compren- 
dront quatre  volumes  ;  les  «  Débats  du  parlement  anglais  concernant 
l'Amérique  du  Nord  »,  par  le  Dr.  Stock,  qui  en  est  arrivé  à  l'an- 
née 1645;  les  récits  et  documents  pour  l'histoire  de  la  traite  des  nègres 
recueillis  par  Miss  Donnan. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


HISTOIRE  GENERALE. 

Bar  [Ludwig  von).  Voir  Rachel  {Sa- 
muel). 

Bonnecase  (Julien).  Le  particularis- 
me du  droit  commercial  maritime, 
263. 

Butler  (Sir  Geoffrey).  Studies  ia  sta- 
tecrait,  117. 

Carnegie  endowment  for  international 
peace.  Year  book  1919,  117. 

Gay  de  Moniellà  {R.].  Diez  aïïos  de 
politica  internacional  en  el  Medi- 
terrâneo,  1904-1914,  272. 

Heatley  {D.  P.).  Diplomacy  and  the 
study  of  international  relations, 
264. 

Institut  américain  de  droit  interna- 
tional. Session  1915-1916,  262. 

Louter  [J.  de).  Le  droit  international 
public  positif,  116. 

Olazabal  {Alexandre  de).  Vers  l'é- 
mancipation économique,  264. 

Rachel  (Samuel).  De  jure  naturae  et 
gentium  dissertationes  duae;  publ. 
par  Ludwig  von  Bar,  262. 

Renard  (G.)  et  Weulersse  {G.).  Le 
travail  dans  l'Europe  moderne,  80. 

.Spigo  {U.).  La  guerre  et  les  lois  du 
déterminisme  économique,  265. 

Valverde  {Ant.  L.).  Compendio  de 
historia  del  comraercio,  117. 

Vroom  {G.  B.).  The  place  of  naval  of- 
licers  in  international  affairs,  275. 

Young  (Karl).  Origines  liturgiques 
du  drame  médiéval,  274. 

Weulersse  {G.).  Voir  Renard  {G.). 

HISTOIRE   DE   l'antiquité. 

Brenot  (Alice).  Recherches  sur  l'éphé- 

bie  altique,  266. 
Ciccotti  {£.).  Lineamenti  dell'  evolu- 

zione  tributaria  nel  mondo  antico, 

266. 
Fotheringham  (J.  K.).  A  solution  of 

ancient  éclipses  of  the  sun,  265. 
Frank  [Tenney).  An  économie  histo- 

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Guenoun  (Lucien).  La  «  cessio  bono- 

rum  »,  267. 
Hartmann  (L.  M.)  et  Kromayer  {J.). 

Roinische  Geschichte,  Bd.  III,  244. 
Kromayer  (J.).\oit  Hartmann  {L.  M.). 


Stein    (Arthur).    Romische    Reichs- 

beamte  der  Provinz  Thracia,  268. 
Toutain  (J.).  Les  cultes  païens  dans 

l'Empire  romain,  t.  III,  96. 
Veith  {Georg).  Der  Feldzug  von  Dyr- 

rachium  zwischen  Caesar  und  Pom- 

pejus,  245. 

HISTOIRE   DE   LA   GUERRE. 

Ancel  (Jacques).  Les  travaux  et  les 
jours  de  l'armée  d'Orient,  1915-1918, 
254. 

HISTOIRE   RELIGIEUSE. 

Brucker  (Joseph).  La  Compagnie  de 

Jésus,  esquisse  de  son  institut  et 

de  son  histoire,  1521-1773.  82. 
Dictionnaire  apologétique    de  la   foi 

catholique,  fasc.  16,  116. 
Martin  (Victor).  Le  gallicanisme  et  la 

Réforme  catholique,  1563-1615,  86. 
Meyer    (Albert    de).    Les    premières 

controverses  Jansénistes  en  France, 

1640-1645,  89. 
Rodocanachi    (E.).    La    Réforme    en 

Italie,  t.  I,  100. 

HISTOIRE  d'aFRIQUE. 

Castries  (comte  de).  Sources  inédites 

de  l'histoire   du  Maroc.    1"  série, 

t.  I,  236. 
Pimienta  (Robert).  L'ancienne  colonie 

allemande    du    sud-ouest    africain, 

270. 

HISTOIRE   d'aLLEMAGNE. 

Bismarck.  The  forbidden  book;  new 
chapters  of  Bismarck's  autobiogra- 
phy,  270. 

Haake  (Paul).  Johann  Peter  Ancillon 
und  'Kronprinz  Friedrich -Wil- 
helm  IV  von  Preussen,  253. 

—  Der  Preussische  Verfassungskampf 
vor  hundert  Jahren,  253. 

Marc'ere  (E.  de).  La  Prusse  et  la  rive 
gauche  du  Rhin.  Le  traité  de  Bâle, 
1794-1795,  122. 

Milhaud  {A.).  Voir  Nippold  (D'  0.). 

Nippold  (D'  0.).  Le  chauvinisme  al- 
lemand; préface  d'A.  Milhaud, 
269. 


INDEX   BIBLIOGRAPOIQCE. 


309 


HISTOIRE   d' AUTRICHE. 

Bamp  [Pierre).  Les  chercheurs  d'or, 

124. 

HISTOIRE    DE  BELGIQUE. 

De  Wissher  {Charles)  et  Ganshof 
(François-  L.).  Le  diflférend  des 
Wielingen,  117. 

Ganshof  {François- L.).  Voir  De 
Wissher  {Charles). 

Van  der  Essen  {Léon).  Les  tribula- 
tions de  l'Université  de  Louvain 
pendant  le  dernier  quart  du  xvr  s., 
118. 

HISTOIRE    d'eSPAGNE. 

Bibliographie  hispanique,  273. 

Castaneda  y  Alcover  {Vice?ite).  As- 
cendenda,  enlaces  y  servicios  de 
los  barones  de  Dos  Aguas,  271. 

—  La  catedra  de  instituciones  teolô- 
gicas  de  la  Universidad  Valenciana, 
271. 

—  Relaciôn  del  auto  de  fe  en  el  que 
se  condenô  a  don  Pablo  de  Olavide, 
271. 

—  El  primer  libro  impreso  sobre 
aviaciôn  es  espanol,  271. 

Cirot  [G.].  Biographie  du  Cld  par 
G  il  de  Zaïnora,  272. 

—  Florian  de  Ocainpo,  chrouiste  de 
Charles-Quint,  272. 

—  Quel(|ues  lettres  de  Mariana  et 
nouveaux  documents  sur  son  pro- 
cès, 271. 

Esperabé  Arteagu  {Enrique).  Histo- 
ria  pragmâtica  e  interna  de  la  uni- 
versidad de  Salanianca,  271. 

Falguera  {Antoni  de).  Voir  Puig  y 
Cadafalch  (/.). 

Fitzynaurice  -  Kelly  {James).  Frais 
Luis  de  Léon,  2*3. 

Filzmaurice  {Julio).  El  Inca  de  Gar- 
ciiasso  de  la  Vega,  273. 

Goday  y  Casais  (J.).  Voir  Puig  y 
Cadafalch  (J.). 

Huici  {A.).  Estudio  sobre  la  campana 
de  Las  Navas  de  Tolosa,  272. 

Klei7i  {Julius\.  The  mesta,  98. 

Moragas  y  Hodes  {Fidel  de).  L'anti- 
gua  universidad  ae  Valls,  273. 

—  Catalec  del  llibres ,  pergajnins  i 
documents  antics  de  l'arxiu  muni- 
cipal de  la  ciutat  de  Valls,  273. 

Pellcgero-Soteras  [Cristôbal).  Delin- 
cuencia  en  Castilla  desde  Fernan- 
do III  el  Santo  hasta  don  Juan  II, 
273. 

Puig  y  Cadafalch  (/.),  Falguera  {An- 
toni de),  Goday  y  Casais  (/.).  L'ar- 
(luitectura  romana  a  Calalunya, 
271. 

Hev.  IlisTOR.  CXXXVII. 


ÉTATS-UNIS   d'aMÉRIQDB. 


Frothingham  {Thomas  G.).  A  Irue 
account  of  the  battle  of  Jutland,  275. 

Gilla  {Charles  C).  Whal  happened  of 
Jutland,  275. 

Marsh  (capitaine  C.  C).  German  sub- 
marine activities  on  the  Atlantic 
coast  of  the  United  States  and  Ca- 
nada, 274. 

—  The  Northern  Barrage,  275. 

HISTOIRE  DE  FRANCE. 

Beaunier  (dom).  Abbayes  et  prieurés 
de  l'ancienne  France,  t.  VIII;  publ. 
par  dora  Besse,  234. 

Berger  {Élie).  Voir  Delisle  [Léopold). 

Besse  (dom).  Voir  Beaunier  (dom). 

Blanchard  {Marcel).  Les  routes  des 
Alpes  occidentales  à  l'époque  napo- 
léonienne, 1796-1815,  110. 

—  Bibliographie  de  l'histoire  des  rou- 
tes des  Alpes  occidentales,  110. 

Blanchei  {Adrien).  Voir  Schlumber- 
ger  {Gustave). 

Brémond  {Henri).  Histoire  littéraire 
du  sentiment  religieux  en  France 
depuis  la  fin  des  guerres  de  reli- 
gion, t.  IV  et  V,  91. 

Chamard  {Henri).  Les  origines  de  la 
poésie  française  de  la  Renaissance, 
88 

Cochin  (Henry).  Voir  Retz  (cardinal 
de). 

Cohen  {Gustave).  Mystères  et  mora- 
lités du  ms.  617  de  Chantilly,  247. 

Comité  départemental  de  Seine-et- 
Oise  pour  la  recherche  de  docu- 
ments relatifs  à  la  vie  économique 
de  la  Révolution,  121. 

Coste  (Pierre).  Voir  Vincent  de  Paul. 

Dangibeaud{Charles).\oiTDelavaud. 

Delavaud  et  Dangibeaud  (Charles). 
Lettres  relatives  à  la  Fronde  en 
Saintonge,  93. 

Deloche  (Maximin).  Autour  de  la 
plume  du  cardinal  de  Richelieu,  89. 

Dussarp  (Maurice).  Roger  Ducos  et 
sa  mission  à  Landrecies  en  l'an  III, 
122. 

Furgeot  {Henri).  Actes  du  Parlement 
de  Paris.  2*  série  :  1328-1350.  Ju- 
gés, t.  I,  160. 

Gaultier  {Paul).  Les  maîtres  de  la 
pensée  française,  277. 

Griselle  (Eugène).  Formulaire  de  let- 
tres de  François  I"  à  Louis  XIV  et 
État  de  la  France  dressé  en  1642, 
80. 

Hallays  (André).  Essai  sur  le  xvii'  ^.  : 
M""  de  Sévigné,  275. 

Ingold  (dom  A.-M.-P.).  Le  P.  Marie- 
Joseph,  baron  de  Géramb,  276. 

Jouany  (Désiré).  La  formation  du  dé- 
partement du  Morbihan,  120. 

2"  FASC.  20* 


310 


INDEÎ   BIBLIOGRAPHIQUE. 


Lachèvre    {Frédéric).  Le   libertinage 

au  xvu"  siècle,  119. 
Lacour-Gayet  (<?•)•  Napoléon,  2ol. 
Laguérenne    {Henri   de).    Pourquoi 

Montluçon  n'est-il  pas  chef-lieu  de 

département?  121.  ... 

La  Roncière  {Charles  de).  Histoire  de 

la  raarine  française,  t.  V,  94. 
Lavollée  {Robert).  Voir  R^cheUeiL 
Lhéritier  {Michel).  Tourny,  169D-l/bU. 

102. 

—  Les  débuts  de  la  Révolution  à 
Bordeaux,  d'après  les  Tablettes  ma- 
nuscrites de  Pierre  Bernadau,  108. 

Magne  [Emile].  Un  ami  de  Cyrano  de 
Bergerac  :  le  chevalier  de  Lignie- 
res,  120.  .     ^.  , 

Malrieu  {Victor).  Documents  histo- 
riques   sur    Bourret,    Tarn-et-Ga-  i 
ronne,  277.  .       .    »,• 

Mariéiol  {Jean-H.).  Catherine  de  Me- 
dicis.  1519-1589,  85. 

Morel-Jnnrnal  {Henry).  La  politique 
de  Bonaparte  en  pays  occupe,  Ui. 

Perrichei  {L.).  La  grande  chancellerie 
de  France,  des  origines  a  U^», 
031. 

Reiz  (cardinal  de).  Supplément  à  la 
Correspondance;   publ.   par  Henry 

Richelieu.  Mémoires,  t.  IV;. publ.  par 

Robert  Lavollée,  88. 
Schuré  {Edouard).  L'âme  celtique  et 

le  génie  de  la  France  à  travers  les 

âges,  275. 
UzTireatc  (abbé  F.).  L'abbé  Bernier  et 

ses  paroissiens  de  Saint-Laud,  l^i. 

—  Lhospice  Saint-Charles  d'Angers, 

123. 

—  Missions  dans  le  diocèse  d  Angers 
sous  la  Restauration,  123. 

—  La  municipalité  d'Angers  en  1790, 

123. 
Vincent  de  Paul  (saint).  Correspon- 
dance, t.  I;  publ.  par  Pierre  Caste, 
92. 

HISTOIRE   DE   GÉORGIE. 

Wmjtinski  {Wladimir) .  La  démocra- 
tie géorgienne,  259. 

HISTOIRE    DE    GRANDE-BRETA.GNE. 

Bogan  {James).  Ireland  in  the  euro- 
pean  systera.  I  :  1500-1557,  248. 

HISTOIRE    DE    l'INDE   ANGLAISE. 

Havell  {E.  B.).  The  history  of  Aryan 

rule  in  India,  124. 
Mazumdar{Akshoy  Kumar).Jhe.  Hin- 

du  history  B.C.  3000  to  1200  A.  D., 

Rawlinson  {H.  G.].  British  beginnings 
in  Western  India,  1579-1657,  126. 


HISTOIRE    DD   .JAPON. 

Hara  \Katsuro].  An  introduction  to 
the  history  of  Japan,  126. 

HISTOIRE  DE    l'ORIENT   CHRÉTIEN. 


Abbeloos  {J.-B.).  Voir  Gregorii  "Bar 

Hebraîi  chronicon. 
Auctoris  anonymi  chronicon  ad  an- 
num  Christi  1234  pertinens;  publ. 
par  J.-B.  Chabot,  79. 
Brooks.  Voir  Elias  Nisibenus,  Jac- 
ques d'Edesse. 
Chabot    [J.-B.].    Auctoris    anonymi 
chronicon  ad  annum    Christi   1234 
pertinens,  79. 
—  Chronique  de  Michel  le  Syrien,  (8. 
—,  Hyvernat  {H.\,  Guidi  (/.),  Forget 
{!.).  Corpus  scriptorum  christiano- 
rum  orientalium,  74. 
Chronicon  anonymum  ad  annum  846 

pertinens,  76.  .    . 

Chronicon  anonymum  de  ultimis  re- 
gibus Persarum,  76. 
Chronicon  Edessenum,  75. 
Chronicon  Jacobi  Edesseni,  76. 
Chronicon  Maroniticum,  76. 
Chronicon  rniscellanum,  76. 
Chronique  anonyme  de  l'an  819,  (  i- 
Denys  de  Tellmahré.  Chronique,  77. 
Elias    Nisibenus.   Opus    chronologi- 

cum;  publ.  par  Brooks,  77. 
Forget  {L).  Voir  Chabot  {J--B.). 
Fragmenta  chronici  anonymi  7o4-813, 

76. 
Gregorii  Bar  Hebrœi  chronicon  eccle- 
siasticum  ;  publ.  par  J.-B.  Abbeloos 
et  Th.  Lamy,  80.         ,,    „  , 
Gvidi  (/.).  Voir  Chabot  {J.^B.). 
Herzog  {Annie).  Die   Frau   auf  den 
Fûrstenthronen    der    Kreuzfahrer- 
staaten,  278.  , ,    ,.  s 

Hyvernat  {H.).  Voir  Chabot  (/--fi)-, 
Jacques  d'Edesse.   Chronique;  publ. 

par  Brooks,  77.  ,     ,  „   ^,  ^ 

Jardine  {D.  J.).  Voir  Luke  {H.  C.)^_ 
/ea/id'^sie. Histoire  ecclésiastique,  10. 
Lamy  {Th.).  Voir  Gregorii  Bar  He- 

brtei  chronicon. 

Lnke  {H.  C).  Cyprus  under  the  Turks, 

1291-1878,  278.  ,.     ,u     .     «• 

_  et  Jardine  {D.  J.).  The  handbook  ot 

Cyprus,  278.  . , 

Michel   le  Syrien.   Chronique;   publ. 

par  J.-B.  Chabot,  78. 
Zacharie  le  Rhéteur.  Histoire  ecclé- 
siastique, 76. 

HISTOIRE    DE    POLOGNE. 

Bugiel  (D'  F.).  La  Pologne  et  les  Po- 
lonais, 280.  ^      , 

Pernot  {.Maurice).  L  épreuve  de  la 
Pologne,  280. 


INDEX    lilliLIOGRAPHIQUE. 


311 


HISTOIRE    DES   PAYS-BAS. 

Hallward  (.V.  /,.).  William  Bolls,  a 
dutch  adventurer  under  John  Com- 
pany, 126. 

Schelven  (D'  A.  Van).  Kerkeraads- 
Protocollen  der  nederduitsche  Vlu- 
chteiingen-Kerk  te  Londen,  1560- 
1563,  280. 

Verslag  van  de  algemeene  Vergade- 
ring  der  Laden  van  het  historish 
Genoolschap,  279. 

HISTOIRE   DBS   PAYS    SCANDINAVES. 

Fabricius  {Knud).  Kongeloven,  118. 
Norsk  historisk  videnskap  i  femti  ar 

1869-1919,  127. 
Williams  [Mary  M.).  Social  Scandi- 

navia  in  the  Viking  âge,  127. 

HISTOIRE    DE    SUISSE. 

Rufer  {Alfred).  Vier  biindnerische 
Scliulrepubliken  ans  der  zvveiten 
Hcclfte  des  18  Jahrhunderts,  128. 

Vries  (Herman  de).  Genève,  pépinière 
du  calvinisme  hollandais,  84. 

SCIENCES    AUXILIAIRES    DE     l'HISTOIRE. 

Album  historique  et  paléographique 
beauvaisien,  227. 

Amaral.  Manual  del  bibliotecario, 
233. 

A  ndré (Louis). Yoir  Bourgeois  {Emile). 

Bannister  {Marriott).  Monumenti  Va- 
licani  di  paleografia  musicale  lati- 
na,  229. 

Barlh.  Bibliographie  de  l'histoire 
suisse,  238. 

Hiblioteche  milanesi,  235. 

Blanchet  {Adrien)  et  Dieudonné.  Ma- 
nuel de  numismatique  française, 
243. 

Blanchet  {Adrien).  Voir  Schlumber- 
ger  {Gustave). 

Bourgeois  {Emile)  et  André  (Louis). 
Les  sources  de  l'histoire  de  Fran- 
ce au  XVII*  siècle,  235. 

Bresslnu  {Harry).  Handbuch  der  Ur- 
kundenlehre  fur  Deutschland  und 
Italien,  231. 

Brown  {Duff).  Library  classification, 

Burnam  (/.).  Paheographia  iberica, 
230. 

Carbonelli.  Bibliographia  medica  ly- 
pographica  AA  Picmonte,  230. 

Coron  {P.).  Manuel  pratique  |iour 
l'histoire  de  la  Kévolution  française, 
235. 

— ,  Brière  et  Lépine.  Répertoire  mé- 
thodique de  1  histoire  moderne  el 
contemporaine  de  la  France,  l.  VU, 
236. 


Carrière  fabbé  Victor).  Fouillés  de  la 
France.  T.  V  :  province  de  Trêves, 
243. 
Catalogo  délia  mostra  storica  dell'  arte 

di  stampa  in  Italia,  239. 
Catalogue  général  des  livres   impri- 
més de  la  Bibliothèque  nationale, 
t.  LVIII-LXXIII,  233. 
Ceretelli  et  Sobolevski.  Exempla  co- 
dicum  graecorurn  litleris  minuscu- 
lis  scriptorum,  231. 
Chrovst.    Monumenta    palajographica 

medii  aevi,  liv.  12-23,  230. 
Clemen    et    Eissfeldt.    Religionsge- 

schichtliche  Bibliographie,  238. 
Codex    Sangallensis    193,     continens 
fragmenta     plurium     prophetarum 
secundum   translationem  s.  Hiero- 
nymi,  230. 
Codices  gra;eci  et  ktini  photographiée 

depicti,  230. 
Cosentini.   Gli  incunabili  ed  i  tipo- 

grafi  Piemontesi  del  sec.  xv,^39. 
Couderc  {C).   Bibliographie  histori- 
que du  Rouergue,  234. 
Coulon  {Aug.).  Inventaire  des  sceaux 

de  la  Bourgogne,  241. 

—  Le  service  sigillographique  et  les 

collections  d'empreintes  ae  sceaux 

des  Archives  nationales,  241. 

Dahlmann-  VVaitz.  Quellenkunde  der 

deutschen  Geschichte,  8*  édit.,  237. 

Delaborde  {H.-Fr.).  Recueil  des  actes 

de  Philippe-Auguste,  t.  I,  231. 
Delisle   [Léopold]   et    Berger  {Élié). 
Recueil  des  actes  de  Henri  II,  roi 
d'Angleterre  et  duc  de  Normandie, 
232. 
De  Witte.  Comment  il  faut  classer  et 

cataloguer  les  filigranes,  239. 
Dieudonné.  Voir  Blanchet  {Adrien). 
Doré  {Robert).  État  des  inventaires  et 
répertoires  des  Archives  nationales, 
départementales ,    communales    et 
hospitalières  à  la  date  du  1"  dé- 
cembre 1919,  236. 
Dufay.  Bibliographie  de  la  Sologne, 

234. 
Duine  {F.).  Mémento  des  sources  ha- 
giographiques de  l'histoire  de  Bre- 
tagne, 1"  partie,  236. 
Duvernoy  {£.).   Catalogue  des  actes 
des    ducs  de   Lorraine,    1048-1220, 
232. 
Erichsen   et    Kramp.    Bibliographie 

historique,  t.  III,  235. 
Eissfeldt.  Voir  Clemen. 
Ewald  {W.).  Siegelkunde,  241. 
Feipel.    Eléments    of    bibliography, 

233. 
Fellows  {Jennie  Dorcas).  Cataloging 

rules,  233. 
Fôrstemann.    Altdeutsches    Namen- 
buch;  nouv.  édit.  par  Jellinghaus, 

ioo. 


312 


INDEl    BIBLIOGRAPHIQUE. 


Fowler  (Miss).  Catalogue  of  the  Pe- 
trarch  collection  bequeathed  to  the 
Cornell  University,  238. 
Fumagalli.  Voir  Ottino. 
Galabert  et  Lassalle.  Album  de  pa- 
léographie et  de  diplomatique,  227. 
Gaselee.  Codex  Traguriensis,  228. 
Gôken  {H.).  Normannische  Ortsnamen 

bei  Ordericus  Vitalis,  243. 
Golubovich    (Girolamo).    Biblioteca 
bio-bibliogra(ica  délia  Terra  santa  e 
deir  Oriente  francescano,  238. 
Gosset  (D'  Pol).  Collection  de  sceaux, 
matrices,  cachets  et  timbres  de  la 
bibliothèque  de  Reims,  242. 
Hxbler.    Bibliografia  iberica  del  si- 

glo  XV,  235. 
Harrison   et  Pulling.    Surnames    of 

United  Kingdom,  238. 
Hauptmann  (F.).  Wàppenkunde,  241. 
Hauser  (H.).  Les  sources  de  l'histoire 

de  France  au  xvi'  siècle,  235. 
Hervé  du  Halgouet.  Répertoire  som- 
maire des  documents  manuscrits 
de  l'histoire  de  Bretagne  antérieurs 
à  1789,  conservés  dans  les  dépôts 
publics  de  Paris,  t.  I,  236. 
Hope.  Grammar  of  english  heraldy, 

242. 
Hume  [E.  W.).  Bibliographie  choisie 
de  l'histoire  de  la  mécanique,  265. 
Humphreys.  A  handbook  to  county 

bibliography,  234. 
Jacksch  {Aug.  von).  Die  K2ernter  Ge- 

schichtsquellen,  237. 
James  {R.).  Wanderings  and  homes 

of  manuscripts,  227. 
Jeanroy.  Bibliographie  sommaire  des 

chansonniers  provençaux,  237. 
JelUnghaus.  Voir  Fôrstemann. 
Joret   {Charles).  Les   noms   de  lieu 
d'origine  non  romane  et  la  colonisa- 
tion germanique  et  Scandinave  en 
Normandie,  242. 
Kalitchiatski.  Voir  Sobolevski. 
Kerner.  The  foundations  of  slavic  bi- 
bliography, 235. 
Kont  (/.).  Bibliographie  française  de 

la  Hongrie,  1521-1910,  235.  * 
Krarup.  Voir  Erichsen. 
Labande.  Le  Trésor  des  chartes  du 

jcomté  de  Rethel,  241. 
Làngfors  {A.).  Les  Incipit  des  poè- 
mes français  antérieurs  au  xvi*  s., 
237. 
Lassalle.  Voir  Galabert. 
Lasteyrie  [R.  de)  et  Vidier  {A.).  Bi- 
bliographie   générale    des    travaux 
historiques  et  archéologiques    pu- 
bliés par  les  Sociétés  savantes  de  la 
France,  233. 
Lauer  (Ph.).  Bibliographie  des  publi- 
cations relatives  aux  mss.  à  pein- 
tures, 1913-1920,  231. 
—  Recueil  des  actes  de  Louis  IV,  936- 
954,  232. 


Lavrof.  Voir  Sobolevski. 

Le  Grand  (Léon).  Sources  de  l'his- 
toire religieuse  de  la  Révolution 
aux  Archives  nationales,.  236. 

Leighton.  Early  printed  bocks  arran- 
gea by  presses,  240. 

Lépreux  '(G.).  Gallia  typographica, 
t.  IV,  238. 

Le  Verdier  {P.).  L'atelier  de  Guil- 
laume Le  Tàileur,  premier  impri- 
meur rouennais,  240. 

Lloyd  {J.  E.).  A  brief  bibliography  of 
welsh  history  for  the  use  of  tea- 
chers,  124. 

Lindsay  {W.  M.).  Notae  latinae;  an 
account  of  abbreviation  in  latin 
mss.  700-850,  226. 

Loew  {E.  A.).  The  Beneventan  script, 
228. 

Longnon  {Auguste).  Les  noms  de  lieu 
de  France;  publ.  par  Marichal  et 
Mirot,  242. 

Marichal.  Voir  Longnon. 

Martin  {Jean).  Armoriai  du  pays  de 
Tournus;  publ.  par  Jacques  Meur- 
gey,  124,  242. 

Mazziotta.  Le  biblioteche  di  Messina, 

235. 
Meadows.  A  source  book  of  London 

history,  237. 
Meurgey  {Jacques).  Les  anciens  sym- 
boles héraldiques  des  villes  de  Fran- 
ce :  Verdun  et  Paris,  242. 

—  Armoiries  du  pays  basque,  242. 

—  Études  sur  les  armoiries  de  l'ab- 
baye de  Tournus,  242. 

—  Voir  Martin  {Jean). 

Mentz.  Tabulae  in  usum  scholarum, 

230. 
Meyer-Liibke.  Romanisches  etymolo- 

gisches  Wôrterbuch,  238. 
Millares-C'arlo.  Docuraentos  pontili- 

cios  en  papiro,  230. 
Mirot.  Voir  Longnon.  , 

Monaci  {Ernest).  Facsimili  di  docu- 

menti  per  la  storia  délie  lingue  e 

délie  ietteratura  romanze,  229. 

—  ArdBvio  paleografico  italiano,  279. 
Nelis  {Hubert).  L'écriture  et  les  scri- 
bes, 227. 

Nielsen  {Lauritz).  Bibliographie  da- 
noise, 1482-1500,  235. 

Novak.  Scriptura  Beneventana,  229. 

Olschki.  Le  livre  en  Italie  à  travers 
les  siècles,  239. 

—  Incunabula  typographica,  239. 
Ottino  et  Fumagalli.  Manuale  di  bi- 
bliografia, 233. 

Paetow.   La    bataille    des   sept  arts, 

228.     '' 
Pastorello  {Ester).  Indici   per  nome 

d'aulore  e  per  materie  delle  pubbli- 

cazioni  sulla  storia  medioevale  ita- 

liana,  1899-1910,  237. 
Peddie.     Fifteenlh    century    books, 

240. 


L\OEX   BIBLIOGRAPHIQUE. 


313 


Peitz.  Untersuchungen  "zu  Urkunden- 
fœlschungen  des  Miltelalters,  232. 

Perrins.  Italian  hook  illustrations  and 
early  printing,  239. 

Perrod.  Répertoire  bibliographique 
des  ouvrages  franc-comtois  anté- 
rieurs à  1790,  234. 

Phillips.  United  States  library  of 
Congress.  Division  of  maps;  notes 
on  the  cataloging,  237. 

Picot  (É.)  et  Lacombe  {P.).  Catalogue 
des  livres  composant  la  bibliothè- 
que de  feu  M.  le  baron  James  de 
Rothschild,  t.  IV  et  V,  234. 

Plomer.  A  short  history  of  english 
printing,  240. 

Poupardin  {René).  Recueil  des  actes 
des  rois  de  Provence,  232. 

Prinet.  Armoriai  de  France  de  l'époque 
de  Philippe  le  Bel,  241. 

— Les  usages  héraldiques  au  xiv  siècle, 
241. 

Pulling.  Voir  Harritoii. 

Regesta  chartarum  Italiae,  t.  XI!  et 
XIII,  232. 

Régné  (Jean).  Synthèses  d'histoire 
provinciale,  1905-1915,  234. 

Reichling.  Appendices  ad  Hainii  Co- 
pingeri  repertorium,  240. 

Renmidet.  Sources  de  l'histoire  de 
France  aux  Archives  d'État  de  Flo- 
rence, 1494-1789,  iSe. 

Roesli.  Verzeichnis  der  ôtt'entlichen 
Schweizerischen  Bibliolheken,  235. 

Roman  (J.).  Manuel  de  sigillographie 
française,  241. 

Roy  (Maurice).  Les  premiers  caractè- 
res d'imprimerie  en  métal  résistant, 
238. 

Sabarthès  (chanoine).  Bibliographie 
de  l'Aude,  234. 


Savaçe.  Manual  of  descriptive  anno- 
tation for  library  catalogues,  233. 

Sarjers.  Canons  of  classification,  233. 

Schlumberger  (Gustove)  et  Blanchet 
[Adrien).  Collections  sigillographi- 
ques,  241. 

SchiaparelU  {L.).  Note  palepgrafiche, 
230. 

—  Notae  juris,  230. 

Serrano  y  Sanz.  La  irnprenta  de  Za- 
ragoza  es  la  mâs  antigua  de  Ëspana, 
240. 

Sobolevski,  Lavrof  et  Kalilchiatski. 
Album  de  fac-similés  de  mss.  you- 
go-slaves  en  écriture  bulgare  et 
serbe  et  de  mss.  cyrilliques  d'origine 
roumaine,  231. 

Staerk  (dom  Ant.).  Collection  de  re- 
productions phototypiques,  textes 
et  miniatures,  t.  1,  228. 

Sleffens.  Proben  aus  griechischen 
Handschriften  und  Urkunden,  230. 

Trauzzi.  Attraverso  l'onomastica  dei 
medio  evo  in  Italia,  243. 

Tuetey.  Répertoire  général  des  sour- 
ces manuscrites  de  l'histoire  de  Pa- 
ris pendant  la  Révolution  française, 
t.  XI,  236. 

Turner.  Early  Worcester  manuscripts. 

Van  Hoesen.  Roman  cursive  writing, 

228. 

Vernier  [J.-J.).  Recueil  de  fac-simi- 
lés de  chartes  normandes,  227. 

Viard  (/.).  Itinéraire  de  Philippe  de 
Valois,  232. 

Vidier  (A.).  Voir  La^leyrie  [A.  de). 

Voullième  (£".).  Monumenta  Gerraa- 
niae  et  Italiae  typographica,  240. 

Wells.  Manual  of  writings  in  middle 
english,  1050-1400,  227. 


TABLE  DES   MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND. 

Pages 

BoST  (Charles).  Les  «  Prophètes  »  du  Languedoc  en  1701 
et  1702.  Le  prédicant-prophète  Jean  Astruc,  dit 
Mandagout;  suite  et  fin 1 

Homo  (Léon).  Les  privilèges  administratifs  du  Sénat  romain 
sous  l'Empire  et  leur  disparition  graduelle  au  cours 
du  iii«  siècle  ;  i*-"  article 161 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

BOUDIER  (André).  Charles  Desmarets,  corsaire  dieppois. 

Documents  inédits  de  1445 32 

Labriolle  (Pierre  de).  Le  «  mariage  spirituel  »  dans  l'an- 
tiquité chrétienne 204 

Stern  (Alfred).  L'insurrection  polonaise  de  1863  et  l'impé- 
ratrice Eugénie 66 

Weil  (Commandant  Henri).  Un  précédent  de  l'afîaire  Mor- 

tara •     •        *9 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Histoire  de  France  :  Époque  moderne  jusqu'en  1660,  par 

Henri  Hauser 80 

La  littérature  historique  des  Syriens,  par  l'abbé  J.-B. 

Chabot,  de  l'Institut 74 

Sciences  auxiliaires  de  l'histoire  (1912-1920),  par  Ph. 

Lauer 226 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Ancel  (Jacques).   Les   travaux  et   les   jours   de   l'armée 

d'Orient,  1915-1918  (J.  Carcopino) '254 

Blanchard  (Marcel).  Les  routes  des  Alpes  occidentales  à 

l'époque  napoléonienne  (H.  Hauser) 110 

—  Bibliographie  de  l'histoire  des  routes  des  Alpes  occiden- 
tales sous  l'État  de  Piémont-Savoie  (1796-1815) 

(Id.) 110 

[Supplément  kv  numbro  dk  .ioillet-août  1921.] 


TABLE   DES   MATIÈRES-  315 

P»ges 

Cohen  (Gustave).  Mystères  et   moralités  du  ras.  617  de 

Chantilly  (Lucien  Febvre) 247 

Haake  (Paul).  Johann  Peter  Ancillon  und  Kronprinz  Fried- 
rich Wilhelm  IV  von  Preussen  (Rod.  Reuss).     .      253 

—  Der.Preussische  Verfassungskampf  vor  hundert  Jahren 

(Id.) 254 

Hartmann  (L.-M.)  et  Kromayer  (J.).  Rômische  Geschichte. 

Bd.  III  (Ch.  Lécrivain) 244 

HoGAN  (James).  Ireland  in  the  european  System.  T.  1 :  1500- 

1557  (Henri  Sée) 248 

Klein  (Julius).  The  Mesta.  A  study  of  spanish  économie 

history,  1273-1836  (Alfred  Morel-Fatio).    ...        98 

Lacour-Gayet  (G.).  Napoléon  (Chr.  Pfister) 251 

Lhéritier  (Michel).  Tourny,  1695-1760  (Paul  Courteault).      102 

—  Les  débuts  de  la  Révolution  à  Bordeaux,  d'après  les 

Tablettes  manuscrites  de  Pierre  Bernadau  (Id.)     .      108 
RoDOCANACHi  (E.).  La  Réforme  en  Italie;  P^  partie  (Henri 

'Hauser) 100 

TouTAiN  (J.).  Les  cultes  païens  dans  l'Empire  romain,  t.  III 

(A.  Grenier) 96 

Veith  (Georg).  Der  Feldzug  von  Dyrrhachium  zwischen 

Caesar  und  Pompejus  (Ch.  Lécrivain)   ....      245 
WoYTiNSKi  (Wladimir).  La  démocratie  géorgienne  (Henri 

Sée) 259 

Notes  bibliographiques  :  Allemagne  (p.  269),  Autriche 
(p.  124),  Belgique  (p.  117),  Danemark  (p.  118), 
Espagne  (p.  270),  États-Unis  (p.  274),  France  (p.  119, 
275), Grande-Bretagne  (p.  124),  Inde  anglaise(p.  124), 
Japon  (p.  126),  Orient  latin  (p.  278),  Pays-Bas 
(p.  279),  Pays  Scandinaves  (p.  127),  Pologne  (p.  280), 
Suisse  (p.  128).  Histoire  de  l'antiquité  (p.  265), 
Histoire  générale  (p.  116,  262). 

Livres  reçus  par  la  Revue  historique 128 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 

ÉTATS-UNIS. 

The  American  historical  review  (p.  149). 

FRANCE. 

Académie  Wles  inscriptions  et  belles-lettres  (p.  147);  Académie  des 
sciences  morales  et  politiques  (p.  148,  297);  Anjou  (1')  his- 
torique ("p.  298);  Annales  de  Bretagne  (p.  299);  le  Biblio- 


316  TABLE   DES   MATIÈRES. 

graphe  moderne  (p.  133);  Bulletin  de  la  Société  de  l'his- 
toire du  protestantisme  français  (p.  132);  Bulletin  du  Comité 
d'études  historiques  et  scientifiques  de  l'Afrique  occidentale 
française  (p.  299)  ;  Bulletin  hispanique  (p.  134)  ;Bulletin  trimes- 
triel de  la  Société  archéologique  de  Touraine  (p.  300);  le  Cor- 
respondant (p.  142,  293);  Études;  revue  fondée  par  des  Pères 
de  la  Compagnie  de  Jésus  (p.  142,  294);  Journal  des  savants 
(p.  135);  Mémoires  de  l'Académie  de  Vaucluse  (p.  301); 
Mémoires  de  la  Société  éduenne  (p.  301);  Mercure  de  France 
(p.  144);  Nouvelle  revue  historique  de  droit  français  et  étran- 
ger (p.  136,  282);  Polybiblion  (p.  137);  Recueil  de  la  Com- 
mission des  arts  et  monuments  historiques  de  la  Charente 
Inférieure  (p.  301):  la  Révolution  de  1848  (p.  138,  283);  la 
Révolution  française  (p.  138);  Revue  africaine  (p.  301);  Revue 
archéologique  (p.  283);  Revue  critique  d'histoire  et  de  litté- 
rature (p.  139,  285);  la  Revue  de  France  (p.  144);  Re-s^e  de 
l'Anjou  (p.  302);  Revue  de  l'histoire  des  colonies  françaises 
(p.  286);  Revue  de  l'histoire  des  religions  (p.  140,  287); 
Revue  d'histoire  des  ÉgUses  de  France  (p.  291);  Revue  de 
Paris  (p.  145,  294);  Revue  de  Saintonge  et  d'Aunis  (p.  303); 
Revue  des  Deux  Mondes  (p.  146,  296);  Reiue  des  études 
anciennes  (p.  141);  Revue  des  études  historiques  (p.  288); 
Revue  des  sciences  politiques  (p.  289);  Revue  générale  du 
droit  (p.  291);  Revue  Mabillon  (p.  292). 

GRÈCE. 

Neoshellenomnemon  (p.  303). 

ITALIE. 

Archivio  storico  itaUano  (p.  150);  Archivio  storico  siciliano  (p.  151); 
Nuovo  archivio  veneto  ip.  155);  NuovaRivistastorica(p.  304). 

Chronique  :  Allemagne  (p.  160),  Belgique  (p.  160),  États-Unis  (p.  306), 
France  (p.  158,  305),  Grande-Bretagne  (p.  160). 

Index  BiBLioaRAPHiQUE 308 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Dadpblbt-Godvbrneur. 


REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 

HISTORIQUE 

Fondée  en  1876  par  GABRIEL  MONOD 

directeurs  : 
Charles    BÉMONT    et    Christian    PFISTER. 


Ne  qxiid  falsi  audeat,  ne  quid  veri  non  audeat  historia. 
CicÉRoN,  de  Orat.,  II,  15. 


QUARANTE-SIXIÈME  ANNEE. 


TOME    CENT    TRENTE- HUITIEME 
Septembre-Décembre  1921. 


PARIS 
LIBRAIRIE  FÉLIX  ALGAN 

108,     BOULEVARD     SAINT-GERMAIN 

1921 


LES 

PRIVILÈGES    ADMINISTRATIFS 
DU  SÉNAT  ROMAIN 

sous  L'EMPIRE 

ET    LEUR    DISPARITION    GRADUELLE 

AU  COURS  DU  I1I«  SIÈCLE 

(Suite  et  fin^.) 


Provinces  impériales.  —  A  l'exception  des  provinces  pro- 
curatoriennes  dont  les  gouverneurs  appartenaient  à  l'ordre 
équestre,  les  provinces  impériales  avaient  des  gouverneurs  — 
«  legati  pro  praetore  »  —  recrutés  dans  la  classe  sénatoriale  ; 
ces  légats  étaient  les  uns  d'anciens  consuls,  les  autres  d'anciens 
préteurs.  Sous  le  règne  de  Sévère  Alexandre,  au  moment  où 
allait  s'ouvrir  la  grande  crise  de  l'anarchie  militaire,  les  pro- 
vinces impériales  à  légats  étaient  au  nombre  de  vingt-six,  dont 
quatorze  (Bretagne,  Germanie  supérieure,  Germanie  inférieure, 
Tarraconaise,  Pannonie  supérieure,  Pannonie  inférieure,  Dacie, 
Mésie  supérieure,  Mésie  inférieure,  Dalmatie,  Cappadoce,  Gili- 
cie,  Syrie  Gaele,  Syrie  Phoenice)  étaient  consulaires  et  douze 
(Belgique,  Aquitaine,  Lyonnaise,  Lusitanie,  Rliétie,  Norique, 
Tlirace,  Bithynie-Pout,  Galatie,  Judée,  Arabie,  Numidie)  étaient 
prétoriennes.  Quel  que  fût  leur  rang,  ces  légats  étaient  tous 
choisis  par  l'empereur  pour  un  temps  indéterminé  et  respon- 
sables devant  lui.  Ils  réunissaient  entre  leurs  mains  l'ensemble 
des  pouvoirs  civil  et  militaire  ;  les  forces  placées  sous  leurs  ordres 
variaient  selon  la  catégorie  et  l'importance  des  provinces  qu'ils 
avaient  à  administrer,  deux  légions  en  général  pour  les  pro- 
vinces consulaires,  une  seule  —  quand  il  y  en  avait  —  pour  les 

.1.  Voir  Rev.  histor.,  t.  CXXXVII,  p.  t     -203. 

Rev.  Histor.  CXXXVIII.  l»"-  r-ASC,  1 


Z  LEON   HOMO. 

provinces  prétoriennes.  A  l'exception  des  généraux  de  l'armée 
d'Italie  (préfets  du  prétoire  et  des  vigiles),  de  l'armée  de  Méso- 
potamie (préfet  de  Mésopotamie)  et  de  l'armée  d'Egypte  (préfet 
d'Egypte),  qui  étaient  des  chevaliers,  les  grands  chefs  de  l'ar- 
mée romaine  sous  l'Empire  appartenaient  donc  à  l'ordre  sénato- 
rial.-  C'était  là  un  privilège  administratif  fort  important  pour  le 
Sénat;  on  comprendra  sans  peine  qu'il  y  ait  tenu  beaucoup. 

Aucune  atteinte  sérieuse  ne  fut  portée  à  ce  régime  avant  Gai- 
lien.  Mais  tout  allait  changer  avec  cet  empereur.  Sa  politique 
dans  son  ensemble  est  antisénatoriale.  Il  met  fin  à  l'entente 
étroite  qui  existait  entre  l'empereur  et  le  Sénat  depuis  l'arrivée 
aux  affaires  de  Timésithée  sous  Gordien  III  (241).  Au  point  de 
vue  administratif,  cette  politique  s'est  concrétisée  surtout  dans 
le  célèbre  édit  de  Gallien,  qui  marque  une  étape  décisive  dans 
la  déchéance  graduelle  du  Sénat.  Cet  édit,  nous  n'en  connais- 
sons ni  le  texte  authentique  ni  la  date  précise.  Nous  allons 
essayer  dans  les  pages  suivantes  de  combler,  autant  que  pos- 
sible, cette  lacune  regrettable. 

Deux  seuls  textes  nous  parlent  de  ce  document,  tous  deux 
d'Aurelius  Victor  dans  ses  Caesares.  Voici  les  deux  passages  : 
a)  «  Et  patres  quidem,  praeter  commune  Romani  malum  orbis, 
stimulabat  proprii  ordinis  contumelia,  quia  primus  ipse  metu 
socordiae  suae  ne  imperium  ad  optimos  nobilium  transferretur, 
senatum  militia  vetuit  et  adiré  exercitum^  ».  «  Les  sénateurs, 
outre  le  malheur  commun  du  monde  romain,  étaient  stimulés 
par  la  honte  qui  avait  frappé  leur  propre  classe,  car  Gallien,  le 
premier,  craignant  qu'en  raison  de  son  apathie  l'Empire  ne  fût 
transféré  aux  meilleurs  membres  de  la  noblesse,  interdit  aux  séna- 
teurs la  carrière  militaire  et  leur  défendit  même  de  se  présenter 
à  l'armée  »\b)  k  propos  du  règne  de  Probus  :  «  Amissa  GaUieni 
edicto  refici  militia  potuit,  concedentibus  modeste  legionibus, 
Tacito  régnante^  ».  «  La  carrière  militaire  perdue  (pour  le 
Sénat)  à  la  suite  de  l'édit  de  Gallien  put  être  rétablie  sous  le 
règne  de  Tacite,  en  raison  de  la  modération  et  de  la  condescen- 
dance des  légions.  »  Qu'il  y  ait  eu  édit  formel  résulte  implicite- 
ment du  premier  texte  et  explicitement  —  «  Gallieni  edicto  »  — 
du  second. 


1.  Aurelius  Victor,  Caesares,  33,  34. 

2.  Ibid.,  37,  6. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SlÊNAT  ROMAIN.    '     3 

A  propos  de  cet  édit,  deux  questions  se  posent  à  la  fois  : 
a)  sa  date;  b)  sa  portée.  —  Aucun  de  nos  deux  textes  ne  donne 
d'éléments  de  datation  précis.  Le  premier  mentionne  le  fait  au 
lendemain  de  la  mort  de  Gallien  et  le  second,  plus  tard  encore, 
après  la  mort  de  Probus.  Il  nous  faut  donc  chercher  ailleurs  les 
précisions  qui  nous  manquent.  Un  premier  élément  nous  est 
fourni  par  le  début  du  règne  de  Gallien.  Valérien  est  fait  pri- 
sonnier dans  le  courant  de  septembre  ou  au  commencement 
d'octobre  260.  La  nouvelle  est  arrivée  à  Rome  vers  la  fin  de  ce 
mois.  Officiellement,  le  règne  de  Gallien  seul  n'a  guère  coln- 
inencé  qu'avec  novembre  260.  L'édit  de  GaUien  ne  peut  donc 
être  antérieur  à  cette  date.  D'autre  part,  la  plus  ancienne  des 
deux  inscriptions  de  Der-At,  en  Arabie,  dont  il  sera  question 
plus  loin,  nous  montre,  à  une  date  désignée  par  la  158*'  année 
de  l'ère  de  Bostra,  c'est-à-dire  263  ap.  J.-C,  la  province  admi- 
nistrée par  Statilius  Anmiianus,  «  vir  egregius  »,  par  consé- 
quent un  membre  de  l'ordre  équestre.  La  réforme  administra- 
tive de  Gallien  était  donc  réalisée  à  cette  date.  Par  suite,  l'édit 
de  GaUien  se  place  nécessairement  entre  novembre  260  au 
plus  tôt,  et  l'année  263  au  plus  tard.  Peut-on  l'enfermer  dans 
des  limites  plus  précises? 

Première  remarque.  Au  moment  où  son  père  Valérien  suc- 
combe en  Orient,  Gallien  n'est  pas  présent  à  Rome,  Il  est  en 
Gaule,  où  il  combat  l'usurpateur  Postumus.  La  guerre,  com- 
mencée dès  la  première  moitié  de  258,  se  prolonge  jusqu'en  261, 
date  où  Gallien  est  rappelé  en  Italie  par  la  grande  invasion  des 
Alamans.  Or,  une  mesure  aussi  décisive,  aussi  terrible  pour  le 
Sénat  que  l'était  l'édit  de  Gallien,  ne  peut  avoir  été  prise. qu'à 
Rome,  c'est-à-dire  l'empereur  étant  sur  place  et  ayant  les 
moyens  de  réduire  immédiatement  toute  tentative  de  résistance 
sénatoriale  qui  viendrait  à  se  produire.  Le  premier  long  séjour 
de  Gallien  à  Rome,  après  la  disj)arition  de  son  père,  se  place 
au  lendemain  de  la  défaite  des  Alamans,  à  l'automne  261.  Au 
début  de  262,  Gallien  quitte  de  nouveau  sa  capitale  et  va 
reprendre  en  Gaule  la  campagne  contre  Postumus. 

Seconde  remarque.  En  261  a  heu  en  Italie  une  terrible  inva- 
sion des  Alamans.  Les  Barbares  menacent  Rome  que  le  Sénat, 
en  l'absence  de  l'empereur,  met  précipitamment  en  état  de 
défense.  La  chronologie  générale  de  cette  année  261  peut  s'éta- 
blir de  la  manière  suivante  :  printemps  :  traversée  des  Alpes  par 


4  LEON    HOMO. 

les  Alamans.  Été  :  dévastation  de  l'Italie  du  Nord  ;  marche  contre 
Rome.  Fin  de  l'été  ou  début  de  l'automne  :  grande  victoire  de 
Gallien  à  Milan.  Automne  :  arrivée  et  séjour  de  l'empereur  à 
Rome.  Le  fait  que  le  Sénat  prend  l'initiative  de  lever  des 
troupes  pour  arrêter  les  envahisseurs  prouve  que  l'édit  de  Gal- 
lien n'avait  pas  encore  paru,  puisque  cet  édit  interdisait  formel- 
lement aux  sénateurs  tout  contact  avec  l'armée.  De  plus,  l'atti- 
tude du  Sénat  dans  la  circonstance  est  une  des  raisons  qui  ont 
déterminé  l'empereur  à  promulguer  son  édit.  Gallien  n'a  évi- 
demment pas  voulu  que  semblable  fait  pût  se  reproduire.  Dans 
ces  conditions,  l'édit  ne  peut  être  antérieur  à  l'automne  261  ;  il 
se  place  donc  entre  cette  date  et  Tannée  263. 

Troisième  remarque.  La  province  d'Arabie  avait  fait  partie  de 
l'Empire  oriental  de  Macrianus  en  même  temps  que  la  Syrie  et 
l'Egypte.  Ces  deux  derniers  pays  sont  revenus  successivement 
à  l'autorité  de  GaUien,  la  Sj^ie  à  la  disparition  des  deux  fils  de 
Macrianus,  Macrianus  le  jeune  et  Quietus,  qui  est  de  la  fin  de 
261,  l'Egypte  avant  Pâques  de  l'année  262;  l'Arabie,  intermé- 
diaire entre  les  deux,  a  été  recouvrée  par  Gallien  vers  le  début 
de  262.  Le  premier  gouverneur,  envoyé  par  l'empereur  pour 
administrer  la  province  reconquise,  a  pris  possession  de  son 
poste  vers  la  même  date.  Or,  une  inscription  de  Der-At,  dans  la 
province  d'Arabie,  mentionne  un  gouverneur,  Statilius  Ammia- 
nus,  d'ordre  équestre,  qui  était  en  fonctions  la  158"  année  de 
l'ère  de  Bostra  (22  mars  263-21  mars  264').  Pour  qu'il  ait  été 
précédé,  après  la  chute  de  Macrianus,  d'un  autre  gouverneur, 
il  faudrait  que  ce  prédécesseur  ne  fût  resté  en  charge  qu'un  an 
à  peine.  Il  serait  bien  invraisemblable  que  Gallien,  dans  une 
province  qu'il  s'agissait  de  réorganiser,  ne  l'eût  pas  laissé  plus 
longtemps  en  fonctions.  Dans  la  province  limitrophe  d'Egypte, 
le  préfet,  lors  de  la  persécution  de  Valérien,  en  257,  était  un 

t.  Mittheilungen  des  Dentschen  Paldstina  Vefeins,  1899,  p.  58,  n°  18 
(=  Inscriptiones  Graecae  ad  res  Romanas  pertinentes,  éÂ.  Gagnât,  III,  1287). 
—  Une  seconde  inscription  {Mittheilungen...,  1897,  p.  40  =  Inscriptiones 
Graecae...,  III,  1286),  de  même  provenance  et  également  dédiée  à  Gallien, 
porte,  dans  le  texte  donné  par  les  Mittheilungen,  la  date  incomplète  pv  [?], 
15°  [?]  année  de  l'ère  de  Bostra;  le  chiflre  des  unités  manque.  Le  tex*e  publié 
par  les  Inscriptiones  Graecae...  donne  pvi;',  157°  année  de  l'ère  de  Bostra 
(22  mars  262/21  mars  263).  Malheureusement,  dans  l'état  de  l'inscription,  la 
lecture  ne  mérite  pas  une  pleine  confiance.  Le  libellé  de  cette  seconde  inscrip- 
tion indique  qu'elle  est  non  pas  antérieure,  mais  postérieure  à  la  précédente  : 
il  faudrait  donc  lire  —  le  chiffre  des  dizaines  étant  sûr  —  pvO',  159°  année  de 
l'ère  de  Bostra  (=  22  mars  264/21  mars  265). 


LA  DISPAiftTION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.        5 

certain  Aemilianus.  Or,  cet  Aemilianus  nous  le  retrouvons  à  la 
tête  de  la  province  au  milieu  de  262,  date  à  laquelle  il  se  fait 
proclamer  empereur,  soit  qu'il  ait  conservé  ses  fonctions  sous 
l'usurpation  de  Macrianus,  ce  qui  serait  fort  invraisemblable, 
soit,  bien  plutôt,  que  Gallien,  après  la  reconquête  de  la  province, 
au  début  de  262,  l'ait  réintégré  dans  son  gouvernement.  Selon 
toute  apparence,  Statilius  Ammianus  est  le  premier  gouverneur 
d'Arabie  placé  par  Gallien  à  la  tête  de  la  province  recouvrée. 
Gomme  il  est  d'ordre  équestre  et  non  sénatorial,  la  conclusion 
serait  donc  que  l'édit  avait  déjà  paru  au  commencement  de  262, 
date  où  l'Arabie  revient  à  l'obédience  de  Gallien. 

L'édit  de  Gallien  aurait  donc  été  promulgué  dans  les  derniers 
mois  de  l'année  261.  Or,  nous  avons  vu  plus  haut  que  l'envoi  de 
Valens  en  Grèce  est  de  l'automne  261  et  que  c'est  à  cette  date 
que  Gallien  inaugure  en  Achaïe  la  réforme  administrative  des  pro- 
vinces sénatoriales.  Etant  donné  la  liaison  logique  entre  les  deux 
mesures,  il  y  a  là  une  coïncidence  qui  ne  saurait  être  fortuite. 
La  conclusion  s'impose  donc  très  nette  :  Gallien,  après  sa  vic- 
toire sur  les  Alamans,  rentre  à  Rome.  Il  y  séjourne  pendant  tout 
l'automne  de  261  et  c'est  alors  qu'il  promulgue  son  fameux  édit. 
La  date  ainsi  fixée  avec  précision  va  nous  permettre  de  mieux 
saisir  les  causes  et  la  portée  de  cette  mesure  décisive. 

Nous  sommes  en  261.  La  Gaule  s'est  séparée  de  l'Empire 
romain  avec  Postumus  en  258;  la  Bretagne,  coupée  de  Rome, 
a  suivi  cet  exemple.  En  septembre-octobre  260,  Valérien  a  été 
écrasé  par  le  roi  de  Perse  Sapor  et  les  Perses  ont  inondé  l'Asie 
romaine.  A  la  suite  de  ce  désastre,  Macrianus  a  usurpé  l'Em- 
pire ;  il  est  maître  de  la  S^Tie  et  de  l'Asie  Mineure  ;  en  Égvpte, 
partisans  et  adversaires  de  Gallien  se  disputent  la  province  les 
armes  à  la  main.  Par  la  double  défection  de  l'Orient  et  de  l'Oc- 
cident, l'Empire  romain  est  réduit  à  l'Italie,  aux  provinces 
danubiennes,  à  la  péninsule  des  Balkans  et  à  l'Afrique.  Ce  n'est 
pas  tout.  Les  Barbares  du  nord  envahissent  la  Bithynie  et  brûlent 
Astacum,  près  de  la  future  Nicomédie.  Les  Alamans  traversent 
les  Alpes,  dévastent  l'Italie  et  viennent  menacer  Rome,  taudis 
qu'une  terrible  guerre  servile  désole  la  Sicile.  Un  peu  plus  tard, 
dans  le  courant  de  l'année,  la  crise  s'aggrave  encore.  Macria- 
nus, son  empire  oriental  constitué  de  la  mer  Noire  aux  confins 
de  l'Egypte,  passe  en  Europe  et  se  prépare  à  marcher  sur  l'Ita- 
lie pour  y  renverser  Gallien  (automne  261). 

Telle  est  la  situation  générale  en  présence  de  laquelle  se 


6  LÉON   HOMO. 

trouve  Gallien  lors  de  son  retour  à  Rome,  au  lendemain  de  sa 
grande  victoire  sur  les  Alamans.  Il  est  entièrement  à  la  merci 
de  l'armée  danubienne,  la  seule  qui  lui  reste.  Elle  seule  peut  le 
sauver;  sinon,  pris  comme  il  l'est,  entre  Postumus  a  l'ouest  et 
Macrianus  à  l'est,  il  est  perdu  sans  rémission.  Or,  cette  armée 
danubienne  est  dominée  par  deux  sentimentè  exclusifs  :  un 
patriotisme  romain  farouche,  une  défiance  —  parfois  même  une 
haine  —  vis-à-vis  du  Sénat  traditionnelle  dans  son  sein  depuis 
le  règne  de  Maximin  et  la  grande  crise  de  l'année  238.  Sur  le 
premier  point  on  pouvait  s'entendre,  car  Gallien,  en  fait  de 
patriotisme,  ne  le  cédait  nullement  aux  troupes  de  l'IUyricum  ; 
mais  il  restait  le  second.  La  politique  de  son  père  Valérien,  son 
propre  passé  et  ses  goûts  personnels,  tout  portait  GaUien  vers 
le  Sénat.  Mais  nécessité  n'a  pas  de  loi.  Le  salut  de  l'Empire  ne 
pouvait  être  assuré  que  par  l'armée  danubienne.  Gallien  dut  lui' 
faire  des  concessions  et  lui  garantir  une  collaboration  étroite, 
dont  les  prérogatives  sénatoriales  devaient  nécessairement  faire 
les  frais. 

La  conduite  de  Gallien  s'explique  également  par  une  seconde 
raison,  celle-ci  d'ordre  strictement  militaire.  Dans  cette  crise 
épouvantable  où  le  monde  romain  luttait  pour  son  existence, 
même,  toutes  considérations  devaient  être  sacrifiées  au  souci 
exclusif  de  la  défense  nationale.  Il  fallait  avant  tout  s'en 
remettre  du  salut  de  la  patrie  à  des  généraux  habiles  et  expé- 
rimentés. Or,  ce  n'était  pas  dans  les  rangs  de  l'aristocratie 
sénatoriale  dégénérée  que  l'on  pouvait  espérer  les  rencontrer, 
mais  seulement  parmi  les  soldats  de  métier  formés  à  la  rude 
école  de  la  défense  des  frontières.  Une  mesure  aussi  radicale 
que  l'exclusion  des  sénateurs  de  l'armée  n'était  donc  pas  seule- 
ment un  gage  donné  à  l'armée  du  Danube,  mais  aussi  une  néces- 
sité impérieuse  de  la  situation.  Le  libellé  de  l'édit  et  la  date  de 
la  promulgation  nous  en  fournissent  la  preuve  décisive. 

Après  ces  préliminaires  indispensables,  abordons  l'étude  de 
redit  lui-même.  La  formule  qui  nous  a  été  transmise  par  le  pre- 
mier des  deux  textes  d'Aurelius  Victor*  est  très  courte,  mais  du 
moins  elle  a  le  mérite  d'une  netteté  parfaite  :  «  Senatum  militia 
vetuit  et  adiré  exercitum  ».  Il  s'agit  donc  d'une  mesure  géné- 

1.  33,  34. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMLMSTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.         7 

raie  s'appliquant  à  tous  les  commandements  militaires  qui  étaient 
officiellement  accessibles  à  l'ordre  sénatorial  :  a)  gouverneurs 
légats  des  provinces  impériales;  b)  légats  et  tribuns  de  légions, 
tribuns  et  préfets  de  corps  auxiliaires.  Laissons  de  côté  cette 
seconde  catégorie,  que  nous  retrouverons  plus  tard  et  bornons- 
nous  ici  à  ce  qui  concerne  la  première. 

Sont  touchés  par  Fédit  tous  les  légats  gouverneurs  de  pro- 
vinces impériales,  qu'ils  soient  d'ordre  consulaire  ou  prétorien; 
mais,  dans  la  pratique,  la  portée  immédiate  de  l'édit  était  singu- 
lièrement plus  restreinte.  A  l'ouest,  la  Bretagne,  les  provinces 
gauloises  (Germanie  supérieure,  Germanie  inférieure,  Belgique, 
Lyonnaise,  Aquitaine)  étaient  perdues  pour  l'Empire  et  faisaient 
partie  de  l'état  gallo-romain  ;  c'était  probablement  aussi,  dès  le 
mQieu  de  261 ,  le  cas  des  deux  provinces  impériales  de  l'Espagne 
(Tarraconaise  et  Lusitanie).  A  l'est,  l'empire  de  Macrianus 
englobait  les  provinces  de  Bithynie-Pont,  Cappadoce,  Galatie, 
Cilicie,  Syrie  Caele,  Syrie  Phoenice,  Judée,  Arabie.  Enfin,  sur 
la  rive  gauche  du  Danube,  la  province  de  Dacie  était  déjà  occu- 
pée par  les  Barbares.  Les  provinces  impériales  à  légats,  restées 
fidèles  à  Gallien,  se  réduisaient  à  huit  provinces  danubiennes 
(Rhétie,  Norique,  Pannonie  supérieure,  Pannonie  inférieure, 
Mésie  supérieure,  Mésie  inférieure,  Dalmatie,  Thrace)  et  à  la 
province  de  Numidie  en  Afrique,  au  total  neuf  sur  un  ensemble 
de  vingt-six  que  comptait  normalement  l'Empire  romain,  soit 
environ  le  tiers. 

Telles  sont  les  provinces  dont  les  gouverneurs  tombaient  pra- 
tiquement sous  le  coup  de  l'édit  de  Gallien.  En  vertu  de  cette 
mesure,  ces  fonctionnaires  d'origine  sénatoriale  ne  pouvaient 
continuer  à  réunir  entre  leurs  mains,  selon  le  système  impérial 
traditionnel,  l'ensemble  des  pouvoirs  militaire  et  civil.  Qu'allait 
faire  l'empereur?  Il  y  avait  deux  solutions  possibles  et  il  n'y  en 
avait  que  deux.  1°  Procéder  par  démembrement  de  la  fonction 
en  séparant  radicalement  les  deux  pouvoirs.  Dans  ce  cas  lais- 
ser les  attributions  civiles  au  gouverneur  d'ordre  sénatorial 
et  transférer  le  pouvoir  militaire  à  des  officiers  de  métier,  les 
«  Duces  ».  Ce  sera  la  solution  de  Dioclétien.  2°  Procéder  par 
simple  substitution  de  personnes,  en  laissant  intactes  les  fonc- 
tions, c'est-à-dire  remplacer  purement  et  simplement  les  gouver- 
neurs d'ordre  sénatorial  par  des  gouverneurs  d'ordre  équestre, 


8  LEON   HOMO.  , 

en  leur  maintenant,  comme  par  le  passé,  la  totalité  des  pouvoirs. 
Quelle  est,  de  ces  deux  solutions,  celle  à  laquelle  Gallien  s'est 
rallié? 

Un  premier  fait  se  dégage  de  l'examen  général  auquel  nous 
avons  soumis  plus  haut  la  question  des  «  Duces  limitum  »  régio- 
naux. Il  est  acquis  que  ces  «  Duces  »  n'ont  pas  existé  antérieure- 
ment au  règne  de  Dioclétien.  Par  conséquent  il  n'y  a  pas  eu,  à 
la  suite  de  l'édit  de  Gallien,  de  fonctionnaires  militaires  régio- 
naux, pas  de  séparation  des  pouvoirs  civil  et  militaire,  et,  après 
comme  avant  l'édit,  les  gouverneurs  des  provinces  impériales 
ont  continué  à  cumuler  l'ensemble  des  pouvoirs.  C'est  déjà  la 
preuve  —  indirecte,  mais  indéniable  —  que,  des  deux  solutions 
en  présence,  Gallien  a  délibérément  écarté  la  première.  Mais 
nous  avons  mieux,  et,  quoique  bien  pauvre  à  notre  gré,  l'épi- 
graphie  ne  nous  en  fournit  pas  moins  les  précisions  nécessaires. 

Les  inscriptions,  qui  entrent  en  ligne  de  compte,  s'éche- 
lonnent au  cours  des  vingt-quatre  années  qui  séparent  la  pro- 
mulgation de  l'édit  de  GaUien  des  débuts  de  Dioclétien.  Encore 
une  bonne  partie  de  ces  inscriptions  ne  sont-elles  pas  suffisam- 
ment explicites^.  Les  seules  qui  nous  apportent  un  témoignage 
formel  sur  la  nature  des  pouvoirs  exercés  par  les  gouverneurs  à 
la  suite  de  l'édit  sont  les  suivantes  : 

Règne  de  Gallien.  —  Année  263-264.  —  Inscription  de 
Der-At2  (province  d'Arabie).  —  Construction  d'un  mur  fortifié 
«  Tôpovoia  SxaTiXlou  'A[xiJ.iavoû  tou  /.paTtçxou  Stiirovxoç  t'(]v  Y]ifeiJ.ov(av  ». 

Année  26[4?]-26[5?].  —  Id.,  postérieure  en  date  à  la  précé- 
dente^.  —  Construction  d'une  tour  «  irpovoia  'louviou  'O'Kùikkou  tou 
otaxeifjLOxaTOU 'r)f£(ji.pvoç  ». 

Année  267.  —  Inscription  d'Aquincum  (province  de  Panno- 
nie  inférieure^).  —  Dédicace  à  Gallien  par  «  Clementius  Silvius 
v(ir)  e(gregius)  a(gens)  v(ices)  p(raesidis)  »  et  «  Val(erius) 
Marcellinus  praef(ectus)  leg(ionis)  prot(ector)  Aug(usti)  n(os- 
tri)  a(gens)  v(ices)  l(egati)  ». 

1.  Par  exemple,  C.  I.  L.,  II,  4102  (de  283);  III,  1805  (de  280),  3418  (de  284), 
8707  (de  277),  14460  (sous  Aurélien);  VI,  1641  (avant  Dioclétien);  VIII,  2530 
(de  284);  cf.  2643,  2663,  2678,  2717,  4221,  4222,  4516,  4578,  7002. 

2.  Loc.  cit. 

3.  Ibid. 

4.  C.  I.  L.,  III,  3424. 


LA  UISPAKITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATirS  DU  SÉNAT  ROMAIN.         9 

Règne  de  Claude.  —  Année  268.  —  Même  provenance^.  — 
Réfection  des  thermes  de  la  IP  légion  Adjutrix.  —  «  Thermas 
majores  leg(ionis)  II  adj(utricis)  Claudianae  magno  terapore 
intermissas  et  destitutas  retractatis  porticibus  aditibusque  ..... 

Silvi  et  cura  Ael(i)  Frontini  praef(ecti)  leg(ionis)  ejus- 

dem.  » 

Règne  de  Probus.  —  Année  278-279.  —  Inscription  de 
Bostra.  —  Construction  d'une  citadelle.  «  'Ex  rpovotaç  M(â)p- 

(XOU)  IléTpOU  TOU  0ta(7[Y]|x(0TâT0u)]  r,Y£[jL(cvoç) -.  » 

Règne  de  Carin  et  Numérien.  —  Année  284,  —  Inscrip- 
tions de  Lambèse  (province  de  Numidie)^.  —  Dédicaces  au, 
«  genius  »  du  camp  de  la  IIP  légion  Augusta  par  «  M(arcus) 
Aurelius  Decimus  v(ir)  p(erl"ectissimus)  p(raeses)  p(rovinciae) 
N(umidiae)  ». 

Voilà  donc  toute  une  série  de  gouverneurs  de  provinces 
impériales,  postérieurs  à  l'édit  de  Gallien,  qui  ont  exercé  le 
pouvoir  militaire  eu  même  temps  que  le  pouvoir  civil.  —  A  ces 
témoignages  épigraphiques  vient  s'ajouter  un  texte  littéraire 
relatif  au  règne  d'Aurélien.  Zosime^  nous  raconte  qu'au  lende- 
main de  la  chute  de  Palrayre,  en  272,  et  pour  prévenir  toute 
complication  éventuelle,  Aurélien  nomma  MarceUinus  préfet  de 
Mésopotamie  et  le  chargea,  en  outre,  de  l'administration  de  tout 
l'Orient.  Ce  MarceUinus,  selon  toute  vraisemblance,  est  l'Aure- 
lius  MarceUinus  «  vir  perfectissimus  dux  ducenarius  »^  qui 
avait  dirigé  sous  Gallien,  en  265,  la  construction  de  l'enceinte 
de  Vérone.  En  tout  cas  —  et  c'est  le  seul  point  qui  nous  importe 
ici  —  ce  gouverneur  impérial  a  réuni  entre  ses  mains  la  pléni- 
tude des  pouvoirs  aussi  bien  militaire  que  civil. 

De  cet  ensemble  de  documents,  nous  pouvons  tirer  une  con- 
clusion certaine.  Après  comme  avant  l'édit  de  Gallien,  les  gou- 
verneurs de  provinces  impériales  ont  continué  à  cumuler  les 
pouvoirs  civU  et  mUitaire.  L'édit  n'a  donc  rien  changé  aux  attri- 
butions mêmes  de  la  fonction .  II  n'a  entraîné  —  nous  sommes  ainsi 
nécessairement  amenés  à  la  seconde  solution  —  qu'un  change- 

1.  C.  1.  L.,  3525  (=  10492). 

2.  C.  I.  G.,  4649  [=  luscriplioncs  Graecae  ad  res  lomayins  pertinentes, 
éd.  Gagnât,  III,  1324 1. 

3.  C.  I.  L.,  MU,  2529. 

4.  I,  60. 

5.  C.  1.  A.,  V,  3329. 


10  LÉON   HOMO, 

ment  de  personnel.  Voyons  maintenant  sous  quelle  forme  et 
dans  quelles  conditions. 

Nous  sommes  tout  d'abord,  à  l'examen  des  documents,  frap- 
pés par  un  fait  :  un  certain  nombre  de  provinces  impériales  qui, 
avant  l'édit  de  GaRien,  avaient  des-  gouverneurs  pris  dans 
l'ordre  sénatorial,  ont  plus  tard  des  gouverneurs  d'ordre 
équestre.  Ce  sont,  en  suivant  l'ordre  chronologique  :  sous  le 
règne  de  Gallien,  l'Arabie  [en  263-264,  Statilius  Ammianus, 
vir  egregius;  en  26[4?]-26[5?],  Junius  Olympus,  vir  perfectis- 
simus],  la  Pannonie  inférieure  [en  267,  Clementius  Silvius,  vir 
egregius];  sous  Aurélien,  la  Mésie  inférieure  [entre  273-275, 
Aurelius  Sebastianus,  vir  perfectissimus]  ;  sous  Probus,  la  Dal- 
matie  [277,  Aurelius  Marcianus,  vir  perfectissimus;  280, 
M.  Aurelius  Tiberianus,  vir  perfectissimus],  l'Arabie  [278-279, 
Aurelius  Petrus,  vir  perfectissimus]  ;  sous  Carin  et  Numérien, 
la  Numidie  [284,  M.  Aurelius  Decimus,  vir  perfectissimus].  A 
une  date  incertaine,  mais  comprise  entre  273  et  l'avènement  de 
Dioclétien,  la  Germanie  inférieure  [?,  le  nom  du  gouverneur  a 
disparu,  «  vir  perfectissimus  »]'.  Enfin,  nous  savons  par  deux 
textes  littéraires,  le  premier  de  l'Anonyme  de  Valois 2,  le 
second  de  la  Vie  de  Carus  et  de  ses  fils  dans  l'Histoire  Au- 
guste 3,  que  Constance  Chlore,  le  futur  empereur,  a  rempli  les 
fonctions  de  gouverneur  de  Dalmatie  —  nécessairement  au  titre 
équestre  —  en  282-283,  sous  le  règne  de  Carus. 

Nous  saisissons  ieiles  conséquences  de  l'édit  de  Gallien,  qui 
a  remplacé,  à  la  tête  des  provinces  impériales  à  légats,  les  gou- 
verneurs de  rang  sénatorial  par  des  gouverneurs  d'ordre 
équestre.  Les  inscriptions  relatives  à  StatUius  Ammianus, 
Junius  Olympus,  Aurelius  Petrus  en  Arabie,  Clementius  Sil- 
vius en  Pannonie  inférieure,  M.  Aurelius  Decimus  en  Numidie 
nous  montrent,  sans  hésitation  possible,  que  ces  gouverneurs 
équestres  ont,  comme  leurs  prédécesseurs  sénatoriaux,  le  pou- 
voir militaire  en  même  temps  que  le  pouvoir  civil.  GaUien  s'est 
donc  borné  à  remplacer,  à  la  tête  des  provinces  impériales  à 

1.  C.  I.  L.,  VI,  1641.  —  Une  autre  inscription  [Ibid.,  VIII,  2571  =  Supplé- 
ment, 18057  et  p.  954],  datée  de  268,  concerne  un  gouverneur  de  Numidie, 
mais  le  nom  et  les  titres  du  personnage  ont  disparu  et  l'on  ne  peut  en  tirer 
aucune  indication  précise. 

2.  1. 

3.  17,^6. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      1  f 

légats,  les  gouverneurs  de  rang  sénatorial  par  des  gouverneurs, 
d'ordre  équestre,  sans  rien  changer  à  leurs  attributions  tradi- 
tionnelles. 

Le  gouverneur  équestre,  chef  militaire,  n'était  pas  une  inno- 
vation dans  l'administration  de  l'Empire.  Les  gouverneurs  des 
provinces  dites  procuratoriennes  —  Alpes  Maritimes  depuis 
Auguste,  Rhétie  et  Norique  d'Auguste  à  Marc  Aurèle,  Judée 
d'Auguste  à  Vespasien,  Cappadoce  de  Tibère  à  Vespasien„ 
Maurétauie  Tingitane  et  Maurétanie  Césarienne  depuis  Cali- 
gula,  Alpes  Cottiennes  depuis  Néron,  Épire,  peut-être  depuis 
Néron,  en  tout  cas  depuis  Trajan,  Alpes  Pennines  dès  le 
II"  siècle  —  avaient  sous  leurs  ordres,  en  plus  ou  moins  grand 
nombre,  des  effectifs  militaires  dont  ils  étaient  les  généraux  en 
chef;  mais  la  règle  générale  était  que  ces  contingents  fussent 
uniquement  composés  de  corps  auxiliaires,  à  l'exclusion  des 
troupes  légionnaires.  La  raison  de  cette  disposition  était  évi- 
dente. Les  légions  étant  commandées  par  des  généraux,  les 
légats,  recrutés  dans  l'ordre  sénatorial,  il  ne  pouvait  être  ques- 
tion de  placer  ces  officiers  sénatoriaux  sous  les  ordres  d'un  che- 
valier, comme  l'était  lé  gouverneur  équestre.  Toutefois,  dès  le 
début  de  l'Empire,  il  y  eut  une  exception,  celle  de  l'Egypte,  qui 
fut  considérée  non  comme  une  province  impériale,  à  stricte- 
ment parler,  mais  comme  une  possession  personnelle  et  parti- 
culière de 'l'empereur.  Le  gouverneur  de  l'Egypte  était  un  pré- 
fet d'ordre  équestre,  mais,  par  une  exception  que  légitimaient 
l'importance  et  le  caractère  spécial  du  pays,  ce  chevalier  avait 
plusieurs  légions  sous  ses  ordres.  Pour  faire  disparaître  la  dif- 
ficulté signalée  plus  haut,  les  légats  sénatoriaux  furent  rempla- 
cés à  la  tête  des  légions  d'Egypte  par  des  préfets  pris,  comme  le 
gouverneur  lui-même,  dans  l'ordre  des  chevaliers.  Ainsi,  en 
Egypte,  dès  le  régné  d'Auguste,  toute  la  hiérarchie  administra- 
tive et  militaire  est  rigoureusement  et  strictement  de  caractère 
équestre. 

Le  cas  de  l'Egypte  resta  exceptionnel  pendant  plus  de  deux 
siècles.  Le  Sénat  veillait  jalousement  à  la  conservation  de  son 
privilège  administratif  dans  les  provinces  et  les  empereurs  des 
trois  premières  dynas^es  ne  voulurent  pas  ou  n'osèrent  y  porter 
atteinte.  Tout  change  à  la  fin  du  ii"  siècle  avec  Septime  Sévère. 
Ce  grand  ennemi  du  Sénat  étend  le  système  égyptien  à  une  pro- 
vince nouvellement  organisée,  la  Mésopotamie.  La  Mésopota- 


12  LÉON    HOMO. 

mie  reçoit  comme  gouverneur  un  préfet  d'ordre  équestre  ana- 
logue à  celui  de  l'Egypte.  Comme  l'Egypte  encore,  les  deux 
légions  cantonnées  dans  cette  province,  la  F®  et  la  IIP  Par- 
tliiques,  corps  tous  deux  de  nouvelle  création,  sont  commandées 
non  par  des  légats  sénatoriaux,  conformément  à  la  règle  géné- 
rale, mais  par  des  préfets  équestres  analogues  à  ceux  des 
légions  égyptiennes.  Le  type  de  la  province  impériale,  gouver- 
née par  un  préfet  d'ordre  équestre,  ayant  sous  ses  ordres  des 
légions  commandées  par  des  préfets  d'origine  analogue,  existait 
donc  déjà  en  double  exemplaire  dès  la  fin  du  ii"  siècle.  Ce  mode 
d'administration  présentait  deux  grands  avantages  :  l'un  d'ordre 
administratif  —  le  personnel  soustrait  à  l'influence  de  l'ordre 
sénatorial  y  était  infiniment  mieux  dans  la  main  de  l'empereur 
et  offrait  des  garanties  de  fidélité  beaucoup  plus  sérieuses  ;  — 
l'autre  d'ordre  militaire  —  les  officiers  généraux  équestres,  au 
point  de  vue  technique,  connaissaient  infiniment  mieux  leur 
métier  que  la  grande  masse  des  officiers  sénatoriaux. 

Gallien  n'a  donc  pas  eu  à  inventer  de  toutes  pièces  un  système 
nouveau  d'administration  provinciale.  Ce  type  particulier,  qu'il 
trouvait  déjà  existant  en  Egypte  et  en  Mésopotamie  et  qui  avait 
fait  ses  preuves,  il  n'eut  qu'à  le  généraliser  et  à  l'introduire 
dans  les  autres  provinces  impériales  à  légats.  Par  son  édit,  il  ne 
fit  en  somme  que  reprendre  et  systématiser  la  tradition  admi- 
nistrative de  Septime  Sévère. 

Le  coup  ainsi  porté  par  l'édit  au  privilège  sénatorial  était 
extrêmement  dur.  GaUien,  en  imposant  le  fond,  s'appliqua,  du 
moins,  à  adoucir  la  forme.  Il  le  fit  grâce  à  un  double  expédient  : 

l**  Les  gouverneurs  des  provinces  équestres  nouvelles  reçurent 
le  titre  non  de  «  Praefectus  »  —  comme  en  Egypte  ou  en  Méso- 
potamie —  mais  de  «  Praeses  ».  Le  titre  était  à  la  fois  plus 
honorifique  et  plus  vague,  double  avantage  pour  la  politique 
impériale.  Au  uf  siècle,  le  mot  «  Praeses  »,  nous  l'avons  vu 
plus  haut,  a  deux  sens  difiérents  :  au  sens  étroit,  il  désigne  le 
gouverneur  équestre  par  opposition  aux  proconsuls,  gouver- 
neurs des  provinces  sénatoriales,  et  aux  légats  propréteurs, 
gouverneurs  des  autres  provinces  impériales;  au  sens  large, 
selon  la  définition  du  jurisconsulte  Macer,  il  s'applique  indis- 
tinctement à  toutes  les  catégories  de  gouverneurs  sans  excep- 
tion. Par  l'emploi  du  terme  «  Praeses  »,  substitué  à  celui  de 
«  Praefectus  »,  Gallien  dissimulait  le  caractère  strictement 


A. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      13 

équestre  de  la  fonction  et  atténuait,  au  moins  dans  la  forme,  la 
déception  sénatoriale.  De  plus,  l'empereur  semblait  ne  pas 
exclure  systématiquement  pour  l'avenir  tout  retour  à  l'usage 
traditionnel,  le  mot  de  «  Praeses  »  pouvant,  par  son  élasticité 
même,  s'appliquer  éventuellement  à  des  gouverneurs  sénato- 
riaux aussi  bien  qu'aux  gouverneurs  équestres. 

2°  Les  nouveaux  gouverneurs  équestres  furent  nommés  non 
pas  sous  forme  définitive,  mais  à  titre  de  suppléants.  Nous  pos- 
sédons deux  exemples  précis  de  cette  méthode  dès  le  règne  de 
Gallien.  En  263-264,  le  gouverneur  d'Arabie,  Statilius  Ammia- 
nus,  est  dit  «  Biézwv  ty)v  •fjYejj.ovtav  »  ;  en  267,  le  gouverneur  de 
Pannoi^ie  inférieure,  Clementius  Silvius,  porte  les  titres  de 
«  agens  vices  praesidis  ».  Tous  deux  sont  donc,  dans  le  langage 
officiel,  des  gouverneurs  suppléants.  Nous  verrons  plus  loin  — 
et  la  remarque  est  fort  importante  —  que  le  même  système  de 
l'intérim  fut  appliqué  dans  le  remplacement  des  légats  de 
légions  sénatoriaux  par  des  préfets  équestres.  Gouverneurs 
équestres  et  préfets  équestres  de  légions  apparaissent  ainsi 
dans  la  nomenclature  officielle  créée  par  GaUien  non  pas  comme 
titulaires  de  la  fonction,  mais  simplement  comme  suppléants, 
«  agentes  vices  praesidis  »  pour  les  premiers,  «  agentes  vices 
legati  »  pour  les  seconds.  Ils  font  la  suppléance  de  gouver- 
neurs et  de  légats  légionnaires  sénatoriaux  qui,  en  réalité, 
n'existent  que  sur  le  papier.  On  saisit  sans  peine  les  raisons  du 
procédé.  Par  cette  nomination  de  simples  suppléants,  le  système 
établi  en  vertu  de  l'édit  de  GaUien  pouvait  être  présenté  comme 
purement  provisoire  et  le  maintien  fictif  de  l'ancienne  hiérar- 
chie sénatoriale  était  un  adoucissement  au  moins  formel  à  la 
mesure  irréparable  qui  venait  de  frapper  le  Sénat. 

Sur  ce  point  encore,  Gallien  n'a  pas  entièrement  innové  et, 
conformément  aux  habitudes  conservatrices  de  l'esprit  romain, 
c'est  à  une  tradition  séculaire  qu'il  a  emprunté  le  système  de 
la  suppléance.  Depuis  le  début  de  l'Empire,  les  procurateurs 
impériaux  des  provinces  étaient  les  suppléants  naturels  du  gou- 
verneur en  cas  d'absence  ou  de  décès.  Les  exemples  du  procédé 
sont  nombreux.  Tacite,  Annales,  XIV,  32,  à  propos  de  la  Bre- 
tagne :  «  Sed  quia  procul  Suetonius  aberat,  petivere  a  Cato 
Deciano  procuratore  auxilium.  »  C.  I.  L.,  III,  251  :  «  G.  Jul(ius) 
Senecio  proc(urator)  prov(inciae)  Galatiae,  item  vice  praesidis 
ejusdem  prov(inciae)  et  Ponti.  »  Digeste,  XLIX,  1,  23  :  «  Pro- 


14  LÉON   HOMO. 

curatores  ...  qui  partibus  praesidis  funguntur;  »  III,  3,  1  : 
«  Qui  vice  praesidis  agunt.  »  Code  Justinien,  IX,  20,  4  :  «  Qui 
vicem  praesidis  tuetur.  »  Mais  c'est  surtout  avec  le  second 
quart  du  in®  siècle  que  le  procédé  se  généralise.  La  carrière  de 
Timésithée,  le  futur  préfet  du  prétoire  et  beau-père  de  Gor- 
dien III,  est  particulièrement  caractéristique  à  cet  égard  i.  Sous 
le  règne  de  Sévère  Alexandre,  nous  le  trouvons  successivement  : 
«  procurator  provinciae  Arabiae  ibi  vice  praesidis  bis  »  (vers 
2.26),  puis  «  procurator  patrimonii  provinciae  Belgicae  et  dua- 
rum  Germaniarum  ibi  vice  praesidis  provinciae  Germaniae  infé- 
rions »  ;  sous  Maximin,  «  procurator  provinciae  Bithyniae 
Ponti  Paphlagoniae  tam  patrimoni  quam  ration  is  privatae  ibi 
vice  procuratoris  quadragesimae  item  vice  [praesidis]  »  et  «  pro- 
curator provinciae  Asiae  ibi  -^ice  vigesimae  et  quadragesimae 
itemque  vice  proconsulis.  »  A  la  même  époque,  les  procura- 
teurs Q.  Axius  Aelianus,  en  Dacie^,  et  Badius  Cominianus,  en 
Lyonnaise^,  suppléent  le  gouverneur  dans  des  conditions  ana- 
logues. Enfin,  sous  Gordien  III,  C.  Julius  Priscus,  frère  de  Phi- 
lippe l'Arabe,  est  mentionné  comme  «  procurator  provinciae 
Macedoniae,  procurator  provinciae  [le  nom  de  la  province 
manque],  ubique  vice  praesidis^  ». 

Cette  tradition  administrative  ojSrait  donc  à  Gallien  un  moyen 
pratique  de  remplacer,  avec  tous  les  ménagements  de  forme 
désirables,  les  fonctionnaires  sénatoriaux  qu'il  éliminait  du  gou- 
vernement des  provinces  impériales.  Mais  il  est  à  remarquer  que 
la  similitude  des  procédés  était  purement  apparente.  Les  procu- 
rateurs chargés  des  fonctions  de  «  vice  praesidis  »  ne  le  sont 
qu'en  vertu  d'un  cmuul  et  en  passant,  puisque  leur  suppléance 
cesse  généralement  avec  le  retour  de  l'ancien  gouverneur  ou 
l'arrivée  d'un  nouveau.  Au  contraire,  les  gouverneurs  «  vice 
praesidis  »  créés  à  la  suite  de  l'édit  de  Gallien  sont,  en  dépit 
des  mots,  des  suppléants  de  gouverneurs  sénatoriaux  qui 
n'ont  jamais  existé  et  n'existeront  jamais  ;  par  conséquent,  ils 
sont,  en  fait,  des  gouverneurs  définitifs. 

Aussi,  comme  il  arrive  toujours,  les  précautions  de  forme  ne 
tardèrent-eUes  pas  à  tomber  devant  la  réalité  des  choses.  La 
seconde  des  inscriptions  de  Der-At  est  caractéristique  à  ce 

\.  G.  I.  L.,  XIII,  1807. 

2.  Ibid.,  III,  1456. 

3.  Ibid.,  XIII,  3162. 

4.  Ibid.,  VT,  1638. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SÉNAT  ROMAIN.      15 

sujet.  Elle  mentionne  comme  gouverneur  Juhius  Olympus,  qui 
porte  le  titre  de  «  BiaffY)[;L6TaT0ç  -fiYeii-oiv  »,  traduction  de  la  formule 
officielle  latine  «  perfectissimus  praeses  ».  Junius  Olympus  se 
difiérencie  de  son  prédécesseur  Statilius  Amraianus  sur  deux 
points  :  tout  d'abord,  il  est  d'un  rang  plus  élevé,  «  perfectissi- 
mus »,  et  non  plus  seulement  «  egregius  »  ;  en  second  lieu,  il  est 
gouverneur  titulaire,  «  Yi^ei^wv  »,  et  non  plus  simple  suppléant. 
On  aimerait  à  savoir  combien  de  temps,  pour  la  province  d'Ara- 
bie tout  au  moins,  s'est  maintenu  le  système  de  la  suppléance 
dont  Statilius  Ammianus  semble  avoir  été,  dans  cette  province, 
le  premier  représentant. 

Si,  comme  il  est  vraisemblable,  il  faut  dater  la  seconde  ins- 
cription de  Der-At  de  la  158®  année  de  l'ère  de  Bostra  [264- 
265J,  le  système  de  la  suppléance  ne  s'est  pas  maintenu  dans  la 
province  d'Arabie  après  le  départ  de  Statilius  Ammianus.  Pour 
les  autres  provinces,  l'évolution  s'est  produite  dans  le  même 
sens  et  de  la  même  manière.  En  267,  le  gouverneur  de  Panno- 
nie  inférieure,  Qementius  Silvius,  porte  les  titres  de  «  vir  egre- 
gius agens  vices  praesidis  »;  en  268,  au  début  du  règne  de 
Claude,  nous  le  trouvons  encore  à  la  tête  de  sa  province,  mais 
cette  fois  sans  mention  de  suppléance;  il  est  juste  d'ajouter  qu'il 
ne  porte  pas  non  plus  explicitement  le  nom  de  gouverneur  titu- 
laire. Le  gouverneur  équestre  Aurelius  Sebastianus,  connu  en 
Mésie  inférieure  sous  Aurélien,  est  «  vir  perfectissimus  »  et 
gouverneur  titulaire;  de  même,  sous  Probus,  Aurelius  Marcia- 
nus  et  M.  Aurelius  Tiberianus,  tous  deux  «  viri  perfectissimi  » 
et  gouverneurs  titulaires  de  Dalmatie,  le  premier  en  277,  le 
second  en  280,  et  Marcus  Petrus,  «  vir  perfectissimus  »  et  gou- 
verneur titulaire  d'Arabie  en  278-^79;  enfin,  sous  Carin  et 
Numérien,  M.  Aurelius  Decimus,  «  vir  perfectissimus  »  et  gou- 
verneur titulaire  de  Numidie  en  284.  La  fiction  de  la  suppléance 
s'est  donc  évanouie  successivement  dans  l'ensemble  des  pro- 
vinces impériales  et  ce  changement  s'est  opéré  très  vite,  proba- 
blement dès  le  règne  de  Gallien.  Nous  en  avons  la  preuve 
directe  pour  la  province  d'Arabie  et,  pour  les  autres  provinces, 
une  preuve  indirecte  dans  ce  fait  qu'après  la  mort  de  cet  empe- 
reur on  ne  trouve  plus  nulle  part  de  gouverneurs  équestres  exer- 
çant leurs  pouvoirs  sous  forme  de  suppléance.  Tous  ceux  que 
nous  connaissons,  sans  exception,  ont  le  rang  de  «  viri  perfec- 
tissimi »  et  sont  titulaires  de  leur  emploi. 

En  résumé,  la  réforme  de  Gallien  relativement  à  l'administra- 


16  LÉON   HOMO. 

tion  des  provinces  impériales  a  donc  porté  sur  trois  points  : 
1°  exclusion  des  sénateurs,  par  conséquent  disparition  des  légats 
propréteurs  comme  gouverneurs  de  provinces  ;  2°  remplacement 
par  des  gouverneurs  d'ordre  équestre,  qui  héritent  d'aiUeurs  de 
l'intégralité  de  leurs  pouvoirs,  tant  civils  que  militaires;  3°  no- 
mination de  ces  nouveaux  gouverneurs  à  titre  de  «  vice  prae- 
sidum  »  et  sous  forme  de  suppléants. 

Un  dernier  point  reste  à  fixer,  et  ce  n'est  pas  le  moins  inté- 
ressant. Où  Gallien  et  ses  successeurs  après  lui  prennent-ils  le 
personnel  nécessaire  à  cette  transformation  et  quels  sont  ces 
membres  de  l'ordre  équestre  qui  vont  remplacer,  à  la  tête  des 
provinces  impériales,  les  légats  sénatoriaux  évincés?  Étudions, 
à  ce  point  de  vue,  la  liste  des  gouverneurs  équestres  connus  de 
Gallien  à  Dioclétien  : 

263-264.  Arabie.  —  StatUius  Ammianus,  «  vir  egregius  ». 

26[4?]-26[5?].  Arabie.  — Junius  Olympus,  «  vir  perfectissi- 
mus  ». 

267.  Pannonie  inférieure.  —  Qementius  Silvius,  «  vir  egre- 
gius ». 

Sous  Aurélien,  Mésie  inférieure.  —  Aurelius  Sebastianus, 
«  vir  perfectissimus  ». 

277.  Dalmatie.  — Aurelius  Marcianus,  «  vir  perfectissimus  ». 

280.  Dalmatie.  —  M.  Aurelius  Tiberianus,  «  vir  perfectissi- 
mus ». 

278-279.  Arabie.  —  M.  Petrus,  «  vir  perfectissimus  ». 

Sous  Carus.  Dalmatie.  —  Constance  [Chlore]. 

284.  Numidie.  —  M.  Aurelius  Decimus,  «  vir  perfectissimus  ». 

Peut-être  vers  la  même  époque.  Mésie  [inférieure?  supé- 
rieure?]. —  Dioclétien. 

On  peut  ajouter  à  cette  liste  Aurelius  Mucianus,  dont  il  a 
déjà  été  fait  mention  ci-dessus  à  propos  de  la  question  des 
«  Duces  »,  et  Flavius  Flavianus,  gouverneurs,  «  viri  perfectis- 
simi  »,  le  premier  de  Rhétie,  le  second  de  Numidie,  au  début 
du  règne  de  Dioclétien.  Que  savons-nous  sur  l'origine  et  la  car- 
rière passée  de  ces  gouverneurs? 

En  premier  lieu,  nous  remarquerons  que  les  gouverneurs  dits 
suppléants  —  nous  en  avons  deux  exemples  :  Statilius  Ammia- 
nus en  263-264,  Clementius  Silvius  en  267  —  sont  «  viri  egre- 
gii  »;  les  gouverneurs  titulaires,  au  contraire  —  Junius  Olym- 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      17 

pus  en  26[4?]-26[5?],  Aurelius  Sebastianus  sous  Aurélien, 
Aurelius  Marcianus  en  277,  M.  Petrus  en  278-279,  M.  Aure- 
lius Tiberianus  en  280,  M.  Aurelius  Decimus  en  284,  Aurelius 
Mucianus  et  Flavius  Flavianus  sous  Dioclétien  —  sont  tous,  et 
sans  exception  aucune,  des  «  viri  perfectissimi  ».  Quant  au 
passé  de  ces  gouverneurs,  nous  sommes  en  général  fort  peu 
renseignés.  Un  trop  grand  nombre  de  ces  personnages,  malheu- 
reusement, ne  représentent  pour  nous  que  des  noms  et,  pour  la 
plupart,  nous  ne  possédons  aucune  indication  ni  sur  leur  ori- 
gine, ni  sur  leur  carrière  antérieure.  Mais,  du  moins,  en 
reste-t-il  quelques-uns  pour  lesquels  on  peut  établir  un  certain 
nombre  de  précisions  intéressantes. 

Le  premier  est  Constance  Chlore,  le  futur  César  de  Dioclétien, 
qui  a  exercé  sous  Carus  les  fonctions  de  gouverneur  de  Dalma- 
tie.  Nous  connaissons,  par  un  texte  de  l'Anonyme  de  Valois ^, 
deux  étapes  de  sa  carrière  avant  son  gouvernement  provincial; 
il  a  été  successivement  «  protector  »  et  tribun.  C'est  donc  pure- 
ment et  simplement  un  soldat  de  métier,  un  homme  sorti  du 
rang  et  dont  les  débuts  on^  été  strictement  militaires. 

Le  second  est  M.  Aurelius  Decimus,  gouverneur  équestre  de 
Numidie  sous  Carin  et  Numérien,  eu  284.  Les  inscriptions  qui 
le  nomment  nous  apprennent  qu'il  a  été  «  princeps  peregrino- 
rum  »,  c'est-à-dire  commandant  du  camp  de  Peregrini  à  Rome. 
Or,  au  III®  siècle,  le  «  princeps  peregrinorum  »  est,  en  règle 
générale,  choisi  parmi  les  centurions  de  l'armée  des  provinces. 
Les  inscriptions  nous  montrent  d'autres  carrières  analogues, 
par  exemple  T.  Flavius  Domitianus,  qui,  avant  de  devenir 
«  princeps  peregrinorum  »  sous  Sévère  Alexandre,  a  été  suc- 
cessivement «  speculator  »  de  la  IIP  légion  Parthique  et  «  has- 
tatus  »  de  la  X°  légion  Fretensis.  —  M.  Aurelius  Decimus  est 
donc,  lui  aussi,  un  officier  sorti  du  rang,  qui  a  passé  successi- 
vement par  le  centurionat  et  l'emploi  de  «  princeps  peregrino- 
rum »  avant  d'obtenir  le  gouvernement  de  la  province  de 
Numidie. 

Le  troisième  est  Aurelius  Mucianus,  gouverneur  de  Rhétie 
sous  Dioclétien,  dont  une  inscription^  nous  fait  connaître  en 
détail  la  carrière.  Nous  en  avons  déjà  parlé  à  propos  de  la  ques- 
tion des  «  Duces  limitum  ».  Il  suffit  ici  d'en  rappeler  briève- 

1.  1. 

2.  Inscriplio7ies  Graecae  ad  res  romanas  pertinentes,  éd.  Gagnai,  I,  1496. 

Hfv.  Histor.  CXXXVIII.  1"  fasc.  2 


18  LÉON   HOMO. 

ment  les  étapes.  Mucianus  a  servi  successivement  comme  sol- 
dat à  la  V^  cohorte  des  Goncordienses  et  à  la  IP  légion 
Parthique,  comme  cavalier  à  la  VIP  cohorte  prétorienne;  il  est 
ensuite  centurion  «  protector  »  à  la  XIP  légion  Gemina,  aux 
Vigiles,  aux  cohortes  urbaines  et  à  la  V^  cohorte  prétorienne, 
«  primipilaris  ».  Puis  il  entre  dans  le  cadre  des  officiers  supé- 
rieurs; il  est  préfet  de  la  IV®  légion  Flavia,  «  dux  »  des 
légions  VII  Claudia  et  IV  Flavia,  puis,  toujours  en  qualité  de 
«  dux  »,  commande  divers  groupements  de  troupes  d'opéra- 
tions. Ce  personnage  réalise  donc  parfaitement  le  type  du  sol- 
dat de  métier  et  de  l'officier  de  fortune  dont  la  seconde  moitié 
du  iii^  siècle  nous  présente  de  si  fréquents  exemples. 

Le  quatrième  est  Flavius  Flavianus,  «  vir  perfectissimus  », 
gouverneur  équestre  de  Numidie  sous  Dioclétien.  Une  inscrip- 
tion^ nous  apprend  qu'avant  son  gouvernement  provincial  il 
avait  été  «  cornicularius  »  d'un  préfet  du  prétoire.  Dans  la  hié- 
rarchie militaire,  le  «  cornicularius  »  faisait  partie  des  «  princi- 
pales »  —  l'équivalent  de  nos  sous-officiers  —  et  le  grade  était 
inférieur,  par  conséquent,  à  celui  de  centurion. 

Peut-être  enfin,  si  l'interprétation  du  texte  de  Zonaras  précé- 
demment donnée  est  exacte,  faudrait-il  en  ajouter  un  cinquième, 
Dioclétien.  Or,  nous  savons  que  Dioclétien  est,  lui  aussi,  un 
soldat  de  fortune,  et  qu'en  cette  qualité  il  a  dû  franchir  succes- 
sivement les  échelons  inférieurs  de  la  carrière  militaire. 

Du  rapide  examen  qui  précède,  il  résulte  que  les  quatre  gou- 
verneurs équestres  de  provinces  impériales  du  type  créé  par 
Gallien  —  cinq  en  y  comprenant  Dioclétien  —  les  seuls  sur  le 
passé  desquels  nous  ayons  quelques  précisions,  sont  tous  des 
hommes  sortis  du  rang  et  de  carrière  exclusivement  militaire. 
Avant  leur  nomination  au  poste  de  gouverneur,  ils  s'étaient  éle- 
vés plus  ou  moins  haut  dans  la  hiérarchie  des  grades  :  l'un  jus- 
qu'au ducénariat  (Aurelius  Mucianus),  un  autre  jusqu'au  tribu- 
nat  (Gonstance  Ghlore),  un  autre  jusqu'à  la  fonction  de 
«  princeps  peregrinorum  »,  d'où  l'on  accédait  directement  du 
centurionat  (M.  Aurelius  Decimus),  un  dernier  enfin  seulement 
jusqu'au  grade  de  «  cornicularius  »  (Flavius  Flavianus).  Nos 
quatre  gouverneurs  provinciaux  ont  donc  été  recrutés  :  le  pre- 
mier (Aurelius  Mucianus)  parmi  les  officiers  généraux,  le  second 

\.  C.  I.  L.,  VIII,  4325, 


LA  mSPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      19 

(Constance  Chlore)  parmi  les  officiers  supérieurs,  le  troisième 
(M.  Aurelius  Decimus)  parmi  les  officiers  subalternes,  le  qua- 
trième enfin  (Flavius  Flavianus)  parmi  les  sous-officiers.  La  car- 
rière qui  mène  aux  gouvernements  provinciaux  depuis  la 
réforme  de  Gallien  nous  apparaît  donc  comme  absolument  diffé- 
rente de  la  carrière  équestre  antérieure.  Le  «  cursus  »  équestre 
nouveau  exclut  tout  emploi  civil  ;  il  est  strictement  militaire  et, 
par  les  grades  de  sous-officier,  de  centurion,  de  tribun,  éven- 
tuellement de  «  dux  ducenarius  »,  conduit  le  simple  soldat  des 
rangs  les  plus  humbles  de  la  milice  jusqu'aux  gouvernements 
des  provinces. 

Enfin,  la  carrière  des  personnages  que  nous  venons  d'étudier 
fournit  l'occasion  d'une  autre  remarque,  concernant  non  plus 
la  carrière,  mais  l'origine  des  gouverneurs  équestres  du  nou- 
veau type.  Sur  les  gouverneurs  dont  il  vient  d'être  parlé,  il  y 
en  a  deux  —  trois  avec  Dioclétien  —  dont  nous  connaissons  la 
patrie  avec  certitude.  Le  premier.  Constance  Chlore,  est  un  Dal- 
mate;  le  second,  Aurelius Mucianus,  un  Thrace.  Quanta  Dioclé- 
tien, il  est,  coname  Constance  Chlore,  originaire  de  Dalmatie. 
Tous  les  trois  sont  donc  des  Danubiens.  Pour  d'autres,  à  défaut 
de  certitude,  nous  avons  au  moins  la  vraisemblance.  A  parcou- 
rir la  liste  de  nos  gouverneurs  équestres,  on  est  frappé  de  ce  fait 
qu'un  très  grand  nombre  portent  le  gentilice  d'Aurelius  et,  dans 
ce  cas,  le  prénom,  lorsque  nos  documents  l'indiquent,  est  tou- 
jours Marcus  :  Aurelius  Sebastianus,  gouverneur  de  Mésie  infé- 
rieure sous  Aurélien,  Aurelius  Marcianus,  M.  Aurelius  Tiberia- 
nus,  gouverneur  de  Dalmatie  sous  Probus,  M.  Aurelius 
Decimus,  gouverneur  de  Numidie  sous  Carin  et  Numérien.  Or, 
à  la  fin  du  m"  siècle,  ces  prénom  et  gentilice  se  trouvent  parti- 
culièrement représentés  dans  les  pays  danubiens.  Les  grands 
empere\irs  de  la  dynastie  illyrienne  — à  l'exception  d' Aurélien, 
dont  il  faut  remarquer  toutefois  le  «  cognomen  »  Aurelianus  — 
Claude  II,  Probus,  Carus,  sont  des  «  Marci  Aurelii  »,  comme 
aussi  Maximien,  le  collègue  de  Dioclétien.  Mucianus,  dont  il  a 
été  question  plus  haut,  et  Dioclétien  lui-même  sont  également 
des  «  Aurelii  ».  Cette  coïncidence  n'est  pas  fortuite.  La  réforme 
provinciale  de  Gallien,  comme  on  pouvait  le  prévoir,  s'est  faite 
essentiellement  au  bénéfice  des  officiers  de  l'armée  danubienne. 
C'est  un  dernier  trait  qui  achève  de  la  préciser  et  de  lui  donner 
son  véritable  caractère. 


20  LÉON   HOMO. 

Sous  Claude  et  Aurélien,  l'édit  de  Gallien  reste  pleinement 
en  vigueur.  Aurelius  Victor,  dans  un  passage  déjà  /;ité  de  ses 
Caesares,  l'atteste  formellement  :  «  Amissa  Gallieni  edicto 
refici  militia  potuit...  Tacito  régnante.  »  Il  a  fallu  la  restaura- 
tion sénatoriale,  marquée  par  le  règne  de  Tacite,  pour  qu'il  fût 
abrogé.  A  défaut  même  de  ce  témoignage  catégorique,  la  situa- 
tion générale  de  l'Empire,  au  cours  des  années  qui  suivirent  la 
mort  de  Gallien,  aurait  sufiS  à  nous  le  faire  deviner.  Les  nécessi- 
tés de  défense  nationale,  qui  avaient  été  décisives  par  la  pro- 
mulgation de  l'édit,  restaient  identiques  et,  bientôt  même,  la 
crise  reparaît  avec  une  intensité  nouvelle.  En  267,  à  la  fin  du 
règne  de  Gallien,  les  Alamans  franchissent  le  Danube  et 
pénètrent  jusqu'au  lac  de  Garde,  où  Claude,  devenu  empereur, 
les  écrasera  l'année  suivante.  En  268,  les  Goths  et  leurs  alliés 
viennent  débarquer  près  de  Thessalonique  et  remontent  vers  le 
nord  en  mettant  tout  le  pays  à  feu  et  à  sang  sur  leur  passage. 
En  269,  tandis  que  Claude  libère  les  Balkans  par  la  brillante 
victoire  de  Naïssus,  Zénobie,  régente  au  nom  de  son  fils  Wabal- 
lath,  achève  de  constituer  son  empire  par  la  conquête  de 
l'Egypte  et  de  la  plus  grande  partie  de  l'Asie  Mineure.  En  270, 
au  début  du  règne  d' Aurélien,  les  Juthunges,  suivant  l'exemple 
des  Alamans,  traversent  les  Alpes  et  envahissent  l'Italie  du 
Nord  ;  puis  ce  sont  les  Vandales  dans  la  région  du  Danube 
moyen  et  les  Marcomans  qui,  en  271,  s'avancent  jusqu'en  Italie 
centrale,  aux  limites  mêmes  de  l'Ombrie.  En  271  les  Goths,  en 
272  les  Carpes  inondent  la  Mésie.  En  274,  les  Alamans 
occupent  de  nouveau  la  Rhétie  et  viennent  assiéger  Augusta 
Vindelicorum.  Enfin,  à  peine  Aurélien  aura-t-il  disparu  qu'une 
terrible  invasion  de  Germains  se  déchaînera  sur  la  Gaule  tout 
entière. 

Que  deviennent  dans  la  tourmente  les  provinces  impériales? 
Elles  sont  constamment  la  proie  des  invasions  :  la  Rhétie  et  le 
Norique  en  267-268,  en  270-271,  en  274;  les  deux  Pannonies 
en  270;  les  deux  provinces  de  Mésie  en  268-269,  271-272.  Il  ne 
pouvait  être  question,  dans  ces  conditions,  de  renoncer  au  sys- 
tème administratif  créé  par  Gallien  pour  en  revenir  à  l'organi- 
sation antérieure.  D'ailleurs,  avec  des  nuances  dans  la  pra- 
tique, Claude  et  Aurélien,  représentants  au  pouvoir  de  l'armée 
danubienne,  en  partageaient  les  aspirations  et  les  passions.  Ce 
n'est  pas  d'eux  que  l'on  pouvait  attendre  la  fin  de  la  dictature 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      21 

militaire  réalisée  par  le  régime  de  Gallien.  Aussi  continuons- 
nous  à  voir  les  provinces  impériales  aux  mains  de  gouverneurs 
équestres.  En  268,  au  début  du  règne  de  Claude,  nous  trouvons 
la  Pannonie  inférieure  administrée  encore  par  ce  même  Clemen- 
tius  SUvius^  que  nous  avons  déjà  vu  en  fonctions  à  la  fin  du 
règne  de  Gallien.  Sous  Aurélien,  entre  273-275,  une  inscription^ 
nous  montre  la  province  de  Mésie  inférieure  administrée  par  un 
certain  Aurelius  Sebastianus  qui  a  le  rang  de  «  perfectissi- 
mus  »  ;  c'est  donc  un  gouverneur  équestre.  Une  autre  inscrip- 
tion 3  relative  à  la  même  province  est  une  dédicace  à  Aurélien, 
da.  par  le  libellé  des  titres,  de  l'année  272.  Malheureuse- 
ment, le  nom  de  l'empereur,  le  nom  et  les  titres  du  gouverneur 
sont  martelés,  à  l'exception  des  mots  «  [prae]ses  provinciae  », 
qui  ne  suffisent  pas  à  nous  renseigner  avec  précision  sur  la  qua- 
lité du  gouverneur  de  la  province.  Il  est  très  vraisemblable, 
néanmoins,  qu'il  s'agit,  comme  dans  le  cas  précédent,  d'un  gou- 
verneur d'ordre  équestre. 

La  mention  de  ces  gouverneurs  équestres,  dans  la  période  de 
sept  années  [268-275]  qui  séparent  la  mort  de  GaUien  de  l'avène- 
ment de  Tacite,  confirme  donc  pleinement  le  témoignage  d' Au- 
relius Victor.  Mais,  fait  curieux,  nous  connaissons  aussi  pour 
la  même  période  deux  légats  impériaux  du  type  traditionnel,  l'un 
dans  la  province  de  Bithy nie-Pont,  l'autre  dans  celle  de  Mésie 
inférieure.  Le  premier,  connu  par  deux  inscriptions  de  Nicée^, 
se  place  sous  le  règne  de  Claude,  en  269  ;  c'est  Velleius  Macri- 
nus,  «  0  XaiiLTipixaTOç  uTtaTty.bç  irpeffêeuiY]?  xal  àvTtaxpaTTjYoç  tou  Seâaa- 
ToO  »,  par  conséquent  un  légat  impérial  pris,  selon  l'ancienne 
règle,  dans  l'ordre  sénatorial.  Nous  voudrions  connaître  les  rai- 
sons de  cette  nomination  exceptionnelle.  Malheureusement,  en 
dehors  de  ces  deux  inscriptions,  le  personnage  nous  est  totale- 
ment inconnu.  Qaude  a-t-il  voulu,  par  la  nomination  de  Yel- 
leius  Macrinus,  récompenser  des  services  particuliers?  Le  plus 
simple  est  de  penser  qu'il  a  clierché  dans  la  circonstance  à  faire 
preuve  de  conciliation  vis-à-vis  du  Sénat,  en  donnant  un  gou- 
vernement provincial  important  à  l'un  de  ses  membres.  Cette 

1.  C.  /.  L.,  III,  3525  [=  10492J. 

2.  Inscripliones  Graecae  ad  res  ronianas  pertinentes,  éd.  Gagnât,  I,  591  = 
1432. 

3.  C.  I.  /:.,  III,  7586. 

4.  C.  /.  G.,  3747-3748. 


22  LÉON   HOMO. 

avance  correspondrait  assez  bien  à  la  modération  de  son  carac- 
tère et  à  l'esprit  conciliant  de  sa  politique. 

Le  second  exemple  conservé  également  par  l'épigraphiei  est 
de  l'époque  d'Aurélien  et  concerne  la  province  de  Mésie  infé- 
rieure. L'inscription  n'est  pas  datée  et  le  nom  du  gouverneur 
est  martelé.  Mais,  à  défaut  du  nom,  il  reste  son  titre,  «  Legatus 
pro  praetore  ».  Il  s'agit  donc,  comme  dans  le  cas  précédent, 
d'un  gouverneur  légat  pris  dans  la  classe  sénatoriale.  Rappelons- 
nous  que,  pour  cette  même  province  et  pour  le  même  règne 
d'Aurélien,  nous  connaissons  deux  autres  gouverneurs,  dont 
l'un  est  certainement,  l'autre  très  vraisemblablement  d'ordre 
équastre. 

Quelles  qu'en  soient  les  raisons  spéciales  —  et  nous  les  igno- 
rons —  ces  deux  exceptions  au  régime  créé  par  l'édit  de  Gallien 
et  maintenu  sous  ses  successeurs  nous  fournissent  l'occasion 
d'une  double  constatation  :  1°  l'empereur  pouvait  toujours,  le 
cas  échéant,  nommer  à  la  tête  des  provinces  impériales  des  gou- 
verneurs légats  du  type  ancien  ;  2°  cette  faculté,  il  en  a  parfois 
usé^.  Nous  verrons,  en  276,  Probus  reprendre  le  procédé.  Son 
biographe  emploie  à  cet  égard  le  terme  expressif  de  «  permi- 
sit  ».  La  formule  convient  également  à  Claude  et  à  Aurélien. 
Le  recrutement  des  gouverneurs  des  provinces  impériales  parmi 
les  sénateurs  a  cessé  définitivement,  avec  l'édit  de  Gallien, 
d'être  un  droit  et  une  règle.  Il  est  devenu  une  faveur  exception- 
nelle dont  l'empereur,  désormais,  est  seul  juge  et  dont  il  ne 
doit  de  compte  à  personne. 

III.  Privilège  militaire.  —  Dans  l'organisation  militaire 
impériale,  telle  qu'elle  était  sortie  des  mains  d'Auguste,  le 
cadre  d'officiers  avait  une  triple  origine  :  les  officiers  subal- 
ternes (centurions  dans  l'infanterie,  décurions  dans  la  cavale- 
rie) sortaient  du  rang;  les  officiers  supérieurs  et  généraux 
étaient  pris  dans  les  deux  ordres  privilégiés,  ordre  sénatorial  et 
ordre  équestre,  mais,  dans  ce  partage,  le  lot  du  Sénat  était,  et 
de  beaucoup,  le  plus  considérable.  Le  Sénat  fournissait  une 

1.  c.  l.  L.,  III,  14460. 

2.  Il  est  d'ailleurs  très  possible  que  les  deux  gouverneurs  légats  en  question 
n'aient  pas  été  de  naissance  sénatoriale  et  ne  soient  entrés  au  Sén^t  que  par 
«  adlectio  ». 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      23 

partie  des  officiers  supérieurs  (tribuns  de  légions,  tribuns  et  pré- 
fets de  cohortes,  préfets  d'ailes),  l'autre  partie  étant  recrutée 
parmi  les  chevaliers,  et  la  presque  totaUtédes  officiers  généraux 
(légats  de  légions,  légats  gouverneurs  de  provinces  impériales). 
Les  seuls  officiers  généraux  de  l'armée  de  terre  pris  dans  l'ordre 
équestre  étaient  les  suivants  :  les  chefs  des  légions  d'Egypte  (pré- 
fets de  légions),  les  officiers  généraux  de  l'armée  d'Italie  (préfet 
des  vigiles,  préfet  du  prétoire)  et,  parmi  les  gouverneurs  de 
provinces,  le  préfet  d'Egypte  et  les  gouverneurs  équestres  des 
provinces  procuratoriennes. 

Cette  répartition  se  maintint  d'une  manière  générale  pen- 
dant les  deux  premiers  siècles  de  l'Empire.  Les  légions  d'Au- 
guste conservèrent  leurs  cadres  sénatoriaux  et  les  légions  créées 
par  ses  successeurs  en  reçurent  d'analogues.  Tout  changea 
avec  Septime  Sévère.  Il  maintint  la  tradition  pour  les  légions 
existantes ,  mais  introduisit  un  nouveau  "principe  d'après 
lequel  le  privilège  sénatorial  ne  s'appliquerait  plus  aux  légions  de 
nouvelle  formation.  Aussi,  les  trois  légions  créées  par  lui,  les 
trois  légions  Parthiques,  destinées,  la  première  et  la  troisième, 
à  la  garnison  de  la  Mésopotamie,  la  seconde  à  celle  de  l'Italie, 
reçurent-eUes  des  cadres  d'officiers  supérieurs  et  généraux  exclu- 
sivement pris  dans  l'ordre  équestre.  Il  en  fut  de  même  pour  le 
général  eu  chef  de  l'armée  de  Mésopotamie,  le  gouverneur  de  la 
province,  qui  ne  fut  pas  un  légat  sénatorial,  mais  un  préfet 
d'ordre  équestre  analogue  au  préfet  d'Egypte.  La  Mésopotamie 
ayant  été  la  dernière  province  organisée  sous  le  Haut-Empire 
et  les  trois  légions  Parthiques,  les  dernières  constituées  avant 
Dioclétien,  le  principe  nouveau,  posé  par  Septime  Sévère,  n'eut 
plus  à  jouer  par  la  suite.  En  235,  à  la  mort  de  Sévère  Alexandre, 
la  situation,  en  ce  qui  concerne  les  cadres  d'officiers  généraux, 
était  donc  la  suivante  :  légions  de  Bretagne,  du  Rhin,  du 
Danube,  de  l'Euphrate,  d'Arabie,  d'Afrique,  d'Espagne,  exclu- 
sivement sénatoriales;  légions  d'Italie,  de  Mésopotamie,  exclu- 
sivement équestres,  soit,  au  total,  vingt-neuf  légions  à  cadres 
d'officiers  généraux  sénatoriaux,  quatre  légions  à  cadres 
d'officiers  équestres.  Encore  ne  faut-il  pas  être  dupe  de  la 
terminologie  officielle  ;  les  officiers  généraux  sénatoriaux, 
surtout  depuis  les  Sévères,  étaient  très  souvent,  en  réalité, 
d'origine  équestre  et  étaient  entrés  dans  la  classe  sénatoriale 


24  LÉON   HOMO. 

par  le  procédé  de  1'  «  adlectio  ».  Caracalla,  en  particulier,  pra- 
tiqua largement  le  système.  A  sa  mort,  nous  dit  Dion  Cassius*, 
de  tous  les  légats  légionnaires  réunis  pour  prendre  part  à  l'ex- 
pédition contre  les  Parthes,  un  seul  était  de  naissance  sénato- 
riale. Si,  en  principe,  le  privilège  sénatorial  restait  encore  intact 
dans  l'ensemble  des  légions,  au  début  du  m®  siècle  il  avait  déjà 
subi,  on  le  voit,  dans  la  pratique,  une  atteinte  très  grave. 

Au  cours  de  la  période  de  compromis  entre  l'empereur  et  le 
Sénat  qui  dura  jusqu'à  la  fin  de  260,  aucune  innovation  sérieuse 
n'est  à  signaler  sur  ce  point.  Lé  coup  décisif  fut  porté  en  261 
par  l'édit  de  GaUien.  Nous  avons  vu  plus  haut  l'effet  de  cet 
acte  sur  le  recrutement  des  gouverneurs  des  provinces  impé- 
riales ;  les  «.  legati  propraetore  » ,  qui  sont  en  même  temps  les  offi- 
ciers généraux  du  rang  le  plus  élevé,  puisqu'ils  commandent  en 
chef  l'armée  de  leur  province,  disparaissent  pour  faire  place  à  des 
gouverneurs  équestres.  L'édit  ne  visait  pas  seulement  les  gou- 
verneurs de  provinces.  Le  texte  en  était  d'une  portée  beaucoup 
plus  générale  :  «  Senatiun  militia  vetuit  et  adiré  exerci- 
tum  »,  donc  exclusion  complète  des  sénateurs  des  carrières 
d'officiers  et  même  défense  de  paraître  à  l'armée.  Par  consé- 
quent, les  oflSciers  généraux  d'ordre  sénatorial,  subordonnés 
aux  gouverneurs  de  provinces,  c'est-à-dire  les  légats  de  légions, 
et  les  officiers  supérieurs  du  même  ordre  (tribuns  de  légions),  etc. 
durent  radicalement  disparaître.  A  la  suite  du  décret,  il  n'y  eut 
plus  dans  l'armée  romaine  un  seul  officier  de  la  classe  sénato- 
riale. 

Pour  le  remplacement  des  officiers  sénatoriaux  ainsi  éliminés, 
Gallien  suivit  les  mêmes  idées  directrices  et  appliqua  la  même 
méthode  que  pour  les  gouverneurs  des  provinces  impériales  : 
1°  Remplacement  des  officiers  sénatoriaux  par  des  officiers  de 
carrière  équestre.  Le  fait  résulte  nettement  des  inscriptions.  Le 
dernier  légat  de  légion  sénatorial  qui  soit  connu  est  Vitulasius 
Laetinianus^,  légat  de  la  IP  légion  Augusta,  en  Bretagne,  qui  se 
place  encore  au  temps  de  Valérien,  donc  avant  la  fin  de  l'an- 
née 260  et,  à  fortiori,  avant  la  promulgation  de  l'édit  de  Gal- 
lien. Par  contre,  dès  le  règne  de  Gallien  nous  voyons  appa- 
raître à  la  tête  des  légions  des  préfets  de  légions  de  type  équestre. 
Une  iascription  d'Aquincum  (Pannonie  supérieure)  3,  datée  de 

1.  LXXVIII,  12. 

2.  C.  I.  L.,  VII,  107. 

3.  Ihid.,  III,  3424. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      25 

267,  nous  montre  une  légion,  la  IP  Adjutrix,  aux  ordres  de 
Valerius  Marcellinus,  «  praefectus  legionis  ».  L'année  suivante, 
au  début  du  règne  de  Claude,  la  même  légion  est  conomandée 
par  le  préfet  de  légion,  Aelius  Frontinus^  Ces  témoignages  épi- 
graphiques  sont  le  commentaire  le  plus  précis  et  le  plus  élo- 
quent de  redit  de  Gallien.  —  2°  Application  du  système  de  la  sup- 
pléance, sous  une  forme  identique  à  celle  que  nous  avons  vu 
pratiquer  dans  la  réforme  des  provinces  impériales.  Les  préfets 
de  légion  qui  remplacent  les  légats  sénatoriaux  ne  le  sont,  tout 
d'abord,  dans  le  langage  officiel  du  moins,  qu'à  titre  de  sup- 
pléants. Le  préfet  Valerius  Marcellinus,  qui  commande  en  267 
la  IP  légion  Adjutrix,  est  dit  expressément  «  agens  vices  legati  », 
c'est-à-dire  suppléant  du  légat.  De  même,  une  autre  inscription 
danubienne 2,  de  Brigetio  (Pannonie  supérieure),  nous  montre, 
en  269,  sous  Claude,  la  P®  légion  Adjutrix  conmiandée  par 
Aurelius  Superinus,  préfet  de  légion,  «  agens  vices  legati  »,  et  la 
même  mention  se  retrouvera  sur  une  inscription''  d'Aquincum, 
datée  du  règne  de  Carin,  en  284,  oii  nous  voyons  la  IP  légion 
Adjutrix  commandée,  daAS  les  mêmes  conditions,  par  le  préfet 
Aelius  Paternianus. 

L'exclusion  totale  prononcée  par  GaUien  contre  les  officiers 
d'origine  sénatoriale  a  •  été  maintenue  sous  ses  successeurs 
Claude  et  Aurélien.  Nous  venons  de  voir,  sous  le  règne  de 
Claude,  deux  légions  danubiennes  —  la  IP  Adjutrix  en'  268,  la 
F"  Adjutrix  en  269  —  commandées  par  des  préfets  de  légion  de 
type  équestre.  Quant  à  Aurélien,  le  second  texte  d' Aurelius 
Victor,  déjà  cité  plusieurs  fois,  est  formel  :  «  Amissa  Gallieni 
edicto  refici  militia  potuit,  concedentibus  modeste  legionibus, 
Tacito  régnante.  »  La  carrière  militaire  antérieure,  détruite  par 
l'édit  de  Gallien,  a  été  seulement  rétablie  par  Tacite,  le  succes- 
seur d' Aurélien.  Dès  le  règne  de  Gallien,  il  ne  restait  donc  plus 
rien  du  vieux  privilège  militaire  du  Sénat. 

IV.  Privilège  financier-.  —  Le  privilège  financier  du  Sénat, 
tel  qu'il  avait  été  fixé  par  Auguste,  reposait  sur  une  double 
garantie,  une  administration  autonome,  des  revenus  assurés.  Le 

1.  C.  I.  L.,  3525  [=  10492]. 

2.  Ibid.,  4289.  —  Au  contraire,  sur  l'inscription  3525  [=  10492],  qui  est  du 
mCme  règne  et  de  l'année  2G8,  le  commandant  de  la  II»  Adjutrix,  Aelius  Fron- 
tinus,  est  dit  simplement  —  probablement  en  abrégé  —  «  Praefectus  legionis  ». 

3.  Ibid.,  3469. 


26  I-ÉON   HOMO. 

trésor  sénatorial  —  V«  Aerarium  »  —  était  administré  par  deux 
préfets  [Praefecti  Aerarii]  élus  par  le  Sénat  parmi  les  anciens 
préteurs.  D'autre  part,  il  était  alimenté  par  une  série  de  recettes 
particulières  :  revenus  du  domaine  public  (ager  publicus)  en  Ita- 
lie et  dans  les  provinces  sénatoriales;  produit  (au  moins  par- 
tiellement) des  impôts  levés  dans  les  provinces  sénatoriales; 
amendes  variées,  notamment  en  cas  de  concussion,  dans  les 
mêmes  provinces;  biens  des  condamnés  (Bona  damnatorum); 
biens  vacants  (Bona  vacantia)  ;  biens  caducs  (Caduca)  ;  frappe 
de  la  monnaie  de  bronze;  taxes  municipales  diverses  perçues 
à  Rome  (taxe  des  eaux,  octroi  probablement  dès  le  f  siècle 
de  l'Empire). 

L'évolution  qui  amena  la  disparition  graduelle  de  ce  privi- 
lège sénatorial  et  l'établissement  définitif  du  monopole  financier 
au  profit  de  l'Empereur  porta  sur  deux  points  :  1°  le  trésor  séna- 
torial perd  graduellement  son  autonomie  administrative;  2"  il 
est  dépouillé  successivement  de  la  plus  grande  partie  de  ses 
revenus  primitifs. 

La  mainmise  'impériale  sur  la  direction  du  trésor  sénatorial 
s'opéra  la  première.  Elle  se  fit  en  trois  étapes  i.  Dès  23  avant 
J.-C,  les  deux  préfets  élus  furent  remplacés  par  deux  préteurs 
(Praetores  aerarii),  non  plus  élus,  mais  tirés  au  sort.  Sous  le 
règne,  de  Claude,  ce  système  fit  place  à  celui  de  la  nomination 
directe  par  l'empereur.  En  44  après  J.-C,  l'administration  du 
trésor  passa  à  deux  questeurs  (Quaestores  aerarii)  choisis  par 
l'empereur  et,  depuis  56,  sous  Néron,  à  deux  préfets  pris 
dans  les  mêmes  conditions  parmi  les  anciens  préteurs.  Dès  le 
milieu  du  f  siècle  après  J.-C,  l'administration  du  trésor  séna- 
torial était  passée  aux  mains  de  l'empereur.  Sans  doute,  théo- 
riquement, rien  ne  pouvait  se  faire  sans  l'autorisation  du  Sénat, 
mais  c'était  là  une  pure  formalité  sans  aucune  ùnportance. 
Dion  Cassius  le  dit  déjà  nettement  pour  l'époque  d'Auguste  : 
«  L'empereur,  attendu  qu'il  était  maître  des  finances  (en  appa- 
rence le  trésor  public  était  distinct  du  sien,  mais,  en  réalité, 
les  dépenses  se  faisaient  à  son  gré^).  »  —  «  Les  autres  voies  furent 
plus  tard  réparées  aux  frais  du  trésor  public,  car  aucun  séna- 
teur ne  se  décidait  volontiers  à  en  faire  la  dépense,  ou,  si  l'on 

1.  Tacite,  Annales,  XIII,  29. 

2.  LUI,  16. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      27 

veut,  aux  frais  d'Auguste.  Je  ne  saurais  en  effet  établir  de  diffé- 
rence entre  les  deux  trésors  (Où  yàp  56vay.ai  Buxptvat  xoùç  ÔYjcau- 
poùç  aÙTôv).  »  Cette  conclusion,  si  elle  est  déjà  vraie  pour  le 
début  de  l'Empire,  l'est,  à  fortiori,  plus  encore  pour  le  commen- 
cement du  III''  siècle'. 

La  dépossession  du  Sénat,  en  ce  qui  concerne  ses  recettes, 
s'effiectua  plus  lentement;  marquons-en  simplement  les  dates 
principales.  Dès  le  règne  de  Tibère,  en  17  après  J.-C,  les 
biens  vacants  cessent  d'être  dévolus  au  trésor  sénatorial  pour 
passer  au  fisc  impérial.  Il  en  est  de  même,  temporairement  au 
moins,  pour  les  biens  des  condamnés.  Plus  tard,  notamment 
sous  les  Antonins,  ces  biens  retournent  à  r«  Aerarium  ».  Septime 
Sévère  les  attribue  déÇnitivement  au  trésor  impérial,  représenté 
dans  la  circonstance  par  la  «  Res  privata  ».  Le  domaine  public 
en  Italie  et  dans  les  provinces  sénatoriales,  les  amendes  relèvent 
du  trésor  impérial  depuis  Septime  Sévère;  les  biens  caducs, 
depuis  Caracalla.  Que  reste -t-il  donc  au  trésor  sénatorial 
comme  recettes  régulières  depuis  cette  époque?  Au  titre  des 
recettes  générales,  deux  seules  :  les  impôts  des  provinces 
sénatoriales,  le  bénéfice  de  la  frappe  de  la  monnaie  de  bronze. 
Au  titre  des  recettes  locales,  la  taxe  des  eaux  et  l'octroi  de 
Rome.  Soixante-dix  ans  plus  tard,  sous  Dioclétien,  r«  Aerarium  » 
est  réduit  à  des  recettes  locales  ;  ses  ressources  d'ordre  général 
ont  disparu.  L'évolution  qui  tendait  à  transformer  le  trésor 
sénatorial  de  caisse  d'État  en  caisse  municipale  de  la  ville  de 
Rome  est  achevée.  Le  moment  décisif,  dans  cette  évolution,  a  été 
la  mainmise  du  pouvoir  impérial  sur  les  deux  dernières  recettes 
d'ordre  général  qui  restaient  au  trésor  du  Sénat  :  les  impôts  des 
provinces  sénatoriales  et  la  frappe  de  la  monnaie  de  bronze. 
Avons-nous,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances  sur*  le 
111°  siècle,  le  moyen  de  dater  avec  précision  ce  double  événe- 
ment? 

a)  Impots  des  provinces  sénatoriales .  —  Il  faut  commencer 
par  éliminer  les  dix-huit  années  qui  séparent  la  mort  de  Cara- 
calla de  celle  de  Sévère  Alexandre.  Nous  savons,  de  la  manière 
la  plus  nette,  que  1'  «  Aerarium  »  sénatorial,  en  tant  que  caisse 
d'Etat,  existait  encore  sous  ce  dernier  empereur.  C'est  comme 
telle  que  le  représente  l'histoire  de  Dion  Cassius,  un  contem- 

1.  LUI,  22. 


28  LÉON   HOMO. 

porain,  ne  l'oublions  pas.  Ce  témoignage  n'est  pas  isolé.  Il  est 
confirmé  par  un  texte  de  la  vie  de  Sévère  Alexandre,  dans 
l'Histoire  Auguste  ^  :  «  Leges  de  jure  populi  et  fisci  moderatas  et 
infinitas  sanxit  »,  où  l'expression  «  jus  populi  »  opposée  à  «jus 
fisci  »  est  tout  à  fait  caractéristique.  Et  qu'on  ne  croie  pas  ici 
à  un  de  ces  anachronismes  ou  une  de  ces  inadvertances  mal- 
heureusement trop  fréquentes  dans  l'Histoire  Auguste.  Le  même 
langage  se  retrouve  dans  les  jurisconsultes  les  plus  qualifiés  de 
l'époque,  Paul  et  Ulpien,  qui  distinguent  très  nettement  en 
matière  financière  entre  les  droits  du  «  populus  »  et  ceux  du  «  fis- 
cus  ».  La  perte  pour  1'  «  Aerarium  »  .le  ses  dernières  recettes 
d'ordre  général  et  sa  transformation  définitive  en  caisse  purement 
municipale  est  donc  nécessairement  postérieure  à  la  mort  de 
Sévère  Alexandre. 

Faut-il  placer  le  fait,  dans  la  période  suivante,  entre  la  mort 
de  Sévère  Alexandre  et  l'avènement  au  pouvoir  de  Gallien 
comme  seul  empereur  (235-260)  ?  Un  premier  texte  peut  entrer 
en  ligne  de  compte.  La  Vie  des  Gordiens,  dans  le  recueil  de 
l'Histoire  Auguste,  écrit  ce  qui  suit^  :  «  Timesitheus  ...  extinc- 
tus  est,  herede  Romana  Republica,  ut,  quicquid  ejus  fuerat, 
vectigalibus  urbis  accederet.  »  Le  sens  est  parfaitement  clair  : 
le  trésor  public  —  c'est-à-dire  1'  «  Aerarium  »  —  hérite  de  tous 
ses  biens.  L'expression  «  Romana  republica  »  doit  être  rappro- 
chée de  celle  de  «  populus  »,  signalée  pour  l'époque  de  Sévère 
Alexandre.  Le  trésor  sénatorial  avait  donc  encore,  à  cette 
époque,  le  caractère  de  caisse  d'État.  Il  serait  d'aiUeurs  bien 
peu  vraisemblable  que  la  fortune  de  Timésithée  eût  été  attribuée 
à  une  simple  caisse  municipale,  fût-ce  celle  de  Rome.  Quant 
aux  mots  «  vectigalibus  urbis  »,  ils  s'expliquent  par  un  simple 
anachronisme  de  l'Histoire  Auguste,  la  Vie  des  Gordiens  ayant 
été  écrite  sous  Constantin  (peu  après  324-325),  c'est-à-dire 
à  un^  époque  où  le  trésor  sénatorial  avait  déjà  pris  une  forme 
strictement  municipale. 

Deux  autres  textes  de  l'Histoire  Auguste  touchent  à  la  même 
question;  ce  sont  deux  lettres  —  disons  tout  de  suite  deux 
pseudo-lettres  —  insérées  dans  la  Vie  d'Aurélien.  La  première^ 
est  adressée  au  préfet  de  la  viUe  Ceionius  AJbinus.  L'empereur 

1.  16,  1. 

2.  28,  1. 

3.  Vita  Aureliani,  9,  1-7. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DC  SÉNAT  ROMAIN.     29 

annonce  à  ce  fonctionnaire  qu'Aurélien,  récemment  nonouxié 
inspecteur  général  des  camps,  va  passer  quelque  temps  à  Rome 
et  énuraère  les  diverses  indemnités  en  nature  et  en  espèces  qu'il 
devra  lui  fournir.  Puis  il  ajoute  :  «  Le  reste  lui  sera  fourni  par  les 
préfets  del'  «  Aerarium.  »  Ceionius  Albinus,  le  destinataire,  ayant 
été  effectivement  préfet  de  la  ville  en  256,  la  lettre  serait 
donc  datée  de  cette  année.  Le  biographe  nous  dit  expressément 
qu'il  a  trouvé  le  document  dans  les  archives  de  la  préfecture  de 
la  ville.  Or,  toutes  les  pièces  qui  nous  sont  données  par  l'His- 
toire Auguste  avec  des  certificats  d'origine  analogues  sont  régu- 
lièrement fausses  et  ont  été  composées  par  l'auteur  lui-même. 
GeUe-ci  n'échappe  pas  à  la  règle  générale,  d'autant  plus  qu'elle 
renferme  des  détails  bien  troublants.  Les  fournitures  en  nature 
ou  en  ^espèces,  que  l'empereur  prescrit  à  son  préfet  de  la  viUe, 
ne  rentraient  nullement  dans  les  attributions  de  ce  dernier.  Les 
premières  relevaient  du  préfet  de  l'annone;  les  secondes,  des 
directeurs  des  deux  trésors,  1'  «  a  rationibus  »  pour  le  trésor 
impérial,  les  préfets  del'  «  Aerarium  »  pour  le  trésor  sénatorial. 
Ces  préfets  étant  nommés  dans  la  dernière  phrase,  on  ne  voit 
pas  pourquoi  le  préfet  de  la  viUe  serait  expressément  substitué 
à  r  «  a  rationibus  ».  La  pièce  est  manifestement  fausse  :  tout 
ce  qu'il  faut  peut-être  retenir  des  détails  qu'elle  contient,  c'est 
qu'à  cette  date  de  256,  il  y  avait  encore  des  préfets  à  la  tête  de 
r  «  Aerarium  »,  fait  que  nous  connaissons  d'aiUeurs  indubitable- 
ment d'autre  part. 

La  seconde  lettre  de  Valérien*  est  adressée  à  Aelius  Xifidius, 
préfet  de  1'  «  Aerarium  ».  Aurélien  vient  d'être  nommé  consul, 
et,  en  cette  qualité,  il  devra  donner  des  jeux.  Comme  il  est 
pauvre,  l'empereur  indique  au  préfet  les  sonomes  et  les  fourni- 
tures diverses  (tuniques,  manteaux,  tapis,  etc.)  qu'il  convient 
de  lui  délivrer.  En  outre,  un  banquet  devra  être  offert  aux  séna- 
teurs et  aux  chevaliers  romains.  La  pièce  n'est  pas  datée,  mais 
la  date  résulte  directement  d'une  autre  pièce,  le  procès-verbal 
du  conseil  de  guerre  de  l^yzance^,  où  il  est  également  question 
du  consulat  d' Aurélien  et  qui  est  de  258.  Les  deux  pièces  sont 
indiscutablement  fausses,  le  consulat  d'Aurélien,  à  cette  époque, 
n'ayant  jamais   existé   que   dans   l'imagination    de   l'auteur. 

1.  Vita  Aureliani,  12,  1-2. 

2.  Ibid.,  13-14. 


30  LÉON   HOMO. 

Au  point  de  vue  de  l'organisation  financière,  il  n'y  a  rien  de 
précis  à  retenir  de  cette  pseudo-lettre  à  Aelius  Xifidius. 

Pour  combler  les  lacunes  de  notre  documentation,  il  faut  faire 
une  large  part  aux  considérations  de  politique  générale.  Les  dix- 
neuf  années  qui  s'étendent  de  l'accession  de  Timésithée  au  pou- 
voir à  l'avènemept  de  Gallien  (241-260)  sont,  nous  l'avons  vu, 
une  période  d'entente  entre  l'empereur  et  le  Sénat  où  la  consi- 
dération et  les  droits  de  ce  dernier  sont  strictement  sauvegar- 
dés. On  ne  saurait  y  placer  une  mesure  aussi  grave  pour  les 
droits  du  Sénat,  aussi  contradictoire  avec  la  politique  générale 
des  empereurs,  que  la  mainmise  complète  du  pouvoir  impérial 
sur  les  revenus  des  provinces  sénatoriales.  Il  nous  faut  donc  des- 
cendre plus  bas  encore. 

Nous  arrivons  ainsi  à  la  période  de  quinze  années,  qui  com- 
mence avec  l'avènement  de  Gallien  comme  seul  empereur  (260) 
et  se  termine  lors  de  la  restauration  sénatoriale  inaugurée  par 
Tacite,  en  275.  Les  textes  utilisables  sont  au  nombre  de  quatre. 
Deux  d'entre  eux  se  rapportent  au  règne  de  Gallien  (260-268)  : 
a)  Aurelius  Victor,  Caesares,  33,  31-33  :  «  At  Senatus,  com- 
perto  tali  exitio,  satellites  propinquosque  per  scalas  gemo- 
nias  praeceps  agendos  decrevit  patronoque  fisci  in  curiam 
4-  perduci  efFossos  oculos  pependisse  satis  constat,  cum  irruens 
vulgus  pari  clamore  terram  matrem,  deos  quoque  inferos  pre- 
caretur,  sedes  impias  uti  GaUieno  darent.  Ac  ni  Claudius  con- 
festim  recepta  Mediolani  urbe  tanquam  postulato  exercitus  par- 
cendum,  qui  forte  eorum  supererant,  praecepisset,  nobilitas 
plebesque  atrocius  grassarentur.  »  La  phrase  intéressante  pour 
nous  est  celle  qui  se  rapporte  au  directeur  du  fisc  ;  on  le  conduit 
au  Sénat  eton  lui  crève  les  yeux.  Le  texte,  malheureusement, 
est  altéré,  mais  le  sens  n'est  pas  douteux,  et  il  est  certain  que  le 
Sénat  a  joué  un  rôle  plus  ou  moins  important  dans  cette  exécu- 
tion sommaire.  —  b)  Ammien  Marcellin,  XXX,  8,  8  :  «  Post 
Gallienum  et  lamentabiles  rei  publicae  casus  exinanito  aera- 
rio.  »  Au  point  de  vue  financier,  donc,  les  faits  attestés  pour  le 
règne  de  Gallien  sont  les  suivants  :  immense  détresse  financière 
et  épuisement  complet  du  trésor  (Ammien  Marcellin)  ;  réaction 
sénatoriale  terrible  à  la  mort  de  Gallien,  au  cours  de  laquelle, 
sur  l'ordre  ou  avec  la  connivence  du  Sénat,  le  directeur  du  fisc 
impérial  a  les  yeux  crevés  (Aurelius  Victor) ...  Si  maigres  que 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DO  SENAT  ROMAIN.      31 

soient  ces  indications,  elles  sont  loin,  nous  le  verrons  bientôt, 
d'être  entièrement  négligeables. 

Deux  autres  textes  concernent  le  règne  d'Aurélien,  tous  deux 
empruntés  à  sa  biographie  dans  le  recueil  de  l'Histoire  Auguste  : 
a)  Lettre  d'Aurélien  au  Sénat'  relative  à  la  consultation  des 
livres  sibyllins.  L'empereur  ordonne  de  consulter  les  livres  en 
question,  d'accomplir  toutes  les  cérémonies  nécessaires  et  il 
ajoute  :  «  Si  quid  est  sumptuum,  datis  ad  praefectum  aerarii  lit- 
teris  decerni  jussi.  Est  praeterea  vestrae  auctoritatis  arca  publica 
quam  magis  refertam  repperio  esse  quam  cupio.  »  L'invasion 
des  Marcomans,  qui  a  provoqué  cette  consultation,  est  de  271  ; 
nous  avons  ainsi  la  date  du  pseudo-document;  cette  lettre,  en 
effet,  est  l'œuvre  du  biographe  lui-même.  Outre  les  raisons 
d'ordre  général  qui  amènent  à  cette  conclusion,  il  y  a  des  motifs 
tirés  de  la  lettre  elle-même.  Le  document  parle  d'un  préfet  de 
r  «  Aerarium  »  ;  il  n'y  en  avait  pas  un,  mais  deux,  çt  l'empereur 
ne  devait  pas  être  le  dernier  à  le  savoir.  Autre  erreur  :  l'oppo- 
sition entre  le  préfet  de  1'  «  Aerarium  »  et  1'  «  arca  publica  » 
est  inexplicable,  puisque,  avant  Dioclétien,  1'  «  Aerarium  »  et 
r  «  arca  publica  >  sont  une  seule  et  même  chose,  le  trésor  séna- 
torial. Après  Dioclétien,  la  situation  est  difiérente  :  la  caisse 
sénatoriale,  devenue  exclusivement  municipale,  prendra  le 
nom  d'  «  arca  publica  »,  tandis  que  le  trésof  impérial,  dès  lors 
seule  caisse  d'État,  adoptera  le  vocable  traditionnel  d'  «  aera- 
rium ».  Ici  encore,  le  faussaire  a  péché  par  anachronisme.  En 
langage  de  l'époque  d'Aurélien,  il  aurait  fallu  écrire  :  «  Si  quid 
est  sumptuum,  datis  ad  procuratorem  fîsci  litteris  decerni  jussi.  » 
Quant  à  la  dernière  phrase,  «  quam  magis  refertam  repperio 
esse  quam  cupio  »,  elle  est  ou  ridicule  ou  inintelligible.  L'empe- 
reur, selon  son  biographe,  trouve  la  caisse  sénatoriale  trop 
pleine;  Ammien  Marcellin,  incomparablement  plus  sûr  en 
l'espèce,  nous  dit  exactement  le  contraire^.  —  i)  «  Vectigal  ex 
Aegypto  urbi  Romae  Aurelianus  vitri,  chartae,  lini,  stuppae 
atque  anabolicas  species  aeternasconstituit-^.  »  Aurélien  consti- 
tue à  la  viUe  de  Rome  des  revenus  perpétuels  versés  par  l'Egypte 
et  comprenant  du  verre,  du  papier,  du  lin,  de  l'étoffe  et  autres 

t.  Vita  Aureliani,  20,  4-8. 

2.  XXX,  8,  8. 

3.  Vita  Aureliani,  45,  1. 


32  LÉON    HOMO. 

fournitures.  La  date  de  cette  mesure  peut  être,  au  moins 
approximativement,  fixée  :  la  reconquête  définitive  de  l'Egypte 
étant  du  début  de  273,  la  mesure  se  place  nécessairement  entre 
273  et  275,  date  de  la  mort  d'Aurélien,  selon  toute  vraisem- 
blance dès  273.  Les  faits  à  retenir  pour  le  règne  d'Aurélien  sont 
donc  les  suivants  :  Aurélien  trouve  le  trésor  vide,  et,  pour  se 
procurer  des  ressources,  est  obligé  de  s'en  prendre  aux  for-' 
tunes  de  l'aristocratie  (Ammien  Marcellin).  D'autre  part,  il 
constitue  à  la  ville  de  Rome  cinq  revenus  réguliers  en  articles 
divers  fournis  par  l'Egypte  (Vie  d'Aurélien). 

Ajoutons  toutes  les  indications  qui  résultent  de  la  politique 
générale  des  empereurs  pendant  cette  période  de  quinze  années. 
Gallien  et  Aurélien  ont  été  les  ennemis  systématiques  du 
Sénat;  ils  lui  ont,  dans  d'autres  domaines,  porté  des  coups  déci- 
sifs. Il  y  a  donc  une  présomption  naturelle  pour  que  la  mesure 
relative  aux  recettes  des  provinces  sénatoriales  émane  de  l'un 
ou,  de  l'autre. 

Enfin  —  et  cette  remarque  est  particulièrement  importante 
—  il  y  a  liaison  étroite  entre  cette  mesure  d'ordre  financier  et 
la  mesure  qui  a  enlevé  au  Sénat  son  privilège  administratif  dans 
les  provinces  sénatoriales.  Gallien,  dans  l'intérêt  du  salut 
public,  a  dû  concentrer  entre  ses  mains  la  défense  de  tout  le  ter- 
ritoire, provinces  sénatoriales  comprises.  Ce  monopole  impli- 
quait pour  le  trésor  impérial  des  charges  nouvelles.  Les  reve- 
nus des  provinces  sénatoriales  représentaient,  dans  la  pensée 
d'Auguste,  l'équivalent  et  la  juste  compensation  des  charges 
qu'imposait  au  Sénat  l'administration  de  ces  mêmes  provinces. 
L'empereur  en  assumant  désormais  la  charge,  il  était  naturel 
qu'il  en  perçût  également  les  recettes.  Prise  en  charge  des  pro- 
vinces sénatoriales  par  l'empereur,  passage  au  trésor  impérial 
des  recettes  en  provenant  sont  deux  mesures  connexes  et  dont 
la  seconde  apparaît  comme  le  corollaire  logique  de  la  première. 
Gallien,  l'auteur  de  la  réforme  administrative  relative  aux  pro- 
vinces sénatoriales,  est  donc  aussi,  croj^ons-nous,  l'auteur  de  la 
réforme  financière  correspondante.  Les  deux  réformes  sont  étroi- 
tement liées  et  ont  été,  selon  toute  vraisemblance,  contempo- 
raines. 

Cette  conclusion  se  trouve  confirmée  de  la  manière  la  plus 
nette  par  les  textes  énumérés  ci-dessus.  Elle  nous  donne  la  clef 
de  la  conduite  du  Sénat,  en  268,  vis-à-vis  du  procurateur  du  fisc 
impérial  et  du  supplice  terrible  qui  lui  est  infligé.  Enfin,  elle 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      33 

explique  la  mesure  prise  par  Aurélien  au  lendemain,  de  la 
reconquête  de  l'Egypte.  Le  trésor  sénatorial,  privé  des  revenus 
qu'il  tirait  de  ses  anciennes  provinces,  ne  pouvait  plus  suffire  à 
ses  obligations.  L'empereur,  pour  le  remettre  à  flot,  lui  assure 
une  recette  permanente  sous  forme  d'un  tribut  en  nature  fourni 
par  la  province  d'Egypte. 

En  résumé,  Gallien  a  enlevé  à  la  caisse  du  Sénat  le  revenu 
des  provinces  sénatoriales  et  Aurélien  a,  au  moins  en  partie, 
comblé  le  déficit  par  l'attribution  du  tribut  égyptien.  Mais,  si 
cette  générosité  impériale  rétablissait  l'équilibre  financier,  une 
atteinte  décisive  n'en  avait  pas  moins  été  portée  par  Gallien  au 
trésor  sénatorial.  Celui-ci,  dès  lors,  ne  conserve  plus  qu'une 
recette  d'ordre  général,  le  bénéfice  que  lui  procure  la  frappe  de 
la  monnaie  de  bronze;  nous  allons  voir  maintenant  qu'il  n'a  pas 
tardé  à  la  perdre. 

b)  Frappe  de  la  monnaie  de  bronze.  —  Auguste,  en  15  av. 
J.-C,  avait  partagé  avec  le  Sénat  la  frappe  de  la  monnaie;  la 
frappe  de  l'or  et  de  l'argent  devait  relever  de  l'administration 
impériale:  celle  du  bronze,  de  l'administration  sénatoriale.  Les 
pièces  frappées  par  le  Sénat  étaient  l'as,  avec  ses  multiples,  le 
dupondius  (2  as),  le  sesterce  (4  as),  et  ses  sous-multiples,  le 
semis  (1/2  as)  et  le  quadrans  (1/4  d'as).  La  frappe  sénatoriale 
avait  lieu  dans  la  vieille  monnaie  républicaine  sur  l'Arx,  sous 
le  contrôle  du  Sénat,  attesté  par  l'estampille  officielle  S.  G. 
(«  Senatus  consulto  »),  et  la  surveillance  d'un  collège  de  trois 
membres,  les  «  Triumviri  monefales  ».  Elle  représentait  à  l'ori- 
gine une  source  importante  de  revenus  pour  le  trésor  sénatorial. 

Mais,  au  cours  des  deux  premiers  siècles,  le  privilège  moné- 
taire du  Sénat  subit,  comme  les  autres,  toute  une  série  d'at- 
teintes. Ces  restrictions  portèrent  essentiellement  sur  rîeux 
points  :  l°sur  l'organisation  du  service.  L'administration  impé- 
riale empiéta  peu  à  peu  sur  le  privilège  sénatorial.  Dès  les  der- 
nières années  du  i'^''  siècle  ap.  J.-C,  problablement  sous  Nerva, 
l'atelier  monétaire  sénatorial  est  transféré  sur  le  Caelius,  où  il  est 
annexé  à  la  monnaie  impériale.  Un  peu  plus  tard,  sous  Trajan, 
la  frappe  de  la  monnaie  sénatoriale  est,  comme  celle  de  la  mon- 
naie impériale,  soumise  à  un  «  optio  et  exactor  auri,  argenti  et 
aeris  »  *,  contrôleur  général,  qui  est  un  agent  et  un  affi'anchi  de 

* 

1.  C.  I.  L.,  VI,  42-44. 

Rev.  FIistor.  CXXXVIII.  l"  fasc.  3 


34  LÉON   HOMO. 

l'empereur.  Les  «  Triumviri  monetales  »  subsistent,  mais,  en 
réalité,  l'administration  monétaire  sénatoriale  a  perdu  son  auto- 
nomie. 2°  Sur  la  nature  des  espèces  frappées.  La  frappe  du 
bronze  sénatorial  se  restreint;  dès  le  règne  de  Trajan,  le  qua- 
drans  cesse  d'être  émis. 

Cette  situation  générale  se  rnaintient  au  ii^  siècle  et  pendant 
le  premier  tiers  du  m''.  Au  moment  où  commence  la  période 
d'anarchie  militaire,  l'état  des  choses  est  le  suivant.  Théorique- 
ment, le  Sénat  conserve  son  privilège  monétaire,  mais  avec  une 
double  limitation  :  l'une  relative  à  l'administration  (commu- 
nauté de  bâtiments  avec  la  monnaie  impériale,  contrôle  supé- 
rieur des  agents  de  l'empereur),  l'autre  concernant  la  frappe 
elle-même  (réduction  des  espèces  frappées  par  la  disparition  du 
quadrans).  Le  mouvement  de  décadence  reprend  et  va  se  préci- 
piter au  cours  de  l'anarchie  du  m®  siècle.  La  grande  cause 
n'est  pas,  comme  on  le  dit  trop  souvent,  la  mauvaise  volonté  de 
l'empereur  vis-à-vis  du  Sénat;  il  s'agit,  avant  tout,  d'un  phé- 
nomène essentiellement  économique.  La  crise  du  m*'  siècle 
entraîne  un  bouleversement  complet  dans  l'échelle  des  valeurs. 
La  monnaie  d'argent  impériale,*  où  la  quantité  d'argent  fin 
tombe  de  50  °/o  à  3°/o  et  même  1,25  °/o  sous  Qaude  et  Quintillus, 
subit  de  jour  en  jour  une  dépréciation  croissante.  La  monnaie 
sénatoriale  de  bronze,  à  cause  de  son  poids  et  de  sa  teneur  en 
cuivre,  se  trouve  posséder  bientôt  une  valeur  intrinsèque  plus 
considérable.  Elle  fait  prime  et,  en  vertu  du  vieux  principe 
d'après  lequel  la  mauvaise  monnaie  chasse  toujours  la  bonne, 
elle  ne  tarde  pas  à  disparaître;  on  l'enfouit  pour  la  conserver 
précieusement  ou  les  spéculateurs  l'accaparent  pour  en  tirer 
profit.  D'une  manière  comme  de  l'autre,  elle  ne  reste  pas  dans 
la  circulation. 

Dès  lors,  la  frappe  du  bronze  effectuée  dans  ces  conditions 
cesse  d'être  un  revenu  pour  devenir  une  charge.  Le  Sénat  dimi- 
nue le  nombre  des  espèces  frappées  et  restreint  l'abondance  des 
émissions.  Une  première  étape  de  cette  voie  est  marquée  par  le 
règne  de  Decius  :  l'as,  le  quinaire,  le  semis  disparaissent  du 
numéraire  sénatorial  en  cours.  Le  Sénat  continue  à  frapper  des 
sesterces  et  des  «  dupondii  »,  mais  en  très  petite  quantité,  beau- 
coup moins  pour  alimenter  le  marché  que  pour  affirmer  la  sur- 
vivance de  son  privilège  séculaire.  Sous  Claude,  l'émission  du 
bronze  sénatorial  est  rare  et  appartient  uniquement  au  début  du 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.      35 

règne;  sous  Quintillus,  il  n'y  en  a  plus  du  tout.  Le  dernier- 
coup  au  privilège  monétaire  du  Sénat  fut  porté  par  Aurélien. 
En  271,  h  la  suite  du  soulèvement  des  monétaires  à  Rome,  l'em- 
pereur déposséda  définitivement  le  Sénat.  La  monnaie  de  bronze, 
comme  ses  deux  sœurs  les  monnaies  d'or  et  d'argent,  fut  désor- 
mais frappée  par  l'administration  impériale.  Les  triumvirs 
monétaires  disparurent  et  le  service  entier  de  la  monnaie  fut  dès 
lors  concentré  entre  les  mains  du  procurateur  impérial. 

Avec  le  produit  de  la  frappe  du  bronze,  le  trésor  sénatorial 
perdait  sa  dernière  recette  d'ordre  général.  Il  ne  possède  plus 
désormais  que  des  recettes  locales  (taxe  des  eaux,  octroi  de 
Rome),  auxquelles  s'ajoutera  bientôt  le  tribut  égyptien  accordé 
en  compensation  par  Aurélien.  L'évolution  est  terminée;  d'an- 
cien trésor  d'État,  le  trésor  sénatorial  est  devenu  purement  et 
simplement  la  caisse  municipale  de  la  viUe  de  Rome. 

La  RESTAURATION  SENATORIALE  :  TaCITE  ET  PROBUS  (275-282). 

—  La  mort  d' Aurélien  et  la  restauration  sénatoriale  qui  en  fut 
la  conséquence  ouvrent  un  nouveau  chapitre  dans  l'histoire  de 
l'administration  romaine  au  m*'  siècle.  Pendant  sept  années, 
avec  Tacite  (275-276)  et  Probus  (276-282),  le  Sénat  reprend 
dans  l'État  une  influence  que  l'on  pouvait  croire  définitivement 
perdue.  Nous  n'avons  pas  ici  l'intention  d'étudier,  dans  son 
ensemble,  cette  restauration  sénatoriale  «  in  extremis  »  si 
curieuse  et  si  mal  connue,  mais  seulement,  dans  la  mesure  où  la 
pauvreté  des  documents  nous  permet  de  le  faire,  d'en  détermi- 
ner le  caractère  au  point  de  vue  administratif  et  d'en  suivre  les 
efi'ets  sur  ce  terrain  particulier. 

Les  changements  d'ordre  administratif,  réalisés  parla  restau- 
ration sénatoriale  de  275,  nous  sont  connus  par  les  textes  sui- 
vants : 

Vie  de  Tacite,  18,  2  :  «  Omnis  provocatio  praefecti  urbis  erit 
quae  tamen  a  proconsulibus  et  ab  ordinariis  judicibus  emer- 
serit.  » 

Id.,  18,  5  :  «  Praefecturae  urbanae  aj)pellatio  universa 
décréta  est.  » 

Id.,  19,  2  :  «  Nos  recepimus  jus  proconsulare.  Redierunt  ad 
praefectum  urbi  appellatioues  omnium  potestatum  et  omnium 
dignitatum.  » 

Id.,  19,  ;M  :  «  Optinuimus  quod  semper  optavimus,  in  anti- 


36  LÉON   HOMO. 

quum  statum  senatus  revertit.  Nostri  ordinis  sunt  potestates. 
Gratias  exercitui  romano  et  vere  romano  ;  reddidit  nobis  quam 
semper  habuimus  potestatem.  » 

Enfin  le  passage  déjà  cité  d'Aurelius  Victor,  Caesares,  37, 
6  :  «  Amissa  Gallieni  edicto  refici  militia  potuit,  concedenti- 
bus  modeste  legionibus,  Tacito  régnante.  » 

Les  innovations  apportées  par  le  nouveau  régime  dans  l'ad- 
ministration de  l'Empire  portent  donc  sur  trois  points  :  justice, 
gouvernement  des  provinces,  armée.  Elles  concernent  ainsi 
directement  trois  des  grands  privilèges  du  Sénat  à  l'époque 
impériale  :  le  privilège  judiciaire,  le  privilège  relatif  à  l'adminis- 
tration du  territoire,  le  privilège  militaire.  Ces  trois  préroga- 
tives avaient  disparu,  nous  l'avons  vu,  la  première  au  début  du 
III*'  siècle,  la  seconde  avec  Gallien  et  Aurélien,  la  troisième  avec 
Gallien.  Dans  quelle  mesure  le  régime  sénatorial  de  Tacite  les 
rétablit-il? 

1°  Au  point  4e  vue  judiciaire,  la  mesure  décisive  est  l'institu- 
tion de  l'appel  à  la  préfecture  urbaine.  Quelles  sont  les  juridic- 
tions de  première  instance  soumises  à  cet  appel?  Tout  d'abord 
les  proconsuls,  gouverneurs  des  provinces  sénatoriales,  puis  les 
«  judices  »,  c'est-à-dire  les  agents  impériaux  prépo^s  à  l'admi- 
nistration du  territoire  et,  comme  tels,  exerçant  une  juridiction 
(en  Italie,  les  correcteurs  ;  dans  les  provinces,  les  gouverneurs 
impériaux  des  diverses  catégories).  Il  manque  à  cette  énumération 
les  magistrats  de  la  ville  de  Rome  ;  mais  le  fait  s'explique  aisément, 
puisque,  déjà  auparavant,  ils  dépendaient,  au  point  de  vue  de 
l'appel,  du  préfet  de  la  ville.  Ce  caractère  général  de  l'appel,  à  la 
suite  des  réformes  de  275,  résulte  nettement  de  nos  textes  : 
18,  2  :  «  Omnis  provocatio  praefecti  urbis  erit  ;  »  18,  5  :  «  Prae- 
fecturae  urbanae  appellatio  universa  décréta  est;  »  19,  2  : 
«  Redierunt  ad  praefectum  urbi  appeUationes  omnium  potesta- 
tum  et  omnium  dignitatum.  »  Avant  275,  le  préfet  de  la  viUe 
possédait  la  juridiction  d'appel  à  Rome  et  dans  le  rayon  des 
cent  milles  autour  de  la  ville;  en  275,  cette  prérogative  est 
étendue  au  reste  de  l'Italie  et  à  l'ensemble  des  provinces.  C'est 
donc  bien  désormais,  comme  le  disent  nos  textes,  la  totalité  du 
monde  romain  qui  passe,  en  ce  qui  concerne  l'appel,  sous  sa 
compétence  judiciaire. 

