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REVUE HISTORIQUE
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
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NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
PUBLIEE SOUS LA DIRECTION DE MM.
Eugène de ROZIERE
Sénateur, Membre de l'Institut,
Inspecteur général honoraire des ArehiYes.
Adhémar ESMEIN
Agrégé à la Faculté de droit de Paris.
Rodolphe DARESTE
Membre de l'Institut,
Conseiller à la Cour de Cassation.
Jacques FLACH
Docteur en droit
Professeur à l'École des Sciences politiques
Marcel FOURNIER
Docteur en droit
ArchiTi«te-Paléographe,;Secrétaire de la Rédaction.
HUITIÈME ANNÉE
PARIS
L. LAROSE ET FORCEL
Libraires-Editeurs
22, RUE SOUFFLOT, 22
1884
NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ETRANGER
LE TESTAMENT DU MARI
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS.
Beaucoup d'anciennes législations font à la femme mariée »
quant à ses droits pécuniaires , une condition à la fois rigou-
reuse et privilégiée. D'un côté, le plus souvent, les biens
qu'elle apporte en se mariant passent sous la domination du
mari qui en a la jouissance ou même la propriété ; au cours
du mariage, elle ne peut acquérir sans le consentement du
mari , qui , bien souvent encore , a la jouissance ou la pro-
priété de ces acquêts. D'autre part , on fait à la veuve d'im-
portants avantages; non-seulement son apport lui est res-
titué, mais encore elle a de larges gains de survie prélevés
sur la fortune de son mari défunt.
Ces idées, si familières aux coutumes germaniques, ont
guidé également les anciens Romains; mais, dans l'appli-
cation, ceux-ci leur ont donné un tour particulier conforme
à leur génie.
A Rome, la forme la plus ancienne de l'union légitime,
celle qui resta longtemps dominante, fut le mariage avec
Rctoe msr. — Tome VIIT. 4
328974
2 LE TESTAMENT DU MARI
manus (1). Tout ce qui appartenait à la femme lors de la con-
ventio in tnanum , tout ce qu'elle acquérait dans la suite > se
confondait dans le patrimoine de son mari , et si elle mourait
la première , la confusion était irrévocable , et rien ne venait
en tempérer les effets. Si, au contraire, le mari prédécédait,
les droits de la veuve n'étaient point méconnus : la succes-
sion ab intestat s'ouvrait-elle, la femme, sua hœres, venait
à côté des enfants prendre une part virile. Mais c'était là
un accident fort rare dans les mœurs romaines. Le plus sou-
vent, le paterfamilias avait testé, et alors l'usage, comme
je vais le montrer, lui imposait toute une série de disposi-
tions testamentaires en faveur de sa femme, qui lui assu-
reront à celle-ci v avec la reprise de son apport, d'importants
gains de survie.
Aux yeux des anciens Romains, c'est un devoir précis
pour le mari que d'assurer à sa veuve une vie digne et facile :
c'est la compensation du rôle humble et effacé que la femme
a dû tenir, au point de vue juridique, pendant la durée du
mariage. Mais ce devoir, ce sont les mœurs et non les lois
qui l'imposent au mari : la loi ne lui fournit que le moyen
de le remplir, en lui ouvrant le droit de tester. 11 agira li-
brement, dans sa pleine souveraineté de chef de famille,
lorsqu'il fixera les droits pécuniaires de sa femme dans l'acte
suprême qui doit clore son règne domestique.
Les anciens Romains, en effet, ont eu l'idée de cette
communauté des biens dans la famille qui, chez les Germains
et les Slaves, produit parfois des effets si nets et si puis-
sants (2) : mais, tant que vit le père, ils n'en ont fait naître
aucun droit des membres contre le chef (3). Dans ce patri-
moine que gouverne le paterfamilias et qui est le sien, se
trouvent confondus bien des apports divers; le bien de la
femme, le travail des enfants ont contribué à le grossir;
(1) Voyez mon étude sur La manus, la paternité et le divorce dont V ancien
droit romain (Revue générale du droit, 1863).
(2) Voyez, par exemple, Czylahrz : Zur Getchichte des ehetteken Gùterrechts
im bdmisch-mâhrischen Landrecht, 1883, p. 1, ssq.
(3) Si ce n'est peut-être le droit de provoquer, le cas échéant, Vinterdictio
re et commercio du paterfamilias. Voy. Voigt : Die XII Tafeln, § 164, tom. II,
p. 726, eeq.
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 3
mais c'est le père seul qui fixera dans son testament la part
de chacun. Faire son testament, c'est donc pour lui s'ac-
quitter d'un grand devoir moral : ne pas le faire , c'est éviter
de payer une dette sacrée, c'est le fait d'un homme sans
conscience et d'un dépositaire infidèle. Voilà pourquoi , sans
doute, et non sans raison, les Romains regardaient comme
quasi déshonoré celui qui mourait intestat (1).
Avec le mariage sans tnanus on pourrait croire que le tes-
tament du mari perdit pour la femme beaucoup de son im-
portance. Il n'en fut point ainsi, et il ne cessa pas d'être à son
égard un acte de justice distributive. Le mari, en effet, était
propriétaire de la dot, et, pendant longtemps, la loi ne donna
aucune action à la femme survivante pour en réclamer la
restitution. Tant qu'il en fut ainsi, la simple uxor ne recou-
vra ses biens dotaux qu'en vertu d'une clause du testament
de son mari , et si celui-ci mourait intestat , elle était moins
bien traitée que la femme in manu; elle n'était point sua
ï&res comme cette dernière, et le préteur lui-même, lors-
qu'il l'appela à la succession par l'édit Unde vir et uxor,
ne lui donna qu'un rang bien éloigné parmi les bonorum pos-
sessores. Sous l'influence de ces principes, l'habitude du lé-
gation dotis s'enracina tellement qu'elle âubsista, alors que
Tactio rei uxorix eut atteint son complet développement.
Les dispositions testamentaires que l'usage dictait au mari
en faveur de la femme in manu dépassaient de beaucoup la
restitution de la dot; elles lui faisaient sa part dans cette
fortune du paterfamilias , qui seule avait profité de son labeur
et de sa vigilance. Ces libéralités persistèrent en faveur de
la simple uxor. Sans doute, celle-ci avait conservé la fa-
culté d'acquérir pour elle-même ou pour le père dont elle
devait hériter un jour. Mais cette faculté d'acquérir ne pou-
(1) Voici ce que Fronton écrit à Marc-Anrèle. 11 est question de testa-
, qu'on devait envoyer des provinces à Rome pour la décision d'an
: « Qui mos si foerit inductus ut defunctoram testamenta ex provin-
unosarinis Romani mittantnr indignias et acerbins testamentoram peri-
erit qaam si corpora mtttantur defunctorom qui trans maria testantur.
Nam bis qoidem nollnm fere gravins periculum super veni et... At ubi testa-
■iisilym nanfragio submersum est, ilîa demain et res et domus et familia
nanfraga atqne insepulta est. » Lettres de Marc-Aurèle et de Fronton , édit.
Gaston, tom. I, p. 155-6.
4 LE TESTAMENT DU MARI
vait être productive que si la femme avait un fonds à faire
fructifier : or, il semble que, pendant longtemps, la femme
ne reçut rien de sa famiÛe en dehors des biens qu'elle ap-
portait en dot (1); les paraphernaux ont tenu, pendant
longtemps, une place peu importante dans le droit matri-
monial romain (2). Dans le mariage libre comme dans le
mariage avec manus, la veuve avait bien droit à une ré-
compense.
D'ailleurs, les legs du mari à sa femme répondaient en
partie à des besoins qui sont de tous les temps , et ils fourni-
rent aux Romains un moyen commode pour corriger les in-
convénients que présenta la prohibition des donations entre
époux.
Je voudrais ici retrouver, à l'aide des textes, les clauses
qui étaient de style dans le testament du mari, et montrer
aux diverses époques la portée de ces dispositions (3). Je
montrerai ensuite comment, au Bas-Empire, s'établirent pour
la femme des gains de survie conventionnels ou légaux , qui
reléguèrent au second plan le testament du mari.
(1) Cela semble attesté par l'habitude chez le père de léguer à sa fille sa
dot, tout en l'exhérédant. L. 10, § 2, D. xxxiv, 1 ; L. 21, D. xxxm, 5.
(2) Les jurisconsultes de l'époque classique parlent fort rarement des
biens paraphernaux. L. 9, § 3, D. xxm, 3 ; L. 95, pr. D. xxxv, 2. Cette classe
de biens , qui avait un nom spécial en Gaule et en Grèce , n'en avait pas à
Rome. Jadis on les avait désignés par l'épithète receplicia. Aulu-Gelle, AL
X., xvii, 6, 1 et 6 : ce Quando mulier dotem marito dabat, tum quae ex suis
bonis retinebat neque ad virum transmittebat, ea recipere dicebatur; sicuti
nunc in venditionibus recipi dicuntur, quae ezcipiuntur neque veneunt. »
Cf. Festus, v° Rectpiicium; Non. Marc, 56, 6 et 12. Cette terminologie indi-
quait clairement le caractère tout exceptionnel des biens non dotaux de la
femme. Plus tard, l'expression dot recepticia fut employée dans un autre
sens. Ulp., vi, 5. La pratique que constate Ulpien dans la loi 9, § 3, D. xxm,
3, montre que, de son temps, les biens paraphernaux avaient généralement
peu d'importance.
(3) Dans les habitudes romaines, le testament était autant l'œuvre de la
jurisprudence qui en fournissait le modèle que du testateur qui y déposait
ses volontés. Pour le rédiger, l'assistance d'un jurisconsulte était presque
nécessaire; c'était faire un grand éloge d'un scribe que de dire qu'il pouvait
rédiger les testaments sans cette assistance. Voy., par exemple , Wilmanns ,
Intcript., n° 2473 : « Testaments scrlpsit annos XIV sine jurisconsulte). »
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 5
Le testament du mari.
I.
Nous trouvons au Digeste de nombreux textes qui nous
montrent un mari instituant sa femme héritière (1) ; et c'était
certainement la règle lorsque la femme se trouvait in manu
mariti. Celle-ci était alors hœres sua de son mari; il fallait
par conséquent qu'elle fût instituée par lui ou exhérédée, et
le plus souvent il l'instituait; ce qui le prouve, c'est que le
premier, le plus important des legs qu'il lui fera porte dans
l'usage le nom de legs préciputaire , « prœkgatum dotis (2). »
Cependant il devait arriver assez souvent que le mari exhéré-
dât bona mente la femme in manu avec les filles et les petits*
fils, leur laissant, à titre de legs, leur part dans le patri-
moine; il réservait alors à ses fils le titre d'héritier et le
règlement de la succession (3). Mais je croirais que moins
(1) Voy. LL. 34, § 3 ; 53, § 1 ; 77 ; 88, § 16 ; 89 pr., § 7, D. xxxi ; LL. 41
pr.f §§ 7, 14; 42, D. xxxii; LL. 13, § 1; 21, § 2, D. xxxm, 1; L. 21, D.
xxxm, 5; LL. 14; 41, § 14, D. xl, 5.
(2) On a soutenu que l'expression prxlegatum dotis n'emportait point l'idée
de legs préciputaire, et s'expliquait par l'idée de restitution (V. Dirksen,
Mexuale, v° Prxlegaré); mais ce point de vue est traduit par l'expression
ios relegata. On a prétendu aussi que Ton disait prxlegare dotem « quod ,
intequam ejus reddendœ dies venerit, ea numerari a mariti hsredibus ju-
betor • (Vicat, Vocabulariwn juris utriusque , v° Prxlegare). Mais c'est une
étymologie peu vraisemblable. 11 est plus naturel de conserver ici au mot
frxUqare son sens propre , le seul qu'il pût avoir pour l'école Sabinienne
(Gaîus, II, 217, ssq.).
(3) Ce qui ferait croire à cette exhérédation fréquente de la femme in manu,
des filles et des petits-fils , c'est que , tandis que le fils doit être exhérédé
nominalim, toutes ces personnes peuvent être exhérédées inter cxteros
(Gaîos, H, 128; Ulp., xxn, 20). Leur exhérédation était donc considérée
an quelque sorte comme une clause de style. Mais en même temps le pater-
ftmdUu leur laissait leur quote-part de la succession, peut-être dans un lega-
hm par tUionis. Le jut accretcendi, qu'on reconnut à ces personnes lorsqu'elles
avaient été omises , dut être mesuré sur la part de biens qu'on leur léguait
d'ordinaire dans les testaments qui contenaient la clause : exteri exheredes
tuêtc.
6 LE TESTAMENT DU MARI
souvent que les filles et les petits-fils la materfamilias était
rayée du nombre des héritiers.
Même dans le mariage libre, la femme est souvent instituée
par son mari. Parmi les textes du Digeste qui contiennent de
semblables institutions , quelques-uns sans doute se rappor-
tent à une femme in manu (1) ; mais dans le plus grand nom-
bre il s'agit d'une simple uxor. Peut-être doit-on attribuer cela
à la force des anciennes habitudes ; mais , d'autre part , ces
textes attestent chez les contemporains des grands juriscon-
sultes un profond respect de l'épouse , et font le plus heureux
contraste avec les témoignages des philosophes et des sati-
riques. Souvent la mère est instituée à côté de son fils (2);
parfois la fille est exhérédée alors que la mère est instituée
avec le fils (3). Fréquemment, en inscrivant sa femme au
nombre de ses héritiers , le mari lui remet le soin de sa sépul-
ture (4) , ou lui donne la mission de veiller après lui sur ses
intérêts les plus chers (5).
Mais la partie la plus importante comme la plus intéres-
sante dans le testament du mari, c'est l'ensemble de legs en
faveur de la veuve, dont l'usage lui imposait au moins les
(1) Voy. LL. 14 et 41, § 14, D. xl, 5. Il est dit dans ces textes que la
femme instituée abttinuU ab hereditatt; on peut eu conclure qu'elle est hères
sua, puisqu'elle fait usage du /tu abstinente.
(2) L. 77 pr., D. xxxi : « Gam paterfllias eorumque matrem heredes insti-
tuisset » (cf. L. 89, eod. tU.; L. 41 pr., §§ 7, 14, D. zxxu).
(3) L. 21, D. xxxm, S : « Filium et uxorem heredes scripsit, filiam exhe-
redavit et ei legatum dédit , cum in familia nuberet , centum. »
(4) L. 42, D. xxxii : c Titius heredes instituit Seiam uxorem ex parte duo-
decima Msviam ex reliquts partibus, et de monumeoto quod sibi exstrui vo-
lebat, ita cavit : c Corpus meum uxori mes toIo tradi sepeliendum et monu-
mentum exstrui. »
(5) L. 41, § 14, D. xxxu : « Heredis scripti fidei commiserat ut Seis uxori
unirersam restitueret hereditatem, et uxoris fidei commisit in hsc verba : « A
te, Seia, peto, ut quidquid ad te ex hereditate mea pervenerit, exceptis his,
si qu« tibi legari, reliquum omoe reddas restituas M&viœ infanti dulcissime :
a qua Seia salis exigi veto cum sciam eam potius rem aucturam quam detri-
mento futuram. » — L. 21, § 2, D. xxxiii, 1 : « Filium ex dodraote, uxorem
ex quadrante instituit heredes et fllii fidei commisit, ut novercs restitueret
hereditatem, ab ea autem petit, ut infirmitatem fllii commendatam haberet,
eique menstruos aureos denos pnestaret, donec ad vicesimum quintum an-
num etatis pervenerit,' cum autem impleret eam ntatem, partem dimidiam
hereditatis ei restitueret. »
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 7
principaux. Il y avait là une série de clauses , qui étaient de
style (1) et dont l'interprétation se rattachait à une conception
spéciale des droits de l'épouse (2). Essayons de les reconsti-
tuer.
II.
Le premier en ordre de ces legs , celui qui , pendant long-
temps, fat le premier en importance, c'est le legatum dotis.
Son origine remonte sûrement à une époque où la femme sur-
vivante n'avait pas droit à la restitution de sa dot. Même
quand il instituait sa femme héritière, le mari détachait de
son patrimoine , comme une valeur étrangère , la dot qu'elle
y avait apportée et la lui attribuait à titre de legs précipu-
taire, prœlegatum dotis (3). A plus forte raison la femme rece-
vait-elle ce legs lorsqu'elle n'était pas instituée héritière. Le
legs de la dot est souvent qualifié dans les textes relegatum
dotis (4) : cette expression indique bien nettement l'idée d'une
restitution; c'est un bien qui retourne au véritable ayant-
droit.
Ces deux termes prœlegatum et relegatum sont d'ailleurs
employés pour désigner un autre legs qui se rapproche fort
de celui de la dot par les motifs sur lesquels il repose : le legs*
du pécule au filiusfamilias. Le pécule qu'administre le fils déjà
grandi en âge n'est-il pas en réalité sa création et sa chose?
Peut-être même a-t-il rendu à la caisse du père les premières
avances grâce auxquelles il s'est formé. Comme droit à son
pécule, le fils peut invoquer le titre qui justifie le mieux la
propriété, c'est-à-dire le travail. En léguant par préciputle
(i) L. 45, D. xxxii : « In usu frequentissimo rersatur, ut in Ugatis uxoris
aàjiciatur qaod ejus causa parata aint. » — L. 33, § 1, D. ibid. ; « Uxori sue
vtfer estera ita legavit. »
(9 L. 29 p., D. xxxii. Il s'agit d'uu legs fait à une concubine et non à une
wor .- € Labeo id non probat, quia in hujusmodi legato non jus uxorium se-
quandom, sed verborum interpretatio esset facienda. »
(3) L. 1, §§ 6, 13, 1. 9; L. 15, 1. 17, D. xxxui, 4; L. 51, 1. 78, § 14, D.
ixxyi, 1; L. 27 pr., D. xxxm, 2.
(4) L. 1 pr., §§ 1, 2, 5, 9, 10, 11, 12, 14, 15; L. 2 pr., I. 3 ; L. 4, D. xxxm,
4;L. 77, § 12, D. xxxi : « Dos prtelegata. .. reddi potius videtur quam
<i«ï. J»
8 LE TESTAMENT DU MARI
pécule au Gis (1) et la dot à la femme, le paterfamilias ac-
complit un même acte de justice distributive : les mêmes
expressions employées de part et d'autre montrent que Cette
pensée fut bien celle des anciens Romains.
L'habitude de léguer à la femme sa dot persista, nous l'a-
vons dit, après que l'action rei uxorix fut née et que la pra-
tique des cautiones rei uxorix se fut répandue. Le jurisconsulte
Paul dit encore : « Paterfamilias dotem, ut solet, legavit (2). »
Sans doute on voit là surtout la force d'un ancien usage ; mais
le legs de la dot présentait aussi pour la femme des avantages
qu'elle ne trouvait ni dans l'action rei uxoriœ, ni même par-
fois dans la stipulation de sa dot : je vais le montrer tout à
l'heure.
Le legs de la dot se présente sous deux formes : le tegatum
dotis proprement dit et le legatum pro dote. Dans le premier
cas, le mari léguait la dot elle-même considérée comme une
universalité, comme une entité juridique, « dos ipsa, dos ge-
neraliter legata est (3); » dans le second, il léguait à sa
femme un ou plusieurs objets déterminés pour lui tenir lieu
de sa dot : « Non dos sed pro dote aliquid relegatur (4). »
Aux yeux des jurisconsultes classiques ces deux sortes de
legs ont des effets bien différents. Le legatum dotis, quanta
sa portée , se règle exactement sur l'action qu'aurait la femme,
en dehors de tout legs, pour se faire restituer sa dot : « verum
est id dotis legato inesse quod actione de dote inerat... dotis
actionem continet dotis relegatio (5). » Le legatum pro dote,
au contraire, est un legs ordinaire qui porte sur un ou plu-
sieurs objets individuellement déterminés , et la clause qui en
fait un équivalent de la dot n'est en réalité qu'une demonstratio.
(i) L'habitude pour le père de léguer à son fils son pécule paraît ressortir
des textes. V. L. 26, D. xxxm, 8 : « Titi fili, e medio prœcipito sumito tibi
que habeto domum illara item aureos centum. Alto deinde captte peculia /Mis
prxlegavit. » Cf. L. 10, ibid.; L. 89 pr., D. xxxi; L. 7, D. xl, 1. — V. Bris-
sou : De formulis et solemnibus populi romani verbit, lib. VIII, édit. Paris,
1583, p. 715.
(2) L. 13, D. xxxm, 4.
(3) L. 6, § 1; L. 1, § 14, D. xxxm, 4.
(4) L. 2 pr.; L. 6, § 1, D. xxxm, 4.
(5) L. 1 pr., § 5, D. xxxur, 4.
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 9
De celte distinction fondamentale découlent des différences
secondaires qu'énumèrent les textes, et dont voici les princi-
pales. Si la dot consiste en corps certains non estimés et que
ces choses aient péri fortuitement, le legatum dotis s'éva-
nouit (1); le legatum pro dote subsiste en pareil cas pourvu
que son objet propre n'ait point péri (2). Si le mari, par
extraordinaire, a légué une dot qui n'existait pas, le legatum
dotis est alors nul, le legatum pro dote est valable (3). Si la
dot, au moment de la dissolution du mariage, était encore
due par la femme elle-même à qui elle est léguée, le legatum
dotis ne lui procurera que sa libération; en vertu d'un legatum
pro dote, elle pourrait sans doute réclamer l'objet précis du
legs (4). Les textes nous disent que dans le legatum dotis la
femme subira les mêmes retentiones qu'elle aurait supportées
dansl'oclio rei uzori&($); en cas de legatum pro dote, elle ne
devra même pas compte des dépenses nécessaires faites à
l'occasion de sa dot (6). Enfin , la femme ne trouvait dans le
legatum dotis que la valeur exacte de sa dot, elle pouvait trou-
ver dans le legatum pro dote un objet d'une valeur beaucoup
plus grande.
Cette distinction a donc une très grande importance à l'é-
poque classique , mais il est fort douteux qu'elle soit très an-
cienne et qu'on l'ait faite de tout temps. S'il est vrai que
l'usage de léguer la dot à la femme ait existé alors que Yactio
reiuxoriœ n'existait pas encore, il est clair qu'alors l'interpré-
tation du legatum dotis, telle que nous venons de la donner,
n'avait pas encore pu naître. Elle ne put se former que quand
l'obligation de restituer, imposée par la loi au mari , eut donné
au terme dot une valeur juridique et un objet légalement dé-
terminé. Jusque-là , il n'y eut à vrai dire que des legata pro
dote: mais sans doute déjà, lorsque ceux-ci étaient conçus
en termes fort généraux , on reconnaissait au juge de larges
pouvoirs, pour déterminer ce que devait obtenir la femme.
(i) L. 1, § 6, D.xxxni, 4.
(2) L. 8, D. xzxiii, 4.
(3) L. 6, § i,D. xxzm, 4.
(4) L. 1, § 7, D. xxxm, 4; cf. L. 16, 1. 1, § 9, ibid.
(5) L. i , § 3, D. xxxm, 4.
(6) L. 2pr., D. xxxin, 4.
10 LE TESTAMENT DU MARI
A l'époque des grands jurisconsultes, le legatum dotis n'a
rien en lui-même de très avantageux pour la femme. Le profit
le plus clair qu'elle en retirera, c'est que si elle avait dû pour
réclamer sa dot recourir au droit commun et qu'il s'agisse
d'une dos quae annua, bima, trima, die redditur, elle pourra
agir de suite et profitera du commodum repr&sentationis (1).
Le legatum pro dote, au contraire, pourra, nous l'avons vu,
lui donner beaucoup plus que le droit commun. Il se présen-
tait d'ailleurs sous plusieurs formes.
La formule la plus usitée et la plus ancienne paraît avoir
été à peu près la suivante : « Quantam pecuniam ( ou summa)
dotis nomine ad me pervertit, tantam pecuniam (ou tantumdem)
pro ea dote uxori do lego (ou hères meus dato) (2). » D'ailleurs
on interpréta d'abord ces termes en ce sens qu'on vit dans le
mot pecunia ou summa non pas la valeur de la dot en argent
mais la dot elle-même , les objets qui la constituaient (3) ,
comme ce même mot pecunia désignait le patrimoine entier
dans la nuncupatio du testament per œs et libram (4), et c'est
peut-être sur cette ancienne formule que la jurisprudence
édifia la théorie postérieure du legatum dotis proprement dit.
Mais il n'est pas douteux qu'à l'époque classique elle ait été
employée par des testateurs pour léguer à la femme , non la
dot elle-même , mais sa valeur en argent : pecuniam pro dote
legare (5). Et alors c'était surtout une question d'intention
que de savoir si le disposant avait voulu faire un legatum do-
tis ou un legatum pro dote. D'ailleurs celui-ci, s'il se décidait
pour le second parti , avait un moyen bien simple d'écarter
(1)L. 1, §2, D. xxxm, 4.
(2) L. 6 pr., § 1 (Labéon), D. xxxm, 4; L. 17, § 1 (Scœvola) , ibid.; L. 41,
§ 1, D. xxxi ; Brisson, De formulis, p. 717 : « Plane in dotis relegatione so-
lemnia fuisse verba hœc quantat pecuniat docet Marcianus in lege, 95 , D. De
legatis, ni. »
(3) L. 95, D. xxxu : « Aristo res quoque corporales contineri ait , quia et
hoc verbiim « quantat » non ad numeratam dumtaxat pecuniam referri ex do-
tis relegatione et stipulationibus emptœ hereditatis apparet, et atumm»»
appellatio similiter accipi deberet, ut in his argumentis quœ relata essent
ostenditur. »
(4)Gaïus, II, 104.
(5) L. 8, l. 6, § i, in fine, D. xxxm, 4.
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 11
toute difficulté : c'était de fixer la somme d'argent qu'il lé-
guait pro dote (1).
D'autres fois, c'étaient des corps certains, compris dans la
dot ou pris dans le patrimoine du mari qui faisaient l'objet du
legs (2). Parfois, enfin, c'était l'institution d'héritier elle-
même, faite en faveur de la femme, qui était destinée à lui
tenir lieu de sa dot (&).
Le legs de la dot sous ses deux formes distinctes pouvait
être construit per prœceptionem (4), per vindicationem (5), per
damnationem (6), et sans doute aussi sinendi modo. Lorsque le
mari avait légué individuellement per vindicationem les corps
certains composant la dot, la femme avait pour les réclamer la
revendication, tandis que l'action ra nxoriœ, comme l'action
ex stipulatu qu'elle avait pu s'assurer, étaient des actions per-
sonnelles.
Si le legalum dotis proprement dit avait été fait per vindica-
tionem, la femme pouvait-elle également revendiquer les corps
certains compris dans la dot et non aliénés valablement par le
mari? A ma connaissance, les textes ne le disent pas; mais
on peut croire qu'il en était ainsi. En effet, le legs de la dot
ressemble assez à celui du pécule , en ce que de part et d'au-
tre l'objet est une sorte d'universalité , et les jurisconsultes
romains font eux-mêmes la comparaison (7) : or, il paraît
bien que le légataire du pécule (dans la formel, lego) pou-
vait revendiquer les corps certains qui y étaient compris (8).
(4)L. 6 pr., § 1, D. xxxm, 4.
(2) L. 48, D. xxxi : « Lidnius Lucusta Proculo suo talulem. Cum facial
oondtcioDem io relegandat dote, ut si mallet uxor mancipia que in dotem
dederit quam peconiam numeratam recipere ; si ea mancipia uxor malit, num-
quid etiam ea que postea ex his mancipiis nata sunt, uxori debeantur. —
ProaUus Lueustx suo salutem. « Si axor mallet mancipia quam dotem accipere
îpsa mancipia, quœ seatimata in dotem dédit, non etiam partua mancipiorum
ei debebuntur. »
(3) L. 53, § 1, D. xxx[ : « Hères instituta pro dote. »
(4) L. 17 pr., D. xxxm, 4.
(5)L. 10, D. xxxiu, 4.
(6) L. 3; L. 6 pr., § 1, D. xxxm, 1.
(7) L.1, § 10, D. xxxui , 4; L. 6 pr., § 1, D. xxxm, 8.
(8) L. 6 pr., D. xxxtu, 8 : « Si peculium legetur et ait in corporibus , puta
fondi yel «des, si quidem nibil sit quod servuB domino vel conservis libe-
42 LE TESTAMENT DU MARI
Dans ces conditions , le legatum dotis aurait été fort avanta-
geux même à la femme qui aurait pu réclamer sa dot par l'ac-
tion ex stipulatu : et c'est peut-être en se plaçant à ce point
de vue que les Instituées de Justinien déclarent, en termes
généraux : « Si uxori maritus dotem legaverit , valet legatum
quia plenius est legatum quam de dote actio (1). » Dans le
droit des Institutes , la légataire aura toujours la revendica-
tion pour les corps certains compris dans la dot (2).
III.
A côté du legs de la dot , l'usage en plaçait un autre , dont
l'origine remonte aussi à l'ancien régime du mariage avec
manus. Les textes en fournissent de nombreuses variantes,
mais dans sa teneur la plus complète il était ainsi rédigé :
« Titiœ uxori quidquid vivus dedi, donavi, ejus causa (ou
usibus) comparavij confeci, id omne do lego (3). » Cela com-
prenait plusieurs chefs.
Cela comprend d'abord le mundus muliebris, et tout ce qui
a été acquis dans le ménage pour l'usage particulier de la
femme, ou mis à sa disposition par le mari : quœ ejus causa
parata sunt. Que ce legs fût une coutume très ancienne, cela
n'est pas douteux (4), et Africain nous dit expressément qu'il
était de style : « Uxori, uti adsolet, legavit quœ ejus causa pa-
rata erunt (5). » Il est aisé de comprendre pourquoi.
La femme soumise à la manus ne conserve rien en propre
et ne peut rien acquérir : tous les objets familiers , meubles ,
esclaves attachés à sa personne, vêtements et bijoux, au milieu
desquels elle a vécu , ne sont donc point à elle , pas même
risve domini debeat, intégra corpora vinâicàbuntur. » L. 56, D. vi, 1. —
Voy. Voigt, Die XII Taftln, § 101, anm. 2, 4, 5.
(l)Inst., I, 20,15.
(2) Il est vrai, d'autre part , que dans le droit de Jastinien la femme a la
revendication des biens dotaux non aliénés par le mari. L. 30, C. v, 12 (de l'an
529).
(3) L. 13, D. xxxiv, 2; L. 33, § 1, D. xxxn.
(4) Voyez Lonius Marcellus, v° Mundus, où il cite ce passage de Lucilius :
« Legavit quidam uxori mundum omne. »
(5) L. 2, D. xxxiv, 2.
ET LA DONÀTIO ANTE NUPTIAS. 13
ceux qu'elle a apportés en se mariant de la maison paternelle;
tout cela appartient au mari (1). Cependant tout cela ne doit-
il pas revenir à la veuve? D'autres législations qui , confon-
dant également le patrimoine de la femme dans celui du mari,
permettent de plein droit à la veuve de reprendre ces ob-
jets (i), le droit romain, suivant sa tendance naturelle, laisse
au mari le soin de faire cette attribution dans son testament.
D'ailleurs ici encore le mari fera pour sa femme ce que fait le
père de famille pour la fiilafamilias. Voici un exemple de ces
dispositions : « Paulinœ fiïix meœ dulcis&imx, si quid me vivo
dcdi, camparavi, sibi habere jubeo; eu jus rei quxstionem fieri
veto (3). »
Dans le mariage libre, l'habitude se conserva pour le mari
de léguer à sa femme « quse ejus causa parata fuerunt, » et un
intérêt nouveau justiûa dans la suite cette habitude. Sauf le
eas où ces objets constituaient pour elle des paraphernaux , la
femme ne peut pas en être propriétaire au cours du mariage.
(i) Tel était jusqu'à ces derniers temps le principe admis par la législation
anglaisa. L'acte de 1882 (45 et 46 Vict., c. 75) est venu renverser les règles
traditionnelles, que d'ailleurs la pratique ou la loi avaient partiellement cor-
rigées : il a proclamé l'indépendance de la femme mariée, en faisant de la
Opération de biens le régime de droit commun , une séparation de biens où
la femme n'est point soumise à l'autorité maritale. C'est depuis lors seule-
ment qne la femme a pu être considérée comme propriétaire des bijoux don-
nés par le mari avant ou depuis le mariage. Voyez Griffith et Worthington
Bromfleld, The married women's property acts, London, 1883, p. 5. « It is
ssbmiUed that a married woman will now hold her paraphernalia as sepa-
rate properly... They consist of such articles of dress and ornament, as
jcwels, pearls, watches, and rings as are su i tables to her station in life, and
are giveo to her to be worn as ornaments , wether before or after marriage
bj her hnsband... Before this act a married woman had no right of pro-
perty in her paraphernalia till she became a widow, which vested on her on
her hnsband's death... while her husband could give them away or sell or
pledge them, though ne could not bequeath them, aud they were liable to
his debtes. »
(2) Voyez, pour le droit anglais, la note précédente.
(3) L. 34, § 6, D. xxxi. — La loi 88 pr., D. xxxi, montre qne le même
sentiment d'équité conduisait à des legs d'une formule plus large encore au
profit de tous les enfants en puissance : « Lucius Titius testamento ita cavit :
Si fmd cuique Uberorum tneorum dedi aut donavi aut in usum conesssi eut sibi
•éfûisut aut ei ab aliquo datum aut relictum est, id sibi prmâpiat, sumat,
44 LE TESTAMENT DU MARI
En effet, ou bien ils faisaient partie de la dot, ou ils avaient
été acquis par le mari , et la coutume qui annulait les dona-
tions entre époux empêchait qu'ils ne passassent dans le pa-
trimoine de la femme (1).
Ce legs était si usuel , qu'il avait ses règles d'interpréta-
tion particulières; et un grand nombre de textes sont con-
sacrés aux questions qu'elles soulevaient. Ainsi les termes
« quw uxoris causa parafa suint, » comprenaient non-seulement
ce que le mari avait acquis pour l'usage de sa femme, mais
encore tout ce qu'il avait mis à la disposition habituelle de
celle-ci , alors même qu'il s'agissait d'objets dont il était déjà
propriétaire avant le mariage (2). Gela comprenait même les
objets qui avaient servi à une première femme (3) : et cette
dernière interprétation était considérée comme un droit de
l'épouse, tellement qu'on se demandait si l'on devait l'étendre
au legs fait en faveur d'une concubine : non pas qu'on son-
geât à lui attribuer les vêtements et les bijoux d'une épouse
décédée ou divorcée , mais on se demandait si l'on devait lui
attribuer les objets qui avaient servi à une précédente conçu-
bina. Les vieux jurisconsultes Cascellius et Trebatius se refu-
saient à l'admettre (4). Il est vrai que déjà Labéon décidait
en sens contraire : il donnait pour motif que le droit matri-
monial n'avait là rien à voir, qu'il s'agissait simplement d'une
interprétation de volonté et que le legs fait à la concubine
devait être interprété comme celui fait à la filiafamUias ou à
toute autre personne (5). Ulpien est plus affirmatif encore
dans le même sens , mais pour un tout autre motif : « Parvi
autem refert uxori an concubin» quis leget quœ ejus causa
(1) L. 7, § 1; L. 18; L. 31 pr., D. xxiv, 1.
(2) L. 45, l. 47, 1. 48, 1. 49, D. ixxu.
(3) L. 47 pr., D. xxxii; oa encore à une fille du mari.
(4) L. 29 pr., D. xxxii : « Qui concubinam habebat ei vestem prioria con-
cubin» utendam dederat; deinde ita legavit : restent quœ ejus causa empta,
parata esset. Cascellius, Trebatius negant ei deberi prions concubin® causa
parata, 9111a alfa conditio estet in uxore. »
(5) L. 29 pr., D. xxxn : « Labeo id non probat, quia in ejuamodi legato
non jus uxorium sequendum, sed ▼erborum interpretatio easet facienda,
idemque vel in filia vel in qualibet alia persona juris esset. » Et Jaroienus
ajoute : « Labeonis sententia vera est. »
ET LA DONATIO ANTB NUPTIAS. 15
parata sunt; sane enim nisi dignitate nihil interest (1). » Ne
peut-on pas voir là , soit dit en passant , une preuve de lente
transformation qui déjà, dans le Haut-Empire , modiûa peu à
peu la conception du concubinat? Après que la loi Julia de
adultéras l'eut mis au nombre des unions légales, par cela
seul qu'elle l'exemptait des peines dont elle frappait les
unions irrégulières, on devait tendre de plus en plus avec le
temps à lui reconnaître une valeur juridique.
Le legs des parata en faveur de la femme se présentait
aussi avec une formule plus détaillée , énumérant soigneuse-
ment les diverses catégories d'objets qu'on voulait y com-
prendre. C'est ainsi que procéda Labéon dans son testament ,
dont cette clause nous a été conservée par Paul : « Labeo
testamento suo Neratiœ uxori su» nominatim legavit : Ves-
tem, mundum muliebrem omnem, ornamentaque muliebria
omnia, lanam, linum, purpuram, versicoloria fada infectaque
omnia (2). »
Les parata légués à la femme étaient le plus souvent des
cadeaux que lui avait faits son mari au cours de leur union.
Hais peut-être celui-ci avait-il voulu lui faire des donations
plus importantes portant sur des sommes d'argent ou des
corps certains. Cela était impossible dans le mariage avec
manus; ces libéralités n'avaient fait acquérir aucun droit à la
femme : mais ici encore l'usage obligeait le mari de léguer à
la materfamilias ce qu'il lui avait inutilement donné de son
vivant (3). Sur ce point comme sur les autres , la femme in
manu était assimilée aux enfants en puissance. Ceux-là aussi,
en droit , ne pouvaient recevoir de donations du pater, mais
l'habitude était que le père transformât en legs valables ces
donations inefficaces (4). Et même une jurisprudence qui se
forma au cours du ni6 siècle , admit que les donations faites
aux filii et filix familias seraient validées de plein droit par le
(i) L. 49, § 4, D. xxxii.
(2) L. 32, § 6, D. xxxti.
(3) L. 107, D. xxx : « Si quando quis uxori sus ea quœ vivus donaverat
vvlgari modo leget. » — Cest à cela que se rapportent les termes « quidquid
dcd», donaui , » dans la formule de legs plus haut citée.
(4) Voyez la formule de legs dans la loi 88 pr., D. xxxi : a Quid cuique
ljberoram meorum dedi aut donavi... sibi prscipiat, Bumat, babeat. »
16 LE TESTAMENT DU MARI
décès du père , s'il n'avait pas retiré son bienfait avant de
mourir (1). Dès lors, pour les enfants, le legs portant sur ces
objets n'avait plus d'utilité ; et on eût sans aucun doute appli-
qué la même théorie au profit de la femme in manu, si à cette
époque la manus eût encore existé.
Dans le mariage libre pendant longtemps Yuxor put recevoir
de son mari des donations entre-vifs ; c'était encore la règle
lorsque fut votée la loi Cincia (2). Mais, quand la coutume
eut fait prévaloir la nullité des donations entre époux, le
legs des choses données eut pour Yuxor la même importance
que pour la femme in manu : et l'usage l'imposa de même au
mari. Par là la règle prohibitive des donations entre époux
perdait beaucoup de sa rigueur. Sauf le cas où le mari mou-
rait intestat, les donations qu'il avait pu faire à sa femme y
étaient toujours confirmées à titre de legs. Aussi YOratio An-
toniniy en validant les donations que l'époux aurait maintenues
jusqu'à son décès, si elle modifia profondément le droit ne
changea-t-elle pas le fond des choses. Elle substitua, à une
confirmation testamentaire qui était de style , une confirma-
tion tacite , plus commode et par là même plus équitable :
c'est d'ailleurs ce qu'indique fort nettement Ulpien : « Oratio,
autem Imperatoris nostri de confirmandis donationibus , non
solum ad ea pertinet , quae nomine uxoris a viro comparata
sunt , sed ad omnes donationes inter virum et uxorem factas...
cui locum ita fore opinor, quasi testamento sit confirmatum
quod donatum est (3). » Mais dès lors le legs des choses don-
nées à la femme , ne fut plus maintenu dans le testament du
mari que par la force de l'habitude.
(!) Paul, Sent., V, il, 3; Frag. Vat., §§274, 277, 278, 281; L. 18 pr., C.
III, 36; L. 2, G. III, 28. Cette jurisprudence n'existait pas encore du temps
où Papinien rédigeait ses réponses. Voy. Frag. Val., § 294. Ce texte contient
un rapprochement curieux entre la donation atteinte par la loi Cincia, la
donation faite par le paterfamilias à l'enfant en puissance , et la donation
entre époux depuis YOratio Antonini.
(2) Frag. Vat., §302.
(3) L. 32, § 1, D. xxiv, l.
ET LA DONATIO ANTB NUPTIAS. il
IV.
Ordinairement le mari faisait un legs d'usufruit en faveur
de la femme (1). C'est là une habitude ancienne (2) et qu'at^
testent encore les jurisconsultes de l'époque classique. Lé
titre du Digeste, qui traite principalement du legs d'usu-
fruit (3), contient 43 fragments, et, sur ce nombre, il en est
13 qui parlent d'un usufruit légué à la femme (4). Lorsque
tes lois caducaires fixèrent d'une manière spéciale le jus ca-
piendi entre époux, à côté d'une quotité en pleine propriété,
elles établirent une quotité supplémentaire en usufruit (5).
En cela les Romains suivaient une pente naturelle qui en-
traîne les législations modernes. Toutes, elles font consister
principalement en usufruit les gains de survie des époux,
eenx de la femme en particulier. Par celte combinaison , sans
dépouiller à jamais ses héritiers naturels , le mari peut assu-
rer à celle qu'il laisse après lui la vie facile et large qu'il lui
faisait de son vivant.
Le legs d'usufruit dans le testament du mari pouvait être
conçu de diverses manières. Le plus souvent il s'agissait d'un
■sufraii pour la vie entière de la femme (6); mais parfois il
était restreint à une durée préfixe (7). Fréquemment il devait
prendre fin quand les enfants du testateur seraient en âge (8)*,
(1) L. 27, D. xxxm , 2 : « Uxori maritus (per fldeicommissum ) usum fruc-
et alia et dotera preôlegavit. » Dans cette phrase , le mot alia désigne
aoctio doute le legs des parala , etc.
(2) Dans les Topiques, Cicéron cite ce legs parmi les clauses usuelles sur
lesquelles il raisonne, c. ni, 17 : a Non débet ea mulier, cui vir bonorum
saorutii osumfructum legavit, ceUis vïnariis et oleariis plenis relictis, putare
|d ad se pertinent. Usus enim non abusas legatus est. •
(3) Dig. xxxi n , 2 : De usu et usufructu et redit* et habitations et opuruper
(évaluai vel fideicommitsum datis.
(4) LL. 22, 24, 25, 27, 30 pr.( 31, 32, $ 2, 3, 4; 35, 37, 38, 39.
(5) Ulp., XV, 3 : c Prêter décimant eiiam usumfruotum tertio partis bono-
ram (ejoa) capere possunt... 4. Hoc amplius mulier praHer decimam dotem
capere potest legatao» sibi. m
($) LL. 22, 23 pr., 25, 27, 31» 3&, IX xxxra, 2.
P) Voy., par exempte, U xxxv, D. xxxni, 2.
(8) L, 5, C. m , 33 (Alexandre Sévère) : c Si pater usumfr uctum pradi*-
Revue hist. — Tome VIII. 2
48 LE TESTAMENT DU MARI
la volonté du père de famille produisait alors au profit de la
mère un résultat semblable à celui qui découle pour elle de
l'article 384. du Code civil. Si le droit romain n'organise pas
l'usufruit légal de la mère survivante (1), que nous avons
puisé à une autre source, les Romains avaient reconnu au
moins en partie les intérêts légitimes auxquels il correspond,
et ils leur donnaient satisfaction conformément au génie de
leurs inslitulions.
Au lieu de faire un legs d'usufruit, pour atteindre le même
but, le mari pouvait laisser à sa femme par voie d'institution
héréditaire ou de legs la portion de biens dont il voulait lui
assurer la jouissance, et la grever d'un fidéicommis au profit
de ses enfants ou autres parents (2).
Parfois la disposition portant sur un revenu ou usufruit
avait un caractère plus modeste. Ainsi le mari lègue à sa
femme Vannnum, c'est-à-dire la pension qu'il lui faisait pen-
dant sa vie, selon les habitudes romaines (3); ou encore il lui
rum in lempus vestro pabertatis matri vestrs reliquit. » — L. 12, ibid.,
(Justicier!) : « Ambiguitatem antiqui juris decidentes sancimtis sive qui»
uxori aux sive alii cuicumque usumfructum reliquerit sub cerlo lempore, in
quod vel filiut ejus vel quisquam alias pervenerit, stare usumfructum in an-
nos, in quos lestator statuit, sive perso n a de cujus œtate compositum est
ad eam pervenerit sive non. » — L. 32, § 4, D. xxxm, 2 : « A te peto,
uxor, un ex usufructu, que m libi prestari volo in annum quintum decimum
contenta sis annuis quadragentis, quod ampli us fuit rationibus heredis here-
dum ve meorum inferatur. » — L. 37, D. ibid.: « Uxori mes usumfruclam
lego bonurum meorum u$que dum filia mea annos itnpleal oclodecim. »
(1) Le père survivant trouvait dans les effets de la tnanus ou de la patrie
potettas des avantages qui dépassent de beaucoup la portée de l'usufruit
légal.
(2) L. 59 (al. 57), § 2, D. xxxvi, 1 : « Peto de te, uxor carissima, uti cum
morieris beredilatem raeam restituas filiis mei vel uni eorum vel nepotibns
meis, vel cui volueris, vel cognatis meissi cui voles ex tota cognatione mea.»
— L. 39, D. xxxui , 2 : « Uxori vestem , mundum muliebrem , laoam , linum
et alias res legavit et adjecit : proprietatem autem eorum, qus supra script*
sunt, reverli volo ad filias meas quœve ex bis tune vivent. » — L. 41, § 14,
D. xxxii : a Uxoris fldeicommisit in bec verba : « A te, Seia, peto ut quidquid
a te ex hereditate mea pervenerit, exceptis bis, si qua tibi supra legavi reli-
quum omne reddas restituas Mssvis infanli dulcissime. A qua Seia salis
exigi veto cum sciam eam polius rem aucturam quam detrimenlo fuluram. »
(3) L. 10, § 2, D. xxxiii, 1 ; cf. L. 15 pr., L. 28, § 6, D. xxrv, 1 ; L. 6, § 4,
D. xxxiii , S.
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 49
laisse les provisions de bouche qui se trouvent dans la mai-
son (1). Dans un texte, l'usufruit légué à la femme est seule-
ment destiné a lui permettre d'attendre la restitution de sa
dot (S).
V.
Les diverses dispositions testamentaires que nous venons
d'examiner formaient, dans le droit antique, un ensemble har-
monieusement combiné. La naissance de l'action rei uxoriœ,
créée pour la femme divorcée, mais bientôt après étendue à
la femme survivante, vint jeter quelque trouble dans cette
ordonnance. L'habitude du legatum dotis n'en persista pas
moins, nous l'avons dit : mais ce legs n'allait-il pas faire
double emploi dorénavant? La femme, ne pouvait-elle pas
invoquer tour à tour le testament du mari et la coutume, et
se faire payer deux fois sa dot? Cela n'eût point été impos-
sible , surtout s'il s'agissait d'un legatum pro dote. Pour parer
à cet inconvénient, un préteur inconnu rédigea YEdictum de
aUerutro, qui forçait la femme de choisir entre ce que lui lé-
guait son mari et ce que lui assurait la loi. Cet édit s'appli-
quait sûrement à toutes les dispositions testamentaires faites
en faveur de la femme et destinées à lui tenir lieu de sa dot :
au legatum dotis , au legatum pro dote (3) , à Yimtilutio pro
dote (4). 11 n'était même pas nécessaire que le mari eût indi-
qué explicitement que, dans sa pensée telle disposition devait
suppléer la restitution de dot : on pouvait démontrer que telle
avait été son intention (5).
Cela était parfaitement raisonnable; mais il semble que
l'édit De aUerutro allait plus loin. D'après lui, semble-t-il, la
femme qui intentait l'action rei uxoriœ renonçait par là même
à tous les legs quelconques que contenait en sa faveur le tes-
tament du mari (6). Cela se comprend moins aisément, car
(1) L. i pr., D. xxxm , 9.
(2) L. 30 pr., D. xxxm, 2.
(3) L. 53 pr., D. xxxi.
(4) L. 53, § 1, D. xxxi.
(5) L. 2 pr., D. xxxm , 4; cf. L. 1, § 14, ibid.; L. 6, § 4,*D. xxxvi, 2.
(6)L. unie, §3, V, 13.
?Q LS TESTAMENT DU MARI
cgftlegs, ffré*. pw l'usage, reposaient sur un, sentiment, d'é-
qujté, et b^wçpup d'wire eu* Devaient aucian yapppii ttv*c
1* rçet^u^po dp, la, doit §'tf: faut accepter comme certaine. eei(p
disposition de l'édit, voici peut-être comment elle s'e$pjiqi}%
L'introduction de l'action rei uxorix, quelque équitable
qu'elle nous paraisse, portait un coup sensible à l'ancienne
organisation familiale : elle imposait au mari une responsa-
bilité légale inconnue jusque-là. Le préteur qui , le premier»
6j£&& A? ÇLUerutfo, chercha sans doute à conjurer ce danger au-
tant qu'il était possible. Si la femme voulait s'çn tenir au tes-
ta&ent dju mari^ qui jadis fixait seul tous ses droits, elle
recueillait toutes les libéralités, qu'il cpntenait en sa favpur.
Si, au çootçaire, elle n'acceptait pas le règlement arrêté par
jq mari PQur 1& restitution de sa dQt, mariti judicivfy nonaqnQ-
Vfiritt ejle pouvait, maintenant porter la question devant le
jyfi^; mais alor$ ejle ne devait plus rien attendre de ce tes-
t&ftçnjt qu'elle avait méconnu. Elle devait opter, pour ainçi
o^i^v e^rp^e régime, ancien et le nouveau,. Le préteur espérait
foea. que , d^ns la plupart, dep w... fo choix de la fpmm &'aV-
tyçherçi t m te^nj.epV du mari,.
Aftiç çeluv-çi çouv^i^ p*r MP dvclajrçtipn Q*pi$.ss*« sous-
traire* l'appUQMÏQa de .PrçJU tput pu pç^ie dej, fcgp, qu'U
f*U>ajt,4^ fpwp?e, car ij n'y *vjut.ÇQÎnt là umprè^la çl'prd.rç
ÇUbHc, Cfcquj \e montre, bien., c'est que s* la, feflaqae rpçlan^U
** dfrt WW JfiK i'^fctooA reti woriv.,, qaajij. pas Taptipa ex st&-
imfaty* iavpq^nt ujîe. promesse formelle de restHjutipn,, plfc
pouvait en même temps réclamer les Ipg-s. qrçp, 1#* avajt faite
^pp q^ri t çutreg.pQurtftjtf, qu,P le, tyMum. 4otVL pu Ift*. dQt$ (1).
Qep^ndakat,, ici'ewptfU l* MolçtfUé du. twteteW^eUfiqwnivÇ*-
(1) L. noie, § 3, C. V* 1* : « Scieodum itaqae est ediotum pratoris quod
de alterutro introductum est, in ex stipulatu aclione cessare, ut uior et a
marito relicta accipiat et dotem conaequatur, nisi specialiter pro dote ei ma-
ritos ea dereliquit, quum manifestissimum esttestatorem, qui non hoc addi-
derit, voluisse eam otrumque coosequi. »
(2) L. 46, D. xxiv, 3 : «Qui dotem stipulant! uxori promissent eidem
testamento qusdam legaverat, ita tamen, ne dotem ab heredibu* paient; ea,
qu*|egaU erant, uxon cape;* non, potueraj; Fesppn$<feUs ac^ionem muiieri
advenus heredes non esse denegandam. »
BT LA DONATIO ANTE MJPTIAS. 2t
§4-
La j&ONAflb Â^TÊ tTOt>TIÂB.
I.
Dans l'usage, la veuve romaine recueillait des gains de
sirvie assez importants* mais elle les tenait tous du testament
de son mari (1,). Cependant, n'avait-elle pas pu s'en assurer
par convention? Dans le mariage avec manus il n'y fallait pas
songer, mais le droit romain donnait toute facilité pour cela
dès qu'on se place dans le mariage libre. S'il défendit de
bonne heure les donations entre époux, il admettait sans ré-
serve les donations entre fiancés et permettait de les plier aux
combinaisons les plus variées. Pour assurer à sa future épouse
un gain de survie conventionnel , le flancé aurait trouvé un
instrument tout prêt dans le droit de l'époque classique. Ce
n'était point la donatio mortis causa proprement dite , qui em-
porte la révocabilité ad nutum et qui n'eût pas donné à la
femme plus de garantie qu'un legs. Mais le futur époux pou-
vait faire valablement une donation soumise à la condition de
son prédécès, tout en s'interdisant la faculté de révoquer (2).
Cette combinaison, si bien appropriée au but» ne paraît pas
avoir été usitée à l'époque classique : sans doute on ne sentait
pas alors le besoin pour la femme de gains de survie conven-
tionnels. Ce qu'on trouve ce sont des donations entre-vifs
pures et simples, faites par le fiancé à la fiancée. Les juris-
consultes, d'ailleurs, n'en parlent guère que pour faire re-
marquer qu'elles ne tombent pas sous le coup de la prohibition
des donations entre époux, et il ne paraît pas qu'elles aient été
bien fréquentes et usuelles.
Si l'on descend maintenant au Ëas- Empire, on y trouve la
pratique des donations ante nuptias tellement développée ,
(!) A tboin* qo'on ne voie dans l'action YH ttttort*, Qui lui était ouverte
quand te ttiâtt ptédécèdait , tira gain cfe sdrvie légal.
(2) L. 13, § 1 ; L. 35, § 4, D. xxxix, 6. — Voyez M. Labbé, édt Ortolan :
Esfkeâtûm historique des Institut* , 12* ééft., t. ÎI, appendice IV, p. 733, ssq.
22 LE TESTAMKNT DU MAKI \
qu'on les range au même titre que la dot parmi les conditions ',
quasi-essentielles du mariage : « Si donation u m ante nuplias '
vel dotis instrumenta defuerunt , pompa etiam aliaque nuptia- ',
rum celebritas omittatur, nullus seslimet ob id déesse recto
alias inito malrimonio fi rm i Utero (1). » Nous voyons en même 1
temps que ces donations sont un bénéfice propre à la femme,
le fiancé seul en faisant d'ordinaire à sa fiancée : « Si sponsa...
sponsaliorum titulo, quoi raro accidit, fueril aliquid sponso '
largita (2). »
Ce changement s'explique par une transformation parallèle ■
dans l'organisation de la famille. Au temps des grands juriscon- ',
suites, la famille était forte encore et unie au point de vue du '
droit. Au Bas-Empire, elle se désagrège. Les droits pécuniaires 1
de ses membres se dégageaient peu à peu : en laisser le règle- \
ment, comme jadis, au testament du jiaterfamilias , c'était, I
dans les idées nouvelles, les mettre à la merci d'une volonté '
arbitraire et changeante. Aussi la loi affirmait progressive-
ment les droits privés des enfants en puissance. Depuis long-
temps , la femme divorcée ou survivante avait un droit légal à
s restitution de sa dot. Mais elle ne se contentait pas le plus
. j — J^oît strictement attaché à sa personne, et par
rendait contractuelle l'obligation du mari de
à la dissolution du mariage. Il était naturel
lement assurer par un acte entre-vifs les avan-
.ri était moralement obligé de lui faire sur Bes
, et que précédemment il ne réglait que dans
développement des donationes ante nuptias ,
I. 7 (Thsod. at Val., a. 428). Eu l'an 388, les empereurs
et Théodose, voulant assurer sui enfante d'un premier
des biens que It femme remariée avait refus de son
iront ce* libéralités, dsn* l'ordre suivant. L. 3, C. Th.
nfaciillstibus pnorum marituramipoiuafionim/urt, quid-
ii solemnitale perceperinl , quidquid sut morti- causa do—
, testament! jure directe sut Hdeiconmissi vel legati titulo
litalis pramio el bonis marilorum fuerint sdseCuUB. m
us et Théo-dose (L. 3, C. Tb. III, 8), traitant le même
incipalscneni des choses • quai nuptiarum tentpore s»n-
[II, S (Constantin, a. 336).
ET LA DONATIO ANTK NUPTIAS. 23
J faut aussi reconnaître l'influence de certaines coutumes,
fort anciennes sans doute, mais qui, pendant longtemps, n'a-
vaient pas eu d'importance juridique. Cela ressort du nom
Biéme dont on nomme maintenant les donations ante nuptias :
on les appelle sponsalia. Cela indique clairement qu'elles in-
terviennent à l'occasion des fiançailles dont elles forment un
incident. Il paraît certain que de tout temps, au moment des
fiançailles ou au moins avant le mariage, le futur époux fai-
sait à la Gancée des présents, au nombre desquels était un
anneau (1); de même que le lendemain des noces, à Rome
comme en Germanie, le mari faisait un nouveau présent à la
jeune épousée (2). Mais jusqu'au Bas-Empire ces usages n'a-
vaient eu aucune importance juridique. Le cadeau du fiancé,
répondant maintenant à un besoin véritable, changea de na-
ture , devint une sérieuse et importante donation et passa du
domaine des mœurs dans celui du droit (3). C'est ainsi que la
dos et le morgengabe des coutumes germaniques, probable-
ment insignifiants à l'origine, se développèrent dans la suite
et en se combinant produisirent notre douaire coutumier.
Ce n'est pas là une pure imagination. Un fait précis assigne
a la donatio ante nuptias du Bas-Empire l'origine que nous
venons de lui donner. Constantin (dans la loi 5, C. Th. III, 5),
pour décider dans un certain cas si cette libéralité sera ou
non maintenue, se réfère expressément à l'une des céré-
monies des fiançailles. 11 s'agit de savoir si , l'un d*>s fiancés
venant à mourir avant le mariage, la donatio ante nuptias déjà
(1) Ju vénal, Sût. VI, 25, ssq : «r Conventum tameo et pactum et sponsalia
ovin. — Tempes ta te paras, jamque a toosore magistro — Pecteris, et digito
pigous fartasse dedisti. »
(2, Juvéoal, VI, 200, ssq : « Docendi nulle videtor — Causa, oec est quare
CBoam et musUcea perdas — Labenle olficio crudis dooanda , nec itlud —
Qmodprmapro nocte dutur cum lance beala — Dacicui et tcripto radiai Germa-
':*$ auro. »
(3) Des constitutions impériales de la seconde moit é du III* siècle parlent
de ces présents comme d'une chose usuelle. L.ff7, C. V, 3 vimpp. Carus
Carinas et Numeranus) : a Si cura ante nuptias munera dareotur. » — L. 8,
C. ibid. (Diocletianus et Maximianus) : « Si ante matrimonium... sponse su»,
lacet ante sponsalia , fond uni donavit. » — Souvent c'étaient des esclaves qu
faisaient l'objet de la donation. L. 10, L. 14, C. V, 3 (Diocletianus et Maxi-
).
24 LE TESTAMENT DU MARI
faite subsistera au profit de la femme ou de ses héritiers (1).
L'empereur décide qu'elle est maintenue pour moitié, si le
baiser, « osculum, » a été échangé entre les fiancés, sinon elle
sera annulée. Or, ce baiser symbolique était une cérémonie
qui précédait le mariage, qui venait sceller définitivement les
fiançailles (2), et que les chrétiens avaient empruntée au pa-
ganisme. Elle est nettement indiquée par Terlullien : « Ad
dpsponsationem (virgines) velantur quia et corpore et spiritu
masculo mixta sunt ppr osculum et dextras, per quœ primum
resignarunt pudorem spiritu (3). »
L'usage , que nous signalons , était si bien enraciné , qu'il
a probablement donné naissance à une institution coutumière
d'une région de la France. Dans le Poitou, l'Aunis, i'An-
goumois , nous trouvons un gain de survie en faveur de la
femme , qui n'est point le douaire, bien qu'il s'en rapproche,
et qui porte les noms de oscle, ouscle, osclage (4). N'est-ce pas
là, transformée avec le temps, l'ancienne donation du mari
(1) Une décision analogue est donnée dans le Rômisck-Syrisches Rechtsbuck,
publié par MM. Bruns et Sachau, § 91.
(2) Gothof. sur la loi S, C. Th. III, 6 : « Cui sponsus osculum prebuit plus
qvam sponsa censeri débet. »
(3) De veland. virg. C. 11. — La dewtrarum junetio dont il est ici question
était, dans la Rome païenne, une cérémonie du mariage lui-môme. Voy. M.
Voigt, Die XII Tafeln, t. II, p. 690. Elle figurera aussi dans le rituel du ma-
riage chrétien.
(4) Coutumes de Charroux (an 124Î), art. 12, 17, 18. (Oiraud, Essai tut
l'histoire du droit français, II, p. 402.) — Litre du Droit et des commandmem
d'office de justice, § 934 : « Et est ouscle c'est le tiers denier de ce que son
mari ot en mariage d'elle en argent et meuble, que la femme doit prendre sur
les biens de l'homme après sa mort. » § 951 : « Il est coustume que quand
argent est donné à feme en mariage, après la mort de son seigneur, elle a la
tiers denier en oultre selon que la somme monte en ouscle, et en cestuy ouscle
elle n'aura que sa vie; et elle morte est tenue de le rendre aux hoirs du mari.
Maie femme par la coustume puet eslire ou avoir le dit ouscle ou la moitié à
héritaige dudit ouscle. . Et oppinions sont contraires que au cas que le mari H
fait donnaison de meubles et acquêts, quelle ne doit point prendre ledit douaire :
et autres oppinions sont contraires que les gentils femes ne prennent point tel
douaire en deniers. » — Coutume de k Rochelle, art. 46, et Valio, sur l'art.
46, n° 18 : « Pour ce qui est de Yotelage, il y a toute apparence qu'il vient
d'oicafc/m, mais sans nous arrêter à examiner si cette étymologie est juste,
ni si l'oclage est, comme os Ta prétendu, pudicilim prmmun, il suffit de
dire que dans notre usage il eat le tiers en montant de la dot qui entre dans la
communauté, autrement la moitié de la dot... il n'est point dû à la femme
ET LA DONATK) ANTE NUPTIAS. 25
qulufcocnpftgtiait ïoscuhm \i)7 H n'est pas probable qufe ai
la ihose A4 même le nem aient été introduits par la renais*
du droit romain.
H.
Dans le droit du Bas-Empire comme à l'époque classique,
la douatio anle nuptias se présente tout d'abord sous la forme
d*uue dooalioo entre- vifs pure et simple. Mais cela présentait
des inconvénients évidents, cela entraînait des conséquences
manifestement contraires à l'intention des parties. Il fallait
faire disparaître ces inconvénients, et pour cela transformer
la nature de cette donation; c'est ce que firent peu à peu la
législation et la pratique.
f • La donation que recevait la fiancée était nécessairement
faite en vue du mariage. Cependant donation entre- vifs pure
et simple , elle n'en restait pas moins acquise à la donataire
an cas où le mariage ne se réalisait pas. Les parties pouvaient»
il est vrai, convenir que la libéralité serait caduque dans ce
cas» Cependant elles n'avaient point toute liberté à cet égard;
elles ne pouvaient prendre la combinaison d'une condition
suspensive, au moins quand la donation consistait en une
datio; car alors l'acquisition étant retardée jusqu'à l'accom-
plissement du mariage, on retombait dans la donation entre
convention, la femme ne peut le demander qu'en renonçant à la communauté...
ce point d'usage est si constant qu'il est devenu comme de style dans les
contrats de mariage où Poctage est stipulé. » El n° 0 : « Dans notre pratique
le douaire et rodage peuvent subsiste? ensemble quoique nous regardions
l'oclage comme un douaire et que pour l'ordinaire H en tienne lieu. — Côu-
d'Angoumois, art. 47 : « Par la coustume gardée entre roturiers, le
soin, la femme a son choii de prendre la moitié des meuble* et
faits titrant ledit mariage ; ou Me» te» menbtes et deniers et biens
immeubles qu'elle y aura porté. Auquel dernier cas, elle aura lesdits deniers
par elle portes en Cavenr 4e son dit mariage, et pour sen douaire oa ûcle,
a«ra le tiers des deniers setriesieat en montant. Et ce outre les domaines et
deniers par elle baille» et paye*. » Vey. Vigier sur net article.
(1) Oothof, (Utiâ*., S* G. Th. Iil, 5 : « Vestigism istius juris aliquod etiam-
osjsft «idemos in ooosoetndioe Ruppellaoa, art. 46, qui oavetur mulierem peut
■Sjrili obitom in ter calera sibi aabere quod deaalô aecepit pre jure osefth* ,
volgo « peur ton ousclage. »
26 LE TESTAMENT DU MARI
époux (1). Ce qu'on pouvait faire, c'était de convenir que la
donation serait résolue, si l'union n'était pas consommée; mais
il ne semble pas que cette clause ait été fort usitée (2) , peut-
être y voyait-on une indication de mauvais augure. Cependant
au fond, il était bien conforme à l'intention véritable des par-
ties de rendre la libéralité conditionnelle. C'est ce que fit
Constantin par une constitution de l'an 319 (3). 11 décida, que
si après avoir reçu les sponsalia , la fiancée ou le pater sous
la puissance duquel elle se trouvait, se refusaient à célébrer
le mariage, les biens donnés feraient intégralement retour au
donateur. Si, au contraire, le refus procédait du fiancé, la
fiancée conserverait la donatio ante nuptias à titre de dédom-
magement (4). La même loi prévoyait le cas où l'un des fiancés
viendrait à mourir ante nuptias, elle décidait en principe que la
donation alors était caduque; cependant lorsque c'était le fiancé
dont la mort rendait le mariage impossible, la fiancée gardait la
donatio qu'elle avait reçue de lui, s'il ne laissait ni père, ni
mère, ni enfants d'un précédent mariage. Cette décision fut
d'ailleurs modifiée par une autre constitution du même em-
pereur de l'an 336, que nous avons eu déjà l'occasion de ci-
ter (5). Elle porte que si le décès de l'un des fiancés se produit
après que le baiser symbolique a été échangé , la donatio ante
nuptias faite à la fiancée sera toujours maintenue pour moitié,
soit à son profit , soit au profit de ses héritiers. Si , au con-
traire, Vosculum n'était pas encore intervenu, la donation
est caduque pour le tout (6).
(1) L. 4, C. V, 3 : et Quod sponsn ea lege donatur ut tune dominium
ejus adipiscatur, quum nuptis fuerint secut», sine effectu est. »
(2) L. 2, C. Th. III , 5 : a Cura veterura sententia displiceat, quœ donatio-
nés in sponsam nuptiis quoque non secutis decrevit valere. »
(3) L. 2,C. Th. 111,5.
(4) La constitution ne permet point de justifier le refus par quelque motif :
a Cura longe autequam sponsalia contrahantur bec cuncta prospici debuerinL »
(5) L. 5, C. Th. III , 5.
(6) « Si ab sponso rébus sponsœ donatis , intervenienle osculo , ante nup-
tias hune vel illam mori contigerit, dimidiam partera rerum donatarum ad so-
perstitem pertinere prœcipiraus, dimidiam ad defuncti vel defunct» heredes,
cujuslibet gradua sint, et quoeumque jure successerint : ut donatio stare pro
parte média, et solvi pro parte média videatur. Osculo vero non interveniente,
sivesponsus sive épousa obierit, totam infirmari donationem etdonatori sponso
sive heredibus ejus restitui. »
KT LA DONATIO ANTK NUPTIAS. 27
£• Si dans l'intention des parties la donatio ante nuptias
était destinée à assurer un gain de survie à la femme, celle-ci
ne devait y avoir aucun droit lorsque le mariage se dissolvait
par le divorce ou par son propre décès. Or, la libéralité, se
présentant sous la forme d'une donation entre-vifs, était main-
tenue dans l'un et l'autre cas.
Dans l'hypothèse d'un divorce, le législateur du Bas-Empire
fit disparaître en partie cette contradiction, en se plaçant, il
est vrai, à un autre point de vue. Une loi célèbre de Théodose
et Valentinien, en l'an 449, vint modifier profondément la
législation du divorce (1). Elle ne le supprima point, elle n'en
soumit même pas la validité à une sentence judiciaire; mais
réagissant indirectement contre l'institution , elle édicta des
peines ou des incapacités contre l'époux qui abuserait du droit
de répudiation ou qui donnerait à son conjoint un juste motif
de repudium. Si c'était la femme qui se mettait dans l'un ou
l'autre cas, elle perdait la dot et la donation propter nuptias,
qu'elle gagnait au contraire toutes les deux, si le mari l'avait
répudiée sans motif, ou lui avait fourni une juste cause
de répudiation. Les empereurs Théodose et Valentinien n'a-
vaient point visé le divorce par consentement mutuel, qui
restait librement permis, comme par le passé (2) : mais , sans
doute, alors le libre accord des parties Gxait le sort de la do-
natio ante nuptias. On sait que Justinien , particulièrement
dans la Novelle 117, restreignit encore les cas où le divorce
serait exempt de peines, tout en aggravant les pénalités qui
frappaient les divorces désapprouvés.
3° Si le divorce n'intervenait point, mais que le mariage
fût dissous par la mort de la femme, celle-ci transmettait à
ses héritiers la donatio ante nuptias; c'était le contraire d'un
gain de survie. Pour remédier à cet inconvénient, il semble
qu'on se soit avisé d'abord d'un moyen assez simple; il nous
est indiqué par deux des textes peu nombreux que nous avons
sur le sujet (3). La femme ajoutait à sa dot, et à ce titre ren-
dait à son mari les biens qu'elle avait reçus de lui par dona-
(i) L. s, c. v, n.
(2) L. 9, C. V, 17 (Anastase, a. 497).
(3) L. 1, C. Y, 3 (Severus et Antoninua); L. 14, ibid. (Diocleliaous et
Maximianus) .
2$ LE TESTAMENT DU MARI
tfon tfûté-nuptiate. Cette combinaison permettait d^bord «lu
mari de gafder, pendant le mariage, la jouissance décès biens.
Ce plus, si la femrne prédéeédait, il en gardait définitivement
propriété, du moins suivant le droit commua. Jusqu'à Justt*
nien,en effet, lorsqu'il n'y a pas eu stipulation de la dot, teft
héritiers de la femme prédécédée n'ont pas d'action pour récla-
mer la dot adventice, qui reste acquise au mari (I).
Mais ainsi pratiquée, la donatio ante nuptias n'était p&M
autre chose qu'un supplément de dot fourni par le mari lui-
même. C'est la conception qui se conserva en Occident ; c'eât
du moins celle qu'on retrouve dans la pratique de nos paya
de droit écrit. Uaugment de dot (i) semble avoir pris son
nom et ses caractères plutôt à une ancienne coutume qu'aux
dispositions des lois du Bas-Empire sur les donationes proptét
nuptias (3).
En Orient, en effet, on fît de la donatio ante nuptias, non le
supplément, mais le pendant et la contre-partie de la dot, en
ne considérant celle-ci, il est vrai, qu'au point de vue du droit
de survie qu'elle pouvait constituer pour le mari. Déjà bien
avant le règne de Justiaien, les principes de Vactio rei uxoriœ,
qui maintenaient la dot adventice dans le patrimoine du mari
en cas de prédécès de la femme, trouvaient rarement leur
application. Le plus souvent la restitution de la dot était
assurée par une stipulation ou des pactes adjoints à la cons-
titution. Cela n'excluait point un gain de survie pour le
mari; seulement ce gain était déterminé par la convention;
une clause fixait la portion de la dot que l'époux garderait
si la femme prédécédait constante matrimonio (4). On prit
(1) Cette combinaison avait encore on antre avantage. Si le divorce inter-
venait et qu'il Tût imputable à la femme, elle permettait an mari de 8e Taire at-
tribuer en partie la donatio propter nuptias par le judicium de moribut ou la
retenlio pr opter moret. Cela était utile avant la constitution de Théodose et
Valeetinien.
(2) Voy. Laurière, GiottH v* Atugmtnt de doU
(3) D'ailleurs , de très benne heure on dut simplifier la pratique indiquée
plus haut. La donation faite par le mari à l'occasion des noces prit directe-
ment le caractère d'un supplément de dot, sans qu'il fût nécessaire, comme
au début, que ta femme, après avoir reçu le bien à titre de tpontaUa, le ren-
dît au mari dotis nomine.
(4) L. unie, § 6, C. V, 13 : « Si decesserit mulier constante matrimonio,
dos non in lucrum mariti cedat nisi ex quibwdam pactionibtu. »
ET LA, DONÀTIO A^TK NUPTIAS. 29
Habitude, parallèle pour ainsi dire, de fixer aussi daw
ocelle ppop&rtiou l&doruUia propter nuplias serait acquise é
la fana 19e survivante. Dès lors, ce fut eu réalité cette. quater
part qui, seule, constitua pour elle une libéralité. La somw
tptale de la donation onte nupiw* ne, fut plu^ qu'uoe valeur
fictive, qui servait à calculer la donation dont réellemeot héué-
feieraU 1* femn>& le cas échéant» La, (tomtio WQPter nu^ias
était devenue uq simple, gain, d& Wvifik
Pendant le mariage., eu effet,,, le mari, conservait, qon-aeu-
lemeat la jouissance, mat* la propriété des biens compris
dans la donatioa. Cela ressort bien d'une constitution de
Justioien , qui permet à la femme d'exiger le, paiement dç la
dot et de la fànaUo yropltr vtylùfr en cas de déconfiture dp
nari, comme elle pourrait le faire W cas de prédécès 4e
ceJui-ci (t^ Alors, par fcxçapjtiûB ,. «Ile. aura la jouissance, de
<$» bien*, mais sans, pownei* les. aliéner {Z\, Uot que du-
rara, la maçtage. Mais, dVdjnairei fe femme, sa faisait co&-
WAlirsur ce* objets eu^mAmeg une hypothèque , qui permet
d'*capJoy.er le. mot vityUçart BQivr iodiquer qu'elle les. ré-
clame (3).
ta 4onatfo antç mptias peu à peu prenait les traita de, la
<tpt, encore à d'autres, points, de, vue.. Ainsi, camma soq 90m
lliidiqu», et eomfljyB la, voulaient ta* aaqieos principes aloip
W'ette était vrai meut une donation, en U>e- vifs, ordinaire, elle
dirait précéder lfr mariage;, Mais dorétuaveM a'était-U pas nf/r
turel qu'elle pût être çomm* I* 4qL cj*BsJ,itué> au augmenté?
peqdant le mariage? L'empereur Justin le déoida ainsi (t). Et
JufiiMuieo , confcmaot cette loi, enleva; 4 ces donations leur
vieux nom, qui ne correspondait plus à la chose nouvelle, il
(*) fa. 29, C. V, « : t Ut potaiMol m aMirimonia» eo modo disaolutan
easet quo dotia et ante ouptiaa donationia exactio ei competere poterut» »
(2) IbûL : « lu Umen ut eadem mulier nullam habeat liceolian eaa- res
attenaodi viveote marilo et matrimouia iaier eoedea» coestitut, sed fracUtpua
•train «4 awaJfiBtaJiQae» Um auj wa« ami» (Hiorumque, ai quoi t*abet,
aJwlalar. »
{tyikidn : «jBaafr pftnajaiariim, ton oâwtettf», *ata «edifcmbua postemoti-
bns, vel ab aliis, qui non potion* jura. Itgifeua kabere noaaunlu*. ». L. Si g*,
C V, 17 : c Bam et dotera recuperare et ante ouptias denaUQAea Uicro
habere aut kgibus vindicarê cenaemus. »
(4)L. i9, C. V. 3.
30 LE TESTAMENT DU MARI
les appela donation?* propter nuptias (1). De même, en tant
que donation entre- vifs la donatio ante nuptias était soumise
à la formalité de l'insinuation. Justinien commença par déci-
der que l'insinuation pourrait valablement êire faite seulement
au cours du mariage (2); puis, entraînée par la logique, il
écarta totalement la nécessité de l'insinuation (3).
Dans ce développement des donations propter nuptias , tel
que nous l'avons montré jusqu'ici, c'est la libre volonté des
parties qui a constitué et déterminé le gain de survie. Mais le
commandement de la loi devait intervenir dans une certaine
mesure.
D'ordinaire, on proportionnait dans les contrats de mariage
les gains de survie des deux époux. En l'an 468 , les empe-
reurs LAon et Anthemius imposèrent aux parties une exacte
proportionnalité, la femme survivante gagnerait sur la dona-
tion ante nuptias la même fraction que le mari survivant
devait conserver sur la dot (4). Justinien changea cette pro-
portionnalité en une égalité absolue : il décida que la donatio
ante nuptias et la dot devraient toujours être de la même va-
leur (5).
Justinien alla plus loin : il assura un gain légal de survie,
à la femme qui ne pouvait bénéficier des dispositions précé-
dentes, parce qu'elle n'apportait point de dot : ce fut la
quarte du conjoint pauvre organisée par les Novelles 53, 74
et 117. Ce droit accordé d'abord au mari comme à la femme (6),
fut ensuite réservé à cette dernière (7).
Les biens que recueillait la femme survivante, soit comme
donatio propter nuptias , soit à titre de quarte lui apparte-
(1) L. 20 pr., C. V, 3 : « Quasi antipherna hœc possunt intelligi et non
simplex donatio. . . non simplices donatiooes inteUigantur sed propter dotem
et nuptias factœ. »
(2)L. 20, § 1, C. V, 3.
(3) Nov. 119, C. 1; Nov. 127, C. 2.
(4) L. 9, C. V, 14 : « Quantam partent mulier sti palet ur sibi lucro cederr
ex anle nuptias donatione, si priorem maritum mon cooUgerit, tantam et
marilus ex dote partem non pecuoie quantitatem stipuletur sibi si constante
matrimonio prior mulier in fata collapsa fuerit. »
(5) Nov. 97, C. 1.
(6) Nov. 53, C. 6, § 5.
(7) Nov. 117, C. 5.
ET LA DONATIO ANTE NUPTIAS. 31
ûaient en principe en toute propriété : mais , s'il existe des
enfants du mari, d'un précédent mariage, la loi leur réserve
la nue-propriété des biens donnés anle nuptias (1). De même
la quarte du conjoint pauvre se borne à un usufruit lorsque
le mari laisse des enfants pour héritiers.
Au cours de ces changements, le testament du mari a
perdu en grande partie l'importance qu'il avait pour la femme.
Aussi n'en est- il plus guère question dans les lois du Bas-
Empire. Seuls les legs d'usufruit du mari en faveur de la
femme paraissent être restés à l'état de disposition usuelle ;
un titre leur est du moins consacré dans les Codes de Théo-
dose et de Justinien (2). Encore ce titre ne contient-il qu'une
seule constitution, dans laquelle les empereurs Arcadius et
Honorius déclarent que l'usufruit laissé par testament à la
femme est perdu par elle lorsqu'elle se remarie , alors qu'elle
conserve l'usufruit des choses données ante nuptias.
A. Esmein.
*•«
(i)L. 1, C. V, 40; L. 2, C. Th. III, 8; Nov. 22, C. 23-26.
(2)C.Tb. III, 9;C.J. V, 10.
LE SENCHUS MOR
ÉTUDES
URÉES D'UN COURS PROFESSÉ AU COLLÈGE DE FRANCE
PKNDAMT LE PREMIER SEMESTRE DE L'ANNÉE 1883-1884
I.
Une question fort intéressante est celle de savoir à quelle
date remonte le Senchus môr. On sait que c'est un manuscrit
de la seconde moitié du xvi* siècle, qui a servi de base à
rétablissement de la première partie du texte de ce document
dans le tome Ie* des Anciens laws of Ireland. Pour la suite, du
Senchus môr, dans les tomes II et III de la même collection ,
le manuscrit le plus ancien dont les éditeurs aient fait usage
existait en 1350 et avait probablement été écrit vers le com-
mencement du xiv6 siècle. J'ai en 1880 exposé dans la Nou-
velle Revue historique de droit français et étranger (1), les rai-
sons qui me font croire que le Senchus môr a dû être mis par
écrit vers Tannée 800 de notre ère. Je ne puis que renvoyer
aux deux articles publiés par moi à cette date, je ne résume-
rai pas ici ce qu'on peut lire dans la publication périodique
précitée ; toutefois , dans l'intérêt des paléographes , toujours
tentés de prendre pour date d'un document la date du manus-
crit le plus ancien qui nous l'ait conservé, je vais ajouter un
mot :
Le plus ancien manuscrit de la première partie du Senchus
(1) Quatrième année, p. 157-189, 513-534.
Rtrui historique. — Tome VIII. 3
34 LE SENCHUS MÔR.
môr qui ait été signalé jusqu'ici date , paraît-il , de l'année
1578, mais les savants éditeurs des Anciens laws of Ireland
ont négligé de dire que cette partie du Senchus Môr est citée
dans le plus ancien manuscrit littéraire irlandais qu'on pos-
sède aujourd'hui , dans le Leabhar na hUidhre, écrit vers la
fin du xi° siècle par un scribe qui fut tué en 1106. L,e docu-
ment où se trouve la citation dont je parle est un commentaire
du morceau intitulé : Amra Coluimb Chilli ou « Éloge de saint
Colomba , » morceau écrit vers la fin du vie siècle et qui , à la
fin du xie, n'était plus guère compris.
L'auteur de ce commentaire , étudiant les divers sens du
mot ferb qui se trouve dans Y Amra 9 cite comme exemple le
texte suivant dont il n'indique pas la provenance : Teora.
ferba fira do-sn-acht, idon ro-s-immaig , ASSAL ar-Mog
Nu ad at (1), en français : « Trois vaches blanches, ce fut
d Assal qui les emmena ou les enleva [après les avoir saisies]
» sur Mog [fils] de Nûadu. » Le même commentaire nous a
été conservé par un second manuscrit £ peu près contempo-
ain du premier et copié de même avant la fin du xie siècle ,
c'est le Livre des hymnes du collège de la Trinité de Dublin :
la même citation s'y trouve (2). Or, sur les neuf mots qui
composent cette citation , sept , ceux que nous n'avons pas
mis en italiques sont le début du Senchus môr, dont l'auteur
du commentaire fait usage sans en indiquer le titre, comme
autrefois Cicéron, parlant de la loi des Douze-Tables : A par-
vis didicimus : si in jus vocat, alque alias ejusmodi leges
nominare (3). Dans ce passage, si in jus vocat sont les pre-
miers mots de la loi des Douze-Tables. Non-seulement Cicé-
ron ne croit pas nécessaire de le dire , mais pour lui et ses
contemporains, ces premiers mots du texte légal tiennent
lieu du titre de ce document si connu : rien n'est plus clair à
leurs yeux. De même le commentateur de Y Amra Coluimb
Chilli se croit dispensé d'indiquer la provenance de la pre-
mière ligne du Senchus môr qu'il juge bon de citer.
(1) Leabhar nahVidhre, p. 11, col. 1, lignes 2, 3.
(2) Collège de la Trinité de Dublin, manuscrit £. 4. 2, f° 34 b. 1, cbei
Whitley Stokes, Goidelica, 2* édition, p. 164, lignes 11-12.
(3) Cicéron , De legibut , l. II , c. 4.
LE SBNCHUS MÔR. 35
Ainsi à la fin du xie siècle le Senchus môr existait , et était
an texte d'une grande notoriété. Mais ajoutons un détail : il
était glosé : les deux mots idon ro-s-mmaig que j'ai mis en
italiques dans la citation sont une glose de do-sn-acht « il les
enleva, » troisième personne du singulier du prétérit en t du
verbe to-agaim ou mieux to-ug « j'emmène. » Le prétérit en t
n'était plus usité au xi* siècle , et le verbe Umg était aussi
hors d'usage. Ainsi au xi* siècle do-sn-acht ne se comprenait
plus ; pour rendre ce mot intelligible , il fallait l'accompagner
d'une glose : idon ro-s-immaig, qui appartient à un autre
temps de l'indicatif, et à un autre verbe composé imm-agaim.
La langue du Senchus môr était donc déjà archaïque à la fin
du xi" siècle , et elle avait besoin d'interprétation. Par consé-
quent, il n'y a pas à se préoccuper de la date récente du
manuscrit qui a servi de base à l'édition de la première partie
de ce vieux monument du droit celtique. Aujourd'hui on ne
peut soutenir que la date des manuscrits du Senchus môr
connus par les éditeurs des Ancient laws of Ireland puisse
servir à fixer l'époque où a été rédigé ce monument de la
législation irlandaise.
IL
Le Senchus môr commence ex abrupto par un exemple de
saisie. Une des causes qui amena cette saisie est la rivalité
des (liâtes ou habitants de l'Ulster, région septentrionale de
l'Irlande contre les habitants de la région centrale, dite au-
trefois Midé et qui correspond à peu près aux comtés mo-
dernes de Meath et de West-meath. Le Midé , où se trouvait
Tara , capitale de l'Irlande, comprend une notable partie du
bassin de la Boyne. Ses habitants s'appelaient Féné (1).
Assal, qui était un Fôné, fut le saisissant. Il prit trois vaches
i un habitant d'Ulster qui s'appelait Mog , fils de Nûadu. La
saisie fut suivie de déplacement immédiat. Assal emmena les
trois vaches passer la nuit à Ferta sur la Boyne ; Ferta est
(1) FM ou Fert Tmrach: Ancient laws of Ireland, t. I, p. 66, lignes 19-20;
p. 80, ligne 3; cf. p. 70, lignes 2, 4; p. 74, lignes 14, 15, 17.
36 LE SBNCHUS MÔR.
aujourd'hui Slane, dans le comté de Meath. Mais les trois
vaches avaient mis bas, peu de temps auparavant, des veaux
qu'elles allaitaient encore et qui n'avaient pas été compris
dans la saisie. Elles les avaient laissés dans le pâturage d'où
elles avaient été emmenées par Assal. Leurs mamelles pleines
laissaient couler le lait en taches blanches sur le sol. Elles
échappèrent pendant la nuit à leurs gardiens endormis et
retournèrent sans guide près de leurs veaux. Le lendemain ,
Assal retourna dans le pâturage où il avait pratiqué la saisie
de la veille. Il fit une saisie nouvelle, celle-ci double de la
première : au lieu de trois vaches laitières , il en prit six à la
maison de bonne heure le matin. Alors intervint Coirpré
Gnâthcôir, c'est-à-dire Coirpré dont la justice était l'habitude,
roi d'Ulster, nous dit la glose , qui prit en main la cause au
lieu et place de Mog fils de Nuadu son sujet ; il s'engagea à
soumettre l'affaire à des juges, et dans l'hypothèse où con-
trairement à son attente ces juges lui donneraient tort, il
promit de réparer le dommage causé aux Fônés. En consé-
quence, il donna des cautions aux Fênés. Il les donna pour
six motifs : à cause : 1° de la première saisie; 2° de la seconde
saisie; 3° de la fourrière ; 4° de la garde en fourrière ; 5° de
la complicité des témoins qui , voyant Mog recevoir les trois
vaches fugitives , ne s'y étaient point opposés ; 6° de la com-
plicité du chef qui avait approuvé sa conduite.
Voici l'origine de la contestation au sujet de laquelle se
produisit cette saisie. Fergus Ferglethech ou Fergus le guer-
rier belliqueux , roi d'Ulster, avait eu sous sa protection un
guerrier appelé Echaid Belbuide , ou Echaid aux lèvres jau-
nes. Echaid était un Féné. Il avait été chassé de son pays et
il avait été demander asile au roi d'Ulster qui l'avait bien
accueilli et lui avait accordé sa protection. Au mépris de cette
protection , Echaid avait été tué par des habitants de Meath ,
c'est-à-dire par des Fônés appartenant à la tribu de Conn.
Fergus avait droit à une composition pour ce meurtre accom-
pli au mépris de son autorité. Conn , chef de la tribu dont les
assassins faisaient partie, traita avec Fergus et reçut en con-
séquence le surnom de Cétchôrach , c'est-à-dire « au premier
contrat » de cet « premier » et de car « contrat , » parce qu'il
est l'auteur du premier contrat dont il soit question dans le
LE SENCHUS MÔR. 37
Senchus tnôr (1). Cette convention attribua à Fergus 1° un
pâturage des Fénès et de la tribu de Conn ; 2° une femme
libre de cette tribu , femme qui lui fut livrée avec obligation
de le servir comme esclave. La femme cédée par les Fênés
au roi d'Ulster s'appelait Dorn. Quant au pâturage, abandonné
en même temps , le Senchus môr l'appelle « la terre des va-
ches de Conn au premier contrat, » Tir ba Chuind Chêtchoraig .
Fergus avait droit au service de Dorn, mais le traité quoi-
qa'ôtant à Dorn la liberté, n'avait pas autorisé le roi d'Ulster
à disposer de la vie de cette femme. Or un jour Dorn se mo-
qua d'une difformité qui défigurait le visage de Fergus. Le roi
irrité la tua, et peu de temps après il périt lui-même, à cause
des blessures qu'il avait reçues en combattant Fine ou Sine,
le monstre de Loch Rudraidé ou de Dundrum bay, dans le
comté de Down en Ulster. La mort violente de Dorn donnait
aux Fênés droit à une composition. Ce fut alors qu'Assal , un
d'entre eux , pratiqua les deux saisies dont nous venons de
parler. Les vaches qu'il emmena se trouvaient précisément
dans le pâturage cédé par les Fênés au roi d'Ulster Fergus et
qui constituait une partie de la composition attribuée à ce
prince à cause du meurtre d'Echaid Belbuide , son protégé.
Le procès occasionné par la mort de Dorn, ce procès dont
la saisie des trois vaches avait été le premier acte, se termina
par un jugement qui fit restituer aux Fênés le pâturage des
vaches de Conn au premier contrat, Tir bâ Chuind Chêtchoraig.
Cette restitution constitua la composition payée par les habi-
tants d'Ulster aux Fênés pour le meurtre de Dorn. La raison
qui amena cette décision fut probablement la violation par
Fergus d'une des clauses du contrat qui lui avait fait acquérir
cet immeuble. Une femme esclave valait trois vaches; les
trois vaches saisies par Assal étaient le montant de la com-
position qu'en toute autre circonstance les Fênés auraient dû
obtenir.
Deux des noms qui figurent dans ce texte nous reportent
(1) L'auteur de la glose a rendu Ùitchôrach par Cêt-chathach et fait ainsi
de Conn un roi du cycle ossianiqne. 11 y a là une confusion inadmissible,
puisque Fergus appartient au cycle de Conchobar et Cûchulainn et que sui-
rant la chronologie de Tigernach , il est antérieur de deux siècles à Conn
Gêtchatbach.
38 LE SENCHUS MÔR.
au cycle héroïque de Conchobar et de Cûchulainn. L'un de
ces Doms est celui de Fergus Ferglethech , le vainqueur du
monstre de Loch Rudraidé. Le combat contre le monstre de
lpch Rudraidé a été connu de l'annaliste Tigernach, qui écri-
vait au xie siècle et qui place ce combat entre la mort de
César en Fan 44 avant notre ère et l'avènement d'Auguste à
l'empire après la mort d'Antoine, quinze ans plus tard. Seu-
lement au lieu de donner à Fergus le surnom de Ferglethech,
il lui donne celui de Mac Leti, dans un manuscrit du xiue
siècle, Mac Leidhe (1). Suivant Tigernach, Fergus Mac-Leti
serait le prédécesseur de Conchobar au royaume d'Ulster. La
pièce intitulée « Festin de Bricriu, » un des morceaux qui
constituent le cycle de Conchobar et de Cûchulainn compte
Fergus Mac-Leti parmi les grands seigneurs d'Ulster qui vin-
rent prendre place dans la salle bâtie par Bricriu pour donner
sa fête (2). Cette indication s'accorde approximativement,
mais non d'une façon rigoureuse avec la chronologie de Ti-
gernach qui fait mourir Fergus Mac-Leti antérieurement au
règne de Conchobar. Dans un autre morceau du môme cycle,
le récit du festin où Mesroida dit Mac-Datho , roi de Leinster,
offrit aux héros de Connaught et d'Ulster un cochon célèbre
en Irlande , un des événements honteux reprochés aux guer-
riers d'Ulster par leurs rivaux de Connaught est que les pre-
miers ont laissé prendre et tuer un fils de Fergus Mac-
Leti (3). Ici il y a un complet accord entre le conteur et la
chronologie de Tigernach.
Coirpré Gnâthcoir, c'est-à-dire « dont la justice était l'ha-
bitude, » n'apparaît, à notre connaissance, dans aucun texte
épique. Mais un passage du Senchus môr fait de lui un con-
temporain d'Ailill et de Medb, roi et reine de Connaught,
les célèbres adversaires de Conchobar et de Cûchulainn. Ailill
ne laissait qu'un jour l'objet saisi entre les mains du défen-
deur, et aussitôt ce court délai expiré , il autorisait le deman-
(i) Fergus mac Leidhe régnât an Eariain annis XII, qui conflixit in adhaig
poésie al-loch Ruadhraidhe, ocus a badhadh and : O'Conor, Rerum Hiberni-
eorum scriptores, t. II, première partie, p. 10.
(2) Windtech, Irische Texte, p. 258.
(3) Windisch, Iritche Texte, p. 100.
LE SENCHUS MÔR. 39
deur a enlever l'objet saisi ; ce fut Coirpré Gnâthcoir qui lui
fit comprendre la nécessité des délais. Ailill consentit à
mettre un intervalle de trois jours entre la formalité de la
saisie et l'enlèvement de l'objet saisi. Il prit cette décision
lots des poursuites exercées à l'occasion de résistances à une
levée de troupes. Cette levée de troupes est probablement
«lie qui eut lieu lors de la grande guerre entreprise par Ailill
autre l'ULster pour la. conquête du taureau de Gûailngé (1).
III.
On remarquer a que des vaches sont l'objet de la saisie par
tyoèùe le Senchtts m&r débute , et que le procès dont cette
Saisie est le premier acte se termine en faisant changer de
mains un pâturage 9 « la terre des vaches de Conn. » Conn ,
dont cet immeuble porte le nom , paraît être un chef de tribu.
A l'époque où. nous reporte ce passage du Senchus môr, la
plus grande partie du sol de l'Irlande n'a d'autre propriétaire
que la tribu représentée par son chef, entre les membres de
laquelle il est indivis. Il n'y a guère d'autre propriété immo-
bilière individuelle que les maisons et les clos qui les avoisi-
sent. Le partage définitif sinon de la totalité au moins d'une
partie importante du territoire romain et sa répartition en pro-
priétés privées étaient, suivant la légende romaine, des opéra-
tions terminées dés le temps de l'antique roi Numa, qui,
entre Van 714 et l'an 671 avant J.-C, aurait prescrit un
bornage et aurait fait attribuer aux bornes un caractère sa-
cré (&). L.' histoire d'Irlande fait honneur du partage le plus
ancien du sol à des rois qui vivaient au vn° siècle après notre
ère et qui seraient morts vers l'an 661 de notre ère , plus de
1,300 ans après Numa (3).
Le pâturage qui est le mode le plus fréquemment employé
TO Ancien* lotD» oflrelœni, 1. 1, p. 150, 152, 156.
(2} Denys d'Halicarnasse, livre II, chap. 74. Comparez Bruns, Fontes juris
iMiHinwliijiii, 4* édition, p. 10.
{%) Conptrt Conculainn , chez Windisch , Irische Texte, p. 136. Préfacée
l'hymne de Golm&n, chez Whitley Stokes, GoUUlica, 2« édition, p. 121.
40 LE SENGHUS MÔR.
pour l'exploitation de la propriété collective tenait , chez les
Celtes, sur le continent avant la conquête romaine, et con-
serva depuis, pendant longtemps en Irlande, une place beau-
coup plus considérable que l'agriculture. Nous ne voulons pas
dire que l'agriculture n'existât point : la bière , cuirm en ir-
landais , xrfppa ou xoupfAt en gaulois , fabriquée chez les uns
avec du froment, chez les autres avec de l'orge, comme
Posidonius et Discoride nous l'apprennent, suppose la culture
des céréales. Les Gaulois d'Italie labouraient déjà, suivant
Polybe, pendant la période primitive où venant d'arriver dans
cette péninsule, ils étaient la terreur des Romains (1). César
parle des blés que produit de son temps la Gaule transalpine,
encore indépendante (2). Mais Polybe fait observer que les
Gaulois d'Italie, à l'époque reculée dont il parle, vivaient de
viande, c'est-à-dire, mangeaient probablement fort peu de
pain et ne connaissaient d'autre fortune privée que les trou-
peaux et l'or (3). Les Gaulois orientaux avaient porté les
mêmes usages en Galatie. Ainsi Cicéron plaidant pour Déjo-
torus, roi de Galatie, l'an 45 avant J.-C, et voulant mettre
en relief tous les mérites de son client, dit que ce prince est
un agriculteur très soigneux ; « mais , » ajoute- t-il , « il n'est
« pas moins digne d'estime comme propriétaire de trou-
ce peaux (4). » Amyntas, successeur de Dejotarus, avait en-
core , dans une seule province de son royaume , plus de trois
cents troupeaux de moutons (5).
Il faut donc se représenter les pays celtiques au temps de
l'indépendance et l'Irlande jusqu'au vue siècle de notre ère
comme un vaste pâturage où vivent de nombreux troupeaux
qui, avec quelques autres objets mobiliers, constituent la
fortune privée des membres de la tribu; le sol est une ri-
chesse commune, à l'exception des propriétés bâties et de
leurs dépendances.
(1) Livre II, chap. 17, § 10, édition Didot, p. 80.
(2) Voyez, par exemple, De bello Gallico, livre I, chap. 16.
(3) Kpta^psrfilv.... "TirotpÇîçfe p.rjv ixaarafXv 6p4p.pia.Ta xsdxpuaoç. Polybe,
livre II , chap. 17, § 10, 11, édition Didot, p. 80.
(4) Diligentissimus agricola et pecuariua haberetnr. Pro rege Dejolaro ,
cap. ix.
(5) Strabon, livre XII, chap. 6, § 1, édition Didot, p. 486, lignes 51, 52.
LE SENCHUS MÔR. 41
La plus grande partie du territoire de la tribu est en état
d'herbages ou de forêts ; la terre labourée est l'exception ; la
colture semble avoir été donnée en commun par les membres
de la tribu. Deux passages du Senchus môr parlent de cette
association de travail, à laquelle ils donnent le nom de co-
mar (i). Ce mot est composé de la particule corn, avec, et de
ar, substantif qui a perdu sa désinence et qui a la même ra-
cine que le latin arare. Le même usage existait chez les Gau-
lois , chez lesquels le même mot s'écrit keuar au xiue siècle ,
aujourd'hui cyfar> et après avoir signifié exclusivement une
association de cultivateur (2) , est arrivé à désigner l'arpent.
Chez les Bretons de France, ce mot, queuer au xve siècle,
aujourd'hui kever, n'a plus que ce dernier sens ; mais le dé-
rivé keverer « associé pour des travaux de labour » a gardé la
valeur ancienne.
De ces faits il résulte, nous le répétons, que dans la société
celtique, aux époques les plus anciennement connues par les
textes , la fortune privée était surtout mobilière et consistait
principalement en troupeaux. Cela est mis en relief par le
début de la principale des compositions épiques irlandaises, le
Tâin bô Cûailnge, ou « Enlèvement du taureau de Cooley. »
Le roi Ailill et la reine Medb, sa femme, se querellent sur la
question de savoir qui de lui et d'elle est le meilleur, le plus
noble, si l'on nous permet d'employer une expression mo-
derne. Or, la vieille idée irlandaise est que le plus noble
c'est le plus riche. Il s'agit donc de savoir qui , du roi et de
la reine , possède la fortune la plus considérable.
Ce n'est pas , en Irlande , une question de pure théorie : la
loi irlandaise distingue plusieurs sortes de mariages ; la con-
dition respective du mari et de la femme est très différente
suivant les cas. Il y a trois hypothèses principales : 1° le mari
et la femme ont la même fortune ; 2° la fortune appartient au
mari; 3° la fortune appartient à la femme (3).
Si la fortune du mari et celle de la femme sont égales , le
(1) Ancient laws oflreland, 1. 1 , p. 126; t. II, p. 158.
(2) Voyez le Code vénédolien, livre III, ch. 24. Ancient laws and institutes
ofWaks,p. 153.
(3) Ancient laws oflreland, t. II, p. 356.
42 LE SENCHUS MÔR.
mari et la femme sont égaux; chacun d'eux, par exemple, a
le droit de faire annuler les contrats que l'autre a faits sans
sa participation, quand il prouve que ces contrats sont préju-
diciables à la société qui est le résultat du mariage (1).
Si la propriété appartient au mari , le mari est supérieur à
la femme , et en règle générale , sauf quelques exceptions , les
contrats qu'il fait ne peuvent être annulés sur la demande de
la femme (2). Si au contraire la fortune appartient à la femme,
c'est elle qui est au-dessus du mari , et quand elle fait des
contrats, le mari ne peut en obtenir l'annulation (3).
Ainsi la question de savoir qui était le plus riche du roi
Ailill et de la reine Medb n'était pas oiseuse. Il s'agissait de
déterminer s'ils étaient légalement égaux l'un à l'autre. Or, à
quel moyen recourent-ils pour vérifier si cette égalité existe
ou si l'un d'eux l'emporte sur l'autre? Ils font faire une en-
quête et dresser une sorte d'inventaire de leurs fortunes. Mais
d'immeubles, il n'est pas question. La fortune privée des Ir-
landais dans la période épique est exclusivement mobilière
comme chez les Gaulois d'Italie à l'époque reculée où nous
fait remonter la description de leurs mœurs par Polybe.
On apporte et on compte les pots et les vases de toute
sorte que possèdent Ailill et Medb ; on apporte et on compte
leurs bijoux et leurs vêtements de toute couleur : pourpres ,
bleus, noirs, verts, jaunes, tachetés, rayés. Viennent ensuite
les troupeaux. Il y a des troupeaux de moutons, de chevaux ,
de cochons, de vaches, qui paissent dans les pâturages des
plaines et des vallées, dans les forêts et les déserts. On
compte toutes les têtes qui composent ces troupeaux ; le roi
et la reine en ont chacun autant , à une tête près. Le roi pos-
sède un taureau de plus que la reine. Cette découverte est
pour la reine une humiliation qu'elle ne peut supporter ; son
mari a la supériorité sur elle. Elle veut se procurer un taureau
qui vaille celui de son mari , et pour atteindre ce but elle en-
treprend contre l'Ulster une guerre dont la composition épique
irlandaise raconte les sanglants et merveilleux incidents.
(1) Âncient latot oflreland, t. II, p. 356-362.
(2) Ancient lawt oflreland, t. II, p. 380.
(3) Ancient tam of Ireland, t. II , p. 390.
LE SENCHUS MÔR. 43
On remarquera surtout dans cet épisode l'importance qu'il
attribue aux troupeaux et notamment à ceux de bêtes à cornes,
puisque c'est à l'occasion d'un taureau qu'eut lieu la guerre
célébrée par la pièce dont ce morceau est extrait, c'est-à-dire
par la principale des compositions épiques irlandaises. Tâin
est le mot par lequel commence le titre de ce récit légendaire
et d'un certain nombre de morceaux analogues , Tâin est un
terme de droit qui veut dire saisie de bétail (1). Il n'y a donc
pas lieu de nous étonner qu'il soit question de vaches dès la
première ligne du principal traité de droit que l'Irlande pos-
sède. « Trois vaches blanches » sont les premiers mots de ce
raité. C'est d'une saisie de vaches qu'il s'agit.
IV.
Cette saisie n'a pas été autorisée par ordonnance de juge.
Le droit du saisissant est fondé sur le meurtre d'une femme
appelée Dora qui faisait partie de la tribu du saisissant et
qui a été tuée par le chef de la tribu du saisi. Cette femme
avait été livrée en esclavage à titre de composition pour un
meurtre commis par la tribu du saisissant. Une femme es-
clave valait trois vaches : tel est le titre du saisissant. Il va
lui-même pratiquer la saisie ; l'huissier était alors inconnu et,
nous le répétons, il n'est pas question d'ordonnance de juge
qui ait autorisé son acte. Notre texte nous met en face de la
forme la plus ancienne de cette procédure. La plupart des
textes germaniques que nous connaissons s'accordent pour
exiger l'autorisation du juge avant la saisie. Telles sont les
prescriptions de la loi salique (2), de la loi des Bourgui-
gnons (3) , de l'édit de Théodoric (4) , de la loi des Wisi-
goths (5), de la loi des Bavarois (6). Toutefois la loi des
(1) Âncient laivs of ïreland, t. I, p. 264.
(2) Titre lzxy, édition Hessels, p. 408; cf. titre l, ibid., col. 316 et sui-
vantes, j
(3) Titre xix, § 1 ; chez Walter, Corput juris germanici antiqui, 1. 1, p. 314. j
(4) Cfaap. 123, 124, chez Walter, ibid., p. 410. i
(5) Livre V, titre vi, § 1, chez Walter, ibid., p. 527. j
(6) Titre xu, chap. i, chez Walter, ibid., p. 275. |
i
44 LE SENGHUS MÔR.
Wisigoths se sert de termes qui sont de nature à faire sup-
poser qu'avant la promulgation du chapitre dont il s'agit, on
avait le droit de saisir sans autorisation du juge :
Pignorandi licentiam in omnibus submovemus.
Chez les Lombards redit de Rotharis n'interdit la saisie
privée que lorsqu'il s'agit de chevaux , de vaches et de porcs.
Quand on veut saisir ces animaux , il faut préalablement , dit
cet édit, se faire autoriser par le juge; mais pour tout autre
objet , cette autorisation est inutile (1). A Rome , dans la pro-
cédure la plus ancienne, dans la procédure des actions, le
droit de saisir sans autorisation a presque entièrement dis-
paru. Le créancier doit s'adresser au magistrat : il ne peut
devancer la décision du juge que dans des circonstances
exceptionnelles, que la loi ou l'usage détermine; alors seu-
lement, il fait régulièrement acte de saisie, pignoris capio (2).
Dans ces circonstances exceptionnelles , le droit primitif est
maintenu ; l'usage et la loi ont laissé permise à Rome la pra-
tique ancienne , que l'édit de Rotharis maintient en certains
cas, que la loi des Wisigoths supprime, que d'autres lois
barbares prohibent et que le début du Senchus môr nous
montre en pleine vigueur (3). La saisie faite par le demandeur
sans permission du juge , ne peut pas se confondre avec un
vulgaire acte de violence. Elle est soumise à des règles dont
l'exposé a fourni 185 pages de texte irlandais à la collection
des Ancient laws of Ireland.
H. d'Arbois de Jubainville.
(i) EdUtum Rotharis, 249-256, chez Walter, ibid., p. 729, 730.
(2) Gaïus, livre IV, § 26 et suivants.
(3) Ce résultat n'est pas d'accord avec Sohm , La procédure delalex Sa-
lica, § 8, traduction Thévenin, p. 26-34.
ESSAI
SUR
L'ANCIENNE COUTUME DE PARIS
AUX XIII8 ET XIV SIÈCLES
INTRODUCTION.
Parmi les documents les plus intéressants à consulter pour
l'étude des origines de l'ancienne Coutume de la prévôté et
vicomte de Paris , il faut citer les Coutumes notoires du Châtelet
et les Décisions de J. Desmares publiées par Brodeau à la suite
de son traité sur la Coutume de Paris (1).
En parcourant ces Coutumes notoires et ces Décisions , j'ai eu
la pensée d'en faire la base d'un travail sur la très ancienne
Coutume de Paris aux xmeetxive siècles. J'ai cru qu'il pourrait
y avoir quelque intérêt à reconstituer cette très ancienne Cou-
tume et à la comparer aux textes officiels des Coutumes de 1510
et de 1580.
Les deux documents publiés par Brodeau contiennent des
règles ou des décisions sur presque toutes les matières de droit
civil (2).
Le premier a pour titre : « Coustumes tenues, toutes notoires
et jugées au Chastelet de Paris. » C'est un résumé, une ana-
lyse de décisions, datant de 1300 à 1387 environ qui parais-
sent avoir été rendues à la suite d'enquêtes faites au Châtelet
ou d'après des avis émanant du Parloir aux bourgeois ; elles
(1) Brodeau, Commentaire sur la Coutume de Paris, 1669, 2 vol. in-f*.
(2) Ces documents se trouvent dans le manuscrit de la Bibliothèque natio-
nale, Ponds français, n° 5359. Notre confrère, M. Ch. Mortet, doit en donner
prochainement une nouvelle édition.
46 ESSAI sur l'ancienne
fournissent un ensemble très précieux des solutions données
par la juridiction du Châtelet aux diverses difficultés que
pouvaient soulever les usages et coutumes de la prévôté et
vicomte de Paris.
Le second document est un recueil de 422 décisions publiées
par Brodeau sous le titre de : « Décisions de Messire Jean des
» Mares , conseiller et avocat du Roy au Parlement , sous les roys
» Charles V et VI, dans lesquels sont transcripts les usages et
» coustumes gardées à la cour du Châtelet et certaines sentences
» données en plusieurs cas notables. » Brodeau se fonde, pour
les attribuer à J. des Mares ou des Marais (Joannes de Ma-
ris iis), sur ce que quelques-unes sont suivies de ce nom.
Juvénal des Ursins, dans son Histoire de Charles VI (1) nous
fournit des renseignements assez précis sur Jean des Mares
ou Desmares. Il naquit à Provins en 1310, et fut successive*
ment avocat au Parlement, conseiller, et enûn avocat du roi.
Il joua même un rôle politique important dans les troubles de
la fin du xive siècle, s'appliquant à concilier l'autorité royale
et les aspirations populaires. Il échoua dans ces tentatives et
fut mis à mort en 13S3.
Jusqu'à présent, rien n'est venu corroborer l'assertion de
Brodeau, qui repose sur un motif peu concluant ; un point qui
paraît dès maintenant bien établi, c'est qu'il faut renoncer
à attribuer à J. Desmares la seconde partie des décisions
qui portent son nom. Cette seconde partie , commençant à la
décision 253 et pour laquelle Brodeau donne même une nou-
velle rubrique (2), semble, pour la plus grande part du moins,
être l'œuvre d'un jurisconsulte d'Orléans; bon nombre de ces
décisions , en effet , donnent la jurisprudence du Châtelet de
cette ville et non celle du Châtelet de Paris.
Il y a un peu de tout dans cette compilation : des ordon-
nances, des coutumes, des décisions du Châtelet, soit de Paris,
soit d'Orléans, des maximes et des axiomes de droit; plu-
sieurs décisions ne sont même que la reproduction littérale
de quelques-unes des coutumes notoires du Châtelet. Néanmoins
elles sont très utiles à consulter pour l'histoire du droit, par
(1) Histoire de Charles VI, éd. 1653, pag. 3 et 34.
(2) Brodeau, t. II.
COUTUME DE PARIS. 47
suite delà grande variété de matières, soit de droit civil , soit
de procédure , auxquelles elles se rapportent. La date de ces
décisions est facile à déterminer; plusieurs d'entre elles sont
datées ou portent le nom de J. Desmares qui, nous l'avons vu,
fat mis à mort en 4383; aussi peut-on dire qu'elles donnent
un tableau assez exact de la coutume suivie à Paris dans la
seconde moitié du xiv* siècle.
Mais pour reconstituer l'ancienne coutume suivie et prati-
quée dans l'étendue de la prévôté et vicomte de Paris, aux
xm6 et xive siècles , d'autres sources importantes restaient à
consulter; je citerai particulièrement : 1° les Sentences du
parloir aux bourgeois; 2° les Olitn; 3° le Style du Parlement;
4° les Constitutions du Ckâtelet; 5° les Questions de J. Lecoq;
6° le Cartutaire de Notre-Dame de Paris; 7° enfin et surtout le
Grand Coutumier.
1° Les Sentences du parloir aux bourgeois ont été publiées
par M. Leroux de Lincy dans son Histoire de VHÔtel-de-ViUe;
elles vont de l'année 1268 à 1325 environ (1).
Le Parloir aux bourgeois, qui était le lieu de réunion de la
confrérie des marchands de l'eau , à la tête de laquelle on
trouve, dès le xm* siècle, un prévôt et des échevins , exerçait
des juridictions très diverses : juridiction commerciale sur les
membres de la corporation ; juridiction seigneuriale comme
propriétaire d'un certain nombre de rues de la ville; juridic-
tion volontaire et gracieuse d'après laquelle il recevait les con-
ventions des parties et leur donnait un caractère authentique,
en y apposant le sceau de la corporation ; souvent aussi il
était appelé à donner son avis sur des questions qui lui étaient
adressées par le prévôt de Paris. Enfin les parties avaient
parfois recours au Parloir aux bourgeois pour faire juger
leurs différends ; elles le choisissaient comme arbitre , notam-
ment dans les questions de succession; on ne trouve, dans
les Sentences , des traces de cette juridiction arbitrale que jus-
qu'à la fin du xiv6 siècle. Parmi les sentences qui nous sont
parvenues, un petit nombre traitent des matières de droit
civil, telles que succession, location de maisons, rentes,
etc.
(1) Le Roui de Lincy, Hùioira de l'Hôtcl-dt-VUU de Paru, 1846.
48 ESSAI sur l'ancienne
2°-3° Dans les Olim (1), j'ai pu relever un certain nombre
d'arrêts rendus après enquêtes, constatant l'usage et la cou-
tume suivis dans la prévôté et vicomte de Paris ; j'ai consulté
également le Style du Parlement de G. Dubreuil, notamment
en ce qui concerne les fiefs (chap. 28) (2).
4° Les Constitutions du Châtelet avaient été publiées par de
Laurière à la suite de son Commentaire sur la Coutume de Pa-
ris. Un de nos confrères, M. Ch. Mortet, vient d'en donner
une nouvelle et savante édition (3) ; ces Constitutions ne con-
tiennent guère que des règles de procédure. J'ai eu cependant
l'occasion d'y faire quelques emprunts.
5° Les Questions de J. Lecoq ont été publiées par Dumou-
lin (4). C'est un recueil de décisions du Parlement de Paris ,
que ce jurisconsulte avait vu rendre dans des causes où sou-
vent il plaidait lui-même pour l'une des parties.
6° Le Cartulaire de Notre-Dame de Paris contient quelques
décisions intéressantes au sujet des censives et du loyer des
maisons (5).
7? Mais le document le plus important est la compilation
connue sous le nom de « Grand Coutumier de Charles VI, »
qu'on a pu appeler non sans raison « un style du Châtelet
amplifié. » On a cherché pendant longtemps quel en pouvait
être l'auteur. M. Delisle a mis dernièrement en lumière un
manuscrit qui semble apporter quelques éclaircissements sur
ce point et qui permettrait d'attribuer à Jacques d'Ableiges
la paternité de cette compilation (6). Mais si considérable que
soit ce point de départ, il est loin de donner la solution entière
de la question et il reste encore à reconnaître les différents
éléments qui ont concouru à la formation du Grand Coutu-
mier et à en dégager ce qui peut bien être l'œuvre originale
de Jacques d'Ableiges. Jacques d'Ableiges paraît avoir com-
posé son ouvrage entre les années 1385 à 1388, alors qu'il
(1) Documenté inédits. Beugnot, 1839-1840, 4 vol. in-4°.
(2) Œuvres de Dumoulin, t. II; nouvelle édition A. Lot, 1875.
(3) Extrait des Mémoires de la Société de l'histoire de Paru et de Vile de
France, t. X (1883), p. 1-99.
(4) Œuvres complètes, t. II (Qutntapars).
(5) Documents inédits. Guérard, 1850, 2 vol. in-4°.
(6) Mém. de la Société de l'histoire de Paris, etc., t. VIII (1881), p. 140.
COUTUME DE PARIS. 49
était bailli d'Évreux. Son but, ainsi qu'il l'indique dans une
préface publiée par M. Delisle, dans le tome VIII des Mé-
moires de la Société de V histoire de Paris, etc., était de faciliter
les études juridiques de ses neveux.
Tel qu'il nous est parvenu, le Grand Coutumier présente
un ensemble de coutumes assez confuses et souvent contra-
dictoires. Les éditions gothiques du xvie siècle ont été alté-
rées par des additions qui permettent difficilement de dégager
le texte primitif. L'édition donnée en 1868 par MM. Dareste
et Laboulaye a beaucoup contribué à attirer l'attention sur
cette œuvre si importante pour l'histoire du droit. La décou-
verte récente de M. Delisle va permettre d'en publier un texte
plus sûr et plus exact. Dans l'état actuel, on ne peut recourir
au Grand Coutumier qu'avec beaucoup de prudence , en ayant
soin de conférer les usages et coutumes qu'il contient et qui
souvent sont contradictoires, avec ceux suivis à la même date
(fin du xive siècle) (1).
Telles sont les différentes sources que j'ai consultées pour
arriver à donner une physionomie aussi exacte que possible
de la très ancienne Coutume de Paris aux xme et xive siècles.
Pour Tordre des matières , j'ai cru devoir suivre le plan de la
Coutume réformée de 1580. Bien qu'il soit peu logique (2), il
m'a paru devoir faciliter le rapprochement que je désirais faire
entre cette très ancienne Coutume et le texte officiel de 1580.
(1) Je n'aurais garde d'oublier ici les savantes leçons de M. Ad. Tardif sur
l'histoire du droit coutumier qui m'ont été d'un secours si précieux pour mon
trirail. Y. Bibl. École des chartes, 2»« série, 1. 1, p. 397. H. Bordier.
(2) On pourrait cependant, jusqu'à un certain point, justifier cet ordre,
commun du reste à presque toutes les coutumes rédigées au xvi* siècle.
Aujourd'hui il paraît très simple de distinguer les personnes des biens et de
traiter des unes avant les autres; mais, au moyen-Age, sous l'influence des
principes de la féodalité, la condition des personnes n'était qu'une dépen-
dance de la condition des terres. C'est l'élément territorial qui dominait et
qui réglait l'état des personnes, nobles ou roturières. On peut comprendre,
alors, qu'à cette époque, on commença par étudier les biens, sauf à traiter
accessoirement des personnes.
Rbvub bist. — Tome VÏIÏ. 4
50 ESSAI sur l'ancienne
CHAPITRE PREMIER.
Des Fiefs.
Les feudistes du siècle dernier définissaient le fief « une
» concession faite à charge de fidélité et de services nobles
» sous la réserve d'un droit de seigneurie directe (1). »
Cette définition appliquée aux fiefs, dans les premiers temps
de la féodalité, serait inexacte; à cette époque, en effet, le
fief n'est pas nécessairement une tenure noble ; il ne prend
cette acception qu'à partir du xm6 siècle , bien qu'à ce mo-
ment on trouve encore des fiefs vilains, ainsi que le montre ce
passage de l'article 65 des Constitutions du Châtelet : « Se
» plusiours enfans sont demorez de père et de mère et il y ait
» fief franc (2) , le masle ainsné le doit tenir et avoir ent la
» seignorie , mais s'il doit tous les autres garder et assener
» et se le fief est vilain , chascun en doit avoir sa partie »
Mais dès la fin du xive siècle, le mot fief ne désigne plus que
la concession faite à charge d'hommage et de services nobles.
L'essence du fief consiste alors dans la foi et l'hommage , et
c'est le premier devoir du vassal de venir prêter à son suze-
rain le serment de fidélité.
Pour accomplir cette obligation , le vassal avait un délai de
quarante jours : « Dedans quarante jours le vassal doit, de-
» puis la démission du fié achaté (3) par luy, se traire par de-
» vers le seigneur et luy requérir ou luy demander la foy et
» hommage ou souffrance dudit fié , et offrir ce à quoy il est
» tenu, soit bouche et mains quand le fié descend de père et
*> fils ou quint denier d'estrange à estrange , et se ne le fet
» dans quarante jours , le seigneur en fait tous les proufits
(1) Cf. de Laurière, Glossaire, v° Fief; id., du Cange, v° Feudum; id.,
Brassel , Usage général des fiefs , I, liv. 1, chap. 1.
(2) Le mot franc est ici synonyme de noble par opposition à roturier (de
Laurière, Commentaire sur la Coutume de Parie , III , pag. 256).
(3) En cas de décès, le délai de 40 jours courait du jour du décès (J. Des-
mares , 286).
COUTUME DE PARIS. Si
» ions siens jusqu'à ce que le vassal ait fait son devoir et
» payé le quint denier à cause de la dite debte et vente , et
» puet le seigneur à son profit tenir le fié sans homme par au-
» tant de temps que le vassal Ta tenu sans seigneur » (J. Des-
mares, 193; id., Coutumes notoires, 134 (1).
Le défaut de foi et hommage entraînait donc la saisie féo-
dale faute d'homme et, par cette saisie, le seigneur faisait
siens tous les profits du fief; mais cette main-mise du sei-
gneur n'était pas une confiscation du fief et le vassal pouvait ,
en portant la foi et l'hommage , se faire restituer le fief saisi ,
« ... et habet [vassalus] quadraginta dies ad deliberandum an
» intret fidem et homagium pro dicto feudo ; intra quos si non
» veniat nulla est pœna. Sed post dictum tempus dominus
» potest assignare manum suam ad dictum feudum propter
» defectum hominis et extunc faciet fructus suos. Sed cum
* veniet offerendo debitum , dominus eum , quandocumque
» venerit , etiam post decem annos , tenetur recipere et res-
» tituere dictum feudum » (Stilus curiœ Parlamenti, ch. 28,
§14).
Cette exploitation en pure perte n'emportait et ne compre-
nait les fruits, au profit du seigneur, que du jour de la saisie,
pratiquée après l'expiration des quarante jours. A l'origine
de la féodalité , le fief retournait au seigneur suzerain qui le
possédait, non plus pour le compte du vassal, mais pour lui-
même; il y avait là une véritable confiscation (2). Aucun délai
n'était admis et le seigneur était saisi du fief vacant avant
tout autre. Plus tard ce droit rigoureux s'adoucit , et dès le
xii6 siècle on admit que le seigneur, bien qu'il pût saisir le
fief dès qu'il était vacant , n'en ferait les fruits siens qu'après
les quarante jours expirés : « Par la coustume des fiefs, si tôt
» comme un vassal est mort, le seigneur peut assigner au fief,
o mais il ne peut rien lever jusqu'à quarante jours après la
d mort du vassal » (Gr. Coutumier, liv. II, ch. 25, p. 279).
(1) Voy. Gr. Coutumier, liv. II, ch. 25, pag. 279. Les renvois aux chapitres
du Grand Coutumier sont faits d'après l'édition de MM. Dareste et Labou-
laye v Paris , 1868.
(2) La saisie féodale fat introduite comme un tempérament équitable aux
lieu et place de cette confiscation ou commise. Voy. Loysel , Inititutes coutu-
mièrtt. liv. IV, tit. m, n« 575. Cf. J. Lecoq, 162.
52 essai sur l'ancienne
Enfin au xiv* siècle un nouveau principe commença à pré-
valoir : « Tant que le seigneur dort, le vassal veille, »
(J. Desmares, 345), c'est-à-dire, que le vassal était constitué
en demeure et privé de la jouissance de son fief, non plus à
l'expiration des quarante jours, mais seulement au jour où le
seigneur usait de son droit par la main-mise, même après
l'expiration du délai (1). Le silence du seigneur était regardé
comme une souffrance tacite (2).
Cette saisie féodale pouvait également se pratiquer pour
droits et profils non payés (J. Desmares, 193), ce qu'il faut
entendre , fait remarquer de Laurière , que le seigneur pou-
vait refuser la foi, jusqu'à ce qu'il ait été satisfait des droits
à lui dûs, et, par suite, exercer alors la saisie pour faute
d'homme (3).
La rigueur du délai de quarante jours , pendant lequel le
vassal devait porter la foi et l'hommage à son seigneur, se
trouva atténuée par une règle généralement admise au XIVe
siècle : « Souffrance vaut foy, » ou encore : « Souffrance
» baillée par le seigneur de qui le fief est tenu vaut foy (4). »
La décision 63 de J. Desmares donne la définition de la souf-
france , c'est : « une dilation d'entrer en foy jusques à tant
» que on soit en foy ou qu'on y doive entrer. » Le seigneur
accordait la souffrance lorsque le vassal avait une excuse
légitime pour ne pas entrer en foi; il était même obligé de
l'accorder au mineur qui n'avait pas de gardien ; elle était
alors réclamée par le tuteur (5). Mais cette obligation ne fut
admise d'une façon générale qu'à la fin du xiv* siècle. On
n'avait d'abord accordé qu'au mineur pauvre le droit de ré-
clamer la souffrance : « Si l'enfant est povre et qu'il n'ait de
» quoy vivre, sera tenu le seigneur de luy donner à vivre ? Rep.
» Certes non; mais ledit seigneur sera tenu de lui bailler
m souffrance , se ledit mineur le requiert ou à son tuteur, s'il
» en a ; et partant ne fera ledit seigneur les fruits siens. La-
(1) Cf. Coût, de Paru, art. 7. En 1580, on ajouta la restriction suivante :
« A la charge d'en user par lui comme un bon père de famille. »
(2) Voy. de Laurière, art. 61 ; Beaumanoir, Des Eritages, XIV, 17.
(3) Voy. de Laurière, art. 1, p. 9-10.
(4) Cf. art. 42.
(5) Cf. art. 41.
COUTUME DE PARIS. 53
» quelle souffrance durera jusqu'à ce que ledit mineur soit en
» âge de faire foi et hommage » (Grand Coût., liv. II, chap.
27). Aux xiie et xme siècles, le seigneur saisissait faute
d'homme le fief du mineur qui n'avait ni gardien ni bail (1).
La souffrance valait foi tant qu'elle durait; mais une nou-
velle ouverture du fief, permettait au seigneur de saisir, si on
ne lui portait la foi et l'hommage (2).
Il y avait controverse sur le point de savoir si on pouvait
porter la foi et l'hommage par procureur : « Utrum homa-
» gium per procuratorem prœstare posset? » J. Lecoq, dans
ses « Quœstiones (3) , » distinguait suivant que le seigneur
et le vassal étaient d'accord ou non : « Credo fore dicendum
» quod consentientibus ambodus, domino et vassali, recipi
» potest et dari homagium per procuratorem ; ad contraria
» supradicta pro parte utraque responde. » Mais cette opi-
nion n'était pas généralement admise et J. Lecoq cite les
arguments qu'invoquaient, et ceux qui soutenaient qu'on pou-
vait porter l'hommage par procureur, et ceux qui prétendaient,
au contraire, que l'intervention personnelle du vassal était
indispensable.
Les premiers disaient que rien ne s'opposait à l'intervention
d'un procureur : « Non prohibitur nec reperitur jure prohi-
» bitum, » que ce qu'on pouvait faire soi-même, on pouvait de
même le faire par l'intermédiaire d'autrui : « regulariter quis
» per alium potest quod per se in régula juris... » Les autres
soutenaient, au contraire, que le lien de vassalité devait
s'établir directement entre le seigneur et le vassal , « interest
» domini videre et cognoscere personam sui vassali. » Ils
invoquaient aussi les principes du droit romain où l'emphy-
téose (4) devait se faire : « non per conductorem nec procura -
» torem sed per ipsos dominos. » Ni l'une ni l'autre de ces
opinions ne purent prévaloir, et c'est celle de J. Lecoq qui fut
(1) Voy. Brodeau, Coutume de Paris , I, p. 109.
(2) Un bailli pouvait recevoir en la souffrance du roi , mais non en foi et
hommage (J. Desmares, 61); id., Grand Coutumier, liv. II, chap. 25, p. 374.
Voy. Bibtiot. de V École des Chartes, 1876, p. 51 : « Souffrances féodales, »
par P. Bonnassieux.
(3) Quest. 301 .
(4) Loi 4, Code, lit. 66, De jure emph.
1
54 ESSAI sur l'ancienne
consacrée par l'article 67 de la Coutume de 1580, décidant,
« que le seigneur n'est pas tenu , si bon lui semble , de rece-
» voir la foi et l'hommage de son vassal par procureur, hors
» le cas d'excuse suffisante (1). »
Lorsqu'il y avait procès entre deux seigneurs au sujet de la
mouvance d'un fief, le vassal devait prêter la foi et l'hommage
entre les mains du roi (2). « Durant le plait entre lesdits sei-
» gneurs , le vassal devra entrer en la foy et hommage du
» dessusdit fief, du roy nostre sire, jusqu'à ce que il sera dit
» par jugement et declarié auquel desdits seigneurs , la foy
» et hommage appartiendront » (J. Desmares, 135) (3). C'est
ce qu'on appelait se faire recevoir par main-souveraine ; ainsi
pendant le procès , le vassal demeurait en pleine propriété ,
possession et jouissance de son fief; c'était une sorte de sé-
questre sous la main du roi (4). Le procès terminé, le vassal
devait porter la foi à celui qui avait obtenu gain de cause.
L'article 60 de la Coutume de 1580 ajoute : « Quarante jours
» après la signification à lui faite de la sentence ou arrêt. »
Nous avons vu que dès la seconde moitié du xrv6 siècle,
on avait admis le principe que « tant que le seigneur dort, le
» vassal veille. » Mais , antérieurement à cette époque , on
n'admettait pas que le silence du seigneur fût une souffrance
tacite qui permît au vassal de se regarder comme saisi et
possesseur du fief. Pour être saisi du fief, pour être vassal,
il fallait avoir prêté la foy et l'hommage (5) : « Ils scavent
» que, en prévôté et vicomte de Paris, un vassal ne se puet
» dire saisi du fief par mort, nec alias, se il n'en est en foy et
» hommage, ou souffrance qui le vaille, par le seigneur de qui
(1) Voy. Loysel, Intt. Coût., liv. IV, tit. m, n« 558. Cf. Orléans, art. 77.
(2) De Laurière distinguait : lorsque les deux seigneurs dépendaient du
même suzerain, le vassal devait se faire recevoir par main-suzeraine. On
ne devait recourir au roi que lorsque les deux seigneurs relevaient de diffé-
rents suzerains. Telle a dû être la règle primitivement. Mais au xive siècle on
procédait déjà, dans ce cas, à la réception par main-souveraine , ainsi que le
montre la décision 135 dont les expressions ont un sens général.
(3) V. Brodeau, sur l'article 60, 1, p. 410 et ss.
(4) « Le roi por le débat prenra la chose en sa main et se esgardera droit
» à lui et à autrui. Car le roi n'emporte pas sesine d'autrui mes on l'emporte
» de lui. »
(5) Yoy. Grand Coutunier, liv. II , chap. 25.
COUTUME DE PARIS. 55
» le fief est tenu » (Coût, no t., 135) (1). Et encore : « Si c'est
» un fief noble , saisine de droict ne autre n'est acquise sans
•»foy; car le seigneur direct est avant saisi que l'héritier;
» mais par faire hommage et par relief, le seigneur direct,
» doit saisir l'héritier » (Grand Coutumier, liv. H, chap. 19).
Hais si la foi et l'hommage étaient indispensables pour avoir
la possession et saisine du fief, cela ne suffisait pas; il fallait
aussi une appréhension de fait : « Foy et hommage ne don-
• nent pas possession se il n'y a appréhension de faict » (J.
Desmares, 62) (2).
Comme conséquence de ces principes, on devait, pour pou.
voir exercer une complainte, avoir porté la foi et l'hommage :
« Aucuns en cas de fies n'est à oïr ne a recevoir, à fere, ou in-
» tenter demande en cas de nouvelleté contre aucun autre, se
» il n'est en foy et hommage, ou en souffrance de seigneur qui
» vault foy, de la chose dont il se dit estre troublé » (J. Des-
mares, 177 ; id., Coût, no t., 53). De même, pour que le sei-
gneur pût recevoir ses vassaux en foi ou leur donner souf-
france, il fallait qu'il fût lui-même en foi vis-à-vis de son
suzerain : « Toutefois que aucun est en foy de son seigneur
» pour cause d'aucune chose qu'il tienne de luy en fié, il luy
» loist à mettre en foy ou souffrance celui qui de luy doit
» tenir à cause d'iceluy fié » (Coût, not., 54). Ne pouvant
mettre son vassal en foi , il ne pouvait , par suite , pratiquer
la saisie féodale. Mais ce droit rigoureux tendit à disparaître
sous l'influence de la maxime : « Tant que le seigneur dort,
» le vassal veille , » que nous voyons apparaître dès la fin
du xrve siècle (3). Aussi Dumoulin, après avoir dit que « vas-
» salus nondum per dominum admissus et investitus non est
» intègre et absolute vassalus , » s'empressait d'ajouter : « et
» hoc saltem domino vigilante ; çt ut verbis nostra consuetu-
» dinis utar, feudum ad suam manum revocante (4). » En
effet, dès le xve siècle on ne doutait plus, dit de Laurière,
« que le vassal qui n'était point en foi , pendant que son
(1) Cf. Stilus curia Parlamenti, chap. 28, § 14.
(2) Yoy. Grand Coutumier, liv. II, chap. 19, pag. 234.
(3) Brodeau, sur l'art. 82, I, pag. 627 et ss.
(4) De Laurière, I, pag. 169.
56 ESSAI sur l'ancienne
» seigneur dormait, De pût faire saisir féodalement le fief
» mouvant de lui » (De Laurière, Coût, de Paris, I, page
171) (1).
Dans le cas de mutation du seigneur suzerain soit par
mort, soit autrement, le vassal qui était en foi, la conservait,
nonobstant cette mutation , tant que le nouveau seigneur n'a-
vait pas fait faire les proclamations et significations, pour
que ses vassaux lui vinssent rendre foi et hommage : « Chas-
» cun qui est en foy d'aucun seigneur, lequel seigneur va
» de vie à trespassement, celuy qui est en foy, la continue
» toujours , iaçoit que celle chouse féodale soit mise en deux
» ou trois mains et hœc intellige dum tamen Dominus sum-
» maverit vassalum » (Coût, not., 56) (2). S'il s'agissait
d'une mutation par vente , échange ou don , le vassal qui se
trouvait en foi et hommage, n'était pas tenu de porter la foi
à son nouveau suzerain, et par suite de « laisser son premier
» seigneur » tant que celui-ci ne l'avait « quitté par bouche
» ou par lettres authentiques de la foi ou souffrance. » « Se
» aucun achète héritage ou acquiert par eschange d'autre
» terre ou par don ou par aultre titre et a iceux héritages ,
» comme a demaine appartiegnent fiefs qui en soient tenus
» et dont les vassaux fussent en la foy, ou souffrance qui la
» vaut, de celui qui le vend ou le délaisse au profit de l'ac-
» quéreur, le délaissant doit quitter son homme de bouche
» ou par lettres authentiques de la foy ou souffrance , et n'est
» tenu le vassal ou féodal de laissier son premier seigneur ne
» de entrer en la foy du nouvel acquérant, se les dites solen-
» nités ne sont avant faites » (Coût, not., 42) (3). La mutation
du seigneur suzerain n'emportait pas dissolution du lien de
vassalité ; telle était la règle au xiv* siècle. Mais une nouvelle
doctrine tendit à s'établir dans la suite , et au xvi° siècle on
admettait que toute mutation soit de la part du vassal, soit de
la part du seigneur, emportait dissolution du lien de foi. Il
faut noter cependant deux différences essentielles entre les
(1) Mais, même à cette époque , il n'était pas indifférent de porter la foi et
l'hommage le plus tôt possible, car le délai pour exercer le retrait ligoager
courait du jour où on avait accompli cette obligation.
(2) V. Brodeau , sur l'art. 65, I , pag. 456.
(3) V. Loysel, liv. IV, tit. m, art. 8. Cf. Paris, art. 63.
COUTUME DE PARIS. 57
deux cas : dans le second, en effet, mutation de la part du sei-
gneur, il n'y avait ouverture qu'à la foi et non aux droits et
profits; de plus, le nouveau seigneur ne pouvait saisir le
fief qu'après avoir fait les proclamations et sommations re-
quises, tandis que dans le cas d'une mutation du vassal, le
seigneur, les quarante jours passés, pouvait saisir le fief
directement sans sommation aucune.
Ce n'était donc qu'après avoir sommé le vassal, que le
nouveau seigneur pouvait saisir le fief faute d'homme, si
celui-ci ne venait lui porter la foi et l'hommage : « Puis que
» le seigneur a sommé son vassal au domaine de fié et il ne
» vient au seigneur dedans le temps à luy imposé , le sei-
» gneur puet assigner et mettre sa main au fie pour contrain-
» dre le vassal avenir faire l'hommage » {Coût. not.t 55) (1).
L'obligation du vassal de porter la foi et l'hommage à son
seigneur, n'était pas prescriptible, de même le seigneur ne
pouvait prescrire contre son vassal le fief saisi, et cela bien
« ... que le vassal par quarante ans n'ait requis son fief tenu
» par son seigneur, ni le vassal, tenant son fié, fait hommage
» à son seigneur par le temps dessusdit » (J. Desmares,
198) (2). Mais dans tous autres cas, comme tiers acquéreurs,
par exemple , le seigneur et le vassal pouvaient prescrire l'un
contre l'autre (3).
Après avoir porté la foi à son seigneur, le vassal devait
faire l'aveu et le dénombrement , c'est-à-dire , se reconnaître ,
s'avouer vassal, et déclarer très exactement au seigneur
l'état et l'étendue du fief : « Nota que quant aucun seigneur
» met aucun acheteur en la foy et hommage d'aucun fief, il
» lui doit enjoindre que dedans un certain temps il apporte
» son dénombrement, c'est à scavoir lettres d'aveu, parles-
» quelles il avoue tenir telles choses et telles de tel seigneur,
» et lui en a promis foy et loyaulté et service, etc. Et est à sca-
» voir que le terme commun d'apporter celui adveu est limité
» à xl jours et le peult le seigneur prolonger s'il lui plaist ,
» mais apéticier, non , si la partie le débat ou se ne consent.
(1) Ibid., J. Desmares, 193.
(2) Cf. Paris, 1510, art. 7. Voyez Brodeao, sur l'art. 12 de la nouvelle
Coutume (1580).
(3) Voy. Beamnanoir, cbap. 24, n° 9.
S 8 ESSAI sur l'ancienne
» Et qui n'y vient infra tempus , il peult faire arrêster le fief
» par ses gens et mettre en sa main » (Gr. Coutumier, liv. II ,
chap. 25, p. 274) (1). Mais il faut remarquer que cette saisie
pour dénombrement non baillé, n'emportait pas perte des
fruits pour le vassal (2) ; car le fief n'était pas vacant.
Le faux aveu emportait perte et commise du fief : « Selon
» droict et raison , si un vassal aveue a tenir son fief d'un
» autre seigneur que du propre seigneur féodal dont le fief
» muet et est tenu, il doit perdre le dit fief, et puet le droit
» seigneur le mettre et appliquer en sa main comme commis ,
» fourfait et acquis » (J. Desmares, 134, id.9 302.) L'aveu
partiel emportait perte de ce qui avait été recelé (3). L'ar-
ticle 43 de la Coutume de 1580 maintient le droit de com-
mise , non plus pour un faux aveu, même frauduleux et témé-
raire, mais pour un désaveu formel (4). La commise était une
véritable confiscation ; le seigneur confisquait le fief et le réu-
nissait à « sa table. » Dans les premiers temps de la féodalité,
la commise s'exerçait aussi pour défaut de foi et d'hommage ;
mais dès le xme siècle, comme nous l'avons vu , elle fut rem-
placée par une simple saisie emportant perte des fruits, et
non plus confiscation ou réunion du fief servant à la « table »
du seigneur.
La commise avait encore lieu, au xive siècle, pour cause
de trahison et de félonie, soit de la part du vassal, soit de la
part du seigneur (5) ; car dans ce cas on admettait la réci-
(i)/Md., art. 5. Paris, 1510.
(2) Cf. Paris , art. 44.
(3) V. Brodeau , sur l'art. 43. Quelques coutumes décidaient que dans le
cas d'aveu partiel, le vassal perdait tout le fief (Coût, de Bretagne , etc.).
(4) Au xiv« siècle, on ne distinguait pas entre les deux cas et désavouer
son seigneur ou faire un faux aveu entraînait les mêmes conséquences. Voy.
Loysel, Inst. coût., liv. IV, tit. m, n° 648, et les auteurs qu'il cite.
(5) Brodeau , dans son commentaire sur l'article 43 , prétend que dans ce
cas, le fondement du droit de commise est le même que celui de la révo-
cation des donations pour cause d'ingratitude. Mais cela ne suffirait pas pour
expliquer la perte du fief par le seigneur au profit du vassal , lorsque ce sei-
gneur manque à ses devoirs envers son vassal. Il y a là bien plutôt une suite
logique de cette idée, qu'en recevant la foi de son vassal, le seigneur lui a
promis aide et protection, et qu'en manquant à sa promesse, il dégage ce
vassal de tous devoirs envers lui.
COUTUME DE PARIS. 59
procité , en vertu du principe , que dans le contrat féodal la
foi était réciproque, le dévouement mutuel, et le seigneur
traite et félon envers son vassal perdait la mouvance et l'o-
béissance féodale : « Le seigneur du fié puet perdre l'obéis-
» sance de son fié , de son vassal , par commettre envers son
» vassal traison et felonnie , et aussi le vassal puet forfaire
» son héritage tenu en fié par commettre envers son seigneur
» traison et felonnie » (J. Desmares, 299) (1). Le faux aveu
était regardé comme félonie : « Crimes feudaux sont felon-
» nie ou faux aveu a escient (2). » Et plus spécialement on
entendait par félonie « quand le vassal par maltalent met la
» main sur son seigneur a tort, se il s'arme contre lui; se,
» sans son congié , il pesche en ses étangs , ou chasse en sa
» garenne , ou s'il fortrait sa femme ou fille pucelle » (Gr.
Coût., liv. II, chap. 25, p. 284).
La troisième obligation à laquelle se trouvait assujetti le
vassal qui prenait possession d'un fief, était de payer certains
droits au seigneur : droits de rachat ou relief et droits de
quint (3).
Au xiii6 siècle , le principe de l'hérédité en matière de fiefs
avait prévalu ; le fief ne retournait plus au seigneur comme à
l'origine; néanmoins, on était loin d'admettre la règle que
firent triompher les légistes : « Le mort saisit le vif. » Au xiv*
siècle encore, le premier saisi à la mort du vassal était le sei-
gneur et non l'héritier, et le droit de relief représentait alors
la rémunération de l'investiture que le seigneur devait conférer
au nouveau vassal (4). La théorie des héritiers siens du droit
romain vint fournir aux légistes une de leurs armes les plus
puissantes contre la saisine directe du seigneur. Tout d'abord,
on eut recours à une fiction. Ni le seigneur, ni l'héritier ne
sont saisis. Le fief « chiet et git » suivant une expression du
Grand coutumier, et pour que l'héritier puisse le prendre et le
posséder, il faut qu'il soit « relevé » par le seigneur. Enfin ,
dans la seconde moitié du xive siècle , le droit des seigneurs
(1) Cf. Paris, art. 43. Voyez le commentaire de de Laurière sur cet article,
I, pag. 113-144.
(S) Loysel, Intt. coût., liv. VI, tit. n, n» 842.
(3) Cf. Grand Coutumier, liv. II, ch. 30. Du rachapt des fiefs.
(4) Voy. de Laurière sur l'article 61, 1. 1, pag. 168 et ss.
60 ESSAI sur l'ancienne
fléchissait encore, et dès les premières années du xve siècle, la
règle « le mort saisit le vif » triomphait définitivement, du
moins en ligne directe.
Le passage suivant du Grand Coutumier montre bien par
quelle suite d'idées on arriva à faire triompher la fiction : « le
mort saisit le vif. » «... Si c'est un fief noble, saisine de droit
» ne autre n'est acquise sans foi , car le seigneur direct est
» avant saisi que l'héritier. Mais par faire foi et hommage et
» par relief, le seigneur direct doit saisir l'héritier... Et
» semble encore, selon la commune opinion, qu'à plus propre-
» ment parler, l'on peut dire que par la mort du vassal, le
» fief chiet et git en telle manière qu'il ne peut estre possédé
» ne par le seigneur, ne par l'héritier fors quand il est relevé
» par le seigneur direct, et de ce relief que le seigneur fait,
» l'héritier en le prenant et laissant en la foi, il a le droit qui
» est appelé relief, que l'on dit aucune fois rachat... » (Gr.
Coutumier, liv. II, ch. 19, pag. 234).
Lorsque la mutation du vassal avait lieu par suite d'une
vente ou contrat analogue (1), ce n'était plus le droit de relief
qui était dû, mais le droit de quint : « Quand aucun vend au-
» cun fié, il doit payer le quint denier... » (J. Desmares, 201).
Et le Grand Coutumier : « Quand le fief est vendu selon la
» coustume de France, ainsi comme ventes sont deues au sei-
» gneur pour chose vendue en censive , ainsi est deû au sei-
» gneur le quint denier de la vente de l'héritage ou chose
» mouvant en fief de luy... » (liv. II, chap. 25, p. 273) (2).
Ces droits de relief et de quint étaient dûs au moment de
l'investiture que recevait le nouveau vassal et non au moment
de l'acte ou du contrat opérant la mutation, ainsi que cela avait
lieu pour les censives. Il fallait excepter le cas de fraude :
« ... Si ce n'est en cas que l'achateur en fraude du seigneur
» perce les fruits et émoluments » (J. Desmares, 203).
Alors le seigneur pouvait exiger sans délai les droits qui lui
étaient dûs. En cas de vente , le vassal vendeur devait se dé-
mettre du fief entre les mains du seigneur, ou l'acheteur de-
(1) On entendait par contrats analogues : la dation en paiement , la licita-
tion avec un adjudicataire étranger, le bail à rente rachetable, rechange avec
soulte. Cf. Paris , art. 33.
(2) Beaumanoir, XXVII, 7.
COUTUME DE PARIS. 61
vait le reprendre en payant le quint denier : « Et le seigneur
» ne baille pas la saisine à l'acheteur, s'il ne luy plaist, jusques
» à tant qu'il soit payé de son quint denier » (Gr. Coût., liv.
II, chap. 25, p. 273).
Au xvi* siècle , ces « devets et ces vêts » n'étaient plus en
usage ; et les droits de relief et de quint étaient de simples
droits de mutation, dûs indépendamment de toute investi-
ture (1).
Généralement le relief et le quint ne pouvaient être dûs et
perçus en même temps : « Quaeritur quand aucun fief doit
» quint denier, doit-il rachapt? Selon la coustume de France,
» non ; car le quint denier est le droit que le seigneur a en
» cas d'emption et vendition des fiefs... mais le rachapt est le
» droit que le seigneur a en cas de succession de fief, comme
» dit est » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 30, p. 313). Cepen-
dant la décision 200 de J. Desmares nous montre un cas où le
rachat et le quint pouvaient être dûs ensemble : « Au cas que
» rachat a lieu , le quint denier n'a pas lieu, si ce n'est quand
» aucun vend aucune chouse tenue en fie et iceluy venditeur
» muert avant que l'achateur en soit en foy et hommage.
» Car les héritiers du vendeur sont tenus du rachat en tant
» qu'ils entrent en foy et hommage dudit fief vendu, et du
» quint denier à cause de la vente commencée par leur prédé-
» cesseur, laquelle ils sont tenus de parfaire. »
Il y avait d'assez nombreuses exceptions au principe que le
rachat était dû au seigneur pour toute mutation , provenant
d'une cause autre que la vente ou contrat analogue.
Une des plus importantes était celle qui avait lieu en faveur
des héritiers en ligne directe. Nous avons vu que la fiction
« le mort saisit le vif » n'avait réussi à triompher qu'à la fin
du xiv0 siècle. Les seigneurs lui opposaient une vive résis-
tance ; admise pour tous autres biens , elle était sans effet à
l'égard dés fiefs , dans les rapports du vassal et de son suze-
rain : « Si aucun vassal à qui le fief est propre héritaige ou
» acquest et qui est légitime ou loyal demenier et possesseur,
» va de vie à trespassement , son hoir, et fut son propre fils,
» n'en est pas saisi , ne en possession et saisine, ne s'en peult
(1) Voy. de Laurière sur l'article 33, 1, p. 89.
62 ESSAI SUR l'ancienne
» dire par le droit commua ne par la coustume, le mort saisit
» le vif son hoir, ne le fils de son demaine ne s'en peult dire
» possesseur au regard du seigneur, jusqu'à ce qu'il en ait
» fait foy et hommage de bouche ou de mains au seigneur de
» qui il meut , ou qu'il en soit par le seigneur mis en souf-
» franco... » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27, p. 305.)
Tout ce que les légistes avaient pu obtenir à cette époque,
c'est que l'héritier direct ne devrait que la foi et l'hommage
« de bouche et de mains, » sans être astreint à payer aucun
droit de rachat ou de relief : « Item aussi, dit-on, que en ligne
» directe nul ne doibt rachapt par la coustume générale du
» royaume de France » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27, pag.
304) (1). Et d'après la Coutume notoire 134, le vassal ne doit
offrir que « ce à quoy il est tenu soit bouche et mains , quand
» le fief descend de père et fils (2). »
La même règle était appliquée aux donations en ligne di-
recte : « Rachat n'a lieu en donation de fief faite simplement
» et purement » (J. Desmares, 199) (3). Ces donations étaient
considérées comme des avancements d'hoirie; mais il était
difficile de les envisager ainsi, lorsqu'il s'agissait d'une dona-
tion faite par un fils à son père ou autre ascendant. Dans ce
cas on était guidé par la même raison qui avait fait admettre
que les père, mère ou aïeul, gardiens de leurs enfants mineurs,
ne devraient pas le rachat (4).
L'exemption de payer le rachat pour les donations en ligne
directe n'était pas admise sans difficulté, et, au commencement
du xvie siècle, la fiscalité pût faire admettre une distinction
entre les donations faites purement et simplement et celles
faites en avancement d'hoirie ; les premières seules ne payaient
pas de relief. L'article 278 de la Coutume réformée, ayant dé-
cidé que toutes donations des père et mère à leurs enfants
seraient réputées faites en avancement d'hoirie, supprima
la distinction (5).
(1) Ibid., Gr. Coût., liv. II, chap. 30, p. 310.
(2) Beaumanoir, Des privilèges, cbap. xiv, 8.
(3) Cf. Gr. Cout.y liv. II, chap. 30, p. 312 (en note).
(4) De Lanrière, I, p. 90. C'était un bénéfice introduit en faveur des pères
et mères.
(5) Voy. de Laurière, sur les articles 26, 33, 278. V. Coût. 1510, art. 22.
COUTUME DE PARIS. 63
Cette exemption de payer le rachat ne s'appliquait qu'aux
héritiers en ligne directe ; en ligne collatérale , le rachat était
dû au seigneur : « Se aucun vassal demenier et possesseur
» d'un fief muert et il ait hoirs collatéraux auxquels la suc-
0 cession et eschoite soit deue et apparteigne , eux ne puent
» faire les fruits leurs ne en jouir, ne en sont possesseurs ne
» demeniers jusqu'à ce qu'ils aient payé une finance nommée
» rachat...» (J. Desmares, 287; id., Gr. Coutumier, liv. H,
chap. 30, pag. 311) (1).
Une autre exception à l'obligation de payer le rachat au
seigneur, avait lieu lorsqu'une veuve prenait possession de
son douaire; bien qu'il y ait mutation, la douairière était dis-
pensée de toutes charges et services ; le Parloir aux Bour-
geois (2), à la date du 15 février 1293, le décidait ainsi : «... la
» dite femme [la douairière] aura et tendra, tant comme elle
» vivra , en douaire la moitié dudit fief , franchement sans
» payer aucune chose des services dont ledit fief est chargé. »
Il semblerait résulter de cette décision que la douairière n'é-
tait même pas tenue de porter la foi et l'hommage pour son
douaire (3); cette idée prévalut, plus tard , au xvie siècle , et
l'article 40 de la Coutume de 1580 décida que la veuve douai-
rière ne serait pas tenue pour son douaire de « faire la foi
» et hommage ne paier aucun relief ne profit. » Mais au xiv6
siècle, il n'en était pas ainsi et la douairière était obligée
d'entrer en foi. « ... (Elle) ne rachètera point, mais il con-
» viendra que dans xl jours après la mort du chevalier, elle
» se tire par devers les seigneurs et qu'elle leur offre la bou-
» che et les mains , tant pour son héritage comme pour son
» douaire... Et le seigneur la doit recevoir sans profit » (Gr.
Coutumier, liv. II, chap. 27, p. 291).
Bien que la tenure en parage (4) ne fut pas admise comme
droit commun dans la prévôté et vicomte de Paris, on admet-
tait cependant le frère , fils aîné , à porter la foi comme seul
(1) Cf. Paris , art. 3.
(2) Le Roui de Lincy, Hisl. de l'Hôlel-de- Ville , pag. 124.
(3) La douairière était considérée comme une usufruitière, et l'héritier du
mari étant seul et vrai propriétaire , il était naturel qu'il acquittât les droits.
Voy. Brodean, sur l'article 40, 1, pag. 292.
(4) Voy. imfrà, pag. 26.
64 ESSAI sur l'ancienne
et unique héritier de tout le fief échu eu ligne directe, « et,
» dit de Laurière , il garantissait ses sœurs majeures ou mi-
» neures et leurs premiers maris. » Aussi lors de leur pre-
mier mariage, ne devaient-elles point payer rachat ou re-
lief (1) : « Cette fille ne doit rachat ne finance ne autre chose
» fors que la bouche et les mains et soit aagée ou non aagée ,
» car le mâle son frère commun, l'affranchit une fois en la
» bénédiction de son premier mariage » (Gr. Coutumier, liv.
II, chap. 27, p. 304). Mais le frère n'affranchissait ses sœurs
qu'une fois et pour les seconds mariages, le relief était dû (2).
Lorsqu'il n'y avait pas de frère, le seigneur pouvait exiger
que le rachat lui fût payé par la « demoiselle » (3) : « Se la
» demoiselle demeure orpheline de père et de mère et ne fut
» onques mariée, si convient qu'elle entre en foi des fiefs qui
» lui sont venus et échus tant de père comme de mère , rache-
» tera-t-elle ? Réponse : Oui , pour ce qu'elle n'a point de
» frère qui la puisse garantir » ( Gr. Coutumier, liv. II ,
chap. 27, p. 300).
Ainsi, au xiv6 siècle, le frère affranchissait ses sœurs de l'o-
bligation de payer le relief lors de leur premier mariage ; on
songea même à étendre cette exemption au cas où elles rece-
vaient , pendant leur premier ou autres mariages , des fiefs
venant de ligne directe {Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27,
pag. 296) (4). Mais cette doctrine ne prévalut pas. Au xvi°
siècle, lors de la première rédaction de la Coutume, l'article
25 décida que la femme qui se mariait, devrait le rachat au
seigneur féodal pour les fiefs qu'elle possédait. L'article 3
apporta une seule exception , à savoir : que le fils aîné , en
faisant la foi et l'hommage au seigneur féodal, acquitterait
les filles de leur premier mariage. Dumoulin, s'appuyant sur
cet article, s'efforça de restreindre autant que possible l'appli-
(1) Voy. de Laurière , sur l'article 35, 1, pag. 93.
(2) 11 n'y a pas, je crois , à distinguer si le mariage avait eu lieu avec ou
sans communauté. Voy. Brodeau, sur l'article 35. Cette distinction est inutile,
car le mari payait le relief non comme mari , mais comme bail et gardien de
sa femme.
(3) Cf. Paris, 1510, art. 25.
(4) Les veuves ne devaient pas de relief pour leur veuvage , mais bien
lorsqu'elles se remariaient {Gr. Coût., liv. II, chap. 25). Cf. Paris, art. 39.
COUTUME DE PARIS. 81
» tant qu'il ait accepté la propriété d'i celle maison baillée et
» puet faire demande et action contre les détenteurs des héri-
» tages à luy obligiés et hypothéqués par ledit accensement,
»et, est la raison qu'il fait faire lesdites criées, contraint
» pour son droit conserver. 27 nov. 1374 » (Coutume not.
169) (1). Il était de toute justice d'admettre , dans ce cas , une
exception à la coutume que les droits du censier devenaient
confus dès qu'il acquérait la propriété de l'immeuble chargé
desdits droits. Mais s'il y avait plusieurs censiers et que le
premier prît ainsi la maison et en acceptât la propriété , il
empirait sa condition , « parce que la propriété est tenue de
» payer les charges réelles, et il n'a plus de privilèges contre
»les autres censiers» (Coût. not. 119). Il perdait donc son
droit de priorité et ne pouvait agir contre le propriétaire ,
son débiteur, qu'après l'autre ou les autres censiers dont il
aurait primé les droits, s'il n'eût acquis la propriété de
l'immeuble.
Le seigneur censier pouvait encore faire crier la maison
lorsqu'il était menacé de perdre son cens par la ruine de la
dite maison (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 25; Saisine en fiefs,
pag. 277),
Outre le cens , le seigneur censier percevait des droits ou
profits de mutations (2). Ces droits étaient très anciens. On a
cru y voir une application des règles de l'emphytéose ro-
main (3). Sans nier l'influence très réelle du droit romain en
cette matière, il est permis de penser que ces droits de mu-
tations payés par le censitaire ne sont qu'une suite des prin-
cipes du droit féodal. Les droits de lods et ventes étaient
pour les censives ce que le droit de quint était pour les fiefs.
C'était, à l'origine, le prix de l'investiture, de l'ensaisinement
donné par le seigneur à son vassal ou preneur à cens.
Les ventes étaient dues dans les mêmes cas que le droit
de quint, c'est-à-dire pour toute mutation par vente ou acte
(i) là., Gr. Coutumier, liv. II , chap. 37, p. 354.
(2} Cf. Brodeau, I , sur l'article 76, pag. 576 et as.
(3) Cf. Loi 4 Cod., lit 66, De jure empt. Le propriétaire pouvait exiger comm e
salaire de son consentement à la mutation que se proposait de faire Tem-
phjtéote, un droit fixé au cinquantième du prix ou de la valeur du fonds.
Revue hist. — Tome VIII. 6
82 ESSAI sur l'ancienne
équipollent (t) : « Qui achète aucun héritage, il est tenu d'aler
» par devers le seigneur de qui l'héritage muet en censive, ou
» de lui faire savoir suffisamment, et de luy payer le dou-
» zième denier du prix dedans les huit jours après la vente
» faite, sur peine de soixante sols et un denier, en quoi il
» enqueurt. 1373 » (Coût. not. 128; id., J. Desmares, 190).
Le taux des ventes resta fixé au douzième du prix « douze
» deniers un denier » lors de la rédaction officielle de la Cou-
tume. Quant au délai dans lequel on devait acquitter ces
ventes, il fut maintenu, en 1510, tel qu'il était réglé au xiv*
siècle, d'après le texte que nous venons de ci 1er. L'article 54
disait, en effet, que les ventes devaient être payées ou noti-
fiées « dans la huictaine de l'aiquisition. » Mais en 1580 ce
délai fut porté à vingt jours (art. 77) (2). 11 courait du jour
même de la vente, « dedans vingt jours de l'acquisition » dit
l'article 77; il en était de même au xiv6 siècle : « Incontinent
» que chouses qui sont en censives sont vendues, droit est
» acquis au seigneur des ventes sans attendre vest et devest,
» autrement est es fief» (J. Desmares, 203) (3).
Lorsque la mutation avait lieu par succession ou par tout
autre mode que la vente , il était dû , dans certaines coutu-
mes, une redevance qu'on appelait relevoison ou double cens,
parce qu'elle consistait ordinairement en une somme double
du cens annuel.
Il y avait plusieurs hypothèses qui présentaient des difficul-
tés, et dans lesquelles on se demandait si, oui ou non, les
ventes étaient dues au seigneur, et dans quelles proportions
elles étaient dues. Ainsi , lorsqu'un propriétaire , tenant une
maison à cens, vendait sur cette maison une rente annuelle et
perpétuelle, « les ventes étaient dues au seigneur censier »
(J. Desmares, 364) (4); mais qu'arrivait-il lorsque la maison
était ensuite vendue? Les ventes étaient-elles dues pour le
(1) C'est-à-dire : Bail à rente rachetable, échange avec soulte. V. Brodeau,
I, p. 602, 603 et II, p. 54. a. art. 78.
(2) Cf. Brodeau, I, sur l'article 77, pag. 583-584.
(3) Cf. Gr. Coutumier, liv. II, chap. 23, p. 267. a Si tost qae le contrat de
» la vente est faicl et accorde... le droict des ventes est acquis au seigneur. »
(4) Art. 58, Coût, de 1510. Cet article fut supprimé par un arrêt du Par-
lement du 10 mai 1557. Dumoulin, 1. 1, pag. 798-799.
COUTUME DE PARIS. 83
prix seul de la maison , abstraction faite de la rente, ou bien
étaient-elles dues tant pour le prix que pour la rente? Au xiv*
siècle, il n'y avait pas de doute possible surce point : « ...La I
» maison estant depuis vendue à la charge de la rente , les
» ventes ne sont deues que de l'argent et non de la rente,
» mais bien lorsqu'elle est vendue séparément (J. Desmares,
364) (1). » A cette époque en effet, les rentes constituées à
prix d'argent , assignées sur une maison, étaient assimilées
aux rentes foncières, et par suite, elles étaient réputées
charges réelles du fonds et elles en diminuaient la valeur. Ainsi
un héritage de 20,000 livres, chargé de 500 livres de rente,
n'était estimé vendu que 10,000 livres, et c'est sur ce prix
seulement qu'étaient dues les ventes (2). Cette opinion domi-
nait encore lors de la première rédaction de la Coutume de
Paris. Elle fut vivement attaquée par Dumoulin, et sur l'appel
interjeté par le prévôt des marchands et les échevins de Paris
contre les quatre articles 58, 59, 60 et 61, proposés par les
commissaires et qui consacraient l'opinion ancienne, le Parle-
ment rendit un arrêta la date du 10 mai 1577, « par lequel
dit de Laurière, il ordonna que ces articles seraient ôtés et
qu'en leur place il y aurait l'article suivant : « Pour rentes
» constituées à prix d'argent sur maisons ou autres héritages
«assis es ville, prévôté et vicomte de Paris, ne sont dus ^
» aucuns droits de lods et ventes ni autres profits seigneu-
» riaux, soit pour la constitution de la rente, ou rachapt des
» dites rentes. » C'était l'opinion de Dumoulin qu'on faisait
prévaloir ; la nature des rentes constituées se trouvait mo-
difiée; elles n'étaient plus des charges réelles du fonds; aussi
devait-on les considérer « comme faisant partie du fonds vendu
» et les rentes étaient dues non-seulement pour le regard des
» deniers déboursés, mais aussi pour le principal desdites
» rentes constituées » (Arrêt du 10 mai 1557).
Le défaut de paiement des ventes entraînait des pénalités
très graves au xiii6 siècle; on en trouve encore des traces au
xrve. Mais la jurisprudence s'efforçait déjà d'apporter des
adoucissements à ces rigueurs; ainsi, à la date du 5 août 1317,
(1) Cf. Brodeau, t. I, sur l'article 83, pag. 635.
(2) De Laurière, art. 83, pag. 211 et 213.
84 ESSAI sur l'ancienne
un arrêt du Parlement confirmait une sentence du prévôt de
Paris qui avait cassé un jugemeut du juge de la cour séculière
du prieuré de Saint-Éloi. Le prieur avait saisi le revenu d'une
maison sise en sa censive et avait fait ôter les tuiles du toit,
conformément à la coutume de Paris, qui autorisait à agir
ainsi , tout seigneur d'une maison tenue en censive , pour la-
quelle on ne payait pas Les droits de ventes (1). Ou pouvait
aussi pour le même motif « mettre l'huis de la porte hors des
» gons. » On trouve cette coutume rapportée dans le Grand
Coutumier (liv. II, chap. 23) (2), bien qu'elle ne fût guère
plus en usage à la fin du xive siècle.
Dès cette époque, en effet, le non-paiement des ventes en-
traînait une amende de 60 sols parisis , sans aucune exécution
matérielle : « Et si l'acheteur ne vient requérir par devers le
» seigneur censier ou son député , dedans les huit jours , à
» compter du jour de la vendition, payer les ventes, il doit,
» pour l'amende, 60 sols parisis, de la monnoie du pais, pour
» ventes recellées et n'en doit plus pour amende » (Gr. Cou-
tumier, liv. II, chap. 23, p. 266). Ces ventes et amendes ne
pouvaient se poursuivre que par voie d'action. Le seigneur
pouvait exercer cette action après l'expiration du délai de huit
jours accordé au preneur pour s'acquitter des ventes (J. Des-
mares, 190) (3).
Pour avoir la saisine et possession d'un héritage vendu par
un preneur à cens , il fallait « vest et devest , » c'est-à-dire
que le preneur qui vendait l'héritage devait se dessaisir entre
les mains du seigneur censier qui baillait la saisine au nou-
veau preneur : « En vente d'héritage il faut vest et devest ,
» combien que les lettres en soient faites. Car au vendeur
» demeure toujours la vraie saisine et possession, jusqu'à tant
» qu'il en soit dessaisi en la main du seigneur foncier du lieu,
» se ainsy n'est qu'il en ait joui et exploitié par tel temps, qu'il
(1) Olim, IV, p. 340.
(2) Il pouvait aussi « arrester et mettre le gason de l'héritage en sa
» main, etc. » {Gr. Coul., liv. II, chap. 23, p. 267, 268).
(3) « Premièrement il peult faire action et demande pour cause des ventes
» contre l'acheteur et le faire convenir par devant son juge ordinaire... »
(Gr. Coût., liv. II, chap. 23, p. 267).
\
COUTUME DB PARIS. 85
» en ait acquis saisine et possession » (Coût. not. 124; — id.,
J. Desmares, 189) (1).
Au xvi° siècle , on n'était plus astreint à ces formalités :
« Ne prend saisine qui ne veut , » dit l'article 82 de la Cou-
tume de 1580. Cependant il était encore utile, à cette époque,
de prendre saisine, soit pour Qxer le point de départ du délai
pendant lequel on pouvait exercer le retrait lignager, soit pour
pouvoir exercer la complainte de saisine, sans attendre la pos-
session de Tan et jour.
Parmi les décisions du Parloir aux bourgeois, on en trouve
un assez grand nombre ayant trait à l'ensaisinement et au
dessaisinement des maisons situées « en la censive et sei-
» gneurie » dudit parloir (2).
Ces décisions donnent aussi des solutions intéressantes re-
latives à certaines difficultés qui s'élevaient entre proprié-
taires et locataires. A la date du 13 novembre 1299, le Parloir
aux bourgeois reconnaissait à un locataire le droit de retenir
une partie du loyer, si le propriétaire n'exécutait pas dans un
certain délai , des réparations qui avaient été stipulées dans
le bail ; le preneur pouvait même exiger, en outre , une in-
demnité pour les dommages qu'aurait pu lui causer le re-
tard apporté aux réparations : « ... l'accorda et promist [le
» propriétaire] que dedanz III semenes procheoes à venir, il
» fera faire les dites réparations et volt que des dommages
» que ledit Henri pourra montrer que il aura eus par défaut
» de choses dessusdites non accomplies , que nous en orde-
» nous ; et en promist a li en fere guerre selonc nostre orden-
» nance et en son content, il volt que ledit Henri retienne
» du louîer de ladite meson devers soi 6 livres parisis jusques
» à tant qu'il est accomplis les dites chouses (3). »
Par une autre décision du 17 janvier 1304, le Parloir aux
bourgeois (4) reconnaissait que c'était une coutume notoire à
Paris, que le locataire qui tenait à loyer d'un bourgeois de
Paris une maison ou un moulin , lorsqu'il voulait laisser la-
(1) Gr. Coutumier, liv. II, chap. 23, p. 265.
(2) Le Roox de Lincy, Risl. de Wàtti-de- Ville ,? . 145, 163.
(3) M., p. 146.
(4) ld., p. 164.
86 essai sur l'ancienne coutume de paris.
dite maisoD au terme échu , devait, le jour du terme, appor-
ter les clefs et tous les arrérages ou en faire offres ; sinon le
bourgeois n'était pas tenu de prendre les clefs et le locataire
demeurait saisi de la maison, pour Tannée suivante, aux
mêmes conditions que pour Tannée qui venait d'échoir. C'est
h cas de tacite reconduction réglé dans notre législation ac-
tuelle par l'article 1736 du Code civil.
H. BuCHB.
(A suivre.
+m
ORDONNANCE DE LOUIS XI
SANCTIONNANT DES ARTICLES ARRÊTÉS
BNTBB
LE CONSULS ET LES HABITANTS DU PUY-EN-VELAY
POUR
L'ADMINISTRATION DE CETTE VILLE
(Montils-lès-Toure, Novembre 1469)
L'institution du consulat du Puy n'est historiquement cons-
tatée qu'en 1219 (1), et faute de documents, ce n'est que par
des conjectures plus ou moins plausibles qu'on peut lui attri-
buer une origine plus reculée. Au xm* siècle, les « bonnes
coutumes » et les « bons usages » de cette ville devenue,
grâce à son célèbre pèlerinage, un centre industriel et com-
mercial important, avaient acquis une assez grande notoriété
pour être proposés comme exemple dans les provinces voi-
sines et comparés à ceux de Montpellier (2). Une émeute
populaire survenue en 1276 lui fit perdre son consulat, sup-
primé par la Cour du roi au Parlement de Pâques 1277 (3).
(1) Baluxe, M ùeellanea , VII , 326. C'est la confirmation par Philippe-Au-
to*te (Vernon, mars 1219) d'un accord conclu entre Robert de Mahun,
érêqoe du Puy, d'une part, et les habitants du Puy, d'autre part , au sujet
des tailles, du sceau commun, du service d'ost et de chevauchée, etc.
L. Delisle, Cat. des octet de Ph.-Aug., 1892.
(2) En 1270, Bernard et Bertrand de la Tour, accordant des coutumes et
privilèges à la petite ville de Besse (Puy-de-Dôme , ar. Issoire) , les quali-
fient pompeusement de bot usatget el bonas eondumnhas , las melhors que hum
trûbariû à opt de bortet à Montpeleir, ni al Poy, ni à Salvanhec (Souvigoy,
Allier, ar. Moulins). Chabrol, Coût. d'Aui., IV, 93.
(3) L. Delisle, Actes du Parlement, Essai de restit. d'un vol. des Olim,
dit le Livre Pelu Noir, n° 267. — Chroniques d'Etienne Midicis, bourgeois du
Puy, I, 212.
88 ORDONNANCE DE LOUIS XI.
Il ne lui fut rendu qu'en janvier 1344 par Philippe de Va-
lois (1). Les élections des consuls eurent lieu, pour la pre-
mière fois, le 4 février 1344 (2) et se renouvelèrent chaque
année le 3 février jusqu'en 1553, époque où, pour des con-
venances sérieuses d'administration, elles furent avancées et
reportées au 25 novembre précédent, quoique le 3 février
continuât à être le point de départ de l'année ou exercice
consulaire (3).
Les documents originaux relatifs à l'histoire municipale du
Puy, de 1344 au xvn6 siècle, ont pour la plupart péri dans un
incendie qui consuma, dans la nuit du 9 au 10 octobre 1653,
la maison commune et détruisit la majeure partie des ar-
chives. Mais, par voie indirecte, il n'est pas impossible d'en
retrouver quelques-uns parfois d'un grand intérêt.
Un heureux hasard nous a fait rencontrer dans le protocole
d'un notaire du Puy du xve siècle un curieux document qui
ajoute un chapitre nouveau à l'histoire municipale de cette
ville. Il s'agit d'une ordonnance du roi Louis XI (novembre
1469) qui approuve et sanctionne des articles arrêtés, en pré-
sence de Jean de Bourbon, évêque du Puy, et de Guillaume
de Varie , général des finances , entre les consuls et les habi-
tants sur l'organisation du consulat et divers points d'admi-
nistration et de comptabilité.
A la date où d'un commun accord furent rédigés ces arti-
cles, le consulat du Puy fonctionnait depuis cent vingt-cinq
ans, et son fonctionnement avait donné naissance à des abus
et à des inconvénients de différente nature. C'est pour y pa-
(1) Dom Vaissète, Hitt. gén. du Lang., IV, Pr., col. 197; Chron. d'Et. Mé-
dias, 1,220.
(2) Les premiers consuls élus le 4 février 1344, furent Lioutaud seigneur
de Solignac, chevalier, Jacques Rossel, Raymond Baudouin, Jean Guérin ,
Vidal de Mazan, Mathieu Rostaing, Guillaume Boyer, Jacques de Freycenet,
Giraud de Lorgue et Laurent Bouchet. Dans les premières années, le nombre
des consuls variait à peu près tous les ans; il était de 10, 8 ou 6 suivant
que l'administration s'annonçait devoir être plus ou moins laborieuse à rai-
son de la levée des tailles.
(3) Chron. d'Et. Méd., I, 457. Élus le 3 février, les consuls n'avaient pas
toujours un délai suffisant pour établir le rôle de l'assiette et pourvoir au
receveur du premier quartier « quasi esche u » des deniers royaux , et si le
receveur général du diocèse en exigeait le paiement à l'échéance , il leur fal-
lait fournir argent de leur bourse.
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 89
rer que fut composé un petit code administratif, divisé en
vingt-six paragraphes dont la disposition laissé, comme tou-
jours, dans les documents de ce genre, un peu à désirer sous
le rapport de la méthode, et que, pour plus de clarté, je
ramènerai à la classification suivante.
En premier lieu, on règle la forme des élections consulaires
(§ 7), leur discipline et police (§§ 21, 22).
Les anciens consuls sont déclarés inéligibles pendant qua-
tre ans (§ 23).
On fixe le nombre et les gages des consuls , des conseillers
ordinaires, des clercs conseillers (§§ 1, 2, 3, 4), les gages du
capitaine général (§ 5), des messeurs ou valets de ville (§ 6) et
du grefGer (§ 7).
Suivent des règles relatives à l'assiette ou répartition des
tailles qui est faite par les consuls et conseillers avec l'assis-
tance de 66 délégués des 22 îles (§ 8), au délai — quinze
jours — dans lequel l'assiette particulière de la ville doit
suivre l'assiette générale du diocèse (§ 12), à la confection du
rôle (§ 10) et aux cotes des insolvables (§ 11), à la mise aux
enchères soit de chaque taille (§ 13) soit aussi des revenus
ordinaires de la ville (§ 16), aux conditions d'admissibilité du
receveur (§ 14), à sa comptabilité tant en recette qu'en dé-
pense (§§ 17, 18), à l'affectation à donner aux arrérages des
tailles (§ 15), à la somme de deniers dont les consuls avaient
la disponibilité pour les affaires courantes (§ 19) , et enfin à la
justification et à la clôture des comptes par les auditeurs
(§§ 25, 26).
Comme motif spécial de la faveur qu'il accorde aux habi-
tants du Puy, le roi rappelle leur fidélité à sa cause lors de la
Ligue du Bien public (1).
Mon tils-lès-1 ours, Novembre 1469.
Loys, par la grâce de Dieu, roy de France, savoir faisons
à tous presens et advenir nous avoir receue l'umble supplica-
tion de nous (corr. nos) chers et bien amez les consulz , bour-
(i) Médicis, 1, 252 et s., raconte les incidents de cette Ligue dans le Velay,
où Tévêque Jean de Bourbon et le vicomte de Polignac tenaient le parti des
princes.
90 ORDONNANCE Dfi LOUIS XI.
goiz, manans et habitans de nosire ville et cité du Puy,
contenant que pour le bien, comodité, proufist, entretene-
ment et poliicie de nostredite ville, ont esté ja pieça, en la
présence de nostre très-cher et amé cousin l'evesque du
Puy (1) et de feu Guillaume de Varie en son vivant nostre
conseiller et gênerai de nous finances, advisez, concludz et dé-
libérés certains articles, statu z et ordonnances, et depuis aient
esté moiennez, accordez et modifiez par lesdiz supplians et du
commun consentement d'iceux , pour estre d'ores en avant et
à toujoursmais entretenus, gardés et observés moiennant
toutesvoies nostre bon plaisir; desquelz statuz et ordon-
nances l'en dit la teneur estre telle :
« Comme, pour l'advis, conseil et délibération des consulz
et certains autres procureurs d'aucune partie des habitans de
la ville du Puy, soyent et aient esté faiz aucuns articles, ou
pié desquelz se soient lesdiz consulz et procureurs de leurs
seings manuelz soubz scriptz et signés, ou moien desquelz
Testât et police de ladicte ville se doit régir et gouverner,
retenu préalablement le bon plaisir et vouloir du roy nostre
souverain seigneur, desquelz articles la teneur s'ensuit :
1. — « Et premièrement, touchent (sic) le nombre des
consulz qui a esté tousjours par cydevant de six, qui sou-
ventes foiz se faisoient de[s] plus riches et aysés de ladicte
ville, et ne payoient point de taillies, et avoient vingt livres
de gaiges pour leurs robes , a esté ad visé , délibéré et conclus
que ledit nombre de six consulz demourera; lesquelx paie-
ront taille selon leur faculté comme les aultres habitans de
ladicte ville et auront pour leurs robes et gaiges, Tannée de
leur administration , chacun des deniers de ladicte ville , la
somme de trente livres par an.
2. — « Item , que les autres officiers dudit consulat seront
reduiz au nombre et aux gaiges c y-après declairés, et paie-
ront sembla[ble]ment taille selon leurs facultez , comme les
autres habitans de ladicte ville.
3. — « Et primo auront lesdiz consulz, comme ils ont acous-
turaé, le nombre de douze conseilliers ordinaires qui avoient
(\) Jean de Bourbon, évftqw» du Pny MH3-H8S; et abbé de Cluny.
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 91
chacun soixante solz tournois de gaiges par an , lesquelz con-
seillers n'auront daurenavant (sic) que quarante solz tournois :
qui est pour tous lesdiz conseilhers, en somme uni versai,
vingt quatre livres tournois.
4. — « Item, et en tant que touche l'article des clercs con-
seilhers , a esté advisé , délibéré et concluz : que les consulz
et conseillierS pourront doresnavant retenir et avoir pour con-
seilhers durant leur année ung ou deux clers , selon la exhi-
gence et concurrence des affaires communs de ladicte ville, et
si besoing estoit de en avoir plusieurs, en la neccessité le
pourront, que lesdiz consulz et conseilhers auront faculté et
aoctorité de en avoir, retenir et pourveoir de plus grant nom-
bre et à Tacordante disposition desdiz consulz, conseillers et
quarante-quatre personnages de[s] ving[t] et deux ysles, dont
chescun desdiz clers auront huit livres tourneieses de gaiges
pour chescun an , qui sont , pour toux deux , seize livres
tournoises.
5. — « Item, auront leur cappitaine à cinquante solz tour-
nés de gaiges par an.
6. — « Item, auront deux serviteurs appeliez messeurs, qui
auront leurs gaiges acoustumés, c'est assavoir : chascun la
somme de vingt livres tourneieses, et une roube de livrée,
pour ce qu'il[s] servent incessamment audit consulat.
7. — « Item, auront semblablement leur greffier ou notaire
ordinaire , qui aura quarante livres tourneieses de gaiges par
an. Et seront lesdiz greffier et messeurs à instituer et desti-
tuer au plaisir et vouloir desdiz consulz, Tannée de leur
administration , se bon leur semble.
8. — « Item , en tant que touche l'assiete et coéquation des
tailles royaulx et communes que doresnavant seront assises
et mises sus pour le roy ou pour les affaires comuns de la-
dicte ville, quant le cas y escherra, elles seront imposées et
assises par lesdiz consulz et conseilhers, appelle avecques
eulx le nombre de soixante-six personnages des vingt-deux
ysles de ladicte ville, et non autrement; c'est assavoir : de
chascune desdites ysles trois personnes , lesquelz prestaront
serament et promectront de bien et loalmen[t] conselher les
faiz et affaires d'icelle ville , et auront voix en ceste partie
avec lesdiz consulz et conseillers; et par lo (sic) oppinion et
92 ORDONNANCE DE LOUIS XI.
ad vis de la plus grant et saine partie, seront assis et mis sas
les deniers ainsi qu'ilz verront estre expédient et neccessaire,
et y sera ou pourra estre procédé par les presens , en la ab-
sence des autres.
9. — « Item, et sur la forme de procéder d'ores en avant par
chascun an à l'élection et nomination desdiz consulz, a esté
advisé , délibéré et conclu : que par les consulz et conseilliez
de Tannée lors courant au temps de ladicte élection, seront
premièrement appeliez vingt-deux personnages desdictes vingt
et deux ysles, c'est assavoir : de chascune desdictes ysles
une personne ; lesquelz vingt et deux personnages , ainsi
convoqués ou appeliez, se tireront à part en une chambre que
leur sera baillée en ladicte maison comune , et par eulz seront
nommez, esleuz et appelles desdictes ysles autre semblable
nombre de vin[gt] et deux personnages en la forme que
dessus, c'est assavoir : ung de chascune desdictes ysles, qui
feront en tout le nombre de quarante et quatre, et auront
voix à ladicte élection comme les consulz et conseilliers de
ladicte année lors corant ; et par yceulx consulz , conseilliers
et quarante-quatre personnages, se fera ladicte élection, et y
sera conclud comme dit est en l'article précédant. Et n'en-
tend-on pas que tous ceulx que par une année auront esté
appelles desdictes ysles, y soient l'autre année ensuivant,
mais qu'où moins en y ait la moitié d'autres noveaux , et que
ladicte élection se face de gens notables et bien renommez,
de quelque estât qu'ilz soient, contribuables et tenons (sic)
propre domicelle en ladicte ville; et tellement que du moins
y soient nommez et esleuz deux nouveaulx, tous les ans,
consulz de ladicte ville.
10. — « Item , et quant se verra à faire lesdictes assietes
des tailles , sera faicte l'assiete des particuliers de ladicte ville
payant taille par les dessusdiz , le fort portant le foible, selon
leurs facultés et extimes, ainsi que raison le veult.
11- — « Item, et pource que on a trouvé que en faisant
leurs assietes des tailles, Hz imposoient plusieurs indigentes
personnes à sommes qu'ilz n'ont peu paier, dont ilz son[t]
demourés en restez , et ycelles après a convenu et convient de
rechief imposer sur les aultres habilans , leur est deflendu et
deffend-t'on que doresnavant ilz ne imposent nulles povres
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 93
indigentes personnes qui n'aient de quoy paier. Toutesfoiz
s'ilz le veulent faire pour voloir garder leur possession, faire
le pourront , pourveu que s'ilz sont povres et misérables, ne
les contraignent à riens payer, et dès qu'ilz feront leurs as-
sietes , les mectent pour non-valoir et oultre la somme juste
qu'il leur fault asseoir pour le roy, laquelle ilz asseoiront sur
personnes solvables, le fort portant le foible, comme dit est.
12. — « Item , a esté et est ordonné , commandé et enjoint
aux desusdiz , c'est assavoir : à cbascun desdiz consulz , sur
peine de quatre marcs d'argent, à chascun desdiz conseilhers,
d'un marc d'argent, et à chascun des autres personnages qui
seront esleuz et appelles pour adsister avecques eulx, sur
peine de demy marc d'argent , que d'ores en avant inconti-
nent que par les commissaires que seront ordonnez à faire
l'assiete du diocèse (1), la pourlion de ladicte villç leur sera
baillée et départie , dedans lo (sic) temps et terme de quinse
jours prochanament (sic) ensuivant , pour toutes préfixions et
delaiz, ilz aient fait leur assiete particulière de leurdicte quote
et pourtioo sur les habitans de ladicte ville, selon leur stilie
et forme de procéder es assietes de leurs tailles ; et que de-
dans ycelluy terme preux ilz aient baillé et livré en la main
du recevueur l'assiete ou liève de ladicte portion , à ce qu'il
paisse faire diligence de lever et recevoir les deniers aux
termes que , sur ce , auront esté et seront ordonnez , autre-
ment , non.
13. — « Item , et pource que par cydevant la manière de
lever leur taille a esté fourt (corr. fort) confuse, pource que
les deniers se sont levez par le consulat et n'a esté tenu le
receveur de rendre compte sinon de ce qu'il recevoit, et ce
que leur restoit recouvrer bailloit à recouvrer aux consulz et
recevuers (sic) ensuivans , et par ce sont demourés audit con-
(t) Le Puy était Tua des 22 diocèses du Languedoc. Une fois votée par
les États -généraux de la province , la somme accordée au roi était répartie
entre les 22 diocèses , le contingent diocésain était ensuite réparti entre les
mandements , et le contingent de chaque mandement était enfin réparti entre
les contribuables. Ces répartitions étaient facilitées par des tableaux ou comp-
tes-faits que des praticiens dressèrent d'assez bonne heure. Médicis, II, 292
et s., a conservé un spécimen de l'assiette des tailles en Languedoc. La con-
tribution de la ville du Puy s'élevait au cinquième du contingent du diocèse.
94 ORDONNANCE DE LOUIS XI.
sulat grans deniers deuz et à recevoir, et une grant partie de
gens puissans qui ont esté suppourtez, et ne les a voulu ne
osé ledit receveur contraindre, poùrce qu'il n'estoit tenu de
faire bons les deniers, a esté sur ce ordonné ausdiz consulz
presens et advenir, sur peine de trente marchs d'argent en
tout, [à] appliquer au roy vingt marcs d'argent et dix marcs
au prouffist du comun de ladicte ville pour iceulx convertir au
paiement de la taille lors courant, que après que ladicte as-
siete de la taille sera faicte, ilz facent crier : que qui vouldra
prandre [et] recevoir ladicte taille, il y sera receu à rebats de
gaiges au prou f fit de la chouse publique; et sera tenu cellui
qui la prendra à lever, de bailler bonne[s] et seures cautions
de payer ladicte recepte aux termes qui seront ordonnés ; et
autrement ne le pourront faire lesdiz consulz.
14. — « Item, et pource ainsi qu'on a trouvé qu'il estoit
deu audit consulat plusieurs grans restes montans à bien
grans sommes de deniers, tant de leur taille précédente que
de leurs rentes, revenues et deniers comuns de la ville, leur
a esté commandé et ordonné que lesdiz restez et sonmes ainsi
audit consulat deuz soient baléez par lesdiz consulz, conseil-
liers et soixante-six personnes dessus nominées (sic) , à rece-
voir à personne souffisante et bien cautionnée, celluy qui
plus en veuldra donner, ou les bailler à lever à personne sou-
fisant et cautionée (sic) à deux solz tournés pour livre ou
autre somme plus grant ou moindre, ainsi que lesdiz consulz,
conseilliers et soixante six personnes verront estre à faire
pour le mieulx ; pourveu que cellui ou ceulx qui ouront la
charghe de recouvrer lesdiz restes, soient tenus les faire
bonnes, se les personnes ont de quoy payer; et s'ilz n'ont de
quoy, seront tenuz en faire apparoir en monstrant de leur
diligences. Et pour se [sic) que plusieurs desdiz restes sont en.
question ou procès, lesdiz consulz seront tenuz les faire vider
en tant que sera en eulx et que sera en leur faculté et povoir,
dedans leur année et plus toust, si possible leur est.
15. — « Item, a esté enchargié ausdiz consulz et conseilhers
que tout ce que pourra venir ens desdiz restes, soit converti
et emploie aux paiemens de leurs tailles que d'ores eu avant
seront deues au roy et autres affaires raisonnables, et y ten-
dront lieu tant qu'ilz se pourront extendre.
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 95
16. — « Item, et pour ce que Ton a trouvé que ladicte ville
a certaines rentes, revenues et obventions, lesquelles ilz
avoient toutes engaigées à trois années finissans en ce presens
(sic) mois de mars dernier passé pour subvenir à aucunes
grandes réparations de murailles, fontaines et autres leurs
affaires, a esté et est ordonné et enjoint, sur semblables
peines que dessus, ausdiz consulz, conseilhers et absistens
[corr. adsistens) que ledit bail escbeu , ilz facent crier à son
de trompe, ainsi que on a accoustumé de faire es fermes du
roy, que lesdiz droiz de revenu appartenans à ladicte ville se
bay lieront à certain prochain jour au plus oufrant etderrenier
enchérisseur, à tiercement et doublement , ainsi qu'il est
acoustumé de faire es fermes du roy, et à personne bien cau-
tionnée, et non autrement.
17. — « Item, -et sur la revenue de ladicte ville, doresna-
vant se prendront les gaiges des consulz, conseilhers et autres
officiers desus declairés , avec toutes leurs neccessités et af-
faires comuns; et seront receuz les deniers et distribuez par
QDg receveur qui y sera commis et nommé pour une année ou
plusieurs par lesdiz consulz et conseilhers, et lequel receveur
sera tenu de faire diligence de recouvrer lesdiz deniers et les
faire bons, se lesdiz fermiers son[t] bons et bien cautionnez;
lequel receveur aura trente livres tournés de gaiges et au
dessoubz. Et qui à mendre pris en vouldra prandre la charghe,
y sera receu par lesdiz consulz , qui seront tenus, audit cas,
prendre et recevoir cellui-là et non autre, pourveu que, s'il
estoit consul, sera tenu de cautionner souflisament , comme
personne privée.
18. — « Et sera tenu ledit receveur de faire bons les deniers
de sa recepte, sans rien bailler ne mètre en non-valoirs; et
ne pourra faire aucune distribution sans mandement et ordon-
nensa desdiz consulz et conseilhers et lettres signées de la
main de leurdit greffier, lesquelles icelluy receveur sera tenu
randre et rapporter sur son compte; et rendra compte par
chascun an, sans bai Hier nulz deniers en reste, pardevant
quatre auditeurs que par lesdiz consulz , conseilhers et audi-
teurs auront puissance de examiner, oyr et clorre lesdiz
comptes, ainsi qu'il appartiendra par raison.
19. — « Item, et aussi deflend-on ausdiz consulz et con-
96 ORDONNANCE DE LOUIS XI.
seilhers que d'ores en avant ilz n'ayent à donner à qualque
personne que se soyt, de leurs deniers communs que jusques
à la somme de dix livres tourneses et audessoubz pour chas-
cune foiz, senon (corr. sinon) que ce feust pour voiages ou
urgentes neccessités touchant le fait et afaires de ladicte ville;
auquel cas , leur a esté donné auctorité et permission de po-
voir prandre et distribuer desdiz deniers communs jusques à
la somme de vingt livres tourneses et audesoubz , toutes fois
que le cas le requerra, autrement non, et sans appeller à ce
autres personnages ; et s'ilz avoient à faire dons , voiages ou
autres despenses de plus grant somme, en ce cas, seront
tenuz à ce appeller lesdiz quarante quatre personnes desdiz
vingt et deux ysles , et en faire ce que sera conclud par la
plus grant et saine partie, et se (sic) sur peine de le recou-
vrer sur eulx, le tout en la manière desusdicte, c'est assa-
voir : que les presens pourront procéder en la absense des
autres.
20. — « Item , et par la teneur de ces presens articles on
n'entend en riens prejudicier en autres chouses aux privilèges
et libertés de ladicte ville.
21. — « Item, on deffent, sur peine d'amande arbitraire,
que aux assemblées de ladicte ville qui seront pour faire l'é-
lection des consulz ou aultres affaires de la ville, nul des
absistens ne aultre quelconque ne soit si ardy de faire au-
cune bende, monopole ou assemblée, ne prendre a[u]cun
parti , quelqui (sic) soit , pour faire aucune élection, jusques à
ce qu'on lui demandera sa voix en plain conseil , et non au-
trement ; sur la peine de quatre marcs d'argent contra ung
chascun des infracteurs, et d'estre privé à tousjoursmais du-
dit consulat et du conseil de ladicte ville.
22. — « Item , on deffent que nul , de quelque estât ou con-
dition qu'il soit, pour ne à l'occasion desdictes divisions et
differances ne soit si ardi de injurier l'un l'autre, ne dire ou
proufferer aucun reproche pour ne (1) à l'occasion des choses
dessusdictes , affin de obvier aux inconveniens qui en pour-
raient avenir, et ce , sur peine que dessus.
(1) Le copiste semble avoir omis quelques mots, sans doute par suite d'un
bourdon.
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 97
23. — « Item, a esté advisé, délibéré et conclud : que d'ores
en avant nul de ceulx qu'il (sic) auront esté consulz n'y pour-
ront retourner ne avoir élection, que quatre années ne soyent
entièrement passées et révolues inclusive , et jusques à la cin-
quiesme année exclusive; après lesquelez quatre années révo-
lues, pourront estre esleuz et rooller comme les autres de
ladicte ville.
24. — « Item, et a esté dit, promis, juré et conclud que,
moiennant les chouses desusdictes , sera à perpétuité paix ,
amour et union entre Iesdiz habitans , en remettant les ungs
aux autres toutes offenses, injures et opprobres; et sur [ce] a
esté et est , en tout et par tout , le bon plaisir du roy retenu.
25. — « Item , a esté ordonné et conclud que d'ores en
avant Iesdiz auditeurs ne aient ne puissent passer [à] nulz des
consulz ne autres , nulles sommes de deniers , qu'il ne conste
raisonablement, par certification raisonable signée de notaire,
ou autrement information de gens de bien et de bonne cons-
cience, sur peine de s'en prendre sur Iesdiz auditeurs.
26. — « Item , a esté ordonné et conclud que d'ores en
avant les auditeurs ayent [à] clorre les comptes dedans la
feste de saint Biaise , et se (sic) , sur peine d'estre privés de
leurs gaiges que leur pourroit (corr. pourraient) parvenir à
cause de leurdit office , s'ils n'ont excusation raisonnable.
« Pierre ROCHIER consul. PELLISSE consol. Guilhaume
AYRAUD. J. GUITART. Ita est : Johan FRONTALLIER
consol. Guilhaume JONY consol. Gmoo GUITARD. L. PER-
MAILH. BONINFFANTIS. h. J. TRABALHAT.
« Et depuis Iesdiz ainsi finiz et passez, assemblés Iesdiz
consulz et certains habitans particuliers de ladicte ville en la
maison comune et consulat d'icelle ville par manière de con-
seil , sont et ont Iesdiz articles en la forme dessus scripte esté
passez et accordés par Iesdiz consulx et autres habitans as-
semblés audit conseil.
« Oultre, plus a esté dit, conclud, accordé et délibéré que
pour d'ores en avant iceulx articles tenir, garder et observer,
que l'on obtint, le plus brief qui seroit possible, la confirma-
tion et auctorisation d'iceulx , du roy nostre seigneur, si son
bon plaisir est, ainsi que appert de ladicte conclusion et déli-
bération dudit conseil aux livres et papier[s] dudit consulat.
Revue bist. — Tome VIII. 7
98 ORDONNANCE DE LOUIS XI.
« En tesmoing des chouses dessus dictes et scriptes, je
Gabriel Pratlavi, notaire real et greffier dudit consulat , ay
signé de mon seing manuel, ce jour xxvn™ du mois de juilhet
l'an mil IÏIÏC soixante neuf. Ainsi signé : G. PRATLAVI. »
Et pource que lesdiz statuz et ordonnances sont utiles et
prouffitables pour ladicte ville , et que , par et au moien d'i-
ceulx , elle sera d'ores en avant mieulx gouvernée et policiée
qu'elle n'a esté autresfoiz, lesdiz supplians nous ont très hum-
blement supplié et requis qu'il nous plaise lesdiz statuz et
ordonnances dessus insérées avoir agreablez, iceulx louer,
approuver et conformer, et sur ce nostre grâce benignement
leu[r] impartir; savoir faisons que nous, reduisans ad mé-
moire les bons, loyalx et notables services à nous (sic) proge-
niteurs roys de France et à toute la chou se publicque de
nostre royaulme faiz par lesdiz supplians et leurs prédéces-
seurs habitans de nostredicte ville , mesmement de la bonne et
grande loyaultê que lesdiz supplians nous ont gardée et tenue
durant les derrenieres divisions et differances en nostre royaulme,
où Hz se sont bien et notablement emploies tant à la garde de
nostredicte ville que de tout le pats d'environ en nostre obéis-
sance, voulans par ce lesdiz supplians estre favorablement
tratctar (corr. traictés) en leurs affairez, avons, de nostre
certaine science , grâce spécial , plaine puissance et auctorité
royaul {sic), iceulx statuz et ordonnances desus inserez et
transcriptz, louez, ratifiez, conformés et approuvés, louons,
ratifions , conformons, approuvons et avons agréables par ces
présentes ; et volons et nous plaist que lesdiz supplians et
leurs successeurs habitans de nostredicte ville du Puy joïs-
sent entièrement, plainement et paisiblement, d'iceulx statuz
et ordonnances , et qu'ilz soient entretenus , gardés et obser-
vés douresnavant à tousjoursmais , selon la forme et teneur
d'iceulx, sans aucun débat, contradit ou empeschement quel-
conque.
Si donnons en mandement, par ces mesmes présentes, aux
seneschaulx de Beucafare , Thoulouse et Garcassonne , bayliz
de Vivarois, de Vellay, de Givaudan, baile et juge de la
court commune de ladicte ville du Puy, et à toux nous autres
justiciers ou à leurs lieutenans, presens et advenir, et à chas-
ORDONNANCE DE LOUIS XI. 99
cun d'eulx sur ce requis, que de nostre présente grâce, con-
firmation, ratification, approbation et octroy, et de tout le
contenu en ces présentes , ilz et chascun d'eulx , en droit soy ,
sur ce requis , facent , souffrent et laissent lesdiz supplians et
leursdiz successeurs joïr et user plainement et paisiblement,
sans leur faire mètre ou donner, ne souffrir estre fait , mis ou
donné, ores ne pour le temps advenir, aucun destourbier ou
empeschement ou (corr. au) contraire, en aucune manière;
ainçois s'aucun leur avoit esté ou estoit, en ce, fait, mis ou
donné , si Postent et mectent ou facent ouster et mectre , in-
continent et sans delay, à plaine délivrance et au premier
estât et deu.
Et afin que ce soyt chose ferme et stable à tousjours , nous
avons fayt mectre nostre séel à cesdictes présentes , sauf es
autres chouses nostre droit et Tautruy en toutes.
Et pource que de ces présentes lesdiz supplians pourront ,
ou temps advenir, avoir à besoingner en pluseurs et divers
lieux , nous voulons que du vidimus d'icelles fait soubz séel
royal, ilx se puissent aider où besoing sera, et foy y estre
adjoustée comme à l'originel.
Donné aulx Montilx-lès-Tourz , ou mois de novembre l'an
de grâce mil IIIIC soixante neuf, et de nostre règne le neu-
fiesme... Par le Roy, monsieur le duc de Bourbon , le mar-
quis du Pont, les comptes de Vendosmes et de Xanserre, les
sires de Tourcy, de la Porest et du Lude, maistre Pierre d'O-
riole gênerai , et autres presens. DE CERISAY. Contentor :
Duban.
(Archives départementales de la Haute-Loire, série E,
protocole du notaire Jean Maltrait, reg. in -4°, papier, f"
xvm-xx.).
Augustin CHASSAING ,
archiviste-paléographe , juge au Tribunal civil du Puy.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
HWIi
Le droit civil dans les provinces anglo-normandes
an XIIe siècle, par Caillemer, doyen de la Faculté de Droit
de Lyon.
On a longtemps cru que les beaux travaux de Savigny,
sur l'histoire du droit romain au Moyen-âge, avaient à peu
près complètement épuisé ce sujet. Mais, dans une mine
aussi vaste, il reste encore bien des filons à exploiter; le
travail de M. Caillemer en est la preuve. Notre savant con-
frère s'est efforcé de réunir tout ce qui a été écrit, surtout
en Allemagne, sur les jurisconsultes anglo-normands du xii°
siècle, et il y a joint un grand nombre d'observations per-
sonnelles fort intéressantes.
On n'a jamais cessé d'étudier ni d'appliquer les lois ro-
maines en Gaule, même après la chute de l'empire d'Occident
et jusqu'à la fondation de l'école de Bologne. Le bréviaire
d'Alaric était la base principale de ces études, non-seulement
dans le Midi , mais encore dans les autres parties de notre
pays jusqu'au Nord. Il paraît même que le Code Théodosien
a exercé une influence directe sur certaines institutions , du
moins dans le midi de la Gaule. Il serait intéressant , mais
difficile, de rechercher quelles sont les parties du Code Théo-
dosien qui ont été connues et appliquées directement et
quoiqu'elles n'aient pas été insérées dans le bréviaire d'A-
laric. Pour le nord de la France, en particulier pour la Nor-
mandie, cette question semble à peu près insoluble à cause
de l'insuffisance des documents que nous possédons, et c'est
probablement pour ce motif que M. Caillemer ne l'examine
pas. Il se borne à dire que le droit romain était surtout
connu en Normandie par le bréviaire d'Alaric, et il établit,
en effet, que ce monument législatif était étudié vers 833
dans une abbaye de ce pays que les Normands devaient bien-
têt détruire. En Angleterre comme en France, le droit ro-
102 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
main eut ses interprètes jusqu'à l'arrivée de Vacarius, mais
cet enseignement était, comme nous l'avons dit ailleurs,
obscur et presque ignoré : c'était aussi le bréviaire que trans-
crivaient les copistes des monastères. Il est môme permis de
conjecturer que l'étude du droit romain était plus répandue
dans ces temps reculés, parmi nous qu'en Angleterre. La
civilisation était restée beaucoup plus romaine en Gaule que
parmi les Saxons; le droit romain était appliqué devant les
tribunaux. En Angleterre, les Saxons avaient détruit tout ce
qui venait des Romains. C'est seulement dans les monastères
qu'on s'occupait encore un peu du droit des anciens con-
quérants. L'établissement des Normands fit revivra l'élude
du droit romain qui jeta môme un certain éclat aous les rè-
gnes de Henri Ier et d'Etienne. Mais, sauf l'œuvre de Vaca-
rius, bien des points demeurent encore obscurs, môme après
le travail de notre émineat confrère. Il reconnaît lui-même
qu'il lui est presque impossible de savoir si lies jurisconsultes
dont il cite les travaux v mats dent les noms reaient presque
toujours inconnus, écrivaient en Normandie ou en Angle-
terre, et, pour se tirer d'embarras, il se borne à dire que
leurs œuvres- sont anglo-normandes. M. Gaillemer consacre
à ces œuvres la plus grande partie de son mémoire; il a eu
l'heureuse fortune de consulter un manuscrit de bt fin du
douzième siècle ou du commencement du treizième, apparte-
nant à M. Bélin, juge suppléant à Lyon , et où sont contenus
quelques-uns de ces vieux traités de pratique. A cette époque,
en effet, on ne voyait le droit que par la procédure, la forme
cachait le fond et, pendant des siècles encore, la plupart des
jurisconsultes se bornèrent à écrire des pratiques judiciaires.
Pour notre période , Ai. Gaillemer place , en première ligne ,
un Ordo judiciorum que l'on désigne habituellement sous le
nom de Ulpiams de edendo. L'auteur de ce petit traité de
procédure est resté inconnu. Un des manuscrits qui le ren-
ferme a été découvert en Angleterre, en 1791. Les érudits
discutent encore bien vivement sur le point de savoir dans
quelle ville écrivait l'auteur de cet Ordo judiciorum. La seule
localité qui y soit mentionnée est Paris : l'auteur suppose
qu'un créancier réclame, dans la ville où il écrit, ce qui est
dû à Paris. On en a conclu que, bien certainement, ce petit
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 103
traité n'avait pas été composé dans cette ville; H&nel pense
qu'il a été écrit en Angleterre et qu'on y a cité Paris à cause
de sa proximité. Bethmann-Hollweg adopte cette opinion et
ajoute que l'auteur devait appartenir à l'école de Vacarius.
M. Caillemer le réclame pour la Normandie. D'autres pro-
vinces pourraient, à notre avis, le revendiquer tant qu'on
n'aura pas de renseignements plus précis sur le lieu où. écri-
vait l'auteur. Une seule chose est acquise : c'est que tous les
manuscrits connus jusqu'à ce jour de Y Or do judiciorum vien-
nent de la France septentrionale, des provinces belgiques
ou de l'Angleterre.