Une  seule  réserve  vient  limiter  cette  juridiction,  celle  qui  est 
indiquée  au  §  18;  2  :  «  Quae  tamen  a  proconsulibus  et  ab  ordi- 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      37 

nariis  judicibus  emerserit.  »  Sont  donc  exceptés  les  «  judices  » 
qui  ne  sont  pas  «  ordinarii  ».  Quels  sont  ces  magistrats?  Ce 
sont  ceux  qui  jugent  en  vertu  d'une  délégation  particulière  et 
extraordinaire  de  l'empereur,  ceux  qui  sont  dits  «  vice  sacra 
judicantes  ».  Puisqu'ils  incarnent,  par  délégation  expresse,  la 
juridiction  impériale,  il  est  bien  évident  qu'il  ne  peut  y  avoir 
appel  de  leur  décision  à  un  agent  impérial,  même  aussi  haut 
placé  que  le  préfet  de  la  ville. 

2"  Le  privilège  administratif  du  Sénat,  en  matière  de  gouver- 
nements provinciaux,  portait  sur  deux  séries  de  provinces  :  les 
provinces  sénatoriales  et  les  provinces  impériales.  Que  stipule 
le  régime  nouveau  pour  les  uns  et  pour  les  autres?  Pour  les  pro- 
vinces sénatoriales,  le  texte  de  la  Vie  de  Tacite,  19,  2,  est  déci- 
sif :  «  Nos  recepimus  jus  proconsulare  »,  c'est-à-dire  le  procon- 
sulat et  tous  les  droits  qu'il  comporte,  non  pas  seulement  la 
désignation  des  gouverneurs  sénatoriaux,  mais  aussi  l'adminis- 
tration des  provinces  sénatoriales.  En  un  mot,  pour  les  prd- 
vinces  sénatoriales,  il  s'agit  du  retrait  des  mesures  prises  par 
Gallien  et  d'un  retour  complet  au  passé. 

Passons  aux  provinces  impériales.  Deux  de  nos  textes  im- 
pliquent le  rétablissement  de  l'ancien  privilège.  Tout  d'abord  le 
texte  d'Aurelius  Victor,  qui  est  formel  :  «  Amissa  Gallieni  edicto 
refici  militia  potuit.  »  La  carrière  militaire  est  ainsi  entière- 
ment rouverte  aux  sénateurs,  y  compris,  naturellement,  les 
plus  hauts  grades  de  cette  hiérarchie  qui  étaient  précisément  les 
fonctions  de  «  legati  pro  praetore  »  provinciaux,  c'est-à-dire  de 
gouverneurs  consulaires  ou  prétoriens  de  provinces  impé- 
riales. Ce  texte  est  confirmé  par  un  autre  de  la  Vie  de  Tacite, 
§  19,  4  :  «  Nostri  ordinis  sunt  potestates.  Gratias  exercitui 
roraano  et  vere  romano;  reddidit  nobis  quam  semper  habuimus 
potestatem.  » 

3°  Le  privilège  militaire  du  Sénat  est  rétabli  dans  son  inté- 
gralité. Le  fait  résulte  expressément  du  texte  d'Aurelius  Victor, 
cité  plus  haut.  Les  sénateurs  reprennent  donc  leur  place  dans 
la  «  militia  »,  à  la  fois  comme  officiers  généraux  (légats  pro- 
préteurs de  provinces  et  légats  de  légions)  et  comme  officiers 
supérieurs  (tribuns  de  légions,  etc.).  L'édit  de  Gallien  est  aboli 
purement  et  simplement;  on  en  revient  donc,  sur  ce  point,  à 
l'état  antérieur. 

Il  reste  un  dernier  privilège  sénatorial  sur  lequel  nos  textes 


38  LÉON    HOMO. 

soat  muets,  le  privilège  financier.  Tacite  le  leur  a-t-il  restitué? 
A-t-il  rendu  au  trésor  sénatorial  ses  recettes  d'ordre  général, 
comme  les  impôts  des  provinces  sénatoriales  et  le  produit  de  la' 
frappe  du  bronze?  Pour  le  second,  il  n'y  a  aucun  doute;  la 
réponse  est  négative.  La  frappe  de  la  monnaie  de  bronze  sous 
Tacite  est  peu  abondante  ;  elle  porte  uniquement  sur  les  ses- 
terces, très  rares,  qui  disparaissent  précisément  sous  ce  règne, 
et  sur  les  «  dupondii  »,  qui  continueront  à  être  émis  jusqu'à 
Dioclétien.  Mais  ce  bronze  sort  uniquement  de  la  monnaie  impé- 
riale. La  signature  S.  G.,  caractéristique  de  l'ancienne  frappe 
sénatoriale,  ne  reparaît  sur  aucune  pièce.  Le  privilège  moné- 
taire du  Sénat  est  donc  bien  mort  depuis  la  réforme  d'Aurélien. 
Tacite  lui-même  ne  le  fait  pas  revivre. 

Quant  aux  impôts  des  provinces  sénatoriales,  nous  n'avons 
aucune  indication  précise,  mais  nous  ferons  deux  remarques. 
Tout  d'abord,  le  privilège  financier  fait  partie  intégrante  du 
«  droit  de  proconsulat  ».  Il  a  donc  dû  être  normalement  recou- 
vré par  le  Sénat  en  même  temps  que  ce  droit  lui-même.  En 
second  lieu,  il  est  dans  la  logique  des  choses  que  le  Sénat  l'ait 
recouvré  au  moins  en  partie.  Le  rétablissement  des  provinces 
sénatoriales,  s'il  était  très  flatteur  pour  le  Sénat,  comportait 
aussi  de  lourdes  charges,  auxquelles  le  trésor  sénatorial,  devenu 
simple  caisse  municipale  de  Rome,  ne  pouvait  pas  suffire.  Le 
Sénat  reprenant  sa  part  dans  l'administration  des  provinces,  il 
fallait  nécessairement  que  l'empereur  lui  restituât  aussi  les 
recettes  nécessaires  pour  qu'il  pût  décemment  faire  face  à  ses 
obligations  nouvelles.  / 

En  résumé,  le  système  gouvernemental  intronisé  sous  Tacite 
comporte  un  rétablissement  presque  complet  des  privilèges 
administratifs  du  Sénat.  La  Vie  de  Tacite  insiste  à  plusieurs 
reprises  sur  ce  fait  important  :  18,  4  :  «  In  quo  quidem 
etiam  vestram  in  antiquum  statum  redire  credimus  dignita- 
tem,  si  quidem  primus  hic  ordo  est,  qui  recipiendo  vim  suam 
jus  suUm  ceteris  servet  »  ;  19, 1  :  «  Gum  tantum  auctoritas  amplis- 
sirai  ordinis  creverit  ut  reversa  in  antiquum  statum  repu- 
blica...  »  ;  19,  3  :  «  Optinuimus  quod  semper  optavimus ;  in  anti- 
quum statum  senatus  revertit  »  ;  19,  4  :  «  (exercitus)  reddidit  ^ 
nobis  quam  semper  habuimus  potestatem  ».  L'expression  n'est 
pas  tout  à  fait  exacte,  car  un  des  privilèges  sénatoriaux  tout  au 
moins,  celui  de  la  frappe  du  bronze,  n'a  certainement  pas  fait 


LA  DISPABITION  DES  PRIVILEGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      39 

retour  à  cette  assemblée,  et,  d'autre  part,  il  ne  semble  pas  que  le 
Sénat  ait  recouvré  son  ancienne  participation  à  l'administration 
générale  de  l'Italie.  Mais  l'idée,  d'une  manière  générale,  n'en 
reste  pas  moins  juste.  Le  régime ,  nouveau  représente  dans 
l'ordre  administratif  la  chute  du  système  de  Gallien,  et,  si  le 
Sénat,  dans  certains  domaines,  ne  retrouve  pas  sa  puissance 
d'autrefois,  il  obtient  une  large  compensation  sur  un  terrain  où, 
depuis  la  fin  du  ii^  siècle,  il  avait  cessé  de  compter,  le  terrain 
judiciaire.  L'institution  d'un  appel  universel  au  préfet  de  la 
ville,  avec  la  dépossession  judiciaire  du  préfet  du  prétoire  qui 
en  était  le  corollaire,  représente  un  gros  succès  pour  la  poli- 
tique sénatoriale  et  une  innovation  qui,  à  condition  de  durer, 
pouvait  avoir  pour  l'évolution  générale  de  l'administration 
romaine  des  conséquences  de  premier  ordre. 

Mallieureusement  pour  l'aristocratie  sénatoriale,  le  nouveau 
régime  fut  éphémère-.  Tacite,  après  six  mois  de  règne,  meurt, 
comme  tant  de  ses  prédécesseurs  l'avaient  été  avant  lui,  tué  par 
ses  propres  soldats.  Aussitôt  tout  l'édifice  échafaudé  par  le 
Sénat  à  la  faveur  de  circonstances  exceptionnelles  s'écroule 
comme  un  château  de  cartes.  Le  frère  de  Tacite,  Florien,  s'em- 
pare du  pouvoir  sans  demander  l'avis  du  Sénat,  c'est-à-dire  en 
violation  du  droit  que  Tacite  lui  avait  formellement  restitué  : 
«  Post  fratremi»  —  écrit  le  biographe  de  Tacite'  —  «  arripuit 
imperium  non  senatus  auctoritate,  sed  suo  motu,  quasi  heredi- 
tarium  t  et  imperium,  cum  sciret  adjuratum  esse  in  senatu 
Tacitum,  ut,  cum  mori  coepisset,  non  liberos,  sed  optimum  ali- 
queni  principem  faceret.  ■»  Aussi  —  on  le  comprend  sans  peine 
— :  dès  le  début  les  relations  sont  mauvaises  entre  Florien  et  le 
Sénat,  et  la  Vie  de  Tacite-  nous  dit  textuellement  que  le  Sénat 
souhaite  Probus  comme  empereur  :  «  Tantiis  autem  Probus  fuit 
in  re  militari  ut  illum  senatus  optaret.  » 

Tandis  que  Florien  se  saisit  arbitrairement  de  l'Empire  en 
Occident,  Probus  est  proclamé  empereur  par  les  troupes 
d'Orient.  Sa  popularité  est  immense  dans  toute  l'armée  romaine, 
particulièrement  dans  l'armée  du  Danube,  dont  il  est  resté, 
après  la  disparition  de  Claude  et  d'Aurélien,  le  plus  illustre 
représentant.  Cette  armée,  la  plus  nombreuse  et  la  plus  puis- 

1.  14,  1. 

2.  14,  3. 


40  LÉON   HOMO. 

santé  de  toutes,  va  être,  une  fois  de  plus,  maîtresse  de  la  situa- 
tion. Florien  a  évidemment  fait  tous  ses  efforts  pour  la  gagner. 
Le  moyen  le  plus  efficace  qu'il  eût  à  sa  disposition  était  de 
rompre  avec  la  politique  sénatoriale  de  son  frère  pour  en  revenir 
au  système  de  Gallien.  Nous  devons  donc  nous  attendre,  en  par- 
ticulier, à  ce  qu'il  ait  rétabli,  dans  les  provinces  sénatoriales,  le 
régime  administratif  de  cet  empereur.  Qu'il  l'ait  fait,  la  preuve 
nous  en  est  donnée  par  les  deux  inscriptions  de  Bétique^  déjà 
mentionnées  plus  haut  ;  ce  sont  deux  dédicaces  :  la  première  à 
Florien,  la  seconde  à  Probus,  au  début  de  son  règne,  au 
nom  du  gouverneur  de  la  province,  Aurelius  Julius,  «  vir  per- 
fectissimus,  âgens  vices  legati  »'.  Il  s'agit  donc  d'un  gouverneur 
équestre  placé  par  Florien  à  la  tête  de  la  province  sénatoriale 
de  Bétique;  il  a  le  rang  de  «  perfectissimus  »  et  exerce  ses  fonc- 
tions sous  la  forme  d'une  suppléance.  Nous  retrouvons  donc, 
pour  ce  gouverneur,  le  système  de  Gallien  avec  ses  traits  essen- 
tiels. Sur  le  passé  du  personnage,  nous  ne  savons  rien,  mais 
son  gentilice  d'Aurelius  donne  à  penser  qu'Q  était  d'origine 
militaire  et  avait  fait  son  chemin  dans  l'armée  danubienne. 

Les  concessions  de  Florien  restèrent  d'ailleurs  vaines  ;  il  lui 
était  impossible  de  contrebalancer  dans  l'esprit  des  troupes  le 
prestige  et  la  popularité  d'un  Probus.  Ses  soldats  en  firent 
promptement  justice  et  Probus  resta  seul  maître  de  l'Empire. 

Probus  était  un  Danubien  et  un  soldat  ;  son  passé  et  ses  ser- 
vices ne  l'aveuglaient  pas  toutefois  sur  les  dangers  du  régime 
militaire.  L'armée,  dans  un  sursaut  d'énergie,  venait  de  sauver 
le  monde  romain,  mais  —  le  salut  de  l'Empire  était  à  ce  prix  — 
elle  ne  pouvait  plus  longtemps  rester  sans  contrepoids.  Il  fallait 
rétablir  un  pouvoir  civil  qui  comptât,  et,  ce  pouvoir  civil,  le 
Sénat  devait  nécessairement  en  être  un  des  organes  essentiels. 
Entendons-nous  bien.  Probus  ne  veut  pas  abdiquer  aux  mains 
du  Sénat,  lui  rendre  l'influence  prépondérante  que  la  mort  de 
Tacite  lui  a  fait  perdre.  Non.  Ce  qu'il  veut,  c'est  conclure  avec 
lui  une  entente  équitable,  disons  le  mot,  un  juste  compromis. 

Cette  entente,  qui  devait  être  la  grande  idée  du  règne,  Pro- 
bus la  réalise  dès  son  arrivée  aux  afïaires.  Un  texte  capital  de 
sa  biographie  dans  l'Histoire  Auguste-  nous  en    donne   les 

1.  c.  1.  L.,  II,  1115-1116. 

2.  13,  1. 


LA  ÛISPAUrriON  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTBAtiFS  DD  SÉNAT  ROMAIN.     41 

clauses  essentielles  :  «  Accepte  igitur  hoc  senatus  consulte, 
secunda  oratione  permisit  patribus,  ut  ex  magnorum  judicum 
appellationibus  ipsi  cognoscerent,  proconsules  orearent,  legatos 
ex  consulibus  darent,  jus  praetoriura  praesidibus  darent,  leges, 
quas  Probus  ederet,  senatus  consultis  propriis  consecrarent.  » 
De  ces  cinq  articles,  quatre  —  les  quatre  premiers  —  sont  de 
caractère  strictement  administratif;  le  premier  se  rapporte  au 
privilège  judiciaire,  les  trois  autres  ont  trait  au  privilège  admi- 
nistratif du  Sénat  dans  les  diverses  catégories  de  provinces. 
Étudions-les  successivement  dans  leurs  textes  et  dans  leurs  con- 
séquences. 

Au  point  de  vue  judiciaire,  Probus  n'en  revient  pas  pure- 
ment et  simplement  au  système  de  Tacite.  L'appel  au  préfet  de 
la  viUe  est  remplacé  par  l'appel  au  Sénat.  Quant  aux  juridic- 
tions que  vise  cet  appel,  elles  sont  les  mêmes  que  sous  le  régime 
précédent  :  «  Ut  ex  magnorum  judicum  appellationibus  ipsi 
cognoscerent  »  (cf.  Vie  de  Tacite,  18,  2  :  «  Omnis  provocatio 
praefecti  urbis  erit,  quae  tamen  a  proconsulibus  et  ab  ordinariis 
judicibus  emerserit  »).  Le  texte  ne  nous  dit  pas  d'ailleurs  que 
Probus  ait  renoncé  à  sa  propre  juridiction  d'appel,  concession 
qui  aurait  été  parfaitement  inadmissible.  On  rétablit,  en  réalité, 
l'appel  simultané  à  l'empereur  et  au  Sénat,  qui  avait  été  l'un 
des  principes  fondamentaux  de  l'organisation  judiciaire  au 
i®""  siècle.  Probus,  sur  ce  point,  en  restituant  au  Sénat  un  privi- 
lège perdu  depuis  près  de  deux  siècles,  a  été,  de  propos  délibéré, 
plus  loin  que  Tacite  lui-même.  Le  Sénat,  dans  sa  pensée,  devait 
être  le  représentant  essentiel  du  principe  civil  dans  l'Etat  réor- 
ganisé. Rien  ne  pouvait  mieux  répondre  à  cette  politique  que 
d'en  faire  un  grand  corps  judiciaire  et  de  collaborer,  sur  ce  ter- 
rain, légalement  avec  lui. 

Les  trois  clauses  suivantes  du  pacte  de  276  visent  le  privilège 
du  Sénat,,  relativement  à  l'administration  des  provinces.  La  pre- 
mière concerne  les  provinces  sénatoriales  :  «  Permisit  patribus 
ut  proconsules...  crearent.  »  Remarquons  le  va^ue  de  l'expres- 
sion «  proconsules  »;  «  proconsules  »  peut  se  traduire  aussi 
bien  «  des  »  proconsuls  que  «  les  »  })r()consuls,  et  par  consé- 
quent le  texte  ne  prouve  nullement  que  Probus  ait  concédé  au 
Sénat  la  désignation  de  «  tous  »  les  proconsuls  gouverneurs  de 
provinces  sénatoriales.  Qu'il  y  ait  eu  en  réalité  des  proconsuls 
choisis  par  le  Sénat  selon  le  système  traditionnel  est  un  fait 


42  *       LEON    HOMO. 

prouvé  par  l'inscription  de  C.  Jiilius  Adurius  Oviriius  Pater- 
nus  *,  dont  il  a  déjà  été  question  plus  haut.  Ce  personnage,  nous 
dit  cette  inscription,  a  été  désigné  par  le  sort  comme  procon- 
sul d'Asie  «  sorte  factus  »  et  s'est  récusé  «  excusatus  ».  Il  est 
devenu  consul  pour  la  seconde  fois,  peu  après,  en  279. 

Sous  le  même  règne  devrait  se  placer  un  autre  proconsulat, 
celui  de  Garus  en  Cilicie,  mentionné  par  sa  biographie  2.  Nous 
verrons  plus  loin,  à  propos  des  provinces  impériales,  ce  qu'il 
convient  d'en  penser.  4 

D'ailleurs,  il  faut  le  répéter,  ce  règlement  relatif  aux 
provinces  sénatoriales  n'implique  nullement  que,  partout  et 
toujours,  les  gouverneurs  de  ces  provinces  aient  appartenu  à  la 
classe  sénatoriale.  Les  conditions  générales  qui  avaient  déter- 
miné Gallien  à  mettre  la  main  sur  l'administration  de  ces  pro- 
vinces n'avaient  pas,  tant  s'en  faut,  entièrement  disparu.  Un 
exemple  précis,  pour  le  règne  de  Probus,  est  celui  de  la  pro- 
vince sénatoriale  de  Lycie-Pamphylie.  La  Vie  de  Probus^  nous 
dit  formellement  que  la  révolte  de  Palfurius,  en  Isaurie,  a 
gagné  la  province  Hmitrophe  de  Pamphylie.  Cette  province  a 
cessé,  par  conséquent,  d'être  «  inermis  »,  et  Probus  a  dû,  tempo- 
rairement au  moins,  y  remplacer  le  proconsul  sénatorial  par  un 
gouverneur  militaire  de  son  choix. 

Les  articles  trois  et  quatre  visent  le  gouvernement  des  pro- 
vinces impériales.  —  Article  trois  :  «  Permisit  patribus  ...  ut ... 
legatos  ex  consulibus  darent  ».  Cette  clause  est  très  claire; 
c'est  le  droit  pour  le  Sénat  de  fournir  —  non  pas  de  nommer,  la 
différence  est  capitale  —  des  légats  anciens  consuls,  c'est-à-dire 
des  gouverneurs  pour  les  provinces  impériales  d'ordre  consu- 
laire. «  Des  »  légats  et  non  pas  «  tous  »  les  légats,  notons-le 
bien.  Par  conséquent,  en  ce  qui  concerne  cette  catégorie  de 
provinces  impériales,  on  n'en  revient  pas  entièrement  au 
régime  antérieur  à  la  réforme  de  Gallien,  sous  lequel  c'étaient 
«  tous  »  les  légats  d'ordre  consulaire  qui  étaient  recrutés  dans 
les  rangs  de  l'ordre  sénatorial.  —  Probus  déclare  qu'il  pourra 
prendre  dans  le  Sénat  les  gouverneurs  des  provinces  impériales 
consulaires,  mais  il  se  réserve  aussi  le  droit  —  les  inscriptions 
nous  en  donneront  plus  loin  la  preuve  —  de  les  recruter  en 
dehors. 

1.  c.  I.  L.,  VI,  3832. 

2.  Vita  Cari,  4,  5-7. 

3.  Vita  Probi,  17,  1. 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      43 

L'article  quatre  :  «  Permisit  patribus  ut  ...  jus  praetorium 
praesidibus  darent  »,  est  beaucoup  moins  net  que  les  précédents 
et  demande  à  être  examiné  de  près.  Deux  questions  se  posent 
successivement  :  1"  Quels  sont  ces  «  praesides  »  dont  il  parle? 
2''  Quel  est  ce  «  jus  praetorium  »  que  le  Sénat  est  autorisé  à 
leur  conférer?  —  Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  mot  «  praeses  » 
était  à  cette  époque  susceptible  d'un  double  sens,  un  sens  large 
et  un  sens  étroit.  Au  sens  large,  il  désigne  tous  les  gouver- 
neurs de  provinces  indistinctement  ;  ce  n'est  certainement  pas 
le  cas  ici,  puisque  notre  texte  oppose  précisément  aux  «  prae- 
sides »  deux  autres  catégories  de  gouverneurs,  les  gouverneurs 
de  provinces  sénatoriales  {«  proconsules  »)  et  les  gouverneurs 
de  provinces  impériales  consulaires  («  legatos  ex  consulibus  »). 
Le  terme  de  «  praesides  »  désigne  donc  dans  notre  texte  une 
catégorie  déterminée  de  gouverneurs  et  non  pas  tous.  Desquels 
s'agit-il?  Un  rapprochement  avec  les  deux  autres  textes  de 
l'Histoire  d'Auguste,  déjà  mentionnés  à  propos  de  Sévère 
Alexandre,  va  nous  le  montrer  de  la  manière  la  plus  décisive  : 
Vie  de  Sévère  Alexandre,  24  :  «  Provincias  legatorias  praesi- 
diales  plurimas  fecit;  proconsulares  ex  senatus  voluntate  ordi- 
navit.  »  Cette  énumération  comprend  :  les  provinces  sénato- 
riales («  proconsulares  »),  les  provinces  impériales  à  légats 
(«  legatorias  »)  ;  celles  qui  restent  («  praesidiales  »)  sont  néces- 
sairement les  provinces  impériales  non  à  légats,  c'est-à-dire 
celles  qui  sont  administrées  par  des  gouverneurs  équestres.  — 
Id.,  45  :  «  Praesides,  proconsules  et  legatos  nunquam  fecit  ad 
beneficium,  sed  ad  judicium  vel  suum,  vel  senatus  »,  où  nous 
retrouvons,  avec  toute  la  précision  désirable,  les  trois  mêmes 
catégories.  Il  n'y  a  donc  aucun  doute  possible.  Dans  notre  texte 
de  la  Vie  de  Probus,  «  Praesides  »  désigne  l'ensemble  des  gou- 
verneurs impériaux  équestres. 

Nous  retrouvons  ainsi,  dans  les  articles  du  compromis  de 
276,  trois  classes  de  gouverneurs  :  les  gouverneurs  de  pro- 
vinces sénatoriales  («  proconsules  »),  les  gouverneurs  légats  de 
provinces  impériales  consulaires  («  legati  ex  consulibus  »),  les 
gouverneurs  équestres  («  praesides  »).  Mais  il  en  manque  une  : 
les  gouverneurs  légats  de  i)rovinces  impériales  prétoriennes. 
Pourquoi  cette  lacune?  Cette  omission,  en  réalité,  n'en  est  pas 
une.  Depuis  Gallien,  les  provinces  impériales  —  qu'elles  fussent 
d'ordre  consulaire  ou  d'ordre  prétorien  —  étaient  administrées 
par  des  gouverneurs  équestres.  Probus  restitue  au  Sénat  le  pri- 


44  LÉON    HOMO. 

vilège  de  fournir  éventuellement  les  gouverneurs  des  provinces 
impériales  consulaires,  mais  non  ceux  des  provinces  impériales 
prétoriennes.  «  Praesides  »,  ce  sont  donc  tous  les  gouverneurs 
d'ordre  équestre,  qu'ils  aient  remplacé,  en  vertu  de  la  réforme 
de  Gallien,  les  anciens  légats  prétoriens  ou  qu'ils  soient  simple- 
ment les  successeurs  des  gouverneurs  équestres  des  deux  pre- 
miers siècles.  L'article  quatre  les  concerne  tous  sans  exception. 

Second  point.  Notre  texte  nous  dit  que,  ces  «  praesides  »,  le 
Sénat  reçoit  le  privilège  de  leur  conférer  le  «  Jus  praetorium  » . 
Que  désigne-t-il  par  ces  mots  ?  L'expression  «  jus  praetorium  » 
ne  peut  avoir  qu'un  sens  :  l'ensemble  des  prérogatives  attachées 
dans  le  système  traditionnel  aux  fonctions  de  légats  dans  les 
provinces  impériales  prétoriennes.  Mais  encore  faut-il  s'en- 
tendre. Il  ne  peut  être  question  des  attributions  en  général,  car 
les  gouverneurs  équestres  des  provinces  impériales  ont  hérité 
dans  leur  province  de  l'ensemble  des  attributions  civiles,  mili- 
taires et  judiciaires  dévolues  à  leurs  prédécesseurs  les  légats. 
Mais  il  restait  d'autres  prérogatives  :  les  emblèmes  de  l'autorité 
symbolisés  parles  cinq  faisceaux  et  le  rang  de  sénateur  avec  les 
avantages  qui  en  découlaient.  Voilà  évidemment  les  privilèges 
visés  par  le  «  Jus  praetorium  »  de  l'article  quatre.  Le  Sénat 
reçoit  le  droit  de  conférer  aux  gouverneurs  équestres  provin- 
ciaux des  prérogatives  équivalentes  à  celles  des  anciens  légats 
prétoriens  ;  il  peut  les  faire  entrer  dans  l'ordre  sénatorial  avec 
un  rang  analogue  à  ceux  de  ces  derniers.  Il  obtient  ainsi  un 
moyen  efficace  d'influence  sur  toute  une  catégorie  de  gouver- 
neurs provinciaux  qui,  jusque-là,  à  la  fois  par  leur  origine  et 
par  leur  carrière,  étaient  restés  entièrement  soustraits  à  son 
autorité. 

En  résumé,  l'administration  des  provinces  impériales  se  trouve 
réglée  .par  Probus  sous  la  forme  suivante  :  1°  provinces  impé- 
riales consulaires.  Gouverneurs  légats  nommés  par  l'empereur, 
qui  «  peut  »  les  recruter  dans  l'ordre  sénatorial.  2°  Provinces 
impériales  prétoriennes.  Gouverneurs  équestres  —  par  consé- 
quent, pour  cette  catégorie  l'édit  de  Gallien  reste  strictement 
en  vigueur  —  mais  avec  collation  éventuelle  du  «  Jus  prae- 
torium »  par  le  Sénat. 

Les  exemples  de  gouverneurs  de  provinces  impériales,  que 
nous  connaissons  pounle  règne  de  Probus,  confirment  pleine- 
ment les  conclusions  qui  précèdent.  Prenons  séparément  les 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SÉNAT  ROMAIN.     45 

deux  catégories  de  provinces  impériales.  En  premier  lieu,  les 
provinces  consulaires.  Trois  gouverneurs  de  cette  classe  entrent 
en  ligne  de  compte  :  en  Sjrie,  Saturninus  et  Virius  Lupus  ;  en 
Cilicie,  Carus. 

Saturninus,  désigné  par  sa  biographie  comme  «  dux  limitis 
orientalis  »,  a  été  en  réalité,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  gouver- 
neur de  S}Tie  avec  le  titre  de  «  Legatus  pro  praetore  ».  Il  avait 
reçu  ce  gouvernement  de  Probus  et  il  exerçait  encore  ces  fonc- 
tions en  280  lorsqu'il  se  fit  proclamer  empereur.  Il  semble  bien 
avoir  eu  une  carrière  strictement  militaire  et,  par  conséquent, 
n'être  pas  de  naissance  sénatoriale.  La  province  de  Syrie  étant 
d'ordre  consulaire,  il  faut  qu'il  ait  géré  le  consulat  sujBfect  — 
car  les  fastes  des  consuls  ordinaires  ne  le  nomment  pas  — 
avant  de  recevoir  son  gouvernement  provincial.  Saturninus  a 
donc  dû  entrer  dans  Tordre  sénatorial  par  «  adlectio  ».  Quoi- 
qu'il fût  devenu  sénateur,  il  n'en  était  pas  moins  un  officier  de 
carrière  et,  évidemment,  c'est  cette  qualité  qui  a,  avant  tout, 
déterminé  le  choix  de  l'empereur. 

Virius  Lupus  est  un  grand  personnage  de  la  fin  dû  m®  siècle. 
Il  semble  avoir  été,  lui,  de  naissance  sénatoriale  et,  vraisem- 
blablement, fils  ou  petit-fils  du  Lupus  que  l'on  trouve  gouver- 
neur de  Bretagne  sous  CaracaUa.  Il  est  consul  ordinaire  en  278; 
préfet  de  la  ville  de  278-280;  nous  savons  en  outre,  par  une 
inscription  de  Rome^  qu'il^a  été  «  Prq^ses  Syriae  Caeles  et  Ara- 
biae  ».  A  quelle  date?  Ce  gouvernement,  qui  est  consulaire,  n'est 
pas  antérieur  à  son  consulat  de  278.  Mais,  à  sa  sortie  de  charge,  il 
est  devenu  aussitôt  préfet  de  la  ville  et  l'est  resté  jusqu'en  280. 
Son  gouvernement  de  Syrie  et  Arabie  se  place  nécessairement 
soit  dans  le  courant  de  l'année  280,  soit  les  années  suivantes. 
—  Un  second  fait  à  noter,  c'est  la  réunion  sous  son  autorité  des 
deux  provinces  de  Syrie  Caele  et  d'Arabie,  par  conséquent  la 
constitution  d'un  grand  gouvernement  militaire  oriental  à  son 
profit.  Cet  événement  anormal  et  le  choix  même  d'un  person- 
nage comme  Virius  Lu])us  doivent  s'expliquer  par  des  raisons 
particulières.  Virius  Lupus,  tout  d'abord,  est  un  favori  de  Pro- 
bus, qui  le  i)rend  comme  coUègue  au  consulat  ordinaire  en  278, 
puis  le  nomme  aussitôt  après  préfet  de  la  ville,  de  278  à  280. 
Or,  l'année  280  est  marquée  en  Orient  par  un  fait  très  impor- 

\.  c.  l.  /..,  VI,  31775. 


46  LÉON   HOMO. 

tant,  la  révolte  de  Saturninus.  Probus  réprima  aussitôt  le  mou- 
vement, mais,  pour  pacifier  l'Orient  profondément  troublé,  il  lui 
fallait  un  homme  de  confiance.  C'est  alors,  très  vraisemblable- 
ment, qu'il  eut  recours  à  Virius  Lupus  et  qu'il  lui  donna  le  gou- 
vernement combiné  des  deux  provinces  de  Syrie  Caele  et  d'Ara- 
bie. Virius  Lupus,  consulaire  et  ancien  préfet  de  la  ville, 
appartenait  à  l'aristocratie  sénatoriale.  Le  choix  dont  il  fut  l'ob- 
jet est  donc  pleinement  conforme  à  l'article  trois  du  compromis 
de  276.. 

Le  troisième  cas  est  celui  de  Carus,  le  futur  empereur.  La 
Vie  de  Carus ^  nous  rapporte  que  Carus,  avant  son  avènement, 
a  été  proconsul  de  Cilicie,  et  elle  insère  à  l'appui  une  lettre 
adressée  par  Carus  à  un  de  ses  légats  avec  la  suscription  : 
«  Marcus  Aurelius  pro  consule  Ciliciae  Junio  legato  suo.  »  Ce 
texte  soulève  trois  questions  principales  :  1°  l'existence  d'un 
proconsulat  de  Cilicie  ;  2*^  la  possibilité  que  Carus  l'ait  jamais 
exercé  ;  3°  la  date. 

1°  La  Cilicie,  sous  l'Empire,  est  une  province  impériale,  d'ordre 
consulaire  depuis  Caracalla,  gouvernée  par  un  légat  impérial 
ancien  consul.  Au  début  du  règne  de  Dioclétien,  on  la  trouve 
administrée  par  un  consulaire  ;  il  y  a  donc  dans  le  mode  d'admi- 
nistration de  cette  province  une  continuité  indéniable.  Jamais, 
sous  le  Haut-Empire,  la  province  n'a  été  sénatoriale;  notre 
texte  est  le  seul  qui  fasse  allusion  à  un  fait  de  cette  nature.  Il 
faut  remarquer  toutefois  que  la  mention  d'un  proconsul  de  Cili- 
cie se  retrouve  une  seconde  fois  encore  dans  l'Histoire  Auguste 
pour  le  début  du  iv^  siècle^;  à  propos  d'Aurélien,  la  Vita 
Aureliani  nous  dit  :  «  Aurélien,  sénateur,  proconsul  de  Cilicie, 
qui  vit  maintenant  en  Sicile,  est  son  petit-fils.  »  De  ces  deux 
mentions,  la  seconde  est  certainement  erronée,  puisque  le  gou- 
verneur de  Cilicie,  sous  Dioclétien,  a,  nous  le  savons,  le  rang 
de  «  praeses  »  et  non  pas  celui  de  proconsul.  L'erreur  de  la  Vie 
de  Carus  porte  également  sur  le  titre  du  gouverneur  ;  le  pro- 
consul dont  elle  nous  parle  n'est  autre  qu'un  légat  impérial 
d'ordre  consulaire.  Quant  à  l'origine  de  cette  erreur,  il  faut  évi- 
demment la  chercher  dans  le  souvenir  classique  du  proconsulat 
de  Cicéron. 


1.  Vita  Cari,  4,  5-7. 

2.  Vila  Aureliani,  42,  2, 


LÀ  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DU  SENAT  ROMAIN.      47 

2°  Carus  a  eu  une  carrière  différente  de  celle  des  autres 
empereurs  ses  contemporains.  Le  fait  qu'il  a  été  consul  avant 
son  avènement  —  fait  attesté  directement  par  les  inscriptions 
—  le  prouve  d'une  manière  péremptoire.  Il  n'y  a  donc  pas 
impossibilité  matérielle  à  ce  qu'il  ait  reçu  le  gouvernement  de 
la  Cilicie  en  qualité  de  légat  impérial  consulaire,  rang  et  titres 
qui  étaient  régulièrement  au  m®  siècle  cetx  des  gouverneurs  de 
Cilicie.  Cette  solution  du  problème  est  pleinement  acceptable. 

3°  Carus  est  préfet  du  prétoire  à  la  fin  du  règne  de  Probus. 
Son  gouvernement  de  Cilicie  est  nécessairement  antérieur. 
Nous  ne  pouvons  préciser  la  date,  mais  il  est  permis  de  faire 
une  hypothèse.  En  279,  Probus  prend  une  série  de  mesures 
pour  pacifier  définitivement  l'Isaurie  et  mettre  fin  aux  troubles 
chroniques  dont  cette  province  était  le  théâtre.  Or,  l'Isaurie 
faisait  alors  partie  de  la  province  de  Cilicie.  Il  fallait  donc,  par 
conséquent,  placer  à  la  tête  de  la  Cilicie  un  gouverneur  habile 
et  énergique,  un  homme  qui  eût  déjà  fait  ses  preuves.  Carus 
avait  déjà  une  beUe  carrière  derrière  lui.  Il  est  vraisemblable 
que  Probus,  dont  il  avait  la  confiance,  voulut  utiliser  ses  qua- 
lités dans  la  circonstance  et  le  liomma  gouverneur  impérial  de 
la  province  de  Cilicie. 

Mais,  si  Probus  autorise  le  Sénat  à  fournir  «  des  >  légats 
impériaux  de  provinces  consulaires,  il  ne  se-lie  pas  absolument 
les  mains  et  se  réserve  la  faculté,  à  l'occasion,  de  recruter  les  gou- 
verneurs de  ces  provinces  dans  l'ordre  équestre.  Les  inscrip- 
tions mentionnent,  en  effet,  sous  Probus,  deux  gouverneurs  de 
Dahnatie,  une  province  impériale  consulaire;  tous  deux  sont 
d'ordre  équestre  et  ont  le  titre  de  «  viri perfectissimi  ».  Ce  sont, 
en  277,  Aurelius  Marcianus^  et,  en  280,  M.  Aurelius  Tibe- 
rianus*^. 

Quant  aux  provinces  impériales  de  la  seconde  catégorie, 
celles  qui,  avant  la  réforme  de  Gallien,  étaient  d'ordre  préto- 
rien, nous  n'avons  par  l'épigraphie  qu'une  mention  de  gouver- 
neur s'y  rapportant;  elle  concerne  la  province  d'Arabie,  qui 
était  administrée  en  278-279  par  Marcus  Petrus,  «  vir  perfectis- 
simus^  ».  Cet  exemple  de  l'Arabie  confirme  donc  bien  la  règle 
fixée  en  276  pour  cette  classe  de  provinces. 

1.  C.  I:  L.,  III,  8707. 

2.  Ibid.,  1805.  ' 

3.  C.  1.  G.,  4649. 


LEON    HOMO. 


9 


Pour  le  privilège  militaire  sénatorial,  son  extension,  sous 
Probus,  résulte  des  principes  posés  pour  l'administration  pro- 
vinciale. Les  provinces  impériales  d'ordre  consulaire  pouvant 
avoir  à  leur  tête  des  gouverneurs  éqiiestres  —  c'est  le  cas  de  la 
Dalmatie,  comme  l'attestent  les  deux  inscriptions  mentionnées 
ci-dessus  —  celles  d'ordre  prétorien  devant  en  avoir  régulière- 
ment, il  ne  pouvait  pas  être  question  de  maintenir  intégrale- 
ment son  ancien  privilège  militaire,  tel  que  la  restauration  de 
275  venait  de  le  lui  restituer.  Dans  toutes  les  provinces  qui  con- 
tinuent à  avoir  des  gouverneurs  équestres,  la  carrière  militaire, 
qu'il  s'agisse  des  gouverneurs  provinciaux,  des  commandants  de 
légions  ou  des  tribuns  légionnaires,  reste  strictement  fermée 
aux  sénateurs.  Les  seules  provinces  qui  puissent  faire  exception 
sont  les  provinces  impériales  d'ordre  consulaire,  gouvernées 
par  un  légat  propréteur  sénatorial,  comme  la  Syrie  avec  Virius 
Lupus;  il  est  possible  dans  ce  cas  —  quoique  nous  n'en  con- 
naissions pas  d'exemple  —  que  les  légions  puissent  avoir  des 
légats  et  d'autres  officiers  sénatoriaux,  mais,  dans  ce  domaine 
même,  il  ne  saurait  s'agir  que  de  pures  exceptions.  Au  point  de 
vue  des  commandements  militaires,  aucun  doute  ne  peut  sub- 
sister. L'édit  de  Gallien  est  pleinement  remis  en  vigueur, .  sauf 
concessions  individuelles  émanant  de  l'empereur. 

Reste  le  dernier  des  grands  privilèges  traditionnels  du  Sénat, 
le  privilège  financier.  A  cet  égard,  nous  ne  savons  avec  préci- 
sion qu'une  chose.  Pas  plus  que  sous  le  règne  de  Tacite,  le 
Sénat  n'a  recouvré  le  droit  de  frapper  la  monnaie  de  bronze. 
Les  «  dupondii  » ,  la  seule  espèce  frappée  sous  Probus  depuis  la  dis- 
parition du  sesterce  au  temps  de  Tacite,  sont  émis  exclusive- 
ment par  les  ateliers  monétaires  impériaux.  Quant  aux  recettes 
des  provinces  sénatoriales,  il  est  vraisemblable  qu'elles  n'ont  pas 
non  plus  été  restituées  au  Sénat.  Le  «  recepimus  jus  proconsu- 
lare  »  de  275  pouvait  comporter,  par  voie  de  conséquence 
logique,  le  rétablissement  du  privilège  financier  sénatorial;  le 
«  permisit  ut  proconsules  crearent  »  dp  276  paraît  bien  ne  s'ap- 
pliquer strictement  qu'à  la  nomination  des  gouverneurs.  Sur  ce 
point,  par  conséquent,  selon  toute  vraisemblance,  la  déposses- 
sion du  Sénat  est  restée  définitive. 

Si  maintenant  nous  comparons  la  situation  faite  au  Sénat  par 
la  restauration  de  275  et  celle  qui  résulte  pour  lui  du  compro- 
mis de  276,  nous  voj^ons  qu'entre  l'une  et  l'autre  la  difiérence 


LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.      49 

est  considérable.  Elle  porte  à  la  fois  sur  la  forme  et  sur  le  fond. 
Sur  la  forme  :  en  275,  les  privilèges  sénatoriaux  sont  rétablis 
comme  un  droit  et  comme  un  retour  légitime  à  une  tradition 
séculaire;  en  276,  il  n'est  plus  question  que  de  concessions 
impériales,  dont  le  mot  «  permisit  »  détermine  avec  une  clarté 
aveuglante  le  caractère  et  la  portée.  Sur  le  fond  :  en  275,  la 
restauration  sénatoriale,  dans  le  domaine  provincial  et  militaire, 
est  à  peu  près  complète.  Si  le  Sénat  ne  recouvre  pas  son  pri- 
vilège monétaire,  une  large  compensation  lui  est  réservée  sur 
le  terrain  judiciaire  par  la  création  de  l'appel  général  au  préfet 
de  la  ville.  En  276,  au  contraire,  les  concessions  qui  lui  sont 
faites,  importantes  sans  doute,  ne  sont  pourtant  que  partielles. 
L'édit  de  Gallien  est  remis  en  vigueur  à  la  fois  pour  le  gouver- 
nement des  provinces  impériales  et  pour  les  commandements 
militaires,  sauf  exceptions  individuelles  destinées  à  en  adoucir 
l'amertume  et  à  en  tempérer  la  rigueur. 

La  politique  à  tendances  civiles  de  Probus,  malgré  toutes  les 
réserves  prudentes  dont  il  avait  eu  soin  de  l'entourer,  n'en  prit 
pas  moins  aux  yeux  de  l'élément  militaire  l'aUure  d'une  véri- 
table abdication.  L'armée  se  disait  sacrifiée.  On  colportait  avec 
complaisance,  sous  le  nom  de  l'empereur,  un  mot  perfide  et  ter- 
rible :  «  Bientôt  »,  aurait-il  déclaré,  «  les  soldats  ne  seraient  plus 
nécessaires.  »  Probus  était  trop  intelligent  et,  en  outre,  trop 
militaire  de  tempérament  pour  avoir  jamais  émis  un  aphorisme 
de  ce  genre.  Mais,  malheureusement  pour  l'empereur,  le  mot 
trouvait  dans  sa  politique  intérieure  au  moins  une  apparence 
de  confirmation.  Les  troupes  du  Haut-Danube  se  soulevèrent  et 
proclamèrent  empereur  leur  général  Carus,  tandis  qu'aux  envi- 
rons de  Sirmium,  Probus  succombait  sous  les  coups  de  ses 
propres  soldats. 

Carus  était  donc  l'élu  d'une  réaction  militaire.  Il  ne  l'oubliera 
pas,  et,  l'eût-il  oublié,  que  l'armée  était  là  pour  l'en  faire  sou- 
venir. Le  Sénat  se  rendit  compte  immédiatement  de  la  perte 
qu'il  venait  de  faire  dans  la  personne  de  Probus  et  n'apprit 
qu'avec  appréhension  l'avènement  de  son  successeur.  Sans  doute, 
dès  son  arrivée  à  Rome,  Carus,  au  témoignage  de  son  biographe, 
fit  quelques  avances  aimables  au  Sénat,  mais  il  s'en  tint  à  de 
vagues  promesses  qui  n'engageaient  à  rien.  Des  concessions 
faites  par  Probus  en  276,  il  n'est  plus  question.  L'armée  n'en 
voulait  pas  et  Carus,  instruit  par  le  sort  de  son  prédécesseur, 
Rev.  IIistor.  CXXXVIII.  1"  fasc.  4 


50  LÉON    HOMO. 

ne  tenait  nullement  à  passer  outre.  Aussi  est-ce  de  la  mort  de  Pro- 
bus  qu'Aurelius  Victor  —  et  le  témoignage  est  capital  — ■■  date  la 
déchéance  complète  du  Sénat,  au  point  de  vue  politique,  et  l'avè- 
nement définitif  de  la  monarchie  militaire  ^ . 

Sous  Carus,  les  relations  entre  le  Ôénat  et  l'empereur  avaient 
été  correctes,  sans  plus.  Avec  son  fils  Carin,  elles  deviep'  ent 
franchement  désagréables.  Le  Sénat  voit  d'un  très  mauvais  œil  le 
retour  au  principe  de  l'hérédité  qui  choquait'ses  théories  poli- 
tiques et  semblait  une  atteinte  directe  à  ses  prérogatives.  En 
outre,  Carin  est  un  violent  et  un  autoritaire  qui,  par  nature, 
incline  au  gouvernement  despotique  ;  son  règne  est  un  retour 
au  régime  militaire  et  le  Sénat  voit  reparaître  les  mauvais  jours 
de  Gallien  et  d'Aurélien.  Dans  ces  conditions,  sa  participation 
à  l'achninistration  de  l'État  est  réduite  à  peu  près  à  néant  ;  les 
écrivains  ne  nous  en  disent  rien  pour  la  raison  péremptoire  qu'il 
n'y  a  rien  à  en  dire.  L'édit  de  Gallien  continue  à  être  en  vigueur 
tant  pour  les  gouvernements  provinciaux  que  pour  les  com- 
mandements militaires.  L'épigraphie  nous  en  donne  doublement 
la  preuve.  Plusieurs  inscriptions  d'Afrique-,  datées  de  283,  nous 
montrent  que  la  Numidie,  ancienne  province  impériale  d'ordre 
prétorien,  a  alors  un  gouverneur  équestre,  M.  Aurelius  Deci- 
mus,  avec  le  rang  de  «  Yir  perfectissimus  ».  Quant  aux  comman- 
dements militaires,  une  inscription  d'Aquincum'^  (Pannonie 
mférieure),  de  284,  nous  apprend  que  la  IP  légion  Adjutrix  avait 
alors  à  sa  tête,  conformément  à  la  règle  posée  par  Gallien,  un 
préfet  de  légion,  Aelius  Paternianus. 

L'application  rigoureuse  du  système  de  GaUien  n'excluait  d'ail- 
leur  pas  quelques  rares  exceptions  en  faveur  de  l'ordre  sénato- 
rial. Ce  fait,  que  nous  avons  déjà  signalé  pour  les  règnes  de 
Claude  et  d'Aurélien,  se  vérifie  également  sous  Carus  et  sous 
Carin.  Sous  le  règne  de  Cârus,  d'après  deux  inscriptions  datées 
de  283^,  nous  trouvons  l'Espagne  citérieure  —  province  impé- 
riale consulaire  —  administrée  par  M.  Aurelius  Valentinianus, 
«  vir  clarissimus,  praeses  Hispaniae  Citerions,  legatus  Augus- 
torum  pro  praetore  » .  Le  personnage  appartient  à  l'ordre  séna- 

1.  Aurelius  Victor,  Caesares,  37,  5. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  2529,  2530,  2643,  4221,  7002  (cf.  4578).  —  En  outre,  nous 
avons  vu  plus  haut  que,  sous  le  règne  de  Carus,  la  province  de  Dalmalie  avait 
ou,  en  la  personne  de  Constance  Chlore,  un  gouverneur  non  sénatorial. 

3.  Ibid.,  III,  3469. 

4.  Ibid.,  II,  4102,  4103. 


J 

LA  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SENAT  ROMAIN.     51 

torial,  puisqu'il  est  expressément  désigné  par  le  titre  de  «  clarissi- 
mus  ».  L'année  suivante,  d'après  une  inscription  d'Aquincum ^ 
M.  Aurelius  Valentinianus  est  devenu  légat  propréteur,  gouver- 
neur de  la  province  impériale  de  Pannonie  intérieure.  Le  chan- 
gement de  gouvernement  représente  pour  ce  fonctionnaire  un 
avancement  indubitable.  Les  deux  provinces  d'Espagne  cité- 
rieure  et  de  Pannonie  inférieure  étaient,  l'une  et  l'autre,  d'ordre 
consulaire,  mais  avec  deux  différences  notables  en  faveur  de  cette 
dernière  :  c'était  une  province  frontière,  une  province  d'avant- 
garde,  par  conséquent  plus  importante,  et  surtout  elle  consti- 
tuait un  grand  commandement  militaire,  puisqu'elle  avait  une 
garnison  légionnaire  permanente.  Nous  ne  connaissons  mal- 
heureusement rien  sur  l'origine  et  sur  la  carrière  antérieure  de 
ce  M.  Aurelius  Valentinianus,  mais  nous  remarquons  que,  lui 
aussi,  est  un  M.  Aurelius,  par  conséquent  probablement  un  Danu-' 
bien,  un  soldat  de  carrière  qui  ne  serait  entré  au  Sénat  que  tar- 
divement et  par  «  adlectio  » .  Il  aurait  été  nommé  successivement 
légat  propréteur  de  deux  provinces  impériales,  non  pas  parce 
qu'il  était  sénateur,  mais  quoiqu'il  le  fût.  La  dérogation  au 
règlement  de  Gallien,  réalisée  en  sa  faveur  par  Garus  et  Garin, 
serait  ainsi  plus  apparente  que  réelle. 


En  285,  Garin  tombait  assassiné  sur  le  champ  de  bataille  du 
Margus  et  Dioclétien  restait  seul  maître  de  l'Empire.  Parvenus 
au  terme  de  cette  étude,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  en  résumer 
les  conclusions.  Si  mal  connue  que  soit  l'histoire  administrative 
du  m^  siècle,  quelque  importantes  que  soient  encore  les  lacunes 
de  notre  documentation,  deux  traits  cependant  apparaissent  en 
pleine  lumière  : 

1"  La  ruine  des  privilèges  administratifs  du  Sénat  n'est  pas 
l'œuvre  de  Dioclétien.  Elle  a  été  consommée  au  cours  de  la 
grande  crise  du  iii**  siècle  ;  les  auteurs  principaux  en  sont  Gal- 
lien et  Aurélien.  En  260,  en  dépit  des  atteintes  subies  au  cours 
des  deux  premiers  siècles,  le  rôle  du  Sénat  dans  l'administra- 
tion de  l'Empire  est  encore  considérable  dans  le  triple  domaine 
de  l'administration  du  territoire,  de  l'armée  et  des  finances. 
Gallien  enlève  au  Sénat  son  privilège  administratif  à  la  t'ois  dans 

1.  C.  I.  L.,  III,  3418. 


52  HOMO.  —  DISPARITION  DES  PRIVILÈGES  ADMINISTRATIFS  DD  SE'nAT  ROMIaIN. 

les  provinces  sénatoriales  et  les  provinces  impériales,  son  pri- 
vilège militaire  et,  dans  l'ensemble,  son  privilège  financier. 
Aurélien  achève  cette  œuvre  de  dépossession,  au  point  de  vue 
administratif,  en  Italie,  par  la  transformation  des  correcteurs  en 
fonctionnaires  permanents  ;  au  point  de  vue  monétaire,  par  la 
suppression  du  privilège  sénatorial  de  la  frappe  du  bronze. 
Dès  avant  275,  l'œuvre  d'unification  administrative  poursuivie 
depuis  Auguste  est  achevée.  Le  grand  rôle  administratif  du 
Sénat  a  pris  fin . 

2°  Il  est  d'usage  d'expliquer  cette  chute  par  l'hostilité  systé- 
matique et  irréductible  du  pouvoir  impérial  vis-à-vis  du  Sénat. 
Cette  interprétation  est  trop  simpliste  et  rabaisse  singulièrement 
la  portée  de  l'événement.  En  réalité,  les  derniers  privilèges 
sénatoriaux  ont  succombé  devant  les  nécessités  de  la  défense 
nationale.  Au  milieu  du  iii^  siècle,  la  situation  presque  désespé- 
rée de  l'Empire  exige  la  concentration  de  toutes  les  ressources 
aux  mains  du  souverain.  Dans  tous  les  domaines  —  administra- 
tion du  territoire,  armées,  finances  —  l'unité  doit  se  faire  abso- 
lue et  tout  privilège  disparaître.  Le  salut  de  l'Etat  est  à  ce  prix. 
Ainsi  s'explique  le  caractère  exceptionnel  du  règne  de  GaUien  ; 
il  représente  à  la  fois  le  point  culminant  de  la  crise  et  le  moment 
décisif  où  les  privilèges  sénatoriaux  reçoivent  le  coup  fatal  dont 
ils  ne  se  sont  jamais  relevés. 

Léon  Homo. 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


LETTRE    DE    CHARLES    MARCHAND 

ABBÉ  DE  MUNSTER  EN  ALSACE 
A     UN     CONFRÈRE^ 


Charles  Marchand  fut  le  premier  abbé  français  de  l'antique  monas- 
tère de  Munster.  Lorsqu'il  fut  nommé  à  celte  dignité  par  l'évêque 
de  Bâle  en  1656,  l'abbaye  était  complètement  désorganisée  et  char- 
gée de  dettes.  Par  son  talent  d'administrateur,  il  parvint  à  remettre, 
de  l'ordre  dans  les  affaires  de  la  maison  él  à  lui  rendre  une  prospé- 
rité qu'elle  n'avait  plus  connue  depuis  la  guerre  de  Trente  ans.  Il 
travailla  à  unir  son  abbaye  à  la  congrégation  lorraine  de  Saint- 
Vanne  et  de  Saint-Hidulphe  et  réahsa  ce  projet  en  1659.  Le  traité 
d'union  stipule  que  six  religieux  «  seront  tirés  des  monastères  qui 
sont  sous  l'obéissance  du  roy  et  qui  sauront  les  deux  langues  fran- 
çaise et  allemande,  autant  que  faire  se  pourra  ».  Parmi  ces  der- 
niers, se  trouvait  l'érudit  prieur  de  Senones,  Antoine  de  l'Escale, 
qui  fut  investi  des  mêmes  fondions  à  Munster,  et  qui  est  mentionné 
dans  la  lettre  que  nous  publions  2. 

E.  Waldner. 


A  Munster,  ce  12«  sept.  1662. 
Mon  Reverand  Père, 

Pour  respondre  a  la  vostre  et  vous  donner  l'éclaircissement  que  vous 
m'avés  mandé  que  Mons*"  le  comte  de  Briesne^  et  autres  Mess'*  du 
conseil  du  Roy  désirent,  ce  que  faisant  de  point  en  point,  je  vous 

1.  Texte  publié  d'après  la  minute  conservée  dans  le  fonds  de  l'abbaye  aux 
Archives  départementales  du  Haut-Rhin. 

2.  Voy.  Histoire  de  l'abbaye  de  Munster,  par  Dom  Calmet,  publiée  par 
F.  Dinago,  Colmar,  1882. 

3.  Henri-Auguste  de  Loménie,  comte  de  Brienne,  secrétaire  d'État.  Il  avait 
le  département  des  Affaires  étrangères. 


54  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

diray  primo  qu'il  n'y  a  point  de  double  qu'il  y  va  de  l'interest  de  la 
France,  quand  elle  peut  avoir  une  ou  plusieurs  personnes  affidées  aux 
séances,  aux  diettes  et  assemblées  publiques  de  l'Empire,  comme  l'abbé 
de  Munster,  lequel,  a  cause  de  son  abbaye  imperialle,  est  un  membre 
immédiat  de  l'Empire,  et  comme  tel,  réservé  expressément  par  le 
traitté  de  paix  gênerai  de  Munster  en  Westpalie,  a,  peut,  et  doit  avoir 
séance  auxdittes  diettes  et  assemblées  générales  immédiatement  après 
les  princes  d'Empire  et  dans  le  même  conclave  d'iceux  vis  a  vis  des 
princes,  iceux  a  la  droicte  et  les  abbés  d'Empire  a  la  gauche.  Les 
comtes  et  barons,  aussy  bien  que  les  villes  d'Empire,  vont  après  et 
tiennent  le  3«  conclave,  les  princes  et  abbés  d'Empire  tiennent  le 
second,  et  Mess""*  les  Electeurs  le  premier.  Il  n'importe  que  l'abbé 
de  Munster  soit  francois ,  allemand ,  espagnol ,  lorrain ,  italien  ou 
savoyar  ou  bourguignon,  car  il  y  a  eu  des  abbés  de  cette  abbaye  de 
Munster  de  toutes  ces  nations,  sans  que  l'on  y  ait  jamais  treuvé  a 
redire  ny  débattre  cette  séance  a  aucun  d'iceux,  puisque,  possédant  a 
juste  tittre  un  bénéfice  dépendant  immédiatement  de  l'Empire,  ils 
sont  sensés  naturalisés  et  traittés  et  recognus  pour  tels.  Et  pour  vous 
le  faire  toucher  au  doict,  j'ay  jugé  à  propos  de  vous  envoyer  une  coppie 
autentique  du  mandement  exprès  que  l'Empereur  moderne  m'a  envoyé, 
en  datte  du  moys  de  febvrier  dernier,  avec  l'attache  du  grand  sceau 
de  l'Empire,  par  lequel  l'Ernpereur  m'invite  a  me  trouver  a  la  diette 
impériale  prochaine  pour  y  donner  mes  advis  et  conseils  comme  les 
autres  membres  de  l'Empire  ^.  Cependant  Sa  Majesté  impériale  et  tous 
les  princes  d'Allemagne  savent  très  bien  que  je  suis  francois  naturel 
et  que  mesme,  aux  commissions,  procurations,  quittances  et  autres 
affaires  de  pareille  nature  que  j'ay  donné  depuis  7  ans  que  je  suis 
abbé,  je  me  suis  qualifié  tousjours  abbé  de  l'abbaye  impériale  de  Muns- 
ter, en  la  vallée  de  S^-Grégoire,  et  conseiller  et  aumosnier  de  Sa 
Majesté  très  chrestienne.  Le  R.  P.  Dom  Lescale,  mon  prieur,  en  a 
porté  luy  mesme  par  deux  foys,  en  l'an  1657  et  1660,  des  semblables 
procures  et  quittances  avec  lesd^*»  qualités  jusques  a  la  cour  électorale 
'de  Bavière^  a  Mùnchen  et  personne  n'y  a  jamais  treuvé  a  redire.  Il  y 
a  grande  difîerance  entre  Monsieur  le  duc  Mazarin^  comme  prefect  ou 
grand  baillif  de  Haguenau  et  d'Alsace  et  moy,  parce  que  au  traitté 
gênerai  de  la  paix  a  Munster  les  ministres  et  officiers  du  Roy  ont 
voulu  absolument  avoir  la  dite  praefecture  en  souveraineté  et  inde- 

1.  L'Empire  continua  à  considérer  l'abbaye  de  Munster  comme  relevant  de 
lui.  Les  Archives  départementales  du  Haut-Rhin  possèdent  une  série  de  man- 
dements impériaux  réclamant  les  contributions  impériales  jusqu'en  1759.  En 
1721,  par  exemple,  on  demanda  à  l'abbaye  son  contingent  matriculaire,  se  mon- 
tant à  «  un"  homme  à  cheval,  quatre  à  pied,  vingt-huit  pièces  d'armes  et 
1,400  florins  ».  Dès  1674,  le  roi  avait  défendu  à  l'abbé  de  payer  aucune  con- 
tribution à  l'Empire,  défense  renouvelée  plusieurs  fois. 

2.  L'électeur  de  Bavière  était  Ferdinand-Marie  (1651-1679). 

3.  Cliarles-Armand  de  La  Porte,  marquis  de  La  Meilleraye  et  duc  de  Mazarin, 
neveu  par  alliance  du  cardinal  Màzarin. 


LETTRE   DE   CHARLES   ItfARCHAND,    ABBÉ   DE  MUNSTER   EN    ALSACE.      55 

pendance  de  l'Empire,  et  par  ce  moyen  ont  bany  le  Roy  de  toutes  les 
élections  et  séances  de  l'Empire/ Mond'  prieur  en  a  tousjours  bien 
murmuré,  aussy  bien  que  moy,  et  en  a  adverty  longtemps  auparavent 
Mess""*  les  procureurs  et  advocats  generaulx  du  parlement  de  Mets,  ou 
il  estoit,  qui  estoint  bien  de  son  sentiment,  mais  non  pas  Mess'"=*  les 
plénipotentiaires,  car  ils  eussent  voulu  prendre  l'Alsace  et  lad"=  prae- 
fecture  aux  mesmes  conditions  que  les  tenoit  la  maison  d'Autriche. 
Le  Roy,  en  la  qualité  de  landgrave  de  l'Alsace  et  de  praefect  des  dix 
villes,  etc.,  auroit  esté  prince  d'Empire,  et  par  ce  moyen  auroit  pu  non 
seulement  avoir  séance  en  toutes  les  diettes,  ains  aussy  estre  esleu 
Empereur  (c'en  est  faict).  Les  ministres  de  Suède  ont  faict  bien  plus 
finement  ;  ils  ont  passé  leur  traitté  a  condition  que  leur  roy  releveroit 
tousjours  de  l'Empereur  les  terres  qui  luy  ont  este  cédées,  affin  de 
jouir  de  tous  les  droits,  privilèges  et  prerogratives  de  l'Empire;  mais 
en  sorte  que  l'on  ne  pourroit  jamais  appeller  à  l'Empire  de  ses  sen- 
tences et  arrests  rendu  par  luy  ausdites  terres  a  lui  cédées.  Il  ne  faut 
donc  pas  s'estonner  sy  en  la  diette  on  ne  voudroit  pas  admettre  Mons''  le 
duc  de  Mazarin,  puisque  ses  qualitéz  sont  du  tout  indépendantes  de 
l'Empire  et  que  l'on  les  a  voulu  avoir  de  la  sotte.  Ce  n'est  pas-  de 
mesme  de  mon  abbaye  de  Munster,  puisqu'elle  est  spécifiquement 
conservée  et  maintenue  sous  l'Empire  par  led'  traicté  de  paix  :  et  par 
conséquent  un  abbé  de  Miinster  peut  tousjours  aux  occasions  servir  et 
dire  un  bon  mot.  D'ailleurs,  le  Roy  a  grand  interest  de  maintenir,  con- 
server et  protéger  cette  abbaye  en  ses  droicts  et  privilèges  :  primo 
parce  qu'il  est  le  vray  et  légitime  héritier  et  successeur  des  fondateurs 
d'icelle.  2°  Parce  qu'il  est  le  véritable  prefect  de  ces  pays,  car  la  pré- 
fecture a  este  cédée  a  perpétuité  a  sa  courone  et  unie  et  incorporée  a 
icelle.  Or,  est  il  que  le  prefect  est  constitué  par  les  Empereurs  pour 
juge  et  protecteur  tant  de  notre  abbaye  de  Munster  que  des  dix  villes 
imperialles  qui  sont  en  AUesace,  et  il  est  obligé  de  leur  jurer  de  les 
conserver  et  maintenir  dans  leur  droicts  et  privilèges,  et  après  on  luy 
jure  aussi  de  le  recognoitre  et  luy  obéyir  comme  a  ses  prédécesseurs. 
En  cette  qualité,  donc,  il  doit  prendre  cognoissance  de  nos  justes  griefs 
que  nous  avons  [contre]   trois  desdites  villes  ^   susdites  impériales, 
entendre  les  parties  et  faire  droit  a  qiii  il  appartiendra  pour  mainte- 
nir son  auctorité,  autrement  on  auroit  sujet  de  dire  qu'un  roy  de  France 
n'a  que  le  seul  nom  et  non  le  pouvoir  et  l'auctorité  du  prefect  ou  grand 
baillif.  3»  Il  y  va  encore  de  l'interest  de  la  France  en  ce  que  mes  pré- 
décesseurs ont  cédé  et  transporté  a  l'Empire,  il  y  a  plus  de  'lOO  ans, 
tout  le  domaine,  haute,  basse  et  moyenne  justice  de  tout  ce  val,  qui 
consiste  en  quelque  IG  ou  17  tant  villages  que  hameaux  et  en  deux 
petites  villes  impériales,  savoir  Munster  et  Turkem,  aux  conditions 
d'estre  maintenus  et  conservés  en  nos  privilèges,  franchises  et  immuni- 
tés, que  les  empereurs  françois  comme  Charlemagne,  Louys  le  Débon- 
naire, son  fils,  et  Lothaire.  son  petit  fils,  nous  avoint  donnés  par  leur 

1.  Colinar,  Munster  et  Turckheiin. 


56  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

pieté  et  amour  de  Dieu.  Et  ce  pendant  on  ne  nous  garde  plus  nosdites 
franchises  et  immunités,  ains  on  nous  accable  avec  les  contributions 
d'Empire,  de  tele  sorte  que  mon  abbaye  ne  scait  plus  de  quel  bois 
faire  flèches.  Je  suis  donc  résolu  de  demander  a  cette  diette  de  deux 
choses  l'une,  ou  de  nous  garder  nos  franchises  et  immunitez,  ou  de 
nous  rendre  nostre  domaine  que  nous  avons  cédé  et  transporté  a 
l'Empire  a  cette  fin,  etc.  Il  y  a  craindre  qu'on  ne  nous  accordera  ny 
l'un  ny  l'autre  ;  en  ce  cas  nous  serions  bien  fondés  [de  céder]  nostre 
dict  domaine  (transporté  a  l'Empire  conditionalement,  aux  fins  de  nous 
protéger  en  nos  immunitez  et  franchises)  au  Roy  pour  nous  mainte- 
nir auxdts  immunités,  franchise  et  privilèges  que  ses  susdits  prédé- 
cesseurs nous  ont  donné.  Car  fra7igenfi/îdem,  frangatur  fides  eidem. 
Par  ce  moyen,  le  Roy  auroit  juste  sujet  de  s'attribuer  la  seigneurie 
desdtes  deux  villes  et  de  tout  le  val  de  Munster,  et  par  ce  moyen  desel- 
leroit  ce  fort  dizain*  dont  le  Roy  est  prefect,  qui  ne  le  veult  reco- 
gnoistre  que  par  bénéfice  d'inventaire  et  voudroit  jouer  de  pair  a  compa- 
gnon. 4°  C'est  l'interest  et  l'honeur  du  Roy,  comme  fils  aisné  de  l'EgHse, 
a  l'imitation  de  ses  prédécesseurs,  d'assister  les  affligés  et  de  relever  les 
oppressés.  Mon  abbaye  est  fondée  par  ses  prédécesseurs  roys  de  France 
et  Empereurs  très  richement,  mais-  réduite  par  les  Allemands  et  ses 
propres  sujets  qu'elle  a  cédés  aux  empereurs  allemands,  en  une  disette 
et  incomodité  sy  grande,  et  par  ces  contributions  d'Empire  qu'il  ne  se 
peut  exprimer,  et  par  les  continuelles  usurpations,  vexations  et  oppres- 
sions d'iceux  contre  leurs  propres  promesses  et  transactions  affermés 
par  leur  propres  sceaux  et  serments  Jurés  et  attestés,  comme  il  se  peut 
très  bien  vérifier  par  quantité  de  bons  filtres,  sains  et  entiers.  Ce  que 
je  n'aurois  pu  m'imaginer  des  Allemands  qui  se  ventent  tant  d'estre  les 
.  plus  fidels  et  plus  constants  de  toutes  les  nations,  sy  je  ne  voyois  tous 
les  jours  le  contraire.  Du  temps  passé  on  se  fioit  a  leur  parolle  simple, 
mais  s'estoit  bien  in  illo  tempore.  Maintenant  il  n'y  a  plus  de  fiance  a 
leur  serment  ny  a  leur  sceaux  et  transactions,  point  de  justice,  point  de 
radresse^.  Il  appartient  a  un  roy  de  France  très  chrestien  de  remédier 
a  ces  abus  intolérables  corne  le  fils  aisné  de  l'Église  et  comme  le 
prefect  et  protecteur  de  ces  pays. 

Je  n'aurois  jamais  faict  sy  je  voulois  tout  dire,  mais  il  me  semble 
qu'en  voilla  asses  pour  faire  voir  au  conseil  qu'il  y  va  de  l'interest,  de 
l'aucthorité,  de  la  pieté,  de  l'honeur  et  du  zèle  de  la  justice  du  Roy 
d'assister,  d'ayder  et  protéger  cette  province  [et]  désolée  abbaye  eu  ses 
justes  prétentions. 

Je  vous  prie  très  affectueusement  de  bien  représenter  notre  bon 
droit  au  Mess^-^  du  conseil  du  Roy  et  de  me  croire  tousjours  cordia- 
lement, mon  Rf*  P.,  votre  très  affectioné  serviteur  et  confrère. 

Charles  M*,  abbé  de  Munster  et  du  St-Empire. 

1.  Les  dix  villes  impériales  d'Alsace,  unies  par  une  alliance  conclue  en  1354. 

2.  Vieux  mot,  signiiiant  :  chemin  droit  (voir  Godefroy,  Dictionnaire  de 
l'ancienne  langue  française). 


LES  JOURNÉES   DE  JDILLET   ET   AOUT    1789   A   STRASBOURG.  57 

LES  JOURNÉES  DE  JUILLET  ET  AOUT  1789 

A  STRASBOURG 


Le  présent  travail'  se  compose  de  deux  parties,  distinctes  en  appa- 
rence, et  que  les  auteurs  antérieurs  ont  souvent  séparées  pour  étudier 
surtout  la  première,  qui  leur  paraissait  beaucoup  plus  importante 
sous  le  rapport  de  la  politique  générale.  C'est  ainsi  que,  récemment 
encore,  un  des  meilleurs  historiens  de  l'Alsace  a  porté  toute  son 
attention  sur  les  premiers  événements  révolutionnaires  de  Stras- 
bourg2  et  a  laissé  de  côté  ceux  qui  se  produisirent  quelques  jours 
après  et  qui  en  sont  certainement  inséparables. 

Pour  cette  raison,  on  pouvait  reprendre  la  question,  en  apparence 
épuisée  par  la  substantielle  étude  de  cet  auteur.  A  vrai  dire,  j'ai  été 
encouragé  à  tenter  un  nouvel  examen  des  faits,  parce  que  j'avais 
entre  les  mains  un  document  nouveau.  La  lettre,  publiée  ici  en 
appendice,  est  un  témoignage  complémentaire,  qui,  n'étant  pas 
officiel,  doit  être  pris  d'autant  plus  en  considération,  puisqu'il  con- 
firme et  complète,  sur  divers  points,  ce  que  nous  savons  déjà^ 

Celui  qui  l'a  écrite  est  évidemment  un  officier  (d'artillerie?)  assez 
instruit,  quoique  son  style  présente  des  négligences  nombi-euses;  il 
tient  à  être  exact  et  impartial,  car,  s'il  raconte  nettement  les  faits 
qu'il  a  vus,  il  n'expose  les  causes  des  troubles  successifs  qu'avec  pru- 
dence''. Le  préambule  de  la  lettre  est  un  peu  long;  j'ai  considéré 
cependant  qu'il  n'était  pas  inutile,  parce  qu'il  dépeint  l'état  desprit 
d'un  officier  qui,  en  1789,  servait  depuis  trente-cinq  ans.  Il  n'est 

1.  Lu  au  Congrès  des  Sociétés  savantes,  à  Strasbourg,  le  27  mai  1920;  cet 
article  a  été  revu,  corrigé  et  complété. 

J'adresse  ici  de  vifs  remerciements  à  M.  Pflster,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres 
à  l'Université,  et  à  M.  M.-J.  Bopp,  professeur  à  Colmar,  qui  ont  bien  voulu  me 
signaler  diverses  publications.  Je  remercie  aussi  MM.  Georges  Delahache  et 
l'abbé  Mollat,  qui  ont  fait  pour  moi  quelques  recherches,  malheureusement 
infructueuses,  dans  les  archives  de  la  ville  de  Strasbourg. 

2.  Rodolphe  Reuss,  le  Sac  de  l' hôtel  de  ville  de  Strasbourg  (juillet  1189)-, 
dans  Rèv.  histor.,  t.  CXX,  novembre-décembre  1915,  p.  26  à  55  et  289  à  322 
(cf.  du  même,  Revue  d'Alsace,  n.  s.,  t.  VI,  1877,  p.  43  à  58). 

3.  Naturellement,  je  ne  chercherai  pas  à  citer  toutes  les  sources  déjà  utilisées 
par  ceux  qui  m'ont  précédé  et  je  m'attacherai  surtout  aux  textes  qui  peuvent 
être  interprétés  diUéremment. 

4.  Il  accompagna  sa  relation  des  expressions  dit-on  et  on  prétend. 


58  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

pas  un  révolté  et  attend  autant  du  roi  que  de  la  nation  ;  mais  il  a 
l'esprit  du  temps  et  désire  qu'une  ère  de  justice  se  manifeste  promp- 
tement. 

Sa  lettre  contient  tout  l'essentiel  des  débuts  de  la  Révolution  à 
Strasbourg;  elle  apporte  quelques  précisions  de  chiffres  à  propos 
des  scènes  du  pillage  de  l'hôtel  de  ville,  épisode  dont  on  a  d'autres 
relations  concordantes,  et,  de  plus,  cette  lettre  fournit  un  nouveau 
récit  et  des  détails  relatifs  à  la  révolte  militaire,  qui  eut  lieu  peu  de 
jours  après  et  qui  est  beaucoup  moins  connue. 

On  sait  que,  le  dimanche  19  juillet,  les  esprits  étaient  déjà  surex- 
cités par  le  bruit  du  renvoi  de  Necker  et  que  des  bandes  saccagèrent 
la  maison  de  l'ammeistre  Lemp  '.  Le  20  juillet,  la  question  pohtique 
se  compliquait  en  se  doublant  d'une  question  ahmentaire  :  les 
masses  populaires  réclamaient  la  suppression  des  droits  sur  la  viande, 
qui  n'étaient  cependant  que  de  quatre  deniers  par  livre^. 

On  brisa  les  vitres  de  l'hôtel  de  ville,  sans  que  le  commandant 
de  la  place,  M.  de  Klinglin,  crût  devoir  intervenir^.  Un  groupe  de 
citoyens  demanda  en  vain''  au  comte  de  Rochambeau,  gouverneur  de 
la  proyince,  l'autorisation  de  s'armer  et  de  faire  des  patrouilles^. 
C'est  aussi  Rochambeau  qui,  le  lendemain,  se  contentait  de  répondre, 
quand  on  lui  demandait  instamment  de  rétablir  l'ordre  :  «  Voulez- 
vous  que  je  fasse  égorger  la  bourgeoisie  par  ma  troupe^?  »  Le  géné- 
ral, à  qui  l'Amérique  avait  fait  une  heureuse  carrière,  rencontrait 
assurément  à  Strasbourg  une  situation  peut-être  déconcertante,  d'au- 
tant plus  qu'il  venait  d'arriver  le  18  seulement  et  qu'il  pouvait  igno- 
rer bien  des  faits.  Pour  cela,  on  lui  doit  quelque  indulgence,,  en  tenant 

1.  M.  Reuss  a  signalé  les  causes  obscures  du  mouvement,  qui  peut  paraître 
artificiel;  la  conduite  bizarre  de  certains  personnages, confirmée  par  leur  émi- 
gration volontaire  {loc.  cit.,  p.  26,  311  à  314).  En  1855,  Frédéric  Piton' accu- 
sait le  gouvernement  d'avoir  provoqué  l'émeute.  Cf.  Manfred  Eimer,  Die  poli- 
tischen  Verhaeltnisse  und  Bewegungen  in  Strassburg  im  Elsass  im  Jahre 
1789.  Strasbourg,  1877,  in-8»,  183  p. 

2.  Jean-Fréd.  Hermann,  Notices  historiques,  statistiques  et  littéraires  sur  la 
ville  de  Strasbourg,  t.  I,  1817,  p.  109. 

3.  Je  reviendrai  plus  loin  sur  l'attitude  de  ce  personnage. 

4.  On  ne  peut  donc  parler,  comme  on  l'a  fait,  de  lapathie  de  la  bonne  bour- 
geoisie. 

5.  Hermann,  loc.  cit.  On  trouve  la  confirmation  du  fait  dans  la.  lettre  des 
représentants  de  la  bourgeoisie  aux  députés  de  Strasbourg,  écrite  le  28  juillet 
1789  (Rodolphe  Reuss,  l'Alsace  pendant  la  Révolution  française;  1,  Corres- 
pondance des  députés  de  Strasbourg  à  l'Assemblée  nationale,  1880,  p.  129, 
1.  n"  XXVI). 

6.  «  Nous  avons  ordre  de  ne  pas  agir  »,  répondaient  d'autres  officiers  (Her- 
mann, op.  cit.,  n.  98;  p.  198). 


LES  JOURNEES   DE   JUILLET   ET   AOUT    1789   A   STRASBOBRG.  59 

compte  aussi  de  la  situation  d'un  gouverneur  qui  devait  respecter 
certaines  libertés  fondamentales,  mais  écarter  certains  empiétements 
sur  l'autorité  royale.  Nous  pouvons  cependant  admettre  que  Rocham- 
beau  eût  dû  être  averti  d'un  fait  important  :  on  remarquait  dans  les 
rues  de  Strasbourg  de  nombreux  visages  inconnus  ;  des  billets  por- 
tant lés  mots  :  Citoyens,  attaquez!  circulaient  parmi  la  foulée 

Quelles  que  fussent  l'ignorance  des  faits  et  les  raisons  d'inertie  du 
gouverneur,  nous  ne  saurions  comprendre  que  la  garnison  ait  assisté 
impassible  à  la  première  partie  du  sac  de  l'hôtel  de  ville  :  ce  n'est 
qu'au  moment  où  les  pillards  s'apprêtaient  à  détruire  les  dépôts  des . 
notaires  que  le  colonel  de  Royal-Alsace  fit  évacuer  les  bâtiments 
envahis^. 

Si  la  conduite  de  la  garnison  est  énigmatique,  celle  des  magistrats 
de  la  ville  l'est  quelque  peu  aussi.  En  effet,  nous  avjons  bien  l'écho 
des  doléances  des  bourgeois  djp  Strasbourg  au  sujet  de  la  réserve 
des  troupes  royales,  à  l'origine  des  troubles^.  Mais,  d'autre  part,  une 
autre  lettre  des  6  et  7  août  1789,  adressée  également  aux  députés, 
dit  en  propres  termes  :  «  La  bourgeoisie  a  insisté  que  les  veilles  et 
fatigues  de  la  garnison  fussent  récompensées \  »  Et  ce  témoignage 
de  reconnaissance  est  confirmé  par  la  lettre  que  nous  publions  plus 
loin.  L'auteur,  qui  paraît  n'avoir  rien  écrit  à  la  légère',  dit  nette- 
ment que  la  ville  savait  gré  à  la  garnison  de  la  réserve  prudente 
qu'elle  avait  gardée  pendant  les  troubles. 

1.  A  l'origine  de  la  plupart  des  mouvements  populaires,  on  retrouve  souvent 
des  preuves  de  l'ingérence  d'éléments  étrangers  au  milieu  habituel.  Il  n'y  a  pas 
de  raisons  suffisantes  pour  écrire,  comme  on  l'a  fait,  que  ces  mots  criminels 
ont  été  répandus  par  les  soldats. 

2.  On  connaît  une  plaquette  de  quatre  pages  contemporaine  du  sac  de 
l'hôtel  de  ville  et  qui  en  donne  une  relation  {Relation  de  ce  qui  s'est  passé 
dans  la  ville  de  Strasbourg  le  QO  et  le  "21  juillet  1189.  Paris,  s.  d.,  in-8°, 
chez  Lefévre,  libraire,  rue  de  la  Harpe...  Bibl.  nat.,  Lb  39,  202i).  Bien  que 
ce  document  soit  peu  précis  et  incomplet,  j'en  citerai  le  passage  suivant  : 
«  Les  maisons  des  boulangers  furent  dévastées,  les  cafés  détruits,  les  maisons 
des  receveurs  incendiées.  La  ville  invoqua  le  secours  de  la  garnison  qui  refusa 
de  marcher;  mais  plusieurs  ofliciers  ayant  dit  que  nul  Bourgeois  ne  faisoit  par- 
tie de  ce  tumulte  et  qu'il  falloit  punir  la  classe  turbulente  du  Peuple,  les  sol- 
dats ont  obéi,  croyant  (jue  les  mutins  étoient  une  borde  de  ceux  qui,  deux 
mois  auparavant,  avoient  désolé  les  contrées  qu'ils  avoienl  parcourues.  »  Ces 
renseignements  me  paraissent  sujets  à  caution.  * 

3.  Lettre  précitée  du  28  juillet,  confirmée  par  la  relation  de  Jean-Frédéric 
llermann. 

4.  Correspondance  des  députés  de  Strasbourg  :  loc.  cit.,  n°  XXXI,  p.  140. 

5.  La  somme  de  20  sols  de  gratification  par  soldat  est  confirmée  par  la 
lettre  des  G-7  août  adres.sée  aux  députés.  La  gratification  fut  de  30  sols  par 
caporal  et  de  40  par  sergent. 


60  MÉLANGES,  ET   DOCUMENTS. 

Si  nous  écoutons  Rocharabeau  lui-même  dans  ses  Mémoires,  dont 
les  historiens  n'ont  peut-être  pas  examiné  les  termes  suffisamment, 
le  rôle  de  la  troupe  aurait  été  plus  rapide  et  plus  actif.  Je  transcris 
quelques  passages  de  ces  Mémoires  :  «  Je  fis  battre  la  générale  au 
premier  avis;  les  piquets  de  cavalerie  s'y  portèrent  aux  ordres  de 
M.  de  Klinglin;  je  me  mis  à  la  tête  du  régiment  d'Alsace...  Klin- 
glin  péroroit  et  rien  ne  pouvoit  arrêter  ce  peuple  furieux  :  on  vint 
me  dire  qu'ils  entroient  dans  une  maison  voisine  où  étoient  tous  les 
papiers  des  mineurs  de  la  province.  Je  pris  ce  moment  pour  animer 
les  grenadiers  d'Alsace  :  «  Mes  enfans...  ce  sont  vos  papiers  qu'on 
«  pille  et  vos  contrats  qu'on  saccage...  »  Alsace  s'y  conduisit  bien... 
Nous  parvînmes,  avec  son  secours  et  celui  de  Hesse-Darmstadt^  à 
faire  vider  tous  les  étages  de  l'hôtel  de  ville,  où  ils  avaient  pillé  les 
caisses,  cassé  les  meubles  et  enfoncé  mille  pièces  de  vin^dans  toutes 
les  caves  où  plusieurs  d'entre  eux  se  noyèrent.  Pour  ma  part,  j'en 
fus  quitte  pour  la  perte  de  la  moite  de  mon  habit,  qui  fut  emporté 
par  un  gros  poêle  de  fonte,  jeté  par  une  fenêtre^.  »  Rochambeau 
reconnaît  que  les  troupes  agissaient  mollement,  parce  que  «  tout 
le  monde  se  promenoit  dans  les  rues  et  la  cavalerie  ne  pouvoit  char- 
ger ces  troupes  de  brigands  sans  courir  le  risque  d'écraser  d'hon- 
nêtes, citoyens ''  ».  Cette  phrase  explique  l'apostrophe  que  le  chroni- 

1.  L'esprit  de  ce  régiment  étranger  ne  fut  pas  partout  satisfaisant  :  «  Un 
soldat  du  régiment  étranger  Royal-Darmstadt,  placé  en  faction  et  éloigné  de 
la  vue  de  ses  officiers,  fut  le  seul  qui  opposa  quelque  résistance;  il  menaça 
même  de  sa  baïonnette  celui  qui  voulait  arrêter  encore  une  scène  partielle  de 
désordre  »  (J.-Fr.  Hermann,  op.  cit.,  p.  199). 

2.  Même  en  admettant  l'estimation  de  10  à  15  francs  l'hectolitre  de  vin  de 
pays  donnée  par  l'abbé  Hanauer  (Études  économiques  sur  l'Alsace  ancienne 
et  moderne,  t.  II,  1878,  p.  337),  s'il  s'agit  de  mille  pièces  de  vin,  la  somme  de 
mille  louis  indiquée  par  l'officier  Guiot  est  faible.  Mais  il  est  évident  que  ces 
renseignements  prouvent  seulement  l'importance  des  dégâts. 

Une  relation  rédigée  en  allemand,  que  je  cite  plus  loin  (datée  du  30  juillet 
1789),  évalue  la  quantité  de  vin  répandu  dans  les  termes  suivants  :  «  Gegen 
tausend  Ohmen  Wein...  »  SiïOhme,  mesure  assimilée  quelquefois,  mais  arbi- 
trairement, au  muid  de  Paris,  peut  être  considérée  comme  valant  à  peu  près 
quarante-six  litres  à  Strasbourg,  le  dégât  aurait  été  moins  considérable  que 
d'après  Rochambeau.  La  question  reste  d'ailleurs  assez  vague.  M.  Reuss,  qui 
n'a  pu  faire  état  ni  de  la  relation  allemande  ni  de  la  lettre  de  Guiot,  évalue 
la  perte  à  600  hectoli,res  (d'après  Friesé)  ou  800  (Rapport  des  représentants). 
Voy.  Rev.  histor.,  lac.  cit.,  p.  293  et  294. 

3.  Mémoires  militaires,  historiques  et  politiques  de  Rochambeau,  ancien 
maréchal  de  France,  1809,  t.  I,  p.  353  et  354.  Je  sais  que  ces  Mémoires  ont 
été  rédigés  par  Luce  de  Lancival  d'après  les  notes  de  Rochambeau  ;  mais  les 
faits  énoncés  ne  peuvent  avoir  été  inventés  par  le  rédacteur. 

4.  La  molle  action  des  troupes  a  été  constatée  aussi  par  un  étranger, 
Arthur  Young  :  «  Voyant  que  la  troupe  ne  répondait  qu'en  paroles,  les  pertur- 


LES  JODRNÉES   DE  JUILLET   ET  AOOT    1789   A   STRASBODRG.  61 

queur  Hermann  attribue  à  Rocbambeau  et  que  j'aî  rapportée  plus 
haut. 

Je  ne  sais  si  je  lis  bien  entre  les  lignes  de  ces  passages  des 
Mémoires  de  Rocbambeau.  Mais  je  crois  comprendre  que  ce  sol- 
dat, d'ailleurs  estimable,  s'est  trouvé,  comme  beaucoup  d'autres  à 
cette  époque,  surpris  par  les  événements.  Il  a  senti  ensuite  la  néces- 
sité de  se  disculper.  Pour  cela,  il  semble  rejeter  la  faute  de  l'inac- 
tion sur  Klinglin  ;  il  prétend  avoir  pris  la  tête  du  régiment  d'Alsace, 
rôle  qui  n'était  pas  le  sien;  enfin,  il  tient  à  démontrer  que  ses 
efforts  ne  furent  pas  sans  danger.  Mais  si  nous  savons,  d'autre 
part,  que  des  poêles  furent  jetés  en  effet  par  les  fenêtres  de  l'hôtel 
de  ville  S  on  reste  un  peu  sceptique  en  apprenant  l'effet  singulier 
produit  par  un  projectile  de  cette  sorte  2. 

Il  est  certain  que  le  baron  de  Klinglin,  surnommé  le  «  Père  du 
peuple  »  à  Strasbourg^,  joua  un  rôle  important  dans  l'affaire.  On 

bateurs  prirent  de  l'audace...;  les  troupes,  tant  à  pied  qu'à  cheval,  restèrent 
impassibles.  D'abord,  elles  n'étaient  pas  assez  nombreuses...;  plus  tard...,  le 
mal  était  trop  grand  pour  qu'on  pût  faire  autre  chose  que  garder  les  approches  » 
{Voyage  en  France  pendant  les  années  1787,  1788,1789.  Paris,  1860,  t.  I, 
p.  248;  cf.  Rev.  d'Alsace,  nouvelle  série,  t.  VI,  1877,  p.  54). 

Il  est  certain  que  les  soldats  envoyés  devant  l'hôtel  de  ville  étaient  en  petit 
nombre,  «  100  ou  150  hommes  d'infanterie  et  de  cava|erie  ».  Or,  la  garnison 
de  la  ville  était  composée  de  six  régiments  (Gottfried  Harthmann-Lichtenfel- 
der,  Compte-rendu  historique  des  troubles  survenus  à  Strasbourg  en  l'an 
1789,  dans  la  Rev.  d'Alsace,  t.  XL,  p.  260  et  264). 

Deux  estampes  donnent  sans  doute  assez  exactement  l'aspect  du  pillage.  L'une, 
signée  de  Jean  Hans  et  de  Weis,  montre  une  rangée  de  cavaliers,  bien  alignés 
devant  le  beau  monument,  construit  en  1582.  Un  otDcier  est  représenté  un  peu  en 
avant,  à  droite.  En  arriére  et  sur  les  côtés,  des  bourgeois  font  des  gestes  d'éton- 
nement  et  de  désespoir.  Cette  estampe  a  été  reproduite  par  Hugo  Haug,  Das 
Hôtel  du  Commerce...  Strasbourg,  1913,  p.  27,  et  aussi,  avec  la  suivante,  par 
Adolphe  Seyboth,  Das  aile  Strassburg.  Strasbourg,  1896,  p.  131,  pi.  17.  Sur 
l'autre  estampe  (.Se  vend  chez  Devere,  graveur,  vis-à-vis  Saint-Lo%iis,  n'  12,  à 
Strasbourg),  les  cavaliers  sont  groupés  à  droite  sur  deux  rangs;  on  voit  des  sol- 
dats sur  le  pont  qui  relie  l'hôtel  de  ville,  à  droite,  aux  autres  constructions  (Bibl. 
nat.,  dép.  des  estampes,  coll.  Hennin,  t.  119,  Qb319,  n"  9  et  10,  et  Hist.  de 
Fr.,  Qb  79).  —  C'est  la  seconde  de  ces  gravures  qui  a  été  reproduite  par 
M.  Reuss  dans  son  Histoire  d'Alsace  (14*  éd.,  1918,  pi.  XIII;  texte  p.  212  et 
213).  Elle  avait  d'ailleurs  été  déjà  lithographiée  par  Th.  Muller  dans  le  Stras- 
bourg illustré  de  Frédéric  Piton  (1855). 

1.  Lettre  aux  députés  de  Strasbourg,  du  28  juillet  1789  {toc.  cit.,  p.  131). 

2.  Le  passage  de  Rocbambeau  n'a  pas  encore  été  relevé. 

3.  Une  relation  (que  M.  Reuss  a  déclaré  connaître  seulement  d'après  Engel- 
hardt  et  Eimer,  Rev.  histor.,  loc.  cit.)  est  écrite  pour  faire  ressortir  les  mérites 
de  M.  de  Klinglin.  A  propos  de  l'ammeistre  Lemp,  on  y  lit  :  «  ...  Wenn  nicht 
der  Herr  komiuandant,  baron  von  Klingkling,  ein  Beyspiel  seines  grossen  Her- 


62  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

a  quelque  peine  à  préciser  ce  rôle.  Est-ce  à  cause  de  sa  complai- 
sance envers  les  émeutiers  que  la  foule  s'écria  :  «  Vive  Klinglin,  A 
bas  le  magistrat*  ?  »  Cette  foule  était-elle  composée  uniquement 
d'émeu tiers?  Il  est  vraisemblable  qu'elle  comptait  quelques-uns  de 
ces  représentants  de  la  bourgeoisie,  ceux-là  mêmes  qui,  vers 
cinq  heures  de  l'après-midi,  assuraient  aux  délégués  des  magistrats 
que  le  peuple  voulait  détruire  l'hôtel  de  ville,  et  qu'on  ne  pouvait 
pas  compter  sur  les  troupes,  parce  qu'elles  avaient  promis  de  faire 
cause  commune  avec  la  population  ^. 

Si  l'on  en  croit  Rochambeau,  lorsque  tous  les  citoyens  furent 
rentrés  chez  eux,  vers  minuit,  les  charges  de  cavalerie  devinrent 
efficaces  et  400  malfaiteurs  furent  arrêtés.  Bien  que  les  troupes 
fussent  rentrées  dans  leurs  quartiers,  l'épuration  n'avait  pas  été 
complète,  puisque  les  magistrats,  pour  la  parfaire,  obtinrent  du 
gouverneur  une  distribution  de  500  hallebardes  et  1,200  sabres  de 
l'arsenaF.  Ces  armes  servirent  à  une  garde  bourgeoises  dont  les 

zens,  seiner  klugen  Vorsicht  und  seiner  bestandigen  Wachbarkeit  gegeben 
batte...  »  Plus  loin,  à  propos  de  l'hôtel  de  ville,  il  est  encore  question  des 
habiles  dispositions  et  prévisions  de  Klinglin,  à  qui  on  associe  toutefois 
Rochambeau.  L'auteur  cite  la  devise  appliquée  à  Klinglin  :  Patrem  te  dicunt 
cires,  dicentque  nepotes  (sans  nom  d'auteur,  Beschreibung  des  jammer- 
vollen  Aufrulirs  in  Strassburg.  A  la  lin  :  Strassburg,  den  30  jiiU  1789.  In-S", 
16  p.  Bibl.  nat.,  L'^  k.  34,264).  C'est  Klinglin  qui  avait  donné  l'ordre  de  lais- 
ser les  auberges  ouvertes  toute  la  nuit  pour  fêter  la  prise  de  la  Éastille,  qui 
avait  harangué  les  émeutiers  paternellement  devant  la  maison  Lemp  (R.  Reuss, 
Rev.  Iiistor.,  loc.  cit.,  p.  44  et  46).  Aussi,  dès  1793,  Jean  Friesé  n'hésitait  pas 
à  attribuer  à  Klinglin  le  pillage  de  l'hôtel  de  ville  et  des  archives,  car  ce  per- 
sonnage aurait  eu  intérêt  à  détruire  les  pièces  du  procès  de  son  grand-père  et 
de  son  père  [Neue  vaterl.  Geschichte  Strassburg  s...,  t.  IV,  1793,  p.  247  à  257). 

1.  E.  Seinguerlet,  l'Alsace  française;  Strasbowg  pendant  la  Révolution, 
1891,  p.  18,  22  et  27.  Voy.  aussi,  au  sujet  des  accusations  portées  contre  M.  de 
Klinglin  :  Rodolphe  Reuss,  le  Sac  de  l'hôtel  de  ville  :  Rev.  d'Alsace,  1877, 
p.  44  à  46.  D'autre  part,  on  a  dit  que  le  duc  d'Aiguillon,  gouverneur  général 
de  l'Alsace,  «  plein  de  haine  contre  la  Cour  »,  pouvait  avoir  une  grande  res- 
ponsabilité dans  les  troubles  de  Strasbourg  (A.  B.,  dans  la  Rev.  d'Alsace, 
1887,  p.  501). 

2.  C'est  sans  doute  pour  cela  que  M.  Reuss  a  cru  que  Rochambeau  craignait 
une  émeute  militaire  {loc.  cit.,  p.  313).  Un  autre  auteur  a  été  trop  loin  dans 
la  même  voie,  en  écrivant  :  «  La  force  armée  faisant  cause  commune  avec  les 
émeutiers...  »  (Louis  Batiffol,  les  Anciennes  républiques  alsaciennes,  1918, 
p.  284). 

3.  Rochambeau,  Mémoires,  p.  355  ;  cf.  la  lettre  du  28  juillet,  loc.  cit., 
p.  132. 

4.  L'officier  Guiot,  dont  la  lettre  est  publiée  plus  loin,  porte  le  total  de  la 
garde,  bourgeoise  à  2,000  hommes.  Ce  chiffre  est  en  somme  peu  différent  de 
celui  que  les  armes  distribuées  permettaient  déjà  d'armer,  sans  parler  de 
celles  que  la  ville  pouvait  posséder. 


LES   JODRNÉES   DE   JDILLET   ET  AOOT    1789   A    STRASBODRG.  63 

rondes  amenèrent  l'arrestation  d'un  nombre  de  prisonniers  qui 
doubla  celui  des  premières  prises. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  la  ville  tenait  à  récompenser  les 
troupes.  Rochambeau  nous  dit  :  «  Il  étoit  d'usage,  à  Strasbourg, 
de  donner  une  gratification  de  vingt  sous  par  homme  aux  soldats 
qui  avoienl  servi  à  arrêter  les  incendies;  le  magistrat  vint  me  prier 
de  permettre  qu'elle  fût  délivrée  aux  troupes  pour  avoir  sauvé  la 
ville  le  jour  du  pillage  de  l'hôtel  de  ville...'.  »  Le  gouverneur 
refusa  d'abord  en  dépeignant  le  danger  d'une  garnison  qui  pouvait 
être  ivre.  «  Je  fis  ce  que  je  pus  pour  les  engager  à  renoncer  à  ce 
dessein  et  pour  leur  persuader  de  donner  en  vivres,  à  chaque  cham- 
brée, le  produit  de  cette  gratification...  »  «  Enfin,  pour  la  troisième 
fois,  les  magistrats  et  les  représentans  de  la  bourgeoisie  réunis, 
ayant  à  leur  tète  le  commissaire  du  roi^,  vinrent  me  réitérer  cette 
demande,  et  me  déclarèrent  que,  si  je  ne  voulois  pas  y  consentir, 
chaque  bourgeois  étoit  résolu  de  délivrer  cet  argent  lui-même  aux 
soldats,  à  qui  ils  l'avoient  promis.  » 

Ces  paroles  sont  graves,  puisqu'on  pourrait  déjà  y  trouver  un 
exemple  de  la  pression  exercée  par  le  Tiers-État.  Ont-elles  été  véri- 
tablement prononcées?  Rochambeau  n'a-t-il  pas  voulu  défendre 
après  coup  sa  responsabilité  dans  les  événements  qui  allaient  se 
produire?  Il  est  vraisemblable  qu'il  n'était  plus  sûr  de  la  discipline 
de  ses  troupes,  et,  en  ce  cas,  il  eut  raison  de  dicter,  comme  il  le 
prétend,  «  un  ordre  de  police  pour  que  la  moitié  de  chaque  régi- 
ment restât  de  garde  à  son  quai'tier  pour  répondre  de  la  discipline 
du  bataillon  à  qui  la  gratification  seroit  délivrée^...  »  Il  est  exact 
que  la  bourgeoisie  insista  pour  récompenser  la  garnison  \  Mais, 
d'après  la  lettre  de  l'officier  Guiot,  s'il  y  eut  des  troubles,  c'est  plu- 
tôt à  cause  des  mesures  prises  par  Rochambeau,  et  dont  ses 
M(imoires  ne  laissent  entrevoir  qu'une  partie;  du  moins  Guiot 
autorise  à  croire  que  toutes  les  troupes  avaient  été  consignées  au 
quartier. 

1.  Mémoires,  t.  I,  p.  357. 

2.  Il  s'agit  du  baron  Frédéric  de  Dietrich,  désigné  comme  te!  le  28  juin  et 
installé  dans  ses  fonctions  le  0  juillet.  On  a  écrit  tout  récemment  ([ue  ce  |ior- 
sonnage  avait  fait  «  tout  son  devoir  [lendant  les  journées  de  Juillet  »  (Gabriel- 
G.  Uamon,  Fi-édéric  de  Diclriclt ,  premier  maire  de  Strasbourg  sons  la  liévo- 
liilion  française.  Paris,  1919,  p.  39).  Si  Dietrich  a  Joué  ce  rôle  dans  celle 
circonstance,  on  comprend  que  Rocharabeau  ait  été  contraint  de  chercher  un 
terrain  de  conciliation. 

3.  Loc.  cit.,  t.  I.  p.  357. 

4.  Lettre  des  représentants  de  la  bourgeoisie  aux  députés  de  Strasbourg 
(n°  XXXI)  des  G  et  7  août  1789;  citée  plus  haut. 


64  '  MÉLANGES   ET   DOCCMENTS. 

Ce  fait  démontre  encore  que  l'état  d'esprit,  qui  se  développait 
avec  tant  de  rapidité  parmi  toutes  les  classes  de  la  nation,  avait 
déjà  fait  des  progrès  dans  l'armée  elle-même ^  Rochambeau,  comme 
je  l'ai  dit  plus  haut,  avait  dû  s'en  rendre  compte.  Les  événements 
firent  que  les  mesures  prises  par  lui  et  qui,  au  surplus,  étaient  con- 
formes aux  règles  de  la  discipline,  n'eurent  pas  le  résultat  qu'il  en 
espérait.  Les  troubles,  que  beaucoup  d'historiens  ont  plus  ou  moins 
laissés  de  côté,  eurent  une  réelle  importance.  La  moitié  des  troupes, 
en  état  d'ébriété,  criait  :  «  Vive  le  Tiers-État!  C'est  à  nous  à  com- 
mander à  notre  tour^...  »  Rochambeau  ne  parvint  pas  à  protéger 
les  prisons,  dont  la  garde  était  doublée  et  appuyée  —  en  apparence  — 
par  quatre  canons.  Ces  pièces  ne  servirent  pas  ;  le  posté  fut  forcé 
«  et  tous  les  prisonniers  furent  délivrés,  ce  qui  étoit  le  principal 
but  de  cette  journée^  ».  Le  second  jour  de  la  révolte  fut  encore  plus 
grave  ;  les  régiments  étrangers  se  mêlèrent  aux  autres  et  se  plon- 
gèrent dans  des  excès  de  tout  genre  :  «  Les  régimens  allemands, 
ne  s'étant  échappés  que  le  second  jour,  se  livrèrent  plus  tard,  mais 
plus  fortement,  à  la  plus  grande  débauche  ;  ils  menaçoient  de  la  lan- 
terne tous  leurs  chefs*...  »  Nous  trouvons  la  confirmation  des  faits 
dans  les  autres  sources  que  nous  avons  déjà  utilisées.  La  lettre  des 
6  et  7  août  aux  députés  de  Strasbourg  dit  que  «  toutes  les  maisons 
des  marchands  de  vins,  de  brasseurs,  de  boulangers,  chaircutiers, 
graissiers  »,  furent  forcées  et  pillées.  Ce  document  ajoute  que  la 
troupe  était  exaspérée  contre  ses  chefs  et  une  autre  lettre  des  repré- 
sentants de  la  bourgeoisie  aux  mêmes  députés,  écrite  le  lendemain, 
8  août,  confirmant  ce  pillage,  nous  apprend  que  la  garde  bourgeoise 
voulut  s'opposer  en  vain  au  désordre  et  fut  même  maltraitée  par  les 

1.  Un  reflet  de  cet  état  d'esprit  nouveau  apparaît  dans  un  rare  document, 
qui  est  d'ailleurs  empreint  de  sentiments  élevés  et  judicieux  :  Dialogue  entre 
un  citoyen  et  un  soldat;  Gespràch  zwiscken  einem  Burger  und  einem  Soldate?i, 
par  M'  T.  D.  M.,  capitaine  d'artillerie  (de  l'imprimerie  de  Le  Roux;  s.  d.,  mais 
certainement  de  la  seconde  moitié  de  1789;  in-4°,  15  p.).  L'auteur,  probablement 
un  camarade  de  Guiot,  cherche  à  y  concilier  les  devoirs  du  citoyen  et  du  sol- 
dat, et  y  soutient  la  nécessité  de  la  discipline. 

2.  Les  soldats  auraient  crié  aussi  :  «  Vive  la  nation!  »  (E.  Seinguerlet,  op. 
laud.,  p.  26).  Ils  auraient  ajouté  :  «  Vive  la  bourgeoisie!  »  (Rev.  d'Alsace, 
t.  XI.,  1889,  p.  265.) 

3.  Rochambeau,  op.  cit.,  p.  358.  Ici,  l'auteur  semble  suivre  une  idée  qu'il 
avait  exposée  plus  haut  (p.  356)  :  «  ...  Un  brasseur  et  quelques  mauvais  citoyens, 
(ort  impliqués  comme  instigateurs  du  pillage  de  l'hôtel  de  ville;  leurs  parens 
et  leurs  amis  cherchèrent  à  corrompre  la  garnison.  »  La  relation,  rédigée  en 
allemand  et  datée  du  30  juillet  1789,  nous  dit  que  le  brasseur  fut  jugé  et  gra- 
cié (p.  15). 

4.  Rochambeau,  op.  cit.,  p.  359. 


LES  JOURNÉES  DE   JUILLET  ET   AOUT    1789   A   STRASBOURG.  65 

révoltés  ^  L'officier  Guiot  énonce  plus  brièvement  les  mêmes  faits 
et  évalue  à  plus  de  80,000  livres  les  dégâts  causés  par  ces  deux  jour- 
nées d'orgie. 

L'historien  russe  Kararazine,  qui  traversait  Strasbourg  à  cette 
époque,  confirme  les  faits  et  raconte  que,  sous  ses  yeux,  une  troupe 
de  soldats  ivres  arrêta  un  prélat  en  voiture  et  le  força  à  boire  de  la 
bière  dans  la  même  cruche  que  son  cocher,  à  la  santé  de  la  nation.  Le 
même  auteur  vit  aussi  une  salle  de  spectacle  troublée  par  des 
ivrognes  2. 

Rochambeau  relate  la  fin  dés  troubles.  De  bons  soldats  se  grou- 
pèrent autour  des  sous-officiers  ;  on  fil  des  patrouilles  et,  à  dix  heures 
du  matin,  le  7  août,  toute  la  garnison  était  rentrée  dans  ses  quartiers. 

Le  vent  de  folie  étant  apaisé,  la  réflexion  inspira  sans  doute  le 
désir  de  se  disculper,  et  les  dissentiments  entre  les  troupes  de  races 
différentes  se  firent  jour.  Rochambeau  nous  apprend  que  le  régi- 
ment de  Hesse-Darmstadt  fut  le  dernier  à  rentrer  dans  l'ordre  et  que 
ce  résultat  fut  difficile  à  obtenir.  Les  régiments  français  rejetèrent  sur 
cette  troupe  le  poids  des  vols  commis  pendant  la  révolte^,  et  M.  de 
Vaubecourt,  heutenant  général  inspecteur,  vint  même  avertir  le  Gou- 
verneur que  les  contingents  français  voulaient  attaquer  le  régiment 
allemand  dans  ses  quartiers.  Rochambeau  parvint  à  rétablir  l'ordre 
et  ses  Mémoires  laissent  transparaître  un  vif  contentement  de 
soi-même''.  Mais  il  est  évident  que  le  Gouverneur,  averti  par  les 
événements  déconcertants  des  dernières  semaines,  préféra  s'ab^ie- 
nir  de  rechercher  les  responsabilités  de  la  révolte  et  d'appliquer  des 
sanctions^.  J'ai  d'ailleurs  cité  plus  haut  le  passage  de  ses  Mémoires 
où  il  prétend  qu'il  avait  prévu  les  effets  de  la  gratification  de  la 
ville. 

Il  me  paraît  hors  de  doute  que  Rochambeau,  aussitôt  arrive  à 
Strasbourg,  y  subit  les  effets  de  l'état  d'esprit  qui  influait  sur  les 
relations  entre  l'autorité  royale  et  les  magistrats  de  la  cité.  Ceux-ci, 
comme  la  plupart  des  représentants  des  vieilles  libertés  provinciales, 

1.  Op.  cil.,  p.  141  et  144. 

2.  L'historien  ni. 'ise  Karamzine  à  Slrasboun/  e}i  1780 ;  lellre  de  Slrasbourç, 
du  G  août  1789,  traduite  par  A.  Legrelie,  dans  la  Revue  nouv.  d' Alsace- Lorraine, 
5»  année,  6"  vol.,  1886,  p.  203. 

3.  Le  fait  est  confirmé  par  Ilarthinann-Lichtenfelder  {liev.  d'. Alsace.  I.  XL, 
1889,  p.  266). 

4.  Op.  cit.,  p.  360  à  362. 

5.  C'est  donc  avec  raison  qu'on  a  pu  écrire  :  «  Il  élail  maintenant  évident 
pour  tous  qu'on  ne  pourrait  avant  longtemps  faire  fond  sur  ces  troupes  :  ce 
sera  la  cause  profonde  de  la  création  de  la  garde  nationale  de  SlrasJjourg  » 
(G. -G.  Ramon,  op.  cit.,  p.  42). 

Rev.  IIistor.  CXXXVin.  le>-  FASC.  .  5 


66  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

étaient  jaloux  des  restes  d'autorité  qu'ils  possédaient  encore.  Je  citerai 
un  seul  exemple,  suffisant  pour  préciser  cette  situation.  Quelques 
années  avant  les  événements  qui  ont  été  racontés  plus  haut,  la 
Cour  des  monnaies  de  Paris  donnait  un  arrêt  destiné  à  préciser  les 
droits  de  Juridiction  de  ses  officiers  au  siège  de  Strasbourg,  à  l'oc- 
casion d'empiétements  commis  par  la  chambre  des  Quinze  de  cette 
ville.  En  1784,  le  magistrat  de  Strasbourg  répondait  par  un  mémoire 
pour  étabhr  son  droit  de  juridiction  sur  l'hôtel  de  la  Monnaie  et  pro- 
.  duisait  des  pièces  justificatives  à  l'appui  de  sa  requête^  Le  même 
dépôt  conserve  la  copie  d'une  lettre  adressée  par  les  officiers,  de  la 
Monnaie  à  Monseigneur  le  garde,  des  sceaux  pour  se  plaindre  des 
empiétements  du  magistrat  sur  leurs  droits  de  juridiction 2.  Et 
d'autres  documents  concernent  la  même  affaire,  ou  des  affaires  qui 
s'y  rattachent,  en  1784  et  1786=». 

Il  est  évident  qu'un  état  d'esprit,  aussi  nettement  caractérisé, 
devait  rendre  délicates  les  relations  entre  la  cité  de  Strasbourg''  et  le 
pouvoir  central.  On  ne  saurait  donc  s'étonner  que  les  fauteurs  des 
désordres  aient  su  mettre  à  profit  les  hésitations  suscitées  par  une 
défiance  réciproque. 

Lorsque  nous  remarquons  le  rôle  joué  d'abord  par  certains  élé- 
ments du  régiment  allemand,  puis  par  ce  corps  tout  entier,  nous 
pouvons  nous  demander  si  une  influence  étrangère^  n*a  pas  pesé 
sur  les  événements  regrettables  de  Strasbourg,  en  juillet  et  août 
1789. 

Je  sais  que  les  querelles  religieuses  ont  dû  avoir  une  certaine 
part  dans  ces  événements.  L'officier  Guiot  le  laisse  entendre  dans  sa 
lettre^,  qui  est  confirmée  par  d'autres  documents.  On  sait  que  des  ser- 
mons furent  même  prêches  par  des  ministres  luthériens  dans  le  dessein 
d'apaiser  les  ferments  susceptibleb  d'amener  de  nouveaux  troubles, 
et  le  convent  ecclésiastique^  de  Strasbourg  adressa,  dès  le  surlen- 

1.  Archives  communales  de  Strasbourg,  AA57b  {Inventaire  des  Archives 
communales  de  Strasbowg  antérieures  à  1790,  rédigé  par  J.-Ch.  Brucker, 
série  AA,  t.  I,  p.  27). 

2.  Ibid.,  A  A  57c. 

3.  Ibid.,  AA57d,  58,  59  et  60. 

4.  Ces  relations  devaient  être  d'autant  plus  difficiles  qu'il  y  avait  souvent  des 
dissentiments  intérieurs  entre  les  diflérents  rouages  de  la  constitution  de  la 
cité  (cf.  R.  Reuss,  dans  Rev.  d'Alsace,  nouvelle  .série,  t.  VI,  1877,  p.  46). 

5.  N'oublions  pas  qu'un  compagnon  charpentier,  pendu  le  23  juillet  pour 
vol  à  l'hôtel  de  ville,  était  originaire  de  Mayence. 

6.  Eiraer  a  considéré  le  mouvement  comme  étant  d'origine  confessionnelle 
pour  une  part.  M.  Reuss,  qui  n'a  pas  connu  la  lettre  de  Guiot,  repousse  l'hy- 
pothèse {Rev.  histor.,  loc.  cit.,  p.  314). 

7.  Au  jour  du  mal,  prends-y  garde  !  Sermon  prononcé  à  Strasbourg,  le 


LES   JOURNÉES   DE   JOILLET   ET   AODT    1789    A   STRASBODRG.  67 

demain  du  âac  de  l'hôtel  de  ville,  une  exhortation  pressante  aux 
communautés  luthériennes  des  campagnes  pour  les  engager  à  pré- 
venir tout  désordre  ^ 

Que  les  émeutes  de  Strasbourg  aient  été  amenées  par  les  nouvelles 
tendances  politiques,  qu'elles  aient  une  origine  religieuse^,  qu'elles 
résultent  d'une  superposition  probable  de  divers  éléments  de  dis- 
corde, on  peut  tenir  pour  vraisemblable  qu'elles  eussent  pu  être 
évitées,  ou,  du  moins,  très  atténuées,  si  une  entente  parfaite  eût 
existé  entre  les  pouvoirs  qui  administraient  et  surveillaient  la  grande 
cité  alsacienne. 

C'est  la  conclusion  que  nous  devons  tirer  des  événements  rappe- 
lés plus  haut;  comme  tout  fait  historique,  ils  apportent  un  ensei- 
gnement à  ceux  qui  s'efforcent  de  les  comprendre.  Certains  adages 
nous  sont  si  familiers  que  nous  n'y  attachons  plus  guère  d'importance  ; 
nous  en  avons  cependant  entrevu  la  force  vitale  au  moment  où  le 
danger  nous  a  contraints  de  nous  souvenir  que  la  force  et  la  gran- 
deur de  la  nation  reposent  sur  une  union  constante  et  fidèle  de  tous 
les  citoyens  qui  comprennent  leur  devoir^. 

Adrien  Blanchet. 


APPENDICE. 

Lettre  écrite  de  Strasbourg  par  l'officier  Guiot  et  relative 
aux  événements  de  juillet  et  août  1789. 

Mes  bons  et  chers  amis, 

Votre  inquiétude  sur  mon  existence  n'est  pas  fondée;   rappelés- 

vous  quo  je  vous  ai  promis  de  ne  pas  déguerpir  d'ici-bas  avant  d'avoir 

eu  le  plaisir  de  vous  revoir,  de  vous  embrasser  et  vous  témoigner 

combien  je  suis  pénétré  de  reconnaissance  des  sentimens  d'amitié 

2  août  1789,  à  V occasion  des  troubles  survenus  dans  cette  ville,  par  M.  Enget, 
pasteur  de  l'Église  française  (cité  par  Rodolphe  Reuss,  les  Églises  protes- 
tantes d'Alsace  pendant  la  Révolution,  1789-1802;  esquisse  historique,  1906, 
p.  19). 

1.  Rodolphe  Reuss,  les  Églises  protestantes,  p.  18. 

2.  Hostilité  apparente  du  clergé  catholi([ue  contre  les  églises  protestantes,  elc. 

3.  Voici  la  légende  que  le  graveur  Devere  avait  inscrite  sur  l'estampe  que 
j'ai  citée  plus  haut  :  «  Le  moyen  d'éviter  les  troubles",  c'est  de  retracer  ceux 
qui  ont  causé  bien  des  inquiétudes  e^  des  pertes  irréparables.  Le  pillage  de 
l'hôtel  de  ville  de  Strasbourg,  arrivé  le  21  juillet  1789,  dei>uis  4  hevres  de 
l'après-dînée  jus<juà  7  heures  du  soir,  est  une  époque  que  les  habitans  de 
cette  ville  pouront  représenter  à  tous  ceux  qui  n'en  auroient  pas  eu  connois- 
sance.  C'est  le  but  de  l'auteur  de  cet  ouvrage.  » 


k' 


68  MÉLANGES   ET  DOCUMENTS. 

dont  vous  ne  cessés  de  me  donner  des  marques;  je  vous  prie,  mes 
chers  et  bons  amis,  d'être  bien  persuadé  du  plus  parfait  retour  de  ma 
part;  je  me  flatte  que  vous  n'en  doutés  pas.  Sans  doute  j'ai  à  me 
reprocher  d'avoir  tardé  si  longtems  à  vous  écrire;  croies  que  je  ne 
désire  pas  moins  que  vous  d'apprendre  souvent  de  vos  nouvelles,  et  je 
ne  crois  pas  toutefois  être  criminel  de  lèze-amitié.  Vit-on  jamais  une 
année  aussi  orageuse  ;  voici  mes  raisons.  Je  ne  vous  rappellerés  {sic)  ~ 
pas  toutes  les  horreurs  qui  se  sont  passées  dans  presque  toutes  les  pro- 
vinces du  royaume,  dans  les  villes  particulières  et  ailleurs;  vous  savés 
cela  comme  moi.  Mais  ce  que  vous  ignorés  peut-être  est  que  les  lettres 
n'étaient  pas  sûres  à  la  poste,  et,  comme  je  ne  suis  nullement  aris- 
tocrate, j'aurais  craint  de  commettre  quelques  imprudences  en  m'in- 
gérant  de  parler  sur  les  affaires  du  tems  ;  la  crainte  de  vous  compro- 
mettre avec  moi  a  été  la  cause  de  mon  silence.  Je  ne  sçais  pas  trop  si 
l'on  est  encore  bien  rassuré  aujourd'huy;  on  ne  peut  que  gémir  sur  ce 
que  l'on  voit  et  entend  ;  les  nouvelles  du  jour  détruisent  celles  de  la 
veille,  de  sorte  que  l'on  ne  sçait  trop  sur  quoi  compter.  Enfin,  que 
fait  donc  cette  Assemblée  nationale,  de  quoi  s'occupe-t-elle?  En  vérité, 
l'on  serait  ,tenté  de  croire  qu'elle  ne  finira  jamais  rien;  quelle  (sic) 
sera  donc  le  résultat  de  ces  éternels  débats  :  Dieu  veuille  que  le  tout 
arrive  à  bien,  mais...;  on  parle  d'une  réforme  considérable  dans  l'ar- 
mée, il  faut  s'attendre  à  tout;  je  compte  que  trente-cinq  ans  de  ser- 
vices sous  les  mêmes  drapeaux  seront  pris  en  considération,  soit  par 
la  nation,  soit  par  le  Roy;  enfin,  plustot  je  serai  libre  et  plustot  j'au- 
rai la  satisfaction  de  vous  serrer  dans  mes  bras,  car  soies  bien  per- 
suadés, mes  chers  amis,  que  mon  premier  acte  de  liberté  se  dirigera 
vers  vous,  à  moins  q^ue  des  circonstances  majeures  n'en  empêchent 
l'exécution.  Réduit  aux  événemens  ordinaires,  je  crois  pom^oir  regar- 
der comme  certain  de  me  rapprocher  de  vous  l'année  prochaine  ;  il  y 
a  à  parier  dix  contre  un  que  le  régiment  ira  à  la  Fère  en  Picardie, 
alors  la  distance  qui  nous  séparera  ne  sera  plus  que  de  18  lieues,  dix- 
huit  lieues!  Ah!  que  n'y  suis-je  déjà;  mais  j'y  compte. 

Nous  sommes  assés  tranquilles  maintenant  dans  cette  garnison  ;  c'est 
encore  une  de  celles  de  tout  le  royaume  où  l'on  vit  à  meilleur 
compte;  nous  avons  eu  aussi  nos  tems  orageux;  la  populace,  souf- 
flée dit-on  par  la  bourgeoisie,  se  mutina  sur  la  fin  de  juillet,  sous 
prétexte  de  mécontentement  contre  le  Magistrat;  il  y  eut  à  ce  sujet 
une  bagarre  diabolique  à  l'hôtel  de  ville,  une  partie  de  la  toiture  fut 
démolie,  toutes  les  vitres  brisées,  une  quantité  énorme  de  papiers 
jettes  sur  la  place,  elle  en  était  jonchée.  J'y  passai  avec  un  de  nos 
chefs  de  brigade,  à  neuf  heures  du  soir,  le  jour  de  cette  expédition  ; 
cela  avait  Tair  d'une  nuit  d'hyver,  où  le  matin,  en  sortant  de  chez  soi, 
on  se  trouve  dans  la  neige  jusqu'au  genoul,  telle  fut  l'impression  que 
le  {sic)  Bacanale  présenta  à  mon  imagination;  les  misérables  s'étant 
introduit  dans  les  caves  de  cet  hôtel  de  ville,  après  s'être  ennivrés, 
défoncèrent  les  tonneaux,  et  il  y  eut  pour  plus  de  1,000  louis  de  vins 


LES   JOURNÉES  DE   JOILLET   ET   AODT    1789   A   STEASBOURG.  69 

perdus;  deux  en  furent  la  victime  en  se  noyant  dans  cette  liqueur. 
Voilà  l'histoire  qui  nous  a  amenés  (sic)  la  garde  bourgeoise,  qui  est 
de  2,000  hommes.  Comme  dans  cette  bagarre  la  garnison  avait  été 
simple  spectatrice ,  c'est-à-dire  tranquile  au  milieu  du  tumulte, 
empêchant  seulement  un  plus  grand  désordre,  la  ville  crut  devoir  lui 
accorder  une  gratification  de  20  sols  par  soldats.  Cela  eût  été  à  mer- 
veille si  on  eut  laissé  aux  soldats  la  liberté  d'en  faire  la  consomma- 
tion à  leur  grés;  mais  on  crut  (mal  adroitement)  qu'il  serait  plus  pru- 
dent de  les  obliger  de  les  dépenser  dans  les  chambrées,  et,  en  effet,  on  les 
consigna  chacun  dans  leurs  cazernes.  Cette  consigne  fut  le  signal  de  la 
Révolte  ;  les  soldats  dirent  qu'ils  préféraient  leurs  libertés  à  la  gratifica- 
tion et,  en  conséquence,  se  mutinèrent,  sortirent  de  leur  quartier,  se 
mêlèrent  ensemble,  cavalerie,  infanterie  française  et' allemande,  et 
quelques-uns  des  nôtres,  se  répandirent  dans  la  ville  et  complotèrent 
une  révolte  générale.  En  effet,  le  lendemain  tous  se  réunirent  sans 
exception;  les  prisons,  les  maisons  de  force  furent  enfoncées,  nulle 
authorité  ne  fut  respectées  pendant  deux  jours  et  deux  nuits;  on  pré- 
tend que  les  dégâts,  joints  à  la  boisson  et  mangeaille,  fait  un  objet  de 
plus  de  80,000  livres  qui  seront  payées  par  je  ne  sçais  qui,  etc. 
Voilà,  mon  cher  compère,  en  abrégé,  à  peu  près  ce  qui  s'est  passé 
dans  notre  Strasbourg.  On  prétend  qu'il  y  a  encore  quelques  étincelles 
sous  la  cendre;  les  Bourgeois  ne  sont  pas,  à  beaucoup  près,  d'accord 
ensemble  ;  la  difîérence  de  Religion  ne  contribuent  (sic)  pas  peu  à 
leurs  mésintelligences,  le  nombre  des  Luthériens  excédant  presque 
du  double  celui  des  catholiques.  Mais  c'est  leur  affaire. 

(Suivent  dix-huit  lignes  de  compliments  pour  la  femme  et  la 
fille  de  son  correspondant,  pour  des  amis  communs.  Il  trans- 
met aussi  des  compliments  d'un  Monsieur  Amspach  et  ter- 
mine par  de  nouvelles  protestations  d'amitié). 

Signé  .  Guiot. 
Strasbourg,  le  25  septembre  1789. 

{Au  dos,  la  suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Guilmat,  secré- 
taire, de  Monsieur  le  premier  Président  au  Parlement  de  Flandres,  rue 
des  Malvaux,  à  Douay^.) 

1.  Papier,  4  pages;  ma  collection. 


BULLETIN   HISTORIQUE 


HISTOIRE  DE  FRANCE 

FIN     DU     MOYEN     AGE     (1328-1498). 

Publications  de  textes.  Chroniques  et  documents  poli- 
tiques. —  La  Société  de  l'histoire  de  France  a  pu,  pendant  et 
après  la  guerre,  poursuivre  son  œuvre  et  publier  des  volumes  irré- 
prochables dans  la  forme  comme  pour  le  fond.  M.  Delachenal  a 
achevé  pour  elle  la  publication  de  la  Chronique  des  règnes  de 
Jean  II  et  de  Charles  V,  qui  est  la  partie  la  plus  précieuse  des 
Grandes  Chroniques  de  France.  Le  tome  III  renferme  la  Conti- 
nuation, âq  1381  à  1384^,  écrite  peut-être  par  l'auteur  même  de  la 
Chronique,  et  qui  a,  en  tout  cas,  les  mêmes  qualités  d'exactitude 
et  de  précision.  L'annotation  de  M.  Delachenal,  qui  lui  a  été  facili- 
tée par  les  travaux  de  M.  L.  Mirot,  ne  laisse  rien  à  désirer.  Il  a  placé 
à  la  suite,  comme  appendice  à  la  Chronique,  une  collection  d'im- 
portantes pièces  justificatives,  presque  toutes  complètement  iné- 
dites, empruntées  aux  archives  du  Vatican  et  de  la  couronne  d'Ara- 
gon et  à  diverses  archives  françaises  :  testament  de  Charles  V  et 
codicille,  instructions  données  à  ses  ambassadeurs,  pièces  diverses 
relatives  à  sa  lieutenance  et  à  son  règne,  et  surtout  à  sa  politique 
extérieure  (1354-1380).  La  table  alphabétique  qui  clôt  le  volume  est 
un  index  des  institutions  (voir  notamment  au  mot  :  Paris]  en  même 
temps  qu'un  index  des  personnes.  —  Le  tome  IV,  qui  ne  sera  pas 
le  moins  bien  accueilh  par  les  curieux,  est  un  album  de  photogra- 
vures :  cinquante  miniatures  se  rapportant  à  la  période  1350-1379 
ont  été  reproduites  et  accompagnées  d'une  étude  et  d'un  commen- 
taire de  l'éditeur.  Il  s'agit  des  miniatures  célèbres  qui  illustrent  le 
manuscrit  français  2813  de  la  Bibliothèque  nationale.  Contempo- 
raines du  manuscrit  lui-même,  qui  a  été  probablement  composé 
sous  le  contrôle  de  Charles  V,  elles  ont,  sinon  une  valeur  documen- 
taire, du  moins  un  intérêt  historique. 

Quel  est  l'auteur  de  la  Chronique  des  règnes  de  Jean  II  et  de 

1.  Tomes  III  et  IV,  1920. 

1.  Le  baron  Pichon  l'avait  déjà  soigneusement  publiée. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  71 

Charles  V?  M.  Delachenal  a  traité  la  question  avec  toute  l'am- 
pleur désirable  dans  son  introduction.  Le  monde  savant  a  accepté  la 
thèse  de  Lacabane,  qui  a  attribué  la  chronique  au  chancelier  Pierre 
d'Orgemont.  M.  Delachenal  estime  que  le  texte  du  mandement 
découvert  par  Lacabane  (...  des  croniques  de  France  et  de  celles 
que  a  faittes  nostre  amé  et  féal  chancellier...)  n'est  pas  pleine- 
ment convaincant.  En  tout  cas,  il  est  vraisemblable  que  Pierre  d'Or- 
gemont  a  été  chargé  de  su  rveiller  la  rédaction ,  et  il  est  certain  que  nous 
avons  affaire  à  une  chronique  officielle,  à  une  version  royaliste  des 
événements,  qu'il  faut  contrôler  et  critiquer,  mais  dont  l'infor- 
mation est  extrêmement  riche  et  précise,  grâce  aux  archives  dont 
disposait  l'auteur. 

Les  Dépêches  des  ambassadeurs  rtiilanais  en  France  sous 
Louis  XI  et  François  Sforza\  à  la  publication  desquelles  le 
regretté  Bernard  de  Mandbot  a  consacré  les  dernières  années  de  sa 
vie,  forment  un  recueil  d'un  intérêt  et  d'une  saveur  incomparables. 
Après  les  Mémoires  de  Commynes  et  les  Lettres  de  Louis  XI,  je 
ne  connais  pas,  pour  cette  époque,  de  plus  beau  document,  permet- 
tant de  pénétrer  plus  à  fond  dans  la  réalité  vivante. 

Bernard  de  Mandrot,  dans  une  fort  intéressante  Lecture  faite  à 
l'Assemblée  générale  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  le 
3  mai  1910,  avait  montré  l'importance  historique  de  ces  dépèches. 
C'est  à  cette  Lecture,  publiée  dans  V Annuaire-Bulletin  de  1910, 
qu'il  faudra  se  reporter  pour  avoir  des  vues  d'ensemble,  car,  dans 
l'introduction  de  l'édition,  on  trouvera  seulement  un  exposé  des  évé- 
nements historiques  antérieurs  à  l'avènement  de  Louis  XI,  dont  la 
connaissance  est  nécessaire  à  l'intelligence  des  dépêches.  Mais  le 
mieux  est  de  lire  les  dépêches  elles-mêmes  elles  pièces  justificatives 
qui  terminent  chaque  volume,  en  s'aidant  des  copieuses  analyses  et 
des  précieuses  notes  ajoutéej^  par  l'éditeur.  Une  fois  la  lecture  com- 
mencée, on  ira  jusqu'au  bout. 

Les  dépêches  se  trouvent  dans  le  fonds  Custodi-Costa,  dit  «  Archi- 
vio  Sforzesco  »,  à  la  Bibliothèque  nationale,  et  aux  archives  d'Etat 
de  Milan.  Un  bon  nombre  sont  chiffrées,  et  nous  n'en  possédons  pas 
toujours  le  déchiffrement  contemporain*^.  Elles  proviennent,  jusqu'au 

1.  Société  de  l'Histoire  de  France.  Tome  I  :  U6Î-U63,  1916;  tome  II  :  li6^i 
(ce  volume  contient  la  préface  et  rintrodnction  historique),  1019;  tome  III  : 
li65,  19'20.  On  attend  un  quatrième  volume,  contenant  les  dernières  dépêches 
adressées  à  François  Sl'orza  et  les  tables.  11  y  aura  lieu  à  un  ei-ralum.  Les 
fautes  d'impression,  dans  les  dates  notamment,  sont  assez  nombreuses. 

1.  En  ce  cas,  l'éditeur  a  eu  soin  de  les  faire  mettre  en  clair  par  un  cryplo- 
Rraphe.  Il  est  déplorable  qu'on  n'en  ait  pas  fait  autant  pour  l'édition  des 
Lettres  de  Louis  XI. 


72  BULLETIN   HISTORIQUE . 

mois  de  septembre  1463,  d'un  assez  grand  nombre  de  correspondants. 
Pendant  quelques  mois,  le  duc  de  Milan  entretint  même  auprès  de 
Louis  XI  trois  ambassadeurs  à  la  fois,  qui,  naturellement,  se  jalou- 
saient. Il  avait  aussi  des  informateurs  occasionnels.  En  1463,  il  se 
décida  à  envoyer  en  France  un  diplomate  éprouvé,  Alberic  Malleta, 
qui  lui  rendit  les  plus  grands  services  et  conclut  Talliance  entre  le 
roi  et  le  duc.  Les  dépêches  de  Malleta  commencent  le  1 7  septembre 
1463,  et  se  continuent  jusqu'au  mois  de  mai  1465,  date  à  laquelle  il 
quitte  Louis  XI  :  le  roi  l'appréciait  grandement,  mais,  avec  son 
système  de  voyages  perpétuels,  il  lui  imposait  une  vie  éreintante. 
Malleta  laisse  auprès  du  roi  un  homme  qu'il  qualifie  jeune,  intelli- 
gent et  dur  à  la  fatigue,  Jean-Pierre  Panigarola.  Ce  dernier  restera 
auprès  de  Louis  XI  jusqu'en  1468  et  deviendra  dans  la  suite  ambas- 
sadeur du  duc  de  Milan  auprès  de  Charles  le  Téméraire^  —  Due- 
raent  stylés  par  François  Sforza,  qui  leur  recommandait  de  tout 
épier  et  de  lui  donner  des  renseignements  complets  concernant  les 
événements,  le  caractère  des  hommes  importants  et  leurs  relations 
mutuelles,  tous  ces  envoyés  nous  fournissent  des  informations  abon- 
dantes, non  seulement  sur  la  politique  franco-italienne,  qui  a  eu  des 
conséquences  générales  fort  importantes,  mais  sur  les  rapports  de 
Louis  XI  avec  l'Espagne  et  l'Angleterre,  sur  ses  visées  du  côté  de 
lAliemagne,  sur  son  gouvernement  et  ses  favoris,  sur  les  crises 
intérieures,  et  enfin  sur  le  roi  lui-même,  qui  est  à  chaque  instant 
mis  en  scène. 

La  première  série  des  dépêches  nous  fait  assister  à  la  double 
volte-face  que  Louis  XI  exécute  avant  de  fixer  les  principes  de  sa 
poU tique  en  Itahe.  Dauphin,  il  avait  constamment  contrecarré,  sur 
tous  les  points,  les  plans  des  conseillers  de  Charles  VII  et,  comme 
ceux-ci  avaient  mis  la  main  sur  Gènes  et  soutenu  à  Naples  et  en 
Lombardie  les  maisons  d'Anjou  et  d'Orléans  contre  les  princes 
d'Aragon  et  les  ducs  de  Milan,  il  avait,  le  6  octobre  1460,  conclu 
alliance  avec  François  Sforza.  A  son  avènement,  il  tourna  casaque 
brusquement.  Alors  même  qu'il  destituait  ou  emprisonnait  les  con- 
seillers de  son  père,  il  s'appropriait,  sur  certains  point,  leurs  vues 
et  leurs  méthodes,  et  les  affaires  d'Italie  montrent  bien  comme  il  est 
difficile,  pour  être  exact,  de  résumer  en  quelques  formules  l'his- 
toire extraordinairement  compliquée  de  son  règne.  Il  déclarait  à  un 
ambassadeur  milanais,  quelques  semaines  après  son  avènement, 
que,  quelle  qu'ait  pu  être  sa  politique  dans  le  passé,  maintenant 

1.  On  sait  que  ses  dépêches  de  1475-1476  ont  été  publiées  par  Gingins  de 
la  Sarra. 


HISTOIEE   DE   FRANCE.  73 

qu'il  avait  la  lourde  charge  de  gouverner  la  France,  il  devait  faire 
besogne  française  (dapoy  che  la  Galia  gli   fa  lanto  a  manegiare, 
bisogna  sia  galico)  ^  Ce  fut  peut-être  ce  sentiment  très  vif  qu'il  avait 
de  ses  devoirs  envers  la  couronne  et  l'héritage  royal,  qui  le  portait 
à  reprendre  les  vues  de  Charles  VII  sur  Gênes.  Mais  des  mobiles 
plus  précis  le  poussaient  à  soutenir,  comme  l'avait  fait  son  père, 
les  prétentions  de  la  maison  d'Anjou  sur  Naples.  Nous  croyoïis 
qu'un  des  plus  puissants  était  son  désir  de  se  procurer  dans  la 
noblesse  des  appuis  contre  le  duc  de  Bourgogne,  dont  la  tutelle  lui 
pesait  depuis  longtemps;  or,  Philippe  le  Bon  était  brouillé  avec  les 
Angevins 2.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  prétendit  obliger  François  Sforza 
à  seconder  sa  politique,  et  les  ambassadeurs  milanais  vécurent  pen- 
dant plusieurs  mois  dans  de  grandes  inquiétudes.  La  tenace  volonté 
et  la  grande  intelligence  du  nouveau  roi,  sa  connaissance  prodi- 
gieusement précise  des  affaires  italiennes,  l'obéissance  à  laquelle 
il  réduit  tous  ses  sujets,  sa  puissante  armée,  les  trésors  qu'il  accu- 
mule on  ne  sait  pour  quel  but,   tout  leur   inspire  une  crainte 
qu'ils  ne  dissimulent  pas  dans  leurs  dépêches.  Sforza,  pourtant, 
tient  bon,  refuse  poliment  d'abandonner  son  allié  Ferrand  d'Aragon, 
et  par  ses  atermoiements,  qui  empêchent  Louis  XI  d'agir  sérieu- 
sement en  Italie,  il  gagne  la  manche.   Au  printemps  de   1462, 
ses  ambassadeurs  lui  écrivent  que  le  roi  n'enverrra  pas  d'armée 
au  delà  des  Alpes.  Une  lacune  dans  la  série  des  dépêches  interrompt 
ici  nos  informations  milanaises  pendant  une  année.  Lorsqu'elles 
recommencent,  nous  voyons  que  Louis  XI  a  décidément  renoncé  à 
toute  entreprise  en  Italie.  C'est  que,  dans  l'intervalle,  Jean  d'An- 
jou a  été  complètement  battu  à  Troja  et  ses  partisans  napolitains 
ont  passé  dans  le  camp  de  Ferrand;  d'autre  part,  Louis  XI  est 
accaparé  par  le  souci  des  affaires  espagnoles  et  anglaises.  Désor- 
mais, il  ne  jouera  plus  en  Italie  qu'un  rôle  d'arbitre  et  de  protecteur; 
seule,  la  Savoie  tentera  son  ambition.  Dès  le  mois  de  décembre 
1463,  Alberic  Malleta  obtient  une  victoire  diplomatique  presque 
complète.  Louis  XI,  résistant  aux  assauts  de  son  entourage,  inféode 
Gênes  au  duc  de  Milan  et  renouvelle  son  alliance  avec  lui  ;  il  len- 
courage  à  racheter  Asti  au  duc  d'Orléans.  Malleta  jure  de  ne  pas 
quitter  la  France  avant  que  l'Italie  soit  complètement  débarrassée 
des  Français. 

1.  Dépêche  du  11  août  1461. 

2.  Voir  la  déi.i^clie  du  28  juillet  1461.  —  M.  de  Mandrot  (t.  II,  introduction 
historique,  p.  xxix)  estime  que  Louis  XI  subissait  l'inlluencede  sa  inérc  Marie 
d'Anjou  et  «  de  conseillers  notoirement  hostiles  au  dur  de  Milan,  aux  Aragon- 
nais  de  iNaples  et  à  tous  les  Italiens  en  général  ». 


74  BOLLETIN   HISTORIQUE. 

Asti,  cependant,  resta  français,  et  Louis  XI  sut  tirer  bon  parti 
de  l'alliance  milanaise  pendant  la  guerre  du  Bien-Public.  Les 
préludes  et  les  péripéties  de  cette  terrible  crise  sont  vivement  éclai- 
rés par  les  dépêches  de  MaUeta  et  de  Panigarola.  Pendant  les  der- 
niers mois  de  1464,  Malleta  note  l'aggravation  continuelle  de  la 
situation,  causée  par  l'impopularité  de  Louis  XI,  la  crainte  et  la 
haine  que  sa  dureté  inspire,  et  les  griefs  de  la  noblesse.  Cependant, 
il  a  peine  à  croire  que  la  guerre  éclate  et,  quand  les  rebelles 
prennent  les  armes,  il  reste  d'abord  très  confiant,  ainsi  que  son  suc- 
cesseur Panigarola  :  le  roi  est  puissant,  a  beaucoup  d'argent,  et 
les  ligueurs  devront  bientôt  faire  la  paix.  Au  mois  de  juillet  1465, 
tout  change,  et  cet  optimisme,  qui  ne  faisait  que  refléter  celui  de 
Louis  XI  et  de  son  entourage,  fait  place  à  l'affolement.  A  la  nou- 
velle que  le  comte  de  Charolais  approche  de  Paris,  le  roi  perd  un 
instant  la  tête  et  a  une  crise  de  larmes  ^  Il  a  été  surpris  et  n'a  su  où 
se  trouvaient  ses  adversaires  que  lorsqu'ils  ont  été  près  de  lui.  Sur 
la  bataille  de  Montlhéry,  la  conclusion  de  la  paix,  les  sentiments  de 
rage  et  de  rancune  que.  sa  défaite  inspire  au  roi,  les  dépèches  de 
Panigarola  et  diverses  autres  lettres  découvertes  par  M.  de  Mandrot 
apportent  également  les  informations  les  plus  précieuses.  On  y  voit 
Louis  XI  tout  décidé,  avant  même  de  signer  le  traité,  à  n'en  pas 
tenir  compte  :  après  tout,  dit-il,  il  ne  sera  lié  que  par  du  papier  et 
de  l'encre^. 

Sans  modifier  l'idée  que  les  autres  documents  nous  permettaient 
de  nous  former  des  principaux  personnages  de  ce  temps  et  du  roi 
lui-même,  les  dépêches  milanaises  dressent  devant  nous  des  portraits 
d'un  coloris  et  d'une  saveur  que  rien  n'égale.  Voici  le  vieux  Charles 
d'Orléans,  devenu  gâteux  et  dont  Louis  XI  se  moque  ouvertement, 
avec  d'intarissables  plaisanteries  sur  les  grossesses  de  la  duchesse 
d'Orléans^;  Philippe  le  Bon,  follement  prodigue,  abruti  par  de 
longues  années  de  débauche,  et  incapable,  à  soixante-huit  ans,  de 
renoncer  aux  femmes,  qui  vont  le  mener  au  tombeau  ""i  son  fils 
Charles,  que  Louis  XI  qualifie  de  brute  orgueilleuse,  colérique  et 
dénuée  de  sens,  et  dont  il  s'amuse  à  contrefaire  les  emportements^; 
la  reine  Charlotte  de  Savoie,  réfugiée  dans  une  vie  étroite  et  soli- 
taire", presque  délaissée  de  son  dur  mari  :  Louis  XI  se  plaint  de 

1.  Dépêche  du  14  juillet  1465. 

2.  Dépèche  du  4  septembre  1465. 

3.  Dépêches  des  7  et  18  avril,  26  mai  1464. 

4.  Dépêche  du  29  avril  1464. 

5.  Seconde  dépêche  du  25  décembre  1463. 

6.  11  juillet  1464. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  75 

l'entendre  crier  pendant  qu'elle  accouche^  parle  du  mariage  qu'il 
ferait  si  elle  mourait^,  et,  au  surplus,  il  a  des  «  amoureuses  »*. 
Nous  connaissions  bien  Lo.uis  XI,  grâce  à  Commynes  et  aux 
Lettres;  mais  les  dépèclies  milanaises  sculptent  sa  figure  avec  un 
relief  plus  saisissant  encore,  parce  qu'elles  nous  racontent  sa  vie  au 
jour  le  jour,  nous  décrivent  ses  joies,  ses  angoisses,  ses  colères, 
nous  rapportent  ses  propos,  ses  bons  mots,  ses  moqueries,  ses  dis- 
cours de  Grippeminaud  et  aussi  ses  explosions  de  cynisme^  nous 
le  représentent  organisant  de  véritables  scènes  de  comédie  où  il  joue 
son  rôle  en  acteur  consommé^  ;  on  voit  que  la  politique  le  passionne 
et  le  prend  tout  entier,  qu'il  ne  vit  que  pour  régner,  et  qu'à  sa 
besogne  de  roi  il  dépense  toutes  les  ressources  d'une  énergie  redou- 
table et  d'une  intelligence  de  premier  ordre  *^.  Figure  grande  et  étrange, 
au  milieu  de  la  pâle  série  de  nos  rois  du  xv^  siècle,  et  qui  rappelle 
plutôt  les  princes  italiens  de  la  Renaissance  que  ses  ancêtres  capé- 
tiens. C'est  bien  pourquoi  les  orateurs  milanais  l'ont  observée  et 
décrite  avec  une  curiosité  si  ardente,  dont  les  historiens  sont  main- 
tenant bénéficiaires. 

Documents  sur  le  droit,  les  croyances  et  les  moeurs.  —  Un 
des  plus  illustres  documents  de  cette  nature  au  moyen  âge  est  assuré 
ment  le  Procès  de  condamnation  de  Jeanne  d'Arc,  que  M.  Pierre 
Champion  vient  de  rééditer  et  de  traduire.  Mais,  au  moins  pour  qui 
possède  la  publication  de  Quicherat,  les  commentaires  de  M.  Cham- 
pion donnent  à  ces  deux  volumes  leur  valeur  principale,  et  nous  en 
parlerons  donc  dans  la  seconde  partie  de  ce  Bulletin. 

Le  procès  de  Jeanne  d'Arc,  dirigé  par  Cauchon,  fut  un  procès  de 
cour  épiscopale,   et  l'Inquisition,   alors  en  pleine   décadence  en 

1.  27  avril  1464.  Celte  dépêche  fixe  au  dimanche  matin  22  avril  la  date  de 
naissance  de  l'infortunée  Jeanne  de  France,  dont  M.  de  Maulde  à  écrit  l'histoire. 

2.  18  avril  1464. 

3.  26  mai  1464. 

4.  Dépêche  du  5  septembre  1464  :  les  Angevins  auront  beau  faire,  sa  fille  ne 
sera  pas  réduite  à  aller  «  a  la  stufa,  hoc  est  al  bordello  ». 

5.  Voir  notamment  la  seconde  dépêche  du  25  décembre  1463. 

6.  Les  ambassadeurs  milanais  ne  tarissent  pasd'éloj;es  sur  la  vivacilr  do  son 
intelligence,  la  itrécision  de  ses  connaissances  politiques  et  insistent  sur  la 
crainte  qu'il  inspire  à  tous.  Ils  ne  considèrent  pas  comme  négligeable  l'influence 
de  certains  conseillers  et  ils  nous  donnent  des  renseignements  importants  et 
nouveaux  sur  le  rôle  joué  par  eux.  Panigarola  nous  apprend  par  exemple  qu'à 
réjHxpie  de  la  guerre  du  Bien-Public  le  conseiller  le  plus  écouté  était  Guil- 
laume Cousinot,  qui  avait  la  charge  de  toutes  les  dépêches  royales  (dépèche  du 
12  juin  1465).  Mais  Louis  XI,  le  plus  souvent,  n'en  fait  qu'à  sa  tête.  Sur  le 
rôle  du  Conseil  du  roi,  voir  une  intéressante  dépêche  du  27  avril  1464. 


76  BULLETIN   HISTORIQUE. 

France,  n'y  joua  qu'un  rôle  d'auxiliaire.  Les  procès  courants  por- 
tés devant  les  justices  d'évêques  sont  bien  pâles  à  côté  de  celui-là  ; 
si  nous  en  possédions  un  grand  nombre  cependant,  que  d'informa- 
tions précieuses  ils  nous  apporteraient!  La  publication  du  Registre 
de  l'officialité  de  Cerizy  dans  les  Mémoires  de  la.  Société  des 
Antiquaires  de  Normandie,  celle  des  Testaments  de  l'officia.- 
lité  de  Besançon  par  Ulysse  Robert,  et  les  Inventaires  sommaires 
des  Archives  départementales  (surtout  celui  de  l'Aube,  pour  le  fonds 
d'officialité  de  Troyes),  nous  ont  depuis  longtemps  révélé  l'intérêt 
des  archives  d'officiahtés,  non  seulement  pour  l'histoire  du  droit 
canonique,  mais  pour  l'histoire  de  la  famille  et  des  mœurs  en  France. 
Malheureusement  ces  archives  ont,  pour  la  plus  grande  partie,  dis- 
paru. A  la  différence  de  celles  qui  prouvaient  les  droits  de  pro- 
priété, celles-ci  n'avaient  guère,  pour  les  particuliers,  qu'un  inté- 
rêt transitoire,  et  l'on  s'apphquait  peu  à  les  conserver.  C'est  une 
raison  de  plus  pour  pubher  ce  qui  nous  reste.  A  Paris,  il  n'existe 
qu'un  seul  registre  antérieur  au  xv'^  siècle.  Joseph  Petit,  mort  en 
1908,  en  avait  préparé  l'édition  et  l'impression,  et  avait  même  écrit 
l'introduction.  Le  soin  de  réviser  les  épreuves  et  la  charge  très 
lourde  de  rédiger  une  table  alphabétique  qui  contient  10  ou 
12,000  noms  ont  incombé  à  M.  Marichal,  puis,  par  suite  de  la 
guerre,  au  commissaire  responsable,  M.  Lelong.  Le  Registre  des 
causes  civiles  de  l'officialité  épiscopale  de  Pans  (1384-1387)  a 
pu  enfm  paraître^  Ce  journal,  où  les  scribes  inscrivaient  cursive- 
ment  les  causes  portées  devant  le  tribunal,  les  incidents,  les  sen- 
tences, est  d'une  brièveté  sèche  et  monotone.  On  ne  doit  pas  y  cher- 
cher de  détails  pittoresques,  mais  seulement  des  notes  précises  qui 
permettent  de  se  faire  une  idée  exacte  de  la  procédure  du  tribunal  et 
de  sa  compétence  au  xiv*  siècle  en  matière  de  causes  civiles.  Bien 
que  la  juridiction  laïque  ait  progressé  aux  dépens  de  la  juridiction 
ecclésiastique  (1  éditeur  remarque  notamment  que  les  causes  pécu- 
niaires provenant  du  mariage  échappent  à  peu  près  à  l'officiaHté  de 
Paris  au  xiv*  siècle) ,  cette  compétence  est  encore  très  variée.  Il  est 
question  dans  notre  registre,  ratione  personae,  de  causes  intéres- 
sant les  clercs,  de  tutelle  des  paroisses,  d'  «  asseurements  »  prêtés  par 
les  clercs  (on  compte  dans  ce  recueil  plusieurs  centaines  d'  «  asseure- 
ments »),  et,  ratione  materiae,  de  certaines  affaires  de  testament, 
de  tutelle,  de  contrat,  mais  surtout  d'affaires  matrimoniales  ou  con- 
nexes :  rupture  de  fiançailles,  bigamie,  annulation  du  mariage,  sépa- 

t.  PariSj  Imprimerie  nationale,  1919,  619  p.  in-i"  {Collection  des  documents 
inédits). 


HISTOIRE  DE   FRANCE.  77 

ration  de  corps,  séparation  de  biens,  etc..  L'Eglise  exerçait  en 
matière  familiale  et  sociale  une  tutelle  au  moins  aussi  étendue  que 
celle  qui  est  dévolue  à  l'État  aujourd'hui.  «  Le  séducteur  »,  dit 
M.  Joseph  Petit  dans  son  introduction,  «  était  généralement  condamné 
à  participer  aux  frais  d'éducation  de  l'enfant  né  de  ses  œuvres,  ou 
bien  il  devait  doter  la  femme  séduite,  en  proportion  de  ses  res- 
sources. »  L'official  surveillait  les  sages-femmes  et  protégeait  la 
société  contre  l'infanticide.  Il  intervenait  en  faveur  des  orphelins,^ 
des  veuves,  des  mineurs,  des  écoliers,  des 'apprentis,  contre  ceux 
qui  voulaient  les  exploiter.  Il  disposait  de  moyens  puissants  et  usait 
de  son  ascendant  pour  amener  au  mariage  lès  couples  vivant  en 
union  libre  et  pour  prévenir  la  rupture  des  promesses  matrimo- 
niales. Sur  toutes  ces  questions,  le  Registre  apportera  d'instructifs 
exemples,  que  le  précieux  index  rerum  contenu  dans  la  table 
alphabétique  permettra  de  coUiger  commodément. 

hes  Statuts  synodccux  d'Alain  de  la  Rue,  évêque  de  Saint- 
Brieuc  (1421),  édités  par  M.  Pocquet  du  Haut-Jussé  d'après  un 
recueil  du  fonds  de  la  reine  Christine  au  Vatican*,  portent  témoi- 
gnage du  labeur  de  certains  évêques  au  xv''  siècle.  Alain  de  la  Rue 
était  un  homme  actif  et  laissa  la  réputation  d'un  réformateur  ecclé- 
siastique comme  d'un  conseiller  et  d'un  diplomate  avisé.  Ses  statuts 
forment  une  sorte  de  catéchisme  à  l'usage  des  prêtres  et  des  fidèles. 
Ils  ne  manquent  certes  pas  d'intérêt,  même  (et  peut-être  surtout) 
pour  un  profane,  mais  l'historien  du  xv*  siècle  n'aura  pas  beaucoup 
à  y  glaner.  Il  est  rare  que  l'auteur  mentionne  des  faits  particuliers 
à  son  époque  et  qu'on  puisse  considérer  comme  vraiment  spécifiques 
de  la  fin  du  moyen  âge. 

La  même  observation  s'applique  aux  Opuscules  provençaux  du 
XV^  siècle  sur  la  confession-  tirés  par  M.  Brunel  du  ms.  fran- 
çais 1852  de  la  Bibliothèque  nationale,  que  Paul  Meyer  a  signalé  et 
analysé.  Ces  opuscules  consistent  en  un  traité  des  sept  péchés  capi- 
taux et  un  traité  des  dix  commandements  de  Dieu,  œuvre  sans 
doute  d'un  moine  de  Moissac.  Il  est  difficile  d'en  tirer  des  conclu- 
sions certaines  sur  l'état  des  mœurs  à  cette  époque  et  de  mesurer  ce  qui 
peut  être  dû  à  Timagination  échauffée  de  l'auteur,  qui  ne  craint  pas 

1.  Rennes,  Vatar,  1920  (extrait  du  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de 
Rennes).  M.  Pocquet  du  Haut-Jussé  nous  dit  qu'il  a  eu  à  rectifier  les  fautes 
nombreuses  du  coi>iste.  Que  serait-ce  s'il  ne  les  avait  pas  rectifiées!  Il  a  laissé 
subsister  bien  des  incorrections,  et  certaines  phrases  sont  à  peu  près  inintelli- 
gibles. 

2.  Extrait  des  Annales  du  Midi,  t.  XXIX,  année  1917.  Toulouse,  Privât, 
1917,  106  p. 


78  BULLETIN   HISTORIQUE. 

les  détails  scabreux.  Il  faudrait  une  instruction  théologique  que 
nous  ne  possédons  point  pour  discerner  ce  qui,  dans  ces  traités, 
n'est  point  la  pure  répétition  des  indications  en  usage  dans  les 
manuels  de  ce  genre  à  travers  les  siècles.  Nous  hésitons  un  peu  à 
dii-e  avec  M.  Brunel  que  ce  sont  des  «  documents  curieux  pour 
l'histoire  des  mœurs  et  des  idées  morales  dans  le  midi  de  la  France 
au  XV*  siècle  ».  Il  y  a  cependant  une  dizaine  de  pages  de  commen- 
taires sur  le  premier  commandement  de  Dieu,  concernant  les  supers- 
titions, où  l'historien  nous  paraît  pouvoir  puiser  d'une  main  assu- 
rée. Paul  Meyer  les  avait  déjà  publiées.  Il  est  mtéressant  de  noter 
et  ces  superstitions,  qui  subsistent  encore  en  partie,  et  les  efforts  de 
l'Eglise  pour  les  déraciner.  En  quelques  cas,  l'auteur  adopte  non 
seulement  les  affirmations  des  médecins  et  des  astrologues,  mais 
les  croyances  populaires,  et  il  recommande  d'agir  tout  au  moins 
comme  si  elles  étaient  l'expression  de  la  vérité  :  ainsi,  dit-il,  il  y  a 
eu  bien  souvent  des  signes  quand  une  personne  allait  mourir,  et,  en 
beaucoup  d'abbayes,  on  a  entendu  alors  des  coups  ;  il  faut  donc,  en 
pareille  occurrence,  avertir  le  rnalade  de  se  mettre  en  bon  état.  En 
général,  notre  moine  —  auquel  on  ne  peut  faire  grief  de  se  montrer 
parfois  aussi  crédule  que  les  occultistes  de  notre  époque  —  se 
montre  judicieux  et  d'esprit  ferme.  M.  Brunel  a  édité  selon  les  exi- 
gences de  la  critique  ces  textes  amusants. 

Elles  ne  sont  point  toujours  amusantes,  les  «  Nativités  »  et  les 
«  Moralités  »  liégeoises  du  xiv^  et  du  xv*  siècle,  que  M.  Gustave 
Cohen  a  trouvées  dans  un  manuscrit  de  Chantilly  \  et  l'éditeur 
n'essaie  pas  de  nous  faire  illusion  sur  «  la  quantité  d'ennui  »  qui  se 
dégage,  sinon  des  deux  Nativités,  assez  naïves  et  savoureuses,  du 
moins  des  trois  Moralités,  qu'il  publie  avec  tout  le  soin  et  tous  les 
éclaircissements  désirables.  L'étude  de  M.  Cohen  est  à  lire  au  moins 
autant  que  le  texte.  L'historien  y  trouvera  quelques  détails  instruc- 
tifs sur  la  vie  sociale,  les  idées  religieuses  et  morales  et  l'évolution 
du  théâtre  à  la  fin  du  moyen  âge,  mais  surtout  il  y  puisera  une 
excellente  leçon  de  méthode  sur  la  façon  de  dater  et  de  situer  des 
textes  en  langue  vulgaire. 

Ouvrages  relatifs  a  Avignon,  aux  papes  et  aux  légats 
d'Avignon.  —  L'histoire  d'Avignon  et  des  papes  du  xiv^  siècle 
attire  de  plus  en  plus  l'attention  des  érudits.  L'indifférence  que, 
pendant  un  siècle,  une  administration  inepte  et  une  population  igno- 

1.  Mystères  et  morûlités  du  manuscrit  617  de  Chantilly,  publiés  pour  la 
previière  fois  et  précédés  d'une  étude  linguistique  et  littéraire.  Paris,  Cham- 
pion, 1920  (Bibliothèque  du  xv"  siècle),  cxlix  el  138  p.  in-4°.  Cf.  Rev.  histor., 
t.  CXXXVII,  p.  247. 


HISTOmE  DE  FRANCE.  79 

ranle  ont  témoignée  au  Palais  des  papes  a  causé  des  malheurs  irré- 
parables. Mais  Avignon  a  encore  de  belles  archives,  au  moins  pour 
la  fin  du  moyen  âge,  et  les  registres  du  Vatican  otTrent  des  sources 
d'informations  difficiles  à  épuiser. 

Une  phalange  de  savants  travaille  actuellement  à  l'exploitation  de 
toutes  ces  richesses.  L'abbé  Mollat,  auquel  on  doit  un  ouvrage 
d'ensemble,  sommaire,  mais  utile,  sur  les  Papes  d'Avignon,  s'est 
chargé  d'analyser  les  Lettres  communes  de  Jean  XXIT  ;  le  dix- 
huitième  fascicule  (5  septembre  1328-25  février  1329)  a  paru  récem- 
ment'. Une  introduction  et  un  index  viennent  de  terminer  la  publi- 
cation que  le  regretté  Georges  Daumet  a  consacrée  aux  registres  de 
Benoît  XIF.  Ce  pape,  d'une  austérité  assez  rude,  a  été  peu  populaire. 
Il  a  été  attaqué,  non  seulement  par  ses  contemporains,  mais  par  des 
historiens  modernes,  qui  ont  fait  preuve  de  quelque  légèreté  dans 
leur  interprétation  des  documents.  Daumet,  qui  connaissait  «  son 
pape  »  mieux  que  personne,  l'a  défendu  vigoureusement,  et  son 
plaidoyer  est  presque  toujours  convaincant,  qu'il  s'agisse  des  réformes 
tentées  par  Benoit  XII  dans  l'Eglise  ou  de  son  attitude  dans  les  conflits 
européens  et  dans  les  éternels  préparatifs  de  croisade.  Les  historiens  de 
la  guerre  de  Cent  ans  auront  désormais  à  tenir  compte  de  lérudite 
introduction  des  Lettres  de  Benoît  XII  se  rapportant  à  la  France. 
La  figure  du  sévère  cistercien,  mieux  connue,  devient  plus  intéres- 
sante et  plus  grande,  et  il  faut  avouer  que  les  reproches  qu'on 
lui  a  adressés,  quand  ils  se  fondent  sur  son  horreur  du  népotisme, 
de  la  corruption  et  des  pourboires,  et  aboutissent  à  l'accusation 
d'  «  égoïsme  »,  ont  quelque  chose  de  bien  surprenant. 

La  famille  et  les  amis  de  Robert  André-Michel  ont  voulu  réu- 
nir et  présenter  au  public,  sous  forme  de  mélanges  posthumes,  des 
travaux  qvii  ont  pour  objet  principal  Avignon  et  la  cour  des  papes 
au  XIV*  siècle^.  Les  deux  thèses  de  doctorat  projetées  parle  regretté 

1.  Jea7i  XXII  (I316-Î33i).  Lettres  communes,  analysées  d'après  les  registres 
dits  d'Avignon  et  du  Valican,  18°  fasc,  t.  VIII.  Paris,  Fontenioing,  1920,  gr. 
in-4°,  192  p.  (Bibliothèque  des  Écoles  d'Athènes  et  de  Rome). 

2.  Benoît  XII  il3o'i-13i2).  Lettres  closes,  patentes  et  curiales  se  rappor- 
tant à  la  France.  Introduction  et  index,  lxxxvi  p.  (même  collection). 

3.  Robert  André-Michel,  Mélanges  d'histoire  et  d'archéologie  :  Avignon,  les 
fresques  du  palais  des  papes,  le  procès  des  Visconti.  Introduction  par 
M.  André  Hallays.  Paris,  Armand  Colin,  1920,-210  p.,  24  planches  hors  texte. 
Voici  la  liste  de  ces  mémoires  qui  ont  paru  naguère  dans  la  Reinie  historique, 
la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  les  Mélanges  de  l'École  de  Rome, 
etc..  :  Le  développement  des  villes  dans  le  Comtat-Venaissin.  Avignon  au  temps 
des  premiers  papes.  —  Les  fresques  de  la  garde-robe  au  palais  des  papes.  — 
Los  fresques  de  la  chay)elle  Saint-Jean.  —  Matteo  de  Viterbe  et  les  fresques 
de  l'Audience.  —  Les  premières  horloges  du  palais  des  papes.  —  Le  tombeau 
d'Innocent  VL  —  Les  défenseurs  des  châteaux  et  des  villes  fortes  dans  le 


80  BULLETIN   HISTORIQUE. 

érudit  devaient  être  consacrées,  l'une,  la  «  petite  »,  à  la  construc- 
tion des  remparts  d'Avignon,  l'autre,  la  «  grande  »,  aux  villes  fortes 
et  châteaux  des  papes  en  France  au  xiv^  siècle.  Par  les  fragments 
qui  nous  sont  donnés,  nous  apprécions  mieux  et  avec  plus  de  tris- 
tesse encore  la  perte  que  l'histoire  et  l'archéologie  ont  faite  en  sa 
personne.  Sans  doute,  s'il  avait  survécu  à  la  guerre,  Robert  André- 
Michel  aurait  revu  et  modifié  certaines  pages  ;  par  exemple,  il  aurait 
enrichi  et  corrigé  son  chapitre  sur  Avignon  au  temps  des  premiers 
papes  et  il  aurait  probablement  tenu  compte  de  la  critique  que  lui  a 
adressée  Noël.  Valois  dans  son  étude  sur  Jacques  Duèse,  pape 
sous  le  nom  de  Jean  XXIP.  Telle  qu'elle  est,  cette  publication 
posthume  lui  fait  grand  honneur.  Elle  atteste  son  labeur,  sa  patience, 
sa  pénétration,  autant  que  son  goût  des  idées  générales,  tempéré  par 
le  sentiment  très  vif  des  inexactitudes  que  commettra  forcément 
l'historien  du  moyen  âge  s'il  veut  «  esquisser  à  grands  traits  l'état 
social  d'une  vaste  région  pendant  un  long  espace  de  temps  » .  Nous 
aimons  surtout  les  minutieuses  et  intéressantes  études  sur  les 
fresques  du  palais  des  papes,  qui  apportent  beaucoup  de  nouveau  et 
attestent  une  sagacité  à  la  fois  ferme  et  prudente.  Robert  Michel 
était  un  Français  de  belle  race,  et  il  l'a  prouvé  dans  la  guerre  comme 
dans  ces  travaux  de  science  et  d'art  qu'il  aimait  si  passionnément. 
M.  André  Hallays,  dans  son  introduction,  a  cité  d'émouvants 
extraits  de  ses  carnets  de  route.  La  publication,  fort  bien  illustrée, 
s'ouvre  par  le  portrait  de  Robert  André-Michel  ;  on  y  a  joint,  avec 
une  poignante  dédicace,  la  reproduction  du  portrait  admirable  que 
John  Sargent  avait  fait  de  sa  jeune  femme,  Rose-Marie  Ormond, 
qui  périt  écrasée  à  Saint-Gervais,  victime,  elle  aussi,  des  armes 
allemandes. 