11. Caillemer comprend plus sûrement , parmi les travaux
écrits dans les provinces anglo-normandes , un traité De ac-
ttortum varie taie, sans qu'on sache, d'ailleurs, d'une manière
bien précise, si son auteur était Normand ou Français. Le
rédacteur de la Summa décret* lipsiensis est rangé avec plus
de certitude encore parmi les canonistes anglo-normands , et
comme il connaît tout particulièrement les usages français,
on peut affirmer, sans trop de témérité, qu'il est normand
d'origine. Ce qui est plus important, c'est la revendication
faite par M. Caillemer au profit de l'école anglo-normande
d'une Summa que les historiens attribuent depuis trois siècles
au glossateur Otto de Pavie. Son argumentation, fondée en
partie sur l'examen du manuscrit de M. Bélin, nous a paru
décisive. Nous ajouterons, avec notre savant confrère, que
nous avons peine à comprendre, si cette Summa est l'œuvre
du glossateur Otto, qu'elle soit restée inconnue des juriscon-
sultes italiens.
Tous les travaux qui précèdent ont été écrits par des au-
teurs dont les noms nous sont inconnus, et M.- Caillemer
n'essaie pas de lever un voile qui lui paraît impénétrable. Mais
il s'arrête ensuite à Guillaume de Longchamp, auteur d'une
Practica legum et decretorum, que notre savant confrère publie
à la suite de son travail. Guillaume de Longchamp ne man-
quait pas d'esprit. Voici comment il définit, par exemple,
la science du droit, au début de son livre : « Juris scientia
res quidam sanctissima est, ex qua columbe provenit sim-
plicitas et serpentis prudentia comparatur, ne vel fratrem in
judicio circumvenias , vel aliorum versutiis supplanteris. » Il
104 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
divise les hommes en deux classes, les clercs et les laïques,
et il ajoute : « Gladii siquidem duricia, per imperatorem ,
excessus corrigi voluit laïcorum , clericorum vero vitam pis-
catoris diligeatia voluit moderari. Pênes hos auctoritas resi-
det precipiendi; ceteris vero incumbit nécessitas obediendi. »
Vient ensuite un exposé très sommaire de la procédure des
cours laïques et de celle usitée dans les cours d'Église. Pres-
que toutes les règles sont empruntées au droit canonique et
au droit romain. Guillaume de Longchamp relève avec soin
que la procédure laïque est beaucoup plus formaliste et qu'elle
pratique moins l'usage de l'appel. 11 y a là une trace évi-
dente de l'influence persistante de l'ancienne procédure féo-
dale. Ceux qui voudront étudier la procédure au douzième
siècle pourront consulter avec fruit ce petit traité, et M. Cail-
lemer a rendu un véritable service en le publiant dans son
travail. Quant à ceux qui s'occupent des sources de notre droit
au Moyen-âge, ils devront se reporter à l'œuvre même du sa-
vant doyen de la Faculté de Lyon qui est un modèle d'éru-
dition fine et pénétrante à la fois.
E. Glasson.
L'Édit perpétuel restitué et commenté , par Louis Jous-
serandot, professeur de Pandectes à la Faculté de Droit de l'Uni-
versité de Genève.
Les deux volumes que M. L. Jousserandot publie sous ce
titre : VÊdit perpétuel restitué et commenté sont destinés
avant tout à l'enseignement. Us nous donnent le résumé des
leçons professées par l'auteur à la Faculté de Droit de l'Uni-
versité de Genève; en même temps ils contiennent l'exposé et
l'application d'une nouvelle méthode d'enseignement du droit
romain.
L'essai de reconstitution de l'Édit perpétuel dû à Rudorff a
laissé subsister encore bien des points obscurs sur la portée
et le contenu de l'œuvre de Salvius Julianus (i). M. Jousse-
randot ne semble pas avoir eu la pensée de s'absorber dans la
(i) Voir uq article bibliographique de M. Giraud (Revue de Législation,
1870-1871, p. 193).
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 105
solution de ces problèmes, ni dans un travail original de
restitution. On ne trouvera donc dans son ouvrage aucune
étude historique sur l'origine de l'Édit perpétuel, les circons-
tances de sa rédaction, l'autorité dont il a pu être revêtu
comme acte législatif. Sur tous ces points, l'auteur renvoie
ses élèves au Cours d'Histoire du droit romain, et se contente
d'indications sommaires dans sa préface. Ce qu'on eût désiré
également rencontrer dans le livre, ce sont les grandes lignes
d'un travail de restitution soit du contenu même de l'Édit, soit
du plan adopté par son rédacteur. A cet égard , l'auteur s'est
contenté d'emprunter à Rudorff, et sans les soumettre de nou-
veau à la critique tous les résultats auxquels ce dernier était
arrivé. Mais, puisqu'il se résignait à suivre les traces de l'é-
radit allemand , M. Jousserandot eût été bien inspiré s'il ne
se fût point écarté de son modèle , et s'il eût imité sa réserve
au sujet de la reproduction du texte même de l'Édit. Rudorff,
en effet, s'était gardé de vouloir imposer un texte de fantaisie.
H s'était borné à reproduire le langage du préteur lorsqu'il
nous avait été conservé par les commentaires. Pour les pas-
sages de l'Édit qui ne nous sont pas parvenus , il se conten-
tait d'indiquer les sources où il y était fait allusion. Il n'avait
donné libre carrière à son imagination que dans la recons-
truction des formules inscrites sur l'album. M. Jousserandot
va plus loin. Non-seulement il reproduit les formules imagi-
nées de toutes pièces par son devancier, mais il en crée de
nouvelles; et ce qui est plus hardi encore , il place en tête de
chacun des chapitres de son commentaire un texte latin qu'il
nous présente sans faire ses réserves , comme reproduisant le
langage original du préteur.
L'auteur, nous en sommes persuadés , n'est pas dupe de sa
propre fantaisie; mais ses lecteurs non avertis peuvent s'y
laisser tromper, pour peu qu'ils n'aient pas la précaution de re-
courir aux sources, indiquées d'ailleurs par des renvois. Si l'on
se donne la peine de faire cette recherche, on voit combien la
reconstruction du texte est artificielle , conjecturale et même
invraisemblable. Puisque M. Jousserandot tenait à ces essais
de restauration, il devait au moins nous mettre en garde
contre lui-même et nous permettre soit par une note , soit par
le moyen de caractères spéciaux d'imprimerie , de discerner
106 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
les rares passages originaux de l'Édit, de ceux qu'il a cru
devoir inventer (2).
S'il y a des inconvénients sérieux à prêter ainsi à l'Édit un
langage qu'il n'a pas tenu, que dire de certains fragments
restitués qu'eussent certainement désavoués les rédacteurs de
l'Édit eux-mêmes. C'est ainsi, qu'à propos de la compensation,
l'auteur suppose (t. I, p. 276) que l'Édit contenait une disposi-
tion relative à Yargentarius, rédigée dans les termes suivants :
<( Si argentarius intentione compensatione non facta plus in-
» tendat sibi dari oportere quam debeatur condemnabo. » Var-
gentarius qui n'a pas fait la compensation , commet une plus
petitio, il est repoussé « causa cadit et ob id rem perdit (G.
IV, 68). Mais ce résultat de la plus petitio encourue ne s'est
jamais exprimé sous la forme « condemnabo ». La condemna-
tio, d'ailleurs, dans le sens technique du mot, n'atteint ja-
mais, sauf de très rares exceptions, le demandeur. Ai-je
besoin d'insister? M. Jousserandot , dans le commentaire du
texte supposé de l'Édit et dans la formule qu'il restitue, se ré-
fute lui-même de la meilleure grâce du monde (3).
L'auteur eût certes évité toute critique de ce genre s'il eût
pu s'inspirer de l'excellente restitution de l'Édit, due au
Dr Otto Lenel, professeur de droit romain, à Kiel (4). Ici on
trouve mises en œuvre toutes les ressources d'une érudition
patiente , d'une sagacité critique dont la prudence heureuse-
(2) Encore moins pouvons-nous admettre qu'on s'exprime ainsi : « Le Pré-
» teur a jugé son intervention nécessaire, et il a statué en cet termes : Eum
» cui sub jurisjurandi, etc. T. II, p. 144, » alors que la loi 8 pr., D. De
eondit. inttit., 28, 7, à laquelle l'auteur renvoie , nous prouve que le préteur
n'a pas tenu ce langage, et que ces termes sont pure invention de Fauteur.
(3) Pourquoi n'avoir pas non plus surveillé d'un peu plus près le style des
textes restaurés de toutes pièces. Nous nous imaginons difficilement le pré-
teur s'exprimant comme le prétend l'auteur (t. I , p. 251), dans les termes
suivants : « Si obligatio ex mulieris personft calliditate oreditorls sumpserit
» primordium , exoeptione Scti Velleiani contra petit ores eam defendi ju-
» bebo. » Il est fait allusion à cette disposition de l'Édit dans une Constitu-
tion de Dioctétien et Maximien (19. Code ad Set. Velleianum, 4. 29). Il suffit
de se reporter à cette Constitution pour se convaincre que l'auteur n'a pas
hésité à attribuer sans réserves à l'Édit la latinité de la chancellerie Impé-
riale du iv* siècle.
(4) Dot Edictum perpetuum , ein Vertuch tu dette* WiederkertteUung ,
Leipzig, TauchniU, 1883.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 107
ment tempérée de hardiesse ne laisse rien au hasard. Qu'il
essaie de faire révivre le texte même de l'Édit, lorsque la
rédaction officielle fait défaut , qu'il nous rende la formule
proposée sur l'Album , M. Lenel s'entoure de tous les docu-
ments propres à entraîner la conviction. Mate il se garde bien
de nous cacher ses hésitations : bien plus, il nous y associe
et qualifie franchement ses essais de conjectures plus ou moins
probables.
Aussi bien, peut-on supposer que M. Jousserandot tenait
avant tout à se donner une base solide sur laquelle il pût
appuyer son commentaire. Nous ne pouvons qu'applaudir
aux consciencieux efforts par lui tentés pour replacer sous
nos yeux le tableau des principales innovations prétoriennes.
Les divisions adoptées : Prasparatoria judiciorum, De judiciis
omnibus , De exsecutionibus, De remediis a Prœtore introductis ,
mettent fort bien en relief le caractère de l'Édit perpétuel ,
véritable codification de la procédure prétorienne, et par là
jettent une pleine lumière sur la nature des procédés em-
ployés pour donner au vieux droit civil plus de souplesse et
de portée.
Trop souvent cependant, certaines matières se trouvent
rattachées à l'édit d'une façon artificielle : par exemple, la
théorie de la loi Aquilia, celle des testaments et des legs. Là ,
d'ailleurs, se trahit la secrète préoccupation du professeur :
tout ramener à l'Édit pour borner à l'Edit l'enseignement du
droit romain. Nous sommes bien loin de partager les illusions
de M. Jousserandot sur les mérites d'une pareille méthode.
Il faut se garder d'exagérer, comme il le fait , le rôle joué par
le préteur dans la formation historique du droit romain , éviter
surtout de négliger systématiquement le droit civil ancien
pour lequel M. Jousserandot semble professer un dédain in-
justifié (5). Sans ce droit primitif, comment donner la raison
d'être de l'Édit, comment expliquer l'originalité de sa physio-
(5) Ce sentiment se traduit par des assertions comme celles-ci : « Que jus-
» qu'au siècle de Gcéron, l'idée de justice est anti-romaine. » que «les actions
» de la loi sont des pièges tendus à la bonne foi, » que « dans l'œuvre du pré-
» teur se trouve le droit romain, » que « le véritable droit romain est le pro-
» duit de la lutte soutenue par les jurisconsultes contre l'esprit romain. »
(Préface, p. xra, a , xvi.)
108 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
nomie? N'est-ce pas accréditer une grave erreur que de pré-
senter le droit prétorien de l'époque des Antonins comme le
seul moment important de l'évolution juridique? N'est-ce pas
méconnaître la haute valeur scientifique du droit romain que
de le réduire ainsi aux proportions mesquines d'une procédure
codifiée? Tout au plus, approuvons-nous la nouveauté de la
tentative , à condition d'en faire l'essai sur des esprits déjà
mûris par une étude approfondie des diverses phases de l'his-
toire des institutions. L'explication de ce qui nous est parvenu
du travail de Salvius Julianus remplacerait alors , non sans
quelque profit, un commentaire des Pandectes. Mais nous ne
saurions aller plus loin , et lorsqu'il ne s'agit plus des initiés ,
nous repoussons une méthode qui prétend se cantonner dans
l'Édit sans vouloir remonter aux siècles de création naïve et
franchement romaine , ni descendre plus avant vers les épo-
ques de désagrégation et de décadence. Ainsi restons-nous
fidèles à cette tradition de l'école historique dont M. Jousse-
randot se proclame l'adepte et dont il risque cependant de
fausser l'esprit.
Gaston May,
Profateur à la Faculté de Droit de Nancy,
8AR-LE-DUC, IMPRUIBMB CONTAXT-LAOUBARB.
COUTUME DE PARIS. 65
cation de l'article 25. C'est ainsi qu'il réussit à faire admettre
que les fiefs qui arriveraient à la femme en succession ou do-
nation directe ne devraient pas relief, et que, par premier ma-
riage , on entendrait le premier mariage contracté du vivant
des père et mère et non pas seulement le premier, alors même
qu'elles eussent été mariées plusieurs fois , que les filles con-
tractaient après le décès des père et mère. L'opinion de Du-
moulin fut consacrée, en 1580, par les articles 35 et sui-
vants (i).
Au xiv* siècle , on n'admettait pour la femme l'exemption
de payer le relief que lorsqu'elle en avait été affranchie par
son frère; ainsi en donation directe, le rachat était dû par la
femme ou son mari pour elle : « Item si ung homme marie
» une sienne fille a laquelle il donne partie de son fief, son
» gendre doit rachapt par la coustume » (Grand Coutumier,
liv. II, chap. 30, p. 312).
La nullité du mariage entraînait-elle l'obligation, pour la
femme, de payer le rachat? Un arrêt du Parlement de 1270
décide que l'annulation du mariage entraîne mutation et par
suite obligation de payer le rachat. Voici quelle était l'es-
pèce : une veuve avait porté hommage pour son héritage et
payé le rachat ; puis elle s'était remariée et son nouveau mari
avait porté hommage et payé rachat pour les biens de sa
femme. Au bout de plusieurs années , le mariage fut cassé
pour cause de parenté. La femme porta de nouveau hommage
et refusa de payer rachat , l'ayant payé une première fois , lors
de son veuvage (2). Le seigneur prétendait que les biens ayant
passé en d'autres mains, par suite du mariage, la cassation
de ce mariage entraînait une nouvelle mutation. L'arrêt du
Parlement consacra cette prétention. Mais cette doctrine ne
prévalut pas , et l'annulation du mariage n'était pas considé-
rée, au xiv6 siècle, comme une cause de mutation (3).
Dans les cas où la femme devait payer le rachat, c'était le
(!ï Voy. Brodeau, sur les articles 35 et 36.
(2) Cet arrêt semble admettre que la femme veuve payait le relief pour
son veuvage. Il n'en était pas ainsi au xiv* siècle, comme le montre on pas-
sage du Grand Coutumier déjà indiqué (liv. II, cbap. 25).
(3) Voy. Brodeau, art. 36, I, p. 265.
RtruB hist. — Tome VIII. 5
66 ESSAI sur l'ancienne
mari comme gardien et bail de sa femme qui devait s'ac-
quitter de cette charge (1).
En cas de bail ou garde , il y avait encore des exceptions
au principe que le rachat était dû pour toute mutation de
fiefs autrement que par vente ou contrat analogue.
Les père ou mère, aïeul ou aïeule ayant la garde de leurs
enfants mineurs ne devaient point payer le rachat : « Par la
» Coustume des fiés, gardien ou gardienne de leurs enfans
» mineurs ne doivent point de rachat ni de relief, mes souffit
» d'offrir la bouche et les mains pour entrer en sa foy et son
» hommage, ou souffrance, selon les us et coustumes des fiés
» de France » (J. Desmares, 194; id., 206; id., Coût, notai-
res, 136 et 158) (2). Ainsi en ligne directe, d'une façon géné-
rale , le gardien ne devait point le rachat ; il fallait excepter
cependant le cas où les enfants mineurs héritaient d'un fief
venant de la succession de leur frère : « Quand la mère a la
» garde de ses enfants auxquels eschiet aucune chouse tenue
» en fié à cause de la succession de leur frère , elle doit
» rachat, car ainsi le devraient les enfants s'ils étoient
» aagiez » (J. Desmares, 205). La décision 206 généralise
cette règle en l'étendant à tous les cas où le rachat pourrait
être dû par les enfants eux-mêmes , s'ils étaient majeurs (3) :
« Item qui ha le bail , doit rachat , se les enfans que il ha en
» bail, pour cause des fies , desquels les enfans se ils estoient
» aagiez le payeroient, à cause de la succession de leurs
» frères et seurs ou autres de ligne transversal ou d'autre
» non de leur lignage » (J. Desmares, 206).
En ligne collatérale, les parents auxquels le bail pouvait
appartenir devaient racheter : « Toutefois le père , la mère ,
» l'ayeul, l'ayeule qui ont la garde ne rachèteront point,
» mais les frères et parens du lignage collatéral auxquels le
» bail appartient rachèteront le bail d'une année » (Grand
Coutumier, liv. II, chap. 27, p. 292) (4).
(!) Cf. Grand Coutumier, liv. II, chap. 30, p. 312.
(2) Cf. Paris, art. 46.
(3) Le mineur héritier de ses père et mère devait aussi payer le relief lors-
qu'il était dû du chef de ces derniers. (Tétait alors une dette qu'il acquittait.
Voy. Brodeau, sur l'art. 46, I, pag. 330-331.
(4) Lorsque la mère se remariait, le mari payait rachat pour la garde (Cr.
COUTUME DE PARIS. 67
Mais dès le xv* siècle on commença à réagir contre l'exemp-
tion de payer le rachat dont jouissait le gardien en ligne directe.
On trouve des traces de cette réaction dans le Grand Coutumier :
« Garde doit rachapt et finance tant que touche les fiefs dont
» il fait les fruits siens » {Grand Coût., liv. II, chap. 30) (1).
En 1510, lors de la première rédaction de la Coutume , cette
opinion triompha et l'article 32 décida que le gardien, faisant
les fruits siens , serait tenu de payer les droits de relief ou
rachat. Cette doctrine, trop fiscale, disparut eu 1580 et on re-
vint à l'ancienne coutume du xiv* siècle (art. 46) (2).
A l'origine de la féodalité , le taux du rachat était loin d'être
déterminé d'une manière fixe , il était bien plutôt « ad mise-
ricordiam domini, » à la merci du seigneur (3). Il en fut
ainsi jusqu'au premier tiers du xm* siècle. Une ordonnance
de 1235 (4) fixa pour la première fois le taux du relief. Le
règlement qu'elle contenait devint le droit commun ; le taux
du relief se trouvait fixé au revenu du fief pendant une année;
cette règle recevait quelques exceptions résultant de la nature
et de la culture des fiefs (5).
Au XIVe siècle, le relief était encore fixé au revenu d'une
année; mais le vassal pouvait s'en acquitter aussi , soit en of-
frant une certaine somme, soit en payant un prix déterminé
par de « bonnes gens. » « Et est la coutume telle toute notoire
» que li héritiers du costé se doivent traire au seigneur du fié
» et luy requerre que il les reçoive à la foy et hommage et lui
» doit l'en offrir une certaine somme de deniers ou une année
» du fief ou le prix de bonnes gens, le marc franc là où il
» eschiet... » (J. Desmares, 287). De même dans le Grand
Coutumier : « Et si leur doibt offrir pour le rachapt une
» somme d'argent ou le prix que la terre sera prisée par
Coukmder, liv. II, chap. 27, p. 291). Le rachat était dû à chaque mutation
de bail.
(1) Cette règle n'existe pas dans tous les manuscrits (Voy. Gr. Coutumier,
Ht. II , cbap. 30, p. 312).
(2) Voy. Brodeau, sur l'article 46.
(3) Voy. Brodeau, sur l'article 47.
(4) Isambert, t. II, pag. 244.
(5) Cf. Beaumanoir, XXVII, 2.
68 ESSAI sur l'ancienne
» bonnes gens ou le revenu de l'année... » (Grand Coutumier,
liv. II, chap. 27, p. 291) (1).
Pour arriver à déterminer, soit le revenu du fief, soit la
somme que le vassal devait offrir, il fallait évaluer le fief. La
Coutume notoire 138, nous donne les règles qu'on suivait à
cet égard : « Es choses féodaux , un fie de cent livres bien
» venant, mouvant du seigneur sans moyen et de sa directe
» seigneurie , vault en assiette de terre , au profit dudit sei-
» gneur, cent sols parisis et non plus par prisée de terre , et
» se il y a arrière fiefs, chacun arrière fié, de quelque valeur
»> qu'il soit quand il chiet en rachat, tant qu'il est en la main
» du seigneur, doit et peut valoir 60 sols qui peuvent être es-
» timés à 3 sols parisis de rente et non plus » (Coût. noL
138). Ainsi pour les arrière-fiefs, on payait une somme fixe
quelle qu'en fût la valeur. C'était au seigneur féodal qu'appar-
tenait le choix entre les revenus d'une année ou la somme of-
ferte par le vassal ou celle fixée par de ce bonnes gens. » Au
xvie siècle , on suivait les mômes règles pour la fixation du
taux du rachat (art. 47) (2).
Le démembrement avait lieu lorsque d'un fief on en faisait
plusieurs (3). Il est facile de saisir combien cette pratique
pouvait être préjudiciable au seigneur , puisqu'elle entraînait
la division de ses droits. Aussi admettait-on la règle que nul
ne pouvait démembrer son fief au préjudice du seigneur. Si le
vassal démembrait son fief sans le consentement du seigneur,
ce dernier pouvait saisir féodalement la partie démembrée et
en faire les fruits siens jusqu'à ce que le fief ait été remis en
son premier état (4) ; le seigneur pouvait dire « à celui qui
» derrenièrement auroit baille et acensé son fie , vous m'avez
» mon fie amenuisie et acensé et avelonni, sachiez que je
» vueil à mon fie assener, et il le puet faire de droit » (Corn-
tit. du Châtelet, art. 23) (5). Lorsque le seigneur donnait son
consentement au démembrement, son suzerain immédiat pou-
vait pratiquer la saisie , son fief ayant été abrégé , et ainsi de
(4) Cf. Paris , art. 47.
(2) Voy. aussi art. 49 et 50.
(3) Cf. de Laurière, sur l'article 51.
(4) Voy. Ch. Mortet, Le Hore des cotutitucion*, Iotrod., p. 17.
(5) Cf. Olim, t. I, 1265.
COUTUME DE PARIS. 69
seigneur en seigneur jusqu'au roi. L'ordonnance de 1275 (1),
sur les amortissements et abrègements de fiefs, adoucit ces
rigueurs du droit féodal, et le vassal put amortir avec le con-
sentement de son seigneur, en payant finance à trois seigneurs
médiats seulement.
Une autre sorte de démembrement pouvait avoir lieu lors-
que le vassal aliénait une partie de son fief, tout en restant
pour le tout le vassal de son seigneur. C'est ce qu'on appelait
le jeu de fief sans démission de foi. Ce jeu était permis. Mais
le vassal devait non-seulement retenir la foi entière , mais en-
core il ne pouvait aliéner ou sous-inféoder que jusqu'à con-
currence du tiers et il devait, en outre, retenir quelque droit
sur la partie aliénée (2).
A la théorie de l'abrègement des fiefs se rattachait celle de
l'amortissement. Le passage suivant du Grand Coutumier
nous en donne la définition ; c'est « un congé ou octroy que
» fait aucun hault justicier à personne ou gens d'église de
» tenir aucun héritage en leur main à perpétuité sans ce que
» par celluy hault justicier, ni par autre aiant cause de luy,
» ils puissent doresnavant estre contrains à le mettre hors de
» leurs mains » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 21, p. 358).
La possession d'un fief par une personne de main-morte
causait, on le comprend, de sérieux préjudices au suzerain,
en empêchant la perception des profits de mutations. Aussi
lorsque le possesseur d'un fief l'aliénait au profit d'une per-
sonne de ce genre , il y avait abrègement du fief et on devait
alors payer finance, c'est-à-dire un droit d'amortissement, aux
seigneurs suzerains (3). Au xive siècle , c'est le roi qui a le
droit d'amortir (4). L'ordonnance de 1275 (5) régla, pour la
première fois , les conditions auxquelles les églises et autres
personnes de main-morte pourraient posséder des fiefs.
Dans l'année du contrat, le seigneur pouvait les contraindre
(1) Isambert, t. H.
(2) Voy. Brodeàu, sur l'article 51 ; id., sur l'article 52.
(3) Cf. Isambert, II, p. 658, en note.
(4) « An roi seul et pour le tout appartient amortir en tout son royaume ,
» à ce que les choses puissent être dictes amorties. » Isambert, V, p. 372.
Ordonnance de 1372. Style du Pari., VII, 47.
(5) Isambert, II, p. 657.
70 ESSAI sur l'ancienne
à mettre le fief hors leurs mains : « Se aucune église a achaté
» aucun fié et le seigneur dlceluy fié reçoit icelle église en
» foy et hommage, il puet, ce nonobstant, denuncier à icelle
» église à mettre ledit fie hors ses mains dedans un an depuis
» la dite dénonciation puisqu'il n'est amorty, et se il ne le fait,
» le seigneur le peut mettre en sa main » (J. Desmares,
202) (1). Passé ce délai, les gens de main-morte ne pouvaient
plus être contraints à se dessaisir de leurs fiefs ; mais ils de-
vaient amortir sous peine de confiscation.
Lorsqu'un vassal vendait son fief, le seigneur pouvait exer-
cer le retrait féodal, c'est-à-dire retirer le fief aliéné des mains
de l'acquéreur, réunir, en un mot, le fief servant au fief do-
minant. Le retrait pouvait s'exercer en cas de vente ou d'alié-
nation par acte analogue , c'est-à-dire dans tous les cas où le
droit de quint était dû : « Quand aucun vend aucune chouse
» en censive , le seigneur de qui elle est tenue ne puet icelle
» retenir pour le prix , autrement est du seigneur duquel le
» fief vendu est tenu » (J. Desmares, 204). De même dans le
Grand Coutumier : « Le seigneur, après le dessaisissement du
» vendeur, peut retenir l'héritage pour tel prix comme l'ache-
» teur l'avait acheté » (liv. II, chap. 25, p. 274 (2).) Au xiv°
siècle, ces formalités de dessaisissement et d'ensaisinement
étaient encore obligatoires ; aussi le seigneur pouvait-il exer-
cer son droit de retrait par voie de rétention , lorsque le ven-
deur venait se dessaisir entre ses mains ; mais au xvie siècle,
elles étaient tombées en désuétude, et pour exercer le retrait
féodal il fallait intenter une action (art. 20) (3).
Le retrait était une suite directe du droit féodal. Lorsque le
fief devint une concession héréditaire, il fut tout d'abord con-
(4) Cf. Gr. Coutumier, liv. II, chap. 21. Des admortissements.
(2) Le rachat ne pouvait s'exercer en cas d'échange. C'est ce que décide
un arrêt du Parlement du 5 juin 1311. Il faudrait cependant excepter le cas
où il y aurait soulte et où elle serait supérieure ou seulement égale à la va-
leur de l'immeuble échangé.
(3) Le seigneur avait quarante jours , du jour de l'exhibition du contrat,
pour exercer le retrait féodal, d'après l'article 20; s'il n'y avait pas exhibi-
tion ou notification de la part du vassal , le droit d'exercer le retrait durait
30 ans, comme tous les antres droits. An xiv« siècle, le retrait ne s'exerçant
pas par action, U n'y avait aucun délai fixé et le seigneur pouvait toujours
l'exercer, lorsque le vassal venait se faire ensaisiner.
COUTUME DE PARIS. 71
cédé au seigneur et à ses hoirs ; il faisait retour au concé-
dant, si le vassal ne laissait pas d'héritiers. Plus tard, on
admit le droit pour le vassal , de disposer du fief au profit des
tiers; mais on eut soin de réserver au seigneur le droit de re-
tirer le fief des mains du nouvel acquéreur et de prendre le
marché pour lui. Telle fut l'origine commune du retrait féo-
dal et du retrait lignager ; ils demeurèrent tout d'abord con-
fondus; ce n'est qu'au xine siècle que la théorie du retrait
lignager se développa et s'étendit des biens nobles aux biens
roturiers (1).
Le titre premier de la Coutume de 1580 traite du droit d'aî-
nesse et par suite du partage des fiefs (art. 13, 14, 15).
Une ordonnance de Philippe Auguste du 1er mars 1209 (2)
avait décidé que, dans le partage des fiefs, les puînés ne tien-
draient pas à hommage de leur aîné , mais prêteraient l'hom-
mage au seigneur dominant. Cette ordonnance ne fut pas
observée et on adopta plus généralement le système de la te-
nure en parage : tous les enfants étaient pairs et coseigneurs
du fief; la justice s'administrait en leur nom commun; ils re-
cevaient conjointement l'hommage de leurs vassaux ; mais les
fruits et revenus étaient partagés dans la proportion et suivant
les règles fixées pour la succession aux biens nobles. On em-
pêchait ainsi le démembrement du fief et la formation d'ar-
rière-fiefs; l'aîné représentait ses puînés dans les rapports
avec le seigneur suzerain; lui seul rendait la foi et l'hom-
mage (3).
Ce système de la tenure en parage ne fut jamais admis
comme droit commun dans la prévôté et vicomte de Paris , et
au xine siècle, pour organiser une tenure en parage, il fallait
obtenir une autorisation et payer finance. On la considérait
comme une sorte d'amortissement. On y admettait plutôt le
mode de tenure suivante : l'aîné prenait tout le fief et en fai-
sait tous les services , sauf à faire participer ses puînés aux
revenus dans certaines proportions et à les garder s'ils étaient
mineurs : « Se pluisours enfans sont demorés de père et de
(1) Cf. Brodeau, sur l'article 20. Loi 4 Gode, lit. 66, De jure empt.
(2) Iumbert, I, p. 203.
(3) De Laurière , sur l'article 54 .
72 ESSAI sur l'ancienne
» mère , et il y ait fief franc , le malle ainsné le doit tenir et
» avoir en la seignorie , mes il doit tous les autres garder et
» assener. Et se le fie est vilain, chascun en doit avoir sa par-
» tie. Et s'il avenoit que li ainsnéz feist chose qu'il ne deust
» envers son lige seigneur, les autres enfans i porroient bien
» avoir damage ; que le chiez sires porroit penre le fie en sa
» main par le défaut que le ainsnez feroit s'il ne faisoit chose
» qu'il ne deust envers son lige seigneur » (Constitue du
Châtelet,6$)(i).
Mais dès les premières années du xme siècle , le droit d'aî-
nesse avait pénétré dans la Coutume de Paris. Inconnu du
droit Germanique, il n'apparaît pour la première fois qu'à la
fin du xiie siècle, dans les Coutumes Anglo-Normandes et
dans les Assises du comte Geffroy, duc de Bretagne, qui
furent arrêtées et délibérées à Rennes en 1185. La similitude
des règles et des dispositions , concernant le droit d'aînesse,
que donnent ces deux documents, a pu faire croire, très vrai-
semblablement, qu'ils procèdent d'une même source, qui doit
être un statut du roi d'Angleterre Henri II (2).
Quoi qu'il en soit, aux xme et xive siècles, l'aîné avait droit,
dans la prévôté et vicomte de Paris , à un préciput et à une
part avantageuse. Le préciput était le manoir principal et à
Paris, particulièrement, l'hôtel qui lui plaisait le mieux : « Le
» fils aine emportera l'hôtel lequel mieulx lui plaira soit par
» père ou par mère, avec un arpent de jardin tenant audit
»hostel, hors part » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27,
p. 290) (3).
Quant à la part avantageuse, elle variait suivant que le dé-
funt laissait deux ou plusieurs enfants : « Le chevalier a deux
» enfans masles, il se meurt, comment se partiront les fiefs?
» Response. L'ainé en aura les deux pars , et l'aultre la tierce
» partie soit fils ou fille (Id.). » Mais s'il y avait plus de deux
enfants, l'aîné ne prenait que la moitié, au lieu des deux
tiers (4) : « Et s'il laisse plusieurs enfans excédant le nombre
(1) Cf. Loysel, Itut. coût., liv. IV, Ut. m, n™ 611-612.
(2) M. Ad. Tardif, à son cours (1880).
(3) Cf. Paris, art. 13 et 33.
(4) Cf. Brodeau, sur l'article 16.
COUTUME DE PARIS. 73
» de deux , l'aisné aura le maistre manoir avec la moytié de
» tous les autres héritages tenus en fief, et tous les aultres en-
» fans ensemble, l'aultre moytié et résidu » (Gr. Coutumier,
liv. II, chap. 25, pag. 283, en note).
Le droit d'aînesse n'était pas admis en faveur des filles.
Beaumanoir accorde seulement à l'aînée la maison pater-
nelle (1), « le cief manoir. » En ligne collatérale, il n'y avait
pas non plus de droit d'aînesse (2).
L'article 32 de la Coutume de 1580 traite de la majorité
féodale ; elle est fixée à vingt ans pour les mâles et à quinze
ans accomplis pour les filles. Cette règle ne diffère pas de
celle qui était suivie , en cette matière , aux xme et xiv° siè-
cles : « Enfans de pooste sont aagiez a quatorze ans puis
» qu'ils son masles, et pucelles sont aagiees à douze ans. Mes
» ceux qui sont nobles sont aagiez a vingt ans quant as chou-
» ses nobles et feodataires et quant à celles qui sont tenues
» en villenage, à 14 ans, comme dessus est dit » (J. Des-
mares, 249) (3). La différence entre les nobles et les non
nobles résultait de la nature même des fiefs. Les nobles n'é-
taient considérés comme majeurs que lorsqu'ils étaient en
état de porter les armes et d'aller à la guerre; quant aux
filles, il suffisait qu'elles fussent en âge d'avoir des maris qui
fissent pour elles les services féodaux. Aussi cette majorité
était-elle spéciale « aux chouses nobles et feodataires ; » pour
le reste, le noble était assimilé au roturier. Mais au xvi°
siècle, sous l'influence du droit romain, la pleine majorité
fut prorogée à vingt-cinq ans et les nobles comme les rotu-
riers y furent soumis pour tout ce qui ne concernait pas la
foi, l'hommage et les charges de fief (4).
Aux fiefs on opposait les alleux, terres qui n'étaient pas en-
gagées dans la hiérarchie féodale (5). C'était originairement la
terre libre par excellence; c'était le proprius allodis , francus
allodis, le franc alleu, et on disait : « tenir en franc alleu, c'est
(1) Beaumanoir, XIV, 4.
(2} Cf. Brodeau, sur l'article 19. Y. Gr. Coutumier, liv. II, en. 27, p. 298,
note.
(3) a. Gr. Coût., liv. II , chap. 25, p. 278.
(4) Cf. de Laurière, sur l'article 32.
(5) V. Du Cange, Gloss., v° Alaudis. Cf. de Laurière, sur l'article 124.
74 ESSAI sur l'ancienne
» tenir de Dieu seulement. » Dans la décision 371 de J. Des-
mares, on trouve la définition suivante : « Alleu est terra libéra,
» de qua nemini servicium nec census debetur, nec tenetur ab
» aliquo domino. » Mais il s'en fallait de beaucoup qu'à cette
époque, au xiv6 siècle, l'alleu fût une terre absolument indé-
pendante. Le passage suivant du Grand Coutumier donne une
idée bien plus exacte de ce qu'on entendait alors par alleu, en
disant : « Franc-alleu est un héritage tellement franc que il
» ne doit point de fons de terre, ne d'icelluy n'est aulcun sei-
» gneur foncier et ne doit vest ne devest, ne ventes ne sai-
» sine , ne aultre servitude a quelque seigneur ; mais qua&t
» est a justice , il est bien subject a la justice ou jurisdiccion
d'aulcun » {Gr. Coutumier, liv. H, chap. 33). C'est la même
pensée qu'expriment ces mots de la décision 17 de J. Des-
mares : « ... Imo ne pro allodio recognoscitur superior, nisi
» quod ad ressortum , car on ne fait foy ou hommage (1). »
Ainsi donc on peut dire qu'au xrv° siècle il n'y avait pas de
terre absolument libre et le franc-alleu , lui-même , était sou-
mis à la juridiction du seigneur dans la justice duquel il était
situé.
CHAPITRE DEUXIÈME.
Des censives et droits seigneuriaux.
Le titre second de la Coutume de Paris traite des censives
et droits seigneuriaux; par ces derniers mots, il faut entendre
les ventes et les amendes (2).
La tenure en censive occupait le second rang dans la hié-
rarchie féodale ; mais , par son importance et sa généralité ,
elle ne tarda pas à devenir, sous des formes plus ou moins
différentes , le droit commun, le mode général de la propriété
foncière dans notre ancien droit.
On ne trouve guère le mot censive avant le milieu du xnie
siècle; à cette époque, on se sert encore pour désigner la
(1) Cf. Brodeau, sur l'article 68.
(2) Voy. de Laurière, Commentaires sur la Coutume de Paris, titre IT.
COUTUME DE PARIS. 75
terre non noble des expressions : terra servilis, terra censua-
tis, etc. (1). On peut rattacher l'origine de la censive au pré-
caire de l'époque mérovingienne , qui n'était lui-même qu'une
transformation du precarium romain. A l'origine, le précaire
était constitué pour un temps déterminé, il était irrévocable,
mais non héréditaire ; il obligeait , en outre , au paiement
d'une certaine redevance ; le precarium romain , au contraire,
était gratuit et toujours révocable au gré du concédant. La
différence s'accentua encore par la suite; le précaire devint
héréditaire et entra dans la hiérarchie féodale (2).
Au xiv* siècle , la tenure en censive est opposée à la tenure
en fief; une différence essentielle les sépare; dans l'une le
Tassai exploite noblement, dans l'autre le censitaire exploite
roturièrement.
Le bail à cens était le contrat par lequel le seigneur, proprié-
taire d'un héritage, en aliénait le domaine utile, en retenant
sur la partie aliénée un droit de seigneurie directe, qui était pour
lai la source de certains profits, cens ou rentes annuelles, etc.
Dans la Coutume de Paris , le bail à cens a surtout pour
objet des propriétés bâties, des maisons; de là certains droits,
certaines obligations , qui étaient particulières aux bourgeois
et habitants de la ville de Paris.
Une des principales obligations du preneur à cens était de
« garnir » suffisamment la maison pour que le censier puisse
y prendre son cens ; dans les décisions du Parloir aux bour-
geois, à la date du 15 novembre 1297 (3), on trouve la pro-
messe suivante : « Promist par devant nous, Marguerite la
» Parisiane, que ele garnira soufisamment de ses biens, de-
»danz la quinzaine de Noël, une seue maison asise outre
» Petit- Pont, en la grande rue Ste-Geneviève , en nostre cen-
» sivc... en tèle manière que Nicolas du Pin tanneur i puisse
» prendre son cens, à savoir XXX sous de cens, et por ses
» arrérages , c'est à savoir por XLV sous qui li sont deus, se
» corne elle recognut; ou elle li paiera les diz XLV sous de-
» danz ledit terme (4). »
(1) Voy. do Cange, Gloss., v° Census.
(2) Cf. Digeste , XLIII, tit. 26.
(3) Le Roux de Lincy, p. 137.
(4) Cf. arrêt du Parlement, Jugés, I, f. 474; cf. art. 1752 du Code civil.
76 essai sur l'ancienne
La maison devait donc être suffisamment garnie pour ré-
pondre du paiement du cens , et cette obligation avait pour
but de permettre aux censiers d'exercer utilement la gagerie
pour cens et rentes (1).
De Laurière définit la gagerie « une saisie privilégiée de
» meubles , sans transport, pour laquelle, il ne faut ni lettres,
» ni obligation scellée, ni condamnation. » Cette saisie s'exer-
cerait non-seulement pour le non-paiement du cens, mais
aussi pour le non-paiement des arrérages des rentes échues et
même à échoir, comme il résulte de la décision suivante : ce Se
» aucune personne est condamnée à garnir aucune maison et
» pendant le temps qui lui est donné et préfix , il eschiet au-
» cun terme, il convient que le garnisse pour tout le temps qui
» est passé , jusqu'au jour qui lui est donné et préfix pour ce
» faire » (Coût. not. 137) (2).
Mais ce droit de gagerie ne pouvait s'exercer indéfiniment
et le seigneur censier qui laissait passer l'an et jour sans agir,
perdait son droit : « Toutesfois que aucun se dit avoir droit
» de gagerie sur autre pour raison d'aucune rente ou censive,
» et il laisse à gagier par an et jours entiers , il perd ledit
» droit de gagerie, et ne puet d'ores en avant gagier après le
» temps dessusdit , et a juste cause de soy opposer, celuy sur
» qui la dite gagerie est faite (3) » (Coût. not. 3 ; id., 36,
81). Toutefois cette prescription (4) du droit de gagerie ne
courait pas contre le censier tant que la maison était vide et
non garnie (5), « tellement que les censiers n'y treuvent que
» gagier pour estre payés de leurs rentes , et... durant iceluy
» temps qu'elles sont vides , lesdits censiers sont et demeu-
(1) De Laurière, art. 86, p. 217.
(2) Le temps donné et préfix était 40 jours, ainsi qu'il résulte de ce passage
du Grand Coutumier : a Nota que pour faire la dicte garnison , temps de 40
» jours doit estre préfix par le juge à celluy qui est coudera pné à garnir. *>
Liv. II, chap. 31, pag. 316.
(3) Cf. Coutumes notoires 38-41; id., Constitutions du Chût., 61.
(4) Le point de départ de cette prescription était le jour du dernier paie-
ment (Coût. not. 179).
(5) L'inaction du censier, bien payé par le propriétaire, ne permettait pas
de prescrire contre lui , car le propriétaire « conserve sa possession et sai-
» sine, » et ce dernier « ne puet alléguer saisine de franchise » [Coût. n. 179).
COUTUME DE PARIS. 77
» rent en saisine suffisante de prendre les renies sur icelle
» maison; » ils pouvaient procéder par exécution de gagerie
sur les biens qui se trouvaient par la suite dans la maison et
cela, pour rentes et arrérages dus : « pour le temps passé
» par lequel la dite maison a esté tenue vuide.... ou dedans
» Tan en suivant à compter du jour qu'elle a esté garnie , si
» tost comme elle est ouverte et garnie avant que ledit an
» soit passé » (Coût. mot. 31).
Ce privilège de saisie, de simple gagerie, était particulier
aux censiers de la ville, faubourgs et banlieue de Paris (1);
il ne pouvait s'exercer que pour trois quartiers seulement ,
puisque, Tan et jour passés , le censier ne pouvait plus user
de son droit de gagerie (2). L'article 86 de la Coutume de 1580
prorogea ce privilège du censier à trois années « pour trois
» années d'arrérages dudit cens ou au-dessous. » Mais cette
prorogation n'avait lieu que pour le cens, car l'article 163 de
la même Coutume maintenait l'ancien délai pour les rentes
constituées sur les maisons sises en la ville de Paris (3).
Lorsqu'il y avait plusieurs censiers ayant des droits sur
une même maison , le premier avait un droit de gagerie sur
le second , et ainsi de suite : « Le droit du derrenier censier
» ou rentier est obligié pour le droit au premier, tellement
» qu'il est tenu de garnir le lieu souffisamment, afin que y
» puist trover à gagier pour les arrérages, et se il est contredi-
» sant et refusant, son droit doit être adjugié au premier, et
» es despens, pour cause de son contredit et torcionnier refus ;
» ainsi est derrenier au regard du propriétaire; quar le pro-
ii priétaire est tenu au segond censier comme le segond cen-
» sier au premier » (J. Desmares, 224). Ce second censier
avait donc un recours contre le propriétaire pour le forcer à
garnir la maison (4).
Lorsque l'un des censiers devenait propriétaire de la mai-
son, il empirait sa condition, car alors son sens était confus
(1) a. Gr. Coutumier, liv. II, chap. 31, p. 316.
(2) Cette prescription ne s'appliquait qu'aux arrérages et à la saisie que
pouvait pratiquer le censier. Car le cens , en tant que signe récognitif de la
seigneurie, était imprescriptible {Gr. Coutumier, liv. II, chap. 8, p. 199).
(3) De Laurière, I,p. 218.
(4) M., Gr. Coutumier, liv. II, chap. 31, p. 315.
78 ESSAI sur l'ancienne
de plein droit, tant qu'il demeurait propriétaire : «... Et dès
» lors est tenu de payer de la dite maison , les renies que y
» prennent les censiers tant comme il en sera propriétaire »
(Coût, not. 117) (1). Ainsi le censier était toujours préféré au
propriétaire ; nous en trouvons une nouvelle preuve dans la
Coutume notoire 61 : il s'agit d'une maison chargée de cens à
diverses personnes qui « est louée par la main du roy à aucun
» sine prejudicio censuariorum, garnie de biens par le demeu-
» rant et ouverte continuellement. » Ce fait ne causait aucun
préjudice aux censiers : « Ni la dite garnison et ouverture
» n'empeschent point que un censier ne puisse appeler l'autre
» afin de garnir ou qui ter.... » Le propriétaire restait respon-
sable vis-à-vis d'eux, bien qu'ils pussent agir directement
contre les locataires, du moins tant que ces derniers n'avaient
pas payé les loyers au propriétaire (2). Dans ce cas , en effet,
le locataire était soustrait aux poursuites des censiers : « Se
» conducteur d'une maison paye au propriétaire d'icelle ce
» qu'il doit à cause du louage d'icelle maison , par ce faisant,
» il demeure quite du dit louage, ne à plus ne sont soumis ni
» obligés ses biens envers les censiers qui prennent rente sur
» icelle maison. 10 juillet 1387 » (Coût. not. 151).
Il pouvait arriver qu'une maison chargée de cens ou de
rente fût soumise à un partage; dans ce cas, le partage ne nui-
sait point à la solidité du cens ou des rentes ni ne préjudiciait
au seigneur censier, sans le consentement duquel il avait été
fait : « Division ou partage fait entre aucuns propriétaires ,
» sans le consentement du censier ou rentier, ne grève ni ne
» nuist de rien à iceluy rentier, que une chacune partie d'ice-
» luy héritage ne soit obligié pour toute la rente et un chacun
» rentier pour le tout, tenu de payer icelle rente, tant que il
» soit propriétaire, se il n'y avait prescription ou autre juste
» cause ; quar leur division ne doit estre préjudiciable au ren-
» lier ou censier » (J. Desmares, 276; — id., Coût. not.
165 (3).
(1) Cf. Gr. CoutomUr, Ihr. II, chip. 31, p. 319.
(2) a. art. 1753, Code civil.
(3) ld., Gr. Coutumier, liv. II, chap. 37, p. 354 in fine.
COUTUME DE PARIS. 79
Le cens et les rentes foncières ou constituées (1) étaient
donc indivisibles, en ce sens que chaque partie de l'immeuble
était tenue pour le tout du cens ou de la rente.
Outre ces protections inhérentes à la nature du cens, en tant
que signe récognitif de la seigneurie , le censier pouvait, dans
le contrat d'accensement, stipuler des garanties spéciales et
se faire donner des sûretés particulières pour le paiement des
cens et rentes qui lui étaient dûs. Ainsi lorsqu'une maison ,
baillée à cens, était jugée insuffisante pour le paiement dudit
cens, on pouvait convenir qu'il serait perçu sur une autre
maison appartenant au preneur. C'est ce qui résulte d'une con-
vention insérée dans un bail à cens passé entre un bourgeois de
Paris et sa femme d'une part, et l'Évêque de Paris de l'autre
(22 septembre 1308) (2). A la même date nous voyons deux
preneurs, mari et femme, qui hypothèquent tous leurs biens,
notamment une maison située à Paris , pour sûreté du paie-
ment du cens dû à l'évêque de Paris, à raison d'une terre prise
à cens par eux. Le censier pouvait même faire insérer dans le
contrat que les preneurs consacreraient une certaine somme
aux améliorations à faire à l'immeuble (3).
Hais pour le cens comme pour les rentes, le censier ou
bailleur ne pouvait user des sûretés spéciales qu'il avait sti-
pulées, qu'après avoir constaté l'inefficacité de ses poursuites
sur l'immeuble baillé à cens ou à rente ; c'est ce qui résulte de
[& Coutume notoire 129 : «... L'acheteur prendra sadite rente
» tant comme il pourra sur la première maison et ne puet rien
» demander sur l'autre maison baillée en contreplege si la
» première ne devient vague, et dès lors commence son action
» à procéder contre l'autre maison, et n'en puet le propriétaire
» d'icelle deuxième maison acquérir prescription tant que la
» première est vague et vide (4). »
Le défaut de paiement de cens, en la ville et banlieue de Pa-
ris , donnait au censier le droit de procéder par voie de saisie
(1) Au ziv« siècle, les rentes constituées, de même que les rentes fon-
cières , étaient considérées comme des charges réelles du fonds.
(2) Guérard, Cart. de Notre-Dame de Parie, III, p. 98.
(3) M;, pag. 84.
(4) La prescription ne peut, en effet, courir lorsque le droit qu'elle doit
détruire n'est pas encore né.
80 ESSAI sur l'ancienne
ou gagerie sur les biens garnissant l'immeuble baillé a
cens (1); en dehors de ces limites, le non-paiement du cens
entraînait, en outre, une amende : « De cens non payé a terme,
» l'amende est de cinq ou sept sols et six deniers au plus » (Coût,
not. 112) (2). L'article 85 de la Coutume de 1580 fixe l'amende,
dans le même cas , à cinq sols « fors et excepté les héritages
/> assis en la ville et banlieue de Paris qui ne doivent aucune
» amende pour cens non payé. » Ce privilège était fort an-
cien. On a prétendu qu'il avait été accordé par les rois aux
bourgeois de Paris ; mais il résultait plutôt « de l'usage et de
» l'ancienne observance commune et notoire (3). » 11 existait
très certainement au xive siècle , ainsi que le montre ce pas-
sage du Grand Coutumier : « Les bourgeois et habitans de
» Paris ne sont point tenus de payer amande à cause de cens
» non payé pour leurs héritages assis en la ville et banlieue de
» Paris, s'ils ne sont à ce expressément obligés » (Gr. Coutu-
mier, liv. H, chap. 24, pag. 271).
Lorsque le propriétaire d'une maison chargée de cens
payait moins que ce qu'il devait, on disait qu'il y avait cens
recelé; la Coutume notoire 113 nous apprend qu'il n'était pas
dû d'amende pour cens recelé pour partie.
Le seigneur censier, lorsque la maison était vide et vague,
ne pouvait plus exercer son droit de gagerie pour le paiement
du cens ou des rentes qui lui étaient dûs ; dans ce cas il avait
le droit de faire crier la maison (Coût. not. 169) (4). Il pou-
vait arriver alors , qu'à défaut d'enchérisseur et le proprié-
taire ne faisant aucune opposition , il prît ladite maison ; dans
ce cas, il ne souffrait confusion que pour le principal de la
rente, et non pour les arrérages échus dont il demeurait
créancier comme devant : «... que combien que icelle rente
» soit confuse en icelle propriété , que les arrérages qui luy
» estoient deus, y soient confus, et en vérité ne le sont-ils pas,
» mais demeurent en debtes et sont deus au bailleur, nonobs-
(1) Lorsqu'il s'agissait d'un fonds de terre, le censier procédait alors par
voie de saisie-brandon. Cette saisie portait sur les fruits de l'héritage. Cf.
Brodeau, sur l'article 74, I, pag. 348, etc.
(2) Il n'y avait pas de commise pour déni du cens. Cf. Brodeau, I, p. 541.
(3) Cf. Brodeau, I, pag. 652.
(4) ld.f Gr. Coutumier, liv. II, chap. 31, p. 317.
NOUVELLE
REYUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
LES ORIGINES
DU
COSTUME DE LA MAGISTRATURE (1
BIBLIOGRAPHIE.
Bonnard (Camille). Costumes des xin% xive et xve siècles,
extraits des monuments les plus authentiques de peinture et de
sculpture (dessinés et gravés par Paul Morain), avec un texte
historique et descriptif. La ln édition française a paru de
1828 à 1836, 2 vol. gr. in-4° (chez l'auteur et chez Treuttel et
Wùrtz). L'ouvrage avait paru précédemment à Rome. Une
nouvelle édition française a été entreprise en 1860 par M. Ch.
Blanc.
Brillon. Dictionnaire des arrêts. Nouvelle édition, 1727, 6
vol. in-fol. Voyez v° Habits. On y trouvera un certain nombre
de décisions judiciaires.
Gaignièrb. Recueil des portraits des roys et reynes de France ,
des princes , princesses , seigneurs et dames et des personnes de
(1) Ce travail a été lu à la séance publique annuelle des cinq Académies
le 21 octobre 1882. On le publie toutefois aujourd'hui sous une forme un
peu différente avec de nombreux détails et des indications qu'il n'était pas
possible de donner dans une lecture.
Revue hist. — Tome VIII. 8
112 LES ORIGINES DU COSTUME
lui-même à veiller sans cesse et jusque dans sa tenue, à la
dignité de son caractère. Il y a dans toute fonction publique
une partie imposante qu'il ne faut jamais négliger, même , je
dirais volontiers surtout, dans les démocraties. « La plus
belle fonction de l'humanité , écrivait Voltaire , est celle de
rendre la justice; » admirable, en effet, par la grandeur
qu'elle présente , effrayante par les vertus qu'elle exige. Le
magistrat doit être l'organe austère et impassible de la loi.
Cela ne suffit même pas : il faut encore qu'il paraisse ce qu'il
est. On a essayé à une certaine époque de supprimer le cos-
tume des magistrats; la tentative n'a pas réussi et après des
tâtonnements , on a repris la robe des siècles passés. Il n'est
peut-être pas inutile de rappeler cette expérience en remon-
tant d'abord à l'origine du costume de la magistrature.
Aux xie et xne siècles, l'usage s'introduisit pour les hommes
de porter de longues robes comme les femmes. Cet usage ve-
nait d'Italie. Telle est en deux mots l'origine du costume
de notre magistrature. La robe longue et flottante existait déjà
depuis le ive siècle, mais elle n'était portée que par les gens
d'église. L'établissement des Francs en Gaule n'avait exercé
aucune influence sur le costume. Clovisse revêtit des insignes
du consulat pour assurer plus facilement son autorité sur les
Gallo-Romains. Jusque sous le règne de Charlemagne, la
forme du vêtement dans les Gaules suivit la tradition romaine
et il semble même que les Barbares l'aient acceptée.
Les plus anciens monuments figurés parvenus jusqu'à nous
ne présentent pas de différence sensible entre le costume civil
des Francs et celui des Gaulois.
Sous les Carolingiens, le peuple conserve son vêtement
des époques antérieures. Mais les hauts personnages de l'Em-
pire s'inspirent peu à peu des modes adoptées en Orient.
L'Italie et la Gaule, la première surtout, malgré les inva-
sions , n'avaient jamais cessé de demander à Byzance tout ce
qui tenait à la parure, au luxe et aux arts. Les habitants de
l'Italie étaient, en effet, restés en relations suivies avec
l'Empire d'Orient, et ils y avaient même été rattachés un ins-
tant par l'empereur Justinien. Sous les faibles successeurs de
DE LA MAGISTRATURE. 113
Charlemague, les nobles commencent à adopter les longues
robes à plis fins , crêpelées ou brochées. Mais c'est pendant
le grand siècle du Moyen-âge, aux approches de Tan 1100,
que la mode des robes longues devient générale pour les
hommes. Il s'opéra alors un changement complet dans leur
habillement : de court qu'il avait été pendant plus de six
cents ans, il devint long. Comme ce changement coïncida
avec le triomphe de la Papauté sur les puissances tempo-
relles , on a parfois cru qu'il s'était accompli sous l'influence
du clergé. Mais il n'en est rien : l'Église le condamna au
contraire comme un symptôme du relâchement des mœurs.
C'est à l'influence de l'Italie qu'est dû ce changement dans le
costume. Dans le Nord , Robert Courte Heuse , duc de Nor-
mandie, l'adopta un des premiers et le fit accepter par les
nobles de son entourage. Orderic Vital reproche à ce prince
de tolérer que les jeunes gens de sa cour s'habillent à la façon
des femmes , d'encourager les chevaliers à paraître la nuque
chargée de frisures et le corps enveloppé de vêtements qui
balayent le carreau. Les Normands avaient certainement em-
prunté cette forme de vêtement à leurs compatriotes établis
dans la Pouille et en Sicile, avec lesquels ils étaient restés en
relations suivies; lorsque cette mode parut dans le Nord de
notre pays, elle existait depuis un temps assez long déjà dans
le Midi, plus rapproché de l'Italie et jusqu'en Gascogne. Il
suffît de rappeler les costumes des Français et des Italiens
pendant le xne siècle et les siècles suivants pour se convaincre
de leur identité complète. En Italie, les étoffes de couleur
écarlate, les fourrures d'hermine ou de vair étaient exclusi-
vement portées par la noblesse , comme signe de souveraineté
et d'indépendance. D'ailleurs, les femmes nobles jouissaient
de ce privilège comme les hommes. La pourpre domine en
Italie dans tous les costumes des nobles, des magistrats de
cette époque (1). Ceux qui n'appartiennent pas à la première
classe de la cité, portent la robe longue de couleurs diffé-
rentes. Après une révolution dirigée à Florence contre la
noblesse, les juges, pris dans l'ordre des marchands, n'osent
vl) Voyez dans Bonnard , les figures suivantes de magistrats florentins ,
I, 63, 151, 153; II, 51, 57, 61, 83, 101, 113, 137, 169, 171, 183.
116 LES ORIGINES DU COSTUME
réduire l'ampleur et la longueur de leurs vêtements; bientôt,
dès le milieu du xrva siècle, la robe longue fut très géné-
ralement abandonnée par la noblesse et même par la bour-
geoisie : à la longue tunique on substitua , sous le nom de
jaquette, une étroite camisole qui n'atteignait pas les genoux.
Cet habit court souleva les protestations du haut clergé et
des savants. Le chroniqueur de Saint-Denis ne peut dissimuler
son indignation : « Grand estoit aussi la deshonnesteté des
habits qui couroient par le royaulme, car les uns avoient
robes si courtes qu'elles ne leur venoient qu'aux fesses... Et
pareillement elles étoient si étroites, qu'il leur falloit aide
pour les vestir et les dépouiller, et sembloit que on les escor-
choit quand on les despouilloit. Et les autres avoient robes
froncées sur les reins comme femmes; et aussi portoient une
chausse d'un drap et l'autre d'un autre, et leur venoient
leurs cornettes et leurs manches près de terre , et sembloient
mieux jongleurs que autres gens. Et pour ce, n'est pas mer-
veille si Dieu voulut corriger les excès des François par sou
fléau, le roy d'Angleterre. » Le jurisconsulte Philippe de
Mézières reproche au nouvel habit de comprimer l'estomac
au point de devenir une gêne aux heures de repas et de
troubler la digestion , de ne pas préserver du froid et d'occa-
sionner souvent des maladies mortelles. La robe longue
essaya de résister, elle fut encore portée par quelques per-
sonnes. Gaignière nous présente des bourgeois revêtus de
ce costume sous Charles VU ; un bourgeois de Beauvais est
encore habillé à cette ancienne mode en 1575, mais peut-être
était-il chargé d'une magistrature locale (1). Néanmoins la
nouvelle mode entra définitivement dans les habitudes , et la
robe longue fut abandonnée pour jamais.
Mais au moment ou nobles et bourgeois renonçaient à
l'ancien costume ample et long, les hommes de loi, les ma-
gistrats de toutes sortes, les administrateurs conservèrent
l'ancienne robe longue et ample. Le roi et la cour devaient
donner cet exemple. C'est à partir de cette époque que la
robe longue devint véritablement un costume propre à la
magistrature et à certaines autres personnes de qualité. Il y
(!) Gaignière, IX, 71.
DE LA MAGISTRATURE. 117
eut, dès lors, deux sortes de gens, les gens de robe courte
et les gens de robe longue. Les magistrats et les auxiliaires
de la justice, avocats, procureurs, huissiers et autres ne
forent d'ailleurs pas les seuls qui continuèrent à porter la
robe longue jusqu'à la Révolution. Les docteurs des Univer-
sités, les personnes attachées aux conseils des princes ou
des hauts seigneurs , les maires , consuls et échevins et autres
magistrats des corporations conservèrent aussi ce costume
et le portèrent tout au moins dans les cérémonies. Les cou-
leurs de ces robes variaient à l'infini. Les membres des
juridictions inférieures portaient, au temps de Charles V,
la robe lie de vin avec toque noire et chaperon de même cou-
leur (1). Gaignière nous fait connaître un certain nombre
de personnages des xiv* et xve siècles et nous les présente
sous des costumes empruntés à des peintures du temps où
ces personnages vivaient : un conseiller du roi Charles V,
en robe lie de vin , avec chaperon de même couleur et culotte
rouge; Alain, forestier, maître es arts et licencié en décret;
Nicolas de Plancy, maître des comptes; Guillaume le Per-
drier, maître en la chambre aux deniers; Guart de Bruyères,
notaire, secrétaire et garde du roi ; Brochier, clerc du trésor
du roi; Guillaume Hue, lieutenant de sénéchal; Morelet, con-
seiller du roi au pays de Caux et bailli d'Eu ; Raguier, tré-
sorier des guerres et conseiller de la reine , tous ces person-
nages sont gens de robe longue, sauf le dernier; les uns
portent le manteau , les autres en sont dépourvus ; ceux qui
appartiennent à l'ordre judiciaire sont ornés du chaperon (2).
L'Église avait prescrit aux membres des Universités de pré-
férer les couleurs sombres et effacées ; les peintures les repré-
sentent en effet habillés de gris, de bleu passé, de vert foncé,
d'amarante obscure ; cet usage paraît s'être conservé dans la
suite. Le portrait d'un recteur de l'Académie de Paris, au
XVIe siècle, nous représente ce grave personnage revêtu d'une
robe bleu foncé ; son front est couvert d'ttae toque de même
couleur. A la même époque, la robe et la toque des docteurs
en médecine sont noires avec agréments rouges et manteaux
(1) Gaignière , IV, 44, 45, 46, 59.
(2) Cpr. Gaignière, V, 76, 78, 80, 82, 84, 86.
118 LES ORIGINES DU COSTUME
courts d'hermine (1). Les lettrés portaient aussi une barrette
comme signe distinctif ; les étudiants la mettaient lorsqu'ils
étaient reçu maîtres es arts. Cette barrette ressemblait au fez
des musulmans; dans la seconde moitié du xve siècle, sous
l'influence de la mode, elle prit une forme haute et pointue;
mais cet usage ne dura pas , sauf parmi les médecins qui ac-
ceptèrent définitivement cette coiffure en forme d'éteignoir.
Les robes des magistratures populaires étaient ordinairement
parties, c'est-à-dire d'une couleur à droite et d'une autre à
gauche , mais ces couleurs variaient à l'infini et suivant les
circonstances. Ainsi , la robe des membres de l'hôtel-de-ville
de Paris était, sous Charles V, partie de blanc , partie de vio-
let; sous Charles VI, elle devint moitié blanche, moitié vio-
lette. Au sacre d'Isabelle de Bavière, en 1389, les couleurs
étaient le vert et le vermeil ; sous le gouvernement des An-
glais, cette robe n'eut plus qu'une couleur, le vermeil. Mais
lorsque Charles VII rentra en possession de sa capitale, les
magistrats de la ville portèrent une robe partie de vermeil et
de bleu. Gaignière nous a conservé dans sa collection la mi-
niature d'un prévôt des marchands du xvie siècle dont la robe
est rouge à droite et violette à gauche (2). Toutefois, les robes
de ces personnages de distinction étaient sans chaperon. Cette
partie du costume était réservée aux magistrats et aux doc-
teurs des Facultés. Le chaperon conservait d'ailleurs encore
la forme d'un capuchon. La partie inférieure de l'ouverture,
renversée sur le haut de la poitrine , laissait voir la fourrure
dont ce chaperon était doublé. Les fonctionnaires de l'admi-
nistration conservèrent aussi la robe, mais elle était moins
longue que celle des magistrats , fendue par devant et par
derrière jusqu'à mi-jambes , bordée de fourrure et serrée à la
taille par une riche ceinture, tandis que les robes des conseil-
lers du Parlement n'étaient ni foncées ni ceintes. Jusque vers
les derniers temps du Moyen-âge, la forme et la couleur des
robe» ne furent part régulièrement fixées, sauf pour le Parle-
ment de Paris, qui paraît avoir toujours adopté l'usage de la
robe rouge.
(1) Gaignière, IX, p. 109 et 111.
(2) Gaignière, IX, 103 et 104.
DE LA MAGISTRATURE. 149
Nous possédons une vieille image représentant les assises
tenues par le roi Philippe VI de Valois dans la ville d* Amiens»
le neuvième jour de juin de Tan de grâce 1329, pour le juge*
ment du procès criminel fait à Robert d'Artois, comte de Beau*
mont. Dans le haut de la salle , un trône est réservé au roi
qui préside en robe bleue avec ornements d'hermine , assisté
à sa droite du roi de Navarre revêtu d'un costume semblable.
Du même côté, mais plus loin, siègent les pairs laïques, éga-
lement en robes bleues avec hermine; en face et à gauche,
les pairs ecclésiastiques ; au fond les hommes de loi , et au
milieu d'eux l'accusé. Tous ces hommes de loi portent deux
robes , l'une rouge , l'autre bleue ; mais les uns ont mis la
robe bleue sous la robe rouge , tandis que d'autres en ont fait
la robe de dessus; il en est qui sont ornés de manteaux,
mais d'autres ne portent pas ce vêtement; on constate la même
diversité pour l'hermine. Tous laissent leurs chaperons rabat-
tus, sauf un seul qui s'en est coiffé comme d'un capuchon (1).
Les autres peintures ou dessins parvenus jusqu'à nous attes-
tent de la même variété ; le plus souvent les hommes de loi
portent deux robes superposées , rarement une seule , il n'est
pas absolument certain que , déjà à cette époque , le manteau
ait été réservé comme marque de distinction à certains ma-
gistrats , bien qu'en fait les choses se soient souvent passées
ainsi. Les robes de dessus des docteurs et des personnages*
de l'ordre judiciaire portaient le nom de ganaches ; elles étaient
très longues, fermées jusqu'au cou, à manches en façon de
pèlerine.
Telle miniature nous représente un de ces magistrats du
temps du règne de Charles V, revêtu d'une robe ganache
bleue, doublée d'hermine, avec passe-poils de même; les
manches de la robe de dessous sont rouges et en forme dfe
pavillon de trompette. Tel autre de ces personnages graves.»
endossé une cotte à manches justes , une robe à manches à
entonnoir, mais ne descendant pas plus bas que le coude , et
un manteau cape très ample , à capuchon (2).
Le roi Philippe le Bel créa, on le sait', un second Parle-
(i) Cpr. Gaignière, III, p. 32.
(2) Cpr. Viollet-le-Duc, op. cit., p. 261.
120 LES ORIGINES DU COSTUME
ment à Toulouse ; ce fut le premier démembrement du Parle-
ment de Paris , mais il ne dura pas et le Parlement de Tou-
louse ne tarda pas à disparaître , soit que les habitants du
midi aient préféré, comme par le passé, porter leurs appels
au Parlement de Paris malgré son éloignement, soit plutôt
que la royauté ait craint de ne plus exercer une influence assez
directe sur un grand corps judiciaire établi à une pareille dis-
tance. Quoi qu'il en soit, ce Parlement éphémère fut composé
de deux présidents laïques, d'un certain nombre de conseil-
lers laïques , de six conseillers clercs , d'un procureur du roi
et d'un greffier. Le roi Philippe le Bel ouvrit lui-même cette
assemblée : il était revêtu d'une robe de douze aunes de drap
d'or, frisée sur un fond rouge broché de soie violette, parsemé
de fleurs de lis d'or et fourré d'hermine. Après la lecture des
lettres patentes , le roi fit remettre aux membres du nouveau
Parlement, par le héraut, les costumes qui leur étaient des-
tinés. Les présidents reçurent des manteaux d'écarlate fourrés
d'hermine , des bonnets de drap de soie , bordés d'un galon
d'or, des robes de pourpre violette et des chaperons d'écarlate
fourrés d'hermine. On distribua aux conseillers laïques des
robes rouges avec passements violets , des robes de dessous
ou soutanes de soie violette , des chaperons d'écarlate parés
d'hermine. Les conseillers clercs obtinrent des manteaux de
pourpre violette étroits par le haut, sorte de capes rondes ou-
vertes seulement pour passer la tête et les bras. Leurs sou-
tanes étaient d'écarlate ainsi que les chaperons. On donna au
procureur du roi un costume semblable à celui des conseillers
laïques; mais le greffier obtint une robe spéciale : elle était
formée de bandes d'écarlate et d'hermine.
Il était d'usage que les rois et grands seigneurs, à certaines
fêtes de l'année, ou dans des circonstances solennelles, par
exemple à l'occasion du mariage de la fille aînée ou si le fils
aîné était armé chevalier, donnassent des robes , c'est-à-dire
des habillements complets aux personnages de leur cour. Les
tablettes de cire contenant les dépenses de la maison du roi
sous le règne de Philippe le Bel , nous donnent sur ce point
de curieux renseignements. Le roi distribuait des largesses
aux nobles qu'il venait d'armer chevaliers , et ces libéralités
étaient surtout magnifiques lorsqu'il avait conféré à un prince
DE LA MAGISTRATURE. 121
l'ordre de la chevalerie; chacun des compagnons du prince
recevait un cheval, un palefroi, un manteau, un habillement
complet et une qualification (1). Ces robes portaient le nom
de la solennité à l'occasion de laquelle elles avaient été livrées,
robes de Pâques, robes de Pentecôte. Les membres du parle-
ment, de la Chambre des comptes recevaient aussi ces robes
ou livrées du roi. Il paraît même qu'ils abusèrent de ce pri-
vilège et se permirent , sous prétexte de décence , de réclamer
un costume complet chaque année. Des ordonnances royales
essayèrent plusieurs fois de mettre un terme à ces abus en
décidant qu'à l'avenir les magistrats ne recevraient plus de
robes qu'à l'occasion des fêtes et solennités consacrées par les
anciens usages (2).
Dans la suite , cependant, une coutume plus modeste , mais
touchante se conserva au travers des âges : les rois , princes,
cardinaux, ducs, pairs de France, archevêques et évêques
continuèrent à donner aux Parlements, à titre d'honneur et de
déférence au renouvellement du printemps , au mois de mai ,
des roses, des bouquets et des chapeaux de fleurs (3).
À partir du commencement des temps modernes, sous l'in-
fluence d'usages devenus séculaires et aussi en vertu d'or-
donnances royales, le costume des magistrats prend définiti-
vement la forme et les couleurs qu'il conservera jusqu'à la
Révolution. L'ouvrage si savant et si curieux du président de
La Roche-Flavin nous donne à ce sujet quelques indications
précieuses. Le style de ce traité sur les Parlements de France
rappelle par son charme naïf celui d'Amyot et de Montaigne,
dont les ouvrages ne précèdent le sien que de quelques an-
nées. Il disait dans sa préface : « Conseiller au Parlement de
Paris , premier président de la Chambre des requêtes à Tou-
louse, conseiller au conseil privé de Sa Majesté pour me
rendre capable de telles charges (qui lui furent données par
Henri III), je me suis penné, depuis trente-six ans à fureter
(1) Cpr. Ludwig, Reliquim manutcriptorum , Halle, 1741, t. XII, p. 48 et
suiv. Boutaric, La France tout Philippe le Bel, p. 336.
(2) Voyez notamment des ordonnances du roi Charles VI, de janvier 1407
et mai 1413, dans Isambert, III, p. 160 et 292.
(3) La Roche-Flavin, Treite livret des Parlemente de France, livre X, chap.
27 (p. 607 de l'éd. de 1617).
122 LES ORIGINES DU COSTUME
et voir les registres des Parlements, et remarquer, observer,
extraire d'iceux tout ce qui semblait être bon, propre et utile,
pour n'approcher de la magistrature ; car, d'y parvenir, il est
impossible. » Qui le croirait, cet ouvrage, fruit de longues
recherches, inspiré par les plus nobles intentions, fut con-
damné par le Parlement de Toulouse lui-même. L'arrêt du
12 juillet 1617 ordonne que tous les exemplaires de ce beau
livre seront rompus et lacérés. Le procès-verbal d'audience
nous rapporte que « ledit de La Roche fut mandé venir ouïr
la prononciation de son arrêt ; et lui entré dans la chambre,
et étant derrière le barreau des présentations , debout et tête
nue, messire Gilles le Mazuyer, premier président en ladite
Cour, lui a fait les susdites remontrances et prononcé le sus-
dit arrêt; et ce fait, ledit livre a été rompu et lacéré, en sa
présence, par le greffier de la Cour, Me Etienne de Malen-
fant (1). On ne connaît pas encore les motifs secrets qui ont
pu déterminer le Parlement de Toulouse à une pareille in-
justice , quelques-uns de ses membres se sont-ils senti atteints
par des observations un peu sévères sur la dignité et la
science des magistrats. La Roche-Flavin compare les juges à
la fois savants et rompus à la pratique des affaires à une eau
vive et limpide qui purifie les procès les plus noirs ; mais il
dit des autres qu'ils sont eau de citerne. La Roche-Flavin
n'abuse toutefois pas de ces traits malins. L'honnêteté et la
bienveillance de l'écrivain se révèlent à chaque page dans ce
livre remarquable. La Roche-Flavin recommande à ceux qui
s'occupent dés affaires de la République , comme aux magis-
trats de l'ordre judiciaire , l'union et la concorde. « Pour la
tuition et la défense de la République , dit-il , les magistrats
doivent être d'accord et unis en bonne amitié, et ne pas imiter
surtout Agesilatis , roi des Lacédémoniens , qui , quoiqu'il fût
des plus illustres qui furent oncques , pour ravaler le crédit
et autorité de Lysandre, cassait toutes ses sentences et jugeait
tout le contraire, comme il dit, en dépit de lui seulement. »
Ce livre est vraiment l'évangile de la magistrature entière.
Rien de ce qui concerne la justice n'est indifférent à son au-
teur. 11 ne se borne pas à tracer les grands devoirs des
(1) Cpr. Lavieille, Etudes tur la procédure civile, p. 270.
DE LA MAGISTRATURE. 423
magistrats ; les détails les plus familiers l'intéressent , et le
costume des magistrats lui apparaît comme un des meilleurs
moyens de garantir la dignité des juges et d'établir entre eux
dans l'exercice de leurs fonctions une véritable égalité exté-
rieure sans distinction d'origine ni de fortune.
La Roche-Flavin nous apprend que la couleur rouge est
exclusivement réservée aux magistrats des cours souveraines.
Les magistrats des Parlements ont seuls le droit de porter
des habits de pourpre ou écarlate. C'est la couleur royale et
le signe de la souveraineté. Le sieur de La Terrasse, maître
des requêtes, président du présidial de Toulouse, s'étant per-
mis de sortir en robe rouge , le Parlement lui expédia deux
huissiers qui le firent changer de vêtements (1). Les magis-
trats des sièges non souverains, comme aussi les avocats,
procureurs, huissiers, portaient la robe noire et les membres
des parlements (plus tard aussi ceux des conseils souverains)
avaient aussi l'habitude de la revêtir pour les audiences ordi-
naires. D'ailleurs, l'usage avait disparu de porter deux robes
l'une sur l'autre. Le chaperon avait aussi cessé d'être une
coiffiire pour devenir un ornement. Les magistrats le portaient
maintenant abattu sur l'épaule ; le chef était couvert d'une
barrette. La chausse qui figure encore sur les costumes des
magistrats et des professeurs est l'image en petit du chape-
ron abattu. Le rond du milieu simule la coiffe. Quant aux
manteaux, mortiers, robes et chaperons fourrés, ils étaient
devenus le privilège exclusif du chancelier et des présidents
des parlements. Le manteau était cependant aussi porté par
les princes et par les hauts dignitaires de l'Église. Ce manteau
des présidents des parlements était entièrement fermé à l'en-
colure et s'ouvrait sur le côté droit. Celui du premier prési-
dent se distinguait par trois galons d'or et trois bandelettes
de fourrure blanche, cousus en échelons sur chaque épaule.
Les présidents portaient aussi sur la tête un chapeau rond et
plat, en velours, passementé d'or et connu, à cause de sa
forme, sous le nom de mortier. La Roche-Flavin rappelle que
ce costume est, sauf le sceptre et la couronne, celui dont se
paraient les rois de France dans les grandes circonstances.
(1) La Roche-Flavin, liv. X, chap. 24 (p. 604 del'éd. de 4617).
124 LES ORIGINES DU COSTUME
C'est ainsi que se mit en effet le roi Charles V pour recevoir
l'empereur d'Allemagne à Paris en 1378. Jean Chartier repré-
sente le chancelier de France habillé de la même manière , à
l'entrée de Charles VII à Rouen en 1449. Monstrelet relève le
même fait et il ajoute qu'à l'entrée du roi Henri d'Angleterre
à Paris , ce prince fut reçu par Philippe de Morvilliers , pre-
mier président, vêtu en habit royal. Le même auteur nous ap-
prend qu'à son entrée à Naples, le roi Charles V11I était vêtu
d'écarlate. Les peintures du temps, parvenues jusqu'à nous,
représentent aussi très souvent les rois vêtus de robes rouges
ou bleues dans les solennités (1).
L'usage du rabat est relativement récent, il ne date que du
règne de Louis XIV et tient à l'introduction des grandes per-
ruques et à la suppression de la barbe. La coutume de por-
ter barbe et moustaches était déjà fort ancienne lorsqu'en
1143 le roi Louis le Jeune se laissa raser le menton par l'évê-
que de Paris par suite de l'interdit que le Saint-Siège avait
lancé contre lui. Cet exemple fut imité 'par ses sujets et ce
nouvel usage de raser la barbe subsista jusqu'à François Ier.
Le pape Jules II, en 1503, laissa croître sa barbe, Charles-
Quint en fit bientôt autant et François Ier imita cet exemple
sous prétexte de cacher une cicatrice résultant d'une blessure
qui lui avait été faite par un courtisan, le capitaine de Lorges,
dans un divertissement. Nobles et bourgeois se hâtèrent de
suivre un exemple qui était donné par un roi, un empereur,
un souverain pontife. Régis ad exemplar totus componitur
or bis. Le clergé suivit avec une certaine répugnance la nou-
velle mode adoptée par le chef de l'Église; puis il s'engoua de
(1) On trouvera dans Gaignière un assez grand nombre de portraits, de
présidents et conseillers en costume : Guillaume de Sens , premier prési-
dent du Parlement, mort le 11 avril 1399 (V, 73); Philippe Desduc Plantes,
conseiller au Parlement tle Paris, mort le 6 avril 1519 (VIII, 50); Nicole de
Caradas , docteur es droit et conseiller au Parlement de Rouen , mort en
1529 (VIII, 52); de Banquemare, premier président au Parlement de Rouen,
mort le 28 juin 1584 (IX , 66) ; Adam de Cambrai , premier président au Par-
lement de Paris, mort le 12 mars 1473 (VIII, 31); Colombelle, conseiller
au même siège, mort le 4 avril 1475 (VIII , 32); Groulard, premier président
au Parlement de Rouen, mort le 1er décembre 1607 (X, 13). Voyez encore
IX, 99 et suiv. Au xvi« siècle, le chance' ier porte la robe bleu foncé (IX,
96 et 97).
DE LA MAGISTRATURE. 125
la barbe à ce point que le pape Paul III ayant ordonné aux
membres de l'Église de raser leur visage, certains évéques
renoncèrent à prendre possession de leurs sièges épiscopaux
plutôt que de sacrifier leur barbe. La magistrature résista long-
temps à l'innovation de François Ier, et le Parlement de Paris
essaya même d'enrayer l'extension du nouvel usage, en défen-
dant, par arrêt de 1535, à tous autres qu'aux gentilshommes,
officiers royaux et militaires, de laisser croître leur barbe.
Toutefois, les magistrats du conseil du roi, officiers amovibles,
s'empressèrent d'imiter l'exemple du roi. En 1536, François
Olivier, qui fut depuis chancelier, se présenta au Parlement
en qualité de maître des requêtes pour y siéger; c'était en
effet son droit, mais comme il ne s'était pas fait raser, les
gens du roi lui firent dire qu'il ne serait « reçu à assister au
plaidoyer qu'après avoir fait couper sa barbe. » Le Parlement
ne tarda même pas, en 1540, à obtenir une ordonnance royale
qui défendait à « tous juges , avocats et autres , de porter
barbe et habillements dissolus. » Il ne semble pas que cette
ordonnance concernât les magistrats qui siégeaient au con-
seil. D'un autre côté, les chanceliers furent les premiers à
n'en tenir aucun compte. Brantôme dépeint le chancelier de
l'Hôpital , avec sa grande barbe blanche qui lui donnait l'air
de Caton le censeur. René de Birague, le successeur de
l'Hôpital, portait aussi la barbe. Cet exemple des chefs de la
magistrature fut bientôt suivi par tous les gens de robe et
l'usage de la barbe fut général jusqu'à la mort de Henri IV.
La Roche-Flavin constate ce changement qui s'est produit au
milieu du xvie siècle et le déplore. « Anciennement, dit-il, les
présidons et les conseillers portoient la barbe rase : mais de-
puis cinquante ans on fait le contraire, ce qui a taillé de la
besoigne aux barbiers , de vérifier la façon des barbes , autant
qu'il y a d'humeurs volages et bizarres d'aucuns. » Il se
plaint aussi de ce « qu'il y a de jeunes magistrats conseillers
qui portent une barbe taillée presque au ras du menton , la
surmontent de grandes moustaches fort relevées , retroussées
et frisées avec certains fers chauds à la manière turquesque. »
Sous Louis XIII , la barbe fut détrônée par la moustache et la
royale et ce nouvel usage fut aussi observé pendant une par-
tie du règne de Louis XIV. De Thou, Orner Talon, Jérôme
Revue hist. — Tome VIII. 9
126 LES ORIGINES DU COSTUME
Bignon , le premier président de Lamoignon , le chancelier
Le Tellier, portaient la moustache et la royale. Mais bientôt
l'introduction de la mode des grandes perruques amena la
suppression complète de la barbe; c'est alors qu'apparut seu-
lement l'usage du rabat ou col de chemise rabattu , puis de la
cravate à bords flottaats , puis enfin du rabat tel que le por-
tent aujourd'hui les ecclésiastiques. Sous Louis XV et surtout
sous Louis XVI , la coiffure s'éleva à k hauteur d'un art et
les perruquiers conçurent une si haute opinion de leur science,
de leur adresse et de leur goût , qu'ils inscrivirent effronté-
ment sur les devantures de leurs boutiques , le mot académie.
M. d'Angivilliers , surintendant des bâtiments , fit défendre
aux perruquiers de porter un titre aussi ambitieux. Mais cette
fois, la magistrature refusa obstinément de suivre ce nouveau
caprice de la mode. Elle continua à porter pendant quelque
temps les longues perruques du règne de Louis XIV, qui res-
semblaient plutôt à des crinières qu'à des coiffures; puis elle
abandonna cet usage gênant pour se contenter d'une perruque
simple et courte.
Pendant tout l'ancien régime, la royauté et la magistrature
elle-même veillèrent avec soin sur le costume des hommes
de loi et s'attachèrent à obliger les magistrats à respecter la
dignité de leur caractère jusque dans leur tenue. Un arrêt
du Parlement de Paris donné aux grands-jours de Moulins ,
le 6 octobre 1550, défendit à tous juges royaux, avocats,
enquêteurs et procureurs d'entrer au barreau avec des robes
courtes, longues de frise ou de soie; elle leur prescrivait de
porter des robes longues honnêtes et des habits décents. Le
bailli de Nemours s'étant permis de tenir le siège en robe
courte, avec l'épée et la dague, toutes les procédures qui
s'étaient accomplies devant lui, tous les jugements qu'il avait
prononcés furent cassés par arrêt du Parlement du 22 février
1569, à la requête du procureur du roi. Cette mesure avait
toutefois le tort d'atteindre les plaideurs plus encore que le
juge. N'était-ce pas, comme on l'a dit, traverser d'une épée
le corps d'un innocent pour faire une simple égratignure au
vrai coupable? Le Parlement de Toulouse frappa plus jus-
tement lorsque , le 22 août 1678, il condamna le juge de la
ville de Nulet à cinquante livres d'amende envers le viguier,
DE LA MAGISTRATURE. 127
pour Tavoir assisté sans robe et sans bonnet. Un conseiller
ta Parlement dont les ancêtres avaient, dit-on, porté la
livrée , osa paraître devant le premier président Harlay avec
ose calotte de la couleur réservée aux laquais. Ce magistrat
s'en aperçât, et il lui dit : « Je ne suis point surpris de
vous voir cet habillement cavalier; on aime ces couleurs
dans votre famille. » De nombreux édits royaux rappelèrent
aux magistrats, officiers du roi, procureurs, écoliers es lois
de porter des habits décents à la ville, de se tenir conve-
nablement à l'audience, la robe fermée et non ouverte. Mais
le nombre même de ces édits semble prouver qu'ils étaient
oubliés de temps à autre, surtout par les écoliers es lois,
et le jurisconsulte Brillon ne peut s'empêcher d'ajouter, après
les avoir rapportés : « Cela n'a pas empêché que quelques-
uns aient continué à se travestir en petits maîtres; aussi,
na-tron pas vu qu'ils soient devenus de grands avocats, ni
même des juges médiocres (1). Ces questions d'étiquette sou-
levaient parfois aussi, surtout de la part des avocats, des
difficultés sérieuses, et auxquelles ils attachaient une im-
portance exagérée. Tantôt ils prétendaient qu'au Parlement
1 ùietionneire des arrêts, v° Habit*. Voici le texte de l'édit d'avril 1684,
tel qu'il est rapporté par Brillon, toc. cit. ; « Voulons que le règlement fait
par notre cour de Parlement de Paris le 17 de ce mois , attaché sous le
eratre-seel de notre chancellerie , soit exécuté selon sa forme et teneur et ce
fusant que les présidents, conseillers et autres officiers qui sont du corps
éi noire cour porteront leurs robes fermées au palais , aux assemblées pu-
âëques et dans tontes les fonctions de leurs charges, soit dedans, soit dehors
lews maisons. Que dans les lieux particuliers ils pourront porter des habits
doits avec manteaux et collets ; qu'ils seront invités de ne point se trouver
«lx lieux où ils ne peuvent être vus sans la diminution de leur dignité ; que
ledit règlement, ensemble ces préceptes seront lus tous les ans dans les mer-
cariaies ordinaires. » On remarquera que cet édit se borne à confirmer un
régiment du Parlement de Paris. Les cours souveraines avaient, en effet,
* droit de prendre des mesures de ce genre pour la discipline des magis-
trats. Elles veillaient même à la tenue des avocats. Un arrêt du Parlement
fe Toulouse, rapporté par Brillon, en date du 15 mars 1604, fait défense
ui avocats du Parlement et du ressort d'entrer au palais, d'aller par la
nlie , avec des habits indécents à leur qualité ; injonction de porter au palais
<ors bonnets et leurs robes longues, d'aller par la ville, aux églises et autres
. €ox publics vêtus de robes longues et habits noirs décents et convenables,
«os peine de cent livres d'amende pour la première contravention ; pour
a deuxième , de confiscation des habits ; pour la troisième , de radiation.
128 LES ORIGINES DU COSTUME
ils avaient le droit de porter la robe rouge , une autre fois , ils
revendiquaient le privilège des avocats généraux de plaider
les mains gantées. Il fallut un arrêt du Parlement de Bour-
gogne (10 mai 1610) pour leur interdire de paraître à l'au-
dience avec des gants, soit en été, soit même en hiver.
Le Parlement de Paris était moins rigoureux, et, pour ne
pas mettre cependant les avocats au même rang que les gens
du roi, il leur permettait de plaider une main gantée (1).
Les magistrats eux-mêmes n'échappaient pas toujours à ce
travers qu'on reprochait aux avocats. Parfois des compagnies
judiciaires demandaient avec insistance un costume ou tout
au moins un signe distinctif, le plus souvent pour s'élever,
tout au moins en apparence , au-dessus du rang qu'elles oc-
cupaient. Les officiers du présidial de Dijon ayant adressé
une demande de cette nature au chancelier Ponchartrain ,
celui-ci leur fit cette belle réponse : « Vos prédécesseurs ont
trouvé le moyen de se rendre respectables au public par des
endroits plus solides et plus honorables pour eux; c'est par
ces mêmes endroits que vous devez vous efforcer de mériter
la même considération (2). »
La pompe des audiences des parlements de Paris et
aussi l'éloquence des avocats y attiraient un grand nombre
de curieux. Presque tous les souverains et princes étrangers
qui venaient à Paris allaient rendre visite au Parlement, et,
dans ces circonstances , les magistrats devaient revêtir leurs
fourrures, même en plein été, pour donner plus de solennité
à la réception. Le roi Henri IV accompagna lui-même le duc
de Savoie à une audience du Parlement; tous deux assistèrent
aux plaidoiries , et , lorsque les avocats eurent terminé ,
Henri IV qui avait suivi l'affaire avec une grande attention,
fort embarrassé , ne put s'empêcher de dire : « Ils ont raison
tous les deux. » La reine Marie-Christine de Suède en 1656,
Pierre le Grand en 1717, le roi de Danemark en 1768, Jo-
seph II en 1780, assistèrent à de grandes audiences du Par-
ti) BriUon, Dictionnaire des arrêté, v° Avocat. Les avocats généraux de-
vaient, au Parlement, prendre la parole avec les deux mains gantées; mais,
au grand conseil , l'usage était qu'ils n'eussent point de gants.
(2) Correspondance administrative sous Louis XIV, dans le Recueil des Do-
cument* inédits relatifs à l'histoire de France, II, p. 50.
DE LA MAGISTRATURE. 429
lement. Cet usage était fort ancien. Louis XII ne recevait pas
un roi ou un prince étranger qu'il ne le menât à la salle des
plaitz où il lui disait avec orgueil : « N'est-ce pas heureux
d'être roi de France. » Rabelais n'oublie pas non plus d'en-
voyer Pantagruel visiter ceux qu'il appelle les Chats-fourrés,
présidés par le terrible Grippeminaud. Il nous décrit leurs
costumes à sa manière : « Les Chats-fourrés sont bestes moult
horribles et espouventables; ils mangent les petits enfants,
et paissent sur des pierres de marbre... ils ont le poil de la
peau non hors sortant, mais au dedans caché, et portent pour
leur symbole et devise touts et chalcun d'eulx une gibbes-
sière ouverte... Ont aussi les gryphes tant fortes, longues et
acérées que rien ne leur escbap , depuis qu'une fois l'ont mis
entre leurs serres. Et se couvrent les testes aulcuns de bon-
nets à quatre gouttières ou braguettes : aultres de bonnets
i revers, aultres de mortiers, aultres de caparassons mor-
tifiés. » Le plus affreux , c'est Grippeminaud : « Les mains
avoit pleines de sang, les gryphes comme de harpye, le
museau à bec de corbin , les dents d'un sanglier quadrannier,
les yeulx flamboyants comme yeulx d'une gueule d'enfer,
tout couvert de mortiers entrelassés de pilons : seulement
apparoissoient les gryphes (1). »
Toute cette ancienne magistrature, avec ses avocats, pro-
cureurs et autres hommes de loi, disparut à la Révolution.
L'Assemblée constituante organisa la justice sur des bases
nouvelles; les magistrats furent élus et pour un certain temps;
il y eut des juges de paix, des tribunaux de district , des tri-
bunaux de commerce, un tribunal de cassation. Les tribunaux
d'appel ne furent créés que plus tard : on ne voulait pas à
celte époque établir de grands corps judiciaires, dans la
crainte qu'ils ne prissent la place et l'autorité des anciens
Parlements. Les corporations d'hommes de loi furent égale-
ment supprimées; le nom même d'avocat fut écarté : « les
hommes de loi, portait la loi, ci-devant appelés avocats, ne
devant former ni ordre , ni corporation , n'auront aucun cos-
tume particulier dans leurs fonctions (2). » Ces mots jetés
11) Rabelais, Pantagruel, liv. V, chap 11.
(2) Loi du 11 septembre 1790, art. 10.
430 LES ORIGINES DU COSTUME
négligemment dans une loi sur le costume firent disparaître
pour quelque temps Tordre des avocats. La question de savoir
si les juges seraient sédentaires ou ambulants fut aussi tran-
chée en partie par des raisons tenant au costume. Garât se
prononça contre l'institution de juges ambulants d'assises :
selon lui, les magistrats qui viennent juger en poste et en
bottes manquent de la gravité de caractère et de tenue qui con-
vient dans l'exercice de ces fonctions ; d'ailleurs , la mission du
juge exige du recueillement ; or, les juges voyageurs seraient
exposés à des distractions continuelles. Ces raisons détermi-
nèrent l'Assemblée nationale à se prononcer pour la création
de tribunaux sédentaires. Elle ne voulut pas laisser à ces
tribunaux les costumes portés sous l'ancienne monarchie.
On ne donna d'abord aux juges de paix aucune marque dis-
tinctive : ils pouvaient néanmoins porter, attaché au côté
gauche de l'habit, un médaillon ovale en étoffe, bordure
rouge, fond bleu, sur lequel était inscrit, en lettres blanches,
ces mots : la loi et la paix (1). Les juges des tribunaux de
district reçurent un costume duquel on eut soin d'exclure la
robe des siècles précédents. Ils portaient dans l'exercice de
leurs fonctions l'habit noir, le manteau de drap ou de soie
noire , avec parements de la même couleur et un ruban en
sautoir aux trois couleurs de la nation, auquel pendait une
médaille; sur la médaille étaient gravés ces mots : la lai.
Us avaient la tête couverte d'un chapeau rond, relevé par le
devant et surmonté d'un panache de plumes noires. Le cou-
tume des commissaires du roi était à peu près semblable,
mais le greffier était privé de panache (2). On ne laissa même
(1) Loi des 6-27 mars 1791, art. 12.
(2) Voici ie texte de la loi du il septembre 1790, art. 10 : <r Les juges
étant eo fonctions porteront l'habit noir, et auront la tête couverte d'un
chapeau rond , relevé par le devant et surmonté d'un panache de plumes
noires. Les commissaires du roi étant en fonctions auront le même habit et le
même chapeau , à la différence qu'il sera relevé en avant par un bouton et
une ganse d'or. Le greffier étant en fonctions sera vêtu de noir, et portera
le même chapeau que le juge, et sans panache. — Les huissiers faisant le
service de l'audience seront vêtus de noir, porteront au cou une chaîne
dorée descendant sur la poitrine et auront à la main une canne noire à
pomme d'ivoire. Les hommes de loi, ci-devant appelés avocats, ne devant
former ni ordre ni corporation, n'auront aucun costume particulier dans leurs
fonctions. »
DE LA MAGISTRATURE. 131
pas la longue robe aux membres du tribunal de cassation : la
marne ridicule de se séparer absolument du passé conduisit le
législateur à* les affubler du costume bizarre que portaient les
magistrats des tribunaux de district (1). Les hommes de la
Constituante étaient pleins d'admiration pour leur œuvre. A
cette époque d'illusion sur les nouvelles institutions de la
France, on croyait naïvement que les justices de paix allaient
faire régner le bonheur , la concorde et la paix dans les cam-
pagnes ; les orateurs de la Constituante firent de cette insti-
tution des descriptions touchantes ; l'un d'eux rappelait celle
où Pléchier avait peint M. de Lamoignon accommodant ses
vassaux « plus content en lui-même et peut-être plus grand
aux yeux de Dieu , lorsque dans le fond d'une allée sombre ,
et sur un tribunal de gazon, il avait assuré le repos d'une
pauvre famille, que lorsqu'il décidait des fortunes les plus
éclatantes sur te premier trône de la justice. » Mais tout juge
de paix n'est pas un Lamoignon. Il y eut de nombreux mé-
comptes ; on ne tarda pas à se convaincre que le retour à la
justice des patriarches n'était qu'une utopie. Les juges de
paix se permirent des excès de pouvoirs, des abus d'autorité ;
élus à temps et par les citoyens de la localité , ils en parta-
geaient les passions et les égarements. On leur reprochait
même de ne pas toujours tenir leurs audiences avec la dignité
dont doit s'entourer tout magistrat , même le moins élevé de
l'ordre judiciaire. Les autres tribunaux n'étaient pas non plus
entourés de toute la considération qui est due à la justice ; le
système de l'élection de la magistrature avait produit de mau-
vais résultats et les citoyens n'éprouvaient plus pour les ma-
gistrats de Tordre judiciaire comme pour les autres fonction-
naires, qu'un respect tout à fait insuffisant. Aussi le législateur
de la Convention songea-t-il à relever la partie imposante des
fonctions publiques et à l'entourer d'un certain éclat. Le 3
brumaire an IV, la Convention vota une sorte de code des
costumes et cette loi donna lieu à des discussions curieuses.
Le comité de l'instruction publique, chargé d'examiner la
(1) Voyez la loi des 11-18 février 1791. — Cpr. de Raynal : Les différents
costumes des membres du Tribunal et de la Cour de cassation, en appendice à la
publication intitulée Le Tribunal et la Cour de cassation , dont il a été parlé
dans la Bibliographie.
132 LES ORIGINES DU COSTUME
question du costume, proposait pour les membres de l'As-
semblée législative une culotte blanche, un habit gros bleu
croisant sur la poitrine et un manteau écarlate descendant
jusqu'au genou. Le député Hardy reprocha à ce costume
d'être trop jacobin ; Bornier l'accusa de remonter au temps
de François Ier; Marie-Joseph Chénier ne le trouvait pas assez
digne et réclamait un habit « dont les formes à la fois com-
modes et respectables imposassent à la multitude et fussent
conciliatrices du respect des peuples pour les autorités supé-
rieures (1). »
On s'entendait quant aux couleurs des vêtements officiels ;
on les voulait nationales, c'est-à-dire rouges, blancs, bleus.
Le désaccord n'existait que sur la forme des costumes. L'abbé
Grégoire fit enfin prévaloir son opinion : « Les formes de nos
habits, disait-il, sont inartistes, si je puis m'exprimer ainsi.
Les tableaux ou les statues ne supporteront jamais la mesqui-
nerie de nos habits actuels, et le rétréci de nos draperies. Les
formes longues sont les seules qui conviennent à une assem-
blée législative. » Sur ces observations, on décida que les
membres du Corps législatif porteraient une robe longue et
blanche , une ceinture bleue , un manteau écarlate , le tout en
laine , et une toque de velours blanc. Nous verrons bientôt
que ce costume, emprunté aux temps antiques, fut aussi
adopté par le Tribunal de cassation, mais avec quelques modi-
fications, notamment dans la disposition des couleurs (2).
Toutefois, on ne voulait pas rendre la robe aux magistrats
des autres juridictions, dans la crainte de réveiller d'anciens
souvenirs et de faire revivre avec eux les vieilles mœurs par-
lementaires. Cependant le législateur comprenait la nécessité
de relever la dignité extérieure de la magistrature qui était ,
(1) Voir le Moniteur du 12 brumaire an IV.
(2) Les membres du Directoire portaient deux costumes, l'un et l'autre
assez curieux à décrire : le coutume ordinaire , habit manteau à revers et à
manches couleur nacarat , doublé de blanc , richement brodé en or sur l'ex-
térieur et au revers; veste longue et croisée, blanche et brodée d'or; l'é-
charpe en ceinture bleue à franges d'or, le pantalon blanc, le tout en soie;
le chapeau noir, rond, retroussé d'un côté et orné d'un panache tricolore;
l'épée portée en baudrier sous la veste, la couleur du baudrier nacarat; le
grand costume, l'habit manteau bleu, et par-dessus un manteau nacarat.
DE LÀ MAGISTRATURE. 133
à cette époque , fort compromise ; mais les mesures que Ton
prit durent produire un effet tout contraire.
On imagina de donner aux juges de paix , comme marque
distinctive, une branche d'olivier en métal suspendue sur la
poitrine par un ruban blanc , légèrement liseré de bleu et de
rouge. Tout juge de paix devait tenir à la main , pendant l'au-
dience, un grand bâton blanc, surmonté d'une pomme d'i-
voire, et sur la pomme était peint un œil noir; cet œil était
celui de la justice. On laissa sous le Directoire aux tribunaux
civils , devenus tribunaux de département , le costume déter-
miné par la Constituante; mais on leur attribua une marque
distinctive : c'était aussi un œil, mais en argent, et porté sur
la poitrine , suspendu par un ruban blanc , liseré de rouge et
de bleu (1). Les tribunaux de commerce n'avaient ni costume,
ni marque distinctive. La robe fut rendue , comme nous l'a-
vons dit, au Tribunal de cassation, mais on adopta pour le
costume de ses magistrats les couleurs nationales : ceinture
rouge, manteau blanc, robe longue et toque bleu clair (2).
On remarquera que , sauf les couleurs, ce costume se com-
posait de la simarre , de la toge , et de la toque des anciens
magistrats. Toutefois, il paraît qu'il n'a jamais été porté;
peut-être a-t-il été trouvé beaucoup trop coûteux dans ce
temps de misère publique ; dans la pratique , on lui substitua
le manteau noir (3).
Sous le Consulat et l'Empire, la magistrature fut encore une
fois réorganisée , le premier consul , bientôt empereur, la re-
constitua en 8'inspirant parfois du passé : le barreau fut
rétabli; les grands corps judiciaires reparurent sous le nom
de Cour d'appel ; le tribunal suprême devint la Cour de cas-
sation; enfin l'ancien costume fut rendu aux magistrats.
L'empereur oublia cependant l'inamovibilité. Ce ne fut pas
sans certaines hésitations qu'on se décida à revenir à' cet an-
cien costume. Un arrêté du 24 germinal an VIII s'était d'abord
borné à prescrire que tous les magistrats et greffiers fussent
(1) Cpr. Hiver, Histoire critique des institutions judiciaires de la France,
p. 399, 405.
s2) Hiver, op. cit., p. 419.
(3) De Raynal, op. et toc. cit., p. 494.
134 LES ORIGINES DU COSTUME
vêtus de noir ; ils devaient porter, à l'exception des greffiers,
dans les cérémonies publiques, un manteau court de soie noire
à collet rabattu, une cravate de batiste pendant sur la poi-
trine et un chapeau à trois cornes. Les bords de ce chapeau
étaient rattachés à la forme par des ganses de velours noir;
la forme était serrée par un ruban de velours noir avec un
gland de soie noire. On avait supprimé dans ce costume les
ridicules panaches de 1790 et les rubans symboliques du
Directoire , mais il prêtait encore à la critique et à la plaisan-
terie par plus d'un côté. Aussi un arrêté du 2 nivôse an XI
rendit enfin la robe à la magistrature reconstituée. Les mem-
bres des tribunaux de première instance portèrent la simarre,
la toge, la ceinture noire et la toque noire ornée d'un galon
d'argent. Dans les solennités , la simarre et la toge devaient
être en soie et la ceinture en moire bleu clair (1). La robe
(1) Voici le texte de l'arrêté du 2 nivôse an XI dont la plupart des dispo-
sitions sont encore aujourd'hui en vigueur :
Art. 1er. Les membres de tous les tribunaux de la République, les gens
de loi et avoués qui exercent leurs foliotions près d'eux, porteront tous, à
l'avenir, dans l'exercice de leurs fonctions , un habit long de la forme et de
la couleur réglée aux articles suivants.
Art. 2. Les juges des tribunaux d'appel et des tribunaux criminels, les
commissaires du gouvernement et leurs substituts près de ces tribnfiatfx,
porteront : — Aux audiences ordinaires , simarre de soie noire , toge de laine
noire , à grandes manches ; ceinture de soie noire pendante , et franges pa-
reilles; toque de soie noire unie; cravate tombante, de batiste blanche,
plissée ; cheveux longs ou ronds. — Les présidents et vice-présidents auront,
au bas de la toque, un galon de velours noir, liseré d'or. — Aux grandes au-
diences et aux cérémonies publiques, ils porteront le môme costume, avec
les modifications suivantes : — La toge de même forme, en laine rouget
toque de velours noir, bordée au bas d'un galon de soie , liseré d'or. — Le
président aura un double galon à la toque.
Art. 3. Les greffiers en chef porteront le même costume que les juges, sans
galon à la toque. Les commis-greffiers tenant la plume, porteront, aux au-
diences ordinaires, la toque noire, sans simarre, et la toge noire avec simarre
et ceinture.
Art. 4. Les juges dey tribunaux de première instance, les commissaires du
gouvernement et leurs substituts , ainsi que le substitut du commissaire du
gouvernement près le tribunal criminel, porteront : — Aux audiences ordi-
naires, simarre et toge de laine noire, à grandes manches, ceinture de laine
noire , pendante ; toque de laine noire unie , bordée de velours noir ; cravate
tombante, de batiste blanche, plissée ; cheveux longs ou ronds. — Les prési-
dents et vice-présidents auront , au bas de la toque , un galon d'argent. —
Aux audiences solennelles et aux cérémonies publiques, ils porteront le même
DE LA MAGISTRATURE. 135
noire fut également rendue aux hommes de loi (avocats), ans
greffiers, aux avoués, aux juges de paix. Elle était également
portée par les membres des tribunaux d'appel ; mais ils revê-
taient dans les solennités, comme aujourd'hui encore, la robe
rouge. C'était le retour à peu près complet au costume de
Tanoienne magistrature.
Des dispositions spéciales furent consacrées à la tenue des
magistrats du Tribunal (de la Cour) de cassation. Déjà l'arrêté
du 24 germinal an VIII (1) avait attribué des signes distinctifs
pour le costume des magistrats du Tribunal de cassation,
mais en dernier lieu ce costume a été définitivement fixé par
un arrêté du 20 vendémiaire an XI, qui s'occupa aussi de celui
du grand-juge (ministre de la justice). « Le costume des
costume, avec les modifications suivantes : — Une simarre de soie noire, une
ceinture de soie , couleur bleu clair, à franches de soie ; un galon d'argent au
bas de la toque. — Le président aura un double galon.
Art. 5. Les greffiers en chef porteront le même costume que les juges ,
mais sans bord à la toque. — Les commis-greffiers tenant la plume porte-
ront la toge fermée sans simarre.
Art. 6. Aux audiences de tous les tribunaux , les gens de loi et les avoués
porteront la toge de laine , fermée par devant à manches larges , toque noire,
cravate pareille à celle des juges , cheveux longs ou ronds.
Art. 7. Les juges de paix et leurs greffiers , porteront dans l'exercice de
leurs fonctions, le même costume que les juges et greffiers des tribunaux de
première instance.
Art. 8. Tous les huissiers porteront un habit noir complet , à la française,
avec un manteau de laine noire , revenant par devant et de la longueur de
l'habit. Us auront à la mam une baguette noire.
Art 9. Le» membres de tous les tribunaux porteront à la ville comme habit
de cérémonie, l'habit noir complet, à la française, manteau court, de soie ou
laine jeté en arrière; cravate de batiste, chapeau à trois cornes, cheveux
longs ou ronds.
(1) L'article 2 de cet arrêté du 24 germinal an VIII portait : « Les man-
teaux des présidents, vioe^présidents et juges au Tribunal de cassation, tfo
commissaire du Gouvernement près de ce Tribunal et de ses substituts, sera
garni tout autour d'une bande de soie pourpre de la largeur du collet qui
sera d'un décimètre. Les bords de leur chapeau seront rattachés à la forme
par des ganses d'or; la forme sera serrée par une tresse d'or avec le gland
pareil. » Un autre arrêté du 23 frimaire an IX décida que les membres du
Tribunal de cassation porteraient , hors de l'exercice de leurs fonctions , un
costume consistant en un habit noir avec une broderie en or sur le parement
et au collet. Ce costume de ville fut remplacé par un costume plus simple,
d'après l'arrêté du 20 vendémiaire an XI ; mais il a été ensuite repris sous la
Restauration (décision du roi Charles X de mai 1827).
136 LES ORIGINES DU COSTUME
membres du Tribunal de cassation, porte l'article 2 de cet ar-
rêté , du commissaire du Gouvernement et de ses substituts ,
sera à l'avenir ainsi qu'il suit : 1° Aux jours d'audience ordi-
naire des chambres séparées : simarre de soie noire , ceinture
rouge à glands d'or , toge de laine noire à grandes manches ,
toque de soie noire unie, cravate tombante de batiste blanche,
cheveux longs ou ronds. — Les présidents et vice-présidents
auront un galon d'or à la toque ; 2° aux audiences des cham-
bres réunies et jours de cérémonie : toge de laine rouge, de
la même forme que la noire , toque de velours noir bordée
d'un galon d'or, et de deux pour les présidents et les vice-
présidents, cravate en dentelle. Le commissaire du Gouverne-
ment et ses substituts porteront à la toge noire une bordure
rouge devant et aux manches , une bordure blanche à la toge
rouge; 3° à la ville, tous les membres du Tribunal de cassa-
tion porteront l'habit complet noir à la française, cheveux
longs ou ronds. Aux audiences ordinaires du conseil ou du
grand-juge, même habit qu'à la ville, avec ceinture rouge à
franges d'or; chapeau français uni, cravate de dentelle pen-
dante (1). » Ce costume est resté jusqu'à nos jours celui de la
Cour de cassation. Il n'a subi dans l'application que de légers
changements : la toque de soie noire des audiences ordinaires
a été abandonnée et remplacée par la toque de velours noir ;
les avocats généraux ont renoncé aux marques particulières
qui distinguaient leur costume de celui des conseillers. Il faut
toutefois, pour être complet, relever encore deux dispositions.
Un décret du 29 messidor an XII accorde au premier prési-
dent et au procureur général de la Cour de cassation comme
aux premiers présidents des Cours d'appel et à leurs procu-
reurs généraux , le droit de porter l'épitoge , c'est-à-dire d'a-
voir le revers de leur robe doublé d'une fourrure blanche.
Un autre décret du 4 juin 1806 confère aux présidents de la
Cour de cassation le droit de porter également l'épitoge dans
leurs fonctions , « à l'instar, y est-il dit , du premier président
(1) L'article attribuait au greffier en chef le même costume, mais sans or
à la toque et à la ceinture , et aux commis-greffiers la robe sans simarre et
la toque de laine noire.
DE LA MAGISTRATURE. 437
et de notre procureur général près la même Cour (1). » Le
premier président et le procureur général, à l'imitation de
leurs prédécesseurs des anciens Parlements , endossent dans
les cérémonies la pèlerine de fourrure blanche et le manteau
de petit gris. Mais aucune disposition législative ne consacre
cet ornement et ne lui donne une existence légale. Au sacre-
ment de l'empereur Napoléon Ier, par le pape Pie VII , en
1804, le premier président Muraire portait déjà ce complé-
ment de costume , comme l'atteste une gravure composée d'a-
près un tableau d'Isabey, qui fait partie du grand ouvrage
publié sur le sacre et qui se trouve au parquet de la Cour.
« Cette innovation , si c'en est une , qui entrait dans l'esprit
du nouvel empire, dit M. de Raynal, ou plutôt cet emprunt
aux anciennes choses, dont le décret du 29 messidor an XII
avait donné le signal , a dû être autorisé ou ordonné par l'em-
pereur, au moment où il entendait imprimer une splendeur
extraordinaire à une solennité empruntée elle-même aux tra-
ditions monarchiques et qui, à ses yeux, devait consacrer,
pour la France et pour l'Europe, la légitimité de son pouvoir
et la perpétuité de sa race. Dans tous les cas, on voit que ce
solennel appendice a soixante-quinze ans de date (2). »
Ces costumes de nos magistrats sont-ils encore une fois
menacés? Nous espérons qu'on n'enlèvera pas à nos magis-
trats ces insignes séculaires qui leur rappellent un illustre
passé et leur assurent le respect.
E. Glasson.
(1) Le même droit fut reconnu aux présidents de chambre des Cours
d'appel.
(2) De Raynal, op. et toc. cit., p. 497. Sous le second Empire, un nou.
reau costume de ville avait été imposé aux magistrats ; mais il n'est plus
porté aujourd'hui. Voyez les décrets des 22 mai et 18-23 juin 1852.
LES COUTUMES DE LORRIS
ET LEUR PROPAGATION
AUX XII- ET XIII- SIECLES
Les Coutumes de Lorris sont parmi les plus anciennes et les
plus célèbres de la France. Deux textes ont été désignés sous
ce même nom : le premier est une charte donnée par Louis VII
en 1155 aux habitants de Lorris; le second, une Coutume
rédigée officiellement en 1494 et réformée en 1531. Je m'ef-
forcerai de les distinguer. Cependant, je n'étudierai ici que la
charte de 1155 et les chartes qui en sont issues aux xn* et xm*
siècles.
Il est inutile d'énumérer les auteurs qui ont mentionné la
charte de Lorris et signalé son influence : autant vaudrait
dresser la liste de tous les historiens qui ont parlé des insti-
tutions du Moyen-âge. D'ailleurs , j'ai donné plus loin une
bibliographie spéciale du texte de 1155, et aussi une liste
chronologique des chartes qui en sont ou l'imitation ou la
copie : ayant soin d'indiquer les manuscrits où elles sont
transcrites et les ouvrages où elles sont imprimées.
La Thaumassière a publié dans ses Coutumes locales de Berry
et celles de Lorris commentées, Paris, 1680, in-f% la plupart
des documents qui ont servi de base au présent travail. Il en
est beaucoup dont les originaux et les copies ont disparu , et
que lui seul nous a conservés. Il est regrettable que cet illus-
tre savant ne nous ait pas laissé de dissertation sur les Cou-
tumes de Lorris et qull se soit contenté d'insérer, sous forme
de notes , dans l'ouvrage cité , quelques remarques sur cer-
taines redevances mentionnées dans le texte qui nous occupe ,
sur les rédactions successives de ces Coutumes et sur leur
140 LES COUTUMES DE LORRIS
diffusion. C'est toutefois l'étude la plus considérable qui ait
été faite sur la matière.
Augustin Thierry y a consacré quelques lignes de son Ta-
bleau de la France municipale, à la suite de Y Essai sur V histoire
de la formation et des progrès du Tiers-État, Paris, in-16,
p. 309-310. Son jugement paraît trop précipité; son opinion
n'est vraie qu'en partie.
M. R. de Maulde a analysé rapidement la charte de Lorris
dans son travail intitulé : De la condition des hommes libres
dans l * Orléanais du xne siècle, Orléans, 1875, in-8°. Il n'a dit
qu'un mot de sa propagation : se bornant à transcrire une
phrase de Y Histoire des pays de Gastinois de D. Morin, Paris,
1630, in-4°.
M. Combes a aussi parlé superficiellement des Coutumes de
Lorris dans un article des Annales de la Faculté des Lettres de
Bordeaux, t. II, p. 58 et suiv.
M. d'Arbois de Jubainville, a fait une étude très complète de
l'influence des Coutumes de Lorris en Champagne, au t. IV,
p. 707 et suiv. de YHistoire des Comtes de Champagne.
M. Raynal a parlé dans son Histoire du Berry, 1845, 4 vol.
in-8° (préface), de la propagation de ces mêmes Coutumes
dans cette province ; il a donné aussi la liste des chartes de
Coutumes du Berry.
Quant aux recueils de documents imprimés que j'aurai oc-
casion de citer le plus souvent, ce sont, outre La Thaumas-
sière , les Ordonnances , les Layettes du Trésor des Chartes , les
Cartons des rois , le Cartulaire général de l'Yonne de M. Quan-
tin , et le Recueil de pièces du XIII* siècle du même auteur.
Je n'ai pu réunir qu'un petit nombre de documents inédits,
malgré mes recherches dans les Cartulaires du centre de la
France déposés à la Bibliothèque Nationale.
Les registres du Trésor des Chartes avaient été dépouillés
par les éditeurs des Ordonnances : il ne me restait qu'à gla-
ner. J'ai aussi tiré quelques pièces des cartons du même
trésor.
Les Archives du Loiret , et spécialement les Cartulaires de
1 abbaye de Fleury m'ont donné moins qu'on aurait pu l'es-
pérer.
Quant aux Archives de l'Yonne, M. Quantin y avait si-
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII0 SIECLES. 141
gnalé (1) et recueilli tous les actes importants relatifs aux
Coutumes de Larris.
Restaient les Archives du Cher; mais l'archiviste, à qui est
confié ce dépôt, m'a assuré qu'il ne contenait rien touchant
l'extension des Coutumes de Lorris dans le Berry.
CHAPITRE PREMIER.
Lorris et le Gâtinais aux XI« et XII» siècles.
Avant d'aborder l'étude des Coutumes de Lorris , il est né-
cessaire de donner quelques renseignements géographiques
et historiques sur le Gâtinais région où elles ont pris nais-
sance.
Un diplôme de Dagobert , donné vers 638, est le plus ancien
texte, qui, à ma connaissance, mentionne le pagus Wastinen-
sis (2). Au ixe siècle, les mentions sont fréquentes (3). Lors du
partage que Louis le Débonnaire fit en 837, de ses états entre
ses fils , ce pagus fut attribué à Charles ; il était compris dans
la Bourgogne (4). Vers 841, un comte l'administrait (5). La
(1) Recherches sur le Tiers-État au Moyen-âge, Auxerre, 1851, in-8°.
(2) Donation par Dagobert à l'église Sainte-Colombe de Sens de la villa de
Grandchamp (auj. Grandchamp , Yonne, ar. Joigny, c0B Cbarny). « Villam
Grandem Campum in Guastinensi, » ap. Quantin, Cartul. de l'Yonne, t. I,
p. 10.
(3) « Gaico monasterio constructo in pago Wastinensi » (monastère de
Giy), Formula Senonenscf , ap. D. Bouq., t. IV, p. 517 a. — Le même mo-
nastère est dit « in pago Wastinensi » dans les Formula Lindenbrogianse,
n° XXII, ap. D. Bouq,, IV, 550. — 843, Dipl. par lequel Charles le Cb. con-
cède à Nivelon des biens dont plusieurs sis au pagus de Gâtinais, ap. D.
Bouq., VIII, 435 e. — 853, à la suite d'un capitulaire sont transcrits les
noms des missi dominici envoyés dans ce pagus « in pago Wasteniso » ap.
D. Bouq., Vil, 617 a. — 884, 11 juin. Privilège de Carloman pour Saint-
Germain-d'Auxerre. « Prœterea quatuor mansa quœ sunt in pago Gastinensi
in villa quœ dicitur Grandis Campus, » ap. D. Bouq., t. IX, p. 436 e; Cartul.
de l'Yonne, i. I, p. 112. — 886, 28 oct., même mention dans un privilège de
Charles le Gros pour la même abbaye, ap. Cartul. de V Yonne, I, 117.
(4) « De Burgundia, Tullensem,.... Senonicum, Wastinentem, Milidunen-
sem, Stampensem, » Nithard, 1. 1, c. vi, ap. D. Bouq., t. VI, p. 70 a.
(5) « Monasteriolum quod Giacus nominatur et consistit in comitatu Was-
tinense. » Privilège de Lothaire vers 841, ap. D. Bouq., t. VIII, p. 377 d. —
Revue hist. — Tome VIII. 10
442 LES COUTUMES DE LOKRIS
dernière rédaction des Gesta consulum Andegavomm indique
comme comte de Gâtinais au ixe siècle un certain Geoffroy (1),
dont la fille Adèle aurait épousé , de par la volonté royale , le
chambellan Ingelgier. Mais, d'après M. Mabille, ce passage
a été emprunté à un recueil de miracles ; Geoffroy, Adèle , In-
gelgier, ce sont là des personnages fabuleux (2).
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en 1060, à la mort de
Geoffroy Martel, comte d'Anjou, le comté d'Anjou passa à
Geoffroy le Barbu, fils de Geoffroy ou Aubri de Châteaulan-
don, comte du Gâtinais et d'Ennengarde d'Anjou, fille de
Foulques Nerra (3). Foulques Rechin, frère de Geoffroy le
Barbu , eut le Gâtinais. Une guerre s'étant élevée entre les
« In comitatu Wastinensi Ipduacovillam. » Privilège de Ch. le Ch., ap.
Cartid. de l'Yonne, 1. 1, p. 53. — 933 « cum mansis LX ex Wastinensi co-
mitatu, » ap. D. Bouq., t. IX, p. 579 b.
(1) Chroniques des comte* d'Anjou, éd. Soc. de l'Hist. de Fr., p. 40, 1. 3;
p. 45, 1. 17.
(2) Mabille , Introduct. aux chroniq. des comtes d'Anjou, p. LVIII. — Dana
cette introd., M. Mabille (p. LXXXVI) a assimilé les vicomtes d'Orléans avec
ceux du Gâtinais. Je ne sais sur quels textes il appuie son opinion, car
Geoffroi et Aubri, dans les chartes citées par M. Mabille, prennent le seul titre
de vicecomes Awrelianensium. De plus au ixe et au x° siècles , le Gâtinais est
toujours dit comté. — Ce n'est que plus tard qu'apparaissent les vicomtes du
Gâtinais , qui, d'ailleurs, existaient peut-être concurremment avec les comtes.
En 1112, plainte de Boson, abbé de Fleury, contre Foulques vicomte du
Gâtinais, ap. B. Nat., ms.lat. 12739, p. 356-357. En 1120, Foulques vendit
au roi ses droits sur Yèvre-le-Cbâtel , ap. Aimoin, 1. V, c. 51. Il est encore
question du vicomte du Gâtinais dans une charte de 1154 donnée à Lorris la
18e année du règne de Louis VII, cit. ap. R. de Maulde, Condit. forest. de
l'Orléanais, p. 239, n 4.
(3) « Goffredus quoque cornes filius Fulconis obiit... Huic successerunt
nepotes ejus , fllii Alberici Contracti comitis de Gastina : Goffredus et Fulco
Rechin. » Chronic. S. Maxentii, ap. Chron. des églises d? Anjou, p. 402. —
« Ego Fulco, cornes Andegavensis, qui fui filius Gosfridi de Castro Landono et
Ermengardis , filiœ Fulconis comitis Andegavensis , et nepos Gosfredi Mar-
lelli , qui fuit filius ejusdem avi mei Fulconis et frater matris mes. » Frag-
ment, histor. Andegav. auct. Fulcone Richin, éd. Soc. de l'Hist. de Fr.,
p. 375. — « Defuncto Goisfredo Martello, fortissimo Andegavensium comité,
successerunt ex sorore duo nepotes ejus, fllii Alberici comitis Wastinensium,
e quibus Goisfredus... jure primogeniti obtinuit principatum. » Orderic Vital,
ap. D. Bouq., t. XI, p. 244 c. — On remarquera que la chronique de Saint-
Maixent et Orderic. Vital donnent au comte du Gâtinais, époux d'Ennengarde,
le nom d' Aubri, tandis que la chronique attribuée à Foulques Rechin le nomme
Geoffroy.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 143
deux frères, et comme les partisans de Geoffroy demandaient
au roi Philippe de délivrer leur seigneur tombé aux mains de
sen ennemi Foulques Rechin , celui-ci se hâta de promettre
au roi la cession de ses droits sur le Gâtinais s'il voulait seu-
lement garder la neutralité. A ce prix, Philippe Ier acquit
Cbâteaulandon et le Gâtinais, en 1066; c'est-à-dire qu'il
exerça dès lors les droits du comte de Gâtinais (i). Les che-
valiers du comté ne lui firent hommage qu'après qu'il se fut
engagé par serment à respecter les coutumes du pays (2).
Il serait difficile de déterminer avec une extrême précision
les limites du pagus Wastinensis. Les études de M. Quantin (3)
et mes propres recherches me permettent d'affirmer qu'elles
correspondaient à peu près à celles de l'archidiaconé du même
nom, dont l'étendue a peu varié à travers les siècles (4). Les
limites de l'archidiaconé nous sont connues très exactement ,
grâce 4 une carte du diocèse de Sens, dressée en 1741 (5). Il
(1) « Fulco sabdoltts frater suum nimium cepit impugnare Addo Verbi
incarnati M LXV10 proditores perimuntur... Fulco Richin Barbatum , fratrem
soom, sabdole captum in vinculis posait et atrumqae comitatam veluti suum
suscepit... Helias consul Cenomannicus et complures sui consulatus proceres
Falconem pro Barbato graviter expugnabant et ut Barbatum deliberaret pe-
tebant, et auxilio Philippi régis Francorum ipsum vi abstrabere a car-
cere nitebantur; sed Fulco cum Stephano concordatus, regem Francorum
adiit et cum eo fœderatus Philippo régi Landonense castrum concessit. »
Ckronica de gestit consulum Andegavor., Chroniques d'Anjou , éd. de la Soc.
de FHist. de Fr., p. 138-139. Voyez encore : Hist. comUum Ândegao., Ibid.,
p. 334; — Gesta Ambaziensium dominorum, Ibid., p. 176; Fragment, ap.
D. Bouq., t. XI, p. 158; Ex libro III hUtoriv Froncer., Ibid., t. XII, p. 217.
(2) « Rex autem juravit se servaturum consuetudines terre iUius : aliter
eoim nolebant homines facere sua hominia. » Histor. Froncer., ap. D. Bouq.,
XII, 217; même rédaction dans le fragment publié ap. D. Bouq., t. XI,
p. 158.
(3) Quantin, Cartul. général de l'Yonne, t. II, Introduction.
(4) Toutefois Grandckamp (Yonne , ar. Joigny, con Charny) qui faisait par-
tie au xvui« siècle de l'archidiaconé de Sens était dans le Gâtinais aux vh« et
ix« siècles. — Vers 638, donation de Dagobert à Sainte-Colombe de Sens
«villam Grandem campum in Gaustinensi , » ap. Cartul. de l'Yonne, t. I,
p. 10. — 11 juin 884 : « In pago Gastinensi in villa quœ dicttur Grandis
Campus. » Privilège de Carloman pour Saint-Germain d'Auxerre, ap. Cmrtul.
de l'Yonne, 1. 1, p. 112. Même mention dans un diplôme du 28 octobre 886 1
Ibid., p. 117.
(5) Carte du diocèse de Sens, dédiée à J. Languet, par M. Outhier, prêtre,
1741.
144 LES COUTUMES DE LORRIS
comprenait la vallée du Loing. Son point le plus septentrional
était un peu au nord de Fontainebleau. De là sa limite suivait
la Seine jusqu'auprès de Montereau en passant à l'ouest de
Bois-le-Roi (1); puis elle descendait presque en ligne droite,
d'abord parallèlement à l'Yonne , mais à quelque distance de
cette rivière, jusqu'à Champce vrais (2), en comprenant les
villages de Noisy (3), Flagy (4), Saint-Ange-te-Vieil (5), Lor-
rez-le-Boccage (6), Villebéon (7), Bazoches (8), laissait en
dehors et dans l'archidiaconé de Sens : Courtenay (9) , La
Motte-aux-Aunays(lO) et Charny (11). Saint-Maurice-sur-l'Ar-
veyron (12) était en Gâtinais. La limite suivait ensuite une
ligne parallèle à la Loire , et au nord de cette rivière, laissant
au sud : Verger (13), Escrignelles (14), Belair (15), Arra-
bloy (16), Nevoy (17), traversait la forêt d'Orléans, et, à la
hauteur de Bray (18), remontait au nord jusqu'à Yèvre-le-
Châtel (19), en décrivant une courbe, suivait le cours de l'Es-
sonne jusqu'à Bonneveaux (20), et, contournant Milly (£1),
gagnait la Seine au nord de Fontainebleau et de Bois-le-Roi,
et au sud de la Rochette (22) et de Livry.
(1) Bois-le-Roi, Seine-et-Marne, air. et con Fontainebleau.
(2) Champcevrais , Yonne, air. Joigny, con Bléneau.
(3) îïoisy-le-Sec, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrez-le-Bocage.
(4) Flagy, même canton.
(5) Saint- Ange-le- Vieil, même canton.
(6) Lorrez-le-Bocage, arr. Fontainebleau, ch.-l. c°».
(7) Villebéon , c°* Lorrez-le-Bocage.
(8) Bazoches, Loiret, arr. Montargis, c°» Courtenay.
(9) Courtenay, Loiret, arr. Montargis, ch.-l. c0B.
(10) La Mothe-aux-Aulnais , Yonne, arr. Joigny, c°« Charny.
(il) Charny, Yonne, arr. Joigny, ch.-l. c°".
(12) Saint-Maurice-sur-Arveyron , Loiret, arr. Montagis, c°* Châlillon-sur-
Loing.
(13) Le Verger, Loiret, arr. Gien, c°» Briare, c»« Escrignelles.
(14) Escrignelles, c°» Briare.
(15) Belair, Loiret, c»« Arrabloy, arr. et c«» Gien.
(16) Arrabloy, Loiret, arr. etc°* Gien.
(17) Nevoy, môrnec0».
(18) Bray, Loiret, arr. Gien,c°° Ouzouer-sur-Loire.
(19) Yèvre-le-Chatel , Loiret, arr. et c°» Pithiviers.
(20) Buno-Bonneveaux , Seine-et-Oise , arr. Étampes , c°B Milly.
(21) Milly, Seine-et-Oise, arr. Étampes , ch.-l. c°«.
(22) La Hochette et Livry, Seine-et-Marne , arr. et c«n Melun.
ET LBUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 145
Quoi qu'il eu soit, Lorris était à coup sûr dans le Gàtinais,
comme le prouvent de très nombreux textes (1). Ce village
entra donc probablement dans le domaine royal en 1066.
Lauriacum (2) est la plus ancienne forme de son nom qui
me soit connue ; cette désignation ne remonte qu'à 990. Les
renseignements font absolument défaut sur ce bourg avant le
xne siècle. A cette époque et pendant le xme siècle, c'est
toujours Larriacum (exceptionnellement Loriacum), d'où en
français Lorri (3), que je rencontre dans un document de 1169,
et le plus souvent au xnie siècle , Lorrïz (4).
La position de ce lieu sur la lisière de la forêt d'Orléans
détermina les rois à y établir une de leurs résidences (5). Ils
pouvaient facilement s'y livrer aux plaisirs de la chasse. Le
paiement des louvetiers figure dans les dépenses de la pré-
vôté de Lorris en 1202 (6). Plusieurs diplômes de Louis VI
(1) Voyez les articles 4 et 27 des Coutumes; et P. Jus t., n° XXII. — 4-18
dot. 1317 : « Apud Loriacum in Vastineto, — in Vastinesio, — in Vasti-
nensi, » ap. Rec. des hitt., t. XXI, p. 472-473. — Nov. 1322 : « Apud Lo-
riacum in Vastineto, » ibid., p. 488 f. — 18 août 1324 : « Apud Lorriacum
in Vastinesio, » ibid., p. 492 c. — 1328, dans l'inventaire des meubles de la
reine Clémence : « Lorrys en Gastinois, » B. Nat., Clairambault , vol. 471,
p. 83.
(2) Dans un diplôme par lequel Hugues Capet confirme les immunités de
l'église d'Orléans, ap. D. Bouq., X, 556. Lorris y est dit situé dans le pagus
d'Orléans.
(3) Lorri : dans la. charte pour Le Moulinet, ap. La Thaumassière , Coût,
toc., p. 396-397. Je ne connais pas l'original de cette charte.
(4) Lorriz : traduct. de la charte pour Villeneuve l'Archevêque, xm» siècle,
ap. Cartel, de l'Yonne, i. II, p. 240. — 1290, vidimus émané de la prévôté de
Lorris, Arch. Nat. J. 1046, n° 22. — 1304, ap. Ree. des histor., t. XXI,
p. 443 f. — 1315, Continuât, chronie. Girardi de Fracheto, ibid., t. XXI,
p. 44, J.
(5) D. Morin signale dans son Histoire générale des pays de Gastinois,
p. 182, les vestiges d'un château. — Et, R. Hubert dit : « Ce chasteau a esté
autrefois quelque chose de considérable , puisque les Roys en faisoient leur
maison de plaisance. Aussy estoit (sic) un lieu fort agréable et commode
pour la chasse ; pour marque que Lorry estoit le séjour assez ordinaire des
Roys , c'est que une infinité de lettres patentes et de chartes données (fie)
an chasteau de Lorris. » Hist. ms. du pays d'Orléanais, t. II, Bibl. d'Or-
léans , ms. n° 436, non folioté. — Voyez encore le préambule des lettres par
lesquelles Charles VII confirme en 1448 les privilèges de Lorris, ap. La
Th., Cota, foc, p. 434.
(6) 1202, novembre, « Luparii a S. Dionysio usque ad diem Mercurii post
146 LES COUTUMES DE LORRIS
sont datés de ce bourg (1); ceux qu'y a expédiés Louis VII
sont phis nombreux. Quant à Philippe- Auguste , nous cons-
tatons sa présence à Lorris dans les années 1180-1182, 1185-
1187, 1189-1191, H93, 119-i, 1200, 1202, 1214(2).
Des voies de communication assez nombreuses traversaient
Lorris. Une grande route menait à Châteauaeuf (3) ; un autre
chemin public reliait Lorris à Sully (4). En 1254, Eudes Ri-
gaud , archevêque de Rouen , revenant de Rome , s'arrêta à
Nevers, Cosne, Gien, Lorris; de là, il gagna Cépoy, Nemours,
Melun , Villeneuve-Saint-Georges et Paris (5).
Lorris était fortifié en 1202 (6).
L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire ou de Fleuri y possé-
dait un prieuré. L'existence en est constatée dans les Veteres
Consuetudines monasterii Floriaeemis , document, que l'édi-
teur de la Bibliotheca Floriacensts fait remonter au moins an
xi* siècle (7). Louis VII, voulant contribuer à l'achèvement de
l'église, concéda!, en 1144, au prieur Bernard, 100 sous à
prendre annuellement sur le cens royal (8). En 1202 , ce
prieuré, placé sous le vocable de Saint- Sulpice, reçut en don
de Philippe-Auguste une poterne pour y bâtir un hospice à
omnium Sanctorum XXVIII s. » Brussel, U$age des fiefs, t II, Charte*, etc.,
p. cxl. — 1202, février, « Luparii de LXXVI diebus usque ad ultimum diem
Februarii LXXVI s. » Ibid., p. clxviii. — 1203, mai, « Luparius pro suis
vadiis duorum mensium LVI s. » Ibid., p. cxcui.
(1) 1112, 3e a. du règne, « Actum Loriaci in palatio, » publ. ap. Mabillon,
De re diplom., p. 642. — 1124, 17« a. r., ap. Quantin, Cartul. de l'Yonne,
t. I, p. 254. — 1125, 18' a. r., ap. Gallia Christ., VIII, instr. col. 503. —
1127, 24* a. r., indiq. ap. Rréquigny, t. II, p. 549.
(2) L. Deliale, Catalogue des actes de Ph.-Aug., Introduction, p. cm.
(3) Arrêt du Parlement de 1260, Otim, I, 127, cité par R. de Maulde,
Condit. forestière, p. 239.
(4) Charte de 1154, constatant la vente faite par Robert du Moulinet, à
Macaire, abbé de Fleury, de toute la terre : « quam posaidere eo tempore
videbatur a sirota publica qum a Lorriaco Soliacum ducit usque ad Sanctum-
Benedictum, » cité ap. R. de Maulde , Ibid., p . 239, note 4.
(5) Regestrum visitationis , éd. Bonnin, p. 186.
(6) Pièces just., n° XIII, concession d'une poterne par le roi au prieur de
Saint-Sulpice.
(7) « Prior de Lauriaco. » Bibliotheca Floriacensis , p. 411.
(8) Pièces just., n» V.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 147
Tasage des moines (1). Déjà Louis VI avait donné à l'ab-
baye de Saint-Benoît le quart du revenu des fours de Lorris
et une rente annuelle de 100 sous à prendre sur les trois au*
très quarts , réservés au roi , à charge de célébrer l'anniver-
saire de Philippe Ier : donation confirmée par Louis VII
avant son départ en Terre Sainte (2), et par Philippe-Auguste
en 1183 (3). Quatre siècles après, l'anniversaire était encore
célébré et la rente payée (4).
L'église paroissiale de Lorris, dédiée à Notre-Dame (5), fut
donnée d'abord par Louis VII, puis, en 1138, par Henri, arche-
vêque de Sens, à l'abbaye de Saint-Benoît, sous réserve de la
soumission à l'église de Sens et des droits des prêtres (6). Des
désaccords ne tardèrent pas à s'élever entre l'archevêque et le
chapitre de SainWÉtienne de Sens, d'une part, et l'abbaye,
d'autre part : d'abord en 1171 (7), puis en 1180 : à cette der-
nière date , on convint qu'un des prêtres de Lorris serait à la
présentation de l'abbé (8). Le pape Innocent III confirma l'ac-
cord le 30 mai 1909 (9). Toutefois, nous voyons l'église de
Lorris figurer en 1187 (10) parmi les églises sur lesquelles le
chapitre de Sens étendait son patronage.
(t) Iodiq.ap.Deliflle, Cotai, des octet de Ph.-Aug., n<>724.— P.jii#(.,n°XIII.
(2)P./w*.,n<»VI.
(3) Indiq. par Delisle, Catalogue, n« 75. — P. jutt., n« XI.
(4) Voyex aux P. jutt., n« XXVI, XXVII, des quittance» de 1419 et 1573.
(5) 14 juillet 1340, Pierre, abbé de Saint-Benoît, atteste la fondation faite
par Pierre Petitpied, chanoine de Sens, d'une chapelle dans l'église Notre-
Dôme de Lorris (Arch. du Loiret, Copie ap. Cariai, de Fleury, n» 212,
p. 130-132.
(6)1138, Chàteaulandon; Henri, archevêque de Sens, confirme la con-
cession faite par Louis, très glorieux roi de France, à l'abbaye de Saint-
Benoît, de l'église de Lorris (Archive* du Loiret, Copie ap. Cartul. I de Fleury,
p. 281)-
(7) 1171, Sens; Guillaume, archevêque de Sens, constate l'accord inter-
venu entre hti et le chapitre de Sens , d'une part , et l'abbaye de Saint-Be-
noît, d'autre part , à propos du patronage de l'église de Lorris {Archive* du
Loiret, Copie ap. Cartul. I de Fleury, p. 281-282).
(8) P. ;fi**.,n<>IX.
(*) Bulle donnée à Viterbe , le 3 des calendes de juin , et la 12» année dn
Pontificat. — Pièce* jutt., n» XVIII.
(10) Charte de l'archevêque, indiq. ap. Quantin, Cartul. de V Yonne, t. II,
p. 154.
148 LES COUTUMES DE LORRIS
Dès la première moitié du xne siècle , les habitants de la
paroisse de Lorris avaient obtenu du roi Louis VI une feharte
de coutumes devenue rapidement célèbre. Le texte en est au-
jourd'hui perdu (1). Les registres de la chancellerie royale
nous ont conservé la confirmation de Louis VII datée d'Or-
léans en 1155 (2). Un incendie, survenu à Lorris pendant un
séjour de Philippe-Auguste , détruisit la ville presque entière-
ment et consuma l'original de la charte déposé aux archives
de la communauté. Le roi se hâta de délivrer aux malheureux
bourgeois un nouveau diplôme de même teneur que sur celui
de 1155. Cette confirmation fut délivrée à Bourges, en 1187 (3),
entre le 29 mars et le 31 octobre. Ces privilèges , qui font
l'objet de la présente étude, ont été encore confirmés par
Charles VII en 1448 (4) et même par Louis XIII en 1625 (5).
Pour comprendre les causes qui ont pu déterminer l'octroi
de cette charte au commencement du xne siècle , il est indis-
pensable de connaître la situation économique de Lorris à
cette époque. C'est un point sur lequel les chartes , aussi bien
que les chroniques, ne nous ont transmis que de rares ren-
(1) L'existence de cet acte est attestée par le préambule de la confirmation
de Philippe-Auguste : « In nomine sancte et individue Trinitatis, Amen. Phi-
lippus Dei gracia Francorum rex. Régie interest nobilitatis quocumque infor-
tunio afîlictis misericorditer subvenire et remedium consolationis impendere.
Noverint ideo universi présentes pariter et futuri quoniam, cum Domines Lor-
riaci ab avo nostro Ludovico , Francorum rege , et a genitore nostro rege ,
Ludovico, ejusdem fllio, consuetudines impetrassent et ab utroque carias
obtinuissent, in quibus continebantur ille consuetudines, pro eorum infortunio
contigit villam fere totam et cartas in quibus scripte erant eorum consuetudi-
nes igné consumi, nobis ea hora in eadem villa pernoctantibus; nos vero ex
regia liberalitate eorum infortunio compacientes , consuetudines quas anti-
quitus habuerant ipsis concessimus et quasi de novo statuimus. » (D'après un
vidimus de 1290 émané de la prévôté de Lorris, Arch. nat., J. 1046, n° 22.)
Ce préambule a été publié dans le Rec. des Ord., t. XI, p. 200, note; mais
les mots que j'ai soulignés , et qui établissent , d'une façon incontestable ,
que la charte de Lorris a été rédigée dès Louis VI , ont été omis.
(2) Voir, ci-après, le texte de 1155 : Pièces just., n° I.
(3) Voir Delisle, Cotai., n° 187, p. 45.
(4) Confirmation donnée par Charles VII à Montils-les-Tours , en décembre
1448, la 27« année du règne. Ces lettres renferment la charte de Ph. -Auguste
(Arch. nat., JJ 224, p. n° 124, publ. ap. La Th., Coût, toc, p. 434-435).
(5) Indiq. par Le Maire, Hist. d'Orléans, t. II, p. 34; et ap. Invent, des
arch. du Loiret, A 986, p. 228, col. 2.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 149
seignetnents. Suger cependant donne des détails précis, sinon
sur Lorris , tout au moins sur l'état de l'Ile-de-France, et plus
spécialement du pays d'entre Seine et Loire. On sait les luttes
continuelles de seigneur à seigneur, luttes au milieu des-
quelles les vilains n'étaient pas épargnés. Vers 4059, les ha-
bitants de la Cour-Marigny (1), domaine dépendant de l'ab-
baye de Fleury, las des incessantes déprédations exercées
sur leur village par un petit seigneur de Châtillon-sur-Loing,
Aubri, marchèrent à sa rencontre les armes à la main (2).
Que pouvait contre des chevaliers solidement armés une poi-
gnée de paysans mal équipés? Aubri mort, son frère Seguin,
non moins cruel , bravant les excommunications , continua ses
entreprises contre les colons de l'abbaye. Il ne fallut rien
moins, pour débarrasser les moines de ce brigand , que l'in-
tervention miraculeuse de saint Benoît qui le fit périr d'une
mort misérable.
A l'approche des armées , les paysans , saisis de crainte ,
cherchaient un asile derrière les murs des églises , emportant
avec eux leurs meubles et leurs récoltes (3).
Aux ravages de la guerre s'ajoutaient les vexations des sei-
gneurs empiétant sur les droits les uns des autres, usurpant
les biens des églises (4) et, dans leur besoin d'argent pour
guerroyer, frappant toujours leurs hommes de nouvelles tail-
les : même ils en exigeaient des colons et serfs d'église. Le
paysan ne pouvait plus suffire à payer les impositions dont
on le chargeait de toutes parts (5). A Monnerville, près d'E-
(t) La Cour-Marigny, canton de Lorris.
(2) « Albericus, anus ex primoribas castri Castellionis , quod est situm
super Lapam fluviolum , creberrimis deprodationibus prsdia sœpius
dicendi Patris devastabat maxime illa que Curti Matriniacensi adjacent
Exterrili qui eam inhabitant, videntes hominem sibi infestum cum tanta adfore
militum multitadine exierunt ei obvii cum armis » {Miracles de saint Benoit,
1. VIII, éd. Soc. de l*Hist. de Fr., p. 296-297).
(3) Miracles de saint Benoit, 1. VIII, p. 315, année 1078.
(4) Voir i>. justif., n° II. — Charte de 1066.
(5) « Possessionem beati Oionysii in qua continetur Mesnile sancti Dionysi
et Douma Petra et estera) villœ... a multis rétro tempo ribus tribus tallis ex-
positam, videlicet domino castri Cabrosœ, et domino castri Nielph», et Si-
moni de Villa Aten, eorum rapacitate omnino (ère destilutam... » (Suger, De
admin., édit. Lecoy, ch. X, p. 165.)
150 LES COUTUMES DE LORRIS
tampes (1), le seigneur de Méréville réclamait des habitants
le gîte pour lui et tous ceux dont il se faisait accompagner,
enlevait les récoltes au moment de la moisson , faisait trans-
porter son bois deux ou trois fois Tan, s'emparait des porcs,
des agneaux , des volailles : et tout cela sur le domaine de
l'abbaye de SaintrDenis. Il « dévorait à pleine bouche les
biens des malheureux colons. » Ce n'était pas assez des maî-
tres : on avait encore à subir les déprédations des sergents ,
qui saisissaient les agriculteurs assez hardis pour s'éloigner
de leur demeure, et avec eux leurs troupeaux (2).. A la suite
du seigneur venait son sénéchal , puis son prévôt , levant cha-
cun une taille à son profit (3). Les abus de pouvoir des ser-
gents royaux et l'incurie des officiers du monastère de Saint-
(1) MonnervUle, Seine -et- Oise, arr. E tampes, c°» Méréville. — « ... Mor-
narvilla, villa omnium facta miserrima, que sob jugo castri Merevillœ con-
culcata non minus quam Sarracenorum dépressions mendicabat ; cum ejusdem
castri dominas , quotienscumque vellet, in eadem hospicium cum quibuscum-
que vellet raperet, rutticorum bona pleno ore devoraret, talliam et annonam
tempore messis pro consnetudine asportaret ,
Que cum tanta oppressionne per multa tempora in solitudinem fere jam rédi-
ger etur, audacter resistere ... elegimus. Hugo, castri do min us, ... beato Dio-
nysio in perpetuum omnes omnino consaetadines... relexavit, remisit... »
(Suger, De admin., c. XI, édit. Lecoy, p. 168-169.) La remise faite par Hu-
gues de Méréville des contâmes qu'il percevait est constatée par on diplôme
de Louis VII (1144), indiq. par Lecoy, ap. Suger, p. 372.
(2) « In pago Meldensi, villa qu» dicitur Marogilum (Mareuil), occasione
cujusdam viaturs quam Ansoldus de Gornello fere usque ad ipsas ville do-
mus possidebat , gravissime mfestabatur : cum nec agricole nec alii quilibet
villam eiire tuto auderent, quin occasionibus multis viaturs a servientibus
Ânsoldi raperentur, et ad curiam ejus intercepti ducerentur, nec minus de
pecoribus villam exeuntibus redimerentur... » (Suger, Ibid., c. XXI, édit.
Lecoy, p. 182.)
(3) « Tauriacus (Toury, Eure-et-Loir) igitur, famosa beati Dionysii villa...
intolerabilibus dominorum... castri Puteoli angariis... premebatur, ut, cum
illuc temporibus antecessoris nostri bons memoriœ Ade abbatis, ut prepo-
situs terre providerem Bâtis adhuc juvenis accessissem, jam colonit pêne desti-
luta tanguer et t rapacitati Puteolensium data esca populis iEthiopum omnino
pateret. Nec enim ipsa domas propria beati Dionysii seipsam aliquando tue-
batur quin ipse dominus per satellites suos eam frangeret, qaecumque reperta
sacrilego spiritu asportaret, adjacentes villas frequentibus hospiciis confuo-
deret, annonam et talliam $ibi primvm, deinde dapifero tuo, deinde prmpo-
tito tuo, rusticorum vectigalibus ad castrom deferri cogère t. Vix qui aderant
sub tam nefande oppressionis mole vivebant. » (Suger, Ibid., c. XII, p. 170-
171.)
ET LEUR PROPAGATION AUX XII6 ET XIIIe SIECLES. 151
Denis araient amené à rien le domaine de Beaune-la-Ro-
lande (1), voisin de Lorris , naturellement fertile en vin et en
froment.
Aux portes de Paris, le seigneur du Puiset, « plus rapace
qu'un loup (2), » les seigneurs de Corbeil , de Montlhéry, de
Châteaufort barraient les routes et rendaient périlleux le
voyage de Paris à Orléans. Les châtelains ne craignaient pas
de dévaliser les marchands qui passaient sur les routes
royales (3). En plein cœur de la France, les voyages se faisaient
à main année (4). Il y eut un temps où le roi , resserré dans
le Parisis , ne pouvait plus gagner Melun (5), bien loin qu'il
pût traverser le Gâtinais pour se rendre à Orléans, cette autre
capitale des premiers Capétiens (6).
Agriculture et commerce dépérissaient. Epuisées par tant
de maux, les populations commençaient à se révolter (7);
(1) c Inter alias una de melioribus b. Dionysii possessionibus in pago
Guastinensi Belna dinoscitur, quœ ... frumenti et vini opulentia ferai, ... si
non Yexetur a servientibos domini régis , seu nostris, omnibus bonis exube-
rat, que per incuriam procuratorum raro incuUa habiiatore ad lantam decli-
naverat inopiam. » (Suger, Ibid., c. XV, p. 174.)
(2) Expression de Suger, Ibid., p. 72.
(3) m Hugo de Pompona , miles strenuos , castellanns de Gornaco , Castro
saper fluvio Matrone sito {Gournay -sur-Marne , arr. Pon toise), mercatorum
in regia strate equos ex insperato rapoit et Gornacum adduxit. » (Soger,
VU* Ludovici, c. X, éd. Lecoy, p. 41.)
(4) « Camqae a fluvio Sequan» Corbolio , medio viœ Monteleherii, a dex-
tera Castello forti, pagas Parisiacas circumeingeretur inter Parisienses et
AureManênees tantam confasionis chaos firmatam erat, ut neque hi ad illos
neqne illi ad istos absque perfidoram arbitrio, nui in manu forH valerent
transmeare. » (Soger, Ibid., c. VIII, p. 25.)
(5) «... Imo aiiquod tempus fuit in quo adeo arctabatur, ut nec posset exire
Meledunum, vel ire ab urbe Parisiensi prope Corbolium, qaoniam cornes
Odo ei in omnibus adversebatur : nec a Parisiensi ad Stampas... nec etiam
a Stampis Aorelianis secure ire valebat propter Putheoli castrum interposi-
tum. » (Exveteri membrana, ap. D. Bouquet, t. XII, p. 64.)
(6) c Fuit namque predicta civitas (Orléans) antiquitus , ut est in prœsen-
tiarani , regum Francorum principalis sedes regia , scilicet pro sui pukhritu-
dîne ac populari fraquentia necnon et telluris ubertate , perspicuique irri-
gatione fluminîs. » (Raoul Glaber, 1. II, ap. D. Bouq., t. X, p. 17.)
(7) En 1067, les serfs de Yiry (tiry-ChdtMon , Seine-et-Oise, c°» Longju-
meau) s'insurgeant contre le prévôt et les chanoines de Notre-Dame de Paris,
refusèrent le service de guet nocturne , et réclamèrent le droit de choisir
librement leurs épouses. Les serfs durent reconnaître leur culpabilité. (Gué-
rard, Cartul. de N.-D., t. III, p. 354.)
152 LES COUTUMES DE LORRIS
plus souvent , elles quittaient les villages. La campagne se
changeait en désert. Les terres restaient en friche. En 1108
et 1109, on constate à Sens une augmentation singulière dans
le prix des grains (1).
Admettons que les excès de pouvoir, dont nous donnions
quelques exemples, fussent des exceptions, toujours est-il
qu'aussi souvent répétés et sur une étendue de territoire res-
treinte, ils suffisaient à entraîner une misère profonde au
bout de peu d'années. Un fait certain et bien constaté , c'est
la dépopulation des campagnes au début du xne siècle (2).
Les guerres seigneuriales , la rapacité des nobles ne sont pas
sans doute les seules causes qui l'ont déterminée ; mais à coup
sûr elles sont parmi les plus importantes.
Je n'ai cité que des textes relatifs à des domaines ecclé-
siastiques. Mais je crois que l'état des terres seigneuriales et
royales n'était guère plus florissant. Le fait que Louis VI et
Louis VII ont pris à l'égard de leurs villages les mêmes
mesures que Suger à l'égard de ceux de son abbaye , prouve
(1) « Anno M C VIII. Hoc quoque anno fuit aliquanta veoditio annonœ ita
ut vende retur sextarius frumenti sex solidis , ordei IIII, aven» III, siligi-
nis Y d (Clarius, ap. Bibl. histor, de l'Yonne, t. II, p. 516). — « Anno M
CVIIII... In subsequenti Maio, vel Junio atque Julio venditio annonœ quam
in prœterito anno, verno tempo re, diximus fuisse frumenti VI solidorum,
duplicata est, ita ut frumentum venderetur XII solidis : ali» annonœ simi-
liter duplicata sunt. » (Ibid., p. 519.)
(2) Aux textes déjà cités et qui se rapportent au G&tinais, ajoutons-en
quelques-uns relatifs à des pays voisins. « Gum igitur prsfatus Philippus
(Philippe , frère bâtard de Louis YI) crebro submonitus auditionera et judi-
cium curiœ superbe refulasset, deprsdationibus pauperum , contritione eccie-
siarum , totius etiam pagi ditsolutione rex lacessitus, illuc, licet invitus, pro-
peravit. » (Suger, Vita Lud., c. XVII, éd. Lecoy, p. 67-68.) —Vers 1105 :
« Quoniam variis tyrannice insecutionis violentiis nostros hospites qui Grosla
morantur, Gervasius urgebat, ut ab infmitis , quas fuge elongatione jam cogi-
taverant evadere , eriperentur pressuris... » {CartuL de S. -Père de Chartres,
n° 62, p. 566.) — Entre 1076 et 1084, dans le pagus d'Auxerre : « Item cum
Pulverenum , meliorem hujus ecclesie terram , violentia quorandam tyran-
norum , iniquam duplicis salvamenti consuetudinem singulis annis rapiendo,
prope desertam ruricolis et aliis bonis effecisset, fortitudo presulis istius
subveniens. d (Gesta episcop. Autits., ap. Bibl. histor. de ï Yonne, 1. 1, p. 399.)
Voir encore la charte constatant un pariage entre Louis VI et l'abbaye de
Sainte-Marie de Coolombes (1119) pour la remise en culture d'une terre
« in solitudine redacta. » (Brussel, Usage des fiefs, t. I, p. 394, n. A.)
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 133
assez qu'ils avaient à remédier aux mêmes souffrances. D'ail-
leurs , il n'était pas inutile de rappeler la situation des terres
d'église; car nombre de pariages ont été conclus entre les
rois et des abbés pour la jouissance de villages dotés des Cou-
tumes de Lorris.
De plus , sur les domaines du roi , les prévôts dépassaient
sans cesse les limites de leur pouvoir; et, cherchant à faire
rendre à leur office le plus possible , prélevaient sur les ré-
coltes des parts exagérées, exigeaient des marchands de nou-
veaux droits de péages , s'attribuaient chez les commerçants
un crédit prolongé, multipliaient les procès et par suite les
amendes. De telle sorte que les paysans se trouvaient accablés
par ceux-là même qui auraient dû les défendre. Il est inutile,
après le chapitre de M. Luchaire (1) sur les dangers de l'ins-
litution prévôtale, de prouver ce que j'avance ici; je ne pour-
rais citer de nouveaux textes. C'est en partie pour mettre fin
à ces abus de pouvoir que les rois du xii* siècle ont fait rédi-
ger les chartes de coutumes : les redevances y sont fixées , et
désormais le prévôt pourra lever celles-là seulement et pas
d'autres. On remarquera encore, dans la charte de Lorris, un
certain nombre d'articles concernant la procédure qui n'ont
d'autre but que de diminuer la fréquence des procès, et d'em-
pêcher le prévôt d'évoquer trop facilement les parties à son
tribunal.
Ainsi deux causes avaient contribué au dépeuplement des
campagnes : les excès des seigneurs et ceux des prévôts.
En prévenant, par l'octroi de chartes de coutumes, le re-
tour de pareilles exactions, Louis VI et Louis VII cherchèrent
à repeupler leurs terres et, par suite , à augmenter la source
de leurs revenus.
Voici comme s'exprime Louis VI en tête de la charte accor-
dée à Angere- Régis , dans l'Orléanais, en 1419 : « Ego Ludo-
vicus cujusdam terre nostre homines, quam Angere-Regis
vocant et que super Ebulitione est, que eciam ita déserta erat
ut pêne in solitudinem devenisset , majestatem nostram adie-
runt postulantes ut eam liberam esse concederemus Nos
vero nobis et terre nostre consulantes , predictam petitionem
(4) Luchaire., Institutions des premiers Capétiens, t. I, p. 228-231.
154 LES COUTUMES DE LORRIS
eis, ut ipsi postulaverunt, concessimus (1). » En 1159, Louis
VII déclare qu'il a confirmé au Moulinet les Coutumes de Lor-
ris pour provoquer un accroissement de population : « Itaque
ut villa magis ac magis crescat petitione inhabitantium Lorri
consuetudines ipsis concessimus (2). » La même raison le dé-
termina à octroyer ces Coutumes, en 1163, à Villeneuve-le-
Roi : « Ut autem villa cresceret in brevi, quia volebamus
multos ibi esse habitatores, ipsis concessimus omnes cousue*
tudines Lorriaci (3). » Dans le préambule de la charte par
laquelle Louis VII donna, en 1165, les Coutumes de Lorris
aux habitants de Sénely (4), ce roi rappelle que, pour le profit
de sa terre , comme aussi par piété , il réprime partout les
exactions et tempère la dureté des mauvaises coutumes ; aussi
accorde-t-il les Coutumes de Locrts aux habitants de Sénely,
domaine que les déprédations de ses sergents et de quelques
autres hommes avaient réduit à rien.
Citons encore le préambule de la charte de fondation d'une
ville neuve, près d'Ètampes, dans la plaine de la Varenne (5).
Le désir de Louis VII de rendre son autorité supportable à
ses sujets et de leur assurer des garanties d'existence est net*
tement marqué en tête de la charte pour Dun-le-Roi (1175) :
« Regiam decet clementiam subjectorum molestiis et grava-
minibus misericorditer occurrere, ut sub nostro dominio com-
morari libentius ap pétant et vivere valeant tutiores (6). »
(1) Ori., t. VII, p. 444-445.
(2) Ord., t. XI, p. 204.
(3) Ord., t. VII, p. 57.
(4) « Ego LudovictiB ad utilitatem et incrementum terre nostre pio
utimur temperamento, ubicumque indebitas abolemus exactiones et prava-
ram asperitatam (corr. atperUatei) consuetudinum mitigamus. Notam itaque
facimus quod villam nostram quam Seneliacum voeaot, que aggrava-
tione servientum nostrorum aliorumque quorumdam hominum pêne ad nichi-
lum redacta fuerat, herbe rgiamus ad consuetudines castri nostri Lorriaci. »
{Ordonn.,1. XIII, p. 520.)
(5) 1169. « De régie pietatis gracia debemus impensa beneflcii pauperes
misericorditer in vi tare, ut sub nostre defensionis tnicione venire possint se-
curiores. » (Ord., t. VII, p. 684.)
(6) La Thaumass., Coût, loc., p. 67. Les mêmes idées sont reproduites à
peu près dans les mêmes termes en tête de deux diplômes de Ph.-Aug., dont
l'un pour la même ville de Dun-le-Roi , et l'autre pour la ville de Bourges
(1181), ap. La Th., Coût, loc, p. 68.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 155
L'indolence de Philippe Ier (1) avait encouragé la hardiesse
des seigneurs. Il était temps qu'un roi vînt actif et vaillant
qui mît fin aux entreprises audacieuses des barons et aux
exactions des prévôts et rendît aux campagnes la tranquillité.
Ce fut chose toute nouvelle (2) de voir un souverain travailler
à la paix de son royaume et à l'amélioration du sort des la-
boureurs et des pauvres. Nous n'avons pas à raconter ici les
longues et pénibles luttes de Louis VI contre les seigneurs
d'entre Seine-et-Loire. Leurs désordres une fois réprimés, res-
tait à assurer aux vilains un avenir plus heureux. A l'œuvre
du guerrier devait succéder celle du législateur. Mettre fin
aux abus de pouvoir, de quelque part qu'ils vinssent , repeu-
pler les campagnes abandonnées , relever l'agriculture et le
commerce, voilà une partie de l'œuvre entreprise par Louis VI,
et continuée par son successeur.
CHAPITRE II.
Les Coutumes de Lorris.
Après avoir cherché à déterminer les principaux motifs qui
ont porté les rois à faire rédiger des chartes de coutumes
et particulièrement oelle de Lorris, il faut aborder l'exa-
men du texte même qui nous occupe.
La plus ancienne rédaction, faite par ordre de Louis VI, est
perdue. Nous n'avons donc qu'un texte, celui de 1155, dont
le diplôme de Philippe-Auguste est la reproduction pure et
simple , sans aucune modification apportée ni au fond même
de l'acte , ni à l'ordre des articles , ni même au style.
Il m'a paru impossible d'établir exactement la relation qui
(1) a Philippas vero io primis multa strenue gessit annis , sed œtate proce-
deote, mole carme aggravatus, ampliorem operam cibo induisit et somno
qoam rébus bellicis. » (Mvracula S. Benedicti, 1. VII I, c. 24, éd. Soc, de
VBist. de France, p. 314-315.)
(2) « Lndovicus ilaque famoaus juvenis... ecclesiarum utilitatibus provide-
bal, oratorum, laboratorum et pauperum, quod dît* insoliium fuerat, qvieti
tludebai. » (Suger, Vita Ludoviei, c. II, p. 14.) — Voyez Sager, lbid., c. XIV,
p. 49.
1S6 LES COUTUMES DE LORRIS
existait entre la charte de Louis VI et celle de son succes-
seur. Ce dernier se contenta-t-il de confirmer le diplôme ac-
cordé par son père, ou bien en renouvela-t-il la rédaction ? Le
préambule de la charte de 1155, qui aurait pu permettre de
résoudre la question, ne nous est pas parvenu. Quelques vil-
lages , comme nous le verrons , ont obtenu les Coutumes de
Lorris dès le règne de Louis VI ; mais les chartes d'octroi n'en
contiennent pas la transcription. Seulement, comme des dis-
positions analogues aux articles les plus importants de la
charte de Louis VII pour Lorris sont disséminées dans divers
documents émanés de la chancellerie de Louis VI , il y a tout
lieu de croire que Louis VII n'a fait qu'approuver la conces-
sion de son père.
Comme cela arrive d'ordinaire au xne siècle, les matières
contenues dans la charte de 1155 sont dans le plus grand dé-
sordre. Pour éviter les répétitions et rendre l'exposition plus
claire et plus logique, je me crois autorisé à grouper dans
cette étude les articles de même nature. J'emploierai indif-
féremment, pour désigner ce texte, les mots : Coutumes, fran-
chises , privilèges; me réservant, après avoir dégagé le carac-
tère de cet acte royal, de dire quelle dénomination il me
semble préférable d'adopter.
Administration. — Un prévôt établi à Lorris y représentait
le roi. Il en est fait mention pour la première fois , à notre
connaissance, dans un mandement adressé à lui et au prévôt
de Sully par le roi Louis VII, probablement en 1147, avant
le départ pour la Terre Sainte, et certainement avant 1162 (1).
Le prévôt est nommé à plusieurs reprises dans la charte de
(1) Ce mandement a été publié dans D. Bovq., t. XVI, p. 13, d'après une
copie de D. Estiennot , B. fiât., ms. lat. 12739, p. 362-363. Une copie du
Cartul. I de Fleury, p. 281 (Arch. du Loiret) offre quelques différences avec
celle-ci : Menasses y est dit abbé de Fleury, au lieu de Macharius. Après in-
feratis , à la fin de l'acte, on lit « nec permittatis inferre. » Le roi par ce
mandement enjoint aux prévôts de faire respecter les privilèges de l'abbaye
de Saint-Benoît qu'il a confirmés à la requête de l'abbé Machaire. Machaire
est devenu abbé en 1146, ou peu avant (voir Gallia Christ., t. VIII, col.
1557). Il s'agit donc d'an diplôme de Louis VII daté de Reims, 1147, la 11*
année du règne (P. juttif., n° VI). Le mandement a dû suivre de près le
diplôme. Machaire est mort en 1162.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 157
1155 (1). Toute l'administration était entre ses mains : il per-
cevait les revenus du roi et rendait la justice. Rien n'autorise
à croire que les habitants de Lorris aient pris , aux xue et
xnie siècles , aucune part à la gestion des affaires de leur pa-
roisse (2).
Chargé de faire respecter les droits royaux , le prévôt au-
rait pu violer la liberté des habitants : aussi devait-il à son
entrée en charge s'engager par serment à maintenir les privi-
lèges octroyés par le roi (art. 35).
Le mode de nomination de ce magistrat nous échappe. On
remarque seulement dans les comptes de 1202 que les recettes
de chaque prévôté montent à la même somme pour chacun
des trois termes de l'année : à Lorris 193 livres, 6 sous, et 8
deniers en novembre, février et mai (1202-1203) (3) : d'où
Brussel a pu justement conclure que, dès 1202, les prévôtés
étaient affermées (4). Une charte par laquelle Philippe-Au-
guste donne à ferme à la commune de Chaumont la prévôté
de cette ville, « sicut prepositus eam tenebat, » confirme cette
opinion (5).
Il semble qu'aussitôt après l'institution des baillis royaux
le prévôt de Lorris ait été placé sous la surveillance du bailli
d'Orléans. Dans le compte de 1202 , en effet, les sergents de
Lorris sont énumérés parmi ceux qui dépendaient de la baillie
de Guillaume de la Chapelle (6). On y lit encore : « Hoc débet
recipere Willelmus de Capella... Pro prœposito Albegniaci et
praeposito Lorriaci (7). » Il est vrai que dans la dépense de
Nicolas de Hautvilliers, bailli de Sens, en 1234, figurent di-
(1) Art. 7, 12, 14, 18, 23, 35.
(2) Je ne sois sur l'autorité de quel texte M. Combes s'est appuyé pour
écrire : a Lorris était vraiment un bourg fortuné. Il y avait aussi un conseil
de ville, une forte administration municipale qui ressemblait encore néan-
moins à un simple conseil paroissial. » Annales de la Faculté des lettres de
Bordeaux, i. II, p. 62-63.
(3) Brussel, Usage des fiefs, t. II, Chartes , p. cxl-cxm, clxvui, cxciii.
(4) Brussel, ouv. cité, t. I, p. 422.
(5) Paris, 1205, Reg. C de Ph.-Aug., pièce 374, Arch. Nat., JJ 7-8, 2«
partie, f* 69 v°. « De prepositura Galvimontis data ad firmam. »
(6) Guillaume de la Chapelle était bailli d'Orléans. Brussel, ouv. cité, t. II,
Chartes, p. cxlviii, 1" col.
(7) Brussel, Ibid,, p. cliv, 2« col.
Revue hist. — Tom. VI H. H
158 LES COUTUMES DE LORRIS
verses sommes payées à Guillaume « de Lorriaco » et Aveline
« de Lorriaco (i). » Ce qui ne prouve pas que Lorris fût du
ressort du bailliage de Sens; car le même document nous ap-
prend que divers villages du Gâtinais très voisins de Lorris
dépendaient du bailli de Sens ; des personnes originaires, de
Lorris pouvaient y résider. Il est certain qu'en 4295 (2) la
prévôté de Lorris était comprise dans lp. baillie d'Orléans ; il
en était de même au commencement dp xive siècle (3).
Au-dessous du prévôt , les sergents , chargés, d'exécuter ses
ordres et de veiller au maintien de la paix publique. Le soin
de faire la police incombait appsi daqp une certaine mesure
aux chevaliers. Chevaliers et sergents devaient saisir les ani-
maux domestiques qu'ils trouvaient dans les bois royaux et
les amener au prévôt de Lorris, qui, seul, avait qualité pour
prononcer, s'il y avait lieu , une amende contre le propriér
tajrje (art. 23).
Au moment où ils étaient investis de leur office, les ser-
gents juraient de respecter la charte de coutumes (art. 35).
Le traitement des officiers inférieurs ne consistait guère, au
xjie siècle, que dans la part qu'ils prélevaient sur les récoltes :
de là* de nombreuses et continuelles exactions, auxquelles la
royauté chercha à mettre fin. en réglapt les droits de prise* H
fut établi à Lorris que chaque laboureur, cultivant la terre
avec une charrue, ne paierait plus, au temps de la moisson,
qu'une mine (4) de seigle à tous les sergents de la paroisse
(art, 22).
(1) Comptes de 1234, Rec. des histor., t. XXII , p. 574 G-H.
(2) Compte de La Toussaint 1295, Rec. des histor., t. XXII, p. 657-660. —
Baillie d'Orléans : « Reccpta... § 151 b. De traverso Lorriaci pro toto X. lb.
De quadam platea juxta Sanctum Supplicium de Lorriaco et alia ante molen-
dinum ibidem locata.pro toto IIII a... g 151 f. De sigillo Lorriaci VI. lb. Ea>-
pensa, § 152 k, Lbrriacum , pro operibus factis in domibus, in villa, in pon-
tibus el balis ibidem XVII I, lb. XIII, s., X d. Pro repparatione cujusdam
furni ibidem combusti XL lb. V s., VI d. Pro parum computato de factione
vinearum de tempore œstivali et pro ipsis vendemiandis, C s» XII d. Pro
operibus factis apud Molinetum pro parte domjni régis CX a. »
(3) Pièces justificatives, n° XXII.
(4) Le Gâtinais avait des mesures, particulières, aux xn« et xui« siècles. —
Charte de Louis VII (1169) portant fondation de l'église Saint-Saturnin à Fon-
tainebleau : « Assignavimus très modios frumenti ad mensuram de Gastmoi*. »
D. Morin, Hisl. du Gâtinais, p. 510. — Charte de Louis IX (124$) par la-
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 159
La charte de 1155 mentionne encore le héraut ou crieur pu-
blie {preeo, art. 21) et le guetteur (excubitor, art. 21). Le
premier faisait connaître sans doute les ordres du roi ou de
ses officiers; il annonçait les bans (1). Quant à Yeoccubitor, il
faisait le guet et veillait à la sûreté de la ville. Ni l'un ni
l'autre n'avaient droit à aucune redevance lors de la célé-
bration d'un mariage à Lorris (art. 21).
Il était de l'intérêt des habitants que le nombre des agents
royaux fût le plus restreint possible. Aussi le roi fit-il défense
d'établir aux fours de Lorris des porteurs (art. 24) (2).
Condition des personnes. — Les dispositions de la charte
de 1155 ne s'appliquent qu'à ceux des habitants de Lorris
qui y possèdent une maison. Il est vrai qu'on lit à l'article 2 :
« Nullus hominum de parrochia Lorriaci... » Mais il s'agit
des hommes désignés ainsi à l'article précédent : « Quicum-
que in Lorriaci parrochia domum habebit. » Ce qui me semble
plus décisif, c'est que, par arrêt du Parlement de 1272, les
bourgeois de Lorris possédant une maison dans la censive
du roi sont seuls déclarés exempts de péage à Pithiviers (3).
Nous ne savons pas exactement quelle était la condition
des habitants de Lorris avant l'octroi de la charte. Le fait
que cet acte ne renferme aucune allusion au droit de main-
morte laisse à penser que Jes hommes de Lorris n'y étaient
pa* soumis. L'article 17 porte qu'il sera loisible à ceux qui
quitteront la ville de vendre leurs biens; à supposer que ce
soit là un privilège nouveau , on ne peut en conclure que les
qoeile il fonde l'abbaye du Lys : « Insuper eidem abbatie et monialibus dedi-
nos quinquaginta quatuor modios avene ad menturam Gattinensem siogulis
•noi» inperpetuum capiendos in avenis nostris Gressii et Capelle Régine in
f«io omnium sanctorum. » B. fiât., Cartel, du Lys, ms. lat. 13892, f<> 25 v<>.
,1) Accord entre le chapitre de Sens et G. du P lésais au sujet de leurs
droits respectifs à Pont-sur-Yonne, en mars 1224 : « De precone ita est
qood instituetur a capitulo et institutua faciet fldelitatem capitulo et predictis
Gaafrido et nepoti ejus , et clamabit bannumex parte omnium insimul. » Arch.
b Mo*», Orig., G. 145.
i2) Voyex : Note de Secousse, ap. Ord.t t. IV, p. 76, note bb. — Du Congé,
«d. flenschel, v° Portator, t. V, p. 363, col. 1 ; il ne cite que le texte de Bois-
Commun qui est celui de Lorris.
(3)Beugnot, OKm, t. I,p. 410-411.
L
160 LES COUTUMES DE LORRIS
habitants aient été mainmortables. En effet, cette clause vise
un cas particulier, celui où un homme abandonne sa terre,
et ne fait que supprimer entièrement le droit de suite qui
s'appliquait aux biens comme aux personnes. Ce qui me con-
firme dans cette opinion , c'est que dans la charte de Mailly-
la- Ville, qui reproduit l'article 17, deux autres dispositions
ont été insérées accordant aux habitants le droit d'aliéner
leur maison et de transmettre leur héritage à leurs parents (1) :
l'article 17 n'emportait donc pas suppression du droit de main-
morte.
La taille est supprimée par l'article 9. Ainsi, les hommes
de Lorris deviennent, en vertu de la charte de 1155, com-
plètement libres. Sous Philippe- Auguste , on les dit bour-
geois (2.)
En faisant rédiger ces privilèges, la royauté avait voulu
provoquer un accroissement dépopulation. Elle distribua donc
à un certain nombre d'individus des terres sur le territoire de
Lorris; elle y établit des hôtes. Elle y reçut en outre les étran-
gers venus d'autres seigneuries et qui avaient satisfait à cer-
taines conditions requises par l'article 18, et dont nous allons
bientôt parler. Les hôtes, dont il est question dans une charte
de 1144 (3), ne constituent pas une classe particulière d'indivi-
dus. Leur condition , à partir de la rédaction des franchises ,
est la même que celle des anciens habitants de la paroisse.
D'ailleurs les privilèges accordés à Lorris sont analogues à
ceux donnés aux hôtes établis pendant le xne siècle par la
royauté dans les lieux incultes de la même région : par exem-
ple, aux hôtes du Marché-Neuf d'Étampes (4), à ceux de
Villeneuve, près d'Étampes (5), des Alluets (6), d'Acque-
(i) « Quilibet hominum Maiiliaci domum suam quaodo voluerit ad libitum
suum vendat, salvis venditionibus meis. » — « De excasuris ita erit quod
semperad propinquiorem devenient... »
(2) « Débita Henrici de Soliaco. • . Débet Petro Chapel, burgeasi Lorriaci »
{Arch. nat., Reg. C de Ph.-Aug., JJ 7-8, 2« partie, f° 145 v°).
(3) Pièces justificatives , n° V.
(4) Ord., t. VII, p. 34.
(5)0rd., t. VII, p. 684.
(6) Alluets-le-Roi , Seine-et-Oise , arr. de Versailles, canton Poissy (Ord.,
t. VII, p. 275). •
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII6 SIECLES. 161
bouille (1). Les hôtes ne jouissent pas tous à cette époque
d'une égale liberté. Ce terme désigne les individus qui ont
reçu une hostise , une maison et des terres , à des conditions
plus ou moins onéreuses. La place qu'ils occupent dans la
hiérarchie sociale est donc essentiellement variable. Ainsi le
roi avait, au xne siècle , des hôtes taillables (2).
Les serfs du roi qui pouvaient habiter la paroisse de Lorris
au moment de l'octroi des Coutumes furent probablement ad-
mis à y participer, bien que dans la charte il ne soit nulle
part question de leur affranchissement. Lorsqu'on 1187, Phi-
lippe-Auguste accorda aux habitants de Voisines ces mêmes
Coutumes , il spécifia que ses serfs qui y résidaient continue-
raient à y demeurer, sans indiquer quelle serait leur condi-
tion , mais que désormais aucun de ses hommes de corps ni
de ses hôtes taillables ne serait admis dans la ville; autrement
il eût pu perdre son droit à lever la taille sur eux. Villeneuve-
le-Roi obtint les Coutumes de Lorris en 1163. Cependant nous
voyons le roi y disposer de l'eschoite d'une femme de corps ,
en 1221 (3).
Quant aux vilains, mentionnés à l'article 15, nous ne sau-
nons dire avec assurance ce qu'ils étaient : probablement les
cultivateurs de la paroisse de Lorris vivant en dehors de l'en-
ceinte du bourg.
Il est certain que, parmi les habitants de Lorris, les hommes
du roi sont seuls atteints par la charte de 1155. Au commen-
cement du xnie siècle, on comptait dans la baillie de ce vil-
lage (4) 48 chevaliers, 9 veuves nobles et 14 valets, qui,
(1) Etcoboliae. Acquebouille , Loiret, arr. Pithiviers, canton d'Outarville ,
hameau de la commune de Faron ville (Pièces jus tif., n° IV).
(2) o Hospitibus nostris taillabilibus. » Charte de Voisines, en 1487, voir :
Texte des Coutumes de Lorris, art. 18, var. — La charte par laquelle Arnoul,
abbé de Ferrières, du consentement de Ph.-Aug., accorda, en 1185, aux
serfs et aux hâtes de la paroisse de Saint-Éloi et de la banlieue de Fer-
rières, le droit de quitter le territoire et de disposer de leurs biens, prouve
qu'en certains lieux les hôtes étaient assimilés aux serfs : « Habeant licentiam
et potesUUem tanquam liberi hospites » (D. Morin, p. 705).
(3) 1221. Donation par le roi à Henri Concierge, son chambellan , de l'es-
choite de Théophanie, sa femme de corps : « Eschaetam que nobis accidit
apod Villam Novam Regiam, de Theophania, femina nostra de corpore. » ap.
Quantin, Recueil de pièces du XIII* siècle, n<> 266, p. 117.
(4) Pièces justif., no XV.
462 LES COUTUMES DE LORRIS
vraisemblablement , possédaient des serfs et des hommes de
conditions diverses. Le roi n'avait pas pouvoir de les doter de
franchises.
Ainsi, pour être régi parla charte royale, il fallait dépendre
du roi et posséder une maison à Lorris.
Voyons maintenant à quelles conditions devaient satisfaire
les étrangers pour acquérir le droit de bourgeoisie à Lorris.
Était admis à la jouissance des privilèges dont ce bourg
avait été doté tout homme qui y avait fait résidence d'an et
jour, sans qu'un seigneur y eût fait opposition ; au bout de ce
temps , le seigneur, dont il avait quitté le domaine , perdait
tout droit à le réclamer (art. 18).
De plus, le nouveau manant devait, dans le cas où une
poursuite était intentée contre lui à raison de sa nouvelle ré-
sidence à Lorris, consentir à faire droit, c'est-à-dire, à com-
paraître devant le tribunal du prévôt. Tel est le sens des mots
« neque per nos sive per prepositum recUtudinem prokibuerU »
(art. 18) (1).
La charte de Lorris est une des plus anciennes où l'on ren-
contre la disposition en vertu de laquelle un seigneur perd
son droit sur un serf au bout d'un an; elle avait été proba-
blement insérée dans la première rédaction , au temps de
Louis VI. On la trouve déjà en 1107 dans la charte de fonda-
tion de l'abbaye d'Orbestier au diocèse de Luçon (2), et encore
(1) L'éditeur du t. IV des Ordonnancée avait renoncé à expliquer cette
phrase (p. 72 ; note de la p. 75). Pastoret (Ord., t. XV, p. 168) donne an
commentaire inadmissible; et encore modifie- 1- il le texte. M. Guizot n'a pas
non plus donné une traduction satisfaisante (Hist. de la civilisation, t. IV,
p. 225). — Je n'ai pu donner le sens de cette proposition que grâce à la
charte accordée à Ervy, par Thibaut III : « Et quicumque in parroohia vel
castellaria mansurus advenerit, si olamor eum secntus fuerit, et per me vel
prepositum recUtudinem facere voluerit t liber et quittus ibi permaneat ; si
autem recUtudinem facere noluerit , usque ad tutum locum conductum meum
habeat » (art. 15, Ord., t. VI , p. 201).
(2) Le comte de Poitiers cède à l'abbaye son domaine de la Biretere :
« Volo quod omnes homines habitantes et habitaturi in dicta villa vel in ejus
pertinentiis, postquam per annum et diem ibidem permanserint , possint
deinde habitare ubicumque voluerint per totum territorium meum de Calma;
et sicut immunô8 et liberi ab omnibus coustumis et taleis et serviciis... »
Charte publ. par Besly, Hist. des comtes de Poitou, p. 352, sous la date de
1007. M. de la Boutetière lui a restitué sa vraie date qui est 1107 {Bulletin
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 163
en 1120 dans la charte donnée à Fribourg en Brisgau par
Bertold duc de Zaehringeo (1).
D'où dérive ce terme d'an et jour? Dès le commencement
du xiie siècle , le fait d'avoir détenu un immeuble pendant an
et jour est mentionné comme donnant la saisine (2). Toutefois,
cette seule détention ne suffit pas : H faut au possesseur un
titre acquisitif . Seulement , la possession paisible et légitime
pendant an et jour faisait naître au profit du possesseur une
exception qu'il pouvait opposer à ceux qui l'auraient attaqué,
et particulièrement aux lignagers.
H serait naturel de penser que cette prescription défensive ap-
pliquée d'abord aux immeubles a été ensuite étendue aux serfs.
Cette affirmation serait téméraire. Car, le délai d'an et jour ap-
paraît en même temps dans les Coutumes du xne siècle comme
prescrivant la possession des immeubles et celle des serfs.
Tout ce qu'on peut chercher à établir, c'est l'origine de
cette prescription d'une année, considérée indépendamment
de son objet (3).
Elle ne peut provenir du droit romain , comme semble le
croire. Laurière (4). Les prescriptions d'origine romaine sont
dtlf Société des Antiquaires de l'Ouest, 2e série, t. I, p. 96). Elle est aussi
paÀ.9 ap. Archives histor. du Poitou , t. VI, p. 1-4.
1) Art. 37. « Quicumque in hac civilate diem etannum, nullô réclamante
Srmanserit secara de cœtero gaadebit liberUte. » Giraud, Essai sur Vhist.
lu Droit français, t. I, Pièces just., p. 126.
(2) Art. 17 de la charte de commune de Beauvais. « Si contigerit quod
aliquis de communia hereditatem aliquam emerit, et per annum et diem te-
nuerit , et edificaverit, quicumque postea veniet et per emptum calumpniabi-
tur, super illi non respondebitur ; sed emptor in pace remanebit. » Charte de
Louis VII, conflrmative de la charte de Louis VI, Ord., t. XI, p. 193. —
Charte d'Amiens, 1190, art. 25 : « Si quis terram aut aliquam hereditatem
ab aliquo emerit, et illa, antequam empta sit, propinquiori heredi oblata
faerit, et hères eam emere noluerit, nunquam amplius de ea illa heredi in
causa respondebit. Si autem propinquiori heredi oblata non fuerit, et qui eam
emerit, vidente et sciente herede, per annuni eam in pace tenuerit , nunquam
de ea amplius respondebit. » Ord., t. XI, p. 266.
(3) Le jour n'a été ajouté que pour mieux marquer le complet achèvement
de l'année.
(4) « Chez les Romains , le préteur donnoit à celui qui avoit été chassé par
force de son héritage l'interdit unde vi dans Tannée pour en recouvrer la pos-
session, et après l'année il ne luy donnoit plus que l'action in factum. » Lau-
rlère, Glossaire du droit français, t. I, p. 273. — Voyez : Laferrière, Hist.
du droit civil de Home et du droit français , 1. 1 , p. 379-381 .
164 LES COUTUMES DE LOKRIS
celles de dix, vingt et trente ans, usitées en France pendant
la période carolingienne.
Le titre XLV (1) de la Loi saliqne porte que tout étranger
qui aura demeuré pendant douze mois dans un village , sans
que personne s'y oppose, jouira des mêmes droits que les
autres habitants du vicus. L'analogie est incontestable entre
le titre XLV et les dispositions des chartes de coutumes
concernant l'acquisition du droit de bourgeoisie. Il ne faut
pas cependant trop se hâter de conclure que le principe cou-
tumier est dérivé directement de ce passage de la Loi sa-
lique; mais, prendre garde que les conditions d'entrée dans
un village sont différentes au Ve et au xn* siècles. Dans
Ja Loi salique il s'agit d'un village dont le territoire est pos-
sédé en commun par les habitants; pour qu'un nouveau venu
puisse occuper une terre, le consentement, au moins tacite
des co-propriétaires est indispensable. Au xii* siècle, la si-
tuation n'est plus la même. Dans un village, les habitants
n'ont aucune part à l'établissement d'un étranger au milieu
d'eux. Le nouvel arrivant invoque sa résidence d'an et jour,
non pas contre les membres de la communauté où il entre,
mais contre son ancien seigneur.
Tout ce qu'on est en droit de conclure du titre XLV, Vest
que les usages germaniques n'accordaient qu'un délai d'un an
à une partie lésée, ou qui se croyait telle, pour faire valoir
ses droits.
Ce terme d'un an persiste à l'époque carolingienne (2) ;
les mentions en sont toutefois assez rares.
(1) o Si quia super alterum in villa raigrare voluerit, et unus vel aliqui
de ipsis qui in villa consistant eum suscipere voluerit , si vel unus exteterit
qui contradicat, migrandi ibidem licentiam non habebit... Si vero quis mi-
graverit, et ei infra duodecim menues nullus testatus fuerit, securus, aient
et alii vicini manent, ille maneat. » (Éd. Merkel.)
(2) Capitulaire de mai 825, c. 11, Pertz, Legc$, 1. 1, p. 252. — Au ix° siècle,
les lois galloises portent que la potsestion annale produit saisine ; texte cité
par Laferrière, Hist. du droit franc., t. II, p. 124, note 5 et p. 126. —
M. Viollet cite, Et. de saint Louis, t. I, p. 110, un diplôme de Lothaire,
publ. D. Bouquet, t. VIII, p. 410, n° X; je ne vois pas qu'il y soit question
de la prescription annale. Le roi déclare qu'une possession , même si elle a
duré plusieurs années , « per annorum curricula dierumque , » ne peut légiti-
mer une usurpation et prévaloir contre leB dépositions de témoins et les
titres.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 165
Ainsi , je crois que la prescription coutumière d'an et jour
a son origine dans la législation germanique.
La facilité avec laquelle s'acquérait la participation aux
franchises de Lorris n'était pas moins profitable au roi qu'aux
serfs des seigneuries voisines : le roi y trouvait un moyen
commode d'augmenter le nombre de ses hommes; les serfs,
une voie ouverte à l'affranchissement. Aussi, les seigneurs
s'efforcèrent-ils de retenir leurs serfs ; nous verrons plus loin
les moyens auxquels ils eurent recours. Disons de suite que
plusieurs d'entre eux obtinrent du roi qu'il s'engageât à ne
pas retenir leurs hommes à Lorris , alors même qu'ils auraient
négligé de les réclamer dans le délai prescrit. En 1177,
Louis VII promit à Joscelin et à Gautier de Toury de ne pas
retenir leurs serfs sur ses domaines (1). Par suite d'un accord
conclu entre Gilon de Sulli et Philippe-Auguste , les hommes
de ce seigneur ne devaient pas être reçus comme hôtes sur
les terres du roi (2).
Les cultivateurs de Lorris n'étaient pas attachés au sol (art.
17). Il n'était pas moins facile de quitter le bourg que d'y en-
trer. Toute liberté était accordée à chacun pour changer de
résidence ; il avait même la faculté de vendre ses biens (3)
avant son départ pourvu qu'il acquittât le droit de ventes.
Cela fait, on ne pouvait plus l'inquiéter. Il fallait aussi qu'il
ne fût pas sous le coup d'une accusation , qu'il n'eût pas com-
mis de forfait dans la ville : sans cette précaution , la fuite
eût été trop aisée aux criminels; d'autant plus que la charte
de 1155 supprime, dans certains cas , comme nous le verrons,
l'emprisonnement préventif. Ainsi , le roi , bien loin qu'il eût
le droit de poursuite sur ses bourgeois, renonçait même à
exercer la main-mise sur leurs biens.
(1) Pièces jutt., no VIII.
(2) Accord conclu en 1187 entre Gilon de Sully et Ph.-Aug., Arch. nat.,
Reg. C de Ph.-Aug., JJ 7-8, 2« partie, f° 67 v°, pièce n° 354. — Publ. par
Kaynal, Hitt. du Berry, t. II, p. 553. — Relaté dans deux arrêts du Parle-
ment, l'un de 1271 (Beugnot, Olim, t. I, p. 870-871), l'autre de 1272 {Ibid.,
1. 1, p. 885).
(3) € Re$ tuât, » Aucun document ne me permet de préciser le sens qu'a
ici reg; ce mot comprend-il les meubles?
166 LES COUTUMES DE LORRIS
Droits seigneuriaux. — Nous sommes naturellement ame-
nés à passer en revue les charges qui pesaient sur les hommes
de Lorris , et à examiner ce qu'elles devinrent en vertu de la
charte de 1155. Parmi les droits seigneuriaux , ceux qui frap-
paient les personnes étaient, sinon les plus lourds et les plus
nombreux , tout au moins les plus nuisibles au travail et les
plus insupportables.
Corvées. — Et d'abord les corvées. Elles furent supprimées,
(art 15) à l'exception d'une seule; encore n'atteignait-elle
que les plus riches. Une fois par an , les propriétaires de che-
vaux et de charrettes étaient tenus , sur la semonce qui leur
en était faite , de transporter le vin du roi de Lorris à Or-
léans , et pas ailleurs ; le voyage restait à leurs frais ; ils n'a-
vaient aucun droit à réclamer le gîte. Aux vilains (art. 15)
était réservé le soin d'amener du bois à la cuisine de l'hôtel
royal à Lorris.
Service militaire. — Dans la plupart des villages , le soin
de faire le guet incombait aux habitants (1). A Lorris, ils en
furent dispensés (art. 25). 11 y avait, comme je l'ai dit, un
guetteur (art. 21). M. de Maulde prétend (2), au contraire, que
les coutumes de Lorris assujettissaient les bourgeois à faire
le service de guet. Le guetteur (excubitor, art. 21) ne serait
dans cette hypothèse qu'un officier chargé d'organiser ce ser-
vice, de veiller à son exécution. M. de Maulde traduit sans
doute excubiœ (art. 25) par guetteurs : « Il n'y aura pas de
guetteurs à Lorris par coutume : » Il pourrait invoquer l'au-
(1) 1194, Charte pour les habitants de Charost (Cher, arr. Bourges , ch.-l.
con) : « Excubiœ autem more quo prias fient, adfflonitu tamen boni viri, fideli-
tate ab eo prsposita ut nullum ab eis pretium extorqueat , sed sicut justum
fuerit, amoveat. » (La Thaumassière, Coût, toc, p. 75.) — 1269, Privilèges
pour les habitants de Mennetou-sur~Cher (Loir -et- Cher, arr. Romorantin) :
« Burgenses excubabunt villam sicut soient. » (Ibid., p. 96.) —1301, Franchise
des Ays : « Quotiescumque burgenses , si moniti fuerint a proposito ville
vel ejw mandate, villam tenebuntur excobiare ita quod imusquisque qui ïo-
cum et focum tenebit, semel in hebdomada tenebitur ire in excubia vel mit-
tere nuntium receptibilem ûisi in aliqua causa rationabili fuerit... » {Ibid ,
p. 123.)
(2) Chartes municipales d'Orléans et de Montargis , Nouvelle Revue kistor.
du droit, 1883, p. 28, n. 3.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII6 ET XIIIe SIECLES. 167
torité de la traduction des privilèges de Villeneuve-l'Arche-
vêque faite vere 1250 : « Es fors de la Noeve vile ne seront
pas porteurs par costume , ne tes gueteurs ne seront pas par
costume (1). » Ces privilèges sont copiés sur ceux de Lorris.
Mais , je crois préférable de traduire avec le texte du Vatican :
« A Lorriz n'aura point de guiet de coustume. » Comment
admettre que dans une charte de coutumes, où la précision
est nécessaire, on ait, à quelques lignes de distance, désigné
par des expressions différentes des officiers de même catégorie.
Les habitants de Lorris n'étaient tenus à rendre le service
d'host et de chevauchée qu'à condition de pouvoir revenir le
jour même chez eux, s'il leur convenait (art. 3).
En principe, tous les hommes libres devaient le service
militaire à leur seigneur. Toutefois, comme ces paysans, arra-
chés à leurs charrues, ne faisaient que d'assez mauvais sol-
dats , les rois , et aussi les seigneurs , les dispensèrent assez
volontiers du service d'host ; au moins restreignirent-ils les
cas où ils pouvaient être convoqués. En 1118, Louis VI se ré-
serva le droit d'appeler les hommes de l'abbaye de Saint-Spire
de Corbeil, deux fois par an à l'host; et encore aux chevau-
chées, pourvu qu'il ne les entraînât pas à plus de douze lieues
de Corbeil. Il s'agit d'hommes d'église et non de sujets directs
du roi. Je cite cette charte (2) parce qu'elle montre qu'au xne
siècle on distinguait encore entre l'host , expeditio , hostis , et
la chevauchée , equitaiio , cavalcaria , le premier service exigé
en cas de guerre importante , le second pour une expédition
moindre ou encore pour une escorte. En 1119, Louis VI décida
que ses hommes d'Angere-Regis (3) n'iraient à l'host qu'au
cas où toute la communauté serait convoquée. Le même roi,
en 1123, affranchit pour dix ans de tout service d'host et de
chevauchée les hôtes du marché neuf d'Etampes (4). En 1124,
(1) Quantin, Cartvl. général d$ JT««ie, t. II, p. 241.
(2) « Nec in expeditiones nostras, niai submoneantur in nomiae belli, tant,
et hoc solummodo bis in anno , in cavalcariis autem nostris iterum , si sub-
moneantur, vadent, sed duodecim leucas a castros Corboilo non excédent. »
Couard-Luyt. Cartul. de Saint-Spire, pièce n° 2, p. 5.
(3) Angerville (?), Seine-et-Oise , air. Etarapes, c0B Méréville. — Ord., t.
VII, p. 444-445.
(4) Ord.. I. XI, p. 183.
168 LES COUTUMES DE LORRIS
Louis VI et Guillaume de Soisy, tout en donnant l'église de
Soisy (1), village dont ils étaient co-seigneurs , à l'abbaye
Saint-Jean de Sens, se réservèrent certains droits sur les
hommes de l'église : ils ne pouvaient exiger l'host et la che-
vauchée qu'au cas où ils marchaient à la tête de leurs troupes.
De plus, ces hommes devaient accompagner Guillaume contre
ses ennemis particuliers et répondre à la semonce du prévôt
de Guillaume, lorsqu'il s'agissait de défendre le château;
mais dans ces deux cas ils étaient libres de ne s'éloigner que
de façon à pouvoir rentrer le soir chez eux (2).
On peut affirmer que l'article 3 des Coutumes de Lorris
figurait dans la charte primitive. Au temps de Louis VI, il
avait sa raison d'être : le roi avait intérêt à s'assurer une
journée de service de la part des habitants de Lorris. Une
fois les seigneurs rebelles du Gâtinais et de l'Ile-de-France
soumis, les rois n'eurent le plus souvent que des guerres
générales à soutenir, et dont le théâtre fut éloigné de Lorris
de plus d'une journée de marche. Ainsi, dès l'époque de la
confirmation des Coutumes de Lorris par Louis VII , l'article 3
équivalait, ou peu s'en faut, â une dispense du service mili-
taire.
A la fin du xinc siècle , on voulut infliger une amende aux
hommes de Lorris qui avaient refusé de se rendre à l'armée.
Ils présentèrent leur charte, et un arrêt du Parlement, de
la Toussaint 1272, leur donna gain de cause (3), ainsi qu'aux
habitants d'Aubigni , de Château-Landon , de la Chapelle (4),
de Bois-Commun (5) et d'Yèvre-le-Châtel (6), qui jouissaient
tous des usages de Lorris. Le même privilège fut encore
(1) Soisy, Seine-et-Marne, arr. Provins, conde Bray.
(2) « Homines ecclesie , infra castrum manentes , in expeditionem et equi-
tatum cum corpore nostro venient. Et si Guillelmus pro castello guerram ha-
buerit et inimicis suis forisfacere voluerit, cum eo ibunt, ita quod, si in
mane vel in nocte de hospitiis suis moverint , ad sua sequenti nocte hospitia
redibunt. Idem etiam preposito Guillelmi facient, si alicubi pro vindicte cas-
telli accipienda de aliquo ire voluerit, et eos ut secum eant submonuerit. »
Quantin, Cartul. de l'Yonne, t. I, p. 255.
(3) Otim, t. I, p. 887-888.
(4) Ibid., t. I , p. 887-888.
(5) Ibid., t. I, p. 889.
(6)/Md., p. 901.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 169
reconnu par la Chambre des comptes aux hommes de Ville-
neuve-le-Roi près Sens (1).
Au milieu du xme siècle, le privilège des hommes de Lorris
était de droit commun en Anjou. Les barons ne pouvaient
mener leurs hommes coutumiers « en leu dont il ne puissent
revenir au soir; et cil qui remaindroit si en feroit LX s.
d'amande. Et se li bers les voloit mener si loing qu'il ne s'en
peûssent revenir au soir, il n'i iroient mie, se il ne voloient,
ne n'an feraient ja droit, ne nule amande (2). »
Redevances pécuniaires. — Le roi s'engagea (art. 9) en outre
envers les habitants de Lorris à ne plus exiger d'eux ni taille,
ni toltc (3), ni aide; en un mot, il renonçait à toute levée d'ar-
gent extraordinaire. En même temps, il interdit à qui que
ce fût de tailler ses bourgeois. Louis VI avait accordé le
même privilège aux habitants d'Angere Régis (A) (Angerville?)
en 1119 et aux hôtes du marché neuf d'Étampes en 1123 (5).
Le roi n'avait pas entendu se réserver l'aide aux quatre cas,
comprise sous les termes de tallia et roga. Cette exemption
n'étant pas spécifiée, on prétendit, à la fin du xine siècle,
l'exiger des habitants de Lorris et des hommes de plusieurs
villages jouissant des mêmes franchises à l'occasion de la
chevalerie du fils aîné du roi : il s'agissait de Philippe,
fils de Philippe III. La royauté rencontra chez les bourgeois
une vive résistance. Ce n'est qu'en 1285, Philippe devenu
roi , que le Parlement condamna (6) les habitants de Lorris,
Château -Landon, Bois- Commun, Montargis, Bois-le-Roi,
Bussières, Yèvre-le-Châtel, Flagy, Grès, La-Chapelle-la-
(1) Reg. Pater, f° 96 v°, col. 2, cité par Du Gange, éd. Henschel, v° Hos-
(if, t. III, p. 712, col. 1-2.
(2) Et. de saint Louis, éd. Viollet, 1. 1, c. LXV, t. II, p. 94-95. — Beau-
temps-Beaupré, Coût. d'Anjou, c. LXVII, 1. 1, p. 99.
(3) C'est ainsi que nous rendons le mot ablatio. Du Cange (éd. Henscbel,
U I, p. 23, 3e col., v° Ablata) cite un texte de 1173, tiré du cartul. de Saint-
Maur-des-Fossés , qui justifie cette traduction : « Eis communem talliam et
ablatam, qux vulgo tolta diciiur, omnino perdonamus. »
(4) Ord., t. VII , p. 444-445.
(5) Ord,, t. XI, p. 183.
(6) Arrêt du Parlement, de la Toussaint 1285, ap. Beugnot, Olim, t. II,
p. 249, no IV.
170 LES COUTUMES DE LORRIS
Reine, Villeneuve-le-Roi, Chaumont, à payer l'aide pour la
chevalerie. Déjà en 1271 (1) le Parlement avait rejeté les pré-
tentions des habitants de Bourges, de Dun-le-Roi et d'Ys-
soudun, qui se disaient exempts par leurs chartes du paiement
de cette aide (2).
Tous se retranchaient derrière les articles de leurs privi-
lèges portant affranchissement de tailles et de toutes espèces
d'exactions. En effet, tallia (3) désigne quelquefois, au xne
siècle, les loyaux aides. L'aide qu'on levait pour l'un des
trois ou quatre cas était une variété de taille. D'ailleurs , en
ce qui concerne les hommes de Lorris, ils étaient dispensés
de la roga, terme s'appliquant encore mieux à l'aide que
celui de taille. Il s'agit évidemment d'un subside requis par
le seigneur, d'un auxilium. Revouage, tel est le mot qui dé-
signe souvent l'aide pour la chevalerie (4). Rogare avait donné
rewer, rouver, d'où revouage qui correspond aux mots latins
roga et rogatio (5).
Quelque bien fondée que fût la réclamation des bourgeois,
ils n'en perdirent pas moins leur procès; l'arrêt du Par-
lement fut exécuté et force leur fut de payer (6).
Aux termes de leur charte (art. 1), ils ne devaient plus au
roi annuellement qu'une redevance pécuniaire , assez minime,
le cens qui affirmait le droit éminent du roi sur leurs tenures.
(1) Beugnot, Olim, t. I, p. 848-849.
(2) Les habitants de Bourges et de Dun-le-Roi avaient été déclarés « de
tolta-, taillia, botagio et culcitrarum exactione immunes. » Ceux d'Yssoudtn,
libres « de oroni collecta, rapina et exactione. » Les habitants de Bourges
résistèrent encore longtemps à la royauté et prétendirent ne lui accorder
de subsides qu'à titre gracieux. Non-seulement, plus tard, ils ne se rendi-
rent pas à l'host de Flandre , mais même , comme quittes « dou tout en tout
de toute touUe et de toute taille, » ils refusèrent , en cette circonstance, d'aider
Philippe le Bel de leur argent. Voyez : Arch. nat,, J 749.
(3) « Concessimus et domno Willelmo quod, si ipse flliam suam quam U-
men de uxore sua habuerit, maritare voluerit, vel si castrum emerit, talliam
in hospitibus terre illius facere ei licebit per manum tamen prions S" Romani ;
simili modo et pro redemptione sua, si ipse captas fuerit , facere ei licebit. »
Charte du commencement du xn« siècle, ap. Cartul. de Saint-Père de Char ires,
t. II, p. 484, no XXIII.
(4) Voyez : Pièce* juttif., n* XXII.
(5) Voyez : Du Gange, éd. Henschel, v» Roga 4, v° Rogatio, t. V, p. 789.
(6) Comme en témoigne le registre Pater. — Pièces just., n<> XXII.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 171
Ce cens était fixé à six deniers pour une maison et un ar-
pent de terre, de quelque façon que cet arpent fût échu au
possesseur, par voie d'héritage ou d'acquisition.
Six deniers n'étaient pas une somme considérable (1). C'est
le taux fixé par la charte de 1119 pour Angere-Regis (2). Tou-
tefois, dans ce village, les terres où les habitants construi-
saient leurs maisons devaient un cens de huit ou dix deniers
par arpent ; peu de chose , puisque la charte d' Angere-Regis
emploie l'adverbe tantum. Les hôtes établis par Louis VI à
Mureaux, près l'église Notre-Dame des Champs, ne devaient
qu'un muid de vin et six deniers par quartier (3).
La prise du bois mort (art. 29) fut concédée aux habitante
de Lorris , sans qu'on exigeât d'eux aucune redevance , dans
le* bois royaux en dehors de la forêt , c'est-à-dire en dehors
des bois réservés pour la chasse. Le cantonnement fut même
plus étroitement délimité; et, en 1272, les bourgeois ne ramas-
saient le bois mort que dans les bois appelés les Usaiges de
Lorris (4).
Ce privilège subsistait en 1403 (5). M. R. de Maulde pré-
tend que les coutumes de Lorris avaient créé une restriction
au droit d'usage (6) : pour soutenir cette assertion, il faudrait
savoir quels étaient les droits des habitants de Lorris dans les
bois royaux avant 1155. La portion de bois désignée sous le
nom d'Usages de Lorris n'appartint jamais à la commu-
nauté (7).
(1) D'après les calculs de M. Guérard , le denier royal valait sous Louis
VI : 0 fr. 10 c. 4/10 ; 6 deniers = 0 fr. 8240, et la valeur relative = 3 fr. 2960.
L'arpent est aujourd'hui à Lorris de 51 ares. Les terres arables paient 1 fr. 50
à 2 fr. d'impôt foncier par arpent.
(2) « De arpentis vero in quibus mansiones saas facerent, decem vel octo
denarios tantum redderent; si vero aliquam de terris circumstantibus plan*
tare veUent et plantèrent denarios sez pro arpento in censu... exsolverent. »
0rd.,t. VU, p. 444-445.