Les  Archives  communales  d'Avignon  sont  extrêmement  riches 
pour  l'histoire  de  la  ville  et  de  la  légation  au  xv^  siècle.  M.  L.-H. 
Labande  leur  a  emprunté,  sans  négliger  les  autres  sources,  la 
matière  d'une  élude  tout  à  fait  remarquable  par  sa  nouveauté. 
Presque  tous  les  documents  cités  en  référence  sont  inédits.  Dans  un 
premier  volume,  qui  a  été  luxueusement  édité  aux  frais  du  prince 
de  Monaco^,  M.  Labande  a  exposé  l'histoire  politique  d'Avignon  au 

Comtat-Venaissin.  —  Anglais,  Bretons  et  routiers  à  Carpentras.  —  Les  clieva- 
liers  des  arènes  de  Nîmes.  —  "Une  accusation  de  meurtre  rituel  en  1297.  —  Le 
procès  de  Matteo  et  de  Galeazzo  Visconti. 

1.  Dans  Hisloire  littéraire  de  la  France,  t.  XXIV,  1915.  Voir  p.  416  et  suiv. 

2.  Avignon  au  XV°  siècle.  Légation  de  Charles  de  Bourbon  et  du  cardinal 
Julien  de  La  Rovère.  Paris,  Picard,  1920,  xxxi-723  p.  et  4  planches  (Mémoires 
et  documents  historiques  publiés  par  ordre  de  S.  A.  S.  le  prince  Albert  I"  de 
Monaco).  Prix  :  50  fr.  Les  ouvrages  d'érudition  ne  sont  décidément  plus  acces- 
sibles aux  savants  qui  n'ont  pas  la  chance  d'être  millionnaires. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  81 

xv°  siècle.  Dans  un  second,  qu'il  nous  promet,  il  étudiera  son  his- 
toire économique,  sociale  et  intellectuelle. 

C'est  de  l'Avignon  des  légats  Charles  de  Bourbon  et  Julien  de 
La  Rovère,  de  1464  à  1503,  qu'il  nous  parle.  En  un  premier  cha- 
pitre, très  substantiel  et  dont  on  regrette  la  brièveté,  il  nous  décrit 
l'aspect  et  les  institutions  de  la  cité.  Avignon,  depuis  le  milieu 
du  XIV*  siècle,  est  un  petit  Etat  particulier,  serré  entre  le  Comtat- 
Venaissin,  qui  forme  à  ses  côtés  un  second  territoire  pontifical,  la 
Provence  et  le  royaume  de  France.  La  ville,  entourée  par  le  Rhône 
et  une  petite  zone  rurale,  est  surpeuplée  et  étouffe  dans  ses  remparts. 
La  population,  étrangement  cosmopolite,  compte  peu  d'autochtones. 
Les  «  cives  et  habitatores  »  sont  sans  doute  tous  ceux  qui  possèdent 
une  maison  et  sont  installés  définitivement  dans  la  ville.  La  noblesse 
est  réduite  à  une  vingtaine  de  damoiseaux.  Les  personnages  impor- 
tants sont  les  immigrés  italiens  et  espagnols,  qui  détiennent  le  haut 
commerce  et  la  banque.  Les  artisans  viennent  de  France  et  de  Savoie  ; 
les  artistes  sont  en  majorité  des  Flamands  et  des  Français.  Un  con- 
seil recruté  dans  la  plutocratie  et  trois  consuls  avec  un  assesseur 
administrent  la  ville.  Mais,  à  côté  d'eux,  il  y  a  deux  puissants  per- 
sonnages :  l'évêque,  et  surtout  le  légat,  qui  représente  la  souverai- 
neté pontificale,  gère  le  domaine,  juge,  légifère,  gouverne.  Enfin - 
il  y  a  le  roi  de  France  et  ses  officiers,  qui,  traditionnellement, 
exercent  une  surveillance  très  étroite  sur  les  États  pontificaux.  Sur- 
veillance légitime  et  nécessaire  :  les  provinces  ecclésiastiques  du 
Dauphiné,  du  Languedoc,  d'une  partie  de  la  Gascogne  sont  sou- 
mises à  la  légation,  et,  d'autre  part,  les  commerçants  français 
doivent  être  protégés  contre  les  brimades;  enfin,  et  surtout,  il  ne 
faut  pas  permettre  qu'il  se  crée  au  delà  du  Rhône  un  foyer  d'action 
antimonarchique.  A  plusieurs  reprises,  nos  rois  ont  eu  évidemment 
la  tentation  de  mettre  la  main  sur  la  proie  que  leurs  ancêtres  du 
xiii"  siècle  avaient  laissée  échapper.  Mais  les  Avignonnais  ne  se  sou- 
ciaient pas  de  tomber  sous  leur  domination.  Ils  tenaient  à  conser- 
ver les  garanties  civiles,  fiscales,  commerciales,  politiques,  qu'ils 
avaient  obtenues  du  Saint-Siège.  D'ailleurs,  ils  gardaient  l'espoir  de 
voir  le  pape,  menacé  parles  princes  et  les  républiques  d'Italie,  reve- 
nir et  refaire  d'Avignon  la  capitale  de  la  chrétienté  et  le  rendez-vous 
des  pèlerins  et  des  solliciteurs.  Le  plus  sage,' pour  la  royauté,  était 
de  se  contenter  d'une  sorte  de  protectorat.  En  ces  conditions,  le 
choix  du  légat  envoyé  par  le  pape  était  pour  elle  une  grande  préoc- 
cupation. Un  légat  hostile  pouvait  être  très  dangereux,  qu'il  s'agît 
des  relations  internationales  ou  des  relations  avec  l'Église  et  le  Saint- 
Siège.  C'est  l'histoire  de  la  légation  d'Avignon,  dans  une  phase 
Rev.  Histor.  CXXXVIII.  \"  fasc.  6 


82  BULLETIN   HISTORIQDE. 

particulièrement  orageuse,  que  M.  Labande  s'est  proposé  pour  prin- 
cipal objet  d'écrire.  Son  exposé  commence  en  1464,  année  où 
Louis  XI,  prévoyant  la  mort  prochaine  du  légat  Pierre  de  Foix, 
entame  la  lutte  pour  faire  nommer  à  sa  place  un  candidat  dont  il 
serait  sûr.  II  se  termine  lorsque  le  conclave  fait  du  légat  Julien  de  La 
Rovère  le  pape  Jules  II,  et  que  celui-ci  confère  la  légation  au  principal 
conseiller  de  Louis  XII,  Georges  d'Amboise.  M.  Rey  avait  eu  le 
mérite,  dans  sa  thèse  sur  Louis  XI  et  les  États  pontifica,ux 
de  France,  de  montrer  l'intérêt  de  la  question  et  de  faire  quelques 
recherches  dans  les  Archives  d'Avignon  ;  mais  tous  les  érudits  qui 
ont  eu  à  se  servir  de  son  livre  savent  avec  quelle  négligence  il  a  été 
rédigé.  L'ouvrage  de  M.  Labande  fera  autorité.  Soit  pour  l'histoire 
d'Avignon,  soit  pour  celle  de  la  politique  royale,  soit  pour  la  bio- 
graphie de  Julien  de  La  Rovère,  il  apporte  des  renseignements 
neufs  et  abondants.  Il  sera  permis  seulement  de  regretter  que  l'ex- 
posé soit  si  touffu  et  que  les  faits  de  minime  importance  ne  soient  pas 
plus  systématiquement  mis  dans  l'ombre;  au  moins  l'auteur  pou- 
vait-il, de  temps  en  temps,  dominer  sa  narration,  nous  éclairer  et 
nous  reposer  en  résumant  sa  riche  information.  Quel  voyageur 
pourrait  bien  connaître  Avignon,  si  on  ne  le  menait  pas  sur  la  hau- 
teur du  rocher  des  Doms?  L'érudition  de  M.  Labande  est  d'une 
sûreté  qui  impose  la  confiance  ;  son  vaste  labeur  a  épuisé  le  sujet, 
et  il  a  su  l'exposer  avec  ordre;  son  livre  manque  seulement  d'air,  de 
perspectives,  de  tables  d'orientation. 

Ouvrages  relatifs  a  Jeanne  d'Arc  et  son  temps.  —  La 
canonisation  de  Jeanne  d'Arc  ne  peut  manquer  de  susciter  la  fer- 
veur des  hagiographes.  Souhaitons  que  cette  ferveur  ait  des  effets 
dont  la  science  profite  et  qu'une  .chance  heureuse  fasse  découvrir 
aux  érudits  des  documents  nouveaux  sur  ce  lumineux  épisode,  qui 
éclaire  dans  ses  profondeurs  notre  histoire  nationale  et  morale.  A 
tout  le  moins,  les  historiens  devront-ils  exploiter  avec  soin  tous  les 
documents  déjà  imprimés  ;  M.  Pierre  Champion  vient  de  prouver, 
dans  la  publication  que  nous  avons  déjà  signalée  plus  haut\  qu'il 
n'était  pas  besoin,  même  sur  un  sujet  rebattu,  de  trouver  de  l'iné- 
dit pour  trouver  du  nouveau,  et  l'on  goûtera  l'ingéniosité  et  le 
talent  dont  il  a  fait  preuve  dans  son  Introduction  au  Procès  de 
Jeanne  d'Arc.  Ces  cent  pages  ne  sont  pas  toutes  de  même  qualité  ; 
il  y  a  bien  du  décousu  dans  les  dernières,  dans  les  vues  fragmen- 
taires sur  la  «  guerre  au  temps  de  Jeanne  d'Arc  »,  sur  «  l'idée  de 
patrie  au  temps  de  Jeanne  d'Arc  ».  Mais  on  lira  avec  le  plus  vif 

1.  Procès  de  condamtiation  de  Jeanne  d'Arc.  Texte,  traduction  et  notes. 
Paris,  Champion,  2  vol.,  1920. 


eiSTOIKE   DE   FRANCE.  83 

plaisir  et  un  sérieux  profit  tout  ce  qui  a  trait  au  procès  lui-même  et 
aux  juges.  M.  Champion  adonné  l'explication  psychologique  la  plus 
solide  qu'on  ait  fournie  jusqu'ici  de  l'état  d'esprit  des  docteurs  qui 
siégeaient  à  Rouen.  Intéressante  aussi,  la  petite  élude  comparée, 
malheureusement  beaucoup  trop  courte,  du  procès  de  Jeanne  d'Arc 
et  des  autres  procès  de  sorcellerie  de  ce  temps.  Excellente  surtout, 
l'idée  de  rechercher  l'opinion  des  théologiens  contemporains  sur 
l'inspiration  et  les  apparitions,  et  de  nous  donner  une  analyse  du 
traité  de  Gerson  sur  la  «  Distinction  entre  les  vraies  visions  et  les 
fausses  ».  Faute  de  documents  nouveaux,  peut-être  inexistants,  sur  la 
Pucelle  elle-même,  c'est  par  de  tels  moyens  qu'on  peut  nous  apprendre 
encore  quelque  chose  sur  le  grand  drame  dont  elle  a  été  l'héroïne. 

Le  texte  du  Procès,  à  quelques  petites  corrections  près,  est  natu- 
rellement celui  que  nous  a  donné  Quicherat,  dans  une  publication 
complètement  épuisée  aujourd'hui,  et  qui  est  vieille  déjà  de  quatre- 
vingts  années.  L'annotation  est  enrichie  de  tout  ce  que  les  érudits 
ont  découvert  en  ce  dernier  siècle.  Enfin,  M.  Pierre  Champion  a  eu 
la  patience  de  faire  une  version  française  du  Procès  et  des  pièces  qu'il 
contient.  Le  public  ne  connaissait  guère  que  la  traduction  de 
M.  Joseph  Fabre,  qui  est  abrégée  et  dramatisée.  Nous  entrons  dans 
un  temps  où  le  nombre  des  lettrés  dépassera  de  plus  en  plus  le 
nombre  de  ceux  qui  peuvent  lire  le  latin  couramment,  et  il  est  bon 
que  l'histoire  morale  de  la  Pucelle  et  l'histoire  de  son  martyre, 
écrites  par  ses  juges,  puissent  être  abordées  directement  par  tous 
les  Français  cultivés.  A  le  bien  prendre,  ils  y  apprendront  plus  de 
choses  qu'en  lisant  les  hvres  de  seconde  main. 

La  librairie  Pion  donne,  dans  sa  bibliothèque  à  trois  francs  le 
volume,  une  édition  populaire  de  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Gabriel 
Hanotaux.  Gravures  et  notes  ont  disparu,  ainsi  que  certaines 
pages,  parmi  lesquelles  on  regrettera  le  chapitre  intitulé  «  Jeanne 
d'Arc  devant  l'histoire  »,  qui  ne  manquait  pas  d'intérêt.  L'impres- 
sion est  très  compacte,  baveuse,  et  le  papier  a  cette  couleur  sale 
qu'avait,  il  y  a  peu  de  temps  encore,  notre  pain  quotidien;  couleur 
de  guerre  et  typographie  de  guerre,  qui  devront  totalement  dispa- 
raître de  nos  éditions,  même  populaires,  si  l'on  veut  qu'elles 
prennent  sur  le  marché  mondial  la  place  que  méritent  la  pensée 
et  le  travail  français.  Franchement,  les  compliments  que  la  maison 
Pion  s'adresse  à  elle-même,  dans  le  prospectus  de  ce  petit  livre,  sur 
sa  «  présentation  matérielle  »,  sont  tout  à  fait  excessifs. 

La  Sainte  Jeanne  d'Arc  de  M.  Georges  Goyau  aété  éditée  avec 
luxe  par  la  librairie  Henri  Laurens^  Le  papier  est  agréable  à  l'œil 

1.  G.  Goyau,  les  Étapes  d'une  gloire  religieuse,  sainte  Jeanne  d'Arc.  Paris, 
Laurens,  1920,  156  p.  in-4°,  16  planches  hors  texte. 


84  BULLETIN   HISTORIQUE. 

et  au  toucher,  les  caractères  de  Hérissey  sont  élégants  et  nets,  les 
ornements  gravés  sur  bois  par  Joseph  Girard  et  les  reproductions 
de  miniatures,  de  monuments  ou  de  peintures  modernes  sont 
presque  tous  intéressants.  Le  livre  de  M.  Goyau  en  valait  la  peine. 
Cette  monographie,  bien  composée,  bien  écrite,  bien  informée,  a 
pour  objet  le  culte,  populaire  avant  d'être  officiel,  qui,  depuis  le 
xv^  siècle,  non  toutefois  sans  une  longue  éclipse,  a  été  voué  à  Jeanne 
d'Arc.  Décrire  le  travail  d'opinion  qui,  dans  le  jugement  de  l'Église 
et  la  conscience  des  catholiques,  a  abouti,  après  cinq  siècles,  à  la 
canonisation,  «  écouter  parler  l'Eglise,  écouter  prier  le  peuple,  sur- 
prendre les  manifestations  de  piété  qui  préparaient  les  décisions 
ecclésiastiques  »,  telle  a  été  l'intention  de  M.  Goyau.  Il  nous  dit, 
avec  une  grande  richesse  d'informations  et  le  plus  honorable  souci 
d'exactitude,  ce  qu'on  a  pensé  de  Jeanne  d'Arc  au  xv^  siècle,  quelles 
résistances  a  rencontrées  l'accusation  anglo-bourguignonne,  quel  a 
été  le  rôle  d'Orléans  dans  la  gloire  religieuse  de  la  Pucelle,  ce  qu'elle 
doit  aux  Jésuites,  aux  Oratoriens,  au  romantisme.  Ça  et  là,  à  côté 
de  matériaux  bien  connus  et  qu'il  s'agissait  de  mettre  en  œuvre,  il 
y  a  des  aperçus  ou  des  documents  nouveaux  ;  tel  ce  cahier  d'élève  du 
collège  de  Juilly,  où  les  grandes  lignes  de  l'histoire  de  Jeanne  ont 
été  retracées  avec  exactitude,  sous  la  dictée  de  l'Oratorien  Sauvage, 
en  l'année  1715;  tel,  en  sens  contraire,  ce  témoignage,  passé  ina- 
perçu, dans  les  Souvenirs  du  baron  de  Frénilly,  sur  les  raille- 
ries et  les  citations  de  la  Pucelle  de  Voltaire,  par  lesquelles  la  foule 
accueillit  en  1808  les  fêtes  d'Orléans.  M.  Georges  Goyau  a  rendu 
justice  au  rôle  joué  par  l'opinion  anglaise  au  xix^  siècle;  il  le  fait 
toutefois  avec  une  sécheresse  qui  étonne  un  peu.  L'enthousiasme 
des  Anglais  de  toutes  confessions  pour  Jeanne  d'Arc  est  un  de  ces 
faits  caractéristiques  qu'il  faut  mettre  en  valeur,  en  une  époque  où 
il  importe  que  les  Français  connaissent  l'âme  anglaise  ;  la  ténacité 
avec  laquelle  nos  alliés  s'attachent  à  une  opinion  une  fois  qu'ils  l'ont 
admise,  la  persévérance  qui  accompagne  leur  loyauté,  la  rigueur  avec 
laquelle  ils  dénoncent  leurs  propres  erreurs,  se  marquent  d'une 
façon  saisissante  dans  le  culte  qu'ils  ont  voué  à  la  victime  de  Bedford. 
La  maison  où  naquit  Jeanne  d'Arc  était-elle  en  Champagne  ou  en 
Lorraine?  Voilà  une  question  qui  a  fait  couler  des  flots  d'encre  et 
même  de  fiel  ;  on  se  rappelle  peut-être  les  dissertations  du  fougueux 
abbé  Misset,  qui  furent  quelquefois  amusantes  et  spirituelles,  et  tou- 
jours dépourvues  d'aménité.  Cette  querelle  d'érudits,  qui  a  eu  sou- 
vent le  ton  d'une  querelle  de  sacristie,  n'a  pas  été  inutile.  Mais  elle 
n'a  pas  eu  du  tout  le  résultat  qu'en  attendaient,  dans  un  sens  ou 
dans  l'autre,  ses  champions.  Elle  a  fait  déterrer  des  documents  qui 
ont  prouvé  la  puérilité  du  problème,  tel  du  moins  qu'on  s'obstinai 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  85 

à  le  poser  ;  ils  autorisent  des  conclusions  dont  l'intérêt  déborde  l'his- 
toire personnelle  de  Jeanne  d'Arc.  A  leur  lumière,  quand  on  ne  se 
met  pas  volontairement  un  abat-jour  sur  les  yeux,  on  comprend 
mieux  l'histoire  de  la  région,  la  politique  des  gens  du  roi  et  l'atti- 
tude des  populations  de  la  frontière  au  xv^  siècle.  On  se  rend  compte 
qu'aux  yeux  des  contemporains  de  Jeanne  d'Arc,  il  était  bien  indif- 
férent que  la  libératrice  fût  née  dans  la  partie  de  Domremy  qui  était 
incontestablement  du  royaume  de  France,  plutôt  que  dans  celle  où 
les  gens  du  roi  cherchaient  à  faire  prévaloir  la  souveraineté  des 
Valois.  Villon,  en  parlant  de  Jehanne  la  bonne  Lorraine,  ne  son- 
geait point  à  trancher  un  litige  sur  les  origines  de  la  Pucelle,  non 
plus  qu'à  s'émerveiller  qu'elle  fût  née  hors  des  Umites  du  royaume 
qu'elle  devait  sauver.  De  son  temps,  on  savait  bien  que  les  gens  du 
Barrois  avaient  été  pour  la  plupart  de  fidèles  Armagnacs  et  que, 
depuis  de  longs  siècles,  les  Lorrains,  sans  être  les  sujets  des  Capé- 
tiens, leur  avaient  fourni  de  bons  chevahers  et  avaient  souvent  versé 
leur  sang  pour  la  France.  Un  érudit  messin,  le  comte  Maurice 
DE  Pange,  s'est  appliqué  à  remettre  en  lumière  ces  vérités,  dans 
des  mémoires  qu'on  vient  de  publier  à  nouveau'.  L'édition  de  ce 
volume  de  mélanges  n'a  pas  été  préparée  par  l'auteur  lui-même, 
mais  par  son  fils,  ancien  élève  de  l'École  des  chartes,  et  c'est 
à  lui  probablement  qu'incombe  la  responsabilité  de  certaines  négli- 
gences dans  la  transcription  ou  la  correction  des  épreuves  des 
pièces  justificatives 2.  Contentons -nous  de  signaler  le  réel  inté- 
rêt de  l'ouvrage.  Ainsi  réunis,  les  opuscules  du  comte  de  Pange 
prennent  une  signification  plus  précise  et  une  force  plus  pro- 
bante. Ils  démontrent  d'une  façon  péremptoire  que  vouloir,  par 
«  patriotisme  » ,  prouver  que  Jeanne  d'Arc,  étant  une  héroïne  fran- 
çaise, devait  être  Champenoise  et  non  Lorraine,  est  une  niaiserie, 
et  ils  résolvent  définitivement  la  question  des  «  origines  provin- 
ciales »  de  la  Pucelle,  grâce  à  une  étude  honnête  et  objective  des 
textes  et  à  un  sens  de  l'histoire  du  moyen  âge  que  beaucoup  d'éru- 

1.  Les  Lorrains  et  la  France  au  moyen  âge.  Paris,  ChanQ[>ion  [1919],  196  p. 
1'"  partie  :  mémoire  sur  le  Patriotisme  français  en  Loiraine  avant  Jeanne 
d'Arc  [sujet  également  traité  dans  une  introduction  écrite  par  M.  Jean  de  Pange]. 
—  Mt'riiuire  sur  le  Pays  de  Jeanne  dtArc.  —  2"  partie  :  trois  mémoires  (dont 
un  inédit  sur  Gautier  d'Épinal)  concernant  les  Lorrains  dans  l'histoire  litté' 
raire  de  la  France.  —  3-  partie  :  la  Lorraine  et  le  Barrois  au  XII'  siècle 
(mémoire  sur  Ferri  de  Bilcke). 

2.  Pour  ne  parler  que  des  premières  qui  se  présentent  au  lecteur,  nous  rele- 
vons trois  fautes  de  lecture  (ou  d'impression)  dans  la  seule  page  37  (cohabi- 
lores,  quator,  nactes);  p.  43,  les  clauses  des  coutumes  de  1255  relatives  à  la 
vengeance  privée  et  au  droit  de  chasse  deviennent  incompréhensibles  en  plu- 
sieurs endroits  à  cause  de  la  ponctuation  défectueuse. 


86  BULLETIN   HISTORIQUE. 

dits  ne  possèdent  malheureusement  pas.  En  présence  de  textes  en 
apparence  contradictoires,  ces  polémistes  saisissent  ceux  qui  leur 
conviennent,  les  brandissent  et  essaient  d'en  assommer  leurs  adver- 
saires, qui  ripostent  de  même  façon.  Le  comte  de  Pange  dit  sage- 
ment :  «  On  adopte  un  texte  dont  la  précision  séduit  :  on  se  croit 
autorisé  par  cette  précision  même  à  négliger  tout  ce  qui  s'oppose 
ou  paraît  s'opposer  aux  déductions  rigoureuses  qu'on  en  tire.  Il  faut 
bien  mal  connaître  le  moyen  âge  et  les  multiples  faces  que  présen- 
tait, à  cette  époque,  la  question  la  plus  simple,  pour  ne  pas  voir  la 
nécessité  d'une  méthode  toute  différente.  »  La  maison  natale  de 
Jeanne  d'Arc  était  située  dans  une  partie  du  village  de  Domremy 
qui  dépendait  de  la  prévôté  barroise  de  Gondrecourt,  au  bailliage 
barrois  (te  Bassigny  ;  or,  le  Barrois  n'était  pas  dans  le  royaume  de 
France;  et,  cependant,  d'après  des  lettres  de  Charles  VII,  Jeanne 
était  du  bailliage  champenois  de  Ohaumont  «  ou  de  son  ressort  »  ;  et 
Perceval  de  Boulainvilliers,  dans  une  lettre  fameuse,  embrouille  tout 
et  déclare  qu'elle  est  née  à  Domremy,  au  bailliage  de  Bassigny,  dans 
les  limites  du  royaume  de  France.  Tous  ces  textes  sont  faciles  à 
accorder,  si  l'on  constate  que,  depuis  1301,  la  partie  du  Barrois  où 
est  née  la  Pucelle  était  fief  mouvant  de  la  couronne,  sans  faire  pour 
cela  partie  du  royaume,  et  que,  en  tant  que  fief  tenu  du  roi  de 
France,  elle  dépendait  de  la  prévôté  champenoise  d'Andelot.  Les 
gens  du  roi,  suivant  une  tactique  peu  honnête  mais  bien  naturelle, 
s'efforçaient  de  confondre  la  mouvance  et  la  souveraineté.  Le  senti- 
ment à  l'égard  du  roi  et  ce  que  l'on  peut  déjà  appeler  le  patriotisme 
des  Lorrains  ne  dépendaient  nullement  des  ergotages  où  se  perdaient 
les  juristes,  concernant  la  limite  du  royaume.  Ainsi  posé,  le  problème 
disparaît.  Puissent  les  érudits  at)andonner  ce  terrain  rebattu,  à 
moins  qu'ils  ne  réussissent  à  y  trouver  des  documents  apportant  du 
nouveau. 

Jeanne  d'Arc  a-t-elle  connu  Colette  Boilet?  A-t-elle  été  morale- 
ment aidée  ek  soutenue  par  elle?  Sainte  Colette  a-t-elle  favorisé  indi- 
rectement la  défense  nationale  contre  l'invasion  anglaise,  a-t-elle 
contribué  au  rapprochement  du  parti  armagnac  et  du  parti  bourgui- 
gnon? Siméon  Luce  Ta  soutenu,  avec  de  faibles  arguments,  dans 
des  pages  qui  ne  sont  pas  les  meilleures  de  ses  recherches  sur  Jeanne 
d'Arc  à  Domremy.  La  thèse  vient  d'être  reprise,  sans  preuves  nou- 
velles, par  E.  Sainte-Marie  Perrin\  qui  nous  donne,  après  tant 
d'autres,  une  pieuse  biographie  de  Colette.  Siméon  Luce  a  détruit 
lui-même  son  hypothèse  en  observant  que  «  Colette  avait  fini  par 

1.  La  Belle  vie  de  sainte  Colette  de  Corbie  (1381-1^7),  avec  une  préface  de 
Paul  Claudel.  Paris,  Pion,  in-16,  1921;  prix  :  7  fr.  50. 


HISTOIBE  DE   FRANCE.  87 

perdre  de  vue  les  misères  de  ce  bas  monde  et  par  ne  plus  apercevoir 
qu'un  petit  coin  de  terre...  On  dirait  que  l'enceinte  des  couvents 
qu'elle  a  fondés  ferme  pour  ainsi  dire  son  horizon^  ».  Tous  les 
détails,  authentiques  ou  légendaires,  que  E.  Sainte-Marie  Perrin  a 
acceptés  en  bloc  et  reproduits  dans  son  livre  confirment  cette  impres- 
sion. Colette  est  une  ascète  et  une  mystique,  qui  veut  restauj'er  tota- 
lement l'idéal  franciscain,  et  rien  dans  ses  actes,  rien  dans  les  pro- 
pos qu'on  lui  prête,  rien  dans  la  légende  de  miracles  incessants  qui 
se  forme  autour  d'elle  ne  montre  qu'elle  ait  eu  ou  qu'on  lui  ait  prêté 
des  préoccupations  politiques  et  nationales.  Est-il  besoin  d'ajou- 
ter qu'il  n'y  a  pas  le  moindre  indice  qu'elle  se  soit  émue  de  l'accu- 
sation d'hérésie  portée  contre  Jeanne  d'Arc?  Son  œuvre  et  sa  vie 
n'en  restent  pas  moins  tout  à  fait  intéressantes  et  dignes  d'une  étude 
critique,  qu'on  ne  trouvera  pas  dans  le  petit  livre  de  E.  Sainte- 
Marie  Perrin.  Ce  petit  ouvrage  hagiographique  n'est  pas  enntiyeux; 
il  n'est  pas  exempt  de  prétention,  mais  il  est  souvent  écrit  avec 
agrément  et  ingéniosité,  et  les  lecteurs  pieux  auxquels  il  s'adresse  y 
puiseront  surie  caractère  de  Colette  de  Corbie  des  vues  qui,  dans 
l'ensemble,  ne  sont  pas  fausses.  Mais  la  crédulité  systématique  de 
l'auteur  et  les  lacunes  de  son  instruction  historique^  ne  permettent 
pas  de  classer  son  livre  parmi  ceux  qu'un  public  exigeant  a  intérêt  à 
consulter. 

Monographies  concernant  le  règne  de  Louis  XI.  —  M.  Henri 
Stein  vient  de  publier,  après  de  longues  années  de  travail,  un  énorme 
in-octavo  de  près  de  900  pages,  dont  300  de  pièces  justificatives,  sur 
Charles  de  France,  frère  de  Louis  XI'^.  Il  sera  difficile  sans 
doute  de  découvrir  un  document  ou  un  livre  se  rattachant  à  cette 
question  et  que  M.  Stein  n'ait  pas  connu  et  utilisé''.  Je  ne  vois 
guère  qu'une  source  dont  il  n'ait  pas  suffisamment  profité  :  ce  sont 
précisément  ces  curieuses  dépèches  milanaises  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut.  Peut-être  n'a-t-il  commencé  ses  dépouillements  qu'à 

1.  Jeanne  d'Arc  à  Domremy,  p.  cclxxxv. 

2.  Il  est  question,  par  exemple,  de  1'  t  empereur  d'Autriche  »  à  deux 
reprises;  il  n'y  avait  pas  d'empereur  d'Autriche  au  xviii"  siècle,  pas  plus  qu'au 
xv"  (voir  p.  132  et  257).  Vers  1440,  le  besogneux  René  d'Anjou  est  dit  «  un  des 
plus  riches  princes  du  temps  »  (p.  233).  Les  joutiers  et  les  écorcheurs  sont  les 
«  communistes  d'alors,  ancêtres  des  bolchevistes  d'aujourd'hui!  »  (p.  157),  etc.. 

3.  Paris,  Auguste  Picard,  1921  (Mémoires  et  documents  publics  par  la 
Société  de  l'École  des  chartes,  tome  X). 

4.  Disons,  en  passant,  que  la  préoccupation  d'utiliser  les  renseignements 
amassés  et  les  scrupules  de  l'érudition  ne  devraient  pas  conduire  à  une  rédac- 
tion aussi  massive.  Beaucoup  de  notes  de  ce  livre  auraient  pu  être  supprimées 
ou  abrégées. 


88  BDLLETIN   HISTORIQUE. 

partir  de  la  date  de  la  mort  de  François  Sforza,  et  B.  de  Mandrot, 
dont  il  loue  les  obligeantes  communications,  ne  lui  a-t-il  envoyé  que 
la  copie  des  lettres  intéressant  directement  Charles  de  France  ;  son 
récit  de  la  guerre  du  Bien-Public  se  ressent  de  cette  lacune.  Sauf 
cette  réserve,  il  parait  avoir  épuisé  les  sources  d'informations.  La 
biographie  personnelle  du  frère  de  Louis  XI  est  maintenant,  grâce 
à  lui,  un  sujet  sur  lequel  il  n'y  aura  plus  à  revenir.  Il  suit  patiem- 
ment Charles  de  France  depuis  sa  naissance  en  1446  et  son  enfance, 
jusqu'à  sa  mort  en  1472.  Il  nous  le  montre  duc  de  Berry,  duc  de 
Normandie,  duc  de  Guyenne,  raconte  sa  participation  aux  intrigues  et 
aux  coalitions  féodales,  et  nous  donne  des  renseignements  presque 
complètement  nouveaux  sur  l'administration  de  ses  apanages  succes- 
sifs. Le  petit  problème  historique  des  causes  de  sa  mort  prématurée,  à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans,  est  résolu  définitivement  :  Charles  n'a  pas  été 
empoisonné  ;  il  était  fort  probablement  tuberculeux  et  syphilitique  à  la 
fois.  Sur  le  caractère  de  ce  jeune  homme,  M.  Stein  ne  fait  que  con- 
firmer ce  que  nous  savions  déjà.  Il  n'a  pas  tracé  de  lui  un  «  portrait  « 
dans  le  style  académique,  et  il  déclare  modestement  que  la  psycho- 
logie du  personnage  lui  échappe.  Mais,  en  somme,  toutes  les  fois 
qu'il  nous  le  montre  en  délibération  ou  en  action  —  ou  en  inaction 
—  il  nous  le  présente  comme  un  malingre,  un  chétif ,  dépourvu  de 
volonté  personnelle  et  de  perspicacité,  destiné  à  être  le  jouet  d'autrui. 
Il  y  a  bien  quelque  contradiction  entre  ces  appréciations  répétées 
et  concordantes  et  l'introduction  oîi,  pour  répondre  d'avance  aux 
critiques  que  soulèvera  le  choix  du  sujet  de  son  livre,  M.  Stein 
déclare  que  Charles  de  France  fut  «  l'âme  de  la  coalition  des  princes 
contre  le  pouvoir  royal  » .  Non,  même  «  timidement  et  presque  incons- 
ciemment »,  il  ne  fut  l'âme  d'aucune  coalition.  Que  dirait-on  alors 
de  Charles  le  Téméraire?  Celuirlà,  à  défaut  d'intelligence  et  de 
bon  sens,  était  énergique  et  avait  des  passions  violentes  qui  ont  fait 
de  lui  l'ennemi  acharné  de  Louis  XI.  Même  des  personnages  de  second 
plan,  comme  Odet  d'Aydie,  ont  eu,  par  leurs  initiatives,  plus  de  part 
que  Charles  dans  l'inspiration  des  menées  qui  ont  failli  perdre  le  roi  et 
plonger  la  France  dans  l'anarchie  féodale.  Charles  de  France  n'a  été 
qu'un  homme  de  paille  et  un  prête-nom. 

Il  est  évident,  dès  lors,  qu'on  peut  chicaner  M.  Stein  sur  la  forme 
biographique  qu'il  a  adoptée,  et  regretter  que,  si  bien  préparé  à 
écrire  l'histoire  des  coalitions  féodales  pendant  la  première  partie  du 
règne  de  Louis  XI,  il  n'en  ait  traité  qu'une  partie.  La  décision  qu'il 
a  prise  de  limiter  ainsi  son  sujet  a  fortement  gêné  M.  Stein.  A  par- 
tir du  moment  où  les  ligueurs  ont  mis  Charles  de  France  en  pos- 
session d'un  grand  apanage,  il  n'a  pas  été  trop  malaisé  de  donner  au 
récit  une  forme  biographique.  Mais,  pour  composer  son  chapitre  sur 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  89 

la  guerre  de  1465  ',  M.  Stein  a  été  visiblement  embarrassé.  A  moins 
de  se  contenter  d'une  énumération,  sans  grand  intérêt,  des  faits  con- 
cernant Charles  de  France,  comment  procéder?  M.  Stein  a  hésité.  Il 
n'a  parlé  que  par  prétérition  de  la  bataille  de  Montlhéry,  parce  que 
«  Charles  de  France  n'y  a  pas  participé  ».  Mais  beaucoup  de  pages 
de  son  chapitre  sont  des  pages  d'histoire  générale,  et  c'est  d'ailleurs 
pour  cette  raison  que  nous  le  lisons  avec  tant  de  fruit.  A  tout  prendre, 
le  mieux  eût  été  que  M.  Stein  nous  donnât  une  histoire  de  la  guerre 
de  1465,  plutôt  que  ce  récit  partiel.  S'il  s'y  était  décidé,  il  aurait 
évité  par  exemple  de  nous  faire,  p.  48-49,  un  exposé  aussi  incom- 
plet et  par  suite  aussi  inexact  des  ambitions  féodales  qui  menaçaient 
Louis  XI  au  début  de  l'année  1465  :  il  cite  le  comte  de  Charolais, 
le  duc  de  Bretagne,  le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de  Foix,  et  il  ne 
dit  pas  un  mot  des  princes  de  la  maison  d'Anjou;  or,  les  dépêches 
des  ambassadeurs  milanais  prouvent,  et  B.  de  Mandrot  a  justement 
insisté  sur  ce  point,  que  la  déconvenue  de  Jean  d'Anjou,  abandonné 
par  Louis  XI  en  Italie,  a  été  une  des  causes  principales  de  la  guerre 
du  Bien-Public"^. 

Il  serait  tout  à  fait  injuste  d'accentuer  davantage  ces  observations. 
Nous  avons  affaire  ici  à  un  livre  important,  qui  mérite  la  plus 
grande  estime,  et  qui  nous  apporte  une  foule  de  renseignements  nou- 
veaux sur  le  règne  de  Louis  XI.  Il  suffit  de  parcourir  les  titres 
des  pièces  justificatives  pour  apercevoir  immédiatement  combien 
d'informations  curieuses  on  y  trouvera.  M.  Stein  a  découvert  non 
seulement  la  correspondance  de  Charles  de  France,  les  comptes  finan- 
ciers qui  le  concernent,  une  ordonnance  de  1471  sur  l'administra- 
tion de  la  Guyenne,  un  procès-verbal  des  Etats  de  Guyenne  en 
1470,  mais  des  lettres  de  Louis  XI  encore  inconnues,  des  instruc- 
tions à  des  messagers,  des  dépositions  très  intéressantes,  qui  apportent 
un  contingent  considérable  de  faits  nouveaux  et  nous  aident  à  mieux 
comprendre  cette  époque  si  pleine  d'événements  et  d'intrigues  com- 
pliquées. 

Nous  ne  pouvons  pas  dire  autant  de  bien  de  la  brochure  consacrée 
par  feu  Jean  de  Jaurgain  à  deux  contemporains  de.  Charles  de 
France,  Jean  de  Lescun.  bâtard  d'Armagnac,  et  Odet  d'Ay- 
die'.   Malleta  écrivait  le  21   novembre   1464  à  Sforza    qu'à  en 

1.  M.  Stein  ne  réserve  pas  a  cette  guerre  seule  le  nom  de  guerre  du  Bien- 
Public,  et  il  intitule  son  chapitre  .  «  Les  débuts  de  la  guerre  du  Bien-Public.  » 

2.  Voir  dans  le  tome  III  de  la  publication  de  B.  de  Mandrot  une  dépêche  du 
14  juillet  1465.  Cf.  l'Introduction  historique,  au  t.  II,  p.  xxxi  et  suiv. 

.3.  Jean  de  Jaurgain,  Deux  comtes  de  Commingcs  béarnais  nu  XV'  siècle  : 
Jean  de  Lcsatn,  bâtard  d'Armagnac,  et  Odet  d'Aydie,  seigneur  de  Lescun. 
Paris,  Champion.  1U19, 164  p.  (extrait  du  Bulletin  (^e  la  Société  archéologique  du 
Gers). 


90  BULLETIN   HISTOEIQUE. 

croire  Louis  XI  lui-même,  le  bâtard  d'Armagnac  était  un  des 
hommes  que  le  roi  aimait  le  plus  et  qui  avait  le  plus  de  crédit 
auprès  de  lui.  Dans  une  dépêche  du  6  février  1465,  il  le  qualifie 
d'  «  alter  rex  »,  Jean  de  Lescun,  fils  naturel  d'Arnaud-Guilhem  de 
Lescun,  évêque  d'Aire,  et  d'Annette  d'Armagnac,  fille  de  Jean  III 
d'Armagnac,  a  été  en  effet,  pendant  une  vingtaine  d'années,  un  des 
conseillers  les  plus  écoutés  de  Louis.  Sa  biographie,  que  M.  Sama- 
ran  n'a  pas  faite  dans  son  livre  sur  la  Maison  d'Aimagnac  au 
XV^  siècle  —  aussi  bien  était-ce  un  bâtard  de  Lescun  plutôt  qu'un 
bâtard  d'Armagnac  —  n'a  été  retracée  qu'en  partie  par  Jean  de  Jaur- 
gain.  Elle  aurait  été  digne  de  provoquer  des  recherches  plus  atten- 
tives et  de  fournir  une  matière  à  quelque  jeune  élève  de  l'Ecole  des 
chartes  en  quête  d'un  sujet  de  thèse.  Qu'on  nous  permette  de  le 
prouver  brièvement. 

De  1438  à  1444,  Jean  de  Lescun  est  capitaine  de  routiers  dans  le 
Midi,  servant  tantôt  la  cause  de  Charles  VII,  tantôt  celle  de  Jean  IV 
d'Armagnac  et  des  Anglais.  Puis,  lorsque  le  Dauphin  emmène  les 
Ecorcheurs  en  Alsace,  Jean  de  Lescun  s'attache  à  sa  personne',  et, 
dès  lors,  il  reste  jusqu'à  la  mort  son  fidèle  serviteur.  Il  le  suit  en 
Dauphiné,  et,  pendant  neuf  années,  l'aide  à  administrer  sa  prin- 
cipauté. Les  conseillers  de  Charles  VII,  qui  auraient  voulu  réduire 
à  l'obéissance  le  remuant  et  insatiable  dauphin,  considèrent  le  bâtard 
d'Armagnac  comme  un  de  leurs  adversaires  les  plus  dangereux^.  Il 
aide  notamment  son  jeune  maître  à  obtenir  l'alUance  du  duc  de 
Savoie^  et  l'appui  secret  de  Jean  V  d'Armagnac*.  Lorsque  Louis 
s'enfuit  auprès  du  duc  de  Bourgogne,  il  le  suit,  en  laissant  ses  gens 
défendre  Grenoble  contre  les  troupes  du  roi^.  Nommé  en  1458  gou- 
verneur du  Dauphiné,  il  n'est  qu'un  gouverneur  in  partibus^.  Il 
partage  la  mauvaise  fortune  et  la  vie  inquiète  et  resserrée  de  l'exilé. 
Des  lettres  de  Louis  XI  rappelleront  plus  tard  la  fidélité  que  le 
bâtard  lui  a  témoignée  pendant  les  quinze  années  qu'il  a  résidé  avec 

1.  Tuetey,  les  Ecorcheurs  sous  Charles  Vil,  t.  II,  p.  70;  du  Fresne  de  Beau- 
court,  Histoire  de  Charles  VII,  t.  IV,  p.  125;  Pilot  de  Thofey,  Catalogue  des 
actes  de  Louis  relatifs  à  l'administration  du  Dauphiné,  l.  I,  p.  315,  n.  1; 
p.  512,  n.  1. 

2.  Marquis  de  Beaucourt,  t.  VI,  p.  480. 

3.  Voir  Pilot  de  Thorey,  loc.  cit.,  et  deux  actes  de  Louis,  duc  de  Savoie,  où 
figure  la  souscription  du  bâtard,  dans  Samaran,  p.  382  et  385. 

4.  Samaran,  p.  118  et  n.  2. 

5.  Marquis  de  Beaucourt,  t.  VI,  p.  110. 

6  M.  de  Jaurgain,  p.  45,  dit  à  tort  que  Philippe  le  Bon  obtint  de  Charles  VII 
la  restitution  de  1'  «  "apanage  »  {sic)  du  dauphin.  On  a  pu  dire  au  contraire 
que  ce  fut  à  cette  époque  que  se  consomma  la  réunion  du  Dauphiné  au 
domaine  royal  (Leroux,  Nouvelles  recherches  critiques,  p.  335). 


HISTOIRE  DE   FRANCE.  91 

lui  en  Dauphiné,  en  Brabant  et  en  Flandre,  servant  loyalement  son 
maître  et  dépensant  tout  son  avoir'.  A  Tavènement  de  Louis  XI,  il 
devient  un  personnage  de  premier  plan.  Il  est  comte  de  Gomminges, 
maréchal  de  France,  gouverneur  de  Guyenne,  gouverneur  du  Dau- 
phiné. Si  nous  consultons  le  Recueil  des  ordonnances,  nous  voyons 
qu'il  est  une  des  trois  ou  quatre  personnes  qui  siègent  le  plus  sou- 
vent au  Conseil  de  1461  à  1465.  L'Anglais  Robert  Nevil  écrit  le 
17  novembre  1464  :  «  Le  comte  de  Comminge...  qui  est  un  très 
gentil  chevalier,  otant  que  j'en  ay  point  vu  au  royaume  de  France,  et 
de  quoy  ung  chascun  dit  plus  de  bien,  gouverne  le  roi  paisiblement.  » 
Et  Nevil  continue  en  exprimant  de  gaillarde  façon  l'ascendant  que 
le  bâtard  a  pris  sur  son  neveu  le  comte  d'Armagnac  2.  Après  la 
guerre  du  Bien-Public,  cependant,  l'étoile  de  Jean  de  Lescun  pâlit. 
Louis  XI  rend  aux  conseillers  de  son  père  leurs  dignités  et  leur 
influence;  Jean  de  Lescun,  obligé  de  restituer  le  maréchalat  de 
France  au  sire  de  Lohéac,  s'éloigne  de  la  cour  et  se  rend  dans  son 
gouvernement  de  Guyenne;  il  y  renonce  presque  aussitôt  et  va  finir 
sa  carrière  dans  le  gouvernement  du  Dauphiné.  Dès  son  arrivée,  il 
accomplit  une  importante  réforme  :  en  1467,  la  constitution  muni- 
cipale de  Grenoble  est  profondément  modifiée;  puis,  en  1471.  il  pro- 
cède à  une  réorganisation  du  Parlement^.  Sauf  quelques  expédi- 
tions militaires  dont  le  roi  lui  confie  le  commandement,  c'est  en 
somme  l'administration  du  Dauphiné  qui  paraît  avoir  occupé  la  fin 
de  cette  vie  orageuse.  On  voit  que,  pour  faire  la  biographie  de  Jean 
de  Lescun,  il  aurait  fallu  une  connaissance  approfondie  des  sources 
de  l'histoire  de  France  au  xv^  siècle,  et  notamment  des  sources  dau- 
phinoises, et  non  pas  seulement  des  documents  béarnais  et  gascons. 
La  monographie  que  Jean  de  Jaurgain  a  consacrée  à  cette  intéres- 
sante figure  est  à  la  fois  trop  longue  et  trop  courte.  Elle  est  trop 
longue,  parce  que  beaucoup  de  hors-d'œuvre  retendent  inutilement; 
trop  courte,  parce  que  la  plupart  des  faits  que  nous  venons  de  résu- 
mer, d'après  des  livres  qu'il  est  bien  facile  de  consulter,  ont  totale- 
ment échappé  à  Jaurgain.  U  n'était  pas  au  courant  de  la  bibliogra- 
phie, ne  connaissait  que  quelques-uns  des  travaux  modernes  qui 
auraient  pu  l'éclairer,  et  ne  s'était  pas  préoccupé  de  faire  des  recherches 
dans  les  documents  dauphinois^.  On  cueillera  des  renseignements 

1.  Ordonnances,  t.  XV,  p.  360. 

2.  Samaran,  p.  144,  n.  5. 

3.  A.  Prudhomme,  Histoire  de  Grenoble,  p.  276-277;  Diiponl-Ferrier,  les 
Officiers  royaux  des  bailliages  el  sénéchaussées,  p.  672  et  suiv.,  et  les  notes. 

4.  (  Le  Dauphin  »,  écrit  Jaurgain,  p.  44,  «  s'était,  des  1447,  retiré  dans 
son  apanage  {sic),  où  il  s'attribua  tous  les  droits  royaux  {sic)  et  se  lit  détes- 
ter (?)  par  ses  exactions  (?)  ».  Cette  phrase  prouve  suHisainincnl  que  M.  de 
Jaurgain  ne  connaît  rien  de  l'histoire  du  Dauphiné  à  cette  époque. 


92  BULLETIN    HISTORIQUE. 

utiles  dans  son  mémoire,  notamment  sur  le  bâtard  de  Béarn,  qui, 
au  xiv^  siècle,  servit  successivement  les  rois  d'Angleterre  et  de 
France;  sur  rarchevêque  d'Auch,  qui  portait  le  même  nom  que  son 
frère  Jean  de  Lescun  et  que  des  savants  ont  parfois  confondu  avec 
le  bâtard  d'Armagnac;  sur  la  généalogie  du  favori  d'Edouard  II, 
Pierre  de  Gabaston,  etc..  Mais  la  biographie  du  bâtard  d'Armagnac 
reste  à  faire.  Une  grande  partie  de  sa  carrière  a  été  complètement 
ignorée  par  M.  de  Jaurgain  ;  et,  enfin,  cette  figure  de  Méridional  actif 
et  intelligent,  séduisant  et  impérieux,  qui  sut,  pendant  de  longues 
années,  «  gouverner  »  Louis  XI,  n'est  nulle  part  mise  en  lumière; 
elle  est  noyée  dans  un  brouillard  de  menus  faits  qu'on  ne  s'est  pas 
donné  la  peine  de  lier  et  de  rattacher  au  sujet. 

La  carrière  d'Odet  d'Aydie,  que  Jaurgain  a  prétendu  retracer 
dans  la  seconde  partie  de  son  mémoire,  forme  à  bien  des  égards  con- 
traste avec  celle  du  bâtard  d'Armagnac.  Ce  petit  gentihomme  béar- 
nais fut  d'abord  un  bon  serviteur  de  la  royauté  et  fit  rapidement 
fortune  à  la  fin  du  règne  de  Charles  VII,  qui  le  nomma  bailli  du 
Cotentin  et  lui  donna  la  seigneurie  de  Lescun.  Mais  Louis  XI  com- 
mit la  faute,  à  son  avènement,  de  le  destituer;  il  se  réfugia,  comme 
beaucoup  d'autres  victimes  du  nouveau  roi,  auprès  du  duc  de  Bre- 
tagne, dont  il  devait  rester  jusqu'à  la  fin  un  des  principaux  conseil- 
lers, et  il  usa  de  son  influence  sur  ce  prince  faible  et  inintelligent, 
ainsi  que  sur  le  médiocre  Charles  de  France,  pour  intriguer  contre 
Louis  XI,  susciter  des  coaUtions  et  se  pousser  aux  honneurs.  Deux 
fois,  en  1469  et  en  1472,  on  put  croire  qu'il  avait  abandonné  pour 
toujours  le  parti  de  l'opposition  féodale  :  en  1469,  il  jura  fidélité  à 
Louis  XI  et  lui  rendit  le  sérieux  service  de  décider  «  Monsieur 
Charles  »  à  accepter  l'apanage  de  Guyenne,  parce  qu'il  avait  envie 
lui-même  de  devenir  grand  seigneur  dans  le  Midi  ;  il  ne  tarda  pas  à 
oublier  son  serment  et  à  reprendre  ses  intrigues;  en  1472,  Louis XI 
réussit  de  nouveau  à  se  l'attacher  par  de  grandes  faveurs,  en  même 
temps  qu'il  gagnait  Commynes  ;  mais,  pendant  la  régence  des  Beau- 
jeu,  Odet  rentra  dans  l'opposition.         , 

Pour  se  faire  une  idée  nette  du  personnage,  nous  ne  pouvons  que 
conseiller  d'avoir  recours,  comme  auparavant,  à  des  ouvrages  dont 
Jaurgain  paraît  avoir  ignoré  l'existence  :  là- très  sérieuse  Histoire 
de  la  réunion  de  la  Bretagne  à  la  France,  d'Antoine  Dupuy  ;  l'in- 
troduction de  M.  Camille  Favre  au  roman  historique  du  Jouvencel; 
le  Gaston  IV  de  M.  Courteault^  Jaurgain  a  fixé  la  généalogie 

1.  On  trouvera,  sur  Odet  d'Aydie,  des  détails  nouveaux,  dans  le  livre  ci-des- 
sus apprécié  de  M.  Henri  Stein,  livre  que  Jaurgain  n'a  pu  connaître. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  93 

d'Odet  d'Aydie  et  donné  quelques  détails  nouveaux  sur  son  séjour 
en  Guyenne.  Il  a  rectifié  des  erreurs  de  détail,  montré  qu'on  l'avait 
parfois  confondu  avec  son  frère,  Odet  le  jeune,  notamment  pour  les 
événements  de  la  Guerre-Folle,  auxquels  ils  ont  été  mêlés  tous  les 
deux.  Mais  la  carrière  de  ce  gentilhomme  remuant  et  intrigant,  qui 
réussit  en  somme  à  se  faire  une  brillante  fortune  tout  en  jouant  les 
jeux  les  plus  dangereux,  aurait  mérité  un  exposé  plus  intéressant, 
plus  vivant,  et  aussi  plus  complet  et  mieux  étudié.  Par  exemple, 
nous  possédons  le  serment  de  fidélité  prêté  par  Odet  à  Louis  XI  le 
6  février  1469*  ;  pourquoi  ne  l'avoir  pas  recherché?  Quant  au  revi- 
rement qui  a  suivi  et  à  l'attitude  prise  par  Odet  d'Aydie  pendant  la 
redoutable  crise  de  1471-1472,  où  Louis  XI  faillit  perdre  la  cou- 
ronne, i|  est  impossible  d'en  saisir  la  signification  si  l'on  se  contente 
de  consulter  le  mémoire  de  Jaurgain.  Le  projet  de  mariage  entre 
Monsieur  Charles  et  une  des  filles  de  Gaston  de  Foix  n'était  nulle- 
ment, comme  il  le  prétend,  une  feinte.  Odet  réussit  à  faire  conclure 
le  mariage  de  François  II  de  Bretagne  avec  une  autre  fille  de  Gas- 
ton, et  son  projet  était  de  nouer  une  coalition  entre  les  maisons  de 
Bretagne  et  de  Foix  et  la  nouvelle  maison  de  Guyenne.  De  là,  le 
sentiment  de  haine  furieuse  qui  éclate  à  son  endroit  dans  une  lettre 
de  Louis  XI,  datée  du  7  février  1471.  Odet  y  est  traité  d'  «  homme 
de  povre  et  basse  condition...  coustumier  de  telles  cédicions,  trahi- 
sons et  conspirations  »  pour  «  soy  enrichir  iniquement  ».  Il  «  a 
entreprinz  le  gouvernement  de  la  personne  et  des  affaires  de  nostre- 
dit  frère  de  Guyenne  ».  «  Il  fut  le  premier  inventeur  et  principal 
auteur  des  troubles,  guerres,  n\aulx  et  divisions  qui,  depuis  lesdits 
sept  ans,  ont  esté  en  nostre  dit  royaulme^.  »  Jaurgain  n'a  pas  connu 
ce  document.  Par  un  malheur  dont  la  continuité  étonne,  cet  érudit 
a  laissé  échapper  les  textes  caractéristiques,  et  par  la  maladresse  de 
sa  méthode  d'exposition,  qui  consiste  à  aligner  ses  fiches  les  unes 
au  bout  des  autres,  les  faits  insignifiants  apparaissent  au  même  plan 
que  les  autres.  Et  pourquoi  citer  des  pages  entières  de  vieux  livres, 
tels  que  VHistoire  de  Bretagne  de  Taillandier,  ou  Vllistoire  de 
Louis  XI  de  Duclos?  Pourquoi  ces  documents  reproduits  sans 
commentaire  dans  le  corps  môme  du  récit,  alors  qu'ils  auraient 
souvent  grand  besoin  d'être  interprétés?  Nous  ne  nous  lasserons  pas 

1.  M.  Favre,  Introduction  au  Jouvencel  (Société  de  l'Histoire  de  France), 
p.  ccLxxiii,  n.  1,  a  indiqué  que  ce  document  se  trouvait  dans  le  manuscrit 
français  20430,  fol.  41. 

2.  Duc  de  La  Trémoille,  Archives  d'un  serviteur  de  Louis  XI,  1888, 
p.  45. 


94  BULLETIN   HISTORIQUE. 

de  répéter  que  des  livres  préparés  et  écrits  de  cette  façon  n'ont  rien 
de  commun  avec  l'histoire,  qui  est  une  science  et  un  art. 

Ch.  Petit-Dutaillis. 


HISTOIRE  DE  L'ISLAM. 

Dans  la  Revue  historique  de  septembre-octobre  1913,  nous 
avons  puTïlié  un  bulletin  sur  l'histoire  de  l'Islam,  dans  lequel  nous 
avons  signalé  les  principales  publications  parues  sur  ce  sujet  depuis 
le  début  du  xx''  siècle  jusqu'en  l'année  1913.  C'est  la  suite  de  ce 
premier  travail  de  recension  et  d'analyse  que  nous  reprenons  après 
un  long  intervalle  dû  aux  événements  tragiques  par  lesquels  nous 
avons  passé,  en  faisant  partir  notre  revue  de  l'an  1914  pour  la  con- 
duire jusqu'à  la  fin  de  1920. 

La  période  de  guerre  1914-1918  a  été  néfaste  pour  les  études 
scientifiques  dans  tous  les  domaines;  l'orientalisme  sémitique  n'a 
point  échappé  à  cette  dure  nécessité.  On  peut  dire  aussi,  malheu- 
reusement, que,  depuis  l'armistice  et  la  conclusion  de  la  paix,  les 
circonstances  n'ont  guère  été  plus  favorables  :  la  cherté  excessive  et 
croissante  de  la  vie  a  eu  ses  répercussions  dans  l'imprimerie,  la 
fabrique  du  papier,  et,  par  suite,  la  librairie.  On  sait  quels  prix 
fabuleux  les  éditeurs  et  les  auteurs  ont  à  subir  aujourd'hui  pour 
publier  un  volume,  une  revue,  un  journal  ou  une  simple  brochure. 
Il  est  résulté  de  cet  état  de  choses  déplorable  que,  pendant  la  guerre, 
nombre  de  revues  ont  cessé  de  paraître  ou  n'ont  été  imprimées  qu'à 
de  longs  intervalles  ou  sous  une  forme  réduite  et  condensée.  Il  en 
va  de  même  pour  de  grandes  publications  scientifiques.  C'est  ainsi 
que  les  éditeurs  des  Annali  deW  Islam,  de  Leone  Caetàni,  en 
ont  suspendu  l'impression  et  le  dernier  fascicule  de  YEncyclopédie 
de  l'Islam  (23«  livraison)  est  de  1916.  Toutefois,  tandis  que  presque 
partout  s'est  amoindrie  ou  même  a  disparu  la  production  scienti- 
fique dans  ces  branches  d'études  désintéressées  que  Renan  tenait  en 
si  haute  estime  à  cause  de  ce  caractère  même,  on  est  heureux  de 
constater  qu'une  publication  aussi  importante  que  VE^icyclopae- 
dia  of  Religion  and  Ethics,  éditée  par  James  Hastings,  a  conti- 
nué de  paraître  à  Edimbourg  pendant  la  durée  de  la  guerre  et  depuis 
la  conclusion  de  la  paix  :  cinq  volumes  (tomes  VII  à  XI)  ont  été 
imprimés  de  1914  à  1920;  nous  aurons  plus  loin  l'occasion  d'y 
signaler  des  articles  intéressants  pour  l'histoire  de  l'Islam. 


HISTOIRE   DE    l'iSLAM.  95 

Nous  laisserons  de  côté  les  publications  nombreuses  de  la  littéra- 
ture courante  relative  à  l'Islam  (romans,  nouvelles,  contes,  voyages, 
descriptions  de  pays  et  de  villes,  etc.),  dont  plusieurs  méritent  sans 
doute  d'être  lues,  mais  qui  n'ont  aucun  titre  à  être  considérées 
comme  ayant  une  valeur  scientifique.  Nous  n'examinerons  que  les 
ouvrages  relevant,  à  quelque  point  de  vue  que  ce  soit,  de  la  science 
historique. 

Dans  notre  bulletin  de  1913,  nous  avions  dressé  la  liste  des  revues 
s'occupanl  de  l'histoire  de  l'Islam.  Pourlapériode  1914-1918,  on  trou- 
vera dans  la  Revue  de  l'histoire  des  religions  de  novembre-dé- 
cembre 1919  un  bulletin  des  périodiques  de  l'Islam,  très  exact,  par 
René  Basset.  Il  n'y  a  guère  que  la  Revue  du  monde  musulman 
qui  n'y  soit  pas  recensée. 

Aux  revues  que  nous  avons  signalées,  il  y  a  lieu  d'ajouter,  avec 
une  mention  spéciale,  les  Archives  berbères  (Paris,  E.  Leroux), 
dont  le  premier  volume  a  paru  en  1915-1916,  et  qui  renferme  de 
sohdes  études  sur  l'histoire  de  l'Islam  berbère  au  Maroc.  Ce  pério- 
dique est  publié  par  le  Comité  d'études  berbères  de  Rabat. 

Pendant  la  guerre,  depuis  1917,  il  a  été  publié  en  Allemagne  une 
revue  très  bien  informée  sur  l'Orient  et  l'Islam,  Der  neue  Orient 
(Berlin*)  ;  ce  périodique  continue  de  paraître.  C'est  aussi  pendant  la 
guerre,  en  1917,  qu'a  été  lancée  la  belle  publication  illustrée  France- 
Maroc  (Paris ^)  qui,  à  plusieurs  reprises,  a  inséré  des  articles  his- 
toriques sur  l'Islam  marocain. 

Dans  la  catégorie  des  ouvrages  généraux,  nous  pouvons  mention- 
ner le  second  volume  paru  des  Studi  distoria  orientale  (tome  III), 
de  Leone  Caetani^.  Ce  volume  expose,  avec  toute  l'érudition  qui 
caractérise  l'auteur,  la  biographie  de  Mahomet  prophète  et  homme 
d'État  (p.  1-305),  l'origine  du  califat  (p.  307-343)  et  la  conquête  de 
l'Arabie  (p.  345-418). 

L'Université  de  Genève  a  publié  en  1917,  à  Paris,  chez  Fischba- 
cher^  à  l'occasion  de  sa  trentième  année  de  professorat,  un  volume 
d'Études  orientales  et  religieuses  d'Edouard  Montet.  Dans  ce 
recueil,  où  l'histoire  de  l'Islam  occupe  une  place  importante,  il  y  a 
lieu  de  citer  les  articles  sur  les  confréries  religieuses  de  l'Islam 
marocain,  le  culte  des  saints  dans  l'Islam  au  Maghreb,  Fez,  ville 
sainte  et  ville  savante,  et  Marrakech,  la  capitale  du  sud.  Le  même 

1.  Verlag  «  Der  neue  Orient  ».  Berlin,  Abonnement  :  20  m.  (Allemagne). 

2.  Le  bureau  de  la  Revue  éUit,  à  cette  date,  à  Paris,  4,  rue  Chauveau- 
Lagarde.  Prix  du  numéro  :  1  fr.  50. 

3.  Milan,  Ilocpli,  1914,  in-8%  ix-431  p.;  prix  :  8  lire." 

4.  In-8%  xii-359  p.;  prix  :  10  fr. 


96  BULLETIN    HISTORIQUE. 

auteur  a  publié  chez  Payot  *  un  volume  de  vulgarisation  scientifique 
intitulé  l'Islam,  où  l'histoire  islamique,  aux  points  de  vue  reli- 
gieux, politique,  administratif,  littéraire,  scientifique  et  artistique, 
est  exposée  d'une  manière  succincte,  mais  dans  une  lumière  suffi- 
sante pour  en  faire  saisir  l'intérêt  et  la  valeur.  ' 

Dans  le  recueil  de  mémoires  publié  en  mai  1914  sous  la  direc- 
tion de  Karl  Marti^,  à  l'occasion  du  70^  anniversaire  de  JuIIusWell- 
HAUSEN,  il  n'y  a  qu'un  seul  travail  relatif  à  l'Islam  sur  la  légende 
de  l'ascension  au  ciel  de  Mahomet  (A.  Bèvan).  Mais,  dans  ce 
recueil,  Alfred  Rahlfs  a  donné  la  liste  complète  des  écrits  de  Well- 
hausen  ;  on  y  trouvera  indiqués  tous  les  ouvrages  de  ce  savant  ara- 
bisant sur  l'histoire  de  l'Islam,  ainsi  que  tous  les  comptes-rendus 
qu'il  a  donnés  des  publications  faites  dans  le  champ  des  études 
musulmanes.  L'index  est  très  utile  et  c'est  pour  cela  que  nous  le 
signalons. 

L'ouvrage  intitulé  Miscelanea  de  estudios  y  textos  arabes^, 
publié  à  Madrid  en  1915,  contient,  entre  autres  mémoires,  une 
étude  intéressante  de  A.  Prieto  y  Vives  sur  la  réforme  numisma- 
tique des  Almohades.  Ce  volume  de  752  pages  est  consacré  presque 
entièrement  à  la  publication  d'un  texte  arabe  important  dont  nous 
parlerons  plus  loin  et  à  des  travaux  sur  des  manuscrits  arabes  et 
aliamiados^  des  bibliothèques  de  Tolède  et  de  Madrid,  et  sur  d'autres 
textes  intéressants  pubUés  ou  inédits. 

Parmi  les  ouvrages  de  vulgarisation  destinés  au  grand  public, 
nous  tenons  à  citer,  bien  que  l'histoire  de  l'Islam  n'y  occupe  qu'une 
place  restreinte,  la  belle  publication  illustrée  :  l'Autre  France^,  de 
Henri  Lorin,  Marcel  Nési  et  Jean  Garoby,  sous  la  direction  de 
Louis  Querouil-Archinard.  Le  milieu  historique  a  été  traité  par 
M.  Nési.  Des  publications  de  ce  genre,  destinées  à  faire  bien  con- 
naître nos  colonies  et  pays  de  protectorat  africains  musulmans,  sont 
tout  à  fait  à  recommander. 

1.  Paris,  Payot,  1921,  in-8%  160  p.;  prix  4  fr. 

2.  Studien  zur  semitischen  Philologie  und  Religionsgeschichte  Julius 
Wellhausen  zum  lOsten  Geburlstag  (Beiliefte  zur  Zeitschrift  fiir  die  alttesta- 
raentliche  Wissenschaft,  27).  Berlin,  A.  Topelmann,  in-8»,  xii-388  p.;  prix  [en 
1914]  :  24  fr. 

3.  Junta  para  ampliâcion  de^  estudios  e  investigaciones  cientificas.  Madrid, 
in-8',  xv-752  p.;  prix  :  15  pesetas. 

4.  C'est-à-dire  en  arabe  corrompu  et  en  castillan,  parlé  par  les  Maures  d'Es- 
pagne et  écrit  en  caractères  arabes. 

5.  Tunisie,  Algérie,  Maroc.  Bordeaux,  Feret  et  fils,  1914,  in-4°,  ii-408  p.; 
prix  .  30  fr. 


HISTOIRE    DE   l'iSLAM.  97 

Dans  la  catégorie  des  écrits  encyclopédiques,  nous  avons  trois 
ouvrages  intéressants  à  signaler. 

L'illustre  arabisant  espagnol  Francisco  Codera  avait  publié  en 
deux  volumes,  en  1887  et  1889,  le  texte  arabe  de  l'ouvrage  célèbre 
d'iBN  el-Abbâr,  connu  sous  le  nom  de  Takmila-t-essila,  impor- 
tant dictionnaire  biographique  des  savants  de  l'Espagne.  Codera 
avait  fait  paraître  ce  texte  d'après  le  manuscrit  incomplet  de  l'Es- 
curial.  Des  compléments  (texte  arabe)  à  cette  édition,  d'après  un 
manuscrit  du  Caire,  ont  été  publiés  en  1915  à  Madrid  par  M.  Alar- 
cÔN  et  G.  Palencia  dans  le  recueil  cité  plus  haut  des  Miscelanea, 
de  estudios  y  textos  arabes  (p.  149  à  690). 

Les  recherches  faites  à  Fez  par  A.  Bel  luiont permis  de  trouver 
un  manuscrit  assez  complet  de  la  Takmila  dans  la  riche  biblio- 
thèque du  chérif  Elkittâni.  En  attendant  la  publication,  en  voie  de 
préparation,  du  texte  du  commencement  de  la  Takmila  (partie  non 
éditée.par  Codera),  M.  A.  Bel  et  M.  Ben-Cheneb  ont  communiqué 
dans  la  Revue  africaine  d'Alger  (n°'  296-297),  en  1918,  la  préface 
d'Ibn  el-Abbâr  à  sa  Takmila  (texte  arabe  et  traduction  française). 
Cette  préface  fort  intéressante  nous  apprend  que  l'auteur  arabe  avait 
entrepris  la  rédaction  de  son  ouvrage  en  631  H.  (1233  E.  X.).  Des 
allusions  aux  événements  historiques  de  celte  époque  montrent  le 
désarroi  de  la  politique  musulmane  en  Espagne  au  temps  de  la 
rédaction  de  la  préface,  en  646  H.  (1249  E.  X.).  A.  Bel  et  M.  Ben- 
Cheneb  ont  rendu  un  véritable  service  à  la  science  islamique  en  fai- 
sant connaître  cette  préface,  qui  n'est  que  le  prélude  de  la  publica- 
tion plus  importante  destinée  à  compléter  tout  ce  qui  a  déjà  paru 
de  la  Takmila. 

Le  catalogue  (en  arabe)  des  livres  de  la  bibliothèque  de  la  mos- 
quée d'El  Qarouiyihe,  à  Fez,  a  été  publié  dans  cette  ville  à  l'impri- 
merie municipale  en  1918.  A.  Bel  l'a  fait  précéder  d'une  préface 
intéressante  où  sont  signalés  plusieurs  des  manuscrits  impor- 
tants que  la  bibliothèque  possède  encore.  On  sait  que  la  biblio- 
thèque de  Qarouiyine,  célèbre  autrefois  au  Maroc  par  les  manus- 
crits qu'elle  renfermait,  a  été,  à  plusieurs  reprises,  livrée  au 
pillage,  et  qu'elle  a  été  finalement  réduite  à  un  état  lamentable. 
On  y  compte  aujourd'hui  1,640  numéros  (1,542  manuscrits  et 
98  imprimés).  Mais,  dans  le  nombre,  il  en  est  beaucoup  d'incom- 
plets, sans  parler  des  volumes  en  lambeaux.  La  publication  d'un  tel 
catalogue,  qui  intéresse  au  plus  haut  degré  l'histoire  de  l'Islam,  était 
nécessaire  pour  permettre  de  travailler  à  la  reconstitution  de  cette 
bibliothèque  fameuse  dans  les  annales  de  l'Islam. 

REV.    HiSTOR.   CXXXVIII.   1"  FASC.  7 


98  BTJLLETm   HISTORIQUE. 

La  personnalité  de  Mahomet  est  toujours  le  sujet  de  nouveaux 
travaux. 

Sous  le  titre  de  la  Vie  de  Mohammed,  prophète  d'Allah\ 
E.  DiNET,  le  célèbre  peintre  orientaliste,  et  Sliman  ben  Ibrahim  ont 
publié  une  histoire  de  Mahomet  qui  est  une  merveille  d'art.  Les 
illustrations  admirables  du  maître  Dipet  et  les  décorations  orien- 
tales de  Mohammed  Racim  font  de  cet  ouvrage,  dédié  à  la  mémoire 
des  Musulmans  morts  pour  la  France,  une  œuvre  artistique  de  pre- 
mier ordre.  Le  texte,  écrit  au  point  de  vue  traditionnel  musulman, 
est  très  intéressant  à  lire;  mais  l'absence  de  critique  historique 
enlève  toute  autorité  scientifique  à  cette  publication  magistrale  au 
point  de  vue  artistique.  Un  mérite  des  auteurs  a  été  de  rattacher  la 
vie  du  prophète,  telle  qu'ils  la  racontent,  aux  pratiques  de  l'Islam 
actuel  ;  ce  procédé  ingénieux  donne  beaucoup  de  vie  à  leur  narration. 

Signalons,  à  propos  de  Mahomet,  la  seconde  édition  de  l'ouvrage 
classique  de  Théodore  Noeldeke  sur  l'histoire  du  Coran,  refondue 
par  P.  ScHWALLY^.  La  première  partie,  qui  traite  de  l'origine  du 
Coran,  avait  paru  en  1909;  la  seconde,  qui  a  pour  sujet  la  réunion 
de  la  collection  coranique  et  l'examen  des  documents  musulmans 
et  des  travaux  des  savants  chrétiens  sur  le  livre  sacré,  n'a  été  publiée 
qu'en  1919. 

L'histoire  de  l'Islam  revêt  toujours  un  caractère  religieux  ;  lareh- 
gion  y  est  inséparable  de  la  politique  :  c'est  le  fait  que  nous  allons 
constater  une  fois  de  plus  dans  la  bibliographie  que  nous  en  don- 
nons. 

Comme  ouvrage  embrassant  toute  l'histoire  dé  l'Islam,  nous 
avons  à  citer  les  deux  volumes  de  V Histoire  des  Arabes^  de 
C.  HuART.  C'est  un  livre  dont  la  lecture  est  à  recommander  à  tous 
ceux  qui  désirent  avoir  une  connaissance  générale  des  origines  et  du 
développement  de  l'Islam  :  tous  les  sujets  que  comporte  cette  his- 
toire sont  traités  (rehgion,  politique,  administration,  lettres,  sciences, 
etc.)  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  l'époque  contempo- 
raine. Une  carte,  des  listes  chronologiques  de  souverains,  des  biblio- 
graphies partielles  pour  chaque  sujet,  etc. ,  enfin  un  index  général 
rendent  cette  œuvre  encyclopédique  de  l'Islam  très  pratique.  On  ne 
saurait  que  féliciter  l'auteur  de  la  conscience  qu'il  a  mise  à  compo- 
ser ce  savant  et  bel  ouvrage. 

1.  Paris,  H.  Piazza,  1918,  in-4°,  iv-177  p.;  prix  :  150  fr. 

2.  Noeldeke,  Geschichte  des  Qorans.  Leipzig,  Dieterich,  2  vol.  in-8".  I  Theil  : 
x-262  p.;  II  Theil  :  vii-227  p.;  prix  en  Allemagne  :  35  m.  75. 

3.  Paris,  P.  Geuthner,  1912-1913,  in-S".  T.  I  :  iv-381  p.;  t.  II  :  512  p.;  prix  : 
40  fr. 


HISTOIRE   DE   l'iSLAU.  99 

Dans  YEncyclopaedia  of  Religion  and  Ethics,  éditée  par 
James  Hastings*,  plusieurs  articles  importants  sur  l'histoire  géné- 
rale de  l'Islam  doivent  être  signalés  :  Mahomet  (D.  S.  Margoliouth), 
Mahométisme  :  Arabie,  nord  et  centre  de  l'Afrique  (D.  S.  Mar- 
goliouth), Asie  centrale  (A,  Vambèry),  Chine  (M.  Hartmann), 
Indes  (T.  W.  Arnold),  Perse  (W.  A.  Shedd),  Syrie  et  Mésopo- 
tamie (T.  H.  Weir),  Turquie  (F.  Giese).  Comme  articles  plus 
spéciaux,  nous  citerons  ceux  qui  traitent  de  la  prière,  du  pèleri- 
nage et  de  la  loi  (Th.  W.  Juynboll)  et  des  ordres  religieux  et  de 
leur  histoire  (E.  Montet). 

Comme  ouvrages  traitant  de  sujets  historiques  limités,  nous  atti- 
rerons l'attention  sur  les  écrits  suivants  : 

La  Syrie,  dont  la  situation  préoccupe  tous  ceux  qui  s'intéressent 
aux  questions  d'Orient,  a  été  l'objet  d'une  vaste  étude,  où  l'histoire 
tient  une  place  importante,  de  la  part  du  D'  G.  Samné.  L'ouvrage 
a  pour  titre  la  Syrie^. 

Sur  la  pohtique  de  Bonaparte  à  l'égard  de  l'Islam,  M.  Christian 
Cherfils  a  publié  une  étude  très  documentée  et  du  plus  grand 
intérêt  :  Bonaparte  et  l'Islam  d'après  les  documents  français 
et  arabes^.  Ce  qui  frappe  surtout  dans  cet  ouvrage,  et  ce  que  l'au- 
teur a  su  mettre  en  relief,  c'est  combien  ce  grand  génie  que  fut 
Napoléon  I"  avait  compris  et  pénétré  l'esprit  musulman. 

M.  Carlo  Alphonse  Nallino  a  publié  une  étude  très  judicieuse  sur  le 
caractère  du  califat  en  général  et  le  prétendu  califat  ottoman  :  Notes 
on  the  nature  of  the  Caliphate  in  gênerai  and  on  the  alleged 
Ottoman  Caliphate*.  Il  conclut  cet  opuscule  parce  jugement  très 
exact  :  «  En  acceptant  le  califat  ottoman,  ou  tout  autre  califat,  les 
peuples  de  l'Islam  ont  la  conscience  très  nette  de  tromper  leurs 
dominateurs  européens  et  de  faire  un  acte  perpétuel  de  protesta- 
tion politique  contre  eux.  Il  est  vraiment  extraordinaire  que  les 
Etats  européens  se  donnent  la  peine  de  revivifier  artificiellement 
une  institution  qui  est  morte  d'elle-même  il  y  a  plusieurs  siècles.  » 

Les  arabisants  espagnols  se  sont  fait  une  spécialité  des  études 
philosophiques  musulmanes,  et,  depuis  1914,  ils  ont  publié  sur 
l'histoire  de  la  philosophie  islamique,  branche  importante  de  la 
science  de  l'Islam,  des  travaux  remarquables.  Voici  la  liste  des  prin- 
cipaux d'entre  eux.  A  l'exception  du  premier,  qui  a  été  publié  par 

1.  Vol.  VII  à  XI.  Edinburgh,  T.  and  T.  Clark,  1914  à  1920. 

2.  Paris,  Bossard,  1920,  in-8°,  750  p.,  avec  30  photographies  et  6  cartes 
hors  texte;  prix  :  48  fr. 

3.  Paris,  A.  Pedone,  1914,  in-8%  299  p.;  prix  :  8  fr. 

4.  Translated  from  the  2d  italian  édition.  Roma,  1919,  Ministrj  of  the  Colonies. 


100  BULLETIN    HISTORIQUE. 

TAcadémie  royale  des  sciences  morales  et  politiques  de  Madrid,  tous 
ont  été  édités  par  la  «  Junta  para  ampliaciôn  de  estudios  e  investi- 
gaciones  cientifîcas  »  (Madrid) ,  que  nous  avons  déjà  citée. 

Nous  placerons  en  tête  de  cette  collection  l'ouvrage  général  de 
Miguel  AsÎN  sur  les  origines  de  la  philosophie  hispano-musulmane 
[Ahen  masarra.  y  su  escuela*).  Le  traité  de  logique  de  Abusalt 
DE  Dénia,  intitulé  Rectificaciôn  de  la  mente,  a  été  publié  (texte 
arabe  et  traduction)  par  C.  Angel  Gonzalez  Palencia  (1915)^. 
L'«  Introduction  à  l'art  de  la  logique  »  de  Abentomlus  de  Alcira 
(texte  arabe  et  traduction)  a  été  traduite  par  Miguel  Asîn  (1916)  3. 
Le  «  Manuel  d'algèbre  »  de  Abenbèder  (texte  arabe  et  traduction) 
a  été  publié  par  José  A.  Sânchéz  Pérez  (1916)''.  Le  traité  de 
morale  pratique  [Los  caractères  y  la  co7iducta],  par  Abenhazam 
DE  CÔRDOBA,  a  été  traduit  par  Miguel  Asîn  (1916)'.  Enfin  le  traité 
de  métaphysique  [Compendio  de  metafisica)  d'AvERROÈs  a  été 
publié  (texte  arabe  et  traduction)  par  Quirôs  Rgdriguez  (1919)^. 

Nous  devons  ajouter  à  cette  liste  brillante  de  savantes  éditions  le 
catalogue  des  manuscrits  arabes  de  la  bibliothèque  de  la  Junta 
{Manuscritos  arabes  y  aljamiados),  publié  sous  la  direction  de 
J.  RiBERA  et  M.  Asîn',  et  où  l'on  trouve  de  nombreuses  notices  inté- 
ressantes pour  l'histoire  de  l'Islam. 

Ajoutons  à  cette  liste  de  travaux  spéciaux  des  savants  espagnols 
une  étude  générale  sur  l'histoire  de  la  philosophie  musulmane  de 
T.  J.  DE  BoER,  l'historien  hollandais  bien  connu  de  la  philosophie 
arabe.  Cette  étude  a  paru  dans  VEncyclopaedia  of  Religion  and 
Ethics  {Philosophy  :  Miislim)  qui  a  été  citée  plus  haut. 

Parmi  les  ouvrages  importants  dont  la  publication  prochaine  est 
annoncée,  nous  citerons  l'histoire  de  l'Islam  en  Chine  de  M.  Hart- 
mann :  Zur  Geschichte  des  Islam  in  China^. 

Au  moment  où  nous  mettions  la  dernière  main  à  cet  article,  nous 
avons  été  très  heureux  de  recevoir  l'excellente  traduction  que  Féhx 
Arin  a  faite  de  l'ouvrage  classique  d'Ignacz  Goldziher  sur  l'Islam. 
Nous  avons  rendu  compte  avec  détail  de  l'ouvrage  du  savant  pro- 

1.  1914,  In-S",  167  p.  Publication  de  l'Académie  royale  de  Madrid. 

2.  In-8°,  137  et  53  p.  (pag.  arabe);  prix  :  4  pesetas. 

3.  In-8%  XXIX,  153  et  109  p.  (pag.  arabe);  prix  :  7  pesetas. 

4.  In-8°,  xLTii,  117  et  76  p.  (pag.  arabe);  prix  :  6  pesetas. 

5.  In-8°,  xxxi-179  p.;  prix  :  5  pesetas. 

6.  In-8*,  XL,  307  et  171  p.  (pag.  arabe)  ;  prix  :  10  pesetas 

7.  Madrid,  1912,  in-8%  xxix-320  p.;  prix  :  10  pesetas. 

8.  Cet  ouvrage  formera  le  tome  X  de  la  collection  :  Quellen  und  Forschuïi' 
gen  zur  Erd-  und  KuUurkunde.  Leipzig,  W.  Heim  ;  le  prix  en  sera  en  Alle- 
magne de  175  m. 


HISTOIRE   DE   l' ISLAM.  101 

fesseur  hongrois,  dans  cette  Revue,  en  1913'.  Goldziher  adonné 
comme  titre  à  son  travail  :  «  Leçons  sur  l'Islam'  »  [Vorlesungen 
liber  den  Islam)  ;  le  traducteur  français  l'a  intitulé  :  le  Dogme  et 
la  loi  de  l'Islam,  avec  le  sous-titre  :  «  Histoire  du  développement 
dogmatique  et  juridique  de  la  religion  musulmane^.  »  En  fait,  c'est 
un  ouvrage  général'sur  l'Islam,  fait  avec  une  précision  et  une  richesse 
de  documentation  dont  était  seul  capable  ce  maître  de  la  science 
islamique. 

L'ouvrage  est  divisé  en  six  chapitres  intitulés  dans  la  traduction  : 
I,  Mohammed  et  l'Islam;  ii,  Développement  de  la  loi;  m.  Dévelop- 
pement dogmatique  ;  iv,  Ascétisme  et  sufisme  ;  v,  Les  sectes  ;  vi.  For- 
mations postérieures.  L'auteur  embrasse,  aa  double  point  de  vue 
religieux  et  juridique,  tout  le  champ  du  développement  de  l'Islam' 
depuis  ses  origines  jusqu'au  temps  actuel. 

Les  idées  principales  exposées  par  l'auteur  sur  ce  vaste  sujet  sont 
les  suivantes  :  éclectisme  de  l'Islam  à  ses  débuts,  rôle  joué  par  l'es- 
chatologie dans  la  prédication  de  Mahomet  ;  les  préoccupations  escha- 
tologiques  ont  été  la  cause  première  de  la  tendance  ascétique  dans 
l'Islam.  Quelques-unes  des  observations  les  plus  fécondes  qu'ait 
faites  l'éminent  maître  de  l'Université  de  Budapest  portent  sur  le 
caractère  mondial  de  la  mission  du  prophète  arabe,  sur  le  fait  que 
le  Coran  contient  en  germe  tout  le  développement  futur  de  l'Islam, 
à  tous  les  points  de  vue,  sur  l'importance  capitale  de  la  tradition 
écrite  [hadîth)  dans  laquelle  s'expriment  la  loi  et  la  doctrine 
religieuses. 

E.  MONTET. 

1.  Numéro  de  septembre-octobre,  p.  113. 

2.  Paris,  Paul  Geuthner,  1920,  1  vol.  gr.  in-8%  vm-317  p.;  prix  :  20  fr. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Félix  OswALD  et  T.  Davies-Pryce.  An  introduction  to  the  study 
of  Terra  Sigillata.  Treated  from  a  chronological  standpoint. 
Londres,  Longmans,  GreenetC'%  1920.  Gr.  in-4°,  xii-286  pages 
et  85  pi. 

Les  trouvailles  faites  par  MM.  Oswald  et  Davies-Pryce  à  la  station 
romaine  de  Margidunum,  dans  le  comté  de  Nottingham,  les  ont  amenés 
à  faire  un  travail  d'ensemble  sur  la  poterie  rouge  sigillée,  la  Terra 
sigillata.  Après  tant  d'excellents  travaux  sur  ce  sujet,  principalement 
après  celui  de  Déchelette,  à  la  mémoire  duquel  ils  ont  dédié  le  leur, 
ils  ne  pouvaient  guère  avoir  d'autre  but  ni  d'autre  ambition  que  de 
les  résumer,  de  les  coordonner  en  tenant  surtout  compte  des  trouvailles 
et  des  ateliers  des  régions  belges  et  rhénanes,  d'écrire  une  sorte  de 
manuel  essentiellement  chronologique.  Ils  y  ont  pleinement  réussi  et 
les  tableaux,  les  classifications,  surtout  les  bonnes  illustrations  de  leur 
ouvrage  rendront  d'incontestables  services.  Après  une  introduction 
sur  les  origines  orientales  de  cette  poterie  et  sa  diffusion  en  Italie  et 
en  Gaule,  les  trois  premiers  chapitres  exposent  l'histoire  du  groupe 
italien  d'Arezzo,  ses  dates,  ses  principaux  types  de  dessins,  la  liste 
des  trouvailles;  puis  l'histoire  du  groupe  provincial,  qui  comprend  la 
liste  complète  des  ateliers  de  la  Gaule  et  des  régions  rhénanes,  leurs 
traits  caractéristiques,  les  périodes  de  leur  production,  les  noms  de 
leurs  potiers,  les  lieux  des  découvertes,  avec  les  dates  de  l'occupation 
romaine,  les  zones  d'exportation.  Le  chapitre  iv,  consacré  aux  timbres 
des  potiers,  les  divise  en  sept  groupes  chronologiques  et  donne  leurs 
noms  avec  la  forme,  la  provenance  et  les  particularités  des  vases.  Le 
chapitre  v  décrit,  d'après  les  classifications  et  les  numéros  de  Dragen- 
dorff,  de  Déchelette  et  de  Knorr,  les  principaux  types  de  vases  ornés  : 
coupes  à  pied,  à  fond  en  forme  de  carène,  cyUndriques,  hémisphé- 
riques, circulaires  avec  bords  plats  décorés,  marmites  et  pots.  Le 
chapitre  vi  est  consacré  à  l'origine  et  au  développement  des  dessins 
décoratifs,  dans  les  trois  groupes  du  sud,  du  centre  et  de  l'est  de  la 
Gaule.  Ils  reproduisent  surtout  soit  des  plantes  et  des  animaux,  soit 
des  figures,  soit  des  motifs  de  la  mythologie  hellénique,  empruntés  à 
la  céramique,  à  la  sculpture  et  à  la  ciselure;  les  ateliers  du  sud 
emploient  à  la  fois  les  trois  catégories;  ceux  du  centre,  de  Lezoux, 
surtout  les  deux  dernières.   Dans  le  chapitre  vu  sont  étudiés  des 
détails  d'une  grande  importance  chronologique  :  l'ove,  son  origine, 
(fleur  et  bouton  du  lotus),  son  évolution,  sa  stylisation;  les  bordures 


J.  HATZFELD  :  LES  TRAFIQUANTS  ITALIENS  DANS  l'oRIENT  OELLÉNIQDE.     103 

et  motifs  de  démarcation,  grains  de  collier,  astragales,  spirales,  guir- 
landes. Les  chapitres  viii  et  ix  sont  consacrés  aux  vases  lisses,  sans 
décoration,  ramenés  à  trente-deux  formes;  aux  fabrications  diverses, 
vases  marbrés,  à  décor  incisé,  à  reliefs  d'applique,  ornés  à  la  batbo- 
tine.  Le  chapitre  x  revient,  sans  grande  utilité  ni  originalité,  sur  l'ori- 
gine orientale  et  l'évolution  de  la  Sigilla.ta  et  étudie  à  ce  point  de  vue 
quelques  motifs  de  décoration,  tels  que  la  croix  de  Saint-André,  le 
nautilus,  la  pointe  de  flèche,  les  écailles,  la  feuille  cunéiforme,  la 
grenade,  le  bouton  lancéolé,  la  guirlande  de  feuilles  d'olivier.  Viennent 
ensuite  :  une  chronologie  de  l'histoire  de  la  Sigillata;  trois  excellentes 
bibliographies,  une  des  ouvrages  généraux,  une  des  travaux  de  détail, 
une  des  livres  sur  les  matières  connexes;  un  appendice  sur  quelques 
potiers  des  ateliers  italiens,  sur  des  prototypes  de  figures  de  vases 
gaulois,  sur  des  pièces  rares;  deux  index,  dont  un  des  noms  de  potiers; 
une  carte' des  principaux  ateliers  et  des  routes  commerciales,  et  quatre- 
vingt-quatre  planches,  dont  les  principales  reproduisent,  avec  l'indica- 
tion de  la  provenance,  de  la  marque  de  potier,  de  la  collection,  de  la 
publication,  de  la  forme,  un  certain  nombre  de  vases  ou  de  dessins 
ou  de  motifs  décoratifs,  rangés  de  façon  à  correspondre  aux  types 
classiques  et  numérotés  soit  principalement  de  Dragendorff  et  de 
Déchelette,  soit  de  Knorr,  Ritterling,  Walters,  Curie,  Ludowici. 

Ch.  LÉCRIVAIN. 


Jean  Hatzfeld.  Les  trafiquants  italiens  dans  l'Orient  hellé- 
nique. Paris,  E.  de  Boccard,  1919.  In-8°,  413  pages.  (Biblio- 
thèque des  Écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome,  fasc.  CXV.) 

La  monographie  de  M.  Hatzfeld  n'est  pas  seulement  une  excellente 
étude  d'une  des  questions  les  plus  curieuses  et  les  moins  connues  jus- 
qu'ici de  l'histoire  économique  de  l'antiquité.  Comme  je  voudrais  le 
montrer,  la  portée  de  ses  conclusions  dépasse  ce  cadre  et  les  historiens 
du  moyen  âge  occidental  et  byzantin  devront  en  tenir  le  plus -grand 
compte. 

On  sait,  en  effet,  quelle  a  été  l'importance  de  l'action  exercée  sur  la 
civilisation  occidentale  au  début  du  moyen  âge  par  les  colonies  de 
marchands  syriens  (on  appliquait  ce  nom  générique  à  tous  les  Orien- 
taux), établis  non  seulement  dans  les  grands  ports,  mais  très  loin  dans 
les  villes  de  l'intérieur.  Leur  activité  se  manifeste  dès  le  début  de 
l'ère  chrétienne  et  va  en  s'accroissant  jusqu'à  l'époque  de  Charle- 
magne.  Leur  rôle  dans,  la  diffusion  des  idées  religieuses,  des  modes, 
des  procédés  techniques  et  artistiques  de  l'Orient  a  été  souvent  étu- 
dié, mais  on  n'avait  pu  jusqu'ici  découvrir  les  causes  profondes  de  cet 
afflux  de  marchands  orientaux,  qui  s'explique  sans  doute  naturelle- 
ment après  les  ravages  des  invasions  barbares,  mais  qui  parait  moins 


104  COMPTES-BENDUS   CRITIQUES. 

intelligible  à  l'époque  du  Haut-Empire,  alors  que  l'Occident  jouissait 
encore  d'une  grande  prospérité  économique. 

Or,  ces  causes  ressortent  d'une  manière  extrêmement  claire  de 
l'étutie  de  M.  Hatzfeld.  Après  avoir  soumis  à  une  critique  sévère  tous 
les  textes  et  les  inscriptions  qui  peuvent  nous  renseigner,  il  a  montré 
que  l'histoire  des  «  negotiatores  »  italiens  en  Orient  comprend  quatre 
périodes  :  l.  Au  milieu  du  iiP  siècle  av.  J.-C.  ils  apparaissent  encore 
timidement  en  Grèce,  dans  les  Cyclades,  en  Asie  Mineure  à  Pergame. 
—  j2.  De  146  (époque  des  grandes  annexions,  de  la  destruction  de 
Corinthe  et  de  Carthage)  jusqu'à  la  guerre  de  Mithridate  en  88,  les 
«  negotiatores  »,  qui  appartiennent  surtout  à  l'Italie  inéridionale  et 
aux  municipes  plus  qu'à  Rome,  se  précipitent  en  foule  vers  l'Orient. 
On  peut  évaluer  jusqu'à  d  0^,000  le  nombre  de  ceux  qui  sont  établis  en 
Asie  (voir  p.  52  la  discussion  intéressante  sur  le  chifîçe  des  victimes 
de  Mithridate  en  88)  et  leur  centre  le  plus  important  est  l'île  de  Délos, 
dont  la  prospérité  atteint  son  maximum  pendant  cette  période. 
M.  Hatzfeld  a  donné  une  explication  nouvelle  de  cet  essor  brillant  de 
Délos,  attesté  par  les  monuments  et  les  inscriptions  dont  la  décou- 
verte fait  tant  d'honneur  à  l'École  française  d'Athènes.  Selon  lui,  ce 
n'est  pas  seulement  à  sa  situation  géographique  que  Délos  doit  d'avoir 
été  choisie  comme  entrepôt  du  commerce  entre  l'Orient  et  l'Occident  : 
une  autre  des  Cyclades  aurait  pu  jouer  le  même  rôle.  Le  sol  de  Délos 
est  pauvre,  l'industrie  y  était  nulle,  le  port  même  est  médiocre.  Mais 
Délos  avait  toujours  son  sanctuaire  d'Apollon,  qui  lui  avait  assuré  un 
traitement  de  faveur  sous  tous  les  régimes.  Sous  les  Diadoques,  alors 
que  les  autres  îles  étaient  occupées  par  des  garnisons  égyptiennes, 
macédoniennes,  rhodiennes,  Délos  resta  indépendante  et  ce  fut  cette 
liberté  même  qui  y  attira  le  commerce.  Les  Romains  supprimèrent 
sans  doute  cette  indépendance,  mais,  avec  leur  doigté  habituel,  ils 
sauvegardèrent  la  valeur  de  ce  marché  international  en  restituant 
Délos  à  sa  vieille  métropole  d'Athènes.  Désormais  Délos  connut  une 
prospérité  inouïe.  Les  marchands  de  Tyr  et  de  Béryte,  ayant  perdu 
en  146  le  débouché  incomparable  qu'était  Carthage,  portèrent  leurs 
marchandises  à  Délos  où  les  «  negotiatores  »  italiens  venaient  les 
recevoir.  Le  somptueux  oixoç  des  Posidoniastes  de  Béryte  et  l'agora 
des  Italiens  élevés  l'un  près  de  l'autre  à  la  même  époque  sont  les 
temoignages.de  ces  relations  entre  les  Italiens  et  les  Orientaux.  — 
3.  De  la  guerre  de  Mithridate  au  début  de  l'Empire  on  constate  l'apo- 
gée de  ce  mouvement  d'expansion  des  «  negotiatores  »  italiens  en 
Orient.  Sans  doute  Délos,  ruinée  par  la  guerre,  a  perdu  toute  son 
importance,  mais  les  marchands  italiens  dominent  dans  tout  le  monde 
grec  et  se  réservent  le  monopole  des  importations  des  produits  d'Orient 
en  Italie  et  des  exportations  des  produits  italiens  (produits  agricoles, 
objets  fabriqués  dans  les  villes  manufacturières  de  la  Cisalpine,  céra- 
mique d'Arretium)  en  Orient.  M.  Hatzfeld  insiste  sur  ce  fait  que  l'Ita- 
lie n'est  pas  seulement  un  pays  de  consommation,  mais  exporte  ses 


J.  HATZFELD  :  LES  TRAFIQUANTS  ITALIENS  DANS  l'oKIENT  HELLENIQUE.    105 

produits  jusqu'en  Asie  Mineure  et  en  Arabie.  —  4.  Enfin  sous  l'Empire 
on  assiste,  aux  je""  et  ii»  siècles,  à  la  décadence  et  à  la  disparition  des 
communautés  italiennes  d'Orient.  Elles  abandonnent  la  Grèce  cen- 
trale, les  Cyclades,  puis  les  ports  d'Asie  Mineure.  Elles  se  main- 
tiennent jusqu'au  II"  siècle  en  Macédoine,  dans  le  Péloponèse  et  aussi 
en  Lydie,  en  Phrygie,  en  Isaurie.  Le  dernier  texte  qui  les  mentionne 
est  une  inscription  de  Gortyne  de  195. 

On  a  cherché  les  causes  de  cet  arrêt  dans  la  conquête  des  Gaules 
et  de  la  Bretagne  qui  avait  détourné  les  Italiens  du  commerce  avec 
l'Orient.  M.  Hatzfeld  montre  que  justement  l'expansion  des  «  nego- 
tiatores  »  dans  les  provinces  d'Occident  est  contemporaine  de  leur 
activité  en  Orient  et  que  c'est  à  la  même  époque  aussi,  vers  la  fin  du 
II»  siècle,  qu'ils  ont  déserté  à  la  fois  les  marchés  d'Orient  et  d'Occi- 
dent. 

C'est  au  ralentissement  de  la  production  et  du  mouvement  des 
affaires  en  Italie  à  l'époque  impériale  qu'il  faut  attribuer  cet  affaisse- 
ment. Le  développement  de  la  grande  propriété  a  diminué  la  culture 
de  la  vigne  et  de  l'olivier.  Les  industries  manufacturières  ont  péri- 
clité. L'énorme  consommation  de  produits  exotiques  par  l'Italie  a 
amené  un  exode  des  capitaux  dont  Pline  l'Ancien  {Hist.  nat.,  XII,  41) 
montrait  déjà  le  danger. 

Alors  ces  marchands  orientaux,  ces  «  Syriens  »  qui  venaient  autre- 
fois vendre  les  produits  d'Orient  aux  «  negotiatores  »  italiens  dans  les 
ports  helléniques,  sont  venus  établir  leurs  centres  d'opérations  en  Ita- 
lie même  et  dans  tout  l'Occident.  Déjà  avant  l'Empire,  même  lors- 
qu'ils venaient  vendre  leurs  marchandises  à  Délos,  ces  marchands 
syriens  ou  alexandrins  avaient  gardé  le  monopole  du  commerce  asia- 
tique et  des  routes  maritimes  ou  continentales  de  l'Inde.  Il  est  signi- 
ficatif, comme  l'a  montré  M.  Hatzfeld,  que  les  «  negotiatores  »  italiens 
se  soient  peu  établis  en  Syrie  et  que  l'existence  de  leur  communauté 
à  Alexandrie  n'apparaisse  guère  avant  l'époque  impériale.  Désormais 
les  Syriens  viennent  eux-mêmes  apporter  ces  produits  en  Occident. 
Dès  39  av.  J.-C,  des  Nabatéens  consacrent  à  Pouzzoles  un  sanc- 
tuaire à  leurs  divinités  nationales  et  la  stèle  funéraire  de  Flavius 
Zeuxis,  un  Grec  naturalisé,  à  Iliérapolis  à  la  fin  du  i«''  siècle  nous 
révèle  qu'il  a  fait  soixante-douze  fois  le  voyage  d'Italie. 

Ainsi  l'on  voit  clairement  à  quelle  époque  précise  et  pour  quelles 
raisons  l'expansion  commerciale  des  Italiens  en  Orient  a  été  suivie 
d'un  choc  en  retour,  d'une  véritable  immigration  des  marchands 
syriens  en  Occident,  dont  les  effets  durables  ont  exercé  une  action 
incalculable  sur  les  transformations  de  la  société  occidentale.  Ce  sont 
là  des  résultats  considérables  et  il  faut  féliciter  M.  Hatzfeld  d'avoir 
réussi  à  élucider  ainsi  un  problème  historique  qui  domine  toute  l'his- 
toire du  moyen  âge.  Nous  ne  pouvons  qu'mdiquer  en  termmant  avec 
quel  intérêt  ont  lit  les  chapitres  nourris  de  faits  dans  lesquels  il  a 
montré  l'organisation  des  communautés  marchandes  d'Italiens,  leur 


106  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

origine  et  leur  condition  sociale,  la  nature  de  leur  commerce  et  leur 
rôle  dans  l'histoire  des  rapports  entre  la  civilisation  latine  et  l'hellé- 
nisme. 

Louis  Bréhier. 


Charles  Guignebert.  Le  christianisme  antique.  Paris,  Flamma- 
rion, 1920.  In-16,  270  pages.  Prix  :  7  fr. 

M.  Guignebert  a  publié,  il  y  a  déjà  longtemps,  dans  la  Bibliothèque 
de  philosophie  scientifique^  un  volume  sur  VÉoolution  des  dogmes, 
qui  a  obtenu  un  succès  très  mérité  et  qui  constitue  une  sorte  d'intro- 
duction générale  à  l'histoire  de  la  dogmatique  chrétienne.  Il  vient  de 
donner  dans  la  même  collection  un  travail  analogue,  mais  plus  limité, 
sur  le  Christianisme  antique^  où  il  suit  ce  dernier  depuis  ses  origines 
jusqu'au  iv^  siècle.  L'esprit  et  la  tendance  de  ce  nouveau  travail  s'af- 
firment clairement  dès  ses  premières  pages.  En  une  introduction 
rapide,  M.  Guignebert  observe  très  justement  que  la  religion  varie 
toujours  avec  son  milieu  social,  qu'elle  offre  comme  toute  société  plu- 
sieurs couches  distinctes,  mais  solidaires,  qui  agissent  constamment 
les  unes  sur  les  autres,  et  que  les  masses  populaires  y  jouent  un  rôle  par- 
ticulièrement important.  C'est  d'après  ces  principes  très  simples,  mais 
suggestifs,  que  lui-même  s'efforce  d'expliquer  la  genèse  du  christia- 
nisme et  son  évolution. 

Pour  lui,  Jésus  était  un  nazir  de  Galilée,  qui  attendait,  comme 
tout  son  entourage,  l'avènement  prochain  du  royaume  de  Dieu  prédit 
par  les  prophètes  et  qui,  dans  l'ardeur  de  sa  foi,  prêcha  la  nécessité 
de  s'y  préparer  par  la  pratique  parfaite  de  la  justice.  Il  réussit  à  grou- 
per autour  de  lui  quelques  Galiléens  ingénus.  Mais  il  échoua  à  Jérusa- 
lem, où  les  prêtres  et  les  docteurs,  très  opposés  aux  aspirations  popu- 
laires, le  firent  mettre  à  mort.  Ses  premiers  disciples  avaient  trop 
compté  sur  lui  pour  admettre  qu'il  eût  disparu  sans  retour.  Certains 
se  dirent  qu'il  n'avait  pu  rester  dans  son  tombeau  et  crurent  le  voir 
ressuscité.  A  ce  signe,  ils  le  reconnurent  comme  le  chef  prédestiné  du 
royaume  attendu,  comme  le  «  Messie  »,  ou  le  «  Christ  »",  des  oracles 
prophétiques.  Leur  foi  fut  si  ardente  que  très  vite  elle  se  propagea 
dans  les  nombreuses  juiveries  qui  vivaient  dispersées  dans  le  monde 
hellénique.  Elle  ne  put  le  faire  sans  s'adapter  à  ce  nouveau  milieu. 
Là  s'offraient  des  sectes  syncrétistes,  qui  s'accordaient  à  dire  que 
l'âme,  faite  pour  vivre  dans  la  compagnie  des  purs  esprits,  est  tombée 
par  sa  faute  dans  les  liens  de  la  matière  et  en  peut  être  délivrée  seu- 
lement par  la  «  gnose  »,  c'est-à-dire  par  la  connaissance  de  sa  véri- 
table nature,  apportée  ici-bas  par  un  «  Sauveur  »  divin.  Chez  les  païens 
etix-mêmes,  des  religions  très  populaires  parlaient  aussi  sous  des 
formes  diverses  d'un  «  fils  de  Dieu  »  ou  d'un  (f  Seigneur  »  dont  la  mort 
et  la  résurrection  se  renouvellent  mystiquement  chez  ses  fidèles  au 


CHARLES   GUIGNEBERT    :    LE   CHRISTIANISME   ANTIQUE.  107 

moyen  de  rites  appropriés.  Les  chrétiens  «  hellénistes  »,  ceux  d'An- 
tioche  notamment,  appliquèrent  ces  conceptions  et  ces  dénominations 
courantes  à  Jésus  lui-même,  dont  la  personnalité  se  trouva  ainsi  trans- 
figurée. Paul  se  convertit  à  ce  christianisme  déjà  très  composite,  parce 
que  la  formation  reçue  par  lui  à  Tarse  et  aussi,  semble-t-il,  à  Antioche, 
le  préparait  à  la  comprendre.  Après  l'avoir  adopté,  il  le  développa  et 
en  accentua  la  dissidence,  en  même  temps  qu'il  travaillait  à  le  répandre. 
Rompant  définitivement  avec  les  Juifs  pour  se  tourner  vers  les  Gentils, 
il  enseigna  que  la  loi  se  trouvait  désormais  abrogée  et  qu'une  nouvelle 
alliance  était  instituée,  à  laquelle  tous  les  hommes  de  bonne  volonté 
pouvaient  participer.  Le  christianisme  devint  ainsi  une  religion  univer- 
selle, une  «  église  »  bien  plus  vaste  et  plus  ouverte  que  la  synagogue. 
Dès  lors,  il  se  répandit  à  travers  le  monde  gréco-romain  et  avec  une 
rapidité  d'autant  plus  grande  qu'il  bénéficia  de  la  défaveur  des  cultes 
officiels  et  de  la  popularité  des  religions  orientales.  En  s'étendant,  il 
dut  s'organiser,  et  pour  cela  il  prit  modèle  sur  les  corporations  reli- 
gieuses du  temps.  Dans  chaque  cité  il  se  donna  des  ministres  qui  se 
hiérarchisèrent  et  se  subordonnèrent  bientôt,  dès  la  première  moitié  du 
w  siècle,  à  un  chef  unique,  à  un  évêque.  Une  fois  constitué,  l'épisco- 
pat  tendit  à  se  fédérer.  Suivant  la  tendance  naturelle  de  toutes  les 
autorités  religieuses,  il  s'efforça,  à  mesure  qu'il  devint  plus  puissant, 
de  fixer  sa  propre  tradition  dans  des  formules  dogmatiques  et  des 
règles  rituelles  de  plus  en  plus  précises.  Ainsi  hiérarchisée  et  disci- 
phnée,  l'Église  apparut  à  l'État  comme  une  rivale  très  dangereuse  et 
fut  en  butte,  dans  tout  le  cours  du  iiF  siècle,  à  des  persécutions  vio- 
lentes qui  semblaient  devoir  amener  sa  perte.  Elle  résista,  parce 
qu'elle  était  déjà  trop  puissante  pour  céder  devant  un  pouvoir  pure- 
ment matériel  et  d'ailleurs  assez  faible.  Elle  finit  par  triompher,  parce 
que  les  circonstances  amenèrent  un  empereur  à  s'en  faire  le  patron 
officiel.  A  partir  de  ce  moment,  elle  s'imposa  rapidement  aux  masses. 
Mais  elle  n'y  réussit  que  parce  qu'elle  s'était  graduellement  accom- 
modée aux  habitudes  et  aux  idées  courantes.  Son  succès  même  contri- 
bua à  la  rendre  encore  plus  mondaine  et  plus  payenne.  Los  membres 
du  clergé  devinrent  des  fonctionnaires  et  le  peuple,  trop  brusquement 
converti  pour  renoncer  à  ses  coutumes  ancestrales,  fit  entrer  maintes 
superstitions  dans  le  courant  de  la  vie  catholique.  Le  christianisme 
n'exista  plus  guère  qu'en  apparence,  surtout  en  Occident,  où  les  con- 
ceptions orientales  qui  le  constituaient  ne  purent  subsister  qu'en  chan- 
geant de  nature. 

Ou  voit  que  M.  Guignebert  ne  craint  pas  d'aborder  de  front  les  pro- 
blèmes les  plus  ardus  i;t  d'en  donner  des  solutions  très  nettes»  Beau- 
coup de  ses  affirmations  paraîtront  sans  doute  tout  à  fait  téméraires  à 
maints  lecteurs  qui  se  trouvent  dominés  par  le  respect  de  la  tradition. 
Lui-même  sait  fort  bien  que  certaines,  celles  qui  concernent  les  pre- 
miers débuts  du  christianisme,  paraîtront  au  contraire  trop  conserva- 
trices à  quelques-uns  que  tourmente  le  démon  de  la  critique.  Il  a  voulu 


108  COMPTES-RENDDS   CBITIQCES. 

garder  le  juste  milieu  entre  ces  deux  extrêmes.  Tout  le  monde  devra 
reconnaître  qu'il  présente  ses  convictions  avec  autant  de  clarté  et  de 
vie  que  de  sincérité  et  qu'il  les  a  fondées  sur  des  études  très  person- 
nelles. Son  livre  est  l'œuvre  d'un  maître.  Il  sera  lu  avec  intérêt  et  pro- 
fit non  seulement  par  Ceux  qui  pourraient  ignorer  les  graves  problèmes 
dont  il  s'occupe,  mais  encore  par  ceux  qui  les  ont  longuement  discu- 
tés. On  ne  saurait  trop  remercier  l'auteur  d'avoir  mis  le  résultat  de 
ses  longues  recherches  à  la  portée  de  tous,  en  un  petit  volume  si 
attrayant  et  si  dense. 

,  Prosper  Alfaric. 


Charles  Boyer.  Christianisme  et  néo-platonisme  dans  la  forma- 
tion de  saint  Augustin.  Paris,  Beauchesne,  1920.  In -8°, 
233  pages.  Prix  :  12  fr. 

Mgr  Pierre  Batiffol.  Le  catholicisme  de  saint  Augustin. 
Paris,  Gabalda,  1920.  In-16,  554  pages  en  2  vol. 

Dans  une  thèse  récemment  soutenue  à  la  Faculté  des  lettres  de 
Paris,  M.  l'abbé  Charles  Boyer  revient  sur  le  problème  déjà  tant  dis- 
cuté de  la  conversion  du  Docteur  de  la  grâce.  On  ne  peut  pas  dire 
qu'il  renouvelle  le  sujet.  Tout  son  effort  tend  plutôt  à  combattre  les 
études  critiques  qui  en  ont  été  faites  et  à  justifier  sur  ce  point  la  tra- 
dition catholique.  Pour  lui,  le  récit  des  Confessions  est  tout  à  fait 
véridique  et  il  s'accorde  parfaitement  avec  les  textes  antérieurs. 
Saint  Augustin  est  devenu  chrétien  avant  d'être  néo-platonicien  et  il 
n'a  adopté  le  néo-platonisme  que  dans  une  mesure  assez  restreinte  et 
en  fonction  du  chri^anisme.  M.  Boyer  mène  cette  démonstration  à 
la  façon  d'une  argumentation.  Il  rappelle  d'abord  la  «  théorie  »  con- 
traire. Puis  il  lui  oppose  le  témoignage  de  l'évêque  d'Hippone  et  il 
réfute  les  objections  qui  visent  à  montrer  que  les  Confessions  ne 
s'accorder^t  pas  bien  avçc  elles-mêmes  ni  avec  les  écrits  de  Cassicia- 
cum.  Son  exposé  convaincra  aisément  tous  les  lecteurs  qui  voudront 
être  convaincus,  à  condition  qu'ils  s'en  tiennent  aux  textes  allégués, 
sans  trop  se  soucier  du  contexte.  A  ceux  qui  n'ont  pas  d'autre  préoc- 
cupation que  celle  de  la  vérité  historique  et  qui  tiendraient  à  se  faire 
une  opinion  personnelle,  je  conseille  de  lire  au  hasard  quelqu'un  des 
premiers  écrits  augustiniens.  Ils  verront  de  la  façon  la  plus  nette  que 
le  rhéteur  converti,  tout  en  se  déclarant  d'accord  avec  les  croyants, 
pense  plutôt  en  philosophe  et  qu'il  regarde  le  christianisme  de  Monique 
comme  une  forme  populaire  du  néo-platonisme,  que  les  «  sages  » 
doivent  respecter  mais  en  la  dépassant. 

Comme  M.  Boyer,  Mgr  Batiffol  persiste  à  nier  l'évidence  et  il  le 
fait  avec  une  belle  assurance.  Dans  un  ouvrage  récent  consacré  au 
catholicisme  de  saint  Augustin,  il  rappelle  la  «  ferveur  néo-platoni- 


GOLUBOVICH  :  BIBLIOTECA  DELLA  TERBA  SANTA  E  ORIENTE  FRANCESCANO.    109 

cienne  »  du  converti  de  Cassiciacum,  que  les  Confessions  elles-mêmes 
font  ressortir.  Mais  c'est  pour  expliquer,  sur  un  ton  dégagé,  que  «  les 
critiques  récents  ont  éprouvé  quelque  peine  à  la  concilier  avec  la  catho- 
lica  disciplina  professée  par  Augustin  »  et  que,  par  suite,  «  ils  en 
ont  pris  occasion  de  conjecturer  que  la  conversion  d'Augustin,  au 
moment  de  sou  baptême  à  Milan,  était  une  conversion  philosophique  ». 
Voilà  le  candide  lecteur  bien  renseigné.  Cette  remarque,  qui  se  pré- 
sente incidemment  au  début  du  livre,  en  caractérise  assez  bien  l'es- 
prit et  la  mélhode.  L'ouvrage  entier  est  destiné  à  montrer  que  saint 
Augustin  a  professé  un  catholicisme  très  orthodoxe,  aussi  conforme 
à  la  tradition  qu'à  la  saine  raison,  celui-là  même  qui  s'est  de  plus  en 
plus  imposé  dans  les  siècles  suivants  et  qui  a  été  définitivement  fixé 
par  le  Concile  du  Vatican.  L'auteur  connaît  bien  les  textes  dont  il 
parle.  Mais  il  les  a  lus  en  théologien  soucieux  d'orthodoxie,  qui 
regarde  vers  Rome  bien  plus  que  vers  Hippone.  Aussi  son  livre  sera 
surtout  compris  et  apprécié  par  les  théologiens.  Il  leur  fournira  un 
riche  arsenal  de  preuves  patristiques  pour  les  traités  de  la  Religion 
et  de  l'Église.  Il  sera  moins  goûté  et  moins  utilisé  par  les  historiens, 
bien  qu'il  se  donne,  en  débutant,  comme  une  «  histoire  des  origines 
du  christianisme  ». 

Prosper  Alfaric. 


P. -G.  GoLUBOViCH,  0.  p.  M.  Biblioteca  bio-bibliografica  délia 
Terra  Santa  e  dell'  Oriente  Francescano.  T.  III  (1300-1332). 
Quaracchi  presse  Firenze,  1919.  In-4'>,  v-496  pages. 

Il  a  été  déjà  rendu  compte  ici  du  tome  I  de  cette  importante  publi- 
cation (voy.  Rev.  histor.,  t.  XCVI,  p.  181).  Celui-ci,  qui  est  numé- 
roté tome  III,  bien  qu'il  fasse  immédiatement  suite  au  tome  I,  nous 
donne  un  tableau  de  l'activité  franciscaine  en  Orient  de  1300  à  1332. 
Il  renferme  des  documents  d'un  grand  intérêt,  dont  quelques-uns 
étaient  inédits,  dont  d'autres  avaient  paru  dans  des  recueils  souvent 
peu  accessibles,  et  des  études  critiques  qui  fixent  des  points  impor- 
tants de  l'histoire  de  l'Orient  latin.  Nous  nous  contenterons  de  signa- 
ler quelques-unes  de  ces  notices  qui  apportent  des  faits  nouveaux,  en 
les  classant  d'après  les  grandes  questions  qu'elles  serviront  à  élu- 
cider : 

I.  Les  Frères  Mineurs  à  Constantinople.  Notices  sur  leur  monastère 
établi  en  1220  et  sur  leur  expulsion  en  1307  par  Andronic  II,  à  l'ins- 
tigation du  patriarche  Athanase  (p.  111  et  117).  —  Leurs  relations 
avec  l'impératrice  Jeanne  de  Savoie  et  leurs  légations  en  vue  de 
l'union  des  églises  de  1325  à  1360  (p.  291). 

II.  Chypre  et  la  Terre-Sainte.  Notices  sur  des  Mineurs,  patriarches 
de  Jérusalem  :  Pierre  de  Plaine-Cassagne,  ancien  évoque  de  Rodez, 
1309-1318  (détails  sur  la  guerre  civile  de  Chypre  et  l'exil  du  roi 
Henri  II  en  Arménie,  sur  la  conquête  de  Rhodes  en  1310,  p.  125).  Élie 


110       .  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

de  Nabinalis,  1332-1342,  archevêque  de  Nicosie  et  cardinal  (p.  394). 
—  Édition  de  l'itinéraire  en  Terre-Sainte  des  deux  Franciscains  irlan- 
dais Symon  et  Hugue,  1322-1324  (description  curieuse  de  Londres  et 
de  Paris,  où  ce  qui  les  a  frappés  le  plus  ce  sont  ses  fortes  murailles, 
ses  établissements  d'enseignement  et  la  façade  de  Notre-Dame,  p.  237). 
liéédition  de  l'itinéraire  au  Saint-Sépulcre,  en  Egypte  et  au  Sinaï, 
d'Antoine  Reboldis  de  Crémone,  1327-1330  (p.  326). 

III.  Ambassades  en  Egypte.  Notices  très  complètes  sur  les  ambas- 
sades de  Jacques  II  d'Aragon  au  Soudan  d'Egypte,  1303,  1305,  1314, 
1318, 1322, 1327.  Jacques  II  exerce  u^  véritable  protectorat  sur  les  chré- 
tiens d'Orient  (p.  73, 185, 233, 309).  —  Ambassade  de  Guillaume  de  Bon- 
nesmains,  originaire  de  Figeac  et  bourgeois  de  Montpellier,  au  nom  du 
roi  de  France  Charles  le  Bel,  en  1327  (dans  son  itinéraire,  le  frère 
Symon  montre  Guillaume  établi  en  Egypte  dès  1323  et  obtenant  du 
Soudan  la  concession  d'une  église  au  vieux  Caire.  L'ambassade  fran- 
çaise partit  d'Aigues-Mortes  avec  une  ambassade  aragonaise,  mais  en 
route  les  deux  envoyés  se  brouillèrent,  et  on  a  le  récit  de  leurs  démê- 
lés dans  une  lettre  de  Charles  le  Bel  au  roi  d'Aragon,  p.  321). 

IV.  Histoire  des  missions  franciscaines  en  Orient.  Étude  critique  sur 
le  Codex  Comanicus,  manuscrit  de  Venise,  écrit  en  1303  et  qui  con- 
tient un  dictionnaire  trilingue  (latin,  persan,  coman)  et  un  vocabulaire 
(allemand-coman).  Les  mots  choisis  sont  relatifs  au  culte  et  aux  pro- 
ductions du  pays.  Un  texte  de  prière  en  coman  semble  indiquer  que 
l'auteur  est  un  franciscain  (p.  1).  -<-  Biographie  du  frère  Jérôme  de 
Catalogne,  premier  évèque  de  Caffa,  1301-1325  (p.  38).  —  Réédition  de 
la  '(  Compendiosa  relatio  ex  imperio  Tartarorum  »  du  frère  4'''^old 
l'Allemand  (p.  159).  —  Notice  sur  Toktaï,  khan  des  Kiptchaks,  1291- 
1313,  converti  au  christianisme  par  des  Mineurs  (p.  171).  —  Délimi- 
tation des  juridictions  des  sièges  épiscopaux  franciscains  et  domini- 
cains dans  l'empire  mOngol  en  1318  (donne  la  liste  des  sufîragants  de 
l'archevêque  franciscain  de  Cambalik  (Pékin)  et  de  l'archevêque  domi- 
nicain de  Sultanieh  en  Perse,  p.  197).  —  Notice  sur  la  grande  mission 
des  Dominicains  et  des  Franciscains  en  Géorgie,  Perse,  Boukharie, 
Inde,  organisée  en  1329-1330  (p.  350).  —  Documents  tirés  des  archives 
du  Vatican  sur  la  discussion  qui  eut  lieu  en  Perse  en  1333  entre  les 
Franciscains  et  les  Dominicains  sur  la  pauvreté  pratiquée  par  le  Christ 
et  les  apôtres  (on  sait  que  cette  grave  question,  qui  avait  failli  exciter 
un  schisme,  avait  été  tranchée  en  1322  à  Avignon  par  Jean  XXII.  La 
même  controverse  eut  lieu  à  Tauris  en  1333  et  sept  Mineurs  furent 
accusés  d'hérésie,  p.  424). 

V.  Mission  de  Chine.  Édition  des  lettres  de  frère  Jean  de  Montecor- 
vin,  premier  archevêque  de  Pékin,  au  pape,  1305-1307,  d'après  le  Cod. 
Paris,  lat.  5006  (il  donne  des  détails  curieux  sur  les  difficultés  que  les 
Nestoriens  lui  ont  suscitées  auprès  du  grand  khan).  —  Étude  critique 
sur  les  évêchés  établis  en  Chine  par  Jean  de  Montecorvin  (p.  86  et 
184).  —  Notes  critiques  sur  le  bienheureux  Oderic  de  Pordenone, 
missionnaire  en  Chine  et  mort  à  Udine  vers  1331  (p.  374).  —  Bio- 


H.    PIBENNE   :    HISTOIRE   DE   BELGIQUE.  111 

graphie  du  frère  Nicolo,  deuxième  archevêque  de  Pékin,  vers  1333 
(p.  419). 

On  peut  voir  par  cette  simple  énumération  l'intérêt  considérable 
que  présente  cette  publication  pour  l'histoire,  encore  si  mal  connue, 
des  premiers  rapports  entre  l'Europe  et  l'Extrême-Orient. 

Louis  Bréhier. 


H.  PiRENNE.  Histoire  de  Belgique.  Tome  V.  Bruxelles,  Lamerlin, 
1920.  In-8°,  xni-584  pages.  Prix  :  30.fr. 

Le  nouveau  volume  de  l'œuvre  de  M.  Pirenne  embrasse  la  longue 
période  qui  s'étend  de  la  paix  de  Munster  (1648)  à  la  restauration  du 
régime  autrichien  dans  les  Pays-Bas  (1791-1792).  Comparé  aux  deux 
tomes  précédents,  qui  vont  respectivement  de  1477  à  1567  et  de  1567 
à  1648,  il  apparaît  donc  plus  ramassé,  plus  concentré.  Ce  n'est  pas 
que  pendant  la  période  dont  il  s'agit  la  Belgique  n'ait  pas  d'histoire, 
au  sens  que  l'on  attachait  jadis  à  cet  expression.  Jamais,  en  effet,  ce 
pays  n'a  traversé  une  plus  abondante  série  de  guerres  qu'alors  ;  jamais 
il  n'a  souffert  davantage  des  «  passées  et  repassées  »  des  armées  enne- 
mies et  autres.  Mais  si  le  côté  militaire  et  diplomatique  — c'est-à-dire 
européen  —  de  cette  partie  de  l'histoire  de  Belgique  est  relativement 
bien  connu,  il  n'en  est  pas  de  même  de  tout  ce  qui  a  trait  à  l'évolu- 
tion interne  :  vie  économique,  institutions  politiques,  développement 
social,  mouvement  intellectuel  et  moral.  Par  une  sorte  de  coquetterie, 
l'auteur  s'est  abstenu  de  signaler,  dans  sa  préface,  les  difficultés  de  sa 
tâche  :  quantité  de  sources  sont  encore  difficilement  accessibles,  très 
peu  ont  fait  l'objet  d'études  critiques  et  le  nombre  de  travaux  prépa- 
ratoires sur  tel  ou  tel  épisode  particulier  est  extrêmement  restreint. 
Aussi  faut-il  savoir  gré  à  M.  Pirenne  d'avoir  présenté  pour  la  pre- 
mière fois  une  véritable  synthèse  de  cette  période  si  négligée  et  si 
ingrate  à  beaucoup  d'égards  de  l'histoire  de  Belgique.  Il  a  eu  à 
résoudre  souvent  des  problèmes  à  multiples  inconnues  ;  il  l'a  fait  dans 
le  même  esprit  et  avec  la  même  méthode  qui  caractérisent  toute  son 
œuvre.  La  réputation  de  celle-ci  n'est  plus  à  faire,  et  l'Académie  fran- 
çaise l'a  consacrée  en  décernant  à  M.  Pirenne  le  prix  Jean  Reynaud. 

M.  Pirenne  raconte  d'abord  brièvement  la  fin  du  régime  espagnol. 
Il  a  hâte,  semble-t-il,  de  quitter  cette  période  néfaste,  pendant  laquelle 
la  Belgique,  «  ballottée  en  tous  sens  par  la  volonté  des  puissances  qui 
l'entourent,  occupée  et  rançonnée  successivement,  quand  ce  n'est  pas 
en  même  temps,  par  les  armées  de  la  France,  des  Provinces-Unies, 
de  l'Angleterre,  de  l'Empire,  ne  peut  que  s'abandonner  à  sa  desti- 
née ».  Malgré  tout,  les  Belges  firent  preuve,  comme  le  montre 
M.  Pirenne,  d'un  véritable  loyalisme  et  conservèrent  l'illusion  que  le 
gouvernement  de  Madrid  était  «  paternel  ».  C'est  que  l'orientation 4e 
l'esprit  public  était  exclusivement  catholique,  et  ainsi  le  régime  du 
«  roi  cathoHque  »  apparaissait  comme  le  seul  qui  convînt.  Faut-il 


112  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

s'étonner  que  la  vitalité  du  pays,  même  l'activité  artistique  qui  y  avait 
été  si  intense  dans  la  première  moitié  du  xviF  siècle,  s'affaiblît  au 
milieu  des  calamités  qui  fondent  sur  lui?  Cette  déchéance  ne  fut  tou- 
tefois pas  aussi  profonde  que  l'on  pourrait  le  croire;  à  preuve,  entre 
autres,  les  productions  si  nombreuses  et  encore  remarquables  des 
peintres,  des  graveurs  et  même  des  sculpteurs  et  des  architectes 
belges  de  la  seconde  moitié  du  xyip  siècle.  M.  Pirenne  reconnaît  lui- 
même  (p.  330-331)  que  ce  furent  de  vrais  «  représentants  de  la  tra- 
dition nationale  qui,  sous  l'influence  du  génie  de  Rubens,  s'inspirèrent 
de  l'Italie  sans  s'y  asservir  ».  Il  aurait  dû,  semble-t-il,  leur  consacrer 
par  conséquent  plus  que  les  quelques  lignes  qui  résument  le  mouve- 
ment artistique  des  cinquante  dernières  années  du  régime  espagnol 
(p.  69-70).  Par  contre,  il  se  plaît  à  développer  —  et  avec  raison  —  le 
rôle  marquant  joué  par  la  Belgique  dans  l'évolution  religieuse.  Il 
donne  des  aperçus  nouveaux  et  hautement  intéressants  sur  le  jansé- 
nisme et  sur  les  rapports  qui  s'établirent  entre  la  France  et  la  Bel- 
gique à  l'occasion  de  celte  doctrine. 

La  guerre  de  la  Succession  d'Espagne  constitue  l'un  des  épi^des 
les  plus  marquants,  l'un  de  ceux  qui  influèrent  le  plus  sur  les  desti- 
nées de  la  Belgique.  Aussi  M.  Pirenne  lui  accorde-t-il  une  attention 
particulière  ;  les  chapitres  qui  en  montrent  les  conséquences  pour  ce 
pays  sont  parmi  les  plus  instructifs  et  les  plus  attachants  de  ce  livre 
si  nourri  de  faits  et  d'idées.  Le  régime  «  anjouin  n,  introduit  par  les 
énergiques   mesures   de    Bedmar   et   surtout   de   Bergeyck,    duquel 
M.  Pirenne  fait  un  portrait  saisissant,  a  contribué  dans  une  large 
mesure  à  étouffer  le  jansénisme  et  à  orienter  ainsi  la  Belgique  vers 
l'ultramontanisme,  qui  devint  l'un  de  ses  caractères  distinctifs  au  cours 
du  xviii^  siècle.  D'autre  part,  cette  longue  guerre,  dont  les  principales 
péripéties  se  déroulèrent  dans  ce  pays,  lui  apporta  le  joug  de  l'humi- 
liante Barrière  et  le  régime  autrichien  qui,  tout  en  maintenant  la 
dynastie  des  Habsbourg  —  régnant  depuis  Charles-Quint  —  n'appa- 
rut pas  comme  légitime,  parce  qu'il  était  imposé.  Aux  chapitres  rela- 
tifs à  la  guerre  de  la  Succession  d'Espagne,  M.  Pirenne  en  a  ajouté  un 
sur  la  principauté  de  Liège  de  1648  à  1715.  Bien  qu'encastrée  géogra- 
phiquement  dans  l'ensemble  des  Pays-Bas,  cette  principauté  a  formé 
à  cette  époque  une  individualité  politique  et  économique  tout  à  fait 
distincte.  Sa  situation  géographique  lui  valut  les  mêmes  vicissitudes 
qui  marquèrent  les  Pays-Bas  espagnols,  malgré  la  neutralité  qu'elle 
voulut  s'assurer.  Cette  neutralité,  il  est  vrai,  était  désarmée  et  entraî- 
nait des  conséquences  sur  lesquelles  l'auteur  aurait  peut-être  pu  insis- 
ter davantage.  Les  princes-évêques  eux-mêmes  furent  la  plupart  du 
temps  des  instruments  de  la  politique  française,  et  l'échec  de  celle-ci, 
à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV,  amena  le  raffermissement  des  rap- 
ports du  pays  de  Liège  avec  l'Empire.  M.  Pirenne  a  su  dégager  avec 
bftiheur  les  dominantes  de  l'histoire  des  institutions  de  la  princi- 
pauté, mais  il  ne  traite  pas  les  phénomènes  de  la  vie  économique,  les 


H.    PIBENIVE    :    HISTOIBE   DE   BELGIQDE.  113 

réservant  pour  le  chapitre  faisant  suite  à  ceux  qui  se  rapportent  aux 
Pays-Bas  autrichiens. 

L'établissement  du  régime  autrichien  provoqua  une  revision  du 
traité  de  la  Barrière  dans  un  sens  favorable  à  la  Flandre  et  au  Bra- 
bant,  mais  suscita  aussitôt  de  graves  difficultés  à  propos  des  privilèges 
des  villes  en  matière  financière.  Des  troubles  éclatèrent  à  Bruxelles 
en  17 IT,  qui  donnèrent  lieu  à  des  mesures  rigoureuses  de  la  part  du 
marquis  de  Prié,  ministre  plénipotentiaire  de  Charles  VI.  La  princi- 
pale de  ces  mesures  fut  l'exécution  du  doyen  Anneessens,  qui  rêvait 
de  «  ressusciter  l'indépendance  urbaine  du  moyen  âge  en  pleine 
époque  monarchique  ».  Tout  en  réalisant  la  centralisation  absolutiste, 
Charles  VI  et  Marie-Thérèse  surent  ménager  la  noblesse  et  le  haut 
commerce,  et  le  régime  autlrichien  se  raffermit  sous  le  gouvernement 
de  l'archiduchesse  Marie-Elisabeth,  au  sujet  duquel  M.  Pirenne  donne 
de  très  intéressants  détails. 

Parmi  les  chapitres  les  plus  suggestifs  du  livre,  il  faut  signaler  ceux 
qui  concernent  l'organisation  du  «  despotisme  éclairé  »  et  le  mouve- 
ment économique  sous  le  régime  autrichien.  Ils  abondent  en  détails 
nouveaux  ou  peu  connus.  Les  pages  qui  retracent  l'activité  intellec- 
tuelle pendant  cette  période  sont  remplies  de  curieux  aperçus  et  de 
notations  caractéristiques.  M.  Pirenne  intercale  ensuite  un  second  cha- 
pitre sur  l'histoire  du  pays  de  Liège  :  il  insiste  avec  raison  sur  les 
causes  de  la  prospérité  économique  de  la  principauté  et  sur  ses  rap- 
ports intellectuels  de  plus  en  plus  fréquents  avec  la  France. 

Une  large  place  est  accordée  aux  deux  révolutions  qui  agitèrent 
respectivement  et  en  même  temps  les  Pays-Bas  autrichiens  et  le  pays 
de  Liège,  mais  qui  offrent  entre  elles  de  si  violents  contrastes. 
(M.  Pirenne  note  cependant  en  passant  certains  points  de  contact.) 
Les  grandes  phases  de  ces  deux  mouvements  sont  décrites  avec  toute 
l'ampleur  qu'elles  comportent  et  souvent  sous  un  aspect  tout  à  fait 
nouveau.  On  remarquera  la  manière  dont  l'auteur  apprécie  la  portée 
et  les  effets  des  réformes  de  Joseph  II,  et  notamment  de  celle  intro- 
duisant la  tolérance  religieuse.  La  personnalité  même  de  Joseph  II, 
étudiée  à  la  lumière  de  sources  de  tout  premier  ordre,  apparaît  sous 
un  jour  différent  de  celui  sous  lequel  il  était  généralement  présenté. 
M.  Pirenne  insiste  particulièrement  sur  les  défauts  de  l'empereur  phi- 
losophe, son  manque  de  tact  et  de  perspicacité,  sa  singulière  obsti- 
nation, son  despotisme  intransigeant.  Il  va  jusqu'à  le  comparer  à 
Philippe  II,  et  le  parallèle  qu'il  établit  entre  les  «  coups  d'État  »,  c'est- 
à-dire  les  innovations  de  l'un  et  de  l'autre,  est  tout  à  l'avantage  de  ce 
dernier.  Un  historien  de  profession  saisira  tout  de  suite  la  véritable 
signidcation  de  ce  parallèle,  mais  il  n'en  sera  pas  toujours  de  même  du 
lecteur  non  initié.  Or,  le  livre  de  M.  Pirenne  ne  s'adresse  pas  seule- 
ment aux  hommes  de  métier,  il  est  destiné  aussi  au  grand  public,  et 
cette  évocation  du  tortionnaire  de  l'Escurial  à  propos  de  l'auteur  de 
ledit  de  tolérance  est  pour  le  moins  déconcertante.  Ij'ailleurs,  on 
Rev.  Histor.  CXXXVIII.  1"  fas(*  8 


114  COMPTES-RENDDS  CRITIQUES. 

pourrait  discuter  longuement  sur  le  point  de  savoir  si  Josej)h  II  a 
voulu  «  austriaciser  »  les  Pays-Bas  dans  la  même  mesure  où  Philippe  II 
a  tenté  de  les  espagnoliser.  En  dépit  de  certaines  analogies,  les 
méthodes  des  deux  monarques,  surtout  leurs  méthodes  de  répression, 
ont  été  essentiellement  différentes.  Alors  que  Philippe  II  combine 
avec  le  duc  d'Albe  tous  les  moyens  de  mettre  le  pays  à  feu  et  à  sang, 
Joseph  II  préconise  les  mesures  de  conciUation  et  recommande  à  ses 
généraux  de  ne  pas  traiter  les  révoltés  des  Pays-Bas  comme  s'ils 
étaient  «  des  Turcs  ou  des  Prussiens  ».  L'étude  de  personnages  de 
second  plan  tels  que  d'Alton  et  Trautmansdorff  fournira  probablement 
de  nouveaux  éléments  d'appréciation  et  permettra  de  déterminer  plus 
exactement  la  responsabilité  de  l'empereur  dans  les  événements  qui 
amenèrent  la  révolution  brabançonne  et  son  influence  sur  l'issue  de 
celle-ci.  Le  livre  de  M.  Pirenne  fournit  d'ailleurs  lui-même  quelques 
données  nouvelles  à  ce  sujet. 

Le  chapitre  relatif  à  la  Révolution  liégeoise  met  admirablement  en 
relief  les  faits  marquants  qui  ont  préludé,  dans  la  principauté,  à  la 
chute  de  l'ancien  régime,  et  le  chapitre  final  sur  la  restauration  autri- 
chienne décrit  de  même  la  physionomie  générale  de  ce  court  épisode, 
très  important  cependant,  de  l'histoire  de  Belgique,  parce  qu'il  affecte 
à  la  fois  la  principauté  de  Liège  et  les  Pays-Bas  proprement  dits  et 
prépara  ainsi  leur  fusion  définitive. 

Jusqu'au  bout  ce  volume  conserve  donc  une  allure  plus  synthétique 
que  ses  devanciers.  M.  Pirenne  rappelait  lui-même,  il  y  a  quelques 
années,  à  l'occasion  d'une  manifestation  organisée  en  son  honneur, 
le  sort  de  toute  œuvre  de  synthèse,  et  particulièrement  de  synthèse 
historique,  son  caractère  essentiellement  provisoire,  éphémère.  Le 
livre  qui  fait  l'objet  de  ce  compte-rendu  ne  partagera  pas  de  sitôt  la 
destinée  commune  :  il  contient  trop  de  morceaux  de  fine  et  pénétrante 
analyse  qui  le  rendront  longtemps  encore  indispensable  à  quiconque 
voudra  connaître  les  origines  de  la  Belgique  contemporaine. 

H.  Vander  Linden. 


J.  CoMBARiEU.  Histoire  de  la  musique  des  origines  au  début  du 
XX^  siècle,  t.  III  :  De  la  mort  de  Beethoven  au  début  du 
XX^  siècle.  Paris,  Armand  Colin,  1919.  In-8°,  vi-667  pages, 
avec  un  index  alphabétique  des  trois  volumes.  Prix  (majoration 
comprise)  :  15  fr. 

M.  Combarieu  n'a  pu  mettre  lui-même  le  point  final  à  sa  grande 
Histoire  de  la  musique,  dont  nous  avons  précédemment  annoncé  les 
tomes  I  et  II  (Rev.  histor.,  t.  CXIV,  p.  188-189,  et  CXVIII,  p.  169- 
170).  Une  mort  soudaine  est  venue  le  frapper  avant  qu'il  eût  achevé 
le  tome  III;  mais  il  avait  eu  le  temps  d'en  écrire  les  quatorze  premiers 
chapitres  (jusqu'à  Wagner  inclusivement)  et  de  pousser  très  loin  la 
préparation,  en  partie  même  la  rédaction,  des  dix  derniers,  qu'un 


COMBAEIED  :  HISTOIRE  DE  LA  MUSIQUE  DES  OBIGINES  AU  DEBUT  DU  XX*  S.    115 

«  musicien  expérimenté  »  de  ses  amis,  dont  on  a  cru  devoir  taire  le 
nom,  a  eu  à  cœur  de  terminer. 

Le  volume  va  «  de  la  mort  de  Beethoven  au  début  du  xx»  siècle  » 
et  est  divisé  en  trois  parties  :  1°  d'Auber  à  Berlioz;  2°  les  successeurs 
de  Berlioz;  3°  le&  courants  nouveaux.  Ces  titres  —  le  troisième 
surtout  —  donnent  tout  d'abord  à  penser  que  M.  Combarieu  s'est 
essayé  à  brosser  un  tableau  d'ensemble  de  l'évolution  de  l'art  musi- 
cal durant  la  période  la  plus  féconde  peut-être,  et  en  tout  cas  la  plus 
intéressante  pour  nous,  de  son  histoire;  le  chapitre  qui  sert  d'intro- 
duction au  volume  (sur  «  le  renouvellement  de  la  musique  »  au  début 
du  xixe  siècle)  entretient  cette  illusion.  Mais  très  vite,  malheureuse- 
ment, le  cadre  biographique  reparaît,  et  M.  Combarieu  doit  se 
résoudre  à  faire  défiler  devant  nous  un  à  un  les  musiciens  les  plus 
notables,  en  s'arrètant  successivement  sur  chacune  de  leurs  œuvres 
prise  isolément.  Il  ne  peut  même  toujours  insister  autant  qu'on  le 
souhaiterait  sur  les  tendances  générales  que  ces  œuvres  révèlent  ni 
sur  les  mouvements  qu'elles  ont  suscités.  Cette  Histoire  de  la 
musique,  dont  le  premier  volume  annonçait  un  véritable  historien, 
tend  ainsi  —  un  peu  faute  de  recul,  un  peu  aussi  faute  d'une  élabora- 
tion suffisante,  et  malgré  les  efforts  faits  souvent  par  l'auteur  pour 
s'élever  au-dessus  de  1'  «  individuel  »  —  à  dégénérer,  pour  l'époque 
contemporaine,  en  une  simple  galerie  de  grands  hommes. 

Parmi  ceux  dont  M.  Combarieu  étudie  le  plus  attentivement  la  pro- 
duction musicale  —  et  sans  discuter  la  question  de  savoir  dans  quelle 
mesure  la  réputation  de  tel  ou  tel  d'entre  eux  est  fondée  —  citons 
Meyerbeer,  Berlioz,  Chopin,  Liszt,  Mendelssohn,  Schumann,  Wagner, 
Franck;  mais  ajoutons  que,  s'il  s'arrête  longuement  sur  chacun  de 
ces  derniers  et  entre  même  à  leur  propos  dans  des  détails  biogra- 
phiques un  peu  menus,  il  ne  craint  pas,  pour  donner  une  juste  idée 
des  courants  musicaux,  de  parler  d'une  façon  circonstanciée  des  com- 
positeurs de  moindre  importance  —  par  exemple,  du  groupe  des  vio- 
lonistes :  Paganini,  Rode,  Kreutzer  —  ou  même  de  consacrer  tout  un 
chapitre  (il  est  vrai,  un  peu  superflu)  aux  chanteurs  et  cantatrices 
célèbres  du  xix^  siècle.  Les  grands  concerts  et  leurs  programmes,  le 
répertoire  de  nos  grandes  scènes  lyriques  (du  moins  en  France)  ont 
aussi  eu  l'honneur  de  chapitres  séparés.  Pour  l'époque  strictement 
contemporaine,  M.  Combarieu  *et  son  collaborateur  se  sont  appliqués 
à  n'omettre  aucune  des  manifestations  musicales  digues  d'être  rete- 
nues et  le  nombre  des  musiciens  de  première  ou  de  seconde  grandeur 
dont  ils  parlent  est  considérable. 

Les  jugements  de  M.  Combarieu  sont,  en  général,  soigneusement 
pesés.  Parfois  cependant  ils  surprennent.  Ainsi  M.  Combarieu  a 
étrangement  méconnu  Schumann  :  il  rapetisse  son  art  jusqu'à  ne 
voir  en  lui  qu'un  gracieux  et  charmant  mélodiste,  un  coloriste  délicat 
et  semble  ignorer  le  romantique  puissant,  pathétique  et  souvent  éche- 
velé.  De  même,  on  s'étonne  que  les  innovations  d'un  Wagner  ou  d'un 
Franck  ne  soient  pas  soulignées  de  traits  plus  énergiques  :  on  ne  se 


116  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

douterait  vraiment  pas,  à  lire  M.  Combarieu,  de  l'influence  formi- 
dable exercée  par  l'auteur  de  Trislan. 

Mais  nous  nous  reprocherions  d'insister  sur  des  défauts  que  l'au- 
teur, s'il  eût  vécu,  eût  sans  doute  atténués  lui-même  en  mettant  son 
livre  au  point.  Ces  défauts  n'empêcheront  pas  ce  livre  de  rendre  aux 
historiens  des  services  éminents  :  pour  la  première  fois,  en  France, 
on  y  trouvera  traitée  avec  toute  l'ampleur  voulue  par  un  homme  de 
goût  et  de  science  —  dont  la  disparition  prématurée  est  une  perte 
douloureuse  pour  nos  études  —  l'histoire  de  la  musique  contempo- 
raine. C'est,  malgré  les  réserves  que  nous  avons  cru  devoir  faire,  le 
digne  couronnement  d'une  œuvre  qui  honore  grandement  la  mémoire 
de  celui  qui  l'avait  conçue. 

Louis  Halphen. 


J.  Franklin  Orowell.  Government  war  contracts.  New- York, 
Oxford  University  Press,  1920.  In-8°,  357  pages.  Prix  :  1  dollar. 

Ce  volume,  qui  est  le  vingt-cinquième  d'une  série  intitulée  Preli- 
minary  économie  studies  of  the  war,  est  publié  par  les  soins  de  la 
fondation  Carnegie  pour  la  paix  internationale  (section  économique  et 
historique).  C'est  un  essai  méthodique  et,  à  l'occasion,  critique  pour 
exposer  la  manière  dont  il  a  été  pourvu,  par  l'État  américain,  aux 
fournitures  de  toutes  sortes  nécessaires  à  son  armée  et  à  sa  marine 
pendant  la  guerre.  En  outre  des  informations  précises  et  souvent 
curieuses  que  l'historien  des  opérations  y  trouvera,  nous  devons  signa- 
ler l'aspect  purement  économique  de  la  question  et  les  conclusions  que 
l'auteur  en  a  dégagées.  Elles  sont  souvent  analogues  à  celles  qu'on 
doit  tirer  des  expériences  faites  en  Europe  (nécessité  de  méthodes  nou- 
velles pour  la  préparation  et  la  conclusion  des  marchés,  efîets  sur  le 
régime  du  travail,  sur  la  concentration  industrielle,  etc.).  Mais  il  y  a 
lieu  de  remarquer  que  l'union  des  intérêts,  la  suppression  (relative)  de 
la  concurrence  dans  les  fournitures  faites  à  l'État,  la  limitation  des 
bénéfices  par  accord  des  fournisseurs  dans  l'intérêt  du  pays  étaient 
aux  États-Unis  de  grandes  nouveautés.  L'auteur  a  raison  de  souligner 
que  les  producteurs  américains  ont  maintenant  pris  l'habitude  de  s'as- 
socier avec  l'État  dans  un  efïort  comrnun  pour  développer  l'exporta- 
tion et  d'ajouter  que  les  conséquences  de  cette  leçon  ne  seront  pas 
perdues.  Le  professeur  David  Kinley,  directeur  de  la  collection,  dans 
une  spirituelle  préface,  a  noté  combien  il  est  difficile  aux  fonction- 
naires de  l'Union  de  s'acquitter  de  leur  tâche  à  la  satisfaction  de  tous. 
On  les  paie  mal,  on  les  ligotte  de  réglementations  multiples,  parce 
que,  les  payant  mal,  on  les  suspecte,  et,  comme  ils  ne  peuvent  plus 
agir,  on  dénonce  leur  incapacité  économique.  Il  y  a  là  quelques  pages 
pleines  d'humour,  qui  ne  valent  pas  seulement  pour  les  États-Unis. 

R.  GUYOT. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale.  —  Henri  Berh.  L'histoire  traditionnelle  et 
la  synthèse  historique  (Paris,  Félix  Alcan,  1921,  in-16,  x-146  p.; 
prix  :  7  fr.).  —  Le  volume  comprend  en  réalité  quatre  études  qui  ont 
paru  à  des  époques  diverses  et  dans  différentes  revues.  La  première  est 
une  aimable  biographie  de  Philippe  Tamizey  de  Larroque,  mort  en  1898 
dans  sa  campagne  agenaise  de  Gontaud,  à  soixante-dix  ans,  après  plus 
de  cinquante  années  d'un  travail  quotidien.  On  doit  à  M.  de  Larroque 
des  milliers  de  petits  articles  consacrés  à  son  pays  natal  et  dissémi- 
nées dans  d'innombrables  revues  —  qui  en  dressera  jamais  la  biblio- 
graphie? —  et,  dans  la  collection  des  Documents  inédits,  la  publica- 
tion des  lettres  de  Balzac  (1873),  de  Chapelain  (1880-1882),  de  neuf 
volumes  de  la  Correspondance  de  Peiresc  (1888-1899),  et  cette  dernière 
publication  n'est  pas  terminée!  Pour  M.  Béer,  Tamizey,  qu'il  a  connu 
et  dont  il  parle  d'ailleurs  avec  une  profonde  sympathie,  représente  en 
histoire  l'esprit  d'analyse  poussée  à  l'extrême,  l'amour  du  document 
inédit  pour  le  document;  mais  contre  lui  il  a  beau  jeu.  La  partie 
deviendrait  pfus  risquée  contre  d'autres  analystes  qui  savent  faire 
choix  de  documents,  en  tirer  la  substance  et  montrer  la  vérité  des 
faits^  sans  prétendre  à  en  tirer  des  lois,  puisqu'ils  nient  l'existence 
de  ces  lois.  —  A  Tamizey  de  Larroque,  M.  Béer  oppose,  en  sa  quatrième 
étude,  un  autre  méridional,  qui  a  vécu  dans  une  petite  propriété  du 
Tarn-et-Garonne,  où  il  s'est  éteint  le  2  juillet  1919,  dans  sa  quatre- 
vingt-cinquième  année.  Lacombe  était  un  partisan  résolu  de  1'  «  his- 
toire-science »  et  de  la  synthèse  historique.  Dans  un  gros  ouvrage 
paru  en  1894,  il  s'est  efforcé  de  discerner  sous  1'   «   accidentel  » 
r  «  institutionnel  »,  de  relier  la  nature  et  l'humanité,  d'en  déga- 
ger la  loi  commune.  M.  Berr  a  trouvé  en  lui  tout  ensemble  un  pré- 
curseur et  un  disciple  ;  les  extraits  qu'il  nous  donne  du  Journal  iné- 
dit du  théoricien  présentent  un  vif  intérêt  et  montrent  une  pensée 
toujours  en  activité  et  en  ébullition.  Mais  quand  Lacombe  a  écrit  : 
la  Première  commune  révolutionnaire  de  Paris  et  les  Assem- 
blées nationales,  n'a-t-il  pas  un  peu  oublié  «  l'institutionnel  »  et  ne 
s'est-il  point  rapproché  de  Tamizey?  —  Dans  les  deux  études  intermé- 
diaires, M.  Berr  se  livre  à  des  polémiques  contre  A.-D.  Xénopol  et  son 
volume  :  la  Théorie  de  l'histoire,  et  contre  notre  collaborateur  M.  Louis 
Halphen;  nous  lui  abandonnons  le  livre  de  Xénopol,  souvent  obscur, 
mais  nous  faisons  nôtres  les  objections  que  M.  Halphen  a  présentées 
à  la  Synthèse  en  histoire  et  nous  nous  bornons  à  revendiquer  le 


118  NOTES   BIBLIOGBAFHIQDES. 

simple  titre  d'historien   w  historisant  »   ou,  pour  mieux  dire,  celui 
d'historien  —  d'historien  tout  court.  G.  Pf. 

—  On  a  groupé  dans  les  numéros  V  et  VI  de  la  Correspondance 
pour  l'union  de  la  vérité  (nouvelle  série,  28^  année,  1920)  et  sous  le 
titre  de  :  les  Français  à  la  recherche  d'une  Société  des  Nations,  des 
textes  assez  bien  choisis  et  qui  concernent  l'élaboration  d'un  orga- 
nisme international  dont  la  guerre  mondiale  a  fait  reconnaître  la 
nécessité  et  permis  d'établir  les  bases.  On  y  trouve  des  pages  d'Éme- 
ric  de  Crucé,  Sully,  Guez  de  Balzac,  Fénelon,  Montesquieu,  l'abbé  de 
Saint-Pierre,  J.-J.  Rousseau,  Sébastien  Mercier,  Condorcet,  Destuttde 
Tracy,  Rabaut-Saint- Etienne,  Lazare  Carnot;  des  sociahstes  Saint- 
Simon,  Pecqueur  et  Considérant;  des  démocrates  Lamennais,  Lamar- 
tine, Quinet,  E.  Renan,  V.  Hugo,  G.  Sorel,  Jaurès,  Léon  Bourgeois 
et  d'autres  contemporains.  On  regrettera  que  ce  recueil  soit  incomplet 
et  que  les  textes  eux-mêmes  soient  fragmentaires;  il  rendra  cepen- 
dant des  services  par  le  groupement  même  de  ceux  qui  ont  été  rete- 
nus par  les  compilateurs.  G.  Bourgin. 

—  R.  Michels.  La  teoria  di  Marx  délia  miseria  crescente  (Pic- 
cola  biblioteca  di  scienze  moderne,  n"  262.  Torino,  Bocca,  1921,  in-18, 
viii-244  p.;  prix  :  20  1.).  —  M.  Michels  est  un  des  meilleurs  spécia- 
listes des  études  marxistes  ;  aussi  son  exégèse  de  la  théorie  marxiste 
de  la  misère  croissante  constitue-t-elle  une  contribution  importante 
à  l'histoire,  non  seulement  des  doctrines,  mais  des  faits  économiques. 
La  très  vaste  et  très  précise  érudition  de  l'auteur  se  décèle  dans  une 
foule  de  remarques  Ingénieuses  et  de  notes  bibliographiques.  Elle  lui 
a  permis  de  faire  remonter  aux  débuts  du  xvii«  siècle  l'origine  de  la 
théorie  étudiée,  mais  c'est  avec  le  frère  Giammaria  Ortes  (1774)  que 
l'efîort  apparaît  nettement  pour  établir  un  lien  logique  entre  la  quan- 
tité de  richesse  et  la  quantité  de  pauvreté  dans  un  pays.  Les  socia- 
listes et  économistes  français  :  Babeuf,  Fourier,  L.  Blanc,  Sismondi, 
Buret,  Proudhon,  Considérant,  L.  Faucher,  Vidal;  anglais  : 
R.  Owen,  Ricardo,  Wade,  ont  apporté  ensuite  leur  pierre  à  l'édi- 
fice. C'est  l'étude  des  phénomènes  économiques  anglais,  poussée 
peut-être  avec  plus  de  sens  critique  en  Italie  qu'ailleurs,  qui  a  le  plus 
incité  les  observateurs  à  rechercher  les  causes  du  paupérisme,  et  l'on 
sait  qu'une  bonne  partie  des  éléments  objectifs  du  Kapital  de 
K.  Marx  sont  empruntés  aux  milieux  industriels  anglais.  M.  Michels 
étudie,  dans  ses  derniers  chapitres,  le  sort  qui  a  été  fait  ultérieure- 
ment à  la  théorie  considérée,  tant  par  les  savants  que  par  les  miheux 
ouvriers,  dans  les  divers  pays.  Un  appendice  est  consacré  par  l'auteur 
au  rôle  de  l'Italie  dans  l'évolution  de  la  science  économique.  —  G.  Bn. 

—  Léon  Abensour.  Histoire  générale  du  féminisme  (Paris, 
Delagrave,  1921,  in-18,  327  p.).  —  M.  Abensour  s'est  déjà  fait  con- 
naître par  ses  études  de  détail  consacrées  à  des  épisodes  ou  à  des  per- 
sonnalités du  féminisme.  L'Histoire  générale  qu'il  vient  de  faire 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE.  119 

paraître  témoigne  d'une  information  étendue,  et  il  le  fallait  bien, 
puisque  l'auteur  fait  partir  son  sujet  des  origines  mêmes  de  la  famille 
matriarcale;  mais  cette  seule  observation  suffit  à  montrer  que 
M.  Abensour  n'a  pas  nettement  séparé  l'histoire  de  l'idée  féministe  de 
l'histoire  réelle  de  la  femme  dans  l'évolution  humaine.  D'autre  part, 
il  semble  que  l'objet  de  son  étude  ait  incité  M.  Abensour  aux  coquet- 
teries de  style  et  aux  grâces  d'écriture,  qui,  de  fait,  ne  font  que  gâter 
son  exposé.  Nous  l'aurions,  si  résumé  soit-il,  et  même  parce  que 
résumé,  voulu  sobre,  de  façon  à  ce  qu'on  pût  dégager,  autant  que 
faire  se  peut,  les  lignes  générales  de  l'évolution  juridique  et  sociale 
de  la  femme.  G.  Bn. 

—  La  publication  de  l'ouvrage  de  M.  Robert  Lansing,  secrétaire 
d'État  aux  Affaires  étrangères  sous  la  présidence  Wilson  (The  peace 
négociations,  Boston,  1921),  a  ramené  l'attention  sur  la  question  de 
la  publication  des  documents  concernant  la  Conférence  de  la  paix. 
On  doit  rappeler,  à  cet  égard,  que,  dès  le  14  décembre  1920,  Sir  Cecil 
Harmsworth,  sous-secrétaire  d'État  aux  Affaires  étrangères,  avait 
déclaré  à  la  Chambre  des  Communes  qu'on  ne  pouvait  rien  prévoir  à 
cet  égard,  et  M.  Lloyd  George  qu'un  accord  entre  les  gouvernements 
britannique  et  français  sur  l'objet  en  question  était  indispensable. 

G.  Bn. 

—  Les  livraisons  12-15  de  V Atlas  universel  de  géographie,  dressé 
sous  la  direction  de  F.  Schrader  (Hachette;  chaque  carte  peut  se 
vendre  séparément  au  prix  de  1  fr.  20),  contiennent  les  cartes  sui- 
vantes :  France  du  Nord-Ouest  et  France  politique  (le  territoire  de  la 
Sarre  est  déterminé  par  des  hachures  particulières)  ;  Italie  méridionale 
(avec  la  Sardaigne);  Pays-Bas;  Antilles  (cartons  pour  la  Guadeloupe 
et  la  Martinique);  Brésil  du  Sud  (carton  pour  la  baie  de  Rio  de 
Janeiro)  ;  Afrique  du  Nord-Ouest  et  Afrique  du  Sud  (avec  la  Réunion 
et  l'île  Maurice);  Amérique  du  Sud  politique;  Turkestan;  régions 
polaires  (pôle  nord  et  pôle  sud)  ;  Asie  physique. 

Histoire  de  la  guerre.  —  Charles  Le  Goffic.  La  Marne  en  feu 
(Paris,  Félix  Alcan,  in-16,  130  p.;  prix  :  4  fr.;  collection  «  la  France 
dévastée  »).  — C'est  un  récit  de  la  première  bataille  de  la  Marne,  met- 
tant particulièrement  en  lumière  le  rôle  de  Foch  dans  les  marais  de 
Saint-Gond.  L'auteur  présente  quelques  réflexions  intéressantes  sur 
le  débat  Gallieni-Jofïre.  Il  .publie  trois  petits  textes  inédits  :  le  carnet 
du  général  Moussy,  qui  commandait  la  17«  division  d'infantei^ie  ;  celui 
de  Charles  Penther,  sergent  au  19«  régiment  d'infanterie;  enfin  celui 
de  l'instituteur  Roland,  qui,  à  Villevenard,  vit  de  près  un  tout  petit 
coin  de  la  bataille,  du  5  au  13  septembre  1914. 

—  Gaston  Deschamps.  LaSomme  dévastée  (même  collection,  110  p.). 
—  On  parle  surtout  de  la  dévastation  commise  parles  Allemands  lors 
de  leur  «  retraite  stratégique  »  en  1917;  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  les 


120  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

articles  de  propagande  qu'à  cette  occasion  publia  le  journal  espagnol 
A.  B.  C,  organe  des  germanophiles  de  Madrid.  Le  reste  du  volume 
traite  des  pillages,  sévices  et  crimes  perpétrés  par  les  troupes  alle- 
mandes dans  la  «  Picardie  martyre  ».  Ch.  B. 

—  L'Amirauté  britannique,  à  la  suite  d'une  campagne  de  presse  qui 
a  eu  un  retentissement  jusqu'à  la  Chambre  des  Communes,  a  publié 
un  Blue-book  sur  la  bataille  du  Jutland  (31  mai-l^""  juin  1916).  Les 
plus  importants  de  ces  documents  ont  été  reproduits  dans  le  Times 
du  18  décembre  1920.  G.  Bn. 

—  Le  9  mai  1921  a  paru  le  rapport  du  «  Battles  Nomenclature 
Committee  »,  créé,  au  mois  d'août  1919,  pour  déterminer  la  nomen- 
clature des  batailles  de  la  Grande  Guerre  auxquelles  ont  pris  part  les 
armées  britanniques.  Ce  Comité,  formé  de  représentants  des  forces 
diverses  de  l'empire,  s'est  efforcé  de  préciser  les  critères  qui  peuvent 
s'appliquer,  au  point  de  vue  de  l'aire  géographique  et  de  la  durée,  aux 
batailles;  par  «  bataille  »,  on  entend  tout  engagement  ou  série  d'en- 
gagements où  donne  au  moins  un  corps  d'armée,  les  mots  «  actions  »  et 
«  affaires  »  étant  réservés  à  des  opérations  moins  importantes.  Les 
opérations  sont  répertoriées  dans  le  rapport,  par  leurs  noms,  avec 
leurs  limites  chronologiques  et  géographiques,  puis  groupées  sous  les 
titres  suivants  :  France  et  Flandres  (invasion  allemande,  guerre  des 
tranchées,  offensive  des  Alliés  de  1916,  avance  vers  la  ligne  Hinden- 
burg,  offensives  des  Alliés  de  1917,  offensive  allemande  de  4918,  la 
marche  à  la  victoire),  Egypte  et  Palestine,  Mésopotamie,  Russie 
(Arkhangel  et  opérations  de  l'Oussouri),  Italie,  Macédoine,  Darda- 
nelles. Cette  nomenclature  rendra,  dès  maintenant,  des  services.  Il 
est  toutefois  regrettable  que  les  États-majors  des  différentes  puis- 
sances alliées  n'aient  pas  cherché  à  se  mettre  d'accord  sur  l'établisse- 
ment, pour  le  moins,  d'un  cadre  historique  commun  à  toutes  les  rela- 
tions à  paraître  de  la  Grande  Guerre.  Il  l'est  encore  plus  que,  en  cette 
matière,  la  France  ait  été  devancée  par  un  pays  qui,  sans  doute,  a 
joué  un  grand  rôle  pendant  la  guerre,  mais  qui,  tout  de  même,  n'a 
été  que  l'associé,  au  point  de  vue'de  la  guerre  terrestre,  de  la  France. 
Mais  la  faute  n'en  est  pas,  semble-t-il,  uniquement  à  l'Angleterre. 

G.  Bn. 

—  Un  livre  blanc,  intitulé  Documents  reZafiue  to  Sinn  Fein 
movement,  60  p.  in-8°,  est  consacré  aux  rapports  entre  l'Allemagne 
et  le  mouvement  nationaliste  irlandais  pendant  la  guerre  mondiale 
(affaire  Casement,  1916;  intrigues  allemandes  dans  les  deux  Amé- 
riques et  en  Espagne,  1917-1918). 

—  Un  très  curieux  sujet,  qui  a  été  à  peine  exploré  en  France,  est 
celui  du  folklore  de  guerre.  M.  le  prof.  G.  Bellucci  y  a  consacré, 
dans  la  collection  des  Tradizioni  popolari  italiane  {n°  6),  un  petit 
volume,  qui  est  avant  tout  un  recueil  de  faits  {Folklore  di  guerra. 
Perugia,  Unione  tipografica  cooperativa,  1920,  in-18,  vii-119  p.).  Ces 


fllSTOlBE   DE   LA   GUERRE.  121 

faits  ont  été  classés  par  pays,  et  ils  sont  surtout  nombreux  pour  les 
pays  de  l'Europe  occidentale,  mais  l'auteur  n'a  peut-être  pas  suffi- 
samment distingué  ceux  qui  résultent  d'une  invention  amusante 
individuelle,  et  reprise  ultérieurement  dans  le  même  esprit  par  tout 
un  groupe  d'imitateurs  volontaires,  et  ceux  où  s'intègrent  véritablement 
des  croyances  collectives.  C'est  que  la  guerre,  comme  le  montre  exac- 
tement M.  Bellucci,  développe  le  mysticisme,  comme  à  chaque  fois 
que  le  progrès  social  s'arrête.  De  ce  travail,  il  convient  de  rapprocher 
une  étude  un  peu  antérieure  parue  dans  la  même  collection  (n°  5),  du 
même  auteur,  sur  les  clous  dans  l'ethnographie  ancienne  et  moderne 
(/  chiodi  nelV  etnografia  antica  e  contemporanea.  Perugia,  Unione 
tipogralica  cooperativa,  1919,  in-18,  266  p.).  Les  clous  symbolisant  la 
foudre  des  monuments  antiques,  les  clous  votifs  ou  funéraires  des 
anciens,  les  Rolandsàule  du  moyen  âge,  l'emploi  des  clous  comme 
prophylactique,  la  croyance  à  la  vertu  des  clous  de  la  Crucifixion, 
l'usage  mystique  des  clous  de  fer  à  cheval,  tels  sont  les  faits,  entre 
autres,  qui  font  l'objet  de  ce  petit  livre,  où,  d'une  façon  très  exacte, 
qui  est  tout  de  même -fort  amusante,  M.  Bellucci  apparente  les  sta- 
tues-fétiches du  Congo  et  la  statue  monumentale  de  bois  élevée  à 
Berlin  en  l'honneur  du  maréchal  Hindenburg,  aujourd'hui  (lempi  pas- 
sati!)  mise  à  l'encan  et  démolie;  G.  Bn. 

—  Th.  W.  KocH.  Les  livres  à  la  guerre.  Traduction  de  l'anglais 
par  A.  DOYSiÉ.  Préface  du  maréchal  Foch  (Paris,  Champion,  1920, 
in-8°,  428  p.).  —  Cette  étude  prouve  non  seulement  que  la  lecture  des 
bons  livres,  durant  la  guerre,  fut  un  puissant  soutien  moral  pour  le 
combattant,  occupant  d'une  façon  utile  ses  loisirs  de  la  tranchée,  de 
l'arrière  et  de  l'hôpital,  mais  il  montre  à  des  lecteurs  français  ce  que 
peut  l'esprit  d'initiative  et  d'organisation,  puisqu'on  peu  de  temps  on 
put  fonder  et  développer  une  grande  œuvre  capable  d'établir  pour  quatre 
millions  et  demi  M'hommes  un  réseau  de  bibliothèques  s'étendant  du 
plus  petit  camp  d'Amérique  aux  tranchées  de  l'Argonne  et  aux  avant- 
postes  de  Sibérie,  s'avançant  jusqu'à  Arkhangel,  Prague,  Varsovie, 
Constantinople,  Beyrouth,  et  procurant  à  chacun  le  livre  voulu,  à  beau- 
coup le  livre  technique  le  plus  récent  et  le  meilleur.  L'  «  Association  des 
bibliothèques  américaines  »,  avec  la  cessation  des  hostilités,  n'a  point 
quitté  la  France  :  à  la  fin  de  1919,  elle  trouvait  les  fonds  nécessaires 
pour  laisser  à  Paris  une  bibliothèque,  dirigée  par  des  administrateurs 
français,  anglais  et  américains,  où  dominent  les  livres  le  plus  aptes  à 
faire  comprendre  l'Amérique,  et  qui  facilitera  l'échange  des  idées  avec 
l'Ancien  et  le.  Nouveau  Monde,  resserrera  les  liens  entre  la  France  et 
les  États-Unis.  G.  Constant. 

—  Gaston  Hiou.  La  ciudad  doliente.  Diario  de  un  soldado  raso. 
Prefacio  de  Miguel  de  Unamuno  (Paris,  Ediciones  literarias,  [1916], 
in-18,  304  p.;  prix  :  3  pesetas  50).  — Nous  signalons  ici,  à  cause  de  la  pré- 
face, la  traduction  espagnole  d'un  livre  dont  la  Revue  historique  a  déjà 


122  NOTES   BIBLIOGRAl'HIQUES. 

rendu  compte  (t.  CXXII,  p.  157).  Recteur  de  l'Université  de  Sala- 
manque,  M.  de  Unamuno  est  bien  connu.  Il  est  convaincu  que  ta  plus 
grande  partie  de  la  littérature  de  guerre  sombrera  dans  l'oubli.  Mais, 
s'empresse-t-il  d'ajouter,  lelivre  de  Gaston  Riou  est  moins  un  récit  de 
combattant  qu'un  témoignage  de  captif.  Etude  de  fine  psychologie, 
l'ouvrage  lui  paraît,  en  outre,  un  effort  sincère  pour  juger  sans  colère 
et  avec  sérénité  l'ennemi.  J.  R. 

Allemagne.  —  Franco  Caburi.  Guglielmo  II  (Milano,  Casa  édi- 
trice Risorgimento,  1920,  in-18,  103  p.).  —  M.  Caburi  est  un  des  jour- 
nalistes italiens  qui  connaissent  le  mieux  les  choses  d'Allemagne  et 
d'Autriche.  Sa  petite  étude  sur  la  psychologie  de  Guillaume  II  s'en 
ressent  :  il  a  bien  montré,  d'une  part,  ce  qui  caractérisait,  individuel- 
lement, l'empereur  déchu,  en  particulier  la  mégalomanie  et  la  manie 
de  la  persécution,  et,  d'autre  part,  comment,  en  l'empereur,  s'indivi- 
dualisait la  politique  du  Neuer  Kurs.  Peut-être  a-t-il  utilisé  trop  large- 
ment les  souvenirs  du  dentiste  américain  Davis,  mais  il  a  dessiné, 
au  moyen  de  traits  nets  et  exacts,  l'évolution  économique  de  l'Alle- 
magne moderne.  G.  Bn. 

Amérique  du  Sud.  —  José  Antonio  Saco.  Documentos  para  su 

vida,  anotados  por  Domingo  Figarola-Caneda  (in-S",  420  p.).  —  Le 
nom  de  Saco  évoque  le  souvenir  des  luttes  politiques  et  surtout  de 
l'abolition  de  l'esclavage  à  Cuba.  Dans  les  documents  sur  sa  vie,  on 
assiste  à  ses  luttes  contre  le  despotisme  espagnol,  à  son  exil,  à  ses 
pérégrinations  à  travers  l'Europe  pendant  une  longue  période,  celle 
dé  1836  jusqu'en  1879,  date  de  sa  mort  survenue  à  Barcelone.  La  mise 
en  œuvre  de  ces  documents  est  due  à  M.  Domingo  Figarola-Caneda, 
fondateur  et  ex-directeur  de  la  Bibliothèque  nationale  de  la  Havane, 
membre  de  l'Académie  de  l'histoire  de  Cuba  et  directeur  des  Annales 
que  publie  cette  corporation.  L'ouvrage  est  orné  de  sept  gravures, 
d'un  prologue  et  d'une  table  alphabétique  bien  nourrie.  Il  est  d'un 
grand  intérêt  pour  faire  connaître  l'histoire  coloniale  de  Cuba. 

—  On  trouvera  des  renseignements  non  seulement  géographiques 
et  économiques,  mais  encore  historiques,  sur  les  républiques  de  l'Amé- 
rique du  sud  et  du  centre  et  sur  le  Mexique  dans  VAnglo-South  ame- 
rican  handbook  for  1921  (London,  F.  Unwin,  25  sh.).  —  G.  Bn. 

États-Unis.  —  Francesco  Ruffini.  Il  présidente  Wilson  (Milano, 
fratelli  Trêves,  1919,  in-16,  viii-132p.;  «  Pagine  dell' ora  »,n°^  55-56). — 
Dans  ce  petit  volume,  l'ancien  ministre  italien  de  l'Instruction  publique 
a  réuni  divers  articles  et  discours  composés  avant  l'arrivée  du  président 
américain  en  France,  c'est-à-dire  avant  les  désillusions  des  Italiens 
touchant  le  rôle  de  M.  Wilson.  Tout  de  même,  il  y  a,  dans  ces  écrits 
de  circonstance,  des  idées  fort  justes,  et  M.  RufiQni  a  bien  vu  comment 
M.  Wilson,  mis  en  possession,  de  par  la  Constitution,  d'un  véritable 
pouvoir  dictatorial,  s'est  efïorcé  de  remettre  en  contact  le  peuple  et  le 
président,  en  écartant  les  chefs  de  trusts  et  de  partis.  Les  idées  de 


HISTOIRE    DE    FRANCE.  123 

Washington  et  de  Lincoln,  qui  ont  animé  toute  la  pensée  de  ce  profes- 
seur de  droit  et  d'histoire,  se  retrouvent,  avec  une  nuance  de  mes- 
sianisme religieux,  dans  la  Société  des  Nations.  Ainsi,  et  moins  para- 
doxalement qu'il  ne  semble  au  premier  abord,  s'apparentent,  aux  yeux 
de  M.  RufBni,  Mazzini  et  Wilson.  G.  Bn. 

—  On  trouvera  des  vues  intéressantes  dans  l'étude  synthétique  con- 
sacrée par  M.  le  professeur  H.  F.  Krafft  àSea  power  and  american 
destiny,  dans  les  United  States  naval  Institute  proceedings, 
avril  1921,  p.  473-486. 

France.  — Joseph  Reinach  (Polybe).  Francia.  Histoire  illustrée 
de  la  France  (Paris,  Hachette,  1921,  in-8°,  570  p.;  prix  :  10  fr.).  —Ce 
livre,  le  dernier  qui  soit  sorti  de  la  plume  du  fécond  et  brillant  pùbliciste, 
comprend  vingt-huit  chapitres  qui  se  répartissent  d'une  façon  assez 
inégale  en  deux  parties  :  l'ancien  régime,  qui  occupe  les  238  premières 
pages,  et  l'époque  moderne,  issue  de  la  Révolution,  qui  remplit  tout  le 
reste.  Ce  défaut  d'équilibre  se  justifie  par  le  dessein  que  s'est  proposé 
M.  Reinach  ;  il  a  voulu  dire  tout  ce  qui  lui  paraissait  essentiel  à  un 
«  honnête  homme  »  de  savoir  pour  mieux  connaître  la  France.  Il  dédie 
son  ouvrage  «  aux  armées  de  Jofïre,  de  Foch  et  de  Pétain,  aux  armées 
alliées  »  ;  aussi  l'histoire  militaire  a-t-elle  été  traitée  par  lui  avec  un 
soin  particulier;  mais  Polybe  ne  pouvait  pas  se  contenter  de  raconter 
les  batailles  et  d'analyser  les  traités  qui  ont  constitué  le  corps  politique 
de  notre  pays  ;  il  a  dit  aussi  comment  s'est  formé  le  génie  de  la  France 
par  ses  institutions  monarchiques  et  sa  production  intellectuelle,  par 
le  rôle  qu'elle  a  joué  dans  l'émancipation  de  l'esprit  humain  et  dans 
la  lente  conquête  de  la  liberté.  L'homme  qui  avait  vu  tant  de  choses, 
lu  tant  de  livres,  touché  à  tant  de  sujets  anciens  et  actuels,  a  su  rem- 
plir son  programme  avec  une  habileté,  une  verve  qui  lui  gagneront  de 
nombreux  lecteurs.  11  a  dû  élaguer  fortement  dans  la  forêt  souvent 
confuse  et  obscure  de  notre  histoire  et  l'on  ne  s'en  plaindra  pas.  Peut- 
être  cependant  pourra-t-on  regretter  qu'il  ait  fait  si  peu  de  place  aux 
institutions  religieuses  et  à  la  vie  provinciale  de  l'ancienne  France. 
Comme  tant  d'autres  historiens,  il  s'est  contenté  d'observer  la  monar- 
chie française,  plus  que  le  peuple  de  France  qui  mérite  cependant 
d'être  étudié  autrement  que  sur  les  champs  de  bataille  où  il  prodigue 
son  sang.  M.  Reinach  est  mort  avant  d'avoir  pu  voir  de  près  les 
épreuves  de  son  volume;  après  lui,  des  mains  pieuses  et  probes  y  ont 
relevé  des  fautes  de  détail  mentionnées  dans  un  long  appendice  qui 
est  destiné  à  disparaître. dans  les  prochains  tirages;  mais,  dans  son 
ensemble,  le  livre  est  aussi  remarquable  par  l'exactitude  des  faits  que 
par  l'intelligence  avec  laquelle  ils  sont  présentés  et  appréciés.  On  y 
pourrait  noter  plus  d'un  jugement  personnel  et  original  sur  des  ques- 
tions de  littérature  et  d'art.  Jusque  dans  l'illustration  du  volume,  on 
retrouve  les  qualités  maîtresses  de  l'écrivain  qui  est  à  l'ordinaire 
exact,  précis,  soucieux  de  vérité,  sensible  aux  manifestations  les  plus 


124  NOTES   BlBLlOGBAPfllQDES. 

variées  de  la  vie,  enthousiasle  et  impartial,  et  qui,  avant  déjuger,  veut 
comprendre  et  faire  comprendre.  On  trouvera  en  lui  un  guide  sur  et 
bien  informé.  Ch.  B. 

—  I.  Gaston  May.  Introduction  à  la  science  du  droit.  II. 
Ch.  Lefebvre.  La  famille  en  France  dans  le  droit  et  dans  les 
mœurs.  III.  Ch.  Gide.  Des  institutions  en  vue  de  la  transforma- 
tion ou  de  l'abolitio7i  du  salariat  (Paris,  Giard  et  C>e,  1921,  in-S», 
v-461  p.).  —  Les  professeurs  de  la  Faculté  de  droit  de  Paris  com- 
mencent la  publication  des  cours  ouverts  en  mai-juin  1919  à  l'inten- 
tio%  des  étudiants  de  l'armée  américaine  et  destinés  à  leur  donner, 
sous  la  forme  la  plus  sommaire,  la  synthèse  substantielle  et  précise 
des  institutions  juridiques  françaises. 

M.  May,  chargé  plus  spécialement  de  les  préparer  à  la  compréhen- 
sion du,  droit,  le  définit,  le  fonde  sur  le  respect  de  la  personnalité 
humaine,  en  recherche  les  sources  dont  il  décrit  l'évolution,  et  énu- 
mère  ses  sanctions  (p.  3-32);  puis  il  l'étudié  comme  science,  passant 
successivement  en  revue  sa  nature,  ses  rapports  avec  les  autres 
sciences,  les  diverses  branches  de  cette  science  :  droit  privé,  droit 
public  et  droit  des  gens',  l'histoire  de  leur  codification  et  le  rôle  de 
l'interprétation  jurisprudentielle  (p.  33-94);  enfin,  après  avoir  souligné 
l'importance  du  droit  romain  dans  l'enseignement  de  toutes  les  uni- 
versités contemporaines 2,  il  indique  comment  le  législateur  moderne, 
puisant  les  leçons  de  l'expérience  dans  les  résultats  de  l'interpréta- 

1.  Division  traditionnelle  que  M.  May  est  heureux  de  retrouver,  quoique 
dans  un  ordre  exactement  inverse,  dans  Montesquieu  {Esprit  des  lois,  t.  I, 
p.  3)  :  «  Considérés  comme  habitants  d'une  si  grande  planète  qu'iLest  néces- 
saire qu'il  y  ait  différents  peuples,  les  hommes  ont  des  lois  dans  les  rapports 
que  ces  peuples  ont  entre  eux,  et  c'est  le  Droit  des  getis.  Considérés  comme 
vivant  dans  une  société  qui  doit  être  maintenue,  ils  ont  des  lois  dans  le  rap- 
port de  ceux  qui  gouvernent  avec  ceux  qui  sont  gouvernés,  et  c'est  le  Dy-oit 
politique.  Ils  en  ont  encore  dans  le  rapport  que  tous  les  citoyens  ont  entre 
eux,  et  c'est  le  Droit  civil.  » 

2.  Voir  notamment  p.  100.  «  Ce  n'est  pas  seulement  par  la  supériorité  de 
leur  technique  que  les  Romains  méritent  de  servir  de  modèles  aux  juriscon- 
sultes. C'est  aussi  parce  que  leur  droit  offre  le  merveilleux  exemple  d'une 
législation  qui  s'est  développée,  qui  a  su  s'adapter  aux  nécessités  de  la  vie, 
sans  faire  constamment  appel  à  l'intervention  du  législateur,  simplement  grâce 
à  l'effort  continu  de  leurs  magistrats,  les  préteurs,  et  de  leurs  jurisconsultes. 
Leurs  magistrats  ont  su  tirer  parti  d'une  législation  écrite  très  peu  détaillée 
qu'ils  n'avaient  pas  le  droit  d'abroger  ou  de  changer  ouvertement,  mais  qu'ils 
ont  transformée  par  un  long  et  patient  travail  d'adaptation  et  de  correction... 
Quant  aux  jurisconsultes  romains,  ils  ont  déployé  dans  l'art  d'interpréter  le 
droit  une  maîtrise  remarquable.  Ils  n'ont  pas  été  uniquement  des  logiciens  à 
l'esprit  étroit.  Ils  ont  eu  au  dernier  degré  le  sens  des  réalités,  la  vision  claire 
des  besoins  et  des  moyens  les  plus  simples  pour  atteindre  le  but,  le  don  pré- 
cieux de  savoir  garder  la  mesure  en  évitant  l'écueil  des  solutions  outrancières. 
Eux  aussi  peuvent  nous  servir  de  guides  dans  nos  tentatives  de  rénovation  du 
droit.  » 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  125 

tion,  dans  l'exemple  des  législations  étrangères,  dans  les  enseigne- 
ments de  l'économie  politique,  pourra  orienter  l'opinion  nationale  et 
internationale  vers  la  réalisation  d'un  droit  meilleur  (p.  95-114). 

M.  Lefebvre  s'est  proposé  de  résumer  l'histoire  de  la  constitution 
et  de  l'organisation  de  la  famille  française,  insistant  plus  particulière- 
ment, ainsi  qu'il  l'avait  déjà  fait  dans  ses  cours  de  doctorat  bien  con- 
nus, sur  le  lien  du  mariage  (p.  141-194)  et  sur  ses  efïets,  d'abord  géné- 
raux dans  toute  union  conjugale  (p.  195-214),  puis  particuliers  quant 
aux  biens,  suivant  les  divers  régimes  matrimoniaux,  dont  il  dégage 
les  traits  essentiels  dans  un  aperçu  bref  mais  très  net  (p.  214-249),  les 
quatre  derniers  cours  étant  réservés  aux  droits  et  obligations  des 
parents  à  l'égard  de  leurs  enfants  (p.  250-302),  aux  relations  extra-con- 
jugales et  à  la  situation  des  enfants  nés  hors  mariage  (p.  304-335). 

M.  Gide  a  choisi  comme  sujet  de  son  cours  l'étude  de  l'abolition  du 
salariat,  problème  capital  qui  a,  pour  ainsi  dire,  dominé  l'évolution 
du  socialisme  français  et  des  organisations  par  lesquelles  il  tend  à  réa- 
liser sa  doctrine,  d'abord  par  l'association  coopérative  de  production 
(p.  352-379),  ensuite  par  la  participation  aux  bénéfices  ou  la  société  en 
participation  ouvrière  (p.  395-418),  dont  le  plus  bel  exemple  reste  le 
familistère  de  Guise  (p.  406-418),  enfin  par  la  société  coopérative  de 
consommation,  qui  semble  devoir  produire  des  résultats  beaucoup  plus 
avantageux  et  être  appelée  à  un  grand  avenir  (p.  419-425).  Les  deux 
dernières  leçons  sont  consacrées  à  la  législation  agraire,  à  la  condition 
toute  particulière  du  travailleur  agricole  et  à  l'association  agricole, 
pratiquée  notamment  dans  certaines  régions  ravagées  des  départe- 
ments du  nord  de  la  France  (p.  435-457). 

Cette  publication  collective  a  atteint  son  but  et,  comme  le  déclare 
dans  l'avant-propos  M.  le  doyen  Larnaude,  destinées  à  «  tous  ceux 
qui,  dans  le  monde,  tiendront  à  connaître  la  pensée  française  sur  les 
questions  de  droit  et  d'économie  sociale  qu'elles  traitent  »,  ces  leçons 
ont  surtout  pour  caractère  commun  «  la  recherche  dans  les  solutions 
de  l'idéal  de  justice.  Justice  individuelle,  justice  sociale,  justice  inter- 
nationale, justice  partout;  c'est  là,  sans  qu'il  s'en  doute  toujours,  le 
ressort  caché  qui  fait  penser,  parler  et  écrire  le  Français  de  notre 
temps  comme  celui  des  temps  anciens  ».  Ernest  Lyon. 

—  Louis  GiLLET.  Un  grand  maître  du  XV 111'=^  siècle  :  Waiteau 
(Paris,  Pion,  1921,  v-246  p.;  prix  :  10  fr.).  —  Ce  que  nous  savons  de 
la  biographie  de  Watteau  se  réduit  à  quelques  dates  et  à  quelques 
anecdotes  en  partie  suspectes.  En  1712,  à  vingt-huit  ans,  il  est  «  agréé  » 
à  l'Académie  royale  de  peinture  et  de  sculpture  et  invité  à  faire  son 
«  chef-d'oiuvre  ».  «  Il  musera,  écrit  M.  Gillet,  vaguera  cinq  ans  comme 
s'il  avait  l'éternité  devant  lui.  On  ne  sait  ce  qu'il  fait,  où  il  se  cache; 
et  soudain  c'est  le  jaillissement  du  poème  immortel  (l'Embarquement 
pour  Cythère),  une  Hèvre  de  beauté,  de  génie  et  d'amour,  une  hâte, 
une  angoisse,  une  impatience  et  une  ivresse,  et  puis  brusquement  tout 
s'éteint  et  la  flamme  retombe.  Il  est  mort.  Il  n'a  pas  trente-sept  ans.  » 


126  NOTES   BIBLIOGEAPHIQDES. 

De  l'œuvre  elle-même,  il  n'existe  pas  de  catalogue  scientifique  ;  on  n'a 
pas  encore  classé  les  peintures,  distingué  les  répliques  des  œuvres 
originales,  réuni  la  collection  de  ses  dessins.  Pourtant,  il  importait 
qu'au  moment  où  la  France  célébrait  le  deuxième  centenaire  de  la 
mort  du  peintre,  emporté  par  un  mal  implacable  le  10  juillet  1721, 
parut  un  volume  réunissant  les  traits  épars  de  la  biographie  et  mon- 
trât la  place  et  la  portée  de  cette  œuvre.  M.  Louis  Gillet  nous  donne 
ce  volume.  L'hiver  dernier,  il  a  fait  à  la  Société  des  conférences  un 
cours  de  quatre  leçons  sur  Watteau  qu'il  reproduit  ici,  dans  un  texte 
un  peu  remanié,  en  autant  de  chapitres.  Il  dépeint  fort  bien  l'homme  ; 
il  apprécie  en  termes  excellents  ses  tableaux  célèbres  :  VEmbarque- 
ment,  le  Gilles  qu'il  faudrait  plutôt  appeler  le  Pierrot,  ÏAntiope, 
l'Enseigne,  ses  paysages,  ses  portraits,  ses  arabesques.  Il  insiste  sur- 
tout sur  la  révolution  que  Watteau  a  accomplie,  sans  s'en  douter,  sans 
le  faire  exprès.  «  Il  a  engagé  la  peinture  pour  un  siècle  dans  des  voies 
absolument  nouvelles...  Tout  le  xyiii^  siècle,  en  dehors  de  Tiepolo, 
relève  plus  ou  moins  de  lui  et  dérive  de  lui.  »  C'est  un  livre  que  tout 
historien  devrait  méditer  C.  Pf. 

—  Le  Times  a  publié  le  5  mai  1921  un  supplément  consacré  à  Napo- 
léon et  contenant  d'importants  articles  de  MM.  Fisher  {Napoléon 
and  democracy),  Trevelyan  (Napoléon  and  Italy),  Marvin  (Napo- 
léon and  éducation),  Firth  (Popular  opinion  in  England),  de 
Montmorency  {The  code  Napoléon),  le  Rev.  Simpson  {Napoléon 
and  the  second  Empire),  Bailey  {Napoléon  in  poetry)^  sans  comp- 
ter quelques  lignes  éloquentes  et  terriblement  justes  du  maréchal 
Foch.  G.  Bn. 

—  Jean  Régné.  Histoire  du  Vivarais  (t.  II  :  le  Développement 
politique  et  administratif  du  pays  de  1039  à  1500.  Largentière, 
impr.  Mazel,  1921,  in-S";  xvi-520  p.,  prix  :  45  fr.).  — Nous  avons 
signalé  en  son  temps  (t.  ,CXXI,  p.  340)  la  très  remarquable  His- 
toire du  Vivarais  entreprise,  sous  les  auspices  du  Conseil  général 
de  l'Ardèche,  par  le  distingué  archiviste  départemental  Jean  Régné. 
Le  tome  I  se  présentait,  en  1914,  sous  la  forme  d'une  réédition  cri- 
tique de  l'ouvrage  du  fchanoine  Rouchier  et  il  s'arrêtait  à  la  date  de 
1039,  qui  marque  le  rattachement  immédiat  du  Vivarais  au  Saint- 
Empire.  Le  second  volume,  qui  vient  de  paraître,  étudie  le  développe- 
ment politique  et  administratif  du  pays  jusqu'à  1500,  c'est-à-dire  jus- 
qu'au moment  où,  pour  un  demi-siècle,  la  plus  haute  dignité  religieuse 
et  la  première  magistrature  civile  se  trouvent  réunies  entre  les  mains 
de  la  famille  de  Tournon.  On  pourrait  chicaner  M.  J.  Régné  sur  la 
valeur  absolue  de  cette  limitation  chronologique,  mais  il  est  impos- 
sible de  méconnaître  l'intérêt  et  l'importance  des  résultats  auxquels  il 
est  arrivé.  Il  montre  excellemment  comment  le  Vivarais,  terre  d'Em- 
pire jusqu'en  1305,  a  vécu  depuis  sa  réunion  à  la  France  jusqu'à  la  fin 
du  xye  siècle.  Pendant  tout  le  cours  du  xiii^  siècle  se  dessine  la  péné- 


HISTOIRE    DE   FRANCE.  127 

tration  capétienne;  elle  se  précisera  avec  Philippe  le  Hardi,  quand  le 
pariage  de  1284  entamera  le  bloc  des  seigneuries  ecclésiastiques  ou 
séculières  du  diocèse  de  Viviers;  elle  s'alErraera  avec  Philippe  le  Bel, 
qui  groupera  sous  l'autorité  du  bailli  de  Velay  le  diocèse  de  Viviers 
et  les  fractions  languedociennes  des  diocèses  de  Valence  et  de  Vienne. 
Ainsi  ftat  reconstituée  l'ancienne  Helvie  et,  dès  le  début  de  l'adminis- 
tration royale,  l'unité  du  pays  de  Vivarais  se  trouvait  fondée  de  la 
façon  la  plus  solide.  Que  fut  cette  administration  royale?  C'est  ce  que 
nous  expose  toute  la  seconde  partie  du  volume,  dont  l'intérêt  drama- 
tique est  aussi  puissant  que  l'intérêt  proprement  scientifique.  Intérêt 
dramatique,  à  cause  des  péripéties  de  la  guerre  de  Cent  ans  (les  com- 
pagnies et  l'organisation  de  la  défense  locale,  la  révolte  des  Tuchins, 
la  guerre  de  Raymond  de  Turenne,  etc.).  Intérêt  scientifique,  avant 
tout,  car  M.  Jean  Régné  a  fait  œuvre  originale  en  révélant  les  ori- 
gines curieuses  du  bailliage  royal  de  Vivarais  et  des  États  particuliers 
de  ce  pays.  Nous  ne  pouvons  que  renvoyer  le  lecteur  aux  développe- 
ments, nourris  de  faits  et  d'idées,  qui  conduisent  à  des  conclusions 
lumineuses,  pleines  de  rigueur  et  en  grande  partie  nouvelles. 

Une  série  d'appendices  apportent  des  éclaircissements  de  détail  sur 
des  questions  d'ordre  religieux,  financier,  économique.  Le  dernier,  sur 
la  tannerie  et  la  draperie  en  Vivarais  aux  xiv«  et  xv^  siècles,  est  une 
longue  étude,  absolument  neuve  et  bourrée  de  documents,  qui  sera 
particulièrement  bien  accueillie.  ' 

Et  l'on  regrettera  seulement  que  ce  gros  volume  ne  soit  pas  plus 
ample  encore.  Il  devait  comprendre  une  dernière  partie  relative  à  Fétat 
social  et  à  la  vie  locale  antérieurement  au  xvi«  siècle  ;  mais  il  aurait 
fallu  augmenter  dans  une  trop  forte  proportion  le  nombre  des  pages 
et  par  suite  le  prix  du  volume.  Les  érudits  en  retrouveront  du  moins 
la  substance  dans  une  série  de  monographies  qui  ne  tarderont  pas  à 
paraître  séparément.  Louis  Villat. 

—  Historien  très  vivant  et  quelque  peu  passionné  des  rapports  du 
catholicisme  et  du  protestantisme  dans  le  pays  de  Montbéliard, 
M.  l'abbé  Tournier  publie  une  intéressante  étude  sur  les  Seigneuries 
d'Héricourt  et  du  Châtelot  (Besançon,  1921,  in-8°,  346  p.).  Son 
récit,  qui  s'étend  depuis  l'arrivée  des  Burgondes  jusqu'à  la  conquête 
par  Louis  XIV,  repose  sur  un  dépouillement  minutieux  des  Archives 
nationales  et  de  quelques  archives  départementales  (Doubs,  Haute- 
Saône).  On  y  trouvera  de  curieux  détails  sur  l'organisation  religieuse  et 
la  vie  économique  sous  les  comtes  de  Bourgogne  et  au  temps  de  la 
domination  wurtembergeoise.  Richelieu  lui  apparaît  comme  un  homme 
néfaste,  par  qui  les  seigneuries  du  pays  de  Montbéliard  furent  broyées, 
piétinées,  torturées.  Dans  l'ensemble,  l'ouvrage  est  solide,  bien  com- 
posé et  apporte  la  plus  utile  contribution  à  l'histoire  tourmentée  de 
l'ancien  comté  de  Montbéliard.  L.  V. 

—  Pierre  Boye.  Le  roi  Stanislas  et  le  culte  du  Sacré-Cœur.  L'au- 


128  NOTES   BIBLIOGRÀPHIQDES. 

tel  de  la  cathédrale  de  Toul  (Nancy,  1921,  in-S»,  38  p.  avec  une 
planche;  extrait  du  «  Bulletin  mensuel  de  la  Société  d'archéologie 
lorraine  »).  —  En  août  1765,  Stanislas  et  sa  fille  la  reine  de  France 
décidèrent  que,  dans  la  cathédrale  de  Toul,  ils  élèveraient  un  autel  au 
Sacré-Cœur;  les  plans  en  furent  dressés  par  Richard  Mique;  mais  le 
roi  de  Pologne  mourut  avant  que  l'œuvre  fût  commencée  et  l'autel  ne 
fut  terminé  qu'au  début  de  1768.  M.  Boyé  le  décrit  avec  une  grande 
précision  ;  il  donne  surtout  d'intéressants  détails  sur  la  manière  dont 
la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  s'est  développée  en  Lorraine  au 
cours  du  xviii«  siècle.  C.  Pf. 

—  J.  Walter.  Catalogue  général  de  la  bibliothèque  munici- 
pale de  Sélestat.  l-'e  série  :  Les  livres  impriynés.  !'■«  partie  :  Les 
alsatiques  (Colmar,  1920,  Société  d'éditions  «  Alsatia  »,  in-8°,  320  p.). 
—  La  bibliothèque  de  Sélestat,  qui  jadis  était  logée  de  façon  médiocre 
dans  les  bâtiments  du  collège,  a  été  installée  en  1889,  à  l'étage  supé- 
rieur de  l'ancienne  halle  aux  blés,  en  une  vaste  salle  bien  éclairée  et 
vraiment  digne  d'elle.  La  municipalité  a  décidé,  en  1919,  de  faire  con- 
naître au  public  les  richesses  qu'elle  renferme.  Elle  a  voté  les  fonds 
pour  l'impression  d'un  catalogue  qui  comprendra  quatre  parties  :  les 
imprimés,  les  manuscrits  (anciens  et  modernes)  et  estampes,  les  col- 
lections du  musée  qui  a  trouvé  place  au  rez-de-chaussée  du  même 
bâtiment,  les  archives  municipales.  Le  catalogue  des  imprimés  se 
divisera  en  trois  volumes  :  les  alsatiques  dont  un  grand  nombre  pro- 
viennent de  la  bibliothèque  d'Antoine  Dorlan,  la  bibliothèque  moderne, 
y  compris  celle  des  frères  Joseph  et  Pantaléon  Mury,  puis  la  biblio-. 
thèque  ancienne  où  sont  réunies  les  collections  des  humanistes,  parti- 
culièrement celle  de  Beatus  Rhenanus.  M.  l'abbé  J.  Walter,  qui, 
après  l'armistice,  a  été  nommé  bibliothécaire,  vient  de  donner  le  cata- 
logue des  alsatiques,  qui  comprend  6,723  numéros,  partagés  entre  quatre- 
vingt-quatorze  subdivisions.  Ce  catalogue  établi  avec  soin  n'est  pas 
seulement  professionnel,  si  j'ose  dire;  il  est  bibliographique;  il  indique 
les  principaux  articles  des  revues  que  possède  la  bibliothèque;  l'au- 
teur s'est  inspiré  du  modèle  donné  par  le  catalogue  d'alsatiques  de  la 
bibliothèque  universitaire  et  régionale  de  Strasbourg,  malheureuse- 
ment encore  incomplet.  Les  historiens  de  l'Alsace  devront  le  consul- 
ter avant  d'aborder  n'importe  quel  sujet.  Les  n°^  2678  à  2779  donnent 
la  liste  des  ouvrages  sur  Sélestat,  qu'on  ne  trouvera  nulle  part  aussi 
complète.  C.  Pf. 

Italie.  —  A.  Gaudenzi.  //  costituto  di  Costantino  (BuUettino  dell' 
Istituto  storico  itaUano,  n°  39.  Rome,  1919, 112  p.).  —  Cette  étude  cri- 
tique sur  la  donation  de  Constantin  était  terminée  et  en  épreuves 
quand  survint  la  mort  de  l'auteur;  bien  que  Gaudenzi  n'ait  pas  pu 
donner  les  derniers  soins  à  son  travail,  il  méritait  d'être  publié  tel 
quel.  En  voici,  en  attendant  mieux,  le  résumé  :  le  texte  de  la  dona- 


HISTOIRE   DO   JAPON.  129 

tien  qui  fut  communiqué  par  Léon  IX  à  Michel  Cerularius  est  plus 
ancien  que  celui  de  Saint-Denis  ;  avant  d'être  un  faux  diplomatique, 
elle  a  été  un  faux  historique  en  se  présentant  comme  faisant  partie 
de  la  Vie  de  saint  Sylvestre.  Ainsi  que  l'original  supposé  de  cette  Vie, 
elle  a  été  rédigée  en  grec  et  les  rédactions  grecques  sont  antérieures 
à  la  rédaction  latine;  Léon  IX  les  retrouva  quand  il  fit  rechercher 
dans  ses  archives  le  prétendu  texte  original,  et  c'est  du  texte  latin  de 
Léon  IX  qu'est  dérivé  celui  qui  figure  dans  les  recueils  canoniques 
de  la  fin  du  xi«  siècle  et  dans  le  décret  de  Gratien.  C'est  bien  plus 
tard  que  l'on  tira  des  archives  le  texte  grec.  A  la  fin  de  son  mémoire, 
Gaudenzi  reproduit  sur  deux  colonnes  parallèles  les  deux  textes,  grec 
et  latin.  Ch.  B. 

—  Le  tome  XIII  des  Documenti  di  storia  italiana  est  un  recueil 
de  Documenti  per  la  storia  délia  città  d'Arezzo  nel  Medio  evo 
(1180-1331),  par  Ubaldo  Pasqui. 

—  Une  intéressante  initiative  est  due  au  «  R.  Istituto  per  la  pro- 
paganda  délia  cultura  italiana  »,  qui  s'est  préoccupé  de  dresser  le 
bilan  de  la  science  italienne  dans  les  différentes  catégories  du  savoir 
humain  et  de  publier  de  courles  bibliographies  critiques  et  explica- 
tives (Profili  bibliografici  delV  Italia  che  scrive).  Si  l'on  en  juge 
par  les  deux  fascicules  qui  nous  sont  parvenus,  la  tentative  peut  être 
jugée  dès  maintenant  comme  réussie.  Dans  II  teatro  (Roma,  Istituto, 
etc.,  1919,  in-16,  87  p.),  M.  Cesare  Levi  donne  non  seulement  une 
bibliographie  des  pièces  de  théâtre  éditées,  mais  encore,  au  cours  de 
son  introduction,  une  étude  utile  sur  le  théâtre  dialectal  (p.  30  et  suiv.). 

—  C'est  une  histoire  de  la  science  géographique  en  Italie  que  fournit 
M.  Roberto  Almagià  dans  les  soixaûte-sept  premières  pages  de  son 
opuscule  sur  la  Geografia  (R,oma,  Istituto,  etc.,  1919,  in-16,  viii- 
109  p.);  il  y  montre  en  particulier  le  rôle  des  Délia  Vedova  et  des 
Marinelli  et  comment  certains  phénomènes  proprement  italiens,  les 
volcans,  les  tremblements  de  terre,  etc.,  ont  amené  les  géographes 
de  la  péninsule  à  se  spécialiser  dans  certaines  disciplines.  La  biblio- 
graphie proprement  dite  est  singulièrement  organisée  en  trois  sections  : 
publications  des  sociétés  et  institutions  scientifiques,  périodiques, 
ouvrages  individuels,  classés  dans  l'ordre  alphabétique;  telle  quelle, 
elle  rendra  de  grands  services.  G.  Bn. 

Japon.  —  P.  S.  RivETTA.  Storia  del  Giappone  délia  origine  ai 
giorni  nostri,  secondo  le  fonti  indigène  (Roma,  Ausonia,  1920, 
gr.  in-S",  xvi-190  p.).  —  Masaharu  Anesaki.  Quelques  pages  de 
l'histoire  religieuse  du  Japon  (Paris,  Edmond  Bernard,  1921,  in-8", 
173  p.;  t.  XLIII  de  la  Bibl.  de  vulgarisation.  Annales  du  musée 
Guimet).  —  Uichi  Iwasaki.  The  working  forces  in  Japanese  poli- 
tics,  a  brief  account  of  political  conflicts  1867-1920  (New-York, 
Columbia  Univ.,  1921  ;  Studies  in  History,  vol.  XCVII,  n°  1).  —  L'his- 
Rev.  Histor.  CXXXVIII.  1"'  fasc.  9 


130  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

toire  du  Japon,  trop  longtemps  négligée,  vient  de  tenter  coup  sur 
coup  plusieurs  auteurs.  Nous  signalions  dernièrement  (t.  CXXXVII, 
p.  126)  An  Introduction  to  the  History  of  Japan,  publiée  par  M.  Kat- 
suro  Hara  sous  les  auspices  de  la  Société  Yamato,  et  nous  trou- 
vions dans  cet  ouvrage  une  réflexion  assez  abstraite,  appliquée  à  la 
méditation  des  facteurs,  tant  naturels  qu'historiques,  dont  résulta  la 
vie  japonaise.  Le  livre  de  M.  Rivettâ  ofîre  au  contraire  un  répertoire 
classique  d'intention  et  digne  en  effet  d'un  usage  classique,  portant 
sur  la  totalité  de  l'histoire  du  Japon.  Ce  n'est  pas  une  œuvre  de  science, 
mais  un  résumé  utile,  en  un  ordre  d'études  où  les  éléments  étant  dif- 
ficilement accessibles  aux  Européens,  toute  vue  d'ensemble  était  inter- 
dite aux  non-spécialistes.  L'auteur  est,  par  profession,  connaisseur  de 
la  langue  du  Japon,  et  divers  aspects, de  l'activité  de  ce  pays,  surtout 
la  politique,  mais  aussi  la  religion  et  le  droit,  ont,  à  l'occasion,  retenu 
son  attention.  Mais  son  érudition  est  courte  :  nous  regretterons  que 
son  attachement  aux  «  sources  indigènes  »  l'ait  détourné  de  mettre  à 
profit  les  indications  quelquefois  décisives,  quoique  fragmentaires, 
obtenues  sur  tels  ou  tels  points  de  l'histoire  du  Japon  par  la  critique 
moderne,  soit  extrême  -  orientale ,  soit  européenne.  Les  travaux 
d'un  Chavannes,  d'un  Pelliot  paraissent  insoupçonnés.  Le  maigre 
chapitre  consacré  au  bouddhisme  ne  donne  guère  idée  des  problèmes 
posés*  par  l'introduction  de  cette  religion  indienne  déjà  chinoisée,  par 
son  développement  dans  l'empire  insulaire,  par  la  constitution  du 
canon  japonais. 

M.  Anesaki,  dans  ses  conférences  au  Collège  de  France  (1919),  que 
vient  de  réunir  en  volume  le  musée  Guimet,  montre,  au  contraire, 
l'essor  de  la  civilisation  japonaise  résultant  de  l'introduction  du  boud- 
dhisme. Le  prince  Umayado,  plus  connu  sous  l'élogieuse  épithète  de 
Shôkoku,  le  Saint  (593-622),  apparaît  ainsi,  à  ses  yeux,  la  plus  carac- 
téristique figure  de  cette  civilisation  :  il  adapta  l'un  à  l'autre  l'idéal 
politique  indigène  et  l'idéal  religieux  d'origine  étrangère.  Après  lui, 
en  des  pages  qui  opèrent  une  sélection  parmi  un  passé  fort  complexe, 
on  nous  présente  Dengyô  et  KôbS,  les  premiers  réformateurs  religieux 
(fin  du  vrije  siècle)  ;  Hônen,  le  piétiste  d'Amitabha  (xiF  siècle)  ;  Nichi- 
ren,  le  prophète  (xiii«  siècle)  qui  préconisa  le  retour  à  Dengyô  et  au 
texte  du  Saddharmapundarîka,  base  tant  doctrinale  qu'historique 
du  bouddhisme  japonais;  les  spéculations  Zen  et  même  quelques  phi- 
losophes japonais  de  nos  jours.  Aucun  livre  n'est  plus  propre  à  mettre 
le  lecteur  occidental  à  l'unisson  des  subtiles  résonances  de  la  spiritua- 
lité nipponne,  dans  son  originalité  comme  dans  sa  faculté  d'assimila- 
tion, dans  ses  ambitions  guerrières  comme  dans  ses  délicatesses  de 
mysticité.  Aucun  homme,  en  effet,  n'était  plus  apte  que  l'auteur,  illus- 
tré par  maints  travaux  solides  et  brillants,  à  ressentir,  avec  le  tact 
combiné  de  l'historien  et  de  l'artiste,  ces  affinités,  ces  subtiles 
influences  qui  donnent  à  une  civilisation  son  cachet  propre.  Il  fallait 
unir  à  une  compétence  esthétique  digne  de  celle  d'Okakuraune  péné- 


HISTOIRE   DES  PATS-BAS.  131 

tration  bien  supérieure  des  doctrines  religieuses,  ainsi  qu'une  plus 
sûre  érudition,  pour  écrire  ces  pages  fines  et  fortes,  qui  rappellent 
celles  d'un  Gebhart  sur  saint  François,  comme  une  esquisse  de  Fujita 
rappelle  les  vieux  peintres  mystiques  d'Ombrie  ou  de  Toscane. 

M.  Iwasaki,  enfin,  vient  de  composer  sur  le  dernier  demi-siècle  de 
l'histoire  japonaise  un  ouvrage  remarquable.  Par  une  analyse  fort 
serrée,  où  la  sociologie  se  fait  le  guide  de  l'histoire,  il  réfute  le  pré- 
jugé courant,  selon  lequel  la  suppression  de  la  féodalité  japonaise  en 
1867  marquerait  un  renversement  complet  des  traditions  et  des  idées 
dans  l'empire  du  Solejl  Levant.  Il  réduit  la  restauration  Meiji  au  rem- 
placement du  régime  féodal  par  une  bureaucratie  héritière  de  l'esprit 
du  Shogunat.  La  fin  des  Tokugawa  résulte  simplement  de  l'échec  du 
shogun  devant  la  révolte  des  daimyô;  mais  ces  chefs  de  clans,  si  puis- 
sants qu'ils  fussent,  n'avaient  qu'une  autorité  locale  ;  et  les  samurai, 
qui  avaient  soutenu  leur  cause,  ne  pouvaient  encore  faire  figure  de 
classe  dirigeante.  La  seule  solution  était  donc  le  rétablissement  de  la 
puissance  impériale.  Cette  révolution  toute  politique  n'eut  qu'une 
médiocre  portée  sociale  :  l'esprit  traditionnel  de  la  féodalité  conserva 
son  influence  prépondérante  sur  la  vie  de  la  nation.  D'où  l'action  déci- 
sive d'un  corps  extra-constitutionnel,  les  genrô,  dominant  à  la  fois  les 
pairs  et  les  députés;  d'où  l'adoption  d'une  monarchie  constitutionnelle 
à  l'allemande,  conservatrice  et  militariste.  L'esprit  radical,  les 
influences  financières  accaparent  aujourd'hui  la  Chambre  des  dépu- 
tés, mais  leur  force  grandissante  se  heurte  au  bloc  traditionaliste  des 
aristocrates  et  de  l'administration.  Ajoutons  qu'il  ne  s'est  produit  jus- 
qu'ici qu'un  mouvement  prolétarien  :  la  jacquerie  de  1918.  Les  aspi- 
rations démocratiques  paraissent  donc  loin  d'avoir  cause  gagnée.  En 
pesant  avec  une  grande  finesse  d'appréciation  l'importance  relative  de 
ces  divers  facteurs,  l'auteur  fait  preuve  d'une  sûre  maîtrise. 

P.  MasSon-Oursel. 

—  Officiai  history,  naval  and  military,  of  the  Russo-Japanese 
War,  t.  III  (London,  Committee  of  Impérial  Défense,  2,  Whitehall 
Gardens).  —  Préparé  dès  1915  pour  la  publication,  cet  énorme  volume 
de  904  pages  vient  seulement  de  paraître,  et  il  est  indéniable  qu'il 
bénéficie,  pour  l'interprétation  des  événements  de  1904-1905,  des  expé- 
riences enregistrées  pendant  la  guerre  mondiale.  Après  un  résumé 
des  faits  essentiels  survenus  en  1904,  il  retrace  les  opérations  de  la 
guerre  russo-japonaise  pendant  l'année  1905,  insiste  en  particulier  sur 
les  batailles  de  San-de-Pu  (25-28  janvier)  et  de  Moukden  (février),  et 
montre  comment  l'effort  immense  des  Japonais  n'aboutit  pas  aux 
résultats  escomptés  par  eux  :  de  là,  leur  attitude  assez  magnanime 
lors  des  négociations  de  paix.  G.  Bn. 

Pays-Bas.  —  La  revue  générale  d'histoire,  Tijdschrift  voor  ges- 
chiedenis,  imprimée  à  Groningue  chez  Noordhof,  et  dont  le  directeur 
reste  le  docteur  de  Boer,  a  adressé  à  la  Revue  historique,  en  tirage  à 


132  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

part,  un  de  ses  derniers  bulletins  bibliographiques  (Literatuur  over- 
zicht).  Ce  bulletin,  dont  l'étendue  est  assez  importante,  rend  compte 
de  publications  de  tous  pays,  sur  les  sujets  les  plus  variés.  Ses  colla- 
borateurs regardent  un  peu  trop  peut-être  du  côté  de  l'Allemagne  ;  ils 
cherchent  du  moins  à  faire  preuve  d'impartialité,  comme  le  prouve 
plus  d'un  article,  et  la  liste  des  livres  nouveaux  renferme  un  certain 
nombre  d'ouvrages  français,  dont  on  peut  espérer  trouver  un  compte- 
rendu  critique  dans  les  prochains  numéros.  A.  W. 

Russie.  —  Simon  ZaGORSKy.  La  République  des  Soviets.  Bilan 
économique  (Paris,  éd.  Payot,  1921;  1  vol.,  prix  :  15  fr.).  —  Ce  livre, 
bourré  de  faits,  est  l'œuvre  d'un  spéciaUste,  d'un  économiste  habitué 
à  manier  les  chiffres,  à  tirer  des  statistiques  la  philosophie  qu'elles 
comportent.  Les  sources  d'information  ont  été  tirées  par  l'auteur  exclu- 
sivement des  documents  soviétistes  (la  presse  bourgeoise  a  cessé 
d'exister,  en  Russie,  à  partir  du  15  juillet  1918).  L'auteur  a  recueilli 
directement  une  partie  de  ses  documents,  car  il  n'a  quitté  (p.  147)  Pétro- 
grad  que  vers  la  fin  de  1918. 

Croyance  mystique  à  la  vertu  interne  du  prolétariat,  incohérence 
d'un  pouvoir  qui  légifère  au  jour  le  jour,  tels  sont  les  traits  caractéris- 
tiques du  régime  bolchéviste.  Les  bolcheviks  ont  pris  le  pouvoir  en 
main  «  sans  avoir  de  programme  défini  et  élaboré  d'avance  (p.  5)  ». 
Ils  ont  d'abord  remis  à  l'État  un  certain  nombre  d'industries  peu 
importantes;  d'autres  monopoles  furent  successivement  établis  (p.  9). 
Dans  l'œuvre  proprement  dite  de  la  nationalisation,  la  même  absence 
de  méthode  se  révèle.  Le  droit  de  contrôle,  presque  illimité,  conféré 
aux  ouvriers  (27  novembre  1917)  ayaftit  abouti  au  chaos  économique, 
les  dirigeants  effrayés  annulent  pratiquement  ce  droit  de  contrôle  par 
la  création  de  Glavki  ou  Centry,  directions  principales  ou  cen- 
trales, dont  le  public  apprend  la  formation  par  le  journal  du  gouver- 
nement. Le  nombre  de  ces  directions  (p.  24)  était,  au  commencement 
de  1919,  de  51.  La  «  dictature  du  prolétariat  »  aboutissait,  comme  le 
fait  remarquer  l'auteur,  à  une  sorte  d'  «  Etat- trust  »,  géré  par  la 
bureaucratie  (p.  32).  Par  une  conséquence  inévitable,  la  production 
baissa  lamentablement  dans  toutes  les  branches  de  l'industrie,  et  l'on 
vit  se  développer  concurremment  le  parasitisme  de  tout  un  peuple  de 
fonctionnaires  (p.  46-114). 

L'auteur  expose  (p.  115  suiv.)  ce  que  sont  devenus,  sous  ce  régime, 
«  l'échange  et  la  répartition  »  ;  comment  le  bolchévisme  a  organisé 
l'approvisionnement;  comment,  décidément  impuissant  à  tuer  le  com- 
merce libre,  il  a  dû  se  résigner  à  le  tolérer,  ou  même  à  en  recon- 
naître, plus  ou  moins  franchement,  la  nécessité  (p.  147-148),-  en  rai- 
son de  la  désorganisation  des  transports,  due  surtout  à  l'existence  du 
«  contrôle  ouvrier  ». 

Le  pouvoir  soviétiste  n'a  point,  comme  il  s'en  vante,  amélioré  la 
situation  de  la  classe  ouvrière  :  seule  la  bureaucratie  ouvrière  sovié- 
tiste  est  intéressée  à  la  consolidation  de  ce    pouvoir.   L'auteur   le 


HISTOIUE   DE   EUSSIE.  133 

démontre  particulièrement  dans  les  pages  209-260;  il  lui  suffit  d'étu- 
dier le  M  budget  ouvrier  ».  Une  autre  preuve  est  fournie  par  la  dispa- 
rition de  la  classe  ouvrière  industrielle,  qui  émigré  au  village  ou  meurt 
(p.  265).  La  militarisation  du  travail,  imaginée  pour  remédier  à  la 
désertion  des  ouvriers,  a  été  inefficace. 

Le  chapitre  vi  traite  des  finances  du  nouveau  régime  :  elles  sont 
caractérisées  par  l'émission  ininterrompue  du  papier-monnaie,  «  con- 
fiscation dissimulée  pesant  lourdement  non  seulement  sur  la  classe 
aisée,  mais  aussi  sur  les  couches  les  plus  pauvres  du  prolétariat  » 
(p.  308).  Le  chapitre  vu  montre  que  la  politique  des  Soviets  a  tué  la 
grande  industrie  au  profit  de  la  petite,  dépeuplé  les  villes  au  profit  des 
campagnes  et  que  la  propriété  paysanne  individuelle  s'est  prodigieuse- 
ment développée.  D'autre  part,  une  nouvelle  bourgeoisie,  petite  et 
moyenne,  s'est  formée  :  très  inférieure  à  celle  qu'elle  a  remplacée, 
elle  «  aura  à  jouer  un  rôle  considérable  dans  la  vie  future  du  pays  » 
(p.  345). 

L'auteur  conclut  que  le  régime  soviétique,  en  faisant  appel  aux  capi- 
talistes étrangers,  a  avoué  «  la  faillite  actuelle  du  communisme  en 
Russie  ».  Il  prévoit  une  réaction  inévitable;  elle  mettra  fin  à  ce  régime 
paradoxal  qui  a  échoué  dans  toutes  ses  entreprises  (p.  348). 

L'ouvrage,  clairement  composé,  se  lit  avec  intérêt;  les  spécialistes 
y  trouveront,  à  l'appui  des  assertions  de  l'auteur,  un  grand  nombre  de 
tableaux  statistiques  qu'ils  consulteront  avec  profit. 

Les  fautes  d'impression  sont  peu  nombreuses  :  plusieurs  mots,  cor- 
rectement transcrits,  comme  Centrotchaï  (p.  28),  le  sont  incorrecte- 
ment plus  loin  (cf.  p.  38).  Nous  relèverons  seulement  Koustis  (p.  31) 
au  lieu  de  Kousty,  dont  on  trouvera  et  la  forme  correcte  et  l'explica- 
tion p.  38.  E.  DUCHESNE. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


France. 


1.  —  Annales  révolutionnaires.  1921,  mai-juin.  —  Albert 
Mathiez.  Recherches  sur  la  famille  et  la  vie  privée  du  conventionnel 
Basire;  suite  et  fin  (avec  un  tableau  généalogique  de  la  famille  Basire). 
—  Antoine  Richard.  L'application  du  premier  maximum  dans  les 
Basses-Pyrénées.  —  A.  Harmand.  Poullain-Grandprey  et  ses  corres- 
pondants; fin  (lettres  de  l'an  VIII  à  l'an  XII).  —  Albert  Mathiez.  La 
soi-disant  erreur  de  la  Constitution  civile  du  clergé  (la  séparation  de 
l'Église  et  de  l'État  était  impossible  en  1789;  personne  ne  la  deman- 
dait; l'Église,  maintenue  comme  étant  une  institution  nécessaire, 
devait  être  réformée  comme  l'administration  et  les  finances.  Donc  il 
n'y  a  pas  eu  erreur).  —  Général  DUPlessis.  La  déchristianisation 
dans  l'Est  et  en  Côte-d'Or.  —  G.  Vauthier.  Le  cœur  de  Henri  IV 
(récit  d'un  contemporain,  G.  Boucher,  chirurgien  à  La  Flèche;  il 
raconte  comment,  le  2  messidor  an  XIII,  fut  brûlé,  par  ordre  de  la 
Convention,  le  cœur  de  Henri  IV,  qui  avait  été  déposé  dans  le  chœur 
de  l'église  de  cette  ville,  mais  comment  lui,  Boucher,  put  recueillir 
les  cendres  du  foyer  qui  avait  consumé  les  restes  de  cette  relique).  := 
C. -rendus  :  Pariset.  La  Révolution,  1792-1799  (long  article  d'A. 
Mathiez,  qui  présente  de  nombreuses  objections,  mais  qui  conclut  : 
l'œuvre  est  de  celles  qui  font  avancer  la  science.  M.  Pariset  «  a 
réformé  bien  des  jugements  erronés  ;  il  a  courageusement  réagi  contre 
les  légendes  »  ;  ainsi  dans  le  cas  de  Danton).  —  L.  Lévy -Schneider. 
L''application  du  Concordat  par  un  prélat  d'ancien  régime,  Mgr  Cham- 
pion de  Cicé,  archevêque  d'Aix  et  d'Arles,  1802-1810  (mine  précieuse 
de  renseignements  de  toute  nature).  —  G.  Hardy.  La  mise  en  valeur 
du  Sénégal  de  1817  à  1854  (bon). 

2.  —  Bulletin  de  la  Société  de  Thistoire  du  protestantisme 
français.  1921,  juillet-septembre.  —  B.  de  Charnisay.  L'assassinat 
de  M™«  de  Mirman  (tuée  en  novembre  1702,  près  de  Lussan  ;  elle  était 
fille  de  nouveaux  convertis;  cherchait-elle  à  gagner  l'étranger  pour 
redevenir  protestante  et  fut-elle  assassinée  par  les  «  camisards  noirs  » 
ou  «  florentins  »,  ou  bien,  à  ce  que  d'autres  prétendent,  par  les  vrais 
camisards?).  —  N.  Weiss.  L'entrevue,  avec  le  cardinal  de  Lorraine, 
des  Suisses  envoyés  à  Paris  pour  intercéder  en  faveur  des  victimes  de 
l'assemblée  de  la  rue  Saint-Jacques,  6  novembre  1557  (d'après  une  lettre 
d'un  étudiant  de  Lausanne,  Élie  Philippin,  au  pasteur  Fabri  de  Neuchâ- 


EECDEILS   PEKIODIQUES.  135 

tel).  —  Th.  Maillard.  Un  médecin  huguenot  saintongeois  :  Jehan 
Rabotteau,  sieur  de  La  Rousserie  (|  à  Saint-Fort,  31  décembre  1681  ; 
on  publie  une  lettre  de  lui  aux  pasteurs  et  anciens  de  Saintes).  — 
N.  Weiss.  Les  aventures  de  Guillaume  Chenu  de  Chalezac,  seigneur 
de  Laujardière,  au  pays  des  Cafres,  1686-1689;  suite.  —  Eug.  Ritter. 
Claude  Huart,  traducteur  des  Hypotyposes  de  Sextus  Empiricus  (paru 
à  Genève  en  1725).  —  M.  Aubert.  Simon  Goulart  d'après  une  biogra- 
phie récente  (celle  de  Leonard-Chester  Jones;  tout  à  fait  remar- 
quable; rôle  de  Goulart  comme  historien  et  théologien). 

3.  —  La  Révolution  française.  1921,  avril-juin.  —  A.  Aulard. 
La  mort  de  Napoléon  et  les  journaux  parisiens  en  1821  (comment  la 
presse  de  droite  et  la  presse  de  gauche  annoncèrent  et  commentèrent 
cette  mort).  —  Thèses  de  doctorat  de  M.  Renouvin.  Les  assemblées 
provinciales  de  1787,  origines,  développements,  résultats.  —  L'assem- 
blée des  notables  de  1787  :  la  conférence  du  2  mars  (résumés  des  deux 
thèses  faits  par  le  candidat).  —  R.  Chevaillier.  Les  revenus  des 
bénéfices  ecclésiastiques  au  xyiii^  siècle  d'après  les  comptes  de  la 
régale  et  de  la  garde  (pendant  les  vacances,  les  fruits  des  évêchés 
appartenaient  au  roi  en  vertu  de  la  régale;  sur  les  bénéfices  de  fon- 
dation royale,  le  roi  exerçait  le  droit  de  garde  et  louait,  en  cas  de 
vacance,  les  fruits,  mais  au  profit  du  futur  titulaire;  les  diverses  éva- 
luations données  de  ces  fruits  sont  très  arbitraires).  —  J.  Durieux. 
Thermidor  d'après  des  documents  inédits  (tirés  des  archives  de  la 
Légion  d'honneur;  lettres  d'acteurs  de  cette  journée  réclamant  la 
croix).  —  Julien  Tiersot.  Rouget  de  Lisle  et  Quiberon  (on  signale 
une  lettre  de  lui  relative  à  la  réimpression  de  sa  notice  sur  Quiberon, 
qui  parut  en  1834  dans  les  «  Mémoires  de  tous  »).  —  Le  portrait  de 
Barère  par  David  (exposé  momentanément  au  musée  de  Bruxelles). 

—  La  trahison  de  Marie-Antoinette  (on  attire  l'attention  sur  un  billet 
de  la  reine  au  comte  de  Mercy-Argenteau,  26  mars  1792,  publié,  en 
1866,  par  von  Arneth).  =  C. -rendus  :  Lévy -Schneider.  L'application 
du  Concordat  par  un  prélat  d'ancien  régime  :  Mgr  Champion  de  Cicé, 
archevêque  d'Aix  et  d'Arles,  1802-1810  (remarquable).  —  A.-C.  Saba- 
tié.  Le  tribunal  révolutionnaire  de  Paris.  Les  tribunaux  révolution- 
naires de  provinces;  t.  I  :  Provinces  du  Nord;  t.  II  :  Provinces  du 
Midi  (compilations  qui  relèvent  de  l'hagiographie  plus  que  de  l'histoire). 

—  Marc  Chassaigne.  Le  procès  du  chevalier  de  La  Barre  (documen- 
tation nouvelle).  —  Lavaquery.  Le  cardinal  de  Boisgelin,  1739-1804 
(récit  intéressant,  mais  prolixe).  — -  Gaston  Dodu.  Trois  mois  à  Paris 
sous  la  Terreur  (pluviôse,  ventôse  et  germinal  an  II;  documentation 
abondante;  rendra  service).  —  J.  Ancel.  Les  travaux  et  les  jours  de 
l'armée  d'Orient  (beaucoup  de  talent).  —  André  Tardieu.  La  paix 
(«  ce  n'est  pas  encore  la  vérité  complète,  mais  un  coin  du  voile  est 
levé  »).. 

4.  —  Revue  archéologique.  1921,  avril-juin.  —  G.-I.  Bratianu. 


136  BECCEILS   PÉRIODIQUES. 

Les  fouilles  de  Cartea  de  Argesh,  Roumanie  (dans  l'église  princière 
de  Saint-Nicolas,  on  a  trouvé  quatorze  tombeaux,  avec  des  bijoux,  des 
fragments  de  costumes,  remontant  au  xiv«  siècle,  dans  la  période  de 
pénétration  hongroise  et  catholique  en  Valachie).  —  Henri  Sottas. 
Le  thiase  d'Ombos  (étude  sur  deux  titres  égyptiens  conservés  par  les 
ostraca  qui  ont  été  donnés  en  1913  à  l'Université  de  Strasbourg  par 
l'ex-prince  impérial  Joachim  de  Prusse).  —  A.  Joubin.  Quelques 
aspects  archéologiques  du  Languedoc  méditerranéen;  suite  (Mague- 
lonne,  Villeneuve-lès-Maguelonne,  Saint-Guilhem-le-Désert,  Saint- 
Martin-de-Londres,  Aigues-Mortes).  —  H.  Breuil.  Les  pétroglyphes 
d'Irlande  (fait  des  réserves  au  sujet  des  origines  méditerranéennes  de 
l'art  préhistorique  irlandais).  —  E.  VasSEL.  Le  bélier  de  Baal-Ham- 
mon  (les  animaux  des  stèles  puniques  de  Carthage  sont  des  attributs 
divins  montés  au  rang  de  symboles  ;  le  bélier  est  à  Carthage  l'attribut 
et  le  symbole  de  Baal-Hammon,  comme  de  Zeus-Ammon  en  Cyré- 
naïque  et  d'Amon  à  Thèbes;  les  trois  types  divins  se  sont  souvent 
confondus  et  découlent  d'une  source  commune,  de  nature  totémique). 

—  J.  LOTH.  Les  traits  caractéristiques  du  gaulois  d'après  un  livre 
récent  (celui  de  G.  Dottin).  —  Seymour  de  Ricci.  M.  Ed.  Naville  et 
la  linguistique  égyptienne  (le  livre  de  M.  Naville  est  le  procès  de 
l'école  allemande  qui  admet  le  caractère  sémitique  de  la  langue  égyp- 
tienne). —  Denyse  Le  Lasseur.  L'école  américaine  de  Jérusalem.  = 
C. -rendus  :  Marcellin  Boule.  Les  hommes  fossiles  (excellent).  — 
Fr.  Poulsen.  Delphi  (ouvrage  soigneux  qui  dénote  l'information 
d'un  maître).  —  Id.  Ikonographische  Miscellen  (étude  importante, 
pleine  de  documents  inédits).  —  Marins  Jastrow.  The  book  of  Job 
(le  livre  est  de  plusieurs  mains  et  présente  diverses  couches).  — 
A.  van  Gennep.  L'état  actuel  du  problème  totémique  (la  critique  de 
l'auteur  est  en  général  négative).  —  A.  Longnon.  Les  noms  de  lieu 
en  France,  l"^""  fascicule  (sur  les  noms  d'origine  phénicienne,  grecque, 
ligure,  gauloise  et  romaine;  remarquable).  —  Louis  Réau.  L'art  russe 
des  origines  à  Pierre  le  Grand  (fait  ressortir  le  caractère  original  de 
cet  art).  —  G.  Groslier.  Recherches  sur  les  Cambodgiens  (véritable 
encyclopédie  de  la  vie  et  des  arts  de  l'ancien  Cambodge). 

5.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1921,  l^-^  juil- 
let. —  G.  Waterhouse.  The  year  book  of  modem  languages,  1920 
(beaucoup  trop  de  lacunes).  —  The  Harvard  theological  Review, 
XIV,  1.  —  B.  de  Mandrot.  Dépêches  des  ambassadeurs  milanais  en 
France  sous  Louis  XI  et  François  Sforza,  t.  III  (remarquable).  — 
J.  Viard.  Les  Grandes  Chroniques  de  France,  t.  I  (dans  ce  volume, 
les  Grandes  Chroniques  s'arrêtent  à  l'année  585).  —  Bossuet.  Corres- 
pondance, publ.  par  Urbain  ei  Levesque,  t.  XI  et  XII  (décembre  1698- 
décembre  lîOO).  —  G.  Lacour-Gayet.  Napoléon  (original  et  distingué). 

—  J.  Ancel.  Les  travaux  et  les  jours  de  l'armée  d'Orient,  1915-1918 
(document  essentiel).  —  Edouard  Schuré.  Lettres  à  un  combattant 
(lettres  d'un  idéaliste  impénitent.  Que  reste-t-il  aujourd'hui  de  ses 


RECOEILS   rÉlUODIQUES.  137 

,   beaux  rêves  de  paix  universelle?).  —  M.  Vesnitch.  La  Serbie  à  tra- 
vers la  guerre  (beau  livre  d'un  grand  ami  de  la  France  qui  fut  aussi 
un   des    meilleurs   ouvriers    de    l'unité   yougoslave).   =:   15   juillet. 
G.  Noske.  Von  Kiel  bis  Kapp.  Zur  Geschichte  der  deutscheu  Révolu- 
tion (Noske  raconte  lui-même  comment  il  réussit  à  endiguer  la  Révo- 
lution en  com'battant  avec  succès  les  extrémistes  et  les  anarchistes)^ 
—  H.  de   Villeneuve-Trans.  A  l'ambassade  de  Washington.  Les 
heures  décisives  de  l'intervention  américaine  (instructive  étude  cri- 
tique sur  le  caractère  et  l'œuvre  du  président  Wilson).  —  Sabrij.  La 
révolution  égyptienne,  2"^  partie  (bonne  étude  sur  le  protectorat  imposé 
à  l'Egypte  par  l'Angleterre  en  1914  et  sur  les  conséquences  de  cet  acte 
impolitique).  —  Éd.  Driault.  La  grande  idée.  La  renaissance  de  l'hel- 
lénisme (brillant  et  partial  exposé).  —  Commandant  Doumenc.  Les 
transports  automobiles  sur  le  front  français  (livre  plein  de  faits  et  de 
statistiques,  indispensable  aux  historiens  de  la  Grande  Guerre).  — 
R.  Muir.  Nationalisme  et  internationalisme  (l'auteur  appelle  de  ses 
vœux   les   progrès  de   l'internationalisme,  seul   capable   d'atténuer, 
comme  une  sorte  de  libre  pensée  politique,  ce  que  le  nationalisme  a 
d'intolérant  et   d'agressif).    —   J.    Marouzeau.    La   linguistique  ou 
science  du  langage  (excellent  manuel).  —  Description  de  l'Afrique  du 
Nord.  Musée  Alaoui.  2«  supplément,  !«■■  fasc,  par  A.  Merlin  (impor- 
tant). ^  l*""  août.  F.  Macler.  L'évangile  arménien  (édition  pholoty- 
pique  d'un  important  manuscrit  du  x*  siècle,  avec  de  belles  minia- 
tures. La  traduction  arménienne  de  l'évangile  qu'il  contient  fournit 
une  base  solide  pour  l'étude  critique  du  texte).  —  E.  Lattes.  L'enigma 
etrusco  (il  reste  toujours  à  démontrer  que  l'étrusque  soit  une  langue 
indo-européenne).  —  Rodocanachi.  La  Réforme  en  Italie,  t.  II  (beau- 
coup de  faits  précieux,  mais  que  ne  relie  pas  une  conception  générale). 
—  Fidelino  de  Figueiredo.  Historia  da  litteratura  classica,  1502-1580 
(important).  —  H.  Pirenne.  Histoire  de  Belgique;  t.  V  :  1648-1792 
(très  remarquable).  —  W.  Wilson.  Histoire  du  peuple  américain,  t.  II 
(distingué).  —  E.  Sisson.  Le  complot  germano-bolcheviste  (recueil 
de  documents  établissant  que  l'État-major  et  le  gouvernement  alle- 
mands avaient  partie  liée  avec  les  bolchevistes). 

6.  —  Revue  de  l'histoire  des  colonies  françaises.  1921,  2«  tri- 
mestre. —  Alfred  M.a.rtineau.  Leçon  d'ouverture  du  cours  de  l'his- 
toire des  colonies  au  Collège  de  France  (4  mai  1921  ;  développement 
de  l'empire  colonial  français  ;  depuis  1880,  la  France  a  ajouté  à  son 
domaine  huit  millions  de  kilomètres  carrés  et  quarante  millions  d'ha- 
bitants; avenir  de  cet  empire).  —  Canitrot.  Les  Portugais  sur  la 
côte  orientale  de  Madagascar  et  en  Anosy  au  xvi«  siècle  (découverte 
de  Madagascar  en  1500  par  Diego  Dias;  Trano-Vato,  la  maison  de 
pierre,  atteste  encore  un  séjour  des  Portugais  dans  l'Anosy  au 
xvi«  siècle;  essai  de  colonisation  et  d'évangélisation  par  les  Portugais 
en  1613  et  1G17).  —  André  Lesort.  Les  transactions  d'un  négociant 
malouiu  avec  l'Amérique  espagnole  (d'après  les  papiers  de  famille  de 


138  RECUEILS  PÉEIODIQDES. 

Luc  Magon  de  La  Balue  déposés  aux  archives  d'Ille-et- Vilaine  ;  com- 
ment, de  1719  à  1721,  ce  négociant  réunit  des  marchandises  qui  étaient 
expédiées  chaque  année  en  Amérique  par  la  flotte  et  les  galions  de 
Cadix).  —  J.  MONTEILHET.  Le  ministre  Decrès,  historiographe  de 
Napoléon,  à  l'usage  du  Sénégal  (séries  de  communiqués  envoyés  par 
]e  ministre  de  la  Marine  aux  habitants  du  Sénégal  sur  les  événements 
d'Europe  jusqu'en  1809,  où  le  pays  tomba  aux  mains  des  Anglais).  = 
C. -rendu  :  Georges  Hardy.  L'enseignement  au  Sénégal  de  1817  à 
1854  (remarquable).  —  Notes  bibliographiques. 

7.  —  Revue  des  études  anciennes.  1921,  juillet-septembre.  — 
É.  Na VILLE.  Le  premier  chapitre  de  l'Exode  («  ce  chapitre,  bien  loin 
d'être  un  assemblage  de  fragments  pris  dans  des  auteurs  de  tendances 
et  de  dates  diverses,  est  l'œuvre  d'un  seul  auteur  et  reflète  cette  unité 
de  pensée  qui  inspire  la  Genèse  aussi  bien  que  les  livres  suivants  »). 
—  M.  HOLLEAUX.  Études  d'histoire  hellénistique;  XII  :  L'expédition 
de  Philippe  V  en  Asie;  suite  et  à  suivre  (201  av.  J.-C;  la  bataille  de 
Chios,  la  bataille  de  Ladé;  l'invasion  du  royaume  de  Pergame;  les 
opérations  de  Carie).  —  C.  Jullian.  Notes  gallo-romaines;  XCI  ':  De 
Pontchartrain  à  Icoranda  sur  les  routes  romaines  (Pontchartrain, 
pons  Carnotensis,  est  le  pont  par  où  l'on  pénétrait  dans  la  cité  des 
Carnutes  ;  le  nom  Icoranda  semble  de  même  avoir  désigné  des  noms 
de  lieux  qui  devaient  leur  origine  à  un  ruisseau  ou  à  un  fossé,  Ico, 
marquant,  sur  une  grande  route,  la  frontière,  Randa,  entre  deux  pays 
celtiques).  —  J.  Soyer.  Les  «  basilicae  »  de  la  civitas  Carnutum  et 
de  la  civitas  Aurelianorum  (ils  ont  donné  naissance  aux  villages  du 
nom  de  Bazoches;  les  basilicae  étaient  d'importants  marchés  à  la 
frontière  de  deux  cités).  —  C.  Jullian.  Dallages  de  voirie  urbaine  (en 
général  très  irréguliers  dans  les  villes  gallo-romaines).  —  S.  Chabert. 
Sépultures  et  inscriptions  gallo-romaines  découvertes  à  la  Tronche, 
près  Grenoble,  le  23  avril  1920  (inscription  chrétienne).  —  H.  Pren- 
TOUT.  Les  inscriptions  de  la  fontaine  de  la  Herse,  dans  la  forêt  de 
Bellème  (elles  semblent  bien  fausses).  —  Id.  Les  origines  topogra- 
phiques de  Caen  (la  forme  Cadomus  provient  sans  doute  d'une  forme 
plus  ancienne,  Catumagos,  qui  indique  un  marché).  —  G.  Chenet. 
Dépôt  d'objets  du  bronze  et  du  premier  âge  du  fer  dans  des  sépultures 
d'époque  plus  récente  (signale  des  trouvailles  de  ce  genre  dans  des 
sépultures  de  Lavoye,  Meuse).  —  C.  Jullian.  Chronique  gallo- 
romaine.  =  C. -rendus  :  D''  G.  Contenau.  Mission  archéologique  à 
Sidon,  1914  (les  fouilles  permettent  de  remonter  au  second  millénaire 
avant  notre  ère).  —  R.  Gagnât  et  V.  Chapot.  Manuel  d'archéologie 
romaine  (excellent).  —  Léon  Homo.  La  Rome  antique  (plus  et  mieux 
qu'un  guide).  —  Léo  Wiener.  Contributions  toward  a  history  of  ara- 
bico-gothic  culture;  t.  III  :  Tacitus,  Germania  and  other  forgeries  (la 
soi-disant  Germanie  de  Tacite  est  remplie  d'histoires  tirées  de  romans 
arabes  du  viii"  siècle!).  —  B:  Saint-Jours.  Le  Httoral  gascon  (sou- 
tient la  thèse  de  la  stabilité  du  littoral  gascon  au  cours  des  âges  histo- 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  139 

riques).  —  G.  Cohen.  Ecrivains  français  en  Hollande  dans  la  première 
moitié  du  xyii"  siècle  (s'occupe  des  deux  grands  humanistes  français, 
professeurs  à  l'Université  de  Leyde,  Scaliger  et  Saumaise). 

8.  —  Revue  des  études  historiques.  1921,  janvier-avril.  —  Léon 
MiROT.  Un  centenaire  de  la  science  historique  française.  L'École  des 
chartes,  1821-1921  (article  intéressant  dont  les  éléments  sont  emprun- 
tés à  la  notice  de  M.  Prou,  mise  en  tête  du  livre  du  Centenaire).  — 
M.-D.  Constant.  Saint  Dominique  et  les  fraternités  laïques  au 
xiiF  siècle  (deux  éléments  sont  à  l'origine  du  tiers-ordre  dominicain  : 
les  fraternités  pénitlntielles  et  la  milice  de  Jésus-Christ  fondée  pen- 
dant la  guerre  des  Albigeois).  —  Pierre  de  Nolhac.  Quelques  provin- 
ciaux amis  de  la  Pléiade  (Etienne  Forcadel,  de  Béziers;  Scévole  de 
Sainte-Marthe,  Poitevin;  Le  Duchat,  de  Troyes,  etc.).  —  Fr.  Rous- 
seau. Une  grande  bienfaitrice  de  la  jeunesse  française  :  M™«  de 
Sainte-Beuve  (la  fondatrice  des  Ursulines,  en  1612).  —  C.  Leroux- 
Cesbron.  Un  sosie  de  Louis  XVI  (Auguste  d'Adouville,  un  frère  du 
roi  de  la  main  gauche;  fut  exécuté  en  1793).  —  Pierre  Rain.  Les  cen- 
tenaires de  la  Restauration  (énumération  des  faits  qui  se  sont  passés 
du  l»""  janvier  au  31  décembre  1820).  =  C. -rendus  :  Charles  Richet. 
Abrégé  d'histoire  générale  (intéressant).  —  H./Hauser.  Travailleurs 
et  marchands  dans  l'ancienne  France  (bon).  —  A.  Léman.  Urbain  VIII 
et  la  rivalité  de  la  France  et  de  la  maison  d'Autriche  de  1631  à  1635. 
—  Id.  Recueil  des  instructions  générales  aux  nonces  ordinaires  de 
la  France  de  1624  à  1634  (magnifique  exposé  de  la  politique  de  Riche- 
lieu). —  Êouis  Puech.  Histoire  de  la  Gascogne  (utile).  —  F.  Mourret. 
Histoire  générale  de  l'Église,  t.  VIII  (jusqu'à  la  mort  de  Pie  IX).  — 
De  Ségur.  Marie-Antoinette  (conférences  données  en  1916).  —  E.  Dau- 
det. L'avant-dernier  Roraanoff  :  Alexandre  III  (bon).  —  E.  Vara- 
gnac.  Emilio  Castelar  (œuvre  d'historien,  de  critique  et  de  psycho- 
logue). —  Jacques  Bardoux.  La  marche  à  la  guerre  (lumineux  et 
prophétique).  —  G.  Lacour-Gayet.  Guillaume  II  le  vaincu  (page 
d'histoire  vivante).  —  Émile-R.  Wagner.  A  travers  la  forêt  brési- 
lienne (travail  d'un  naturaliste  et  d'un  historien). 

9.  —  Le  Correspondant.  1921,  lOjuillet.  —  Marins  André.  A  propos 
des  «  centenaires  »  sud-américains.  La  révolution  libératrice  de  l'Amé- 
rique espagnole;  I  (elle  n'est  pas  fille  de  la  Révolution  française; 
elle  fut  au  contraire  une  réaction  contre  cette  Révolution,  surtout  en 
ce  que  celle-ci  avait  d'antireligieux.  Réagit  surtout  contre  le  point 
de  vue  de  Gervinus,  «  un  des  historiens  allemands  qui  ont  contribué 
le  plus  à  répandre  dans  le  monde  l'histoire  falsifiée  au  préjudice  de 
tout  ce  qui  est  catholique,  latin  et  français  ».  Expose  les  événements 
de  4808  qui  amenèrent  le  soulèvement  des  Espagnols  contre  Napoléon 
et,  par  contre-coup,  préparèrent  le  mouvement  d'émancipation  qui 
devait  triompher  plus  tard).  —  Eugène  Chrétien.  Un  Français  dans 
l'armée  rouge.  Simples  notes  (l'auteur  raconte  dans  quelles  conditions 


140  RECCEILS   PÉKIODIQDES. 

dramatiques  il  fut  arrêté  à  Bakou  en  avril  1920  et  dépouillé  de  tous 
ses  biens  ;  entré  «  à  titre  civil  »  dans  l'armée  soviétique  dans  l'espoir 
de  pouvoir  s'évader  ensuite,  il  réussit  à  obtenir  sa  liberté  comme  repré- 
sentant de  la  République  géorgienne.  Son  témoignage  est  très  émou- 
vant). —  P.  Decize  et  J.  Derpuy.  Une  nouvelle  question  des  Pays- 
Bas  :  la  nation  rhénane;  III  (les  princes  locaux  et  l'unité  franque; 
les  traités  de  Westphalie  et  la  Ligue  du  Rhin  ;  le  rayonnement  de  la 
civiUsation  française).  —  Henri  Froidevaux.  Un  siècle  d'activité  scien- 
tifique :  la  Société  de  géographie.  —  François  Boucher.  La  vie  et 
l'œuvre  de  Jean-Antoine  Watteau.  =  25  juillet.  ***.  Les  partis  et  la 
situation  en  Italie  après  les  récentes  élections.  — ^  Robert  Lavollée. 
Les  Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu  sont-ils  faux?  (non.  Quoi 
qu'en  ait  dit  M.  Batiffol,  ils  «  restent  ce  que  l'on  a  généralement  cru 
qu'ils  étaient,  une  Histoire  du  règne  de  Louis  XIII  ».  Cette  Histoire 
est  une  apologie  à  la  fois  du  cardinal  et  du  roi.  Elle  a  été  rédigée  du 
vivant  même  du  cardinal,  par  Achille  de  Harlay  de  Sancy,  évêque  de 
Saint-Malo,  assisté  par  deux  secrétaires  particuliers  de  Richelieu,  Char- 
pentier et  Cherré.  Richelieu  leur  a  livré  les  pièces  les  plus  secrètes  de 
son  cabinet  et  lui-même  a  pris  soin  de  fournir  le  canevas  de  certains 
chapitres;  il  en  a  aussi  écrit  de  sa  main  plus  d'une  page.  Le  travail 
était  si  considérable  qu'il  ne  put  être  achevé  ;  il  s'arrête  à  l'année  1639. 
C'est  donc  une  source  de  première  valeur,  qui  reflète  au  mieux  la  poli- 
tique et  la  pensée  intime  du  cardinal).  —  Marius  André.  La  Révolu- 
tion libératrice  de  l'Amérique  espagnole  ;  II  :  Le  rôle  du  clergé  (étudié 
dans  les  deux  grands  foyers  de  l'émancipation  sud-américaine,  à  la 
Plata  et  au  Venezuela,  le  rôle  du  clergé  apparaît  comme  étant  en 
général  favorable  à  la  cause  de  l'indépendance.  Si,  au  début,  les 
évêques  nommés  par  le  roi  et  pris  parmi  les  Espagnols  lui  restent 
fidèles,  il  n'en  fut  pas  de  même  des  curés  ou  des  religieux, 
presque  tous  américains,  d'autant  que  la  révolution  n'eut  presque 
nulle  part  un  caractère  anticlérical.  En  réalité  «  le  sentiment  popu- 
laire était  opposé  à  1^  révolution  ;  elle  fut  mise  en  branle  par  les  nobles 
qui  furent,  avec  les  grands  propriétaires,  les  riches  commerçants  et 
les  intellectuels,  ses  premiers  hommes  d'État  et  ses  chefs  d'armée  ».' 
Tous  d'ailleurs  ou  à  peu  près  étaient  bons  et  sincères  catholiques.  Le 
révolutionnaire  à  la  mode  française  a  été  une  exception  dans  les  luttes 
pour  l'émancipation).  —  P.  Decize  et  J.  Derpuy.  Une  nouvelle  ques- 
tion des  Pays-Bas.  La  nation  rhénane;  IV  :  Les  peuples,  la  Réforme  et 
la  Révolution  (il  existe  une  nation  rhénane  ;  sa  frontière  est  à  l'est  du 
Rhin,  là  où  s'arrêtait  déjà  la  domination  romaine.  Ces  Rhénans  sont 
de  soumission  facile  et  pénétrables  à  l'influence  française  ;  au  delà,  les 
Germains  pur  sang  sont  nettement  irréconciliables).  —  Ernest  Dau- 
det. Souvenirs  de  mon  temps;  II  :  Les  dernières  années  de  l'Empire 
(fin  de  ces  très  intéressants  souvenirs).  =  10  août.  Amiral  Darrieus. 
Les  fondateurs  de  la  puissance  française.  La  marine  de  guerre  (son 
rôle  pendant  la  dernière  guerre).  —  Pierre  IswolSKY.  La  crise  russe 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  141 

et  l'Eglise  (les  souffrances  du  peuple  russe,  les  crimes  mêmes  qu'il  a 
commis  «  ont  produit  un  retour  à  la  foi  des  aïeux,  une  exaltation  reli- 
gieuse que  les  autorités  sont  impuissantes  à  étouffer  »).  —  P.  Decize 
et  J.  Derpuy.  La  nation  rhénane;  fin  :  la  Rhénanie  moderne,  1870- 
1914  (dans  le  cadre  de  l'empire  allemand,  la  Rhénanie  est  devenue 
riche  et  prospère,  mais  le  peuple  reste  réfractaire  à  l'esprit  prussien,- 
autoritaire  et  protestant.  Même  depuis  la  conclusion  de  la  paix,  le 
«  sentiment  unanime  qu'on  retrouve  dans  tous  les  partis  est  celui  de 
l'indépendance  :  qu'on  nous  délivre  de  la  Prusse!  »).  —  L.  de  Lanzac 
DE  Laborie.  La  carrière  du  maréchal  Lyautey.  =  25  août.  Marins 
André.  La  révolution  libératrice  de  l'Amérique  espagnole;  III  :  L'anar- 
chie sanglante  et  la  réaction  catholique  au  Mexique;  fin  (relève  un 
grand  nombre  d'erreurs  dans  les  livres  et  surtout  les  manuels  français 
d'histoire  qui  traitent  de  l'histoire  du  Mexique  de  1810  à  1825.  Le 
court  règne  d'Iturbide  y  est  tout  à  fait  défiguré).  —  ***.  La  conférence 
impériale  de  Londres.  Le  nouveau  statut  des  «  Dominions  ».  —  Araé- 
dée  Britsch.  Revues  d'Autriche  (le  nationalisme  et  la  question  de 
r  «  Anschiuss  »  ou  union  avec  l'Allemagne,  par  A.  Schager  ;  le  parti 
bourgeois  du  travail,  par  0.  Czernin;  la  politique  étrangère,  par  Fr. 
Wiesner). 

10.  —  Études.  Revue  fondée  par  des  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  1921,  5  juillet.  —  Ferd.  Cavallera.  Dante  et  son  œuvre  (la 
«  Vita  nuova;  il  convivio  »;  à  suivre).  —  Paul  Dudon.  Ignace  de 
Loyola  au  siège  de  Pampelune,  1521  (centenaire  de  ce  fait).  —  Charles 
Parra.  Lettre  de  Belgique  (les  élections  communales  d'avril;  la  ques- 
tion flamande;  projet  de  créer  des  cours  flamands  de  lettres  et  de 
sciences  à  l'Université  de  Gand).  —  Paul  Doncoeur.  Pour  l'intelli- 
gence pratique  de  la  Uturgie  (notes  sur  quelques  pubUcations  récentes). 
—  Louis  DE  MoNDADON.  Le  Canada  peint  par  un  Français  («  Maria 
Chapdelaine  »  de  Louis  Hémon). 

11.  —  La  Grande  Revue.  1921,  avril.  —  Élie  Faure.  Napoléon; 
suite  (son  armée  et  son  impérialisme  guerrier;  ses  idées  politiques 
appliquées  à  reconstituer  en  France  la  machine  administrative).  — 
P.-L.  PuECH.  Les  Saint-Simoniens  précurseurs  de  la  Société  des 
nations.  =  Mai.  Paul-Hyacinthe  Loyson.  Conclusions  sur  l'affaire 
Litlré;  I  :  Récapitulation  du  débat  (étude  critique  sur  les  «  Notes  » 
de  l'abbé  Huvelin;  mais  il  existe  en  outre  une  relation  complète  des 
derniers  moments  de  Littré  par  le  même  abbé.  Ne  devrait-on  pas  la 
verser  au  débat?).  —  ÉHe  Faure.  Napoléon;  suite  (son  «  apostolat  » 
pour  l'établissement  d'un  ordre  de  choses  meilleur  en  Europe  et  dans 
le  monde).  —  Camille  Pitollet.  «  Veillons  au  salut  de  l'Empire  » 
(curieuse  histoire  de  cette  composition  jadis  fameuse,  qui,  publiée  en 
1791,  visait  uniquement  la  France  de  la  Révolution,  et  non  l'Empire 
napoléonien.  Elle  eut  pour  auteur  Adrien-Simon  Boy,  plus  tard  chi- 
rurgien en  chef  de  l'armée  du  Rhin.  Le  mot  Empire  ne  pouvait  pas 


«3 


142  RECOEILS    PERIODIQUES. 

évidemment  avoir  le  même  sens  en  1791  et  quinze  ans  plus  tard. 
Chemin  faisant,  on  corrige  ici  nombre  d'attributions  erronées  sur  la 
musique  patriotique  en  France  de  1789  à  1815).  —  Georges  Prévôt. 
Les  lois  de  la  littérature  et  le  renouvellement  de  la  littérature  fran- 
çaise. —  Pierre  Guéguen.  Directions  de  la  pédagogie  nouvelle.  — 
J,  BÉZARD.  Le  principe  de  sélection  et  le  renouvellement  de  l'ensei- 
gnement secondaire.  =  Juin.  Élie  Faure.  Napoléon;  fin  (intéressantes 
considérations).  —  Paul-Hyacinthe  Loyson.  Conclusions  sur  l'afïaire 
Littré  ;  fin  (l'intrigue  autour  du  malade  ;  des  conditions  mystérieuses 
dans  lesquelles  Littré  fut  baptisé  in  extremis.  Mgr  Baudrillart  a 
déclaré  qu'il  fut  baptisé  par  M"e  Littré  «  environ  vingt  minutes  avant 
sa  mort;  elle  lui  a  dit  ce  qu'elle  faisait.  M.  Littré  avait  sa  connais- 
sance, mais  ne  parlait  plus  »).  —  Albert  Sauzède.  La  politique  com- 
merciale de  la  France  à  l'égard  de  l'Allemagne  et  l'exécution  du 
traité.  —  Michel  Merlay,  La  nouvelle  constitution  polonaise.  =  Juil- 
let. Georges  Renard.  Histoire  technique  et  sociale  de  l'imprimerie. 
—  Léon  RouiLLON.  Entre  les  Turcs  et  les  Grecs  (le  peuple  français 
ne  saurait  tolérer  le  démembrement  de  l'empire  musulman  au  profit 
des  Hellènes).  —  Marie-Louise  Le  Verrier.  Une  grande  féministe 
américaine  :  Elisabeth  Cady  Stanton. 

12.  —  Mercure  de  France.  1921,  l^""  juin.  —  Théodore  Aubert. 
Une  forme  de  défense  sociale  :  les  unions  civiques.  —  Maurice  POT- 
techer.  Pour  sauver  Carthage  (montre  les  dangers  que  court  le 
champ  des  fouilles  exploité  à  Carthage  et  les  mesures  de  préservation 
qui  s'imposent).  —  A.  van  Gennep.  Ethnographie  (annonce  en  termes 
très  élogieux  les  ouvrages  de  Boule  :  les  Hommes  fossiles;  Raoul 
Montandon  :  Bibliographie  générale  des  travaux  palethnologiques  et 
archéologiques,  et  Tauxier  :  le  Noir  du  Yatenga).  —  Chevalier  de 
Selliers  de  Moranville.  Les  inexactitudes  des  Mémoires  du  lieute- 
nant général  belge  de  Ryckel  (M.  de  Ryckel  avait,  dans  le  Mercure 
de  France  du  25  avril,  adressé  à  l'auteur  de  vifs  reproches  sur  la  pré- 
paration immédiate  de  la  campagne  dans  l'armée  belge  en  1914.  Réfu- 
tation de  ces  critiques).  =  15  juin.  Rechad  Noury.  Le  poète  Nédim 
et  la  Société  ottomane  au  xyiii^  siècle.  —  D""  Henri  Amé.  La  torture  et 
les  troubles  mentaux.  =  1"  juillet.  Georges  Duhamel.  Prague,  avril 
1921.  —  Georges  Izambard.  L'exemplaire  conversion  de  M.  de  La  Fon- 
taine (raconte  comment  on  obtint  de  La  Fontaine  mourant  le  désaveu 
des  «  contes  infâmes  »  qu'il  avait  composés  et  publiés.  Le  récit  qu'en  a 
fait  l'abbé  Pouget  ne  présente  aucune  garantie  de  sincérité).  =  15  juil- 
let. De  La  Revelière.  Nos  alliances  et  la  Pologne.  —  Louis  Dumur. 
La  prise  de  Douaumont  ;  un  morceau  inédit  du  «  Boucher  de  Verdun  » 
(reproduit,  en  le  dramatisant,  le  récit  d'un  des  deux  officiers  allemands 
qui  pénétrèrent  les  premiers  dans  le  fort).  —  Léon  Deffoux.  Des 
origines  de  l'Académie  Concourt.  Edmond  de  Concourt  membre  de 
l'Académie  de  Bellesme  (on  publie  aussi  le  texte  complet  du  testament 
d'Edmond  de  Concourt  et  des  quatre  codicilles  qui  constituent  la 


aSCDEILS   PÉRIODIQUES.  143 

charte,  tenue  pour  parfaitement  légale  par  le  tribunal,  de  l'Académie, 
ou  mieux  de  la  «  Société  littéraire  dite  des  Goncourt  »).  —  Bienstock. 
Lettres  russes  (signale  un  Journal  de  Zénaide  Hippius  publié  dans  la 
«  Pensée  russe  »,  qui  paraît  maintenant  à  Sofia,  le  régime  soviétique 
ayant  supprimé  toute  parole  libre.  Ce  journal  en  dit  long  sur  les  bol- 
chévistes  et  notamment  sur  Gorki,  l'ami  du  grand  romancier  anglais 
Wells).  —  Emile  Laloy.  Bibliographie  politique  (analyse  l'œuvre  de 
Robert  Lansing  :  «  The  peace  négociations  »).  —  Id.  Ouvrages  sur  la 
guerre  de  1914  (analyse  les  «  Note  di  guerra  »,  où  le  général  Luigi 
Capello  expose,  en  les  critiquant  sévèrement,  les  opérations  militaires 
des  armées  italiennes).  =  l»"'  août.  Lieutenant-colonel  Chenet.  La 
vérité  sur  la  perte  du  fort  de  Douaumont,  d'après  des  témoignages 
inédits  (reproduit  en  particulier  le  récit  fait  par  ce  que  l'officier  alle- 
mand, dont  M.  Dumur  a  rapporté  le  témoignage,  appelle  le  comman- 
dant du  fort  et  qui,  en  réalité,  était  simplement  le  gardien  de  batterie 
du  fort,  M.  Chenot.  Dès  le  24  février,  le  haut  commandement  français 
avait  renoncé  à  défendre  les  forts  et  se  préoccupait  d'évacuer  la  rive 
droite  de  la  Meuse.  Un  décret  du  5  août  1915  l'y  autorisait  d'ailleurs). 

—  André-M.  de  Poncheville.  Les  jeunes  années  de  Watteau  à 
Valenciennes.  —  G.  Hanet-Archambault.  La  «  publicity  »  en  Amé- 
rique (notes  instructives  sur  l'art  de  la  réclame  que  les  Allemands 
savent  utiliser  victorieusement  contre  nous  aux  États-Unis).  —  Camille 
PiTOLLET.  Le  rite  mozarabe.  —  R.  DE  Villeneuve-Trans.  La  paix 
(critique  du  livre  d'André  Tardieu;  on  y  trouve  beaucoup  de  faits 
intéressants  pour  les  questions  d'intérêt  matériel,  mais  le  sens  de  la 
haute  politique  lui  échappe).  =:15  août.  Georges  Maurevert.  Généa- 
logies fabuleuses  et  réalités  héréditaires.  —  Ernest  Raitstaud.  Les 
parents  de  Baudelaire. 

13.  —  La  Revue  de  France.  1921,  l^f  juin.  —  Armand  Praviel. 
L'assassinat  de  M.  Fualdès,  i"'  partie  (le  miheu  :  description  de  Rodez 
en  1817  ;  biographie  de  Fualdès,  ancien  magistrat  retraité  et  considéré  ; 
mais  il  a  été  juge  au  Tribunal  révolutionnaire  et  sans  doute  il  a  des 
adversaires  politiques  qui  ne  lui  ont  pas  pardonné;  circonstances 
mystérieuses  de  son  assassinat  le  19  mars  ;  l'instruction  piétine 
d'abord  sur  place,  puis  un  témoin  terrorisé  dénonce  Bastide,  filleul 
de  la  victime).  —  Maréchal  Fayolle.  La  stratégie  française  pendant 
la  guerre.  —  Jean  Longnôn.  Quatre  siècles  de  philhellénisme  fran- 
çais (les  croisades  contre  les  Turcs,  depuis  Nicopolis  jusqu'à  Navarin). 

—  Philippe  Crozier.  L'Autriche  et  l'avant-guerre;  fin  (Sir  Fairfax 
Cartwright,  remplace  Sir  E.  Goschen  à  l'ambassade  de  Vienne  fin 
décembre  1908;  il  travaille,  non  sans  succès,  à  rétablir  des  rela- 
tions courtoises  entre  l'Angleterre  et  l'Autriche,  ce  qui  indispose  for- 
tement l'ambassadeur  allemand;  il  réussit  à  empêcher  l'envoi  d'un 
ultimatum  à  la  Serbie,  et  par  conséquent  à  maintenir  la  paix.  Quant  à 
^renthal,  il  est  à  ce  moment  partisan  d'une  politique  pacifique,  qu'im- 
pose l'alliance  franco-russe.  L'entrevue  de  Marienbad  en  1909  et  l'action 


144  RECUEILS  PE'rIODIQDES. 

personnelle  du  roi  Edouard  VIT  ;  l'entrevue  de  Raconigi  et  le  rappro- 
chement de  la  Russie  avec  l'Italie,  qui  offense  François-Joseph  et 
irrite  ^renthal.  L'attitude  d'^Erenthal  lors  d'Agadir;  ici  encore,  il 
contrebat  l'action  pangermaniste  de  Tschirschky.  En  quittant  l'am- 
bassade de  Vienne,  M.  Crozier  emportait  une  note  d'iErenthal  disant  : 
«  Des  intérêts  communs  de  grande  importance  justifient  les  relations 
parfaites  qui  existent  entre  la  France  et  l'Autriche  »).  —  Ch.-V.  Lan- 
GLOIS.  Nouvelles  histoires  générales.  =r  15  juin.  Raymond  Recouly. 
Les  heures  tragiques  d'avant-guerre;  I  :  A  Berlin.  Récit  de  M.  Jules 
Cambon  (comment  l'empereur  Guillaume  II  apprit  l'attentat  de  Sera- 
jevo  ;  certitude  où  se  trouvait  Jagow,  après  la  remise  de  la  note  à  la 
Serbie,  que  l'Angleterre  resterait  neutre;  Cambon  lui  affirmait  le  con- 
traire. Goschen,  à  son  tour,  dit  à  Cambon  :  «  Touchant  l'attitude  de 
mon  pays,  je  pense  exactement  comme  vous;  malheureusement,  je 
ne  suis  pas  autorisé  à  le  dire.  »  Silence  coupable,  qui  laissa  carte 
blanche  à  l'Allemagne;  mais,  ajoute  Cambon,  les  traditions  de  famille, 
les  préventions  religieuses  furent  plus  fortes  d'abord  en  Angleterre 
que  la  raison  d'État.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'Allemagne,  convaincue  que 
l'Angleterre  ne  marcherait  pas,  se  décide  pour  la  guerre  immédiate. 
Conseil  de  guerre  de  Potsdam  le  29  juillet;  le  parti  militaire  l'emporte 
et  la  mobilisation  est  ordonnée.  Cambon  reçoit  ses  passeports;  avanies 
qu'on  lui  fait  subir).  —  Pierre  de  Nolhac.  La  Pléiade  et  le  latin  de 
la  Renaissance.  —  J. -Augustin  Léger.    Lord   Rob~ert  Cecil  et  la 
débâcle  des  partis  en  Angleterre  (expose  les  motifs  qui  ont  déterminé' 
Lord  Robert  à  quitter   Lloyd  George  pour   rejoindre  Asquith).  — 
Armand  Praviel.  L'assassinat  de  M.  Fualdès;  suite  (le  crime  a  pris 
désormais  l'apparence  d'un  attentat  politique  machiné  par  des  meur- 
triers novices,  par  de  grands  bourgeois  qui  se  croyaient  intangibles. 
C'est  contre  eux  que  va  maintenant  être  dirigé  le  procès).  =  l"^""  juil- 
let. Raymond  Recouly.  Les  heures  tragiques  d'avant- guerre.  II.  A 
Londres  :  le  récit  de  M.  Paul  Cambon  (c'est  seulement  dans  la  soi- 
rée du  dimanche  2  août  que  le  gouvernement  britannique  prit  la  réso- 
lution d'intervenir.  Les  trois  journées  précédentes,  l'ambassadeur  avait 
en  vain  travaillé  pour  obtenir  des  ministres,  notamment  de  Sir  Ed. 
Grey,  une  réponse  précise  à  sa  demande  :  qu'allez-vous  faire  si  l'Alle- 
magne viole  la  neutralité  "belge?  Grey  était  trop  pacifiste  et  trop  timoré; 
Lloyd  George  circonvenu  par  les  financiers;  Asquith  favorable,  mais 
incertain  d'avoir  pour  lui  l'opinion  de  ses  amis.  Les  conservateurs  au 
contraire  se  montrèrent  dès  le  début  très  fermes  en  faveur  de  l'inter- 
vention et,  quand  Bonar  Law  vint  promettre  à  Asquith  le  concours  de 
son  parti,  le  Premier  se  décida  enfin.  Les  hésitations  des  deux  Chambres, 
des  ministres,  l'hostilité  des  financiers,  l'indifférence  du  public  très 
mal  informé  expliquent  l'aveuglement  de  l'Allemagne  qui  crut  pouvoir 
compter  Sur  la  neutralité  de  l'Angleterre,  du  moins  assez  longtemps  pour 
écraser  la  France).  —  Louis  de  Launay.  Ampère  et  le  centenaire  de 


RECUEILS  PERIODIQDES.  145 

l'électro-dynamique.  —  Armand  Praviel.  L'assassinat  de  M.  Fualdès; 
3«  partie  (le  procès  de  Rodez  ;  le  verdict  du  jury,  qui  déclare  coupable 
cinq  des  accusés  ;  quatre  sont  condamnés  à  mort,  un  cinquième  aux 
galères  à  perpétuité.  Mais  le  principal  témoin  s'était  contredit;  de 
nouveaux  procès  allaient  donc  naître  de  la  mystérieuse  affaire).  = 
15  juillet.  Léon  Gambetta.  Lettre  inédite  à  Castelar,  de  F'aris,  le 
29  août  1873  (Gambetta  conjure  Castelar  de  mettre  à  profit  les  trois 
mois  de  «  dictature  légale  »  qu'il  détient  jusqu'à  la  rentrée  des  Cortès 
pour  rétablir  l'ordre  en  Espagne  en  fortifiant  le  pouvoir  central  au 
détriment  des  fédéralistes  et  des  communistes.  Il  souhaite  qu'en 
Espagne  les  ennemis  de  la  République  ne  commettent  pas  le  crime 
contre  la  patrie  dont  s'était  rendue  coupable  la  Commune  parisienne 
en  1871).  —  Joseph  Bédier.  Quelques  scènes  de  la  «  Chanson  de 
Roland  »  (traduction).  —  Armand  Praviel.  L'assassinat  de  M.  Fual- 
dès; suite  (intervention  dans  l'affaire  d'un  journaliste  :  Hyacinthe 
Thabaud,  dit  Henri  de  Latouche;  tentative  d'évasion  des  deux  princi- 
paux accusés,  qui  échoue.  La  cour  d'assises  d'Albi  et  la  dénonciation 
mensongère  d'un  témoin).- — Marcel  Bouteron.  Le  lieutenant-colonel 
Périolas  et  Balzac  (en  1832,  Balzac  songeait  à  écrire  un  roman  inti- 
tulé «  la  Bataille  »,  où  il  aurait  placé  une  description  de  la  bataille  de 
Wagram.  Il  se  renseigne  auprès  de  son  ami  Périolas,  ancien  officier 
de  Napoléon,  alors  capitaine  détaché  à  l'École  de  Saint-Cyr;  mais 
Périolas  se  récuse  en  raison  de  ce  qu'il  appelle  lui-même  son  «  insuf- 
fisance »  et  Balzac  renonce  à  «  la  Bataille  »  ;  mais  il  écrit  «  le  Médecin 
de  campagne  »  où  figure  le  commandant  Genestas,  qui  n'est  autre  que 
l'ami  Périolas.  Ce  dernier  mourut  en  1859  avec  le  grade  de  lieutenant- 
colonel  en  retraite).  —  D.  Parodi.  Le  cartésianisme  avant  Descartes 
(d'après  deux  ouvrages  récents  de  Léon  Blanchet  :  «  Les  antécédents 
historiques  du  Je  pense,  donc  je  suis  »,  et  «  Campanella  ».  On  peut 
trouver  dans  saint  Augustin  et  Campanella  des  opinions  qui  précèdent 
et  font  prévoir  la  théorie  cartésienne  du  «  Cogito  ergo  sum  »  ;  mais  il 
n'y  eut  de  la  part  de  Descartes  ni  plagiat  ni  emprunt;  et  d'ailleurs  il 
a  donné  à  des  idées  parallèles  l'empreinte  de  son  génie  propre).  — 
Pierre  Morane.  Une  nonciature  (d'après  les  Mémoires  du  cardinal 
Ferrata  qui,  avant  de  recevoir  le  chapeau,  dirigea  la  nonciature  de 
France  de  1891  à  1896).  =  l*""  août.  Armand  Praviel.  L'assassinat  de 
M.  Fualdès;  fin  (condamnation  à  mort  et  exécution  des  trois  personnes 
supposées  coupables,  et  qui  étaient  sans  doute  innocentes.  Il  y  eut 
erreur  judiciaire;  l'affaire,  toujours  enveloppée  de  mystère,  garde  un 
vif  intérêt  pour  l'histoire  des  mœurs).  —  Raymond  Recoulv.  Les 
heures  tragiques  d'avant-guerre;  III  :  A  Paris.  Récit  de  M.  Messimy, 
ministre  de  la  Guerre  (très  émouvant.  Ici  encore,  c'est  l'indécision  de 
l'Angleterre  qui  oblige  le  gouvernement  français  à  retarder  l'ordre  de 
mobilisation,  alors  que  l'Allemagne  commençait  la  sienne.  Il  nous 
fallait  jusqu'au  dernier  moment  lui  prouver  notre  volonté  de  ne  com- 
mettre aucun  acte  qui  put  avoir  le  caractère  d'une  provocation.  «  Si 
Rev.  Histor.  CXXXVIII.  1"  fasc.  10 


146  RECDEILS  PÉRIODIQUES. 

l'Angleterre,  à  cette  heure  décisive,  avait  délibérément  jeté  son  épée 
dans  la  balance,  je  suis  personnellement  convaincu  que  l'Allemagne 
aurait,  à  la  dernière  minute,  reculé,  que  la  guerre  n'aurait  peut-être 
pas  eu  lieu  »).  —  Paul  Le  Brethon.  Voyage  de  Caroline  Murât  à 
Munich,  1805  (pubhe,  sur  ce  voyage  peu  connu,  cinq  lettres  écrites 
par  Caroline  à  Hortense  de  Beauharnais  et  deux  lettres  adressées  par 
le  secrétaire  Janvier  à  son  compère  Aymé,  trésorier  du  prince  Murât). 
—  Jean  Longnon.  Le  renouveau  des  romans  du  moyen  âge.  = 
15  août.  Ch.-V.  Langlois.  Mystiques  de  la  première  partie  du 
xvii"  siècle  (d'après  l'Histoire  littéraire  du  sentiment  religieux  en 
France  d'Henri  Brémond.  Très  intéressant).  —  J. -Augustin  LÉGER. 
Figures  d'outre-Manche  :  Lord  Derby. 

14.  —  La  Revue  de  Paris.  1921,  15  juillet.  —  Général  Buat. 
L'État-major  (son  rôle  mal  connu  en  France;  les  succès  de  l'Alle- 
magne en  1870  s'exphquent  en  partie  par  l'action  de  cet  organisme 
nécessaire  ;  la  France  se  l'est  donné  en  créant  l'École  de  guerre,  d'où 
sortirent  les  chefs  qui  ont  élaboré  la  victoire).  —  Maurice  Bompard. 
L'entrée  en  guerre  de  la  Turquie;  II  (depuis  le  2  août  1914,  jour  où  la 
Turquie  et  l'Allemagne  «  s'engagent  à  observer  une  stricte  neutralité 
en  face  du  conflit  actuel  entre  l'Autriche-Hongrie  et  la  Serbie  »,  mais 
où  il  est  dit  qu'en  cas  de  guerre  «  l'Allemagne  laissera  sa  mission 
militaire  à  la  disposition  de  la  Turquie  ».  Traité  secret  d'ailleurs,  mais 
qui  ne  tarda  pas  à  manifester  ses  effets,  la  mobilisation  turque  ayant 
commencé  en  fait  dès  le  3  août.  L'aventure  du  Gœhen  et  du  Breslau, 
soi-disant  achetés  par  le  gouvernement  ottoman  pour  remplacer  les 
deux  cuirassés  qu'il  avait  fait  construire  en  Angleterre  et  dont  la 
Grande-Bretagne  venait  de  s'emparer.  A  la  fin  d'août,  les  Allemands 
sont  en  réalité  maîtres  des  Dardanelles.  Enver  Pacha  leur  est  tout 
acquis,  parce  qu'il  est  et  restera  toujours  convaincu  que  l'Allemagne 
serait  victorieuse.  Enfin,  le  20  octobre,  l'alliance  avec  Berlin  est  signée 
et  Odessa  est  bombardée  le  29  octobre  par  la  flotte  ottomane  que 
commande  un  amiral  allemand.  L'ambassadeur  de  France  part  le 
1er  novembre.  Talaat  et  Enver  ont  été  les  seuls  artisans  de  tout  ce 
drame).  —  A.  Aul.a.rd.  Bonaparte  républicain  (depuis  1791.  A  Milan, 
il  fait  paraître  un  journal  peu  connu  :  le  Courrier  de  l'armée  d'Ita- 
lie, qu'inspire  le  plus  pur  républicanisme.  Ce  journal  est  une  véri- 
table trouvaille).  —  Commandant  Fournier.  Opinions  bolcheviques 
(ce  serait  une  erreur  de  croire  que  la  propagande  bolchevique  aban- 
donne quoi  que  ce  soit  de  ses  principes  communistes  ;  1'  «  opportu- 
nisme »  que  l'on  prête  à  Lénine  est  tout  simplement  un  temps  d'arrêt 
pour  permettre  au  prolétariat  européen  de  renforcer  son  organisation. 
Tous  les  efforts  tendent  au  triomphe  définitif  de  la  III^  Internatio- 
nale). —  G.  Lechartier.  Les  Américains  et  le  sport.  —  ***.  Les 
AUiés  et  la  politique  allemande.  =  1"  août.  H.  Berlioz.  Lettres  sur 
les  «  Troyens  ».  —  Berthe-Georges  Gaulis.  Dix  jours  à  Angora; 
avril-mai  1921  (intéressants  et  instructifs  portraits  du  haut  personnel 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  147 

du  parti  nationaliste  en  Anatolie,  et  en  particulier  de  leur  chef,  Mous- 
tapha  Kémal.  Beaucoup  d'entre  eux  ont  été  élevés  en  France  ou 
parlent  un  français  très  pur;  leur  amertume  contre  la  France  à  propos 
de  la  Cilicie;  leur  aversion  contre  la  propagande  anglaise,  qui  s'in- 
filtre partout.  «  J'entendais  le  réquisitoire  contre  l'Angleterre  et  l'appel 
à  la  France  »).  —  E.  Halperine-Kaminsky.  Tolstoïsme  et  bolché- 
visme.  —  J.-L.  Vaudoyer.  L'empereur  des  forçats  (biographie  de 
Puget,  «  maître  sculpteur  de  l'arsenal  »  de  Toulon,  auteur  des  deux 
«  Atlantes  »  de  l'hôtel  de  ville,  où  l'artiste  a  su  exprimer  la  douleur 
humaine  si  souvent  observée  par  lui  sur  la  figure  des  forçats).  — 
Prince  de  Condé.  Journal  d'émigration;  suite  et  fin  (de  Suisse  à 
Turin  par  le  Tyrol  ;  la  description  de  la  route  par  la  montagne  est  un 
joli  morceau.  Le  journal  s'arrête  le  31  décembre  1792).  —  Max  Le- 
TANNOiS.  L'opinion  en  Rhénanie  (cette  opinion  est  modérée  et  libé- 
rale, déférente  à  l'égard  des  Alliés  qui  lui  ont  donné  la  paix  intérieure, 
hostile  à  l'enragée  propagande  prussienne.  «  Beaucoup  veulent  cons- 
tituer un  État  rhénan  hors  du  Reich,  déplacer  l'équilibre  de  l'Alle- 
magne et  modifier  de  tout  leur  pouvoir  la  mentalité  germanique.  »  — 
***.  Les  États-Unis  et  la  paix).  =  15  août.  Gabriel  Bounoure.  La  22«  divi- 
sion au  Chemin-des-Dames,  27  mai  1918;  suite  et  fin  le  l*""  septembre 
(l'idée  que  se  forme  de  cette  bataille  celui  qui  y  a  pris  part  et  qui  l'a 
étudiée  au  moyen  de  témoignages  directs,  vérifiés,  c'est  que,  «  loin 
d'avoir  été  un  Caporetto  français,  elle  est  pour  notre  armée  une  des 
plus  glorieuses  qui  soit  ».  Pourquoi  la  défaite  qu'elle  a  subie?  La 
place  forte  naturelle  occupée  par  la  22*=  division  n'avait  qu'une  trop 
faible  garnison  disposant  de  moyens  insuffisants  ;  un  repli  en  arrière 
s'imposait,  mais  on  eut  peur  de  paraître  abandonner  une  position  répu- 
tée inaccessible.  On  fut  exactement  renseigné  sur  le  moment  où  l'en- 
nemi devait  attaquer,  mais  trop  tard  pour  renforcer  l'unique  division 
qui  allait  avoir  affaire  à  une  troupe  huit  ou  dix  fois  supérieure  en 
nombre).  —  H.  Berlioz.  Lettres  sur  les  Troyens;  suite  et  fin  le 
l»""  septembre.  —  Brada.  M™^  Chrestienne  de  France,  princesse  de 
Piémont;  suite  (son  arrivée  à  Turin  en  1619;  son  entrée  officielle  à 
côté  de  son  mari  Victor-Amédée,  qui  succède  à  son  père  en  1630. 
Régente  du  duché  après  la  mort  du  prince  en  1637,  elle  gouverne 
avec  fermeté;  l'on  vante  aussi  sa  «  rare  et  exemplaire  bonté  »).  — 
***.  Les  Aihés  et  la  Haute-Silésie.  =  l»""  septembre.  Maurice  Bom- 
PARD.  Les  mémoires  du  comte  Witte  (étude  critique  sur  ces  mémoires, 
trop  souvent  erronés,  et  qui  ne  serviront  pas  à  la  réputation  de 
leur  auteur).  —  Georges  Grappe.  De  la  condition  de  l'homme  de 
lettres  (depuis  le  xvii«  siècle).  —  Maurice  Muret.  Le  roman  vécu  de 
Dostoïevski  (par  la  fille  de  l'illustre  romancier.  Tandis  que  Vogué 
voyait  en  Dostoïevski  un  Scythe,  «  le  vrai  Scythe  qui  va  révolutionner 
toutes  nos  habitudes  intellectuelles  »,  sa  fille  montre  qu'il  était  d'ori- 
gine lithuanienne,  issu  d'ancêtres  cathohques;  que,  plus  Lithuanien 
que  Moscovite,  il  a  peint  les  Russes  non  pas  du  dedans,  mais  du 


148  RECOEILS   PÉRIODIQUES. 

dehors.  Elle  a  écrit  ce  livre  sous  l'influence  du  gobinisme,  qui  l'a  plus 
d'une  fois  fait  se  fourvoyer,  mais  elle  a  dit  des  choses  qu'elle  savait 
de  première  main).  —  ***.  Ce  qui  s'est  passé  au  Conseil  suprême  («  la 
politique  française  y  a  été  non  seulement  exposée  et  défendue,  mais 
elle  a  fait  adopter  des  solutions  que  les  circonstances  imposaient  ». 
Les  thèses  anglaises  et  françaises  y  ont  été  débattues  non  sans  ani- 
mosité  ;  «  l'esprit  de  l'alliance  n'a  cependant  rien  perdu  de  sa  vigueur  », 
puisque  l'Angleterre  admet  que  la  France  a  droit  aux  réparations  tant 
de  fois  promises  et  en  fait  si  maigrement  mesurées.  Les  prétentions 
de  la  France  n'ont  rien  de  ce  caractère  d'impérialisme  que  l'Angle- 
terre semble  redouter  en  nous). 

15.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  15  juillet.  —  Lyautey. 
Lettres  de  Rabat,  1907  (lettres  écrites  par  le  général  Lyautey  à  son 
ami  M.  de  Vogué  lors  d'une  mission  officielle  où  il  accompagnait,  par 
ordre,  le  ministre  de  France  à  Tanger,  M.  Regnault,  auprès  du  sultan 
Abd-ul-Aziz).  —  Henry  BiDOU.  Voyage  en  Rhénanie.  L'exposition  de 
Biebrich  (la  France  veut  se  faire  connaître  par  le  rayonnement  de  son 
art;  de  son  côté,  la  Prusse  travaille  rageusement  à  la  calomnier  aux 
yeux  des  Rhénans,  qui,  tout  en  restant  bons  Allemands,  ne  sont  pas 
insensibles  à  la  douceur  d'une  autre  culture).  —  André  Hallays. 
Jean  de  La  Fontaine;  cours  libre  professé  à  l'Université  de  Stras- 
bourg. 2«  et  3«  leçons  (chez  le  surintendant  Fouquet).  —  ***.  Lettres 
de  Pétrograd;  esqviisses  de  la  vie  soviétique;  II  (aboutissement  du 
régime  :  la  famine  ;  elle  a  pour  causes  principales  l'absence  de  moyens 
de  transport  et  l'incapacité  des  bolchévistes  à  rien  organiser).  — 
Robert  de  La  Sizeranne.  Les  préfigurations  chez  Watteau.  =: 
1er  août.  Victor  Giraud.  Le  général  de  Castelnau  (sa  famille,  ses 
études,  sa  carrière  militaire  jusqu'en  1914;  son  héroïque  et  victorieuse 
résistance  à  Nancy,  du  20  août  au  9  septembre.  L'ari#ée  bavaroise  ne 
devait  jamais  se  relever  complètement  des  coups  qu'elle  y  reçut). 
—  Saint-Denis,  dit  Ali,  second  mameluk  de  l'Empereur.  Souve- 
nirs; III  (Waterloo;  delà  Malmaison  à  Rochefort;  l'Empereur  se  rend 
aux  Anglais;  arrivée  à  Sainte-Hélène  le  16  octobre).  —  ***.  L'Islam 
et  son  avenir.  =  15  août.  Pierre  Loti.  Suprêmes  visions  d'Orient 
(septembre-octobre  1910,  août  1913).  —  N.  Murray  Butler.  L'état 
actuel  des  esprits  aux  États-Unis.  Conférence  prononcée  à  la  Cour  de 
cassation  le  18  juillet  1921  («  nous  sommes  pour  la  liberté,  nos  cœurs 
aspirent  à  la  fraternité  et  nous  tenons  à  l'égalité  de  tous  devant  les 
lois,  mais  nous  abhorrons  une  égalité  qui,  en  tuant  la  liberté,  rendrait 
la  fraternité  impossible.  Fraternité  dans  la  nation,  fraternité  entre 
nations,  fraternité  entre  la  France  et  les  États-Unis,  voilà  notre  espoir 
et  notre  devise  »).  —  Victor  Giraud.  Le  général  de  Castelnau;  II 
(opérations  militaires  depuis  la  fm  de  la  bataille  de  la  Marne  :  entre 
Somme  et  Oise,  septembre-octobre  1914;  la  bataille  de  Champagne, 
septembre  1915  ;  mission  à  Salonique  pour  étudier  l'organisation 
éventuelle  de  cette  place,  décembre  1915.  De  retour  à  Paris,  il  est 


aSCUEILS  PÉRIODIQDES.  149 

envoyé  à  Verdun  où  il  arrive  en  pleine  débâcle  le  25  février.  Il  y  crée 
ce  qu'on  a  appelé  «  l'âme  de  Verdun».  Associé  à  la  mission  française 
de  Russie,  janvier-février  1917.  Son  rôle  en  1918;  c'est  lui  qui  devait 
frapper,  le  13  novembre,  le  dernier  coup  par  une  attaque  à  fond  en  Lor- 
raine. L'armistice  du  11  novembre  le  frustra  sans  doute  d'une  grande 
victoire).  —  Vicomte  Georges  d'Avenel.   L'Église  française  après 
quinze  ans  de  séparation;  I  :  le  Clergé  (résultats  d'une  enquête  pour- 
suivie dans  soixante-seize  départements,  «  La  séparation  d'avec  l'État 
a  développé  l'union  avec  les  paroissiens  en  forçant  le  curé,  pour  quê- 
ter son  denier  du  culte,  à  pénétrer  davantage  dans  le  monde  ».  L'or- 
ganisation spirituelle  du  clergé  a  donc  beaucoup  gagné  à  la  sépa- 
ration). —  André  Hallays.  Jean  de  La  Fontaine.  4"  et  5'^  leçons 
(Psyché;  les  amis  de  La  Fontaine  :  Racine,  Boileau.  Deux  amies  : 
la  duchesse  de  Bouillon  et  M™*  de  La  Sablière  ;  les  contes).  —  Louis 
DE  Launay.  Un  bourgeois  parisien  pendant  la  Révolution  (ce  bour- 
geois est  Toussaint  Maraux,  établi  miroitier  rue  Saint-Antoine.  Il 
avait  deux  fils  dont  l'un  partit  en  1784  pour  Constantinople,  enrôlé 
dans  une  mission  qui  avait  pour  but  d'organiser  la  mainmise  militaire 
de  la  France  sur  la  Turquie  ;  l'autre  accepta  une  place  à  Strasbourg 
dans  l'administration  de  la  Loterie.  Entre  ces  trois  personnes  qui  s'ai- 
maient tendrement  s'échangea  une  correspondance  qui  devient  inté- 
ressante pour  les  années  1789-1792.  Maraux  était  ardent  patriote;  il 
fut  même  septembriseur,  sans  cesser  d'être  un  brave  et  honnête  bour- 
geois. Il  mourut  suppléant  de  juge  de  paix  en  1811).  =  i^"  septembre. 
Maréchal  FoCH.  Le  20^  corps  à  Morhange,  20  août  1914  (rectifie  plu- 
sieurs erreurs  commises  par  M.  Victor  Giraud  dans  son  article  du 
i"  août  analysé  plus  haut).  —  Georges  Blondel.   Impressions  de 
Berlin  («  l'enquête  à  laquelle  je  me  suis  livré  ne  m'a  pas  permis  de 
découvrir  jusqu'à  ce  jour  une  Allemagne  libérée  de  l'influence  prus- 
sienne, une  Allemagne  avec  laquelle  nous  puissions  collaborer  sans 
crainte  pour  les  œuvres  pacifiques.  Le  premier  devoir  de  la  France 
est  de  garantir  sa  sécurité  »).  —  Marie-Louise  Pailleron.  François 
Buloz  et  ses  amis  au  temps  du  second  Empire;  VI  :  Henri  Blaze  de 
Bury  et  la  baronne  Rose  (la  baronne  Rose  était  une  Écossaise,  Miss 
Rose  Stuart,  amie  et  parente  des  lords  Brougham  et  Dunbar.  Blaze 
l'épousa  en  1844;  leur  maison  devient,  sous  l'Empire,  un  centre  d'op- 
position et  de  complots.  Leurs  amis  et  contemporains  :  Cousin,  Ville- 
main,  ce  dernier  amoureux  de  Lady  Rose,  etc.).  —  Vicomte  d'Ave- 
nel. L'Église  française  après  quinze  ans  de  séparation;  II  :  les  Fidèles 
(«  il  est  aujourd'hui  démontré  que  la  confiscation  des  biens  meubles 
et  immeubles,  séculiers  et  réguliers,  la  suppression  du  budget  des 
cultes  et  le  renvoi  du  clergé  des  logis  qu'il  y  occupait  ne  lui  ont  pas 
porté   le  préjudice   que   les   uns  espéraient  et  que  redoutaient   les 
autres  »).  —  Saint-Denis,  dit  Ali,  second  mameluk  de  l'Empereur. 
Souvenirs;  IV  :  la  Vie  à  Sainte-Hélène  (la  journée  de  l'Empereur; 
comment  il  écrivait  et  pourquoi  il  écrivait  d'une  façon  illisible;  les 


150  .  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

jardins  de  Longwood  ;  la  messe  à  Sainte-Hélène  ;  Hudson  Lowe, 
homme  sans  doute  «  esclave  des  ordres  ou  instructions  qu'il  recevait 
du  gouvernement  britannique;  mais  tout  en  les  exécutant,  même  à  la 
lettre,  il  devait  y  mettre  plus  de  forme  et  de  bons  procédés  »  ;  propos 
de  l'Empereur). 

16.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances.  ■1920,  novembre-décembre.  —  E.  Albertini. 
Mosaïque  à  inscription  découverte  à  Tipasa  (l'inscription  semble 
prouver  la  transformation  en  un  temple  chrétien  d'une  construction 
préexistante).  —  G.  Marçais.  La  chaire  à  prêcher  de  la  grande  mos- 
quée d'Alger  (elle  date  de  1018  et  fut  replacée  dans  la  mosquée  bâtie 
près  d'un  siècle  plus  tard).  —  Clermont-Ganneau.  Le  paradeisos 
royal  achéménide  de  Sidon  (il  s'agit  de  chapiteaux  représentant  de 
grands  taureaux  agenouillés,  provenant  d'un  jardin  royal  —  paradei- 
sos —  et  datant  d'une  époque  où  Sidon  appartenait  à  l'empire  perse, 
lye  siècle  av.  J.-C).  —  G.  JéQUIer.  L'ennéade  osirienne  d'Abydos  et 
les  enseignes  sacrées  (d'après  une  stèle  de  Thoutmès  !«■■  découverte 
par  Mariette  à  Abydos  ;  on  en  rapproche  les  huit  enseignes  qu'on  por- 
tait devant  les  dieux  dans  certaines  cérémonies  et  qui  sont  représen- 
tées dans  un  tableau  avec  la  châsse  d'Osiris).  —  H.  de  Castries. 
Graciosa,  une  ville  portugaise  oubliée  au  Maroc  (construite  en  1489 
dans  l'île  du  Loukkos  par  Jean  II,  roi  du  Portugal).  —  R.  CaGnat. 
Un  diplôme  militaire  de  Corse  (conféré  à  un  marin  de  la  flotte  de 
Misène  libéré  le  5  avril  71). 

17.  —  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Comptes- 
rendus  des  séances  et  travaux.  1921,  mars-avril.  —  A.  Sertillanges. 
Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Théodule  Ribot.  —  Emile 
Bourgeois.  Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Paul  Vidal  de  La 
Blache  (importance  de  son  rôle  dans  les  réformes  de  la  géographie). 
—  A.  Raffalovich.  L'absence  de  solidarité  financière  après  la  guerre 
et  la  conférence  internationale  de  Bruxelles  (conférence  tenue  du 
24  septembre  au  2  octobre  1920  ;  efïorts  pour  créer  un  crédit  interna- 
tional qui  n'ont  pas  abouti).  —  René  Worms.  Les  prises  maritimes 
(comment  la  juridiction  des  prises  a  fonctionné  du  4  août  1919  au 
3  août  1920).  —  Commandant  Weil.  Guizot  et  l'entente  cordiale 
(publie  et  commente  la  lettre  de  Guizot  au  comte  de  Flahaut,  ambas- 
sadeur à  Vienne,  du  16  mars  1844,  où  le  ministre  de  Louis-PhiHppe 
pjréconise  l'alliance  des  monarchies  pures  et  des  monarchies  constitu- 
tionnelles contre  l'esprit  anarchique).  , 

18.  —  Annales  du  Midi.  1921,  janvier-avril.  —  Henri  Stein. 
Compte  des  recettes  des  sénéchaussées  d'Agenais  et  de  Quercy  sous 
Louis  XI,  1467-1470.  =  C. -rendus  :  J.  Picot  et  F.-L.  Bertrand.  Pré- 
cis d'histoire  du  Comminges  et  du  Nébouzan  (bon).  —  R.  Busquet. 
Histoire  des  institutions  de  la  Provence  de  1482  à  1790  (excellent).  — 
J.  Fournier.  La  Chambre  de  commerce  de  Marseille  et  ses  représen- 


RECUEILS   PÉRIODIQDES.  151 

tants  permanents  à  Paris,  1599-1875  (chapitre  instructif  d'une  histoire 
du  commerce  français  et  marseillais  pendant  plus  de  deux  siècles).  — 
Louis  Wolf.  Le  parlement  de  Provence  au  xyiii^  siècle  ;  organisation, 
procédure  (excellente  thèse).  —  Michel  Lhéritier.  Tourny,  1695-1760 
(œuvre  très  méritoire,  mais  déparée  par  de  trop  nombreuses  imperfec- 
tions. Long  compte-rendu  p^r  Alf.  Leroux).  —  H.  L.  Behnche.  Eine 
Lùbecker  Kaufmannsfamilie  (quatre  gros"  volumes  non  mis  dans  le 
commerce  et  qui  ont  paru  de  1901  à,f913;  intéressant  pour  l'histoire 
de  la  pénétration  allemande  dans  la  France  méridionale  au  milieu  du 
xixe  siècle).  —  R.  de  Boysson.  L'invasion  calviniste  en  Bas-Limou- 
sin, Périgord  et  Haut-Quercy  (œuvre  de  seconde  main,  consciencieuse, 
mais  exécutée  par  un  homme  qui  ne  sait  rien  de  l'histoire  du  protes- 
tantisme). —  A.  Bonis  La  Bastide  à  travers  les  siècles  (exact,  pré- 
cis, copieux,  mais  fait  presque  toujours  de  seconde  main). 

19.  —  Revue  historiqae  de  Bordeaux.  1920,  octobre-décembre. 
—  Léo  Mouton.  Le  duc  d'Épernon  et  le  parlement  de  Bordeaux 
(quelques  détails  sur  leurs  querelles).  —  Marguerite  Castel.  La  for- 
mation topographique  du  quartier  Saint-Seurin  ;  suite  (le  faubourg 
Saint-Seurin  au  moyen  âge).  —  Abbé  Albert  Gaillard.  Le  prieuré 
du  Barp;  suite  (les  derniers  prieurs).  —  R.  Brouillard.  Nouvelles 
recherches  sur  les  Girondins  proscrits,  1793-1794;  suite  et  fin.  = 
C. -rendus  :  Alfred  Leroux.  Les  religionnaires  de  Bordeaux  de  1685 
à  1802  (bonne  histoire  de  l'Église  réformée  de  Bordeaux,  d'après  les 
documents  d'archives).  —  H.  Stein.  Charles  de  France,  frère  de 
Louis  XI  (remarquable).  —  A.  Bonis.  La  Bastide  à  travers  les  siècles 
(très  consciencieux).  =:  1921,  janvier-mars.  G.  Ducaunnès-Duval. 
L'hôtellerie  du  Chapeau-Rouge  (son  histoire  depuis  1464  jusqu'à  sa 
démolition  en  1676).  —  Paul  Courteault.  Les  dernières  années  de 
Victor  Louis  (il  s'agit  de  l'architecte  qui  construisit  le  Grand-Théâtre 
de  Bordeaux;  ses  efforts  pour  être  chargé  d'aménager  les  terrains  du 
Château-Trompette  de  1790  à  1800).  —  Marguerite  Castel.  La  for- 
mation topographique  du  quartier  Saint-Seurin;  suite  :  le  faubourg 
Saint-Seurin  au  moyen  âge.  —  Abbé  Albert  Gaillard.  Le  prieuré  du 
Barp;  suite  et  fin  (liquidation  du  prieuré  en  1792;  en  appendice  :  liste 
des  vicaires  perpétuels  du  Barp  depuis  1618  et  des  curés  desservants 
depuis  1803).  —  A.  Brutails.  «  Rompinlir  »,  constructeur  de  Sainte- 
Eulalie  (M.  de  Mély  a  lu  à  Sainte-Eulalie  une  inscription  de  la  voûte 
achevée  «  le  18  octobre  1380  par  Rompinlir  ».  En  réalité,  l'inscription 
porte  la  date  d'octobre  1390,  «  G.  de  Compinhe  étant  fabricien  ». 
Comment  le  nom  de  Compinhe  a-t-il  pu  se  métamorphoser  en  Rom- 
pinlir?). 

Italie. 

20.  —  Archivio  storico  lombardo.  Anno  XLVII,  fasc.  4,  1920 
(publié  le  15  mars  1921).  —  Carlo  Salvioni.  Les  dates  des  poésies 


152  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

milanaises  de  Carlo  Porta,  1799-1817.  —  Gerolamo  Biscaro.  Dante 
Alighieri  et  les  sortilèges  de  Matteo  et  de  Galeazzo  Visconti  contre  le 
pape  Jean  XXII  (Dante  fut  peut-être  initié  aux  pratiques  de  la  magie  ; 
mais  rien  ne  porte  à  croire  qu'il  les  ait  exercées  contre  le  pape).  — 
Giuseppe  Gallavresi.  La  correspondance  intime  d'Andréa  Borda 
(extraits  se  rapportant  pour  la  plupart  à  l'année  1814).  —  Piero 
Parodi.  Une  chronique  sur  les  Sforza  conservée  dans  la  «  Biblioteca 
Concina  de  San  Daniele  du  Friï)ul  (analyse  détaillée  de  ce  manuscrit 
qui  intéresse  les  Sforza  de  1369  à  1459).  —  Alessandro  Giulini.  Un 
mariage  par  surprise;  épisode  de  la  vie  milanaise  au  xvii*  siècle 
(mariage  improvisé  du  comte  Carlo  Barbiano  di  Belgiojoso  avec 
Donna  Francesca  Malombra,  jeune  fille  dont  il  était  tombé  amoureux 
et  qui,  menacée  d'être  mariée  à  un  autre,  résolut,  avec  le  consente- 
ment de  sa  mère,  de  se  faire  enlever  et  épouser  sans  retard,  juillet 
1629.  L'événement  fit  grand  bruit.  Plusieurs  des  personnages  qui 
figurent  dans  l'aventure  se  retrouvent  dans  les  Promessi  sposi  de 
Manzoni).  =  C. -rendus  :  E.  Galli.  Milano  antico  (étude' très  érudite 
d'un  caractère  plus  archéologique  qu'historique).  —  A.  Schiaparelli. 
Leonardo  ritrattista  (observations  pénétrantes  et  originales).  — 
E.  Gagliardi.  Der  Anteil  der  Schweizer  an  der  italienischen  Krie- 
gen,  1494-1516;  Bd.  I  (remarquable.  Ce  tome  I  s'arrête  à  la  ligue  de 
Cambrai,  1509).  —  Pompeo  Molmenti.  Epistolàri  Veneziani  del 
secolo  XVIII  (intéressant).  —  V.  Adami.  Storia  documentata  dei  con- 
fini  del  regno  d'Italia.  I.  Confine  italo  francese  (étude  approfondie  sur 
la  cession  du  comté  de  Nice  à  la  France  en  1860;  la  question  des 
frontières  souleva  de  nombreuses  difficultés  de  détail). 

21.  —  Bullettino  dell'  Istituto  storico  italiano.  N»  40  (Rome, 
1921).  —  G.  Falco.  Rome  contre  Tusculum  au  moyen  âge  (publie 
quatre  documents  sur  leurs  luttes  en  1188,  1242  et  1274).  —  A.  Cri- 
VELLUCCi.  Pour  l'édition  de  1'  «  Historia  romana  »  de  Paul  Diacre 
(minutieuse  description  des  113  mss.  connus  qui  contiennent  le  texte 
de  r  «  Historia  romana  ».  Droysen,  qui  a  publié  ce  texte  dans  les 
Mon.  Germ.  hist.,  t.  XXIX,  n'en  a  utilisé  qu'une  soixantaine).  — 
R.  Morghen.  Notes  sur  Malispini  (examen  critique  de  l'édition  de 
Malispini  par  Enrico  Sicardi.  Sicardi  avait  émis  l'opinion  que  le  récit 
des  Vêpres  siciliennes  par  Malispini  n'était  pas  une  falsification  du 
xiv°  siècle.  L'auteur  admet  ces  conclusions,  mais  l'appuie  par  des  con- 
sidérations différentes  ;  il  estime  d'ailleurs  que  toute  confrontation  de 
texte  entre  Villani  et  Malispini  ne  peut  donner  de  résultats  probants 
tant  qu'on  ne  possédera  pas  d'édition  critique  de  ces  deux  chroni- 
queurs. Déjà  il  est  permis  d'affirmer  qu'il  a  existé  une  rédaction  ori- 
ginale de  Malispini  et  qu'elle  est  aujourd'hui  perdue;  puis  Malispini  a 
été  tout  entier  absorbé  par  Villani).  —  P.  Fedele.  Article  nécrolo- 
gique sur  Oreste  Tommasini,  mort  à  Rome  le  9  décembre  1919. 


CHRONIQUE. 


France.  —  Quoique  les  travaux  de  M.  Edmond  Perrier,  ancien 
directeur  du  Muséum,  ne  soient  pas  de  notre  ressort,  nous  devons 
signaler  au  moins  sa  dernière  œuvre  :  la  Terre  avant  l'histoire;  les 
origines  de  la  vie  et  de  l'homme  (1921),  œuvre  qui  intéresse  les  his- 
toriens autant  que  les  zoologistes  et  les  géologues.  M.  Périer  vient  de 
mourir  (l»""  août  1921)  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans. 

—  M.  Philippe  Lauzun  est  mort  le  21  avril  1920  à  l'âge  de  soixante- 
treize  ans;  on  lui -doit  de  nombreux  travaux  sur  l'histoire  et  l'archéo- 
logie de  l'Agenais;  il  avait  lui-même,  en  1913,  publié  sa  bibliographie. 

—  M'ie  Louise  Guiraud,  à  qui  l'on  doit  notamment  de  remarquables 
Études  sur  la  Réforme  à  Montpellier,  est  morte  le  6  mai  1918  à  l'âge 
de  cinquante-huit  ans. 

—  Le  chanoine  André  Lecler,  mort  le  4  septembre  1920  à  l'âge  de 
quatre-vingt-sept  ans,  avait  pubUé  d'importants  ouvrages  sur  le 
Limousin  au  temps  de  la  Révolution  :  Martyrs  et  confesseurs  de  la 
foi  dans  le  diocèse  de  Limoges  (4  vol.)  ;  le  Limousin  et  la  Marche 
au  tribunal  révolutionnaire  (3  vol.);  on  lui  doit  encore  un  Diction- 
naire historique  de  la  Creuse  et  de  latr Haute- Vienne  (2  vol.). 

—  M.  Ernest  Daudet,  frère  aîné  de  l'exquis  romancier  Alphonse 
Daudet,  est  mort  le  20  août  1921,  âgé  de  quatre-vingt-quatre  ans.  Il 
était  entré  tout  jeune,  en  1857,  dans  le  journalisme,  d'abord  à  Lyon, 
puis  à  Blois,  à  Privas,  enfin  à  Paris,  qui  fut  dès  lors  sa  seconde  patrie. 
En  1862,  il  devint  au  corps  législatif  secrétaire-rédacteur  du  compte- 
rendu  analytique.  Il  connut  ainsi,  on  peut  dire,  tout  le  monde  politique 
et  littéraire  du  second  Empire  ;  bien  accueilli  dès  l'abord  dans  le  parti 
légitimiste,  duquel  le  rapprochaient  ses  traditions  do  famille,  puis  ral- 
lié à  l'Empire  dès  qu'il  crut  s'apercevoir  qu'une  restauration  monar- 
chique était  impossible,  il  resta,  comme  il  se  définit  lui-même,  un 
«  conservateur  libéral  ».  Journaliste  et  romancier  fécond,  facile, 
aimable  et  modéré,  homme  du  monde  apprécié  pour  ses  manières 
courtoises  et  la  sûreté  de  son  commerce,  il  fut  aussi,  à  ses  heures,  un 
historien  attiré  surtout  par  les  époques  ou  les  personnages  d'un  carac- 
tère dramatique  ou  romaneiîque  :  la  Révolution,  l'Empire  et  la  Res- 
tauration l'occupèrent  longtemps  {la  Conjuration  de  Pichegru;  la 
Police  et  les  chouans  soiis  le  Consulat  et  l'Empire;  l'Émigration 
pendant  la  Révolution  française  (3  vol.);  la  Terreur  blanche;  la 


154  CHRONIQUE. 

Révolution  de  1830  et  le  procès  des  ministres)  ;  puis  ce  fut  l'histoire 
diplomatique  au  xix^  siècle,  étudiée  surtout  en  Allemagne  et  en  Rus- 
sie {Soixante  années  du  règne  des  Romanoff;  Missions  (auprès 
du  gouvernement  allemand  après  1871),  du  comte  de  Saint-Vallier, 
au  baron  de  Courcel;  les  Auteurs  de  la  guerre  et  leurs  com- 
plices, etc.).  Il  rechercha  et  sut  utiliser  non  sans  quelque  talent  des 
documents  inédits  {Journal  du  comte  Apponyi,  qui  fut  publié  par 
lui),  même  confidentiels,  mais  trop  souvent  sans  indiquer  avec  préci- 
sion la  source  de  ses  renseignements,  ce  qui  en  affaiblit  singulièrement 
la  valeur  aux  yeux  des  érudits.  De  ses  premières  années,  il  a  parlé 
tout  au  long  dans  un  volume  publié  en  1 883  sous  le  titre  :  Mon  frère 
et  moi,  où  il  apporte  d'intéressants  compléments  et  des  rectifications 
au  roman  autobiographique  de  s^n  frère  cadet  :  le  Petit  Chose;  le 
petit  Chose,  c'est  Alphonse,  et  le  petit  Jacques,  si  larmoyant  et  tou- 
jours si  bon,  c'est  Ernest.  Son  dernier  ouvrage  paru  :  Souvenirs  de 
mon  temps.  I.  Débuts  d'un  homme  de  lettres,  1851-1861  (Pion, 
1921,  in-18,  282  p.;  prix  :  7  fr.),  le  peint  à  merveille  avec  son  aimable 
facilité  à  manier  l'anecdote.  C'est  un  témoin  agréablement  instructif 
d'une  époque  déjà  si  loin  de  nous.  Ch.  B. 

—  Le  55e  Cçngrès  des  Sociétés  savantes  de  Paris  et  des  départe- 
ments s'ouvrira  à  Marseille  le  18  avril  1922.  Les  communications 
devront  être  adressées  en  manuscrit  avant  le  10  février  1922  au  troi- 
sième bureau  de  la  Direction  de  l'enseignement  supérieur  à  Paris  ;  en 
vue  de  la  pubHcation  au  Journal  officiel  des  procès-verbaux  des 
séances,  un  résumé  succinct  de  chaque  communication  devra  être 
joint  au  manuscrit.  Les  personnes  désireuses  de  prendre  part  aux 
travaux  du  Congrès  recevront,  sur  la  demande  adressée,  avant  le 
20  mars,  à  Monsieur  le  Ministre,  une  carte  donnant  accès  dans  les 
salles  des  séances. 

—  A  l'occasion  du  cinquantenaire  de  la  Commune  parisienne,  le 
groupe  libertaire  «  Clarté  »  a  fait  paraître  une  réédition  d'un  volume 
qui  avait  été  tiré  sur  les  presses  du  gouvernement  des  soviets  et  dédié 
au  Comité  parisien  de  la  troisième  Internationale,  et  dont  le  titre  est  : 
la  Commune  de  Pa7ns.  Actes  et  documents.  Épisodes  de  la 
semaine  sanglante  (Paris,  1921,  in-18,  120  p.).  On  y  trouve  un  choix 
de  textes  originaux,  classés  dans  l'ordre  chronologique,  des  reproduc- 
tions d'affiches  de  l'époque,  des  gravures  de  «  ceux  qu'il  ne  faut  pas 
oublier  »  et  des  extraits  copieux  du  livre  de  C.  Pelletan  sur  la  semaine 
de  mai.  On  a  insisté  surtout,  dans  cet  opuscule,  sur  l'aspect  militaire 
de  la  Commune,  et  aucune  place  n'y  est  donnée  aux  tentatives  de 
réorganisation  économique  qui  ont  été  faites  alors.  Une  préface  de 
G.  Zinovief ,  en  tête  du  volume,  n'est  qu'un  appel  à  la  révolution  com- 
muniste en  France.  G.  Bn. 

—  La  «  Société  d'études  documentaires  et  critiques  sur  la  guerre  » 
n'est  guère  connue,  bien  qu'elle  ait  déjà  six  années  d'existence.  C'est 
en  partie  sa  faute,  car  elle  a  un  peu  trop  aimé  le  silence  sans  dédai- 


CHRONIQCE. 


155 


gner,  parfois,  de  choquer  les  esprits  timides  par  des  jugements  trop 
a  priori;  c'est  aussi  la  faute  des  groupements  scientifiques,  qui  ne  se 
résignent  pas  à  voir  dans  la  grande  guerre  un  phénomène  susceptible 
dès  maintenant  d'être  étudié  objectivement.  Au  moment  où  la  littéra- 
ture officielle  de  là  guerre,  en  France,  se  limite  aux  publications  pure- 
ment «  mémoratives  »  —  comme  le  Livre  d'or  que  l'on  compile  à  la 
Marine  —  et  où  les  cercles  officiels  prétendent  fermer  la  bouche  aux 
témoins  désintéressés  —  nous  songeons  aux  défenses  imposées  par 
l'État-major  de  la  guerre  aux  anciens  officiers  de  réserve  —  il  convient 
de  faciliter  toutes  les  tentatives  propres  à  faire  la  lumière  sur  les  ori- 
gines et  le  développement  du  grand  conflit.  La  «  Société  d'études  » 
s'est  donné  cette  tâche  :  que  les  historiens  de  profession  guident  ses 
pas  dans  un  domaine  ardu,  c'est  ce  qu'on  ne  saurait  trop  souhaiter. 
La  grosse  difficulté,  ce  sera  d'éviter  que  les  recherches  entreprises 
rejoignent  par  leurs  apparences,  ou  en  fait,  la  politique  courante  :  en 
intéressant  la  «  Ligue  des  droits  de  l'homme  »  à  sa  tâche,  la  «  Société 
d'études  »  risque  d'être  entrée  dans  cette  voie  fâcheuse,  où  elle 
retrouverait  le  «  Comité  d'études  sur  la  guerre  »,  créé  par  la  «  Sec- 
tion universitaire  parisienne  de  Clarté  »,  dont  les  tendances  sont 
bien  connues.  Gr-  Bn. 

Allemagne.  —  Une  information  de  Stuttgart  à  la  Vossische  Zei- 
tung,  de  la  fin  du  mois  d'août,  signalait  que  l'ex-kaiser  consentait  à  la 
publication  du  t.  III  des  Mémoires  de  Bismarck.  On  sait  qu'il  y  était 
opposé,  en  raison  des  pages  que  ce  volume  contenait  touchant  les  rela- 
tions de  Guillaume  II  et  de  son  père.  Un  jugement  récent  avait  auto- 
risé la  publication,  en  faisant  des  réserves  sur  les  conséquences  poli- 
tiques de  celle-ci,  et  ce  jugement  devait  être  soumis  à  une  révision  par 
la  cour  de  Leipzig.  La  décision  de  l'exilé  de  Doorn  a  tranché  le  déljat 
et  le  volume  vient  de  paraîti^e.  G.  Bn. 

Danemark.  —  Au  mois  de  mai  dernier,  des  fêtes  ont  eu  lieu,  en 
la  présence  du  couple  royal  de  Danemark,  au  Groenland  en  l'honneur 
de  la  fondation  de  la  colonie  danoise  par  le  missionnaire  Hans  Egede, 
qui,  né  en  1686  et  pasteur  aux  îles  Lofoten,  étudia  dans  les  chroniques 
normandes  le  passé  groenlandais  et  quitta,  le  2  ou  3  mai  1721,  Bergen, 
avec  sfi  famille  et  une  quarantaine  de  colons,  sur  le  Hope,  à  destina- 
tion du  Groenland.  Son  œuvre  d'évangélisateur  et  de  colon  fut  conti- 
nuée après  sa, mort  (1758)  par  son  fils  Paul,  auteur  d'un  dictionnaire 
et  d'une  grammaire  eskimo  et  traducteur,  en  langue  eskimo,  du  Nou- 
veau Testament.  Ce  n'est  qu'en  1774  que  le  gouvernement  danois  orga- 
nisa le  monopole  commercial  du  Groenland,  et  c'est  sous  cette  forme  que 
s'exerce  encore  la  domination  du  Danemark  sur  ce  pays.  —  G.  Bn. 

États-Unis.  —  L'amiral  Sims,  qui  dirigea  les  opérations  navales 
américaines  pendant  la  Grande  Guerre  en  Europe,  et  qui  est  à  la  tète 
du  «  Naval  war  collège  »,  vient  de- recevoir  un  prix  de  l'Université  de 
Columbia  pour  son  livre  The  viclory  at  sea  (cf.  The  naval  and 
military  record,  8  avril  1921,  p.  854).  G.  Bn. 


156  CHRONIQDE. 

Grande-Bretagne.  —  Un  certain  nombre  de  savants  anglais,  sous 
la  présidence  du  professeur  Pollard,  viennent  de  créer  à  Londres  un 
Institut  de  recherche  historique  (Institute  of  Historical  Research). 
L'Angleterre  est  un  heureux  pays  où  l'histoire  a  ses  mécènes  : 
20,000  livi^  sterling,  versées  par  un  donateur  qui  a  voulu  demeurer 
anonyme,  ont  formé  la  première  mise  de  fonds;  des  subventions  et 
des  souscriptions  ont  fait  le  reste.  L'Institut  est  rattaché  à  l'Univer- 
sité de  Londres,  mais  il  est  régi  par  une  administration  indépendante 
et  possède  un  budget  particulier.  Il  a  été  officiellement  inauguré  le 
8  juillet  dernier.  Appelé  sans  doute  à  jouer  dans  nos  études  un  rôle  de 
premier  plan,  il  mérite  d'être  décrit  aux  lecteurs  de  la  Revue  histo- 
rique. 

Le  titre  même  de  l'Institut  indique  très  clairement  son  objet.  On 
n'y  présentera  pas  l'histoire  comme  une  chose  toute  faite;  on  y  for- 
mera les  esprits  aux  méthodes  de  la  recherche  historique  ;  on  y  équi- 
pera des  travailleurs.  Or,  un  pareil  enseignement,  à  la  fois  spécialisé 
et  approfondi,  ne  saurait  être  suivi  avec  fruit  que  par  des  personnes 
déjà  pourvues  de  connaissances  élémentaires,  mais  solides,  et  d'une 
culture  générale  relativement  étendue.  L'Institut  ne  s'adresse  donc 
pas  aux  débutants.  Il  n'admet  en  principe  comme  élèves  que  des  étu- 
diants déjà  pourvus  d'une  partie  au  moins  de  leurs  grades,  en  aucun 
cas  des  jeunes  gens  encore  aux  premiers  pas  de  leur  carrière  scolaire. 
Indispensable  sélection,  sans  laquelle  des  études  vraiment  supérieures 
ne  sont  point  concevables;  les  Universités  allemandes  cherchent  à  la 
réaliser  par  l'institution  du  «  Proseminar  »  ;  nos  Universités,  hélas  !  ne 
l'obtiennent  d'ordinaire  que  bien  imparfaitement. 

Au  public  ainsi  trié,  l'Institut  compte  ofïrir  deux  choses  :  des  salles 
de  travail,  pourvues  de  livres  bien  choisis,  et  un  groupe  d'enseigne- 
ments. 

Le  bâtiment  qu'il  occupe,  Malet  St.,  tout  près  du  Musée  britannique, 
dans  cette  région  de  Londres  que  l'on  rêve  aujourd'hui  de  transformer 
en  un  grand  quartier  universitaire,  où  se  rassembleraient  enfin  les 
membres  dispersés  de  l'Université  londonienne,  est  une  sorte  de  bara- 
quement, censément  provisoire,  mais  d'un  provisoire  qui  est  fort 
capable  de  durer  et  qui  n'exclut  pas  en  tout  cas  le  confort.  Des  rayon- 
nages, qui  sont  en  train  de  se  peupler  de  livres,  couvrent  les  murs  des 
pièces  qui  devront  servir  en  même  temps  de  salles  de  conférences  et 
de  bibhothèques  de  travail  ouvertes  aux  étudiants.  C'est  le  système 
que  les  «  séminaires  »  allemands,  (à  l'Université  de  Strasbourg,  aujour- 
d'hui les  «  Instituts  »)  nous  ont  rendu  familier;  mais  au  lieu  de 
vivre  indépendamment  les  uns  des  autres,  les  «  séminaires  »  ici  sont 
groupés  selon  une  ordonnance  rationnelle.  Lamprecht  avait  tenté 
quelque  chose  d'analogue  à  Leipzig  avec  l'Institut  d'histoire  univer- 
selle et  de  la  civilisation.  A  Londres  comme  à  Leipzig,  le  classement 
est  dans  le  principe  national  :  il  y  a  une  salle  pour  l'Angleterre,  une 
autre  pour  la  France,  etc.  Seules  les  sciences  auxiliaires,  les  histoires 
diplomatique,  navale  et  militaire  ont  leurs  logis  particuliers.  Cette 


CHRONIQDE.  157 

méthode  a  le  très  grand  mérite  d'être  simple  et  claire;  on  peut  se 
demander  si  l'expérience  ne  lui  enlèvera  pas  un  peu  de  sa  rigueur.  Il 
paraît  difficile  en  particulier  que  l'histoire  économique,  qui  comporte 
tant  d'instruments  de  travail  internationaux,  ne  réclame  pas  un  jour 
une  pièce  pour  elle  seule;  à  vrai  dire,  cette  branche  d'enseignement, 
si  brillamment  représentée  à  Londres  par  la  School  for  Economies, 
a  dû,  au  moins  au  début,  attirer  moins  vivement  que  d'autres  disci- 
plines, jusqu'ici  plus  négligées,  l'attention  des  fondateurs  de  l'Institut. 

L'Institut  de  recherche  historique  n'est  pas  le  seul  occupant  du 
bâtiment  qui  l'abrite.  Il  en  est  propriétaire,  mais  il  a  un  locataire  :  c'est 
l'Institut  britannique  des  affaires  internationales.  En  1919,  dans  les 
commissions  anglaises  chargées  de  préparer  le  traité  de  paix,  des 
hommes  de  science  et  des  hommes  d'action  se  trouvèrent  mêlés;  cer- 
tains d'entre  eux  conçurent  l'idée  de  rendre  cette  association  défini- 
tive. Ainsi  naquit  l'Institut  des  affaires  internationales,  qui  se  propose 
l'étude  en  commun  des  grands  problèmes  mondiaux  à  l'heure  pré- 
sente. Il  n'est  pas  indifférent  de  savoir  qu'à  Malet  St.  la  science  pure 
voisine  avec  la  pratique.  Certes,  c'est  une  éducation  historique 
désintéressée  que  recevront  les  étudiants  de  l'Institut  de  recherche  ; 
mais  plus  d'un  parmi  les  hommes  qui  ont,  de  quelque  façon  que  ce 
soit,  aidé  l'Institut  à  se  fonder  espère  sans  doute  que  les  travailleurs 
ainsi  formés  contribueront  à  répandre  dans  le  public  intelligent  un 
peu  de  cette  culture  historique  que,  depuis  la  guerre,  beaucoup  d'An- 
glais s'accordent  à  considérer  comme  indispensable  à  une  bonne 
direction  politique. 

L'enseignement  donné  à  l'Institut  ne  sera  pas  un  enseignement  ex 
cathedra.  Pour  employer  un  terme  familier  aux  universitaires  fran- 
çais, il  consistera  essentiellement  en  conférences,  du  type  de  celles 
des  hautes  études,  où  le  professeur  dirigera  et  suivra  les  recherches 
des  étudiants  et  les  associera  au  besoin  aux  siennes  propres  :  instruc- 
tion par  l'exemple  et  la  collaboration  plutôt  que  par  le  précepte.  Quant 
à  la  liste  des  enseignements  donnés,  elle  ne  peut  être  jusqu'ici,  pour 
un  Institut  en  formation,  que  provisoire,  et  il  serait  sans  intérêt  de  la 
reproduire  en  détail.  Notons  simplement  trois  ou  quatre  traits  essen- 
tiels. D'abord  la  place  faite  à  la  paléographie,  à  la  diplomatique, 
à  la  critique  des  sources,  toutes  disciplines  qui,  jusqu'à  ces 
dernières  années,  étaient  imparfaitement  organisées  dans  beaucoup 
d'Universités  britanniques.  Puis  quelques  lacunes  volontaires.  L'anti- 
quité classique,  à  plus  forte  raison  l'antiquité  orientale,  paraissent 
délibérément  exclues.  L'histoire,  telle  qu'on  la  présente  à  l'Institut, 
commence  aux  temps  anglo-saxons.  Une  pareille  rupture  prati- 
quée dans  le  passé  de  l'Europe  pourrait  ne  pas  être  sans  danger  pour 
la  culture  historique  ;  au  surplus,  ses  inconvénients  sont  vraisembla- 
blement moins  sensibles  aux  yeux  d'un  Anglais  qu'à  ceux  d'un  Français, 
habitant  d'un  pays  qui  doit  tant  à  Rome.  Pour  des  raisons  d'ordre  philo- 
logique, l'histoire  des  pays  de  l'Extrême-Orient  ou  de  l'Islam  n'est  pas 
représentée  à  l'Institut;  mais^comment  la  section  d'histoire  coloniale 


158  CHRONIQUE; 

se  passera-t-elle  de  ce  soutien  ?  Parmi  les  sciences  auxiliaires,  aucune 
place  n'est  faite  ni  à  l'archéologie,  ni  aux  sciences  du  langage,  qui 
sont  enseignées  dans  d'autres  institutions  de  l'Université  de  Londres  ; 
peut-être  s'apercevra-t-on  à  la  longue  qu'il  y  a  un  vif  intérêt  à  ne  pas 
laisser  les  étudiants  en  histoire  oublier  que  les  monunaents  figurés 
sont,  eux  aussi,  des  documents  et  qu'un  historien  digne  de  ce  nom  ne 
peut  plus  aujourd'hui  se  priver  d'une  éducation  linguistique,  au  moins 
élémentaire. 

Les  fondateurs  de  l'Institut  de  recherche  historique  ne  cachent 
point  que,  voulant  créer  un  organe  scientifique  qui  manquait  encore  à 
l'Angleterre,  ils  se  sont  inspirés  d'exemples  allemands  et  français.  A 
Paris  notamment,  l'École  des  Hautes-Études,  l'École  des  Chartes,  cer- 
taines conférences  de  la  Sorbonne  leur  ont  fourni  des  modèles;  mais, 
venus  les  derniers,  ils  ont  pu  mettre  debout  quelque  chose  de  mieux 
coordonné,  de  plus  rationnel  et  de  plus  systématique  que  quoi  que  ce 
soit  que  nous  ayons.  Il  faudra  suivre  de  près  le  développement  de 
cette  œuvre,  qui  s'annonce  comme  extrêmement  intéressante. 