(3) Lettres oonfirmatives de Louis VU en 1158. Brussel, Usage des fiefs,
L 1, p. 182, noie a, d'après le reg. Pater; Ord., t. III, p. 303, d'après JJ
86, pièce n° 494.
(4) Arrêt du Parlement, Delisle, Restit. d'un volume des Olim, n» 98, ap.
Beutaric , Actes du Parlement, 1. 1, p. 160.
(5) Texte cité par R. de Maulde, Etude sur la condition forestière, p. 175, n. 4.
(6) R. de Maulde, Ibid., p. 167-168.
(7) R. de Maulde, Ibid., p. 166.
172 LES COUTUMES DE LORRIS
Privilèges commerciaux. — La charte que nous étudions
tendait surtout au développement de l'agriculture et du com-
merce. Aussi voyons-nous le roi préoccupé d'apporter des
restrictions à ceux des droits seigneuriaux dont l'exercice
était capable d'entraver les échanges.
Le roi retint son droit de banvin (art. 10), mais seulement
pour le vin provenant de ses récoltes et conservé dans son
cellier. La charte ne fixe pas la durée du banvin.
Les habitants de Lorris ne pouvaient non plus exiger que le
roi leur payât comptant ce qu'il faisait acheter pour sa nour-
riture et celle de la reine (1). Mais il limite la durée du crédit
(art. 11) à quinze jours accomplis. Généralement, le seigneur
n'avait , aux xne et xiue siècles, droit à un second crédit qu'a-
près acquittement de la dette précédemment contractée (2).
Bien que rien de pareil ne soit stipulé dans la charte de 1155,
cet usage devait être en vigueur à Lorris. A la fin du xie siè-
cle, il en était déjà ainsi à Rozoy en Brie, où le temps du
crédit seigneurial n'était pas limité (3).
Dans la plupart des coutumes , le temps pendant lequel le
seigneur avait droit à un crédit était plus long : en Bourgo-
gne, quarante jours. Il est vrai que dans ce cas le seigneur
était tenu de donner un gage.
(1) Exemple de crédit illimité, vers 1047. Salomon de Lavarzin fait remise
aux moines de Marmoutiers du crédit illimité dont il usait sur les habitants
de certaines maisons dépendant de l'abbaye : « ad credentiam quantum vellet
accipiebat. » Copie ap. Hist. de l'abbaye de Marmoutiers, B. Nat., ma. lat.
12878, f°H2.
(2) Il en était ainsi à Meaûx en 1179 : « Homines de Meldis michi de pane
et vino et carnibus et aliis victualibus die qua Meldis venero, et in crastino,
si tantum ibi fuero , creditionem facient ; et si infra quindecim dies crédita
non reddidero, nihil ampli us mihi credent quousque crédita eis persolvan.
tur. » Carro, Hist. deMeaux, p. 501.
(3) Rozoy, Seine-et-Marne, arr. Coulommiers, ch.-l. c<"». « Quod si aliquo-
ciens voluisset in villa concedere , quod necessarium esset sumptui sibi cre-
debatur; si precium crediti solveretur, iterum credebatur; sin autem, non
amplius quicquam, donec redderet /credebatur. » Guérard , Car lui. de 2V.-D.,
t. II, p. 265-266. — Voyez : Charte de Hugues III pour Dyon , 1187, art 2,
Garnier, Chartes de communes, 1. 1, p. 5. — 1194. Auxerre, Arch. nat., JJ
7-8, 2« partie, fo 46 v<>. — Auxonne, 1229, art. 6, Garnier, t. II, p. 29. —
Nevers, 27 juillet 1231 ; Teulet, Layettes, n° 2142, t. II, p. 211 a. — Digoin,
juillet 1238, art. 24 ; Canat, Documents inédits, p. 43. — La Rochepot, art.
6, 12, 33; Ibid., p. 19.
V
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 173
La perception des impositions indirectes fut limitée par les
articles 2 et 33.
Les hommes de Lorris ne payaient (art. 2) ni le minage
pour le froment récolté grâce au travaiL de leurs animaux , ni
le forage pour le vin provenant de leurs vignes. En ce qui
concerne le minage , la charte de Louis VI pour les habitants
d'Etampes (1) contient une clause analogue quoique plus res-
trictive.
Le forage était le droit perçu par le seigneur sur la vente
du via (2). A la fin du xme siècle , le bouteiller de France,
Jean de Brienne (3), ayant prétendu au droit de forage à
Lorris, les bourgeois lui opposèrent leur privilège; auquel
un arrêt du Parlement, rendu en leur faveur, le 18 mars
1283, donna une nouvelle sanction (4).
L'article 2 leur accorda l'exemption du paiement du ton-
lieu ou de quelque autre coutume que ce fût, à l'occasion des
achats faits pour leur nourriture; l'article 33, complétant l'ar-
ticle 2, déclare que les ventes ou achats faits par eux en se-
maine ne donneront lieu au prélèvement d'aucune coutume;
mais que le mercredi , jour du marché , ils seront dispensés
du paiement de la coutume seulement pour les choses achetées
à leur usage , mais non pour les choses vendues , ce qui re-
vient à dire , que les bourgeois faisant le commerce retom-
baient sous la loi commune, au moins le jour du marché (5).
Le mot tonlieu ne désigne pas, dans notre texte, un droit d'en-
trée (6) ; mais une taxe proportionnée au prix de vente , et
11) Art. 4. « Nullus insuper minagium, nisi die Jovis, donabit. » Ord.,
t. XI, p. 183.
(2) Telle est l'opinion de Du Gange, (éd. Henschel, v° Foragium, t. III,
p. 344, 2» col.) D'autres auteurs , et notamment M. d'Arbois de Jubainville,
[Hist. des comtes de Champagne, L III, p. 294-295), ont prétendu que c'était
le droit perçu lors de la mise en perce du tonneau.
(3) Jean de Brienne, dit d'Acre, comte d'Eu, mort en 1296, Voir : P. An-
selme, Hist généalog., 3« édit., t. VIII, p. 518. —Aride vérif., t. II, p. 800.
(4) a Dicti bsrgenses et hommes sunt a dicto foragio liberi et immuftes ,
quantum ad vinum quod crescit in vineis propriis eorumdem. » Indiq. par
Bootaric, Actes du Parlement, n* 492, t. 1, p. 374-375; publ. par La Thau-
massièro, Coût, loc., p. 434.
(5) Ce que confirme le tarif du xv* siècle, publié ap. Pièces just, n» XXI V.
(«) Comme l'a traduit Guizot, Hist. de ta civilis., t. IV, p. 223.
Revue hist. — Tome VIII. 12
174 LES COUTUMES DE LORRIS
payée à la fois par l'acheteur et le vendeur : ce qui résulte de
l'article 30 et d'un tarif de 1403 (1).
L'oubli de payer le tonlieu n'entraînait pas d'amende,
pourvu que le coupable réparât sa faute dans la huitaine , et
jurât qu'il n'y avait de sa part qu'ignorance ou simple omis-
sion (art. 30).
Le roi prit des mesures propres à augmenter l'importance
des marchés et des foires de Lorris. Il plaça sous sa sauve-
garde les individus qui s'y rendaient (art. 6). Il était absolu-
ment interdit de s'emparer d'eux, ni de les inquiéter à l'aller
ou au retour, à moins qu'ils n'eussent commis un forfait le
jour même. La charte donnée en 1123 au marché neuf d'É-
tampes contient déjà des dispositions analogues (2).
(1) Voir des extraits du tarif aux P. Jus t., n° XXIV. — Rapprochez de
cet article, uue disposition de la charte par laquelle Louis VI donne en 1147
les foires de Moriguy à l'abbaye du même lieu : « Dum ipsi mercatores in
castello nostro erunt si aliquid vendiderint vel emerint , teloneum nostrum
et quod consuetudinarium est habebimus. a (CartuL de Morigny, Bibl. Nat.,
ms. lat. 5648, f° 8 r°.)
(2) « Omnes quidem illi qui in predictum forum nostrum vel in domos hos-
pitum ejusdem'fori annonam vel vinura vel res quaslibet adducent, quieti cum
omnibus rébus simul in veniendo, in morando, in redeuodo ita permaneant,
quod pro suo vel suorum dominorum forisfacto a nullo homine capientur aut
disturbentur, nisi in forisfacto presenti deprehendantur. » Ord., t. XI, p. 183.
— Dans la charte de commune donnée à Pontoise en 1188 , trois restrictions
sont apportées à la sauvegarde accordée aux marchands forains ; 1° on peut
les saisir s'ils ont commis un forfait; 2° le créancier peut s'emparer de son
débiteur; 3° le plége peut également être arrêté. Art. 4, Ord., t. XI,
p. 254.
Un rôle intitulé : « C'est le péage le roy des denrées qui passent par
Lorris , fait Tan de grâce 1293 » aurait pu nous renseigner sur l'importance
commerciale de Lorris et nous montrer le résultat des mesures prises par la
royauté pour développer le commerce dans le Gfttinais. Je regrette de n'avoir
pu me procurer ce document. Il figure dans le Catalogué des archivée de
M. le baron de Joursanvault (t. II, p. 190, sous le numéro 3271). De là il a
passé dans la bibliothèque du bibliophile Jacob , vendue en 1840. On lit dans
le Catalogue de la vente (Paris, Techener, 1839, in-8°) sous le n» 1374 :
« Manuscrits , chartes, titres et documents originaux sur l'histoire de la ville
de Lorris en Gfttinais, 1144-1495. » 1144 est précisément la date du docu-
ment le plus ancien que possédait sur Lorris le baron de Joursanvault. Il me
paraît certain que les chartes de la bibliothèque du bibliophile Jacob con-
cernant Lorris provenaient des archives Joursanvault. D'autant plus que
parmi les numéros de ces dernières non vendus en 1838 figure le n° 3271
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 175
En même temps , pour garantir la sécurité des marchands,
l'exercice de la saisie extra-judiciaire du gage fut tempéré.
La saisie extra-judiciaire dérive du droit germanique (1).
On chercha à en restreindre l'emploi dès l'époque mérovin-
gienne; mais au début de la période coutumière, cet usage
reparaît plus florissant que jamais. En outre, on constate
que le créancier est plus solidement armé contre le fidéjusseur
ou plége que contre le débiteur principal. S'il y a recrudes-
cence dans cette pratique, c'est qu'au xie siècle l'autorité
judiciaire est affaiblie et que les particuliers trouvent moins
de garantie devant les tribunaux. Si le plége couvre le dé-
biteur, c'est que l'existence de ce plége est la condition
essentielle du prêt : le créancier ne prête que parce qu'un
plége lui garantit l'acquittement de la dette (2). Une charte
de Louis VU pour la ville de Bourges montre combien les
particuliers étaient jaloux , encore au milieu du xne siècle, du
droit de saisir, sans intervention de justice , le gage du fidé-
jusseur (3). Les habitants de Bourges regardaient comme une
mauvaise coutume qu'il leur fût nécessaire d'obtenir la per-
mission du prévôt ou du viguier pour s'emparer d'un gage.
Ce droit pour le créancier de saisir le gage du plége existait
à Lorris; mais, afin d'éviter les troubles qui auraient pu
en résulter les jours de marché et de foire, le roi décida que
Yoy. Delaborde , Les ducs de Bourgogne, t. III, IntroducL, p. uv). Je sois
presque assuré que ce rôle de péage fait aujourd'hui partie de la collection
d'un savant Orléanais.
(1) Voir : Sohm, La procédure de la Lex saUca, traduct. Thévenin, p. 26.
— Esmein , La plégerie, Nouv. revue histor. du droit, année 1883 , p. 99 et
sut.
(2) Opinion professée par M. Thévenin , École pratique des Hautes-Études p
cours de 1882-1883.
(3) Charte de 1145 par laquelle Louis VII confirme l'abolition faite par son
père de mauvaises coutumes en usage à Bourges : « Prava rursus consuetudo
Bitaris tenebatur in fidejussoribus; quod fidejussoris sui vadimonium capere
sise consensu prepositi seu vigerii nullus audebat; de quo preceptum est
abipso (Ludovico YI°) ut quicumque fidejussorem habuit, sine clamore ali-
quo ad prspositum sive vigerium facto , vadimonium ejus secure capiat. »
La Thaum., Coût, loc, p. 62. — Cette prava consuetudo est consignée dans
un acte contemporain de Philippe Ier, où sont énumérés les droits du viguier
de Bourges : « Homo non capiet vadimonium sine vicario ; quod si fecerit,
habebit e* eo vicarius septem solidos et dimidium. » La Thaum., Histoire de
Berru, p. 24.
176 LES COUTUMES DE LORRIS
nul ne pourrait l'exercer ces jours-là; à moins que l'engage-
ment n'ait eu lieu un précédent jour de marché. Cette res-
triction devait être introduite. Autrement, les habitants de
Lorris n'auraient eu aucun recours contre les étrangers, les
marchands du dehors par exemple, qui se seraient portés
cautions.
Le gage saisi , le créancier ne pouvait le vendre qu'après
un certain délai : ordinairement quinze jours. A Lorris, ce
délai n'est que de huit jours ; même s'il s'agit d'un gage
donné par le roi (art. 11).
Ce n'était pas assez d'instituer des marchés; il fallait encore
faciliter les rapports commerciaux entre les bourgs et villes
de la même région. Les garanties de sécurité données aux
étrangers qui venaient à Lorris devaient provoquer un ac-
croissement dans le nombre des marchandises apportées à
Lorris. Mais des mesures propres à favoriser l'exportation des
produits du sol en étaient le complément nécessaire. De là
les exemptions de péages en faveur des homme? de la paroisse
de Lorris, jusqu'à. Étampes, Orléans, Milly en Gàtinaia et
Melun (art. 4). Ils pouvaient ainsi transporter leurs marchan-
dises sans rien payer au fisc royal jusqu'aux limites du Gâti-
nais. Une fois parvenus dans les villes énumérées par l'ar-
ticle 4 , ils étaient assurés d'y trouver le facile écoulement de
leur blé et de leur vin. Divers privilèges de Louis VI, dont
quelques-uns ont été précédemment cités , avaient fait d'É-
tampes un centre commercial. Quant à Milly, ce bourg était
voisin de Corbeil; d'où les blés étaient transportés par la
Seine jusqu'à Paris (1). Il se tenait d'ailleurs à Corbeil des
foires dès le xne siècle, aux fêtes de Saint-Spire (1er août)
et de Saint-Gilles (1er sept.) (2). A Melun, les marchands
étaient assez nombreux pour que Philippe-Auguste eût cru
devoir faire consigner dans un de ses registres les coutumes
auxquelles ils étaient tenus (3). Orléans était la ville avec la-
(1) Ce transport par eau était encore en usage au xvir» siècle, comme en
témoigne Le Maire, HUt. data ville d'Orléetu, t. II, p. 2.
(2) Privilège de CélesUn III (1" févr. 1196) par lequel il confirme, entre
autres choses, à l'abbaye Saint-Spire la possession des « nundinas quas habetis
apud Corboilium in sollempnitatibus beati Exuperii et beati Egidii. » Coûard-
Luys, Carlul. de Saint-Spire, ch. n° 3, p. 7.
(3) Arch. Nat., JJ 7-8 , 2« partie , f° 9 r*.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe RT XIIIe SIECLES. 177
quelle les habitants de Lorris entretenaient les plus fréquents
rapports. Je montrerai plus loin comment c'était le débouché
commercial le plus important de cette région.
Les habitants de Lorris ne payaient non plus de tonlieu
(art. 28) dans quatre bourgs assez considérables du Gâtinais :
Ferrières (1), Château-Landon (2), Puiseaux (3) et Nibelle (4).
Une abbaye importante était établie à Ferrières (5). Je ne
saurais donner aucun renseignement sur l'importance com-
merciale de Nibelle. Château-Landon était considéré comme la
capitale du Gâtinais. Un arrêt du Parlement de 1259 (6)
reconnaît aux bourgeois de Lorris la faculté de porter, sans
acquitter aucun droit, leurs draps aux moulins à foulon de
Château-Landon. A Puiseaux, Louis VI avait établi, en 1112,
des chanoines réguliers pour desservir la nouvelle église de
Notre-Dame (7). Il leur avait assuré l'existence par la cession
de la villa de Puiseaux, avec droit d'y tenir un marché cha-
que semaine (8). Mais l'année suivante, il transporta ces cha-
noines à Saint-Victor près Paris ; et la nouvelle abbaye hérita
de tous les droits accordés â la première fondation ; l'église
de Puiseaux tomba â l'état de prieuré (9). Outre les marchés
ordinaires, une foire annuelle se tinta Puiseaux, commen-
çant la veille de la Nativité de la Vierge et se continuant
pendant huit jours. Par acte de 1145, Louis VII en céda
les revenus â l'abbaye de Saint-Victor et accorda un sauf-
conduit pour l'aller et le retour aux marchands qui s'y ren-
daient (10).
(i) Ferrières, Loiret, arr. de Montargis, chef-lieu de canton.
(2) Ckékau-Landon , Seine-et-Marne, arr. de Fontainebleau, chef-lieu de
canton.
(3) Pmeemux, Loiret, arr. de Pithiviera, chef-lien de canton.
(4) Nibelle, Nibelle-SaintrSauveur, Loiret, arr. de Pithiviera, c»* de Beanne.
(5) Voyez : GalUa Christ., t. VIII, col. 1268.
(6) Parlement de la Toussaint ; Bouiaric, n» 382, 1. 1, p. 33. — Otto», 1. 1, p. 91 .
(7) Diplôme de 1112, la 4* année du rogne, publ. ap. Met*, de la Soc.
êrekéêL de C Orléanais, t. I, p. 135-138.
(8) « Meroatnm etiam in eadem villa per singulas fieri hebdomadas regia
potiwtate in perpetuum annuimus. © Diplôme cité.
(9) Diplôme de 1113, Gall. Christ., t. VII, hutr., n» 55, col. 46. — Tardif,
Cmions des rois, n* 357, p. 204-205. Voyez encore sur le marché de Puiseaux :
Pièces justif., n<> XIX.
(10) Diplôme de 1145, la 9« année du règne, à Orléans : « Ecclesi» Beati
178 LES COUTUMES DE LORRIS
Les habitants d'Yèvre et de Boiscommun qui, dès le règne
de Louis VII, avaient obtenu les coutumes de Lorris, ne
payèrent pas le tonlieu à Puiseaux jusqu'à ce qu'en 1181 le
roi eût autorisé l'église de Puiseaux à percevoir ce droit sur
eux(l), tout au moins les jours de marché. Cependant, quand,
en 1186, Philippe- Auguste confirma à ses bourgeois de Bois-
commun leurs privilèges, il y laissa figurer l'article qui les
exemptait de tonlieu à Puiseaux. Au xine siècle, le prieur,
s'appuyant sur ce fait qu'il tenait les marchés de concession
royale et en toute liberté, voulut imposer le tonlieu aux
hommes de Lorrez-le-Bocage , dotés au xne siècle des cou-
tumes de Lorris. L'affaire vint, en 1263, au Parlement qui ,
après avoir pris connaissance des chartes présentées par les
parties , donna gain de cause au prieur (2).
A la fin du xiii* siècle , les habitants de Lorris étaient dis-
pensés de rendre le péage dû à l'évêque d'Orléans, à Pithi-
viers, sans qu'on sache l'origine de cette exemption (3).
Orléans était le centre commercial de la région. Deux foires
s'y tenaient annuellement dès le xne siècle : l'une à Pâques ,
l'autre à la Toussaint (4). Cette dernière ne durait que quatre
Victoria Parisius... feriam quandam in crastino festi Nativitatis gloriose...
Virginie... singulis annis in villa eorum que dicitur Puteolis, donamus, et
libère et quiète possidendam concedimus , ita videlicet quod in ea nobis ni-
chil prorsus juris retinemus... Euntes vero ad eandem feriam sive redeuntes,
undecumque venerint in conductu nostro recepimus. » Mém. de la Soc. de l'Or-
léanais, t. I,p. 142-143.
(1) Pièces just., n° X.
(2) Parlement de la Pentecôte, 1263. « Prior de Puteolis in Gastinesio
petebat tbeloneum apud Putbeolos in Gastinesio , a quodam homine de Lor-
riaco in Boscagio, qui vocatur Robinus Morgastel. Idem Robinus respondebat
quod non tenebatur solvere theloneum, cum ipse et alii homines de Lorriaco,
per cartam regiam, secundum tenorem carte Lorriaci in Gastinesio quitti
sint de theloneo in pluribus locis, et specialiter apud Putheolos. Prior ad
hoc respondebat quod ipse habebat hanc villam libère cum omnibus juribus
et aliis ad regem pertinentibus , et cum mercato ex dono domini Régis, et
per cartam regiam quœ prior est quam carta ipsorum hominum, utdicebat,
et per aliam cartam régis Philippi, que de quibusdam aliis villis reddebat
eidem priori theloneum : visis et inspectis diligenter cartis predictis et au-
ditis bine inde propositis , determinatum fuit quod idem Robinus tenebatur
solvere ipsum theloneum » (Beugnot, Olim, t. I, p. 552-553).
(3) Arrêt du Parlement de 1291 : Delisle , Restitut. d'un vol. des OUm,
no 125t ap. Boutaric, Actes du Parlement, t. I, p. 325, n° 778, t. I, p. 437.
(4) Voyez : Le Maire, Hist. d'Orléans, en. LXXXIX , p. 321, 327-328.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII" ET XIIIe SIECLES. 179
jours. Elle commençait le jour de la fête de saint Simon et de
saint Jude (28 octobre) et se terminait le jour de la Toussaint.
Elle appartenait aux frères de Saint-Lazare-les-Orléans , d'où
son nom : foire de Saint- Ladre (1). La foire de Pâques était
plus importante. On rappelait aussi foire de Mars; ainsi est-
elle désignée dans une charte de Louis VII donnée à Étampes
en 1178 (2) et dans l'article 20 de notre charte. C'était le
rendez-vous des paysans des bords de la Loire, qui y ve-
naient vendre leurs céréales. En effet, dans un tarif de péages,
cité plus haut , et qui date de la fin du xuie siècle , le rédac-
teur a soin d'établir les relations entre le muid de blé d'Or-
léans et les muids de Saint-Pourçain , Nevers , La Charité ,
Cosne, Donzy, Tours, Beaugency, Meung, Amboise , Blois,
Saumur (3). L'agriculteur pouvait tout à la fois y écouler ses
récoltes et faire provision d'une foule de choses utiles qu'il
n'eût pas trouvées dans son pays. Les marchands du nord y
apportaient leurs produits et probablement des draps. Beau-
vais , Douai , Arras : chacune de ces villes avait une halle à
Orléans (4). Des droits étaient dûs aux différents seigneurs
d'Orléans pour les marchandises apportées aux foires. Ils
furent réduits par le roi en faveur des habitants de Lorris :
ce privilège est spécifié dans les articles 20 et 26 de la charte
de coutumes , dont le tarif du xnie siècle fournit la traduction
et le commentaire : « Lorris, Boiscommun, Soisi, Chesay,
Aubegny, Cleri, Cepai, Le Pont-aux-Moines. Tuit cil de celés
viles franches devant dites quant il mènent à Orliens leur
marchandise ne doivent que I soeul denier de la charrette au
roys , fors es faires de Mars , quant il i vont pour reson de
(1) « La foire de Saint-Ladre est le jour de la Saint Symon et Jude jusqu'à
Toussains et i prent S. Ladçe VIII 1. et par la men au rentiers le roy. » Mém.
de la Société de l'Orléanais, t. II, p. 224. — Passage extrait d'un Tarif de
péage* intitulé : Ce sunt les rentes a" Orliens, rédigé peu postérieurement à
1296, d'après l'éditeur, M. de Vassal.
(2) « Homines forinseci non cogantur Aureliaois Martii nundinas custo-
dire. » Le Maire, p. 320.
(3) « Equacion des mesures . Li muis de blé de Saint-Porcen fera Orliens
IIII muis. ... » Tarif de péages, Mém,, t. II, p. 236.
(4) « Quatre viles i a qui ont leur establies ou leur huiches abonnées einsi
que il ont huiches chascuns en sa hare c'est assavoir : Beauves, Orliens,
Doai et Arrat. » Mém. de la Société de l'Orléanais, t. II , p. 243.
180 LES COUTUMES DE LORRIS
faire. En la faire de Pasques il doivent II d. à l'antrée de la
cité pour la charrete et à l'issue IIII d. (1). » L'article 26 est
le complément de celui-ci : « Si quelqu'un de Lorris conduit
son sel ou son vin à Orléans , il ne doit par charrette qu'un
denier. » Ainsi, en temps ordinaire, les habitants de Lorris
ne doivent qu'un denier par charrette, pour les marchandises,
et spécialement le vin et le sel, qu'ils amènent à Orléans.
Pendant la foire de Pâques, chacune de leurs charrettes paie
à l'entrée deux deniers et à la sortie quatre deniers. Est-ce à
dire, que, ces redevances une fois payées, ils fussent quittes
de tout autre droit d'entrée et de sortie. Il n'en était rien. En
effet, à la fin du xme siècle, tout homme non exempt qui ap-
portait du vin à Orléans par voie de terre payait huit deniers,
sur lesquels le roi prenait six deniers et une obole , l'évêque
une obole , et la dame des Barres un denier (2). Il est évident
que le roi pouvait rabattre quelque chose sur les six deniers
qui lui revenaient, mais il n'avait pas qualité pour exempter
ses hommes des villes franches des redevances dues à d'au-
tres seigneurs. Le Parlement se prononça dans ce sens en
1279 (3). Tel est aussi l'avis exprimé par le rédacteur du
Tarif des péages d'Orléans : « Je ne tieng pas qu'ils saient
(1) Méf*. de la Société de l'Orléanais, t. II, p. 254.
(2) « Quant l'an enmaine vin hors d'Orliens en charrete doit VIII d., cet
asavoir an roy VI d. et o., a l'evesque o., a la dame des Barras I d., se ele
n'i enmenoit que I tonneau mes que il teinst 1 mui ; se il i a mains d'un mai,
noient ; et se il avoit II tonneaux on III en une charrete , si ne devrait-il
que les VIII d. » Mém. de la Société de l'Orléanais, t. II , p. 145. — Le droit
de la dame des Barres est constaté dans un autre document : « Haec sunt
consuetudines que debentur domine Helyos de Barris pro conductu suo quod
habet apud Aurelianensem... Ipsa capit... de quadriga que ducit vinum quam-
diu undine Martis durant, que dorant per octo dies, de quali equo unum
denarium, et post nundinas de quali quadrigata, unum denarium. » Ibid.,
t. II , p. 255-256. — Cette dame des Barres doit ôtre Alix de Saint- Verain ,
femme de Pierre des Barres; elle était veuve en 1283, comme en témoigne
une charte du CartuL de la Cour Notre-Dame, f° 33 v°, Ârch. de l'Yonne.
(3) Le Parlement déclara que la dame des Barres avait droit d'imposer le
péage aux hommes de Lorris venant à Orléans; Delisle, ResHtut. d'un vol.
des Olim, n° 352. — Il est vrai qu'en 1257 le Parlement avait rendu un arrêt
contraire : « Inquesta facta super pedagio seu conductu qoem petit dominue
Petrus de Barris ab hominibus Lorriact apud Aurelianum , de quo dioebat se
usum fuisse : nichil probavit idem Petrus nec habebit saisinam. » Beugnot ,
Olim, t. I, p. 12.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 18!
francs des coustumes Saint-Ladre et au chapistre ne dou con-
duit qui est à la dame des Barres ne de la coustume l'evesque
fors là où la marcheandise ne doit II d. ou mains , quar se la
chairete ne doit que I d. ou II d. li evesque prent moitié , si
que il ne doivent plus à l'evesque ne au roy ; mes s'ele doit
plus de II d. porceque li evesques a moitié es toules et es pe-
tites coustumes ge ne tieng pas que il soit quite dou seurplus
qui affiert a partie l'evesque (1). » Qu'il y eût des opinions
différentes et que les privilégiés , se retranchant derrière le
manque de précision de leur charte , cherchassent à ne payer
que le chiffre indiqué par leurs coutumes , c'est ce que prou-
vent assez les mots : « Je ne tieng pas que.,. »
Tels étaient les privilèges commerciaux accordés aux hom-
mes de Lorris. Nulle mesure n'était plus propre à développer
le commerce du Gâtinais et par suite à accroître , en même
temps que le bien-être des classes agricoles , les revenus du
trésor royal.
Justice et procédure. — Les habitants de Lorris n'étaient
justiciables que du prévôt royal (art. 27). La charte ne donne
aucun renseignement sur l'organisation du tribunal de cet offi-
cier. Était-il assisté par les pairs de l'accusé : nous ne saurions
le dire. Les prévôts d'Étampes et de Pithiviers, ni aucun des
autres prévôts du Gâtinais , n'avaient droit à lever d'amende
sur les hommes de Lorris : ce qui revient à dire qu'ils ne
pouvaient les juger, et qu'au cas où ils les auraient pris en
flagrant délit , ils étaient tenus de les remettre au prévôt de
Lorris pour qu'il en fît justice. Les plaideurs étaient ainsi as-
surés de voir leurs coutumes et privilèges respectés ; le prévôt
ayant pris à son entrée en charge l'engagement solennel de
conserver les coutumes des habitants. En outre, nul ne pou-
vait appeler en justice les hommes de Lorris en dehors de
leur bourg, pas même le roi (art. 8).
L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire avait à Lorris des do-
maines d'une certaine importance. Les individus qui possé-
daient sur la terre des moines, soit une maison, soit une
vigne, soit un pré ou bien un champ, un bâtiment, qui, en
(1) Met*, de la Société de l'Orléanais, t. II, p. 254.
182 LES COUTUMES DE LORRIS
un mot , se trouvaient à la fois censitaires du roi et de l'ab-
baye, n'étaient tenus de répondre en justice à l'abbé de Saint-
Benoît ou à son sergent qu'en matière de censive ou de dîme ;
et encore dans ce cas ne pouvait-on les attirer hors de Lorris
pour juger leurs causes (art. 31).
Ce double engagement pris par le roi envers ses hommes
de Lorris de ne les faire juger qu'à Lorris et par le prévôt,
les mettait à l'abri de tout excès des seigneurs ou des officiers
royaux ; en même temps qu'il prévenait les conflits de juri-
diction qui auraient pu s'élever à l'occasion des procès où ils
étaient impliqués , particulièrement entre le roi et l'abbé de
Fleuri.
L'article 19 porte que « nul ne plaidera avec un autre si ce
n'est pour recevoir droit ou faire droit. » En d'autres termes,
une partie ne peut en appeler une autre au plait du prévôt
que pour réclamer d'elle la réparation d'un dommage ; et réci-
proquement une partie n'est tenue à comparaître que pour
répondre à une accusation portée contre elle. Article inséré ,
me semble-t-il, pour prévenir la fréquence des procès; et
analogue au chapitre XXIV des Assises de la cour des bour-
geois (1) ; « Ici orres de quel chose ne deit estre plais en cort
et ne deit estre oys. » Toutefois la charte de Lorris ne tombe
pas dans la puérilité du rédacteur des Assises qui rappelle
qu'on ne devra pas ouïr deux hommes disputant « de fabrica
mundi , ce est de la grandesse dou ciel , ne de magnitudine
firmamenti , ce est la puissance del monde , et de impetu ma-
ris et cursu fluminum , ni des tempestes de la mer. »
Un certain nombre d'articles donnent des détails sur quel-
ques points de la procédure à suivre devant le tribunal du
prévôt.
Au xiie siècle , pour qu'un juge prît en mains une cause, il
fallait que la partie lésée eût préalablement déposé sa plainte :
une clamor était nécessaire. Toutefois , on sent déjà une ten-
dance de la part du roi à agir d'autorité contre certains crimi-
nels , à se saisir de la connaissance des crimes commis contre
la société. Ainsi, à Lorris, avant d'en appeler à la justice,
les particuliers pouvaient conclure un accord. Exception est
(iï Assises de Jérusalem, éd. Beagnot , t. II v p. 33.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 183
faite par l'article 12 de notre charte pour les cas où il y a eu
entreprise contre le château ou le bourg (1), c'est-à-dire lors-
que la tranquillité publique a été troublée. Alors , le prévôt
doit nécessairement instruire l'affaire. Autrement, si un pro-
cès s'élève entre deux bourgeois , ils peuvent s'accorder à l'a-
miable (art. 12) sans déférer la cause à la justice : le roi ni le
prévôt ne lèvent dans ce cas aucune amende.
La plainte une fois déposée, le prévôt pouvait, s'il le jugeait
convenable, avant de laisser entamer le plait, exhorter les
parties à la paix (2). Les prévôts n'avaient pas intérêt à ce
qu'une affaire portée devant eux se terminât par un accord :
plus la procédure avait été poussée loin, plus était forte l'in-
demnité à eux due. Aussi le roi ne laissa-t-il pas les plaideurs
à la discrétion du prévôt ; il leur était loisible de s'accorder
après le claim ; seulement ils devaient payer au prévôt le dis-
trictum. Je crois qu'il faut assimiler ce détroit au claim du
prévôt, clamor praepositi, fixé par l'article 7 à quatre deniers.
En effet, la charte de Chaumont en Bassigny copiée sur celle
de Lorris, plus précise en ce point, indique le taux du détroit
comme étant de quatre deniers (3).
Il importe de ne pas confondre la clamor prœpositi avec la
falsus clamor, cette dernière amende étant perçue dans le cas
où un individu s'était plaint à tort (4).
(t) Sur le sens de « castelli vel burgi infractura, » voyez Du Gange, éd.
Henschel, v° Burghbrech , t. 1, p. 814. — Plus tard, Beaumanoir dira qu'en
cas de mêlées, les parties ne peuvent délaisser la cause « sans le volenté du
segseur. » Ëd. Beugnot, en. II, § 23, t. I, p. 55.
(2) « Mais aioçois que il face son jugement, s'il li plaist et il voie que bien
soit et loiautez, il doit dire as parties qu'il facent pais et doit faire son loial
pooir de la pais. » Établ. de S. Louis, 1. II, en. xvi , éd. Viollet, t. II , p. 377.
(3) « Ex quo districtum , scilicet quatuor denarios persolverit. » La Thaum.,
Coût, toc, p. 428. — Dans l'article 4 de la charte de Seaus en Gatinais, qui
correspond à l'article 7 de Lorris , les mots clamor prxpositi sont remplacés
par districta : « et districta perdonabuntur pro quatuor denariis. » Ord., t.
XI, p. 199.
(4) « Se aucuns jeuee au dez ou au tables et il se plaint dou jeu, il doit XX
d. de clameur, car il s'est plaint de chose dont l'en ne li doit pas droit fere,
que li rois défiant que l'en ne geuee au des. » Peines de la duchée d'Orléans,
B. Nat., ms. lat. 14580, f° 28 r°. — La distinction entre le claim et le faux
claim est parfaitement établie par un texte des coutumes de Saint-Julien du
Sault au diocèse de Langres , cité par Du Congé , éd. Henschel , v° Clamor
184 LES COUTUMES DE LORRIS
En Berry, on distinguait le claim du prévôt et le ni atteint.
Le claim était dû lorsqu'un des plaideurs, avant que « les
parties aient juré en cause, » reconnaissait son tort (1); et
aussi , lorsque le demandeur (c'est le cas prévu par l'article
12 de la charte de Lorris) s'accorde avec le défendeur ajourné
devant le prévôt (2). Le ni atteint, amende plus élevée, était
exigé par le prévôt au cas où le coupable n'avouait sa faute
qu'après le serment prêté (3).
En Orléanais comme en Berry, le prononcé d'une amende
enlevait au prévôt le droit de prendre un claim. 11 devait en
être de même à Lorris (4).
Enfin, en vertu de l'article 12, le roi, ou son prévôt, ne pré-
levait une amende que si le coupable réparait le préjudice fait
au plaignant. En d'autres termes, l'amende royale était tou-
jours accompagnée de dommages-intérêts au profit de la partie
lésée.
L'emprisonnement préventif est supprimé par l'article 16 :
« Que nul ne soit retenu prisonnier s'il peut s'engager par
plége à se présenter devant le juge. » Déjà, à l'époque méro-
vingienne , on laissait en liberté l'accusé qui promettait en
donnant des cautions de comparaître devant le tribunal du
roi (5). C'est ce dont témoignent Grégoire de Tours et plusieurs
falsus, t. II, p. 374 : « Et la clamors au Prévost vaura a 4 deniers de tour-
nois et ne paiera l'en riens de fause clamor. »
(t) Les coutumes de la ville et septaine de Bourges, art. XXL La Thaum.,
Coût, loc., p. 318.
(2) Les coutumes des amendes que le prévost de Bourges a accoustumé à
prendre. La Th., Coût, loc, en. V, p. 336 : « Item se aucun faîsoit adjourner
ung autre a lui respondre devant le juge, et cellui qui a adjourné soit venist
à chevir à sa partie le prévost y auroit un claim qui vault six blans. » *—
Sur le sens de chevir, voir : Laurière, Gloss., p. 251 ; Du Cange, éd. Hene-
chel, v° Cheviare, t. II, p. 327.
(3) Coutumes de la ville et septaine de Bourges , art. XXII, XXIII, La
Th., Coût, loc., p. 318. — Les coutumes des amendes, c. iv, ibii., p. 336.
(4) « La ou il a amande juigée n'a point de clameur, » B. Nat., ms. lat.
14580, f<> 28 vo; La Th., Coût, de BeauvaUit, p. 467; Jostice et Plet, 1. XVIII,
c. xziv, § 15, p. 279. — Pour le Berry : Coutumes de la ville, c. ixiv. La
Th., Coût, loc, p. 318.
(5) Childebert, ayant ordonné au comte de Tours de saisir le viguier Ani-
modus et de l'envoyer lié en sa présence , le viguier prit l'engagement de se
rendre lui-môme au tribunal du roi : « Sed ille non résistons, datis fidejus-
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 185
ormules de Marculfe (1). La mise en liberté provisoire sous
cautions, nommée dans les Coutumiers récréance, est spécifiée
dans la plupart des chartes de coutumes et de franchises de
la fin du xne siècle et du xine siècle (2). Généralement le sei-
gneur y apportait des restrictions en ce qui touchait les crimes
de haute justice (3). La coutume d'Orléanais au xine siècle
prévoit, elle aussi, les cas où la récréance ne peut avoir
lieu (4). Mais à Lorris, à s'en tenir aux termes de la charte,
tout prévenu, qui peut fournir caution suffisante, est tempo-
rairement laissé en liberté.
Nous connaissons trois des moyens de preuve employés
au tribunal du prévôt de Lorris : les témoins, le serment, le
duel.
Les témoins sont simplement mentionnés par l'article 32.
Le même article porte que, « si quelqu'un des hommes de
Lorris a été accusé de quelque chose et que l'accusation ne
puisse être prouvée par témoin, l'accusé se disculpera par
son seul serment contre l'assertion du demandeur. » Par pro-
batio du demandeur il faut entendre son affirmation. Cet ar-
ticle n'implique pas, comme le pense M. Viollet (5), la sup-
pression des cojurateurs. Au contraire, on peut en conclure
soribus, quo jussus est abiit. » Greg. Turon., éd. Soc. de l'Hist. de Fr., 1. X,
c. y, t. II, p. 219.
(1) Marcul/i formula, 1. 1, c. xvu; de Rozière, Rec. de formules, n* 434, t. II,
p. 527. — Marcul/i form., 1. 1, c. xxvm; De Rot., n° 435, t. II, p. 527. —
De Roz., n» 436, t. II, p. 528.
(2) Charte de Louis VII pour Dun-le-Roi, 1175 : « Nullus eorum vel res
su» capientur, quandiu salvum plegium et bonam secoritatem prœstare po-
terrt et voluerit quod justitiœ stabit. » La Th., Coût, loc, p. 68.
(3) Voyez : juin 1224, Charte de Mathilde de Nevers pour les habitants
de Tonnerre, Quantin , Rec. de pièces du xm» siècle, p. 137. — Avril 1233,
Franchises de la Roche-Pot, art. I. Canat, Documents inédits, p. 17. — 1241,
Franchises de Montaigu, art. I, ibid., p. 45. — 1269, Privilèges de Menestou-
sur-Cher, La Th., Coût, loc, p. 95. — Chartes de Franche-Comté; voyez :
Tuetey, Étude sur le droit municipal en Franche-Comté, p. 87.
(4) er Recréance ne siet mie en chose jugiée , ne en murtre , ne en traïson,
ne en rat, ne en encis, ne en agait de chemin, ne en roberie, ne en larrecin,
ne en omicide , ne en trêve enfrainte , ne en arson , selonc l'usage de la cort
laie; car li plege si n'an porroient perdre ne vie ne mambre... mais il seraient
en la volenté au seignor des héritages et des muebles. » Et. de saint Louis,
1. II, c. vin, éd. Viollet, t. II, p. 343-344.
(5) Et. de saint Louis, éd. Viollet, t. I, p. 202.
186 LES COUTUMES DE LORRIS
que ce mode de preuve était encore eu usage à Lorris au xnc
siècle. Seulement, la charte prévoit le cas où le défendeur
sera dispensé d'y avoir recours : à savoir quand le demandeur
ne pourra amener des témoins pour soutenir son accusation.
D'ailleurs , à l'époque carolingienne , parallèlement à la conju-
ration, beaucoup plus fréquemment employée, on rencontre
déjà le serment purgatoire per solam manum, ou propria
manu (1).
On pouvait dans certains cas, non indiqués, dispenser une
partie de prêter le serment qu'elle devait à une autre ; l'article
13 n'indique pas clairement si cette remise était faite par la
partie ou par le juge (2).
Le duel judiciaire était un des modes de preuve les plus em-
ployés aux xie et xii° siècles. Il semble qu'à partir de la fin du
ixe siècle il ait été particulièrement en faveur. Un des auteurs
des Miracles de saint Benoît rapporte un fait curieux (3) qui se
passa au temps de l'abbé Boson (833-840) (4). Un procès s'é-
tant élevé entre l'avoué de Saint-Benoît-sur-Loire et celui de
Saint-Denis, les parties s'en remirent à la décision de maîtres
es lois et de missi royaux. Un premier plait n'eut pas de ré-
sultat : de tous les personnages présents (Jonas, évêque d'Or-
léans, y était), pas un ne connaissait suffisamment la loi
romaine qui régissait les biens d'église. On se transporta à
Orléans dans l'espérance d'y rencontrer des juges plus ins-
truits : il n'en fut rien. Un duel judiciaire : voilà le seul
moyen que les docteurs de l'Orléanais et du G&tinais trou-
(1) Voyez : Pardessus, Lot Salique, Dissertation X!, p. 631 ; Du Cange, éd.
Heoschel, v° Jurare, t. III, p. 929, col. 2. — Capital. 3 de l'an 806, c. 2 :
Un individu est accusé d'avoir donné asile à un voleur.... « Si autem au-
divit quod latro fuisset , et tamen non seit pro ftnniter, aut juret solus quod
nunquam audisset, nec per veritatem, nec per mandacium eum latronem esse;
aut sit paratus , si ille de latrocinio postea convictus fuerit , ut similiter dam-
netur. » Baluze, 1. III, § xxiii, 1. 1, col. 758; Pertz, Leges, t. I, p. 146.
(2) Je ne crois pas la traduction , que Laferrière a donnée de l'article 13,
suffisamment justifiée : « Si une partie a déféré en justice le serment à
l'autre, il sera permis à celle-ci de la référer au demandeur. » Hist. du droit
français, t. IV, p. 158.
(3) Miracula Sancti Benedicti, 1. I, c. 25, éd. Soc. de l'Hist. de France,
p. 56-57.
(4) Voyez Gall. Christ., t. VIII, col. 1543.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII* SIECLES. 187
vèrent pour mettre fia au différend. Et cela, dit le chroni-
queur, parut juste à tous. Les écus et les bâtons étaient prêts,
quand un légiste du Gàtinais proposa de partager les biens
en litige entre les deux avoués. L'assemblée se rallia à cette
opinion.
Si, au ixe siècle, on avait aussi facilement recours au duel,
ce fut bien autre chose au xi* siècle. Les églises , à cette
époque , n'hésitaient plus à trancher leurs débats par un com-
bat singulier (1), en dépit des défenses, d'ailleurs timides et
rares , des conciles et des papes (2). Au xiie siècle seulement,
la papauté se prononça formellement contre l'emploi du duel
dans les affaires où les intérêts d'une église étaient engagés (3).
On regardait comme privilégiés ceux des seigneurs qui avaient
droit de recevoir les gages de bataille : c'était là, en effet,
une source de revenus. Ainsi, dans une donation de village
faite, en 1073, par Evrard, vicomte de Chartres, on lit : « 11
est convenable de noter que le dit village non seulement a été
jusqu'ici entièrement libre de toute exaction, mais même qu'il
a sur les autres cet avantage singulier que de long temps
(1) En 1064, charte relatant une contestation entre les moines de Saint-
Serge d'Angers et ceux de Saint-Aubin d'Angers, cit. par Marchegay, Bibl.
de VEc. des Ch., t. I, p. 552, n. 3. — Vers 1070, duel judiciaire ordonné
pour terminer un procès entre l'abbaye de S.-Père et les héritiers d'un cer-
tain Robert qui avait reçu des moines l'usufruit d'une terre, Cartul. de S.-
Père de Chartres, t. I, p. 160, n© 33. — En 1098, Guillaume d'Aquitaine
ordonne un duel entre l'abbaye de Marmoutiers, d'une part, et celles de
Sainte-Croix de Talmont et de Sainte-Marie d'Angles , d'autre part. Charte
publ. par Marchegay, Bibl. de l'Ec. des Ch., 1. 1, p. 561-564.
(2) Concile de Valence (855), can. XII, ap. Labbe, t. VIII, col. 140-141. —
Nicolas Ier n'approuvait pas le combat singulier, comme on le voit dans une
lettre à Charles le Chauve, ep. 148, éd. Migne, col. 1144 D.
(3) 1140, Bulle d'Innocent II, cit. par Du Cange, éd. Henschel, t. II,
p. 952, col. 3. — 1156, Bulle d'Adrien IV, adressée à Ardouin, abbé de
Saint-Germain d'Auxerre , lui interdisant d'avoir recours au duel pour vider
les procès relatifs aux biens de son abbaye, et déclarant nulles les préten-
tions de ceux qui ne pourraient prouver leur droit contre le monastère au-
trement que par le duel. Publ. par Quantin, Cartul., t. I, p. 544-545. —
En 1195, Célestin III défend l'emploi du duel dans les affaires concernant les
biens des églises, Corp. J. C, c. 1, Xa, V, xxxv. — Ives de Chartres,
dans une de ses lettres , désapprouve l'évéque d'Orléans d'avoir autorisé un
duel dans son tribunal, et lui rappelle que l'Eglise romaine n'admet pas ce
mode de preuve. Ep. n° 247, éd. Migne, t. II, col. 254.
188 LES COUTUMES DE LORRIS
demandeurs et défendeurs s'y rendent des villages d'alentour
pour le jugement du fer chaud et le combat avec bouclier et
bâton, et que toute cause est déférée au tribunal du seigneur
du dit village (1). »
Un des articles (art. 14) des Coutumes de Lorris concerne
les amendes à percevoir sur les plaideurs qui ont recours au
duel : on y a vu un effort de la royauté pour diminuer le
nombre des duels. Les remarques qui précèdent étaient né-
cessaires pour montrer jusqu'à quel point le combat singulier
était passé dans les mœurs judiciaires. C'est à peine si, au
xn* siècle, la voix de la papauté était écoutée par les clercs (2).
Louis VI ne pouvait songer à abolir le duel judiciaire. Lui-
même n'hésita pas à y recourir. Ainsi le comte de Blois ayant
voulu élever, après 1111 (3), un château dans le fief du Pui-
set , le roi s'y opposa et s'engagea à prouver son droit par un
combat : son sénéchal devait le représenter (4). N'est-ce pas
le même roi qui augmenta le nombre des personnes pouvant
user du combat singulier? Il accorda aux serfs des églises de
Notre-Dame de Paris (5), de Sainte-Geneviève (6), de Saint-
Martin-des-Champs (7), de Saint-Maur (8), et de Notre-Dame
de Chartres (9) le privilège de se battre contre les hommes
libres en même temps que le droit de témoigner contre eux
en justice. Il semble toutefois que Louis VI et Louis VII aient
(1) « Non absurde aulem videtur hic inserere quod prœdicta villa non so~
lum ipsa ab omni prorsus exactione liberrima hucasque perseveraverit, verum
etiam in tantum hujusmodi privilegio omnes esteras antecellit , ut de proaû-
inis circumquaque villis ad judicium calidi ferri portandum et ad bellum cam-
pionum clipeo et baeulo faciendum, ez antiquitate semper illic accusatorts et
aoouaati conveniant, totaque causa ad ipsius villas domini deferatur audien-
tiam. » Mabille, Cariulaire dunois, n° XLI, p. 38-39.
(S) Nous voyons que le duel judiciaire était encore usité, en 1176, à la cour
de l'archevêque de Sens. Eudes, archevêque, règle les droits des marguil-
Uers ; « Et nullus prêter eos possit locare scuta ad facienda duella in caria
arohiepisoopi. » Cartul. de V Yonne, t. II, p. 285.
^3) Date de l'annexion du fief du Puiset à la couronne.
(4) Suger, Vita Ludovici, c. XVIII, éd. Lecoy, p. 76.
(5) 1108. Charte publ. par Guérard, Cartul. de Noire-Dame, t. I, p. 246.
(6) 1109. Tardif, Cartons des rois, n» 344.
(7) HU. Tardif, lbid., no 346.
l&) Ut*. /Md„ n» 371. — 0rd.f t. I, p. 3-4.
v9) Hâ8, Ord.,t. I, p. 5.
BT LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 189
tenté quelques efforts pour restreindre l'emploi du duel judi-
ciaire : nous allons voir dans quels cas (1).
Lorsqu'un homme de Bourges avait négligé de se rendre à
la semonce du prévôt ou à celle du voyer, il lui fallait prouver
par le duel qu'il n'avait pas eu connaissance de la citation. En
1145, Louis VU, renouvelant une disposition déjà prise par
son père , déclare que le prévenu se libérera par un simple
serment de l'accusation portée contre lui par le prévôt ou le
voyer (2).
En 1174, le même roi, après avoir aboli de mauvaises cou-
tumes en usage à Jusiers , près Meulant , décide qu'au cas où
quelqu'un voudrait inquiéter à ce sujet l'église ou les hommes
de l'église, ceux-ci pourront se défendre contre toute vexa-
tion et garantir la liberté de leurs coutumes, s'en assurer la
paisible jouissance par le simple serment de vingt d'entre
eux, sans qu'on puisse les forcer à prouver leur droit par le
duel (3).
Enfin, en vertu d'une charte de 1178, le combat judiciaire
ne devait plus être usité à Orléans pour une contestation au
sujet d'une dette inférieure à cinq sous (4).
En prenant ces dispositions , Louis VI et son fils ne cher-
chaient pas tant à substituer au duel un moyen de preuve
plus juridique qu'à améliorer la condition des non nobles de-
vant les tribunaux. Seulement, sans l'avoir voulu et indirec-
(1) Dès 1120, à Fribourg en Brisgau, l'emploi du duel était restreint à
3 cas : « Duellum autem non débet fleri nisi pro sanguinis effusione vel pro
preda vel pro morte. » Giraud, Hisi. du droit français, t. I, Pièces justif.,
p. 428.
(2) « Prepositus nrbis prescript® sive vigerius aliquem hominem ad se
mandabat et dicebat : mandavi te ad me et contempsisti venire; fac mini rec-
tum de despectu. Hanc autem consuetudinem sic pater noster emendavit,
pnecipiens at si ille negare potuerit per unum planum sacramentam transeat,
et pro despectu aliquo nullum duellum faciat sicut antea esse solebat. » La
Thaum., Coût, toc, p. 62.
(3) « Si quis igitur predictas consuetudines pervertendo ecclesiam vel ho-
mines injuste veiare presumpserit statuimus quod tam ecclesia quam eccle-
siœ Domines vicesima manu poterunt, sine contradictione et sine duello, sua-
rom consuetudinum probare libertatem et probatam sibi illesam retinebunt. »
CarUd. de S.-Père de Chartres, n° XLIII, t. II, p. 651.
(4) « Pro debiti citra quinque solidos negatione inter aliquos non judicetur
duellum. » Ord., 1. 1, p. 16.
Rivuk HiST. — Tome VIII. 13
t
190 LES COUTUMES DE LORRIS
tement, Louis VI et Louis VII, par le fait même qu'ils inter-
disaient le combat judiciaire dans les circonstances où son
usage pouvait être préjudiciable à une certaine classe de per-
sonnes , en ont restreint l'emploi. H est évident que le prévôt
ou le vôyer de Bourges avaient à leur disposition de meilleurs
champions que ne pouvait s'en procurer un particulier : toutes
les chances de victoire étaient de leur côté; de là, pour eux,
l'occasion de percevoir une amende sur le vaincu.
Venons maintenant à l'examen de l'article 14 de la charte
de Lorris. Dans le droit féodal primitif, refuser le combat,
c'était s'avouer coupable. Il était cependant barbare de con-
traindre un accusé à courir les chances d'un combat sihgulier.
La royauté chercha à apporter un tempérament à la rigueur
de cette procédure. L'article 14 de notre charte porte : « Si
les hommes de Lorris ont donné follement des gages de duel,
et qu'avec l'assentiment du prévôt ils se soient accordés avant
de donner des cautions, chaque partie paiera deux sous et six
deniers; et, si les cautions ont été constituées, chacun paiera
sept sous et six deniers. » Ainsi , les hommes de Lorris qui
ont remis au prévôt leurs gages de bataille, ou même qui ont
établi des cautions , peuvent en venir à une conciliation en
payant au prévôt une indemnité , bien justifiée d'ailleurs par
le dérangement qu'avait occasionné aux officiers royaux ce
commencement inutile de procédure.
L'imposition de ces amendes ne nous semble pas avoir été
en elle-même de nature à diminuer le nombre des provoca-
tions : les parties hésitaient moins à s'engager dans la procé-
dure du duel du moment qu'elles savaient n'être pas forcées
de la suivre jusqu'au bout, jusqu'au champ clos. Mais, comme
à deux moments différents de la procédure on pouvait l'inter-
rompre et conclure un accord, il est certain que les duels
livrés ont dû devenir de plus en plus rares.
J'ai laissé de côté la dernière partie de l'article : « Et si le
duel a eu lieu entre hommes légitimes (1), les cautions du
(1) Hominet legitimi. Cette expression désigne quelquefois les hommes
libres par opposition aux serfs. Mais comme les hommes de Lorris, à qui
s'adressent les Coutumes, sont libres, il faut sans doute entendre iei par
cette expression « les hommes ayant le droit de se battre en duel , » ou en-
core « les champions légalement constitués. »
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 191
vaincu paieront 112 sous. » Deux interprétations se présentent.
Ou bien on pent entendre que ces US sous sont le taux de
l'amende à payer par les otages dans le cas où l'accord a eu
lieu seulement après le duel ; ou bien , que cette amende est
payée par les cautions du vaincu , dans tous les cas où le
duel a été livré.
n semble en effet que, d'après certaines Coutumes, l'accord
pomvait être conclu même après le duel terminé. Sans doute
un pareil usage ne laisse pas que d'être fort étonnant. Com-
ment les plaideurs peuvent-ils transiger sans reconnaître im-
plicitement que ni l'un ni l'autre n'ont complètement tort.
Cependant la Coutume d'Anjou mentionne la paix de chose
jugée (1); le jugement rendu servait de base à la transac-
tion (2). Beaumanoir prévoit le cas où la paix est conclue
après la défaite de l'une des parties. En Beauvaisis , le con-
sentement du seigneur direct ne suffisait plus pour la conclu-
sion de cet accord ; celui du comte de Clermont, seigneur haut
justicier, devenait nécessaire (3).
La conjonction et placée en tête de la proposition que je
cherche à interpréter nous oblige-t-elle à la relier au reste de
l'article et à traduire : « Et si l'accord a eu lieu après que le
duel a été livré, les otages du vaincu paieront 112 sous. » Je
ne le crois pas. En effet, l'article 12, nettement séparé dans
le registre C de Philippe-Auguste de l'article 11 par un trait
i l'encre rouge, débute par la conjonction et; cependant, ces
deux articles n'ont aucun rapport entre eux ; il en est de même
de plusieurs autres.
Ce qui est , selon moi , décisif et doit faire abandonner la
première explication de la fin de l'article 14, c'est que dans
une charte accordée par Héloïse de Chaumont à ses hommes
de Villemanoche en 1248 (4), et où je signalerai plus loin de
notables emprunts aux Coutumes de Lorris , le rédacteur a
(1) Et. de taxai Louis, 1. I, c. 96, éd. Viollet.
(2) Viollet, EL de tout louit, Introduction, t. I, p. 209-210.
(3) « n loist à cascun segneur qui a gages en se cort de soufrir que pes
soit fête des gages, s'il li plest, mais que ce soit avant que l'une des parties
toit tamcue, car **©» atendoit tant, le pet ne te porroit fere tant l'acort du
eonU. » Beaumanoir, éd. Beognot, ch. LX1V, § 14, t. II, p. 439-440.
(4) Pièces justificatives , n° XX, art. 7.
192 LES COUTUMES DE LORRIS
négligé la première partie de l'article 14 et n'en a transcrit
que la dernière , à la suite d'une clause portant réduction des
amendes : « Si vero de legitimis hominibus duellum factum
fuerit , obsides devicti centum et duodecim solidos turonen-
sium persolvent. »
Ainsi, dans tous les cas où un duel avait eu lieu, les cau-
tions du vaincu devaient une amende à la justice. Une telle
disposition a-t-elle été prise pour effrayer les personnes prêtes
à se porter cautions et diminuer le nombre des duels? Ou
bien est-ce là un privilège?
Une étroite solidarité unissait les pièges à celui pour qui
ils se portaient garants. Dans la chanson de Roland , (et il
nous est bien permis d'invoquer ce poëme qui retrace les
mœurs de la fin du xi° siècle), les otages de Pinabel, vaincu
par Thierry, subissent la même peine que lui (1). De même
dans Huon de Bordeaux, l'abbé de Cluny n'hésite pas à se
porter caution pour Huon , bien qu'il sache le sort qui l'at-
tend si Huon est vaincu :
« Et se tu es ne vencus ne maumis »
dit-il à Huon ,
« Honnis soit Karles , li rois de Saint Denis ,
» S'il ne me pent, ains qu'il soit avespri,
» En ma compaigne de moines IIII" X (2). »
Mais, comme l'a fait remarquer M. L. Gautier, les mœurs
sont devenues plus douces , et à la prière de Rainfrois , Char-
les s'engage à ne pas pendre les otages du vaincu : il confis-
quera seulement leurs terres (3).
Établir qu'à Lorris on ne frapperait jamais les cautions que
d'une amende pécuniaire (4), quelle que fût d'ailleurs la peine
encourue par le vaincu, c'était leur donner un privilège.
Donc, ce qu'il faut voir avant tout dans l'article 14, c'est
(1) Chan$on de Roland, éd. L. Gautier, v. 3930-3933, v. 3947-3955.
(2) Huon, éd. Guessard, p. 43.
(3) Huon, éd. Guessard, p. 44.
(4) Bien qu'assez élevée, cette amende de 112 sous ne Tétait pas autant
que le pense M. Combes qui Ta évaluée en sous d'or. Annalet de la Faculté
des lettre* de Bordeaux, t. II, p. 62.
ET LBUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 193
an adoucissement apporté à la rigueur de la procédure du
duel. De plus, en permettant les accords, la royauté, sans
peut-être qu'elle se fût rendue compte du but qu'elle attei-
gnait, avait porté un premier coup au combat judiciaire : les
parties continueront à se provoquer , mais elles transigeront
le plus souvent sans en venir aux mains.
Je ne puis passer sous silence un proverbe fameux auquel
le texte que je viens d'examiner a donné naissance :
C'est un proverbe et commun dis
Qu'en la coustume de Lorris ,
Quoiqu'on ait juste demande,
Le battu paie l'amende.
Tous les jurisconsultes qui ont parlé des Coutumes de Lor-
ris (1) ont cité ce dicton; tous en ont cherché l'origine dans
l'article 14 de la charte de 1155; il est fort difficile de L'y rat-
tacher. D'abord l'amende est payée , non par le vaincu , mais
par ses otages : ceux-ci avaient-ils donc un recours contre
celui pour qui ils avaient répondu? Mais il ne faut pas de-
mander trop de précision aux dictons populaires. Admettons
que les 112 sous aient été payés par le vaincu ou ses ayant
cause. Qu'y avait-il là de si particulier? Pasquier, dans ses
Recherches , Delalande dans son commentaire de la Coutume
d'Orléans , et les éditeurs du Nouveau Coutumier prétendent
que dans la plupart des coutumes le vaincu n'encourait d'autre
peine que la perte de son procès. Cependant des chartes du
xne et du xine siècles et de divers pays fixent la somme à
(1) Et. Pasquier, Recherches de la France , 1. VIII, c. xxix, éd. 1643, p. 725.
— D. Mono, Hist. du Gastinoti, éd. 1630, p. 167. — Le Maire, Hit t. d'Or-
léans, t. H, p. 35. — Ànt. Loysel, Institutes coutumières, éd. Dupin, 1. VI,
t I, § 29, t. H, p. 196. — Floris de Bellingen, Recueil de Proverbes, éd.
1656,1. II, ch. 25, n<> 60, p. 208. — Nouveau Coutumier général , 1724, t. III»
p. 829. — Coutume d'Orléans, commentée par Delalande, 2* éd. 1704, t. I,
ancienne préface. — Matinées Sénonoises, 1789, p. 83-84. — Du Gange, éd.
1733, v° Duellum 3, t. II , col. 1670. — Le Roux de Lincy, Le livre des Pro-
verbes français, t. I, p. 234. — Deligand, Le battu paie l'amende, article ap.
BuUetm de la Soc. archéolog. de Sens, t. VI, p. 50-56. — Dom Morin, Le Maire
et Dncange ont imprimé ainsi le premier vers :
a Cent un proverbe et commun ris. »
194 LES COUTUMES DE LORRIS
percevoir par le seigneur sur le vaincu (1); et Loysel donne
comme une règle générale sous le n° 817 de ses Institutes :
« Le mort a le tort et le batu paye l'amende. » Ce sont ses
commentateurs qui en ont rapproché le proverbe de Lorris. Il
faut croire que c'était là un proverbe particulier à la région
du Gâtinais où la plupart des villages jouissaient des Coutumes
de Lorris.
Pénalité. — La punition des crimes de haute justice n'est
pas déterminée dans notre charte. Sur ce point le droit com-
mun resta en vigueur. C'est ce qu'autorise à croire une clause
spéciale de la charte de Sceaux en Gâtinais , où d'ailleurs le
tarif des amendes est le même qu'à Lorris (2). Ces crimes
étaient d'après la charte de Sceaux : l'homicide , la trahison,
le vol, le rapt. Il faut y ajouter le meurtre et la mutilation
d'un membre (3). Peut-être les criminels passibles d'une peine
supérieure à l'amende de 60 sous demeuraient-ils à la merci
du roi (4).
La confiscation des immeubles , et plus exactement le re-
trait des tenures, existe à Lorris dans le cas de forfait envers
le roi ou quelqu'un de ses hôtes (5) (art. 5).
(1) 1190. Enquête sur les droits de Ph.-Aug. et de Richard Ier à Tours :
« Si autem bellum factum fuerit , de victo dexaginta solidos habebit cornes et
non plus... » Teuiet, Layettes, t. I, p. 161 a. — Avril 1222 Coutumes de
Beaumont-sur-Oise, art. 8 : « De dueÙo victo (habebimus) LXVII Bolidos et
dimidium si duellum fuerit de fundo terre vel pecunia. » Ord., t. XII, p. 298.
— Charte de commune de Dijon, art. 22 : « Si duellum victum fuerit, rictus
LXV solidos persolvet. » Garnier, Chartes de communes, t. I, p. 9.
(2) Sceaux, Loiret, arr. Montargis, con Ferrières. — Charte de 1153, art.
5. Ord., t. XI, p. 199.
(3) D'après la charte donnée par Ph.-Aug. aux bourgeois d'Orléans en
1183 : a Et quod nullus eorum pro aliquo forifacto plusquam LX solidos
emendabit nobis , nisi pro furto , raptu , homicidio, multro et proditione , vel
niai alicui pedem vel manam, vel nasum, vel oculum, vel aurem, vel aliquod
aliud membrum abstulerit » Ord., t. XI, p. 227.
(4) En 1169, le roi fixant les droits des hôtes de Villeneuve près d'Étampes,
réduit le taux des amendes comme à Lorris ; il ajoute : « Quod si forisfac-
tum fuerit plusquam sexaginta solidorum ad nostrum beneplacitum admensa-
rabitur. » Ord., t. VII, p. 684. — H en était de môme dans la franchise de
Beaumont-sur-Oise, art. 9 et art. 10. Ord., t. XII, p. 298-299; et dans la
commune de Chambli, art. 15; Ord., t. XII, p. 304,
(5) Outre que le texte même de l'article 5 implique qu'il s'agit de la con-
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 195
M. P. Viollet y voit le résultat d'une influence directe du
droit romain. Dans le très ancien droit germanique, les meu-
bles seuls étaient susceptibles d'une confiscation. En Touraine
et Anjou, la confiscation des terres est encore inconnue au
xin* siècle. L'Orléanais était, d'après le même auteur, plus
avancé , puisqu'à Lorris , l'immeuble peut âtre confisqué dès
le xue siècle (1).
D'abord , le retrait de la tenure n'existe à Lorris que dans
le cas de délit commis contre le roi ou upe personne placée
soi|s sa protection immédiate (2).
Dans la législation romaine, la confiscation était appliquée
dans plus d'un cas , et elle frappait les immeubles. Justinien
l'abolit (3), la maintenant toutefois pour la punition du crime
de lèse-majesté (4).
Dans la Loi Salique, quand un accusé refusait de comparaî-
tre devant le tribunal du roi, il était banni, et ses biens
confisqués (5). Un titre de la loi des Ripuaires (6), au vu*
siècle, édictait la confiscation contre ceux qui avaient manqué
fiscation de la terre : « Quicumque in parrochia Lorriaci posBessionem habue-
rit », généralement possessio dans la langue juridique du Moyen-âge
désigne les immeubles : « Si Romanus homo poBsessor, id est qui res in
pago ubi commanet proprias possidet, occisus fuerit. .. » LexSalica, t. XLI,
§ 7, Baluze, t. I, col. 310. — On lit dans les franchises de Cuiseaux (1265),
art. LVI : « Item volumus et concedimus quod habitantes in villa Cuiselli qu
habqnt possessiones immobiles in distrjctu nostro » Canat, Doçun*
fat*., p. 80.
(1) « L'influence romaine se fera sentir plus tard lorsque la confiscation
sera prononcée contre le crime de lèse-majesté. . . L'Orléanais est plus avancé
que l'Anjou. » P. Viollet, Établissements de saint Louis, Introduction, 1. 1,
p.!Q7-108.
(2) Il s'agit non pas des personnes que* le roi hébergeait dans son chfieau
de Lorris, mais bien plutôt des hôtes, au sens étroit du mot, des hommes à
qui le roi avait donné un lot de terre. On lit dans la charte d'Ervy, imitée 4e
celle de Lorris : « Quicumque eorum in parrochia sive castellania Erviaci
possessionem nisi adversum me vel hominem de eadem Hltertate fore-
fecerit. » Qrd., t. VI, p. 200.
(S) Année 535, Nov. XVII , cap. XII.
(4) Par un édit de 556, Nov. CXXXIV, c. XIII.
(5) LexSalica, édit. Merkel, t. LVI. — Voir : Sohm, Procédure de taie»
SeMca, Jrad. Thévenin, p. 120.
(£) « Si quis homo Régis infideli eztiterit, de vita componat, et omnes res
ejos fisco censeantur. » L. Rip., LXIX; titre tiré d'un édit de Clotaire II ou
deDagobert Ier.
196 LES COUTUMES DE LOREIS
à la fidélité due au roi. Enfin , la saisie des immeubles, pro-
pres et bénéfices, revient souvent dans les Capitulaires (1) :
elle y est introduite pour les cas où il y a eu manquement au
serment de fidélité prêté au roi , infraction à un ordre du roi ,
injure envers le roi ou quelqu'un de sa famille. Je ne nie pas
que le titre de la loi des Ripuaires comme les dispositions des
Capitulaires n'ait été rédigé sous une influence romaine. Je
voulais seulement établir que c'est non pas tardivement et
par suite d'une renaissance du droit romain , comme semble
le dire M. Viollet, mais bien à une époque très reculée, que
la confiscation des immeubles s'est introduite dans notre lé-
gislation ; même elle a pu ne jamais disparaître depuis l'épo-
que romaine pour les crimes de droit public.
Quant à ces forfaits commis contre le roi ou ses hôtes , et à
l'occasion desquels pouvait être prononcée la confiscation , la
charte a négligé de les définir. Ce sont les délits qui atteignent
le roi ou ses hôtes dans leur personne ou leurs droits.
Il y eut un temps où le non-paiement du cens pouvait en-
traîner la confiscation de la tenure. Mais déjà au xe siècle, on
a soin de spécifier dans la plupart des concessions de terres à
titre de censives qu'au cas où le censitaire ne paiera pas le
cens, il en sera quitte pour payer une amende au seigneur (2).
(1) D'abord le comte au nom du roi met la main sur tous les biens du dé-
linquant (Cap. de 802, édit. Boretius, n°33, § 32, 1. 1, p. 97; Ibid., § 36,
p. 98). Cette main-mise provisoire se change après certains délais en confis-
cation (Capit. de 803, addit. Legi Hipuarix, édit. Boretius, n° 41, § 6, t. I,
p. 118). — Par un diplôme donné à Aix-la-Chapelle, le 31 mars 797, Charle-
magne absout un comte nommé Théodulphe , qui s'était révolté, d'une accu-
sation de crime de lèse-majesté et lui restitue les biens qui lui avaient été
confisqués à tort ; Théodulphe s'étant justifié par le jugement de Dieu : « Ali-
qui vero fidèles per judicium Dei se idoniaverunt , sicut Theodoldus, cornes
fidelis noster, visus est fecisse, cui et nos omnes res proprietatis sue, juxta
ejus deprecationem , . . . denuo et nostro largitatis munere , quantumcumqne
ex hereditate parentum aut de qualibet attractum juste et rationabiliter antea
possiderat. . . jure flrmissimo ad legitimam proprietatem reddi fecimus... »
Tardif, Cartons des rois, n« 96, p. 71. — Dans un capitulaire d'entre 802 et
813, la confiscation de Y her éditas est prononcée contre les parricides (édit.
Boretius, no 56, § 3, t. I, p. 143).
(2) En 985, cession de terres par Guill. Fier-à-Bras, moyennant le paiement
d'un cens annuel de 5 sous : « Quod si ex jam dicto tardi aut neglegentes
pro aliqua difficultateapparaerunt, geminatum censum reddant et jam dictas
res nullo modo perdant. » Musée des archives départementales, n° 16, p. 35. —
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII* SIECLES. 197
Je ne puis citer aucun texte du G&tinais ou de l'Orléanais :
mais il y a lieu de croire que cet usage de substituer au
retrait une amende assez minime était en vigueur dans notre
région (4).
L'amende de 60 sous est réduite à 5 sous ; celle de 5 sous à
12 deniers (art. 7).
Cette amende de 60 sous apparaît déjà à l'époque mérovin-
gienne. D'après la loi des Ripuaires , elle frappait ceux qui
négligeaient de se rendre & une convocation royale (2), ou
ceux qui commettaient un délit envers une personne placée
sous la protection du roi (3). On l'encourait encore en s'ap-
propriant un bien donné par le roi (4), en refusant d'héberger
un envoyé royal (5) , en mettant un voleur en liberté (6), en
donnant asile à un banni (7). C'est par excellence l'amende
royale. Tel est encore le caractère qu'elle revêt dans les Capi-
tulaires , où elle est dite par le roi bannum nostrum (8). En dé-
Entre 991 et l'an 1000, l'abbaye de Marmoutiers accense une terre, sise
dans le Danois, à Gisbaud et Gui : « Studeant nobis censum reddere... et si
de eodem censu négligentes aut tardi reperti fuerint , liceat emendare eis et
quod tenuerint non perdant. » Manille, Cartul. Dwiense, n» VI, p. 7-8. —
Entre 1015 et 1020 , accensement par la même abbaye d'une terre, sise dans
le Danois, à Guérin : « Ea scilicet ratione ut omni anno... studeat solvere
eensam.. . Quod si neglezerit liceal illi emendare. » Ibid., n° XVIII, p. 19.
— Voyez encore : môme cartel., n° LU , p. 47.
(!) Au moins était-il en vigueur au xm« siècle : « Qui ne rent son cens à
jor, il doit cinq sols d'amende. » JotUce et Plet, p. 281.
(2) Loi des Ripuaires, LXV, 1.
(3) Ibid., XXXV, 3 ; LVIII , 12.
(4) Ibid., LX , 3.
(5) /Wd.,LXV, 3.
(6) Ibid., LXXIII , 1 .
(7) Ibid., LXXXVII. — Ces textes ont été cités par M. J. Tardif, Institut,
politiques, Période méroving., p. 74.
(8) « De incestis. Si homo incestum commiserit de istis causis, de Deo
sacrataaut commatre sua... pecuniam saam perdat, si habet; et, si emen-
dare se noluerit, nallus eum recipiat nec cibum ei donet. Et, si fecerit, LX
soUdos domno régi comportât. » Capital. 754-755 , éd. Boretius, n° XIII, § 1,
L I, p. 31. — De presbyteris et clericis sic ordinamus, ut arebidiaconas
episeopi eos ad synodum commoneat una corn comité. Et si quis contempse-
rit, cornes eam distringere faciat , ut ipse presbyter aut defensor suas LX
sotidos componat et ad synodum eat. Et episcopus ipsum presbyterum aut
clericum jaxta auctoritatem dijudicare faciat; solidi vero LX de ipsa causa in
sacello reçu ventent... » Ibid., § 3, p. 31-32. — <r Dedimus potestatem comi-
198 LES COUTUMES DE LORR1S
pit des variations de la valeur des monnaies à travers les âges,
le taux de soixante sous persista longtemps après l'époque car-
lovingienne. C'est bien la même amende qui se continue de
siècle en siècle. Car, encore au xrve siècle, le mot campositio
sert parfois à la désigner (1). L'action des capitulaires généraux
allait aussi loin que les limites de l'empire, s'étendant à tous
les pays soumis à l'autorité de l'empereur ou du .roi. Aussi,
retrouve-ton aux xne et xme siècles l'amende dé soixante
sous dans toutes les coutumes de France , aussi bien au nord
qu'au midi, à l'ouest comme i Test (2). Cette amende est ré-
tibus bannum mittere infra suo ministerio de faida vel majorions eausis m
solidos IX; de minoribus vero eausis comitis banoum in solidos XV coosti-
tuimus. » Capitul. 775-790, De par tibus Saxonise, éd. Boretius, cap. n° XXVI,
§ 31, t. I, p. 70. — « Ut raptum vel vim per collecta hominum et incendia
infra patriam nemo facere prssumat; et qui hoc commiserit, sexaginta solidos
in bannum nostrum componat. » Capitol. Ad legem Baiwarior., éd. Boretius,
n° 68, § 2, t. I, p. 157-158. — « Statuimus ut liberi hommes qui tantum pro-
prietatit habent unde hostem bene facere possint, et jussi facere nolont, ut
prima vice secundmn Ugem illorum, statoto damno subjaceant; ai vero se-
cunda inventas fuerit negligens, bannum nostrum id est LX solidos persohai.
Si vero tertio quis in eadem culpa fuerit implicatus , sciât se omnem auhs-
tantiam suam amissarum, aut in exsilio esse mittendum. » Capitol., mai 825,
Perti, Leges, t. 1, p. 251. — Voyei : Viollet, Et. de saint Louis, Introduction,
L I , p. 245-246.
(1) On lit dans la charte de Nant (1308) : « Qui libra propria falsa vel
marcha propria falsa vendiderit, sexaginta solidos componat, et domino per-
solvat. » Tuetey, Droit municipal en franche-Comté, p. 67.
(2) Il suffit de citer quelques textes pris au hasard parmi les contâmes des
régions les plus diverses : Beauvaisis, v. Beaumanoir, XXX, 22, 24, 29, 30,
38. — Beavmont-sur-Oise (avril 1222), art. 7, Ord., t. XII, p. 298. —Chanbli,
art. 4 (1222), Ord,, t. XII, p. 303. — En Berry. charte d'Etienne de Sancerre
(1178), pour les habitants des paroisses de Beaulieu et Centrengiis ; a De omni
aatem forisfacto quod pœnam irrogat pecnniariam non poterunt exigera cano-
nici plusquam sexaginta solidos , sed et de Ulis LX* solidis poterunt auferre
et moderari decem ilii viri qui electi faerint, prout eis virum fuerit, juxta
qaantitatem delicti usque ad duodecim denarios. » Cartul. Saint-Étienne de
Bourges, B. Nat., ms. lat., n. acq., 1274, f° 219 v°. —Charte de Mètièree
(août 1233) : « Si autem aliquis... sanguinem in Castro superios sine amis
molatis feeerit, sexaginta solidos mihi soivet. » Sénemaud , Mim. histor. sur
les châteaux de Métier es, Charleville, etc., p. 18. — En Champagne, on certain
nombre de délits sont frappés d'une amende de 60 s. V. d'Arbois de Ju-
bain ville, Eût. des comtes de Champagne, t. III, p. 162; et les Coutumes de
Champagne, ms. du uv* siècle, B. Nat, ms. fr. 6256, f» 5 i*. — En Bour-
gogne, on rencontre l'amende de 60 s., par ex., à Mdcon (xm* siècle), art. X,
BT LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIÈCLES. 199
duite à 5 sous en faveur des bourgeois de Lorris, c'est-à-dire
qu'ils ne paieront plus que cette dernière somme pour les
forfaits passibles jusqu'alors d'une amende de 60 sous.
De même, l'amende de S sous est réduite à 12 deniers.
C'est l'amende inférieure dont il est déjà question dans les ca-
pitulâmes : elle y est opposée au ban royal de 60 sous ; elle
variait avec la loi d'origine du coupable; lorsqu'à la person-
nalité des lois succéda le principe de la territorialité des cou-
tumes, son taux fut plus ou moins élevé suivant les pays (1).
Essayons de déterminer quels étaient les principaux délits
frappés d'une amende de 5 sous; quels étaient ceux qui n'en-
traînaient qu'une amende de 12 deniers. Je ne puis tenter
cette classification des délits que pour le xuie siècle; car
les seuls textes que je puisse invoquer, sont les suivants :
le tarif d'amendes inséré dans le Livre de Jostice et Plet (2),
presque semblable à celui qu'a publié La Thaumassière (3), in-
Canat, Documents inédits, p. 7; Digoin (i238), art. 5, 9, 10,16, ibid., p. 40-
41. — Dijon, sur les terres de Saint-Bénigne, charte de février 1106. Pérard,
Rec. de plusieurs pièces curieuses servant à l'hit t. de Bourgogne, p. 210 :
« Jostieiam planam... quod intelligimus LX solidorum. » — En Bourgogne,
cette amende s'élève cependant quelquefois à 65 sous : charte pour Dijon (1 187),
art. 24, 26, 27, 29, 30. Garnier, Rec. de chartes de communes, t. I, p. 10-11.
Fribourg en Brisgau (1120), art. 32, 34. Giraud, Essai sur Vhist. du droit,
L ï, P.just., p. 125. — Coutumes dMJW(1220), art. 9. Giraud, t. I, P.just.,
p. 87. — Charte de Aaimond, vicomte de Turenne, pour Martel, ibid.,
p. 81.
(1) Capital, de 802, § 7 : « Ut bannus quem per semetipsum dominus im-
perator banni vit, sexaginta solidos solvatur; cœteri vero banni quos comités
et judices faciunt, secundum legem uniuscujusque componatur. » Pertz,
Leges, t. I, p. 101. — Voir les autres textes cités par M. Viollet, Et. de
samt Louis, t. I, p. 245-246. — Un capitulaire pour les Saxons , entre 775 et
790, fixe à 15 s. cette amende inférieure : « Dedimus potestatem comitibus
bannum mittere infra suo ministerio de faida vel majoribus causis in solidos
LX; de minoribus vero causis comitis bannum in solidos XV constituimus. »
Capitol., n<> XXVI, § 31, éd. Boretius, t. I, p. 70. — Cette amende de 5 sols
porte encore quelquefois au xue siècle la dénomination de lex. Dans la
charte de Raoul de Clermont pour le bourg de Gournay-sur-Âjronde , vers
1165 : « Exsolvet legem quinque solidorum de Belvaco. » De Luçay, Le comté
de Clermont, Pièces just., n° I, p. 285.
(2) Liv. XVIII, c. xxiv, § 7 et suiv. « Ties sont les paines en la duchie
d'Orléans. »
(3) La Thaumassière a publié ce texte à la suite des Coutumes de Beauvoir
sis, p. 467 et suiv. d'après le ms., aujourd'hui à la Bibl. Nat., Ms. fr.
14580.
200 LES COUTUMES DE LORRIS
titulé : « Les peines de la duchée d'Orléans, » et encore les pas-
sages des Établissements de saint Louis empruntés aux usages
d'Orléanais. Encore cette classiGcation ne vaut-elle qu'à con-
dition d'admettre que le droit commun du Gâtinais ne différait
pas ou très peu de celui de l'Orléanais. J'ai cité plus haut un
texte de 1183 qui établit que l'amende pécuniaire la plus forte
qui fût levée à Orléans était celle de 60 sous.
Elle frappait quiconque agissait « contre establissement de
prince (1); » quiconque, étant retenu par ordre du roi ou de
la justice, s'en allait sans congé (2); l'individu, qui, usurpant
le titre d'officier seigneurial, levait un droit de péage (3). Elle
était encore prononcée contre celui qui refusait de livrer son
gage à un sergent (4) ; contre celui qui interceptait un chemin,
une rivière, ou détournait à son profit l'eau d'une fontaine
commune (5) ; contre celui qui ne remettait pas à la justice un
objet trouvé (6). Les coups suivis d'effusion de sang rentraient
dans la même classe de délits (7) , ainsi que le fait de détour-
ner quelqu'un du tribunal compétent (8) ou, celui de refuser
de livrer le gage à celui envers qui l'on s'était porté cau-
tion (9). Étaient passibles de la même amende les atteintes à
la propriété privée accompagnées de violence (10). Pour tous
ces délits , les bourgeois de Lorris ne payaient que cinq sous
au lieu de soixante qu'on exigeait des autres habitants de
cette région.
L'amende inférieure de cinq sous, abaissée & Lorris jusqu'à
(1) Ms. fr. 14580, fo 25 r°; La Th., p. 467; /. et PM, i. XVIII, c.xxiv, § 7,
p. 278. — Les articles n'étant pas numérotés dans La Thaumassière , je cite
en première ligne le Ms., où les recherches sont faciles, chaque page ne
contenant que deux ou trois articles.
(2) Ms.$ f° 31 i*; La Th., p. 468.
(3) Ms., f» 31 vo; La Th., p. 468; /. et PM, 1. XVIII , c. xxiv, § 50,
p. 281.
(4) Ms., f°30 vo; La Th., p. 468; S. etPUt, § 45, p. 281. — £«. de saint
Louis, 1. II, c. xxva, édit. Viollet, t. II, p. 420.
(5) Ms., fo 31 vo; La Th., p. 468; J. et PM, § 36, p. 280.
(6) Ms., fo 29 vo; La Th., p. 468; S. et PM, § 28, p. 280.
(7) Ms., fo 28 ro, fo 32 ro; La Th., p. 467-468; /. etPlet, § 14, p. 279.
(8) Ms., fo 24 ro, fo 25 vo; La Th., p. 467 ; /. et Plet, § 7, p. 278.
(9) Jfo.,fo30 vo; La Th., p. 468;/. et PM,% 30, p. 280.
(10) Ms., fo 28 v.o ; La Th., p. 467 ; /. et PM, § 14, p. 279. - Ms., fo 31 r«;
La Th., p. 468; S. et PM, § 33, p. 280.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIÈCLES. 201
12 deniers, frappait ceux qui ne se rendaient pas à une se-
monce (1); ceux qui quittaient l'assise du prévôt sans lui
avoir payé la « clameur » ou la « preuve pardonnée , » et cela
sans lui avoir demandé un délai (2); les pièges qui ne li-
vraient pas au jour fixé une chose engagée devant la jus-
tice (3). Les injures et même les coups , pourvu qu'ils ne
déterminassent ni effusion de sang ni blessures, appartenaient
à la même catégorie de forfaits (A).
Ces amendes ne doivent pas être confondues avec les dom-
mages et intérêts payés par le coupable à la partie lésée , et
dont le tarif des peines du duché d'Orléans les distingue net-
tement en maints endroits. Les amendes dont nous avons
parlé étaient attribuées à la justice; à Lorris, elles revenaient
au roi comme seigneur.
Quant au daim du prévôt, ce n'est pas une amende propre-
ment dite ; nous en avons parlé plus haut : c'était l'indemnité
payée au prévôt par les parties qui en appelaient à son tri-
bunal.
Ce tarif d'amendes a pu figurer dans la charte primitive de
Lorris. Car Louis VU en avait établi un analogue au marché
neuf d'Étampes, rabattant i cinq sous et quatre deniers le
forfait de soixante sous, et à seize deniers celui de sept sous et
demi (5). En 1141, Louis VU atteste que les habitants d'une
terre possédée par les églises Notre-Dame et Saint-Martin d'É-
tampes, ne payaient que cinq sous pour le forfait de soixante
sous, et 12 deniers pour celui de sept sous et demi (6). Enfin,
la charte de Sceaux, antérieure de deux ans à la seconde
charte de Lorris , et qui présente avec elle les plus grands
rapports, reproduit le même tarif d'amendes (7).
Après les tailles et les corvées, les amendes étaient les im-
positions qui pesaient le plus lourdement sur les habitants
(l)Jf*., f» 25 v°; La Th., p. 467; /. et PUt% 1. XVIII, c xxiv, % 7,
p. 278; Et. de saint Louis ,\. II, c.xxvu, édit. Viollet, t. II, p. 420-421.
(2) Mt„ fo 28 v°; La Th., p. 467.
(3) M$.9 f» 25 v«; La Th., p. 467; J. et PUt, § 7, p. 278.
(4) Ms., fo 28 ro; La Th., p. 467; /. et Plet, § 15, p. 279; Et de saint
Louis, 1. II, c. xxv, t. II, p. 418.
(5) En 1123, Ord., t. XI, p. 183.
(6) Teulet, Layettes, n© 74, t. I, p. 52 b.
(7) Ord., t. XI, p. 199.
202 LES COUTUMES DE LORRIS
des campagnes. En réduire le chiffre, c'était leur donner un
privilège considérable. Telle était l'opinion des hommes du
Moyen-âge. Car, nous voyons qu'au xiv6 siècle, en Bourgo-
gne, il était interdit aux seigneurs d'abaisser le taux des
amendes sur leurs terres : d'abord parce qu'on multipliait par
là les occasions de méfaire, et surtout parce que les hommes
des villes voisines se retiraient tous dans les villes où les
amendes étaient moindres (1).
L'article 7 des Coutumes de Lorris fut celui dont la diffu-
sion fut la plus grande ; on l'introduisit dans bon nombre de
privilèges qui ne procèdent en rien de ceux de Lorris, qui ne
se rattachent par aucun autre point à la charte de 1155. En
1185, le roi Philippe-Auguste, confirmant les privilèges accor-
dés par l'abbaye de Ferrières à ses hommes du même terri-
toire, établit que les amendes seront levées d'après la Cou-
tume de Lorris (2). C'est à coup sûr sous l'influence de la
même Coutume, qu'en 1194 Pierre de Courtenay octroya à
ses bourgeois d'Auxerre la même réduction du chiffre des
amendes (3). Il prit les mêmes dispositions en faveur des ha-
bitants de Sainte- Vertu (4). Miles, seigneur de Noyers, rabat-
tit, en 1232, à Noyers (5), Moulins (6) et Valnoise, les forfaits
(1) Coutume de Bourgogne. «Item, s'aacun seigneur fait en sa ville, où il
a toutes justices , status et convention es hommes de la ville de paier moin-
dres admendes, qui ne soloient, et moindres que la generaul coustume du pais
ne vuelt, telz statuz ne valent pour plusieurs causes; premièrement pour ce
qu'il donne occasion de mal faire pour Ut petite admende ; item , pour ce que
li homme des villes voisines, ou préjudice de leur seigneur, se retrairient en
ladite ville, et ce seroit oBter la generaul coustume du pays de Bourgoingne. »
Giraud, Estai sur l'histoire du droit français, l. II , p. 277-278.
(2) « Emendationes erunt ad consuetudinem Lorriaci. » D. Morin, p. 708.
(3) « ConcesBi etiam quod forifacta LX solidorum ad quinque solide* redu-
cantur. Cetera autem forifacta de quinque solidis et infra ad duodecim de-
narios redacta sunt. » Charte donnée à Sens, en novembre 1194. Arch. Nat.,
JJ 7-8, 2e partie, f° 46 v°. — Cet article a passé dans la charte de Mathilde
en 1223. Teulet, Layettes, t. II, p. 2 a.
(4) Sainte-Vertu, Yonne, arr. Tonnerre, canton Noyers. — Charte de juillet
1203 : « Forisfacta sezaginta solidorum venient ad quinque solidos; quae
vero quinque solidorum erant, venient ad duodecim denarios. » Quantin, Rec.
de pièces, n° 21, p. 9.
(5) Noyers-sur-Serein , Yonne, arr. Tonnerre, ch.-l. canton. — Quantin,
liée, p. 182.
(6) Moulins, canton Noyers.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 203
de 60 sous à 5 sous. La charte des habitants de Fouchères (1),
émanée d'Érard de Valéry en juillet 1243, procède directe-
ment, pour ce qui touche les amendes , des privilèges de Lor-
ris (2).
Je me contente de signaler, sans pouvoir en indiquer l'ori-
gine, la réduction des amendes de 5 sous à 12 deniers, au xine
siècle, dans quelques villages de Beauvaisis (3).
Les seigneurs qui tiraient de leurs bois une des parties les
plus considérables de leurs revenus ne souffraient pas qu'on
y commît des dégâts. Des sergents, et aussi les chevaliers,
exerçaient une surveillance sur les bois , et particulièrement
sur ceux qui étaient entourés de haies , les forêts , où les sei-
gneurs se livraient au plaisir de la chasse. De là, les amendes
qui frappaient les propriétaires dont les animaux pénétraient
dans les bois seigneuriaux, à Lorris les bois royaux. Le rôle
des sergents et des chevaliers se bornait , à Lorris , à saisir
les animaux trouvés dans les bois ou la forêt (art. 23) ; ils
devaient les remettre au prévôt, à qui seul appartenait de
prononcer l'amende. M. R. de Maulde (4) pense que cette
clause a été introduite pour soustraire les habitants de Lorris
à la juridiction exceptionnelle des tribunaux des eaux et forêts,
plus sévères que les tribunaux de droit commun. L'adminis-
tration des eaux et forêts une fois constituée , tel a pu être le
résultat de l'article 23. Mais il n'est pas prouvé, et M. de
Maulde le reconnaît , que les maîtrises fussent organisées , et
surtout qu'une juridiction leur fût attribuée , dès le milieu du
xna siècle. Le roi a voulu seulement prévenir tout abus de
pouvoir des sergents ou des chevaliers. L'amende n'était pas
due dans tous les cas. Elle s'élevait à 12 deniers par animal.
Remarquons qu'elle n'est pas, comme cela se voit d'ordinaire
dans les chartes du xn° ou du xm* siècle , proportionnée à
(1) Touchera, Yonne, arr. Sens, canton Chéroy.
(2) « Pneterea omnes clamores et omnia forefacta ad consvetudinetn de
Lorriaco venient, id est forefacta sexaginta solidorum renient ad quinque
solidos , et forefacta quinque solidorum ad duodecim nummos et clamor ad
quatuor denarios. » Charte d'Érard de Valéry en juillet 1243, d'après un vi-
dimus de la prévôté de Sens du 2 janvier 1405. Arch. de l'Yonne, E 562.
(3) Beaumanoir, éd. Beugnot, ch. XXX, § 60.
(4) CondUwn fortifier* de l'Orléanaii, p. 368.
204 LES COUTUMES DE LORRIS
l'importance des animaux. Elle n'était percevable qu'au cas
où l'animal avait franchi la haie au su de son gardien. Mai.'
le propriétaire n'était tenu à aucune indemnité s'il pouvait
jurer que l'animal , poursuivi par les mouches ou par des tau-
reaux , avait pénétré dans le bois malgré les efforts de son
gardien.
Conclusion du Chapitre IL
Le caractère de la charte de Lorris se dégage, croyons-
nous, de la précédente analyse.
D'abord, rien ne s'oppose à ce que Louis VII se soit con-
tenté de confirmer et de reproduire le diplôme accordé par son
père aux hommes de Lorris; puisque nous avons rencontré
dans divers actes de Louis VI des dispositions analogues à
celles de la charte de 1155, du moins à celles qui n'étaient
pas absolument propres au bourg de Lorris.
Nous n'y avons signalé aucune concession de droits poli-
tiques : ce n'est pas une charte de commune. Il n'y a pas non
plus une seule disposition de droit privé ; mais seulement re-
nonciation de quelques règles de procédure.
De plus, l'influence de la renaissance des études de droit
romain ne se fait pas encore sentir.
Les articles les plus nombreux sont ceux qui portent sup-
pression de redevances et octroi de privilèges propres à déve-
lopper l'agriculture et le commerce. Ce qui justifie ce que
j'avançais plus haut, à savoir qu'il faut chercher dans le désir
de la royauté d'augmenter la population et par suite ses reve-
nus, la cause de la rédaction de la charte de Lorris.
Trouve-t-on simplement dans cette charte une constatation
des usages pratiqués dès longtemps à Lorris , et l'engagement
pris par le roi de s'y conformer, ou bien l'introduction de
nouvelles coutumes plus favorables? C'est une question qu'il
importe de résoudre. D'abord nous avons signalé l'abolition
de la taille, des corvées, du droit de poursuite. De plus,
toutes les fois que nous avons pu comparer à des textes juri-
diques du xiie siècle de la môme contrée , les dispositions de
la charte de 1155, nous avons constaté une dérogation au droit
commun du Gâtinais ou de l'Orléanais. La rédaction môme de
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII0 SIECLES. 205
■
certains articles implique une concession de privilèges : par
exemple, l'article où les amendes sont rabattues de 60 sous à
5 sous, de 5 sous à 12 deniers. Il ne reste donc que très-peu
de dispositions qu'on puisse considérer comme anciennes.
Je ne crois pas trop m'avancer en disant que la charte ac-
cordée en 1155 aux habitants de Lorris constituait pour eux
tout un ensemble de privilèges.
Je puis appuyer cette opinion sur des preuves matérielles.
Dans le registre A de Philippe- Auguste , la charte de Lorris
est précédée de la rubrique : « Carta franchesie Loniaci; » et,
dans le registre C , elle est intitulée : « Census Lorriaci et li-
ber tatis. » Louis VII , fondant en 1163 une ville neuve sur un
territoire qu'il avait acquis de l'abbaye de Saint-Marien
d'Auxerre, la dota des coutumes de Lorris et lui donna le
nom de Vïllefranche le roi (1). Lorsque le même roi accorda
en 1175 la charte de Lorris à plusieurs villages des environs
de Lorris , il la fit transcrire et précéder des mots : « Sunt
itague Lorriaci et consuetudines et libertates quas predictis vil-
lis tndtUsimus (2). » Et, si Ton veut bien parcourir la liste des
concessions seigneuriales de la charte de Lorris , on y retrou-
vera à plusieurs reprises les expressions « libertas Lorriaci,
libertates Lorriaci. »
Nous comprenons maintenant pourquoi ce texte ne renferme
qu'un nombre très restreint de dispositions : le roi s'est con-
tenté de déterminer les points sur lesquels il voulait sous-
traire les hommes de Lorris au droit commun de la région.
Dans tous les cas où la charte de 1155 restait muette, les bour-
geois retombaient sous l'action de la Coutume du Gàtinais. La
charte de Sceaux en Gàtinais (1153), qui offre, comme on le
verra bientôt , les plus grands rapports avec celle de Lorris,
stipule qu'un certain nombre de crimes continueront à être
jugés d'après la Coutume du Gàtinais (3). Cette coutume es
déjà mentionnée dans une charte de 1103 (4).
(1) Ord.t t. VII f p. 57.
(2) Arch. %at., JJ 166, f« 275 v*.
(3) Art. 5 : « ... homicidium, proditio, furtum, raptum mulierum et simi-
li* qu© semper ex consuetudine Gastinensi judicabuntur. » Ord., t. XI, p.
199.
(4) Pièces justificative* , n° III.
Revue hist. — Tome VIII. U
206 LES COUTUMES DE LORRIS
Il n'y a rien d'étonnant toutefois à ce que cette charte de
Lorris ait reçu aussi, dès le xn' siècle, le nom de Consuetu-
dines : mot qui désignait alors les redevances. Or, ce que la
charte règle surtout, ce sont les redevances. Mais, depuis
lors le sens du mot Coutumes a changé. De telle sorte qu'il
nous semblerait préférable aujourd'hui d'appeler le texte de
1155 : Charte de franchise.
En effet, le nom de Coutumes de Lorris donné à la charte
de Louis VII n'a pas peu contribué à amener chez les auteurs
depuis le xvitt siècle une confusion entre les privilèges de
1155 et la Coutume de Lorris-Montargis rédigée à la fin du
xv* siècle.
Voyons maintenant les rapports qui existent entre ces deux
textes.
La Thaumassière parle d'une rédaction des Coutumes de
Lorris qui aurait eu lieu sous Philippe de Valois (1). Je n'en
ai trouvé aucune autre mention. Et d'ailleurs La Thaumas-
sière dit lui-même que ce n'est là qu'une probabilité.
Mais en 1494, le lundi £ avril, après Pâques, on commença*
d'enregistrer à Montargis, sur Tordre donné par Charles VIII,
dans ses lettres du 28 janvier 1493 (2), « les Coutumes no-
toires notoirement tenues , gardées et observées ez bailliages
de Montargis , de Cepoy, des ressorts et exemptions d'iceux ,
du duché d'Orléans , régis et gouvernés sellon les anciennes
Coustumes de Lorris en Gastinois... (3). » Ces Coutumes furent
réformées en 1531. Mais les Coutumes d'Orléans avaient été
auparavant séparées de celles de Montargis (1509), d'où la
distinction , au xvie siècle , entre les Coutumes de Lorris-Mon-
targis et celles de Lorris-Orléans.
Les jurisconsultes les plus distingués et des historiens de
premier mérite ont vu dans les franchises du xiie siècle l'ori-
gine de la Coutume de 1494 (4). Les éditeurs du Coutumier
(l)Coui. toc, p. 391.
(2) Lettres publ. ap. La Thaum., Coût, toc, p. 467-468.
(3) Texte des Coutume* de 1494, La Thaum., Coût, toc, p. 440-472. Ces
Coutumes comprennent 23 chapitres eux-mêmes subdivisés en articles)
(4) « Ces Coutumes (celles de 1155) ne contenoient que 36 ou 37 articles.. #
C'est cependant l'origine des Coustumes de Lorris et de plusieurs lieux du
royaume, qui furent dans la suitte de beaucoup augmentées pour le droit des
fiefs, censives, champarts, etc. » La Thaumassière, Coût, toc, p. 391.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 207
général ont cependant noté la différence capitale qui sépare
la charte de 1168 et lès Coutumes de Lorris du iv8 et dii xW
siècles (1). Klimr&th a fait la rtêmè observation (2), et atlisi
Laferrière (8). Augustin Thierry a bien dit que la situation
faite au* habitants de Lorris largement dotés de frtinchtees
par la charte de 1155, « anticipait en quelque sorte la plupart
des conditions essentielles de la société moderne ; » mais il
ajeute que la nature de cette charte « exclusivement civile la
rendait propre à passer de l'état de loi urbaine à celui de Coti*
tome territoriale; elle prit ce rôle dans la jurisprudence et
finit par régler non-seulement la condition des bourgeois de
tel ou tel lieu, mais le droit coutumier de toute uùé pro-
vince (4). »
La charte de 1155 ne pouvait servir à régler le droit d'une
province puisqu'elle ne contient pas un seul article de droit
privé. Et même , les privilèges à la jouissance desquels elle
donnait lieu pour les villages qui l'avaient obtenue au xtt*
ou an xm* siècle > se trouvaient naturellement annulés dès la
fin du xv6 siècle , par suite des changements survenus peu à
peu dans nos institutions au cours des temps. Il suffit de
parcourir les titres deB divers chapitres de la Coutume de
Lorris rédigée en 1494 (5) pour se convaincre qu'il n'y a au*
cun rapport entre elle et les franchises de 1155. Il y a plus :
(1) Nouvètu Coututnier général, 1724, t. III, p. 829, note.
(2) TratwHU? turVhist. du droit français , t. II, p. 197-199.
(3) Hist. du irait français, 4. IV, p. 154.
(4) Essai sur l'kist. du Tiers-État (tableau de la France nwnioipale), ed»
in-16, p. 309-310.
(5) La Thaum., Coût, loc, p. 440-472. — Ch. i, Des fiefs; — c. u, En
oitière censaelle; — c. m, De terrage ou cnampart; — c. iv, De past otages,
herbages et pessons; — e. v, Repaves; •** e. vi, Estangs et garennes; — e.
vu, Comme enfans sont fakta à leurs droicts et sont hors de puissance du
père; — c. vin, De communaulté d'entre homme et femme mariés; — c. ix,
De sociétés; — c. x, De servitutes réelles; — c. xi, De donnations faictes
eutre-vits; — c. xn, De donnation faicte en mariage ; — c. xni, De donnations
testamentaires et peur cause de mort; — c. xiv, De douaire; -*- c. rv, De*
droits de successions; — e. xn, En matière de retraict; — c. xrti, De pres-
criptions; — c. xvin, Exécutions de louages ou rentes de maison; — c* xix,
En matières de criées; — c. xx, Ajournemens et citations; — c. xxi, D'exé-
cutions de letres obligatoires; — c. xxn, Cas possessoires ; — c. xxm (nu-
méroté par erreur xxn, dans La Th., p. 472), Des appellations.
208 LES COUTUMES DE LORRIS
aucuq des articles du texte du xn* siècle n'a passé dans la
rédaction du xve siècle, si ce n'est l'article 23 reproduit dans
l'article XI du chapitre IV : « Toutesfoys quand il ad-
vient que les bestes fuient par mouches, espouventement ,
poursuitte de loups ou autre inconvéniant , sy le pastre faict
diligence de les suivre, il n'y a point d'amende (1). » Le texte
que nous avons étudié est une suite de dérogations au droit
commun , qui n'avaient pas pour la plupart raison d'être au
xve siècle; la coutume de Lorris de 1494, c'est au contraire
la consignation par écrit du droit commun du Gâtinais et de
l'Orléanais à cette époque.
Il est vrai que les bourgeois de Lorris obtinrent d'abord de
Charles VII en 1448, puis de Louis XIII en 1625 la confirma-
tion de leur charte du xiii6 siècle. Ce n'est pas un fait rare
dans notre histoire de voir les rois confirmer ainsi des pri-
vilèges tombés en désuétude , cherchant par là à s'attacher
leurs sujets en montrant combien ils avaient à cœur le main-
tien de leurs droits. Cette confirmation vient même à l'appui
de l'opinion que je soutiens : si la Coutume de Lorris-Mon-
targis n'était que le développement de la charte de 1155, sa
promulgation officielle au xvie siècle aurait exclu toute possi-
bilité de confirmation de cette charte au xvntt siècle. Le texte
de 1155 n'est donc nullement la source de la coutume du
xve siècle.
Mais pourquoi cette désignation de Coutume de Lorris ap-
pliquée aux usages juridiques du bailliage de Montargis et du
duché d'Orléans et cela dans le préambule même de la Cou-
tume de 1494? — Nous avons vu que les bourgeois de Lorris
étaient soumis pour tous cas non prévus dans leur charte à la
Coutume du Gâtinais. La charte de franchises fut octroyée
pendant les xiie et xme siècles à un très grand nombre de
villages , d'abord à ceux du Gâtinais et de l'Orléanais , puis à
d'autres plus éloignés. Il arriva même qu'on leur accorda
les Coutumes de Lorris , sans préciser davantage , sans en
mentionner un à un les articles. Naturellement les commu-
nautés d'habitants, qui obtinrent la charte de Lorris , furent
(1) Cout. de 1494, ch. iv, art. XI, La Thaumassière, Coul. toc, p. 454. —
Nouvelle coul. de 1531, ch. iv, art. XIV, La Th., p. 550.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 209
amenées à adopter tous les usages suivis à Lorris : les Cou-
tumes du Gâtinais ; à leurs yeux, c'étaient les Coutumes de
Lorris. Nous en avons la preuve dans un arrêt du Parlement
de 1327 (1), qui confirme une sentence du bailli de Sens sur
une question d'héritage. Il y est dit que la Coutume de Lorris
régissait les villages de Dimont , les Bordes et Villeneuve-le-
Roi. On sait d'autre part que Dimont et Villeneuve avaient
obtenu, l'un en 1190, l'autre dès 1163, la charte de Lorris;
or, elle ne traite en aucune façon la matière des successions.
Le droit du Gâtinais se répandit, sous le nom de Coutumes de
Lorris, sur toutes les régions où un nombre considérable de
villages avaient reçu les privilèges de Lorris, par exemple sur
le comté de Sancerre qui était du duché de Berry, et qui fut
compris non dans le ressort de la Coutume de Berry mais
dans celui de la Coutume de Lorris-Montargis (2).
Ainsi, il importe de ne pas confondre la coutume de Lorris
avec les coutumes ou franchises du même lieu. Il n'y a entre
ces deux textes qu'un lien tout extérieur et une similitude de
noms.
Maurice Prou.
(A suivre.)
(1) Indiqué par Boutade, Actes du Parlement, t. II, p. 636. — Piècet
justifie., no XXIII.
(2) Voir : Coût, de 1494, Préambule, La Th., p. 440. — Nouvelle Coutume
de 1531, procès-verbal et ch. h, art. XLIV.
VARIÉTÉS ET DOCUMENTS.
NOTE SUR QUELQUES MANUSCRITS
DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BERLIN
(Collection Hamilton.)
Parmi les manuscrits de la célèbre collection de lord Ha-
milton (1), dont le gouvernement prussien a fait en 1882
l'acquisition, il en est quelques-uns qui offrent un grand in-
térêt au point de vue de l'histoire du droit.
Ce sont d'abord cinq manuscrits de droit canonique qui
viennent d'être, de la part du professeur Hinschius, l'objet
d'un examen approfondi.
Le ms. n° 132 du catalogue de vente (il n'y a pas eu d'autre
classement jusqu'ici), grand format de 260 feuillets, rognés
par la reliure, paraît être de la fin du vin0 siècle, avec des
additions nombreuses, notes ou feuillets intercalés, que
(1) Elle fut d'abord transportée intégralement ta cabinet des estampes du
vieux musée. Mais on n'y a finalement conservé que les 156 manuscrits qui
ont surtout une valeur artistique. La perle de la collection est la série des
88 dessins de Sandro BoticeUi destinés à l'illustration de la Divine eomédfc
du Dante. Qu'il nous soit permis de signaler de très beaux manuscrits de
plusieurs de nos chansons de geste : en particulier Alexandre de Macédone,
et le Roman du loyal comte Huon; et surtout la précieuse collection de lettres
autographes et de papiers d'État concernant les rapports entre l'Angleterre
et l'Ecosse de 1532 à 1545.
Plusieurs des manuscrits de la collection Hamilton ont été étudiés déjà par
quelques-uns des plus savants professeurs de Berlin. V. notamment P. Ewald :
ffeuet orcHt der Gesellsehaft fur altère deuttche Geschichte, t. VIII (1883),
p. 332; Wattenbach, ibid., p. 343; P. Hinschius, Zeittchrift fur Kirchen-
gesckkhle, t. VI (1883), 2» livraison , p. 193 ; Karl Mûller, ibid., p. 247.
212 NOTE SUR QUELQUES MANUSCRITS
M. Ewald croit devoir reporter à la seconde moitié du ixe siè-
cle. Il renferme une série de décisions de conciles orientaux,
grecs, francs et espagnols, et d'anciennes décrétales des
papes, à partir d'Innocent Ier (m. en 417). A la fin du ms.
se trouve une série de quœstiones de diversis sermonibus super
canones interpretantibus ; les sept derniers feuillets renfer-
ment le troisième livre de la collection des capitulaires d'An-
ségise.
Nous savons que M. Maassen , le savant professeur de droit
canonique de l'Université de Vienne, a déjà utilisé ce ma-
nuscrit pour son histoire des conciles Francs.
Le ms. n° 31 renferme la régula canonicorum du concile
d'Aix-la-Chapelle (donnée notamment par Mansi , SS. ConcU.
nova et ampl., coll. XIV, 147-246). C'est un ms. du ixe siècle,
qui vient de l'église d'Albi.
Le ms. n° 345 , très beau manuscrit du xme siècle , renferme
des extraits de la Collectio trium patrum et des Excerpta Ivonis
Carnotensis episcopi ex decretis summorum pontificum.
Le ms. n° 279, gr. in-f* du xme siècle, avec miniatures
et initiales des plus artistiques , contient le décret de Gratien
avec le commentaire de Barthélémy de Brescia. Quelques
feuillets intercalés renferment une partie des décrétales de
Grégoire IX avec une glose du xme ou du xive siècle.
Le ms. n° 181 renferme les Clémentines avec le commen-
taire de Jean d'André (m. en 1348), et les décrétales de Jean
XXII avec le commentaire de Jessélinus de Cassanis.
Les deux mss. n°" 192 et 193 intéressent spécialement l'his-
toire du droit français (1).
Le mss. n° 192 renferme, en 2 petits vol. in-12, le texte
français du Grand Coutumier de Normandie en 126 chapi-
tres (2). Le chapitre final de la prescription ne s'y trouve pas.
(1) Ces deux manuscrits viennent d'être signalés par M. Henri Brunner dans
une notice insérée dans làZeitschrift der Savigny-Stiftung fur RechUgeschichte,
t. XVII (1883), p. 232.
(2) C'est la traduction du texte latin , plusieurs fois imprimé au xv« et au
xvi« siècles, publié de nouveau au xvii* siècle par Ludewig (Heliquim ma-
nutcriptorum, t. VII), puis, en 1880, par M. de Gruchy, magistrat à Jersey.
M. Joseph Tardif en prépare une édition critique , d'après les 21 manuscrits
connus, pour la Société de l'hittoire de Normandie.
DE LA BIBLIOTHEQUE ROYALE DE BERLIN. 213
Cette lacune existant dans d'autres manuscrits, il est permis
de supposer que ce chapitre a été ajouté à une époque plus
récente. Le manuscrit de Berlin porte la mention : Actum et
scriptum anno Domini M0 CCCC0 tertio post festum Assumptio-
nem béate Marie virginis, mense augusti.
A la suite de la Coutume de Normandie se trouve, sous la
rubrique « Arrestz d'Eschequier, » une petite collection de
seize textes dont les six premiers et ravant-dernier sont,
croyons-nous, inédits. Les autres ont été publiés, dans le
texte latin, par M. Delisle : Recueil de jugements de V Échiquier
de Normandie , n0B 6, 5, 8, 10, 13, 24, 26 n., et 226, et par
Warnkônig : Franz. Staats und Rechtsgesch., t. II, Urkunden-
tac&> P- 70, jugements 2,1,3, 4, 7, 9, 10 et 11. Us sont
datés de 1207 et 1208, ce qui permet de supposer que les
six premiers de notre petite collection pourraient bien être
plus anciens.
Le ms. n° 193 renferme le texte complet des Coutumes de
Beauvoisis, par Philippe de Beaumanoir. C'est un petit in-
4° sur vélin (26 cent, sur 19), à 2 colonnes, comprenant 224
feuillets (la pagination paraît d'une époque plus récente).
L'écriture est celle de la Gn du xm° ou du commencement
du xive siècle , et une note insérée en tête du manuscrit qui a
été relié et doré sur tranche à une époque assez récente , en
indique la provenance :
« Bucquet-Debracheux. Ce manuscrit me vient de Monsieur
» le Mareschal de Fricourt, lieutenant particulier au prési-
» dial de Beauvais, mon parent, et oncle de Madame Buc-
» quet, mort le 177.. qui l'avait eu de sa famille
» Les savants qui ont vu ce manuscrit le jugent nécessaire
» pour procurer une édition plus exacte que celle de 1690
» in-folio , de cet ouvrage si précieux pour l'Histoire de notre
» droit public. On regarde ce manuscrit, sinon comme ori-
» ginal , au moins comme approchant extrêmement du temps
»de l'auteur. H existe d'ancienneté, et on a lieu de croire
» qu'il a toujours existé dans sa province »
BUCQUET DE BraGHEUX.
XbrM784.
214
NOTE SUR QUELQUES MANUSCRITS
M. Beugnot, dernier éditeur de Beaumanoir (édition pu-
bliée pour la Société de l'histoire de France, 1842), n'a pas eu
connaissance du manuscrit 4e lord Hamttton, et, comme scm
possesseur du «iàcle dernier, nous croyons qu'il sera néces-
saire de s'y reporter, si l'on entreprend un jour une nouvelle
édition de notre grand jurisconsulte oeutumier.
Jusqu'à quel point se rapprocke441 du texte primitif? C'est
ce qu'il est difficile de préciser. Où peut seulement affirmer
qu'il n'est pas écrit dans le diaieete picard (1), mais plutôt
dans celui de r Ile-de-France.
Ce qui du moins fait présumer l'importance exceptionnelle
du ms. de Berlin, ce sont les 74 miniatures placées en tète
des chapitres. C'est le seul manuscrit illustré de Beaamanohr
actuellement connu. Ces miniatures, d'un dessin très délicat,
ont, comme celles de quelques manuscrits du Sachsenpiegel,
une signification juridique, et se rapportent quelquefois à un
point particulier, presque toujours à l'ensemble du chapitre en
tôte duquel elles se trouvent. La rubrique suffit bien souvent
à en expliquer le sens.
La comparaison de quelques passages du ms. avec l'édition
de M. Beugnot permettra de se faire une idée de sa valeur.
Édit. Bbuonot, ch. I, Tfi 4<6, p. £1.
Li baillis n'a pas pooir de fere
bonnage ne de vendre l'eritage
son seigneur et l'autrui, s'il n'a
especial commandement de son
segneur de fere le. Et se li sires
le veut, porfltable coie est as
maroeans que
Ch. XIV, n" 27, p. 241.
Li oncles est plus prochains
queli niés, car il est un point plus
aval , et li oncles
Makuscrut de Berlin.
Li baillis n'a pas pooir de faire
bonnaige ne devise entre Firetage
son seigneur et l'autrui, se il n'a
especial commandement de son
seigneur de faire loi et se li sires
le voit.
Porfltable chose est as marchis-
sans que
Li oncles est plus prochains que
li niez, car li niez est un point
plus aval, parce qu'il est fiex dou
frère ou de la suer, et li oncles
(4) Voy. V Étude sur le dialecte picard publiée par M. Gaston Raynaud dans
la Bibliothèque de l'École des Chartes, II» série, t. XXXVII (1876), p. 317.
V. notamment le tableau comparatif de la p. 356.
DK LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BERLIN. 218
Ch. XLI,t. II, p. 153.
...les resonspor quoi on les pot ...les resons par quoi on les
ester. peut débouter, et après U mot re-
oortie ms. ajoute : et pour ce doit-
il bien estr* déboutés qu'il ne soit
arbitrez.
Une comparaison attentive entre le manuscrit et l'édition
Beugnot permettrait de multiplier ces exemples. Le chapitre X
est précédé d'une rubrique, différente quant à la forme, de
pelle qae M . BeugMt dit avoir du tirer de la table des oha~
pitres.
Les derniers feuillets du manuscrit contiennent :
1* Une petite poésie (51 vers) dont voici le début :
Qui veult en paradis aler
Pour avoir joye sans finer
Et le sentier ne scet trouver
Icy pourra considérer
La voye qui lui doye mener...
£" Un petit fragment intitulé les Cousiumes de France. C'est
nu petit traité sur les fiefs , rédigé comme une sorte de caté-
chisme par demandes et par réponses , et qui a été inséré
dans le Grand Qoutmmierde France, ch. xxvn, liv. II. Publié
par La Thaumassière, dans ses Anciennes et nouvelles Cou*
tûmes locales du Berry, p. 344, il a été donné de nouveau, avec
âne introduction et des notes, par M. Bordter, dans la Biblio-
thèque de VÈeole des Chartes, IIe série, t. V (1849), p. 45.
Les Coustumes de France occupent 10 pages; l'écriture parait
être de la fin du xrve siècle. Le ms. de Berlin renferme quel-
ques variantes ; les deux derniers alinéas du texte donné
par M. Bordier n'y sont pas reproduits. Le préambule diffère
quelque peu :
« Pour monstrer et déclairer les fiefz de la Coustume de
» France sur ce que les ungs en dient avant et les autres
» arrière. Car quand il eschiet qu'il y a ung fort seigneur et
» ung foible vassal ou ung foible seigneur et un fort vassal,
» le plus fort de chacun d'eulx veult fere la coustume a son
» propre et singulier prouffit , soit tort ou droit.
218 NOTE SUR QUELQUES MANUSCRITS
10. — Item, et se en ung mariage a voit xn filles ou plus
l'aisnée n'aura point gregneur droit es fiefz que une des
puis neez, mais par ladite coustume chacune en aura autant
l'une comme l'autre; car en filles n'a point d'ainsneessez.
11. — Item, les puis neez ne tendront pas de leur ainsnee
s'il ne leur plaist; mais le tendront du seigneur de qui le fief
sera tenus.
12. — Item , se ung fief ou plusieurs escheent en luigne
colaterale, femmes ne succèdent point» puis qu'il y aura hoir
masle aussi prouchain de ligne comme les femmes seraient,
13. — Item, selonc ladite coustume, tous fiefz se rachettent
de toutes mutacions de vassaulx.
14. — Item, il y a certains fiefs qui sont amectés l'un à
x sols , ou plus ou moins , ou a un chappel de roses ou ung
espérons dorez , quand tels fiefz escheent en la main du sei-
gneur, le dit seigneur ne peult demander gregneur somme
que celle a quoy ilz ont estes amectés, mais qu'il soit con-
formé par ceux à qui il appartient*
15. — Item , il y a certains fiefz que l'en noiûme fiefz de
parage , esquelz fiefz a plusieurs branches qui tiennent et
possessent des branches dudit fief. Et y a une desdites bran-
ches qui est nommée miroir dudit fief : ce miroir fait hom-
mage pour toutes les branches au seigneur de qui le fief est
tenus.
16* — Item, se ledit miroir vendoit tout l'eritaige qu'il
ten droit dudit fief, jusques à ung quartier de terre ou iùains,
si demourra il tous jours miroir, jusques ad ce qu'il ne tiengne
roye de terre dudit fief.
17. — Item , se le seigneur de qui ledit fief sera tenu n'aura
point de prouffit jusques ad ce que ledit miroir vende tous les
héritaiges qu'il tendra dudit fief ou qu'il voise de vie a trespas
et alassent de vie a trespassement toutes les autres branches
dudit fief.
1S. — Item, se ung noble homme tenant fief a voit enfans
créés en mariage, alloit de vie a trespassement, et laissoit
les enfans mineurs d'aage, leur mère pourrait, se lui plaisoit,
prendre et appréhender a soy le bail de ses dis enfans. Et
s'elle se mariait depuis la mort de son dit mari , de tant de
foiz comme elle se mariroit, le seigneur de qui les fiefz de ses
DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BERLIN. 219
dis eofans seraient tenu*, auroit pour chacun mariaige l'année
des fiefz de ses dis enfans.
19v — Item* et que se ung «aaltroqui appartiendrait de ligne
colatend a aucuns enfans qui demeurroient mineurs d'aage, et
il prenoit et apprebendôit a jouir le bail et gouvernement
des dis enfans, il conveadroit que se ilz se veodoient, ou
d'as bail , qu'il alast devers* le seigneur de qui les fiefa des
enfans serait tenuz, finer et fere finance de ce que les dis
fiefz pourraient valoir pour uae année. Et s'il y avoit arrière
fief deppendans de plain fiefz, il esconvendroit que il les
receupt devers les dis seigneurs , affin que les dis enfans n'y
trovassent point d'empeschement quand ils demourroient en
leur aage.
20. — Item , quand l'aisné filz des dis enfans serait entré
en son xxiê an , ledit bail serait fine . et porroit ledit aisné filz
aler devers son seigneur pour finer de ses dis fiefz , et lui fait
finance à son dit seigneur, il en peult jouir comme de sa
propre chose.
21. — Item, se ung fief eschiet en la main d'aucun sei-
gneur par mutation de vassal , et que son dit vassal soit allé
de vie a trespassement, et aulcun ne se porte héritier de son
dit vassal, le seigneur par ladite coustume peult jouir dudit
fief et appliquer à soy tous les prouffiz et revenuez jusques ad
ce qu'il en ait homme et qui de ce ait fait son devoir devers
son dit seigneur, bien et souffisaument.
22. — Item et que se ungs hoirs tenoit de ung certain
seigneur ung certain fief duquel deppendissent certains arrière
fiefz qui seraient tenus du second seigneur, et le dit avant
seigneur mettoit empeschement es héritages du dit arrière
fief, le possesseur pourrait fere adjourner ledit second sei-
gneur pour le garandir ou demander congé de soy garandir
lequel pourrait demander et requerra a veoir ledit empesche-
ment et pour savoir l'an dudit empeschement. Et après a lui
pourrait promettre de loy garandir de dedens les m qua-
rantaines failliez. Et ou cas qu'il ne le garandiroit dedens les
dites trais xld" qui sur celui seraient assignées , en ce cas il
perderoit l'ommage de son dit arrière fief, et vendrait le dit
possesseur en la foy et hommage de son avant seigneur.
23. — Item, se ung seigneur veult fere son vassal entrer
! 220 NOTE SUR QUELQUES MANUSCRITS.
en sa foi et hommage , il convient que le seigneur le somme
et lui face commandement d'y venir. Et se le vassal veult , il
aura xl jours; passez , le seigneur peult mettre et assigner sa
main au fief que son vassal tendra de lui, jusques ad ce qu'il
soit entré en sa foy et que lui ait fait hommage.
24. — Item, et samblablement se ung seigneur veult re-
cepvoir son vassal, lui sommé de paier le roncin de service,
il aura le delay dessus dit, et s'il ne lui paie le roncin ledit
terme passé, le seigneur peut mettre et assigner sa main au
dit fief comme dit est dessus.
Explicit.
Georges Blondel ,
docteur en droit , agrégé d'histoire.
VARIÉTÉS ET DOCUMENTS. 221
NOTE SUR
UNE SOMME FRANÇAISE DU XIVe SIÈCLE
SUR IjB CODE.
Nous nous excusons de ne pas avoir publié plutôt un ren-
seignement intéressant pour les historiens du droit, et qui
nous avait été transmis depuis quelque temps déjà par M. le
professeur Brunner, de Berlin.
M. Krueger, de Kœnigsberg, dans ses recherches à la Viti-
cane, avait trouvé un manuscrit français du xive siècle, conte-
nant une Somme sur le Code Justinien ; il fit la copie de la pré-
face, la communiqua à M. Brunner, qui a eu l'obligeance de
nous la transmettre. L'auteur de cette Somme est un clerc de
Bologne, Ace ou Asces, qui composa cet ouvrage sur la prière de
ses collègues et pour leur instruction. Il critique les Sommes
de Placentin (1192), et croit en avoir fait une bien préférable,
car sa préface, que nous reproduisons ci-dessous, montre qu'il
ne péchait pas par excès de modestie.
Vat., reg. 1063, manuscrit du xrv* siècle.
Ci commence la somme ace seur toz les tytres de code.
Porce que plante de grâce est uenue. puisque escience fu
trouée, et engins est creuz par le bénéfice de nature, ce nest
pas merueille se humaine condition reçoit accroissement par
continuel estuide quar la coutumance est tornee e nature et
porce chascuns entent au plus soutillment quil puet por auoir
gloire, nature dôme nest pas estable. qar sicome Sale-
mons dit. toutes choses renouuelent. et génération dethar.
et desanc nest et muert. li home sont donc renouuele. et
escience florist. qar li ancien mestre liurerent les ars et les
Revce hist. — Tome VIII. 15
222 NOTE SUR UNE SOMME FRANÇAISE.
esciences. porquoi il doiuent estre loe. mes porce ne doiuent
il pas estre leue par desus touz autres, qar cil qui soutillment
amende ce qui est fet doit estre plus loez que cil qui premiè-
rement le fist. Ce sai bien que messires placentins qui fu
nobles hom. et bien ren ornez, et sages hom de droit a Mont-
pellier. Gt moult bonnes sommes seur code et seur institutes.
ne gênai (je n'ai) pas proposement daler contre ce que il dist.
Car ia soit ce que il parla en aucun leu moult briefment. et en
aucun leu sanz garder ordre et en aucun leu confusément, ne
porqant il n'en doit pas estre blasmez. qar auoir tôt en mé-
moire et garder soi que len ne pèche en aucune chose appar-
tient plus a dieu que a home. Et ge asces qui demeure a bou-
longne en la compaignie des sages homes ai obéi humblement
as prières de mes compaignons qui sont bons clerc, et de
bone uie et de noble lignage, et pour ce estudierai ge selonc
leur requestes a ordener clerement une somme seur Code et
seur Institutes. qar ge uoudrai que liuieli et ligeune [les vieux
et les jeunes] i puissent legierement trouuer ce que il quer-
ront. qar il selt souuent auenir que li textes an... liure [des
anciens livres?] est en oscurez par la glose et quant il co-
nuient querre glose sus glose, li auditeur ni pueent pas fere
leur preu. mes quant il estuidient es doutes des gloses, il ni
pueent ueoir goûte et par ce chieent il souuent en erreur. Mi
compaignon receuez donc ceste oeure clere et aperte. que uos
mauez longuement demandée et sachiez qe uos ni trouueroiz
nule chose oscure. ne douteuse ne contrere a lois, qar toutes
les parties qui i sont sont issues del cors de droit. Ci com-
mence, etc.
H. Brunner.
COMPTES-BENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
Inscriptions palmyréniennes. Un tarif sous l'Empire romain,
par le marquis de Vogué , membre de l'Institut. Extrait du Journal
Asiatique, Paris, 1883.
L'inscription dont il s'agit a été récemment trouvée à Pal-
myre par le prince Abamélek Lazareu, qui en a envoyé les
estampages à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Elle
contient en grec et en araméen le texte d'un tarif de péage et
des clauses et conditions imposées au fermier de la percep-
tion. M. de Vogué a déchiffré cette inscription et la publie en
entier, avec une traduction et quelques notes. C'est le monu-
ment le plus complet que nous possédions sur la matière des
douanes et péages chez les Romains. Il contient 60 articles,
et quoique mutilé en beaucoup d'endroits , il n'en fournit pas
moins des données toutes nouvelles et très précieuses.
Le tarif est de l'an 137 de notre ère, sous le règne d'Ha-
drien. Il exige un droit fixe, d'entrée et de sortie, de trois
deniers par charge de chameau, et. d'un denier sans doute,
par charge d'âne. En outre, toute marchandise payait soit à
l'entrée, soit à la sortie , un droit ad valorem. Il y avait aussi,
paraît-il , des taxes de fabrication , des redevances pour l'u-
sage des eaux, des droits d'enregistrement sur les actes de
société. Tout le contentieux de ces perceptions était porté de-
vant une juridiction locale. Le fermier avait le droit de pra-
tiquer des saisies et de faire vendre les objets saisis. Les
principaux objets soumis aux droits sont les esclaves, les
laines et les huiles, les peaux, les épices, les parfums et les
comestibles, enfin la paille, les habits et les chaussures.
Nous nous bornons à signaler l'importance de ce monu-
ment qu'il faudrait reproduire tout entier. Quelques-unes des
lacunes qu'il contient pourront être restituées. Par exemple,
224 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
les §§ 41 et 43 du texte grec contiennent évidemment des
règles sur les saisies ou prises de gage, Ivtjppa \a[6eiv]. Au
surplus , on attend de nouveaux estampages , qui permettront
sans doute d'améliorer le texte avec une entière certitude.
Déjà le travail de M. le marquis de Vogué est propre à rendre
les plus grands services et mérite la reconnaissance de toutes
les personnes qui s'occupent des antiquités romaines.
R. Dareste.
Recueil des instructions données aux ambassadeurs
et aux ministres de France depuis les traités de
Westphalie jusqu'à la Révolution française, tome Ier,
Autriche, par M. Albert Sorel, i vol. in-8°, Paris, Alcan, 1883.
Nous sommes heureux de pouvoir reproduire intégrale-
ment, d'après le n° du Journal officiel du 15 mars 1884, le
rapport que notre collaborateur, M. de Rozière, a présenté
sur cet ouvrage à l'Académie des Inscriptions et Belles-
lettres.
L'an dernier, à peu près à cette môme époque , j'avais l'honneur
d'offrir à l'Académie , au nom de la commission des archives diplo-
matiques, le premier volume de l'Inventaire sommaire du dépôt des
affaires étrangères.
Je me souviens encore de la bienveillance particulière avec la-
quelle cet hommage fut accueilli.
Ce volume d'inventaire était , en effet , la première manifestation
publique et comme la consécration des facilités qu'une suite de mi-
nistres intelligents venait d'accorder aux travailleurs.
Grâce à ces facilités , le nombre des ouvrages dont les auteurs ont
utilisé le dépôt des affaires étrangères a considérablement augmenté.
La commission des archives diplomatiques , fidèle à la pensée qui
avait présidé à sa création , a secondé ce mouvement en autorisant
les communications avec une libéralité jusqu'alors inconnue. Mais
elle a pensé qu'en dehors de ces autorisations son rôle n'était pas
strictement limité à la direction des classements et des inventaires et
qu'il était de son devoir de ne pas laisser à d'autres le soin de tirer
des archives confiées à sa surveillance quelques-unes de ces grandes
publications qui , par leur importance et le but élevé qu'elles se pro-
posent, semblent appartenir à l'initiative du Gouvernement.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 225
Elle a donc soumis à M. le Ministre des Affaires étrangères le plan
d'an recueil destiné à contenir les instructions données aux ambassa-
deurs et ministres de France depuis le traité de Westpbalie jusqu'à la
Révolution française. Le projet a reçu l'approbation ministérielle ;
la commission a désigné des éditeurs , et celui dans le lot duquel
avaient été placées les relations de la France avec la Cour de
Vienne, M. Albert Sorel s'est immédiatement mis à l'œuvre. Il vient
d'achever sa tâche , et c'est le volume publié par ses soins que la
commission des archives diplomatiques a bien voulu me charger d'of-
frir à l'Académie.
L'éloge de M. Sorel n'est plus à faire. Dans ses publications sur
l'action diplomatique de la France pendant la période révolutionnaire
et pendant la guerre de 4870. Il avait montré ce qu'on pouvait
attendre de lui. Ceux d'entre vous qui parcourront son nouveau tra-
vail y reconnaîtront ces qualités maîtresses d'exactitude , de clarté ,
de sobriété dont il avait déjà fait preuve et qui constituent le fonds
de son talent.
Mais, si je ne craignais d'abuser des moments de l'Académie je lu1
demanderais la permission d'exposer en quelques mots le but que la
commission des archives diplomatiques s'est proposé, les raisons qui
ont déterminé son choix et les règles qu'elle a imposées à ses édi-
teurs.
La commission n'a pas eu la prétention de faire une œuvre d'éru-
dition. Elle a voulu mettre à la disposition des historiens et des pu-
blicistes une sorte de manuel des traditions politiques de la France ,
et en même temps offrir aux jeunes gens qui se consacrent à la dé-
fense des intérêts extérieurs du pays les modèles les plus intéres-
sants, les plus autorisés, les mieux faits pour servir à l'étude des
questions diplomatiques.
Aucune série de documents ne pouvait répondre d'une manière
plus complète à ce double programme que la série des instructions
données aux ambassadeurs. Il était en effet d'usage, sous l'ancienne
monarchie , de remettre à chaque ambassadeur, au moment de son
départ, une instruction étendue qui contenait l'exposé des relations
antérieures de la France avec la cour auprès de laquelle il était ac-
crédité, l'état des questions pendantes entre les deux cabinets, et
enfin le tracé de la ligne de conduite jugée la plus avantageuse. Ces
instructions n'étaient le plus souvent que le résumé des mémoires
composés sur les documents originaux par les commis des affaires
étrangères, c'est-à-dire par des hommes très éclairés, très informés,
très pénétrés de la tradition. Elles sont reliées l'une à l'autre par
l'enchaînement des idées qui ont formé le système politique de la
France, et constituent le commentaire le plus lumineux et le plus
226 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
sûr de la conduite qui nous avait assuré une si grande place dans la
politique européenne.
Peut-être la commission aurait-elle pu faire remonter sa publica-
tion plus haut et la faire descendre jusqu'à une époque plus rappro-
chée de notre temps. Mais il faut reconnaître que , si la constitution
du dépôt des affaires étrangères date du ministère de Richelieu , ce
n'est cependant qu'à partir de la paix de Westphalie que les relations
diplomatiques ont pris un caractère suivi et régulier, et que, d'un
autre côté, la période de 4790 à 4844 a été une période de guerre,
pendant laquelle ces relations ont été fréquemment interrompues.
Ces considérations ont déterminé la commission dans la fixation
des périodes extrêmes auxquelles elle a cru devoir s'arrêter. En même
temps , la nature des documents destinés à prendre place dans son
recueil lui imposait, en quelque sorte, le mode de publication qu'elle
a adopté. Elle a prescrit à ses éditeurs de n'abréger, corriger ou
modifier en quoi que ce soit les documents qu'ils publient; ce sont
des documents historiques et qui doivent être livrés au public dans
leur intégrité originale.
Elle leur a permis de placer en tête de chaque volume un moroeau
historique résumant l'ensemble des relations de la France avec le
pays auquel le volume est consacré. Enfin , elle les a autorisés à re-
lier chaque instruction à celle qui précède par une notice , dans la-
quelle sont résumées les données nécessaires à l'intelligence du do-
cument. Ces notices qui, dans tous les cas, devront être très courtes,
ne seront même pas toujours indispensables. En effet , les instruc-
tions, commençant en général par un précis rétrospectif des relations
entre les deux Étals , se suffisent en quelque sorte à elles-mêmes , et
contiennent, pour ainsi dire, leur propre introduction. Les notices
ne deviennent nécessaires que lorsqu'entre deux ambassades il s'est
produit des faits diplomatiques ou des faits de guerre auxquels le
lecteur a besoin d'être initié.
Je suis convaincu que la publication des instructions édictées par
M. Sorel , dans lesquelles apparaissent à chaque ligne la connaissance
des grandes affaires , le respect de la tradition nationale et le dévoue*
ment aux intérêts de l'État , fera le plus grand honneur à notre an*
cienne diplomatie. Je regrette de ne pouvoir pas mettre sous les yeux
de l'Académie quelques-unes de ces instructions. Mais je ne puis
résister au désir d'en citer deux courts fragments, qui m'ont vive-
ment impressionné :
Je lis dans les instructions données en 4725 au duc de Richelieu :
« Lors de la conclusion des traités de Westphalie, ceux qui y eurent
la principale part regardèrent comme un point essentiel à l'équilibre
et à la balance en Europe les privilèges et les droits que l'on procura
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 227
an* prioces et États de l'Empire et qui, fixant les droits de la cour
de Vienne (impériale alors), empêcheraient à jamais que le corps
germanique et cette cour ne formassent un seul et même corps , qui
serait en effet formidable à toutes les puissances de l'Europe. »
Quelques années auparavant, en 4745, je rencontre dans les ins-
tructions remises au comte du Luc cette phrase : « C'est ainsi qu'ont
grandi les maisons de Prusse , de Savoie , de Hanovre et de Ba-
vière; il est temps peut-être de les redouter après s'en être servi. »
Enfin, en 4756, le département des affaires étrangères, revenant
sot la question des rois de Prusse et de Sardaigne, écrivait au comte
de Stainville : « Sa Majesté se servit en 4733 du roi de Sardaigne et
en 4741 du roi de Prusse, comme le cardinal de Richelieu s'était
servi autrefois de la couronne de Suède et de plusieurs princes de
l'Empire, avec cette différence cependant que les Suédois, payés
assez faiblement par la France, lui sont demeurés fidèles, et qu'en
rendant trop puissants les rois de Sardaigne et de Prusse, nous n'a-
vons fait de ces deux princes que des ingrats et des rivaux , grande
et importante leçon qui doit nous avertir pour toujours de gouverner
l'un et l'autre monarque plutôt par la crainte et l'espérance que par
les augmentations de territoires... En général, il faudrait que les
uns et les autres dépendissent de nous par leurs besoins; mais il
sera toujours bien dangereux de faire dépendre notre système de leur
reconnaissance. »
Vous voyez, Messieurs, que la diplomatie française avait pres-
senti, plus d'un siècle et demi d'avance, les événements auxquels
notre génération a eu la douleur d'assister, et que dans ses patrio-
tiques prévisions elle cherchait le moyen de les conjurer!
La censure sous le Premier Empire, par Henri
Welschinger. Paris, Charavay frères, 4882, in-8°.
La censure est ancienne en France. C'est une création de
l'ancien régime , que la Révolution commença par abolir,
puis qu'elle reprit pour son usage et que l'Empire perfec-
tionna. Il y a pourtant une différence entre la censure d'avant
1789 et la censure impériale. La première se contentait de
réprimer les écarts des écrivains ; elle n'aspirait pas à diriger
l'opinion. Sous l'Empire, au contraire, la tâche des censeurs
fut de gouverner l'esprit public. L'État mit la main sur les
journaux et réserva le privilège d'y parler politique à quel-
228 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
ques rédacteurs officiels. Le théâtre fut condamné à la glori-
fication du souverain, de son génie, du nouvel ordre de
choses qu'il avait fondé. Aucun livre ne put paraître ou circu-
ler sans l'agrément du pouvoir. On alla jusqu'à faire de l'im-
primerie un monopole administratif. L'empereur enfin pré-
tendit donner le ton à la littérature , et lui-même , entre deux
bulletins de victoire , il rédigeait des projets d'opéras et de
tragédies , qu'il chargeait ses ministres de faire exécuter sur
commande. La censure , en un mot , était devenue un instru-
ment de gouvernement.
Nous savions déjà que Napoléon n'avait pas été tendre aux
écrivains indépendants , comme madame de Staël et Chateau-
briand. Mais ce qu'on ignorait jusqu'ici , c'est l'organisation
savante de la censure impériale , ses procédés , sa chronique
au jour le jour et le bulletin de ses exécutions. Il faut remer-
cier M. Welschinger de nous l'avoir fait connaître. Son livre
plein de révélations piquantes, bourré de faits et de docu-
ments, forme un des plus curieux chapitres de l'histoire inté-
rieure de la France au début de notre siècle.
La première partie de l'ouvrage est consacrée à décrire le
mécanisme de l'institution , la censure et les censeurs. Puis
l'auteur nous en fait voir le fonctionnement : il passe en revue
tour à tour la censure des journaux, celle des livre, celle des
théâtres. Tout cela échappe pour ainsi dire à l'analyse. Grâce
à des recherches aussi étendues que bien conduites, M. Wels-
chinger avait à sa disposition une telle quantité de matériaux ,
qu'il n'a eu en quelque sorte qu'à les juxtaposer pour faire un
volume d'une lecture très attachante. Il s'est montré sobre de
commentaire; il a préféré laisser parler les choses et l'on
doit avouer qu'elles sont singulièrement éloquentes. Comme
il le dit lui-même dans sa Préface , « quand on voit à quels
procédés , à quelles vexations en arriva le gouvernement si
puissant du premier Empereur, pour se réserver le privilège
d'écrire sur ses propres actes, on se rend un compte exact
des inconvénients et des périls de la censure. »
11 serait injuste, toutefois, de rendre Napoléon personnel-
lement responsable de toutes les rigueurs , de toutes les
maladresses commises sous son règne par les censeurs im-
périaux. Il était le premier à en gémir. Le livre de M. Wels-
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 229
chinger est plein de ses boutades contre les excès de zèle des
agents de Fouché et de Portalis. On ne saurait, en effet,
méconnaître qu'au fond ses intentions fussent libérales. Mais
l'Empereur était dupe d'une illusion. Il croyait possible de
soumettre la presse et la littérature à une sorte de régime
protecteur, laissant la porte ouverte à toutes les œuvres de
mérite, mais arrêtant au passage les écrits susceptibles de
« troubler la paix de l'État, ses intérêts et le bon ordre. »
C'est ce qu'on appelle la liberté du bien. Par malheur, celui
qui se charge de distinguer, en pareil cas, le bien du mal,
est forcément juge et partie. L'intérêt général et son propre
intérêt sont identiques à ses yeux. Et puis, il est obligé de
s'en remettre pour le détail à des sous-ordres , dont les goûts
et les préjugés , les caprices et les rancunes deviennent né-
cessairement la règle suprême. C'est en dernière analyse la
confiscation de la pensée publique par quelques bureaucrates.
L'exemple de Napoléon est la condamnation du système. A
quoi lui a servi de comprimer pendant quatorze ans la liberté
décrire? Lui-même, il reconnut son erreur, une première
fois, au retour de l'île d'Elbe et plus tard à Sainte-Hélène.
Quand il confiait à Benjamin Constant la rédaction de l'Acte
Additionnel , il lui disait : « Des discussions politiques , des
élections libres, des ministres responsables, la liberté de la
presse, je veux tout cela, la liberté de la presse surtout. L'é-
touffer est absurde. Je suis convaincu sur cet article. »
G. Grandjean.
Traité théorique et pratique des archives publiques,
par G. Richou, archiviste paléographe, conservateur de la biblio-
thèque de la Cour de cassation. Paris , 1883, Paul Dupont.
Ce traité est un extrait du Répertoire du droit administratif
de MM. Béquet et Dupré, dont les dimensions s'annoncent
telles qu'un seul article, publié à part, forme un volume res-
pectable de plus de 300 pages.
M. Richou y a accumulé, avec la méthode qu'on devait
attendre d'un archiviste traitant des archives, une quantité de
documents qui font de ce traité une publication de la plus
230 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
grande utilité. Nous ne voulons pas parler seulement de la
partie historique du sujet, déjà connue par l'ouvrage de M. de
Laborde, sur les archives de la France, et aussi par les tra-
vaux de MM. de Boislisie et Ravaisson. On sait trop que l'his-
toire des archives est en grande partie l'histoire de leur des-
truction, et que l'incurie administrative dispute au vandalisme
révolutionnaire la responsabilité de pertes irréparables et
incalculables. Le mal n'a pas encore complètement cessé, si
l'on en juge par les détails donnés par M. Richou sur l'état
actuel de bien des dépôts. Le remède ne sera complet que le
jour où le service des archives sera centralisé pour toute la
France. En pareille matière , toute décentralisation est un pé-
ril, et c'est malheureusement ce que le législateur, même celui
du 10 août 1871, semble avoir trop perdu de vue. Mais, outre
ce résumé historique, la partie essentielle de l'ouvrage de
M. Richou consiste dans la revue détaillée des divers dépôts
d'archives et de ce qu'ils renferment. C'est ainsi qu'il repro-
duit, non-seulement les divisions principales de l'inventaire
sommaire des archives nationales, mais aussi les cadres de
classement des archives de la guerre, de la marine, des affaires
étrangères, etc., ainsi que des archives locales. Ce n'est pas
tout : il fait connaître par le détail les règlements intérieurs
de ces dépôts, les conditions auxquelles le public y est admis,
les procédés à suivre pour y faire des recherches. C'est un Cl
conducteur qu'il donne au public et qui est de nature à mener
rapidement au but, par des indications nettes et précises.
Enfin , tout ce qui a trait à la législation des archives y est
mentionné avec soin ; sans oublier les côtés spéciaux de la
matière, comme, par exemple, le droit de l'État de retenir les
papiers des fonctionnaires diplomatiques ou des officiers gé-
néraux , consacré par l'arrêté du 13 nivôse an X, le décret du
20 février 1809 et l'ordonnance du 18 août 1833 ; — et la ju-
risprudence de la Cour de cassation sur les articles 173, 254,
255, 256 et 439 du Code pénal.
Nous croyons en avoir assez dit pour faire connaître et ap-
précier un travail qui , par la multiplicité de données exactes
qu'il contient et le soin que l'auteur y a apporté , est appelé
à rendre les plus grands services.
P. Darbstb.
CHRONIQUE.
Les lettres françaises viennent de faire une perte irrépa-
rable. M. Mignet, doyen de l'Académie française et secré-
taire perpétuel honoraire de l'Académie des Sciences morales
et politiques , est mort le 24 mars à l'âge de quatre-vingt-huit
ans. Bien qu'il eût pris le grade d'avocat à la Faculté de droit
d'Aix et qu'il eût débuté dans la carrière littéraire par un
Mémoire sur la Féodalité et les Institutions de saint Louis, qui
fut couronné en 1821 par l'Académie des Inscriptions, M. Mi-
gnet n'avait jamais prétendu au titre de jurisconsulte. Son
véritable domaine était l'histoire politique. Il lui est cependant
arrivé de rencontrer sur sa route quelques grandes questions
de droit public, comme dans ses Négociations relatives à la suc-
cession d'Espagne , et il les a traitées avec autant de sûreté
que d'élévation. D'autres fois , il a été conduit par son sujet
à rechercher quelle avait été l'influence des lois politiques et
civiles sur la formation des États (1), et il a résolu ce pro-
blème avee la haute compétence d'un érudit qui ne compre-
nait pas que l'étude des faits pût être séparée de celle des
institutions. Dans plusieurs de ces admirables éloges qu'il
prononçait chaque année à la séance publique de l'Académie
des Sciences morales, dans ceux de Merlin, de Siméon, de
Portalis, de Rossi, de Savigny, de lord Brougham, il a parlé
la langue du droit avec une étonnante précision et retracé les
travaux de ces grands légistes comme s'il avait passé lui-
(1) Voy. Essais sur la formation territoriale et politique de la France, 4e
l'Allemagne, de l Angleterre, de l'Italie et de r Espagne. — Rapport sur le con-
cours relatif à la formation de l'administration monarchique en France. Voy.
aussi Rapport sur le concours relatif au droit de succession des femmes au
moyen-âge.
234 CHRONIQUE.
chez les Grecs et les Romains. — Faire le tableau des institu-
tions civiles et politiques de la Belgique sous la dynastie méro-
vingienne; 2° pour 1885 : Comment était constituée jusqu'au
commencement du XVI9 siècle la représentation des communes
de Flandres.
* *
La Société belge pour le progrès des Etudes historiques
vient de mettre au concours la question suivante, qui intéresse
l'histoire des institutions : Dresser la liste des Consules suffecti
qui ne se trouvent pas dans l'ouvrage de Klein et comme
appendice à cet ouvrage (Terme : deux ans. Prix : 300 fr.).
* #
Vlstituto Veneto vient de mettre au concours les sujets
suivants : De V origine et vicissitudes des biens communaux en
Italie (31 déc. 1884).
*
Par décret en date du 15 mars, notre collaborateur, M.
Flach , a été nommé professeur titulaire de la chaire d'His-
toire des législations comparées au Collège de France , en
remplacement de M. Edouard Laboulaye.
*
Le 6 mars, M. Camille Jullian , ancien élève de l'École nor-
male supérieure, ancien membre de l'École française de Rome,
a soutenu devant la Faculté des Lettres de Paris, pour l'ob-
tention du grade de docteur, les deux thèses suivantes :
Thèse latine : De protectoribus et domesticis augustorum.
Thèse française : Les transformations politiques de V Italie
sous les empereurs romains.
Le 6 février dernier, M. Gustave Bloch, ancien élève de
l'École normale supérieure , ancien membre des écoles fran-
çaises de Rome et d'Athènes, a soutenu devant la Faculté des
CHRONIQUE. 235
Lettres de Paris pour l'obtention du grade de docteur les
deux thèses suivantes :
Thèse latine : De decretis functorum magistratuum orna-
mentis. De décréta adlectione in ordines functorum magistra-
tuum usque ad mutatam Diocletiani temporibus rempublicam.
Accedit appendix epigraphica.
Thèse française : Les origines du Sénat romain. Recherches
sur la formation et la dissolution du Sénat patricien.
* *
Par décret en date du 29 du même mois, M. Bloch a été
nommé professeur d'antiquités grecques et latines à la Faculté
des Lettres de Lyon.
*
* *
M. Delachenal a publié , dans le Bulletin de la Société de
f Histoire de Paris et de Vile de France (tome X, pag. 174 et
suiv.), des Notes pour servir à la biographie de Guillaume du
Brueil, qui complètent et rectifient sur plusieurs points im-
portants les notices que MM. Bordier et Henri Lot avaient
consacrées dans la Bibliothèque de V École des Chartes (tomes
III, pag. 47-62 et XXIV, pag. 119-138) au célèbre auteur du
Stylus Parlamenti.
*
Les Monumenta Germaniœ viennent de s'enrichir de deux
publications fort précieuses pour les historiens du droit : la
Lex Ribuaria et la Lez Francorum Chamavorum , ces deux lois
sont éditées pour la première fois d'une façon vraiment criti-
que par M. R. Sohm et font partie du tome Y des Leges.
M. Ernest Nys, juge à Bruxelles, vient d'éditer, chez Mu-
quardt à Bruxelles, Y Arbre des Batailles d'Honoré Bonnet. C'est
un des premiers traités de droit international écrit en langue
française. M. Nys a également consacré quelques pages à
consulter aux Siete Partidas d'Alphonse de Castille étudiées
au point de vue du droit de la guerre.
236 CHRONIQUE.
* *
Nous lisons dans la Revue historique , que le Dr Vladimir
Pappafava, de Zara (Dalmatie), s'occupe de composer une
bibliographie critique des ouvrages de droit international
public et privé qui ont été publiés depuis l'époque la plus re-
culée jusqu'à nos jours. Il prie tous les auteurs qui se sont
occupés de droit international de bien vouloir lui faire par-
venir le titre exact de leurs livres et aussi de leurs articles de
revues et de journaux, avec tous les renseignements biblio-
graphiques, ainsi que le relevé complet des comptes rendus
dont ces ouvrages ont fait l'objet, y compris l'indication des
pages et des numéros des revues ou journaux où ils ont paru.
* ♦
La commission historique de l'Académie des Sciences de
Bavière, a accordé à M. Specht le prix dans le concours qui
avait pour sujet : Histoire de l'enseignement en Allemagne de-
puis les temps les plus reculés jusqu'au milieu du XIIIe siècle.
*
* <
Nous pouvons annoncer la publication d'une nouvelle revue
provinciale : La Revue bourbonnaise historique , artistique , ar-
chéologique , publiée sous la direction de M. Georges Grasso-
reille, ancien élève de l'École des Chartes, archiviste de
l'Allier.
BAR-LB-DUC, IMPRIMBHIE CONTAMT-LAOUBHRB.
NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
ÉTUDE
SUR LA SOLIDARITÉ
Si quelques institutions de droit civil , en passant des Ro-
mains dans nos lois , ont changé de caractère et de destination,
sans changer de nom, beaucoup d'autres, en plus grand
nombre, sont demeurées ce qu'elles. étaient. Pour des raisons
faciles à apercevoir, cette permanence se rencontre surtout
dans le domaine des Obligations, quoi qu'en ait paru dire
notre cher et regretté collègue et ami M. Gide, au début de
ses remarquables Études sur la Novation. Je voudrais essayer
de démontrer cette proposition sur la Solidarité de la part des
débiteurs. Deux ou plusieurs personnes sont obligées à une
même chose , de manière que chacune d'elles peut être con-
trainte par le créancier pour la totalité (solidum debiti), et que
le paiement fait par l'une les libère toutes : les Romains di-
saient de ces débiteurs qu'ils étaient rei promittendi , rei de-
bendi : nous disons qu'il y a solidarité entre eux, qu'ils sont
des débiteurs solidaires. Cette espèce d'obligation , dans son
but et ses caractères essentiels , est telle encore que la juris-
prudence romaine l'avait construite. Des quelques modifica-
tions qu'elle a subies, les unes ne sont que secondaires, les
autres des conséquences de principes généraux, différents
Rbvub hist. — Tome VIII. 16
238 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITÉ.
dans les deux législations : la solidarité n'a pas subi une pro-
fonde transformation, comme le pensent quelques juriscon-
sultes modernes, ou elle n'a subi d'autres transformations que
celles qui ont frappé les obligations en général (V. notam-
ment Demolombe : Oblig., t. III, n* 119).
Aussi pour désigner l'institution en droit romain , je me
garderai d'employer l'expression aujourd'hui si usitée , de
CorréaUté, et je me contenterai de la locution du Code civil :
car les principes énoncés dans les articles 1200 et suivants
correspondent aux mêmes idées que celles des Romains.
A cette situation , de beaucoup la plus fréquente , on a pris
l'habitude de comparer et d'opposer un autre état qu'il est
facile de confondre avec le premier, à cause de certains effets
communs. Deux ou plusieurs personnes ont commis ensemble
un délit ou un quasi-délit civil; d'après une jurisprudence et
une doctrine presque unanimes, ces personnes sont, aujour-
d'hui , déclarées chacune pour le tout, responsables des dom-
mages-intérêts dus à la partie lésée : celle-ci a le droit, comme
si elle avait des débiteurs solidaires , de réclamer à l'un quel-
conque des auteurs du fait illicite la totalité de l'indemnité,
la réparation intégrale du préjudice qui lui a été causé, et le
paiement de cette indemnité , émané de l'un , les libère tous.
Nous n'avons, là encore, 'qu'une tradition des lois romaines :
comme sur la solidarité, nous avons suivi fidèlement les idées
des Romains. Ils disaient de ces débiteurs qu'ils étaient tenus
in soUdum : ils ne les qualifiaient plus de rei promittendi. Les
modernes ont caractérisé la situation par les expressions d'o-
bligation in solidum, solidarité simple ou imparfaite. La déno-
mination importe peu : ce qu'il est nécessaire de rechercher,
c'est la raison d'être ; la base et les effets de chacun de ces
deux états , de la solidarité d'une part (corréalité des auteurs
modernes) et de la responsabilité pour le tout ou collective (so-
lidarité imparfaite , obligation in solidum) (1).
(l)Dans ses Appendices si lumineux aux Instituts d'Ortolan, notre éminent
collègue , M. Labbé , appelle Tune des situations solidarité artificielle, obli-
gation solidaire corréale, et l'autre, solidarité naturelle, ou simple. Pour évi-
ter toute confusion , je crois préférable de ne pas étendre au cas de respon-
sabilité le mot solidaire, solidarité, qui a pris aujourd'hui un sens technique
(Instituts d'Ortolan, 12* édit., t. III , p. 818 et s.).
ÉTUDE SUR LA SOLIDARITÉ. 239
I. DE LA SOLIDARITÉ.
La solidarité est une des institutions , imaginées par la pra-
tique , et organisées par la loi pour procurer au débiteur du
crédit , et au créancier une sécurité que la promesse de son
débiteur est impuissante à lui donner : elle constitue , comme
le cautionnement, un procédé de sûreté personnelle; accessoi-
rement elle facilite au créancier le recouvrement de ce qui lui
est dû. Deux ou plusieurs personnes , ordinairement en com-
munauté d'intérêts, associés, copropriétaires, époux, ont
besoin d'emprunter ou d'acheter à crédit : si chacune d'elles ,
isolément, inspire confiance, elles s'obligeront divisément
dans la mesure de l'intérêt qu'elles ont à l'opération : l'obli-
gation de chacune n'aura pas d'autre étendue , d'autre objet
que l'utilité retirée par elle du contrat : celui des emprun-
teurs qui n'aura touché que le tiers de la somme avancée, ne
sera débiteur que de ce tiers. Mais le capitaliste se défie , et
exige une garantie : au lieu de réclamer de celui ou de ceux
dont il redoute l'insolvabilité , des cautions , débiteurs acces-
soires , au lieu de faire engager tous ses emprunteurs comme
cautions les uns des autres pour ce qui excède leur intérêt
dans l'affaire , il leur impose la nécessité dé s'obliger en qua-
lité de débiteurs principaux, comme si chacun d'eux avait
reçu la totalité de la somme et avait seul intérêt à l'opération ;
« utriusque ftdem in solidum sequi vult : » flunt duo rei promit-
tendi. Ils sont des débiteurs solidaires : l'obligation de chacun
est à peu près aussi étendue et complète que s'il avait con-
tracté seul. Le créancier est dispensé de former plusieurs de-
mandes , il échappe à des paiements divisés , et surtout il se
met à l'abri de l'insolvabilité possible de l'un de ses débiteurs :
il lai suffit qu'il en reste un de solvable pour que la dette soit
intégralement acquittée.
A l'époque très reculée , où le cautionnement ne se donnait
que sous forme d'adpromissio , de stipulation, et où les cau-
tions n'avaient pas reçu les droits et les faveurs dont elles
furent plus tard gratifiées, il n'y avait pas de différence bien
considérable entre le cautionnement et la solidarité : le débi-
teur principal et la caution étaient, comme les débiteurs soli-
240 ETUDE SUR LA SOLIDARITE.
daires, duo rei ejusdem obligations (V. Papinien, f. 116 de F.
0., XLV, 1). Sauf le caractère viager de l'obligation du sponsor
et du fidepromissor, caractère qu'il me paraît difficile d'expli-
quer autrement que par des considérations politiques , que je
regarderais volontiers comme une dérogation apportée après
coup à la pureté des principes (1), et qu'il était d'ailleurs facile
d'écarter en fait , en exigeant un certain nombre de cautions ,
l'engagement de la caution n'était pas, pour le créancier,
d'une valeur inférieure à celle du débiteur solidaire.
Mais à mesure que la nature accessoire de l'obligation de la
caution s'est plus nettement accusée , et que la condition des
cautions s'est adoucie , la supériorité de la solidarité sur le
cautionnement s'est accentuée ; et c'est alors sans doute que
la pratique, détournant la première de sa destination normale,
suggéra aux créanciers la pensée d'y recourir, là où l'affaire
ne concernait qu'un seul des débiteurs (V. Ulp., f. 7, § 8 ad
S. C. Maced., XIV, 6 ; Diocl., C. 5, Si certum petatur, IV, 2 ;
Diocl., C. 4, Deduob. reis, VIII, 40; C. civ., art. 1216, 1431).
La solidarité, dans cette application, n'a plus qu'un but,
soustraire le créancier aux risques d'insolvabilité de son débi-
teur. En pareille circonstance, toujours connue du créancier,
ne serait-il pas équitable d'accorder aux débiteurs solidaires ,
qui sont désintéressés dans l'opération, quelques-unes au
moins des faveurs octroyées à la caution ? Le législateur ne l'a
pas pensé. Ces faveurs , ces bénéfices sont abandonnés à la
discrétion , au bon vouloir du créancier : s'il est impitoyable
et qu'il impose ses conditions , comme cela se présente assez
souvent , il refusera des cautions , et exigera de son débiteur
des coobligés solidaires (2).
Le cautionnement et la solidarité, tout en ayant chacun
(1) En déduisant ce caractère de ce que c'est un service d'ami, il serait
logique de faire disparaître le cautionnement , non-seulement à la mort de la
caution , mais également au décès du débiteur principal.
(2) Le cautionnement, lui aussi, peut, en droit romain , présenter cette ano-
malie que la caution seule soit intéressée à l'affaire : c'est le cas du fldéjus-
seur in rem tua* : le débiteur principal rend un service à la caution : c'est
un expédient imaginé après coup, notamment pour atténuer les inconvénients
du principe de la non-représentation. Ce bizarre Ûdéjusseur ne peut pas , la
raison le dit assez, jouir de tous les avantages de la caution ordinaire. V.
Labbi sur Machelard, p. 461 et s., Paul , f. 24, de pactis, II, 14.
KTUDE SUR LA SOLIDARITE. 241
une physionomie propre, leur utilité distincte, ne remplissent
pas moins la même fonction économique : ils peuvent se sup-
pléer, et il existe entre eux bien des points de ressemblance :
« La solidarité est une forme perfectionnée de cautionne-
ment » (Hauriou, Origine de la corréalité; Nouv. Rev. histor.,
1882, p. 227). Au fond, chaque débiteur solidaire est caution
pour partie de son codébiteur, dit Mourlon, Subrog. pers.9
p. 108. Les Romains l'avaient déjà bien aperçu (V. Val. et
Gai., C. 13 De locato, IV, 65) : en l'absence de solidarité,
chaque locataire ne peut être actionné alieno nomine : quand
il y a solidarité, chacun peut être actionné et suo et alieno
nomine, et le sens de la formule alieno nomine nous est donné
par Gaius, f. 1, § 8 de 0. et A. XLIV, 7. Le fidéjusseur
s'oblige alieno nomine, dans l'intérêt d' autrui.
Ainsi l'une et l'autre s'offrent à nous comme des modalités,
des accidents dans la formation des obligations, des dérogations
apportées par la volonté humaine à ce qui constitue la situation
normale. Quand je m'oblige envers quelqu'un sans y être dé-
terminé par un sentiment de libéralité envers lui , mon enga-
gement trouve sa cause toute naturelle dans l'avantage pécu-
niaire que j'attends ou que je retire de mon créancier, et il
a pour mesure cet avantage. Telle ne se présente pas à nous
l'obligation de la caution , ni celle du débiteur solidaire. « Le
contrat qui intervient entre la caution et le créancier, n'est pas
de la classe des contrats bienfaisants le cautionnement ren-
ferme un bienfait à V égard du débiteur pour qui la caution
s'oblige » (Pothier, Obligations, n° 365 in fine). L'obligation de
la caution envers le créancier est une obligation sans cause
naturelle (1), une obligation qui n'a d'autre cause que la
volonté de la caution d'assumer onus obligationis envers quel-
qu'un pour rendre service à un autre. S'il y a un procédé
qui se prête bien à la création d'un pareil engagement (et de
plusieurs autres qui offrent le même caractère, expromis-
sion, etc.), c'est la stipulation romaine, cette forme de contrat,
dans laquelle la formule tient lieu de cause , et qu'on prend
(1) Le Gode civil n'a pas défini la coûte; il s'est référé à Pothier, Obligat.,
n» 42, et pour Pothier, la cause , élément de toute obligation contractuelle,
c'était l'avantage juridique (pécuniaire) que le débiteur acquiert , ou l'inten-
tion de libéralité*
242 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE.
avec grande raison l'habitude d'appeler : contrat formel ou
formaliste. L'obligation, d'ailleurs, c'est pour les Romains,
personœ obligatio , un aete par lequel je dispose de ma per-
sonne, plus que de mon patrimoine : les voies d'exécution
forcée portaient originairement sur la personne du débiteur :
le fUiusfamUias a une personne complète en dehors de la
domus, dont il est un des membres : il s'oblige tanquam ut
paterfamilias , bien qu'il n'ait pas de patrimoine personnel.
Celui qui s'oblige est libre de disposer de sa personne pour
une cause quelconque.
Cette particularité que nous constatons dans le cautionne-
ment, se retrouve dans la solidarité : aussi accentuée, quand
la dette solidaire ne regarde que l'un des obligés : vis-à-vis
des autres , l'obligation est dépourvue de cause. Quand l'af-
faire est commune à tous , aucune pensée de libéralité ne les
inspire : s'ils s'obligent au tout , c'est pour obtenir un crédit
partiel , qui manquerait à chacun traitant isolément : en ce
sens , leur engagement est intéressé. Mais chacun ne s'oblige
pas moins au delà de l'avantage que lui a procuré le contrat.
La cause naturelle de leur engagement les conduirait à être
des débiteurs conjoints : pour ce qui excède la valeur par eux
retirée de l'opération, leur obligation n'a plus de cause :
comme celle de la caution , elle n'a qu'une cause légale , utili-
taire , l'intérêt à ce que les affaires soient facilitées par Tac-
cession d'une sûreté personnelle, cautionnement ou solidarité,
à ce que les hommes puissent se prêter mutuellement leur
crédit.
De ce caractère commun aux deux procédés, les Romains
et plusieurs législations modernes ont conclu que le caution-
nement et la solidarité ne doivent pas se présumer : quand il
y a doute sur la volonté des parties , on applique le droit
commun , l'absence d'engagement pour la caution , la division
pour ceux qui s'obligent ensemble dans un intérêt commun :
(Ulp., f. 29 De solut., XLVI, 3 ; Pap., f. 11, § 2, De duob.
rets, XLV, 2; C. civ., art. 1202, 2015). Mais la pratique a
démontré que quand plusieurs personnes s'obligent dans une
affaire commune, le créancier ne manque jamais d'exiger
d'elles la solidarité, qui devient une clause de style. Le Code
prussien de 1794 (Allgemeines Landrecht fur die preussischen
ETUDE SUR LA SOLIDARITE. 243
Staaten, part. I, tit. v, §§ 424 et s.), décide que, sauf décla-
ration contraire, la solidarité est présumée dans tous les
contrats où plusieurs personnes s'obligent dans un intérêt
commun. En matière commerciale, la solidarité se présume
également depuis des siècles déjà (V. les autorités citées par
Rodière, de la Solidarité, n° 234), et beaucoup de juriscon-
sultes modernes , s'appuyant sur la tradition , enseignent
qu'il y a solidarité, sans clause spéciale, entre commerçants
qui contractent ensemble pour fait de commerce (Boistel,
Précis de droit commercial, n° 435; Lyon-Caen et Renault,
Précis de droit commercial, n°* 333, 597). Le Code de com-
merce allemand , art. 280, en a une disposition expresse.
L'obligation qui résulte du cautionnement, n'a pas de
cause propre. Elle n'a pas non plus d'objet qui lui soit pro-
pre : ce que doit la caution , c'est ce que doit le débiteur
principal. « L'objet de Yadpromissio est nécessairement iden-
tique à l'objet de l'obligation principale » (Accarias, Précis,
n° 557). « Idem fide tua esse jubés? Idem fidejubeo » (Gaius,
G. 111, § 116). Quand le débiteur principal doit un prix de
vente , un compte de tutelle , une amende à raison d'un délit
par lui commis, la caution, le fidéjusseur doit également un
prix de vente, un compte de tutelle, une amende. Aussi tout
obligée qu'elle est en vertu d'un contrat de droit strict , d'une
stipulation , elle n'aura pas besoin de faire insérer une excep-
tion dans la formule d'action , si elle entend soutenir injudi-
cio , que la dette de l'acheteur doit se compenser jusqu'à due
concurrence avec une obligation corrélative (ex eadem causa)
dont le vendeur est tenu à raison de négligences par lui com-
mises dans la garde de la marchandise (Cpr. Gide, Novat.,
p. Si 3). En revanche, tout ce que doit le débiteur principal,
la caution le doit également. Le débiteur d'un capital en
argent, l'acheteur, doit des intérêts ex nudo pacto, ex mora :
le fidéjusseur les doit également, bien que celui qui s'oblige à
une somme d'argent par un contrat de droit strict, ne doive
d'intérêt ni ex pacto, ni ex mora (1).
(1) Celte identité d'objet des deux obligations, principale et accessoire, ne
se rencontre pas avec la même rigueur dans tous les procédés de garantie
personnelle pratiqués à Rome : aussi,. Gide , op. cit., p. 129 et 150, a-t-i1
244 ETUDE SUR LÀ SOLIDARITE.
La solidarité consiste également en ce que le rapport juri-
dique, multiple par les liens, composé d'autant de vincula
qu'il y a de débiteurs, est unique quant i son objet.
L'obligation solidaire est multiple par les liens qu'elle con-
tient : l'un des débiteurs peut être engagé purement et sim-
plement , l'autre , l'être à terme ou sous condition ; la pres-
cription courra au profit du premier : elle ne courra pas au
profit du second. L'un des liens peut être civil, l'autre natu-
rel seulement. L'une des obligations peut être seule garantie
par une caution (Julien, f. 6, § 1 De duob. reis). Les deux
obligations peuvent être, séparément et distinctemeut, forti-
fiées par des cautions, qui ne seront pas des cofidéjusseurs. Le
créancier poursuivant l'un d'eux, ne pourra pas se voir oppo-
ser par lui le bénéfice de division (Pap., f. 51, § 2 De fidej.,
XL VI ,1). En se plaçant à ce point de vue, certains juriscon-
sultes ont pu dire qu'il y avait dans la solidarité pluralité
d'obligations (v. not. Ulp., f. 5 De fidej. in fine; Inst., III, 16,
§ 1 : « In utraque obligatione »).
Mais toutes ces obligations se rattachent l'une à l'autre en
ce qu'elles ont toutes un seul et même objet : « una res verti-
tur, » dit Justinien {Inst., III, 16, § 1), tous les débiteurs sont
tenus d'une seule prestation, ils sont tel ejnsdem debiti,ejus-
dempecuniœ; et c'est en envisageant sous cette autre face la
situation, que les Romains ont pu dire : una est obligatio,
duo sunt rei ejusdem obligations (Ulp., f. 16, De acceptil.,
XLVI, 4).
Pothier, Obligat., n° 263, s'inspirant de ces fragments, di-
sait : « Il faut surtout que les débiteurs (pour être solidaires)
se soient obligés à la prestation de la même chose. » L'article
1200 du Code civil a reproduit la même idée : « Il y a solida-
rité de la part des débiteurs, lorsqu'ils sont obligés à une
même chose » L'unité d'objet ou de prestation n'est donc
pas une conception particulière à la législation romaine -, elle
ne tient pas à la nature de l'action qui sanctionne cette obli-
gation (Démangeât, Oblig. solid., p. 99, en note), à la forme
bien raison de qualifier la convention de constitut (j'ajoute le mandatant pe-
cunix credendx), de quasi-cautionnement, et de dire que la fidejussio indetn-
nitatis n'est pas une vraie fidejutsio.
ÉTUDE SUR LA SOLIDARITÉ. 24S
du contrat (Hauriou, op. cit.) : elle constitue le caractère
propre et distinctif de la solidarité , aujourd'hui comme autre-
fois. La créance de celui qui a plusieurs débiteurs solidaires
(ou un débiteur principal et un ou plusieurs fidéjusseurs) , est
unique quant à son objet; l'intérêt qu'il a est unique, et les
créances contractuelles ont pour destination de permettre aux
hommes de donner satisfaction à leurs intérêts pécuniaires
(§ 19, Inst. de Justin., liv. III, tit. xix). Ici un seul intérêt est
enjeu pour le créancier : il n'a prêté qu'une somme de 100
et il ne peut être créancier que de 100 : il n'a vendu qu'une
marchandise et ne peut être créancier que d'un prix. Cela est
si vrai que, s'il est nécessaire de dresser l'inventaire de la
fortune du créancier, la créance qu'il a contre plusieurs , ne
figurera qu'une fois au tableau de l'actif. Son droit (Vermô-
genstoff, disent des auteurs allemands) doit être un égale-
ment (1).
En l'absence de ce caractère, il n'y aura pas solidarité.
Deux obligations qui n'ont pas le même objet, fussent-elles
contractées ensemble, ne sont pas des obligations solidaires.
Ayant besoin d'une maison dans la ville où je vais aller fixer
ma résidence , je me suis fait promettre par Paul la maison
A, par Pierre la maison B. Paul et Pierre ne sont pas des
débiteurs solidaires. Le paiement fait par l'un de sa pro-
messe, peut bien avoir pour effet de libérer l'autre, plus
exactement de le dégager de la promesse conditionnelle qu'il
m'avait consentie. Mais mes débiteurs ne sont pas des dé-
biteurs solidaires , parce qu'ils ne doivent pas la même
(4) La matière de la solidarité a fait , en Allemagne , le sujet de nombreuses
monographies : la dernière est une étude du D* Unger, président du Reichs
gericht, à Vienne, dans les Jahrbûcher fur die Dogmatik des heutigen rômis-
chen und deuttchen Privatrechtt , t. XXXII, p. 207. Les uns, c'est le plus
grand nombre , font prédominer dans l'obligation solidaire (corréalité) l'idée
d'unité : Les autres , la notion de la pluralité d'obligations. D'autres (Fitting)
font intervenir l'idée d'alternative : celui-là seul sera débiteur qui sera choisi
(ekctus) parle créancier, comme dans une obligation alternative, l'objet unique
de l'obligation , c'est celle des prestations , choisie par le débiteur ou le créan-
cier (V. le résumé des points de vue, très divers, imaginés pour expliquer la
solidarité dans Amdtt, Pandekten , § 213, notes 5 et 6) . Le Dr Unger voit dans
l'obligation corréale une unité collective, un groupe , un ensemble d'obliga-
tions, formant un tout, comme le quadrige forme un tout, bien qu'il comprenne
plusieurs têtes.
246 ETUDE SUR LA SOLIDARITE.
chose : il n'y a pas tmum et idem debitum. La demande eu
justice, dirigée contre l'un, ne produirait aucun effet, ni far
vorable , ni défavorable à l'égard de l'autre.
Désireux d'acquérir la maison A, dont la propriété est
contestée entre Paul et Pierre, je traite avec l'un et l'autre;
je me suis fait consentir deux promesses de vente : il est
entendu que je n'exigerai que la réalisation de l'une d'elles ,
de celle souscrite par celui qui sera reconnu propriétaire. J'ai
deux créances conditionnelles; mais je n'ai pas deux débi-
teurs solidaires ; ils me doivent la même chose matérielle ,
mais non pas la même prestation juridique (Adde Gide, op.
cit., p. 138 et s. : l'auteur montre bien que l'identité d'objet
matériel n'est pas synonyme d'identité d'objet juridique).
Papinien (/*. 9, § 1, De duob. reis) se demande s'il y aura
idem debitum et solidarité, quand les deux obligés, dépo-
sitaires dans l'espèce de la même chose, ont assumé pour
la garde de la chose une responsabilité différente : l'un d'eux
ne doit répondre que de son dol : l'autre s'est engagé à
répondre de ses fautes. Le jurisconsulte, non sans hésita-
tion , refuse de voir là deux débiteurs solidaires : leurs en-
gagements sont impares. J'ai quelque peine à admettre cette
décision et à la transporter dans notre droit. « 11 n'est pas
nécessaire, dit M. Demolombe, n° 204, que chacun des dé-
biteurs solidaires doive exactement autant que son codébi-
teur. » Pierre et Paul empruntent 20,000 fr., et la solidarité
n'est pour Pierre stipulée que jusqu'à concurrence de 10,000
fr. Paul doit 20,000 fr., Pierre n'en doit que 10,000; ils sont
solidaires dans les limites de cette somme. De même nos
deux dépositaires sont solidaires pour les faits de dol : le
dol commis par l'un rejaillira sur l'autre. Mais pour les
simples fautes , la solidarité n'existe plus : il y a retour au
principe de droit naturel, d'après lequel chacun ne doit
répondre que des fautes qui lui sont personnelles.
Le phénomène d'une dette commune à plusieurs et ayant
un seul et même objet, se rencontre également dans l'obli-
gation indivisible quand il y a pluralité de débiteurs. Tous
les débiteurs d'une prestation indivisible doivent idem : ils
le doivent in solidum, et le paiement fait par l'un les libère
tous. Mais cette seconde situation diffère de la précédente ,
ÉTUDE SUR LA . SOLIDARITE. 247
surtout quand l'obligation est indivisible à raison de la nature
indivisible de son objet. Ici l'indivisibilité n'est plus une
modalité : elle tient à l'essence même des choses : le con-
traire ne pourrait pas se supposer. Il n'est pas au pouvoir de
l'homme de décomposer, même in partes indivisa*, en frac-
tions aliquotes, une prestation indivisible natura. S'il essaie
de le faire, s'il se fait promettre la moitié d'une servitude
prédiale, il fait un acte nul et sans valeur, parce que le
debitum est sans utilité pécuniaire. A la différence de la moi-
tié d'un droit de propriété ou d'usufruit, la moitié d'une
servitude prédiale ne peut pas procurer au créancier une
utilité proportionnelle à celle de la chose tout entière. Si la
prestation, objet de l'obligation, n'a pas de valeur pécu-
niaire , la convention n'a pas elle-même d'utilité ; elle est dé-
pourvue d'objet et nulle.
Mais, comme la solidarité, l'indivisibilité peut être arbi-
traire , conventionnelle : les parties contractantes impriment
à- une prestation , divisible naturellement , le caractère de
^'indivisibilité : elles l'envisagent sous un rapport tel que,
pour le créancier, la décomposition en fractions aliquotes
enlèverait à l'obligation toute utilité sérieuse. L'indivisibilité
(qualifiée obligations par Dumoulin) devient une modalité de
l'obligation. Elle diffère encore de la solidarité. Celle-ci est
un procédé de garantie : le créancier, en l'exigeant, entend
se procurer un surcroît de sûreté. L'indivisibilité donne sa-
tisfaction à un intérêt d'un autre ordre : le but poursuivi par
le créancier ne peut, suivant lui, être atteint, avoir son plein
effet que par le moyen de l'indivisibilité , par un accomplis-
sement intégral de la prestation. Le débiteur solidaire , pour-
suivi in solidum, peut obtenir de ne payer qu'une partie,
dans les circonstances où un débiteur unique jouirait de cette
faveur (Julien, f. 21, De reb. cred., XII, 1; C. civ., art. 1244).
Le débiteur d'une dette indivisible, même obligatione, ne
pourrait pas, je crois, obtenir pareil bénéfice.
Le créancier qui a deux ou plusieurs débiteurs solidaires ,
a contre chacun d'eux la même étendue de droits et de pou-
voirs , la même puissance juridique : toutes les obligations
sont, comme le disent les Romains, ejusdem potestaUs. Le
créancier peut donc diriger sa demande en paiement contre
248 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE.
l'un quelconque de ses débiteurs (en supposant l'absence de
terme et de condition), et exiger de lui seul solidum debiti :
tel était son but, lorsqu'il a fait de la solidarité la condition
du contrat qu'il concluait : il voulait éviter les inconvénients
d'un paiement divisé , et diminuer les risques d'insolvabilité
auxquels il était exposé : pour une créance unique dans son
objet, il a exigé plusieurs débiteurs, dont chacun se trouve
en face de lui , comme s'il était seul et unique obligé. Ainsi
l'affaire a consisté dans une avance d'argent , un mutuum : le
débiteur solidaire, qui n'a reçu qu'une partie de la somme
(qui peut-être même n'en a rien touché , parce qu'il était dé-
sintéressé dans l'opération), ne pourra pas de non numemta
pecunia queri, intenter la condictio obligations ou opposer
Yexceptio non numeratœ pecunùe. Les motifs de protection, qui
ont fait introduire en faveur des emprunteurs d'argent cette
querela non numeratx pecunùe, n'existent pas ici : chaque
codébiteur doit répondre à la demande comme s'il avait seul
reçu l'intégralité de la somme prêtée (Diocl., C. 4, De duob.
reis, VIII, 40).
Il faut toutefois se garder d'exagérer cette proposition,
vraie en général, que chacun des coobligés solidaires est ex-
posé à être par le créancier traité comme s'il était seul et uni-
que débiteur. Le créancier ne peut pas faire absolument abs-
traction de ce fait qu'il a vis-à-vis de lui plusieurs débiteurs
pour la même dette , pour la satisfaction du même intérêt ,
surtout lorsque, comme c'était le cas ordinaire à Rome, et
aujourd'hui la situation toujours supposée par le législateur,
il existe entre les codébiteurs une société , ou tout au moins
une communauté d'intérêts, connue du créancier. Celui-ci ne
peut pas par son fait porter atteinte à cette communauté , dé-
sassocier les débiteurs : il s'est enlevé ce droit en les accep-
tant comme débiteurs : après avoir fait avec l'un d'eux un
compromis, avoir accordé à l'un d'eux, par libéralité, désis-
tement ou transaction , une remise totale ou partielle dans la
forme d'un pacte de non petendo , il lui est interdit de s'adres-
ser à l'un des autres et de le poursuivre comme s'il était seul
débiteur. Dans notre droit, conformément à une doctrine
presque unanime , le créancier, actionnant l'un des débiteurs,
est exposé à se voir opposer l'exception dilatoire de garantie.
ETUDE SUR LA SOLIDARITÉ. 249
Même en face de codébiteurs non sociiy le créancier, poursui-
vant l'un d'eux , ne peut-il pas se voir repoussé , s'il refuse
de lui céder ses droits et actions, et si le negotium, auquel
s'est adjointe la solidarité, est un negotium bonœ fidei? ne
risque-t-il pas de se voir débouté de sa demande , au moins
dans la limite du préjudice par lui causé, s'il n'a pas conservé
pour les céder, les droits et actions qu'il avait? Le droit du
créancier contre chacun de ses débiteurs solidaires n'est donc
pas aussi entier, aussi complet que s'il n'avait qu'un débi-
teur.
Quels sont les événements qui, se produisant dans la per-
sonne de l'un des débiteurs , réagiront en bien ou en mal sur
l'obligation de ses codébiteurs? Je ne veux porter mon exa-
men que sur trois de ces événements (1), l'acceptilatio , l'im-
possibilité d'exécution et la litis contes tatio.
Vacceptilatio , consentie , donationis aut transactions causa,
à l'un des débiteurs obligés verbis, a pour effet de libérer les
autres, et cet effet est nécessaire, inévitable. En vain, dans
la quittance solennelle par lui donnée , le créancier aurait-il
inséré des réserves : elles sont nulles et sans valeur : la for-
mule de Vacceptilatio et son caractère d'acte solennel résistent
à ce qu'elle puisse être ainsi restreinte , modalisée : elle opère
toujours in rem. Uipien au f. 3, § 3, De libérât, leg., XXXIV,
3, le suppose : un créancier, qui avait deux débiteurs soli-
daires non sociiy a légué à l'un d'eux sa libération , et ei soli
consultum voluit. Le débiteur, créancier en vertu de son legs
du droit à être libéré , ne peut pas exiger de l'héritier, son
débiteur ex legato , une acceptUatio, qui entraînerait la libéra-
tion de l'autre débiteur solidaire. Si des réserves avaient pu
être insérées dans Vacceptilatio , le débiteur légataire aurait
été , en vertu de son legs , créancier d'une acceptilatio avec
réserves. Depuis que le préteur a attaché une vertu juridique
à la convention de remise , au pactum de non petendo , le but
qui ne pouvait être atteint avec Vacceptilatio , ou qui ne le
pouvait que difficilement au moyen d'une novation et de l'ad-
(1) Le sujet a été traité complètement par M. Démangeât, op. cit., je ne
ferais, en l'exposant a nouveau, que reproduire des développements déjà
présentés.
252 ETUDE SUR LA SOLIDARITÉ.
•
factura, c'est le fait, mettant obstacle à l'accomplissement de
l'obligation (§ 16, De légat., Inst de Just., II, 20 ; g 2, 3e phr.v
De inut. stipul., III, 19). Alors reste la difficulté de mettre la
décision de Pomponius d'accord avec celle de Marcien et de
Paul touchant l'effet de la demeure (quelques-uns ont cru
aune divergence de doctrine). Les conciliations et les explica-
tions n'ont pas manqué depuis les glossateurs : elles sont trop
connues pour être présentées à nouveau (V. Démangeât, op.
cit., p. 374 et s.; Labbé, Étude sur quelques difficultés relatives
à la perte de la chose due, n°" 19 à 22Ï. Aucune d'elles n'est,
à mon avis , complètement satisfaisante. Je ne méconnais pas
que pratiquement il y ait une différence entre la demeure
et la faute, et que le créancier ait plus d'intérêt à être ga-
ranti par l'engagement de tous contre la faute de l'un que
contre la mise en demeure. Mais je n'accorde pas facilement
la décision de Pomponius avec la règle d'interprétation, qui
veut que dans le doute une convention s'interprète en faveur
du débiteur. Peut-être serait-on tenté de dire, pour justifier
cette dérogation, que si la règle touchant la faute était la
même que celle relative à la demeure, les créanciers qui
font ordinairement la loi, ne manqueraient jamais de faire
insérer une clause de garantie réciproque, qui deviendrait
de style , qui l'est devenue à Rome , et qui a fini par devenir
une règle de droit. Mais les créanciers ne sont pas toujours
les maîtres : il y a des contrats dans lesquels les parties trai-
tent sur le pied de l'égalité (vente, louage), certains même
dans lesquels c'est le débiteur qui dicte ses conditions (dépôt).
M. Labbé, loc. cit., a bien raison de dire que le système
de Dumoulin, adopté par le Code civil, article 1205, con-
tenait le germe d'une disposition équitable, et qu'il n'était
pas injuste de modérer à l'égard de ceux qui ne sont pas
en faute, l'estimation des dommages-intérêts. Ne conviendrait-
il pas de faire un pas de plus , et de décider que , sauf con-
vention expresse, les débiteurs solidaires ne sont pas garants
de la faute et de la demeure les uns des autres? Le Code
fédéral des Obligations pour la Suisse, dit (art. 165) : « L'un
des débiteurs solidaires ne peut pas aggraver, par son fait
personnel, la position des autres. » Cette disposition a été
empruntée au Code prussien, I, 5, § 438, et néanmoins on
ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE. 253
discute en Prusse , si la disposition de la loi romaine , rela-
tive à la faute, doit être appliquée. Il y a des jurisconsultes
qui limitent le § 438 aux actes juridiques intervenus entre le
créancier et l'un des débiteurs solidaires (V. Dernburg, Dents-
ches Privatrecht , § 49). Le problème est donc d'une solution
difficile; il n'a guère d'ailleurs qu'une importance théori-
que : presque toutes les dettes solidaires ont pour objet de
l'argent.
En matière de cautionnement , la règle diffère de ce qu'elle
est pour la solidarité. En droit romain, le fidéjusseur qui a
promis idem, est garant et de la faute et de la demeure du
débiteur principal, et l'opinion générale est que ces principes
doivent être suivis en droit français (C. civ., art. 2016). Cette
différence entre les deux procédés de garantie peut à la ri-
gueur s'expliquer. La caution, qui ne limite pas son enga-
gement, promet tout ce que peut devoir actuellement et dans
l'avenir le débiteur principal : en ce sens , son obligation est
accessoire. Les débiteurs solidaires doivent tous idem au
moment de la naissance de l'obligation : mais chaque obli-
gation peut désormais avoir sa vie propre : l'un peut être
déchargé sans que l'autre le soit, tandis qu'il est fort rare
que la caution demeure tenue, alors que le débiteur prin-
cipal est libéré. Quoi qu'il en soit, nous avons aujourd'hui
encore, avec la disposition bienveillante de l'article 1205
C. civ., une différence entre la solidarité et le cautionnement
à l'avantage de la première. Le créancier qui voudrait la
supprimer, n'aura qu'à exiger de ses débiteurs le cumul des
deux sûretés : c'est là, peut-être en droit romain, le prin-
cipal intérêt pour le créancier à ce que les débiteurs solidaires
se cautionnent réciproquement.
La Utis contestatio, engagée avec l'un des débiteurs soli-
daires , engendre au profit des autres une fin de non-recevoir,
défense ou exception, suivant une distinction bien connue
(Gaius, C. IV, §§ 103 et s.). Il n'y a pas que le paiement ou
toute autre satisfaction, tenue par le créancier pour équi-
valente au paiement, qui ait pour effet d'éteindre ou de pa-
ralyser la créance à l'égard de tous les débiteurs solidaires.
La même puissance a été, jusqu'à Justinien, attachée à la
Revub hbt. — Tome VIII. 17
254 ETUDE SUR LA SOLIDARITE.
poursuite judiciaire, dirigée par le créancier contre l'un des
débiteurs solidaires, alors même que cette poursuite n'abou-
tirait pas à faire obtenir au créancier tout ce qui lui était
dû. Certains de nos anciens auteurs, qui ne connaissaient
pas les Institutes de Gaius , et qui n'avaient , avec les frag-
ments des Pandectes, en apparence contradictoires, parce
que quelques-uns avaient été interpolés, que la constitution
de Justinien , abrogative de notre règle , avaient cru à une
controverse entre les jurisconsultes romains sur les effets de
la litis conlestatio , controverse que Justinien aurait tranchée
en faveur des créanciers (V. Doneau, Comm. in codicem, ad
tit. 40, lib. VIII, De duob. reis, tom. IX, col. 1342, édit. de
Florence). Depuis la découverte du manuscrit de Vérone, il
est avéré que ce dissentiment n'existait que dans l'imagi-
nation des commentateurs. Des textes nombreux qui formu-
lent le principe , soit à propos des débiteurs solidaires , soit
à propos des fidéjusseurs, pour lesquels la règle est la même,
je ne veux citer que le f. 5 in fine, De fidej., XLVI, 1 : le
jurisconsulte Ulpien s'occupe de la solidarité active et pas-
sive, pour trancher une question de confusion. L'un des
débiteurs solidaires succède à l'autre : les deux obligations
continuent à subsister au profit du créancier : mais s'il
poursuit l'exécution de l'une, il épuise l'une et l'autre; car
il est dans la nature de cette espèce d'obligations que quand
l'une est deducta in judicium, l'autre est consommée égale-
ment.
Il importe de s'arrêter sur cet effet attaché à la litis con-
testatio : c'est lui, et lui seul, je le crois bien, qui a suggéré
les opinions nouvelles sur le caractère de la . solidarité ro-
maine , qui en a obscurci la notion , et du même coup celle
de l'obligation in solidum, de la solidarité imparfaite. Notre
collègue, M. Hauriou, au début de son Étude sur V origine
de la corréalité, exprime bien cette influence exercée sur
certains romanistes modernes, lorsqu'il dit : « La corréalité
avait une physionomie toute particulière, et ce qui lui donnait
cette physionomie , c'était la libération des débiteurs correi par
la litis contestatio. » On a trouvé la règle bien dure pour les
créanciers , et on a cherché à en circonscrire le domaine dans
les limites les plus étroites, comme si cette règle était une
ÊTUDR SUR LÀ SOLIDARITE. 255
particularité de la solidarité et de la fidéjussion , alors qu'elle
n'est qu'une conséquence des principes généraux de la pro-
cédure romaine , Tune des nombreuses manifestations d'une
pensée qui domine toute la législation romaine, la crainte
des procès.
C'est une chose désirable , au point de vue de l'intérêt gé-
néral comme de l'intérêt privé, qu'il y ait aussi peu de procès
que possible, et que ceux qui surgissent, se terminent très
promptemenU Or, s'il y a une législation où ce désir se mani-
feste avec énergie, c'est la législation romaine. Le procès,
c'est la guerre privée régularisée : surtout dans une société
peu avancée, il suscite et entretient des haines, qu'il faut
éviter à tout prix. En indiquant les institutions qui , directe-
ment ou indirectement, étaient destinées à empêcher les pro-
cès de naître ou de se prolonger, nous nous expliquerons
mieux, si nous ne pouvons la justifier en équité, la puissance
attachée à la litis contestalio en toutes matières, et spéciale-
ment dans celle de la solidarité et de la fidéjussion.
Nos lecteurs connaissent tous le système des peines pécu-
niaires ou infamantes , infligées aux plaideurs téméraires : la
témérité punie ne supposait pas nécessairement l'esprit de
chicane, la mauvaise foi : était réputé téméraire et en faute,
celui qui succombait (Gains, C. IV, §§ 13, 175 et s.). Nous
rappellerons également, sans y insister, la péremption d'ins-
tance (Gaius, C. IV, §§ 103 à 105), la création de la formule
de stipulation , dite stipulation aquilienne , imaginée pour
faciliter les désistements et les transactions, c'est-à-dire l'ex-
tinction des droits litigieux (V. Gide, op. cit., p. 141); l'in-
troduction par le préteur des exceptions Mis dividuœ et rei
restaux (Gaius, C. IV, § 122), ainsi que l'introduction des
actions pour sanctionner des pactes relatifs à la solution des
différends, les pactes de serment et de compromis; le prin-
cipe, enfin, d'après lequel toute condamnation judiciaire doit
avoir pour objet une somme d'argent, ce qui dispense les
plaideurs de revenir devant les tribunaux pour faire liquider
les dommages-intérêts dus pour inexécution de la condamna-
tion , qui porterait sur la chose réclamée.
Dans un autre ordre d'idées , le formalisme bien connu du
droit romain , la nécessité de soumettre l'expression de la
258 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE.
ne dise qu'elle a éteint le droit, bien ou mal fondé, d'agir en
justice (1).
Mais le procès peut prendre fin autrement que par un juge-
ment sur le fond : le demandeur a laissé périmer l'instance :
il a été débouté pour avoir réclamé plus que ce à quoi il avait
droit, pour n'avoir pas tenu compte d'une exception dilatoire
qui lui était opposée : son action est malgré tout épuisée; son
droit est éteint (ici l'expression est plus exacte) : il ne peut
plus faire l'objet d'une instance nouvelle. Les hommes sont
tenus d'être vigilants , attentifs en plaidant comme en contrac-
tant. Le demandeur, avec plus de précautions , pouvait éviter
la perte qui l'atteint. Jura vigilantibtis scripta sunL Gaius , f.
42 de R. J., L, 17 (Cpr. Keller, Procéd. civ., § 60).
Ce système , qui consistait à avancer autant que possible
le moment où le droit litigieux était épuisé , à le placer à
l'instant de la litis contestatio plutôt qu'à celui du jugement ,
était empreint d'une certaine rigueur : il n'était pas plus ri-
goureux que beaucoup d'autres institutions romaines , carac-
téristiques du slrictum ou ipsum jus, par exemple, l'absence
de toute protection au profit de celui qui dans un acte juridi-
que avait été victime de manœuvres frauduleuses ou de me*
naces. Dès lors nous ne devons pas nous étonner de le ren-
contrer dans la matière de la fidéjussion et de la solidarité.
Le créancier qui a soit un débiteur principal et un ou plu-
sieurs fidéjusseurs, soit plusieurs débiteurs solidaires (duo
pluresve rei promittendi), n'est créancier que d'une res : son
action tombe sous le coup de la maxime : bis de eadem re non
est actio : quand il agit contre l'un d'eux, il épuise, il con-
somme son droit d'action à la fois contre celui avec lequel il
a fait Mis contestatio, et contre les autres : suivant le langage
d'Ulpien au f. 5, De fidej., XLVI, 1, quum altérant duarum
obligationum quas habet, in judicium deducit, altéra consumi-
tur : il les épuise en totalité , s'il a poursuivi l'un d'eux in
solidum : quand il ne poursuit l'un que pour une partie de sa
créance , il n'épuise son droit contre tous que pour cette frac-
(1) Il faut observer que les expressions toUere et consumere sont parfois
prises indifféremment Tune pour l'autre (V. rubr. et f. i de utufr. ear. rer.,
D. VII, 5; Papin., F. 66 ckprocvr., III, 3).
ETUDE SUR LA SOLIDARITÉ. 2S9
lion : il s'enlève le droit de réitérer ses poursuites et contre
le défendeur qu'il a choisi, et contre les autres.
Ce créancier cependant a pu perdre son procès pour une
inexactitude de procédure : il a pu le gagner, mais trouver
en face de lui un défendeur insolvable : malgré cela , le droit
de poursuivre les autres n'existe plus au profit du créancier :
il n'avait qu'a ne pas être négligent , qu'à ne pas se tromper
dans le choix qu'il a fait , qu'à se renseigner d'avance sur la
solvabilité de celui des débiteurs qu'il a attaqué : c'était chose
facile dans une société restreinte comme l'était au début la
société romaine , avec la publicité dont étaient entourés an-
ciennement tous les actes juridiques. Si chacun de ses débi-
teurs n'était solvable que partiellement, il n'avait qu'à les
poursuivre chacun pro parte, dans la mesure de leur solvabi-
lité (1). S'il s'est trompé dans ses recherches, qu'il supporte
les conséquences de son erreur. Sans doute cette défense qui
lui est adressée de poursuivre successivement tous ses débi-
teurs , cette nécessité qui lui est imposée de s'enquérir préa-
lablement de l'état de fortune de ses obligés, enlève à sa
sûreté une partie de son énergie. Mais l'intérêt public veut
qu'il en soit ainsi, et il prime l'intérêt privé du créancier.
Celui-ci est armé de grands pouvoirs vis-à-vis de son débi-
teur : est-il absolument inexplicable qu'en retour il ait quel-
que responsabilité ?
Notre savant et regretté collègue, M. Machelard (Disserta-
tions de droit romain , p. 175), s'était déjà préoccupé de recher.
cher la raison juridique de cette défense adressée au créancier
de poursuivre successivement et jusqu'à parfait paiement
tous ses débiteurs solidaires , et il la trouvait lui aussi dans
l'effet extinctif ou libératoire de la litis contestatio , combiné
avec ce principe que tous les débiteurs doivent la même res,
sont tenus de la même obligation quant à son objet. Il refu-
sait son assentiment à une autre explication , qui a eu des
(1) Le droit pour le créancier d'agir pro parte contre chacun de ses débi-
teurs, est appuyé par les textes, et il ne méconnaît pas la règle : bis de eadem
renon est actio. Y. Labbé, sur les Instituts d'Ortolan, p. 824, note 2. J'a-
joute que la solidarité étant dans son intérêt , il est libre d'y renoncer et de
traiter, quant à la poursuite , ses débiteurs comme des débiteurs simplement
conjoints.
260 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE.
défenseurs en Allemagne (V. Vangerow, § 573, I), et d'après
laquelle la dette solidaire ne pèserait pas au moment de sa
naissance, d'une façon ferme sur tous les débiteurs, mais
demeurerait suspendue, incertaine sur la tête de chacun jus-
qu'à la poursuite dirigée contre l'un d'eux par le créancier :
chacun d'eux serait débiteur sous une espèce d'alternative,
ou sous la condition suspensive implicite qu'il serait actionné,
choisi par le créancier : la poursuite dirigée contre l'un aurait
pour conséquence non pas de libérer les autres , mais de faire
défaillir la condition, et de les empêcher de devenir débi-
teurs. Quelque spécieuse que cette explication puisse paraître,
elle n'est pas d'accord avec les textes, notamment avec l'ex-
pression liberantur (Sent. Paul, II, 17, § 46) (Gpr. Déman-
geât, op. ciï.,p. 72).
Notre éminent collègue, M. Labbé, en publiant les disser-
tations de M. Machelard, est revenu à son tour sur le pro-
blème (eod. opère, p. 213 et s.). Suivant lui, il y aurait trois
explications possibles à donner de cette limitation du droit du
créancier qui a plusieurs débiteurs solidaires , l'idée d'alter-
native, l'effet extinctif de la litis contestatio , et la règle bis de
eadem re non est actio; c'est cette troisième explication qui a
séduit notre collègue, comme il le dit ailleurs (Appendices aux
Instit. d'Ortolan, t. 3, p. 913 en note). « Si après la litis contes-
tatio engagée contre l'un des débiteurs , aucune autre action n'é-
tait possible , cela dérivait de la nature de l'obligation corréale
(unité d'objet , eadem res) et non pas de l'effet extinctif de la
litis contestatio. » Je ferai d'abord remarquer que cette ma-
nière de résoudre le problème ne cadre guère avec le langage
des jurisconsultes romains et de Justinien. Ulpien au f. 5, cit.
supra de fidej., rattache manifestement l'extinction, l'épuise-
ment de toutes les obligations à l'effet extinctif de la litis con-
testatio : quand l'une d'elles est deducta in judicium, les autres
se trouvent également consommées. Justinien, C. 28, De fidej.,
dit de même : ce contestatione contra unum facta. » Me sera-t-il
permis d'ajouter que la maxime : bis... ne me paraît être que
la formule théorique d'un vieux principe , dont l'effet extinc-
tif de la litis contestatio n'est que la mise en application, la
conséquence, qu'il n'y a là qu'un seul et même principe?
Une vieille loi , probablement celle des Douze-Tables , avait
ETUDE SUR LA SOLIDARITÉ. 261
dit dans son langage concis : Bis de eadem re ne sit actio :
pour un intérêt unique on ne peut pas agir deux fois en jus-
tice, intenter deux actions successivement de eadem re. Les
jurisconsultes font application de ce principe au créancier qui
a plusieurs débiteurs solidaires de la même chose : quand il
agit contre l'un, et fait avec lui litis contestatio , de eadem re
advenus caeteros amplius agere non potest : obligatio ejus dis-
tolvitur aut tollitur litis contestatione (Gaïus, C. III, § i80 et
C. IV, §§ 107 et 108).
Mais, dit M. Labbé, l'opinion qui se rattache à l'effet
extinctif de la litis contestatio , méconnaît la maxime que la
Mis contestatio améliore au lieu d'empirer la condition du
demandeur : car le droit déduit en justice n'est ici remplacé
par un droit nouveau que contre le débiteur solidaire pour-
suivi. Je réponds qu'il faut se garder de généraliser des
maximes auxquelles les jurisconsultes romains ne donnent
qu'une portée toute relative. Le droit nouveau , né de la litis
contestatio, n'est pas, quoi qu'en dise mon collègue, équi-
valent au droit ancien. Le droit ancien était un droit per-
pétuel : le nouveau est essentiellement temporaire; il faut
que, pour échapper à la péremption d'instance, le deman-
deur le fasse valoir, poursuive le procès dans un délai très
bref.
Si on fait reposer sur la litis contestatio la libération des
débiteurs non poursuivis , on sera amené , pense notre col-
lègue, à admettre que le créancier peut poursuivre cumu-
lativement tous ses débiteurs , et requérir contre chacun une
condamnation solidaire. Je ne le crois pas. L'effet attaché
à la litis contestatio constitue un principe d'ordre public , au-
quel pendant longtemps il a été interdit de déroger, soit
directement par une convention contraire insérée dans l'en-
gagement solidaire (V. Gide, op. cit., p. 95), ou par une
prsescriptio insérée dans la formule à la requête du deman-
deur (1), soit indirectement en poursuivant cumulativement
(1) U ne faudrait pas croire que le demandeur peut faire insérer une pr&s-
cripiio tontes les fois qu'il y a un intérêt; une pareille faculté bouleverserait
toute l'économie de la procédure romaine. Il en est de cette prxscriplio comme
delà formula incerta dont parle Gains, C. IV, § 54 : « In paucissimis causis
dari tolet. »
262 ETUDE SUR LA SOLIDARITÉ.
tous ses débiteurs et en demandant contre chacun une con-
damnation solidaire. Libre au créancier, si les règles de
compétence ne s'y opposent pas , d'agir en même temps
contre tous ses débiteurs ; mais il ne peut agir contre chacun
que pro parte. Les textes ne résistent pas à cette décision ,
M. Labbé Ta bien montré.
Il y a une seconde conséquence qui, d'après notre collè-
gue, serait différente suivant l'explication qu'on adopterait.
En supposant que l'un des débiteurs solidaires soit obligé
sous condition , et en admettant que le créancier conditionnel
n'épuise pas son droit en agissant ante conditionem , ceux
qui rattachent la libération des débiteurs non poursuivis à
la litis contestatio 9 doivent autoriser le créancier qui a vai-
nement agi contre le débiteur, obligé purement à agir ensuite
contre celui qui était obligé conditionnellement à l'arrivée de
la condition , tandis qu'en s'attachant à l'unité d'action , à la
maxime bis de, on est amené à lui refuser ce droit. En
l'absence de textes , il est délicat de se prononcer : je serais
porté à admettre, comme mon collègue, que dans la combi-
naison en question , le créancier, en agissant contre le débi-
teur tenu purement , épuise d'avance son droit contre l'autre ,
qui doit sous condition. L'épuisement est la conséquence non
pas de la nature pure ou conditionnelle du droit, mais de
l'identité d'objet des deux dettes. Le créancier peut attendre
l'arrivée de la condition, afin de poursuivre l'autre. Sans
doute, dans l'intervalle, le débiteur obligé purement peut
devenir insolvable. Mais le créancier savait à quoi il s'expo-
sait en se faisant consentir deux promesses solidaires, dont
l'une était affectée d'une condition suspensive.
Il reste une dernière objection, la plus embarrassante,
adressée à l'opinion qui fait intervenir ici la litis contestatio.