On  pourra  lire  dans  la  London  University  Gazette  du  3  août  1921 
le  compte-rendu  officiel  de  la  cérémonie  inaugurale  de  l'Institut  et  les 
discours  prononcés  à  cette  occasion.  Marc  Bloch. 

—  Le  25  février  1921  a  été  inauguré  à  Londres  l'Institut  français 
du  Royaume-Uni;  fondé  par  l'Université  de  Lille  en  1913  et  réorga- 
nisé une  fois  la  paix  rétablie,  cet  Institut  a  pour  but  la  diffusion  de  la 
langue  et  de  la  culture  françaises  en  Angleterre.  Son  activité  doit  se 
manifester  par  la  création  de  lycées  ouverts  aux  enfants  des  Fran- 
çais résidant  à  Londres,  par  l'enseignement  d'une  Faculté  des  lettres, 
par  des  cours  commerciaux  et  des  conférences  portant  sur  l'histoire, 
la  littérature,  l'art,  la  musique,  les  sciences,  les  coutumes  de  la 
France,  etc. 

-^  Le  Times  du  mercredi  14  septeùibre  1921  a  publié  en  l'honneur 
de  Dante  un  supplément  gratuit  qui  contient  plusieurs  intéressants 
articles,  malheureusement  non  signés,  sur  les  œuvres,  la  pensée  et  la 
vie  du  grand  Italien,  et  divers  comptes-rendus  d'ouvrages  italiens  ou 
anglais  qui  lui  sont  consacrés. 

—  Le  cinématographe  pourra-t-il  servir  à  la  compréhension  des 
faits  du  passé?  Les  Anglais  ont  conclu  par  l'affirmative,  témoin  la 
tentative  du  major  général  G.  Aston,  lecteur  d'histoire  navale  et  miU- 
taire  à  l'Université  de  Londres,  qui,  utilisant  les  sources  anglaises  et 
allemandes,  a  reconstitué  pour  le  «  cinéma  »  la  bataille  navale  du  Jut- 
land  (31  mai  1916).  Bien  entendu,  dans  ce  cas,  le  film  reproduit  les 
évolutions  de  modèles  fabriqués  pour  la  cause,  et  il  n'y  a  aucune 
analogie  entre  ce  procédé  et  les  productions  de  la  Section  photogra- 
phique de  l'armée  française,  qui  a  gro'upé  tant  de  documents  originaux 
sur  la  Grande  Guerre. 

—  De  récents  débats  à  la  Chambre  des  Communes  (20  et  25  juillet 


CHBOIfIQOE.  159 

1921)  ont  révélé  l'existence  au  ministère  britannique  des  Affaires  étran- 
gères d'un  «  historical  adviser  »  chargé  de  toutes  les  recherches  histo- 
riques en  rapport  avec  la  Grande  Guerre  et  la  paix  consécutive.  Cette 
fonction,  créée  l'an  passé,  est  actuellement  confiée  à  M.  Headlam- 
Morley.  On  s'est  étonné,  sur  quelques  bancs  du  Parlement,  que  ce  per- 
sonnage reçût  un  traitement  de  50  %  plus  élevé  que  celui  d'hommes 
qualifiés  comme  les  professeurs  Stubbs,  Fronde  ou  Freeman.  En 
France,  on  pourra  se  demander  si  c'est  lui  qui  informe  le  Foreign 
Office  sur  l'histoire  de  la  Haute-Silésie. 

—  Une  société  s'est  formée  à  Nagpour  en  1916  à  l'effet  de  publier 
une  Encyclopédie  mahrate,  sous  la  direction  du  D""  Shridar  V.  Ketkar 
de  Poona.  Cette  encyclopédie  (Marathi  Encyclopaedia)  comprendra 
vingt  volumes,  in-8°  d'environ  500  pages  chacun.  Les  cinq  premiers 
volumes  donneront  sous  une  forme  narrative*  un  tableau  général  de  la 
civilisation  arienne  dans  l'Hindoustan  ;  les  quinze  autres  contiendront 
des  articles  séparés  rangés  dans  l'ordre  alphabétique.  Les  deux  pre- 
miers volumes  ont  déjà  paru. 

Grèce.  —  Des  fouilles  vont  être  entreprises  par  les  soins  d'archéo- 
logues suédois  à  Korone,  l'ancienne  Rhion,  en  Messénie,  qui  a  joué 
un  rôle  important  aussi,  comme  forteresse  vénitienne,  pendant  les 
guerres  du  moyen  âge.  G.  Bn. 

Italie.  —  Le  (jardinai  Gasquet,  préfet  des  archives  du  Vatican,  a, 
dans  un  interview  au  Times  (13  juillet  1921),  exposé  les  résultats  des 
travaux  commencés  sous  sa  direction  dans  les  collections  pontificales. 
Le  groupement  systématique ,  par  pays  et  chronologiquement ,  des  ' 
documents  a  été  entrepris,  et  le  chef  de  service  lui-même  s'est  occupé 
des  documents  anglais,  parmi  lesquels  il  signale  des  lettres  d'Edmund 
Burke,  de  Nelson,  du  cardinal  Erskine,  qui  a  été  ambassadeur  à  Rome 
sous  le  règne  de  George  IIL  G.  Bn. 

—  Parmi  les  nouvelles  revues  italiennes  susceptibles  d'intéresser  les 
historiens,  il  y  a  lieu  de  signaler  les  Miscellanea  numisinatica,  diri- 
gés par  M.  Gagiati  (n°  1,  l^""  octobre  1920,  à  Naples,  villino  Mandara, 
12  1.);  Russia,  rivista  di  letteratura,  sloria  e  filosofia,  dirigée  par 
M.  E.  Lo  Gatto  (n°  1,  octobre  1920,  à  Naplés,  piazza  Amedeo,  179, 
15  1.);  les  Studî  trentini,  édité  parla  «  Società  per  gli  studî  trentini  » 
(n°  1,  1"  trimestre  1920,  à  Trente,  tip.  Scotoni  et  Vitti,  15  1.);  la 
Rivista  italo-belga,  éditée  par  la  «  Lega  italo-belga  »  (n°  1,  février 
1920,  à  Rome,  piazza  S.  Nicola  a  Cesarini,  8  1.)  ;  le  Bollettino  biblio- 
grafxco  délie  pubblicazioni  italiane  (à  Rome  :  «  Biblion  »,  10  1.  par 
an);  Admatico  nostro,  revue  mensuelle  dirigée  par  M.  Marescotti  (à 
Milan  :  «  Stampa  commerciale  »;  prix  :  4  1.  le  fascicule);  Archivio 
storico  délia  provincia  di  Salerno  (Gaetano  fratelli,  à  Salerne); 
Rivista  critica  di  cullura  calabrese  (Naples,  74,  via  Monte  di  Dio). 

—  M.  G.  Manfroni  a  commencé  dans  la  Rivista  marittima,  de 
mars  1921  (p.  763-782),  une  revue  critique  détaillée  de  la  «  littérature 


160  ^  ceaoNiQDE. 

maritime  de  guerre  ».  Sa  première  contribution  porte  exclusivement 
sur  des  publications  allemandes. 

Palestine.  —  Avec  la  permission  du  gouvernement  britannique  de  la 
Palestine,  le  Muséum  de  l'Université  de  Pensylvanie  a  entrepris  des 
fouilles  à  Beisan,  la  Beth-Shean  du  Livre  des  Juges  et  fief  de  la  princi- 
pauté de  Galilée  au  temps  des  croisades.  Toutefois,  il  reste  entend» 
que,  conformément  aux  déclarations  du  même  gouvernement,  le  pro- 
duit des  découvertes  opérées  doit  rester  en  Palestine.  Du  reste,  dès  l'oc- 
cupation de  Jérusalem  par  les  troupes  anglaises,  on  a  pu  mettre  la 
main  sur  120  caisses  qui  étaient  toutes  prêtes  à  partir  pour  Constanti- 
nople,  dont  les  musées  se  sont  toujours  enrichis  par  cette  voie,  et 
M.  Phythian-Adams,  de  l'École  britannique  d'archéologie,  a  pu  iden- 
tifier et  cataloguer  6,000  des  objets  retrouvés.  Le  gouvernement  anglais 
se  propose  de  concentrer  tous  les  objets  retrouvés  dkns  un  musée  cen- 
tral d'antiquités  qui  sera  prochainement  ouvert  à  Jérusalem.  La  «  Pro 
Jérusalem  Society  »  a  reçu  la  mission  de  conserver  les  constructions 
historiques  de  la  ville.  A  Ain-Duk,  1'  «  École  biblique  de  Saint-Étienne  », 
sous  la  direction  du  P.  Vincent,  a  fait  d'intéressantes  découvertes.  Des 
travaux  ont  été  entrepris  à  Acre,  Athlit,  Ascalon,  Jifna,  Ramallah, 
Tibériade,  Césarée.  Les  Franciscains,  dirigés  par  le  P.  Orfali,  vont 
reprendre  les  fouilles  à  Caphàrnaûm  (Tel  Hum).  L'Université  de  Chi- 
cago s'est  chargée  de  Megiddo,  celle  d'Harvard  de  Samarie;  les  Amé- 
ricains s'intéressent,  en  effet,  d'une  façon  très  active  aux  questions 
bibliques  ;  après  avoir  organisé  une  «  École  d'études  orientales  » ,  ils 
ont  fondé  une  «  Palestine  oriental  Society  ».  G.  Bn. 


Erratum. 

T.  CXXXVI,  p.  225,  dans  l'article  de  M.  Marc  Bloch,  Serf  de  la  glèbe.  Histoire 
(Tune  expression  toute  faite,  ligne  5,  au  lieu  de  :  des  hommes  du  Verman- 
dois,  lire  :  des  hommes  de  corps  du  Vermandois. 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


NOGENT-LE-ROTROU,   IMPRIiMERIE    DAUPELEY-GOUVERNEUR. 


RICHELIEU 


ET 


LA    QUESTION    DE    L'ALSACE 


Dans  mon  livre  les  Anciennes  républiques  alsaciennes"^, ]3i\ 
exposé  que  le  cardinal  de  Richelieu  n'avait  pas  eu  le  dessein 
de  s'emparer  de  l'Alsace  et  que  celle-ci,  pour  diverses  raisons 
politiques,  s'était  donnée  d'elle-même  à  la  France.  Le  cadre 
de  la  publication  ne  comportait  ni  les  développements  néces- 
saires ni  l'indication  suffisante  des  références.  Il  en  est  résulté 
certaines  hésitations  chez  les  critiques.  Il  m'a  donc  paru  utile 
de  revenir  sur  la  question  et  de  produire,  avec  quelque  pré- 
cision, les  textes  et  les  preuves'qui  m'ont  amené  à  conclure  que 
Richelieu,  contrairement  à  l'opinion  précédemment  admise^ 
n'avait  pas  pu  songer  à  conquérir  l'Alsace  et  qu'il  n'y  avait 
pas  songé.  Des  déclarations  nouvelles,  empruntées  à  des  docu- 
ments encore  inédits,  conservés  aux  archives  du  ministère  des 
Affaires  étrangères,  vont  en  revanche  marquer  davantage  la 
sincérité  et  la  force  du  curieux  sentiment  qui  «  jetait  les  Alsa- 
ciens »,  comme  le  disait  d'Erlach  au  xvii^  siècle,  «  dans  les 

bras  de  la  France'  ». 

1 

Il  faut  se  reporter  à  l'époque  où  se  place  l'entrée  des  Fran- 
çais en  Alsace,  1634-1635,  et  songer  à  la  situation  politique 
générale  de  l'Europe  à  ce  moment,  pour  comprendre  ce  qu'a  pu 
penser  et  vouloir  Richelieu  et  ce  qu'en  fait,  d'après  les  docu- 
ments, il  a  pensé  et  voulu. 

Richelieu,  avant  de  s'engager  dans  la  grande  lutte  provo- 
quée par  les  menaces  de  la  politique  d'hégémonie  universelle  de 
la  maison  d'Autriche  et  l'ambition  entreprenante  de  l'empereur 

1.  Paris,  E.  Flammarion,  in-I8.  Bibliothèque  de  philosophie  scientilique. 

2.  Lettre  datée  du  11  janvier  1644  à  Mazarin  :  Archives  Attaires  étrangères, 
Alsace  9,  fol.  252  r°. 

Rev.  Histor.  CXXXVIII.  2«  fasc.  H 


162  LOUIS   BATIFFOL. 

Ferdinand  II,  avait  fait  ce  qu'avaient  fait  ses  prédécesseurs,  il 
s'était  allié  avec  les  princes  protestants  allemands  révoltés  contre 
leur  souverain,  les  avait  soutenus,  passant  des  traités  avec  eux, 
les  subventionnant.  Il  faut  remarcfuer  avec  attention  ce  point  : 
ces  alliés  germaniques,  gens  indociles,  très  peu  fidèles,  jaloux, 
susceptibles,  constamment  occupés  à  réclamer,  prêts  à  trahir,  et 
d'ailleurs,  dans  un  sens,  soucieux  de  l'intégrité  du  Saint-Empire, 
seront  le  plus  grand  obstacle  à  toute  velléité  de  la  France,  si 
elle  en  a,  de  s'emparer 'de  la  moindre  parcelle  des  territoires  ger- 
maniques :  on  va  en  avoir  d'abondants  témoignages. 

Lorsque  après  avoir,  pendant  plus  de  dix  ans,  occupé  les 
forces  de  l'empereur  «  en  mettant  la  main  à  la  bourse  et  non 
aux  armes  »,  Richelieu  sera  enfin  oMigé,  «  ses  alliés  ne  pou- 
vant subsister  seuls  ^  »,  de  jeter  l'épée  de  la  France  dans  le  con- 
flit, en  1635,  on  voit  par  les  documents  que  deux  idées  con- 
crètes dominent  la  politique  française  :  la  première,  de  maintenir 
le  contact  avec  les  princes  allemands  confédérés  pour  les  empê- 
cher d'abandonner  l'alliance  et  jîouvoir  continuer  à  leur  porter 
secours;  la  seconde,  de  préserver  le  territoire  du  royaume  de 
l'invasion.  On  s'assurera  à  quel  point  ce  double  objectif  s'impo- 
sait à  Richelieu  si  l'on  songe  aux  événements  tragiques  de  1635- 
1636,  et  comment,  dans  le  courant  de  1635,  l'armée  de  Louis  XIII 
était  à  ce  point  battue  en  Lorraine  que  Feuquières  écrivait  à  la 
cour  le  4  juillet  :  «  Les  afî'airés  empirent  de  moment  à  autre  ;  il  est 
à  craindre  que,  dans  peu  de  jours,  le  siège  de  la  guerre  soit  sur 
la  Moselle  et  peut-être  jusqu'à  la  Marne^  »  ;  que  Louis  XIII, 
angoissé,  devait  concentrer  une  armée  à  Château-Thierry  afin  de 
couvrir  Paris  ^  ;  ou  qu'en  1636  avait  lieu  la  terrible  invasion  qui 
amenait  l'ennemi,  descendant  l'Oise,  surNoyon,  Berry-au-Bac, 
Pontavert,  jetant  «  l'épouvante  dans  le  royaume^  ». 

Il  n'y  a  qu'un  moyen,  disent  les  conseillers  politiques  et  mili- 

1.  Succincte  narration,  dans  Maximes  d'État  ou  Testament  politique...  du 
cardinal  de  Richelieu  (éd.  Foncemagne).  Paris,  1764,  in-8%  p.  45. 

2.  Lettres  et  négociations  du  marquis  de  Feuquières,  1753,  in-12,  t.  III, 
j).  1-28.  En  octobre,  Gallas  et  le  duc  Charles  de  Lorraine  avançaient  à  ce  point 
que  «  leurs  soldats  se  promettoient  de  venir  prendre  leurs  (piartiers  d'hiver,  à 
Paris  »  [Mémoires  du  cardinal  de  La  Valette,  1771,  t.  I,  p.  77). 

3.  Mémoires  de  Richelieu,  éd.  Michaud,  t.  II,  p.  639. 

4.  Le  mot  est  dans  une  lettre  de  Chavigny  à  La  Valette  du  23  juillet  1636  : 
Aubéry,  Mémoires  pour  l'histoire  du  cardinal  de  Richelieu^  1660,  t.  I,  p.  659. 
Voir  aussi  Arch.  Aff.  étr.,  Alsace  10,  fol.  185  r». 


RICHELIEU   ET   LA   QUESTION    DE    l'aLSACE.  163 

taires  de  Richelieu,  pour  éviter  de  pareils  désastres  et  atteindre 
les  deux  buts  fixés  plus  haut  :  c'est  d'abord  de  tenir  quelque 
bonne  place  sur  le  Rhin  par  où  se  fera  la  liaison  avec  les  confé- 
dérés allemands,  puis,  surtout,  de  constituer  du  Rhin  une  bar- 
rière derrière  laquelle  le  roi  contiendra  les  armées  impériales 
et  empêchera  l'invasion  du  royaume.  Le  roi  de  France,  con- 
cluent-ils, doit  occuper  des  têtes  de  pont  sur  le  Rhin.  Il  ne  s'agit, 
observons-le,  que  d'occupation  militaire  et  non  de  conquête. 

Ces  idées  remjjlissent  la  correspondance  du  cardinal,  celle  des 
secrétaires  d'État  ou  de  ses  conseillers  durant  tout  le  règne. 
Si  l'empereur  ne  vise  qu'à  porter  la  guerre  au  cœur  du  royaume, 
afin  d'isoler  les  rebelles  de  son  empire,  dont,  après,  il  viendra 
plus  facilement  à  bout,  Riclielieu  prescrit  ou  fait  prescrire  à  ses 
généraux  de  s'accrocher  à  tout  prix  au  Rhin  afin  de  parer  aux 
deux  dangers.  «  Défendez-nous  des  Allemands  sur  le  Rhin  », 
dit  le  P.  Joseph  au  cardinal  de  La  Valette  ' .  «  On  couvre  la  France 
le  long  du  Rhin  »,  mande  le  Hollandais  aUié  Aersen  au  maréchal 
de  Chàtillon  -  ;  et  Louis  XIII  répète  :  il  faut  avant  tout  «  assu- 
rer les  bords  du  Rhin,  la  garde  du  Rhin^  ». 

Dès  janvier  1632,  les  confédérés  allemands  qui,  d'abord,  com- 
prennent et  semblent  admettre,  en  principe,  cette  pohtique, 
conseillent  à  Richelieu  d'envoyer  en  effet  des  troupes  à  Philipps- 
bourg,  Mannheim.  Le  moment  n'est  pas  encore  venu,  Richelieu 
décline^.  Après  la  mort  de  Gustave- Adolphe,  tué  sur  le  champ 
de  bataille  de  Liitzen  en  1632,  les  circonstances  étant  plus 
menaçantes,  les  confédérés  allemands  reviennent  à  la  charge  et 
considèrent  que  la  présence  d'un  corps  d'armée  français  d'ob- 
servation sur  la  rive  gauche  du  Rhin  serait  indispensable. 
Richelieu  consulte  ses  généraux,  La  Force,  Brézé.  Ceux-ci  sont 
d'avis  d'occuper  Spire,  Philippsbourg  ou  Mannheim,  et,  notons 
ceci,  ne  conseillent  pas  d'aller  en  Alsace'.  Louis  XIII  et  Riche- 

1.  Dans  une  lettre  du  23  août  1636,  Aubéry,  Mém.,  t.  1,  \>.  685  :  «  Toute  la 
pensée  des  ennemis  est  do  porter  la  guerre  deçà  le  Rhin,  dans  la  croyance  (ju'ils 
ont  qu'en  éloignant  le  secours  de  S.  M.  les  villes  et  États  d'Allemagne  se  por- 
teront volontiers  à  traiter  avec  l'empereur,  n  Lettre  de  Feuquières  à  IJoutliilier 
du  7  avril  1635,  dans  Lettres  et  négociations,  t.  III,  p.  42. 

2.  Lettre  du  24  avril  1638  :  Aubéry,  Mém.,  t.  II,  p.  125. 

3.  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  28,  60,  332;  t.  III,  p.  40  et  218. 

4.  L'électeur  de  Trêves  parle  de  Philippsbourg,  Bavière  de  Mannheim,  Avcnel, 
Lettres  de  Richelieu,  t.  IV,  p.  254. 

5.  Mémoires  du  duc  de  La  Force,  éd.  La  Grange,  t.  III,  p.  417. 


164  LOOIS  BATIFFOL. 

lieu,  en  effet,  se  prononcent  pour  Philippsbourg ^  Les  discussions 
relatives  à  l'occupation  de  cette  ville  vont  remplir  les  documents 
à  partir  de  1632.  Car,  à  mesure  qu'on  approche  de  l'éventualité  de 
cette  occupation,  par  un  phénomène  de  réaction  bien  explicable, 
les  confédérés  allemands  éprouvent  maintenant  une  instinctive 
répugnance  à  laisser  la  France  mettre  la  main  sur  une  place 
germanique  2.  Le  26  a\Til  1633,  l'assemblée  des  confédérés 
d'Heilbronn,  obligée  d'avouer  «  avec  combien  moindre  danger 
on  éteint  le  feu  dans  la  maison  de  son  voisin  que  dans  la 
sienne-^  »,  paraît  cependant  disposée  à  accepter  ce  qu'on  appelle 
«  le  traité  de  la  garde  du  Rhin^  »  ;  puis  Louis  XIII  a  beau  par- 
lementer avec  le  possesseur  de  Philippsbourg,  l'électeur  de 
Trêves,  et  les  Suédois  qui  sont  dans  le  pays,  il  ne  parvient  pas 
à  occuper  Philippsbourg. 

C'est  pendant  que  durent  -ces  discussions,  début  de  1634, 
que  les  Alsaciens,  ruinés  par  les  guerres,  révoltés  contre  les  vio- 
lences de  l'empereur  et  des  Suédois,  demandent  au  roi  de  France 
de  les  prendre  sous  sa  protection .  Les  premiers  traités  de  protecto- 
rat avec  Neuwiller,  Ingwiller,  Bouxwiller,  Saverne,  Haguenau, 
origine  des  autres  traités  qui  mettront  l'Alsace  sous  la  protection 
de  Louis  XIII,  sont  de  janvier  et  février  1634.  On  voit  dans 
quelles  circonstances  occasionnelles,  fortuites,  au  milieu  d'une 
politique  générale  que  poursuit  Richelieu  orientée  autrement, 
cet  événement  se  produit.  Louis  XIII,  d'abord  hésitant,  a 
accepté  parce  que  les  populations  réclamaient  son  appui.  Il  n'a 
vu  là  qu'un  incident  momentané  analogue  au  fait  que  l'électeur 
de  Trêves  ou  la  ville  de  Baie  se  sont  mis  aussi  sous  sa  protec- 
tion'^.  Nous  constaterons  plus  loin  qu'il  ne  pouvait  songer  dès 

1.  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  275  et  383. 

2.  Mémoire  à  ce  sujet  de  M.  de  Gournay,  envoyé  de  Louis  XIII  en  Alle- 
magne :  Arch.  AfF.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  31  r. 

3.  Lettre  de  l'assemblée  d'Heilbronn  à  Louis  XIII,  Lettres  et  négociations, 
t.  I,  p.  218. 

4.  Mot  de  Bouthilier  à  Feuquières  :  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  182  r°. 

5.  Cf.  Lettres  et  négocintions,  t.  I,  p.  clxxxv.  Louis  XIII  avait  fait  occuper 
Trêves  par  une  garnison  française.  On  ne  .soutient  pas  aujourd'hui  qu'il  pen- 
sât garder  la  ville,  pas  plus  que  celle  de  Bâle,  par  conquête.  Le  prince  régent 
du  comté  de  Montbéliard  avait  également  mis  Montbéliard  et  les  possessions 
alsaciennes  du  comte,  Horbourg,  Riquewihr,  sous  la  protection  de  la  France 
dans  les  mêmes  conditions.  Ce  dernier  fait  momentané  n'a  pas  eu  d'action  sur 
la  question  générale  qui  nous  occupe. 


RICHELIEU   ET    LA    QUESTION   DE   l'aLSACE.  165 

ce  moment  à  garder  le  pays  et  l'annexer  au  roj'aume.  Suivons 
les  développements  des  faits. 

Dès  le  mois  de  mai  1634  des  confédérés  allemands,  le  marquis 
de  Bade,  le  landgrave  de  Hesse-Cassel,  voyant  les  Français  en 
Alsace,  suggèrent  l'idée  que  la  France,  du  moment  qu'elle  doit 
veiller  au  Rhin,  au  lieu  de  Philippsbourg,  occupe  en  effet  des 
villes  alsaciennes.  L'envoyé  français,  La  Grange  aux  Ormes, 
saisi  par  le  landgrave  de  la  question,  répond  qu'il  n'a  pas  d'ins- 
truction sur  ce  point.  Hesse-Cassel  réplique  que  la  diète  de 
Francfort  pourrait  dans  ce  cas  faire  la  proposition  elle-même  à 
Louis  XIII  et  qu'il  en  parlera  à  l'assemblée.  Mais,  et  faisons 
attention  à  ceci,  les  aUiés  germaniques  de  la  diète  se  récrient 
aussitôt  :  ils  entendent  encore  bien  moins  laisser  venir  les 
Français  en  Alsace  qu'à  Philippsbourg.  Le  chancelier  de  Suède, 
Oxenstiern,  intervenant,  déclare  à  son  tour  à  La  Grange  aux 
Ormes  que  les  Suédois  occupent  des  viUes  d'Alsace,  qu'ils 
comptent  à  la  paix  générale  s'en  servir  comme  de  gages  et 
qu'ils  ne  les  céderont  certainement  pas  aux  Français.  On 
voit  les  difficultés ^  Louis  XIII  ne  donne  pas  suite  aux  proposi- 
tions du  marquis  de  Bade  et  du  landgrave  de  Hesse-Cassel.  Le 
21  juin,  son  ambassadeur  en  Allemagne,  Feuquières,  parlant 
à  la  diète  de  Francfort,  ne  nomme  toujours  que  Philipps- 
bourg ^  et  les  confédérés  allemands,  butés  contre  toute  idée  de 
voir  occuper  un  territoire  germanique  quelconque  par  la 
Fi-ance,  refusent  d'accorder  Philippsbourg,  sous  prétexte  que 
«  c'est  trop  risquer  »  que  de  mettre  le  roi  en  Allemagne-^  On  le 
voit  :  la  France  est  encore  loin  de  pouvoir  songer  à  s'emparer 
de  l'Alsace. 

Là-dessus  on  annonce  que  les  Espagnols  s'apprêtent  à  envoyer 
des  secours  à  l'empereur  à  travers  la  Franche-Comté  et  l'Alsace, 
afin  de  prendre  à  revers  les  confédérés^.  Sous  l'effet  de  cette 
menace  qui  les  effraie,  les  alliés  consentent  enfin  à  ce  que  le 

1.  Lettres  et  né.gocintiom ,  l.  II,  p.  2G9,  278,  282. 

2.  D'après  l'instruction  à  FouquitTes  du  26  mai  1634  :  Arch.  Afl'.  étr.,  Alle- 
magne 10,  fol.  100  r°,  125  r",  166  r"  :  «  Et  ne  point  accepter  le  change  qu'on 
lui  pourroit  offrir  »  (en  Alsace),  ajoute  le  texte. 

3.  Lettres  et  îiégociations,  t.  I,  p.  cl. 

4.  Cf.  l'instruction  au  maréchal  de  La  Force  du  30  août  1634  :  Mémoires  du 
duc  de  La  Force,  t.  III,  p.  409,  410,  et  un  mémoire  h  Feuquières  du  28  juin 
sur  le  même  sujet  :  Arch.  .\ff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  149  r°. 


166  LOUIS   BATIFFOL, 

roi  de  France  occupe  Philippsbourg.  Mais  que  de  précau- 
tions ils  prennent  dans  le  traité  passé  avec  lui  à  ce  sujet,  la 
place  ne  sera  bien  qu'en  dépôt  provisoire  entre  ses  mains;  la 
France  s'engagera  à  la  rendre  au  moment  de  la  paix  générale  : 
elle  ne  changera  rien  au  statut  de  la  ville  ni  à  sa  situation  par 
rapport  à  l'empire  ^  Feuquières  écrit  le  5  septembre  :  «  Le  duc  de 
Saxe  s'est  montré  le  plus  passionné  contre  nous^.  »  Les  cir- 
constances vont  devenir  ensuite  de  plus  en  plus  critiques  :  l'em- 
pereur avec  ses  forces  marchant  contre  les  confédérés  les  atteindra 
à  Nordlingen,  leur  infligera  une  sanglante  défaite,  et  les  con- 
fédérés, désespérés,  se  retourneront  vers  Louis  XIII,  le  suppliant 
de  venir  à  leur  secours  à  tout  prix,  et  ici  se  modifiera  la  question 
d'Alsace  qui  nous  occupe. 

Car  l'Alsace,  en  effet,  à  ce  moment,  prend  au  point  de  vue 
militaire  une  importance  grandissante  3.  Si  le  roi  de  France 
a  le  souci  d'arrêter  au  Rhin  l'envahissement  de  son  royaume,  si 
les  confédérés  comptent  sur  le  roi  pour  les  aider  contre  leurs  enne- 
mis, la  plaine  alsacienne  devient  pour  tous  un  grave  sujet  de 
préoccupation.  Nous  venons  de  voir  qu'en  1634  il  est  question  que 
les  Espagnols  arrivent  par  la  Franche-Comté  et  l'Alsace  prendre 
à  revers  les  ennemis  de  l'empereur.  Déjà,  en  1633,  il  avait  été 
agité  dans  les  conseils  impériaux  de  faire  de  l'Alsace  «  la  prin- 
cipale place  d'armes  »,  où  se  réunirait  un  corps  puissant  formé 
de  troupes  venant  de  Souabe,  de  Thuringe,  d'Italie,  de  Franche- 
Comté^.  Aux  heures  tragiques  de  1636,  l'empereur  imaginera 
d'envahir  la  Bourgogne  en  passant  en  Alsace  par  le  pont  de 
Brisach^.  Ce  pont  de  Brisach,  le  seul  sur  le  Rhin  après  celui  de 
Kehl  dans  la  région  alsacienne,  constitue  une  position  straté- 
gique de  premier  ordye,  dangereuse  pour  le  roi  de  France 
et  les   confédérés.   Dans  les  plans    successifs   de    campagne 

1.  Arch.  Afif.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  26  r°  et  suiv.  Le  traité  est  du  26  août. 

2.  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  408. 

3.  Au  moment  de  Nordlingen,  «  les  Espagnols  tiraient  vers  l'Alsace  ».  Récit 
de  la  bataille  de  Nordlingen  par  le  maréchal  suédois  Horn  :  Arch.  Aff.  étr., 
Allemagne  10,  fol.  191  v. 

4.  Lettres  et  négociations,  t.  I,  p.  190;  Arch.  Afl".  étr.,  Allemagne  10, 
fol.  226  v°.  Instruction  à  Feuquières  du  13  juin  1633  :  «  S.  M.  est  avertie  de 
toutes  parts  et  de  lieux  fort  certains  que  le  dessein  des  Espagnols  est  de  for- 
mer promptement  un  corps  puissant  dans  l'Alsace,  composé  de  quelques  troupes 
qui  passent  d'Italie  et  d'autres  qu'Aldringer  fait  filer  par  la  Souabe  et  par 
Brisach,  que  l'on  fait  aussi  des  levées  en  la  Franche-Comté...  »,  etc. 

5.  Mémoires  du  cardinal  de  La  Valette,  1771,  t.  I,  p.  177. 


RICHELIED   ET   LA   QUESTION    DE   l'aLSACE.  167 

des  Français,  il  sera  nécessaire  de  prévoir  des  armées  d'obser- 
vation surveillant  le  passage  de  Brisach.  Peu  à  peu  la  place  de 
Brisach  devient  aussi  importante  pour  Richelieu,  sinon  davan- 
tage, que  Philippsbourg,  et  derrière  Brisach  il  y  a  l'Alsace,  où 
il  faut  tenir  les  voies  de  communication,  faire  attention  aux 
villes  fortifiées  qui  ne  doivent  pas  tomber  aux  mains  de  l'en- 
nemi, sous  peine  de  désastre  pour  les  corps  isolés.  Richelieu,  qui 
écrit  à  Servien  le  19  juin  1635  :  «  M.  de  La  Force  demeurera 
dans  l'Alsace  pour  boucher  les  passages  de  ce  côté  »,  en  arrivera 
à  mander  un  an  plus  tard  à  des  intendants  :  «  De  l'Alsace  dépend 
le  bon  succès  de  la  guerre  ou  de  la  paix  ^  » 

On  voit  donc  comment  peu  à  peu  s'est  posée  aux  yeux  de 
Louis  XIII  et  de  son  ministre  l'importance  de  l'occupation  de 
F  Alsace,  c'est-à-dire  sous  la  forme  d'une  question  d'ordre  pure- 
ment militaire,  mais  combien  difficile  et  compliquée,  puisque, 
d'une  part,  les  Suédois,  tenant  déjà  une  partie  du  pays,  ne  veulent 
pas  qu'une  autre  puissance  vienne  sur  leurs  brisées,  et  que, 
d'autre  part,  les  confédérés  allemands  ne  peuvent  se  faire  à  l'idée 
de  laisser  un  prince  étranger  mettre  la  main  sur  un  territoire 
germanique  ! 

Entrant  en  Alsace  au  début  de  1634  par  les  traités  dont  nous 
avons  parlé  passés  avec  Haguenau,  Saverne  et  autres  places, 
puis  entraîné  petit  à  petit  à  accroître  cette  occupation,  Riche- 
lieu, maintenant,  avait-il  l'intention  secrète,  une  fois  dans  le 
pays,  de  n'en  plus  sortir  et  de  le  garder?  Les  circonstances  que 
nous  venons  de  dire  ne  s'accordent  guère  avec  cette  hypothèse. 
Mais  les  documents  vont  répondre  encore  plus  précisément.  Nous 
allons  voir  :  1°  qu'en  principe  Richelieu,  étant  donné  les  idées 
du  temps,  ne  pouvait  pas  songer  qu'il  pût  réclamer  au  futur 
congrès  de  la  paix  la  possession  de  l'Alsace  ;  2"  qu'en  fait,  devant 
les  soupçons  des  confédérés  germaniques  à  ce  sujet,  leurs  récri- 
minations violentes,  leurs  menaces,  il  a  dû,  d'avance,  prendre 
position  et  répondre  négativement  sous  toutes  les  formes  à  la 
question  qui  vient  d'être  posée;  3°  que,  pour  des  motifs  qui 
vont  être  indiqués,  n'ayant  fait  nul  mystère  durant  son  adminis- 
tration de  ses  «  buts  de  guerre  »,  il  en  a  exclu  expressément 
l'Alsace. 

Il  esl;  difficile  de  bien  conipivndre  les  idées  d'un  temps  diffé- 

1.  Avenel,  Lettres  de  Richelieu,  l.  V,  p.  61  et  440. 


168  LOUIS    BATIFFOL. 

relit  du  nôtre  et  volontiers  nous  prêtons  aux  gens  du  passé  nos 
propres  préoccupations.  Il  faut  cependant  faire  effort  pour  entrer 
dans  leurs  modes  de  raisonnement  et  tâcher  de  considérer  les 
questions  telles  qu'elles  se  présentaient  à  leurs  yeux  et  non  telles 
que  nous  croyons  les  voir. 

Richelieu,  engagé  dans  la  guerre  de  Trente  ans,  a  eu  très  vite 
l'idée  d'aboutir  à  la  paix  et  a  désiré  constamment  cette  paix. 
Les  dangers  courus  par  la  France  en  1635,  les  désastres  de 
1636,  les  embarras  financiers  au  milieu  desquels  se  débattait 
BuUion,  les  campagnes  violentes  menées  contre  le  cardinal  parce 
que  l'opinion  l'accusait  de  prolonger  volontairement  la  lutte, 
eussent  été  suffisants  pour  l'y  décider.  Dès  novembre  1635,  le 
secrétaire  d'État  Chavigny,  dépositaire  de  ses  pensées,  écrivait  : 
«  Nous  aurions  grand  besoin  d'un  grand  succès  pour  faire  la 
paix'.  »  Richelieu  répète  :  «  Je  désire  la  paix  avec  une  passion 
indicible 2.  »  Il  mandera  au  nonce  le  24  décembre  1637  :  «  M.  le 
nonce  sait  bien  que  Sa  Majesté  a  tout  tenté  pour  la  paix 3.  » 
Dans  ses  instructions  à  ses  agents  à  l'étranger,  û  proteste  «  de 
la  sincérité  de  la  France  dans  le  désir  de  la  paix  »,  au  point, 
ajoute-t-il,  «  que  je  ne  crains  point  de  désirer  malédiction  à 
ceux  qui,  par  des  prétentions  injustes,  l'empêcheront^.  »  «  Redou- 
blez vos  prières  »,  dira-t-il  à  un  religieux  le  8  novembre  1638, 
«  pour  la  paix,  que  je  souhaite  avec  tant  de  sincérité  et  d'ardeur 
que  je  ne  crains  point  de  prier  Dieu  qu'il  punisse  ceux  qui  l'em- 
pêchent\  »  Et  il  confiera,  découragé,  à  Bullion  le  14  juillet  1640  : 
«  Je  suis  las  de  la  guerre'^  !  » 

Dès  lors,  il  a  accepté  toutes  les  occasions  qu'on  lui  a  offertes 
de  négocier.  Au  début  d'août  1636  on  lui  parle  de  conférences 
à  engager  à  Cologne.  Il  s'empresse  de  désigner  les  plénipoten- 
tiaires, d'Avaux  et  Feuquières,  dresse  l'instruction  générale, 
réunit  l'argent.  L'affaire   n'aboutit  pas"-.  On    lui  propose  de 

1.  Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  557. 

2.  Septembre  1637,  Avenel,  Lettres,  t.  V,  p.  852.  Richelieu  écrivait  le 
28  mars  :  «  Dieu  sait  si  nous  trouverons  facilité  en  la  paix!  »  Ibid.,  p.  763. 

3.  Ibid.,  t.  VIII,  p.  321.  Le  5  mars  1638,  Louis  XIII  écrit  aux  évéques  pour 
leur  demander  des  prières  publiques  afin  d'obtenir  de  Dieu  la  paix  :  Ibid., 
t.  VII,  p.  185. 

4.  Ibid.,  t.  VII,  p.  1030;  t.  VI,  p.  243. 

5.  Lettre  au  P.  Bernard,  Ibid.,  p.  235. 

6.  Ibid.,  t.  VI,  p.  709. 

7.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  10212;  Avenel,  Lettres,  t.  VI,  p.  114,  256,  459,  521, 
603,  632,  660. 


RICHELIED   ET   LA    QUESTION   DE   l' ALSACE.  169 

nouveaux  colloques  à  Hambourg.  Il  envoie  d'Avaux^  Le  pro- 
jet traîne  ;  le  cardinal  est  crispé  :  «  Plus  on  approche  du  terme 
où  doit  commencer  la  négociation,  écrit-il  à  d'Avaux,  plus  on 
prévoit  de  difficultés'.  »  En  juin  1641 ,  les  lieux  de  con- 
férences sont  changés  et  reportés  à  Miinster  et  Osnabrùck;  à 
la  fin  de  janvier  1642  ,  Riclielieu  désigne  le  plénipotentiaire 
chargé  de  défendre  les  intérêts  de  la  France,  Mazarin^;  il  a 
su  où  devait  se  signer  la  paix  ;  il  faudra  encore  six  ans 
pour  la  conclure.  Il  n'a  pas  dépendu  de  lui  qu'elle  fût  décidée 
plus  tôt. 

S'il  a  pensé  constamment  à  la  paix,  il  a  non  moins  constam- 
ment songé  à  ses  conditions.  Cette  paix  qu'il  souhaite,  il  la 
veut  juste,  «  honorable  »,  dit-il,  afin  qu'elle  soit  sûre  ;  ce  sont 
les  termes  qui  reviennent  toujours  sous  sa  plume^.  «  On  veut 
traiter  de  bonne  foi  »,  écrira-t-il  à  un  agent  en  Espagne,  Pujol, 
le  8  novembre  1637,  «  et  sans  prétendre  autre  avantage  que  celui 
que  la  raison  doit  accorder  à  un  chacun.  »  Il  faut  que  les  enne- 
mis se  résolvent  «  à  vouloir  une  juste  paix"^  ».  Mais  qu'appeUe- 
t-il  une  juste  paix?  Qu'entend-il  par  les  avantages  que  «  la 
raison  »  doit  accorder  à  la  France  ? 

Contrairement  à  ce  qu'on  pourrait  croire,  jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie,  Richelieu  a  prétendu  expliquer  avec  franchise  et  loyauté  ses 
intentions  :  «  J'ai  pour  maxime  »,  a-t-il  écrit,  «  de  dire  franche- 
ment ce  que  je  veux  faire  et  ne  vouloir  que  la  raison. . .  Les  cara- 
cols  inutiles  ne  sont  plus  bons  pour  un  homme  de  mon  âge  qui 
va  droit  à  ses  fins^.  »  Certes,  il  n'entend  point  faire  la  guerre  de 
façon  désintéressée  :  le  roi  de  France  doit  être  dédommagé  des 
lourds  sacrifices  qu'il  a  consentis  par  des  acquisitions  territoriales. 

1.  Bougeant,  Histoire  du  traité  de  Westphalie,  t.  Il,  p.  39. 

2.  Avenel,  Lettres,  t.  VIII,  p.  3G3. 

3.  Ibid.,  t.  VII,  p.  141,  898:  t.  VIII.  p.  371. 

4.  a  II  faut  buter  à  contraindre  l'empereur  d'accorder  une  paix  raisonnable 
et  sûre.  »  Mémoire  à  Feuquières  :  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  24  rv  On 
souhaite  une  paix  qui  soit  «  sûre,  juste  et  raisonnable  »  :  Aubéry,  Mém.,  l.  1, 
p.  506. 

5.  Avenel,  Lettres,  t.  VII,  p.  779,  780,  817.  «  Quand  je  dis  vouloir  la  paix, 
j'entends  à  consentir  aux  conditions  justes  et  raisonnables  sans  lesquelles  elle 
ne  peut  estre  faite  »  (lettre  à  d'Avaux  du  27  février  1042,  Ibid.,  p.  904). 

6.  Ibid.,  t.  VII,  p.  833;  t.  VI,  p.  730.  Boutbilier  écrit  à  Feuquières  le 
17  août  1634  :  «  On  est  si  bien  informé  par  deçà  (en  Allemagne)  de  la  sincé- 
rité de  nos  intentions  et  de  la  prudence  et  retenue  avec  laquelle  vous  agissez 
pour  le  service  du  roi  »  (Arch.  Afl.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  182  t']. 


170  LOUIS  BATIFFOL. 

Mais,  en  fait  d'acquisitions  territoriales,  «  la  France  »,  mande 
Richelieu  à  un  agent  en  Espagne  le  15  février  1639,  *.  ne  veut 
que  ce  qu'elle  peut  prétendre  avec  justice^  ».  Il  écrit  au  maré- 
chal d'Estrées  le  8  octobre  1636  :  «  Nous  n'avons  à  posséder  que 
ce  qui  nous  appartient^.  »  Seulement,  qu'est-ce  qui  nous  appar- 
tient? Et  Richelieu  répond  :  ce  à  quoi  des  titres  juridiques 
certains  donnent  au  roi  le  droit  de  prétendre.  Le  xvii®  siècle, 
héritier  des  conceptions  féodales  du  moyen  âge,  veut  qu'un 
prince  invoque  pour  prendre  un  territoire,  comme  un  particu- 
lier pour  revendiquer  un  bien,  des  titres  légitimes  :  héritage, 
donation,  achat,  traité,  privilège  de  souveraineté.  Les  juristes 
, de  la  couronne,  les  Godefroy,  les  Dupuy,  les  Lebret,  les 
Delorme,  ont  établi  dans  de  savants  mémoires  quels  étaient  les 
territoires  que  Louis  XIII  pouvait  réclamer.  Richelieu  s'ins- 
pire de  ces  mémoires.  Il  les  a  fait  contrôler,  au  point  de  vue  de 
la  conscience,  par  «  les  autorités  de  l'Écriture,  des  Pères  et 
des  docteurs,  pour  faire  voir  si  clairement  la  vérité  qu'on  n'en 
puisse  douter 3  ».  . 

Or,  ces  mémoires  citent  nombre  de  pays  que  peut  revendiquer 
la  France  :  la  Lorraine,  la  Franche-Comté,  la  Savoie,  le  Mila- 
nais, Naples,  la  Sicile,  des  régions  des  Flandres  :  ils  ne  men- 
tionnent jamais  l'Alsace'^.  Pour  les  juristes,  il  n'existe  aucun 

1.  Avenel,  Lettres,  t.  VIII,  p.  352. 

2.  Ibid.,  t.  V,  p.  613. 

3.  Ibid.,  t.  VIII,  p.  2fi6. 

4.  Voir  les  volumineux  dossiers  constitués  par  les  Godefroy  établissant  «  J,e8 
droits  du  roy  de  France  sur  plusieurs  royaumes  et  seigneuries  »  :  Bibl.  de 
l'Institut,  collection  Godefroy,  292  à  298.  On  y  trouve  encore  mentionnés  le 
Piémont,  Nice,  la  Navarre,  l'Aragon,  Gênes,  le  Montferrat,  Orange,  Avignon  et 
le  Comtat,  l'Artois,  etc.  La  thèse  de  Godefroy  est  celle-ci  {Ibid.,  335, 
fol.  19  y)  :  «  C'est  une  loi  générale  et  indubitable,  tenue  et  gardée  en  tous 
les  royaumes  et  monarchies,  autant  en  Allemagne  qu'en  France,  que  les  rois 
ne  peuvent  renoncer  aux  royaumes  et  provinces  qui  font  part  et  portion  de 
leurs  couronnes,  et  nommément  quand  il  est  question  d'en  quitter  la  souverai-- 
neté,  pour  ce  qu'ils  ne  sont  pas  propriétaires  ains,  tant  seulement,  gardiens  et 
administrateurs  de  leurs  royaumes.  »  Les  Dupuy  ont  imprimé  les  mémoires 
qu'ils  avaient  préparés  sur  le  même  sujet  pour  Richelieu,  conjointement  avec 
Le  Bret  et  Delorme,  dans  les  Traités  touchant  les  droits  du  Roi  Très  Chrestien 
sur  plusieurs  Estais  et  seigneuries  possédées  par  divers  princes  voisins. 
Paris,  A.  Courbe,  1655,  in-fol.,  1018  p.  Un  magistrat,  avocat  du  roi  au  siège 
présidial  de  Béziers,  avait,  dès  1632,  publié  des  conclusions  identiques  :  J.  de 
Cassan,  la  Recherche  des  droits  du  roy  et  de  la  couronne  de  France  sur  les 
royaumes,  duchés,  comtés,  villes  et  pays  occupés  par  les  princes  étrangers. 
Paris,  F.  Pomeray,  in-4*.  Cassan  invoque  les  principes  de  l'indivisibilité  du 


RICBELIEO    ET   LA   QOESTION    DE   l'aLSACE.  171 

acte  dans  les  âges  passés  conférant  aux  ancêtres  du  roi  très 
clu'étien  le  droit  de  réclamer  l'Alsace.  Sans  doute,  les  lettrés,  à 
travers  les  siècles,  rappelant  qu'autrefois  les  limites  de  l'an- 
cienne Gaule  allaient  jusqu'au  Rhin,  ont  souhaité  le  retour  à  cet 
état  ancien  du  royaume,  et  un  jésuite,  le  P.  Labbé,  a})rès  la 
mort  de  Richelieu,  écrira  même  un  soi-disant  Testamentum 
politicum  du  cardiQal  qui  eut  quelque  fortune  auprès  des  histo- 
riens du  xix°  siècle  et  dans  lequel  sei:a  attribuée  à  Richelieu 
l'intention  de  porter  à  ces  limites  romaines  les  frontières  de  la 
France^  Mais,  aux  yeux  des  juristes  de  la  couronne  et  des  poli- 
tiques qui  s'inspirent  de  leurs  conclusions ,  le  fait  que  les 
Romains  ou  les  Francs  ont,  il  y  a  huit  siècles,  possédé  la  rive 
gauche  du  Rhin,  ne  constitue  pas  un  titre  juridique  dont  ils 
puissent  faire  état  dans  les  discusssions  futures  d'un  congrès 
avec  les  plénipotentiaires  du  Saint-Empire.  Ils  n'en  parlent  pas. 
Il  reste  bien,  il  est  vrai,  «  la  conquête  ».  Les  gens  du  temps 
connaissent,  certes,  «  le  droit  de  conquête  »  ou  de  guerre  et 
Richelieu  le  connaît  aussi.  Mais  il  déclare  dans  une  lettre  au 
maréchal  d'Estrées  du  8  octobre  1636  qu'il  ne  le  considère 
comme  «  ni  fondé,  ni  plausible-  ».  La  conquête  est  pour  lui  un 
acte  violent.  Ministre  du  roi  très  chrétien  auquel  on  a  donné 
le  surnom  de  «  Juste  »,  il  ne  croit  pas  devoir  conseiller  à  son 
maître  des  procédés  que  sa  conscience,  l'honneur  du  roi,  la  dignité 
et  l'intérêt  de  l'Etat  lui  interdisent^. 

royaume,  de  la  souveraineté  qui  ne  peut  ni  se  céder,  ni  s'aliéner,  du  (caractère 
Inaliénable  du  domaine  du  roi  et  qu'il  n'y  a  pas  de  prescription  avec  la  souve- 
raineté, etc.  En  16G5,  D.  Godefroy  et  H.  de  Lionne  maintiendront  les  mêmes 
théories  dans  leurs  Mémoires  et  instructions  pour  servir  dans  les  négocia- 
tions. Paris,  in-l2.  Le  fait  que  l'Alsace  n'est  jamais  nommée  dans  ces  travaux 
est  une  chose  tout  à  fait  remarquable. 

1.  Voir  le  Testament  politique  latin  du  cardinal  de  Richelieu,  dans 
Mémoires  de  la  Société  des  sciences  morales,  des  lettres  et  des  arts  de  Seinc- 
et-Oise,  t.  XV,  1887,  p.  117-145.  Malherbe  écrivait  de  Richelieu  à  M.  de  Men- 
tin  le  14  octobre  1G27  (Œuvres,  éd.  Lalanne,  t.  IV,  p.  109)  :  «  L'esjtaco  d'entre 
le  Rhin  et  les  Pyrénées  ne  lui  semble  pas  un  champ  assez  grand  pour  les 
llei^rs  de  lys;  il  veut  qu'elles  occupent  les  deux  bords  de  la  mer  Méditerranée 
et  que  de  là  elles  portent  leur  odeur  aux  dernières  contrées  de  l'Orient.  » 

2.  Avenel,  Lettres,  t.  V,  p.  613. 

3.  Hugues  de  Lionne  écrivait  au  baron  de  Boineburg  le  7  juin  16.50  (dans 
Valfrey,  Hugues  de  Lionne,  t.  II,  p.  269)  :  «  Je  veux  venir  à  une  autre 
remarque  que  peut-être  vous  n'aurez  pas  encore  faite,  qui  est  que  depuis  les 
con(|uêtes  de  Charlemagnc  la  France,  en  aucun  traité  qu'en  celui-ci  (la  paix 
des  Pyrénées),  n'a  rien  retenu  au  seul  titre  do  conquête,  el  si,  dans  les  autres, 


172  LOUIS   BATIFFOL. 

Voilà  du  moins  ce  qui  se  dégage  des  documents.  Maintenant, 
Richelieu  est-il  de  bonne  foi?  On  ne  le  croira  pas,  étant  donné 
l'opinion  que  nos  habitudes  d'esprit,  les  romanciers  et  les  dra- 
maturges ont  imposée  à  l'histoire  du  personnage  de  Richelieu,  et 
on  jugera  qu'au  fond  le  cardinal  a  dû  avoir  certainement  la 
pensée  que  l'Alsace,  qui  s'offrait  à  lui,  était  bonne  à  prendre  et  à 
garder.  Serrons  donc  de  plus  près  le  problème. 

Richelieu  eût-il  eu  de  pareilles  intentions  que,  d'abord,  les 
infinies  difficultés  suscitées  par  les  confédérés  allemands  à  ce 
sujet,  difficultés  de  nature  à  compromettre  à  tout  instant  la  situa- 
tion générale,  l'obligeraient  à  contenir  ses  ambitions.  Puis  ces 
difficultés  vont  l'amener  à  des  déclarations  catégoriques  qui 
constitueront  comme  des  engagements  formels,  absolus,  sur 
lesquels  je  ne  saurais  trop  insister. 

Ces  princes  confédérés  allemands  sont  des  gens,  ainsi  que 
l'écrit  Feuquières,  «  passionnés,  superbes,  avaricieux,  glo- 
rieux, brutaux,  grands  ivrognes,  méfiants,  haïs  et  méprisés 
de  leurs  sujets^  ».  On  ne  les  tient  qu'à  force  d'argent  :  le  mar- 
quis de  Brandebourg,  un  Hohenzollern,  touche  20,000  pistoles 
de  pension,  un  prince  de  Saxe  12,000  écus^.  A  tout  instant  ils 
sont  sur  le  point  de  trahir.  Richelieu  doit  agir  avec  eux  de  façon 
extrêmement  circonspecte,  les  ménager,  prendre  garde  à  leurs 
susceptibilités.  Lorsque  après  la  mort  de  Gustave- Adolphe  à  Liit- 
zen,  en  novembre  1632,  il  envoie  Feuquières  à  l'assemblée 
d'Heilbronn  avec  mission  de  maintenir  le  faisceau  fragile  de  l'al- 
liance, l'ambassadeur  français  a  une  campagne  très  difficile  à 
conduire,  tellement  ces  Germaniques  sont  de  caractère  ombra- 
geux et  irritable-^.  Nous  avons  vu  la  résistance  qu'a  rencontrée 
Richelieu,  ne  fût-ce  que  pour  occuper  une  viUe  comme  Philipps- 
bourg.  Imagine-t-on  quel  accueil  eût  reçu  l'idée  de  prendre  l'Al- 
sace entière  et  de  l'annexer  à  la  France?  Or,  précisément,  voyant 

elle  a  eu  parfois  quelque  avantage,  c'a  été  toujours  à  des  choses  qui  se  trou- 
voient  d'ailleurs  appartenir  à  nos  rois  par  succession,  confiscation,  échange  ou 
même  par  achat.  » 

1.  Relation  du  voyage  de  Feuquières  en  Allemagne  en  1633,  Aubéry,  Mém., 
t.  I,  p.  399.  De  Noyers,  écrivant  à  La  Valette  en  juillet  1636,  dit  :  «  Ces  gros 
ivrognes  »,  Ibid.,  p.  651. 

2.  Lettres  et  négociations  du  marquis  de  Feuquières,  t.  I,  p.  97,  106,  109; 
t.  II,  p.  217.  En  1634,  Feuquières  fait  pour  une  fournée  un  total  de  89,000  livres 
(Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  434  r°  et  suiv.). 

3.  Lettres  et  négociations,  t.  I,  p.  3  et  suiv.  La  nomination  d'ambassadeur 
de  Feuquières  est  du  3  février  1633. 


RICHELIEU   ET   LA   QUESTION   DE   l'aLSACE.  173 

les  Français  entrer  en  Alsace,  les  confédérés  sont  convaincus 
que  Louis  XIII  a  certainement  l'intention  de  s'emparer  du  pays. 
Il  n'est  que  de  suivre  dans  les  documents  le  dialogue  qui  s'éta- 
blit entre  eux  et  Richelieu,  dès  le  début. 

Lorsque  en  février  1634  les  premières  villes  alsaciennes 
s'ofirent  au  protectorat  de  la  France,  Saverne,  Haguenau,  Riche- 
lieu, prévoyant  les  protestations  violentes  qUe  vont  formuler  les 
confédérés,  écrit  au  maréchal  de  La  Force  le  10  février  qu'il 
accepte  le  projet  de  traité  pour  diverses  raisons,  mais  il  veut  qu'ily 
soit  bien  spécifié  que  «  Haguenau  et  Saverne  ont  été  mis  en  dépôt 
au  roi  sous  la  condition  de  les  rendre  à  l'empereur  au  traité 
de  paix  ».  C'est  la  formule  de  Philippsbourg^.  L'occupation  des 
villes  d'Alsace  est,  pour  Richelieu,  analogue  à  celle  de  Philipps- 
bourg  :  une  occupation  provisoire  militaire.  Malgré  cette  pré- 
caution, les  alliés  allemands  se  troublent  et  protestent.  Richelieu, 
allant  au-devant  de  leurs  préventions,  s'empresse  de  répondre 
que  le  roi  de  France  ne  songe  pas  «  à  accroître  ses  Etats  de 
ce  côté^  ».  Il  confirme  à  son  ambassadeur  Feuquières,  dans  ses 
instructions  et  ses  dépêches,  sa  ferme  pensée  sur  ce  point.  Il 
est  indispensable,  dit-il,  de  rassurer  les  Allemands.  La  France 
sait  ce  qu'elle  veut  :  elle  ne  veut  pas  s'emparer  de  l'Alsace.  Il 
mande  le  1"'  février  1634  à  Feuquières,  lui  parlant  de  l'élec- 
teur de  Saxe  :  «  Il  faut  surtout  lui  ôter  la  créance  que  le  roi  ait 
intention  de  s'agrandir  dans  l'Allemagne,  s'assurant  que  Sa 
Majesté  n'g^  pris  à  autre  intention  la  sauvegarde  et  manutention 
des  villes  et  des  places  (alsaciennes)  qu'a^jec  promesse  et 
volonté  de  les  rendre  par  le  traité  de  paix  générale^.  »  Les 
Allemands  n'ajoutent  pas  foi  à  ces  affirmations.  L'effervescence 
s'accroît  outre-Rhin.  Les  alliés  en  viennent  à  menacer  de  rompre 
et  s'entendre  avec  l'empereur.  Le  chanceUer  de  Suède,  Oxens- 
tiern,  homme  remarquable  d'intelligence,  mais  faux,  brutal, 
plein  de  malveillance  pour  nous,  au  dire  de  nos  ambassadeurs, 
les  excite 4.  Richelieu  se  décide  alors  à  faire  faire  par  Feuquières, 

1.  L'instruction  de  Louis  XIII  au  maréchal  de  La  Force,  du  10  février  1634, 
est  dans  les  Mémoires  du  duc  de  La  Force,  éd.  La  Grange,  l.  111,  p.  395,  et 
aux  Arch.  Ail',  étr.,  Lorraine  14,  fol.  182  v. 

2.  Ibid. 

3.  Arch.  Afl'.  élr.,  Allemagne  10,  fol.  12  v». 

4.  Ibid.,  fol.  50  T",  et  Lettres  et  négociations,  t.  H,  p.  277.  Richelieu  trou- 
vait les  manières  d'Oxenstiern  «  un  peu  gothiques  et  beaucoup  linnoises  » 
(Avenel,  t.  VIII,  p.  200). 


174  ,  LOUIS   BATIFFOL. 

au  nom  du  roi,  une  déclaration  catégorique.  Pesons- en  les 
termes,  car  sous  la  forme  lourde  et  embarrassée  du  temps  elle 
contient  la  réponse  de  Louis  XIII  et  de  Richelieu  à  la  question 
qui  nous  occupe  en  ce  moment. 

«  Si,  sur  le  sujet  des  places  que  le  roi  tient  en  Alsace,  conume 
sont  Haguenau,  Sàverne  et  autre  lieux  »,  est -il  dit  dans  les 
instructions  à  Feuquières  du  26  mars  1634,  «  les  confédérés 
témoignent  ouvertement  du  mécontentement  et  de  la  jalousie,  y 
ajoutant  les  menaces  de  faire  la  paix,  le  sieur  de  Feuquières 
leur  dira  qu'ils  ne  la  désirent  pas  (la  paix)  plus  que  le  roi  et  que, 
pour  leur  faire  connaître  qu'il  n'a  prétention  quelconque  de 
s'agrandir  à  leurs  dépens,  il  leur  déclare  être  tout  prêt  à  leur 
remettre  lesdites  places  (d'Alsace)  aussitôt  que,  par  un  bon 
accommodement,  cessera  l'obligation  qu'il  a  de  conserver  ceux 
qui  ont  imploré  sa  protection  pour  éviter  le  péril  de  leur 
ruine  dans  les  agitations  des  deux  partis...  Qu'au  reste  le  roi 
étant  entré  en  alliance  avec  les  Suédois  et  lesdits  confédérés 
pour  la  liberté  et  le  soulagement  de  l'Allemagne,  spécialement 
de  ses  alliés  et  voisins,  chacun  ne  peut  trouver  étrange  s'il  met 
à  couvert  ceux  qui  ont  eu  recours  à  lui.. .  Sa  Majesté,  étant  fort 
assurée  que  tous  ses  déportements  passés  lui  ont  acquis  un  si 
public  et  certain  témoignage  de  sa  justice  et  modération  en  toutes 
les  occurrences  qui  se  sont  présentées  d'étendre  ses  limites, 
qu'elle  n'a  point  de  peur  qu'aucuns,  bien  ajSectionnés  au  public, 
le  puissent  mettre  en  doute;  qu'elle  ne  tient  aucuns  lieux  avec 
la  plainte  et  le  regret  de  ceux  qui  les  lui  ont  mis  entre  ses 
mains,  n'ayant  point  usé  de  force,  combien  qu'elle  ne  manque 
pas  de  pouvoir...  Que,  ne  voulant  pas  garder  les  places  qu'  elle 
a  dans  V Allemagne  (l'Alsace),  elle  ne  peut  que  trouver  de 
l'avantage,  quand  le  temps  viendra,  de  les  rendre,  et  qu'elle 
n'y  apportera  aucune  difficulté,  se  promettant  qu'on  aura  foi  à 
ses  paroles  confirmées  par  tant  de  précédents  effets  i .  » 

L'excitation  des  esprits  est  telle  que,  bien  entendu,  cette  décla- 
ration, pourtant  très  nette,  ne  produit  pas  l'effet  désiré.  Ber- 
nard de  Saxe-Weimar  écrit  à  Feuquières  :  «  Les  plaintes  sont 

1.  Cet  important  document  se  trouve  aux  Arch.  Aff.  étr.,  Correspondance 
politique,  Allemagne  10,  fol.  42  r"  et  suiv.  Le  compilateur  des  Mémoires  de 
Richelieu  l'a  eu  entre  les  mains  (éd.  Michaud,  t.  II,  p.  556).  Les  affaires  d'Al- 
lemagne étaient  délibérées  entre  Richelieu,  le  P.  Joseph  et  Bouthilier.  J'ai  des 
raisons  de  croire  que  ce  texte  a  été  rédigé  par  le  P.  Joseph. 


RICHELIEU    ET   LA    QUESTION    DE   l'aLSACE.  175 

continuelles  de  l'entrée  que  l'on  donne  aux  étrangers  en  Alle- 
magne contre  les  constitutions  de  l'empire'  »,  et  Louis  XIII  est 
obligé  de  répondre  à  son  ambassadeur  «  quels  justes  sujets  il  a 
de  reconnaître  avec  déplaisir  les  jalousies  et  les  soupçons  qu'on 
a  de  lui-  ».  Il  ordonne  alors  à  cet  ambassadeur  de  se  rendre 
devant  l'assemblée  de  Francfort  et  là,  dans  un  discours  public, 
de  renouveler  les  déclarations  solennelles  de  la  France.  Feu- 
quières  s'exécute  le  21  juin  1634  :  «  J'ai  ordre  très  exprès  de 
vous  déclarer  de  la  part  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  »,  dit-il 
à  l'assemblée,  «  qu'elle  continue  d'affectionner  de  telle  sorte 
votre  bien  .et  votre  repos  que  vous  ne  devez  nullement  appréhen- 
der qu'elle  fasse  jamais  diflSculté  aucune  de  remettre  à  l'empire 
par  le  traité  de  paix  générale  toutes  les  places  du  pays 
d'Alsace  dont  elle  se  trouvera  saisie.  »  Il  proteste  avec  hau- 
teur de  «  la  sincérité  et  généreuse  conduite  qui  accompagnent 
toutes  les  actions  royales  de  son  maître  ».  Il  estime  qu'elles 
doivent  suffire  pour  «  dissiper  les  ombrages  que  l'artifice  des 
ennemis  pourrait  faire  prendre  de  cette  sienne  protection  à 
quelques-uns  de  ses  alliés  ».  Richelieu  engage  donc  l'honneur 
du  roi  sur  cette  affirmation  qu'il  ne  veut  pas  s'emparer  de 
l'Alsace  3. 

Les  appréhensions  et  l'agitation  des  princes  germaniques  ne 
cessent  pas.  Richelieu  s'impatiente.  Du  moment  que  la  simple 
occupation  de  Philippsbourg  va  tellement  «  à  contre-cœur  »  aux 
confédérés,  qu'elle  leur  laisse  «  un  tel  dépit  dans  l'âme  »  qui  les 
«  irrite  si  fort  »,  qu'elle  provoque  des  jalousies  «  qu'on  ne  peut 
surmonter'^  »,  il  décide  brusquement  en  août  1034  de  renon- 
cer même  à  Philippsbourg  et  il  notifie  à  Feuquières  de  ne  plus 

1.  Lettres  et  négociations,  t.  H,  p.  274. 

2.  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  147  x".  Cf.  fol.  87  r°. 

3.  Ibid.,  fol.  125  v".  «  Proposition  de  la  part  de  Louis  XIII",  roy  de  France, 
par  le  sieur  de  Feuquières  à  l'assemblée...  à  Francfort-sur-le-Main.  »  Le  Mer- 
cure françois  donne  le  texte  de  ce  document  comme  ayant  été  lu  à  l'assem- 
blée le  24  mars  [Mercure  françois,  1634,  p.  467).  C'est  une  erreur.  Pour  ce 
qui  est  de  l'importance  qu'attache  Richelieu  à  la  sincérité  des  déclarations  du 
roi,  il  n'est  que  de  se  rappeler  ce  mot  de  la  Succincte  narration  [Testament 
•politique,  éd.  Koncemagne,  p.  54)  :  «  Je  sais  bien  que,  si  V.  M.  eût  manqué  à 
sa  parole,  elle  eut  beaucoup  perdu  de  sa  réputation  et  que  la  moindre  perte  de 
ce  genre  fait  qu'un  grand  prince  n'a  [ensuite]  plus  rien  à  perdre.  » 

4.  Lettre  de  La  Grange  aux  Ormes  à  Richelieu  :  Arch.  AU',  étr.,  Allemagne  10, 
fol.  158  r». 


176  LOUIS   BATIFFOL, 

rien  demander  aux  confédérés  ^ .  Lorsque  à  ce  moment  quelques- 
uns  de  ceux-ci,  contrairement  à  l'opinion  irritée  de  leurs  compa- 
triotes, parlent  d'offrir  à  la  France,  en  échange  de  Philippsbourg, 
l'occupation  de  viUes  alsaciennes,  Richelieu  refuse  sèchement  : 
«  Le  roi  »,  écrit-il  le  17  août  1634,  «  ne  fait  pas  grand  cas  des 
places  qu'on  pourrait  lui  bailler  en  échange  de  Philippsbourg,  en 
Alsace  :  cela  ôierait  la  créance  qu'elle  veut  quon  ait  quelle 
ne  prétend  rien  en  Allemagne-.  » 

Dès  lors,  on  comprendra  son  extrême  irritation  quand,  le  9  oc- 
tobre suivant,  l'envoyé  français  à  Strasbourg,  Melchior  de 
l'Isle,  agissant  de  son  autorité  privée,  sans  instruction,  sans 
autorisation,  conclut  avec  Colmar  le  traité  qui  mettait  en  fait 
l'Alsace  entière,  en  dehors  et  à  l'insu  des  confédérés,  sous  le  pro- 
tectorat de  la  France^.  C'est  «  à  ce  coup  »  que  les  aUiés  alle- 
mands vont  se  soulever  contre  les  ambitions  françaises,  décla- 
rer justifiées  leurs  craintes,  malgré  les  affirmations  contraires  de 
Louis  XIII,  et  accuser  celui-ci  de  duplicité!  De  là  la  lettre  très 
vive  écrite  par  Richelieu  à  Melchior  de  l'Isle.  Le  roi  désavoue 
publiquement  son  envoyé  par  une  déclaration  officielle  à  la  diète 
germanique^,  puis  ordonne  au  maréchal  de  La  Force  de  retirer 
toutes  les  troupes  qu'il  a  envoyées  dans  les  villes  alsaciennes  à  la 
suite  du  traité  avec  Colmar  \  Pouvait-il  proclamer  plus  claire- 
ment la  loyauté  de  ses  intentions?  Feuquières,  qui  est  allé  expli- 
quer à  Oxenstiern  la  convention  de  Melchior  de  l'Isle  et  le  désa- 
veu formel  du  roi,  écrit  à  Bouthilier,  devant  l'extrême  mécon- 
tentement que  lui  manifeste  le  chancelier  de  Suède  :  «  Il  serait 
à  désirer  que  cela  ne  fût  pas  arrivé  dans  les  conjonctures  pré- 
sentes, ne  pouvant  être  expliqué  avantageusement  ni  des  amis, 
ni  des  ennemis''.  » 

On  a  dit  que,  si  Richelieu  repoussa  le  traité  .de  Melchior  de 
risle,  c'était  non   qu'il  le  trouvât  aventureux,  mais  qu'il  le 

1.  Arch.  Âff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  177  r°,  dépêche  à  Feuquières  du  16  août. 

2.  Ibid.,  fol.  180  r°. 

3.  Voir  mes  Ancietines  républiques  alsaciennes,  p.  209. 

4.  Arch.  Aflf.  étr.,  Alsace  6,  loi.  80  r°.  «  Le  roy  ayant  su  le  traité  qui  a  esté 
faict  par  le  sieur  de  l'Isle  estant  pour  le  service  de  Sa  Majesté  à  Stras- 
bourg... »,  etc. 

5.  Lettre  de  Louis  XIII  au  maréchal  de  La  Force  du  1"  novembre  1634,  dans 
Mémoires  du  duc  de  La  Fo7-ce,  éd.  La  Grange,  t.  III,  p.  415.  Remarquons 
cette  date  du  l"  novembre. 

6.  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  tO,  fol.  .379  v°. 


RICUELIEO    ET    LA    QUESTION    DE    l'aLSACE.  177 

jugeait  insuffisant  et  faisant  trop  de  concessions  aux  Golraariens. 
Cette  explication  ne  s'accorde  guère  avec  les  faits  et  les  textes 
qui  précèdent.  On  a  ajouté  que  le  cardinal  aiiua  mieux  lui  subs- 
tituer un  traité  infiniment  plus  fructueux  pour  la  France,  qui 
fut  signé  le  i^^  novembre  1634  suivant  avec  les  princes  confé- 
dérés, et  par  lequel,  au  nombre  des  places  de  l'Alsace  mises  en 
dépôt  aux  mains  de  Louis  XIII,  se  trouvaient  celles  qu'occupaient 
les  Suédois,  nommément  Benfeld,  Brisach,  traité  qui,  par  sur- 
croît, ne  parlait  pas  d'assurer  de  garanties  aux  Alsaciens  pour 
l'exercice  de  la  religion  protestante  et  ne  stipulait  pas  la  resti- 
tution du  pays  après  la  guerre  à  l'empire.  Le  traité  du  1*"^  no- 
vembre, dit-oft,  représenterait  donc  bien  la  véritable  pensée 
de  Richelieu  entendant  s'emparer  de  l'Alsace'.  Il  n'est  pour 
répondre  que  de  voir  de  près  ce  document  du  1®''  novembre  1634 
et  les  circonstances  dans  lesquelles  il  a  été  rédigé. 

L'écrasement  des  confédérés  allemands  à  Nordlingen  a  eu 
lieu  le  5  septembre  1634.  Cette  défaite  produit  un  effet  consi- 
dérable en  Allemagne.  Les  alliés  sont  atterrés.  Feuquières  écrit 
à  d'Avaux  le  19  septembre  :  «  La  susdite  déroute  a  tellement 
étonné  d'abord  tous  les  confédérés,  que  sans  cette  espérance 
qu'il  leur  reste  du  côté  de  Sa  Majesté  (le  roi  de  France),  de 
laquelle  j'ai  cru  devoir  leur  donner  encore  de  plus  grandes  espé- 
rances que  je  n'a  vois  lieu  d'espérer  pour  eux,  ils  se  fussent 
laissé,  sans  doute,  emporter  aux  propositions  d'accommode- 
ment (avec  l'empereur).  »  Il  va  voir  Oxenstiern  qu'il  trouve 
«  dans  l'affliction  ».  Oxenstiern,  abattu,  déclare  à  l'ambassadeur 
français  qu'il  ne  compte  plus  que  sur  Louis  XIII'-.  Dans  l'affo- 
lement général,  l'assemblée  des  confédérés  adresse  une  députa- 
tion  à  Feuquières  pour  supplier  le  roi  de  France  de  déclarer  la 
guerre  à  l'empereur,  afin  de  venir  les  sauver,  et  ils  detnandent, 
par  une  seconde  députation,  à  quelles  conditions  le  roi  con- 
sentirait à  relever  leurs  affaires.  Feuquières  répond  que  le  mieux 
serait  d'envoyer  à  Paris  un  ambassadeur  avec  pouvoir  de  trai- 
ter. Ainsi  en  est-il  décidé'^  Philippe  Streiff  de  Lauenstein  est 
désigné  et  les  Suédois  y  adjoignent  leur  vice-chancelier,  Jacques 
Loffler.  Oxenstiern  parle  même  de  retirer  les  Suédois  de  partout 
et  délaisser  occuper  par  la  France  toutes  les  places  qu'il  détient 

1.  Cf.  Rev.  histor.,  W  CXXIX,  p.  323. 

2.  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  228,  425. 

3.  Ibid.,  p.  422. 

Rev.  Histor.  OXXXVIII.  2«  fasc.  12 


178  LOUIS   BATIFFOL. 

jusqu'à  l'Elbe^.  Dans  un  mémoire  spécial  du  maréchal  suédois 
Horn,  il  est  émis  l'avis  que  les  Français  devraient  occuper  inamé- 
diatement  l'Alsace  entière  pour  empêcher  les  impériaux  de  venir 
s'y  installer  et  d'y  faire  la  récolte^,  et,  sans  attendre  les  ordres 
d'Oxenstiern,  le  rhingrave  Otton-Louis,  qui  commande  les  con- 
tingents suédois  en  Alsace,  veut  livrer  aux  régiments  du  maré- 
chal de  La  Force  les  places  qu'il  détient  3. 

A  Paris  on  a  été  très  ému  de  la  défaite  de  Nôrdlingen.  L'écra- 
sement des  alliés  germaniques  rapproche  de  plus  en  plus  le 
moment  où  il  faudra  que  la  France  entre  en  guerre.  Richelieu, 
à  contre-cœur,  prévoit  qu'il  devra  s'}^  décider  pour  le  printemps 
suivant.  Il  se  prépare.  Il  écrit  à  Feuquières  dès  le  14  septembre 
que  le  roi  de  France  est  bien  obligé  de  venir  au  secours  des 
confédérés,  mais  que,  devant  leur  ruine,  il  lui  faut  les  coudées 
franches,  afin  de  protéger  le  territoire  du  royaume,  c'est-à-dire, 
et  il  revient  à  la  thèse  indiquée  plus  haut,  les  confédérés  alle- 
mands doivent  enfin  accepter  que  la  France  puisse  défendre  ses 
frontières  sur  la  ligne  du  Rhin.  Il  répète  qu'il  doit  assurer 
«  la  défense  du  Rhin  ».  A  cet  efiet,  et  en  raison  des  menaces 
que  présente  la  place  de  Brisach,  il  faut  qu'il  puisse  assiéger 
Brisach,  et,  quand  il  l'aura,  l'occuper.  En  attendant,  afin  de 
faciliter  les  opérations  militaires,  «  les  confédérés  mettront 
présentement  au  dépôt  du  roi  les  places  de  l'Alsace  et  notam- 
ment Benfeld^  ».  Feuquières  explique  à  Richelieu  qu'à  son  avis 
les  confédérés  accepteront  que  la  France  assiège  Brisach,  mais 
que,  même  dans  leur  détresse,  ils  ne  céderont  pas  sur  Benfeld 
et  les  autres  places  d'Alsace^.  Le  26  septembre  il  annonce  le 
départ  des  ambassadeurs  pour  Paris.  Le  5  octobre  il  écrit  qu'il 
vient  de  voir  Oxenstiern  et  qu'il  l'a  trouvé  plus  bas  que  jamais  : 
«  Il  commença  par  me  dire  qu'il  ne  me  vouloit  rien  celer  et 
qu'ainsi  il  me  diroit  franchement  que  les  aflaires  générales  étoient 

1.  Arch.  Afif.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  223  v°.  Oxenstiern,  affolé  par  la  tour- 
nure que  prenaient  les  événements,  avait  fait  cette  proposition  dès  le  29  août. 
Dépêche  de  Feuquières  au  P.  Joseph  de  cette  date. 

2.  IMd.,  fol.  221  r. 

3.  Le  Vassor,  Histoire  de  Louis  XIII,  p.  37.  Cf.  Lettres  et  négociations, 
t.  I,  p.  cix. 

4.  Mémoire  à  Feuquières  :  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  275  r°  et 
277  r». 

5.  Ibid.,  fol.  257  r°.  «  Benfeld  et  les  autres  places  d'Alsace,  je  doute  que 
nous  les  puissions  avoir.  » 


RICHELIEO   ET   LA   QUESTION    DE   l'aLSACE.  179 

encore  en  beaucoup  plus  mauvais  état  que  ce  que  j'en  voyois  ne 
me  le  pouvoit  faire  croire  '  > . 

Quand  les  deux  ambassadeurs  arrivent  à  Paris  «  avec  ample 
pouvoir  de  traiter  et  de  conclure  ce  qui  sera  jugé  nécessaire 
pour  le  bien  général  »,  on  leur  explique  nettement  les  idées 
du  gouvernement  français  :  il  s'agit  de  convenir  de  conditions 
militaires  éventuelles  dans  le  cas  où  le  roi  romprait  avec  l'em- 
pereur et  entrerait  en  guerre  contre  lui  et  il  ne  s'agit  que  de 
cela.  Les  ambassadeurs  acceptent,  et  voici  les  clauses  de  ce 
traité  du  l*^""  novembre  1634^.  Le  roi  de  France  et  les  con- 
fédérés allemands,  avec  les  Suédois,  confirment  à  nouveau  leur 
alliance.  En  cas  de  rupture,  Louis  XIII  (art.  IV)  «  tiendra 
en  deçà  du  Rhin  une  armée  considérable  pour  s'y  en  servir 
offensivement  et  défensiveraent,  selon  les  occurrences,  contre 
les  ennemis  communs  de  Sa  Majesté  et  des  confédérés  »  ;  donc 
nécessité  pour  lui  d'aller  librement  en  Alsace  et  de  détenir 
les  places  fortifiées  du  pays^,  et,  en  effet  (art.  XI)  :  «  Au  cas 
que  Sa  Majesté  entrât  en  rupture  ouverte  contre  les  enne- 
mis communs  qui  sont  dans  l'empire  ou  ailleurs  (allusion  à  la 
Franche-Comté),  lesdits  confédérés,  considérant  les  incommo- 
dités et  périls  de  la  guerre  auxquels  Sa  Majesté  expose  sa  per- 
sonne et  ses  États  en  leur  faveur,  consentent,  dès  à  présent, 
sous  ladite  condition  de  rupture  de  la  part  de  Sa  Majesté,  pour 
lui  témoigner  la  confiance  qu'ils  ont  en  elle  et  à  ce  qu'elle 
ait  plus  de  lieu  d'éloigner  les  ennemis  communs  de  ses 
propres  États,  comme  aussi*  pour  mieux  assurer  le  pays  d'Al- 
sace contre  leurs  efforts  (que  d'explications  et  de  précautions!), 
que  ledit  pays  d'Alsace  au  delà  du  Rhin  soit  mis  en  dépôt  en  la 
protection  de  Sa  Majesté  ,  avec  les  places  et  villes  qui  en 
dépendent,  qu'ils  ont  prises  sur  leurs  ennemis,  et  spécialement 
Kenfeld  et  Schlestadt,  qui  seront  mises  es  mains  du  roi  aussitôt 
que  Sa  Majesté  aura  déclaré  être  en  rupture,  comme  aussi  géné- 
ralement tout  ce  qui  dépend  d'Alsace  en  deçà  du  lihin.  »  La 

1.  Arch.  Aflf.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  310  r°.  Lettre  de  Feuquières  à  Bouthi- 
lier  datée  de  Spire. 

2.  Dans  Du  Mont,  Corps  diplomatique,  t.  Vi,  t"  partie,  p.  79-80.  11  existe 
plusieurs  copies  manuscrites  du  document  aux  Arch.  AIT.  étr.,  Allemagne  10, 
fol.  336  et  suiv. 

3.  Louis  Xlll  explique  à  Feuquières,  dans  un  mémoire  du  28  juin  1634, 
comment,  si  on  a  une  armée  en  Alsace,  il  faut  «  avoir  des  retraites  pour  .sa 
sûreté  »,  c'est-à-dire  tenir  des  places  :  Arch.  AIT.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  147  r°. 

» 


180  LOUIS   BATIFFOL. 

convention  étant  générale  et  d'ailleurs  éventuelle,  on  n'entre  pas 
dans  le  détail  minutieux  de  l'occupation,  notamment  de  la  ques- 
tion de  religion.  Néanmoins,  il  est  bien  stipulé  à  l'article  XI  que 
les  alliés  germaniques  «  seront  maintenus  en  leurs  possessions 
légitimes  et  ne  sera  rien  entrepris  au  préjudice  de  leur  juridic- 
tion et  de  tous  leurs  droits  »,  ce  qui  implique,  en  fait,  les  liber- 
tés religieuses ^  Enfin,  la  question  de  l'évacuation  future  et 
de  la  restitution  à  l'empire  des  territoires  alsaciens  occupés, 
au  moment  de  la  paix  générale,  y  est  parfaitement  spécifiée  à 
l'article  XII  :  «  Le  roi  (de  France)  promet  de  bonne  foi  de  reti- 
rer ses  garnisons  de  Brisach  et  autres  lieux  susdits  deçà  et  delà 
le  Rhin  (c'est-à-dire  l'Alsace)  sans  aucune  restitution  de  frais, 
pour  en  être  disposé  selon  qu'il  sera  convenu  au  traité  de  la  paix 
générale.  » 

En  définitive,  les  aUiés  allemands,  étant  dans  une  situation 
très  critique,  sont  venus  supplier  Louis  XIII  de  déclarer  la 
guerre  à  l'empereur  pour  les  tirer  d'affaire.  Louis  XIII  répond  : 
dans  le  cas  où  je  la  déclarerais,  sur  quoi  puis-je  compter  de  votre 
part?  J'entends  défendre  mes  frontières  au  Rhin,  entre  autres  en 
Alsace  :  vous  soulevez  des  chicanes  perpétuelles  à  ce  sujet  ;  con- 
sentez-vous, oui  ou  non,  à  me  laisser  amener  mes  troupes  sur 
la  ligne  que  je  considère  comme  la  meilleure  pour  protéger  le 
royaume  et  vous  porter  secours?  Et  les  alliés  accèdent,  à  con- 
dition que  Louis  XIII  promette  d'évacuer  le  pays  à  la  paix,  ce 
que  Louis  XIII  accorde.  Ou  ne  voit  donc  pas  en  quoi  ce  traité 
du  !•"■  novembre  1634  est  meilleur  pour  Richelieu  que  celui  de 
Melchior  de  l'Isle,  sinon  parce  que  le  cardinal  tient  des  confé- 
dérés et  non  plus  seulement  des  Alsaciens  le  droit  d'entrer  en 
Alsace;  en  quoi  surtout  il  donne  l'Alsace  à  la  France  et  la 
donne  mieux  ou  plus  sûrement  que  celui  du  9  octobre  avec  Gol- 
mar.  Richelieu  n'a  d'ailleurs  considéré  ce  traité  que  comme  un 
renouvellement  de  celui  d'Heilbronn  «  pour  les  soutenir  (les 
confédérés)  et  empescher  leur  déroute  »,  dit-il 2. 

1.  En  effet,  Louis  XIII  dira,  dans  un  document  du  2  avril  suivant,  qu'il 
veut  qu'on  maintienne  en  Alsace  «  la  religion  catholique  en  toute  liberté  et 
selon  qu'il  est  porté  par  le  dernier  traité  fait  à  Paris  »  (B.  Rose,  Herzog  Bern- 
hard  der  Grosse  von  Sachsen-Weiînar.  Weimar,  1829,  in-8°,  t.  II,  p.  465). 

2.  Lettre  de  Richelieu  à  Oxenstiern  du  21  novembre  1634,  Avenel,  Lettres, 
t.  IV,  p.  789.  Un  commis  de  Bouthilier,  résumant  le  traité  du  1"  novembre, 
écrira  (Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  349  v»)  :  t  Les  confédérés  consentent 
qu'en  cas  que  S.  M.  entre  en  rupture  ouverte  contre  l'ennemi,  que  le  pays 


RICDELIEU    ET   LA    QOESTlOi^    DE   l'aLSACE.  181 

Puis,  ce  qui  achève  d'enlever  à  ce  traité  l'importance  qu'on 
lui  attribue,  traité  qui,  répétons-le,  était  uniquement  une  con- 
vention militaire  éventuelle  ne  constituant  pas  une  cession  de 
territoire  et  n'aurait  dû  jouer  d'ailleurs  que  lorsque,  en  1635, 
Louis  XIII  entra  en  guerre  contre  la  maison  d'Autriche,  c'est 
que  les  Allemands  ont  mis  une  mauvaise  volonté  extrême  et  un 
temps  infini  à  le  ratifier  et  que  les  Suédois  ne  le  ratifièrent  jias'. 
Louis  XIII  ne  pourra  donc  pas  en  faire  état  :  U  invoquera  seu- 
lement le  fait  que  les  gens  du  pays  d'Alsace  ont  sollicité  sa  pro- 
tection et,  comme  il  se  prépare  à  la  lutte  inévitable,  ses  troupes 
en  attendant  resteront  dans  la  plaine  de  l'Ill. 

En  efi'et,  le  traité  du  1*""  novembre  provoque  des  réclama- 
tions infinies  en  Allemagne,  tellement  les  préventions  contre 
l'entrée  des  Français  en  Alsace  sont  violentes.  Le  26  novembre 
1634,  Brézé  écrit  au  P.  Joseph,  d'Ogersheim,  près  Mannheim  : 
«  L'opinion ,  dans  les  esprits  de  tout  le  monde,  est  que  nous 
n'avons  dessein  que  d'envahir  l'Alsace 2.  »  Le  9  décembre,  le 
duc  de  Rohan  a  beau  répéter  à  Bernard  de  Saxe-Wehnar  :  «  Sa 
Majesté  n'a  aucune  intention  de  s'accroistre  au  préjudice  des 
princes  et  États  Allemagne^  »;  Richelieu  recommander  à 
Feuquières  «  d'ôter  l'opinion  que  le  dessein  du  roi  soit  de 
démembrer  l'empire  et  de  se  prévaloir  d'une  partie  ^  »  ;  lui  répé- 

d'Alsace  du  deçà  du  Rhin  et  ses  dépendances,  nommément  Benfeld  et  Schle- 
stadt,  soient  mis  en  dépôt  es  mains  du  roy,  eux  estant  maintenus  en  leurs  pos- 
sessions légitimes;  les  gens  des  dits  lieux  prêteront  serment  aux  uns  et  aux 
autres.  »  De  son  côté,  le  compilateur  des  Mémoires  de  Richelieu,  parlant  du 
même  traité,  dit  que  Richelieu  a  fait  décider  «  que  les  places  de  deçà  le  Rhin 
seroieot  mises  entre  les  mains  du  roi  »,  uniquement  «  afin  qu'il  pût  secourir 
ses  alliés  avec  sûreté  de  ses  armées  ».  Des  contemporains  assez  bien  placés  ne 
voient  donc  nullement,  dans  ce  traité  du  1"  novembre,  une  cession  de  l'Alsace 
à  la  France. 

1.  Il  y  a  toute  une  correspondance  à  ce  sujet  entre  Feuquières  et  la  cour  : 
Arch.  Air.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  382  r°,  406  v°,  415  v°;  11,  fol.  120  v»,  etc.  Ce 
fut  Oxenstiern  qui  provoqua  l'attitude  des  Allemands  :  «  Le  chancelier  a  reçu 
et  traité  les  ambassadeurs  extraordinaires  comme  des  traîtres  »  (dans  B.  Rose, 
Herzo(j  Bcnihnrd  der  Grosse,  t.  II,  p.  445;  lettre  de  Feuquières  à  Bouthilier). 
Devant  le  refus  d'Oxenstiern  de  ratifier,  Louis  XIII  déclara  qu'il  ne  se  consi- 
dérait pas  comme  lié  par  le  traité  de  Paris  {Ibid.,  p.  446).  C'est  parce  que  ce 
traité  s'est  trouvé,  en  fait,  inexistant  que  je  n'en  ai  point  parlé  dans  mes 
Anciennes  républiques  alsaciennes  pour  ne  pas  allonger  mon  récit,  déjà 
étendu,  de  détails  qui  n'étaient  pas  essentiels. 

2.  Arch.  Atf.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  391  v. 

3.  Dans  B.  Rose,  op.  cit.,  p.  451. 

4.  Arch.  Ail.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  373  r°. 


182  LOUIS   BATIFFOL. 

ter  le  28  janvier  1635,  au  moment,  où  celui-ci  se  rend  à  l'assem- 
blée de  Worms  :  «  Sa  Majesté  ne  s'attribue  ledit  pays  (d'Alsace) 
que  comme  en  dépôt  jusqu'à  la  paix  et  pour  le  garantir  des 
oppressions  de  l'un  et  de  l'autre  parti  ^  »;  que  la  France  n'est 
sur  le  Rhin  que  «  pour  empêcher  le  passage  de  ladite  rivière 
aux  ennemis,  défendre  tous  ensemble  les  villes  situées  sur  le 
Rhin,  d'ôter  aux  ennemis  celles  qu'ils  y  ont^  »,  les  passions  sont 
à  ce  point  montées  qu'on  reste  convaincu  que  la  France  veut 
conquérir  l'Alsace. 

Et  la  preuve  cependant  qu'elle  ne  veut  pas  garder  le  pays 
pour  elle,  c'est  qu'elle  l'a  promis  à  ce  moment  à  un  Allemand, 
Bernard  de  Saxe-Weimar,  et  qu'elle  s'est  engagée  à  lui  faire 
reconnaître  le  landgraviat  d'Alsace  à  la  paix  générale  :  Ber- 
nard devra  le  posséder  dans  le  cadre  de  l'empire,  comme  terre 
germanique,  à  l'exclusion  de  toute  ingérence  française. 

On  a  dit  que  si,  le  27  octobre  1635,  Richelieu  céda  à  Bernard 
de  Saxe-Weimar  l'Alsace,  c'était  que  la  situation  militaire  était 
à  ce  moment  si  critique  dans  le  pays  qu'il  fallait  un  général  éner- 
gique pour  le  sauver;  l'Alsace  était  perdue  pour  la  France  : 
le  duc  de  Lorraine,  Charles  IV,  descendu  des  Vosges,  avait 
mis  la  main  sur  plusieurs  villes  de  la  plaine,  les  impériaux 
étaient  entrés  à  Andlau^.  Mais,  quelle  que  soit  d'abord  la  cause 
qui  aurait  décidé  Richelieu  à  donner  l'Alsace  à  un  prince  alle- 
mand, le  fait  qu'il  l'abandonnait  à  un  tiers  impliquait  bien  qu'il 
ne  comptait  pas  la  garder.  Puis  il  n'est  encore  ici  que  de  pré- 
ciser quelques  dates  et  quelques  faits  pour  se  rendre  compte  de 
la  portée  de  l'argument. 

Depuis  longtemps,  depuis  1633  au  moins,  Richelieu  cherchait 
à  gagner  Bernard  à  la  cause  des  alliés^.  Feuquières  avait  reçu 
l'ordre  «  d'ouvrir  tous  les  moyens  qu'il  trouverait  plus  conve- 
nables pour  acquérir  l'amitié  et  la  confiance  du  duc  Bernard^  ». 

1.  Arch.  Atf.  étr.,  Allemagne  12,  fol.  29  v°. 

2.  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  451. 

3.  Rev.  histor.,  toc.  cit. 

4.  Aubéry,  Mémoires,  t.  I,  p.  384.  Feuquières  avait  cherché,  en  1633,  à  cau- 
ser avec  lui  à  Wiirtzbourg,  lui  olfrant  une  pension  du  roi.  Bernard  avait 
décliné,  disant  qu'il  était  engagé  au  service  de  la  Suéde.  Feuquières  rend 
compte  dans  une  dépêche  du  9  mars  1633. 

5.  Le  26  mars  1634  :  Arch.  Aft".  étr.,  Allemagne  10,  fol.  41  v°.  La  France  avail 
cherché  à  gagner  de  même  Wallenstein  et  Jean  de  Werth  [Ibid.^  fol.  17  r°,  18  r"; 
Avenel,  t.  IV,  p.  471;  t.  V,  p.  381,  382;  Lettres  et  négociations,  t.  II,  p.  1). 


RICHELIEU    ET   LA    QOESTION   DE   LALSACE.  183 

Les  tractations  avaient  passé  par  des  alternatives  diverses,  puis, 
brusquement,  le  4  décembre  1634,  le  marquis  de  La  Force  et 
Brézé  écrivaient  à  Louis  XIII  qu'ils  avaient  reçu  la  visite  d'un 
envoyé  de  Bernard,  le  colonel  Gassion,  lequel,  «  Sire  »,  annon- 
çaient-ils, «  nous  a  dit  qu'il  croyoit  que  ledit  duc  Bernard  —  en 
l'estime  et  confiance  duquel  il  a  beaucoup  de  part  —  seroit  pour 
s'attacher  au  service  de  Votre  Majesté,  et  s'est  comme  laissé 
entendre  qu'étant  homme  de  grand  cœur,  il  seroit  bien  aise  d'y 
être  convié,  ce  que  nous  avons  jugé  devoir  mander  à  Votre 
Majesté  ' .  »  Le  3  janvier  1635,  Bernard  envoie  de  nouveaux  con- 
fidents aux  maréchaux  de  La  Force  et  Brézé,  le  colonel  Hébron 
etd'Espenan,  pour  renouveler  et  préciser  ses  offres  de  service^, 
et  c'est  le  30  janvier  que  le  roi  de  France  décide  de  donner  l'Al- 
sace à  Bernard  !  Un  mémoire  à  Feuquières  de  cette  date  le  dit 
expressément  :  «  Sa  Majesté  consentira  que  le  duc  Bernard  de 
Weimar  jouisse  du  landgraviat  d'Alsace^.  »  C'est  donc  en  jan- 
vier 1635  que  Louis  XIII  a  résolu  de  remettre  l'Alsace  à  Ber- 
nard, et  ce  n'est  pas  la  situation  militaire  de  l'Alsace  en  octobre 
suivant,  comme  on  le  dit,  qui  a  provoqué  cette  cession.  Il  faut 
remarquer  avec  queUe  facilité  la  France  a  cédé,  sans  discus- 
sion, à  la  demande,  je  crois,  du  duc.  A  la  fin  de  janvier  1635, 
d'ailleurs,  Louis  XIII  n'avait  nul  besoin  de  Bernard  en  Alsace, 
où  le  duc  de  Rohan  se  trouvait  avec  une  armée"^.  Louis  XIII 
écrira  quelques  semaines  plus  tard  à  Rohan,  en  l'envoyant  en 
Valteline  :  «  Maintenant  que  l'Alsace  est  entièrement  déhvrée 

1.  Arch.  Aff.  étr.,  Alsace  6,  fol.  215  v°. 

2.  Ibid.,  fol.  244  r*.  Sur  un  ton  d'ailleurs  aigre-dolix  et  en  menaçant,  si  l'on 
refuse  de  l'écouter,  de  traiter  avec  l'empereur.  Lettre  des  maréchaux  au  roi. 
Richelieu  constatait  chez  Bernard  «  la  dureté  de  son  naturel  qui  est  fort  atta- 
ché à  ses  intérêts  particuliers  »  (Avenel,  t.  VI,  p.  427).  Le  colonel  Hébron 
était  un  Anglais  dont  le  vrai  nom  était  John  Hepburn  (Gustave  Clanché, 
Sii-  John  Hepburn.  Toul,  in-S"). 

3.  Dans  Lettres  et  iiégocialums  du  marquis  de  Feuquières,  t.  II,  p.  447. 
Louis  XIII  s'engage  à  laisser  à  Bernard  les  droits  de  la  mai.son  d'Autriche  sur 
le  landgraviat  d'Alsace,  mais,  «  d'autant  que  S.  M.  ne  s'attribue  le  dit  pays  que 
comme  en  dépôt  jusqu'à  la  paix  et  pour  le  garantir  des  oppressions  de  l'autre 
parti.  S.  M.  est  obligée  de  se  réserver  la  principale  autorité  en  icelui  pays  ». 
Ceci  indique  bien  la  position  de  la  France  en  Alsace  sous  Louis  XIII.  Pour  ce 
qui  est  du  landgraviat  d'Alsace,  possessions  de  la  maison  d'.\utricho,  n'oublions 
pas  que  c'est  précisément  ce  landgraviat  promis  par  Richelieu  à  Bernard  que 
Mazarin  fera  donner  à  Louis  XIV  au  traité  de  Westi)halie. 

4.  X.  Mossmann,  Matériaux  pour  servir  à  l'histoire  de  la  gnenc  de  Trente 
ans,  dans  Revue  d'Alsace,  1878,  t.  YII,  p.  471  et  suiv. 


184  LODIS   BATIFFOL. 

de  troupes  ennemies^...  »  Les  événements  militaires  auxquels 
il  a  été  fait  allusion  plus  haut,  progrès  des  Lorrains,  des  impé- 
riaux, prise  de  la  viUe  d'Andlau,  sont  d'avril,  mai,  juin'<^. 

Puis,  Bernard  ayant  présenté  de  nouvelles  exigences,  les  trac- 
tations reprennent  avec  lui.  Un  deuxième  traité  est  signé  le 
2  avril  à  Worms.  Bernard  se  met  au  service  de  Louis  XIII  et 
des  confédérés,  et,  pour  la  peine,  le  roi  consent,  toujours,  à  ce 
qu'il  jouisse  du  landgraviat  d'Alsace  et  du  bailliage  de  Hague- 
nau  :  ceci  ne  fait  pas  discussion.  Un  exemplaire  du  texte,  signé 
par  Bernard,  porte  cette  variante  :  «  Qu'il  jouisse  du  landgra- 
viat d'Alsace  et  du  bailliage  de  Haguenau  avec  tous  les  droits  et 
autorités  conformes  à  celles  qu'ont  eues  ceux  de  la  maison  d'Au- 
triche ^  ».  Le  parti  de  Richelieu  semble  donc  bien  pris  :  il  laisse 
l'Alsace  à  Bernard  sans  arrière-pensée.  En  effet,  dans  une 
instruction  du  24  mai  pour  M.  de  Vignoles  qui  va  trouver  Ber- 
nard, Louis  XIII,  expliquant  qu'il  veut  empêcher  les  ennemis  de 
passer  le  Rhin,  soit  vers  Brisach,  soit  vers  Spire  —  toujours 
l'idée  qui  hante  le  gouvernement  —  prie  son  envoyé  de  décider 
le  duc  à  le  seconder  dans  ces  deux  directions,  entre  autres, 
pour  «  aider  à  conserver  l'Alsace,  laquelle  lui  doit  appar- 
tenir ».  L'expression  est  formelle^.  Dans  une  lettre  à  l'abbé 
de  Coursan  du  2  juin,  Richelieu,  parlant  de  Bernard,  écrit  : 
«  Le  duc  Bernard,  auquel  le  roi  laisse  l'Alsace'^  »,  et,  dans 
une  autre  lettre  du  23  juillet  au  cardinal  de  La  Valette,  il  répé- 
tera, parlant  toujours  du  duc,  «  vu  que  Saverne  est  compris 
dans  l'Alsace  qui  lui  a  été  laissée  par  le  roi^  ». 

Si  la  situation  est  particulièrement  critique  quelque  part  de 

1.  Arch.  Aff.  étr.,  Alsace  6,  fol.  294  r°.  Le  duc  de  Lorraine  avait  battu  en 
retraite. 

2.  X.  Mossmann,  op.  et  loc.  cit.;  Lettres  et  mgociations.  t.  III,  p.  88  et 
suiv. 

3.  Dans  B.  Rose,  op.  cit.,  t.  II,  p.  465.  L'exemplaire  signé  de  Bernard  est 
daté  de  Metz.  Mêmes  stipulations  que  plus  haut  :  «  D'autant  que  S.  M.  ne 
s'attribue  le  dit  pays  que  comme  en  dépôt  jusques  à  la  paix  et  pour  le  garantir 
de  l'oppression  des  deux  partis...  ï,  etc.  Feuquières  annonce  la  signature  de  ce 
traité  dans  une  lettre  à  Bouthilier  du  7  avril  {Lettres  et  négociations,  t.  III, 
p.  38). 

4.  Texte  dans  B.  Rose,  op.  cit.,  p.  462. 

5.  Avenel,  Lettres,  t.  V,  p.  47. 

6.  Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  657.  Cf.  Ibid.,  t.  II,  p.  426,  427.  «  Le  roy  ayant 
donné  l'Alsace  au  dit  duc  comme  il  le  reconnaît  par  son  testament...  Par  le 
traité  par  lequel  le  roy  lui  a  laissé  l'Alsace...  » 


UICHELIED    ET    LA    QDESTION   DE   l'aLSACE.  185 

juillet  à  octobre  1635,  ce  n'est  pas  en  Alsace,  c'est  en  Lorraine, 
où  les  armées  impériales  avancent,  menacent  Nancy,  font  redou- 
ter une  invasion  de  la  Champagne.  On  se  figure  mal  l'émotion 
qu'a  éprouvée  à  ce  moment  le  gouvernement  de  Louis  XIII'.  Il 
ne  pensait  guère  alors  à  l'Alsace  !  Il  y  pensait  si  peu  que  Riche- 
lieu, préoccupé  de  s'assurer  tous  les  concours  possibles,  écrivait 
à  La  Valette,  le  19  juillet,  de  maintenir  à  tout  prix  Bernard  à 
notre  service,  et  que,  «  si  l'Alsace  venoit  à  manquer,  je  me  lais 
fort  de  lui  procurer  dans  la  Lorraine  un  notable  revenu  pour 
soutenir  sa  dignité  ;  et  quand  la  Lorraine  manqueroit,  la  bonne 
volonté  du  roi  pour  lui  est  telle  qu'elle  lui  donneroit  en  France, 
sur  son  propre  revenu,  la  même  chose -^  ».  Et  c'est  en  Lorraine, 
le  point  dangereux,  qu'on  veut  employer  Bernard  pour  arrêter 
l'invasion,  non  en  Alsace. 

Mais  Bernard  est  un  homme  difficile,  inquiet,  s'affectant 
outre  mesure  des  déceptions,  découragé,  prêt  à  tout  abandon- 
ner, au  surplus  besogneux  et  quémandeur.  Feuquières  multi- 
plie à  son  sujet  les  avertissements.  Profitant  de  la  situation  cri- 
tique des  affaires,  Bernard  envoie  son  confident,  Ponikau,  faire 
de  nouvelles  demandes  à  Louis  XIII,  le  17  juillet  :  il  faut,  dit-il, 
que  la  France  lui  donne  quatre  millions  de  livres  ;  il  voudrait 
avoir  une  armée  de  20,000  hommes  de  pied  et  de  8  à  10,000  che- 
vaux^. La  France  se  récrie.  On  discute.  Louis  XIII  offre  un 
miUion  de  livres  ou  1,200,000  au  plus  et  ne  tient  qu'à  une 
armée  de  12,000  hommes  de  pied  et  de  6,000  chevaux.  Pour 
ce  qui  est  de  l'Alsace,  affaire  secondaire,  elle  lui  est  promise, 
Louis  XIII  n'y  revient  pas.  La  discussion  continue  des  semaines 
et  des  semaines  uniquement  sur  la  question  d'argent  :  alarmes, 
inquiétudes  du  côté  français,  où  l'on  a  absolument  besoin  de  con- 
server l'aide  de  Bernard;  récriminations,  colères,  menaces  et 
pleurs  du  côté  de  Bernard,  où  l'on  a  absolument  besoin  d'argent. 
Il  n'est  pas  question  de  l'Alsace  dans  toutes  ces  discussions^. 

1.  Le  P.  Griffet,  Bistoire  de  Louis  XIII,  1758,  in-4°,  t.  II,  p.  600  et  suiv. 
On  suit  cette  «'motion  et  le  caractère  dramatique  des  événements  dans  la  cor- 
respondance de  Feuquières,  qui  à  ce  moment  commandait  une  armée  en  Lor- 
raine. 

2.  B.  Rose,  op.  cit.,  p.  467. 

3.  Lettres  et  végociatiom,  t.  III,  p.  104.  Les  demandes  de  Bernard  s'accom- 
pagnent naturellement  de  menaces  (lettre  de  Feuquières  du  17  juillet,  Ibid., 
p.  191). 

4.  On  suit  les  discussions  dans  les  Lettres  et  négociations,  t.  III,  p.  196  et 


186  LOCIS  BATIFFOL. 

L'Alsace,  du  reste,  n'a  pas  besoin  de  Bernard,  où,  en  août  et 
septembre,  le  duc  d'Angoulême  et  le  maréchal  de  La  Force 
poursuivent  Lorrains  et  impériaux,  battent  Jean  de  Werth, 
chassent  le  duc  de  Lorraine  vers  Brisach*.  Le  28  septembre, 
Richelieu  écrit  à  La  Valette  qu'il  faut  en  finir  avec  Bernard,  et 
il  cède  sur  les  quatre  millions  de  livres,  «  qui  est  une  somme 
immense  »,  dit-il~.  S'il  cède,  il  va  nous  le  dire  lui-même,  ce 
n'est  nullement  à  cause  de  l'Alsace,  mais  à  cause  de  la  Lorraine 
et  de  la  situation  critique,  de  ce  côté,  de  l'armée  de  La  Valette 
menacée  par  Gallas  sur  la  frontière  :  «  Quand  on  vous  a  donné 
pouvoir  de  traiter  avec  le  duc  de  Weimar  jusqu'à  quatre  mil- 
lions »,  écrit-il  le  5  octobre  au  cardinal  de  La  Valette,  «  vous  étiez 
en  péril  et  on  l'a  cru  nécessaire  pour  vous  sauver 3.  »  Le  traité 
est  signé  le  20  octobre,  les  articles  secrets  le  26  qui  reprennent 
le  passage  relatif  à  l'Alsace^.  L'Alsace  joue  donc  ici  un  rôle 
très  peu  important,  si  peu  important  que  l'auteur  des  Mémoires 
de  Richelieu,  analysant  le  traité,  néglige  l'article  relatif  à  l'Al- 
sace et  ne  parle  pas  d'elle^. 

Et  c'est  enfin  si  peu  pour  défendre  et  sauver  l'Alsace  qu'on 
a  traité  avec  Bernard,  et  qu'on  lui  a  donné  le  pays,  qu'après  le 
5  octobre,  date  du  jour  où  Richelieu  a  accepté  les  conditions  du 
duc,  l'Alsace  se  trouvant  envahie  par  l'armée  de  Gallas,  c'est 

suiv.,  276  et  siiiv.  La  France  ne  tenait  pas  à  ce  que  Bernard  eût  une  trop  forte 
armée,  en  raison  de  la  défiance  qu'il  inspirait. 

1.  Lettres  et  négociations,  t.  III,  p.  239j  281.  Dans  un  mémoire  au  roi  du 
30  août,  Richelieu  explique  que,  «  pouvant  employer  les  grandes  forces  qui, 
de  jour  à  autre,  s'amassoient  sur  la  frontière  »,  il  a  quatre  objectifs  à  choi- 
sir :  Picardie,  Lorraine,  Moselle,  Alsace;  il  n'hésite  pas  :  «  Il  croyoit  qu'il  ne 
les  devoit  employer  (ces  forces)  qu'en  la  Lorraine  »,  parce  que  «  les  ennemis 
avoient  destiné  d'y  faire  des  efforts  extraordinaires  contre  la  France  et  que, 
s'il  arrivoit  le  moindre  accident,  la  Champagne  et  la  Bourgogne  demeureroient 
tout  ouvertes  »  {Mémoires  de  Richelieu,  éd.  Michaud,  t.  II,  p.  630).  «  Au  lieu 
que  si  nous  envoyions  toutes  nos  forces  en  Alsace,  outre  qu'elles  s'y  défe- 
roient  d'elles-mêmes,  elles  n'y  feroient  pas  plus  d'effet  que  mille  chevaux  de 
renfort  »  {Ibid.,  p.  616). 

2.  Avenel,  Lettres,  t.  V,  p.  941  ;  Lettres  et  négociations,  t.  III,  p.  287. 

3.  Avenel,  Lettres,  t.  V,  p.  945  et  ailleurs  (p.  94)  :  «  En  Testât  que  M.  le 
cardinal  de  La  Valette  et  les  affaires  du  roi  sont,  le  roi  lui  donne  pouvoir  de 
traiter  avec  le  duc  Bernard.  » 

4.  Aubéry,  Mém.,t.  I,  p.  551.  Aubéry  date  le  traité  du  27  octobre,  le  recueil 
de  Dupin  du  26;  j'ai  adopté  avec  le  P.  Griffet  {Histoire  de  Louis  XHI,  t.  11, 
p.  636)  les  dates  du  recueil  de  Léonard,  20  et  26  octobre. 

5.  Mémoires  de  Richelieu,  éd.  Michaud,  t.  II,  p.  642. 


RICHELIEU   ET   LA    QOESTIOK   DE   l'aLSACE.  187 

le  cardinal  de  La  Valette  qui  se  chargera  d'aller  la  délivrer,  non 
Bernard.  L'expédition  ne  semble  être  ni  bien  compliquée,  car 
La  Valette  ne  réunit  qu'un  corps  de  3,200  hommes  de  pied  et 
de  1,600  chevaux,  ni  bien  urgente,  puisqu'il  ne  part  qu'à  la  fin 
de  janvier  de  1636,  ni  enfin  bien  périlleuse,  car  il  la  termine  en 
trois  semaines  en  une  campagne  qui  n'est  qu'une  promenade 
militaire ^  Le  20  décembre,  Manicamp  a  écrit  au  maréchal  de 
La  Force  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  2,000  hommes  de  troupes  enne- 
mies en  Alsace,  lesquelles  sont  «  foibles  et  écartées  ...  de  cela, 
je  vous  en  réponds  sur  ma  vie-  ».  Le  6  janvier  1636,  Bullion 
écrit  à  La  Valette  de  la  part  de  Richelieu  :  «  Il  n'y  avoit  que 
vous  seul  qui  pût  entreprendre  ce  voyage  d'Alsace-^  »  :  la 
Valette  seul  et  non  Bernard.  Ce  n'est  dohc  pas  pour  délivrer 
l'Alsace  que  Louis  XIII  a  donné  le  pays  à  Bernard. 

On  a  ajouté  que  Richelieu  surveilla  extrêmement  le  duc  de 
Weimar,  ce  que  la  défiance  qu'inspirait  le  personnage  justifiait 
amplement;  que  le  cardinal  soutint  n'avoir  pas  cédé  à  Bernard 
le  territoire  de  l'Alsace,  mais  les  droits  des  landgraves  autri- 
chiens, la  seigneurie,  non  la  souveraineté,  ce  qui  est  exact,  et 
on  ne  voit  pas  trop,  d'ailleurs,  ce  que,  dans  le  droit  compliqué 
du  temps,  Richelieu  aurait  pu  promettre  au  duc  de  lui  faire  don- 
ner de  plus^;  qu'enfin  Bernard  étant  mort  le  18  juillet  1639, 
Richelieu  s'empressa  de  remettre  la  main  sur  le  pays.  Richelieu 
s'empressa  de  remettre  la  main  sur  l'Alsace  parce  qu'ayant  con- 

1.  Mémoires  du  cardinal  de  La  Valette,  1771,  t.  I,  p.  115  et  suiv. 

2.  Dans  Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  586.  Manicamp  était  le  gouverneur  français 
de  Colmar. 

3.  Ibid.,  t.  I,  p.  584. 

4.  Louis  XIII  écrivait  le  6  novembre  1635  à  d'Hocquincourt  (B.  Rose,  op.  cit., 
p.  478)  :  «  J'ai  accordé  à  mon  cousin  le  duc  Bernard  de  Weimar...  qu'il  jouisse 
de  tous  les  droits  et  revenus  qui  appartenoient  ci-devant  à  la  maison  d'Au- 
triche en  Alsace,  ce  que  je  vous  fais  savoir  par  la  présente,  afin  que  vous  les 
laissiez  percevoir  à  ceux  qu'il  commettra  pour  cet  ellel,  les  assistant  de  tout 
ce  qui  dépendra  de  vous.  »  Cette  lettre  précise  bien  la  question.  Richelieu 
occupant  l'Alsace  laisse  pratiquement  Bernard  se  substituer  à  la  maison  d'Au- 
triche pour  jouir  des  revenus  de  celle-ci  dans  le  pays  et  exercer  ses  droits,  et 
il  promet  au  duc  de  tâcher,  à  la  paix  générale,  de  faire  consacrer  cette  substi- 
tution par  l'Europe.  C'est  cette  substitution,  je  le  répèle,  que  Mazarin  fera 
consacrer  au  traité  de  Miinster,  mais  au  profit  de  Louis  XIV.  Étant  donné  la 
situation  juridique  de  l'Alsace  et  de  Bernard  dans  l'empire,  il  n'est  pas  facile 
de  comprendre,  je  ne  saurais  trop  le  redire,  ce  que,  en  droit  politique  du  temps, 
Richelieu  pouvait  faire  de  plus. 


lOO  LOUIS   BATIFFOL. 

senti  à  y  installer  Bernard  seul  et  nommément,  il  n'avait  pas  de 
raison  d'étendre  cette  faveur  à  des  héritiers  qu'il  ne  connais- 
sait pas  Qt  qui,  en  efiet,  traitèrent  avec  l'empereur,  lorsque 
dans  son  testament  le  duc  lui-même  avait  spécifié  qu'à  défaut 
de  ses  frères,  ce  qu'il  avait  en  Alsace  reviendrait  à  la  France^  ; 
et  qu'enfin  Richelieu,  à  ce  moment,  tenait  à  l'Alsace,  non  pour 
la  garder  à  titre  de  conquête,  mais  comme  un  gage  pouvant 
servir  au  moment  des  discussions  de  la  paix;  il  va  nous  le  dire 
lui-même  abondamment.  Et  c'est  ici  sur  ce  point  essentiel,  en 
dernière  analyse,  qu'il  faut  insister. 

Car,  dira-t-on,  jusqu'à  présent  nous  avons  bien  entendu  Riche- 
lieu faire  les  déclarations  que  nécessitaient  les  circonstances. 
Mais  que  de  fois  n'a-t-on  pas  vu  des  gouvernements,  pour  ne 
pas  alarmer  leurs  adversaires,  protester  de  leurs  sentiments  désin- 
téressés, quitte  à  ce  que  la  suite  démontrât  la  vanité  de  leurs 
affirmations  mensongères!  Richelieu  a  dissimulé  sa  pensée  :  il 
a  tenu  le  langage  de  la  diplomatie  de  tous  les  temps.  Il  s'agit 
donc  de  pénétrer  plus  avant,  si  c'est  possible,  et  de  savoir  si  les 
intentions  du  cardinal  étaient  sincères,  si  vraiment  l'on  peut 
connaître  ses  sentiments  réels.  On  le  peut. 

Richelieu,  dans  les  infinis  documents  que  nous  avons  de  lui, 
n'a  point  fait  mystère  des  conclusions  qu'il  voulait  voir  donner 
à  la  guerre  en  ce  qui  concernait  les  bénéfices  que  devait  en  reti- 
rer la  France.  Il  les  a  répétées  de  façon  si  constante,  dans  ses 
correspondances  privées,  ses  dépêches  confidentielles,  voire 
même  dans  des  traités  passés  avec  des  tiers,  constituant  ainsi 
des  engagements  formels,  qu'il  est  difficile  de  douter  de  ses 
intentions.  Nous  avons  de  lui  des  lettres  chiffrées  adressées  à 
des  agents  diplomatiques  secrets,  dans  lesquelles,  pour  faciliter 
à  ceux-ci  leurs  négociations,  il  leur  révèle  nettement  ce  qu'il 

1.  Pour  être,  bien  entendu,  rendue  à  l'empire  au  moment  de  la  paix  :  le  texte 
du  testament  est  dans  le  ms.  fr.  Bibl.  nat.  3737,  fol.  53-63.  Cf.  Legrelle, 
Louis  XIV  et  Strasbourg,  p.  121.  Voir,  dans  une  lettre  de  Guébriant  à  de 
Noyers  du  25  juin  1639,  une  curieuse  conversation  de  Bernard  avec  le  premier 
(B.  Rose,  op.  cit.,  p.  545)  :  «  Monsieur,  ce  me  dit-il  (Bernard)  pour  conclu- 
sion, je  ne  souffrirai  jamais  que  l'on  me  puisse  justement  reprocher  que  j'aie 
été  le  premier  à  démembrer  l'empire.  —  Comment?  Monsieur,  lui  dis-je  aus-  . 
sitôt,  démembrer  l'empire?  Et  qui  vous  en  prie?...  etc.  »  Richelieu  avait  fait 
expliquer  par  M.  d'Oysonville  au  duc  ce  même  mois  que  «  l'intention  de  S.  M. 
étoit  de  le  maintenir  en  Alsace,  afin  que  ce  soit  une  perpétuelle  barrière  entre 
la  France  et  les  ennemis  »  (Avenel,  Lettres,  t.  VI,  p.  410). 


RICnELIED   ET   LA   QUESTION    DE    l'àLSACE.  189 

appelle  «  le  fond  du  pot'  »,  c'est-à-dire  ses  idées  de  derrière  la 
tête,  et  nous  avons  les  minutes  de  ces  dépêches  corrigées  de  sa 
main,  témoignages  précieux,  puisqu'elles  pourraient,  sous  les 
ratures,  révéler  les  intentions  cachées.  Or,  il  n'y  a  pas  de  doute, 
jamais  Richelieu  n'a  dit  vouloir  garder  l'Alsace. 

Dans  un  mémoire  àFeuquières  du  l"""  février  1634,  cherchant 
à  gagner  Wallenstein,  il  consent  à  ce  que  son  ambassadeur 
avoue  au  condottiere  quelles  "sont  les  visées  de  la  France  relati- 
vement aux  conditions  de  la  paix,  et  il  les  éuumère  :  «  Les  inté- 
rêts que  Sa  Majesté  désire  estre  compris  et  décidés  dans  le  traité 
de  paix  générale  »  sont  :  la  confirmation  du  protectorat  de  la 
France  sur  Metz,  Toul  et  Verdun;  l'abandon  par  l'empire  de 
la  Lorraine,  sur  laquelle  le  roi  a  des  droits  très  anciens,  incon- 
testables, et  dont  le  duc  irrite  Louis  XIII  par  sa  politique  agitée 
antifrançaise;  la  reconnaissance  de  la  possession  de  Pigne- 
rol,  le  règlement  des  affaires  de  Mantoue,  les  Grisons  laissés 
maîtres  de  la  Valteline  :  voilà  ses  «  buts  de  guerre  »  ;  il  va  les 
répéter  vingt  fois;  il  n'est  pas  question  de  l'Alsace "2. 

Deux  mois  et  demi  après,  le  15  avril  1634,  Richelieu  conclut 
à  La  Haye  un  traité  d'alliance  avec  les  Pays-Bas  où  sont  indi- 
quées les  clauses  que  les  nouveaux  alliés  s'engagent  à  soutenir 
en  faveur  de  la  France  dans  le  congrès  futur  de  la  paix  géné- 
rale. Nous  sommes  ici  en  présence  d'un  engagement  diploma- 
tique important,  essentiel,  qui  va  fixer  l'avenir.  Quelles  sont  les 
acquisitions  territoriales  que  les  Pays-Bas  consentent  à  recon- 
naître à  la  France?  La  Lorraine,  les  Trois-Evechés,  Pignerol, 
nullement  l'Alsace^^  Et  Richelieu  se  considérera  comme  si  étroi- 
tement lié  par  cette  convention  qu'il  écrira  à  La  Haye  en  1636  : 
«  Le  roi  mourra  plutôt  que  de  ne  pas  garder  religieusement  à 
Messieurs  les  États  tout  ce  à  quoi  il  est  obligé*  ».  Il  répétera  au 

1.  Dans  une  lettre  à  La  Valette  du  10  juillet  1635  :  B.  Rose,  op.  cit.,  p.  467. 

2.  Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  19  r°  et  suiv.  Le  26  mars  suivant, 
Richelieu  énumère  à  nouveau  à  Feuquières  ses  conditions  de  paix  {Ibid., 
fol.  39  r")  et  dit  expressément  qu'il  évacuera  les  villes  d'Alsace  qu'il  pourra  se 
trouver  occuper.  En  revanche,  il  désire  la  réunion  à  la  France  de  Metz,  Toul 
et  Verdun.  A  la  fin  de  mars,  Richelieu  dit  à  M.  de  Saint-Georges,  qu'il  envoie 
ii  Vienne  en  mission  officieuse,  qu'il  évacuera  l'Alsace  même  comme  conditions 
d'une  trêve  (Avenel,  t.  IV,  p.  547). 

3.  Ambassades  et  négociations  de  M.  le  comte  d'Estrades,  1718,  in-l2,  t.  1, 
p.  87. 

4.  Avenel,  Lettres,  t.  Vlll,  p.  295. 


190  LOUIS    BATIFFOL. 

gouvernement  de  La  Haye,  allant  au-devant  des  accusations 
dont  il  est  l'objet  de  vouloir  faire  des  conquêtes  :  «  Le  roi  ne 
prétend  pas  étendre  les  limites  de  son  royaume  en  Allemagne  ' .  » 
Pour  l'Alsace,  il  dit  et  fera  redire  à  tout  le  monde  que  le  pays 
n'est  entre  ses  mains  qu'un  gage  en  vue  de  ce  que  la  France 
veut  obtenir  à  la  paix,  c'est-à-dire  la  Lorraine.  Le  secrétaire 
d'État  de  Noyers,  recommandant  au  cardinal  de  La  Valette,  le 
19  novembre  1636,  de  bien  assurer  la  défense  des  villes  alsa- 
ciennes, ajoute  :  «  Ces  places  étant  d'importance  pour  la  paix, 
comme  Votre  Éminence  le  sait  mieux  qu'aucun-.  »  Lorsqu'il  est 
question  de  pourparlers  de  paix  générale  à  Cologne,  en  1636, 
Richelieu,  dans  les  instructions  qu'il  (besse  pour  ses  plénipo- 
tentiaires, répète  «  ses  buts  de  guerre  ».  Les  questions  que  la 
France  veut  voir  traiter  à  son  avantage  sont  :  celles  de  la  Lor- 
raine, Pignerol,  Mantoue,  la  Valteline,  et  voici  ce  qu'il  dit  de 
r.ysace  :  «  Pour  ce  qui  est  de  l'Alsace,  Sa  Majesté  ne  fait  nulle 
difficulté  de  remettre  toutes  les  places  à  ceux  à  qui  elles  appar- 
tiennent 3.  »  Le  6  décembre  de  cette  même  année  1636,  deman- 
dant au  juriste  Godefroy  de  préparer  les  dossiers  de  pièces  néces- 
saires aux  revendications  de  la  France,  qui  seront  soumises  à 
la  conférence  de  Cologne,  il  énumère  ces  revendications,  tou- 
jours les  mêmes  :  il  ne  parle  pas  de  l'Alsace^.  A  la  fin  de  jan- 
vier 1637,  il  fait  répéter  à  Oxenstiern  par  M.  de  Rorté  :  «  Le 
roi  tient  plusieurs  places  en  Alsace,  lesquelles  elle  est  prête  de 
rendre  par  la  paix  pour  le  bien  commun ,  n'ayant  point  dessein 
de  s'agrandir  en  tout  ce  que  dessus  ^\  »  A  la  même  date,  il  envoie 
un  provincial  des  Minimes,  le  P.  Bach,  en  mission  secrète  en 
Espagne,  afin  de  chercher  à  joindre  le  duc  d'Olivarès  et  tâcher 

1.  Mémoires  de  Richelieu,  éd.  Michaud,  t.  II,  p.  666.  Il  fera  dire,  le  4  mai 
1634,  par  Feuquières  à  l'assemblée  de  Francfort  :  «  S.  M.  souhaite  devoir  ses 
atl'aires  réduites  à  ce  point  que,  remettant  les  places  où  elle  tient  de  ses 
troupes  pour  la  seule  défense  et  protection  de  ceux  qui  l'ont  requise,  elle  fasse 
voir  clairement  qu'elle  n'a  point  d'autre  intérêt  que  le  bien  commun,  ce  qui 
peut  servir  dès  cette  heure  pour  dissiper  les  soupçons  et  réfuter  les  calomnies 
de  ceux  qui  publient  le  contraire  »  (Arch.  Aff.  étr.,  Allemagne  10,  fol.  75  r"). 

2.  Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  718. 

3.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  10212,  fol.  55  r°.  «  Instruction  pour  Mrs  les  ambassa- 
deurs envoyés  à  Cologne  pour  le  traité  de  la  paix  générale.  »  Cf.  lettre  de 
Richelieu  au  maréchal  d'Estrées  du  8  octobre  1636,  Avenel,  Lettres,  t.  V, 
p.  612. 

4.  Ibid.,  p.  706.  «  Mémoires  pour  la  conférence  de  Colognf.  » 

5.  lUd.,  p.  743. 


RICHELIEU   ET   LA   QUESTION    DE   l'ALSÂCE.  191 

de  s'entretenir  avec  lui  des  conditions  possibles  de  la  paix.  Il 
donne  au  P.  Bach  ses  conditions  :  «  Pour  bien  faire  »,  dit-il  dans 
ses  instructions  au  religieux,  «  il  est  nécessaire  qu'il  (le  P.  Bach) 
ait  une  connaissance  plus  que  générale  des  conditions  auxquelles 
on  peut  faire  la  paix  ».  Et  il  parle  ainsi  de  l'Alsace  :  «  Il  (le 
P.  Bach)  doit  savoir  que  la  France  tient  plusieurs  jdaces  en 
Alsace,  lesquelles  elle  est  prête  de  rendre  par  la  paix  pour  le 
bien  commun  »  ;  la  même  formule  que  plus  haut  pour  Oxens- 
tiern  1.  Le  10  février  1637,  Richelieu  redit  au  marquis  de  Saint- 
Chamond,  autre  envoyé  diplomatique  :  «  Le  roi  tient  plusieurs 
places  en  Alsace  qu'il  veut  bien  restituer  dans  l'intérêt  de  la 
paix^.  »  Ces  répétitions  sont  formelles,  décisives.  Suivons  tou- 
jours les  textes,  année  par  année.  La  doctrine  ne  va  pas  varier. 

En  avril  1638,  le  cardinal  promet  à  la  Suède  de  s'employer  à 
lui  assurer  au  moment  de  la  paix  générale  la  possession  de  la 
Pomèranie,  à  condition  qu'en  retour  la  Suède  promette  son  con- 
cours pour  assurer  à  la  France  :  quoi,  l'Alsace?  non!  la  Lor- 
raine 3. 

En  septembre  1638,  discutant  une  proposition  des  ambassa- 
deurs d'Angleterre  qui  offrent  de  se  joindre  à  la  France  et  à  la 
Suède  afin  de  demander  la  paix  à  l'empereur  et  leur  expliquant 
ses  conditions,  le  cardinal  insiste  sur  la  Lorraine,  «  que  nous 
ne  voulons  pas  rendre  »,  dit-il;  il  ne  parle  pas  de  l'Alsace^.  A  la 
fin  de  novembre,  il  envoie  un  nouvel  agent  secret  en  Espagne, 
Pujol,  pour,  encore,  sonder  le  terrain  et  voir  si  l'on  peut  traiter 

1.  Avenel,  LeXirea,  t.  V,  p.  739. 

2.  /6id.,  t.  VIII,  p.  309.  A  ce  moment,  Richelieu  sent  que  la  possession 
même  de  la  Lorraine  va  lui  être  vivement  contestée;  il  fait  dire  à  Oxcnstiern  : 
«  Le  roi  consentira  à  ce  qu'elle  lui  demeure  seulement  en  la  mesme  façon  que 
la  couronne  de  Suède  pourra  conserver  ce  qui  lui  demeurera  de  ses  con- 
questes.  » 

3.  Ihid.,  t.  VIll,  p.  143,  et  t.  VI,  p.  28. 

4.  Ibid.,  t.  VI,  p.  136.  «  Les  Anglois,  qui  ne  songent  qu'à  avoir  leur  compte, 
estimeront  juste  la  restitution  de  la  Lorraine  et  mesme  celle  de  la  Pomèranie, 
pourvu  qu'on  leur  rende  le  Palatinat.  Nous  nous  moquerons  d'une  telle  propo- 
sition... La  maison  d'Autriche...  témoignera,  pour  les  attirer  de  son  côté,  ne 
faire  aucune  diiliculté  de  rendre  le  Palatinat,  pourvu  que  nous  rendions  la  Lor- 
raine, et  elle  fera  cette  oHre  sans  bourse  délier,  parce  qu'elle  sait  Lien  que 
nous  ne  voulons  pas  rendre  la  Lorraine...  Les  intérêts  de  la  Suède  et  de  la 
France  requièrent  la  conservation  de  la  Pomèranie  et  de  la  Lorraine  à  divers 
titres  justes...,  etc.  »  On  voit  autour  de  quels  sujets  tourne  le  débat.  Le  doiu 
de  l'Alsace  n'est  pas  prononcé. 


192  LOUIS   BATIFFOL. 

de  la  paix;  il  lui  dévoile  ses  conditions  :  toujours  la  Lorraine, 
et  ceci  sur  l'Alsace  :  «  Bien  que  la  France  eût  pu  prétendre 
retenir  quelques-unes  des  places  qu'elle  tient  en  Allemagne,  elle 
est  disposée  de  les  rendre  en  cas  de  paix  ^ .  » 

L'année  suivante  1639,  mêmes  affirmations.  L'Alsace  n'est 
toujours  entre  les  mains  de  la  France  qu'un  gage  qu'elle  tient 
afin  d'obtenir  la  Lorraine  en  échange,  c'est  ce  que  répète  Riche- 
lieu à  Bernard  qui  voudrait  que  Louis  XIII  lui  abandonnât 
toutes  les  villes  qu'il  occupe  dans  le  pays  :  «.En  lui  remettant 
ces  places  (alsaciennes)  »,  écrit  le  cardinal,  «  on  n'auroit  plus  rien 
pour  obliger  l'empereur  à  la  paix,  en  ce  qu'on  donneroit  au  duc 
tout  ce  dont  l'empereur  peut  espérer  la  restitution  par  un  traité 
de  paix  générale  ;  On  se  priveroit  par  ce  moyen  d'un  des  meil- 
leurs expédients  pour  conserver  la  Lorraine,  ce  que  la  raison 
veut  qu'on  garde.  »  Le  texte  est  catégorique'^  !  Cette  même  année 
1639,  le  cardinal  examine  «  divers  projets  selon  lesquels  on  peut 
accommoder  les  différends  qui  sont  entre  la  France  et  la  mai- 
son d'Autriche  ».  Il  y  a  six  mémoires,  œuvres  de  plusieurs  con- 
seillers. L'un  d'eux  propose  au  roi  de  garder  tout  ce  qu'il  a  con- 
quis, y  compris  l'Alsace  :  «  Le  roi  gardera  toutes  les  places 
conquises,  tant  es  Pays-Bas  que  Luxembourg,  Bourgogne,  Rous- 
sillon,  Alsace  et  Allemagne  »,  et  que  répond  Richelieu,  qui 
sait  l'impossibilité  de  faire  accepter  pareilles  conditions  aussi 
énormes  aux  adversaires  comme  aux  alliés  ?  Ceci  :  «  A  la  suite 
de  tous  ces  projets,  après  les  avoir  bien  considérés,  on  peut  dire 
avec  vérité  que  maintenant  on  n'en  sauroit  faire  aucun  qui  ne 
soit  chimérique.  »  Chimérique!  voilà  le  seul  mot  qu'il  ait 
trouvé  pour  qualifier,  la  première  fois  où  on  la  lui  propose, 
l'idée  d'annexer  l'Alsace 3. 

Et  jusqu'à  sa  mort  il  ne  changera  pas.  Vers  la  fin  de  1640, 
l'empereur  réunit  une  diète  à  Ratisbonne.  Richelieu  s'arrange 
pour  y  faire  répéter  ses  «  buts  de  guerre  »  et  affirmer  à  nouveau 
c(ue  la  France  «  n'a  d'autre  pengée  que  de  conserver  ou  de 
recouvrer  ce  qui  lui  appartient  »,  c'est-à-dire  nullement  de  s'em- 
parer de  l'Alsace  qui  ne  lui  appartient  pas^.  Deux  mois  avant  sa 

1.  Avenel,  Lettres,  t.  VI,  p.  242.  Les  difficultés  relativement  à  la  Lorraine 
augmentant,  Richelieu  parle  d'offrir  un  dédommagement  au  duc. 

2.  Ibid.,  p.  409. 

3.  Ibid.,  t.  VII,  p.  802. 

4.  Ibid.,  t.  VIII,  p.  169.  On  ne  peut  donc,  comme  cela  a  été  essayé,  voir 


RICHELIEU    ET   LA   QUESTION    DE   l'aLSACE.  193 

mort,  le  4  octobre  1642,  il  fait  rappeler  au  prince  d'Orange, 
par  le  comte  d'Estrade,  son  ambassadeur,  les  conditions  que  les 
Pays-Bas  se  sont  engagés,  le  l'^"' avril  1334,  à  soutenir  en  faveur 
de  la  France  et  à  obtenir  pour  elle  au  congrès  de  la  paix  ;  ces 
conditions  restent  les  mêmes  qu'il  y  a  huit  ans  :  «  Messieurs 
les  Etats  ;■>,  dit-il,  «  ne  peuvent  faire  la  paix  sans  que  Pignerol 
demeure  au  roi  paisible,  sans  que  les  traités  faits  avec  l'empe- 
reur et  l'Espagne  sur  le  sujet  de  Mantoue  ne  soient  entièrement 
exécutés,  sans  que  les  Grisons  demeurent  seigneurs  de  la  Val- 
teline  et  sans  que  le  roi  d'Espagne  abandonne  le  duc  de  Lor- 
raine »;  rien  sur  l'Alsace^.  Nous  n'avons  pas  une  ligne  de  la 
main  de  Richelieu  qui  permette  de  supposer  que  ses  idées,  rela- 
tivement à  l'Alsace,  se  soient  jamais  modifiées  avant  sa  mort  et 
aient  été  autres  que  celles  qu'il  vient  de  nous  affirmer  tant  de 
fois  de  manière  si  ferme.  A  moins  de  renverser  les  fonde- 
ments de  la  critique  historique  et  de  dire  que  cent  témoignages 
positifs,  directs,  dont  la  sincérité  est  confirmée  par  toutes  les  rai- 
sons pohtiques,  juridiques  et  morales  que  nous  avons  indiquées, 
ne  peuvent  compter  devant  une  «  supposition  »,  une  «  croyance  » 
invérifiable,  on  peut  conclure  que  Riclielieu,  dans  la  mesure  où 
il  est  humainement  possible  à  l'histoire  d'avoir  une  certitude  sur 
les  intentions  d'un  homme  d'Etat,  n'a  jamais  eu  la  pensée  de 
conquérir  l'Alsace. 

Mais,  alors,  quel  intérêt  prennent  pour  nous  les  manifestations 
des  Alsaciens  venant  d'eux-mêmes  à  la  France  et  se  donnant 
librement  à  elle  !  S'il  est  prouvé  que  Louis  XIII  ne  songeait  pas 
à  s'emparer  du  pays,  c'est-à-dire  qu'on  ne  puisse  accuser  Riche- 
lieu d'avoir  provoqué  et  soudoyé  le  mouvement  des  Alsaciejis 

l'expression  des  intentions  contraires  de  Richelieu  dans  une  lettre  du  roi  à 
d'Avaux  du  27  octobre  1640,  où  il  est  dit  {Ibid.,  p.  366)  :  «  On  a  su  par  voie 
secrète...  que  plusieurs  princes  d'Allemagne  se  résoudroient  à  laisser  la  Ponié- 
ranie  à  la  Suède  et  l'Alsace  avec  Brisach  à  la  France,  que  les  électeurs  vcr- 
rolent  volontiers  des  députés  de  la  France  et  de  la  Suède  à  la  diète  de  Ratis- 
bonne...  Agir  d'après  ces  informations.  »  Cette  note  n'a  eu  aucune  suite,  et  il 
est  didicile  de  penser  que  dans  sa  forme  vague  elle  suflise  à  rendre  caducs 
tous  les  autres  témoignages  opposés.  Ce  qu'on  peut  seulement  en  inférer,  c'est 
que  l'idée  de  donner  l'ALsace  à  la  France  aurait  été  exprimée  d'abord  en  Alle- 
magne; j'ai  dit  ailleurs  qu'elle  avait  été  émise  en  premier  lieu  à  Strasbourg, 
en  1639  {Anciennes  républiques  alsaciennes,  p.  220). 

1.  Ambassades  et  négociations  de  M.  le  comte  d'Estrades^  1718,  in-12,  l.  I, 
p.  87. 

Rev.  Histor.  CXXXVIII.  2<=  fasc.  13 


194  LOUIS   BATIFFOL. 

vers  la  France,  ce  mouvemeat  garde  une  spontanéité  et  pré- 
sente à  nos  yeux,  étant  donné  les  idées  actuelles,  une  impor- 
tance dont  on  ne  saurait  exagérer  la  valeur.  Je  terminerai  en 
signalant  à  ce  sujet  quelques  faits  nouveaux  et  des  témoignages 
jusqu'ici  inutilisés. 

Lorsque  les  Français  entrent  en  Alsace  en  janvier  1634,  les  oflS- 
ciers  informent  Louis  XIII  de  l'empressement  avec  lequel  les  popu- 
lations s'oârent  à  la  France.  Les  notables  leur  disent  que  ce  sont 
les  bourgeois  eux-mêmes  qui  sollicitent  le  protectorat  français 
et  non  les  gouverneurs  des  places  et  qu'U  faut,  par  conséquent, 
traiter  avec  les  bourgeois^.  Non  seulement  Louis  XIII  acquiesce, 
mais  n  spécifie  expressément  qu'il  entend,  en  eôet,  avoir  l'assen- 
timent des  populations.  En  effet,  les  habitants  de  Haguenau  et  de 
Saverne  dressent  eux-mêmes  l'acte  officiel  par  lequel  ils  agréent 
et  approuvent  «  estre  entre  les  mains  et  la  protection  de  Sa 
Majesté  le  roi  de  France^  ».  Le  5  février,  le  marquis  de  La  Force 
écrit  à  Richelieu  :  «  Les  habitants  insistent  toujours  que  c'est 
leur  volonté^  nul  ne  les  pouvant  garantir  que  Sa  Majesté  »  ;  et 
le  duc  de  Lorraine  ayant  protesté,  le  marquis  répond  n'avoir 
fait  que  «  ce  de  quoi  les  habitants  m'avoient  requis ^  ».  Louis  XIII 

1.  Lettre  du  colonel  de  La  Bloquerie  au  maréchal  de  La  Force  lui  rendant 
compte  des  événements,  11  janvier  1634  (Arch.  Aff.  étr..  Lorraine  14,  fol.  58  r"). 
«  Le  chancelier  (de  Saverne)  me  vient  trouver  et  parler  encore  de  Haguenau, 
me  disant...  qu'il  fallait  que  les  bourgeois  appellassent  le  roi...  >  Le  maréchal 
de  La  Force  rendait  compte  de  son  côté  à  Richelieu  (fol.  50  r°),  demandant 
des  instructions. 

2.  Le  marquis  de  La  Force  écrit  à  Richelieu  le  1"  février  1634  (Arch.  Afl', 
étr.,  Alsace  6,  fol.  97  r")  :  «  Le  chancelier  (de  Saverne),  qui  a  toujours  témoigné 
avoir  de  l'affection  pour  le  service  de  S.  M.,  m'a  envoyé  un  acte  que  tous  les 
habitants  ont  fait  par  lequel  ils  agréent  et  approuvent  le  traité  fait  par  M.  le 
comte  de  Salm  et  désirent  grandement  estre  entre  les  mains  et  la  protection 
de  S.  M.  » 

3.  Ibid.,  fol.  101  r*.  Le  20  mars,  le  maréchal  de  La  Force,  proposant  de 
mettre  la  main  sur  Brisach,  en  raison  de  l'importance  stratégique  de  la  place, 
Richelieu  répond  que  cela  n'est  possible  que  «  s'il  y  a  disposition  qu'elle  se 
veuille  mettre  en  la  protection  de  S.  M.,  ce  qu'il  (La  Force)  reconnaîtra  avec 
prudence  >  [Ibid.,  Allemagne  10,  fol.  28  r°).  «  S.  M.  lui  donne  ordre  (à  La 
Force)  précisément  »  qu'il  n'envoie  de  troupes  «  qu'ayant  traité  avec  le  gou- 
verneur et  les  habitants  et  estant  bien  assuré  qu'ils  désirent  se  remettre  entre 
les  mains  du  roy  »  [Ibid.,  Lorraine  14,  fol.  372  r°).  La  Force  envoie  des  Cou- 
tures à  Brisach  avec  l'injonction  répétée  de  Richelieu  :  «  Il  sera  nécessaire  que 
le  dit  maréchal  soit  assuré  de  la  volonté  de  ceux  de  dedans,  laquelle  ne  soit 
pas  changée  depuis  qu'ils  l'auront  fait  savoir  au  marquis  de  Bourbonne  »  {Ibid., 
fol.  460  v%  8  mai),  et  Richelieu  ajoute  :  «  Il  les  recevra  en  la  protection  du 


RICHELIEU   ET   LA   QUESTION   DE   l'iLSACE.  195 

recommande  à  ses  soldats  d'être  humains  envers  ces  populations 
qui  font  appel  à  la  France  :  «  Le  roi  seroit  bien  marri  » ,  mande 
un  ministre  le  16  avril  1634  au  gouverneur  français  de  Saverne, 
€  de  leur  donner  (aux  Alsaciens)  sujet  de  mécontentement.  Il 
importe  de  ménager  toutes  choses  avec  prudence  ^  »  De  Paris 
on  prescrit  aux  gouverneurs  de  «  faire  vivre  lesdits  habitants 
en  union  et  concorde  les  uns  avec  les  autres  et  lesdits  gens  de 
guerre  en  bonne  discipline  et  police^  »;  surtout  de  ne  pas  tou- 
cher aux  questions  religieuses  :  «  Il  faut  éviter  que  les  protes- 
tants n'aient  fondement  de  se  plaindre  que  Sa  Majesté  préfère 
les  catholiques  à  eux-mêmes^.  »  «  Jusqu'ici,  «répond le  12  sep- 
tembre 1634  M.  de  Saint-Simon,  gouverneur  de  Saverne,  à  Bou- 
thilier,  «  j'ai  vécu  avec  ces  peuples  sans  avoir  aucune  diffi- 
culté 4.  » 

Et,  en  effet,  les  bons  résultats  de  l'occupation  française  forti- 
fient les  sentiments  signalés.  Le  maréchal  de  La  Force,  qui  écri- 
vait le  12  janvier  dans  quel  état  de  misère,  suite  des  guerres, 
il  avait  trouvé  l'Alsace  :  «  Il  n'est  point  croyable  la  grande 
désolation  qui  se  voit  par  tout  le  pays,  estant  toute  la  cam- 
pagne abandonnée,  les  maisons  désertes,  les  terres  incultes, 
les  peuples  réfugiés  dans  les  villes ^  »,  et  qui,  dans  une  sorte  de 
proclamation  du  9  février,  disait  aux  Alsaciens  :  vous  avez  fait 

roy,  avec  promesse  de  remettre  la  place  aux  légitimes  seigneurs  au  temps  de  la 
paix  générale  en  Allemagne  et  généralement  aux  mêmes  conditions  qu'Hague- 
nau  et  Saverne  »  (fol.  461  r°).  L'aflaire  n'aboutit  pas. 

1.  Arch.  Afif.  étr.,  Alsace  6,  fol.  137  r°. 

2.  Ibid.,  Alsace  10,  fol.  12  r". 

3.  Instruction  au  maréchal  de  La  Force  du  10  février  1634  {Ibid.,  Lorraine  14, 
fol.  183  r").  Il  y  a  dans  ce  document  cette  phrase  :  «  Il  faut...  leur  donner 
assurance  (aux  nobles)  que  S.  M.  ne  désire  que  leur  conservation  et  ne  pré- 
tend accroistre  ses  Estais,  mais  se  joindre  avec  eux  pour  les  maintenir  en  la 
possession  de  leurs  biens  et  franchises.  » 

4.  Ibid.,  Alsace  6,  fol.  1G2  r".  Saint-Simon  ajoute,  parlant  des  Alsaciens  : 
«  Ces  Allemands  sont  un  peu  pesants,  il  les  faut  avoir  avec  méthode.  »  Les 
Français  de  ce  temps  ne  croient  donc  pas  revenir  en  terre  française  en  ren- 
trant en  Alsace,  mais  ils  se  croient  en  pays  allemand.  Il  est  à  remarquer  que 
les  bibliothécaires  à  la  Bibliothèfpie  du  roi  ont  continué,  au  xyni»  siècle,  de 
classer,  jusqu'à  la  Révolution,  les  ouvrages  relatifs  à  l'Alsace  dans  l'histoire 
d'Allemagne.  En  revanche,  après  1871,  leurs  successeurs  ont  continué  ù  les 
classer  dans  l'histoire  de  France. 

5.  Ibid.,  Lorraine  14,  fol.  lî)l  r°.  Le  duc  de  Rohan  écrivait  le  11  décembre 
1634  à  la  cour  :  «  L'.\lsace  est  un  pays  ruiné  où  il  faut  faire  porter  la  plupart 
des  blés  pour  la  nourrir  »  {Ibid.,  Alsace  6,  fol.  229  r*). 


196  LOUIS   BATIFFOL. 

appel  à  la  protection  de  la  France  ;  vous  reconnaîtrez  «  l'assu- 
rance et  douceur  de  cette  protection  »  ;  rentrez  dans  vos  foyers, 
reprenez  la  culture  de  vos  terres,  jouissez  «  de  la  même  douceur 
et  repos  que  jouissent  tous  ceux  qui  sont  sous  la  protection  de 
Sadite  Majesté'  »,  note,  au  bout  de  peu  de  temps,  avec  quelle 
confiance  «  les  Alsaciens  commencent  à  se  remettre  aux  champs, 
avec  de  grandes  bénédictions  qu'ils  donnent  à  Sa  Majesté^  ».  Par- 
tout le  peuple  d'Alsace  affiche  les  panonceaux  dé  France. 
Lorsque  les  soldats  français  entrent  dans  une  ville,  les  «  prin- 
cipaux »  accourent  les  recevoir  à  la  porte,  leur  déclarent  leurs 
«  grandes  soumissions  envers  le  roi  de  France,  témoignant  un 
si  grand  contentement  de  se  voir  en  la  main  et  protection  de  Sa 
M^esté  qu'ils  louent  Dieu  d'un  si  grand  bonheur  qui  leur  est 
arrivé 3  ».  Rendant  compte  de  ces  manifestations,  le  maréchal 
de  La  Force  écrit,  étonné,  à  la  cour  :  «  Il  n'est  pas  croyable  le 
contentement  du  peuple  de  se  voir  en  la  protection  du  roi  et  les 
bénédictions  qu'ils  donnent  à  Sa  Majesté  dans  les  villes  et  aux 
champs^!  « 

Avec  empressement,  les  Alsaciens  s'offrent  à  servir  la  France. 
Dès  février  1634,  La  Force  signale  le  désir  d'un  grand  nombre 
d'entre  eux  de  s'enrôler  dans  les,  troupes  françaises  :  il  y  a 
400  demandes  à  Haguenau^.  En  août,  des  Alsaciens  proposent 
à  d'Aiguebonne,  gouverneur  de  Haguena,u,  de  lever  des  com- 
pagnies entières  d'infanterie  ou  de  cavalerie  «  pour  le  service 
du  roi,  s'il  lui  plaît  de  se  servir  d'eux^  ».  Côlmar  prend  l'initia- 

1.  Arck.  AflF.  étr.,  Alsace  6,  fol.  104  r°. 

2.  Ibid.,  Lorraine  14,  fol.  191  r°. 

3.  Rapport  du  maréchal  de  La  Force  à  la  cour  du  12  février  1634  (Ibid., 
fol.  190  r'). 

4.  Ibid.,  fol.  170  v°,  7  février  1634.  Lorsqu'en  1640,  Louis  XIII  nomme  un 
lieutenant  général  pour  l'Alsace,  voici  l'effet  produit  par  la  mesure  sur  les 
Alsaciens  :  «  Ils  ont  dit  d'un  consentement  général  qu'ils  avoient  désiré  il  y  a 
longtemps  de  savoir  à  qui  ils  estoient,  mais,  par  cet  établissement,  ils  reco- 
gnoissoient  qu'ils  avoient  pour  maistre  un  si  grand  roy  de  la  bonté  duquel  ils 
se  promettoient  le  rétablissement  de  la  religion  et  de  la  justice...  Une  se  peut 
exprimer  avec  quelle  joie  et  contentement  les  habitants  ont  entendu  cette  nou- 
velle et  comment  ils  ont  remercié  deçà  publiquement.  »  Ils  désirent  même  que 
ce  lieutenant  général,  qui  n'est  là  que  pour  commander  aux  gouverneurs  fran- 
çais des  garnisons  des  villes,  soit  nommé  «  gouverneur  général  de  l'Alsace  » 
[Ibid.,  Alsace  9,  fol.  298  v°,  rapport  au  roi).  Ce  lieutenant  général  est  le  baron 
d'Oyson  ville. 

5.  Ibid.,  Lorraine  14,  fol.  171  r°,  7  février. 

6.  Mémoire  de  d'Aiguebonne  à  la  cour  du  19  août,  Ibid.,  Alsace  6,  fol.  155  r°. 


RICHELIEU   ET   LA   QUESTION   DE   l'ALSACE.  197 

tive  d'armer  300  hommes,  afin  de  *  les  employer  pour  le  ser- 
vice du  roi  lorsque  l'occasion  s'en  présentera^  ».  Le  22  juillet, 
d'Aiguebonne  écrit  à  Bouthilier  qu'il  peut  trouver  à  Haguenau 
de  quoi  fprmer  un  régiment,  et,  le  13  octobre,  Servien  se  croira 
en  mesure  de  mander  au  cardinal  de  La  Valette  de  lever  dans  le 
pays  deux  régiments  entiers 2, 

La  noblesse,  d'abord  inquiète  et  hésitante,  se  tenant  sur  la 
réserve,  finit  par  suivre  le  mouvement.  Elle  écrira  au  roi  de 
France,  sous  la  plume  de  M.  de  Ribaupierre,  qu'elle  est  «  entre 
les  clients  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne,  possible  des  plus 
grands,  quant  au  désir  et  à  l'afiection  au  service  de  Sa  Ma- 
jesté^ »;  elle  lui  déclarera  qu'elle  va  «  faire  afficher  les  panon- 
ceaux portant  vos  armes,  et,  par  ainsi,  faire  verdir  les  fleurs 
de  lys  dans  ces  quartiers  »,  et  elle  remercie  avec  eff'usion  le  roi 
d'avoir  pris  sous  son  protectorat  ce  qu'elle  appelle  «  notre  chère 
patrie^  ». 

Le  mot  qui  revient  le  plus  souvent  sous  la  plume  des  officiers 
et  des  intendants  parlant  des  sentiments  des  Alsaciens  à  ce 
moment  est  celui  «  d'affection  pour  la  France  »,  «  bonne 
volonté  pour  la  France  »  :  notons  le  mot  France,  ici  employé, 
et  non  le  roi.  Du  chanceher  de  la  ville  de  Saverne,  l'intendant 
Gobelin  écrira  à  Bouthilier  le  12  février  1634  :  «  C'est  un  homme 
fort  afi'ectionné  à  la  France  »,  qui  offre  à  prouver,  «  par  quan- 
tité de  titres  qui  sont  dans, la  chancellerie  de  Saverne,  que  la 
plupart  des  villes  d'Alsace  sont  de  la  fondation  des  rois  de 
France.  »  Ainsi  cet  Alsacien  veut  retrouver  les  origines  fran- 
çaises de  l'Alsace  et  s'en  glorifie  ^  De  Paris  on  répond  :  «  Sa 
Majesté  lui  sait  bon  gré  (au  chancelier  en  question)  de  l'affisc- 
tion  qu'il  a  pour  la  France'^.  »  L'intendant  de  Thou  écrit,  le 
7  février  1636,  de  Josias  Glaser,  secrétaire  du  conseil  des  Quinze 

1.  Lettre  de  la  ville  de  Colmar  à  Richelieu,  Ibid.,  Alsace  9,  fol.  205  v°. 

2.  Ibid.,  Alsace  6,  fol.  333  r',  et  Allemagne  11,  fol.  275  r°.  Les  paysans  alsa- 
ciens se  prêtent  volontiers  à  M.  de  Manicamp  pour  aller  espionner  chez  l'en- 
nemi (Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  589). 

3.  Arch.  Afr.  étr.,  Alsace  10,  fol.  33  r,». 

4.  Mémoire  d'elle  à  Louis  XIII  de  1635,  Ibid.,  Allemagne  12,  fol.  123  r°.  Cf. 
fol.  121  r",  où  les  chefs  et  députés  de  la  noblesse  de  la  Basse-Alsace  expriment 
leur  gratitude  «  de  tant  de  faveurs  royales  et  bienfaits  dont  Sa  Majesté  très 
chreslienne  nous  a  comblés  jusques  ici,  desquels  nous  demeure  un  perpétuel 
ressentiment  ».  '  -,  * 

5.  Ibid.,  Lorraine  14,  fol.  188  x". 

6.  Ibid.,  fol.  245  r». 


198  LODIS   BATIFFOL. 

de  Strasbourg  :  «  Il  ne  se  peut  dire  l'assistance  que  j'ai  reçue 
de  M.  Glaser  :  c'est  un  homme  intelligent,  extrêmement  pas- 
sionné pour  tous  nos  intérêts  i.  » 

Il  faut  surtout  consulter  la  correspondance  de  la  ville  de  Col- 
mar,  la  cité  centrale  alsacienne,  celle  qui,  à  défaut  de  Stras- 
bourg, très  particulariste,  se  tenant  à  part,  a  conduit  le  groupe 
des  petites  républiques  de  la  vallée  de  l'IU,  parlé  et  agi  en  son 
nom  et  représente  véritablement  le  cœur,  la  tête  de  ce  vaillant 
petit  peuple^.  Ecoutons  ses  déclarations  si  curieuses  et  si  émou- 
vantes ! 

Colmar  déclare  dans  ses  lettres  qu'elle  s'est  donnée  à  la  France 
librement,  en  vertu  d'un  traité  voulu  par  ses  bourgeois.  On  lui 
en  fait  un  crime  au  delà  du  Rhin,  dit-eUe.  Qu'a-t-elle  cherché 
après  les  misères  dont  elle  a  été  accablée,  sinon  à  se  sous- 
traire aux  violences  de  l'empereur  et  à  ses  attentats  contre  ses 
libertés?  «  L'on  nous  reproche,  après  avoir  tant  souffert,  que 
nous  sommes  en  meilleur  état  que  nos  voisins  et  plusieurs 
villes  impériales  dans  l'empire...  La  principale  raison  qui  nous 
a  portés  à  faire  ledit  traité  (avec  la  France)  et  nous  déclarer 
entièrement  pour  le  roi  (Louis  XIII)  a  été  d'éviter  les  mauvais 
traitements  de  la  maison  d'Autriche  et  être  maintenus  dans 
nos  privilèges 3.  »  On  répète  en  Allemagne  que  la  ville  a  été  con- 
quise de  force  par  les  Français  :  Non  !  «  La  ville  n'a  pas  été  prise 
par  force,  répondent  énergiquement  les  gens  de  Colmar,  mais 
s'est  mise  d'elle-tnême  et  'par  affection  sous  la  protection  de 
la  France.  »  Retenons  ces  expressions  décisives  :  La  ville  s'est 
mise  d'elle-même  et  par  affection  sous  la  protection  de  la 
France'^.  Maintenant  elle  ne  cache  pas  «  le  zèle  particulier  » 
qu'elle  déploie  «  pour  le  service  du  roi  de  France  ...  de  tout 
son  pouvoir^  »;  elle  entend  être  en  Alsace  «  la  place  principale 
pour  le  service  du  roi  de  France,  la  ville  la  plus  considérable  ». 

1.  Aubéry,  Mém.,  t.  I,  p.  595. 

2.  «  Colmar  est  la  plus  considérable  des  villes  libres  de  la  Haute-Alsace  pour 
sa  grandeur  et  pour  son  affection  à  nostre  parti  »  (le  parti  de  la  France)  :  Arch. 
Aff.  étr.,  Alsace  9,  fol.  290  v°. 

3.  Lettre  de  la  vUle  de  Colmar  à  Chavigny  du  12  décembre  1641,  Ibid., 
fol.  210  V. 

4.  Mémoire  de  la  ville  de  Colmar  au  roi,  non  daté,  Ibid.,  Alsace  6, 
fol.  340  r°. 

5.  Ibid. 


RICHELIED   ET   LA   QDESTIOIÏ   DE   l'aLSACE.  199 

Elle  sera  sur  le  Rhin  «  la  sentinelle  de  France"^  ».  Que  lui 
importent  la  colère  et  la  haine  des  Allemands!  Elle  le  sait  : 
«  Nous  sommes  la  ville  la  plus  haïe  du  monde  des  ennemis  (elle 
appelle  les  Allemands  les  ennemis),  à  cause  du  traité  fait  avec 
Sa  Majesté  ».  Elle  s'en  réjouit.  Elle  sera  aux  Allemands  «  l'ai- 
guiJlon  de  l'œil*  ».  Elle  n'a  rien  à  regretter.  «  La  France  fait 
voir  combien  favorablement  et  avantageusement  elle  traite  tous 
ceux  qui  se  jettent  entre  ses  bras  et  dans  sa  protection  ^î  > 
Elle  proteste  à  Louis  XIII  et  à  Richelieu  de  sa  reconnaissance 
infinie  pour  tout  le  bien  que  la  France  lui  a  fait  et  dont  les  géné- 
rations futures  alsaciennes,  héritières  de  ses  sentiments,  garde- 
ront une  éternelle  gratitude  :  «  Le  traitement  favorable,  comme 
celui  que  la  ville  a  reçu  jusqu'ici  de  Sa  Majesté  et  de  "Votre 
Eminence,  non  seulement  le  magistrat  et  les  bourgeois  d'à  pré- 
sent, mais  aussi  leur  postérité  se  rendra  reconnaissante  par  ses 
très  humbles  services  envers  la  France  ».  Toujours  la  France"^  ! 
Voilà  ce  que  pense  et  dit  l'Alsace  du  xvii^  siècle^. 

1.  Arch.  AflF.  étr.  Alsace  9,  fol.  47  r".  Elle  dit  :  «  Estant  la  sentinelle  de 
France,  place  frontière...  »  Lettre  de  la  ville  de  Colraar  à  Richelieu  du  13  sep- 
tembre 1636  :  on  remarquera  le  mot  «  place  frontière  »,  frontière  de  la  France 
évidemment. 

2.  Ibid. 

3.  Lettre  du  baron  d'Erlach  à  Mazarin  du  22  janvier  1644  lui  rappelant  les 
sentiments  des  habitants  de  Colmar,  Ibid.,  fol.  252  r".  Les  gens  de  Colmar 
rendaient  justice  eux-mêmes  aux  bienfaits  de  l'occupation  française,  écrivant  à 
Richelieu  le  2  décembre  1641  {Ibid.,  fol.  212  r")  :  «  Nos  bourgeois...  se 
remettent  autant  qu'aucuns  de  leurs  voisins.  » 

4.  Lettre  à  Richelieu  du  12  décembre  1641,  Ibid.,  fol.  212  r°. 

5.  On  pourrait  relever  dans  ces  précieux  dossiers  des  Archives  des  Affaires 
étrangères  relatifs  à  l'Alsace,  jusqu'ici  peu  utilisés,  pour  différentes  raisons, 
bien  d'autres  témoignages  sur  ce  que  les  Alsaciens  appellent  «  leur  fidélité  et 
affection  »  à  la  France,  «  et  nous  sommes  résolus  de  vivre  et  mourir  en  telles 
intentions,  constamment  »,  disent-ils  [Ibid.,  fol.  71  r").  C'est  Colmar  qui 
répète  à  Louis  XIII,  le  8  juillet  1636  [Ibid.,  Alsace  9,  fol.  37  r")  :  <  Nous 
rechercherons  éternellement  toutes  les  occasions  de  faire  paroistre  nos  très 
humbles  et  très  obéissants  services  et  afl'ection  »  envers  la  France;  ou  qui 
parle  à  Richelieu  le  6  octobre  1641  (fol.  201  r»)  de  «  l'affection  très  fidèle  que 
nous  avons  toujours  eue  et  témoignée  par  effet  au  service  du  roi  »;  de  sa 
«  constante  fidélité  et  affection  pour  le  service  de  leurs  majestés  »  {Ibid., 
Alsace  10,  fol.  105  r°)  et  fait  cadeau  de  vingt  charrettes  de  vin  à  un  corps  de 
soldats  français  «  par  présent  et  de  pure  affection  »  (12  décembre  1641,  Ibid., 
Alsace  9,  fol.  210  r").  C'est  Wissembourg  qui  se  plaît  à  rappeler  au  gouverne- 
ment français  que  le  collège  de  la  ville  a  été  fondé  par  «  le  très  glorieux  Dago- 
bert,  roi  de  France  »  {Ibid.,  fol.  233  r°).  C'est  Schlestadt  qui  se  targue  de  «  sa 


200       LOCIS  BATIFFOL.  —  EICHELIED  ET  LA  QUESTION  DE  l'ALSACE. 

Il  n'y  a  rieû  à  ajouter  à  ces  déclarations  ;  elles  ont  par  eUes- 
mêmes  leur  éloquence  et  attestent  des  sentiments  qu'il  est  super- 
flu de  vouloir  davantage  prouver. 

Lorsque,  donc,  le  29  mai  1919,  le  comte  de  BrockdorfF-Rant- 
zau  a  dit,  dans  ses  Remarques  sur  les  conditions  de  la  paix, 
au  nom  de  la  délégation  allemande  venue  à  Versailles  pour  le 
traité  que  l'on  sait,  ces  paroles  qui  traduisent  la  thèse  germa- 
nique :  «  Les  parties  allemandes  de  l'Alsace  ont  passé  au 
xvn®  siècle  sous  la  suzeraineté  française  par  voie  de  conquête, 
sans  la  consultation  de  la  population  et,  la  plupart  du  temps, 
malgré  leur  résistance  déclarée  »,  il  n'a  rien  affirmé  qui  ne 
soit,  mot  pour  mot,  en  ce  qui  concerne  le  temps'de  Richelieu, 
contredit  par  les  documents  ! 

Louis  Batiffol. 

[P. -S.  —  LaKerue  historique  n'a  pas  hésité  à  accueilUr  l'article  de 
M.  Louis  Batiffol  où,  avec  sa  haute  autorité  et  son  grand  talent,  il 
défend  cette  thèse  :  le  cardinal  de  Richelieu  n'a  songé  à  aucun  moment 
à  réunir  l'Alsace  à  la  France.  La  Direction  estime  que  cette  thèse  sou- 
lève de  sérieuses  objections  et  elle  se  réserve  le  droit  d'examiner  à 
nouveau  le  problème.] 

fidélité  et  obéissance  au  roi  »  (13  novembre  1640,  Arch.  Aff.  étr.,  Alsace  9, 
fol.  194  r").  C'est  un  abbé  de  monastère  qui  se  félicite  de  voir  «  ce  pays  en  la 
puissance  du  roi  »,  parce  qu'il  va  pouvoir  enfin  être  libre  et  réformer  son 
abbaye  {Ibid.,  fol.  282  r%  etc.) 


MÉLANGES  ET  DOCUMENTS 


LA  GRANDE  ORDONNANCE  DE  FÉVRIER  1351   : 

LES    MESURES    ANTIGORPORATIVES 

ET 

LÀ  LIBERTÉ  DU  TRAVAIL» 


Esl-il  vrai  que  l'ordonnance  bien  connue  de  février  1351  était 
dirigée  contre  les  corporations?  Est-il  vrai  qu'elle  a  assuré  la  liberté 
du  travail?  Ces  questions  ont  soulevé  de  vives  discussions  entre  les 
historiens.  Quelques-uns  n'ont  voulu  voir  dans  cette  grande  ordon- 

1.  Sources  :  Grande  ordonnance  du  1"  février  1351,  dans  Secousse,  Ordon- 
nances des  rois  de  France  de  la  troisième  race,  t.  II,  p.  350-380.  —  R.  de 
Lespinasse,  les  Métiers  et  corporations  de  la  ville  de  Paris  du  XIV  au 
XVIIP  siècle  (3  vol.,  Paris).  T.  I,  1886,  p.  2-44,  et  t.  II,  1897.  —  Ordonnance 
inédite  de  Philippe  le  Bel  du  7  juillet  1307,  publiée  par  Jean-Marie  Richard 
dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris  et  de  l'Ile-de-France 
(1875).  —  livre  des  métiers  d'Etienne  Boileau,  publié  par  Depping  (Collection 
des  documents  inédits  de  l'Histoire  de  France,  1837).  —  G.  Fagniez,  Documents 
relatifs  à  l'histoire  de  l'industrie  et  du  commerce  en  France  (2  vol.  in-8», 
Paris,  1898-1900).  —  Chronicon  Ilenrici  de  Knùjhton  vel  monachi  Leijcestren 
sis,  edited  by  Joseph  Rawson  Lumby  (Rerum  Britannicarura  medii  aevi  Scrip- 
tores  (2  vol.,  1889). 

OtrvRAGES  GÉNÉR.\ux  OU  SPÉCIAUX  :  L.  Biollay,  les  Ancie7mes  halles  de 
Paris,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'iiistoire  de  Paris  (1876,  p.  293- 
355).  —  Boutaric,  la  France  sous  Philippe  le  Bel  (Paris,  1861).  —  Eberstadt, 
Dus  franzôsische  Gewerberecht  und  die  Schaffung  staatlicher  Gesetzgebung 
und  Verwaltung  in  Frankreich  von'^pO  Jahrhundert  bis  1581  (t.  XVII  des 
«  Staats-  und  Socialvvissenschaflliche  Forschungen  ».  Leipzig,  1899-1900).  — 
Lecaron,  Origines  de  la  municipalité  parisienne,  dans  les  Mémoires  de  la 
Société  de  l'histoire  de  Paris  (1880  et  1881).  —  Levasseur,  Histoire  des  classes 
ouvrières  en  France  avant  1789  (2  vol.  Paris,  Rousseau,  1900,  2"  édition),  — 
Martin -Saint -Léon,  Histoire  des  corporations  de  métiers  depuis  les  ori- 
giiies  jusqu'à  leur  stippression  en  1791  (Paris,  1897).  —  Morisseaux,  la  Légis- 
lation du  travail  (Bruxelles,  Weissenbruch,  1895).  —  E.  Picarda,  les  Marchands 
de  l'eau.  Hanse  parisienne  et  Compagnie  française  (Bibliothèque  des  Hautes- 


202  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

nance  de  législation  industrielle  et  commerciale  que  les  atteintes  au 
monopole  corporatif  et  ont  prétendu  que  le  roi  Jean  avait  voulu 
détruire  les  corporations  et  fonder  le  régime  de  la  liberté  du  travail. 
Résumons  les  diverses  théories  émises  à  propos  de  cette  grande 
ordonnance  avant  d.'en  indiquer  la  véritable  portée  ? 

Théorie  de  Morisseaux.  —  Dans  son  ouvrage  sur  la  Législa.- 
tion  du  ti'âvail,  Morisseaux  a  soutenu  d'une  façon  systématique 
que  la  royauté  voulait  la  liberté  du  travail ^  «  La  royauté  »,  dit-il, 
«  est  hostile  à  l'indépendance  et  au  monopole  des  corporations.  » 
Elle  s'est  fait,  comme  il  convient  au  gouvernement  d'un  grand  État, 
«  une  religion  économique,  et  cette  religion  c'est  la  liberté  du  com- 
merce et  de  l'industrie  » .  Morisseaux  ne  voit  dans  l'ordonnance  que 
le  fait  politique  :  c'est  à  ses  yeux  le  résultat  de  la  politique  des 
Valois  qui  s'unissaient  à  la  noblesse  pour  combattre  la  bourgeoisie, 
et  ce  serait  pour  abattre  la  puissance  politique  des  corporations  que 
Jean  le  Bon  aurait  institué  la  liberté  de  l'industrie  et  du  commerce. 

Théorie  de  Pigeonneau.  —  L'ordonnance  est  de  même  considé- 
rée comme  une  conséquence  de  la  lutte  entre  la  royauté  et  la  féoda- 
lité bourgeoise.  La  royauté  est  guidée  par  l'intérêt  général,  supérieur 
aux  intérêts  particuliers.  Le  roi  est  juge  et  gardien  de  l'intérêt  com- 
mun ;  c'est  la  politique  d'État  substituée  à  la  politique  de  fief  2.  «  Au 
XIV*  siècle,  les  corporations,  de  plus  en  plus  riches,  fortes,  fermées, 
constituent  une  aristocratie,  une  féodalité  bourgeoise  presque  aussi 
redoutable  que  la  féodalité  militaire  et  territoriale,  et  la  royauté  lutte 
contre  elles.  »  L'ordonnance  du  roi  Jean  marque  un  épisode  de  cette 
lutte,  et  si  l'ordonnance  a  établi  la  liberté  du  travail  c'est  pour  faire 
échec  aux  corporations. 

Théorie  de  Levasseur.  —  Selon  Levasseur,  le  roi  Jean  ^  préten- 
dit rédiger  un  code  général  et  uniforme  de  l'industrie  dans  la  vicomte 
de  Paris  et  tout  régler,  jusqu'au  taux  des  salaires.  Il  admet  que  la 
crise  économique  fut  la  cause  directe  de  l'ordonnance.  Mais  il  attri- 
bue au  roi  Jean  trop  de  part  dans  la  rédaction  de  l'ordonnance  et  lui 
prête  des  idées  trop  absolues.  «  Le  roi  Jean  »,  dit-il,  «  voulut  chan- 

Études,  fascicule  134.  Paris,  1901).  —  H.  Pigeonneau,  Histoire  du  commerce 
de  la  France  jusqii'à  Richelieii  (2  vol.  Paris,  in-8°,  1885-1889).  —  André 
Réville,  le  Soulèvement  des  travailleurs  en  Angleterre  en  1381.  Études  et 
documents  publiés  avec  une  introduction  historique  par  Ch.  Petit-Dutaillis 
(Paris,  1898.  Mémoires  et  documents  publiés  par  la  Société  de  l'École  des 
chartes,  t.  II).  —  Thorold  Rogers,  Salaires  en  Angleterre  depuis  le  XllI"  siècle 
(traduction  Castelot.  Paris,  1897). 

1.  Morisseaux,  la  Législation  du  travail,  t.  I,  p.  28. 

2.  Pigeonneau,  Histoire  du  commerce,  t.  I,  p.  284-285,  347-348. 

3.  Levasseur,  Histoire  des  classes  ouvrières,  t.  I,  p.  500  et  501. 


l'ordonnance  de  févbieb  1351.  203 

ger  par  sa  volonté  cet  état  de  choses.  »  Il  n'affirme  pas  que  l'ordon- 
nance a  fondé  la  liberté  du  travail.  La  royauté  prétendait  abattre  la 
forteresse  corporative,  et  l'ordonnance  de  1351,  sans  supprimer  le 
corps  de  métier,  s'appliquait  à  en  détruire  l'esprit  exclusif.  Pour  cet 
historien,  la  crise  économique,  consécutive  à  la  guerre  et  à  la  peste 
noire  de  1348,  n'est  qu'un  incident  qui  a  provoqué  l'exaspération  de 
la  lutte  entre  la  royauté  et  la  bourgeoisie  corporative. 

Théorie  d'Eberstadt^.  —  Eberstadt  s'élève  avec  force  contre 
l'opinion  de  Morisseaux  et  de  Pigeonneau,  contre  ce  qu'il  appelle  la 
littérature  historique  et  une  interprétation  erronée  de  quelques  lam- 
beaux de  phrase  de  l'ordonnance  de  1351.  «  On  la  considère  »,  dit-il, 
«  comme  une  création  originale  et  possédant  des  éléments  qui  lui  sont 
propres  »  ;  par  son  ordonnance  le  roi  Jean,  après  avoir  reconnu  les 
défauts  des  corporations,  aurait  tenté  de  les  abattre.  Pour  Eberstadt, 
l'ordonnance  n'a  rien  d'oï'iginal  ;  elle  n'a  pas  été  créée  en  une  seule 
fois  et  repose^  sur  l'ordonnance  de  Phihppe  le  Bel  du  7  juillet  1307. 
Elle  n'innove  rien,  le  roi  applique  les  vieilles  règles  de  droit.  Eber- 
stadt fait  une  part  aux  conditions  économiques  et  aux  circonstances 
accidenlelies  qui  ont  motivé  l'ordonnance  :  peste  de  1348,  guerre 
étrangère  et  ruine  du  pays.  Il  étudie  minutieusement  le  texte  et  ne 
voit  pas  ce  qu'ont  de  nouveau  les  articles  relatifs  à  la  non-limitation 
des  apprentis  et  à  l'établissement  d'étrangers  comme  artisans.  Il 
s'attache  à  démontrer  que  la  taxation  des  marchandises  et  des 
salaires  n'a  rien  d'hostile  aux  corporations,  mais  s'expUque  par  la 
situation  exceptionnelle  du  moment.  Le  roi  Jean^  n'a  donc  pas  pro- 
clamé la  liberté  du  travail  :  même  dans  cette  ordonnance  il  n'y  a  pas 
la  moindre  innovation,  encore  bien  moins  une  pensée  en  faveur  de 
la  liberté  du  travail.  L'ordonnance  de  1351  est  la  continuation  de 
celle  de  1307. 

Même  Eberstadt  exagère  dans  le  sens  opposé;  il  affirme*  que 
l'ordonnance  de  1351,  bien  loin  de  libérer  le  travail  industriel,  for- 
tifie l'exploitation  corporative  sous  toutes  ses  formes.  Eût-elle  pro- 
clamé la  liberté  du  travail,  elle  n'aurait  pas,  d'après  lui,  instauré 
un  régime  de  liberté.  La  destruction  des  privilèges  corporatifs 
n'était  pas  à  ce  moment  une  règle  absolue  qui  entraînait  un  régime 
de  liberté,  mais  plutôt  un  acte  d'oppression  des  droits  des  cités 
(«  bûrgerliche  Rechte  »).  Pour  Eberstadt,  l'ordonnance  est  surtout 

1.  Eberstadt,  Das  franzôsische  Gewerberechl...,  p.  163. 

2.  Ibid.,  ]}.  168,  et  Métn.  Soc.  hist.  de  Paris,  1875  (ordonnance  inédite  de 
Philippe  le  Bel  de  juillet  1307). 

3.  Ibid.,  p.  172. 

4.  Jbid.,  p.  172-173. 


204  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS.  ^ 

un  fait  juridique,  une  compilation,  un  relevé  d'ensemble  du  droit 
en  cours.  Avec  l'ordonnance  de  1351,  la  réglementation  d'État 
arrive  à  une  action  indépendante  et  arbitraire.  Le  droit  industriel  va 
désormais  reposer  non  plus  sur  les  usages  corporatifs  fixés  dans  les 
statuts,  mais  sur  la  volonté  royale.  L'ordonnance  contient  la  pre- 
mière tentative  d'ensemble  ^  d'unir  les  droits  corporatifs  dans  une 
réglementation  d'Etat  et  d'introduire  l'industrie  dans  l'administra- 
tion de  l'Etat.  Sans  négliger  les  conditions  économiques,  Eberstadt 
ne  leur  réserve  pas  une  part  assez  grande  et  réduit  trop  l'ordon- 
nance à  la  création  de  la  législation  d'Etat  en  matière  industrielle. 

D'autres  historiens  ont  fait  une  part  plus  grande  aux  phénomènes 
économiques  et  considèrent  l'ordonnance  comme  une  œuvre  de  cir- 
constance. 

Théorie  de  Martin-Saint-Léon^.  —  L'idée  dominante  de 
la  royauté  fut  de  favoriser  le  relèvement  du  commerce,  bien  moins 
dans  l'intérêt  des  marchands  que  dans  celui  du  public.  La  taxe  des 
marchandises  et  des  salaires,  la  non-limitation  du  nombre  des 
apprentis  ont  pour  but  de  provoquer  la  baisse  des  prix.  Protéger  les 
forains  contre  les  tracasseries  des  jurés,  assujettir  les  métiers  à  la 
surveillance  rigoureuse  du  prévôt,  voilà  des  mesures  qui  dénotent 
l'intention  d'empêcher  les  marchands  d'exploiter  le  public.  «  On 
respecte  sans  doute  le  privilège  des  corporations,  mais  on  sent  déjà 
poindre  la  défiance  que  leur  puissance  croissante  a  éveillée  et  que 
leur  participation  à  la  révolution  de  1358  allait  bientôt  justifier^.  » 

Théorie  de  Fagniez^.  —  Il  voit  surtout  dans  l'ordonnance  de 
1351  une  œuvre  de  circonstance  contre  la  cherté  de  la  vie  et  une 
tentative  pour  remédier  à  la  crise  économique  et  au  malaise  général 
qui  pesait  sur  tout  le  pays.  La  royauté  aurait  voulu  établir  pour  la 
main-d'œuvre,  les  produits  fabriqués  et  les  denrées  de  toute  sorte 
un  tarif  limitant  la  hausse,  due  à  l'épidémie,  et  abolissant  toutes  les 
restrictions  à  la  liberté  des  contrats  d'apprentissage.  Le  roi  Jean 
posa  le  principe  de  l'accession  à  tous  les  métiers  des  artisans 
capables  de  les  exercer,  «  sans  déterminer  d'ailleurs  les  preuves  de 
.capacité  qui  devaient  être  désormais  exigées  ».  Mais  on  ne  saurait 
lui  prêter  la  pensée  de  laisser  le  public  livré  à  lui-même  pour  faire  à 
ses  dépens  la  distinction  des  bons  et  des  mauvais  ouvriers. 

De  toutes  ces  opinions  diverses  que  faut-il  conclure?  N'est-ce  pas 

1.  Eberstadt,  op.  cit.,  p.  175. 

2.  Martin-Saint-Léon,  Histoire  des  corporations  de  métier,  p.  208-209. 

3.  Jbid.,  p.  209. 

4.  Fagniez,  Documents  relatifs  au  commerce  et  à  l'industrie,  introduction, 
t.  II,  p.  28-29. 


l'ordonnance  de  février  1351.  205 

la  marque  d'un  exclusivisme  historique  étroit  que  de  réduire  l'or- 
donnance à  n'être  qu'un  fait  politique,  épisode  de  la  lutte  entre  la 
bourgeoisie  et  la  royauté?  Pourquoi,  comme  Morisseaux  et  Pigeon- 
neau, séparer  ce  texte  des  circonstances  et  de  la  crise  économique 
dont  il  dépend?  C'est  encore  interpréter  trop  littéralement  le  texte 
de  l'ordonnance  que  de  croire  à  la  volonté  du  roi  Jean  d'assurer  la 
liberté  du  travail.  MM.  Fagniez,  Martin-Saint-Léon,  Levasseur 
ont  mieux  tenu  compte  des  causes  économiques;  Eberstadt  réagit 
contre  l'interprétation  insuffisante  d'un  texte  sans  qu'il  soit  tenu 
compte  des  conditions  naturelles  et  des  circonstances  qui  l'expliquent. 
En  réalité,  l'ordonnance  de  février  1351  est  avant  tout  une  œuvre 
d'opportunité,  inspirée  par  la  crise  économique  et  les  circonstances. 
C'est  une  œuvre  de  défense  du  bien  public  oîi  l'intérêt  des  consom- 
mateurs et  l'approvisionnement  du  marché  de  Paris  sont  les  préoc- 
cupations dominantes  et  initiales  de  la  royauté  :  «  Et  ainsi  est-il 
ordonné,  tout  pour  le  prouffit  commun'.  »  En  1307  2,  Philippe  le  Bel 
invoquait  aussi  l'intérêt  public  :  «  Pro  utilitate  reipublicae  et  com- 
muni  bono.  »  Le  roi  Jean  édicté  ses  règlements^  sur  la  plainte  des 
consommateurs,  cherche  à  prévenir  les  fraudes,  reproche  aux  jurés 
des  poissonniers  de  mer  d'avoir  trop  négligé  les  intérêts  du  public. 
Le  redoublement  de  précautions  prises  pour  obliger  les  jurés  à  une 
sévérité  rigoureuse,  les  pénalités  qu'elle  leur  inflige  :  amendes,  pri- 
vations de  métier,  ce  sont  là  des  preuves  évidentes  de  la  sollicitude 
de  la  royauté  pour  le  consommateur.  Il  y  a  urgence  pour  elle  à 
remédier  à  une  crise  économique  très  grave,  résultant  des  maux  et 
calamités  qui  se  sont  abattus  sur  le  royaume  depuis  une  dizaine 
d'années^  :  ruines  et  conséquences  funestes  de  l'invasion  anglaise  et 
de  la  peste  de  1348,  impôts  excessifs  et  mutations  de  monnaie.  Le 
péril  le  plus  immédiat  c'est  le  renchérissement  des  vivres,  des  pro- 
duits fabriqués  et  la  hausse  des  salaires  :  la  royauté  essaie  d'y  parer 
tout  d'abord  parla  taxation  des  marchandises  et  des  salaires^.  Eber- 
stadt affirme  donc  avec  raison  que  cette  taxation  s'explique  par  des 
circonstances  économiques  exceptionnelles.  Ce  sont  des  expédients 
déjà  employés  par  Philippe  le  Bel  en  1307  pour  remédier  à  une  crise 
économique  analogue,  mais  moins  grave ^. 

1.  R.  de  Lespinasse,  Hist.  gén.  de  Paris,  t.  I,  ordonnance  de  1351,  p.  2  à  44. 
Titre  II,  art.  2;  titre  V,  art.  1". 

2.  Fagniez,  Doc.  relatifs  au  commerce  et  à  l'industrie,  t.  II,  pièce  n"  9. 

3.  Titre  IV,  art.  1,  et  titre  VIII,  art.  49. 

4.  Voir  Une  crise  économique  au  milieu  du  XIV"  siècle  (Revue  d'histoire 
économique  et  sociale,  1920,  n°  2). 

5.  Eberstadt,  omit,  cité,  p.  168. 

6.  Cf.  art.  3,  4,  37  et  42,  et  Boutaric,  la  France  sous  Philippe  le  Bel,  p.  305. 


206  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

L'ordonnance  se  présente  aussi  comme  une  loi  du  maximum, 
moyen  empirique  des  heures  de  crise.  Parfois  ces  mesjures  sont 
quelque  peu  illogiques  et  incohérentes,  en  contradiction  avec  l'inten- 
tion initiale  de  parer  à  la  crise  :  la  royauté  va  jusqu'à  ramener  les 
salaires  au  taux  antérieur  à  la  crise  économique  ^  Visiblement,  la 
royauté  est  débordée  par  les  circonstances  et  la  place  énorme  accor- 
dée à  la  taxe  prouve  cependant  qu'elle  considérait  ce  procédé  comme 
très  efficace,  s'inspirant  d'ailleurs  des  traditions  et  des  ordonnances 
antérieures.  Certes,  la  royauté  légifère  à  la  place  des  corporations, 
intervient  dans  la  fixation  des  prix  de  vente,  veut  établir  un  tarif  de 
salaires,  mais  cette  méthode  n'est  pas  anti corporative.  Le  roi,  qui 
fixe  déjà  à  son  gré  le  cours  des  monnaies,  veut  agir  de  même  en 
matière  économique,  il  voudrait  établir  un  maximum  raisonnable  qui 
contribuerait  à  faire  revivre  des  conditions  économiques  normales. 
C'est  une  politique  d'expédients  au  jour  le  jour  qui  n'est  pas  provo- 
quée par  une  arrière-pensée  à  longue  échéance  de  détruire  la  liberté 
corporative.  D'ailleurs,  la  royauté  ne  veut  pas  se  rendre  compte  que  sa 
politique  de  variations  de  monnaie  concourt  aussi  à  l'instabilité  des 
prix  et  à  l'inefficacité  de  la  taxe  :  voilà  qui  prouve  que  la  royauté  de 
Jean  le  Bon  n'a  point  de  doctrines  précises  en  matière  écono- 
mique. 

La  corporation,  de  plus  en  plus  jalouse  et  restrictive,  cherchait 
avant  tout  à  protéger  le  commerce  local  contre  la  concurrence  des 
marchands  forains  étrangers  à  la  ville.  Mais  en  1351,  comme  déjà 
en  1307,  la  corporation  se  montre  incapable  de  subvenir  aux  besoins 
de  la  consommation  et  d'assurer  l'approvisionnement  régulier  du 
marché  de  Paris.  Le  roi  Jean  devait-il  borner  son  idéal  à  celui  de  la 
corporation,  uniquement  préoccupée  des  intérêts  des  artisans? 
Peut-il  être  accusé  d'avoir  voulu  briser  le  monopole  corporatif  et 
établir  la  liberté  du  commerce,  parce  qu'il  donne  des  facilités  de  plus 
en  plus  grandes  au  commerce  forain  ?  Le  roi  Jean  agit  sous  l'em- 
pire des  circonstances  et  veut  provoquer  une  concurrence  plus  âpre 
entre  un  plus  grand  nombre  de  marchands  :  concurrence  qui  aura 
le  double  avantage  d'augmenter  le  stock  d'approvisionnement  des 
marchés  de  Paris  et  de  contribuer  à  la  baisse  des  prix. 

En  présence  de  l'hostilité  corporative,  la  royauté  assume  la  pro- 
tection du  commerce  forain,  donne  des  garanties  aux  marchands  du 
dehors  en  déhvrant  leur  commerce  d'une  partie  des  charges  qui  le 
grevaient.  Elle  protège  les  forains  contre  les  mauvais  débiteurs''', 

1.  Titre  XXXIX,  art.  4;  titre  XLVIII,  art.  1;  titre  XLIII,  art.  1. 

2.  Titre  VIII,  art.  10. 


l'ordonnance  de  févuiee  1351.  207 

augmente  le  nombre  de  jours  de  marché  où  les  forains  pourront 
vendre.  Jusqu'au  début  du  xiv*  siècle,  le  commerce  des  forains 
n'était  guère  autorisé  que  le  samedi  ^  jour  où  les  marchands  de  la 
ville  devaient  fermer  boutiques  et  aller  vendre  aux  Halles.  Mais  au 
XIV*  siècle  le  nombre  des  jours  de  marché  augmente,  parce  que  l'ap- 
provisionnement des  marchés  exigeait  des  quantités  de  marchan- 
dises de  plus  en  plus  considérables^.  Le  roi  Jean  élargit  le  mono- 
pole corporatif  de  vente  :  si  par  contre-coup  il  ébranle  tout  le  vieil 
arsenal  de  règlements  corporatifs  et  la  corporation  elle-même,  on  ne 
peut  cependant  en  déduire  son  intention  arrêtée  de  détruire  ces 
règlements'.  Il  s'inspire  là  encore  de  l'ordonnance  de  1307. 

La  bienveillance  de  la  royauté  pour  les  forains  s'explique  par 
l'hostilité  de  la  corporation,  bien  que  la  concurrence  des  forains  soit 
limitée  aux  marchés  publics.  La  royauté  a  le  souci  de  ne  pas  ruiner 
le  commerce  corporatif.  La  protection  accordée  par  la  royauté  aux 
forains  vise  à  empêcher  les  tracasseries  des  jurés  des  corporations 
parisiennes.  Les  jurés  parisiens  gardent  leur  droit  de  visite  sur  les 
marchandises  foraines,  mais  sous  réserve  de  l'intervention  et  de  la 
décision  de  la  justice  prévôtale  ou  du  prévôt  des  marchands.  Les 
maîtres  des  métiers  sont  réduits  au  rôle  d'accusateurs  auprès  de  la 
justice  royale  et  les  forains  relèvent  ainsi  directement  de  la  juridic- 
tion royale,  souverain  arbitre  des  affaires  commerciales  et  indus- 
trielles. Les  forains  pourront  ainsi  ^  «  venir  seurement  et  sans  aucun 
doute  en  la  ville  de  Paris  »  et  faire  commerce,  à  la  condition  d'avoir 
«  marchandise  bonne  et  loyal  » . 

La  royauté  veut  réprimer  les  excès  corporatifs,  mais  n'établit  pas 
la  liberté  du  commerce.  Les  corporations  sont  maintenues  avec 
leurs  privilèges,  leurs  jurés,  leurs  visiteurs,  mais  le  commerce 
forain  est  placé  sous  la  tutelle  royale.  La  tutelle  corporative  sera 
moins  lourde,  puisque  entre  les  corporations  et  «  les  marchans 
dehors  »  intervient  un  arbitre  qui  est  favorable  à  ceux-ci  :  la  royauté. 
Eberstadt  a  tort^  de  nier  les  avantages  accordés  au  commerce 
forain  par  l'ordonnance  et  il  oublie  d'indiquer  les  restrictions  anté- 
rieures, qui  empêchaient  en  fait  tout  commerce  des  forains.  Per- 
mettre et  élargir  la  concurrence,  ce  fut  une  occasion  pour  la 
royauté  de   restreindre  en  raison  des  circonstances  le  monopole 

1.  L.  Biollay,  Ancieimes  halles  de  Paris,  p.  297. 

2.  Ibid.,  p.  300. 

3.  Art.  2,  21. 

4.  Titre  XIV,  art.  1. 

5.  Titre  XIV,  art.  1,  et  litre  L,  art.  1. 

6.  Eberstadt,  Das  franzôsische  Gewerberecht,  p.  172-173. 


208  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

corporatif  ;  mais  elle  n'a  pas  voulu  briser  ce  monopole  ni  établir  la 
liberté  du  commerce. 

L'organisation  corporative  et  en  particulier  celle  du  travail 
industriel  avaient  pu  apparaître  contraires  àlintérêt  public.  Manque 
de  main-d'œuvre,  insuffisance  de  la  production  :  voilà  les  deux 
maux  auxquels  la  corporation  ne  peut  remédier.  La  longue  durée  de 
l'apprentissage  et  la  limitation  du  nombre  des  apprentis  empêchent 
l'accroissement  du  nombre  des  ouvriers  et  des  maîtres.  Le  petit 
nombre  de  maîtres  rend  impossible  l'émulation  entre  les  produc- 
teurs. Les  artisans,  assurés  d'un  travail  suffisant  et  rémunérateur, 
souhaitaient  la  continuation  d'une  crise  économique  qui  leur  était 
favorable  et  n'augmentaient  pas  leur  production.  La  royauté  se  voit 
dans  la  nécessité  de  prendre  la  défense  du  public  et  d'activer  la  pro- 
duction '  ;  elle  supprima  la  limitation  du  nombre  des  apprentis,  per- 
mit aux  maîtres  et  apprentis  de  conclure  à  leur  gré  des  contrats 
d'apprentissage. 

Ce  ne  sont  pas  là  des  mesures  qui  ont  pour  but  d'établir  la  liberté 
du  travail;  elles  sont  uniquement  édictées  sousTempire  des  circons- 
tances économiques.  Une  fois  la  crise  passée,  le  monopole  corpora- 
tif restera  intact  et  le  développement  des  corporations  n'en  sera  pas 
entravé  2.  Les  mêmes  prescriptions  édictées  par  Philippe  le  Bel  en 
1307  restèrent  lettre  morte  après  la  crise  et  durent  être  renouvelées 
en  1322  par  Gilles  Haquin,  prévôt  de  Paris  ^. 

Jean  le  Bon  a  renouvelé,  développé  et  amplifié  ces  expédients.  Il 
ne  songe  guère  à  augmenter  le  nombre  d'heures  de  travail  en  per- 
mettant le  travail  de  nuit.  L'ordonnance  n'en  fait  mention  qu'une 
seule  fois  à  propos  du  travail  d'hiver"*  des  baudroyeurs  :  il  s'agit 
surtout  de  prolonger  la  journée  de  travail  réduite  dans  la  saison 
d'hiver.  Les  prescriptions  n'ont  rien  d'impératif  et  de  vexatoire  :  le 
nombre  des  apprentis  peut  être  illimité,  mais  aucune  durée  n'est 
imposée  pour  l'apprentissage,  et  les  maîtres  et  apprentis  discuteront 
librement  entre  eux  les  clauses  du  contrat  d'apprentissage.  Le  des- 
sein de  la  royauté  est  de  parera  la  crise  de  main-d'œuvre,  à  la  crise 
de  production  et  de  combattre  la  hausse  des  prix.  «  Temps  conve- 
nable »  et  prix  raisonnable  :  telles  sont  les  deux  expressions  de  l'or- 
donnance qui  fait  appel  au  bon  sens  des  maîtres  des  métiers.  For- 
mer rapidement  de  mauvais  ouvriers  n'améhorera  pas  la  situation, 
et  le  sens  des  volontés  royales  est  bien  précisé  par  les  prescriptions 

1.  Titre  LI,  art.  1. 

2.  Art.  57. 

3.  Fagniez,  Doc.  relatifs  au  commerce  et  à  l'industrie,  t.  II,  pièce  n°  2. 

4.  Titre  XIII,  art.  2. 


l'ordonnance  de  février  1351.  209 

relatives  aux  «  courrayeurs  de  cordouan  »  ^  La  durée  de  l'appren- 
tissage, fixée  à  cinq  ans  par  les  statuts  de  1345,  est  ramenée  à  deux 
ans^.  La  royauté  conseille  ainsi  de  ne  pas  tomber  d'un  excès  dans 
l'autre  et  de  supprimer  complètement  les  longues  et  rigoureuses 
années  d'apprentissage. 

Une  attaque  peut-être  plus  directe  au  monopole  corporatif  et  qui 
dut  être  vivement  ressentie  par  les  maîtres  des  corporations,  ce  fut 
de  permettre  aux  ouvriers  de  tous  les  métiers  de  s'établir  dans  la 
ville  de  leur  choix.  C'est  une  attaque  au  principe  de  la  solidarité 
locale  entre  les  artisans*,  que  les  règlements  corporatifs  maintenaient 
jalousement.  Les  étrangers  n'étaient  admis  qu'après  un  examen 
sévère  des  jurés  et  à  des  conditions  d'honorabilité  très  rigoureuses. 
La  royauté  fait  une  brèche  dans  le  monopole  corporatif  en  permet-< 
tant  à  «  toutes  manières  de  gens  quelconques  qui  sauraient  eulx 
mesler  et  entremectre  de  faire  mestier,  euvre,  labour  ou  marchan- 
dise quelconques  »,  de  venir  s'établir  à  Paris,  à  condition  de  faire 
œuvre  bonne  et  loyale^.  Mais  il  y  a  danger  à  exagérer  la  portée  de 
cette  mesure,  à  la  systématiser  :  la  royauté  s'efforce  de  favoriser 
l'esprit  d'initiative,  d'obtenir  un  abaissement  des  prix  de  revient  des 
objets  fabriqués  et  une  production  plus  active  en  favorisant  la  con- 
currence dans  le  domaine  industriel  comme  dans  le  domaine  com- 
mercial. 

Pour  les  artisans  comme  pour  les  marchands,  ces  tentatives  pour 
accroître  la  concurrence  n'ont  pas  abouti  à  la  création  d'un  régime  de 
liberté  industrielle  et  commerciale.  Si  l'ordonnance,  par  certaines  de 
ses  prescriptions,  peut  être  considérée  comme  la  négation  des  droits 
corporatifs,  on  ne  peut  en  conclure  que  la  royauté  a  eu  la  ferme 
volonté  d'instituer  un  régime  de  liberté  économique.  C'est  une 
ordonnance  contre  la  cherté  de  la  vie,  un  remède  empirique  qui 
s'adapte  aux  circonstances  du  moment.  Ce  n'est  pas  seulement, 
comme  l'affirme  Eberstadt"*,  un  fait  juridique  ou  une  simple  réédi- 
tion de  l'ordonnance  de  1307. 

L'ordonnance  a  une  tout  autre  importance  en  raison  de  la  gra- 
vité de  la  crise  économique.  A  une  crise  plus  profonde,  à  une  misère 
plus  générale,  il  faut  des  mesures  plus  efficaces  et  plus  généralisées. 
C'est  à  peine  si  l'ordonnance  de  1307  a  ébauché  une  taxation  des 
marchandises  et  des  salaires.  Au  contraire,  cette  taxe  constitue  l'ob- 

1.  Titre  .XIII,  art.  1  (courrayeurs  de  cordouan);  titre  XIII,  art.  2  (bau- 
droyeurs). 

2.  Lespinasse,  t.  III  (tanneurs  hongroyeurs). 

3.  Titre  L,  art.  1. 

4.  Eberstadt,  op.  cit.,  p.  164.  ' 

Rev.  Histor.  CXXXVIII.  2«  fasc.  14 


■210  MELANGES   ET   DOCTMENTS. 

jet  essentiel  de  l'ordonnance  du  roi  Jean.  Par  son  ampleur,  par  la 
inultitude  de  ses  prescriptions,  l'ordonnance  de  1351  est  plus  qu'une 
mesure  transitoire,  comme  le  fut  celle  de  1307.  Sans  doute,  la 
royauté  a  pu  reproduire  certains  expédients  déjà  utilisés  par  Phi- 
lippe le  Bel,  mais  il  est  impossible  de  considérer  les  deux  ordon- 
nances comme  identiques  dans  leur  dessein  et  dans  leurs  moyens.  L'af- 
firmation^ d'Eberstadt  reste  vraie  :  la  royauté  n'a  pas  eu  la  moindre 
pensée  d'établir  la  liberté  du  travail.  Jean  le  Bon,  fort  occupé  par  la 
guerre,  ne  songea  certes  pas  à  suivre  une  ligne  politique  aussi 
réfléchie,  se  contentant  de  vivre  d'expédients  politiques  au  jour  le 
jour. 

L'ordonnance  de  1351  ne  reconnaît  pas  d'autre  forme  de  travail 
que  le  travail  corporatif.  Elle  fait  appel  aux  règlements  corporatifs 
quand  ils  sont  nécessaires  pour  réprimer  les  fraudes  et  défendre 
l'intérêt  du  public;  elle  maintient  la  visite  et  les  jurés  sous  le  con- 
trôle de  l'autorité  royale  :  c'est  reconnaître  la  corporation  et  ses 
chefs.  Dans  une  ordonnance  postérieure  de  quelques  mois,  lef  roi 
Jean  affirme  sa  volonté  de  respecter  les  corporations  et  de  ne  pas 
porter  atteinte  ^  «  aux  métiers  de  ladite  ville  (de  Paris)  ne  a  leurs 
privilèges,  libertez  et  franchises  » . 

Cette  affirmation  si  catégorique  semble  en  contradiction  avec  cer- 
taines dispositions  de  l'ordonnance  de  février.  Mais  ce  respect  des 
libertés  corporatives  est  énoncé  dans  une  ordonnance  financière  qui 
impose  aux  gens  des  métiers  un  lourd  impôt  sous  forme  d'une  aide 
perçue  sur  toutes  les  marchandises  et  denrées  vendues  à  Paris; 
pour  atténuer  le  mécontentement  corporatif,  la  royauté  lui  accorde 
une  sorte  de  satisfaction  morale. 

Les  mesures  anticorporatives  de  l'ordonnance  de  février  1351  ont 
toutes  le  même  but  :  remédier  à  l'anomalie  des  conditions  écono- 
miques et  défendre  l'intérêt  public.  Il  n'y  a  pas  d'hostihté  systéma- 
tique de  la  royauté  à  l'égard  des  corporations.  Nous  sommes  en 
présence  d'une  situation  de  fait  :  des  mesures  comme  la  suppression 
de  la  limitation  du  nombre  des  apprentis  visent  en  réalité  à  res- 
treindre le  monopole  corporatif. 

Dans  une  ordonnance  de  1358,  le  dauphin  Charles  précisera  l'at- 
titude de  la  royauté,  qui  s'est  aperçue  que  la  majeure  partie  des 
règlements  corporatifs  sont  «  faiz  plus  en  faveur  et  prouffit  des  per- 
sonnes de  chascun  mestier  que  pour  le  bien  commun^  ».  C'est 

1.  Eberstadt,  0^.  cit.,  p.  172. 

2.  Ordonnance  de  mai  1351,  p.  426  [Ordonnances  des  rois  de  France. 
t.  II). 

3.  Ordonnances  des  rois  de  France,  t.  III,  p.  262. 


l'ordonnance  de  février  1351.  211 

pourquoi,  «  depuis  dix  ans  euenea,  furent  faites  et  publiées  plusieurs 
ordenances  royaux  deroganz  aus  diz  registres  pour  le  bien  public  et 
contenant  entre  les  autres  choses  que  chascun  peut  ouvrer  en  la 
ville  de  Paris  qui  le  sauroit  faire,  en  manière  que  Teuvre  fut  bone, 
souffisant  et  convenable  ».  On  ne  saurait  expliquer  de  façon  plus 
précise  la  politique  royale  :  apporter  des  correctifs  au  monopole  cor- 
poratif, même  si  en  fait  ils  restreignent  ce  monopole  et  peuvent 
paraître  l'expression  de  la  défiance  de  la  royauté;  combattre  en 
définitive  le  rigorisme  corporatif,  quand  il  est  en  contradiction  avec 
l'intérêt  public. 

Si  la  corporation  ne  peut  être  détruite,  elle  peut  tout  au  moins 
être  subordonnée  à  l'autorité  royale.  Il  est  certain  que  la  royauté 
voit  avec  défiance  s'accroître  la  puissance  et  la  richesse  de  la  bour- 
geoisie corporative.  Par  le  contrôle  juridique,  la  royauté  va  s'effor- 
cer de  faire  des  corporations  des  associations  dociles  et  obéissantes 
à  l'autorité  royale.  Elle  soumet  au  prévôt  de  Paris  les  jurés  chefs  de 
la  corporation.  Le  prévôt  les  institue;  le  tribunal  du  Châtelet 
tranche  les  différends  et  délits  industriels  et  commerciaux.  Il  y  a 
une  tentative  pour  subordonner  les  corporations  à  l'autorité  royale 
et  attraction  de  tous  les  droits  existants  vers  un  même  point  :  la 
puissance  de  l'Etat,  la  puissance  royale^  La  vie  politique  des  corpo- 
rations se  réduit  à  l'élection  des  jurés  sous  le  contrôle  du  prévôt  de 
Paris.  Parfois,  la  royauté  fait  appel  à  l'élite  des  corporations  pour 
désigner  aux  métiers-offices  celui  qui  sera  «  le  plus  convenable  et 
expert  pour  y  estre^  ».  La  royauté  se  réserve  le  droit  dïntervenir 
désormais  dans  la  législation  corporative.  Au-  cas  où  il  serait  néces- 
saire de  modifier  l'ordonnance  de  1351,  ce  seront  les  commissaires 
nommés  par  le  roi  qui  délibéreront  à  ce  sujet  et  s'entendront  avec 
les  «  gens  du  Parlement^  ».  Cette  éventualité  de  revision  ou  de  cor- 
rection des  statuts  est  répétée  à  propos  des  plâtriers,  des  poisson- 
niers de  mer*. 

L'intention  de  la  royauté  est  bien  nette  :  elle  n'entend  pas  main- 
tenir des  règlements  immuables  et  contraires  à  l'intérêt  public  et 
invite  les  jurés  ou  maîtres  des  métiers  à  se  présenter  plusieurs  fois 
l'an  devant  les  agents  de  l'autorité  royale  pour  faire  les  correctifs 
nécessaires,  «  se  mestier  est'  ».  C'est  un  essai  de  substitution  de  la 
réglementation  d'Etat  aux  règlements  corporatifs. 

1.  Eberstadt,  op.  cit.,  p.  175. 

2.  Titre  VIII,  art.  18. 

3.  Titre  LXII,  art.  3. 

4.  Titre  XXXVIII,  art.  1,  et  titre  Vil),  art.  48. 

5.  Titre  XXXVIII,  art.  1. 


212  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Mais  ce  qui  peut  étonner  de  prime  abord,  c'est  la  participation  de 
la  Hanse  et  de  ses  chefs  à  tous  les  actes  de  la  politique  économique 
de  la  royauté.  C'est  là  une  exception  ^  La  Hanse  est  pour  ainsi  dire 
en  dehors  des  autres  corporations  ;  ses  membres  ne  sont  pas  néces- 
sairement-recrutés  parmi  les  artisans  et  les  marchands;  on  y  trouve 
de  simples  bourgeois.  C'est  une  association  puissante,  en  possession 
depuis  fo'rt  longtemps  de  nombreux  privilèges.  Elle  participe  à  l'ad- 
ministration de  Paris.  Ceitte  collaboration  des  chefs  de  la  Hanse  et 
du  prévôt  a  donné  de  bons  résultats  et  la  royauté  n'a  aucun  intérêt 
à  mettre  fin  à  cette  bonne  entente.  En  continuant  à  associer  la 
Hanse  à  l'administration,  la  royauté  s'en  fait  une  alliée;  sinon  la 
Hanse  serait  par  sa  puissance  et  la  force  de  ses  privilèges  une  enne- 
mie trop  redoutable. 

La  Hanse  finit  par  constituer  une  sorte  de  municipalité  pari- 
sienne. Elle  avait  affermé  une  partie  des  métiers-offices,  notamment 
les  «  criages  » .  Aussi  le  prévôt  des  marchands  a-t-il  un  certain 
pouvoir  sur  les  détenteurs  de  ces  métiers-offices.  Il  choisit,  de  con- 
cert avec  les  échevins,  les  vendeurs  de  vin 2.  Il  prend  part  à  l'élection 
et  à  «  l'établissement  »  des  jurés  talemeliers  (boulangers),  des  jurés 
poissonniers  d'eau  douce  et  poissonniers  de  mer,  des  jurés  bouchers^. 
Il  fixe  le  prix  du  charbon  et  du  bois  d'accord  avec  les  vendeurs  de 
bûches^.  D'accord  avec  le  prévôt  royal,  il  peut  obliger  les  marchands 
de  sel  à  mettre  leur  sel  en  vente  après  quarante  jours  de  magasin  et 
à  un  prix  raisonnables  En  matière  d'administration  financière,  la 
Hanfee  joue  un  certain  rôle.  Le  prévôt  des  marchands  reçoit  le  cau- 
tionnement exigé  des  mesureurs  de  grain,  des  vendeurs  et  courtiers 
de  vin^.  Il  a  une  part  des  amendes  infligées  aux  vendeurs  de  vin  et 
aux  talemehers^.  Il  exerce  certains  pouvoirs  judiciaires.  Il  est  un 
des  juges  à  qui  les  jurés  doivent  en  référer  en  cas  de  fraude  ou  d'in- 
fraction aux  règlements  royaux^.  Enfin  l'ordonnance  de  1351  con- 
firme les  pouvoirs  de  la  Hanse  en  matière  de  travaux  publics^;  le 
prévôt  des  marchands  est  tenu  de  veiller  à  l'entretien  des  chaussées 
et  rues  de  Paris.  La  Hanse  reste  la  seule  corporation  associée  par  la 

1.  Cf.  Lecaron,  Origines  de  la  municipalité  parisienne,  et  Picarda,  les 
Marchands  de  l'eau. 

2.  Titre  VI,  art.  12. 

3.  Titre  II,  art.  1;  titre  IX,  art,  7;  titre  VIII,  art.  47;  titre  X,  art.  8. 

4.  Titre  XLIII,  art.  1  et  17. 

5.  Titre  XXXIX,  art.  1. 

6.  Titre  IV,  art.  10;  titre  VI,  art.  12  et  17, 

7.  Titre  VI,  art.  13;  titre  II,  art.  1. 

8.  Titre  IX,  art.  7;  titre  XIV,  art.  1. 

9.  Titre  LXIl,  art.  2. 


l'ordonnance  de  fe'vrier  1351.  213 

royauté  à  l'administration  générale.  La  royauté,  désireuse  d'avoir 
en  elle  une  alliée  plutôt  qu'une  ennemie,  a  maintenu  ses  privilèges. 
Au  contraire,  l'ordonnance  tend  à  subordonner  les  autres  corpora- 
tions à  l'autorité  royale. 

En  réalité,  parmi  tant  d'intentions  plus  ou  moins  réelles  prêtées 
à  Jean  le  Bon  et  à  la  royauté,  une  préoccupation  essentielle  domine  : 
celle  de  combler  le  déficit  du  trésor  royal.  Peu  nous  importe  au  fond 
de  discuter  à  l'infini  qui,  de  Jean  le  Bon  ou  de  ses  conseillers,  fut 
l'auteur  de  l'ordonnance.  Le  roi  semble  n'avoir  d'idées  sur  le  con- 
trôle royal  des  corporations  qu'en  raison  de  ses  besoins  financiers. 
C'est  la  fiscalité  qui  explique  le  maintien  presque  intégral  des  règle- 
ments corporatifs  ou  l'insertion  dans  la  grande  ordonnance  de  règle- 
ments', simple  répétition  de  règlements  antérieurs. 

La  royauté  a  multiplié  et  élevé  le  tarif  des  amendes,  institué  des 
métiers-offices,  précédent  et  exemple  pour  les  successeurs  de  Jean  le 
Bon,  qui  ne  manqueront  pas  d'augmenter  outre  mesure  les  métiers- 
offices  pour  remplir  le  trésor  royal. 

La  crise  économique  du  royaume  de  France  ne  fut  pas  un  phéno- 
mène isolé;  elle  atteignit  vainqueurs  et  vaincus,  Français  et  Anglais. 
La  peste  de  1348  exerça  en  Angleterre  les  mêmes  ravages  qu'en 
France,  y  raréfia  la  main-d'œuvre,  y  provoqua  une  misère  géné- 
rale^. La  guerre  de  France  n'enrichit  que  les  soudards  et  leur 
famille.  Malgré  le  pillage  du  royaume  de  France,  l'Angleterre  n'était 
pas  un  grenier  d'hommes  et  d'argent  inépuisable.  La  crise  écono- 
mique sévit  donc  en  Angleterre  à  la  même  époque  qu'en  France  et 
fut  surtout  désastreuse  pour  l'agriculture.  Comme  en  France,  ce 
fut  sous  la  forme  d'une  intervention  royale  dans  le  domaine  écono- 
mique que  l'on  voulut  remédier  à  cette  crise  :  de  là  le  statut  des 
travailleurs  du  18  juin  1350.  Dans  les  deux  royaumes,  les  deux 
ordonnances  du  roi  Edouard  et  du  roi  Jean  promulguées  à  la  même 
époque  ont  été  provoquées  par  la  même  cause  immédiate  :  la  crise 
'économique  de  1348-1351.  Contrôles  mêmes  maux  les  deux  rois  ont 
employé  des  moyens  analogues,  comme  la  taxe  des  marchandises  et 
des  salaires'.  Toutes  deux  s'expliquent  par  la  similitude  des  événe- 
ments économiques  qui  ont  affecté  les  deux  royaumes  et  ne  doivent 
pas  être  isolées  des  circonstances  exceptionnelles  du  moment  :  ce 

1.  R.  (le  Lespinasse,  t.  I,  p.  409-416.  Règlements  des  poissonniers  de  mer  de 
1315,  1318,  1320,  1324. 

2.  Chronicon  Henrici  de  Knigihon,  p.  58  et  suiv. 

3.  Thorold  Rogers,  Travail  et  salaires  en  Angletetre,  p.  199-200,  et 
A.  Réville,  le  Soulèvement  des  travailleurs  en  1381,  introduction  de  Petit- 
Dutaillis,  p.  31. 


214  MÉLANGES  ET  DOCCMENTS. 

sont  avant  tout  des  œuvres  d'opportunité  édictées  à  la  suite  d'une 

crise  économique. 

En  définitive,  la  royauté  française  a  voulu  provoquer  une  baisse  de 

prix  en  prenant  toutes  les  mesures  susceptibles  de  produire  cette 

baisse  :  appel  aux  forains,  liberté  du  travail  assurée  à  Paris  pendant 

la  période  de  crise,  apprentis  plus  nombreux.  Mais  la  corporation 

subsiste;  seulement  la  royauté  met  la  main  sur  la  corporation, 

associant  à  son  œuvre  la  Hanse  de  Paris  qui  devient  une  sorte  de 

municipalité. 

Robert  Vivier. 


SAINT-JEAN  DE  LATRAN 
LA    CHAPELLE    DE    SAINTE    PÉTRONILLE 

ET  LES  PRIVILÈGES  DE  LA  FRANCE 


Latour-Maubourg  écrivait  à  Guizot,  de  Rome,  le  24  décembre 
1840^  : 

Monsieur  le  Ministre, 

J'ai  l'honneur  de  vous  transmettre,  en  vous  priant  de  la  faire 
•parvenir  à  sa  haute  destination,  une  lettre  adressée  au  roi,  au  nom 
du  chapitre  de  Saint-Jean  de  Latran,  à  l'occasion  de  la  nouvelle 
année. 

Le  chapitre  était  autrefois  possesseur  en  France  de  biens  qu'il 
tenait  de  la  libéralité  de  ses  rois.  Je  fais  joindre  à  cette  dépêche  une 
note  historique  sur  l'origine  de  cette  possession  qui  a  cessé  depuis 
1789,  par  suite  des  événements  de  la  Révolution.  Dans  les  dernières 
années  de  la  Restauration,  les  revenus  des  biens,  dont  le  chapitre 
était  propriétaire,  furent  remplacés  par  l'assignation  annuelle  d'une 
rente  de  24,000  francs  sur  la  liste  civile.  La  Révolution  de  1830  a  fait, 
à  son  tour,  disparaître  les  derniers  débris  de  l'ancienne  opulence  du 

I.  Rome,  volume  982,  direction  politique,  n°  7,  fol.  226-228.  —  Latour-Mau- 
bourg (Armand-Charles-Septime,  comte  de  Fay  de)  (1801-1845),  maître  des 
requêtes  en  service  extraordinaire  (1821),  attaché  à  Constantinople  (1822),  à  la 
direction  politique  (1823),  deuxième  secrétaire  à  Lisbonne  (1826),  à  Hanovre 
(1829),  chargé  d'aflaires  sur  place  (juillet  1830),  premier  secrétaire  à  Vienne 
(octobre  1830),  chargé  d'affaires  à  Vienne  (14  novembre  1830),  envoyé  extraor- 
dinaire et  ministre  plénipotentiaire  à  Bruxelles  Quin  1832),  ambassadeur  à 
Madrid  (septembre  1836),  à  Rome  (mars  1838),  pair  de  France  (1841). 


SAINT-JEAN    DE   LATRAN   ET   LES   PRIVILÈGES   DE   LA    FRANCE.        215 

chapitre.  Toutefois,  il  n'a  pas  encore  perdu  l'espérance  de  voir  revivre, 
sous  une  forme  quelconque,  un  revenu  qu'il  considérait  comme  une 
juste  indemnité  des  pertes  que  lui  avait  fait  éprouver  la  réunion  au 
domaine  de  l'État  des  biens  qu'il  possédait  en  France.  Aussi  cherche- 
t-il  à  entretenir  et  à  conserver  avec  le  gouvernement  du  roi  et  avec 
l'ambassade  de  France  à  Rome  des  rapports  qui  rappellent  le  souve- 
nir de  ceux  qui  existaient  précédemment. 

Latour-Maubourg  s'intéressait  si  fort  à  la  requête  du  chapitre  de 
Saint-Jean  de  Latran  qu'il  avait  cru  pouvoir  prendre  la  liberté  de 
faire  connaître  à  Guizot,  sans  plus  tarder,  son  opinion  personnelle. 
La  cessation  de  ces  payements  lui  semblait  être  un  fait  très  regret- 
table, parce  qu'  «  ils  assuraient,  disait-il,  à  la  France,  un  puissant 
moyen  d'influence  ».  Avant  de  terminer  sa  dépêche  et  d'y  joindre 
la  notice  ci-dessous,  il  n'avait  pas  manqué,  en  raison  de  la  considé- 
ration dont  jouissaient  à  Rome  les  chanoines  du  chapitre  de  Saint- 
Jean  de  Latran,  d'insister  sur  «  la  fréquence  des  cas  et  des  circons- 
tances où  il  serait  du  plus  haut  intérêt  de  pouvoir  utihser  leur 
dévouement  »,  et  il  avait  conclu  en  appelant  l'attention  sur  «  les 
avantages  que  procurerait  au  gouvernement  le  rétablissement  des 
choses  sur  l'ancien  pied  » . 

Note  sur  le  chapitre  de  Saint-Jean  de  Latran. 

Les  bienfaits  de  la  France  envers  la  basilique  de  Saint-Jean  de 
Latran  commencèrent  sous  le  règne  de  Louis  XI,  vers  1480. 

Ce  prince  avait  recouvré  la  santé  et  le  ciel  lui  avait  donné  un  enfant. 
Par  reconnaissance  envers  saint  Jean,  à  l'intercession  duquel  il  avait 
eu  recours  en  cette  occasion,  il  fit  don  à  la  basilique  de  Saint-Jean  de  ■ 
divers  biens  consistant  en  droits  de  péage,  droits  sur  les  offices  des 
syndics  et  des  notaires,  biens  qu'il  prit  sur  son  propre  patrimoine. 
Ces  dons  furent  confirmés  par  le  pape  Sixte  IV,  et  le  chapitre  de 
Saint-Jean  jouit  des  effets  de  la  munificence  royale  jusqu'au  temps 
des  guerres  des  huguenots.  A  cette  époque,  les  biens  furent  aliénés 
et  les  droits  perdus. 

Après  l'avènement  de  Henri  IV  au  trône  de  France,  le  chapitre 
obtint  de  ce  prince,  en  l'an  1604,  la  donation  de  l'abbaye  de  Saint- 
Pierre  de  Clairac,  dans  le  diocèse  d'Agent  le  revenu  annuel  en  était 

1.  Clairac,  Lot-et-Garonne,  arr.  Marmande,  cant.  Tonneins.  Les  conditions 
de  la  donation  ont  été  déclarées  et  déterminées  dans  un  acte  du  6  juin  1605 
par  le  cardinal  François  de  Joyeuse,  protecteur  des  affaires  de  France  près  la 
cour  de  Rome,  et  par  le  duc  de  Bélhune,  son  ambassadeur.  Voir  Mgr  Pierre 
Lacroix,  Mémoires  historiques  sur  l'administration  des  pieux  établisseme7its 
français  de  Rome  (Paris,  1868),  chap.  ix,  p.  63;  cf.  ce  qui  est  dit  Ibid,, 
p.  63,  des  huit  «  brevisti  »  ou  chanoines  à  brevet. 


216  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

alors  de  4,000  écus  romains  ;  les  améliorations  qu'on  y  apporta  le  firent 
monter  à  plus  de  8,000.  Le  roi  se  réserva  le  droit  de  nommer  à  per- 
pétuité huit  chanoines,  qui  reçurent  le  nom  de  «  Brevisti  »,  auxquels 
il  assigna  une  moitié  de  la  recette  annuelle.  Il  voulut  que  l'autre  moi- 
tié, libre  de  toute  charge,  fût  répartie  entre  tous  les  membres  du  cha- 
pitre, y  compris  les  chanoines'»  Brevisti  ».  Le  pape  Paul  V  confirma 
cette  donation. 

Le  chapitre  éleva  dans  la  basilique  une  statue  de  bronze  à  la 
mémoire  de  Henri  IV.  Une  messe  solennelle  fut  instituée  pour  le 
salut  du  roi  pendant  sa  vie.  Après  la  mort  du  bienfaiteur  du  chapitre, 
on  établit  une  messe  quotidienne  et  un  service  solennel  annuel '.  Ces 
dispositions  ont  été  constamment  suivies  et  le  sont  encore  aujour- 
d'hui. 

Les  successeurs  de  Henri  IV  assurèrent  au  chapitre  la  continua- 
tion de  ces  donations.  Louis  XV  voulut  y  ajouter  encore  un  nouveau 
bienfait  en  donnant  à  la  basilique  les  prieurés  de  Marsac  et  de  Cler- 
mont2.  A  cette  occasion,  le  chapitre  lui  éleva  un  monument  en  marbre. 

Jusqu'en  1789,  les  rois  de  France  nommèrent  les  chanoines  «  Bre- 
visti »  et  le  chapitre  continua  de  jouir  des  biens  qui  lui  avaient  été 
donnés;  mais,  à  cette  époque,  toutes  les  possessions  de  l'abbaye  et  des 
prieurés  furent  aliénées  comme  biens  nationaux. 

Lorsque  le  pape  Pie  VII  alla  à  Paris  pour  couronner  Napoléon,  le 
cardinal  Antonelli,  archiprêtre  de  la  basilique,  fit  des  démarches  pour 
obtenir  quelque  dédommagement.  L'empereur  promit  au  pape  et  au 
cardinal  qu'il  ferait  droit  à  leurs  demandes  et  le  pape,  à  son  retour  à 
Rome,  en  fit  part  au  consistoire  des  cardinaux.  Mais  les  événements 
et  les  guerres  de  cette  époque  firent  oublier  ces  promesses; 

Plus  tard,  Louis  XVIII  écrivit  au  chapitre  à  plusieurs  reprises  qu'il 
pensait  à  lui  faire  de  nouvelles  donations,  dès  qu'on  aurait  achevé  l'or- 
ganisation des  évêchés  de  France. 

Enfin  Charles  X  mit  cette  promesse  à  exécution  et,  en  1825,  lorsque 
le  duc  de  Laval-Montmorency  était  ambassadeur  à  Rome,  il  afïecta 
sur  certains  fonds  assignés  à  cette  destination  24,000  francs  annuels, 
se  réservant  la  nomination  des  membres  du  chapitre  qui  jouirent  de 
cette  somme,  c'est-à-dire  de  500  écus  annuels^pour  le  cardinal  archi- 
prêtre, 400  pour  deux  chanoines,  300  pour  six  autres  chanoines,  160 
pour  un  des  bénificiaires  et  144  pour  les  quatre  autres.  Les  500  écus 
qui  restaient  furent  laissés  à  tout  le  clergé  pour  le  jour  de  la  messe 

1.  L'ambassadeur  de  France,  représentant  du  roi  en  sa  qualité  de  premier 
chanoine  du  chapitre  de  Saint-Jean  de  Latran,  assistait  jusqu'en  1830  à  la 
messe  solennelle  qu'on  célébrait  le  13  décembre,  jour  anniversaire  de  la  nais- 
sance de  Henri  IV. 

2.  Saint-Étienne  de  Marsac  et  Clermont -Dessous,  au  diocèse  d'Agen  (Dom 
Besse,  Abbnyes  et  prieurés  de  l'ancienne  France,  t.  X,  p.  113  et  117). 

3.  Le  scudo  valait  en  général  5  fr.  30. 


SAINT- JEAN  DE   LATRAN    ET   LES   PRIVILEGES  DE   LA   FRANCE.        217 

solennelle  qui  était  célébrée  et  l'est  encore  aujourd'hui  pour  le  salut 
(lu  roi,  le  13  décembre  de  chaque  année. 

Le  roi  des  Français  Louis-PhiHppe  I"""  a  continué  ce  bienfait  jus- 
qu'à la  fin  de  1830  et  le  chapitre,  dans  la  lettre  qu'il  a  adressée  à  Sa 
Majesté  au  mois  de  décembre  1830,  lui  en  exprima  sa  reconnaissance. 
Depuis  cette  époque,  les  payements  ont  cessé  et  aujourd'hui  se  trouvent 
vacants  trois  canonicats  et  un  bénéfice  qui  jouissaient  de  la  pension 
du  roi,  savoir  :  deux  canonicats  de  400  écus  chacun  et  le  troisième  de 
300;  le  bénéfice  recevait  une  pension  de  160  écus^ 

On  savait  assurément  que  la  fille  aînée  de  l'Église  avait  porté  un 
intérêt  tout  particulier  à  la  basilique  constantinienne,  «  omnium 
urbis  et  orbis  ecclesiarum  mater  et  caput  » ,  à  celle  des  églises  de  Rome 
où  les  papes  donnaient  la  bénédiction  le  jour  de  l'Ascension;  mais  ce 
qu'on  ignorait  peut-être,  ou  ce  qu'il  n'était  en  tout  cas  pas  inutile 
de  rappeler,  c'est  le  fait  qu'elle  eut  pour  bienfaiteurs  précisément 
ceux  de  tous  les  rois  de  France  qu'on  ne  devait  guère  s'attendre  à 
voir  faire  à  l'Église  romaine  de  si  belles  et  de  si  riches  donations. 
Le  grand  sens  politique  de  Louis  XI  et  du  Béarnais  pourrait  bien 
avoir  été  l'une  des  causes  déterminantes  de  leurs  largesses;  et  quant 
à  Louis  XV,  peut-être  a-t-il  espéré  que  ses  bienfaits  l'aideraient  à 
racheter  quelques-uns  de  ses  nombreux  péchés.  Quoi  qu'il  en  soit, 
ce  ne  sera  pas  assurément  sans  quelque  surprise  que  l'on  verra  repa- 
raître le  nom  de  Louis  XI  dans  une  autre  dépêche  de  Latour-Mau- 
bourg,  relative,  celle-là,  au  droit  de  juspalronat  des  rois  de  France 
sur  la  chapelle  de  sainte  Pétronille.  Cette  fois,  il  est  vrai,  l'ermite 
de  Plessis-lès-Tours,  que  la  crainte  de  la  mort  a  rendu  plus  supers- 
titieux que  jamais,  s'il  en  vient  à  combler  de  ses  bienfaits  intéressés 
une  chapelle  perdue  au  fond  de  la  basilique  vaticane,  ne  fait  que 
suivre  l'exemple  qui  lui  a  été  donné,  près  de  700  ans  auparavant, 
par  les  plus  illustres  de  ses  prédécesseurs,  Pépin  et  Charlemagne^, 

1.  Par  une  décision  du  2  juin  1863,  nous  apprend  Mgr  Lacroix  {loc.  cit.,  p.  69),  le 
gouvernement  de  Nai)oléoii  III  rétablit  en  faveur  du  chapitre  de  Saint-Jean  de 
Latran  l'allocation  de  24,000  francs.  Le  24  avril,  jour  anniversaire  de  la  nais- 
sance de  l'Emjtoreur,  une  messe  solennelle  devait  tHre  chantée  par  tout  le  cha- 
pitre et  le  clergé  de  l'archibasilique  jiapale,  en  présence  de  l'ambassadeur  de 
France  et  des  prélats  et  notables  de  la  nation  française.» 

2.  Mgr  Lacroix  publie  {loc.  cit.,  i>.  192-193)  un  rapport  du  comte  Ernest 
Armand,  |)remier  secrétaire  de  l'ambassade  de  France  prés  le  Sainl-Sii'ge,  où 
il  est  dit  : 

((  Parmi  toutes  les  fondations  françaises  créées  à  Rome  par  les  Français,  il 
n'y  en  a  qu'un  certain  nombre  qui  réclament  la  surveillance  administrative  de 
l'ambassade  de  France.  Quelques-unes  en  elVet  ne  dépendent  pas  du  ministère 
des  Affaires  étrangères,  telles  que  la  villa  Médicis  et  le  chapitre  de  Saint-Jean 
de  Latran,  dotées  la  première  par  le  ministère  des  Beaux-Arts,  le  second  par 


218  ,  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

Latour-Maubourg  à  GuizotK 

Rome,  7  janvier  1841. 
Monsieur  le  Ministre, 

Les  rois  de  France  possédaient  autrefois  un  droit  de  juspatronat 
sur  une  des  cliapelles  de  Saint-Pierre,  dédiée  à  sainte  Pétronille.  Le 
temps  et  les  événements  politiques  ont  suspendu  l'exercice  de  ce  droit 
depuis  deux  siècles  ;  mais  il  existe  toujours  et  il  a  été  formellement 
reconnu  par  le  Saint-Siège  dans  une  note  officielle  du  cardinal  Albani 
adressée  en  1829  au  chargé  d'afïaires  de  France,  en  réponse  à  un  olfice 
du  vicomte  de  Chateaubriand,  alors  ambassadeur  de  France  à  Rome. 

J'ai  renouvelé  l'année  dernière  quelques  tentatives  pour  faire  revivre 
un  privilège  qu'il  serait  regrettable  de  voir  se  perdre  complètement. 
Les  ouvertures  confidentielles  que  j'ai  faites  à  ce  sujet  ont  été  favo- 
rablement accueillies.  Le  secrétaire  d'Etat  et  le  chapitre  de  Saint- 
Pierre  se  sont  montrés  disposés  à  donner  leur  assentiment  au  réta- 
bUssement  de  l'ancien  ordre  de  choses,  sous  la  condition  toutefois 
qu'une  allocation  coiivenable  et  assurée  pourvoirait  à  l'entretien  du 
prêtre  chargé  de  desservir  la  chapelle. 

La  dotation  antérieure  consistait  en  immeubles,  dont  le  revenu 
appartenait  aux  chapelains  nommés  par  le  roi  de  France.  Il  est  impos- 
sible de  penser  aujourd'hui  à  voir  renaître  une  dotation  immobilière. 
On  ne  peut  pas  songer  davantage  à  prendre  le  traitement  à  allouer  au 
chapelain  sur  les  fonds  de  la  liste  civile  ou  du  trésor.  Dans  cet  état 
de  choses,  la  difficulté  de  trouver  une  combinaison  praticable  a  forcé- 
ment suspendu  mes  démarches,  et  c'est  ce  qui  m'avait  également 
empêché  jusqu'à  présent  d'entretenir  de  cette  affaire  le  Département 
des  Affaires  étrangères,  que  je  ne  voulais  en  occuper  que  lorsque  je 
pourrais  en  même  temps  lui  proposer  les  moyens  de  la  mener  à  bien. 

Après  avoir  longtemps  cherché  ce  moyen,  j'ai  pensé  qu'une  assi- 
gnation sur  les  fonds  qui  appartiennent  aux  pieux  établissements 
français  était  celui  auquel  nous  pouvions  avoir  le  plus  convenable- 
ment recours.  La  situation  financière  de  ces  établissements  nous  per- 
met de  disposer  pour  cette  destination  d'une  partie  de  l'excédent  de 
leurs  revenus  et  j'ai  tout  lieu  de  croire  que  cet  arrangement,  une  fois 
qu'il  aurait  eu  l'approbation  du  gouvernement  du  roi,  recevrait  égale- 
ment celle  du  Saint-Siège.  Le  montant  de  l'allocation  annuelle  devrait 
être  de  2,000  à  2,400  francs  et  de  plus  il  y  aurait  à  faire  face  aux 

la  cassette  de  l'Empereur.  Sur  d'autres,  nous  n'avons  plus  que  des  droits  plus 
ou  moins  éloignés  qu'il  faut  faire  valoir  si  nous  ne  voulons  pas  les  laisser  péri- 
mer. Dans  cette  catégorie  est  la  chapelle  de  sainte  Pétronille  à  Saint-Pierre 
du  Vatican,  fondée  et  dotée  par  Pépin  le  Bref,  mais  dont  les  revenus  ont  dis- 
paru dans  la  suite  des  siècles.  » 

1.  Rome,  volume  983,  direction  politique,  n°  9,  fol.  8-10. 


SAINT-JEAN   DE  LATRAN    ET   LES  PKIVILÈGES  DE   LA   FRANCE.        219 

dépenses  de  deux  cérémonies  religieuses  célébrées  à  l'autel  de  sainte 
Pétronille,  l'une  le  31  mai  pour  la  fête  de  cette  sainte,  l'autre  le 
30  août,  anniversaire  de  la  mort  de  Louis  XI,  en  souvenir  de  ses  lar- 
gesses en  faveur  de  la  chapelle.  Je  ne  puis  encore  préciser  exactement 
le  chiffre  de  ces  dépenses,  mais  j'ai  la  certitude,  qu'il  serait  peu  impor- 
tant et  ne  dépasserait  pas  quelques  centaines  de  francs. 

Votre  Excellence  trouvera  ci-joint  une  notice  historique  qui  fera 
connaître  l'origine  de  cette  fondation,  ainsi  que  les  diverses  interrup- 
tions que  le  temps  et  les  événements  lui  ont  fait  subir. 

Le  rétablissement  de  la  chapelle  de  sainte  Pétronille  serait  presque 
une  mesure  politique  qui  deviendrait  aux  yeux  de  tous  un  gage  écla- 
tant de  la  bonne  harmonie  qui  existe  entre  le  Saint-Siège  et  le  gou- 
vernement du  roi.  Aucun  autre  gouvernement  ne  jouit  d'une  telle  pré- 
rogative et,  en  ce  pays,'  où  le  crédit  se  mesure  sur  des  privilèges  de 
ce  genre,  le  nom  français  ne  pourrait  que  gagner  grandement  à  une 
restauration  qui  attesterait  à  la  fois  la  pieuse  sollicitude  de  notre 
famille  royale  et  la  haute  considération  dont  elle  jouit  auprès  du  Saint- 
Siège. 

Note  concernant  les  droits  de  juspatronat  du  roi  de  France 
sur  la  chapelle  de  sainte  Pétronille  dans  la  basilique  vaticane^ 

Les  monuments  historiques  les  plus  anciens  cités  par  Cancellieri 
dans  son  grand  ouvrage  :  De  Secretariis  BasiHcae  Vaticanae 
(p.  957  et  suiv.),  et  notamment  Anastase  le  Bibliothécaire,  attribuent 
la  fondation  de  la  chapelle  de  sainte  Pétronille  du  Vatican  au  pape 
Etienne  III,  qui  jeta  les  fondements  du  côté  méridional  de  l'ancienne 
basilique,  l'an  756,  à  la  prière  et  avec  l'aide  des  libéralités  du  roi 
Pépin,  père  de  Oharlemagne,  lequel  portait  une  dévotion  singulière  à 
la  allé  spirituelle  de  saint  Pierre,  qu'il  regardait  comme  sa  patronne  et 
sa  protectrice  spéciale.  «  Auxiliaris  vestrae  Petronilae  »,  lui  écrit  le 
pape  Paul  !•='  dans  une  lettre  citée  plus  bas. 

Cette  chapelle  primitive,  qui  a  été  détruite  en  1502  par  les  ordres  du 
pape  Jules  II  pour  faire  place  aux  constructions  de  la  nouvelle  basi- 
lique (dans  laquelle  elle  fut  ensuite  placée  au  côté  nord  comme  nous 
la  voyons  aujourd'hui 2),  ne  fut  terminée  et  dédiée  que  vers  760  parle 
pape  Paul  I"'',  qui  y  nomma  alors  au  baptême,  avec  de  grandes  solen- 
nités, la  princesse  Gisèle,  fille  du  roi  Pépin  et  de  la  reine  Bertrade.  Une 
lettre  de  ce  même  pontife  au  même  roi,  qui  est  la  vingt-septième  dans 

1.  Jointe  à  la  dépèche  de  l'ambassadeur  de  France  du  7  janvier  1841, 
fol.  11-13. 

2.  L'autel  de  sainte  Pétronille  existe  toujours;  il  se  trouve  au  fond  du  bas 
côté  de  droite,  à  proximité  du  monument  de  Clément  XIIl,  au  delà  de  la  cha- 
pelle Saint-Michel,  entre  deux  colonnes  ele  granit  rouge  qui  encadrent  une 
copie  en  mosaïque  du  grand  tableau  du  Guercino  placé  maintenant  au  musée 
du  Capitolc  et  qui  représente,  dans  sa  partie  inférieure,  l'exhumation  de  la 
sainte,  et,  en  haut,  sa  réception  au  ciel  par  le  llodempteur. 


220  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

la  collection  de  Duchesne  (t.  III,  p.  752),  nous  a  conservé  le  souvenir 
de  cet  événement ^. 

Cet  exemple  de  piété  fut  imité  par  Charlemagne  qui,  étant  venu  à 
Rome  avec  ses  enfants  pour  les  solennités  de  Pâques  de  l'an  781,  pria 
le  pape  Adrien  de  bien  vouloir  être  le  parrain  de  son  fils  Karloman. 
Le  Souverain  Pontife  y  consentit  avec  plaisir  et  le  jeune  prince  fut 
baptisé  dans  la  même  chapelle  de  sainte  Pétronille,  considérée  dès 
lors  comme  de  fondation  royale.  Charles  en  conçut  une  telle  satisfac- 
tion qu'il  commença  dès  lors  à  prendre  dans  ses  titres  celui  de 
«  Romani  Pontificis  Compater  »,  comme  on  peut  le  voir  dans  la  lettre 
synodique  à  l'empereur  grec  de  Constantinople. 

Les  siècles  suivants  virent  se  renouveler  et  se  perpétuer  Les  témoi- 
gnages de  dévotion  et  les  libéralités  des  rois  de  France  envers  la 
même  chapelle.  Aussi,  pendant  le  moyen  âge  et  plus  tard  encore, 
n'est-elle  guère  citée  que  sous  le  nom  de  «  Capella  Regum  Franco- 
rum,  Cella  Régis  Franciae,  Templum  Galliae  Regum  »  (voir  Cancel- 
lieri,  oj).  cit.,  p.  1041),  et  la  cour,  qui  l'environnait  et  où  est  située 
aujourd'hui  la  sacristie,  s'appelait  «  Area  Régis  Franciae  ». 

Mais,  sans  nous  arrêter  plus  longtemps  à  ces  divers  témoignages 
historiques,  nous  avons,  pour  établir  l'existence  du  droit  de  juspàtro- 
nat  des  rois  de  France  en  qualité  de  fondateurs  et  bienfaiteurs  de  la 
chapelle  de  sainte  Pétronille  du  Vatican,  des  manuscrits  bien  autre- 
ment importants  et  qui  placent  la  question  hors  de  toute  controverse. 
Le  premier  de  ces  monuments,  que  nous  pouvons  produire,  est  une 
bulle  du  pape  Innocent  VIII,  en  date  du  18  juin  1490,  commençant 
par  ces  mots  :  «  Et  si  haec  supernae  »,  dont  la  copie  que  nous  possé- 
dons est  conforme  au  Bullarium  Basilicae  Vâticayiae  et  à  l'exem- 
plaire déposé  aux  archives  des  établissements  français  de  Rome.  Par 
ce  diplôme,  le  Souverain  Pontife  érige  canoniquement  à  l'autel  de 
sainte  Pétronille,  dans  la  basilique  du  Vatican,  deux  chapellenies 
dotées  à  cet  efîet  par  le  roi  de  France  Charles  VIII  du  revenu  de  deux 
maisons  sises  à  Rome,  l'une  au  lieu  dit  «  Arcus  Campi  Florae  », 
l'autre  près  de  la  chancellerie  apostolique,  près  de  la  rue  qui  mène  du 
champ  de  Flore  au  pont  Saint-Ange,  réservant  le  juspatronat  de 
ladite  chapelle  audit  roi  Charles  et  à  ses  successeurs,  afin  que,  dans  le 
cas  de  vacance  de  l'une  ou  l'autre  desdites  chapellenies,  ils  présentent, 
pour  les  constituer,  des  sujets  dignes,  constitués  dans  l'ordre  des 
prêtres  et  institués  par  le  Souverain  Pontife  en  qualité  de  chapelains 
perpétuels. 

Ces  dispositions  d'Innocent  VIII  reçurent  assez  longtemps  leur  exé- 
cution et  une  autre  bulle  de  Clément  VIII,  dont  nous  allons  bientôt 
parler,  cite  en  effet  des  lettres  patentes  de  Louis  XII,  datées  de  Paris 
le  10  août  1502,  où  le  roi  fait  mention  de  la  chapelle  de  sainte  Pétro- 

1.  Voir  Monumenta  Germaniae  historica,  édit.  in-4°  :  Episiolae  aevi  mero- 
vingici  et  karolini,  t.  I,  p.  511  (Codex  Carolinus,  epist.  14). 


SAINT- JEAN    DE   LATRAN   ET   LES   PRIVILEGES    DE   LA   FRANCE.        221 

nille  au  Vatican,  fondée  par  ses  prédécesseurs,  comme  l'un  des  motifs 
de  l'intérêt  qu'il  porte  au  chapitre  de  ladite  basilique. 

Mais  il  paraît  que  les  troubles  prolongés  de  l'Italie,  le  sac  de  Rome 
en  1527,  puis  les  longues  discordes  civiles  survenues  en  France  sous 
les  derniers  Valois  firent  peu  à  peu  s'éteindre  le  souvenir  de  ce  privi- 
lège de  la  couronne,  en  sorte  que,  vers  1600,  le  roi  de  France  n'exer- 
çait plus  son  droit  de  juspatronat.  Mais,  vers  cette  époque,  le  célèbre 
cardinal  d'Ossat,  ambassadeur  du  roi  Henri  IV,  de  glorieuse  mémoire, 
ayant  recouvré  en  partie  les  titres  qui  constituaient  le  droit  royal, 
entreprit  d'en  faire  revivre  l'exercice.  Il  s'adressa  à  cet  effet  au  Souve- 
rain Pontife  Clément  VIII  qui,  après  un  examen  de  l'affaire,  donna,  le 
10  septembre  1601,  la  bulle  :  «  Decet  Romanum  Pontificem  »,  dont 
voici  l'analyse  : 

Le  pape,  s'appuyant  sur  les  documents  recueillis  dans  les  archives 
de  la  basilique  du  Vatican  ou  puisés  à  d'autres  sources,  reconnaît,- 
par  cette  bulle,  l'exercice  du  juspatronat  des  rois  de  France,  à  titre 
de  fondateurs  de  la  chapelle  de  sainte  Pétronille  (qui,  dès  lors,  était 
déjà  transférée  au  côté  ouest  de  la  nouvelle  basilique).  Il  confirme  de 
nouveau  ce  droit,  le  distinguant  avec  soin  d'un  juspatronat  «  ex  indulto 
Apostolico  »  et,  par  conséquent,  révocable,  et  il  déclare  qu'il  ne  pourra, 
en  aucun  temps  et  sous  aucun  prétexte,  être  apporté  aucune  déroga- 
tion quelconque  qu'en  vertu  de  lettres  apostoliques  spéciales  et  de 
l'exprès  consentement  des  rois  de  France  ou  de  leurs  ambassadeurs 
pro  tempore  près  le  Saint-Siège. 

«  Decernentes  »,  dit  la  bulle,  «  illi  (jurispatronatiis)  nuUo  unquam 
tempore...  nisi  iu  litteris  desuper  conficiendis...  ac  eorumdem  Regum 
vel  suorum  oratorum  expresso  ad  hoc  assensu  derogari  aut  deroga.- 
tum  censeri  posse  neque  deberi.  » 

Ces  lettres  ni  le  consentement  requis  n'ayant  pas  été  donnés  jus- 
qu'ici, il  çn  résulte  que  le  droit  d^  juspatronat  dont  il  s'agit  persé- 
vère, bien  qu'interrompu  depuis  longtemps  dans  son  exercice  par  des 
causes  analogues  à  celles  qui  avaient  déjà  amené  une  semblable  inter- 
ruption antérieurement  à  1601,  époque  de  la  bulle  précitée  de  Clé- 
ment VIII.  Mais  on  peut  espérer  qu'à  l'exemple  de  cet  illustre  Pon- 
tife, Sa  Sainteté  Grégoire  XVI  s'empressera  d'accéder  au  rétablissement 
d'une  institution  fondée  par  Charlemagne,  renouvelée  par  Charles  VIII, 
chère  à  Louis  XII,  et  dont  la  restauration  nouvelle  sera  digne  de  la 
piété  de  la  famille  royale  actuelle. 

La  réponse  du  Département  ne  se  fit  guère  attendre  \  mais  elle  fut 
loin  de  répondre  aux  espérances  de  l'ambassadeur,  de  donner  gain 
de  cause  aux  arguments  qu'il  avait  fait  valoir,  en  s'appuyant,  d'une 
part  sur  la  notice  historique,  de  l'autre,  sur  le  consentement  que  le 

1.  Rome,  volume  983,  n"  66,  fol.  55.  Paris,  9  février  1841,  Département  à 
Latour-Maubourg. 


222  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Saint-Siège  était  disposé  à  donner  au  rétablissement  du  juspatro- 
nat.  Après  un  examen  attentif  de  la  question,  il  n'avait  paru  ni 
légal,  ni  juste,  ni  prudent  de  faire,  comme  Latour-Maubourg  le 
proposait,  supporter  les  frais  de  la  dotation  de  la  chapelle  de  sainte 
Pétronille  aux  excédents  de  revenus  des  pieux  établissements  fran- 
çais. 

Le  ministre  faisait  remarquer  qu'une  pareille  mesure  ne  serait 
en  réalité  rien  autre  chose  que  l'aliénation,  au  profit  d'une  fondation 
étrangère  aux  établissements,  d'une  portion  de  leurs  revenus,  qui 
ont  une  destination  spéciale,  et  aurait  pour  conséquence  forcée  la 
réduction  de  fonds  affectés  à  des  œuvres  de  bienfaisance  et  de  cha- 
rité nationales.  Enfm,  comme  on  créerait  de  plus  un  précédent,  d'au- 
tant plus  dangereux  qu'il  ouvrirait  une  brèche  dans  l'emploi  des 
revenus  de  Saint-Louis-des-Français,  ces  différentes  considérations 
semblaient  assez  graves  au  Département  «  pour  contrebalancer 
l'avantage  qu'il  pourrait  y  avoir  à  faire  revivre  l'exercice  de  l'an- 
cien droit  de  juspatronat,  s'il  n'y  a  pas  d'autres  moyens  de  consti- 
tuer l'allocation  exigée  ».  Ce  moyen,  le  Département  l'indiquait  à 
Latour-Maubourg,  sans  croire  toutefois  sérieusement  à  la  possibi- 
lité d'arriver  à  en  faire  usage.  Il  consistait  à  retrouver  les  titres  de 
propriété  des  deux  maisons  sises  à  Rome  et  dont  les  revenus  avaient 
été  affectés  par  Charles  VIII  à  la  dotation  des  deux  chapellenies  éri- 
gées par  Innocent  VIII.  Enfm,  le  Département  ajoutait  en  terminant  : 
«  Le  droit  de  juspatronat  existe  ;  il  est  positivement  reconnu  par  le 
Saint-Siège;  il  ne  saurait  donc  y  avoir  péril  en  la  demeure  relative- 
ment au  rétablissement  de  son  exercice,  quand  on  considère  que  cet 
exercice  se  trouve  suspendu  depuis  200  ans  » . 

Malgré  cette  phrase,  qui  devait  cependant  dissiper  les  dernières 
illusions  qu'il  aurait  pu  encore  conserver  sur  la  possibilité  de  res- 
susciter cet  exercice,  Latour-Maubourg  n'en  tenta  pas  moins  un 
nouvel  effort.  Il  avait  naturellement  commencé  par  rechercher,  mais 
en  vain,  la  trace  des  titres  de  propriété  établissant  la  dotation.  Dési- 
reux de  tout  mettre  en  œuvre  pour  conserver  au  gouvernement  fran- 
çais le  droit  qu'il  craignait  de  voir  lui  échapper  le  jour  «  où  un  tiers 
se  présenterait  pour  se  substituer  au  roi  des  Français  »,  il  avait  fait 
appel  au  concours  et  aux  lumières  de  l'abbé  Lacroix,  clerc  national 
de  France,  et  de  Lasagni,  avocat  des  pieux  établissements  français 
de  Rome.  Ce  fut  ainsi  qu'un  peu  plus  tard,  revenant  une  dernière 
fois  à  la  charge  dans  une  dépêche  en  date  du  28  janvier  1842  ^  il 
mandait  au  Département  que,  pour  des  raisons  purement  cano- 

1.  Rome,  volume  984,  direction  politique,  n"  57,  fol.  13-21.  Latour-Mau- 
bourg à  Guizot,  Rome,  28  janvier  1842. 


SAINT-JEAN    DE   LATRAN    ET    LES   PRIVILEGES   DE   LA   FRANCE.        223 

niques,  l'abbé  Lacroix,  Lasagni  et  leurs  deux  collègues,  les  députés 
administrateurs,  concluaient  dans  des  rapports  (joints  à  sa  dépèche 
et  placés  aujourd'hui  dans  le  dossier  spécial  des  pieux  établisse- 
ments français)  au  prélèvement  de  la  somme  qu'on  destinerait  à  la 
chapelle  de  sainte  Pétronille  sur  les  revenus,  entièrement  libres  et 
sans  affectation  spéciale,  de  Saint-Claude  des  Francs-Comtois  ou 
des  Bourguignons  ' ,  qui  présentaient  un  excédent  annuel  de 
7,000  francs.  Cette  dernière  proposition  n'eut  pas  plus  de  succès 
que  les  précédentes.  On  classa  purement  et  simplement  l'affaire  du 
juspatronat  et,  à  partir  de  ce  moment,  il  ne  fut  plus  question,  dans 
la  correspondance  de  Rome,  de  la  chapelle  de  sainte  Pétronille 2. 

Commandant  Weil. 

1.  L'église  Saint-Claude  des  Bourguignons  fait  encore  aujourd'hui  partie 
des  pieux  établissements  français.  Elle  est  située  sur  la  place  du  même  nom, 
à  l'extrémité  de  la  Via  del  Tritone,  et  à  quelques  pas  de  la  Piazza  Colonna. 

2.  Bien  que  le  juspatronat  ait  en  fait  cessé  d'exister,  le  chapitre  de  Saint- 
Pierre  a  la  courtoisie  d'inviter  chaque  année  le  clergé  français  à  dire  la  messe 
à  l'autel  de  sainte  Pétronille,  et  les  abbés  français  y  célèbrent  en  effet  le 
saint  office  le  jour  de  la  fête  de  la  sainte.  —  Enfin,  je  dois  à  la  bienveillance 
de  M.  Caccioli,  l'historien  de  Saint-Pierre,  et  à  la  communication  qu'il  a  eu  la 
gracieuseté  de  faire  à  mon  excellent  ami  Casanova,  l'aimable  et  savant  surin- 
tendant des  Archives  du  royaume,  la  possibilité  de  pouvoir  affirmer  qu'aucune 
autre  tentative  n'a  été  faite  depuis  celle  qu'avait  ébauchée  et  proposée  Latour- 
Maubourg. 

J'ajoute  encore,  comme  me  l'a  fort  opportunément  rappelé  un  ami  qui 
n'ignore  rien  des  choses  de  Rome,  D.  Serruys,  que  les  ambassadeurs  de  France, 
au  sortir  de  l'audience  au  cours  de  laquelle  ils  présentaient  leurs  lettres  de 
créance  au  Saint-Père,  se  conformaient  à  un  usage  consacré  par  le  temps  et 
allaient  faire  leurs  dévotions  à  l'autel  de  sainte  Pétronille. 


BULLETIN  HISTORIQUE 


HISTOIRE  DE  FR.\NGE. 

LE     MOYEN     AGE     JUSQU'AUX     VALOIS. 

I.  Publications  de  textes.  —  MM.  Krusch  et  Levison  ont 
achevé  et  fait  paraître  depuis  la  fin  des  hostilités  le  dernier  tome  des 
Scriptores  rerum  merovingicarum  dans  le  recueil  des  Monu- 
menta  Germaniae* .  La  préface,  signée  du  nom  de  M.  Krusch 
seul,  rappelle  le  concours  que  le  savant  bollandiste  A.  Poncelet  et 
le  paléographe  français  H.  Lehègue  ont  apporté  avant  l'été  1914  à 
la  préparation  des  divers  volumes  de  la  série  et  se  termine  par  cette 
phrase,  que  nous  traduisons  tant  bien  que  mal,  d'un  latin  très  fleuri  : 
«  Maintenant  que  la  paix  est  faite,  ce  tome  VII,  intéressant  égale- 
ment l'histoire  des  deux  peuples,  pourra  être  feuilleté  de  chaque  côté 
de  la  frontière.  Dieu  fasse  que,  grâce  aux  Muses,  soient  renoués  les 
liens  que  Mars  a  cruellement  rompus-!  »  Les  «  Muses  »  de  Lou- 
vain,  de  Reims  et  autres  lieux  seront  peut-être  moins  empressées  à 
s'entremettre  que  ne  le  pense  l'érudit  allemand;  mais,  s'il  ne  s'agit 
que  de  rétablir  les  communications  —  nous  ne  disons  pas  les  rela- 
tions —  scientiQques  entre  la  France  et  l'Allemagne,  nous  sommes 
pleinement  d'accord  avec  lui  :  on  ne  voit  aucune  raison  qui  puisse 
justifier  la  prolongation  de  létat  d'ignorance  mutuelle  louchant  le 
travail  historique  (le  seul  dont  nous  ayons  à  nous  occuper  ici),  dans 
lequel  nous  avons  vécu  de  part  et  d'autre  depuis  le  mois  d'août  1914  ; 
et  nous  souhaitons  spécialement  que  les  éditeurs  allemands  rap- 
prennent le  chemin  des  revues  scientifiques  françaises. 

Le  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux  renferme  :  1°  la  fin  des 
textes  hagiographiques  de  l'époque  mérovingienne;  2"  un  copieux 
supplément  et  cent  cinquante  pages  de  corrections  et  additions  aux 

1.  Monumenta  Germaniae  historica.  Scriptorum  rerum  merovingicarnm , 
t.  VII  :  Passiones  vitaeque  sanctorutn  aevi  merovingici  cum  supplemento  et 
appendice,  éd.  B.  Krusch  et  W.  Levison.  Hannover  et  Leipzig,  Hahn,  1920, 
in-4'>,  x-902  pages  et  5  fac-similés  hors  texte.  Prix  :  146  marks. 

2.  «  Pace  restituta  tomus  noster  ulriusque  populi  rébus  gestis  inserviens 
utrobique  evolvi  potest,  faxitque  Deus,  ut  Musae  vincula  iterum  conectant 
saevicule  Marte  crudeliter  disrupta  »  (p.  x). 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  225 

six  volumes  antérieurs.  La  méthode  des  deux  collaborateurs  est  res- 
tée semblable  à  elle-même  :  sagace  et  pondérée  chez  M.  Levison; 
pleine  d'une  assurance  souvent  téméraire  et  volontiers  dénuée  de 
courtoisie  à  l'endroit  de  ses  contradicteurs,  chez  M.  Krusch. 

Nous  n'avons  que  des  éloges  à  faire  de  la  première  partie  (p.  1  à 
191),  due  tout  entière  à  M.  Levison.  Elle  se  compose  de  huit  textes  : 
les  Vies  de  Pardoux  (f  737)  et  d'Eucher,  évêque  d'Orléans  (f  738), 
écrites  au  lendemain  de  la  mort  des  saints  eux-mêmes,  mais  dont 
la  substance  historique  est  faible  ;  les  Vies  de  Leufroi,  abbé  au  début 
du  VIII'  siècle,  de  Rigobert,  évêque  de  Reims  (-|-  vers  750),  de  Gen- 
goul  (martyrisé  à  Varennes-sur-Araance,  en  Bourgogne,  vers  le 
même  temps),  de  Bertuin,  reclus  à  Malonne  près  Namur  (même 

~  époque),  et  de  Gamalbert,  prêtre  à  Michaelsbuch  en  Bavière  (date 
indéterminée),  qui  toutes  sont  des  œuvres  d'époque  tardive,  soit  du 
milieu,  soit  même  de  la  fin  du  ix*  siècle,  voire  du  début  du  siècle 
suivant.  La  pièce  de  résistance,  dans  cette  première  partie,  est  la  Vie 

•  du  célèbre  Willibrord,  écrite  par  Alcuin  un  demi-siècle  environ 
après  la  mort  du  saint  [f  739).  M.  Levison  n'a  pas  seulement  donné 
de  ce  texte,  comme  de  tous  les  autres  du  reste,  une  édition  très  soi- 
gnée et  accompagnée  de  notes  excellentes  ;  il  a,  dans  son  introduction, 
tracé  de  l'apôtre  des  Frisons  une  biographie  très  précise,  à  laquelle 
les  historiens  feront  bien  de  se  reporter  désormais. 

Le  Supplément  est  composé  d'abord  des  morceaux  suivants  :  Pas- 
sion de  sainte  Afre  d'Augsbourg,  au  iv«  siècle;  biographies  de  saint 
Seurin  de  Bordeaux  par  Fortunat  et  de  saint  Germain  d'Auxerre 
par  Constance,  prêtre  lyonnais  qui  écrivait  vers  480  ;  Vie  de  Solem- 
nis,  évêque  de  Chartres  au  début  du  vi"  siècle;  réédition  de  trois 
œuvres  hagiographiques  déjà  publiées  dans  des  volumes  antésieurs 
(les  deux  premières  au  tome  III  des  SciHptores  rerum  merovin- 
gicarum  et  la  dernière  au  tome  IV  des  Auctores  antiqulssimi), 
savoir  les  Vies  de  saint  Loup,  évêque  de  Troyes  au  v"  siècle  ;  d'Hym- 
nemodus,  Ambroise  et  Achivus,  premiers  abbés  d'Agaune  au 
VI*  siècle;  et  celle  de  saint  Germain,  évêque  de  Paris  (-{-'576),  par 
le  poète  Fortunat;  puis  la  biographie  de  saint  Longis,  abbé  au  dio- 
cèse du  Mans  (vu*  siècle),  et  la  Vie  primitive  de  saint  Riquier 
(vii'  siècle).  Les  biographies  de  saint  Seurin,  de  saint  Germain 
d'Auxerre,  de  saint  Solcmnis  et  de  saint  Longis  ont  été  publiées 
par  M.  Levison,  qui  les  a  réduites  à  leur  juste  valeur,  laquelle  est 
faible;  l'édition  des  autres  textes  a  été  assurée  par  M.  Krusch  qui 
s'est  plu,  selon  son  habitude,  à  retrouver  presque  partout  la  main 
de  «  faussaires  »  de  l'époque  carolingienne,  ce  qui  est  peut-être  aller 
un  peu  loin. 

lÎEV.  HiSTOR.  CXXXVIII.  2«  FASC.  15 


226  BULLETIN   HISTORIQUE. 

A  ces  œuvres  hagiographiques  on  en  a  ajouté  quelques  autres  : 
un  inventaire  des  éghses  et  autels  de  Clermont  en  Auvergne  au 
ix^  siècle  (édité  par  M.  Levison)  ;  une  série  d'anciens  catalogues 
des  rois  mérovingiens  édités  par  M.  Krusch  avec  des  notes  copieuses 
de  son  cru  sur  la  chronologie  de  ces  rois;  le  fameux  texte  d'^thi- 
cus  sur  l'origine  des  Francs,  accompagné  d'un  fragment  analogue 
extrait  d'un  manuscrit  de  Bonn  (par  M.  Krusch).  Le  Supplément 
s'achève  par  un  inventaire  détaillé  (188  pages)  des  manuscrits  hagio- 
graphiques utilisés  dans  ce  volume  et  les  précédents. 

Nous  devons  aussi  appeler  l'attention  des  historiens  sur  l'impor- 
tance des  «  corrections  et  additions  »  aux  tomes  I  à  VI  qui  remplissent 
les  pages  707  à  855.  On  y  trouvera  notamment  (p.  707-756),  comme 
suite  à  diverses  critiques  adressées  par  M.  Bonnet  dans  sa  thèse  sur 
le  Latin  de  Grégoire  de  Tours,  une  nouvelle  étude  sur  les  manus- 
crits des  Miracles  de  Grégoire  de  Tours,  avec  un  relevé  des  variantes 
de  deux  d'entre  eux  (par  M.  Krusch),  une  meilleure  édition  (par 
M.  Krusch  encore)  d'une  autre  œuvre  du  même  auteur  :  la  Passion 
des  sept  dormants;  la  collation  de  manuscrits  nouveaux  du  Liber 
historiae  Francorum  et  des  Vies  d'Arnulf,  de  sainte  Gertrude, 
d'Eptadius,  de  saint  Loup  de  Sens;  une  longue  note  sur  les  Gesta 
Dagoherti,  etc.  On  fera  bien  de  se  reporter  à  ces  copieux  appen- 
dices chaque  fois  que  l'on  consultera  un  des  volumes  antérieurs  de 
cette  longue  et  précieuse  série. 

Les  deux  petites  collections  des  Scriptores  rerum:  germanica- 
rum  in  usum  scholarum  et  des  Fontes  juris  germanici  anti- 
qui,  qui  sont  comme  le  prolongement  des  Monumenta  Germaniae, 
se  sont  depuis  1914  enrichies  de  plusieurs  volumes.  Le  seul  dont 
nous  ayons  à  parler  ici^  est  encore  l'œuvre  de  M.  Krusch 2,  qui 
s'est  borné,  il  est  vrai,  à  réimprimer  les  éditions  des  Vies  de  saint 
Haimhram,  évêque  de  Ratisbonne  au  vu*  ou  au  début  du  viii^  siècle, 
et  de  saint  Corbinien,  évêque  de  Freising  (-j-  vers  725),  par  Arbéon, 
lui-même  évêque  de  Freising  à  dater  de  763,  telles  ou  à  peu  près 
telles  qu'il  les  avait  données  déjà  aux  tomes  IV  et  VI  des  Scripto- 
res rerum  merovingicarum.  Pour  la  Vie  de  saint  Haimhram 
toutefois,  M.  Krusch  a  pu  améliorer  légèrement  son  premier  tra- 
vail en  utilisant  des  manuscrits  nouveaux;  pour  la  Vie  de  saint 

t 

1.  Nous  n'avons  pas  reçu  l'édition  cle  la  Loi  saxonne  publiée  en  1918  par 
C.  von  Schwerin.  , 

2.  Arbeonis  episcopi  Prisingensis  Vitae  sanctorum  Haimhrammi  et  Corbi- 
niani,  éd.  Bruno  Krusch.  Hannover,  Hahn,  1920,  in-S",  viii-244  p.;  prix  : 
26Tn.  90  (de  la  collection  des  Scriptores  rerum  germanicarum  in  usum  scho- 
larum ex  Monumentis  Germaniae  hisloricis  separaiim  editi). 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  227 

Corbinien,  il  a  fait  l'économie  du  texte  presque  entier  du  rema- 
niement composé  au  ix*  siècle  et  d'un  court  passage  de  sa  propre 
préface.  Il  est  commode  de  trouver  ainsi  réunies  en  un  petit 
volume  ces  deux  œuvres,  qui  ne  se  distinguent  point  par  des 
mérites  de  premier  ordre,  mais  qui  sont  des  échantillons  inté- 
ressants de  la  culture  littéraire  en  Bavière  vers  la  seconde  moitié 
du  vin*  siècle.  ^ 

Notre  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  poursuivi  l'im- 
pression de  son  grand  recueil  des  Chartes  et  diplômes  relatifs  à 
l'histoire  de  France.  Plusieurs  volumes  sont  à  la  veille  de  paraître, 
comprenant  la  suite  des  actes  de  Philippe  Auguste,  d'Henri  Plante- 
genèt,  ainsi  que  les  diplômes  délivrés  par  la  chancellerie  des  rois 
carolingiens  d'Aquitaine;  et  dès  maintenant  nous  avons  en  main 
l'édition  préparée  par  M.  Poupardin  des  actes  des  trois  souverains 
qui  se  sont  succédé  sur  le  trône  «  de  Provence  »  depuis  la  création 
de  ce  royaume  par  l'empereur  Lothaire  en  faveur  de  son  troisième 
fds,  Charles  (855),  jusqu'à  son  absorption  dans  le  royaume  voisin 
«  de  Bourgogne  »  ou,  plus  exactement,  jusqu'à  la  mort  du  troisième 
roi,  Louis  l'Aveugle  (928)  ^  L'histoire  de  ce  royaume  éphémère  a 
été  retracée  il  y  a  vingt  ans  en  détail  par  ce  même  érudit,  au  labeur 
diligent  duquel  est  dû  le  volume  que  nous  annonçons  présentement. 
Nous  rappellerons  d'après  lui  que  l'expression  géographique  .de 
«  Provence  »  ne  doit  pas  donner  le  change  sur  l'étendue  réelle  et  d'ail- 
leurs très  variable  d'une  souveraineté  qui,  englobant  dabord  à  peu 
près  tous  les  pays  sis  entre  le  Rhône,  la  mer  et  les  Alpes,  a  même 
pu,  à  certains  moments,  déborder  largement  sur  la  rive  droite  du 
Rhône  et  jusqu'au  Jura  et  au  Mçrvan.  Les  actes  publiés  par  M.  Pou- 
pardin émanent,  d'autre  part,  de  trois  princes  dont  les  pouvoirs 
se  sont  exercés  dans  des  conditions  assez  différentes  :  le  premier, 
Charles  (855-863),  règne  en  vertu  d'une  décision  de  l'empereur 
Lothaire;  le  deuxième,  Boson  (879-887),  est  un  usurpateur  qui,  après 
seize  années,  durant  lesquelles  le  royaume  a  cessé  d'avoir  une  exis- 
tence propre,  finit  par  se  faire  proclamer  roi,  mais  doit  lutter  presque 
sans  arrêt  pour  défendre  l'indépendance  de  ses  États;  le  troisième, 
Louis,  lîls  du  précédent,  tout  jeune  encore  lors  de  la  mort  de  son 
père,  n'est  reconnu  qu'après  trois  années  d'interrègne  (en  890)  et 

1.  Recueil  des  actes  des  rois  de  Provence  (855-928).  publié  sous  la  direction 
de  Maurice  Prou  par  René  Poupardin.  Paris,  Imprimerie  nationale  [et  Klinck- 
sieck  éditeur],  19'20,  in-4°,  lx-157  pages  et  3  planches  (reproductions  de  sceaux 
et  monogrammes).  Prix  :  13  fr.  et  75  •/.  de  majoration  temporaire  (collection 
des  Charles  et  diplômes  relatifs  à  l'histoire  de  France  publiés  par  les  soins 
de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres). 


228  BULLETIN  HISTORIQUE. 

se  laisse  dès  l'année  900  entraîner  en  Italie,  où  il  reçoit  (février 
901)  la  couronne  impériale  ^  De  là  l'intérêt  très  médiocre,  il  faut 
bien  le  dire,  de  la  plupart  des  documents,  au  reste  peu  nombreux 
(une  soixantaine,  dont  plusieurs  faux  ou  suspects),  réunis  par 
M.  Poupardin  :  ce  sont  en  général  de  simples  actes  de  donations  ou 
de  confirmations,  presque  tous  en  faveur  des  églises  ou  des  monas- 
tères du  royaume  ;  on  y  relève  cependant  deux  intéressantes  notices 
de  jugements  (n°'  28  et  52).  Comme  dans  les  autres  volumes  de  la 
collection,  la  préface  de  l'éditeur  est  réservée  à  l'étude  diplomatique 
des  pièces  publiées.  Cette  étude  se  ressent,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  du  caractère  inorganique  de  la  chancellerie  de  ces  petits 
rois,  dont  l'administration  et  le  pouvoir  furent  jusqu'au  bout  pré- 
caires et  instables. 

La  Société  de  l'Histoire  de  France  a  pris  à  tâche  de  publier  une 
édition  critique  des  Grandes  chroniques  de  France  et  elle  a 
chargé  M.  Viard  de  ce  soin.  Le  premier  volume  2,  qui  vient  de 
paraître,  fait  bien  augurer  de  la  suite;  mais  il  ne  dépasse  pas  l'an- 
née 585  et  il  en  faudra  plusieurs  encore  avant  que  Ton  atteigne  la 
partie  originale  delà  chronique,  qui  n'est  pour  les  périodes  anciennes 
qu'une  traduction  d'œuvres  dont  le  texte  original  est  venu  jusqu'à 
nous.  Sans  doute  eût-il  été  plus  sage,  en  ce  temps  de  crise  du  papier 
et  de  la  librairie,  de  condenser  le  début  de  la  compilation,  ou  tout 
au  moins  de  recourir  à  une  disposition  typographique  plus  avanta- 
geuse que  celle  qu'on  a  choisie.  L'édition  d'ailleurs  promet  d'être 
excellente.  M.  Viard  s'est  non  seulement  attaché  à  nous  donner  un 
texte  correct,  en  prenant  pour  base  le  manuscrit  782  de  la  Biblio- 
thèque Sainte- Geneviève,  mais  il  l'a  annoté  avec  le  soin  dont 
il  est  coutumier  (sans  doute  même  avec  un  soin  excessif,  étant 
donné  le  caractère  de  l'œuvre),  a  relevé  les  sources  auxquelles  le 
compilateur  a  puisé  ^et  ici  Aimoin  a  fourni  l'essentiel),  enfin,  en 
une  courte  mais  substantielle  préface,  a  résumé  tout  ce  que  l'on 
sait  présentement  de  l'origine  des  Grandes  chroniques.  Il  tient  à 
en  faire  remonter  l'inspiration  au  roi  saint  Louis  lui-même,  et  peut- 
être  s'exagère- t-il  la  valeur  de  ses  arguments  ;  mais  il  est  certain  — 
et  c'est  en  partie  ce  qui  en  fait  l'intérêt  —  qu'elles  se  rattachent  au 

1.  Les  actes  de  Louis  l'Aveugle  concernant  l'Italie  ont  été  exclus  du  recueil 
de  M.  Poupardin.  On  sait  qu'ils  ont  été  publiés  par  M.  Schiaparelli  dans  la 
collection  des  Fo7ili  per  la  storia  d'IlaUa  de  1'  «  Istituto  storico  italiano  »  (/ 
diplomi  italiani  di  Lodovico  III  et  di  Rodolfo  II.  Roma,  1910,  in-8°). 

2.  Les  Grandes  chroniques  de  France,  publ.  par  Jules  Viard;  tome  I  :  Des 
origines  à  Glotaire  II.  Paris,  Société  de  l'histoire  de  France,  46,  rue  Jacob, 
1920,  in-8°,  xxxii-355  pages.  Prix  :  15  fr.  (publication  de  la  Société  de  l'his- 
toire de  France). 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  229 

grand  mouvement  de  curiosité  encyclopédique  du  xiii*  siècle,  dont 
Vincent  de  Beauvais  est,  dans  un  autre  ordre  d'idées,  un  des  plus 
illustres  représentants. 

Lé  tome  III  du  Recueil  de  chartes  et  documents  de  Saint- 
Martin-des-Champs,  formé  par  M.  DEPorN^  comprend  environ 
trois  cent  cinquante  pièces  du  temps  de  Philippe  Auguste  et  un 
«  Mémorial  chronologique  des  défunts  commémorés  »  à  l'abbaye  à 
la  fin  du  xii"  siècle.  Ces  documents  sont,  dans  l'ensemble,  aussi 
dignes  d'attention  que  ceux  des  volumes  antérieurs  ;  l'édition  en  a 
été  préparée  avec  le  même  zèle,  mais  nous  sommes  obligés  de  répé- 
ter à  propos  de  cette  nouvelle  série  les  critiques  que  nous  avons  eu 
à  formuler  à  propos  des  deux  premières 2.  Les  copies  n'ont  pas  tou- 
jours été  revues  avec  assez  de  soin  et,  par  suite,  les  textes  sont  sou- 
vent défigurés  :  deux  actes  de  Philippe  Auguste  que  nous  avons  col- 
lationnés  sur  l'édition  de  M.  Delaborde  ne  laissent  aucun  doute  à 
cet  égard.  En  outre,  il  est  souvent  difficile  de  comprendre  comment 
les  textes  ont  été  établis;  les  variantes  sont  relevées  d'une  façon 
capricieuse;  il  arrive  qu'on  en  donne  Iprs  même  que  l'original  était 
sous  les  yeux  de  l'éditeur  ;  il  arrive,  par  contre,  qu'on  n'en  donne 
aucune  quand  le  texte  pourtant  n'a  pu  être  dressé  qu'à  l'aide  de  plu- 
sieurs copies.  Ainsi  risque  d'être  gravement  compromis  le  résultat 
de  longues  recherches  et  d'un  persévérant  effort,  qu'on  voudrait 
pouvoir  louer  sans  restrictions. 

On  n'adressera  pas  les  mêmes  reproches  à  M.  Meillon.  Son  édi- 
tion du  cartulaire  de  Saint-Savin,  dans  la  vallée  de  Cauterets^,  a 
été  élaborée  avec  une  méthode  qu'on  serait  presque  tenté  de  trouver 
trop  minutieuse.  La  peine  qu'il  a  prise  pour  établir  la  filiation  des 
diverses  copies,  pour  en  relever  les  variantes,  pour  commenter  les 
moindres  détails  de  ses  documents,  mène  parfois  à  des  résultats  un 
peu  compliqués  pour  un  lecteur  ordinaire,  plus  pressé  que  lui  d'ar- 
river au  but.  Mais  nous  aurions  mauvaise  grâce,  après  tout,  à  nous 
plaindre  de  cet  excès  de  conscience.  Les  quarante  et  quelques  docu- 
ments dont  son  volume  reproduit  le  texte  et  fournit  la  traduction  sont 
curieux  ;  ils  nous  initient  à  des  coutumes  souvent  fort  originales  de 

1.  Recueil  de  chartes  et  documents  de  Saint-Martin~des-Champs,  monastère 
parisien,  par  J.  Depoin;  tome  III.  Abbaye  de  Ligugé,  à  Chevetogne  (Belgique), 
et  Paris,  Auguste  Picard,  1917,  in-8°,  422  pages.  Prix  :  12  fr.  {Archives  de  la 
France  monastique,  t.  XVIIl). 

2.  Rer.  histor.,  t.  CX  (1912),  p.  330-331;  t.  CXVl  (1914),  p.  82-84. 

3.  Alphonse  Meillon,  Histoire  de  la  vallée  de  Cautercts  ( Uautes-Pyrénées) : 
tome  I  :  les  Origines.  Le  cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Savin  en  Lavedan 
(vers  975-vers  II8O),  avec  une  préface  de  Camille  Jullian.  Cauterets,  Cazaux, 
1920,  in-8%  xx-486  pages. 


î   I 


230  BDLLETIN   HISTORIQUE. 

ces  vallées  pyrénéennes,  en  même  temps  qu'à  l'histoire  féodale, 
si  obscure,  du  comté  de  Bigorre  au  xi«  et  au  xii*  siècle. 

IL  Histoire  générale.  —  Le  Saint  Sigisbert  de  M.  l'abbé 
Guise  ^ ,  écrit  en  partie  à  l'intention  des  élèves  de  l'école  Saint- Sigis- 
bert, que  l'auteur  dirige  à  Nancy,  est,  comme  la  plupart  des  volumes 
de  la  collection  «  Les  saints  » ,  un  livre  d'édification  plus  encore  qu'un 
livre  d'histoire.  Cependant  par  le  souci  dont  il  fait  montre  de  se 
reporter  aux  dernières  éditions  des  textes  qu'il  utilise  et  de  s'en  tenir 
autant  que  possible  à  la  lettre  de  ces  textes,  M.  Guise  mérite  d'être 
traité  en  historien.  Son  sujet,  malheureusement,  était  maigre  :  Sigis- 
bert, fils  du  grand  Dagobert,  n'a  vécu  que  vingt-six  ans  et  son  court 
règne  a  été  d'un  extrême  insignifiance  ;  à  peine  les  chroniques  lui  con- 
sacrent-elles quelques  lignes.  M.  l'abbé  Guise  lui  a  consacré  tout 
un  volume.  C'est  dire  qu'il  a  dû  parler  de  bien  d'autres  choses  que 
de  Sigisbert  lui-même,  accueillir  avec  un  peu  trop  de  complaisance 
des  récits  ou  des  commentaires  hagiographiques  pour  lesquels  il  ne 
montre  cependant  pas  toujours  lui-même  une  confiance  très  grande, 
et  paraphraser  trop  longuement  certains  passages  d'une  œuvre  d'aussi 
basse  époque  que  les  Gesta.  DagohertP. 

Pour  l'époque  carolingienne,  on  nous  permettra  de  signaler  d'abord 
le  volume  dans  lequel  ont  été  rassemblées  les  études  que  nous  avons 
publiées  ici  même  sur  l'histoire  de  Charlemagne^.  Il  suffira  d'en 
rappeler  sommairement  l'ordonnance.  Quatre  études  traitent  des 
sources  principales  de  cette  histoire  :  les  Annales  royales,  les  petites 
annales,  dont  nous  nous  sommes  efforcé  de  renouveler  le  classement 
et  la  critique,  l'œuvre  d'Einhard  et  celle  du  Moine  de  Saint-Gall, 
dont  nous  avons  tenté  de  déterminer  avec  précision  l'originalité  et  la 
valeur,  si  étrangement  surfaite  dans  l'un  et  l'autre  cas.  La  deuxième 
partie  du  volume  s'attaque  à  des  problèmes  proprement  historiques  : 
un  premier  chapitre  retrace  en  détail  les  péripéties  de  la  conquête  de 
la  Saxe  ;  un  second  chapitre  est  réservé  à  l'histoire  du  couronnement 
impérial  en  l'an  800  ;  les  deux  derniers  portent  sur  l'histoire  écono- 

1.  L'abbé  Guise,  Saint  Sigisbert,  roi  d'Austrasie  (630-656).  Paris,  Lecoffre, 
1920,  in-12,  x-i82  pages.  Prix  :  3  fr.  (collection  «  Les  saints  »). 

2.  P.  10,  et  ailleurs  encore,  M.  l'abbé  Guise  semble  croire  que  les  «  saints  » 
de  l'époque  mérovingienne  étaient  tous  des  modèles  de  vertu.  Il  fera  bien  de 
se  documenter  sur  leur  compte  ailleurs  que  chez  les  hagiographes.  P.  87  et 
suiv.,  il  a  tort  de  se  fier  à  Kurth  et  de  voir  avec  lui  dans  l'histoire  de  la 
guerre  de  Thuringe  sous  Sigisbert  l'origine  de  toute  une  famille  de  légendes 
épiques.  M.  Bédier,  en  dernier  lieu,  a  fait  justice  de  ces  fantaisies. 

3.  Louis  Halphen,  Études  critiques  sur  l'histoire  de  Charlemagne.  Paris, 
Félix  Alcan,  1921,  in-8%  viii-314  pages  et  une  carte  hors  texte.  Prix  :  14  fr. 


HISTOIRE  DE  FRANCE.  231 

mique  et  étudient  respectivement  le  régime  domanial  et  les  théories 
d'Inama-Sternegg  et  de  M.  Dopsh  touchant  la  «  renaissance»  indus- 
trielle et  commerciale  dans  l'Empire  carolingien  au  temps  du  grand 
empereur  franc. 

En  présence  de  l'immense  labeur  que  suppose  un  volume  de  dimen- 
sions aussi  considérables  que  le  Gerbert  de  M.  de  La  Salle  de 
RocHEMAURE  * ,  on  hésitc  à  prononcer  des  paroles  de  découragement. 
On  ne  peut  taire  cependant  que  ses  sept  cent  cinquante  pages  in- 
octavo  n'apportent  pas  grand'chose  de  neuf  à  l'histoire.  Admi- 
rateur enthousiaste  du  pontife  dont  il  est  le  compatriote,  l'auteur  de 
ce  livre  a  voulu  élever  à  son  héros  un  monument  digne  de  lui  ;  mais 
l'enthousiasme  et  la  bonne  volonté  ne  suffisent  pas  à  faire  un  histo- 
rien. M.  de  Rochemaure,  qui  puise  dans  le  Larousse  et  dans  l'abbé 
Darras  sa  science  sur  le  passé  de  la  Pologne  (p.  553-554),  n'a  qu'une 
connaissance  très  imparfaite  des  travaux  consacrés  à  Gerbert  lui- 
même.  C'est  seulement  vers  le  milieu  de  son  livre  (p.  363),  sauf 
erreur,  qu'il  découvre  le  Hugues  Capet  de  M.  Ferdinand  Lot  —  dont 
il  n'a  du  reste  lu,  semble-t-il,  que  deux  pages  en  tout  (p.  102-103) 
—  sans  se  douter  qu'il  y  aurait  trouvé,  ainsi  que  dans  les  Derniers 
Carolingiens  du  même  auteur,  des  vues  essentielles  à  son  sujet.  Il 
ne  semble  pas  non  plus  soupçonner  l'existence  des  recherches  érudites 
de  Jules  Lair  ;  il  a  renoncé  à  se  faire  traduire  celles  de  Boubnov  ;  sur 
les  connaissances  mathématiques  de  Gerbert,  des  études  aussi  impor- 
tantes que  celles  de  Weissenborn  lui  ont  échappé.  Et  ce  ne  sont  là 
que  quelques  oublis  entre  beaucoup  d'autres.  Tout  le  volume  s'en 
ressent  :  M.  de  Rochemaure,  qui  élargit  perpétuellement  un  sujet 
déjà  assez,  difficile  en  soi  et  qui  se  complaît  aux  aperçus  généraux, 
aux  tableaux  d'ensemble,  a,  sur  l'histoire  du  x»  siècle,  des  idées  vrai- 
ment trop  sujettes  à  caution  —  et  qui  datent  ;  il  les  exprime,  de  plus, 
en  un  style  d'une  magnificence  excessive 2.  Et  puis  était-il  bien 
utile  de  présenter  de  Gerbert  une  apologie  à  jet  continu?  Le 

1.  Duc  de  La  Salle  de  Rochemaure,  Gerbert  (Silvestre  II).  Le  savant,  le 
«  faiseur  de  rois  »,  le  pontife.  Rome,  imprimerie  «  Editrice  RoiT^ana  »,  et 
Paris,  Émile-Paul,  1914  (en  réalilé  :  1921),  in-8°,  752  p.  et  de  nombreuses 
planches  hors  lexte. 

2.  Un  seul  exemjde  suffira  :  «  Comme  on  voit  un  tleuve  se  dilater  insensi- 
blement et,  dans  sa  course  majestueuse  vers  l'Océan,  aller  répandre  l'abon- 
dance et  la  fécondité  jus(iue  dans  les  contrées  les  plus  reculées,  ainsi  la 
Papauté,  à  travers  les  crises,  tour  à  tour  douloureuses  et  héroïques  des  siècles 
de  son  histoire,  a  puise  dans  sa  divine  institution,  etc..  Si  ce  fleuve  était 
étroit  et  resserré  à  sa  source  jusqu'au  jour  où  Constantin  le  laissa  s'épandre 
librement  sur  le  monde,  son  onde  était  limpide,  etc..  »  Il  y  a  des  pages 
entières  de  ce  style. 


232  BULLETIN   HISTORIQUE. 

héros  de  M.  de  Rochemaure  a  eu  ses  tares  :  il  fut  un  homme  de  son 
temps  et  nous  croyons  que  son  biographe  eût  été  mieux  inspiré  en 
cherchant  à  le  peindre  tel  qu'il  fut. 

Dans  un  mémoire  très  étudié  et  qui  ouvre  souvent  des  perspectives 
nouvelles\  M.  Auguste  Dumas,  professeur  à  la  Faculté  de  droit 
d'Aix,  a  repris  Texamen  des  principales  questions  soulevées  par  le 
regretté  Jacques  Flach  au  tome  IV  de  ses  Origines  de  l'ancienne 
France.  Les  lecteurs  delajRevue  historique  se  rappellent  les  con- 
clusions paradoxales  auxquelles  ce  dernier  aboutissait  :  nous  les 
avons  exposées  et  discutées  ici  même 2.  M.  Dumas  est  d'accord  avec 
nous  sur  la  plupart  des  points,  c'est-à-dire  qu'il  se  rallie  à  la  thèse 
si  brillamment  soutenue  par  M.  Ferdinand  Lot  dans  son  livre  Fidèles 
ou  vassaux.  Mais  il  ne  se  contente  pas  de  montrer  la  fragilité  des 
raisonnements  échafaudés  par  M.  Flach;  à  propos  des  théories  de  ce 
dernier,  il  refait  l'histoire  du  contrat  de  vasselage,  du  serment  de 
fidélité,  de  l'hommage;  il  expose  avec  beaucoup  de  lucidité  comment 
ces  divers  éléments  se  sont  rejoints  d'abord,  puis  comment,  à  partir 
de  la  fin  du  xi«  siècle,  les  juristes  se  sont  apphqués  à  les  dissocier; 
il  développe  enfin  des  considérations  fort  intéressantes  sur  l'évolution 
du  pouvoir  royal  du  viii*  au  xiii^  siècle,  pour  conclure  qu'on  a  fait 
fausse  route  quand  on  a  voulu  établir  une  distinction  entre  l'autorité 
du  roi  capétien  en  tant  que  «  souverain  »  et  son  autorité  en  tant  que 
«  suzerain  » .  Peut-être  pourrait-on  discuter  sur  ce  chapitre  et  chercher 
si,  en  dépit  de  l'imprécision  du  vocabulaire  des  hommes  du  moyen 
âge,  il  n'y  a  pas  lieu,  quoi  qu'en  dise  M.  Dumas,  de  croire  à  la  sur- 
vivance, plus  ou  moins  nette,  des  idées  d'État  et  de  Souveraineté 
en  Occident  durant  les  siècles  mêmes  où  la  puissance  publique  s'af- 
firme le  moins  dans  les  faits.  Mais  une  pareille  discussion  nous 
entraînerait  trop  loin.  Qu'on  partage  ou  non  l'avis  de  M.  Dumas, 
son  mémoire  n'en  mérite  pas  moins,  même  en  ces  matières,  la  plus 
sérieuse  attention.  Nous  ne  saurions  trop  en  recommander  la  lecture. 

L'histoire  du  duché  de  Normandie  depuis  sa  fondation  jusqu'à 
son  incorporation  à  l'empire  des  Plantegenêts  continue  à  occuper  les 
érudits.  Après  les  ouvrages  de  MM.  Prentout,  Haskins,  Vahn  et 
Ohesnel,  dont  nous  avons  rendu  compte  ces  dernières  années^  voici 
encore  deux  volumes  d'inégale  valeur,  l'un  de  M.  Du  Motey  sur 

1.  Auguste  Dumas,  Encore  la  question  «  Fidèles  ou  vassaux?  »,  à  propos 
du  quatrième  volume  des  Origines  de  l'ancienne  France,  de  M.  Flach  (Paris, 
librairie  du  «  Recueil  Sirey  »,  1921,  in-8°,  115  p.;  extr.  de  la  Nouvelle  revue 
historique  de  dn-oil  français  et  étranger,  t.  XLIV,  p.  159-229  et  347-390). 

2.  Rev.  histor.,  i.  CXXIX  (1918),  p.  90  et  suiv. 

3.  Rev.  histor.,  t.  C,  p.  227;  t.  CIV,  p.  106;  t.  CXXII,  p.  175;  t.  CXXIX, 
p.  96, 


eiSTOlllE   DE   FRANCE.  233 

les  origines  du  duché  et  son  histoire  jusque  vers  la  fin  du  xi''  siècle, 
l'autre  d'un  professeur  américain,  M.  Oh.  David,  sur  le  duc  Robert 
Courteheuse.  L'ouyi'age  du  premier'  se  divise  en  trois  parties  : 
1"  une  brève  «  étude  préliminaire  »  sur  le  diocèse  de  Séez  depuis 
Charles  le  Chauve  jusqu'au  début  du  x"  sièclç;  2°  une  série  de  sept 
cliapitres  sur  la  formation  du  duché  normand  depuis  Rollon  jusqu'à 
la  mort  de  Richard  II  (1026);  3"  quelque  deux  cents  pages  sur  les 
seigneurs  de  Bellème  et  d'Alencon  et  leur  rôle  dans  l'histoire  de  la 
Normandie  depuis  le  milieu  du  x'=  siècle  jusqu'en  1085.  C'est  pour 
préparer  cette  troisième  partie  que  tout  le  reste  a  été  écrit,  l'auteur, 
qui  est  d'Alenron,  s'intéressant  plus  spécialement  à  l'histoire  nobi- 
liaire de  sa  petite  patrie.  Nous  ne  songeons  point  à  lui  en  faire  un 
reproche;  mais  son  livre  se  ressent  un  peu  trop  de  cette  préoccupa- 
tion d'ordre  exclusivement  local.  Quand  il  veut  se  hausser  à  la 
«  grande  histoire  »,  comme  il  dit,  et  même  lorsqu'il  s'en  tient  à  celle 
du  pays  alençonnais,  M.  du  Motey  fait  preuve  d'une  regrettable  inex-  * 
périence.  Il  se  montre  médiocrement  au  courant  des  éditions  et  des 
travaux  récents,  et  il  lui  arrive  de  commettre,  par  suite,  d'étranges 
méprises,  par  exemple  lorsqu'il  utilise  sans  l'ombre  d'une  hésitation 
le  prétendu  diplôme  du  roi  Philippe  I"  confirmant  la  fondation  de 
l'église  Saint-Léonard  de  Bellème  :  «  Son  authenticité,  maintenant 
complètement  démontrée,  est,  dit-il,  hors  de  doute  »  (p.  125,  note  2). 
Il  n'oubhe  qu'une  chose,  c'est  que  M.  Prou  en  a  déjà,  par  deux  fois 
—  et  la  première  il  y  a  près  de  vingt  ans  —  démontré  l'absolue  faus- 
seté. Cet  exemple  suffit.  M.  du  Motey  fera  bien,  pour  les  prochains 
travaux  qu'il  annonce  sur  Robert  «  le  Diable  »  et  sur  les  comtes 
d'Alençon  et  du  Ponthieu,  de  lire  de  plus  près  les  quelques  livres 
modernes  qu'il  cite  dans  ses  notes  et  de  se  reporter  systématique- 
ment, pour  tous  les  textes  qu'il  utilise,  aux  dernières  éditions  qui  en 
ont  été  données. 

L'ouvrage  de  M.  David ^  est  autrement  solide.  Entrepris  sur  les 
conseils  de  M.  Haskins,  dont  on  n'a  pas  oublié  les  belles  recherches 

1.  Le  vicomte  du  Motey,  Origines  de  la  Normandie  et  du  duché  d'Alençon 
de  Van  850  à  l'an  1085.  Paris,  Auguste  Picard,  1920,  in-8°,  x-327  pages. 
Prix  :  25  fr.  —  Le  titre  que  nous  venons  de  transcrire  est  celui  de  la  couver- 
ture du  volume.  Le  vrai  titre  est  :  Origines  de  la  ISormandie  et  du  duché 
d'Alençon.  Histoire  des  quatre  premiers  ducs  de  Normandie  et  des  Talvas, 
princes  de  Bellème,  seigneurs  d'Alençon,  de  Sées,  de  Domfront,  du  Passais 
et  du  Saosnois,  précédée  d'une  étude  sur  le  diocèse  de  Sées  au  IX'  siècle, 
de  l'an  850  à  l'an  1085.  Rien  de  plus,  rien  de  moins. 

2.  Charles  Wendell  David,  Robert^Curtliose,  duke  of  Normandy.  Cambridge, 
Mass.,  Harvard  University  Press,  et  Oxford,  University  Press,  l'J20,  in-S",  xiv- 
271  pages,  1  carte  et  1  gravure  hors  texte.  Prix  :3  dollars  {llarrard  historical 
studies,  l.  XXV). 


234  BULLETIN   HISTORIQUE. 

sur  les  institutions  normandes,  il  nous  apporte  une  biographie  cri- 
tique très  étudiée  du  fils  de  Guillaume  le  Conquérant.  Robert  Cour- 
teheuse  n'a  certes  pas  joué  un  rôle  très  glorieux  :  son  histoire  est 
d'abord  celle  d'un  fils  rebelle,  puis  celle  d'un  prince  incapable  ;  son 
règne  en  Normandie  est  marqué  par  de  perpétuels  désordres  ;  il  ne 
réussit  qu'à  affaiblir  et  compromettre  l'autorité  ducale  et  mérite 
ainsi  d'en  être  dépouillé  par  son  frère  Henri  Beauclerc  lorsque,  après 
son  retour  dé  la  croisade,  il  est  battu  et  fait  prisonnier  à  Tinchebray 
(1106).  M.  David  ne  modifie  point  l'idée  que  nous  nous  formions  de 
ce  médiocre  personnage  ;  mais  il  en  précise  l'histoire  et  expose  avec 
sagacité  le  détail  des  événements  auxquels  il  fut  mêlé  tant  en  Nor- 
mandie que  dans  le  Maine  et  en  Terre  sainte.  Le  dernier  chapitre  est 
consacré  aiux  légendes  dont  Robert  Gourfceheuse  est  le  héros.  Il  est 
suivi  de  notes  et  d'appendices,  qui  achèvent  de  faire  de  tout  le  volume 
un  excellent  instrument  de  travail. 
•  On  attendait  de  M.  Marc  Bloch,  aujourd'hui  chargé  de  cours  à 
l'Université  de  Strasbourg,  une  étude  sur  le  servage  et  les  popula- 
tions rurales  de  l'Ile-de-France  au  moyen  âge.  La  guerre  l'a  obligé 
à  différer  la  réalisation  de  ce  projet,  et  c'est  seulement  avec  un  com- 
mentaire des  ordonnances  royales  de  1315  et  1318  sur  l'affranchis- 
sement des  serfs  du  domaine  capétien  '  qu'il  est  venu  demander  à  la 
Sorbonne  le  grade  de  docteur  es  lettres  :  ce  qui  devait  être  une  thèse 
«  complémentaire  »  s'est  mué  en  thèse  «  principale  » ,  et  même  en 
thèse  unique;  mais  le  commentaire  a  pris  l'ampleur  d'une  enquête, 
neuve  et  personnelle,  sur  le  servage  et  les  affranchissements  enterre 
capétienne,  plus  particulièrement  en  Vermandois  et  dans  les  régions 
voisines,  depuis  le  temps  de  Louis  VI  jusqu'à  l'avènement  de  Phi- 
hppe  de  Valois.  M.  Bloch  s'est  appliqué  avant  tout  à  définir  d'une 
façon  rigoureuse  la  condition  légale  du  serf  et  les  charges  vraiment 
caractéristiques  qui  pesaient  sur  lui.  Ce  sont  des  pages  très  fouillées, 
qui  font  faire  à  l'examen  de  la  question  un  progrès  marqué,  quand 
bien  même  on  en  pourrait  discuter  quelques  points.  Mais  ce  que  ce 
livre  renferme  de  plus  original,  c'est  une  étude  minutieuse  et  tout  à 
fait  intéressante  des  raisons,  où  ni  la  morale  ni  la  religion  n'eurent 
rien  avoir,  qui  poussèrent  les  rois  capétiens,  saint  Louis  compris,  à 
vendre  la  hberté  aux  serfs  de  leurs  domaines.  Le  procédé  était  com- 
mode, et  l'on  ne  s'étonnera  pas  que,  dès  Philippe  le  Bel,  l'adminis- 
tration royale,  toujours  habile  à  faire  argent  de  tout,  soit  entrée 
résolument  dans  la  voie  des  affranchissements  obligatoires,  qui  per- 
mettaient de  remplir  dans  les  moments  de  détresse  ïes  coffres  vides 
du  Trésor.  Les  affranchissements  de  1315  et  de  1318  procèdent  de  la 

1.  Marc  Bloch,  Rois  et  serfs.  Un  chapitre  d'histoire  capétienne.  Paris, 
Champion,  1920,  in-S",  224  pages.  Prix  :  12  fr. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  235 

même  pensée,  malgré  la  magnificence  du  préambule  qui  ouvre  les 
lettres  royales  oij  la  mesure  est  édictée  :  M.  Bloch  a  sans  peine  fait 
justice  de  cette  phraséologie  creuse  et  prouvé  également  que,  pas 
plus  que  leurs  prédécesseurs,  Louis  X  et  Philippe  V  n'avaient 
entrepris,  comme  on  Ta  écrit  mainte  fois,  d'affranchir  tons  les 
serfs  de  tous  leurs  domaines.  L'ouvrage  de  M.  Bloch  se  termine 
par  quelques  pièces  justificatives  et  diverses  notes,  dont  l'une,  sur 
les  «  collecteurs  des  mainmortes  et  formariages  »  et  sur  leur  comp- 
tabilité, mérite  d'être  spécialement  signalée'. 

On  saura  gré  à  M.  Emile  Ghénon^  d'avoir  analysé,  principalement 
d'après  les  Olim,  avec  la  compétence  qu'on  lui  connaît,  quelque 
deux  cents  affaires  intéressant  sa  province  natale  jugées  au  Parle- 
ment de  Paris  de  1255  à  1328.  Ces  affaires  sont  résumées  briève- 
ment dans  l'ordre  môme  où  elles  vinrent  en  délibéré  devant  les  juges 
royaux,  c'est-à-dire  pêle-mêle;  mais  M.  Ghénon  n'a  pas  omis  de 
dégager  à  la  fin  de  son  volume  quelques-uns  des  faits  généraux  qui 
ressortent  d'une  étude  attentive  de  tous  ces  dossiers  de  procédure.  Il 
a  très  justement  souligné  l'intérêt  que  ces  textes  présentent  pour 
l'histoire  des  progrès  de  l'autorité  .et  de  l'administration  royales  en 
Beri7  à  la  fin  du  xiii''  siècle  et  au  début  du  xiv^  relevant,  entre 
autres,  les  empiétements  progressifs  de  la  cour  capétienne,  les 
mesures  prises  parle  souverain  pour  rogner  les  griffes  des  baillis  en' 
les  flanquant  d'officiers  nouveaux,  montrant  aussi  les  modifications 
apportées  dans  la  suite  des  temps  au  statut  juridique  des  diverses 
classes  de  la  population  (serfs,  bourgeois,  nobles,  clercs),  et  les 
patients  mais  fructueux  efforts  faits  par  les  clercs  du  Parlement  pour 
préciser,  compléter  et  coordonner  le  droit  coutumier  de  la  province^. 

1.  p.  21,  25,  et  ailleurs  encore,  M.  Bloch  tient  le  mol  d'  «  hôte  »  pour  un 
simple  équivalent  de  «  manant  »  ou  d'homme  libre.  Historiquement  au  moins, 
il  a  tort.  P.  30,  il  eût  été  bon  d'expliquer  la  raison  d'être  du  formariage. 
P.  33,  note  2,  l'exemple  tiré  du  Recueil  des  chartes  de  Saint- (,'crmaiii-des- 
Prés  ne  semble  pas  s'appliquer  au  cas  visé.  P.  46,  note  1,  inutile  de  parler  du 
«  devoir  »  qui  incombe  au  seif^neur  de  poursuivre  les  meurtriers  de  son  serf  : 
c'est  comme  si  l'on  parlait  du  «  devoir  »  qui  lui  incombe  de  poursuivre  le 
meurtrier  de  sa  vache  ou  de  son  cheval;  son  intérêt  de  pro|)riélaire  frustré  est 
directement  en  jeu.  P.  46-47,  la  question  du  «  serf-chevalier  »  ne  semble  pas 
élucidées  P.  68,  ligne  20,  le  mouvement  pe  peut  être  dit  «  nettement  régio- 
nal »,  puisqu'on  suppose  en  même  temps  que  des  faits  identiiiues  se  sont  pro- 
duits un  peu  partout. 

2.  Emile  Ciiénon,  les  .hiius  de  l}crry  au  Parlement  de  Paris  de  V255  à 
1328.  Paris,  librairie  de- la  Société  du  «  Recueil  Sirey  »,  1921,  in-8°,  395  p.  et 
6  tableaux  généalogiques,  avec  un  index  des  noms  propres  et  un  index  des 
matières. 

3.  La  courte  préface  du  volume  (p.  5-7)  appellerait,  par  contre,  quelques 
réserves  de  fond  et  de  forme. 


236  BULLETIN    HISTORIQUE. 

III.  Histoire  religieuse.  —  Don^ESSE,  que  la  mort  est  venue 
l'an  passé  arracher  brutalement  à  son  infatigable  labeur,  a  pour- 
suivi jusqu'à  son  dernier  souffle  la  rédaction  du  grand  inventaire 
des  Ahbayes  et  23?'ieurés  de  1'a.ncienne  France  auquel  il  avait 
consacré  depuis  quelque  douze  ou  quinze  ans  le  plus  clair  de  ses 
efforts ^  Nous  avons  déjà  eu  maintes  fois  l'occasion  d'en  expliquer 
la  composition^.  Le  dernier  volume  paru  (le  huitième)  concerne  la 
province  ecclésiastique  de  Tours.  Il  est  aussi  riche  que  ses  aînés  en 
renseignements  bibliographiques  —  presque  trop  riche  même,  car, 
comme  dans  les  volumes  antérieurs  aussi,  on  sombre  souvent  dans 
la  confusion.  Il  faut^déplorer,  en  outre,  que  les  noms  des  auteurs  cités 
aient  continué  jusqu'au  bout  à  être  si  fréquemment  estropiés,  au 
point  d'en  être  méconnaissables.  (Notons  en  passant  que  dom  Besse 
a  continué  ici  encore  à  écrire  avec  un  seul  t  le  nom  de  Potthast,  qui 
revient  pourtant  presque  à  chaque  page.)  Il  y  a  enfin  quelques 
oubHs  graves^.  Mais,  dans  l'ensemble,  l'ouvrage  est  clair,  commode; 
la  liste  des  établissements  monastiques  qu'il  renferme  est  infiniment 
plus  complète  que  celle  de  la  Gallia  christiana.  C'est,  en  somme, 
un  monument  d'érudition  qui,  malgré  ses  très  graves  défauts,  fait 
honneur  à  la  mémoire  de  celui  qui  l'a  conçu  et  presque  entièrement 
réalisé.  Nous  "espérons  que  ses  confrères  de  l'abbaye  de  Ligugé 
auront  à  cœur  d'en  assurer  l'achèvement. 

Le  P.  Delehaye  a  publié  dans  les  Analecta  Bollandiana  un 
remarquable  mémoire  sur  saint  Martin ■*.  Il  y  attaque  très  vivement, 
bien  qu'en  termes  d'une  parfaite  courtoisie,  les  conclusions  du  livre 

1.  Abbayes  et  prieurés  de  l'ancienne  France.  Recueil  historique  des  arche- 
vêchés^ évêchés,  abbayes  et  prieurés  de  France,  par  dom  Beaunier  ;  tome  VIII  : 
Province  ecclésiastique  de  Tours,  par  le  R.  P.  dom  J.-M.  Besse.  Abbaye  de 
Ligugé,  à  Chevetogne  (Belgique),  et  Paris,  Aug.  Picard,  1920,  in-S",  369  pages. 
Prix  :  15  fr.  {Archives  de  la  France  monastique,  t.  XIX). 

2.  Rev.  histor.,  t.  LXXXVIII  (1905),  p.  441;  t.  CI  (1909),  p.  444;  t.  CVIII 
(1911),  p.  132;  t.  CXII  (1913),  p.  344;  t.  CXVI  (1914),  p.  98;  t.  CXXIII  (1916), 
p.  139. 

3.  Par  exemple,  p.  5,  note  3,  où  dom  Besse  en  reste,  pour  la  vie  de  saint 
Martin  de  Sulpice  Sévère,  à  l'édition  de  la  Patrologie  de  Migne  et,  pour  les 
ouvrages  modernes  sur  le  même  saint  Martin,  à  celui  de  Lecoy  de  la  Marcbe, 
qui  ne  nous  apporte  certes  pas  le  dernier  mot  de  la  science.  P.  22,  note  1, 
le  recueil  des  chartes  de  Saint-Julien  de  Tours  de  M.  l'abbé  Denis  semble 
totalement  oublié.  P.  59,  pour  la  chronologie  des  évoques  d'Angers,  la  préface  du 
Cartulaire  noir  de  Saint-Maurice  d'Angers  de  M.  le  chanoine  Urseau  eût  dû  être 
citée  en  toute  première  ligne.  Pas  plus  qu§  précédemment,  dom  Besse  ne  s'est 
reporté  à  la  deuxième  édition  des  Fastes  épiscopaux  de  Mgr  Duchesne. 

4.  Hippolyte  Delehaye,  Saint  Martin  et  Sulpice  Sévère,  dans  les  Analecta 
Bollandiana,  t.  XXXVIII  (1920),  p.  5-136.  Voir,  à  propos  du  même  ouvrage, 
l'article  de  Marc  Bloch,  Saint  Martin  de  Totirs,  à  propos  d'une  polémique, 
dans  la  Revite  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1921. 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  237 

de  M.  Babut,  dont  nous  avons  rendu  compte  ici  même'.  On  se 
rappelle  que  M.  Babut  déniait  à  peu  près  toute  valeur  documentaire 
à  l'œuvre  de  Sulpice  Sévère,  prétendait  que  saint  Martin  avait  été 
médiocrement  honoré  de  son  vivant  et  soutenait,  par  surcroît,  que 
le  culte  de  sa  mémoire  ne  s'était  implanté  en  Gaule  qu'à  une  époque 
tardive.  Le  P.  Deleliaye  reprend  une  à  une  toutes  ces  thèses,  réfute 
les  accusations  portées  par  M.  Babut  touchant  la  bonne  foi  de  Sul- 
pice Sévère,  établit  enfin  que  saint  Martin  a  bel  et  bien  été  vénéré 
par  ses  contemporains.  Chemin  faisant,  il  s'applique  à  démêler  la 
chronologie  de  la  vie  du  saint  évêque  et  apporte  ainsi  une  contribu- 
tion positive  à  l'histoire  religieuse  ^u  iv^  siècle.  Est-ce  à  dire  que 
toutes  les  observations  naguère  présentées  par  le  regretté  Babut 
doivent  être  tenues  pour  inexistantes?  Pas  tout  à  fait,  croyons-nous. 
Mais  le  P.  Delehaye  a  souligné  avec  force  les  dangers  d'une  méthode 
qui  fait  à  la  conjecture  et  à  l'ingéniosité  personnelle  de  l'érudit  une 
trop  large  part  et  ramené  la  discussion  sur  son  véritable  terrain, 
celui  des  documents,  auxquels  l'historien  est  en  toute  occasion 
obligé  de  se  tenir. 

C'est  sur  ce  terrain  que  se  cantonne  strictement  M.  Lardé  dans 
le  livre^,  clair  et  bien  composé,  où  il  examine,  en  remontant  jus- 
qu'aux origines  mêmes  de  l'Eglise,  comment  s'est  formé,  en  Gaule 
particulièrement,  le  «  privilège  du  for  ecclésiastique  »  ou  «  privilège 
de  clergie  » ,  grâce  auquel  les  membres  du  clergé  finirent  par  échap- 
per dans  la  majorité  des  cas,  tant  au  criminel  qu'au  civil,  à  la 
juridiction  des  tribunaux  ordinaires.  M.  Lardé  a  arrêté,  provisoire- 
ment au  moins,  son  enquête  à  la  mort  de  Charlemagne,  dont  le  règne 
paraît  avoir  marqué  en  effet  une  étape  décisive  dans  la  voie  de  l'af- 
franchissement judiciaire  du  clergé  des  Gaules.  L'étude  à  laquelle  il 
s'est  livré  et  qui  est  divisée  en  deux  parties  —  avant  et  après  la 
conquête  franque  —  est  l'œuvre  d'un  juriste  averti  et  d'un  érudit 
habitué  au  maniement  des  textes  ;  elle  nous  permet  de  suivre  pas  à 
pas  les  efforts  déployés  par  l'Église  pour  obtenir  le  droit  de  juger 
elle-même  d'abord  ses  querelles  intérieures,  puis  peu  à  peu  toutes 
les  affaires  où  les  siens  étaient  impliqués.  L'édit  promulgué  par 
Clotaire  en  614  a  dans  cette  histoire  une  importance  capitale.  Aussi 
M.  Lardé  en  a-t-il  fait  un  examen  minutieux.  A-t-il  réussi  à  inter- 
préter sainement  l'article  4,  sur  lequel  on  a  déjà  tant  discuté? 
Nous  n'oserions  l'affirmer  et  nous  serions  même  porté  à  nous 
séparer  de  lui  à  ce  propos  sur  plusieurs  points  essentiels.  Par  contre, 
les  rapprochements  qu'il  a  faits  entre  l'édit,  les  capitulaires  de  Char- 

1.  Rev.  histor.,  t.  CXII  (1913),  p.  338-339. 

2.  Georges  Lardé,  le  Tribunal  du  clerc  dans  l'empire  romain  et  la  Gaule 
franque.  Moulins,  Imprimerie  régionale,  1920,  in-8°,  230  pages. 


238  BOLLETIJV  HISTORIQUE. 

lemagne  et  les  délibérations  du  grand  concile  tenu  à  Paris  en  cette 
même  année  6iA  sont  des  plus  suggestifs,  et  quiconque  écrira  désor- 
mais sur  la  question  du  for^cclésiastique  aura  profit  à  consulter  son 
travail. 

Presque  en  même  temps  que  M.  Lardé,  M.  Génestal,  qui  a  été 
son  maître  à  TEcole  des  hautes  études,  a  fait  paraître  sur  une  autre 
partie  du  même  sujet  —  pour  la  période  qui  s'étend  du  milieu  du 
XII''  siècle  à  la  fin  du  xiv*  —  le  tome  I"  d'un  ouvrage  important  sur 
lequel  nous  aurons  l'occasion  de  revenir  lorsqu'il  sera  achevé^. 
Pour  l'instant,  nous  eu  festons  encore  aux  préliminaires,  M.  Génesr 
tal  s'étant  proposé  seulement  dans  ce  premier  volume  de  déterminer 
avec  précision  les  diverses  catégories  de  personnes  qui,  en  droit, 
étaient  fondées  à  invoquer  le  privilège  du  «  for  ecclésiastique  ». 
Mais  cette  étude  est  fort  instructive.  M.  Génestal  y  montre  combien 
élastique  était  l'e^cpression  de  «  clerc  »  dans  la  langue,  même  juri- 
dique, du  moyen  âge,  puisqu'elle  s'appliquait,  lato  sensu,  à  qui- 
conque avait  reçu  la  tonsure,  ce  qui  avait  pour  résultat,  vu  la  faci- 
lité avec  laquelle  on  pouvait  être  tonsuré,  de  permettre  à  beaucoup 
d'accusés,  fussent-ils  mariés,  d'échapper  aux  juridictions  séculières; 
mais  il  montre  aussi  comment,  dans  la  pratique  et  aussi  dans  la  légis- 
lation —  voire  dans  la  législation  canonique  —  on  s'appHqua  à  limi- 
ter les  inconvénients  que  devait  entraîner  l'extension  indéfinie  d'un 
privilège,  à  la  longue  gênant  pour  la  royauté  et  parfois  pourTEghsc 
elle-même. 

Une  simple  mention  suffira  pour  le  livre  de  M.  l'abbé  Lahure 
sur  l'abbaye  cistercienne  de  la  Valroy,  au  diocèse  de  Reims^.  Médio- 
crement documenté,  écrit  dans  un  esprit  qui  n'a  généralement  rien 
à  voir  avec  le  véritable  esprit  scientifique,  ce  livre  risque  de  n'être 
pas  d'un  grand  secours  pour  les  historiens  de  métier. 

Nous  ne  citerons,  de  même,  que  pour  mémoire,  le  petit  volume^ 
que  M.  0.  de  Warenghien  a  publié  sur  son  «  ancêtre  »  Michel  de 
Warenghien,  évêque  de  Tournai  (1284-1291),  et  où  il  s'est  appli- 
qué, nous  dit-il,  à  mettre  au  point  et  compléter  les  travaux  de  deux 
autres  membres  de  sa  famille,  magistrats  l'un  et  l'autre  au  cours  du 

1.  R.  Génestal,  le  »  Privilegium  fori  »  en  France  du  décret  de  Graiien  à  la 
fin  du  XIV  siècle;  tome  I.  Paris,  Ernest  Leroux,  1921,  in-8°,  xx-246  pages 
{Bibliothèque  de  l'École  des  hautes  études.  Sciences  religieuses,  t.  XXXV). 

2.  L'abbé  A.  Lahure,  Notre-Datne  de  ta  Valroy,  abbaye  royale  de  Cister- 
ciens, autrefois  située  entre  Sainl-Quentin-le-Petit  et  Sévùjny-  Waleppe,  au 
diocèse  de  Reims,  lli7-1789.  Préface  de  Georges  Goyau.  Paris,  Gabriel  Beau- 
chesne,  1920,  in-S",  xxiv-233  pages  et  9  planches  hors  texte. 

3.  Camille  de  Warenghien,  Un  prélat  au  XIII"  siècle.  Michel  de  Waren- 
ghien, éoéque  de  Tournai  de  128i  à  1291.  Paris,  E.  de  Boccard,  1919,  in-16, 
103  pages  et  3  planches  hors  texte. 


HISTOIRE  DE  FRANCE.  239 

XIX*  siècle.  L'initiation  historique  de  l'auteur  semble  encore  rudi- 
mentaire.  Il  décrit  (p.  22)  le  sceau  de  l'évèque  de  Tournai  d'après 
l'original  «  conservé  de  nos  jours  aux  Archives  nationales,  cabinet 
des  estampes  »  {sic),  et  le  château  d'Heichin  avant  sa  démolition  en 
1382  (p.  24)  d'après  un  écrivain  du  xvii'  siècle,  qui  a  été  jusqu'à 
dénombrer  les  moellons  employés  à  sa  construction.  Enfin  la  seule 
lecture  de  la  bibliographie  insérée  p.  95-96  donne  à  penser  que 
M.  de  Warenghien  n'est  pas  encore  aussi  familier  qu'il  conviendrait 
avec  quelques-uns  des  livres  anciens  ou  modsrnes  qu'il  aurait  eu 
profit  à  manier. 

IV.  Histoire  de  la  civilisation.  — L'historien  de  la  littérature 
latine  au  moyen  âge  trouvera  à  glaner  dans  le  troisième  et  dernier 
volume  des  Œuvres  de  L.  Traube  * ,  bien  qu'il  soit  composé  presque 
uniquement  de  notes  très  brèves  portant  sur  des  points  de  détail. 
On  y  relèvera  des  pages  intéressantes  sur  quelques  manuscrits  des 
classiques  latins  au  moyen  âge  (entre  autres,  sur  des  manuscrits  de 
Valère  Maxime,  Cornélius  Nepos,  Tite-Live,  Ammien  Marcellin. 
Cicéron,  Virgile,  etc.),  sur  le  rôle  des  «  Scots  »  à  l'époque  franque, 
sur  le  Comput  d'Hilperich,  moine  de  Seligenstadt,  et  quantité  d'ob- 
servations sur  les  œuvres  littéraires  de  l'époque  carolingienne. 

Dans  l'histoire  de  la  philosophie  scolastique  et  de  l'enseignement 
théologique  en  France  avant  Abélard,  le  célèbre  maître  de  l'école 
épiscopale  de  Laon  Anselme  (-j-  1117)  tient,  semble-l-il,  une  place 
d'honneur;  mais  son  rôle  véritable  et  l'influence  réelle  de  ses  idées 
restent  à  préciser.  M.  Bliemetzrieder,  qui  nous  promet  pour  un 
prochain  fascicule  des  Beitràge  zur  Geschichte  der  Pliilosophie 
des  Mittelalter^s  une  étude  spéciale  sur  cette  question,  nous  apporte 
dès  maintenant  une  édition  critique  et  annotée  des  deux  principaux 
traités  d'Anselme,  les  Sententiae  divinae  paginae  et  les  Senten- 
tiae  Anselmi^.  Nous  aurons  l'occasion  d'y  revenir  quand  le  travail 
aura  reçu  le  complément  annoncé. 

Nous  souhaiterions  pouvoir  donner  ici  d'une  façon  réguhère  un 
aperçu  d'ensemble  de  l'activité  déployée  tant  en  France  qu'en  Alle- 
magne, en  Amérique  et  ailleurs  encore  (notamment  dans  les  pays 

1.  Lndwig  Traube,  Vorlesuyigen  und  Abhandlungen,  publ.  par  Franz  Boll; 
tome  III  :  Kleine  Sckriften,  publ.  par  Samuel  Brantlt.  Muncheu,  Oskar  Beck, 
1920,  ln-8%  xvi-344  pages  et  2  fac-similés  de  palimpsestes.  Prix  :  35  marks. 
Sur  les  précédents  volumes,  voir  Rev.  histor.,  t.  C  (1909),  p.  458,  et  t.  CVI 
(1911),  p.  184. 

2.  Ariselms  ton  Laon  Syslemalische  Scnteuzen,  publ.  par  Franz  PI.  Blie- 
metzrieder; 1"  partie  :  Texte.  Munster  i.  W.,  Aschendorll",  1919,  in-8°, 
xxvi-38  et  1G7  p.;  2  fac-similés  bors  texte.  Prix  :  12  marks  (forme  le  fasc.  2-3 
des  Beilrûgc  zur  Geschichte  der  Philosophie  des  Mittclallers.  Texte  und 
Untersuchungetiy  publ.  par  C.  Baeumker,  t.  XVlll). 


240  BDLLETIN   HISTORIQUE. 

Scandinaves)  pour  la  mise  au  jour,  la  diffusion  et  l'étude  des  chefs- 
d'œuvre  de  notre  littérature  française  des  xii*  et  xiii*  siècles  ' .  Il  faut 
nous  borner  aux  livres  qui  nous  parviennent  et  nous  contenter 
pour  cette  fois  des  trois  derniers  volumes  parus  dans  la  petite  col- 
lection des  Classiques  français  du  moyen  âge,  dont  nous  avons 
déjà  souvent  loué  la  méthode  sûre  et  sobre  et  l'élégance  de  bon  aloi. 
Le  premier  d'entre  eux  nous  apporte  une  des  chansons  de  geste  les 
plus  connues,  le  Couronnement  de  Louis,  réédité  par  M.  Ernest 
Langlois^,  qui  l'avait  déjà  publié  il  y  a  près  de  vingt-cinq  ans  pour 
la  «  Société  des  anciens  textes  français  ».  Le  texte,  qui  date  des 
environs  de  1130,  a  été  revu  attentivement  et  précédé  d'une  rapide, 
mais  suffisante  introduction.  —  M.  Wallenskold^  a  donné,  à  son 
tour,  une  édition  nouvelle  de  lœuvre lyrique  de  Conon  de Béthune, 
un  des  croisés  de  1189  et  de  1202.  Oe  sont  surtout  des  chan- 
sons d'amour,  banales  d'ordinaire,  avec  de-ci  de-là  cependant 
des  traits  assez  piquants  et  des  allusions  à  quelques  personnages 
notables  du  règne  de  Philippe  Auguste.  Un  seul  regret  :  la  biogra- 
phie de  l'auteur  eût  gagné  à  être  étudiée  de  plus  près.  —  Le  troisième 
volume,  dont  nous  ayons  à  parler,  est  dû  à  la  collaboration  de 
MM.  Jeanroy  et  LlNaFORS''.  Il  est  presque  tout  entier  réservé  aux 
chansons  de  langue  d'oïl  des  satiristes  français  du  xiii^  siècle  :  satires 
contre  le  siècle,  satires  contre  le  clergé,  satires  contre  l'amour,  satires 
contre  les  femmes,  telles  sont  les  grandes  sections  entre  lesquelles  se 
répartissent  les  pièces  de  ce  recueil  dont  quelques-unes  sont  célèbres 
—  comme  la  fameuse  Chanson  des  ordres  de  Rutebeuf  —  dont 
quelques-unes  aussi  sont  publiées  ici  pour  la  première  fois.  Ge  sont 
toutes  des  satires  d'ordre  général,  les  chansons  satiriques  qui  visent 
des  événements  ou  des  personnages  déterminés  ayant  été  réservées 
pour  un  recueil  ultérieur.  MM.  Jeanroy  et  Lângfors  ont  complété 
celui-ci  en  y  annexant  un  petit  groupe  de  chansons  bachiques.  Les 
historiens  de  la  société  française  au  temps  de  Philippe  Auguste  et  de 
saint  Louis  liront  le  tout  avec  profit. 

Nous  ne  terminerons  pas  cet  article  sans  signaler  la  suite  de  la  réé- 

1.  La  Revue  historique  ne  reçoit,  malheureusement,  qu'une  faible  partie  des 
ouvrages  consacrés  à  notre  littérature  du  moyen  âge. 

2.  Le  couronnement  de  Louis,  chanson  de  geste  du  XIP  siècle  éditée  par 
Ernest  Langlois.  Paris,  H.  Champion,  1920,  in-16,  xviii-169  p.  (de  la  collec- 
tion Les  classiques  français  du  moyen  âge  publiés  sous  la  direction  de  Mario 
Roques)  ;  prix  :  6  fr. 

3.  Les  chansons  de  Conon  de  Béthune  éditées  par  Axel  Wallenskôld.  Paris, 
H.  Champion,  1921,  in-16,  xxiv-39  p.  (même  collection);  prix  :  3  fr. 

4.  Chansons  satiriques  et  bachiques  du  XIII'  siècle  éditées  par  A.  Jeanroy 
et  A.  Lângfors.  Paris,  H.  Champion,  1921,  in-lH,  xiv-143  p.  (même  collec- 
tion); prix  :  5  fr. 


HISTOIRE  DE   FRANCE.  241 

dition  que  M.  Enlart  donne  de  son  important  Manuel  d'archéo- 
logie française^  On  sait  qu'il  a  entièrement  refondu  le  tome  I", 
consacré  à  l'architecture  religieuse,  et  ce  volume  a  pris  de  telles 
proportions  qu'il  a  fallu  le  couper  en  trois.  La  première  partie  a 
été  appréciée  dans  notre  précédent  Bulletin  2;  la  deuxième,  qui  a 
paru  récemment,  renferme  l'histoire  de  l'architecture  religieuse 
depuis  la  fin  du  xii*  siècle  jusqu'à  la  Renaissance  inclusivement;  la 
troisième  sera  réservée  à  un  index  général,  qui  sera  le  hienvenu. 
Mais  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  cette  crise  de  croissance  et  ce 
découpage,  peut-être  un  peu  exagéré,  entraînent  une  augmentation 
parallèle  du  prix  de  vente,  qui  finit  par  devenir  presque  prohibitif^. 
Le  dernier  volume  paru,  qui  correspond  aux  pages  434  à  806  de  la 
première  édition  (soit  un  gain  d'une  centaine  de  pages*),  nous  apporte 
des  chapitres  ti-ès  remaniés.  L'historien  s'arrêtera  de  préférence  à 
ceux  qui  traitent  des  origines  du  style  gothique,  auquel  M.  Enlart 
tient,  non  sans  d'assez  bonnes  raisons  après  tout,  à  rendre  son  vieux 
nom  de  style  «  français  »  [opus  francigenum).  Il  y  tire  parti  des 
recherches  nouvelles  de  l'archéologue  américain  Kingsley  Porter  sur 
l'architecture  lombarde.  Ailleurs,  M.  Enlart  ajoute  des  détails  ins- 
tructifs tant  sur  le  rayonnement  de  l'art  gothique  hors  de  France 
que  sur  les  influences  étrangères  qui  peu  à  peu  finirent,  à  leur  tour, 
par  amener  une  transformation  décisive  de  l'art  gothique  lui-même. 
Le  répertoire  des  églises  françaises  de  la  période  étudiée  dans  ce 
volume  a  été  en  grande  partie  refait  et  s'est  enrichi  de  notes  très 
précises  sur  les  édifices  les  plus  célèbres  et  sur  les  maîtres  d'œuvres 
qui  en  ont  dirigé  la  construction  (Pierre  et  Eude  de  Montereau, 
Villard  de  Honnecourt,  Raymond  du  Temple,  etc.).  Ces^uelques 
exemples  suffiront  à  indiquer  le  soin  avec  lequel  M.  Enlart  a  pré- 
paré cette  nouvelle  édition  d'un  livre,  qu'on  pourrait  souhaiter  par- 
fois moins  compact,  mais  auquel  on  s'accordera  à  reconnaître  le 
mérite  d'une  information  remarquablement  riche  et  neuve. 

Louis  Halphen. 

1.  Camille  Enlart,  Manuel  d'archéologie  française  depuis  les  temps  méro- 
vingiens jusqu'à  la  Renaissa7ice  ;  tome  I  :  Archileclure  religieuse  ;  2'  édition 
revue  et  augmentée,  2"  partie  :  Période  française  dite  gothique,  style  flam- 
boyant, Renaissance.  Paris,  Auguste  Picard,  1920,  in-8%  pages  459-937.  Prix  : 
25  francs. 

2.  Rev.  histor.,  t.  CXXXIII  (1920),  p.  102-104. 

3.  Le  tome  I"  seul  coûtera  désormais  25  -f  25  -f-  5  francs,  soit  55  francs, 
alors  qu'il  était  vendu  15  francs  sous  sa  première  forme  avant  la  guerre. 