C'est un principe certain que la consummatio litis (comme
plus tard la force légale qui sera attachée à la chose jugée)
est subordonnée à la fois à l'identité d'objet et à l'identité de
personnes dans les deux instances. Or, si le créancier qui
veut poursuivre un second débiteur solidaire après en avoir
infructueusement poursuivi un premier, se heurte à l'identité
d'objet , il ne rencontre pas la seconde condition. Comment
se fait-il que le droit d'agir contre le second lui soit refusé?
ÉTUDE SUR LA SOLIDARITE. 263
Un auteur allemand, Brinz (Pand., § 253, noies 34 et suiv.),
a soutenu que les codébiteurs solidaires se représentaient ré-
ciproquement, qu'il y avait entre eux une cognitoris datio
tacite, qu'en réalité le débiteur poursuivi défend au procès
8ho et cdieno nomine, et fait Mis contestalio pour tous. On serait
heureux , dans l'intérêt des créanciers, de rencontrer dans les
textes quelque appui pour cette conception ingénieuse : car,
avec les réformes prétoriennes, elle conduirait à admettre
que le créancier qui a obtenu condamnation contre l'un des
débiteurs solidaires , peut intenter Yactio judicati utilis contre
les autres débiteurs solidaires, et ainsi serait écarté le danger
de la litis contestatio. Mais rien dans les textes ne peut étayer
cette explication. 11 faut se résigner à admettre que l'identité
d'objet était la condition essentielle , principale de la consum-
matio litis; c'est la seule dont fassent mention la vieille
maxime bis de..., ainsi que Gaius (C. 1Y, §§ 106 à 108, §121).
La diversité de personnes n'était pas d'ailleurs complète , ab-
solue : à raison de l'identité d'objet , il avait fallu admettre
que beaucoup d'actes intervenus entre le créancier et l'un des
débiteurs solidaires , produiraient leur effet au profit des au-
tres, nonobstant la maxime res inter alios acta...; on fut
amené également à admettre qu'il en serait de même de la
btis contestatio , malgré le principe res inter alios contestata
QMtjudicata... (Cpr. Hauriou, op. cit., Nouv. Rev. hist., 1882,
p. 238).
Cette puissance, si dangereuse, attachée à la litis contestar
tio, avait eu ses avantages : elle n'était plus guère compatible
avec le développement de l'empire romain et des relations
juridiques. L'art des jurisconsultes romains va consister à
l'affaiblir, à l'atténuer par des tempéraments équitables, jus-
qu'à ce qu'elle disparaisse législativement sous Justinien. Il
est curieux d'assister à cette lente décadence : on y voit d'a-
bord la preuve que le caractère d'ordre public de la litis con-
testatio et de ses effets allait diminuant, et en outre, dans
notre matière des garanties personnelles, on y trouve , pour
l'époque classique , une réponse au reproche d'iniquité et de
rigueur adressé à cette institution ; les créanciers qui veulent
échapper aux périls de la litis contestatio, ont à leur disposition
des moyens soit préventifs , soit répressifs , imaginés par la
264 ETUDE SUR LA SOLIDARITE.
pratique et reconnus par la jurisprudence. Il n'y a plus en
réalité que ceux qui sont imprudents ou profondément négli-
gents qui sont exposés à perdre.
Les moyens préventifs , nous les rencontrons dans la ma-
tière du cautionnement : il n'y a pas de témérité à conjecturer
qu'ils devaient être employés par les créanciers qui , au lieu
d'exiger des fidéjusseurs, voulaient la solidarité. Le premier,
c'est la fidejussio dite indemnitatis. Elle est bien connue; qu'il
sufûse de rappeler qu'elle eut quelque peine à se faire ad-
mettre dans la pratique romaine comme dérogation au prin-
cipe bis de eadem re... (V. Gide, op. cit., p. 150, note). Mais le
caractère de la litis contestatio s'affaiblissant et les nécessités
pratiques aidant, on finit par admettre que l'obligation du
débiteur principal et celle du fidéjusseur n'avaient pas le
même objet , et que la poursuite dirigée contre l'un n'aurait
plus pour effet d'épuiser le droit du créancier contre l'autre.
Qui empêche le créancier, faisant une avance d'argent à deux
personnes, d'exiger qu'elles se portent fidejussores indemni-
tatis l'une de l'autre ? ne voyons-nous pas la solidarité et la
fidéjussion accolées l'une à l'autre dans une même affaire?
(V. Accarias, n° 573, sur la fidejussio alterna).
Le second expédient, imaginé aussi, semble-t-il, à propos
de la fidéjussion , mais qui devait s'appliquer au cas de soli-
darité , c'est ce mandat donné par le débiteur au créancier, et
mentionné au § 2 Inst. de Just., De mandato : l'un des débi-
teurs solidaires, menacé de poursuites par le créancier, et
désireux de ne pas faire l'avance de la totalité de la dette ,
donnera mandat au créancier de poursuivre un autre des dé-
biteurs solidaires. Le créancier accepte, et il y trouve cet
avantage , s'il n'est pas complètement désintéressé par le se-
cond débiteur, de pouvoir, comme mandataire, se retourner
contre le premier, et lui demander, sous forme d'indemnité ,
le reliquat de sa créance. Ce second expédient suppose , H est
vrai , le consentement du premier débiteur : mais il a trop
d'intérêt à un pareil arrangement pour ne pas le conclure.
Un troisième expédient , d'une date vraisemblablement
beaucoup plus récente que les deux premiers ( Accarias ,
p. 364, note 2, le place au Bas-Empire), consistera dans une
convention intervenue , au moment même du contrat , le plus
ETUDE SUR LA SOLIDARITE. 265
souvent imposée par le créancier, et aux termes de laquelle
elui-ci se réserve le droit d'agir successivement contre tous
les débiteurs solidaires jusqu'à parfait paiement. L'effet atta-
ché à la litis contestatio, autrefois d'ordre public, a perdu
complètement ce caractère : les particuliers peuvent à leur
gré le modifier. Justinien, C. 28 De fidej., nous parle de cette
convention : elle était l'avant-coureur de la réforme de l'em-
pereur.
Les moyens répressifs sont de deux sortes : le premier
consiste dans l' in integrum restitutio ob errorem , que le ma-
gistrat se réserve d'accorder cognita causa, et dont nous
avons une application dans le cas de la plus pétition , au § 33
lus*, de Just., De action. Le créancier qui a perdu son procès
pour un vice de procédure contre l'un des débiteurs soli-
daires, implorera du magistrat Vin integrum restitutio, et
recouvrera son action à la fois contre le débiteur absous et
contre ses codébiteurs.
Le second remède , c'est l'obligation naturelle qui survit à
l'obligation civile, éteinte ou paralysée par l'effet de \& litis
contestatio. Les codébiteurs de celui qui a été poursuivi , de-
meurent tenus de cette obligation naturelle , et nous pouvons
sans hésiter la ranger parmi celles qui produisent des effets
contre la volonté du débiteur : elle pourra notamment être
opposée en compensation.
La rigueur de l'effet attaché à la litis contestatio s'était donc
considérablement adoucie. Justinien, dans la C. 28 déjà citée,
sous-entend , dans les contrats de cautionnement et de soli-
darité, la clause, devenue sans doute de style, qui réservait
au créancier la faculté de poursuivre successivement tous ses
débiteurs , et il décide que les poursuites dirigées contre l'un
n'empêcheront plus le créancier d'en exercer de pareilles
contre les autres. Les pouvoirs des créanciers vis-à-vis de
leurs débiteurs sont notablement diminués quant aux voies
d'exécution : il est juste qu'en retour ils soient renforcés
quant au nombre des poursuites possibles. Les procès sont
d'ailleurs beaucoup moins à redouter qu'autrefois : on se rap-
pellera toutes les réformes apportées à ces vieilles institu-
tions, dont le but était d'empêcher ou d'abréger les procès.
Désormais, il n'y a plus, au point de vue des effets, de
266 ÉTUDE SUR LA SOLIDARITÉ.
différence notable entre la solidarité romaine et la solidarité
française. Le créancier est libre depuis la C. 28 d'agir simul-
tanément pour le tout contre tous ses débiteurs , d'agir suc-
cessivement contre chacun d'eux, sans que les poursuites
qu'il dirige contre un second débiteur, puissent être suspen-
dues, arrêtées par l'exception de litispendance , basée sur
les poursuites encore pendantes contre le premier (4) : l'ar-
ticle 1204 Code civil paraît bien rédigé dans cet esprit. Il est
libre enfin,' après avoir achevé ses poursuites contre l'un,
d'en diriger contre l'autre. Le créancier, en un mot, a dé-
sormais autant d'actions que de débiteurs. Mais alors, s'é-
lève une question, qui ne pouvait guère se présenter en
droit classique. Le jugement rendu entre le créancier et l'un
des débiteurs solidaires , a-t-il effet à l'égard des autres ;
peut-il être invoqué par eux; si c'est un jugement d'absolu-
tion , basé sur un moyen de défense commun à tous? peut-il
être invoqué contre eux, si c'est un jugement de condamna-
tion? Justinien a admis , par dérogation à la règle : res inter
alios acta... que la reconnaissance volontaire de la dette par
l'un des débiteurs aurait effet à l'égard de tous. 11 semble lo-
gique et conforme à la pensée de l'empereur, de décider éga-
lement que, par dérogation à la règle : res inter alios judicata...
la chose jugée sur l'existence de la dette contre l'un des
débiteurs , doit avoir effet contre les autres , et équitablement
que le jugement rendu au profit de l'un, doit profiter aux
autres (V. Labbé, sur Ortolan, t. III, p. 825; cpr. Déman-
geât, op. cit., p. 95). La Cour de cassation, Ch. civ., vient
de décider que la chose jugée contre l'un des débiteurs soli-
daires , était opposable aux autres débiteurs (Arrêt du 28
décembre 4881 ; Sirey , 1883, 1 , 465).
Gérardin ,
professeur à la Faculté de droit de Parie.
(A iuivre.)
(1) Le Code civil autrichien, art. 891, veut que le créancier, pour agir con-
tre le second, se désiste de la demande formée contre le premier.
LES COUTUMES DE LORRIS
ET LEUR PROPAGATION
A TJX XII* ET XIII' SIÈCLES
(auiTï)
CHAPITRE III.
Propagation des Coutumes de Lorris dans le domaine royal.
L'influence des Coutumes de Lorris se fit sentir de bonne
heure dans le domaine royal, et tout d'abord dans le Gâtînais,
avant même que Louis VII ne les eût confirmées en 1155. La
plupart des clauses de la charte accordée par ce roi aux habi-
tants de Sceaux-en-Gâtinais en 1153 (1) ont été empruntées à
la charte primitive de Lorris. Les hommes du roi à Sceaux
peuvent librement quitter la ville (art. 2). La franchise s'ac-
quiert par résidence d'an et jour (art. 9). Le service militaire
est réglé comme à Lorris (art. 7). Les impositions extraor-
dinaires sont supprimées (art. 1). On ne peut entraîner les
habitants hors du bourg pour les juger ni les retenir en prison
lorsqu'ils ne cherchent pas à se soustraire à la justice (art.
10). Le serment purgatoire sans cojurateurs existe pour les
petits forfaits (art. 5). Les amendes sont abaissées de 60 sous
à 5 sous, de 5 sous à 12 deniers; le destroit n'est que de 4
deniers (art. 4). Louis VI et Louis VU avaient donné de sem-
(1) Sceaux, Loiret, arr. Montargis, c°* Ferrières. 1153, 17° année du règne,
publ. par La Thaamassière , Coutumet locales, p. 706, d'après le Cartulaire
de l'abbaye de Saînt-Maur, et Ordonnancée, t. XI, p. 199, d'après La Thau-
massière. Je renvoie au texte des Ordonnances divisé en articles.
268 LES COUTUMES DE LORRIS
blables privilèges à la ChapeUe-la-Reine (1), et aux villages
de sa baillie. Nous n'en connaissons que la confirmation par
Philippe-Auguste en 1186 (2). La rédaction de cette charte
est presque identique à celle de la charte de Sceaux.
Il est d'autant moins téméraire de supposer que ceux des
articles des chartes de Sceaux et de la Chapelle que nous
citions sont dérivés des Coutumes de Lorris que nous savons
d'une façon positive que la réputation de cette charte avait
commencé dès le règne de Louis VI. Ce roi avait accordé les
franchises de Lorris aux habitants du Moulinet (3), et cela à
la requête de Blanchard, un de ses familiers, seigneur et
fondateur de ce village (4). En 1157, Louis VU acheta de
Robert, fils de Blanchard, la terre du Moulinet et associa
pour moitié l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire à la jouissance
des droits et revenus de cette seigneurie (5). Deux ans après,
il confirma les habitants dans la jouissance des Coutumes de
Lorris (6). Mais les habitants de deux dépendances du Mou-
linet, la Gourmandrie et le bois Saint -Père de Mont de
Brème , ne participaient pas à la concession (7).
(1) La ChapeUe-la-Reine, Seine-et-Marne, air. Fontainebleau , ch. I. c°*.
(2) Publ. ap. Ord., t. XI, p. 239-240. — Cette charte a été confirmée en
juillet 1470, et encore par lettres de Louis XII données à Blois en décembre
1509 (Mémoire de M. Bimbenet, Bullet. de la Soc. archéol. de l'Orléanais,
t. III, p. 51).
(3) Le Moulinet, Loiret, arr. et con Gien.
(4) Préambule de la charte par laquelle Louis VII confirma les privilèges
du Moulinet en 1159 : « Blancardus, autem de Lorr[iaco] caros nobis et
patri nostro bons memoris régi Ludovico, familiaritate regia potens effectua
sdificavit Molinetum, cujus loci babitatoribus prece Blancardi, patris mei
indulgentia contribuit consuetudines Lorriaci. E^usdem Blancardi filius et
hsres Robertus bene Molinetum tenere non poterat; quia nobis excambivit
et ipsius cambii medietatem ecclesiœ Beati Benedicti donavimus. »
(5) 1157, Charte constatant cette acquisition, donnée à Paris en 1157, la
26e année du règne, publ. par R. de Maulde, Condition forest. de l'Orléa-
naie, p. 17, note 2. — Voyez une confirmation de ce pariage émanée de
Louis VII, à Lorris, 1173, ap. Luchaire, Inttit. det prem. Capétiens, t. II,
p. 328, Appendices, n° 27.
(6) Lorris, 1159, 0rd.9 1. XI, p. 204. — Voyez : La Th., Coût, loc, p. 390,
et Bullet. de la Soc. archéol. de l'Orléanais, t. IV, p. 66.
(7) D'après la charte de 1157, les dépendances du Moulinet étaient : « Verum
quoniam de appendiciis Molineti facta est mentio , ut breviter et succincte
fere omnia complectamur hec sunt : Curtis Romanerîa, CurtiB Audoeni, Ne-
LEUR PBOPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 269
Un pariage fut conclu, en 1155 (1), entre le roi et l'abbaye
de Saint-Jean pour la possession des villages de Chéroy (2),
(3) et Youlx (4), qui appartenaient à l'abbaye. Grâce à
actes d'association si nombreux sous Louis VU et Phi-
lippe-Auguste, la royauté étendait peu à peu sa puissance
sur des terres jusque-là soustraites à son autorité directe. Les
petits seigneurs et les abbayes y trouvaient aussi avantage;
car le roi, en retour de la part qui lui était cédée sur ces
biais les défendait contre les empiétements des seigneurs
voisins. Et spécialement, en ce qui regarde Chéroy, Lixy et
Voolx, ce fut ce qui décida l'abbé de Saint-Jean à mettre ces
domaines sous la protection du roi en lui cédant une part
dans les revenus (5). Un grand nombre de villages du Gàti-
mms Scncti Pétri Monsbreme, Garlamandria. » « Sane omnes alios qui man-
ierai ad Garmaneriam et ad Boscum Sancti Pétri excipimus a supradictis
coosaetndinibus » [Ord., t. XI, p. 399).— Le Cartul. de Fleury, aux Arck. du
Leiret, n° I, p. 17-19, porte « Germandiam et ad Boscum Sancli Pétri. » Il
l'est pas douteux qu'il faille identifier le Boscus Sancti Pétri avec le Nemus
Sancti Pétri Monsbreme.
(1) Charte de pariage conclu en 1155 entre Louis VII et l'abbaye de Saint-
Jean de Sens pour les villages de Chéroy, Voulx et Lixy, publ. par D. Mar-
tène, Ampl. coUect., t. I, p. 832 ex ms. Colbertino; Ord., t. XI, p. 203
d'après le reg. D de Ph. Aug., f° 90 r°, col. 2; copie aux Arch. du Loiret,
A 1350, indiq. Invent, sommaire, p. 299, col. 2. — Autre charte (actum Gis-
iiciaci), 1155, d'un pariage conclu entre Louis VU et la même abbaye pour
le village de Chéroy, Arch. de t Yonne, Cartul. de S. -Jean, f° 9 r°-v°, publ.
par D. Morin, Hist. du Gastinois, p. 546-547, et par Quantin, Cart. de V Yonne,
t. I, n* 372 , p. 532-533, d'après une copie du xvm* siècle. — V Invent, des
Arch. dis Loiret indique (A 1497, p. 325, col. 2) une « copie informe de la
donation faîte (en 1160) par l'abbé de Saint-Jean-lès-Sens au roi Louis VI
de la moitié de la terre de Voulx. » — Charte de pariage en 1176, à Bois-
coaman, entre le roi et la même abbaye pour le village de Lixy, publ.
par Quantin, Cartul., t. II. p. 287-288, n° 269, d'après le Cartul. de S. -Jean;
copie aux Arch. du Loiret, A 1496, In vent., p. 325, col. 2.
(2) Chéroy, Yonne, arr. Sens, ch.-l. con.
(3) Lixy, Yonne, arr. Sens, con Chéroy.
(4) Voulx, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrex-le-Bocage.
(5) c Ecclesia Sancti Johannis Senonensis quandam villam habebat Lixia-
com Domine, in mala vicinia affligebatur graviter et vastabatur; obtentu de-
fensionis et considerationis in posterum emendationis abbas ejusdem loci,
Reoardus collegit ad medietatem totius ville nos in qaibuscumque redditibus.
Charte de pariage, en 1176, pour Lixy. Quantin, Cartul., t. II, p. 287. — On
retrouve le même préambule dans la charte de pariage pour Chéroy en 1155.
Quantin, Ibid.,t. I, p. 532.
Rkvus hist. — Tome VIII. 18
270 LES COUTUMES DE LORRIS
sais <ra dés pays voisins tenus en partage par le roi et une
abbaye obtinrent les Coutumes de Lorris : le roi avait intérêt
à provoquer leur développement.
Voulx , Lixy et Ghéroy avaient à la Un du xm* siècle « loa
os? les coutumes et les privilèges » dé Lorris (1). Bien qu'il né
soit pas fait mention de cet octroi dans les chartes de pariajgto
il y a lieu de croire qu'il Remonte jusqu'à H 53 ou au moîfts
au règne de Louis VII. Les moines de SaforWeam avaient fait
transcrire au xm* siècle, à la fin de leur cartulaire , la charte
de Philippe-Auguste pour Lorris (2).
En 1163, les franchises de Lorris sortent du Gâtinais : « Au
nom de la sainte et indivisible Trinité, Amen. Je , Louis , pair
la <grftce de Dieu roi de France, faisons savoir à tous présents
et à venir que nous avons acquis de l'abbaye Saint-Marien
d'Auxerre une terre sise près d'Egriselles pour y établir une
ville neuve dite Villefranche le roi. Afin de déterminer un
rapide accroissement de la ville et parce que nous voulions
que les habitants y fussent nombreux , nous leur avons con-
cédé tant à ceux de l'intérieur qu'à ceux du dehors de l'en-
ceinte toutes les coutumes de Lorris (3). » Il s'agit ici de
ViUeneuve-le-Roi (4).
L'archevêque de Sens, Guillaume de Champagne, suivant
l'exemple du roi , contribua à la diffusion de ces Coutumes dans
la même région. Il en dota deux villes neuves, Tune Villeneuve-
V Archevêque (5) (1172), à laquelle l'avait associé le chapitre de
Saint-Jean de Sens (6), l'autre qu'il fonda à RoussonÇl) (1175).
C'est encore pour augmenter le nombre de ses sujets et
relever le village de Sennely (8), ruiné par les exactions des
sergents que le roi l'admit , en 1165, à la jouissance des Cou-
tumes de Lorris, et y établit des hôtes (9).
(i) Pièces justificative! , n» XX II.
(2) Arch. de VYonne, H 376, Cartel, de Sttfat-Jesn , f° 42 7»-f» 43 V.
(3) Charte publ. OrH.,\. VU, p. 57.
(4) VilUneuve-le~Roi , Yonne, arr. Joigny, ch.-l. c««.
(5) Villexeuve-V Archevêque, Yonne, arr. SenB,oh.-l. c°n.
(6) En 1172, charte ap. Qaantin, forfait, de VYonne, t. II, p. 240-242.
(7) Houston, Yonne, arr. Joigny, c°& Villeneure-Bor-Yonne. — Quentin,
Cartel., t. II, p. 272-274.
(S) Sennely, Loiret, arr. Orléans, c« La Ferté-Saintr Aubin.
(9) Charte de Louis VII, 1165, Ord., t. XIII, p. 520-521.
ET LEUK PROPAGATION AUX XIIe ET XIII* SIECLES. 271
Un peu plus tard , Louis VII conclut avec l'abbé de Saint-
FtoreBtitt-de-Boflneval (1) uu partage pour les terres dépen-
drai des villages de Lorrez($) sur le Lunain et de Préaux (3).
Les coseigneurs convinrent d'y établir une viile qui serait
régie par les Coutumes de Lorrts (4).
La Thaumassière assigne à cette charte la date de il 59(5),
et le texte qu'il publie porte MCLXXIX (6). Les historiens
de l'abbaye de Bonneval ont imprimé MCLXIX. Duchesne en
a donné une copie qui porte la date de 1160 (7). L'année du
règne n'est nulle part indiquée. Mais les auteurs sont d'accord
sur les noms des grands officiers : Thibaud sénéchal , Ma-
thieu chambrier, Gui bouteiller, Raoul connétable (8). Or,
en 1159, Mathieu Ier de Montmorency était connétable (9).
Eo 1160, il y avait vacance de la conn établie. Nous ne pou-
vons davantage admettre la date de 1179. A cette époque, le
chambrier était, non pas Mathieu, comte de Beaumont, mais
Renaud (10). Des quatre années proposées, 1169 est la seule
où les officiers nommés plus haut aient été tous en fonc-
tions.
(1) Samt- Florentin- de-Bonnevol , Eure-et-Loir, arr. Ch&teaudon.
(2} Lorrez-le-Bocage , Seine-et-Marne, air. Fontainebleau, ch.-l. c°n.
(3) La Th., Coût. loc.t p. 396, et les Ord., t. XI, p. 213, ont imprimé
f in potestate Lorri vel Petrelli. » Le texte donné par D. Jean Thjnuax et D.
Lambert, Hist. de l'abb. S. -Florentin, p. 74, porte « in potestate Lorri vel
Perell». » On lit dans le vol. 191 de la Collection Gaignièrse, B. Nat., me.
lai. 17139, p. 18 : c Hnbertos qui eodem anno (1169) nonnolla cnm Ludo-
Tieo YII° Francorum rege commotavit et, cessa média parte Lorreti le Bocage
dicti, medtos PrateUos aeoepit. » Prèaw, Sèment-Marne, arr. Fontainebleau,
c« Lorrez-le-Bocage.
(4) « Ex amborum itaqne assensa constitatam est ut ibidem c&stellum seu
villa constituatar ad consnetudinem alterins Lorry, in omnibus redditions, in
omnibus utilitatibns regibus Francis et eeclesiœ Bornsvallonsi semper et per
omnia communia. » Ord., t. XI, p. 213.
(S)C*ui. loc.,p. 391.
(6)/Kd.,p.39T,
(7) B. Nat., Coll. Duchesne, vol. 76, f°226.
(8) La copie de Duchesne porte S. Richard* constabularii; il est probable
qi'il y avait sur l'original R. Il n'y a pas en sous Louis VII de connétable du
Btm de Richard.
(9) Lnchaire, Amales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, U III, p. 66.
(10) Luchaire, loc. cit., p. 65-66. — Delisle, Cotai, des actes de Ph.-Aug.,
htroduct.,p. 82-83.
4
4
s.
^ s*
270
Dais ou ^ je Lorris à 1 *
abbay- war^ c'est-à-dire pro-
fit pr< w vl). C'étaient Cour-
V ?n&ttum (4) , Montes-Estue,
n?" .,,„« v7), Ban/tfte (8), Gau-
..-•» «fc Go» (Elodium de Goy),
s erre de Sainte-Marguerite en la
i , la Bourg -Neuf de la Brosse (13).
^irit I accès de ces terres fut interdit
";U pjt, qui seraient devenus libres par
" * ^ M) : *e ro* préférait augmenter le
" ^ litres dans son domaine au détriment
> * j «ijaitoor- Louis VII fit transcrire, pour l'usage
. Ij^vn. publ. Ord.t t. X, p. 49-52.
**^*!!.jÊ*ti Loiret, arr. Pithiviers, c°» Beaune-la-Rolande.-— Le
* ^<"f!ï*>uti*t~~ '* s**8*0 un nameau dit « *M Courcelles » plus près
, x«e p**** .j^tiui dans la commune d'Ouzouer-des-Champs , et qui était
~* k^Zt*** chltelleoie de Lorris.
** x¥**l\Li0nnaiices donnent à tort BriconUlare; le reg. JJ 166 porte Brù-
rtt*T*.t^e ffrgoMUU dans la commune de Beaune-la-Rolande?
. Qirirtj, lieudit de la commune de Batilly.
Batiglhto*tÊ*r BatiUy, c°» Beaune-la-Rolande.
m S'arit-U de Breteau, Loiret, arr. Gien, c°» Briare; ou bien du hameau
a t Les Breteau», «• cl c°tt 0rléan9t CM Mardié?
($) BarviUe, c" Beaune-la-Rolande.
m Gaubertin, c0B Beaune-la-Rolande. Le registre JJ 166 porte terra nostra
iCaubertin et non pas Gambertin, comme l'ont imprimé les éditeurs des
Ordonnances.
/ 40) Clausum Régis. — Il 7 avait, au xvm6 siècle, un fief de ce nom dans la
roisse de Dampierre-en-Burly, arr. Gien, coa Ouzouer-sur-Loire. Voyez :
/***«. fa Aftk. du Loiret, A. 279, p. 48. — Mais il s'agit plutôt d'an fief
. mgme nom sis en la paroisse de Ghemault, con Beaune-la-Rolande. (Voyez
éme /»»«<•» A. 18it P- 30) ou encore d'un lieudit de la commune de Lorris.
Ml) Saint-Loufhdes-Vignes » c°* Beaune-la-Rolande.
M2) Le registre JJ 166 donne « terra eciam nostra in parrochia sancti Mi-
chaelis seita Marguerite. » Je corrige teita en sancte. — Saint-Michel, c°*
Beaune-la-Rolande. Sainte-Marguerite n'est plus qu'une ferme.
(13) Les éditeurs des Ord. ont identifié Broscie avec La Brosse au sud de
Corbeilles en Gatinais, arr. Montargis, con Ferrières. Il y a non loin de là
Bourgneuf, cM Auzy, c00 Beaune-la-Rolande. — Dans la forêt d'Orléans, on
trouve Bourgneuf, arr. Orléans, c»* Neuville-aux-Boia, cn« Loury ; et à côté
un lieu àii Les Brosses.
(14) Ord., t. X, p. 52.
(5)
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 273
des terres ci-dessus énumérées , les privilèges de Lorris en y
apportant quelques modifications. Le cens fut élevé à 12 de-
niers (1). Une seule corvée subsistait : les habitants, pos-
sesseurs de chevaux et de charrettes étaient tenus d'apporter
une fois par an à Lorris le grain qui provenait du cham-
part (2).
En 1177, Hugues le Noir de Mareuil conclut un traité de
pariage avec le roi pour ses terres de Flagy (3) et de Biche-
veau (4), afin d'y établir des hôtes que les coseigneurs gra-
tifieraient des Coutumes de Lorris. Tous les revenus étaient
partagés par moitié. Le prévôt et les sergents, établis par
le roi et Hugues le Noir, prêtaient à l'un et l'autre le serment
de fidélité (5). Les seigneurs prenaient l'engagement de ne
pas admettre sur les terres qu'ils voulaient peupler les
hommes de Gilon de Moret et de Guibert de Caneris (6),
seigneurs dont relevaient en fief lesdites terres.
C'est sous le même règne, sans que nous puissions préciser
la date, mais probablement avant 1152, quand Louis VII
était encore duc d'Aquitaine, que les hommes d'Yèvre-le-
Châtel (7) en Gâtinais obtinrent les Coutumes de Lorris (8).
Philippe-Auguste était homme trop entendu aux affaires du
gouvernement pour ne pas comprendre tout le profit qu'il
pouvait tirer de pareilles concessions. Aussi, sous son règne,
les Coutumes de Lorris continuèrent-elles de se répandre
dans le domaine royal.
En 1185, Philippe -Auguste confirma l'affranchissement
concédé par Arnoul , abbé de Ferrières , à tous les hommes
et femmes de corps et leurs descendants établis dans la pâ-
ti) Art. 33, Ord., t. X, p. 52.
(2) Art. 14, /Wd.,p.5l.
(3) Flagy, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrez-le-Bocage.
(4) Bichereau, S.-et-M., même canton, cB« Thoury-Férottes.
(5) Charte de pariage, Pièces just., n° VIL
(6) Cannes (??), Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, c°* Montereau.
(7) Yèvrc-U-Chdtel, Loiret, arr. et c°» Pithiviers.
(8) Arrêt du Parlement de 1272 : « Hommes de Evera-castro quibus con-
cessum est per cartam cujuBdam régis Ludovici , ducit Aquitanie, quod ha-
béant consuetudînes quas habent hommes Lorriaci per Gastinesium : visa
carta ipsa, absoluti sunt ab emenda que ab eis, eo quod in exercitum non
vénérant, petebatur, cum homines Lorriaci , quorum habent consuetudines ,
ad hoc minime teneantur. » Beugnot, Olim, t. I, p. 901, n° XLIX.
274 LES COUTUMES DB LORRIS
roisse de Saint-Éloi et la banlieue de Perrière* (1). Cette
terre devint une franchise. Aussi le roi stipula-t-il que l'abbé
n'y recevrait, sans son consentement, aucun de ses hommes
de corps, ni de ses hôtes, ni même de ses bourgeois. La
charte contient la fixation de certains droits seigneuriaux et
de quelques redevances. Pour les cas non prévus , les habi-
tants de Ferrières devaient se régler désormais d'après la
Coutume de Lorris (2).
L'année suivante (1186), en même temps que Philippe-
Auguste confirmait aux habitants de Boiscommun (3) ces
mêmes Coutumes qu'ils tenaient de son père , il donnait aux
manants [tant ibi manentes quam post tnamuri) d'Angy (4)
une charte sur laquelle celle de Lorris a marqué son in-
fluence. Elle ne comprend que cinq articles : le premier cons-
tate le pariage intervenu entre le roi et les chanoines de
Saint-Frambaud; un autre, l'engagement pris par le roi de
ne pas aliéner le domaine. Les trois autres qui concernent la
taille, l'host et la chevauchée, les amendes, sont presque
textuellement empruntés à la charte de Lorris.
En 1187, les habitants de Voisines obtinrent les franchises
de Lorris dans leur intégrité (5).
Mais en 1188, Philippe-Auguste transplanta cette même
charte en Auvergne; il la concéda au village de Nonette (6).
Un diplôme de Louis Vil, daté de Paris l'an 1171, la trente-
quatrième année du règne (7), où sont rapportées tout au
long les luttes du vicomte de Polignac contre F évoque du
(1) Ferrières, Loiret, arr. Montargis, ch.-l. c0*.— Charte donnée à Lorris
en 1185. D. Morin, p. 705-709.
(2) « Reliquat conBuetudines et emendationes erunt ad consnetudinem Lor-
riaci. » D. Morin, p. 708.
(3) Boiscommun, Loiret, arr. Pithiviera, c«» Bea une-La-Rolande.— Charte,
Ord., t. IV, p. 73-77.
(4) Angy , Oibo, arr. Qermont, con Moui.— Charte publ. ap. Ord., t. IV,
p. 129-130.
(5) Voisines, Yonne, arr. Sens, c°* Villeneuve-f Archevêque. — Charte
publ. Ord., t. VII, p. 455.
(6) Nonette, Puy-de-Dôme, arr. Issoire, c<» Saint-Germain-Lembron. —
Charte : P. just., n« XII. M. Rivière, Institut, de l'Auvergne , t. I, p. 266,
a rapporté à 1288 l'octroi des Coutumes de Lorris au village de Nonette; il a
confondu la date d'un vidknus avec celle de la concession primitive.
(7) Baluie, flirt, généalog. de la maison d'Auvergne, t. H, p. 6<Hft.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII9 ET XIII* SIECLES. 275
Puy et les efforts du roi pour y mettre fin, rappelle que le roi
vint mettre le siège devant le, oh&teau de Nonette, poases-
non du vicomte de Polignap (4). Cette expédition se place ep
Tannée 1169 (â). Coabrai&t de déposer les. armes , le vicomte
fut condamné i laisser dans la main du roi tous les fiefs qu'il
tenait de lui jusqu'au prononcé d'un jugement définitif (3).
Cette main-mise, changée peut-être en confiscation, ne se-
rait-elle pas l'origine de l'annexion de NoneUe au domaine
royal (4)î De longues contestations s'élevèrejit entre Philippe-
Auguste et le roi d'Angleterre au sujet de la suzeraineté de
l'Auvergne. La lutte se ranima en 1186 (5). Il n'y a donc
rien d'étonnant à ce que le roi ait cherché à se concilier les
populations en donnant de» franchises aux quelques terres
d'Auvergne dont il avait le domaine direct. La concession
que j'ai signalée a une importance toute particulière. En
effet, au siècle suivant, Nonette devint ville de bourgeoi-
sie (6). Le roi en fit un centre d'où il étendit son action
tout à l'entour enlevant aux seigneurs voisins leurs hommes
pour les soumettre à la juridiction royale. Les habitants de
Nonette ne furent plus seuls en Auvergne à jouir des privilè-
ges de Lorris. Y participèrent tous ceux qui , possédant une
maison à Nonette , y faisaient résidence an et jour au com-
mencement die leur bourgeoisie. Et même si , pendant cette
(1) « Coatigit nos in Alverniam propter has et alias regni causas cupo eier-
dtu venisse et castrum Nonetts obsedisse. » Baluze, Hist. ginéal. de la
maison dP Auvergne, i. I, p. 66.
(2) Nous avons deux diplômes de Louis VII datés de H6Ô, l'un a apud
Nonedam, » l'autre « cum ettemut in Alvernia in expedUhne apud Nonnetam, »
Voyez Histoire du Languedoc, nouv, édit, t. VII, p. &, note HK
(3) Diplôme de 1171, cité plus haut
(4) Dans le reg. B de Pq.-Aug., Arth. naL, JJ. 7-8, 1» partie, f*< 60 f%
on trouve la liste des cités et châteaux du domaine du roi (ci vitales et castra
que rex habet in domanio); Noneta y figure à la fin de la liste.
(5) Rigord, D- Bouq., t. XVII, p. 23.
(6) Voir la charte de Philippe le Bel, 1380, P. put., n* XXI.— M. Ri-
vière, Institut, die l' Auvergne, t. II, p. 337, a publié une pièce des Arch. naL,
J. 1046, n° 3, où les conditions requises pour être reconnu bourgeois de
Nonette sont un peu différentes de celles exprimées dans la charte que je
donne. Au lieu de résider à Nonette à la Toussaint et à la Chandeleur, le
bourgeois est tenu à la présence aux quatre fêtes de Tannée. Mais il semble
que cette charte n'ait pas été expédiée; car, outre qu'il y a plusieurs ratures
et corrections , elle n'a pas été scellée.
276 LES COUTUMES DE LORRIS
période de temps, leurs affaires les appelaient ailleurs, il leur
était loisible de s'absenter, sans perdre leurs droits , pourvu
que leur famille demeurât. On exigeait, en outre, la présence
à Nonette du bourgeois du roi ou de quelqu'un des siens cha-
que année aux fêtes de la Toussaint et de la Chandeleur.
A ces conditions, on acquérait le droit à se réclamer de la
juridiction royale. Mais, si le roi y gagnait, les seigneurs
n'y trouvaient pas leur compte. Ce fut même la source de
longs débats et procès entre les officiers de Philippe le Bel
et le chapitre de l'église de Brioude (1), dont les hommes se
faisaient à l'envi bourgeois de Nonette.
En février 1189, Philippe - Auguste prit en sa garde
et protection les habitants de SaintrAndré-U-Désert (2), qui
dépendaient de l'abbaye de Moutiers-Saint-Jean (3), et leur
concéda les Coutumes de Lorris à condition que la moitié de
tous les revenus de la posté lut serait acquise.
Cette charte de Saint- André est probablement la source où
en 1236 Josseran, seigneur de Brancion, puisa un certain
nombre de dispositions pour les introduire dans les franchises
de Cortevais (4). On ne saurait expliquer autrement la relation
évidente qui existe entre la charte de Lorris et celle de Cor-
tevais. Les hommes de Cortevais sont déclarés exempts de
taille (art. 2). Voilà une disposition qui n'est pas suffisam-
ment caractéristique; mais qu'on veuille bien remarquer la
rédaction de cet article dans la charte de Cortevais , et on ne
pourra s'empêcher de croire que le seigneur de Brancion
a eu connaissance du texte de Lorris (5). La résidence con-
(1) Voir les pièces de ces procès : Arch. nat., J. 1046.
(2) SaUU-André-le-Déscrt, Saône-et-Loire, air. Mftcon, c°* Cluny. La charte
est publ., Ord., t. XI, p. 252. — Les édicteurs des Ôrd. indiquent qu'il
s'agit de Saint-André , au diocèse de Mftcon , dépendance de l'abbaye du
Mootiers. Or on lit dans no Pouillé de cette abbaye, écrit au xv« s., B. Nat.,
ms. lat. 10031, f° 26 r°-v« : « In arcbipresbyteratu de Rosey solvunt deci-
mam... Prior SaneH Andrée Deserii... Seqauntur non boI ventes decimara;
tamen solvant subvencionem episcopalem. . . Curatus Sancti Andrée Deserti. »
(3) Moutiers-Saint-Jean , abb. bénédict., dioc. de Langres, C6te»d'Or, arr.
Semur, c°» Montbard.
(4) Cortevais, Saône-et-Loire, arr. Mftcon, c°» Seint-Gengoux. — Charte
publ. par Caoat, Documents inédits, p. 31-32.
(5) Art. 2 « Nullus nec nos nec successores nostri hominibus Gortevasii
taUliam nec ablationem ?el rogam facient. » Canat, p. 31. Cf. Lorris, art 9.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII* ET XIII* SIÈCLES. 277
tinoée à Cortevais pendant an et jour conférait la franchise,
n y a encore ici une imitation partielle de l'article 18 de
Lorris; seulement le rédacteur de la charte qui nous occupe
a cru devoir régler la procédure à suivre pour réclamer un
serf avant l'expiration du délai de 12 mois (1). Pour pouvoir
quitter librement la ville , les bourgeois de Cortevais avaient
à satisfaire aux mêmes conditions que ceux de Lorris (S).
Josseran limita à une journée le temps pendant lequel il
pouvait exiger le service d'host (3). Les Coutumes de Bour-
gogne ont pour la plupart fixé à 40 jours la durée du crédit
seigneurial (4) : ici nous trouvons comme à Lorris le terme
de quinze jours (5). Josseran se conforme toutefois à l'usage
bourguignon en donnant à son créancier des gages ou des
cautions. L'article 4 par lequel il prend sous sa protection
les marchands qui se rendent aux marchés de Cortevais est
calqué sur l'article 6 de Lorris (6). Et encore, l'empri-
sonnement préventif est supprimé dans le cas où l'accusé
peut fournir des garanties (7); il serait téméraire d'affirmer
(1) Art. 3. « Si quis in poteatate Cortevaaii per tannin et diem maaterit,
nnllo clamore enm seqaeate, neqae per nos aut per mfoistros nostros recti-
tadioem prohibuerit, deinceps liber et quietus permanent, nfsl de servitute
poterit légitime eonrinci et infrà aonom impetitus fuerft; et convietu* non
reddetnr competitori,aed licebit et pergere qao Tolnerit... » Canat, p. 31,
— CL Lorris, art. 18.
(2) Art. 14 bit. « Item si qoii res aoaa vendere voluerit, veadat, et a
villa, ai recedere volnerit, reddito jure vendieionis, liber recédât, niai in
villa foriauetnm feeerit. » Canat, p. 34. — Cf. Lorris, art. 17.
(3) Art. 13. « Item collas eoram in expeditione Tel eqniUtione fbft, niai
eadem die ad domom sum, ai voluerit, revertalor; née etiam tnoe oial pro
negocoa nostria. » Canal, p. 34. — CL Lorris, art. 3.
(4) Voyez les texte» cités à la page 172.
(5) Art. 14. « Nos eredieionea babebiatos , datas ydooeis radtts vet Ade-
jnaaoribas, naqae ad quindeetm dies persoivendam. s Canat, p. 34. — Cf.
Lsrrû, act.ll.
(6) Art. 4. « NoBw ad mercalnm venieas stve rediens eaptafor vei 4istar~
netar, sM ipsm die forelactnai fceerit; Tel aatea raptusa feeerit, *H savle»
tram, Tel nomicidimn , Tel furtma ; et salins m die mercati vadîam piegii
an Tel désolons eapiat, niai die eosaunili plepacâ© iUa vei débitas* factnm
faerîL a Canat, p. 31-32. — CL Lorris, art. *-
(7) Art. 6. « S ous defonveril, ai jns lace» vetft et pro ponte ont
secnritatan dederil, neone eorpos ejos neqae res ejns cap a«t
tractari défient, a Canat, p. 32. —CL Lonrk, art. «a.
278 LES COUTUMES DE LORRiS
qu'il y a eu ici çmprunt à la charte de Lorris ; la rédaction
ne noua y autorise pas ; et c'est là une clause qu'op retrouve
dans nombre de coutumes du xme siècle. En ce qui touche
les amendes , elles sont réduite? , mais d'une antre fagçn qu'à
Morris (1).
Dixmont reçut en 1190 les Coutumes de Lorris (2) précé-
demment accordées dans la même région à Villeneuvç-ie-Roi,
Villeneuve-r Arche vêque , Rousson et Voisines , tous villages
sis sur les confins du comté de Champagne. Philippe-Auguste
avait été précédemment associé à la possession de la terre de
Dixmont par le prieur de la Charité-sur-Loire (3). Les nou-
velles acquisitions devaient être mises en commun. Le prévôt
était nommé à la fois par le roi et le prieur.
Les hommes du comté de Champagne , quittant les terres
de leurs seigneurs, se portèrent vers la nouvelle franchise. En
1205 le roi reconnut à ces seigneurs (4) le droit de s'emparer
de tous les biens des fugitifs ; en même temps qu'il déclarait
siens tous les hommes résidant alors à Dixmont. Cette chvte
n'était pas faite pour donner satisfaction aux seigneurs cham-
penois. Ils ne perdaient rien de leur domaine foncier. Mais à
quoi bon les terres si les bras manquaient pour les cultiver. Ce
qui leur importait, c'était d'arrêter les empiétements de plus
en plus marqués de la royauté , dont la juridiction et le terri-
toire allaient toujours s'étendant. En 1207, Philippe-Auguste
s'engagea vis-à-vis de Blanche de Navarre, régente de Cham-
pagne , Gui Gasteble et Henri de Maunid (5) à ne plus édifier
de ville neuve, à ne plus contracter de pariage sur le territoire
compris entre les limites suivantes : de Dixmont à Malay-le-
Roi (6), de là à Fontaine (7), de là à Voisines, et de là à
(1) Art. 4. a Forefactum aatem de sexaginta sotidis ad XV veniet, de XX
ad quinque, deeem ad très. » Canal, p. 32. — Cf. Lorris, art. 7.
(2) Dixmont, Yonne , arr. Joigny, c00 Villeneuve-sur- Yonne. Charte p«bL
ap. Ord., t. XI , p. 268.
(3) Diplôme de Ph.-Aug. donné en 1187 entre le 29 mars et le 31 octobre*
publ. parTeulet, LayeUet, n° 348, 1. 1, p. 148.
(4) Dipl. de Ph.-Aug., nov. 1205, indiq. par Delisle, n° 962; publ. Quaa-
tin , Recueil de pièces du XIII' t., no 53, p. 25.
(5) Charte indiq. par Delisle, Catalogue, n» 1055 ; P. just., no XVI.
(6) Malay, Yonne , arr. et c°» nord de Sens.
(7) Fonlaine-la-GaUlarde, ©*■ nord de Sens.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 279
Thorigny (1), et de Thorigny k Y Yonne en suivant le cours de
l'Oreuse (5). Il annula même l'association qu'il venait de faire
avec les chanoines de Sens pour la terre de Thorigny. En re-
tour de ces concessions, il reçut mille livres parisis. Quelques
années après (septembre 1210) Philippe-Auguste promit (3)
de ne recevoir sur ses terres , ni dans ses communes, ni dans
ses villes franches les hommes ou femmes de la comtesse de
Champagne jusqu'à la majorité de son fils Thibaud. Blanche
prit envers le roi un engagement réciproque (4). Saint Louis
promit encore en 1229 à Thibaud IV de n'admettre aucun de
ses bourgeois ou hommes taillables à Sens , ni à Villeneuve-
le-Roi, ni à Dixmont, avant d'avoir atteint sa vingt et unième
année (5). Cependant, au milieu du xiie siècle, l'émigration
vers les villes dotées des franchises de Lorris continuait. En
4257, l'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif réclamait comme ses
serfs nombre d'individus qui avaient élu domicile à Ville-
neuve-le-Roi (6). L'abbé Geoffroy ne trouva qu'un moyen
d'arrêter cette désertion , et c'était le meilleur : il affranchit
tous les hommes et femmes demeurant sur les terres de l'ab-
baye comprises entre la Seine et l'Yonne, de Bray (7) jusqu'à
Sens et Nogent-sur-Seine (8), et de Sens jusqu'à Villeneuve-
l'Archevêque , Arces (9), Dixmont et Villeneuve-le-Roi. Il
leur fit remise de la main-morte, les déclara libres de corvées
(i) Thorigny, Yonne , arr. Sens , c°* Villeneuve-l' Archevêque.
(2) Oreuse, ruisseau qui prend sa source à Thorigny et se jette dans
l'Yonne, près de Ser bonnes, en aval de Pont-sur-Yonne.
(3) Charte ind. Delisle, n« 1230, p. 283; B. Nat., ms. lat. 5992, Cartul. 3
de Champagne, f° 48 r°. Pobl. par D. Martène, Ampl. CoUedio, t. I, col.
1098.
(4) Ind. par Delisle , Catalogue, n° 1231, p. 283.
(5) Charte de Thibaud IV donnée en avril 1228 avant Pâques , indiq. par
d'Arbois de JubainviUe , Catalog. des octet des comtes de Champagne, n° 1823.
Publ., Teulet, Layettes, n° 1995, t. II, p. 153, et Quantin, Rec. de pièces ,
n° 356, p. 160. — En mai 1230, saint Louis renouvela sa promesse pour 3 ans
à compter de juin. Ind. par Quantin, Rec, p. 160, d'après le Liber primdp.,
BiU. NaL, ms. lat., f» 28 v<>.
(6) Vidimus donné par saint Louis à Melun, mai 1257, 31* année du règne,
d'un acte du même mois, par lequel l'abbé de Saiot-Pierre-le-Vif de Sens,
affranchit ses serfs; publ. par Quantin , Rec. de pièces, n° 567, p. 270-272.
(7) Rray^ur-Seine, Seine-et-Marne, arr. Provins, ch.-l. con.
(8) Nogent-surSeiM, Aube.
(9) Arces, Yonne, arr. Joigny, c°» Cerisiers.
280 LES COUTUMES DE LORRIS
et de tailles, abandonna son droit de poursuite, et réduisit
les amendes de 60 sous à 15, de 15 sous à 5, et de 5 à 2 sous.
Le roi était d'ailleurs intervenu en faveur des serfs, et avait
député auprès des moines noble homme Gilon de Villemar-
chez et Etienne Tatesaveur, bailli de Sens. Mais, comme mal-
gré toutes ces concessions, il pouvait encore arriver que les
affranchis, autorisés à quitter librement les terres des moines,
préférassent la protection et la juridiction royales à celles de
l'abbé, celui-ci, pour ne rien perdre de ses revenus, exigea
d'eux une somme de six mille livres parisis.
Avec le xme siècle, la diffusion des Coutumes de Lorris
dans le domaine royal se ralentit. Cléri, village à la possession
duquel Philippe-Auguste avait été associé par Hécelin de Li-
nays les reçut cependant en 1201 (1). Elles ne furent modi-
fiées qu'en un point : le cens de six deniers était remplacé
par un fouage ou festage de quatre sous par maison (2).
En 1202, le roi accorda aux hommes de Sancoins (3) les
Coutumes de Lorris , au moins en ce qui concernait le tarif
des amendes. Mais ces mêmes hommes restaient justiciables
des moines de la Charité-sur- Loire , qui percevaient les fruits
de la justice. Le prévôt royal prétait aux moines serment de
fidélité.
Dalmas de Luzy ayant cédé au roi vers 1220 la moitié de
ses droits sur le village de Salornas (?), les deux seigneurs
convinrent qu'on y suivrait les usages de Lorris (4).
Le roi saint Louis, confirmant en mai 1239 un acte par
lequel Philippe- Auguste avait dès 1190 (5) abandonné au
chapitre Saint-Étienne de Sens tous les droits de justice à
Pont- sur-Yonne (6), stipula que les chanoines ne pourraient
(1) Cléri, Loiret, arr. Orléans, ch.-l. c°». — Charte publiée ap. Ord.,
t. VII, p. 3.
(2) c Ita tamen qnod unaqueque masura illias ville nobis dabit annuatim
quatuor aolidos. » Arch. Nat., JJ. 198, n« 19, f° 19 v°.
(3) Sancoint, Cher, arr. Saint-Amand-le-Rond, ch.-l. c°*. — Charte, P.jutt.,
no XIV.
(4) Charte, publ. par Teulet, Layettes, t. I, p. 507. «Hoc etiam aditiendum
ut omne8 consoetudinee secundum maneriara et usum de Losriz in supradicta
villa teneantur. »
(5) Charte de Ph.-Àug., publ. par Quantin, Cartel., t. H, p. 427.
(6) Pont-tur-Yonne , Yonne, arr. Sens, ch.-l. con.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIa ET XIIIe SIECLES. 281
lever d'amende sur les hommes du roi qu'à condition de leur
appliquer le tarif fixé par la charte de Lorris (1).
Héloïse, dame de Chaumont (2), et Pierre des Barres, son
fils, dont les domaines étaient situés sur la limite du Gâtinais,
suivirent l'exemple du roi. En 1248, ils affranchirent (3) de
toute corvée et exaction leurs hommes demeurant à VUlema-
noche (4), Pont- sur -Yonne, Gisy (5), la Chapelle -Champi-
gny (6), ViUeneuve-la-Guyard (7), ViUeblevin (8), Chaumont,
Diant (9), et sur les rives de l'Yonne jusqu'à Moret. Ils leur
accordèrent, entre autres privilèges, la réduction des amendes
telle qu'elle était à Lorris (art. 6). Les cautions du vaincu
dans un duel judiciaire devaient payer cent douze sous tour-
nois (art. 7). L'article concernant les amendes (art. 8) exi-
gibles des propriétaires dont les animaux avaient pénétré
dans les bois seigneuriaux a été inspiré par les Coutumes de
Lorris ; mais ici l'amende est réduite à 4 deniers tournois , et
même à un denier pour les brebis. Les hommes n'étaient tenus
à l'host qu'au cas où ils pouvaient revenir le jour même chez
eux; restaient-ils plus longtemps, le gîte leur était dû (art.
12). Ils ne pouvaient être emprisonnés lorsqu'ils promettaient
sous caution de se rendre au plaid (art. 15).
Nous savons par un arrêt du Parlement de 1272 que les
habitants d'Aubigny (10) et de Châteaulandon (11) jouissaient
des Coutumes de Lorris , sans qu'il nous soit possible de dire
à quelle époque remonte la charte de concession (12).
(1) Lettres de Louis IX données à Melun en mai 1239, pnbl. par Quantin,
Ree. de pièces, n° 456, p. 206-207. « Capitulum Senonense habebit justicias
et remansiones in villa de Pontibus secundum quod in predictis litteris con-
tinetur, hoc excepto quod non poterit levare emendas ab hominibus nostris
in eadem villa commorantibus, nisi ad usas et consuetudines Lorriaci prout
in carta Lorriaci continetur. »
(2) Chaumont, Yonne, arr. Sens, con Pont-sur-Yonne.
(3) Lettres, P. jutt., n° XX.
(4) Villemanoche , Yonne, arr. Sens, c°» Pont-sur-Yonne.
(5) Gisy, même canton.
(6) La Chapelle, hameau de la commune de Champigny, c°» Pont-sur-Yonne.
(7) Villeneuve-la-Guy ard , même canton.
(8) ViUeblevin, même canton.
(9) Dianl, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrez-le-Bocage.
(10) Aubigny, Cher, arr. Sancerre , ch.-l. c°».
(11) Châteaulandon, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, ch.-l. c°».
(12) Pari, de la Toussaint 1272 : « Visa carta hominibus Lorriaci con cessa,
282 LES COUTUMES DE LORRIS
Les hommes d'ÂrconviUe (1) usaient des mêmes franchises.
Car un arrêt du Parlement de 1281 les déclare du ressort de
Lorris {2). Le Parlement reconnut en 1300 (3) aux habitants
de Chalon (i) et de Moulinenx le droit de suivre les Coutumes
de Lorris et de profiter de la réduction des amendes. C'est la
reine Adèle qui avait donné à Chalou les franchises de Lor-
ris; son octroi avait été confirmé par Louis VU dès 1175 (5).
Une enquête de la Chambre des comptes faite en 1314 (•)
nous permet d'ajouter à cette liste Ballot (7) et Ferrottes (8).
L'abbaye de Saint-Denis a pris soin de faire noter dans son
Cartulaire, dit Livre Vert, rédigé en 1411 (9), ceux d'entre
ses domaines du Gàtinais qui, à ce moment, usaient des
coutumes et privilèges de Lorris : c'étaient les paroisses de
Saint-Michel et de Batilly que j'ai citées {dus haut; les ha-
meaux dépendant de Saint-Michel : Gabveau et Champ-Ber-
train (10), le terroir de NibeUe (11), Somf (12), FréwiUe (13),
per qaara eis conceditur quod in expedicionem et exercitum. . . .; item caria
hominum Albigniaci, per quam hominibus Àlbigniaci conceduntûr «sus et
consuetudines Lorriaci ; item, visis diligenter cartis hominum de CastrthNm-
tonii qui sont ad usus hominum Lorriaci, vel quasi; item visa carta homi-
num de Capella; pronunciatum fuit quod homineB dictarum villarum non
tenentur ad ezercitum domino régi , pro quo , cum submoniti non venissent ,
emenda petëbatur ab eis. » Beugnot, Olm, 1. 1, p. 887-888.
(1) ÀrtonMe, Loiret, c°* Beaune-la-Rolaode , cM de Batilly.
(2) « Visa oarta hominum de ArcontiUa, declaratum fuit ipsos non debere
trahi extra Arconvillam placitaturi, nisi fuerit per resortum, et tune erunt de
resorto Lorriaci. » Beugnot, Olûn, t. H, p. 186, n° XLIV.
(3) Boutaric, Actes du Parlement, n° 3014, t. II, p. 4.
(4) Chalou-MouRncux , Seine-et-Of se , arr. Étampes, c«» Méréviile.
(5) Charte de Louis VU pour Sonchalo, Qrd., t. VIII, p. 34-35. — J'iden-
tifie Sonchalo avec Chalou-la-Reine devenu Chalou-Moulineiu.
(G) Pièces justif.,n*XXU.
(7) Dollol, Yonne, arr. Sens, c°* Chéroy. — Le document que je cite porte
Doleti; une autre copie donne Doleit. — La forme lat. de Dollot était DooU-
ium (Comptes de 1295, Prévôtés, art. 45, Bec. des hist., t. XXII, p. 635).
Dans ce compte, Doolehtm occupe la même place que dans l'enquête de m Co-
des comptes, entre les prévôtés de Chéroy, Lixy et Voulx, et celle de Flagy.
(8) Près Flagy, con Lorrez-le-Bocage,
(9) Pièces justifie., n<> XXV.
(10) Gabwau, lieudit de la commune de Saint-Michel.
(11) Nibelle-Saint-Sauveur, Loiret, arr. Pithiviers, c°« Beaune4a-Rolande.
(12) Soissy, ancien nom de BeUegarde, arr. Montargis, cb.-l. con.
(13) FrêviUe, arr. Montargis, c«" Bellegarde.
ET LEUR IpROPAQATION AUX XIIe ET XIII* SIECLES. 283
Matières (i)J et plusieurs hameaux de la paroisse de Lorqf (3);
tous les bourgeois du Val de Saint-Leu ; enfin le Clas-le-Rcti de
RàtnainviBë (3).
H. R. de Maulde a donfcê (4), d'après D. Moriû (5),
rémunération d'un assez grand nombre de villages du Gâtt-
nais qui fcuraïeht eu la charte de Lorris. Ce sont Ouzoi (6),
Thorailles (7) , Courtemaux (8) , les Noues (9) en la pa-
roisse de Rosoy-le-Vieil, Bougligny (10), Arville (11), Invil-
liera (12) , Burcy (13), la Neuville (14), Givraines (15), Saint-
Pierre-lez-Puiseaux (16), Vulaines (17), TEspuys et Sorques
en la paroisse de Montigny-sur-Loing (18), Saint- AndréJez-
Châteaulan#ons la Selleniur-le-Bied (1 9), Saint-Geneal, Saint-
Piere-de-Chon, Saint-Loup-de-Bezard. M. de Maulde aurait
pu jouter Nargi« (20), Grisolles (21), Fontetiay (32), Brans-
les (2S) et Pers (24). Il y a ici une méprise. Le texte cité par
B. Utorin prouve simplement que toutes ces terres étaient
régies fpair l'ancienne Coutume de Lorris, rédigée en 1531,
(1) Éfézières-en~Gatine , arr. Montargis, eon Bellegarde.
(2) tofcg, cbinintme du canton de Beaune-la-Rolande.
•p) fitmtfmtiUe, hameau de la commune de Beaune.
(4) Mém. de la Soc. de VOrléanan, t. XIV, p. 218-219.
(5) D. Morin, HisL du Ga*tinois,p. 174-175.
(6) Probablement Louzouer, Loiret, arr. Montargis, c°» Courtenay.
(7) ThorûiUes, m&ne éanton.
(S) 'Céurfetnaux, Loiret, arr. Montargis, c«» de Courtenay.
(9) Les Noues, cnede Rozoy, con Courtenay.
{10) Bougligny, Seine-etrMarne, arr. Fontainebleau, c°* Gh&teau-Landon.
(11) Arville, même canton.
'(12) IkvttHers.loiret, arr. et c«n Phhiviefs t c«« Givrai bes.
(13) Burcy, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, c°* La -Chapelle- la -
Reine.
(14) La NttwUU, Loiret, arr. Pithiviers, c°" Puiaeaux.
(15) Gwraines, canton de PithWiers.
(-W) Faubourg Îaint-Père de Puiaeaux.
(17) VUlomes-tur-Seine , Seine-et-Marne, arr.etc0» Fontainebleau.
<4S) Mcmtigny-eur-Loiag, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, c« Moret.
(ift) La SeUe-eur-le-Bied , Loiret, arr. Montargis , c«* Courtenay.
(ÎA) NargU , Loiret , arr. Montargis , c°» Ferrières.
(24) GrUeUes , même canton.
(22) Fontenay, même canton.
(23) BransUs, Seine-et-Marne , arr. Fontainebleau, c°» Cbâteau-Landon.
(24) Pers , Loiret , arr. Montargis , c°» Courtenay.
)
<
I
284 LES COUTUMES DE LORR1S !
rien de plus; et nullement qu'elles aient obtenu^ les fran-
chises de Lorris (1). |
C'est par suite de cette confusion entre deux textes si diffé-
rents qu'on a pu exagérer la diffusion et la popularité de la
charte de Lorris, et porter à plus de 300 (2) le nombre de&
villes ou villages qui en avaient sollicité et obtenu l'octroi .
CHAPITRE IV.
Propagation des Coutumes de Lorris dans les domaines
des malsons de Gourtenay et de Sancerre.
La maison de Courtenay ne contribua pas peu à la diffu-
sion des Coutumes de Lorris. D'ailleurs, les terres que Pierre
de France, fils de Louis le Gros, tenait de sa femme Elisa-
beth, comprises pour la plus grande partie , dans le Gâtinais ,
confinaient au domaine royal ; ce prince ne pouvait rivaliser
de puissance avec son frère Louis Vil qu'à la condition d'u-
ser des mêmes procédés de gouvernement. La royauté avait
amélioré la situation des classes agricoles dans la région cen-
trale. Les villes royales , dotées de franchises , n'auraient pas
manqué d'absorber la population des domaines de Pierre de
France et de ses descendants , sans la précaution qu'ils eurent
de retenir leurs hommes dans leur dépendance par l'octroi de
franchises.
Montargis fut la première ville, à notre connaissance du
moins, qui reçut de Pierre (3) les Coutumes de Lorris en
(1) « Les lieux qui sont sons la Coutume de Lorris se voyent dans le Cous*
tumier de la ville de Sens, ainsi qu'il sait. Par le cardinal de Tournon, abbé
de Ferrières , religieux , prieur et convent d'icelle abbaye a esté remonstré
par Dumas que les terres , justices et chastellenies dudit Ferrières, Nargy
(suivent les noms des villages cités) et aussi les prieurés dépendans d'icelle...
ont de tout temps esté mis et régis et sont de présent régis et gouvernes souba
l'ancienne Constnme de Lorris rédigée et accordée en la ville de Montargis
l'an 1531 . . . » D. Morin, p. 174-175. — Voyex : Procès-verbal de 4a coutume
de Sens en 1555. Coutume de Sent, commentée par Juste de Laistre, Paris ,
1731, in-4«,p. 487.
(2) Menaolt, article sur Les villes neuve*. Revue moderne, t. XLVIII, p. 478.
(3) La Thaumassière a publié dans les Coutume* locales deux textes de oatte
ET LEUR PROPAGATION AUX XII* ET XIII* SIÈCLES. 285
1170. Pierre y apporta toutefois quelques modifications. D'a-
bord, il préserva les habitants de toute oppression possible
du prévôt et des sergents en donnant plus d'importance au
serment que ces officiers prêtaient à leur entrée en charge de
respecter les coutumes. L'exercice de leur autorité était su-
bordonné à cette condition (1). En ce qui touche l'état des
personnes , on peut s'étonner de ne pas retrouver dans le
texte publié par La Thaumassière l'article 18 de la charte de
Lorris , si important pour le développement de la ville. Le
service d'host n'est pas non plus mentionné. Le cens pour
une maison et un arpent de terre est porté à cinq sous (2). La
durée du crédit seigneurial est fixée à un mois (3). Les habi-
tants de Montargis avaient l'usage du bois mort en dehors de
la forêt (4). Ils pouvaient transporter leurs marchandises
dans toute l'étendue du domaine de leur seigneur sans ac-
quitter aucune redevance (5). Interdiction d'avoir recours au
duel judiciaire pour vider une querelle entre deux individus :
on devait s'en rapporter à la déposition de deux ou trois té-
moins , renforcée au besoin par un serment (6). Le seigneur
concession, l'an qui semble n'être qu'un abrégé (p. 401, ch. V) d'après le régis,
tre de Philippe le Long; l'autre où la charte de Lorris est reproduite en son
entier, mutatis mulandU (p. 401-403, ch. VI) d'après l'original de la confirma-
tion donnée à Ch&teauneuf-sur-Loire , Tan 1320, en avril.
(1) « Quotiescumque Montis-Argi tam prœpositorum quam servientium fiet
commatatio, toties istas consuetudines tenendas et inviolabiliter servandas
alter post alterum jurabit. Si hoc aliquis jurare noluerit, homines pro eo
nichil facient donec sacramentum fecerit. » {La Thaumassière, p. 403, cf.
Lorris, art. 35.
(2) « Qusque domus ad festum S11 Johannis Y solidos census persolvet ,
quœ Lorriaci cum uno arpento terrée, sex denarius census persolvit. » La
Thaumassière, p. 402.
(3) c Homines de Monte-Àrgo domino suo de rébus suis pro victu creditio-
nem per unum mensem facient. Et si prepositus Montis-Argi debitum domini
non persolverit, dominus, facta conquestione a creditoribus , illud infra
mensem alium persolvi faciet. » La Th., p. 402.
(4) a HomineB de Monte-Argo nemus mortuum ad usum suum extra forestam
capiant. » La Th., p. 403.
(5) « In tota terra domini homines de Monte-Argo nullam debent consuetu-
dinem. » La Th., p. 402.
(6) « Et si aliquis erga aliquem dicto vel facto inimicitiam incurrerit , non
fiet inde duellum; sed duorum vel trium tertium ori committetur, subséquente
tamen, si necesse erit, sacramento. »LaTh., p. 402.
Revue Hist. — Tome VIII. 19
286 LES COUTUMES DE LORRIS
devait justice aux étrangers résidant à Montargis (1). Les
articles 20, 26-28 de Lorris sont naturellement supprimés; ils
concernent des exemptions de péages à Orléans et dans des
villes royales du Gâtinais , exemptions que Pierre de France
n'avait pas pouvoir d'accorder. L'article 31, qui réglait les
rapports des bourgeois de Lorris avec l'abbaye de Saint-Be-
noît, n'avait pas non plus ici sa raison d'être. Quant aux arti-
cles 2 et 33, une clause analogue leur est substituée (2). Ces
privilèges s'étendaient aux hommes du Chénoy et d' Amilly (3) .
La charte dont Pierre gratifia Bois-le-Roi (4) à l'autre extré-
mité du Gâtinais, en 1171, est absolument semblable à celle
que je viens d'analyser.
Pierre de Courtenay, fils de Pierre de France, épousa
Agnès , héritière des comtés d'Auxerre et de Nevers. Il ac-
corda les Coutumes de Lorris aux populations groupées sur
son domaine de Mailly qu'il avait acheté de sa belle-mère,
la comtesse Mahaud (5). La charte pour Mailly-le-Château
n'est pas datée (6). Elle est rendue au nom de Pierre et de
sa femme Yolande de Flandre. Elle n'est donc pas antérieure
à 1193, date à laquelle Pierre convola en secondes noces
(1) « Alienos autera Montis-Argi permanentes dominus eos tenebit ad jus
contra snosaccusatores. » Ibid., p. 402.
(2) « Nullus hominum de parrochia Montis-Argi , de quacumque re emerit
vel vendiderit nullam consuetudinem dabit. » Ibid., p. 401.
(3) « E© autem consuetudines sicut concesss sunt hominibas de Monte-
Argo similiter communes sunt hominibus qui habitant in Calceia qu© est inter
Burgum et domum Leprosorum. Homines de Casneio qui sunt positi in
consuetudinibus Montis-Argi et homines qui habitant in partem quam habe-
mus in Atrio Amiliaci eodem judicio et eodem modo tractabuntur quo et
illi qui sunt de castello. » La Th., p. 403.
(4) Bois-le-Roi, Seine-et-Marne, arr. et con Fontainebleau. — La charte
de Bois-le-Roi est publ. par La Thaumassière , Coût, loc, p. 413-414.
(5) 1207, charte de Pierre, comte d'Auxerre et de Tonnerre, où il rappelle
qu'il a acheté Mailly de madame Mahaud (le texte porte Maria), comtesse
de Tonnerre, et qu'il a rendu hommage pour cette terre successivement à
Marie, comtesse de Champagne, (régente jusqu'à la majorité de son fila Thi-
baud, arrivée le 29 juillet 1187,) à Thibaud, et à Blanche de Navarre. Chan-
tereau-Lefebvre, Traité des fiefs, preuves, p. 32.
(6) Charte publ. ap. Ord., t. V, p. 713-717. Je ne sais quelles sont les
raisons qui ont déterminé M. Quantin à dater cette charte de l'année 1206r
Rec. de pièces, n° 56, p. 26-27. — Mailly-le-Château, Yonne, arr. Auxerre,
con Coulanges-sur- Yonne.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 287
avec Yolande (1). De plus, Pierre y prend les titres de
comte (FAuxerre et de Tonnerre, seigneur de Mailly. A la
suite de démêlés avec Hervé de Gien , il avait été obligé en
1199 de lui donner en mariage sa fille Mathilde avec le comté
de Nevers pour dot (2). Dès lors, il cessa de s'intituler
comte de Nevers, qualification qu'il prenait toujours jusque-
là dans ses actes (3) et qui passa à Hervé (4). A partir de
1200, la suscription de ses chartes porte cornes Autissiodo-
rensis et Tornodorensis (5). D'autre part, après la mort de
Philippe, son beau-frère, arrivée en octobre 1212, le comte
cTAuxerre prit la qualification de marquis de Namur (6). Je
crois donc qu'il faut placer entre 1200 et 1212 l'acte par
lequel Pierre concéda les Coutumes de Lorris aux habitants
de Mailly-le-Château et ses faubourgs. C'est à peine si j'ai
besoin de rappeler qu'on a laissé de côté les articles portant
dispense de péages dans le Gâtinais , articles dont j'ai signalé
la suppression dans la charte de Montargis. La franchise s'ac-
quérait par résidence d'an et jour à Mailly. Les serfs des
chevaliers, dont les fiefs relevaient du château de Mailly,
ne pouvaient toutefois se prévaloir de cette prescription (7).
(1) Lebeof, Mém concernant Vhist. d'Auxerre, éd. Chatte et Quantin, t. III,
p. 127.
(2) Voyez Lebeuf, Op. cit., t. III, p. 132-133.
(3) 1188, charte de Ph.-Ang., « Cognatus noster Petras cornes Niver-
oensis. » (Lebeuf, éd. Challe, preuves, n<> 78, t. IV, p. 57.) — 1188, 29 juil-
let : « Ego Petrus cornes Niverneusis. » {Ibid., n° 79, p. 58.) — 1190,
c Petras... Nivernensis cornes. » {Ibid., n° 80, p. 58; no 81, p. 58.) — 1193,
« Ego Petras Nivernensis cornes. » {Ibid., n° 85, p. 60.)
(4) 1205, 25 août. « Ego Herveus cornes Nivernensis. » (Lebeuf, Op. cit.,
n<> 101, p. 68). Hervé prend le même titre en 1207. {Ibid., n« 102, p. 69.)
(5) 1200 , charte de Ph.-Aug. : « Quod cornes Petras Autissiodorensis et
Tornodorensis.» (Lebeuf, Op. cit., n° 87, t. IV, p. 61.) — 1209, « Ego Pe-
tras cornes Autissiodor, » (n° 104, p. 69). — 1209, « Ego Petrus cornes
Aatissiodorensis et Tornodorensis. » {Ibid., n° 105, p. 69.) — Juillet 1210,
même suscript. {Ibid., n» 109, p. 71); sept. 1210, idem, (Ibid., no 110, p. 71).
(6) Voyez : Lebeuf, Op. cit., t. III, p. 144. — Janv. 1213,(1214) « Ego
Petrus marchio Namucencis et cornes Autiss. et Tornod. » {Ibid., n° 120,
t. IV, p. 76); (n<> 121, p. 76). — 1214, « Ego Petras marescalas Namu-
eensis, cornes Autissiodor. et Tornod. » {Ibid., no 122, p. 76.) — Il est vrai
qu'en novembre 1216 , on trouve : « Ego Petrus cornes Autissiod. et Tor-
nodor. » {Ibid., no 134, p. 81).
(7) Art. 18 de Lorris «. . .Quitus permaneat ; hoc tamen observato quod si
288 LBS COUTUMES DE LORRIS
Le seigneur pouvait exiger des habitants possesseurs de
chevaux et de charrettes qu'ils transportassent une fois par
an ses vivres à Bétry (1), Voutenay (2) ou Coulanges (3) ; et
aussi son bois à brûler de la forêt de Frétoy (4) à sa maison
de Mailly (5). Le cens est remplacé par un festage de 5 sous
par maison payable à la Saint-Remi en monnaie auxerroise ;
les clercs et les chevaliers en étaient dispensés (6). Les habi-
tants conservaient le droit d'usage qu'ils avaient d'ancienneté
dans le bois du Frétoy (7) ; les amendes pour les délits fo-
restiers étaient abaissées comme les autres, de 60 sous à
5 sous, et de 5 sous à 12 deniers. Une amende de 5 sous
frappait ceux qui chassaient dans la garenne; mais, à moins
de flagrant délit , on se disculpait de cette accusation par un
simple serment (8). Le comte confirma l'ancienne coutume en
vertu de laquelle la vente d'une maison n'emportait le paie-
ment d'aucun droit par le vendeur ou l'acheteur (9). Nous
aiiquis militum casatorum Mailliaci aliquem hominem apud [Mattliacum] pro
servo suo calumpniaverit et hec tercia manus militum et procioctu parentale
probare poterit, ille servus ultra quindecim dies non tenebitur apud Mail-
liacum; sed in salvo conductu extra castellaniam Mailliaci conducetur. a
(Ord., t. V, p. 716.)
(1) Bétry, lieu détrait au xiv° siècle, près Vermanton.
(2) Voutenay -sur -Cure, Yonne, arr. A vallon, c°» Vézelay.
(3) Coulanges-tur-Yonne, Yonne, arr. Auxerre, ch.-l. c°».
(4) La forêt de Frétoy est voisine de Coulanges.
(5) « Nullus hominum Mailliaci aliquam curvatam nec michi nec alteri faciat,
nisi tantum illi qui quadrigas babebunt, qui semel in anno, si submoniU
fuerint, quadrigas suas michi usque ad Betriacum vel usque ad Voletenetum
vel usque ad Collengias, pro cibis meis quadrigandis accomodabunt; et
semel in anno michi adducent ligna de Frétoy in domum meam de Mailliaco
ad comburendum si inde submoniti fuerint. » (Ord., t. V, p. 716.)
(6) a Quilibet hominum Mailliaci, singulis annis in festo Sancti Remigii ,
quinque solidos monet© Antissiodorensis pro festagio domus suas michi
dabit ; salva tamen libertate clericorum et militum qui nullum debent festa-
gium. » (Ord., t. V, p. 715.)
(7) « Homines de Mailliaco illam usagium habebant in bosco de Frétoy,
quem in eo semper habuerunt, hoc etiam observato quod forifacta mea de
bosco sicut et alia de sexaginta solidis ad quinque solidos et de quinque
solidls ad duodecim denarios veniant » (Ord., t. V, p. 717).
(8) « Si cul impositum fuerit quod in garena mea in planum ▼enatus
fuerit, solo juramento se deculpabit; alioquin , quinque solidos emendabit. »
(Ord., t. V, p. 717.)
(9) <c Quilibet hominum Mailliaci domum suam, quando voluerit, ad libi-
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 289
constatons l'introduction de deux articles de droit privé.
L'un n'accorde aux lignagers que le délai d'an et jour pour
faire valoir leurs droits sur un immeuble vendu , à moins
d'absence du lignager pendant l'année, auquel cas il peut
après ce délai revendiquer l'immeuble vendu en remboursant
à l'acquéreur le prix d'achat (1). L'autre article règle les
successions. Les biens du défunt passent à son hoir le plus
proche; si un bourgeois meurt sans laisser d'héritiers connus,
ses co-bourgeois détiennent sa succession pendant an et
jour; de façon à pouvoir la remettre à celui qui prouverait
son droit par témoins légitimes; si personne ne se présente,
les biens, à l'expiration du délai prescrit, reviennent au
seigneur de Mailly-le-Château (2).
La charte pour Mailly -la- Ville est semblable à la précé-
dente (3). Elle n'est pas davantage datée. Gui, comte de Fo-
rez, qui avait épousé en 1225 (4) Mahaud, fille de Pierre de
Courtenay, héritière du comté de Nevers, la confirma en
1229.
Robert de Courtenay (5), second fils de Pierre de France ,
dota, en 1216, le village de la Selles (6) en Berry, des Cou-
tumes de Lorris. La redevance annuelle due pour une maison
tom snum juxta antiquam domorum libertatem vendere poterit, nec pro ea
sire emptor sive venditor aliquam consuetudinem dabit. » (Ord., t. V, p. 716.)
(1) c Quicumque in parrochia Mailliaci domum suam aut praturn aut vineam
aut igrum aut quamcumque aliam possessionem, anno et die pacifiée tenuerit,
Dulli saper hoc de cetero respondebit , niai aliquis qui se jus sciât in hoc
habere et qui per illum annum extra patriam moram fecerit voluerit recla-
mare. » (Ord., t. V, p. 716.)
(2) « De excasuris ita erit quod semper ad propinquiorem heredem deve-
niet Si vero mortuus nullum heredem habuerit, burgenses Mailliaci tenebunt
per aoDum et diem in manu sua excasuram; et si infra illum termiuum
aliquis venerit qui se sciât jus habere in excasura, quiquid per legitimorum
tettimn probationem acquirere poterit, habebit; alioquiu, post annum et
et diem, ad dominum Mailliaci deveniet excasura. » (Ord., t. V, p. 717.)
(3) MaiUy-la-Ville, Yonne, arr. Auxerre, c°n Vermenton. — Charte publ. par
La Th., Coût, loc, p. 708-710, avec la confirmation par Gui de Forez en
1229, contenue dans un vidimus royal de 1382.
(4) Voy., Art de vérif. les dates, 3* éd., t. II, p. 469-470.
(5)Voy. P. Anselme, t. I, p. 481-482.
(6) La Selles-sur-Cher, Loir-et-Cher, arr. Romorantin, ch.-l. con. — Voyez»
sur CeUes-en-Berry, La Thaum., Hist. du Berry, p. 730. — Charte publ.
par La Th., Coût, loc, p. 83-84.
290 LES COUTUMES DE LORRIS
était d'un setier d'avoine , douze deniers de monnaie courante
et deux gélines (1). Le même seigneur fit la même concession
en 1219 aux habitants de Mehun-sur-Yèvre (2), village qu'il
tenait de sa femme Mahaud. En 1481, certains des privilèges
conférés par la charte de Lorris étaient encore maintenus en
faveur des bourgeois de Mehun. Le séjour dans le village ou
la « voirie » conférait la franchise (3). La réduction des
amendes subsistait (4). Les franchises de Mehun furent éten-
dues à Saint-Laurent-sur-Barenjon (5). A Mehun, comme à
Saint-Laurent les possesseurs d'une maison et d'un arpent de
terre devaient annuellement un setier d'avoine et douze de-
niers ; ceux qui n'avaient pas de maison n'étaient tenus qu'au
paiement d'une mine et de six deniers (6).
Gui de Forez et Mahaud sa femme , qui avaient confirmé
aux habitants de Mailly leurs privilèges octroyèrent en 1235
(1) « Quicuraque in parrochia Cellensi domum habebit pro domo sua dabit
unum sextarium avenae, duodecim denarios usualis monets et duos gallinas. »
La Th., Coût, loc, p. 83.
(2) Mehun-sur-Yèvre , Cher, arr. Bourges, ch.-l. c°». — La Th. n'a publié
qu'une traduct. de la charte de Mehun, Coût, loc., p. 425-426, qu'il a par
erreur datée de 1209; date qui n'a pas laissé que de le jeter dans rembarras
(Hist. du Berry, p. 378), la charte étant rendue au nom de Robert et de
Mahaud, dame de Mehun : or, en 1211, Mahaud offrait encore seule l'hom-
mage pour sa terre de Mehun à l'archevêque de Bourges. Il faut restituer la
date de 1219 donnée par la Coutume de Mehun de 1481.
(3) Coutumes de Mehung-sur-Yèvre mises par écrit en 1481, publ. par La
Th., Coût, toc, p. 375 et suiv. : « Et premièrement du droict des personnes,
qui est tel que, en icelle ville et veherye de Mehung-sur-Evre, n'a nuls gens
serfs ne de serve condition : ains que tout homme qui vient demourer en la
dicte ville et veherye de quelque lieu que ce soit est franc... par la cous-
tume sur ce notoirement tenue et gardée en la dicte ville et veherye de
tout temps et d'ancienneté comme il nous est aparu par letres et privilèges
faictes et données par Messire Robert de Corthenay et Mahault sa femme
seigneurs de Mehung , et dactées de l'an deux cens dix-neuf le premier jour
de juillet et seelées du seel des dicta seigneur et dame en cire rouge et laz
de soye. » Rubrique 1, art. I, Coût, loc, p. 376.
(4) Pour les bourgeois, l'amende de 60 s. est réduite |à 5 s. (Rubri-
que I, art. III, La Th., p. 376; rub. I, art. IX, p. 377). Celle de 5 s. est
réduite à 12 deniers (R. I, art. IV, p. 376; art. IX, p. 377).
(5) Saint-Laurent-sur-Barcnjon, Cher, arr. Bourges, con Mehun-sur-Yèvre.
Charte de 1234 (La Th., p. 426-428) concédant aux hommes de Saint-Laurent
c consuetadines Magdunenses secundum consuetudines Lorriaci, exceptis illis
fœminis qus marital© sunt hominibus aliis ab hominibus nostris. »
(6) La Thaum., Coût, loc, p. 426.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 291
les Coutumes de Lorris à leurs bourgeois de Vertnenton (1).
C'est la charte de Lorris moins les articles spéciaux (2). De
plus le cens y est dit festage (3). Le marché qui se tenait le
jeudi à Bétry est transféré à Vermenton (4). Un article règle
les successions (5). La protection des classes agricoles semble
avoir préoccupé tout particulièrement le comte Gui. C'est lui
qui défendit à ses barons de détruire les habitations des la-
boureurs et de saisir leurs bestiaux ou leurs instruments de
culture dans l'étendue du Nivernais, de l'Auxerrois et du Ton-
nerrois ; tout manquement à ces prescriptions entraînait pour
le seigneur coupable la confiscation de ses fiefs et le bannis-
sement (6).
Jean de Courtenay, seigneur de Champignelles, qui épousa
Jeanne, dame de Saint-Briçon , fille d'Etienne II de San-
cerre (7), confirma en avril 1303 à ses bourgeois de la châtel-
lenie de la Ferté-Loupière (8) les Coutumes de Lorris que leur
avait successivement concédées dès la fin du xne siècle les
comtes de Sancerre, Etienne I, Guillaume et Louis I.
Nous avons vu que Robert de Courtenay avait donné les
Coutumes de Lorris à deux villages du Berry. Mais, bien
auparavant , les comtes de Sancerre avaient fait pénétrer ces
Coutumes dans la région d'entre Loire et Cher. Ces deux
grandes maisons, de Courtenay et de Sancerre, si étroitement
unies par des liens nombreux de parenté et par le voisinage
(1) Vermenton, Yonne, arr. Auxerre, ch.-l. con. — Charte ap. Ord., t. IX,
p. 576-579. En 1214-15, Pierre de Courtenay et Yolande promettent à leurs
hommes de Vermenton et de Bétry de les maintenir dans leurs droits et coû-
tâmes; en 1231-32, Gui et Forez et Mahaud renouvellent cette promesse.
Quantin, Reckerchet sur l'hist. de Vermanton, Auxerre, 1876, in-8°, p. 9-10.
(2) C'est-à-dire les art. 15, 20-23, 26-29 delà charte de Lorris.
(3) Art. 1; Ord., t. IX, p. 577.
(4) Art. 6; JMd.
(5) Art. 5; Ibid.
(6) Ordonnance rendue par Gui, d'accord avec ses barons, en avril 1235,
publ. par Quantin, Rec. de pièces, n° 737, p. 387-388.
(7) Voyez P. Anselme, t. I, p. 486. Le P. Anselme donne ce Jean de Cour-
tenay comme fils de Robert I de Courtenay. Mais dans la charte pour La
Ferté, Jean nomme « Guillaume de Courtenay et Agnès, sa femme » ses feu
père et mère.
(8) La Ferté-Loupière, Yonne, arr. Joigny, con Charny. — Charte ap. La
Th., Coût, loc, p. 435437. La charte est du 21 avril 1303 (n. st.).
292 LES COUTUMES DE LORRIS
de leurs domaines , employèrent leurs efforts communs à ré-
pandre sur leurs terres les franchises de Lorris. Sancerre en
obtint l'octroi d'Etienne I (1). La Thaumassière a publié la
confirmation qu'en donna Louis II en 1327 (2). Mais ce texte
est très défectueux et présente des lacunes (3). Le comte se
réservait son tonlieu , son droit de ban-vin, son péage, ses
moulins , ses fours (4). Chaque feu était tenu au paiement
annuel de cinq sous (5). Des privilèges spéciaux étaient attri-
bués aux familles dont les membres remplissaient héréditai-
rement l'office de sergent (6). En 1190, la charte de Lorris
fut donnée à Barlieu (7) par le même seigneur. Le cens y est
de 12 deniers (8). C'est du même Etienne que Ménétréol-sous-
Sancerre (9) tenait les Coutumes de Lorris : la charte est pres-
que semblable à celle de Barlieu; toutefois le taux du cens
est de cinq sous. L'Êtang-le-Comte reçut les mêmes Coutumes
en 1199 de Guillaume, fils d'Etienne (10) : le taux du cens fut
maintenu à 6 deniers. En 1210, le frère de Guillaume,
(1) Probablement en 1190 avant le départ d'Etienne pour la Terre sainte
où il mourut au siège d'Acre.
(2) 1327 (1328, n. st.) 7 février. — La Th., p. 421-422.
(3) On m'a assuré qu'il n'en existait pas d'autre aux Archives de Bourges.
(4) a Notum facio.... quod cas tell u m meum de Sancero intra muros et
extra ad consuetudines Lorriaci amodo ait et in perpetuum , exceptis reddi-
tions meis, ttieloneo meo, banno meo in vino, pedagio meo, molendinis meis,
forais meis. De cœtero consuetudines autem Lorriaci Sancero constituo ob-
servari. » La Th., Coût, loc, p. 421.
(5) « Quicumque in terra mea de qua agitur domum habuerit in qua focuB
fiât pro domo iUa quinque solidos persolvat annuatim ; domus autem in qua
focus non fuerit, censam istam non debebit, necarea vacans; et si in eadem
domo plures manserint familiœ, singuli foci quinque solidos debebunt; si
antem una familia in mansione sua plures habuerit, non idcirco plusquam
quinque solidos persolvat. » La Th., p. 421.
(6) « NuIIub eorum qui quondam servientes erant de proprietate sua quam
vendet, aliquam dabit consuetudinem , vel imbreviaturas. Hœc sunt gênera
eorum qui servientes esse soient. . . » Ibid.
(7) Barlieu, Cher, arr. Sancerre, c°» Vailly. — Charte, La Th., p. 415-416.
(8) « Quicumque Barloci infra ambitum mûri domum habebit, pro domo et
pro quolibet arpento terrs, si in eadem parrochia habuerit, duodecim dena-
rioB census persolvat tantum; et si illud acquisierit ad censum domus su©
illud teneat. » La Th., p. 415.
(9) Ménétréol-sous-Sancerre , Cher, arr. et con Sancerre. — Charte confir-
mée en 1241, LaThaum., Coût, loc, p. 419-420.
(10} Charte publ. ap. La Th., Coût, loc, p. 416-418.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII1 ET XIIIe SIECLES. 293
Etienne, seigneur de Châtillon, assura aux habitants de Saint-
Brisson (1) la jouissance des Coutumes de Lorris dont son
père Etienne I les avait dotés. Les bourgeois devaient an-
nuellement un cens de deux sous de monnaie de Sancerre et
une mine d'avoine payables à la Saint-Remi (2). Ceux-ci,
ayant renoncé au droit de pâture et à l'usage du bois mort
dans les bois seigneuriaux , leur seigneur en retour réduisit à
trois semaines la durée de son ban-vin jusque-là illimitée (3).
11 les dispensa de tout péage (4) jusqu'à Châtillon-sur-
Loire (5), Concressault (6) et Pierrefitte (7), ainsi que de ton-
lieu dans l'étendue de ses terres (8).
Vers 1212, Archambaud de Sully fît rédiger pour ses hom-
mes de la châtellenie de La Chapelle Dam Gilon (9) une charte
de libertés où il inséra le tarif des amendes de Lorris (10). On
peut encore considérer comme emprunté à la même charte
l'article portant suppression de la prison préventive, dans le
cas où le prévenu fournit caution (11). Philippe- Auguste ,
(1) SaUU-Brisson, Loiret, ar. et c" Gien. — Charte , La Th., p. 423-424.
(2) « la censibus domorum, de quibus prœdicti burgenses debent duos so-
tidos Sacri Cœsaris monetœ, ad festum Sancti Remigii persoivendos et
nnam minam avene. » La Th., p. 423.
(3) « Et quoniam burgenses de Sancto-Bricio nobis et heredibus nostris,
dominis Sancti Bricii, quittaverunt pasturas et usuarium suum quod habebant
ad mortuum nemus in nemoribus nostris, volumus ut bannus noster qui erat
in villa nostra Sancti-Bricii ad volontatem nostram de vino nostro proprio de
cellario nostro vendendo , duret solummodo per très septimanas et incipiat
oltima die Maii. » La Th., Ibid.
(4) « Nullus eoram ad Castellionem nec ad Concorsault, nec ad Petram
fictam pedagium reddat. » Ibid.
(5) Châtillon-sur-Loire, Loiret, arr. et con Gien.
(6) Concrenault , Cher, arr. Sancerre, con Vailly.
(ï) Pierre/itU-èt-Bois , Loiret , arr. Gien, c«» Châtillon.
(8) « Nullus eorum in terra nostra jtahit tonleium. » La Th., p. 424.
(9) La Chapelle-d'Angillon, Cher, arr. Sancerre, ch.-l. c°». — Cette ville tire
son nom de Gilon de Sully, père d'Archambaud III. — L'orthographe ac-
tuelle était déjà adoptée au temps d'Expilly (t. II, p. 218).
(10) « Yolo quod forisfactum sexaginta Bolidorum ad V solidos parisienses,
et de quinque solidis par. ad duodecim denarios par. redigantur, nisi fori-
factum fuerit de furto vel raptu vel homicidio , quœ in mea remanebunt vo-
lontate... Pro clamoré facto ad prspositum, praepositus habebit quatuor tan-
tum denarios parisienses. » La Th., Coût, /oc, p. 78.
(11) « Neminem autem capiam seu capi faciam neque res ipsius nec incar-
296 LES COUTUMES DE LORRIS
CHAPITRE V.
Propagation des Coutumes de Lorris en Champagne.
Louis YII et Philippe-Auguste avaient accordé la charte de
Lorris à plusieurs villages voisins de la Champagne ; de là ,
chez les hommes du comte de Champagne une tendance à se
porter vers les franchises royales. J'ai rappelé plus haut les
traités intervenus au commencement du xm* siècle entre le
roi et la comtesse Blanche, à l'effet d'arrêter cette émigration.
Dès la fin du xn° siècle cependant les comtes avaient pris des
mesures plus efficaces en accordant à leurs sujets un grand
nombre de chartes de coutumes. Parmi ces chartes, quelques-
unes ont été copiées sur la charte de Lorris , d'autres ont été
rédigées sous son influence (1).
Les habitants de Chaumont (2) en Bassigny reçurent d'Henri
II, en 1190, les Coutumes de Lorris, comme le porte le
préambule de leur charte. Naturellement, les articles qui con-
tiennent des exemptions de péages dans le Gâtinais, sont
supprimés ; aucune disposition analogue pour la Champagne
ne les remplace. La résidence d'an et jour donne droit à la
participation aux privilèges de la paroisse de Chaumont. Mais
le comte s'engage à ne pas y retenir les hommes d'un certain
seigneur, Girard de Eschit. Cette charte diffère en quelques
points de celle de Lorris. Il n'y est question ni de l'host ni du
guet (excubiœ). Le comte se réserve le droit de faire amener
son vin de Bar à Chaumont, ou de tout autre endroit dans un
rayon de huit lieues. Il fixe à un mois la durée de son ban-
vin. Chaque laboureur ne paie aux sergents lors de la mois-
Ci) Voyez l'étude qu'a faite de ces chartes M. d'Artois de Jubainville, Hist.
des comtes de Champagne, t. IV, p. 707.
(2) Chaumont, chef-lieu du département de la Haute-Marne. — LaThau-
massière a publié la charte, Coût, foc, p. 428. Ces privilèges furent confir-
més en 1198 par Thibaud III, par Thibaud IV en 1228, par Thibaud V en
1259, et Philippe de Valois en janvier 1338.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 297
son que deux bichets de froment ; à Lorris , c'était une mine
de seigle. Les habitants de Chaumont ne sont justiciables que
du prévôt de cette ville. Les amendes infligées aux proprié-
taires d'animaux qui ont pénétré dans les bois seigneuriaux
sont en proportion des dégâts que ces animaux ont pu causer :
ainsi, pour le bœuf, la vache et son veau, le cheval, la ju-
ment et son poulain, on paye 12 deniers; mais on ne doit
que 4 deniers pour le porc et l'âne ; 1 denier seulement pour
la brebis et la chèvre.
En 1199, Thibaud III concéda à ses hommes de la châtelle-
nie à! Ervy (1) et aux aubains qui s'y établiraient la liberté de
Lorris « liber tatem Lorrwci. » La charte d'Ervy est toutefois
notablement plus courte que celle de Lorris; les privilèges
octroyés sont moins nombreux. D'abord, aucune restriction
n'est apportée au service d'host et de chevauchée (2). Une
seule corvée est réservée : les hommes d'Ervy amèneront le
vin seigneurial de Danemoine (3) à Ervy. Le cens est de six
deniers pour une maison et un arpent de terre; mais les an-
ciennes redevances dues pour les maisons et les terres sub-
sistent (4). La taille n'est pas abolie. Aucune disposition n'est
prise, propre à favoriser le commerce; cependant l'article 2
de Lorris est transcrit. Hais les articles 8-10 sont supprimés
ainsi quç les articles 20, 21, 23-29. Dans le cas où un homme
de la franchise meurt intestat et sans hoir, le comte hérite de
ses biens (5).
Nous devons passer à l'examen d'une série de chartes
champenoises , dont plusieurs antérieures aux précédentes, et
que M. d'Ârbois de Jubainville a regardées comme des abré-
(1) Ervy, Aube, arr. Troyee, ch.-l. c0*.— Charte, ap. Ord., t. VI, p. 199-
200.
(2) Art. 3 d'Ervy, Ord., t. VI, p. 201. « In expedicionem et exercitum ibunt,
quociens ex parte mea fuerint reqnisiti. »
(3) La Thanmasaière a la Denmoine; et les Ord., Denenrame.
(4) Art. 1, p. 200. « Qaicumque homo reus in Castellania Erviaci sive al-
banus infra terminos parrochie Erviaci manserit, pro domo sua et pro uno
'arpenno terre, sex denarios census persolvet; salvo michi et aliis dominis
censu nostro aliisque consuetadinibas que de domibus sive terris ab antiquo
debentur. »
(5) Art. 21, p. 202. « Si aliquis eonun intestatus obierit, herede suo non
apparente, res ejns mee eront. »
298 LES COUTUMES DE LORRIS
gés des Coutumes de Lorris (1). Jusqu'à quel point cette opi-
nion est-elle vraie ?
La plus ancienne est la charte concédée en 1165 à Chaour-
ce (2) et à Metz-Robert. La taille est supprimée. Les habitants
sont exempts de péage et de tonlieu sur les terres du comte.
Ils ne doivent l'host qu'au cas où le comte ou quelqu'un des
officiers de sa maison est présent à l'armée , et où ils peuvent
revenir le jour même chez eux. Il leur est loisible de quitter
le pays , après avoir vendu leurs maisons , leurs meubles et
leurs vêtements (permis). Le tarif des amendes est exactement
le même qu'à Lorris. Mais, chaque habitant doit rendre an-
nuellement à la Saint-Remi au comte et à l'abbé de Montié-
ramey 12 deniers et une mine d'avoine. Les privilèges de
Maraye-en-Othe (3) (1173) étendus en 1198 à Saint-Mards (4),
le Chemin et Vauchassis (5) sont semblables. Toutefois, les
hommes qui ne possèdent pas d'animaux propres au labou-
rage ne payent que 12 deniers. On voit qu'il n'y a dans ces
chartes qu'un souvenir assez vague des Coutumes de Lorris ;
l'influence n'est évidente qu'en ce qui concerne les amendes.
Remarquons que les habitants de Maraye-en-Othe étaient forts
voisins de Villeneuve -l'Archevêque dotée en 1172 de la
charte de Lorris.
Les privilèges de ViUeneuve-au-Châtelot (6), donnés par
Henri I en 1175, s'éloignent bien plus encore de ceux de
Lorris. Comme à Maraye , les habitants doivent annuellement
chacun 12 deniers et une mine d'avoine; ce qui ne les em-
pêche pas de rendre encore 4 deniers de cens par arpent de
terre. Nous retrouvons le tarif d'amendes de Lorris. Toute-
ois, l'amende de 60 sous subsiste pour blessure faite sans
arme le jour du marché. Dans le cas de provocation au duel
(i) D'Arbois, op. cit., t. IV, p. 709-710.
(2) Chaowce , Aube , arr. Bar-sur-Seine, ch.-l. con. — Charte publ. par
d'Arbois, Voyage paléograph. dans le département de VAube, p. 69-71.
(3) Maraye-en-Othe, Aube, arr..Troyes, c0B Aix-en-Othe. — Charte publ. ap.
d'Arbois, Hist. des comt., t. III, p. 462-463.
(4) Saint-Mards , Aube, arr. Troyes, con Aix-en-Othe.
(5) Vauchassis, même arr., con Estissac. — Charte de 1198, ind. ap. d'Ar-
bois, Catalogue, n°466.
(6) Villeneuve-au-Châtelot, Aube, arr. Nogent-sur-Seine, c°* Villeneuve. —
Charte publ. ap. Ord., t. VI, p. 319-320.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 299
judiciaire, les parties peuvent s'accorder après la remise des
gages en payant chacune 2 sous et 6 deniers au prévôt, et, si
les otages ont été constitués , 7 sous et 6 deniers ; mais , le
prévôt est libre de permettre ou non l'accord. Le vaincu d'un
duel doit 100 sous. Ainsi, voilà plusieurs articles qui ont pu
être inspirés par la charte de Lorris; mais ils ont subi des
modifications très importantes. Enfin, et cela établit entre les
deux chartes une différence capitale , les habitants de la ville
neuve élisent six échevins qui administrent le bourg de con-
cert avec le prévôt et assistent à ses plaids.
En 1198, Thibaud III détermina les charges et les droits
des hommes de Jonchery, La Harmand, Treix et Bonmar-
chais (1), domaines de l'abbaye Saint-Remi de Reims. La
charte de Lorris n'a fait sentir ici son influence qu'en un seul
point : la Coutume de Chaumont doit régler les amendes des
forfaits et des duels : depuis 1190, Chaumont se régissait
d'après les Coutumes de Lorris.
La comtesse Blanche s'associa en 1200 à l'abbé de Montié-
ramey pour fonder une ville neuve à Pargues (2). La charte
de pariage fixe les coutumes. Une seule disposition a pu être
empruntée aux Coutumes de Lorris : le droit de bourgeoisie
s'acquiert par résidence d'an et jour, à moins de juste récla-
mation d'un seigneur pendant ce laps de temps; encore, la
rédaction de cette clause est-elle très différente dans les deux
chartes (3).
Quant aux chartes de la Montagne au delà de l'Aisne (4)
(1) Jonchery, Hante-Marne, an*, et c°n Chaumont en Bassigny. — Treix,
arr. et c°* Chaumont. — Charte publ. ap. Ord., t. VIII, p. 408.
(2) Pargues, Aube, arr. Bar-sur-Seine, con Chaource. — Charte de pariage
ap. Cariul. de Montiéramey, B. Nat., ms. lat. 5342, f° 66 r«-67 v°. —
Publ. ap. Teulet, Layettes, 1. 1, p. 346, n» 915.
(3) M. d'Arbois de J. n'a d'ailleurs pas rattaché les Coutumes de Pargues
à celles de Lorris. — a Quicumque eciam in eadem villa per annum et diem
manserit, nisi dominos suus eum infra annum et diem coram prepositis de
Pargis reclamaverit , si facultatem habuerit reclamandi, in eadem villa sicut
abus quilibet burgensis sine contradictione remanebit. » B. Nat., ms. lat.
5432, f« 67 y*.
(4) Charte de la Montagne concédée par Thibaud III en oct. 1200, d'Ar-
bois, Catalogue, n° 523. — Bibl. Nal., Cartul. de Champagne, ms. lat. 5992,
f • 44 r«.
300 LES COUTUMES DE LORRIS
(oct. 1200), de Maurupt (1) (nov. 1200) et de ViUiers-en-Ar-
gonne (2) (oct. 1208) toutes trois identiques, il est impossible,
non-seulement d'y voir un abrégé de la charte de Lorris,
mais même de les y rattacher par quelque point que ce soit.
En voici les dispositions. L'administration n'est pas toute
entre les mains du seul prévôt. A Maurupt, à côté de lui, il
y a un maire élu par les habitants. A la Montagne , quatre
jurés veillent au maintien des droits du comte et de la com-
munauté. En justice, leur témoignage prévaut. La même ins-
titution existait à Villiers-en-Argonne. Et il est probable qu'il
faut assimiler ces jurés aux échevins mentionnés dans la
charte du pariage (3) conclu entre l'abbé de Saint-Remi et la
comtesse de Champagne pour la fondation de cette nouvelle
ville. La taille à la volonté du seigneur est abolie ; des rede-
vances annuelles basées sur la quantité de terre ou le nombre
d'animaux possédés par le laboureur la remplacent. Ce n'est
pas là un trait suffisamment caractéristique. Dans la plupart
des chartes de coutumes , on trouve la suppression des exac-
tions arbitraires. La présence à l'armée du comte ou d'un de ses
officiers est nécessaire pour que le service militaire puisse être
exigé des hommes de ces trois villages. A Lorris, la restric-
tion à ce service était d'une autre sorte. Le sang versé entraîne
une amende de 15 sous; la simple amende est de 12 deniers.
La punition du vol, du rapt, de l'homicide et du meurtre est
réservée au comte. Les amendes imposées aux plaideurs qui
avaient recours au duel judiciaire sont très différentes de
celles des Coutumes de Lorris. Le tarif des amendes est ce-
pendant l'article de ces Coutumes qui a été le plus répandu ;
il a pénétré là même où les autres dispositions n'ont laissé
aucune trace. Les habitants de la Montagne , Maurupt et Yil-
liers peuvent quitter ces terres et obtiennent un sauf-conduit
(i) Maurupt, Marne, arr. Vitry-le-François , con Thiéblemont. — Charte,
publ. ap. de Barthélémy, Diocèse ancien de Chdlons-tur-Marne , t. II, p. 109-
110.
(2) VUliers-en-Argonne, Marne, arr. et c°* Sainte-Ménehould. — Charte don-
née par Blanche de Navarre, oct. 1208. — Pièces justifie., n<> XVII.
(3) « Notandum quod prepositus monacus noster, qui in eadem villa ma-
nebit pro nobis, et prepositus comitisse majorem et scabinos eligent per com-
mune. » B. Nat., ma. lat. 5992, f» 181 v°.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII6 SIECLES. 301
du comte. Ils doivent dans ce cas vendre leur maison ou la
louer, mais non la détruire.
Si ces trois chartes ont dans leur allure générale une cer-
taine ressemblance avec les Coutumes de Lorris , c'est qu'il
est impossible qu'il n'y ait pas une analogie entre des textes
rédigés sous l'influence des mêmes idées, dans le même but,
à la même époque , et dans deux régions où l'état social ne
différait guère. D'ailleurs, à s'en tenir aux grandes lignes, tà
ne pas entrer dans les détails, toutes les franchises de vil-
lages, au xne siècle et dans le centre de la France, se ressem-
blent : aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Des ressem-
blances très caractéristiques permettent seules d'établir la
parenté de plusieurs chartes de coutumes.
En résumé , Chaumont en Bassigny et Ervy sont les deux
seules villes qui aient reçu des comtes de Champagne les
Coutumes de Lorris.
Les chartes de Chaource et de Maraye-en-Othe ont subi
légèrement l'influence de ces mêmes Coutumes sans qu'elles
en soient un abrégé : on y retrouve le même tarif d'amendes
qu'à Lorris.
Quant aux chartes de Villeneuve-au-Châtelot, de la Mon-
tagne au delà de l'Aisne , de Maurupt et Villiers-en-Argonne ,
aucun de leurs articles n'a été emprunté à la charte de Lor-
ris ; on n'y retrouve pas même son influence.
Nous avons vu l'immense succès de la charte de Lorris,
et, comment gagnant de proche en proche, elle était devenue
aux xii6 et xiii6 siècles la loi d'un grand nombre de villages
du centre de la France.
La cause de sa diffusion , on pourrait dire de sa popularité
se trouve dans ce fait qu'elle était également profitable aux
habitants des petites villes qui les recevaient et aux sei-
gneurs qui les concédaient. Il est vrai qu'elle ne conférait
aux premiers aucune espèce de droit politique. Mais les
paysans , occupés à la culture de la terre , étaient sans doute
peu jaloux de participer à l'administration. 11 leur suffisait
d'être à l'abri de toute exaction : or, comme on l'a vu , cette
garantie de leur liberté individuelle et de leur fortune, ils
Revue hist. — T. VIII. 20
302 LES COUTUMES DE LORRIS ET LEUR PROPAGATION.
Jp, trouvaient dans la charte ,de ^qnfis. D'autre part, l'octroi
de cette charte était pour les seigneurs un moyen, d'^t^r
„çur leurs terres de pouypaujt h^bitajits et d'accroître ,^urs
,reyfmjw.
iPp pp doit pas nQa plus;oublipr qu?a,vant de devepir^çirte
^igppuriale, la charte de Lorris a,vait été royale. Les rças-
^fti^x (du roi p'ppt C9.it qpo spiyre la voie que leur ayait
montrép Ipur suzerain. Et couvent ,même les seigneurs,
.mpip& gép^rppx que le roi, ont supprimé ou modifié tes
.ç}ausep qui .leur paraissaient entraîner une trop grand e-dimi-
.pution.de Jeuçs droits,. Si laih^rte dp Lorris n'est pas .typlps
.ancienne des chartes de coutumes, c'est tout.au mpjps ,)&
première qui, dans .le cqptre de la France, ait été rédigée ay^c
autant d'ampleur et de précision. De telle sorte qu'on peut
dire que Louis VI et Lpuis VII ont pris, à leur plus grande
gloire, l'initiative de l'amélioration du sort des .çlaq^çp agri-
coles.
LISTE CHRONOLOGIQUE
DES CHARTES COPIÉES EN TOTALITÉ OU EN PARTIE
PIJR.XJÇS CQUTU^ŒS DE LOR^IS.
1 (p. 268) (1).
Le Moulinet (Loiret, air. et con Gien).
JEotre 1108 et 1137. — Louis VII accorde ajix. habitants du
.Moulinet les Coutumçs de Lorris comme en témoigne une
coqûrmation de Louis VII donnée à Lorris en 1159,
Copie d'après l'original, Cartul. I de Fleury, XVIII s.,
p. 17-19, archives du Loiret. — Autre copie, Bibl. Nat., col-
lect. Duchesne, vol. ,^8, f° 83.
Publ. La Thaumassière , Coût, loc., p. 397-399. — Orfl.,
t. XI, p. 204 , d'après La Thaum.
Indiq. Bréquigny, Table des diplômes, t. III, p. 277.
2 (p. 268).
Chapelle-la-Heine (Seine-et-Marne , arr. Fontainebleau ,
cn.-l. canton).
Entre il 08 et 4437.
1486, 7e a. du règne (du 43 avril au 34 octobre), Vitry-
aux-Loges. — Philippe-Auguste confirme les coutumes accor-
dées aux habitants de la Chapelle par Louis VI et Louis VII;
certains articles ont été empruntés aux Coutumes de Lorris.
Publ. La Thaum., Coût, loc, p. 707, d'après le Mémorial 0
de la Chambre des comptes, f° 47. — Ord., t. XI, p. 239-1240,
d'après le même Mémorial. — Ord., t. XVII, p. 324, d'après
un vidimus de 4470, JJ 495, pièce n° 475.
Confirmation de Louis XII, à Blois, décembre 4509, indiq.
ap. buUetin de la Soc. drchéolog. de l'Orléanais , t. III , p. 54 .
Indiq. Bréquigny, Table des dipl, t. IV, p. 82.
(1) J'indique pour chaque charte la page du présent travail où Ton trou-
vera des renseignements plus complets sur cette charte.
\
304 LES COUTUMES DE LORRIS
.3 (p. 273).
Yèvre-le-Châtel (Loiret, arr. et con Pithiviers).
Entre 4137 et 1152. — La concession des Coutumes de Lor-
ris aux habitants d'Yèvre par Louis VII, roi de France et duc
d'Aquitaine, est constatée dans un arrêt du Parlement de
1272.
Indiq. Boutaric, Actes du Parlement, n° 1837, t. I, p. 169.
Publ. Beugnot, Olvm, t. I, p. 901.
4 (p. 267).
Sceaux en Gâtinais (Loiret, arr. Montargis, cou Ferrières).
1153, 17e a. du règne. Actum Bussis. — Louis VII accorde
aux hommes de Sceaux des coutumes semblables à celles de
la Chapelle-la-Reine (voy. n° 2).
Publ. La Thaum., Coût. loc.9 p. 706, d'après le Cartul. de
l'abbaye de Saint-Maur, f° 152 v°. — Ord., t. XI, p. 199, d'a-
près La Thaum.
Indiq. Bréquigny, Table des diplômes, t. III, p. 214.
5 (p. 270).
Villeneuve-le-Roi (Yonne, arr. Joigny, ch.-l. con).
1163, Sens. — Louis VII fonde une ville neuve sur une
terre achetée de l'abbaye de Saint-Marien d'Auxerre, et la
dote des Coutumes de Lorris.
Publ. Ord.t t. VII, p. 57, d'après un vidimus donné par
Charles VI à Paris en février 1383, Arch. nat.,33 124, pièce
n° 97. — Quantin , Cartul. de l'Yonne, t. II, p. 160, n° 145,
d'après une copie du 1er avril 1467 émanée de la prévôté de
Villeneuve, aux Arch. de V Yonne.
6 (p. 298).
Chaource (Aube, arr. Bar-sur-Seine, ch.-l. con).
1165 (du 4 avril 1165 au 23 avril 1166), Troyes. — Henri,
comte de Champagne, donne aux habitants de Chaource des
privilèges , et spécialement le tarif d'amendes de la charte de
Lorris.
Publ. d'Arboi* J~ ^^nville, Voyage paléograph. dans le
BT LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII0 SIECLES. 305
dép. de l'Aube, p. 69-71, d'après un vidimus de 1412 aux
Arch. de Chaource. — Indiq. par d'Arbois, Catalogue des actes
des comtes, n° 135.
7 (p. 270).
Sennely (Loiret, arr. Orléans, con La Ferté-Saint- Aubin).
1165, Châieauneuf. — Louis YII accorde les Coutumes de
Lorris à son village de Sennely, ruiné par les exactions des
sergents royaux et des seigneurs voisins.
Publ. Ord., t. XIII, p. 520-521, d'après un vidimus de
Charles VII à Bourges en novembre 1447, 26e a. du règne,
contenant une précédente confirmation du roi Jean à Paris ,
mars 1360, JJ 179, p. n° 26, f° 12 r°.
8 (p. 271).
Lorrez-le-Bocage (Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau,
ch.-l. c0B).
1169, Orléans. — Louis VU déclare avoir été associé par
H., abbé de Bonneval, à la jouissance du territoire dépendant
de Lorrez et Préaux; les coseigneurs y établiront une ville
neuve qui sera régie par les Coutumes de Lorris.
Copie, Bibl. nat., Collect. Ducheme, vol. 78, f° 226, avec
une confirmation de Philippe le Bel en décembre 1292 à
Paris.
Publ. D. Thiroux et D. Lambert, Histoire abrégée de l'ab-
baye de Saint-Florentin de Bonneval, éd. par Beaupère et Le-
jeune, Châteaudun, 1876, in-8°, p. 74-75. — La Thaum.,
Coût, loc, p. 396-397, sous la date de 1179, d'après un
vidimus de Philippe le Bel donné à Paris le 24 décembre
1295. — Ord., t. XI, p. 213, d'après La Thaum.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. III, p. 553. — La
Thaum., p. 391. — Collect. Gaignières, 191, ms. lat. 17139,
p. 18.
9 (p. 284).
Montargis (Loiret, ch.-l. d'arr.).
1170. — Pierre de France, frère de Louis VII, accorde aux
habitants de Montargis les Coutumes de Lorris. Il y apporte
quelques modifications.
306 LB8 COUTUMES DE LORRI8
Copié, Collect. Duckesne, vol. 78, f* 68.
Publ. Dubouchet, Hi$t. généalogique de la maison de Cour-
tenay, Preuves, p. 7, d'après le registre de Philippe le Long,
p. n* 90. — La Thaum., Coût, loc., p. 401, ch. V, d'après le
même registre. — Ibid., p. 401-403, ch. VI, d'après l'original
de la confirmation donnée par Ph. le Long à Châteauneuf-sur-
Loire, avril 1320.
Indiq. Ms. E 426 de la Bibl. de Montargis (xvni* s.), p. 5.
— Ms. n° 478, même Biblioth., 2e vol., p. 631. La charte y
est indiquée à la date du 18 nov. 1170. — Bréquigny, Table
des diph, t. III, p. 430.
10 (p. 286).
Bois-le-Roi (Seine-et-Marne, air. et c°* Fontainebleau).
1171, — Pierre de France donne à ses hommes de Bois-le-
Roi les Coutumes de Lorris.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 413-414.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. III, p. 455.
11 (p. 270).
Villeneuve-V Archevêque (Yonne, arr. Sens, ch.-l. cant.).
1172, Sens. — Guillaume, archevêque de Sens, dans le but
<f accroître la ville neuve, à laquelle l'avait' associé le cha-
pitre de Saint-Jean de Sens, lui donne les Coutumes de
Loms.
Traduction du xin* s., publ. par Quantin, Cartulaire de
l'Yonne, n° 225, t. H, p. 240-242, d'après une pièôe des Ar-
chîvei dé V Yonne, qui renferme aussi la confirmation par Mi-
chel,' archevêque, eh 1197.
12 (p. 298).
Mataye-en-Othe (Aube , arr. Troyes , c0ft Aix).
1173, Troyes. — Henri Ier, comte de Champagne, conclut
avec les habitants de Maraye une convention , en vertu de
laquelle il leur donne des privilèges, où a été introduit le tarif
des amendes de Lorris.
Publ. d'Ajrbois de Jubainville , Hist. des comtes de Cham-
pagne, t. III, p. 462-463.
Indiq. Ibid. Catalogue des actes des Comtes, n° 214 bis.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 307
13 (p. 272).
Courcelles-le-Roi , et autre? Villages1 dé la pesté <fr Lorris
(Loiret, arr. MbntargW, c6"* Bëatihe-la-Jlolaûde).
fl7#, Étaûipe& — Louis VlP cbncède les Coutumes et liber-
tés de lorris à il vidages sïs dais la posté de Lorris.
ftttf. Ont., t. X, p*. 49-52, d'apr& un vrdimus de Charles
VI, Paris, janv. 1412, la 38* a', d'à règne, JJ 166, p. né 440,
f»275v°-f°276'rV
14 (p. 282).
Chalou-la-Reine (auj. ChaTou-Moulineux , Seine-et-Oise,
arr. Étampes , c0* Méréville).
1*75, Ptfris.' — Louis VII confirme l'octroi fait par la reine
Adèle, aux habitants <fe Chalou (Sonchafo) des Coutumes de
Lorris.
PiM. Orâ., t. VII'ï, p. 34-35, d'après uri vidfimus de Charles
VI à Paris* janviefr 1395, 16e a. du règne. — Hubert^ Anti-
quités histor. de l'église Saint-Aignan (FOrléafts, Preuves,
p. 83.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. III , p. 505.
15 (p. 270).
Èôu&fon (Yonne, arr. Joigny, c6* Villeneùve-sur-Yorine).
117!>. — Guillaume , archevêque dé Sens, fonde à Rousson
ùùë ville neuve qu'il dote des Coutumes de Lorris.
AM. Quantin, CartuL de l'Yonne, n° 254, t. II, p. 2YÔ-274,
d'après une charte dé confirmation de Gautier, archevêque
de Sens, datée de 1223, Arch. de l'Yonne.
16 (p. 2Ï3).
Flagy (Seiné-ét-Màrriè , arr. Fontainebleau, con Lôrrez),
et Bichereau (même canton, commune Thoury-Férottes).
1177. — Louis VII fait savoir qu'il a été associé à la pos-
sedlton des terres dé Flagy et Bichereku par Hugues le Noir
etmàdâme Fàida, pour y établie dés hâtes, tégis par leë Cdu-
tûtoes dé Lorris.
Pièces justificatives, n° VII, d'après le reg. C de Phil.-Aug.,
Arch. Itat., JJ 7 -g, 2é partie, î° 76 r°.
308 LES COUTUMES DE LORRIS
17 (p. 273).
Ferrières (Loiret, air. Montargis, ch,-l. canton).
1185, 7e a. du règne (entre le 1er nov. 1185 et le 12 av.
1186). — Philippe-Auguste accorde aux hommes de la pa-
roisse de Saint-Éloi et de la banlieue de Ferrières , affranchis
par l'abbé Arnoul , les Coutumes de Lorris , en partie seu-
lement, et spécialement en ce qui touche les amendes.
Publ. D. Morin, Hist. du Gastinois, p. 705-709, d'après
l'original. — Indiq. Delisle, Calai., n° 145.
18 (p. 274).
Boiscommun (Loiret, arr. Pithiviers, con Beaune).
1186, 7e a. du règne (du 13 avr. au 31 oct.), Lorris. — Ph.-
Auguste confirme aux habitants de Boiscommun les Coutumes
de Lorris qu'ils avaient obtenues de Louis VII.
Publ. Ord., t. IV, p. 73-77, d'après un vidimus du roi Jean
donnée Vaudreuil, avril 1351, JJ 81, n° 204, f° 113. —Indiq.
Delisle, Catal., n° 163. — Bréquigny, Table des dipl., t. IV,
p. 82.
19 (p. 274).
Angy (Oise, arr. Clermont, con Moui).
1186, 8e a. du règne (entre le 1er nov. 1186 et le 28 mars
1187), Pontoise. — Ph.-Aug., en même temps qu'il renouvelle
le pariage intervenu entre son père et les chanoines de Saint-
Frambaud de Senlis, pour le village d'Angy, accorde aux
manants trois privilèges probablement empruntés à la charte
de Lorris.
Publ. Ord., t. IV, p. 129-130, d'après un Vidimus du roi
Jean, mai 1363, JJ 96, n° 92.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. IV, p. 82.
20 (p. 274).
Voisines (Yonne, arr. Sens, con Villeneuve-1' Archevêque).
1187, 8e a. du règne (du 29 mars au 31 octobre), Sens. —
Philippe-Auguste accorde les Coutumes de Lorris aux habi-
tants de Voisines.
Copie, Biblioth. Nat., CoUect. Duchesne, vol. 78, f° 81.
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIII0 SIECLES. 309
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 399. — Ord., t. VII, p. 455,
d'après un vidimus de Charles VI daté de Paris en février
1391, JJ 143, n° 30, f° 18. — Quantin, Cartel, de r Yonne,
t. II, p. 381-383, d'après une copie duxvn' siècle, faite sur
le vidimus de 1391, Arch. de l'Yonne, fonds de l'abbaye de
Saint-Jean de Sens.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. IV, p. 95. — Delisle,
Cotai., n° 194. — Quantin, Recherches sur le Tiers-État, pp.
23, 99.
21 (p. 274).
Nonette (Puy-de-Dôme, arr. Issoire, coa Saint-Germain-
Lembrun).
1188, 9e a. du règne (entre le 17 avril et le 31 octobre), Le
Pui. — Philippe- Auguste accorde les Coutumes de Lorris aux
habitants de Nonette.
Pièces justif., n° XII, d'après un vidimus de 1290, Arch.
nat., J 1046, n° 2.
Indiq. Rivière, Hist. des institut, de V Auvergne, 1. 1, p. 266,
sous la date de 1288.
(p. 276).
«
Saint- Àndré-le-Désert (Saône-et-Loire , arr. Mâcon, c0D
Cluny).
1188, février (1189, n. st.), Sens. — Philippe-Auguste
prend les habitants de Saint-André sous sa protection et leur
accorde les Coutumes de Lorris , à condition qu'il percevra
la moitié des revenus de cette posté.
Publ. Ord., t. XI, p. 252, d'après Rouvière, Historia mo-
nasterii S. Joannis Reoamensis , p. 220.
Indiq. Delisle, Catal., n° 229.
23 (p. 278).
Dixmont (Yonne, arr. Joigny, c0tt Villeneuve-sur-Yonne).
1190, 11e a. du règne (du 25 mars à juillet), Fontaine-
bleau. — Philippe-Auguste accorde les Coutumes de Lorris
aux habitants de Dixmont.
Copie, Collect. Duchesne, vol. 78, f° 66.
Publ. Galand, Traité du franc-aleu, p. 375, d'après l'orig.
3t0 LÉS COUTUMES DE LORïtIS
— La Thaum., Coût, loô., p. 432, d'après Galand. — Ord.,
t. XI, p. 268, d'après les précédents.
Indiq. Bréquigny, Table dès dipl., t. IV, p. 15Ù. — Dfe-
lisle , Calai., n° 275. — Confirmation de 140#, in^iij. par La
Thaûtfi., p. 391.
24 (p. 292).
Barlieù (Cher, arr. Sancerre, con Vailly).
1190. — Etienne I, comte de Sancerre, concède les (Sot*-
tumes de Lorris à ses hommes de la paroisse de Barlieu.
Copie, Collect. Duchesne, vol. 78, î° 85, ex transcripto sub
sigilio ducis Bituric. praepositurae antiquorum ressôrtorom
Albigniaci et de Concorcello.
Publ. La Thaum., Coul. loc, p. 415-416.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. IV, p. 133'.
25 (p. 292).
Sancerre (Cher).
Entre 1152 et 1190. — Etienne I, comte de Sancerre, avait
accordé aux habitants de son château de Sancerre les Cou-
tumes de Lorris, comme en témoigne la confirmation du
comte Louis II, donnée le 7 février 1327 (1328, n. st.).
Publ. La Thàum., Coût. l6c., p. 421-422.
26 (p. 293).
Saint- Brisson (Loiret, arr. et c°* Gien).
Entre 1152 et 1190. — Octroi des Coutumes de Lorris aux
habitants de Saint-Brisson , par Etienne I, comte de Sancerre,
constaté dans la confirmation d'Etienne, seigneur de Châ-
tillon, en date de Châtillon, sept. 1210.
Copie, Collect. Duchesne, vol. 78, f° 77.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 423-424.
Indiq. Table des dipl., t. IV, p. 488.
• i
27 (p. 292).
Ménétréol-sous-Sancerre (Cher, arr. et c0B S an ceinte).
Entre 1152 et 1190: — Les habitants de la1 paroisse de Mé-
nétréol avaient obtenu d'Etienne I lès Coutumes dé Lorris ,
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 311
comme en témoigne la éonfirmation de Louis I, comte de
Sancerre, en 1241.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 419-420.
28 (p. 291).
La Ferté-Loupière (Yonne, arr. Joïgny, cta Charny).
Entre 1152 et 1190.
1302, 6 avril. — Jean de Courtenay, chevalier, seigneur
de Champignelles , et Jeanne, sa femme , confirment les habi-
tants de la châtellenie de la tferté , dans la jouissance des
Coutumes et franchises de Lorris , qu'ils tenaient des conces-
sions des comtes de Sancerre, Etienne I, Guillaume I, Louis I,
et de Guillaume de Courtenay et Agnès, sa femme.
Publ. Du Bouchet, Hist. généalog. de la maison de Cour-
tenay, Preuves, p. 74, d'après l'original autrefois au Trésor de
Chevillon. — La Thaum., Coût, loc., p. 435, d'après le même
original.
Indiq. Bréquigny, Tabl. des dipl., t. VII, p. 573.
29 (p. 296).
ChaumOnt-en-Bassîgny (Haute-Marne).
1190 (après le 24 mars), Troyes. — Henri II de Champagne
accorde aux habitants de Chaumont les Coutumes de Lorris.
Copie, Collect. Duehesne, vol. 78, f° 75.
Publ. La Thaum., Coût, loc, p. 428-430, avec les confir-
mations de Thibaud III (1198), de Thibaud IV (1228), de
Thibaud V (1259). — Ord.9 1. XII, p. 48-53, d'après La Thaum.
Indiq. d'Arbois de Jubainville, Catal. des actes des comtes,
n° 403, t. III, p. 397 ; n° 467, t. V, p. 14; n° 1894, t. V, p. 262.
La Thaumassière a publié, p. 431-432, des lettres de Phi-
lippe VI données à Paris en 1338 apportant quelques modifi-
cations à la charte précédente.
30 (p. 294).
Marchenoir (Loir-et-Cher, arr. Blois, ch.-l. c0B).
1193. — Louis, comte de Blois, concède aux habitants de la
ville et des bourgs de Marchenoir des coutumes pour la plu-
part calquées sur celles de Lorris.
Publ. Poulain de Bossay, Chartes octroyées par Louis I,
312 LES COUTUMES DE LORRIS
Châteaudun, 1875, in-8°, p. 19-22, d'après un vidimus du 22
jauv. 1481, Bibliothèque de Châteaudun, L 17.
31 (p. 298).
Saint -Mards (Aube, arr. Troyes, con Aix-en-Othe) et Vau-
chassis (arr. Troyes, con Estîssac).
1198, Troyes. — Thibaud étend les privilèges de Maraye-
en-Othe aux habitants de Saint-Mards , le Chemin et Vau-
chassis (Voyez n° 12).
Indiq. d'Arbois de Jubainville, Catal. des actes des comtes,
n° 466. — M. d'Arbois de Jubainville indique comme existant
aux Arch. Nat. une copie que je n'ai pu y retrouver.
32 (p. 297).
Ervy (Aube, arr. Troyes, ch.-l. c0B).
1199, Troyes. — Thibaud III donne à ses hommes de la
châtellenie d'Ervy la liberté de Lorris.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 472-474, d'après des lettres
de Charles V, mai 1376, la 13e a. du règne, contenant un
vidimus de Philippe VI, à Orléans, mars 1332, JJ 109, p. n°
8. — Ord., t. VI, p. 199-200, d'après la même pièce.
Indiq. d'Arbois de Jubainville, Catalogue, n° 50t. — Bré-
quigny, Table des dipl., t. IV, p. 275.
33 (p. 292).
L'Étang -le -Comte (Loiret, arr. Gien, c°" Châtillon-sur-
Loire).
1199. — Guillaume , comte de Sancerre, concède les Cou-
tumes de Lorris à l'Étang.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 416-418, d'après le Trésor
de Sancerre.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. IV, p. 276.
34 (p. 280).
Cléri (Loiret, arr. Orléans, ch.-l. coa).
1201, 23e a. du règne (1201 du 1" nov. au 13 av. 1202),
Paris. — Ph.-Aug. accorde les coutumes de Lorris aux habi-
tants de Cléri.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 710, d'après un vidimus
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII0 SIECLES. 313
d'avril 1383, la 3e a. du règne, à Orléans, JJ 122, n° 248, f°
125. — Ord., t. VII, p. 3-4; les édit. des Ord. n'ont reproduit
du texte des privilèges que le 1er article. — Ord., t. XV, p.
166, d'après un vidimus donné à Tours, oct. 1461, 1" a. du
règne, contenant la confirmation de 1383, et une autre d'oc-
tobre 1434, à Orléans, la 12» a. du règne, JJ 198, n° 19, f> 19
v°. — Ord., t. XX, p. 201, d'après un vidimus donné à Or-
léans, déc. 1489, 7e a. du règne, JJ 220, n° 294.
Indiq. Delisle, Catalogue, n° 683.
35 (p. 280).
Sancoius (Cher, arr. Saint-Amand-Mont-Rond , ch.-l. c0B).
1202, 24e a. du r. (du 1er nov. 1202 au 5 av. 1203), Bourges.
— Ph.-Aug. accorde les Coutumes de Lorris, en partie, aux
habitants de Sancoins.
Pièces justif., n° XIV, d'après une copie (xvme s.) du Cartul.
du Prieuré de Paray, Bibl. NaL, ms. lat. 9884, f° 47.
Indiq. Delisle, Catalogue, n° 733.
36 (p. 286).
Mailly-le-Château (Yonne, arr. Auxerre, con Goulanges-sur-
Yonne).
Entre 1200 et 1212. — Pierre, comte d'Auxerre et de Ton-
nerre, du consentement de sa femme Yolande et de son fils
Philippe, concède les Coutumes et la franchise de Lorris aux
habitants de Mailly-le-Château.
Publ. Ord., t. V, p. 715-718, d'après un vidimus de Char-
les V d'oct. 1371, contenant une confirmation de ces Coutumes
par Gui, comte de Nevers et Mathilde, sa femme en 1229,
JJ 105, f° 90. — Quantin , Recueil de pièces du xine s., n° 56,
p. 26-27, d'après les Ord., sous la date de 1206. — Le même
vidimus de Charles V contient une charte de Gui de Nevers ,
confirmative d'un acte du comte Pierre réglant l'usage dans
le bois de Frétoy.
37 (p. 289).
Mailly-la-Ville (Yonne, arr. Auxerre, coa Vermenton).
Entre 1200 et 1212. — Pierre, comte d'Auxerre et de Ton-
nerre, seigneur de Mailly, du consentement de sa femme
314 LES COUTUMES DE LORRIS
Yolande, et de son fils Philippe, concède les Coutumes et la
liberté de Lorris & ses bourgeois de Mailly-la- Ville , dans le
bat d'accroître la population.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 708-7,10, d'après un vùti-
mus de Charles VI, à Paris, oct. ,1382, la 3* a. du règne, con-
tenant une confirmation de Gui c(e Forez çn 1229.
38 (p. 293).
La Chapelle d'Angillon (Cher, arr. Sancerre, ch.-l. c0D).
Vers 1212. — Archambaud de Sulli accorde à ses hommes
de la châtellenie de la Chapelle , des privilèges, parmi les-
quels est inséré le tarif des amendes de la charte de Lorris.
Publ. La Thaum., Coût. loc., p. 78. — Nouv. Coutomier
général, t. III, col. 1004.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. IV, p. 554. — Delisle,
Calai., n° 1418.
39 (p. 289).
La Selles-en-Berry (La Selles-sur-Cher, Loir-et-Cher, arr.
Romorantin , ch.-l. canton).
1216. Oct. — Robert de Courtenay concède aux habitants de
La Selles une charte de libertés , imitée de celle de Lorris.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 83-84, d'après un titre du
Trésor de Selles.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. V, p. 57.
40 (p. 290).
Mehun-sur-Yêvre (Cher, arr. Bourges, ch.-l. canton).
1219, 11 juillet. — Robert de Courtenay et Mahaud, 9a
femme, accordent les Coutumes de Lorris à leurs hommes de-
meurant en la ville et viguerie de Mehun.
Traduction faite par un praticien et publ. par La Thaum.,
Coût, loc., p. 425-426.
Original mentionné dans les Coutumes de Mehung, rédigé
en 1481, La Thaum., p. 376.
41 (p. 280).
Salornas. (?)
Vers 1210. — Pariage entre Dalmas de Luzy et Ph.-Àug.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIII0 SIECLES- 315
pour le village de Salornas. Les habitants suivront toutes les
Coutumes de Lorris.
Publ. Teulet, Layettes, t. I, p. 507, d'après l'orig., J 398,
n°38.
Inftiq. Délire , Catalogue , n° 3025 A.
42 (pi 294).
Isdes (Loiret , arr. Gien , con Sully).
1227, mars. — Henri de Sulli et Marie de Dampierre, sa
femme , accordent des libertés à leurs hommes possédant une
maison à Isdes. Cette charte contient le tarif des amendes de
Lorris.
Publ. La Thaum., Coût, toc, p. 84-85.
r
43 (p. 290).
^^t-^jpent-sur-jtarenjon (Cher, arr. Bourges, c0tt Me-
hun-sùr-Yèvre).
i_2#4. — Rpbçrt de Courtenay et Mahaud, sa femme, accor-
dent les Coutumes de Mehun, qui sont celles de Lorris, à
leurs hommes de Saint-Laurent.
Copie, Coll. Duchesne, vol. 78, f> 79.
Publ. La Thaum., Coût, loc., p. 426-428, d'après l'original
scellé.
*
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. V, p. 475.
44 (p. 291).
Termenton (Yonne, arr. Auxerre, ch.-l. canton).
1235, 24 juillet, Vermenton. — Gui, comte de Nevers et
de Forez , et Mahaud, sa femme ,, accordent à leurs bourgeois
de .Vermenton et à tous ceux qui viendront habiter sur Jeur
domaine dans cette ville les libertés et les Coutumes de
Lorris.
Copie, Archives delà Côte:d' Or, copie faite par Peincedé,
d'après l'original à lui communiqué en 1770 par le maire de
Vermenton.
Publ. Ord., t. IX, p. 576-579, d'après un vidimus de Charles
VI, avril 1410 avant Pâques, JJ 165, pièce n° 88, fl> 59 v°. —
Quantin , JRec. de pièces , n° 425, p. 192-193, d'après les Ord.
316 LES COUTUMES DE LORRIS
Indiq. Quantin, Recherches sur Vhist. de Vermanton, Auxerre,
1876, in-8°, p. 10.
45 (p. 276).
Cortevaix (Saône-et-Loire, arr. Mâcon, c0B Saint-Gengoux).
1236, janvier (1237, n. st.). — Josseran, seigneur de Bran-
don et de Cortevaix, accorde des franchises aux habitants
de la posté de Cortevaix. Un certain nombre de dispositions
sont empruntées à la charte de Lorris.
Publ. Canat, Documents inédits, p. 31-34.
46 (p. 280).
Pont-sur- Yonne (Yonne, arr. Sens, ch.-l. canton).
1239, mai, Melun. — Louis IX, confirmant un diplôme
par lequel Philippe- Auguste avait reconnu au chapitre de Sens
le droit de justice à Pont-sur-Yonne, stipule en outre que le
chapitre lèvera les amendes sur les hommes du roi d'après les
usages de Lorris.
Publ. Quantin, Ree. de pièces du xiii* s., n° 456, p. 206-207.
47 (p. 201).
Fouchères (Yonne, arr. Sens, c0tt Chéroy).
1243, juillet. — Érard de Valéry fixe les Coutumes du vil-
lage de Fouchères. Il réduit les amendes d'après les usages de
Lorris.
Vidimus de la prévôté de Sens (2 janvier 1405), Arch. de
V Yonne, E 562.
48 (p. 294).
Graçay (Cher, arr. Bourges, ch.-l. canton).
1246, juin. — Pierre de Graçay accorde aux habitants de
Graçay une charte de franchises , en partie imitée de celle de
Lorris.
Publ. LaThaum., Coût, loc, p. 86-88, d'après une charte
du Trésor de l'église Notre-Dame de Graçay.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., p. 107.
4» (p. 283).
Chaumont (Yonne, arr. Sens, coa Pont-sur- Yonne).
ET LEUR PROPAGATION AUX XII0 ET XIIIe SIECLES. 317
1547, S9 mare (lâ48v n. st.). — Hélofee, dame de Gfaan-
mont , et Pierre des Barres , son fils , affranchissent ïmts
hommes demeurant à Chaumont, Villemanoche , et autres
lieux voisins, et leur accordent une charte de coutumes em-
pruntée «n partie à la charte, de Lomûs.
Vidimus d'Eudes,. officiai de Seps en août 12SI, des lettres
de Pierre, officiai de Sens, données le 29 mars 1247, publ.
Quantin, Rec. de pièces duxine s., n° 573, ,p. 274-276, d'après
un vidimus de la cbâtellenie de Bray-sur-Seine , du 19 avril
1408. Arch. de l'Yonne, E 636. — Pièces justif., n° XX.
Copie du xniê s. de la charte de Tofficial de Sens , Arch.
flta., J 203, n° 56, indïq. par Teulet, Layettes, ri6 3&42,t. III,
p. 23.
Mêmes lettres (TuffrandiissemeTit rédigées au nom d'fftloïse
et de Pierre, fév. 1247-1248, dans un vidimus de la «chfttdte-
nie de Bray du 4 fév. 1511, Arch. de l'Yonne, E 636.
50 (p. 294).
Chàteauneutisur-Cher (Cher,, arr. Saint- Amande ch.-L con).
1258, octobre. — Jftqnoul de Gulant pt Pierre de Saint-
Palais , chevaliers , donnât â leurs Sommes de Chàteauneuf-
sur-Cher une charte de privilèges où sont i&sérés -quelques
articles tirés de la «charte de Lorris.
Publ. La Thauai,, Coût. ,loc~, j>. 155-139, d'après une con-
firmation de saint Louis donnée à Paris en novembre 1275,
tirée du Trésor de Châteauneuf. — Nouveau Coutumier gêné-
rai t. III, col. 1018.
Indiq. Bréquigny, Table des dipl., t. VI, p. 334.
51 (p. 281).
Aubigny (Cher, arr. Sancerre , ch.-l. coa).
Avant 1272. — Un arrêt du Parlement de la Toussaint 1272
constate que ce village jouissait des Coutumes de Lorris ; Beu-
gnot, Olim, t. I, p. 887.
52 (p. 281).
Châteaulandon (Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, ch.-l.
canton).
Avant 1272. — Un arrêt du Parlement de la Toussaint 1272
Revus hist. — Tom. VIII. 21
318 LES COUTUMES DE LORRIS
constate que ce village jouissait des Coutumes de Lorris; Beu-
gnot, Olim, t. I, p. 887.
53 (p. 282).
Arconville (Loiret, air. Pithiviers, con Beaune, c*e Batilly).
Avant 1281. — Un arrêt du Parlement de la Pentecôte
1281 constate que ce village était régi par les Coutumes de
Lorris; Beugnot, Olim, t. II, p. 186, n° XLIV.
54 (p. 282).
Moulineux (Chalou-Moulineux , Seine-et-Oise, arr. Etam-
pes, c0tt Méréville).
Avant 1300. — Arrêt du Parlement de 1300. Indiq. par
Boutaric, Actes du Parlement, n° 3014, t. II, p. 4.
55 (p. 269) (p. 282).
Chéroy (Yonne, arr. Sens, ch.-l. canton).
Voulx (Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, c°* Lorrez).
Lixy (Yonne , arr. Sens , con Chéroy).
Dollot (Yonne, arr. Sens, c°* Chéroy).
Ferrottes (Seine-et-Marne, cBB Thoury, con Lorrez).
Ces villages jouissaient des coutumes et privilèges de Lor-
ris avant 1314, comme le constate une enquête de la Chambre
des comptes, Pièces just., n° XXII.
ET LEUR PROPAGATION AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. 319
LISTE ALPHABÉTIQUE
DES VILLES ET VILLAGES DONT LES CHARTES SONT COPIÉES
EN TOTALITÉ OU EN PARTIE SUR LES COUTUMES
DE LORRIS (1).
1. Amilly, près Montargis, 9.
29. Courcelles-le-Roi,43.
2. Àngy, 49.
30. Diant , 46.
3. Arcon ville, 53.
34. Dixmont, 23.
4. Àubigny, 54.
32. Dollot, 55.
5. Barlieu,24.
33. Ervy, 32.
6. Barville, 43.
34. Étang-le-Comte (F), 33.
7. Batilly, 43.
35. Ferrières, 47.
8. Bicherau, 46.
36. Ferrottes , 55.
9. Boiscommun, 48.
37. Ferté-Loupière (la), 28.
10. Bois-Girard, 43.
38. Flagy, 46.
14. Bois-le-Roi, 40.
39. Fouchôres, 47.
12. Bourg-Neuf-de-la-Brosse, 4 3.
40. Gaubertin, 43.
43. Bratellos, 43.
41. Gisy, 46.
14. Bricovillare , 43.
42. Goi (Taleu de), 43
15. Chalou-la-Reine , 44.
43. Graçay, 48.
46. Chaource, 6.
44. Isdes, 42.
17. Chapelle-d'Àngillon (la), 38.
45. Lixy, 55.
18. Chapelle-Champigny(la),49.
46. Lorrez-le-Bocage, 8.
49. Chapelle-la-Reine (la), 2.
47. Mailly-le-Château , 36.
20. Chàteaulandon , 52.
48. Mailly-la-Ville, 37.
24. Chateauneuf-sur-Cher, 50.
49. Maraye-en-Othe, 42.
22. Chaumont-en-Bassigny, 29.
50. Marchenoir, 30.
23. Chaumont-sur-Yonne, 49.
54. Mehun-Bur-Yèvre, 40.
24. Chemin (le), 34.
52. Ménétréol-soui-Sancerre , 27.
25. Chéroy, 55.
53. Montargis, 9.
26. Cléri, 34.
54. Montes-Estue, 43.
27. Clos-le-Roi (le) , 13.
55. Moulinet (le), 4.
28. Cortevaix, 45.
1 56. Moulineux, 54.
(4) Le numéro qui suit chaque nom de lien renvoie au numéro de la Litte
chronologique qui précède.
320
LES COUTUMES DE LOBAIS, ETC.
57. Nonette, 24.
58. Pont-sur-Yonne, 45 et 49.
59. Préaux , 8.
60. RouBson, 15.
64. Saint-André-le-Désert, 22.
62. Saint-Brisson, 26.
63. St-Laurent-s-Barenjon, 43.
64. St-Loup (la baillie de), 13.
65. Saint-Mards, 31.
66. Sainte-Marguerite, en la pa-
roisse de St-Michel, 13.
67. Salornas, 41.
68. Sancerre, 25.
69. Sancoins, 35.
70. Sceaux-en-GAtinais, 4.
71. Selles (la), en Berry, 39.
72. Sennely, 7.
73. Vauchassis, 31.
74. Vermenton, 44.
75. VOleblevin, 49.
76. Yillemanoche, 49.
77. Villeneuve-l'Archevêque,!!
78. Villeneuve-la-Guyard, 49.
79. Villeneuve-le-Roi, 5.
80. Virgutellum, 13.
81 . Voisines , 20.
82. Voulx,55.
83. Yevre-le-Châtel, 3.
Maurice Prou.
(A suivre.)
ESSAI
SU*
L'ANCIENNE COUTUME DE PARIS
AUX XIII» ET XIV« SIÈCLES
(8WT«)
• ' m t m ■ ni p^^»^t
CHAPITRE TROISIÈME.
Quels biens sont meubles et immeubles?
Parmi les textes des xm* et xiv* siècles relatifs à la cou-
tume de la prévôté et vicomte de Paris, on en trouve quelques-
uns, ayant trait à la division des biens , en biens meubles et
immeubles. Au xvi* sièole, lors de la première rédaction de
la Coutume, on ne crut pas devoir consacrer un titre spécial
à cette division des biens; les réformateurs de 1580 réparèrent
cet oubli, en ajoutant à la Coutume réformée, le titre troi-
sième, et en empruntant aux praticiens des siècles précé-
dents , les différentes règles dont ils fermèrent les articles 88
à 95(1).
La distinction des biens en meubles ou immeubles était gé-
nérale, s'appliquant à tous les^biens : « Les ungs sont meubles,
» les autres immeubles. Les biens meubles sont comme or,
» argent, biens ustensiles de maison, pain, vin et aultres
» choses qui sont d&legier muables d*ung lieu en aultre, sans
(1) Ces articles ont surtout pour but de faire connaître quels biens sont
réputés meubles ou immeubles. V. Laurière, I, page 220 ; cette division des
biens n'est pas la seule dont se soient occupés nos anciens auteurs du ixw*
siècle; ils distinguaient encore les bienB corporels et les biens incorporels,
les propres et les acquêts , etc. V. Gr. Coutumier, liv. II , ch. iv, y et xu ;
Betumanoir, XXIII ; Loysel, Ut. II, Ut. i, De la Msimction de* bien*.
322 ESSAI sur l'ancienne
» destruction de ediffice, ou despoillement de héritage »
(Grand Coutumier, liv. II, chap. 12, pag. 207) (1).
Ces choses, qu'on ne pouvait « mettre hors sans despiecer
» l'héritage » (Grand Coutumier , p. 229), étaient réputées im-
meubles par destination ; il en était de même de celles ce te-
» nant à clou, à cheville et à racine. » (Arrêt de 1280) (2). Le
bois coupé était meuble; mais le bois à couper était réputé
immeuble. Il y avait divergence dans les coutumes pour cer-
taines choses , telles que fruits pendants par racines et pois-
sons d'étangs. « Aux coutumes vous tenez, » trouve-t-on dans
le Grand Coutumier, à ce sujet (id.).
Dans la prévôté et vicomte de Paris, au xiv« siècle, les
fruits pendants par racines, les blés ou foins non coupés,
étaient réputés immeubles , « quia quicquid sei'itur, plantatur
» vel edificatur solo, solo cedit, id est reputatur hereditas si-
» eut et ipsa terra » (Grand Coutumier, id., p. 230). Mais dès
qu'ils étaient séparés du sol, ils devenaient meubles, « naluram
» mobilium adispiscuntur » (id.) (3).
Quant aux poissons des étangs , on distinguait s'ils étaient
dans l'étang, à l'état libre « sans autre retenue, » ou bien s'ils
étaient « en un salvoir vel alio continente ; » dans le premier
cas, ils étaient regardés comme faisant partie de l'étang et,
par suite, étaient réputés immeubles; dans le second, on les
tenait pour meubles (Grand Coutumier, id.) (4).
Les immeubles étaient corporels ou incorporels, « toute
» chose est corporelle que l'en peult palmer et tenir à la
» main. » Les immeubles incorporels étaient les servitudes et
autres droits tels que cens , rentes foncières ou constituées :
« Mais les biens immeubles et incorporels sont servitudes
» perpétuelles qui sont imposées aux biens corporels, si comme
(1) Cette môme énamération se trouve danB un arrêt du Parlement de
1280 : « Or, argent, pierres précieuses, deniers, Taiselments d'argent, cbe-
» vaux , pavelons, arbeleites, vins en ce liera, coûtes, coisins , tables, formes
» et autres garnison par oustel et vaissieaux sont muebles partantes. De
» engins il ne fut rien dit. Derechief , il fut esgardé que toute chose qui
» tient à clou, à cheville et à racine, n'est mie mueble {Olim, II, p. 164). »
(2) Cf. Paris, art. 90.
(3) Cf. Paris, art 92. V. loi 44, Digeste. Liv. VI , Ut. i. De rei vend.
(4) Cf. Paris, art. 91.
COUTUME DE PARIS. 323
» cens 9 rentes et aultres debvoirs » (Grand Coutumier, liv. II,
chap. 12, page 207) (1).
Enfin une somme d'argent pouvait être réputée immeuble ;
il en était ainsi de la somme donnée, dans un contrat de ma-
riage , par des ascendants pour être employée à l'achat d'im-
meubles ; de même , du prix de l'héritage propre à la femme ,
vendu, pendant le mariage, par le mari. J. Lecoq attribuait
ce prix à l'héritier des propres, et non au plus proche héritier.
Il admettait la subrogation du prix à l'héritage. Mais c'était
une opinion personnelle; le Parlement, en effet, décidait au
contraire, que le prix devait revenir au plus proche héri-
tier (2) (J. Lecoq, Quœst. I).
CHAPITRE QUATRIÈME.
De la complainte en cas de saisine et de nouvelleté
et simple saisine.
On pouvait acquérir la saisine ou possession de droit soit
par une possession acquise par succession, soit par une posses-
sion acquise par tradition, soit par une détention ou possession
de fait continuée pendant un certain temps ; mais pour qu'il en
fût ainsi, dans ce dernier cas, il fallait que cette possession
n'eût été acquise nec vi, nec clam, nec precario : « C'est as-
» savoir que la chose ne soit mye occupée par force, ni clan-
» destinement , ne par prière, mais paisiblement, publique-
» ment, et non à tiltre de louaige ne de prest. » (Gr. Coutumier,
(1) Voy. Brodeau sur l'article 94. Cf. Paris, 1510 , art. 97. On réputait en-
core immeubles, les meubles précieux tels que joyaux, bagues, etc. Loysel,
liv. II , tit. i , n° 219. Quant aux actions , elles étaient mobilières ou immo-
bilières Buivant qu'elles tendaient à un meuble ou un immeuble. Voy. Lan-
rière, I, p. 224.
(2) Voy. Brodeau sur l'article 93. — Loysel, liv. II , tit. i, n» 212 : a De-
» niers destinés pour achat, ou procédant de vente d'héritage ou de rachats
» de rentes et remployantes , sont réputés immeubles , mémement en faveur
• des femmes contre leurs maris, et des mineure contre leurs tuteurs. »
Ainsi, toute somme destinée à effectuer un remploi, était réputée immeuble.
(Test l'opinion que soutenait J. Lecoq et qui finit par triompher aux xv* et
xvi* siècles.
301 ESSAI SUR L'j
Hi:-i;i:;:-
liv.II,eh. 19,pag. 231)(i). Continuée dans les mêmes eoftdkioB&
pendant le délai d'un an et on jour, cette possession 4e fait
démenait alors la saisine on possession de droit : « Qa at>
» qmeii la saisine et possession d'vA» chose par icejle avoir
» de fait appréhendée et possessée et do ksalle avoir jeuy et
» nsé par an et jour paisiblement an vea et scea de eaux qo*
n empeschement y voudraient mettre * (Coma, nei.» 181 ; M»,
J. Deamares, 41 S) (S),
Cette saisine était défendue, dés la fin du xn* siècle, par
des dams ou complaintes,, grâce auxquels le possesseur po*h
vait faire cesser tout trouble apporté & sa possession. Mai»
cette théorie de la possession, mieux défendue que la pro-
priété elle-même , ou du moins d'une façon plus simple et plus
rapide (3), ne se dégage nettement qu'après la renaissance
des études juridiques , sous l'influence des interdits romains,
c'estrà-dire vers la seconde moitié du xn* siècle. A cette épo-
que,, celui qui était troublé dans sa possession pouvait exercer
les claims de force, de nouveau trouble ou de nouvelle des-
saisine , suivant que le trouble dont il se plaignait avait en
lieu avec on sans violence. Le possesseur agissait alors ad
reeuperanéam vel retinendam possesswnem (-4).
On n'admettait pas encore, en effet, que la possession pût sa
conserver animo Untom ; toute interruption de fait entraînait
dessftistne, et le possesseur qui plaidait ad recupermdampos*
seaianem devait prouver la continuité de sa possession (5)r.
Mais au xiv* siècle, on simplifia cette procédure ; on admit que
le possesseur resterait saisi , alors même qu'il aurait perdu la
possession de fait, en un mot, que la possession pourrait ae
conserver animo tantum.
Dès lors il ne pouvait plus être question de recouvrer la
(1) Voy* Digeste, liy. XLI , lit. u.
(2) Laurière, I, p. 256-257.
(3) Cf. Loysel, iiv. V, tit. îv, n° 740. Voy. le Umr$ des Constitution*, éd.
Cb. Mortel (i883), p. 65, note 3.
(4} Cf. Laurière, I, p. 231. Beaumanoir, xxxu.
(5) ûr. Coukmier, Ut. H, chap. 19 : « Car au libelle 4e aoquérix saisine*
» et an libelle de recouvrer saisine, il est requis et nécessaire de alléguer et
» menstrer tiUre par lequel le demandeur se dit avoir droit en la possessioa
» acquérir ou recouvrer. »
COUTUME DE PARIS. 325
possession , mais seulement de la. retenir ; les trois actions de
force , de nouveau trouble et de nouvelle deasaîsine se fon-
dèrent en une seule. Ce fut la complainte enensde saisine et
de nowtlleté (i).
Cette réforme paraît devoir être attribuée à messire Symon
de Buci, qui fut premier président au Parlement de Paris
vers 1350 (2); e'est du moins ce que semble indiquer ce pas-
sage du Grand Coutumier ; « Messire Symon de Buci qui
» premièrement trouva et mist sus les cas de uouvelleté... »
(liv. II,chap.l9, p. 253).
Lft première condition pour pouvoir exercer une complainte
était d'avoir la saisine ou vraie possession de la chose faisant
l'objet de la complainte. Nous avons vu que cette saisine pou-
vait résulter de trois modes différents de possession ; 1° pos-
session acquise par occupation; 2° possession acquise par
succession ; 3° possession acquise par tradition de fait.
Dans le cas d'une possession acquise par occupation, il fal-
lait „ pour acquérir la saisine, avoir réellement appréhendé la
chose , car une appréhension de fait était nécessaire ; de plus ,
il fallait l'avoir possédée pendant un an et un jour, paisible-
ment» publiquement et à titre de propriétaire (Coût. noL, 181;
Grand Coutumier, liv. II, chap. 19, p. 331) (3).
liais cette possession annale n'était plus nécessaire en cas
dft possession acquise par succession. Au xive siècle , la cou-
tume « le mort saisit le vif » avait triomphé en ligne directe,
sauf pour les fiefs, « ou saisine de droit ne aultre n'est acquise
sans foy (4). » L'héritier acquérait donc la saisine, dès qu'il
avait appréhendé la chose « quia saisina deffuncti descendit in
vimm» » saaos qu'il eût besoin « de aller ne au seigneur, ne au
juge, ne a autre (5). » Dès qu'il avait appréhendé la chose, il
était saisi : « et se momentanément , et avant Van et jour de
» saisine, ils se apparent aucuns opposans ou empeschans,
» icelluy peult contre eux intenter ledict libelle et soy ayder
(1) M. Ad. Tardif à son cours (1880).
(2) Voy. Laurière, I, p. 257.
(3) Gf. Parit, art 96.
(4) Beaumanoir, VI, 4.
(5) Loysel, liv. V, Ut. nr, n° 745.
328 essai sur l'ancienne
» eeste qualité de nouvelleté seulement » (Grand Coutumier,
id.) (1).
Cette action de simple saisine était générale au xrv* siècle
« tant pour les fonds que pour les rentes » (Laurière, I, p.
269). Dès le xve siècle, on la trouve restreinte aux rentes,
foncières ou constituées. Enfin au xyi6, elle ne s'applique plus
qu'aux rentes foncières, les rentes constituées ayant perdu
leur caractère de charges réelles.
Lorsqu'une des parties plaidait en même temps sur la pos-
session et la propriété , par cela même , elle reconnaissait que
son adversaire était en possession et saisine : « de la chouse
» contentieuse et qu'elle en ha joy , et par ce doit estre tenue
» et gardée en sa possession et saisine et doit joir de la dite
» chouse pendant le plaid et semble que l'autre partie se dé-
» parte de la possession; quar la cause de la possession doit
» estre traitiée avant celle de la propriété » (J. Desmares,
300) (2).
Il n'était pas indifférent d'être tenu pour possesseur de la
chose; car il y avait présomption en faveur du possesseur et
la saisine lui était adjugée, si l'adversaire ne prouvait son
droit , sans qu'il fût obligé de faire , lui-même , aucune preuve
(Grand Coutumier, id., p. 239).
La procédure en matière de complainte était une procédure
sommaire. Les ajournements se faisaient sans solennité,
comme en cas personnel , bien que la complainte fût une ac-
tion réelle, se plaidant devant le juge de la situation de
l'immeuble (J. Desmares, 116); il n'y avait ni jour d'avis,
ni jour de vue, ni jour de conseil (3). L'opposition faite sur
le lieu valait vue (Grand Coutumier, wL, p. 251). Un seul dé*
faut faisait perdre la saisine au défaillant et la possession était
adjugée, sans autre ajournement, i la partie comparante. La
chose contentieuse était toujours mise en la main du roi ,
c'est-à-dire sous séquestre, durant le débat (Grand Coutimier,
ùt.,p.23&)(4).
(1) Cf. Paris, art. 98.
(2) Cf. Grand Coutumier, liv. II , eh- 19, p. 247.
(3) En actioa réelle, U y avait trou dîUUona : d'à via, de vue et de con-
seil. Voy. Grand Coutumier, liv. III, chap. 3.
(4) Voy. Laurière, Glossaire : V* Main du roi, U II.
COUTUME DE PARIS. 329
Enfin les complaintes étaient mises au nombre des cas
royaux par prévention : « Causas novitatis cognitio ad regem
spécial, dum prima ad ewm recurrilur » (J. Desmares, 310;
Grand Coulumicr, id., p. 240).
CHAPITRE CINQUIÈME.
Des actions personnelles et d'hypothèque.
Les détenteurs et propriétaires d'héritages chargés de cens,
rentes ou autres charges réelles étaient, dans le dernier état
du droit coutumier, au xvni° siècle, soumis à trois actions :
1° l'action personnelle; 2° l'action spéciale hypothécaire;
3° l'action mixte. L'action personnelle s'exerçait contre le pre-
neur direct, qui pouvait, en outre, être soumis aux deux
autres actions. L'action spéciale hypothécaire s'exerçait sur-
tout contre le sous-acquéreur; enfin l'action mixte avait pour
faut de forcer le sous-acquéreur à passer titre nouvel et à se
reconnaître ainsi débiteur personnel (1).
Dans les textes du XIVe siècle, nous ne trouvons mention-
nées que deux actions au profit du seigneur censier ou du
bailleur à rente : une action personnelle et une action réelle
hypothécaire. Quant à l'action mixte qui avait surtout pour
but de forcer les tiers détenteurs à se reconnaître débiteurs
personnels, afin qu'on pût exercer contre eux l'action person-
nelle; elle n'aurait eu aucune utilité pratique aux xiu* et xiv*
siècles. À cette époque, en effet, et c'est une remarque que
fait de Laurière dans son commentaire sur l'article 99, l'inféo-
dation et l'ensaisinement qu'on n'omettait point, constituaient
une publicité suffisante pour que les tiers détenteurs n'igno-
rassent pas les charges dont pouvaient être grevés les héri-
tages qu'ils possédaient et par suite de cette connaissance
qu'on pouvait légitimement supposer, ils se trouvaient tenus
personnellement, quasi ex contracta. Il n'était donc pas utile
d'avoir recours à une action spéciale pour leur faire passer un
(1) Voy. Pothier, TrûUé du bail à rente, ohap. V, art. 4. Loysaau, Traité du
digverpissenmt, liv. V, ch. 10 (Paris, 1597, 1 vol. in-4«).
330 essai sur l'ancienne
titre nouvel qui permît de les poursuivre personnellement.
Cette utilité n'apparut que lorsque les formalités de l'inféoda-
tion et de l'ensaisinement furent tombées en désuétude (1).
Nous avons vu que dés la fin du xrve siècle, elles tendaient
à disparaître ; c'est donc avec raison que de Laurière critique
vivement le texte trop général de l'article 99 de la Coutume de
1580 qui soumet le tiers détenteur à l'action personnelle. Car,
au xvie siècle, les formalités de « vest et devest, » qui consti-
tuaient une sorte de publicité pour les charges grevant un
héritage, avaient depuis longtemps disparu (2).
Il y avait donc au xiv° siècle deux actions: 1° une action
personnelle s'exerçant contre le détenteur primitif, et aussi
contre le sous-acquéreur, pour les arrérages échus durant
leur possession ; 2° une action réelle hypothécaire s'exerçant
contre les mêmes, non-seulement pour ces arrérages échus,
mais aussi pour ceux dûs à l'époque de leur entrée en posses-
sion et dont ils étaient tenus comme détenteurs de l'héritage
{Caut. not., 180) (3).
Ils étaient tout d'abord tenus personnellement, sans dis-
tinction : « Le propriétaire d'un héritage chargé de cens ou
» de rente est tenu de l'acquit d'icelle debte et charge aux
» créanciers... et peuvent les créanciers contraindre les pro-
» priétaires à payer les dites rentes et charges tant comme
» ils sont propriétaires de iceux héritages et en peuvent les
» créanciers faire libelle personnel. Et aussi en use l'en au
» chastellet de Paris (Coût, not., 43) (4).
Outre cette action personnelle, il y avait contre tout posses-
seur d'un héritage obligé ou hypothéqué à des charges réelles,
une action réelle hypothécaire : « Toute chose réelle, qui est
» obligiée et hypothéquée par celui qui faire le puet en aucune
(1) Voy. Brodeau , sur l'article 99.
(2) Voy. Laurière, I, p. 277.
(3) c Ains U appert qu'il (le cerisier ou bailleur) a bonne cause et action
» personnelle et ypothecque... C'est assavoir, personnelle a ce qu'il (le pre-
» neur), soit condempné à paier la rente et arrérages tant comme il sera
» propriétaire de la dite terre; et ypothecque afin qu'il soit dict et déclairé
9 icelle terre estre obligée et ypothecquée pour la dite rente et les dicts
p arrérages » (Gr. Coutumier, liv. III, ch. 60, p. 549).
(4) Cf. Paris, article 99.
COUTUME DE PARIS. 331
» debte envers aucun créancier, s'en va a tout sa charge en
» quelque main qu'elle soit transportée et peuvent estre pour-
» suivis les propriétaires et les possesseurs qui la tiennent,
» en action hypothécaire, à la requeste du dit créancier et de
» ses hoirs et ayant cause de lui... » (Coût. not., 35).
Les tiers détenteurs se trouvaient donc, de même que le
propriétaire tenus, et personnellement quasi ex contracta,
comme n'ayant pu ignorer les charges de la propriété qu'ils
détenaient, et hypothécairement comme détenteurs de l'héri-
tage. Cet héritage était considéré comme le débiteur des
arrérages (J. Desmares, 277) (1).
Le demandeur à l'action hypothécaire n'avait à prouver ni
sa possession, ni celle de son prédécesseur, sur le droit qu'il
réclamait; il devait seulement montrer le contrat ou l'obliga-
tion passés à son profit ou au profit de son prédécesseur : « In
» hypothecarianon est actoris probare quod suus predecessor
» possedit in rem quam, vel super quam , petit jus, scilicet
» usum, pecuniam vel redditum ad vitam, imo sufficit osten-
» dere obligationem vel litteram obligatoriam » (Coût, not.,
29; J. Desmares, 172).
Mais , par suite de cette idée que ce n'était pas tant le dé-
tenteur que l'héritage lui-même , qui était débiteur des arré-
rages des cens et rentes, on fut amené à admettre que le dé-
tenteur pourrait se soustraire au paiement des arrérages,
en abandonnant l'héritage sous certaines conditions, en un
mot, en déguerpissant (2). Et cela fut admis, même pour le
preneur primitif , pour celui qui avait été partie au contrat
d'accensement ou au bail à rente. La Coutume notoire 171,
nous en donne la raison : « Se aucun prend à cens une maison
» assise à Paris, supposé qu'il s'oblige à payer la dite rente,
» c'est à entendre tant qu'il sera propriétaire de la dite maison
» et sur le lieu seulement et ne regarde et ne puet regarder la
» dite obligation fors seulement la dite maison par luy prise
» et accensée. Et puet iceluy propriétaire renoncier à icelle
» maison et par renonciation il est quite de la dite rente par
(4) Cf. Paris, article 101.
(2) Voy. Loyaeau, Ut. I , chap. 2, n° 13.
332 E8WUiS0R l'àITCIENNE
» payant les arrérages qui seraient échus au temps de la re-
» nonciation... » (Coût, not., 171) (1).
Le preneur pouvait donc renoncer à l'héritage bien qu'il
Bût promis de payer la fente*, cette simple promesse De s'<em-
tendait que « tant comme il est propriétaire >et non depuis *>
ifiout. net., 97). Mais il en était autrement lorsque la promesse
était accompagnée d'une clause ou obligation spéciale, « «xi
» cas que il n'y aurait obligation expresse et plus largo de
» payer la rente que dit n'est cy-dessus.*. » (Coût. not.9
171) (2).
Ainsi, par exemple, la clause de faire vàkir entraînait pour
le preneur l'obligation de payer la rente à perpétuité : « Se
» aucun prend aucune maison à rente et baille contreplege
» pour la faire valoir et fournir perpetuo et renonce par foy à
» toutes exceptions et fait par décret confirmer iceluy contrat,
» jamais il ne puet renoncer à iceluy contrat, maxime quand
» il n'a grâce de roy ni dispensation de prélat » (Coutume no-
toire, 95).
La renonciation du preneur, pour être valable , devait se
faire en justice, partie présente et appelée : « qui veultjrenon-
» cer à aucune chouse que il tient à cens, il doit fere appeler
» tous les censiers et leur payer les arrérages passés et le
» terme après ensuivant, ains que la renonciation vaille et
» est tout de notoriété » (J. Desmares, 183 ; Grand Coutumier,
liv. II,chap. 51, p. 317) (3).
Il était naturel que a les censiers et ayans droicts incorpo-
rels » fussent appelés à la renonciation ; ils pouvaient avoir
des réserves à faire sur un acte qui pouvait porter atteinte
à leurs intérêts. Aussi avaient-ils le droit de faire protestation
de débattre la renonciation en temps et lieu (Coutume no-
toire, 96).
Le preneur qui renonçait, devait payer les arrérages échus,
plus le terme suivant , « les arrérages que d'iceux droicts in-
» corporels sont deubs depuis le temps lors passé jusques à la
» renonciation, avec le terme subséquent... » (Cout.noL, 70;
(1) Voy. Brodeau, sur l'article 101.
(2) Voy. Laarière, sur l'article 109. Cf. Loyseaa, du Dégverpistemênt.
(3) Cf. Paris, art. 109; voy. Brodeau, sur eet artiole.
COUTUME DB PARIS. 333
id.y Coût, not., 98) (1). Tous les biens meubles et immeubles
du délaissant étaient obligés , et pouvaient être exécutés pour
« Yentretenement d'icelle obligation » (Coût, not., 96).
On a vu que lorsqu'il y avait plusieurs censiers prenant cens
ou rentes sur un même héritage, les droicts des derniers
censiers étaient obligés pour ceux des premiers , en ce sens
que les derniers devaient garnir la maison et étaient respon-
sables du paiement des arrérages. Mais ils pouvaient se sous-
traire à cette obligation en renonçant à leur droit (Coût, not.,
115) ; dans ce cas, ils n'avaient aucun arrérage à payer : « Sa-
» chez que quand le derrenier censier renonce à son droit ,
» il ne paye nuls arrérages , et si le propriétaire renonce , il
» les paye » (J. Desmares, 225). Si donc ce dernier censier
était poursuivi , il pouvait appeler en garantie le propriétaire,
qui seul était le vrai débiteur des arrérages (2).
Le recours en garantie s'exerçait alors dans des conditions
particulières. Selon le droit commun, en matière réelle, le
garant devait être sommé « avant le plait entamé et contesta-
tion en cause , » c'est-à-dire avant qu'il y ait eu règlement sur
les demandes et défenses des parties (J. Desmares, 140, 354;
Coût, not., 67) (3). Mais lorsqu'il s'agissait du recours en ga-
rantie du dernier censier contre le propriétaire, on suivait
une toute autre règle et le censier pouvait sommer le proprié-
taire garant en tout état de cause, même après condamna-
tion... « nonobstant que le défendeur sommé, ne dénonce au
» propriétaire, se il n'est de la garantie de la rente et posé que
» le défendeur quia possidet, condemnetur à garnir la dite
» maison ou à quiter jus suum , pour ce n'est pas quite le pro-
» priétaire des arrérages des dites rentes , mais le défendeur,
» condemné par justice..., somme le propriétaire des arré-
» rages qu'il a payés pour la dite maison acquitter et ledict
» propriétaire aussi , nonobstant que sommé n'en ait été avant
» la condamnation » (Coût, not., 114).
Pour terminer avec le titre V, de la Coutume de 1580, il
reste à dire quelques mots de la compensation. Auxiv* siècle
(1) Voy. ordonnances de Charles VIT, nov. 1441. Isambert, IX, p. 86. —
Beaumanoir, XXIV, 10.
(2) Voy. infrà, cbap. 2, De$ cenmes.
(3) Voy. Grand Coutumier, liv. III , chap. 16 , De garand.
Revus hist. — Tome VIII. 22
334 ESSAI SUR l'ancienne
comme au xvie, elle n'avait lieu qu'entre dettes liquides :
« En cour laye compensation ha lieu de liquido ad liquidum »
(J. Desmares, 136). Ainsi un débiteur ne pouvait convertir en
paiement une chose donnée par lui au créancier, si ce dernier
« ne li accorde de estre déduite et rabatue sur la dette d'icelle
» obligation... » {Coût, not., 111; J. Desmares, 187 (1).
Au xive siècle, on n'admettait pas la reconvention, c'est-à-
dire, que le défendeur prît , dans un procès, des conclusions
qui eussent pu le constituer demandeur à son tour : « Reconven-
» tion n'a lieu en cour laye... » (Coût, not.9 111). Au xvie siècle,
cependant, sous l'influence du droit romain, on admit la de-
mande reconventionnelle lorsqu'elle était la défense contre
l'action premièrement intentée (art. 106). Le défendeur par
ses défenses pouvait alors se constituer demandeur, ce qui n'é-
tait pas admis au xive siècle (J. Desmares, 147) (2).
CHAPITRE SIXIÈME.
De la prescription.
Le Grand Coutumier nous donne la définition suivante :
« Usucapion et prescription ne sont autres choses , fors justes
» saisines continuées par longtemps. Usucapion est dicte en
» meubles, a trois ans, ce qui est dict en héritage prescrip-
» tion à dix ans. Mais en l'ung et en l'aultre , il convient
» avoir juste tiltre, de bonne foy et continuation » (liv. II,
» chap. 8, p. 198 en note) (3). Pour prescrire , il fallait donc,
au xive siècle, trois conditions : juste titre, bonne foi et
possession ou saisine prolongée pendant un certain temps :
« Se aucun a juste titre et bonne foy possède aucune chouse
» immeuble par dix ans entre présens et vingt ans entre
» absens , sans inquiétation , il prescrit et acquiert tout droit
» et seignorie d'hypothèque ou quelqu'autre et contre aagiez
» et non fors paisiez et non privilégiez (J. Desmares, 232) (4). »
(1) Voy. Laurière, sur l' article 105.
(2) Cf. Paris, article 106.
(3) Voy. Loyael, Ut. V, tit. m, Des pre$criptiotu .
(4) Cf. Paria, art. 113.
COUTUME DB PARIS. 335
On entendait par présents ceux qui étaient domieiliés dans
le même diocèse et plus tard dans le môme bailliage; par
absents ceux qui appartenaient à des diocèses ou bailliages
différents (1).
Le délai de 10 ouSO ans fut généralement admis dès la seconde
moitié du xiii* siècle; toutes les courtes prescriptions, dont
on trouve des traces dans les chartes du xn* siècle , avaient
d'sparu ou étaient repoussées parla jurisprudence (2).
La prescription pouvait être acquisitine ou libératoire sui-
vant qu'elle avait pour but l'acquisition de la propriété ou
la libération de certaines charges : « Héritage ainsi possédé
» et acquitté est deschargé de toutes charges et mesmement
» de hypothèques, mais non mye de chief cens ou fons de
j> terre, en quoy Ton ne peult prescrire contre seigneur »
(Gr* Coutumier, liv. II, ch. 8, p. 199; id. J. Desmares, 106,
222; Coût, not., 99, 130) (3). Nous avons déjà vu, en effet,
que le cens était imprescriptible (4) (Coût, not., 125); mais
pour toutes autres charges, notamment les rentes, la pres-
cription était admise : « Se aucun tient et possède paisible-
d ment aucun héritage franc et quite d'aucune rente et rede-
d vanoe que Ton y pourroit demander, par l'espace de dix
» ans continuels à bon et vray et juste titre entre présens ,
» aagiez et non privilégiez, il a acquis prescription ou cas
» que le contrat sur lequel le demandeur fonde son intention
o n'auroit aucune condition dérogeant à ce. 22 avril 1370 »
(C<w*. ntrt., 152; id. 99)(5).
L'inaction du créancier, alors même qu'elle était prolongée
pendant 10 ou 20 ans, ne permettait pas toujours au tiers
détenteur de se libérer des rentes ou autres charges, gre-
vant l'immeuble qu'il détenait. Il fallait, en effet, excepter
le cas où le créancier, bien payé de sa rente par son débi-
(1) Voy. Laurière, sur l'ait. 116. Loysel, id., n« 717.
(2) Jugés , I. f° 196 v°. Un arrêt du 3 avril 1322 confirme une sentence da
prévôt de Paris qui avait cassé un jugement du maire de Poissy, admettant
une prescription d'un an et un jour.
(3) Cf. Laurière, I, p. 355.
(4) Cf. Paris, art. 123-124. Mais le cens pouvait se prescrire par seigneur
contre seigneur par 30 ans.
(5) a. Paris, art 114.
336 ESSAI sur l'ancienne
teur, n'avait pas à poursuivre le tiers détenteur. La déci-
sion 309 de J. Desmares rapporte un arrêt du Parlement
cassant une sentence du prévôt de Paris et décidant qu'un
tiers ne pouvait prescrire, bien qu'il n'eut pas été pour-
suivi , tant que le créancier était payé de sa rente foncière.
Mais cette jurisprudence ne prévalut pas, et dès le xiv* siè-
cle , on conseillait au créancier de faire ajourner le tiers dé-
tenteur pour s'entendre dire que l'héritage qu'il détenait
était chargé de telles et telles rentes (Gr. Coutumier, liv. II ,
chap. 31, p. 318-319). En 1549, le Parlement modi6a lui-
même sa jurisprudence et admit que le créancier pourrait
conclure contre le tiers détenteur à ce que l'héritage par
lui acquis fût déclaré affecté et hypothéqué à la continuation
de la rente. Le paiement régulier de la rente par le débiteur
ne pouvait donc plus justiûer l'inaction du créancier contre
le tiers détenteur, et par suite suspendre la prescription à
son profit. Cette action en déclaration d'hypothèque pouvait
être intentée contre le tiers détenteur dès le jour de son ac-
quisition (Gr. Coutumier, id. (1).
L'article 115 de la Coutume de 1580, consacra la jurispru-
dence de l'arrêt de 1549, en y apportant un tempérament.
« Toutefois si le créancier a juste cause d'ignorer l'aliéna-
tion... la prescription n'a cours. »
Le délai de la prescription pour les meubles était de trois
ans; il fallait, en outre, de même que pour les immeubles,
juste titre et bonne foi (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 8,
p. 198).
A défaut des conditions requises pour la prescription de
10 ou 20 ans, on pouvait prescrire par 30 ans. « Et à trente
» ans possessio continuata est sine titulo » (Id. en note).
Mais la bonne foi était toujours indispensable : « Car pos-
session de malle foy ne usucapit ne prescrit nul temps pour
vice de maie foy qu'il a » (Id.t p. 199) (2).
La prescription ne courait pas contre les mineurs et les
privilégiés , « Prescription ne cueurt point contre mineurs. »
(1) Voy. Brodeaa sur l'article 115. Cette action en déclaration d'hypothèque
est encore utile de nos jours.
(2) Cf. Paris, 118. On pouvait joindre à la possession celle de son prédé-
cesseur. Arrêt du Parlement de 1260. Olitn, I, p. 503.
*."^^*^%
^E DB PARIS. 337
^^. prescription , même en faveur des
*&& _ .e trouvaient, avec des mineurs, pos-
«?" t-ages susceptibles d'être prescrits (1).
ilégiées dont parlent les textes , étaient
/les Communautés. Ces personnes étaient
descriptions spéciales..., « de trente ans
- XL contre l'Église et contre l'Église de Rome
r. Coutumier, id.) (2).
^* 5 se prescrivaient par trente ans; la décision 294
jares nous en donne un exemple pour l'action en
. hérédité,
-ition d'hérédité directe et collatérale ne puet estre
icrite par mens de trente ans et convient que le prescri-
rait ait bonne foy et juste titre » (J. Desmares, 294).
Contre un arrêt du Parlement, on pouvait s'ensaisiner par
an et jour » (J. Desmares 39). De même les mandements
royaux étaient prescrits par le même délai. « Les mandements
» royaux sont expirés, et ne eulx ne sont a recevoir quand on
» passe un an, ne le juge ne les doit entériner ne accomplir
» se eulx ne lui sont présentés dedans l'an que ils furent
» donnés » (J. Desmares, 383).
Enfin les dîmes étaient imprescriptibles par : « quelque
» longueur de temps que on le délaisse de payer, mes l'en les
» doit des propres fruits que l'on cueille» (J. Desmares,
115) (3).
CHAPITRE SEPTIÈME.
Du retrait lignager.
Il y avait controverse entre nos anciens auteurs au sujet de
l'origine du retrait lignager. Les uns voulaient le faire dériver
du droit romain ; d'autres, au contraire, le regardaient comme
un produit direct de la féodalité ; enfin , dans une troisième
opinion , sans nier l'influence du droit romain et du droit féo-
dal , on faisait remonter l'origine du retrait lignager à l'idée
(1) Voy. Grand Coutumier , liv. II, chap. 8, p. 199.
(2) Voy. Laurière, sur l'article 123.
(3) On pouvait en prescrire la quotité. Voy. Loysel, liv. V, Ut. m, n° 729.
338 ESSAI sur l'ancienne
de la copropriété de famille, qui était un des principes essen-
tiels du droit germanique (1).
Sans doute le droit romain ne fut pas sans influence sur le
développement du retrait lignager (2) , mais on aurait tort d'y
chercher son origine, et les efforts que les jurisconsultes du
xvi* siècle firent dans ce sens , n'avaient pour but que de dé~
fendre le retrait lignager contre les attaques violentes dont il
fut l'objet aux XVe et xvi6 siècles (3).
D'autre part, on a vu, au sujet du retrait féodal , comment
on pouvait rattacher cette idée de retrait à la nature même des
concessions féodales dans les premiers temps de la féodalité.
Mais on peut dire qu'en ceci les principes du droit féodal ne
firent que corroborer l'idée plus ancienne de la copropriété de
famille. Dans le droit germanique, les biens patrimoniaux
appartenaient à la famille; d'où pour les parents le droit
d'être protégés contre l'aliénation de ces biens (4).
Cette idée persista, et aux vnie et ixe siècles, la protection
consistait à requérir pour la validité de l'aliénation le con-
sentement des héritiers présomptifs ; par la suite , ce consen-
tement ne fut plus obligatoire ; on se contenta d'une offre ,
faite par l'aliénateur aux héritiers, de prendre pour eux le
marché. On trouve encore des traces de cette coutume dans
les Établissements de saint Louis (5). Mais dès le xme siècle
l'offre était elle-même tombée en désuétude ; l'acquéreur était
réellement propriétaire et il ne subsistait plus que le droit
pour l'héritier le plus proche, dans chaque ligne, de prendre
pour son compte, dans un certain délai, la vente de l'héritage
propre, aliéné par un parent lignager au profit d'une personne
étrangère.
De cette définition il résulte que le retrait lignager ne pou-
vait s'exercer qu'en cas de vente d'un bien propre , c'est-à-
dire d'un bien venu au vendeur, à titre de succession; il fallût
en outre que le bien vendu fût un immeuble ; que l'acheteur
(1) Voy. Laurière, II, p. 1 à 10. Brodeau, t. II, p. 309 à 326 (édit. 1658).
(2) Code, loi 3, liv. IV, tit. 45. De jure empkyt.; loi 14, De contrat, empt.
(3) Voy. Dumoulin, Œuvres complètes , t. I, p. 919. Cf. BouteiUer, liv. I,
tit. 1.
(4) Pothier, Du retrait.
(5) Établissements, éd. P. Violiet (1884) t. II, p. 297.
COUTUME DE PARIS. 339
fût « tout estrange du lignage du vendeur, du costé et ligne
dont le bien était venu ; » que le retrayant fût du lignage du
vendeur; enfin que l'ajournement fût fait par le retrayant
dans Tan de la saisine ou inféodation (Gr. Coutumier, liv. II,
ch. 34, p 328).
La règle, que les propres seuls pouvaient écheoir en re-
trait (1), comportait cependant deux exceptions : 1° Lorsque
l'acheteur se trouvait être parent du vendeur, du côté et ligne
dont l'héritage vendu était venu à ce vendeur, bien que cet
héritage fût pour lui un conquêt, s'il le vendait à un étranger,
l'héritage pouvait être retrait dcms l'an et jour, « et est la
» cause telle, car retrait fut premièrement introduit en faveur
» du lignaige affin que les héritaiges demeurassent ès-lignes
» dont ils sont venus et pour l'honneur du dict lignaige »
(Gr. Coutumier, id., p. 343) (2).
2° La seconde exception avait lieu lorsqu'une personne,
ayant acheté un héritage soumis au retrait et qui effec-
tivement lui avait été retrait , se trouvait acquérir à nouveau
le même héritage à titre de conquêt; dans ce cas si elle le
vendait à une personne étrangère , l'héritage tombait en re-
trait « par la Coutume de France... nonobstant qu'il y ait
» coustume disant que en conquest n'y gist point de retraict,
» car icelle est générale et ceste spéciale qui desroge à la
» générale » (Gr. Coutumier, id.).
Les meubles ne pouvaient cheoir en retrait ; on attachait
moins d'importance à leur maintien dans le patrimoine de la
famille (3).
Parmi les biens incorporels, on soumettait au retrait les
cens, rentes et autres droits perpétuels « ut census, sive
(1) « Item en ventes faites a Heu retrait quand est héritage » (J. Des-
mares, 212; Coût, not., 16, 57). L'héritage retiré était propre an lignager qui
l'avait retiré (Cf. Paris, art. 139). Yoy. Pothier, Traité des propres»
(2) Lorsque le propre était vendu à un lignager, il n'y avait pas lien à retrait
car « Lignager sur lignager n'a droit de retenue » (Loysel , liv. III, Ut. v,
n° 430). On trouve cependant dans les Établissements de saint Louis, un an-
cien usage permettant au plus proche parent de retraire sur le plus éloigné
(liv. I, chap. 161). Mais cet usage n'était pas admis au xtv* siècle dans la
Coutume de Paris (Gr. Coutumier, p. 328).
(3) Cf. Paris, art. 144. Il fallait faire exception cependant pour certains
meubles précieux, qui, nous l'avons vu, étaient réputés immeubles.
340 ESSAI sur l'ancienne
» redditus vel alla servitus et cum hoc , quod sic perpétua »
(Gr. Coutumier, id.y p. 328).
Ainsi la vente d'une rente perpétuelle « en et sur héritage
et possession de propre » était assimilée à la vente de l'héri-
tage lui-même, et par suite sujette à retrait (J. Desmares,
284; Coût, not., 89; Gr. Coutumier, id., p. 347).
Lorsque la vente avait eu successivement pour objets la
rente et l'héritage , au profit d'un même acquéreur, ce dernier
pouvait être évincé de l'héritage par retrait , tout en restant
propriétaire de la rente (Coût, notoire, 89) (1).
Le retrait s'exerçait en cas de vente seulement. Certains
contrats se rapprochant de la vente pouvaient donner lieu à
des difficultés. En échange le retrait n'avait pas lieu; on ad-
mettait qu'il y avait subrogation de l'héritage acquis au pro-
pre aliéné : « 11 est de coustume par tout le royaume de
» France que se aucun permeue ou eschange de son héri-
» tage but à but , tel héritage venu par telle cause ne mue
» en rien sa nature , mais est propre héritage de celuy à qui
» il est baillé comme estoit celuy même qu'il a baillé à l'en-
» contre » (J. Desmares, 298, 197, 145) (2). Mais pour qu'il
en fût ainsi il fallait que les choses échangées fussent « ejus-
» dem qualitatis , respectu immobilitatis et quod una rerum
» permutatarum sit ita bene immobilis sicut alia » (Gr. Cou-
tumier, id., p. 341) (3).
Lorsque l'échange avait eu lieu avec soulte , le retrait pou-
vait s'exercer jusqu'à concurrence de la soulte, « en tant
» qu'il y a soulte, relraict y chiet, selon la portion de la
» soulte, se il luy plaist; car en tant comme il touche la
» soulte, c'est nature de vente » (Gr. Coutumier, id., p. 337).
Au xvie siècle, le retrait n'était admis , en ce cas , que lorsque
la soulte excédait la moitié de la valeur de l'héritage (art.
145) (4).
(1) L'héritage vendu par décret était soumis au retrait {Gr. Coût., p. 344).
(2) En cas de vente d'une dîme inféodée, il n'y avait pas retrait , si la vente
était faite a une église {Olim, I, p. 897; arrêt de 1272).
(3) Cf. Paris, ar. 145. Voy. Loysel, liv. III, lit. v, n° 445.
(4) En donation, il n'y avait pas lieu à retrait : « Impositum fuit silencium
» domine Virsionis super terra quam dominum de Paluello dédit Petro de
» Brocia quam dicta domina petebat per bursam ; cum ibi nulla fuerit ven-
» dicio, sed purum donum » (1281). Olim, II, p. 173.
^E PARIS. 341
!>ail à rente n'étaient pas
.ict n'ont lieu en échange
. Desmares, 197). Dans ces
-os que le preneur s'engageait
-. le patrimoine du censier ou
,i mobilier, droit de propriété per-
• u sur l'héritage baillé à cens ou à
pas changement dans la nature des
par suite il ne pouvait être question de
du xive siècle, on voit qu'il fallait pour
.o retrait être parent du vendeur « du costé
it l'héritage sujet au retrait, lui était venu,
tre habile à lui succéder, car tel était le sens
it alors à cette règle, ainsi qu'il résulte de l'exem-
us le Grand Coutumier (2).
jit d'exercer le retrait n'appartenait pas concurrem-
i tous les parents , mais au plus proche seulement :
.r la Coustume se aucun vend son propre héritage , les
.mis du vendeur, par espécial le plus prochain , le puent
et doivent avoir en remplant la bourse de l'acheteur de la
» somme par luy payée et des loyaux coustements, se ils sont
» plus prochains ou prochain du vendeur du côté et ligne
» dont le héritage vient... » (J. Desmares, 82; Gr. Coutu-
mier, id., p. 328). Lorsqu'il y avait plusieurs héritiers du
même degré, on les admettait à venir ensemble, chacun pour
sa portion (Gr. Coutumier, id., p. 339) (3).
Pour que ce plus proche parent pût exercer le retrait, l'a-
cheteur devait être « tout estrange du lignage du vendeur.
» Car s'il en estoit tant fut de loing , aultre plus prochain
» d'icelle mesmes ligne ne d'aultre ne seroit pas receu à le
» retraire, secundum stilum prœpositurœ Parisiemis » (Id.,
p. 328).
(1) Cf. Paris, art. 137. Lorsqu'on eut admis le rachat des rentes, on fut
amené à distinguer entre le bail à rente non rachetable et le bail à rente ra-
chetante. Dans ce dernier cas, on décida qu'il y aurait lieu à retrait, le bail
à rente rachetable ayant été assimilé à une vente dont la rente était le prix.
(2) Gr. Coutumier, lir. II, ch. 34, p. 346; Loysel, M., n<> 439.
(3) a. Paris, art. 141.
342 ESSAI sur l'ancienne
L'action en retrait était une action réelle (J. Desmares, 257) ;
elle allait devant le juge de la situation de l'immeuble et pou-
vait s'exercer contre les sous-acquéreurs. L'acheteur en ac-
quérant un héritage propre, n'en devenait propriétaire que
sous condition suspensive, à savoir, si on n'exerçait pas le
retrait dans un certain délai ; comme propriétaire , il pou-
vait transmettre son droit à un tiers (Coût, not., 144), mais
ce droit passait dans les mains de ce tiers affecté de la même
condition suspensive. Aussi, lorsque la vente avait eu lieu
dans le délai, pendant lequel on pouvait exercer le retrait,
le sous-acquéreur s'y trouvait soumis; passé ce délai, il ne
pouvait plus être appelé en retrait : « Après l'an et jour de
» la saisine du contract de la première vente , le second ac-
» quéreur ne peut plus être appelé en retrait » (Coût. noU%
145).
Le retrait devait donc s'exercer contre celui qui était le
vrai propriétaire « ou temps de l'évocation et adjournement »
(Coût. noUy 146). Il fallait cependant excepter le cas où la
seconde vente avait eu lieu depuis l'ajournement ; l'action
en retrait s'intentait alors, non pas contre le propriétaire
actuel , mais contre son auteur, c'est-à-dire le premier ache-
teur. « Car pour que question d'aucun héritage est menée
» et commencée contre aulcun détenteur d'iceiluy, ledict dé*
» tenteur ne le peult vendre ne aliéner durant la question
» d'iceiluy, ni faire chose qui soit préjudiciable au procès »
(Gr. Goutumi&i\ id.f p. 335).
Le retrait ne pouvait s'exercer pour partie, en ce sens
que, si l'acquéreur le jugeait préférable, il pouvait exiger
le retrait pour le tout. Il pouvait y avoir lieu à exercer
le retrait pour partie, notamment lorsque l'héritage vendu,
dépendant de plusieurs seigneurs, l'héritier poursuivait le
retrait devant l'un des seigneurs seulement et pour la part
relevant de ce seigneur; l'acheteur pouvait alors se défendre
et dire : « Certes, il est bien voir que j'aie achaté tel chose,
» c'est assavoir tel héritage de tel , et tout ensamble. Or re-
» querrez à avoir l'une des parties, et la meillor puet estre,
» et l'autre me demoroit; ceste voie seroie-je deceu, quar
» droit ne vaudra ja, que retret soit fet par parties; mes se
» tu veulz retraire tout ensamble et par la bourse, j'en aurai
COUTUME DE PARIS. 343
» conseil volontiers, et autrement je n'i vneil pas respondre
» à toi... » {ùmstit. du Châtelet, art. 86) (1).
L'action en retrait devait s'intenter dans l'an et jour de la
saisine, hommage ou souffrance baillés à l'acheteur : « L'an
» du retrait est entendu commencier dès la journée de la
» possession prise et saisine et non pas de la vente, pour
» ouster la fraude qui s'y porroit commettre en celant la vente
» jusques à ce que l'an fut passé, et ce est entendu tant en
» fié comme en censive » (J. Desmares, 207). Ainsi on avait
admis, comme point de départ du délai de l'an et jour, la
saisine ou inféodation, parce que ces formalités constituaient
une publicité empêchant toute fraude. Dans le cas d'une se-
conde vente, le sous-acquéreur ne pouvait être poursuivi
que si on se trouvait encore dans le délai , dont le point de
départ était pour lui, de même que pour l'acquéreur primitif,
« la saisine du contrat de la première vente » {Coût, not.,
145) (2).
Au xiv* siècle, il suffisait, pour que l'action en retrait
fût valablement intentée, que l'ajournement eût été signifié
dans l'an et jour « Ja soit que la journée escheut dehors l'an ,
» non nocet » (Gr Coutumier, id., p. 329). Une règle plus
rigoureuse prévalut, au xvi* siècle; l'ajournement et l'assi-
gnation durent échoir dans l'an et jour (art. 130).
Le délai pour le retrait courait contre les mineurs (3).
Le retrayant était soumis, en exerçant le retrait, à cer-
taines obligations. Il devait rembourser l'acheteur et lui payer
les loyaux coûts et frais du contrat : « Celui qui retrait doit
» remplir la bourse de l'acheteur de la somme par luy payée
» et des loyaux coustements » (J. Desmares, 82; Gr. Coutu-
mier, éd., pag. 340). Ce remboursement devait se faire le jour
même où le retrait était adjugé sous peine de déchéance « car
» sejourpassoit, il descherroit de son exploit » (J. Desmares,
208, 82). Le jour s'entendait jusqu'au soleil couchant, « et se
» il n'a présentement toute la somme en jugement, que l'hé-
« ritage a esté vendu, il aura et doit avoir delay de la par-
•
(1) Voy. Beaumanoir, xuv, 40.
(2) Voy. Brodeaa , sur l'article 139. OUm, I, p. 329 (arrêt de 1269).
(3) Cf. Paris, article 131. Voy. Loysel, lnr. in, tit. v, n<> 467.
344 ESSAI sur l'ancienne
» faire dedens soleil couchant d'icelle journée et non plus, ne
» il n'en doit plus demander » (J. Desmares, 83; Gr. Coutu-
mier, id., p. 340 (1).
Il ne suffisait pas que le retrayant payât la somme néces-
saire pour rembourser l'acheteur, le jour même de l'adjudica-
tion du retrait; il devait encore en avoir fait l'offre dès l'ou-
verture du procès, et même l'avoir répétée à chacune de3
journées du procès : a Quand on fait ajourner l'acheteur en
» cas de retrait, au jour assigné, doit présenter en juge-
» ment le retrayant mailles, deniers à l'acheteur, avec les
» loyaux coûts, despens ou mises et aussi toutes les journées
» qui s'ensuivent en icelle cause... » (J. Desmares, 83) (2).
Lorsque l'acheteur refusait la somme offerte « ou pour dis-
» cord de monnoie ou pour discord de pris ou aultrement de
» sa volonté, » le retrayant était autorisé à consigner cette
somme « en main de justice » en ayant soin de faire signifier
cette consignation à son adversaire (3).
Le prix, que devait rembourser le retrayant, était le prix
réel et non le prix fictif que les parties, le vendeur et l'ache-
teur, stipulaient souvent dans le but d'empêcher le retrait.
Elles exagéraient le prix de vente, espérant écarter ainsi le
retrayant par l'importance de la somme à rembourser (4).
Parmi les frais et loyaux coustements, on ne devait pas
comprendre les ventes que l'acheteur avait payées au seigneur
censier, car le retrayant n'avait pas à les rembourser à l'ache-
teur : « Cely qui retrait aucune chose tenue en censive , n'est
» pas tenu de payer les ventes à cely de qui il retrait icelle
» chouse, lesquelles ventes cely, de qui la chose est retraite,
» a payé au seigneur de qui la chouse retraite est tenue, ne
» recueurre icelles ventes à icely quili vendit icelle chouse...»
(J. Desmares, 211). Telle semble être la règle générale, appli-
(4) Cf. Paris, article 136.
(2) Voy. Laurière, sur l'article 140.
(3) Gr. Coulutnier, liv. II, ch. 34, p. 340. Voy.Brodeau, sur l'article 136,
pag. 20.
(4) Olim, I, f. 30. On avait souvent recours à la fraude, pour écarter le
retrait lignager, en dissimulant une vente sous le nom d'un échange ou d'une
donation. Voy. Loysel, W., no 447. Gr. Coutumier, liv. II, ch. 34, p. 331-
332.
COUTUME DE PARIS. 345
cable à tous les cas au xine siècle et dans la première moitié
du xrve siècle, bien que déjà une nouvelle opinion se fasse
jour, ainsi que le montre ce passage de la décision 367:«Com-
» bien que aucuns dient le contraire, est à entendre que cely
» qui retrait ne paie nulles ventes quand il est cousin-germain
» ou plus prochain de cely qui a vendu la chouse , aultrement
» le contraire est vray (1). »
Cette distinction entre le cousin-germain ou les parents plus
proches et les autres lignagers paraît être admise sans con-
teste à la fin du xive siècle. Le Grand Coutumier (liv. II, ch. 34,
p. 331) l'établit très nettement. La règle peut alors se for-
muler ainsi : « Tout lignager exerçant le retrait doit rendre
les ventes à l'acheteur, s'il n'est cousin -germain ou plus
proche parent du vendeur. »
Mais le retrayant n'en devait pas moins payer les ventes au
seigneur dont dépendait l'héritage retrait, et cela sans aucune
distinction : « Nota que selon la Coustume de la prévoté et
» viconté de Paris quiconques retraict, il doibt telles saisines et
» ventes au seigneur comme devoit le premier achepteur... »
(Gr. Coutumier, id.f p. 330).
Lorsque les ventes n'étaient pas remboursées à l'acheteur,
ce qui avait lieu dans tous les cas au moins jusqu'à la seconde
moitié du xive siècle, celui-ci avait-il un droit de recours
contre son vendeur? A l'origine, il faut répondre négative-
ment, « ne (l'acheteur) recueurre icelles ventes à icely qui
» li vendit icelle chouse » (J. Desmares, 367). Et la même
décision nous en donne la raison : « Et la raison pourquoi
» icely de qui on retrait ne recueurre aucunes ventes de cely
» qui ly a vendu, est telle, quar, quand li achata la chouse, li
» devoit soy pourveoir contre son vendeur à cause des ventes,
» et en cas de retrait, par stipulation ou autrement, et se il ne
» est pourveu, il se doit imputer considéré que il devoit savoir
» que le retraiant ne rend point les ventes à cely de qui il
» retrait et que la chouse pooit choir en cas de retrait. »
(1) Voy. Brodeau, sur l'article 136, parag. 12. A a xvie siècle, les lods et
ventes étaient compris dans les frais et loyaux cousis que le retrayant devait
rendre à l'acheteur. Nous avons vu que la nature de ces droits s'était modi-
fiée dès le xve siècle ; ils étaient devenus de simples droits de mutation. Il
était donc naturel de les comprendre dans les frais et cousts.
346 ESSAI sur l'ancienne
Plus tard , vers la fin du xiv6 siècle , on admit que l'ache-
teur aurait de droit un recours en garantie contre son ven-
deur, sans qu'il fût besoin d'aucune stipulation préalable ; il
devait seulement, lorsqu'il était poursuivi par le retrayant t
sommer son vendeur « souffisamment en jugement, durant
» la dilation de garand , et de proposer ses bonnes raisons
» de prendre la garantie du procès ou de luy enseigner
» bonnes raisons pour soy aider contre le retraieur... » (Gr.
Coutumier, id.9 p. 331).
L'acheteur pouvait avoir fait, durant sa possession, des
réparations à l'héritage qui lui était retiré par un lignager.
Les dépenses qu'elles avaient entraînées devaient-elles lui
être remboursées? Il fallait distinguer entre les dépenses
nécessaires ou seulement utiles d'une part, et les dépenses
volontaires de l'autre. Quant aux premières, faites avec au-
torisation de justice, elles étaient réputées « loyaulx mises
et coustemens, » et comme telles, le retrayant devait les
rembourser ; faites sans autorisation , le retrayant n'en devait
rien : « Le retrayant ne rend nulles réparations nécessaires
» ne utiles , si elles n'ont été fêtes par, authorité de justice et
» se autrement il les fet, il semble qu'il les veuille donner... »
(J. Desmares, 213). Cette supposition était difficilement ap-
plicable aux réparations nécessaires, aussi n'était-elle pas
admise sans controverse, et la même décision ajoute : « Com-
» bien que aucuns dient qu'il n'est pas nécessité de faire les
» nécessaires par authorité de justice. » Cette dernière opi-
nion, plus équitable, finit par l'emporter (Gr. Coutumier, id.t
p. 333) (1).
Quant aux réparations volontaires, elles ne pouvaient ja-
mais être remboursées : « Quant est des volontaires, il n'est
» nulle doubte qu'elles ne povent estre répétées, soient fêtes
» par authorité de justice ou non » (J. Desmares, id.).
Les détériorations provenant du fait de l'acheteur lui étaient
imputables , et il était obligé de rétablir l'héritage dans son
premier état ou d'indemniser le retrayant de la moins-value
(Gr. Coutumier, id., p. 334).
Pour les fruits, l'acheteur était assimilé à un possesseur de
(1) Cf. Paris, art. 146.
COUTUME DB PARIS. 347
bonne foi, et il ne devait rendre que ceux perçus depuis te
demande en retrait : « Celui de qui on retraict ne doit rendre
» les fruicts perçus et recueillis, jaçoit que le héritage ait esté
» plus vendu pour la raison des fruits perçus et levés , car
» ieeux fruicts estaient siens, si ce n'estoit qu'il eust esté trait
» en jugement pour le retrait, et depuis levés et perceus »
(J. Desmares, 214) (1).
CHAPITRE HUITIÈME.
Arrests; exécutions et gageries.
Dans les textes du xive siècle nous trouvons trois formes
principales de saisies mobilières : l'arrêt, l'exécution, la ga-
gerie. Cette dernière avait lieu, tout particulièrement, au
profit des censiers et bailleurs à rentes. Il en a été traité au
chapitre II : Des censives. L'exécution et l'arrêt étaient d'une
pratique plus générale (2).
On ne pouvait procéder par voie d'exécution ou d'arrêt que
dans quatre cas , qu'on trouve énumérés dans le passage sui-
vant du Grand Coutumier : « premièrement, par lettres
» obligatoires ; secondement , par vertu d'une sentence obte-
» nue; tiercement, par lettres de privilèges....; quartement,
» si ladicte debte est privillegée , si comme sont debtes du
» roi » (Liv. II, chap. 15, p. 219).
Les lettres obligatoires devaient être scellées de scel au-
thentique , ou si elles étaient sous signature privée , le débi-
teur devait en avoir reconnu et approuvé la signature. « Le
» créancier puet faire exécuter son débiteur par vertu de
» lettres obligatoires, scellées du scel authentique du débiteur,
(i) Yoy. Loysel, liv. 1ÏI, tit. v, n° 470. — n y avait de nombreuses diffé-
rences entre le retrait féodal et le retrait lignager. Le premier ne s'exerçait
que pour les fiefs, propres ou acquêts; le second pour tous les héritages
propres. Le retrait lignager durait un an; le retrait féodal durait 40 jours, à
compter de la notification faite au seigneur ; s'il n'y avait pas eu notification,
il durait 30 ans comme tous les autres droits (Paris, art. 20). Enfin, le re-
trait lignager primait le retrait féodal , en ce sens, que le seigneur qui avait
retrait le fief pouvait être évincé par un lignager (art. 22), etc., etc.
(2) Voy. Brodeau, sur le titre VIII , tom. II , pag. 494.
348 ESSAI SUR l'ancienne
» se il a reconnu son scel et apreuve le seel , ou par vertu
» d'arrest du Parlement ou de sentence de juge ou de debtes
»royaulx, et nul n'est receu a opposition sans garnir la
» main » (J. Desmares, 111) (1).
Cette obligation de « garnir la main » pouvait être imposée
au débiteur qui reconnaissait son scel (J. Desmares, 104).
Elle était exigée toutes les fois qu'on voulait s'opposer à une
exécution {Gr. Coutumier, id.t p. 221) (2).
Les obligations scellées du scel du Châtelet de Paris étaient
exécutoires à Paris et dans la banlieue , et même dans toute
l'étendue de la prévôté et vicomte de Paris , « mesmement en
» la terre des seigneurs hault justiciers et à ce sont appelles
» le maire ou sergens du lieu se l'en les trouve et si non , les
» sergens du Chastellet en leurs absences font leurs exploicts »
(Gr. Coutumier, éd., p. 214).
L'exécution ne pouvait avoir lieu que pour dettes liquides
et certaines : « Exécution et vente judiciaire ne peut se faire
» que pour une somme certaine ou pour espèces préalable-
» ment estimées » (J. Desmaras, 311) (3).
On pouvait procéder par exécution , en vertu de Lettres de
privilèges; ainsi les bourgeois de Paris pouvaient aller par
voie d'arrêt ou d'exécution contre leurs débiteurs forains, sans
qu'il fût besoin de lettres scellées ou de sentence du juge. Ce
privilège des bourgeois était très ancien; on en retrouve la
trace dans une charte de Louis le Gros de 1134 (4) : « Li
» bourgois et habitans de Paris puent aler par voie d'arrest
» en la ville de Paris et es fauxbourgs d'icelle sur les biens
» de leurs débiteurs forains pour estre payés de leur dettes ,
» combien qu'elles échéent en connaissance de cause et de ce
» user ne porroient contre ceux qui auroient domicile à Paris,
» car privilèges contre privilèges ne vaut » (J. Desmares,
233) (5). Les étrangers ayant domicile à Paris, c'est-à-dire y
ayant séjourné Tan et jour, étaient soustraits à l'exécution
(1) Cf. Paris, art. 164-165.
(2) Voy. Laurière, Glossaire, v° Garnir la main.
(3) Cf. Paris , art. 166.
(4) Isambert , I , p. 143.
(5) Voy. Brodeaa, sur l'article 173.
COUTUME DE PARIS. 349
privilégier des bourgeois (Coût, not., 49; Gr. Coutumier, ûl.,
p. *!9);
Il y avait encore* Vautres casoè on pouvait, p»1 privilège,
procéder par voie d'exécution?; c'était en cas de« louage de
maisons et de censive. C'est ce1 qu'on appelait lft'gagerie
pour cens et rentes (1).
L'exécution commencée dirait se poursuivre dansera» et
jour sous peine de déchéance, a Se il advient que aucun
* créancier se départe an et jour de poursuivre son exécution ,
» il fait interruption de son procès, ne ne puet poursuivre son1
v exécution première; mais il puet commander exécution1
» nouvelle et perd les despens de la première » (J. Desmares,
148; Coût, not., 6).
Lorsque le débiteur était mort, on ne pouvait poursuivre
ses héritiers par voie d'exécution; il fallait alors agir par'
action (2) (J. Desmares, 105) : « Se aucun est obligié à un
vautre par lettres exécutoires, se il muert, le créancier ne
a puet faire exécuter les héritiers du mort, ains le doit conve-
» nir par action, se il n'es toit fils ou fille , car eadem persona
» censetur cum pâtre » (J. Desmares, 132) (3).
Hais lorsque l'exécution avait été commencée du vivant
du débiteur, elfe pouvait se continuer contre les héritiers,
du moins quant aux biens pris et exécutés : « L'exécution
» de perpétue, après la mort, sur les biens pris et exécutés du
» vivant du défunt et non sur les autres biens qui ne furent
» oncques pris, et convient que ses hoirs soient appelés à les
» voir vendre, consentans ou défaillans, ou qu'il soit dit par
» jugement, parties ouyes, qu'ils seront vendus, mesmement'
» immeubles, alias rien ne vaut » (Coût. nùt.% 65; J. Des-
mares, 162). Ces textes nous donnent la procédure qu'on
suivait pour terminer l'exécution commencée du vivant du
débiteur (4).
L'exécution commencée se poursuivait également, lorsque
le débiteur vendait ou transportait à des tiers les héritages
(1) a. Paris, art. 161-163.
(2) a. Paris, art. 168.
(3) Id. J. Desmares, 133.
(4) a. Paris, art. 168, in fine.
Revus hjst. — Tome VIII. 23
3S0 ESSAI sur l'ancienne
pris et exécutés, et cela « sans congé de justice, » sans appe-
ler le créancier «... en quelques mains que les héritages soient
» en fait , ils s'en vont à la charge et danger dudit arrest
» et main-mise et puet le créancier ladite exécution ... pour-
» suivre et faire parfaire par voie exécutoire, tant aussi bien
» que si l'obligé ou condamné vivoit ou qu'il n'eut jamais
)> vendu ou transporté ses biens, mesmement pendant Fex-
» ploict et procès sur ce » (Coût, not., 5).
L'exécution pouvait avoir lieu non-seulement sur les biens
du débiteur principal, mais aussi sur ceux de la caution;
le créancier devait d'abord exécuter le débiteur; ce n'est
qu'après qu'il pouvait agir contre la caution. Les héritiers
de la caution, comme ceux du débiteur principal, étaient
tenus de l'exécution commencée , du moins quant aux biens
pris et arrêtés du vivant de leur auteur : « Toutesfois
» que aucune exécution est commencée sur un obligié et sur
» ses biens et aucune tierce personne en répond suffisamment,
» la main garnie en main de justice, et de ce il appert due-
» ment et suffisamment, on puet procéder sur les biens d'ice-
» luy ainsi répondant par voie d'exécution en son vivant;
» et se perpétue la poursuite de la dite exécution , sur les
» biens prins et mis en la main de justice, au vivant dudit
» répondant » (Coût. noL, 62).
En règle générale, les biens d'un débiteur étaient consi-
dérés comme le gage commun de ses créanciers, sans aucune
distinction. Mais de bonne heure, on admit, par exception,
des créanciers à jouir de privilèges qui leur permissent d'exer-
cer leurs droits sur certains biens de leur débiteur, même à
rencontre des autres créanciers. Nos textes des xin* et xiv*
siècles nous fournissent plusieurs exemples de ces privilèges.
Les hôteliers avaient un privilège pour le recouvrement des
dépenses « d'hostelage » faites chez eux. Ce privilège s'ex-
plique facilement ; car obligés par état de recevoir les voya-
geurs sans pouvoir s'assurer de leur solvabilité, il était juste
de leur permettre d'exercer leurs droits, de préférence aux
autres créanciers, sur les biens apportés par les voyageurs
dans l'hôtellerie (1) : « Les despens d'hostelage, livrés par
(1) Voy. Brodeau, sur l'article 175.
COUTUME DE PARIS. 351
» hoste à pèlerin et à ses chevaux sont privilégiés et présens
» et à payer devant tout autre debte sur les biens et chevaux
» hostelés et le puet l'hostelier retenir jusqu'à paiement des
» despens faits par luy aux pèlerins... Et ce vray en la ville
» et banlieue de Paris, des despens franchement administrés,
» iceux biens et chevaux estant en la maison de l'hostelier «lu
» temps de la poursuite, et dont il n'avoit terme contraire à
» ce privilège » (Coût. noUy 50; J. Desmares, 176).
Le privilège de l'hôtelier ne pouvait s'exercer qu'autant que
les effets du voyageur étaient restés dans la maison; aussi
donnait-on à l'hôtelier un droit de rétention jusqu'à l'entier
paiement de ses déboursés.
Les « marchands de VEaue » à Paris, lorsqu'ils faisaient
transporter des marchandises par bateaux, avaient un privi-
lège sur les bateaux , comme garantie des malversations des
bateliers : « Le basteau respond des malversations du voictu-
» rier, bien qu'il n'en soit pas propriétaire » (Coût, not.,
154) (1). Le marchand pouvait arrêter le bateau, mais cela
n'était vrai qu'autant que ce bateau se trouvait « en et sur le
» port ou lieu où les dites denrées auroient été menées. » Dans
tout autre cas, le marchand ne pouvait procéder que par voie
d'action (1370, Coût. noL, 155).
Ces deux privilèges , celui des hôteliers et celui des mar-
chands, nous montrent que les meubles étaient, du moins
dans certains cas, susceptibles d'un droit de préférence. Mais
étaient-ils susceptibles d'un droit de suite? Nous avons vu
que l'hôtelier ne pouvait exercer son droit de préférence sur
les objets et chevaux qui n'étaient plus en sa possession et
que le marchand ne pouvait plus arrêter le bateau qui avait
quitté le port. Ces exemples semblent bien indiquer qu'il n'y
avait pas de droit de suite sur les meubles; telle est, en effet,
la règle , qu'on trouve fréquemment énoncée dans les textes
du xive siècle : « Meuble n'a point de suite ; c'est à entendre
» quand est tenu à juste titre et à bonne foi et que par exécu-
» tion , le créancier auroit vendu et livré iceux biens de son
» obligié et sans opposition , avec la solemnité qui y appar-
» tient » (J. Desmares, 165; Coût, not., 23) (2).
(4) Voy. Leroux de Lincy, Bût. de l'Hôtel de Ville.
(2} Voy. Brodeao, sur l'article 470.
354 ESSAI sur l'ancienne coutume de paris.
notoire 143 et la décision 192 de J. Desmares donnent le texte
du passage de l'ordonnance relatif à ces cessions ou trans-
ports. Outre la nullité, ils étaient punis d'une amende arbi-
traire. Contrairement aux principes du droit, l'ordonnance
avait un effet rétroactif, du moins quant aux dettes dont « la
» question n'était pas encore déterminée..... en quelque estât
» que le procez soit. »
H. Bûche.
(A suivre.)
NOTE SUR LA DATE
DU STILUS PARLAMENTI
DE GUILLAUME DU BREUIL
Pour bien fixer la date du Stilus Parlatnenti de Guillaume
du Breuil , on avait recours à un arrêt de règlement inséré
au chapitre « De coutumacia et defectu et utilitate ipsorum »
(ch. VI de l'édition donnée par Du Moulin) et daté comme il
suit : « Anno Domini 1329 (vieux style) die sabbathi in crastir
num Sancti Cathedre Pétri. » Cet arrêt, comme beaucoup d'au-
tres cités par Du Breuil, n'avait pas encore été retrouvé dans
les registres du Parlement. Plus heureux que mes devanciers,
je l'ai rencontré dans le registre X1*, au f* 130 r°, entre
divers arrêts du 20 avril 1336 (nouveau style). Il porte la
date de 1319 (vieux style). Évidemment il n'est pas à sa
place. Le registre X1?, qui contient des lettres et des arrêts,
commence au 19 novembre 1334 et finit le 19 juillet 1337.
Notre arrêt aurait dû être inséré au premier registre des ju-
gés X1* qui va du 8 décembre 1319 au 17 septembre 1327.
Pourquoi le greffier a-t-il rapporté cet arrêt important sur la
partie restée blanche du f° 130 r° entre les arrêts classés
VIP1! et VII1* II du registre X1 *? La réponse n'est pas pos-
sible. Dans la marge de gauche , une main est dessinée à la
plume , et le mot « stilus » a été écrit au xv° siècle. A la
marge de droite est reproduit le signe A qui indique que Le-
nain a fait copier l'arrêt.
Peut-on dire que le greffier s'est trompé , qu'il a écrit ccc°
xix° pour ccc° xxix0? Mais alors il faudrait invoquer la même
raison à propos de trois manuscrits du Stilus qui ont aussi la
date 1319, et qui ne semblent pas dériver l'un de l'autre,
tant les variantes sont nombreuses et souvent caractéristi-
3S6 NOTE SUR LA DATE DU 8TILUS PÀRLAMENTI
ques (1). La date de oet arrêt est donc, tout au moins, très-
douteuse, et on ne saurait, dès lors, se servir de ce texte
pour déterminer la date du Stilus Parlamenti.
Deux autres Arrêts cités sont datés de 1329 (Stilus, XIII,
§ 1 et XXIII, § 6), je ne les ai pas encore retrouvés dans les
registres; mes recherches ont abouti seulement à en identifier
un de 1327 (Stilus, IV, § 17) qui est dans le troisième registre
des jugés (X1 e, 1* 18 v°) à la date du 7 janvier 1327 (vieux
style); un autre du 9 décembre 1328 [Stilus, XVIII, § 21) est
dans le même registre au f° 66 r°.
Au lieu de dire que le Stilus est certainement postérieur à
un arrêt de règlement du 23 février 1330 (nouveau style) et
antérieur à l'arrêt de règlement relatif à la capacité des mi-
neurs impliqués dans des procès en matière réelle (2), on
(1) Les trois manuscrits sont à la Bibliothèque nationale, fonds latin, n" :
4,641B (xv« siècle, certainement postérieur à 1434. Voirf0 59 r°, papier et
quelques feuilles de parchemin). Le Stilus commence au fo 1 r° et finit au
f© 57 v©.
12,812 (xv* siècle, parchemin. Enluminures. Majuscules ooloriées en bien
et en rouge, au f° 108 r° est cité un arrêt de novembre 1493). Le Stihu com-
mence au f° 1 r° et finit au f» 43 v°. An f° 45 r° l'arrêt de règlement est re-
produit avec la dale de 1309, ici l'erreur est évidente.
14,669 (xv« siècle, papier. Au f° 266 v<> est un arrêt de février 1424, les
autres arrêts cités sont antérieurs). Le Stilus commence au f» 194 r° et Jflxrit
au fo 238 ro.
Les autres manuscrits donnent la date de 1329, ce sont :
4,641A(xv* siècle, parchemin. Semble contemporain du ma. 4,641B. Un
paléographe exercé, M. H. Omont, partage cette opinion). Le Stilus commence
au f° 1 r° et finit au f° 46 r».
4.643 (xv« siècle, papier). Le StUnt va du f° 1 r« au f« 27 r«.
4.644 (xvp siècle, papier). Le Stilut va dnf* 22 r* au f» 145 r*.
9,844 (xv« siècle, parchemin). Le Stilus va du fo 1 i« au fe 98 v*.
9;845 (copie datée de 1478, papier). Le Stilus va du fo 5 v° au fo 55 v*.
9,846 (xv* siècle, parchemin). Le Stilus va du fo 1 r° au f° 33 ro.
Fonds français :
5,277 (achevé en 1478, papier. Ms. appartenant à François Barbier). Le
Stilus va du f° 184 au f° 243 v<>, en français.
18,110 (xvo siècle, papier). Le Stilus yest en latin, du fo 99 r° au f» 164 v«.
Je n'ai pu avoir communication des mss. 4,642 (fonds latin) et 5,359 (fonds
français).
(2) Ordtm., t. II, p. 63. Ce texte Important n'a pas d'antre date que celle
de 1330; les éditeurs root placé après des ordonnance» datées de 4930 (vies*
style). Dans les registres des ordonnances du Parlement. (X* a &>603 f» 6r»},
DE GUILLAUME DU BREUIL. 357
doit donc se contenter d'affirmer que Du Breuil a composé
son ouvrage dans une période qui s'étend depuis 1329 jusqu'à
k fin de l'année 13ao (1).
Texte de V arrêt de règlement transcrit dans le Stilus Par-
lamenti (ch. IV), — et rétabli d'après le registre : X1 7,
• fM30r*.
Anno Domîni m° ogc° xix°, die sabbati in erastino festi
Cathedra Sancti Pétri (2) Apostoli, de oonsensu omnium ma-
jgistronum existencium in parlamento, ac vocatis >ad hoc ad*-
vocatis parlamenti antiquioribus et provectioribus , et delibe-
tatione super hoc inter ipsos et cum eis habita diligenti super
quatuor articulis infra scriptis, dicti parlamenti nostri curia
deciaravit in parkmentis longis temporibus observatum fuisse,
et ordinando decrevit sic deinceps observari debere vide-
licet :
Quod in casu novitatis indebite parti conquerenti littera
domini régis concessa de justicia in forma consueta per ejus
•executorem propter oppositionem< partis adverse, debato hu-
jusmodi ad mauum domini régis tanquam superiorem posito ,
et assigna ta partibuscerta die in parlamento ad procedendum
ulterius super debato predieto, si ad dietum diem, compa-
rante dicto conquerenti, pars que se opposuit non compareat ,
nec excusatorem mittat, dictus non comparons ponetur in
cet arrêt daté simplement de 1330 est placé entre une ordonnance de janvier
1328 (vieux «tyle) et «une antre de janvier 1324 (vieux style).
(1) Schwalbath (9ff Cttilprocess des Pariter Parkanenh Mohdem « stilus »
Du Bruetis (au parag. 1, p. 1), 1881. Fribourg*en«Bri8gau et Tubingue a cru
que Du Breuil avait connu l'ordonnance du 9 mai 1330 sur l'appel. La pro-
cédure de cette ordonnance est, il est vrai, reproduite dans le Stilus. Mais
on ne peut rien en conclure, sinon que la jurisprudence du Parlement l'avait
depuis longtemps admise , puisque Du Breuil se réfère à un arrêt de 1323
i/Siïku, IV, § 4). D'ailleurs, |la date exacte de cette ordonnance est le 9 mai
1332 (V. Registre A des ordonnances du Parlement, X1 A 8,602, f° 6 r°).
(2) C'est-à-dire le 23 février, car il s'agit ici de la Chaire de saint Pierre à
Antioehe qui se célèbre le 22 février. La fête de la Chaire de saint Pierre à
Rome n'était pas célébrée au xiv* siècle. Bile ne fut rétablie qu'en 1958 par
Paul IV qui la fixa au 18 janvier (D. Guéranger, Année liturgique , Le temps
de No&, t. II, p. 399 de la 6* édit. Oudm , in-12).
358 NOTE SUR LA DATE DU STILUS PARLAMENTI
defeciu et statim , absque nova dilatione , res contentiosa que
erat in manu regia , ponetur in manu dicti comparent'» et in
ejus saisina deffendetur, salva questione proprietatis super
hoc parti adverse (1).
Item, in causa pendente Parisius in parlamento, facta
commissione super articulis parcium, si ad subsequens par-
lamentum , pro renovanda dicta commissione , pars una com-
pareat, altéra non comparente nec excusatorem mittente, ad
requisitionem dicte partis comparenti pars non comparens po-
netur in defectu, vel statim renovabitur dicta commissio ad uti-
litatem tantummodo partis comparentis, scilicet si hoc maluerit
dicta pars comparens ; et si dicta pars non comparens pro se
mittat excusatorem, si ipsa suum adversarium non fecerit
adjornari ad proximum subsequens parlamentum ad videndum
purgari suum defectum predictum, ipsa super purgatione
dicti defectus amplius non audietur, et deinceps renovabitur
dicta commissio (2) ad utilitatem predicte partis que , ut pre-
missum est, dictam commissionem ad utilitatem suam tan-
tummodo optinuit renovari.
Si vero super purgatione dicti defectus, adjornata parte
adversa competenter, ut premissum est, purgatus fuerit suf-
ficienter dictus defectus, dicta commissio ex tune absque alia
dilatione renovabitur pro utraque parte.
Item si a judicato contra se lato pars appellaverit ad parla-
mentum Parisius , et ad procedendum in dicta causa appel-
lations suum fecerit ad certain diem adversarium adjornari ,
adveniente dicta [die, si pars, que pro se judicatum optinuit,
compareat, parte appellante non comparente, nec excusatorem
mittente , ipsa pars appellans , si hoc dicta pars appellata que
comparuit requirat , in defectu ponetur, et statim dabitur ipsi
parti appellanti littera quod judicatum pro se factum execu-
cioni mandetur.
Presumendum enim est pro dicto judicato ex quo non com-
paret nec excusatorem mittit ad diem ad hoc sibi assigoatam
(1) Le ms. 14,669 ajoute : « Et iste stillos est verus et ita dictam fait pro
» uxore magistri Roberti La Léon. »
(2) *9* signifie ici commistio, c'est la première fois que je trouve cette
abréviation dans les registres du Parlement.
DE GUILLAUME DU BREUIL. 359
pars que dictum judicatum per suam appellationem impu-
gnare videbatur (1).
Si vero pars que appellavit ad dictam diem compareat,
parte que pro se judicatum habuit non comparante nec excu-
satorem mittente, ipsa pars non comparons ponetur in de-
fectu et readjornabitur super utilitate dicti defectus ad subse-
quens parlamentum , non enim ita de facili procedendum est
ad annulandum sicut ad exequendum aliquod judicatum cum
pro dicto judicato presumendum sit prima facie si ipsum
rationabiliter non impugnetur vel appellatio contra dictum
judicatum interposita diligenter non fuerit prosequta.
Félix Aubert,
avocat , archiviste-paléographe.
(1) « Presumendum est enim pro ipso judicato ex quo ipso appellans non
» comparait, nec ezcusatorem misit, quod judicatum per ejus appellationem
» non videtur impugnare » (édit. Du Moulin). Le ms. 14,669 donne la variante
«... quod judicatum per ejus appellationem non velit impugnare. »
DE LÀ
CIRCONSCRIPTION DES COMMUNES
PAR LA CONSTITUANTE DE.1789
Dans un article inséré as numéro de marB-avriM877 de
cette Revue, nous ayons rectifié l'erreur généralement répan-
due que-; d'après l'organisation votée par la Constituante de
1789, le département n'était qu'une simple division territoriale
destinée à faciliter Faction politique et administrative du pou-
voir central. Nous avons publié le budget spécial d'un dé-
partement-en 1791 et nous avons prouvé d'une manière irré-
futable que, dès leur création, les départements ont eu une
existence propre, des intérêts distincts de ceux dé l'État, et
que, dans la pensée de la Constituante, ils étaient appelés à
jouer, en France, le rôle que l'élément provincial joue chez les
autres nations;
Nous voulons aujourd'hui rectifier une seeende erreur non
moins répandue; on croit que si nous avons des communes
de cent à trois cents habitants , la faute en est à l'Assemblée
constituante qui aurait placé une municipalité dans toutes les
anciennes paroisses. Pour réfuter cette erreur, nous recour-
rons à la source où nous avons trouvé la réfutation de la pre-
mière , c'est-à-dire aux registres des délibérations des assem-
blées de département (i).
Nous y avons trouvé la preuve que, bien loin de conserver
toutes les paroisses à l'état de communes, les assemblées
de département, d'après les instructions de la Constituante,
en avaient supprimé une grande partie et n'avaient conservé
que les plus importantes.
(1) Ces registres sont déposés aux archires de chaque préfecture.
364 DE LA CIRCONSCRIPTION DES COMMUNES
conscription des paroisses fat faite dans, le département des
Côtes-du-Nord.
Dans le district de Dinan, les paroisses conservées furent
an nombre de 25, à savoir : Dinan, Saint-Sam son , Plestin,
Plessis-Balisson,Ploubalay, Samt-Potan, Pluduno, Planooêt*
Corseul, Quévert, Bourseul, Plélan-le-Petit, Vildé-Guinga-
lan, Brusvilly, Yvignac, Saint-Juvat , Tréveron, Goenroc,
Plouasne, Evran, Saint-Solain, Saint-Hellen, Pleudihen.
Les paroisses supprimées furent les 29 suivantes : Taden,
Langrolay , Trigavou , Tremereuc , Languenan , Lancieux ,
Saint- Michel , Saint - Meloir, Lalandec , Saint - Maudé ,
Trébédan, Plumaudan, Bobital, Saint-Carné, le Hinglé, Saint-
Maden, Saint- André, Tréfumel, Le Quiou, Guitté, Saint-Ju-
doce, Lehon, Tressaint, Calorguen, Lanvallay, Languedias et
Plorec.
Les paroisses dont les noms sont en italiques , étaient con-
servées comme succursales pour le culte.
La circonscription des paroisses s'opéra d'une manière ana-
logue dans les autres départements; nous citerons un< autre
exemple , celui de l'Orne.
Le conseil général y nomma aussi une commission pour;
examiner le travail des directoires de district; il commença
l'examen des projets présentés par cette commission, le 10
décembre 1791*
Voici le résultat pour le canton d'Alençon (1) :
1° Notre-Dame d'Alençon, église principale;
2° Saint-Pierre de Montsort , seconde paroisse de la même
ville;
3° Saint-Léonard d'Alençon, succursale de Notre-Dame
d'Alençon;
4° Courteiile , église paroissiale ;
5° Cérisé supprimée et réunie à Courteiile ;
6° Valframbert, paroisse conservée;
7° Congé , supprimée et réunie à Valframbert;
8° Damigny , conservée paroisse ;
9° Colombiers, conservée paroisse;
(1) Le canton de cette époque, différait du canton aotael.
PAR LA CONSTITUANTE DE 1789. 365
10° Lonray, succursale de Colombiers;
il0 Pacé, conservée paroisse;
12° Condé-sur-Sarthe , succursale de Pacé;
13° Saint-Germain duGorbéis, succursale de Saint-Pierre;
de Montsort, paroisse d'Alençon;
14° La Ferrière-Bochard, conservée paroisse;
15° Mieuxcè , conservée paroisse ;
16° Saint-Cénery, succursale de La Ferrière-Bochard ou de
Mieuxcé à son choix ;
17° Saint-Denis-si^r-Sarthon , conservée paroisse;
18° Gandelain, conservée paroisse;
19° La Roche-Mabille , conservée paroisse ;
20° La Lacelle , conservée paroisse ;
21° Somalie, conservée paroisse;
22° Larré , succursale de Somalie ;
23° Radon , conservée paroisse avec partie de Feugerets
l'autre partie réunie à Vingt-Hanaps , canton d'Essay ;
24° Forge , succursale de Radon ;
25° Feugerets, supprimée et réunie, partie à Radon et
l'autre partie à Vingt-Hanaps ;
26° Guissai , conservée paroisse ;
27° Saint-Nicolas , succursale de Guissai ;
28° Le Froust, oratoire de Guissai ;
29° Hesloup, conservée paroisse.
On conserva donc, dans le canton d'Alençon, 15 paroisses
sur 29 ; on en conserva 1 4 sur 25 dans le canton de Carrouges ;
14 sur 26 dans celui de Sèes; 11 sur 17 dans celui d'Essai (qui
n'existe plus) ; 10 sur 11 dans celui de Courtomer. En résumé,
64 paroisses seulement sur 108 formant le district d'Alençon,
furent des sièges de municipalités.
Malgré le soin que Ton avait pris de maintenir, comme
succursales pour le culte, un certain nombre de paroisses
non érigées à l'état de communes , les habitants se trouvaient
souvent trop éloignés des églises , surtout à une époque où
les chemins étaient peu nombreux et en mauvais état. Sous
l'influence de la réaction religieuse qui suivit le 9 thermidor,
il y eut de nombreuses réclamations. Ce fut la Constitution de
l'an III, qui rétablit, sous le nom général de communes, la
Rbtub hist. — Tome VIII. 24
366 DE LA CIRCONSCRIPTION DES COMMUNES
plupart des anciennes paroisses supprimées en 1791. Dans l'ar-
rondissement de Dinan, elles furent toutes rétablies, même les
plus petites. Dans le canton d'Alençon, nous en comptons trois
qui ne le furent pas.
Il faut remarquer que d'après la Constitution de l'an III
l'administration municipale avait été transférée au canton
(art. 174). Dans les communes dont la population était infé-
rieure à cinq mille habitants , il n'existait pas de pouvoir dé-
libérant, on n'y trouvait qu'un simple agent municipal et un
adjoint qui n'avaient d'autre fonction que d'exécuter les ordres
des administrations municipales de canton. H n'y avait donc
pas grand inconvénient à ériger à l'état de communes , même
des paroisses trop petites pour s'administrer elles-mêmes. 11
n'en fut pas ainsi lorsque la Constitution de l'an VIII eut
décidé qu'il y aurait « un conseil municipal dans chaque ville,
» bourg ou autre lieu pour lequel il existe un agent munici-
» pal i> (art. XV). Il est vrai que les attributions de ce conseil
étaient alors fort peu importantes; mais elles ont été succes-
sivement augmentées par les lois de 1837, de 1867 et de 1884 ;
aujourd'hui les conseils municipaux prennentun grand nombre
de délibérations réglementaires, c'est-à-dire définitives. Le
maire est devenu électif, il fait exécuter toutes les délibérations
réglementaires sous la simple surveillance de l'administration
centrale, il a été chargé d'exécuter un grand nombre d'actes
pour le compte de l'État.
Il est difficile de trouver dans des communes de cent à trois
cents habitants , des maires et des conseils ayant le degré
d'instruction et de capacité administrative nécessaires à ces
importantes attributions; les petites communes ont montré
et montreront de plus en plus leurs inconvénients , à mesure
qu'augmenteront les libertés municipales ; elles seront toujours
un obstacle au développement complet de ces libertés.
Faut-il conclure à la suppression des petites communes réta-
blies en l'an III? Nous ne le pensons pas ; les habitants de la
campagne tiennent beaucoup à leurs municipalités et à leurs
clochers; une foule d'intérêts, de sentiments, de souvenirs
personnels les y rattachent; ils sentiraient comme une diminu-
tion de tête, pour nous servir d'une expression romaine, si
leur commune allait s'absorber dans une autre.
PAR LA CONSTITUANTE DE 1789. 367
Nous pensons qu'il faut conserver toutes les communes qui
ne sont pas absolument dénuées de ressources en hommes et
en argent. C'est par l'organisation cantonale , par l'association
des communes entre elles pour l'exécution des entreprises
au-dessus de leurs forces, qu'on obviera aux inconvénients des
trop nombreuses petites communes qui existent.
H. de Ferron,
Conseiller de préfecture de la Seine.
-*-
CHRONIQUE
<«•••
Notre collaborateur, M. Flach , dont nous annoncions dans
notre précédent numéro la nomination à la chaire d'Histoire
des législations comparées, nous adresse la lettre suivante :
« A Messieurs les Directeurs de la Nouvelle Revue histo-
rique DE DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER.
« Paris, ce 7 avril 1884.
« Messieurs et honorés collègues,
« Les devoirs d'un double professorat àù Collège de France
et à l'École libre des sciences politiques , ta publication d'un
ouvrage considérable sur l'histoire du droit français, dont
une partie est sous presse et qui sollicite tons mes efforts ,
m'empêchent de donner désormais à la Revue tout le temps
qu'une bonne direction exige. Il m'est pénible de me séparer
de vous , de nos excellents collaborateurs de la France et de
l'étranger, de nos lecteurs fidèles , après dhc ans de travaux
370 CHRONIQUE.
poursuivis en commun. Mais je ne veux pas retenir l'honneur
d'être un des Directeurs de l* Revue, du moment que je ne
pourrai plus lui apporter une collaboration vraiment active.
« Veuillez croire, Messieurs et honorés collègues, à mes
sentiments bien dévoués,
« Jacques Flach. »
Nos lecteurs comprendront sans peine les regrets que nous
inspire la résolution de M. Flach et s'associeront aux senti-
ments de gratitude que nous tenons à lui exprimer ici pour
sa longue et utile collaboration.
Le concours d'agrégation pour les Facultés de droit , ouvert
à Paris le 1er mars, s'est terminé le 3 mai. Voici la liste des
candidats admis définitivement par le jury :
1. Jay (Faculté de Paris).
2. Mérignhac (Faculté de Toulouse).
3. Pillet (Faculté de Grenoble).
4. Mouchet (Faculté de Dijon).
5. Saleilles (Faculté de Paris).
6. Berthélemy (Faculté de Paris).
7. Timbal (Faculté de Toulouse).
8. Surville (Faculté de Paris).
9. Charvériat (Faculté de Lyon).
10. Jacquey (Faculté de Nancy).
CHRONIQUE. 371
* *
Nous avons reçu, après la composition définitive du présent
numéro, une réponse que M. Jousserandot, de Genève, adresse
à M. May au sujet du compte rendu de l'ouvrage : L'Êdit perpé-
tuel restitué et commenté (Revue de janvier-février). La lettre
de M. Jousserandot sera insérée dans le prochain numéro.
BAR-LS-DUC, IMPRIMERIE C0NTA5T-LA0DERRE.
NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
LA
TRANSCRIPTION LES TENTES
EN DROIT HELLÉNIQUE
D'APRÈS LES MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES
RÉCEMMENT DÉCOUVERTS
Dans la plupart des villes grecques , la loi avait pris des
mesures pour assurer la publicité des droits réels. En général,
on transcrivait sur une stèle de marbre un extrait des con-
trats emportant translation de propriété. Cette transcription
s'appelait ivocypa^ et complétait la translation , en la rendant
opposable aux tiers. Aristote dans sa Politique (livre VII, cha-
pitre 5) et Théophraste dans son Traité des lais (fragment
conservé dans le recueil de Stobée, chapitre 42), font con-
naître cette institution.
De récentes découvertes épigraphiques viennent compléter
sur ce point important les indications d'Aristote et de Théo-
phraste. Les quatre inscriptions dont nous donnons ici la tra-
duction et l'analyse juridique peuvent servir de base à l'étude
de la transcription dans le droit hellénique
Revue hist. — Tome VIII. 25
374 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
La première, et de beaucoup la plus intéressante, provient
de l'île de Ténos, et se trouve aujourd'hui au British Muséum.
Bœckh Ta publiée dans le Corpus inscriptionum graecarum ,
sous le n° 2338, mais d'après une copie imparfaite. Un nou-
veau texte , beaucoup plus complet et plus exact vient d'être
donné par M. Newton dans le Recueil des inscriptions grec-
ques du British Muséum, tome II (1883), n° 397.
La seconde inscription, trouvée à Amphipolis, a été publiée
pour la première fois par Pantazidès dans le Recueil intitulé
PhUistor, en 1862.
La troisième , trouvée dans l'île d'Amorgos , a été publiée
pour la première fois par Weil dans le premier volume des
Mittheilungen des archœologischen Instituts in Athen (1876).
Enfin la quatrième, qui se compose de plusieurs fragments,
a été trouvée dans l'acropole d'Athènes et publiée pour la
première fois par Ross, en 1847. Nous suivons ici le texte
donné par M. Kôhler dans le deuxième volume du Corpus
inscriptionum Atticarum (1883), sous le titre de Rationes cente-
simarum.
Une cinquième inscription, trouvée en 1873 dans l'île de
Myconos , contient une sorte de registre des constitutions de
dot et fournit un point de comparaison intéressant. Mais cette
inscription a été, ici même, l'objet d'une étude approfondie
de notre collaborateur M. Barrilleau. Nous ne pouvons rien
ajouter à son savant travail.
I.
La population de Ténos était d'origine ionienne comme celle
de l'Eubée et de l'Attique. Les lois civiles et politiques étaient
à peu près les mômes qu'à Athènes. Une inscription du pre-
mier siècle avant notre ère, conservée au Musée du Louvre,
à Paris , et publiée par Bœckh sous les n0B 202 à 206 du Cor-
pus insaiptionum grœcarum contient plusieurs listes des ma-
gistrats de Ténos. Ils étaient alors renouvelés tous les six
mois. On y remarque un archonte , qui est le magistrat épo-
nyme , et trois astynomes.
Le texte que nous allons étudier est intitulé : Registre des
ventes immobilières et des constitutions de dot. La seconde
EN DROIT HELLÉNIQUE. 375
partie, celle qui contenait les dots, ne nous est point parvenue,
mais la première nous fait connaître par extrait quarante-sept
actes de ventes passés, ou du moins transcrits, sous l'archon-
tat d'Àminolas , dans une période d'environ quinze mois.
Nous venons de voir qu'à Ténos les magistrats étaient re-
nouvelés tous les six mois, mais peut-être en était-il autre-
ment à l'époque du monument que nous étudions; on peut
conjecturer que les magistrats restaient en fonctions un an
entier, et même plus , ou qu'ils étaient rééligibles.
A la première ligne du monument, après le nom de l'ar-
chonte Àminolas , il y a une lacune. Le texte de M. Newton
donne ouç ourcu «<nv. Nous pensons qu'il faut restituer
irpàç xo&ç éoTuvopouç, et que les mots qui suivent sont les noms
propres des trois astynomes. Ces magistrats étaient chargés
de la police urbaine et de la voirie. On peut supposer qu'ils
avaient à Ténos la charge de tenir les registres de transcrip-
tion , et d'admettre ou de rejeter les actes présentés à la for-
malité. La préposition irprfç est d'ailleurs technique en pareil
cas. Aristote , dans le passage cité plus haut s'exprime en ces
termes : 'Et/pa S 'dtp^j irpoç ijv âvaeypa^eoOac âet xd te fôta cvjx6oXaia
xat tIç xpureiç èx twv SataaTi)pu»v.
Quoique l'île de Ténos fût très petite , la population y était
cependant divisée en plusieurs tribus et phratries , comme on
le voit tant par notre inscription que par une autre inscription
de Ténos qui est actuellement au Musée du Louvre et que
Bœckh a publiée sous le n° 2330. Nous ne nous attacherons
pas à en donner la liste , non plus qu'à restituer le calendrier
Ténien dont nous ne connaissons, malheureusement, que
neuf mois sur douze. Nous devons seulement dire quelques
mots des actes dont on va lire la transcription, et des induc-
tions qu'on peut en tirer pour la connaissance du droit civil
tel qu'il était pratiqué à Ténos.
Les quarante-sept actes dont il s'agit sont tous des actes de
vente , en la forme , mais au fond plusieurs d'entre eux sont
des rétrocessions, faites en exécution de pactes de rachat
stipulés dans des ventes antérieures. L'opération principale
a donc été un prêt d'argent.
C'est probable pour le n° 2, où le texte offre malheureuse-
ment des lacunes. Cela est certain pour le n° 7, en partie pour
376 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
le n° 12. Il est question d'un rachat de ce genre dans le n°30.
Le n° 34 est une dation en paiement. Le n° 39 est une rétro-
cession pure et simple. Les n°* 40 et 41 ne forment en réalité
qu'une seule opération : Phaniko achète une propriété de 8,000
drachmes , et revend immédiatement à un tiers la moitié de
cette propriété, pour 4,000 drachmes. Il y a aussi un lien
entre les n0B 44 et 45 par lesquels trois personnes achètent
certains terrains pour 300 drachmes , et les revendent immé-
diatement, pour le même prix, à leur vendeur. Le second
acte détruit le premier. C'est en réalité une résiliation. Les
deux actes sont présentés et transcrits le même jour. Enfin ,
le n° 46 est expressément l'exercice d'un réméré à la suite
d'un prêt d'argent.
La formule ordinaire des actes est : un tel a acheté, éicpCoro.
Toutefois on remarque au n° 30 une autre formule : un tel a
vendu, <fas&»xe, et l'acheteur n'est même pas nommé.
Les mineurs et les femmes ne contractent qu'avec l'assis-
tance de leurs tuteurs, xoptoi. Mais cette formalité suffit, pour
acheter comme pour vendre. On trouve au n° 2 une vente
faite entre deux personnes ayant le même tuteur. Au n° 7,
Axioniké fille de Pythocritos , de Thrya , achète un immeuble
assistée de son kyrios Alkisthénès fils d'Àglogénès de Thrya.
Au n° 10 la même Axioniké vend un autre immeuble , et cette
fois elle est assistée de trois kyrioi, à savoir Isandros et
Theb&os, tous deux fils de Pisicratès, de Thrya, et Pisi-
cratès, fils d'Isandros. Comme les deux actes sont séparés
par un intervalle d'au moins un mois, on pourrait croire
qu' Alkisthénès est décédé depuis la rédaction du premier
acte, et qu'il a été remplacé pour le second par les trois tu-
teurs, Isandros, Thebaeos et Pisicratès. Mais précisément
Alkisthénès reparaît au n° 11, où il achète un immeuble en
son nom. Nous ne voyons pas la solution de cette difficulté.
Au n° 12 une autre femme, Amphylis, contracte avec l'as-
sistance de son père. Il en est de même de Philothéaau n° 13.
Au n° 20 une autre femme, So... achète assistée de son frère.
Au n° 23 deux mineurs , Simias et Aristis vendent assistés
de leur frère. Au n° 31, Aristomaché intervient assistée de
deux tuteurs qui sont ses fils. Au n° 32, le mineur vendeur
paraît être assisté de son père. Les n" 33, 36, 39 et 40, nous
EN DROIT HELLÉNIQUE. 377
montrent une femme qui vend ou achète avec l'assistance de
deux tuteurs lesquels paraissent être ses parents. Au n° 38,
les mêmes tuteurs figurent comme assistant un mineur. Au
n° 41, Phaniko vend assistée de son père. Enfin au n° 47,
Théocléia vend assistée de son frère. Les autres personnes
indiquées dans les actes comme tuteurs de femmes sont pro-
bablement des maris.
Outre le vendeur et l'acheteur, on voit quelquefois certaines
personnes figurer dans les actes comme intervenant pour
donner à la vente leur consentement et leur approbation.
Ainsi au n° 8, deux femmes qui ne sont pas sœurs et qui ont
pourtant le même kyrios , et ce kyrios n'est autre que l'ache-
teur. Il y avait donc opposition d'intérêts , et en pareil cas , la
loi française exige un tuteur ad hoc, mais la loi grecque ne
paraît pas s'être préoccupée de ce cas. Au n° 16, on voit in-
tervenir le vendeur et le père de l'acheteur. Au n° 17, deux
personnes inconnues, et au n° 24, une femme qui est l'arrière
venderesse. Au n° 31 une femme intervient , assistée de ses
deux tuteurs. Au n° 44, le vendeur des vendeurs intervient
pour donner son consentement et déclare qu'il se porte lui-
même vendeur, ouwtoXouvroç; une autre personne intervenant
dans le même contrat paraît agir dans l'intérêt de l'acheteur.
Au n° 45, une femme intervient assistée de son kyrios qui
est précisément le vendeur, et qui paraît bien être son mari.
Il est probable que ces interventions équivalent à des renon-
ciations. Les intervenants se désistent de tous droits et de
toutes prétentions sur l'immeuble, et notamment de leur
hypothèque quand ce sont des femmes ou des mineurs.
Dans presque toutes les ventes , il intervient des garants ,
d'ordinaire au nombre de deux. Cependant on en trouve
quatre au n° 11, cinq au n° 12, un seul aux n" 13, 14 et 19,
quatre au n° 22, onze au n° 23, trois au n° 25, un seul au n°
27, cinq au n° 32, un seul au n° 35, sept au n° 36, un seul au
n° 42, enfin trois au n° 45.
Ces garants s'appellent rcpa-uTjpeç, c'est-à-dire vendeurs. Au
n° 41, ils s'appellent 7tf>otT7jps; xal (kêaitorîjpeç , vendeurs et con-
tinuateurs de la vente. Ils s'obligent en général solidairement.
La formule est xal piaû iwcvreç xal XWP^ £x*arb< rcàVtoç tou
àpYupiou, c'est-à-dire tous ensemble, et chacun à part pour le
378 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
tout. Toutefois, dans quelques actes la responsabilité se divise
et chacun des garants ne s'oblige que jusqu'à concurrence
d'une certaine somme. On trouve des exemples de cette divi-
sion aux n°* 23, 32 et 36. Dans ce dernier acte, deux des
garants s'obligent pour une partie seulement, et les cinq
autres pour le tout.
Ces garants sont, en général, des parents du vendeur. Ainsi
au n° 6 c'est un (ils du vendeur, au n° 10 deux des trois kyrioi
de la venderesse. Au n° 11, un des trois vendeurs figure
comme garant. Au n° 12 un des garants, Stratonique, paraît
être l'oncle paternel de la venderesse. Au n° 14, un des ven-
deurs est encore garant. Au n° 18, un frère de l'acheteur; au
n° 20, le kyrios de la venderesse; au n° 25, un des vendeurs;
au n° 32, un frère du vendeur; au n° 33, les kyrioi de la ven-
deresse; au n° 36, un des kyrioi de la venderesse; au n° 38,
les kyrioi de la venderesse, de même au n° 40. Au n° 41, le
frère et le père qui est en même temps kyrios de la vende-
resse.
On voit par là que l'obligation de garantie est absolument
distincte de l'obligation du vendeur. Le vendeur n'est pas
garant, de droit, mais il peut le devenir par une clause
expresse de l'acte.
Le n° 13 mérite une attention particulière. Philothéa vend
à Anaxiclès certaines constructions qui ont fait entre les par-
ties l'objet d'un procès perdu par Philothéa. Le prix n'est pas
indiqué. Il n'est pas difficile d'apercevoir l'opération qui se
cache ici sous la forme d'une vente. Un jugement a tranché
une question de propriété ; il a condamné Philothéa à resti-
tuer un immeuble à Anaxiclès. Philothéa s'exécute, mais il
ne suffit pas de restituer, il faut encore rendre cette restitu-
tion, emportant translation de propriété, opposable aux tiers.
En conséquence, les parties déguisent l'opération sous la
forme d'une vente , qui est transcrite. Ainsi , à Ténos , con-
trairement à ce que dit Aristote dans le passage cité plus haut ,
on ne transcrivait pas les jugements sur la propriété, mais on
transcrivait les actes passés en exécution de ces jugements.
Après avoir examiné et analysé tous ces actes au point de
vue juridique, il ne nous reste plus que quelques observa-
tions à faJ*^
EN DROIT HELLÉNIQUE. 379
Et d'abord il est facile de remarquer qu'à Ténos les im-
meubles circulaient et qu'il s'en faisait un véritable com-
merce. Les mêmes noms reviennent fréquemment. On achète
et on vend, on vend et on achète. Nous n'avons pas besoin
de relever ici les noms de toutes les personnes qui se livrent
à de doubles opérations. Nous signalerons seulement Calli-
phon qui figure comme vendeur au n° 15, comme acheteur
au n° 16 et encore comme vendeur au n° 27. Astymaque
figure comme acheteur aux n°* 22 et 24, et comme vendeur
au n° 45. Enfin Iphicrité vend aux n°* 33 et 36, achète au
n* 39 et vend au n° 40, sans parler d'une vente antérieure
faite par elle, et mentionnée au n° 41. Tout cela dans un
espace d'environ quinze mois (1).
Parmi les personnes qui achètent ou vendent , nous trou-
vons quatre corporations, à savoir le Thiase de Damyia (n° il),
les Thiasites (probablement de la ville, n° 23), les Agési-
léides qui sont peut-être une des tribus de Ténos (n° 31), et
enfin les Théoxéniastes , qui paraissent être une corporation
religieuse (n0B 44, 45). Pour la connaissance de ces corpora-
tions, il nous suffit de renvoyer au livre de M. Foucart, Des
associations religieuses chez les Grecs, Paris, 1873. Ces cor-
porations vendent et achètent sans qu'il soit fait mention
d'aucune formalité particulière. On ne voit même pas qu'elles
soient représentées par un^ agent dénommé dans l'acte.
Enfin nous signalerons une expression remarquable qui se
trouve aux n0B 31 et 47. C'est celle de to fArriu>pov xal ôtcotukov
pour désigner le droit qui fait l'objet de la vente. Ces deux
mots s'expliquent l'un par l'autre , et nous pensons, avec M-
Newton, qu'il faut traduire ici : un droit incertain et litigieux.
Voici la traduction de cette inscription :
« Ventes de terrains et de maisons , et constitutions de dots
faites sous l'archontat d'Aminolas , par devant les astynomes
N, N, etN...
Du mois d'Artémision.
i: — Crinylios, fils de ....idès de Thestia, avec son kyrios
(1) Nous savons d'ailleurs que l'Ile de Ténos était riche. En Tan 425, sa
contribution fédérale annuelle était de dix talents, c'est-à-dire environ
60,000 francs (V. Corpus inscriptionum Atticarum, I, 37).
380 LA TRANSCRIPTION DBS VENTES
Sombrotos, fils de Strymon, de Donaké
a acheté la maison et les terrains sis à Donaké.... ayant
pour voisins pour deux mille cinq cents drachmes d'ar-
gent. Garants de la vente ....istos
Du mois de,..., le dernier jour.
,2. — Callistarété, fille de Calliphoros... ayant pour kyrios
Androgénès, fils de Myrtosis, d'Eschatia, a acheté de N,
d'Eschatia, ayant pour tuteur Androgénès, fils de Myrtosis,
d'Eschatia, la maison sise dans la ville, dans la septième rue,
ayant pour voisins que Tisimachos avait prise en hypo-
thèque pour... trois cent vingt drachmes d'argent.... à An-
drogénès, fils de Myrtosis, d'Eschatia, Callistarété à
Eutéléia sa...
3. — N, fils de Gripion, d'Héraclée, a acheté toutes les
constructions ayant pour voisins pour cent drachmes
d'argent.
4. — Praxis, fils de ....sandre ayant pour voisin, à
gauche en entrant, Théophante.... le quart.... pour... drach-
mes d'argent. Garants de la vente N , fils de N de Donaké ,
Aratoskos, fils d'Amaklétos, d'Eschatia, tous ensemble et
chacun pour le tout.
5. — Phérécratès, fils de Phéréclès... a acheté de N... de
Thrya , les terrains sis à Sichné , le tout tel que Nicodrome
l'a acheté de Phérécratès, ayant pour voisins pour....
drachmes.
6. — ...atos, fils d'Héraclios, de Clyméné, a acheté de Stra-
tios, fils de Pantaléon, de Thrya, un emplacement à Panor-
mos, connu sous le nom de.... ayant pour voisins Pisic
Garant de la vente , Pantaléon, fils de Stratios.
Du mou (TApellœon , le quinzième jour.
7. — Axioniké, fille de Pythocritos , de Thrya, ayant pour
kyrios Pisicratès, fils d'Isandros, de Thrya, a acheté de N..
ayant pour kyrios Alkisthénès , fils d'Aglogénès , de Thrya ,
la maison et les terrains sis à Sichné , au prix de mille six
cent soixante et dix-huit drachmes d'argent, trois oboles,
ayant pour voisins N , fils de Gorgiadès , d'Eschatia , Cléoni-
kos, fils de Calliphon, d'Héraclée; le tout tel qu'Amphiko,
EN DROIT HELLÉNIQUE. 381
assistée de son kyrios Démoniaque, Ta acheté d'Axioniké
assistée de son kyrios Pisicratès.
8. — Antichares , fils d'Euporion , de Thrya a acheté de
Pasiphon, fils de Pirios , de Donaké, la maison et les terrains
sis à Elseonte , avec toutes les dépendances de ces terrains , et
l'eau, ayant pour voisins Al... le tout borné par la route qui
conduit du bourg à la tour, et en contrebas , tel que Pasi-
phon Ta acheté de Simos, fils d'Anaxiclès, à ce consentant
N, fille d'Antipater de Thrya et N., fille de N de Phyca, et
leur kyrios Antichares , fils d'Euporion, de Thrya, et Cleo-
phane , fils de Cléothéos d'Élithyia , pour cinq mille drachmes
d'argent.
9. — Mnésarque, fils de N de Thestia, a acheté de Dinarque,
fils d'Archéon de Thestia la maison sise dans la ville... ayant
pour voisin N, fils de N de Donaké , pour deux cent trente-
cinq drachmes d'argent.
Du mois de Hérœon.
10. — Alcidamas , fils de N de Clyméné , a acheté d'Axio-
niké, fille de Pythocritos, de Thrya, ayant pour kyrioi Isan-
dros et Thebaeos , fils de Pisicratès , de Thrya , et Pisicratès ,
fils d'Isandros, de Thrya, la maison et les terrains sis à....
pour deux mille trois cents drachmes d'argent, ayant pour
voisins Crésilas, fils d'Agiadès, d'Eschatia, Cléonique, fils
deCalliphon, d'Héraclée. Garants de la vente Isandros, fils
de Pisicratès de Trya, Thebaeos, fils de Pisicratès , de Thrya.
11. — Alkisthénès, fils d'Aglogénès, Nicodromos, fils de
Nicodème, Ac....os, fils de Démétriadès, de Thrya, et la com-
munauté du Thiase de Damyia, ont acheté de N, fille de Phi-
lodème , de Donaké , et de Callinique , fils d' Aristodème , de
Gyra , la maison sise dans la ville , dans la deuxième rue ,
ayant pour voisins Pytho... et ....clitos, au prix de mille deux
cent quatre-vingt-sept drachmes quatre oboles. Garants de la
vente Philarchidès , fils de Pythoclès, de Iakinthe, N, fils
de ....opolis, de la ville, Simias, fils d'Aristylos, de Thrya,
Callinique , fils d' Aristodème, de Gyra , tous ensemble et cha-
cun pour le tout. Sur la somme totale les Thryéens payent
sept cent soixante et dix-sept drachmes quatre oboles , et les
Damyiens cinq cent dix drachmes.
à
382 LA. TRANSCRIPTION DES VENTES
Du mois de Hérœon , le sixième jour.
12. — Amphylis, fille de Philophon, de Thestia, ayant
pour kyrios Philophon, fils de Philothéos, de Thestia, a
acheté de Diognète, fils d'Euclès, de Thrya, les parties des
terrains et de la maison sis aux Nothiades , ayant pour voisin
Posidonios , ainsi que les terrains ayant autrefois appartenu
à Euthycratès, et qu'Architelès avait achetés d' Amphylis,
assistée de son kyrios Philophon, au prix de quatre cents
drachmes d'argent. Garants de la vente Architélès, fils d'Hé~
géstratos, de Gyra, Antichares, fils de Grypion, de Thrya,
É....lor, fils de Pasiphon, deDonaké, Dém...., fils de ....icos,
d'Eschatia, Stratonique, fils de Philothéos, de Thestia, tous
ensemble et chacun pour le tout.
13. — Anaxiclès, fils d'Anaximénès, de Tbrya, a acheté de
Philothéa, fille de Proxène, de Thrya, et de son kyrios
Proxène, fils de Socles, de Thrya, les quatre enclos sis à Sa-
péthos , en contrehaut du terrain cultivé qui est en bas , du
côté du verger, limité en haut par le chemin , et en bas par
le ruisseau, ayant pour voisins -dEschron... les dits enclos
ayant fait l'objet du procès gagné par Anaxiclès contre Phi-
lothéa. Garant de la vente, Aristoclès, fils de Polyxène.
14. — Onésimos, fils deSimos, d'Eschatia, a acheté de
Pis Timocrite, fils de Timomaque
d'Héraclée, la maison, les terrains et dépendances sis à Her-
minia, ayant pour voisins Clitarque, Philotas... pour quatre
cents drachmes d'argent. Garant de la vente, Timocrite, fils
de Timomaque, d'Héraclée.
Du mois de Bouphonion, le... jour après le 10.
15. — Anaxinoé, fille de Lyandros, de Clyméné a
acheté de Calliphon, fils de Cléton, de la tribu des Héraclides,
la maison entière, sise dans la ville, ayant appartenu à Calli-
phon, dans la cinquième rue, ayant pour voisins
Gléagoras, fils de Ménippe, d'Elithyia, avec neuf portes à
deux battants et les croisées qui sont aux fenêtres , pour deux
mille soixante et dix drachmes d'argent. Garants de la vente
.... s'obligeant tous ensemble et chacun pour le tout.
Du mois Apatourion.
4* — Calliphon, fils de Ctéton, de la tribu des Héraclides,
EN DROIT HELLÉNIQUE. 383
a acheté de Phocos, fils de Phocion, deThrya, la maison
ayant autrefois appartenu à son père Ctéton , ayant pour voi-
sins Simias et Callicratès, pour mille sept cent drachmes
d'argent , avec le consentement de Phocos, et de Ctéton, père
de Calliphon.
Du mois Apatourion , le deuxième jour de la première
décade.
17. — Timocritos, fils de Timomaque, de la tribu des Hé-
raclides , a acheté de Crinylios et de son kyrios Sombrotos ,
fils de Strymon , de Donaké , tous les terrains sis à Héristhos,
appartenant à Simos, ayant pour voisin Morychion, fils
de Theaenète , de Donaké , pour quatre cents drachmes d'ar-
gent, avec le consentement d'Hérésinos, fils de Philopolis
... et d'Anikos, fils de Sotélès, de Sestaïs.
18. — N, fils d'Alcméon, d'Eschatia, a acheté la maison
et tous les terrains sis à Éléonte, achetés par ^Enikos de ...
ayant pour voisin Pénios, pour cinq cents drachmes d'argent.
Garants de la vente N, fils de ...tratidès, de la tribu Pisis-
tratide , et Agatharque , fils d'Alcméon, tous les deux d'Es-
chatia.
Du mois de Posidéon, le 5 de la deuxième décade.
19. — N, fils de ...arque, de Thrya, a acheté de Philothée,
fils de Dorothée.... la maison entière sise dans la ville, avec
les portes dont elle est garnie , et tout l'emplacement atte-
nant à la maison , le tout tel qu'il appartenait à Philothée ,
dans la sixième rue , pour six cents drachmes d'argent
ayant pour voisins N , fils d'Anaxicrate , et ...méclès, fils de
Phanoclès. Garant de la vente, Nicésilas, fils d'Astios, de Cly-
méné.
Du mois de Posidéon, le S de la première décade.
20. — So... fils de.... de Thestia, avec son kyrios Ctésiar-
que, fils de ... a acheté de Phaniko, fille de Cléosthène,
de Jakinthe, et de son kyrios Isoclès, fils de Cléosthène, de
Jakinthe, le terrain appelé ... limité par le chemin qui
l'entoure , ayant pour voisins Plistarque et Artymaque , pour
cent vingt drachmes d'argent. Garants delà vente, Isoclès,
fils de Cléosthène, de Jakinthe, N, fils de Cléonique, Théo-
doros , s'obligeant tous ensemble et chacun pour le tout.
384 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
Du mois Anthestérion, le S de la première décade, et du
mois Artémision.
21. — Télésiclès, fils d'Euclès, des Héraclides, a acheté
d'Ortheus, fils d'Orthias , de la ville, les maisons, le quart de
la tour et tous les terrains sis à Jakinthe, le tout tel qu'Or-
theus l'a acheté de Polycrate, fils d'Epicrate, ayant pour voi-
sins Plistarque et Artymaque, pour deux mille quatre cents
drachmes d'argent.
22. — Artymaque, fils d'Aristarque, des Héraclides, a
acheté de Télésiclès, fils d'Euclès, Héraclide, la maison et
les terrains sis à... le tout formant la part échue à Télésiclès
dans la succession de son père, et le surplus acheté par lui
de son frère Callitélès , ayant pour voisins Plistarque et Arty-
maque , et toutes les dépendances qui ont appartenu à Télé-
siclès et à Callitélès, les conduites d'eaux qui font partie de
ces terrains, et en outre le quart de la tour, de la citerne qui
est dans la tour, et de la couverture en tuiles , tel qu'il a
appartenu à Télésiclès , et encore la maison et le verger que
Télésiclès a achetés d'Euthygénès , les récipients de poterie
qui sont dans les maisons , l'âne qui sert au manège du mou-
lin , et le pressoir, pour trois mille sept cents drachmes d'ar-
gent. Garants de la vente Aratridès, fils de Tychon, de
Thestia, Artymaque, fils d'Euclès d'Héraclée, ....arque, fils
de Timéphène, de Jakinthe, Euthygène, Aristarque, fils de
d'Héraclée, s'obligeant tous ensemble et chacun pour le
tout.
23. — Thrasygoras, fils de Charestadès, de la ville, a
acheté de Simias, fils d'Aristis, d'Eschatia, et d'Aristis, fils
d'Aristis, d'Eschatia , ayant tous deux pour kyrios Simos,
fils d'Aristis, d'Eschatia, les maisons, la poterie et les ter-
rains sis à ifilsilé , le tout tel qu'il a appartenu à Aristis , les
dépendances et les conduites d'eaux qui font partie des dits
terrains, ayant pour voisins Alexinos, fils de Cailias et ...atès,
fils d'Isodème , pour quatre mille sept cents drachmes d'ar-
gent. Garants de la vente Harpalinos, fils d'Onétor, d'Elithyia,
pour deux cent cinquante drachmes. Pasitecton , fils de Sym-
maque, de Ciyméné, pour huit cent cinquante drachmes,
Hiéron, fils de Hiéropolis, d'Elithyia, pour deux cents drach-
mes, Euthytès, fils d'Héraclios, d'Elithyia, pour deux cents
BN DROIT HELLÉNIQUE. 385
drachmes, Philiscos, fils de ...canos, de Thrya, pour cent
vingt drachmes, Thrasygoras, fils de..., pour cinq cents
drachmes, N, fils de Morychion, de Donaké, pour mille huit
cent trente drachmes, Archagoras, fils de Morychion, de
Donaké, pour cinq cents drachmes, Démocrate, fils de ...aeos,
de Thestia, pour cent drachmes, K... de Clyméné, et la
communauté des Thiasites, pour cent cinquante drachmes.
24. — Simos, fils d'Anaxiclès , de Thrya, a acheté de Pha-
sios et de Méropos, de Thestia, ayant pour kyrios N, fils de
Simon, de Thrya, la moitié des terrains sis à Eléonte, de la
dépendance, de la maison et de la tour, le tout tel qu'Am-
phylis Ta acheté de Cléothéa, fille de Cléothéos et de son
kyrios Cléophanès, ayant pour voisin N... pour sept cent cin-
quante drachmes d'argent, du consentement de Cléothéa,
fille de Cléothéos , et de son kyrios Cléophanès.
25. — Xénodémos , fils de Mœrégénès, d'Ilithyia, a acheté
de Pisicratès, fils d'Isandros, de Thrya, la moitié de la maison
sise dans la ville , avec les portes dont elle est garnie , et la
moitié de l'emplacement, ayant pour voisin Akésimbrotos,
pour deux cent cinquante drachmes d'argent , le tout tel que
Pisicratès l'a acheté de Thrason , fils de Thrasybule. Garants
de la vente Isandre et Thébaeos, fils de Pisicratès, de Thrya,
et Isandre, fils de Phanoclès, s'obligeant tous ensemble et
chacun pour le tout.
Du mois d'Artémision.
26. — Callicrate, fils de Simias, d'Eschatia, a acheté de
Tharsagoras , fils d'Agathon , et de Simias, fils de ... d'Héra-
clée et de la tribu des Héraclides, l'enclos sis à Neuclios, et dé-
signé sous le nom de Liménia, tel qu'ils l'ont acheté de Thra-
symède, d'Héraclée, ayant pour voisins Simias et Ctéton, pour
quatre cents drachmes d'argent.
Du mois d'Artémision.
27. — N, fils de N, d'Eschatia, a acheté de Calliphon, fils de
Ctéton , d'Héraclée, le terrain sis à Héraclée, où est le monu-
ment situé en haut des terrains de ..., borné par le torrent qui
descend sur le chemin, le long des terrains de Callicrate, ayant
pour voisins Ctéton et Simias, pour quatre cent cinquante
386 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
drachmes d'argent. Garant de la vente Sotadès, fils d'A pos,
d'Héraclée.
Du mois Targélion.
28. — N, fils de ....pos, d'Eschatia, avec son kyrios Epan-
dros, fils de Cléanor, de la ville, a acheté de N, fils de
...adès, de la ville, la maison et les terrains sis à Sapéthos,
le tout tel que N Ta acheté de Timothéa, pour huit cent cin-
quante drachmes.
29. — Sosias, fils de Phanentas, d'Eschatia, et son kyrios
Aristoxène, fils de Théophane, de Jakinthe, a acheté de Praxias,
fils de N, d'Eschatia et de son kyrios Philarchidès, de Jakinthe,
la maison sise dans la ville, dans la sixième rue, ayant pour
voisin Épandros, pour.... soixante drachmes d'argent. Ga-
rants de la vente N, fils d'Aristothée , de Donaké, Euthytès,
filsd'Héraclios, d'Élithyia.
30. — Archis de la ville, ayant pour kyrios Timoma-
que, fils de Timomaque, d'Héraclée, a vendu la maison qui
avait appartenu à Eubule, et que Praxias avait achetée d'Eu-
bule, pour sûreté d'un prêt, sous l'archontat d'Archos, fils
d'Euporion, ayant pour voisins Callidamas, Pantaléon, pour
cent drachmes d'argent. Est intervenu à l'acte de prêt et s'est
obligé en même temps Pythocrite, fils d'Androgène, de la
ville.
Le dernier jour du mois d'Ëlithyœon.
31. — N, fille de N, de Clyméné, avec son kyrios Cléo-
mède, fils de Pythostratidas, d'Héraclée, a acheté de N, d'Es-
chatia, et de la communauté des Agésiléides, la propriété in-
certaine et litigieuse de la maison , sise dans la ville , ayant
appartenu à N , pour cent drachmes d'argent , ayant pour
voisins Philarchidès, fils de Théoxène, de Jakinthe, à ce
consentant Aristomaché, fille de Sosimène avec seskyrioi qui
sont ses enfants, Pyrrhakos et Thespieus.
Du mois de Hérœon, le deuxième jour de la première dé-
cade,
32. — Sosigène, fils de Sosicrate, de Thrya, a acheté de
Thespieus, fils de Dorothée, de Thestia, et de son kyrios
Dorothée, fils de Critodème, de Thestia, la maison et tous les
terrains sis aux Bains , et les eaux qui dépendent de ces ter-
EN DROIT HELLÉNIQUE. 387
rains, ayant pour voisin Callicratès, jusqu'au cours d'eau,
le tout borné par le mur qui forme la limite des terrains de
Callicratès et qui remonte vers le chemin et qui , à partir du
chemin , s'infléchit vers la source, et encore borné par le mur
de Mélisson, situé dans les terrains de Callicratès, fils de
Mélisson , ledit mur enfermant la propriété, encore par le tor-
rent, en remontant vers les terrains de culture de Callicratès,
en suivant le mur circulaire jusqu'à la borne de la moitié du
pacage, vers le torrent qui descend à la mer et qui confine aux
terrains de culture de Mnéso, sept jarres en terre, un pressoir
et des portes à deux battants, pour cinq cents drachmes
d'argent. Garants de la vente Conon, fils de Phéréclès, de
Thestia, pour 125 drachmes, Déméas, fils de Nicomaque, de
Thestia, pour 125 drachmes, Néoptolème et Diagoras, fils
d'Astios, tous deux de Thestia, pour 125 drachmes, Boéthos»
fils de Dorothée, de Thestia, pour 125 drachmes. Boéthos est
aussi garant de la vente pour les autres 375 drachmes.
33. — Stratios, fils de Pantaléon, de Thrya, a acheté d'I-
phicrité , fille de Chérélas, d'Élithyia, assistée de ses kyrioi
Timocrate, fils de Chabyssios, de Thestia, la maison sise
dans la ville, ayant pour voisins Anticlès et Néoptolème , pour
mille drachmes d'argent; garants de la vente Timocrate et
Chérélas, fils de Chabyssios , de Thestia.
34. — Aristonoé, fille de Nicostrate, de la tribu Sestaïde,
avec son kyrios Pantaridès, fils de Pantaléon, de Thrya, a
acheté de Chérélas , fils de Chabyssios, de Thestia, la maison
et les terrains sis à Casménion, et toutes les dépendances
des dits terrains, ayant pour voisins Pyrracos et Chartados,
pour quatre mille neuf cent cinquante drachmes d'argent, prix
du surplus , duquel prix Chérélas était resté débiteur envers
Aristonoé sur le prix des terrains sis à Ms'ûé et à Casménion ,
et achetés par lui d' Aristonoé.
35. — Aglaïs, fille d'iEn... de la ville, ayant pour kyrios
Isodème, fils d'Isodème, de Donaké, a acheté de N., fils de
N. de la ville, la maison et les terrains sis à Panormos , dési-
gnés sous le nom de Emmélia, ayant pour voisins P... et
Bascbion, et toutes les dépendances des dits terrains, pour
sept cents drachmes. Garant de la vente Hégéléos, fils do
Télestrate, de Thrya.
388 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
Le premier du mois de...
36. — Hégéas, fils d'Amphion, d'Élithyia, a acheté de
Chérélas , fils de Chabyssios , de Thestia , de Phido , fils de
Chabyssios, de Thestia, d'Iphicrité, fille de Chérélas d'Éli-
thyia , et de ses kyrioi Timocrate et Chérélas , fils de Cha-
byssios , tous deux de Thestia , la maison et les terrains sis à
Gyra, le tout tel qu'il a appartenu à Chabyssios , père de Ché-
rélas et de Phido, ayant pour voisins Aristandre et Mantinée,
les dits vendeurs s'obligeant tous ensemble et chacun pour le
tout, tout le terrain et toutes les dépendances de ces terrains,
et toutes les eaux qui servent à la culture , et toute la poterie
qui s'y trouve, et les portes qui y sont, et tout l'aménagement,
pour six mille drachmes d'argent. Garants de la vente Stra-
tios , fils de Pantaléon , de Thrya , pour mille drachmes, Po-
lycrate, fils d'Épicrate, de Donaké, pour mille drachmes,
Pasiphile, fils de Philémon, de la ville, Pantaride, fils de
Pantaléon , de Thrya , Timocrate , fils de Chabyssios , de
Thestia, jEnésias, Aristonax, fils d'Aristolochos , tous deux
de Thestia, tous ensemble et chacun pour le tout.
37. — iEnésias, fils d'Aristolochos, de Thestia, a acheté
de Pasiphon, fils de Pirios, de Donaké, la maison sise dans
la ville, ayant pour voisins Aristide et Néopt... pour six cent
cinquante drachmes d'argent, la dite maison hypothéquée à
Philémon. Garants de la vente, Philémon, fils de Pasiphilos,
Pasiphilos, fils de Philémon, de la ville.
38. — Aristonax, fils d'Aristolochos, de Thestia, a acheté
de Phido, fils de Chabyssios, de Thestia, assisté de ses kyrioi
Timocrate et Chérélas, fils de Chabyssios, de Thestia, la
moitié de la maison et des terrains sis à Héristhos, et de leurs
dépendances , ainsi que de l'eau , tel que le tout a appartenu
à Chérélas, père de Phido, ayant pour voisins Iphicrité et les
enfants de Dicratès, pour deux mille cinq cents drachmes
d'argent. Garants de la vente , Timocrate et Chérélas , fils de
Chabyssios , de Thestia.
39. — Iphicrité, fille de Chérélas, d'Élithyia, assistée de
ses kyrioi Timocrate et Chérélas, fils de Chabyssios, de
Thestia, a acheté d'Archagoras , fils de Morychion, de Do-
naké, la maison et les terrains sis à Élithyia, le tout tel qu'Ar-
EN DROIT HELLENIQUE. 389
chagoras l'a acheté d'Iphicrité , ayant pour voisins Cléagoras
et Aristophane , pour cinq mille drachmes d'argent.
A la bonne Fortune. — Sous l'archontat d'Aminolas.
Du mois de Bouphonion, le cinquième jour de la première
décade.
40. — Phaniko , fille de Pasiphilos , de la ville, assistée de
son tuteur Pasiphilos, fils de Philémon, de la ville, a aeheté
d'Iphicrité, fille de Chérélas, d'Élithyia, assistée de ses kyrioi
Timocrate et Chérélas, fils de Chabyssios, tous deux de Thes-
tia, la maison et les terrains sis à Élithyia, avec les dépen-
dances et les eaux appartenant aux dits terrains , et tout l'a-
ménagement agricole , ayant pour voisins Cbarippidès et
Cléagoras, pour huit mille drachmes d'argent. Garants de la
vente, tous ensemble et chacun pour le tout, Timocrate et
Chérélas, fils de Chabyssios, tous deux de Thestia.
41. — Épandre, fils d'Hégéléos, de Clyméné, a acheté de
Phaniko, fille de Pasiphilos, de la ville, assistée de son kyrios
Pasiphilos, fils de Philémon, de la ville, la moitié des terrains
et de la maison sis à Élithyia, et des dépendances, le tout
tel que Phaniko Ta acheté d'Iphicrité, ayant pour voisins
Cléagoras et Charippidès, pour quatre mille drachmes d'ar-
gent. Garants et confirmateurs de la vente des terrains et de
la maison Philémon , fils de Pasiphilos , de la ville , et Pasi-
philos, fils de Philémon, les deux ensemble et chacun pour
le tout.
Sous l'archontat d'Aminolas , mois de Bouphonion.
42. — Alkippé, fille de Cléophanès, d'Élithyia, assistée de
son kyrios Hégéléos, fils d'Épandre, de Clyméné, a acheté
de Kallio, fils de Diodème, de Thestia, et de son kyrios Diap-
tos, fils de Posidonios, de Thestia, la maison sise dans la
ville , dans la troisième rue , ayant pour voisins Polyaenos et
Apémantos, le tout tel que Callio et son kyrios Diœtos, l'ont
acheté de Théodippos, pour neuf cents drachmes d'argent.
Garant de la vente, Cléagoras, fils de Ménippos, d'Élithyia.
43. — Aristokidès, fils de Télésagoras, d'Héraclée, a acheté
de Socles , fils de Leukippos , de Thrya , les terrains sis aux
Nothiades , le tout tel que Leukippos l'avait acheté d'Aristy-
los , ayant pour voisin Philoclès , y compris la maison et l'a-
Revub bist. — Tome VIII. 26
392 LA TRANSCRIPTION DES VENTES
reste en possession des immeubles à titre de fermier, et ppye
l'intérêt de la somme prêtée, sous forme de fermage, à 10 0/0.
C'est pourquoi il s'engage à payer cette somme franche d'im-
pôt, et sans retenue, comme nous dirions aujourd'hui. Mais
ce qu'il y a de remarquable, c'est que parmi les terrains ainsi
vendus à réméré par Nikératos, il s'en trouve quelques-uns
dont Nikératos n'est proprétaire lui-même qu'à titre pigno-
ratif, comme créancier d'Exakestos, en sorte qu'Exakestos
pourra exercer le réméré non-seulement contre Nikératos,
mais encore contre Ctésiphon, tiers-acquéreur. La charge qui
pèse sur le fonds est indiquée dans l'acte , et Ctésiphon s'en-
gage, par là même, à la supporter.
Dittenberger (1) suppose que, Exakestos étant devenu in-
solvable, la propriété incommutable et définitive a passé à
Nikératos par l'effet du pacte commissoire, qui opérait de
plein droit. Cela est possible, mais l'hypothèse n'est pas né-
cessaire. Celui qui est propriétaire à charge de réméré a le
droit de vendre, toujours à charge du réméré. En outre,
l'expression du texte à iyti ôéjxevoç paraît bien indiquer que la
charge n'est pas éteinte, qu'elle dure encore. La femme de
Nikératos, Hégécraté, intervient au contrat, assistée de son
kyrios Télénikos , autre que son mari. Son intervention n'a
évidemment d'autre but que de renoncer à l'hypothèque
qu'elle a sur les biens vendus , à titre d'à-Kvziwivx , pour ga-
rantie de sa dot.
IV.
A proprement parler, il n'y avait pas , à Athènes , de re-
gistre des transcriptions. Mais on arrivait au même résultat
d'une autre manière. Théophraste nous l'apprend. « La vente,
dit-il , est afûchée à l'avance , dans le lieu où siège le magis-
trat , pendant soixante jours au moins , et l'acheteur paye le
centième du prix , pour qu'il soit libre à tout venant de ré-
clamer et de contester, et que l'on sache , par le paiement du
droit, quel est le juste acquéreur. » En d'autres termes, on
tieût registre , non des ventes , mais du droit fiscal acquitté
(1) Sylloge inscriptionum grascantm (1883), n° 438.
EN DROIT HELLENIQUE. 393
par lés acquéreurs, ce qui, en fin de compte, revient au
même. M. Kôhler, dans le deuxième volume du Corpus ins-
criptionum atticarum, publié en 1883, a réuni, ainsi que nous
l'avons déjà dit, sous le titre de Rationes centesimarum , les
fragments qui nous sont parvenus de ces registres du cen-
tième denier. Ces fragments qui sont du rve siècle avant notre
ère, sont assez mutilés. Voici pourtant ce qui offre un sens
assez certain pour être traduit :
1. — au dème d'Alopèque; acheteurs Stratippos, fils
de Strat Lysithéos, fils de Lysithéos, de Tithrasia.
2. — Les hiéromnémons d'Héraclès, Charisandros , fils
de Démocritos, Démodés, fils de d'Alopèque, ont vendu
un terrain à Alopèque. Acheteur Lysicratès, fils de Lysima-
que d'Aténé.
Total 13 talents 3,300 drachmes
dont le centième est 813 drachmes.
B
3. — De Salamine le président des Eicadiens, Olympiodore,
fils d'Eumélos a vendu un terrain à Salamine, à Chytreae;
acheteur Dorothée, fils de Théodore, d'OEa, 20
4 — un jardin à Pallène. Acheteur ippos, fils de
Molpis , de Pallène , prix 250 , centième 2 drachmes 3 oboles.
5. — administrateur fils de Théopompe, de Pal-
lène, a vendu un terrain à Pallène. Acheteur énès, fils de
Charios, de Pallène, 50 drachmes, centième 3 oboles.
6. — administrateur fils de Théophile d'Ana-
phlyste, a vendu un terrain à Anaphlyste. Acheteur idès,
fils de Dioclès de Sounion ; 800 drachmes, centième 8 drachmes.
Total 20 talents 3,644 drachmes
dont le centième est 1,236 drachmes 3 oboles.
7. — une autre parcelle aux Kydantides. Acheteur Ni-
coclès, fils de Lysiclès, de Kydanta. 162 drachmes 3 oboles.
394 LA TRANSCRIPTION DBS VENTES.
8. — Un autre terrain aux Kydantides. Acheteur Nico-
charès, fils de Théophile, de Kydanta. 1,000.
9. — Un autre terrain aux Kydantides. Acheteur Anticli-
dès, fils d'Antigènes, de Kydanta. 875.
Total 4,837 drachmes 3 oboles,
dont le centième est 48 drachmes 2 oboles.
D
10. — Euphanès a vendu une parcelle à Képhala.
Acheteur Nicomaque, fils de Polylœos de 62 drachmes
3 oboles , centième 3~ oboles.
11. — Straton , administrateur des esclaves , fils de Mnési-
phanès de Cothoke , a vendu un terrain à Cothoke. Acheteur
Straton, fils de Mnésiphanès, de Cothoke. 100, centième
1 drachme.
12. — L'administrateur des Aphidantides , Léontios, fils
de Cailiadès, d'Épiképhisia, a vendu un terrain à Cothoke.
Acheteur Mnésimaque, fils de Mnésochos. 250 drachmes, cen-
tième 2 drachmes 3 oboles.
Les trois autres fragments ne contiennent que des noms ,
et sont trop mutilés pour qu'il y ait intérêt à les traduire. On
voit très bien, par ceux qui précèdent, comment étaient tenus
les registres qui étaient , avant tout , des comptes de percep-
tion du centième denier, et qui servaient accessoirement de
registres de transcription.
Nous ne ferons qu'une observation. Au n° 11, Straton, fils
de Mnésiphanès , de Cothoke , figure à la fois comme vendeur
et comme acheteur. C'est qu'il vend en qualité d'administra-
teur, et qu'il achète en son nom personnel. La loi prescrivait-
elle quelques mesures pour les cas de ce genre? Nous n'en
connaissons aucune. Ce qu'il y a de certain, c'est que le
percepteur du centième denier n'avait pas à s'en préoccuper.
R. Darkste.
LA
GARANTIE D'ÉVICTION
DANS LA VENTE CONSENSUELLE.
r«OOtO
Dans le système juridique que nous avons jusqu'à présent
étudié (1), la garantie d'éviction nous est apparue comme ex-
clusivement volontaire, comme entièrement indépendante de
la convention de vendre et d'acheter. Elle résulte d'une man-
cipation ou d'une stipulation. Elle ne résulte pas du contrat
de vente. Pour que l'acquéreur évincé puisse se plaindre , il
faut qu'il ait reçu soit une mancipation , soit une promesse
verbale, et qu'il soit dans les conditions de Yactio auctoritatis
pour le premier cas , dans les termes de la stipulation pour le
second. La vente est une chose, la garantie en est une autre.
Le progrès devait consister à les solidariser, à rattacher la
seconde à la première comme l'effet à la cause , et il est suffi-
samment connu que ce progrès a été fait. Ce qui nous inté-
resse , c'est la façon dont il s'est opéré. Or, les phases ont été
multiples, les procédés divers et compliqués.
Le droit romain a d'abord admis d'une manière plus ou
moins large que l'acheteur aurait , en cette seule qualité , le
droit d'exiger l'accomplissement de l'un des actes nécessaires
à fonder le recours , parfois de la mancipation , parfois de la
stipulation. Puis on en est venu à sous -entendre sinon la
mancipation, au moins la stipulation, à réputer accomplie
pour fonder un recours après l'éviction la promesse qu'il eût
été permis de réclamer auparavant. Enfin , on a reconnu à
(4) Nouvelle Revue historique, 1882, pp. 180 et bs.; 1883, pp. 537 et as.
396 LA GARANTIE D'ÉVICTION
l'acheteur une action dans des hypothèses où ni la mancipation
ni la stipulation ne lui en auraient donné.
Ce sont les trois dernières étapes de l'histoire de la garantie
à Rome. A la première on ne fait encore qu'essayer gauche-
ment de combiner avec la théorie naissante de la vente con-
sensuelle le vieux système de la garantie formelle , extérieure
au contrat, produite artificiellement par un acte distinct. A la
troisième , on est presque intégralement parvenu à la notion
moderne de la garantie naturelle, immanente au contrat dans
lequel elle ne se produit que comme un prolongement de l'o-
bligation de délivrance.
I.
Le premier moyen de contraindre le vendeur à assumer
une obligation de garantie , celui qui se présente le premier à
l'esprit et qui était le plus facile à imaginer, c'était, étant
donnée l'action auctoritatis , d'obliger le vendeur à faire la
mancipation qui la produit.
Bien qu'il y ait eu sur ce point quelques hésitations, il ne
me semble pas sérieusement douteux qu'à l'époque classique
l'acheteur d'une chose mancipi n'eut en principe le droit d'en
exiger la mancipation (1). La mancipation n'existant plus à
l'époque de Justinien, on ne peut s'attendre à trouver dans sa
compilation des témoignages directs. Mais elle en fournit d'in-
directs , et il y en a de directs dans les textes qui nous sont
parvenus par des voies indépendantes.
Deux de ces derniers sont bien connus. Ce sont un passage
des Institutes de Gains, IV, § 131 a, et un autre des Senten-
ces de Paul , 1, 13 a, § 4. Le premier suppose, sans impliquer
mais aussi sans écarter positivement l'existence d'une con-
vention spéciale , un acheteur qui intente l'action de son con-
trat pour obtenir la mancipation de la chose vendue. Le se-
(1) Voir Accariâa, Précis, II, p. 470; Degenkolb, Zeittchrift fût Rêchts-
getchichte, IX, 1870, p. 149; Eck, Verp/tichhmg det Verhaûfert, p. 28; Becb-
mann, derKauf, I, p. 548; Karlowa, Rechtsgeschàft, p. 212, note l.Voir en
sens contraire, Bernhôft, Beiirag zurLehre vom Kauf, 1874, pp. 126 et suiv.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 397
coud, qui est à mon avis plus probant, dit, en termes abso-
lument généraux , excluant toute idée de clause particulière :
« Si id quod emptum est neque tradetur neque mancipetur,
venditor cogi potest ut tradat aut mancipet. » Il est difficile de
ne pas voir ici l'indication que le vendeur devra, selon la
nature de la chose vendue, en faire tradition ou mancipation.
A ces deux témoignages directs, certains auteurs en ajou-
tent un troisième qui serait fourni par Plaute. Quelques-uns
des passages de Plaute que l'on invoque pour soutenir que la
vente consensuelle existait déjà de son temps , attesteraient
également que l'acheteur avait dès cette époque lo droit de
demander la mancipation (1). Mais ce sont là des documents
d'une valeur bien douteuse.
Le Digeste interrogé avec soin fournit un argument plus
sérieux. L'argument se tire du passage dans lequel Ulpien
définit l'obligation de délivrance, de la L. 11, § 2 D. De act.
empti, 19, 1.
« Et in primis ipsam rem prsestare venditorem oportet, id
est tradere : quae res si quidem dominus fuit venditor, facit et
emptorem dominum, si non fuit tantum evictionis nomine
venditorem obligat si modo pretium est numeratum aut eo
nomine satisfactium. »
Du moment que l'on considère le vendeur comme obligé à
manciper, on est naturellement amené à tenir ce texte pour
interpolé , à admettre qu'il ne disait pas : id est tradere , mais
soit en s'occupaot seulement des choses les plus importantes ,
id est mancipare , soit d'une façon plus complète avec les sen-
tences de Paul , id est tradere aut mancipare (2). On peut aller
plus loin. Le texte porte en lui la preuve de l'interpolation et
par conséquent prouve l'obligation de manciper. En effet , il
déclare que l'acte dont il traite rendra l'acheteur propriétaire
si le vendeur l'était et sinon rendra le vendeur responsable
de l'éviction ; or, s'il n'est déjà pas très exact de dire que la
tradition rende responsable de l'éviction — c'est seulement de
la mancipation que c'est vrai à cause de Yactio auctoritatis, —
■
(1) Voir notamment dans ce sens , M. Karlowa, Legis Aciionen , p. 139, qui
renvoie au Perta, IV, 4, 40 et M. Bechmann, d$r Kauf, I, p. 549, qui ren-
voie à la MosteUaria.
(2) C'est ce que remarque M. Accarias , Contrats innomés, 1866, p. 138.
n
398 LA GARANTIE D EVICTION
il serait contraire au droit en vigueur à l'époque d'Ulpien de
proclamer, sans distinction et d'une manière générale , que la
tradition transfère la propriété , rend l'acheteur propriétaire.
Elle rend propriétaire des choses nec mancipi. Elle ne rend
pas propriétaire des choses mancipi. Il ne faut pas ici se lais-
ser égarer par la terminologie moderne qui parle de propriété
prétorienne pour les cas dans lesquels une personne a seule-
ment la chose in bonis, ni même par les précédents que ce
langage peut trouver dans quelques expressions incidentes
des textes. Ce n'est pas le langage technique; en particulier,
ce n'est pas le langage technique d'Ulpien. Quand Ulpien fait
par exemple la théorie des modes d'acquérir, il prend grand
soin de réserver le mot dominus pour désigner celui qui a la
propriété quiritaire (1). Si, dans un texte directement destiné
à préciser l'effet acquisitif d'un acte , il dit que cet acte « facit
emptorem dominum, » ce doit être également que cet acte
crée la propriété quiritaire.
Ou bien Ulpien disait en s'occupant exclusivement des cho-
ses mancipi que l'obligation de livrer s'accomplit par une
mancipation qui transfère la propriété si l'aliénateur est pro-
priétaire , et qui , s'il ne l'est pas , fait naître une action en
garantie , l'action auctoritatis. Ou bien il visait les deux caté-
gories de choses et disait que le vendeur doit, selon les cir-
constances, faire mancipation ou tradition, ce qui , si la pro-
priété appartient à l'aliénateur, la transfère et, si elle ne lui
appartient pas , assure un recours en garantie , soit en vertu
de la mancipation par l'action auctoritatis , soit en vertu de la
vente, par l'action empti. Dans la dernière supposition, l'au-
teur est plus complet; dans la première, il est plus exact;
mais dans l'une et l'autre , le texte est la preuve de l'obliga-
tion de manciper qui pèse sur le vendeur d'une chose man-
cipi.
Je crois même que le vendeur ne remplirait pas son obli-
gation en remplaçant la mancipation par une injure cessio. On
(1) Régulas, 19, § 7 : « Traditio propria est alienatio rerum nec man-
cipi. Hardm rbrom dominium ipta traditions adprehendimut... § 5. Uiucapione
dominium adipiscimur ta m mancipi rerum quam nbc mancipi. — Comparez Gains,
Inst. IV, § 34 et les observations de M. Àccarias, Précis, I, p. 686, note 2,
sur ce dernier texte.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 399
dît souvent le contraire. Mais cette opinion , qui n'a pas d'ap-
pui dans les textes, est exclusivement basée sur ridée que les
effets de Fm pare cessio sont identiques à ceux de la mancipa-
ûon. Or cela n'est pas. L't» jmrt cessio transfère bien la pro-
priété des choses mandpi comme la mancipation, mais elle ne
fonde pas comme elle Yactio mmetoritatis (1). L'acheteur qui a
le droit d'exiger la mancipation ne peut, sauf convention con-
traire, pas plus être forcé de se contenter de Y i* jure cessio ou
encore de la mancipation mammo uno , que de la tradition. Il
a droit à une mancipation régulière , produisant son plein et
entier effet.
Quant au moment historique auquel l'obligation de manci-
per lut imposée au vendeur, la détermination en dépend un
peu de la base qu'on assigne à l'obligation. En dehors de
l'argument problématique tiré de Plaute, son existence ne
nous est attestée que par des textes d'Ulpien, de Paul et de
Gains, c'est-à-dire par des textes d'époques où la théorie de
la vente avait reçu sa constitution définitive. Faut-il ne voir
dans cette obligation qu'un des derniers développements de
la théorie, ou bien en était-elle un des éléments primitifs?
J'hésiterai à la placer bien haut dans le passé si elle se
rattachait à l'obligation d'accomplir les clauses de style ou
plus largement à celle de s'abstenir de dol. En tout cas , on
ne pourrait alors la faire tout au plus remonter qu'aux débuts
de la phase historique dans laquelle la vente a pris le carac-
tère de contrat de bonne foi. Mais il y a une autre explication
que je préfère et dans laquelle cette obligation a pu exister
indépendamment de toute idée de bonne foi , non-seulement
dès qu'il y a eu une vente consensuelle , mais en un certain
sens avant elle,. dès le temps où la vente ne pouvait se faire que
par stipulations. C'est l'opinion qui considère l'obligation de
manciper comme comprise dans l'obligation de délivrance (2).
Le vendeur est obligé à délivrer, à tradere, à vacuampos-
sessionem tradere , dit-on d'autres fois. Mais que faut-il en-
tendre par là? Que comprend cette obligation de délivrance?
Si elle comprend l'obligation de manciper, il est clair qu'il
(1) Voir Nouvelle Revue historique, 1882, p. 191, note 1.
(2) Voir dans ce sens, Bechmann, der Kauf, I, pp. 546 et 680.
400 LA GARANTIE D EVICTION
n'y a pas besoin de faire intervenir l'idée de bonne foi pour
astreindre le vendeur à manciper. Or, le texte même d'Ulpien
dans lequel nous avons trouvé la preuve de l'obligation de
manciper, la loi 11, § 2 D., De act. empti, 19- 1, qui , avec la
correction dont nous avons établi la nécessité, oblige le ven-
deur à manciper, ne rattache pas cette obligation spéciale à
l'obligation générale de s'abstenir de dol ; elle la rattache à
l'obligation générale de délivrance ; le vendeur, disait le texte
dans sa forme première , doit rem prae&tare, id est mancipare.
La question de savoir si le vendeur d'une chose mancipi est
tenu à manciper a donc pu se poser sur son obligation de
délivrance, en dehors de la question de savoir s'il est tenu à
s'abstenir de dol, avant même qu'on ne se posât cette der-
nière, et, en se plaçant à ce point de vue, il n'y a pas d'obfr*
tacle à faire remonter la réponse affirmative très loin dans le
passé (1).
Depuis le jour où cette solution fut admise, l'acheteur d'une
chose mancipi trouva dans l'exécution même du contrat le
fondement d'une sûreté contre l'éviction, de Yactio auctoritatis,
et rien ne porte à penser que cette sûreté lui ait fait défaut
avant que la maucipation elle-même ne disparût. Organisée
dès les premiers âges de Rome, bien longtemps avant la
chute du plus ancien système de procédure , l'action auctori-
tatis passa , avec la plupart des actions du vieux droit , dans
la procédure des formules — elle dut, comme toutes les ac-
tions civiles, être alors inscrite à son rang dans l'édit du
préteur, et une tentative ingénieuse vient même d'être faite
pour y déterminer sa place (2). — Mais elle ne paraît pas plus
avoir été atteinte par la suppression de la procédure formu-
(t) C'est, je crois, l'explication qui s'imposerait, si l'on trouvait dans Plaute
la preuve de l'obligation de manciper.
(2) M. Lenel, Edictum perpetuum, 1883, pp. 423 et as., estime qu'elle devait
se trouver à la (in de l'édit , au milieu des formules de stipulations , à côté
de la formule de la stipulation de garantie. Son principal argument est tiré
de ce que des textes sur l'édit de Paul, d'Ulpien et de Julien qui, dans
leur forme présente, se rapportent à la stipulation du double, sont également
répartis dans deux livres consécutifs : Ulpien, 80 , 81 ; Paul , 76, 77 ; Julien,
57, 58 ; or, surtout lorsque Ton considère que cette théorie ne remplit com-
plètement les deux livres ni chez l'un ni chez l'autre des auteurs , il est diffi-
cile de penser que les trois commentateurs aient commencé l'étude d'une
DANS LA. VENTE CONSENSUELLE. 401
faire qu'elle ne l'avait antérieurement été par la suppression
des Actions de la loi , et il est bien à croire que , lorsque sa
disparution s'est produite, ce n'a pas été par suite d'une
abrogation législative directe, mais par contre-coup de la dé-
suétude de la mancipation.
Cependant, si précieuse que fut cette première sûreté, et
si longue qu'ait été sa vie juridique, elle ne suffisait pas 4
tout. Elle avait ses lacunes , celles même de l'action anctori-
tatis. On sait qu'il y avait des cas où l'acquéreur ne pouvait ,
même en se faisant faire mancipation , s'assurer cette action
et où, par conséquent, il devait se ménager d'autres sûre-
tés, par exemple le cas où la vente n'avait pas lieu entre
citoyens , ceux où elle portait sur des choses non romaines ,
ou encore sur des choses nec maneipi. Dans de telles hypo-
thèses , il eût été bien inutile à l'acheteur de réclamer une
mancipation qui ne lui eût servi de rien. Ce dont il avait alors
besoin, c'était de pouvoir exiger la promesse qui lui était vo-
lontairement faite dans la vente libre. Le droit lui en fut pro-
gressivement reconnu tant par la législation civile ordinaire
que par l'édit spécial des Édiles curules.
II.
C'est probablement en vertu de l'édit des Édiles curules ,
pour les ventes d'esclaves soumises à leur contrôle , que le
résultat fut d'abord atteint. Cet édit particulier, — ordonnance
spéciale dont les dispositions furent plus tard empruntées par
même institution à la fin d'an livre pour la continuer au début du livre sui-
vant. Il est plus naturel d'admettre que les dispositions contenues à la fin
d'un livre traitaient d'un moyen , et celles placées au début du livre suivant
d'un autre. M. Lenel suppose que celles contenues dans les livres 80 d'Ulpien,
76 de Paul, 57 de Julien se rapportaient à Vactio auctoritatit, tandis que
celles des livres 81 d'Ulpien, 77 de Paul et 58 de Julien auraient seules visé
une promesse de garantie, et, une fois l'attention éveillée par le raisonne-
ment, U y a sans conteste plusieurs des textes suspects dans lesquels la main
des interpolateurs se laisse parfaitement surprendre. Voir en particulier les
lois 39 de Julien, 51 d'Ulpien et 9 de Paul, D. h. t. 21. 2, avec le commen-
taire de M. Lenel.
402 LA GARANTIE D'ÉVICTION
le droit commun , mais qui , dans sa portée première , dut se
limiter aux ventes des marchés comme les pouvoirs de ses
auteurs (1), — ne prescrivait pas seulement de déclarer aux
acheteurs les vices cachés des choses mises en vente; il pres-
crivait en outre , pour les ventes d'esclaves , de faire à l'ache-
teur une promesse du double. Or, cette promesse du double
n'était autre que la promesse du double ordinaire, celle dont
nous avons déjà déterminé la formule complexe, comprenant
à la fois la promesse incertaine que certains vices n'existent
pas et la promesse conditionnelle que le double du prix sera
rendu si l'acheteur est dépouillé par une éviction. Mais ici
nous devons insister en présence d'opinions divergentes.
On ne conteste guère que l'édit des édiles prescrivit, en
matière de ventes d'esclaves, une promesse du double (2).
Mais beaucoup d'auteurs supposent que cette promesse se rat-
tachait exclusivement aux vices, et ceux mêmes qui recon-
naissent que le vendeur devait, d'après cet édit, promettre le
double du prix pour le cas d'éviction admettent presque tous
qu'il devait , de plus , faire une promesse du double pour les
vices, sauf ensuite aux uns et aux autres à discuter si la
somme qu'on double est la totalité du prix , ou une fraction
du prix proportionnelle à l'importance du vice , ou encore le
montant du préjudice causé (3). A mon sens, l'édit des édiles
n'oblige jamais , pas plus dans les ventes d'esclaves que dans
les autres, à faire, à raison des vices, une promesse du double
(1) Voy. en ce sens Mommsen, Rômisches Staaisrecht, H, 1, 2e éd. 1877,
p. 490, note 4; Bechmann, der Kauf, I, p. 412; Wiassack, Zur Gesckichte der
Negotiorum Gestio, p. 168, note 24; Hanausek, Haftung des Verkailfers, 1, 1883,
p. 20, note 4.
(2) C'est ce que dit expressément Pomponius dans la loi 5 pr. D. De V. 0.
45, 1. « ... Item duplœ stipulatio venit ab judice aut ab aedilis edicto. »
(3) Il est , je crois, inutile d'énumérer les auteurs qui admettent l'existence
d'une stipulation du double relative aux vices. C'est de beaucoup l'opinion la
plus répandue. 11 suffit de citer, pour la France, M. Accarias, Précis, II,
p. 469; pour l'Italie, M. Seraflni, Pandettedelprof. Arndts, III, p. 315 ; pour
l'Allemagne, M. de Vangerow, Pandekten, III, § 609, note 2, n° vu; M. de
Brinz, II, 2, § 327, note 13, et § 337, note 14, et l'ouvrage spécial de M. Ha-
nausek, pp. 36 et 81. On peut cependant citer, dans le sens contraire, M.
Windscheid, Lehrbuch des Pandektenrechts , II, § 394, note 17; M. Lenel,
Edictum perpetuum, p. 441; et au moins, implicitement, M. Rudorff, Edk~
htm, p. 263, et M. Bechmann , der Kauf, I, p. 402, note 7.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 403
quelconque. Il oblige, dans les ventes d'esclaves, à faire la
promesse du double ordinaire , ni plus ni moins. On ne s'y
est , je crois , mépris que par suite d'une notion inexacte de
cette stipulation. On n'a pas remarqué, d'une part, qu'elle
contient, à côté de la promesse du double pour l'éviction, une
promesse incertaine d'absence de certains vices, et, d'autre
part, que les Romains désignaient le tout constitué par les
deux clauses du nom collectif de stipulatio duplœ (1). Et, par
suite , on a cru trouver des stipulations du double relatives
aux vices dans les textes qui visent les stipulations relatives
aux vices de la stipulation du double. Si on se rappelle , au
contraire , la rédaction habituelle et le nom courant de la sti-
pulatio duplœ y tout conduit à la reconnaître dans les textes re-
latifs à la stipulatio duplœ prescrite par les édiles.
C'est la solution qu'indiquent les vraisemblances histori-
ques : il est naturel que, voulant imposer la formation de con-
trats verbaux relatifs aux vices et à l'éviction , les édiles aient
pris la formule usitée dans la pratique au lieu d'en inventer
de nouvelles. C'est aussi la solution la plus conforme à la ter-
minologie romaine : elle explique parfaitement pourquoi les
jurisconsultes parlent indifféremment de stipulatio duplœ pour
le droit ordinaire et le droit des édiles ; ils emploient dans les
deux cas la même expression parce que , dans les deux cas ,
elle désigne la môme chose. Enfin, ce qui est plus important
que tout le reste , non-seulement ce système rend compte de
tous les textes (2), mais il y en a certains qui l'imposent. Le
Digeste fournit la preuve directe que, d'après l'édit des édiles,
l'acheteur stipulait premièrement que certains vices n'exis-
taient pas, et secondement que, dans l'hypothèse d'éviction,
on lui rendrait le double du prix , c'est-à-dire exactement les
deux chefs de la stipulatio duplœ.
En premier lieu, l'édit des édiles oblige à faire, quant aux
vices, une promesse qui n'est pas une promesse pénale d'un
(1) Voir, sur les deux points, Nouvelle Revue historique, 1883, pp. 576 et ss.
(2) On s'en assurera facilement en se reportant aux différents textes invo-
qués par l'opinion contraire. Le passage de la paraphrase de Théophile,
qu'on .cite toujours à notre propos , ne dit par exemple pas que la stipulation
du double relative aux vices soit obligatoire , ni même qu'elle soit habituelle,
il l'indique uniquement comme possible.
404 LA GARANTIS D EVICTION
double quelconque , mais une simple promesse incertaine de
leur inexistence. Autrement on ne s'expliquerait pas la 1. 32
D. De evict. 21. 2, où le jurisconsulte Ulpien cite comme
termes relatifs aux vices de la stipulation présenta par les
édiles, non pas une promesse conditionnelle de peine, mais
la promesse de l'absence de certains vices qui sont également
visés dans la stipulation du double ordinaire : « Cùm quis
stipulatur fuqitivum non esse erronem non esse et cetera
qux ex edicto œdilium promituntur. » On ne s'expliquerait pas
que, lorsque dans la loi 31 D. De xdil. edict., 21. 1, il défend
la validité de la stipulation : « Sanum esse , furem non esse ,
vispellionem non esse , » il la fonde sur cet argument que sans
cela la stipulation prescrite par les édiles elle-même ne serait
pas valable : il n'y aurait pas à raisonner pour l'appréciation
d'une stipulation directe où le vice est in obligatione de la va-
lidité d'une stipulatio pœnœ où le vice serait in conditions
Enfin , on ne comprendrait pas non plus que Gaïus , citant in-
cidemment notre disposition de l'édit dans la loi 1. 32 D. b.
t. 21. 1, la désigne en disant que l'édit astreint le vendeur à
déclarer les vices et à promettre que l'esclave n'en est pas
atteint: « et praeterea in his causis non esse ut promittat (1). »
(1) Od peut encore invoquer dans ce sens un texte un peu compliqué qui
est parfois cité par les partisans de l'opinion traditionnelle, la loi 58 pr.f
§ 1, § 2, D. h. t. 21. 1. Paul y est consulté au sujet de la vente d'un esclave
qui a pris la fuite en volant l'acheteur. L'esclave étant fugitivus , l'acheteur a
en môme temps l'action rédhibitoire en vertu de la disposition de l'édit sur
les vices non déclarés et l'action ex stipuiatu en vertu de la promesse que
l'acheteur lui a faite d'après le même édit. Le consultant suppose d'abord
qu'on intente l'action rédhibitoire et que la résolution de la vente soit pronon-
cée. Paul décide que l'acheteur qui est tenu à rendre la chose — s'il Ta , —
pourra réclamer non-seulement son prix , mais une indemnité égale à la va-
leur des choses volées; seulement, en vertu d'un principe abusivement em-
prunté à la matière des actions noxales et posé notamment par la 1. 61
(Mommsen, 62), § 5, De furlit 47. 2, du principe non oportere cuiquam plus
damni per tervum evenire quam quanti ipse tervus tit, le jurisconsulte permet
au vendeur d'éviter le paiement de cette dernière indemnité en renonçant à
ses droits sur l'esclave, en en faisant l'abandon noxal; de sorte que l'ache-
teur reprendra son prix en vertu de la redhibitio et gardera l'esclave, une
fois retrouvé, à titre noxal. Le consultant passe ensuite à l'action qu'on a
en vertu de la promesse relative aux vices de la stipulatio duplm. Il de-
mande , autant qu'on peut supposer, car la détermination du texte présente
certaines incertitudes, si, tout en gardant l'esclave , on ne peut pas aussi agir
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 405
En second lieu , l'édit des édiles oblige à faire , pour le cas
d'éviction , la promesse de rendre le double du prix. C'est
déjà ce qui résulte des trois textes que je viens de citer. Ils
démontrent que la promesse relative aux vices est une pro-
messe incertaine du simple; par conséquent, puisque il y
avait une promesse du double , elle ne pouvait être relative
qu'à l'éviction. Mais ici encore il y a des preuves directes. La
première est fournie par la 1. 37 D. De evict. 21. 2. Ulpien y
parle des cas où l'on doit faire la stipulatio duplœ ordinaire ,
et au § 1, il dit : « Per edictum au te m œdilium curulium,
etiam de servo venditor cavere jubetur. » Dans ce qui précède
et dans ce qui suit , Ulpien parle de la cautio duplœ ordinaire
donnant le droit de réclamer le double au cas d'éviction, c'est
encore la cautio duplœ donnant le droit de réclamer le double
au cas d'éviction qu'il dit au milieu du texte être exigible
d'après l'édit des édiles. Voici un autre argument d'une por-
tée plus élevée : il y a trois auteurs qui ont commenté l'édit
des édiles , Gaïus , Paul et Ulpien ; or, tous trois ont , dans le
livre second et dernier de leurs commentaires, étudié la théo-
rie de la stipulatio duplœ de evictione (1); c'est évidemment
qu'ils trouvaient dans cet édit — probablement formulée à sa
en vertu de cette promesse pour demander la valeur de l'esclave. La réponse
de Paul pour laquelle le texte est heureusement certain est ce qui nous inté-
resse. Si la promesse était du double , Paul répondrait qu'on peut , comme il
Ta déjà dit, garder l'esclave noxx nomine pour les choses volées et qu'on
peut en outre demander le double de la perte causée par le vice, le double
de ta valeur, en vertu de la stipulatio duplx. Au lieu de cela , il renvoie à sa
réponse antérieure pour les choses volées et le droit de garder l'esclave
noxx nomine — si on le reprend bien entendu , — et il dit qu'on pourra de.
mander ta valeur en vertu de la stipulatio duplx , c'est-à-dire de la clause
fuçUivum non este de la stipulatio duplx. a Paulus respondit de pretio servi
» repetendo competere actionem etiam ex duplœ stipulatione : de rébus per
» furtum ablatis jam responsum est. »
(1) Paul, lois 35, 41, 56 D. De evict. 21. 2; 1. 48 D. Ad legem Aquiliam, 9,
2; Ulpien, 1. 55 D. h. t. 21. 2; Gaïus, 1. 57 D. h. t. 21. 2. Il y a un de ces
textes dans lequel le point de vue spécial d'où les jurisconsultes sont ame-
nés à envisager la stipulatio duplx se révèle avec une netteté singulière.
C'est la loi 56 D. De evict. 21 . 2 dont le pr. porte : « Si dictum fuerit ven-
dendo, ut simpla promittatur, vel triplum aut quadruplum promitteretur,
ex empto perpétua actione agi poterit. . . » Dans ce texte, qui n'est pas tou-
jours sainement entendu , Paul ne fait autre chose qu'appliquer à notre sti-
pulation le principe posé ailleurs par Ulpien dans son commentaire sur l'édit
Revue hist. — Tome VIII. 27
406 LA GARANTIE D'ÉVICTION
fin après avoir été prescrite plus haut, comme les stipulations
prétoriennes dans l'édit du préleur (1) — la stipulation qu'ils
analysaient.
La stipulation dont les édiles ordonnaient l'accomplisse-
ment dans une disposition qui ne nous a pas été transmise ,
dont la formule devait être insérée à la fin de leur édit, c'était
la stipulation du double ordinaire avec ses deux clauses ha-
bituelles , fondant là comme ailleurs, en cas de violation de
l'une ou de l'autre, les actions justiciables des tribunaux ordi-
naires qui naissent d'une stipulation, et formant là comme ail-
leurs un ensemble qu'on désignait d'un mot en parlant de stir
des édiles (loi 31 D.Depactis, 2. 14), que Ton peut par convention déroger
aux prescriptions de l'édit. Il décide que Ton pourra convenir dans la vente
qu'au lieu d'être du double , la promesse sera du simple , du triple ou du qua-
druple , et qu'alors on aura pour obtenir cette promesse , au lieu des actions
édilitiennes qui sanctionnaient l'édit , l'action empti qui sanctionne les pactes
adjoints au contrat. L'ordre d'idées dans lequel se place le jurisconsulte res-
sort : 1° de ce fait qui étonnait déjà les anciens commentateurs que , pour le
taux de la promesse, Paul parle du simple, du triple et du quadruple, mais
pas du double : « Si dictum fuerit vendendo ut limpla promittatur, vel triplum
vel quadruplum promitteretur. » La convention a précisément pour but d'écarter
la promesse du double qui pourrait être exigée sans elle ; 2° de ce qu'il in-
siste sur le caractère perpétuel de l'action empti « ex empto perpétua actione
agi poterit. » C'est par opposition aux actions édilitiennes qui sont tempo-
raires ; 3° de ce que dans la suite du texte il suppose toujours que la chose
vendue est un esclave : « § 2.... cum homo venditur... non potest videri
homo evictus § 3.... unde, si evictus est servut.... » C'est la seule
marchandise pour laquelle les édiles prescrivent la promesse du double.
(1) De même le préteur ordonnait à l'usufruitier de fournir caution dans
un passage de son édit qu'Ulpien commentait à son livre 51 et Paul à son
livre 47, et il donnait à la fin de l'édit la formule de cette promesse qu'Ul-
pien commentait à son livre 79 et Paul à son livre 75. De même il prescri-
vait à celui qui plaidait alieno nomine de fournir la cautio de rato dans un
texte qu'Ulpien rapporte au livre 9 de son commentaire , que Paul commen-
tait au livre 9 du sien, Julien au livre 3 de son Digeste, et il en donnait à
la fin de l'édit la formule qu'Ulpien étudie à son livre 80, Paul à son livre 76
et Julien à son livre 56. De même Ulpien rapporte à son livre 53 le texte
dans lequel le préteur prescrit la cautio damni infecti , Paul le commente à
son livre 48, Gaïus, au livre 19 de son commentaire sur l'édit provincial,
tandis qu'ils retrouvent à la fin de l'édit la formule de cette cautio pour la
discuter à nouveau, Ulpien à son livre 81, Paul à son livre 78 et Gaïus à son
livre 28. On trouvera les différents textes en se reportant soit au divers livres
de ces ouvrages dans la Palingenetia librorum juris veterum de Hommel,
soit aux renvois faits pour chaque point par M. Lenel.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 407
pulatio duplœ. Toute l'innovation des édiles consiste à la rendre
obligatoire pour les vendeurs d'esclaves , à contraindre ces
marchands à faire la promesse dont l'édit donnait la formule
en tant qu'ils ne s'en seraient pas déchargés, soit quant à l'évic-
tion, soit quant à tel ou tel vice, par une déclaration formelle (1 ).
Il faut maintenant chercher les motifs qui poussèrent les
édiles à cette innovation, l'époque à laquelle ils la firent, et
les procédés pratiques par lesquels ils la réalisèrent.
Quant au choix des procédés , il leur fut commandé par les
limites de leurs attributions. Le préteur, ayant à la fois ce
que les jurisconsultes classiques appellent Yimperium et ce
qu'ils appellent la jurisdictio , pouvait assurer l'accomplisse-
ment des stipulations prescrites dans son édit, soit en déli-
vrant des formules d'action en vertu de sa jurisdictio, soit,
plus souvent, en vertu de son imperium, en procédant par
voie de contrainte directe , par voie de missio in possessionem
notamment. Les édiles curules n'avaient pas Vimperium; ils
n'avaient que la jurisdictio ; ce n'est donc que par voie de
délivrance d'action qu'ils pouvaient imposer l'obéissance à
leurs injonctions (2).
(i) Nous savons par Aulu-Gelle (N. A. IV, 2. 1 et VII, 4. 1) que ces dé-
clarations se faisaient à l'aide d'écriteaux ou d'emblèmes attachés aux esclaves
mis en vente et que , par exemple , on coiffait d'un bonnet de feutre ceux à
raison desquels on n'entendait assumer aucune garantie, — pas même celle de
l'éviction, je crois; car, d'après Ccelius Sabinus, dont Aulu-Gelle rapporte
les expressions , on vendait de cette façon , comme servi pileati ceux à rai-
son desquels le vendeur ne voulait rien fournir, « quorum nomine venditor
nihil prœstaret. »V. en sens contraire , Muller, Eticktion, 1851, p. 21, note 21,
et les autorités qu'il cite. V. aussi sur d'autres signes employés, les détails
réunis par Brisson, De formulis,Vl, 10.— Le texte de l'édit rapporté par Ulpien,
1. 1 pr. h. t. 21. 1. qui commence par indiquer que les vendeurs devront faire
cet affichage préalable (qui mancipia vendunt certiores faciant emptores quid
morbi vitii cuique sit, quia fugitivus errove sit, noxare solutus non sit ) et
qui continue en prescrivant la déclaration verbale des vices au moment de la
vente (eademque omnia cum ea mancipia venibunt palam recte pronuntianto)
indique probablement une transformation historique qui a fait greffer la se-
conde prescription sur la première tenue désormais pour insuffisante. V. dans
ce sens, Bechmann, der Kauf, I, p. 399. Quoi qu'il en soit, le mode de pu-
blicité visé par la première est une des preuves qui montrent le mieux quelle
étroite connexité liait primitivement l'édit des édiles aux ventes des marchés.
(2) L. 4 D. Dejurisdictione, 2. 1. Voir Rudorff, Ediclum, p. 262, note 32;
Bekker, Aktionm, II, p. 100 ; Bechmann, der Kauf, I, p. 403.
408 LA GARANTIE D EVICTION
C'est par délivrance d'action qu'ils forçaient les vendeurs à
la garantie des vices dans les ventes autres que celles d'es-
claves. Ils donnaient, d'une part, des actions à l'acheteur
pour demander, suivant les délais, soit la résolution de la
vente, soit la diminution du prix quand un vice venait à se
révéler; ils lui donnaient, d'autre part, et probablement dès
une époque plus ancienne, le droit d'intenter, dans un délai
plus court, des actions voisines et semblables si le vendeur refu-
sait de promettre l'absence des vices qu'il n'avait pas déclarés.
C'est également par délivrance d'actions que les édiles pro-
cédaient dans les ventes d'esclaves : ils donnaient également
à l'acheteur soit les premières actions si des vices se révé-
laient, soit les secondes si le vendeur refusait de répondre à
la stipulatio duplœ.
Le seul point qui nous intéresse , puisque nous nous occu-
pons de l'éviction et non des vices, l'existence des actions
fondées sur le défaut de promesse, est attestée par la 1. 28
D. De xdilit. edict., 21. 1, extraite du livre premier de l'ou-
vrage de Gaïus sur l'édit des édiles.
« Si venditor de his quae edicto continentur non caveat,
pollicentur adversus eum ad redhibendum judicium intra
duos menses, vel quanti emptoris intersit intra sex menses. »
Tandis que la révélation des vices donne, comme on sait,
à l'acheteur l'action rédhibitoire pendant six mois, et l'action
quanti minoris pendant un an , le défaut des promesses pres-
crites par l'édit des édiles, et par conséquent en particulier
de la promesse du double , donne à cet acheteur le droit d'a-
gir pendant deux mois par l'action rédhibitoire, et pendant
six mois par une autre action.
Les deux actions soulèvent d'abord une question com-
mune : celle de savoir si elles ne sont pas arbitraires , en ce
sens que le juge serait invité à prescrire l'accomplissement
de la stipulation pendant le procès , ou si , au contraire , il
n'est pas trop tard pour fournir la promesse, dès lors que le
procès est engagé (1). On dit souvent les deux actions arbi-
(1) On ne confondra naturellement pas cette question avec celle toute dif-
férente de savoir si l'action rédhibitoire est arbitraire en ce sens qu'avant
de passer à la condamnation, le juge qui prononce la rtdhibitio ordonne au
défendeur d'y procéder.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 409
iraires. La négative serait, à mon sens, plus conforme à l'es-
prit ancien de l'institution.
Quoi qu'il en soit , quelle est la contrainte exercée contre le
vendeur, quel sera le préjudice qu'il subira lorsque , faute de
promesse fournie en temps utile, le procès sera tranché contre
lui?
Pour l'action donnée pendant six mois, l'étendue de la
condamnation dépendra de la nature de cette action. On peut
y voir une action quanti minoris, et, par suite, décider qu'elle
entraînera la réduction que l'acheteur eût réclamée sur le prix
s'il avait su qu'on ne lui ferait pas la promesse. Mais ce
n'est pas ce que dit le texte : il ne parle pas d'une réduction
de prix proportionnelle à la différence de valeur de la chose
vendue , il parle directement d'une indemnité égale au préju-
dice causé au vendeur par le défaut de promesse. Les deux
sommes seront parfois égales , mais elles peuvent aussi être
différentes : il n'est donc guère douteux qu'il s'agisse ici
d'une action spéciale ayant ses conséquences propres (1).
Quant à l'action rédhibitoire , c'est l'action rédhibitoire or-
dinaire; mais, pour savoir ce qu'elle fera obtenir à l'acheteur,
il faut trancher une question que cette action soulève partout.
Ici, ou elle est donnée faute de promesse, comme dans les
cas où elle est donnée faute de déclaration du vice , quel effet
produira la reconnaissance du droit du demandeur? Il y a un
texte capital qui me paraît ne pas laisser place à discussion.
C'est la 1. 45 D. De œdilit. edict., 21. 1, également extraite
du livre premier du commentaire de Gaïus, sur l'édit des
édiles.
« Redhibitoria actio duplicem habet condemnationem : modo
enim in duplum, modo in simplum condemnatur venditor.
Nam , si neque pretium neque accessionem solvat neque eum
qui eo nomine obligatus erit liberet, dupli pretii et accessionis
condemnari jubetur : si vero reddat pretium et accessionem
vel eum qui eo nomine obligatus est liberet, simpli videtur
condemnari. »
D'après ce texte, lorsque l'action rédhibitoire est reconnue
(1) V. en ce sens RudorfT, Edictum, p. 263. Hanausek, Haftung des ver-
kàufers, I, p. 34. V. en sens contraire, Lenel, Edictum perpetuum, p. 442.
Comparex Bechmann, der Kauf, I, 406.
410 LA GARANTIE D EVICTION
comme fondée — après que le juge a vainement prescrit la sti-
pulation , si on admet que la formule l'invitait à le faire — le
juge prescrit la redhibitio, ordonne au vendeur de rendre le
prix et ses accessoires, ou de libérer ceux qui en sont débiteur
contre la restitution de la chose offerte par l'acheteur. Puis
de deux choses Tune : ou le vendeur refuse de s'exécuter, et
alors il est condamné au double du prix et de ses accessoires,
ou il s'exécute , et alors , suivant une solution qui a été con-
testée, mais qui ne me paraît pas douteuse, il est condamné
au simple. On peut lire la fin du texte comme on voudra : ou
bien y supprimer les deux derniers mots avec d'anciens au-
teurs , ou y lire avec d'autres jubetur au lieu de videtur, ou
accepter le suspect videtur de la Florentine ; elle signifie qu'il
y a condamnation au simple , et non pas , suivant une inter-
prétation dont les partisans mêmes reconnaissent l'étrangeté,
qu'il semble être condamné au simple parce qu'il a été dans
la nécessité de rendre le prix. Ce simple qu'il doit payer à
côté du prix en cas d'inexécution , après le prix en cas d'exé-
cution , est la peine qu'il subit pour s'être mis dans le cas
d'être poursuivi par l'action rédhibitoire (1).
Maintenant, quelle pensée conduisit les édiles à donner
cette action pendant deux mois, l'autre pendant six, à l'a-
cheteur d'esclaves qui n'avait pas obtenu la promesse du
double?
On pourrait croire que la réponse va de soi et que le but
des édiles a été tout simplement d'assurer à la vente son
plein et équitable effet, en imposant au vendeur une obliga-
tion conforme aux usages du commerce. C'est une explication
qui n'a rien de choquant pour nos habitudes d'esprit et qui,
probablement, eût même pu satisfaire un jurisconsulte de l'é-
poque classique accoutumé aux règles sur les clauses de style
et sur les pactes adjoints aux contrats de bonne foi. Mais il
est bien douteux qu'elle soit conforme à la vérité historique.
Il y a une hypothèse qui cadre singulièrement mieux tant
avec les vraisemblances générales qu'avec les particularités
de l'édit. C'est la théorie qui voit dans les diverses règles
établies par les édiles en matière de vente , non pas les pres-
(1) V. en ce sens, Lenel, Edictumperpetuum, pp. 437 et 439, et surtout les
développements de M. Hanausek, Haftung des Verkàufers, I, pp. 23 et 88.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 41 i
criptions de magistrats soucieux d'arriver à la meilleure in-
terprétation des conventions privées, mais celles d'officiers
de police exclusivement préoccupés de réprimer les fraudes
des marchands placés sous leur surveillance (1).
Les édiles curules étaient, avant tout, des officiers de po-
lice. Leurs grandes fonctions étaient, avec l'organisation des
jeux, la police de la voie publique et celle des halles et mar-
chés (2). Ils avaient la police de la voie publique. C'est pour
cela que, comme montre la 1. 13 D. De peric. et commod.
rei venditœ, 18, 6, ils faisaient détruire les objets encombrants
laissés sur la rue. C'est pour cela que, dans leur édit, ils don-
naient une action pénale contre ceux qui occasionnaient quel-
que dommage en tenant des animaux dangereux à proximité
des lieux de passage. Ils avaient la police des marchés pu-
blics. C'est pour cela qu'ils pourvoyaient aux arrivages de
subsistances , qu'ils saisissaient les marchandises dont la
vente était prohibée , qu'ils vérifiaient la sincérité des poids
et mesures. C'est exactement pour le même motif qu'ils pre-
naient des dispositions contre les marchands qui , sans avoir
fait de déclarations formelles , prétendaient éviter la respon-
sabilité des vices dans toutes les ventes , celle de l'éviction
dans les ventes d'esclaves. Là encore, leurs habitudes pro-
fessionnelles leur faisaient voir des fraudes à punir et non pas
des contrats à interpréter. Assurément, l'édit profite à l'a-
cheteur, mais son but est de punir le vendeur. Il n'y a là ,
a-t-on dit justement , qu'une conséquence naturelle et forcée
du système des délits privés où le soin d'agir est confié à la
victime. Il n'y a là , pourrait-on dire d'une façon plus large ,
(1) Cette conception n'est que la conséquence du systôme exposé par
M. de Ihering, Zweck im Recht, 1, 1877, p. 493, d'après lequel les attributions
des édiles ont pour trait commun de leur être conférées dans l'intérêt public,
et non pas dans celui des particuliers. Le caractère pénal des actions édili-
tiennes en résulte nécessairement. Il a surtout été indiqué par M. Wlassack,
Negotiorum gestio , p. 175. V. aussi Huschke, Nexum, p. 212 ; Pernice, Labeo,
II, p. 248; Hanausek, Haftung des Verkaûfers, p. 24, note 19.
(2) On trouvera sur le détail des fonctions des édiles curules , tous les ren-
seignements désirables dans les différents dictionnaires ou manuels d'anti-
quités romaines, particulièrement dans le Rômisches Staatsrecht de M. Momm-
sen, II, 1, pp. 462 et ss., et dans l'article ASdiles de M. Humbert, Diction-
naire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio.
412 LA GARANTIE D EVICTION
qu'un aspect particulier de l'inévitable connexité qui existera
toujours , pour le trafic en plein vent des marchés publics
avant tout, entre la répression de la fraude et l'appréciation
des actes.
Sans doute, plus tard, quand l'expérience eut montré les
avantages pratiques présentés pour l'exécution loyale des con-
trats par le système de l'édit des édiles, lorsque, par suite,
on le fit passer de cette ordonnance spéciale dans le droit com-
mun de la vente , un nouveau point de vue se fit jour. L'idée
ancienne fut obscurcie , ces conséquences les plus saillantes
eu furent effacées , mais elle a pourtant laissé sa trace dans
les textes. Ulpien ne l'indique pas seulement à côté de la nou-
velle quand il dit dans la loi 1 § 2 D. h. t. 21. 1, que l'édit
a été fait « ut occurratur fallaciis vendentium et emptoribus
succurratur; » il reconnaît en termes exprès, dans un texte très
frappant, le caractère pénal des actions édilitiennes : « Pœnales
esse videntur, » dit-il dans la loi 23 § 4 D. h. t. 21. 1 (1).
Le moyen de faire ce caractère pénal ressortir dans toute
sa pureté , c'est de ramener les choses à leur simplicité primi-
tive en les dégageant des additions ultérieures ; c'est de rap-
peler que l'action rédhibitoire paraît la plus ancienne des ac-
tions établies par les édiles , qu'il est probable qu'elle a été
donnée faute de stipulation pendant deux mois à une époque
chronologique où elle n'était pas encore donnée à raison de
la révélation des vices pendant dix , et enfin qu'il n'est pas
prouvé que l'acheteur y pût, anciennement surtout (2), éviter
l'ordre de rédhibition en faisant la promesse au cours du pro-
(1) C'est encore à raison de son caractère pénal, dit M. Wlassack, que l'ac-
tion rédhibitoire ne tend pas seulement à la résiliation de la vente, mais à
l'application d'une amende véritable , de l'amende du double si la redhibUio
s'exécute et du simple si elle ne s'exécute pas (1. 45, D. h. t. 21. 1); que
Ton admet cette solution incompréhensible au point de vue contractuel d'a-
près laquelle l'acheteur évincé peut agir à raison des vices qui ne lui ont pas
causé de préjudice (1. 44 § 2 D. h. t. 21. 1); que l'on admet cette autre so-
lution plus contraire encore aux principes généraux des contrats d'après la-
quelle le recours pour les vices est possible malgré la mort de l'esclave ou
de l'animal (lois 47 § 1, 48 pr., et 38 § 3 D. h. t. 21. 1).
(2) Dans le droit relativement récent, le défendeur aurait toujours pu, au
moins d'après l'opinion sabinienne, invoquer la règle Omnia judicia sunt abto-
lutoria (Gaïus, Inst. IV, 114) pour faire utilement la promesse au cours du
procès.
# ^^CONSENSUELLE. 413
>. ^^ freinte, le rôle des édiles
**•% • %*^ jre- ^eur prétention n'est
^^^ y%^, ^^ /ibutions des magistrats ot-
S/^ty ^^^^tL ij ats- Si le contrat verbal qu'ils
v4fr ^^y^ùjâ^t^ Qt Pas eux ^ Interprètent,
s/s» ^^ ^% **4fc * e3, ^es* 8eu^ement 8 ^ na P**
-'ûto/ ftj ^4*^* Par v0*e ^e délivrance d'actions
y&f, 4' *o/fc. ^ Us de répression. Ils ne tranchent
*'(%// ''^foo^^ju punissent des marchands infidèles,
% ^i/jL^^d^ * détenteurs de faux poids, comme ils
?• 9ty. /h *4b» -aires négligents d'animaux dangereux.
z^9^ ~ **fa» * L D<m Pas question de droit. S'ils se sont
- ^$fo^ /*^V avoir fait du droit, c'est sans l'avoir voulu.
^"& -^ftfr terminer sur cette conception du rôle des
V ^ 4fc. » qu'elle s'accorde au moins aussi bien que tout
- ^'fityC règles spéciales établies pour la stipulatio du-
r<Zqp clatio duplée n'est imposée qu'aux vendeurs d'es-
%^_ x autres vendeurs, même de choses mancipi, on
jf a de promettre que l'absence des vices. Pourquoi
f stinction? C'est que la peine portée contre les mar~
s d'esclaves qui ne font pas la promesse du double est
ii Le d'une défiance qu'on n'éprouve que contre eux. On ne
porte pas contre les éleveurs d'Italie qui viennent vendre
eurs bestiaux sur le marché de Rome : c'est, trouve-t-on,
assez de leur imposer la déclaration des vices ; quant à l'évic-
tion, ils feront le plus ordinairement, pour les choses man-
cqri, une mancipation qui les soumettra à l'action auctoritatis,
et, s'il n'y a pas de mancipation, on laisse aux acheteurs le
soin de savoir quelles précautions ils doivent prendre. Au con-
traire, les marchands d'esclaves sont des personnages d'une
moralité trop équivoque pour qu'il y ait un fonds à faire sur
leur probité commerciale (1); leur nationalité est toujours trop
incertaine (2) pour que l'on soit jamais sûr d'en recevoir une
mancipation valable et, par suite, d'avoir, le cas échéant,
(1) « Id genus hominum ad lucrum vel tarpiter faciendum promus est , »
dit Paul (1. 44, § 2 D. h. t. 21. 4) pour justifier une autre mesure d'exception
prise par les édiles contre les marchands d'esclaves.
(2) Voir Wallon, De Vetclavage dans l'anliquité , 1847, II, p. 51; Bechmann,
ierKauf, I, p. 398, note 3. Comp. Kuntze, Excurie, p. 234.
414 LA GARANTIS D EVICTION
l'action auctoritatis. On les astreint à procéder à la stipulatio
duplœ qui , l'éviction survenant, les mettra à peu près dans la
situation qu'eût produit une mancipation légale. C'est un ar-
rêté de police relatif à des trafiquants suspects. On ne peut
que le répéter : les édiles, en voulant faire de la police, se
sont trouvé avoir fait du droit; mais partout, ici comme ail-
leurs , c'est de la police et non pas du droit qu'ils ont voulu
faire. Cette explication prosaïque a pour elle des textes, elle
rend compte de tous les faits , elle a le mérite capital de lais-
ser les surveillants des marchés dans leur sphère d'idées et
d'occupations normale. Je la préfère à toutes celles qui les en
feraient plus ou moins brusquement sortir pour fonder une
juridiction rivale en face de la juridiction régulière, créer
tout à coup un droit nouveau à côté du droit commun, et don-
ner aux tribunaux ordinaires des leçons dans l'art d'entendre
les arrangements privés.
Ce point de vue a son importance pour la dernière difficulté
que présentent nos dispositions : pour la détermination de leur
date. Il permet de les concevoir en dehors de toute idée de
contrat de bonne foi , de contrat consensuel même. Comme
l'obligation de manciper, peut-être plus qu'elle encore , l'obli-
gation de promettre le double imposée par les édiles aux ven-
deurs d'esclaves, peut remonter jusqu'au delà des origines de
la vente consensuelle. L'édit punit des marchands qui n'ont
pas voulu faire à leurs acheteurs une promesse qu'il prescrit.
Il n'a pas eu besoin pour cela d'attendre que le droit civil re-
connût le caractère de bonne foi des actions qui appartiennent
à l'acheteur et au vendeur, que le droit civil reconnût même
ces actions. Son existence est rationnellement intelligible à
partir du premier jour où des marchands d'esclaves ont con-
duit leur bétail humain sur le Forum Boarium.
Mais , si nous cherchons dans les textes des indications po-
sitives, nous n'en rencontrons que de récentes. On a cru trou-
ver dans Plaute (1) la preuve que l'édit sur les ventes d'es-
(i) Miles gloriotu$ , Ul , m :
Sicut merci pretium statuit quist pro bus agoranomus :
Quœ probast aut luculenta pro virtute ut veneat,
Que improbast , pro mercis vitio dominium pauperet.
Kudent, 11,379 :
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 415
claves était déjà promulgué de son temps (1), et, s'il en était
ainsi , il serait à croire que la disposition concernant la pro-
messe du double y était déjà contenue. Par malheur, rien n'est
moins certain : les passages cités peuvent , comme bien d'au-
tres du même auteur, ne contenir qu'une réminiscence du
droit grec (2), et quand il s'y agirait de droit romain, il ne
serait pas sûr qu'ils parlent plutôt de nos actions que de telle
ou telle autre mesure de police prise par les édiles (3). Le pre-
mier témoignage incontestable , et d'ailleurs uniquement rela-
tif au chef de la stipulation qui concerne les vices, nous est
fourni par Cicéron (4). Mais, avec Cicéron , nous sommes à la
fin de la République, en pleine procédure formulaire, en plein
régime de la vente consensuelle.
III.
Le droit pour l'acheteur de choses mancipi d'exiger la
mancipation dans la vente consensuelle ordinaire, celui pour
l'acheteur d'esclaves d'exiger la promesse du double dans les
ventes régies par l'édit des édiles présentent l'un et l'autre
ce double caractère d'être des avantages restreints à une
catégorie limitée d'opérations, mais en revanche d'être admis
Quamvis fastidiosus
iEdilis est si qu» improba sunt mercis jactat ornais.
Coptivi, IV, 818 :
Edicliones hic qtiidem œdilicias habet ;
Mirumque adeost, ni hune fecere sibi iEtoli agoranomum.
V. Mostellaria, lit, 784, 785.
(t) V. Accarias, PrécU, II, p. 466, note 1, et 847, note 2; Dernburg, Fest-
gaben fur Heffter, 1873, p. 130; Voigt, Jut naturale, III, p. 853; IV, p. 536;
Wlassack, Negotiorum gestio , $. 174, note 35.
(2) Voir Mommsen , Staaltrecht, II, 1, p. 489, note 3.
(3) V. Bechmann, der Kauf, I, p. 396; Kuntze, Excurse, p. 555, note 7;
Hanausek, Haftung des Ferkàufers, I, p. 20, note 7.
(4) De officiit, III, 17, 71. Nec vero in prsdiis solùrn jus civile ductum a
natorft malitiam fraudemque vindicat , sed etiam in mancipiorum venditione
fraus venditoris omnis ezeluditur. Qui enim scire debuit de sanitate, de fugfi ,
de fortis prœstat edicto œdilium.
420 LA. GARANTIS D EVICTION
tioos, et M. Lenel lui-môme en admet (1). L'objection porte
encore bien moins si Ton remarque que, pour avoir été réunis
dans Tédit perpétuel, l'édit des édiles et celui du préteur n'en
paraissent pas moins avoir gardé leur individualité distincte,
qu'ils ont, dans une certaine mesure, continué d'établir des
moyens différents , et que les deux catégories de magis-
trats semblent avoir conservé leurs compétences respec-
tives (2).
Le second argument est visiblement celui qui a déterminé
M. Lenel, et il paraît plus sérieux. On peut croire, au premier
abord, que la 1. 5 D. de V. 0., implique que Tédit des édiles
contient seul la stipulation du double, et que Tédit du préteur
ne la contient pas. Mais ce n'est qu'une apparence. Le texte
de Pomponius implique bien qu'il y a, relativement à la $U-
pulatio duplœ, quelque chose qui se trouve dans Tédit des
édiles , et qui ne se trouve pas dans celui du préteur. Mais ce
n'est pas la formule de la stipulation , c'est Tordre de la faire.
Pomponius ne dit pas où la stipulation est inscrite, il dit d'où
elle vient. La stipulation du double vient , ditil , soit de Tédit
des édiles , soit de l'autorité du judex. Elle est prescrite par
Tédit des édiles ou par le juge. Et c'est, en effet, la différence.
L'édit des édiles ordonne l'accomplissement de la stipulation
et il en donne la formule. L'édit du préteur en donne la for-
mule , mais il n'en ordonne pas l'accomplissement. Il ne peut
pas l'ordonner; car l'action qui naît de la vente prescrit seu-
lement au juge de voir ce qui doit être accompli d'après la
bonne foi : Quidguid ex bond fide dore facere oportet. C'est le
juge qui verra si la bonne foi requiert l'accomplissement de
la stipulatio duplœ. Et alors elle sera faite, non pas sur Tordre
du magistrat, mais en vertu des principes du droit. Voilà
pourquoi, tandis que la 1. 37 D. h. t. 21. 2, dit qu'en vertu
de Tédit des édiles, le vendeur d'esclaves « cavere jubetur »
elle dit des ventes civiles que « emptori duplam a venditore
promitti oportet. Et voilà pourquoi Pomponius dit très exacte-
ment qu'elle vient ab judice aut ab œdilium edicto.
Cela ne prouve rien contre l'existence dans Tédit du pré-
(1) Voir, par exemple , pour les vols commis par les familix publicanorun,
Edictum perpetuum , p. 208 et p. 311, note 13.
(2) Voir notamment Mommsen , StaaUreckt, II, p. 490, note 2.
DANS LÀ VENTE CONSENSUELLE. 421
leur d'une formule de stipulatio àuplœ* mise à »la disposition
du juge qui voudra prescrire au vendeur de s'obliger, mise
au&i à la disposition du vendeur qui voudra sans procès la
fournir d'une façon régulière. Et, en admettant avec M. Lenel
que les textes des livres 80 d'Ulpien , 76 de Paul et 57 de
Julien , se soient dans leur forme primitive rapportés à Yactio
-mctoritatis > rien n'autorise à rapporter ceux des livres 81„ 77
<ët S8, c'est-à-dire les lois 52, 53, 40, 48 D. h. t. 21. S, à la
mtisdatio secunâkmmancipium. Aucun des quatre. ne s'entend
tôneur de lasatôftfafto secundim maucipium que delà stipulatio
duplas; car il n'y a rien d'étrange à ce que, dans la 1. 40, une
■stipulatio dupte soit garantie par des fidéjusseurs — les tryp-
-tiquesde Transylvanie contiennent des stipulations du double,
M. <Lenel ne le conteste pas, et cependant il y en a une où
•rengagement du vendeur est garanti par un fidçjusseur. — Au
contraire , il y a un des textes , la 1. 53 de Paul dont les solu-
tions se rapportent beaucoup mieux à la stipulatio dupte qu'à
>\s. satisdatio secundùm maucipium. En effet, Paul y considère
la dénonciation du trouble faite par l'acheteur au vendeur,
non pas comme un préliminaire de l'action , ce qui serait le
cas de Yactio auctoritatis et de la satisdaUo secundim mancir
pium, mais comme une obligation imposée à l'acheteur, ce
qui est le cas de la stipulatio duplœ. Il est vrai que M. • Lenel
admet qu'il n'y a aucun motif de supposer que la satisdaUo
secundùm mancipiutn concordât absolument avec Yactio aueto-
titaHs dans ses conditions d'existence. Mais il me semble qu'il
y en a encore bien moins de penser que la copie ait différé.du
modèle dans son trait le plus original.
Enfin, quand les textes nous disent et nous répètent que le
vendeur est, sauf clause contraire , obligé à fournir une pro-
messe simple et non pas une promesse garantie par des cau-
tions (1), il est bien hardi de prétendre que la formule sou-
' taise par l'édit du préteur aux juges et aux parties fût celle
dans laquelle on ne doit promettre que sur convention spé-
ciale , une satisdatio , au lieu d'être celle dans laquelle on doit
promettre sauf convention spéciale, une repromissio nuda.
C'est la stipulatio duplx dont l'édit du préteur donne la for-
Ci) Papioien, 1. 4 pr. D. h. t. 21. 2. Ulpien, 1. 37 pr. D. h. t. 21. 2. Paul,
1. 56 pr. D. h. t. 21. 2.
Rivui BiST. — Tome VIII. 28
422 LA GARANTIE D EVICTION
mule et dont l'on pourra dans certains cas demander l'accom-
plissement par l'action ernpti (1).
11 faut maintenant chercher dans quels cas Ton pouvait ré-
clamer l'une ou l'autre promesse, quelle était la sanction de
l'obligation du vendeur et à quelle époque cette obligation fut
reconnue.
Pour déterminer les cas où l'une ou l'autre promesse pourra
être exigée , il suffit de fixer ceux où l'on peut demander la
stipulatio duplx. Dans tous les autres , on aura droit à la sti-
pulation habere licere. Or, le domaine de la stipulatio duplœ
est restreint à plusieurs points de vue. Non-seulement la com-
pilation de Justinien nous apprend qu'elle ne peut être de-
mandée que dans les pays où elle est adoptée par l'usage —
Gaïus, 1. 6 D. h. t. 21. 2 — et que dans les ventes volon-
taires : — « Hi enim demum ad duplae cautionem compellun-
tur qui sponte sua distrahunt, » dit Ulpien, 1. 49 D. Fam.
ercisc, 10. 2. — Mais elle n'est, même dans ces pays et dans
ces ventes, exigible que pour les choses précieuses; c'est ce
que décide le même Ulpien dans la 1. 37 § 1 D. h. t. 21. 2 :
« Quod autem diximus duplam promitti oportere sic erit
accipiendum ut non ex omni re id accipiamus , sed de his
rébus , quae pretiosiores essent , si margarita, forte aut orna-
menta pretiosa vel vestis Serica vel quid aliud non contemp-
tibile veneat. Per edictum autem ssdilium curulium etiam de
servo cavere venditor jubetur. »
Cependant, tout limité qu'il soit, le domaine de la stipulatio
duplœ a déjà reçu là des extensions étrangères au but primitif
de l'institution; s'il est vrai, comme indiquent toutes les
vraisemblances , que la stipulatio duplœ ait d'abord été desti-
née à remplacer, quant à la garantie , la mancipation pour les
choses mancipi, elle dut d'abord être restreinte aux choses
(1) Il me paraît donc tout à fait superflu d'aller comme on Ta fait parfois
(Démangeât, Cours de droit romain, 1867, II, p. 255, note 2), chercher l'hy-
pothèse de la 1. 5 D. De V. 0. 45. 1, dans la loi 24 § 1 D. DeNox. act., 9. 4.
L'hypothèse où la stipulatio duplx venit ab judice, n'est pas une hypothèse
exceptionnelle et problématique, mais l'hypothèse simple et normale où l'a-
cheteur intente Yactio empti pour la demander. Je remarque même que notre
solution ne serait que plus naturelle, si l'on décidait avec M. Accarias, Pré~
eit, II, p. 1140, que les actions de bonne foi deviennent arbitraires quand
elles tendent à obtenir une promesse.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 423
mancipi, et parmi ces choses, à celles qui n'étaient pas man-
cipées. Or, la loi 37 § 1, semble bien prouver que, dès l'époque
d'Ulpien, elle était appliquée aux choses précieuses même
nec mancipi, et, si l'on admettait qu'elle n'a pas été remaniée,
elle prouverait que dès la même époque elle s'appliquait aux
choses mancipi qui étaient mancipées.
La première extension paraît faite dès l'époque d'Ulpien et
s'explique assez bien : la pensée de la sûreté a été provoquée
par le bénéfice spécial dont jouissaient certaines choses , et la
sûreté n'a d'abord été appliquée qu'à ces choses ; mais plus
tard, lorsque, à côté de ces choses qui jadis étaient les plus
précieuses, il s'en est trouvé d'autres aussi précieuses, on a
pu naturellement être porté à étendre le bénéfice à celles-ci.
C'est ainsi que dans notre ancienne législation française , cer-
taines règles spéciales ayant été faites pour protéger la pro-
priété des immeubles, on fit ensuite rentrer fictivement cer-
tains biens aussi importants dans la classe des immeubles
pour leur étendre la protection. A Rome , le droit d'exiger la
stipulatio duplœ résultant de l'usage, il suffit de l'usage pour
accomplir le changement.
La seconde extension ne serait pas beaucoup plus difficile à
expliquer. On la justifierait par les avantages que présente
sur l'action née de la mancipation, \à stipulatio duplœ qui non.
seulement garantit contre les vices — pour cela la stipulatio
habere licere suffisait — mais surtout est de maniement plus
facile, moins exposée aux vices de formes. Seulement il n'est
pas sûr que , dès le temps où écrivait Ulpien , la stipulatio
duplœ pût, en dépit de la mancipation, être réclamée par
Yactio empti pour les choses mancipi.
Le texte d'Ulpien ne distingue pas. Mais cela ne prouve
absolument rien ; car il est impossible qu'il distingue ; en effet,
dans la législation de Justinien à travers laquelle il nous est
parvenu , la division des choses mancipi et nec mancipi est
disparue, la mancipation elle-même n'existe plus. Il ne se
peut donc pas que, dans les recueils de Justinien, un texte
nous dise qu'il faut distinguer selon qu'il y a mancipation ou
non, selon qu'il s'agit de choses mancipi ou nec mancipi.
Qu'il distinguât ou non dans sa forme primitive, le texte n'a
pu nous arriver que sans distinction. Tout ce qu'on peut es-
424 LA GARANTIE ^'ÉVICTION
pérer, c'est d'entrevoir cîâbs sa rédaction présente quëtifùe
indice ou qu'il est intact , ou qu'il est mutilé ; or, il y a dès
traces de mutilation. . .
Il y en a deux. D'aJbbrd Ulpien n'indique dans sa liste 3e
choses 'précieuses que des choses nec mancipi, il ne cite pas
une de ces choses mancipi qui constituent le fonds des for-
tunes , il ne dit par exemple rien des immeubles. Ensuite la
construction de la phrase finale est bizarre : le jurisconsulte
ne dit pas que « de servo etiam per edictum œdilium cavere
jubetur, » ce qui signifierait qu'il y a une nouvelle législation,
celle des édiles , en vertu de laquelle on doit encore faire la
promesse exigée déjà par la législation civile, il dit que « per
edictum aedilium etiam de servo cavere jubetur, » ce qui, dans
son sens naturel, implique qu'il y a une nouvelle chose à
raison de laquelle on doit la faire , alors que cependant les
esclaves sont assurément des choses précieuses qui seraient
comprises dans la première phrase (1).
Les deux singularités s'expliquent parfaitement par la con-
jecture qu'Ulpien disait au début du texte qu'il fallait promettre
si on ne mancipait pas, par l'idée que, par exemple, après avoir
indiqué cette distinction au proœmium , il disait au début du
§ 1 : « Quod autem diximus , si mancipio non datur, duplam
promitti oportere » ou quelque chose d'analogue. On com-
prendrait alors très bienl qu'il ne citât comme exemples de
l'obligation de promettre le double que les choses nec mancipi,
— car ordinairement celles mancipi seront mancipées — et on
ne comprendrait pas moins bien qu'il dit que, pour l'esclave
pour lequel on doit déjà < promittere duplam si mancipio non
datur, » on doit en outre — etiam tout court ou mieux etiam
si mancipio datur, — faire sans distinction la promesse du
double en vertu de l'édit des édiles. Il n'est donc pas établi
qu'Ulpien admit déjà l'obligation de promettre le double
comme pesant sur le vendeur quand la mancipation fait naître
Yactio auctoritatis.
(1) La première singularité de notre texte a été relevée il y a plus de qua-
rante ans , par M. Mommsen , dans sa DUtertaHo inauguraUs ad legem de
tcribù, et de auctoritate, 4843, p. 17. La seconde est signalée dans son Ma-
nuel de Pandectes, II, p. 735, note 16, par M. de Brini, dont le témoignage
est d'autant pins frappant qu'il ne se pose pas la question d'interpolation.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 425
Au reste , je n'entends pas soutenir pour cela que la stipu-
latio duplx n'ait pas fini par concourir avec la mancipation.
Il est très possible qu'on ait, avant la disparition de lia man-
cipation, pris l'habitude de lui joindre régulièrement une sti-
pulation du double et que précisément cet usage, en enlevant
partout son utilité dernière à l'ancien mode d'aliéDation for-
mel , ait encor* précipité sa désuétude. Du jour où l'habitude
aura été formée , il aura fallu là comme ailleurs appliquer le
principe en vertu c|uquel on peut, par l'action empti, demander
l'une ou l'autre des promesses relatives à l'éviction , le prin-
cipe que les clauses de style sont sous-entendues dans les con-
trats de bonne foi.
Quel est maintenant le moment historique à partir duquel
ce principe a permis de demander soit la promesse du double,
soit la promesse habere licere?
C'est un point sur lequel nous sommes sensiblement moins
renseignés qu'on ne pourrait croire. Il semble bien pourtant
qu'il faut distinguer entre la stipulatio duplx et la stipulatio
habere licere.
Pour la stipulatio habere licere , le droit d'en exiger l'ac-
complissement nous est attesté dès l'époque de Trajan par
Neratius, dans la 1. 11 § 8 D. De act. empti, 19. 1 que j'ai
déjà citée plusieurs fois.
Pour la stipulatio duplœ , nous n'avons pas de témoignages
directs plus anciens que ceux fournis par Paul, Ulpien et
Papinien , c'est-à-dire par les grands jurisconsultes du temps
des Sévères , et nous ne pouvons même , par induction , pas
trouver d'argument qui nous fasse remonter au delà de celui
d'Hadrien. — Varron dit bien antérieurement que les vendeurs
d'esclaves doivent promettre le double s'ils ne font pas man-
cipation et qu'il faudra une convention contraire pour qu'ils
ne doivent promettre que le simple (1). Mais, en admettant qu'il
pkrle d'une obligation légale et non d'un simple usage , il est
possible qu'il s'agisse dans son passage de l'édit spécial fait
par les édiles pour les ventes d'esclaves : on peut argumenter
dans ce sens , soit de ce qu'il ne donne pas la même solution
(1) De re Ruttica, II, 10, 5. V. Nouvelle Revue kUtorique, 1882, p. 195,
note 2.
426 LA GARANTIE D'EVICTION
pour les autres choses mancipi dont il s'occupe, soit de ce
que les personnes auxquelles s'adresse spécialement son traité
d'économie rurale , feront ordinairement leurs ventes au mar-
ché, sous l'empire de l'édit des édiles. — Neratius dont Ulpien
rapporte le sentiment dans la 1. 37 § 2 D. De evict., 21. 2,
suppose bien une personne qui, par erreur, a demandé la pro-
messe du simple au lieu de celle du double. Mais il peut
s'agir d'une hypothèse où il avait été convenu qu'on promet-
trait le double et où le pacte adjoint in continenti se trouvait
sanctionné par l'action du contrat; l'erreur supposée par Ne-
ratius et qui pourra se produire par exemple chez un héritier
mal informé du contrat de son auteur, est même beaucoup
plus concevable pour une obligation née de cette façon , que
pour une obligation juridiquement reconnue comme naissant
du contrat. — La présence de la stipulatio duplœ dans la codifi-
cation de l'édit faite par Julien sur l'ordre d'Hadrien, me
paraît au contraire fournir un bon argument pour cette épo-
que ; car il est difficile de supposer qu'on eût mis la formule
dans l'édit si la stipulation n'avait pas encore pu être exigée
sans convention spéciale. Nous avons donc un document d'une
certaine portée pour le temps d'Hadrien, mais nous n'en
avons pas d'antérieur.
Assurément , il ne faudrait pas conclure de là que le droit
de réclamer la promesse du double encore moins celui de ré-
clamer la promesse habere licere n'ait été reconnu qu'à la
date des monuments les plus anciens qui nous l'attestent.
Ces monuments témoignent d'un droit préexistant. Il n'en est
pas moins instructif que , tandis que la théorie des vices est
déjà discutée , commentée par Cicéron et les juristes de son
temps , il faille pour trouver la preuve du droit d'obtenir une
promesse relative à l'éviction dans la vente civile , descendre
jusqu'à l'époque de Trajan pour la stipulation habere licere;
jusqu'à celle d'Hadrien, sinon jusqu'à celle des Sévères pour
la stipulatio duplœ.
Reste pour finir avec l'obligation de fournir cette promesse
à déterminer sa sanction. Quelle condamnation l'acheteur ob-
tient-il contre le vendeur qui lui refuse la promesse à laquelle
il a droit?
Des textes , qu'on a vainement essayé d'écarter, répondent
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 427
très nettement que le vendeur sera, faute de promesse, immé-
diatement condamné précisément à la somme à laquelle il eût
en vertu de la promesse été condamné après l'éviction.
Si le vendeur avait fait la promesse habere licere, il eût été,
l'acheteur cessant plus tard d'avoir, condamné à des dom-
mages-intérêts égaux au préjudice subi par l'acheteur; il la
refuse; il sera immédiatement condamné à des dommages-
intérêts équivalents au plus grand préjudice que l'acheteur
puisse craindre. Si le vendeur avait fait la promesse du dou-
ble , il eût été , l'éviction survenant plus tard , condamné à
payer le double du prix à l'acheteur ; il refuse la promesse ; il
va être immédiatement condamné à payer à l'acheteur le dou-
ble du prix.
C'est la solution donnée pour la stipulation habere licere
par Neratius que cite Ulpien dans la 1. 11 § 9 D. De act.
empti, 19. 1 : « Idem (Neratius) ait non tradentem quanti in-
tersit condemnari , satis autem non dantem, quanti plurimum
auctorem periclitari oportet. » C'est également celle donnée
pour la stipulatio duplœ dans la 1. 2 D. De evict., 21. 2 :
« Si duplœ non promitteretur et eo nomine agetur, dupli con-
demnandus est reus. » Supposer que Paul vise une éviction
déjà réalisée, c'est ajouter au texte qui dit qu'on agit parce
que le double n'a pas été promis — et eo nomine agetur — et
non pas qu'on agit après l'éviction, comme signifierait, par
exemple, et evicta re agetur. Supposer que la condamnation ne
devra être exécutée qu'après l'éviction, c'est encore ajouter
au texte qui dit que l'acheteur sera condamné , et qui ne dit
pas qu'il sera condamné sous condition (1).
L'acheteur qui ne veut pas s'engager à garantie est frappé
de la même peine que s'il n'avait pas garanti. La solution n'a
paru singulière que pour n'avoir pas été rapprochée de solu-
tions analogues déjà données dans la matière. Non-seulement
sur Yactio auctoritatis , l'auteur de la mancipation encourt la
peine du double lorsqu'il refuse d'assister son acquéreur, ab-
solument comme lorsqu'il lui fournit vainement son assis-
tance. Mais nous avons déjà rencontré une disposition tout à
(1) Voir dans ce sens Bechmann, der Kauf, I, p. 677; Brinz, Lehrbuch
d. Pandekten, II, 2, p. 734, note 15. V. en sens contraire, Labbé, Garantie,
1866, n° 10. Comparez Accarias, Précis, II, p. 458, note 1.
428 LA GARANTIE D'éviCTION
fait symétrique établie en matière de sHpul^tio. duplœ par
Tédit des édiles. Le vendeur exposé à' l'action rédhibitoire,
parce qu'il n'a pas fait la promesse du double, est également
obligé à fournir immédiatement le double du prix à l'ache-
teur, soit qu'il y ait redhibitio et que par conséquent il rende
son prix et soit en outre condamné au simple , soit qu'il n'y
ait pas redhibitio et que par conséquent il soit directement
condamné au double. Il en est à peu près de même dans la
vente civile. Le vendeur qui, par l'entêtement de son refus,
s'attire une condamnation immédiate ne peut s'en prendre
qu'à lui-même.
IV.
Nous avons maintenant étudié les règles d'après lesquelles
l'acheteur peut en vertu de sa vente obtenir soit la mancipa-
tion qui lui donnera s'il subit une éviction Vaetio auctoritatù ,
soit la stipulatio duplœ qui lui donnera pareillement une ac-
tion en paiement du double , soit la stipulation habere licere
qui lui donnera une créance incertaine de dommages-intérêts.
L'acheteur peut, en vertu de l'édit des édiles, exiger la pro-
messe du double dans les ventes d'esclaves ; il peut , en vertu
des principes du droit civil , obtenir la mancipation dans les
ventes de chose mancipi , et en outre dans toutes les ventes 9
soit la promesse du double , soit la promesse habere licere.
Il est certain à mon sens que l'acheteur a pu requérir ainsi
non-seulement la mancipation et l'exécution de l'édit des
édiles qui sont concevables en dehors de l'idée de bonne foi,
mais, en vertu des principes mêmes des obligations de bonne
foi, la promesse habere licere et peut-être la promesse du
double , avant qu'il ne pût , en vertu des mêmes principes ,
demander directement une indemnité de l'éviction, soit à
raison de la stipulation sous-entendue , soit d'une façon indé-
pendante.
On peut déjà argumenter dans ce sens de l'édit des édiles.
Il est probable que l'acheteur y eut, quant aux vices, l'action
rédhibitoire pour se plaindre du défaut de promesse avant <Je
l'avoir pour se plaindre de leur présence. Il est certain, quagt
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 429
à l'éviction , que l'acheteur y eut l'action rédhibitoire pour sç
plaindre du défaut de promesse dans les ventes d'esclaves et
qu'il ne l'eut jamais pour se plaindre de l'éviction même.
Cela tient sans doute à un arrêt du développement produit
par la confusion postérieure du droit spécial des édiles et du
droit commun. En droit civil, où l'évolution s'est continuée,
la phase à laquelle s'est arrêté l'édit des édiles a été dépassée.
Mais elle a également existé et elle a laissé sa trace dans des
textes.
Ges textes sont ceux qui nous indiquent comme objet uni-
que de la créance de garantie non pas l'indemnité qui pourra
être due après l'éviction, mais la promesse qui peut être
exigée avant. Il est permis d'y voir une de ces réminiscences
inconscientes d'un état législatif disparu, si fréquentes de
tous les temps dans le langage des jurisconsultes. Je renvoie
spécialement à la 1. 1 D. De ver. permutât., 19. 4, de Paul; à
la loi 3 § 3 D. De jurejurando, 12. 2, d'Ulpien; à la 1. 11
§ 8 D. De act. empti, 19. 1, où le même Ulpien cite l'opi-
nion de Neratius et à la 1. 3 § 17 D. h. 1. 19. 1, où il rapporte
celle de Gelse. Dans la première, Paul dit que le vendeur est
obligé à livrer, a s'abstenir de dol et à s'obliger relativement
à l'éviction. Dans la seconde, Ulpien indique comme objet de
Yactio empti la tradition et la caution de evictione. Dans la
troisième, Neratius qu'il cite, admet qu'on a l'action empti
pour obtenir la tradition et la promesse habere licere. Dans
la quatrième, Celse, voulant exprimer que le vendeur est
obligé à garantie , tandis que le copartageant a une responsa-
bilité plus limitée, dit seulement qu'il devra pro evictione caT
vers. Il y a là un indice d'autant plus significatif que , sur le?
quatre textes, deux rapportent les décisions d'auteurs reloti r
vement anciens.
Il est vrai que l'on pourrait dire que les trois derniers textes
n'excluent pas l'obligation à garantie naissant de la vente,
mais qu'ils omettent de la mentionner, parce qu'ils n'indiquent
que les obligations dont l'exécution peut être immédiatement
demandée. Cependant il serait bizarre que, dans la 1. 11 § $
surtout où Neratius fait un sommaire des obligations de l'a-
cheteur, il eût négligé celle-là. Mais l'argument ne porte pas
contre le texte de Paul. Il fait si bien une énumération com-
430 LA GARANTIE D EVICTION
plète, il se tient si peu aux obligations dont l'exécution peut
être immédiatement demandée, qu'il indique non-seulement
l'obligation de délivrance et celle de promettre de evictione ,
mais l'obligation de s'abstenir de dol dont l'effet plane sur
toute l'exécution du contrat.
Je ne crois donc pas douteux qu'il y a eu dans l'histoire de
la vente un moment historique où l'acheteur n'avait, relative-
ment à l'éviction , d'autre droit que de demander une pro-
messe verbale. Et cela dans la vente ordinaire aussi bien que
dans celle régie par l'édit des édiles. Seulement l'édit des
édiles en resta là, tandis que le droit civil alla plus loin.
Il y avait d'abord un pas qui était très-facile à faire, qui se
confondait presque avec le précédent , en droit commun sur-
tout à cause de la manière dont la stipulation y était obtenue ;
c'était de tenir pour faite la promesse qui aurait pu être
exigée. Le juge auquel la formule de l'action empti confère
le pouvoir d'apprécier ce qui doit être fait ex ftde bonâ, ap-
précie que la caution eût dû être fournie, et, quand elle ne
l'est pas , il condamne aux dommages-intérêts auxquels elle
eût donné lieu après la violation. Il est bien naturel qu'il
condamne aux mêmes dommages-intérêts quand la violation
n'est plus à venir. Le motif : le défaut de promesse , est le
même.
Cependant cela a été contesté sinon pour la stipulation
habere licere que l'on a négligée ici comme ailleurs , du moins
pour la stipulation duplx. Je crois que le montant de l'une
et de l'autre a fini par pouvoir être exigé après l'éviction en
l'absence de promesse comme il pouvait l'être avant l'éviction
sur le refus de la promesse. Seulement, ce qui est vrai , c'est
qu'ici encore le progrès a été plus rapide pour la stipulation
habere licere que pour la stipulation duplx.
La solution ne peut d'abord faire question pour la stipu-
lation habere licere. C'est son montant lui-même qui est de-
mandé le plus ordinairement par l'action empti en garantie.
Si on ne s'en est pas plus aperçu , c'est parce qu'on a presque
toujours complètement négligé le rôle historique de notre
stipulation (1). Les mots habere licere, rem habere licere ,
(1) Je pars nécessairement de l'opinion que j'ai antérieurement exposée
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 431
rem habere licere prœstare sont ceux qui reviennent cons-
tamment dans les textes pour désigner l'obligation de garan-
tie. Africain, dans la 1. 30 § 1 D. De act. empti, 19. 1, définit
l'obligation du vendeur en disant : « Verum est venditorem
hactenùs teneri ut rem emptori habere liceat, non etiam ut
ejus faciat. » Dans la 1. 11 § 17 D. eod. tit., 19. 1, Ulpien
parle d'un cas où l'acheteur évincé n'aura pas le droit de
demander le double, mais seulement des dommages-intérêts;
il dit que le vendeur « in hoc tantùm obligetur ut emptori
habere liceat et non solùm per se sed per omnes. » Il y a
même des textes qui mettent sur la même ligne l'hypothèse
où on a promis et celle où on ne l'a pas fait. C'est le langage
d'Ulpien dans la l. 11 § 18 D. eod. tit., 19. 1, pour un cas
où la garantie est restreinte au fait du vendeur et de son
héritier : « Proinde si res evicta fuerit, sive stipulatio in-
terposita est , ex stipulatu non tenebitur, sive non est inter-
posita, ex empto non tenebitur. » Dans la 1. 8 D. eod. tit., 19.
1, Gaïus tient le même langage pour la stipulation ordinaire;
le vendeur qui s'est obligé à habere prœstare licere pour
l'esclave vendu, s'y est également obligé, dit-il, bien qu'il
n'y ait pas eu de stipulation pour les choses acquises par cet
esclave : « Sicut obligatus est venditor ut prœstet habere licere
hominem quem vendidit, ita ea quoque quae per hominem
adquiri potuerunt prœstare débet emptori ut habeat (1). »
(V. Nouvelle Revue historique, 1883, pp. 562 et ss.), d'après laquelle la 1. 38 D .
De V. 0., 45. 1, n'exprime qu'une opinion isolée sur l'efficacité de la stipula-
tion habere licere. Mais, en admettant môme que la théorie d Ulpien, d'après
laquelle le promettant n'est tenu que de son fait et de celui de son héritier,
ait fini par prévaloir, on pourrait néanmoins défendre notre système en disant
soit que par suite on promettait, comme conseille Ulpien dans la loi 38 § 2,
des dommages-intérêts si habere non licebat, soit que les doutes d'Ulpien ne
s' appliquaient qu'à la stipulation habere licere et pas à la stipulation habere
recte licere, soit enfin que l'évolution était opérée et la promesse sous-en-
tendue avant que les scrupules exprimés par Ulpien se fussent produits.
(1) L'opposition entre l'obligation assumée par une promesse expresse et
celle qui , sans promesse préalable , résulte de l'éviction réalisée , me semble
indiquée par le rapprochement du présent débet et du passé obligatus est. Si ,
du reste, on veut entendre le texte comme visant dans son premier membre
de phrase une obligation sanctionnée par l'action empli, il faut l'ajouter à
ceux déjà cités qui donnent pour objet à l'action empti l'objet même de la
stipulation habere licere.
432 LA GARANTIS D EVICTION
La controverse se présente pour la stipulation duplœ. Cujas
coptçstait déjà qu'on pût réclamer son montant par l'action
empti après l'évictioij , et cette opinion a été reprise de notre
temps dans les deux ouvrages spéciaux, publiés en Allemagne
sur la vente et l'éviction, celui de M. Bechmann que j'ai
déjà cité tant de fois et celui de M. Muller (1). La solution
épurante en France est, je crois, plus conforme aux textes et
aux principes.
Qi}ant aux principes, on ne voit pas pourquoi le juge de
l'action empti trouverait moins équitable de donner à l'ache-
teur l'avantage d'une clause de style quand le besoin qu'en
a l'acheteur est certain que lorsqu'il est douteux. Du droii
d'obtenir la stipulation à celui de la sous-entendre la tran-
sition est toute indiquée; elle est si naturelle qu'elle s'est
opérée dans une matière où elle présentait beaucoup plus de
difficultés , dans la matière de stipulations prétoriennes : on
n'avait pas là comme ici une action toute prête au cours de
laquelle un juge saisi pût, à sa guise, interpréter la bonne
foi. Cependant, malgré l'incertitude que présentait la déter-
mination de l'action, on a permis de poursuivre en restitution
le quasi-usufruitier duquel le créancier n'avait pas songé à
demander la caution pendant la durée du quasi-usufruit; on
a fait le même pas en matière dérogation d'impubères,
peut-être en un certain sens en matière de damnum infec-
tum (2). Il est vraisemblable qu'on a dû le faire encore plus
facilement en matière de stipulatio duplœ, et cette vraisem-
blance est confirmée par les textes.
IL faut, il est vrai , écarter du débat certains textes qu'on y
(0 Voir Cujas, Paratilla ad Codicem, h. t. 8. 44; K. 0. Muller, Éviction,
I, pp. 65 et bs.; Bechmann, der Kauf, I, p. 678, note 2 et p. 680, note 1.
Voir, en sens contraire, Accarias, Précis, II, p. 458; Labbé, Garantie, 1866 v
n° 10.
(2) Voir, pour la caution dne par l'adrogeant d'un impubère, la 1. 19 § 1
De adopt., 1.7; pour la caution due par le quasi-usufruitier, la 1. 5 § 1 D.
De usuf. earum rerum, 7. 5 ; la l. 9 § 4 D. Ad exhibendum, 10. 4 ; la 1. 10 D.
De prxscr. verbis, 19. 5 ; la 1. 1 § 17 in fine, D. Ut legatorwn, 36. 3, et les
observations de MM. Accarias, Précis, I, p. 680, note 1, et Windscheid,
Lekrbuch, I, § 204, note 1 ; pour la cautio damni infecti, les lois 7 § 2, 8, 9
pr. J). Darnn. inf., 39, 2 et MM. Accarias, Précis, II, p. 772, note 1 et
Windscheid, Lehrbuch, II, § 458, note 3.
BANS LA VENTE CONSENSUELLE. 433
invoque parfois, et qui, en réalité, se rapportent à deb hypo-
thèses distinctes. Ainsi la 1. 2 B. De evict., 21. 2, est, comme
j'ai déjà admis, relative non pas à l'hypothèse où Ton demande
le double après éviction, mais à celle où l'on demande au-
paravant la promesse du double; ainsi le § B des Fragments
du Vatican paraît se rapporter à un pacte adjoint , à une lex
contractus portant convention de restitution du double. Mais ,
ces documents mis de côté, il en reste au moins' deux qui
prouvent que la stipulation duplœ peut aussi bien être soùs-
entendue après l'éviction qu'exigée avant.
Le premier est aux Sentences de Paul, II, 17, § 2 : « Sires
simpliciter traditœ evincantur, tanto venditor emptori con-
demnandus est quanto si stipulatione pro evictione cavisset. »
Voilà une disposition générale qui se rapporte assurément,
bien qu'on omette ici comme ailleurs d'y songer, à la stipu-
lation habere licere , mais qui ne se rapporte pas moins à la
stipulatio duplœ. Le texte dit sans distinction ni réserve que ,
l'éviction survenue, le vendeur doit être condamné à la même
somme que s'il avait fait ïa promesse de evictione. Pour lui
enlever sa force probante, on n'a d'autre ressource que de le
prétendre interpolé. On suppose l'interpolation , mais on ne
ta prouve pas.
Bien au contraire, le témoignage de Paul est confirmé par
celui d'Ulpien. Ulpien, dans la 1. 37 § S D. De evict., 21. 2,
rapporte l'opinion de Neratius d'après laquelle lorsque, par
erreur, on a stipulé le simple au lieu du double, l'action empti
peut servir à demander soit un supplément de promesse, si
les conditions de la stipulation ne sont pas encore réalisées ,
soit, si elles le sont, un supplément de condamnation. « Si
simplam pro dupla per errorem stipulatus sit venditor, re
evicta consecuturum eum ex empto Yeratius ait quanto minus
stipulatus sit , si modo omnia fecit emptor quae in stipulatione
continentur : quod si non fecit ex empto id tantùm consecu-
turum , ut ei promittatur. quod minus in stipulationem supe-
riorem consecutus est. » Il est vrai que Neratius écrivait à une
époque où la promesse du double ne pouvait probablement
encore être réclamée par l'action empti qu'en vertu d'une
convention spéciale. Mais si on pouvait alors la sous-entendre
en vertu de la clause expresse contenue dans un contrat par-
434 LA GARANTIE D EVICTION
ticulier, on dut également pouvoir le faire plus tard en vertu
de la clause tacite contenue dans tous les contrats qui réu-
nissaient certaines conditions. En tout cas, l'objection ne
porte pas contre Ulpien qui , en reproduisant la décision de
Neratius , entend l'appliquer au droit de son temps.
Ce qui est vrai seulement, et ce qui a été d'une importance
énorme pour la formation de la théorie de la garantie, c'est
que le droit de réclamer le double en vertu de la stipulation
duplœ sous-entendue, n'a été reconnu à l'acheteur qu'un cer-
tain temps après celui de demander des dommages-intérêts
en vertu de la stipulation habere licere sous-entendue.
Nous avons déjà vu que le droit de demander la promesse
du double dans la vente civile nous est plus tardivement at-
testé par les textes que celui de demander la promesse habere
licere : Neratius, au temps de Trajan, connaît le dernier et ne
paraît pas connaître l'autre. La même gradation chronolo-
gique se retrouve pour le droit de les sous-entendre.
C'est également un jurisconsulte de l'époque de Trajan,
Javolenus , qui , dans un texte d'ailleurs discuté , paraît bien
dire à la fois que l'on ne peut pas sous-entendre la stipula-
tion du double , et que l'on peut sous-entendre celle du sim-
ple, la stipulation habere licere. Le texte est la 1. 60 D. De
evict.9 21. 2, dans laquelle Javolenus écrit : « Si in venditione
diclum non sit quantum venditorem pro evictione praestare
oporteat, nihil venditor prœstabit praeter simplam evictionis
nomine et ex natura ex empto actionis hoc quod interest. »
C'est, semble-t-il bien, dire que faute de convention expresse,
on ne pourra réclamer le double , mais on pourra réclamer
les dommages-intérêts que ferait obtenir la stipulation habere
licere.
Nous savons donc, par Javolenus, que le droit de sous-en-
tendre la stipulation duplœ n'existait pas de son temps. Il
faut arriver aux grands jurisconsultes de l'époque de Sévère,
pour le trouver attesté.
Pour la stipulation habere licere aussi , il a dû y avoir une
époque où elle ne pouvait être escomptée , une époque même
où elle pouvait être exigée avant l'éviction, sans pouvoir être
sous-entendue après. Mais le pas était fait dès le temps de
Javolenus, l'ellipse s'est faite très vite, si vite que la mémoire
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 435
s'en est pour ainsi dire perdue , qu'il faut en chercher la trace
dans quelques aveux inconscients des textes. L'ancienne ac-
tion née du contrat verbal, se laisse à peine entrevoir derrière
l'action du contrat consensuel qui l'a de bonne heure absor-
bée. C'est pour cela, sans doute, que l'édit perpétuel qui con-
tenait la formule de la stipulation duplœ , ne portait pas celle
de la stipulation habere licere : le travail d'absorption était déjà
pleinement accompli pour la seconde , alors que pour la pre-
mière il commençait à peine. C'est pour cela aussi que la
théorie de la garantie d'éviction ne s'est pas modelée sur les
règles de la stipulatio duplœ, mais sur celles de la nôtre :
quand on a reconnu que l'acheteur pouvait , en vertu d'une
stipulation expresse ou tacite, réclamer en certains cas le
double du prix, il y avait déjà longtemps qu'il pouvait se
plaindre dans toutes les ventes s'il ne conservait pas la chose,
si rem habere non licebat. Il y avait là un minimum au-des-
sous duquel le droit de l'acheteur ne pouvait plus descendre ,
qui en constitua désormais le fonds inébranlable. L'acheteur
pourra parfois, s'il est évincé, réclamer le double du prix. Il
aura toujours, il a encore dans notre droit moderne, le droit
de demander des dommages-intérêts dans l'hypothèse où la
stipulation habere licere lui eût permis d'en exiger (1).
(1) J'admets donc que l'acheteur qui a le droit de réclamer le double en
vertu de la ttipulatio duplm expresse ou sous-entendue , a néanmoins le droit
de demander par l'action empli les dommages-intérêts peut-être supérieurs
que lui aurait fait obtenir la stipulation habere licere. C'est la question que
Ton pose parfois , d'une façon un peu différente , en se demandant si la ttipu-
laiio duplm constitue un forfait au montant duquel se limiterait toujours le
droit de l'acheteur qui y a procédé ; je ne le crois pas. V. dans notre sens
Labbé, Revue pratique , tome XXXIV, 1872, p. 308; Accarias, Précis, II,
pp. 459, note 1, et 305, et l'argument d'analogie fourni par la 1. 28 D. De
aet. empti, 19. 1. La question ne présente naturellement guère d'intérêt que
si Ton admet que la condamnation fondée sur l'éviction pouvait , à l'époque
classique, être élevée par le juge de l'action empti k plus du double du
prix, et que par conséquent la loi 44 D. De act. empti, 19. 1, a été interpolée
par les commissaires de Justinien pour être mise d'accord avec la 1. un. C.
De tenl. qum pro eot 7. 47. V. en ce sens, Labbé, Revue pratique, t. XXXIV,
p. 295, note 1; Eck, Verpftichtung des Verkaûfert, p. 19, note 1 ; V. en sens
contraire, Vangerow, Pandekten, III, § 571, note 4; Maynz, Cours de droit
romain, II , p. 218, note 34.
tJL
436 LA GARANTIE D EVICTION
V.
Mats, dans notre droit moderne, il y a des hypothèses que
Ton rattache ordinairement à l'éviction et où l'acheteur peut
agir en dommages-intérêts', bien que Ton soit sans nul doute
aussi bien hors du domaine de la stipulation kabere Hcere que
de celui de la stipulation duplœ. Assurément le droit romain
n'eût pas accordé l'action empti dans toutes; mais au moins,
à sa dernière époque, il l'eût accordée dans certaines (1).
La législation romaine n'a jamais admis , d'une façon géné-
rale, comme notre législation actuelle, que l'acheteur qui n'a
pas été rendu propriétaire ait par cela seul une action en ga-
rantie, encore moins qu'il puisse, en dépit des moins-values ,
toujours obtenir la restitution intégrale de son prix (2). On
finit cependant par reconnaître, dans certains cas, le droit
d'agir au vendeur, quoiqu'il n'eût pas encore été évincé, qu'il
gardât la chose et que, par conséquent, ni la stipulation duplœ
ni la stipulation kabere licere ne donnassent d'action. L'étude
approfondie de ces cas sortirait de mon cadre. J'indique seu-
lement les principaux.
Il y a une première hypothèse pour laquelle le Digeste
nous indique des discussions et nous fournit des noms pro-
pres : l'hypothèse où l'acheteur d'un esclave l'affranchit, puis
(1) La plupart des auteurs, influencés par la notion moderne de la garantie,
"considèrent sans hésiter cette action empti comme une action empti fondée sur
' L'éviction. M. de Brinz, Lehrbuch der Pandekten, II, 2, p. 742, se prononce net-
tement en sens contraire , et sa conception est peut-être la plus conforme à
la langue des textes. Voir, par exemple, la loi 9 D. h. t. 21. 2 : ... Amis-
tam actionem pro evictione quorum servds non potbst bvinci sed in ex empto
decurrendum. Mais, que les jurisconsultes romains s'en soient plus ou moins
nettement rendu compte , il n'en reste pas moins vrai que les nouvelles ap-
plications de l'action empti ont eu pour effet nécessaire l'extension du système
de la garantie d'éviction , et c'est pour nous le point capital.
(2) C'est, en dépit de l'opinion de Pothier, Vente, n° 69, ce que tout le
monde reconnaît aujourd'hui résulter notamment de la loi 70 D. De evict. 21.
2. V. Labbé, Revue pratique, t. XXXIV, pp. 290 et ss., et Explication des
Instituts d'Ortolan, 12« éd., 1883, p. 864; Accarias, Précis, II, p. 458,
note 3.
DÀN8 LA VENTE CONSENSUELLE. 437
se voit dépouillé de ses droits de patronat par suite de la re-
vendication du véritable propriétaire. Ulpien refusait encore
toute action de ce chef à l'acheteur, non-seulement l'action ex
8tipulatu duplœ qu'il déclare inapplicable dans la loi 25 D. De
evict., 21. 2, mais toute action quelconque; en effet, Paul
cite à la loi 43 D. De act. empti, 19. 1, une de ses réponses
portant que l'acheteur, après l'affranchissement , ne peut plus
rien demander au vendeur : « emptorem nihil posse post
manumissionem a venditore consequi. » Cependant, bien avant
Ulpien, Julien admettait déjà l'action empti en dommages-
intérêts, et Paul rapporte son opinion en l'adoptant. Mais
Paul ne paraît pas avoir eu sur la question un avis bien ar-
rêté ; car, tandis que dans la consultation qui forme la loi 43
De act. empti, il ne distingue pas et affirme qu'il a toujours
suivi l'opinion de Julien, dans la loi 26 D. De evict. empruntée
à son commentaire sur Sabinus, il ne donne l'action que si l'a-
cheteur était obligé de procéder à l'affranchissement ou si le
vendeur était de mauvaise foi. Sans vouloir diriger des soup-
çons posthumes contre l'intégrité du jurisconsulte, il est même
permis de chercher plutôt sa pensée définitive et réfléchie
dans la décision de principe extraite d'un ouvrage de doctrine
que dans la consultation délivrée pour les besoins d'un procès
particulier.
Des textes qui ne fournissent pas sur la transformation et
ses difficultés d'indices aussi précis (1), mentionnent encore
l'action empti comme donnée dans d'autres cas où les deux
stipulations étaient hors de cause , par exemple , lorsque le
vendeur était de mauvaise foi; par exemple, lorsque l'ache-
teur, tout en gardant la chose, ne la gardait pas en vertu de
(1) La loi 9 D. de Evict., 21. 2, a para à M. Salpius, Novatio* und Déléga-
tion, p. 230, note 1, indiquer encore, pour le cas spécial où l'acheteur hérite
du véritable propriétaire, que l'action empti n'était pas admise par Sabinus
et l'aurait été seulement par Paul. H est en effet bien à croire qu'elle n'était
pas admise par Sabinus , mais le texte ne le dit pas positivement, et d'autre
part, il est vraisemblable qu'elle était admise avant Paul. M. Salpius cite
un autre texte où l'on peut trouver un indice plus sérieux d'un progrès ana-
logue, c'est la loi 1 § 14 D. De act. empti. 19. 1 , dans laquelle, en oppo-
sant les solutions de Cassius et de Julien , Ulpien semble bien rapporter une
innovation proposée par Julien à la théorie traditionnelle formulée par
Cassius.
Revue hist. — Tome VIII. C9
438 LA GARANTIE D'ÉVICTION
la vente , lorsqu'il la gardait à un autre titre , même à titre
gratuit (1).
Mais toutes ces décisions se placent à une date relativement
récente , postérieure à l'époque où fut admis le droit de de-
mander la stipulation habere licere , très probablement posté-
rieure à celle même où fut admis le droit de la sous-entendre.
Le droit de la demander est positivement reconnu sous Tra-
jan.par Neratius; celui de la sous-entendre paraît bien admis
sous le même empereur, par Javolenus; en tout cas , il est si
bien reconnu sous Hadrien , que Julien ne prend pas la peine
de mettre la formule de la stipulation dans son édit. Or, il
faut arriver à l'époque d'Hadrien, au même Julien, pour trou-
ver l'action empti donnée dans nos hypothèses.
En somme , dans le dernier état du droit romain , une théo-
rie nouvelle de la garantie d'éviction est constituée devant
laquelle ont de plus en plus reculé les anciens principes.
L'action auctoritatis a disparu avec la mancipation. La stipu-
lation habere licere a perdu son existence propre. La stipulation
duplœ subsiste toujours , mais , au lieu d'être un acte formel,
distinct de la vente , ayant à côté d'elle sa vie indépendante,
ce n'est plus qu'une conséquence virtuelle du contrat princi-
pal, dont ce contrat principal suffit à assurer le bénéfice.
L'action du contrat , la même action qui sert à demander la
délivrance, suffit pour faire avoir ce que l'on obtenait jadis en
vertu de la stipulation duplœ ou de la stipulation habere licere»
pour faire obtenir même d'autres satisfactions à la génération
desquelles l'une et l'autre auraient été impuissantes. — C'est
en vertu de la vente que le vendeur est obligé à la garantie
d'éviction, et c'est l'action empti qui sert d'action en ga-
rantie.
Le résultat est considérable. Il a fallu pour y conduire
(1) Voir, pour le cas où Ton a vendu sciemment la chose d'autrui , Africain,
1. 30 § 1 D. De art. empti, 19. 1; Paul, 1. 45 § 1 in fine, D. h. t. 19.ji,
Ulpien, 1. il § 18 in fine, D. h. t. 19. 1; 1. 21 pr. 0. De evict., 21. 2; pour le
cas où l'acheteur garde la chose en vertu d'un autre titre que la vente, Julien,
1. 29 D. De art. empli, 19. 1; 1. 84 § 5 D. De légal., 1°, 30; 1. 19. De 0. et A.,
44, 7; Ulpien, 1. 13 § 15 D. De art. empli, 19. 1 ; Paul, \. 9 D. De evict. ,
21. 2 ; Sentent., II, 17 § 8. — Comparez sur l'ensemble de ces solutions les
développements de M. Eok, Verp/tichtung des Verkaûfert , pp. 23 et s*. Voir
aussi Salpius, Notation und Délégation, pp. 229 et suiv.
DANS LA VENTE CONSENSUELLE. 439
toutes les transitions que j'ai étudiées : institution de Faction
auctoritatis , invention des stipulations de garantie, recon-
naissance des fonctions diverses de l'action empti. J'ai indiqué
les documents qui attestent les étapes successives. Nous pos-
sédons, je crois, au moins quant aux points essentiels, des
preuves directes suffisantes. Mais il y a de la vérité générale
des conclusions auxquelles nous sommes arrivés, une pré-
somption d'ensemble qui confirme singulièrement tous les
arguments de détails. C'est que ces conclusions sont rigou-
reusement conformes aux lois de l'évolution naturelle, qu'elles
ne supposent d'un régime à un autre aucune interruption
brusque ou forcée; qu'elles nous font assister à un travail de
création régulier, qui substitue toujours à des organismes
juridiques inférieurs des organismes plus parfaits , qui mène
presque insensiblement de conceptions très étroites et très
grossières aux notions larges et élevées , où chaque formation
prépare une formation nouvelle qui la recouvre sans la dé-
truire , où les complications s'expliquent par le souvenir des
phases antérieures du développement scientifique et où les
idées générales apparaissent comme la dernière expression
de ce développement.
P. -F. Girard,
professeur agrégé à la Faculté de Droit de Montpellier.
LES COUTUMES DE LORRIS
ET LEUR PROPAGATION
AUX XII* ET XIII* SIÈCLES
(soin)
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I.
TEXTE DES COUTUMES DE LORRIS.
La charte par laquelle Louis VI avait fixé les droits et les
devoirs des habitants de Lorris à l'égard de la royauté est
perdue. Le préambule de la charte de Philippe-Auguste , déjà
mentionné , témoigne seul de son existence.
La charte de Louis VU donnée à Orléans en 1155 se trouve
transcrite dans le registre À de Philippe- Auguste (Bibl. du
Vatican, f. Ottoboni, n° 2796, f» 52. — Copie aux Arch.
Nat., 33 9), et dans les registres : B f» 58 v«, C f> 52 r°, D
P 65, E f> 107, F f* 79 v*. Parmi ces textes, le plus ancien
est celui du registre A d'où sont dérivés les autres ; le texte
du registre C {Arch. Nat., 33 7-8, 2e partie) qui renferme déjà
des fautes et des omissions signalées par M. L. Delisle {Cata-
logue, Introd., p. XIII, note 1), présente toutefois quelques
bonnes leçons. Le texte de B a été copié sur A; il est très-
incorrect. Les textes de D et E sont des copies du registre C ;
F est une copie du registre E. Dans le registre A, la charte
porte ce titre : « Carta franchesie Lorriaci. Hœc est carta Ludom
vici régis de Lorriaco. » Vient ensuite la formule de notifica-
tion , puis le dispositif. Dans le registre G, le titre est le sui-
vant : « Census Lorriaci et libertatis » puis : « Ludovicus , etc.
Notum sit omnibus presentibus »
442 LES COUTUMES DE LORRIS.
C'est d'après le manuscrit D, autrefois Bibl. Nat., f. fr., ms.
9852 A, aujourd'hui b.ux Archives Nat., JJ 23, que cette charte
de Louis VII a été imprimée dans le Recueil des Ordonnance*,
t. XI, p. 200-203 ; texte reproduit par Isambert, t. I, p. 153.
Warnkœnig a publié cette même charte (Franzôsische Staats-
und Rechtsgeschickte, t. I, Preuves, p. 34-37) d'après les
Ordonnances et avec les variantes de la charte de Dixmont
publiée par Galand (Traité du Franc aleu, p. 375).
L'original du diplôme par lequel Philippe-Auguste confirma
à Bourges en 1187 (Delisle, Catal., n° 187), les Coutumes de
Lorris est perdu. MaisDom Morin (Hist. générale despays de Gas-
tinois, Paris, 1630, in-4°) l'a connu. Il était scellé de cire jaune
sur lacs de soie verte et jaune. Malheureusement, D. Morin
n'a pas su en faire usage. Sa transcription (p. 170-174) est
très-incorrecte. Les fautes de lecture sont si nombreuses, la
ponctuation est si bizarre, que ce texte est presque incompré-
hensible. Nous devons dire , à la décharge de D. Morin , que
son ouvrage n'a été imprimé qu'après sa mort. De plus , les
éditeurs n'ont pas pris le temps de lire les épreuves (1). La
Thaumassière a publié l'acte de Philippe-Auguste dans son
ouvrage intitulé : Coutumes locales de Berry et celles de Lorris
commentées, Paris, in-f°, 1680, à la page 394. Il n'a pas indi-
qué la source où il a puisé. Les Ordonnances n'en ont donné
que le préambule , t. XI, p. 200.
Il existe dans le supplément du Trésor des Chartes, J 1046,
n° 22, une transcription de l'original dans un vidimus scellé,
émané du prévôt de Lorris en 1290, et envoyé aux habitants
de Nonette en Auvergne.
Je signalerai encore une transcription de la charte de Phi-
lippe-Auguste à la fin du Cartulaire de l'abbaye Saint-Jean
de Sens (xnie s., Archives de V Yonne, f° 42 vM* 43 v°) ; et une
copie de Duchesne, à la Bibl. Nat, coll. Duchesne, vol. 78,
anciennement p. 151, aujourd'hui p. 64, d'après un exem-
plaire de la Bibliothèque de son père.
Une traduction française du xme siècle a été signalée à la
(1) « S'il y a quelque erreur à l'impression, faut donner cela an peu
de temps qu'on a eu à lire les espreuves de ceux qui y ont travaillé. »
(Préface.)
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 443
Bibliothèque du Vatican, fonds de la reine Christine, n° 980 (1),
par M. Elie Berger (2) et avant lui par M. Paul Lacroix (3).
L'inventaire des Archives du Loiret (Série A, 986, Invent.,
p. 228, col. 2) mentionne une traduction française des cou-
tumes accordées à Lorris par Philippe-Auguste en 1187, sans
en indiquer la date. Guizot (Hist. de la civilisation, t. IV, p.
223-226) et Laferrière {Hist. du Droit français, t. IV, p. 155-
160), ont donné chacun une traduction des Coutumes de
Lorris.
J'ai cru nécessaire de donner ici la charte de 1155, non-
seulement pour faciliter la lecture du présent travail, mais
aussi parce qu'il m'a paru qu'on pouvait améliorer le texte
des Ordonnances. La division en articles donnée par les édi-
teurs des Ordonnances, consacrée par un long usage, devait
(1) Ce manuscrit est un recueil de chartes et débris de chartes. — La charte
de Lorris a 0m, 357 de haut, sur 0m, 445 de largeur. Le milieu de chaque
ligne est caché dans la reliure. — J'ai supprimé le préambule dans la transcrip-
tion que j'en donne plus loin, car, comme je l'ai dit plus haut, cette traduction
a été faite sur la charte de Philippe-Auguste. Voici ce préambule : «ou nom de
la sainte Trinité, Amen. Phelipes, roys de France par la grâce de Dieu. Il
apartient a roiaus noblece que elle ayst a ceus a cui il meschiet et que elle
leur doint remède et confort. Pour ce, sachent tuit présent et a avenir que
comme li home de Lorr[iz] ...eusseint coustumes impetréde nostreeolLoysroy
de France et de nostre père Loys son fllz.et Chartres eusseint eues de l'un et
de l'autre , en quoi celles leur coustumes estoient contenues, il avint que par
mescheance la ville de Lorrfiz] ardi [prjesque toute, et les Chartres ausit,
es quelles leur coustumes estoient escriptes. Et demourains celle nuit que ce
avint en celle ville de Lorr[iz] . Nous adecertes qui de royal franchise eusmes
pitié [de] le mescheance, leur ostroiasmes les coustumes que il avoient eues
anciennement et les donasmes et establismes ansit comme de novel. Nous
ostroiasmes adecertes que qui aura maison »
(2) Notice sur divers mss. de la Bibl. Vaticane, Paris, 1879, p. 32. — Je
donne plus loin cette traduction d'après une copie faite par M. E. Berger,
membre de l'École française de Rome, et que mon maître, M. A. Giry, a bien
voulu me communiquer.
(3) Notices et extraits des mss... conservés dans les bibl. d'Italie, ap. Cham-
pollion-Figeac, Documents historiques inédits , t. III, p. 279-280. M. Lacroix
indique cette charte comme un original dont on trouverait la traduction la-
tine, Ord.t t. XI; or, on sait que le t. XI renferme la charte de Louis VII
et non celle de Ph.-Aug.; en second lieu, la chancellerie royale n'employait
pas encore la langue française au xir» s.; le texte du Vatican n'est qu'une
traduction. D'ailleurs, nous savons par D. Morin, La Thaumassiére et le vi-
dimus de la prévôté de Lorris que l'origioal était en latin. — La note de M.
Lacroix se trouve reproduite par Migne, Dict. des vus., t. II, p. 1130.
444 LES COUTUMES DE LORRIS.
être conservée. Il n'y aurait eu lieu d'ailleurs de la modifier
qu'en deux ou trois endroits; ce que j'ai fait en divisant un
même article en deux paragraphes. J'ai suivi le texte du Re-
gistrum veterius (1) de Philippe- Auguste; les corrections que
j'ai introduites sont en italiques. A la suite de chaque article
on trouvera les variantes du registre C, et , pour la charte de
Philippe-Auguste, celles du vidimus de 1290, émané de la
prévôté de Lorris, et les bonnes leçons données par D. Ma-
rin (2).
Une autre série de notes réparties par articles donne les
variantes d'un certain nombre de chartes dérivées des Cou-
tumes de Lorris (3).
Ce sont les chartes de :
1° Montargis (1170), d'après La Thaumassière , Coût, toc,
p. 401.
2° Bois-le-Roi (1171), d'après La Thaum., Ibid., p. 413.
3° ViUeneuve-l' Archevêque (1172), traduct. du xrae siècle,
d'après Quantin, Car M. de l'Yonne, t. II, p. 240.
4° CourceUes-le-Roi (1175), d'après le reg. JJ 466, f*> 275 v°.
5° Rousson (1175), d'après Quantin, Cartvl.de l'Yonne, t. II,
p. 272.
6° Voisines (1187), d'après le reg. JJ 443, t° 18.
7° Barlieu (1190), d'après La Thaum., op. cit., p. 415.
8° Chaumont-enrBassigny (1190), d'après La Thaum., op. cit.,
p. 428.
9* Ervy (1199), d'après La Thaum., op. cit., p. 472.
10° U Étang -le-Comte (1199), d'après La Thaum., op. cit.,
p. 416.
11° MaiUy'le-Château{mO-l<2i<2), d'après le reg. JJ 405, f° 90.
(1) Le premier registre de Philippe-Auguste, reproduction héliotypique publ.
par L. Delisle, 1883, in-4°.
(2) Le regitt. veterius est désigné par la lettre A; le registre C (JJ 7-8, 2«
partie) par C; le vidimus de 1290 par N, et le texte de Dom Morin par D M.
(3) Ces variantes permettront au lecteur de saisir du premier regard les mo-
difications introduites dans les chartes dérivées des Coutumes de Lorris. U
n'y avait pas lieu de donner les variantes des filiales autres que les 19 indi-
quées ici; car les unes, telles que Boiscommun, Dizmont et Cléri, sont la
reproduction intégrale de la charte-mère ; les autres n'ont subi son influence
que pour un certain nombre d'articles.
PIECES JUSTIFICATIVES.
445
*2° MaiUy-la-VUle (1200-1212), d'après LaThaum., op. cit.,
p. 708.
13° Saint-Brisson (1210), d'après LaThaum., op. cit., p. 423.
14° La Selles-enrBerry (1216), d'après La Thaum., op. cit.,
p. 83.
15° Saint-Laurentsur-Barenjon (1234), d'après La Thaum.,
op. cit., p. 426.
16° Vermenton (1235), d'après le reg. JJ 465, fl> 59 v°.
17° Ménétréolrsous-Sancerre (1241), d'après La Thaum., op.
cit., p. 419.
18° La Ferté-Loupière (1302), d'après La Thaum., op. cit.,
p. 435.
19° Sancerre (1327), d'après La Thaum., op. cit., p. 421.
•
Charte donnée par Louis VII en 1155 aux habitants
de Lorris d'après le registre A de Philippe-Auguste.
CARTA FRANGHESIE LORRIAGI.
HSC BST CARTA LuDOVICI REGIS
DB LORRIACO.
Ludovicus, etc. (1). Notum sit om-
nibus presentibus et futuris quod :
1. Quicumque in Lorriaci parro-
chia (2) domum habebit, pro domo
sua, et pro quodam arpenno (3)
terre , si in eadem parrochia habue-
rit, sex denarios census tantum
persolvat; et, si illud acquisierit,
ad censum domus sue illud teneat.
Variantes du texte : (1) Ces mots sont omis
par A mais se trouvent dans G. — (2) A et G
portent parrochtam; corr. parrochia par N,
DM. — (3) N, DM arpento.
TRADUCTION DES COUTUMES DE LORRIS.
(xnr sieclr.)
(Bibliothèque dn Vatican , Christine 980).
1. Qui aura maison en la par-
roisse de Lorr[iz] pour sa [ma]ison
et pour I arpent de terre, se il l'i a,
il rende tant seulement sis deniers
de cens ; et se cel arpent il acquiert,
teigne le au cens de sa maison.
Variantes des chartes dérivées des Coutumes de Lorris.
1. Mohtargis : « Quœque domus ad festum sancti Johannis quinque solidos cen-
sus persolvet, quœ Lorriaci cum udo arpento terr» sex denarios persolvet cen-
sus, et, exceptis clientibas meis » — Bois-lb-Roi, comme Montargis : ...... ad
festum sancti Remigii » — Roussoit : « Quicumque in territorio illo domum
habebit pro domo sua et pro arpenno terre , duos solidos de asisa per annum
dabit; omnes in parrochia manentes de consuetudine ad furnum et ad molendi-
nom nostrum ibunt. » — Coorcbllbs : « Quique pro unaquaque domo sua et pro
448
LES COUTUMES DE LORRIS.
catum Lorriaci veniens seu rediens
capiatur nec disturbetur, nisi die
illa (1) forifactum fecerit.
Et nullus in die mercati vel ferie
Lorriaci vadium plegii sui capiat,
nisi die consimili plegiacio illa facta
fuerit.
(i)Nipw.
7. Et forifactum de LX solidis ad
quinque solidos, et forifactum (1)
de quinque solidis ad XII denarios
veniat ; et clamor prepositi ad IIII
denarios.
(1) G omet forifactum.
8. Et nullus eorum a Lorriaco
cum domino (1) rege placitaturus
ezeat.
(1) Domino omis par N.
0. Nullus , nec nos nec abus , ho-
minibus de Lorriaco talliam, nec
ablationeni, nec rogam faciat.
10. Et nullus Lorriaci vinum cum
edicto vendat (1), excepto rege qui
proprium vinum in cellario suo ven-
dat (2).
(1) G Cum edicto vinum vendat; N vinum
vendat cum edicto. - (?) N cum edicto vendat.
foires ou as marchiez de Lorr[izJ
o[u] [de]s foires ou des marchiez ne
soit pris ne destourbez se il ne for-
fet à celui jour.
Nul au jour de Lorr[iz] ne prei-
gne gaige de son pleige se la ple-
gerie n'a esté fête en jour semblable.
7. Li forfez de sexante soulz a
[ci]nq soulz, li forfez de cinq bouIz
a doze deniers; et la clameur au
prevost a quatre deniers.
8. Nul de la parroisse de Lorr[iz]
n'isse de Lorr[iz] pour plaidier o le
roy.
0. Nul d'aus, ne nous ne autre,
ne face as homes [de] Lorrpz] ne
taille ne tousse ne demande.
10. Nul des homes de Lorrfiz]
ne vande vin ou ban fors le roy qui
son propre vin vandra en son celier
au ban.
7. Omis par L'Étahg-lb-Comtb. — Mailly-la-Villb : « Forifactum ubicumque
factum faerit , sive in bosco , sive in piano , de sexaginta solidis ad quinque soli-
dos , et forifactum de quinque solidis ad duodecim denarios veniat , et clamor
prepositi ad quatuor denarios. »
8. Omis par Ervy. — Rousson : « Nullus eorum nobiscum placitaturus a villa
exibit, nisi causa christianitatis. »
9. Omis par Ervt. — MAiLLY-LB-GaâTSAU et Mailly-la-Villb : « tailliam
nec ezactionem neque rogam faciat. » — Menbtreol : « Quin etiam habitatores
Monasterelli ita liberos esse ab omni ezactione constituo , quod nec ego nec ali-
quis de meis successoribus , nec quispiam alius qualemcumque talliam , vel aliud
quid inter exactiones deputandum, ab eis violenter exigere poterit, prœter libéras
consuetudines. »
10. Omis par Ervy, VsRMBirroif , Sancerrb. — Villbiieuvb-l'Archbvbqub : « Et
nus en la Noeve-Vile vin à ban vende. » — Barlibu : « Mibi autem licebit ven-
dere vinum ad bannum tantummodo per mensem. » — Chaumont : ...... excepto
PIECES JUSTIFICATIVES.
449
11. Lorriaci autem habebimus
creditionem in cibis ad nostrum et
regine opus ad dies quindecim com-
pletos persolvendum (1).
Et, si quis (2) vadium domini ré-
gis vel alius habuerit , non tenebit
ultra octo dies , nisi sponte.
(i) N Pertotvendam. — (S) Quis omis par
A etC; eorr. par N.
12. Et , si alius erga alium ini-
miciciam incurrerit , absque castelli
vel burgi infractura, et clamore pre-
posito non facto concordaverit, ni-
chil ob hoc (1) nobis nec preposito
nostro 8it emendaturus (2), et, si
clamor inde factus fuerit , Iicet illis
concordare , ex quo districtum per-
solverint (3) ; et , si alius de alio
(1) C porta propUr hoc après preposito no$-
tro. — (8) C SmendoMtw. — (3) A et C per-
êolverit; corr. pertolverint par N, DM. —
11. À Lorr[iz] nous aurons créan-
ce en viande pour nous et [pou]r la
roigne a paier dedenz la quinzeine
de la créance.
Se aucuns de Lonfiz] tient le
gaige le roy ou l'autrui, il ne le
[tjendra ja outre VIII jourz, se n'est
de sa volenté.
12. Se aucuns de ceus de Lorrpz]
encourt haine en l'autre et ini-
mistié , mais que il n'i ait briseure
de chastel ou de bourc, et sanz
claim faire , il faceint pez , il n'en
amenderont a rien pour cen a nous
ne au prevost. Et, se clameur i
avoient faite, leur loit-il acorder
ma[is] que il rendeint le destroit. Se
comité qui proprium vinum in cellario sao cum edicto potest vendere , et tantum
per anum mensem in anno. » — L'Étanq-lk-Comtb : « Et nullus Stagni vinum ad
bannum vendat; mini autem licebit vendere vinum ad bannum tantummodo per
mensem. » — Mailly-ls-ChAteau et Mailly-la-Villb : « nisi dominas Mailliaci
qui vinum vinearum saarum tantum in mense Augusto vendere poterit. — Saint-
Brissoh : « Et quoniam burgenses de Sancto-Bricio nobis et heredibus nostris ,
dominis Sancti-Bricii , quittaverunt pasturas et usuarium saum , quod habebant
ad mortuum nemus in nemoribus nostris volumus ut bannus noster, qui erat in
vilia nostra Sancti-Bricii ad voluntatem nostram , de vino nostro proprio de cel-
lario nostro vendendo , duret solummodo per très septimanas et incipiat ultima
die Maii. » — Menétrbol : et Nulli eorum vinum vendere licebit ad bannum; mini
autem licebit vendere vinum ad bannum semel in anno per mensem tantum. »
11. Mohtàrqis et Bois-le-Roi : « Hommes de Monteargo domino suo de rébus
suis pro victu creditionem per unum mensem facient. Et, si pnepositus Monti-
sargi debitum domini non persolverit, dominas, facta conquestione acredttori-
bus, illud infra mensem alium persolvi faciet. Nullus etiam Montisargi vadium
alterins tenebit ultra octo dies , nisi sponte. » — Roubson : a Nullus eorum ser-
vientibus nostris creditionem faciet, nisi voluntate spontanea, nobis tamen ezeep-
tis, sed et nobis non credent nisi usque ad quindecim dies. » — MAiLLY-LB-CHâTSAu
et Mailly-la-Villr : a Dominos Mailliaci habet credicionem in cibis ad suum et
uzoris sue usum, ipsis eciam apud Mailliacum presentibus ad dies quindecim
persolvendam, et, si tune soluta non fuerit, homines dicte ville nnllam de cetero
debebunt credicionem donec illa persolvatur. Si quis vadium »
12. Mortarqis et Bois-lb-Roi : « Et si aliquis erga aliquem dicto vel facto ini-
450
LBS COUTUMES DB LORRIS.
clamorem fecerit, et alter erga al-
terum nullam fecerit emendationem,
nihil (4) pro his nobis (5) aut pre-
posito nostro erit emeadaturus.
(4) A et G portent l'abréviation de niti, n; corr.
nihil par N, DM. — (5) Nobit omis par A et
G; corr. par N, DM.
13. Et si (1) alius alii (2) facere
sacramentum debuerit condonare ei
liceat.
(1) Si omis par A et C ; corr. par N, DM. —
l2)N,DMaU4«it alicut.
14. Et si hommes de Lorriaco
vadia duelli temere dederint, et,
prepositi assensu, antequam tri-
buantur (1) obsides, concordave-
rint, duos solidos et VI denarios (2)
persolvat uterque; et, si obsides
dati fuerint, VII solidos et sex de-
narios (3) persolvat uterque.
Et, si de legitimis hominibus
duellum factum fuerit, obsides de-
victi G et XII solidos persolvent.
(1) G dentur. — (î) C solidos et dimidium.
— (3) G solidot et dimidium.
15. Eorum nullus corvatam no-
bis faciet (1), nisi semel in anno ad
vinum nostrum adducendum Aure-
lian[os] (2) ; nec alii hoc facient (3)
nisi (4) illi qui equos et quadrigas
(1) N. DM faciat. - (2) N, DM ab Aurcl.—
(3) N, DM faciant. — (4) N omet niti.
aucun de Lorr[iz] fet clameur de
l'autre, et puis n'en faceint amende
l'un à l'autre, ja amende n'en feront
ausit a nous ne a nostre prevost.
13. Se aucuns de Lorrfiz] doit
faire serement l[i uns] a l'autre , il
le H peut pardonner.
14. Se aucuns des homes de
Lorr[iz] donne folement gaige de
bataille , et faceint paiz par assen-
timent dou prevost, einçois que
ostages soieint donné, paît chescun
II soulz VI denier [s] et néant plus;
et se ostages estoieint donné, pait
chescun VII soulz VI deniers.
Et se batalle est faite de loiaus
homes, li ostages veincuz paieront
cent et doze soulz.
15. Nul des homes [de Lorr[iz
n[ou]s face corvée fors que une foiz
en l'an a nostre vin amefner]
Orliens ; ne n'i seront tenu que cil
qui auront chevaux et charretes,
micitiam incurrerit, non fiet inde duellum; sed duorum vel trium testium ori
committetor, subséquente tamen, si necesse ait, sacrameoto. » — La Fsrté-
Loopibrb : « Et se aulcum a noise ou débat, ou menace à l'autre, et qu'il n'y ait
point d'infraction de chasteau ou clameur faicte au prevost, il peut licitement
accorder sans estre amendante à nous ne à notre dict prevost. »
13. Mbnétrbol : « Si quis alteri alterum a sacramento relaxare licebit. »
15. Omis par Vermbnton et Méwétréou — Montarglb et Bois-lb-Roi : « Nullus
corvatam Montiaargi faciet, nisi domino semel in anno, in adducendo vinom
suum in eamdem villam; ille etiam qui habebit equum et quadrigametsobmooitus
erit. » — ViLLEifSDvg-L'ARCHBvftQUB : « Nul de cela nos face corvée; li vilain la
busche a notre cuisine et de l'abbé amèneront. » — Courcbllbs : « Eorum nullus
PIECES JUSTIFICATIVES.
451
habueriot , et inde summoniti fue-
rint, nec a nobis habebunt procu-
rât! onem. Villani autem ligna ad
coquinam nostram adducent.
16. Nullus eorum cap tu s tenea-
Uir si plegium veniendi ad jus dare
potuerit.
17. Et eorum quilibet res suas,
si vendere voluerit, vendat, et, red-
ditis venditionibus (f), a villa, si
recédera voluerit, liber et quietus
recédât , nisi in villa forifactum fe-
cerit.
(!) N, DM venditionibus mit.
comme amonesté en seront , ne il
n'auront ja de nous despens. Li vi-
lain amèneront [laj bûche a nostre
cuisine.
16. Nul des homes de Lorrfiz] ne
soit tenu près se il peut donner
pleige de revenir a droit.