4.  Il  est  vrai  que  près  de  quarante  planches  hors  texte  ont  disparu  pour 
faire  place  à  des  figures  dans  le  texte  (pas  toujours  aussi  bien  venues  qu'on  le 
souhaiterait]. 

Rev.  Histor.  CXXXVIIL  2«'  fasc.  16 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


V.  ScHEiL,  membre  de  l'Institut,  directeur  d'études  à  l'École  pra- 
tique des  Hautes-Études.  Recueil  de  lois  assyriennes.  Texte 
assyrien  en  transcription,  avec  traduction  française  et  index.  Paris, 
Geuthner,  1921.  1  vol.  gr.  in-8^  125  pages. 

«  On  peut  dire  sans  exagération  que,  depuis  la  trouvaille  du  Code 
de  Hammurabi  (1901-1902),  publié  et  traduit  en  1902,  rien  de  compa- 
rable n'a  été  mis  au  jour  en  matière  de  législation  antique.  »  Cette 
phrase,  extraite  de  l'avant-propos  de  l'auteur,  caractérise  au  mieux 
l'importance  de  cette  nouvelle  publication.  En  1901,  la  Délégation 
française  en  Perse  trouva  à  Suse  l'ensemble  des  lois  de  Babylone, 
gravées  par  l'ordre  du  roi  Hammurabi  vers  2000  avant  notre  ère.  L'an- 
née suivante,  le  P.  Scheil,  dans  le  tome  IV  des  Mémoires  de  la 
Délégation,  donnait  la  traduction  de  ce  monument  unique.  Depuis,  on 
a  reconnu  que  Hammurabi,  roi  sémite  dont  la  dynastie  prit  pour 
capitale  Babylone,  n'était  pas  absolument  un  novateur.  Les  Sumé- 
riens, race  rivale  des  Sémites,  et  qui  nous  apparaissent  déjà  mélangés 
à  ceux-ci  dès  le  début  de  l'histoire  mésopotamienne,  avaient  un  code 
de  lois  avant  l'an  2000,  et  à  plusieurs  reprises  on  en  a  découvert  des 
fragments.  Le  P.  Scheil  en  a  traduit  un  certain  nombre  dans  la  Revue 
d'assyriologie.  Nous  n'avions  encore  aucun  recueil  des  lois  de  l'As- 
syrie, limitrophe  de  la  Babylonie,  occupée  comme  elle  par  un  mélange 
de  Sémites  et  de  Sumériens  non  sémites,  mais  dont  la  population, 
composée  en  grande  partie  de  montagnards  et  ayant  reçu  en  outre 
d'Asie  Mineure  des  éléments  ethniques  que  nous  qualifions  encore 
mal,  offre  un  caractère  plus  rude  que  celui  des  Babyloniens.  Les 
fouilles  allemandes  effectuées  sur  le  site  d'Assur,  l'ancienne  capitale 
de  l'Assyrie,  mirent  au  jour  trois  tablettes  faisant  partie  du  Recueil 
des  lois  assyriennes,  dont  le  P.  Scheil  nous  donne  la  première  trans- 
cription et  la  traduction.  Nous  avons  ainsi  en  une  sorte  de  triptyque  : 
sumérien,  babylonien,  assyrien,  un  tableau  de  la  législation  et  par 
suite  des  mœurs  et  des  usages  de  l'ancienne  Mésopotamie  ;  nous  sai- 
sissons sur  le  vif  les  traits  caractéristiques  de  chacun  de  ces  peuples. 
C'est  ainsi  que  la  loi  babylonienne,  qui  reproduit  la  plupart  des  dispo- 
sitions de  la  loi  sumérienne,  corrige  ce  qu'elle  peut  avoir  d'imprécis, 
de  façon  à  y  introduire  plus  d'équité,  mais  aussi  plus  de  rigueur,  car 
elle  tend  à  devenir  inexorable.  La  loi  assyrienne  aggrave  encore,  si 
faire  se  peut,  les  pénalités;  nous  y  remarquons  cette  cruauté  dont 
feront  si  souvent  étalage  les  monarques  assyriens  dans  leurs  annales 


V.    SGHEIL   :    RECUEIL   DE    LOIS  ASSYRIENNES.  243 

OU  sur  leurs  monuments;  et,  puisque  les  codes  de  lois  reflètent  le 
caractère  de  ceux  pour  qui  ils  ont  été  rédigés,  nous  nous  rendons 
compte,  par  la  teneur  de  ces  documents,  de  la  violence  des  instincts 
et  de  la  rudesse  des  mœurs  de  la  société  assyrienne  à  la  fin  du  second 
millénaire  avant  notre  ère. 

C'est,  en  effet,  de  cette  époque  que  datent  les  tablettes  d'Assur  tra- 
duites dans  ce  volume,  et  leur  importance  générale  s'accroît,  pour  les 
assyriologues,  de  leur  intérêt  philologique  ;  c'est  un  texte  extrêmement 
intéressant  tant  par  sa  grammaire  que  par  son  lexique,  dont  la  valeur 
linguistique  est  de  premier  ordre,  et  qui  présente  de  grandes  difficul- 
tés d'interprétation.  C'est  un  point  qu'il  convient  de  signaler  à  ceux 
qui  ne  sont  point  familiarisés  avec  les  études  d'orientalisme;  il  rend 
encore  plus  précieuse  cette  traduction  qui  ouvre  à  tous  l'accès  de  la 
législation  assyrienne. 

La  première  tablette,  de  beaucoup  la  mieux  conservée,  semble  une 
compilation  de  la  jurisprudence  concernant  «  la  femme  »  en  général. 
En  même  temps  que  les  légistes  se  sont  préoccupés  de  réunir  ses 
droits  et  ses  devoirs  sociaux,  ils  ont  joint  à  ce  chapitre  les  dommages 
qu'elle  peut  subir  ou  les  délits  qu'elle  peut  commettre  à  l'égard  de  la 
morale.  Il  se  manifeste  un  certain  disparate  dans  la  rédaction  qui  traite 
tour  à  tour  de  la  femme  qui  a  volé  dans  un  temple,  de  celle  qui  pro- 
fère des  injures,  qui  vend  quoi  que  ce  soit  à  l'insu  de  son  mari,  de  la 
femme  adultère,  de  l'avortement,  des  entremetteuses,  de  la  femme 
qui  s'enfuit  du  domicile  conjugal.  Puis  la  tablette  énumère  ce  qu'il 
advient  des  propriétés  de  la  femme  et  de  son  avenir,  en  cas  de  mort 
du  conjoint  ou  de  son  absence  prolongée.  Nous  voyons,  comme  en 
droit  babylonien,  que,  à  l'occasion  du  mariage,  il  y  a  plusieurs  sortes 
de  donations  :  le  dumaki,  apport  du  mari  entrant  en  ménage  chez  son 
beau-père  (la  tirhatou  du  Code  de  Hammurabi);  le  biblou,  objets 
mobiliers  donnés  à  la  future  par  son  beau-père;  le  chirqou,  apport 
de  la  femme  entrant  en  ménage  (la  cheriqtou  du  Code  de  Hammurabi, 
véritable  dot);  le  noudounnou,  don  révocable  du  mari  à  la  femme.  Le 
scribe  intercale  ensuite  certaines  prescriptions  vestimentaires  appli- 
cables aux  femmes  de  condition.  Le  port  du  voile,  aujourd'hui  encore 
général  en  Islam,  était  déjà  en  usage.  Les  paragraphes  41  et  42  nous 
apprennent  que  les  femmes  mariées,  quelle  que  soit  leur  origine,  ou 
les  filles  d'homme  libre,  sortiront  voilées;  par  contre,  interdiction 
sévère  du  port  du  voile  aux  prostituées  ou  aux  servantes,  et  obligation, 
pour  qui  saurait  la  transgression,  de  les  dénoncer.  Puis  la  tablette 
revient  à  l'héritage  et  termine  par  la  répression  des  sévices  infligés  à 
une  vierge.  Chemin  faisant  est  intercalé  un  long  paragraphe  (n°  48) 
consacré  à  la  révélation  des  actes  de  sorcellerie,  qui  sont  punis  de 
mort  ;  le  Code  de  Hammurabi  débute  de  même  par  deux  articles  contre 
les  maléficiers;  le  sorcier  est  également  passible  do  mort,  s'il  a  jeté  à 
tort  le  sort  sur  sa  victime  ;  les  preuves  qu'il  produira  ou,  à  leur  défaut, 
le  jugement  par  le  fleuve  en  décideront. 
Nous  ne  pouvons  préciser  ce  qu'était  exactement  ce  jugement  par 


244  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

le  fleuve.  Nous  savons  qu'au  moyen  âge,  pour  décider  dans  certains 
cas  de  l'innocence  d'un  inculpé,  on  le  jetait,  les  membres  liés,  dans 
un  fleuve  dont  l'eau  avait  été  bénite;  s'il  surnageait  et  était  rejeté  par 
le  fleuve,  il  était  réputé  coupable  ;  s'il  enfonçait  on  le  déclarait  inno- 
cent. Dans  l'épreuve  du  fleuve,  en  Mésopotamie,  c'était  le  contraire, 
mais  c'est  toujours  le  fleuve  qui  extermine  le  coupable  ou  relaxe  l'in- 
nocent. En  effet,  la  tablette  nous  dit  :  «  S'il  revient  du  fleuve  »  (para- 
graphe 25),  et  elle  nous  apprend  que  tantôt  le  prévenu  était  chargé  de 
liens  (paragraphe  17),  que  tantôt  il  n'en  portait  pas  (paragraphe  23). 

Les  châtiments,  dans  les  lois  assyriennes,  sont  variés  et  parfois  bar- 
bares ;  à  côté  de  l'amende,  payée  le  plus  souvent  en  plomb,  il  y  a  la 
bastonnade  et  la  corvée  royale,  puis  les  mutilations;  celles-ci,  par 
exemple  :  l'abcision  de  doigts,  du  nez,  des  oreilles,  des  seins,  n'ont 
plus  que  la  valeur  de  châtiments,  mais  à  l'origine  elles  étaient  une 
application  du  principe  :  l'organe  qui  a  péché  sera  détruit,  que  l'on 
retrouve  dans  le  Code  de  Hammurabi,  paragraphes  218,  226,  où  le  chi- 
rurgien maladroit  aura  les  mains  coupées,  et  paragraphe  192,  où  la 
nourrice  ayant  laissé  mourir  son  nourrisson  alors  qu'elle  élevait  un 
autre  enfant  aura  les  seins  coupés.  En  général,  les  lois  assyriennes, 
pour  tout  ce  qui  concerne  la  femme,  suivent  le  Code  de  Hammurabi 
lorsqu'il  a  traité  de  la  question  ;  elles  en  difïèrent  par  le  luxe  de  détails 
concernant  les  délits  contre  la  moralité  et  par  la  cruauté  de  la  répres- 
sion. Il  y  a,  des  lois  sumériennes  aux  lois  assyriennes,  une  compli- 
cation croissante  dont  l'épanouissement  se  trouve  dans  les  codes  des 
sociétés  modernes.  Cette  complication  semble  un  fait  purement  humain, 
qui  n'a  rien  de  particulier  à  la  société  assyrienne. 

La  seconde  tablette  traite  de  questions  de  propriétés,  champs,  mai- 
sons, etc.  Elle  expose  tout  au  long  la  procédure  à  suivre  dans  les  con- 
testations, la  juridiction  à  laquelle  il  conviendra  d'avoir  recours  et  la 
composition  du  tribunal.  Ces  contestations  peuvent  naître  de  diverses 
causes  :  culture  du  champ  d'autrui  à  l'insu  ou  avec  le  consentement 
du  propriétaire,  partage  des  eaux  d'arrosage,  etc. 

La  troisième  tablette,  assez  mutilée,  traite  de  ventes  illicites  de  per- 
sonnes ou  d'animaux.  Là  encore,  ainsi  que  dans  la  seconde  tablette, 
on  remarque  que  le  juge  ne  s'est  plus  contenté  d'émettre  des  principes 
généraux  comme  dans  la  loi  sumérienne  ou  même  dans  le  Code  de 
Hammurabi;  il  s'est  efforcé  d'envisager  les  différents  aspects  de  la 
question.  Il  s'en  faut  donc  que  nous  ayons  dans  ces  tablettes  le  recueil 
complet  des  lois  assyriennes  ;  nous  n'en  possédons  qu'une  partie,  et 
d'après  la  façon  dont  un  chapitre  a  été  traité  :  les  droits  et  devoirs  de 
la  femme  et  les  relations  entre  l'homme  et  la  femme  envisagées  au 
point  de  vue  de  la  morale,  on  peut  présumer  que  le  Code  assyrien 
dans  son  entier  devait  exiger  un  nombre  considérable  de  tablettes 
semblables  à  celles  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous  et  dont  nous 
devons  la  connaissance  au  P.  Scheil. 
Nous  ne  pouvons  mieux  faire,  en  terminant  le  compte-rendu  de 


E.    PAÏS    :    FASTI   TRIUMPHALES   POPDLI    ROMANI.  245 

cette  publication  si  importante  non  seulement  pour  l'assyriologie, 
mais  aussi  pour  la  connaissance  de  la  haute  antiquité,  que  de  trans- 
crire le  dernier  paragraphe  du  volume;  il  nous  montrera  que  l'Assyrie 
d'il  y  a  trois  mille  ans  a  souffert  des  abus  dont  nous  pâtissons  aujour- 
d'hui :  «  (Paragraphe  J.)  Si  [quelqu'un  les  prix]  à  son  prochain  exa- 
gère, on  lui  fera  la  preuve,  on  le  convaincra,...  et,  comme  le  roi  voudra, 
on  le  punira.  » 

G.  CONTENAU. 


E.  PaïS.  Fasti  triumphales  Populi  Romani.  Rome,  Nardecchia, 
1920.  In-8°,  546  pages  en  2  vol.  Prix  :  75  1. 

M.  Pais  vient  de  nous  donner  une  nouvelle  édition,  complète  et  élé- 
gante, du  fameux  document.  Elle  lui  vaudra  une  grande  reconnais- 
sance de  la  part  de  tous  ceux  qui  ont  à  en  faire  usage.  On  ne  saurait 
faire  un  compte-rendu  digne  de  l'ouvrage  qu'en  abordant  successive- 
ment les  nombreuses  questiojis  de  détail  qu'il  soulève  et  étudie.  Je  me 
propose  simplement  ici,  pour  donner  une  idée  de  l'intérêt  qu'il  pré- 
sente, de  consacrer  quelques  mots  à  une  de  ces  questions  :  la  chrono- 
logie romaine  primitive,  j'entends  la  chronologie  jusqu'à  l'époque  de 
l'invasion  gauloise,  vers  383  av.  J.-C. 

Je  suppose  un  historien  moderne  ne  disposant  que  des  documents 
orientaux  ou  grecs  antérieurs  à  l'annalistique  romaine,  n'ayant 
aucune  notion  de  cette  annalistique,  et  chargé  de  présenter  un  tableau 
de  l'histoire  d'Italie  jusqu'au  iv«  siècle.  Ce  tableauserait  évidemment 
sommaire.  Cependant,  il  y  aurait  plusieurs  grands  faits  à  mettre  en 
lumière.  Les  voici  : 

Rien  jusqu'au  viiF  siècle;  les  documents  orientaux  mentionnent 
parfois  l'Espagne,  mais  non  l'Italie.  Avec  la  fondation  des  villes  grecques 
du  Sud,  aux  viii^  et  vii<^  siècles,  commencent  les  premières  lueurs  de 
l'histoire.  Les  Grecs,  parmi  les  peuples  indigènes,  distinguent  déjà 
les  «  sauvages  »  Tyrrhéniens  et  les  Latins,  au  vi"  siècle;  leurs  récits 
mentionnent  très  nettement  l'essor  des  Etrusques,  leur  victoire  navale 
sur  les  Phocéens,  leurs  attaques  contre  Cumes.  Ils  mentionnent  non 
moins  nettement  la  réaction  grecque  qui  suit,  la  victoire  de  Hiéron  à 
Cumes  (474),  l'apparition  des  Syracusains  à  l'île  d'Elbe  et  jusqu'en 
Corse.  A  l'époque  où  les  Athéniens  fondent  Thurii  (444),  on  ne  signale 
aucun  événement  d'importance  dans  la  péninsule,  malgré  que,  parmi 
les  colons  de  Thurii,  se  soit  trouvé  précisément  l'historien  Hérodote. 
Mais,  peu  après,  commencent  les  attaques  des  peuples  de  l'Apennin, 
la  prise  de  Capoue  (438)  et  de  Cumes  (421),  enfin  les  grands  succès 
des  Lucaniens  contre  les  Grecs  italiotes  (vers  393).  Nous  arrivons 
ainsi  aux  incursions  gauloises,  qui  ont  été  parfaitement  connues  des 
Grecs. 

Je  suppose  maintenant  qu'à  notre  historien  soit  brusquement  rêvé- 


246  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

lée  l'existence  de  documents  indigènes  sur  les  villes  d'Italie  au 
v«  siècle,  par  exemple  les  annales  de  Rome  telles  qu'elles  sont  pré- 
sentées par  Tite-Live.  Se  précipitant  sur  ce  document  précieux,  il  y 
trouvera,  en  gros,  les  faits  suivants  : 

Rome  a  été  une  colonie  d'Albe  qui,  très  vite,  a  supplanté  la  métro- 
pole dans  la  direction  des  Latins.  Elle  a  subi  une  longue  domina- 
tion étrusque,  que  ses  annalistes  ont  palliée  et  travestie,  mais 
sans  pouvoir  eflfacer  complètement  le  souvenir  des  Tarquins  et  de 
Porsenna.  Puis  commence  une  série  continue  de  magistrats  éponymes, 
sous  lesquels  reviennent,  année  par  année  :  au  dedans,  des  querelles 
civiles  prenant  généralement  la  forme  de  grèves  de  soldats  ;  au  dehors, 
des  luttes  contre  les  peuples  montagnards,  Eques  ou  Volsques.  Les 
annales  marquent  fortement  la  promulgation  de  la  première  législation 
écrite,  puis,  après  un  intervalle,  la  prise  de  la  grande  ville  étrusque 
de  Véies.  Enfin  elles  arrivent  à  l'invasion  gauloise. 

Notre  historien  ne  sera  ni  surpris  ni  mécontent.  En  somme,  les 
grands  faits  que  les  indications  des  Grecs  lui  donnaient  pour  l'histoire 
générale  de  l'Italie,  il  les  retrouve  à  leur  poste  dans  l'histoire  particu- 
lière de  Rome.  Une  seule  chose  le  déconcerte,  la  chronologie.  S'il 
suppute  les  dates  résultant  de  la  liste  des  éponymes,  il  remarquera  ; 
que  l'écroulement  de  la  domination  étrusque  est  placé  vers  510  av. 
J.-C,  soit  trente  ou  quarante  ans  avant  la  bataille  de  Cumes;  que  les 
guerres  contre  les  montagnards  commencent  aux  environs  de  480,  soit 
une  quarantaine  d'années  avant  la  chute  de  Capoue;  que  la  pre- 
mière législation  écrite  est  placée  antérieurement  à  la  fondation  de 
Thurii. 

L'accord  ne  se  rétablit  avec  la  chronologie  grecque  qu'à  l'époque 
des  invasions  gauloises. 

On  dirait  que  la  chronologie  des  annalistes  romains  a  été  décalée 
d'une  quarantaine  d'années  vers  le  haut.  On  ne  peut  se  défendre  du 
soupçon  qu'il  y  a  là  le  résultat  d'un  artifice  ou  d'une  confusion,  et  la 
tentation  naît  de  rajeunir  les  premiers  événements  dont  le  souvenir 
ait  été  conservé  à  Rome.  L'objection  grave  serait  que,  ce  faisant,  il  ne 
resterait  plus  de  place  pour  les  événements  compris  entre  la  législation 
décemvirale  et  l'invasion  gauloise.  Or,  par  un  hasard  significatif,  ces 
événements  n'existent  pas.  Il  y  a,  justement  à  l'époque  gênante, 
.un  moment  où  l'histoire  romaine  semble  vide  de  faits  importants.  J'ai 
signalé  ceci  ailleurs,  en  parlant  du  livre  IV  de  Tite-Live.  L'examen 
scrupuleux  auquel  viennent  d'être  soumis  les  Fastes  triomphaux  four- 
nit un  moyen  de  contrôle  et  une  confirmation. 

On  sait  que  la  période  437-361  manque  dans  le  document.  Mais  (et 
c'est  presque  le  principal),  M.  Païs  a  calculé  exactement  l'étendue  de 
la  lacune. 

Voici  ce  que  donne  un  rapide  examen  des  proportions  :  la  paras- 
tate  4,  sur  179  lignes,  devait  contenir  environ  80  triomphes  pour 
un  intervalle  de  plus  de  100  ans  (correspondant  en  gros  au  i"""  siècle 


FRITZ  KERN  :  GOTTESCNADENTDM  UND  WIDERSTANDSRECHT.    247 

av.  J.-C.)  ;  la  parastate  3, 176  lignes,  environ  80  triomphes  pour  moins 
de  100  ans  (en  gros  if  siècle  av.  J.-C);  la  parastate  2, 179  lignes,  plus 
de  65  triomphes  pour  80  ans  (iii«  siècle);  le  bas  de  la  parastate  1,  qui 
est  conservé,  74  lignes,  36  triomphes  pour  une  soixantaine  d'années 
(361-301);  la  lacune,  26  lignes,  une  douzaine  de  triomphes  pour 
76  ans  (437-361)  :  cf.  Pais,  p.  42  et  suiv.,  331  et  suiv.;  le  haut  de  la 
parastate  1,  33  lignes,  16  ou  17  triomphes  pour  59  ans,  si  l'on  part 
de  496  —  ou  50  lignes,  24  ou  25  triomphes  pour  73  ans,  si  l'on  part 
de  509  (je  laisse  les  triomphes  royaux).  Bref,  la  période  comprise 
dans  la.  lacune  présenterait  un  triomphe  tous  les  six  ou  sept  ans, 
tandis  que  la  période  précédente  en  présente  un  tous  les  trois 
ou  quatre  ans,  et  la  suivante  un  tous  les  deux  ans  au  moins. 

M.  Païs  n'a  pu  être  frappé  du  fait,  parce  que,  comme  on  sait,  il  est 
entièrement  sous  l'influence  de  l'idée  qu'il  n'y  a  rien  à  tirer  des 
annales  romaines  pour  le  v^  siècle.  Je  suis  de  ceux  qui  ne  peuvent 
se  résigner  à  cette  amputation  radicale.  Alors,  la  constatation  que  je 
viens  de  faire  illustre  merveilleusement  l'allongement  artificiel  qu'ont 
subi  les  annales  pour  la  période  comprise  entre  l'invasion  gauloise 
(vers  385-380)  et  les  décemvirs,  qui  se  sont  trouvés  rejetés  ainsi  vers 
450  av.  J.-C.  J'ai  dit  ailleurs  (Hist.  de  l'Antiquité,  t.  I,  p.  488)  com- 
ment s'expliquerait,  à  mon  avis,  cet  allongement,  et  pourquoi  il  fal- 
lait, en  réaUté,  ramener  les  décemvirs  vers  415,  le  début  des  annales 
vers  470-460.  Je  persiste  à  croire  l'explication  juste  dans  l'ensemble. 
Il  va  de  soi  que  je  suis  prêt  à  faire  bon  marché  de  certains  détails 
(cf.,  sur  le  triomphe  de  Cossus,  Païs,  toc.  cit.,  p.  333).  Avec  cette 
correction,  la  période  correspondant  à  la  lacune  est  seulement  d'une 
quarantaine  d'années.  Douze  triomphes,  dans  cet  intervalle,  c'est 
exactement  la  proportion  de  la  période  antérieure.  J'ajoute  qu'il  est 
probable  que  la  période  se  rapprocherait  déjà  du  type  postérieur,  sans 
la  perturbation  trop  explicable  apportée  dans  les  Fastes  triomphaux 
par  la  catastrophe  gauloise. 

E.  Cavaignac. 


Fritz  Kern.  Gottesgnadentum  und  V7iderstandsrecht  im  frûhe- 
ren  Mittelalter.  Zur  Entwicklungsgeschichte  der  Monarchie. 
Leipzig,  K.-F.  Kœhler,  1914.  In-8»,  xxxii-444  pages.  [Mlttelal- 
terliche  Studien  herausgegeben  von  Fritz  Kern.  Bd.  I,  H.  2.) 

Le  livre  de  M.  Kern,  dont  on  peut  traduire  le  titre  ainsi  ;  la  Royauté 
de  droit  divin  et  le  droit  de  résistance  des  sujets  pendant  le  haut 
moyen  âge  :  contribution  à  Vhistoire  de  l'évolution  de  la  monar- 
chie, apparaîtra  tout  d'abord  aux  historiens  comme  un  recueil  très 
précieux.  Il  témoigne  d'une  lecture  immense  et  d'une  érudition  qui  ne 
cherche  point  à  se  dissimuler.  Ses  nombreuses  notes,  bourrées  de  ren- 
vois et  de  citations,  ses  trente-huit  appendices  feront  la  joie  de  ceux 


248  COMPTES-EENDUS  CRITIQUES. 

d'entre  nous  qui  auront  le  courage  de  le  «  mettre  en  fiches ^  ».  Sans  doute 
un  procédé  d'exposition  différent  aurait  eu  plus  d'attrait.  En  certains 
endroits,  l'abondance  des  renvois  aux  ouvrages  de  seconde  main  semble 
un  luxe  inutile.  Et  puis,  à  lire  d'une  part  le  texte  proprement  dit, 
d'autre  part  les  notes,  on  a  souvent  l'impression  d^une  sorte  de  dis- 
cordance :  en  haut  les  «  idées  générales  »,  en  bas  des  pages  les  faits; 
l'art  eût  consisté  dans  une  fusion  plus  harmonieuse.  Mais,  devant  tant 
de  richesses  dont  chacun  profitera,  il  y  aurait  bien  de  l'ingratitude  à 
se  plaindre. 

Surtout  prendre  cet  ouvrage  seulement  pour  un  répertoire  serait 
souverainement  injuste.  Une  intelligence  très  pénétrante  s'y  donne 
carrière.  Il  mérite  d'être  connu,  médité  et  discuté. 

Son  objet  est  très  clairement  défini.  «  Du  xyip  au  xix^  siècle  », 
deux  conceptions  se  sont  disputé  la  prééminence  dans  les  États  de 
l'Europe  occidentale  et  centrale  :  d'une  part  le  droit  divin  des  rois, 
d'autre  part  le  droit  de  résistance  des  peuples  ;  leurs  luttes  retentissent 
encore  dans  la  mémoire  des  hommes  d'aujourd'hui.  Or,  les  origines 
de  ces  deux  grands  principes  sont  anciennes.  Pendant  le  haut  moyen 
âge,  innommés  encore,  ils  vivaient  déjà  dans  les  consciences.  Com- 
ment ils  se  sont  formés  d'éléments  empruntés  à  des  traditions  diverses  ; 
quels  furent  leurs  premiers  combats  et  les  incidents  de  leur  développe- 
ment :  voilà  ce  que  M.  Kern  s'est  proposé  de  rechercher.  Il  arrête  son 
étude  à  la  fin  du  xiiF  siècle,  au  moment  où,  dans  les  différents  pays, 
le  type  d'État  que  caractérise  la  présence  d'assemblées  limitant  les 
pouvoirs  du  souverain  ou  bien  s'établit  ou  bien  s'essaye  à  la  vie  : 
régime  parlementaire  anglais,  tentatives  des  États  généraux  en  France, 
stàndische  Verfassung  dans  les  territoires  allemands. 

Prenons  d'abord  la  royauté  de  droit  divin.  Sous  ce  terme  commode 
on  groupe  trois  concepts  différents  :  valeur  absolue  du  gouvernement 
monarchique,  à  l'exclusion  de  toute  autre  forme  politique;, —  droit  au 
pouvoir  reconnu  à  un  monarque  déterminé,  le  roi  «  légitime  »,  per- 
sonnellement désigné  à  la  fois  par  l'hérédité  et  par  une  consécration 
religieuse;  —  irresponsabilité  du  souverain,  autrement  dit  «  absolu- 
tisme». Il  convient  de  distinguer  soigneusement  ces  trois  notions,  ces 
trois  croyances. 

A  l'origine  des  sociétés  médiévales,  qu'apportaient  avec  eux  les  Ger- 
mains? Non  pas  précisément  le  principe  monarchique  —  car  ils  ne 
se  haussaient  pas  jusqu'à  des  principes  politiques  clairement  définis 
—  mais  (du  moins  depuis  les  invasions)  une  «  habitude  monarchique  » 
fortement  établie.  En  outre,  une  conception  de  la  légitimité  très  puis- 
sante, mais  très  différente  de  la  conception  moderne.  Dans  chaque 
peuple  germain  une  seule  famille  —  élevée  au-dessus  des  autres  par 

1.  On  trouvera  en  tête  du  livre  une  bibliographie  très  riche,  malheureuse- 
ment sans  classement  méthodique.  11  n'y  a  ni  index,  ni,  pour  les  appendices, 
tables  d'aucune  sorte. 


FRITZ  KERN  ^'.    GOTTESGNADENTDM  UND  WIDERSTANDSRECHT. 


249 


une  sorte  de  vertu  religieuse  ou  magique  —  pouvait  fournir  les  rois; 
à  l'intérieur  de  cette  race  sainte  (qu'aux  temps  païens  l'on  considérait 
d'ordinaire  comme  issue  des  dieux  :  telles  les  familles  royales  anglo- 
saxonnes,  nées  de  Wotan),  le  peuple  choisissait  comme  roi  le  plus 
digne.  Ainsi  la  royauté  était  à  la  fois  héréditaire  et  soumise  à  l'élection  : 
double  idée  si  profondément  enracinée  dans  les  consciences  que 
M.  Kern,  ingénieusement  et  sûrement,  a  pu  en  suivre  le  développe- 
ment et  les  survivances  pendant  tout  le  haut  moyen  âge. 

En  face  de  l'apport  germanique,  celui  de  l'Eglise.  On  y  voit  se  mêler, 
de  façon  à  peu  près  indiscernable,  aux  éléments  proprement  chrétiens 
ou  bibliques  des. emprunts  faits  à  la  civilisation  antique.  Pénétrée  du 
respect  de  la  hiérarchie,  formée  d'ailleurs  à  la  vie  sociale  en  un  temps 
où  l'Empire  romain  dominait  le  monde,  l'Église,  au  début  du  moyen 
âge,  est  naturellement  monarchique,  sans  discussion,  presque  sans 
réflexion;  elle  ne  conçoit  pas  d'autres  formes  politiques.  Mais  non  pas 
monarchiste  à  la  façon  germanique.  Pour  elle  le  droit  de  la  race 
n'existe  pas  :  peut-être  (et  ce  point  paraît  avoir  échappé  à  M.  Kern) 
parce  que  les  sentiments,  liés  à  tout  un  système  de  représentations 
religieuses  primitives,  qui  soutenaient  un  tel  droit  chez  les  Germains 
lui  étaient  naturellement  étrangers.  Il  faut  un  roi;  mais  le  vrai  roi,  le 
roi  selon  Dieu,  sera  celui  —  quelle  que  soit  sa  naissance  —  qui  gou- 
verne bien,  c'est-à-dire  qui  gouverne  conformément  aux  règles  reli- 
gieusesou  morales  du  catholicisme  ou  conformément  aux  intérêts  du 
clergé  :  la  nuance  est  difficile  à  saisir.  En  France,  l'Église  a  reconnu 
successivement  les  usurpations  carolingienne  et  capétienne.  En  Alle- 
magne —  si  nous  en  croyons  M.  Kern  —  d'accord  avec  les  grands, 
elle  a  si  bien  réussi  à  obscurcir  la  vieille  notion  germanique  de  la 
légitimité  familiale  qu'à  la  fin  du  xiii^  siècle  on  en  était  arrivé  à  esti- 
mer «  contraire  à  la  justice  et  à  la  raison  »  que  le  fils  d'un  roi  succé- 
dât à  la  couronae. 

Tels  étaient  les  principes  originels  de  l'Église  :  monarchistes,  non 
légitimistes.  Mais  son  attitude,  ou  plutôt  l'attitude  de  ses  différents 
représentants  vis-à-vis  de  la  royauté,  a.  été  au  cours  du  moyen  âge 
plus  hésitante,  plus  variable,  moins  une,  en  un  mot,  qu'on  ne  se  le 
représente  généralement;  et  cette  complexité  s'exprime  assez  bien 
dans  l'histoire  d'une  cérémonie,  à  la  fois  politique  et  religieuse,  qui  a 
tenu  une  grande  place  dans  la  vie  des  États  médiévaux  :  le  sacre 
royal'.  M.  Kern,  utilisant  largement  les  travaux  antérieurs,  notam- 
ment ceux  de  M.  Schreuer,  mais  les  complétant  par  endroits  et  sur- 

t.  Ces  vicissitude.s  de  la  pensée  ecclésiastique  se  renèlent  aussi  avec  exacti- 
tude dans  l'histoire  d'une  pratique,  quasi  magique,  dont  l'étude  tient  de  très 
près  à  celle  du  «  droit  divin  »  :  le  toucher  des  écrouelles  par  les  rois  de  France 
et  d'Angleterre.  M.  Kern  ne  lui  a  consacré  qu'une  mention  assez  superficielle. 
J'espère  pouvoir  prochainement  présenter,  sur  ce  sujet,  un  travail  plus  com- 
plet. 


250  COMPTES-RENDDS   CRITIQOES. 

tout  les  interprétant  librement,  a  repris  à  son  tour  l'étude  du  sacre  et 
de  son  évolution.  Parmi  les  rites  divers  qui  composaient  cette  solen- 
nité, il  s'est  attaché  particulièrement,  comme  il  était  naturel,  au  rite 
religieux  par  excellence  :  l'onction.  Née  à  l'origine  de  souvenirs 
bibliques,  introduite  dans  l'Etat  franc  par  les  Carolingiens,  l'onction 
royale  prit  rapidement  une  importance  extrême.  Les  clercs  l'assimi- 
laient volontiers  à  un  sacrement;  par  elle  le  roi  devenait  un  person- 
nage quasi  sacerdotal  ;  ainsi  la  vieille  royauté  germanique,  un  moment 
dépouillée  par  le  christianisme  de  la  parure  di-vine  dont  l'avaient 
ornée  les  croyances  païennes,  recevait  du  clergé  catholique  une  nou- 
velle consécration  religieuse.  Par  là,  sans  doute,  elle  marquait  sa  sou- 
mission envers  l'institution  dont  elle  acceptait  de  tenir  son  caractère 
sacré;  elle  s'insérait  dans  le  système  ecclésiastique,  et  cela  pouvait 
passer  pour  une  victoire  de  l'Église.  Mais,  oints  comme  les  prêtres  et 
comme  les  évêques,  «  christs  du  Seigneur  »  comme  eux,  les  rois  ne 
risquaient-ils  pas  de  concevoir  un  orgueil  dangereux?  Ne  pouvait-on 
craindre  qu'ils  en  arrivassent  à  se  considérer,  même  du  point  de  vue 
religieux,  comme  les  égaux  ou  les  supérieurs  du  sacerdoce?  Ce  fut  ce 
qui  se  produisit  en  eSet.  On  connaît  la  phrase  fameuse  qu'un  chroni- 
queur liégeois  prête  à  l'empereur  Henri  III  :  comme  l'évêque  de 
Liège  le  sommait  de  respecter  en  lui  la  dignité  sacerdotale  et  l'onction 
sainte  :  «  Moi  aussi  »,  répondit-il,  «  j'ai  été  oint  avec  l'huile  sacrée  et 
j'ai  reçu  par  là  le  pouvoir  suprême.» 

Contre  de  pareilles  prétentions,  l'Église  réagit.  Ce  fut  l'œuvre  de  la 
réforme  grégorienne.  Les  polémistes  s'efforcèrent  d'abaisser  le  regnum 
devant  le  sacerdotium.  La  dogmatique  sacramentaire  se  fixa;  et  au 
nombre  des  sept  sacrements,  désormais  immuablement  déterminés, 
l'onction  royale  ne  fut  pas  comprise.  On  ne  pouvait  empêcher  que  par 
la  pratique  même  de  l'onction,  commune  aux  deux  rites,  le  sacre 
royal  ne  se  rapprochât  de  l'ordination  des  prêtres  ;  on  s'appliqua  du 
moins  à  accuser,  dans  le  détail  du  cérémonial,  les  différences  entre 
les  deux  actes.  Théoriciens,  hommes  d'action,  liturgistes,  s'accordèrent 
à  marquer  l'abîme  qui  devait  séparer  des  dignités  spirituelles  toute 
charge  temporelle.  Malgré  tout,  sur  les  rois  l'empreinte  sacrée  demeura. 

Vers  le  milieu  du  moyen  âge,  l'idée  monarchiste  s'était  donc  forti- 
fiée d'éléments  provenant  de  sources  diverses  :  les  vieilles  habitudes 
germaniques  et  les  vieilles  habitudes  romaines,  adoptées  par  l'Eglise, 
—  la  notion  de  la  légitimité  dynastique,  legs  de  la  Germanie,  trans- 
formée dans  certains  États,  et  surtout,  grâce  à  un  heureux  concours 
de  circonstances,  dans  l'État  français,  en  un  droit  héréditaire  de  mâle 
en  mâle  fermement  établi,  —  la  consécration  religieuse,  héritage  loin- 
tain de  David  et  de  Salomon  ;  —  on  peut  ajouter,  depuis  la  renaissance 
du  droit  écrit,  une  nouvelle  influence  des  conceptions  plus  qu'à  demi- 
orientales  du  Bas-Empire  romain,  transmises  directement  par  la  lec- 
ture des  Codes.  La  grande  royauté  de  droit  divin  des  temps  modernes 
préparait  son  apogée. 


FBITZ    KERN    :    GOTTESGNADENTUM   BNi)   WIDERSTANDSRECHT.         251 

Mais  était-ce  déjà  l'absolutisme?  Non  certes.  Deux  traditions  encore 
très  fortes  s'opposaient  à  son  avènement.  La  tradition  germanique 
mettait  au-dessus  du  roi,  comme  d'ailleurs  au-dessus  de  la  nation,  le 
droit,  ou  mieux  la  coutume  sacrée  des  ancêtres.  Par  exemple,  elle  ne 
concevait  pas  qu'un  roi,  non  plus  qu'une  assemblée,  créât  une  loi  nou- 
velle ;  légiférer  à  ses  yeux  ce  ne  pouvait  être  que  donner  forme  à  une 
loi  jusque-là  inexprimée,  mais  ayant  vécu  avant  toute  législation 
d'une  existence  immémoriale  au  sein  du  peuple.  Pour  elle  le  souve- 
rain n'était  donc  pas  absolu,  puisque  tout  ce  qu'il  faisait  de  contraire 
au  droit  ancestral  passait  pour  nul.  Quant  à  l'Église,  elle  soumettait 
tout  pouvoir  à  un  code  divin  qu'elle  se  chargeait  d'interpréter. 

Si  un  roi  commettait  un  acte  interdit  par  les  «  bonnes  coutumes  » 
ou  par  les  préceptes  religieux  ou  moraux  du  catholicisme,  que  pou- 
vaient faire  les  sujets?  On  s'habitua  à  leur  reconnaître  le  droit  ou 
même  le  devoir  de  résister;  et  cela,  comme  le  dit  fort  nettement  le 
Sachsenspiegel,  sans  que  leur  rébellion,  en  pareil  cas,  dût  paraître 
un  manquement  à  la  fidélité.  C'était  une  vieille  notion  germanique. 
L'Église  ne  l'accepta  pas  sans  quelques  difficultés.  Ne  devait-elle  pas 
plutôt  écouter  la  leçon  du  Nouveau  Testament,  qui  semble  bien  prê- 
cher la  soumission,  au  moins  passive,  aux  ordres,  même  injustes,  du 
pouvoir  temporel?  Mais  de  bonne  heure  elle  admit  une  exception  à  la 
règle  d'obéissance  :  tout  souverain  hérétique  fut  considéré  comme 
déchu  et  ses  sujets  comme  déUés  envers  lui.  C'était  ouvrir  la  porte 
au  «  droit  de  résistance  y>.  Le  mouvement  d'idées  qui  accompagna  et 
soutint  la  réforme  grégorienne  fit  le  reste.  Ne  reconnaissant  plus  à  la 
monarchie  un  caractère  divin,  les  polémistes  les  plus  radicaux  allèrent 
jusqu'à  en  faire  une  émanation  de  la  souveraineté  populaire  ;  la  dignité 
royale  devenait  un  mandat  sans  cesse  révocable.  Ces  pamphlets  extré- 
mistes, il  est  vrai,  eurent  peu  d'écho.  Cependant,  l'idée  que  la  désobéis- 
sance pouvait,  en  certaines  circonstances,  devenir  légitime,  avait  pro- 
fondément pénétré  dans  les  consciences  religieuses.  Sans  doute,  en 
l'espèce,  les  théoriciens  ne  faisaient  guère  que  mettre  en  formules 
l'anarchie  médiévale;  mais  est-il  jamais  indifférent  que  des  considéra- 
tions idéologiques  viennent  au  secours  d'un  état  de  fait? 

L'habitude  de  la  révolte  en  elle-même  n'était  guère  qu'un  germe 
perpétuel  de  désordre.  Le  progrès  essentiel  fut  accompli  le  jour  où 
les  sujets,  fatigués  de  ne  pouvoir  lutter  contre  l'injustice  royale  qu'en 
refusant,  après  coup,  d'observer  ses  commandements,  imaginèrent  de 
créer  des  institutions  de  contrôle  chargées,  en  quelque  sorte,  de  s'op- 
poser par  avance  aux  décisions  arbitraires  du  pouvoir.  Au  xiii»  siècle, 
en  Angleterre,  le  pas  fut  franchi.  Ainsi,  dès  ce  moment,  la  monarchie 
constitutionnelle,  en  même  temps  que  la  monarchie  de  droit  divin  et 
en  réaction  contre  elle,  faisait  son  entrée  dans  le  monde.  Eu  vérité, 
c'est  elle  qui  apparaît  à  M.  Kern  comme  la  création  propre  de  la  pen- 
sée médiévale  et  surtout  de  la  pensée  germanique.  Le  moyen  âge, 
dans  l'ensemble,  n'a  cru  ni  au  droit  exclusif  des  rois,  ni  au  droit  exclu- 


252  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

sif  des  peuples.  Au-dessus  des  sujets  comme  des  princes  il  plaçait 
le  droit  ou  la  coutume  :  conception  singulièrement  riche  et  efficace, 
qui  est  à  l'origine  des  formes  les  plus  harmonieuses  de  l'Etat  moderne. 

Telles  sont  les  idées  directrices  essentielles  que  nous  propose 
M.  Kern.  J'ai  essayé  de  les  résumer,  librement  sans  doute  dans  l'ex- 
pression, c'est-à-dire  sans  m'astreindre  à  reproduire  littéralement  les 
formules  mêmes  de  l'auteur,  mais,  pour  le  fond,  aussi  fidèlement  que 
j'ai  pu.  Je  voudrais  maintenant,  très  brièvement,  et  en  négligeant  les 
détails  de  pure  érudition,  indiquer  les  réserves  que,  sur  quelques  points 
importants,  ce  livre  brillant  me  paraît  devoir  appeler. 

M.  Kern  a  voulu  écrire  une  étude  d'histoire  des  idées  politiques.  Non 
pas  seulement  des  théories  politiques.  Il  ne  s'est  pas  contenté  de  lire 
les  traités  des  philosophes  et  des  juristes.  Ce  qui  intéresse  l'historien, 
ce  sont  les  grandes  idées  collectives  par  où,  en  partie  du  moins,  s'ex- 
plique l'évolution  politique  des  peuples;  les  œuvres  doctrinales  n'en 
fournissent  qu'une  image  imparfaite  ;  elles  s'expriment  aussi,  souvent 
avec  plus  de  sincérité,  dans  les  documents  législatifs,  les  lettres,  les 
manifestes,  dans  les  cérémonies,  dans  les  institutions  et  le  droit  lui- 
même.  C'est  ce  qu'a  très  bien  compris  M.  Kern.  Son  chapitre  sur  le 
sacre  restera,  dans  cet. ordre  de  recherches,  comme  un  modèle  de 
discussion  pénétrante.  Mais,  parmi  les  sources  où  il  pouvait  puiser,  il 
en  a  négligé  une  qui  lui  aurait  beaucoup  donné.  Je  veux  parler  de  la 
littérature  de  fiction,  et,  plus  particulièrement,  pour  la  France,  des 
textes  épiques.  Les  épopées  françaises  sont  pour  l'érudit  qui  sait  les 
exploiter  une  mine  de  renseignements  précieux.  Il  y  a  plus.  Elles 
furent  aussi  un  admirable  véhicule  d'idées.  Elles  ont  contribué  à  main- 
tenir, à  répandre,  à  populariser  quelques  conceptions  très  simples 
touchant  la  société  et  l'État.  Je  ne  prendrai  qu'un  exemple.  M.  Kern, 
dans  l'ouvrage  dont  je  viens  de  rendre  compte,  et  plus  encore  dans 
un  ouvrage  antérieur,  a  fortement  insisté  sur  les  tentatives  faites  par 
la  royauté  capétienne  pour  se  rattacher  aux  traditions  de  l'Empire 
carolingien.  Ces  rois  ou  leurs  ministres  eussent-ils  conçu  pareil  des- 
sein, si  jamais  trouvère  n'avait  chanté  Charlemagne? 

M.  Kern  s'est  bien  gardé  de  donner  à  son  étude  des  limites  étroite- 
ment nationales.  C'est  dans  toute  l'Europe  occidentale  et  centrale  et 
plus  particulièrement  dans  les  trois  grands  Etats  médiévaux  :  Alle- 
magne, France  et  Angleterre,  qu'il  suit,  dans  leurs  vicissitudes,  le 
droit  divin  des  rois  et  le  droit  de  résistance  des  sujets.  Conception 
incontestablement  excellente  :  nous  ne  verrons  un  peu  clair  dans  la 
vie  des  sociétés  médiévales  que  le  jour  où  on  aura  commencé  d'en 
écrire  l'histoire  comparée.  Mais  qui  dit  histoire  comparée  dit  recherches 
des  dissemblances  et  de  leurs  causes  aussi  bien  que  des  analogies.  Il 
n'est  intéressant  et  utile  de  rapprocher  la  France,  par  exemple,  de 
l'Allemagne,  que  si  l'on  s'attache  à  mettre  en  lumière  les  raisons  qui 
font  qu'en  Allemagne  les  choses  se  sont  passées  autrement  qu'en 
France.  Une  histoire  des  idées  politiques,  fondée  sur  la  méthode  com- 


B.    SAINT-JODRS    :    LE   LITTORAL   GASCON.  253 

parative,  n'a  de  sens  que  si  elle  repose  sur  une  étude,  dirigée  selon  le 
même  esprit,  des  faits  historiques  nationaux  qui,  dans  le^  différents 
pays,  ont  conditionné  de  façon  différente  l'évolution  des  représenta- 
tions collectives.  Cest  ce  qu'on  cherche  en  vain  chez  M.  Kern.  Trop 
souvent,  dans  son  livre,  la  France,  l'Allemagne,  l'Angleterre,  appa- 
raissent comme  des  cadres  vides  où  se  jouent  les  idées.  Cette  erreur 
de  principe  est  particulièrement  frappante  en  ce  qui  concerne  l'Angle- 
terre. N'est-elle  point  la  cause  de  l'importance  singulièrement  exagé- 
rée attribuée  par  M.  Kern  à  l'article  61  de  la  Grande  Charte?  Sans 
doute  cet  article,  où  la  notion  théorique  du  droit  de  résistance  cherche 
à  s'exprimer  dans  une  institution  stable,  est  curieux  ;  mais  pratique- 
ment rien  d'efficace  n'en  est  sorti.  Comme  M.  Kern  le  sait  fort  bien, 
le  Parlement  anglais,  la  monarchie  constitutionnelle  anglaise  ne  sont 
pas  nés  de  là. 

A  vrai  dire,  si  M.  Kern  témoigne  d'un  médiocre  intérêt  pour  l'étude 
des  conditions  politiques  et  sociales  propres  aux  différents  États  médié- 
vaux, c'est  qu'il  est  surtout  préoccupé  de  questions  d'origine.  Son 
livre  est  un  perpétuel  diptyque,  où  s'opposent  inlassablement  deux 
traditions  :  la  tradition  romano-chrétienne  et  la  tradition  germanique. 
Cette  tendance  d'esprit  n'est  malheureusement  pas  une  originalité  : 
on  dirait  qu'aux  yeux  de  quelques  historiens  tout  le  moyen  âge  s'ex- 
plique par  le  mélange  de  deux  éléments  divers,  savamment  dosés. 
Chez  beaucoup  d'érudits  allemands  et  aussi,  il  faut  l'avouer,  dans  un 
sens  inverse,  chez  certains  érudits  français,  cette  complaisance  exces- 
sive pour  les  problèmes  d'origine  se  rattache  aux  inspirations,  plus  ou 
moins  conscientes,  d'un  patriotisme  mal  compris.  Pour  les  auteurs 
allemands  en  particulier,  tout  ce  qui,  dans  le  moyen  âge,  n'est  pas 
romain  passe  trop  aisément  pour  germanique  :  comme  si  le  mot  de  ■ 
médiéval  n'avait  pas  de  sens  et  que  tant  de  siècles  de  vie  sociale 
n'eussent  rien  créé.  Malgré  son  honnêteté  scientifique,  qui  est  incon- 
testable, M.  Kern  n'a  pas  toujours  su  éviter  de  tomber  dans  le  travers 
commun.  Cela  est  surtout  sensible  dans  ses  développements  sur  le 
droit  de  résistance.  On  disait  jadis  que  les  libertés  de  l'Europe  moderne 
étaient  sorties  des  «  forêts  de  la  Germanie  ».  M.  Kern  ne  le  dit  plus; 
mais  il  ne  peut  se  résigner  à  ne  plus  le  croire  :  tant  les  vieux  mirages 
ont  encore  d'empire  sur  les  plus  probes  esprits.  Quand  donc,  d'un 
accord  unanime,  se  décidera-t-on  à  étudier  le  moyen  âge  comme  il 
mérite  de  l'être  :  en  lui-même? 

Marc  Bloch. 


B.  Saint-Jours.  Le  littoral  gascon.  Bordeaux,  Mounastre-Pica- 
milh,  1921.  In-8°,  418  pages  et  19  cartes.  Prix  :  38  francs. 

Dans  sa  Géographie  de  la  Gaule  romaine  (t.  I,  p.  261;  cf.  la 
carte  qui  fait  face  à  la  p.  272),  Ernest  Desjardins  décrit  et  figure  le 


254  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

littoral  gascon  de  l'Atlantique  comme  une  ligne  sinueuse  dentelée 
d'anses  marines  largement  ouvertes  sur  l'Océan;  pour  lui  La  Teste, 
Parentis,  Mimizan  étaient  alors  autant  de  ports  de  mer,  et  c'est  après 
l'époque  classique  que  les  dunes,  lentement  accrues  par  la  force  des 
tempêtes  et  des  marées,  ont  fini  par  transformer  le  rivage  en  une  ligne 
droite  de  sables  stériles <.  Cette  opinion  a  été  généralement  adoptée; 
elle  a  pénétré  dans  l'enseignement  et  même  dans  La  France  d'au- 
jourd'hui, manuel  rédigé  par  des  professeurs  très  au  courant  des  pro- 
blèmes et  de  la  bibliographie  géographiques  (Paris,  Félix  Alcan,  1920), 
on  lit  (p.  390)  :  «  L'accumulation  des  sables  et  leur  progression  rapide 
vers  l'intérieur  du  pays  ont  épaissi  le  cordon  littoral...;  le  niveau  des 
golfes  devenus  des  étangs  s'éleva  progressivement...  »  et  l'image  qui 
accompagne  cette  description  dessine  nettement  l'ancien  rivage  à 
côté  du  nouveau.  Cette  double  proposition,  présentée  comme  un  fait 
incontestable,  à  savoir  la  formation  à  une  époque  récente,  c'est-à-dire 
postérieure  aux  temps  gallo-romains,  du  littoral  rectiligne,  et  l'inva- 
sion des  sables  vers  l'intérieur,  a  été  attaquée  par  M.  Saint-Jours  dans 
une  série  de  mémoires  dont  plusieurs  ont  été  mentionnés  ici  même  à 
leur  date  et  dans  le  présent  ouvrage,  où  sont  présentés,  sous  une  forme 
plus  ample,  les  résultats  de  recherches  poursuivies  depuis  plus  d'un 
quart  de  siècle  à  la  fois  dans  les  livres  et  sur  le  terrain  même.  Quelque- 
fois combattu,  le  plus  souvent  ignoré,  il  a  trouvé  un  très  chaud  par- 
tisan dans  la  personne  de  M.  Camille  JuUian  et,  en  maint  endroit,  il 
témoigne  sa  reconnaissance  au  savant  professeur  des  antiquités  de  la 
France  pour  l'encouragement  qu'il  a  reçu  de  lui. 

Des  considérations  d'un  caractère  purement  géologique  et  qui  sortent 
de  notre  compétence  ont  conduit  M.  Saint-Jours  à  émettre  cette  hypo- 
thèse primordiale  que  le  littoral  occidental  de  la  Gascogne,  tel  que  nous 
le  connaissons  aujourd'hui,  s'est  formé  de  nombreux  siècles  (cent 
peut-être)  avant  notre  ère,  à  la  suite  d'un  cataclysme  produit  par  une 
rupture  d'équilibre  entre  les  deux  pôles  austral  et  boréal.  D'autre 
part,  il  montre,  par  des  faits  matériellement  établis,  que,  sur  l'empla- 
cement des  prétendues  baies  largement  ouvertes  sur  la  grande  mer, 
ont  existé  des  forêts  de  chênes  dont  il  reste  encore  de  très  anciens 
témoins  ensevelis  sous  les  eaux  ou  dans  le  sable;  mieux  encore,  on  y 
a  découvert  des  fours  avec  de  nombreux  débris  de  silex  taillés  et  de 
poteries  qui  remontent  certainement  bien  plus  haut  que  l'époque 
gallo-romaine.  «  Notre  littoral  »,  dit-il,  «  n'a  connu  ni  dentelure,  ni 
anses,  ni  d'autres  entrées  de  ports  que  celles  de  l'embouchure  delà 
Girond'e,  du  bassin  d'Arcachon  et  de  l'embouchure  de  l'Adour  »  (p.  4).  La 
ligne  des  lagunes  et  des  étangs  est  d'une  «  extraordinaire  ancienneté  » 
(p.  49).  «  La  mer  se  trouve  au  même  niveau  qu'il  y  a  cent  siècles  » 

I.  Voir  p.  260  :  «  Il  est  probable  que  la  formation  des  dunes,  datant  du 
moyen  âge,  a  bien  pu  faire  reculer  la  mer,  dont  la  limite  approximative  nous 
serait  sans  doute  indiquée,  pour  l'époque  romaine,  par  la  ligne  des  étangs, 
anciennes  baies  enfermées  seulement  pendant  les  âges  modernes.  » 


UM 


B.    SAINT- JOUBS   :    LE   LITTORAL   GASCON.  255 

(p.  54).  On  a  parlé  de  dunes  envahissantes,  de  villes  disparues  sous 
les  eaux  mannes  ;  or,  les  dunes,  pour  la  plupart  perpendiculaires  au 
rivage,  paraissent  être  de  formation  très  ancienne  et  n'ont  pas  bougé 
depuis  qu'on  peut  entrevoir  leur  histoire  dans  des  documents  écrits. 
Quant  aux  villes  englouties,  elles  sont  le  produit  de  l'imagination 
populaire;  des  pêcheurs  gascons  ont  cru  en  apercevoir  les  vestiges 
dans  la  passe  de  Cordouan,  comme  les  pêcheurs  bretons  ont  vu  la 
ville  d'Ys  dans  les  hauts  fonds  de  Douarnenez.  Ou  bien  on  s'est  laissé 
tromper  par  des  noms  de  lieu  déformés,  par  des  erreurs  de  gravure, 
comme  ce  fut  le  cas  pour  le  port  d'  «  Anchises  »,  nom  sous  lequel  on 
ne  soupçonnerait  guère  que  se  dissimule  le  très  réel  et  vivant  Arca- 
chon.  Des  paysans  racontaient  à  Montaigne  «  que,  depuis  longtemps, 
la  mer  se  poulse  si  fort  vers  eulx  qu'ils  ont  perdu  quatre  lieues  de 
terre  ».  Certains  textes  d'archives,  des  observations  précises  et  con- 
trôlées de  certains  navigateurs  et  géographes  infirment  la  valeur  de 
ce  témoignage.  On  a  bien,  il  est  vrai,  énuméré  une  dizaine  de 
localités  rendues  inhabitables,  disait-on,  par  les  sables  que  les  vents 
d'ouest  ne  cessent  de  chasser  devant  eux.  Prenant  chacun  des  noms 
inscrits  sur  cette  liste,  M.  Saint-Jours  montre  ou  bien  que  ces  loca- 
lités ont  été  mal  identifiées,  ou  bien  qu'elles  n'ont  pas  en  fait  cessé 
d'exister  jusqu'à  nos  jours,  ou  encore  que  leur  disparition  doit  être 
attribuée  non  pas  au  sable  en  marche  perpétuelle,  mais  aux  eaux 
terrestres  qui,  dans  des  terrains  aux  pentes  insensibles  et  mal  drai- 
nés, n'ont  pas  réussi  à  se  creuser  un  chenal  d'écoulement.  L'église  de 
Saint-Nicolas  de  Grave,  portée  par  La  Popelinière  (1592)  comme 
«  disparue  sous  les  flots  de  l'Océan  avec  des  paroisses  entières  » 
(sic),  est  marquée  sur  la  carte  de  Claude  Masse  (vers  1708)  entre 
Soulac  et  le  Verdon,  et  l'on  en  a  retrouvé  des  vestiges  en  1909 
(p.  107).  «  Noviomagus  »,  mentionné  par  Ptolémée  quelque  part  dans 
le  Médoc  et  qu'on  s'obstine  à  rattacher  sans  preuves  à  Soulac  port  de 
mer,  pourrait  aussi  bien  avoir  été  un  simple  marché  de  l'intérieur. 
Lilhan,  petite  paroisse  connue  déjà  au  xiip  siècle  par  des  pièces  d'ar- 
chives, est  encore  marquée  sur  la  carte  de  l'Etat-major  comme  un 
lieu  dit  «  dans  une  région  plate,  dépourvue  de  dunes  modernes  et  en 
regard  de  laquelle  la  mer  dépose  fort  peu  de  sable  »  (p.  114).  Il  est 
vrai  qu'à  Soulac  l'église,  qui  est  de  style  roman,  a  été  assez  fortement 
ensablée,  étant  dans  le  creux  d'une  dune,  mais  le  village  lui-même 
(qui  n'a  point  ée  port)  n'a  été  mis  en  danger  que  par  des  tempêtes  ou 
de  fortes  marées  qui  ont  battu  furieusement  la  falaise.  Cette  falaise, 
enfin,  est  fort  ancienne  et  il  faut  renoncer  à  croire  qu'à  aucun 
moment  de  l'époque  historique  l'îlot  de  Cordouan  ait  été  rattaché,  ou 
presque,  à  la  terre  ferme.  «  Quand  donc  on  parle  de  dunes  mobiles 
et  envahissantes,  on  énonce  un  fait  qui  n'est  nullement  fondé.  On  n'a 
pas  eu  à  fixer,  à  arrêter  les  dunes,  on  les  a  simplement  ensemencées  » 
(p.  78).  Ce  fut  l'œuvre,  comme  on  sait,  œuvre  bienfaisante,  de  Char- 
lemont  de  Villiers,  dont  Brémontier  a  usurpé  la  gloire. 
Du  moment  où  les  dunes  eurent  opposé  aux  flots  de  l'Océan  une 


256  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

barrière  rectiligne  et  continue,  les  eaux  fluviales  de  la  région  landaise, 
ne  pouvant  s'écouler  aisément  vers  la  mer,  formèrent  un  chape- 
let d'étangs  aussi  anciens  que  la  ligne  côtière  elle-même.   Quand 
elles  parvenaient  tout  de  même  à  s'ouvrir  une  issue  vers  la  mer, 
l'embouchure  était  constamment  obstruée  et  souvent  se  déplaçait. 
M.  Saint-Jours  donne  comme  exemple  le  «  courant  »  d'Huchei  où  se 
déversent  les  eaux  de  l'étang  de  Léon;  un  croquis  (p.  85)  montre  avec 
quelle  peine  il  se  traîne  le  long  du  littoral  avant  de  rencontrer  l'es- 
tuaire instable  où  il  se  perdra  dans  l'Océan;  mais  le  cas  le  plus  inté- 
ressant au  point  de  vue  historique  est  celui  qui  concerne  l'Adour. 
M.  Saint-Jours,  enfant  du  pays  et  qui  ne  l'a  jamais  quitté,  à  qui  ses 
fonctions  dans  le  service  des  douanes  (aujourd'hui  capitaine  retraité) 
ont  imposé  le  devoir  de  le  parcourir  dans  tous  les  sens  et  à  toutes  les 
époques  de  l'année,  lui  consacre  une  longue  étude  (p.  276-353),  où  il 
expose,  d'après  les  documents  écrits  et  l'examen  minutieux  du  terrain, 
les  changements  imposés  par  la  mer  au  cours  inférieur  et  à  l'embou- 
chure de  ce  fleuve.  Depuis  l'époque  gallo-romaine  jusqu'au  début  du 
xiye  siècle,  l'Adour  alla  se  jeter  dans  la  mer  à  Capbreton;  puis,  sans 
doute  à  la  suite  de  violentes  tempêtes,  cette  embouchure  fut  obstruée 
et  les  eaux  durent  aller  vers  le  nord  chercher  un  nouvel  estuaire, 
qu'elles  trouvèrent  au  Boucau  ou  Port-d'Albret,  aujourd'hui  le  Vieux- 
Boucau.  Elles  suivirent  ce  chenal  jusqu'au  xvi^  siècle  où  les  travaux 
entrepris  par  Louis  de  Foix  (1578)  percèrent  la  barre  de  sable  qui 
arrêtait  la  ligne  droite  menant  du  fleuve  à  la  mer.  C'est  l'embouchure 
actuelle  qui,  on  le  sait,  ne  peut  se  maintenir  qu'au  moyen  de  tra- 
vaux permanents  d'entretien  ou  de  dragage.  Ce  chapitre  est  un  des 
mieux  fournis  et  des  plus  convaincants  du  volume  tout  entier.  L'ou- 
vrage se  termine  par  une  longue  dissertation  sur  la  jouissance  et  la 
propriété  des  dunes  que  l'Etat  revendique  aujourd'hui  au  détriment 
des  communes  riveraines. 

Tel  est  ce  livre  dont,  sans  doute,  le  plan  n'est  pas  assez  rigoureuse- 
ment établi,  où  les  répétitions  sont  fréquentes,  où  l'on  regrette  de 
rencontrer  çà  et  là  des  tentatives  malheureuses  pour  déterminer  l'éty- 
mologie  de  certains  noms  de  lieu,  mais  où  l'on  ne  saurait  manquer 
de  reconnaître  une  méthode  vraiment  scientifique,  une  pénétration  peu 
ordinaire  et  dont  les  conclusions  méritent  de  retenir  l'attention  des 
géologues,  des  naturalistes,  des  géographes  et  des  historiens. 

Chi  BÉMONT. 


Gustave  Cohen,  docteur  es  lettres,  chargé  de  cours  à  l'Université 
de  Strasbourg.  Écrivains  français  en  Hollande  dans  la  pre- 
mière moitié  du  XVII«  siècle.  Paris,  Champion,  1920.  Gr.  in-8°, 
756  pages,  avec  52  pi.  hors  texte.  (Bibliothèque  de  la  Revue  de 
littérature  comparée.) 

Avec  un  zèle  admirable,  un  goût  de  la  recherche  qui  ne  se  laisse 


G.  COHEN  :   ÉCRIVAINS  FRANÇAIS  EN  HOLLANDE  AU  XVII*  SIECLE.      25*7 

rebuter  par  rien,  et  ce  zèle  pour  la  résurrection  du  passé  qui  est  une 
sorte  de  piété,  M.  Cohen  a  entrepris  de  retracer  la  fortune  et  les  des- 
tinées des  Français  intellectuels  aux  Pays-Bas,  à  partir  du  xviF  siècle. 
Naguère  encore  professeur  à  Amsterdam,  il  a  pu  faire  sur  place,  dans 
un  pays  qu'il  a  souvent  parcouru,  les  investigations  les  plus  poussées 
au  sujet  de  ses  devanciers  en  Hollande;  combattant  de  la  grande 
guerre,  il  a  mesuré  mieux  que  d'autres  l'importance  des  enjeux  qu'il 
convient  de  défendre;  familier  avec  divers  aspects  de  l'étranger,  il 
co.nnaît  d'expérience  les  dangers  qui  y  menacent  certaines  valeurs  de 
l'esprit.  Tout  cela  contribue  à  donner  à  ce  gros  livre,  dont  la  matière 
est  minutieuse  et  pourrait  être  pesante,  une  sorte  de  vibration  carac- 
téristique, parfois  un  peu  imprévue,  presque  toujours  émouvante  :  mens 
agitât  molem,  et  si  cette  multiple  et  parfois  vétilleuse  chronique  est, 
avant  tout,  l'aventure  d'esprits  plus  déliés  et  aiguisés,  de  Schelandre 
à  Descartes,  on  peut  dire  qu'une  alerte  intelligence  .opère  son  office 
dans  le  rassemblement,  dans  la  mise  en  œuvre  et  en  forme  d'une  docu- 
mentation considérable  ^ 

Bien  avant  le  Refuge,  avant  l'œuvre  principale  des  nouvellistes  de 
Hollande,  les  Pays-Bas  offrirent  à  des  hommes  de  chez  nous  un  séjour 
de  prédilection.  Des  régiments  français,  d'abord,  ont  combattu  pour 
le  compte  des  États  ;  mais,  tandis  qu'un  tel  service  peut  aisément  se 
borner  à  des  guerroiements  mercenaires,  il  est  caractéristique  de 
trouver  ici  (et  le  livre  I  établit  implicitement  le  fait)  une  concor- 
dance de  vues  et  une  sympathie  de  principes  assez  générales  avec 
la  cause  qu'on  défendait^.  Ne  conviendrait-il  pas  d'établir,  plus  ample- 
ment encore  qu'aux  pages  27  et  28,  que  cette  collaboration  plus 
consciente  semble  due  à  deux  raisons  principales,  l'instinct  de  lutte 
contre  la  domination  universelle  de  l'Espagne  menant  l'Empire,  les 
affinités  spéciales  de  la  principauté  de  Sedan  avec  les  pays  oran- 
gistes?  M.  Cohen,  en  parlant  de  «  France  »  et  d'  «  esprit  français  », 
est  peut-être  un  peu  pressé  de  donner  à  ces  termes  un  plein  sens 
moderne,  alors  que  le  xvip  siècle  comportait  encore  un  fractionne- 
ment que  rien,  ici,  ne  suggère  et  ne  rappelle. 

Pareille  remarque  s'impose  au  sujet  du  livre  II,  Professeurs  et  étu- 
diants français  à  l'Université  de  Leyde;  si,  pour  Balzac  et  Théo- 

1.  La  correction  typographique  est  remarquable  pour  un  livre  qui  abonde  en 
lestes  variés;  lire  de  Leyde,  p.  315.  Il  y  a  des  redites  entre  les  pages  33,  91 
et  131  (mort  de  Béthune),  avec  une  discordance  dans  l'indication  des  sources. 
Quelques  autres  redites  sont  emportées  par  l'abondance  de  l'ample  matière. 
Le  «  ne  s'y  prête  pas  »  de  la  p.  194,  le  toit  et  le  couvert  de  la  p.  208  et 
quelques  autres  taches  légères  surprennent  sous  la  plume  avertie  de  l'auteur. 

2.  Avouerai-je  que  j'ai  été  déçu  de  ne  pas  trouver  au  livre  I,  tout  garni  de 
détails  militaires  et  dominé  par  une  bataille  de  Nieuport,  d'indications  sur  les 
«  chevaux  de  Frise  »  (spanische  Reiter  de  la  grande  guerre)?  Ce  fut  à  propos 
du  siège  de  "Woerden  que  le  Mercure  galant  de  1674  (t.  IV,  p.  51)  dut  expli- 
quer la  nature  de  ces  défenses  accessoires  —  employées  depuis  quand? 

Rev.  Histor.  CXXXVIII.  2«  fasc.  17 


y^ 


258  COMPTES-RENDUS  CRITIQDES. 

phile,  nulle  réserve  ne  semble  indiquée,  il  n'en  est  pas  de  même  pour 
un  certain  nombre  d'autres  personnages.  «  Les  limites  de  la  France 
d'aujourd'hui  »,  alléguées  dans  la  note  3  de  la  page  226,  comportent 
des  éléments  rétrospectifs  assez  divers.  Un  Lorrain  comme,  le  fils  du 
pasteur  Ferry  (p.  347),  un  Strasbourgeois  comme  Diedrich  (p.  349), 
nous  semblent  aujourd'hui  dignes  d'être  mis  au  même  rang  que  les 
Parisiens  ou  les  Normands  cités  :  étaient-ils,  à  leur  date,  beaucoup 
plus  ralliés  que  des  Genevois  ou  des  Wallons,  exclus  des  relevés  de 
M.  Cohen  et  qui  représentaient  plus  ou  moins  «  le  français  sans  la 
France  »? 

C'est  ainsi  qu'on  pourrait  presque  reconstituer,  avec  ce  livre  lui- 
même  et  comme  en  un  sous-chapitre,  un  côté  des  rapports  de  civili- 
sation de  Sedan  avec  les  Pays-Bas.  Les  Bouillons  —  dont  Turenne  — 
ouvriraient  la  marche,  accompagnés  de  leurs  vassaux  les  Schelandre 
(rappellerai-je  la  singulière  analogie  de  ce  nom  avec  le  Suédois  Scho- 
lander?),  bientôt  suivis  de  Louis  Cappel  et  de  Samuel  Desmarets,  de 
Pierre  du  Moulin  et  d'Adam  Stuart,  de  M.  Justel  et  de  Gassendi  lui- 
même  qui  touche  barres  dans  la  principauté ,  précédant  enfin  les 
nombreux  étudiants  sedanais  inscrits  aux  universités  hollandaises. 
Sans  doute,  l'indice  religieux,  que  l'enthousiasme  libéral  de  M.  Cohen 
se  plaît  si  noblement  à  sacrifier  à  la  tolérance  et  à  un  humanisme 
agnostique,  reparaîtrait-il  plus  qu'il  n'est  disposé  à  le  laisser  voir 
dans  la  texture  réelle  de  ces  plaisants  rapports  franco-hollandais. 

Avec  le  troisième  livre,  c'est  Descartes  qui  occupe  le  devant  de  la 
scène,  et  c'est  justice.  Peut-être  y  a-t-il  cependant,  dans  le  changement 
de  méthode  qui  distingue  cette  dernière  partie  de  la  précédente,  quelque 
inconvénient.  Je  n'aurais  pas  redouté  un  exposé  de  l'action  de  Jean  de 
Labadie,  confiné  dans  une  note.  Il  serait  intéressant  de  savoir  dans 
quelles  circonstances  un  Genevois  comme  Jean  Tronchin  se  préparait  à 
fonder  une  Gazette  française  à  Amsterdam,  où  sa  famille  se  fixe  vers 
le  milieu  du  xvii«  siècle.  N'y  a-t-il  pas  surtout,  dès  la  première  moitié 
de  ce  siècle,  un  changement  marqué  dans  les  affinités  franco-hollan- 
daises, et  la  «  galanterie  »  plus  que  l'étude  n'est-elle  pas  le  terrain  de 
rencontre  où  s'établissent  des  relations  nouvelles?  Ainsi  se  nouerait, 
dans  un  domaine  où  YAstrée  serait  mieux  comprise  que  le  Discours 
de  la  Méthode,  un  ordre  de  contacts  dont  M.  Cohen  nous  entretien- 
dra un  jour  pour  l'enrichissement  de  l'histoire  littéraire  et  de  la  litté- 
rature comparée  :  les  vues  si  piquantes  de  Le  Pays  sur  la  Hollande 
vers  1660,  la  Description  d'Amsterdam  en  vers  burlesques  de  Pierre 
.  Le  Jolie  (1666),  peut-être  même  la  présence  imprévue  d'observations 
sur  les  comédiens  flamands  dans  le  Théâtre  français  de  Chappu- 
zeau  en  1674.  Tout  cela,  qui  dépasse  par  la  date  les  termes  que  s'as- 
signait l'enquête  de  M.  Cohen,  ne  laisse  pas  de  supposer,  dès  avant 
1650,  une  nouvelle  forme  d'action  intellectuelle  de  la  France  :  est-ce 
conjecturer  à  faux  que  de  supposer,  comme  y  ayant  part,  des  repré- 
sentants, lettrés  ou  mondains,  d'une  mentalité  nouvelle? 


G.  COHEN  :  ÉCRIVAINS  FRANÇAIS  EN  HOLLANDE  AU  XVII®  SIÈCLE.     259 

Quel  que  soit  le  bien  fondé  de  cette  remarque,  c'est  toute  l'histoire 
de  Descartes  en  Hollande  (et  même  des  va-et-vient  qui  l'en  éloignent) 
que  nous  donne  ce  beau  troisième  livre,  si  grave,  si  fier  dans  la  restitu- 
tion patiente  d'une  pensée  indépendante. en  face  des  pédantismes  et 
des  mesquineries.  Les  découvertes  incidentes  sont  fort  nombreuses  : 
le  chapitre  xi,  «  le  roman  de  Descartes  »  repris  avec  plus  de  clair- 
voyance; le  chapitre  xxii,  consacré  à  la  princesse  Elisabeth,  ajoutent 
un  pathétique  bien  humain  au  récit,  minutieusement  contrôlé  ^  des 
démarches  et  des  affaires  intellectuelles  du  grand  philosophe  en  Hol- 
lande. On  peut  dire  qu'ici,  dans  l'exposé  de  la  lutte  la  plus  directe 
qui  se  puisse  imaginer  entre  une  pensée  novatrice  et  une  routine,  la 
patiente  chronique  se  mue  en  drame  sous  la  plume  de  M.  Cohen;  il 
ajoute  à  l'admiration  pour  une  grande  pensée  qui  veut  s'affirmer  une 
adhésion  absolue  —  trop  absolue,  ont  dit  certains  —  pour  la  méthode, 
l'unité  foncière  de  la  science  et  le  principe  de  l'évidence.  Les  por- 
traits, autographes,  fac-similés  qui,  dans  son  volume  si  riche,  multi- 
plient ici  l'illustration,  procèdent  d'un  acte  de  foi  où  le  dévot  cartésien 
double  l'érudit. 

«  Des  dates  précises  substituées  aux  indications  vagues  »  ;  la  «  Hol- 
lande refuge  »,  la  «  Hollande  carrefour  »  des  Scaliger  et  des  Balzac, 
des  Saumaize  et  des  Daneau  revivant  dans  sa  réalité,  pour  le  plus 
grand  profit  de  notre  conception  du  xyii^  siècle,  si  varié,  si  multiple 
et  agité,  mais  qui  eut  tôt  besoin  d'une  sorte  de  hinterland  de  liberté; 
la  démonstration  des  liens  vivants  qui  rattachent  en  Hollande  à  des 
présences  françaises  la  vie  intellectuelle  de  mainte  université,  église, 
école,  de  mille  entreprises  de  l'esprit  :  la  moisson  est  si  abondante 
qu'on  s'en  veut  de  souhaiter  quelques  épis  supplémentaires,  d'autant 
qu'il  fallait  une  vraie  maîtrise  pour  lier  solidement  tant  de  gerbes. 
C'est  le  résultat  en  France  de  ces  dépaysements  ou  de  ces  contacts 
qu'un  lecteur  de  chez  nous  se  prend  à  imaginer,  comme  dans  cette 
Académie  de  jyrovince  au  XV 11^  siècle  présentée  par  A.  Delalonde 
(National,  6  mars  et  10  juillet  1876)  et  groupée  autour  de  Moysant  de 
Brieux  à  Caen.  L'  «  air  de  la  liberté  »  respiré  en  Hollande  a-t-il  aidé 
vraiment  et  directement  à  rafraîchir  l'atmosphère  de  certains  milieux 
français  ? 

F.  Baldensperger. 

1.  Le  portrait  donné  en  fête  du  volume  se  trouve  au  musée  deNy  Carlsberg, 
n°  1232.  Les  Histoires  Irislcs  et  lamentables  alléguées  p.  619  évoquent  plutôt 
Gryphius  et  les  drames  allemands  que  les  tragédies  de  Corneille.  Le  rituel  du 
grand  et  du  petit  lever  (p.  58.3)  était-il  si  réglé?  Ce  n'est  pas  M.  Thibaudet 
(p.  682,  n°  2)  qui  a  retrouré  le  ballet  de  Descartes.  La  leçon  testes,  p.  515, 
dernière  ligne,  ne  doit-elle  pas  être  vérifiée? 


260  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

Correspondance  de  saint  Vincent  de  Paul,  édition  publiée  et 
annotée  par  P.  Coste,  prêtre  de  la  Mission.  Tome  I  (1607-1639)  ; 
tome  II  (janvier  1640-juillet  1646),  644  pages;  tome  III  (août 
1646-mars  1650),  1921,  649  pages.  Paris,  Lecoffre-Gabalda,  1920- 
1921.  In-S",  xxxvii-624  pages. 

Homme  d'action  avant  tout,  saint  Vincent  de  Paul  n'en  écrivit  pas 
moins  beaucoup  de  lettres,  car  les  lettres  étaient  encore,  pour  lui,  une 
forme  de  l'action.  Il  le  fallait  bien.  Jamais  il  n'aurait  pu  mettre  sur 
pied  les  œuvres  multiples  à  l'aide  desquelles  son  infatigable  charité 
s'évertuait  à  guérir  ou  à  atténuer  tant  de  misères  morales  et  physiques 
de  son  temps,  s'il  n'avait  cherché  à  susciter  ici  des  générosités,  à  s'as- 
surer là  des  concours  personnels,  à  s'enquérir  ailleurs  des  vrais 
besoins  à  soulager.  Et  de  ce  chef  le  voilà  entraîné  à  entrer  ou  à  se 
tenir  en  relations  avec  bien  des  gens  vivant  loin  de  Paris  et  de  Saint- 
Lazare,  sa  résidence  habituelle.  Davantage  encore,  il  a  à  sa  disposi- 
tion un  corps  d'auxiliaires  tout  prêts  et  dressés,  ses  Prêtres  de  la  Mis- 
sion et  les  Sœurs  de  charité,  qu'il  a  fondés  et^  qu'il  dirige  pendant 
près  de  quarante  ans  ;  mais  encore  lui  faut-il  rester  en  contact  perma- 
nent avec  eux.  Peu  à  peu  leurs  maisons  se  répandent  à  travers  la 
France,  puis  au  dehors,  en  Italie,  en  Pologne,  en  Barbarie,  à  Mada- 
gascar, etc.  De  bonne  heure,  il  prendra  donc  l'habitude  d'écrire  toutes 
les  semaines,  ou  du  moins  «  tous  les  ordinaires  »,  au  supérieur  de 
chacune  d'elles  et  parfois  même,  au  besoin,  à  quelqu'un  de  leurs 
membres. 

Pour  faire  face  aux  exigences  d'une  pareille  correspondance,  il 
prend  sur  son  repos,  sur  son  sommeil  et  même  sur  ses  voyages  ;  il 
écrit  «  environ  la  minuit  un  peu  harassé  »,  dit-il  à  l'un  de  ses  corres- 
pondants, «  de  la  ville  où  je  me  trouve  dans  la  nuit  »  ou  «  en  pleine 
rue  »,  dit-il  à  d'autres,  et  plus  d'une  fois  il  se  plaint  «  qu'on  lui  ôte  la 
plume  des  mains  ».  Après  1645,  il  sera  obligé  de  s'aider  du  secours 
d'un  ou  de  deux  secrétaires,  auxquels  il  indiquera  les  idées  à  dévelop- 
per quand  il  ne  dictera  pas  lui-même  ses  lettres. 
•  Dans  ces  conditions,  on  ne  s'étonnera  pas  que  Vincent  de  Paul  ait 
été  amené  à  écrire  plus  de  lettres  peut-être  qu'aucun  de  ses  contem- 
porains; au  lendemain  de  sa  mort,  on  en  évaluait  le  nombre  à  plus 
de  30,000.  On  ne  s'étonnera  pas  davantage  qu'elles  ne  soient  pas 
toutes  conservées.  Au  milieu  du  xviii«  siècle,  quand  les  Lazaristes 
voulurent  faire  écrire  par  un  des  leurs,  Collet,  la  vie  de  leur  saint 
fondateur,  ils  ne  purent  en  recueillir  que  7,000  ;  ils  n'en  trouvèrent  plus 
que  2,200  quand,  près  d'un  siècle  après  la  Révolution  et  les  dévasta- 
tions de  Saint-Lazare  qui  en  avaient  été  la  suite,  ils  songèrent  enfin  à" 
livrer  à  l'impression  les  épaves  qui  leur  restaient  de  cette  précieuse 
correspondance. 

Un  des  membres  les  pl^s  importants  de  la  congrégation,  M.  Pémar- 


p.    COSTE   :    CORRESPONDANCE  DE  SAINT  VINCENT  DE  PAUL.        261 

tin,  son  secrétaire  général,  fut  chargé  de  la  publication.  Il  s'en  acquitta 
aussi  bien  que  le  lui  permettait  son  inexpérience,  que  compensait  mal 
la  plus  manifeste  des  bonnes  volontés.  Le  texte  fut  peu  ou  mal  établi 
sur  des  originaux  insuffisamment  déchiffrés  ou  des  copies,  les  pre- 
mières venues,  servilement  acceptées,  sans  comparaison  critique,  à 
peine  éclairé  par  quelques  notes  vagues  et  rares.  Les  cinq  volumes 
(quatre  en  1880,  un  cinquième  en  1888,  Paris)  qui  composaient  l'édi- 
tion furent  réservés  à  l'usage  exclusif  de  la  double  famille  de  saint 
Vincent.  Au  public  il  ne  fut  donné  qu'une  édition  à  part,  en  deux 
volumes  distincts,  de  840  lettres. 

C'est  à  remplacer  ces  deux  éditions  épuisées  qu'est  destinée  la  pré- 
sente. Elle  a  été  confiée  à  M.  Coste,  prêtre  de  la  Mission.  Le  choix  est 
heureux.  Quelques  études  remarquables  publiées  par  lui  depuis  une 
dizaine  d'années  sur  diverses  circonstances  de  la  vie  de  saint  Vincent 
et  sur  le  texte  de  ses  lettres  l'avaient  désigné  pour  une  pareille  tâche, 
et  la  situation  qui  lui  a  été  faite  auprès  des  archives  de  la  Compagnie 
l'a  mis  en  état  de  s'en  acquitter  au  mieux. 

Nous  parlons  déjà  d'expérience.  A  la  connaissance  de  la  méthode 
qui  s'impose  aujourd'hui  à  tout  éditeur  de  textes,  M.  Coste  joint  la 
curiosité  active,  sagace,  toujours  en  quête  des  traces  les  plus  ténues 
de  leur  passage  dans  l'espace  ou  le  passé.  A  son  appel,  près  d'un  mil- 
lier de  lettres  inédites,  inconnues,  sont  déjà  sorties  de  leuqs  cachettes. 
Les  trois  volumes  qu'il  nous  donne  aujourd'hui  nous  apportent  ainsi 
1,205  lettres,  tandis  que  son  devancier,  M.  Pémartin,  en  a  un  bon 
tiers  en  moins  pour  la  même  période  de  1607-1650  (mars).  II  est  vrai 
que,  parmi  ces  1,205  lettres,  il  s'en  trouve  environ  400  écrites  à  saint 
Vincent;  car,  à  côté  des  lettres  ou  des  écrits  à  forme  épistolaire  de 
cet  auteur,  les  volumes  de  M.  Coste  admettent  celles  qui  lui  sont 
adressées  dont  il  nous  reste  le  texte  ou  quelque  mention.  C'est  là  une 
nouveauté  de  cette  édition,  et  elle  n'est  pas  des  moins  appréciées  des 
lecteurs  qui  lui  sont  redevables  d'utiles  éclaircissements  pour  les 
lettres  mêmes  du  saint. 

Mais  le  meilleur  des  éclaircissements  est  encore  venu  à  ces  lettres 
de  la  lecture  correcte  du  texte.  Famiharisé  par  un  long  exercice  avec 
l'écriture  un  peu  broussailleuse  et  souvent  surchargée  de  son  auteur 
—  comme  le  montrent  les  deux  reproductions  qui  en  sont  données  en 
tête  des  volumes  —  il  a  déchiffré  généralement  en  toute  sûreté  les 
1,100  et  quelques  originaux  qui  nous  restent  de  sa  main;  quant  aux 
copies,  il  a  pris  soin  de  les  confronter  et  il  a  su  faire  un  choix  judi- 
cieux des  meilleures  leçons  quand  il  existait  des  variantes.  L'indica- 
tion de  la  provenance,  jointe  à  chaque  texte  imprimé,  laisse  toujours 
ouverte  la  possibilité  du  contrôle.  Le  nouvel  éditeur  porte  enfin  à  un 
trop  haut  degré  le  respect  de  son  texte  pour  ne  lui  avoir  pas  épargné 
les  déformations  que  lui  imposèrent  les  scrupules  littéraires  ou  les 
préoccupations  d'édification  des  premiers  biographes  du  saint,  Abelly 
et  Collet,  et  les  erreurs  de  lecture  du  premier  éditeur  de  ses  lettres. 


262  COMPTES-RENDUS   CBITIQUES. 

Saint  Vincent  ne  fait  donc  plus  ici  venir  ses  missionnaires  de  Poitou 
à  Tours  en  «  Charente  »,  mais  en  «  charrette  »,  et  il  peut  prémunir 
en  toute  liberté  ses  Filles  de  la  charité,  comme  en  sa  vie,  contre  les 
«  entretiens  gaillards  »  de  leurs  éventuels  compagnons  de  voyage, 
tandis  que  le  «  moelleux  »  Abelly  l'autorisait  seulement  à  leur  signa- 
ler les  «  entretiens  qui  seraient  trop  libres  ».  Guidé  par  les  seules' 
indications  du  texte,  M.  Coste  n'hésite  pas  davantage  à  fondre  dans 
l'unité  d'une  seule  lettre  divers  tronçons  où  ses  devanciers  s'obstinaient 
à  voir  autant  de  lettres  distinctes,  placées  à  des  dates  plus  ou  moins 
espacées.  Tous  les  égards  réclamés  par  des  soucis  d'honneur  familial 
ne  l'empêchent  pas  de  dénoncer  les  ratures  faites  intentionnellement 
sur  le  texte  des  lettres  de  saint  Vincent  par  leurs  destinataires  ou  des 
détenteurs  actuels. 

Au  texte  ainsi  rétabli  en  sa  forme  native  s'ajoute  enfin  une  annota- 
tion abondante  et  sûre  '  où  trouveront  toutes  les  lumières  voulues  les 
lecteurs  que  pourraient  dérouter  quelques  formes  surannées  de  notre 
vieille  langue  ou  certaines  allusions  à  des  personnages  ou  des  faits 
historiques  peu  connus. 

Il  y  aura  là,  avec  la  bonne  exécution  typographique  des  volumes, 
un  des  grands  attraits  de  cette  édition.  Mais  le  principal  sera  toujours 
dans  le  fond  même  des  lettres  qu'elle  contient.  Les  plus  curieuses 
sont  peut-être  les  premières  où  le  jeune  Vincent  raconte  à  M.  de 
Comet  de  Dax,  son  bienfaiteur,  sa  captivité  à  Tunis,  ou  bien  expose  à 
sa  mère,  à  Pouy,  ses  espérances  d'avenir  et  ses  vues,  quelque  peu 
humaines,  «  d'avancement  »  et  «  d'honnête  retraite  »  auprès  d'elle. 
Dans  les  suivantes,  il  nous  apparaît  déjà  adonné  aux  missions  des 
campagnes,  en  train  d'utiliser  les  bons  offices  de  quelques  recrues 
spontanées  «  pour  gagner  de  pauvres  âmes  à  Dieu  en  ce  pays  de  Poi- 
tou ou  des  Cévennes  »,  ou  de  les  «  faire  appliquer  aux  pauvres  gens 
de  deçà  ».  Sa  vocation  est  dès  lors  fixée  et  la  plupart  de  ses  lettres 
iront  désormais  à  sa  collaboratrice  dans  la  fondation  des  Filles  de  la 
charité,  Louise  de  Marillàc  (360  dans  ces  trois  volumes),  ou  à  ses 
prêtres  en  mission  ou  dans  ses  établissements  de  Toul,  d'Annecy,  de 
Richelieu,  de  Marseille,  de  Cahors,  de  Rome,  de  Gênes,  d'Alger,  de 
Madagascar,  etc.  Quelques-unes  sont  adressées  à  des  cardinaux,  à 
des  évêques,  à  des  gens  du  monde  associés  ou  intéressés  à  ses  œuvres. 

A  ses  correspondants  habituels  surtout,  ses  lettres  apportent  des 
conseils  de  direction,  des  exhortations  —  accompagnées  parfois,  mais 

1.  Il  est  bien  difficile  de  la  prendre  en  faute  :  à  peine  puis-je  faire  remar- 
quer que  le  cardinal  Antoine  Barberini  ne  fut  pas  nommé  par  Louis  XIII  «  pro- 
lecteur des  affaires  de  France  »  (t.  I,  p.  593),  mais  reçut  seulement  l'offre  de 
la  «  comprotection  »  dont  son  oncle,  Urbain  VIII,  ne  lui  permit  pas  de  se  char- 
ger; l'épiscopat  toulousain  du  cardinal  de  Joyeuse  ne  s'étend  pas  seulement  de 
1598  à  1605  (t.  II,  p.  359),  mais  de  1584  à  1605;  le  marquis  de  Poyanne  n'est 
pas  mort  en  mars,  mais  le  3  février  1667  (t.  III,  p.  232).  Ibid.,  p.  322,  Arnauld 
d'Aniilly  a  été  mis  pour  Arnauld  d'Andilly. 


p.    COSTE    :    CORRESPONDANCE   DE   SAINT  VINCENT   DE   PAUL.        263 

rarement  et  bien  malgré  lui,  de  quelque  reproche  —  des  encourage- 
ments dans  l'accomplissement  des  tâches  qu'il  leur  a  confiées.  Tâches 
ardues,  délicates,  variées,  pour  lesquelles  la  sagesse  et  la  suite  dans  la 
direction  ne  sont  pas  moins  nécessaires  que  la  docilité  et  l'abnégation 
personnelle  dans  l'exécution.  Il  s'agit  ici  de  missions  à  prêcher  au 
fond  des  campagnes  délaissées;  d'assemblées  ou  de  confréries  de 
grands  seigneurs  ou  de  dames  de  charité  à  tenir  en  ville  pour  pro- 
voquer les  générosités  en  faveur  des  enfants  trouvés;  des  pauvres 
abandonnés  sans  assistance  à  secourir  à  Paris  ou  en  province;  de  la 
formation  à  donner  aux  Filles  de  la  charité  pour  les  mettre  en  état  de 
soigner  les  malades  dans  les  hôpitaux,  de  tenir  des  écoles  de  filles 
dans  les  villages  ou  d'y  assurer  aux  paysans  les  secours  médicaux 
indispensables  ;  de  séminaires  à  fonder  dans  tant  de  diocèses  qui  en 
sont  encore  dépourvus,  des  méthodes  d'enseignement  à  y  introduire; 
de  forçats  à  évangéliser  dans  nos  grands  ports;  des  provinces  entières, 
telles  que  la  Lorraine,  la  Champagne  et  la  Picardie,  à  relever  des 
ruines  entassées  par  l'invasion  des  armées  espagnoles  et  impériales  ; 
des  esclaves  à  soulager,  en  attendant  de  les  racheter,  en  Barbarie;  des 
missionnaires  enfin  à  soutenir  en  Irlande,  en  Ecosse,  à  Madagascar,  etc. 

A  la  variété,  à  la  multitude  des  sujets  abordés  dans  cette  correspon- 
dance, il  est  aisé  de  deviner  qu'elle  constitue  par  elle-même  une  pré- 
cieuse contribution  piour  l'histoire  du  temps.  Pour  l'histoire  des 
mœurs  d'abord,  qui  trou- era  ici  à  glaner  des  traits  singulièrement 
curieux,  et  surtout  pour  l'histoire  de  la  renaissance  catholique  en 
France  entre  cette  période  de  1630-1660,  qui  en  marque  le  point  cul- 
minant. En  Vincent  de  Paul  nous  voyons  à  l'œuvre  un  de  ses  prin- 
cipaux ouvriers.  Nul  ne  contribue  plus  que  lui  à  la  réforme  du  clergé 
par  son  influence,  au  Conseil  de  conscience,  sur  la  nomination  des 
évêques,  par  la  fondation  des  séminaires,  des  retraites  d'ordinands  et 
des  conférences  ecclésiastiques.  En  même  temps,  par  son  œuvre  des 
missions,  il  regagne  à  la  pratique  religieuse  les  populations  rurales, 
et  il  assure  au  catholicisme  en  France  et  au  dehors  un  nouvel  ascen- 
dant le  jour  où  il  lui  assigne  le  rôle  de  premier  moteur  et  d'organisa- 
teur, à  peu  près  unique  alors,  de  l'assistance  publique. 

A  côté  de  cet  intérêt  historique  y  a-t-il  lieu  de  relever  l'intérêt  lit- 
téraire qui  s^attache  à  cette  correspondance?  C'est  celui  dont  saint 
Vincent  ne  s'est  jamais  préoccupé.  Il  n'en  avait  pas  le  temps,  nous 
l'avons  vu.  L'eùt-il  eu,  la  seule  pensée  de  se  faire  valoir  par  ce  qu'il 
dénonçait  à  ses  missionnaires  comme  une  «  parade  mondaine  et  dia- 
bolique »  eût  fait  horreur  à  son  humilité.  Mais,  pour  indifférent  qu'il 
soit  aux  soucis  d'art,  ce  n'est  pas  impunément  qu'un  homme  dont  le 
cœur  est  aussi  débordant  d'affection  pour  autrui,  aussi  vide  d'amour 
de  soi,  se  porte  à  écrire  des  lettres  dans  le  seul  besoin  d'exprimer  des 
idées  justes  et  généreuses.  Et  il  s'est  trouvé  que  ce  pauvre  prêtre, 
exclusivement  soucieux  de  bien  agir,  est  bien  loin  d'être  resté  aussi 
étranger  qu'il  le  croyait  et  voulait  le  faire  croire  à  l'art  de  bien  dire. 


264  COMPTES-RENDUS  CBITIQCES. 

Des  critiques  de  nos  jours  ont  cru  pouvoir  donner  place  à  Vincent 
de  Paul  «  parmi  les  maîtres  de  notre  pensée  et  de  notre  langue  ».  Il 
suffit  de  lire  les  citations  qu'ils  ont  données  de  ses  lettres  pour  cons- 
tater qu'il  n'y  fait  point  mauvaise  figure.  L'ensemble  de  sa  correspon- 
dance confirme  et  au  delà  cette  première  impression.  La  place  nous 
manque  ici  pour  appuyer  par  de  nouveaux  considérants  les  jugements 
de  M.  Strowski  ou  de  M.  Lanson,  mais  il  est  bien  difficile  de  lire  nos 
trois  présents  volumes  sans  être  frappé  de  la  noblesse  de  sentiment 
de  ces  lettres  toutes  dominées  par  le  désir  de  faire  du  bien  autour  de 
soi.  Le  fond  de  la  pensée  s'y  révèle,  en  toute  sincérité  et  simplicité, 
dans  la  bonne  langue  de  son  temps,  franche,  sans  pruderie,  un  peu 
rude  peut-être,  mais  pas  plus  archaïque  que  celle  de  du  Vair  ou  de 
d'Urfé.  Sa  phrase  court  droit  au  but,  courte  et  pressée  ;  en  quoi  elle 
est  plus  près  de  la  nôtre  que  celle  de  Balzac,  plus  dégagée  et  moins 
pâteuse  que  celle  de  Descartes.  De  temps  à  autre,  elle  se  colore  ou 
s'anime  de  quelque  image  expressive,  de  quelque  heureuse  alUance  de 
mots,  ou  même  de  quelqu'un  de  ces  traits  de  vivacité,  de  finesse  et  de 
bonhomie  où  se  révèle,  comme  chez  Henri  IV,  l'influence  du  terrain 
gascon. 

Mais,  plus  qu'à  l'auteur,  c'est  à  l'homme  qu'ira  l'admiration  des  lec- 
teurs. A  parcourir  ces  trois  volumes,  ils  joindront  au  plaisir  de  la 
découverte  personnelle  celui  de  saisir  sur  le  vif,  lettre  par  lettre,  les 
divers  traits  dont  se  compose  la  physionomie  du  plus  populaire  de  nos 
saints  modernes.  Ou  je  me  trompe  fort,  ou  ils  rapporteront  de  cette 
lecture  la  même  impression  que  M.  Lanson,  qui  écrivait  naguère  :  «  Il 
n'y  a  pas  de  plus  belle  âme  que  celle  de  saint  Vincent...  et  il  y  en  a 
peu  qui  soient  plus  intéressantes  à  étudiera  » 

p  A.  Degert. 

1.  Le  tome  IV,  qui  parait  au  moment  où  nous  donnons  le  bon  à  tirer  de  la 
présente  feuille,  contient  la  correspondance  d'avril  1650  à  juillet  1653  (630  p., 
1  fac-similé). 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 


Histoire  générale.  —  La  librairie  Letouzey  et  Ané  continue  avec 
une  méritoire  régularité  la  publication  de  ses  dictionnaires  qui, 
s'adressant  tout  d'abord  au  monde  ecclésiastique,  sont  pour  tous  les 
historiens  d'un  précieux  secours.  Voici  de  brèves  indications  sur  les 
derniers  fascicules  qui  nous  sont  parvenus  :  1°  Dictionnaire  d'histoire 
et  de  géographie  ecclésiastiques,  publié  sous  la  direction  de 
Mgr  Alfred  BauiIHillart  ;  fasc.  14,  d'Annianus  à  Antioche  :  articles 
sur  Anseau  de  Garlande,  par  M.  Lecomte  ;  Anselme  de  Cantorbéry 
(20  col.  avec  une  abondante  bibliographie,  où  ne  figure  pas  encore  la 
thèse  de  M.  Ch.  Filliâtre),  par  M.  P.  Richard;  Antilles  (introduction 
du  catholicisme,  oppression  et  défense  des  indigènes,  œuvre  du  clergé 
dans  les  Antilles  espagnoles  du  xyi^  au  xviiie  siècle),  par  H.  Froi- 
DEVAUX;  Antioche  (qui  occupe  les  col.  563-671  et  n'est  pas  encore 
achevé.  On  y  peut  noter  un  tableau  synchronique  des  églises  issues 
du  patriarcat  et  une  carte  de  ce  patriarcat  d'après  la  notice  d'Anas- 
tase  I'"',  au  vi«  siècle).  —  2°  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne 
et  de  liturgie,  publié  sous  la  direction  de  dom  Fernand  Cabrol  et 
de  dom  Henri  Leclercq;  fasc.  41-43,  avec  lesquels  se  terminent 
le  tome  IV  et  la  lettre  E.  Principaux  articles  :  Du  Cange,  par 
M.  Es|»ORiTO;  Duel  judiciaire,  par  H.  Leclercq;  Eau  (usage  de  l'eau 
dans  la  liturgie,  eau  bénite),  par  F.  Cabrol;  Échos  d'Orient  (indica- 
tion des  études  d'archéologie  chrétienne  qui  ont  paru  dans  cette  Revue 
de  1897  à  1911);  École  (col.  1730-1883;  histoire  des  écoles  fondées  dans 
l'Europe  chrétienne  d'Occident  jusque  vers  le  xf  siècle);  Ecosse  (ori- 
gines chrétiennes,  épigraphie,  symbolisme  des  monuments;  col.  1889- 
1921);  Écriture  (origine,  classements,  particularités,  paléographie 
grecque  et  latine;  écritures  nationales,  avec  de  nombreux  fac-similés 
et  une  bibliographie  qui  ne  remplit  pas  moins  de  six  colonnes)  ;  Édesse 
(col.  2058-2110);  Édits  et  rescrits  (concernant  les  chrétiens,  col.  2119- 
2211);  Église,  le  mot  et  le  symbole,  l'Église  et  l'État  jusqu'au 
iv«  siècle  et  les  Églises  (31  chapitres,  col.  2279-2399,  avec  de  nom- 
breuses illustrations);  Egypte,  du  i"  siècle  à  la  conquête  arabe  (épi- 
graphie  et  archéologie,  avec  de  nombreuses  inscriptions;  la  biblio- 
thèque d'Alexandrie;  col.  2401-2571);  Élections  abbatiales  et 
épiscopales  (col.  2611-2651);  Empereurs  (culte,  iconographie,  style 
et  titres).  Tous  ces  articles,  si  variés,  d'une  érudition  si  étendue,"' 
sont  l'œuvre  de  dom  Leclercq  dont  on  ne  peut  qu'admirer  la  féconde 
activité.  —  3°  Dictionnaire  de  théologie  catholique,   commencé 


266  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

SOUS  la  direction  d'A.  Vacant  et  continué  sous  celle  d'E.  Mangenot, 
professeur  à  l'Institut  catholique  de  Paris  ;  fasc.  50-52.  Art.  Hongrie 
(son  histoire  religieuse  jusqu'en  1914),  par  E.  Horn;  Honorius  (bio- 
graphie des  quatre  papes  de  ce  nom),  par  E.  Amann  et  H.-X.  Arquil- 
LiÈRES;  Hospitaliers,  par  J.  Besse;  Hugues  de  Saint- Victor  (sa.  vie, 
ses  œuvres,  sa  doctrine;  col.  240-307),  par  F.  Vernet;  Hus  et  Hus- 
sites,par  P.Moncelle;  Hypostase  et  Union  hypostatique  (des  deux 
natures  dans  l'unique  personne  du  Fils  de  Dieu,  col.  369-567),  par 
A.  Michel;  lœnoclasme,  par  E.  Emereau;  Idolâtrie,  idole  (l'idolâ- 
trie primitive,  mosaïque  et  chrétienne;  exposé  théologique;  col.  602- 
669),  par  A.  Michel;  Ignace  de  Loyola,  par  J.  Brucker;  Images 
(histoire,  doctrine  et  culte;  col.  766-845),  par  V.  Grumel.  Cette  énu- 
mération,  si  sèche  qu'elle  soit,  permet  tout  au  moins  de  donner  une 
idée  de  la  masse  prodigieuse  de  renseignements  fournie  par  ces  articles 
dont  certains  ont  la  dimension  'de  gros  livres.         jfQh.  Bémont. 

—  Sir  Adolphus  Ward.  Collected  papers  historhal,  literary,  ira- 
vel  and  miscellaneous.  Vol.  I  et  II.  Historical  (Cambridge,  at  the 
University  Press,  1921,  in-S»,  xi-407  et  397  p.).  —M.  Ward  nous  apprend 
(tome  I,  p.  97)  qu'il  a  passé  son  enfance  en  Allemagne  :  son  père  fut 
le  dernier  ministre  résident  auprès  des  villes  de  la  Hanse  ;  son  frère, 
Sir  WilUam,  a  été,  pendant  plusieurs  années,  consul  général  d'Angle- 
terre à  Hambourg;  lui-même  a  vécu  longtemps  à  Lubeck  et  à  Brème. 
Rentré  en  Angleterre,  il  fut  d'abord  professeur  à  Owen's  Collège 
Manchester  (1866),  où  il  enseigna  la  langue  et  la  littérature  anglaises, 
l'histoire  ancienne  et  moderne.  Plus  tard,  il  passa  à  l'Université  de 
Cambridge  où  il  k)ccupe  aujourd'hui  une  situation  éminente  comme 
a  Master  »  de  Peterhouse.  Pendant  sa  longue  et  féconde  carrière,  il  a 
écrit  dans  un  assez  grand  nombre  de  revues.  Il  nous  donne  aujour- 
d'hui un  recueil  de  ses  articles,  dont  les  plus  anciens  remontent  à 
l'année  1864.  Il  les  a  groupés  en  trois  séries  :  histoire,  littérature 
et  voyage.  C'est  la  première  série  que  l'on  trouvera  dans  les  deux 
volumes  annoncés  plus  haut. 

Un  choix  pareil  est  une  entreprise  délicate.  On  court  le  risque  d'y 
admettre  des  articles  vieillis  sur  des  sujets  où  la  science  a,  depuis, 
fait  de  réels  progrès.  M.  Ward  a  voulu  les  rééditer  aujourd'hui 
sans  changement;  à  peine  a-t-il  ajouté  çà  et  là  quelques  faits  ou 
quelques  réflexions  en  post-scriptum  ;  mais  était-il  bien  utile  de  repro- 
duire par  exemple  le  compte-rendu  de  l'Histoire  commerciale  de  la 
Ligue  hanséatique  par  Emile  Worms  (1864),  si  l'on  ne  dit  pas  au 
'  moins  que  la  publication  des  Procès-verbaux  de  la  Hanse  a  complète- 
ment renouvelé  le  sujet?  On  en  pourrait  dire  autant  des  études  sur 
Tilly,  sur  Ludlow,  même  sur  Gardiner,  que  M.  Ward  défend  discrè- 
tement contre  l'âpre  critique  de  M.  Roland  Usher,  D'autre  part,  c'est 
avec  un  vif  intérêt  qu'on  retrouve  ici  de  fins  portraits  d'Elisabeth  de 
Bohême,  fille  de  Jacques  I"  d'Angleterre,  et  de  sa  petite-fille,  la 
princesse  palatine,  des  études  poussées  assez  à  fond  sur  la  politique 


HISTOmE   GÉNÉRALE.  '  267 

d'équilibre  depuis  Charles-Quint  jusqu'à  Bismarck,  sur  les  effets 
désastreux  de  la  guerre  de  Trente  ans,  sur  les  idées  politiques  de 
Leibnitz. 

C'est  d'ailleurs  aux  choses  d'Allemagne,  surtout  au  xyii^  et  au 
xviii«  siècle,  que  M.  Ward  paraît  revenir  avec  le  plus  de  prédilection. 
Après  avoir  touché  à  la  guerre  de  Trente  ans  dans  son  premier 
volume,  il  a  réuni  dans  le  second  toute  une  intéressante  suite  d'ar- 
ticles sur  le  Grand  Electeur,  l'avènement  de  Frédéric-Guillaume  III 
comme  roi  en  Prusse,  Louis  XV  et  le  renversement  des  alliances,  les 
origines  diplomatiques  de  la  guerre  de  Sept  ans,  le  déclin  de  la  Prusse 
sous  Frédéric-Guillaume  II,  le  second  partage  de  la  Pologne,  etc.  La 
plupart  de  ces  écrits  sont  antérieurs  à  la  dernière  guerre.  Quand  il 
parle  des  événements  récents,  M.  Ward  conserve  la  sérénité  de  ton 
et  de  jugement  qui  convient  au  véritable  historien.  Les  essais  qu'il 
exhume  aujourd'hui  méritaient,  pour  la  plupart,  d'être  tirés  de  l'oubli; 
ils  lui  font  le  plus  grand  honneur.  Ch.  B. 

—  Le  tome  XXIV  des  Monuments  et  Mémoires  publiés  par  l'Acadé- 
mie des  inscriptions  et  belles-lettres  (fondation  Eugène  Piot),  1<='"  et 
2^  fascicules,  n"  43  de  la  collection  (Paris,  E.  Leroux,  1920,  distribué 
en  octobre  1921,  in-fol.,  213  pages  et  14  planches;  nombreuses  gra- 
vures dans  le  texte),  contient  les  travaux  suivants  :  I.  Léon  Heuzey. 
Le  péplos  des  femmes  grecques  étudié  [sur  les  monuments  et]  sur 
le  modèle  vivant.  II.  Georges  Bénédite.  Amon  et  Toutânkhamon 
(groupe  en  granit  noir  de  la  XVIII^  dynastie.  Amon  est  assis  et  pose 
les  mains  sur  les  deux  bras  d'un  personnage  représenté  debout,  qui 
reçoit  en  même  temps  l'investiture  et  la  protection  du  dieu.  Ce  per- 
sonnage est  le  roi  Toutânkhamon).  III.  A.  Merlin.  Statuette  de 
terre  cuite  peinte,  trouvée  à  Carthage.  IV.  Ch.  Picard.  Portrait 
d'homme  inconnu  ;  tête  de  bronze  trouvée  par  Charles  Avezou  dans  la 
«  Vieille  palestre  »  de  Délos.  V.  Louis  Bréhier.  Les  miniatures  des 
«  homélies  »  du  moine  Jacques  et  le  théâtre  religieux  à  Byzance  (ces 
miniatures  permettent  de  reconstituer  un  drame  religieux  dont  le 
sujet  était  l'histoire  de  Marie  avant  la  Nativité).  VI.  Camille  Enlart. 
Un  tissu  persan  du  x<=  siècle,  découvert  à  Saint-Josse,  Pas-de-Calais 
(on  y  lit  le  nom  du  caïd  Nedjtekin,  qui  paya  de  sa  vie,  en  l'an  349  de 
l'hégire,  le  déplaisir  de  son  souverain  Abd  el  Malik  ibnNoùh.  Le  tissu 
est  donc  du  x°  siècle,  peu  avant  l'an  961  de  notre  ère;  il  présente  des 
points  de  ressemblance  avec  le  tissu  aux  éléphants  qui,  à  Aix-la-Cha- 
pelle, enveloppait  les  reliques  de  Charlemagne).  VII.  Comte  Durrieu. 
La  légende  du  roi  de  Mercie  dans  un  livre  d'heures  du  xv"  siècle  (cette 
légende  met  en  scène  trois  jeunes  filles  nues,  souvenir  sans  doute  des 
trois  grâces;  elle  fut  bien  plus  tard  transformée  en  scène  du  jugement 
de  Paris,  transformation  qui  paraît  s'être  localisée  en  Allemagne  ou 
dans  les  pays  immédiatement  voisins  de  l'Allemagne).  VIII.  Ettore 
Gahrici.  Vase  de  style  campanien  à  peintures.  Polychromes  repré- 
sentant Silène  et  les  nymphes  (article  rédigé  eu  italien  ;  ce  vase,  dit 


268  NOTES  BIBLIOGBAPHIQBES. 

«  vase  de  Falcone  »,  a  été  trouvé  en  Sicile,  non  loin  de  l'ancien  Tyn- 
daris). 

—  Nous  avons  reçu  un  tirage  à  part  de  l'article  publié  par  M.  Henry 
Elmer  Barnes,  professeur  d'histoire  à  l'Université  Clark  :  The  past 
and  the  future  of  history,  paru  dans  :  «  The  historical  outlook  »  (Phi- 
ladelphie, février  1921).  Il  est  à  recommander,  ne  serait-ce  que  pour 
les  indications  bibliographiques  marquées  au  bas  des  pages. 

—  René  Worms.  La  sociologie,  sa,  nature,  son  contenu,  ses 
attache^  (Bibliothèque  sociologique  internationale.  Paris,  Giard  et 
C'«,  1921,  in-18,  164  p.).  —  C'est  au  moment  où  s'ouvrait  à  Turin  le 
Congrès  international  de  sociologie  que  paraissait  le  livre  de  M.  R. 
Worms.  La  disparition  de  M.  É.  Durkheim  et  la  décomposition  de 
l'école  qu'il  avait  formée  font  la  partie  belle  à  M.  Worms,  qui  s'était 
toujours  refusé  à  accepter  certaines  classifications  et  certaines  défini- 
tions du  groupe  de  V Année  sociologique,  et  qui,  dans  le  présent  petit 
livre,  s'est  efforcé,  avec  un  sens  critique  qui  n'exclut  pas  la  bienveil- 
lance intelligente,  de  préciser  la  nature  et  l'objet  de  la  sociologie. 
Cette  science  est  pour  lui  la  philosophie  des  sciences  sociales  parti- 
culières, et  son  existence  est  justifiée  par  l'existence  même  du  fait 
social,  irréductible  à  la  notion  de  l'individuel;  elle  comporte  trois 
aspects,  qui  se  complètent  pour  réaliser  la  synthèse  interprétative, 
selon  qu'elle  étudie  les  organes  sociaux,  le  fonctionnement  ou  la  trans- 
formation de  ceux-ci  (anatomie,  physiologie,  ontogénétique  ;  ou  statiquç, 
dynamique,  cinématique),  et  M.  Worms  passe  rapidement  en  revue  le 
contenu  de  ces  trois  chapitres  essentiels  de  la  sociologie.  Quant  à  la 
méthode  de  la  sociologie,  c'est  exactement  la  méthode  inductive,  et 
M.  Worms  expose  avec  beaucoup  de  finesse  de  quelle  nature  est  la 
causalité  qu'elle  prétend  atteindre  et  mettre  en  lumière  (p.  100  et  suiv.). 
A  cet  égard,  son  livre  est  à  retenir  parles  historiens  que  préoccupe  le 
souci  des  explications  générales  applicables  aux  phénomènes  humains. 
Trop  souvent,  les  disciplines  sociologique  et  historique  se  sont  dure- 
ment heurtées  ;  M.  Worms  prouve  qu'elles  peuvent  collaborer  pour  la 
recherche  des  lois  générales  auxquelles  obéit  l'évolution  de  l'huma- 
nité.. G.  Bn. 

—  M.  Amédée  Dunois  a  donné  une  nouvelle  édition  de  l'Adresse 
inaugurale  de  l'Association  internationale  des  travailleurs,  suivie 
du  préambule  et  des  statuts  de  l'Association  (Paris,  librairie  de 
r  «  Humanité  »,  1921,  in-18, 45  p.  ;  prix  :  1  fr.).  —  Cette  adresse,  rédi- 
gée par  Karl  Marx  entre  les  21  et  27  octobre  1864,  ne  fut  traduite  en 
français  qu'en  1866  par  le  républicain  Charles  Longuet  ;  imprimée  en 
1902  par  le  Mouvement  socialiste,  elle  méritait  d'être  rééditée,  parce 
qu'elle  constitue  le  point  de  départ  de  l'activité  de  la  Première  Inter- 
nationale; elle  l'a  été  soigneusement  par  M.  A.  Dunois,  dont  la 
notice  préliminaire  raconte  très  exactement  les  conditions  générales 
et  les  circonstances  particulières  d'où  est  sorti  le  mouvement  proléta- 
rien d'ensemble.  G.  Bn. 


HISTOIRE   GÉNÉRALE.  269 

—  Carnegie  Endowment  for  International  Peace.  Annual  report 
of  Director  of  the  Division  of  Economies  and  History,  containing 
Report  on  the  économie  and  social  History  of  the  World  War, 
by  James  T.  Shotwell,  General  Editor,  March  16,  1921  (in-8", 
33  p.).  —  Dès  l'automne  de  1916,  la  dotation  Carnegie  songeait  à  faire 
établir  une  histoire  économique  et  sociale  de  la  Grande  Guerre.  Mais 
c'est  dans  l'été  et  l'automne  de  1919t,  après  la  désignation  particulière- 
ment heureuse  du  professeur  Shotwell  comme  éditeur  général,  que 
l'on  est  entré  dans  l'ère  des  réalisations.  Avec  un  très  grand  sens  des 
possibihtés  pratiques,  M.  Shotwell  a  estimé  qu'il  fallait  d'abord  cons- 
tituer, dans  chacun  des  pays  intéressés,  un  Comité  de  rédaction  qui, 
sous  réserve  de  l'approbation  des  «  Trustées  »  de  la  dotation,  dresserait 
le  plan  du  travail,  choisirait  les  collaborateurs,  surveillerait  l'exécu- 
tion des  monographies.  Le  Comité  anglais,  présidé  par  Sir  William 
Beveridge,  comprend  MM.  H.  W.  C.  Davis,  E.  C.  K.  Gonner,  Tho- 
mas Jones,  J.  M.  Keynes,  F.  W.  Hirst,  W.  R.  Scott.  M.  Ch.  Gide 
préside  le  Comité  français,  où  il  a  pour  collaborateurs  MM.  Arthur 
Fontaine,  Henri  Hauser,  Ch.  Rist.  M.  Henri  Pirenne  dirige  le  travail 
pour  la  Belgique.  Le  Comité  pour  l'Autriche-Hongrie  a  pour  prési- 
dent M.  Shotwell,  assisté  par  MM.  von  Wieser,  von  Pirquet,  Gustav 
Gratz,  Richard  Riedl,  Richard  Schûller.  Le  Comité  italien,  présidé 
par  M.  Luigi  Einaudi,  comprend  MM.  Pasquale  Jannaccone  et  Umberto 
Ricci.  La  Tchécoslovaquie  est  représentée  par  M.  Rasin;  les  pays 
baltiques  par  MM.  Harald  Westergaard,  de  Copenhague,  N.  Rugg,  de 
Christiania,  EU  Heckscher,  de  Stockholm;  les  Pays-Bas  par  M.  H.  B. 
Greven.  Des  organisations  sont  en  préparation  pour  la  Suisse,  le 
Portugal,  l'Allemagne,  les  États-Unis.  Une  œuvre  analogue  est  en 
train  au  Japon. 

Le  Comité  français  a  élaboré  un  plan  très  complet,  qui  comportera 
une  cinquantaine  de  monographies,  dont  la  plupart  seront  des  volumes 
de  200  ou  250  pages  in-8°.  Les  sujets  traités  seront  l'histoire  indus- 
trielle et  commerciale  de  la  France  pendant  la  guerre,  l'organisation 
sociale,  la  démographie  et  l'hygiène,  les  finances.  Une  place  à  part 
est  faite  aux  questions  spéciales  à  la  France  :  régions  envahies, 
Alsace-Lorraine,  colonies  et  Afrique  du  Nord,  armées  alliées  sur  le 
sol  français,  etc. 

Il  est  impossible  de  reproduire  ici  la  liste  des  collaborateurs  qui 
sont  les  uns  des  hommes  poUtiques  directement  mêlés  à  la  politique 
économique  de  guerre,  les  autres  des  professeurs,  des  administrateurs, 
etc.  Disons  seulement  que  le  premier  volume  à  paraître  sera  une 
Bibliographie  de  l'histoire  économique  et  sociale  de  la  guerre^ 
due  à  M.  Camille  Bloch.  Du  côté  anglais  sont  déjà  parus  trois 
volumes  :  War  Goveimment  in  the  Dominions,  par  M.  A.  B.  Keith  ; 
Allied  Shipping  Control,  par  M.  J.  A.  Salter,  et  Priées  and 
wages  during  the  war,  par  M.  A.  L.  Bowley.  On  espère  que  cette 
grande  œuvre  sera  menée  vers  son  terme  avec  une  suffisante  rapi- 
tlitt^.  H.  Hr. 


270  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

—  Dans  la  même  section  économique  et  historique  ont  paru,  sous 
la  directioiï  de  M.  James  Brown  Scott,  les  ouvrages  suivants  : 

En  1919  :  the  Déclaration  of  London,  february  1919,  dossier  de 
la  conférence  navale  de  1908-1909,  avec  introduction  par  Elihu  Root 
et  une  précieuse  bibliographie  (268  p.  in-8°). 

En  l'920  :  Proceedings  of  the  Hague  peace  conférences,  traduc- 
tion anglaise  des  procès-verbaux  officiels.  Un  volume  (883  p.)  est  con- 
sacré à  la  conférence  de  1899:  un  autre  (703  p.)  aux  séances  plénières, 
de  la  conférence  de  1907  ;  les  séances  des  commissions  et  les  annexes 
rempliront  encore  deux  volumes;  —  Treaties  for  advancement  of 
peace  (1913-1914),  recueil  des  conventions  d'arbitrage  entre  les  États- 
Unis  et  les  différentes  puissances,  précédé  d'une  excellente  introduc- 
tion de  M.  Scott  (152  p.);  —  les  Conférences  de  La  Haye,  ins- 
tructions et  rapports  des  plénipotentiaires  américains  (texte  en 
français,  146  p.);  — V  Institut  du  droit  international  ;  tableau  géné- 
ral des  travaux  (1873-1913)  (en  français  également,  366  p.,  ce  recueil 
sera  particulièrement  utile  aux  juristes). 

En  1921  :  les  Travaux  de  la  cour  permanente  d'arbitrage  de  La 
Haye  (en  français,  492  p.),  ou  les  historiens  trouveront,  illustrés 
d'excellentes  cartes,  les  dossiers  complets  d'affaires  célèbres  (pêche- 
ries du  Labrador,  Dogger  bank,  Casablanca,  Manouba  et  Carthage, 
etc.). 

Un  recueil  spécial,  Manual  of  the  public  benef actions  of  Andrew 
Carnegie  (Washington,  1919,  321  p.  in-8°,  nombreuses  illustrations), 
vient  rappeler  à  propos  tout  ce  que  l'humanité  doit  à  la  générosité 
du  grand  industriel  américain  qui  a  écrit  :  the  Man  of  wealth 
becomes  the  mère  trustée  and  agent  for  his  poorer  brethren. 

R.  GUYOT. 

Histoire  de  la  guerre.  —  Abel  Ducornez.  Les  derniers  jours 
de  Longwy  (Paris,  Bloud  et  Gay,  1920,  in-16,  230  p.;  prix  :  5  fr.).  — 
Le  récit  est  introduit  par  une  préface  du  comte  F.  de  Saintignon,  qui 
est  plusieurs  fois  mentionné  dans  le  volume,  d'abord  comme  mettant 
son  hôtel  des  Récollets  à  la  disposition  de  la  Croix-Rouge  (p.  83),  puis  à 
propos  d'obus  atteignant  son  propre  château  (p.  118)  et  son  usine  (p.  150), 
puis  comme  félicitant,  au  nom  de  la  population  civile,  le  commandant 
de  la  place,  colonel  Dasche,  de  sa  défense  obstinée  (p.  159),  enfin  comme 
arrêtant  une  lettre  que  les  dames  de  la  Croix-Rouge  voulaient  envoyer 
au  général  commandant  le  siège  pour  intercéder  en  faveur  des  hôpi- 
taux (p.  166).  Le  récit  lui-même  est  un  peu  gâté  par  trop  de  préoccu- 
pations littéraires;  les  faits  étaient  assez  éloquents  par  eux-mêmes 
sans  qu'il  fût  nécessaire  de  les  relever  par  tant  d'efîets  oratoires  et 
par  une  telle  abondance  de  paroles.  L'auteur  cède  aussi  à  des  préoc- 
cupations catholiques  ;  il  se  laisse  entraîner  à  parler  de  «  rage  luthé- 
rienne »  (p.  211)  brisant  des  statues  de  la  Vierge,  sans  songer  que  les 
Bavarois,  si  bons  catholiques,  furent  parmi  les  plus  sauvages  de  nos 
ennemis.  La  seule  citation  en  allemand  est  estropiée  :  p.  77,  lire 
Schweinhunde,  Sauhunde. 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE.  271 

Toutefois,  bien  des  passages  méritent  une  mention  :  d'abord 
celui  qui  raille  notre  manie  de  voir  des  espions  partout,  excepté 
là  où  ils  se  trouvent  réellement  (p.  20),  puis  la  description  de  1'  «  in- 
descriptible désarroi  à  la  gare  »  (p.  38),  la  légèreté  avec  laquelle 
furent  recrutés  les  membres  de  la  nouvelle  police  municipale  (p.  41), 
puis  comment  restèrent  sans  eSet  les  arrêtés  préfectoraux  (p.  43),  se 
colportèrent  les  Inventions  de  gens  «  bien  informés  »  (p.  48),  fut  dif- 
féré le  départ  des  conscrits  de  la  classe  1914  (p.  70),  quelle  artillerie 
ridicule  eurent  à  leur  disposition  les  défenseurs  de  Longwy,  «  dont  on 
renvoyait  périodiquement  le  déclassement  aux  calendes  grecques  » 
(p.  86),  comment  la  guerre  trouva  absolument  vide  le  «  magnifique 
hangar  pour  aéroplanes,  inauguré,  il  y  a  dix  mois  à  peine,  en  grand 
tralala  et,  naturellement,  avec  ministres  présents,  passés  et  futurs  » 
(p.  86),  etc.  En  somme,  Longwy  n'était  ni  véritable  forteresse,  ni 
déclarée  ville  ouverte,  «  situation  équivoque...  singulièrement  dange- 
reuse »  (p.  87).  La  garnison  ne  comptait  que  3,200  hommes,  tous 
«  animés  du  meilleur  esprit  »,  mais  trop  «  résignés  à  une  résistance 
passive  ».  On  ne  chercha  pas  à  utiliser  le  terrain  pour  augmenter  le 
périmètre  fortifié.  De  plus,  les  patrouilles  allaient  en  reconnaissance 
comme  on  va  au  tir  à  la  cible,  avec  l'unique  préoccupation  de  rappor- 
ter «  des  trophées  »  (p.  90). 

L'auteur  juge  ainsi  la  bataille  qui  se  livra  sous  les  murs  de  sa  ville 
le  22  août  (deuxième  jour  du  bombardement)  :  «  Quoi  de  plus  incon- 
cevable que  l'inconsciente  témérité  d'une  armée  qui  va  à  l'ennemi, 
suivant  scrupuleusement  un  ordre  de  marche  arrêté  d'avance  comme 
pour  une  simple  manœuvre  et  poussant  droit  devant  soi,  sans  paraître 
supposer  qu'elle  peut  rencontrer  l'adversaire,  et  éprouvant  une  sur- 
prise indescriptible  quand  le  feu  meurtrier  de  ses  mitrailleuses  révèle 
soudain  sa  présence...  Les  régiments,  exténués  de  fatigue,  vinrent 
tomber  en  pleine  bataille...,  se  faisant.  Sans  aucune  utilité  pour  les 
opérations  militaires,  massacrer  par  leur  manque  de  précautions  les 
plus  élémentaires...  On  n'avait  pas  oublié  la  théorie,  mais  c'est 
l'ennemi  qu'on  oubliait  »  (p.  131).  Th.  Sch. 

—  Georges  Motte.  Les  vingt  mille  de  Radinghem  (Pans,  Bloud 
et  Gay,  1920,  in -16,  324  p.).  —  Il  s'agit  de  20,000  civils  du 
Nord  qui,  obéissant  à  un  ordre  tardif  arrivé  à  la  mairie  de  Rou- 
baix  le  vendredi  9  octobre  1914  et  suivant  un  itinéraire  prescrit 
officiellement,  mais  néanmoins  déraisonnable,  se  trouvèrent  pris 
entre  les  deux  lignes  de  combattants,  tombèrent  entre  les  mains 
de  l'ennemi,  qui  les  traita  en  francs-tireurs.  «  Nous  ignorions  tout 
de  la  situation  réelle  »,  dit  l'auteur;  «  nous  ignorions  que,  déjà  le 
dimanche  4,  quand  on  avait  fait  évacuer  les  autos  (pourquoi  pas 
les  hommes  en  même  temps?)  vers  Saint-Omer,  certaines  de  ces 
autos  avaient  essuyé  des  coups  de  feu  et  que  nous  allions,  de  façon 
presque  certaine,  nous  jeter  dans  la  gueule  du  loup.  »  Donc,  ce  sont 
encore  des  victimes  de  l'incurable  optimisme  et  cachotterie  olïiciels. 


272  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

L'auteur,  grand  industriel,  dédie  son  récit  à  son  fils,  sous-lieutenant, 
tué  le  12  juin  1918;  à  son  frère  André,  sous-lieutenant,  tué  à  Verdun; 
à  son  beau- frère  Roussel,  sergent,  tué  à  Hébuterne;  à  son  cousin 
Joseph  Motte,  tué  à  Dinant,  bref  à  la  mémoire  des  sept  Motte  de 
Roubaix  morts  au  champ  d'honneur.  Les  tristes  étapes  du  voyage  qui 
mena  les  20,000  à  leur  lieu  de  détention  sont  marquées  dans  le  sous- 
titre  :  Douai,  Mersebourg,  château  de  Celle.  Dans  la  première  de 
ces  villes,  où  ils  conservèrent  jusqu'au  dernier  moment  l'espoir  d'être 
délivrés  par  une  avance  franco-anglaise  ou  d'être  renvoyés  dans  leurs 
foyers  par  leurs  oppresseurs,  ils  restèrent  quatre  jours  enfermés  dans 
une  église  dans  des  conditions  hygiéniques  qu'on  peut  aisément  se 
représenter;  le  voyage  dura  soixante-dix-huit  heures,  dans  des  con- 
ditions tout  aussi  effrayantes.  Voici  l'arrivée  à  Mersebourg  :  «  Des 
cinquante  wagons  qui  composent  notre  train,  descend  pêle-mêle  une 
foule  de  près  de  3,000  pauvres  hères  à  demi  inconscients,  au  regard  sans 
vie...  La  plupart  chancellent  et  beaucoup  tomberont  dans  la  dernière 
étape  de  quelques  kilomètres  à  fournir  avant  d'arriver  au  camp...  Il 
y  a  trois  jours  et  demi  que  nous  n'avons  pu  ni  nous  laver  ni  nous 
peigner;  il  y  a  d&  jours  et  demi  que  nous  n'avons  pu  nous  déchaus- 
ser ni  allonger  nos  membres  courbaturés...  Les  femmes  ne  peuvent 
retenir  leurs  larmes  à  la  vue  de  ce  misérable  troupeau  de  gamins  dont 
le  plus  jeune  a  quinze  ans,  d'hommes  et  de  vieillards  dont  le  plus  âgé 
compte  quatre-vingt-deux  ans.  » 

Puis  vient  la  description  détaillée  du  camp,  de  l'installation  inté- 
rieure des  baraques,  des  compagnons  russes,  belges,  anglais,  des 
goumiers,  de  la  nourriture,  des  occupations  et  distractions,  des  rap- 
ports avec  les  Allemands,  etc. 

Le  20  mars  1915,  douze  privilégiés,  dont  l'auteur,  furent  envoyés  au 
château  royal  de  Celle,  où  ils  trouvèrent  une  société  cosmopolite 
aussi,  mais  une  vie  beaucoup  plus  supportable,  qui  dura  jusqu'au 
24  novembre,  où  un  groupe  fut  rapatrié  avec  M.  Motte.  Celui-ci, 
réinstallé  à  Roubaix,  se  mit  à  écrire  ses  souvenirs  de  captivité  «  à 
bâtons  rompus,  interrompant  fréquemment  mon  travail,  cachant  mon 
manuscrit  chaque  fois  que  des  Allemands  apparaissaient  ou  que  des 
perquisitions  devenaient  plus  menaçantes...,  au  son  du  canon,  dont 
les  milliers  de  coups  ont  ponctué  chacun  de  mes  chapitres.  »  Terminé, 
le  manuscrit  reposa  «  dans  un  cercueil  d'acier,  sous  d'épaisses  voûtes 
de  maçonnerie  »,  pour  n'en  sortir  que  le  18. octobre  1918. 

Tout  y  est  intéressant;  certains  passages  sont  très  poignants  à 
divers  points  de  vue  :  telle  la  p.  90,  où  ces  pauvres  gens  pestent 
«  contre  le  préfet  du  Nord,  à  qui  ils  attribuent  la  responsabilité  de 
leur  villégiature  en  ces  lieux  mal  odorants  »  ;  ou  la  p.  134,  où  nous 
les  entendons  exprimer  «  l'espoir  de  vivre  désormais  en  paix  dans 
une  France  assagie  par  l'expérience  et  assainie  par  la  souffrance  »  ;  ou 
la  p.  137,  où  «  tout  le  monde  reconnaît  les  graves  défauts  du  régime 
passé  qui  a  gaspillé  les  énormes  ressources  de  la  France  et  négligé  la 


HISTOIRE   DE   l'aNTIQDITE'.  273 

défense  nationale  »  ;  ou  enfin  la  p.  219,  avec  sa  description  enthou- 
siaste des  merveilleux  levers  et  couchers  de  soleil  d'hiver  à  Merse- 
bourg.  Th.  Sch. 

—  Lucien  Cornet.  191k-1915.  Histoire  de  la  guerre,  tome  V 
(Paris,  Charles-Lavauzelle,  in-8°,  436  p.).  —  Ce  tome  V  est  consacré 
à  l'histoire  intérieure  des  belligérants,  d'avril  à  novembre  1915.  On  y 
trouvera  des  renseignements  détaillés  sur  l'œuvre  législative  du  Par- 
lement français,  notamment  sur  les  débats  relatifs  à  la  loi  Dalbiez. 

J.  ISAAC. 

—  Henriette  Célarié.  Le  martyre  de  Lille  (Paris,  Bloud  et  Gay, 
1920,  in-16,  259  p.;  prix  :  6  fr,).  —  L'auteur  n'en  est  pas  à  ses  débuts. 
Elle  a  déjà  publié  au  moins  deux  ouvrages  sur  la  guerre  :  Quand 
«  Ils  »  étaient  à  Saint-Quentin  et  En  esclavage  (cf.  jReu.  histor., 
t.  CXXIX,  p.  149,  et  t.  CXXXVI,  p.  122).  Ce  dernier  a  même  été  cou- 
ronné par  l'Académie.  Ici,  elle  s'est  proposé  de  «  recueillir  les  récits 
de  ses  compatriotes  lillois,  en  choisissant  de  préférence  ces  derniers 
dans  la  classe  populaire,  grouper  ces  récits,  les  coordonner,  de  manière 
à  donner  un  aperçu  de  ce  qu'a  été  la  vie,  à  Lille,  pendant  l'occupa- 
tion ».  Elle  a  voulu  faire  raconter  surtout  «  les  gens  de  menue  condi- 
tion »,  parce  que,  «  pour  peu  qu'ils  aient  le  don  d'observation  joint  à 
celui  du  pittoresque,  ils  le  font  avec  une  saveur  où  n'atteignent  pas 
les  lettrés  ».  Ajoutons  tout  de  suite  que  cette  saveur  populaire  est  fort 
atténuée  dans  le  livre  et  que  la  préoccupation  littéraire  nuit  parfois  à 
l'intérêt,  puissant  d'ailleurs,  du  récit.  Celui-ci  est  parfois  effrayant, 
et  l'on  a  peine  à  comprendre  que  des  personnes  déjà  anémiées,  voire 
des  vieillards,  aient  pu  supporter  des  souffrances  si  intolérables.  Beau- 
coup, il  est  vrai,  sont  mortes  dans  des  conditions  navrantes.  Ce 
livre  n'est  pas  fait  pour  des  lecteurs  trop  sensibles.  Douze  chapitres 
exposent  successivement  les  différentes  faces  et  phases  du  martyre 
de  Lille  depuis  la  première  apparition  des  Allemands,  le  26  août 
1914,  jusqu'à  la  délivrance  du  17  octobre  1918,  en  passant  par  les 
amendes,  la  faim,  l'état  sanitaire,  les  réquisitions,  les  œuvres  de 
secours,  l'affaire  des  sacs,  les  enlèvements  de  1916,  les  travailleurs 
dits  volontaires,  les  otages,  etc.  Th.  Sch, 

—  Les  fascicules  41-44  de  l'Histoire  générale  et  anecdotique  de 
la  guerre  de  191k,  par  Jean-Bernard  (Berger-Levrault),  nous  con- 
duisent jusque  vers  la  fin  de  1915,  aussitôt  après  la  constitution  du 
ministère  Briand  (septembre  1915)  et  le  meurtre  de  Miss  Cavell  (12  oc- 
tobre). On  notera  çà  et  là  quelques  renseignements  inédits  que  l'auteur 
a  puisés  aux  meilleures  sources. 

Allemagne.  —  La  librairie  Brockhaus,  de  Leipzig,  vient  de  faire 
réimprimer  le  Trésor  des  livres  rares  et  précieux,  de  Grosse, 
d'aprôs  l'édition  originale,  parue  à  Dresde  de  1859  à  1869.  Les  huit 
volumes  sont  en  vente  au  prix  de  570  francs. 

Antiquité.    —    Les    travaux   effectués    par    l'École   britannique 
Uev.  IIistor.  CXXXVIII.  2=  fasc.  18 


274  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

d'Athènes  ont  porté,  pendant  la  campagne  1920-1921,  sur  Mycènes  et 
le  cimetière  de  Chauchitsa,  près  Doiran,  en  Macédoine.  Le  résultat 
général  des  fouilles  est  que  l'ère  mycénienne,  loin  d'être  une  période 
de  décadence,  est  une  période  de  progrès  technique  en  matière  archi- 
tecturale et  mécanique. 

—  Ernest  Babelon,  membre  de  l'Institut.  Les  monnaies  grecques; 
aperçu  historique  (Paris,  «  Collection  Payot  »,  n^  9  ;  4  fr.  le  volume 
relié).  —  Petit  livre,  mais  plein  de  choses,  ingentes  animos  a7igusto 
in  corpore  versât.  L'auteur  y  résunie  les  volumes  de  son  Traité  des 
monnaies,  ses  cours  du  Collège  de  France.  C'est  toute  une  existence 
de  savant  qui  se  présente  au  lecteur  en  160  pages.  Mais  l'érudition  la 
plus  solide  est  maniée  avec  une  aisance  et  un  goût  qui  la  rendent 
accessible  à  tous.  Les  ignorants  liront  cet  ouvrage  avec  plaisir,  comme 
les  spécialistes  avec  profit.  Les  uns  et  les  autres  peuvent  en  toute  con- 
fiance suivre  M.  Babelon;  se  promenant  parmi  ses  médailliers,  il  s'ar- 
rête aux  bons  endroits  :  à  tous,  il  fait  admirer  en  artiste  informé  les 
plus  belles  pièces,  celles  de  Syracuse  par  exemple;  aux  archéologues, 
il  montre  les  reproductions  de  statues  ou  d'édifices  disparus  ;  aux  his- 
toriens, il  conte  des  détails  qui  confirment  ou  complètent  les  documents 
littéraires  ou  épigraphiques.  Souhaitons  à  l'éditeur  et  au  public  que 
tous  les  volumes  de  la  collection  vaillent  celui-là.  L'impression  est 
excellente.  A  peine  quelques  lapsus  :  p.  55,  au  lieu  de  Conon,  lire 
Cimon;  p.  76,  écrire  tyrannoctone.  G.  G. 

—  Une  3«  édition  corrigée  et  mise  à  jour  delà. History  of  classical 
scholarship,  par  Sir  John  Edwin  Sandis,  a  commencé  de  paraître 
chez  C.  F.  Clay,  à  Londres  (Cambridge  University  Press,  t.  I,  xxiv- 
701  p.;  prix  :  20  sh.). 

—  Norman  H.  Baynes.  The  Year's  Work  in  classical  Studies 
(Londres,  John  Murray,  1920,  80  p.).  —  Le  tirage  à  part  du  Bulletin 
critique,  publié  pour  le  bureau  du  Journal  de  l'Association  classique 
par  M.  Norman  H.  Baynes,  sous  le  titré  Travail  de  Vannée  dans  les 
études  classiques  (VIII,  Histoire  grecque,  p.  97-126  ;  IX,  Histoire 
romaine,  p.  127-176),  rendra  un  véritable  service  aux  historiens  de 
l'antiquité  grecque  et  romaine.  Car,  sauf  l'archéologie  pure  et  la  numis- 
matique, il  embrasse  à  peu  près  en  réalité  toute  la  production,  en 
livres  et  en  articles  de  revues,  des  quatre  années  1915-1918,  soit  par 
une  simple  indication  nette  et  précise,  soit  avec  une  courte  analyse 
des  travaux  importants.  Ch.  Lécrivain. 

Danemark.  —  M.  Aage  Friis  a  fait  tirer  à  part  une  étude  sur  les 
origines  de  l'article  5  du  traité  de  Prague,  qui  a  paru  dans  la  revue 
intitulée  «  Tilskueren  »  de  février  1921  (Ophœvelsen  af  Pragfriedens 
artikel  5.  Copenhague,  15  p.  in-8°). 

Espagne.  —  The  letters  of  saiiit  Teresa.  A  complète  édition 
translated  from  the  spanish  and  annotated  by  the  Bénédictines  of  Stan- 
brook  with  an  introduction  by  cardinal  Gasquet,  vol.  II  (London,  Tho- 


HISTOIRE   DE   FRANCE. 


275 


mas  Baker,  1921,  in-S»,  vii-325p.).  —  Ce  second  volume  des  lettres  de 
sainte  Thérèse  n'est  pas  en  progrès  sur  le  premier  (cf.  Rev.  histor., 
t.  CXXIV,  p.  295).  Les  Bénédictins  de  Stanbrook  continuent  à  ignorer  le 
Boletin  de  la  R.  Academia  de  la  Historia,  où  le  R.  P.  Fita  et  le  mar- 
quis de  Piedras  Albas  ont  publié  une  série  d'autographes  de  la  sainte.  J'ai 
reçu  de  l'amabilité  du  marquis  un  exemplaire  de  son  discours  à  l'Aca- 
démie de  l'Histoire,  intitulé  :  Fray  Jeronimo  Gracian  de  la  Madré 
de  Dios,  insigne  coautor  de  la  reforma  de  santa  Teresa  de  Jésus 
(Madrid,  1918),  où  il  y  a,  non  seulement  un  catalogue  des  lettres  pos- 
sédées par  le  marquis  et  par  quelques  autres  personnages,  mais  des 
fac-similés  de  quelques-unes  d'entre  elles.  Ainsi,  à  la  page  174  de  ce 
discours,  nous  avons  le  fac-similé  d'une  lettre  de  sainte  Thérèse  à  sa 
tante  Elvira  de  Cepeda,  datée  d'Avila,  le  6  juillet  1541,  qui  n'existe 
pas  dans  l'édition  anglaise. 

Sous  le  numéro  197  (qui  ne  correspond  pas  au  354  de  La  Fuente, 
mais  au  351)  il  y  a  une  lettre  à  Doîia  Yomar  Pardo  y  Tavera  (et  non 
Talera,  comme  il  est  dit  à  la  page  76  et  157),  dont  nous  nous  sommes 
déjà  occupés  (Bulletin  hispanique,  t.  IX,  p.  87-91),  et  où  nous  disions 
que  la  lettre,  mise  par  La  Fuente  à  la  date  du  22  octobre  1581,  est  du 
22  octobre  1576.  Les  Bénédictins  de  Stanbrook  pensent  qu'elle  est  de 
l'année  1577,  mais  sans  donner  aucune  preuve  à  l'appui.  Ils  montrent 
qu'ils  ont  connu  l'article  du  Bulletin,  mais  ils  auraient  mieux  fait 
d'en  discuter  les  données,  qui  rue  paraissent,  encore,  indiscutables. 

Aux  pages  106  et  290,  il  est  question  de  Niccolo  Ormaneto,  nonce  à 
la  cour  de  Philippe  II  de  1572  à  1577,  qui  a  été  en  relation  avec  sainte 
Thérèse  et  qui  joua  un  rôle  assez  considérable  dans  les  affaires  de  la 
Réforme.  Il  eût  mieux  valu  citer  la  brochure  de  Francesco  Carini,  Mon- 
signor  Niccolo  Ormaneto...  narrazione  fatta  sopra  documenti  ine- 
diti  dell'  Archivio  segreto  vaticano  (Roma,  1894),  plutôt  que  la  dis- 
sertation du  Rév.  Cuthbert  Robinson;  les  documents  fournis  par 
Carini  sont  très  importants.  A.  Morel-Fatio. 

France.  —  Henry  Lemonnier.  Le  collège  Mazarin  et  le  palais  de 
l'Institut  (Paris,  Hachette,  1921,  in-4'',  112p.  avec  28  gravures).  —  L'his- 
toire du  collège  Mazarin  et  celle  de  l'Institut  ont  déjà  été  écrites;  celle 
des  bâtiments  que  l'un  et  l'autre  occupèrent  successivement  restait  à 
faire.  Nul  n'était  mieux  désigné  pour  remplir  cette  tâche  que  M.  Henry 
Lemonnier,  historien  de  l'art  et  membre  de  l'Académie  des  beaux-arts. 
Dans  la  première  partie,  consacrée  au  collège  Mazarin,  il  expose  les 
clauses  du  testament  du  cardinal,  nous  présente  son  héritier,  le  duc  de 
Mazarin,  qui  fut  le  plus  singulier  des  gouverneurs  de  l'Alsace,  fait  la 
biographie  de  Louis  Le  Vau  qui  dressa  le  plan  dos  bâtiments,  décrit 
l'édifice,  particulièrement  la  chapelle  pour  laquelle  Le  Vau  fit  trois  pro- 
jets successifs,  passe  en  revue  les  décorations  sculpturale  et  picturale, 
le  tombeau  du  cardinal  de  Mazarin  auquel  travailla  Coysevox.  Le  col- 
lège fut  supprimé  en  1792,  et,  après  toutes  sortes  de  péripéties,  on 
installa  dans  les  bâtiments  l'École  d'architecture  qui,  du  Louvre,  s'y 
transporta  en  1804;  mais,  en  1805,  un  décret  de   Napoléon  l<"'  les 


276  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

donnait  à  l'Institut  avec  ses  quatre  classes  créées  deux  années  aupara- 
vant, et  c'est  à  l'Institut  qu'est  consacrée  la  seconde  partie  de  ce  tra- 
vail. M.  Lemonnier  expose  les  changements  apportés  à  l'édifice  par 
l'architecte  Vaudoyer  :  la  chapelle  fut  réservée  aux  séances  solennelles 
et  devint  la  «  Coupole  »,  l'École  des  beaux-arts  —  architecture,  sculp-. 
ture,  peinture  —  fut  installée  de  façon  très  médiocre  dans  des  construc- 
tions sur  la  rue  Mazarine  jusqu'au  jour  où  elle  reçut  un  asile  au  dépôt 
des  monuments  historiques  (Petits-Augustins);  le  déménagement  eut 
lieu  en  1830  et  l'Institut  put  à  ce  moment  s'étendre.  Dans  cet  exposé, 
l'histoire  de  l'art  a  sa  place,  puisque  la  façade  du  palais  sur  la  Seine 
et  la  chapelle  comptent  parmi  les  monuments  les  plus  notables  de 
Paris  ;  et  que  de  souvenirs  évoque  la  Coupole  qui,  depuis  le  4  octobre 
1806,  a  vu  s'entasser  aux  séances  solennelles  de  l'Institut  des  géné- 
rations d'auditeurs,  empressés  à  applaudir  les  académiciens  !  —  C.  Pf. 

—  F.  UzuREAU.  Andegaviana  (22^  série.  Paris,  A.  Picard,  1921, 
516  p.  gr.  in-8°).  —  Ce  nouveau  volume  de  l'infatigable  chercheur 
angevin  qu'est  M.  l'abbé  Uzureau  contient,  comme  d'ordinaire,  une 
soixantaine  de  miscellanées,  quelques-unes  assez  étendues,  d'autres 
fort  courtes,  se  répartissant  inégalement  sur  les  xviP,  xviiF  et 
xix^  siècles.  Nous  y  relevons  une  note  sur  les  Mémoires  pour  servir 
à  l'histoire  ecclésiastique  d'Anjou,  rédigés  par  le  sulpicien  Joseph 
Grandel,  vers  1715,  et  restés  inédits  (p.  7),  et  des  extraits  d'une  His- 
toire d'Anjou  due  au  bénédictin  Barthélémy  Roger,  également  con- 
servée en  manuscrit  à  la  bibliothèque  d'Angers;  ces  extraits  sont  inti- 
tulés VAnjou  au  XVII^  siècle  (p.  106-142).  Signalons  encore  Un 
incident  à  V Académie  d'Angers  (1758)  qui  relate  un  curieux  conflit 
entre  les  amis  des  Jansénistes  et  ceux  des  Jésuites  (p.  28),  des  notices 
sur  les  Représentants  du  peuple  en  mission  dans  l'Ouest  (1793-1795) 
(p.  339),  sur  le  Clergé  de  Beaufort-en- Vallée  pendant  la  Révolu- 
tion (p.  199),  enfin  sur  quelques  Angevins  plus  ou  moins  célèbres  du 
xviie  et  du  xviiie  siècle  (p.  227-259). 

Nous  avons  reçu  en  même  temps,  du  même  auteur,  quelques  autres 
plaquettes  relatives  à  la  période  révolutionnaire  :  1°  Les  prêtres  inser- 
mentés du  Finistère,  1791-1793  (Rennes,  Plihon  et  Honnay,  1921, 
12  p.  in-8°),  emprisonnés  pour  refus  d'obéissance  au  décret  du  29  no- 
vembre 1791  et  plus  tard  déportés  ;  2°  Le  décret  du  29  novembre  1191  et 
son  application  illégale  en  Maine-et-Loire  (internement  pour  refus 
de  serment,  motivé  sur  ledit  décret,  auquel  le  roi  avait  refusé  sa  sanc- 
tion) ;  extrait  des  «  Mémoires  de  la  Société  d'agriculture  et  arts  d'An- 
gers »,  s.  d.,  32  p.  in-8o.  R. 

—  AmédéeBRiTSCH.  Le  maréchal  Lyautey .  Le  soldat,  l'écrivain,  le 
politique  (Pa.vis,  la  «  Renaissance  du  Livre  »,  1921,in-16,262p.,  cartes 
et  fac-similé;  prix  :  6  fr.  75).  —  Dans  une  lettre  datée  de  Paris, 
14  juillet  1920,  et  dont  on  trouvera  le  fac-similé  à  la  fin  du  volume,  le 
général,  plus  tard  maréchal  Lyautey,  écrit  à  M.  A.  Britsch  :  «  Question 
personnelle  à  part,  vous  avez  bien  jugé  tout  ce  qui  fait  ma  passion 


HISTOIRE   DE   FRANCE.  277 

et  ma  foi,  toutes  les  doctrines  auxquelles  je  suis  le  plus  fermement 
attaché.  »  Le  général  venait  d'être  reçu  le  8  juillet  précédent  à  l'Aca- 
démie et  M.  Britsch  avait,  dans  la  Revue  bleue,  rappelé  les  étapes 
de  sa  carrière.  Déjà,  le  10  octobre  1916,  il  avait  raconté  dans  le  Cor- 
respondant les  débuts  de  ce  «  maître  colonial  »,  puis  lui  avait  consa- 
cré d'autres  articles  dans  l'Opinion  etla. Revue  universelle.  Le  livre 
était  ainsi  déjà  écrit  par  fragments;  mais  ils  s'y  trouvent  si  bien 
coordonnés  et  fondus  qu'il  paraît  avoir  jailli  d'un  seul  jet.Ce  volume, 
qui  nous  conduit  de  la  naissance  de  Lyautey  à  Nancy,  le  17  no- 
vembre 1854,  jusqu'à  sa  promotion  au  maréchalat,  le  19  février 
1921,  et  au  delà,  est  tout  à  fait  passionnant.  On  suit  le  capi- 
taine, qui  avait  publié  en  mars  1891  le  retentissant  article  :  «  Du 
rôle  social  de  l'ofïîcier  »,  au  Tonkin,  où,  commandant,  il  est  à  l'école 
de  Galliéni  (1894-1897);  à  Madagascar  (1897-1902),  où,  colonel,  il 
exerce,  toujours  sous  Galliéni,  le  commandement  dans  le  sud;  en 
Algérie  et  à  Oran  (1903-1910),  où  il  conquiert  les  étoiles  de  brigadier 
et  de  divisionnaire.  Mais  le  nom  de  Lyautey  est  surtout  attaché  au 
Maroc  dont  il  a  été,  dont  il  est  encore,  le  résident  général.  Il  a  défini 
admirablement  la  politique  que  la  France  devait  pratiquer  dans 
ce  pays  et,  à  l'heure  où  se  déchaîna  l'ouragan,  il  a  su  y  maintenir, 
malgré  les  ordres  venus  de  Paris,  notre  domination;  il  a  réussi  à 
l'étendre,  alors  que  sévissait  la  guerre  mondiale;  puis,  après  trois 
mois  de  ministère  (12  décembre  1916-14  mars  1917),  il  a  repris  son 
œuvre  et,  pour  la  gloire  de  la  France,  il  la  mènera  à  bonne  fin. 
M.  Britsch  devra  ajouter  de  nouveaux  chapitres  à  cet  ouvrage  où  il  rend 
justice  à  un  grand  Français,  et  où  il  nous  fait  de  façon  saisissante 
l'histoire  de  notre  empire  colonial,  en  particuHer  celle,  encore  peu 
connue,  de  l'entreprise  marocaine.  C.  Pf. 

—  Cinquantenaire  de  l'armée  de  la  Loire  et  de  la  victoire  de 
Coulmiers,  9  novembre  1870.  Vie  du  commandant  Teissier,  183k- 
1911  (Limoges,  impr.  Perrette,  1920,  in-8°,  48  p.).  —  Cet  opuscule  a 
été  rédigé  d'après  le  livre  de  raison  de  la  famille  Teissier.  On  se  pro- 
pose d'y  prouver  que  la  victoire  de  Coulmiers  doit  être  attribuée, 
non  pas,  comme  l'a  déclaré  le  général  Barry,  aux  mobiles  de  la  Dor- 
dogne,  mais  au  38«  de  marche  où  commandait  Teissier.  Un  autre 
chapitre  se  rapporte  à  la  belle  conduite  de  Teissier  dans  les  opérations 
contre  la  Commune  de  Paris  en  avril  et  mai  1871.  Ch.  B. 

—  Il  est  curieux  que,  parmi  les  nombreux  sociaHstes  qui  se  réclament 
de  Jean  Jaurès,  il  ne  s'en  soit  pas  trouvé  d'assez  audacieux  ou  d'assez 
fidèles  pour  entreprendre  d'étudier  la  vie  et  les  idées  du  grand  leader. 
L'esquisse  de  M.  Lévy-Bruhl,  écrite  peu  après  l'assassinat  de  Jaurès, 
les  pages  satiriques  de  M.  Gustave  Téry,  le  lourd  ouvrage  de  M.  Ch. 
Rappoport  renfermaient  quelques  éléments  de  cette  étude.  On  en  trou- 
vera également  dans  la  Vie  de  Jean  Jaurès  de  M.  L.  Soulé  (Paris, 
«  l'Émancipation  »,  1911,  in-18,  241-iii  p.).  M.  Soulé  a  l'intention 
de  consacrer  plusieurs  volumes  à  cette  biographie,  et,  de  fait,  celui 
qu'il  vient  de  faire  paraître  ne  traite  que  de  Jaurès  pré-socialiste  (jus- 


278  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

qu'en  1892)  :  les  origines  familiales,  la  formation  intellectuelle,  la  vie 
universitaire,  le  premier  séjour  au  Parlement,  d'où  Jaurès  sortit  en 
1889,  l'action  à  la  mairie  toulousaine.  Peu  approfondi,  il  ne  serre  sans 
doute  pas  de  très  près  l'évolution  de  la  pensée  de  Jaurès;  surtout,  il 
ne  la  replace  pas  dans  l'évolution  générale  des  partis  et  du  socialisme 
français  ou  international.  Tel  quel,  avec  ses  nombreuses  citations  de 
discours  et  d'articles  de  journaux,  il  rendra  quelques  services  au  bio- 
graphe véritable  que  nous  attendons.  G.  Bn. 

—  Georges  Delahache.  Les  débuts  de  l'administration  française 
en  Alsace  et  en  Lorraine  (Paris,  Hachette,  1921,  in-8°,  xiv-331  p.). 
—  L'Alsace  et  la  Lorraine,  dans  les  inoubliables  journées  de  novembre 
1918,  s'étaient  jetées  dans  les  bras  de  la  France,  qui  était  venue  reprendre 
sa  place  au  foyer  où  elle  était  attendue  depuis  quarante-sept  ans.  Mais, 
après  ces  manifestations  d'enthousiasme,  il  fallut  organiser  le  pays,  y 
substituer  à  l'administration  allemande  une  administration  française, 
y  introduire  peu  à  peu  la  législation  française,  tout  en  conservant  cer- 
taines institutions  locales  qui  méritent  d'être  maintenues.  Combien  la 
tâche  était  difficile  et  délicate,  ceux  qui  liront  les  divers  chapitres 
de  ce  volume  pourront  s'en  rendre  compte.  Ils  verront  aussi  ce  que  la 
France  a  fait  pendant  les  deux  années  1919  et  1920  et  jusqu'à  peu  près 
au  milieu  de  1921.  M.  Delahache  n'étudie  pas  le  sujet  d'ensemble  dans 
un  ordre  chronologique;  il  ne  distingue  pas  la  période  où  M.  Maringer 
administrait  le  pays  avec  le  titre  de  haut  commissaire  de  la  République, 
sans  pouvoirs  bien  définis,  avec  nécessité  d'en  référer  pour  toutes  les 
affaires  au  sous-secrétaire  d'État  à  la  présidence  du  Conseil  et  aux 
divers  ministres  de  Paris  pour  les  affaires  concernant  chacun  d'eux^ — 
elle  s'étend  de  novembre  1918  au  21  mars  1919  — ;  celle  où  M.  Millerand, 
nommé  commissaire  général,  eut  véritablement  les  pouvoirs  d'un 
ministre  et  créa  les  directions  générales  de  Strasbourg.  M.  Millerand 
quitta  l'Alsace  au  début  de  1920  pour  succéder  à  M.  Clemenceau  dans  la 
présidence  du  Conseil  et,  le  11  février,  M.  Alapetite  était  nommé  à  sa 
place.  M.  Delahache  suit  l'ordre  des  diverses  directions  :  intérieur, 
finances,  justice,  commerce,  intérieur  et  mines,  instruction  publique, 
beaux-arts,  travaux  publics,  chemins  de  fer,  eaux  et  forêts,  agricul- 
ture, travail,  législation  ouvrière  et  assurances  sociales,  postes,  télé- 
graphes et  téléphones,  affaires  militaires.  Les  divers  directeurs  lui  ont 
fourni  les  matières  des  divers  chapitres  qu'il  a  coordonnés,  en  s'effor- 
çant  de  donner  à  chacun  la  proportion  voulue  et  de  les  faire  com- 
prendre même  des  lecteurs  non  spécialistes.  Dans  ces  divers  rapports^ 
vous  ne  trouverez  aucun  nom  propre  de  personnes,  mais  des  faits  et  rien 
que  des  faits  précis,  indiquant  les  mesures  prises  et  les  résultats.  C'est 
une  série  de  documents  d'où  l'historien  tirera  plus  tard  un  tableau  de 
l'Alsace  pendant  les  débuts  de  l'administration  française.  Si  nous 
ne  nous  abusons,  il  rendra  hommage  à  cette  administration  pour  le 
travail  énorme  qu'elle  a  fourni  et  pour  son  dévouement  absolu  ;  elle  a 
pu  parfois  se  tromper,  mais  elle  n'a  recherché  que  l'intérêt  des  pro- 
vinces recouvrées  ;  elle  a  tout  fait  pour  gagner  le  cœur  et  l'estime  de 


HISTOIRE   DE  GRANDE-BRETAGNE.  279 

ses  habitants.  En  réunissant  tous  ces  rapports,  en  les  faisant  pré- 
céder d'un  très  beau  et  très  éloquent  avant-propos,  M.  Delahache  a 
rendu  un  nouveau  service  à  la  cause  de  la  France  et  de  l'Alsace. 

C.  Pf. 

—  Dans  l'Art  de  nommer  les  nouvesLU-nés  français^  M.  Emma- 
nuel BiON  a  donné  quelques  observations  utiles  ou  piquantes  sur 
l'onomastique  française  telle  qu'elle  a  été  réglée  par  l'usage  depuis  le 
xvje  siècle  et  enfin  par  la  loi  du  2  germinal  an  XI  (librairie  Bion- 
Détrois,  à  Orsennes,  Indre,  1920,  75  p.;  prix  :  4  fr.). 

Grande-Bretagne.  — Alice  Drayton  Greenwood.  History  of  the 
people  of  England.  Vol.  I,  55  B  C.  to  A  D  1485  (Londres,  Society 
for  promoting  Christian  knowledge,  1921;  collection  «  The  Bede  his- 
toriés »,  3«  série,  in-8°,  xii-381  p.).  —  Bon  manuel  d'histoire  d'Angle- 
terre, sobrement  illustré,  muni  de  tableaux  généalogiques  et  de  cartes, 
écrit  pour  des  adolescents  chez  qui  l'auteur  se  propose  d'éveiller  le 
goût  et  le  sens  de  l'histoire  nationale.  Ils  y  apprendront  certainement 
beaucoup  d'utiles  notions  sur  les  institutions  municipales,  la  vie 
sociale  dans  les  campagnes  et  dans  les  villes,  les  rapports  de  l'Angleterre 
avec  les  nations  voisines,  et  peut-être  est-ce  là,  comme  il  est  dit  dans 
la  préface,  un  avantage  qui  distingue  ce  précis  d'autres  ouvrages  sem- 
blables ;  encore  ne  faut-il  rien  exagérer.  Une  histoire  du  «  peuple  » 
anglais  est  une  œuvre  autrement  complexe  et  qui,  sans  doute,  dépas- 
serait l'efïort  qu'on  peut  exiger  d'écoliers  de  quinze  ans.     Ch.iB. 

—  R.  B.  Morgan.  Readings  in  english  social  history  from  con- 
temporary  literature.  T.  I,  to  1272  AD;  t.  II,  1272-1485 (Cambridge, 
at  the  University  Press,  1921,  xi-117  et  xi-109  p.;  prix:  4  sh.  chaque). 
—  Ce  choix  de  lectures  aurait  été  plus  satisfaisant  si  M,  Morgan,  sui- 
vant le  plan  indiqué  dans  le  titre  de  l'ouvrage,  avait  esquissé  des  tableaux 
d'histoire  sociale  d'après  les  contemporains  :  Holinshed  écrivait-il  au 
temps  des  invasions  danoises?  John  Allen,  érudit  anglais  du  xix«  siècle, 
est-il  une  «  source  »  où  nous  puissions  puiser  pour  connaître  l'insti- 
tution du  M  boc-land  »  et  du  «  folc-land  »?  Notez  que,  sur  ce  dernier 
point,  M.  Morgan  paraît  ignorer  que  l'interprétation  d'Allen  est  aujour- 
d'hui condamnée  par  tous  les  historiens;  elle  devra  disparaître  dans  une 
prochaine  édition.  Les  deux  exemples  qui  viennent  d'être  cités  pour- 
raient être  aisément  multipliés.  Même  dans  un  livre  de  lecture  cou- 
rante, il  faut  faire  à  l'érudition  sa  part.  Ch.  B. 