17. Chescuns de Lorr[iz] vande
ses choses quant il voudra ; et , les
ventes rendues , il s'en aust de Lor-
rfiz] frans [et] quites, ne plus n'i
viaust demourer.
eorvatam nobis faciat nisi semel in anno ad annonam terragii supradictarum villa-
rnm adducendam Lorriacum; nulli vero hoc faciant nisi illi qui equos » —
Rocsson : « ..... nisi semel in anno ad vinum Senonis vel ad alia nobis necessaria
addnceiida faciant. » — Voisines : « ad vinam nostram adducendum ab Aure-
tianis velab eque remoto loco; illi autem hoc facient qui equos » — Bahlibu,
L*Étaj*g-lb-Comtb et La Fbrté-Loupièrb. « Corvatam semel in anno habebo ad
vinam meam adducendum de Sacro-Cssaris ; hoc autem facient illi qui quadrigas
et equos habnerint et inde submoniti fuerint, nec a me habebunt procurationem;
céleri vero unam corvatam semel in anno facient. » — Chaumont : « Nullus homi-
num de parochia Calvimontis corvatam mihi nec alii faciat nisi semel in anno ad
vinam meum adducendum de Barro ad Caivimontem, vel de alio loco infra leacas
octo; hoc autem facient illi qui equos procurationem habebunt. » — Ervy :
« Eoram nullus corveam mihi , nisi de vino meo de Denemoine adducendo. » —
Mailly-lb-Ch&tbau et Mailly-la-Villb : « Nullus hominum Mailliaci aliquam cur-
vatam nec michi nec alteri faciat nisi tantum illi qui quadrigas habebunt qui semel
in anno, si submoniti fuerint, quadrigas suas michi usque ad Betriacum vel us-
que ad Voietenetum vel usque ad Collengias pro cibis meis quadrigandis acomo-
dabunt, et semel in anno michi adducent ligna de Fretoy in domum meam de
Mailliaco ad comburendum , si inde submoniti fuerint. » — Saint-Brisson : « Nul-
las eoram corvatam faciat nisi semel in anno ad vinam nostrum adducendum a
Castellione vel a Sacro-Cœsare ; hoc autem illi facient habebunt procura-
tionem. » — Sakcbrre : « Item, homines hujus franchisiœ semel in anno mihi
corvatam faciant de quatuordecim leucis in longinquo , illi scilicet qui equos
vel qaadrigam habueriot, si inde submoniti fuerint, facientque illam cum sua
procuratione. »
17. Mohtarqi8 et Bois-LB-Roi ajoutent : a Alienos autem Montisargi permanentes
dominas eos tenebit ad jus contra suos accusatores. » — MAiLLY-LB-CHftTKAU
ajoute : « Quilibet hominum Mailliaci domum suam quando voluerit ad libitum
suum jaxta antiquam domorum libertatem vendere poterit , nec pro ea sive emp-
tor sive venditor aliquam consuetudinem dabit. » — Mailly-la-Villb ajoute :
« Quilibet hominum Mailliaci domum suam quando voluerit ad libitum suum
452
LES COUTUMES DE LORRIS.
18. Et quicumque in parrochia
Lorriaci anno et die manserit, nullo
clamore eum sequente, neque per
nos sive per prepositum rectitudi-
nem prohibuerit , deinceps liber et
quietus permaneat.
10. Et nullus cum aliquo (1) pla-
citabit niai causa rectitudinis reci-
piende et exequende (2).
(4) G alio. — (3) N, DM exequende et rt-
cipiende.
20. Et , quando homines de Lor-
riaco ibunt Aurelfianos] cum mer-
18. Quiconques aura demouré
en la parroisse deLorr[iz] an et jour,
sanz site que nul ne le siegne, et (?)
il aura refusé droit a prendre par
nous ne par nostre prevost, il de-
vient d'ileuc en avant frans et en
paiz
10. Nul de Lorr[izJ ne pleide o
autre se n'est pour raison de droit
prendre et ensigre.
20. Li home de Lorr[iz j , comme
il iront a Orliens o leur marchan-
vendat, salvis venditionibus meis. » — Vbrmbntok : a nisi in villa foriffactum
fecerit pro quo debeat relineri. »
18. Omis par Montaroib et Bois-lb-Roi. — Rodsson : « et nullo de eo roc-
titudinem prohibente » — Voisuibs : « Quicumque eciam in villa predicta uno
anno et uno die permanebit , nullo clamore eum sequente , et nullo de eo recti-
tudinem prohibente, deinceps liber et quittas permaneat exceptis hominibus nos-
tris de corpore et hospitibus nostris tailliabilibus qui in ea villa retineri non po-
terunt, nisi illi qui ante composicionem hujus carte ibi fuerant. » — Ghatooiit :
« exceptis hominibus domini Girardi de Eschit et heredum suoram ; soi vero
homines non retinebuntur apud Calvimontem. » — Ervy : q Si autem recti-
tudinem facere noluerit, usque ad tutum locum conductum meum habeat. » —
MAiLLY-LE-CHâTRAU : « hoc tamen observato quod si aliquis militam casato-
rum Mailliaci aliquem hominem apud [Mailliacum] pro servo suo calumpniaverit
et hec tercia manu militum et procinctu parentele probare poterit, illi servus ultra
quindecim dies non tenebitur apud Mailliacum sed in salvo conductu extra cas-
tellaniam Mailliaci conducetur. » — Vrrmwton : « permaneat, hoc excepto
quod homines nostros tailliabiles de foris villam venientes in dicta libertate non
poterunt retinere. »
19. Mailly-lb-Ch&tbau et Mailly-la-Villb ajoutent : « Quicumque in parrochii
Mailliaci domum suam aut pratum aut vineam aut agrum aut quamcumque aliaoi
posBessionem anno et die pacifioe tenuerit, nulli super hoc de cetera responde-
bit t nisi aliquis , qui se jus sciât in hoc habere et qui per illum annum extra pi*
triam moram fecerit, voluerit reclamare. »
20. Omis par Montarois, Bois-lb-Roi, Villkhbuvb-l' Archevêque, Rousso*, Cbao-
mont, Ervy, Mailly-lb-ChAtbau, Mailly-la-Villb , S aint-Bribson , La Selles-c*-
BXRRY, SAIlfT-LAURKAT-SUR-BARBlf JON, VlRMEIfTOIf , Là FbrTB-LoUPIERB, SAlfCSURS. —
Barlibu et L'ÊTAifo-LB-CoMTB : « Et quando homines de Barloco ibunt Sacrum-
Cssaris cum mercatura sua pro quadriga sua solum nummum persolvent, scilieet
quando ibunt non causa ferie ; et quando causa ferie , pro quadriga duos dent-
rios. » — Mérbtréol : c Quando homines de Monasterello ibunt ad Sacrum-Castris
PIECES JUSTIFICATIVES.
453
eatnra (1) , pro quadriga sua solum
nommom (2) persolvent (3) m urbis
egrassu, scilicet quando ibunt non
ctusa ferie. Et, quando causa ferie
in Marcio ierint , in egressu Aure-
ifanis] II1I denarios persolvent (4)
pro quadriga, et in ingressu II de-
narios.
(f) N, DM mereatura tua. — (2) C dena-
râm. — (3) N ptnolpant. — (*) N persolvant.
21. In nupciis Lorriaci preco
consuetudine nichil(l) habebit, nec
excobitor.
(1) N niehil consuetudine.
22. Et nullus agricola de par-
rochia Lorriaci qui terram colat
cum aratro plusquam unam minam
siligînis omnibus (1) de Lorriaco
servientibus consuetudinem pre-
beat, quando messis erit.
(i) A et C hominibus; corr. omnibus par
S, DM.
23. Et si miles aliquis , seu ser-
vieos, equos vel alia animalia ho-
minum de Lorriaco in nemoribus
dise, paieront I seul denier à r[is]sue
de la cité ; c'est a savoir quand il
iront non pas pour reison de foire.
Et , comme il iront pour reison de
foire en Marz , il paieront , pouf la
charrete a l'issue de la cité quitte
deniers et a l'entrée dfous] deniers.
21. Li crierres ne prendra rien
de Lorr[iz] es noces de coustume ,
ne cil qui fet le guiet.
22. Nul de la parroisse de Lor-
r[iz] qui cultive terre a charrue ne
rende plus d'une mine de seigle a
touz les [serjants] de Lorr[iz], quant
moissons seront.
23. Se chevalier ou serjant treuve
les chevaux ou autres bestes as ho-
mes de Lorr[iz] en noz bois, il ne
coin mereatura sua et quadriga sua, solum nummum persolvant, nisi tune forte
dies feriœ fuerit; nam die feriœ duos denarios pro quadriga persolvant. »
21. Omis par Bois-le-Roi, Ervy, La Selles , Vermbrton, Sakcbrrb. — Moutar-
Goometiuc eœcubitor.
22. Omis par Bois-le-Roi, Mailly-lb-Ch&teau, Mailly-la-Ville, La Selles, Saint-
Lutriht-sur-Barek jon , Vermentok, Sancerrb. — Codrgellbs : « ..... siliginis sin-
gnlarum villarum servientibus omnibus. » — Barlibu : « Et nullus agricola qui
terram cum aratro colat , niehil reddat prêter decimam et terragium : omnibus
vero servientibus de Barloco aliquam consuetudinem non prœbeat. » — Chau-
«oht : « Nullus agricola de parochia Calvimontis qui terram colat cum aratro
oihil prster duos bichets frumenti omnibus servientibus Calvimontis consuetu-
dine prœbeat; illos autem bichets et sez supradictos denarios census reddet
Qousqaisque eorum td festum SancU-Remigii. » — Ervy : « plusquam unam
minam frumenti ad mensuram Lorriaci omnibus servientibus » — L'Étako-
Lt-CoMTB, Saint-Brisson et Ménétréol : « ..... unum cartellum siliginis »
23. Omis par Roosson, Ervy, La Selles, Sajnt-Laurbict-scr-Barbnjon, Vbrmbn-
to5. — Coorcelles : « Si miles aliquis ducere nisi ad bailli vos sepedictarum
villarum » — Chadmort ajoute : « Pargia pratorum durabit ex quo custodes
Revue hist. — Tome VIII.
30
484
LES COUTUMES DE LORRIS.
nostris invenerit, non débet illadu-
cere nisi ad preposiium de Lorriaco.
Et, si aliquod animal de parro-
chia Lorriaci forestam nostram (1),
a tauris fugatum vel a muscis coac-
tum, intraverit sive haiam (2), nic-
hil ideo debebit prepositis emen-
dare ille cujus fuerit animal qui (3)
poterit jurare quod, custode invito,
illud (4) intraverit (5). Et si , aliquo
custodiente scienter, intraverit (6),
XII denarios pro illo dabit; et, si
plura fuerint, totidem pro quolibet
persolvat (7).
(1) Nostram omis par G. — <3) C museis
vel haiam nostram intraverit. — N, D M Lor-
riaci a tauris fugatum vel a muscis coactum
forestam nostram sive hayam intraverit. —
(3) N, DM si. — (*) G illuc. — (5) N, DM in-
trasset. — (6) A porte dabit fuerit; corr.tn-
traverit par G, N, D M. — (7) C solvat. 9
24. In furnis Lorriaci non erunt
portatores consuetudine.
25. Et excubie non erunt Lor-
riaci consuetudine.
26. Et aliquis de Lorriaco, si
duxerit sal vel vinum suum Aure-
l[ianos], pro quadriga I denarium
dabit (1) tantum.
(4) G omet dabit.
27. Et nullus hominum Lorriaci
les doit mener fors que au prevost
de LorrfizJ . Se aucune [bjeste de la
parroisse de Lorr[iz] entre en nostre
forest par chace de toriaux ou par
contreignement de mouches ou en
nos haies, cil qui les bestes sunt
ne doit point d'amende se il viaust
jurer qu'elle i entr...st maugré la
garde. Et , se elle i est trouvée a
garde faite, cil cui elle sera en poiera
doze deniers, et se pluseurs sunt,
autent pour chescune.
24. Es fourz de Lorr[iz] n'aura
nul porteur de coustume.
25. A Lorr[iz] n'aura point de
guiet de coustume.
26. Se aucuns de Lorr[iz] moine
son vin ou son sel a Orliens , il ne
paiera que I denier pour la char-
rette:
27. Nul des homes de Lorr[iz]
constituti fuerint donec prata incipientur falcari. Pro pargia segetum edictam
ponitur, ex quo custodes eorumdem constituti fuerint donec messores incipient
metere segetes. »
24. Omis par Bois-lb-Roi, Ervy, Là Selles, Ménétréol, Sancerrb.
25. Omis par Bois-le- Roi, Chaumont, Ervy, L'Étanq-lb-Comte , La Selles i
Ménétréol, Sancerre.
26. Omis par Montàrois, Bois-lb-Roi, Villeneuve-l' Archevêque, Rodsson, Voi-
sines, Chaumont, Ervy, Mailly-lb-Ch&tbau , Mailly-la-Villb , Saint-Brisbon , La
Selles , Saint-Ladrbnt-sur-Barbnjon , Vermbnton , La Fbrté-Loupièrb , Sancerre-
Barleeu, L'Étanq-lb-Comte. — Ménétréol : « Et aliquis de Barloco, si duxerit sal
vel vinum suum Sacrum- Cssaris, pro quadriga sua unum denarium tantum
dabit. »
27. Omis par Mortarqis, Bois-lb-Roi, Viuleneuve-l' Archevêque , Ervy, Mailly-
PIECES JUSTIFICATIVES.
455
débet emendationem (1) preposito
Stamparum, nec preposito Piveris,
nec in toto Gastinesio.
(1) A, N demendationem; eorr. emendatio-
nem pu C
28. Nullus eorum dabit tonleium
Ferrariis, nec Gastronantone (1),
nec Puteolis , nec Nibelle.
(1) N Castrinantoniê.
29. Et homines de Lorriaco ne-
mas mortuum ad usum suum extra
forestam capiant.
30. Et quicumque in mercato
Lorriaci emerit aliquid vel vendide-
rit (1) et per oblivionem tonleium
suum retinuerit, post octo dies illud
persolvet (2), sine aliqua causa, si
jurare poterit quod scienter non re-
tinuisset (3).
(!) C vendent. — (8) N, DM persolvat. —
(3) G retinueril.
ne doit demende au prevost d'Es-
tampes, au prevost de Peviers, ne
en tout Gastinois.
28. Nul de Lorr[iz] ne paiera
tonli a Ferrieres, a Ghastialandon ,
a Puysiaus , ne a Nibele.
29. Li home de Lorr[iz] pren-
dront le bois mort hors de nostre
forest pour leur usage.
30. Quiconques ait acheté ou
vendu ou marché de Lorr[iz] et. . .
. . . coulz oublié à paier, rende le
VIII jourz après, sanz nulle amende
faire; mais que il jure que a [es]-
cient il ne le retenist.
lb-Ch&tbad, Mailly-la-Villb, La Sbllbs, Saint-Laurent, Vermenton, La Ferte-
Loopibrb, Sarcbrrb. — Roossoif : « Nullus hominum ipsius ville dabit demanda-
tionem preposito. » — Barlibo , L*Étanq-lb-Comtb , Ménbtreol : « Et nullus Bar-
loci dabit emendationem preposito. » — Chaumont : « Nullus hominum de parochia
Calvimontis débet emendationem prœposito Calvimontis, nec praBposito Barri, nec
preposito Trecarum, nec praBposito Firmitatis, nec alium servienti comitis. » —
Saint-Brisson : et Nullus hominum S. Bricii débet emendationem prœposito de
Castellione nec prœposito de Concorsault, nec prœposito de Petraflcta. »
28. Omis par Montargib, Bois-le-Roi, Villenbuve-l'Archbvbqub, Rousson, Chau-
MONT, ERVY, MAILLY-LB-CHftTBAU, M AILLY-LA- VlLLE , La SbLLBS , SaINT-LaURBNT-SOR-
Barbiuor, Vbrmbnton, La Fbrte-Lodpibrb , Sancerrb. — Barlibu, L'Étang-lb-
Comtb, Ménbtréol : « Nullus de Barloco dabit tombeium Sacro-Cœsaris nec
Castellione. » — Saint-Brisson : « Nullus eorum in terra nostra dabit tonleium. »
29. Omis par Rousson, Chaumont, Ervy, Mailly-la-Villb, Saint-Brisson, La
Selles, Vermenton, Menétreol, La Fbrté-Loupibre , Sancbrrb. — Mailly-le-Gha-
tbac : « Homines de Mailliaco illum usagium habebunt in bosco de Fretoy quem
in eo semper habuerint, hoc eciam observato quod forifacta mea de bosco sicut
ut alia de sezaginta solidis ad quinque solidos , et de quinque solidis ad duode-
cim denarios veniant. Si cui impositum fuerit quod in garena mea in planum ve-
natus fuerit, solo juramento se deculpabit, alioquin quinque solidos emendabit. »
— Sawt-Laurrnt-sur-Barenjon : a Homines dicte villœ habebunt usagium in Vost,
sicut habere solebant videlicet homines no s tri. »
30. Omis par Mailly-la-Villb. — Chaumont : « . . . illud persolvat sine emen-
datione. . . » — Vermenton : « . . . sine aliqua emenda. . • »
456 LES COUTUMES DE LORBIS.
31. Et nullus hominum Lorriaci 31. Nul de LorrfiiJ qui ait mai-
habentitun domum vel vineam vel son , vigne , pré , champ , ne
pratum aut agrum vel edificium aul en la ne
aliquod in terra Sancti-Benedicti se justisera par l'abbé ne par son
justificabit (1) se pro abbate Sancti- serjant fors que de la gerbe et don
Benedioti vel pro ejus serviente, cens, se il en ma et, et lors
nisi pro garba, vel pro censu suo n'istra il ja de Lorr[iz] pour droit
forifecerit ; et tune a Lorriaco non prendre.
ezibit causa rectitudinis tenende.
{i) C,M, DU jusHciabit.
32. Et, si aliquis hominum de 32. Se aucuns de Lorrfiz] est ac-
Lorriaco accusatus de aliquo fuerit, cusez d'aucune chose. . . ne puisse
et teste comprobari non poterit, estre prouvé par tesmoifn] g, il s'en
contra probationem impétenUs (1) passera de la seurmise par son se-
per solam manum suam se decul- renient seulement contre celui qui
pabit. celi aura mis Bas.
(1) A probationem impotentU ; G prohibi-
Uonem impotente; oorr. probationem impe-
tenteparN.
33. Nullus etiam de eadem par- 33. Nul de la parroisse de Lor-
rochia de quoeumque vendiderit vel r[iz] ne paiera coustume de chose
emerit super septimanam, et de que il achate enseur (sic) seur se-
31. Omis par Montarois, Bois-lb-Roi» Vilunbuvb-l'Archbvêqub, Roosson, Ervt,
MaiLLY-LB-Cb&TBAU, MaILLY-LA-ViLLB, Là SELLES, SaINT-LaURKNT-SUR-BaRBNJON, VER-
mbnton , Là Fbrté-Lodpierb , Sancbrrb. — Barlibu , L'Étang-le-Comtb : « De omni
autem possessione quam tenoerint homines apud Barlocum, quantumeumque villa
crèvent, in burgo et castello ibi se justificabunt. » — Chaumont : « Nullus homi-
num Calvimontis habentium domum vel vineam vel pratum aut agrum, aut aliquod
edificium in alterius terra quam comitis, justificabit se pro illo cujus est terra,
nisi de gerba vel de censu suo forisfecerit; et tune a Calvimonle non exibit causa
rectitudinis exequend© pro illo cujus erit terra vel pro serviente ejus. » — Sautt-
Ërisson : a Et nullus, [qui] eodificium aliquod in terra ali cujus [habuerit], non
justificabit se, nisi pro garba vel pro censu suo forifecerit , et tune a Sancto-Bric
cio non ezibit causa rectitudinis tenends. » — Menétréol : « De omni autem
possessione quam habuerint homines de Monasterello , ibi se justificabunt. »
32. Omis par Montarois et Bois-le-Roi. — Voisines : « Si quis autem accusatus
fuerit de aliquo, et teste comprobari non poterit, contra probacionem impetentis
sola manu sua licebit se purgare. »
33. Omis par Montarois, Bois-lb-Roi, Mailly-la-Villr, Sancbrrb. — Chaumont :
« Nullus etiam de eadem parrochia de quoeumque emerit vel vendiderit , supra
septimanam, vel in die Mercurii, vel in die feriœ, aliquam consuetudinem dabit. »
— La Fbrté-Loupikrb : « Nul de La Ferlé ne sera tenu payer coustume de ce qu'il
achatera en la sepmaine ou le jour du marché pour son usage. »
PIECES JUSTIFICATIVES.
457
quocumque emerit in die Mercurii
in mercato pro usu suo nullam (1)
consuetudinem dabit.
(1) N aliquam.
34. Hec autem consuetudines,
sicut concesse sunt hominîbus de
Lorriaco , similiter communes sunt
hominibus qui habitant apud Cor-
palez (1) et apud Ghantelou (2) et in
balliata Herpardi (3).
(1) N Courpalx, auj. CourpaUUt. — (9) Aaj .
la MairU-ChanUUmp. — (3) C Barpardi; N
Hapardi, aig. la Bapardière.
35. Proinde constituimus ut,
quotiens (1) in villa movebitur pre-
positus, unus post alterum juret se
stabiliter servaturum has consuetu-
dines , et similiter novi servientes ,
quotiens movebuntur.
Quod ut ratum etc. Actum Aure-
l[ianis] anno Domini M°G0LV°.
(1) C quoties.
maine ou au mercredi ou marchié
pour la soigne de son bostel.
34. Toutes ces [coujstumes, si
comme elles sont octroies as homes
de Lorrfiz], ausit sunt elles com-
munes a ceus de Gourpalez et a
ceus de Ghantelou et de la baillie
Harpart.
35. Apres, nous establissons que
toutes foiz que [prevo]st seront
mué a Lorr[iz] il jureront li uns
après l'autre que il garderont fer-
mement toutes ces coustumes; et
ausit li serjant toutes foiz que il se-
ront mué.
(Et que ce soit de oremes ferme
et estable nous [cjomandasmes
meictre notre seel et seignet de. . .
l'espreinte de notre non. Ce fu donné
à Bourges.)
34. Omis par toutes les chartes. Montarqis lui substitue : « Eœ autem consue-
tudines , sicut concessœ sunt hominibus de Monteargo , similiter communes sunt
hominibus qui habitant in Calceia, quœ est inter burgum et domum leprosorum.
Homines de Casneio qui sunt positi in consuetudinibus Montargi et homines qui
habitant in partem quam habemus in atrio Amiliaci eodem judicio et eodem modo
tractabuntur, quo et illi qui sunt de castello. »
35. Montarqis et Boib-lr-Roi : « Quotiescumque Montisargi tam prœpositorum
quam servientium fiet commutatio toties istas consuetudines tenendas et inviola-
biliter servandas, al ter post alterum jurabit. Si hoc aliquis jurare noluerit, ho-
mines pro eo nihil facient donec sacramentum fecerit. » — Rodsson : « Prœterea
volumus quod quociens mutatio prepositi in villa illa facta fuerit , ille qui substi-
tuetur istas consuetudines inviolabiliter tenendas jurabit, et servientes similiter
jurabunt; et si aliquis eorum hoc facere noluerit, pro eo homines nichil facient
donec sacramentum fecerit. »
Maurice Prou.
(A suivre.)
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
De la nature des condamnations civiles à Rome,
par E. Montagnon, docteur en droit. Lyon, 1883.
Ce n'est pas à nous qu'il appartiendrait de présenter au
lecteur un travail historique de procédure, dont l'objet rayonne
en quelque sorte sur presque toutes les parties de la législa-
tion romaine. Notre seule excuse pour en parler est l'intérêt
que nous avons pris d'assez longue date à la réussite d'une
thèse qui , mieux connue en France, y recrutera de nombreux
adhérents et pourrait bien engager l'enseignement du droit
romain dans une voie nouvelle.
Il y a dans l'air un certain nombre de vérités se rappor-
tant aux civilisations disparues. Ces vérités seraient la ré-
sultante naturelle de premières découvertes qui ont fini par
rallier l'opinion générale. Et cependant on passe à côté d'elles.
Soit hésitation défiante à secouer le joug des idées d'autre-
fois , soit qu'on s'attache sans discuter à la lecture d'un texte
qui comporterait d'autres interprétations non moins plau-
sibles , on préfère s'en tenir aux errements , aux erreurs tra-
ditionnelles. L'édifice, dans ses conditions, reste sans cou-
ronnement, ou plutôt le couronnement jure avec l'architecture
de l'ensemble. La conclusion contrarie les prémisses. Vienne
un chercheur plus hardi que ses devanciers , qui soumet le
texte à une nouvelle épreuve et laisse ressortir le sens jus-
qu'alors inaperçu : l'opinion, à demi préparée, ne trouvera
pas mauvais qu'on lui fasse une douce violence et accueillera
sans grand effort une doctrine rétablissant l'harmonie dans
ses idées.
Voilà plus de trente ans qu'une pléiade de jurisconsultes
en Allemagne ont cherché après Savigny et sont parvenus à
démontrer que la procédure formulaire n'a été que la conti-
460 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
nuation de celle des actions de la loi, débarrassée de son
appareil liturgique et sacramentel : Relier, Stinzing, dont la
mort tragique vient d'impressionner si vivement la science ,
Ihering et bien d'autres ont plaidé cette thèse qui ne soulève
plus aujourd'hui que de timides protestations. On partait au-
trefois de l'idée que la loi iEbutia était venue un beau jour
jeter à terre l'ancienne organisation judiciaire, et que le
préteur avait édifié sur un sol déblayé une procédure de sa
création. Cette manière de voir est maintenant bien discré-
ditée , sinon unanimement délaissée. Tout, au contraire , tend
à prouver que les lois de la (in de la République n'ont pas
supprimé la procédure en cours , mais l'ont simplement sécu-
larisée : à Rome, moins que partout ailleurs, la législation
ne procède par secousses, et il n'est pas vraisemblable qu'un
peuple aussi jaloux de ses institutions ait brusquement rompu
avec elles, à un moment donné, pour s'en remettre à un
magistrat du soin de constituer Jes procès sur de nouvelles
bases. A quoi tient l'emploi d'un mot inexact! Gaïus dit :
sublatœ sunt legis actiones : on a conclu à une abrogation , à
un coup d'épongé donné sur le passé, c'était un tort. Aulu-
Gelle s'est servi d'une expression plus heureuse : omnis Ma
antiquUas, legeJEbutia lata, consopita est. Les lois judiciaires
ont dépouillé pièce par pièce l'instance de son formalisme
primitif : la loi iEbutia , arrivée l'une des dernières , n'a plus
eu que peu de chose à faire pour émanciper définitivement
les procès, mais il n'est nullement certain qu'elle ait nécessité
un plus grand effort que les lois antérieures, les lois Silia
et Calpurnia par exemple , ni qu'elle ait laissé sur les ima-
ginations des contemporains une empreinte aussi vive que
sur les nôtres. Que d'événements dans l'histoire qui semblent
à première vue le point de départ d'une ère nouvelle, et
n'apparaissent plus, lorsqu'on les a examinés de près, que
comme le dernier terme d'une marche progressive ! Quand on
ne constaterait que l'exacte concordance des deux procédures
dans le mouvement de l'instance , le renvoi au juge dans l'une
et dans l'autre , une terminologie identique , et pour certaines
actions un préliminaire semblable du procès , il n'en faudrait
pas davantage pour prévenir l'esprit en faveur de l'opinion
sortie de l'école allemande et aujourd'hui dominante. Après
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 461
comme avant , la charpente du procès est la même , le fond
n'a pas varié , il n'y a même pas eu, comme on le dit parfois,
phénomène de transvasement, ce qui donnerait à croire que
le récipient a changé , Faction est simplifiée , voilà tout.
Cela étant , un point grave restait en suspens : on était en
face d'un écueil devant lequel la théorie tout entière risquait
de se briser. Sous le système formulaire , les condamnations
sont invariablement pécuniaires, elles se ramènent à une
somme d'argent liquidée par le juge, Gaïus le dit dans le § 48
de son Commentaire IV. Mais dans ce même texte il dit en-
core que sous la procédure antérieure le juge condamnait à la
chose même. Voilà donc une différence marquée entre les
deux procédures, et lorsqu'on soutient que la seconde est
issue de la première, que le préteur n'est pas l'inventeur du
système qui porte son nom, on émet une affirmation que
cette seule particularité paraît démentir.
C'est à ce prétendu changement survenu dans l'objet de la
condamnation que ce sont attachés les jurisconsultes qui ont
travaillé la matière en dernier lieu : ils se sont demandé si
l'on ne faisait pas dire à Gaïus le contraire de sa pensée. Il
est de fait qu'on impute au préteur une singulière réforme >
lorsqu'on lui attribue la substitution d'un nouveau mode de
condamnation à un mode antérieur plus équitable et plus
simple. Comment le magistrat, l'homme du progrès, se serait-
il ingénié à créer de son autorité propre et au rebours d'une
saine politique un système de sentences d'où ne pouvait ré-
sulter pour les plaideurs qu'une satisfaction par équivalent?
On a cherché, il est vrai, à appuyer cette innovation sur des
considérations d'utilité pratique. Mais les raisonnements les
plus habiles n'empêcheront pas qu'un plaignant qui réclame
son bien et qu'on oblige à se contenter d'argent à titre de
réparation , ne soit imparfaitement protégé par la justice de
son pays. Le préteur lui-même en avait si bien conscience,
qu'il imagina l'action arbitraire pour remédier aux inconvé-
nients du système et contraindre indirectement le défendeur à
s'exécuter en nature. Non , si le procès formulaire aboutit à
une estimation nécessaire, c'est que le magistrat n'était pas
libre d'agir à son gré et qu'il a recueilli la condamnation en
lui laissant le caractère qu'elle avait auparavant. Donc, ou
462 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
Gaïus se trompe , ou , ce qui est plus vraisemblable , son pas-
sage est en général mal interprété.
L'honneur d'avoir rétabli ce que nous appelons le véritable
sens du § 48 — tant l'exactitude de la nouvelle lecture nous
semble évidente, — revient à un jurisconsulte italien. C'est
dans un article très travaillé, paru en 1878 à YArchivioGiuri-
dico de Bologne que M. Brini a proposé sa version du texte,
version d'autant plus judicieuse et plus probable, qu'elle ne
nécessite aucune retouche sur le manuscrit , mais un simple
déplacement de ponctuation, affaire d'interprète et non de
copiste.
Il est inutile d'insister sur l'importance de la découverte.
Ce qui en a accru la gravité , c'est que son auteur a considéré
ce redressement de l'erreur commune moins comme un résul-
tat final que comme une entrée en matière , comme le moyen
de projeter sur l'organisation des legis actiones un jour inat-
tendu.
M. Montagnon vient de soumettre à son tour aux lecteurs
français la théorie de M. Brini. Il l'a fait avec une sûreté de
vues et une vigueur de touche qui nous prouvent que la lignée
de nos romanistes n'est pas encore sur le point de disparaître.
En outre , à travers le jurisconsulte perce l'esprit littéraire :
on éprouve un double plaisir à consulter un travail bien pensé
et bien écrit. Il y a cependant quelques réserves à formuler.
Si l'on comprend à la rigueur que le continuateur de Brini ré-
sume dans un but de généralisation la thèse qu'il entend vul-
gariser, et néglige les solutions de détail qu'une insuffisance de
renseignements pourrait faire taxer de fantaisistes, la manière
laconique dont il expose la théorie même et ses principaux
arguments s'explique beaucoup moins. Ce n'est pas assez que
la phrase soit élégante et bien frappée , il faut encore que la
pensée revienne présentée sous diverses formes, afin que les
personnes non initiées au système en saisissent immédiate-
ment les grandes lignes sans imposer à leur attention une
trop grande contrainte.
Le texte une fois rétabli selon son exacte teneur, et l'incise
où le droit ancien est visé , sicut olim fieri solebat , étant rat-
tachée à la proposition finale contrairement aux habitudes
suivies jusqu'à présent, une double réflexion surgit à l'esprit.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 463
Dans le premier état de la procédure, les Romains n'ont
pas connu la condamnation à la chose même : la notion de
l'estimation du procès dérive d'anciennes traditions natio-
nales. Les conjectures d'Ihering sur le règne de la vengeance
privée au début de toute civilisation et sur la transformation
de cet état social en un régime de composition pécuniaire de-
viennent des vérités positives. L'action primitive est le moyen
de redresser un tort; quand elle tendrait à l'exécution d'un
contrat, c'est encore d'une idée de faute qu'elle émane. Le
défendeur a délinqué , il doit venir au prétoire pour y répon-
dre à l'invitation que lui fait son adversaire de transiger et
d'obtenir moyennant composition la cessation des poursuites.
Les plus anciens témoignages s'accordent à prendre le mot
damnum, générateur du verbe damnare, dans l'acception
suivante : privation pécuniaire subie par une personne et en-
gageant la responsabilité d'une autre. Les grammairiens d'au-
jourd'hui en savent plus long que Vairon et F est us, la majeure
partie d'entre eux rapporteront le vocable à un radical da ou
dap, qui évoque une idée de partage et de destruction. L'ex-
pression damnum decidere des XII Tables, qui s'est maintenue
en droit classique dans la formule de certaines actions dé-
lictuelles, est pleinement édifiante : decidere ne signifie pas
réparer, ce n'est pas à la réparation d'un dommage que l'au-
teur du délit est tenu, étymologiquement du moins, mais
plutôt à un règlement amiable. Qu'on se souvienne d'autre
part que les obligations d'argent ont été les premières revê-
tues d'actions , comme l'atteste le sens étendu des mots ses
alienum, pecunia, et que par conséquent contrat et procès ont
marché de pair; que l'on songe aussi à la manus injectio,
seule voie d'exécution de l'époque primitive, applicable seu-
lement aux sentences pécuniaires , c'est-à-dire à des droits
façonnés d'abord par l'instance à l'image du patrimoine du
débiteur dans lequel il s'agit de les faire entrer de force, et on
comprendra tout ce que gagne la science du droit romain en
largeur philosophique à voir l'idée de la pecuniaria œstimatio
reculer jusqu'à ces lointaines origines.
Mais la nouvelle lecture du texte de Gaïus entraîne l'inter-
prète sur une autre piste non moins saisissable. Si le juris-
consulte s'exprime ainsi : sicut olim fieri solebat, œstimata re ,
464 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
pecuniam eum (judex) condemnat , il ne veut pas établir seule-
ment un rapprochement entre la procédure d'autrefois et celle
de son temps. S'il avait entendu placer les deux époques
absolument sur la même ligne , le lecteur éprouverait encore
quelque doute : pourquoi Gaïus parle-t-il de l'ancien droit,
quand rien ne l'y force? Mieux vaut traduire le texte ainsi :
le juge condamne le défendeur à une somme d'argent , comme
cela se passait autrefois dans les litiges qu'on estimait. Qu'est*
ce à dire? Dans l'ancien droit, la condamnation en nature
n'était point connue, et cependant toutes les instances n'abou-
tissaient pas à une estimation pécuniaire? Il existait donc
des actions de la loi dépourvues de condamnation 1 Telle est
en effet la conséquence qui s'impose.
C'est ici que la thèse de Brini prend une envergure vrai-
ment superbe. Le jurisconsulte italien met en regard les mots
judicare et damnare , judex et arbiter, et il prouve, pièces en
mains , que ces deux vocables , que les textes présentent tan-
tôt ensemble , tantôt isolément , répondent à des idées juri-
diques très distinctes. On croit que les mots, dans le vocabu-
laire des anciennes sociétés , manquent de précision , et qu'on
les emploie indifféremment les uns pour les autres : c'est une
erreur : bien au contraire , le sens des mots va s'énervant et
s'affaiblissant à la longue. Pour pénétrer la signification res-
pective de ces deux termes , nous aurions bien besoin de l'as-
sistance des linguistes et d'explications grammaticales , telles
que M. Bréal en présentait naguère dans notre Revue. Autant
qu'on en peut conjecturer, judicare vient de jus et du radical
die , qui répond à l'idée de se prononcer : le mot n'implique
donc nullement une prestation mise à la charge d'un plaideur
qui succombe , mais tout simplement la constatation du droit:
le judex émet un prononcé de droit , il ne condamne pas.
Tout autrement en est-il de Yarbiter : il rentrerait dans ses
attributions de damnare, c'est-à-dire de liquider en argent
l'objet du procès. Ce n'est pas que le travail étymologique
aille de soi dans cette seconde partie du problème : arbiter
viendrait d'un mot ombrien , par l'alliance d'un préfixe ar et
d'un verbe betere , et signifierait celui qui marche vers un but
déterminé. La relation qui existe entre cette notion première ,
et celle de juger et d'examiner en fait , de fixer le chiffre d'un
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 465
dommage , de condamner enfin , ne se laisse pas bien aper-
cevoir. En tout cas, cette acception était déjà proposée
avant -Brini , et elle vaut mieux que celle qui tend à foire
de l'arbitre un juge appréciant le procès suivant la bonne
foi.
Maintenant comment les choses ont-elles dû se passer dans
la procédure des legis actionesfhe sacramentum, qui est l'ins-
tance la plus ancienne , donnait lieu à un renvoi devant un
judez : celui-ci disait le droit, statuait sur un pari, décla-
rait quel était le plaideur dont le sacramentum était justum , il
ne pouvait pas condamner, n'ayant reçu aucun mandat à cet
effet. Dans ces conditions, pour que la sentence fût suscepti-
ble d'exécution forcée à la toute première époque , avant l'ap-
parition d'un second mode de procédure , il fallait de toute
nécessité ou qu'il s'agît dans le sacramentum in persanam
d'une créance d'argent d'ores et déjà liquide , ou dans la re-
vendication que l'attributaire de la possession s'engageât de-
vant le magistrat, non pas à rendre la chose même, mais à
payer une somme déterminée représentant l'intérêt du litige.
Alors, mais alors seulement, la partie triomphante pouvait
user de la manus injectio judicati.
Sur ces entrefaites , est introduite le judicis postulatio : le
moule du sacramentum se prêtait mal à plusieurs droits d'une
application pratique très fréquente, aux droits ayant pour
objet un incertum , ou des -prestations réciproques : une liqui-
dation préalable devant le magistrat avant que bien fondé de
la prestation ne fût établi n'était -ni commode ni rationnelle.
De là sans doute la création de cette seconde procédure , déjà
moins imprégnée d'esprit religieux que la première, et qui,
suivant la formule de Valerius Probus, tend à donner aux
plaideurs un judex arbiterve. Voilà qui est caractéristique : le
juge devient arbitre , il est investi de deux fonctions au lieu
d'une , il statuera sur le droit et en outre condamnera s'il y a
lieu. Et comme on voit que tout s'enchaîne rigoureusement!
Cette procédure trouvait surtout son emploi dans les contrats
à obligations réciproques, où le juge doit déterminer les pres-
tations mutuelles pour en faire ensuite compensation, il com-
pense , il condamne.
La condamnation apparaît donc avec la judicis postulatio
466 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
telle qu'elle est restée jusqu'à Dioclétien, et l'augment du
mot équivaut à une marque d'origine.
Il existe dans le Digeste quelques fragments sur lesquels
on a glissé et qui donnent à ces suppositions une réelle va-
leur. Contre un débiteur qui avoue sa dette et refuse néan-
moins de la payer, la formule de l'action ne pouvait être
délivrée que moyennant des modifications destinées à avertir
le juge qu'il n'avait pas à rechercher l'existence du droit,
mais seulement son montant. Si l'antithèse entre le judicare
et le damnare n'est pas strictement conforme à la termino-
logie romaine, si le juge qui liquide l'objet du droit n'est
pas Yarbiter, comment expliquer que la qualification d'arbiter
soit justement réservée par les textes au juge dans cette hy-
pothèse spéciale? Quel sens donner à ces propositions : Con-
fessus pro judicato est, nullœ partes sunt judicandi in confi,-
tentes (LL. 1 et 7 De confess., 25 § 2 Ad leg. Aquil.)?
La judicis postulatio a vraisemblablement réagi à la longue
sur le sacramentum lui-même. Les procès en revendication
ont dû donner lieu à deux instances successives , jointes
bout à bout, se développant sans doute devant le même juge,
afin que le procès finît plus vite, mais parfaitement sépa-
rables, l'une, en vue de prononcer le droit, l'autre, en vue
de le liquider. Le juge ayant statué sur le sacramentum de-
venait arbitre, le litige se continuait sous la forme d'une
judicis postulatio, l'obligation de restituer les vindicte, ré-
sultant de la promesse faite au début du procès , se trouvait
déduite en justice et aboutissait à une damnatio qui , à son
tour, justifiait l'emploi de la manus injectio. Peut-être l'ar-
bitrium liti œstimandœ, mentionné dans le siglaire de Probus ,
et sur lequel manque tout autre détail , se réfère-t-il à cette
situation; peut-être aussi — et à cet égard nous suivrions
plutôt les conjectures de M. Montagnon que celles de Brini,
— le passage des Douze-Tables que rapporte Bruns dans ses
Fontes juris antiqui d'après Festus : Si tulit faisant vindi-
ciam... vise-t-il encore la même hypothèse. Nous ne préten-
dons pas que sur tous ces points Brini ait été le premier à
frayer la voie : l'idée d'une procédure accessoire en liqui-
dation a déjà été émise par Keiler notamment. Mais Brini a
' ^
BIBLIOGRAPHIQUES. 467
is ces points épars, au bénéfice
.ureusement charpentée.
de leurs recherches, nos auteurs
.ie à rendre compte de l'éclosion de
e en date des legis actiones, et celle
c mécanisme le moins compliqué. Pour
vant eux, elle aboutit à un simple judi-
ta res , à une damnatio , c'est logique. Nous
plutôt quant au rôle exclusif qu'ils assignent
e action dans la formation du système for-
s croire, c'est la condictio et la condictio seule
o de son rituel , est devenue l'action après la loi
-a ne voit pas trop pourquoi ils se sont abstenus *
participer à ce transformisme les autres actiones legis.
in , parmi les judicia légitima, qui ne sont, comme ils
ont, que les anciennes actions de la loi épurées, et
> lesquels , phénomène caractéristique , la consommation
droit s'opère ipso jure, figurent d'autres actions que la
jndictio , on y trouve en outre les actions de bonne foi par
exemple, qui s'abritaient auparavant sous le couvert de la
judicis posttUatio.
Si M. Montagnon avait fait jouer plus longuement la théo-
rie sur l'action réelle , il aurait rendu saisissant ce rapport
de génération pour le sacramentum. Dans le droit des for-
mules , la revendication a lieu d'abord per sponsionem , c'est
un décalque du sacramentum , on y retrouve la gageure d'au-
trefois (sponsio prœjudicialis) , la promesse de restituer la
chose (stipulatio pro prœde litis), une première décision du
juge (judicatum) dépourvue par elle-même de toute force exé-
cutoire , puis une nouvelle instance à fin de liquidation, ayant
son point d'appui dans la stipulatio pro prœde, et se termi-
nant par une condamnation effective. Enfin , un dernier pas
est franchi : la formule pétitoire est instituée, le droit réel
est ostensiblement produit en justice, mais par lui-même il ne
peut pas aboutir, il ne donnera lieu qu'à un judicatum dénué
de sanction, il faut le fortifier au moyen de promesses annexes,
par une cautio judicati, et c'est cette cautio qui déterminera
la condamnation terminale. Ainsi fût devenue manifeste cette
468 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
affirmation qui, tout excessive qu'elle puisse paraître, est
pourtant d'une rigoureuse exactitude , à savoir, que les Ro-
mains, avant la procédure extraordinaire, n'ont pas pratiqué
l'action réelle avec ses droits de préférence ou de suite, et
que sous l'action réelle c'est encore chez eux un droit de
créance qui se déroule tant devant le magistrat que devant le
juge.
La manière dont M. Montagnon avait délimité son sujet
devait l'amener à traiter des actions arbitraires. Il soutient
l'opinion d'après laquelle, à aucune époque du droit formu-
laire , le jussus du juge n'était susceptible d'exécution forcée »
et propose une nouvelle explication de la fameuse loi 68 De
rei vindic. qui ne laisse pas que d'être ingénieuse. D'après
lui, ce fragment, dont il lit la première partie en rejetant
toute idée d'interpolation, est tiré des Commentaires d'Ulpien
relatifs aux fidéicommis , et il en donne la preuve. Tout s'ex-
plique : les procès de fidéicommis étaient des cognitiones
extraordinariœ , sur lesquelles statuait le magistrat lui-même,
et le magistrat , dépositaire de Yimperium , pouvait faire exé-
cuter de force ses injonctions. Nous ne nous portons pas garant
de la justesse de l'explication , elle est du moins séduisante.
Ce qui nous plaît moins, c'est l'idée même que l'auteur
se fait de l'action arbitraire : à cet endroit, sa théorie manque
de contours précis. À défaut de contrainte directe, le ma-
gistrat a dû organiser un mode détourné de coaction , c'est le
serment du demandeur qui fera entrer dans son estimation
la valeur d'affection qu'il attache à la chose. M. Montagnon
en convient, mais il admet en même temps que ce serment
était donné dans d'autres actions non arbitraires. Les textes,
nous le savons, lui paraissent favorables, mais dès qu'on
cesse d'établir une parfaite concordance entre ces deux choses,
actions arbitraires , juramentum in litem , l'économie des ac-
tions en question devient une véritable énigme : Savigny
l'avait bien compris , on n'a rien trouvé de satisfaisant à
mettre en place de son système.
En terminant la lecture de cette intéressante monographie,
nous nous sommes pris à regretter que l'auteur n'eût pas
cherché à suivre la condamnation pécuniaire à travers les
âges, afin de voir s'il n'en est pas resté quelque trace dans
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 469
les procédures d'une époque plus récente. C'est peu suppo-
sable, la question mériterait cependant d'être élucidée. Blacks-
tone, parlant des errements judiciaires suivis en Angleterre
de son temps , rapporte que le demandeur, plaidant en ma-
tière mobilière devant les juridictions de droit commun, ne
peut obtenir de force le recouvrement de la chose litigieuse.
Le verdict de condamnation renfermait deux chefs compris
sous alternative, l'un tendant à la restitution, l'autre portant,
à l'instar de la sentence du juge romain , une évaluation du
litige (damages). Le demandeur ne pouvait pas obtenir, au
moyen d'un writ d'habere facias saisinam, l'exécution directe
du premier de ces chefs , il n'y arrivait que par des moyens
détournés qui n'étaient pas toujours efficaces (Comment., trad.
Chompré, V, p. 121; Keller, trad. Capmas, p. 66, n° 225;
Ann. de lég. étr., III, p. 17). Ce qui rend l'idée d'un emprunt
fait aux Romains très-invraisemblable, c'est qu'on ne voit
pas comment les Normands auraient soupçonné le mode de
condamnation formulaire. Les Barbares n'ont connu du droit
romain que ce que le Code Théodosien leur en a dévoilé ; or,
au ve siècle, la condamnation pécuniaire avait disparu. Le
recueil De judiciorum ordine, qui passe pour un des plus
anciens monuments de la procédure romano-canonique du
moyen-âge , pose hardiment le principe de la condamnation
à la chose même (Part. 3, tit. 2 in fine; part. 4, tit. 4, § 3).
A plus forte raison n'est-ce pas au droit classique que fait
allusion ce passage des Feudorum libri, ouvrage qui a puisé
ses inspirations ailleurs qu'aux sources romaines : Si facta de
feudo investitura pœniteat dominum anteqnam possessionem
transférât : an prœstando interesse vasallo liberetur, quœsitum
fuit (II, 26, § 5). Il ne faut pas perdre de vue que, même
après la vulgarisation des Pandectes, nos meilleurs roma-
nistes, à commencer par Doneau, se sont mépris sur la portée
delà règle formulaire, qu'aujourd'hui encore, sans la décou-
verte du manuscrit de Vérone , elle serait pour nous envi-
ronnée d'obscurités, et que la disposition de notre article
1142, d'après laquelle toute obligation de faire se résout en
dommages-intérêts, quoique copiée sur le Digeste (L. 13 § 1
De re judic.), a été complètement détournée du sens que le
jurisconsulte Celse entendait primitivement lui attribuer.
Revue hist. — Tome VIII. 31
470 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
Nous nous apercevons que nous avons de beaucoup dépassé
léb bornes d'un simple compté rendu : le lecteur voudra bien
noua excuser d'avoir abuse de sa patience. Le plaisir de
reproduire à gros traita urid théorie destinée , croyon*-noud ,
à faire fortune , nous a illusionné sur notre rôle. Notre in-
tention n'était pas cependant de reprendre en quélqueâ pages
tin travail que deux esprits de marque ont mené à bien. Si
(jet aperçu rapide et trop condensé suggère à ceux qui le
parcoureront le désir d'étudier la thèse dans l'original, nous
nous estimerons heureux du résultat de la propagande : il
ïf'est pas, à notre connaissance, de doctrine de droit romain
ç|ui mérite d'être prise en plus sérieuse considération.
E. Th ALLER,
professeur à la Faculté de droit de Lyon.
Le Tiers-État d'après la charte de Beaumont et ses
filiales, par Ed. Bonvalot, ancien conseiller des Cours de Col-
mar et de Dijon. — Ouvrage couronné par l'Académie de Stanislas.
A. Picard, Paris, 1884.
M. Edouard Bonvalot, déjà connu des lecteurs de la Revue
et du monde savant par ses remarquables études sur plusieurs
coutumes d'Alsace et de Lorraine , poursuit le cours de ses
travaux historiques.
C'est une page , et non la moins inédite , qu'il a détachée
de l'histoire du tiers-État en France et qu'il nous présente
avec sa « Loi de Beaumont. » Il nous montre les institutions
municipales naissant et se développant dans les temps trou-
blés du moyen- âge , défendant la faiblesse contre les abus de
la force, et préparant, par l'émancipation graduelle des per-
sonnes et des terres , l'avènement politique de la bourgeoisie.
La charte de Beaumont est l'un des monuments de l'époque
féodale qui ont le plus contribué à cet affranchissement; elle
apparaît, suivant le témoignage de M. Guizot, comme le mo-
dèle le plus achevé et comme le type le plus libéral des
chartes communales de cette période de notre histoire. Accor-
dée en 1182 par Guillaume aux blanches mains, archevôqtte
de Reims, aux habitants de Beaumont-en- Argonne , petite
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 471
commune de l'arrondissement de Sedan, aujourd'hui triste-
ment célèbre par la surprise du corps d'armée du général de
Fàilly en 1870, elle a été pendant plusieurs siècles un objet
d'envie pour les populations du Nord-Est de la France. « Etre
mis à là loy de Beaumont » était pour les habitants de la
Champagne, du BarroiS , de la Lorraine et des Trois-ÉvêchéS ,
l'idéal incessamment poursuivi, et, au xvine siècle, la loi de
Beaumont , successivement étendue et adaptée aux nécessités
locales, régissait encore dans ses traits généraux plus de ciriq
cents communes du ressort des Parlements de Metz (1) et de
Paris.
Qu'est-ce donc que cette charte ou loi de Beaumont , dont
l'influence a été si grande sur la vie municipale d'autrefois ,
et dont les filiales ont été si nombreuses?
Son texte original, qui existait encore en 1588 dans les
archives de Beaumont, en a disparu depuis cette époque;
mais de nombreuses copies suppléent à son absence , notam-
ment celle des Archives nationales de France, qui est là plus
ancienne, et celle délivrée en 1788 par le greffier de la Cham-
bre des comptes de Bar à la municipalité de Beaumont ; d'est
à ce dernier texte, soigneusement revu, que M. Bonvalot
s'est principalement référé.
Mats, éi le texte de la loi de Beaumont est connu et fré-
quemment cité , ses dispositions ne paraissent pas avoir jus-
qu'ici fait l'objet d'analyses bien complètes et bien approfon-
dies. L'étude que leur avait consacrée , au siècle dernier, un
avocat nancéien , Breyé , ne nous est pas parvenue , et le livre
de M. l'abbé Defourny (2) contient, à côté d'une foule d'aper-
çus intéressants et d'indications utiles, un trop grand nombre
de lacunes et d'inexactitudes juridiques. L'ouvrage dé M.
Bonvalot est donc , on peut le dire , une œuvre d'initiation ;
il a tout le mérite et tout l'attrait de la nouveauté. Au prix de
patientes recherches, d'un dépouillement consciencieux dès
vieilles archives lorraines , l'honorable magistrat nous donne
(1) Observations détachées sur les coutumes et les usages anciens et modernes
du ressort du Parlement de Metz, par Gabriel» ancien bâtonnier de l'Ordre
des avocats au Parlement de Metz. Bouillon, 1787.
(2) La loy de Beaumont, coup d'œil sur les libertés et les institutions du
moyen- âge. Reims, 1864.
472 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
sur la charte de Beaumont et sur ses filiales un commentaire
substantiel , où se trouvent unies la sagacité de l'historien , la
finesse du jurisconsulte et la sûreté du critique. L'Académie
de Stanislas de Nancy a voulu , par l'attribution d'une de ses
plus hautes récompenses , reconnaître ces qualités brillantes;
elleme pouvait, comme l'a dit notre regretté collègue, M. Er-
nest Dubois, dans la séance du 12 mai 1881, inaugurer d'une
manière plus heureuse les concours que la fondation Herpin
lui a permis d'ouvrir tous les quatre ans sçr la Lorraine et
sur son histoire.
Les trois premiers chapitres sont consacrés à ce qu'on pour-
rait appeler l'histoire externe de la loi de Beaumont. L'auteur
montre, dans un tableau saisissant, ce qu'était au xne siècle,
c'est-à-dire lors de l'apparition de la charte nouvelle , la situa-
tion matérielle et morale des pays situés au Nord-Est de la
France. Les violences des seigneurs, l'oppression des vas-
saux , la misérable condition des serfs appelaient un adoucis-
sement et une réforme , et cette réforme , essayée par le sys-
tème des avoueries ecclésiastiques et par la royauté combat-
tant pied à pied les prétentions féodales, fut l'œuvre d'un
prince de l'Église , Guillaume de Champagne. Il octroya à la
commune de Beaumont, comprise dans ses domaines, une
charte qui , modelée sur la constitution échevinale de Reims ,
assurait à ses habitants la liberté et la propriété et remplaçait
par une administration municipale élue le gouvernement di-
rect et arbitraire du seigneur. Cette charte devint bientôt
populaire sous le nom de loy de Beaumont et eut, nous l'avons
dit, une force d'expansion prodigieuse; Merlin la compare à
un météore. Trois tableaux , dressés suivant le degré de cer-
titude que présente son application à telle ou telle commune ,
et une liste chronologique des villes auxquelles elle a été con-
cédée rendent compte des progrès que la loi de Beaumont a
réalisés pendant plusieurs siècles dans les provinces et dans
les territoires limitrophes.
Dans le quatrième chapitre, M. Bonvalot s'occupe de la
création des villes neuves : « Ce terme, dit-il (p. 260), mar-
que une phase nouvelle dans la vie d'une localité déjà exis-
tante, une révolution juridique dans l'état de son sol et de
ses habitants. Il exprime la substitution de la liberté au ser-
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 473
vage , la transformation d'une ville batice ou serve en une ville
franche avec coutumes privilégiées. » La création d'une ville
neuve n'implique donc pas le plus souvent l'érection d'une
cité sur un territoire inhabité , mais seulement la concession
de privilèges importants aux habitants d'une ville déjà fondée.
De nombreuses villes neuves furent ainsi créées au type de la
loi de Beaumont; l'auteur énumère les solennités dont furent
entourées ces créations successives et leurs conséquences ju-
ridiques.
Le reste de l'ouvrage analyse les dispositions de la loi de
Beaumont. Dans le chapitre cinquième , il est question de la
condition des personnes et des terres dans les pays qui en
reconnaissent l'autorité. L'acquisition et la perte du droit de
bourgeoisie, les distinctions de classes, l'affranchissement du
sol , les droits de chacun sur les propriétés communales sont
étudiés avec détail.
Avec le chapitre suivant, l'administration et la justice des
communes affranchies sont examinées dans leurs rouages et
dans leur fonctionnement. À la tête de la commune sont
placés un maire et des échevins {jurais ou hommes-quarante)
élus, sauf exceptions, par le suffrage universel à deux ou
trois degrés : peut-être pourrait-on conclure de la charte déli-
vrée en 1365 par le duc Robert de Bar à la ville de Pont-à-
Mousson , que le jus suffragii était reconnu aux femmes céli-
bataires ou veuves, placées à la tête d'un ménage? Mais M.
Bonvalot hésite avec raison , croyons-nous , à croire que le
moyen-âge ait ainsi devancé les revendications des émanci-
pateurs modernes. Le maire et les échevins , investis de l'ad-
ministration municipale et de la gestion des intérêts commu-
naux , sont en outre chargés , par délégation du seigneur, de
rendre la justice, en trois plaids généraux {parjurez), qui se
tiennent à des époques variables , suivant la région.
Le chapitre septième passe en revue tous les services , re-
devances , amendes dont sont tenus les bourgeois des villes
neuves envers le seigneur qui les a affranchis ; ils sont le prix
de leur liberté.
La loi de Beaumont ne se cantonne pas sur le terrain du
droit public; sur les 57 articles entre lesquels les commen-
tateurs la divisent ordinairement pour la facilité de leurs
474 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
explications, elle en consacre 28 au droit criminel et 11 au
droit civil. Le chapitre huitième traite des règles de droit et
de, procédure qu'elle édicté eu matière pépale et en matière
ciyile, et ces règles, complétées par certaines disposition?
de? chartes filiales de celle de Beaumont , jettent une pleine
lpmière sur l'organisation si défectueuse encore et parfois si
fc$4>are de la justice au moyen-âge.
Dans les deux derniers chapitres , le savant auteur suit la
loi de Beaumont depuis sa promulgation jusqu'à la Révolu-
tion française ; il examine l'influence qu'elle a exercée sur les
destipées du Tiers-État dans les pays qui en ont obtenu le
bénéfice ; il signale les atteintes nombreuses qu'elle a reçues
à partir du xve siècle et qui , attestant sa décadence , prépa-
rât son abrogation.
Un appendice, contenant plusieurs documents inédits , ter-
mine utilement ce beau livre , qui a sa place marquée dans lp.
bibliothèque de tous ceux qui aiment à chercher dans le pa?sé
le secret des institutions d'aujourd'hui ; nous lui souhaitons
un grand et durable succès.
André Weiss,
professeur agrégé à la Faculté de droit de Dijon.
Code de procédure pénale allemand du 1er février
1877, traduit et annoté par M. Fernand Daouin , avocat à la Cour
d'appel de Paris.
Un nouveau Code étranger vient de prendre place dans la
collection que préparent le Comité de législation étrangère et
la Société de législation comparée , c'est le Code de procédure
pénale allemand, l'une des quatre grandes lois générales qui
sont venues en 1877 établir l'unité législative dans tout l'Em-
pire d'Allemagne sur des matières d'une importance considé-
rable, l'organisation judiciaire , la procédure civile , la procé-
dure pénale et la faillite.
M. Daguin a fait précéder sa traduction du Code de pro-
cédure pénale d'une introduction magistrale qui nous a parti-
culièrement frappé. Il a cru , et avec grande raison , que « il
était difficile de se rendre un compte exact de l'étendue et de
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 475
la portée des réformes qu'a consacrées le nouveau Code sans
remonter en arrière et sans étudier l'état du droit criminel en
Allemagne, non-seulement au moment de sa promulgation,
mais encore dans les périodes antérieures. »
La première partie de l'introduction retrace sommairement
l'histoire de la procédure pénale allemande depuis les temps
barbares jusqu'à nos jours. Il était difficile de résumer plus
exactement et plus heureusement les différentes périodes
qu'a traversées l'instruction des procès criminels , de mieux
indiquer les modifications successives du droit allemand.
Pour rédiger ce premier chapitre, M. Daguin a mis à profit
les auteurs les plus consciencieux et les plus érudits , soit en
Allemagne, soit en France et en Belgique, notamment MM.
Eichorn, Zôpfl, Schulte, Esmeinet Thonissen.
La procédure pénale a passé en Allemagne, comme en
France et dans la plupart des États du continent européen,
par trois grandes phases successives.
Au début, elle est purement accusatoire. Le système se
maintient, quoique sensiblement modifié, pendant toute la
période que nous nommons féodale.
Au moyen-âge on voit naître en Allemagne deux institu-
tions dont l'une surtout est célèbre , le Gograviat et la Sainte-
Vehme.
Le Gograviat, c'est en quelque sorte la Lynch* $ Law, pra-
tique brutale où l'effervescence du moment remplace le calme
et la gravité de la justice et qui ne peut se comprendre que
par l'insuffisance des tribunaux réguliers due, dans le moyen-
âge, aux désordres des guerres féodales, dans l'Amérique
moderne, à la corruption de certains juges.
La même cause qui avait donné naissance au Gograviat
contribua au développement de la Sainte- Vehme, une des ins-
titutions les plus curieuses de l'ancienne Allemagne, asso-
ciation libre et secrète , dont l'existence était d'ailleurs offi-
ciellement reconnue et qui avait pour objet la répression des
crimes, tribunal mystérieux et redoutable dont la puissance
était presque illimitée au xve siècle, subie par les princes eux-
mêmes, mais dont l'autorité fut ruinée par ses propres abus
et par une organisation plus régulière de la justice au temps
de Charles-Quint. — D'ailleurs, dans les tribunaux vehmi-
476 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
ques, comme dans les juridictions ordinaires, on maintint en
Allemagne , pendant tout le moyen-âge , la division des fonc-
tions judiciaires entre le président et les assesseurs , comme
au temps du grafio et des rachimbourgs.
Les règles les plus importantes de la procédure dans les
tribunaux allemands du moyen -âge, M. Daguin a été les
rechercher directement dans les coutumes les plus célèbres,
le Miroir de Saxe et le Miroir de Souabe. C'est toujours le
principe « Wo kein KJager ist, ist kein Richter, » là où il n'y
a pas d'accusateur, il n'y a pas de juge; la preuve est faite
directement à l'audience par les parties qui recourent soit au
serment, soit aux cojureurs, soit à la preuve testimoniale (le
jugement de Dieu , sous ses deux formes , les ordalies et le
duel judiciaire , tomba de bonne heure en discrédit) : l'accusa-
tion et la défense se produisent publiquement à l'audience et
la condamnation est prononcée, à la majorité des voix, par les
assesseurs.
Les idées de codification générale se sont fait jour en Alle-
magne beaucoup plus tôt qu'en France, mais pour n'aboutir,
comme nous le verrons, que beaucoup plus tard. Dès la fin du
xve siècle, les États de l'Empire émettaient le vœu qu'une
ordonnance pénale générale vînt mettre l'ordre dans la con-
fusion des coutumes locales. Charles-Quint poursuivit l'idée
de doter l'Empire d'une législation pénale uniforme et il
réussit à faire voter en 1532, par la diète de Ratisbonne, l'or-
donnance criminelle bien connue sous le nom de la Caroline,
à laquelle avait servi de modèle l'ordonnance promulguée en
1507 parl'évêque de Bamberg. La Caroline, première loi de
l'Empire (du Saint-Empire romain!) en matière criminelle
a donc précédé de plus de trois siècles la seconde loi de l'Em-
pire sur les mêmes matières. Mais le sort de la Caroline a été
bien différent de celui des lois de 1870-77, car l'ordonnance
criminelle de Charles-Quint, malgré sa supériorité sur les
lois antérieures, ne fut point adoptée par tous les États et elle
ne constitua en définitive que « une sorte de droit subsidiaire
invoquée en cas de silence ou d'insuffisance du droit po-
sitif. »
La Caroline avait déjà subi l'influence du droit criminel
canonico-romain qu'elle avait cherché à combiner avec le
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 477
vieux droit germanique. La transformation des institutions
pénales s'accentua tous les jours davantage.
D'abord la composition des tribunaux se transforma; les
juges de profession se substituèrent peu à peu aux échevins
qui ne se maintinrent que dans quelques justices locales. En
même temps, la procédure revêtit un caractère de plus en
plus rigoureux et finit par devenir franchement inquisitoire ,
écrite et secrète, avec la théorie des preuves légales.
Depuis la Caroline jusqu'à la dissolution de l'Empire , on
ne trouve plus de lois générales, mais seulement des Codes
spéciaux aux différents États de l'Empire et inspirés plus ou
moins par l'esprit de rigueur qui prévalait depuis la dispari-
tion du système accusatoire.
Au cours du xviii6 siècle, les juristes allemands, secondés
par les universités protestantes et les philosophes , réagirent
vivement contre le droit issu des pratiques de l'Église. Grâce
à leurs efforts, la torture fut, dans la seconde moitié du
siècle, abolie ou restreinte dans la plupart des États de l'Em-
pire. Mais la procédure inquisitoriale subsistait. Les trois
principaux Codes criminels allemands rédigés au commen-
cement du xixe siècle, les Codes autrichien, prussien et ba-
varois, n'apportaient en réalité aucune innovation sérieuse.
Cependant les inconvénients du système inquisitoire n'é-
taient plus contestés. Plusieurs lois ou Codes furent rédigés
de 1843 à 1877, sous l'influence des idées françaises, en
Wurtemberg, en Prusse et dans le grand-duché de Bade. Mais
la Caroline restait encore en vigueur dans une partie consi-
dérable de l'Allemagne.
Le grand mouvement libéral de 1848 eut d'heureux résul-
tats relativement à la procédure criminelle. Dans la plupart
des États , les lois criminelles furent révisées dans le sens
des principes proclamés par l'assemblée de Francfort et en
prenant pour modèle notre Code français. Après une réac-
tion qui , dans certains États , aboutit à la promulgation de
lois rétrogrades, les idées libérales finirent par triompher
universellement et ce sont elles qui ont été consacrées dans
la loi d'Empire de 1877.
Nous n'avons pu, dans ces quelques lignes, donner qu'une
idée bien sommaire de l'évolution historique à laquelle M. Da-
478 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
guin nous fait assister dans son introduction. Quelque inté-
ressant que soit ce premier chapitre , sa leoture a fait naître
en nous le regret que l'auteur se soit borné à un simple ré-
sumé historique. Sans doute il lui était difficile, dans une
introduction, d'entrer dans plus de détails; mais nous lui
demandons de ne pas s'en tenir là et, g?ns abandonnera
législation comparée , de nous donner un jour le tableau 4$$
institutions qu'il a simplement esquissées , de faire , en un
mot, pour la procédure criminelle de l'Allemagne, ce que
l'un de nos collègues de Paris a si bien fait pour la Frange.
Le second chapitre de l'introduction nous fait assister à la
confection du Code depuis le 30 mars 1868.
Le troisième renferme l'exposé de l'organisation actuelle
des juridictions pénales en Allemagne, exposé nécessaire
pour ^intelligence du Code de procédure pénale, Code qui
ne contient que les règles de procédure sans s'occuper de la
composition ni de la compétence des tribunaux répressifs.
Enfin, dans un dernier chapitre, M. Daguin a heureuse-
ment résumé les principales dispositions du Code de 1877, ce
qu'il avait fait d'ailleurs, avec succès, dans l'Annuaire de
1878, mais à un point de vue moins élevé.
Nous arrivons maintenant à la traduction même du Code.
Comme exactitude elle ne laisse rien à désirer, ainsi que nous
avons pu le constater en vérifiant un certain nombre de textes.
Elle est, à notre avis, supérieure à la traduction officielle
publiée à Strasbourg en 1879 et notamment pour certaines
expressions allemandes comme Busse, Augenschein, M. Da-
guin a su trouver des équivalents français bien plus exacts
que le traducteur anonyme de Strasbourg.
Mais ce qui a attiré principalement notre attention , oe
sont les annotations dont le traducteur français a accompagné
le texte. Mettant à profit les documents parlementaires , les
commentaires et les traités allemands les plus importants ,
les recueils d'arrêts , il a rendu extrêmement facile l'intelli-
gence des textes parfois obscurs du Code allemand. Lorsque
se présente une disposition controversée, il résume très-exac?
ment en quelques lignes la portée et les solutions de la con-
troverse. Nous trouvons enfin des rapprochements intéres-
sants soit avec le droit antérieur, soit avec les Codes français
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 179
et autrichien. De sorte que les simples notes sont devenues
parfois, et nous ne nous en plaignons point, un véritable
commentaire.
Un appendice assez important renferme la traduction ou
l'indication des dispositions législatives qui servent de complé-
ment au Code de procédure pénale ou qui ont pour objet
d'assurer sa mise à exécution.
Nous possédons maintenant, traduits et annotés, trois des
Codes généraux de l'Empire d'Allemagne, le Code pénal
(publié dans V Annuaire de 1872), le Code de commerce et
le Code de procédure pénale. Si nous augurons du succès
des traductions en préparation par celui des traductions pa-
rues, nous pouvons dire que la Société de législation com-
parée et le Comité de législation étrangère auront rendu un
immense service au public de langue française en lui rendant
accessible la lettre et l'esprit de la législation du nouvel
Empire.
Ludovic Beauchet.
482 CHRONIQUE.
m'eût été bien facile de faire étalage d'érudition. Je n'avais
qu'à prendre parmi les travaux des auteurs français les cinq
études de Bouchaud, Y Histoire du droit romain de Ch. Giraud
et m'aider de YHistoire dès Édtts d'HehiecCius. Je n'ai pas cru
devoir entrer dans cette voie, mon livre s'adressant soit à des
romanistes à qui je n'avais rien à apprendre à ce sujet, soit
à des jeunes gens déjà avancés dans leurs études , à qui il
suffisait d'indiquer les sources.
Mais il m'est impossible de laisser sans réponse le reproche
de n'avoir fait consciemment qu'une œuvre de pure fantaisie,
et celui tout aussi grave d'avoir commis des erreurs maté-
rielles* et riiême de m'être rendu coupable d'hérésie^ juridi-
ques.
Lorsqu'on songe à restituer une œuvre perdue , on ne doit
pas espérer une reproduction absolument fidèle. Freinshemius
n'a pas eu , je le suppose , cette prétention , lorsqu'il a entre-
mis dé refaire les dix livres de Tite-Live qui ne nous sont1 pas
parvenus. Mais il n'y a pas de présomption excessive dans la
certitude de se rapproche*1 aussi près que possible de l'origi-
nal', l6rsqu- où se seH d'élédents dont l'authenticité erft indis-
cutable.
Or, si au point de vue qui nous occupe on étudie les Com-
mentaires de l'Édit perpétuel , il est facile de constater qiie
leurs attteurs; quand thr ont simplement analysé les textes au
lieu de les donner in extenso , les ont copiés , tout en les mo-
difiaùt le moins possible du reste pour les besoins de la dis-
cussion, et surtout eta écrivant à la troisième persbime du
présent ou du passé : Pr&tor mit, vohdt, vetat, au lieu de
parler comme le préteur, soit à la première du futur : Judicinm
ûabo , animwdvertam , vint fieri veto , soit à l'impératif : Exhi-
bent! Restituas!
Ranchin n'a pas , que je sache , laissé le secret de sa! mé-
thode ; mais si on compare les textes de sa restitution avec
ceux des Commentaires auxquels il renvoie , on voit qtrtl les
a simplement copiés pour la plupart , en leur rendant la forme
que les commentateurs avaient dû leur enlever en les ana-
lysant.
Prenons comme exemple (t. II, p. \U de mon livre) le
frag. 8 d'Ulpien D. De cond. inst. (28. 7), que signale M. May :
CHRONIQUE. 483
Voluit (Prxt&r) eum, ctoi sub jurisjurandi conditione quid
relietum est, ita capere ut capiunt hi quibus nulla talis juris-
jurandi conditio inseritur.
Voici le texte de Ranchin :
Eum y cui sub jutisjùranâi conditione quid relietum est, ca-
pere Sinam , ut capiunt hi quibus nulla talis jurisjurandi can-
Ûîtio iûsteritûr.
M. May dit dans une note que ce fragment, auquel je ren-
voie , prouve que le préteur n'a pas tenu le langage que je
lui prête et que ces termes sont de ma part une pure inven-
tion.
Convenez, Messieurs, que ce n'est pas à moi que ce repro-
che d'adressé, niais à... Ulpien. Dtl reste, ce texte n'est pas
de moi , il est , ainfei que je viens de le dire , de Ranchin , qili
a simplement remplacé le mot voluit d'Ulpien par le mot
sinam.
C'est également ain&i qu'a procédé Heinèccius , bien qu'il
soit infiniment plus osé que le professeur de Montpellier.
Je ferai la même observation pour les Constitutions impé-
riales qui ont visé FÉdit.
M. May me reproche dans une autre note, à propos du sé-
natus-consulte Velléien (t. I, p. 251 de mon livre), de n'avoir
pas hésité à attribuer sans réserve à l'Édit la latinité de la
chancellerie impériale , dans ce texte :
Si obligatio ex mulieris personâ calliditate creditoris sumpse-
rit primordium , exceptione SU VeUeiani contra petitores eam
defendijubebo.
Ce texte, dont j'avoue la paternité, a été copié par moi
presque textuellement dans la constitution 19 des empereurs
Dioclétien et Maximien, C. J. Set. Velleianum (A. 29). Or, je
suis convaincu que c'est dans ces termes qu'a parlé le préteur.
D'abord la langue n'avait pas encore subi de profondes al-
térations dans la seconde moitié du m6 siècle.
Ensuite et surtout , si on compare le texte des Constitutions
qui visent l'Édit perpétuel, même à une époque postérieure,
avec celui des chefs officiels de l'œuvre de Julien , ou avec ce
que l'on en sait de précis par les Commentaires , on voit que
les employés de la chancellerie impériale, chargés de la rédac-
484 CHRONIQUE.
tion de ces Constitutions , ont fait simplement ce qu'avaient
fait avant eux les commentateurs pour leurs analyses , et ce
que font et feront d'ailleurs les employés dans tous les temps
et tous les pays ; ils ont copié , tout en supprimant ce qui , à
leur époque , n'avait plus de raison d'être.
Comparez : Rudorff, § 105 et Dioclétien et Maximien, L.
12 C. J. Quod cum eo... (4. 26). — Ulpien, L. 11, 13 D. De
act. rer. amot. (25. 2) et Dioclétien et Maximien. C. J. Rerum
amotarum (5. 21) — et surtout Rudorff, § 179 et Dioclétien et
Maximien, L. 1. C. J. De libérait causa (7. 16)...
Je pourrais multiplier les exemples, mais à quoi bon in-
sister?
Enfin (et ici je me reconnais coupable , non d'une hérésie ,
mais d'un simple lapsus calami qui , je l'avoue , justifie la cri-
tique de M. May), il me reproche le mot condemnabo placé à
la fin de la disposition relative ,à Yargentarius, qui n'a pas
fait la compensation (t. I, p. 276 de mon livre) :
Si argentarius intentione compensations non factâ pins inten-
dot sibi dan oportere quàm debeatur, condemnabo.
La plus petitio encourue , le sévère professeur de Nancy a
raison de le dire, ne s'est jamais exprimée sous la forme
condemnabo , parce que la condemnatio n'atteint jamais , sauf
de très rares exceptions , le demandeur.
Mais je ne pouvais pas employer les mots qui suivent dans
le texte de Gaïus et dire : Causa codât! parce que ce n'est pas
là assurément le style du préteur. J'aurais dû écrire : Judicium
non dabo, ou plutôt summovebo que je préférerais dans l'es-
pèce; et le mot condemnabo est tombé de ma plume, en atten-
dant, comme l'observe en riant M. May, que je me contredise
dans le Commentaire.
Toutefois mon juge me permettrait-il de plaider les circons-
tances atténuantes?
Ne confond-il pas quelque peu le jus et le judicium?
Que l'on ne puisse pas concevoir une formule d'action de-
vant entraîner la condamnation du demandeur in judicio, rien
de plus vrai. Mais il ne s'agit pas d'une formule d'action à
délivrer, nous parlons d'un édit destiné à prendre place dans
V Album et à prévenir YargentaHus qu'il perdra son procès,
CHRONIQUE. 485
sa créance, qu'il sera condamné en définitive, s'il ne fait
pas d'avance la compensation. D'un autre côté , quand un de-
mandeur, ici YargentarixiSy se présente in jure et demande
qu'on lui délivre une formule , en présentant une intentio qui
ne comprend pas la compensation et que le préteur la lui re-
fuse sur l'observation du défendeur, ce refus n'équivaut-il pas
à une condamnation? Ce demandeur débouté n'est-il pas par
là même condamné? Mais je reconnais que le mot condemnabo
n'est pas correct.
J'ajouterai que je regrette infiniment de n'avoir pas offert à
la critique de M. May une œuvre scientifique. Hélas ! chacun
dans ce bas monde fait ce qu'il peut. Je ne suis pas un savant,
Je ne le sais que trop. Aussi , pénétré de mon ignorance , j'ai
voulu simplement offrir aux hommes d'étude et mettre entre
les mains des jeunes gens qui préparent leurs derniers exa-
mens, une édition de YÉdit perpétuel, qui a été après la loi
des Douze-Tables le monument de législation le plus impor-
tant du monde romain, et dont le Commentaire, M. May le
reconnaît, peut remplacer, non sans quelque profit, un Com-
mentaire des Pandectes.
Assurément je ne garantis pas l'exactitude des textes. J'en
ai restitué un certain nombre , j'en ai beaucoup emprunté à
Ranchin , quelques-uns aussi à Heineccius. Il me suffit que ,
suivant la propre expression de M. May, cet essai mette bien
en relief le caractère de l'Édit perpétuel , et par là jette une
pleine lumière sur les procédés employés pour donner au
vieux Droit civil plus de souplesse et de portée.
Je ne me suis jamais dissimulé que je m'aventurais sur le
terrain toujours glissant des hypothèses , comme l'a observé
M. Henri Brocher ; mais j'ai été encouragé dans cette entre-
prise par l'autorité de Pothier, qui attachait une telle impor-
tance à l'Édit perpétuel et tenait en si grande estime la resti-
tution de Ranchin, qu'il l'a publiée et annotée dans sa grande
édition des Pandectes , ne la considérant pas , je suppose ,
comme une œuvre de pure fantaisie. J'ai aussi pensé qu'il
était utile de vulgariser en France le plan de l'ouvrage de
Rudorff, qui, dans sa forme simple , est à mes yeux une œuvre
de premier ordre , bien que n'offrant pas les développements
qu'a donnés M. Otto Lenel.
Nouvelle revue hist. — Tome VIII. 32
486 CHRONIQUE.
J'espère , Messieurs , que vous voudrez bieu insérer cette
lettre dans le prochain cahier de la Bévue que vous dirigez,
ce dont je vous remercie d'avance,
Et je vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la
plus distinguée.
Louis JOUSSBRANDOT,
profantir à la Ronlté de Droit 4c llïûfaraité ds Gaèn.
Genève, M mai 1884.
•
* *
M. May, sur la communication de la lettre de M. Jousseron-
dot, nous a adressé la réponse ci-dessous :
A Messieurs les Directeurs de la Nouvelle Revue histori-
que DR DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER.
Messieurs ,
Je ne puis laisser passer sans réplique la lettre que vous
adresse M. Jousserandot. L'honorable professeur a beau se
défendre d'être un savant, et vouloir rabaisser outre mesure
la valeur de son livre. Je ne le suivrai pas dans cette voie de
dénigrement où l'excès de modestie désarme forcément la
critique.
Mes observations ont avant tout visé le mérite du système
de restitution adopté par le commentateur de l'Édit. Ce qae
j'ai reproché à l'auteur, et ee reproche je le maintiens dans
son entier. C'est, non pas, comme il semble le croire, de s'être
aventuré sur le terrain glissant « des hypothèses, » mais de
dous y engager à sa suite sans nous en prévenir, et surtout
d'avoir trop souvent fait parler au Préteur une langue qui
a' était pas la sienne. Les exemples que j'avais cités m'avaient
paru suffisants pour mettre en relief les inconvénients du
procédé divinatoire employé par M. Jousserandot. J'aurais pa
sans peine les. multiplier. En vain , l'honorable professeur es*
saie-t-il de justifier sa méthode en invoquant le nom des sa-
vants anciens qui l'ont appliquée. N'est-il pas permis de pen-
CHRQMQUB. 487
se* que «es autorités ont un peu vieilli, et la science, mémo
la raina ambitieuse % a Vt-elle pas d'autres exigences aujour-
d'hui que du temps des Ranchin et des Heineccius? Je doute
fort en tous cas que ceux-ci eussent volontiers pris sous leur
patronage la mention bien inattendue de 1' « actio rei vindica-
tione » (I, p. 154), la rubrique du titre du louage au Digeste
ainsi formulée : De locati conducti (I, p. 39Q ; H, p. 618), et la
formule de Y actio empti donnée à deux reprises dans les ter-
mes suivants : « Quod As As de N° N° fundum capetanum
» emptus est » (I, p. 63 ; II, p. 572).
Quant au Commentaire en lui-même , si la méthode n'en est
pas absolument impeccable et la doctrine toujours parfaite-
ment sûre (1), on ne peut nier qu'il ne contienne une somme
de consciencieuses recherche». Nous n'avons pas attendu la
réponse de M. Jousserandot pour le reconnaître. Nous aurions
pu nous borner à eette bienveillante constatation si nous noua
étions contenté de jeter sur l'ouvrage un coup d'œil sommaire
ou distrait. Mais nous avons pensé qu'un Commentaire de
l'Édit du Préteur méritait un examen plus approfondi, et
l'auteur a pu se convaincre par le nombre et la vivacité même
de nos critiques que son livre n'est pas de ceux auprès des-
quels on passe indifférent.
Recevez, Messieurs, l'assurance de ma considération la
plus distinguée.
Gaston May,
professeur à la Faculté de Droit de Nancy.
*
L'Académie des Inscriptions et Belles -Lettres, dans sa
séance du 20 juin dernier, a décerné le grand prix Gobert à
M. Paul Viollet, bibliothécaire de la Faculté de droit de Pa-
ris, pour le premier fascicule de son Précis de V histoire du
droit français; et dans sa séance du 27 juin elle a accordé la
troisième médaille du concours des Antiquités nationales à
(1) Noos citerons tout particulièrement la définition suivante de Y action
PubUcienne. « Le Préteur considère comme accomplie une usucapion qui ne
» l'était pas et il accorde Yaction en revendication, rei vindicatio (I, p. 103).
488 CHRONIQUE.
M. Charles Mortel, bibliothécaire de l'Université à Bordeaux,
pour son édition du Livre des constitutions démenées du Chas-
tellet de Paris.
*
L'Académie des Sciences morales et politiques a décerné à
M. Mispouiet le prix Kœnigswarter pour son ouvrage sur Les
institutions politiques des Romains.
*
Nous signalons aux lecteurs de la Revue la publication du
9e fascicule du Dictionnaire des Antiquités grecques et ro-
maines. On y trouvera nombre d'articles intéressant l'histoire
du droit et des institutions. Nous recommandons notamment
les articles Comitia et Colonia de M. Humbert.
NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
OS
DROIT FRANÇAIS ET ÉTRANGER
DE LA
FACULTÉ ACCORDÉE A L'HÉRITIER
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION
ÉTUDE HISTORIQUE
Les rédacteurs du Code civil ont, dans l'article 790, ac-
cordé à l'héritier majeur qui a renoncé à la succession à la-
quelle il était appelé, la faculté de revenir sur sa renonciation
tant qu'il ne l'a pas perdue par la prescription ou par l'accep-
tation d'un autre héritier. Cette décision n'est plus en harmonie
avec les principes qui régissent les actes faits par les majeurs
en général, ni avec celui de la saisine découlant de l'effet ré-
troactif donné à la renonciation dans les articles 785 et 786.
Un majeur ne peut revenir sur un acte librement et vala-
blement fait. Ici, particulièrement, la loi lui donne les moyens
de s'éclairer, le temps pour réfléchir et délibérer, lui permet,
tout en acceptant la succession, de mettre son patrimoine à
l'abri des créanciers héréditaires; exige la publication de la
renonciation sur un registre spécial tenu dans les greffes, pré-
cisément pour en assurer l'efficacité vis-à-vis du renonçant et
Rkvob hist. — Tome VIII. 33
490 DE LA FACULTÉ ACCORDEE A L'HÉRITIER
de tous intéressés. Si la renonciation se trouve avoir enlevé à
l'héritier une succession qui n'est pas si mauvaise qu'il l'avait
pensé , il n'est pas lésé dans ses propres biens. Or, la lésion
même dans ses propres biens , ne lui permet pas de revenir
sur l'acte qui l'a causée. Voilà la règle écrite dans l'article
1118. Il n'y a que deux exceptions : pour le partage dont l'é-
galité est la base (art. 887), et la vente d'immeubles, lorsque
le besoin d'argent a forcé à vendre à vil prix la lésion étant
énorme , on considère la volonté du vendeur comme n'ayant
pas été libre (art. 1674). Encore, dans ces cas exceptionnels,
le majeur ne peut revenir sur l'acte lésionnaire que par voie
de rescision, en soumettant la question au juge libre de rejeter
la demande si elle ne lui paraît pas suffisamment justifiée. Dans
celui qui nous occupe , la seule volonté de l'héritier qui a agi
librement après mûre délibération pourra annuler un acte pu-
blié qui ne lui a causé aucun préjudice dans ses propres biens.
Le majeur est mis dans l'article 790 sur le même pied que
le mineur dans l'article 462. Autre dérogation aux principes
posés dans les articles 1118, 1123, 1125.
Enfin, et c'est la plus grave dérogation, la faculté accordée
à l'héritier de revenir sur sa renonciation , permet à une per-
sonne devenue étrangère à la succession, d'enlever, par
sa seule volonté la propriété et même la possession de cette
succession à ceux qui en sont investis de plein droit à son dé-
faut (art. 785, 786, 724).
Comment donc les rédacteurs du Code ont-ils été amenés à
de pareils résultats? Par suite d'une mauvaise interprétation,
et d'une application abusive du droit romain dans notre an-
cienne France.
Nous laissons de côté le cas de prescription visé le premier
dans l'article 790, pour ne nous occuper que du second, l'es-
pèce d'énigme placée par les rédacteurs dans l'article 789, a
la même origine historique. Nous pourrons y revenir dans un
autre article.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 491
DROIT ROMAIN.
En dehors de l'institution avec crétion, qui laissait jusqu'au
dernier jour qui lui avait été assigné, l'institué libre de revenir
sur la détermination qu'il avait prise (1), l'héritier externe ma-
jeur ne pouvait revenir sur sa renonciation librement con-
sentie (2).
La restitutio in integram était accordée aux mineurs de 25
ans par application de la règle générale. La crétion d'abord
supprimée dans certaines successions (3), finit par être complè-
tement abolie (4). Elle n'existait plus depuis la constitution de
Théodose donnée en 407.
Il ne pouvait être question de renonciation pour les héritiers
nécessaires qui, pour prix de leur liberté, devaient prendre
sur leur personne ïignominia de la vente des biens du défunt
par ses créanciers (5). Ils pouvaient seulement mettre ceux qu'ils
acquéraient dans l'avenir, à l'abri de leurs poursuites par le
bénéfice de séparation qui leur était accordé par le préteur sur
leur demande, dans la même forme que celui de séparation des
patrimoines aux créanciers héréditaires (6).
Les héritiers siens et nécessaires acquéraient aussi l'héré-
dité sive velint, sive nolint (7). Ils étaient considérés, nous dit
Paul, comme continuant un domaine qu'ils avaient du vivant
de leur père. On pouvait dire qu'il n'y avait pas pour eux en
quelque sorte de succession, mais que la mort de leur père
faisait passer entre leurs mains la libre administration et le
droit de disposition de leurs biens (8) . Ils restaient donc héritiers
(1) Gaius,U, 166 et 168. Ulp., Reg., XXII, 30.
{2)Gaius, II, 169. Ulp., XXII, 29. L. 13, D., De adq. velomiti. hercd., XXIX,
2. L. 4, C, Derepud. vel abtt. hered., VI, 31.
(3) C. Theod., De maternit bonis et materni generis et cretionetublata, VIII,
18. De cretione vel bon. pose., IV, 1, et Gothof. hic.
(4) L. 17, C. Jast., De jure deUb., VI, 30.
(5) Gains, II, 154. Ulp., Reg., XXII, 24. In* t., § 1, De hered. quai et diff. et
Theoph. hic.
(6) L. 1, § 18, D., De séparât., XLII, 6.
(7) Gains, II, 157. Intt., De hered. quai, et di/f., § 2 .
(8) L. 11, D., De liber, et potth., XXVIII, 2. — L. 57, D., 0e adq. velomitt.
hered., XXIX, 2.
t »_ . _ ».
492 DE LA FACULTE ACCORDEE A L HERITIER
jure avili et ne pouvaient se dépouiller de cette qualité par
une renonciation , ni en éviter les conséquences. Ici encore , le
préteur venait à leur secours s'ils s'abstenaient de toucher à
l'hérédité, ne s'y immisçaient pas, et tant que cette abstention
durait (1). Ce secours prétorien, qualifié par les interprètes de
bénéfice d'abstention, n'était ni demandé ni obtenu comme celui
de séparation. Il résultait de la seule abstention de l'héritier
contre lequel le préteur ne délivrait pas d'actions aux créan-
ciers héréditaires (2), mais il leur permettait de faire vendre les
biens du défunt. Nous n'avons pas à nous occuper de la ques-
tion controversée de savoir à qui incombait la preuve de l'abs-
tention , nous la supposons prouvée. Quel en était le résultat
au point de vue de la position de l'héritier qui s'était abstenu?
Restait-il héritier, ou les biens étaient-ils dévolus à ceux qui
les devaient recueillir à son défaut? Pouvait-il les reprendre?
Le père pouvait faire sortir son fils de la classe des héri-
tiers obligés par la loi à recueillir sa succession en l'instituant
sous la condition si volet et lui substituer une personne qui ,
dans le cas de renonciation à la succession , la prenait à sa
place (3). Le fils étant alors assimilé à l'héritier externe, ne
pouvait revenir sur sa renonciation s'il était majeur de 25 ans.
La question de savoir ce que devient la succession après l'abs-
tention de l'héritier sien ne peut s'élever qu'autant qu'il n'y
a pas de substitution liée à l'institution si volet qui le fait pas-
ser dans la classe des héritiers externes. Elle était déférée au
cohéritier s'il y en avait, par droit d'accroissement (4). A
défaut de cohéritier, à l'héritier du degré subséquent (5).
On sait que les préteurs, au moyen des possessions de
biens, corrigeant les imperfections du système successoral
de la loi des Douze-Tables , en avaient organisé un complet
dans YEdictum successorium où il nous est présenté dans son
ensemble (6). Le double but, atteint dans l'édit successoral,
(1) Gains, II, 158. Inst., § 2, De hered. quai, et diff.
(2) L. 57, D.,0e acquir. vel omit t. hered., XXIX, 2. L. 12, eod.
(3) LL. 86 et 69, D., De vulg. etpup.subsi., XXVIII, 5.
(4) L. 55, D., De adq. vel omtit. hered., XXIX, 2. L. 44, D., De re judi-
cata, XLII, 1.
(5) L. 2, §§ 8 et 14, D., Ad te. TertyU., XXVIII, 17.
(6Ï De succes$orio edicto, D., XXXVIII, 9. QuU ordo in possess. servetur,
D. XXXVIÏI, 15.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 493
était de ne pas laisser au moins trop longtemps les succes-
sions sans maître, ni les créanciers héréditaires qui pou-
vaient, dans ce cas, se faire envoyer en possession des biens
du défunt , ou le fisc à qui revenaient les biens vacants , dans
l'incertitude (1). Pour cela, le préteur avait multiplié le
nombre de ceux à qui il accordait la possession de biens , en
leur imposant, pour la demander, un temps assez court passé
lequel ils perdaient le droit de la demander, acquis à ceux du
degré subséquent , comme au cas de répudiation de l'héritier
le plus proche (2). Ce délai d'une année utile , à partir du
décès, pour les enfants et leur père, n'était que de cent jours
aussi utiles quibus scies poterisque pour les autres successeurs.
Seulement , les héritiers siens qui n'avaient pas demandé la
possession de biens unde liberi pouvaient revenir en première
ligne dans l'ordre suivant unde agnati et ainsi de suite (3).
Si, au cas où ils s'étaient abstenus, personne n'avait demandé
la possession de bieos , le préteur envoyait sur leur demande
les créanciers en possession des biens héréditaires qu'ils ven-
daient. Le refus d'accepter la possession de biens, offerte par
le préteur in jure à l'héritier ordinairement sur leurs pour-
suites, avait le même effet que la répudiation (4) ou l'expira-
tion du temps accordé. Jusqu'à cette vente par les créanciers,
l'héritier sien qui s'était abstenu, pouvait faire cesser l'effet
de son abstention soit en s'immisçant, soit en demandant la
possession de biens au préteur qui lui accordait môme le tem-
pus deliberandi pendant lequel les créanciers devaient sur-
seoir (5). Aucune autre limite que celle de la vente des biens
n'était , dans le droit classique , fixée à l'héritier sien pour re-
venir sur son abstention. 11 est bien entendu qu'il ne fallait
pas qu'un autre successeur eût obtenu la possession de biens ;
les nombreux textes que nous avons cités sont formels. 11 ne
saurait d'ailleurs être question de la vente des biens lorsqu'il
(1) L. 1, pp. et § 6, D., De tucccst. ediclo.
(2) L. 1, §§ 6, 8, 10 eod.
(3) §§ il et 12 eod. L. 2, D., Qui* ordo in pose., XXXVIII, 25, pour le
temps utile.
(4)/Wei.,§§ 11 et 6.
(5) L. 8, D., De jure delib., XXVIII, 8. L. 6, C.t De repud tel abst. hered.,
VI, 31.
494 DE LA FACULTÉ ACCORDEE A L'HERITIER
y a un successeur devenu débiteur sur ses propres biens des
créanciers héréditaires , surtout à une époque où la vente de
l'hérédité se faisait en bloc au bonorum emptor (1). Il fallait
pour cela qu'elle fût vacante. Gaïus est on ne peut plus expli-
cite à cet égard : Mortuorum bona veneunt , velut eorum quitus
certum est neque heredes neque bonorum possessores, neque
ullum alium justum successorem existera (2). Je ne m'arrêterai
donc pas à réfuter l'opinion de ceux qui ont prétendu que
l'héritier sien pouvait reprendre la succession à ceux qui l'a-
vaient acceptée à son refus. Cela ne pouvait être que l'effet
de la reslitutio in integrum accordée pour violence ou au cas
de minorité. Ici, il n'y avait qu'un simple changement de vo-
lonté dans la personne de l'héritier. Cette première erreur de
quelques-uns de nos auteurs français a amené , comme nous
le verrons , celle qui a été consacrée législativement par les
rédacteurs du Code. Elle a sa source dans une confusion entre
le droit civil et le droit prétorien.
Justinien , dans une de ses cinquante décisions , probable-
ment dans l'intérêt du fisc, corrigea l'ancien droit, en limi-
tant le temps pendant lequel l'héritier sien pourra revenir sur
son abstention. S'il était majeur de 25 ans à l'ouverture de
la succession, il n'aura que trois ans pour revenir sur son abs-
tention. Il ne change rien aux autres conditions. Donec res
patentas in eodem statu permanent. Pas de reprise possible si
les biens ont été vendus.
Si l'héritier sien , au décès , est mineur de 25 ans ou dans
les quatre années qui suivent cet âge , remplaçant l'ancienne
année utile pendant laquelle la restitutio in integrum pouvait
être demandée, les trois ans ne commenceront à courir qu'à
l'expiration de ces quatre là, c'est-à-dire quand l'héritier aura
29 ans. Si les biens paternels ont été vendus pendant la mi-
norité de l'héritier sien , et qu'il obtienne la restitutio in inte-
grum dans le temps où elle peut être obtenue , c'est-à-dire
avant sa 29e année accomplie, il pourra même reprendre ces
biens entre les mains des tiers. C'est l'effet général de la
restitutio in integrum; mais quand elle ne peut plus être obte-
(1) Gaîut, III, 78 et s., Insl. de suce, subi., III, 12.
(2) Gaïus, ibid.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 495
nue, dans les trois ans qui suivent , la seule volonté de l'hé-
ritier ne peut avoir d'effet contre les tiers (1).
En nous résumant : dans le dernier état du droit romain,
en dehors du cas de restitution pour minorité , violence , l'hé-
ritier sien , seul , pouvait revenir pendant trois ans sur son
abstention rébus adhuc integris. 11 n'en pouvait être question
pour l'héritier nécessaire. L'héritier externe majeur ne pou-
vait jamais revenir sur sa renonciation (2).
La position faite à l'héritier sien s'explique très bien, puis-
qu'il restait héritier aux yeux du droit civil, s'il s'abstenait,
son titre lui restant , il n'avait qu'à ne plus s'abstenir pour
faire cesser l'état dans lequel se trouvait la succession offerte
par le préteur aux autres héritiers qui ne la prenaient pas, les
créanciers n'ayant pas encore vendu les biens. Rien de plus
logique; c'était rentrer dans les principes du droit civil au
lieu de s'en écarter.
ANCIEN DROIT FRANÇAIS.
Pays de droit écrit.
En France, il ne pouvait être question d'héritiers néces-
saires, l'esclavage y étant inconnu.
On n'y connaissait pas non plus les héritiers siens et né-
cessaires. La maxime, il ne se porte héritier qui ne veut,
écrite dans l'article 316 de la Coutume de Paris, était suivie
aussi bien en pays de droit écrit qu'en pays de coutume (3).
Il semblerait dès lors que la faculté de revenir sur leur abs-
tention ou renonciation , accordée aux enfants du défunt res-
tés héritiers nécessaires aux yeux du droit civil romain , dut
disparaître avec sa cause , puisque la renonciation leur enle-
vait chez nous la qualité d'héritier même avec effet rétroactif
au jour du décès. Néanmoins, il n'en était pas ainsi dans
les pays de droit écrit. Tous les auteurs nous attestent que
(1) Loi 6, C, Derepud. vel abtt. hered., VI, 31.
(2) L. 4, C, eod. L. 13, D., De aeq. vel omU. ker., XXIX, 2.
(3) Boutaric et Serres , ha t. sur le § 2, De hered. quai, et dif. Julien,
Élém. dejurwp,, 1. II, tit. xu, n° 11.
496 DE LA FACULTE ACCORDÉE A L'HERITIER
la loi dernière au Code De rep. vel abst. hered. y était suivie
pour les descendants du défunt, sans distinction entre les
émancipés ou non, dans la succession de la mère comme
dans celle du père, parce que la Novelle 118 ne tenant plus
compte que des liens du sang, avait mis tous les descendants
sur la môme ligne sans s'arrêter à la puissance paternelle.
Si on ne les tenait plus pour héritiers nécessaires, on con-
tinuait à les regarder comme héritiers siens, et la décision
de Justinien ne mentionnant que cette qualité dans la loi 6,
C, De repud. vel abst. hered. si quis suus hères, etc.; elle
leur était appliquée (1). La reprise de la succession par les
enfants , disait-on , doit être favorisée ; elle est aussi , ajoute
Henrys , dans l'intérêt des créanciers héréditaires qui trou-
vent un débiteur.
Telle était la jurisprudence des parlements de droit écrit.
Des arrêts auraient même beaucoup étendu la décision de
Justinien. Si nous en croyons Lapeyrière , celui de Bordeaux
donnait trente ans au lieu de trois (2). Celui de Toulouse en
aurait rendu un dans le même sens , non plus au proGt d'un
enfant, mais d'un neveu revenant sur la renonciation faite
par sa tante, au dire de Fromental (4). Mais les autres au-
teurs de ces pays ne parlent que de trois ans et des descen-
dants du de cujus lorsqu'elle avait été faite librement par un
majeur, ce qui n'était peut-être pas le cas visé dans les arrêts
cités (3). Lorsque la renonciation avait été faite par un mi-
neur ou pour lui par son tuteur, même avec les formalités
requises, on lui accordait conformément à la doctrine ro-
maine la restitution , seulement , les quatre années après la
majorité pour la demander ayant été portées à dix par l'ar-
ticle 134 de l'ordonnance de Yiilers-Cotterets (août 1539), ce
n'était qu'à partir de l'expiration de ces dix années que com-
(1) Montvallon, Tr. des suce., ch. III, art. iz, 1. 1, p. 146. Furgole, Tr. des
tesUm., ch. X, sect. 2, n°» 50 et s. Bretonnier, sur Henrys ,1. VI , quest.
uzn, n°* 10 et s. Julien, Élém. de jurisp., 1. II, tit xn, n° 19. Fromental, Dé-
cis, y ° Héritier. Lapeyrière, Décis, v° Répudiation. Despeisses, Des succes-
sions, part. III, tit. i, sect. 11, n° 9 duodecimo.
(2) et (4) V. ces deux auteurs aux endroits cités.
(3) V. notamment Furgole qui traite la question Test., ohap. X, sect. 2f
no 57.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 497
mençait le délai de trois ans pour reprendre la succession sans
restitution (1).
La loi 6, C, De rep. vel abst. hered. n'accordait à l'héritier
sien majeur qui avait renoncé à la succession le droit de la
reprendre qu'autant que les biens n'avaient pas encore été
vendus , mais ne s'expliquait pas nettement sur le cas où elle
aurait été acceptée par un autre. De là une question qui,
des romanistes , s'était perpétuée chez les auteurs du pays de
droit écrit. La succession pouvait-elle être reprise lorsqu'elle
avait été acceptée par d'autres héritiers? Nous avons déjà
résolu cette question née de la confusion faite entre le droit
civil et le droit prétorien , en refusant à l'héritier le droit de
revenir sur son abstention ou sa renonciation lorsqu'un autre
avait été envoyé en possession par le préteur. C'est ce qui
ressort de l'édit successoral clairement exposé par Ulpien et
de deux lois qui n'en sont que l'application (2). Telle était
aussi la doctrine admise en pays de droit écrit par les au-
teurs les plus corrects. On n'y permettait pas à l'enfant qui
avait renoncé librement en majorité à la succession paternelle
de la reprendre lorsqu'elle avait été acceptée par un autre (3).
Une autre question était celle de savoir si l'héritier de celui
qui avait renoncé à la succession paternelle pouvait user du
droit du défunt. La question était généralement décidée par
la négative, parce que cette faculté de revenir sur sa renon-
ciation était un privilège personnel aux enfants du défunt.
Furgole fait une exception pour les descendants de l'héri-
tier (4).
Pays de coutume.
La question de savoir si le privilège accordé aux descen-
dants du défunt de revenir sur leur renonciation faite libre-
(1} Furgole, ibid. et dm 54, 57 et 63. Il observe que la prescription de
trente ans ne pourrait s'appliquer, les choses restant entières , qu'autant que
le fils se serait abstenu purement et simplement sans renoncer expressément
ou en faisant quelque acte contraire à la qualité d'héritier, n° 66.
(2) D. XXXVIII, 9, De suecessor. edicio, L. ult., D., De adquir. velmitt.
kered., XXIX, 2. L. 6, § 1, D., Ad te. Tertyll, XXXVIII, 17.
(3) Furgole, Test., ch. X, sect. 2, n° 16. Lapeyrière , v° Répudiation. Do-
mat, L. civiles, part. 2, liv. I, tit. m, sect. 4, art. 4.
(4) Test., ch. X, sect. 2, n° 61.
498 DL LA FACULTÉ ACCORDÉE A L'HERITIER
ment en majorité y devait être admis , était très controversée.
Le droit romain n'y faisant pas loi , la puissance paternelle
avec les effets qu'il lui donnait y étant inconnue, cessant
d'ailleurs à la majorité et par le mariage, on n'y pouvait com-
prendre des héritiers siens et encore moins nécessaires, puis-
que la maxime coutumière était que nul ne pouvait être
héritier sans sa volonté. Ceux qui voulaient appliquer la loi
romaine et permettre aux descendants qui avaient en majorité
renoncé librement à la succession paternelle , de la repren-
dre, s'appuyaient sur la faveur que méritent les descendants
du défunt. « C'est faveur plus que vrai droit, mais très juste
» faveur, trop juste pour pouvoir être rejetée, » nous dit
Bourjon (1).
Le premier président de Lamoignon , dans les arrêtés pris
pour rendre uniforme la jurisprudence, restés à l'état de
projet , déclarait « les enfants qui renoncent en majorité à la
» succession de leurs pères et mères et autres ascendants
» restituables dans trois ans à compter du jour de la renon-
» dation, supposé même qu'il n'y ait aucun dol, fraude,
» surprise, erreur ou ignorance; et néanmoins les procédures
» et autres actes faits de bonne foi pendant les trois ans contre
» ceux qui étaient en possession de la succession , demeurent
» en leur entier, sans que les créanciers en puissent souffrir
» aucun préjudice (2). » Tous les auteurs qui admettent en
pays de coutume les descendants à revenir, aux termes de la
loi romaine, sur leur renonciation, n'en donnent d'autre raison
que la faveur qu'ils méritent et s'appuient sur quelques ar-
rêts du xvne siècle du seul parlement de Paris, qui, même,
ne peuvent pas s'appliquer directement à la question.
Bretonnier nous apprend que cette jurisprudence avait
changé. « Quand je suis venu au palais (il avait été reçu avo-
» cat à Paris en mars 1678), cette jurisprudence était cer-
» taine : quand j'étais jeune avocat, je suivais les audiences
(1) Droit corn, de la Fr., lit. XVII, Des succès s. t ch. XIII, sect. 1, § 6,
nM 22 et s. Dans le même sens, Brodeau, Cowtn. sur la Coût, de Parie, pré-
face du lit. de la Prescription, t. II, p. 242. Boucheui, Des conv. de suce.,
ch. XXI, n<>* 9 et s. Ferrières, Corps el comp. sur l'article 316 de la Coût.
de Pâtis, Henrys, loi 6, quest. 62.
(2) TU. des proscriptions rédigé en 1663 et 1664, art. 21.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 499
» du Chàlelet où je l'ai va juger ainsi plusieurs fois. Je l'ai
» aussi vu jugera l'audience de la Grand'Chambre; l'arrêt
» fut rendu au rôle de Paris, le 27 mai 1687. Mais depuis
» environ dix ans (il écrivait cette observation vers 1708), la
» jurisprudence a changé. Ce changement est fondé sur ce
» que Ton prétend que le motif de cette loi (6, C, De rep. vel
» abst. hered.) est établi sur la puissance paternelle, parce
» qu'il est dit si quis 6uus recusaverit hereditatem , et que
» ce mot mus ne peut s'entendre que d'un fils qui est en
» la puissance de son père , d'où l'on induit que les enfants
» émancipés n'avaient pas le même privilège. Or, comme en
» pays de coutume, la majorité seule émancipe, cette loi ne
» peut convenir aux enfants ayant renoncé étant majeurs (1).
Lebrun qui n'admet pas dans les pays de coutume les des-
cendants à revenir sur leur renonciation discute très au long
et très bien la question (2). Voici le résumé de ses argu-
ments. La base sur laquelle repose la doctrine romaine
n'existe pas en pays de coutume. Pas d'héritiers siens; pas
de puissance paternelle d'où découle cette qualité pour l'hé-
ritier majeur qui en est justement libéré par sa majorité et
même avant par son mariage. Pas d'héritiers nécessaires res-
tant toujours héritiers malgré leur renonciation aux yeux du
droit civil séparé d'un droit prétorien. On ne renonce pas à
une succession sans connaissance de cause , les délais pour
faire inventaire et délibérer sont accordés chez nous aux
descendants comme aux autres héritiers; tous sont mis sur
le même plan, admettre les enfants à revenir sur leur renon-
ciation c'est prolonger pour eux ces délais à trois ans. Chez
nous , l'enfant ne peut-il pas se mettre à l'abri des dettes par
le bénéfice d'inventaire ! C'est ouvrir une source de procès.
Il discute ensuite la valeur des arrêts invoqués dans l'opinion
contraire rendus par le seul parlement de Paris, dans les-
quels la renonciation avait été annulée pour cause de dol
pratiqué par l'un des héritiers ou par suite de minorité.
« Aussi, dit-il, la question s'étant présentée à l'audience du
» matin le vendredi 29 juillet 1701, plaidans maître Moreau
(i) Obs. sur Henry s, liv. VI, quest. 62.
(2) Suce, liv. III, cli. vm, sect. î>, u°» 413 et s.
500 DE LA FACULTE ACCORDEE A L'HERITIER
» et de Lombreuil, M. l'avocat général Portail portant la pa-
» rôle , fit renaître dans le ministère public , des principes
» bien opposés à cette routine du Palais qui décide souvent
» des questions sans aucun fondement, et dont on ne peut
» pas s'empêcher de rougir quand on en trouve la source ; et
» M. le premier président prononçant l'arrêt débouta de la
» restitution demandée dans les trois ans contre une renon-
» ciation faite en majorité. »
C'est le changement de jurisprudence signalé par Breton-
nier. L'auteur de l'article , Héritier, au Répertoire de Merlin,
sect. 2, § 2, repousse aussi très vigoureusement l'introduc-
tion en pays coutumier du privilège accordé dans ceux de
droit écrit aux descendants du défunt et la plupart des au-
teurs appartenant aux premiers de ces pays qui ont traité des
successions dans le milieu et à la fin du xviii* siècle ne posent
même plus la question , donnant comme irrévocable la renon-
ciation faite librement par un héritier quelconque en majorité*
Ceux qui la posent la résolvent dans le même sens (1).
Pothier est très explicite : « Celui qui répudie une suc-
» cession perd absolument la faculté qu'il avait de l'accepter
» et n'y peut plus dorénavant revenir que par la voie de la
» restitution en entier dans le cas où elle peut être accordée »
(minorité , violence , dol ou fraude) (2).
Ainsi donc , dans le dernier état de notre ancienne juris-
prudence en pays de coutume, l'héritier majeur qui avait re-
noncé librement à une succession ne pouvait revenir sur sa
renonciation quel qu'il fût. Au pays de droit écrit , on faisait
exception pour les descendants seulement et pendant trois
ans, selon la doctrine générale.
(1) Auroux des Pommiers sur la Coat. de Bourbonnais, art. 326. Bannelier
sur Davot, note 965, t. VI, p. 545 de la pet. éd.; Poullain-Duparc, t. IV,
n" 20 et 28, liv. III.
(2) Suce, ch. III, sect. I, § 4 etlntr. au Ut. 17 de la C. d'Orléans, n°67.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 501
DROIT MODERNE.
Le droit intermédiaire n'ayant touché qu'aux renonciations
à successions futures pour les abolir, laissa les choses en
l'étal dans la question qui nous occupe. Où donc les rédac-
teurs du Code civil ont ils puisé la disposition qui, dans l'ar-
ticle 790, donne à tout héritier le droit de revenir sur sa
renonciation et de reprendre la succession tant qu'un autre ne
l'a pas acceptée, ou que la faculté qui lui est accordée n'est
pas éteinte par la prescription; disposition aussi contraire
aux précédents qu'aux principes qu'ils viennent de poser.
Les précédents; nous venons de les voir. Les principes; le
premier ne permet pas à un majeur de revenir sur un acte
qu'il a fait en pleine liberté et connaissance de cause, ici,
particulièrement, avec les délais qui lui sont accordés pour
s'assurer de la valeur de la succession et peser mûrement les
conséquences du parti qu'il prendra. Le bénéfice d'inven-
taire ne lui réserve-t-il pas les chances favorables d'une ac-
ceptation en le mettant à l'abri des autres. Il va revenir sur
un acte qui ne peut plus être fait qu'au greffe , inscrit sur un
registre public, afin précisément qu'aucune difficulté ne
puisse s'élever sur sa validité pour les intéressés; sur un
acte qui a pour effet immédiat de faire disparaître rétroacti-
vement même , sa qualité d'héritier et d'investir de plein droit
les cohéritiers ou héritiers du degré subséquent de la succes-
sion comme s'il n'existait pas, articles 785, 786, 724. Est-il
donc dans les principes qu'une personne par sa seule volonté
puisse en dépouiller une autre de sa possession, de sa pro-
priété ou même du simple droit qu'il pouvait y avoir comme
en droit romain pour les héritiers externes qui devaient faire
adition pour acquérir la succession.
Là, les principes étaient parfaitement respectés. L'héritier
externe qui avait renoncé ne pouvait jamais revenir sur une
renonciation librement faite en majorité et enlever le droit de
s'approprier la succession à celui qui pouvait faire adition à
son défaut. On restait encore dans les principes en permet-
tant à l'héritier sien et nécessaire de reprendre l'hérédité
302 DE LA FACULTÉ ACCORDÉE A L'HÉRITIER
quand il s'était abstenu , rébus adhuc integris tant qu'un autre
n'avait pas fait adition , ne s'était pas fait envoyer en posses-
sion, puisqu'il restait héritier jure civili malgré sa renoncia-
tion. Avons-nous rien de semblable chez nous où nul n'est
héritier qui ne veut, où la renonciation investit immédiatement
le cohéritier ou l'héritier du degré subséquent même le succes-
seur irrégulier pour la propriété seulement. Ces deux règles
existaient déjà dans notre ancienne France , et si en pays de
droit écrit on appliquait la loi romaine aux enfants du défunt,
ce n'était , nous l'avons vu , que pure faveur, mais on n'allait
pas plus loin.
Quand je trouve dans le Code civil une disposition qui con-
trarie les principes , j'ai recours à Domat , et il est rare que je
n'y trouve pas son origine. Il a voulu faciliter l'étude des lois
romaines qu'il appelle , comme on les appelait de son temps,
les lois civiles. Pour cela, il a, dit-il, employé deux moyens;
leur traduction sera donnée en français, et elles seront rangées
dans un ordre qu'il qualifie de naturel (1). Je ne dirai rien de
l'ordre suivi, mais souvent le sens de la loi romaine n'est
pas passé dans la traduction française très libre, d'ailleurs,
donnée par l'auteur ; de sorte que , comme dans la question
qui nous occupe, par exemple, Domat ne nous donne pas le
droit romain et malheureusement pas le droit français non
plus. Voici son passage : « Quoique la renonciation à l'héré-
» dite semble n'avoir pas d'autre effet que de dégager de la
» qualité d'héritier celui qui pouvait l'être , sans obliger à rien ;
» elle a cet effet, que celui qui a une fois renoncé à une suc-
» cession ne peut plus la reprendre si celui qui devait succéder
» à son défaut s'est mis en sa place. » Puis il appuie sa solution
sur la loi 7, C, De dolo malo (II, 21) qui dit précisément le con-
traire en empêchant d'une manière absolue, le frère qui a
renoncé à la succession de son frère de la reprendre. Si majw
quinque et viginti annis hereditatem fratris tui repudiasti :
nulla tibi faculias ejus adeundœ reliquitur. Ce n'est que l'ap-
plication du principe général pour tous les héritiers externes
tel qu'il est posé dans les textes que nous avnos cités au com-
mencement de cet article. Je rappellerai seulement la loi 4,
(1) Préface des Lois civile t.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 503
C, De rep. vel abst. hered.;M\, 31. Si la renonciation du frère
à qui la femme du défunt était substituée avait été le résultat
du dol de cette dernière , la loi donne au premier contre sa
belle-sœur, seulement l'action de dol. Ce n'est encore que
l'application d'un autre principe général (1). Après la citation
de la loi 7, C, De dolo malo, Domat ajoute : « Si après une
» renonciation l'héritier qui l'aurait faite venait à s'en repen-
» tir, les choses étant encore au même état , sans qu'aucun
» autre héritier se fût présenté , rien n'empêcherait qu'il ne
» reprît son droit. » Puis viennent les annotateurs de Domat
qui signalent deux cas dans lesquels l'héritier qui a renoncé
peut reprendre la succession, même dans les mains d'un autre
héritier, le cas de renonciation faite en minorité et celui des
enfants du défunt dans les trois ans, nous avons vu la contro-
verse élevée sur ce dernier point (2).
Domat , en admettant un héritier quelconque qui a renoncé
en majorité, à revenir sur sa renonciation tant qu'un autre
n'a pas accepté, ne fait pas du droit romain qui ne le permet-
tait qu'aux héritiers siens et nécessaires et seulement pendant
trois ans dans le dernier état ; ni du droit français non plus ,
même du pays de droit écrit, ou, bien qu'il n'y eût plus d'hé-
ritiers siens ni nécessaires , on ne le permettait qu'aux des-
cendants pendant trois ans en maintenant la règle de l'irré-
vocabilité de la renonciation pour les autres héritiers. C'était,
nous l'avons vu, pour les descendants, un privilège de faveur
non ratione juris , disent les auteurs , en prenant dans la loi
romaine une solution appliquée dans les pays où elle était
suivie, abstraction faite des causes sur lesquelles elle reposait.
Il ne serait cependant pas juste de laisser à Domat seul la
responsabilité que Lebrun doit partager. Cet auteur, après
avoir résolu négativement la question de savoir si en pays de
coutume les enfants du défunt pouvaient revenir sur leur
renonciation en s'appuyant sur les arguments les plus con-
cluants dont nous avons donné le résumé, admet, au n° 63,
tous les héritiers à revenir sur leur renonciation tant que la
(1) J. L. 9, § 1, D., De dolo malo, IV, 3. L. 4, § 28 , D., De doli mali et
net. excep., XLIV, 4.
(2) Lois civiles, 2* partie, L. I, tit. ni, sect. 4, n° 4, p. 296 de l'édition
de 1117 .
504 DE LA FACULTÉ ACCORDEE A L 'HERITIER
succession n'a pas été acceptée par ceux auxquels elle est
dévolue à leur défaut , en interprétant le droit romain aussi
mal que Domat si ce n'est plus. Voici son passage : « La
» troisième exception (à la règle qu'un héritier ne peut reve-
» nir sur la renonciation) est au cas qu'après une renoncia-
» tion on fasse une déclaration précise d'être héritier, princi-
» paiement si elle est faite en jugement; et c'est la disposition
» de la loi Si filius 12, D., De interrogationibus in jure fa-
» étendis (XI, i), » sans s'apercevoir qu'il est question là,
seulement, du fils du défunt héritier sien et nécessaire qui,
s'étant abstenu, actionné par les créanciers, était libre de
faire cesser son abstention en déclarant in jure devant le
préteur, qu'il acceptait la succession paternelle que personne
n'avait encore appréhendée. C'était l'application pure et simple
des principes romains puisqu'il restait héritier jure civili, n'a-
vait fait d'ailleurs que s'abstenir. Lebrun l'applique chez nous
à tous les héritiers en faisant observer « que le renonçant
» n'aura pas droit de revenir à la succession s'il y a des héri-
» tiers qui l'occupent. » Comment concilier ce qu'il dit ici
avec l'exclusion qu'il prononce même contre les enfants du
défunt en écartant les lois romaines , parce que chez nous il
n'y a plus d'héritiers siens et nécessaires. Par une double
erreur qu'il a commise : 1° en interprétant les lois romaines
comme admettant les descendants du défunt à reprendre après
renonciation faite en majorité , l'hérédité même lorsque ceux
à qui elle est dévolue à leur défaut s'étaient fait envoyer en
possession , seul cas où il les empêche de la reprendre en
pays de coutume, en s'appuyant sur des arguments qui s'ap-
pliquent parfaitement au cas contraire (1). 2° En étendant ces
mêmes lois romaines qui n'accordaient le droit de reprise
qu'aux héritiers siens et seulement pendant trois ans, dans le
dernier état, indéfiniment aux autres héritiers qu'elles ex-
cluaient, on ne peut plus formellement. Aussi est-il immé-
diatement repris par son annotateur, le président Espiard.
« Je n'estime pas, dit-il, qu'en bonne jurisprudence, on puisse
» soutenir la distinction que fait ici l'auteur, car dans le cas
» où la renonciation est valable , on ne peut jamais la révo-
(i) L. III, ch. xvm, sect. 2, n°* 4G et suiv.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 305
» quer par des actes postérieurs , c'est ce que décide la loi
» Sicut major 4, C, De repud. vel abst. hered. et 71, D., De
» adquir. vel omitt. hered. Il n'y a dans les termes du droit
» (romain) que les renonciations faites en minorité , ou , si
» elles sont faites par des personnes majeures , que celles qui
» sont l'effet du dol et de la violence ou qui sont faites par les
» enfants en puissance de père qui sont sujettes à révocation ;
» encore dans ce dernier cas , la révocation ne peut s'en faire
» que dans les trois ans, ce qui même, depuis l'arrêt de 1701,
» n'a plus lieu pour les pays coutumiers. » Voilà la vérité.
L'erreur de Lebrun était si forte qu'elle fit tomber Pothier
dans l'étonnement. « Il est étonnant que Lebrun avance qu'on
» peut encore en plusieurs cas faire acte d'héritier et accepter
» une succession après qu'on y a renoncé, pourvu qu'elle
» n'ait pas été occupée par d'autres ; il cite la loi Pro hœrede ,
» 20, § Papinianus, 4, De adq. hered. et la loi 12 De interro-
» gat. (1); mais il ne fait pas réflexion que ces lois sont dans
» le cas d'un suus hxres , d'un héritier nécessaire ; cet héritier
» par l'abstention qu'il faisait des biens de la succession ne
» cessait pas d'être héritier, il acquérait seulement par là le
» droit de n'être pas tenu des dettes , et il le perdait si après
» avoir déclaré qu'il s'abstenait, il s'immisçait dans les biens
» de la succession ; cette loi ne reçoit ici aucune application
» parmi nous, nous n'avons point d'héritiers nécessaires,
» n'est héritier qui ne veut. L'héritier qui renonce abdique
» tout droit à la succession, il n'en conserve plus aucun, et,
» par conséquent, il ne peut plus faire acte d'héritier (2). »
Les rédacteurs du Code abandonnant malheureusement leur
guide habituel si sûr, ont, dans leur projet, adopté purement
et simplement la théorie erronée de Domat et de Lebrun.
Après avoir dit dans l'article 94 du titre des Successions, que
la faculté d'accepter ou de répudier ne se prescrit que par le
laps de temps requis pour la prescription la plus longue des
droits immobiliers , ils ajoutent dans l'article 95 : « Les héri-
(1) La lre loi n'est plus citée dans la dernière édition de Lebrun donnée
en 1775, trois ans après la mort de Pothier.
(2) Suce, cb. III, sect. ni, § 3, art. 1.
Revue hist. — Tome VIII. 34
506 DE LA FACULTÉ ACCORDEE A L'HERITIER
» tiers qui ont renoncé ont pendant le même temps le droit
» de reprendre la succession, pourvu toutefois qu'elle n'ait pas
» encore été acceptée par un autre héritier. »
Le tribunal de cassation et les tribunaux d'appel ne firent
aucune observation sur la faculté de reprise accordée à l'hé-
ritier renonçant, en elle-même, mais sur des formes à suivre
pour la faire valoir, encore n'y en eût-il que deux. Le tribunal
d'appel de Caen dit « qu'il serait peut-être bon d'exprimer
» comment doit s'opérer cette reprise , car l'immixtion , après
» renonciation, est quelquefois réputée » (le mot suivant laissé
en blanc se rapportait probablement au détournement). « Les
» auteurs ont beaucoup écrit sur cette question; un article
» serait nécessaire. »
Celui de Colmar voulait que l'on soumît à des formes spé-
ciales l'acceptation de l'héritier appelé à défaut du renonçant.
On ne tint compte ni de l'une ni de l'autre observation.
L'article présenté au conseil d'État tel qu'il est aujourd'hui
dans le Code sous le n° 790 , fut adopté sans discussion ni
observation (1). Pas un mot non plus dans l'Exposé des motifs
de Treilhard au Corps législatif. Chabot, dans son rapport au
Tribunat, se borne à reproduire mot pour mot le texte de l'ar-
ticle 790. Siméon, orateur du Tribunat, en dit encore moins
dans son discours au Corps législatif. Le droit romain , l'an-
cien droit français passent inaperçus ainsi que la contrariété
produite avec les articles 785 et 786 si rapprochés de l'article
790. Si l'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été
héritier, ceux qui viennent à son défaut sont immédiatement
investis par la loi de la propriété, et même, s'ils sont héritiers
légitimes , de la possession de la succession sans qu'ils l'ac-
ceptent, art. 724. C'est ce que disait Pothier, qui ne permettait
pas à un héritier majeur de revenir sur sa renonciation libre-
ment faite (2). « Celui, dit-il, qui répudie une succession n'a
» jamais succédé au défunt , mais il demeure toujours vrai
» que la succession du défunt lui a été déférée et la part qui
(1) Locré, t. X, p. 112yno 24.
(2) Suce, ch. III, art. III, sect. i, §§ 4 et 5. Intr. au tit. 17 de la Coût.
d'Orléans, n° 67.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 507
» lui était déférée et qu'il a répudiée accroît à ses cohéritiers
» s'il en a, c'est-à-dire à ceux qui étaient appelés conjointe-
» ment avec lui à cette succession , lesquels sur son refus
» sont censés saisis immédiatement par le défunt de la portion
» répudiée... Lorsque le renonçant n'a point de cohéritiers,
» son droit en la succession est dévolu aux parents du degré
» suivant, lesquels sur son refus sont réputés en être saisis
» immédiatement par le défunt du jour de l'ouverture de la
» succession. » Doctrine passée dans les articles 785 et 786,
qui ne concorde plus avec la reprise accordée à l'héritier re-
nonçant que Pothier repousse énergiquement. Voilà donc un
majeur devenu étranger à la succession par sa renonciation ,
qui, par son seul caprice, va pouvoir annihiler un acte dont la
loi lui donne le temps et les moyens de peser les consé-
quences, qu'elle ordonne de consigner sur des registres pu-
blics , pour en assurer les résultats ; il enlèvera du même
coup la propriété de la succession à celui à qui elle l'a
donnée!! Je ne parle pas des procès qu'engendrera la question
d'acceptation soit du renonçant soit de celui que la loi appelle
à son défaut, puisqu'elle peut être aussi bien tacite qu'ex-
presse. Les tribunaux d'appel de Caen et de Colmar avaient
au moins raison de demander des formalités spéciales pour
l'un et pour l'autre. Le défaut d'observations sur la reprise
elle-même accordée à l'héritier renonçant, a probablement
tenu à l'idée vague et fausse 'qui ferait considérer jusqu'à
l'acceptation de ceux à qui elle est dévolue par suite de la
renonciation de l'héritier du premier degré, la succession
comme n'appartenant à personne, reste vacante, ce qui semble
bien résulter de la fin de l'article 790 qui présente une nou-
velle contradiction avec l'article 811 quand il y a un héritier
connu. Les inconnus sont du reste aussi bien saisis que les
autres, et c'est à eux à retirer la succession des mains du cu-
rateur s'il en a été nommé un.
Voyons comment les interprètes du Code ont pu concilier
l'article 790 avec les principes.
Les uns ont dit que la saisine n'était accordée qu'une fois
aux héritiers du premier degré seulement , et ne passait pas
par leur renonciation à ceux du second ordre. La succession
S08 DE LA FACULTE ACCORDEE A L HERITIER
leur était seulement offerte comme eiTdroit romain aux hé-
ritiers externes , leur droit ne se réaliserait que par l'accepta-
tion. Telle était la doctrine qui paraissait ressortir de l'article
790 à M. Bugnet lorsque j'avais l'honneur de recevoir ses
leçons. Elle est contraire aux précédents et au texte des ar-
ticles 785, 786 et 724 combinés , de l'article 790 lui-même,
puisqu'il met les cohéritiers , qui sont saisis , sur la même
ligne que les héritiers du degré subséquent. Quand bien même
nous aurions adopté le système romain, pour les héritiers
externes , de l'acquisition de la succession par l'acceptation ,
faudrait-il permettre à celui qui a renoncé librement en majo-
rité d'enlever, par sa seule volonté à ceux à qui elle est dévo-
lue à son défaut , le droit qui leur est acquis de se l'appro-
prier en l'acceptant. Les jurisconsultes romains, dans les lois
que nous avons citées, décident formellement le contraire en
s'appuyant sur le modèle que nous venons de donner.
D'autres ont dit que la saisine n'était accordée à tous les
héritiers que sous la condition suspensive de l'acceptation (1);
théorie qui ne peut être soutenue devant l'article 724 qui dé-
clare les héritiers saisis de plein droit au moment de la mort
du défunt, et de l'article 785, qui ne fait cesser l'effet de cette
saisine que par la renonciation pour la donner du jour de l'ou-
verture de la succession à ceux à qui elle est dévolue par suite
de la renonciation. Au reste , cette théorie ne justifierait en
rien la disposition de l'article 790. Les droits conditionnels ne
doivent-ils pas être respectés comme les autres, peuvent-ils
être enlevés parla seule volonté d'un tiers?
Enfin, et c'est aujourd'hui l'opinion dominante, les derniers
auteurs qui ont écrit sur le Code reconnaissent avec raison
que l'héritier est saisi , propriétaire et possesseur de la succes-
sion à laquelle il est appelé s'il est héritier légitime, proprié-
taire seulement, s'il s'agit d'un successeur irrégulier. Ces
effets ne peuvent cesser que par la renonciation qui les efface
complètement et rétroactivement dans la personne du renon-
çant pour les transporter à ceux qui viennent à sa place. Ce
qui ne rend que plus injustifiable la disposition de l'article 790
(1) Delvincourt, t. II, p. 27 de redit, de 1824.
DE REVENIR SUR SA RENONCIATION. 509
qui permet à une personne devenue étrangère à la succession
de l'enlever à celui à qui elle appartient, qui en est saisi
comme le premier Tétait et devrait par conséquent ne pouvoir
en être dessaisi que par sa propre renonciation.
Les anomalies suivantes, toutes contraires aux principes po-
sés par les rédacteurs du Code eux-mêmes , résultent de l'ar-
ticle 790. i° Un majeur peut revenir sur un acte librement fait
par lui, il est assimilé au mineur (v. art. 462); 2° il peut par
sa seule volonté enlever à quelqu'un sa propriété ; 3° la sai-
sine du cohéritier ou héritier du second degré est soumise à la
condition de son acceptation; 4° elle est soumise en outre,
non-seulement à la condition résolutoire de sa renonciation,
mais encore à celle purement potestative du changement de
volonté du renonçant primitif; 5° après la renonciation de cet
héritier, la succession n'est acquise que par l'acceptation de
l'un ou de l'autre ; 6° l'héritier du premier et du second degré
sont mis sur la même ligne; 7° l'acquisition de l'hérédité
sera le prix de la course ; 8° le temps pour faire inventaire et
délibérer n'appartiendra plus ou ne servira à rien à l'héritier
du second degré , puisque l'autre peut le lendemain de sa re-
nonciation et jusqu'à l'acceptation du second, lui reprendre la
succession. C'est ici surtout, après une première renonciation,
qu'il sera besoin de temps pour s'assurer des forces de la suc-
cession. Il ne faudrait pas au moins, comme Domat et Lebrun,
invoquer, à l'appui d'une doctrine qui produit de pareilles con-
séquences, le droit romain dans lequel les principes étaient si
bien respectés et si logiquement appliqués.
On a, pour justifier l'innovation des rédacteurs du Code, dit
que la reprise de la succession par le renonçant éviterait les
frais de nomination et d'administration d'un curateur. Cela
n'est vrai d'abord qu'autant qu'il n'y a pas d'héritiers connus
auxquels les créanciers et légataires pourront s'adresser (art.
811). S'il n'y en a pas de connus, ou que tous ceux qui le
sont renoncent , une question de frais ne doit pas l'emporter
sur le dépouillement du propriétaire qui peut se présenter.
Les frais occasionnés par les procès sur la question d'accep-
tation qui peut n'être que tacite de la part du renonçant ou
de celui qui est appelé à son défaut, seront plus grands , sans
510 DE LA FACULTE ACCORDEE A L'HERITIER, ETC.
compter les ennuis et les lenteurs du procès. Que pourra faire
le renonçant avec l'article 790? Se décharger du soiu de liqui-
der la succession sur le curateur qui sera nommé comme le
suppose cet article, et la reprendre à son légitime propriétaire
qui ne sait peut-être pas qu'il y est appelé, s'il reste quelque
chose.
VlLL EQUEZ.
RAPPORT
FAIT AU NOM DE LA SECTION DE LÉGISLATION
A L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES
PAR M. GLASSON
SUR LE
CONCOURS DU PRIX KŒNIGSWARTER
L'Académie est appelée à décerner pour la première fois
le prix Kenigswarter. Ce prix, de la valeur de 1,500 francs,
doit être accordé au meilleur ouvrage écrit sur l'histoire du
droit dans les trois dernières années. S'il n'offre pas des avan-
tages pécuniaires considérables , du moins décerne-t-il à l'ou-
vrage qui l'obtient , un titre d'une haute distinction ; aussi ne
faut-il pas nous étonner que dès cette année, quatre ouvrages
importants aient été soumis à vos suffrages et il est permis
d'ajouter qu'on en aurait probablement présenté d'autres en-
core, si le concours avait reçu plus de publicité, et si l'Aca-
démie n'en avait pas écarté, avec raison d'ailleurs, les travaux
qu'elle a déjà récompensés à d'autres titres.
Les quatre ouvrages inscrits pour le concours du prix
Kœnigswarter portent sur les sujets les plus divers. Trois
embrassent d'immenses domaines, le quatrième se limite
à l'étude d'une charte d'affranchissement. Parmi les trois
premiers, l'un concerne le droit romain , le second le droit
canonique , le troisième le droit français. La section de
législation a la satisfaction de déclarer que ces quatre ou-
vrages sont tous des œuvres d'un réel mérite et qu'elle aurait
voulu les récompenser. Mais elle n'a même pas pu songer à
partager le prix, à cause de la somme sur laquelle il porte, et
qui , comparée à celles d'autres récompenses , est relativement
peu élevée. Elle a donc dû se résigner à des éliminations né-
512 RAPPORT SUR LE CONCOURS
cessaires, mais elle tient d'autant plus à exprimer le regret
qu'elle éprouve de ne pas couronner des travaux qui méritaient
à tous égards une haute distinction.
Parmi les quatre ouvrages, ai-je dit, un seul se limite à on
sujet restreint. Ce n'est d'ailleurs pas là une critique , mais
une simple constatation. Il vaut souvent mieux mettre en re-
lief une question qui n'a pas encore été traitée , que de repro-
duire dans un ouvrage général, des vues d'ensemble déjà
connues. Guidé par cette pensée, M. Bonvalot, ancien con-
seiller à la cour de Dijon , a publié dans ces derniers temps
une histoire du « Tiers État d'après la charte de Beaumont
et ses filiales. » Depuis longtemps, on a établi qu'en Alle-
magne la charte municipale d'une ville servait souvent de
modèle à celles d'autres villes qui parvenaient à la liberté.
Aussi, appelait-on Muterrecht ce statut étendu d'une ville à
une autre. Le même fait s'est produit en France. Les chartes
conférant des libertés municipales se ressemblent parfois à
cause de l'influence du droit romain , ou parce qu'elles pren-
nent la forme de chartes d'affranchissement, mais souvent
aussi, une ville soit spontanément, soit d'un commun accord
avec son seigneur, adoptait les statuts d'une autre ville; c'est
ainsi que le duc de Bourgogne , en affranchissant la ville de
Dijon, lui fit accepter la charte de Soissons. Les comtes de
Champagne la concédèrent aussi à plusieurs villes et notam-
ment à M eaux. De même, la coutume de Lorris, la loi muni-
cipale de Strasbourg, ont servi de modèles à plusieurs reprises.
On pourrait multiplier les exemples. Un savant auteur a ré-
cemment mis en relief l'influence qu'ont exercée les Établis-
sements de Rouen, jusque dans le midi de la France, grâce aux
relations commerciales de la capitale de la Normandie avec
un grand nombre de villes plus ou moins rapprochées du lit-
toral de l'Océan. M. Bonvalot nous fait assister à un semblable
spectacle dans le nord-est de la France. La charte de Beau-
mont (1) rendue en 1182 servit, dans cette région, de type aux
communes affranchies. Ce fait était déjà connu ; il avait été
relevé par Augustin Thierry et d'autres l'avaient rappelé après
(1) Il s'agit de la commune de Beaumont en Argonne, aujourd'hui com-
prise dans le canton de Mouzon, arrondissement de Sedan, département des
Ardennes.
DU PRIX KŒNIGSWARTER. 513
lui , mais personne n'avait encore entrepris de l'étudier en dé-
tail, d'en déterminer la portée et les conséquences histori-
ques. M. Bonvalot a voulu remplir cette lacune ; il nous ex-
pose d'abord l'état géographique, politique et social du nord-est
de la France au xn° siècle , il s'arrête avec détails au chaos
féodal et nous montre les populations aspirant avec impatience
à un état social meilleur. C'est à ce moment que Guillaume
aux blanches mains, archevêque de Reims, promulgua pour la
commune de Beaumont en Argonne, placée dans ses do-
maines, une charte de liberté communale empruntée en grande
partie à la constitution échevinale de Reims. Cette charte don-
nait aux personnes la liberté et leur concédait la propriété de
la terre, elle organisait un gouvernement local et une justice
municipale, confiés à des hommes choisis par les habitants de
la commune, et en échange de ces franchises, l'archevêque se
bornait à exiger des redevances fixes et modérées. C'était la
liberté substituée à l'arbitraire et au servage. Aussi, la charte
de Beaumont devint-elle un objet d'envie, et toutes les com-
munes qui parvenaient à s'affranchir de leurs seigneurs en ré-
clamaient instamment l'application. Notre charte se propagea
avec rapidité et sans interruption pendant quatre siècles dans
la Champagne et le Barrois, les comtés de Chimay et de
Luxembourg, la Lorraine et les Trois-Évêchés. Partout, elle
introduisait de tels changements, que pour en consacrer l'a-
doption, on disait qu'elle créait une ville neuve. Le plus sou-
vent, cette adoption était constatée par une charte solennelle
d'affranchissement, parfois par l'érection d'une croix de pierre;
deux pauvres villages champenois réduits à une misère ex-
trême, durent se borner à copier la charte sur des ardoises.
M. Bonvalot nous expose le régime qu'elle consacrait, l'état
des personnes et de la propriété , l'administration , la justice,
les redevances, le droit civil, la procédure, le droit pénal. Il
termine en nous faisant assister à la décadence et à l'abroga-
tion de la loi de Beaumont. L'histoire de cette charte , depuis
sa naissance jusqu'à son extinction complète, devient ainsi,
dans une certaine mesure , celle du développement du tiers
état dans le nord-est de la France.
Sauf le premier chapitre consacré à l'état général de la féo-
dalité au xne siècle, tout le livre de M. Bonvalot forme une
514 RAPPORT 6UR LE CONCOURS
œuvre vraiment originale et neuve digne d'un prix. La section
de législation tient d'autant plus à exprimer le bien vif regret
de ne pouvoir lui décerner cette récompense. M. Bonvalot n'en
est pas à ses débuts. Il est connu depuis longtemps par d'im-
portants travaux qui portent tous sur notre droit coutumier;
en 1864 , il publiait les Coutumes du val d'Orbey; en 1865, les
Coutumes du val de Rosemont, travaux qui ont été récompensés
par l'Académie des inscriptions; en 1866, les « Coutumes de
l'Assise; » en 1870, les « Coutumes de la haute Alsace, » dites
coutumes de Ferrette ; plus récemment, il étudiait « Les prin-
cipales et générales coutumes du duché de Lorraine. » Dans tous
ces travaux, comme dans ceux qu'il soumet actuellement à
vos suffrages, M. Bonvalot a déployé les principales qualités
de l'historien et du jurisconsulte.
M. Beaune est aussi un ancien magistrat; il a présenté à no-
tre concours deux volumes d'une nature tout à fait différente.
Autant le sujet de M. Bonvalot est limité, autant celui de
M. Beaune est large. L'ancien procureur général de la cour
de Lyon a publié deux volumes qui forment en réalité le com-
mencement d'une histoire générale de notre droit français.
Le premier volume, intitulé « Introduction à V étude historique
du droit coutumier » est consacré à l'origine de nos coutumes
et en étudie les développements jusqu'à l'époque de leur ré-
daction officielle à la fin du xve ou au commencement du
xvie siècle. C'est un tableau complet, bien composé, vivement
conduit des sources de notre ancien droit. Le style , d'une
remarquable facilité rend attrayante la lecture de l'ouvrage.
Mais peut-être cette facilité de composition a-t-elle conduit
l'auteur à écrire et publier ce premier volume un peu trop
rapidement. Ce qui permet de le dire, ce sont certaines in-
corrections assez nombreuses qu'on doit prendre pour des
inadvertances plutôt que pour des erreurs, sans inconvénients
graves pour le lecteur qui sait , mais dangereuses pour celui
qui apprend. Avec un peu moins de précipitation, l'auteur
aurait évité cet écueil et la préparation d'une seconde édition
lui permettra pour l'avenir de se mettre à l'abri de ce repro-
che. Le second volume est beaucoup supérieur au premier.
On n'y relève plus ces légers défauts, et les qualités de l'au-
teur se développent davantage dans l'exposition de la condition
DU PRIX KŒNIGSWÀRTER. 515
des personnes. M. Beaune passe successivement en revue le
clergé, la noblesse, les bourgeois des villes et des campagnes,
les étrangers aubains ou forains , les serfs personnels et les
mainmortables , les juifs, les protestants, les Lombards, les
lépreux, les cagots, les morts civils, les bâtards, les mineurs,
les femmes mariées, les personnes civiles, soit communautés
d'habitants, soit corporations ou confréries. Il n'est pas pos-
sible d'être plus complet ni plus exact. Peut-être aurait-il
mieux valu séparer les périodes au lieu de les réunir. De la
condition des personnes, M. Beaune passe à l'organisation
de la famille : il consacre des pages intéressantes au mariage
qui en est la base ; il nous fait connaître l'organisation qu'il
a reçue du droit canonique. La suite du volume est consacrée
aux effets du mariage , c'est-à-dire à la puissance maritale et
à la puissance paternelle. L'auteur est tout naturellement
amené à terminer par l'étude de la tutelle qui complète l'orga-
nisation de la famille. Tous ces graves problèmes sont abordés
avec une grande maturité d'esprit et une précision parfois re-
marquable. L'auteur a évité les généralisations faciles ou har-
dies et s'est attaché à faire revivre la famille du moyen âge telle
qu'elle a existé pendant plusieurs siècles. S'arrêtera-t-il à ce
tableau de la famille? On peut en douter; ne continuera-t-il
pas son œuvre par une étude semblable sur le régime des
biens dans notre ancienne France? Si le premier volume exige
quelques améliorations , le second semble demander un com-
plément.
Avec le livre de M. Fournier nous passons de l'ancien
droit français au droit canonique. Le savant professeur de
la faculté de Grenoble a consacré tout un important volume
à l'étude des officialités au moyen âge. L'organisation de la
justice ecclésiastique et son développement au travers des
siècles soulèvent encore aujourd'hui de délicats et obscurs
problèmes. On ne voit pas toujours avec netteté comment
ont pris naissance et se sont transformées ces justices d'É-
glise; aucun historien n'a encore recherché dans une étude
spéciale par quels procédés la royauté est parvenue à affai-
blir complètement les justices d'Église. Mais M. Fournier ne
se place ni à l'époque de la naissance ni à celle de la déca-
dence de ces juridictions. Il les prend au contraire au moment
SI 6 RAPPORT SUR LE CONCOURS
où elles sont en possession de leur complète vitalité, du xn*
au xive siècle. M. Fournier s'occupe d'abord de l'organisation
des officialités. Il nous présente successivement l'official, ses
assesseurs, le promoteur, les auxiliaires , avocats, procureurs,
notaires agents d'exécution. Cette organisation connue, il
aborde ensuite la compétence des tribunaux ecclésiastiques et
s'arrête à ce propos aux conflits qui se sont élevés entre la
monarchie française et le Saint-Siège. La dernière partie est
consacrée à la procédure canonique des justices d'Église. Le
livre de M. Fournier est particulièrement remarquable par la
rigueur de la méthode, la netteté des divisions, la sobriété
des développements. On parcourt sans effort toutes les phases
de l'instruction d'une affaire. L'auteur est à la fois un histo-
rien, un érudit, un jurisconsulte. Son livre comble une véri-
table lacune qui existait en France , comme le prouve le succès
de cette première édition, complètement épuisée depuis quel-
que temps déjà. On peut comparer ce livre aux meilleurs qui
ont été écrits sur le même sujet à l'étranger et il les dépasse
bien certainement par la méthode et par la précision. M. Four-
nier s'est pénétré de l'esprit de la procédure canonique et il
l'a reproduit avec une parfaite fidélité. L'auteur s'est inspiré
de son sujet à ce point que son style rappelle parfois celui
du registre d'un officiai et sous sa plume , les événements les
plus graves qui ont ébranlé l'Europe occidentale au moyen
âge semblent naître parfois de la procédure. La mémorable
querelle qui s'est élevée entre Thomas Becket et Henri II d'An-
gleterre et s'est terminée par le martyre du défenseur des
privilèges de l'Église , les graves conflits qui ont éclaté sous
Philippe le Bel entre la papauté et la monarchie française
sont ramenés à des questions de compétence. Les abbés, les
prélats, le Saint-Siège lui-même, nous apparaissent sans cesse
entourés d'hommes de loi , de libelles , de citations , d'excep-
tions, d'enquêtes, d'actes publics ou privés, d'expertises, de
sentences. On en arrive à se demander si toutes ces nuées de
procédures qui enveloppent le trône de saint Pierre n'en
obscurcissent pas l'éclat et la splendeur. Ce ne serait là d'ail-
leurs qu'une pure illusion, tenant à ce que l'ouvrage de
M. Fournier, trop limité aux règles de compétence et aux
complications des instances ne nous montre l'Église que par
DU PRIX KŒNIGSWÀRTER. 517
un seul côté à une époque où son action s'étendait sur tout.
Mais du moins , le traité des officialités établit avec une grande
force l'influence de la procédure romaine sur celle de l'Église
et l'action de la procédure canonique sur celle du droit fran-
çais. L'Église condamnait avec raison la procédure arbitraire
et formaliste des cours féodales ; ses officialités appliquaient»
pour la conduite des procès , des principes qui formaient une
procédure dans le sens exact et scientifique de ce mot et cette
procédure était enseignée avec soin dans les écoles où se
formaient les clercs. La procédure canonique s'étendit d'abord
dans les cours laïques aux procès que l'Église était obligée d'y
porter ou d'y soutenir. D'ailleurs, un grand nombre de clercs
siégeaient dans ces cours laïques et les légistes ne faisaient
aucune difficulté pour reconnaître que la procédure des cours
d'Église était bien supérieure à celle des autres juridictions.
L'étude du droit romain contribua beaucoup aussi à faire en-
trer les formes des justices d'Église dans les cours laïques,
par cela même que le droit canonique s'était presque toujours
inspiré de la législation romaine, tempérée par l'Évangile
et par les coutumes germaniques. Ces transformations ne
se firent pas sans résistance ; l'adoption du droit romain par
les cours d'Église provoqua de vives récriminations de la
part de certains clercs. Pierre de Blois, comme nous l'ap-
prend M. Fournier, appelait les officiaux et les gens de jus-
tice « des vipères d'iniquité ; ils surpassent , disait - il , en
malice , l'aspic et le basilic. L'official est le pasteur, non des
brebis, mais des loups. La loi de Justinien est une cause de
perversion et vous rend fils de l'enfer. Les Pandectes sont
un abîme insondable, une forêt ténébreuse, un océan im-
pénétrable; toute une vie humaine ne suffit pas à les ex.
plorer (1). » Mais l'immense majorité des clercs, les pré-
lats, le Saint-Siège, ne tinrent aucun compte de ces do-
léances. Le clergé se livra avec ardeur à l'étude du droit
romain , et c'est en s'inspirant de son esprit que les Décré-
tâtes des papes sont parvenues à organiser cette procédure
savante qui a fait l'admiration de l'Europe. Dégagée de tout
formalisme inutile , préoccupée de maintenir sans cesse
< Des officialitét, p. 8 et 9.
520 RAPPORT SUR LE CONCOURS
ses divisions. A notre avis , M. Mispoulet a eu le tort de plier
le droit public romain aux divisions qu'on donne aujourd'hui
de ce droit et qui étaient absolument inconnues des Romains;
il fait même rentrer dans le droit public une partie du droit
privé. Ainsi , le premier volume est consacré à la constitution
et le second à l'administration. Mais cette division du droit
public en constitutionnel ou administratif est toute moderne;
elle ne compte même pas un siècle d'existence. A propos de
l'administration romaine, M. Mispoulet nous parle de l'orga-
nisation de l'Italie et des provinces, du régime municipal, des
finances, etc. C'est bien là son sujet. Qu'il y fasse encore
rentrer l'armée romaine, on peut l'admettre sans difficulté. Il
est même permis d'y joindre, comme il le fait, la religion, car
chez les Romains, comme dans toute l'antiquité, la religion
était une partie de l'État, bien qu'au début on ait donné une
existence propre &u jus sacrum et qu'après Constantin, l'Église
se soit attachée à s'isoler de la société civile et à échapper à
ses lois. Nous ne critiquons pas non plus l'étude consacrée à
l'organisation des tribunaux; mais il semble que l'auteur se
soit, dans une certaine mesure, mépris sur l'étendue du droit
public tel que le comprenaient les Romains lorsqu'il y fait
rentrer la condition des personnes , les sources du droit et la
procédure; toutes ces questions appartiennent, sans aucun
doute , au droit privé , et si l'auteur les avait omises , elles
lui auraient laissé une place qui lui aurait permis d'exposer
certaines parties du droit public un peu écourtées. Il aurait
mieux valu nous présenter le droit public romain comme l'a-
vaient compris les Romains, en le dégageant de certaines
parties du droit civil et en supprimant des divisions emprun-
tées au droit moderne. D'ailleurs, sous cette réserve, l'ou-
vrage de M. Mispoulet ne mérite au point de vue purement
juridique que des éloges. Il comble une lacune de notre litté-
rature juridique et nous met au niveau de l'étranger. L'ouvrage
de M. Mispoulet l'emporte sur celui de M. Bonvalot par l'é-
tendue du sujet qu'il embrasse : il suppose un travail non pas
plus consciencieux, mais beaucoup plus long. La section de
législation le préfère à celui de M. Beaune, à cause du progrès
qu'il réalise, à raison de l'absence de toute inégalité grave entre
les diverses parties et enfin , parce qu'il est dès maintenant
DU PRIX KŒNIGSWARTER. S21
complet. Le livre de M. Fournier présente les mêmes mérites,
mais il n'embrasse cependant pas un horizon aussi vaste , et
en outre, il a déjà été récompensé par l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, tandis que celui de M. Mispoulet n'a
encore obtenu aucune distinction académique. Ce sont là de
simples différences et non une supériorité que la section de
législation relève au profit de M. Mispoulet vis-à-vis de M.
Fournier; mais ces différences ont cependant paru assez im-
portantes à la section pour lui permettre de placer l'ouvrage
de M. Mispoulet au premier rang. Elle vous propose, en con-
séquence, de lui décerner le prix Kœnigswarter.
»•*■
Revue hist. — Tome VIII. 35
LES COUTUMES DE LORRIS
ET LEUR PROPAGATION
ATXX XII. ET XIII- SIÈCLES
PIEGES JUSTIFICATIVES
(6DITB ET PIN)
IL
Orléans, 1066, 8™ année du règne (après le 23 mai 1066) (1). — Philippe I
constate l'accord intervenu entre Hervé, son chevalier, et l'abbaye de Saint-
Benott-sur-Loire.
Ego Philippin, gratia Dei Francorum rex, notum esse volumus
omnibus sanctœ Dei Ecclesiœ fidelibus quod adierunt prœsenciam nos-
tram abbas monasterii S. Benedicti, Hugo nomme, et cœteri fratres,
querimoniam facientes de quodam milite nostro, nomine Hervœo, qui
terras illorum depradando maie vastabat, eo quod calumniabatur se
debere habere quoddam beneficium ex abbate quod dicebat sibi com-
petere ex jure hœreditario. Nos autem, eorum clamoribus et querimo-
niis permoti , utpote qui nolebamus locum , quem prœdecessores nos-
tri Francorum reges multo studio deffensaverant , nostris temporibus
alteri (sic), decrevimus ut judicio nostro et optimatumnostrorum causa
definiretur; de qua re, multis verbis ultro citroque habitis, visum est
nobis facilius esse et melius ut res concordia quam judicio determi-
naretur; et, quoniam magnitudo malefactorum et praedarum summam
trecentarum librarum excedebat, qu» ab ipso Hervœo exsolvi non
poterat, suasione nostra inter utrosque facta est haec concordia, ut, ex
his quaB jure hœreditario repetebat , partem prorsus et perpetualiter
sine calumpnia dimitteret, partem in vita et sine hœrede ullo sibi re-
tineret. Hœc autem sunt quae sibi in vita sua concessa sunt : terra de
Mileraio, etc. Actum Aurelianis publiée anno ab Incarnations Domini
mlxvi, régnante Philippo rege , anno VIII.
(1) La 8*e année du règne de Philippe I s'étend du 23 mai 1066 au 23
mai 1067 .
526 LES COUTUMES DE LORRIS.
4. Redditus autem ville sic statuti : in Nativitate Beati Johannis
Baptiste quisque hospitum de propria masura quoque anno Aurelia-
nensis mooete sex denarios reddet censuaies ; et, mense Augusti, qua-
tuor de campartagio; in Natale Domini, duas minas ordei ad mensu-
ram granarii Beati Aviti , et duos capones , denarios duos et panes
duos de frumento.
5. Mense Augusti , omnem annonam que canonicorum erit hos-
pites ad ecclesiam Beati Aviti Aurelianum cum suis expensis défèrent ;
et canonici unicuique quadrige unum denarium dabunt ; partem vero
nostram aut apud Stampas , aut apud Piverim (1), aut aput Curcia-
cum (2) défèrent, et alios redditus suis temporibus similiter.
6. Sic igitur hospites hujus ville , prêter de redditibus supra deno-
minati8 , ab omni tallia , ab omni exactione liberi erunt et immunes
manebunt.
7. Post decessum vero nostrum, villa ista sic hospitata, sic libéra,
cum universis redditibus ad propriam prefate ecclesie possession em re-
dibit; nec alicui successorum nostrorum in ea aliquid reclamare licebit.
8. Major, qui in villa per manum decani et canonicorum positus
fuerit , nobis et decano hominum fîdelitatem faciet. Hac tamen con-
dicione quod, post decessum ejus , nulli filiorum vel heredum in ma-
joria aliquid reclamare liceat.
9. Ne vero inter canonicos et majorem aliqua de feodo majorie oria-
tur discordia, statuimus ut major in feodum habeat terram dimidie
carruce et quintum denarium de forifactis , nec aliquid amplius in
grangia vel in aliquibus ville redditibus sui juris esse contendat.
10. Grangia vero nostra et canonicorum communie erit, et com-
muni expensa edificabitur.
11. Si autem accident quod decanus, vel aliqui canonicorum, pro
causis ad villam pertinentibus , in villam venerint , communi hospitum
expensa procurentur.
Quod perpétue stabilitatis obtineat munimenta scripto commendari
et sigilli nostri auctoritate muniri nostrique nominis subter in scripto
caractère corroborari precepimus. Actum publiée Aurelianis, anno
Incarnati Verbi millesimo centesimo quadragesimo secundo , regni vero
nostri sexto ; astantibus'in palacio nostro quorum nomina subtitulata
sunt et signa : Signum Radulphi Viromandorum comitis, dapiferi nos-
tri. S. Guillelmi buticularii. S. Mathei camerarii. S. consta bularii.
Data per manum C&[Locus monogrammatis]d\irci cancellarii :
(D'après le Cartulaire de Saint- A vit, xm* s., Bibl. nat., ma. lat. 12886,
f° 78 r°-79 v°).
(1) Pithiviert, Loiret, ch.-l. d'arr.
(2) Courcy-aux-Loget , con el air. Pituiviera.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 527
V.
Lorris, 1144, 8« année du règne. — Louis VII donne au prieur de Saint-Sul-
pice de Lorris , pour l'achèvement de son église , une rente annuelle de
cent sous à prendre à la Nativité de Saint-Jean sur le cens des hôtes de
Lorris.
In nomine s. et individu® Trinitatis , ego Ludovicus , Dei gratia
rez Francorum et duz Aquitanorum, notum facimus omnibus tam
futuris quam et prasentibus quod ecclesiœ S. Sulpitii de Loriaco, ad
ipsam perfîciendam , in manu Bernardi , tune prions , solidos centum
de censu hospitum castri ipsius contulimus, eosque singulis annis ad
Nativitatem B. Joannis solvendos statuimus. Quod ut in posterum ra-
tum et inconcussum permaneat scripto commendari, sigilli nostri
impressione signari nostrique nominis subter inscripto caractère prœ-
cepimus contestari. Actum publiée apud Loriacum , anno ab Incarn.
Domini 1444, regni vero nostri octavo. Astantibus in palatio nostro
quorum nomina subtitulata sunt et signa. Signum Radulfi Viroman-
dorum comitis, dapiferi nostri. Signum Mattbœi camerarii. S. Mat-
thaei constabularii. S. Guillelmi buticularii. Data per manum Cadurci
cancellarii.
(D'après le Cartxdaire I de l'abbaye de Fleury, p. 281 (xvm* s.). Archi-
vée du Loiret.)
VI.
Reims, 1147, 11e année du règne, avant le départ pour la Terre Sainte. —
Louis VII prend l'église de Saint-Benoit sous sa protection et confirme les
donations de ses prédécesseurs , et spécialement l'abandon fait à l'abbaye
par Louis VI du quart du revenu des fours de Lorris et de 100 sous à
prendre annuellement sur les trois autres quarts, à charge pour les moines
de célébrer l'anniversaire de Philippe Ier.
In nomine sanctœ et individus Trinitatis, Ludovicus, Dei gratia
rez Francorum et duz Aquitanorum , omnibus in perpetuum. Sollici-
tudini nostre principaliter congruit libertatem ecclesiarum inconcussa
stabilitate procurare et possessiones earum ac jura auctoritatis regiae
praeceptis irrefragabilibus communire. Eo nimirum intuitu , beati Be-
nedicti Floriacensis ecclesiam cum universis rébus et possessionibus
530 LES COUTUMES DE LORRIS.
VIII (»).
Paris, 1177. — Louis VII s'engage à ne recevoir sur ses terres aucun des
serfs de Joscelin et Gautier de Thoury. En retour, Joscelin de Thoury
abandonne au roi la prévôté de Thoury qu'il tenait par droit héréditaire.
In nomine, etc. Ludovicus Dei gracia Francorum rex. Notum fa-
cimus universis presentibus et futuris nos Joscelino et Galtero de
Thoriaco (2) heredibusque eorum concessisse quod neque nos neque
heredes nostri aliquem de servis nec aliquam de ancillis eorum in
villis nostris novis nec in tota terra nostra retinebimus ; et si aliquis de
servis vel aliqua de ancillis predictorum Joscelini et Galteri de Thei-
riaco [sic) et eorum heredum in villas nostras novas vel in terram
nostram secedant, quod fidelibus testibus comprobaverint, sine con-
tradictione et sine bello eis absolute reddetur. Ob banc autem pac-
tionem , Joscelinus predictus de Theiriaco (sic) preposituram Flagiaci
quam ex dono nostro jure hereditario tenebat, in perpetuum in manu
nostra reliquit. Quot ut perpetuum, etc. Actum Parisius, anno Do-
mini m0 c° septuagesimo vuo.
(D'après le reg. C de Ph.-Aug., f° 76 r°, p. n° 429, Arch. Nat.,
JJ 7-8, 2' partie.)
IX.
Les Echarlis (3) , 1180. — Accord entre l'abbaye de Saint-Benott-sur-Loire
et l'église de Sens réglant leurs droits réciproques sur diverses églises.
Robertus prior et universum capitulum Sancti Benedicti super L*-
gerim omnibus ad quos littere iste pervenerint in Domino salutem.
Notum fieri volumus quod , cum inter venerabilem patrem nostrum,
Arraudum, abbatem, et ecclesiam nostram, et dominum Guidonem,
Senonensem archiepiscopum, et ecclesiam Senonensem, super pre-
sentationibus presbyterorum in quibusdam ecclesiis diu habita fuisset
(1) Publ. d'après le même registre ap. Luchaire, Inttitut. du prmicrs Ca-
pétiens, t. II, p. 307, Appendices, n° 10.
(2) Thoriaco. Dans une charte d'Adèle, transcrite à la suite de celle-ci,
Joscelin et Gautier sont dits « de Chevriaco. » Or, à quelque distance de
Flagy, on trouve : Thoury et Chevry-enSereine.
(3) Les Echarlis, Yonne, c** Villefranche, c°* Charoy, arr. Joigoy.
PIECES JUSTIFICATIVES. 531
dissensio, in ecciesiis videlicet de Monte-Barresio (1), de Gastaneto (2),
de Vetulis domibus (3), de Maceriis (4), de Chataleta, de Buxedello, de
Ulseto (5) , de M usteriolo (6) et de Pruneto (7) , tandem in hune mo-
dum facta est transactio : quod in tribus de prenominatis ecciesiis ,
in ecclesia de Ulseto, in ecclesia de Musteriolo et de Pruneto, pro
bono pacis , idem archiepiscopus presentationes presbyterorum nobis
et ecclesie nostre in perpetuum habendas concessit. Goncessit etiam
nobis predictus archiepiscopus, quod, a predecessoribus suis Senon.
archiepiscopis constabat esse concessum, presentationes videlicet
presbyterorum in ecciesiis Sancti Pétri Stampensis , de Duisione , de
Villari Sancti Benedicti (8) et de Lorriaco (9) in altero presbytero-
rum, juxta tenorem (10) domini Willelmi quondam Senonensis ar-
chiepiscopi. In aliis vero ecciesiis de diocesi Senonensi de cetero pre-
sentationes reclamare non poterit ecclesia nostra , nisi in posterum
largitione prenominati archiepiscopi vel successorum suorum cano-
nice indultum fuerit et concessum. Alia vero bénéficia que in supra-
dictis ecciesiis sive in aliis de diocesi Senonensi possidemus , décimas
etiam , et redditus alios nobis confirma vit , statuendo ut in eclesiis ,
in quibus usu cotidiano bénéficia percipimus, presbyteri qui cons-
tituentur fidelitatem nobis per juramentum faciant de omnibus que
nos contingunt portionibus. Hec autem omnia concessit et appro-
bavit Senonense capitulum. Quod ut ratum inconcussumque perma-
neat presentis scripti testimonio et sigilli nostri munimine fecimus
roborari. Actum Escharleiis, anno ab Incarnatione Domini m0 c° oc-
togesimo.
# (D'après l'original , sur parchemin , autrefois scellé , Archivée de
l'Yonne, G 59, pièce n° 4.)
(1) Montbarroie, Loiret, arr. Pithiviers , c0B Beaune-la-Rolande.
(2) Châlenoy, Loiret, arr. Orléans, con Chateauneuf.
(3) VieUles-Maisons t Loiret, arr. Montargis, con Lorris.
(4) Mézièret en Gatine, Loiret, arr. Montargis, con Bellegarde.
(5) Houstoy, près de Lorris.
(6) Montereau, Loiret, arr. Gien, con Ouzouer-sur-Loire.
(7) Prenoy, près Chailly , con Lorris.
(8) Villiert-Saint- Benoit , Yonne, arr. Joigny, c0B Aillant-sur-Tholon.
(9) Lorrie, Loiret, arr. Montargis, ch.-l. c°".
(10) Charte de Guillaume, archev. de Sens, en 1171. Copiée dans le oartu-
laire 1 de Pleury, p. 281, Archivez du Loiret.
532 LES COUTUMES DE LORRIS.
IX bis M.
Ch&teaulandon, 1180 (entre le 1er novembre et le 4 avril 1181). — Philippe-
Auguste, associé aux droits de l'abbaye de Saint-Pierre de Ferrièressur
le village de Rozoy (2), accorde différents privilèges aux habitants de ce
village (Indiq. par Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, n° 14,
p. 5).
In nomioe sancte et individue Trinitatis, Amen. Philippus, Dei
gracia Francorum rex. Noverint univers! présentes pariter et faturi
quod nos universis habitantibus in terra Sancti Pétri de Ferrariis
aput Rosetum, quia abbas et monachi nos in eadem villa collegerunt,
ex gracia has consuetudines indulgemus.
1. Volumus siquidem et constituimus universos inhabitantes dein-
ceps liberos esse et immunes ab omni tallia , ablatione , exactione et
questa, salvis siquidem extra villam tam nostris quam ecclesiarum
quam militum nostrorum consuetudinibus.
2. Quicunque autem in villam venerint, quicquid alibi forifecerint,
res eorum et corpora tuta et salva erunt ; et, si recedere voluerint, et
in guerra et in pace , cum rébus suis quo eis placuerit secure ibunt.
3. Quisquis in villa forifecerit secundum consuetudinem ville emen-
dabit : forifacta LX solidorum quinque solidis , et forifacta quinque
solidorum duodecim nummis, et districta perdonabuntur pro quatuor
denariis.
4. Si prepositus forifacta régis requisierit ab aliquo inhabitatore ,
nisi disration atum fuerit, per solam manum suam denegabit et quie-
tus erit, exceptis majoribus malefîciis, ut est homicidium, proditio,
furtum, raptus et similia, que semper ex consuetudine Gastineti judi-
cabuntur.
5. Universi habitatores ville has habebunt consuetudines , excepto
preposito quamdiu preposituram administrabit ; qua exutus in eisdem
consuetudinibus erit.
6. In expeditionem et exercitum numquam ibunt quin eadem nocte
revertantur ad domos suas.
7. Et cum aliquis de eadem villa vineam, domum, sive terrain ven-
diderit, rectas venditiones solummodo reddet.
(1) Je n'ai connu cette charte qu'au moment de livrer à l'imprimeur les
Pièces justificatives, ce qui explique pourquoi elle ne figure pas dans le Ca-
talogue des chartes dérivées des Coutumes de Lorris, quoiqu'elle en ait très
manifestement subi l'influence.
Vieil, Loiret, arr. Montargis, con Courtenay.
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 533
8. Census et oblatas et similes consuetudines solito more persol-
vent.
0. Quicunque vero in villam venientes per annum et diem Lbi in
pace manserint , neque per regem neque per prepositum neque per
jnonachos justiciam vetuerint, ab omni jugo aervitutis deinceps liberi
erunt.
10. Pro Bubmonitione extra villam nemo ibit ad placitandum, et
quamdiu tenuerit justiciam corpus ejus non capietur.
11. De rébus venalibus neque rez neque monachus in eadem villa
bannum habebunt.
12. Quotiens autem prepositus movebitur, bas consuetudines te-
nendas esse jurabit, nec antea ad ejus Bubmonitionem necesse erit
homines venire.
13. Major quoque monacborum ville similiter jurabit consuetu-
dines.
14. Volumus preterea, sicut jam pro parte pretaxatum est, quod
quicunque inhabitantium a villa recedere voluerint, cum universis
rébus suis et in guerra et in pace per conductum regium secure eant
quocunque eis placuerit.
Que omnia ut perpetuam stabilitatem optineant, presentem pagi-
nam sigilli nostri auctoritate ac regii nominis karactere inferius anno-
tato corroborari precepimus. Actum publiée aput Gastrum Nantonis,
anno ab Incarnation e Domini m0 c° lxxx0, regni nostri anno se-
cundo. Astantibus in palatio nostro quorum nomina supposita sunt
et signa. Signum comitis Teobaldi dapiferi nostri. S. Guidonis buti-
cularii. Signum Mathei camerarii. Sigum Radulpbi constabularii.
Data per manum Hugo [locus monogrammatis] nis cancellarii.
(D'après l'original, autrefois scellé sur double queue de cuir, Ar-
chive* nationale* , J 737, n° 43.)
x.
Paris, 1181 (entre le 5 avril et le 31 octobre). — Philippe-Auguste déclare
les hommes d'Yèvre et de Bois-Commun soumis au paiement du tonlieu
envers l'église de Puiseaux , le jour du marché. Il en exempte les hommes
de Bourg-la-Reine.
In nomine sancte et individue Trinitatis , Amen , Pnilippus , Dei
gracia Francorum rex. Noverint universi présentes pariter et futuri
quia teloneum, quod homines Evrie (1) et Boscumini (2) (sic) et no-
(1) Ytore-le-Ch&Ul, Loiret, arr. et c<" Pithiviers.
(2) Boûcommun, Loiret, arr. Pithiviers, c°* Beaune-la-Rolande.
534 LES COUTUMES DE LORRIS.
vorum berbergagiorum , tempore patris nostri constructorum , debe-
bant ecclesie de Puteoli (1), et aliquociens illud per patrjs nostri per-
missionem retinuerant , ecclesie Puteoli de cetero reddi volumus et
precepimus die mercati , excepto ab hominibus in Burgo Régine (2)
commorantibus, hac intencione ne per hoc quod in prejudicium ec-
clesie per patris nostri permissionem quondam detentum est , anima
ipsius impediatur quominus eterna salute frui valeat. Quod ut aput
posteros firmum et inconcussum permaneat, presentem paginam si-
gilli nostri auctoritate ac regii nominis ka[ra]ctere inferius annotato,
precepimus confirmai!. Actum Parisius , anno Incarnati Verbi n° c°
lxxxi0, regni nostri secundo, astantibus m palacio nostro quorum
nomina supposita sunt et signa. S. comitis Teobaldi , dapiferi nostri.
S. Guidonis , buticularii. S. Mathei , camerarii. S. Radulphi , consta-
bularii. Data per manum Hu[Locus monogrammatis]gon\s cancella-
rii(3).
(D'après le Cartalaire de Puiseaux (xv« s.), Arch. nat., S 2150, n° 14,
pièce cotée B.)
XI.
Fontainebleau, 1183, la 4e année du règne (du 17 avril au 31 octobre). —
Philippe-Auguste confirme le diplôme donné par Louis VII, en 1147, en
faveur de l'abbaye de Saint-Benott-sur-Loire (Indiq. par L. Delisle, Cata-
logue, n° 75).
In nomme sanctœ et individus Trinitatis , Amen. Philippus , Dei
gratia Francorum rex. Qu» a patribus nostris juste et rationabiliter
acta sunt, et prœcipue qus3 ecclesiis collata sunt et concessa a nobis
irrefragabiliter decet observari ut et successores nostros ad observanda
quœ gerimus congruis invitemus exemplis. Eo nimirum intuitu, Beati
Benedicti Floriacensis ecclesiam cum universis rébus ac possessioni-
bus suis sub nostrae protectionis perhenni tuitione suscipimus , et
concessam sibi a prœdecessoribus nostris antiquitus libertatem , se-
cundum quod ex tenore prœceptorum patris nostri , felicis memoriae
régis Ludovici, cognovimus, nos quoque pari benignitate concedimus
et per prosentis authoritatem prœcepti perpetuo munimento corrobo-
ramus. Sancimus igitur, juxta prœfati patris nostri et prœdecessoris
nostri praeceptum, ut neque nos ipsi neque quilibet successorum no-
strorum regum eundem locum causa violentiae adeamus , neque inco-
(1) Puiieaux, Loiret, arr. Pithiviers, ch.-l. canton.
(2) Bourg -la- Heine, Seine, arr. et c«* Sceaux.
(3) Le manuscrit porte : Manum Philippus conit cancellarii.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 53S
las ipsius loci cujuscumque generis aut ordinis per nos in causam
trahamus , vel questum ab eis quoquomodo deinceps exigamus. Cœ-
terum , si nobis aut nostris injuriam fecerint , per abbatis manum seu
majoris villœ, ministerialibus nostris justitiœ nostrœ recipiendœ causa
a nobis illuc directis, justitiam nostram habebimus. Goncedimus prœ-
terea eidem monasterio et perpetualiter possidenda firmamus uni-
versa quœ post decessum proavi nostri , régis Philippi , avus noster,
rex Ludovicus, Sancto Benedicto donavit et genitor noster, bonœ
mémorise rex Ludovicus, concessit in villis quœ subscribuntur (1) :
Maisnilis videlicet, atque parrochia de Bulziaco, et parochia de
Veteribus domibus , et in parrochia de Castaneto , et in illa de Mat-
zeriis , tam in bosco quam in piano , prœter cervum et bischiam et
capreolum , quamvis quœdam injuste quœdam juste regia potestate
consuetudinarie capiebat. Goncedimus etiam quodcumque memoratus
pater noster ex propria largitione donavit : videlicet quartam partem
furnorum de Lorriaco , et centum solidos quos avus noster, pro reco-
lendo anniversario patris sui, régis Philippi, proavi nostri ecclesiœ
Beati Benedicti donavit in reliquis tribus partibus furnorum, quœ
nobis remanere assignavit , et ab eo qui furnos habebit absque con-
tradictione abbati S. Benedicti in perpetuum reddi prœcepit, Aurélia-
nensis videlicet monetœ; quos et nos similiter reddi prœcepimus.
Quœ omnia ut perpetuam stabilitatem obtineant prœsentem paginam
sigilli nostri authoritate ac regii nominis charactere inferius annotato
prœcepimus confirmari. Datum apud Fontem Blaudi, anno Incarnati
Verbi m0 c° lxxxiii , regni nostri anno quarto. Astantibus in palatio
nostro quorum nomina, subscripta sunt et signa. S. comitis Théo-
baudi, dapiferi nostri. S. Guidonis buticularii nostri. S. Mathei ca-
merarii. S. Radulphi constabularii. Data per manum Hugonis can-
cellarii. Philippus.
(D'après le Cartulaire I de Fleury (xvut« s.), où la copie a été faite
sur l'original, p. 7, Archives du Loiret,)
XII.
Le Poi , H 88 , la 9e a. do règne (entre le 17 avril et le 31 oct.). — Philippe-
Auguste accorde les Contâmes de Lorris aux habitants de Nonette.
In nomine sancte et individue Trinitatis, Amen. Philippus, Dei gra-
cia Francorum rex. Noverint universi présentes pariter et futuri quo-
niam universis apud Nonetam (2) habitantibus et habitaturis conce-
(1) Voyez la Pièce justif., n° VI.
(2) Nonette, Puy-de-Dome, arr. Issoire, c*n Saint-Germain-Lembron.
536 LES COUTUMES DE LORRIS.
dirous easdem consuetudines habendas et observandas quas babent
et observant bomines nostri de Lorriaco. Quod ut in posterum ratum
et illibatum permaneat presentem cartam sigilb nostri auotoritate ac
regii nominis karactere inferius annotato precepimus confirmari. Ac-
tum apud Podium , anno ab Incarnatione Domini m° c° lxxx° vui°,
regni nostri anno nono. Astantibus in palacio nostro quorum nomina
subposita sunt et singna. S. comitis Theobaldi, dapiferi nostri. S. Gui-
donis , buticularii. S. Mathei, camerarii. S. Radulpbi, constabularii.
Data vacante [Locus monogrammatù] cancellaria.
(D'après un vidimus du garde du sceau d'Auvergne, donné en juin
4290, Arch. Nat., J 1046, n<> 2.)
XIII.
Paris, 1202, au mois de décembre. — Philippe-Auguste donne au prieur de
Lorris une poterne sise près 3aint-Sulpice, à Lorris (Indiqué par L. De-
lisle, Calai., no 12k).
Philippus, Dei gratia Francorum rex. Noverint universi ad quos
présentes litterœ pervenerint, quod nos concedimus priori de Lor-
riaco posternam qu» est juxta S. Sulpitium ad œdificandum et ad
hospitandum , ad opus monachorum ibidem commorantium. Quod ut
perpetuum robur obtineat prœsentem paginam sigilli nostri auctori-
tate confirmamus. Actum Parisius anno 1202, mense Xbrf.
(D'après le Cartul. I de Fleury, p. 169 (xvm« s.), Archtoes du Loiret.)
XIV.
Bourges, 1202, la 24e a. du règne (du 1er nov. 1202 au 5 avr. 1203). —
Philippe-Auguste accorde aux habitants de Sancoins le tarif des amendes
contenues dans la charte de Lorris, et détermine les droits des moines de
la Charité-sur-Loire et les siens sur les dits habitants (Indlq. par Delisle,
Catal., no 733).
In nomine sancte et individue Trinitatis, Amen. Philippus, Dei
gratia Francorum rex. Noverint universi présentes pariter et futuri
quod nos ville de Genquonio (1) concedimus quod bomines in ea
commanentes , cum pertinentiis ejus , sint ad usus et consuetudines
Lorriaci omnium forifactorum et clamorum (2) exercitiis. Monachi
(1) Sancoins, Cher, arr. Saint-Amand, ch.-l. c00.
v2) Espace laissé en blanc dans le manuscrit.
PIECES JUSTIFICATIVES.
537
autem de Karitate habebunt audientiam omnium forifactorum et ex-
plettorum et justitiarum ejusdem ville, et omnia que anteain eadem
villa habebant. Et prepositus noster ipsis monachis fidelitatem faciet.
Et homines ville illius nobis reddent consuetudines bladi et denario-
rum quas ipsi hactenus reddiderunt. Quod ut perpetuum robur obti-
neat, présentent paginam sigilli nostri auctoritate et regii nominis
karactere inferius 'annotato confirmamus. Actum apud Bituricas,
ahno Domini millesimo ducentesimo secundo, regni vero nostri anno
vicesimo quarto. Astantibus in palatio nostro quorum nomina suppo-
sita sunt et signa : dapifero nullo. Signum Guidonis baticularii. S.
Matbei camerarii. S. Droconis constabularii. Data vacante cancellaria
per manum fratris Germani.
(D'après an vidimus de la prévôté de Saocoins, daté de l'an 1302,
transcrit dans la copie du Cartulaire du prieuré de Paray (xviu«
s.), BibL Nat, ms. lat. 9884, f° 47 r°-v°.)
XV.
Règne de Philippe-Auguste, débat du xm* siècle. Liste des chevaliers ,
veuves , nobles et valets de la baillie de Lorris.
BALLIVA LORRIACI.
Milites.
Fulco Boche.
Henricus de Groetian.
Fulco de Machet.
Guillelmus de Ghevillon.
Henricus de Bulli.
Hato de Bordell[is].
Rei Dorin.
Herveus de Rupibus.
Gaufridus Joceran.
Galterus Dorin.
Gaufridus de Bulli.
Stephanus de Ghacenai.
Dominus Hoiaus.
Jocerannus de Bellocampo.
Pontius de A nia.
Robertus de Monbarrois.
Hugo de Monbarrois.
Willelmusde Monleart.
Anulphus Breon.
Revitb ihst. — Tome VI Tï.
Gaufridus de Monbarrois.
Gaufridus Lumbarz.
Gaufridus de Barvilla.
Guillelmus, frater ejus.
Guillelmus de Parrevilla.
Odo de Gaubertein.
Paganus de Mengricort.
Arnul Cord[er].
Amauricus de Monboseran.
Petrus de Alneto.
Hugo Doilon.
Willelmu8 Serene.
Robertus de la Broce.
Odo de Aucerre.
Simo Serene.
Guido de Aucerre.
Gaufridus de Espineris.
Gaufridus de Auvill[ari] et filius
ejus.
36
538
LES COUTUMES DE LORRIS.
Reginaldus de Tespont et filius
ejus.
Johannes de Montegni.
Petrus de Gratelou.
Guillelmus de Josenvill[ari].
Arnul de Vil[le]most[er],
Imbertus de Vil[le]most[er].
Rei de Alto Bosco.
Henricus de Pruneio.
Galterus Mirele.
Aubertus de Pruneio.
Gaufridus de Ghailli.
Tecelinus de Ghastelers.
Guillelmus de Monte Martis.
Ansellus Bullicans.
Henricus de Bois.
Henricus de Buxiis.
Vidue ejusdem ballive.
Florentia de Loisi. Gila de Gauderi.
Ermensenda de Blarete[in]. Adelina de Tespont.
Odierne de Chaili. Uxor Gilonis de Capella.
Mahauz Boche. Uxor Girardi Dorin.
Elisabeth de Insula. Philippa de Sanciaco.
Ansellus de Suri.
Guido de Gaudein.
Hugo de Gaudein.
Arnulphus Pavo.
Joscelinus de Meso.
Valleti ejusdem ballive.
Robertus de Meso.
Gilo Barbelin.
Gilo Dairon.
Rei Pagani.
Guido frater vicecomitis.
Willelmus Godefridus.
Stephanus de la Broce.
Milo , dominus Broce.
Willelmus Pilus Cervi.
(D'après le registre C de Philippe-Auguste, Arch. Mil., Ji 7-8,
2« partie , f° VI v«.)
XVI.
Fontainebleau, 1207 (du le* nov. au 5 avril 4208). — Philippe- Auguste s'en-
gage vis-à-vis de Blanche de Navarre à ne plus édifier de ville neuve sur
un territoire délimité (Indiq., Delisle, Catal., n° 1055).
Littere Philippi, régis Francorum, qui concessit Blanche, connusse
Campante , et Guidoni Gasteble et Henrico de Malo Nido , quod non
poterit facere villam novam , sicut hic patet.
In nomine sancte et indi vidue Trinitatis , Amen. Philippus, Dei
gracia Francorum rex. Noverint présentes pariter et futuri quod nos
concessimus dilectis et fidelibus nostris , Blanche , comitisse Cam-
panie, Guidoni Gasteble et Henrico de Malo Nido , quod nos non po-
terimus aliquam villam novam facere , neque societatem alicujus ca-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 539
père infra hos terminos, scilicet :a Dymonte (1) usque Malleium-
Regis, et inde usque ad Fontes juxta Saliniacum, etinde usque ad
Voisiuas , et inde usque ad Thoreniacum , sicut aqua Oreuse usque
ad Yonam exinde; exceptis tamen illis que ibi erant ea die quapre-
sens carta fuit facta. Volumus autem et pagina presenti decernimus
ut carta illa, quam canonici Senonenses a nobis habent super socie-
tatem de Thoreniaco, nullius de cetero valons sit aut momenti. Heo
autem supradicta ipsis et eorum heredibus concedimus, salvojure
alieno, et salvo jure nostro quod babemus in villis capitulorum et
ecclesiarum, ratione legalium : propter hoc autem ipsi dederunt nobis
mille libràs Parisiensis monete.
Quod ut ratum , etc. Actum apud Fontem Bliaudi , anno m°cc*
septimo, etc.
(D'après le Cartul. 3 de Champagne, BibL nat., ms. lat. 5992,
fo 47 v«.)
XVII.
Sainte-Ménehonld , 1208, octobre. — Blanche, comtesse de Champagne,
donne des franchises aux habitants de la ville neuve fondée par elle et
l'abbé de Saint-Remi de Reims à Villiers-en-Argonne.
Ego, Blancha, comitissa Trecensis palatina, notum facio prœsenti-
bus et futuris quod ego et abbas et conventus Sancti Remigii Remen-
sis, apud Vilers super Aisniam, villam novam constituantes, omnibus
in eadem villa manentibus etmansuris hancconcessimus in perpetuum
libertatem , quœ in presenti carta plenissime continetur.
1. Quicumque terram excolet proprio animali duos solidos et unum
sextarium avenœ michi et proedictis abbati et conventui annuatim
solvet in festo sancti Remigii.
2. Qui vero propriis manibus , tantum duos solidos dabit.
3. Pro simplici emenda dabunt duodecim denarios ; pro sanguine
XV solidos.
4. Furtum, raptum, bomicidium , et multrum in manu nostra reser-
vamus.
5. Pro duello firmato uterque XII denarios dabit ; si sanguis fusus
fuit, XV solidos; si duellum victum fuit, victus solvet IX libras.
6. Exercitum et calvacbiam meam etiam facient , si ego vel aliquis
de domo proesens fuit, item tamen quod Maternam non transibunt.
7. Quatuor jurati in villa erunt qui jura nostra et villes conserva-
bunt.
(1) Voir, pour l'identification des noms de lieu, p. 83.
540 LES COUTUMES DE LORRIS.
8. Et ego et prœdicti abbas et conventus majorem nostrum ad vo-
luntatem nostram in villa ponemus.
9. Si miscla in villa forte facta fuerit, qui inde accusatus fuit, se
tertio se purgabit. Si unus juratorum misclam viderit non poterit se
purgare.
10. Quicumque ibi domum fecerit, eam vendere poterit sine des-
tructione; si vero eam locare voluerit, locare poterit; si eam manu-
tenuit, licet alibi maneat.
11. Quicumque ibidem mansurus advenerit, et illinc recedere vo-
luerit, conductum habebit per undecim dies.
Ut autem h®c libertas et hae consuetudines in posterum firmiter
observentur, in confirmationem et testimonium prœdictorum pnesen-
tem cartam fieri volui , et sigilli mei muni mine roborari. Actum apud
S. Menold, anno incarnati Verbi millesimo ducentesimo octavo, mense
octobri. Datum vacante cancellaria.
(D'après un placard imprimé, Bibl. Nat., Collection de Champagne,
vol. 136, p. 244.)
XVIII.
Viterbe, 1209, 30 mai. — Bulle d'Innocent III confirmative de l'accord in-
tervenu entre l'abbaye de Saint-Benott-sur-Loire et l'archevêque de Sens ,
Guillaume , au sujet de leurs droits sur l'église de Lorris.
Innocentius, episcopus servus servorum Dei, dilectis filiis, abbati
et conventui Sancti Benedicti Floriacensis , salutem et apostolicam
benedictionem. Solet annuere Sedes Apostolica piis votis, etbonestis
petentium precibus favorem benevolum impertiri. Eapropter, dilecti in
Domino filii, vestris justis postulationibus grato concurrentes assensu,
compositionem inter vos ex parte una, et bons mémorise W. (1) arcbie-
piscopum et capitulum Senonense ex altéra, super ecclesia de Loriaco
initam , et scriptis autenticis roboratam , sicut sine pravitate provide
facta est, et ab utraque parte sponte recepta, et in eisdem autenticis
plenius continetur, autoritate apostolica confirmamus et prœsentis
scripti patrocinio communimus. Nulli ergo omnino hominum liceat
hanc paginam nostrae confirmationis infringere, vel ei au su temerario
contraire. Si quis autem hoc attentare prœsumpserit indignationem
omnipotentis Dei et beatorum Pétri et Pauli apostolorum ejus se no-
verit incursurum. Datum Viterbii, 111° kal. Junii , et Pontificatus no-
s tri anno duodecimo.
(D'après le Cartulaire I de Fleury, p. 50, pièce n° 68 (xvin* s.), Ar-
chives du Loiret.)
(1) Willelmus. Guillaume de Champagne.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 541
XIX.
Paris, 1224, la 1" a. du règne. — Louis VIII déclare que l'abbaye de Fer-
rières n'avait pas le droit de construire, comme elle l'a fait, des halles à
Puiseaux.
In nomine sancte et individue Trinitatis , Amen. Ludovicus , Dei
gracia Francorum rex. Noverint universi présentes pariter et futuri
quod, cum esset contencio inter ecclesiam Sancti Victoris Parisiensis
ex una parte et ecclesiam Ferrariensis ex altéra coram nobis super
quibusdam balis quas abbas Ferrariensis edificaverat in terra sua ,
aita Puteolis in Gastinesio, partibus coram nobis in jure constitutis
et jus sibi dici postulantibus , judicatum est quod baie ille, quas dic-
tus abbas edificaverat, de jure cadere debebant, et quod nul lus pote-
rat in terra illa de Puteolis vendere in die mercati nec in fenestras ,
nec in alio loco ; in aliis vero diebus poterat qui volebat vendere in
fenestris tantummodo et non alibi. Quod ut perpétue stabilitatis robur
obtineat, presentem paginam sigilli nostri auctoritate et regii nominis
karactere inferius anottato confirmamus. Actum Parisius, anno Domi-
nice Incarnacionis m0 cc° visesimo quarto, regni vero nostri anno
primo. Astantibus in palacio nostro quorum nomina supposita sunt
et signa : Dapifero nullo. Signum Roberti , buticularii. S. Bartho-
lomei, camerarii. S. Mathei, constabularii. Dataper manum Guarini,
Silvanectensis episcopi , cancellarii.
(D'après le Car tulaire de Puiseaux (xv« s.), Arch. Nat., S 2150, n° 14,
pièce cotée C.)
xx.
Vidimus du garde du sceau de la chftteUenie de Bray-sur-Seine en date du
19 avril 1408, contenant des Lettres de Charles VI (à Paris, mai 1402) , et
une charte de Thibaud V, comte de Champagne (à Troyes , le 9 avril 1269-
1270), toutes deux confirmant les Coutumes accordées par Héloïse , dame
de Chaumont, et Pierre des Barres, son fils, à leurs hommes de Chaumont,
Villemanoche et autres lieux voisins, par lettres passées devant l'officialité
de Sens, le 29 mars 1247 (1248, n. st.). (Archives de ? Yonne, E 636.)
Une copie contemporaine, sur parchemin, des lettres de l'official de Sens, du
29 mars 1247-1248, se trouve aux Arch. Nat., J 203, n° 56. Cette pièce
ne porte aucune trace de sceau : ce qui nous empêche d'y reconnaître
avec M. Teulet un original ( Layettes du Trésor, n» 3642, t. III , p. 23 ).
Cette copie est très mutilée; toutefois elle permet de rétablir dans les let-
tres de l'official l'orthographe du xm« siècle, que n'a pas toujours respecté
le vidimus , que je transcris ici.
S42 LES COUTUMES DE LORRIS.
On trouve encore aux Archives de l'Yonne, E 636, un vidimus da garde des
sceaux de la châtellenie de Bray-sur-Seine, daté da 4 février 1511, et con-
tenant la môme charte de Coutumes, mais rédigée au nom d'Héloïse et de
Pierre, en février 1247 (1248, n. st.) et donnée sous le sceau de Pierre
des Barres ainsi décrit dans le vidimus : « Scellées en double queue de
parchemin d'un grant seel et contre-seel en cyre jaune ouquel seel estoit
emprint tout environ de l'escripture bien encienne , et ung escu tout plain
de lozenges, les unes basses et les autres eslevées, et par dessus une barre
en travers garnye de trois lembeaulx ; et ou dit contreseel ung escusson
ouquel avoit une croix emprinte renversée par les quatre boutz. »
A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Giles Chauen, garde
de par le Roy de Naveire , duc de Nemor, du seel de la chastellerie
de Bray-sur-Seine, Salut. Sachent tuit que l'an de grâce Nostre Sei-
gneur mil quatre cens et huit, le jeudi dix et neuf jours du mois d'a-
vril après Pasques, Jehan Billaust, clerc, commis juré, substitut et
establi pour et en absence de Jehan Garnier, clerc, tabellion juré et
establi en la dicte chastellerie par le dit seigneur, tint, vit et diligem-
ment lut de mot à mot , unes lettres seines et entières de seel et d'es-
cripture, seelées en corde de soye , de cire vert, du seel du roy, nos-
tre sire , si comme l'inspection d'icelles le tesmoigne , laquelle est tele
et s'ensuit.
Karolus , Dei gracia Francorum rex. Notum facimus universis tam
presentibus quam futuris nos vidisse litteras formam que sequitur
continentes :
Nos, Theobaldus, Dei gracia rex Navarre, Campanie ac Brie cornes
palatinus , notum facimus universis présentes litteras inspecturis, ta-
ies litteras infrascriptas non viciatas , non corruptas vidisse , et de
verbo ad verbum legisse sub hac forma que sequitur :
Omnibus présentes litteras inspecturis, magister Odo, officialis
curie Senonensis, salutem in Domino. Notum facimus nos litteras in"
ferius annotatas vidisse in hec verba ;
Omnibus (1) présentes litteras inspecturis, magister Petrus, offi-
cialis curie Senonensis , salutem in Domino. Notum facimus quod co-
ram mandato nostro, videlicet coram magistro Adam de Gressîo,
clerico jurato curie Senonensis , ad hoc audiendum a nobis loco nos-
tri specialiter destinato, constituti nobilis mulier Heluysis, domina
Calvimontis (2) et Petrus de Barris, miles, filius ejus, recognoverunt :
1. Quod ipai quitaverant imperpetuum omnes hommes suos ab
omni servitute corporis , et a qualibet alia exactione , videlicet tallie ,
(1) Je rétablis l'orthographe primitive de cette charte d'après la copie con-
temporaine aux Arch. Nat.,3 203, n° 56.
(2) Chaumoni-tur-YonM , Yonne, arr. Sens, c°» Pont-sur- Yonne.
PIECES JUSTIFICATIVES. 543
ablationis , roge et corveie , ita videlicet quod quilibet dictorum ho-
minum tenebitur reddere annuatim, ubicumque eat vel maneat, duo-
decîm denarios turonensium , ratione dicte libertatis , ipsis et heredi-
bus suis vel eorum mandato in crastino Omnium Sanctorum, videlicet
homines de Villamanesche (4) cum pertinentiis usque ad Senones,
scilicet de Pontibus (2) et de Gisiaco (3), apud Villammannesche, et
homines de Capella (4) et de Gampigniaco (5) , de Villa nova Guiar-
di (6) et de Villa Biovain (7) usque ad Moretum (8) tam ci tram Yonam
quam ultra commorantes et homines de Calvomonte cum pertinentiis
apud Galvummontem, ac homines de Dyante (9) apud Dyantem.
2. Preterea heredes singuli dictorum hominum qui erunt extra ad-
voeriam, tutelam seu curationem, sive sint cubantes in terra dictorum
Heluysis Pétri et heredum suorum, sive extra, tenebuntur reddere
dictos duodecim denarios turonensium, ratione dicte libertatis, ad
dictum diem in locis predictis.
3. Poterunt etiam dicti homines maritare filios suos et filias suas,
ubicumque et cum quibuscumque voluerint', verumptamen, ubicum-
que ibunt vel manebunt, tenebuntur reddere, ut dictum est, dictos
duodecim denarios turonensium, pro dicta libertate, ipsis seuheredi-
bus eorum aut mandato suo.
4. Si vero ad dictum terminum dictos duodecim denarios non redde-
rent, quilibet ipsorum deficiens in solutione , ut dictum est, facienda,
teneretur reddere quinque solidos turonensium pro emenda.
5. Si autem facere voluerint de filiis suis clericos, poterunt hoc
facere sine licentia dictorum Heluysis et Pétri seu heredum suorum;
ita tamen quod si clericus ad maritagium récurrent, vel clericalem
habitum deposuerit, tenebitur similiter ad solutionem dictorum duo-
decim denariorum ad terminum supradictum.
6. Goncesserunt etiam dictis hominibus suis quod forefacta sexa-
ginta solidorum venient ad quinque solidos turonensium , et forefacta
quinque solidorum ad duodecim denarios turonensium; et clamor
prepositi ad quatuor denarios turonensium.
7. Si vero de legitimis hominibus duellum factum fuerit , obsides
devicti centum et duodecim solidos turonensium persolvent.
(1) Vtilmanoche, même canton.
(2) Poaf-fur- Yonne , arr. Sens , ch.-l. con.
(3) Gity , c0" Pont-sur-Yonne.
(4) La Chapelle, même con, hameau de la commune de Champigoy.
(5) Champigny , même c°».
(6) Villeneuve-4a-&uyard , même c°».
(7) Villeblevin, même con.
(8) Moret, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, ch.-l. con.
(9) Diant, arr. Fontainebleau, c°n Lorrez-le-Bocage.
544 LES COUTUMES DE LORRIS.
8. Si autem aliquis equos vel aaimalia dictorum hominum in oe-
moribus dictorum Heluysis, Pétri et heredum suorum invenerit, non
débet ea ducere nisi ad prepositum ipsorum; et, si aliquod animal , a
tauris fugatum vel a muscis coactum , intraverit boscum suum , ni-
chil ideo debebit emendare ille cujus animal fuerit, si custos ejusdem
animalis poterit jurare, quod , custode invito, illum intrasset; sed si,
aliquo custodiente scienter, illud inventum fuerit, quatuor denarios
turonensium pro illo debebit et pro unaquaque ove unum denarium
turonensium; si vero plura fuerint animalia ibi inventa, quatuor
denarios turonensium reddet ille, cujus eadem erunt animalia pro
unoquoque animali.
9. Dicti quoque bomines communi assensu eligent messores ad
custodiendum fructus et exitus suos ac bona ipsorum ; qui messores
dicte Heluysi et Petro et heredibus suis , seu preposito ipsorum , ju-
rabunt quod dictos fructus , exitus et bona fideliter conservabunt, et
quod omnia forefacta , de quibus debebit emenda haberi , dicto pre-
posito revelabunt et capciones ei adducent.
10. Si vero non placuerit eis eligere messores nec habere, îpsi
jurabunt eisdem Heluysi, Petro et heredibus suis , seu preposito ip-
sorum, quod alter alterius fructus et bona fideliter servabit, et fore-
facta suo preposito revelabit, et captiones ei adducet, sicut est pre-
dictum.
11. Si vero contigerit quod forefactum ad prepositum devenerit,
prepositus faciet 1111 , cujus forefactum fuerit , dampnum suum restau-
rare; et, si forefactum ad prepositum non pertineat, messores ad
illum, cujus dampnum fuerit, gagia reportabunt; et ille messoribus
messeriam suam reddet, videlicet unum denarium turonensem pro
messeria.
12. Nullus dictorum hominum in expeditionem vel equitationem
seu citationem ire tenebitur quin ad domum suam , si voluerit , redeat
ipsa die. Si autem amplius pernoctare vel amplius moram facere
quemquam contigerit , ipsi Heluysis , Petrus et heredes eorum tene-
buntur ipsum rationabiliter procurare.
13. Quilibet dictorum hominum tenebitur habere armaturam se-
cundum possibilitatem suam.
14. Dicti hommes pascua in nemoribus dictorum Heluysis , Pétri
et heredum suorum habebunt , post quintum folium , ad oves , ani-
malia et equos suos.
15. Nullus dictorum hominum , legitimus seu fidelis , captus tene-
bitur, si plegium veniendi ad jus dare potuerit.
16. Si quis dictorum hominum pro debito seu forefacto ipsorum
Heluysis, Pétri seu heredum suorum detentus fuerit, ille pro cujus
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 843
debito seu forefacto detentus fuerit, cum suis sumptibus tenebitur
eum servare indempnem.
17. Si quis dictorum hominum detentus fuerit pro suo debito vel
forefacto , dicti Heluysis , Petrus et heredes ipsorum tenebuntur eum
liberare cum sumptibus ejus qui debuerit debitum seu commiserit
forefactum.
18. lpsi etiam Heluysis et Petrus et heredes sui tenentur, et jura-
mento sollempniter prestito , promiserunt se servaturos inviolabiliter
omnia et singula supradicta , heredesque et successores suos ad ea
omnia imperpetum observanda obligarunt, et esse voluerunt obli-
gatos.
19. Voluerunt etiam quod , quotiens alter ipsorum et heredum su-
or um, unus post alium, successerit; et etiam prepositi sui et heredum
suorum, quotiens mutabuntur, jurent se fideliter servaturos omnes
dictas consuetudines cum omnibus et singulis prenotatis.
20. Nobilis siquidem mulier, Aalidis , uxor dicti Pétri de Barris >
et Guillelmus ac Guido , liberi eorum , coram mandato nostro predicta
omnia et singula concesserunt spontanei , et juramento sollempniter
prestito promiserunt se ea omnia firmiter et fideliter servaturos. Ita
quod dicti liberi renunciaverunt exception! minons etatis , beneficio
restitutionis in integrum , et exceptioni que posset obici pro eo quod
tune temporis essent in advoeria seu tutela.
21. Prefata quoque Aalidis renunciavit expresse exceptioni, si que
posset in posterum ei competere, ratione dotis, hereditatis, conques-
tus , sive pro eoquod non habebat per hoc commutationem alterius rei.
22. Promiserunt etiam et tenentur dicti Heluysis et Petrus cum
sumptibus suis perquirere et dare dictis hominibus litteras domini
régis Navarre sigillo ipsius sigillatas, continentes quod idem domi-
nus rex gratas habet et acceptas conventiones has , quantum ad ea
que movent de feodo ejusdem domini régis; seque supposuerunt,
quantum ad predicta, sepedicti Heluysis et Petrus, Aalidis, Guillel-
mus et Guido juridictioni curie Senonensis.
In eu jus rei testimonium presentibus litteris, ad petitionem ipsorum
Heluysis, Pétri, Aalidis, Guillelmi et Guidonis, sigillum curie Seno-
nensis duximus apponendum. Actum apud Calvummontem , coram
dicto mandato nostro, anno Domini millesimo ducentesimo quadrage-
simo septimo, mense Martio, dominica qua cantatur Letare Jéru-
salem.
Quod autem in dictis litteris vidimus contineri, de verbo ad verbum
transcribi fecimus et sigillo curie Senonensis sigillari. Datum anno
Domini millesimo ducentesimo quinquagesimo septimo, mense Au-
gusti.
y
LES COUTUMES DE LORRlS -
>m aiiquis equos vel animaiia dicto*"^*
Lorum Heluysis , Pétri et heredum s ^~
sere nisi ad prepositum ipsorum; et.
Taf*
sere msi ad prepositum ipsorum , ei,_ "Y^oscufc
um vel a muscis coactum, intraverit ***■*_ ~\
bebit emendare ille cujus animal fuer**-
terit jurare , quod , custode invito , ill
>diente scienter, iliud inventum fuerî*t
i pro illo debebit et pro unaquaque o v <% ;<&
a; si vero plura fuerint animaiia il>f '*$£ &
ronensium reddet ille , cujus eadem "^ ^ A
animali.
quoque bomines communi assensr
im fructus et exitus suos ac bona ? -^
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jaune, Archiva «ationaiei, J 1040, a" 3 bit.)
XXII.
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d'après le reg. Pattr, I" 19S, et contenue dans un reg. de 1s Bibl
546 LES COUTUMES DE LORRIS.
Nos vero , libertatem concessam de Galvomonte et de pertinenciis
ejusdem ville, necnon et de Villablovain et de pertinentiis ejusdem
ville, volumus, laudamus et approbamus. Et, in testimonium premis-
sorum, presentibus litteris sigillum nostrum duximus apponendum.
Datum per nos Trecis, die Mercurii ante Resurrectionem Domini,
anno Domini millesimo ducentesimo sexagesimo nono.
Quas quidem litteras, ac omnia et singula in eisdem contenta, ratas
et gratas habentes eas et ea volumus, laudamus, approbamus; et
tenore presentium de speciali gracia, inquantum homines ville de
Calvomonte et de pertinenciis ejusdem, et de Villablovain et de per-
tinenciis ejusdem ville, de quibus in ipsis litteris fit mentio, usi sunt
débite, confirmamus. Mandantes baillivo nostro Meldensi ceterisque
justiciariis, ofiiciariis nostris presentibus et futuris, vel eorum loca-
tenentibus, et eorum cuilibet, proutad eum pertinuerit, quatinus dictos
homines nostra presenti gracia et confirmacione uti et gaudere paci-
fiée faciant et permittant, ipsos in contrarium nullatenus molestando
seu molestari permittendo. Quod ut firmum et stabile permaneat in
futurum, sigillum nostrum presentibus litteris duximus apponendum,
salvo in aliis jure nostro et in omnibus quolibet alieno. Datum Pari-
sius, mense Maii, anno Domini millesimo cccc0 secundo, et regni
nostri XXIIdo.
Et estoient ainsin signées sur la marge : Per regem ad relacionem
consilii. Mauloue. Gollatio facta est. Visa contentor Frérou.
En tesmoin de laquelle chose, nous, Giles Chauen, garde devant
dénommé par le rapport, signet et seing manuel dudit juré, avons
scellé ce présent transcript en vidimus du seel et contreseel de la
dicte chastellerie de Bray . Ce fut fait l'an, mois et jour devant diz.
Billaust.
Sur le repli : Gollacion fut faicte à l'original.
(Le sceau de la châtellenie de Bray a disparu.)
(D'après les Archives de l'Yonne, E 636.)
XXI.
1290, 29 juin. — Philippe, roi de France, fixe les conditions requises
pour acquérir la bourgeoisie royale à Nonette.
Ph[elipes], par la grâce de Dieu roy de France, a touz ceus qui ver-
ront ces présentes leitres , salut. Sachent tuit que nous voulons et
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 547
otroions pour nous et pour touz noz successeurs, que tuit cil qui sont
et qui seront bourgois de nostre chastel de Nonneite et des aparte-
nances, qu'il soient tenuz de faire les choses qui s'ensuient.
Premièrement, que chascun bourgois dudit lieu ou des apartenances
soit tenuz d'avoir maison ou dit chastel ou es apartenances , en la
quele maison nous et noz successeurs puissons prandre sis deniers de
rente chascun an a touzjours mes ; et voulons que chascun des diz
bourgois soit tenuz de faire résidence au commancement de sa bour-
goisie ou dit chastel ou es apartenances un an et un jour tant seule-
ment. Et, se il avenoit que il eust a faire en marcheandises ou en
autres besongnes dedans Tan et le jour desus diz , nous voulons que
sa mesniee face résidence pour lui au dit lieu Tan et le jour desus diz,
et que autant li vaille comme se il avoit faite sa résidence en sa propre
personne, et ausi bien soit tenuz pour nostre bourgois; et voulons
encores que il soit tenuz chascun an de faire résidence ou dit lieu ou
es apartenances par lui ou par aucun de sa mesniee de la Touz Sains
jusques a la Chandeleur; et qu'il soit tenuz avec tout ce de paier les
autres choses qui sont acoustumées de paier au dit chastel, c'est
asavoir guet et maneuvre; et ce fait qui est desus dit, nous li don-
nons, otroions et conformons les coustumes et les franchises de la
bourgoisie du dit chastel de Nonneite, ensamble ou toutes les cous-
tumes et les franchises que nous ou noz devanciers avons otroiées a
la ville de Lorrez en Gastinaz; et assouvies les choses desus dites par
les bourgois desus diz , nous metons eus et chascun d'eus et touz
leurs biens et de chascun d'eus en nostre garde et en nostre protection
et deffense. Ce fu fait en l'an de grâce , le jeudi empres la Saint Jehan
Bap[tiste] mil ce quatre vinz et dis.
Au dos : Recepta per manum Philipi Garempo burgensis Briva-
tensis.
(D'après l'original, sur parchemin, scellé sur simple queue et cire
jaune , Archives Nationales, J 1046, n° 3 bis.)
XXII.
1314. — Enquête de la Chambre des Comptes sur les villes de la baillie de
Sens qui se prétendaient exemptes de l'aide de la chevalerie à l'égard du
roi (1).
Ce sont les villes de la baillie de Sens qui se dient franches de la
(1) Je connais de cette enquête deux textes peu différents : le premier est
une copie faite au xvm* siècle avant l'incendie de la Chambre des Comptes
(1731), d'après le reg. Pater, f° 196, et contenue dans un reg. de la Bibl. Nat.t
548 LES COUTUMES DE LORRIS.
subvention de la chevalerie le Roy. Et y sont contenues les clauses (l)
de leurs privilèges qui peuvent (2) faire à leur entention.
Et est assavoir :
Que le roy Philîppes (3), qui mourut (4) en Arragon , fut faict (5)
chevalier Tan mil deux cens soixante sept à la feste de la Pentecoste ;
et le Roy, qui règne présentement (6), à la my-aoust l'an mil deux
cens (7) quatre vingt et quatre ; et le roy Louis de Navarre (8) à la
Penthecoste Tan mil trois cens treize, et ses deux frères, scavoir Phi-
lippes comte de Poictiers et Charles comte de la Marche.
Sens a telle clause en son privilège : Volumus etiam quod Domi-
nes communias liberi permaneant ab omnibus tailliis (9) et tollis (10)
salvo servitio (il) exercitus et equitationis nostrae (12).
Et s'est trouvé (13) par le compte (14) de la baillie de Sens l'an
ms. lat. 9045, f° 258 v°, f> 259 r°. Cette enquête a été faite sous Philippe le
Bel lorsqu'on réclama le paiement de l'aide de la chevalerie des fils du roi :
Louis de Navarre, Philippe, comte de Poitiers, Charles, comte de la Marche,
faits chevaliers à la Pentecôte 1313. L'autre texte est une copie faite d'après
le reg. Pater, f° 152, et conservée aux Arch. Nat., P 2289, p. 152. Le roi
Philippe le Bel y est dit régnant, et quelques lignes plus bas, on lit : « Charles
qui ores règne, lort comte de la Marche. » Ce sont là les seules différences
notables qui existent entre ces deux copies. Mais comment expliquer l'incom-
patibilité des indications chronologiques de la seconde. Y a-t-il eu deux en-
quêtes : Tune sous Philippe le Bel, l'autre sous Charles IV? En ce cas, ces
deux enquêtes n'auraient pas été transcrites, Tune au f° 196, l'autre au f° 152
du même reg. Pater; d'autant plus que la seconde serait au f° 152 et la pre-
mière au f° 196. Je crois donc qu'il n'y a eu qu'une enquête faite en 1314.
J'accorde plus de confiance à l'extrait de la Bibliothèque nationale fait anté-
rieurement à l'incendie des Mémoriaux. Je donne toutefois en note les va-
riantes du texte des Archives (A. N.).
(1) La copie de la Bibl. porte cames; celle des Archives : clauses.
(2) A. N.; puent.
(3) A. N. Philippe.
(4) A. N. mourusL
(5) A. N. fait.
(6) A. N. présentement Philippe le Bel.
(7) A. N. miraoust MCCLXXXllll.
(8) A. N. de Navarre et ses deux frères Philippe conte de Poitiers et Charles
qui ores règne lors conte de la Marche à la Pentecoste l'an MCCCXIII.
(9) A. N. taUiis.
(10) A. N. Le texte de la B. Nat. porte soldis. Je corrige toltis d'après
A. N.
(11) A. N. et salvo servicio.
(12) A. N. nostre.
(13) A. N. et est trouvé.
(14) A. N. les comptes.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 549
1286 (1), que la dicte ville de Sens paia dou revouage levé en lieu
de la chevalerie le Roy (2), pour le tout : xxvu lb. (3); Item, en
l'an 1269 (4), deux mil livres pour don; et, en Tan 1284, deux mil
livres pour don; et de ces deux dons n'a exprimé nulle autre clause (5).
Et est a scavoir (6) que li privilège (7) est donné en nom de la com-
mune ; et hors de la commune sont de (8) plus riches hommes de la
ville de Sens;
Chasteaulandon (9). Et est trouvé par le compte (10) que la dicte
ville paia (11) en Tan 1286 (12) du revouage levé pour subvention de
la chevalerie le Roy pour le tout xxxu lb. (13).
Lorris ou Boscage (14).
Dymons (15)
Voux (16)
Licy (17) ) nihil.
Chesay(18)
Doleil (19)
Flagi (20) et Ferrettes (21) ensemble.
Flagy paia (2*2) en celle mesme manière comme Chasteaulandon (23),
(1) A. N. de Van MCCLXXXVI.
(2) A. N. du Roy.
(3) A. N. vingt-sept lioret.
(4) A. N. MCCLXIX.
(5) A. N. coûte.
(6) A. N. assavoir.
(7) A. N. privilèges.
(8) A. N. des.
(9) A. N. Chastiaulandon. — Châteaulandon , Seine-et-Marne, ar. Fontai-
nebleau, ch.-l. canton.
(10) A. N. les complet.
(11) A. N. lad. paya.
(12) A. N. MCCLXXXVI.
(13) A. N. trente-deux livres.
(14) A. N. Lorres ou Boscage. — Lorrez le Bocage, Seine-et-Marne, arr.
Fontainebleau, ch.-l. con.
(15) Dixmont, Yonne, arr. Joigny, c°» Villeneuve-sar- Yonne.
(16) Voulx, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrez-le- Bocage.
(17) A. N. Lia. — Lixy, Yonne , arr. Sens , c0B Pont-sar-Yonne.
(18) Chéroy, Yonne, arr. Sens, ch.-l. c°».
(19) A. N. Doleil. — DoUot, Yonne, arr. Sens, c" Chéroy.
(20) Flagy, Seine-et-Marne, arr. Fontainebleau, con Lorrez-le-Bocage.
(21) A. N. Ferrele. — Ferrottes, près Flagy.
(22) A. N. Flagi paia.
(23) A. N. Chasliau Lan don.
550 LES COUTUMES DE LORRIS.
et pour celle mesme cause (i) et en ce mesme an la somme de vingt
cinq livres (2).
Ferretes (3) nihil.
Les villes dessus dictes (4) ont les uz , les coutumes et les (5) pri-
vilèges , que a (6) la ville de Lorris en Gastinois , dessus dicte (7),
qui est de la baillie d'Orléans (8), et ont en leurs privilèges les dictes
villes (9) telles clauses (10) : « Nullus, nec nos, nec alius, de (il) homi-
nibus de Lorriaco tailliam (12) nec ablationem (13) »; et en aucuns
privilèges « toltam neque rogam faciat. »
Sens, Flagy (14), Ghateaulandon (15), la Villeneufve (16) le Roy
sont mis (17) en suspens et pour cause : car la somme qu'ilz ont
paie (18) est petite.
VMeneufvele-Roy (19).
La Villeneufve (20) le Roy si a lettres (21) que elle a les uz et les
coustumes (22) de Lorris en Gastinois , mais il n'y (23) a pas contenu
qu'elle ait les (24) privilèges de la dicte (25) ville de Lorris, comme ont
(1) A. N. celle meisme.
(2) A. N. meisme an vingt livres.
(3) Le texte de la B. Nat. porte Flagy. Je restitue FerreUs d'après A. N.
puisqu'il est dit à la ligue précédente que Flagy paya 25 livres.
(4) A. N. dsssusd.
(5) A. N. tu et coutumes et les.
(6) B. N. porte de. A. N. donne a.
(7) A. N. dessud.
(8) A. N. Orliens.
(9) A. N. Usd.
(10) A. N. telle cloute.
(11) De omis par A. N .
(12) A. N. talliam .
(13) A. N. ablacionem.
(14) A. N. Flagi.
(15) A. N. Chastiau-Landon.
(16) A. N. Ville Neuve.
(17) A. N. mises.
(18) A. N. que il ont payé.
(19) A. N. omet ce. titre. — Villeneuve-sur-Yonne, Yonne, arr. Joigny,
ch.-l. c°».
(20) A. N. Villeneuve.
(21) A. N. lettre.
(22) A. N. les us et Ut coutumes.
(23) A. N. n'i.
(24) A. N. que elle a Us.
(25) A. N. lad.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 551
les villes dessus dictes (4). Et est trouvé par les Comptes que la Ville
neufve (2) en Tan 1286 (3) paia dou revouage levé (4) pour la sub-
vention de la chevalerie (5) le Roy, pour le tout XXIIII lb. (6).
Item, et que ils doibvent(7), en l'an 1269 (8), Vie lb.
Item, en Tan 1284, XII<* lb. (9) , maïs il n'y a cause aucune expri-
mée pourquoy (10) ces deux dons furent faietz (11).
(D'après an manuscrit d'Extraits des reg. de la Chambre des Comp-
tes, Bibl. Nat., ms. lat. 9045, f» 258 vo.fo 259 r»; copie faite
d'après le reg. Pater, f* IX» XVI.)
XXIII.
1327, 20 juin. — Arrêt du Parlement, confirmant une sentence du bailli de Sens
en matière de succession et relatant sur ce point la Coutume de Lorris ,
suivie à Dixmont (12), les Bordes (13) et Villeneuve (14). (Indiq. par Bou-
taric , Actes du Parlement , n° 7998.)
Lite mota coram ballivo Senonensi inter Stephanum de Grevies ,
nomine suo et Johanne uxoris sue , ac nomine procuif atorio] Johan-
nis Bossart, fratris dicte Johanne, liberorum defuncti Johannis Bos-
sait de Villa nova et defuncte Edeline uxoris sue, ex una parte, et
Stephanum Presbyteri, Gerardum Plenier, Johannemde Gloriac, tu-
tores seu curatores Stephani et Edeline, liberorum dictorum Ste-
phani et defuncte Àdeline, matris sue, procreatorum ab eisdem
durante matrimonio inter ipsos , ex altéra ; super eo quod dictus
Stephanus de Grevies, nomine quo supra, dicebat predictos Johan-
nem et Johannam procreatos fuisse a dicto Johanne Bossart et Ede-
lina, constante matrimonio inter ipsos, mortuoque dicto pâtre et
contracte matrimonio inter Adelinam et Stephanum Presbyteri pre-
(1) A. N. dessusd.
(2) A. N. neuve.
(3) A. N. MCCLXXXVI paya.
(4) Levé omis par A. N.
(5) A. N. ehevallerie.
(6 A. N. vingt -quatre livrée.
(7)) A. N. item que il donnaire.
(8) A. N. MCCLXXIX, six cent litres.
(9) A. N. MCCLXXXIUI douze cent livres, ne il ni a cause nulle.
(10) A. N. pourquoi.
(11) A. N. faits.
(12) Dixmont, Yonne , arr. Joigny, c°» Villeneuve-sur- Yonne.
(13) Les Bordes, arr. Joigny, c°» Villeneuve-sur- Yonne.
(14) Villeneuve-sur -Yonne, arr. Joigny, ch-1. con.
552 LES COUTUMES DE LORRIS.
dictos apud Villam novam , predictis Johanne et Johanna liberorum
predictorum Johannis Bossart et Edeline in minori etate existentibus,
per tutores sibi datos , porcione de bonis ad dictos liberos spectanti-
bus, racione successionis patris solum, per divisionem nulla porcione
sibi data de bonis materais, licet de jure communi et de consuetudine
et usu generaliter et notorie observatis apud Lorriacum in Vas tin.,
quibus se consertant usus et consuetudines ville de Ducio {sic, corr.
Dimon) , de Bordis et de dicta Villa Nova medietas omnium bonorum
mobilium et conquestuum pertinentium ad dictam defunctam Edeli-
aam, cum aliis bonis que babebat ante suum matrimonium contrac-
tuel, ad dictos liberos pertineré. Quare, petebat quartam partem om-
nium bonorum mobilium et conquestuum factorum durante matrimonio
inter dictos Stephanum Presbyteri et Edelinam, matrem predictorum
liberorum , ad ipsos Stephanum de Grevies , racione uxoris sue , et
Johannem ejus fratrem, nomine quo supra, declarari pertineré, ac
predictos Stephanum Presbyteri et tutores seu curatores dictorum
Stephani et Edeline ad dictam quartam partem reddendam compelli.
Dicto Stephano Presbyteri ac predictis tutoribus seu curatoribus ex
ad verso proponentibus quod , contracta matrimonio inter ipsum Ste-
phanum et Edelinam matrem predictorum liberorum , facta divisione ,
et porcione légitima tam de bonis paternis quam materais data pre-
dictis liberis ex legitimo matrimonio procreatis, mansionem apud
Bordas, quod est in et de prepositura de Dynon, continue contrahen-
tes, et quod de usu consuetudine notorie apud Dinon et Bordas , et a
tempore a quo non extat inconcusse memoria, observatis, quod si
alter conjugium habens ex primo matrimonio liberos , si ex post facto
ex secundo matrimonio contracto alios liberos habeat, facta divisione
et porcione primis liberis ante procreacionem liberorum ex secundo
matrimonio procreatorum , bona mobilia et conquestus aliquos acqui-
sierit, liberi ex primo matrimonio procreati in conquestibus et bonis
mobilibus sic acquisitis nichil percipere debent vel possunt. Quare,
dicebat Stephanus Presbyteri et tutores predicti , quantum ad bona
mobilia et conquestus inter ipsos factos in et infra preposituram de
Dimon et de Bordis, ab impeticione predictorum actorum debere
absolvi. Hiisque et aliis pluribus racionibus facti et juris hinc inde
coram dicto baillivo prepositis , idem baillivus predictos tutores seu
curatores dictorum Stephani et Adeline melius intencionem suam
probasse quam dictos actores quantum ad consuetudinem de Dimon ,
pronunciavit, et quod medietas mobilium et conquestuum factorum
durante matrimonio inter ipsos conjuges in prepositura predicta de
Dimon remanebit predictis Stephano et Edeline , et si aliqui alii con-
questus facti fuerint extra dictam preposituram de Dinon et de Bor-
dis , fîet de predictis commuais divisio inter oranes liberos predictos
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 553
secundum consuetudinem loci ejus conservatam. A quo judicato pre-
dictus Stephanus de Grevies , nomine quo supra, ad nostram curiam ,
tanquam a falso et pravo appellavit. Auditis igitur dictis partibus ,
recepto visoque processu dicte cause , examinato diligenter per
eandem, per judicium dicte curie fuit dictum ballivum bene judicasse
et dictum actorem , nomine quo supra , maie appellasse, et emenda-
bit appellans. Datum XXa die Junii.
GUILLELMO DROCON (1).
(D'après le reg. du Parlement, Arch. Nat., X*A 5, f° 510.)
XXIV.
1403-1404. — Extraite du compte de la recette du duché d'Orléans
pour les termes de la Chandeleur 1403 et Ascension 1404.
Lorris.
Item s'ensuit la coustume qui est le tonlieu.
C'est assavoir pour chacun cheval vendu , le vendeur doit 1III d.
paris., et l'achateur MI d. par.
Item pour la jument vendue, le vendeur doit II d. par., et l'acha-
teur II d. par.
Pour chascun bœuf vendu, le vendeur doit obole et l'achateur obole.
Les pelletiers pour toute leur vente de la journée , s'ils vendent a
jour de marchié, chascun obole parisis; s'il est bourgeois, l'achateur
doit de chascun marchié obole parisis.
Chascun tanneur, s'il est bourgeois, doit pour toute l'année XVIII
d. par.
Chascun mercier bourgeois , pour toute l'année, XII d., et l'estran-
ger chascun obole.
Chascun mercier qui vent buleteaux a jour de marchié , pour toutes
fois qu'ils vendent a jour de marchié, chascun mercier, qui n'est
bourgeois de Lorris, a quelque jour que ce soit, il doit obole; s'il est
bourgeois , il ne doit riens de la foire ne du marchié.
Vendeurs de chanvre, toille, lin, poivre, que s'ils sont detailleurs,
et ils soient bourgeois , ils doivent, pour toute la vente du mercredy,
potevine
(1) Il y a une abréviation au-dessus de Drocon.
Rrvor hist. — Tome VIU. 37
v^
554 LES COUTUMES DE LORRIS.
Chascun vendeur de laine acrue, se il vent a jour de marchié,
obole, se elle n'est de sa ouillette, et s'il n'est bourgeois, il doit de
chascun cens VIII d. par
• ••»••••••••• ••• * •••••••••• • • *
dhascune pièce de robe vendue, la vendeur doit obole , et l'aeha-
teur obole , s'ils ne sont de franchise
Chascun tonneau de vin vendu en taverne II d. par., se il n'est
creu en l'heritaige du vendeur, et qu'il [ne] soit bourgeois.
Les bourgeois de Lorris , pour quelconques denrées qu'ils vendent
ou achatent a quelque jour de la semaine, ils ne doivent point de
coustume a monseigneur le Duc, ne a autre seigneur for que au mer-
credi. Et eulx, pour toutes les denrées qu'ils vendent ou achatent a
icelluy jour, ils ne doivent que obole de coustume senz plus à monsei-
gneur le Duc, et non a autre seigneur. Et, se les denrées qu'ils ven-
dent sont de leurs cuilletes, ils ne doivent point de coustume ne au
mercredy ne a autre jour de la sepmaine.
Et tous ceulx qui ne sont pas bourgeois de Lorwz , ou qui ne sont
de franchise, doivent a mon dit seigneur le Duc telle coustume, comme
dessus est dit et divisé, de toutes choses qu'ils vendent ou achatent
en la ditte ville de Lorriz, soit a jour de marchié ou a autre jour de la
sepmaine.
(D'après une copie du xviirt siècle , provenant des Archives du Ghâ-
telet d'Orléans, auj. Archives du Loiret, A. 246 (registre), f° 109
et suiv.)
xxv.
1411. — Liste des villages que l'abbaye de Saint-Denis possédait en Gatioais
et qui jouissaient des coutumes et franchises de Lorris.
Ce sont les villes qui sont Saint-Denys en Gastinoys , qui sont de
telle franchise comme Lorris, dont les bourgoiz paient II II d. de cla-
mour et non plus, quant ils sont adjoumez lui uns comme l'autre;
et de l'amende qui par coustume monte Vs., ils s'en passent pour XII
d.; et de l'amende de LXs., ils se passent pour Vs. ; et ne les peut-
on justicier hors de leurs lieus, s'il ne leur plaist, fors as assises te-
nues de bailly en leurs franchises.
Premièrement, Nibelle (1) et tout le terrouer.
(1) Nibellc-Saint-Sauveur, Loiret, arr. Pithiviers, c0B Beaune-la-Rolande.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 555
Item, Saint-Michiau (1). De celle parroche est Gabevau (2), Champ-
Bertrain et les appartenances.
Item, Batilly (3) ; de celle parroche est Arconville (4), Boysgirart (5)
et les appartenances.
Item , Soissy (6) ; tout ce que Saint-Denys y a.
Item, Fre&vîlle (7); tout ce que Saint-Denys y a.
Item, Maisieres (8) et toute la parroche que Saint-Denys y a.
Item, le Mont (9), les Rues (10), Gratelou (41) et plusieurs autres
hamiaulx que, combien qu'ilz soient de la parroche de Lorry (12), si
sont-ilz des appartenances de Maisieres.
Item, tous les bourgoiz du Val de Saint-Leu (13), qui furent au
seigneur de Sailly (14), et généralement toutes les personnes, quelx
qu'elles soient , qui demeurent en la terre qui fu au dit seigneur en
quelque lieu que ce soit, sont de la franchise dessus dicte.
Item, le Gloos de Roy de Romainville (15) qui contient XII masures
et aussi de la dicte franchise.
Ce sont les villes qui sont d'ancienneté Saint-Denys des apparte-
nances de Beaulne qui ne sont pas de franchise et paient XV d. de
clamour. Geulx qui enchient d'un deflaut de preuve , d'un ni aconsou ,
d'un deffaut de gagement, de chascun Vs.;d'un sanc, d'une rageusse,
d'une saisine brisée , de prison brisée sans briser forteresce ne despe-
cier huys ne fenestre, LXs. de chascune, et autant d'autres meffaiz
qui sont de ceste condition.
(Suivent les noms des villes qui sont des appartenances et des cou-
tumes de Beaune : Beaulne, Saint Leu, Jensanville, Maillenville ,
Orouer delez Soisy, Beauchamp delez Lorriz, Hauxi.)
(D'après le Livre Vert, Cartulairede Saint-Denis, rédigé en 1411, 1. 1,
p. 457459, Archives Nat., LL 1209.)
(1) Saint-Michel, commune du même canton.
(2) Gakveau, lieu dit de la commune de Saint-Michel.
(3) Batilly, c» du c°» de Beaune-la-Rolande.
(4) Arconville, c»° de Batilly.
(5) Bois-Girard, lieu dit de la même commune.
{6) Soissy, ancien nom de Bellegarde, ch.-l. con de l'arc de Montargis.
(7) Fréville, Loiret, arr. Montargis, con Bellegarde.
(8) Stézières-en-Galine , con de Bellegarde.
(9) Le Mont , lieu dit de la cne de Lorcy, c°» Beaune.
(10) Les Bues, lieu dit de la même commune.
(11) Le texte porte Gratelon; mais le Livre Vert porte Gratelou, à la p. 463.
(12) Corr. Lorcy, cBe du c°» de Beaune.
(13) Peut-être Saint-Loup-det- Vignes , même canton.
(14) La famille de Sailly habitait Chaussy-en-Beauce, Loiret, c0B Outar ville.
(15) Romainville, hameau de la cn« de Beaune.
556 LE8 COUTUMES DE LORRIS.
XXVI.
1419, 19 décembre. — Le prieur de l'abbaye de Saint-Benott-sor-Loire re-
connaît avoir reçu du commis à la recette du domaine du duché d'Orléans
la somme de 100 sous parisis due annuellement à l'abbaye pour la célébra-
tion de l'anniversaire des rois de France.
Sachent tuit que nous prieur et convent de l'esglise de Saint Be-
noist sur Loire , congnoissons et confessons avoir eu et receu de hon-
nor. et discrète personne Robert Baffart, commis à la recepte du
demayne du duchié d'Orl[ien]s la somme de cent solz parisis qui
nous sont deubz chascun an sur la dicte recepte au terme de la Mag-
dalene pour cause de l'anniversaire que nous faisons en nostre dicte
église chascun an pour nosseigneurs fondeurs les Roys de France et
autres Royaulx. De laquelle somme de cent s. par. nous nous tenons
pour bien paiez et contens, et en clamons quicte led. commis pour
ceste présente année. En tesmoing de ce nous avons seellé ces pré-
sentes lectres de quictance de nostre grant seel. Donné et escript en
nostre chappitre le mardi xixe jour du moys de décembre l'an de
nostre S. mil cccc et dix neuf.
J. Polîn.
(D'après l'original, Archives du Loiret , A 271.)
XXVII.
1573, 14 octobre. — Le chambrier de l'abbaye Saint- Benoît de Fleury-sur-
Loire donne quittance au receveur du domaine d'Orléans de la somme de
cent sous parisis due annuellement à la dite abbaye pour l'anniversaire
fondé par Philippe I.
Frère Jehan de la Noue, religieux et chambrier de l'abbaye Saint-
Benoist de Fleury-sur-Loire confesse avoir receu de noble homme
Loys Delatour, receveur ordinaire du domaine d'Orléans, absent, la
somme de cent sols parisis pour une année echeûe à la Saint-Jehan
Baptiste an mil cinq cens soixante unze a cause de pareille somme de
rente assignée aus dits religieux pour ung anniversaire fondé en la
ditte abbaye par le roy Philipe premier de ce nom , lequel se cellebre
le douziesme Juillet. Presens Pierre Leroy et Claude Rousseau tes-
moing, le quatorziesme octobre Tan mil cinq cens soixante treize.
Signé Rousseau avec paraphe.
(D'après une copie notariée du xvir* s., Archivée du Loiret, A. 271.)
Maurice Prou .
VARIÉTÉS.
ÉTUDE SUR LA DATE
DU FORMULAIRE DE MARCULF.
Les historiens de nos institutions reconnaissent unanime-
ment l'importance exceptionnelle des Formules de Marculf
pour le droit public et le droit privé sous les Mérovingiens.
Depuis deux siècles ils s'accordent pour la plupart à donner
comme date à ce Formulaire Tan 650 environ , parce qu'il est
dédié à l'évêque Landri,et que le seul évêque de ce nom dont
l'existence soit notoire, vers cette époque, est saint Landri de
Paris (650-656). Toutefois, cette opinion avait été contestée
par Launoy, qui avait soutenu, sans donner de motifs sé-
rieux, que le Formulaire de Marculf était dédié à un Landri
évêque de Meaux, du temps de Pépin le Bref et de Charle-
magne (1). Du Pin adopta cette opinion et assigna pour date
à l'épiscopat de ce Landri l'an 780 (2).
D'autre part, Adrien de Valois voulait lire dans les mss.
Candericus au lieu de Landericus, et il faisait de l'évêque de
Marculf un prélat lyonnais (3). Le P. Labbe soutenait, de son
côté , que Marculf était un moina de Bourges (4), et l'Histoire
littéraire de la France acceptait cette conjecture (5). Enfin
Toussaint du Plessis , dans son Histoire de l'Église de Meaux,
(1) InquUitio in chartam immunitalisbeati Germant, 1657, p. 26. — Assertio
inquisUionis, 1658.
(2) Nouvelle bibliothèque de» auteur» ecclésiastiques, VI, 36.
(3) Ditceplationii de batilici» defensio, 1660, p. 152.
(4) Sacroianeta concilia, VI, col. 351.
(5) III, 567.
558 ÉTUDE SUR LA DATB
prétendait que Marculf avait dédié son Formulaire à Landri
de Soignies (ou plutôt de Soignes entre Mons et Bruxelles),
(ils de saint Vincent, fondateur du monastère de Hautmont
près Maubeuge, puis de celui de Soignes où il mourut, et de
sainte Waldetrude, fondatrice d'un troisième monastère au-
tour duquel s'est élevée la ville de Mons. Ce Landri de Soi-
gnes n'aurait pas été, selon du Plessis, évêque de Meaux,
car il ne figure point dans les anciennes listes des évoques de
cette ville, mais seulement chorévêque in castello Meltis
(Melteshem , aujourd'hui Meldesheim) (1).
Bignon , Lecointe , Mabillon , puis Seidensticker, Savigny,
Eichhorn, Stobbe, E. de Rozière, Sickel, pour ne citer que
les opinions les plus considérables, soutiennent, au contraire,
que le Landri de Marculf était bien l'évêque de Paris , et que
le Formulaire qui lui est dédié ne peut être postérieur à l'an
656.
Mais le nouvel éditeur des Formules, dans les Monumenta
Germaniae historica, M. Charles Zeumer, a repris tout récem-
ment, avec quelques modifications, l'opinion combinée de
Launoy et de Toussaint du Plessis; en 1881 , dans sa remar-
quable dissertation sur les anciennes collections de Formules
franques (2), et l'année suivante, dans le premier fascicule
de son édition des Formules (3). Pour lui , Marculf était un
moine du diocèse de Meaux , qui écrivait au temps de Landri
de Soignes , évêque de cette ville.
Nous résumerons aussi brièvement, mais aussi exactement
que possible, les arguments produits par M. Zeumer, à l'appui
de sa conjecture.
1° « Les Formules 1 et 2 du livre premier du Formulaire
» de Marculf ont été rédigées, pour la plus grande partie,
» d'après le diplôme accordé, en 635, par Dagobert, àl'ab-
» baye de Rebais, du diocèse de Meaux (4). Le rédacteur dd
» Formulaire avait certainement ce diplôme sous les yeux ; il
(1) I, 67, et 692, n. 33.
(2) Neues Archiv der Gc$cll$chaft fur xltere Geschichtthmdê, VI, 36 et sohr.
(3) Monumenta Germanie historica. Formule Merowingici et Garolini »vi. éd.
Karolus Zeumer. Pars prior. Hannovere, 1882, 4°, p. 33, 34.
(4) Pardessus , Diplomata, II, 275.
DU FORMULAIRE DE MARCULF. 559
» était donc très-probablement moine de l'abbaye de Rebais.
» Gomûie il dédie son livre à Landri son évoque, on doit en
» conclure que ce Landri était évoque de Meaux (l).
2° » Cette opinion est confirmée par les Gesta episcoporum
» CtHUerâcensiutn qui nous apprennent que saint Vincent, fon-
» dateur de l'abbaye de Soignes* fut enterré dans ce monastère,
» ainsi que son fils Landri, évoque de Meaux : ibique.*.. «*•>
» pultots cum fiiio suo Landerico , Meldensi episcopo, in pâté
» quiescit (2).
3° » Dans la Formule 25 du livre premier, le maire du palais
» assiste au placitum palatii. Le premier judicium où l'on
» trouve le major domus est de Tan 697. Donc le Formulaire est
» postérieur à cette année 697. L'auteur n'a pu le dédier à Lan-
» dri, évêque de Paris, mort vers 686, mais bien à Landri de
» Soignes, et il nous donne le droit public et le droit privé
» de la un du vu0 siècle, au plus tôt. »
Nous allons reprendre et discuter ces trois arguments.
I.
« Marculf s'est servi, pour la rédaction de son Formulaire,
» du diplôme accordé en 635 à l'abbaye de Rebais; donc il
» était moine de cette abbaye. »
Cette conclusion est très contestable. Les minutes des di-
plômes des rois mérovingiens étaient conservées à l'abbaye de
Saint-Denis : un moine de cette abbaye pouvait tout aussi
bieti prendre copie du diplôme de Dagobert qu'un moine de
Rebais. Marculf nous dit d'ailleurs, dans sa préface, qu'il
écrit son livre ad exercenda initia puerorum ; il était donc le
maître d'un école de jeunes notarii. Il est fort douteux qu'une
semblable institution existât dans le petit monastère de Rebais,
et on doit bien plutôt la chercher dans la grande abbaye de
Saint-Denis, dépôt des archives publiques.
Dans tous les cas , on ne saurait nier que le diplôme de Da~
(1) Neuet Arehiv, VI, 40.
(2) Mon. Germ. Script., VII, 465, no 66.
560 ETUDE SUR LA DATE
gobert a pu être copié ailleurs qu'à Rebais. L'analogie qui existe
entre les deux premières Formules de Marculf et ce diplôme
n'est donc pas une preuve décisive que ce livre ait été com-
posé à Rebais et que son auteur fût moine de cette abbaye.
Ajoutons enfin que plusieurs diplômes de la première moitié
du vne siècle présentent autant d'analogie que le diplôme de
Dagobert avec les Formules 1 et 2 du livre premier de Mar-
culf. La ressemblance signalée par M. Zeumer ne prouve donc
rien.
IL
« Les Gesta episcoporum Cameracensium disent que Landri
» de Soignes, fils de saint Vincent, a été évêque du diocèse
» de Meàux, où se trouve l'abbaye de Rebais. C'est donc à
» Landri de Soignes que Marculf, moine de Rebais, a dédié son
» livre. »
M. Zeumer, qui discute très loyalement , reconnaît que le
passage allégué des Gesta episcoporum Cameracensium, ne se
trouve point dans les anciennes éditions , qu'il a été ajouté par
Bethmann , le dernier éditeur, et que celui-ci l'a emprunté à
la VUa Autberti de Fulbert (1).
Il faut donc, pour vérifier ce texte, se reporter aux manus-
crits de la Vita Autberti.
Dans un de ces mss., cité par Bethmann, Landri de Soignes
n'est point qualifié Meldensis episcopus , mais bien Meltensis
episcopus.
On pourrait conjecturer, à priori, que cette variante est la
bonne leçon. Il est bien plus probable que Landri , de la fa-
mille des Arnulfinges , a été évoque dans une contrée où cette
famille avait une très grande influence, que dans un diocèse de
Neustrie.
Cette conjecture deviendra une certitude si l'on considère :
D'une part, que les listes les plus anciennes et les plus au-
thentiques des évèques de Meaux ne contiennent pas le nom
de Landri, que ce saint n'a jamais été l'objet d'un culte dans
(1) Nêuet Archiv, VI, 39, n* 1.
DU FORMULAIRE DE MARCULF. 56i
ce diocèse, et que son nom ne figure point dans les calen-
driers et les propres locaux (1) ;
D'autre part, que dans les quatre mss. connus de la vie de
saint Landri, on lit qu'il avait été évoque de Metz. Cette vie a été
écrite, peu de temps après sa mort, dans le monastère de
Soignes , où il a passé les dernières années de sa vie , et où il
a été inhumé ; elle est donc digne de toute confiance et on a
le droit d'en conclure que Landri a été évoque de Metz, et non
de Meaux.
Mais on objecte qu'il n'est pas fait mention de saint Landri
dans les anciennes listes des évêques de Metz.
Cette difficulté a été résolue depuis longtemps par Henschen.
Le savant Bollandiste a fait remarquer que « les anciens ca-
» talogues d'évêques ont été dressés à l'aide des diptyques des
» morts (nécrologes ou obituaires) , et qu'on n'inscrivait sur
» ces diptyques que les noms des évêques en fonctions : quant
» à ceux qui avaient résigné leur charge, il n'en était point
» fait mention. C'est ce qui sera arrivé pour Landri (2). »
Rien ne saurait donc nous empêcher d'ajouter foi à un texte
aussi digne de confiance que la vie de Landri de Soignes , ap-
puyé d'ailleurs par un des mss. de la vie de saint Aubert, et
d'affirmer que ce grand seigneur austrasien a été évêque de Metz
et non de M eaux. Il n'y a pas lieu de s'arrêter au second argu-
ment de M. Zeumer, et nous pouvons arriver au troisième qui
est tiré de l'histoire de nos institutions politiques.
III.
« Le Formulaire de Marcuif ne peut pas être antérieur à la fin
» du vu6 siècle, parce que le Major domus figure dans la Formule
» 25 du livre premier, prologue ou préambule d'un judicium
» régis ou palatii. En effet, ce grand dignitaire n'a point siégé
» au plaid du palais avant l'an 697, date à laquelle on le voit
» figurer dans un diplôme de Childebert III (3). »
(1) In Calalogis Meldensium episcoporum nulla mentio ; per diocesim non
colitur;in calendariis omittitur. Gall. Christ., VIII, col. 1601.
(2) Bibliothèque de l'École des Chartes , XLIV, 354.
(3) Mon. Germ. Hist. Dipl., n° 60. — J. Tardif, Mon. hist., n« 38.
562 ÉTUDE SUR LA DATE
Celte opinion a été tout récemment adoptée par le savant
G. Waitz, dans la troisième édition du tome second de ba
grande Histoire constitutionnelle de la France et de l'Allema-
gne (1). Il est donc indispensable de la discuter avec soin.
Noua présenterons contre cette assertion deu* observa*
lions :
1° Peut-on affirmer que le Major domus n'ait jamais aâëisté
à Un plaid du palais, avant 697?
Il ne nous est parvenu que huit jugements du palais avant
celui de 697.
Les n" 34, 36 et 37 de l'édition des Mon. Germ. Hist., daté*
des années 658 et 659, sont extrêmement mutilés et ne don-
nent plus l'énumération des grands personnages qui assistaient
à ces plaids.
Ils ne prouvent donc rien , ni pour ni contre l'opinion de
MM. Zeumer et Waitz.
Le n° 35 nous présente une lacune dans l'énumération des
assistants au plaid ; il est également impossible d'affirmer que
le maire du palais n'y figurait pas.
Les noa 59 et 60 sont complets (691-692); mais aucun des
grands personnages de la Cour n'y est nommé; ils h'assid*»
taient aux plaids que dans les affaires plus importantes ; le
maire du palais ne devait pas plus siéger dans ces deux juge*
ments que les autres dignitaires.
Lesn" 64 et 66 (J. Tardif, n" 32 et 33), des années 692 et
693, sont, au contraire, des sentences rendues au plaid du
palais dans des affaires considérables, qui furent jugées, l'une
à Luzarches, et l'autre à Valenciennes. Ces sentences contien-
nent une longue énumération de hauts fonctionnaires bu di-
gnitaires parmi lesquels on cherche vainement le maire du
palais. Ces deux textes sont les seuls sur lesquels puisse s'ap-
puyer l'opinion du nouvel éditeur deà Formules ; mais ils ûô
sont pas plus probants que les autres.
Quel était le maire du palais en 692 et 693? C'était l'aus-
(1) Deuttche Verfassungt Gttchichte, II. Bd. Dritte AuQage, 1882, p. 90,
n. 4.
DU FORMULAIRE DB MARCULF. 563
trasien Pépin d'Héristal, le véritable roi, en Neustrie comme
en Austrasie. De 691 à 695, il était reténu en Àustitosie par là
guerre de Frise, et il avait d'astiaz graves préoccupations pour
ne pas revenir assister à un plaid à Luzarchés et à Valén-
ciennes.
Il était d'ailleurs représenté en Neustrie par Nordebercthft**
ou Norbert , qui exerçait pouf lui les fonctions de maire du
palais, quand il était retenu en Austrasie (1). Or Norbert sié*
geait dans ces deux plaids de 692 et 693. On a donc le droit
d'affirmer que le maire du palais y assistait, non point en per-
sonne, puisqu'il était retenu loin de la cour, mais par son sup-
pléant.
Quel historien oserait d'ailleurs affirmer que si Pépin d'Hé-
ristal, le premier fonctionnaire du palais, bien autrement
puissant que le roi , s'était trouvé à Luzarches ou à Valencien-
nes, en 692 et 693, il n'aurait pas eu le droit d'assister, comme
ses subordonnés, au plaid du palais, ainsi qu'il le fait en 697,
quand il en a le loisir?
D n'est donc nullement démontré que le maire du Palais
n'ait pas pu assister à un piaeitum palatii, avant 697.
Nous pouvons faire un pas de plus et dire que l'argumen-
tation de M. Zeumer a pour point de départ une mauvaise le-
çon.
2° Est-il en effet bien certain que le Major domus se trouve
dans l'énumération de la Formule 25 du livre premier de Mar-
culf.
On ne l'y rencontre point dans les meilleures éditions des
formules , notamment dans les éditions de F. Walter et de
M. Eug. de Rozière. Mais, ce qui est bien plus grave, il n'est
pas mentionné dans le ms. de Marculf , qui, de l'aveu de tous
et de M. Zeumer lui-même est incomparablement le meilleur
(B. Nat, ms. lat. 4627).
Le Major domus est , il est vrai, compris dans l'énumération
que donne le ms. lat. 2123 ; mais, comme le reconnaît encore
(1) M. Zeumer le reconnaît lui-même très loyalement, Neuet Arehin, VI, 31.
564 ÉTUDE SUR LA DATE
M. Zeumer, ce ms. n'est pas, à proprement parler, un ms. de
Marculf , c'est un grand recueil de Formules bien plus considé-
rable : Formularum corpus mullocopiosius, où les Formules ont
été modifiées dans leur rédaction : negue vero omnes quae exis-
tant formula genuinœ sunt, sed nonnullx mutatx , quxdam
sublatœ. Le nom même de Landericus a disparu dans lapre/ato,
et il a été remplacé par un JEglidulfus , sur lequel on disserte
fort inutilement (1).
Ce ms. ne saurait donc inspirer une grande confiance;
mais nous pouvons être plus affirmatif et donner la preuve
matérielle , en quelque sorte , que le compilateur a modifié la
Formule 25 du livre premier de Marculf, comme il en a mo.
difié plusieurs autres.
Il suffit pour cela de mettre en regard le texte du ms. 4627,
adopté par M. de Rozière, n° 442, et le texte du ms. 2123
adopté par M. Zeumer.
Ms. 4627. Ms. 2123.
Gum domnis et patribus nostris Gum domnis et patribus nostris
episcopis, vel cum pluris opti- episcopis, vel cum plures opitma-
matibus nostris illis, patribus tibus nostris, illis episcopis, illi
[pour patriciis) illis, referendariis majorent domus, illis ducibus,
illis. . . . illis patriciis , illis referendariis. . . .
En comparant ces deux textes, on remarquera, dans la
leçon adoptée par M. Zeumer, que :
1° Le mot episcopis revient deux fois;
2° Les episcopi se trouvent placés après les optimales, ce
qui est sans exemple ;
3° Le maire du palais est également rangé après les opti-
mates, tandis qu'il occupe toujours la première place après les
évêques (2).
Les mots episcopis, illi majorem domus, illis ducibus sont
donc une addition faite par un scribe qui ignorait les règles
les plus élémentaires de la chancellerie royale ; ils ne sont cer-
tainement pas de la main de Marculf, ce vieux maître in arte
(1) Formula merow. et carol. acvi, p. 35.
(2) Cf. Dipl. de 697; J. Tardif, Mon. hitt, n« 38.
DU FORMULAIRE DE MARCULF. 565
dictandi, dont le Formulaire est un modèle. Le mot Majorent
domus n'était assurément pas dans la formule originale, et les
déductions qu'on a voulu en tirer ne reposent que sur une in-
terpolation maladroitement faite sous les carolingiens.
Le troisième argument de M. Zeumer n'a donc pas plus de
valeur que les deux premiers, et nous maintenons énergique-
ment l'opinion qui considère le Landri de la préface de Marculf
comme n'étant autre que saint Landri, évêque de Paris, et
Marculf comme un moine de ce diocèse, très-vraisemblable-
ment de l'abbaye de Saint-Denys, qui a terminé son Formulaire
pendant l'épiscopat de Landri, c'est-à-dire de 650 à 656. On
peut donc se servir, en toute sécurité, de ce recueil de for-
mules pour l'histoire du droit public et du droit privé sous
les derniers Mérovingiens.
Ad. Tardif.
-*•«
ÉTUDE CRITIQUE
SUR
LOS PARAMIENTOS DE LA CAZA
Il y a quelques années, M. Castillon (d'Aspet) publia la
traduction française d'un texte fort curieux sur la chasse,
attribué par lui à Sanche le Sage , roi de Navarre (1).
Ces règlements, est-il dit dans la Dédicace, « étaient enfouis
dans les Archives provinciales de Pampelune depuis la fin du
xne siècle; » et, plus loin, dans son Introduction , le traduc-
teur ajoute : « C'est dans la collection des Fueros que se trou-
vent les Paramientos de la Caza (2) ; » il précise encore davan-
tage lorsqu'il nous apprend que Gaston Phébus , Fauteur des
Déduicts de chasse, « a pu prendre connaissance des Para'
mientos transcrits sur le grand-livre en parchemin des fueros,
déposé aux archives du château (3) » de Pampelune. Or, j'ai
eu récemment l'occasion d'examiner la plus ancien manuscrit
du Fuero General que renferment les Archives de Navarre ; il
est du xive siècle , et c'est le seul que Gaston Phébus ait pu
voir : il ne contient des ordonnances en question que quel-
ques paragraphes dont il est parlé plus bas ; quant aux Para-
(1) La Paramientot de la Cota, ou règlements sur la chasse en général, par
don Sancho le Sage, roi de Navarre, publiés en Tannée 1180. Paris, librai-
rie centrale d'Agriculture et de Jardinage, in-18. — J'ignore pourquoi M.
Castillon date ces règlements de 1180, attendu que rien dans le texte n'indi-
que qu'ils soient de cette année-là.
(2) Op. cit., p. 9.
(3) Op. cit., p. 15.
568 ÉTUDK CRITIQUE
mientos eux-mêmes , on n'en trouve trace ni dans l'Inventaire
très complet des Archives , ni dans l'ouvrage où Yanguas
mentionne tous les documents intéressants de ce dépôt qu'il
connaissait si bien (1), ni dans les Annales du P. Moret qui
analyse cependant tous les actes de cette époque. On n'a
d'ailleurs à Pampelune aucune connaissance de ce mystérieux
manuscrit, qui semble n'y avoir jamais existé.
En effet, si Ton étudie le texte de ces ordonnances, dans la
forme et dans le fond , on n'a pas de peine à se convaincre
qu'elles sont apocryphes.
En voici d'abord la suscription : « Sachent tous que nous ,
don Sancho , par la grâce de Dieu et la volonté de mon peuple,
roi de Navarre et petit-fils (yerno) de l'Empereur, avons établi
los paramientos (règlements) suivants , concernant la chasse »
afin que tous nos peuples (pueblos) s'y conforment et qu'ils
soient observés pendant tous les temps (por todos los tiempos),
ainsi qu'ils sont mentionnés dans le présent écrit (cart) , scellé
de notre sceau (2). » En premier lieu, pas une des nombreuses
chartes de Sanche le Sage que j'ai pu étudier i Pampelune ne
débute par les formules de notification ; c'est seulement sous
le successeur de ce prince, sous Sanche le Fort, que l'usage
s'introduisit dans la chancellerie de Navarre de commencer
ainsi les actes ; en second lieu , Sanche le Sage ne s'intitule
pas roi « par la volonté de son peuple; » en troisième lieu, et
quoi qu'ait écrit le traducteur à ce sujet (3), ce roi ne rappelle
pas dans la suscription de ses actes qu'il est le petit-fils de
1' « Empereur, » Alfonse le Batailleur; j'ajoute que yerno signi-
fie gendre et non petit- fils; enfin, Sanche le Sage n'avait pas
de sceau, et il authentiquait ses chartes en y faisant dessiner
son « signum. »
Il est dit plus haut que M. Castillon n'adonné de ces règle-
ments qu'une traduction ; cependant il a cité entre parenthèses
quelques termes castillans qui ont, en général, une forme bien
différente de celle qu'ils affectaient aux xii% xiue et môme xnr*
siècles : « todos los tiempos, son Isidoro, fueros, pueblos, alferez,
(1) Diccionario de las antigûedades de Nararra, por d. Joeé Yanguas y Ma-
rioa. Pampelune, 1840, 3 in-! 2. — Adiciones, Pampelune, 4843, 1 in-42.
(2) Op. cit., p. 23-24.
(3) Op. cit., Introduction , p. 8.
SUR LOS PARAMIENTOS DE LA CAZA. 569
palo de hierro, cuchillo de caza, hidalgo, no tenian hidalguia,
harina de trigo; » ce sont là des expressions usitées dans le
castillan moderne , mais le xue siècle aurait dit : tempos, santo
Isidoro, foros, poblos, alferiz, fidalguia, cuchieiUo, ou cutieillo,
farina.
Les fueros anciens sont écrits très simplement; les répéti-
tions de mots et d'idées y abondent ; et les rédacteurs n'avaient
qu'un souci : éviter l'amphibologie; les Paramientos visent à
la poésie, et l'atteignent parfois, trop bien; leur ton général
est emphatique, et jamais législateur du xne siècle ne parla
la langue dont se sert l'auteur de ce livre , beaucoup trop beau
pour être authentique ; que l'on en juge par le passage sui-
vant : « Lorsque à quatre heures , les cloches annonceront la
présence du clergé {clerigo) sur les premières marches du pé-
ristyle de l'église, notre étendard royal flottant au-dessus du
cortège, tous les invités à la chasse mettront, à mon exemple,
genoux en terre, pour recevoir la bénédiction du ciel. Et
pendant que l'évêque (obispo), répandra sur nous ses saintes
bénédictions , chacun de nous récitera la prière de saint Isidore
(san Isidoro) sur l'heureux succès de la chasse, après quoi,
hommes et équipages se tenant debout, les trompes et les
ceilleros donneront le signal de la retraite du soir (1). »
Une autre remarque à faire c'est que , autant l'ordre et la
méthode font défaut dans les textes législatifs contemporains
des Paramientos, autant le plan de ceux-ci est logiquement
conçu , nettement tracé , et rigoureusement suivi : il suffit de
les comparer à ce point de vue avec les chartes de cette époque
publiées par M. Munoz y Romero pour s'assurer que les
Paramientos ne sont pas de 1180.
Si habile qu'ait été l'auteur de ces ordonnances apocryphes,
il n'a pas su éviter les anachronismes et les invraisemblances ;
ainsi, il règle les moindres détails du costume des chasseurs,
piqueurs, rabatteurs; Sanche Je Sage avait-il dit de telles
préoccupations? A une époque où les armées elles-mêmes
n'avaient pas idée de l'uniforme, il n'est pas vraisemblable
qu'on se soit avisé de l'imposer à des troupes de chasseurs et
(1) Op. cit., p. 26-27.
Rrvub hist. — Tome VIII. 38
570 ÉTUDE CRITIQUE
de légiférer sur la forme et la couleur de leur coiffure qui de-
vait être le « berret (boina) de couleur sombre...., sans autres
ornements ni ajustements qu'une jugulaire en cuir (cuero) pour
le retenir sur le chef (cabessa) (1). »
On se demande, en outre, de quel droit les Paramientos
exigent des laboureurs qu'ils prennent part aux chasses royales
pour y remplir telle ou telle fonction : les charges des labou-
reurs étaient déterminées; ils n'étaient point corvéables à
merci et nulle part dans le Fuero General il n'est fait mention
de cette corvée de la chasse.
A la suite des Paramientos vient le récit de chasses faites
« pendant l'hiver de 1165 dans les montagnes de Roncevaux
(Ronzasvallis) et de Roncale (2); » « cette note, » nous dit le
traducteur, « se trouvé écrite à la fin des Paramientos et
semble en être la conclusion naturelle (3). » Or, parmi les sei-
gneurs désignés comme ayant assisté à ces chasses, il en est
cinq, quatre richombres et un cavayllero (?), dont les noms se
retrouvent avec la même orthographe, dans le même ordre et
avec les mêmes titres dans le préambule de l'addition faite en
1330 au Fuero General (4), addition qui se trouve à la fin du
manuscrit du Fuero et qui en est la conclusion naturelle; le
« Fray Pedro » cité comme ayant pris note des pièces abattues
en 1165, était clerc du roi en 1330 et a rédigé en cette qualité
les articles additionnels dont il est parlé plus haut.
En résumé, la forme diplomatique des Paramientos, leur
forme philologique, la perfection de leur exposition, leur
tournure poétique et littéraire , et de nombreux anachronismes
prouvent que ce texte n'est pas de Sanche le Sage.
Cependant, les neuf premiers articles du chapitre VIII, in-
titulé « Ordonnances concernant la chasse, » se retrouvent
(1) Op. cit., p. 36. — Un éminent archéologue navarrais, M. Juan Iturralde
y Sait , directeur de la Revitta Eutkara et membre correspondant de l'Aca-
démie royale d'histoire de Madrid, a bien voulu me faire remarquer que
le berret ou boina n'était pas connu au xu* siècle dans la Navarre où il s'est
introduit à une époque relativement moderne ; on se servait anciennement de
la gorra ou casquette en peau , dont l'usage ne s'est pas perdu entièrement,
et du sombrero; les textes anciens ne font pas mention de la boina.
(2) Op. cit., p. 404.
(3) lbid., note.
(4) Fuero General de Navarra. Pampelune, 1869, in-4°, p. 148.
SUR LOS PARAMIENTOS DE LA CAZA. 571
avec quelques modifications dans le Fuero General (1); une
partie du treizième compose l'article x du Fuero (2) ; enfin , le
quatorzième et dernier est encore un paragraphe défiguré de
ce même Fuero (3).
Le reste a-t-il quelque valeur juridique? Faut-il voir dans
les Paramientos une compilation de règlements authentiques
quant au fond, mais de dates diverses et bien postérieures à
Sanche le Sage? Je crois bien plutôt que nous nous trouvons
en face d'une œuvre de pure fantaisie , pour ne pas dire plus ,
et que ces prétendues Ordonnances sont dénuées de toute au-
torité.
A. Brutails.
(1) Liv. V,tit. z, édition 1869, p. 116-117.
(2) Ibid.
(3) Liv. UT, zv, cap. 28, p. 69.
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COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
Histoire des Justices des anciennes églises et com-
munautés monastiques de Paris, suivie des Regis-
tres inédits de Saint-Maur-des-Fossés, Sainte-Gene-
viève, Saint-Gerxnain-des-Prés, et du Registre de
Saint-Martin-des-Ghamps, par L. Tanon, conseiller à la
Cour de cassation. — Paris, Larose et Forcel, 1883, in-8° de 568
pages.
Les lecteurs de la Nouvelle Revue historique de droit con-
naissent déjà des fragments , et non les moins importants , du
bel ouvrage de M. Tanon. Le savant auteur ne s'est pas borné
à reproduire les articles qui ont paru ici même et que le
public n'a pas oubliés : il y a ajouté des chapitres et des
documents inédits du plus haut intérêt.
Dans cet ouvrage , tout entier consacré aux justices sei-
gneuriales des églises de l'ancien Paris, il est possible de
discerner trois parties bien distinctes : dans la première,
après avoir rappelé brièvement l'origine des droits de justice
des églises de Paris , l'auteur étudie la procédure criminelle
et le droit pénal qui y étaient en vigueur, d'après les sources
du xme et du xive siècle; il termine ces notions générales par
un chapitre où il traite de la décadence et de la suppression
des hautes-justices de Paris. — Il s'occupe ensuite de cha-
cune de ces justices , dont il délimite le territoire et décrit
l'organisation : c'est ainsi qu'il étudie successivement les jus-
tices de l'évêque et du chapitre, des abbayes deSaint-Ma-
gloire,de Saint-Germain-des-Prés, de Sainte-Geneviève, de
Saint-Victor, de Montmartre, de Tiron (qui possédait une
seigneurie à Paris); des prieurés de Saint-Éloi, de Saint-
Denis de la C Dartre, de Saint-Martin-des-Champs , de Saint-
Lazare, du Temple, du Grand-Prieuré de France et de la
574 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
commanderie de Saint-Jean de Latran ; des églises collégiales
de Saint-Benoît, Saint-Marcel et Saint-Merry. — Enfin , sous
le titre de pièces justificatives, M. Tanon publie des registres
inédits des justices de Saint-Maur-des-Fossés , de Sainte-
Geneviève , de Saint-Germain-des-Prés , et de l'aumônier de
Saint-Denis , pour la seigneurie de la Chapelle-Saint-Denis.
Il y ajoute la réimpression d'un registre déjà publié par lui et
provenant de Saint-Martin-des-Champs. Ces registres ne sont
pas à proprement parler des collections officielles de sentences
criminelles; ils ont été rédigés, comme le dit fort bien l'au-
tour, afin de faciliter aux églises la preuve de leurs droits de
justice, « dans les contestations si fréquentes qui s'élevaient
entre leurs officiers -et tes officiers du roi. » Les faits qu'ils
rapportent se placent pour la plupart de la fin du xnie siècle
au xiv°.
Ce simple aperçu des matières traitées par M. Tanon donne
la mesure du service rendu par lui à tous ceux qui s'occupent
de l'histoire de Paris et de ses environs. Mais c'est moins sur
ces résultats , si importants qu'ils soient , qu'il convient d'in-
sister ici , que sur les parties du livre touchant de plus près
à l'histoire générale du droit criminel. Grâce à certaines idées
mises en lumière par M. Tanon, il est enfin possible de se
rendre compte du développement de notre procédure fran-
çaise : les chapitres intitulés : du duel judiciaire, de la pro-
cédure , de l'appel , fournissent à ce point de vue des notions
nouvelles dont plusieurs sont d'un intérêt capital. Je veux
seulement, m'inspirant de l'ouvrage de M. Tanon et des
jurisconsultes contemporains, essayer d'indiquer quelques
traits de ce développement.
Gomment est introduite l'affaire criminelle au moyen-âge?
Question grave : car la répression est plus ou moins bien
assurée suivant que la poursuite est plus ou moins facile.
11 y a d'abord un moyen très simple : c'est la vieille accu-
sation « par partie formée. » La lutte s'y établit directement
evtre l'accusateur et l'accusé , et s'y dénoue le plus souvent
par le duel judiciaire. Cette voie, périlleuse pour l'accusa-
teur, fut rapidement délaissée aa moyen-âge. Un fait analo-
gue se produisit dans l'Église : l'accusation (moins le duel
judiciaire), avait été empruntée par les lois canoniques aux
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 375
lois romaines : or, au xni° siècle, aucun mode d'instruction
criminelle n'est moins fréquemment usité.
A défaut d'accusateur, comment procéder? Lorsque l'initia-
tive des particuliers vient à manquer, il faut nécessairement
recourir à l'initiative du « bailli , » qui , d'après Beaumanoir,
doit « courre au devant des meffet et justicier selon le mef-
fet (1). » Le rôle du bailli est facile quand les crimes sont
avoués spontanément, ou « sont aperts et se prouvent d'eux-
mêmes (2), » comme il arrive lorsque le délit est flagrant ou le
fait notoire : le bailli peut alors les « justicier. » — Mais ce
sont là des circonstances exceptionnelles : en générai, le
bailli se trouvera en présence de prisonniers incarcérés à
raison des soupçons qui pèsent sur eux, sans cependant que
la preuve de leur crime soit établie? Comment faire cette
preuve, sans la volonté ou contre la volonté de l'accusé 1
Gomment le condamner à la suite d'une telle instruction ! Ne
heurterait-on pas ainsi des idées juridiques anciennes et in-
vétérées?
A la vérité, le juge peut offrir au prévenu de « se mettre
en enquête. » Le prévenu est libre d'accepter ou de refuser
l'enquête. S'il l'accepte, les témoins sont entendus contradic-
toirement , et le juge prononce sa sentence d'après le résultat
de l'enquête. S'il refuse, le juge, qu'il agisse de sa propre
initiative ou qu'il ait été mis en mouvement par un dénoncia-
teur, poursuit l'instruction comme il peut, recueillant des
indices , formant des présomptions , entendant des témoins :
c'est l'apprise, bien distincte de l'enquête. Cette instruction
aboutit à l'un des trois résultats suivants :
Ou les charges s'évanouissent, et le prévenu est mis en
liberté.
Ou l'instruction mène le juge à reconnaître que le crime
est notoire ou flagrant : on rentre ici dans une des catégo-
ries déjà indiquées (3).
Ou l'instruction, sans conduire à ce résultat exceptionnel,
laisse subsister des charges graves. En ce cas, le juge n'a
point le droit de prononcer une condamnation capitale : en
(1) Beatiraan., ch. I, n° 35.
(2) Beauman., ch. XXXI, n<> 6.
(3) Beauman., ch. XXXIX, n°» 12 et suiv.
576 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
effet, cette condamnation ne serait fondée ni sur l'évidence
ni sur un véritable procès criminel. 11 pourra seulement ban-
nir le prévenu de la terre du seigneur, comme il arriva en
1290, à « Pereste de Chartres » et à « Jehanette la boçue du
Parvis , » qui furent chassées de la seigneurie de Sainte-Ge-
neviève « pour soupçon de larrecin (1). » Ou bien avant de
mettre le prisonnier en liberté, il pourra lui ordonner de
« s'espurger : » cette justification, à la fin du xme siècle, se
fait non point par les cojureurs ou le jugement de Dieu, mais
au moyen de témoins à décharge (2).
On voit le vice de ce système, trop favorable aux crimi-
nels : l'individu sur lequel pèsent de graves soupçons échappe
assez facilement à la peine capitale s'il refuse l'enquête. Sans
doute on le gardera longtemps en prison, si l'on peut espérer
qu'un accusateur se présentera ou que l'on arrivera à prouver
la notoriété du crime. Sinon, il faudra bien le mettre en li-
berté, sauf à le bannir de la seigneurie, ce qui, dans Paris,
équivalait à lui imposer l'obligation de changer de quartier,
La répression était insuffisante : une règle introduite dans
l'intérêt des prévenus servit à la rendre trop rigoureuse. Le
juge peut condamner le criminel qui avoue : il faut donc
pousser les prévenus dans la voie des aveux ; au besoin , on
les y amènera en les soumettant à la question. La torture,
M. Tanon le démontre très clairement , ne fut introduite que
pour éviter ce que nous appellerions en style moderne des
acquittements trop nombreux : elle compense pour la pour-
suite les difficultés de la preuve.
Elle apparaît à la fin du xui* siècle dans les justices de
Paris. On n'appliquait alors la torture que « sur des indices
graves, après une information préalable, et lorsque le pri-
sonnier refusait l'enquête qui lui était offerte (3). » À la fin du
xive siècle, ces tempéraments sont tombés en désuétude , et
la torture est entièrement abandonnée au pouvoir discrétion-
naire du juge.
Alors le juge, en présence d'un individu soupçonné de
crimes, peut abandonner l'ancienne procédure et faire donner
(1) P. 349.
(2) P. 356.
(3) P. 62.
COMPTBS-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 577
la question à l'accusé pour provoquer les aveux : c'est pro-
céder « à l'extraordinaire. » Que si l'accusé se résigne à
avouer, il est condamné, et condamné sans appel : car on
déduit de certains textes du Code que l'appel ne doit pas être
reçu en cas d'aveu, non plus que lorsque le crime est notoire
ou flagrant. Voilà la procédure extraordinaire de notre ancien
droit dans toute sa rigueur : M. Tanon a le très grand mérite
de nous en faire bien comprendre les origines. Son livre
nous montre comment l'application de règles trop favorables
aux accusés amena nécessairement une réaction qui dépassa
bientôt la mesure et unit par produire un des plus mauvais
systèmes d'infraction criminelle qui aient été en vigueur chez
les nations civilisées. Déjà à la fin du xni4 siècle, l'évêque de
Mende, Guillaume Durant, écrivait à propos de la procédure
française ces mots plusieurs fois cités au moyen-âge : « Alibi
celeritas sœpe justitiam exorbitare facit... sicut plerumque in
curia Franciœ, ubi judiciarius ordo non servatur, experti su-
mus. Iniquitas enim omnia praecipitat (1). »
On ne trouvera pas dans le livre de M. Tanon des rensei-
gnements nouveaux sur l'institution du ministère public, ni
sur la formation de la théorie de la double action publique et
privée, si nettement exposée par les jurisconsultes du xvie
siècle : il ne faut guère s'en étonner, car les documents qu'il
étudie appartiennent pour la plupart à une période où appa-
raissent à peine les procureurs et les avocats du roi. Mais on
verra dans les pièces justificatives des mentions de tous les
incidents qui se rencontraient dans la procédure : il y est
souvent question de conflits de compétence : l'auteur fait
remarquer à ce sujet que les juges, même quand ils admi-
nistraient la justice au nom des Églises , rendaient les clercs
emprisonnés à l'official , seul juge spirituel. Je constate qu'ils
élevaient contre les officiaux les mêmes prétentions que les
juges des seigneurs laïques : ainsi en 1339, la justice de Saint-
Martin-des-Ghamps , tout en restituant à l'official certains
clercs , s'efforce de retenir le procès d'un clerc bigame : « en
protestant de ravoir ledit Simon, qui dit qu'il y a eu deus
famés espousées (2). » On sait, en effet, que le clerc veuf qui
(1) Specul., deAppell., S. nunc br éviter, d° 5.
(2) P. 521.
578 COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
contractait un second mariage était généralement considéré
comme retombant sous la juridiction du for séculier. — De-
vant les tribunaux séculiers du moyen-âge, le duel judiciaire
fut longtemps en vigueur : à ce propos M. Tanon explique le
sens de l'expression « les cous le Roi, ictus Régis » et com-
plète les textes cités par Ducange. Signalons au hasard de
nombreux détails caractéristiques. « La restitution , réelle ou
symbolique , accordée aux seigneurs dont le roi avait enfreint
la justice; les procès contre les animaux; d'abondants rensei-
gnements sur les peines criminelles et leur mode d'exécu-
tion , etc. » Citons encore les expertises médicales dont il est
fait fréquemment mention : chaque tribunal avait à son ser-
vice un ou plusieurs « mires juris » aux lumières desquels
ils avaient recours quand l'occasion s'en présentait.
Déjà les tribunaux tiennent compte de circonstances qui
préoccupent à bon droit le législateur moderne. Par exemple,
c'est un enfant de neuf ans qui faisait métier de « vuidier des
bourses; » considéré son « petit âge, » il sera simplement
battu de verges, au lieu d'être envoyé à la potence (1), comme
«des coupeurs de bourses » plus âgés (2). En revanche, la
récidive entraîne une aggravation de peine : ainsi une femme de
Soisy, convaincue de vol, est condamnée à être enfouie, parce
que son oreille coupée décèle une précédente condamnation.
Il faut louer dans ce livre la conscience d'érudit avec la-
quelle l'auteur a exécuté son œuvre : il cite exactement de
nombreuses sources, n'a pas craint de rechercher aux Archives
Nationales les divers documents de nature à expliquer les
textes qu'il publie correctement. Toutefois, le lecteur regret-
tera peut-être que M. Tanon n'ait pas distribué suivant un
plan méthodique les matières dont il est traité dans la pre-
mière partie : cette partie semble moins un livre qu'une col*
lection d'excellents articles.
Quoi qu'il en soit, la publication de cet ouvrage marque un
progrès sensible pour l'histoire du droit criminel au moyen-
âge : à ce titre , l'auteur mérite la reconnaissance du monde
savant.
P. Fournies.
(1) P. 476.
(2) PP. 368 et 488.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 579
Gode pénal des Pays-Bas du 3 mars 1881, traduit et an-
noté par M. Willem- Joan Wintgens , avocat à La Haye (Paris, im-
primerie Nationale, 1883).
La Société de législation comparée et le Comité de législa-
tion étrangère , poursuivant le cours de leurs traductions des
principaux codes étrangers , viennent de publier le nouveau
Code pénal des Pays-Bas du 3 mars 1881, traduit et annoté
par M. Willem-Joan Wintgens, avocat à La Haye.
Sur l'œuvre de traduction elle-même, nous ne pouvons
guère, dans notre ignorance du hollandais, fournir aucune
appréciation. Tout ce que nous dirons, c'est que le Code que
nous avons sous les yeux est d'une lecture facile et qu'on peut,
en s'y référant, très bien saisir la portée des dispositions édic-
tées par le législateur hollandais.
Il était véritablement utile de faire connaître aux lecteurs
français la nouvelle législation pénale des Pays-Bas , car elle
constitue, comme ses auteurs se le sont proposé, une œuvre
réellement originale et beaucoup plus intéressante pour le cri-
minaliste que le nouveau Code pénal allemand.
Les Hollandais, qui avaient gardé jusqu'à présent le Code
pénal français de 1810, modifié par de nombreuses lois de dé-
tail, ont entièrement rejeté le système et le plan français et
ont établi leur nouveau droit pénal sur des bases entièrement
neuves.
Après avoir posé dans le titre Iir quelques règles sur l'au-
torité de la loi pénale, règles évidemment mieux à leur place
dans un Code pénal que dans un Code d'instruction criminelle,
comme en France , le législateur des Pays-Bas passe à l'énu-
mération et à l'organisation des peines.
Il écarte la peine de mort. Nous ne voulons exprimer aucun
regret à cet égard , car nous pourrions être accusé de ne pas
être à la hauteur de notre temps.
Le Code hollandais, et c'est là son caractère principal, sup-
prime les peines infamantes. Il se souvient que le crime fait
la honte et non pas l'échafaud.
Partant de ce point de vue, il supprime également la divi-
580 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
sion tripartite des infractions en crimes, délits et contraven-
tions. Il n'y a plus que des délits (ou méfaits) et des contra-
ventions. Le critérium de cette dernière division n'est plus
alors, comme chez nous, la nature de la peine prononcée;
ainsi certaines contraventions peuvent être punies de l'empri-
sonnement, peine la plus grave, et pour une durée plus longue
que certains délits (V. art. 456). Le législateur a voulu ranger
parmi les délits les faits contraires à la morale (au droit) et
parmi les contraventions les infractions à ce qui n'est que
simple injonction du législateur (la loi). Le fondement de la
distinction est sans doute préférable à celui de notre Code pé-
nal ; mais on ne peut pas dire cependant que le législateur
hollandais ne l'ait jamais perdu de vue; ainsi des infractions
mises par lui au nombre des délits n'entraînent pas réelle-
ment une violation des principes de la loi morale , tels sont
certains délits commis dans l'exercice des fonctions publiques,
délits relatifs à l'exercice des droits et des devoirs civiques ,
délits contre l'autorité publique ou contre la dignité royale.
Les seules peines principales conservées sont l'emprison-
nement, la détention et l'amende. La déportation et le ban-
nissement disparaissent; la déportation, parce qu'elle rend
impossible la cellule et, partant, difficile l'amélioration du
condamné ; le bannissement , parce qu'il constitue une peine
inégale et inefûcace.
L'emprisonnement est la peine la plus grave prononcée par
le Code. Sauf un petit nombre d'hypothèses où il est à vie, sa
durée maximum est de quinze années en principe. Il se subit
en cellule dans les condamnations à moins de cinq années, et
pendant les cinq premières années seulement pour les con-
damnations d'une durée supérieure, sauf pour le condamné la
faculté de continuer à vivre en cellule s'il le préfère. Le tra-
vail est imposé au détenu. Pour faciliter sa rentrée dans la
société , le Code autorise sa mise en liberté provisoire après
l'expiration des trois quarts de la peine et de trois ans au
moins.
La détention , qui vient en second lieu dans l'échelle des
peines , est réservée aux contraventions et aux délits commis
sans intention. Elle consiste dans la simple privation de la
liberté et le condamné n'est soumis ni à l'obligation du tra-
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. S81
vàil , ni à la cellule , à moins qu'il ne préfère l'isolement. La
détention peut se substituer à l'amende en cas d'insolvabilité.
À propos des peines accessoires, nous remarquerons que
le Code hollandais a bien mieux compris que notre Code pé-
nal le caractère de l'une d'elles, l'interdiction de certains
droits , et il a jugé inutile et peu logique d'enlever au con-
damné des droits qui peuvent profiter à la société, comme le
droit de témoigner en justice.
Les règles sur l'imputabilité pénale contenues dans le titre
III n'offrent rien de particulier. lien est autrement des causes
d'atténuation ou d'aggravation des peines.
D'abord pour l'atténuation, le législateur hollandais a aban-
donné le système des circonstances atténuantes. On l'a rem-
placé en n'édictant qu'un maximum, de sorte que le juge peut
faire descendre l'emprisonnement et la détention à un jour,
l'amende à 50 cents (1 fr. 10).
Quant aux causes générales d'aggravation, le Code n'en
reconnaît qu'une , celle qui résulte de la qualité de fonction-
naire ; lorsque le coupable en abuse pour commettre une in-
fraction, le maximum de la peine peut être élevé d'un tiers.
La partie générale du Code ne contient aucune disposition re-
lative à la récidive. Le système admis est tout différent du
nôtre. D'abord l'aggravation n'existe pas dans toute seconde
condamnation , mais seulement dans les cas énumérés par la
loi; en second lieu, une condamnation antérieure quelconque
n'entraîne pas nécessairement l'aggravation de peine ; il faut
que cette condamnation ait été prononcée pour un des délits
spécialement énumérés par le Code.
Le législateur des Pays-Bas a naturellement rejeté l'assimi-
lation , si critiquée de nos jours , de la tentative au crime ,
relativement à la pénalité. Il a néanmoins laissé subsister l'in-
térêt de la distinction à d'autres points de vue, notamment en
ce qui concerne les contraventions dont la tentative n'est point
punissable et la complicité qui est également impunie pour la
tentative. La peine de la tentative est réduite d'un tiers, ré-
duction admise de même pour la peine de la complicité.
La partie générale comprend enfin les règles de la prescrip-
tion dont les délais sont fort abrégés.
Pour la partie spéciale du Code , nous remarquerons que le
582 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
maximum de la peine est en général beaucoup moins élevé
que dans notre Code pénal. En fait, toutefois, la rigueur de
la législation française n'est point aussi grande qu'elle le pa-
raît quand on se borne à comparer les textes et , le plus sou-
vent, la peine est abaissée chez nous soit par l'application du
minimum, soit par l'admission des circonstances atténuantes.
Tout en reconnaissant que certaines pénalités édictées par le
Code pénal français sont évidemment exagérées dans l'état
actuel des mœurs, nous nous demandons s'il n'eût pas été
peut-être plus prudent de ne pas procéder en Hollande à un
abaissement presque général et assez important de La peine et
de laisser subsister un maximum plus élevé, au moins comme
une menace.
Parmi les différents articles de la partie spéciale, nous si-
gnalerons seulement ceux qui régissent le duel et qui Y imités
du Code pénal allemand, semblent assez heureusement com-
binés pour déraciner cette funeste institution ; celui qui établit
l'égalité entre le mari et la femme pour la répression de l'a-
dultère dont la peine maxima est d'ailleurs réduite à six mois
(l'impunité était proposée dans le projet) ; enfin les disposi-
tions assez malheureuses, à notre avis, des articles 108 et s.
qui, au nombre des attentats contre la dignité royale, rangent
les délits commis non-seulement contre le roi, mais encore
contre la reine, l'héritier présomptif et les membres de la fa-
mille royale, créant ainsi toute une classe de privilégiés, con-
trairement à l'esprit de notre temps.
Le Code, sur lequel nous venons de jeter un coup d'oeil si
rapide, ne sera mis en vigueur que lorsque le pays sera pourvu
de prisons cellulaires en nombre suffisant. L'expérience n'a
pas encore commencé. Souhaitons qu'elle soit heureuse. Quel
qu'en soit d'ailleurs le résultat, nous doutons fort que de pa-
reilles innovations puissent de longtemps s'introduire en France
sans amener une augmentation notable de la criminalité.
Dans tous les cas, sachons gré au traducteur d'avoir porté
à notre connaissance nombre de dispositions dont nos législa-
teurs pourraient dès à présent s'inspirer s'ils voulaient procé-
der à une nouvelle révision de nos lois pénales.
Ludovic Beauchet,
Agrégé à la Faculté de droit de Nancy.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 983
Essai de droit international privé, précédé d'une Étude
historique sur la condition des étrangers en France et suivi du
texte de tous les traités intéressant les étrangers, par M. Louis
Durand, avocat près la Coût d'appel de Lyon , docteur en droit. —
Ouvrage couronné par la Faculté catholique de droit de Lyon (mé-
daille d'or) et par l'Académie de Législation de Toulouse (médaille
d'or). — i vol. in-8°, 820p. Paris, Larose et Forcel, 1884.
Il y a dans ce volume deux parties bien distinctes , dont la
portée et aussi l'utilité ne nous paraissent pas égales. Dans un
Appendice dont l'importance relative est considérable (250
pages en petit texte), l'auteur a réuni les principaux traités
conclus par la France et intéressant la condition des étran-
gers. Ce travail est sans aucun doute des plus utiles, et il
suffira de se reporter au livre de M. Durand pour trouver
facilement et sûrement les textes diplomatiques dont la re-
cherche eût coûté du temps et de la peine.
Mais cet Appendice est précédé d'une œuvre à laquelle ,
pour commencer par les critiques, il nous paraît difficile
<f assigner un caractère bien défini. L'auteur l'intitule modes-
tement : Essai de droit international privé, et on ne saurait
dire que ce titre très vague soit mal choisi. Quel a été le but
de l'auteur? Est-ce une œuvre scientifique qu'il a entendu
faire, ou bien un simple résumé? Le premier point de vue
peut paraître exact si on considère la place importante (208
pages) faite à la partie historique et le développement donné
à certaines questions. Mais il y a à cet égard des inégalités
marquées , toutes les matières ne sont pas traitées avec la
même étendue et on songe bien plutôt à un simple résumé,
surtout quand on voit que l'exposition doctrinale n'occupe
dans le livre de M. Durand qu'une place restreinte.
Resterait encore à savoir quel a été le plan de ce résumé.
Nous avouons ne point l'apercevoir. Il est question de beau-
coup de choses et cependant tout ce droit international n'est
pas exposé. Il semble (p. 1) que M. Durand se soit particu-
lièrement posé les deux questions suivantes : Qui est étran-
ger?— Comment l'étranger est-il et doit-il être traité? — Mais
584 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
l'indication faite au début de l'ouvrage paraît avoir été ou-
bliée dans la suite , et l'auteur traite confusément des deux
questions annoncées (V. surtout la disposition des matières
dans les sections I et II).
Il y aurait bien aussi à relever quelques inexactitudes en
matière de législations étrangères et même de droit civil fran-
çais. C'est ainsi que M. Durand ne cite comme actes solennels
que le mariage , le contrat de mariage , la donation , le testa-
ment, la reconnaissance d'enfant naturel (p. 313), omettant la
convention d'hypothèque et l'adoption.
Pour en finir avec ces critiques qui sont surtout pour prou-
ver à M. Durand que son livre a été lu avec le soin qu'il
mérite , il faudrait signaler quelques incorrections , dont les
unes sont purement typographiques , mais vraiment trop fré-
quemment répétées. Pourquoi, par exemple, M. Durand
a-t-il laissé imprimer chaque fois M. d'Ârtoy pour M. d'Ârbois
de Jubain ville. D'autres sont plus sérieuses et ont trait à la
forme; il serait facile de citer (par exemple p. 3) des phrases
dont le sens est à deviner, quelques contradictions au moins
apparentes (par exemple pp. 2 et 4).
Quant à la doctrine professée par M. Durand, elle nous a
paru en générai, sinon incontestable (cela est rare en droit
international privé), du moins très soutenante, et quoique
nous ne partagions pas nombre des solutions qu'il a cru de-
voir admettre , nous ne pouvons méconnaître qu'il a présenté
en général d'une façon suffisamment claire et complète les
principaux éléments de discussion. Ces qualités suffisent à
expliquer les distinctions flatteuses dont le livre de M. Du-
rand a été l'objet, et permettent de dire que, malgré des
défauts qu'une méditation plus attentive eût, croyons-nous,
évités, ce travail ne sera pas inutile à consulter.
F. M.,
Docteur en droit.
BAR-LE-DUO , IMPfUMKHIB COXTANT-LAGUBRRB.
NOUVELLE
REVUE HISTORIQUE
DE
DROIT FRANÇAIS ET ETRANGER
La rédaction de la Revue s'occupe de recueillir les éléments
d'une bibliographie complète des travaux de M. Laboulaye.
C'est un travail considérable. Notre regretté collaborateur
avait abordé tous les sujets et dispersé ses écrits dans un
grand nombre de journaux et de revues. En attendant que
nous puissions tenir rengagement que nous avons pris envers
nos lecteurs, nous publions ici un fragment inédit que M. La-
boulaye a laissé dans ses papiers : ce devait être le premier
article d'un compte rendu de Y Essai sur l'histoire du droit
français, publié par M. Giraud en 1846. Il y a bien près de
quarante ans que ces pages ont été écrites. Depuis lors la
science a fait des progrès. La publication des anciennes lois de
l'Irlande, conynencée en 1865, terminée en 1879, les travaux
faits sur ces lois par divers savants anglais et en France par
M. d'Arbois de Jubainville, ont apporté dans la question un
élément nouveau d'une très grande valeur et ont en même
temps jeté un jour inattendu sur les anciennes lois du pays de
Galles. 11 n'en est pas moins intéressant de connaître aujour-
d'hui ce que pensait en 1847 un savant d'un esprit aussi
sagace et aussi pénétrant que celui de M. Laboulaye.
Les lecteurs de la Revue apprendront sans doute avec plaisir
que l'enseignement donné par M. Laboulaye au collège de
France, pendant plus de trente ans, n'a pas entièrement péri.
Les cahiers, les notes dont il se servait pour ses leçons con-
Rbvue hist. — Tome VIII. 39
386 essai sur l'histoire du droit français
tiennent assez de morceaux achevés pour qu'il soit possible de
publier prochainement un ou deux volumes de souvenirs. La
famille s'occupe en ce moment de les mettre en ordre.
Note de la Rédaction.
Essai sur l'histoire du droit français au moyen-âge,
par M. Charles Giraud, membre de l'Institut, 2 vol. in- 8°, Paris,
1846.
Les études historiques ont été accueillies , de tout tempsf
en France, avec une faveur singulière, et nulle part la science
ne dispose de plus riches et de plus nombreux matériaux,
cependant par une mauvaise fortune inexplicable , la France,
si bien partagée du reste , est le seul grand pays de l'Europe
qui n'ait point d'histoire de sa législation. On a refait cent
fois la biographie de nos rois et le récit de nos batailles , mais
personne encore ne nous a fait assister au long et majestueux
développement de nos institutions civiles. Dans cette monar-
chie constituée par des légistes , il n'y a pas un livre où Ton
puisse suivre dans ses phases diverses l'action lente mais
irrésistible de ces baillis , de ces conseillers , de ces chevaliers
es lois, qui sans autres armes que la loi et l'opinion réduisirent
les ennemis du dehors comme les ennemis du dedans, vinrent
à bout des prétentions de la cour de Rome aussi bien que des
résistances féodales , et donnèrent à la royauté sa puissance,
à la France son unité. Ce n'est point cependant qu'on ait né*
gligé cette part intéressante de nos antiquités. ^L'érudition du
xvie et du xvii6 siècle en a fait ses délices. Pasquier, Pithou,
Coquille, Loisel , Ducange, Dupuy, Laurière , Baluze ont
porté la lumière sur les points les plus obscurs de nos an-
ciennes institutions, mais malheureusement nous n'avons de
tous ces savants que des recherches particulières, des notes,
des dissertations , en somme rien qui fasse corps et mérite le
nom d'histoire. Les matériaux sont prêts depuis longtemps,
mais où trouver la main habile qui, assignant sa place à chaque
pierre de l'édifice , nous donnera enfin dans son ensemble ce
magnifique monument de la jurisprudence française, œuvre
patiente de douze cents années?
AU MOYEN-AGE. 387
Que le dernier siècle n'ait point exécuté cette noble entre-
prise, c'est chose peu étrange pour qui connaît le dédain que
les beaux esprits du temps affectaient pour ce qu'ils nom-
maient la barbarie et la superstition du moyen-âge. Il suffit de
lire les notes d'Helvétius sur l'Esprit des lois, pour voir com-
bien Montesquieu était peu compris dans cette époque qu'il ho-
norait de son génie, ce qui est plus surprenant c'est qu'après la
forte impulsion donnée aux études historiques par MM. Guizot,
Thierry et Guérard il ait fallu si longtemps pour qu'un juris-
consulte osât disputer à des hommes étrangers à la science
du droit la gloire de nous faire connaître l'origine et le pro-
grès de nos institutions. Klimrath fut celui qui prit cette gé-
néreuse initiative, et sans doute cet esprit sobre et patient eût
doté la science française d'une œuvre classique , si la mort ne
l'eût prévenu, en lui gardant que l'honneur d'avoir ouvert
cette voie féconde. Aujourd'hui le germe laissé par Klimrath
lève de toutes parts ; il n'est pas un jurisconsulte éclairé qui
ne demande une histoire de notre droit ; le besoin est si grand
et les circonstances si favorables que trois écrivains ont abordé
ce sujet en même temps, M. Warnkœnig en Allemagne, M. La-
ferrière et M. Giraud en France, tous trois connus par des
travaux sérieux, tous trois, avec des qualités diverses, éga-
lement à la hauteur de la mission qu'ils se sont donnée. Est-il
nécessaire de dire combien la vérité profite de cette honorable
rivalité , et combien la différence du point de vue multiplie les
aspects de la France , et en agrandit l'horizon?
M. Giraud (le seul de ces auteurs qu'en ce moment nous
suivions dans ses études) , s'est proposé, nous dit-il, de recher-
cher les causes et les résultats des révolutions qui s'accomplirent
pendant le moyen-âge (c'est-à-dire du xrac au xve siècle) dans
V économie générale du droit français et dans les formes variées
de sa manifestation. C'est dans cette intention qu'il a recueilli
les coutumes inédites qui remplissent la seconde moitié de
son ouvrage; ce sont les preuves de son Histoire de la législa-
tion française, mais cette histoire n'est pas encore publiée. Dès
le début de ses recherches, M. Giraud s'est trouvé en présence
d'une question des plus délicates, celle de nos origines natio-
nales ; cette question si grave, il a voulu l'épuiser, et le sujet
grandissant sous sa plume, ce qui devrait être un chapitre est
588 ESSAI sur l'histoire du droit français
devenu un livre. Le premier volume de M. Giraud est con-
sacré tout entier à l'examen des institutions qui se sont succédé
sur le sol de la Gaule, depuis les temps les plus reculés jusqu'au
moment de la conquête germanique, il s'arrête, par consé-
quent, au point ordinaire où commence l'histoire de nos insti-
tutions.
Le sujet est trop curieux et trop sérieusement étudié pour
qu'on blâme M. Giraud d'avoir détaché,- pour le soumettre au
public, ce fragment d'une œuvre qui sera nécessairement de
longue haleine. En soi d'ailleurs, c'est un travail complet, l'in-
troduction naturelle de toute histoire du droit français. Mais
peut-être trouvera-t-on que l'auteur a été chercher bien haut
les origines de notre législation et qu'en tout cas, il a donné à
cette partie de son livre un développement exagéré. Pour moi,
je suis d'une opinion contraire et je crois qu'il n'y a rien de
trop dans les recherches de M. Giraud; la question des ori-
gines est aujourd'hui la question qui domine toutes les autres.
Mais comme son importance tient à certaines idées encore peu
répandues sur la nature du droit et les formes obligées de son
développement, il n'est peut-être pas inutile d'exposer en peu
de mots la théorie qui la première a saisi l'histoire du droit
sous son véritable jour. Une fois cette théorie connue on com-
prendra mieux la grandeur du problème dont M. Giraud a
cherché la solution.
Si, comme on Ta prétendu, le droit est une science de rai-
sonnement et non d'expérience, si le but du législateur est de
découvrir et de formuler les règles immuables du juste, règles
qui une fois trouvées sont nécessairement bonnes pour tous
les temps et pour tous les lieux, l'histoire du droit est chose
inutile. Que peut-elle être, en effet, sinon l'exposé des erreurs
qui d'âge en âge ont obscurci la vérité , erreurs d'autant plus
épaisses qu'on entrera plus profondément dans les ténèbres
du passé.
Et d'un autre côté si l'on accepte les idées de Hobbes , si le
droit est une création arbitraire du législateur, si un homme ,
pourvu qu'il soit le plus fort, peut avec quelques mots écrits
sur un papier altérer à son gré les institutions de tout un
peuple, à quoi bon rechercher les antiquités d'une j urisprudence
qui a cent fois changé de caractère et d'esprit? Passe encore
AU MOYEN-AGE. 589
pour l'étude des temps modernes, on comprend qu'il y ait
profit à connaître les expériences faites par des gens civi-
lisés, mais dans quel intérêt dresser le catalogue des fan-
taisies qui en des siècles peu éclairés ont troublé la tête de
quelque barbare nouvellement échappé des forêts de la Ger-
manie.
C'est ainsi que les deux opinions extrêmes qui de tout temps
se sont disputé l'empire de la science, s'unissent dans un
commun dédain pour l'histoire du droit, mais il ne faut pas
une longue étude pour savoir par expérience que si le droit
a pour base essentielle l'éternelle justice, il n'appartient pas
cependant à l'ordre des vérités immuables, et que d'un autre
côté, s'il est pour une grande part un produit de la liberté
humaine , ce n'est pourtant rien moins que l'œuvre éphémère
du caprice individuel. La vérité ne se trouve ni dans l'un ni
dans l'autre de ces camps ennemis.
Qu'est-ce donc que le droit? Une science sans doute, mais
une science d'application qui , variable en chaque siècle et en
chaque pays , associe dans des combinaisons inépuisables les
principes du juste et de l'utile, pour satisfaire aux besoins
moraux et matériels de la société, besoins infinis et qui se
renouvellent chaque jour. Mais si le droit se modifie sans
cesse, son développement n'a cependant rien d'arbitraire, car
ces besoins que le législateur essaie de remplir, ce n'est pas
lui qui les invente ; ces idées qu'il fait passer dans le monde
des faits , ce n'est pas lui qui les impose au pays. Les idées
et les désirs d'un peuple sont le résultat complexe d'éléments
divers et ces éléments qui dominent à son insu la nation elle-
même , sont toujours plus forts que le génie de l'homme qui
gouverne. C'est d'en bas , non d'en haut que part le mouve-
ment social , le législateur n'improvise pas les institutions ,
il reconnaît celles qui s'établissent pour ainsi dire d'elles-
mêmes parce que tout le monde en sent la nécessité. Il n'in-
vente pas des lois, il écrit celles que le pays lui demande. S'il
sort de son rôle , s'il fait prévaloir son caprice sur le besoin
national, l'avortement de ses essais lui prouve bientôt qu'il
ne lui est pas permis de se tenir à côté ni même trop en avant
de son siècle. On peut jusqu'à un certain point diriger ce
courant qui, chaque jour, laisse à la rive les idées vieillies et
590 ESSAI sur l'histoire du droit français
se grossit des idées nouvelles ; mais c'est à la condition de
marcher avec lui.
Si cette théorie est juste, si les institutions se développent
par un progrès régulier , le droit a donc une histoire. Et si
les institutions tiennent à chaque peuple par les liens les plus
étroits, si comme la langue et la littérature, elles sont une
des expressions de la vie nationale, s'il ne se fait pas un chan-
gement dans la condition du pays sans qu'elles n'en ressen-
tent nécessairement le contre-coup et n'en gardent l'emprunt,
l'histoire du droit est donc d'un point de vue particulier
l'histoire même de la nation et la plus certaine qu'on puisse
imaginer, puisqu'elle est écrite non par un chroniqueur infi-
dèle ou prévenu, mais par la nation même qui, jour par jour,
consigne dans ses lois tout ce qu'elle a voulu , tout ce qu'elle
a fait , tout ce qu'elle a souffert. Ainsi l'histoire du droit est
une branche des sciences historiques qui ne le cède à aucune
autre en importance et en solidité. Reste à dire quelle place
y tient la question des origines.
La première de toutes, je ne crains pas de l'affirmer. Et
en effet, qu'est-ce que cette nation dont le jurisconsulte étudie
les institutions? Est-ce l'agglomération d'individus de toute
race que le hasard soumet au même empire, et par exemple
la Hongrie, la Bohême, la haute Italie forment-elles une
nation autrichienne parce qu'elles obéissent toutes trois au
même souverain? Non sans doute. Qui dit nation, dit un grand
corps formé par la réunion d'hommes liés invinciblement par
la communauté d'origine, de langue, de croyances, de mœurs,
d'idées , d'institutions. Tous ces éléments constituent la na-
tionalité, c'est-à-dire la vie propre de chaque peuple; ce sont
les conditions de son existence, et il est évident que la
France envahie par une race étrangère qui n'aurait ni sa
langue, ni ses idées ne serait plus la France. Le droit qui
établit entre tous les citoyens d'une même patrie un lien tout
aussi étroit, une parenté toute aussi intime que peut le faire
le sang qui coule dans leurs veines, le droit n'est pas moins
que la langue, ou les croyances, une part essentielle de la
vie nationale. L'histoire est là qui nous l'apprend si nous pou-
vions en douter. Pour que les institutions d'un peuple dispa-
raissent tout à coup il faut que ce peuple même ait cessé d'être.
AU MOYEN-AGE. 591
Et je ne parle pas de cette destruction politique qu'amèwe
une conquête ; pour qu'une nation soit anéantie , il faut autre
chose que la perte de son existence officielle. Si les vaincus
n'ont point été dispersés ou asservis , le droit subsiste comme
la langue, et il semble même que les races subjuguées s'atta-
chent à leurs institutions avec une ténacité toute particulières
et qui défie l'effort des vainqueurs. La Grèce nous est un
exemple entre mille de la vitalité d'une nation rayée de la
carte politique. Qui ne la croyait transformée ou détruite par
son long servage; et cependant, quand l'heure du réveil a
sonné, qu'est-il resté d'une agression de quatre siècles? Lan*
gue, religion , lois, usages, la Grèce avait tout sauvé du nau-
frage où périt sa liberté !
Si le droit est tellement propre et particulier à chaque peu-
ple que la conquête même ne puisse l'anéantir; s'il dure
aussi longtemps que se maintient la nation; si le mélange de
deux races sur le même sol amène par conséquent le mélange
des institutions plutôt que leur destruction, qui ne voit que
la question des origines est la question principale dans une na-
tion formée de plusieurs races, et telle est la France. Trois
peuples ont occupé notre territoire, et se sont fondus ensemble,
les Gaulois, les Romains , les Germains. Quel élément de ci-
vilisation, en d'autres termes, quelles institutions chacun de
ces peuples a-t-il apportées avec lui, quelle idée a-t-il fait
triompher, quelle autre a-t-il dépouillée ou subie, comment et
dans quelle proportion s'est faite la fusion des vainqueurs et
des vaincus ; ce sont là les solutions qu'on demande aujour-
d'hui à la science , et qu'elle peut donner en interrogeant le
passé.
Ainsi la question de l'origine des institutions est pour l'his-
toire du droit ce que la question des races est pour l'histoire
générale. Seulement le problème est renversé. L'historien
conclut du maintien de la race à la conservation des institu-
tions; le jurisconsulte, au contraire, conclut de la persistance
des institutions à celle de la race; deux conséquences égale-
ment légitimes si le droit est une part de la vie nationale. Dans
ce système , la législation offre à l'historien un moyen infail-
lible de contrôler nos annales , et les lois en disent plus que
les histoires et les poésies du temps pour qui veut bien les
892 ESSAI sur l'histoire du droit français
consulter. Ainsi, pour le grand problème de la conquête ger-
manique, on peut trouver dans les coutumes barbares et dans
les diplômes une solution bien plus certaine que dans les lé-
gendes ou les chroniques. Les Germains sont-ils demeurés
étrangers aux vaincus? chaque peuple a dû conserver ses lois.
Se sont-ils mêlés aux Gallo-Romains, les institutions ont sans
doute un caractère simple et qui répondit au croisement des
deux races. Les conquérants étaient-ils si peu nombreux qu'ils
se soient confondus rapidement avec les anciens habitants,
le droit sera resté purement romain. Ce sont là des faits d'une
vérification délicate , mais néanmoins possible, et qui , si Ton
admet notre théorie sur la nature du droit, donnent à l'histoire
une base tellement sûre qu'elle la met jusqu'au rang des
sciences exactes.
Je crois en avoir dit assez pour faire comprendre comment
M. Giraud écrivant une histoire du droit français, était natu-
rellement amené à étudier en détail les institutions de la France
antérieurement à l'invasion germanique. Ces recherches étaient
d'autant plus nécessaires qu'il s'en faut de beaucoup qu'on
connaisse avec exactitude chacun des éléments qui ont formé
par leur réunion la nation française. Il est assez facile de
constater et de deviner les institutions qui ont suivi la con-
quête, mais souvent leur origine est pour nous un mystère,
et dans l'ignorance où nous sommes nous attribuons avec
une égale légèreté , aux coutumes germaniques , ou aux usages
du Bas-Empire , des établissements qui ne leur appartiennent
pas, au moins tout entiers. Je citerai par exemple, de ces ins-
titutions dont le caractère originel n'est pas bien déterminé ,
le colonat, les fundi limitrophe les terrœ lœticœ, la puissance
civile des évêques , les immunités ecclésiastiques et peut-être
même le fief. Je pourrais y joindre cette foule de charges et de
redevances qui pesèrent sur les populations du moyen-âge,
triste héritage de misère et d'oppression que la féodalité reçut
de l'administration impériale aussi bien que de la barbarie
germanique.
Il était donc indispensable de dresser un inventaire exact
des idées et des institution que la société gauloise apportait
pour sa part dans cet État nouveau qui devait s'appeler un
jour la France.
AU MO YEN- AGE. 593
Cette société avait déjà traversé de loagues épreuves , et au
cinquième siècle de notre ère la Gaule n'était rien moins qu'un
pays habité par une race primitive, ayant conservé ses mœurs
et ses lois pures de tout mélange étranger. César avait trouvé
sur le sol de notre patrie trois nations qui , suivant lui , diffé-
raient de langue et d'institutions ; c'étaient les Aquitains , les
Gaulois proprement dits , et les Belges , les premiers d'origine
ibérienne, les deux autres sortis d'une même tige gauloise ou
si Ton veut celtique (1). Le temps et les événements avaient
rapproché et mêlé ces trois peuples, mais pas assez, néan-
moins , pour effacer entièrement l'originalité de leur caractère,
et quoiqu'on ne possède sur ce point qu'un petit nombre de
documents, il est cependant visible que les historiens ont tort
de ne pas tenir plus de compte de ces diversités , et que, par
exemple, la considération dont jouissaient les femmes chez les
Ligures (2), permet de supposer que l'organisation de la fa-
mille différait sensiblement au nord et au midi. La conquête
de César en passant sur les vaincus le niveau d'une adminis-
tration uniforme fit disparaître sans doute les traits les plus
saillants qui distinguent ces trois races primitives , mais en
même temps elle introduisit dans la civilisation gauloise un
élément nouveau qui changea rapidement la face du pays.
Qu'on admette ou non la persistance ou l'anéantissement du
génie celtique , il est certain que l'esprit romain pénétra et
transforma la société gauloise , comme il avait transformé le
reste du monde, et que l'Italie nous a imposé ses goûts, sa lan-
gue et ses lois. Enfin devant un événement plus considérable
que la conquête même, plus puissant que toutes les résistances
nationales , devant une religion qui régénérait le cœur et l'es-
prit humain , tombèrent à la fois les dernières barrières qui
empêchaient la réunion des Romains et des Gaulois en un
seul peuple, et l'alliance fut si intime, que quand les Barbares
eurent passé le Rhin , ce fut le nom romain seul qu'ils ren-
contrèrent devant eux.
C'est cette Gaule successivement celtique, romaine et chré-
tienne que M. Giraud nous fait connaître dans le développe-
Il) Strabon, Gèog. IV,' ch. i, § 1.
(2) Plutarque. Les vertueux faits des femmes, ch. x. — Amédée Thierry,
Hit t. des Gaulois, ch. u, p. 1.
594 ESSAI sur l'histoire du droit français
9
ment de ses institutions. Les origines galliques , romaines et
canoniques du droit français, telles sont les trois grandes divi-
sions de son livre ; et c'est sur ce terrain que nous allons le
suivre , laissant de côté certaines questions intéressantes mais
qui tiennent moins essentiellement au fond du sujet.
§ 1 . Des origines galliques du droit français.
Après un court exposé de la géographie des Gaules , suivi
de judicieuses réflexions sur l'esprit général des peuples cel-
tiques , la faiblesse de leur gouvernement , le caractère mys-
térieux de leur religion, M. Giraud aborde, dans un chapitre
particulier, la condition du droit chez les Gaulois. Ce point
nous est imparfaitement connu, d'un côté, parce qu'il n'y
avait pas plus d'uniformité dans les institutions civiles que
dans l'organisation politique de ces peuples différents; de
l'autre , parce que César, notre principale autorité , ne s'est
guère occupé que des Gaulois proprement dits , et seulement
pour remarquer les usages qui l'étonnaient par leur singula-
rité. Sur un terrain aussi mal éclairé, on ne peut avancer
qu'avec une extrême prudence , et le plus sûr est souvent de
douter.
Il y avait chez les Gaulois trois classes de citoyens , les
druides, les chevaliers {équités) et le peuple. Les druides
étaient tout à la fois pontifes et juges. Le premier titre leur
donnait l'éducation de la jeunesse, l'exemption des charges
publiques , une place considérable dans les assemblées ; le se-
cond les rendait maîtres de la vie civile , car il semble pro-
bable que le droit faisait partie de la religion, et que les
druides conservaient comme un mystère la loi qu'ils appli-
quaient comme un ordre divin, frappant d'excommunication
quiconque résistait à leur décision (1). Les chevaliers, tou-
jours en armes comme les seigneurs féodaux , partageaient le
pouvoir avec les druides. Quant au peuple , César le repré-
sente comme privé de tout droit politique et réduit à une
condition voisine de l'esclavage : Plebs pœne servorum ha-
betur loco, quœ per se nihil audet et nulli adhibetur consilio.
PUrique, quum aut œre alieno, aut magnitudine tributorm
(i) Cœsar, B. G. VI, 13.
m.
AU MOYEN-AGE. 595
aut injuria potentiorum premuntur, sese in servitutem dicant
nobilibus, in hos eadem omnia sunt jura quœ dominis in ser-
vos (1). M. Giraud remarque avec raison qu'il ne faut pas
prendre à la rigueur les paroles de César, car dans les com-
mentaires on voit souvent la multitude se mêler du gouver-
nement, au moins dans les villes (2), et, quant à la situation
des pêne servorum loco habiti, il est probable que le Romain
qui ne connaissait point d'état moyen entre la pleine liberté
et l'absolue servitude a mal saisi une condition nouvelle pour
lui. Ces Gaulois, en servage, c'était, comme le dit l'auteur,
« c'était plutôt des main-mortables , des colons, des métayers
» que des esclaves. Libres et serfs, ajoute M. Giraud, tous
» formaient la foule des clients attachés à la puissance et à la
» fortune du chef de clan (3). »
Cette dernière phrase nous semble d'une brièveté excessive,
et on doit regretter la réserve extrême de l'écrivain sur un des
sujets les plus intéressants et les plus controversés de notre
-ancienne histoire. On est d'accord pour reconnaître que l'ins-
titution gauloise, exposée par César sous la forme romaine du
patronat et de la clientèle , n'est autre chose que le régime
des clans , régime tout à fait propre à la race celtique , et qui
s'est maintenu en Ecosse et en Irlande, tant ces deux pays ont
gardé leur indépendance. Mais César ne parle pas seulement
des clientes 9 il nomme à côté d'eux les ambacti, les obœrati,
les devoti ou soldurii. On eût aimé savoir si tous ces mots
sont synonymes, ou si, au contraire, ils désignent chacun
soit une condition différente, soit un degré particulier dans
la clientèle.
Aujourd'hui, par exemple, que nous connaissons mieux
les formes variées du patronage chez les races celtiques et
germaniques, peut-on continuer d'admettre sans discussion
que les obœrati, ces hommes que César et Tacite semblent
rattacher aux clients (4) étaient des débiteurs ordinaires , ou
(lfCœsar, B. G. VI, 13.
(2) Cœsar, B. G. 1, 3, 17, 18. V, 27. VI, 20.
(3) T. I, p. 33.
(4) Cœsar, B. G. I, 4. Orgetarius, ad judicium omnem suam famUiam ad
hominum millia decem, undique coegit, et omnes clientes obœraios que suos,
quorum magnum numerum habebat, eodem cooduxit. Dans ce passage, fa-
596 ESSAI sur l'histoire du droit français
même des engagés pour dettes comme autrefois les Nexi chez
les Romains. Dans ce système, comment expliquer qu'un sei-
gneur gaulois trouvait toujours au moment du péril un corps
de débiteurs assez nombreux et assez dévoué pour s'en faire
une armée? Comment comprendre que soixante -deux ans
après la conquête , Julius Florus soulève d'un mot contre la
puissance romaine et ses clients et ses obœrati (1). Assuré-
ment, c'est un exemple unique dans l'histoire qu'une société
dans laquelle la reconnaissance des débiteurs eût fait cons-
tamment la force des créanciers , et la Gaule en ce point eût
singulièrement différé de l'Italie. N'est-il pas plus naturel de
rapprocher ses obœrati de certains recommandés chez les Ger-
mains (2), de voir en eux des hommes entretenus par le chef
du clan, des clients inférieurs si l'on veut, mais dont la con-
dition est durable, et qui sont dans la disposition perpétuelle
de la main qui les nourrit.
Qu'était-ce encore que Yambactus; suivant Festus, c'était
un esclave : Ambactus apud Ennium lingua gallica servus ap-
pellatur (3); suivant une glose de Labbé, plus explicite et
plus curieuse , c'est celui qui se loue comme esclave , ambac-
milia semble désigner le clan, clientes les compagnons, les dévoués (Conf.
César, B. G. VI, 15. VII, 40), obœrati les clients d'un ordre inférieur. —
Tac, Ânn., III, 42. Pauci equitum corrupti, plures in officio mansive, aUud
tulgos obœralorum aut clientium arma capit.
(1) A ce propoB , je remarque qu'il n'est point exact de dire avec M. Gi-
raud (pag. 53) que la naturalisation romaine commençant par les chefs de
clan, aucun des anciens rapports de droit qui existaient entré eux et leurs clients
ne survécut à la conquête.
\2) Conf. Cœsar, B. G. VI, 13, et la formule XLIV de Sirmond. <c Dum et
omnibus habetur per cognitum qualiter ego minime habeo unde me pascere
vel vestire debeam, ideo petii pietati vestr», et mihi decrevit voluntas, ut me
tam de victu quam de veatimento, juxta quod vobis servire «t promereri po-
tuero adjuvare vel consolare debeas, et dum ego in caput advixero, inge-
nuili ordine tibi servitium vel obsequium impendere debeam, et me de yestra
potestate vel mundeburde tempore vit» mea potestatem non babeam subtra-
hendi, nisi sub vestra potestate vel defensione diebus vit» me» debeam
permanere. »
(3) Festus essaie de donner à ce mot une étymologie latine : Au prspositio
loquelaris signiflcat circum, unde supra sereus ambactus id est circum actus
dicitur; mais si cette étymologie était vraie, ambactus voudrait dire un af-
franchi et non pas un esclave. Pour l'étymologie d'ambactus, V. Ducange,
v° Ambactus et Bagaudm.
AU MOYEN-AGE. 597
tus, SouXoç (j.t?Çci>roç y wç "Ewtoç (1). Si cette glose dit vrai , am-
bactus pourrait bien être le nom de Vobœratus , et ce qui auto-
rise jusqu'à un certain point cette conjecture, c'est que César
joint les ambactes aux clients comme ailleurs les obœrali (2).
Du reste, et quelle que fût la position des ambactes dans la
clientèle , leur nom , quoiqu'une seule fois mentionné par
César, a pour nous cet intérêt particulier qu'il se rencontre
sur les monnaies gauloises (3), et qui est resté dans le latin
vulgaire parlé au cinquième siècle dans les Gaules. Dans la loi
salique, esse in dominica ambascia, veut encore dire, être aux
ordres de son seigneur (4). La persistance du mot qui se re-
trouve même aujourd'hui dans toutes les langues romaines
et germaniques permet de supposer qu'il était resté des
traces , ou du moins un souvenir durable de l'institution pri-
mitive, et que, par conséquent, les ambactes ont tenu quelque
place dans la société gauloise. Il est donc à regretter que
M. Giraud ait passé sur ce point délicat.
Quant aux soldurii, l'auteur leur consacre quelques lignes;
mais ce qu'il en dit n'est pas satisfaisant :•« Les jeunes no-
» blés qui n'étaient point encore chefs de famille pouvaient
» choisir un chef auquel ils attachaient leur fortune et dont
» ils devenaient les soldures dévoués en échange de la pro-
» tection et de la solde qu'ils en recevaient. C'est cet enga-
» gement exceptionnel , différent de celui des clients , que
» Perreciot et d'autres auteurs ont confondu avec la recomman-
» dation germanique , et avec le vasselage féodal du moyen-
» âge (5). » Je ne connais aucun texte qui réserve ou attribue
de préférence le nom de soldurii aux jeunes nobles qui n'é-
taient point encore chefs de famille, et quant aux caractères
(1) Ducange, v° Ambactus. Diod. Picul. V, 29. 'Eirot'prrat & xaitopairev-
Taç cXE'jfttpouç ex twv mrnvtav xaTaXtpvT£;, oiçtqvio'xoic xat TOxpourcraraïç xp*™'
rat xarà puxç pax0^*
(2) Conf. Cœsar, B. G. VI, 15. I, 4.
(3) Conf. Duchalais , Description des médailles gauloises de la bibliothèque
royale. Paris, 1846, pages 158 et s.
(4) Grimm, Rechttalterthûmer, p. 304, et Grammatik, II, 211, donne an nom
d'ambacht une étymologie germanique, mais son opinion est généralement
abandonnée. Muller, Der lex salica, Wurzbourg, 1840, p. 218, note 435.
Waitz, Dos alte Recht der salischen Franken, Kiel, 1846, 1. 1, p. 279.
(5) Giraud, p. 32.
598 ESSAI sur l'histoire du droit français
qui distinguent la condition des devoti gaulois de celle des
recommandés, ou pour mieux dire des compagnons germains,
j'avoue qu'ils m'échappent, et je regrette que M. Giraud ne
les ait point indiqués. A rapprocher la guerre des Gaules et
le traité des mœurs des Germains , il est difficile de ne pas
admettre que César et Tacite ont peint chacun une même
institution , régnant à plusieurs siècles de distance chez deux
peuples différents. Faut-il attribuer cette ressemblance à la
parenté des deux races ; faut-il , au contraire , supposer qu'un
même degré de civilisation a suffi pour amener une organisa-
tion pareille chez des peuples étrangers l'un à l'autre, je
l'ignore, mais quelque délicate que soit la solution du pro-
blème, les données n'en sont pas moins certaines.
Du droit politique M. Giraud passe à l'exposé du droit civil.
Chez les Gaulois, il pense que la polygamie était même en
usage au moment de la conquête , au moins pour les grands
personnages; ce serait un point commun de plus entre les
Celtes et les Germains (1). Mais cette opinion est très contes-
table , car elle ne repose que sur un passage des plus dou-
teux (2), tandis qu'elle a contre elle des textes formels (3)
parmi lesquels il suffira peut-être de citer le serment fameux
par lequel chacun des nobles Gaulois s'oblige comme un vé-
ritable chevalier du moyen-âge à ne s'abriter sous aucun toit,
à ne revoir ni ses enfants, ni ses parents, ni sa femme qu'il
n'ait traversé deux fois les rangs ennemis (4). Il paraît d'ail-
leurs difficile de concilier avec la polygamie le régime des
biens durant le mariage tel que César nous l'indique dans un
(i) Cf. Tacit., Germ. 18.
(2) Cœsar, B. G. VI, 19. « Vivi in uxores sicut in liberos vit® meisque h'a-
bent potestatem, et quum paterfamilias illustriore loco natus decepit, agis
propioqui conveniunt, et de morte si res in suspicionem venit de uxoribus
in servilem modum quaestionem habent , et bï compertura est , igni atque om-
nibus tormenlis exeruciatos interficem. » Qu'on suppose une négligence de
style dans le texte de César et le système de M. Giraud croule par la base.
Conf. B. G. VII, 66.
(3) Ammien Marcell. XV, nous peint le Gaulois combattant avec la femme,
o Nec enim eorum quemquam adhibita uxore rixantem, multo fortiori et glauca,
peregrinorum ferre poterit globus. »
(4) Cœsar, B. G. VII, 66. « Concernant équités sanctissimo jurejurando cod-
fîrmari oportet, ne tecta recipatur, ne ad liberos, ne ad potentes, ne ad
uxorem aditum habent, qui non bis perognem hostium perequitates. »
AU MOYEN-AGE. 599
passage qui, jusqu'à ce jour, a fait le désespoir des inter-
prètes.
M. Giraud a été mieux inspiré pour l'explication de ce texte
difficile , et on n'a rien dit d'aussi satisfaisant sur cette ques-
tion embrouillée, « La femme portait à son époux une dot
» au sujet de laquelle existait une singulière coutume. Le
» mari mettait en fonds commun cette dot avec une valeur
» exactement équivalente fournie par lui-même. Ce capital
» social était exploité dans l'intérêt des époux pendant le ma-
» riage, mais les produits en étaient constamment réservés
» et accumulés ; et ces fruits réservés ainsi que le capital ap-
» partenaient au survivant après la dissolution du mariage (1).
» Telle est cette coutume singulière que les historiens du
» droit français ont généralement confondue avec le système
» de la communauté coutumière entre époux et même avec
» le douaire coutumier, mais dans laquelle on ne peut voir
» qu'une association exceptionnelle de travail , sur une mise
» à parts égales , avec réserve de tous les revenus , et attri-
» bution par gain de survie au dernier mourant des époux ;
» conditions complètement étrangères au régime de commu-
» nauté où les époux profitent de tous les produits de la-
» collaboration commune qu'il y ait ou non mise de fonds de
m leur part; où le mari a non-seulement la disposition des
» revenus, mais encore du capital lui-même des conquêts,
» pendant le mariage , et où enfin chacun des époux n'a
» qu'une part égale à prétendre sur les objets qui tombent en
» communauté , après la dissolution du mariage. La coutume
» celtique n'a réellement d'analogue dans aucune autre cou-
» tume connue, et son caractère essentiellement national a
» disparu avec la constitution celtique elle-même (2). » Je
n'ajouterai qu'une réflexion à cette appréciation du texte de
César, c'est que probablement l'historien des Gaules n'a pas
bien saisi un des caractères de l'institution et qu'il s'est mé-
(1) Cœsar, B. G. VI, 19. « Viri, quantas pecunias ai) uxoribus dotis nomine
acceperunt, tantas ex sois bonis estimatione facta, cum dotions commani-
caot. Hujus onrois pecuniœ coDJunctim vatio habetur fructusque aervantur;
utereorum vita superarit, ad eum pars utriusque cum fructibus superiorum
temporum pervenit. »
(2) Pages 35, 36.
600 ESSAI sur l'histoire du droit français
•
pris sur la condition de réserve des fruits ; comment admettre
une main-morte aussi considérable? Comment supposer que
chez toute une nation, une portion notable de la fortune pu-
blique s'immobilisa entre les mains des chefs de famille, et
que dans chaque ménage il y eut un fonds appartenant aux
deux époux, et dont aucun cependant ne pouvait disposer?
« Coustume qui me semble avoir esté merveilleusement bizarre,
dit avec raison Pasquier, de dire que dans la Gaule , l'argent
provenant des fruicts fust gardé par le survivant des deux
mariés, car ainsy faisant, les deniers demeuroient oiseux,
comment donc pou voient-ils supporter les frais de mariage?
Et que le fonds fust inaliénable des deux costés, pour estre
réservé au survivant, chose qui me semble non croyable (1). »
Au contraire, ôtez cette clause d'accumulation, le contrat gau-
lois n'offre rien d'insolite, c'est une espèce de don mutuel
semblable à cet avantage réciproque que connaissent certaines
coutumes espagnoles , et qu'elles nomment Onidad (2).
La puissance paternelle était aussi absolue chez les Gaulois
que chez les Romains. Gaïus en fait la remarque pour les
Galates , et César nous apprend que dans la Gaule le chef de
famille avait droit de vie et de mort sur sa femme et sur ses
enfants. A cette occasion M. Giraud fait observer que les Gau-
lois avaient bien moins de goût que les Germains pour la vie
de famille. « On peut en juger, ajoute-t-il, par ce que dit César,
» que les enfants des Celtes n'étaient admis auprès de leurs
» pères qu'à l'époque où ils étaient devenus aptes à porter
» les armes. Cette coutume devait être spécialement propre à
» la caste des nobles. » Je crois que l'auteur a mal interprété
les paroles de César. Le texte ne traite point de la vie inté-
rieure des Gaulois. Il porte seulement que le père de famille
ne se laissait aborder en public, palam in publico, par ses en*
fants , que le jour où ils étaient en état de porter les armes (3) .
Tacite prête la même coutume aux Germains , et qui rappro*
(4) Cf. Laboulaye, Recherches sur la condition des femmes , p. 433.
(2) InstUutes de Justmie» par M. Giraud, p. 326.
(3) César B. G. VI. « 18. In reliquis vit» institutis hoc fere ab reliquis dif-
férant, quod suos liberos, nisi quum adoleverint ut muna&us militis suati-
nere possint, palam ad se adiré non patiantur, fllium que puerili ©tate in
publico in conspectu patois adsistere turpe ducunt. »
AU MOYEN-AGE. 601
chera les deux passages y verra moins une différence qu'une
ressemblance nouvelle entre les deux nations (1).
Pour le reste du droit civil : propriété , succession, obliga-
tion, procédure, M. Giraud a réuni soigneusement le petit
nombre de textes que nous possédons , mais avec une réserve
louable en présence de documents si rares et si peu suivis , il
s'est abstenu de toutes les hypothèses dont Grosley et son
école ont si encombré l'histoire de la législation française. Il
a jugé qu'il était bon d'étudier les institutions germaniques
avant d'ériger dès le début en coutumes gauloises les princi-
pes les plus vivaces de notre ancien droit , tels que la distinc-
tion des propres et des acquêts, l'affectation du patrimoine à
la famille, la défaveur des testaments, le retrait lignager, le
don mutuel. Ces usages, qui se retrouvent partout où ont
vécu les Germains , ces usages si opposés aux idées romaines
et qui n'ont paru visiblement sur notre territoire qu'après la
conquête barbare, on a essayé dernièrement de les faire remon-
ter jusqu'aux Gaulois de César, et d'en suivre la trace au tra-
vers de cinq siècles de domination et de civilisation romaine.
L'esprit n'a point manqué pour construire ce système basé
sur des inductions hardies , et avant tout sur la parfaite con-
formité qu'on suppose entre le droit primitif de la Gaule et les
anciennes lois galloises, précieux dépôt que nous eût conservé
les institutions celtiques sans altérations sensibles et comme
pétrifiées. Mais de pareilles hypothèses sont plus brillantes
que solides, et l'on se sent plutôt étonné que convaincu quand
on voit un auteur transporter dans la Gaule de César des cou-
tumes qui ne nous sont connues que par un recueil rédigé du
dixième au douzième siècle dans un coin de la Grande-Bre-
tagne. Sans doute les Gallois sont de même souche que les
premiers habitants de notre patrie , sans doute ils ont gardé
leur langue et leurs usages avec une ténacité singulière , mais
néanmoins que de questions reste à résoudre avant qu'on ait
le droit de reconnaître une institution gauloise dans les cou-
(1) Tacite. Genn. « Arma sumere non ante cuiquam moris quam civitas
suffecturum probaverit. Tarn in ipso concilio, vel principum aliquis, vel pa-
ter, vel propinquus scuto frameaque juvenem ornant, hoc apud illos toga,
hic primas juvent» honos, ante hoc domuspars videntur, now reipublics. »
Cette dernière phrase est le commentaire naturel du texte de César.
Revue hist. — Tome VIII. 40
602 ESSAI sur l'histoire du droit français
tûmes de Powys ou de Gwynedh? A supposer, (ce qui n'est
pas démontré,) que les Gallois sans cesse envahis par les
Saxons aient résisté à ce contact de tous les jours , et n'aient
rien emprunté à leurs vainqueurs , a-t-on fait dans les usages
gallois la perte du caractère national, du climat, du genre de
vie? A-t-on calculé le changement profond qu'ont nécessaire-
ment amené dans les idées, les mœurs et les lois, une religion
nouvelle, deux invasions, et le mouvement de dix siècles?
Tant qu'on n'aura point défini ces points importants , et je ne
sais pas même qu'on les ait touchés, j'estime que tout rap-
prochement entre les coutumes des deux pays, légitime pour
la Bretagne , qui n'est qu'une colonie venue d'outre-mer, est
dangereux et prématuré pour le reste de la France , et je sais
gré à M. Giraud de s'être tenu prudemment sur un terrain où
la science gagne en solidité ce qu'il semble perdre en étendue.
Toutefois, le désir de distinguer nettement les Gaulois des
Germains pour en finir avec la confusion de Grosley, a mené
M. Giraud trop loin en lui faisant involontairement grossir les
points de dissemblance et diminuer les caractères communs
qu'on a remarqués de tout temps entre les deux races. Ainsi,
par exemple, il est peu concluant de dire, qu'à la différence
des Gaulois , les Germains trouvaient un centre d'unité dans
leurs vieilles familles royales qu'ils considéraient comme sa-
crées (1), car, au temps de Tacite (je ne parle pas de la con-
quête), la royauté n'existait que chez un certain nombre de
peuplades germaniques, et chez plusieurs, elle était d'origine
récente (2). IL est également difficile d'admettre sans discus-
sion que : la constitution druidique, le régime des mariages, la
puissance paternelle, le droit de propriété, le droit des serfs,
les habitudes de famille sont autant de points capitaux sur les-
quels les coutumes celtiques diffèrent essentiellement des cou-
tumes germaniques (3). Sans doute, le droit de propriété a été
plus développé dans les plaines de la Gaule que dans les fo-
rêts de la Germanie. Sans doute, les prêtres Suèves ou Ché-
rusques n'étaient point des druides quoiqu'ils eussent aussi une
(1) Estai, p. 28.
(2) Tac. Germ., 25, 42, 43, 44. Ânn. If, 88. Coof. Beda, Bisl. Ecclés., V, II.
(3) Essai, p. 39.
AU MOYEN-AGE. 603
place dans les assemblées et le droit de punir (1). Mais sur
les autres points, que de conformité? César ne parle pas de la
servitude gauloise, mais le nom même i'obœrati semble indi-
quer une condition moyenne entre l'esclavage et la liberté,
telle que le servage germanique. Et quant à la puissance du
chef sur ses enfants et sur sa femme, autant qu'on peut voir
dans ces obscures origines , elle n'était guère moins absolue
chez les premiers Germains que chez les Celtes (2). C'est le
droit du barbare de laisser mourir le nouveau-né en l'aban-
donnant, c'est son droit de frapper ou de vendre sa femme et
ses enfants, quelquefois même de les tuer comme il ferait d'un
esclave (3). Enfin, c'est chez une peuplade germanique, chez
les Hérules, qu'on trouve pour la dernière fois, en Occident,
l'horrible usage d'immoler les femmes aux mânes des maris (4).
En présence de faits semblables , il est bien difficile de cher-
cher dans les habitudes de famille des distinctions tranchées
entre les deux nations.
Cette critique, du reste, n'a point une très grande impor-
tance, et je me retrouve bien vite d'accord avec M. Giraud.
Tout en reconnaissant aux Celtes de César et aux Germains de
Tacite un air de famille prononcé malgré des différences sen-
sibles dans la religion, les mœurs, le gouvernement des deux
peuples. Je crois, (et c'est là le nœud de la question et le point
le mieux démontré par M. Giraud,) je crois que la conquête
romaine et le christianisme avaient trop complètement trans-
formé la société gauloise , pour qu'au cinquième siècle , cette
société, malgré son origine celtique, n'eût rien de commun
avec les barbares qui l'envahissaient. En somme, la compa-
raison des institutions primitives de la Gaule et de la Germanie
aura toujours de l'intérêt pour qui poursuivra dans la nuit
des temps la parenté probable des deux races, mais je ne vois
pas que de ce parallèle on puisse rien conclure touchant la
persistance des coutumes celtiques. A moins d'oublier que cinq
siècles séparent la conquête de César de celle de Clovis, et que
(1) Tac. Germ., 7, 11. Montesquieu, Esprit des lois, XVIII, 31.
(2) Heineccius, Antiq. Germ., t. III, p. 206 et 302.
(3) V. Grimm, Deutsche Rechtsalterthûmer , p. 450 et 455, et H. Vilda, Stra-
frecht der Germanen, p. 717 et 726.
(4) Procope, Guerre des Goths, H, 14. Grimm, D. R. A. p. 451.
604 ESSAI sur l'histoire du droit français
pendant cette longue durée, l'Occident tout entier s'est trans-
formé sous l'empire de la civilisation romaine. Il est impos-
sible d'admettre que l'entrée des Barbares sur notre sol ait
amené le réveil de la nationalité gauloise , la renaissance des
anciens usages comprimés mais non détruits par l'occupation
étrangère. La Gaule , quand les Germains y parurent, ne res-
semblait ni à la Grèce , telle que nous l'avons connue sous la
domination turque, ni à l'Espagne du moyen-âge écrasée,
mais non détruite, par le joug des Arabes. La Gaule n'était
point un pays habité par deux races ennemies , divisées par
la religion, la langue, les mœurs, la haine nationale; c'était
une province toute romaine, et les barbares n'étaient pas
moins des étrangers et des ennemis pour les Gallo-Romains
que pour les autres peuples de l'empire. Si les coutumes cel-
tiques avaient résisté à l'influence du vainqueur, comment,
dès le premier siècle , aurait-on tant de peine à reconnaître
quelques traces demi-effacées de ces institutions qui tran-
chaient si vivement sur le fond des usages romains? Gomment
ce peuple mobile , toujours prêt à se détacher de l'Italie , et,
comme dit Vopiscus, toujours avide de faire un prince ou un
empire (1), comment ce peuple n'aurait-il pas rétabli ses an-
ciennes lois en reprenant son indépendance? Comment serait-
il resté jusqu'à la fin le plus ferme boulevard de l'empire contre
l'effort incessant des barbares (2)? En vérité, quand sous le
règne de Gallien, on voit la Gaule rompre avec Rome, et ce-
pendant garder comme siennes toutes les institutions qui lui fu-
rent autrefois imposées par la maîtresse du monde , quand on
voit Postume, l'empereur des Gaules, frapper ses médailles au
nom de Rome éternelle (3), agir et parler en césar et non pas en
(1) Vopiscus in Saturnino. a Saturninus oriiradus fait Gailis, ex gente ho-
minum iaquietissima et avida semper vel faciendi principis vel imperii. » Tre-
bellius Pollio dit presqu'en mêmeB termes dans la vie des deux Galliens :
« Galli quibus insitum est spe le vis, ac dégénérantes civitate romana, et
luxuriosos principis ferre non posse. »
(2) Trebellias Pallio, dans la vie de Postume : a Ita Gallieno perdente rem
publicam, in Gallia primum Postumus , deinde Lollianus Victorinus deinceps
postremo Tetricus assertores romani nominis extiterunt , quos omnes datos
divinitus credo, ne cum illa pestis inandita luxuria impediretur, in allia pos-
sidendi romanum solum Germanis daretor facultas. »
(3) Mionnet,!!, 64. Sur la situation des Gaules sons le règne de PosUme,
AU MOYEN-AGE. 605
chef gaulois, il est difficile de ne pas croire à l'anéantissement
du vieil esprit celtique, à l'extinction totale de la nationalité
gauloise. Si donc après la conquête barbare, nous retrouvons
sur le sol de la Gaule certaines coutumes qui nous reportent
aux usages décrits par César comme celtiques et par Tacite
comme germains, nous aurons le droit d'y voir une importa-
tion récente d'outre-Rhin, et non pas la seconde floraison d'un
germe dès longtemps épuisé.
Sans doute, ce ne fut pas en un jour que la Gaule perdit ses
mœurs , ses croyances et ses lois , sans doute le dédain du
vainqueur nous a dérobé la connaissance des efforts suprêmes
des dernières convulsions de la nationalité celtique, mais
néanmoins il est vrai de dire avec l'empereur Claude, que ja-
mais conquête ne fut plus rapide et plus sûre que celle de la
Gaule (1). Chez aucun peuple de l'Occident la transformation n'a
été aussi prompte; nulle part l'esprit romain n'a aussi rapide-
ment triomphé d'éléments étrangers. D'où vient ce fait si in*
téressant pour notre histoire ? L'influence victorieuse d'une
civilisation supérieure souvent alléguée pour justifier ce chan-
gement nous explique bien pourquoi le monde entier finit par
devenir romain, mais elle ne rend pas raison du fait particu-
lier à la Gaule. La mobilité de l'esprit celtique n'est pas non
plus de mise, elle est inconciliable avec cette adoption franche
et sans retour d'institutions et de mœurs étrangères ; la vraie
cause de cette prompte soumission, ce fut la position de la
Gaule entre Rome et la Germanie, position qui ne lui permet-
tait pas l'indépendance et ne lui laissait le choix que d'un
maître. J'insiste sur ces considérations qui peut-être jettent un
jour nouveau sur nos origines, et qui touchent à l'honneur des
Gaulois nos aïeux.
Quand César entra dans la Gaule déjà entamée par les Ro-
mains, le pays ne s'appartenait plus ; Arioviste en commençait
la conquête. La guerre .fut dès le premier jour entre Rome et
la Germanie , notre pays ne fut que le champ de bataille où
pendant cinq siècles la civilisation et la barbarie se disputèrent
V. Breqaigny (Met*. Acad. des Intcr., XXX), et les judicieuses réflexions de
M. Amôdée Thierry : Histoire de la Gaule tout l'administration romaine, t. Il,
p. 351 et suiv.
(1) Tacite, Ann. XI, 24.
606 ESSAI sur l'histoire du droit français
l'empire du monde avec des fortunes diverses (1). Entre ces
deux puissances qui se heurtaient sur son territoire, comment
la Gaule eût-elle gardé la neutralité ? Pour sauver son indé-
pendance, il lui eût fallu repousser tout ensemble et ses alliés
et ses ennemis, rejeter les uns au delà des Alpes , les autres
au delà du Rhin ; mais la Gaule ne fut jamais assez forte et
assez unie pour entreprendre cette lutte inégale , et d'ailleurs
César la réduisit du premier coup à une impuissance dont elle
ne se releva pas. Un million d'hommes tués , un autre million
emmené en esclavage ne lui laissèrent de salut que dans
l'obéissance (2). Du reste, cette obéissance commandée par
le sentiment de sa faiblesse, et par la crainte des barbares, fut
singulièrement encouragée par l'habile administration du vain-
queur. Si la Gaule avait besoin de l'appui de Rome, Rome
avait un besoin encore plus grand encore de la Gaule. Si la
frontière n'était pas au Rhin, si l'empire reculait jusqu'aux
Alpes, la Gaule peuplée par la Germanie, pouvait une seconde
fois inonder et couvrir l'Italie. La peur est le secret des fa-
veurs de Rome pour la Gaule. C'est ce qui explique comment
une prompte communication du droit de cité acheva pacifique-
ment ce qu'avaient commencé les armes de César. Devant les
concessions récentes de Galba s'évanouit le fantôme d'empire
dont Civilis éblouissait la Gaule pour la faire tomber isolée
entre les mains des Barbares. Déjà nos aïeux avaient senti que
la cause de Rome était la leur, et que l'union de l'Occident était
le seul moyen de résister à ces bandes sauvages que la Germa-
nie débordée poussait sans cesse au delà du Rhin. Dès le règne
de Yespasien, la Gaule n'est plus qu'un département de l'em-
pire, et de ce qui fut naguères le génie propre d'une nation ,
il ne reste plus qu'un certain esprit provincial dont la vivacité
trahit l'origine. Ces nouveaux sujets ne sont pas , sans doute,
devenus des Italiens, mais ce ne sont pas des Gaulois, ce sont
des Gallo-Romains, c'est-à-dire un peuple mélangé de deux
races, soumis à l'influence d'une civilisation puissante, et chez
lequel l'empreinte romaine efface chaque jour davantage le
caractère celtique. S'il en fut ainsi, dès le premier siècle de la
conquête, que pouvait-il rester des coutumes primitives quand
les Francs entrèrent dans notre pays?
(1) Voy. dans Tacite le discours de Cerialis. Hitt. IV, 73.
(2) Hiat., Vie de César. Appien, de Rebut GaU., frag. I.Orose, VI, 12.
AU MOYEN-AGE. 607
C'est ce que je chercherai plus loin, quand, à la suite de M.
Giraud , nous aurons étudié les changements que la politique
Romaine introduisit dans le gouvernement et les lois de la
Gaule.
§ 2. Des origines romaines du droit français.
Il n'est point de peuple ancien ou moderne qui puisse riva-
liser avec les Romains dans l'art du gouvernement. Il n'en
est aucun qui ait su, comme ces maîtres du monde, imposer
aux vaincus ses mœurs , ses idées , et ses lois :
Tu regere imperio populos. Romane, mémento,
Hœ tibi étant dites !
Conquérir et coloniser, ou, si cette expression est permise ,
romaniser le monde c'était la mission que Rome croyait avoir
reçue du destin, c'était , suivant les Pères de l'Église, la mis-
sion que Dieu même lui avait donnée , et son règae ne fut si
grand sur la terre que parce qu'il préparait l'avènement d'un
règne supérieur par l'étendue et la durée, celui de l'Évangile.
Confondre tous les peuples sous un même empire , les élever
au même degré de civilisation en leur faisant volontairement
adopter des mœurs, des lois, une religion, une langue étran-
gère , c'est dans cette œuvre difficile qu'excelle le génie ro-
main, et plus on étudie cette politique invariable, qui fait
toute l'histoire de Rome , plus on est frappé de sa grandeur
et de sa fécondité.
De tous les moyens qu'employa l'habileté romaine, pour
transformer les vaincus en citoyens, le plus simple et non pas
le moins énergique, fut la communication du régime municipal.
Tant que le pays conquis restait province , sa condition était
des plus mauvaises. Soumis au despotisme du gouverneur,
dépouillé de son administration et de ses lois , toute vie politi-
que lui était refusée (1). Mais au milieu de cette dure servitude,
les Romains plaçaient un certain nombre de centres privilé-
giés, jetés dans la province comme autant d'oasis où fleuris-
sait la liberté. Tantôt c'étaient des colonies de citoyens qu'on
installait dans les points principaux du pays , et qui implan-
taient avec elles les lois , la langue, l'organisation romaine (2).
Tantôt c'était quelque cité provinciale qu'on ér geait en mu-
(1) Cœsar, B. C, VU, 77.
(2) A. Gell., XVI, 13.
608 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT FRANÇAIS AU MOYEN-AGE.
nicipe, et qui, par l'adoption des lois de la métropole, devenait
une commune italienne, placée au milieu de pays étranger.
Quelquefois on créait une situation intermédiaire entre la li-
berté romaine et la servitude provinciale. Le jus MU défendait
à la fois la ville privilégiée contre l'arbitraire du gouverneur,
et ouvrait à ses administrateurs cette cité romaine si ardem-
ment convoitée (1). En ce point paraît toute la politique ro-
maine qui dès le premier jour plaçant la liberté près de la ser-
vitude, et ne laissant point de prise au désespoir, cause ordi-
naire des révoltes , se faisait des vaincus même une défense et
un appui. Rome bien plus libérale que les modernes n'établis-
sait point une ligne infranchissable entre ses anciens et ses
nouveaux sujets. Tout au contraire , en répandant ses institu-
tions municipales, elle ouvrait la cité, les magistratures, le
sénat, à quiconque s'élevait dans la province, absorbant ainsi
dans son sein tout mérite apparent , toute supériorité naissante,
et tournant à son profit les forces vives du pays conquis. La
Gaule eut de bonne heure sa large part des faveurs romaines :
colonies de citoyens, colonies latines, municipes y paraissent
dès le premier jour. Et non-seulement Rome implante ainsi
ses lois et son organisation, mais , (et ce résultat n'est pas
moins important,) du même coup elle transforma le pays en
faisant passer le pouvoir des mains des chefs de clan dans
celles des habitants des villes. « Ce fut, dit avec raison, M.
» Giraud, le moyen le plus efficace d'assimilation qu'employa
» le Gouvernement romain... La multiplication des municipes
» créa une nation nouvelle représentée par la classe moyenne
» qui devait sa naissance, pour ainsi dire, à la loi municipale,
» et dont l'existence et ses prérogatives furent aussi intime-
» ment unies à la domination romaine. »
La franchise municipale fut-elle aussi grande qu'en Italie,
ou bien la Gaule ne reçut-elle qu'une organisation incomplète,
hormis les cités privilégiées du jus italicum ? Ce dernier sys-
tème a été défendu par M. de Savigny, mais M. Giraud a,
selon nous, prouvé victorieusement que la constitution muni-
cipale avait été la même des deux côtés des Alpes , et cette
démonstration nous paraît la plus neuve et la plus intéres-
sante de son livre. Ed. Laboulaye.
(i) Strab. IV, c. i, § 10. Nîmes, dit Strabon , le cède à Narbonne en impor-
ance commerciale et en population, mais sa position politique est meilleure.
DE
L'ACQUISITION DES FRUITS
PAR L'USUFRUITIER.
Les articles 585 et 586 du Code civil déterminent, en des
termes qui ne soulèvent aucune difficulté sérieuse, les droits
de l'usufruitier sur les fruits de la valeur grevée d'usufruit.
Le problème est, en droit romain, beaucoup moins simple :
la jurisprudence ne paraît pas , sur cette matière , être arrivée
à une solution, qui donne une suffisante satisfaction aux inté
rets légitimes de l'usufruitier. Je vais le démontrer, et cons-
tater le progrès qui s'est accompli, la supériorité de la législa-
tion française sur celle des Romains.
En nous arrêtant d'abord aux fruits proprement dits , pro-
duits organiques de la terre ou des animaux , à ces revenus
que nos anciens auteurs et le Code civil ont appelés fruits
naturels ou industriels, nous ne ferons que rappeler une règle,
bien connue, quand nous dirons qu'à Rome l'usufruitier n'ac-
quiert les fruits du bien frappé de son droit , ne les fait siens
et ne les gagne que par la perception , émanée de lui ou d'un
des siens. Plusieurs fragments au Digeste le constatent , en
opposant sur ce point la situation de l'usufruitier à celle du
possesseur de bonne foi qui acquiert la propriété des fruits de
608 ESSAI SUR l'histoire du droit français/
nicipe, et qui, par l'adoption des lois de la m' d, séparés
une commune italienne, placée au milieu '• le fait a'un
Quelquefois on créait une situation interm /nstitules, au
berté romaine et la servitude provinciale. s>i& du douaire ,
à la fois la ville privilégiée contre l'arbil ' du droit romain,
et ouvrait à ses administrateurs cette c .ursonne de perce-
ment convoitée (1). En ce point pars . héritage sujet à un
mainequi dès le premier jour plaçan* juilierque par la per-
vitude, et ne laissant point de prise ,par quelqu'un de sa
naire des révoltes , se faisait des vr jeal coupé des blés sur
un appui. Rome bien plus libéral' -'^e avait bien l'action
sait point une ligne infranchiss; > non fume surrepum.
nouveaux sujets. Tout au contr >#s volées, qu'on appelle
lions municipales, elle ouvra; j* qu'au propriétaire des
sénat, à quiconque s'élevait < ""^priétaire de l'héritage, et
dans son sein tout mérite ap< . > ';a acquérir les fruits par la
et tournant à son profit le? V'JrtleoT, ce voleur ne les ayant
Gaule eut de bonne heure /, -'/j de l'usufruitier. Par la même
colonies de citoyens, col ,. ./'■jjcidait que les olives, qui se
dès le premier jour. F r .y^iombaient de l'olivier, n'étaient
ses lois et son organ: / -^'"Voire jurisprudence n'admet pas
moins important,) du •;> '^iispour règle générale, que tous
' m à un droit d'usufruit, qui sont
Je où ils sont pendants , pendant le
, l'usufruitier, lui appartiennent, de
■ut été perçus. »
j donc pas droit aux fruits de la
•e lui-même : son jus fruendi n'est
nplet que celui du propriétaire. Le
[u'il la possède ou non , et sauf ie
iseur de bonne foi , est ou devient
:ette chose , en vertu du caractère
droit; peu importe que ces fruits
à son insu par un coup de vent, le
' ssesseur de mauvaise foi : il eu de-
i vaut d'en avoir pris possession, et
1 nunc la propriété par Vin jure cet-
8 ' v indtcatùmem. L'usufruitier n'est
bstitué à lui , mis en son lieu et
rFRUITTER. 611
l à la perception. Ulpien nous
sonsistit, id est facto aliquo ejus
dies, VII , 3).
4? nce , sévère pour l'usufruitier, doit-
fait que l'usufruitier, à la différence
è foi, n'a pas la possession du bien
, en est que détenteur, et qu'il a besoin
/ une possession que ne peut lui commu-
m de la chose? Mais le propriétaire, lui
is posséder sa chose : ce peut être un léga-
oit est acquis par le fait de l'acceptation de la
qui n'a jamais possédé la chose léguée. Et ce-
l'uits qui sont détachés de cette chose lui appar-
ô trouverait-on pas plutôt la raison de la règle
dos une pensée de défaveur vis-à-vis de ce démem-
de la propriété , autour duquel la vieille loi romaine
<e les causes d'extinction , et qui , sans présenter un
ère alimentaire , est destiné au fond à donner satisfac-
aux besoins personnels de son titulaire? Quand celui-ci
perçoit pas, cette loi lui applique cette maxime, dont il y
i dans le droit romain , de si nombreux exemples , jura vigir
lantibus scripta sunt : l'usufruitier, qui ne perçoit pas les
fruits auxquels il a droit, est réputé en faute, et il ne les ac-
quiert pas.
Quoi qu'il en soit , nous allons rechercher d'abord ce qu'il
faut entendre par la perception , condition d'acquisition des
fruits , puis nous nous demanderons si le droit romain n'a pas
tempéré sa rigueur primitive en cette matière comme en beau-
coup d'autres.
Le jurisconsulte Paul, craignant sans doute qu'on n'attri-
bue au droit de l'usufruitier un caractère alimentaire trop pro-
noncé , a soin dans deux passages (f. 78 De rei vindic, VI, 1,
et 13 Quib. mod. ususf. amitt., VU, è) de nous prévenir qu'il
n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait perception, que les
olives soient transformées en huile, les raisins en vin, mais
qu'il suffit que la récolte soit isolée de la terre , ait reçu une
existence individuelle, distincte de la chose frugifère. La
perception , c'est donc la prise de possession des fruits par
l'usufruitier anima et corpore, animo utique suo , corpore vel
642 de l'acquisition des fruits
suo vel alieno. Le fait matériel , inconscient ou accompli sous
l'empire de l'erreur, le corpus tout seul, ne serait pas un acte
de perception : il faut, de la part de l'usufruitier, un acte ac-
compli en connaissance de cause , avec la volonté de se com-
porter en maître. D'autre part, Y animas seul ne suffirait pas
pour constituer la perception : les fruits sont tombés : l'usu-
fruitier le sait ; mais il se trouve , à raison de son éloigne-
ment, empêché de faire sur eux acte de maître : la volonté
qu'il peut avoir de se les approprier, est impuissante à les lui
faire acquérir.
Mais l'acquisition de la propriété par le canal de la posses-
sion, est susceptible de se réaliser dans deux ordres de cir-
constances : dans l'occupation, mode originaire, et dans la
tradition, mode dérivé. Savigny {Traité de la possession, § 22 *)
rattache l'acquisition de l'usufruitier, ainsi que celle du fermier
et de tous ceux qui tiennent du propriétaire leur droit aux
fruits à l'idée de tradition. « L'appréhension, dit-il, équivaut
à une véritable tradition. Si le propriétaire de la chose est
propriétaire quiritaire , il s'ensuit que l'usufruitier acquerra
une propriété tantôt quiritaire , tantôt simplement bonitaire :
quiritaire , si la chose est une res nec mancipi comme tous les
produits agricoles : bonitaire, si c'est une res mancipi, un
cheval par exemple (V. dans le même sens, de Fresquet, Traité
élémentaire de droit romain, t. I, p. 265; Mainz, Éléments
de droit romain, t. I, § 194, note 34; Puchta, Pandekten7
§ 150).
Je reconnais que la tradition ne consiste pas nécessairement
dans une remise de la possession , et que le fait de laisser
prendre une chose peut aussi bien emporter tradition (F. Ulp.,
f. 6, De donaL, XXXIX, 5). Je concède également que le rap-
prochement de l'usufruitier et du fermier est de nature à
prêter à cette opinion un certain appui. J'ai de la peine néan-
moins à m'y rallier, et avec d'autres auteurs (Arndts, Lehrbuch
der Pandekten, § 156, note 1), je suis plus porté à croire que
l'acquisition de la propriété des fruits par l'usufruitier, a plus
d'analogie avec l'occupation qu'avec la tradition. Le proprié-
taire abandonne la jouissance de sa chose et l'usufruitier s'em-
pare des fruits, les fait siens en les percevant. Le § 36 InsU De
rer. divis., est placé à la suite des modes originaires d'acqui
par l'usufruitier. 613
sition : l'exposition des modes dérivés ne commence qu'avec
le § 40 eod. tit., qui traite de la* tradition (1).
Le système de Savigny donne prise à une objection sé-
rieuse, et expose le droit de l'usufruitier à un grave danger.
C'est un principe élémentaire que la propriété , de même que
la possession , qui n'est que l'exercice de la propriété , ne peut
avoir pour objet que des res certxy des choses corporelles in-
dividualisées , douées d'une existence indépendante des autres
choses qui les entourent. La tradition qui consiste dans la re-
mise de la possession, ne peut elle-même avoir pour objet qu'une
res certa (Pomponius, f. 40 De ad. emti, XIX, 1). Or, des
fruits futurs, n'ayant pas d'existence propre, ne peuvent faire
l'objet d'une tradition qu'au moment où ils sont détachés de
la chose : le droit de l'usufruitier s'analyserait en une série de
traditions successives, consenties par le nu-propriétaire à
l'usufruitier, au moment où les fruits seraient détachés par
celui-ci, les fruits appartiendraient un instant de raison au
nu-propriétaire et le fait de les laisser prendre constituerait
la tradition. Mais pour consentir une tradition, il faut être
propriétaire et capable d'aliéner : le nu-propriétaire pourrait
n'être plus propriétaire de la chose grevée d'usufruit : il
pourrait être devenu incapable d'aliéner, la tradition devien-
drait impossible au profit de l'usufruitier. Pareille conséquence
est difficilement admissible.
D'autre part, la tradition, en tant que mode dérivé, fait
acquérir la chose , grevée des droits réels , qui la frappent du
chef du tradens. Le nu-propriétaire a pu, depuis la constitution
de l'usufruit (2), hypothéquer les fruits futurs : car le droit
réel d'hypothèque peut avoir pour objet une chose future, des
biens à venir (Gaïus,/". 15prM Depignor., XX, 1). L'usufruitier,
acquérant les fruits par l'effet d'une tradition , serait tenu de
(1) Il y aurait bien à dire sur cette classification des modes d'acquérir plus
moderne qne romaine. Pour les Romains, le mode type , c'est le mode dit ori-
ginaire, l'occupation. La mancipation dans laquelle l'acquéreur joue seul un
rôle actif, ne serait que l'occupation régularisée. L'wt jure cettio n'est, en la
forme, ni l'un ni l'autre. La tradition flotte incertaine entre les deux : Gpr.
§ 46 et 47 De rer. divit. Inst. II, 1.
(2) L'hypothèque sur les fruits futurs , antérieure à la constitution de l'usu-
fruit, serait en tout cas opposable à l'usufruitier, ayant-cause du nu-pro-
priétaire.
614 DE L'ACQUISITION DBS FRUITS
respecter cette hypothèque (V. Jourdan , De l'hypothèque en
droit romain, p. 328).
Avec l'opinion qui fait de la perception un acte juridique,
analogue à l'occupation, le nu-propriétaire peut, après coup,
cesser d'être propriétaire, perdre la capacité d'aliéner : il peut
hypothéquer les fruits futurs. L'usufruitier n'en gardera pas
moins le droit de percevoir les fruits, et l'hypothèque consentie
par le nu-propriétaire ne lui sera pas opposable.
Quelle que soit l'idée à laquelle on s'attache , il faut recon
naître que la perception, condition d'acquisition des fruits
pour l'usufruitier, suppose que celui-ci a été mis en rapport
de fait avec la chose grevée de son droit, a obtenu la déli-
vrance effective de son legs notamment : tant qu'il n'a que le
droit, sans en avoir l'exercice, il lui est impossible de perce-
voir et d'acquérir. Le retard apporté à la mise de l'usufruitier
en jouissance peut être imputable à faute au nu-propriétaire :
s'il se laisse poursuivre par l'action confessoire, et qu'il suc-
combe, le juge, dans la satisfaction arbitrée par lui ou dans
le montant de la condamnation , pourra faire entrer en ligne
de compte les fruits que l'usufruitier aurait pu percevoir (Ulp.,
f. 5, § 3, Si usufr. petetur, VII, 6). Julien admet même que
l'héritier qui, grevé d'un legs d'usufruit, retarde son accepta-
tion de la succession , pour empêcher le légataire d'acquérir
son droit et d'en exiger la délivrance, doit les fruits à ce lé-
gataire (F. 35, pr. De usufr. ,)(1).
Mais si le retard dans la délivrance du legs provient de la
(1) Le légataire, qui peut critiquer une acceptation tardive, ne pourrait pas
se plaindre du refus d'acceptation de la succession par l'héritier. Le succès*
Bible est libre, en répudiant, de faire tomber tous les legs (Gaïus, f. 7, Si qui$
omUsa, XXIX, 4). Les ûdéicommissaires d'hérédité (Ûdéicommissaires uni-
versels ou à titre universel) ont seuls, jusqu'à Justinien, le droit de se passer
de cette acceptation, de forcer l'héritier à accepter. Je ne crois pas que le
légataire de l'usufruit de la totalité ou d'une fraction de la succession puisse
invoquer cette disposition du S. C. Pégasien : car a seuls peuvent contraindre
l'institué à faire aditioo, ceux qui, placés loco heredum exonèrent l'héritier de
toute poursuite de la part des créanciers. » {Inst. d'Ortolan, t. II, Append. de
M. Labbé, p. 749). Le légataire d'usufruit, en droit romain, est toujours un
légataire à titre particulier, sauf le droit qu'il aura comme tout légataire,
d'après la Nov. I, de prendre sous certaines conditions, la qualité de suc-
cesseur universel pour éviter la caducité de son legs par le refus d'acceptation
de l'institué.
par l'usufruitier. 615
faute de l'usufruitier, il n'a plus le droit de se plaindre : tel est
notamment le cas où l'usufruitier refuse de fournir à l'héritier
la cautio usufructuaria, ou ne lui offre qu'une cautio insuffi-
sante : l'héritier, poursuivi par l'action confessoire, la para-
lysera per exceptionem, et quand ensuite, l'usufruitier se déci-
dera à donner caution, je ne crois pas qu'il doive restituer les
fruits qu'il a perçus. Papinien, f. 24, De usu et usuf. leg.,
XXXIII , 2 , décide que les intérêts de la créance grevée d'u-
sufruit ne sont acquis à l'usufruitier que post interpositam
cautionem : il doit en être de même des fruits naturels. L'ar-
ticle 604 du Code civil a décidé le contraire.
La sévérité du droit romain vis-à-vis de l'usufruitier s'est-
elle tempérée? Quelques auteurs ont soutenu que pour cer-
tains fruits naturels, le croît des animaux, l'usufruitier en
devenait propriétaire separatione, et non ip&aperceptione : ainsi
le voudrait le § 37 InsL, De divis. rer.9 II, 1. Les fruits de la
terre, ajoute-t-on, ont besoin, pour être perçus, du fait de
l'homme : ce fait est indispensable pour consommer la pro-
duction; c'est pour cela qu'un acte de perception de la part de
l'usufruitier serait nécessaire pour les faire entrer dans son
patrimoine. Le croît, au contraire, est un produit qui se dé-
tache de lui-même, sans avoir besoin du fait de l'homme (V.
Genty, Traité de l'usufruit en droit romain, n° i 68 ; Wàchter,
Pandekten, § 154, note 13). Le texte ne me paraît pas suffi-
samment explicite pour autoriser une dérogation au principe.
Les petits des animaux ne deviennent la chose de l'usufruitier
comme les autres fruits , que par la perception (V. Arndts,
Pandekten, § 156, notel). La perception, d'ailleurs, résultera
du fait de la naissance dans l'étable de l'usufruitier : il y a là
une prise de possession suffisamment caractérisée.
En admettant que la règle soit absolue , faut-il en conclure
que les fruits qui se sont détachés d'eux-mêmes , par l'effet
de la maturité ou d'un coup de vent, première circonstance
dans laquelle les fruits peuvent se trouver séparés autrement
que par le fait de l'usufruitier, deviennent la propriété défi-
nitive du nu-propriétaire et sont irrévocablement perdus pour
l'usufruitier? Cette conséquence fort dure paraît bien décou-
ler d'un texte du jurisconsulte Paul, le f. 13, Quib. mod.
ususf. amitt., VII, 4 : le jurisconsulte observe que la décision,
616 de l'acquisition des fruits
qui est donnée au cas où l'usufruitier a secoué l'arbre et fait
tomber les olives, ne doit pas être étendue à celui où les
olives sont tombées d'elles-mêmes , et la raison par lui don-
née, c'est qu'à la différence du possesseur de bonne foi, l'u-
sufruitier ne fait les fruits siens que par la perception , qui
n'a pas eu lieu dans l'espèce. Les olives sont tombées : à
moins de les déclarer res nuttius, ce qui serait bizarre et dan-
gereux, il n'y a d'autre ressource que de les faire acquérir au
propriétaire. Est-ce à dire qu'il n'y ait plus de perception
possible sur ces fruits de la part de l'usufruitier? Si l'usu-
fruitier les ramasse de son vivant, ne les perçoit-il pas, et
n'en enlève-t-il pas la propriété au propriétaire? Le texte du
jurisconsulte n'y fait pas obstacle : il vise l'hypothèse de la
mort de l'usufruitier : il est placé dans le titre qui traite de
l'extinction de l'usufruit. Son héritier n'a plus le droit de
perception : c'est à cela qu'il convient de limiter la portée de
notre texte : les fruits tombés ne sont perdus pour l'usufrui-
tier que quand il meurt avant de les avoir ramassés , avant
d'en avoir opéré la perception (1). S'il les recueille, efface-t-il
avec effet rétroactif la propriété un instant acquise au nu-
propriétaire? La question n'est pas sans intérêt, si celui-ci,
en prévision d'une extinction toujours possible de l'usufrui-
tier, avait hypothéqué les fruits de sa chose.
Une seconde circonstance, dans laquelle la jurisprudence
romaine a certainement tempéré la rigueur de la règle , est
celle où la chose grevée d'usufruit s'est trouvée pendant plus
ou moins longtemps entre les mains d'un possesseur ou d'un
quasi-possesseur de mauvaise foi , d'un individu qui se pré-
tend plein-propriétaire ou usufruitier. L'usufruitier véritable
intente contre lui l'action confessoire. Ulpien (/". 5, § 3 et seq.,
Siusuf. pet., VII, 6) décide que le demandeur qui triomphe a
droit aux fruits. L'action confessoire est une sorte de reven-
dication , et c'est une action arbitraire. Or, dans les actions
arbitraires (§31, Inst., De action., IV, 6), le juge a le pouvoir
d'arbitrer ex bono et xquo le montant de la satisfaction à pro-
curer au demandeur, et aussi le montant de la condamnation,
à défaut d'exécution de son jussum. L'équité veut que l'usu-
(1) Nec obstat le § 36, Intt., De rer. divis., qui prévoit le cas habituel.
PAR l'usufruitier. 617
fruitier ait droit aux fruits qu'il aurait dû percevoir : le juge
en tiendra compte, et les fera restituer en nature ou en valeur
à l'usufruitier. Et cependant le possesseur de mauvaise foi
n'était pas l'agent , le ministre de l'usufruitier : il a perçu suo
rumine, et, en percevant , il n'a pas fait acquérir la propriété
des fruits à l'usufruitier. Malgré cela, l'usufruitier a droit à
ces fruits. S'il y a droit, le nu-propriétaire n'y a pas droit, et
si c'est ce dernier qui est défendeur à l'action confessoire , il
en doit compte à l'usufruitier. En somme, celui-ci, triom-
phant dans l'action confessoire , a le droit d'être replacé , au
moins par équivalent, dans la situation où il aurait été, s'i
avait joui lui-même : bien qu'il n'ait pas perçu ou fait per-
cevoir les fruits , il les gagne.
La troisième situation , dans laquelle la dureté de la règle
romaine soulève une difficulté sérieuse , est celle où les fruits
ont été détachés de la chose par un voleur. Ce maraudeur
peut être un tiers ; ce peut être le nu-propriétaire. Si c'est un
tiers, les jurisconsultes Julien, Marcellus et Ulpien (/*. 12,
§ 5, De usuf.) recherchent lequel, du nu-propriétaire ou de
l'usufruitier, va acquérir contre le voleur la condictio furtiva,
la créance en réparation du préjudice causé par le furtum , et
Julien , approuvé implicitement par Ulpien , l'accorde au nu-
propriétaire de préférence à l'usufruitier. La raison qu'il en
donne, ainsi que Marcellus, c'est que l'usufruitier ne peut
devenir propriétaire des fruits que par la perception venant
de lui : or, ici l'usufruitier n'a pas perçu, et comme ce ne peut
pas être le voleur qui devienne propriétaire, ce sera le nu-
propriétaire , et ce sera lui qui aura contre le voleur la con-
dictio furtiva : car c'est un principe bien connu que cette
action, destinée à suppléer la revendication, ne peut, comme
elle , appartenir qu'à celui qui est propriétaire de la chose
volée.
La décision est dure pour l'usufruitier : un événement
absolument indépendant de sa volonté, qui ordinairement
ne lui sera pas imputable , le vol , va avoir pour conséquence
de le priver d'une partie de l'émolument auquel il a droit. La
raison s'en trouverait-elle dans ce fait que les fruits volés
étaient mûrs , le jurisconsulte le suppose , et que l'usufruitier
peut se reprocher de ne les avoir pas recueillis à temps? S'il
Rkvub hist. — Tome VIII. M
618 de l'acquisition des fruits
en était ainsi, il faudrait admettre que le vol des fruits non
mûrs engendrerait au profit de l'usufruitier la condictio fur-
tiva, ce qui est contraire aux principes : le jurisconsulte, en
mentionnant la maturité des fruits, veut dire que malgré cette
circonstance les fruits ne sont pas encore la propriété de
l'usufruitier.
Suffit-il , pour atténuer la rigueur de la décision , et la ren-
dre admissible , de dire que l'usufruitier, auquel est déniée la
condictio furtiva, l'action en réparation civile contre le voleur,
aura contre lui Yactio furti, l'action en paiement de l'amende,
la créance pénale, et que cette créance lui tiendra lieu de la
créance en dommages-intérêts? Mais le propriétaire, victime
d'un furtum, a cumulativement les deux créances et actions :
pourquoi l'usufruitier ne les aurait-il pas ? En outre la créance
d'amende supérieure par son objet à la créance d'indemnité,
lui est inférieure à plusieurs égards : elle est exposée à s'é-
teindre par la mort du voleur : elle est beaucoup plus fragile
que la créance en réparation, qui est pleinement transmissible
contre les héritiers du voleur. Si le voleur de fruits est un
esclave de peu de valeur, mais placé à la tête d'un pécule
considérable , Yactio furti ne se donnera que noxaliter, et le
défendeur n'hésitera pas à faire l'abandon noxal de l'esclave :
la condictio furtiva aurait été vraisemblablement donnée de
peculio.
L'usufruitier aura-t-il soit contre le voleur, soit contre le
nu-propriétaire d'autres moyens pour faire disparaître cette
inégalité , qui existe entre lui et le propriétaire?
Contre le voleur d'abord, si nous supposons que le vol a
été commis daos des circonstances telles qu'il engendre au
profit de l'usufruitier les interdits quasi-possessoires , qu'il
constitue un trouble à sa possessio juris, l'usufruitier aura
cootre ce voleur des interdits utiles , et il arrivera à obtenir
ainsi une indemnité qu'il ne peut pas avoir avec la condictio
furtiva. — En outre, Ulpien, au f. 12, § 2, De cond. furt.,
XIII , 1 , accorde au créancier gagiste , dont le gage est volé,
une condictio incertif tenant lieu sans doute de la condictio
furtiva qu'il ne peut pas intenter, parce qu'il n'est pas pro-
priétaire. N'y a-t-il pas même raison d'accorder cette con-
dictio à l'usufruitier, d'autant que le créancier gagiste a un
par l'usufruitier. 6*9*
moyen , l'action pigneratitia contraria pour se faire céder la
condictio furtiva par le propriétaire, tandis que l'usufruitier
n'a pas de ressource analogue? N'est-ce pas un motif de plus
de venir à son secours?
Contre le nu-propriétaire ensuite, l'usufruitier peut-il, invo-
quant quelque principe de droit, être armé de quelque action
à l'effet de se faire retransférer le bénéfice acquis par le
premier contre toute équité? Il y a bien des circonstances,
surtout en droit romain , dans lesquelles celui qui a acquis
un droit, une action, ne les gagne pas, est tenu de les re-
passer à un autre, ne les acquiert que pour être tenu de
les céder à un autre qui en aura le bénéfice définitif : tel
est notamment le vendeur qui, toujours propriétaire de la
marchandise vendue, acquiert contre le voleur de cette mar-
chandise la revendication, la condictio furtiva, même Vactio
furti, mais est obligé de céder ces actions à son acheteur
(§ 3 in fine, Inst., De emt. et vendit., III, 23). L'usufrui-
tier ne peut-il pas, lui aussi, exiger du nu-propriétaire la
cession de l'action en revendication et de la condictio furtiva
contre le voleur de fruits? Pour pouvoir exiger de quelqu'un
un fait , une prestation , ici la cession de certaines actions , il
faut avoir contre lui un droit, une créance. Or, de droit com-
mun l'usufruit, droit réel, ne crée aucun rapport personnel,
aucun droit de créance entre l'usufruitier et le nu-proprié-
taire. Est-il établi entre- vifs par Vin jure cessio, à la suite
d'une convention de donation , faite par exemple entre deux
conjoints qui divorcent bona gratia , Vin jure cessio est un
acte juridique, créateur d'un droit réel, et rien que cela : il
n'est pas un contrat. Est-il constitué par legs, le legs per
vindicationem fonde l'usufruit comme droit réel, mais n'en-
gendre pas de droit de créance entre l'héritier et le léga-
taire. L'usufruitier et le nu-propriétaire sont comme deux
voisins, propriétaires de deux immeubles contigus : entre ces
deux voisins, titulaires chacun d'un droit réel, il n'y a pas de
rapport de droit. Ces deux voisins sont tenus sans doute l'un
envers l'autre des devoirs dont tout homme est tenu envers
ses semblables ; mais ces devoirs ne sont pas des obligations :
autrement tous les hommes seraient débiteurs les uns des
autres. L'usufruitier et le nu- propriétaire sont, en droit,
620 de l'acquisition des fruits
exactement dans la même situation l'un vis-à-vis de l'autre :
leurs deux droits reposent côte à côte sur la même chose ma-
térielle, mais leurs titulaires ne se doivent rien. L'usufruitier,
d'abord n'est pas, à raison de sa seule qualité, débiteur,
tenu d'une obligation envers le nu -propriétaire : on parle
quelquefois des obligations de l'usufruitier en droit romain
comme en droit français. Il faut prendre garde. En droit
français , la loi a établi un rapport d'obligation à la charge de
l'usufruitier. Le droit romain n'a jamais rien connu de pareil.
L'usufruitier a des devoirs, moins étendus qu'un non-proprié-
taire, parce qu'il a le droit de percevoir les fruits ; mais des
obligations légales, il n'en a pas. Pour qu'il soit obligé, il
faut qu'il contracte avec le nu-propriétaire , qu'il s'oblige par
stipulation : c'est la cautio usufructuaria.
En sens inverse, et ceci est encore vrai aujourd'hui, je
le crois du moins, le nu-propriétaire n'est légalement, en
vertu de sa seule qualité , débiteur de quoi que ce soit envers
l'usufruitier. Sans doute le nu-propriétaire ne doit rien faire
qui puisse nuire à l'usufruitier : mais ce n'est pas là une
obligation : c'est un devoir qui lui est commun avec tous les
hommes. Aussi à la différence du bailleur qui est débiteur de
son locataire, le nu-propriétaire n'est tenu, ni au moment de
l'ouverture de l'usufruit , ni pendant son cours , de faciliter à
l'usufruitier l'exercice de son droit : il lui remet la chose telle
qu'elle est, et il n'est astreint à aucune réparation.
De même en outre le nu-propriétaire qui a acquis contre le
voleur de fruits la revendication et la condictio furtiva, n'est
pas légalement débiteur de ces actions , à moins que le testa-
teur, après avoir légué l'usufruit, ne condamne son héritier à
céder à l'usufruitier les droits et actions qu'il pourra ac-
quérir dans le cours de l'usufruit : mais dors nous avons
deux legs; un legs per vindicationem, legs d'usufruit; puis un
legs per damnaiionem : si l'usufruitier est créancier, c'est
moins comme usufruitier, que comme bénéficiaire du second
legs.
Mais l'usufruitier ne peut-il pas, par une autre voie, arri-
ver à son but? On sait quelle extension la jurisprudence ro-
maine a donnée à la théorie de la condictio sine causa, sanc-
tion du principe d'équité d'après lequel nul ne doit pouvoir,
par l'usufruitier. 621
sans cause légitime, s'enrichir aux dépens d'autrui. L'usu-
fruitier, se plaçant à l'abri de ce principe, ne peut-il pas se
prétendre créancier quasi ex contracte du nu-propriétaire , du
montant de l'enrichissement injuste procuré à celui-ci par le
fait du voleur, et intenter contre lui une condictio sine causa,
tendant à la cession des actions acquises contre le voleur?
Mais pour avoir la condictio sine causa, sanction de cette
créance quasi-contractuelle , ne faut-il pas qu'une valeur soit
sortie d'un patrimoine pour passer dans un autre? et ici cette
conditionne fait-elle pas défaut? Si, malgré cela, nous ac-
cordons à l'usufruitier la condictio sine causa, nous consta-
terons que sa situation est encore inférieure à celle que lui
fait le droit français qui le déclare propriétaire des fruits :
il vaut mieux être propriétaire et avoir l'action en revendi-
cation que d'être créancier, et d'avoir seulement une action
personnelle à l'effet de se faire céder une action en reven-
dication : le débiteur, ici le nu-propriétaire, peut être insol-
vable : l'usufruitier n'aura pas droit à la cession des actions ,
à l'exclusion des autres créanciers de son débiteur.
D'autre part , si nous refusons à l'usufruitier tout droit ,
direct ou indirect, sur les fruits volés, ne risquons-nous pas
de nous mettre en contradiction avec la décision équitable
donnée au profit de l'usufruitier qui intente l'action confes-
soire contre un possesseur de mauvaise foi et qui a droit aux
fruits, bien qu'il ne les ait pas perçus? N'y a-t-il pas des
raisons, au moins aussi puissantes , pour venir au secours de
l'usufruitier, victime d'un vol?
Si le voleur de fruits se trouve être le nu-propriétaire , les
droits à accorder contre lui à l'usufruitier dépendront des solu-
tions qu'on admettra sur la situation précédente. Suivant que
nous voudrons donner ou non satisfaction à l'équité , nous
ouvrirons à l'usufruitier, ou exclusivement Yactio furti, ou
en outre la condictio sine causa ou une condictio incerti.
Enfin, le délit commis au préjudice de l'usufruitier peut,
au lieu d'un furtum, être le délit de la loi Aquilie , une des-
truction ou une détérioration de fruits , commise soit par un
tiers , soit par le nu-propriétaire. Le plébiscite du tribun
Aquilius exigeait, pour qu'il y eût délit punissable, un dam-
num corpori datum, un dommage causé à une chose corpo-
622 de l'acquisition des fruits
relie, au droit de propriété. Or, l'usufruit est une res in-
corporalis. Le propriétaire seul avait l'action legis Àquilix,
était constitué créancier ex delicto d'une amende : l'usufrui-
tier ne l'avait pas. La loi Aquilie n'avait voulu protéger que
le droit de propriété. Mais la jurisprudence a élargi la notion
du délit et a donné à l'usufruitier Vactio utilis legis Âquilia
(Ulp., MM 10; Paul, f. 12, Ad leg. AquiL, IX, 2).
En somme, la règle romaine, d'après laquelle l'usufruitier
doit percevoir les fruits pour les acquérir et les gagner, est
sévère et donne lieu à beaucoup de difficultés d'application.
En l'abandonnant , notre ancienne jurisprudence française et
le droit actuel ont réalisé un notable progrès.
Nous examinerons le même problème à propos des fruits
dits civils (1), les créances de revenus, qui ont pour cause la
jouissance d'un capital, mobilier ou immobilier. Des textes
il résulte implicitement que l'usufruitier ne les acquiert pas
de la même façon que les fruits naturels , que le fait du paie-
ment de ces créances pendant la durée de l'usufruit ne cons-
titue pas l'élément essentiel de l'acquisition. Mais c'est en
vain qu'on chercherait, dans ces textes, une règle spéciale,
correspondant à celle qui régit les fruits naturels : les juris-
consultes romains se sont bornés à appliquer à l'usufruit les
principes généraux, soit du contrat de louage, soit des legs,
qui sont la source de beaucoup la plus fréquente du droit
d'usufruit, et ils sont, avec ces principes, arrivés à des ré-
sultats qui , pour l'usufruitier, ne diffèrent pas sensiblement
de ceux auxquels conduit la formule de l'article 586 C. civ. :
« Les fruits civils sont réputés s'acquérir jour par jour. »
Nous prendrons d'abord le bail à loyer, la location d'un
bien qui ne donne pas de fruits naturels. L'usufruitier d'une
maison , d'un navire , trouve , à l'ouverture de son droit , la
chose entre les mains d'un locataire , qui avait traité avec le
propriétaire. Dans notre droit français, l'usufruitier est tenu
de respecter le bail : il est subrogé légalement aux droits,
(1) La qualification n'est pas romaine : ce sont nos anciens auteurs qui ,
d'après Papinien [f. 62, De rei vindic., VI, 1), ont imaginé cette expression.
Mais les Romains appelaient déjà fructus les créances de revenus (Galas, f.
19, pr., De utur. et fruct., XXII, i).
par l'usufruitier. €23
créances et obligations du bailleur, et il acquiert désor-
mais, tant que durera son droit, la créance de loyers. Cette
créance s'est répartie entre le nu-propriétaire et l'usufruitier,
proportionnellement à la durée de la jouissance de chacun
d'eux. Telle ne sera pas la situation en droit romain : car, de
même que l'acquéreur de la propriété, l'usufruitier n'est pas
obligé de maintenir le bail consenti par le propriétaire.
« Comme le preneur n'a pas de droit réel, dit très bien M.
Accarias (Précis, t. II, n° 616), l'antériorité de son titre ne
saurait le protéger contre le titre plus fort de l'acquéreur, et
celui-ci l'expulse très régulièrement (1). » L'usufruitier, en
vertu de son droit réel , va expulser le preneur qui , bien que
mis en jouissance , ne participe en rien à la propriété de son
bailleur et n'a qu'un droit de créance (Paul, f. 59, § 1, De
u&ufr.). Il ne peut pas être question pour l'usufruitier de fruits
civils.
Mais , pour éviter le recours en garantie de son locataire ,
le nu-propriétaire, en léguant l'usufruit de sa maison, ne
manquera pas d'imposer à son légataire l'obligation de ne pas
expulser le locataire (2). Je ne crois pas qu'en pareil circons-
tance nous ayions une répartition de créance entre le nu-pro-
priétaire et l'usufruitier. La forme habituelle, sous laquelle
devait, suivant moi, se présenter la clause en question , était
celle d'une condition suspensive apposée au legs d'usufruit ,
ou tout au moins d'une charge. Le légataire , pour accomplir
la condition , ou exécuter la charge , et obtenir la délivrance
de son legs, n'avait qu'à consentir au locataire un nouveau
bail. Ainsi se trouvait écartées toutes les difficultés; il n'y
avait pas à se préoccuper de la maxime : res inter alios acta...,
(1) On a dit qaelquefois que l'aliénation , totale ou partielle de la ebote
donnée à bail, mettait fin an bail. Le bail prend ai peu fin que l'expulsion du
locataire par l'acquéreur ouvre au premier une action en garantie contre le
bailleur. Le bail ne prend pas plus fin que la vente, quand le vendeur aliène
la marchandise vendue avant de la livrer à son acheteur. Wachter {Pandek-
te*, 1. 1, § 36) a raison de critiquer l'adage allemand : Kauf bricht Miethe. Le
vieil adage français : Vente patte louage, est plus exact.
(2) Cette clause accessoire peut n'être que tacite , résulter notamment de
ce fait que le testateur, en léguant l'usufruit, a légué en outre les loyers à
écheoir. Ce legatum nominis emporte tacitement à la charge de l'usufruitier
obligation de ne pas expulser le locataire : f. 59 cit.
624 de l'acquisition des fruits
le maintien de l'ancien bail au profit et à la charge de l'usu-
fruitier aurait nécessité des cessions d'actions , des novations
par changement de débiteur. Le procédé indiqué évitait tout.
Si l'usufruitier était créancier et débiteur du locataire , ce n'é-
tait pas à raison de l'ancien bail , auquel il n'avait pas été
partie, mais à cause du bail nouveau par lui conclu. Le loca-
taire pouvait sans doute refuser son adhésion au nouveau
bail : l'usufruitier n'avait alors d'autre moyen que de prendre
envers le nu-propriétaire l'engagement de ne pas évincer le
locataire ; mais alors celui-ci conservait pour créancier et dé-
biteur son bailleur primitif, sauf des arrangements entre lui
et l'usufruitier.
Au lieu du propriétaire , c'est l'usufruitier qui , suivant son
droit, a donné à bail la maison grevée d'usufruit. Si le bail a
pris fin avant l'extinction de l'usufruit, il n'y a pas de ques-
tion : le contrat, qui est l'œuvre de l'usufruitier, produit tous
ses effets à son profit et contre lui : peu importe que les loyers
ne soient pas encore payés au jour delà mort de l'usufruitier :
ils restent dus à sa succession. Mais le temps fixé à la durée
du bail n'était pas encore expiré au moment où l'usufruit
prend fin. Dans notre système moderne , le propriétaire , qui
rentre en jouissance, est tenu de respecter dans une certaine
mesure le bail émané de l'usufruitier, et la créance de loyers,
issue de ce bail , se répartit entre les deux proportionnelle-
ment à la durée du droit de l'usufruitier, sans tenir compte
d'un paiement anticipé de loyers qui pourrait avoir eu lieu ,
ou d'un retard dans le paiement de loyers échus. Le droit
romain était beaucoup moins soucieux des intérêts de l'usu-
fruitier : le bail par lui conclu était , quant à sa durée , aléa-
toire comme son droit d'usufruit, et n'était jamais opposable
au propriétaire : car, à la différence de l'usufruitier qui , en-
trant en jouissance, peut se voir imposer l'obligation de ne
pas évincer le preneur, le propriétaire rentrant en jouissance,
n'est pas l'ayant-cause de l'usufruitier, et en vertu de son
droit de propriété , il a le droit absolu d'évincer le locataire (1).
(1) Sauf le recours en garantie de ce locataire, si l'usufruitier en louant
s'est présenté comme propriétaire : car, s'il a fait connaître sa qualité, il
n'est pas garant : l'extinction de l'usufruit est un cas fortuit, une destruction
de l'objet loué, qui était l'usufruit (Ulp., f. 9, § 1, Locati, XIX, 2).
par l'usufruitier. 625
L'incertitude qui pesait sur la jouissance du locataire devait
en pratique être très nuisible à l'usufruitier, qui probablement
ne trouvait des locataires qu'avec difficulté, ou n'en trouvait
qu'à des conditions très désavantageuses.
Mais si le bail finissait avec l'usufruit , et si pour l'avenir
il ne pouvait pas s'agir d'une acquisition de loyers pour le pro-
priétaire rentré en jouissance, pour le passé, pour le temps
pendant lequel avait duré le bail , le locataire devait les loyers
en proportion de la jouissance qui lui avait été procurée : « pro
rata temporis quo fruiius est, pensionem prœstabat » (Ulp.,/;
9, § 1, Locatï). Le bail est un contrat successif : il engendre
une série, une succession de créances futures, autant de
créances qu'il y a de jours de jouissance effective procurée au
locataire par son bailleur (V. Bufnoir, Traité de la condition en
droit romain, p. 288, note et p. 295). « Les loyers de maisons,
dit Pothier (De la communauté, n° 220), échéent tous les jours
et sont dus tous les jours par portion. » Le locataire a habité
la maison deux ans par hypothèse : il doit à l'usufruitier
deux années de loyers. L'usufruitier a acquis quotidie autant
de créances de loyers qu'il a procuré de jours de jouissance à
son locataire. Les fruits civils , consistant ici dans les loyers,
lui ont été acquis jour par jour, et lui appartiennent à propor-
tion de la durée de son droit. Il n'y a là rien de particulier à
l'usufruitier : c'est l'application des règles du louage. Le ré-
sultat final pour l'usufruitier se trouve donc être le même
qu'en droit français. Mais entre les deux législations il existe
cette différence considérable , qu'il n'y a pas à Rome de répar-
tition d'une créance de loyers, issue d'un bail unique, entre
l'usufruitier et le nu-propriétaire ; même dans le cas où le
propriétaire trouvant excellent le bail conclu par l'usufruitier,
consentirait à laisser le locataire en jouissance : en supposant
que le locataire y consente , nous serions en présence d'un
nouveau bail, et nous aurions deux créances, émanées de
deux contrats distincts.
Les règles que nous venons d'exposer à propos du bail à
loyer, doivent-elles toutes être transportées au bail à ferme,
à la location de biens productifs de fruits naturels? Si le bail
a été consenti par le propriétaire avant l'ouverture de l'usu-
fruit, les principes sont les mêmes : l'usufruitier a le droit
626 DE L ACQUISITION DES FRUITS
d'expulser le fermier et de cultiver lui-même , de faire les ré-
coltes prêtes peut-être à être coupées, sauf le recours en ga-
rantie du fermier contre son bailleur. Le maintien du fermier
peut avoir été imposé à l'usufruitier : il sera procédé comme
nous avons dit plus haut.
Le bail a été contracté par l'usufruitier : il n'est jamais op-
posable au propriétaire à l'extinction de l'usufruit. Dans quelle
mesure l'usufruitier ou son héritier a-t-il droit aux fermages?
On peut soutenir et on a soutenu (Genty, op. cit., n°* 173 à
176) que le bail à ferme était régi exactement par les mêmes
principes que le bail à loyer, qu'il n'y avait au regard de l'u-
sufruitier aucune différence à faire entre ces deux espèces de
baux. Ulpien, au f. 9, § 1 , Locati, met sur la même ligne le bail
d'un fundus et le bail d'œdes ou à'habitatio : or, qu'est-ce que
peut être un fundus , sinon un bien rural productif de fruits
naturels, et des deux sortes de baux, le jurisconsulte dit :
« Pro rata temporis quo fruitus est, conductor permonem usu-
fructuario prœstare débet » Telle n'était pas, on le sait, l'in-
terprétation que donnaient du droit romain nos anciens au-
teurs (V. Pothier, Communauté, n° 219; Du douaire, n° 404.
Nouveau Denizart, V. Fruits, § 3, n° 3). « Les fermages sont
dus et échus du moment où a été faite la récolte des fruits,
parce qu'ils sont le prix des fruits. Ainsi , ils appartiennent à
l'usufruitier qui décède postérieurement à cette récolle, quoi-
qu'avant le terme fixé pour le paiement de ces fermages ; et si
son décès arrive pendant le cours de la récolte, sa succession
a droit à une partie des fermages , proportionnelle à celle de
la récolte qui se trouvait faite à ce moment. » Pour le décider
ainsi, nos anciens auteurs s'appuyaient sur le f. 58, pr*, De
usufr.y que dans l'opinion contraire on regarde comme réglant
uniquement les rapports de l'usufruitier avec le fermier, et
non ceux de l'usufruitier et du propriétaire, deux ordres de re-
lations qu'il faut soigneusement distinguer. La question est
délicate : je suis porté à croire que nos anciens auteurs avaient
exactement interprété le droit romain. L'assimilation des deux
espèces de baux peut être pratiquement bonne : l'article 586
du G. civ. a sagement agi en la décidant : mais en raison pure,
elle n'est pas irréprochable. Les loyers de maisons sont la re-
présentation de l'usage qui est de chaque jour : il est juste
par l'usufruitier. 627
qu'ils soient acquis de la môme façon que l'utilité provenant de
l'usage lui-même, c'est-à-dire jour par jour. Les fermages, au
contraire, sont l'équivalent des fruits naturels : si l'usufruitier
avait exploité lui-même, il aurait acquis, conformément à la
règle , des fruits naturels ; l'étendue de son droit ne doit pas
varier, parce qu'il donne le fonds à bail; il ne doit avoir droit
au fermage que quand la récolte est déjà faite par son fermier,
et il ne doit y avoir droit que dans la proportion de la récolte
faite de son vivant. Le f. 9, § 1, ne résiste pas à cette inter-
prétation : l'expression fundus signifiât-elle terre arable , ce
qui est contestable, le fermier qui a fait toutes les récoltes , a
eu la jouissance intégrale, et doit à l'usufruitier la totalité du
fermage , alors même que l'année du bail ne serait pas encore
expirée : quand il n'a fait encore que la moitié de la récolte,
il n'a eu qu'une moitié de jouissance, et il ne doit que la moi-
tié de son fermage. Du fermier comme du locataire , on peut
dire qu'il doit son loyer au prorata de la jouissance qui lui a
été procurée. Quant au f. 58 , ce qui me porte à penser qu'il
n'est pas étranger aux rapports de l'usufruitier et du nu-pro-
priétaire, c'est que le jurisconsulte s'était demandé si les fer-
mages ne devraient pas être répartis entre l'usufruitier et le
nu-propriétaire au lieu d'être dus intégralement à l'usufrui-
tier.
La conclusion à tirer de ce texte est donc : l°que si, comme
il le suppose , toute la récolte a été faite du vivant de l'usu-
fruitier, c'est l'usufruitier qui a droit à la totalité du fermage;
2° que si l'usufruitier est mort avant la récolte, il n'aura droit
•à aucune portion du fermage , d'abord parce que les fruits
naturels n'ont pas été perçus de son vivant, et ensuite parce
que le propriétaire a le droit d'expulser le fermier et de faire
lui-même la récolte , sans avoir d'ailleurs à rembourser à l'u-
sufruitier les frais de labours et de semences que celui-ci peut
•devoir à son fermier; car ai l'usufruitier avait cultivé lui-
même , et qu'il fût mort la veille de la récolte , il n'aurait pas
droit à ce remboursement ; 3° que si l'usufruit finit au milieu
de la récolte; il n'y aura pas lieu, comme on a dit, à un partage
proportionnel du fermage entre l'usufruitier et le propriétaire.
Le bail prend fin : le fermier /n'a plus le droit de continuer la
récolte; c'est le propriétaire qui l'achève. Le fermier a perçu
628 DB L'ACQUISITION DBS FRUITS
une partie des fruits : il doit à l'héritier de l'usufruitier une
partie correspondante de son fermage.
Il ne pouvait être question d'une répartition de la créance
de fermages que dans le cas où le bail à ferme consenti par
le propriétaire avant l'ouverture de l'usufruit, maintenu par
l'usufruitier, ne serait pas encore expiré au jour de l'extinction
de l'usufruit, et c'est peut-être à une combinaison de ce genre
que songeait le jurisconsulte Scévola, dans le f. 58, quand il
parlait d'une répartition possible des fermages entre l'usufrui-
tier et le nu-propriétaire ; le texte est assez peu précis et peut
se prêter à cette interprétation.
L'immeuble frappé d'usufruit peut, au lieu d'avoir été
donné à bail , avoir été par le propriétairie grevé d'un droit
d'emphytéose ou de superficie, moyennant une redevance
périodique. A la différence du bail , dont l'exécution par le
bailleur ne confère au preneur aucun droit réel, l'emphytéose
et la superficie constituent des droits réels : leur antériorité
confère à leurs titulaires droit d'exclusion ou de préférence
vis-à-vis de l'usufruitier, qui est tenu de les subir. Mais il a
droit à la redevance : le propriétaire lui a fait un legatum no-
minis, en lui léguant l'usufruit du fonds grevé : l'usufruitier,
légataire des redevances i échoir, se fera céder par l'action
ex testamento l'action en paiement. Si le droit est un droit de
superficie , analogue au bail à loyer, la redevance de l'année
courante au jour de l'ouverture ou de l'extinction de l'usufruit
sera répartie entre l'usufruitier et le propriétaire en proportion
du droit de chacun à la jouissance. Si le droit est un droit
d'emphytéose, voisin du bail à ferme, il faudra prendre en
considération la récolte , et régler en conséquence le droit de
l'usufruitier à la redevance.
Il nous reste encore, avec les textes, deux situations à
régler. La première est celle de l'esclave grevé d'usufruit qui,
au lieu de travailler pour le compte de l'usufruitier, a mis son
activité , son industrie , son talent au service d'un tiers. Si la
location de l'esclave a été conclue (par le propriétaire avant
l'établissement de l'usufruit, ou par l'usufruitier, nous appli-
querons à ce bail les mêmes règles qu'au bail à loyer ordinaire :
c'est une locatio rei. Mais il arrivait plus souvent , semble-t-il,
que c'était l'esclave lui-même qui louait ses services , qui né-
par l'usufruitier. 629
gociait , débattait le prix et la durée du bail : servus locabat
opéra suas : servus se locabat. Des textes que nous allons citer,
il paraît bien résulter que le contrat ainsi conclu par l'esclave,
ne subissait dans sa durée aucune atteinte par suite des chan-
gements de maître de l'esclave : le bail continuait nonobstant
l'aliénation soit totale , soit partielle (constitution d'usufruit)
de l'esclave. Celui-ci était réputé contracter non pas tant pour
son maître actuel , pour celui qui avait droit à ses operœ au
moment du contrat, que pour celui ou ceux qui, pendant
le temps du bail par lui fixé, pouvaient avoir droit à ses ser-
vices : il contractait pour qui de droit, obligeait qui de droit à
respecter le bail , et acquérait à qui de droit la créance de
loyers. L'esclave, conférant sur sa personne un droit ferme
au locataire de ses services , pouvait contracter à de bonnes
conditions.
Mais en supposant que le droit aux travaux de l'esclave
passât du propriétaire à un usufruitier, ou réciproquement,
comment acquérait-il la créance de loyers? Si cette créance
de loyers à échoir était , comme l'ont dit quelques-uns , une
créance unique, échelonnée sur divers termes d'échéance, si
même, comme d'autres l'ont soutenu, elle consistait dans
une série de créances conditionnelles , subordonnées à la pres-
tation effective de la jouissance promise, elle serait acquise
en totalité , pour toute la durée du bail , à celui qui aurait ,
au jour du contrat , droit au travail de l'esclave : car c'est
un principe que l'esclave qui contracte à terme ou sous con-
dition , acquiert la créance au maître du jour du contrat. Le
résultat eût été choquant. Le caractère du contrat de bail
et des créances qu'il engendre permet de l'éviter. Le bail est
un contrat successif : l'obligation du bailleur a pour objet une
série, une succession de faits de jouissance, d actes de ser-
vice : la créance de ce bailleur, corrélative à son obligation ,
a elle-même pour objet une série de prestations. Cette créance
a bien son principe générateur dans le contrat; mais elle
naît , elle se renouvelle au fur et à mesure de la jouissance
procurée au locataire. Le bailleur accomplit son obligation
tous les jours : il devient créancier quotidie, jour par jour,
c'est une créance future, et par conséquent elle est acquise
successivement au profit de ceux qui peuvent avoir droit suc-
630 DB l'acquisition des fruits
cessivement aux travaux de l'esclave, .et en sont privés par
le fait de la locatio servi, et elle est acquise à chacun d'eux
en proportion de la durée du droit de chacun , sans tenir
compte d'un paiement de loyer, anticipé ou arriéré. Ainsi le
décide le jurisconsulte Paul, au f. 26, De usufr. : un esclave
grevé d'usufruit a loué ses services durante usufructu : l'u-
sufruit s'éteint au cours du bail : ce qui reste à échoir de la
créance de loyers est acquis au propriétaire. Si le proprié-
taire devient désormais créancier du locataire de l'esclave,
c'est : 1° qu'il est tenu de respecter le bail conclu par l'es-
clave : s'il pouvait le rompre et reprendre l'esclave, il ne
deviendrait pas créancier; 2° que la créance de loyers a été
acquise à l'usufruitier en proportion de la durée de son droit,
jour par jour. La créance de loyers , provenant du bail conclu
par l'esclave sur sa propre personne , se répartit donc entre
l'usufruitier et le propriétaire proportionnellement à la durée
du droit de chacun. Les fruits civils, consistant dans le loyer
d'un esclave, sont réputés s'acquérir jour par jour. Tel est le
résultat auquel conduit le f. 26, De usufr., si on admet qu'il
prévoit dans sa première partie un contrat consensuel de
louage , ce dont pourrait faire douter la fin du texte.
Ce résultat doit-il être modifié quand l'esclave , au lieu de
se contenter du contrat consensuel de louage et de l'acquisi-
tion à qui de droit de la créance de bonne foi et de Yaclio
locati, a cru devoir, comme c'était encore l'habitude fré-
quente à Rome à l'époque classique , stipuler du locataire le
loyer, le lui faire promettre verbis pour engendrer contre lui
la condictio (1)? Si l'esclave a stipulé de son conductor tant
par jour, decem in singulos dies, cette stipulation, bien qu'u-
nique en la forme , se décompose en autant de stipulations , et
donne naissance à autant de créances et d'actions qu'il y a de
(1) La reconnaissance des contrats de bonne foi avait été un notable pro-
grès sur le rigorisme antique. Mais le formalisme , devenu facultatif, n'avait
pas été complètement abandonné : les créanciers recouraient très fréquem-
ment encore au contrat verbal , qui offrait de notables avantages sur le con-
trat non formel, c'est ce qui eiplique : 1° qu'au lieu d'adjoindre in cwtmenU
à la vente un pacte rendant le vendeur débiteur du double du prix en cas
d'éviction, les parties recourent & la stipulatio duplx; 2° plus généralement
qu'au lieu d'insérer dans le contrat consensuel une promesse de peine , les
parties concluent une stipulatio pœnw.
par l'usufruitier. 631
jours de bail : ainsi l'avait décidé, non sans hésitation, la juris-
prudence (Paul, f. 140, § 1, De V. 0., XLV, 1), au moins pour
le cas où le nombre des créances était déterminé à l'avance (1).
Chacune de ces créances se trouve acquise à celui qui , quo-
tidie, a droit aux services de l'esclave : ce sont des créances
futures, exactement comme celles qui proviennent du contrat
consensuel de louage (2) : elles ne seront donc pas toutes
acquises à celui qui a , au jour de la stipulation , le droit de
jouissance sur l'esclave : elles naissent successivement per
servutn au profit de qui de droit; au profit de l'usufruitier
d'abord , au profit du propriétaire après l'extinction de l'usu-
fruit. Il y aura donc autant de créances futures que de jours
de services rendus par l'esclave au locataire, et chacune de
ces créances sera acquise per servutn k l'usufruitier et au pro-
priétaire au prorata de la durée du droit de chacun.
Mais était-ce l'habitude de stipuler ainsi le loyer in singulos
diss? Il est permis d'en douter, quand on voit deux juriscon-
sultes supposer que l'esclave, en se louant, a stipulé in singu-
los annoe. Cette stipulation se décompose comme la précé-
dente : elle engendre une série de créances ; mais si nous en
croyons Papinien (/. 18, § 3, De stip. serv.) , ces créances ne
sont plus acquises quotidiè, jour par jour : elles sont acquises
initio cujusque anm, à celui qui a droit à ce moment aux
operx de l'esclave, année par année : d'où il pourrait bien
résulter que si l'usufruit durait encore le 1er janvier, la créance
de toute l'année est acquise à l'usufruitier, bien qu'il meure
le lendemain. Le résultat peut sembler choquant : car l'usu-
fruitier étant mort, et sa succession n'ayant plus la jouissance
de l'esclave , la créance corrélative à cette jouissance ne de-
vrait pas lui appartenir. L'explication du texte est possible.
(1) Si le nombre en demeurait indéterminé, par exemple dans la stipula*
tion de rente viagère, le même progrès n'avait pas été admis (Pompon., f.
16, § 1, De V. 0.). Mais à l'aide d'une prmcriptio , le demandeur évitait la
consummatio Mis. 11 était dispensé de cette précaution dans le cas du f.
140, cit.
(2) La créance ne perd pas son caractère futur, parce qu'elle a été deducta
in stiptrtationem : il n'y a pas que des créances de bonne foi qui soient fu-
tures : la stipulation par laquelle un esclave grevé d'usufruit se fait promettre,
la restitution d'une somme à prêter ultérieurement, présente le même carac-
tère (Papin., f. 18, § S in fine, De ttipul. sert., XLV, 3).
632 DE L ACQUISITION DES FRUITS
Si l'habitude était que les esclaves en se louant stipulassent
le .salaire de leurs services insingulos annos, celui qui léguait
l'usufruit de son esclave, savait, ou pouvait savoir ce qui l'atten-
dait, connaissait le risque que courait son héritier à l'extinction
de l'usufruit, et s'il voulait l'écarter, il n'avait, en faisant le
legs, qu'à interdire à son esclave, en se louant, de stipuler in
singulos annos. Ne l'eût-il pas fait, il y avait à son profit une
chance favorable en sens inverse : l'héritier avait la chance
d'avoir le loyer de l'année pendant laquelle s'ouvrait l'usufruit,
si l'esclave dont l'usufruit était légué, se trouvait avoir aupa-
ravant loué ses services et stipulé in singulos annos. Il se pas-
sait ici quelque chose d'analogue à ce qui a lieu pour les fruits
naturels.
Papinien, en s'appuyant sur l'autorité de Julien, admet que
le bénéfice de la stipulation faite par l'esclave est acquis suc-
cessivement à l'usufruitier et au propriétaire, qu'il y a autant
de créances que d'années de bail, et que chacune de ces
créances est acquise soit à l'un soit à l'autre : tantum quantum
ratio juris permittit. Le jurisconsulte repousse brièvement une
autre façon d'arriver au même résultat, d'après laquelle la
créance stipulée aurait été acquise tout entière à l'usufruitier,
à celui qui avait, au jour de la stipulation, la jouissance de
l'esclave; mais cette créance aurait été transmise, serait passée
(vi legis sans doute), au propriétaire à l'extinction de l'usu-
fruit. Le jurisconsulte réfuté par Papinien, c'est Ulpien au
f. 25, § 2, De usufr., qui nous dit en effet que la créance de
loyers stipulée est acquise tout entière à l'usufruitier, mais
qu'elle passe (transit) au propriétaire, par dérogation à la règle
d'après laquelle les créances ne passent qu'à un héritier ou à
un adrogeant, à un successeur à titre universel (1). Ulpien
refusait sans doute à la créance de loyers stipulée le caractère
de créance future, et pour mettre le droit d'accord avec l'é-
(1) Ce texte De démontre- t-il pas péremptoirement que les créances sont
incessibles , à titre particulier, qu'elles diffèrent des choses corporelles , de
la propriété? Sans doute, leur titulaire peut, comme le propriétaire, en faire
argent, les donner, les constituer en dot : au sens économique du mot, eUes
sont cessibles, aliénables. Mais juridiquement parlant, elles ne le sont pas ,
la propriété cédée, aliénée, reste chez l'acquéreur, le cessionnaire, ce qu'elle
était chez l'aliénateur. La créance se transforme : elle se nove , en passant
d'un patrimoine dans un autre.
par l'usufruitier. 633
quité, pour empêcher qu'à l'extinction de l'usufruit, le pro-
priétaire ne fût complètement frustré du loyer de l'esclave, il
portait atteinte au principe de l'incessibilité des créances à
titre particulier. «
Papinien, dont la doctrine doit être préférée, n'admet pas
qu'il y ait d'exception au principe, qu'il y ait transmission de
la créance de l'un à l'autre. Pour lui, les créances engendrées
par la stipulation de l'esclave, sont des créances futures, et le
droit à chacune d'elles est acquis successivement à l'usufrui-
tier et au propriétaire : chacune d'elles prend naissance en la
personne de l'usufruitier d'abord, du propriétaire ensuite.
La dernière espèce de fruits civils, ce sont les intérêts d'une
créance de somme d'argent, d'un prêt, d'un prix de vente, etc.
Comment ces intérêts sont-ils acquis à l'usufruitier de la
créance? Papinien (f. 24 pr., De usu et usuf., XXXIII, 2) ré-
sout implicitement la question : un mari avait légué à sa
femme l'usufruit de tous ses biens : la succession comprenait
des créances portant intérêt, provenant de placements faits
par le défunt : le jurisconsulte décide que l'usufruitier aura
droit aux intérêts de ces créances à partir du jour où il aura
donné à l'héritier la cautio. Nous avons déjà conclu de ce
texte, en le généralisant, que l'usufruitier n'avait droit à la
jouissance des valeurs , dont l'usufruit lui est légué , qu'après
avoir fourni la cautio : il n'y a pas de raison pour restreindre
la décision de notre texte aux intérêts , et pour distinguer
entre cette espèce de fruits et tous les autres.
A partir du jour où il est en règle , l'usufruitier gagne les
fruits , ici les intérêts : l'héritier n'y a plus droit. Comment
se fera- 1- il payer? il n'a pas contracté avec l'emprunteur;
il ne peut pas avoir contre lui de droit et d'action de son
chef. Mais le legs qui lui a été fait, implique pour les intérêts
à échoir pendant la durée de l'usufruit, un legatum nominis.
Or le legatum nominis emporte au profit du légataire un droit
de créance contre l'héritier, et la condictio ex testamento. Cette
créance a pour objet la cession des actions de l'héritier contre
le débiteur. Cette cession se fera par les différents procédés
juridiques, successivement organisés à Rome, et à partir
d'une certaine époque, elle sera réputée faite par ce seul fait
qu'elle est obligatoire : le légataire sera constitué , utilitatis
Revue hist. — Tome VIII. 42
634 de l'acquisition des fruits par l'usufruitier.
causa, créancier du débiteur, abstraction faite de toute eessie*
effective, et investi d'une action utile en paiement des intérêts.
Si le légataire d'usufruit d'une créance a droit aux intérêts
courus pendant le cours de son usufruit , nous pouvons dire
que dans ses rapports avec le nu- proprié taire, les fruits civils,
qui consistent dans ces intérêts , sont réputés lui être acquis
jour par jour et lui appartiennent en proportion de la durée
de son droit.
Malgré tout , l'acquisition des fruits civils par 1 ^usufruitier
à Rome ne se réalise pas d'une façon aussi simple que dans
notre droit français : ce n'est qu'avec réserve qu'il oon vient de
se servir, pour l'exposition du droit romain , de la formule de
l'article 586 C. civil.
Gérarduh ,
professeur à la Faculté de droit de
ESSAI
SUR
L'ANCIENNE COUTUME DE PARIS
AUX XIUB ET XIV SIÈCLES
(SUITE)
CHAPITRE NEUVIÈME.
Des servitudes et rapports de jurés.
Les servitudes dont s'occupent le titre IX de la Coutume
de 1580, sont les servitudes réelles, celles « de la chose à la
» chose, comme les servitudes des esgous, glacouers, rus-
» ticorum prœdiorum et urbanorum, là ou aucunes choses sont
» serves aux autres » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 6). Ce sont,
en un mot, les charges établies sur un fonds pour le profit et
la commodité d'un autre fonda, « Jura per quae praedia unius
» alterius praediis serviunt (1). »
Ces servitudes pouvaient donner lieu à des contestations
entre les propriétaires des deux fonds voisins. Ces contesta-
tions étaient jugées, après inspection des lieux, par des ex-
perts ou jurés chargés de faire un rapport fidèle. Ils étaient
nommés, sur la réquisition du demandeur, par une ordon-
nance du juge rendue en jugement en présence des parties.
Ces jurés devaient visiter les lieux et faire leur rapport ; les
parties étaient assignées à l'entendre et pouvaient même le
contredire, c'est-à-dire, « en requérir la révision ou correc-
tion (2). »
« Se jurez par ordenance de juge faite en jugement, en la
» présence des parties, vont voir aucun lieu contentieux et
» sur ce font leur rapport, les parties au jour à elles assigné
» à aller avant sur ledit rapport, puevent dire et proposer
» toutes leurs bonnes raisons et n'en sont pas forcloses par
(1) Digeste, loi 57, De utufructu. Voy. Lanrière, II, p. 157.
(2) Voy. Laorière, sur l'article 185, II, p. 162-164.
636 ESSAI sur l'ancienne
» la dite ordenance , ne elles ne sont consenties et soumises i
» tenir et entériner ce que les dits jurés rapporteront » {Coût,
not., 75) (1).
Ce droit, pour Tune des parties, de contredire le rapport des
jurés fut abrogé par l'article 184 de la Coutume de 1580 (2);
le juge seul put ordonner plus ample information (3).
Au xrvre siècle , on pouvait acquérir une servitude soit par
titre, soit par destination du père de famille; mais la pres-
cription n'était admise dans aucun cas : « L'en ne se puet dire
» en possession ne saisine de veue ne de agoust qui ne mon-
» tre titre, nonobstant quelconque temps que on ait usé » (J.
Desmares, 387; id., Coût, not., 8). Le titre constitutif de la
servitude devait être spécial et faire mention expresse de la
forme et de l'étendue de la servitude «... et par la Coustume
» de Paris, aucun droict de servitude ne peult estre acquis
» sans tiltre especial faisant mention comme il a la dicte ser-
» vitude » (Gr. Coutumier, liv. H, chap. 38, p. 353 ; id., Coût,
not., 8) (A).
La destination du père de famille était l'acte par lequel
le propriétaire de deux fonds faisait servir l'un aux profit
et commodité de l'autre : « Se aucun seigneur et proprie-
» taire d'aucunes maisons entretenans, durant le temps qu'il
» en est propriétaire, fait que l'une serve à l'autre, d'aucun
» glasouer ou aisément, telle ordenance vaut titre » (Coût.
not.t 80) (5).
La destination du père de famille valait titre; mais pour
qu'il en fût ainsi , il fallait que les servitudes établies par le
propriétaire eussent été expressément déclarées et spéciûées ,
^ors de la séparation des deux héritages : « Se un proprié-
» taire de plusieurs maisons entretenans , qui les a aquestées
» et assemblées en la ville de Paris de plusieurs personnes ,
(i) Cf. Gr. Coût., iiv. II, chap. 39, p. 361. Paris, 1510, art. 79.
(2) Voy. Procès-verbal, 1580. Coût, général, III, p. 81.
(3) Ordonnance de mai 1690. IsambertJ, t. XX, p. 105.
(4) Voy. Loisel, liv. II, tit. m, n°» 285-286.
(5) La destination du père de famille ne devait pas noire aux tiers : « Cn
» propriétaire de maisons se pnet diviser et faire servir Fane & l'autre , sans
» préjudice d'un tiers et telle division vanlt tiltre. Hoc est verum tantum en
» tant qu'il touche les propriétaires » [Coût, not., 126).
COUTUME DE PARIS. 637
» chargées envers divers censiers de plusieurs et diverses
» charges , vend , donne ou par aultre tiltre met hors de ses
» mains Tune des dictes maisons avecque toutes ses veues,
» agous et apartenances qu'elle pouvoit et devoit avoir rai-
» sonnablement selon les usages et coustumes de la ville de
» Paris, ne telles paroles générales ne sont et ne puent , ne
» doivent estre dites ne réputées tiltre juste et valable pour
» avoir servitude sur les autres maisons qui demeurent au
» bailleur Mais doibvent estre tousjours ramenées aux
» dits usages , se il n'est expressément et espécialement dit
» et déclarie , en faisant le bail de ladicte maison ou depuis,
» que les dites servitudes doivent demeurer en Testât » (CotU.
not., 174; M., 108) (1).
Lors de la réformation de la Coutume au xvie siècle , on ne
se contenta plus d'une déclaration expresse , mais pour valoir
titre , la destination du père de famille dut être rédigée par
écrit (art. 216).
Nous avons de nombreux textes du xive siècle se rappor-
tant aux vues, aux murs mitoyens et autres servitudes ur-
baines, selon l'expression du droit romain, c'est-à-dire exis-
tant le plus généralement entre propriétés bâties (2).
Les murs séparant deux héritages pouvaient être mitoyens
ou appartenir à l'un des propriétaires : « Les ungs sont moi-
» toiens et parconniers et les autres non , mais proprement
» sont à certaines personnes » (fir. Coutumier, liv. II, chap.
38, p. 355). De cette distinction naissaient des droits diffé-
rents pour les propriétaires voisins.