—  Hubert  Hall.  A  repertory  of  british  archives.  Part  I.  England. 
(Londres,  Royal  historical  Society,  1920,  iu-8o,  Liii-2r)6  p.).  —  M.  Hall, 
directeur  adjoint  du  P.  Record  Office,  n'est  pas  seulement  un  archiviste 
modèle;  il  enseigne,  en  outre,  depuis  longtemps  déjà  à  l'Université 
de  Londres,  ou,  plus  exactement,  à  la  School  of  Economies,  qui  s'y  rat- 
tache. Il  sait  ce  qu'il  faut  apprendre  aux  jeunes  gens  qui  ont  le  désir 
de  se  livrer  à  des  travaux  personnels,  les  répertoires  dont  ils  ont 
besoin;  la  paléographie,  la  diplomatique,  la  bibliographie  historique 
sont  les  constants  objets  de  sa  sollicitude.  C'est  avec  la  collaboration 


280  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

de  plusieurs  de  ses  élèves  et  pour  la  préparation  générale  des  étudiants 
en  histoire  qu'il  a  pris  la  peine  de  compiler  ce  Répertoire  des  archives 
anglaises  qui  rendra  aux  historiens  de  signalés  services. 

Il  contient  quatre  parties.  D'abord  une  introduction  où  sont  indiqués 
sommairement  les  principaux  dépôts  d'archives  qui,  dans  le  second  tiers 
du  xix«  siècle,  ont  été  successivement  réunis  en  un  seul  établisse- 
ment (le  P.  Record  Office  de  Chancery  lane),  et  les  lois  ou  décrets  qui 
ont  régi  l'administration  des  archives  tant  nationales  et  administra- 
tives que  locales.  Un  appendice,  rédigé  par  M.  Henry  R.  Tedder,  du 
P.  R.  0.,  analyse  les  travaux  de  la  Commission  instituée  en  1910  en 
vue  d'indiquer  les  meilleures  mesures  à  prendre  pour  assurer  la  conser- 
vation de  ces  archives.  On  n'ignore  pas  que  M.  Hall  fut  un  des  membres 
les  plus  zélés  de  cette  Commission. 

Puis  vient  le  corps  de  l'ouvrage  divisé  en  trois  parties  contenant  : 
lo  un  tableau  méthodique  des  archives  politiques  et  administratives; 
2°  un  tableau  des  archives  locales,  avec  une  abondante  bibliographie 
qui  permettra  d'entreprendre  des  recherches  dans  un  domaine  pendant 
trop  longtemps  négligé  et  où,  actuellement  encore,  il  est  souvent  très 
difficile  aux  travailleurs  d'avoir  accès;  3»  une  sorte  d'almanach  ou 
bureau  d'adresse  (Directory)  des  archives  anglaises  :  archives  cen- 
trales, archives  des  administrations  publiques  et  des  grandes  institu- 
tions d'un  caractère  semi-officiel,  archives  locales  rangées  suivant 
l'ordre  alphabétique  des  comtés. 

Tel  est  cet  ouvrage;  il  ne  fait  pas,  on  le  voit,  double  emploi  avec 
le  Guide  de  M.  Scargill  Bird,  qui  est  classé  par  fonds  et  qui  ne  vaut 
d'ailleurs  que  pour  les  Archives  nationales  de  Chancery  lane.  Le  clas- 
sement de  M.  Hall  est  tout  différent  et  se  rapporte  à  des  dépôts  beau- 
coup plus  nombreux.  Il  arrive  à  un  moment  où,  de  l'autre  côté  de  la 
Manche,  on  s'inquiète  beaucoup  de  réformer  le  service  des  archives, 
souvent  sur  le  modèle  fourni  par  la  Frajice  ;  mais  il  sera  difficile  de 
rien  faire  qui  ressemble  à  notre  organisation  des  archives  départemen- 
tales, communales  et  hospitalières.  Ch.  B. 

—  On  ne  consultera  pas  sans  intérêt  une  plaquette  de  16  pages  inti- 
tulée :  Guide  to  an  exhibition  of  historical  authorities  illustrative 
of  British  history,  compiled  from  the  ntss.  of  Coi'pus  Christi 
Collège  Cambridge.  Ce  guide,  rédigé  par  Sir  Geoffrey  Butler,  biblio- 
thécaire du  collège,  contient  la  notice  sommaire  de  24  mss.  provenant 
de  la  collection  formée  au  xvi«  siècle  par  Mathieu  Parker,  archevêque 
de  Cantorbéry,  et  légués  par  lui  au  collège  du  Corps-du-Christ. 

—  James  Thayer  Gould.  Sources  of  English  history  of  the 
seventeenth  century,  1603-i689,  in  the  University  of  Minnesota 
library,  with  a  sélection  of  secondary  material  (publié  par  l'Univer- 
sité de  Minnesota.  Minneapolis,  janvier  1921,  in-8°,  v-565  p.;  prix  : 
4  dol.).  —  Cette  bibliographie  contient  4,442  numéros,  chiffre  impo- 
sant qui  indique  la  richesse  de  la  bibliothèque  universitaire  du  Min- 
nesota. Elle  sera  la  bienvenue  et  permettra  d'attendre  la  publication 
retardée  par  la  guerre,  du  Répertoire  anglo-américain  qui  doit  continuer 


HISTOIRE   DE   GRANDE-BRETAGNE.  281 

l'œuvre  de  Ch.  Gross  ;  mais  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue  que  le  pré- 
sent volume  contient  uniquement  l'indication  des  livres  possédés  par 
cette  bibliothèque;  or  elle  ne  possède  pas  tout,  il  s'en  faut,  et  les 
lacunes  sont  assez  nombreuses.  M.  Gould  n'en  est  pas  responsable  ; 
on  lui  saura  gré  au  contraire  d'une  compilation  aussi  considérable  pour 
l'étude  de  xvii«  siècle.  Ch.  B. 

—  Dans  la  collection  «  Helps  for  students  of  history  »  (Society  for  pro- 
moting  Christian  knowledge),  M.  R.  Cohen  a  résumé  l'histoire  des  che- 
valiers de  Malte  :  Knights  of  Malta,  1523-1798  (64  p.;  prix  :  2  sh.); 
M.  William  Miller  a  exposé  la  réorganisation  du  gouvernement  turc 
en  Grèce  depuis  le  traité  de  Passarovitz  jusqu'à  la  fin  de  la  République 
de  Venise  :  The  Turkish  restoration  in  Greece,  1718-1797  (45  p.; 
prix  :  1  sh.  3  d.);  M.  John  Eyre  Winstanley  Wallis  a  dressé  le 
tableau  chronologique  des  rois  d'Angleterre  contenant,  après  une 
brève  introduction  sur  le  début  de  l'année  en  usage  dans  la  chancel- 
lerie royale,  la  liste  des  souverains  de  1066  à  1920  avec  les  années  de 
chaque  règne,  l'indication  sommaire  des  titres  royaux  en  usage  dans 
la  chancellerie  depuis  le  viii«  siècle,  des  listes  chronologiques  des 
ducs  de  Normandie  et  d'Aquitaine,  des  comtes  d'Anjou,  des  comtes  et 
ducs  de  Cornouailles  et  de  Chester,  des  princes  de  Galles  (depuis 
Edouard  de  Carnarvon,  qui  fut  Edouard  II),  des  ducs  et  comtes  de 
Lancastre,  des  souverains  d'Ecosse  de  1057  à  1707  et  des  rois  de 
France  de  987  à  1793;  une  table  de  Pâques  de  532  à  1066  d'après  le 
comput  romain  et  le  comput  saxon,  plus  le  chiffre  de  l'indiction;  un 
tableau  marquant  le  commencement  de  l'année  financière  pour  cha- 
cun des  règnes  depuis  Henri  II.  Dans  les  quinze  dernières  pages  sont 
analysés  les  éléments  essentiels  de  la  diplomatique  anglaise  en  ce 
qui  concerne  la  rédaction  des  «  chartes  »  et  des  brefs  ou  «  writs  » 
royaux.  Ce  court  manuel  (English  régnai  years  and  titles,  hand- 
lists,  easter  dates,  etc.,  102  p.;  prix  :  4  sh.)  rendra  des  services. 

Dans  la  collection  des  «  Texts  for  students  »  (même  librairie),  le 
n"  27  est  un  recueil  de  morceaux,  choisis  parmi  les  écrits  du 
XVI"  siècle,  officiels  ou  non,  qui  se  rapportent  à  l'établissement  du 
pouvoir  royal  en  Irlande  (The  foundations  of  moderri  Ireland, 
1"  partie,  par  Constantia  Maxwell,  64  p.;  prix  :  1  sh.  6  d.).  Le  règne 
de  Henri  VIII  a  opéré  dans  cette  île  deux  changements  fondamentaux  : 
d'abord  ce  prince,  qm  venait  de  rompre  avec  le  pape,  substitua  le  titre 
de  «  roi  »  à  celui  de  «  seigneur  »  d'Irlande,  qui  rappelait  la  charte 
par  laquelle  Hadrien  IV  avait  conféré  cette  seigneurie  à  Henri  II; 
puis  il  se  fit  reconnaître  comme  «  chef  suprême  »,  après  Dieu,  de 
l'Église  en  Irlande  comme  il  l'était  déjà  en  Angleterre.  Double  lien 
ou,  si  l'on  veut,  double  chaîne  que  les  Tudors  ont  imposée  à  l'Irlande. 
Les  dernières  pièces  du  recueil  constatent  qu'à  la  fin  du  siècle  les 
Irlandais  étaient  restés  réfractaires  aux  efforts  tendant  à  faire  triom- 
pher dans  l'île  l'autorité  royale  et  la  foi  protestante.  Ch.  B. 

—  M.  Henri  Prentout  a  fait  tirer  à  part  son  mémoire  De  l'origine 
de  la  formule  «  Dei  gratia  »  dans  les  chartes  de  Henri  II,  lu 

\ 


282  NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES. 

d'abord  à  l'Académie  des  inscriptions  (22  octobre  1920),  puis  publié 
dans  les  «  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences,  arts  et  belles-lettres 
de  Caen  »  (Imprimerie  caennaise,  1920,  53  p.).  On  connaît  la  thèse  au 
moins  spécieuse  de  M.  Prentout  :  l'introduction  de  la  formule  de 
grâce  ne  se  fit  pas  après  la  mort  de  Thomas  Becket  et  l'humiliation 
d'Avranches  en  1172,  mais  après  la  révolte  du  «  jeune  roi  »  Henri, 
qu'appuyaient  Louis  VII,  suzerain  du  roi  d'Angleterre,  et  les  grands 
vassaux  de  France.  C'est  à  ce  moment  et  pressé  par  les  circonstances 
que  le  roi,  qui  jusqu'alors  n'était  désigné  dans  ses  actes  que  par  le 
titre  «  rex  Anglorum  »,  ajouta  la  formule  «  Dei  gratia  »  empruntée  à 
la  chancellerie  des  rois  de  France.  Il  estimait  sans  doute  «  que  l'acte 
déloyal  par  lequel  son  suzerain  appuyait  la  révolte  de  son  fils  le  déga- 
geait à  son  égard  de  tout  scrupule  et  lui  permettait  de  se  considérer 
comme  un  prince  aussi  indépendant  que  lui  et  traitant  sur  le  même 
pied.  » 

—  Dans  un  article  sur  la  mort  de  Thomas  Becket  et  le  sort  fait  à 
.ses  reliques  au  temps  de  Henri  VIII,  qui  a  d'abord  paru  dans  The 
Month,  février  et  avril  1921,  et  qui  a  ensuite  paru  à  part  {King 
Henry  VIII  and  S*  Thomas  Becket.  Londres,  The  Manresa  Press, 
1921,  in-8°,  22  p.;  prix  :  6  d.),  le  P.  Pollen,  S.  J.,  a  entrepris  de 
réfuter  la  thèse  du  chanoine  Mason.  Celui-ci  avait,  on  le  sait  [Rev. 
histor.,  t.  CXXXV,  p.  268),  essayé  de  démontrer  que  le  crâne  découvert 
en  1888  sous  la  crypte  de  la  cathédrale  de  Canterbury  était  bien  celui 
du  martyr  de  1170;  le  P.  Pollen  estime  au  contraire  que,  lorsque  fut 
violée  la  sépulture  du  saint  archevêque  en  1536,  le  crâne  avec  le  reste 
des  ossements  a  été  entièrement  consumé  par  le  feu.  Cette  profana- 
tion a-t-ellç  été,  comme  on  Ta  dit,  exécutée  en  vertu  d'une  condam- 
nation légale  prononcée  contre  le  prélat  mort  depuis  près  de  quatre 
siècles?  Le  P.  Pollen  ne  le  pense  pas;  il  incline  à  croire  que  le  procès 
intenté  à  Th.  Becket  est  une  invention  du  P.  Crisostomo  Henriquez; 
mais  il  n'explique  pas  comment  ce  peu  scrupuleux  historien  a  pu 
imaginer  les  détails,  si  précis,  de  la  procédure.  Ch.  B. 

—  Charles  James  Billson.  Mediœval  Leicester  (Leicester,  Edgar 
Backus,  1920,  in-8°,  xii-232  p.;  prix  :  21  sh.).  —  Minutieuse  descrip- 
tion de  la  ville  de  Leicester  au  moyen  âge,  d'après  les  documents 
imprimés;  plusieurs  plans,  une  vingtaine  de  gravures  sur  bois  font 
apparaître  et  jusqu'à  un  certain  point  revivre  sous  nos  yeux  cette 
ville,  qui  intéres*  à  peine  l'histoire  générale  de  l'Angleterre.  L'auteur 
décrit  successivement  les  rues,  les  faubourgs,  les  auberges,  les  pri- 
sons, dont  la  principale,  celle  qui  était  dans  le  donjon  du  château 
seigneurial,  n'a  pas  encore  complètement  disparu,  les  hôtels  de  ville 
ou  guildhalls,  les  douze  églises  et  chapelles  qui  ont  été  démolies,  les 
six  ponts,  les  foires  et  les  marchés,  les  métiers.  A  l'une  des  auberges, 
à  l'enseigne  de  l'Ours  bleu,  se  rattachent  plusieurs  épisodes  qu'on 
peut  retenir  :  ainsi,  deux  jours  avant  Bosworth,  Richard  III,  passant 
par  la  ville,  y  coucha,  dit-on;  plus  tard,  dans  le  bois  du  lit  où  il  avait 


HISTOIRE  DE   GRANDE-BRETAGNE.  283 

reposé,  on  découvrit  un  trésor  qui  enrichit  les  tenanciers,  un  certain 
Clark  et  sa  femme.  Celle-ci  fut  ensuite  assassinée  par  des  malan- 
drins qui  s'emparèrent  de  l'argent;  ils  furent  pris  et  pendus  (1605). 
Ces  faits  divers  sont  racontés  tout  au  long  et  non  sans  critique.  Un 
dernier  chapitre  montre  comment  disparut  peu  à  peu  le  vieux  Leices- 
ter.  Les  références  sont  renvoyées  à  la  fin  du  volume,  et  il  faut  se 
livrer  à  un  certain  travail  pour  en  trouver  la  clé.  Ch.  B. 

—  La  Société  Hakluyt  a  publié  une  traduction  en  anglais  par  Lady 
GooDENOUGH  de  la  Chronique  de  Muntaner  (The  Chronicle  of  Mun- 
taner,  2  vol.,  759  p.). 

—  Alfonso  Lazzari.  Le  prime  nozze  di  Maria  Stuarda  (tirage  à 
part  du  volume  :  «  Miscellanea  Pandiani  »,  publié  chez  Gnecco  et  C'^, 
Gênes,  1921,  in-8°,  11  p.).  —  L'auteur  a  retrouvé  dans  les  archives  de 
Modène  et  il  publie  une  longue  dépêche  adressée  de  Paris,  le  27  avril 
1558,  à  son  «  seigneur  et  patron  »,  le  duc  Hercule  II,  duc  de  Ferrare, 
par  le  comte  Teofilo  Calcagnini,  qui  assista  au  mariage  de  Marie 
Stuart  avec  le  dauphin  de  France.  Calcagnini  était  très  en  faveur 
auprès  du  roi  Henri  II,  qui  l'avait  en  1556  nommé  gentilhomme  de  la 
Chambre  et  capitaine  d'une  compagnie  de  cavaliers  italiens  ;  retourné 
en  Italie  après  la  mort  du  roi,  il  mourut  le  5  janvier  1560,  traîtreuse- 
ment assassiné  au  sortir  d'un  banquet  que  lui  avait  offert  le  cardinal 
Louis  de  Guise. 

—  Colonel  J.  P.  Steel.  Feet  of  fines,  Cumberland  (chez  l'au- 
teur). —  Deux  brochures  contenant  des  extraits  des  «  feet  of  fines  » 
ou  accords,  à  la  suite  d'un  procès  fictif,  pour  obtenir  du  juge  le  trans- 
fert de  la  propriété  foncière,  qu'interdisait  le  droit  féodal.  Ils  se  rap- 
portent au  xvF  siècle  et  proviennent  d'une  série  de  pièces  d'archives 
qui  est  complète  depuis  Richard  I^''  jusqu'en  1834. 

—  A  l'occasion  du  cent-seizième  anniversaire  de  la  bataille  de  Tra- 
falgar,  le  Times  du  21  octobre  publie  l'analyse  de  lettres  écrites  à  sa 
femme  par  le  capitaine  Freemantle  qui  commandait  le  Neptune,  de 
quatre-vingt-dix-huit  canons,  à  cette  bataille,  et  retrouvées  dans  les 
archives  de  Lord  Cottesloe,  son  arrière-petit-fils,  ainsi  que  le  relevé 
des  ordres  reçus  à  bord  du  Neptune  le  21  octobre  1805.  —  A  la  date 
du  4  octobre  1921,  le  même  journal  a  publié  des  souvenirs  curieux, 
compléïls  par  deux  illustrations,  du  général  John  Ilart  Dunne,  der- 
nier survivant  des  Anglais  (21^  fusiliers)  qui  débarquèrent,  le  14  sep- 
tembre 1854,  sur  la  côte  de  Crimée.  G.  Bn. 

—  Pour  célébrer  le  quatre-centième  anniversaire  de  la  fondation  de 
l'imprimerie  de  Cambridge,  M.  S.  C.  Rouerts,  de  Pembroke  Col- 
lège, a  publié  une  History  of  the  Cambridge  University  Press, 
1521-1921  (Londres,  Clay,  in-8%  xvi-190  p.;  prix  :  17  sh.  6  d.).  Le 
fondateur  de  cet  établissement  paraît  avoir  été  un  certain  John  Lair, 
de  Sieburg  près  Cologne,  qui  prit  ensuite  le  nom  de  Siberch,  et 
qui  a  été  lié  avec  Érasme.  Le  premier  livre  imprimé  à  Cambridge 


284  NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES. 

est  le  texte  du  discours  de  Henry  BuUock,  vice-chancelier  de  l'Uni- 
versité, lors  de  la  visite  faite  à  l'Université  par  le  cardinal  Wolsey 
dans  l'automne  de  1520.  C'est  en  1530  que  des  lettres  patentes  du 
roi  Henri  VIII  établirent  officiellement  l'imprimerie  de  Cambridge. 
Mais  l'Université  manifesta  son  activité,  dans  cette  période  de  son 
existence,  plus  en  censurant  qu'en  imprimant  les  livres,  et  d'ailleurs 
elle  eut  des  difficultés  corporatives  avec  la  Compagnie  des  libraires 
de  Londres,  difficultés  qui  gênèrent,  nécessairement,  la  fabrication 
de  livres  jusqu'au  moment  où  Charles  I^""  renouvela,  en  1628,  et 
étendit  le  privilège  de  1530.  A  partir  de  cette  date,  l'imprimerie  de 
Cambridge  travaille  davantage  ;  le  D''  Bentley  fait  fondre  en  Hollande 
les  caractères  splendides  qui  seront  employés  dans  ï Horace  de 
Jacques  Talbot;  Matthew  Prior  fait  venir  de  Paris  des  caractères 
grecs,  et,  au  xix^  siècle,  les  ateliers  sont  installés  dans  les  locaux 
qu'ils  occupent,  non  sans  s'être  agrandis,  encore  actuellement.  —  G.  Bn. 

—  Wilberforce  Jenkinson.  The  royal  and  bishops'  palaces  in 
old  London  (Londres,  Society  for  promoting  Christian  knowledge, 
1921,  in-8°,  xii-164  p.).  —  Le  sous-titre  de  l'ouvrage  en  définit  exac- 
tement le  caractère.  C'est  une  «  topographie  littéraire  du  vieux 
Londres  [avant  le  grand  incendie  de  1666]  fondée,  pour  la  plus  grande 
partie,  sur  des  citations  empruntées  aux  auteurs  du  xvi«  et  du 
xviP  siècle  ».  Donc,  ce  n'est  ni  une  histoire  ni  un  dictionnaire,  mais 
une  anthologie.  Prenons-le  tel  qu'on  nous  le  présente  et  constatons 
simplement  qu'il  est  divisé  en  cinq  chapitres  consacrés  aux  palais 
royaux  et  à  ceux  des  évêques  (archevêques  de  Cantorbéry  et  d'York, 
évêques  de  Londres,  de  Winchester,  de  Rochester,  d'Ely,  de  Dur- 
ham)  ;  aux  hôtels  habités  par  des  seigneurs,  des  hommes  d'État,  des 
citoyens  distingués  de  la  ville;  à  quelques  maisons  particulières 
situées  à  l'est  de  la  cathédrale  de  Saint-Paul  ;  enfin  aux  chambres  du 
Parlement  et  aux  cours  de  justice.  Les  citations,  généralement  brèves, 
ne  sont  pas  sans  intérêt.  Ch.  B. 

—  P.  E.  ROBERTS.  A  historica.1  geography  of  the  British  depen- 
dencies.  Vol.  VII  :  India;  part  II  :  History  under  the  govern- 
ment  of  the  crown  (Oxford,  at  the  Clarendon  Press,  1920,  in-8°, 
iv-598  p.,  5  cartes;  prix  :  7  sh.  6  d.).  —  C'est  toute  une  histoire  de 
l'Inde  sous  la  domination  anglaise  en  Inde  depuis  la  disparition  de 
l'ancienne  Compagnie  jusqu'au  couronnement  de  Georges  V  comme 
empereur  des  Indes  en  1910  et  à  l'India  Bill  de  1919.  Une  «  géogra- 
phie historique  »  comporte-t-elle  d'aussi  longs  développements?  Ne 
devrait-elle  pas  contenir  seulement  les  notions  nécessaires  pour  faire 
comprendre  le  mécanisme  administratif  qui  donna  au  pays  son  aspect 
définitif?  Quoi  qu'il  en  soit,  l'historien  fera  certainement  son  profit 
d'un  aussi  bon  résumé.  Quelques  cartes,  pas  de  bibliographie,  mais  il 
y  a  un  index.  •  Ch.  B. 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIETES  SAVANTES. 


France. 


1.  —  Annales  révolutionnaires.  1921,  juillet-août.  —  Maurice 
DOMMANGET.  La  ft'te  et  le  culte  de  l'Être  suprême  (à  Beauvais).  — 
Albert  Mathiez.  La  Révolution  et  les  subsistances.  Les  Enragés 
contre  la  constitution  de  1793.  —  Id.  Erreurs  et  légendes  de  l'histoire 
révolutionnaire.  La  constitution  civile  du  clergé  était-elle  inacceptable 
pour  l'Eglise?  (il  est  établi  que,  dans  son  ensemble,  l'épiscopat  fran- 
çais est  intervenu  à  plusieurs  reprises,  tant  auprès  du  roi  qu'auprès 
du  pape,  pour  obtenir  l'application  régulière  des  décrets  de  la  Consti- 
tuante. Si  la  rupture  s'est  produite,  c'est  contre  l'attente  et  la  volonté 
des  évêques;  c'est  surtout  pour  des  raisons  politiques,  et,  après  une 
longue  attente,  que  le  pape  résolut  de  condamner  la  constitution 
civile).  —  L.  Villat.  Un  placard  contre  Bonaparte  et  contre  les 
lycées  en  1802  (trouvé  à  Besançon).  =  C. -rendus  :  P.Renouvin.  Les 
assemblées  provinciales  de  1787;  origines,  développement,  résultats 
(thèse  fort  bien  documentée  et  présentée  avec  force  et  sobriété,  mais 
l'auteur  s'est  laissé  entraîner  par  le  désir  de  réfuter  ses  devanciers 
qui  voyaient  dans  l'institution  de  ces  assemblées  le  salut  de  l'Ancien 
régime  ;  il  exagère  à  son  tour  quand  il  veut  prouver  qu'elles  n'ont  rien 
produit  de  bon  ni  de  durable).  —  Abbé  É.  Lavaquery.  Le  cardinal  de 
Boisgelin,  1731-1804  (biographie  très  érudite,  mais  gâtée  par  une  indul- 
gence excessive  envers  le  cardinal).  —  R.  Patry.  Le  régime  de  la 
première  séparation,  1795-1802  (réunit  et  condense  une  masse  consi- 
dérable de  faits  et  de  documents).  —  G.  Pariset.  Le  Consulat  et  l'Em- 
pire (très  remarquable). 

2.  —  Bibliothèque  de  TËcole  des  chartes.  1911,  janvier-juin. 
—  Léon  Levillain.  Études  sur  l'abbaye  de  Saint-Denis  à  l'époque 
mérovingienne  (étude  critique  sur  les  sources  narratives  concernant 
la  vie  de  saint  Denis  et  son  martyre  :  la  Passio  sanctorum  Dio- 
nysii,  Rustici  et  Eleutheri  a  été  composée  à  la  fin  du  v«  siècle  et 
rajeunie  à  la  fin  du  viii";  elle  est  d'une  importance  primordiale  pour 
l'étude  des  origines  de  Saint-Denis  ;  la  Vita  Genovefae,  do  peu  posté- 
rieure, en  est  un  précieux  commentaire.  Deux  autres  Passions,  dési- 
gnées par  les  deux  premiers  mots  du  texte  :  Post  beatam,  n'ont  aucune 
valeur  historique  pour  l'époque  mérovingienne.  Les  Miracula  ont  été 
composés  en  835  par  un  moine  de  Saint-Denis  appelé  Ilincmar,  qui 
rédigea  en  outre,  peu  après,  les    Gesla  Dagoberti  régis,  à  l'aide 


286  BECDEILS   PÉEIODIQUES. 

d'extraits  qu'on  a  réussi  à  identifier.  Ces  Gesta  n'ont  donc  aucune 
valeur  originale  et  Julien  Havet  s'est  lourdement  trompé  en  les  met- 
tant à  la  base  de  son  mémoire  sur  les  origines  de  Saint-Denis).  — 
Henri  Omont.  Nouvelles  acquisitions  du  département  des  manuscrits 
de  la  Bibliothèque  nationale  pendant  les  années  1918-1920.  —  R.-N. 
Sauvage.  La  tapisserie  de  la  reine  Mathilde  de  Bayeux  («  la  tenture 
de  Bayeux,  œuvre  de  brodeuses  saxonnes,  fut  exécutée  sur  les  cartons 
que  fournit  un  clerc  saxon  rallié  à  la  domination  du  vainqueur,  atta- 
ché à  quelque  puissant  baron  anglo-normand  ;  son  ouvrage  est  l'ex- 
pression de  ses  sentiments  intimes,  à  demi  dissimulés  par  néces- 
sité... »).  =  C. -rendus  :  H.  Tausin.  Les  devises  des  villes  de  France 
(utile).  — Alph.  Meillon.  Histoire  de  la  vallée  de  Cauterets  (bonne  étude 
critique  sur  le  cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Savin  en  Lavedan).  — 
P.  Lebotgne  et  René  Largillière.  La  vie  d'un  avocat  jurisconsulte  au 
xvii«  siècle  :  J.  M.  Ricard,  1622-1678  (excellente  thèse  sur  un  homme  qui 
se  fit  connaître  par  d'assez  nombreux  écrits  sur  des  questions  et  des  textes 
juridiques).  —  Bartsch.  Chrestomathie  de  l'ancien  français,  12«  édi- 
tion par  Léo  Wiese.  —  G.  Cohen.  Mystères  et  moralités  du  ms.  617  de 
Chantilly  (long  et  important  compte-rendu  par  Ernest  Langlois).  — 
Jos.  Anglade.  Las  leys  d'Amors  (bonne  édition).  —  Jos.  Casier  et 
Paul  Bergmans.  L'art  ancien  dans  les  Flandres  (t.  I  d'une  luxueuse 
publication  destinée  à  faire  revivre  l'exposition  d'art  rétrospective  qui 
fut  organisée  à  Gand  en  1913).  —  Rocheblave.  Jean-Baptiste  Pigalle 
(belle  monographie).  —  Charles  Bouvet.  Une  dynastie  de  musiciens 
français  :  les  Couperin,  organistes  de  l'église  de  Saint-Gervais  (bon). 
=  Chronique  :  Loi  et  décrets  concernant  les  archivistes  départemen- 
taux. —  Rapport  adressé  au  ministre  de  l'Instruction  publique  sur  le 
service  des  Archives  1920-1921.  — L'exil  de  Baluze  en  1711  (on  publie 
trois  lettres  de  Baluze  suppliant  qu'on  levât  la  sentence  d'exil  pronon- 
cée contre  lui  et  qu'on  lui  permît  de  rentrer  à  Paris  pour  y  continuer 
ses  travaux). 

3.  —  Bulletin  hispanique.  1921,  juillet-septembre.  —  Pierre 
Paris.  Bas-relief  ibérique  au  Musée  provincial  de  Cordoue  (il  repré- 
sente une  scène  de  chasse  :  jusqu'ici,  on  y  a  vu  une  sculpture  wisigo- 
thique  chrétienne).  —  J.-J.-A.  Bertrand.  Herder  et  le  Cid  (le  roman- 
cero du  Cid  a  été  publié  par  un  auteur  anonyme  dans  la  «  Bibliothèque 
des  romans  )>,en  1782, 1783  et  1784;  ce  n'est  pas  Herder  qui  l'a  décou- 
vert). —  Catalogue  des  manuscrits  de  M.  Morel-Fatio;  suite  (n**^  94- 
177).  =  C. -rendus  :  Général  Burguete.  Rectificationes  histôricas,  de 
Guadalete  â  Covadonga  y  primer  siglo  de  la  reconquista  de  Asturias 
(médiocre).  — Américo  Castro  y  Frederico  de  Onis.  Fueros  leoneses 
de  Zamora,  Salamanca,  Ledesma  y  Alba  de  Tormes;  Galo  Sànchez. 
Fueros  castellanos  de  Soria  y  Alcalâ  de  Hepares  (on  indique  quels  prin- 
cipes les  éditeurs  ont  suivis  et  les  influences  de  ces  documents  les  uns 
sur  les  autres).  —  Eugeniusz  Frankowski.  Hôrreos  y  palafitos  de  la 
peninsula  ibérica  (l'auteur  conclut  :  les  greniers  ibériques  doivent  être 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  287 

considérés  comme  des  vestiges  du  temps  où  régnait  l'architecture 
palafittique  qui  survit  encore  en  Portugal). 

4.  —  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques.  Bulletin 
philologique  et  historique  jusqu'à  1715.  Année  1919  (Paris,  Irapr.  natio- 
nale. Paru  en  septembre  1921).  —  Jacques  de  Font-Réaulx.  Lettres 
apostoliques  postérieures  à  1198,  conservées  aux  archives  départemen- 
tales de  l'Indre  (analyse  de  quatre-vingt-dix-neuf  bulles,  vingt-et-un 
brefs  et  deux  signatures  en  cour  de  Rome,  1198-1754;  en  appendice, 
sept  lettres  de  légats  pontificaux  de  1246  à  1558.  Cinq  pièces  pubHées 
intégralement  à  la  suite).  —  J.  Depoin.  Chronologie  des  évoques  de 
Saintes  de  268  à  1918.  —  M""  Eugénie  Droz.  Jean  Castel,  chroniqueur 
de  France  (petit-fils  de  Christine  de  Pisan  ;  recherches  sur  ses  œuvres, 
en  général  fort  médiocres,  mais  fort  prisées  de  son  temps).  —  Jacques 
DE  FoNT-RÉAULX.  Testament  d'Isembert  Feuille,  abbé  du  Dorât, 
17  février  1277.  —  Comte  de  Loisne.  Catalogue  des  actes  de 
Robert  I^"-,  comte  d'Artois,  1247-1250  (comprend  161  numéros.  Impor- 
tant pour  l'histoire  du  règne  de  saint  Louis). 

5.  —  Journal  des  savants.  1921,  mai-juin.  —  P.Paris.  Stèles  funé- 
raires discoïdes  de  l'Espagne  (d'après  le  livre  d'Eugeniusz  Frankowski  ; 
quelques-unes  de  ces  stèles  remontent  à  une  période  ancienne,  un  grand 
nombre  sont  de  l'époque  wisigothique,  un  plus  grand  nombre  sont  des 
XVF  et  xviP  siècles  ;  elles  représentent,  en  principe,  selon  Frankowski, 
la  tête  du  mort  ;  à  cette  théorie,  M.  Paris  fait  des  objections).  —  Ed.  CuQ. 
Les  pierres  de  bornage  babyloniennes  du  British  Muséum;  fin  (les 
tablettes  de  pierre,  contenant  une  copie  de  l'acte  original;  les  cippes 
commémoratifs  en  forme  de  pierres  de  bornage  :  le  British  Muséum 
en  possède  deux).  —  Léon  Mirot.  La  pénétration  des  étrangers  en 
France;  fin  (d'après  le  livre  de  M.  J.  Mathorez  :  les  Hollandais,  les 
Allemands,  les  Italiens).  —  E.  Lavisse.  Le  Musée  Condé  en  1920.  — 
A.  Merlin.  L'école  britannique  d'Athènes  en  1918  et  1919  (d'après  le 
XXIIIe  volume  de  YAnnual).  — Id.  Les  papyrus  d'Oxyrynchus  (ana- 
lyse du  t.  XII).  =:  C. -rendus  :  Aug.  Longnon.  Les  noms  de  lieu  de 
la  France  (remarquable).  —  H.  Delehaye.  Les  passions  des  martyrs 
et  les  genres  littéraires  (pose  quelques  principes  de  critique).  —  Cata- 
logue of  the  Morgan  Collection  of  Chinese  Porcelains  (superbe  publi- 
cation). —  S.  Flury.  Islamische  Schriftbànder  (étudie  les  bandeaux 
en  écriture  koufique  sur  les  monuments  d'Amida-Diyarbékir).  — 
C.  Autran.  Phéniciens  (thèse  contestable).  =r  Juillet -août.  — 
P.  JouGUET.  Les  Grecs  au  temps  d'Abydos  (d'après  le  beau 
volume  de  Paul  Perdrizet  et  Gustave  Lefebvre  «  les  Graffites  grecs 
du  Memnonion  d'Abydos  »  ;  ce  volume  «  n'est  pas  seulement  un 
recueil  de  documents  exactement  reproduits,  mais  une  œuvre  d'éru- 
dition élégante,  originale,  toute  pleine  du  sentiment  de  la  vie  antique  ». 
—  J.  Mathorez.  Rapports  intellectuels  de  la  France  et  de  la  Hollande 
du  xvi«  au  xviip  siècle  (d'après  les  travaux  do  A.  Germain,  K.  J. 


288  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

Riemens  et  Gustave  Cohen;  la  Hollande  n'était  pas,  comme  ou  le  dit, 
le  pays  de  la  liberté;  mais,  entre  la  France  et  elle,  il  y  eut  toujours 
intimité  intellectuelle).  —  L.-A.  Constans.  Récentes  découvertes 
archéologiques  en  Italie  (à  Rome  et  à  Ostie).  =  C. -rendus  :  Sir  Paul 
Vinogradoff.  Outlines  of  historical  jurisprudence.  I.  Introduction 
(rapports  de  la  jurisprudence  avec  la  logique,  la  psychologie,  la 
science  sociale  et  la  science  politique  ;  méthodes  et  écoles  de  juris- 
prudence aux  xviip  et  xix«  siècles).  —  R.  Cagnat  et  V.  Chapot. 
Manuel  d'archéologie  romaine,  t.  II  :  peintures  et  mosaïques.  Instru- 
ments de  la  vie  publique  et  privée  (remarquable).  —  Ivan  M.  Lin- 
forth.  Solon  the  Athenian  (biographie,  édition  des  fragments  de  ses 
œuvres).  —  G.  Michaut.  Plante  (important  et  substantiel).  —  E.  Rodo- 
canachi.  La  Réforme  en  Italie  (plein  de  renseignements,  manque 
d'idées  générales).  —  Alfred  Bel.  Inscriptions  arabes  de  Fez  (impor- 
tante contribution  à  l'exploration  scientifique  du  Maroc). 

6.  —  Pol^biblion.  1921,  mai-juin.  —  Publications  relatives  à  la 
guerre  européenne  ;  parmi  elles  :  Raymond  Poincaré.  Les  origines  de 
la  guerre  (livre  magistral)  ;  Jacques  Bardoux.  La  marche  à  la  guerre 
(montre  les  fluctuations  de  la  politique  extérieure  britannique  de  1912) 
à  1914);  Pierre  Redan.  La  CiUcie  et  le  problème  ottoman  (replace  la 
question  de  la  Cilicie  dans  le  cadre  de  la  question  ottomane); 
G.  Lacour-Gayet.  Guillaume  II  le  vaincu  (biographie  complète  à 
l'exception  de  l'ultime  chapitre).  —  G.  Michaut.  Histoire  de  la  comé- 
die romaine.  Plante  (étude  complète,  traitée  avec  infiniment  de  cons- 
cience et  de  goût).  —  F.  Mourret  Histoire  générale  de  l'égUse  (grande 
entreprise,  avec  quelques  défauts).  —  Paul  Yvon.  Traits  d'union 
normands  avec  l'Angleterre  avant,  pendant  et  après  la  Révolution 
(instructif).  —  Prince  de  Ligne.  Œuvres  posthumes,  publiées  par 
Félicien  Leuridan  (à  lire).  —  Frédéric  Masson.  La  vie  et  les  cons- 
pirations du  général  Mallet  (Mallet  ne  fut  ni  jacobin  ni  royaliste,  mais 
un  simple  aventurier).  —  S.  Charléty.  La  Restauration  (pousse  à 
l'extrême  ses  critiques  contre  le  régime).  —  Edouard  Driault.  La 
grande  Idée.  La  Renaissance  de  l'hellénisme  (quinze  conférences  don- 
nées à  Athènes  au  début  de  1920).  =  Juillet.  Publications  relatives  à 
la  guerre  européenne;  parmi  elles  :  Civrieux.  La  grande  guerre 
(bon  résumé)  ;  une  Anglaise  à  Berlin,  notes  intimes  de  la  princesse  BliX- 
cher,  traduit  de  l'anglais  par  Mii«  H.  Cavaignac  (très  intéressant)  ; 
général  Buat,  Hindenburg  (pendant  à  son  étude  sur  Ludendorfî)  ; 
Georges-M.  Mêlas.  L'ex-roi  Constantin  (veut  prouver  que  le  peuple 
grec  n'est  pas  solidaire  de  son  ex-roi;  mais  l'ex-roi  est  redevenu  roi); 
Fr.  Régamey.  La  caricature  allemande  pendant  la  guerre  (en  1914 
et  1915  ;  devrait  être  continué) .  —  H.  Hauser.  Travailleurs  et  marchands 
dans  l'an<;ienne  France  (très  clair).  —  J.  Carcopino.  Virgile  et  les  ori- 
gines d'Ostie  (œuvre  d'un  érudit  et  d'un  fin  lettré).  —  G.  Lardé.  Le  tribu- 
nal du  clerc  dans  l'empire  romain  et  la  Gaule  franque  (n'entraîne  pas  tou- 
jours la  conviction).  —  J.  Viard.  Les  grandes  chroniques  def'rance,  1. 1 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  289 

(excellente  édition).  —  P.  de  La  Gorce.  Histoire  religieuse  de  la  Révolu- 
tion française,  t.  IV  (montre  la  vitalité  du  catholicisme  pendant  la  persé- 
cution). —  R.  de  Chauvigny.  La  résistance  au  Concordat  de  1801 
(à  Blois  et  à  Vendôme  contre  l'évêque  d'Orléans  Bernier).  —  G.  Lacour- 
Gayet.  Napoléon  (exposé  simple  et  clair).  —  C-G.  Picavet.  Una 
démocratie  historique  :  la  Suisse  (important  pour  la  période  de  1798  à 
nos  jours).  —  De  Guichen.  La  crise  d'Orient  de  1839  à  1841  et  l'Eu- 
rope (instrument  de  travail  de  premier  ordre).  =  Août-septembre. 
E.  Mangenot.  Publications  récentes  sur  l'écriture  sainte  et  la  lit- 
térature orientale.  —  Publications  relatives  à  la  guerre  européenne  ; 
parmi  elles  :  Erzberger.  Souvenirs  de  guerre  (apologie  personnelle)  ; 
Ch.  Le  Goffic.  La  Marne  en  feu  (émouvant);  Ch.  Gallet.  Le  pape 
Benoît  XV  et  la  guerre  (articles  écrits  au  jour  le  jour  pendant  la 
guerre  dans  VÉtoile  de  la  Vendée).  —  Jules  de  Lahondès.  Les  monu- 
ments de  Toulouse  (superbe  ouvrage  publié  après  la  mort  de  l'auteur 
par  Emile  Carthailac).  —  J.  Laurent.  L'Arménie  entre  Byzance  et  l'Is- 
lam, depuis  la  conquête  arabe  jusqu'en  886;  Byzance  et  les  Turcs 
seldjoucides  dans  l'Asie  occidentale  jusqu'en  1081  (deux  excellentes 
thèses).  —  L'expansion  belge  à  Rome  et  en  Italie  depuis  le  xv^  siècle 
(trois  études  :  Artistes  flamands  à  Rome  pendant  la  Renaissance,  de 
l'abbé  P.  Liebaert;  les  Manuscrits  du  Fondo  Gesuitico,  concernant  les 
Pays-Bas  ;  les  Fondations  hospitalières  flamandes  à  Rome  du  xv«  au 
xviiP  siècle,  les  deux  dernières  par  Mgr  Vaes,  formant  le  premier  bul- 
letin de  l'Institut  historique  belge  à  Rome).  —  Adrien  Huguet.  Un 
grand  maréchal  des  logis  de  la  maison  du  roi  :  le  marquis  de  Cavoye, 
1640-1716  (excellent).  —  E.  Babelon.  La  grande  question  d'Occident. 
Au  pays  de  la  Sarre  ;  Sarrelouis  et  Sarrebruck  (à  méditer).  —  H.  Carré. 
La  noblesse  de  France  et  l'opinion  publique  au  xviii^  siècle  (insiste 
peut-être  trop  sur  les  scandales).  —  E.  Lavaquery.  Le  cardinal  de 
Boisgelin  (les  deux  volumes  instruisent  plus  qu'ils  ne  récréent).  — 
Lévy-Schneider.  Mgr  Champion  de  Cicé,  archevêque  d'Aix  et  d'Arles, 
1802-1810  (l'auteur  «  n'est  pas  de  la  maison  »,  de  là  des  erreurs).  — 
D'Ulm  à  lena.  Correspondance  de  Gentz  avec  Jackson,  ministre  de 
la  Grande-Bretagne  à  Berlin,  1804-1806,  publiée  par  le  commandant 
Weil  (important  document).  —  D.  Halévy.  Le  courrier  de  M.  Thiers 
(utile).  —  G.  Gaillard.  Les  Turcs  et  l'Europe  (depuis  1916;  très  par- 
tial pour  les  Turcs). 

•7.  —  La  Révolution  française.  1921,  juillet-septembre.  —  H.  Hau- 
SER.  De  quelques  aspects  de  la  Révolution  américaine  (causes  écono- 
miques et  sociales  de  cette  Révolution  ;  le  rôle  du  thé  et  de  la  mélasse). 
—  Thèse  de  M.  l'abbé  Pommeret.  L'esprit  public  dans  les  Côtes-du-Nord 
pendant  la  Révolution,  résumé  fait  par  le  candidat  reçu  avec  mention 
très  honorable.  —  R.  Durand.  Le  personnel  judiciaire  dansjes 
Côtes-du-Nord  pendant  la  Révolution  (publie  le  «  tableau  des  citoyens 
juges  et  autres  membres  du  tribunal  civil,  avec  indication  des  fonctions 
Rev.  Histor.  CXXXVIII.  20  fasc.  19 


290  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

remplies  pendant  la  Révolution  »,  dressé  en  l'an  VIII).  —  L.  Villat.  . 
L'histoire  de  la  Révolution  en  Corse  (signale  les  documents  sur  Buo- 
narroti  que  vient  de  publier  M.  Ambrosi).  —  D''  J.  Raspail.  Les 
papiers  de  Lalande  (lettres  adressées  de  Berlin  à  sa  mère  en  1752,  dis- 
cours qu'il  prononça  lors  de  la  fête  de  la  déesse  Raison,  en  novembre 
1793,  lettres  qu'envoie  à  sa  tante  et  à  sa  nièce  la  duchesse  de  Saxe- 
Gotha  de  1798  à  1802).  =  C.-rendus  :  H.  Sée.  Les  idées  politiques  en 
France  au  xyiif  siècle  (utile).  —M.  Pigallet.  Répertoire  des  archives 
du  département  du  Doubs  (séries  M  et  N)  et  Inventaire  sommaire 
(série  L,  n^^  1  à  81).  —  L.  Abensour.  Histoire  générale  du  féminisme 
(étude  claire,  un  peu  vague).  —  Erzberger.  Souvenirs  de  guerre  (très' 
importants  et  instructifs).  —  P.  Gilliard.  Treize  années  à  la  cour  de 
Russie  (montre  surtout  les  beaux  côtés  de  la  cour  russe). 

8.  —  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  1921, 
15  août.  —  Edm.  Perrier.  La  terre  avant  l'histoire.  Les  origines  de 
la  vie  et  de  l'homme  (très  remarquable).  —  Edw.  Flinck.  Auguralia 
und  Verwandtes  (hypothèses  ingénieuses,  mais  hasardées).  —Max.  J. 
Rudwin.  The  origin  of  the  german  carnival  comedy  (utile  compila- 
tion). —  H.  Tronchon.  La  fortune  intellectuelle  de  Herder  en  France. 
La  préparation  (enquête  minutieuse  et  prudente).  —  Les  Bouches-du- 
Rhône,  encyclopédie  départementale.  III.  Les  temps  modernes,  1482- 
'1789  (remarquable).  —  C.  Rabaud.  Paul  Rabaut  (biographie  du  père 
de  Rabaut-Saint-Étienne,  qui  n'apprend  rien  de  nouveau).  —  0.  Kar- 
min.  Sir  Francis  d'Ivernois,  1757-1842  (beaucoup  de  très  utiles  ren- 
seignements). —  Charles  Cestre.  Production  industrielle  et  justice 
sociale  en  Amérique  (étude  très  pénétrante  et  très  attachante).  —  Ed. 
Fueter.  Weltgeschichte  der  lezten  hundert  Jahren,  1815-1920  (remar- 
quable essai  d'une  histoire  vraiment  universelle).  =  1"  septembre. 
G.  Glotz.  Le  travail  dans  la  Grèce  ancienne  (travail  sobre  et  précis). 

—  F.  H.  Marshall.  Discovery  in  greek  lands  (élégant  résumé  des 
découvertes  archéologiques  faites  en  Grèce  et  dans  les  pays  grecs 
depuis  1870). .—  Le  Musée  du  Louvre.  Les  accroissements  de  1919  à 
1920;  dons,  legs  et  acquisitions  (somptueux  catalogue,  orné  de  belles 
héliogravures;  on  y  signale  plusieurs  signatures  d'artistes  sur  des 
sculptures  du  xv«  siècle).  —  V.  Gardthausen.  Hand.buchder  wissen- 
schaftlichen  Bibliothekskunde  (confus,  incomplet  et  souvent  incorrect). 

—  Marguerite  de  Valois.  Mémoires.  Introduction  et  notes  par  Paul 
de  Bonnefon  (bonne  édition;  l'introduction  donne  une  biographie 
complète  de  Marguerite).  —  A.  Mathiez.  Robespierre  terroriste  (l'au- 
teur est  vivement  pris  à  partie  par  M.  Welvert).  =  15  septembre. 
R.  Poupardin.  Recueil  des  actes  des  rois  de  Provence,  855-928  (bonne 
édition).  —  G.  Mollat.  Les  papes  d'Avignon,  1305-1378  (3«  édition  qui 
contient  quelques  utiles  additions).  —  Id.  Vitae  paparum  Avenionen- 
sium,  edit.  Steph.  Baluzius  (cette  nouvelle  édition  est  très  supérieure 
à  l'ancienne).  —  Nap.  de  Pauw.  Cartulaire  historique  et  généalo- 
gique des  Artevelde  (excellent).  —  Abbé  M.  Giraud.  Essai  sur  l'his- 


RECUEILS  PE'RIODIQDES.  291 

toire  religieuse  de  la  Sarthe,  de  1789  à  l'an  IV  (intéressante,  très 
solidement  bâtie  et  d'une  remarquable  impartialité).  —  Ch.  Seigno- 
bos.  La  Révolution  de  1848  (excellent).  —  Albert  Calmes.  Der  Zoll- 
anschluss  des  Grossherzogtums  Luxemburg  an  Deutschland,  1842- 
1918  (solide  ouvrage  qui  intéresse  aussi  l'histoire  générale). 

9.  —  Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France,  1921,  juillet-sep- 
tembre. —  Eug.  Welvert.  Jean-Baptiste  Massieu  (biographie  de  ce 
personnage  qui,  étant  entré  dans  les  ordres,  fut  professeur  dans 
divers  établissements  d'instruction  secondaire,  se  fit  élire  à  la  Cons- 
tituante et  à  la  Convention  où  il  vota  la  mort  de  Louis  XVL  Biblio- 
thécaire-archiviste du  ministère  de  la  Guerre  en  1797,  il  resta  en  fonc- 
tion jusqu'en  1815  et  fit  d'excellente  besogne;  exilé  comme  régicide, 
il  mourut  à  Bruxelles  en  1818).  —  Charles  Du  Bus.  L'avenir  des 
sociétés  savantes  ;  suite  et  fin.  —  Jean  Vallery-Radot.  Notre-Dame 
de  Paris;  sa  place  dans  l'histoire  de  l'architecture  médiévale.  = 
C. -rendus  :  E.-Ch.  Babut.  Saint-Martin  de  Tours  (savante  entreprise 
de  démolition).  —  Delehaye.  Saint  Martin  et  Sulpice  Sévère  (le 
savant  boUandiste  rétablit  avec  succès  les  idoles  renversées  par 
E.-Ch.  Babut.  Réhabilite  Sulpice  Sévère  et  donne  une  chronologie 
vraisemblable  de  saint  Martin).  —  J.  Despetis.  Nouvelle  chronologie 
des  évêques  d'Agde,  d'après  les  cartulaires  de  cette  église  (certains 
points  de  sa  liste  épiscopale  sont  sujets  à  caution).  —  Comte  Boulay 
de  La  Meurthe.  Pierre  Carreau  et  les  travaux  sur  l'histoire  de  Tou- 
raine  jusqu'à  Chalmel  (monographie  très  soignée).  —  J.  Gass.  Kons- 
titutionelle  Professoren  am  Strasburger  Priesterseminar  :  Dereser, 
Dorsch,  Ksemmerer,  Schwind  (quatre  biographies  de  prêtres  fana- 
tiques, tout  imprégnés  des  «  erreurs  »  venues  d'Allemagne  :  rationa- 
lisme, fébronianisme,  joséphisme,  panthéisme), 

10.  —  Le  Correspondant.  1921,  10  septembre.  —Henry  COCHIN. 
Dante  Alighieri  et  les  catholiques  français  :  Ozanam,  Sainte-Beuve 
(montre  comment  et  par  qui  Ozanam  fut  amené  à  l'étude  de  Dante, 
quelle  impression  ses  travaux  sur  Dante  firent  d'abord  sur  Sainte- 
Beuve,  alors  encore  romantique,  puis  très  refroidi  quand  il  eut  défini- 
tivement rompu  avec  les  catholiques).  —  Paul  Claudel.  Introduction 
à  un  poème  sur  Dante.  —  Altiar.  L'état  d'esprit  et  la  situation  en 
Grèce  (de  janvier  1920  à  juin  1921;  très  intéressant  témoignage, 
vivant,  passionné  contre  Vénizélos  et  son  parti  :  la  Grèce  n'a  jamais 
cessé  d'être  monarchiste.  C'est  ce  sentiment  national  qui  ramena  Cons- 
tantin sur  le  trône,  et  cette  restauration  a  rétabli  en  Grèce  la  liberté 
opprimée  par  la  tyrannie  vénizéliste.  Montre  à  quel  point  la  presse 
française  a  été  mal  informée  des  affaires  helléniques  depuis  le  début 
de  la  grande  guerre  jusqu'au  rétablissement  de  la  dynastie  et  encore 
au  delà).  —  Henri  Brkmond.  Pascal,  l'abbé  de  Villars,  et  la  première 
réfutation  des  «  Pensées  »  (très  curieuse  analyse  d'un  petit  opuscule 
publié  en  1G71  par  l'abbé  de  Villars,  un  cousin  de  Montfaucon;  cet 


292  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

opuscule,  intitulé  «  De  la  délicatesse  »,  contient  une  réfutation' en 
règle  du  traité  d'apologétique  chrétienne  ébauché  par  Pascal;  d'ail- 
leurs cet  abbé,  qui  cherche  querelle  à  Pascal,  n'a  cessé  de  l'admirer  et 
de  l'imiter).  =  25  septembre.  Pierre  Khorat.  Notes  sur  la  Cochin- 
chine.  —  Liber.  Hommes  du  jour  :  M.  Doumer.  —  A.  Guasco. 
L'œuvre  de  la  propagation  de  la  foi.  Un  siècle  d'histoire  (c'est  en  1822 
que  cette  œuvre  fut  fondée,  en  un  moment  où  les  missions  catholiques 
étaient  en  pleine  décadence  ;  elle  est  née  en  France  et  c'est  la  France 
qui  a  contribué  pour  la  grosse  part  à  constituer  les  revenus  dont  elle 
vit.  Jusqu'ici,  elle  a  été  administrée  par  deux  conseillers  généraux  sié- 
geant à  Lyon  et  à  Paris.  Avant  1914,  le  gouvernement  allemand  essaya 
d'une  organisation  séparée  qui  fut  aussitôt  condamnée  par  le  Saint- 
Siège;  mais,  en  1921,  le  pape  Benoit  XV  a  institué  un  troisième  con- 
seil central  siégeant  à  Rome,  et  sans  doute  faut-il  s'attendre  à  ce  que 
l'unité  de  l'œuvre  soit  encore  démembrée  au  détriment  de  la  France). 
—  L.  DE  Lanzac  de  Laborie.  Une  histoire  de  la  monarchie  consti- 
tutionnelle, 1814-1848  (celle  de  M.  Charléty;  beaucoup  d'éloges  tem- 
pérés par  quelques  restrictions.  Intéressantes  considérations  sur  la 
Restauration  et  le  gouvernement  de  Juillet).  —  Comte  Jean  de  Ker- 
GORLAY.  Une  vieille  colonie  anglaise  :  la  Jamaïque.  — Jean  Rivière. 
Le  catholicisme  de  saint  Augustin  (d'après  l'ouyrage  de  Mgr  Pierre 
Batiffol).  =  10  octobre.  J.  Maître.  Comment  garantir  efficacement  la 
paix  en  l'Europe  (en  organisant  une  Compagnie  internationale  des 
chemins  de  fer  rhénans,  de  Rotterdam  à  Bàle).  —  ***  Avant-propos  à 
la  conférence  de  Washington  (à  noter  surtout  ce  qui  est  dit  des  rap- 
ports du  Japon  avec  la  Chine,  ou  mieux  avec  les  différents  gouverne- 
ments chinois.  Quant  au  gouvernement  et  au  peuple  des  Etats-Unis, 
ce  qu'ils  veulent,  c'est  la  paix  et  le  désarmement  obtenus  après  un 
échange  de  vues  honnête,  franc,  sans  détour  ni  mystère).  —  Max  TuR- 
MANN.  Les  idées  et  les  faits  sociaux.  =  25  octobre.  Comte  Jean  de 
Pange.  Notre  politique  rhénane.  —  Edmond  Renard.  Un  cardinal  de 
curie.  Le  cardinal  Mathieu,  1899-1908  (importance  de  sa  situation  et 
de  son  rôle  dans  les  relations  entre  le  gouvernement  français  et  la 
cour  de  Rome).  —  Jules  Véran.  Le  septième  centenaire  de  la  Faculté 
de  médecine  de  Montpellier.  —  Comte  Armand  de  Kergorlay.  Paris 
charitable,  bienfaisant  et  social  (d'après  la  2«  édit.  du  volume  pubUé 
par  r  «  Office  central  des  œuvres  de  bienfaisance  »,  avec  une  préface 
de  son  président  :  René  Vallery-Radot). 

11.  —  Études.  Revue  fondée  par  des  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  1921,  20  juillet.  —  François  Datin.  Avant  la  Réforme  de  l'en- 
seignement secondaire;  fin  le  5  août  (approuve  tout  à  fait  le  projet  de 
M.  Léon  Bérard).  —  Pierre  Mertens.  La  légende  dorée  en  Chine. 
Maître  Song,  bonze  du  Bouddha  et  catéchiste  de  Jésus-Christ;  fin  le 
5  août  (histoire  d'une  conversion  du  bouddhisme  au  christianisme  à  la 
fin  du  siècle  dernier).  —  Ferd.  Cavallera.  Dante  et  son  œuvre;  suite 
(la  Divine  Comédie).  —  Joseph  Dassonville.  Chez  nos  cousins  les 


RECUEILS  PEBIODIQDES. 


293 


Canadiens  français  (la  défense  de  la  langue  française;  la  cause  fran- 
çaise pendant  la  guerre  et  le  loyalisme  des  Canadiens  envers  l'Angle- 
terre). —  Edward  F.  GaresCHÉ.  Le  premier  président  de  la  cour 
suprême  d'Amérique  :  Edward  Douglass  White.  —  Lucien  ROURE. 
Littérature  franciscaine  (l'anthologie  franciscaine  du  moyen  âge 
translatée  et  annotée  par  Maurice  Beaufreton;  V  «  Archivum  fran- 
ciscanum  historicum  »,  t.  XI-XIII).  =  C. -rendus  :  Johannes  Joer- 
gensen.  Sainte  Catherine  de  Sienne  (on  ne  peut  reprocher  au  livre  que 
l'excès  de  ses  qualités).  —  Adolphe  Reinach.  Textes  grecs  et  latins 
relatifs  à  l'histoire  de  la  peinture  ancienne  ;  t.  I  (la  période  classique 
et  une  partie  de  la  période  hellénistique;  plus  de  550  textes).  —  Fré- 
déric Masson.  La  vie  et  les  conspirations  du  général  Mallet  (toute 
sorte  de  renseignements  curieux).  ==  5  août.  Michel  d'Herbigny.  Le 
malheur  russe.  Comment  le  bolchevisme  peut-il  durer?  (contre  la  bar- 
barie nouvelle  l'Église  apparaît  comme  la  seule  force  efficace).  —  Paul 
DONCOEUR.  La  reconstruction  spirituelle  du  pays;  IIL  La  défense  et 
l'illustration  de  l'intelligence  française  ;  suite  le  20  août  et  le  5  septembre 
(grand  rôle  que  le  catholisme  doit  assumer  dans  cette  reconstruction).  = 
C. -rendus  :  Robert  de  La  Sizeranne.  Béatrice  d'Esté  et  sa  cour  (fait 
revivre  l'une  et  l'autre).  —  //.  Rodocanachi.  La  réforme  en  Italie  (n'a 
pas  saisi  les  causes  de  l'échec  du  protestantisme  dans  la  péninsule).  — 
H.  Carré.  La  noblesse  de  France  et  l'opinion  au  xviiP  siècle  (excellent). 

—  Marc  Chassaigne.  Le  pîocès  du  chevalier  de  La  Barre  (le  fameux 
chevalier  était  en  réalité  un  jeune  libertin).  =20  août.  Joseph  Huby.  Le 
problème  juif.  L  Les  Juifs  à  la  conférence  de  la  paix  (les  Juifs  ont  été 
les  enfants  gâtés  à  la  conférence  de  la  paix.  Les  clauses  relatives  au 
sionisme  «  sont  désordonnées  et  pleines  de  péril.  »).  —  Michel  d'Herbi- 
gny. Anglicans  et  Orthodoxes.  L  En  Grèce  et  à  Constantinople  (parle 
d'un  rapprochement  entre  les  orthodoxes  de  Grèce  et  les  anglicans  et 
de  la  reconstitution  de  la  «  seconde  »  Rome,  celle  de  Photius  et  de 
Michel  Cérulaire,  soustraite  à  l'autorité  de  la  première  Rome).  — 
M.-J.  RouËT  DE  JouRNEL.  Le  congrès  de  musique  sacrée  de  Stras- 
bourg (début  d'août  1921).  =  C. -rendus  :  Cardinal  de  Retz.  Supplé- 
ment à  la  correspondance,  édité  par  Claude  Cochin  (important).  — 
René  Doumic.  Saint  Simon  (analyses  pénétrantes).  — ■  Comman- 
dant H.  Weil.  D'Ulm  à  léna  (édite  des  lettre  de  Gentz  à  Jackson, 
1804-1806,  trouvées  au  Record  Office).  —  E.  Lavaquery.  Le  cardi- 
nal de  Boisgelin,  1732-1804  (le  cardinal  a  trouvé  un  historien  digne  de 
lui).  =  5-20  septembre.  Joseph  Huby.  Le  problème  juif.  IL  Sionisme 
et  assimilation  (le  triomphe  du  sionisme  sera  une  menace  pour 
la  paix  de  la  Syrie  ;  il  faudrait  souhaiter  l'assimilation  ;  mais  elle  est 
impossible).  —  Henri  du  Passage.  La  semaine  sociale  de  Toulouse 
(fin  juillet  1921;  ses  résultats).  =  5  octobre.  Paul  Dudon.  Le 
R.  P.  Raoul  de  Scorraille  (f  M  juillet  1921;  article  nécrologique). 

—  Michel  d'Herbigny.  Anglicans  et  «  orthodoxes  ».  II.  En  Yougo- 
slavie (insiste  sur  les  progrès  faits  en  Yougo-Slavie  par  les  épis- 


294  RECUEILS   PERIODIQDES. 

copaliens  d'Angleterre  et  d'Amérique  :  ces  progrès  favorisent  en  réa- 
lité ceux  des  catholiques).  =  G. -rendus  :  Ch.  Filliâtre.  La  phi- 
losophie de  saint  Anselme  (consciencieux).  —  René  Brunet.  La 
constitution  allemande  du  11  août  1919  (utile).  —  M.  Jugie.  Photius 
et  la  primauté  de  saint  Pierre  et  du  pape  (important).  —  Von  Pastor. 
Geschichte  der  Pàpste  seit  dem  Ausgang  des  Mittelalteri  ;  t.  VII  et  VIII 
(consacré  le  premier  à  Pie  IV,  1559-1565,  le  second  à  Pie  V,  1566- 
1572;  tout  à  fait  remarquable).  —  Vitae  paparum  avenionensium. 
Nouvelle  édition  par  l'abbé  Mollat,  t.  I  (excellent). 

12.  —La  Grande  Revue.  1921,  août.  —  A.  Aulard.  Un  doctorat 
en  Sorbonne  :  M.  Chassaigne  et  le  chevalier  de  La  Barre  (montre 
comment  on  est  admis  à  présenter  et  à  soutenir  des  thèses  pour  le 
doctorat  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris,  et  raconte  la 
soutenance  de  M.  Chassaigne  qui,  pour  son  étude  sur  le  chevalier  de 
La  Barre,  obtint  le  grade  de  docteur  avec  la  mention  très  honorable. 
En  somme,  on  trouvera  ici  un  exposé  détaillé  de  cette  cause  célébré 
qu'on  a  eu  le  tort,  paraît-il,  de  considérer  comme  un  acte  d'intolérance 
imputable  au  clergé.  En  toute  cette  affaire,  Voltaire  fut  léger,  haineux 
et  de  mauvaise  foi  ;  la  conduite  de  l'évêque  d'Amiens  au  contraire  a  été 
irréprochable).  —  Augustin  Hamon.  La  crise  du  socialisme  mondial. 

—  Eugenio  Rignano.  La  désorientation  du  socialisme  européen.  =  Sep- 
tembre. Paul  Degouy.  Quelques  jours  à  Wiesbaden.  —  Léon  Lemo- 
NiER.  Baudelaire  au  lycée  Louis-le-Grand,  d'après  des  documents  iné- 
dits (1836-1838;  ses  plus  notables  succès  scolaires  ont  été  en  vers 
latins;  quant  à  l'histoire,  elle  lui  paraissait  «  parfaitement  inutile  »)• 

—  Victor  Gastilleur.  La  ville  des  rois  et  des  tombeaux  (Hué).  — 
René  Lote.  L'avenir  de  l'intelligence. 

13.  —  Mercure  de  France.  1921,  l^""  septembre.  -—  D""  Louis. 
HuOT.  L'âme  noire  :  les  religions  et  les  croyances  des  nègres  centre- 
africains  (l'auteur  consigne  le  résultat  d'observations  personnelles 
recueillies  pendant  plusieurs  années  de  séjour  dans  le  Centre-Afrique; 
à  noter  ce  qu'il  dit  sur  l'évolution  des  croyances  religieuses  et  sur  leurs 
rapports  avec  les  autres  religions.  Il  estime  en  définitive  que  le  nègre 
est  susceptible  de  culture  intellectuelle  et  d'éducation  morale).  —  J 
Georges  Maurevert.  Généalogies  fabuleuses  et  réalités  héréditaires; 
suite  et  fin  (amusantes  constatations).  —  Florian  Delhorbe.  Dante 
critique  littéraire  (d'après  son  traité  «  De  vulgari  eloquentia  »).  —  J.  W. 
Bienstock.  Les  mémoires  du  comte  Witte  (ces  mémoires  présentent 
un  intérêt  considérable).  =  15  septembre.  Canudo.  L'heure  de  Dante 
et  la  nôtre  (expose  comment  r«  humanité  nerveuse  »  de  Dante  «  plaît 
très  particulièrement  à  notre  orgueil  moderne  par  son  actuelle  préci- 
sion »).  —  André  DuBOSGQ.  Les  relations  sino-françaises  en  face  de  li 
question  d'Extrême-Orient.  —  Edmond  Barthélémy.  Gerbert,  Syl- 
vestre II  (longue  analyse  et  vif  éloge  de  la  biographie  de  ce  pape.par  le  duc 
de  La  Salle  de  Rochemaure).  —  ***  Les  limites  de  la  compétence  entre  la 


aECDEILS   PÉRIODIQUES.  295 

Société  des  nations  et  le  Conseil  suprême  (à  propos  de  l'affaire  d'Alba- 
nie; expose  et  discute  la  thèse  présentée  par  A.  F.  Frangulis,  ministre 
de  Grèce).  ==  i^"  octobre.  Jean  Topass.  La  Pologne  a-t-elle  son  art?  (oui, 
un  art  qui  est  bien  à  elle).  —  D""  Louis  HuOT.  L'âme  noire  :  la  femme 
chez  les  primitifs  centre-africains  (sa  valeur  au  point  de  vue  de  l'intelli- 
gence, du  caractère  et  des  sentiments;  sa  situation  sociale).  —  Georges 
Matisse.  La  transmutation  (sic)  de  la  sociologie.  —  René  de  Weck. 
Ferdinand  Hodler  (biographie  de  ce  célèbre  peintre  suisse,  1853-1918; 
son  œuvre  d'après  ce  qui  en  a  été  exposé  à  Berne).  =:  15  octobre. 
D''  Louis  HuoT.  L'âme  noire  :  l'homme  primitif  centre -africain 
(étude  psychologique  dont  on  pourra  tirer  profit  pour  l'intelligence 
rudimentaire  du  nègre). 

14.  —  La  Revue  de  France.  1921,  15  septembre.  —  Marianne 
Damad.  Souvenirs  de  famille  et  d'Orient  (l'auteur,  arménienne  de  nais- 
sance, mais  ayant  toujours  vécu  à  Constantinople  jusqu'à  son  départ  en 
1876  pour  la  France,  qu'elle  n'a  plus  quittée,  note  les  observations  qu'elle 
a  recueillies  sur  ses  compatriotes  depuis  environ  l'année  1845  jusqu'à 
cette  date  de  1876).  —  R.  Recouly.  Pour  mieux  défendre  nos  inté- 
rêts («  M.  Lloyd  George  est  le  politicien  le  plus  adroit,  le  plus  rusé, 
le  plus  retors  qui  soit  au  monde  ».  Dans  l'affaire  de  la  Haute-Silésie, 
il  a  réussi  à  duper  à  la  fois  Wilson  et  Clemenceau,  d'abord  hostiles 
au  plébiscite  et  qui  en  ont  ensuite  accepté  le  funeste  principe  ;  puis  il 
a  mis  à  profit  les  erreurs  de  notre  diplomatie  pour  faire  triompher 
avant  tout  les  intérêts  de  l'Angleterre  commerçante  et  financière;  et 
ces  intérêts  sont  liés  à  ceux  de  l'Allemagne).  —  Gustave  Charlier. 
Molière  et  les  nouveaux  riches  (c'est  sans  doute  ces  derniers,  les  «  pro- 
fi  teurs  »  de  la  Fronde  et  de  la  guerre  contre  l'Espagne,  que  Molière  visait 
en  écrivant  les  Précieuses  ridicules;  il  a  noté  un  des  résultats  de  la 
crise  sociale  qui,  à  ce  moment,  bouleversa  les  conditions  économiques). 
=  l»""  octobre.  R.  Recouly.  L'Angleterre  et  nous  (il  faut  savoir  parler 
aux  Anglais,  les  mettre  au  courant  de  questions  vitales  pour  nous  et 
qu'ils  ignorent.  Une  entente  cordiale  avec  les  États-Unis  nous  met- 
trait en  bonne  posture  pour  discuter  avec  eux  ;  car,  si  les  Anglais  ont 
le  respect  de  l'honneur  et  ne  renient  pas  leurs  engagements  envers 
la  France,  ils  ont  aussi  le  respect  des  forts  et  ils  écouteront  nos  légitimes 
revendications  s'ils  nous  voient  bien  appuyés).  —  Ambroise  GoT. 
SociaUstes  allemands  (Hugo  Haase,  le  docteur  Rudolf  Breitscheid, 
Wilhelm  Dittmann).  —  Pierre  du  Colombier.  Les  inspirateurs  français 
de  Nietzsche  (d'après  le  livre  d'Andler).  —  Maria  Tastevin.  Les  amis 
oubliés  de  Port-Royal  (d'après  le  livre  de  M°»e  Julie  Berliet).  — -  E.  RODO- 
CANACHL  En  marge  de  l'histoire  (d'après  M.  Catalano  :  «  Lucrezia  Bor- 
gia  con  nuovi  documenti  »,  1921).  =  15  octobre.  Raymond  Recouly. 
Où  en  est  l'Allemagne?  (l'Allemagne  de  1921  est  redevenue  un  pays 
d'ordre,  de  tranquillité,  de  sécurité,  de  discipline;  désarmée,  elle  ne 
parait  pas  avoir  le  désir  de  recommencer  la  guerre  de  sitôt.  Tout  notre 
effort  doit  porter  sur  les  «  réparations  »).  —  Charles  Schmidt.  Ce  qu'il 


296  RECDEILS   PERIODIQUES. 

faut  savoir  de  la  Rhénanie  française  (c'est  qu'elle  n'est  pas  réfrac- 
taire  à  l'influence  française  ;  que,  sans  briser  avec  les  organisations 
implantées  par  la  Prusse  depuis  cent  ans,  elle  trouvera  profit  à  renouer 
ses  rapports  économiques  et  moraux  avec  la  France  de  la  Révolu- 
tion et  de  l'Empire). 

15.  —  La  Revue  de  Paris.  1921,  15  septembre.  —  Général  Mes- 
SiMY.  Comment  j'ai  nommé  Gallieni  (malgré  l'opposition  du  général 
Jofïre  et  la  résistance  opposée  par  le  gouverneur  militaire  de  Paris, 
général  Michel,  Gallieni  fut  nommé,  le  26  août;  il  avait  d'ailleurs 
exigé  auparavant  que  l'on  mît  à  sa  disposition  trois  corps  d'armée 
actifs  afin  de  pouvoir  défendre  Paris.  Jofïre  voulait  au  contraire  que 
toutes  les  troupes  disponibles  lui  fussent  envoyées,  afin  d'enfoncer  le 
centre  de  l'armée  allemande  et  jeter  son  aile  droite  à  la  mer.  Jofïre 
traitait  Paris  de  quantité  négligeable,  Gallieni  estimait  au  contraire 
qu'il  fallait  à  tout  prix  défendre  la  capitale).  —  Capitaine  Koeltz.  Au 
tournant  de  la  Marne  (il  s'agit  de  savoir  qui  a,  le  9  septembre  1914, 
entre  midi  et  13  heures,  ordonné  la  retraite  des  !•■«,  II*  et  III«  armées 
allemandes  et  si  cette  retraite  était  nécessaire.  Plusieurs  écrivains 
militaires  allemands  ont  prétendu  qu'elle  ne  l'était  pas.  L'auteur  de 
l'article  répond  ;  plus  la  II«  armée  serait  restée  au  sud  de  la  Marne, 
plus  sa  défaite  aurait  été  grave.  «  Von  Bùlow  sauva  son  armée  du 
désastre  en  la  repliant  dès  le  9  septembre  ;  à  cette  date,  il  était  trop  tard 
pour  ramener  la  victoire  sous  les  aigles  allemandes  »).  —  R.  deTraz. 
Henri-Frédéric  Amiel  (à  l'occasion  de  son  centenaire).  —  Camille  PiCA- 
VET.  La  légende  de  Turenne  aux  xvii®  et  xviiP  siècles  (expose  com- 
ment la  personne  morale  de  Turenne  a  été  déformée,  idéalisée,  par 
les  orateurs  de  la  chaire  et  par  les  écrivains,  notamment  Fléchier, 
Massillon,  Ramsay).  —  Henri  d'Alméras.  Dante,  étudiant  à  Paris 
(il  paraît  bien  avoir  passé  environ  six  ans  à  Paris,  de  1308  ou  1309 
jusqu'en  1314;  mais  il  n'y  fut  pas  étudiant,  approchant  alors  de  la  cin- 
quantaine ;  il  s'y  adonna  simplement  à  l'étude  sans  préparer  ni  subir 
aucun  examen).  =:  l^r  octobre.  Baron  Beyens.  La  Belgique  pendant 
la  guerre  (comment  elle  fut  administrée  sous  la  surveillance  tracas- 
sière  de  l'autorité  allemande,  elle-même  asservie  aux  volontés  de 
l'État-major).  —  Lieutenant-colonel  Requin.  L'exécution  du  traité  dans 
la  Sarre  (expose  comment  a  été  organisée  l'administration  de  ce  pays 
sous  l'autorité  supérieure  de  la  Société  des  nations).  —  Marcel  Fos- 
SEYEUX.  Sages-femmes  et  nourrices  à  Paris  au  xviii*  siècle.  —  Louis 
Laloy.  Un  précurseur  du  drame  lyrique  ;  Claudio  Monteverdi  (d'après 
sa  biographie  par  Louis  Schneider).  =15  octobre.  Baron  Beyens.  La 
Belgique  pendant  la  guerre.  Les  protagonistes  du  drame  (Adolphe 
Max,  bourgmestre  de  Bruxelles;  Théodor,  bâtonnier  de  l'ordre  des 
avocats  ;  le  cardinal  Mercier,  ses  rapports  avec  von  der  Goltz  et  avec 
von  Bissing  ;  Emile  Solvay,  le  grand  organisateur  du  Comité  national 
de  secours  et  d'alimentation  ;  Herbert  Clarke  Hoover,  directeur  amé- 
ricain de  la  «  Commission  for  relief  »  ;  le  ministre  d'Espagne,  mar- 


RECUEILS  PÉBIODIQOES.  297 

quis  de  Villalobar  ;  Jean  Jadot,  gouverneur  de  la  «  Société  générale  » 
de  Belgique).  —  Pierre  Lasserre.  Renan  au  séminaire  Saint-Nico- 
las du  Chardonnet.  le""  art.  (où  il  est  surtout  question  du  directeur  du 
séminaire,  abbé  Dupanloup,  et  de  la  part  qu'il  prit  à  la  «  rétractation  » 
in-extremis  de  Talleyrand).  —  Jacques  Bouis.  La  dernière  bataille  de 
Champagne  (notes  d'un  agent  de  chasseurs  à  pied,  du  23  septembre 
au  3  octobre).  —  Georges  Weill.  A  propos  d'enseignement  secon- 
daire. —  Maurice  Valus.  Un  grand  écrivain  espagnol  :  Miguel  de 
Unamuno.  —  Antoine  Albalat.  La  langue  française  et  le  style 
archaïque.  =  l*""  novembre.  Général  Michel.  Paris  en  août  1914. 
Réponse  au  général  Messimy  («  le  récit  publié  parlaiîeuue  de  Paris 
contient  des  inexactitudes  et  des  lacunes...  Je  n'ai  été  ni  «  limogé  » 
en  1911,  ni  «  débarqué  »  en  1914;  deux  fois,  sans  mot  dire,  je  suis 
rentré  simplement  dans  le  rang,  pour  continuer  à  y  servir  à  la  place 
où  le  Gouvernement  jugeait  convenable  de  m'employer  »).  —  Igno- 
TUS.  Études  et  portraits  :  M.  Alexandre  Millerand.  —  Pierre  Las- 
serre.  Renan  au  séminaire,  II  (comment  Renan  juge  dans  ses  lettres 
et  dans  ses  souvenirs  l'enseignement  qu'il  reçut  à  Saint-Nicolas; 
succès  qu'il  remporta  dans  ses  classes  en  latin,  en  histoire;  d'ailleurs 
médiocre  en  français).  —  François  Denjean.  Le  mouvement  révolu- 
tionnaire en  Espagne  depuis  1918. 

16.  —  Revue  des  Deux  Mondes.  1921,  15  septembre.  —  Maré- 
chal Fayolle.  Au  pays  de  l'érable.  Journal  de  la  mission  française 
au  Canada.  —  Paul  Hazard.  Les  plagiats  de  Stendhal.  —  L.  Paul- 
Dubois.  Le  drame  irlandais.  I.  Les  origines,  1914-1918.  —  André 
Hallays.  Jean  de  La  Fontaine.  IV  (la  vieillesse,  la  conversion  et  la 
mort;  mort  toute  chrétienne  d'un  homme  sincère  et  candide.  «  Je  ne 
sais  s'il  a  menti  de  sa  vie  »,  écrivit  après  sa  mort  son  vieil  ami  le 
chanoine  Maucroix).  —  Norbert  Sevestre.  Une  campagne  type  de 
propagande  allemande  :  «  La  honte  noire  »  (cette  campagne,  dont  un 
des  objets  consiste  à  mettre  à  profit  l'hostilité  des  Américains  contre 
les  nègres  et  à  persuader  au  gouvernement  des  États-Unis  de  retirer 
le  corps  d'occupation  qu'il  entretient  encore  sur  le  Rhin  afin  de 
maintenir  l'union  des  Alliés  contre  l'Allemagne  vaincue  et  impatiente 
de  reprendre  sa  revanche,  est  un  monument  de  «  mensonge,  haine  et 
mauvaise  foi  ».  Elle  continue  d'ailleurs  sournoisement  ou  rageuse- 
ment, avec  la  complicité  manifeste  du  gouvernement  allemand).  — 
Louis  Gillet.  Dante  à  Ravenne  (d'après  l'ouvrage  de  Corrado  Ricci  ; 
«  L'ultimo  rifugio  di  Dante  »).  =:  1"  octobre.  Gustave  Lanson.  L'ex- 
pansion française  à  l'étranger.  Écrivains  français  en  Hollande  pen- 
dant la  deuxième  moitié  du  xvii«  siècle  (d'après  le  remarquable 
ouvrage  de  Gustave  Cohen).  —  L.  Paul-Dubois.  Le  drame  irlandais. 
II.  Le  Sinn-fein  et  la  guerre  anglo-irlandaise,  1918-1921  (étude  pré- 
cise et  impartiale  du  drame  terrible  qui  se  joue  actuellement  en 
Irlande).  —  Saint-Denis,  dit  Ali,  second  mameluk  de  l'Empereur; 
fin  :  la  mort  et  les  funérailles  de  l'Empereur  (très  circonstancié  et 


298  EECUEIIS  PÉRIODIQUES. 

émouvant).  —  Henriette  Célarié.  Impressions  de  Vienne  (aspect  de 
la  ville  depuis  l'armistice  ;  les  prix  ;  le  service  d'espionnage  exercé  par 
le  concierge,  «  ange  gardien  »  de  ses  locataires  ;  Budapest  et  l'équipée 
du  roi  Charles).  — ,  André  Bellessort.  Un  collège  d'autrefois  :  le 
vieux  Louis-le-Grand  (d'après  l'histoire  de  ce  lycée  par  G.  Dupont- 
Ferrier,  dont  le  tome  I  vient  de  paraître).  =  15  octobre.  Vice-amiral 
FouRNiER.  Autour  du  traité  de  Tien-Tsin.  Souvenirs  diplomatiques 
(hommes  et  choses  du  Céleste  Empire  de  1878  à  1880;  rapports  de 
Fauteur,  alors  simple  commandant  de  la  canonnière  Lynx,  avec 
Li-Hong-Tchang,  vice-roi  du  Tchi-li.  Situation  de  la  France  dans 
l'Annam  et  au  Tonkin  en  décembre  1882.  Comment  se  fit  le  traité  de 
Tien-Tsin,  le  11  mai  1884.  Vivant  et  instructif ,  l'auteur  ayant  été  l'ins- 
trument décisif  dans  l'élaboration  et  la  conclusion  de  ce  traité).  — 
A.  Augustin-Thierry.  Augustin  Thierry  d'après  sa  correspondance 
et  des  papiers  de  famille.  I.  La  jeunesse  (Thierry,  brillant  élève  au 
collège  de  Blois,  à  l'École  normale,  professeur  à  Compiègne,  secré- 
taire de  Saint-Simon  de  1814  à  1817).  —  Paul  Heuzé.  A  l'aide  de 
l'Italie.  La  traversée  des  Alpes  en  automobile  par  les  troupes  fran- 
çaises, octobre-novembre  1917  (très  intéressant).  —  Raphaël-Georges 
LÉVY.  Saine  monnaie  et  saines  finances  (véritable  nature  de  la  mon- 
naie; inflation  de  la  monnaie  de  papier  après  la  guerre.  Conséquences 
et  remèdes).  —  Victor  Giraud.  Chateaubriand  romanesque  et  amou- 
reux. —  Henry  Bidou.  Voyage  en  Uruguay.  =  1"  novembre.  René 
PiNON.  Une  phase  nouvelle  de  la  lutte  pour  le  Pacifique  (à  propos  de 
la  conférence  de  Washington).  —  A.  Augustin-Thierry.  Augustin 
Thierry.  II.  Une  révolution  en  histoire  (expose  comment  la  politique, 
où  l'avait  initié  Saint-Simon,  conduisit  Augustin  Thierry  à  l'histoire  : 
secrétaire  du  Censeur  européen,  où  il  publie  ses  Révolutions  d'An- 
gleterre^ prélude  à  son  Histoire  de  la.  conquête,  il  accepte  d'écrire, 
pour  deux  cents  francs  par  mois,  les  discours  de  Laffitte.  Il  est  à  cette 
époque  un  Ubéral  ardent,  admirateur  de  La  Fayette.  Il  donne  ses 
Lettres  sur  Vhistoire  de  France  au  Courrier  français,  qui  a  suc- 
cédé au  Censeur  européen,  brutalement  supprimé.  Désormais,  il  est 
un  maître  et  c'est  à  ce  moment  qu'il  commence  à  perdre  la  vue).  — 
Jean  de  Seillon.  Chez  les  moines  de  l'Athos  un  jour  de  Toussaint 
(1909).  —  André  Beaunier.  La  jeunesse  de  Tallemant  des  Réaux. 

17.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances.  1921,  janvier-février.  —  D'"  A.-E.  Cowley.  L'ins- 
cription bilingue  araméo-lydienne  de  Sardes  (tentative  de  traduction 
des  deux  textes  qui  ne  correspondent  pas  exactement,  comme  on 
l'avait  cru  jusqu'ici).  —  Rapport  du  secrétaire  perpétuel  sur  la  situa- 
tion des  publications  de  l'Académie  pendant  le  deuxième  semestre 
1920  (le  travail  des  Fouillés  a  surtout  été  poussé).  —  Nicolas  Iorga. 
Fouilles  faites  à  Curteu  de  Arges  (l'église  d'Arges  n'a  été  fondée  qu'au 
xiv«  siècle  ;  influences  occidentales  qui  se  firent  sentir  à  cette'  époque 
en  Valachie).  —  Th.  Homolle.  Rapport  sur  les  travaux  des  Ecoles 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  299 

françaises  d'Athènes  et  de  Rome  durant  l'année  1919-1920.  —  Jules 
Baillet.  Marc-Aurèle,  Lucius  Vérus  et  le  gouverneur  Catulinus  à 
Thèbes  d'Egypte  (les  empereurs  Marc-Aurèle  et  Vérus  n'ont  point 
visité  les  Syringes;  là  où  l'on  a  cru  lire  leur  nom,  il  s'agit  d'autres 
personnages,  particulièrement  d'un  gouverneur  de  la  Thébaïde,  Lucius 
Aurelius  Catulinus). 

Autriche. 

18.  —  Historische  Blaetter.  Herausgegeben  vom  Haus-  Hof- 

und  Staatsarchiv  in  Wien,  geleitet  von  Otto  H.  Stowasser,  1  Jahr. 
1921,  1  Heft.  —  Dans  une  courte  introduction,  il  est  expliqué  qu'en 
principe  la  Revue  nouvelle  devait  servir  à  faire  connaître  les  travaux 
historiques  appuyés  sur  les  documents  dès  Archives  de  cour  et  d'état 
de  Vienne  ;  ensuite  le  cadre  a  été  élargi  en  une  revue  historique  plus 
générale,  traitant  de  l'histoire  de  toute  l'Europe  occidentale,  puisque 
aussi  bien  on  trouve  dans  les  archives  de  Vienne  des  documents  sur 
toute  cette  histoire  ;  enfin  il  a  été  décidé  qu'on  accueillera  non  seule- 
ment des  travaux  sur  l'histoire  proprement  dite,  mais  sur  l'histoire  de 
la  civilisation,  de  la  littérature,  des  beaux-arts,  musique,  philosophie, 
poUtique,  etc.  —  G.  von  Below.  Les  relations  de  l'historiographie 
allemande  avec  la  romantique  et  la  philosophie  de  Hegel  (l'influeiice 
de  la  romantique  sur  Savigny,  Eichhorn,  Grimm,  Ranke  a  été  consi- 
dérable; celle  de  la  philosophie  de  Hegel  est  moins  apparente;  à 
suivre).  —  Harold  Steinacker.  Nécessités  historiques  d'une  politique 
allemande  (discours  prononcé  le  19  janvier  1921  à  l'inauguration  de 
l'Université  d'Innsbruck  ;  célèbre  l'unité  allemande  et  termine  par  ce 
jeu  de  mots  :  «  Das  Reich  muss  uns  doch  bleiben  »).  -r-  Otto  Car- 
TELLiERi.  Le  «  pas  de  la  dame  Sauvaige  »  à  la  cour  de  Charles  le 
Téméraire  de  Bourgogne  (tournoi  tenu  à  Gand  par  Claude  de  Vau- 
drey  en  1469,  n.  st.;  le  récit  contemporain  d'Olivier  de  la  Marche  a  été 
publié  par  B.  Prost,  Paris,  1878).  —  Alfred  Stein.  Wit  von  Dôrring 
au  service  de  l'Autriche  (fin  1859  et  début  de  1860,  d'après  des  lettres 
trouvées  dans  les  Archives  de  la  cour  et  de  l'Etat).  —  Arnold  Wink- 
LER.  La  correspondance  de  l'archiduc  Jean  avec  la  chancellerie 
d'État  à  propos  de  la  question  du  Sunderbund  (série  de  lettres  de 
1846).  —  Auguste  Fournier.  La  politique  européenne,  de  1812  au 
premier  traité  de  Paris  (ces  pages  devaient  servir  de  chapitre  prélimi- 
naire à  un  volume  sur  le  congrès  de  Vienne  et  ont  été  écrites  peu  de 
temps  avant  la  mort  de  Fournier).  —Alexandre  Cartellieri.  L'Alle- 
magne et  la  France  en  1912,  par  une  enquête  du  Figaro  en  Alle- 
magne (d'après  le  livre  de  Georges  Bourdon  ;  on  en  tire  cette  conclusion 
qu'à  cette  date,  après  Agadir,  personne  en  Allemagne  ne  songeait  à  la 
guerre).  —  Julius  Szekfu.  L'historiographie  hongroise  et  les  archives 
de  Vienne  (ce  qui  a  été  tiré  de  ces  archives  pour  l'histoire  de  Hongrie 
depuis  1846,  où  parut  le  premier  volume  de  l'œuvre  de  Paul  von 
Jàszays;  le  rôle  de  l'Institut  historique  hongrois  créé  à  Vienne  dans 


300  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

l'été  de  1920).  —  Friedrich  Schneider.  Tedeschi  lurchi  ou  tedeschi 
lurchi?  (dans  un  vers  de  l'Enfer  de  Dante,  XVII,  21,  Dante  traite- 
t-il  les  Allemands  de  lurchi,  c'est-à-dire  de  goulus,  ou  s'agit-il  d'am- 
phibies allemands,  tedeschi  étant  une  épithète  et  non  un  nom 
propre?  La  question  reste  ouverte). 

Belgique. 

19.  —  Analecta  BoUandiana.  Tome  XXXIX,  fasc.  1-2  (avril 
1921).  —  Le  R.  P.  François  Van  Ortroy  (décédé  le  20  septembre 
1917;  il  était  le  doyen  de  la  Société  des  BoUandistes  ;  sa  vie  et  .ses 
œuvres).  —  H.  Delehaye.  Martyr  et  confesseur  (sens  et  emploi  de 
ces  expressions  dans  les  textes  de  la  primitive  Eglise  ;  le  mot  ixàpTu; 
désigne  tout  d'abord  le  Christ,  le  «  martyr  par  excellence  »,puis  ceux 
qui  ont  été  les  témoins  attitrés  de  la  vie  et  de  la  résurrection  de 
Jésus,  les  apôtres;  puis  ceux  qui,  à  l'imitation  parfaite  du  Christ,  sont 
morts  pour  leur  foi.  Le  confesseur  est  celui  qui  déclare  sa  foi,  mais 
dont  la  vie  a  été  épargnée).  —  Paul  Peeters.  Les  traductions  orien- 
tales du  mot  martyr  ;  note  complémentaire  à  l'article  précédent  (sens 
du  mot  en  copte,  en  syriaque,  en  arabe,  en  arménien,  dans  la  langue 
géorgienne).  —  Id.  Un  miracle  des  saints  Serge  et  Théodore  et  la 
Vie  de  saint  Basile,  dans  Fauste  de  Byzance  (Fauste  a  utilisé  deux 
sources  différentes  qui  ont  brodé  des  variantes  sur  un  même  thème 
légendaire,  s'appliquant  dans  l'une  à  la  mort  de  Valens,  dans  l'autre 
à  celle  de  Julien  ;  le  texte  grec  qu'il  a  mis  à  contribution  est  à  la  fois 
une  des  sources  de  la  Vie  de  Basile  actuellement  connue  et  le  proto- 
type de  tous  les  récits  merveilleux  qui  ont  pullulé  sur  le  cadavre  de 
Julien  l'Apostat).  —  M.  Coens.  Vita  sancti  Hilarii  Auciacensis,  con- 
fessoris  in  Cenomannorum  finibus  (il  s'agit  de  Saint-Hilaire  d'Oizé, 
Sarthe,  cant.  de  Pontvallain  ;  étude  sur  les  sources  de  cette  Vie,  qui 
nous  a  été  conservée  dans  un  ms.  de  la  Bodléienne  et  qui  est  une 
falsification  du  xii^  siècle.  Publie  le  texte  et  indique  les  sources  où 
l'auteur  a  puisé).  —  H.  Quentin,  0.  S.  B.  La  liste  des  martyrs  de 
Lyon  de  l'an  177  (nouvelle  tentative  pour  reconstituer  cette  liste  qui  doit 
être  fixée  au  nombre  de  quarante-huit).  —  Robert  Lechat.  Lettres  de 
Jean  de  Tagliacozzo  sur  le  siège  de  Belgrade  et  la  mort  de  saint  Jean 
de  Capistran  (1456).  =  C. -rendus  :  Edm.  Bis  hop.  Liturgica  historica 
(important).  —  Pourrai.  La  spiritualité  chrétienne.  Des  origines  de 
l'Église  au  moyen  âge  (bonne  mise  au  point).  —  Jos.  Schrijnen. 
Essays  en  studien  in  vergelijkende  Godsdienstgeschiedenis  (intéressant 
recueil  d'articles  sur  l'hagiographie  et  le  folklore).  —  J.-B.  Rossi. 
Inscriptiones  christianae  urbis  Romae  septimo  saeculo  antiquiores; 
édit.  J.  Gatti.  Voluminis  I  supplementum  ;  fasc.  1  (supplément,  com- 
pléments et  rectifications).  —  Magistretti  et  Mônneret  de  Villard. 
Liber  notitiae  sanctorum  Mediolani  (belle  édition  de  l'ouvrage,  qui  fut 
compilé  vers  le  milieu  du  xiii«  siècle  par  Geoffroi  de  Bussero,  chapelain 


RECDEILS  PERIODIQUES. 


301 


de  Rovello,  diocèse  de  Milan).  —  C.-J.  Cadoux.  The  early  Christian 
attitude  to  war  (utile  recueil  de  textes).  —  J.  P.  Waltzing.  Tertul- 
lien;  apologétique  (excellente  édition).  —  Oriens  christianus  (nouv. 
série,  t.  II-VII,  1912-1918).  —  O.  R.  Vassal- Philipps.  The  work  of 
s.  Optatus,  bishop  of  Milevis  against  the  Donatists  (bonne  édition).  — 
J.  Herwegen.  Der  heilige  Benedikt  (portrait  d'une  belle  tenue  litté- 
raire). —  Guise.  Saint  Sigisbert,  roi  d'Austrasie,  630-656  (agréable 
amplification).  —  R.  Aigrain.  Sainte  Radegonde,  520-587  (intéres- 
sant). —  W.  Peitz.  Martin  I  und  Maximus  Confesser  (bon  travail 
critique  sur  le  conilit  des  monothélites  en  645-668).  —  E.  Caspar. 
Studien  zum  Register  Gregors  VIT  (excellente  étude  qui  contient  des 
observations  neuves  sur  le  fonctionnement  de  la  chancellerie  pontifi- 
cale). —  Rotha  M.  Clay.  The  hermits  and  an,-achorites  of  England 
(très  intéressant).  —  Ch.  Singer.  Studies  in  the  history  and  method 
of  science  (recueil  d'articles  intéressants  pour  l'histoire  de  la  philo- 
sophie et  de  la  médecine).  —  Divers  travaux  sur  sainte  Hildegarde  de 
Bingen  (par  Erich  Wassmann,  Johannes  May,  Hélène  Riesch,  Louis 
Baillet,  Jos.  Gmelch).  —  Eyirique  Vacas  Galindo.  San  Raimundo  de 
Pefiafort,  fundator  de  la  orden  de  la  Merced  (élimine  impitoyablement 
de  nombreux  actes  faux  qui  troublent  les  origines  de  l'ordre  de  la 
Merci.  Plusieurs  autres  ouvrages  sur  le  même  sujet  de  F.  D.  GazuUa, 
R.  Serratosa,  Michel  Éven,  P.  W.  Pérez).  —  Little,  James  et  Ban- 
nister.  CoUectanea  franciscana.  —  P.  Sabatier.  Franciscan  essays  (à 
signaler  surtout  l'étude  du  P.  Robinson  sur  sainte  Claire).  —  Diverses 
études  sur  Engelbert  de  Cologne.  —  Jos.  Kuczynski.  Le  bienheureux 
Guala  de  Bergame,  0.  P.,  évéque  de  Brescia,  paciaire  et  légat  ponti- 
fical, f  1244  (jette  un  peu  plus  de  lumière  sur  l'histoire  de  l'inquisi- 
tion). —  J^.  B.  Herman.  La  pédagogie  des  Jésuites  au  xvp  siècle; 
ses  sources,  ses  caractéristiques  (important). 

Grande-Bretagne. 

20.  —  Bulletin  of  the  John  Rylands  library,  Manchester. 

Les  quatre  premiers  volumes  de  cette  publication  ne  nous  sont 
pas  parvenus,  nous  commençons  donc  avec  le  tome  V,  n°^  1-2 
(août  1918-mars  1919).  —  J.  Rendel  Harris.  L'origine  et  la  signi- 
fication du  culte  de  la  pomme  (note  plusieurs  faits  de  folklore  en 
Angleterre  où  le  pommier  est  manifestement  le  centre  d'un  culte, 
analogue  au  culte  du  chêne.  Le  pommier  est  parfois  personnifié 
sous  la  forme  d'un  oiseau,  notamment  du  roitelet,  puis  d'un  jeune 
garçon  ou  d'une  jeune  fille,  enfin  chez  les  Grecs  ils  prirent  la 
forme  d'Apollon,  d'Hébé,  de  Ganymède,  associé  lui-même  au  roi  des 
oiseaux,  qui  est  l'aigle).  —  C.  H.  Herford.  Influence  de  la  mytholo- 
gie Scandinave  sur  la  poésie  anglaise.  —  J.  Rendel  Harris.  Trois 
lettres  de  John  Eliot  et  un  acte  de  connaissement  pour  le  «  Mayflo- 
wer  »  (lettres  adressées  à  J.  Hanmer,  de  Barnstaple,  par  John  Eliot, 


302  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

l'apôtre  des  Indiens  dans  l'Amérique  du  Nord.  L'acte  de  connaisse- 
ment énumère  les  marchandises  chargées  en  1653  sur  le  fameux  vais- 
seau de  1620  à  l'adresse  d'Eliot).  —  Alex.  Souter.  Liste  des  abrévia- 
tions relevées  dans  le  ms.  lat.  n"  15  de  la  bibliothèque  John  Ryland 
(ce  ms.  provient  de  l'abbaye  de  Murbach  en  Alsace  ;  c'est  un  des  plus 
anciens  mss.  connus  des  œuvres  de  saint  Cyprien  en  minuscule 
latine).  —  Alph.  Mingana.  Une  nouvelle  liste  des  rois  persans  (de  la 
dynastie  des  Sassanides,  composée  en  l'an  561).  —  Liste  méthodique 
des  récentes  acquisitions  de  la  bibliothèque  John  Ryland  (dressée 
d'après  le  système  décimal;  il  s'agit  des  livres  imprimés).  =  N°«  3-4 
(avril-novembre  1919).  J.  Rendel  Harris.  Fragments  métriques  au 
livre  III  des  Macchabées  (l'auteur  de  ce  troisième  livre  connaissait  la 
littérature  tragique  des  Grecs  ;  il  paraît  s'être  inspiré  de  drames  tels 
que  la  chute  de  Troie,  le  tyran  Phalaris,  le  Prométhée  enchaîné, 
Hécube.  En  tout  cas,  certains  passages  des  tragiques  grecs  permettent 
de  corriger  sûrement  le  texte  hébreu).  —  T.  F.  Tout.  Faussaires  et  falsi- 
fications au  moyen  âge  (cf.  Rev.  histor.,  t.  CXXXIII,  p.  348).  —  F.  A. 
Bruton.  L'histoire  de  Peterloo  (récit  très  circonstancié  d'une  mani- 
festation qui  eut  lieu  à  Manchester,  le  16  août  1819,  en  faveur  de  la 
réforme  électorale  ;  elle  fut  dispersée  par  une  intervention  maladroite 
de  la  «  yeomanry  »  et  une  charge  meurtrière  des  hussards.  Elle  fit  de 
cinq  à  six  cents  victimes).  —  Alph.  Mingana.  Exposé  de  la  doctrine 
chrétienne  au  iv^  siècle,  d'après  Théodore  de  Mopsueste  (traduction 
en  anglais  d'un  texte  syriaque  qui  provient  certainement  de  l'Eglise 
nestorienne;  le  texte  syriaque  lui-même  est  une  traduction  du  grec 
et  nous  livre  la  pensée  même  du  savant  théologien).  —  G.  Elliot 
Smith.  Dragons  et  dieux  de  la  pluie.  =  N»  5  (décembre  1919-juillet 
1920).  G.  H.  Herford.  Gabriele  d'Annunzio.  —  F.  J.  Powicke. 
Richard  Baxter  et  son  livre  «  Saints'  everlasting  rest  »  (ce  livre,  qui 
est  le  chef-d'cEUvre  de  Baxter,  parut  en  1650  ;  il  avait  été  écrit  quatre 
ou  cinq  ans  plus  tôt,  en  pleine  guerre  civile,  à  une  époque  où  Baxter, 
malade  et  condamné  par  ses  médecins,  croyait  n'avoir  plus  que 
quelques  semaines  à  vivre.  Il  était  jeune  encore,  étant  né  en  novembre 
1615.  Les  circonstances  d'où  sortit  le  livre  en  expUquent  le  ton  mélan- 
colique. Histoire  du  livre,  qui  n'eut  pas  moins  de  douze  éditions  avant 
la  mort  de  l'auteur  en  1691).  —  J.  Rendel  Harris.  Le  pivert  sous  forme 
humaine.  —  W.  E.  Cram.  Nouveaux  mss.  coptes  acquis  par  la 
bibliothèque  John  Ryland.  =  Tome  VI,  n°^  1-2  (janvier  1921).  La 
bibliothèque  John  Ryland  (son  histoire  depuis  son  ouverture  en  1900; 
ses  catalogues;  publications  entreprises  sous  son  patronage,  etc.).  — 
T.  F.  Tout.  La  captivité  et  la  mort  d'Edouard  de  Carnarvon  (cf.  Rev. 
histor.,  t.  CXXXV,  p.  281).  —  B.  P.  Grenfell.  Situation  actuelle 
de  la  papyrologie.  —  J.  Rendel  Harris.  Celse  et  Aristide  (à  propos  de 
la  découverte,  parmi  les  papyrus  d'Oxyrhyncos,  d'un  fragment  de 
r  «  Apologie  d'Arjistide  »  ;  de  nouvelles  découvertes  permettent  d'af- 
firmer que  cette  «  Apologie  »  est  la  source  où  a  puisé  Celse  pour  sa 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  303 

«  Vraie  parole  ».  On  sait  par  ailleurs  que  1'  «  Apologie  »  a  passé 
tout  entière  dans  le  roman  de  Barlaam  et  Joasaph,  œuvre  de  saint 
Jean  de  Damas  écrite  au  monastère  de  Saint-Saba).  —  Alph.  Min- 
GANA.  Résumé  des  travaux  récents  sur  les  odes  de  Salomon.  —  Robert 
Fawtier.  Les  mss.  latins  acquis  par  la  bibliothèque  John  Ryland  en 
1908-1920.  —  Guthrie  Vine.  Notes  sur  le  Catalogue  général  des  livres 
imprimés  de  la  bibliothèque  John  Ryland  et  sur  la  manière  de  s'en 
servir. 

21.  —  The  english  historical  Review.  1921,  juillet.  —  J.  H. 
Round.  La  date  des  plus  anciens  «  Pipe  roUs  «  (pour  les  dater  exac- 
tement, il  faut  se  rappeler  que  l'année  financière  commençait  à  la 
Saint-Michel,  tandis  que  la  chancellerie  datait  les  actes  royaux  par 
l'année  du  règne.  Ainsi  la  première  année  de  Richard  I"  commence 
le  3  septembre  1189;  le  rôle  de  la  Pipe  pour  cette  année  a  été  rédigé 
à  la  Saint-Michel   suivante,   c'est-à-dire   le  29  septembre  de  cette 
même  année  et  non  en  H90.  Le  rôle  de  la  deuxième  année  doit  être 
daté  de  1190,  aussitôt  après  la  Saint-Michel.  L'oubli  de  cette  règle  a 
causé  nombre  de  menues  erreurs  dans  la  chronologie  de  ce  règne). 
—  Ch.  H.  Haskins.  Le  traité  «  De  arte  venandi  cum  avibus  »  rédigé 
par  l'empereur  Frédéric  II  (étude  critique  sur  les  manuscrits  de  cette 
œuvre  composée  par  l'empereur  Frédéric,  avec  des  additions  par  son 
fils  Manfred,  et  sur  les  sources  utilisées.  Important  pour  les  origines 
de  l'art  de  la  fauconnerie,  pour  lequel  l'empereur  professait  une  affec- 
tion particulière  :   «  Nos    semper  dileximus   et  exercuimus  »).  — 
E.  R.  Adair  et  Miss  P.  M.  Greir  Evans.  Brefs  d'assistance,  1668- 
1700  (ce  sont  des  brefs  par  lesquels  le  roi  commandait  à  ses  conseil- 
lers ou  autres  fonctionnaires   d'assister  au  Parlement.   Ils  ont  été 
transcrits  sur  ce  qu'on  appelle  les  «  Pawns  »  du  Parlement,  qui 
forment  aujourd'hui  au  P.  Record  Office  quatre  liasses  de  pièces  sur 
parchemin  soit  isolées,  soit  en  rouleaux.  Ils  nous  font  connaître  par 
le  menu  détail  la  manière  dont  on  procédait  pour  convoquer  ces  per- 
sonnes). —  Miss  Lillian  M.  Penson.  Londres  et  les  Indes  occiden- 
tales au  xviiie  siècle  (les  intérêts  anglais  dans  les  Indes  occidentales 
étaient  représentés  surtout  par  les  planteurs  qui  résidaient  pour  la 
plupart  à  Londres  même  et  avaient  partie  liée  avec  les  marchands  de 
la  cité.  Cette  alliance  pesa  fortement  plus  d'une  fois  sur  la  politique 
intérieure  pendant  la  seconde  moitié  du  siècle).  —  H.  Idris  Bell. 
Liste  des  bulles  et  brefs  de  la  papauté  qui  sont  conservés  en  original 
au  département  des  mss.  du  Musée  britannique;   l"  partie  (d'Ur- 
bain II  à  Sixte  IV).  —  H.  E.  Salter.  Les  débuts  de  l'Université  de 
Cambridge  (il  y  avait  déjà  un  chancelier  de  l'Université  en  1226).  — 
Miss  G.  R.  Cole-Baker.  Une  écriture  imitée  (mentionne  un  ms. 
contenant  le  texte  de  constitutions  pour  l'ordre  de  saint  Dominique 
en  1260;  ce  ms.  a  été  continué  au  xiv^  siècle  entre  1358  et  1363  par 
une  main  qui  s'est  efforcée  de  reproduire  l'écriture  du  xiii»  siècle).  — 
Preserved  Smith.  Anglais  résidant  à  Wittenberg  au  xvi«  siècle.  = 


304  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

C. -rendus  :  Vicomte  Du  Motey.  Origines  de  la  Normandie  et  du 
duché  d'Alençon,  de  l'an  850  à  l'an  1085  (cette  monographie  n'est  en 
réalité  qu'une  histoire  de  Bellême  et  d^autres  possessions  de  la  maison 
de  Talvas.  M.  Davis  y  relève  des  fautes  de  critique  et  des  lacunes 
assez  graves).  —  R.  Poupardin.  Recueil  des  actes  des  rois  de  Pro- 
vence, 855-928  (excellent).  —  E.  Bull.  Leding.  Militser-og  finansfor- 
fatning  i  Norge  i  œldre  tid  (bonne  étude  sur  l'organisation  militaire  et 
financière  de  la  Norvège  au  moyen  âge.  Le  mot  «  leding  »  désigne  le 
service  dû  au  roi  en  cas  d'expédition  militaire  et  surtout  navale).  — 
Giuseppe  Zucchetti.  Il  chronicon  di  Benedetto,  monaco  di  S.  Andréa 
del  Soratte,  e  il  Libellus  de  imperatoria  potestate  in  urbe  Roma  (deux 
éditions  remarquables).  —  R.  H.  Gretton.  The  Burford  records;  a 
study  in  minor  town  government  (très  bonne  monographie).  —  F.  M. 
Stenton.  Documents  illustrative  of  the  social  and  économie  history  of 
the  Danelaw  (excellent).  —  Fr.  Pelster.  S.  J.  Kritische  Studien  zum 
Leben  und  zu  den  Schriften  Alberts  des  Grossen  (utile  chronologie 
de  la  vie  et  des  écrits  du  célèbre  théologien).  —  G.  H.  Orpen.  Ireland 
under  the  Normans,  1216-1333  (travail  excellent,  mais  trop  limité  : 
l'auteur  expose  à  merveille  les  querelles  de  clans;  il  n'a  pas  écrit  une 
Histoire  d'Irlande).  —  E.  B.  Fitzmaurice  et  A.  G.  Little.  Materials 
for  the  history  of  the  franciscan  province  of  Ireland,  1230-1450  (bon). 
—  D.  Seymour.  The  Puritans  in  Ireland,  1647-1661  (excellent).  —  Mss. 
of  the  earl  of  Egmont.  Diary  of  viscount  Percival,  first  earl  of 
Egmont.  I  :  1730-1733  (instructif).  —  W.  L.  Mathieson.  England  in 
transition,  1789-1832  (bon).  —  William  Wood.  Select  british  docu- 
ments of  the  Canadian  war  of  1812;  vol.  I  (très  instructif).  —  Chris- 
tian C.  Lange.  Histoire  de  l'internationalisme;  vol.  I  (important).  — 
Ch.  U.  Clark.  CoUectanea  hispanica  (excellente  étude  sur  la  paléo- 
graphie espagnole). 


CHRONIQUE. 


France.  —  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  décerné 
le  prix  Thorlet  (prix  d'encouragement  pour  des  œuvres  sociales  ou 
d'érudition  s'occupant  d'histoire  ou  d'art,  en  particulier  de  peinture) 
à  M.  Léon  Dorez  pour  l'ensemble  de  ses  travaux.     ( 

—  Le  samedi  5  novembre,  à  dix  heures  et  demie,  a  eu  heu  en  l'hô- 
tel Thiers,  place  Saint-Georges,  à  Paris,  l'inaugauration  de  la  plaque 
commémorative  de  l'hôpital  qui  y  fut  ouvert  en  septembre  1914  par 
les  soins  et  aux  dépens  de  l'Institut  de  France,  et  qui  fut  fermé  après 
l'armistice,  en  octobre  1918,  après  avoir  hospitalisé  993  grands  bles- 
sés, dont  43  succombèrent  à  leurs  blessures.  Parmi  l'assistance,  on 
remarquait  M'"^  Frédéric  Masson,  M™«  Miret,  infirmière-major,  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur,  et  un  groupe  d'anciennes  infirmières 
de  l'hôpital,  MM.  Imbart  de  La  Tour,  président  de  l'Institut,  Frédéric 
Masson,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  française,  Mgr  Baudrillart, 
MM.  Bémont,  Bigourdan,  Gagnât,  Ghâtelain,  Glerraont-Ganneau,  Cuq, 
Dehérain,  Giraud,  Hanoteaux,  Laudet,Omont,  etc. 

M.  Imbart  de  La  Tour,  en  un  langage  élevé,  rendit  hommage  à 
l'œuvre  accomplie  à  l'hôpital  pendant  la  guerre  et  à  ceux  qui  en 
furent  les  artisans.  Après  lui,  M.  Frédéric  Masson,  qui,  du  premier  au 
dernier  jour,  fut  l'administrateur  infatigable  de  l'hôpital,  en  retraça 
l'historique  en  même  temps  qu'il  dressa  le  bilan  des  services  rendus 
par  cet  organisme  privé  et  purement  civil. 

Il  fut  ensuite  procédé  à  une  visite  de  la  bibliothèque  Thiers  et  de 
l'exposition  de  documents  émanant  de  Thiers  ou  l'intéressant.  Cette 
exposition,  préparée  avec  beaucoup  de  goût  et  qui  fait  grand  honneur 
au  bibliothécaire,  M.  Henri  Malo,  comprenait  notamment  une  grande 
variété  de  portraits,  des  estampes  représentant  l'hôtel  Thiers,  les  phases 
de  sa  démoHtion  pendant  la  Commune  et  de  sa  reconstruction,  des 
caricatures,  la  belle  série  des  cachets  de  Thiers,  sa  dernière  plume 
d'oie,  des  diplômes,  des  volumes  annotés  par  lui,  des  lettres  auto- 
graphes, un  carnet  sur  lequel  il  prenait  des  notes  au  cours  de  ses 
visites  dans  les  laboratoires  de  chimie,  etc..  On  admira  les  belles 
pièces  exposées  dans  la  vitrine  dite  de  la  Liberation  du  territoire,  où 
figurent  les  clefs  de  Belfort,  et  les  belles  reliures  des  éditions  rares 
composant  la  bibliothèque  de  M"°  Dosne.  Puis  on  parcourut  les  diffé- 
rentes salles  de  la  bibliothèque,  toutes  en  belle  lumière,  et  où  les  tra- 
vailleurs trouvent  le  recueillement  nécessaire  à  leurs  travaux,  en 
même  temps  qu'une  remarquable  documentation  historique  pour  tout 
Rev.  Histok.  CXXXVIII.  2«  fasc.  20 


306  CHRONIQUE. 

ce  qui  concerne  l'histoire  de  France,  en  particulier,  depuis  la  mort  de 
Louis  XV  jusqu'à  la  fin  du  xix«  siècle.  Cette  bibliothèque  spéciale 
comporte  environ  40,000  volumes  catalogués  et  s'augmente  tous  les 
jours  d'acquisitions  et  de  dons.  Bien  que  de  fondation  récente  —  elle 
fut  ouverte  en  novembre  1913  et  ensuite  transformée  en  hôpital  — 
elle  est  susceptible  de  rendre  dès  à  présent  les  plus  grands  services 
aux  historiens  qui  s'occupent  de  l'histoire  moderne  et  contemporaine. 

—  L'historique  de  la  Grande  Guerre.  —  Le  ministre  de  la  Guerre 
communique  la  note  suivante  : 

«  A  plusieurs  reprises,  il  a  été  demandé  que  le  ministère  de  la 
Guerre  commence  la  publication  des  documents  officiels  se  rapportant 
aux  opérations  de  la  guerre  1914-1918.  Le  service  historique  de  l'état- 
major  de  l'armée  (transformation  de  l'ancienne  section  historique, 
réorganisée  et  augmentée)  est  chargé  de  cette  publication. 

«  Le  but  est  de  doùner  au  public,  le  plus  rapidement  possible,  par  un 
travail  scientifiquement  conçu  et  exécuté,  une  relation  exposant  : 
1°  dans  ses  grandes  conceptions,  la  doctrine  de  la  guerre  par  le  haut 
commandement  français;  2°  dans  leurs  grandes  lignes,  le  développe- 
ment des  opérations. 

«  Avant  de  pouvoir  établir  cette  relation,  il  fallait  :  d'une  part,  procé- 
der à  un  classement  méthodique  d'archives  de  toute  nature,  très  volu- 
mineuses, se  rapportant  à  près  de  cinq  aniiées  d'opérations  et  repré- 
sentant le  contenu  de  près  de  60,000  cartons  ;  d'autre  part,  dépouiller, 
analyser  ces  archives  et  en  extraire  la  documentation  de  base  répon- 
dant au  but  exposé  ci-dessus.  • 

«  Le  travail,  commencé  depuis  1919,  se  poursuit  aussi  activement  que 
possible.  Pour  accélérer  le  travail,  le  temps  de  la  guerre  a  été  divisé 
en  un  certain  nombre  de  périodes  chronologiques  et  l'étude  de  chaque 
période  confiée  à  une  section  distincte. 

«  L'ordre  dans  lequel  les  diverses  sections  feront  paraître  leurs  publi- 
cations respectives  ne  pourra  être,  d'une  manière  absolue,  l'ordre 
chronologique.  D'autre  part,  les  crédits  élevés  qu'exige  la  publication 
d'une  œuvre  aussi  importante  obligent  à  l'échelonner,  au  point  de  vue 
budgétaire,  sur  une  période  de  plusieurs  années;  d'autre  part,  pour 
chacune  des  diverses  périodes  considérées,  il  faut  se  livrer  à  un  tra- 
vail de  recherches  et  de  contrôle  plus  ou  moins  long,  qui  ne  permet 
pas  d'achever  en  même  temps  le  travail  pour  toutes  les  sections. 

«  Il  y  a  lieu  cependant  de  penser  que  dès  l'année  1922,  et  si  les  cré- 
dits nécessaires  demandés  au  Parlement  sont  votés,  pourront  paraître 
les  volumes  traitant  du  début  des  opérations  de  1914.  Ils  seront  suivis 
par  un  certain  nombre  d'autres,  dans  lesquels  seront  successivement 
traités  :  la  préparation  et  l'attente  de  la  bataille  dans  l'hiver  1917- 
1918;  la  bataille  défensive  et  la  bataille  offensive  de  1918;  les  offen- 
sives de  1915  en  Artois  et  en  Champagne;  la  deuxième  bataille  de  la 
Marne;  les  préUminaires  de  la  bataille  de  Verdun;  l'expédition  des 
Dardanelles  et  les  débuts  de  celle  de  Salonique,  etc. 


CHRONIQUE.  307 

«  Enfin,  en  même  temps  que  les  premiers  volumes  publiés,  paraîtra 
un  ordre  de  bataille  concernant  les  grands  commandements  et  les 
grandes  unités  jusqu'à  la  division  incluse.  On  y  trouvera,  sous  forme 
de  tableaux,  la  composition  détaillée  de  toutes  les  grandes  unités  de 
l'armée  française  et  leur  historique  sommaire,  depuis  la  mobilisation 
(ou  leur  création)  jusqu'à  la  conclusion  de  l'armistice.  » 

—  Avec  leur  24"  numéro  (juillet  1921,  in-8°,  128  p.),  les  Archives 
de  la  Grande  Guerre  (Paris,  Ernest  Chiron)  prennent  un  caractère 
nouveau.  Ce  périodique  (sous-titre  :  Revue  internationale  de  docu- 
mentation contemporaine)  devient  l'organe  de  la  Société  de  l'his- 
toire de  la  guerre.  Le  numéro  de  juillet  est  consacré  à  la  Haute-Silé- 
sie.  Il  est  luxueusement  illustré  (illustrations  fournies  par  les  Biblio- 
thèque et  Musée  de  la  guerre ,  que  dirige  avec  tant  d'activité 
M.  Camille  Bloch).  Parmi  ces  illustrations,  on  notera  :  1»  sur  le 
titre,  une  carte  ethnographique  de  la  Haute-Silésie,  publiée  en  1914 
dans  l'ouvrage  allemand  de  VVeber,  Die  Polen  in  Oberschlesien, 
qui  démontre  à  l'évidence  la  prépondérance  des  Polonais  (presque 
partout  plus  de  75  «/o)  à  l'est  de  l'Oder  (moins  dans  la  fraction  orien- 
tale du  cercle  de  Ratibor  et  dans  quelques  grandes  villes,  mais  plus  dans 
la  partie  des  cercles  de  Kosel  et  d'Oppeln  située  sur  la  rive  gauche  de 
l'Oder)  ;  2°  une  carte  des  résultats  du  plébiscite  par  communes  qui, 
malgré  les  progrès  de  la  germanisation  électorale  et  Tinfluence  des 
centres  urbains,  donne  encore  l'impression  d'un  pays  dont  la  superfi- 
cie (est  et  sud-est)  est  aux  deux  tiers  polonaise.  Parmi  les  articles,  les 
historiens  retiendront  surtout  celui  de  M.  Emile  Bourgeois,  les  Popu- 
lations de  Haute-Silésie  .(p.  10-25).  Une  excellente  bibliographie  de 
la  question,  p.  113-127,  est  établie  par  le  service  de  documentation 
des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  guerre,  en  particulier  par  M.  G.  Cal- 
mette.  Souhaitons  donc  heureuse  vie  à  cet  utile  et  intéressant  recueil. 

H.  IlR. 

—  Grâce  à  yinitiative  de  quelques  personnes  pleines  d'excellentes 
intentions  à  l'égard  de  la  marine  française  —  et  il  va  sans  dire  que 
son  quasi-historiographe  officiel  M.  Ch.  de  La  Roncière  doit  être 
rangé  parmi  celles-ci  —  vient  de  se  reconstituer  l'Académie  de  marine, 
formée  à  Brest,  en  1752,  sous  les  auspices  du  secrétaire  d'État  à  la 
Marine,  Rouillé.  M.  H.  Morand,  dans  un  curieux  article  du  Journal 
des  Débais,  du  19  octobre  1921,  a  retracé  la  carrière  de  cette  Acadé- 
mie, qui  a  servi  d'une  façon  indéniable  le  développement  des  études 
hydrographiques  au  xyiii»  siècle.  La  nouvelle  Académie,  sans  négli- 
ger les  sciences  exactes,  si  utiles  à  la  marine,  a  fait  une  part  très 
large  à  d'autres  disciplines,  et  particulièrement  à  l'histoire  navale,  et 
elle  comptera  six  sections,  dont  une  historique.  Il  sera  bon  que,  dans 
cette  direction,  elle  ne  heurte  pas  les  initiatives  d'autres  institutions, 
telles  que  l'Ecole  supérieure  de  la  marine  ou  le  Service  historique, 
mais  que,  dédaignant  les  formules  d'ordinaire  timides  des  corps  aca- 
démiques et  soucieuse  de  maintenir  en  elle  une  véritable  jeunesse 


308  CHBONIQUE. 

intellectuelle  par  un  recrutement  approprié,  elle  sache,  le  cas  échéant, 
entamer  les  enquêtes  et  procéder  aux  révisions  qui,  seules,  pourront 
être  utiles  à  une  organisation  comme  la  marine  française,  tour  à  tour 
attachée  à  une  antique  ornière  ou  s'éprenant  soudainement  de  thjéories 
nouvelles..  Nous  ne  doutons  pas  que  ce  rôle  modérateur  ou  moteur, 
selon  le  cas,  ne  puisse  être  tenu  par  l'Académie  de  marine.  —  G.  Bn. 

Grande-Bretagne.  —  Des  spécialistes  avaient  été  chargés  en 
Angleterre  d'élaborer  une  histoire  médicale  de  la  Grande  Guerre. 
Cette  histoire  est  maintenant  prête  à  être  publiée  ;  elle  embrasse  les 
questions  médicales,  chirurgicales  et  d'hygiène.  D'autre  part,  le 
«  Royal  Collège  of  Surgeons  »  d'Angleterre  a  reçu  une  somme  de 
7,500  1.  st.  pour  organiser  un  musée  pathologique  de  la  guerre,  qui 
comprendra  des  spécimens  orthopédiques  et  rhinoplastiques. 

—  La  librairie  Watts  (Londres)  a  publié  une  grosse  compilation 
qui  rendra  des  services,  sous  le  titre  :  A  biographical  dictionary  of 
modem  Rationalists,  par  Joseph  Mac  Cabe  (45  sh.). 

—  La  Délégation  irlandaise  (Sinn-feiners)  a  fait  traduire  en  français, 
par  J.  Gros,  et  répandre  à  un  grand  nombre  d'exemplaires  le  Rap- 
port de  la  Commission  envoyée  en  Irlande  par  le  parti  travail- 
liste anglais  (Paris,  rue  Scribe,  n»  2,  39  p.).  M.  Lloyd  George  en 
avait  interdit  la  publication  en  Angleterre. 

—  Un  fascicule,  publié  par  la  Historical  Association  (leaflet 
n«  20,  mai  1921),  contient  A  brief  bibliography  of  Scottish  his- 
tory  (iii-8°,  12  p.). 

Italie.  —  La  librairie  Ostinelli  di  Cesare  Nani  et  C^^  (Corne)  se 
propose  de  publier  une  série  d'ouvrages  d'érudition  sous  le  titre  géné- 
ral :  «  AuxiUa  ad  res  italicas,  raedii  aevi  exquirendas  in  usum  schola- 
rum  instructa  et  collecta.  »  Elle  est  mise  pour  ainsi  dire  sous  l'invo- 
.cation  des  grands  noms  disparus  de  l'érudition  italienne  :  Cipolla, 
Crivellucci,  d'Ancona,  Villari,  etc.  Le  premier  volume,  qui  vient  de 
paraître,  est  celui  de  Luigi  Schiaparelli  :  La  scrittura  italiana  nelV 
età  romana,  recueil  de  notes  paléographiques  auquel  est  joint  en 
appendice  un  index  des  publications  relatives  à  la  paléographie  latine 
(1  vol.  in-16  de  xii-212  p.;  prix  :  20  1.).  Du  même,  une  Raccolta  di 
documenti  latini,  fasc.  1  (allant  du  if  siècle  avant  Jésus-Christ  au 
vii^  siècle  après),  est  sous  presse. 

—  Le  Carrière  délia  Sera  du  16  octobre  1921  a  donné  un  résumé 
intéressant  des  publications  officielles  de  1'  «  Ufficio  storico  délia 
marina  italiana  »  consacrées  à  l'activité  de  la  marine  italienne  pendant 
la  guerre  mondiale. 

—  On  signale  l'apparition  d'une  nouvelle  revue  d'histoire  et  de  lit- 
térature religieuses,  intitulée  Aile  fonti  délie  religioni,  sous  la  direc- 
tion de  M.  G.  Tucci  (Rome,  3,  via  Cimarosa;  25  1.  par  an.) 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


HISTOIRE  GÉNÉRALE. 

Abensour  (^Léon).  Histoire   générale 

du  féminisme,  118. 
Almagià  {Roberto).  La  geografia,  129. 
Baignes  {Henry  Elmer).  The  past  and 

future  of  history,  268. 
Bellucci.  Folklore  di  guerra,  120. 

—  I  chiodi  neir  etnogralia  antica  e 
contemporanea,  121. 

Berr  [Henri).  L'histoire  traditionnelle 

et  la  synthèse  historique,  117. 
Brandi  [Samuel).  Voir  Traube  [Lud- 

wig). 
Dunois  [Amédée).  Adresse  inaugurale 

de  l'Association  internationale  des 

travailleurs,  268. 
Grxsse.  Trésor   des  livres    rares  et 

précieux;  nouv.  édit.,  273. 
Kern  [Fritz).  Gottesgnadentum  und 

Wiederstandsrecht  im  frûheren  Mit- 

telalter,  247. 
Mac   Cabe  [Joseph).   A  biographical 

dictionary  of  modem  Rationalists, 

308. 
Michels  (/?.).  La  teoria  di  Marx  délia 

miseria  crescente,  118. 
Schradcr  (F.).  Atlas  universel  de  géo- 
graphie, 119. 
Scotl  [Jaîues  Broion).  The  déclaration 

of  London,  febr.  1919,  270. 

—  Proceedings  of  the  Hague  peace 
conférences,  270. 

—  Travaux  de  la  cour  permanente 
d'arbitrage  de  La  Haye,  270. 

Shotwell  [James  T.).  Carnegie  endow- 
ment  for  international  peace.  Re- 

£ort  on  the  économie  and  social 
istory  of  the  world  war,  209. 

Traube  [Ludwig).  Vorlesungen  und 
Abhandlungen.  T.  III  :  Kleine 
Schriften;  publ.  par  Samuel 
Brandt,  239. 

Ward  (Sir  Adolphus).  Collected  pa- 
pers.  Historical,  t.  I  et  II,  266. 

Worms  (Reiié).  La  .sociologie,  sa  na- 
ture ,  son  contenu ,  ses  attaches, 
268. 

niSTOIRE    DE    LA    GUERRE. 

Archives  de  la  Grande'  Guerre,  307. 
Battles  nomenclature  committee,  120. 
Célarié   [Henriette).   Le   martyre  de 
Lille,  273. 

Rev.  Histor.  CXXXVIII. 


Cornet  {Lucien).  Histoire  de  la  guerre, 
t.  V,  273. 

Deschamps  [Gaston).  La  Somme  dé- 
vastée, 119. 

Ducornez  {Abel).  Les  derniers  jours 
de  Longwy,  270. 

Jean- Bernard.  Histoire  générale  et 
anecdotique  de  la  guerre  de  1914, 
fasc.  41-44,  273. 

Koch  [Th.  W.).  Les  livres  à  la  guerre, 
121. 

Latising  {Robert).  The  peace  négocia- 
tions, 119. 

Le  Gofjic  [Charles).  La  Marne  en  feu, 
119. 

Motte  [Georges).  Les  vingt  mille  de 
Radinghem,  271. 

Riou  [Gaston).  La  ciudad  doliente. 
Diario  de  un  soldado  raso,  121. 

HISTOIRE   RELIGIEUSE. 

Aile  fonti  délie  religioni,  308. 

Batiffol  (Mgr  Pierre).  Le  catholicisme 
de  saint  Augustin,  105. 

Benoît  XII,  1334-1342.  Lettres  closes, 
patentes  et  curiales  se  rapportant  à 
la  France  ;  publ.  par  Georges  Dau- 
mat,  79. 

Besse  ^dom).  Abbayes  et  prieurés  de 
l'ancienne  France.  T.  VIII  :  provin- 
ce ecclésiastique  de  Tours,  236. 

Bliemetzrieder  [Franz  P.).  Anselms 
von  Laon  systeniatische  Sentenzen. 
239. 

Boyer  (abbé  Charles).  Christianisme 
et  néo-platonisme  dans  la  formation 
de  saint  Augustin,  105. 

Cohen  [R.).  Knights  of  Malta,  1523- 
1798,  281. 

Dnumet  [Georges).  Voir  Benoît  XII. 

Delehaye  [Hippolyte).  Saint  Martin 
et  Sulpice  Sévère,  236. 

Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne 
et  de  liturgie,  fasc.  41-43,  265. 

Dictionnaire  de  théologie  catholique, 
fasc.  50-52,  266. 

Dictionnaire  d'histoire  et  de  géogra- 
phie ecclésiastiques,  fasc.  14,  265. 

Encycloptcdia  of  religion  and  ethics; 
dirigée  par  Hastings  [Ja}nes),99, 100. 

Gasquet  (cardinal).  Voir  Teresa 
{Saint). 

Gaudenzi  [A.).  Il  costitulo  di  Costan- 
tino,  128. 

2»  FASC.  20* 


310 


INDEX   BIBLIOGRAPHIQUE. 


Golubovitch  (P.-G.).  0.  F.  M.  Biblio- 
teca  bio-bibliografica  della  Terra 
santa  e  dell'  Oriente  francescano. 
T.  m  :  1300-1332,  106. 

Goyau  {G.).  Les  étapes  d'une  gloire 
religieuse  :  sainte  Jeanne  d'Arc,  83. 

Guignebert  (Charles).  Le  cbristianis- 
rae  antique,  106. 

Guise  (aboé).  Saint  Sigisbert,  roi 
d'Austrasie,  630-656,  230. 

Hasiings  {James).  Voir  Encyclopsedia 
of  religion  and  ethics. 

Jean  XXII,  1316-1334.  Lettres  com- 
munes, analysées  d'après  les  regis- 
tres dits  d'Avignon  et  du  Vatican; 
publ.  par  l'abbé  G.  Mollat,  79. 

Krusch  {Bruno).  Arbeonis,  episcopi 
Frisingensis,  vitae  sanctorum  Haim- 
hrammi  et  Corbiniani,  226. 

—  et  Levison  {W.).  Passiones  vitae- 
que  sanctorum  aevi  merovingici, 
223. 

La  Salle  de  Rochemaure  (duc  de). 
Gilbert  (Silvestre  II)  ;  le  savant,  le 
«  faiseur  de  rois  »,  le  pontife,  231. 

Levison  {W.).  Voir  Krusch  {B.). 

Mollat  (abbé  G.).  Voir  Jean  XXIL 

Pocquet  du  Haut-Jussé.  Les  statuts 
synodaux  d'Alain  de  la  Rue,  évêque 
de  Saint-Brieuc,  1421,  77. 

Sainte-Marie  Perrin  (E.).  La  belle 
vie  de  sainte  Colette  de  Corbie, 
1381-1447,  86. 

Teresa  {Saint).  Letters;  publ.  par  le 
cardinal  Gasquet,  t.  II,  274. 

Valois  {Noël).  Jacques  Duèse,  pape 
sous  le  nom  de  Jean  XXII,  80. 

Warenghien  {Camille  de).  Un  prélat 
du  XIII"  siècle  :  Michel  de  Waren- 
ghien, évêque  de  Tournai  de  1284 
à  1291,  238. 

HISTOIRE   DE  l'antiquité. 

Babelon  {Ernest).  Les  monnaies 
grecques,  273. 

Baynes  {Norman  H.).  The  year's 
work  in  classical  studies,  274. 

Davies-Pryce  {T.).  Voir  Oswald  {Fé- 
lix). 

Hatzfeld  {Jean).  Les  trafiquants  ita- 
liens dans  l'Orient  hellénique,  103. 

Oswald  [Félix)  et  Davies-Pryce  {T.). 
An  introduction  to  the  study  of 
terra  sigillata,  102. 

Pais  (E.).  Fasti  triumphales  populi 
romani,  245. 

Sandis  (Sir  John  Edwin).  History  of 
classical  scolarship,  3'  édit.,  274. 

Scheil  (F.).  Recueil  de  lois  assyrien- 
nes, 242. 

HISTOIRE    DE   l' AMÉRIQUE   DU   SUD. 

Anglo-South  american  handbook  for 
1921,  122. 


Figarola-Caneda  {Domingo).  Voir 
Saco  (José  Antonio). 

Saco  {José  Antonio).  Documentes 
para  su  vida;  anotados  por  Do- 
mingo Figarola-Caneda. 

HISTOIRE   D'ALLEMAGNE. 

Gaburi    (Francesco).    Guglielmo   II, 

122. 

HISTOIRE   DE  BELGIQUE. 

Pirenne  (H.).  Histoire  de  Belgique, 

t.  V,  111. 

HISTOIRE   DE   DANEMARK. 

Friis  {Aage).  Ophaevelsen  af  Pragfrie- 
dens  artikel  5,  274. 

HISTOIRE   d'ESPAGNE. 

Goodenough  {Lady).  Voir  Muntaner. 
Muntaner.  The  chronicle  of  Munta- 
ner; publ.  par  Lady  Goodenough, 

283. 

HISTOIRE    DES   ÉTATS-UNIS. 

Crowell  (/.  Franklin).  Govei'nment 
war  contracts,  116. 

Krafft  (H.  F.).  Sea  power  and  ameri- 
can destiny,  123. 

Manual  of  the  public  benefactions  of 
Andrew  Carnegie,  270. 

Ruffini  (Francesco).  11  présidente 
Wilson,  122. 

HISTOIRE  DE  FRANCE. 

André  -  Michel  { Robert), .  Mélanges 
d'histoire  et  d'archéologie,  79. 

Bion  (Emmanuel).  L'art  de  nommer 
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Bloch  {Marc).  Rois  et  serfs,  234. 

Boyé  (pieire).  Le  roi  Stanislas  et  le 
culte  du  Sacré-Cœur;  l'autel  de  la 
cathédrale  de  Toul,  128. 

Britsch  {Amédée).  Le  maréchal  Lyau- 
tey,  276. 

Brunel  {Clovis).  Opuscules  proven- 
çaux du  xv°  siècle  sur  la  confession, 
■77. 

Champion  {Pierre).  Procès  de  con- 
damnation de  Jeanne  d'Arc,  82. 

Chénon  {Emile).  Les  jours  de  Berry 
au  Parlement  de  Paris  de  1255  à 
1328,  235. 

Cherfils  {^Christian).  Bonaparte  et 
l'Islam  d'après  les  documents  fran- 
çais et  arabes,  99. 

Chronique  des  règnes  de  Jean  II  et  de 
Charles  V,  t.  III  et  IV;  publ.  par 
R.  Delachenal,  70. 

Cinquantenaire  de  l'armée  de  la  Loire 


INDEX   BIBLIOGRAPHIQUE. 


311 


et  de  la  victoire  de  Coulmiers, 
9  nov.  1870.  Vie  du  commandant 
Teissier,  1834-1917,  277. 

Cohen  (Gustave).  Écrivains  français 
en  Hollande  dans  la  première  moi- 
tié du  xvii'  siècle,  256. 

—  Mystères  et  moralités  du  ms.  617 
de  Chantilly,  78. 

Commune  de  Paris.  Actes  et  docu- 
ments. Épisodes  de  la  semaine  san- 
glante, 158. 

Conon  de  Béthune.  Chansons;  publ. 
par  Axel  Wallenskôld,  240. 

Coste  [P.].  Voir  Vincent  de  Paul 
(saint). 

Daudet  (Ernest).  Souvenirs  de  mon 
temps.  I  :  1857-1861,  154. 

Darid  {Charles  Wendell).  Robert 
Curthose,  duke  of  Normandy,  233. 

Delachenal  {R.).  Voir  Chronique  des 
règnes  de  Jean  II  et  de  Charles  V. 

Delahache  (Georges).  Les  débuts  de 
l'administration  française  en  Alsace 
et  en  Lorraine,  278. 

Dépêches  des  ambassadeurs  milanais 
en  France  sous  Louis  XI  et  Fran- 
çois Sforza;  publ.  par  Bernard  de 
kandrot,  t.  Mil,  71. 

Depoin  (.T.).  Recueil  de  chartes  et 
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Dumas  (Auguste).  Encore  la  auestion 
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Du  Moley  (vicomte).  Origines  de  la 
Normandie  et  du  duché  d'Alençon, 
850-1085,  233. 

Enlart  {Camille).  Manuel  d'archéolo- 
gie française.  I.  Architecture  reli- 
gieuse, 2'  édit.,  241. 

Français  (les)  à  la  recherche  d'une 
Société  des  Nations,  118. 

France-Maroc,  95. 

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Gide  (Charles).  Les  institutions  en 
vue  de  la  transformation  ou  l'abo- 
lition du  salariat,  124. 

Gillet  [Louis).  Un  grand  maître  du 
xviii"  siècle  :  Wattcau,  125. 

Grandes  Chroniques  de  France:  publ. 
par  Jolies  Viard.  t.  1,  228. 

Halphen  {Louis).  Etudes  critiques  sur 
l'histoire  de  Charlemagne,  230. 

Hanotaux  (Gabriel).  Jeanne  d'Arc, 
83. 

Jaurgain  {Jean  de).  Deux  comtes  de 
Comminges  au  xv  siècle  :  Jean  de 
Lescun,  Mtard  d'Armagnac,  et  Odet 
d'Aydie,  seigneur  de  Lescun,  89. 

Jeanroy  (.4.)  et  Lhngfors  {A.).  Chan- 
sons satiriques  et  bachiques  du 
xiii"  siècle,  240. 

Labande  {L.-IJ.).  Avignon  au  xv  s. 
Légation  de  Charles  de  Bourbon  et 


du  cardinal  Julien  de  La  Rovère, 

80. 

Lahure  (abbé  A.).  Notre-Dame  de  La 
Valroy,  abbaye  royale  de  Cister- 
ciens, 1147-1789,  238. 

Lhngfors  {H.).  Voir  Langlois  {Ernest). 

Langlois  (^Ernest).  Le  couronnement 
de  Louis;  chanson  de  geste  du 
xn°  siècle,  240. 

Lardé  {Georges).  Le  tribunal  du  clerc 
dans  l'empire  romain  et  la  Gaule 
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Lefebvre  (Charles).  La  famille  en 
France  dans  le  droit  et  dans  les 
mœurs,  124. 

Lemonnier  {Henry).  Le  collège  Ma- 
zarin  et  le  palais  de  l'Institut,  275. 

Mandrol  {Bernard  de).  Voir  Dépèches 
des  ambassadeurs  milanais. 

May  (Gaston).  Introduction  à  la  scien- 
ce au  droit,  124. 

Meillon  (Alphonse).  Histoire  de  la 
vallée  de  Cauterets.  T.  I  :  le  cartu- 
laire  de  l'abbaye  de  Saint-Savin  en 
Lavedan,  229. 

Monuments  et  Mémoires  publiés  par 
l'Académie  des  inscriptions  et  bel- 
les-lettres (fondation  Piot),  n°  43, 
267. 

Pange  (comte  Maurice  de).  Les  Lor- 
rains et  la  France  au  moyen  âge, 
85. 

Petit  {Joseph).  Le  registre  des  causes 
civiles  de  l'olficialité  épiscopale  de 
Paris,  1384-1387,  76. 

Poupardin  [René).  Recueil  des  actes 
des  rois  de  Provence,  855-918,  227. 

Régné  (Jean).  Histoire  du  Vivarais, 
t.  II,  126. 

Reinach  {Joseph).  Francia,  123. 

Saint- Jours  (B.).  Le  littoral  gascon, 
253. 

Soulé  {M.-L.).  Vie  de  Jean  Jaurès, 
277. 

Slein  {Henri).  Charles  de  France, 
frère  de  Louis  XI,  87. 

Tournier  (abbé).  Les  seigneuries  d'Hé- 
ricourt  et  du  Châtelot,  127. 

Vzureau  (F.).  Andegaviana,  22"  série, 

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Viard  {Jules).  Voir  Grandes  Chroni- 
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Vincent  de  Paul  (saint).  Correspon- 
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Wallenskôld  (Axel).  Voir  Conon  de 
Béthune.  ,    ,    ,    ,     , 

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HISTOIllE   DE   GRANDE-BRETAGNE. 

A  brief  bibliography  of  scottish  his- 
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Jenkinson  {Witberforce).  The  royal 

and  bishops'  palaces  in  old  London, 

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Pollen  (P.).  S.  J.  King  Henry  VIII 

and  S'  Thomas  Becket,  282. 
Prentout  {Henri).  De  l'origine  de  la 

formule    «   Dei    gratia   »   dans  les 

chartes  de  Henri  II,  281. 
Roberls  {P.  E.).  A  historical  geogra- 

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VII  :  India,  2»  partie,  284. 
Roberts    {S.  ■€.).  A    history    of   the 

Cambridge  University  Press,  1521- 

1921,  283. 
Steel  (colonel  .7.  P.).  Feet  of  fines, 

Cumberland,  283.  " 
Wallis  {John  Eyre  Winstanley).  En- 
glish régnai  years  and  titles,  281. 

HISTOIRE   DE  l'iSLAM. 

Abenbéder.   Manuel  d'algèbre;   texte 

arabe  et  trad.  par  José  A.  Sà7ichez 

Pérez,  100. 
Abenhazam   de    Côrdoba.   Traité  de 

morale    pratique;    texte    arabe    et 

trad.  par  M.  Asin,  100. 
Abentomlus  de  Alcira.  Introduction 

à    l'art    de    la    logique;  trad.  par 

M.  Asin,  100. 
Abusait  de  Dénia.  Rectificacién  de  la 

mente;    texte    et    traduction    par 

C.  Angel  Palencia,  100. 
Alarcôn.  Voir  Ibn-el-Abbâr. 
Archives  berbères,  95. 
Arin  {Félix).  Voir  Goldziher  {Ignacz). 
Asin    {Miguel).    Abenmasarra    y  su 

escuela,  100, 


Asin  {Miguel).  Voir  Abenhazam, 
Abentomlus  de  Alcira,  Ribera  (/.). 

Averroès.  Traité  de  métaphysique; 
texte  arabe  et  trad.  par  Quiros  Ro- 
driguez,  100. 

Bel  {A.).  Voir  Ibn-el-Abbâr. 

Ben-Cheneb.  Voir  Ibn-el-Abbâr. 

Caetani  (Leone).  Studî  di  storia  orien- 
tale, t.  III,  95. 

Catalogue  des  livres  de  la  bibliothè- 
que de  la  mosquée  d'El  Qarouiyine 
à  Fez   97. 

De  Boer  {T.  J.).  Muslim,  100. 

Dinet  (E.)  et  Sliman  ben  Ibrahim. 
Vie  de  Mohammed,  prophète  d'Al- 
lah, 98. 

Goldziher  {Ignacz).  Le  dogme  et  la 
loi  de  l'Islam;  trad.  par  F.  Arin, 
100. 

Hartmann.  Zur  Geschichte  des  Islam 
in  China,  100. 

HuaH  {Clément).  Histoire  des  Arabes, 
98. 

Ibn-el-Abbâr.  Takmila-t-essila  (Dic- 
tionnaire biographique  des  savants 
d'Espagne).  Supplément  par  Alar- 
côn et  G.  Palencia;  préface,  publ. 
par  A.  Bel  et  Ben-Cheneb,  97. 

Miller  (William).  The  Turkish  resto- 
rationim  Greece,  1718-1797, 'Z81. 

Miscelanea  de  estudios  y  textos  ara- 
bes, 96. 

Montet  (Edouard).  Études  orientales 
et  religieuses,  95. 

—  L'Islam,  96. 

Nallino  {Carlo  Alfonso).  Notes  on 
the  nature  of  the  Caliphate  in  gê- 
nerai and  on  the  alleged  ottoman 
caliphate,  99. 

Neue  Orient  (der),  95. 

Nœldehe  (Theodor).  Geschichte  des 
Qorans;  refondue  par  F.  Schwally, 
98. 

Palencia  {C.  Aiigel).  .Yoir  Abusait  de 
Dénia,  100. 

—  {G.).  Voir  Ibn-el-Abbâr. 

Pérez  {José  A.  Sanchez).  Voir  Abe)i- 

béder. 
Queroiiil-Archinard.  L'autre  France  : 

Tunisie,  Algérie,  Maroc,  96. 
Ribera  (J.)  et  Asin  {Miguel).  Manus- 

critos  arabes  y  aljamiados,  100. 
Rodriguez  {Quirôs).  Voir  Averroès. 
Satnné  (D'  G.).  La  Syrie,  99. 
Schivally  {F.).  Voir  Nœldeke  {Th.). 
Slinia?i    ben   Ibrahim.    Voir    Dinet 

(E.). 
Studien    zur    semitischen    Philologie 

und  Religionsgeschichte  Julius  Well- 

hausen  zum  70sten  Geburtstag  ge- 

widmet,  96. 

HISTOIRE   d'iTALIE. 

Levi  {Cesare).  Il  teatro,  129. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE. 


313 


Pasaui  iVbaldo).  Documenti  per  la 
storia  d'Arezzo  1180-1337,  129. 

Profili  bibliografici  dell'  Italia  che 
scrive,  129. 

Schiaparelli  {Luigi).  La  scrittura  ila- 
liana  nell'  età  romana,  308. 

HISTOIRE   DO  JAPON. 

Anesaki  {Masaharu).  Quelques  pages 
de  l'histoire  Teligieuse  du  Japon, 
129. 

Iwosafii  (Uichi).  The  working  forces 
in  Japanese  politics,  1867-1920, 129. 


Rivetta  {P.  S.).  Storia  del  Giappone, 

129. 

HISTOIRE   DE   RUSSIE. 

Officiai  history,  naval  and  mUitary, 
of  therusso-japanese  war,  t.lU,  U\. 

Zagorsky  {Simon).  La  république  des 
Soviets.  Bilan  économique,  MZ. 

HISTOIRE   DE  LA  MUSIQUE. 

Co7nbarieu  (/.).  Histoire  de  la  musi- 
que, t.  III,  114. . 


TABLE  DES  MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND. 

Pages 

Batiffol  (Louis).  Richelieu  et  la  question  de  TAlsace  .     .      161 . 

Homo  (Léon).  Les  privilèges  administratifs  du  Sénat  romain 
sous  l'Empire  et  leur  disparition  graduelle  au  cours 
du  iiF  siècle  ;  suite  et  fin 1 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

Blanchet  (Adrien),  de  l'Institut.  Les  journées  de  juillet  et 

août  1789  à  Strasbourg 57 

Vivier  (Robert).  La  grande  ordonnance  de  février  1351  ;  les 

mesures  anticorporatives  et  la  liberté  du  travail  .  201 
Waldner   (E.).    Lettre   de  Charles   Marchand,   abbé   de 

Munster  en  Alsace,  à  un  confrère  (1662)  ....  53 
Commandant  Weil.  Saint-Jean  de  Latran.  La  chapelle  de 

sainte  Pétronille  et  les  privilèges  de  la  France .    .      214 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Histoire  de  France  :  Le  moyen  âge  jusqu'aux  Valois, 

par  Louis  Halphen     ....      224 
—  Fin  du  moyen  âge,  par  Ch.  Petit- 

DUTAILLIS  ........         70 

Histoire  de  l'Islam,  par  E.  Montet 94 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Batiffol  (Mgr  Pierre).  Le  catholicisme  de  saint  Augustin 

(P.  Alfaric) 108 

Boyer  (^Charles).  Christianisme  et  néo-platonisme  dans  la 

formation  de  saint  Augustin  (Id.) 108 

CoheM  (Gustave).  Écrivains  français  en  Hollande  dans  la 
première  moitié  du  xvif  siècle  (F.  Baldensper- 
ger) 256 

Combarieu  (J.).  Histoire  de  la  musique,  t.  III  (Louis  Hal- 
phen)   114 

[Supplément  ao  numéro  de  novembre-décembre  1921.J 


TABLE   DES   MATIÈRES.  315 

Pages 

Correspondance   de    saint   Vincent    d»   Paul;   publ.    par 

P.  COSTE  (abbé  A.  Degert) 260 

Crowell   (J.  Franklin).   Government  war  contracts  (R. 

Guyot) ,     .     .     .      116 

GOLUBOVICH    (P.  G.).   Biblioteca    bio-bibliograûca   délia 

Terra  Santa  e  dell'  Oriente  francescano  (L.  Bré- 

hier) 108 

GuiGNEBERT  (Charles).  Le  christianisme  antique  (P.  Alfa- 

ric) 106 

IIatzfeld  (Jean).   Les  trafiquants   italiens  dans  l'Orient 

hellénique  (L.  Bréhier) 103 

Kern  (Fritz).  Gottesgnadentum  und  Wiederstandsrecht  im 

frûheren  Mittelalter  (Marc  Bloch) 247 

OswALD  (Félix)  et  Davies-Pryce  (T.).  An  introduction  to 

the  study  of.  terra  sigillata  (Ch.  Lécrivain).  .  .  102 
Pais  (E.).  Fasti  triumphales  populi  romani  (E.  Gavaignac).  245 
PiRENNE  (Henri).  Histoire  de  Belgique,  t.  V  (H.  Vander 

Linden) 111 

Saint-Jours  (B.).  Le  httoral  gascon  (Ch.  Bémont)  .  .  .  253 
ScHEiL   (V.),  de   l'Institut.    Recueil   de  lois   assyriennes 

(G.  Contenau) 242 

Notes  bibliographiques  :  Allemagne  (p.  122),  Amérique 
du  Sud  (p.  122),  Danemark  (p.  274),  États-Unis 
(p.  122,  274),  France  (p.  123,  275),  Grande-Bre- 
tagne (p.  279),  Japon  (p.  129),  Pays-Bas  (p.  131), 
Russie-  (p.  132),  Histoire  de  l'antiquité  (p.  273), 
Histoire  de  la  guerre  (p.  119,  270),  Histoire  géné- 
rale (p.  117,  264). 


RECUEILS  PERIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 

AUTRICHE. 

Historische  Blaetter  (p.  299). 

BELGIQUE. 

Analecta  BoUandiana  (p.  300). 

FRANCE. 

Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  (p.  150,  298);  Académie  des 
sciences  morales  et  politiques  (p.  150);  Annales  du  Midi 
(p.  150);  Annales  révolutionnaires  (p.  134,285);  Bibliothèque 
de  l'École  des  chartes  (p^285);  Bulletin  de  la  Société  de  l'his- 
toire du  protestantisme  français  (p.  134);  Bulletin  hispanique 


316  TABLE   DES   MATIÈRES. 

(p.  286);  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques 
(p.  287);  le  Correspondant  (p.  139,  291);  Études;  revue  fondée 
par  des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  (p.  141,  292);  la 
Grande  Revue  (p.  141,  294);  Journal  des  savants  (p.  287); 
Mercure  de  France  (p.  142,  294);  Polybiblion  (p.  288);  la 
Révolution  française  (p.  135,  289);  Revue  archéologique 
(p.  135)  ;  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature  (p.  136, 
290);  la  Revue  de  France  (p.  143,  295);  Revue  de  l'histoire 
des  colonies  françaises  (p.  137);  Revue  de  Paris  (p.  146,  296); 
I^vue  des  Deux  Mondes  (p.  148,  297);  Revue  des  études 
anciennes  (p.  138);  Revue  des  études  historiques  (p.  139); 
Revue  d'histoire  de  l'Église  de  France  (p.  291);  Revue  histo- 
rique de  Bordeaux  (p.  151). 

GRANDE-BRETAGNE. 

Bulletin  of  the  John  Rylands  library,  Manchester  (p.  301);  The  english 
historical  Review  (p.  303). 

ITALIE. 

Archivio  storico  lombardo  (p.  151);  Bullettino  dell'  istituto  storico  ita- 
liano  (p.  152). 

Chronique  :  Allemagne  (p.  155),,  Danemark  (p.  155),  États-Unis 
(p.  155),  France  (p.  153,  305),  Grande-Bretagne  (p.  156,  308), 
Grèce  (p.  159),  Italie  (p.  159,  308),  Palestine  (p.  160). 

Erratum 160 

Index  bibliographique 309 


Le  gérant  :  R.  Lisbonne. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupblby-Gouverneur. 


CIIEMII  DE  FER  DE  PARIS  A  LYON  ET  A  LA  IIEDITERRAMË 


Pour  faciliter  aux.  voyageurs  à  :hîLuiatioa  ou  en  provenance  d'Algérie  la  traversée 
(le  Marseille,  la  Compagnie  des  Chemins  de  fer  Paris-Lyon-Méditerranée  et  la  Com- 
pagnie Générale  Transatlantique  ont  mis  récemment  en  service  une  correspondante 
par  autobus  entre  la  gare  de  Marscille-Saint-Charles  et  le  quai  de  la  Joliette  (quai 
d'embarquement  de  la  Compagnie  Générale  Transatlantique)  fonctionnant  à  l'arrivée 
et  au  départ  de  chaque  paquebot. 

Le  prix  de  transport  de  la  gare  au  quai  d'embarquement  ou  vice  versa  est  de 
A  francs  par  personne.  Les  voyageurs 'peuvent  emporter  avec  eux  dans  l'autobus 
quelques  menus  bagages  à  main. 


CHEMINS    DE    FER    DE   L'ÉTAT 


Relations  Franco-Anglaises 

Le  taux  du  change  entre  l'Angleterre  et  la  France  a  fait  augmenter  dans  des  pro- 
portions si  considérables  le  prix  des  voyages  entre  Paris  et  Londres  que  le  voyageur 
doit,  plus  que  jamais,  se  soucier  de  choisir,  parmi  les  divers  itinéraires  reliant  les 
doux  capitales,  la  voie  la  plus  économique. 

C'est  ce  qui  explique  la  faveur  avec  laqueUc  le  public  a  vu  rétablir,  dernièrement, 
les  deux  services  rapides  quotidiens  de  jour  et  de  nuit  Paris-Londres  ci  vice  versa, 
par  Dieppe  et  Newhaven. 

Cette  voie,  de  beaucoup  la  plus  courte  entre  Paris  cl  Londres,  olîre,  conjointe- 
ment avec  la  voie  du  Havre  à  Southampton,  l'appréciable  avantage  sur  toutes  les 
autres  lignes  d'une  différence  de  prix  allant  de  12  fr.  20  à  26  fr.  05.  par  billet  simple, 
cl  de  23  fr.  40  à  54  fr.  55  par  billet  d'aller  et  retour. 

A  cette  économie  sérieuse  vient  s'ajouter  le  bénéfice  d'un  agréable  confort,  non 
scuhnnent  dans  les  trains  français  et  anglais  (voitures  à  couloir,  wagon-restaurant, 
couchettes,  voitures  Pullmann,  etc.),  mais  encore  sur  les  luxueux  et  i)uissants  paque- 
bots à  turbines  (couchettes  réservées,  cabines  particulières,  postes  de  T.  S.  F.  ouverls 
à  la  correspondance  privée,  etc.).  De  j)lus,  l'avantage  de  la  rapidité  a  également  son 
intérêt  (service  de  jour  Paris-Londres  en  S  h.  15  dont  2  h.  45  seulement  de  traversée). 

Aussi  la  ligne  Paris-Londres  via  Dieppe-Newhavcn,  avec  ses  départs  journaliers 
(dimanches  et  fêtes  compris)  de  Paris-Saint-Lazare  à  10  heures  et  20  h.  20,  est-elle  de 
plus  en  plus  appréciée  et  utilisée. 


CHEMINS    DE    FER   DU    NORD 

LES  FORÊTS  DE  CHANTILLY  ET  DE  COMPIÈGNE  EN  AUTO-IAILS 

Deux  circuits  au  départ  1  Deux  circuits  au  départ 

de  Chantilly  I  de  Compiègne 

Tous  les  jeudis  et  dimanches,  depuis  le  -29  mai,  le  Chemin  de  fer  du  N'ord  organise  deux  circuits  automobiles 
dans  chacune  des  forets  de  Chantilly  et  de  Compiègne. 

Circuits  au  départ  de  Cbantilly.  —  Circuit  A  :  (en  matinée  et  en  soirée)  Chantill}',  Scnlis,  Etangs  de 
Commelle,  Chantilly.  —  Circuit  B  :  Chantilly,  Etangs  de  Commello,  Mortefontaine,  Ermenonville,  Chaaiis,  Senlis, 
Chantilly. 

Cicruits  au  départ  de  Compiègne.  —  Circuit  C:  (en  matinée  et  en  soirée)  Compiègne,  Saint-Jean-aux- 
Bois,  Pierrefonds,  Vieu.x-Moulin,  Rethondes  i emplacement  où  fut  signé  l'armistice),  Compiègne.  —  Circuit  D  : 
Compiègne,  Saint-Jean-aux-Bois,  Pierrefonds,  Vieux-Moulin,  Rethondes  (emplacement  où  fut  signé  Tarmistice), 
Tracy-le-Mont,  Tracy-le-Val,  Carlepont,  Pont-l'Evéque,  Noyon  et  sa  cathédrale. 

Prix  des  circuits  au  départ  de  Paris  (trajets  en  chemin  de  fer  et  en  auto-mail  compris). 

1"  classe.         2*  classe.        3*  classe. 

Circuit  A 27.45  23.r5  20. 

Circuit  B 36.65  32.5..  29.20 

Circuit  C 44.85  36.95  30.15 

Circuit  D 68.90  59.30  51.30 

Les  billets  doivent  être  pris  à  l'avance,  lis  sont  déiivn's  à  la  Gare  du  Nord  (salle  des  pas-perdus  de  la  gare,do 

Ceinture),  3,  rue  des   Italiens,  11,  rue  Scribe,    16,  place  Vendôme    et  dans  les  principales  agences  do  voyages. 

Consulter  la  notice  spéciale. 

CHEMINS    DE    FER    D'ORLÉANS 

Nouvelles  facilités  pour  la  livraison  à  domicile  des  bagages  dans  Paris 

Les  Voyageurs  désireux  de  faire  livrer  leurs  bagages  à  domicile  dans  Paris  sont  invités 
dans  leur  intérêt,  et  en  vue  de  faciliter  la  remise  rapide  desdits  bagages,  à  le  faire  connaître 
dès  la  gare  de  départ. 

A  l'arrivée,  ils  présentent  leur  bulletin  à  un  bureau  spécial  installé  dans  la  salle  des 
bagages  des  gares  du  quai  d'Orsay  ou  d'Austerlitz  en  remettant  leur  commande  de  livraison 
et,  le  cas  échéant,  leurs  clefs,  s'ils  ne  veulent  point  assister  eux-mêmes  à  la  visite  de  l'octroi. 

Ils  peuvent  ainsi  gagner  ensuite  leur  domicile  débarrassés  de  tout  souci. 

Pour  plus  amples  renseignements  et  notamment  pour  les  tarifs  consulter  les  prospectus 
spéciau.v  et  les  affiches  apposées  dans  les  gares. 

CHEMINS  DE  FER  DU  MIDI   ET  D'ORLÉANS 


RELATIONS  DIRECTES  ENTRE  MUM  D'ÛRSAY  ET  BARCELONE 

Billets  directs  simples  et  d'aller  et  retour  (l'%  2°  et  3'  classes) 
Enregistrement   direct  des   bagages.  —   Voiiu?-es  directes.  —  Wagons-Lits.  —  Wagons-Restaurant, 

lo    PAR    LIMOGES-TOULOUSE-NARBONNE 

ALLER 

Express.  —  Départ  :  Paris-Quai  d'Orsay,  21  h.  (Wagons-Lits  de  Paris  à  Port-Bou,  toutes  classes).  —  Arrivée  : 
Barcelone,  19  h.  30  (voitures  do  luxe  sur  les  parcours  espagnols).  —  Arrivée  :   Barcelone  23  h.  (toutes  classes). 

Express.  —  Départ  :   Paris-Quai  d'Orsay,  9  h.  52  (Wagons-Restaurant  de  Paris  à  Toulouse).  —  Arrivée.  : 
Barcelone,   10  h.  35  (toutes  classes). 

RETOUR 

Express.  —  Départ  :  Barcelone,  5  h.  (toutes  classos  .  —  Départ  :  Barcelone.  9  h.  4  (voitures  de  lu.ve  sur  les 
parcours  espagnols).  —  Arricée  :  Paris-Quai  d'Orsay,  9  h.  37  i  Wagons-Lits  de  Cerbère  à  Paris,  toutes  classes). 

2°  PAR  TOURS-BORDEAUX-NARBONNE 

ALLER 
Express.   —  Départ  :  Paris-Qaai  d'Orsay,  8  h.  25  ^Wagan-Restaurant  de  Paris  à  Bordeaux).  —  Arrivée  : 
Barcelone,  10  h.  35  (toutes  classes). 

RETOUR 
Express.  —  Départ  :  Barcelone.  14  h.  23  (Wagon-Restaurant  de  Bordeaux  à  Tours).  —  Arrivée.  :  Paris-Quai 
d'Orsay.  18  h.  25  (toutes  classes). 


D        Revue  historique 

1 

R6 

t. 136-138 


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