Lorsque le mur n'était pas mitoyen, mais appartenait à l'un
des propriétaires , ce dernier ne pouvait avoir jours ou fenê-
tres dans son mur qu'en observant certaines règles, relatives
à la hauteur et à la nature de ces jours et fenêtres : « L'u-
» sage , coustume et commune observance de la ville de Paris
» sont tels, que aucune personne , ayant mur joingnant sans
» moyen à aucun heritaige ou maison, ne peult en iceluy
» mur avoir fenestres , lumières ou veues sur iceluy heritaige
» ou maison, au préjudice d'iceluy à qui est ladicte maison
(1) ld., Gr. Coutumier, liv. II, chap. 38, p. 359. Cf. Paris, art. 215.
(2) Voy. Institutes, liv. II, lit. m, § 1 et 2. — Digeste, lois !, 7, etc., De
sert. prxd. rust.
638 ESSAI sur l'ancienne
» ou heritaige, et s'ils ne sont, au rez de terre , a neuf pieds
» de hault quant au premier estage, et quant aulx anltres
» estages , au rez de chascun plancher, de sept pieds de hault
» et tout à fer et à voirre dormant » (Gr. Coutumier, id.). S'il
n'observait pas ces prescriptions, le voisin pouvait le con-
traindre à fermer les jours à ses dépens ou à les mettre « en
» ladicte hautesse et manière, nonobstant quelque laps de
» temps par lequel il eust aullrement tenu, sinon qu'il eust
» titre espécial » (Id.) (1).
Lorsqu'il s'agissait d'un mur mitoyen , aucun des proprié-
taires ne pouvait sans le consentement de l'autre , avoir jours
ou fenêtres , « en quelconque haultesse ou manière que ce soit,
» à verre dormant ou aultrement » (Gr. Coutumier, id., p.
358). La copropriété du mur empêchait l'un des propriétaires
de rien faire au préjudice de l'autre , à moins qu'il n'y eût
titre contraire : « En un mur moitoien entre deux voisins, nuls
» d'iceux ne y puet avoir veues, agous, glassouers ou caves,
» tant comme la moitoirie se comporte et se il les a et son
» voisin s'en veult doloir et faire poursuite par manière deue,
» ils doivent estre ostés et retraits aux despens de cely qui
» les y a; se il n'avoit tiltre suffisant, autrement que par près*
» cription qui n'a pas lieu en ce cas » (Coût, not., 156 ; id., 77).
Quant aux constructions qu'on pouvait faire contre ou sur
un mur mitoyen, il fallait distinguer. Les unes pouvaient ne
présenter aucun danger et chacun des propriétaires pouvait
les faire à son gré (Gr. Coutumier, id., p. 356). Les autres,
au contraire, entraînaient un certain péril; dans ce cas, le
propriétaire qui les faisait élever, devait laisser entre le mur
et ses constructions une distance réglée par la coutume : « Le
» four d'un boulanger ou d'un tamelier ne doit pas joindre au
» mur mitoyen des voisins pour le péril qui pourroit venir
» pour cause de la chaleur dudit four. 11 convient qu'il y ait
» entre les murs du voisin demi-pié de ruele et espace au
» contremur suffisant qui le vaille pour essir et pour eschever
» tout péril et tous inconvéniens qui, à cause dudit four et cha-
» leur du feu, pourroient advenir. 1373. » (Coût, not., 272) (2).
(1) Cr. Cout. not., 8. Paris, art. 192-202.
(2) Cf. Paris, 188-191.
COUTUME DB PABIS. 639
Les mêmes prescriptions s'appliquaient aux autres construc-
tions pouvant nuire aux voisins, telles que « astables, aise-
i>mens, glassouers, etc. » (Gr. Coutumier, idM p. 357) (t).
Aucune prescription n'était admise en ce cas (ùmt. not., 173)*
La mitoyenneté d'un mur joignant deux héritages , pouvait
être réclamée par le voisin , malgré l'opposition du proprié-
taire ; ce dernier était forcé de lui céder la copropriété du mur,
mrf indemnité : « Item se aucun rouit faire quelque ediffiee
i> en une place , jardin ou terre vuide que il a 9 joignant sans
» moyen au mur de la maison d'aucun aultre personne , qui
» n'est pas moytoien, il peult faire adjourner icelle personne
» et requérir qu'elle soit condempnée et contrainte a luy
» vendre la moytie d'icelluy mur et à luy délaisser par juste
» pris, pour édifier dessus et ainsi luy doibt astre faictn (Gr»
C&utumier, id., p. 356) (2). Lorsque les parties ne pouvaient
se mettre d'accord au sujet de l'indemnité , le juge envoyait
des maçons-jurés qui devaient faire l'expertise du mur et il
décidait d'après leur rapport.
La propriété du sol entraînait celle du dessus et celle du
dessous : « Qui a le sol a le dessus pour y bastir et le dessous
» pour y faire puits , latrines et autres ouvrages souterrains,
» s'il n'y a tiltre contraire.» Jugé en 1369. (Coût» net., 107) (3).
La coutume notoire , 109, fait l'application de cette règle, en
décidant que la propriété d'une cave construite sur un héri-
tage appartient au propriétaire de cet héritage, alors même
que l'ouverture se trouverait sur l'héritage voisin.
CHAPITRE DIXIÈME.
De la communauté de biens entre mari et femme.
Dès le milieu du xme siècle , la communauté entre époux
tendait à devenir pour la France coutumière le régime de
droit commun. Dans les textes de cette époque, il ne s'agit
plus, en effet, d'un simple droit de survie accordé à la
femme, comme on peut en trouver ta trace dans les textes
(1) Id., Cout. not., 78.
(2) Cf. Paris , 205.
(3) Cf. Paris, 187.
640 ESSAI sur l'ancienne
antérieurs (i), mais d'une véritable association de biens, avec
partage égal entre les deux associés ou leurs représentants ,
lors de la dissolution de la société. Ces deux idées , associa-
tion et partage égal, se rencontrent pour la première fois
dans les chartes de villes commerçantes où les femmes pre-
nant une part plus active au développement de la fortune
commune, il parut juste de leur attribuer une portion des
bénéfices. Sous l'influence de certaines idées, notamment
Vidée d'association entre personnes vivant ensemble l'an et
jour, le système de la communauté entre époux , ne tarda pas
à se généraliser, aussi bien entre les nobles qu'entre les rotu-
riers (2).
Le passage suivant de Beaumanoir nous montre quelles
étaient, à la fin du xnie siècle, les principales règles de cette
communauté : « Cascun set que compagnie se fait par ma-
» riage , car si tost comme mariages est fes , le bien de l'un et
» de l'autre sont commun par la vertu du mariage. Mais voirs
» est que tant corne il vivent ensemble , li hons en est maim-
» burnisaire Mais voirs est que le treffons de l'héritage
» qui est de par la femme , ne pot li maris vendre, se ce n'est
» de l'octroi et volonté de la feme , ni le sien meisme , se elle
)> ne renonce à son douaire.... » (XXI, n° 2). Cette compagnie
ou communauté avait pour point de départ, la consommation
même du mariage ; plus tard , vers la fin du xive siècle, on fit
commencer la communauté du jour de la célébration du ma-
riage : « Par contrat de mariage, la communauté était acquise
» entre l'home et la famme tant en meubles , conquêts faits
» depuys le mariage, comme es debtes et obligations depuis
» ou par avant contractées » (J. Desmares , 247) (3).
(1) Une ordonnance de Philippe- Auguste de juillet 1219, datée du Pont-
de-1'Arche, portait que lorsqu'une femme décédait sans enfants, ses héritiers
ne succédaient pas aux conquêts de communauté , qui restaient en totalité
au mari : c Parentes ipsuis mulieris non participaient cum marito suo , ex
» iis qu» ipsa et maritus ejus simul acquisierunt , dum ipsa viveret, in mobi-
» libus nec in tenementis, imô quiète remanebunt marito... » (Isambert, I,
p. 217). C'était bien un véritable droit de survie, et non de communauté.
Cette ordonnance n'a été appliquée qu'en Normandie. Voy. Laurière, II,
p. 186-187.
(2) Voy. Laboulaye, Condition des femmes, p. 335.
(3) Voy. Laurière, sur l'article 220, II, p. 189.
COUTUME DE PARIS. 64 i
Les biens communs comprenaient les meubles des deux
conjoints et les acquêts faits depuis le mariage : « Tous les
» conquêts que deux mariez font et acquerent durant le ma-
» riage sont communs entre eux » (J. Desmares, 161). Et la
Coutume notoire, 19, ajoute : «... En telle manière que chacun
» d'iceux mariés a droict en la moitié desdits conquêts et à
» luy appartient icelle moitié de son plain droict pour sa por-
» tion. » Les héritages, que les deux conjoints possédaient à
l'époque de leur mariage , leur restaient propres , sauf pour le
mari, avant le xm* siècle l'obligation de constituer un douaire
à la femme sur ses biens propres (1).
Les biens qui , durant le mariage , venaient aux époux par
successions en ligne directe étant des propres , ne tombaient
pas dans la communauté ; « Ce qui vient de droite ligne n'est
» pas réputé conquest , mais ce qui vient de transversal ; et
» partant selon la coustumeque la femme a moitié es conquêts
» de ce qui vient depuis le mariage , de droite ligne elle n'y
» prend rien ; mes elle prend en ce qui vient de son mary de-
» puis le mariage de ligne transversal, comme de frère... »
(J. Desmares, 26; Id.y 145) (2). Il en était de même des héri-
tages donnés par des ascendants, « ... ces héritages ainsi
» donnés sont de nature de propre héritage, ne ne seront tenuz
» et réputez comme conquêts et pourtant ne povent estre com-
» pris en , ne sous mutuel don de meubles ne de conquêts. »
17 avril 1363 (J. Desmares). Quant aux biens donnés ou
légués par toute autre personne, ils étaient réputés acquêts et
par suite tombaient dans la communauté, s'il n'y avait au-
cune clause contraire : «... Et la Coustume est telle en la ville,
» prévosté et vicomte de Paris ou cas que en faisant le legs ,
» iceluy legs ne seroit causé d'autre cause qui deut ou peut
» déroger. 28 juin 1382 » (Coût, not., 183) (3).
Durant le mariage , la femme participait comme commune
à tous les contrats passés par le mari : « Se aucun mary prend
» aucun héritage, sans sa femme à croix de cens ou fait aucun
(i) Voy. Beaumanoir, XIII , n<> 12. — Laurière, II, p. 252.
(2) Arrêt du Parlement, 5 nov. 1317, Olim. (Bou tarie, II, n°5049). Voy.
Loisel, liv. III , Ut. m, n° 393.
(3) Les dons faits pour noces avant le mariage tombaient toujours en com-
munauté. Voy. Loisel , liv. IV, lit iv, n° 657. — Paris , art. 246.
642 ESSAI sur l'ancienne
» contrat licite , elle est commune par la coutume » (Coût.
not.t 94) (1).
Le passif de la communauté comprenait toutes les dettes
contractées par les deux conjoints soit avant, soit depuis le
mariage (J. Desmares, 347) (2).
Il y avait , dans certains cas , controverse sur le point de
savoir si tel héritage devait ou non tomber dans la commu-
nauté. Ainsi l'héritage vendu a réméré par le mari avant le
mariage et racheté par lui avec l'argent commun depuis le
mariage , devait-il être considéré comme un conquêt et , par
suite , tomber dans la communauté ?
J. Lecoq, dans la question 84, rapporte les principaux ar-
guments invoqués de part et d'autre, par les partisans de la
négative et ceux de l'affirmative.
Pour les premiers , le mari , en se réservant la faculté de
rachat, était resté en quelque sorte propriétaire de l'héritage
sous condition suspensive ; par suite , en exerçant le rachat ,
cet héritage ne changeait pas de nature et restait propre au
mari. Ils assimilaient ce cas à celui du retrait lignager ou
personne ne soutenait que l'héritage retrait fut un conquât.
Les partisans de l'affirmative soutenaient au contraire que
l'héritage ayant été racheté « de communi pecunia, » la femme
se serait trouvée lésée , si elle n'avait pas eu droit à la moitié
dudit héritage, comme bien commun; on devait, tout au moins,
soumettre le mari à l'obligation de récompenser la femme ou
ses héritiers de l'argent déboursé , comme en cas de rachat.
J. Lecoq repousse les deux systèmes ; il distingue si le mari
a vendu sans se devestir ou non. Dans ce dernier cas seule-
ment , il admet que l'héritage racheté devienne un bien com-
mun et tombe en communauté. 11 ne se contente pas d'une
récompense accordée à la femme ou aux héritiers : car s'il en
était ainsi en cas de retrait, c'est que le retrait était un béné-
fice tout personnel pour celui qui l'exerçait, « gratia et benefi-
» cio illius qui et cujus nomini retrahitur (3). »
(1) L'article 228, ajouté en 1580, décide que le mari ne peut engager U
femme an delà de ce qu'elle ou ses héritiers amendent de la communauté.
(2) « Qui espouse la femme, épouse les dettes. » Loisel, n° 384. — UL,
Gr. Coutumier, lir. II, en. 32, p. 321. Cf. Paris, art. 221.
(3) Cf. Code civil, art. 1407, 1408 et 1433.
COUTUME DE PARIS. 643
La renie rachetée pendant le mariage par l'un des conjoints
était considérée comme un conquêt et elle était comprise dans
le partage, lors de la dissolution de la communauté : « Se deux
d conjoints par mariage tiennent une maison ensemble laquelle
» est de l'héritage ou du conquest de l'un d'eux » et laquelle
» maison est chargée d'aucune rente et le mary durant le ma-
» riage la décharge d'aucune rente , supposé que on la puisse
» dire confuse pendant le mariage , tamen non est incommutar
y> biliter; car, l'un des conjoints trespassé, la rente se divise
» moitié tantwmmodo à cely à qui est la maison, et l'autre moi-
» tié au conjoint ou ayant sa cause » (Coût. not.y 88) (1).
Quant à la rente achetée par le mari « à la mort de lui et de
sa femme , » elle n'était pas comprise dans le partage de la
communauté , en ce sens qu'elle appartenait toute entière au
survivant : « Par la coustume du royaume de France, se deux
» mariés achètent durant leur mariage certaine rente à vie, se
» l'un d'iceux va de vie à trepassement , le seurvivant ha et
n succède à toute la dite rente et non pas li héritier du mort »
(J. Desmares, 124).
Le mari était seigneur et maître de la communauté : « De
» coustume, la femme est en la puyssance de son mary, aul-
» trement est de droit écrit » (J. Desmares, 35; tô., 290).
Cette puissance maritale , qui n'existait pas dans les pays de
droit écrit, où dominait le régime dotal, s'exerçait sur les biens
communs dont le mari était « vray seigneur et administra-
teur, » et même sur les biens propres de la femme dont il
avait l'administration, possession et jouissance comme gar-
dien de sa femme : « Femme mariée en païs coustumier ne
» puet estre en garde ou administration d'aultre que de son
» mary » (J. Desmares , 290) (2).
Sur les biens communs , le droit d'administration du mari
était un droit très étendu, lui permettant d'en disposer sans
le consentement de sa femme , à titre onéreux et à titre gra-
tuit, du moins entre-vifs (3) : « Se deux conjoints font aucuns
» acquêts ensemble , le mary est réputé pour vray seigneur
(1) Cf. Paris, art. 244. Laurier©, H, p. 242-245. Voy. Gr. Coût., liv. II,
chap. 32, p. 324.
(2) Id., Gr. Coutumier, p. 322. Paris, art. 225.
(3) Paris , art. 225.
644 ESSAI sur l'ancienne
» d'iceux et en puet disposer et ordener à sa voulenté et ester
» sur iceux en jugement et pour ce qu'il est vray seigneur et
» administrateur, sans ce que sa femme y soit ouye, ne veue
» en aucune manière et vaut ce que par le dit mary est fait,
» sans icelle femme estre appelles ou présente et est réputé
» pour ferme et astable tout ce que par le dit mary a esté ainsi
» fait)» (Coût. not.f 175; id., 14 ; J. Desmares, 152).
Cependant le droit de disposition qu'avait le mari sur les
biens communs , n'était pas absolu; il ne pouvait en disposer
par testament au delà de la moitié qui devait lui revenir, lors
de la dissolution de la communauté (J. Desmares, 70) (1).
Sur les propres de la femme, le mari n'avait qu'un droit
de simple administration ; il ne pouvait ni les aliéner, ni les
charger de charges perpétuelles : « Nota quod de consuetudine
» maritus est procurator légitimas et necessarius uxoris suae.
» Mais le propre héritage de sa femme ne peust-il vendre ne
» charger de charges perpétuelles sans le consentement d'i-
» celle ou qu'il ait procuration expresse de sa femme » (Gr.
Coutumier, liv. II, chap. 32, p. 322) (2).
Comme seigneur et maître de la communauté, le mari exer-
çait toutes les actions concernant les biens communs ; il pou-
vait , en outre , exercer les actions mobilières et possessoires
de sa femme : « Homme qui a femme espousée puet bien de-
» mener en jugement la saisine et possession des héritages de
» sa femme durant le mariage » (Coût, not., 161) (3). Quant
aux actions réelles pétitoires , il ne pouvait les exerer sans le
consentement de sa femme : « Nul ne puet démener le héri-
» tage de sa famme sans son congié et sans estre ou procès
» ycelle femme en cas pétitoire , mes ce porroit-il en cas pos-
» sessoire et, sans son congié, il le puet perdre ou gaignier»
(i) Voy. Loisel, liv. I, tit. n, no 121.
(2) Paris, art. 226. Voy. Laurière, II, p. 206 et s. — Lorsque le mari
achetait on immeuble avec l'argent d'un propre vendu , cet immeuble n'était
pas subrogé de plein droit au propre, mais était réputé conquét de commu-
nauté : « S'il n'est ains que en vendant son héritage , il dit expressément qu'il
» le vend en intencion d'acheter autre héritage lequel il proteste estre son
» propre héritage comme le premier » (Biblioth. nat., Mss. franc. n° 18419,
f° 85). Ces protestations devaient se faire devant le juge. Cf. Paris, 232, 0\m,
I, f. 26. Code civil, art. 1434-35.
(3) Paris , art. 233.
COUTUME DE PARIS. 645
(J. Desmares, 20). Aussi lorsqu'on voulait faire une demande
au sujet d'un propre de la femme , il fallait faire ajourner le
mari et la femme : « Se aucun veut faire demande en cas d'hé-
» ritage et de propriété contre aucuns conjoints pour cause
» de propre héritage de la femme, il convient qu'il fasse ap-
» peler les deux conjoints ensemble et se il fait appeler le
» mary seul, lequel n'a aucun droit audit héritage, folement
» le fait et a bonne exception afin d'estre folement convenu et
» de non procéder» (Coût. noU9 176) (1).
La capacité de la femme mariée était subordonnée à l'auto-
risation du mari. Elle ne pouvait s'engager ni engager ses
biens sans cette autorisation : « Famme mariée faire ne puet
» accors, contraulx, obligations ne aultre chouse quelconque
» au préjudice d'elle ni de son mary, sans le consentement de
» son dit mari... » (J. Desmares, 289) (2). De même elle ne
pouvait agir en justice sans être autorisée. L'autorisation du
mari pouvait, dans certains cas d'empêchement légitime, être
suppléée par l'autorisation de justice, notamment en cas d'ab-
sence : « Mais si le mary est absent por longtemps , le juge ,
» en la faveur de la femme, le peult bien autoriser supplendo »
(Gr. Coutumier, liv. II, chap. 32, p. 323) (3).
Une exception était apportée au principe de l'autorisation
maritale. La femme mariée, marchande publique, pouvait,
dans les limites de son commerce , s'engager et engager ses
biens, sans le consentement de son mari : « ... quar lors le
» puet, quant à ce qui regarderait le fait de la marchandise tant
» seulement » (J. Desmares, 289 in fine). Elle pouvait aussi
ester en justice : « Se elle est marchande publique , elle puet
» estre appellée sans son mary pour les choses qui touchent
» ou dépendent de celle marchandise,.. » (J. Desmares, 76) (4).
(1) Olim, IV, f. 336 (Boutaric , n° 4923).
(2) Paris, art. 234.
(3) Paris, 224. Jusqu'à la seconde moitié du xiv« siècle, l'autorisation de
justice ne pouvait être accordée qu'en vertu de lettres royaux (Arrêt du Par-
lement, 9 avril 1326, Greffe, I, f° 278. Boutaric, n° 7834). V. Loisel, n° 124.
Pour injures et délits, la femme pouvait être poursuivie en justice, sans qu'il
fût besoin de l'autorisation maritale (J. Desmares, 76). La femme séparée
était assimilée à la femme marchande publique; elle pouvait s'engager et
agir en justice , mais elle ne pouvait disposer que de ses meubles et reve-
nus. Voy. Laurière, II, p. 197 et ss. Loisel, n° 126.
(4) Paris, art. 234 et 236.
646 essai sur l'ancienne
La mort de Ton des époux entraînait la dissolution de la
communauté ; on procédait au partage de l'actif et du passif.
Ce partage se faisait par moitié entre l'époux survivant et les
héritiers du défunt (4).
L'actif à partager se composait de tous les biens communs,
meubles et conquêts : « Tous les conquests que les mariés
» font durant le mariage , sont communs à eux , en telle ma-
» niôre que chacun d'iceux mariés a droict en la moitié desdits
» conquests et a luy appartient icelle moitié de son plain droict
» pour sa portion » (Coût, not., 49) (2).
Le passif comprenait toutes les dettes soit antérieures, soit
postérieures au mariage contractées par les deux conjoints :
<c Se l'un des deux conjoints par mariage va de vie à trespas-
» sèment , et ils doivent aucunes debtes acereues par eux ou
» par l'un d'eux tant avant le mariage que durant iceluy, le
» survivant est tenu de payer la moitié des debtes et les héri-
» tiers du trespassé l'autre , en telle manière que le survivant
» en demeure chargé et tenu de la moitié tant seulement, et
» les héritiers du trespassé de l'autre , et non de plus et en
» peuvent estre poursuis et approchiez. 45 juin 4373 » (Coût,
not., 468; id.t Coût, not., 45, 83) (3).
Il fallait excepter les frais funéraires qui étaient laissés à la
charge des héritiers du défunt : « Si li unz des deux conjoins
» par mariage muert, les funérailles sont payés des biens ou
» sur la part du mort , sans ce que l'autre survivant desdis
» conjoins soit tenu de riens en payer » (J. Desmares, 484 ;
Coût. not.9 70) (4).
Souvent il arrivait qu'un mari donnait à sa femme par con-
trat de mariage une somme d'argent, et pour en assurer Tina.
Hénabilité, on stipulait que cette somme serait déposée au
Temple, par exemple, ou qu'on l'emploierait en acquisition
d'immeubles qui étaient déclarés inaliénables. J. Lecoq(Qoasst.,
(1) Paris, art 229.
(2) Voy. Gr. Coutvmer, liv. II , chap. 32 , p . 322. Paris , art. 230.
(3) Qlim, II, f. 51. Boutaric, n° 2295. — Paris , art. 221 et 228. Voy. Loi-
sel, Ut. II ; Ut. II, n« 110 et 120.
(4) La femme du condamné à mort dont les biens étaient confisqués n'était
pas tenue des dettes : « La famé d'aucun exécuté pour ses démérites , duquel
» les biens sont confisquez , n'est pas tenue as créanciers de son mary pour
» lamoytié des debtes » (J. Desmares, 246).
COUTUME DE PARIS. 647
88) se demande ce qui arrivait lorsque le mari venait à mou-
rir avant que la somme ait été déposée ou convertie en im-
muables : « An..., nullis ex illo matrimonio procreatis liberis,
» oapienda erit pecunia ante omnia super bonis mariti ad
» utilitatem uxoris, vel si pecunia fuerit, vivente marito, de-
» posifta, si convertenda in hsoreditagio pro ipsa uxore (1)? »
Powr les uns , il n'y avait dans l'espèce qu'une dette person-
nelle du mari envers sa femme et il n'y avait pas lieu de pré-
lever la somme sur les biens du mari ni de la convertir en
immeubles. Gomme dette personnelle entre époux , elle tom-
bait dans la communauté et, par suite, se trouvait comprise
dans le partage ; il y avait confusion pour partie ; mais cette
opinion n'avait pas prévalu. J. Lecoq la combat énergique-
ment. On admettait généralement qu'on devait exécuter la
convention , en prélevant la somme promise sur les biens du
mari « ... débet assignari super bonis ipsius mariti , nec repu-
» Ubitur esse debitum inter eos » (Or. Cwtinmier, liv. II ,
chap. 32, p. 321).
Cet assignat se faisait sur un ou plusieurs immeubles d'une
valeur égale à la somme promise; il emportait aliénation de
ces immeubles au profit de la femme. Plus tard, au xvie
siècle, la femme eut seulement un droit d'hypothèque sur
l'immeuble ou les immeubles assignés (2).
Par suite de l'étendue des pouvoirs du mari , l'obligation
pour sa femme de payer la moitié des dettes parut un peu
trop dure et dès le xin* siècle on lui accorda le droit de s'y
soustraire, en stipulant dans son contrat de mariage qu'elle
reprendrait son apport franc et quitte : « Quand un mariage se
» fait par telle condition que la famme emportera ce qu'elle
» apportera et non plus , en cest cas , si le mari va de vie à
» trespassement et la femme n'emporte aulcune chouse des
» biens de son mary, fors tant seulement ce qu'elle apporta à
» mariage avec son mary, elle n'est tenue de payer aulcune
» chouse des debtes de son mary. Aultrement serait se il estoit
(1) a. Gr. Coutuwûêr, Ut. II, chap. 22, p. 321 : « Et si aliquid malien
s promiserit [maritus] in contracta matrimonii , si maritas moriatur anteqaam
» dos mulieri fuerit assigoata, débet assignari super bonis ipsius maritis,
» nec reputabitur esse debitum inter eos. » Voy. Loisel , liv. III , n° 394.
(2) M. Tardif, à son cours (1880). — Voy. Loisel, liv. I, Ut. II, n° 117-
648 ESSAI sur l'ancienne
» dit que la famme emportent certaine somme d'or ou d'argent,
» quar a donc elle paieroit les debtes pour la rate » (J. Des-
mares, 129). Cette stipulation était d'autant plus utile que
jusqu'au xv6 siècle la femme ne pouvait renoncer à la com-
munauté et se soustraire ainsi au paiement des dettes.
En effet, le droit pour la femme commune, noble ou rotu-
rière, de renoncer à la communauté n'apparaît pas d'une fa-
çon très nette dans les textes du xm° et même du xive siècle.
Ce qu'on trouve , c'est un privilège accordé à la femme noble
de renoncer aux meubles pour se soustraire au paiement des
dettes. Il n'y avait là rien qui ressemblât à une renonciation à
la communauté; ce n'était qu'une des applications du prin-
cipe généralement admis à cette époque, que les meubles
seuls étaient obligés aux dettes. En renonçant aux meubles ,
la femme noble se trouvait quitte des dettes (1); le passage
suivant du Grand Coutumier nous donne les raisons qui avaient
fait restreindre aux femmes nobles le bénéfice de ce privilège :
« Et la raison pourquoy privillège de renonciation leur feust
» donné , ce fut pour ce que le mestier des hommes nobles est
» d'aller as guerres et voiages d'oultre mer ; et a ce se obli-
» gent, et aucunes fois y meurent et leurs femmes ne peuent
» pas de legier estre acertenées de leurs obligations faictes
» à cause de leurs voyages , de leurs rançons et de leurs ple-
» geries qui sont pour leurs compagnies, et aultrement » (liv.
II, chap. 41 , p. 375).
La renonciation à la communauté procède d'une idée ana-
logue qui ne tarda pas à s'imposer dès que les règles de la
communauté entre époux se furent dégagées des obscurités et
de la confusion où nous les trouvons au xme et même dans la
plus grande partie du xive siècle. Les pouvoirs très étendus
du mari , seigneur et maître de la communauté , créaient à la
femme une situation trop inférieure pour qu'on n'essayât pas
de lui donner un moyen de se soustraire aux conséquences de
l'autorité presqu'absolue de son mari. Mais , par une anomalie
qui étonne, il semble qu'on n'ait d'abord songé qu'à protéger
la femme noble qui pouvait paraître déjà suffisamment pro-
tégée par la renonciation aux meubles , maintenue en sa fa-
(1) Cf. J. Lecoq, Quxst. 131. — Olirn, II, p. 240, etc. Beuguoi, Doc. inédits.
COUTUME DE PARIS. 649
veur (1510 , art. 116). Nulle part, il n'est question delà femme
roturière, en faveur de laquelle, on aurait pu cependant, dès
le xrve siècle , faire valoir des motifs identiques à ceux qu'é-
numèrent le Grand Coutumier en faveur des femmes nobles*
Devant le silence absolu des textes, il paraît bien difficile
d'admettre que la femme roturière ait eu le droit de renoncer à
la communauté, dès le xive siècle. Le texte de l'article 115,
de la Coutume de 1510 ne parle que des femmes nobles et il
n'est guère permis de supposer qu'on ait pu enlever aux femmes
roturières, sans protestation, un droit aussi favorable que
celui de renoncer à la communauté. Mais la jurisprudence ne
tarda pas à admettre en leur faveur le bénéfice de la renon-
ciation, bien avant la réformation de 1580 et l'article 237 ne
fit que confirmer un droit préexistant (1).
Au xiv° siècle, la renonciation de la femme noble s'accom-
plissait par une cérémonie symbolique; la femme renonçante
devait jeter sa bourse sur la fosse de son mari : « Et ont
» d'usaige si comme le corps est en terre mis, de gecter leurs
» bourses sur la fosse et de non retourner à l'hostel ou les
» meubles sont, mais vont gésir aultre part, et ne doibvent
» emporter que leur commun habit sans aultre chose, et
» parmy ce, elles et leurs héritiers sont quittes à tous jours
» des debtes, mais se il y a fraulde tant soit petite , la renon-
» ciation ne vault riens » (Gr. Coutumier, id., p. 376) (2). La
veuve perdait le bénéfice de la renonciation lorsqu'elle dé-
tournait tout ou partie des biens communs (J. Lecoq, Quœsl.
131) (3).
La communauté pouvait se dissoudre, au xiv° siècle, par
la séparation judiciaire. La femme contre laquelle elle était
prononcée perdait son douaire et les autres avantages qu'a-
vait pu lui constituer le mari. Cette séparation était pronon-
cée par le juge d'Église : « Item dicunt quidam quod si mulier
» peccavit in legem matrimonii , perdit dotem , si probetur
» quod est verum et si propter hoc separata fuerit per judi-
(1) Dumoulin, II, p. 694. — Loisel, Ut. I, tit. u, n° 113. Voy. Le droit
de renonciation de la femme noble, par P. Guilhiermoz {Bibliothèque de l'École
des Chartes, t. XLIV (1883). — Laboulaye, Condition des femmes, p. 289.
(2) Loisel, M., n<> 132.
(3) a. Loisel, liv. II, tit. u, n* 133.
Rbvob hist. — Tome VIII. 43
650 ESSAI sur l'ancienne
» cem ecclesiœ, alias non » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 32,
p. 322). Au xvie siècle, le juge séculier a remplacé le juge
d'Église (1).
La mort de l'un des époux n'entraînait pas nécessairement
dans notre ancien droit la dissolution de la communauté. On
admettait, en effet, que, dans certains cas, elle pouvait se
continuer avec les enfants. Mais cette doctrine ne parvint à
triompher qu'à la fin du xive siècle. Au xm° siècle , tout ce
que les enfants acquéraient durant le mariage appartenait
aux père et mère, c'est-à-dire à la communauté (J. Desmares,
248 (2), sans que pour cela ils fissent « compaignie » avec
les dits père et mère ; il en était de même après la mort de
l'un des époux; ce que les enfants acquéraient, appartenait
au survivant , sans qu'il y eût communauté , « car, dit une
» sentence du Parloir aux bourgeois du 8 juin 1293, le père
» ou la mère sont chief d'ostel. Ainsi apert il que quant on
» ne peut compaignier avecques le chief, ceuz qui scent de-
» souz le chief ne peuvent compagnies... (3). »
Mais sous l'influence de la règle que tous ceux qui vivaient
en commun pendant un an et un jour contractaient société (4),
on admit les héritiers du conjoint défunt à demander com-
munauté de biens avec le survivant , lorsque ce dernier était
resté un an et un jour, depuis le décès de son conjoint, sans
faire inventaire , partage ni division. Ce droit appartenait aux
enfants majeurs ou mineurs : « Et pour ce , si deux conjoints
» ont un fils et après l'un d'iceux conjoints va de vie à tres-
» pas et depuis ce, iceluy fils demeure avec le survivant, sans
» faire inventoire , partage , ne division , tout ce que le sur-
» vivant a conquesté, il reviendra à communauté avec le fils »
(Gr. Coutumier, liv. II, chap. 40, p. 371) (5).
Au xvie siècle, les communautés tacites avaient disparu
dans la Coutume de Paris ; quant à la continuation de com-
(1) Voy. Laurière, sur l'article 224, II, p. 198-200.
(2) Id., Gr. Coutumier, liv. II, chap. 40, p. 370.
(3) Le Roux de Lincy, Hitt. del'H6tel-de-Ville, p. 120. Cf. art. 118 (1510).
Voy. Laurière , sur l'article 240.
(4) Arrêt do 14 février 1322, Bou tarie, Actes du Parlement, II, p. 422.
Beaumanoir, XXI, n° 5.
(5) M., Gr. Coutumier, id., p. 365. Loisel, liv. III, tit. m, n°» 386-387.
COUTUME DE PARIS. 651
munauté, elle demeura seulement en usage en faveur des
enfants mineurs qui purent la demander, lorsque le survi-
vant n'avait pas fait inventaire (art. 240-241) (1).
Lorsque le survivant se remariait , la communauté pouvait
encore se continuer, mais pour le tiers seulement et de la
façon suivante : « Item que si ung homme se marie et de ce
» premier mariage ait enfans, et après sa femme meurt, se
» depuis secondement il se marie à une aultre femme , sans
» faire inventoire , partaige ou division à ses dicts enfans , par
» l'usage et coustume de la ville de Paris , tout leur demeure
» commun et de tout sera fait trois parties dont le père aura
» l'une , les enfans r aultre et la seconde femme l'aultre , sup-
» posé qu'elle ait peu ou assez apporté... » (Gr. Coutumier,
liv. II, chap. 40, p. 366) (2).
CHAPITRE ONZIÈME.
Du douaire.
On peut faire remonter l'origine du douaire au droit germa-
nique. Tacite nous apprend que chez les Germains il était
d'usage que le mari offrît une dot à la femme : « Dotem non
» uxor marito, sed uxori mari tus offert » (De moribus Germa.
norum, v, § 18) (3).
Sous l'influence de l'Église, cet usage de constituer une dot
aux femmes, persista chez les Gallo-Romains ; ce devint même
une obligation que nous trouvons confirmée par les Capitu-
laires. Point de mariage sans dot, telle était la règle aux
Xe et xie siècles. Elle était encore en usage à la fin du xn*,
ainsi que le rapporte Beaumanoir (XIII, n° 12) (4).
Le douaire pouvait être conventionnel ou légal, c'est-à-dire
réglé par la coutume indépendamment de toute convention.
On a prétendu qu'avant Philippe-Auguste le douaire était
toujours conventionnel, et que ce serait à l'ordonnance de
1214 qu'il faudrait rattacher l'origine du douaire cou tu -
(1) Cf. (1510), art. 118.
(2) Cf. Paris, art. 242.
(3) Voy. Du Cange, v° Morganegeba. — Glossaire du droit français , v
Douaire.
(4) Du Cange , v1» Dos, Doarium, Loisel, liv. I, tit. m.
652 essai sur l'ancienne
mier (1). Il paraît plus probable que l'ordonnance de Philippe-
Auguste (2) ne fit que consacrer un état de chose préexistant;
la seule innovation introduite par l'ordonnance fut de porter
la quotité du douaire du tiers à la moitié (3). Et encore cela
est-il douteux , car on trouve des chartes du xitt siècle qui
attribuent à la femme à titre de douaire la moitié des immeu-
bles du mari. D'ailleurs , même après 1214, le douaire resta
fixé au tiers dans un grand nombre de coutumes (4).
Dans la prévôté et vicomte de Paris on avait admis la quo-
tité fixée par l'ordonnance de Philippe-Auguste : « Mary ne
» puet doer sa femme que de douaire coutumier, c'est à sca-
» voir, de la moitié de ses biens et non plus » {Coût, not.,
59) (5). Mais cette limite à la moitié des biens qu'on ne pou-
vait dépasser par convention , ne s'appliquait qu'aux nobles :
« Un noble ne puet doer sa famé par convenance expresse
» oultre la moitié de ses biens; aultrement est en personne
» non noble » (J. Desmares, 218). Pour les non-nobles, il n'y
avait d'autre limite que la fortune du mari : « Par la Cous-
» tume , le maris ne puet doer famme de plus que il n'a vail-
» lant» (J. Desmares, 137) (6).
Le douaire devait être constitué à la femme avant la célé-
bration du mariage : « Li homs ne puet douer sa famé , ne a
» elle , à cause de son douaire , soy obligier durant le mariage
» d'eulx deus, et se fait le contraire, l'obligation est nulle et
» de nul effet » (J. Desmares, 219) (7). On trouve un certain
nombre d'arrêts du xme siècle qui déclarent suffisante la simple
promesse , faite par le mari , avant la célébration du mariage,
de constituer un douaire à sa femme (8).
C'est « au coucher » que la femme gagnait son douaire;
c'était par la consommation que le mariage était réputé ac-
(1) Troplong, Contrat de mariage , p. 109.
(2) Isambert, I, p. 211.
(3) Laboulaye, Condition des femmes , p. 119-1 20.
(4) Bretagne, art. 336. — Anjou, art. 299. Voy. Olim, arrêt de 1264. Bon-
daric, n<> 890.
(5) OKnt, IV, p. 346.
(6) Mais dès le commencement du xv« siècle , on appliqua aux roturiers
la même règle qu'aux nobles. Voy. Loisel, 1, n° 139.
(7) ld., Gr. Coutumier, liv. II, chap. 32, p. 321.
(8) Olim, I , f° 56.
COUTUME DE PARIS. 653
compli : « Item par la Coustume de France, la femme gagne
» son doaire quant elle a jeu avec son mari en lit seule , en
» lui accédant et autrement non (1). » Mais dès la fin du xv*
siècle , on admit que la femme aurait droit au douaire à partir
de la bénédiction nuptiale (2).
Nous avons vu qu'aux xme et xive siècles, il n'y avait point
de mariage sans douaire. Mais , durant le mariage , la femme
pouvait renoncer à son douaire (3). Au xvne siècle on admit
même « contre l'usage de neuf ou de dix siècles » que la
femme pourrait renoncer au douaire , par son contrat de ma-
riage (4).
Le douaire portait sur tous les biens , immeubles et héri-
tages, que possédait le mari au jour du mariage; il compre-
nait la moitié , en usufruit , de ces biens : « La famé est douée
» sur tous les biens immeubles et héritages que tenoit le mary
» au jour de leurs noces et y a la moytié en usufruit à cause
» de son douaire; se ainsi n'estoit qu'elle ne fust de exprès et
» espécial douaire par convenance expresse, et en cas que
» iceulx héritages ne seroient chargés d'autre douaire. En
» pays Coustumier douaire duquel mention est faite premiè-
» rement , n'emporte que usufruit sans propriété... » (J. Des-
mares, 175; Id., Coût, not., 51) (5). Le douaire portait, en
outre, sur tous les biens échus au mari par succession, ou
donation , en ligne directe : « In medietate eorum qui sibi
» obveniunt postea...., successione directa » (Gr. Coût., liv.
II , chap. 32, p. 322) (6). Mais étaient exclus les biens ve-
nant de ligne collatérale. Ces biens, en effet, tombaient en
communauté et le douaire ne pouvait se prendre que sur les
biens propres du mari : « Famé ne puet demender es chouses
» qui viegnent de ligne collatérale depuys les noces , à cause
» de douaire » (J. Desmares, 215) (7).
Lorsque les parties fixaient par convention un douaire spé-
(1) Mss franc., Bibliot. nat., n° 18419, f. 86.
(2) Voy. Laurière, sur l'article 248, II, p. 255.
(3) Arrêt de 1268. Olim, I, f. 165 v°.
(4) Laurière, sur l'article 247, II, p. 254.
(5) Paris (1510), article 136. — 1580, article 248.
(6) Cf. Arrêt de 1268, Olim, I , f. 165 v°.
(7) Voy. Laboulaye, loc. cit., p. 265.
654 ESSAI sur l'ancienne
cial, ce douaire faisait cesser le douaire légal ou couiumier.
Nous trouvons, en effet, dans la plupart des textes qui parlent
du douaire coutumier, cette restriction : « .... Se ainsi n'es-
» toit qu'elle ne fust douée de exprès et spécial doaire et par
» convenance d'expresse... » (Coût, not., 51; J. Desmares,
175, etc.) (1).
Il y avait une différence capitale entre le douaire coutumier
et le douaire conventionnel. La femme, dès le décès de son
mari , était saisie du douaire coutumier, mais non du douaire
constitué « par convenance expresse » : « La famé , son mary
» mort , est censée estre dame et havoir la possession et sai-
» sine du douaire coustumier, sans ce que luy soit baillié par
» les hoirs de son mary ; aultrement est en douaire especia-
» lement constitué , sans convenance expresse. Aultrement
» seroit de ligne directe. Item douaire exprès ne queurt jus-
» ques a tant qu'il soit demandé » (J. Desmares, 216). Par
suite , les arrérages du douaire coutumier couraient du jour du
décès, tandis qu'en cas de douaire préfîx ou conventionnel »
ils ne couraient que du jour de la demande en jugement. Telle
était encore la règle suivie au commencement du xvie siècle
(art. 140 et 143 de la Coutume de 1510). Lors de la réforma-
tion en 1580, on supprima cette distinction et l'article 35ti
décida que le douaire préfîx saisirait comme le douaire coutu-
mier (2).
A l'origine , dans le droit germanique , la dot constituée à
la femme avait surtout pour but de lui assurer des moyens
d'existence après le décès de son mari. Mais lorsqu'on eut
admis entre époux la communauté de biens et le partage par
moitié de cette communauté , la nécessité de pourvoir aux be-
soins de la femme s'amoindrit, et on fut amené à modifier la
nature du douaire , et à en faire bénéficier les enfants. Le
douaire ne fut plus alors regardé comme la propriété exclusive
' de la femme , il devint aussi le propre héritage des enfants
nés du mariage (3) : « Douaire coustumier ou exprès est pro-
» pre héritage des enfans nés d'yceluy mariage , en telle ma-
» nière que au préjudice des dis enfans le père ou mère ne le
(1) Paris, article 247.
(2) Laurière , II, p. 280.
(3) Voy. Beaumanoir, X11I, n" 2, 12, 18. Loisel, n° 158. Paris, art. 255.
COUTUME DB PARIS. 655
» puent vendre, aliéner, ne chargier, sans consentement des
» dis enfans , eulx estans aagez , se ce n'est par autorité de
» justice ou par povreté jurée » (J. Desmares, 283; Coût, not.,
82). Le douaire ne pouvait donc s'aliéner qu'avec autorisation
de justice ou en cas de pauvreté jurée. Cette inaliénabilité
n'était qu'une application au douaire des anciennes idées ger-
maniques sur la copropriété de famille (1).
Le douaire étant le propre héritage des enfants, ces der-
niers l'acquéraient alors même qu'ils n'étaient pas héritiers de
leurs père et mère, et les créanciers du père ou de la mère
n'avaient aucun droit sur les héritages venus du douaire :
« ... et puent lesdits enfants, après la mort de leurs père et
» mère, en jouir paisiblement sans doubte de créancier de père
» seul et dont ils ne sont héritiers aucunement et si un
» des créanciers du père vient sur les héritages venus du
» douaire , il le fait à tort et les enfants peuvent s'y opposer »
(Coût, not., 82) (2).
Le mari , à la mort de la femme , recouvrait la jouissance
des biens composant le douaire; s'il se remariait, le douaire
de sa seconde femme ne portait pas sur ces biens , auxquels
les enfants du premier lit avaient seuls droit, à l'exclusion de
ceux issus du second mariage : « Se un home est mariez et sa
» feme ait enfans de H et la mère soit morte, li enfans qui de-
» meurent auront lor partie de la mère, et le douaire eschiet
» au père. Se père se marie seconde fois , il doue sa feme de
» la moitié de ce qui li demore , s'il ni a certaine chose motié.
» Et se ceste seconde feme a enfans et elle muert, li enfans
» ont la partie de la seconde, et les premiers enfans ont le
» douaire de lor mère aprez la mort du père et puis partiront
» tous les enfans , comme frères et suers , a tout ce qui de-
» mourra de par le père » (Const. du Châtelet, 26 ; id. Gr. Cou-
tumier, liv. 11, chap. 27, p. 300-301) (3).
(1) « Item nota que le douaire est propre héritage aux enfants qui naissent
» d'iceluy mariage, en telle manière que en leur préjudice, le père ou la
» mère ne les peuvent vendre, aliéner ne eschanger sans le consentement
» desdits enfans, eulz estant en aage, se ce n'est par auctorité de justice ou
» povreté jurée » ifir. Coût., liv. II, chap. 32, p. 322). Arrêt du 15 mars 1326
(Jugés, I, fo 445 v«), Boutaric, n° 7823.
(2) J. Desmares, 217. Cf. Paris, art. 250.
(3) Paris, art. 253.
656 ESSAI sur l'ancienne
La mère douairière était tenue de certaines obligations.
Ainsi elle devait entretenir et réparer les biens qui compo-
saient le douaire, et le mineur « venu en aage » avait une
action contre sa mère pour ces réparations (1) : « Iceiuy enfant
» en son parfait aage et ses ayans-cause ne sont tenus de rien
» mettre du leur pour soustenir iceiuy douaire, jusques à tant
» que la mère ait mis en bon estât la maison tenue en fief ou
» en tel qu'elle estoit quand le mari trespassa et qu'elle prit la
» garde, et y est tenue et ne puet faire demande jusques à tant
» qu'elle ait ce fait; ainsi ont les dessusdits bonne action pour
» ce faire » (Coût, not., 103; J. Desmares, 187, 196). En un
mot, elle était tenue de toutes les obligations d'un usufrui-
tier : « Se une .femme est doée d'aucun héritage ou maisons,
» elle les doit soutenir de couvertures, cloisons, de fenestres
» et choses touchant closture et le propriétaire gros murs et
» poutres... » (Coût, not., 104) (2).
D'après la Coutume de France, les veuves pouvaient porter
les demandes relatives à leur douaire , à leur choix , soit à la
cour d'Église , soit à celle du seigneur; c'est ce que décide un
arrêt du Parlement de 1269, déboutant l'évêque de Beauvais
qui soutenait la prétention contraire (3).
CHAPITRE DOUZIÈME.
De la garde noble et bourgeoise.
Lorsqu'un possesseur de fiefs venait à mourir, laissant des
enfants en bas-âge , les services féodaux , auxquels le vassal
se trouvait assujetti , ne pouvaient plus être remplis ; le con-
trat féodal était rompu , et dans les premiers temps de la féo-
dalité, le seigneur exerçait alors « la commise par défaulte
» d'homme (4). »
On ne tarda pas à apporter un tempérament à ce droit ri-
goureux. Le seigneur continua bien à saisir le fief à la mort
du vassal , mais cette saisie ne fut plus considérée que comme
(1) Paris, art. 262.
(2) Nous avons va au chapitre Des fiefs que la douairière ne payait point
de droit de rachat à cause de son douaire.
(3) Olim, I, f<> 169. Bou tarie, no 1364.
(4) Voy. Laurière, II, p. 290.
COUTUME DB PARIS. 657
un séquestre temporaire , et s'il percevait tous les revenus du
fief pendant la saisie, le seigneur devait du moins prélever
sur ces revenus ce qui était nécessaire à l'entretien des en-
fants mineurs jusqu'à leur majorité , époque à laquelle il de-
vait leur donner l'investiture (1).
Ce droit s'adoucit encore au profit des mineurs et , dès la
fin du xie siècle , on admit que le seigneur ne saisirait plus
le fief, lorsque l'un des parents voudrait se charger de le des-
servir, moyennant la jouissance des revenus, et à la charge
d'élever et d'entretenir l'enfant. Telle fut l'origine du bail (2).
Dans l'Ile de France on alla encore plus loin , et alors même
qu'aucun des parents de l'enfant ne voulait se charger de des-
servir le fief, on décidait que le seigneur ne pratiquerait pour
cela ni commise, ni saisie, mais qu'il donnerait souffrance,
c'est-à-dire qu'il consentirait à ce que le fief ne fût pas des-
servi pendant la minorité (3).
Lorsque le père ou la mère, l'aïeul ou l'aïeule, desservaient
les fiefs de Meurs enfants mineurs, le bail prenait le nom de
garde (4).
Ces mots garde et bail ont eu d'ailleurs, au xme siècle, dif-
férentes acceptions variant suivant les coutumes et qu'il im-
porte de bien déterminer. En Normandie, bail et garde étaient
synonymes et désignaient l'administration des fiefs d'un mi-
neur (5).
Dans la plupart des autres coutumes, on distinguait le
bail de la garde. L'administration des biens du mineur était
confiée au plus proche parent du côté d'où venait les fiefs ,
c'est-à-dire au plus proche héritier; lorsque ce parent appelé
bail ou baillistre était un collatéral, on se gardait bien de
mettre entre ses mains la personne de l'enfant dont il était
l'héritier présomptif, et à côté du bail destiné à assurer la
(i) Voy. Du Cange, v» Bajulut.
(2) Cf. Glossaire du droit français , v° Bail du mineur.
(3) Loisel, liv. I, tit. îv, n° 476.
(4) J. Desmares , 256. Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27, p. 292.
(5) En Normandie , au xue siècle , le mot garde désigne la main-mise sur
les fiefs du mineur, par le duc et ensuite par le roi. Dans an arrêt du Parle-
ment de 1280, rendu d'après la Coutume de Normandie, il est dit que les
biens propres du mineur sont sous la garde du roi comme baillistre. Olim.
Boutade, n<> 2302.
658 ESSAI sur l'ancienne
bonne gestion des biens, on organisait une garde, on confiait
la protection et l'éducation de l'enfant à un parent de l'autre
ligne (1). On faisait exception en faveur de certains collaté-
raux , les frères ou sœurs , qui ne pouvaient inspirer aucune
défiance. Ce bail ne comprenait que les biens nobles; on
trouve , à la même époque , une sorte de garde pour les biens
roturiers ; ils étaient administrés par un gardien qui percevait
les fruits pour le compte du mineur (Coût. not.y 157) (2).
Ces trois acceptions du mot garde — garde, synonyme
de bail en Normandie — garde opposée au bail dans les
autres provinces — garde spéciale aux biens roturiers, domi-
naient surtout au xine siècle. Dès la fin de ce siècle apparaît
un sens plus étendu ; le bail et la garde se confondent, c'est-
à-dire , qu'au lieu de donner le bail , l'administration des fiefs
au collatéral plus proche héritier du mineur, on le remet au
gardien , généralement un ascendant. Cette réunion entre les
mêmes mains du bail et de la garde forme ce qu'on appelle
la garde noble (3).
Enfin , c'est au xive siècle qu'apparaît la garde roturière
ou plutôt bourgeoise , accordée par privilège spécial aux
bourgeois de la ville de Paris (4).
Nous trouvons donc , à cette époque , dans la Coutume de
la prévôté et vicomte de Paris , deux sortes de garde , la
garde noble et la garde bourgeoise. On appliqua à cette der-
nière , par analogie , les principales règles de la garde noble.
La garde noble était confiée aux pères ou mères et, à leur
défaut, aux ascendants : « Enfant noble, orphelin de père
» et mère et ayant ayol , icelui ayol à la garde dudit orphelin
» et aussi à cause de la garde acquiert tous les meubles des-
» dits père et mère et qu'ils avoient au temps de leur trespas,
» solvendo débita, notissima inter nobiles » (Coût. not.t 25) (5).
(1) « Ne doit pas garder l'agnel , qui doit en avoir le pel. » C'est par cette
maxime qu'on expliquait le partage des soins à donner à la personne et aux
biens du mineur. On craignait que le gardien , héritier présomptif du mi-
neur, ne fût tenté d'abréger les jours de son pupille pour s'emparer de ses
biens {Établis*, de saint Louis, Isambert, II, p. 270). Cf. Olim, II, f. 52.
(2) Voy. Beaumanoir, XV, n° 7.
(3) M. Tardif, à son cours (1880).
(4) Voy. Laurière, II, p. 293.
(5) Paris, art. 265.
COUTUME DE PARIS. 659
A défaut d'ascendant, le collatéral le plus proche pouvait
prendre l'administration et la garde de l'enfant mineur :
« Père et mère , aieul et aieulle ont garde des enfans soubs
» aage. Frères et suers, oncles et nepveux, cousins et parens
» de ce costé, ont bail » (Gr. Coutumier, liv. II, chap. 27, p.
292) (1). Mais l'aïeul était toujours préféré , même pour les
biens venant de l'autre ligne.
Le gardien noble avait l'administration des immeubles du
mineur; il faisait siens tous les fruits et revenus, et il acqué-
rait même la propriété des meubles : « ... Tous les meubles
» et revenus des enfants sont au gardien... » (Gr. Coutumier,
id., p. 293; Coût. not.y 25) (2). Ce droit de propriété sur les
meubles parut exorbitant; il disparut dès la première rédac-
tion de la Coutume (1510, art. 99) (3).
Que devait-on décider relativement aux meubles échus au
mineur pendant la garde par succession soit directe, soit
collatérale, ou par legs et donation? Devenaient-ils la pro-
priété du gardien? La question paraît, de tout temps, avoir
été très controversée; nous la voyons encore discutée au xvie
siècle pour les fruits et revenus des immeubles. Certains
auteurs distinguaient entre les meubles venus de ligne directe
et ceux venus de ligne collatérale (4) ; les premiers devaient
seuls tomber en garde. Mais cette distinction ne prévalut pas,
et la plupart des textes du xive siècle décident que tous les
(1 ) « Garde a lieu en ligne directe , bail en ligne collatérale » (J. Desma-
res, 256). Au xvie siècle, le bail disparaît. Eu 1510, lors de la première rédac-
tion de la Coutume , on soumit aux commissaires un article conforme au droit
antérieur, d'après lequel il était a loisible au plus prochain parent et ligna-
» ger d'aucuns enfans mineurs en ligne collatérale d'accepter le bail desdits
» mineurs, * avec les mômes droits et charges que le gardien. Après diverses
observations sur le préjudice qui pouvait en résulter pour le mineur, cet ar-
ticle fut supprimé {Coutumier général, III, p. 22).
(2) Voy. J. Desmares, 281. Coût, not., 28. Cf. Paris, art. 268.
(3) Voy. Laurière, sur l'article 267.
(4) Cette distinction était admise en Normandie ainsi que l'indique un arrêt
de 1280, déjà cité. Cet arrêt décidait que le fils aîné de Guillaume de Vier-
ville ne devait pas, selon la coutume de Normandie, prendre sa nourriture
sur les revenus des biens qui étaient sous la garde du roi , si les revenus des
etehoites (successions collatérales) qui n'entr oient pat dans le bail, suffisaient
à son entretien.
660 ESSAI sur l'ancienne
meubles qui échoient aux mineurs pendant la garde appar-
tiennent aux gardiens (1).
Aux xne et xin* siècles , les biens nobles étaient seuls com-
pris dans la garde; quant aux biens roturiers, ils étaient
soustraits à l'administration du gardien ou baillistre. On les
confiait à un simple gardien, qui les administrait sans rien
percevoir pour lui-même et qui devait rendre compte à la
majorité de l'enfant : « En la ville, prevosté et vicomte de
» Paris , rentes , héritages , possession , mouvans et tenus en
» censives ne echeent et ne peuvent choir en bail , ne un
» bailleur ne puet ne ne doit faire les fruits siens, mais con-
» vient que de toutes choses tenues en censives , compte soit
» fait et rendu aux mineurs quand ils sont devenus aagiez
» ou à ceux qui ont d'eux le droit et la cause » (Coût, not.,
157) (2).
Mais la Coutume notoire, 157, ajoute : « Excepté que en la
» ville et banlieue de Paris , le père ou la mère ou l'ayol ou
» l'ayole ayant la garde d'enfans meneurs font les fruits leurs
» par le bénéfice de garde des choses mouvans en censive
» et n'en sont tenus de rendre compte. » Par suite de ce pri-
vilège , les bourgeois de Paris purent avoir la garde de leurs
enfants mineurs, alors même qu'ils ne possédaient pas de
fiefs. Cette garde bourgeoise présentait une grande analogie
avec la garde noble (3) ; le gardien bourgeois avait l'adminis-
tration des biens de son enfant mineur, et il faisait siens tous
les fruits et revenus ; mais il n'acquérait pas , comme le gar-
dien noble , la propriété des meubles (Gr. Coutumier, liv. II,
chap. 41, p. 374). La différence s'accentuait pour les charges
et obligations auxquelles étaient soumises le gardien.
Le gardien noble était obligé de payer les dettes du mi-
(1) Voy. Laurière, sur l'article 269, p. 301 etss.
(2) C'est d'après la nature des bieas et non d'après la condition des per-
sonnes qu'on décidait s'il y avait lieu ou non à bail. Les fiefs possédés par
des roturiers étaient soumis au bail comme les fiefs nobles : « L'en dit que un
» homme de pooste n'a point de bail , c'est à entendre quand il n'ont point
» de terre de fief, car se il ont fief, puet avoir bail et l'emporte le plus pro-
» cheins, si corne je vous ai dit dessus des gentilshoums » (Beaumanoir, XV,
no 23). Voy. Laurière, sur l'article 265, II, p. 293-294.
(3) Au xvi« siècle le père ou la mère avaient seuls le droit de garde bour-
geoise, et non l'aïeul ou l'aïeule. Cf. Paris, 1510, art. 101; 1580, art. 266.
COUTUME DK PARIS. 661
neur. Cette obligation n'était que la conséquence du principe,
si souvent appliqué à cette époque , que celui qui avait les
meubles payait les dettes (Coût, not., 25 ; Gr. Coût., p. 374) (1).
Aussi décidait-on que le gardien bourgeois , qui n'acquérait
pas la propriété des meubles , ne devait point payer les det-
tes (2); par suite on l'avait astreint, dès le début, à faire
inventaire, et même à donner caution, s'il ne présentait pas
une solvabilité suffisante. «... Aussi en la dite ville et ban-
» lieue , le survivant à la garde des biens meubles de leurs
» enfans après l'inventaire , soit sans bailler caution , maxime
» quand celui survivant est de bon nom et possidens immo-
» bilis sufficientia ad restitutionem , alias non » (Gr. Coutu-
mier, id., p. 373) (3).
Mais au xvie siècle , le principe « qui a les meubles , paie
les dettes, » est tombé en désuétude. L'obligation de payer les
dettes résulte alors de ce que le gardien acquiert pour lui les
fruits et revenus des biens du mineur. Aussi le gardien noble
ou bourgeois est-il tenu d'acquitter toutes les dettes et charges
du mineur. Le gardien bourgeois doit, en outre, faire in-
ventaire et bailler caution (1510, art. 102) (4); l'obligation
de faire inventaire , pour le gardien noble , ne fut introduite
qu'en 1580. Quant à celle de fournir caution, elle ne leur
fut jamais imposée, bien que la jurisprudence ait souvent
condamné à bailler caution , des gardiens nobles dont la sol-
vabilité ne présentait pas de garanties suffisantes (5).
Le gardien devait pourvoir à l'éducation du mineur et à
l'entretien de ses immeubles : « Un bailliseur ou gardien
» d'aucun meneur est tenu de soustenir à ses propres cousts
» et despens, et non du meneur, durant la garde, tous les
» héritages maisons et autres héritages féodaux que il lient à
» cause de la garde, et en la fin d'icelle garde, les doit rendre
» et laissier en aussi bon estât , comme il le prinst primo ; et
(1) ld., Coût, not., 28; J. Desmares, 360.
(2) Les dettes étaient payées sur les biens du mineur.
(3) Cf. Paris, 1510, art. 101-102. Voy. Laurière, sur l'article 269, II, p.
310-311.
(4) « Quia non sol vit débita, nobilis etiam sol vit débita et sic videtur quod
» consuetudo hac ratione non oneravit eum cautione et inventoria » (Dumou-
lin, I, p. 866).
(5) Paris, art. 269. Voy. Laurière, II, p. 312-313.
662 ESSAI sur l'ancienne
» aussi est tenu le dit gardien de toutes dettes et obligations
» d'arrérages , de charges et d'héritages féodaux , jusqu'à la
» fin d'icelle garde et bail. Coutume prouvée ce 1er avril
» 1367 » (Coût. noL, 100) (1).
La garde finissait soit par la mort de l'enfant mineur, soit
par sa majorité. Dès la mort de l'enfant, le gardien perdait
tous ses droits : « toutes voyes si tost que ledit enfant
» muert , la garde appartenant aux père et mère finit et aussi
» pour le temps advenir expire aux père ou mère survivans la
» dite garde et dès lors en avant après la mort dudit enfant,
» lesdits père ou mère survivans ne peuvent réclamer aucun
» droict de l'héritage dudit enfant pour raison de la dite garde
» ne en possession ne en saisine, propriété etc. » (Coût.
not., 28).
L'époque de la majorité variait suivant les personnes. Les
roturiers mâles étaient réputés majeurs à 14 ans, les filles
à.12. Quant aux nobles la majorité était fixée à 21 ans pour
les fils , et à quinze ans pour les filles (2) : « Enfans de pooste
» sont aagiez a 14 ans, puisqu'ils sont masles, et pucelles
» sont aagieez à 12 ans. Mais ceux qui sont nobles sont agiez
» a 21 ans quant as chouses nobles et feodataires et quant à
» celles qui sont tenues en villenage à 14 ans, comme dessus
» est dit » (J. Desmares, 249) (3). Pour déterminer la majo-
rité des nobles, on tenait compte de l'âge auquel ils pouvaient
rendre les devoirs féodaux, et surtout acquitter le service
militaire; pour les filles, il suffisait qu'elles fussent en âge de
prendre un mari qui put s'acquitter, pour elles, de ces devoirs
et services (4).
Au xvie siècle, on admit que le second mariage du père
ou de la mère, gardiens de leurs enfants, mettrait fin à la
(1) Id.,3. Desmares, 185. Cf. Paris, art. 263-267. Le gardien de ses en-
fants mineurs ne devait pas le rachat au seigneur (J. Desmares, 194 ; Coût,
not., 136). En 1510, on décida au contraire que le rachat serait dû dans ce
cas (art. 32) ; on revint à l'ancien droit en 1580 (art. 45). Voy. Procès-verbal,
1580, Coût, général, III, p. 77. Voy. infrà, chap. I, Des fief t.
(2) C'est toujours la nature des biens qu'il fallait considérer et non la
condition des personnes. Un roturier quant à ses fiefs n'était majeur qu'à
21 ans.
(3) Id. Gr. Coutumier, liv. II , chap. 41, p. 374 .
(4) Cf. Paris, art. 268.
COUTUME DE PARIS. 663
garde; dans ce cas, on donnait au mineur, un tuteur (1510,
art. 99 et 100) (1). La mère remariée pouvait être choisie
comme tutrice, conjointement avec son second mari (2).
La tutelle, telle qu'elle existait dans le droit romain (3), ne
se rencontre pas dans le droit coutumier ; pour certains cas ,
on organise bien une tutelle , mais c'est une sorte de garde
sans fruits qui n'a rien de commun avec l'administration
comptable des tuteurs romains. Dans les coutumes, on nom*
mait des tuteurs lorsque, pour une cause ou pour une autre,
le mineur se trouvait sans gardien ou baillistre, et enfin, à
partir de l'ordonnance de 1330 (4), toutes les fois que le mi-
neur se trouvait engagé, soit comme demandeur, soit comme
défendeur, dans un procès touchant une question de pro-
priété. Ce tuteur était nommé à Paris, par le prévôt, de man-
data curiœ (5).
Pour déterminer la capacité du mineur, on suivait la plu-
part des règles du droit romain ; jusqu'à sa majorité , le mi-
neur était incapable; il ne pouvait tester, et tous les contrats
passés par lui étaient annulables pour cause de lésion (6).
Enfin, jusqu'en 1330 il ne pouvait, en matière réelle, ester
en justice. Le procès était renvoyé à sa majorité; on n'avait
pas voulu en confier le soin au gardien qui aurait pu hésiter
à intenter ou soutenir un procès dont il devait supporter les
frais. Mais le renvoi du procès à l'époque de la majorité,
pouvait porter préjudice au mineur : c'est pour y remédier
que fut rendue l'ordonnance de 1330 (7).
Les immeubles appartenant à un mineur ne pouvaient être
(1) La restriction relative ans seconds mariages fut ajoutée en 1510 sur
l'observation des commissaires (Coutumier général, III, p. 22, 23. Procès-
verbal (1510).
(2) c Quia omnes tutels sunt élective » (Dumoulin , I, p. 864).
(3) ïnst. lib. I, Ut. ni.
(4) Isambert , IV, p. 385.
(5) Paris, art. 270. Voy. Loisel, liv. I, tit. iv, n° 12. Cf. Lettres de Philippe-
Auguste établissant la tutelle à Bourges, 1197 (Isambert, I, p. 186). Le dé-
fendeur pouvait refuser de plaider tant que le mineur n'avait pas un tuteur
qui se présentait pour lui et montrait ses lettres de tuterie (Consl. du Cha-
telet, 2).
(6) Arrêt du 28 sept. 1311 (Olim, IV, f. 194) ; arrêt du 26 avril 1320 (Jug.,
I, f. 33).
(7) Beaumanoir, XVI, n° 8.
664 essai sur l'ancienne
vendus; cependant, dans certains cas, cela pouvait devenir
nécessaire , par exemple , lorsque ces immeubles étaient char-
gés de dettes onéreuses. On nommait alors un tuteur, qui, de
Tavis des parents et avec l'autorisation du juge, pouvait les
faire vendre : « Res minorum honerati debitis possunt alie-
» nari cum auctoritate tutorum vel curatorum et cum con-
» sensu amicorum carnalium et etiam cum decreto » (J. Des-
mares, 12) (1).
Une personne majeure pouvait être déclarée incapable et
se voir retirer l'administration de ses biens ; elle était frappée
d'interdiction. Cette interdiction était prononcée en justice
pour sottise , incapacité ou prodigalité (2) ; on nommait un
curateur pour administrer les biens de l'interdit : « Se à au-
» cun est faite interdiction par justice du gouvernement et
» administration de ses biens et icelle interdiction publiée et
» notifiée publiquement et a iceluy donné curateur par justice
» au gouvernement de ses biens , après l'interdiction ainsi
» faite , iceluy de soy, au desceu et sans l'authorité de ses
» curateurs , ne puet faire contrats ne obligations qui soient
» valables, et se il les fait, iceux contrats sont nuls ipso jure
» ou au moins sont à annuler » (Coût. noL, 178) (3). L'inter-
diction devait être rendue publique afin que les tiers ne puis-
sent être induits en erreur et traiter avec un incapable. Les
curateurs étaient nommés par la justice, sur l'avis d'un con-
seil de famille (arrêt du Parlement de 1294) (4).
(1) Au xiv« siècle, dès leur majorité, les mineurs étaient pleinement ca-
pables ; cependant deux Constitutions du Châielet (n°* 74 et 84) semblent vou-
loir reculer cette pleine capacité jusqu'à 25 ans. Ce sont les seuls textes
qu'on trouve en ce sens. Il faut y voir sans doute, comme le propose M.
Mortet, une tentative pour faire pénétrer dans le droit coutumier, les règles
du droit romain (Le livre des constitutions, p. 81, note 2). Cette tentative ne
devait réussir, sur ce point, que bien plus tard. Voy. Paris, art. 272.
(2) Un arrêt du Parlement de 1294 ordonne le séquestre des biens du
sire et de la dame de Thiers reconnus prodigues et en confie l'administration
à une personne nommée par la Cour, sur Tavis du conseil de famille (constiù
amicorum carnalium).
(3) Arrêt du 5 mars 1323 (Jug., I, f. 291). Boutade, no 7108.
(4) On pouvait encore nommer un curateur en cas d'absence , arrêt du 3
fév. 1309 [OUm, IV, f. 104). Boutaric, n<> 3504.
COUTUME DE PARIS. 665
CHAPITRE TREIZIÈME.
Des donations et dons mutuels.
Au xiv6 siècle la donation était considérée comme un con-
trat réel ; c'était l'acte par lequel une personne se dépouillait
irrévocablement d'une chose en faveur d'une autre personne
qui l'acceptait. Il fallait, pour sa perfection, le consentement
du donateur et du donataire ; de plus , le donateur devait se
dessaisir réellement. La tradition réelle de la chose donnée
était indispensable, comme dans l'ancien droit romain (1); la
promesse de livrer ne suffisait pas. Enfin le dépouillement du
donateur devait être actuel et irrévocable (Gr. Coutumier, liv.
H,chap. 9) (2).
Toute personne franche , majeure et jouissant de toutes ses
facultés pouvait faire une donation : « Une chacune raisonna-
» ble , franche personne puet à son vivant et par manière de
» don , cession ou donation faite entre-vifs irrévocable , don-
» ner, ordonner et disposer de son propre (3) héritage et par
» conséquent de ses meubles et conquets à sa pleine volonté
» et s'en dessaisir et devestir au profit du donataire en son
» vivant, sans ce que après sa mort ses héritiers aucunement,
» valablement ne raisonnablement puissent contredire , ne
» empeschier, au cas ou aucuns autres n'y auraient aucun
» droit acquis paravant le don et que la personne a qui le don
» auroit été fait, seroit habile à iceluy don recevoir et accep-
» ter tant par manière de donation entre-vifs que par disposi-
» tion et ordenance de testament, et valent telles donation
» quand elles sont faites par affection raisonnable , que le
» donnant puet de droit avoir au donataire , quand elles sont
» faites sans fraude et fiction » (Coût, not.f 143) (4).
(() Digeste. Lib. XXXIX, tit. v.
(2) Mais la tradition actuelle ne s'entendait, pas dans le même sens que chez
les Romains et il suffisait que la tradition de la chose fût faite pendant la vie
du donateur, afin qu'il ne mourût pas saisi (Laurière , II , p. 317).
(3) k l'origine , on ne pouvait disposer de ses propres par donation , sans
le consentement des parents. Voy. Loisel , liv. X , tit. iv, n° 662.
(4) Cf. Paris , art. 272. Jusqu'en 1580 toute personne majeure , c'est-à-dire
ayant plus de 14 ou 20 ans, suivant qu'il s'agissait de nobles ou de non-nobles,
pouvait disposer de ses biens par donation. Mais lors de la réformatioo, sous
Rbvub hist. — Tome VIII. 44
666 ESSAI SUR L ANCIENNE
Pour être valable , la donation devait être faite à une per-
sonne capable ; un supérieur ne pouvait recevoir une donation
d'un inférieur, un juge d'un de ses justiciables , le gardien
ou baillistre de son pupille (4); enfin, on proscrivait la do-
nation entre époux, si ce n'est dans le cas de don mutuel (2).
Aucune forme spéciale n'était exigée pour la validité des do-
nations. Ce n'est qu'au xvie siècle , que s'introduisit l'usage
de l'intervention des notaires; cette intervention ne devint
absolument obligatoire qu'en vertu de l'ordonnance de
1731 (3).
Les donations devaient se faire sans dol ni fiction : « Dona-
» tion faite à aucun donataire par fiction , dol , barat ou mau-
» vestie puet estre rappelée » (J. Desmares, 141). On regar-
dait comme frauduleuses les donations faites par une personne
insolvable ; ces donations n'étaient pas seulement annulables,
comme en droit romain les donations faites en fraude des
droits des créanciers, elles étaient nulles de plein droit, le
débiteur ayant donné ce qui ne lui appartenait pas (4) : « Quant
» uns homs done une chose, soit terre, ou vigne, ou pré, ou
» maison , ou cens , et cil que tel chose a [donée] doit autre
» tant ou plus comme celé chose vault qu'il a donée ou plus
» et cil que l'a donée n'a plus vaillant , drois dits que le don
» n'est de nulle value; et pourquoi? pour ce qu'il a doné ce
» qui n'estoit pas sien » (Constit. du Châtelet, 81).
Les donations étaient irrévocables et le dessaisissement réel
du donateur au profit du donataire avait pour but d'assurer
cette irrévocabilité. « Donner et retenir ne vaut » telle était
la règle que nous trouvons reproduite plus tard , dans l'article
160 de la Coutume de 1510 (5). Mais cette irrévocabilité n'é-
tait pas absolue et sous l'influence du droit romain , on avait
l'influence du droit romain, on recala la majorité à 25 ans pour les donations.
Les mineurs purent à cet âge seulement disposer de tous leurs biens; dès
20 ans , ils purent disposer de leurs meubles , s'ils étaient mariés ou émanci-
pés. Voy. Procès-verbal, 1580. Coût, général, III , p. 83.
(1) Cf. Paris, article 276.
(2) Cf. 1510, article 156. — 1580, article 282.
(3) Isambert, XXI, p. 343.
(4) Cf. Beaumanoir, UV, n° 5. — Olim, I, p. 159.
(5) Paris, art. 213. Les articles 274 et 275 expliquent la règle. Voy. Lan-
rière, II, p. 330-331.
COUTUME DE PARIS. 667
admis la révocation des donations pour cause d'ingratitude
de la part du donataire ; cette révocation n'avait pas lieu de
plein droit ; il fallait des lettres royaux pour pouvoir intenter
l'action en ingratitude. Le Parlement admit, dans certains
cas, un droit de retour, notamment au profit de la mère qui a
fait une donation à son enfant (1).
Les donations faites sous condition étaient valables ; la con-
dition ayant un effet rétroactif, il n'y avait pas là une excep-
tion au principe de l'irrévocabilité. La donation subordonnée
à telle ou telle condition était révoquée par le non-accomplis-
sement de la condition ; il n'en était pas de même de la do-
nation faite pour une cause déterminée : « Somme donnée
» pour payer rançon, ne se répète du prisonnier qui s'est
» sauvé sans en payer. Car il y a différence entre donation
» faite par condition et la donation fête pour cause. »
Lorsqu'une donation sub causa était faite à un enfant en
puissance de parents , cette donation n'appartenait pas aux
parents , mais devait être employée en la cause ; si la cause
venait à cesser, la donation revenait alors aux parents : « Quant
» hom donne a aucun estant en la puissance de aucuns de
» ses parents pour certaine cause, se celuy en quel puissance
» il est, n'y a propriété ne l'usufruit, mes doit estre converty,
» en icelle cause » (J. Desmares, 248). Et dans le Grand Cou-
tumier où se trouve énoncée la même règle, l'auteur ajoute :
«... Et encores se sa cause cessoit , ledict lais ou don revien-
» drait à moy par la Coustume de la prevosté de Paris » (liv.
II, chap. l, p. 372). Les donations faites sans cause aux en-
fants en puissance de père et mère, appartenaient auxdits
père et mère (Id., p. 371) (2).
Lorsqu'un enfant, par contrat de mariage, recevait de ses
père et mère une donation , il se trouvait exclu de leur suc-
(1) Voy. Loisel, Uv. II , tit. v, n<> 333.
(2) M., liv. II, chap. 9, p. 200. La donation du fils an père était nulle :
« Il fut regardé et tesmoigné par eux que tel don fet du fuilz au père est d«
» nulle value, veu et regardé et considéré les fraudes qui en suivroient ou
» tens à venir, veu et regardé les us et coustumes de Paris et de la vicomte
» qui sont tels que fuilz ne peut donner à son père les héritages que li sont
» descendus de par sa mère , car ainsi seraient déshérités les paréos pro-
» chains de par la mère. » 17 janv. 1304 (Le Roux deLincy, Hist. de VHôiel-
de-VUle, p. 164).
668 ESSAI sur l'ancienne
cession, à moins d'une clause contraire insérée au contrat;
telle était la règle qu'on observait aux xin* et xrv° siècles.
Une sentence du Parloir aux bourgeois du 6 juillet 1290,
rendue d'après la Coutume de Paris , décide en effet que :
« Cil ou celé que père et mère marient, après le décès de
» père et mère ou de l'un d'eux, ils ne peuvent venir en partie
-» avec les autres enfants qui estoient demourez en sêle du
-» père ou de la mère ou de l'un d'eux , se il ne fut mis en
)> convenant ou traitié de mariage... » Le don ainsi fait n'était
pas considéré comme un avancement d'hoirie, sujet à rap-
port , et l'enfant n'était pas admis au partage de la succession
avec ses frères et sœurs, alors même qu'il rapportait les
biens donnés ; il fallait pour cela une clause expresse au con-
trat de mariage (1) : « Se enfans sont mariés de biens com-
» muns de père et de mère et autres enfans demeurent en
» selle , c'est à dire au domicile des père et mère , y ceulx
» enfans renoncent paisiblement à la succession de père et
» mère , ne n'y puent riens demander au préjudice des autres
» demeurans en selle, suppousé qu'ils rapportassent ce qui
» donné leur a esté en mariage ; quar par le mariage , ils sont
» mis hors la main de père et mère, si ce n'est que par exprès
» il eust esté réservé ou traitié du mariage que par raportant
» ce que donné leur a esté en mariage , ils puissent succéder
» à leur père et mère avec leurs frères et sueurs qui sont
» demeurés en celle ; et se tous les enfans avoient esté mariés,
» vivans père et mère et au traitié de leur mariage ait esté dit
» que par rapportant... etc., comme dit est; toutefois après la
» mort des père et mère ils viennent à la succession d'y ceulx
» sans rapporter, car il n'y a nuls enfans demeurés en selle,
» mais sont de pareille condition, c'est à savoir, mariés »
(J. Desmares, 236) (2).
Alors même qu'ils avaient été réservés, les enfants mariés
ne pouvaient venir au partage qu'en rapportant les biens
donnés; lorsque tous les enfants étaient mariés, il n'y avait
pas lieu à rapport.
Cet ancien droit fut modifié au xvie siècle , dès la première
(1 Hist. de VHôM-de-VUle, p. 106.
(2) Voy. Laurière, sur l'art. 278, II, p. 340-344.
COUTUME DE PARIS. 669
rédaction de la Coutume en 1510 (art. 159). Les biens donnés
aux enfants par les père et mère furent considérés comme
donnés en avancement d'hoirie ; par suite ces enfants furent
admis de plein droit à concourir avec leurs frères et sœurs au
partage de la succession des père et mère , en rapportant le?
biens qui leur avaient été donnés, sans qu'il fût besoin
d'insérer aucune clause spéciale dans les contrats de ma-
riage (1).
Les donations étaient interdites entre époux; on admettait
cependant une exception en faveur des donations mutuelles :
« Mary ne puet donner à sa femme en testament ou autrement,
» se ils ne font don mutuel soit à vie ou à héritage et soit
» meuble ou immeuble et se ils le font, tout est nul, car ils ne
» peuvent faire contract valable l'un à l'autre » (Coût, not.,
58; Id., J. Desmares, 235) (2).
Au xiii6 siècle le don mutuel pouvait comprendre tous les
biens , quelle que fût leur nature. « Possumus tamen invicem
» donationem mutuam facere omnium bonorum , quaequidem
» donatio valet et tenet. » (Gr. Coutumier, liv. II , chap. 32).
Mais dès le xive siècle , on le restreignit aux meubles et con-
quêts (J. Desmares, 235). Enfin au xvie siècle, on alla encore
plus loin et les donations mutuelles ne purent comprendre que
l'usufruit des meubles et des conquêts immeubles (1510, art*
155 ; — 1580 , art. 280). Le conjoint survivant devait bailler
caution suffisante et restituer les biens donnés, après son
trépas.
Aux xme et xiv6 siècles , on ne distinguait pas s'il y avait
ou non des enfants issus du mariage. Au xvie, le don mutuel
n'était valable que lorsque les conjoints étaient sans enfants (3).
(1) La clause d'avancement d'hoirie n'en resta pas moins de style encore
fort longtemps.
(2) Laboulaye, Condition des femmes, p. 281. Voy. an Code, De donationi-
bus, Lib. V, tit. ivi.
(3) Un passage an Grand Coutumier, semble supposer qu'il en était ainsi
dés le xir* siècle : mais les mots « non exstantibus liberit et non » n'existent
pas dans tous les manuscrits et ont dû être ajoutés au xvi« siècle [Gr. Coût.,
liv. Il, ch. 32, p. 321). En 1510, la restriction « pourveu qu'il n'y ait en-
^n fans » ne fut ajoutée à l'article 155, qu'après « plusieurs causes et raisons
» sur ce desduites et alléguées par l'advis et délibération des Estats dessus-
» dits » (Procès-verbal, 1510. Coût, général, III, p. 24).
670 ESSAI sur l'ancienne coutume de paris.
Les donations mutuelles étaient irrévocables (1) ; on les
simila cependant au xvi° siècle, aux donations à cause de
mort et cela parce qu'elle ne devait avoir leur plein effet qu'au
décès du donateur et que, comme pour les legs, il fallait de-
mander leur délivrance (2).
Les futurs époux pouvaient se faire des donations, et on
n'exigeait pas qu'elles fussent mutuelles ; c'étaient des dona-
tions pour noces : « Li hons puet donner avant le mariage à
» celle que il cuide estre après sa famé et est appelé don qui
» est fait pour noces » (J. Desmares, 157). Ces donations étaient
des donations entre-vifs soumises aux règles ordinaires (3).
Les donations à cause de mort étaient assimilées aux legs ;
on les appelait « dons testamentaires. » Elles étaient révoca-
bles et le donataire n'en était pas saisi de plein droit (4). La
donation faite pendant la dernière maladie était considérée
comme donation à cause de mort : « Don qui est fait pour
» cause de mort est comme aucun donne aucune chouse par
» telle manière que se il garist que il le rara arrière iceluy
» don , ou se il se repent du don, ou se ce luy à qui il a donné
» muert paravant que cely qui li avoit donné et se fait telle
» donation pour souppeson de mort » (J. Desmares , 156).
Enfin le Grand Coutumier parle « des dons faits en faveur
» d'estude ; » ce n'était pas , à proprement parler, des dona-
tions , et les biens ainsi donnés étaient réputés conquêts (liv.
II, chap. 9).
H. Buchk.
(.4 suivre.)
(1) Elles étaient révocables par consentement mutuel. Cf. Paris , article
284.
(2) « Don mutuel ne saisit pas » (Loisel, liv. I, tit. u, n° 129). Le dona-
taire mutuel avait à sa charge les frais des funérailles et les dettes du défunt.
Voy. 1510, article 158 ; — 1580, article 286. Les époux pouvaient aussi se
faire donation de tous les biens communs au survivant. Cette donation ne
comprenait que l'usufruit et le survivant baillait caution (Arrêt du 6 février
1322. Jug., I, f. 169). Paris, articles 281-282.
(3) U., Gr. Coutumier, liv. il, chap. 32, p. 321.
(4) Voy. Loisel, liv. IV, tit. u, p. 667.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
G. F. Schoemann. — Antiquités grecques, traduites de l'alle-
mand par C. Galuski. Tome Ier, in-8<>, Paris, Picard, 1884.
Il y a longtemps qu'on demandait en France une traduction
de l'ouvrage de Schoemann. De tous ceux qui ont été publiés
en Allemagne sur le même sujet il n'en est point qui convien-
nent mieux aux habitudes et au goût de notre public. Sans
appareil d'érudition , d'une lecture facile et même agréable ,
il offre en deux volumes le résumé exact de tout ce que l'on
savait à l'époque où il a été écrit. C'est un excellent manuel ,
donnant tout ce qu'il faut pour commencer une étude. En le
mettant à la portée de tous les Français qui ne lisent pas
l'allemand, le traducteur et l'éditeur ont rendu un service
dont il faut leur savoir gré.
Schoemann avait commencé par travailler avec Meier. En
1824 ils avaient publié en commun un volume sur la procé-
dure athénienne (der attische Process), mémoire couronné par
l'Académie de Berlin. Cet ouvrage , dont M. Lipsius publie
en ce moment une seconde édition , peut être regardé comme
ayant épuisé le sujet. Depuis lors , Schoemann , devenu pro-
fesseur de littérature grecque à l'Université de Greifswald en
Poméranie, a donné en 1831 une édition d'Isée, la meilleure
que nous possédions , et des dissertations sur des sujets d'his-
toire et de philologie anciennes. En 1838, il a fait paraître un
volume intitulé Antiquitates juris publici Gr&corum. Enfin en
1855 il a repris le même sujet et l'a traité en allemand, mais
sous une autre forme et d'une façon beaucoup plus complète.
Une seconde édition a paru en 1861, une troisième et der-
nière en 1871.
Le premier volume contient une introduction sur la Grèce
homérique. Passant ensuite à l'époque historique l'auteur
expose d'une manière générale le caractère de la cité grecque,
672 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
révolution politique des États considérée dans son ensemble ,
et enfin l'exposition historique des constitutions de Sparte ,
de la Crète et d'Athènes. Athènes occupe naturellement la
plus grande place. Le second volume traite des relations in-
ternationales et du culte religieux.
Ainsi que nous venons de le dire, cet ouvrage résume fidè-
lement tout ce que Ton savait en 1855. Il donne notamment
toute la substance du livre de Bœckh sur l'économie politique
des Athéniens , et de celui de Meier et Schœmann sur la pro-
cédure athénienne. Dans la seconde et la troisième édition
Fauteur n'a fait qu'un très petit nombre de changements.
Lui-même le reconnaît dans sa dernière préface, et à vrai
dire on ne saurait lui en faire un reproche. Les livres trop sou-
vent remaniés, et trop profondément, finissent par perdre
leur caractère et leur mérite primitifs. D'ailleurs c'est déjà
beaucoup , même aujourd'hui , que de savoir exactement où
en était la science il y a trente ans. Mais, en même temps, il
faut constater le fait , pour prévenir tout mécompte. Depuis
trente ans la science a fait d'immenses progrès. Les monu-
ments épigraphiques , par exemple, se sont accrus dans une
mesure inespérée. Le nouveau Corpus inscriptionum atticarum,
dont la dernière livraison a paru en 1883, contient dix fois
plus de décrets athéniens que le recueil de Bœckh, publié en
1828. D'importants travaux ont été faits sur l'histoire, la my-
thologie, l'archéologie, le droit. Beaucoup de textes ont été
revus, critiqués, améliorés ou définitivement expliqués. Pré-
tendre résumer tous ces travaux , et en faire entrer le résultat
dans le cadre du manuel de Schœmann serait une entreprise
vaine. Il vaut mieux se résigner à la nécessité et avouer fran-
chement que la destinée des manuels est de vieillir vite , au-
jourd'hui surtout.
Schœmann n'était pas jurisconsulte. Quoiqu'il ait bien com-
pris et parfaitement exposé la procédure athénienne , on s'a-
perçoit que s'il n'est pas étranger à la langue du droit il n'ap-
profondit pas les théories juridiques. C'est peut-être un
défaut, mais peut-être aussi un avantage, car dans une ma-
tière où il s'agit avant tout de constater et de recueillir des
faits , il est dangereux d'argumenter et de vouloir tout expli-
quer, comme le font trop souvent les jurisconsultes. On peut
\
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 673
toutefois regretter qu'à côté de la procédure athénienne,
Schœmann n'ait pas exposé en peu de mots ce que nous sa-
vons du droit civil, particulièrement en ce qui concerne la
propriété et les contrats et obligations.
Schœmann cite peu d'auteurs français , et à vrai dire il y
en avait peu à citer en 1855. Le traducteur, M. Galuski , a eu
l'idée de combler cette lacune , si c'en est une , et il a inséré ,
à la suite de l'introduction, un catalogue d'une vingtaine
d'ouvrages écrits en français. C'est trop ou trop peu. Il fallait
ou donner une bibliographie complète, qui aurait eu quelque
utilité, ou ne rien ajoutera l'œuvre de Schœmann. La tra-
duction, au surplus , est bonne. Elle se lit facilement , ce qui
est assez rare dans les traductions , et on n'est pas obligé de
recourir à l'original pour la comprendre , ce qui arrive sou-
vent. Il y a malheureusement quelques fautes d'impression
qui ne sont pas toutes relevées dans l'errata placé à la fin du
volume. En somme , c'est un très bon travail , dont on doit
espérer le prompt achèvement.
R. Dareste.
Histoire des institutions monarchiques de la France
sous les premiers Capétiens (987-1180), par M. Achille
Luc h ai re. Paris, imprimerie nationale, 1883.
Le livre de M. Luchaire est un de ceux qui se font du pre-
mier coup une place d'honneur dans la littérature. A vrai
dire, l'histoire qu'il nous donne n'avait pas encore été écrite
depuis la renaissance des études historiques; les matériaux
en étaient rassemblés pour la plupart; chroniques, Chartres,
lettres missives se trouvaient réunies dans de grands recueils
ou recueillies dans des publications spéciales ; tel ou tel cha-
pitre de cette histoire avait été tracé , parfois de main de maî-
tre; mais personne n'avait composé l'œuvre d'ensemble où
devaient se rapprocher les documents épars et se coordonner
les résultats acquis.
M. Luchaire a accompli sa tâche avec critique et avec talent.
Il n'a négligé aucun document qui pût jeter quelque lumière
sur cette période si obscure dans l'histoire de nos institutions ;
674 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
il en a utilisé un assez grand nombre, qui étaient inédits jus-
qu'ici. Il connaît les travaux divers qu'a produits l'érudi-
tion moderne en France et à l'étranger, et son exposition a
des qualités de forme et de style qui font parfois songer au
maître dont il a inscrit le nom en tête de son ouvrage , à l'il-
lustre auteur de la Cité antique.
Quel caractère eut l'élévation de Hugue Capet au trône de
France; quelle fut la nature et l'étendue du pouvoir royal sous
les premiers Capétiens? C'est un problème difficile et célèbre,
et il est intéressant de rappeler les principales solutions qu'on
lui a données successivement.
Dans l'ancienne France , par un respect inné du pouvoir
royal autant que par manque de critique, on se faisait volon-
tiers de l'avènement de Hugue Capet et de ses conséquences
une idée des plus simples , qui a reçu son expression la plus
nette et la plus naïve peut-être, dans les Mémoires des intendants
sur les généralités dressés pour l'instruction du duc de Bourgo-
gne : « Hugues Capet, y est-il dit, à son avènement à la cou-
ronne , ayant distribué aux seigneurs du royaume des terres
nobles avec réserve de foi et hommage, à la charge de le servir
et de le suivre à la guerre, il leur accorda aussi le droit de jus-
tice haute , moyenne et basse sur leurs hommes et sujets et se
réserva le droit de ressort, c'est-à-dire les appellations de
leurs juges à ses officiers (1). » La féodalité était ainsi conçue
comme l'objet d'une grâce royale ; elle était sortie du cerveau
du monarque , avec une belle et régulière ordonnance.
Il ne fallait pas une science bien profonde pour renverser
une pareille hypothèse. On lui substitua, peut-être par réac-
tion, une idée diamétralement opposée. On vit dans l'acte de
987 le couronnement de la féodalité triomphante , qui élisant
pour roi l'un des siens, sanctionnait par là même toutes ses
usurpations : si bien que la royauté sortie de cette élection
aurait été une royauté toute nouvelle, le roi n'aurait plus été
désormais que le souverain fieffeux du royaume, et le relève-
ment du pouvoir royal , que contenait l'avenir, aurait été une
véritable résurrection. Selon M. Luchaire, cette théorie serait
particulièrement celle des juristes , et il cite comme l'ayant
1 Edit. Boislisle, tome I, p. 169.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 675
professée, MM. Pardessus, Laferrière, Boutaric et Vuitry (1) :
Il aurait pu en trouver plus anciennement des variantes ; par
exemple, chez notre vieux et savant Loyseau (2). Combattre
cette idée a été le principal effort de M. Luchaire, et son livre
tout entier en contient la réfutation.
Pour cela il a d'abord repris à son point de vue personnel ,
l'étude des origines de la dynastie capétienne, que déjà M.
Kalckstein avait poussée fort avant dans des écrits savants
mais d'une lecture difficile. Il montre qu'aux derniers temps
carolingiens la monarchie était vraiment devenue élective.
Hugue Capet fut à son heure le candidat naturellement dési-
gné ; mais la royauté fut entre ses mains ce qu'elle avait été
aux mains de ses plus proches prédécesseurs. Dans le capétien
il y eut toujours non-seulement le souverain fîeffeux, mais en-
core le roi de France : M. Luchaire établit même qu'en plu-
sieurs de ses parties l'édifice féodal ne reçut sa consolidation
définitive que sous les premiers successeurs de Hugue Capet.
Ces idées sont faites pour entraîner la conviction. La criti-
que moderne nous a familiarisés avec les lois de l'histoire :
nous admettons difficilement, surtout pour les temps antiques,
qu'il y ait une solution de continuité entre les institutions de
la veille et celles du lendemain; il nous est malaisé de croire
qu'un seul fait historique, comme un coup de baguette magique,
renouvelle le droit et l'État. M. Luchaire, en thèse générale,
a pleinement raison et peut-être insiste-t-il surabondamment
sur son idée maîtresse, comme si l'esprit des lecteurs y dût
être naturellement rebelle : mais il ne s'est point contenté
d affirmer sa thèse, il a cherché à l'établir scientifiquement, en
la suivant dans le détail et l'éclairant sur toutes les faces. Il
y a là une série d'études du plus grand intérêt où se trouvent
beaucoup de choses neuves, et où les points déjà connus sont
remis dans un plus grand jour ; je signalerai comme particu-
lièrement importants les chapitres sur la transmission du
pouvoir royal, sur le gouvernement central et le gouvernement
local, sur les assemblées capétiennes , sur les rapports de la
royauté et du clergé. D'ailleurs il ne faut rien exagérer. Il
(1) Tome I, p. 46-47.
(2) Traité des Seigneuries, en. V, no 37.
676 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
résulte du travail même de M. Luchaire que les premiers Ca-
pétiens n'eurent guère d'action effective sur la société laïque
que par les pouvoirs bornés et précaires que leur réservait la
logique des institutions féodales. Mais ils gardèrent en leur
personne l'image traditionnelle de l'ancienne royauté, et cou*
servèrent les organes anciens du gouvernement central. Sans
doute, souvent cela n'eut guère que la valeur d'une figuration;
mais la tradition restait intacte, les organes restaient en place;
et, sous un souffle favorable , le principe pouvait refleurir et
l'organisme reprendre son activité. Il serait intéressant de
constater les principaux résultats auxquels aboutit l'auteur
dans le détail; mais cela nous mènerait trop loin. Je voudrais
seulement dire un mot de quelques points qui intéressent
particulièrement le juriste historien du droit et sur lesquels
je pourrai présenter peut-être quelques utiles observations.
J'en choisirai deux : la patrimonialité des fiefs et la procédure
devant la Cour du roi.
I. M. Luchaire a dû étudier la question capitale de l'héré-
dité des fiefs : il cherche à montrer que l'hérédité n'était point
encore établie d'une manière définitive sous le règne de Hugue
Capet et cite en ce sens un certain nombre de faits impor-
tants, bien que l'interprétation qu'il [en donne soit parfois un
peu forcée. Il ajoute que l'hérédité, à son avis, se serait éta-
blie plus tôt pour les grands fiefs que pour les fiefs de minime
importance (1). Cette dernière affirmation paraît contestable
ou du moins , pour discuter la question avec quelque préci-
sion, il faudrait distinguer, je crois, les charges concédées à
titre de bénéfice (honores , comitatus , ducatus) et les simples
domaines baillés au même titre; peut-être faudrait-il aussi dis^
tinguer entre les anciens bénéfices et les concessions plus ré-
centes à titre de fief proprement dit (2).
Pour que le fief devînt patrimonial, il ne suffisait pas qu'il
fût héréditaire , il fallait qu'il devînt librement aliénable : il
paraît certain qu'il acquit plus difficilement le second carac-
(1) Tome II, p. 18 : « H me paraît certain, néanmoins, que les fiefs de
minime importance conservèrent, beaucoup plus longtemps qu'on ne serait
tenté de le croire, leur caractère de concession faite à titre viager. »
(2) Voir Boutario. Le régime féodal, son origine et son établissement, p. 27
ssq.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 677
tère que le premier. M. Luchaire n'a point fait sur l'aliéna-
bilité des fiefs les mêmes recherches que sur leur hérédité ; il
n'en parle qu'en passant. Un des passages où il en est ques-
tion me semble môme contenir quelque confusion. M. Luchaire
remarque qu'en 990 le comte Geffroi consent qu'un de ses
bénéfices soit conféré à l'Église cathédrale de Sainte - Croix
d'Orléans et à l'évêque Arnoul ; « mais , dit-il, ce n'est point
par lui et en son nom que s'accomplit cette collation. Elle est
faite , avec son consentement , il est vrai , par Hugue Capet,
qui redevient au moins dans la forme et pour un moment le
propriétaire du bénéfice ainsi recouvré. Sans doute cette rétro"
cession du vassal est plus ou moins une formalité, mais ce lien
si faible entre la royauté et le bénéficier ne tardera même pas
à être rompu (i). » Outre qu'il s'agit ici d'un amortissement,
pour lequel le consentement du seigneur fut toujours exigé
d'une manière particulière, M. Luchaire croit à tort que la
procédure qu'il décrit disparut de très bonne heure dans l'a-
liénation du fief. Il n'en fut point ainsi ; alors même que le
seigneur ne pouvait plus empêcher son vassal de vendre le fief
(sauf l'exercice du retrait féodal), pendant longtemps le vassal
vendeur dût se dessaisir de son fief entre les mains de son sei-
gneur pour que celui-ci en saisît l'acheteur (2) ; et il n'y a pas
de raison de croire que la procédure fût différente lorsque le
seigneur était le roi.
Enfin , dans cette matière des fiefs, M. Luchaire a manqué,
je crois , à l'une des règles qu'il s'est tracées , et qui est « de
n'utiliser pour l'étude d'une institution envisagée pendant
une certaine période , que les textes exclusivement relatifs à
cette période même (3). » Parlant des revenus des premiers
Capétiens , il nous dit : « Dans les fiefs placés sous leur domi-
nation immédiate, ils exerçaient le droit de relief, prix de
l'investiture donnée par eux à chaque héritier nouveau du
fief; le droit de quint, lorsqu'ils consentaient à la transmis-
(1) Tome II, p. 9.
(2) Voyez Beaumanoir, Coutumes de BeauvoiHs , édit. Beugnot, Ll, 20 :
« Çascuns doit savoir quant uns héritages est vendus, soit en fief soit en vi-
lenage, et li venderes se dessaisit en la main du seigneur de qui li héritages
muet et ii requiert qu'il en saisisse l'aceteur. »
(3) Tome I, Préface, p. 15.
678 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
sion du fief entre-vifs, soit par une vente, soit par une dona-
tion; le droit d'amortissement, quand ils permettaient que
l'immeuble féodal entrât dans le domaine d'une seigneurie
ecclésiastique (1). » Ici Fauteur nous paraît viser non-seule-
ment le langage , mais même les institutions d'une autre épo-
que. Sans doute, la transmission héréditaire et l'aliénation
des fiefs durent être toujours une source de profits pour le
seigneur, et M. Luchaire cite un passage de Suger où il est
question des relevationes feudorum; mais les droits de relief et
de quint, en tant que profits féodaux ayant leurs règles fixes
et leur tarif coutumier, supposent l'un l'hérédité , l'autre l'a-
liénabilité des fiefs depuis longtemps reconnue. Ajoutons que
le droit de quint , qui fut le droit le plus habituellement perçu
en cas de vente , ne fut jamais dû pour la donation ; il y avait
lieu dans ce dernier cas au relief ou au rachat.
II. L'un des chapitres les plus importants du livre est celui
qui traite de la justice royale (1. III , ch. 3). L'auteur s'est
efforcé par de minutieuses investigations , d'établir, pour les
temps anciens qu'il étudie, la composition, la compétence, la
procédure de la cour du roi. Il y a là un dépouillement des
textes des plus utiles et des plus complets ; mais leur inter-
prétation sur certains points est moins satisfaisante.
Ainsi , il était du plus haut intérêt de déterminer les traits
distinctifs de la procédure suivie devant la cour du roi. Il fal-
lait pour cela indiquer en quoi elle se rapprochait, en quoi
elle différait de la procédure suivie à la même époque devant
les cours féodales. Cette procédure ancienne des cours féo-
dales nous est aujourd'hui suffisamment connue : bien que
nous ne la connaissions guère que par des textes des xn*-xm*
siècles , nous pouvons affirmer que nous avons ses règles tra-
ditionnelles toutes les fois que nous trouvons un principe in-
contesté, qui ne peut se ramener ni au droit romain ni au
droit canonique. M. Luchaire a négligé de faire cette compa-
raison , et par là même beaucoup de ses constatations man-
quent de précision. Il serait par exemple fort intéressant de
savoir si la cour du roi pratiqua de bonne heure la preuve
par enquête. Or, l'auteur nous dit bien que les conseillers du
(i)Tome I, p. 112.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 679
roi « en général ecclésiastiques instruits et rompus aux affai-
res , ne tardèrent pas à être presque exclusivement chargés
de la partie essentielle des jugements, c'est-à-dire des en-
quêtes , de l'examen des preuves écrites et même de la rédac-
tion de l'arrêt (1). » Mais lorsqu'il parle plus loin de la pro-
duction des témoins , tout ce qu'il nous en dit se rapporte au
témoignage formaliste , qui se faisait non devant l'enquêteur,
mais en pleine cour, et pouvait donner lieu au faussement (2).
M. Luchaire a senti combien il était important de déter-
miner si la cour du roi jouait le rôle de cour d'appel. Il cons-
tate d'abord qu'il n'a point rencontré d'exemples d'un appel
porté au roi en vue d'obtenir l'annulation d'un jugement
rendu par ses propres officiers , notamment par un prévôt (3).
Cela est parfaitement conforme à ce que nous savions déjà (4).
Mais M. Luchaire a fait plus ; il a voulu trouver les plus an-
ciens appels intentés devant la cour du roi. Il en trouve un
exemple dans un acte de 1132 rapporté par Baluze, dans ses
MisceUanea, « par lequel Louis VI approuvant une sentence de
sa cour, réforme l'arrêt rendu en première instance par les
juges de l'église d'Arras. » Pour l'auteur, « il serait difficile de
trouver un exemple plus clair de l'appel en cour royale, et,
ajoute-t-il , nous ne croyons pas que l'histoire en fasse con-
naître de plus ancien (5). » En y regardant de près, on voit
qu'il faut en rabattre. Si, en effet, l'ancienne procédure féo-
dale ne connaissait point l'appel proprement dit, qui soumet à
nouveau et dans son entier aux seconds juges la question
tranchée par les premiers , elle paraît avoir toujours connu
(1) Tome I, p. 312, 313, « surtout, dit l'auteur, sous le règne de Louis
VII. »
(2) Tome I, p. 318, 319.
(3) Tome I, p. 291.
(4) La théorie à cet égard est nettement exposée déjà par Dupuy, dans son
Commentaire sur les libertés de l'Église gallicane (dans Durand de Maillane ,
Les libertés de l'Église gallicane , tom. II , p. 757) : « Toutes appellations ci-
viles qui sont aujourd'hui beaucoup en usage estoient du tout inconnues à
nos anciens françois. Car les bail! ifs et seneschaux jugeoient en dernier res-
sort et nulle appellation n'estoit relevée en Parlement... il ne s'assembloit
qu'une ou deux fois Tannée , tenoit fort peu de séances et lors mesmes il ne
connoissoit que des grandes causes en première instance. »
(5) Tome I, p. 292.
680 COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
une sorte de prise à partie brutale et grossière qui se nom-
mait Y appel de faux jugement. L'appelant faussait, falsificabat,
la sentence, c'est-à-dire qu'il accusait les juges d'avoir fait un
jugement faux et mauvais. Cet appel se vidait en principe par
le duel judiciaire entre l'appelant et un ou plusieurs des ju-
geurs, et selon l'issue de ce combat, la sentence était main-
tenue ou cassée, jamais réformée. On voit quelle différence
profonde existait entre cette voie de recours et l'appel propre-
ment dit; lorsque ce dernier sera pratiqué, on aura bien soin
dans la suite de les distinguer l'un de l'autre (1). L'appel de
faux jugement se portait en principe devant le seigneur de
qui était tenue la justice où avait été rendu le jugement
faussé (2) et on ne voit aucune raison pour qu'on n'ait pas de
tout temps porté devant le roi l'appel de faux jugement, lors-
que la sentence émanait d'une justice directement tenue de
lui.
Il me paraît certain que le cas cité par M. Luchaire était
simplement une application de cette théorie. Il s'agissait d'un
appel de faux jugement, car il est dit que l'appelant « prx-
dictos judices pro ipsorum judicio falsificando ad nostram au-
dientiam invitavit, » et les juges de la cour du roi « judicavere
prœdictos judices falsum judicium protulisse. » Seulement l'ap-
pel ne se vida pas par le duel judiciaire , mais par l'examen
de la part des juges de la première sentence (retractatio).
C'est là un point fort important et dans la suite l'appel de faui
jugement jouera sous cette forme un grand rôle dans la cour
du roi. Mais peut-être dans cette affaire le duel ne fut-il
écarté que parce que les jugeurs étaient en partie des ecclésias-
tiques (3) qui se refusaient absolument à ce mode de preuve (4).
(1) Voyez Actes de Vincennes, anno 1329 (dans Durand de MaiLlane, Liber-
tés de l'Église gallicane, tom. III , p. 488) : « Quod si in curia temporali prs-
iatorum vel subditorum suorum fiât processus aut detur judicium temporale,
et super hujusmodi processu vel judicio appellatio ordinaria aut ratione falti
judicii vel alias sequeretur, débet talis appellatio remitti ad examen sui ju-
dicis temporalis. »
(2) Beaumanoir, LXI , 65.
(3) « Les débats , dit M. Luchaire (I, p. 292), eurent lieu devant une cour
composée de personnes de l'Eglise d'Arras et d'une partie des hommes de
Tévôque. »
(4) Voy. Ives de Chartres, Episiolx, cxxiv.
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 681
Si dès cette époque l'appel de faux jugement avait pris devant
la cour du roi cette allure pacifique comme procédure ordi-
naire, on ne comprendrait point que Pierre de Fontaines, dans
la seconde moitié du xme siècle , signalât ce fait comme une
nouveauté (1).
En terminant disons que M. Luchaire annonce pour son
livre un supplément digne de l'ouvrage : il va donner la table
des actes de Louis VII, faisant ainsi pour Louis le Jeune le
travail que M. Léopold Deiisle a si bien accompli pour Philippe-
Auguste.
A. Esmein.
Revue de la législation des mines, minières, usines métallur-
giques , carrières et sources d'eaux minérales , de la jurisprudence
et du droit comparé en ces matières , publiée sous la direction de
M. Emile Delecroix, docteur en droit, avocat du barreau de Lille.
— Paris, librairie Marescqaîné. Bruxelles, librairie G. Muquardt.
Dans plusieurs pays étrangers, en Autriche et en Allemagne
notamment, les jurisconsultes et les fonctionnaires spéciaux
ont, depuis de longues années, fondé des recueils consacrés
à la législation et à la jurisprudence , en matière de mines.
Le plus connu peut-être de ces recueils est celui qui fut créé
à Bonn, en 1860, par Achenbach et Brassert, et qui est di-
rigé aujourd'hui par ce dernier, le principal auteur de la loi
prussienne de 1865, avec un remarquable esprit scientifique
et un grand sens pratique. En France, au contraire, la Partie
administrative des Annales des mines pouvait seule être citée
(1) Conseil, un, 23 : « Je meismes menai la querele pardevanl le roi que
tu or me demandes , avoir mon se jugemenz puet estre rapelez par usage
de cort laie fors par bataille : Et certes je vi que li home le roi à Saint Quentin
firent jugement entre deux dames dont Tune apela À la cort le roi; et fiât
ajorner les jugeors et la partie en la cort le roi : après raolt de paroles et
molt de debaz qui i furent, li rois vout oïr le recort del jugement que il
a voient fet, il firent le recort. Je meismes dis por la dame que selonc ce
meismes qu'il recordoient, qui! a voient fet à la dame II faus jugemenz. Après
molt de paroles l'en demanda as homes et à la dame qui les avoit ajorné , sil
voloientoïr droit? Ils distrenl que oïl. L'en jugea qu'il avoient fet à la dame
II faus jugemenz, por quoi la dame recovra quanqu'ele i avoit perdu, et l'ar-
mendèrent au roi. Et ce fu li premiers dont je oïsse onques parler qui fust
rapelez ou Vermendois sanz bataille. »
Revue mst. — Tome VIII. 45
682 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
comme s'occupant de l'industrie minérale au point de vue ju-
ridique et personne ne sera surpris en constatant que le texte
des décrets de concession et les circulaires ministérielles oc-
cupent dans ce bulletin officiel une place beaucoup plus éten-
due que celle qui est réservée aux articles de doctrine , i la
jurisprudence et aux traductions de lois étrangères ; j'ajoute
que la Partie administrative ne constitue pas une publication
distincte de celle des Mémoires et que , dès lors , le nombre
de ses lecteurs est forcément restreint parmi les juriscon-
sultes.
Exerçant la profession d'avocat dans cette région du Nord
où l'industrie minérale s'est si largement développée au cours
de ce siècle, M. Emile Delecroix a compris qu'il y avait là
une lacune à combler et il a entrepris l'œuvre dont nous
rendons compte. Déjà connu par un bon Traité des Sociétés
minières et par une Explication de la loi du 27 juillet 1880,
M. Emile Delecroix était parfaitement préparé à diriger une
Revue de la législation des mines. Dans une introduction con-
çue avec une largeur d'esprit à laquelle nous sommes heureux
de rendre hommage, l'auteur indique le but qu'il se propose
d'atteindre ; il n'écrit pas seulement en vue d'être utile aux
avocats, aux magistrats et aux exploitants de mines ; son désir
est de préparer les éléments d'une réforme générale de notre
droit minier. Tandis, en effet, que dans les vingt dernières
années des améliorations notables se sont produites autour de
nous, nous sommes restés à peu près stationnaires jusqu'en
1880, et si la loi du 27 juillet a modifié dix articles de la loi
de 1810, c'est là une réforme fort utile assurément , incom-
plète néanmoins.
Comme M. Delecroix le fait en outre remarquer, « dans ces
derniers temps surtout, des questions d'une haute gravité ont
surgi et des problèmes, dont la solution s'impose, ont pris
peu à peu une importance considérable Pour ne citer qu'à
titre d'exemple, la forme et le mode de constitution des Socié-
tés fondées pour l'exploitation des mines , la législation des
chemins de fer d'embranchement destinés au service de l'ex-
ploitation, les règlements relatifs à l'organisation du travail
dans les mines , les responsabilités rigoureuses qui peuvent
être encourues en cas d'accidents, la question d'établissement
COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES. 683
de caisses de secours réglementées par la loi , les associations
syndicales , les impôts si nombreux enfin qui , sous tant de
formes variées et de détours ingénieux de l'esprit fiscal, frap-
pent les exploitants "de mines, sont autant de difficultés acces-
soires de la législation même des mines , mais n'en doivent
pas moins à un égal degré attirer notre attention. La Revue de
la législation des mines abordera l'étude de ces graves ques-
tions qui touchent par tant de points aux grands problèmes
sociaux , en même temps qu'aux plus hautes spéculations du
droit. »
En vue de remplir le programme que nous venons de faire
connaître, M. Emile Delecroix divise sa Revue en trois parties
distinctes; la première est consacrée à l'interprétation doctri-
nale de la loi française ; dans une seconde section sont repro-
duites les décisions des cours et tribunaux avec des notes et
des renvois; enfin c'est dans la troisième partie que prennent
place les recherches sur les législations étrangères. Ce n'est
pas là sans doute une énumération absolument limitative , et
je pense qu'à l'exemple de M. Brassert, qui n'a pas hésité à
insérer dans sa Revue une étude de la Lex metalli Vipascensis
(table (FAljustrel) , M. Delecroix accueillerait, à l'occasion,
des travaux sur l'histoire des idées juridiques en matière de
mines.
Dans les trois numéros qui ont déjà paru (mars, juin, sep-
tembre 1884), les monuments de jurisprudence sont abon-
dants. Nous avons particulièrement remarqué les arrêts de la
cour de Douai et les jugements des tribunaux de son ressort
dans les procès auxquels a donné lieu la liquidation de la So-
ciété houillère de Ferfay. Le droit comparé est représenté par
un exposé des législations anciennes et modernes sur les
juridictions en matière de mines. Son auteur, M. H. -F. du
Pont, membre fort connu du conseil des mines de Belgique,
s'occupe, non-seulement des autorités chargées de juger les
procès qui ont leur source dans la recherche et l'exploitation
des mines , mais aussi de l'administration active.
Avec les articles de M. Aguillon et de M. Delecroix, nous
arrivons à l'interprétation doctrinale de la loi française. M.
Aguillon , professeur de législation à l'École des mines , à qui
on doit un remarquable rapport de mission fait en collabora-
684 COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
tion avec M. Pernolet, et plusieurs études justement estimées,
! donne à la Revue une note très intéressante sur les droits et
1 les obligations d'un concessionnaire de mines relativement
aux substances minérales non concessibles abattues par ses
travaux.
EnGn M. Delecroix soutient avec talent que si, au moment
de la cession d'une action de Société minière , la Société est
endettée, le cessionnaire est seul tenu, au moment de la liqui-
dation, d'acquitter sa part dans la dette sociale ; l'auteur traite
d'ailleurs d'une façon générale de la responsabilité des action-
naires et intéressés dans les Sociétés de mines et spécialement
dans les Sociétés houillères.
Comme on le voit , les débuts du nouveau recueil sont d'un
bon augure; nous ne doutons pas qu'avec le temps M. Dele-
croix n'améliore encore sa publication. On nous permettra en
effet de regretter l'absence d'un bulletin bibliographique et
critique analogue à celui qui paraît dans cette Revue même;
les Mémoires des Annales des mines, le Bulletin de l'industrie
minérale de Saint-Êtienne , la Revue universelle de Cuyper et
HabetSy pour me borner à ces citations, contiennent souvent
sur les résultats produits par telle ou telle législation minérale
des indications précieuses dues à d'excellents observateurs;
les jurisconsultes n'auraient-ils pas intérêt à être avertis de
l'existence de ces travaux? Ajoutons que sans enlever à la
Revue son caractère juridique, il serait possible d'insérer,
avec beaucoup de sobriété bien entendu , quelques renseigne-
ments statistiques sur l'industrie minérale et quelques docu-
ments concernant les vœux des exploitants de mines, de leurs
ouvriers et des propriétaires fonciers. Quelle que soit du reste
la valeur de ces observations, la Revue de législation des mines
rendra dès maintenant de réels services à tous ceux qui étu-
dient cette branche spéciale de notre droit et nous devons
féliciter sincèrement M. Emile Delecroix de son initiative.
Emile Jobbé-Duval,
Agrégé à la Faculté de droit de Paris.
CHRONIQUE
i
i
■MNi
M. Faustin Hélib est mort le 23 octobre 1884. Nous ex-
trayons du remarquable discours prononcé à ses funérailles
par M. Martha, les passages suivants qui sont la juste appré-
ciation de ce savant jurisconsulte :
« M. Faustin Hélie n'a jamais voulu être qu'un juriste; et
de bonne heure il semble avoir choisi , dans le vaste domaine
du droit, le champ plus ou moins limité qu'il devait retour-
ner toute sa vie. Cette part qu'il s'était réservée et qu'il a
cultivée avec une infatigable activité et une sorte d'amour,
c'est le droit pénal. Par une chance heureuse , qui n'est ac-
cordée qu'à peu de savants , il ne fut pas même détourné de
ces études par les devoirs des fonctions auxquelles il fut suc-
cessivement appelé. Entré, jeune encore, dans les bureaux
du ministère de la justice , il y fut chargé des affaires crimi-
nelles ; et plus tard , à la Cour de cassation , c'est encore à
la chambre criminelle qu'il siégea pendant vingt-cinq ans,
comme conseiller ou comme président. Ainsi il lui fut donné
de poursuivre ses graves et difficiles travaux, sans en être
jamais distrait, pendant que l'expérience des affaires, la froide
pratique de chaque jour tempérait la chaleur de ses médita-
tions solitaires et peut-être les empêchait de dégénérer en
aventureuses doctrines. Car notre confrère, jusque dans sa
vieillesse , sous une science sévère et sous le style le plus so-
bre cachait un esprit ardent et des espérances de perfection
juridique qui paraissaient quelquefois plus nobles qu'immé-
diatement réalisables. Si efficace fut chez lui cette action de
la pratique sur la théorie que les arrêts rédigés par le magis-
trat ramenaient toujours à une juste mesure les hardiesses du
théoricien.
686 CHRONIQUE .
« M. Faustin Hélie, né dans la dernière année du xvme
siècle, semblait en avoir reçu et gardé tous les souffles. Il
était comme un héritier de ces réformateurs d'un autre âge,
qui avaient alors tant de raisons de protester contre les procé-
dures secrètes , contre les peines barbares et la disproportion
des peines aux délits. Il laissa voir dans ses écrits, sous des
formes rigides , la mansuétude de Beccaria , dont on peut
croire qu'il voulut être le disciple , puisqu'il le traduisit et le
commenta. Aussi , dans son grand ouvrage sur la Théorie du
Code pénal et dans son ouvrage, plus considérable encore, qui
lui ouvrit en 1855 les portes de l'Institut, dans son Traité de
ï Instruction criminelle, il se montra surtout préoccupé de
protéger l'accusé contre les iniquités possibles de la légalité.
Il dévoila, dans chaque formalité de la procédure, la sourde
lutte des deux principes que l'histoire surprend éternellement
aux prises dans toutes les institutions humaines, je veux dire
l'intérêt de la sûreté sociale et l'intérêt de la liberté indivi-
duelle. M. Faustin Hélie, tout en voulant tenir la balance
égale entre le principe de Tordre et le principe de la liberté,
paraît le plus souvent incliner à défendre la faiblesse de cha-
cun contre la puissance de tous. Voilà pourquoi cette doctrine
tutélaire parvint à une sorte de popularité et eut cette fortune
bien singulière chez un magistrat , d'être plus célébrée par le
barreau que reçue par le tribunal. Réduire la part de l'arbi-
traire, enchaîner de plus en plus la conscience faillible du
juge , telle a été l'inspiration et la constante pensée de M.
Faustin Hélie qui semble avoir pris pour devise ce mot d'un
Spartiate : « Les lois doiVent être maîtresses des hommes et
non les hommes maîtres des lois. »
« Si notre confrère a su être philosophe, même dans des
ouvrages de procédure , il peut prétendre aussi au titre d'his-
torien. N'est-ce pas en effet une véritable histoire que cette
revue, dans tout un volume, à travers les âges, du droit et des
formes d'accusation , de l'instruction ou secrète ou publique ,
dans Athènes, à Rome, au moyen -âge, jusqu'à la Révolu-
tion française? Lamentables ou consolantes annales, avec les
éclipses et les retours du droit, où l'on voit de sûrs principes,
jadis établis par les plus nobles peuples de l'antiquité, peu à
peu dénaturés par une application vicieuse , puis recueillis ,
CHRONIQUE. 687
toujours vivants , par la philosophie , quand la législation les
eut répudiés, jusqu'à l'ère moderne, où notre code, remon-
tant aux sources du droit, retrouva ces principes dans leur
antique formule et mit sa gloire à les ressaisir. Comment ne
pas accorder un vif intérêt à cette histoire , qui est celle de la
justice et de l'injustice humaines, où les iniquités elles-mêmes
sont instructives , où le droit, soit qu'il disparaisse , soit qu'il
reparaisse, nous éclaire également à travers les siècles, comme
sur les mers certaines alternatives de lumière et d'obscurité
sont précisément les signes qui dirigent de loin la marche des
navigateurs?
« Après une longue et laborieuse activité , respectée même
par ceux qui ne l'approuvaient pas toujours, M. Faustin Hélie
nous apparaît comme un juriste philosophe, qui a su dégager
de textes jusqu'alors arides l'esprit qui en rend raison , l'âme
qui les anime; et pour avoir veillé sans cesse dans ses écrits
sur la vie et la liberté humaines , et hâté les progrès de la plus
protectrice des sciences , pour l'avoir de jour en jour corrigée ,
comme magistrat, dans ses prudents arrêts, il laisse à notre
Académie une mémoire honorée , et à sa famille le plus rare
des héritages, un nom qui ne périra pas. »
L'enseignement et la science ont fait cette année une perte
sensible en la personne de M. Charles Poisnbl, agrégé près
la Faculté de droit de Douai. Brillant élève de la Faculté de
droit de Caen , Charles Poisnel, avait été reçu le troisième
au concours d'agrégation de 1876 et attaché à la Faculté de
Douai , où il professa le droit romain d'une manière remar-
quable. Ce n'est point en France, que la mort est venue le
frapper, mais en Italie , au mois d'octobre dernier : il était
membre de l'École française de Rome depuis deux ans, et,
cette année, il n'avait voulu prendre aucun repos ; il était resté
à Rome même au fort de l'été pour terminer des travaux com-
mencés. C'était un travailleur infatigable, l'intensité d'effort
dont il était capable était vraiment surprenante : c'est même
sans doute à des excès de travail remontant déjà loin, mais
688 CHRONIQUE.
aggravés encore pendant ces dernières années , qu'il faut en
grande partie attribuer sa mort prématurée.
Charles Poisnel avait une haute et pénétrante intelligence ,
et une âme généreuse : mais nature délicate et réservée à
l'excès, il n'a pleinement révélé qu'à ses seuls amis tous les
trésors de son esprit et de son cœur. Il était notre collabora-
teur et nos lecteurs n'ont point oublié ses « Recherches sur les
sociétés universelles chez les Romains, » que la Revue a publiées»
étude originale et profonde où la forme était aussi remarquable
que le fond. En 1883, il donna aux Mélanges d'archéologie et
d'histoire publiés par l'École française de Rome des « Recher-
ches sur l'abolition de la vicesima hereditatium, » où il précisait
un point obscur de l'histoire du droit romain , par des obser-
vations aussi exactes qu'ingénieuses. Mais ce qu'il a publié
n'est rien auprès de ce qu'il préparait. Dans sa fréquentation
passionnée des bibliothèques d'Italie et d'Allemagne, et par-
ticulièrement de la Vaticane, il avait réuni des notes nom-
breuses, de véritables richesses. Il avait presque terminé une
importante étude sur les Fausses Décrétales. Espérons que cet
immense labeur n'aura pas été entièrement perdu , et qu'on
pourra dans une certaine mesure en faire profiter le public et
la science.
A. Esmbin.
* *
La Faculté de Caen a perdu cette année l'un de ses mem-
bres les plus distingués.
M. Jules Cauvet, professeur de droit romain, est décédé le
24 août dernier, à la suite d'une longue et douloureuse ma-
ladie qui, depuis quelque temps déjà, le tenait éloigné de sa
chaire.
Né le 21 juillet 1811 d'une ancienne et riche famille caen-
naise, M. Jules Cauvet choisit la carrière du professorat et
ne voulut devoir sa situation qu'à son mérite personnel et à
son labeur.
Nommé suppléant au concours de 1846, il fut appelé à la
chaire de droit romain, en qualité de professeur titulaire, le
12 septembre 1853.
CHRONIQUE. 689
M. Cauvet a beaucoup écrit , mais si l'on met de côté quel-
ques essais purement littéraires qui parurent dans la Bévue de
Caen, et deux ou trois mémoires d'érudition publiés dans le
Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie , tous ses
ouvrages le rattachent à deux ordres de recherches dans les-
quels il s'est, pour ainsi dire, cantonné, le droit romain et le
droit normand.
À la première de ces catégories appartiennent : Le droit
pontifical chez les Romains, l'Empereur Justinien et son œuvre
législative, le Genre philosophique et littéraire des juriscon~
suites romains.
On peut y rattacher : L'organisation judiciaire à Athènes,
et un rapport sur les manuscrits juridiques de la bibliothèque
d'Avranches , écrit à propos d'un mémoire de M. Beautemps-
Beaupré.
Les publications relatives au droit normand que M. Cauvet
affectionnait par dessus tout, sont beaucoup plus nombreuses.
Elles ont aussi , à notre sens , plus de portée et de nouveauté.
Citons rapidement : Les origines du droit civil de l'ancienne
Normandie, Les trêves établies entre particuliers d'après le
droit normand, Le droit civil de la Normandie au xme siècle,
Le droit de colombier, le droit de patronnage , le droit criminel
de l'ancienne Normandie , L'organisation de la famille d'après
la coutume de Normandie, L'histoire du collège des droits de
l'ancienne Université de Caen.
Ce dernier ouvrage et le Droit pontifical chez les Romains
sont , à mon sens , les deux publications les plus importantes
de M. Cauvet.
E. de Beaurepaire.
*
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un de nos an-
ciens et dévoués collaborateurs, M. Charles Brocher, décédé
à Genève, le 19 septembre dernier, à l'âge de 73 ans. M. Bro-
cher avait été successivement juge, substitut du procureur
général , membre et même président de la Cour de cassation
du canton de Genève. Il avait pendant quelques années pris
part à la vie politique comme membre du Grand Conseil et
690 CHRONIQUE.
de l'Assemblée constituante de 1841. Mais c'est surtout à son
enseignement comme professeur de droit civil à l'Académie
de Genève et à ses nombreux travaux sur le droit internatio-
nal privé qu'il a dû sa légitime réputation. Bien qu'il eût
suivi avec fruit les cours de Savigny, Kleuze et Rudorff i
Berlin, ceux de Mittermaier et Thibaut à Heidelberg, M. Bro-
cher était par son origine , par les tendances de son esprit et
par l'ensemble de son éducation juridique essentiellement
français. — A côté de son Cours de droit international privé
suivant les principes consacrés par le droit positif français,
dont les deux premiers volumes ont paru en 1882 et 1883, et
qui constitue son principal titre à l'estime des jurisconsultes,
nous rappellerons particulièrement son Étude historique et
philosophique sur la légitime et les réserves en matière de suc-
cession héréditaire, qui obtint en 1868 les suffrages de l'A-
cadémie des Sciences morales et politiques , et sa Notice sur
Zachariae, sa vie et ses œuvres, qui fut couronnée en 1870
par l'Académie de législation de Toulouse.
Nous apprenons la mort de M. Arntz, professeur à la Fa-
culté de droit de Bruxelles, où pendant près d'un demi-siècle
il avait successivement enseigné les pandectes, le droit civil,
le droit public , le droit naturel et le droit des gens.
* *
Nous apprenons également la mort de M. Hornung, qui
avait enseigné tour à tour la littérature comparée, le droit
romain , l'histoire et la philosophie du droit à Lausanne , et
plus tard le droit pénal , le droit public et le droit des gens à
Genève.
*
* *
Par décrets en date des 7 octobre et 1er décembre 1884 :
M. Ducrocq, professeur de droit administratif à la Faculté
de droit de Poitiers, doyen honoraire de ladite Faculté et
correspondant de l'Institut, a été nommé professeur de droit
administratif à la Faculté de droit de Paris (chaire nouvelle).
CHRONIQUE. 691
H. Barrilleau, agrégé, a été nommé professeur de droit
administratif à la faculté de droit de Poitiers , en remplace-
ment de M. Ducrocq.
M. Lefebvre, agrégé, a été nommé professeur de droit cou-
tumier à la faculté de droit de Paris , en remplacement de M.
Chambellan , admis à faire valoir ses droits à la retraite.
*
Au moment de la réouverture des cours d'enseignement
supérieur, nous avons pensé qu'il serait agréable à nos lec-
teurs de connaître la part qui est faite actuellement à l'étude
historique du droit. — On sait qu'un décret en date du 28
décembre 1880 a institué dans toutes les facultés de droit de
l'État un cours d'Histoire générale du droit français public et
privé; ce cours est obligatoire pour les étudiants de première
année et doit faire l'objet d'une interrogation spéciale dans le
premier examen de baccalauréat. — On sait également qu'un
second décret en date du 20 juillet 1882 a décidé que l'histoire
du droit français ferait nécessairement l'objet d'une interro-
gation particulière et distincte dans le deuxième examen de
doctorat. Grâce à ces décrets , il existe aujourd'hui dans cha-
cune des treize facultés de droit de l'État deux cours d'his-
toire du droit français. Celui qui s'adresse aux étudiants de
première année a nécessairement un caractère sommaire ; son
objet est de donner une vue d'ensemble des différentes phases
que dos institutions publiques et privées ont traversées. Le
cours destiné aux aspirants au doctorat est, au contraire, en
termes d'école, un cours d'histoire du droit approfondie; le
professeur choisit d'ordinaire une institution ou une époque,
dont il développe l'histoire de façon à faire pénétrer ses audi-
teurs dans les détails. C'est ainsi qu'a Grenoble ce cours
portera pendant la présente année scolaire sur le régime des
personnes et des terres avant l'ère féodale ; à Lyon, sur l'or-
ganisation de la propriété mobilière et immobilière au moyen-
âge; à Rennes sur l'état, et la capacité des personnes dans
l'ancien droit coutumier; à Montpellier, sur l'histoire du con-
trat de mariage ; à Douai , sur le droit public et privé pendant
692 CHRONIQUE.
la période delà monarchie absolue. — Il est vrai que si l'on
excepte la faculté de Paris , où renseignement historique du
droit est doté depuis 1829 d'une chaire magistrale, les cours
d'histoire générale et d'histoire approfondie institués en vertu
des décrets de 1880 et 1882 n'ont eu jusqu'ici que le rang de
cours complémentaires , c'est-à-dire qu'ils sont confiés , soit à
des agrégés , soit à des professeurs titulaires d'autres chaires
et qui consentent à se charger d'un double enseignement. Il y
a même quelques facultés où les deux cours sont faits par un
seul et même professeur. Ce sont là des questions secondaires
et de pure forme, qui ne touchent en rien au fond de l'ensei-
gnement. Elles tiennent aux hésitations qui accompagent né*
cessairement toute organisation nouvelle; elles tiennent aussi
à des considérations budgétaires , peut-être même à l'insuffi-
sance actuelle du personnel. Mais l'important était que l'en-
seignement historique du droit fût déclaré obligatoire , et c'est
ce qu'ont fait les décrets de 1880 et 1882 en réglant la matière
des examens.
En dehors des deux cours dont il vient d'être question, les
facultés de Paris et de Toulouse possèdent depuis 1859 des
chaires de droit français considéré dans les origines féodales et
coutumières. La faculté de Nancy a spontanément inscrit ce
même enseignement au nombre des cours préparatoires au
doctorat.
L'organisation des facultés libres étant calquée sur celle des
facultés de l'État, l'enseignement historique du droit y a na-
turellement trouvé place , bien que dans des proportions un
peu plus restreintes. La faculté de Paris est la seule qui pos-
sède les trois chaires d'histoire générale, d'histoire approfondie
et de droit coutumier. Les facultés d'Angers, de Lille, de
Lyon et de Marseille n'ont qu'une seule chaire d'histoire du
droit français; il est vrai que par une sorte de compensation
la faculté de Marseille possède une chaire d'histoire du droit
romain, celle de Lyon une chaire de droit coutumier •, celles de
Lille et d'Angers des chaires de droit canonique. La faculté
de Toulouse est à cet égard la moins bien dotée; un seul
cours y est institué pour les enseignements réunis du droit
coutumier et de Y histoire générale du droit français.
Les facultés de droit, officielles ou libres, ne sont pas d'ail-
CHRONIQUE. 693
leurs les seuls établissements d'enseignement supérieur où
l'étude historique des législations ait reçu droit de cité :
Il existe au collège de France une chaire d'histoire des lé-
gislations comparées, illustrée par le long et brillant enseigne-
ment de M. Laboulaye. Le successeur du maître exposera
cette année la condition juridique des paysans de l'Alsace, de
l'Allemagne et de la Suisse au moyen-âge d'après le recueil
des Weisthùmer de Grimm.
L'École nationale des Chartes possède à la fois une chaire
d'institutions, dont le titulaire passe en revue chaque année
les institutions politiques , administratives et judiciaires de la
France depuis la conquête des Romains jusqu'à la Constitu-
tion de Tan VIII, et une chaire d'éléments du droit civil,
féodal et canonique , où le professeur se propose cette année
d'exposer l'état du droit coutumier dans le midi de la France
au xm° siècle d'après les Coutumes de Toulouse et de Mont-
pellier.
Les maîtres de Conférences de l'École pratique des Hautes-
Etudes annoncent qu'ils traiteront de la bibliographie du droit
français antérieurement au xrv* siècle, des rapports de la
royauté avec les villes depuis l'avènement de Louis VI jus-
qu'à la mort de Philippe le Bel , des origines de l'appel comme
d'abus et des rapports de l'Église avec l'État du xve au xvue
siècle. L'un d'eux doit consacrer un jour par semaine à l'ex-
plication des chartes de communes , de franchises et de cou-
tumes.
Enfin les facultés des lettres elles-mêmes apportent leur
contingent d'efforts à l'œuvre commune. Nous ne connaissons
pas encore les programmes des facultés de province pour la
présente année scolaire, mais nous voyons, par celui delà
faculté de Paris, qu'un professeur traitera de l'histoire des
lois agraires, un autre des institutions de la France du vne
au ixe siècle, un troisième de l'histoire constitutionnelle de
l'Allemagne depuis la Réforme, et que deux jeunes docteurs,
profitant des facilités récemment accordées par le décret du
24 juillet 1883, ouvriront des cours libres, l'un sur l'histoire
des institutions grecques, l'autre sur l'histoire des institutions
romaines.
Sans doute on peut encore signaler d'importants desiderata.
694 CHRONIQUE.
L'histoire du droit romain n'est associée à l'histoire du droit
français que sur les programmes des facultés de Paris et de
Nancy, et pour combler cette lacune, plusieurs facultés se
sont résignées à détourner le cours de Pandectes de sa desti-
nation naturelle. C'est ainsi qu'à Douai le professeur de Pan-
dectes traitera cette année des sources du droit à Rome , qu'à
Grenoble il interprétera les plaidoyers de Cicéron, qu'à Ren-
nes il exposera, les controverses des Proculiens et des Sabi-
niens. Il est plus regrettable encore qu'il n'existe dans aucune
des facultés de l'État des cours de droit canonique , dont l'é-
tude jetterait une si vivre lumière sur l'origine et les dévelop-
pements de notre procédure. Mais si l'on se reporte à trente
où quarante ans en arrière, à l'époque où l'enseignement his-
torique du droit n'existait qu'à la faculté de Paris et n'y
possédait qu'une seule chaire, on ne peut méconnaître les
immenses progrès qui ont été accomplis et on prend confiance
dans les satisfactions que nous réserve l'avenir.
E. R.
TABLE DES MATIÈRES.
ARTICLES DE FOND.
Pages.
A. Ebmein. — Le testament du mari et la Donatio ante nuptias. . 1
D'Arbois de Jubainville. — Le Senchus môr. Etudes d'un
cours professé au Collège de France pendant le premier se-
mestre de Tannée 1883-1884 33
Bûche. — Essai sur l'ancienne Coutume de Paris aux xni* et
xiv6 siècles 46, 321, 635
Chassaino. — Ordonnance de Louis XI sanctionnant des articles
arrêtés entre les consuls et les habitants du Puy-en-Veiay
pour l'administration de cette ville (Montils-les-Tours, no-
vembre, 1469) 87
Ernest Glabson. — Les origines du costume de la magistrature. 109
Maurice Prou. — Les Coutumes de Lorris et leur propagation
aux xiï« et xin6 siècles 139, 267, 441
Gerardin. — Etude sur la solidarité 237
Feux Aubert. — Note sur la date du Stilus Parlamenti de Guil-
laume du Breuil 355
H. de Ferron. — De la circonscription des communes par la
Constituante de 1789 361
Rodolphe Dareste. — La transcription des ventes en droit
hellénique , d'après les monuments épigraphiques récemment
découverts 373
P.-F. Girard. — La garantie d'éviction dans la vente consen-
suelle 395
Villequez. — De la faculté accordée à l'héritier de revenir sur
sa renonciation 489
Glasson, — Rapport fait au nom de la section de législation à
l'Académie des Sciences morales et politiques, sur le concours
du prix Koenioswarter 511
Gérardin. — De l'acquisition des fruits par l'usufruitier 609
VARIÉTÉS ET DOCUMENTS.
Chronique 234, 369, 481, 685
Georges Blondel. — Notes sur quelques manuscrits de la Biblio-
thèque royale de Berlin (Collection Hamilton) 211
H. Brunner. — Note sur une Somme française du XIVe siècle sur
le Code 221
Adolphe Tardif. — Etude sur la date du Formulaire de Marculf. 557
Brutails. — Etude critique sur Los Paramientos de la Caza.. . 567
696 TABLE DES MATIÈRES.
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES.
Pages.
Caillembr. — Le droit civil dans les provinces anglo-normandes
au XIIe siècle (Glasson) 101
Louis Jousserandot. — Ledit perpétuel restitué et commenté
(Gaston May) 104
De Vogué. — Inscriptions palmyréniennes. Un tarif sous l'Em-
pire romain (Rodolphe Dareste) 223
Albert Sorel. — Recueil des instructions données aux ambas-
sadeurs et aux ministres de France depuis les traités de West-
phalie jusqu'à la Révolution française, tome I, Autriche (E.
de Roziere) 224
H. Welschinger. — La censure sous le premier Empire (G.
Grandjean) 227
G. Richou. — Traité théorique et pratique des archives publiques
(Paul Dareste) 229
E. Montagnon. — De la nature des conditions civiles à Rome
(E. Thallbr) 459
Edmond Bonvalot. — Le Tiers-État d'après la charte de Beau-
mont et ses filiales (André Weiss) 470
Fernand Daguin. — Code de procédure pénale allemand du Ier
février 1877 (Ludovic Beauchet) 474
L. Tanon. — Histoire des justices des anciennes églises et com-
munautés monastiques de Paris , suivie des registres inédits
de Saint-Maur-des-Fossés , Sainte-Geneviève, SainlrGermain-
des-Prés et du Registre de Saint-Marlin-des-Champs (P. Four-
nier) 373
Willem-Joan Wintgens. — Code pénal des Pays-Bas du 3 mars
(L. Beauchet) 579
Louis Durand. — Essai de droit international privé, précédé
d'une Étude historique sur la condition des étrangers en France
et suivi de tous les traités intéressant les étrangers (F. M.). 583
Charles Giraud. — Essai sur l'histoire du droit français au
moyen-âge (Ed. Laboulaye) 586
G.-P. Schoemann. — Antiquités grecques , traduites par C. Ga-
luski (R. Dareste) 671
Achille Luchaire. — Histoire des institutions monarchiques de
la France sous les premiers Capétiens (987-1 1 80) (A. Esmein). 673
Emile Delecroix. — Revue de la législation des mines, minières,
usines métallurgiques, carrières et sources d'eau minérales,
de la jurisprudence et du droit comparé en ces matières
(Emile Jobbé-Duval) 681
BAH-LB-DUC, IMPRIMERIE CONTANT-LAOUBRRB.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
ET CRITIQUE
PUBLICATIONS NOUVELLES
(LIVRES ET ARTICLES DE revue)
1° Biographie et Bibliographie.
4. Cunningham. — Adam Smith et les mercantilistes [Zeitschrift
f. die Gesammte Staatswissensckaft, XL-4 . Tubingue, 1884).
2. Germain. — Mémoire sot les manuscrits autographes laissés
par Pierre Flameogin, vicaire général de l'évéqae de Magueloone,
pais abbé de Saint-Victor de Marseille [Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, 28 sept. 4883).
•
3. Hanréan. — Catalogne des manuscrits de Bordeaux (Journal des
Savants, 4883, nov.).
4. Jouanlt (A.). — Abraham Lincoln, sa jeunesse et sa vie politique.
Histoire de l'abolition de l'esclavage aux États-Unis. 3« édition, in-
48 jésns, 260 p. avec portraits et vignettes [Paris, Hachette et £»•).
5. Lagarde (P. de}. — La collection des manuscrits du comte
d'Asnburnham [Naehrichten von der K. Gesellschaft der Wissens-
chaften su Gvttmgen., 4884, n» 4).
S. Landwëhr. — Manuscrits grecs du Fajoum (Philohgus, 4883,
n« 5).
7. Meyer (P.). — Les manuscrits du connétable de Lesdiguières
{Romama, XII, 4883,.
8. MoaHn H.]. — Portraits judiciaires. Claude Gautier, avocat au
Parlement, 4590-4666 [Paris, Charavay, in-8*,.
9. SanrhfT de Castro (F.). — Apuntes d* la literatura y bibfio-
grafia jaridîcas de Espana [Madrid, Murillo. En 4*, 463 pages).
Prix 5 fr.
FUvra cm. — Tome VIII, 1*
À BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
40. Soultrait (de). — Notice sur les manuscrits du trésor de l'é-
glise métropolitaine de Lyon (Revue lyonnaise , 4883, tome V).
M. Thomas (L.). — Bibliographie de la ville et du canton de Pon-
toise (Mémoires de la Société historique du Vexin).
42. Vœsen. — Catalogue du fonds Bourré à la Bibliothèque natio-
nale (Biblioth. de l'Ecole des Chartes, 4884, fasc. 4).
43. Vidal (G.). — Notice sur Henri Rozy, professeur à la Faculté
de droit de Toulouse (Académie de législation de Toulouse, t. XXXI,
4883).
2° Philosophie de droit et des Sciences sociales.
4 4. Adler (G.). — Rodbertus, d. Begrunder d. wissenschaftlichen
Sozialismus. Ëine sozial-ôkonom. Studie. gr. 8. IX, 90 p. (Leip-
zig , Duncker et Humblot) 2 fr.
45. Brissaud (E.). — Identité des principes de morale, de droit et
d'économie dans leur application aux institutions de prévoyance ;
Examen critique des Statuts de l'Association de prévoyance des
employés civils de l'Etat. In-48 jésus, 85 p. (Paris, Guillaumin
et&*) 4 fr.
46. Brockhausen (G.) et Bruhns (A.). — Rechtslehre. Die wich-
tigsten Rechtsbegriffe u. ihre Bedeutung im praktischen Leben.
Zum Gebrauche an Handels-, Gewerbe- u. Mittelschulen , sowie
zum Selbstunterricht , gr. 8. V, 442 p. (Wien, Brockhausen et
Brâuer) 3 fr.
47. Cisotti (G.-B.). — Sulle condizioni délia nostra legislazione ris-
petto aile esigenze del civile progresso : lettura, ecc. (Venezia, tip,
Fontana, in-8. pag. 24).
48. Fétis. — Cours d'encyclopédie du droit, autographié. Cahier
in-4°, 111-90 p. (Bruxelles, Mavolez).
49. Glasson (E.). — Élément du droit français considéré dans ses
rapports avec le droit naturel et l'économie politique. Nouvelle
édition, revue, corrigée et augmentée, 2 vol. in-8°, t. I, 704 p.;
t. U , vu 575 p. (Paris, Pedone-Lauriel) 46 fr.
20. Hosmer (G.-W.-M.-D.). — The people and poli tics; or, the
structure of the states and the significance and relation of political
forms (Boston , James R. Osgood et Co., 64-339) 4 fr.
21. Ihering (R.-V.). — DerZweckim Recht. 2. Bd. Lex.-8. xxx-
746 p 20 fr.
22. Kahle (A.). — Lasson's System der Rechtsphilosophie, in seinen
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Diskussion, gr. 8. Halle, Pfeffer (Philosophische Vortrâge. Neue
Folge. Heft 5). 4 fr. 50
ET CRITIQUE. 3
23. Kohler (J.). — Shakespeare vor dem Forum der Jurisprudenz.
(In 2 Lfgn.) 4 . Lfg. gr. 8 (Wùrzburg, Stahel.) 3 fr.
24. Kohler (0.). — Der Egoismus u. die Civilisation. Eine sozial-
philosoph. Erôrterg. 8 (Stuttgart , Dietz) 4 fr. 50
25. Lightwood (J.-M.). — The nature of positive law (New York,
Macmillan, 44+449 p. 0.) 4 fr.'
26. Sturm (A.). — Recht u. Rechtsquelien. Eine Abhandlg. gr. 8
(Kassel, Wigand) 6 fr. 25
27. Wendt Otto. — Rechtsatz und Dogma Théorie und Praxis.
(Jahrbùcher f. die Dogmatik d. heut. rœmischenu. deut. Priva-
trechts, 4884, t. XXII, fasc. 3-5).
3° Enseignement et Instruction publique.
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30. Franck. — Les sciences occultes au xvi« siècle (Journal des
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34. Germain (A.). — La Faculté de théologie de Montpellier (Mé-
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32. Knoll. — Ub. das Deutschthum in Prag. u. seine augenblickli-
che Lage. Vortrag, geh. am 20. Màrz 4883 im Deutschen Vereine
in Prag. 2. Aufi. Gr. in-8° (Prag, Dominions) 0 fr. 50
33. Laspeyres. — Les Universités allemandes et la faveur dont
chacune jouit auprès des étudiants d'après les statistiques (Deutsche
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34. Les sciences naturelles au Moyen-âge et en particulier sur
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35. Luschin von Ebengreuth. — Les Autrichiens aux Univer-
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36. Munsterberg (H.). — Studentenpfiicht u. Studentenrecht. Ein
Wort an d. deut. Studentenschaft , 23 p. gr. in-8° (Leipzig , G.
Wolff) 0 fr. 75
Revub hist. — Tome VIII. 1**
4 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
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38. Report, of the Committee of Gouncil of Education (England
and Wales). With Appendix (Àbridged) 4882-83. Arrandged by J.
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39. Schwicker. — Les Universités hongroises (fondation, histoire,
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40. Wie studirt man Jurisprudenz ? Von e. prakt. Juristes, vui-
26 p. (Leipsig , Rossberg) 0 fr. 80
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et Co. 48+270) 3 fr.
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i
i
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vom Anfang des 45 Jabrh. bis auf die Gegenwart. 3. Bd. A. a. d.
T. : Das preuss. Beamtenthum un 1er Friedrich Wilhelm I. a.
w&hrend der Anf&nge Friedrich d. Grossen. gr. 8, xtt-442p.
[Berlin. Puttkammer et Mûhtbrecht) 42 fr.
466. Hymans (B.). — Histoire parlementaire de la Belgique, dédiée
à S. M. Léopold II, roi des Belges. 2° série, 4880-4890, 3e fasci-
cule, Session ordinaire de 4882-4883. In -8», p. 473-250 (Bruxelles,
Bruylant-Christophe et C4).
467. Johnston (A. A. M.). — The Genesis of a New England State
(Gonnecticut). Read before the Historical and Politica! Science
Association, April 43, 4883. 8vo, paper, pp. 29 (Baltimore (MdX
Prix 3 fr.
468. Korth. — Histoire des tribunaux vehmiques en Haute-Lusace
(NeuesLausiteisches Muséum, t. LVIII, 4882).
ET CRITIQUE. 13
469. Lettre d'inféodation pour Grégoire de Ploschwitz, 1482
(Zeitschrift d. historischen Vereins fur den Regierungsbezirk Marien-
werder, 4882).
470. Matthael (F.) — Die wirthschaftlichen Hûlfsquellea Russ-
lands u. deren. Bedeutung f. die Gegenwart u. die Zukunft. 44-44.
Lfg. gr. 8 (Dresden , Baensch.) ; 4 fr. 25
174 . Maurer. — Ordonnance municipale de Kenzingen, 45&0 (Zeits-
chrift f. die Geschichte des Oberrheins, t. XXXVII, 4883).
172. Nagel. — Sur l'histoire de la propriété foncière et du crédit
dans les villes de la Haute-Hesae (Oberhessischer Verein f. Local-
geschischte Giessen, 4883).
473. Neuburg. — Le conflit entre les forestiers et les mineurs et
. les corporations à Goslat à la fin du xnte siècle [Zeitschrift f. été
gesammte StaatBWissenschaft , t. XL, 4. 4884).
474. Nitzsch. — Le droit de Soest à Lubeck, 484 (Hansische Ges-
chichtsblœtter, 4882).
475. Ohnesseit. — Sur l'origine de l'édilité dans les villes ita-
liennes (Zeitschrift der Savigny-Stiftung f. Rechtsgeschichte, IV. 2,
Romanische Abth., 4883).
476. Schrœder (Rien.). — Ueber die Bezeichnung der Spindel-
magen in den œlteren deotschen Recbtstprache {Zeitschrift. d.
Savigny-Stiftung , 4883, IV. 3).
477. Seidler (G.). — Der Staatsrecbnungshof Oesterreichs. gr. 8
WienHôtder) 4 fr. 25
478. Sokolsky. — Sur l'histoire du conseil des boyards (Russische
Revue, XII, fasc. 7).
479. Tagg. — Sur l'ancienne coutume juridique qui consistait à
plier l'index en forme de crochet comme symbole dans les opéra-
tions de vente (Zeitschrift der Gesellschaft fur Schleswig-Holstein
Lauenburgischen Geschichte, XII, 4882).
480. Wendrinsky. — Situation de la propriété foncière dans la
Basse-Autriche à l'époque des Babenberg (Blœtter d. Vereins f.
LandeshundevonNiedercesterreich, XVI, 4882).
484. Wiese (E. V.). — Die englische parlamentarische Opposition
u. ihre Stellung zur ausw&rtigen Politik d. brittischen Cabinets
wàhrend d. ôsterreichrschen Erbfolgekrieges [bezw. der J. 4740-
4744]. Ein Beitrag zur Geschichte jener Zeit. Inaugural- Disserta-
tion, gr. 86 p. [Woldenbwg i. ScW. Gtittingen, Vandenhoech et
Ruprecht) 3 f r .
482. Winter. — Sur l'histoire juridique et administrative de la
Basse-Autriche (Blœtter d. Vereins f. Landeskunde von Niedeïœs-
terreich,XVl, 4882).
483. Yriarte (G.). — La vie d'un praticien de Venise au xvie siècle,
d'après les papiers d'état des Frari, in-8° (Parts , Rothschild),
14 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
11° Droit civil français et étranger.
484. Butenval (de). — - Les lois de succession appréciées dans leurs
effets économiques par les Chambres de commerce de France, in-8*
{Paris , Larcher).
485. Godigo civil de la Republica argentina sancionado por el ho-
norable congreso el 29 de setiembre de 4869 y corregido por ley
de 9 de setiembre de 4882. Nueva edicion , conforme al testo ofi-
cial , aumentada con las correlaciones entre si de las principales
disposiciones del codigo civil y codigo de comercio. In-8°, 459 p.
(Paris, imp. P. Dupont).
486. Freudenstein (G.). — Der pecuniâre Contract in der Ebeu.
andere Bestimmungen d. deutschen Rechtsiib. Mitgift, Eherecht,
Ehescbeidung, etc. Gemeinverstandlich bearb. gr. 8. IV, 443 p.
[Leipzig, Urban) 1 fr. 50
487. Gœppert (H.). — Das princip : « Gesetze haben Keine rûck-
wirkende Kraft. » Geschicbtlich und Oogmatisch entwickelt (JaAr-
bûcher f. die Dogmatik des heut. ramisch. u. deut* privatrechts,
t. XXII, fasc. 4 et 2).
488. Hellwig (K.). — Die Verpfândung u. Pfandung v. Forderungen
nach gemeinem Recht u. d. Reichs-Civilprozess-Ordnung , unter
BerUcksicht. d. preuss. Allgemeinen Landrechts u. d. sachs. bûr-
gerl. Gesetzbuchs. gr. 8. xiv-249 p. (Leipzig, Duncker et Humblot).
Prix 6 fr.
489. Linstant-Pradine. — Les Godes haïtiens annotés, conte-
nant : 4° la conférence des articles entre eux; 2<> sous chaque ar-
ticle les titres des lois et actes tant anciens que nouveaux qui les
expliquent, etc.; 3° une table générale des matières; 4° une table
chronologique des arrêts. Code d'instruction criminelle et code
pénal. In-8o, xxxvm-608 p. (Paris, Pedone-Lauriel).
490. Losana (G.). — Le successioni tes tamen tarie secondo il Godice
Givile italiano : commento pratico (Torino , frat. Bocca , in-8<\ pa-
gine iv-532) 40 fr.
494. Oesterlen (R.). — Der m eh r fâche Verkauf derselben Sache.
Inaugural-Dissertation, gr. 8. (Stuttgart, Kohlhammer). 4 fr. 50
492. Parsons (T.). — The law of contracta. 7th éd., wilh additions
by W. V. Kellen. (Boston, Littlé, Brown et Co., 4883, 3 v.). 22 fr.
493. Sohlerusner. — Le mariage protestant; origines de sa condi-
tion juridique au xvi« siècle (Zeitschrift f. Kirchengeschiehte , VI.
3).
494. Stewart (D.). — The law of marriage and divorce, as esta-
blîshed in England and the United States (San Francisco, Whitney
et C, 4884. xxiv-546 p.) 4 fr.
ET CRITIQUE. 15
495. Sulzer (A.). — Der Eigenthumserwerb durch Spécification.
Eine civilist. Abhandlg. gr. 8. (Zurich, Orell, Fùssli et Ce). 3 fr. 75
496. Trigo de Loureiro. — Instituiçoes de direito civil brasileiro,
t. I, in-8° (Paris, Mellier).
12° Procédure civile et organisation judiciaire.
497. Gode de procédure civile révisé du canton de Berne, 4883.
Avec une table analytique des matières. In- 8°, 430 p. (Berne, A.
Jenni).
198. Demurtas-Zichina (P.). — La giustizia aniministativa in
Italia. (Torino, Unione tipogr.-éditr. , in-8°, 379 pag.) 5 f r.
499. Gallinger(E.). — Der Offenbarungseid d. Schuldners im Exe-
cutions u. Konkursverfabren nach seiner geschichtlichen Entwicke-
lung im rômischen u. deutseben Recbte. gr. 8, 222 p. (Mùn-
chen, Th. Ackerrnann) 5 fr .
200. Jeanvrot. — Les juges de paix élus sous la Révolution (La
Révolution française, 44 décembre 4883).
201. Kaserer(J.). — Handbucb der ôsterreiebiseben Justizverwal-
tung. Mit Benûtzg. amtl. Quellen. 3. Bd. gr. 8, 494 p. (Wien,
Hôlder) 44 fr.
202. Levi (M. V.). — Il giuramento litis decisorio. Milano,tip.
Bortolotti di Dal Bono et C, in-8°, gr. pag. 85).
203. Mambelli (A.). — Il governo del Brasile e la giustizia (Piazza
Armerina, tip. Pansini. in-46, 26 p.).
204. Schimdt (J.), — Lebrbuch d. preussischen Rechts u. Pro-
zesses m. Riichksicht auf die Reicbsgesetzgebung , das gemeine
Recht u. den gemeinrechtlichen Prozess. 7. v. e. hôheren Justiz-
beamtem bis auf die Neuzeit erganzte Aufl. 4. Bd. Landrecht
(Breslau, Maruschke et Berendt) 4 fr. 50
13° Droit public et administratif.
205. Bazan (J.). — Las instituciones fédérales en los Estados-Uni-
dos (Madrid. Estab. tip. de Ricardo Fe. 4883. En 4<>, xl-459 pag.)
Prix 40 fr.
206. Brachelli (H. -F.). — Die Staaten Europa's. Vergleicbende
Statistik. 4. neu bearb. bis auf die jiingste Zeit durchgefuhrte Aufl.
2-4. Lfg. gr. 8. 97-336 p. (Brùnn, Buschak et lrrgang.) . 2 fr. 50
207. Coliavru. — De l'exercice de la souveraineté nationale sous
la Constitution de 4794 (La Révolution française , décembre 4883).
18 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
230. Hostilities without Déclaration of War. An Historical
tract of the Cases in wbich Hostilities hâve occurred between Ci-
vilised Powers prior to Déclaration or Warning. From 4700 ta
4870. Compilée in the Intelligence Branch of the Quatermaster-
General's Département, by Brevet-Lieutenant, Colonel J. F. Mau-
rice. 8vo. (London, Government publication) 2 fr. 50
234. Leech (B.). — Des lois internationales dans l'antiquité (The
contemporary Rinew, décembre 1883).
17° Économie politique. Sciences financières et sciences
sociales.
232. Barthélémy (L.). — La prostitution à Marseille pendant le
Moyen-âge [Marseille, Cayer, in-8<>).
233. Bonito (A. M.). — Il récente programma per la riforma sociale
in Franc ia : brevi osservazioni. Milano, tip. S. Gkezzi, in-8°, 47 p.
(Dal periodico La scuola cattolica, annoXl, vol. XXI, quad. 4%5).
234. Brentano (L.). — Die christlich-soziale Bewegung in England.
2., verb., durch e, Anh. verm. Ausg. gr. 8, vrn-424 [Leipzig,
Duncher et Humblot) 3 fr.
235. Chabot (Ch.). — La Révolution française et la question ou-
vrière (La Révolution française, 44 déc. 4883).
236. Fabri (T.). — Kolonieen als Bedùrfniss unserer natioaalem
Entwickelung (26 p. in -8°, Heidelberg, C. Winter) 0 fr. 50
237. Ferraris (C.-F.). — Les projets de législation sociale en Italie
rapport spécialement à la prévoyance , mémoire adressé au Con-
grès scientifique international des institutions de prévoyance (Rome,
imp. héritiers Botta, in- 4°, 29 p.).
238. Fournier de Flaix (E.). — Études économiques et finan-
cières. 4" série, 2 vol. in-48 Jésus. T. I, XL p. et p. 4 à 456;
t. II, p. 456 à 4039 (Paris, Guillaumin et C ; Ghio) 40 fr.
239. Hyndman (H. -M.). — The Historical Basis of Socialisai in
England. Post 8vo, 490 pp. (London, Paul, Trench andCo).
240. Locher(F.). — Wetterleuchten. Der Staatssozialismus u. seine
Consequenzen. 3. Thl. 2. Lfg. u. 4 (Schluss-)Thl. gr. 8 [Zurich,
Schrôter).
Inhalt : III , 2. Die Brodfrage. II. Prolifération. III. Jnnungen u. In-
nangflkasBen. IV. Réorganisation d. RechUgangs.
244. Loua (T.). — Les Grands faits économiques et sociaux : le
Mouvement de la population en Europe; la Consommation du
tabac en France; le Cabotage en France; les Décès du premier
âge, etc.; 4« série d'études publiées dans V Économiste français et le
Journal de la Société statistique de Paris. In-8<>, 432 p. (Nancy, Ber-
ger-Levraut et Cie) .
ET CRITIQUE. 19
242. Ronsset (A.» et Lomche-Desfontaines VHJ, — Histoire
des impôts indirects depuis leur établissement aux premiers temps
de la monarchie jusqu'à leur reconstitution à l'époque impériale :
complétée* annotée et publiée par H. Louiche-Desfbntaines (in-8\
ix- 394 p. Paru, Rousseau).
243. Rnhland (G.). — Agrarpolitische Versuche vom Standpunkt
der Sociaipolitik, gr. 8 [Tùbingen, Laupp.)
244. Seidensticker (0.). — Die erste deutscbe Einwanderung in
Amerika u. die Grundung v. Germantown, im J. 4683. Festschrifl
zum deulsch-amerikan. Pionier-Jubilàum am 6. Octbr. 4883, gr. 8
[Philadelphia, Pa. Gôttingen, Deuerlich. gebS 2 fr. 50
245. Stolp(H.). — DieReform d. Eigenthumsrechts als Grundlage
der Social-Reform u. die neue privai- und wirthschaflsrecht-
liche Regelungd. gesammten Handwerks- [u. Gewerbebetriebos ,
gr. 8 {Berlin, Issleib) 4 fr. 25
246. Stopel (F.). — Soziale Reform. Beitr&ge zur friedi. Umges-
taltg. der Gesellschaft. I. Das Kapîtal. Enthullung der Mittel zur
Beseitigg. der Geldherrschaft u. Befroig der Arbeit. gr. 8. (Lrip-
zig, 0. Wigand) 4 fr. 25
247. Wuch (Von). — Sur l'histoire de l'économie politique et sur
celle des mœurs (Zeitschrift f. die Geschichte des Oberrheim,
XXVI, 4.4883).
Marcel FOURNIER.
BAR-LE- DUC, IMPRIMERIE COMTANT-LAOUBMHK.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
ET CRITIQUE
PUBLICATIONS NOUVELLES
(livres et articles de revue)
1° Instruction publique et enseignement.
248. Beaussire (E.). — La liberté d'enseignement et l'Université
sous la troisième République (In-8°, 364 p. Paris, Hachette et €*).
Prix 6fr.
249. Bittard des Portos (R.). — L'eut actuel de l'enseignement
en Suède (Paru, Tolmer) 3 fr.
250. Enseignement supérieur à la faculté de droit de Grenoble.
Année scolaire 4883-4884 (In-8°, 83 p. Grenoble, Drevst).
254. Desplagnes (A.). — Etude sur la réforme sociale et politi-
que. La question de renseignement public en France. Histoire et
état actuel (Paris , Oudin frères, in-8°) 5 fr.
252. Hippeau (G.). — L'Instruction publique en France pendant la
Révolution; Débats législatifs, publiés et précédés d'une introduc-
tion. In-48 jésus, xxxii-379 p. (Paris, 4883, Didier et Ce). . 6 fr.
253. Lavisse. — Les universités allemandes et françaises (Revue des
Deux-Mondes, 4er juin 4884) 7 fr.
254. Mayanx (Y.). — Die Universitat d. Volkes. Die Fortbil-
dungsscbulen od. Kurse f. Erwachsene [cours d'adultes], vom
geist., sittl., wirtbschaftl. u. socialen Gesichtspunkte betchratet.
Ausdem Franz, libers, gr. 8 (p. 42 Strassburg, Schmidt). . 4 fr.
Revue hist. — Tome VIII. 2*
22 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
255. Ueberfullung, die des Juristenstandes. Von e. jungen Joris-
ten der Reichs lande, gr. 8 (24 p. Leipzig, 0. Wolf).. . 0 fir. 75
2b Philosophie du droit et des sciences sociales.
256. Gavagnarl (A). — La filosofia del Diritto e la propriété letle-
raria (Padova, tip. Prosperini, 4883, in-8°, pag. 58) 3 fr.
257. Colins, Science sociale. T. fer à 42. In-8<> [Bruxelles, La-
mertin) 66 fr.
258. Gaudenzi (À.). — Lingua e diritto nel loro sviluppo parai le41o
(Bologna,\n-%0, pag. 36).
259. Menger (C). — Die Irrthiimer d. Historismus in der deuts-
chen National ôkonomie. gr. 8 (x-87, Vien. Hôlder) 3 fr.
260. Vannois (À.). — De la notion du droit naturel chez les Ro-
mains. De la propriété artistique en droit français (Paris , Hoquet ,
372 p.).
3° Droit oriental.
264. Blumenstein (J.), die verschiedenen Eidesarten nach roo-
saisch-talmudischem Rechte u. die Fâlle ihrer Anwendung. Ein
Beitrag zur àltern Rechtsgeschicbte, nach den Orig.-Quellen bearb.
gr. 8 (34 p. Franhfurt a/M. 4 883 , Kauffmann) 4 fr. 50
262. Eherecht, Familienrecht u. Erbrecht der Mohameda-
ner nach d. haneûtiscben Ritus. gr. 8 (494 p. Wien, 4883, Hof-u.
. Staatsdruckerei) 4 fr.
263. Talmud (der), od. die Sittenlehre d. Judenthums , nebsi Kul-
turgescbichte d. Judenthums, Ausspriichen hervorrag. M&oner
aller Zeiten , judisch deutschem Wôrterbuch , etc., 5. Aufl. Wohlf.
. Volksausg. gr. 8. (45 p. Berlin, M. Schulze) 4 fr.
264. Tornauw (von). — Le droit successoral dans l'islamisme
{ZeitschriftfûrvergleichendeRecht$wissenschaft,V, 2. 4883).
4° Droit grec.
265. Beloch. — Sur l'histoire financière d'Athènes (Bheinisches
Muséum fur Philologie , xxxix) 2 fr.
266. Schœffer. — La royauté macédonienne (Gcerres-Gesellschaft,
4884, 4).
ET CRITIQUE. 23
267. Talano. — L'esclavage selon Aristote et les docteurs scolasti-
ques (Studi e documenti di Storia e diritto, V, fasc. 4-2).
5° Droit romain.
268. Bouqttié (J.). — De la justice et de la discipline dans les ar-
mées, à Rome et au moyen-âge. In-8°, 596 p. (Bruxelles, Galle-
waert) 4 0 fr.
269. Carnazza-Rametta (G.). — Studii sut Diritto pénale dei
Romani [Messina, G. Copra eC.).
270. Déglin (H.-E.). — Droit romain : Développement historique
de la succession ab intestat; — Droit français : le Contrat de mariage
en droit comparé et en droit international (In-8°, 260 p. Nancy,
imp. Crépin-Leblond).
274. Hild. — Les Juifs à Rome devant l'opinion [Revue des études
juives, 4884, n° 45).
272. Herzog (E.). — Geschichte u. System der rômischen Staats-
verfassung. 4. Bd. Kônigszeit u. Republik. gr. 8 (lxiii-4488 p.
Leipzig, Teubner) 20 fr.
273. Madvig (J.-N.). — L'Etat romain, sa constitution et son ad-
ministration. Traduit par Ch. Morel , t. III (In-8°, x-373 p. Paris,
Vieweg).
274. Montagnon (E.). — Droit romain : De la nature des condam-
nations civiles; Droit français : Des droits d'auteur (In- 8°, 428 p.
Lyon, imp. Schneider, frères).
275. Seuifert. — La législation de Justinien (Deutsche Rundschau,
4884).
276. Voigt (M.), die XII Tafeln. Geschichte u. System d. Civil- u.
Criminal-Rechtes, wie Processes der XII Tafeln, nebst deren Frag-
menter 4. Bd. A. u. d. T.: Geschichte u. allgemeine jurist.
Lehrbegriffe der XII Tafeln, nebst deren Fragmenten. gr. 8 (xii-
859 p. Leipzig , Liebeskind.) 40 fr.
6° Droit ecclésiastique.
277. Aichner (S.). — Compendium juris ecclasiastici ad usum
cleri , ac praesertim per imperium austriacum in cura animarum
laborantis. Ed. V. novis curis recognita et emendata Gr. in-8°
(IV, 840 u. Beilagen, lxix p. Brixen, Weger) 12 fr.
24 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
278. Cavagnis (F.). — Institutiones Juris jmblici ecctoeiaslici (Bo-
rnas, 4883, 3 voi in-.8«, pag. 483, 279, S**}.
279. Haureau. — Quels sont les auteurs do VI» livre des Décré-
tâtes (Journal des Savants, 48&4, avril).
7° ÀNCffiN DROIT FRANÇAIS.
280. Bisson de Sainte-Maise. — Testament de Jacques de Ta-
rente, dernier empereur de Gonstantinople , en faveur de Louis
d'Anjou (45 juillet 4385) [BibHoth. de FÉcole des charter, f*8i,
fase. 4).
284. Brandstetter. — Rôles financiers de la prévôté et de L'au-
mônerie du couvent de Lucerne (Der Geschichtsfreund, XXXVIII,
4*83).
282. Buchwald. — Sur la procédure dans les jugements de Dieu
(Kttheilungend. Instituts f. œsterreischische Qeschichtsfbrsehung.,
V,2).
283. Dom Piolin. — Testament du cardinal d'Angennes de Ram-
bouillet, évoque du Mans, 4556-87 (Revue hist. et archéol. du
Maine, t. XV, 4" Iiv., 4884).
284. Guérin. — Recueil des documents concernant le Poitou, con-
tenus dans les registres de la chancellerie de France (Archives
historiques du Poitou, t. XIII).
285* Guillouard. — Les médecins et la coutume au Moyen-âge
(Société des antiq. de Normandie. Bulletin, t. XI).
28$. Guyot (Gh.). — Les villes-neuves en Lorraine (Société d'archéo.
logie lorraine. Mémoires, 3* série, t. XI).
287. Huyaz (M.). — Histoire des institutions municipales de Lyon
avant 4789 (In-48 jésus, xvn-349 p. Paris, Dentu).
288. Luxer. — L'organisation judiciaire en Lorraine sous Léopold
et les réformes de ce prince (4697-4729), discours prononcé à l'au-
dience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Nancy, le 3 no-
vembre 4883 (In 8o, 29 p. Nancy, trop. Vagner).
289. Moulin (H.). — Portraits judiciaires : Claude Gaultier, avocat
au Parlement (4590-4666); In-8°, 45 p. Paris, Chmravay frères. —
Portraits judiciaires : Jacques et Raoul Spifame (4495-4566) (In-
8*>, 46 p. Paris, Charavay frères).
8T CRITIQUE. 28
290. Sohefier-Boiohorst. — Les donations de Pépin et de Char-
kmagoe. Contribution à la critique de la vita Hadriani (Mitthei-
lungen d. Instituts f. œsterreichische Geschicktsforsohung., V,
fasc. 2).
294 . Stœbar. — Recherches sur le droit d'asile dais l'aneiftiitte
république de Mulhouse (Jkvtu d'Alsace, mars 4884).
292. Tholin. — Les cahiers du pays d'Agenals aux États généraux
(Revue de VA g mais, 4884).
293. Wirthschafts-u. Verwaltungsstuden, bayerische, 1.
Or. in-8<>. Erlangen, Deichert. Inhalt : Zur Geschichte der Colo-
nisation u. Industrie in Franken. Von Prof. G. Schanz (XVtïi, 428
u. Urkunden, x-356 p.).
8° Histoire des législations étrangères.
294. Blasiis (De). — Des supplices ordonnés à Naples au temps des
tumultes de Masaniello {Archivio Storico per le provincie Napole-
tane, IX, fasc. 4).
295. Borch (L. v.). — Die gesetzlichen Eigenschaften e. deutsch-
rômischen Kônigs u. einer Wâhler bis zur goldenen Bulle, gr. 8. (52
p. Innsbruck, F. Rauch) 4 fr. 25
296. Codex Theresianus (Der). — U. seine Umabeitungen Hrsg .
u. m. Aomerkg veraehen von P. Harras Ritter v. Harrasowsky .
(Wien. Gerold's Sokn) 2 v 2* fr.
297. Gonrat (Cohn). — Die epitome exactis regibus studien zur
Geschichte d. rœm. Rechts im miltelalter [Berlin , Weidmanh 4°),
prix 20 fr.
298. Ermisch. — Sur le plus ancien coutumier municipal de Stad-
thagen, 4344 [Archivalische Zeitschrift , Munich, 4883).
299. Holtze (F.). D. Strafverfahren gegen d. m&rkischen Juden im .
J. 4540. gr. 8. (V, 79 p. Berlin , Mittler et Sohn) 4 fr. 50
300. Jecklln (C). — Urkunden zur Verfassungsgeschichte Graubùn-
dens. 2. Heft : Die Reformation (bis zum Ende des Jahrh.). Als
Fortsetzung von Mohr's Codex diplomaticus, V. Bd. gr. ia-8û, 44 7
p. {Chur, HUïsche Buchh.) 4 fr. 50
26 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
304. La Colla. — L'histoire des municipalités italiennes et le libre
rosso de la sicle de Salemi (Arckivio storico Siciliano, VIII, fasc. 3-4).
302. Maasburg (M. F. v.). — Die Organisirung der bohmischea I
Halsgerichte im J. 4765. gr. 8. (IV, 424 p. Prag , Bellmann 4 fr.
303. Salvioli (G.). — L'assicurazione e il cambio marittimo nella
storia del Diretto italiaoo : studii. [Bologna, Zanichelli, in-80,
vi-890 p.) 4 fr.
304. Schmitz. — Les pénitentiaux conservés dans les bibliothèques
de Danemark et de Suède {Archiv. fur Katolisches Kirchenrecht ,
4884, fasc. 3).
305. Thaïe. — Une ordonnance sur les droits seigneuriaux et réga-
liens du comté de Hohenzollorn (Mittheilungen des Vereins fur
Geschichtein Hohenzollern , XV, fasc. 2).
9° Droit civil français et étranger.
306. Benêt (L.). — Droit romain : A quels actes s'appliquent les rè-
gles des donations? — Droit français : Dans quelle mesure les dona-
tions ou avantages faits aux futurs époux par le contrat de mariage
participent-ils du caractère et des contrats à titre onéreux? (In-8°,
245 p. Paris, Pichon).
307. Butenval (de). — Les lois de succession appréciées dans leurs
effets économiques par les chambres de commerce de France. 3*
édition, revue et complétée (In-48 jésus, vm-400 p. Paris, bar-
cher).
308. Dargun. — La propriété. Son origine et son développement
historique (Zeitschrift fur vergleichende Rechtswissenchaft. V, 2).
309. Disleau (G.). Droit romain : De l'action familiffî erciscunda. —
Droit français : Théorie du partage déclaratif, origines cou lumières
applications pratiques dans notre droit. In-8°, 265 p. (Paris, Larose
et Forcel).
340. Fialchella (F.). — Sul fondamento del diritto di propriété
[Catania, tip. Borna, 4883, pag. 200).
344. Garbasso (G. L.). — Il diritto di ritenzione ed il precario
nella legislazione ital. (Torino, tip. San Giuseppe, Coll. degli Arti-
gianelli, 4883, in-8<>, pag. 520) 5 fr.
342. Jaoottet (P.). — Manuel du droit fédéral des obligations. In-
8o, v et 523 p. (Neufchdtel, J. Attinger) 8 fr.
ET CRITIQUE. 27
343. Maigne (M.). — Des donations entre mari et femme, en droit
romain et en droit français. (In -8°, 360 p. Nantes, Plédran).
344. Ptaff (L.). et Hofmann (F.). — Zur Geschichte der Fidei-
commisse. (Aus : a Escarse iib. ôsterrallgemeines biirgerl. Recht »).
(gr. 8. 42 p. Wien Manz) 4 fr. 50
345. Seaborne (H. A.). — Concise Manual of the Law of Vendors
and Purchasers of Real Property. (Gr. 8vo. London, BuUerwortks ,
prix 45 fr.
346. Sloane (G. W.). — Treatise on the law of landlord and te-
nant, with spécial référence to the law to the State of New York;
to which are added statutes and forms (New York, S. S. Peloubet et
Ce 87 + 264 p. 0.) 5 fr.
10° Procédure civile et organisation judiciaire.
347. Garsonnet (E.). — Cours de procédure; Organisation judi-
ciaire, compétence et procédure en matière civile et commerciale
à la Faculté de droit de Paris. T. II (4er et 2° fascicules) (In-8<>,
262 p. Paris, Larose et Forcel). : 20 fr.
348. Loyer (E.). — La Police judiciaire militaire en temps de paix
et en temps de guerre (In-32, 224 p. Limoges, Charles-Lavauzelle.
Paris, même maison) 4 fr. 50
349. MaurinfA.). — Les Pirateries de la justice sous la république
des advocats depuis deux siècles , ou la Justice , société secrète ,
affiliée aux autres sociétés secrètes ; le Mal et le Remède (In-8°,
96 p. Nantes, imp. Bourgeois, l'auteur, 4, rue des Arts).
320. Wirth (M.). — Das Geld. Geschichte d. Umlaufsmittel v. d.
àltesten Zeit bis in d. Gegenwart. Mit. 52 in d. Text gedr. Ab-
bildgn. 8 (243 p. Prag, Tempshy. —Leipzig, Freytag).
11° Droit public et administratif.
324. Bornhak (G.). — Geschichte d. preussischen Verwaltungs-
rechts [In 3 Bdnj. 4. Bd. Bis zum Regierungsantritt Friedrich
Wilhelms I., gr. 8 (t. XIV, 434 p. Berlin , Springer) 40 fr.
322. Gossé (E.). — Études constitutionnelles. III. La Dette publi-
que et les Dettes de l'État (In-t8 jésus, 466 p. Paris, Bousseau).
28 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
323. Crétin (D.). — Du contentieux administratif et de la jurispru-
dence du Conseil d'État en matières militaires (In-8°, 248 p. Paris,
Baudoin et C<).
324b Ferron (H. de). — Institutions municipales et provinciales
comparées ; Organisation locale en France et daoe les autres pays
de l'Europe; Comparaison, influence des institutions locales sur
les qualités politiques d'un peuple et sur le gouvernement parle-
mentaire . Réformes (In-8°, xxi-576 p. Paris, F. Alcan ; Larose et
Forcel).
325» Jacquey (J.). — Des droits d'usage des indigènes dans les
forêts de l'État en Algérie (In-8°, 48 p. Nancy, Berger-LevrauU et
0e, Paris, même maison).
(Extrait de la Revue générale d'administration.)
326. Morlot (E.). — Droit romain : Les Comices électoraux sons la
république romaine. — Droit franc : De la capacité électorale (In-
8°, 208 p. Paris, imp. Capiomont et Renault).
327. Mosca (G.). — Sulla teorica dei governi e sul governo parla-
mentare: studii storici e sociali (Roma-Torino-Firenze , Loescher.
In-8«, pag. 356) 5 fr.
328. Perier (A.).— Traité de l'organisation et de la compétence des
conseils de préfecture et des règles de la procédure à suivre devant
eux. Ouvrage contenant la loi du 5 avril 4884 sur l'organisation
municipale. 2 vol. in-8°, 1. 1, iv-473 p.; t. II, 548 p. [Paris, Pion,
Nourrit et &').
329. Pontich (H. de). — Administration de la ville de Paris et du
département de la Seine. Ouvrage publié sous la direction de M.
Maurice Block. In-8<>, xxxu-4032 p. {Paris, Guillaumin H &•).
Prix 45 fr.
330. Prat (J.-G.). — La Constitution de 4793, précédée de la Décla-
ration des droits de l'homme présentée au peuple français le 24 juin
4793, publiée, annotée, comparée avec la Constitution de 4848 et
la Constitution des États-Unis d'Amérique (In-32, xiv-66 p. Paris,
Bailliére).
334. Saint-Girons (A.). — Manuel de droit constitutionnel. In-8°,
vw-609 p. (Paris, Larose et Forcel) 8 fr.
332. Scott (6.). — The Chamberlain of London on the Municipal
Government of London. 8vo [London, E. Wilson) 6 fr.
ET CRITIQUE. 29
12° Droit commercial.
333. Budde (J.). — Die rechtliche Natur d. Wechsel-Indossaments,
e. Beitrag z. Lehre vom Indossamente. gr. 8. (V, 98 p. Giessen.
Rieker 2 fr.
334.Thomasset(P.). — Droit romain : Des argenUFH.—Dr<y?t fran-
çais : 0e la transmissfoft à titre de propriété des valeurs de bourse
nominatives et au porteur. Ib-8», 278 p. (Lyon, imp. WfUtener
13° Droit criminel.
335. Alcindor (L.). — Droit romain : De la maxima et de la média
capitis demi nu tio.— Droit français : De la condition juridique des
condamnés par contumace à une peine perpétuelle (In-8°, 283 p.
Parié, W>. Lwrose et Forotl).
336. Andrien (J.). — La censure et la police des livres en France
sous l'ancien régime. Une saisie de livres à Agen en 1775 (Revue
de V Agenças, 4884, 3* livre).
337. Ghanvin. — De la réforme de la procédure criminelle dans
les cahiers de 89 (sénéchaussées et bailliages compris dans le res-
sort de la cour de Poitiers). Discours. In-8°, 39 pages (Poitiers,
imprimerie Tolmer et C**).
333. Bourrier (F. J.). — De l'interdiction de l'eau et du feu et de
la relégation, en droit romain. — De la surveillance do la haute po-
lice, en droit français. In-8<>, 206 p. (Parts, Rousseau).
339. Foville (A.). — Etude comparative sur les législations étran-
gères en ce qui concerne les aliénés traités à domicile. Ie-80, 45 p.
Parts, imp. Boudet.
(Extrait des Annules médico -psychologiques, t. il, janvier 1884).
340. Lombroso (G.). — L'uomo delinquente in rapporlo att'antro-
pologia, giurisprudenza aile discipline carcerarie; terza edizione,
completamente rifatta (Torino , frat. Bocca. in-8<>, pagine xxxvi-
610, con. 17 Uv. e 8 fig. net testo) 45 fr.
14° Droit international public bt privé.
344. Bergbohm (G.). Die bewaffnete Neutralitât 1780-4783. Eine
Entwickelungsphase d. Vôlkerrechts im Seekriege, gr. 8 (VIII,
290 p. Berlin, Puttkammer et Mùhlbrecht) 7 fr.
30 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
342. Godigo de comercio de la Republica Argentina , seguido de
un a pend i ce que contiene : las ordenanzas de aduana de la Repu-
blica, la ley sobre cerlificados de deposito y warranta, la ley de
patentes de invencion y la ley sobre marcas de fabrica y de co-
mercio. Nueva edicion , conforme al testo oficial , aumentada (In-
8°, 464 p. Paris, imp. P. Dupont).
342 bis. Godigo de procedimientos en mateira civil , y comercial de
la capital de la nacion argentina , seguido de un apendice. Nueva
edicion , conforme al testo oficial (Iq-8<>, 223 p. Ports, imp. P. Du-
pont).
342 ter. Godigo rural de la provincia de Buenos Aires , seguido de
un apendice. Nueva edicion, conforme al testo oficial (In-8°, 68 p.
Paris, imp. P. Dupont).
(Coleccion de codigos y leyes usuales.)
343. Desjardins (A.). — Le Congrès de Paris (4856) et la Juris-
prudence internationale (In-8°, 67 p. Ports , Pedone-Lauriel).
(Extrait du Compte rendu de V Académie det science* morale* et poli-
tiques.)
344. Durand (E.). — Sur la législation minière aux États-Unis (In-
4°, 6 p. Paris, imp. Tremblay).
344 bis. Durand (L.). — Essai de droit international privé, précédé
d'une étude historique sur la condition des étrangers en France, et
suivi du Texte de tous les traités intéressant les étrangers (In-8°,
824 p. Larose et Forcel) 40 fr.
345. Juifs (les) en Russie. — Etude historique, législative et sociale ;
par M. G y. In-8<>, vui-492 p. (Parts, imp. Warmont). 2 fr. 50
346. Lorimer (J.). — The Insti tûtes of the Law of Nations : A
Treatise of the Jurai Relations of Separate Political Gommunities.
2 vols. Vol. 2. 8vo, pp. 630 (London, Blachwoods) 25 fr.
347. Nachbaur (P.). — Droit romain : Etude sur la procédure in
jure dans les legis actiones. — Droit français : De la faillite en droit
international privé ou des effets du jugement déclaratif rendu à l'é-
tranger. In-8°, 247 p. (Nanqj, imp. Crépin-Leblond).
348. Nys (E.). — Les origines de la diplomatie et le droit d'ambas-
sade jusqu'à Grotius. In-8o, 55 p. (Bruxelles, C. Muquardt). 2 fr.
(Extrait de la Bévue de droit international.)
ET CRITIQUÉ. 31
15° Économie politique et sciences sociales.
349. Gbailley (J.). — L'impôt sur le revenu , législation comparée
et économie politique. In-8°, 654 p. (Paris, Guillaume et C").
350. John (V.). — Geschichte der Statistik. Ein quellenmâss. Hand-
buch f. den akadera. Gebrauch wie f. den Selbstunterricbt. 4 . Thl.
Von dem Ursprung der Statistik bis auf Quetelet [4835]. Gr. in-8°
(xv-376 p. Stuttgart, Enke) 42 fr.
354. Kerr (À. W.}. — History of Banking in Scotland. 8vo, pp.
240 [Edinburh, Bryce) 8 fr.
352. Ijemire (G.). — La Colonisation française en Nouvelle-Calédo-
nie et dépendances. In-4°, lxxiii-376 p. avec tableaux, cartes,
plans et gravures, et vue photographique du chef-lieu {Paris, Chai-
lameî aine) 20 fr.
353. Meyer (M.). — Geschichte der preussischen Handwerkerpo-
litik. Nach amtl. Quellen. 4. Bd. A. u. d. T. : Die Handwerkerpo-
litikd. Grossen Kurfiirsten u. Kônig Friedrich 's I [4640-4743]. Gr.
in-8°, xu-526 p. (Minden, Bruns) 45 fr.
354. Plener (E. Y.). — Ferdinand Lasalle. [Aus : Allg. deutsche
Biographie] . Gr. in-8°, V, 86 p. [Leipzig, Duncker et Humblot). 2 fr.
355. Reverdy (H.) et Bardeau (A.). — Le droit usuel et l'écono-
mie politique à l'école: naissance, mariage, décès; l'homme, la
société; matières premières; le capital, le travail, etc.; leçon, ré-
cits, scènes de la vie active, exercices oraux et écrits, devoirs de
rédaction (nouveaux programmes officiels à l'usage des écoles pri-
maires, cours supérieur et des écoles normales). 3e édition. In-48
jésus, 246 p. avec vignettes (Paris, Picard-Bernheim et C#).
Marcel FOURNIER.
BAR-LE- DOC, IMPRIMERIE COKTAHT-LAGUKRRE.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
ET CRITIQUE
PUBLICATIONS NOUVELLES
(LIVRES ET ARTICLES DE revue)1
1° Biographie et Bibliographie.
356. Amiand (Albert). — Aperçu de l'état actuel des législations
civiles de l'Europe et de l'Amérique avec indication des sources
bibliographiques (Paris, in-8°, 4884).
357. Bluntschli (J.-C). — Denkvlirdiges aus meinem Leben. Auf
Veranlassung der Familie durchgesehen u. verôffentlicbt v. R.
Seyerlen. 3 vol. gr. 8 viii-454 ; 349. 524 u. (Nordlingen Beck).
Prix 30 fr.
358. Gommunay. — Pierre de Lostac, vice-chancelier de Navarre
(Revue de Gascogne, juin 4884).
2° Philosophie du droit et des sciences sociales.
359. Abate Longo. — Schizzi di Filosofia dello stato (Catania,
4884).
360; Freund (L.). — Forschungen ùb. Staat u. Gesellschaft. I. Stu-
dien u. Streifziige auf social wissenschaftl., jurist. u. culturhistor.
Gebieten. I. Hft. gr. 8. vn-99 p. (Leipzig, Foch) % fr. 50
364. Hanriou (M.). — L'Histoire externe du droit. In-8°, 45 p.
(Paris, Pichûn).
(Extrait de la Revue critique de législation et de jurisprudence.)
362. Post (A. -H.). — Die Qrundlagen d. Rechts u. die Grundziige
seiner Entwickelungs-geschicbto. Leitgedanken f. den Aufbau e.
allgemeinen Rechtswissenschaft auf sociolog. Basis. gr. SLxix-
492 p. (Oldenburg, Schulze) 9 fr.
363. Schmidt-Warneck (F.). — Die Sociologie Fichte's. gr. 8.
24 5 p. (Berlin, Puttkammer u. Mùblbrecht) 7 fr.
Rbuvb hist. — Tome VIII. 3*
34 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
364. Stricker (S.). — Physiologie d. Rechts. gr. 8. x-4 44 p. (Wien,
Toeplitz et Beuticke) 5 fr.
365. Sturm (A.). — Gewohnheitsrecht u. Irrthum. Ein Beitrag zar
allgemeinen Rechtsgeschichte nebst e. rechtsphilosoph. Anh. : Die
monist. Grundlage d. Rechts. gr. 8. 48 p. (Kassel, Wigand). t fr.
3° Enseignement du droit et instruction publique.
366. Barack. — Étudiants badois à l'Université de Strasbourg de
4646 à 4794 (Zeitschrift f. die geschichte des Oberrheins, XXXVIII,
fasc. 4-8).
367. Estoublon. — L'enseignement du droit en Algérie (Revue in-
tentât, de l'enseignement , mai 4884).
368. Haynes (J.-F.). — The Student's Statutes. 3rd éd. 8vo (Lon-
dont H. Cox) 20 fr.
369. Parieu (J. de). — De l'enseignement agricole en France. 49 p.
[Paris, Gervais).
(Extrait du Correspondant.)
370. Rondoni. — Les règlements et les vicissitudes de l'Université
de Florence à son époque primitive [Archivio storico Italiano,
XIV, 4).
374. Schrœder (G.). — Das volksschul wesen in Frankreich. Dar-
gestellt nach den jetzt gel t. gesetzl. Bestimmgn. unter Berûcksicht.
der geschichtl. Entwicklg. der Schulgesetzgebg. T. I, gr. 8 (Kôln,
Du MontSchauberg) 4 fr.
4° Droit oriental et grec.
372. Dareste. — Gode rabbinique d'Eben Hœzer (Journal des Sa-
vants, juillet 4884).
373. Neuville (L. de). Les origines de la civilisation chinoise (Bé-
vue des questions histor., 4" juillet 4884).
374. Schvarcz (J.). — Die Staatsformenlehre d. Aristoteles u. d.
moderne Staatswissenschaft. Notizen ûb. die âltesten DenkmSler
d. Ministerverantwortlichkeits-Gedankens in der europ. Verfas-
sungsgeschichte. 62 p. in-8<> (Leipzig, 4884) 2 fr.
375. Wilken (G.-A.). — Das Matriarchat [das Muterrecht] bei den
alten Arabern. Autoris. Uebersetzg. aus dem Holt. gr. 8. 72 p.
(Leipzig, 0. Schulze) 2 fr. 50
ET CRITIQUE. 35
5° Droit romain.
376. Alibrandl. — Ad legem 4 Godicis de solucionibus et libéra-
tionibus debitorum civitatis. L. Xï,,T. 39 (Stndi e documenti di
storia e di diritto, V, fasc. 3).
377. Baron (J.). — Geschichte d. rômi9chen Rechts. I. ThI. : Insti-
tutionen u. Givilprozess. gr. 8. xn-474 p. (Berlin, Simion). 40 fr.
378. Bayet. — La fausse donation de Constantin (Annuaire de la
Faculté des lettres de Lyon, 2« année, 4« fasc).
4
379. Brinz (A. v.) et Holder (E.). — Zwei Abhandlungen aus dem
rômischen Rechte. Herrn Prof. ,Dr. Adf. v. Scheurl zum 50 jahr.
Doctorjubilâum. Im Auftragder Juristen-Fakultât zu Munchen u.
Erlangen iiberreicht gr. 8. 66 p. Inhalt : Die Freigelassenen der
Lez Aelia Sentia u. das Berliner Fragment v. den Dediticiern. Von
A. v. Brinz. — Das Wesen der Correalobligation. Von E. Holder
(Fribourg en Brisgau, 8° Mohr) 3 f r.
380. Brugi.*— Studi sulia dottrina délie servi tu prediali (Archivio
giuridico, XXXIII, f. 3-4).
384 . Durand (L.). — Étude sur le Dies incertus (droit romain). In-8°,
xvi p. (Lyon, imprim. W aliéner et Ce).
382. Espéronnler (G.). — Des obligations solidaires, en droit ro-
main et en droit français. In-8°, 274 p. (Paris, Larose etForcel).
383. Gulli (Fr.). — Del furtum conceptum secondo le XII Tavole e
la legislazione posteriore (Bologne, 8», 4884).
384. Mispoolet (J.-B.). — Des Spurii (Bulletin épigraphique, juil-
let-août 4884).
385. Mommsen. — L'édit sur la conscription à l'époque impériale
(Hermès, XIX, fasc. 2).
386. Niocolosi (Fr.). — Fondamento razionale délia patria potesta
e suo i limiti giuridici (Catania, 4884).
387. Pallu de Lessert (G.). — Études sur le droit public et l'or-
ganisation sociale de l'Afrique romaine. In-8<>, 90 p. (Parts , Pi-
card).
388. Pantalonei Diomede. — Délia auctoritas patrum neel' an-
tica Roma (Lœscher, 4884).
389. Picinelli (G.). — Délia dote in Diritto romano; appunti didat-
tici (Cagliari, tip. del Corriere, 4883, in-8<>, p. 72) 4 fr. 50
390.;Pîsanelli-Codacci. — Le azioni popolari [Archivio giuridico,
XXXIII, fasc. 3-4).
36 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
394. Roby (H. J.). — An Introduction to the Study of Justinian's
Digest, containing an Account of its Composition and of the Juriste
used or referred to tberein , together with a full Gommentary on
one title (De Usufructu). 8vo, pp. 550 (London, Cambridge Ware-
house) 20 fr.
392. Sohrutka-Rechtenstamm (E.). — Ub. den Schlusssalz in
Gap. XXI legis Rubriae de Galiia Cisalpina (Sitzungsber. d. k.
Akad. d. Wiss. Wien, Gerold's Sohn.) 0 fr. 50
393. Wlassak (M.). — Critische Studien zur Théorie der Rechts-
quellen im Zeitalter u. klassischen Jaristen. gr. 8. ix-204 p. (Gra,
Leuschneret Lubensky) 5 fr.
6° Droit ecclésiastique ancien et moderne.
394. Geigel (F.). — Das franzôsische u. reichslândische Staatskir-
chenrecht [christliche Kirchen u. Israeliten], systematisch bearb.
u. verglichen m. den neuesten Gesetzen u. der Rechtsprechg. der
deutschen Staaten. 8. xx-504 p. (Strassburg, JVwfaier). , , 40 fr.
395. Reinardus. — Recueils de formules et manjueif provenant
des bureaux de l'administration pontificale au xv* s. (Neues Ar-
chiv, X, fasc. 4).
396. Schœrs (H.). — Hinkmar Erbischof von Reims sein leben und
seine Schriften (Fribourg, 8o, 4884). ( ,
397. Seidl (J. N.). — Der Diakonat in der katholischen Kirche, des-
sen hierat. Wurde u. geschichtl. Entwicklg. Ejnqjtirchenrechts-
geschichtl. Abhandlg. gr. 8. xi-243 p. (Regensburg, Manz). 4 fr.
7° Droit gaulois et germanique.
398. Bélot, Nantucket. Étude sur les diverses sortes de proprié-
tés primitives (Annuaire de la Faculté des lettres de Lyon , 2° an-
née, fasc. 4).
399. Berger (E.). — La formule Rex Francorum et Dux Aquitano-
rum dans les actes de Louis VII (Biblioth. de r École des chartes,
4884, 3e fasc.).
400. Gaudenzi (A.). — Gli editti di Teodorico e di Atalarico e il
Diritto romano nel regno degli Ostrogoli (Turin, 4884, 8°).
404 . Mommsen. — Les pagi celtes (Hermès , XIX , fasc. 2).
402. Palmer. — L'invasion saxonne et son influence sur notre ca-
ractère national (Transactions of the royal historical Society, II ,
2« partie).
ET CRITIQUE. 37
403. Sickel (W.).— Les ducs nationaux dans l'empire franc (Histo-
rische Zeitschrift, XVI, fasc. 3).
404. Tamassia. — Quelques observations sur le Cornes Gothorum
dans ses rapports avec la constitution romaine et l'établissement
des barbares (Archivio storico lombardo, XII, 2).
8° Histoire de l'ancien droit français.
405. Araskhaniantz. — La législation des céréales en France du
moyen âge à 4789 (Staats und social Wissenschafliche Forschung,
IV, fasc. 3).
406. Gartulaire de l'ancienne abbaye de Sain t-Nicolas-des- Prés
sous Ribemont (diocèse de Laon), publié par Henri Stein (Saint-
Quentin, in-4o, 4884).
407. Gartulaire Senonais de Balthasar Taveau, procureur au bail-
liage et siège présidial de Sens , procureur aux causes et greffier
de la chambre de ville, publié par G. Julliot (Sens, in-4<>, 4884).
408. Demaison. — Document inédit sur une assemblée d'État con-
voquée à Amiens en 4 4SI [Reims, in-8°, 4884).
409. Duhamel. — Un traité de commerce au xrv<> g. entre la prin-
cipauté d'Orange et le comtat Venaissin (Comité des trav. histo-
riques, 4884, no 4).
440. Fonsagrives (J.-B.). — Étude historique sur le droit de
bris {Revue maritime et coloniale, 4884).
444. Franklin (A.). — Les Corporations ouvrières de Paris du xii6
au xvme siècle, histoire, statuts, armoiries, d'après des documents
originaux ou inédits , par Alfred Franklin. 4 3 cahiers in-4o. Tail-
leurs, 42 p. et planche; Barbiers-Chirurgiens, 42 p. et planche;
Tabletiers, 42 p. et planche; Perruquiers-Coiffeurs, 46 p. et plan-
che; Passementiers-Boutonniers, 8 p. et planche; Menuisiers-Ébé-
nistes, 8 p. et planche; Lingères , 42 p. et planche; Gantiers-Par-
fumeurs, 42 p. et planche; Drapiers tisseurs et marchands, 42 p.
et planche; Couvreurs, Plombiers, Ramoneurs, 42 p. et planche;
Couturières, 8 p. et planche ; Couteliers, 8 p. et planche ; Brodeurs-
Chasubliers découpeurs, 42 p. et planche (Paris, Firmin-Didot et
C«). Chaque cahier 4 fr#.
442. Galabert (abbé). — Les associations rurales sous l'ancien ré-
gime (Société archéol. de Tarn-et-Garonne , 4884):
443. Guyaz (Marc). — Histoire des institutions municipales de Lyon
avant 4789 {Lyon, in-42, 4884).
♦*
38 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
444. Harlstoy (abbé). Recherches historiques sur le pays basque.
Les fors et coutumes des trois provinces basques ou pyrénéennes
(Ports, Champion y in-8°).
445. Lavisse (E.). — Étude sur le pouvoir royal au temps de
Charles V {Revue historique , nov.-déc. 4884).
446. Lecoy de la Marche. — Les classes populaires au xiii* s.
Les Vilains (Le Correspondant, 4884, 40 et 24 sept.).
447. Loeb. — Deux livres de commerce du commencement du xiv*
s. [Revue des études juives , 4884, avril-juin).
448. Schmidt (K.). — Der streit ueber das jus primas noctis (Ber-
lin, Moger, in-8o, 4874).
449. Textes de droit coutumier, classés et mis en ordre par MM.
E. G. et Gl. L. — Coutume de Paris. In-8«, 26 p. (Paris, ûnpr.
Lambert).
9° Histoire des législations étrangères.
420. Abignente (G.). — Elementi délia storia del Diritto in Italia,
ad uso dello insegnamento universitario. Parte I : Délia caduta
dell' impero romano fino alla costituzione dei feudi (Napoli, LaCava
eSteeger. In-8° gr., p. 260).
424 . Baer. — Les corporations ouvrières en Allemagne (Forschun-
gen zur deutschen geschichte, XXIV, fasc. 2).
422. Beok. — Droit de sorcellerie en Franconie au xvii« s. [Wûr-
tembergische Vierteljahrshefte f. Landesgeschichte , VII, 4).
423. Bovio (G.). — Sommario délia storia del Diritto in Italia dalf
origine di Roma ai nostri tempi, ecc. [Napoli, Anfossi edit. (s. t.)*
In-8o, p. 496).
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acquisition par usucapion ; droit français : Du droit de suite sur
les titres au porteur, les articles 2279 et 2280 du code civil et la
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im ôsterreichischen u. im gemeinen Rechte. Eine civilist. Unter-
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Reichs-Civilprocess. gr. 8. v-476 p. (Berlin, Guttentag). . . 5 fr.
464. Witz (P.-E.). — Droit romain : Des moyens de mettre fin à
l'indivision d'une hérédité , et des effets du partage, à Rome; droit
français : Du caractère et des effets du partage dans le droit fran-
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11° Droit public et administratif.
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notamment les règles en matière de ventes domaniales , ventes des
coupes des bois de l'État, fournitures et marchés, concessions de
mines , concessions sur les cours d'eau , états des fonctionnaires ,
militaires et marins, pensions civiles, militaires et de la marine,
récompenses nationales, Légion d'honneur, etc. In-8°, xn-692 p.
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gles et usages des assemblées^politiques des deux mondes ; l'En-
quête du Foreing office sur la clôture, le serment, les modes de vo-
tation, etc.; la Réforme du règlement de la Chambre des com-
munes : suivi d'une table alphabétique des auteurs et des person-
nages politiques cités dans l'ouvrage, t vol. in-8°, 1. 1, 452 p.; t. II»
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étude médico légale. I, Des statistiques judiciaires italiennes et
françaises; II, De la criminalité générale en France et en Italie;
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Bailiiére et fils).
473. Bravo (E.). — Legislacion pénal especial , tomosIII (Madrid,
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475. Ghnroh (W.-S.). — A treatise of the writ of habeas corpus ,
including jurisdiction, false imprisonment, writ of error, extradic-
tion, mandamus, certiorari], judgments, etc., with practice and
forma (San Francisco, A. L. Bancroft et Co. 61+708 p. O.). 6 fr.
476. Garraud (R.). — Précis de droit criminel , contenant l'expli-
cation élémentaire de la partie générale du code pénal , du code
d'instruction criminelle et des lois qui ont modifié ces deux codes ;
2« édition, revue et corrigée, xix-872 p. (Paris, Larose et For-
cet) *0 fr.
ET CRITIQUE. 43
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Lfg. gr. 8. S. 385—544 (Berlin, GuUentag) 4 fr.
479. Giordano (V.). — La procédure commerciale , ossia guida
pratica per la compilazione degli atti di procédure , secondo il
nuovo codice di commercio, ecc. (Trani, Veecki e C. In-8°, p. vi-
432) 40 fr.
480. Vlllard (P.). — Des administrateurs dans les sociétés ano-
nymes. In-8°, 272 p. (Paris , Pichon).
14° Droit international public et privé.
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national privé, ou Du conflit des lois. Droit civil , procédure, droit
commercial. In-8°, vi-303 p. (Paris, Rousseau) 8 fr.
482. Féraud-Giraud. — Les Justices mixtes'dans les] pays hors
chrétienté. Causeries à l'occasion d'un essai de réglementation in -
ternationale. In-8°, 440 p. (Paris, Pedone-Lawriel).
483. Guelle (J.). — Précis des lois de la guerre sur terre. Commen-
taire pratique à l'usage des officiers de l'armée active, de la ré-
serve et de la territoriale. Avec une préface] par M. P. Pradier-
Fodéré. T. I. Préliminaires de la guerre et hostilités. In-48 Jésus,
xrv-300 p. (Paris, Pedone-Lauriel).
484» Levi (Enrico). — La convenzione di Berna (Borne, 4884).
485. Moreau (F.). — Effets internationaux des jugements en ma-
tière civile. In-8°, xii-272 p. (Paris, Larose et Forcel).
15° Économie politique et science financière.
486. Aristokratie, die, d. Gestes als Losung der sozialen Frage.
Ein Grundrissder natûrl. u. der vernunft. Zuchtwahl in der Mensch-
heit. gr. 8. vn-468 p. (Leipzig, 4885, Friedrich) 4 fr.
487. Besson (E.). — De l'impôt sur le revenu, étude historique et
critique. In-8°, vn-38 p. (Paris, Marchai, Billard etC*)... 4 fr.
488. Colajanni (N.). — Socialismo e sociologia criminale. I. Il So-
cialismo : appunti (Catania, Fil. Tropea. In-46gr. p. 396).
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de l'allemand par MM. Dulaurier et de Riedmatten; revu par l'au-
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494. Philippovioh v. Philippsberg (E.). — Die Bank y. En-
gland im Dienste der Finanzverwaltung d. Staates. gr. 8. viu-244 p.
(Wien, 4885, Toeplitz et QeuticKe) 7 fr.
492. Simon (0.). — Die deutsche Reichsbank in den J. 4876-4883.
Eine statist. Uebersicht tib. deren Gesch&fts-Éntwicklg., nebst e.
Gommenlar zum deutschen Bankgesetz vom 44. Màrz 4875. gr. 8.
xn-92 p. (Minden, Bruns) 2 fr. 50
Marcel FOURNIER.
BAR-LE-DUC, IMPRIMERIE COTTANT-LAQUERRE.
ERRATA.
P. 34, note 1, au lieu de Delare lisez : Delarc.
P. 77, entre la ligne l \ et la ligne 12, ajoutez :
La Déclaration fut imposée à l'enseignement ecclésiastique
par Louis XV, en 1766; par Napoléon, en Tan IX (Articles or-
ganiques, 24).
P. 139, note i, ligne 4, au lieu de Andegarensem lisez :
Andegavensem.
P. 143, ligne 13, au lieu de Arc lisez : Acre.
P. 240, note 3, ligne 3, au lieu de Vauters lisez : Wauters.
P. 2SS, note i, au lieu de VinogradofT lisez : Winogradofî.
-\)
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